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ifique D' GUSTAVE jON ' LA Psychologie Politique ET La Défense sociale La raison crée la science. Les sentiments mènent PARIS-*' ERNEST FLAMMARION, ÉDITEUR 26, RUE RACINB, 36 l'histoire. m 3 9007 0304 3641 DATE DUE '^1 fBeuL I FP FEB 7 mil *ecTi) FRST JULQ5WW »^-R^3 JbT 1 6 19941 ' ms 4 La Psychologie politique et la Défense sociale PRINCIPALES PUBLICATIONS DU D^ GUSTAVE LE BON VOYAGES, HISTOIRE, PHILOSOPHIE 1» Voyage aux monts Tatras, avec une cane et un panorama dressés par l'auieur (publié par la Société géographique de Paris). Voyage au Népal, avec nombreuses illustrations, d'après les photographies exécuiés par l'auteur pendant son exploration (publié par le Tour ei dessins (lu Monde). — L'Homme et les Sociétés. Leurs origines et leur kistoire. Tome I*' Développement physique et intellectuel de l'homme. Tome II Développement des sociétés. {Épuisé.) — : : Les Premières Civilisations de l'Orient Grand (Egypte, Assyrie, Judée, etc.). illustré de 430 gravures, 2 cartes et 9 photographies. (Flamma- in-4"', rion.) La Civilisation des Arabes. Grand in-4", illustré de 366 gravures, 4 caries 11 planches en couleurs, d'après les photographies et aquarelles de l'auteur. ei (Firmin-Diiloi.) {Épuisé.) Les Civilisations de 2 caries, (Épuisé.) d'après et, l'Inde. Grand in-4°, illustré de 352 photogravures photographies exécutées par l'auteur. 2" édition. les Les Monuments de l'Inde. documents, phoiographies, plans 400 planches d'après les de l'auteur. (Firmin-Didot.) {Épuisé.) In-folio, iHusiré de et dessins Les Lois psychologiques de l'évolution des peuples. Psychologie des foules. 1 vol. in-18. 15' édition. Psychologie du SociaUsme. 1 vol. in-8". 6"^ édition. Psychologie de l'Éducation. 1 vol. in-18. 13» mille. Zo In-18. 9' édition. RECHERCHES EXPÉRIiVIElVTALES La Fumée du Tabac. 2' édition augmentée de recherches nouvelles sur l'oxyde de carbone et divers alcaloïdes nouveaux que la fumée du tabac contient. {Épuisé.) l'acide La Vie. prussiqiie, — Traité, de physiologie humaine. — volume 1 in-S" illustré de 300 gravures. {Épuisé.) Recherches expérimentales sur l'Asphyxie. (Comptes rendus de l'Académie des sciences.) Recherches anatomiques et mathématiques sur variations du volume du crâne. (.Mémoire couronné des sciences et par la les lois des par Y Académie Société d'.Anthropologie de Paris.) ln-8°. {Épuisé.) La Méthode graphique et les Appareils Enregistreurs, contenant la description de nouveaux instruments de l'auteur. 1 vol. in-8'', avec 63 ligures dessinées au laboratoire de l'auteur, {Épuisé.) Les Levers photographiques. Exposé des nouvelles méthodes de levers de cartes et de plans employées par l'auteur pendant ses voyages. 2 vol. in-18. (Gaiithier-Villars.) L'éqmtation actuelle et ses principes. tales, — Recherches expérimen- -i"^ édiiion. 1 vol. in-8°, avec, 73 figures et phies insianianées. (Firmin-Didot.) {Épuisé.) Mémoires de Physique. hertziennes. Lumière noire. Dissociation de la matière, etc. un atlas de 200 photogra- Phosphorescence invisible. Ondes {Revue scientifique.) L'Évolution de la Matière (18' mille), avec 62 figures. (Flammarion.) L'Évolution des Forces (10« mille), avec 40 figures. (Flammarion.) L'Évanouissement de la Matière. {Mercure de France.) des iradurtions en Anglais, .Allemand, Espagnol, Italien, Danois, Russe, Arabe, Polonais, Tchèque, Turc, Hindostani, Japonais, etc., de quelques-uns des précédents ouvrages. Il existe Bibliothèque de Philosophie scientifique D' GUSTAVE LE BON LA Psychologie politique ET La Défense sociale La raison crée la science. Les sentiments mènent P.J.E.E. l'histoire. CHAMB06T PARIS FLAMMARION, ÉDITEUR ERx\EST 26, RUE RACINE, 26 1910 Droits de iraiiuction et de reproduclion réservés pour tous les pays, y compris la Suède et la Norvège. n Droits de traduction et de reproduction pour tous les pays. Copyright 1910, by Ernest Flammarion. réservés La Psychologie politique et la Défense sociale LIVRE I BUT ET MÉTHODE CHAPITRE I La Psychologie politique. La première manileslationdes progrès d'une science de renoncer aux explications simples dont se contentent ses débuts. Ce qui paraissait d'abord facile à comprendre devient plus tard très difficile à expliquer. est Les études relatives à l'Evolution de la vie des nations ont subi la même loi. Après avoir essayé de tout interpréter, les historiens entrevoient maintenant qu'ils dissertaient souvent sur des illusions nées dans leur esprit. Les phénomènes sociaux apparaissent aujourd'hui des mécanismes extrêmement compliqués, étroitement hiérarchisés et où la simplicité ne s'observe guère. L'Evolution des peuples est aussi complexe que celle des êtres vivants. La science cherche encore les lois qui déterminent les transformations des esjjèces et conditionnent leurs formes successives. Les lois de l'évolution sociale comme 1 ~ PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE restent aussi peu connues. Quelques-unes seulement sont entrevues. L'analyse des divers éléments dont l'agrégat constitue une société n'étant pas sortie de la phase des généralisations vagues et des assertions conjecturales, la vision des choses dont se contentent les théoriciens de l'inconnu demeurent très fragmentaires encore. Dans l'enchevêtrement des nécessités dirigeant la trajectoire de la vie d'un peuple, ils choisissent celles qui frappent leur esprit et négligent les autres. C'est pourquoi le récit des actes des souverains et surtout de leurs batailles semblait devoir constituer l'unique intérêt de l'Histoire. Tout ce qui concernait l'existence des peuples était, il y a peu de temps encore, dédaigné ou ignoré. La science ne se contente plus des réponses sommaires faites jadis aux « })Our(]uoi » qui se hérissent de toutes parts 'et dont la vie politique des nations est remplie. Pourquoi tant de peuples surgis brusquement du néant, et remplissant le monde du bruit de leur grandeur? Pourquoi ont-ils sombré ensuite dans un oubli si profond que pendant des siècles tout fut ignoré d'eux? Gomment naissent, évoluent et meurent les dieux, les institutions, les langues et les arts? Conditionnent-ils les sociétés humaines, ou sont-ils au contraire conditionnées par elles? Pourquoi certaines croyances comme l'Islamisme purent-elles s'édifier Itresque instantanément alors que d'autres mirent des siècles à s'établir? Pourquoi le même Islamisme surde sup- vécut-il à la puissance politique qui lui servait port et s'étend-il toujours alors que d'autres religions comme le christianisme et le bouddhisme semblent décliner et côtoyer leur lin? A tous ces « pourquoi » et à bien d'autres, les réponses ne manquèrent jamais. >"ous ressemblons à l'enfant auquel il en faut toujours. Mais les explications dont pouvait se contenter une science très jeune, sa maturité ne les accepte plus. LA PSYCIIOLOfilE POI ITIQL'E L'âge est passé où les dieux conduisaient l'histoire. La Providence bienveillante qui guidait nos pas incer- nos erreurs, s'est évanouie sans retour. Abandonné à lui-même, l'homme doit s'orienter seul dans l'effrayant chaos de« forces ignorées qui l'étreignent. Elles le dominent encore, mais il apprend chaque jour à les dominer à son tour. C'est celte domination sans cesse plus accentuée sur la nature que désigne le mot progrès. Maîtriser la nature ne suflit pas. Vivant en société, l'homme doit apprendre à se maîtriser lui-même et subir des lois communes. C'est aux chefs placés à la tête des nations qu'incombe la lâche d'édicter ces lois el de les faire respecter. La connaissance des moyens permettant de gouverner utilement les peuples, c'est-à-dire la psychologie politique, a toujours constitué un diflicile problème. Il l'est bien davantage aujourd'hui où des nécessités économiques nouvelles, nées des progrès scientifiques et industriels, pèsent lourdement sur les peuples et échappent à l'action de leurs gouvernements. La psychologie politique participe de l'incertitude des sciences sociales indiquée plus haut. Il faut bien •cependant l'utiliser telle (|u'elle est, car les événements nous poussent et n'altendenl pas. Les décisions que ces derniers provoquent ont souvent une importance considérable, car les conséquences d'une erreur peuvent s'appesantir sur plusieurs générations. Le siècle qui précéda le nôtre en fournit de nombreux exemples. Les plus importantes des règles du gouvernement tains et <les réparait hommes sont celles relatives à l'action. Quand comment agir et dans quelles limites agir? La agir, réponse à ces questions constitue tout tique. l'art de la poli- PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE Une analyse attentive des fanlos politiques dont est parsemée la trame de l'histoire montre qu'elles (Mirent généralement pour causes des erreurs de psychologie. Les arts et les sciences sont règles qu'on ne peut d'aussi précises impunément pour gouverner soumis violer. les à certaines II en existe hommes. Leur diflicile, sans doute, puisque est fort peu jusqu'ici ont été nettement formulées. Le seul véritable traité de psychologie politique connu fut publié il y a quatre siècles par un illustre Florentin que son œuvre rendit immortel. Le marbre luxueux qui protège son sommeil éternel est édifié sous les voûtes de la célèbre église SantaCrocp à Florence. Ce panthéon des gloires de l'Italie renferme de magnifiques monuments élevés à la mémoire des hommes qui firent sa grandeur MichelAnge; Galilée, le Dante, etc. Les mérites de ces demidieux de la pensée y sont gravés en lettres d'or. Dans cette galerie d'illustres ombres il n'est guère découverte très : tombeau sur lequel de longues inscriptions aient Une seule indication y figure Machiavel, 1527. Tanto nomini nullum par elogiinn. {Nul éloge n'égalo un tel nom). L'œuvre qui valut à son auteur une épitaphe si glorieuse et si brève est le petit volume intitulé le Prince, (ju'un été jugées inutiles. : auquel je faisais allusion plus haut. L'illustre écrivain y formulait des règles précises sur l'art de gouverner les hommes de son temps. De son temps et non d'un autre. C'est pour avoir oublié cette condition essentielle que le livre tant admiré d'abord fut décrié plus tard, lorsque les idées et les mœurs ayant évolué, il cessa de traduire les nécessités des âges nouveaux. Alors seulement Machiavel devint machiavélique. Possédant le sens des réalités, l'éminent psychologue LA PSYCHOLOGIE POLITIQUE O ne cherchait pas le meilleur, mais seulement le possible. Pour pénétrer son génie on doit se reporter à cotte période brillante, et perverse, où la vie d'autrui ne comptait guère et où le fait d'emporter son vin avec soi pour ne pas être empoisonné lorsqu'on allait dîner chez un cardinal ou simplement chez un ami était considéré comme très naturel. Juger la politique de cet âge avec les idées du nôtre, serait aussi illogique que <le vouloir interj)réter les croisades, les guerres de religion, la Saint-Barthélemy. à la lumière des conceptions actuelles. Machiavel n'était pas un simple théoricien. Mêlé intimement par ses fonctions à la politique active de son pays, il avait souffert des dissensions qui bouleversaient les ré])ubliques italiennes, alors en plein régime syndicaliste et sans cesse troublées par les plus sanglantes discordes. 11 avait vu en 1502, Florence réduite à créer un gonfalonat à vie qui n'était qu'une véritable dictature perpétuelle, c'est-àdire du (lésarisme pur. Cette dernière forme de gouvernement lui paraissait une phase fatale de l'anarchie qu'ont toujours engendrée les gouvernements populaires. Il ne se trompait guère, puisque toutes les républiques italiennes finirent, ainsi d'ailleurs que les républiques athénienne et romaine, de la même façon. La plupart des règles relatives à l'art de conduire hommes, enseignées par Machiavel, sont depuis cependant, quatre siècles ont passé sur la poussière de ce grand mort, sans que nul ait tenté de refaire son œuvre. La psychologie politique, ou science de gouverner, est pourtant si nécessaire que les hommes d'Etat ne sauraient s'en passer. Ils ne s'en passent donc pas, mais, faute de lois formulées, les impulsions du moment et quelques règles traditionnelles fort som- les longtemps inutilisables, et, maires, constituent leurs seuls guides. De tels guides conduisent fréquemment à de coù- •6 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SuCIALE teuses erreurs. Napoléon, si conscient de la psychologie des Français, ignora profondément celle des Russes et des Espagnols. Cette ignorance le jeta dans des guerres oii tout son génie de conquérant échoua contre un patriotisme insoupçonné qu'aucune force n'aurait pu vaincre. Très mal conseillé, l'héritier de son nom accumula, en Crimée, au Mexique, en Italie et ailleurs, des erreurs de psychologie tort graves qui nous valurent finalement une nouvelle invasion. Les grands manieurs d'hommes sont nécessairement de grands psychologues. Sans la connaissance intime de la mentalité des individus et des peuples que possédait si bien Bismarck, la supériorité des armées germaniques n'aurait certainement pas suffi à fonder l'unité de rAllemaone. La psychologie politique s'édifie avec des matériaux divers dont les principaux sont: la psychologie individuelle, la [)sychologie des foules et enfin, celle des races. Les maîtres de notre enseignement considèrent évidemment ces connaissances comme fort inutiles, puisqu'on ne les trouve mentionnées dans .aucun de leurs programmes. A l'Ecole des sciences politiques, on semble même ignorer leur existence. N'est-il pas étrange qu'on puisse être reçu « docteur es sciences politiques », sans avoir jamais entendu parler de connaissances qui sont pourtant les vraies bases de la politique ? Quelques notions traditionnelles constituant le seul bagage psychologique des hommes d'Etat médiocres, ils se trouvent absolument désorientés devant certains problèmes nouveaux, dont la routine ne dit pas la solution. Les impulsions mobiles des partis devenant leurs guides, les erreurs alors commises sont innombrables. Très longue en serait la liste, même limitée à ces LA PSYCHOLOGIE J'OLITIQI E i flernières années. Erreur dangereuse de psychologie, séparation de l'Eglise et de l'Etat accordant au clergé une indépendance et une puissance que les plus catholiques de nos rois n'auraient jamais tolérées. Erreurs fondamentales de psychologie, nos principes cette d'éducation, si différents de ceux qui conduisirent l'Allemagne, à réaliser tous ses progrès scientifiques, industriels et économiques. Erreurs de psychologie les idées d'assimilation auxquelles nos colonies doivent leur décadence. E^rreur de psychologie, la mesure introduisant dans l'armée des apaches, jadis confinés dans des bataillons spéciaux composés d'autres ai)a- ches et où, par conséquent, leur contact ne pouvait contaminer personne. Erreur de psychologie aussi lourde, la capitulation du gouvernement dans la première grève des postiers. Erreurs de psychologie «ncore, un grand nombre de nos lois prétendues humanitaires. Erreur de psychologie toujours, cet utopique •espoir de refaire les sociétés à coups de décrets et la croyance qu'un peuple peut se soustraire entièrement à l'influence de son passé. Les forces qui déterminent les actions d'un peuple sont assurément complexes forces naturelles, forces économiques, forces historiques, forces politiques, etc. Elles produisent finalement une certaine orientation de nos pensées et par conséquent de notre conduite. Ces forces si diverses se trouvent ainsi linalement transformées en forces psychologiques. < l'est donc à ces dernières que toutes les autres se ramènent. : Les difficultés entre peuples sont ({uelquefois assez graves pour n'être résolues qu'à coups de canon. L'unique droit à invoquer alors est la loi du plus fort. Tels furent les dilîérends de la Prusse et de l'Autriche, du Transvaal et de l'Angleterre, du Japon et de la Russie. Mais quand il s'agit de questions secondaires. s les PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE influences psychologiques habilement maniées réussissent parfois à remplacer les arguments mili- un adversaire très supérieur en puissance dédaigner. Il frappera le sol de son épée taires. Seul ])eut les comme le firent Napoléon et Bismarck et l'adversaire n'aura qu'à se taire en attendant l'heure de la revanche qui sonnera toujours. Personne ne semble assez fort aujourd'hui pour employer ces procédés sommaires. Les enchevêtrements d'alliances ne permettent plus à aucun souverain de parler comme s'il était l'unique maître. L'aventure du Maroc a enseigné aux peuples le sort qui les attend s'ils ne savent pas solidariser leurs faiblesses pour se défendre. C'est donc entre forces à peu près 'égales que s'engagent maintenant les discussions provoquées par les incidents de la vie quotidienne. Alors la psychologie reprend son rôle et Faction des diplomates peut devenir importante. 11 est indubitable cependant que cette action n'est plus aujourd'hui ce qu'elle était jadis. Instruit par le télégraphe, le téléphone, les journaux, le public discute passionnément les moindres événements politiques, ment pendant que leurs les diplomates échangent lente- notes obscures. Habitués autrefois à négocier dans l'ombre, il leur faut actuellement discuter en pleine lumière et suivre l'opinion au lieu de la précéder. Et cependant leur rôle, injustement dédaigné, garde une certaine utilité. Des événements récents l'ont mise en évidence. Plusieurs questions importantes furent en effet solutionnées grâce à des interventions diplomatiques. Bombardement des bateaux pêcheurs anglais par des cuirassés russes au début de la guerre avec le Japon, affaire de Casablanca, différend austro-russe à propos de la Serbie, etc. Si nous avions, à la veille de 1870, possédé des diplomates moins au-dessous de la plus LA PSYCHOLOGIE l'OLlTIQUE 9 navrante médiocrité, la guerre eût été ajournée à un moment où nous eussions pu préparer des alliances et non à celui choisi par l'ennemi. C'est la psychologie politique encore qui apprend à résoudre des problèmes posés chaque jour. Discerner, par exemple, quand il faut céder ou résister aux exigences populaires. Selon leur tempérament, les hommes d'Etat cèdent indéfiniment ou résistent toujours. Détestable principe. Suivant les circonstances il Aucune iliflicile, faut savoir résister ou au contraire céder. partie de la psychologie et les politique n'est plus conséquences des erreurs plus graves. La Révolution française eût été peut-être évitée, sûrement atténuée, si à l'époque de la crise agricole et financière de 1788 qui avait accru la misère des classes ouvrières par la disette et le chômage, la classe pas persisté à refuser l'égalité fiscale. Il en résulta une haine intense contre les classes privilégiées et les émeutes qui engendrèrent la désagrégation d'un long passé. aristocratique n'eût Frappé autrefois de l'absence d'ouvrages spéciaux sur la psychologie politique, j'espérais toujours voir combler cette lacune. Après dix années presque exclusivement consacrées aux expériences de physique d'où mon livre surT^'uoliition viatièro de la sorti, ces recherches est devinrent trop coûteuses pour être continuées. Je dus donc les abandonner et me résignai à reprendre d'anciennes études. Désireux d'appliquer à la politique les principes exposés dans plusieurs de mes précédents ouvrages, je priai mon éminent ami le professeur Ribot de m'indiquer les traités de psychologie politique publiés, pendant le dernier siècle. Sa réponse m'apprit qu'il n'en existait pas. Mon étonnement fut le même que lorsque quinze années auparavant, voulant entreprendre l'étude de la psychologie des foules, je 10 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET IiÊFENSE SOCIALE qu'aucun écrit n'avait paru sur ce sujet. Ce n"est pas, certes, que les dissertations politiques aient jamais manqué. Elles abondent au contraire depuis Aristote. mais leurs auteurs furent le plus souvent des théoriciens, étrangers aux réalités de leur temps et ne connaissant que l'homme chimérique enfanté par des rêves. Ni la psychologie, ni l'art de gouverner n'ont rien à leur demander. L'absence d'ouvrages classiques sur un tel sujet et la non-existence de chaires consacrées à son ensei2:nement prouvent que son utilité n'apparaît pas clairement. 11 était donc nécessaire de la démontrer. Ce sera un des buts de ce livre. constatai ' La psychologie politique s'édifie, je l'ai dit plus haut, sur des matériaux tirés de l'étude de la psychologie individuelle, de celle des foules, de celle des peuples et enfin des enseignements de l'hisloiro. Plusieurs de ces matériaux commencent à être connus, mais ils ne sont pas le monument lui-même. Dans l'état actuel de nos connaissances, la politique ne peut être qu'une adaptation journalière de la conduite à des nécessités. Rationnelles ou non, il n'importe si ce sont des nécessités. Les préjugés héréditaires d'un peuple et ses croyances religieuses peuvent être déclarées absurdes par la raison, mais un véritable homme d'Etat ne tentera jamais de les combattre, sachant qu'il ne peut le faire utilement. Seuls, des théoriciens, ignorants des réalités, croient que la raison mera pure gouvernera hommes. En le inonde et transfor- prépare lentement les changements qui, à la longue, transformeront nos âmes, mais son action immédiate est très faible. Fort peu de choses peuvent être changées par elle brusquement. La psychologie politique est encore, nous l'avons dit, dans l'âge des incertitudes. Cependant des règles se empiriques souvent, mais pourtant très sûres dégagent chaque jour. Ce n'est pas en les formu- — les réalité, l'intelligence — L.V It PSYCHOLOGIE POIITIQL'E qu'on saurait pi'ouver leur valeur, mais bien eu uiontraut les conséquences de leur ignorance. Ce sera encore un des buts que je me propose. Le développement des principes qui m'ont servi laiit de guide exigerait des commentaires que les dimensions de ce livre ne comportent pas; on les trouvera, longuement exposés dans mes ouvrages antérieurs'. Je me suis presque exclusivement confiné dans ce livre à l'application des règles déterminables de la psychologie politique aux événements contemporains. Même limité à cette période très circonscrite, le sujet souvent me était encore si vaste qu'il m'a fallu contenter d'indications sommaires. Examiner le rôle de la psychologie politi(jue dans l'histoire des peuples, dans la formation de leurs croyances, dans les lottes guerrières qui forment la trame de leur passé aurait nécessité plusieurs volumes. Ayant à traiter des sujets un peu arides, capables, par conséquent, d'effrayer le lecteur et d'épuiser facilement son attention, j'ai cherché à éviter les formes trop didactiques. Les propositions les plus sérieuses gagnent souvent à être présentées dans un cadre peu sévère. Un des chapitres de cet ouvrage, consacré à décrire de la persuasion, montre le rôle prépondérant de la répétition. C'est la conviction de son utilité qui m'a incité à répéter parfois les mêmes choses en termes peu différents. Je regrette que le défaut de place m'ait empêché de le faire davantage. Napoléon exagérait peu en disant que la répétition est la seule les facteurs 1. 1" Pour les principes généraux, voir orir/ines et leur histoire, 2 vol tion des Peuples, in-18, {!)" in 8". édition). : IJ Homme et les Sociétés, leurs Les Lois psycholof/if/nes de l'Evolu- La Pstjcholiigie des Foutes, in-JS. (15'= édition). Psi/cholof/ie du Socialisme. m-H", {(>' éihùon). Psi/cholotjie de l'éducation. (11= édition). 2° Pour les applications de la psychologie à l'his- toire, voir tion : Les premières cinilisations des Arabes, in-'i". de l'Orieid, in-i". Les Civilisations de i'huh\ in-'i". La Civilisa- 12 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE figure sérieuse de rhétorique. d'affirmer qu'elle constitue Il est un des au moins permis jilus actifs facteurs des convictions. Tous les grands hommes d'Etat ont été conscients de sa puissance. C'est au moyen de répétitions innombrables que l'empereur d'Allemagne réussit à persuader ses sujets de l'utilité des sacrifices nécessaires à la construction d'une grande Hotte de guerre. L'aneion Président des Etats-Unis, M. Roosevelt, écrit donc « Toutes les grandes vérités fondamentrès justement tales risquent de sonner comme des choses rebattues : et pourtant, toutes rebattues qu'elles soient, elles ont besoin d'être réitérées encore et toujours Si les répétitions sont nécessaires ». pour répandre des vérités connues, combien n'en faut-il pas ])0ur des vérités neuves; je l'ai plus d'une fois expérimenté. Les apôtres qui. dans le cours des âges transformèrent nos conceplions et nos croyances n'y ont réussi que par des répétitions incessantes. C'est qu'en effet le vrai mécanisme des convictions diffère profondément de celui qu'enseignent les livres. Fort utile pour des démonstrations scientifiques, le raisonnement ne joue qu'un rôle très faible dans la genèse de nos croyances. Les idées ne s'imposent nullement par leur exactitude, elles s'imposent seulement lorsque par le double mécanisme de la répétition et de la contagion, elles ont envahi ces régions de l'inconscient où s'élaborent les mobiles générateurs de notre conduite. Persuader ne consiste pas simplement à prouver la justesse d'une raison, mais bien à faire agir d'après cette raison. faire accepter CHAPITHE II Les nécessités économiques . et les tiiéories politiques. Les images évoquées dans l'esprit par des rcTils impressionnent médiocrement et c'est pourquoi les difîérences du })assé et du présent n'apj>araissent jamais bien clairement. On ne se représente nettement les choses abstraites qu'en les comparant à des impressions concrètes déjà ressenties. Qui a vu une bataille ou un naufrage sei"a toujours inipi'essionné par le récit d'événements semblables. du passé par voie de compaconcrète me fut rendue très frappante un jour dans les circonstances que voici Les hasards d'une excursion m'avaient conduit à traverser en automobile le [»ont jeté sur le tieuve qui divise en deux villes l'antique cité de Huy, en Belgique. Un brouillard tellement intense l'enveloppait qu'il fallut s'arrêter. Je descendis et m'accoudai au Cette représentation raison : parapet. Sous l'épais manleau de brume envelo|»pant les choses on entrevoyait des masses monumenlnles imposantes. C'était pour moi l'inconnu. J'attendis qu'il se dévoilât. Soudain, un clair rayon de soleil dissi[)a les nuages dans une vision imprévue, surgirent, séparés par fleuve, deux mondes, deux expressions de l'huma- et, le V l'SVCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE en face rune de l'autre cl (|u"au |»remier coup d'œil on devinait meimçanles. inconciiiilé (Ij-cssées liables et teiTil)les. Sur la rive gauche un agrégat d'antiques édifices. Dominant leur ensemble, un gigantesque château fort aux lignes rigides et une majestueuse cathédrale, dont la piété ardente de nombreuses générations pendant avait des siècles lentement festonné les contours. Sur face à ces grandes synd'un autre âge. se développaient les murs tristes et nus d'une immense usine de briques grisâtres, surmontée de hautes cheminées, vomissant des torrents de fumée noire sillonnée de flammes. A intervalles réguliers une porte s'ouvrait, livrant jiassage à de longues théories d'hommes hirsutes, couverts de sueur, la mine harassée, l'œil sombre. Fils d'ancêtres dominés par les dieux et les rois, ils n'avaient changé de maîtres que pour devenir les. serla rive droite, faisant thèses viteurs du fer. Et c'étaient bien deux mondes, deux civilisations en ])résence, obéissant à des mobiles différents, animés un passé déjà mort, mais volontés encore. De l'autre. d'autres espoirs. D'un côté, dont nous subissons les un présent chargé de mystères flancs un avenir inconnu. Ils existèrent toujours, ces et portant deux mondes, et dans ses constam- ment hostiles, mais <les sentiments semblables, une foi commune, comblait souvent l'abîme qui les séparait. Aujourd'hui, foi et sentiments ont disparu ne que l'atavique hostilité du pauvre contre le riche. Libérés graduellement des croyances et des liens sociaux du passé, les travailleurs modernes laissant debout révèlent de plus en plus agressifs et oppressifs, les civilisations de tyrannies collectives qui feront peut-être regretter celle des pires despotes. Ils parlent en maîtres à des législateurs qui les flattent servilement et subissent tous leurs caprices. Le se menaçant XECESSITES ECONOMIQUES ET THEORIES POLITIQUES 15 poids du nombre cherche chaque jour davantage à se subsliluer au poids de rinlolligence. La vie politique est une adaptation <les sentimenls de l'honime au milieu qui Fenloure. Ces sentimenls varient peu, caria nature humaine se transforme fort lentement, tandis que le milieu moderne évolue rapidement en raison des progrès continuels de la science et de l'industrie. Quand rambiam^e extérieure se modilie trop vite, l'adaptation est difficile et il en résulte le malaise général observé aujourd'hui. Faire cadrer la nature de l'homme avec les nécessités ile tout ordre qui l'étreignent, et dont il n'est pas maître, constitue un problème sans cesse renaissant et toujours ])lus ardu. Le monde ancien et le monde moderne diffèrent profondément par leurs pensées et leurs modes d'existence. Les éléments nouveaux qui nous mènent ne dérivent pas de raisonnements abstraits et n'oscillent nullement au gré de nos espérances ou de nos conceptions logiques. Ils sont les résultats de nécessités que nous subissons, et ne créons pas. L'âge actuel ne dilTère point de ceux qui l'ont précédé, par les rivalités et les luttes, car ces dernières naissent dépassions qui ne varient guère. La différence réelle porte principalement sur la dissemblance des facteurs qui font aujourd'hui évoluer les peuples. C'est ce point essentiel que je vais essayer de marquer maintenant. Les véritables caractéristiques de ce siècle sont d'abord, la substitution de la puissance des facteurs économiques à celle des rois et des lois. En second lieu, l'enchevêtrement des intérêts entre peuples jadis séparés et n'ayant rien à s'emprunter. Ce dernier phénomène, d'origine relativement récente, a une importance considérable. Les peuples ne sont ]>lus comme jadis isolés et à peu près : 10 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE dénués de relations commerciales. Ils vivent tous uns des autres et ne pourraient subsister les uns les sans les autres. L'Angleterre serait vite réduite à la lamine si elle était entourée d'un mur empêchant l'ai-rivée des matières alimentaires cju'elle va chercher au dehors et paie avec d'autres marchandises. Ces conditions nouvelles d'existence permettent de tous les grands mouvements commerciaux qui transforment la vie des nations, créent la richesse sur un point, la paupressentir que dans industriels et vreté sur d'autres, l'influence des gouvernements, si considérable autrefois, devient cha(jue jour plus faible. Convaincus eux-mêmes de leur impuissance, ils suivent les mouvements et ne les dirigent plus. Les forces économiques sont les vrais maîtres et dictent les volontés populaires auxquelles on ne résiste guère. Il y a soixante ans un souverain était encore assez ])uissant pour décréter le libre-échange dans son jiays. Aucun n'oserait même le tenter aujourd'hui. Oue la protection, condamnée par la plupart des économistes, soit bonne ou nuisible il importe peu. Elle répond aux volontés poimlaires de l'heure présente et cette heure est entourée de nécessités trop accablantes pour que les hommes d'Etat songent beaucoup à Ils l'avenir. se font d'ailleurs souvent illusion sur les con- séquences de leur intervention. Ces chefs dociles d'armées très indociles, obéissent loujours et ne com- mandent plus. Dans une séance du 11 mars 1910, M. Méline assurait devant le Sénat que le libre-échange avait ruiné anglaise, dont la production de blé a baissé de plus de moitié en un demi-siècle, alors que l'agriculture le régime de la protection, la France qui, en 1892, avait un délicit alimentaire de 095 millions l'a vu disparaître et remplacé par un excédent de 5 millions, permettant d'exporter du blé au lieu d'en importer. Le célèbre économiste attribue naturellement au sous NECESSITES ECONOMIQUES ET THEORIES POLITIQUES 17 régime de la protection, dont il fut l'apôtre, les 700 millions que les agriculteurs retirent maintenant du sol. (Ml peut cej)endant assurer, sans crainte d'erreur, que depuis l'origine du inonde aucune loi n'eut un tel pouvoir créateur. En fait, la nouvelle production agricole résulte uniquement des immenses progrès scientifiques réalisés par une agriculture^ qui se sentait très menacée. Et si les Anglais n'ont pas accoin[)U les mêmes progrès, ce n'est nullement parce que le libre-échange les empêchait de lutter contre la concurrence étrangère, mais simplement parce qu'ils ont trouvé beau- coup plus rémunérateur de fabriquer des produits industriels, de la vente desquels ils retirent plus d'argent qu'il ne leur en faut pour acheter tout le blé nécessaire. Oue le régime protectionniste soit utile ou nuisible Dans la politique n'est d'ailleurs pas à considérer ici. justement ce ({ue je voulais monpas de rechercher le meilleur, mais uniquement l'accessible. De nos jours aucun despote ne actuelle, et c'est là trer, il ne s'agit serait assez fort, je le répète, échange ou pour imposer le libre- à un pays qui n'en voudrait pas. Quand les peuples se trompent, tant pis pour eux. L'expérience le leur fait savoir. Quelques hommes de génie, aidés par les circonstances arrivent parfois à remonter des courants mais leur nombre fut toujours la protection fort rare. Ce qui précède montre bien à quel point les facteurs de l'heure présente diffèrent de ceux du passé et permet de pressentir le peu d'influence des théories politiques sur l'évolution des peuples. Avec les progrès de la science, de l'industrie et des relations internationales, sont nés d'invisil)les mais tout-puissants maîtres auxquels les peuples et leurs souverains eux-mêmes doivent obéir. PSYCHOLOGIE POI.ITIOUE ET DEFENSE SOCIALE Les éléments économiques de la vie des peuples constituent donc des nécessités auxquelles ils sont forcés de s'adapter puisqu'ils ne peuvent s'y sousnécessités naturelles s'en joignent traire. A ces d'autres, très artilîcielles, qu'essaient de créer les théoriciens de la politique et les gouvernements qui les suivent. Etudions leur rôle. Malgré toutes les ressources de leurs laboratoires, les biologistes n'ont jamais réussi à transformer une seule espèce vivante. Les légères modifications extérieures que réussit à créer l'art de l'éleveur sont sans durée et sans force. Est-il plus facile de transformer un organisme social qu'un être vivant? La réponse affirmative à cette question a dirigé toute notre politique depuis plus d'un siècle et la dirige encore. La possibilité de refaire les sociétés au moyen d'institutions nouvelles sembla toujours évidente aux révolutionnaires de tous les âges, ceux de notre grande Révolution surtout. Elle apparaît aussi certaine aux socialistes. Tous aspirent à rebâtir les sociétés sur des plans dictés par la raison pure. Mais, à mesure qu'elle progresse, la science contredit de plus en plus cette doctrine. Appuyée sur la biologie, la psychologie et l'histoire, elle montre que nos limites d'action sur une société sont fort restreintes, que les transformations profondes ne se réalisent jamais sans l'action du temps, que les institutions sont l'enveloppe extérieure d'une âme intérieure. Ces dernières constituent une sorte de vêtement capable de sadapter à une forme intérieure mais impuissant à la créer, et c'est pourquoi des institutions excellentes pour un peuple peuvent être détestables pour un autre. Loin d'être le point de départ d'une évolution politique, une institution en est simplement le terme. NECESSITES ECONOMIQUES ET THEORIES POLITIQUES 10 hommes sur Certes, le rôle des institutions et des événements n'est pas nul. L'histoire le montre à chaque page, mais elle exagère leur puissance et ne s'aperçoit pas qu'ils sont le plus souvent l'éclosion d'un long passé. S'ils n'arrivent pas au moment nécessaire, leur action est simplement destructrice comme les celle des conquérants. en changeant ses institutions et ses lois est resté un dogme que nous aurons à combattre fréquemment dans cet ouvrage et dont il faudra bien revenir un jour. Les peuples latins n'en sont pas revenus encore, et c'est ce qui fait leur faiblesse. Leurs illusions sur la puissance des institutions nous a coûté la plus sanCroire qu'on modifie l'âme d'un peuple connue l'histoire, la mort d'hommes, la décadence profonde de toutes nos colonies et les progrès menaçants du socialisme. Rien n'a pu l'ébranler, ce terrible dogme et nous ne cessons de l'appliquer rigoureusement chaque jour aux malheureux indigènes tombés entre nos mains et que nous conduisons ainsi à la haine et à la réglante révolution qu'ait violente de plusieurs millions volte. Les journaux ont fourni récemment un nouvel exemple de cet aveuglement général en reproduisant quelques extraits d'une circulaire du gouverneur de la Côte-d'lvoire à ses administrateurs. Son résultat final a été le soulèvement du pays, le massacre de plusieurs officiers et la très coûteuse nécessité d'envoyer, de la métro[)o!e, des troupes nombreuses pour rétablir l'ordre. Si les Anglais ou les Hollandais gouvernaient leurs colonies avec de tels principes, depuis longtemps elles seraient perdues. Ce document, dont je vais donner les plus saillants passages, illustre nettement notre irréductible incapacité à comprendre que l'âme d'un peuple ne se transforme pas avec des décrets et que des institutions excellentes pour un peuple peuvent être très 20 PSYCHOLOGIE POLITIOLE ET DÉFENSE SOCIALE mauvaises pour un aulro eu et. cas. tout inappli- cables toujours. « // faudra, écrit ce gouverneur, que nos sujets viennent au progrès malgré eux... C'est à l'autorité à obtenir ce qui serait refusé à la persuasion... // faudra, modifier du tout au tout la mentalité noire pour faire comprendre... Ce que je ne veux pas. que nous fassions étalage d'une sensibilité sans résultat. Dussions-nous ne pas sembler tenir compte, dès l'abord, des désirs de l'indigène, il importe que nous suivions sans faiblesse l'unique voie susceptible de nous mener au Itut... Je ne crois nullement qu'il faille redouter les conséquences de notre action, môme lorsque celle-ci ne respectera pas des usages dont le mieux qu'on en j)uisse penser est qu'ils sont opposés à tout progrès. » Ce n'est pas la mentalité noire qu'il serait urgent nous c'est de modifier — mais — si la cliose dépendait de notre volonté celles des a<lministrateurs capables de signer les lignes précédentes. Quant à l'illusion du brave gouverneur. ne redoutant nullement les conséquences de son intervention», les événements lui ont donné une rude leçon qui, malbeureusement, ne profitera guère. Le propre d'une (( croyance fut toujours de n'être modifiable ni par l'observation, ni par le raisonnement, ni par l'expérience Les croyances politiques ont la même ténacité que les dogmes religieux, bien qu'ils n'en possèdent pas tou; jours la durée. Ce dogme de la transformation de l'àme des peuples sous l'influence des institutions est d'ailleurs indiscuté en France par tous les partis, y compris les plus conservateurs. Nous l'avons vu étalé récemment dans un manifeste publié en mars 1910 par le duc d'Orléans et dont voici quelques extraits « Il semble que jamais les événements n'aient donné plus d'évidence à l'axiome politique Ce sont les institutions gui corrompent les hommes. Un détail : : NECESSITES ECO.NOMIQL'ES ET THEORIES POLITIQUES 21 nous fournit l'actualité le démontre avec la précision qu'une figure de géométrie éclaire un théorème.» Ce prince en est encore aux idées de Rousseau qui croyait, lui aussi, que les sociétés pervertissaient les hommes. On devrait renoncer à professer ouvertement de telles doctrines (]uand on aspire à régner. (jue même Les progrès de la psychologie moderne permettent d'expliquer le rôle joué par la raison dans l'organisation des sociétés, leurs croyances et leur conduite. est très faible bien que tous les gouvernements prétendent s'appuyer sur elle. Nous savons aujourd'hui que, contrairement aux enseignements de la philosophie classique, il existe la logique deux formes de logique fort distinctes rationnelle et la logique des sentiments. Ces deux logiques sont tellement séparées qu'on ne peut jamais 11 : de l'une à l'autre et, par conséquent, exprimer l'une en langage de l'autre. C'est justement pourquoi tant de choses se sentent qui ne se définissent pas. j)asser Sui- la logique rationnelle s'édifient toutes les formes de la connaissance, les sciences exactes notamment. Avec la logique sentimentale se bâtissent nos croyances, c'est-à-dire les facteurs de la conduite des individus et des peuples. La logique rationnelle régit le domaine du conscient on se fabriquent les interprétations de nos actes. Ce dans le domaine du subconscient, gouverné par la logique des sentiments, que s'élaborent leurs vraies causes. L'observation montre que les sociétés sont guidées par la logique des sentiments et que la logique rationnelle ne saurait guère les influencer et encore moins transformer. L'âme simple des réformateurs est trop inaccessible à la genèse des choses pour comprendre que les ins- les PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET PEFENSE SOCIALE 'i^ ne s'édifient pas avec des raisonnements mais cette notion semble évidente aux hommes d'Etat anglais. Un de leurs ministres disait, récemment, en plein Parlement, que le grand mérite de la Constitution anglaise était de n'être pas rationnelle. C'est, en effet, sa force, alors que la faiblesse des innombrables constitutions engendrées par nos révolutions, depuis un siècle, en France, est justement de n'être basées que sur la raison pure. Cette idée restant incompréhensible à des cerveaux titutions logiques, latins, donc serait inutile d'y insister ici. Je il à rappeler que les religions, les me bornerai gouvernements, en un mot tout ce qui constitue trame de l'existence d'un peuple, est fondé sur des sentiments et nullement sur des raisons. Savoir manier ces sentiments pour influencer l'opinion est le vrai rôle des hommes d'Etat. Les ap[)arences semblent prouver qu'ils agissent souvent par la logique de leurs discours. Tout autre, en réalité, nous le verrons dans cet ouvrage, est le mécanisme de la persuasion. Les multitudes ne sont jamais impressionnées par la vigueur logique d'un discours, mais bien par les images sentimentales que certains mots et associations de mots font naître. Les propositions enchaînées au moyen de la logique rationnelle servent uniquement à les encadrer. En admettant qu'un discours simplement logique produise une conviction, elle sera toujours éphémère et ne constituera jamais un mobile d'action. les actes politiques, la Mais si ce n'est pas la logique rationnelle qui con- hommes évoluer leurs croyances, comla Révolution des théories uniquement déduites de la raison pure produisirent si rapidement de profonds bouleversements? Avant de montrer que cette contradiction n'est qu'apparente, rappelons tout d'abord que la llévoliilion duit les et fait ment expliquer qu'au moment de NÉCESSITÉS KCON'OMIQIES ET THÉORIES POLITIOI ES n'ont, en réalité, 23 qn'un seni théoricien inlluent, Rous- seau. L'action de Montesquieu, notable à ses débuts, devint vite très faible. Ce dernier cherchait surtout à expliquer des organisations sociales déjà existantes; Rousseau proposait de refaire une société nouvelle. Ce doux halluciné croyait que l'homme, heureux à l'état de nature, avait été dépravé et rendu misérable par les sociétés. La raison exigeait donc qu'on également convaincu que le vice est l'inégalité, et que l'origine du mal social est l'antithèse de la richesse et de la pauvreté. Nécessité, par conséquent, de changer tout cela en établissant d'abord la souveraineté populaire. C'est précisément ce que ses disciples tentèrent par les moyens énergiques que l'on connaît, dès que les résistances du roi. de la noblesse et du clergé engendrèrent des violences qui les amenèrent au pouvoir. Robespierre, Saint-Just et les Jacobins cherchèrent uniquement à appliquer les théories de leur les refit. essentiel Il des était sociétés maître. de Rousseau ne disparut nullement Révolution. M. Lanson fait justement remar(|uer que « depuis un siècle, tous les progrès de la démocratie, égalité, suffrage universel, l'écrasement des minorités, les revendications des partis extrêmes, la guerre à la richesse et à la propriété ont été dans le sens de son œuvre ». Nous verrons qu'en réalité il fut beaucou}) moins un inspirateur qu'un préL'influence avec la texte. La rapidité avec laquelle se propagèrent les idées de Rousseau au moment de la Révolution est frappante. Nous savons par les cahiers généraux de 1789, ce que la majorité des Français demandait alors abolition des privilèges féodaux, lois fixes, justice uniforme, etc., c'est-à-dire à peu près ce que Napoléon réalisa par son code. La royauté était encore universellement respectée et i)ersonne ne demandait à la supprimer. : 24 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE Et cependant, trois ans plus tard, les théories énoncées plus haut régnaient souverainement et la Terreur supprimait ceux qui ne les vénéraient pas. Il semble donc qu'il y ait contradiction évidente entre ce que nous avons dit du peu d'influence des théories déduites de la raison pure, sur la marche des événements et l'action si rapide que ces théories semblèrent exercer pendant la Révolution. Nous accentuerons encore cette contradiction en affirmant que les hommes de chaque âge sont gouvernés par un très petit nombre d'idées directrices qui s'établissent fort lentement et ne deviennent des mobiles d'actions qu'après s'être transformées en sentiments. En malgré sa netteté appaen effet, les idées des théoriciens de la Révolution s'implantèrent facilement dans l'àme des foules, ce n'est nullement parce qu'elles étaient nouvelles, mais uniquement parce qu'elles étaient au contraire fort anciennes. Les théories révolutionnaires ne firent que prêter l'appui des lois à des passions n'ayant jamais cessé d'exister et à des aspirations, que les nécessités sociales peuvent réprimer ou endormir, mais qui ne s'éteignent réalité, la contradiction, rente, n'existe pas. Si, jamais. Le peuple avait accepté la inégalités de conditions, parce puissance royale et que maintenues j)ar les une antique armature sociale elles semblaient d'indestructibles nécessités naturelles. Dès qu'il entendit des gouvernants, auxquels le pouvoir suprême conférait un grand prestige, lui affirmer que le peuple était le vrai souverain, que son despotisme devait rem placer celui des rois, que les inégalités de fortune étaient une injustice et qu'on allait lui distribuer les biens de ses anciens maîtres, il devait fatalement adopter avec enthousiasme de telles idées et considérer comme des ennemis dignes du dernier supplice ceux qui auraient pu s'opposer à la réalisation XÉCESSITÉS ÉCONOMIQUES ET THÉOBIES POLITIQUES ~^> de ses appétits. Si, de nos jours, un gouvernenieul s"appuyant sur l'autorité de philosophes réputés, édictait des lois autorisant le meurtre et le pillage, il compterait bientôt un grand nombre de sectateurs et serait aussi applaudi que lorsqu'il proposa de s'emparer du milliard des congrégations pour le distribuer aux ouvriers et à des amis. Certes, la pratique de pareilles doctrines ne subsiste pas longtemps car on découvre vite, comme il arriva après quelques années de révolution, que l'anarchie ruine et n'enrichit pas. Et alors, toujours ainsi qu'à cette épO(}ue, la nation chercherait un dictateur énergique capable de la soustraire au désordre. On s'illusionne vernements et les souvent sur le rôle utile des goulimites de ce rôle, parce que leur puissance, très faible pour le bien, est au contraire très grande pour le mal. Il fut toujours aisé de détruire et difficile de rebâtir. Aujourd'hui, nous n'avons pas à nous défendre seulement contre les rigides nécessités économi(iues de l'heure présente, mais encore contre le zèle désastreux de législateurs légiférant au hasard, comme nous le montrerons bientôt, suivant les impulsions du moment. Lois, dites sociales, qui gênent de plus en plus l'industrie et n'enrichissent personne lois entravant l'apprentissage au point d'avoir chassé les apprentis des usines et transformé un grand nombre d'entre eux en voleurs et assassins, ainsi (jue le prouvent les rapides progrès de la criminalité infan; tile; persécutions religieuses incessantes, expropria- <le diviser la France douanières qui, par les représailles qu'elles provoquent continuellement, finiront par supprimer enlièrement notre commerce avec l'étranger, etc. Toutes ces lois créées par une raison trop courte sont des calamités artificielles qui tions dont le résultat final a été en deux peuples ennemis; lois 26 PSYCHOLOGIE l'Or H lOLE ET DEFENSE SOCIALE sajoutent aux maux naturels dont nous sommes l)i('n obligés de supporter le poids. Nous n'avions, certes, jias l'idée de faire ici le procès de la raison, mais de ceux prétendant l'employer à modilîer des phénomènes qu'elle ne saurait régir. C'est exclusivement sur la raison que s"éditient la science et toutes les formes de la connaissance. C'est surtout avec des sentiments et des croyances que se gouvernent les liommes et se fait l'histoire. CHÂPITKE III IVIéthodes d'étude de la Psychologie politique. En psychologie politique, comme d'ailleurs dans les autres sciences, ce sont les faits d'abord, puis leur interprétation qui permettent de dégager des lois. En politique, l'observation des faits est beaucoui» plus facile que leur interprétation, c'est-à-dire que la détermination de leurs causes el la prévision de leurs conséquences. Nos armées ont été battues en 1870. Voilà un fait connu de chacun. Mais pourquoi ont-elles été battues ? Quelles réformes devraient-elles subir afin d'éviter une nouvelle défaite ? Ici les difficultés s'accumulent et les explications varient considérablement. Pour s'en convaincre, il suffit d'examiner les théories contradictoires, révélées par la série de règlements militaires édictés pendant vingt ans, ou simplement les écrits des spécialistes. Si d'ailleurs l'interprétation des phénomènes sociaux était aisée, nous serions d'accord sur tout, alors qu'en réalité nous ne le sommes sur rien. Donc, quoique les faits politiques faisant partie de journalière soient d'une observation facile, la détermination de leurs causes est au contraire difficile. Elle l'est d'autant plus que les parties d'un événement la vie dont nous prenons conscience ne sont généralement qu'une très faible partie de l'événement lui-même. Dans une pareille étude, la simple intuition ne saurait suffire. Des méthodes ris-oureuses deviennent 2H PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFEASE SOCIALE nécessaires. Elles employées dans notamment. sont de les même sciences, ordre que celles l'histoire naturelle Le psychologique doit opérer un peu comme le natuqui. mettant en relief par une analyse attentive les réalités cachées sous de trompeuses apparences, réunit ensemble des phénomènes d'aspect dissemblable. Ainsi arrive-t-il à classer la baleine avec les mammifères au lieu de la considérer comme un poisson. Pour l'observateur superficiel, la baleine parait évidemment plus rapprochée du requin que d'un écureuil et c'est cependant avec ce dernier qu'on raliste doit la comparer. En politique, malheureusement, les apparences seules frappent et non les relations cachées. Les généralités qui précèdent montrent que la première difficulté de la [tsychologie politique est de découvrir les facteurs rapprochés ou lointains des événements et de ne pas attribuer à une seule cause, comme on le fait généralement, ce qui est le résul- de plusieurs. ne saurais trop insister sur cette difficulté. Pour en prouver l'importance, je vais prendre un cas concret relativement assez simple — l'extension du socialisme et par la seule énumération de quelques-uns (les facteurs ayant déterminé cette extension, mettre en évidence leur complexité. tat .le — A la base du socialisme, on trouve d'abord un élément fondamental, l'Espérance. Espérance d'améliorer son sort et de se créer un avenir heureux. Un tel facteur possède assurément une grande puissance. A lui seul, pourtant, il ne fournirait qu'une explication bien incomplète du problème, l'espoir d'améliorer sa destinée ayant constitué de tout temps un des principaux mobiles de l'activité des hommes. MÉTHODES d'Étude de la psychologie politique 29 Nous irons plus loin en remarquant qu'autrefois il beaucoup moins nécessaire qu'aujourd'hui d'améliorer sa vie, puisqu'elle devait l'être dans un monde futur, sur la réalité duquel on ne gardait aucun doute, était alors qu'on n'y croit guère aujourd'hui. l'homme espérait d'une autre existence Ce que n'est recherché maintenant qu'ici-bas. L'explication de l'extension du commence ainsi à se préciser davantage. Un nouvel élément d'interprétation apparaîtra si l'on observe que le socialisme, dont la forme humanitaire s'accentue chaque jour, devient une religion remplaçant celles en voie de disparaître. La psychologie moderne enseigne que le sentiment religieux, c'est-à-dire la vénération du mystère et le besoin de se soumettre à un credo capable d'orienter nos pensées, est une tendance irréductible de l'esprit. L'apôtre socialiste est un clérical ayant changé le nom de ses socialisme dieux. Son âme demeure saturée d'une religiosité ardente. Le journal L'Humanité du 30 novembre 1909 nous apprend que le jeune professeur à la Sorbonne qui ouvrit, récemment, la |iremière séance de l'Ecole socialiste, « adressa, comme il convenait, une invocation émue à la déesse Raison »! Les facteurs psychologiques que nous venons d'indiquer présentent un caractère général les rendant applicables à tous les peuples. Or, il est visible que le socialisme prend, d'un pays à l'autre, des formes diverses. Certains éléments d'interprétation doivent donc s'ajouter encore aux précédents. Nous trouverons tout d'abord le rôle de la race, c'est-à-dire des dispositions héréditaires des nations. Elles diffèrent profondément et c'est pourquoi le mot socialisme est une étiquette commune traduisant des aspirations très dissemblables. Gomment pourraientelles être de même nature chez des peuples d'instincts opposés, ceux des Etats-Unis, par exemple, comptant exclusivement sur leur énergie, leur initiative individuelle, et ceux dominés, comme les Latins, parl'irré3. 30 PSYCHOLOGIE POLIÏIOUE ET DÉFENSE SOCIALE sislible et perpétuel besoin de la protection d'un maître ? En dehors des aptitudes de race, un autre facteur le passé. psychologique capital intervient encore Il est évident que des peuples centralisés depuis des siècles sous la main d'un Etat réirlementant les moindres détails de leur vie sociale, industrielle, commerciale et même religieuse, ne sauraient posséder les mêmes aspirations, les mêmes tendances, que de jeunes nations n'ayant derrière elles qu'un passé politique très court, incapable, par conséquent, de peser lourdement sur elles. Le collectivisme étatiste, qui nous enserre de plus en plus, fut pratiqué en réalité de tout temps par nos monarchies, et c'est pourquoi les peuples latins y reviennent facilement. Les minutieuses réglementations de Colbert formeraient un excellent chapitre d'un traité de socialisme étatiste. L'Etat étant considéré aujourd'hui comme une divinité protectrice, tous les partis, toutes les classes, devaient naturellement lui demander d'intervenir dans leurs affaires et défendre leurs intérêts. Ce furent d'abord les industriels qui le prièrent de les proléger, afin de les enrichir, par des droits de douane, des primes, des subventions, etc. On détruisait évidemment ainsi la concurrence, mais en paralysant du môme coup toute initiative et, par conséquent, tout progrès. Devenues puissantes ])ar le nombre, les classes ouvrières réclamèrent à leur tour la protection de l'Etat, mais, cette fois, contre les maîtres de l'industrie. En leur cédant, on entra davantage dans la voie socialiste ouverte par le protectionnisme. Pour satisfaire de croisssantes exigences, l'Etat s'engagea dans le chemin de l'arbitraire despotique et des spoliations retraites ouvrières obligatoirement payées par les patrons, c'est-à-dire charité forcée à leurs dépens, rachat des chemins de fer, et extension pro: : MÉTHODES d'ÉTIDE DK LA PSYCIIOLOf.lE POLITIQUE 31 des monopoles, tle façon à transformer en fonctionnaires entretenus par l'Etat, etc. Mais tout cela coûtant fort cher et l'engrenage des répercussions se déroulant fatalement, les législateurs en sont maintenant conduits à essayer de dépouiller les possédants par de lourds impôts progressifs, sans comprendre, d'ailleurs, que le petit nombre de ces gressive les ouvriers privilégiés rendra dérisoires les sommes obte- nues. Leur spoliation devant avoir pour conséquence ultime la ruine des grandes industries, on n'arrivera finalement ainsi qu'à l'égalité dans la misère. Ce sera nivellement rêvé par tant d'âmes que domine haine des supériorités. le la Bien que déjà longue, notre énumération des facteurs de l'évolution socialiste ne les contient pas tous. Il faudrait rechercher encore comment les doctrines se propagent dans les multitudes, pourquoi des mots des formules très vagues possèdent parfois tant de puissance. On se trouve alors en présence de nouveaux facteurs importants créés par la spéciale mentalité des foules. Mais l'examen des causes de l'extension du socialisme ne serait nullement terminé par cette étude, puisqu'il sévit non seulement dans les multitudes illettrées, mais encore parmi des professeurs et des bourgeois aisés, satisfaits de leur sort. Il devient alors nécessaire de faire intervenir d'autres facteurs psychologiques et notamment, la contagion mentale par imitation. Elle se retrouve toujours à l'aube des grandes croyances et explique leur propaet iration. de facteurs agissent dans un phénomène paraître bien difficile de doser leurs influences respectives. Le problème est ardu, en effet. Comment le résoudre? Si tant social, il doit PSYCHOLOr.IE POLITIQliE ET DEFENSE SOCIALE o'-C On deux méthodes différentes, l'une comjdiquée. La méthode simple, et pour cette raison d'un usage général, consiste à supposer les phénomènes engendrés par une cause unique et de compréhension facile. Trouver des remèdes apparents à tous les maux devient alors aisé. Les ouvriers d'un pays se déclade leur sort ? Décrétons un rent-ils mécontents impôt sur le revenu qui permettra de dépouiller les riches pour enrichir les travailleurs. La population d'un pays est-elle stationnaire? Etablissons de lourdes le peut par Irès simple, l'autre assez charges sur les citoyens qui n'ont pas En davantage? Des endurcis pourraient seuls en douter. fants. auront-ils assez d'en- économistes Ainsi raisonnent les politiciens à mentalité courte et leur simplisme, que j'ai dû condenser un peu dans mes exemples, nous a valu de Voyons maintenant (pielle détestables lois. méthode doit suivre l'ob- servateur qui veut utiliser les enseignements de la psychologie politique. Un événement social (juelconque résultant le plus souvent d'un grand nombre de facteurs immédiats ou lointains, la première règle est d'apprendre à les séparer, la seconde d'évaluer exactement la valeur respec- de chacun d'eux. phéle physicien en présence d'un nomène pouvant dériver de plusieurs causes. Sa tâche est relativement facile, parce que des expériences répétées lui permettent de vérifier ses premières déductions. Mais, pour les phénomènes poli- tive Ainsi opère tiques, l'observation seule et tue l'unique guide. Certes, non l'expérience les consti- expériences sociales ne manquent pas; elles sont même innombrables, mais indépendantes de nous, et de nos volontés. Ne pouvant les renouveler, nous en sommes réduits à les interpréter. On sait trop à quelles divergences conduisent ces interprétations et dans quel dis- MÉTHODES d'Étude de la psychologie politique 33 sociologie est pour cette raison tombée. ne devient vraiment possible de doser la valeur d'un facteur déterminé qu'en le voyant agir d'une façon semblable dans des temps divers et chez des peuples ditTéreiits, alors que tous les autres facteurs sont restés invariables. C'est un peu, on le voit, une application de la méthode dite des variations concomitantes. N'étant applicable qu'à des cas très simples on n'en dégage le plus souvent que des banalités d'utilité restreinte l'anarchie engendre le césarisme, les peuples faibles sont conquis par les peuples forts, etc. La dissociation des éléments générateurs d'un événement est cependant facilitée par la constatation que chaque phénomène social est habituellement le résultat de deux catégories de facteurs très distincts les uns permanents, les autres transitoires. f^es premiers agissent d'une façon constante dans tous les phénomènes. Telle, par exemple, la race, c'est(M-édit la Il : : le passé sentiments religieux, politiques ou sociaux fixés dans l'âme des peuples et r-endus stables par un long passé. Les facteurs transitoires changent au contraire fréquemment, mais, agissant sur le fond peu mobile du résidu ancestral, ils en reçoivent toujours l'empreinte. C'est pour cette raison, que des peuples de races ditférentes soumis en même temps aux mêmes facteurs transitoires réagissent de façons diverses. Certes, l'histoire paraît souvent montrer qu'un peuple apparence, transformer ses peut, au moins en croyances, ses institutions et ses arts, mais sous les changements extérieurs le passé reparaît toujours et modifie bientôt les formes que les révolutions violentes avaient fait momentanément adopter. Les influences de la race et du passé, habituellement négligées, parce qu'invisibles, sont en réalité les plus nécessaires à étudier. Elles dominent effectivement toute l'évolution d'un peupl.e. C'est ainsi, par à-dire les dispositions héréditaires. Tel aussi social qui comprend les 34 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE exemple, qu'en France, sous des agitations politiques nous retrouvons deux principes fixes, communs à tous les peuples latins et ayant invariablement dirigé leurs actes 1" La croyance dans le pouvoir transformateur de l'Etat. 2" La confiance inébranlable dans la puissance absolue des lois. De ces deux principes, que nous étudierons dans plusieure chapitres, sont nés l'extension de l'Etatisme et le développement du socialisme collectiviste qui n'en est que la floraison. 11 apparaît donc indispensable pour juger des événements relatifs à un peuple de connaître les caractères de sa race et son histoire. En ce qui concerne la race, cette étude n'est pas très compliquée, les caractéristiques fondamentales générales étant peu nombreuses. On sait déjà beaucoup des Américains des Etats-Unis et de leur avenir possible lorsqu'on a observé quelques-uns de leurs caractères essentiels tels que l'énergie, la confiance dans ses propres forces, l'optimisme, le besoin de justice et de liberté personnelle, l'habitude de l'initiative suppléant l'intervention du gouvernement. Alors que certains ])euples ne peuvent être étudiés sans la connaissance préalable de leur gouvernement, le citoyen des Etats-Unis doit au contraire être observé surtout en dehors de son gouvernement. Réduit à ses seules ressources, il progresse sans aucune aide et, à lui seul, ce caractère psychologique aurait suffi pour tracer sa variées, : destinée. Un examen analogue des tristes républiques latines de l'Amérique, impuissantes à sortir de l'anarchie où elles végètent, montrerait également un très petit nombre de caractères psychologiques fondamentaux dominant toute leur histoire. Donc, la connaissance des grands facteurs généraux qui déterminent, ou tout au moins orientent les autres, simplifie un peu le problème de la psydiologie politique. Il est encore très difficile cependant. Les facteurs transitoires agissant à côté des facteurs permanents MiinioDES d'étude de la psychologie politique sont en eiTet si nombreux que déroute parfois toute logique. leur 35 complication Comment déterminer leur rôle? En observant qu'outre les grands facteurs irréducdont je viens de marquer l'action, il existe pour chaque époque un* petit nombre de principes directeurs canalisant les pensées et les actes dans un même sens. C'est ainsi, par exemple, que la politique du second Empire fut orientée par le principe dit des nationalités, que le socialisme actuel évolue sous l'influence d'une idée maîtresse l'égalisation des situations sociales sous la tutelle de l'Etat, etc. tibles : Il résulte de toutes ces considérations que, dans la genèse d'un événement, figurent toujours des éléments nombreux mais d'inégale importance. Le rùle de la l)sychologie politique consiste précisément à savoir doser cette importance, discerner le principal et éliminer l'accessoire. L'élimination des facteurs secondaires est aussi malaisée en politique que dans une science quelconque, la physique ou l'astronomie notamment. Elle est pourtant aussi nécessaire. Avec les progrès scientiliques actuels, la genèse de tout phénomène apparaît infiniment complexe. La simplicité des causes n'est créée que par l'insuffisance de nos moyens d'observation. Un ])Oids placé sur le plateau d'une balance n'est pas attiré seulement par la terre, puisque la lune et tous les autres astres mais leurs milliers du firmament agissent sur lui d'attractions sont si minimes en comparaison de celle exercée par notre planète qu'on n'en tient aucun compte. Toute la sagacité du savant consiste à savoir dégager les facteurs principaux d'un phénomène et négliger les autres. Kepler ne réussit à formuler ses lois qu'en mettant de côté les perturbations accessoires modifiant faiblement le cours des planètes. ; 36 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE Le véritable homme d'Etat ne procède pas dilTéremment, mais semblable au savant encore, il doit se rappeler que tel facteur, sans importance à un moment donné, peut en acquérir à un autre. Le phy- comme vraie la loi de Mariotte parce des éléments trop accessoires pour la modifier visiblement dans les conditions habituelles de température, mais il sait aussi que lorsque les gaz se trouvent au voisinage de leur point critique, des facteurs justement négligés d'abord deviennent maintenant prépondérants. La loi est alors inexacte et il faut lui en substituer une autre. sicien considère qu'il néiïliire La notion de loi absolue, chère aux savants du dertend à disparaître graduellement de la science. Les principes de la psychologie politique ne sauraient assurément prétendre à plus de fixité que les lois physiques. Ils sont d'ailleurs troublés sans cesse par l'intervention d'éléments imprévus. C'est ainsi qu'à certains moments l'influence des facteurs habituels disparait devant de brusques courants d'opinion. Si l'homme d'Etat en connaît le mécanisme, il peut les faire naître ou tout au moins les orienter comme y réussit Bismarck en 1870. Ces subits mouvements d'oiiinion constituent une force morale, si irrésistible parfois, que nulle puissance ne parviendrait à les endiguer. Napoléon, luimême, savait que certains courants ne se remontent pas. Plusieurs de ses lettres sont caractéristiques sur ce point. « Ce sont, écrivait-il, les faits qui parlent. C'est la direction de l'esprit public qui entraîne... Je n'ai jamais été mon maître. Jai toujours été gouverné par les circonstances. » La puissance, comme aussi la mobilité de ces mouvements populaires, se révèle à chaque page de notre histoire. Ils sont nombreux dans un seul siècle. L'Epojtéo impériale, la Restauration monarchique. nier siècle, MliTHODES D ETUDE DE LA PSYCHOLOGIE POLITIQUE le 37 romanlisme, le second Empire, l'aventure boulanen donnent autant d'exemples. Le Princr giste, etc., de Machiavel s'appelle aujourd'hui la multitude. Son pouvoir devient formidable dès que toutes les volontés s'orientent dans inie seule direction. Une telle orientation ne dure d'ailleurs jamais longtemps et l'homme d'Etat doit le savoir encore. Les courants populaires d'une époque sont souvent mal saisis par les hommes de cette époque. Au début de la Révolution, personne ne prévoyait l'avenir terrible qui se préparait. On l'a dit avec raison pendant : navire sombrait, les passagers se congratulaient du naufrage. M"* de Genlis menait les princes d'Orléans, dont elle était gouvernante, voir la démoli(pie le La noblesse regardait tout ce autant de sympathie que notre aveugle bourgeoisie a contemplé la première grève des postiers. Alors, comme aujourd'hui, personne ne comprenait que les phénomènes psychologiques ont un enchaînement nécessaire et que chacun d'eux devient cause à son tour. Toutes ces causes accumulées dans le même sens produisent, comme en mécanique, une accélération fatale. de tion la mouvement Bastille. ave(; Nous voyons à quel point est difficile la tâche sagement gouverner. d'autant plus qu'ayant une mentalité ditTé- actuelle des chefs qui veulent Elle l'est rente ne ils de la foule savent pas obéissant à d'autres mobiles, toujours la comprendre et lui et parler. On ne connaît bien les hommes d'une classe que si appartient à cette classe. C'est pourquoi les meneurs de la Confédération du travail, sortis des l'on couches populaires, se font si parfaitement obéir. Des grands principes, des belles théories humanitaires, ils n'ont nul souci, sachant bien que les foules ne s'en préoccupent pas davantage. Inaccessibles a tout raisonnement, elles acceptent sans discussion des 38 PSYCHOLOGIE POLITIQL'E ET DEFENSE SOCIALE croyanees condensées en formules brèves et violentes et se soumettent sans murmures aux ordres les plus impérieux à coni^lition qu'ils soient édictés par des hommes ou des comités revêtus de prestige. Certes, ces meneurs ne possèdent qu'une psychologie fort sommaire, mais admirablement adaptée à la mentalité des âmes simples qu'ils ont su asservir. Leur horizon est étroit mais ils le connaissent. Ils savent où ils vont et ce qu'ils veulent. Les erreurs des politiciens ne leur échappent pas et « de l'autre eôté de la barrière » leurs conseils seraient fort utiles à nos gouvernants. C'est ainsi, par exemple, (ju'à l'heure où le gouvernement cédait aux menaces des postiers, un des chefs du syndicalisme montra très justement dans un article que les dirigeants « commettaient une faute impardonnable en laissant prendre conscience de leur force à des agents qui ne s'en doutaient guère ». La réunion de tous ces facteurs lointains on rapprochés, stables ou transitoires, représente ce que l'on pourrait appeler l'équation sociale d'une époque. De la solution correcte de cette équation dépend souvent l'avenir d'un peuple. La nécessité suffirait généralement à la résoudre, si les législateurs n'intervenaient pas pour troubler le jeu des facteurs que les lois naturelles tendent toujours à équilibrer. L'énumération des éléments générateurs de l'évolution d'un phénomène social nous en a montré la Nous avons vu également que les plus actifs souvent les moins aperçus. Leur ensemble constitue un faisceau de forces invisibles qui dirigent la destinée d'un peuple. Il s'agite, elles le mènent. L'homme ressemble souvent au pantin ignorant les tîls qui le font mouvoir. Si puissantes cependant que soient ces forces, nous ae devons pas les subir avec une résignation morne. variété. étaient MÉTHODES d'Étude de la psychologie politique 39 Dominée par un tel sentiment, l'iiumanité ne serait jamais sortie de la sauvagerie primitive, et n'aurait pu vaincre la nature qui l'avait d'abord si étroitement asservie. Et ceci nous conduira à une autre étude qui fait encore partie de la psychologie politique. Réduite à une simple science de constatation elle serait un peu vaine. Mais elle enseigne aussi l'art de prévoir, c'est-à-dire, en langage mathématique, l'art d'extrapoler des courbes dont on a su déterminer un nombre suffisant d'éléments. La psychologie politique présente un autre avantage encore. Prévoir est utile, prévenir l'est davantage. Prévoir, c'est éliminer les surprises de l'avenir. Prévenir, c'est annuler leur action. Gomment y parvenir? La science confirmant les plus vieilles traditions religieuses de l'humanité semble nous confiner chaque jour davantage dans un fatalisme étroit. Nous verrons cependant dans un des derniers chapitres de cet ouvrage ({u"il est possible de dissocier les éléments dont toute fatalité se compose. Or désagréger les facteurs d'une fatalité, c'est apprendre à s'y soustraire. LIVRE II FACTEURS PSYCHOLOGIQUES DE LA VIE POLITIQUE CHAPITRE L'Origine des Beaucoup lois et les d'événenieuls I illusions législatives. politiquos représenteut nombre de principes solidement âmes. La croyance en la puissance l'éclosion d'un petit ancrés dans les souveraine des lois est un des plus actifs. On rencontre en France une foule dv' gens se disant dégagés de toute croyance i-eligieuse. Ils ne croient plus aux dieux, méprisent les superstitions et ne redoutent guère que les révélations des somnambules ou l'action magique du nombre treize. Mais dans ce pays de libre pensée on trouverait difficilement des citoyens manifestant le plus légei' doute à l'égard de la ]niissance infaillible des constitutions et des lois. Nous sommes tous solidement persuadés que des textes législatifs peuvent remanier à volonté l'état social d'un peuple. Avec des lois toutes les réformes sont possibles. Il ne tient qu'à elles d'enrichir le pauvre aux dépens du riche, d'égaliser les conditions et d'assurer un bonheur universel. Ce dogme sacré de la puissance des lois est à peu OHIGI\E DES I,OIS ET ILLUSIONS LÉGISLATIVES 41 près le seul resté debout et que les théoriciens vénèrent. Si l'idéal d'un parti politique permettait de le définir, on pourrait dire qu'il n'existe en France qu'un seul parti. Tous possèdent, en effet, un même idéal réformer la société à coups de décrets et : demander à vie l'Etat son intervention constante dans la On ne sait pas, quand on sociale des citoyens. rencontre un Français, s'il est clérical ou anticlérical, ce qui d'ailleurs représente souvent la même chose, mais on peut être bien certain qu'il est Etatiste. La doctrine de l'action souveraine des lois a toujours constitué un des plus puissants facteurs de notre histoire. Les hommes de la Révolution étaient persuadés qu'une société se refait avec des institutions et ils finirent par déifier la raison au nom de laquelle étaient promulgués leurs décrets. Bien des motifs ont contribué, chez les peuples dont la mentalité religieuse est très développée, à rechercher législativement les moyens de remédier aux maux qui les affligent. Ne pouvant plus demander de miracles au ciel, on les demande au législateur. Le pouvoir des lois a remplacé celui des dieux. Ces miracles législatifs paraissent d'une réalisation facile, car si les raisons lointaines des choses sont malaisées à percevoir, leurs causes fictives, très apparentes, semblent aisées à atteindre. L'insuccès des lois votées sous la pression des volontés populaires n'ébranle nullement d'ailleurs la croyance en leur puissance. Elles gardent l'influence des dogmes religieux. Les prescriptions impératives et brèves des codes exercent toujours un prestige mystérieux. Comme les divinités, les lois ordonnent et n'expliquent pas. Leurs auteurs ont très bien compris qu'un pouvoir discuté n'est bientôt plus un pouvoir respecté. La vraie puissance ne réside pas, en mais etTet, dans la force de celui qui commande, dans la soumission volontaire de celui qui obéit. Cette idée, si répandue chez les peuples latins, que ^~ PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE les organisations sociales se réforment avec des lois, une des plus funestes erreurs qu'ait enregistrées l'histoire. Pour la défendre, des millions d'hommes sont morts misérablement, des cités florissantes sont tombées en ruines, de grands empires descendent la pente de la décadence. La fatale chimère est cependant plus puissante qu'elle ne h' nous l'avons est dit déjà, fut jamais. Quelques rares philosophes ont bien essayé de montrer la dangereuse absurdité de cette doctrine, Je l'ai moi-même tenté dans plusieurs ouvrages et notamment dans mon livre sur Lois de l'éoolnlion des peuples. Mais que peuvent des écrits sur les impressions mobiles des foules? Elles n'écoutent guère que /^'i- les démagogues Ne nous cesse les fois flattant servilement leurs instincts. cependant de répéter sans Les idées finissent quelqueterrain où elles peuvent germer. lassons pas mêmes vérités. par rencontrer le Persuadé lui-même de la toute-pnissance des lois, législateur légifère pour remédier aux maux visibles dont lui demeurent cachées les causes. Il légifère sans trêve, tout étonné de voir les lois volées rester ineflicaces ou produire des effets contraires à ceux espérés. 11 s'irrite alors, légifère de nouveau, interpelle les ministres, nomme des commissions pour surle veiller l'exécution des décrets, et intervient inlassa- blement dans tous les rouages de l'administration. C'est ainsi que le régime parlementaire tend chez nous à se transformer en un régime qui rappelle celui de la Convention. A peine sortis du despotisme, les peuples latins y reviennent toujours. Le despotisme collectif remplace progressivement chez eux le despotisme individuel. Tout fait croire qu'il sera aussi tyrannique. Notre histoire est remplie des conséquences désastreuses de lois promulguées dans les meilleures intentions. La République de 1848 crut faire œuvre bien- ORIGINE DES. LOIS ET ILLUSIONS LÉGISLATIVES 43 faisante en édictant de nombreuses lois ouvrières et en créant des ateliers nationaux pour donner du travail a tous les citoyens. Quand les nécessités économiques, qui dominent de très haut les volontés du législateur, obligèrent à fermer ces ateliers, il en résulta une révolution et d'épouvantables massacres. La conséquence finale fut le rétablissement de l'Empire et ses suites, y compris Sedan et l'invasion. Elle est très funeste, la race des philanthropes. Sous leur impulsion, s'édictent les lois dites humanitaires, dont les etfets sont si souvent désastreux. Les mesures législatives ayant produit un résultat contraire à celui qu'elles se proposaient d'atteindre sont innombrables. C'est ainsi, par exemple, que les lois sur les primes à la navigation ont été une des causes actives de la lamentable décadence de notre marine marchande. Nous le montrerons bientôt. C'est ainsi encore, qu'en vertu du principe de la puissance souveraine attribuée aux lois, nous prétendons imposer nos institutions à tous les peuples conquis par nous, sans comprendra qu'une telle méthode devait bientôt déterminer la ruine de nos colonies. Le dogme latin du pouvoir transformateur des décrets conduit, sous la pression des mobiles volontés du peuple, à voter les lois les plus violentes sans se préoccuper de leur injustice. Après avoir fait miroiter aux yeux des classes ouvrières le milliard des congrégations, il fallut bien, devant les grondements populaires, édicter des lois pour s'emparer de ce milliard. Cet acte d'iniquité sauvage, dont l'injustice n'a pas frappé les législateurs, a créé un précédent redoutable. Que les hasards d'un vote confèrent pour un jour le pouvoir aux socialistes révolutionnaires, ils sauront comment exproprier une nouvelle classe de citoyens au profit d'une autre, sans invoquer d'autres raisons que le^ droit souverain de l'Etat, c'est-à-dire la raison du plus fort. 44 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE >sotre société n'est un jieu sauvée de la désorganisa- tion produite par les décrets de ses législateurs que par l'impossibilité de toujours les appliquer. Chaque loi entraîne la création d'une nuée de fonctionnaires destinés à la faire exécuter, mais parfois il faut reculer devant j'énormité de la dépense. On a hésité jusqu'ici à instituer une armée de 500.000 inspecteurs pour faire observer les lois sur le travail. Cette impossibilité seule a sauvé notre industrie de la décadence profonde qu'aurait engendrée l'ingérence constante des fonctionnaires dans les manufactures. L'Etat finit d'ailleurs par renoncer de lui-même aux lois inapplicables, parce que tout le monde les viole. Un délit généralisé se transforme bientôt en droit. Pour cette raison, les décrets édictés dans le but de contrecarrer les spéculations financières, les sociétés anonymes et toutes les formes de contrats, nés de l'évolution économique moderne, ont misérablement échoué. En étudiant la véritable genèse des lois, nous comprendrons facilement pourquoi. Conclurons-nous des considérations précédentes qu'il ne faut jamais promulguer de réformes par voie législative et qu'on doit se croiser les bras. Evidemment les législateurs de 1848, auxcjuels nous faisions allusion plus haut, auraient été plus utiles en se croisant les bras qu'en votant des lois si dangereuses, mais cette conclusion pessimiste n'est pas applicable à tous les cas. Beaucoup de lois sont utiles lorsqu'elles naissent sous rinfkience de certaines nécessités que nous allons examiner maintenant et qui sont étrangères le plus souvent à la volonté des législateurs. Pour savoir ce qu'il faut faire et surtout ne pas faire en matière de lois, on doit d'abord tâcher de comprendre leur genèse. Soyons avant tout bien convaincus qu'une nation ne peut utiliser les constitutions et les lois d'un peuple de mentalité différente, si parfaites soient-elles. Quand, des juristes essaient de nous persuader que le droit ORIGINE DES LOIS romain a I.T Ill.l SIO\S M- f.lSI, A 11\ ES -lO été adopte par certains pays et la constitu- par d'autres, ils font preuve d'une pauvre jisychologie. Lorsque le droit romain fut adopté par un peuple quelconque, les Allemands, par exemple, il devint aussitôl un droit allemand. Jamais, sans qu'on puisse citer une seule exception, la constitution anglaise n'a été pratiquée par d'autres peuples (|ue les Anglais, bien qu'acceptée par plusieurs. tion anglaise Trois phases se succèdent dans la genèse d'un droit coutume, 2° la jurisprudence, 3° la loi. Le légis: 1° la lateur ne saurait intervenir utilement que dans la der- nière de ces phases. La loi doit se borner le plus souvent à codifier la coutume. Là est son vrai rôle. Notre Code civil, que beaucoup s'imaginent construit de toutes pièces par un conseil de légistes dirigé par Napoléon, ne lit en réalité que condenser les coutumes les plus f,fénéralement admises dans les diverses {)arties de la France. Il termina ainsi une unification juridique commencée depuis longtemps. Ce ne fut pas le code du présent, mais celui d'un passé. La coutume résulte des nécessités sociales, industrielles, économiques de chaque jour. La jurisprudence les fixe. La loi les sanctionne. Mais ce que la loi sanctionne c'est l'état social du moment. Les civilisations, surtout aujourd'hui, évoluent plus vile que les lois. La jurisprudence intervient alors pour les modifier d'après les nouvelles coutumes qui s'établissent. Dans les pays où le juge, manquant d'indépendance, semble plus habitué à rendre des services que des arrêts, les lois doivent proinptement enregistrer la coutume et c'est pourquoi elles changent vite. Dans pays où. comme en Angleterre, le juge demeure indépendant, nul besoin de toucher aux lois, c'est magistrat lui-même qui les transforme. les fort le 46 PSYC.'îOLOGîE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE Mais chez toutes les nations et par le fait seul que besoins sociaux évoluent plus rapidement que les codes, la jurisprudence qui fixe les coutumes fut toujours plus puissante que les lois. 11 n'y eut jamais de peuple aussi respectueux des textes écrits que les Romains. « Nulle part cependant plus (ju'à Rome, écrit justement Cruet, le droit sanctionné par la pratique judiciaire n'a aussi largement dépassé, aussi largement contredit le droit expressément écrit dans les textes législatifs. Cela n'empêche pas que ce droit national d'une société morte a été longtemps considéré comme le prototype d'une législation universelle et immorlelle » En fait, une société dont le droit n'évoluerait pas et resterait cristallisé dans des règles immuables les ! cesserait bientôt d'exister. Un droit tel cas d'ailleurs ne s'est jamais [)résenté. musulman lui-même, jadis fixé dans fini par en sortir presque entièrement. loi pourrait-elle autour d'elle? rester stable, le Le Coran, a Comment une quand tout change A un moment donné, son application devient impossible. On peut continuer à respecter son texte, mais on ne l'observe plus. Les Romains vénéraient beaucoup la loi des XII tables, seuioraent ils ne l'appliquaient pas. Les musulmans respectent le Coran, mais le transforment complètement par leur interprétation. Ainsi, par suite de l'évolution des coutumes, la jurisprudence évolue en dehors de la loi et parfois même contre elle. La loi n"a jamais été assez puissante pour lutter contre la coutume. « Si la vie de famille nous inclinait à l'inceste, écrit le professeur Durkheim, les défenses du législateur resteraient impuissantes. » Rien n'est plus évident. Quel tribunal oserait aujourd'hui condamner aux travaux forcés pour meurtre, comme la loi l'y oblige, l'individu qui a tué en duel son adversaire? La loi interdit l'avorte- ORIGINE DES LOIS ET ILLl SIOXS I.ÉGlsr.ATlVES H mais le jury acquittant toujours la coupable, juge Unira nécessairement par ne jtlus poursuivre. mais 11 n^a pas, en effet, à nous imposer son droit, à subir celui que le sentiment social lui impose. Sans la jurisprudence qui suit toutes les oscillations de la coutume, le code finirait par devenir un tissu d"ini(|uilés. C'est la jurisprudence, notamment, (jui airranchit la femme du marin disparu dans un lointain voyage du veuvage éternel auquel la loi écrite la condamne, par suite de l'impossibilité pour elle de pré.-enter l'acte de décès de son mari. C'est malgré Tinterdiclion la jurisprudence encore qui. légale de la recherche de la paternité, oblige maintenant le séducteur à indemniser la femme séduite et entretenir son enfant. De tels faits expliquent la genèse des lois et déternu'iit. le minent le vrai rôle du législateur. Il devrait consister uniquement à sanctionner les lois quand elles sont déjà faites, c'est-à-dire créées par la coutume et fixées par la jurisprudence. Toute loi surgie inopinément sans avoir passé par ces deux étapes, est frappée de mort le jour même où on la promulgue. Comme exemple d'un droit nouveau en voie de se former sous l'inOuence de la coutume et de la jurisprudence, citons le pouvoir prépondérant et croissant chaque jour dans des proportions colossales, de notre Conseil d'Etat. Jadis rouage administratif secondaire confiné dans des fonctions assez subalternes, il est devenu progressivement, sans règlements nouveaux, un pouvoir qui fait plier tous les autres. Il juge sans appel dans les cas les plus dilTérents, révoque les des jiréfets et des ministres, réintègre des de marine retraités, annule des nominations de fonctionnaires, etc. D'où provient une telle autorité? Toujours de la même source. De coutumes créées par la nécessité et fixées par la jurisprudence. Ce n'est pas le Conseil d'Etat qui a rêvé d'empiéter sur lesautres pouvoirs; c'est arrêtés officiers 48 le PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE public qui robliire à empiéter sur eux, parce qu'il est désireux de limiter les fantaisies ministérielles ou de trouver quelque protection au milieu d'une anarchie universelle. Toutes les démocraties sont conduites d'ailleurs à la création de ces puissances supérieures présentant un peu d'indépendance et de fixité. La cour suprême des Etats-Unis joue un rôle analoirue à celui que paraît devoir remplir bientôt notre (Conseil d'Etat. Un fait frappant dans la création de ces pouvoirs spontanés et justiliant la thèse exposée ici sur la genèse du droit, c'est qu'ils ne s'appuient pas sur des textes, ne sont souvent sanctionnés par aucun, et acquièrent cependant une grande puissance alors que des lois nettement formulées, n'en possèdent aucune. Ce phénomène s'observe également en Angleterre. Les principes les plus fondamentaux du Gouvernement ne reposent nullement sur des textes. Il n'y en a pas eu pour diviser le Parlement en deux Chambres, pour lui permettre de voter les lois, pour obliger le souverain à gouverner par l'intermédiaire de ministres responsables, etc. L'Angleterre n'a pas de constitution écrite*, bien (jue présentant le type du gouvernement constitutionnel. Elle est progressivement devenue une véritable république présidée par un i-oi. La liberté y est cependant beaucoup plus grande que dans aucune autre républi([ue, celle des Etats-Unis exceptée. Les citoyens sont liltres d'aller ou de ne administratives et surprend toujours les personnes qui ne croient qu'à la Le hasard me permet de la jusiilier entièrement en reproduisant un fragment du discours prononcé par un ministre anglais, >L Asquith, devant la Chambre des lords au commencement de septembre 1909. Voilà bien des siècles que nous sommes régis par une Consiiiuiion non une inscription au livre de nos lois d'impérissables écrite. Sans doute il y instruments, tels que la Magna Ghana, mais l'ensemble de nos libertés et de nos usages constitutionnels n'a été sanctionné jusqu'ici par aucun bill ayant reçu formelli'ment le consentement du roi, des Lords et des Communes. Nous vivons sous l'empire d'usages, de coutumes, de conventions qui, à l'origine, se sont développés avec lenteur et sans uniformité, mais qui dans la suite des temps ont été universellement observés et respectés o. 1. Celle asserlioli valeur des textes écrits. il ;i or.KJl.NE IJES LOIS ET ILI.LSIOXS LÉGISLATIVES 49 sans subir aucune persécution peuvent se réunir et acquérir (les biens sans être jamais exposés à l'expropriation. Les lettres de cachet que nous avons retirées des mains des rois pour les mettre dans celles de petits juges d'inslruction y sont inconnues. Tout dans un tel pays heurte nos idées d'ordre, de raison et de belle symétrie. Son droit est composé des éléments les plus disparates. « Le grand mérite des institutions anglaises, disait en jdein Parlement un ministre, M. Chamberlain, est de n'être pas logiques. » Profonde pensée. Les lois, en efVet, se passent de logi(|ue. parce qu'elles sont filles de sentiments créés par des nécessités indépendantes de la raison. Nous restons malheureusement très éloignés, en France, de pareilles idées. L'expérience ne nous profite pas. Nos erreurs sur la genèse des lois ont coûté nombre de révolutions, de ruines et de massacres. Nul ne peut dire ce qu'elles coûteront encore. Notre chimère n'est d'ailleurs pas près de s'anéantir puisqu'elle trouve pour défenseurs des esprits fort pas aller à visible l'église, ou cachée. éclairés. Ils Un éminent homme ment dans d'Etat affirmait récem- préface d'un livre, la nécessité « d'organiser politiquement et socialement la société selon les lois de la raison ». C'est hélas! ce que nous ne cessons de faire avec la plus inlassable obstination depuis un long siècle, au milieu d'elfroyables convulsions. Ne renoncerons-nous jamais à vouloir légiférer, organiser, réformer au nom de cette aveugle raison qui ne connaît ni les nécessités naturelles, ni les nécessités économiques, ni les nécessités d'aucune sorte? Arriverons-nous à comprendre que les sociétés ne sont pas à la merci des fantaisies sentimentales des gouvernants? On ne fait pas le droit, il se fait. Cette brève formule contient toute son histoire. la CHAPITRE II Les Méfaits des lois. Pour justifier les propositions énoncées dans le précédent chapitre, il ne sera pas inutile d'examiner les conséquences de quelques-unes de ces lois improvisées par les cerveaux fantaisistes, des législateurs. Xerxès. dit la légende, fit fouetter la mer pour la punir d'avoir détruit ses vaisseaux et, sans doute, lui ôter l'envie de recommencer. La mentalité de l'illustre roi semble un peu rudimentaire aujourd'hui. Elle est très proche pourtant de celle des législateurs qui prétendent transformer au gré de leurs rêves les nécessités de toutes sortes régissant l'évolution des sociétés. Ces nécessités sont cependant aussi immuables que les lois physiques. On ne les voit pas toujours, mais il faut invariablement les subir et vainement essayonsnous de leur opposer la codification de nos ignorances. L'avenir seul, montrera combien sont dangereuses les tentatives actuelles de rénovation sociale des collectivistes révolutionnaires et des législateurs qui les suivent. De illusions ne ]jerdent leur puissance que où en apparaissent les conséquences. Il fallut Sedan pour nous révéler les dangers du césarisme impérial. Des expériences analogues seront le telles jour 51 LES .MÉFAITS DES LOIS nécessaires jiuur dévoiler ceux du césarisuie socialiste". En étudiant les illusions sommairement retracé les vie du droit et comment de la législatives, lignes genèse nous générales des ces dernières naissent de la lois, et avons de la montré coutume et sont modiliées lentement, chaque jour, suivant les besoins, [tar la jurisprudence. La loi nous est apparue comme une codification momentanée d'un droit évoluant sans cesse. L'existence sociale, contrairement à ce que supposent les métaphysiciens du collectivisme, ne s'organise pas à l'aide de décrets improvisés, mais sous l'action des nécessités économiques, et du carac- tère des peuples. Sans doute, on peut remarquer, et l'illusion sociaguère d'autre appui, que de Solon à Napoléon surgirent brusquement dans l'histoire, des codes semblant issus de toutes pièces du cerveau d'un seul législateur. L'examen attentif de ces ciides, celui de Napoléon, par exemple, démontre vite qu'ils sont simplement au contraire, la condensation et la simplification de coutumes antérieures fixées par l'usage. Les codes supposés nouveaux sanctionnent et n'improvisent pas. Ils n'improvisent pas davantage quand devient nécessaire d'imposer à des contrées, jadis séparées, des lois générales destinées à remplacer leurs droits particuliers. C'est ce qui arriva pour la France à la fin du xvni* siècle, et, beaucoup plus récemment, pour l'Allemagne et la Suisse. Ces grands pays ont fini par fondre en un seul texte les codes divers de provinces d'abord très dissemblables, puis rapprochées et enfin identifiées par la similitude des liste n'a intérêts. Depuis l'extension du collectivisme révolutionnaire, une conception du droit bien différente. Suivant eux. une société se les théoriciens paraissent s'être forjiié OZ PSYCHOLOGIE l'OLlTKjUE ET DÉFENSE SOCIALE referait avec des codes. La puissance surnaturelle attribuée aux lois a remplacé celle attribuée aux dieux. De telles croyances n'étaient défendables qu'à l'époque où de savants théologiens enseignaient que les divinités, intervenant sans cesse dans les affaires humaines, révélaient aux peuples leur volonté par l'intermédiaire des rois. De lois naturelles inflexibles il ne pouvait alors être question. La théologie socialiste n'en tient jias compte davantage aujourd'hui. Les apôtres de la foi nouvelle ignorent les nécessités sociales tout autant que les prêtres des divinités antiques. Contrairement à ces chimériques doctrines, nous apercevons clairement aujourd'hui que les phénomènes historiques les plus considérables sont engendrés par des causes lointaines, nomhreuses et étroitement enchaînées. de l'accumulation de petites causes grands effets. En histoire, le pondérable sort souvent de l'impondérable. Les milliers de petits faits, j)arfois inaperçus, dont les grands événements sont la synthèse, finissent par s'orienter dans une même direction, en vertu de lois rigoureuses analogues à celles qui obligent un astre à suivre une certaine trajectoire ou le gland à devenir un chêne. Ainsi canalisés, tous ces petits événements journaliers engendrent des courants qui, très faibles à l'origine, et pouvant être facilement détournés, deviennent irrésistibles plus tard, quand leur force s'est suffisamment accrue. Alors, les grandes digues sociales sont renversées, et l'évolution d'un peuple se transforme en une révolution. Dans toutes les transformations lentement crées par le temps, le rôle de la raison, nous l'avons dit déjà, fut toujours très faible. Les vrais maîtres de l'histoire, les fondateurs de grandes religions et de grands empires l'ont d'ailleurs tous pressenti. Jamais ils n'essayèrent d'agir sur la raison des hommes, mais bien d'influencer leurs sentiments et de conquérir leur coîur. C'est parfois que naissent les 5;i LES IIEFAITS PES LOIS -Mais cette |)hase héroïque du monde semble on voie de s'évanouir. Avec l'évolution de la science et de l'industrie, où riiumanité est entrée, les codes des nécessités économiques remplacent les codes reli- gieux devenus impuissants. Il importe de ne pas ressusciter, sous forme d'une théologie socialiste, la doctrine antique nous montrant les peuples gouvernés par de divins caprices. La grande d'attriutopie des réformateurs est précisément buer à des lois le pouvoir magique maintenant refusé aux Dieux. Leur rêve de rénovation sociale ne tient aucun compte des nécessités naturelles. Mais, si les excusaient parfois nos faiblesses et montraient accessibles à la pitié, les lois naturelles restent inilexibles et ne pardonnent jamais. Vouloir leur opposer d'artificiels décrets est toujours une dangereuse entreprise. Il ne serait pas plus vain d'essayer d'arrêter une locomotive avec des discours. Voilà, pourtant, la tâche que nous nous obstinons à tenter chaque jour avec les lois accumulées par d'imprudents législateurs. L'expérience peut seule agir sur les esprits hallucinés par leur foi. Or, ces expériences se multiplient et nous apercevons de mieux en mieux les conséquences des mesures précipitées, entassées pour remédier aux imperfections de l'état social. On commence à constater que la presque totalité de ces mesures n'a fait qu'augmenter les maux qu'on voulait guérir, et cela, simplement parce qu'elles prétendaient entraver le cours naturel des vieilles divinités se choses. L'énumération de ces lois nuisibles et de leurs répercussions remplirait un volume. Je vais donc me borner à en citer quelques-unes avec la concision que le le défaut de place m'impose. Il ne s'agira point, ici. de contester les intentions du législateur, sans doute excellentes, mais de montrer les résultats de ses actes. 54 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE — Lois sur les primes à la marine marchande. (ioût annuel actuellement. 41 millions. Résultat accélération rapide de la décadence de notre marine et rentes importantes servies à des compagnies alle: mandes. L'énormité de cette double conséquence est telle faut entrer dans certains détails. Je les emprunte au livre récent de Jules Huret sur l'Allemagne- La compétence de son intei'locuteur. M. Piaté, n'est pas discutable, puisqu'il est directeur du .Xorddeutscher Lloyd. une des deux ou trois plus grandes compagnies de navigation du monde. (ju'il Je dis à M. Plate : « Vous qui assistez ot participez à la pros- périté extraordinaire des ports allemands, vous notre arrêt — et vos progrès? C'est bien simple, me comment expliquez- » répondit-ii assez brutalement, votre système de primes à la navigation, c'est la mort. Vous donnez de l'argent pour ne rien faire on ne fait rien » Mais, le résultat le plus cocasse de ce sj'stème, c'est que l'argent que vous distribuez ainsi a profité jusqu'à présent à des Allemands et ii des Anglais... » Je ne devrais pas dire cela, ajouta-t-il, puisque ce sont mes compatriotes qui bénéficient de vos erreurs... Mais, puisque vous me demandez mon avis, je vous le donne en toute bon: nèteté. ! » M. Plate explique ensuite comment des groupes étrangers Inndèrent en France des sociétés de bateaux avec des capitaux allemands et anglais... L'Etat français payait, comme on le sait, des primes pour les kilomètres parcourus même par les bateaux vides. « On flt donc des tours du monde bien rémunérateurs aux frais du budget français. » Un armateur me disait cju'en liuit ans, en promenant ainsi son bateau vide, il avait regagné le prix de sa construction. M. Plate cite des bateaux refusant des chargements pour ne pas perdre de temps, trouvant plus de bénéfice à circuler vides. -M. Huret ayant fait observer que la loi avait été modifiée et qu'il fallait maintenant que les bateaux fussent chargés pour toucher la prime, le directeur du Lloyd lui fit observer que presque rien n'avait été changé en réalité, puisqu'il suffisait d'un quart de fret pour profiter de la prime. Pour contrebalancer les primes françaises, quelques Allemands avaient réclamé aussi des primes, mais les directeurs des grandes Compagnies les refusèrent énergiquement. « C'eût été, dit le directeur du Lloyd, la mort de notre initiative et de notre acti- 55 LES MEFAITS DES LOIS la marine comt't le commencement de la déchéance de merciale allemande. Votre exemple nous suffit. Les primesv d'encouragement sont des primes de mort. Nous ne recevons des subventions que pour dos services rendus transports de la poste, etc. Vous demeurez dans l'inaction... Pendant ce temps, les autres pays marchent, et c'est ainsi que la France se voit ^ilé : chaque joui' dislanc('e... >> Loi de 1900 limitant le travail des enfants dans Disparition de l"" Hé-sultats manufactures. — les : prochaine très menaçante pour l'industrie; 2° Augmentation de la criminalité infantile quia doublé depuis l'application de cette loi. Ces conséquences, M. le sénateur Touron les a très nettement rappelées dans un récent rapport au l'apprentissage et crise Sénat. « Il écrit-il, est universellement que l'application de reconnu cette loi aujourd'hui, a amené bon «ombre de chefs d'industrie à supprimer dans leurs usines l'emploi des jeunes ouvriers. » Après avoir constaté qu'à Paris le nombre des ado- devenus apaches a doublé (2.273 au lieu « L'une des causes principales de 1.174). il ajoute de ce phénomène réside précisément dans les rigueurs d'une réglementation du travail qui, en éloignant les jeunes gens de l'atelier, les a jetés à la rue, abandonnés à tous les dangers de la promiscuité. » lescents : — Cette Loi sur le privilège des bouilleurs de cru. autorise les propriétaires récoltants à distiller loi sans payer de droits. 11 ne leur reste plus ensuite qu'à écouler leurs eaux-de-vie, opération facile et permettant de bénéficier de 220 francs de droits par 1° Perte pour hectolitre d'alcool pur. Résultats le Trésor évaluée à plus de 100 millions par an; 2° Accroissement énorme de l'alcoolisme dans le& familles qui auraient reculé devant le coût des eaux: de-vie commerciales. Loi d'expropriation des congrégations. — Résultat 56 PSYCHOLOGIE POLITIOLE ET DÉFENSE SOCIALE encore inconnu, mais facile à prévoir. Devait produire un milliard. Paraît ne pas devoir rapporter plus de 10 millions. N'a servi qu'à enrichir une armée de gens de loi. En compensalion. nécessité de créer un nombre immense d'écoles, d'établissements hospitaliers, etc., pour remplacer ceux entretenus par les congrégations. An lieu d'un milliard de recettes, ce sera sûrement des centaines de millions à dépenser. Je ne parle pas des conséquences sociales de cette très immorale opération exaspération de milliers de citoyens, dévelojtpement chez les socialistes de cette idée que l'Etat peut par une simple loi s'emparer des propriétés privées ou des usines, comme il l'a fait, par exemple, pour celle des Chartreux. Ce dépouillement de toute une classe de citoyens a provoqué une violente indignation chez les nations étrangères et nous a davantage nui dans leur esprit que la perte de plusieurs batailles. Le sujet sera repris dans un autre chapitre. final : Lois sur les primes aux fabricants de sucre. — Lois abolies après avoir coûté à l'Etat des centaines de millions. Les résultats furent uniquement une surproartificielle du sucre et cette conséquence admirable que les fabricants français vendaient en France leur sucre quatre à cinq fois plus cher qu'aux Anglais. Ils eurent tous d'ailleurs le temps de s'enrichir aux dépens du consommateur. duction Loi décrétant la liberté des cafés, cabarets, débits de boissons. Celte loi n'a rien coûté en apparence à l'Etat, mais fort cher aux citoyens, par le développement considérable de l'alcoolisme. En peuplant les hôpitaux et affaiblissant les forces françaises, elle a indirectement été très onéreuse. — Loi du rachat de l'Ouest. — Cette loi n'étant qu'à ses débuts, les elïets ne s'en feront sentir complète- ment que dans quelques années. Dès vote, les employés se réunirent le lendemain du pour demander des LES MEFAITS DES LOIS 0( augmentations de salaire, mais elles ne sont pas l'élévation Actuellement, des dépenses, c'est-à-dire la perte annuelle de l'Etat, s'élève pour 1910, d'après le rapport de M. Dounier. à 50 millions. Ce n'est d'ailleurs qu'un tout petit commencement. Par les faits observés à la Ville de Paris, on peut juger ce que devient un service dont le personnel est transformé en fonctionnaires. « Chaque fois, écrivait récemment M. Delomhre, que la Ville a « municipalisé » u;î personnel, le rendement de la main-d'œuvre a diminué pendant qu'augmentaient, au contraire, les salaires et les frais accessoires. N'a-t-on pas vu. dans certains services, les frais de maladie tripler d'une année à l'autre, simplement parce que le personnel de ces services avait été assimilé au personnel muniaccei>tées cipal? encore. » Ces coûteuses vérités ne sauraient, bien entendu, ébranler la foi socialiste. Lois destinées à remédier à la crise viticole du Midi. Ces lois, déjà innombrables et toujours impuissantes, montrent clairement l'incapacité du législateur à lutter contre des nécessités naturelles. Par la culture exagérément développée de ses vignes, le Midi est arrivé à une surproduction de vins, de qualité souvent douteuse, et dont il augmentait encore la quantité par l'addition de sucre. (Jue faire en pareil cas? Simplement ce que tirent jadis les cultivateurs de garance quand fut découverte l'alizarine. Ils renoncèrent à la garance et plantèrent autre chose. On n'avait pas heureusement à cette époque lointaine, la même confiance qu'aujourd'hui dans la puissance de l'Etat, autrement la fabrication de l'alizarine économique eût été supprimée pour assurer la vente de la très coûteuse garance. Mais nous avons fait des i)rogrès et c'est à l'Etat que les Méridionaux demandèrent d'acquérir — 58 le psyciioLOGiE roLiTiui vin dont le i: et défense sociale public ne voulait plus. Ils [(reten- sous forme d'akn>ol ou. daient l'obliger à l'acheler ce qui revient exactement au même, à donner aux de viticulteurs des primes à la distillation. L'histoire la crise du Midi restera dans l'avenir mémorable exemple de comme un mentalité d'un pays où s'est épanoui l'Etatisme. Inutile d'ajouter, je pense, qu'une crise analogue eût été impossible dans des contrées comuie l'Amérique et l'Angleterre où les particuliers sont habitués à compter sur leur initiative et jamais sur l'inlervention de l'Etat. la — Résultats Loi sur le repos hebdomadaire forcé. Augmentation d'au moins 10 p. 100 de la plupart des objets de consommation: 2° Troubles tellement : 1" profonds dans l'industrie et le commerce qu'il fallut apporter immédiatement une foule de tempéraments à la loi. Mais c'est surtout pour les ouvriers qu'elle est coûteuse. Dans la plupart des industries, sévissent annuellement plusieurs mois de chômage qui constituaient un repos très suffisant. Ces catégories d'ouvriers perdent maintenant leur salaire du dimanche, sans parler de la dépense au cabaret. J'ai entendu plusieurs d'entre eux évaluer à un déficit de trois ou quatre cents francs par an le coût de la nouvelle loi pour eux. — Cette loi n'est Loi sur les retraites ouvrières. encore appliquée, mais on peut facilement en prévoir les conséquences. Repoussée par l'immense majorité de la classe ouvrière elle sera l'origine jjas de troubles incessants. Les mutualités dues à l'initiative privée suffisaient à créer ces retraites qu'elles avaient commencé à constituer partout. En les rendant obligatoires, c'est-à-dire en obligeant patrons et ouvriers à verser au Trésor des sommes relativement élevées le législateur a simplement établi des impôts nouveaux qui vont lourdement grever notre industrie déjà si accablée. Cela sans grand profit LES MEFAITS KES LOIS 59 [misqu'oii estime qu'une faible partie des ouvriers arriveront à l'âge de la retraite. La majorité aura donc payé pour rien. Avec les formes actuelles de mutualités au contraire, un versement rapporte toujours quelque chose et n'est jamais perdu. Pour n'cupérer le montant du ses sacrilices, écrit le Temps. et pour parvenir à cette terre promise de la retraite, le travailleur devra remplir diverses cunditions, dont une au moins ne dépend pas de lui 11 devra atteindre l'âge de soixante-cinq ans. S'il vient à décéder avant cet âge, il aura été dépouillé purement et simplement de son épargni'. La belle façon d'enseianer la prévoyance Pour assurer que ces prévoyants malgré eux ne puissent pas (luder l'obligation à laquelle ils se voient soumis, la loi ordonne" que les patrons retiendront sur les salaires les sommes dues : ! par les ouvriers. C'est l'organisation de la lutte de classes. chaque paye, les mêmes résistances s'élèveront. A Arrêtons-nous dans cette énumération qui ijuurrait beaucoup plus longue. Aux conséquences indiquées, il faurait ajouter une impopularité parlementaire croissante dont je parlerai dans un prochain chapitre. Le malade ne pardonne guère au médecin J'insuccès de ses remèdes. D'une façon générale, il est permis de dire que la il)lupart des lois prétendues humanitaires accumulées par des législateurs peu éclairés ont produit d'abord de désastreux effets particuliers. Elles commencent maintenant à engendrer des conséquences générales de plus en plus sensibles et que révèlent d'indiscuêtre tables statistiques. Les ruines industrielles provoquées par elles retomberont de tout leur poids sur les ouvriers, chaque jour davantage guettés par le chômage et la concurrence étrangère. Ils seront alors victimes de ces grandes lois naturelles que l'étroitesse d'espril des législateurs ne leur permet pas de comprendre. Bien d'antres que nous ont signalé les méfaits de , •ces lois malfaisantes et ruineuses. ()0 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE Les charges (•nornies résultant de ce qu'un appelle la puliti(jue Delombre, ne déterminent pas le moindre apaisement et nous conduiront à la faillite avant d"avoir désarmé la colère professionnelle des démagogues socialistes. Les députés, élus au scrutin d'arrondissement, donnent la mesure lie la valeur du système, en gaspillant sans merci les ressources sociale, écrit Paul publiques. Nos parlementaires ont créé à ce pays, écrit M. Jules René, nous appellerons la mentalité miraculaire, l'état d'esprit ce ipie messianique. Et l'on étonnerait bien les esprits positifs, qui rient de Lourdes et de ses prodiges, en leur démontrant qu'ils attendent de la part de l'État des miracles politiques et sociaux plus étonnants encore que ceux de la Vierge des Pyrénées. Dans les masses profondes, la croyance s'est fortifiée et enracinée, que le Parlement n'a qu'à le vouloir pour changer l'eau en vin, le bronze en or, le pain en gâteau et la misère en richesse. Et si cette transmutation merveilleuse tarde à se produire, la chose ne tient qu'aux lenteurs du Sénat et à la négligence de l'autre Chambre. Mais, que les députés appointent un peu plus d'application et les sénateurs un peu plus de hâte à la confection des textes, la face delà France aussitôt changée sm ! Avertissements justes mais sûrement inutiles. Ce nest pas seulement dans le monde antic^ue cjue Jupiter aveuglait d'abord ceux qu'il voulait perdre. Les conséquences de tant de lois votées au hasard se retourneront de plus en plus contre leurs instiirateurs. L'histoire est remjjlie de ces incidences. 11 est rare, comme l'a dit Bossuet, que « la pensée humaine ne travaille pas pour des fins qui non seulement la dépassent, mais qui sont le contraire même de son dessein ». CHAPITRE Rôle politique de III la Peur. Malgré rinsullisance avouée de mes connaissances en occultisme, je ne crois pas téméraire de tenter une classification des fantômes et de rechercher les lois de leur formation. Pour les cataloguer utilement, il faut d'abord déliniiter leur puissance res]iective. On admettra aisément, et sans démonstration, je pense, que la plupart des grands événements du passé ont été réalisés sous l'influence de fantômes. Etudiée d'un point de vue assez élevé pour saisir son ensemble, l'histoire apparaît comme la collection des efîorts des peuples pour créer des fantômes ou les détruire. La politique, ancienne ou moderne, n'est qu'une lutte de fantômes. Mais toutes ces ombres ne possèdent pas un liouvoir égal; elles ont leur hiérarchie et c'est ici qu'intervient la nécessité d'une classification. A son sommet règne une petite cohorte do fanli'tmes très ])nissants, très redoutables, contre lesquels toute résistance serait vaine. Le temps seul est leur maître. Ces ombres souveraines sont celles des fondateurs de grandes croyances. Du fond de leur tombeau, ils dictent impérieusement leurs loi» à des millions d'hommes. C'est pour les servir que de brillantes civilisations ont surgi, que les peuples se sont ^2 l'SYCilOLOGIE rOLlTIQUE ET DEFENSE SOCIALE furieusement combattus et que tout récemnienl encore 30.000 Arméniens furent massacrés en quelques jours. Au-dessous de ces maîtres redoutés, évoluent les fantômes des héros. Quelques-uns se bornent à créer les légendes et les mythes encadrant l'idéal des peuples, mais il en est d'assez forts pour exercer leur influence, bienfaisante ou néfaste, sur des événements très éloignés d'eux. Tel, par exemple, le fantôme de Napoléon qui fit sacrer empereur son neveu et nous valut Sedan. A l'autre extrémité de cette hiérarchie des ombres grouille une légion immense de petits fantômes bruyants, tapageurs et vains, sans puissance réelle et sans durée. Ils terrifient parfois les âmes craintives, mais s'évanouissent comme des bulles de savon dès qu'on est assez hardi pour en approcher. Tous ces petits spectres éphémères, grimaçants el futiles, sont perpétuellement enfantés par un autre fantôme, invulnérable celui-là et immortid le fantôme colossal de la peur. Son pouvoir s'exerce depuis les origines du monde el le temps ne l'a pas effieuré encore. Je ne sais si, comme l'affirmait le grand i)oète Lucrèce, le fantôme de la peur engendra les dieux, mais je suis très certain que si son influence n'avait pas constamment dominé les peuples et leurs maîtres, le cours de l'histoire eût été tout autre. Et je sais bien encore que si ce terrible despote, et ses fils innombrables, n'agitaient pas inlassablement leurs ombres sur notre Parlement, l'efFrayante anarchie où nous sommes plongés aurait fait place à l'ordre et à la discipline sans lesquels aucune société ne peut sub: sister. Tous ces fantômes, qu'il celui de engendre, furent connus la peur comuie ceux grands hommes <les RÔLE POLITIQUE DE L.V 63' PEL'R fit partie de leur génie. Les simples politiciens les subissent, mais ne les utilisent d'Etat. Savoir les utiliser pas. L'histoire lamentable de la grève des postiers point des gouvernants, un peu trop dépourvus de génie, peuvent être terrifiés par les moindres spectres. Elle a montré aussi comment se développent ces derniers dès (ju'on néglige de les révéla à quel maîtriser et avec quelle facilité main qui ose les toucher. ils s'effondrent sous la d'abord tout petit, le fantôme créé par les Rien n'eût été plus aisé, l'événement l'a prouvé et je l'avais annoncé dans un article de VOpinion. que do l'anéantir. Mais la terreur de cette ombre vaine avait tellement paralysé le gouIl était postiers. vernement qu'il capitula vite et si humblement que délégués postiers purent assurer publiquement avoir vu les ministres « presque à leurs genoux, les suppliant de reprendre leur service ». les L'humilité de cette attitude fut d'ailleurs finale- ment très utile. Lorsque, dans un Elat. une classe, une caste, un parti s'imagine être tout-puissant, il songe aussitôt à devenir le maître. Stupéfaite d'avoir le Parlement, la magistrature et l'armée, la caste des postiers se croyant invincible voulut utiliser son petit fantôme sans même lui laisser le temps de intimidé grandir. Sous un prétexte quelconque une nouvelle grève décrétée. A moins d'admettre que la France serait à l'avenir gouvernée par une délégation de fut commis des postes se défendit et, dès le il fallait bien se défendre. On la bulle de savon premier choc s'évanouit. Son anéantissement amena l'effondrement instantané d'autres fantômes, notamment celui de la grève générale que les ministres redoutaient fort, l'un d'eux l'ayant inventée avant d'arriver au pouvoir. Vainqueurs et vaincus témoignèrent du reste d'une — PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE (J4 complète ignorance dans Elle leur tît l'art de manier les fantômes. entasser des fautes de psyrholo.ffie sans excuse. Faute énorme de psychologie du gouvernement une première fois. Faute des postiers, touchant à rimbécillité pure, lorsque, après avoir, contre toute vraisemblance, réussi à dompter l'Etat, ils ne comprirent pas que de telles victoires ne sauraient se répéter et qu'une défaite devient alors irrémédiable. Faute plus grossière encore celle des membres de la C. G. T. qui, au lieu de se ])orner à agiter le spectre de la grève générale, voulurent s'en servir et dévoilèrent du même coup la grandeur de son impuissance. Les occultistes auraient dû leur révéler que les fantômes, puissants dans l'ombre, s'évanouissent à la lumière. Certaines vérités n'ont pas d'avoir cédé le droit d'être Le ignorées. échec de la grève des postiers et de grève générale, solennellement décrétée parlaConfération du Travail, qui avait fini par se croire un petit comité de salut public, n'a pas ea pour seul résultat de nous apprendre l'utilité de la résistance. Cette assez honteuse histoire montre encore avec quelle facilité grandissent les petits fantômes dès qu'ils sentent qu'on a peur d'eux. L'évolution du langage des postiers est fort typique à ce point de vue et fourmille d'enseignements, que devront méditer nos hommes d'Etat. Au début de la jiremière grève ils étaient respectueux encore. La capitulation du gouvernement leur ayant donné l'illusion d'une force invincible, leur langage se transforme aussitôt. Devenus soudain antipatriotes et révolutionnaires, ils s'allient à la Confédération du Travail dont le but avoué est la destruction violente de la société. On jugera de cette évolution par le passage suivant emprunté à une interview de leur ministre très piteux la : Jamais fonclionnaires des postes n'avaient osé tenir, dans une réunion publique, des discours aussi nettement ri'volutionnaires 65 RÔLE POLITIQUE DE LA PEUE que ceux que j'ai dû relever. L"un dos agculs poursuivis ifa-t-il pas pris, ces jours derniers, la parole dans une n'union publique pour y préconiser « Vaction énergique et concertée contre le patronat, le capital et les pouvoirs publics » Z Et, dans cetic même réunion, savez- vous à quoi Ton s'est engagé? On s'est engagé « à propager les idées antimilitaristes, à détmire les derniers remparts derinère lesquels se dérobent Vexploitatioii capitaliste et son complice l'autorité, représentée par les pouvoirs publics ». Les progrès grandissants de ranarchie dans les masses eurent toujours iiour principale cause la faiblesse des gouvernements. Des leçons répétées chaque jour Unirons-nous par retirer quelque fruit? Le gouvernement arrivera-t-ii enfin à déployer un peu d'énergie contre de petites bandes d'énergu mènes, auxquelles, sous prétexte de liberté d'opinion, on laisse prêcher le sabotage, l'incendie, la révolte et la destruction de la société qui les tolère ? Si parmi notre arsenal de lois aucune — ce — dont je doute fort n'est applicable à de pareils il faut en créer sans retard et les appliquci- délits, sans peur. Cette création ne sera jjas lendemain de évidemment facile. Des grève des postiers, certains parlementaires tremblants proposèrent l'amnistie des révoltés et amenèrent beaucoup de députés à voter avec eux. J'imagine que ces derniers durent rougir quelque peu d'une pareille pusillanimité. Les meneurs actuels ne sont pas seulement dangereux par les actes qu'ils provoquent, mais surtout par les idées qu'ils font éclore dans les cervelles populaires, idées qui suffisamment mûres finissent par engendrer les révolutions. Souvenons-nous de la Commune et de l'incendie d'une partie de la capitale pour nous représenter ce que peuvent devenir les foules entraînées par d'insidieux' discours. Conseillons donc la défense, mais sans trop l'espérer, car le fantôme de la peur qui a remplacé les le la G. C6 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE anciennes divinités est devenu beaucoup plus puissant; qu'elles. C'est surtout aux époques troublées (ju'on le voit (léinesurémenl grandir. Il est alors capable de transformer en bêtes sanguinaires de pacifiques bourgeois,, inspirer à Carrier ses noyades et ses réquisitoiresà l'ouquier-Tinville. Ce dernier, magistrat réputé jadis [)0ur sa douceur, hécatombes dès que le ne s'arrêta plus dans les fantôme de la peur l'eut fixé. devint féroce au point de proposer de saigner les les conduire à l'échafaud pour les priver de leur courage. Nous n'en sommes pas encore là. Souhaitons., malgré les menaces de certains socialistes, de n'y point arriver, mais rappelons-nous que le chemin sur lequel entraîne le spectre de la peur est fort glissant et ne 11 condamnés avant de remonte pas. Actuellemerit, \o terrible fantôme se borne à suggérer les lois les plus absurdes, les plus nuisibles, se à l'avenir de l'industrie. Il lui suffit, pour y parvenir quelques énergumènes hypnotisés par des formules et se souciant fort peu d'ailleurs de l'intérêt général. Croit-on, par exemple, qu'il y ait eu un électeur sur 100.000 ayant souhaité réel'ement le rachat de l'Ouest ? En fait l'électeur s'inquiète médiocrement des lois inspirées par des principes et ne s'occupe que de ses intérêts immédiats. Il vote surtout pour ou contre les personnes et s'occupe peu des opinions. Dans les mobiles des votes des législateurs interviennent surtout les promesses, les mots d'ordre, les formules magiques donner un coup de barre à gauche, poursuivre l'infâme capital, socialiser les propriétés, etc. Ces fétiches élaborés dans les clubs, les comités, les syndicats, les arrière- boutiques des marchands de vin, inspirent une telle peur (jue l'orateur le plus aimé n'ose les heurter pour «l'exciter : éviter l'impopularité. RÔLE lotîtes vains (le POLlTIQLili Uli LA PEUR 67 ne constituent pourtant que la psychologie répèle qnel([uefois. mais ne les applique ces fofmules I)ruit.s. (les i'onles les L'homme possédant jamais. à les masses obéissent 11 sait fort bien, en elïet, que une logique inconsciente des sentiments entière- ment ment soustraite à la logique rationnelle. Elles acclavolontiers Brutus ])arcc qu'il a tué César, mais proposent aussitôt do faire de Brutus un César. Les grands meneurs devinent, ou plutôt suivent assez aisément, l'âme populaire dont ils sont l'incarnation. Ils s'en assimilent les soudainetés et les mobilités, alors que les politiciens ordinaires s'y perdent complètement. Leur étroite logique rationnelle latine, vigoureusement aiguillonnée par la peur, conduit ces derniers à fabriquer des lois déduites des formules hallucinantes, qui les terrifient. que surgissent, avec d'énormes majoruineuses et inapplicables sous le poids desquelles l'industrie, le commerce et la richesse publique finiront par succomber. Rien n'arrête dans cette voie. Les surenchères inspirées par le fantôme de la peur avaient engendré un [irojet sur les retraites ouvrières que chaque député savait irréalisable, puisqu'il eût été impossible de trouver les 7 ou 800 millions annuels nécessités par son application. Tous cependant l'ont voté sachant Et, c'est ainsi rités, ces lois bien d'ailleurs que le Sénat rectifierait leur fantaisie. Les retraites obligatoires établies par la Chambre, ('"(rivait P. Delombre, eussent été à la fois l'écroulement des finances publiques et la ruine du travail national. Telle est la vérité que l'on ne fera jamais trop « connaître. » Sans doute, mais à quoi sert de la faire connaître? Notons toujours, pense le député dominé par la peur, les autres s'arrangeront. 68 PSYCîiOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSi: SOCIALE Le fantôme de la peur est à lui seul extrêmement redoutable, mais il le devient plus encore quand se joint à lui ceux de la haine et de l'envie. Leur triumvirat dirige toute notre politique actuelle. C'est surtout dans le projet d'impôt sur le revenu qu'apparut l'action simultanée de ces trois fantômes. On ferait un peu sourire en prétextant ijue l'amour de l'équité et un intense besoin d'altruisme déterminèrent sa préparation. Chacun sait qu'il ne dégrève à peu près personne et que ceux qu'il semblait, dégrever de sommes infimes ne le seraient qu'au prix des inquisitions les plus tyranniques. La soif de la justice n'eut, en réalité, aucune part dans la genèse de cette loi. Les fantômes de la haine et de l'envie furent utilisés pour faire croire que 500,000 personnes seulement paieraient les impôts. En agitant ensuite le fantôme de la peur on obtint de Chambre une immense la Mais, nous majorité. les spectres craignent la lumière, et le public a fini par comprendre de quelles vexations, de quelles ruines on le menaçait uniquement pour obéir au fanatisme bruyant d'une petite minorité socialiste, exaspérf'e jtai- la jirospérité de quelques grands industriels. Et pourquoi le parti avancé tenait-il tant à cet impôt sur le revenu? Est-ce vraiment l'amour du pays, un vif désir d'équité, un altruisme débordant qui l'inspirait? Hélas! de tels sentiments se professent mais ne se ressentent guère. Un fin psychologue, Ë. Faguet, a fort bien mis en évidence les l'avons dit. vraies raisons. qu'il n'y a, en imtaxation arbitraire (|ui soit pratique, que certain parti lient tellement à l'impôt sur le revenu. L'impôt sur le revenu sera un moyen de frapper qui déplaît et d'épargner qui plaît. C'est justement ce qui en t'ait le mérite aux yeux d'un certain parti. Cela pourra avoir d'admirables conséquences électorales. Ici encore, ce qui est le défaut de la mesure en est le principe pour ceux qui la proposent. Il est à croire pôt sur le que c'est revenu, que la précisément parce RÔLE POLITIQUE DE LA PELK 69 Aucun argument n'a pu impressionner les députés sur lesquels le fantôme de la peur dardait de menaçants regards. Ils ont volé sachant parfaitement, comme l'écrivait Jules Roche, « que ce qu'on leur a présenté comme une réforme démocratique n'est autre chose que le projet le plus rétrograde, l'inquisition la plus odieuse, la plus dangereuse, mettant la fortune des citoyens à la merci de l'arbitraire d'une armée de fonctionnaires, agents du parti politique au pouvoir. C'est une loi de ruine et de guerre civile. » M. Raymond Poincaré «lit à peu près la même chose : actuel constitue un effroyable danger pour nos finances publiques... II amènera la perte des recettes et ro[)pression des contribuables moyens. C'est un péril pour la ioitune nationale et pour la République... Je suis convaincu qu"il s'en suivrait un soulèvement formidable dans le pays. Le projet Rien n'est plus certain, mais que pouvaient les parlementaires terrorisés par la menace immédiate des fantômes, alors que la ruine et les soulèvements annoncés apparaissaient fort lointains. Qu'auraient pensé d'ailleurs, en cas de rejet, les instituteurs, les marchands de vin et les comités socialistes? Je ne parle pas des syndicats ouvriers, car ils ont affirmé sur tous les tons se désintéresser entièrement de cet impôt évidemment destiné d'ailleurs à retomber sur eux. Sous l'intluence dominante de ces fantômes, et surtout de celui de la peur, on a gouverné, depuis vingt ans, presque exclusivement au protit de la classe ouvrière, ne cessant d'irriter trie par des le lois vexatoires et commerce et l'indus- des menaces d'impôts plus vexatoires encore. C'est la peur seule qui fit légiférer sans cesse le Parlement au profit d'une seule cKasse contre celles qui, précisément, représentent la force et la gloire du pays. Dépouillant les uns sous prétexte de religion, 70 PSYCHOLOGIE POLITIOIE ET DEFENSE SOCIALE persécutant les autres sous prétexte de richesseacquise, toujours il fut mené par le fantôme de la l)eur. Peur de l'Eglise, peur des ouvriers, peur des socialistes révolutionnaires pour en arriver enfin à l'humiliante terreur des ronds-de-cuir. A-t-on au moins par tant de lois vexatoires conquis les sympathies des travailleurs, aux chefs desquels on cédait chaque jour? Personne n'ignore que le gouvernement a surtout récolté leurs haines. Les foules ne sont jamais reconnaissantes de ce qu'elles obtiennent par des menaces. décrié, 11 subsiste cependant, ce gouvernement si mais simplement parce qu'on ne trouve rien pour le remplacer. Un de ses préfets, M. J. d'Auriac, le dit très bien dans son livre La France d'aujourd'hui « si notre gouvernement se maintient debout depuis (juarante ans, c'est plutôt par la faiblesse de ses adversaires que par sa propre vertu ». : Cette opinion commence à devenir générale. 11 serait donc utile de renoncer à accroître le nombre des ennemis du régime par ce mélange de faiblesse, de despotisme, d'intolérance et d'esprit de persécution qui Unissent par devenir insupportables à tous sans rallier personne. Pour réaliser ces sages conseils sages que réalisables la grande — — sûrement plus difficulté sera s'atTranchirde la terreurdes fantômes. Il de est à craindre no^isnela subissions longtemps encore. Ce ne sera sans doute qu'avec le dernier homme que périra le dernier fantôme. (juc CHAPITRE IV Transformation moderne du droit divin. L'Étatisme. L'Etatisinc, dont le socialisme collectiviste, est l'expansion naturelle constitue la religion nationale des peuples latins, la seule universellement respectée. Très forte, très puissante et très stable, elle n'est pas une de ces croyances transitoires sensibles aux suggestions de la raison ou des sentiments. Fixée par une longue hérédité dans les âmes, nul ne la conteste en dehors d'un petit noml)re d'hérétiques sans autorité ni prestige. Grâce à son universalité, nos partis politiques d'apparences souvent dissemblables n'en forment réellement qu'un seul. Le plus convaincu des cléricaux, le plus réactionnaire des monarchistes, le plus avancé des socialistes sont les lidèlcs adorateurs de l'Etat. Ils durèrent sans doute sur le choix des grands prêtres de la croyance, mais n'en discutent jamais les dogmes. Ces dogmes sont faciles à formuler. Pour les peuples en général et pour les Français en particulier, l'Etat représente une sorte de pape collectif devant latins tout administrer, tout fabriquer, tout diriger et dis- penser les citoyens du plus léger eifort d'initiative. Il a progressivement remplacé l'antique providence dont notre religiosité ancestrale ne pouvait se passer. Le vigneron impuissant à vendre sa récolte t'^ PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE si la providence étaliste refuse de l'acheL'armateur, dont l'incapacité lui rend difficile la lutte contre des rivaux étrangers, exige une indemnité pécuniaire de l'Etat. L'ouvrier qui préfère le repos au travail lui demande ce repos. Sous la poussée générale, l'action de cette providence s'étend chaque jour. Usines, chemins de fer, compagnies de navigation, etc., tombent de plus en plus dans ses mains. Le collectivisme, forme ultime de l'Etatisme. voudrait même y faire passer toutes les industries. 2se sait-il pas de source sûre que l'Etat tout-puissaul peut par ses lois décréter le bon- s'insurge ter. heur? L'Etatisme ne représente pas seulement la forme droit divin. Il a hérité à la fois de l'autorité des dieux et de celle des rois. Sa force tient jusleinent à ce qu'il synthétise cet héritage. Louis XIV est mort depuis longtemps, mais l'Etat a conservé moderne du et ses principes. Un là-dessus l'ombre du grand roi s'entendrait sûrement répondre que sa tradition a été très fidèlement suivie par tous ses successeurs, mais soigneusement ses méthodes spirite interrogeant ont fini par exagérer un peu sa centralisation son autocratie. L'illustre fantôme donnerait peutêtre comme une des preuves de cette similitude l'expulsion des congrégations, identique à celle des protestants et dérivant des mêmes principes. Il n'aurait jjas besoin d'une dialectique bien serrée pour démontrer ({u'en substituant à la Monarchie une et absolue, la République une et indivisible, les Jacobins dotèrent cette dernière de la toute-puissance de la première. Les (îirondins payèrent de leur tète la prétention de rendre l'Etat moins centralisateur et moins despotique. Un poinl cependant provoquerait peut-être les critiques du grand roi. II considérerait sans doute comme fort difficile de gouverner avec l'obligation d'obéir aux capricieuses oscillations de la multitude, et ({u'ils et TRANSFORMAT I0\ M0DER>;E DU DROIT remarquerait aussi que lations 73 DIVIN les foules sont l'objet d'aduau plus servîtes que celles qui l'entourèrent de sa i)uissance. Probablement observerait-il encore que les monarques poursuivaient souvent l'intérêt général tandis (|ue bien des x'eprésentants de faîte l'Etat actuel paraissent peu s'en soucier, et n'hésitent pas à voter des lois dangereuses si elles peuvent assurer leur réélection. On lui répondrait alors, en l'invitant à rejoindre sous terre les fantômes de ses aïeux, qu'il ne comprend rien au progrès. Les considérations précédentes sont assez évidentes, je pense, pour se passer de démonstration. La prétention de l'Etat à l'omnipotence ne paraît guère contestable. Elle arrive même à choquer les plus officiels de ses défenseurs. Un préfet, M. d'Auriac, déjà cité, remarquait dans une récente étude que, suivant les méthodes de la Monarchie, continuées, d'ailleurs, scrupuleusement par la Convention et tous les gouvernements successifs, les habitants des provinces sont traités comme un pays conquis, comme une colonie lointaine, comme des hommes appartenant à une autre race que leurs gouvernants. » Ils reçoivent leurs autorités de la capitale et sont obligés de demander à Paris une permission pour les moindres actes construction d'un marché, édification d'une fon(t : taine, etc. C'est, observe justement le même écrivain, la tradi- gouverner leurs provinces [lar des intendants, prédécesseurs de nos préfets. Inutile de regarder longuement autour de soi pour constater que l'absolutisme de l'Etat rappelle celui de l'ancienne Monarchie, mais considérablement aggravé. II est aggravé parce que le législateur moderne, sentant son rôle éphémère, ne se préoccupe nullement des conséquences de lois édictées sous la pression quotidienne des fantaisies populaires. Le décret à voter, c'est quelque chose d'immédiat, satisfaisant en apparence les intérêts du tion des rois absolus faisant 7 74 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCLVLE moment. Les incidences restant éloignées ne s'apercevront que plus tard. Esaii s'illustra jadis en enseignant aux âmes simples qu'un plat de lentilles présent vaut mieux qu'un droit d'aînesse lointain. Les législateurs de race latine suivent fidèlement l'exemple d'Esaii. Si tardives cependant que soient les conséquences des lois inconsidérément votées, elles éclatent toujours avec la fatalité de l'obus explosant à la limite de sa trajectoire. Oscillant sans cesse, légiférant au hasard, persécutant des catégories entières de citoyens, l'Etat a fini par devenir tellement insupportable et onéreux, que des foules d'opprimés chaque jour plus nombreuses se dressent maintenant contre lui. Il viole les croyances, moleste les intérêts, berne le peuple d'irréalisables chimères et ne se maintient qu'au moyen de rivalités créées ou entretenues par ses soins. Son pouvoir, immense en apparence, mais que n'oriente aucun idéal, est à la merci de tous les hasards. Le développement de l'Etatisme ne s'accompagne pas seulement de tyrannies oppressives, il engendre aussi la désorganisation des services dont l'Etat se charge progressivement. Les généralités psychologiques qui précèdent vont nous permettre d'éclairer des faits récents, inexplicables lorsqu'ils demeurent détachés de leurs racines. Tels, les scandales de l'Imprimerie Nationale et la décadence de notre marine. Les commissions d'enquête qui les ont révélés cherchent encore vainement leurs causes. Le philosophe ne les cherche plus. La reconstruction de l'Imprimerie JNationale, dont le besoin ne se faisait nullement sentir, sauf pour les devait coûter au budget 442.350 francs. architectes, — — D'après les chiffres officiels fournis par la Commission de contrôle, il faudra dépenser environ 10 millions. TRANSFORMATION MODERNE DU DROIT DIVIN tO Los travaux devaient durer quatre ans. Commencés depuis sept, ils sont loin d'être terminés. Les faits signalés par la Commission mettent en évidence le prodigieux sans-gêne avec lequel les fonctionnaires de l'Etat autocratique administrent ses deniers. Aucune entreprise privée ne survivrait à des un escalier est consconditions pareilles. Exemple truit. Achevé, il paraît peu décoratif; on le démolit entièrement pour le reconstruire. Plusieurs milliers de mètres de plancher en ciment armé sont péniblement établis; le travail fini, un chef de bureau rhumatisant affirme que le contact du ciment refroidit les pieds et expose à des bronchites. Immédiatement on détruit le plancher en ciment pour le remplacer par du bois qui étant de mauvaise qualité doit lui-même être refait. Coût: quelques centaines de mille francs, mais les précieux pieds du chef de bureau ne se : refroidiront pas. La plus complète fantaisie présidait à tous ces avait acheté à grands frais des machines variées, mais ayant oublié d'aménager des fosses sous ces machines, il fallut démolir une partie de l'édifice. Et les millions coulaient sous l'œil serein d'un tas de braves employés qu'une telle incurie ne saurait toucher, puisque d'anonymes contribuables solderont travaux. On les frais. Innombrables sont les exemples analogues. Ils n'empêcheront i)as assurément les socialistes de confier à l'Etat de pareilles entreprises au lieu d'en charger sous peine de l'industrie privée, qui ne saurait faillite se permettre les distractions et les négligences de fonctionnaires n'ayant rien à perdre. Les gaspillages quotidiens, dont l'histoire de la construction de l'Imprimerie Nationale constitue le type, ne sont rien auprès de ceux qu'à révélés l'enquête sur notre marine de guerre.. Fantaisies encore, mais sous une forme en vérité bien sinistre. Le public a découvert avec stupeur que le lamen- — — 76 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE marine Tavait en quelques années du deuxième rang au cinquième, comme l'a montré M. Doumer. » Ni unité de, vue. ni efforts coordonnés, ni méthode, ni responsabilité définie, néarligence, désordre et confusion », est-il écrit dans le rap{)ort général de la Commission. M. Ajam, membre de cette commission, évalue à 700 millions le coût du gaspillage. Cette somme se trouverait doublée si on y ajoutait les 693 millions accordés en primes, d'après M. Caillaux, de 1899 à 1909 à notre marine marchande, primes dont le résultat fut. comme je l'ai prouvé dans un précédent chapitre, de précipiter sa décadence. « Nous avons dû commettre des erreurs de principe », disait le ministre à la Chambre en reproduisant les chiffres cités plus haut et en constatant l'abaissement progressif de notre commerce maritime. De lourdes erreurs, en elTel. mais dont le ministre qui les constate paraît ignorer entièrement les causes. Il ne les soupçonne certainement pas issues du développement de l'Etatisme. L'ayant compris, ce politicien peu psychologue n'aurait pas proposé, comme il le lit, d'associer l'Etat à l'exploitation de nos grandes compagnies de navigation. Les faits dévoilant le désordre et l'indifférence du personnel maritime de l'Etat atteignent parfois à l'invraisemblance. M. Ajam cite un cuirassé chargé d'une cuirasse trop lourde. On la change, elle devient trop légère. Force est de la remplacer encore. Le bateau flotte entîn. Coût: 3 millions. L'accumulation de ces négligences arrive à être ruineuse, le prix de nos cuirassés est de 30 p. 100 plus élevé qu'en Angleterre. Et alors que nos rivaux mettent deux ans à construire un vaisseau de guerre, nous en employons cinq. « Notre manière actuelle de construire, dit M. Ajam, c'est l'Etatisme dans toute son horreur et la condamnation du monopole d'Etat. » table état de notre fait descendre TRAN'SFORMATION MODERNE DU DROIT DIVIN / / Des faits analogues se révèlent partout. A Toulon on constata lors des arrestations récentes de plusieurs fournisseurs de l'Arsenal, qu'en 25 ans les marchandises n'avaient pas été vérifiées une seule fois à leur entrée! Les fournisseurs livrant ce qu'ils voulaient, encaissèrent des millions au préjudice du Trésor, sans que personne s'en soit ému. «Chacun s'en fiche >'. Telle est la vraie formule de Une pareille devise serait impossible dans l'industrie privée, caria faillite atteindrait vite le patron insoucieux et ne surveillant pas. Le gâchis représentant une conséquence nécessaire de l'esprit Etatiste est universel. Aux colonies où la surveillance est nulle, il touche à l'invraisemblance. M. Messimy, dans son rapport, en a donné de tristes exemples. Les abus des fonctionnaires y sont sans bornes et nous ont partout aliéné les populations, considérées par eux comme taillables et corvéables à merci. Où passe l'argent extorqué en Indo-Chine par des nuées d'agents, au moyen des plus odieuses tyrannies? A des dépenses somptuaires totalement inutiles. Un journal a résumé de la façon suivante quelques pages du rapport de M. Messimy sur ce sujet. l'administration Etatiste. Les budgets sont abandonnés aux fantaisies individuelles. Aussi plus d'un projet extravagant s'est-il vu doter de larges crédits, et les indemnités de toutes sortes au personnel et les dépenses purement somptuaires pour les administrateurs piiliullent-elles. L'un de ces derniers a inscrit à son budget 13.200 francs pour l'installation de l'électricité dans son palais. Beaucoup unt des autos. La plupart ont'' cinq ou six voitures. Et sur les 16.000 hommes de la garde indigène, une partie est uniquement occupée à faire un service de domestiques. M. Messimy cite un inspecteur de cette garde qui en détourne à lui seul dix-neuf de leur emploi. Il se procure ainsi, sans bourse délier, cuisiniers, cochers, jardiniers, deux blanchisseurs pour madame, etc. On peut juger par là ce que ce peut être chez l'administrateur lui-même. Au milieu de ces gaspillages et de ce, luxe, notre personnel administratif a pris des habitudes de mollesse et d'indolence. Et même l'unanimité des témoignages est telle sur ce point qu'il faut bien, comme le laisse entendre M. Messimy, reconnaître 7. PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE ici que tous ses membres ne sont plus à l'abri du soupçon d'improbité. Son incapacité s'est trahie par des faits étranges qui seraient bouffons, s'ils n'étaient si tristes. même journal ajoutait non sans quelque naïveté L'usage des pots-de-vin qui double le poids des Le « impôts : directs disparaîtrait si l'on en établissait d'une manière rationnelle et équitable. » Je doute fort de la puissance attribuée à des règlements. Ce n'est certes pas eux qui pourront remédier à un désordre général ayant des sources beaucoup plus profondes. l'assiette La cause principale de la désorganisation de la marine, de l'Imprimerie Nationale et de la presque totalité des entreprises de l'Etat, est uniquement celle indiquée plus haut. Tout ce que dirige l'Etat se trouve nécessairement fonctionnarisé, c'est-à-dire que les responsabilités, disséminées entre des milliers d'agents, s'évanouissent. Ces agents, divisés en bureaux distincts, ne possèdent nulle initiative, se jalousent férocement, et ne sont guidés par aucun intérêt commun. La cuirasse commandée par un bureau ne va pas à la coque commandée par un autre. Qu'est-ce que cela peut bien faire aux employés? Les mêmes hommes, placés dans une entreprise particulière où la responsabilité est etTective, se conduiraient tout autrement. Les ma,rines étrangères ont prospéré, parce qu'on y recourt de plus en plus à l'industrie privée, alors que nous étatisons progressivement la nôtre. Là surtout est le secret de leur supériorité et celui de notre décadence. Les autres nations descendraient aussi bas si elles se laissaient envahir par la religion étatiste. Dans une très remarquable conférence publiée par la Pecue politique et parlementaire, M. Harold-Cox. membre du Parlement anglais, montre à l'aide d'exemples et de chilTres catégoriques que, dans les rares TRANSFORMATION MODERNE DU DROIT DIVIN 79 circonstances où le gouvernement anglais voulut exploiter lui-même des industries, ce fut toujours avec de grandes pertes, alors que gérées par des particuliers elles étaient très fructueuses. Telle l'industrie des télégraphes, dirigée jusqu'en 1870 par des Compagnies l)riYées qui servaient 6 p. 100 à leurs actionnaires. Dès que l'Etat s'en empara, les bénéfices se changèrent en un déficit progressif atteignant maintenant 25 millions annuellement. De semblables résultats ne sauraient surprendre. Ils sont la conséquence de lois psychologiques très sûres. Un homme privé d'initiative et surtout déchargé de responsabilité, voit aussitôt baisser sa valeur intellectuelle et productive dans d'énormes proportions. Les socialistes ont raison de ne pas vouloir le comprendre, car le jour où cette loi naturelle deviendrait évidente pour eux, il n'y aurait plus de socialisme. Quoi qu'il en soit, l'Etatisme collectiviste progresse à grands pas chez les peuples latins. Les conséquences ruineuses du rachat de l'Ouest n'empêcheront nullement le rachat d'autres lignes, ainsi que la création de monopoles variés qui augmenteront immensément encore une armée de fonctionnaires déjà si nombreuse. 11 semble qu'un vent de folie dirige les ministres des finances portés au pouvoir depuis quelque temps. L'un d'eux proclama devant la Chambre, aux applaudissements des socialistes devenus ses maîtres, son intention de proposer d'attribuer à l'Etat le monopole des alcools et des assurances. Le Journal des Débats^ au publia réflexions suivantes sujet de ces mesures les : nous attendre, désormais, à voir la politique finanmonopoles tenir une place de plus en plus large dans les programmes électoraux, et pénétrer un jour ou l'autre dans la législation. Ce sera, sans doute, une politique de folie. Alors que tous les gens doués de quelque bon sens et d'un peu de prévoyance s'épouvantent des p^og^ès de la centralisation ([ui déjà nous écrase et qui paralyse toute initiative individuelle, alors que le nombre des fonctionnaires s'accroit sans cesse Il faut cière des 80 PSYCHOLOGIE POLITIQLE ET DEFENSE SOCIALE dans une population qui n'augmente plus et mot nos budgets en déficit, il est insensé de songer à charger l'Etat de nouvelles attributions et d'ajouter aux innombrables fonctions qu'il exerce celles de débitant de boissons et d'assureur. Grâce aux agissements do la majorité parlementaire, l'Etat après être intervenu dans toutes les branches de l'activité humaine au nom de la pitié, va subdiviser ses fonctions économiques sous l^es formes de différents monopoles, au nom de l'accaparement du capital au profit de la collectivité. En effet, l'impôt sur le revenu sera le commencement de la main-mise de l'Etat .sur le capital. Comment l'Etat socialiste s'arrêtera-t-il désormais dans cette marche vers la spoliation légale? Les retraites ouvrières seront le commencement de la charité organisée par l'Etat. Comment s"arrêtera-t-il dans cette voie de philanthropie sociale? Le monopole de l'instruction sera le commencement de la centralisation de l'enseignement sous l'égide de l'Etat. Comment s'arrêtera-t-il dans cette voie de nivellement intellectuel ? Lorsque l'esprit d'initiative, source vive des forces d'une nation, sera tari, le socialisme pourra tenter d'édifier son édifice social sur le terrain pourri de la décadence. L'Etatisme a pour expression et soutien le fonciioiinarisme. Etatisme et fonctionnarisme sont les deux faces d'une même chose. Pour réduire la puissance de l'Etatisme on devra commencer par diminuer celle des fonctionnaires. En raison de l'absorption progressive d'une foule de monopoles et d'industries, l'Etat s'est vu obligé d'augmenter considérablement l'importance des administrations, par l'intermédiaire desquelles s'exerce son action. Ces dernières forment maintenant des petits blocs féodaux dont chacun devient assez fort pour tenter d'imposer, comme le tirent récemment les postiers, leur volonté à l'Etat. Aujourd'hui, les fonctionnaires exigent un statut destiné à stabiliser une puissance et des privilèges déjà trop considérables. Intimidée par leurs meneurs, la sûrement le statut réclamé. De Chambre votera toutes les mesures TRANSFORMATION MODERNE DU DROIT DIVIN '"^l désastreuses acceptées par elle, aucune n'engendrera certainement de plus tristes conséquences. Ce statut, comme l'a très bien expliqué un ministre des finances, avec lequel je suis d'accord pour la première fois, constituerait une oligarchie de fonctionnaires qui conduirait la France écoutait plus à la. nation, il serait aux fonctionnaires, on aurait constitué un véritable mandarinat. Ce ne serait pas la peine certaines théories, le pouvoir ne : « Si l'on serait tomber sous une telle domination. » Reconnaître des droits particuliers à des agents révoltés ou qui ont soutenu par leurs souscriptions les employés insurgés, c'est se condamner à les avoir bientôt pour maîtres. Ils le sont déjà trop. Le dernier des fonctionnaires, sous prétexte qu'il représente un fragment de l'Etat, se croit une sorte de potentat et traite le public d'après d'avoir fait la révolution pour L'homme le plus éminent est pour un simple « assujetti ». Dans la correspondance officielle on le qualifiera de « sieur un tel ». Qu'il le reçoive derrière un guichet ou lui écrive, le fragment de potentat marque généralement au pul)lic un intense mépris. Pour atténuer une situation, d'oîi résulte la désorganisation dont nous avons cité de si lamentables exemples, la conduite à tenir est diamétralement l'opposée de celle qu'on propose. Gardons-nous de voter un statut qui transformerait les fonctionnaires en personnages inamovibles, se govivernant eux-mêmes, et sur lesquels les ministres et la Chambre demeurecette conviction. lui raient sans action. Afin de rester maître de ses agents. l'Etat-patron n'a qu'à imiter les chefs d'industries privées. Voit-on un grand magasin ou une grande usine accorder un statut à ses employés ? Ce sont des auxiliaires, gardés soigneusement s'ils sont capable's et congédiés dès qu'ils font preuve d'incapacité. Que l'Etat agisse de 82 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE même, acceptant seulement des auxiliaires sans leur Ils seront exactement alors dans la situation des auxiliaires dont le ministère des finances emploie souvent un millier. C'est uniquement en faveur des services techniques, ingénieurs, télégraphistes, etc., que l'Etat pourrait établir un contrat de quelques années, dix ans au plus. J'entends votre objection, ne la formulez pas. Si employés aucune stabilité, l'Etat n'offrait à ses il n'en trouverait plus, ou n'en trouverait que de cunstituer aucun engagement. médiocres. Rassurez-vous. Votre supposition se réaliserait-elle, ce serait tant mieux. Les jeunes gens intelligents se tourneraient alors vers l'industrie ou le commerce et un grand bénéfice en résulterait pour le pays. Malheureusement cet exode est tout à fait improbable. Les candidats seraient presque aussi nombreux qu'aujourd'hui. Les auxiliaires du ministère des finances cités plus haut ne gagnent pas plus de 5 à 6 francs par jour, et cependant on compte cinquante candidats, bacheliers ou licenciés, pour une place vacante. Je n'insiste pas sur cette réforme, elle est trop capi- beaucoup de sulTrages. Un moment viendra cependant oîi la nécessité l'imposera, mais sera-t-elle encore possible? tale i)0ur réunir L'Etatisme et son incarnation, le collectivisme, nous ont conduits à cet état d'esclavage mental où l'homme ne garde même plus conscience de son asservissement. La tyrannie de l'Etat se fait pourtant tellement opprescontre lui une coaliprofondément lésés. On commence à comprendre que le rôle du gouvernement n'est pas de se montrer industriel, humanitaire ou philanthrope, qu'il n'a pas le droit d'imposer aux citoyens sive et coûteuse qu'elle ligue tion d'intérêts TR.VXSFOimATION MODERNE DU DROIT DIVIN 83 affirmations ou ses négations religieuses, sa morale et son éducation que son vrai rôle enfin est uniquement de servir d'arbitre entre les partis, de veiller à la sécurité des citoyens au dedans par la police, au dehors par l'armée. Vérités très banales sans doute, peu répiandues pourtant. Souhaitons qu'une lente évolution nous affranchisse de la tyrannie Etatiste mais n'y comptons pas trop. On remanie facilement sur le papier les lois d'une nation, mais comment transformer son ses ; àme? CHAPITRE V Facteurs psychologiques des luttes guerrières. Malirré les pro.srès de la civilisation et les disser- de certains i)hilosophes. la guerre n'a jamais une des principales occupations des peuples. 11 est douteux que les découvertes de la science la rendent moins fréquente. Il est certain qu'elles l'ont rendue plus meurtrière. Même en remontant aux grandes destructions de Gengiskhan et d'Attila, on citerait difficilement une phase de l'histoire oii tant d'hommes soient restés couchés sur les champs de hataille qu'au siècle de l'électricité et de la vapeur. Lorsqu'un phénomène se manifeste avec une aussi persistante régularité, on doit bien admettre qu'il traduit d'impérieuses nécessités. Protester contre sa fatalité serait donc aussi vain que de s'insurger contre la vieillesse ou la mort. Les luttes des peuples, d'ailleurs, ont été la source des plus importants progrès. On ne voit pas comment, sans elles, les premiers hommes seraient sortis de la barbarie et auraient pu fonder ces magnifiques empires où naquirent les arts, les sciences et l'industrie. Quelle grande civilisation n'a pas été guerrière? Quel est le peuple pacifique ayant joué un rôle dans l'histoire ? Mais le moment n'est pas venu d'examiner les javantages ou les inconvénients des luttes périodiques auxtations cessé d'être quelles se livrent les nations. Nous nous bornons FACTEliRS l'SVCHOI.OC.IQlES DES LLTTES GUERRIÈRES 85 actuellement à en constater la nécessité et en rechercher les causes psychologiques. Ces causes sont variées. On peut placer au pre-' niier rang l'instinct naturel qui, dans toute l'échelle détruire les faibles. La civilisation l'atténue sans doute, mais ce qu'elle ne animale, conduit les forts à saurait atténuer, c'est l'antipathie profonde qu'engendrent entre les races les divergences de leur constitution mentale, divergences qui les amènent à des conceptions de vie très dissemblables et par conséquent à une conduite ditTérente. La plupart des luttes sont nées de ces divergences. Toutes les grandes guerres de l'humanité guerres de conquête, de dynastie, de religion, de propagande, n'ont été le plus souvent que des guerres de races. Le conflit entre les Perses et les Assyriens, qui pour la première fois fit passer l'empire du monde des Sémites aux Aryens, fut une guerre de races. Guerre de races également la lutte entre les Grecs et les Asiatiques, entre les Romains et les Barl)ares, les Japonais et les Russes. Guerres de races encore, les luttes religieuses du Moyen Age. Ou'étaient eu ell'et ces dernières, sinon une lutte de races défendant l'individualisme et la liberté de penser, contre celles qui réclamaient l'autocratie politique et religieuse avec ses dépendanprincipe d'autorité, tradition et formalisme ces : : latins. Considérer ces guerres ment de rivalités comme résultantes unique- entre souverains serait avoir une vue bien superficielle de l'histoire. Ils n'ont jamais duré longtemps, les rois qui n'incarnaient pas l'idéal de leur peuple, ses passions Devons-nous espérer que e,t les ses rêves. progrès de la civilisa- tion et la fréquence des rapports imissant les peujdes, puissent atténuer les antipathies d'origine psy- 86 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE chologique qui divisent les races? Des faits positifs permettent de répondre. A Tépoque récente encore où les communications étaient rares, difficiles et la connaissance des langues étrangères peu répandue, les différences psychologiques diversifiant les races demeuraient presque invisibles, masquées par le vernis superficiel d'une civilisation analogue dans les couches éclairées de l'Europe. Aujourd'hui la facilité des communications" et Tenchevêtrement des intérêts commerciaux établissant entre les peuples des rapports constants, leurs différences de constitution mentale et le désaccord qu'elles engendrent sur la plupart des questions, éclatent chaque jour. Entre individus de races différentes, l'accord n'est possible sur aucun sujet, tous étant envisagés à des points de vue dilTérents. Les rapports prolongés entre eux accentuent simplement leurs dissentiments. Donc, tandis que les intérêts des peuples les rapprochent, leur àme les sépare au lieu d'avancer vers une fraternité plus grande, ils marchent vers une antipathie chaque jour plus sensible. Elle a de nombreuses conséquences jjolitiques et sociales, cette antipathie. Après avoir réduit les distances par la vapeur et l'électricité, les nations en arrivent maintenant à exagérer leurs armements et à s'entoui'er d'interdictions douanières qui coupent les relations et finissent par élever autour de chaque pays une véritable muraille de Chine. Cette muraille, la plupart des peuples, d'ailleurs, ne la trouvent pas encore assez isolante, et le mot d'ordre général aujoui-d'hui chez que leur gouvernebeaucoup de nations civilisées est l'expulsion ment soit autocratique ou libéral des étrangers. L'Amérique, après avoir, de même qu'en Australie, voté celle des Chinois, interdit maintenant l'accès de son territoire aux bateaux chargés d'émigrants pauvres les trades-unions anglaises réclament bruyamment le renvoi des ouvriers étrangers; le gouvernement russe, obéissant à des vujux ; — ; — FACTEURS PSYCHOLOGIQUES DES LUTTES GUERRIÈRES 87 populaires, plus puissants souvent que la volonté des despotes, est obligé d'expulser les Juifs des grandes villes. Leur expulsion est réclamée également en Alle- magne par un parti dont les deviennent adhérents nombreux. Le gouvernement prussien expulse les Polonais et les Italiens qui travaillaient à ses chemins de fer. Le gouvernement suisse lui-même, après avoir rejeté en 1892 le projet de refuser du travail aux ouvriers étrangers, exige maintenant dans ses traités avec les entrepreneurs pour fournitures militaires, très l'emploi exclusif d'ouvriers locaux. Les mêmes ten- dances s'observent du reste partout, en France également. Que le vingtième siècle soit l'âge de la fraternité universelle, constitue une proposition fort douteuse. La fraternité entre races différentes n'est possible que lorsqu'elles s'ignorent. Rapprocher les peuples en supprimant les distances, c'est les condamner à se mieux connaître, et comme conséquence à se moins supporter. Nous ne sommes d'ailleurs qu'à l'aurore du mouvement général de toutes les nations contre l'envahissement étranger. Des gouvernements édifiés sur les principes les plus opposés, depuis l'autocratisme absolu jus(iu'aux républiques les plus libérales, en arrivant aux mêmes mesures, il faut bien admettre qu'elles répondent à quelques nécessités impérieuses. Les haines de races ne suffiraient pas seules à les expliquer. L'instinct qui pousse aujourd'hui tous les gouvernements dans la même voie est assez inconscient encore, mais il a des bases psychologiques très sûres. L'influence prépondérante des étrangers est un infaillible dissolvant de l'existence des Etats. Elle ôte à un son âme. Quand peuple ce qu'il a de plus précieux les étrangers devinrent nombreux dans l'empire romain, il cessa d'être. Supposez une nation comme la nôtre, où la population décline, entourée de pays où la population s'accroit constamment. L'immigration : de ces peuples étrangers, si on la tolère, est fatale. OO PSYCHOLOGIE I>OLITIQrE ET DEFENSE SOCIALE Pas de régime militaire à subir, peu ou pas d'impôts, un travail territoire plus facile et mieux rétribué que sur leur L'hésitation pour eux est d'autani natal. moins possible que le choix entre divers pays ne leur est pas loisible, tous les autres les repoussant. L'inva- sion des foules étrangères devient, dans ce cas, très redoutable puisque ce sont, naturellement, les éléments inférieurs, incapables de se suffire à eux-mêmes chez eux, qui émigrent. Nos principe» humanitaires nous condamnent à subir une invasion croissante d'étrangers. D'après la quantité d'émigrés qu'elle contient. Marseille pourrait être qualifiée de colonie italienne. L'Italie ne possède même aucune colonie renfermant un pareil nombre d'Italiens. Si ces invasions ne sont pas enrayées, en peu de temps un tiers de la population française sera devenu allemand et un tiers ou simplement son existence, dans des conditions semblables? Les pires hécatombes des champs de bataille seraient italien. Que peut être l'unité d'un peuple infiniment préférables à de telles invasions. C'est un instinct très sûr qui enseignait aux anciens la crainte des étrangers; ils savaient bien que la valeur d'un pays ne se ihesure pas au nombre de ses habitants, mais à celui de ses citovens. Des lignes précédentes, nous conclurons que les progrès de la civilisation sont impuissants à diminuer les chances de lutte entre les peuples. Ils les diminueront d'autant moins, qu'aux causes psychologiques de dissentiment, décrites plus haut, la civilisation vient ajouter des motifs d'ordre économique que nous aurons à examiner bientôt. - Les philosophes et les philanthropes auront donc certainement à gémir pendant longtemps encore sur les calamités déchaînées par les guerres. On peut d'ailleurs les consoler en leur montrant qu'une paix universelle accordée par quelque puissance FACTEURS PSYCHOLOGIQUES DES LUTTES GUERRIÈRES 89 magique mar([uorait la lin iimnédiale de toute civilisation et de tout progrès, le retour rapide à la [dus épaisse l)arljarie. « La certitude de la paix, écrit avec M. de Vogiié, engendrerait, avant un demiune corruption et une décadence plus destructives de l'homme que la pire des guerres. » Assurément les guerres ne sont pas sans inconvéraison siècle, elles en présentent même de très sérieux; mais il importe d'établir, les avantages une fois mis en présence des inconvénients, de quel côté penche la balance? Les inconvénients des guerres sont de trois ordres perte d'argent, perte d'hommes, affaiblissement de la nients; : race. Les pertes d'argent n'ont qu'une importance légère. nous le montre toujours les peuples trop riches disparaissent devant les peuples pauvres. Appauvrir une nation n'est donc pas forcément lui nuire. Les statisticiens enseignent que l'Allemagne a dû dépenser déjà beaucoup de milliards pour garder nos provinces conquises, et que toutes les puissances de l'Europe en consacrent annuellement un grand nombre à leurs armements. Je n'y vois que L'histoire : Evidemment, plusieurs nations marchent vers la faillite. Cela n'aura guère d'autre conséquence que de stimuler un peu leur énergie et les habituer aux privations. Il faut d'ailleurs considérer ces inévitables dépenses militaires d'assez faibles inconvénients. comme une sorte de prime d'assurance payée par les divers pays pour éviter l'envahissement et le pillage. Voit-on en Europe un peuple, excepté ceux dont la défaite ne profiterait à personne, capable de subsister un seul jour sans armée? 11 serait immédiatement annexé à quelque puissante nation, et ^écrasé d'impôts infiniment plus lourds que ceux qu'exigeait son armement. Sans doute les gouvernements et les peuples vantent très haut les bienfaits de la paix et en font le thème PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE l'O le pins habituel d'une foule de beaux discours, mais ]»ersonne ne croit à cette paix dont tout le inonde Chacun sait bien en effet qu'à l'instant précis où une grande nation piésenterait une infériorité, même momentanée, de sa puissance militaire, elle parle. instantanément envahie et pillée par ses voiNous en avons eu la preuve manifeste au lendemain de la bataille de Moukden, qui annulait pour longtemps la puissance militaire de la Russie notre alliée. Sans perdre un instant, l'Allemagne nous chercha au Maroc les plus tatillonnes disputes dans l'espoir de nous pousser à une guerre^ qu'elle hésitait à déclarer pour d'aussi futiles motifs, afin de ne pas trop effrayer l'Etirope. Les recueils des dépèches diplomatiques font preuve de l'insolence avec la(]uelle nous étions traités. Et si l'empereur d'Allemagne renonça définitivement à cette guerre, ce fut sous la seule crainte de voir ses ports bombardés par l'Angleterre, rangée nettement de notre serait sins plus forts. côté. Du moins la leçon servit et immédiatement les grandes nations accrurent leurs armements. Ce fut justement la nécessité d'élever les impôts pour suffire aux dépenses de ces armements qui amena la crise politique dont souffre si profondément l'Angleterre obligée de consacrer plus d'un milliard par an à sa marine. En attendant qu'ils se battent à coups de canon les peuples se battent à coups de millions. Le deuxième inconvénient des guerres mentionné d'hommes, n'est à compter que par ses conséquences lointaines. Les batailles de Napoléon coulèrent trois millions d'hommes. Etant donné qu'elles ont occupé les peuples pendant vingt ans, créé une légende glorieuse à une race, tout en satisfaisant l'instinct de destruction qui est un des plus impérieux de la nature humaine, on peut envisager cette hécatombe avec assez de résignation. plus haut, la destruction FACTELRS PSYCHOI.OGIQLF,> lil-S Ll TTES GUERRIÈRES 91 Son seul résultat fâcheux, et en vérité l'unique inconvénient sérieux des guerres, est que les morts violentes, frappant les éléments virils les plus robustes (l'une nation, réduisent l'accroissement futur de la population et augmentent sa débilité. Cette conséquence n'est vraiment redoutable, d'ailleurs, qiie pour les peuples dont la population reste stationnaire. En nous montrant ce que les guerres ont coûté l'humanité, les statisticiens oublient toujours d'évaluer ce qu'elles lui ont rapporté. C'est cependant une des faces du problème quil ne faut pas à négliger. Parmi les nombreux avantages des guerres, notons d'abord la formation d'une âme nationale. Par elles seulement cette âme peut naître et se fixer. Or, sans âme nationale, pas de civilisation possible pour un peuple. L'âme nationale, les guerres la consolident en cas de victoire et accroissent considérablement sa force en cas de défaite. léna fut, dit-on. un désastre pour l'Allemagne. Rien de moins sûr, car sans ce prétendu désastre l'unité et la puissance de l'empire allemand eussent été peut-être reculées de plusieurs siècles. Si nous n'envisagions les événements que par leurs conséquences lointaines, nous pourrions même assurer que c'est pour la France, et non pour l'Allemagne, qu'Iéna fut un désastre. Laissant de côté ces influences indirectes des luttes de races, il en est de très immédiates et parfaitement dont l'importance ne saurait être appréciables, méconnue. Les dernières guerres ont mis l'Europe sous les armes; quel en fut le résultat ? La ruine des finances, disent les statisticiens; un relèvement sérieux du caractère des peuples, pourraient répondre les psychologues à ces honnêtes bureaucrates. Sans 92 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE régime militaire obligatoire auquel la population mâle de l'Europe est aujourd'hui soumise, l'anar- le chisme, le civilisation socialisme, et tous les dissolvants de la moderne eussent progressé à pas de géant. Les vieux fondements religieux sur lesquels s'édifièrent les sociétés modernes tombaient en ruine, et nous n'avions rien trouvé pour les remplacer. Le régime militaire fut le maître qui nous enseigna un peu la patience, la fermeté, l'esprit de sacrifice et nous procura une sorte d'idéal provisoire. Seul, il a pu lutter contre l'égoïsme et la mollesse envahissant les peuples. C'est un impôt fort lourd que le service militaire, et rappelant les plus dures périodes du servage antique; mais un impôt sans lequel le? sociétés européennes deviendraient rapidement la proie des éléments barbares que chacune d'elles contient. Les dieux des vieux âges coûtaient moins cher sans doute, mais leur sceptre est tombé. Cette influence morale du régime militaire sur le caractère des peuples a une telle importance qu'on ne saurait trop y insister. Le maréchal de Moltke l'a mise en évidence dans ses Mémoires par le passage suivant, qui mérite d'être médité. Les jeunes gens, dit-il, ne subissent que pendant un temps relativement court l'influence bienfaisante de l'école. Heureusement, chez nous, au moment où cesse l'instruction individuelle, commence l'éducation proprement dite, et aucune nation n"a reçu dans son ensemble une éducation comparable à celle que la nôtre a eue par le moyen du service militaire. On a dit que c'était le maître d'école qui avait remporté nos victoires. Mais la science seule ne suffit pas pour élever l'homme à un niveau moral tel qu'il soit prêt à donner sa vie pour une idée, pour l'accomplissement d'un devoir, pour l'honneur et la patrie, et c'est à cela que tend toute l'éducation de l'homme. Ce n'est pas le maître d'école, c'est le véritable éducateur, l'état militaire, qui a gagné nus batailles, qui a donné pendant seize ans consécutifs à nos générations leur entraînement corporel et intellectuel, les a dressées à Tordre, à la ponctualité, à la probité, à l'obéissance, à l'amour de la patrie, à l'énergie virile. L'utilité du régime militaire ne se borne pas au FACTEURS PSYCHOLOGIQUES DES LUTTES GUERRIÈRES 9-^ rehaussement du caractère. C'est à lui principalement (jue sont dus les plus grands progrès de l'industrie moderne, surtout en ce qui concerne le travail des métaux. Les recherches faites pour perfectionner les armes ont doté l'industrie d'une précision scientifique et d'une hardiesse absolument inconnues il y a cinquante ans. De même les nécessités stratégiques amenèrent l'extension des réseaux de chemins de fer, furent l'origine de la plupart et ments dans l'art des perfectionne- naval. Les guerres, ou simplement les menaces de guerre, sont donc un des plus puissants stimulants moraux et matériels des peuples. L'esprit militaire constitue dernière colonne soutenant les sociétés modernes, pour cette raison mériterait la reconnaissance des peuples qui le maudissent. Ne déplorons pas trop l'anla et, tipathie réciproque des races. Sans elle, disparaîtrait toute crainte de guerre et. du même coup, notre civilisation. Si les arguments qui précèdent restaient sans action sur l'àme sensible, mais peu clairvoyante, des philanthropes, on pourrait placer sous leurs yeux les conséquences de la paix forcée pour un peuple. Un seul pays, l'Inde, jouit des bienfaits d'une tranquillité absolue depuis un siècle. Elle est une des plus vastes et des plus populeuses contrées du globe. L'expérience faite sur une aussi large échelle présente donc un grand intérêt. Les conséquences de celte paix forcée, imposée à 300 millions d'hommes par la main puissante de l'Angleterre, n'ont pas été longues à se produire. Rien n'entravant plus le développement de la population, elle acquit d'immenses proportions, augmentant d'après les statistiques, de plus de 30 millions pendant ces vingt dernières années; sa densité par kilomètre carré [lour les régions habitaldes 94 PSYCilOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE dépasse du double celle des pays les plus peuplés de l'Europe. Il en est résulté, c'était fatal, une misère aussi générale que 'profonde. Elle serait bien autrement intense encore si, suivant la vieille loi de Malthus, d'inévitables famines ne venaient décimer d'une façon périodique cette effrayante fourmilière. Or, ces famines, malgré les télégraphes et les chemins de fer. sont des désastres laissant loin derrière eux les plus sanglantes batailles. La seule province d'Orissa, en 1866, a vu périr de faim un million d'hommes; 1.200.000 sont moFts en 1868 dans le Punjab. En 1874, 1.300.000 Hindous furent enlevés par la famine dans le Dekkan. Que sont nos guerres comparées à de j)areilles hécatombes? Et la mort par la faim est-elle vraiment si supérieure à la mort par le canon, qu'il faille éviter à tout prix l'une pour se résigner à l'autre ? Les dissertations sur les avantages ou les inconvé- nients de la guerre ne présentent au surplus qu'un intérêt choisir, purement théorique. Nous n'avons pas à la mais bien à la subir, et par cela même mieux vaut en considérer seulement les côtés avantageux et surtout nous y tenir prêts. Le meilleur moyen de préparation aux luttes possibles est de développer cet ensemble de sentiments (|ui forme ce que l'on appelle l'esprit militaire. Il cduslilue la véritable puissance d'unearmée. Sans lui, et quel que soit son armement, un peuple n'est plus qu'un inconsistant troupeau sans résistance. Considérons donc comme les pires ennemis de la patrie, comme de dangereux malfaiteurs, les écrivains et les orateurs qui s'etforcent de détruire cet esprit dans les âmes. Le jour où il serait annihilé, rien ne nous resterait à perdre. La plus destructive des invasions mettrait fin à notre histoire. FACTEURS PSYCHOLOGIQUES DES LUTTES GUERRIERES 95 Répétons-le sans cesse, et ayons toujours présentes la pensée les sombres prévisions des écrivains militaires des divers pays sur les conséquences de la prochaine guerre qui menace l'Europe. N'oublions pas qu'elle sera une de ces luttes finales comme l'histoire en a déjà enregistré plusieurs et qui amènent la disparition définitive et totale de l'une des nations aux prises. Mêlées formidables ignoraiit la pitié et dans lesquelles des contrées entières seront méthodiquement ravagées jusqu'à ce qu'elles ne renferment ni une maison, ni un arbre, ni un homme. Ayons ces notions bien vivantes dans l'âme quand nous élevons nos enfants et nos soldats, et abandonnons aux j'héleurs les vains discours sur le paciQsme, la fraternité et autres futilités qui font songer aux discussions théologiques des Byzantins alors que à Mahomet pénétrait dans leurs murs. Des questions autrement vitales nous sollicitent. Pour éviter, ou tout au moins reculer la lutte, il faut être prêt à la supporter. Si elle devient inévitable, rappelons-nous que la victoire ne sera pas du côté des armées les plus nombreuses, mais de celui oîi se coaliseront les plus résistantes énergies. La guerre est question de psychologie tout autant que de sti-atégie. Aucun grand capitaine ne l'a ignoré. « A la guerre, dit Napoléon, tout est moral, et le moral et l'opinion font plus de la moitié de la réalité. » Peu importent les pertes. Le succès reste à qui sait le mieux les supporter. Abaissez le caractère des soldats et vous aurez les cohues de Xerxès. Elevez ce caractère, et vous aurez les guerriers de Léonidas. S'il est démontré que la valeur des armées se mesure au niveau de leur caractère beaucoup plus qu'à leur nombre, on voit que la guerre constitue bien, comme je le disais à l'instant, un problème psychologique. Ainsi rentre-t-elle essentiellement dans le cadre de ce livre. Un raisonnement très simple fera aisément saisir 9(j PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE rimportance du rôle joué, dans les batailles par les facteurs psychologiques. Tous les écrivains militaires s'accordent à reconque la quantité d'hommes dont une armée peut supporter la perte sans renoncer à la lutte est limitée. dès qu'une Des expériences séculaires le prouvent armée laisse sur le champ de bataille 20 p. 100 de son naître : considère comme vaincue. Ce chiffre 100 constitue ce qu'on pourrait appeler la limite démoralisatrice. La déroute n'est bien évidemment que le résultat dune impression purement psycholoirique et nullement une nécessité inéluctable, puis(jue l'armée, ainsi décimée, possède encore les (juatre cinquièmes, soil la plus grande partie de son effectif. Supposons maintenant qu'une puissance magique inlkience le moral de l'armée vaincue au point de la déterminer à une lutte indéfinie, ce qui, précisément, fut le cas des Japonais. Par ce fait seul que nous aurons modifié son état mental, et sans transformer ni son armement ni sa tacti(jue. la défaite va se changer en succès. La lutte continuant indéfini ment, le vainqueur finira forcément par perdre, à son tour, le cinquième de son effectif et atteindra alors ce que nous avons appelé la limite démoralisatrice. L'ayant dépassée, comme il ne possède pas le pouvoir de résistance magique dont, par hypothèse, j'ai doué son adversaire, c'est lui qui entrera en déroute. De vainqueur, il deviendra vaincu. Ce pouvoir miraculeux, décuplant la résistance des armées, n'est nullement inaccessible. Il dépend de l'éducation donnée aux soldats, de l'àme qu'on leur inculque. Certains sentiments peuvent constituer une force plus irrésistible que le nombre. L'histoire en lournit d'illustres exemples. effectif, de 20 elle se p. L'énergie du caractère n'est pas le seul facteur d'ordre psychologique intervenant dans le succès des FACTEURS PSYCIIOLOGIfjUES DES LUTTES GUERRIÈRES 97 Un autre existe d'importance égale je veux communauté de conduite ou, si l'on préfère, de doctrine. Elle représente le fruit d'une éducation spéciale, forcément très longue. Ses effets guerres. parler de : la ne se produisent que lorsqu'elle est arrivée à ancrer certaines notions dans l'inconscient de tous les officiers d'une armée. Alors seulement, ces derniers envisagent, avec une même optique mentale, les situations les plus inopinées et s'y comportent, par conséquent, de façon identique. La lecture des Mémoires du maréchal de Moltke montre les résultats de cette communauté de doctrine. On y voit, à chaque page et l'auteur n'omet pas de le faire remarquer, que lorsque, dans la guerre franco-allemande, une évolution imprévue de l'ennemi obligeait l'état-major à prescrire de nouveaux mouvements, ceux-ci étaient généralement commencés avant que l'ordre fût arrivé. Les Mémoires de nos généraux sur la guerre de 1870 révèlent, au contraire, qu'ils attendaient invariablement des instructions et ne bougeaient jamais sans en avoir reçu. Les premiers possédaient la discipline inconsciente, la seule permettant l'initiative; les seconds ne connaissaient malheureusement que celle du corps. Avec une très petite armée, la discipline externe suffit. Avec une grande armée, la discipline interne devient indispensable. Une éducation intelligente peut seule la créer'. — — la lecture d'un ouvrage publié par le Command'Elat-Major Gaucher sous ce litre Psychologie de ta Troupe et du Cominandemeiil. 11 y a réuni les conférences faites à des officiers en prenant pour hase les principes exposés dans mes deux ouvrages Psijcholoyie des /ouïes, 1. Je l'eoommande à ce sujel ilani : : Psijclwtogic de l'éducalion. CHAPITRE VI Facteurs psychologiquesdes luttes économiques. Les luttes à main armée dureront sans doute longtemps encore. Les haines de races et les conflits d'intérêts croissant à mesure que les peuples se connaissent mieux, les entretiendront fatalement. Mais. avec les progrès de la civilisation, elles se compliqueront de luttes économiques, d'ailleurs aussi meur- que celles des champs de bataille. Plus encore peut-être que les guerres sanglantes, ces luttes économiques seront la résultante nécessaire de la constitution mentale des nations. Dans un livre publié, voici bien des années, je trières montrais que le rapprochement de l'Orient et de l'Occident, sous l'influence de la vapeur et de l'électricité, aurait pour proche conséquence un conflit économique gigantesque entre Occidentaux et Orientaux. Très contestées alors, ces prédictions commencèrent à se réaliser par la lutte des Russes et des Japonais. Longtemps. l'Europe exporta ses produits en Orient, mais, graduellement, cet état de choses se modifie. L'Orient, jadis foyer de consommation seulement, devient aujourd'hui un centre immense de production. C'est lui qui envahit à son tour nos marchés, avec des produits industriels et agricoles fabriqués par des ouvriers dont les besoins très faibles les font se contenter d'un salaire bien moindre que celui FACTEURS PSYCHOLOGIQUES DES LUTTES ÉCOiNOMIQUES 99 de l'ouvrier européen. L'Europe essaie d'élever contre ces produits une immense muraille douanière. Nous verrons, plus loin, ce que vaudra prochainement une telle barrière. La borne actuellement à quelques produits agricoles, mais elle s'étendra rapidement. L'Inde, le Japon et bientôt la Chine nous menacent de leur concurrence sur tous les marchés. Munis de notre outillage, ils fabriquent les produits industriels dont l'Europe avait le monopole. L'Inde fournit maintenant à l'Angleterre les tissus de coton que les tisseurs de Manchester lui fournissaient jadis. Les « filés de colon », envoyés autrefois en Chine de Manchester, partent aujourd'hui de Bombay. Les produits fabriqués par des Hindous et lutte se industriels et des Chinois qui se contentent d'un salaire journalier très faible, valent ceux de l'ouvrier européen, et la concurrence des Asiatiques est telle que l'Amérique et l'Australie en sont réduites à les expulser. Déjà plusieurs grèves, celle des boutonniers de Méru, notamment, sont nées de la concurrence que nous font les Japonais sur les marchés étrangers. Lorsque le Japon, l'Inde et la Chine auront fini par installer chez eux, grâce à la houille qu'ils possèdent, de nombreuses usines et inonderont le monde de leurs produits fabriqués à vil prix, quelle barrière arrêtera leur extension commerciale ? L'ouvrier européen verra alors tomber son salaire au niveau de celui d'un Hindou, d'un Chinois ou d'un Japonais. Le gain de l'Oriental fixera celui de l'ouvrier européen. « Le régulateur du monde économique tendra toujours, a-t-on dit avec raison, à être, quoi qu'on fasse, le marché où le travail sera au plus bas prix. » Malgré le rêve socialiste, le salaire des Européens, loin de s'accroître, s'abaissera alors dans de notables proportions. Lorsque j'examinai ces hypothèses, il y a plus de vingt-cinq ans, les journaux anglais de l'Inde, tout en. 100 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE reconnaissant la justesse de mes prévisions, me répondirent que les ouvriers orientaux finiraient par avoir nos besoins et deviendraient, par conséquent, aussi exigeants que les confrères occidentaux. Dès lors, l'équilibre serait établi. Ils oubliaient, fait toujours, que le comme on le caractère psychologique de la plupart de ces races est trop stable pour se transformer. L'expérience le prouve, d'ailleurs, surabondamment. Les Chinois aflluent en Amérique depuis longtemps. L"image du luxe ambiant a-t-elle jamais modifié le genre de vie de l'un d'eux? La tasse de thé et la poignée de riz quotidienne ont-elles jamais été remplacées par le régime européen? Notre civilisation se trouve trop peu en rapport avec la constitution mentale de ces peuples pour exercer la moindre influence sur eux. Quiconque a fait travailler un ouvrier hindou sait, qu'aussitôt gagnés les cinq ou six sous nécessaires à sa subsistance journalière, l'appât des sommes Cette les plus tentantes reste sans action sur lui. révolution économique profonde, qui fera le sceptre de la j)roduction aux races de l'Amérique et de l'Asie et pourra ruiner l'Europe, n'est maintenant qu'à son aurore. L'heure paraît cependant prochaine où l'Europe verra se réduire immen- peut-être passer sément ses exportations. En ce qui concerne les produits venus de l'Amé- rique, ce jdiénomène est en voie d'accomplissement, les ouvriers américains étant des Européens possédant des besoins d'Européens, leurs productions ne descendront jamais à très bas prix. Ils ne peuvent donc être bien redoutables pour le vieux continent. Si ce dernier cesse de rien importer en Amérique, par contre, il n'a pas à craindre l'invasion des produits expédiés par elle. Tout autre est la question pour le Japon, la Chine et l'Inde. Comme l'Amérique, ces contrées refuseront nos produits inutiles, mais nous encombreront en outre des leurs, ou. tout au moins, nous créeront mais FACTEURS PSVCHOLOGKJLK.S DKS LUTTES ÉCO.\OMIQI une désastreuse concurrence sur gers. Déjà nos stocks les I.S 101 marchés étran- s'accumulent. Nos industries, n'ayant plus que la clientèle européenne, s'entre ruinent l'une l'autre. Elles devront un jour avilir leurs prix et, par conséquent, rédaire le salaire de leurs ouvriers. ne faut pas croire qu'en s'isolant du reste du barrière infranchissable de tarifs douaniers, l'Europe pourra se soustraire indéfiniment à la concurrence de l'Orient. Peut-être y parviendraitelle en arrivant à assurer sa propre subsistance, mais depuis longtemps sa population a pris une extension qui ne le lui permet plus. Les économistes ont calculé en effet que la plupart des Etats d'Europe cessent graduellement de proIl monde par une duire la nourriture nécessaire à leurs habitants. L'iso- lement réduirait donc l'Europe à la famine. Naturellement, pour éviter la fâcheuse perspective de mourir de faim, on abaissera les barrières douanières, mais avec quoi payer les produits destinés à Talimentation quand toute exportation sera impossible? Que deviendra la vieille Europe ployée sous ses milliards de dettes et de lourds impôts? Elle tombera peut-être alors dans la décadence, sort final de toutes et sa population, après des achèveront de l'épuiser, devra se réduire au chiffre qu'il lui sera possible de faire subsister. Ce jour-là, les économistes les plus endurcis commenceront peut-être à comprendre les inconvénients d'une progression trop rapide de la population et la supériorité réelle des Etats peu peuplés. Dans le conflit économique des races, dont nous entrevoyons l'aurore, la supériorité intellectuelle de l'Europe n'est pas assurément un facteur à négliger. Mais n'oublions point qu'en définitive elle reste le lot d'une élite fort restreinte et qu'au .point de vue du travail manuel, la plupart des peuples se valent, et ne sont supérieurs ni aux Japonais ni aux Chinois. les civilisations usées, luttes sanglantes qui 0. 102 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE La nécessité dans laquelle se trouvent les Américains Australiens de les expulser, par suite de la concurrence redoutable qu'ils font à leurs ouvriers, en constitue la preuve. et les Si la lutte intellectuelle et de l'Occident était une lutte entre les couches supérieures de leurs de l'Orient populations, l'issue n'en serait probablement pas douteuse. Mais il ne s'agit que d'un conflit économique entre couches moyennes à peu près égalespar leur niveau mental, mais très inégales par leurs besoins. Le succès final sera sans doute du côté des besoins les plus faibles. Toutes ces spéculations n'ont du reste qu'un intéLes problèmes de l'heure présente sont assez graves pour que nous puissions abandonner à nos fils l'étude de ceux de l'avenir. rêt lointain. CHAPITRE Vil Influences psychologiques de l'enseignement universitaire. Leibniz disait qu'avec l'éducation on peut transforans. Il aurait pu ajouter aussi mer un peuple en cent qu'avec une éducation mal adaptée, on déforme la mentalité d'un peuple en beaucoup moins de temps. Les succès scientifiques, industriels et économiques des Allemands, nés de leur enseignement universitaire depuis un siècle, ont justifié l'assertion de Leibniz. La décadence où nous conduisent nos méthodes classiques tend à vérifier également ce que je viens de dire sur les conséquences d'une éducation mal adaptée aux besoins d'un peuple. C'est un triste système celui qui crée un nombre immense de déclassés et de révoltés, qui fabrique tant de théoriciens bavards, incapables d'être utilisés dans un laboratoire ou une usine, et aptes seulement à répéter les démonstrations de leurs manuels-. Le problème de l'éducation est avant tout un problème de psychologie. Or, les principes fondamentaux de notre éducation classique, des écoles primaires aux écoles supérieures, reposent sur une série d'énormes erreurs psychologiques. Il en est résulté que notre Université est devenue une des causes principales de l'anarchie sociale qui nous ronge et de la décadence qui nous menace. Par un après-midi d'hiver assez sombre, je vis 104 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE moi un grand entrer chez fine, l'œil perçant. logie de l'éducation, de paraître, et, 11 la physionomie main ma Psychoneuvième édition venait vieillard, tenait à la dont la sans autre préambule, me tint ce discours « Notre système d'éducation ne peut durer. L'Université conduirait la France au dernier degré de la décadence. Je suis sénateur, membre de l'Académie des sciences et de l'Académie de médecine, ancien : professeur à la Faculté, et possède, par conséquent, plusieurs tribunes. L'attention doit être attirée sur les idées que vous avez exposées. Il faut m'aider dans cette tâche, en me fournissant des notes, des renseignements, pour un discours documenté au Sénat. » Je ne connaissais pas personnellement alors mon interlocuteur et savais seulement qu'à l'époque où il exerçait sa profession, il passait pour le plus habile chirurgien de son temps. Une telle indication suffit à préciser son nom. La visite de l'illustre académicien se répéta plusieurs fois. Le résultat de nos discussions fut que. pour changer notre enseignement, il serait nécessaire de transformer d'abord l'àme des chefs de l'Université puis celle des professeurs et enfin celle des parents et des élèves. Devant cette évidence, l'éminent sénateur renonça de lui-même à son discours. Peu de questions suscitent autant de livres, de documents et de brochures que l'éducation. Aucune ne montre mieux combien restent tenaces les idées héréditaires des peuples et par quelle impérieuse tyrannie le passé les enchaîne. Le problème de l'éducation française donne lieu, en efTet, à cette double constatation nécessité universellement reconnue d'une réforme et impossibilité complète de la réaliser. : Législateurs, professeurs, savants. lettrés, sont una- IXFIl'ENCE DE L ENSEIGNEMENT UNIVERSITAIRE 105 ninies à trouver notre système d'enseignement détes- que le temps passé au lycée et à primaire est un temps perdu. Personne n'ignore que l'homme désireux de réussir dans la vie doit refaire tout seul son instruction et consacrer la seconde partie de son existence à détruire les illusions, les erreurs et les modes de penser acquis dans la première. L'accord est complet sur tous ces points et cependant, malgré les efforts journellement tentés, notre système d'éducation n'a réalisé aucun progrès depuis table et à répéter l'école cinquante ans. Chaque changement n'aboutit, au contraire, qu'à accentuer ses défauts. Il est utile de mettre en évidence les causes de cette Une idée erronée se trouve base de toutes les réformes si vainement essayées. Remanier des programmes n'est pas changer l'erreur psychologique qui les inspire. Si nous modifions toujours sans succès les règlements universitaires, c'est parce que ce sont les méthodes d'enseignement et non les programmes qu'il faudrait changer. Jamais nos professeurs n'ont pu arriver à cette conviction. Ils ne se rendent pas singulière impuissance. nécessairement à la compte qu'avec leurs procédés mnémoniques, leurs raisonnements théoriques, abstraits, sans base concrète, l'élève ne saurait apprendre à observer, réfléchir, raisonner, juger et acquérir de la méthode. Au lecteur qui voudra étudier l'impuissance irréductible des universitaires à saisir les causes de la faiblesse de notre éducation, je recommande la lecture des deux discours sur l'enseignement prononcés devant l'Association française pour l'avancement des sciences, par M. Lippmann, professeur à la Faculté des sciences de Paris, et M. Appell,doyen de la même Faculté. — et sur ce commence par prouver que d'accord avec tous ses. collègues l'enseignement à ses divers degrés est tombé en France à un niveau extrêmement bas. La supériorité écra- M. Lippmann point, il est — 106 PSYCHOLOGIE rOLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE santé de l'enseignement des universités allemandes mondiale lui semblent démontrées. Impressionné par de tels faits, le distingué physicien a réfléchi longuement sur les causes du mal et sur les remèdes. Sa laborieuse méditation n'a pas été heureuse. Ses conclusions prouvent uniquement à quel point de grands spécialistes sont incapables d'observer et de et leur influence raisonner dès qu'ils s'écartent de leur spécialité. Il n'irait pas loin le pays gouverné par un aréopage de savants, comme de candides philosophes l'ont jadis proposé Si M. Lippmann n'était pas un homme grave, parlant devant des gens très graves, on le soupçonnerait volontiers de s'être moqué de ses auditeurs. Ce qu'il leur a révélé est, en elTet. bien singulier. « Notre enseignement ne demeure si déplorable, dit-il, que parce qu'il vient de Chine et a été importé par les Jésuites Quant à le réformer, rien n'est plus aisé. Il suffirait de « libérer les Universités du joug du pouvoir exécutif... » et lui « retirer la collation des grades ». Etrange aberration Toute la puissance du pouvoir exécutif ne se borne-t-elle pas à signer les diplômes que rUniversité seule délivre! Il faut fermer les yeux ù l'évidence pour découvrir de telles causes à une situation créée uniquement par nos méthodes d'enseignement. Les conceptions de M. Lippmann sont, comme on le voit, d'une naïveté un peu excessive. Celles émises par M. Appell, dans son discours, méritent, au même degré, un semblable qualificatif. Chaque ligne trahit ! ! )' ! l'incertitude de extraits suivants la pensée. On en jugera par les : L'administration voit le mal et clierche activement le remède consisterait surtout à établir des relations suivies entre les. écoles normales primaires et l'enseignement supérieur (!!). ; il Plus loin, il propose comme grande réforme la INFLUENCE DE l'eNSEIGNEMENT UNIVERSITAIRE 107 suppression d'une partie des cours du Muséum et sa transformation en « Institut national des collections ». L'auteur a fini par sentir la faiblesse de pareilles idées. Dans un article récent, il revient sur le même sujet et assure que : classement des matières dçs seconde l'application de ce rapport dans l'université active comme dans son administra- La première réforme programmes par valeur serait le utilitaire et la tion, tel enseignement restreint et tel autre supprimées et telles autres créées. élargi, telles chaires On le voit, aucun de ces éminents spécialistes n'es^ «ncore arrivé à comprendre (jue ce qu'il faut modilier ne sont pas les programmes, mais les méthodes. Proposer d'allonger ou de raccourcir les premiers, de supprimer certaines chaires ou d'en fonder d'autres, représente une phraséologie vaine, sans nulle idée directrice pour soutien. Dans le numéro même de la revue oîi paraissait le discours cité plus haut se trouvait un travail de M. Le Chatelier, très apte à faire saisir aux nombreux universitaires, raisonnant comme M. Appel, la différence séparant l'homme dont l'éducation pratique a formé le jugement et celui qui s'est borné à apprendre des manuels et des théories abstraites. L'auteur suppose, cas d'ailleurs plusieurs fois observé, deux ingénieurs chargés d'installer des fours Siemens à chaleur régénérée. Impossible d'utiliser les indications livresques, car il existe une centaine de modèles de ces fours, et rien ne servirait même de les connaître tous, la conduite de chacun d'eux variant entièrement, suivant les innombrables qualités de charbons employées. L'homme des manuels est complètement perdu. Il tâtonne au hasard, et, après avoir fait dépenser à son usine des sommes considérables et un temps précieux, en est réduit à recourir aux lumières d'un spécialiste. L'ingénieur dont l'instruction n'a pas été édifiée uniquement, comme en France, sur la mémoire, et dont le jugement scientifique s'est exercé 108 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE sur des réalités, procède d'une façon très différente. Dans une série d'observations, il s'astreindra à ne faire varier à la lois qu'une seule des conditions de l'expérience un jour le mode de soufflage, un autre la nature du charbon ou enfin la quantité d'eau envoyée au cendrier. Ces tentatives méthodiques lui permettront de juger dans chaque cas des résultats de telle ou telle modification et le conduiront peu à peu à obtenir une marche normale de son gazogène. Le temps : perdu sera minime ' et la dépense insignifiante. Chaque période de l'histoire des peuples réclame une éducation nouvelle, parce que le milieu change et que naissent de nouvelles nécessités. Le tort de la nôtre est de n'avoir pas su évoluer. L'éducation française, écrivait récenuuent un ancien ministre, est purement livresque. Nos jeunes hommes sont traînés jusqu'à vingt-cinq ans sur les bancs des écoles où tandis (|ue leurs culottes s'usent, leur esprit s'amincit ils n'apprennent plus rien à la fin qu'à répéter des leçons verbales et formelles qui les rendent remarquablement inaptes à la vie. L'existence de notre élite tourne ainsi à un remuement de paperasses indifférentes ou au repolissage sempiternel de formules déjà usées. Cette ignorance, ce dédain des réalités, cette fausse appréciation des valeurs sociales est la base de elle contamine la plupart de nos notre éducation moderne professions libérales. M. Hanotaux, ; : Certains principes formulés en quelques lignes ont des conséquences dont l'exposé demande- parfois rait un volume. Les principes psychologiques si erronés qui servent de hase à notre enseignement supérieur '', secondaire et primaire ont fini par s"in- mêmes méitiodes mnémoniques font la base do toui enseignement de l'école primaire au.x. facultés de médecine. Le Matin du 18 mars 1910 a publié le manifeste suivant signé d'un grand nombre de médecins à propos du concours d'agrégation. 1. Les universitaire, n Ce que nous demandons, même temps que disent-ils, parce ((ue cela est notre intérêt en un enseignement pratique et technique. congrès médicaux, à Paris et à Lille, nous réclamons celte réforme, on néglige de nous répondre. Le concours d'agrégation est éminemment injuste. On ne peut juger un candidat sur une composition écrite. Les épreuves de ce concours sont toutes théoriques. Les épreuves pratiques, qui seules devraienl compter, n'existent pas. » Quand dans nos l'intérêt public, c'est différents INFLUENCE DE L ENSEIGNEMENT UNIVERSITAIRE sinuer jusque dans l'enseignement technique. appelés à ruiner notre industrie nationale. Ils 109 sont Notre université ne donne pas et n'a jamais cherché de caractère qui font la vraie valeur de l'homme dans la vie. Elles soni très inutiles il est vrai pour le professeur ou le bureaucrate, mais indispensables dans toutes les donner d'ailleurs à les qualités autres professions et tous les métiers. Les Anglais y attachent au contraire une importance considérable. Les faits observés dans leurs colonies auraient suffi à leur montrer cette importance. Les Hindous doués d'une mémoire merveilleuse réussissaient admirablement dans les examens conduisant aux emplois supérieurs du gouvernement de l'Inde, et pourtant après des expériences répétées, il fallut, par suite de l'infériorité manifeste de leur caractère, les éliminer progressivement. Le passage suivant du remarquable ouvrage de M. Chailley Inde britannique fera parfaitement saisir la différence établie par les Anglais entre l'instruction U purement intellectuelle et les caractères. Les Hindous n'allèguent jamais que talent et habileté les Anglais se préoccupent surtout du caractère. Qu'est-ce? C'est la valeur morale de l'homme le sang-froid, quand il s'agit de décider, et la rapidité quand il s'agit d"agir; la conscience, pour tenir tête à qui tente; l'énergie, à qui menace. C'est le sentiment du devoir envers le paj^s et envers soi-même. L'intelligence, attestée par de brillants concours, des discours éloquents ou d'ingénieux écrits, les Anglais n'en font que le cas qui convient. Ce sont pour eux des mérites de second ordre. Lord Lawrence n'était certes pas, en son temps, le civilian le plus orné de talents, le plus doué d'habileté, (in le choisit cependant entre tous pour en faire un vice-roi c'est qu'il possédait au suprême degré ces dons incomparables, la <lroilure, la ; : : volonté. Comment dont se cultivent ces qualités les plus utiles sont l'empire de caractère sur soi et la disci10 110 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFEXSE SOCIALE Je n'ai pas à l'examiner pliiie? ailleurs ici layaiit déjà fait K Si le lecteur désire connaître, en regard des tristes procédés mnémoniques et des raisonnements vides de notre Université, des méthodes fixant définitivement les choses dans l'esprit, je pourrais l'engager à visiter les élaldissements d'enseignement de l'Allemagne. Mais il retirerait trop d'humiliation de son voyage. Je lui conseillerai donc seulement la lecture du livre de Buyse sur les systèmes américains d'éducation, ouvrage auquel l'Académie royale de Belgique vient de décerner une de ses plus hautes récompenses. En voici un court résumé, emprunté au professeur Jac- quemin : Tuule l'éducatiuiî et loule riusU-uctiou américaines reposent sur l'eirort personnel le système appliqué dès la première année de Técole primaire s'élargit avec lage, les exercices ; pratiques sont toujours à la base, quand bien même il s'agirait de littérature celle-ci devient un travail de laboratoire, car elle sassocie intimement avec le dessin et le modelage. Foin de renseignement par la parole du maître On fait agir les enfants comme s'ils étaient seuls au monde, en toute liberté de même que dans les. sciences pures et appliquées l'élève arrache aux appareils et au matériel d'expérimentation le secret des phénomènes et des lois qui les régissent, de même tontes les branches d'enseignement, jusqu'aux plus abstraites, sont présentées sous : ! ; 1. Le< cxiraiis suivants d'une lettre reçue de M. le capitaine d"ét<tl-major C... du 21' dr.igijn<. condensent parfaitement les principes que j'ai exposés et qui sont tout aussi applicables aux élèves d'une classe qu'à des recrues. « Permette? à un oflicier fervent de son métier de vous dire combien il a été Il appé du la sûreté de main avec laquelle vous avez touché aux choses de l'armée. Imposer avant tout aux hommes une ferme discipline externe, la discipline interne succédera bieniot par association inconsciente de réflexes. Ce ne sera plus alors ipi'un jeu de se faiie aimer et pour peu qu'on ait quelque prestige personnel, un peu de bonté, on verra comme par miracle surgir autour de soi d'incalculables dévouements. Que de chefs oui l'esprit fermé, hélas à toutes ces vérités écla- tantes ». L'auienr oublie d'ajouter que, hypnotises par les idées socialistes à la mode, officiers en sont arrivés à la théorie de la discipline rai- beaucoup de jeunes sonnée et voUinlaire. est faire On Ils discutent avec leurs subordonnés, dissertent, expli- mais jamais débuter de celte façon. L'ignorer preuve d'une bien grande méconnaissance psychologique et empêcher quent, etc. pour toujours peut finir par la là, création d'une disciplLoe. INFLUENCE DE l'eNSEIGNEMENT UNIVERSITAIRE 111 formes concrètes (jui nécessitent pour ètn; assimilées aussi l'habileté des mains que la vivacité de la pensée. ...Quel ((ue soit le système pédagogique, on trouve toujours le travail manuel à sa base, vrai fond de l'étude: ce principe du travail manuel, base de l'éducation, est entré dans les écolt.'s américaines par la voie frœbelienne et par la voie technique. Kii'S bii'ii .Mêmes principes en Angleterre. J'extrais d'une culaire adressée aux professeurs par le Scolcli cation Department les lignes suivantes cir- Edu- : L'acquisition d'un certain nombre de faits n'est pas le premier objet de l'enseignement, qui doit surtout viser à implanter dans l'esprit de l'enfant l'habitude de l'investigation exacte, méthode qui peut devenir un moyen de discipline mentale de l'ordre le plus élevé. du travail est l'étude par chaque pour lui-même, d'un problème défini au laboratoire, et que les démonstrations du professeur doivent prendre une place secondaire. Le travail au laboratoire peut être précédé par les explications nécessaires pour faire comprendre aux élèves la question à étudier il doit être suivi par la comparaison des résultats obtenus, la discussion des divergences et l'établissement des conclusions générales. La démonstration du professeur peut être employée à confirmer ces conclusions, ou à illustrer leui" portée. C'est l'affaire du maître, de _guider et de diriger, d'éveill«r l'intérêt, de suggérer de nouveaux problèmes // ne doit jamais se contenter d^ exposer des résulIl suit de là que l'essentiel élève, individuellement et ; ; tats tout faits. Ces méthodes ne constituent certes pas des nouveautés. Elles sont en usage à peu près partout, sauf dans les pays latins, et ont contribué puissamment à prospérité scientifique et économique de l'Allemagne. Nous ne les adoptons pas, parce qu'il faudrait commencer, comme je le disais plus haut, par transla former d'abord l'àme des professeurs, puis celle des parenls, et, enfin, celle des élèves. Celle des professeurs surtout. Eduqués suivant des méthodes mnémoniques, pourraient-ils en enseigner Toutes les tentatives accomplies dans ce sens ont misérablement échoué. L'a mentalité des professeurs, créée par l'enseignement classique, est d'autres? 112 lixée PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE pour toujours. Formés par mourront dans les les livres, ils les livres, livres. guidés par Le monde réel leur restera toujours fermé. Pourquoi devrait-on, après avoir changé la men- des professeurs, modifier aussi celle des parents puis des élèves? Simplement parce que les uns et les autres ne demandent à l'Université qu'une chose mettre promptement les jeunes gens en mesure de passer des examens. Or, pour y réussir, le procédé le plus rapide consiste évidemment à apprendre par cœur une série de manuels. Ces derniers dotent de talité : connaissances très éphémères, mais suffisantes pour l'examen. Les rares professeurs partisans de la méthode expérimentale, seule capable de former l'esprit, mais inutile pour l'examen, seraient vite éliminés par les grands chefs de l'Université. Ceux qui l'ont tenté furent toujours très mal vus. On leur répète que le temps consacré par l'élève à observer serait beaucoup plus utilement employé à apprendre par cœur des livres, de façon à pouvoir les réciter imperturbablement le jour de l'examen. Les parents émettent un avis absolument identique. Le but de l'Université n'est pas du tout d'ailleurs de former des hommes, mais de leur apprendre un beau langage. Elle en paraît très fière. Parlant dans son discours de réception à l'Académie de u la formation universitaire », M. Dùumic donne les explications suivantes: d'ailleurs Nous savons très bien en quoi elle consiste et à quoi elle façonne, par la discipline de l'antiquité, des lettrés qui, rendus sensibles au mérite de composition et à la valeur d'art des œuvres classiques, en deviennent pour leur compte capables d'ordonner leurs idées avec méthode et de les traduire dans un langage irréprochable. On a beaucoup médit de cette sorte de culture, certes! et on continue, et on continuera; seulement on n'arrive pas à en inventer une autre. aboutit On : elle n'y arrive pas en France, en effet, et c'est ce qui constitue précisément l'incurable faiblesse de notre Université. Le lecteur de ce chapitre sait qu'on y est arrivé ailleurs. INFLUENCE DE l'eNSEIGNEMENT UNIVERSITAIRE 113 De simples instituteurs ont quelquefois sur les méthodes d'éducation des idées beaucoup plus justes que celles des académiciens. On en pourra juger par le passage suivant d'un manifeste récent de cale des instituteurs de la Marne « l'Ami- ». pas montrer, c'est apprendre à voir; ce suggérer; ce n est pas entraîner, c'est orienter: c'est mieux qu'instruire, c'est rendre apte à observer, à penser, à se déterminer soi-même, ;i agir. Enseigner ce n'est pas n'est révéler, c'est On s'étonne souvent de voir le socialisme le plus révolutionnaire recruter ses adeptes parmi les professeurs, du normalien à l'instituteur. L'Opinion a publié le résultat d'une enquête démontrant qu'un grand nombre des élèves de l'Ecole normale supérieure font groupes socialistes extrêmes, c'est-à-dire rêvant la destruction complète de l'état actuel. Cette mentalité n'a rien de surprenant, étant données les idées inculquées par l'Université. Elle établit comme dogme indiscutable que le mérite des hommes se classe uniquement d'après leurs diplômes. En bas, le bachelier, un peu plus haut le licencié, plus haut encore, le docteur et, enfin, au-dessus de tous les autres, l'agrégé. Le professeur possédant ces titres, se croit volontiers d'une essence supérieure. Constatant ensuite que, malgré cette supériorité supjiosée, il jouit dans la vie d'une considération restreinte, d'appointements assez modestes, la nécessité s'impose à son esprit de bâtir une société nouvelle capable de lui donner la place élevée due à ses mérites. Un examen plus attentif des choses lui apprendrait vite que. dans le monde, les hommes se classent d'après des mérites très difTérents de la partie des mémoire, seule faculté nécessaire à l'obtention des diplômes. Les faits ne modifient nullement la mentalité de nos professeurs, ils n'y voient qu'injustice et ne font 10. 114 PSYCEOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE que haïi' davantage la société dont ils se croient vicUmes. Le socialisme révolutionnaire des intellectuels est en réalité un produit universitaire. Leur rancune déjà grande contre l'état social est devenue féroce lorsqu'une loi nouvelle les a contraints au stage de la caserne sous les ordres de caporaux souvent peu lettrés et parfois assez rudes. Une société où le licencié et le docteur peuvent être commandés par des ignorants est sûrement mal organisée et on ^loit se hâter de la refaire Ce passage des intellectuels à la caserne est également une des causes les plus actives du développement de l'antipatriotisme et de l'antimilitarisme parmi eux. Des couches supérieures de l'Université, ces sentiments sont descendus aux instituteurs, où ils se sont rapidement développés. ! L'instituteur, écrit Pau! Adam, soulTrit tcllenient dans la cliani- devint un antimilitariste hargneux, il est trop simpliste encore pour concevoir l'effroyable péril d'une propagande de désarmement lorsque la barbarie des pangermanistes augmente sans cesse le budget de l'offensive allemande, et renforce ses moyens de lancer brusquement |)ar-dessus notre frontièri' d'innombrables armées. L'instituteur livre la nation pieds cl [)oings liés à ses ennemis. hrée, qu'il Et c'est ainsi que les professeurs de tout ordre, se tournent de plus en plus vers les pires doctrines anarchistes. Dans le laisser-aller général, les ministres n'osent pas endiguer ce redoutable courant qu'aurait vite supprimé une volonté forte. Quel symbole que cet instituteur entamant un procès contre le ministre de l'Instruction publique, simple serviteur de la démocratie, dont lui, instituteur, était un mai Ire ({ui, retenu par un ambassadeur s'était permis de le faire attendre un quart d'heure. Quelle hypertrophie de la vanité égalitaire! Quel chemin les illusions créées par l'enseignement universitaire ont-elles dû faire dans des esprits mal dégrossis pour les conduire jusque-là Ne les critiquons pas trop cependant, ces modestes — ! — INFLUENCE DE l'eNSEIGNEMENT UNIVERSITAIRE 115 que l'enseignement supérieur manuels devenus leur Bible sont géné- instituteurs. Ils sont ce les a faits. Les ralement rédigés, en effet, par des maîtres de l'Université parmi lesquels figurent des académiciens et des professeurs à la Sorbonne. Beaucoup de ces livres sont malheureusement peu recommandables. On s'étonne d'y rencontrer tant de preuves d'une mentalité de fanatiques. Les journaux les moins suspects de cléricalisme ont relevé récemment les jésuitiques interprétations de l'histoire contenues dans un de ces manuels rédigé par un professeur de la Sorbonne des plus connus. Il faut remonter k l'époque de l'Inquisition pour rencontrer d'aussi sombres sectaires. Si ces fastidieuses élucubrations ne dégageaient pas un mortel ennui, elles influeraient de la plus dangereuse façon sur l'imagination des enfants et nous feraient une génération d'antipatriotes et de révoltés. C'est un spectacle attristant de voir des professeurs en Sorbonne, des académiciens, etc., réduits pour plaire aux maîtres de l'Université à interpréter au gré des idées du jour les faits historiques du passé. Quelques-uns poussent la crainte jusqu'à ne plus oser ])rononcer le nom de Dieu dans leurs manuels, n'hésitant pas pour y réussir à défigurer même les fables •de La Fontaine! Chacun connaît l'histoire du petit poisson . Petit poisson deviendra grand Pourvu que Dieu lui prêle vie. Les auteurs des nouveaux manuels écrivent grave- meni . Petit poisson Pourvu qu'on deviendra grand lui prête la vie. Voici à quelles platitudes on arrive pour flatter des chefs de bureaux et obtenir des souscriptions! Il est un peu humiliant de voir des hommes éminents comme M. Lavisse, membre de l'Institut, se prêter à de pareilles besognes. On lui a fait remarquer que dans la dernière édition de son manuel d'Histoire •de France, il n'avait plus osé parler de Sainte-Gene- 116 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE viève et avait eu soin de biffer dans une phrase expliquant le génie d'un grand homme le mot Dieu. L'inquisition cléricale n'était assurément pas plus sévère que l'inquisition libre penseuse! Le livre dans lequel j'ai exposé les principes psychologiques qui devraient être la base de l'éducation eut beaucoup de lecteurs, à en juger par ses nombreuses éditions. Néanmoins, son influence sur les universitaires est restée très faible. Confinés dans de rigoureux programmes, les professeurs ne peuvent enseigner que les matières de ces programmes, et les enseignent nécessairement avec les méthodes qui servirent à leur propre instruction. Cependant, nos recherches ont fini par trouver un écho dans la très importante école destinée à former nos futurs généraux. Je veux parler de l'Ecole de guerre, soustraite entièrement, comme on le sait, à l'influence de l'Université. Desavants maîtres, le général Donnai, hier, le colonel de Maud'huy, aujourd'hui et quelques autres y inculquent à une brillante élite d'officiers les principes fondamentaux développés dans la Psijchologie de V éducation. Parmi les plus importants se trouve celui que j'ai choisi comme épigraphe réducation csl Vart de faire passer le conscient dans l'inconscient. Ainsi que je l'ai déjà dit dans un autre chapitre, M. le commandant Gaucher a publié sous ce titre Etude sur la Ps)/rhologie de la J^roupe et du Commandement, un livre destiné aux officiers, et basé sur les méthodes d'éducation que j'ai fait connaître. Ce succès, un peu inespéré, prouve qu'il ne faut jamais hésiter à dire ce qu'on doit dire même quand on est seul à le dire^ : : 1. Je dois reconnaîiro que si les idées exposées dans mou livre ont eu peu de suc'-ès en France, elles en ont obtenu beaucoup à Tétranger. Le grand-duc Constantin Constantinovich, président de l'Académie des sciences et grand-maitre des Ecoles militaires de Russie, l'a fait traduire en russe pour l'enseignement dans les écoles qu'il dirige. INFLIKXCE DE I. ENSEIGAEMENT UNIVERSITAIRE Un grand nombre d'enseignements 117 se dégagent de des infructueuses tentatives accomplies pour modifier notre système d'éducation. Si les législateurs cherchaient quelquefois dans l'expérience, et non dans des intérêts immédiats, leurs mobiles d'action, ils y trouveraient une preuve nouvelle, de l'inutilité des réformes accumulées constamment sans, comprendre que l'àme d'une nation ne se refait pas avec des lois. Les lois, je le répète encore, sont efficaces lorsqu'elles expriment la mentalité d'un pays, mais elles ne la créent jamais. Il faudra sans doute bien des revers économiques, bien des bouleversements, pour graver dans nos esprits ces notions fondamentales que la science et l'industrie ont conduit le monde à une phase d'évolution où certaines facultés, jouent un rôle prépondérant dans la vie des peuples. Les futurs maîtres de la science, de l'industrie et du commerce seront des hommes possédant initiative, esprit d'observation, volonté, jugement et domination d'eux-mêmes. Voilà les qualités que nos méthodes officielles n'ont jamais encore essayé de nous inculquer. Le président de l'enquête parlementaire sur l'éducation, M. Ribot, est arrivé à cette conclusion que notre enseignement est en grande partie responsable des maux de la société française. Je n'hésite pas à dire, après avoir longuement étudié la question, que notre Université est un des lléaux de la France. l'histoire : : LIVRE III LE GOUVERNEMENT POPULAIRE CHAPITRE L'Élite et la I Foule Le monde moderne se trouve en présence d'un problème, lentement grandi à travers les siècles et qu'il faudra résoudre sous peine de voir certains -é peuples sombrer dans la barbarie, Une des caractéristiques les plus certaines, quoique fort méconnue de la civilisation actuelle, est la différenciation progressive des intelligences et par conséquent des situations sociales. Malgré toutes les théories égalitaires et les vaines tentatives des tuelle ne fait codes, cette différenciation intellec- que s'accentuer, parce qu'elle résulte de nécessités naturelles entièrement soustraites à iluence des l'in- lois. technique sont devenus les vrais modernes. Par sa complication progressive, cette technique a fini par exiger des connaissances théoriques et pratiques si vastes, des initiatives si hardies et un jugement si sûr, que seuls, des esprits supérieurement doués peuvent se hausser à un pareil niveau. Or, en même temps que Les progrès de moteurs des la civilisations L ELITE ET LA uy- FOULE capacité des dirigeants s'est accrue, celle des simples exécutants s'est trouvée réduite. La division du travail, le perfectionnement des machines, ont rendu le rôle du travailleur à ce point facile que l'apprentissage est presque inutile aujourd'hui. la Ainsi, se sont formées des classes distinctes, sépa- rées par un fossé chaque jour plus large. L'éducation permet bien rarement de le franchir, parce qu'elle ne dote que d'une faible partie des qualités nécessaires pour réussir maintenant. très irritant pour les Il est évidemment dominés par la passion égalitaire, de voir esprits le rôle des élites tellement grandir qu'on ne saurait se passer mais ce phénomène était inévitable. Examinez séparément tous les éléments d'une civilisation et vous saisirez vite l'importance des élites. C'est d'elles seules qu'émanent les progrès scientifiques, artisti- d'elles, ques, industriels qui font la force d'un pays et la jtrospérité de millions de travailleurs. Si l'ouvrier gagne trois fois plus aujourd'hui qu'il y a un siècle et jouit de commodités que ne possédait pas un grand seigneur du temps de Louis XIV, il le doit uniquement à des élites travaillant pour lui, beaucoup plus ne travaille pour elles. Par cela même, en effet, que le rôle des élites grandissait sans cesse, leur labeur s'accroissait aussi. La journée de huit heures n'est pas faite pour elles. C'est seulement par d'écrasants efforts que les élites modernes, celles de l'industrie surtout, réalisent découvertes et progrès. Elles atteignent souvent à cette opulence qui chagrine tant les esprits égalitaires, mais, en réalité, les élites industrielles oscillent toujours entre la richesse et la ruine, sans pouvoir qu'il espérer un état intermédiaire. La richesse, si tout est rigoureusement prévu, combiné et dirigé. La faillite et la ruine, si la i)lus légère erreur est commise. Le grand industriel n'a plus le droit de Se tromper. Sous des dehors parfois fastueux se cachent souvent de 120 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE sombres soucis. Vient-il d'édifier une usine munie des meilleures machines, brusquement une découverte nouvelle, une concurrence inopinée, l'oblige à tout recommencer. La concurrence est devenue si âpre, les découvertes des laboratoires si soudaines, l'instabilité si générale que la quiétude d'esprit est interdite à l'homme qui dirige une entreprise quelconque Dans ^. Comme le firent les monde antique on ne pouvait s'enrichir Romains, qu'en ruinant les autres. Dans les temps modernes il est difficile de s'enrichir sans enrichir en même temps les autres. C'est ce qu'a le très bien vantes résumé M. d'Avenel dans les lignes sui- : ()n «"enrichissait aux temps féodaux par la çrucire privée, en ruinant ses voisins; plus tard par Tusure puliliiiuc en s'apppropriant les fonds de l'Etat. f)n s'enrichit aux trnips actuels en enrichissant ses voisins et l'Etat. La richesse nouvellement conquise n'est ])ninl dérobée au peuple, ni obtenue du roi, mais bien créée, tirée du néant parla sicience et ; celte accompa£rnée d'un conquête individuelle de quelques-uns est iïain collectif de tous. iTnn aain vraiment social. ici du rôle .les élites est tri;? sommaire, donc irii-omconséquent inexact sur bien des points. L'industriel créateur dont j'ai parlé constitue l'exception. 11 tend de plus en plus se dégager des responsabilités en mettant son industrie en actions. Même dans ce cas apparaît encore le rôle des capacités supérieures. D'après des renseignements obtenus l. Li- tableau tracé plel et par :'i de diverses sources, surtout en Belgique, des entreprises qui, gérées par des patrons rapportaient 10 à 12 p. 100, ne rapportent guère que 4 p. 100 soit trois fois moins dès quelles sont mises en actions. Beaucoup même n'échappent pas à la faillite. 11 s'en [anl également, et de beaucoup, que, dans alTaires financières surtout, les rétributions soient les alfaires industrielles, les toujours proportionnelles à la Ce qui est rétribué surtout, ce sont des relations utiles. Un journal bien faisait remarquer que la plupart des individus engagés dans les finances généralement d'une intelligence fort méd'.O' re. .^impies placiers d'affaires pour la plupart, les remises qu'ils obtiennent leur assurent cependant une situation brillante. Les bénéfices sont le plus souvent sans aucun rapport avec les services rendus. Un journal a signalé, sans être démenti, que chacun des douze administrateurs d'une de nos plus grandes sociétés de crédit s'attribuent aux dépens des Actionnaires un traitement annuel d'environ 300.000 francs pour un travail à peu près nul. Des faits analogues justifient cerlnines diatribes des socialistes. On ne peut les défendre qu'en les rev;onnai?sanl inévitables. capacité. informé étaient L ELITE ET 121 1 Donc, les civilisations du type moderne créées par des élites, ne peuvent vivre et évoluer que par elles. Cette première constatation était nécessaire pour comprendre le problème auquel j'ai fait allusion en commençant. Ce problème, le voici Tandis que les progrès scientifiques amenaient les élites de mentalité supérieure à diriger le mécanisme de la vie moderne, les progrès des idées politiques conféraient de plus eu plus à des foules de mentalité inférieure le droit de gouverner et de se livrer par l'intermédiaire de leurs représentants aux jdus dangereuses fantaisies. Sans doute, si la foule choisissait pour conductrices : mènent la civilisation, le problème mais ce choix n'est qu'exceptionnel. Un antagonisme qui s'accentue chaque jour séparé la multitude des élitr^s. Jamais ces dernières jamais ne furent plus nécessaires qu'aujourd'hui cependant elles ne furent aussi difficilement supportées. L'élite intellectuelle pauvre est à peu près tolérée parce qu'ignorée. L'élite industrielle opulente les élites actuel qui serait résolu, ; n'est plus acceptée et les lois sociales, édictées par les représentants des multitudes, visent continuellement à la dépouiller de ses richesses. C'est ainsi que les sociétés actuelles ont fini par se diviser en classes distinctes dont les luttes roiH|iliront l'avenir. Comment oppositions? Comsans laquelle un pays ne peut subsister et une masse immense de travailleurs, aspirant à écraser cette élite avec autant de fureur que les Barbares en mirent jadis à saccager ment faire concilier de telles vivre ensemble l'élite, Rome"? Le problème est difficile mais non insoluble. L'histoire nous apprend que les foules, très co'nservatrices. malgré leurs instincts révolutionnaires apparents, 11 1-2 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE ont toujours rétabli ce qu'elles avaient détruit. Le plus destructeur des triomphes populaires ne modifierait donc pas longtemps l'évolution d'un peuple. Mais les ruines accumulées en un jour demandant parfois des siècles pour être relevées, mieux vaut tâcher de les éviter. Un remède d'asitecl 1res simple serait de restreindre pouvoir populaire. Sa simplicité même séduit beaucoup d'esprits Ce moyen est cependant chimérique. L'évolution démocratique des gouvernements dans tous les pays montre qu'elle correspond à certaines nécessités mentales contre lesquelles les récriminations resteraient vaines. Une élémentaire sagesse conseille de s'adapter à ce qu'on ne peut empêcher, r/est donc aux élites à s'adapter au gouvernement populaire et à endiguer et canaliser les fantaisies du nombre, comme l'ingénieur endigue et canalise la force d'un torrent. Constatons, d'ailleurs, et ceci forme déjà une utile consolation, que le dogme de la souveraineté populaire n'est pas plus irrationnel, au point de vue de la logique, que les dogmes religieux dont les hommes du passé ont vécu et dont beaucoup d'hgmmes du présent continuent à vivre. Il semblerait même, à en juger par les enseignements de l'histoire, que l'esprit humain s'adapte plus facilement à l'absurde qu'au rationnel. Disons simplement qu'il finit par s'adapter le à tout. En aux multitudes semeurs d'illusions, n'avaient fait germer dans l'âme des masses ouvrières des erreurs et des haines, seuls soutiens de serait réalité, cette assez aisée adaptation de si l'élite les politiciens, l'antagonisme dont j'ai parlé. L'antagonisme s'évanouira le jour où les foules, conscientes de leurs vrais intérêts, découvriront que la disparition ou l'alTaiblissement des élites entraînerait rapidement pour elles la pauvreté d'abord, la ruine ensuite. 123 L ELITE ET LA FOULE Leur démontrer cette vérité élémentaire, sera difliIl est pourtant bien clair que si l'atelier sans maître, rêvé par les syndicalistes, ou l'atelier dirigé par des délégués de l'Etat collectiviste était, à la rigueur, possible au commencement du siècle dernier, à l'époque où la technique restait très ])rimitive. ces formes d'organisation sont impossibles aujourd'hui. Etrangers malheureusement à toutes les réalités, errant dans la sphère des illusions pures, les socialistes ne cessent de propager des utopies dont l'accomplissement amènerait la ruine rapide des âmes simoile. ples qui les écoutent. Les chimères incrustées dans les cervelles popunettement marquées par le conseil suivant d'un délégué de la classe ouvrière, présenté et approuvé au congrès socialiste de février 1910: M II n'y a qu'un moyen de vous allranchir, c'est de substituer aux propriétés capitalistes la propriété collectiviste qui, gérée par vous et pour vous, fera de vous tous, serfs modernes du salariat, des producteurs laires sont associés et libres. L'usine gérée privé de son » par des ouvriers serait le navire capitaine et conduit par les matelots. que quelques jours. Administrée par un délégué de l'Etat collectiviste, elle se maintiendrait un peu plus longtemps, ce délégué se gardant bien d'y rien changer, mais au lieu de progresser, Elle ne durerait diminuerait vite d'importance et les salaires également. Ce ne sont pas assurément des fonctionnaires n'ayant aucun intérêt à une amélioration quelconque qui prendraient l'initiative de s'exposer aux risques de ruine supportés par les grandes entreprises modernes désireuses de |)rospéi"er. Ne nous excusons pas de défendre d'aussi banales évidences puisque des millions d'hommes encore semblent les ignorer. Elles commencent cependant à se répandre dans divers pays, l'Angleterre et la Belgique surtout. C'est pourquoi le socialisme n'y a pas elle 124 PSyr.HOLOGIE POLîTIulE ET DÉFENSE SOCIALE revêtu les lormes agressives constatées chez les peuples latins où il a rapidement dégénéré en une guerre de classes. L'incompréhension totale de certains principes élémentaires, prouve la nécessité d'une éducation nouvelle de la démocratie. Elle aurait pour premier but de lui faire saisir les relations unissant ces trois éléments de l'activitiî moderne l'intelligence, le capital : et le travail. En attendant cette rét'urme non ébauchée encore, qu'on ne doit certes pas espérer de notre Université, il faut vivre avec les foules et pour cela apprendre à les connaître. Remarquons tout d'abord que gouvernement populaire ne signifie nullement gouvernement par le peuple mais bien par ses meneurs. Ce ne sont pas les multitudes qui font l'opinion. Elles la subissent, puis, hypnotisées, l'imposent ensuite avec violence. Tel est le mécanisme de ce qu'on nomme un mouvement d'opinion. Jamais, en effet, ou presque jamais, les foules ne déterminent de tels mouvements. Elles leur impriment une force irrésistible mais ne les créent pas. Lors de l'exécution de Ferrer, personnage dont le peuple parisien n'avait jamais entendu parler, quelques meneurs conduisirent 50.000 hommes attaquer l'ambassade d'Espagne. Exaspérée par leurs discours sans d'ailleurs (comprendre pourquoi, car de l'événement initial elle ne savait presque rien, la foule se livra à toutes les violences y compris le pillage et l'assassinat. Un peu effrayés, les meneurs ordonnèrent pour le lendemain une manifestation pacifique. Et la même foule, si violente la veille, se montra d'une sagesse exemplaire. La docilité des foules est extrême, en effet, quand on sait les guider. L'art de les manier est assez connu des grands meneurs d'aujourd'hui. et L ELIit: 12^ ET LA lOLLE C'est donc seulement en apparence, je le répète, que gouvernent les multitudes. Loin d'être vraiment populaires, les gouvernements actuels représentent simplement une oligarchie de meneurs. Puisque ces derniers créent l'opinion, il importe de savoir par quel mécanisme. L'utilité de la psychologie des foules apparaît maintenant évidente. Paul Adam, u Dans une démocratie, la affirme avec raison (|ue : science des foules doit être le principal souci des influents. » Cette nécessité m'avait frappé, il y a une quinzaine d'années, et c'est pourquoi j'écrivis la Psychologie des foules, sujet très inexploré alors, mais qui fut, depuis, nombreuses recherches. Je n'ai pas l'intention de redire ici les caractères des foules et me propose seulement de marquer quel- l'objet de ques-uns des plus importants, manifestés nettement au cours d'événements récents. Observons, auparavant, que si la psychologie des foules commence à être assez connue, puisque les règles posées jadis dans mon livre sont journellement utilisées par des officiers de l'armée et enseignées couramment à l'Ecole de Guerre, elles ne sont pas arrivées encore jusqu'à nos hommes politiques. Ces derniers ne cessent, en effet, de vanter la sagesse, le jugement et le bon sens des foules, qualités dont elles furent dépourvues toujours. Les multitudes manifestent parfois de l'héroïsme, un dévouement aveugle à certaines causes, mais du jugement, jamais. Toute l'histoire est là pour le dire. Quand par hasard elles en montrèrent, c'est qu'on en eut pour elles. Nos législateurs ne se forment évidemment qu'une idée très inexacte de la mentalité populaire. S'imaginant, par exemple, que la reconnaissance est une vertu collective ils accumulent des lois inutiles ou dangereuses destinées uniquement à plaire à la multitude. Ne soupçonnant guère l'intense mépris des foules pour la faiblesse, ils ne comprennent pas que 11. 126 l'SYCUOLOGIE rOLITIQLE ET DÉFE.\SE SOCIALE leurs perpétuelles concessions devant les menaces les dépouillent graduellement de tout prestige. Ces concessions fixent seulement dans l'âme conviction, que des meneurs la menacer avec violence obtenir. Le lendemain même aux employés de chemins de de la loi suffit pour qui accordait fer des retraites, à peu de beaucoup de magistrats, ces employés voyant ce qu'on obtenait par intimidation, se réunirent pour exiger des salaires qui réduiront à une valeur presque nulle les actions des compagnies. Ne doutez pas qu'ils les obtiennent. Je ne rappellerai pas ici que l'âme collective diffère tout à fait de l'âme individuelle. Modes de penser, mobiles d'actions, intérêts même, tout les sépare. Nous ne retiendrons des caractères des foules que l'incapacité totale à raisonner ou à se laisser influencer par un raisonnement, le simplisme, l'émotivilé et la crédulité. Les idées ne leur sont guère accessibles que traduites en formules brèves et évocatrices d'images. Le capital, c'est un bourgeois paresseux et ventru, nourri de la sueur du peuple. L'Etat, c'est le gendarme près égales et la troupe. à celles des officiers Le cléricalisme, et c'est le gouvernement des curés. Le socialisme, c'est un gouvernement qui fera rendre gorge aux boui'geois et permettra à l'ouvrier de boire et manger sans rien faire. Les politiciens ont bien senti d'instinct l'impuissance des foules à se représenter plusieurs idées à la fois et l'utilité des formules violentes et claires. Au moment des élections, ils tâchent d'en trouver, pouvant servir, comme on dit, de tremplin électoral le milliaj'd des congrégations, le péril clérical, l'impôt sur le l'evenu, etc., ont servi tour à tour. Les Anglais sont passés maîtres dans cette condensation, utilisant surtout l'action impressionnante de l'image. Leurs dernières élecLions prouvèrent la puissance des formules simples et affirmatives. L'Angleterre fui. à un certain moment, couverte d'affiches : L ELITE ET LA 12- FALLE dépourvues de ces lilandreuses explications dont abusent les candidats latins. Toute la Ihéorie du parti unioniste était synthétisée dans quelques formules comme celle-ci voter pour les radicaux, c'est voter contre la puissance navale de l'Angleterre. Assertion terrible dans un pays où le dernier des manœuvres considère comme un dogme religieux intangible la nécessité de la supériorité navale de la Grande-Bretagne. Des images accentuaient encore la force impérative de ces formules. Une des plus impressionnantes et qui. certainement, détermina bien des votes, fut une grande affiche divisée en deux parties. A gauche, au-dessous de cette simple date 19U0, un immense cuirassé totalisant la flotte anglaise à côté, un tout petit bateau représentant la flotte allemande. A droite de l'affiche, sous cette indication 1910, les rapports sont inversés, le petit bateau allemand est devenu un grand cuirassé presque aussi impoi'tant que le géant anglais. Le péril de l'Angleterre apparaissait ainsi évident. Inutile d'ajouter que personne ne songeait à vérifier la valeur statistique de l'affiche. C'eût été du raisonnement, de l'esprit critique, facultés dont les foules furent illustrées, : ; toujours incapables. Toutes ces manœuvres reposaient sur une connaissance parfaite de l'âme populaire, de son émotivité, de sa crédulité et de l'action de la répétition sur elle. Si les résultats souhaités n'ont pas été toujours obtenus, puisque le parlement anglais est divisé actuellement en deux partis à peu près égaux, c'est que les adversaires employant les mêmes armes, leurs elîets s'annulaient. L'électeur indécis suivait alors l'impul- sion du groupe auquel il appartenait. C'est grâce à leur sensibilité qu'on ment émeut si facile- grâce à leur mobilité qu'on les retourne si aisément. Le héros, porté avec enthousiasme au Capitole, sera précipité avec le même enthousiasme du haut de la roche Tarpéienne. La veille de les foules, et 128 PSYCHOLOGIE POI I I I^X E ET DÉFENSE SOCIALE sa chute, Robespierre était dieu de la plèbe parisienne. Le lendemain, elle hurlait des invectives et délirait de emportant vers la guillotine le dieu tombé. Conduit au Panthéon parmi les acclamations de la foule, le corps de Marat était jeté à l'égout par la même foule quelques années plus tard. Le cadavre de Cromwell connut le même sort. Ne pouvant tabler sur le raisonnement des foules, puisqu'elles en sont totalement dépourvues, le meneur essaie seulement d'impressionner leur sensibilité. joie derrière la charrette agissant naturellement de la même façon, le succès appartiendra, finalement, à celui qui L'adversaire criera le plus fort et sera le plus violent. Cette nécessité de la violence est telle, qu'on a pu voir, lors des dernières élections, des ministres anglais, réputés habituellement pour leur correction, vociférer des invectives dans leurs discours populaires avec le style des clubs jacobins au moment de la Révolution. Dans une harangue publique, M. Lloyd George, ministre des Finances, déclarait que la Chambre des Lords « était une réunion de misérables lâches, de tristes pleutres, n'ayant pas assez de cœur pour faire le bien et pas assez de courage pour faire le mal ». Des injures analogues étaient répétées chaque jour par les divers ministres dans leurs circonscriptions. Dans l'étude de la psychologie populaire, on doit noter encore, que la conscience de sa puissance et de son irresponsabilité donne à une foule une susceptibilité et un orgueil excessifs. Les événements récents en ont fourni maintes preuves dont j'ai déjà cité plusieurs dans cet ouvrage. Quels que soient d'ailleurs les sentiments de la multitude, ils sont toujours exagérés et c'est pourquoi, si son orgueil est excessif, son obéissance et sa servilité le sont également dès qu'elle se trouve en présence d'individus possédant du prestige. Nous avons montré avec quelle facilité les ordres les plus absurdes et L ELITE ET LA 129 FOULE de comités révolutionnaires étaient respectueusement obéis par les corporations ouvrières. Cet état mental des masses fut toujours le même je trouve un bien curieux exemple de la susceptibilité et de la servilité que peut successivement manifester la même foule, suivant les circonstances, dans l'extrait suivant emprunté à un journal des mémoires d'un voyageur étranger nommé Campe, venu en France enl790. Il s'agissait d'un projet d'adresse au roi que Target les plus impératifs : lisait — à ses collègues : Sire, dit Target, lisant rhonneur... Gris, trépicnements. mot Effacez ce — — l'adresse, {'Assemblée nalionnle a Point dhonneiu'! Point d'honneur! ! ... de metb'e aur pieds de Voire Majesté... Tumulte, huées foi'midables, les parois et les vitres en trem- blaient. — A bas les pieds! A bas les pieds! L'Assemblée nationale ne rien aux pieds de qui que ce soit!... Target, déconcerté, reprit avec un geste de désespoir met : — — — l'Assemblée nationale porte à Votre Majesté... Sii-e, Bravo ! l'offrande... ... — Protestations frénétiques. Pas d'offrande!... Kt la chose ainsi continua jusqu'à la fin de la séance. Le bon Allemand sortit de là etîaré et un peu déçu. Le lendemain, il parvint à se glisser dans le château de Versailles à l'heure où l'adresse devait être remise au roi; il n'était pas fâché de contempler, en présence du monarque, la hère mine de ces législateurs qu'il avait jugés la veille si chatouilleux et si jaloux de leur dignité. Hélas! Dès que Louis XVI parut dans la galerie, ce fut un délire unanime; ceux qui s'étaient montrés à l'Assemblée parmi les plus arrogants sautaient sur les tabourets pour mieux voir leur bon maître, s'accrochaient aux pilastres, se levaient sur leurs pointes. Un grand cri de Vive le roi! ébranla tout le palais et l'Assemblée pour l'accompagper à En regard des oublier d'en 1 1 V : : ; 1 (( sit la mit docilement à la suite du souverain chapelle. défauts des foules, il ne faut pas mentionner aussi les 'qualités. Leur à raisonner rend possible chez elles un 130 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE grand développement de raltruisme, qualité que la raison atTaiblit forcément et qui constitue une très utile vertu sociale. L'individu qui raisonne est généralement égoïste et ne se détermine que difficilement à sacrifier sa vie pour un intéi'èt général. Seules les foules sont capables de telles abnégations. Les causes les plus chimériques trouvèrent toujours des milliers d'hommes prêts à se faire tuer pour elles. C'est grâce seulement au concours des foules que de puissants empires ont pu naître et se développer. Les foules ne créent pas de grandes civilisations, mais dans leur sein résident l'héroïsme, le dévouement et beaucoup des vertus qui les font vivre. Une des dernières caractéristiques de la mentalité populaire, que je mentionnerai ici. est leur extrême crédulilé. Elle est sans limites comme celle de yeux. Si une demande la lune, il faut la lui promettre. Les ticiens ne reculent guère d'ailleurs devant de fant. Rien n'est impossible à leurs l'en- foule politelles promesses Répandez dans une élection les plus invraisemblables calomnies sur votre adversaire, vous serez cru toujours. Evitez cependant de l'accuser de crimes trop sombres, vous le rendriez sympathique. Les foules manifestent généralement, en etîet, une admiration respectueuse pour les grands criminels. La crédulité illimitée dans les multitudes, ne leur est pas un sentiment exclusif. La crédulité et non le scepticisme constitue notre état normal. Nous possédons tous une petite dose d'esprit critique pour les choses de notre métier, mais hors de cet horizon circonscrit, nous n'en manifestons généralement que d'assez faibles traces. Ne croyez pas beaucoup au scepticisme des sceptiques. Ils n'ont fait le plus souvent (]ue changer l'objet de leur crédulité. Les paradis socialistes ont remplacé ceux des légendes. Les dieux morts ont jiour successeurs des tables tournantes, des somnambules et des fétiches. La crédulité des foules et celle des esprits primitifs ! l'élite et la folle 131 sont presque égales. Les faiseurs de prospectus et d'annonces le savent bien et ils connaissent aussi le rôle suggestif de l'affirmation et de la répétition. De grosses fortunes s'édifient chacj-ue jour sur l'annonce d'agents thérapeutiques aux propriétés purement chimériques. Si l'on fait entrevoir aux âmes simples un gain considérable par une annonce suffisamment suggestive, le bénéfice est plus certain encore. Des légions de financiers vivent des promesses les plus invraisemblables habilement répétées. Leur rédaction ne demande aucuns frais d'imagination. Il suffit de toujours affirmer les mêmes choses dans les mêmes termes. Le Globe a raconté l'instructive histoire des actions d'une certaine mine de la Fiépublique argentine n'ayant jamais fonctionné. Tous les six mois, des prospectus répandus par millions répètent qu'un dividende énorme va être très prochainement distribué, et que l'action devant décupler de valeur il faut en acheter de suite. Convaincu, le petit capitaliste se précipite vers le guichet pour ne pas manquer une pareille occasion. Bien entendu aucun dividende n'est jamais versé. Et pourtant il y a cinq ans que l'opération se répète et grâce à ces habiles annonces, le public a absorbé pour 12 raillions de titres dont la valeur ne dépasse pas notablement celle du poids du jjapier. Les faits du même ordre sont innombrables, le journal qui relatait ajoutait le précédent, choisi entre mille, : La crédulité de l'épargne est insondable; elleest sans bornes rinfini. Elle ne demande ni preuves, ni vraisemblance des promesses et des affirmations lui en tiennent lieu. Elle se laisse bercer et endormir par de charlatanesques boniments et « comme plus ils : sont grossiers et de qualité inférieure, plus elle s'y abandonne sans réserve. Que les espérances qu'on fait miroiter à ses yeux soient manifestement folles, que le lendemain même elle est elles soient démenties par les faits, peu lui importe ; tellement confiante et aveugle qu'elle en veut parfois d'avantage ceux qui lui dessillent les paupières qu'aux histrions qui l'ont trompée. ;i 132 PSYCHOLOGIE POLIÏIOLE ET Dl FFNSE SOCIALE Transposez ce qui précède à la politique et vous aurez la genèse du succès de certains individus et de certaines doctrines. Promettre des chimères, affirmer sans preuve, répéter sans cesse les mêmes i)romesses en surenchérissant toujours sur son con(?urrcnt. telle est la formule du succès. Ne nous plaignons pas trop cejiendant de l'univernous baigne. Peu de facteurs des civilisations furent aussi énergiques. Grâce à elle, de grandes religions consolatrices surgirent du néant et de puissants empires ont été fondés. C'est la crédulité bienfaisante qui rend la foi possible et conserve les traditions, soutien do la grandeur (Pun pays. Foi dans la patrie, foi dans un idéal, foi dans l'avenir, tous ces pivots de notre activité mentale ont la crédulité pour gardien. Les peuples qui perdent toute foi perdent selle crédulité qui avec leur âme les raisons d'agir. L'avenir n'est plus à eux. les liens sociaux sont détruits. Déclinant chaque jour, ils rejoignent bientùt dans l'oubli les races dont un scepticisme destructeur a marqué la lin. CHAPITRE Genèse de la 11 Persuasion. Sous rcxtension des Inllueiices i)opulaircs, certains événements politiques éclatent souvent avec une soudaineté aussi surprenante pour le public que pour les hommes d'Etat. Rien ne permettait de les prévoir et nul ne les avait prévus. Cette soudaineté se manifesta notamment dans la Révolution turque, renversant en peu de jours un gouvernement plusieurs fois séculaire. Elle s'est mon- trée encore dans la grève des postiers, déclarée en quelques instants, puis dans l'insurreclion de Rarcelone, où des citoyens paisibles transformés presque instantanément en brigands sanguinaires, incendièrent les couvents, les églises et déterrèrent les morts. Les interprétations théoriques de ces subites explosions, données après coup, ne les expliquent guère. Pour les comprendre, il faut se résigner à mettre de côté notre logique rationnelle. Elle peut, cette logique, nous servir à imaginer des causes fictives pour les événements, mais non les créer. mouvements poi)ulaires ne sont pas lîls sentiments inconscients qui les engendrent obéissent à des lois dont l'étude est à peine entrevue encore. Un fait demeure cependant parfaitement acquis. Ces brusques insurrections ont. le plus souvent, Certes, ces du hasard, mais les 134 PSYCHOLOGIE POLITIQIE ET DEFENSE SOCIALE de quelques meneursimporte donc tout d'abord de découvrir comment ces derniers agissent et pourquoi leur action est parfois si rapide et si sûre, quoique leurs moyens paraissent fort méprisables à notre raison. jiour point de départ, rinfluence Il Je n'étais pas encore sorti de l'enfance lorsque, sur la grande place d'une petite ville de province, je reçus à ce sujet une leçon de psychologie qui m'impressionna fort. Une trentaine d'années me furent, du reste, nécessaires pour en saisir toute la portée. Ce ne fut pas bien entendu, la leçon qui me frappa alors, mais son auteur, personnage imprévu, couvert d'une tunique d'or constellée de pierreries. Était-ce un roi mage, un satrape assyrien, un fabuleux rajah? Troublant problème. Le trône d'où rayonnait sa splendeur dominait un char que traînaient des chevaux caparaçonnés de pourjtre. Derrière lui. deux guerriers, porteurs d'armures étincelantes. lançaient dans de longues trompettes d'argent des appels sonores et mystérieux. Une foule admirative, à chaque instant plus dense. Tenveloppa bientôt. Soudain, il fit un geste, les trompettes se turent et un silence anxieux s'étendit. Alors, se soulevant avec une royale nonchalance, le mage éclatant harangua la multitude. Elle écoutait attentive, respectueuse et charmée. Ce qu'il disait? J'étais trop loin pour bien Tentendre compris seulement que ce puissant personnage et venait des contrées lointaines, où régnait jadis la reine de Saba, pour donner aux hommes, en échange de sommes minimes, des boîtes magiques contenant une poudre merveilleuse capable de guérir tous les maux et d'assurer le bonheur. leurs appels et Il se tut. les trompettes réjjétèrent la foule éblouie se précipita pour acheter les miraculeuses boîtes. Je l'aurais bien volontiers imitée, mais. 135 GE\ESE DE LA PERSUASION hélas, ma famille, désireuse de m'inculquer le mépris des richesses et de m'éviter, disait-elle, le sort de Sardanapale, laissait mes poches totalement vides. Plus amers encore furent mes regrets lorsque j'a})pris les cures prodigieuses accomplies par la magique poudre. Sans doute, le pharmacien du lieu, homme jaune, sec et sévère, prétendit que les boîtes contenaient uniquement du sucre. Mais, que pouvaient valoir, je vous prie, les dires de ce boutiquier jaloux contre les affirmations d'un mage couvert d"or, derrière lequel d'imposants guerriers sonnaient du buccin? Tout cependant, joies toujours, les amertumes quelquefois. Les années descendirent leur s'efface les rapide spirale, estompant un peu le souvenir du magicien dont l'apparition imposante avait enchanté ma vie d'enfant. J'acquis les collège et parmi elles assuraient mes maîtres, la connaissances inutiles du logique, d'après laquelle, se forment nos croyances et se dirigent nos actions. Je n'avais pas oublié toutefois l'homme prestigieux. Sa logique, fort différente de celle des livres, lui avait réussi. Donc elle n'était pas vaine. Si sa poudre ne contenait que d'insignifiants éléments, elle agissait pourtant. A quelle puissance magique devait-on alors attribuer ses miraculeuses vertus? Je restais muet devant ces problèmes. Néanmoins, après y avoir souvent réfléchi, je finis par découvrir que ce subtil personnage avait su manier d'instinct les facteurs fondamentaux d'où dérivent la vie des peuples et le cours de leur histoire. Ce qu'il vendait, en effet, c'était cet élément immatériel qui mène le monde et ne saurait mourir l'espérance. Les prêtres de tous les cultes, les politiciens de tous les âges ont-ils jamais vendu autre chose ? Et si l'ingénieux personnage avait réussi à imposer la foi en ses discours, c'est que, comme tous les fon: 136 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE dateurs de croyances, il s'appuyait sur ces quatre principaux facteurs des convictions populaires: l°le prestige qui suggère et impose; 2° raffirmation sans preuve qui dispense de la discussion 3° la répétition qui fait accepter coniine certaines les choses affirmées; 4" la contagion inenlale qui rend vite très puissantes : convictions individuelles les plus faibles. Cette brève énumération contient les éléments fon- les la grammaire de la persuasion. Si des professeurs de logique vous assurent que la raison devrait y figurer aussi, laissez-les dire, mais ne les croyez pas. Ces facteurs sont applicables aux cas les plus divers, dans les circonstances les plus variées. Pour coninconsciemment peutvaincre, vous les emploierez. que vous soyez simple charlaêtre, mais sûrement tan désireux de vendre un élixir. subtil financier obligé d'écouler de médiocres valeurs, ou même puissant damentaux de — — empereur voulant amener son peuple aux lourds sacrifices nécessaires pour fonder une grande marine de guerre. Ces facteurs de la persuasion ne s'adressent qu'aux sentiments, c'est-à-dire aux mobiles habituels de notre conduite. Ils auraient peu de ])rise sur l'intelligence et seraient, par conséquent, sans utilité pour le professeur faisant une démonstration ou le savant exposant une expérience. Ces derniers cherchent en effet à établir des connaissances et non des croyances. Connaissance et croyance sont choses fort distinctes. Platon l'avait observé, il y a un certain temps déjà, et indiqué également qu'on ne les édifie pas de la même façon. Tous les hommes acquièrent facilement des croyances. Très peu s'élèvent jusqu'à la connaissance. La connaissance implique des démonstrations et des raisonnements. La croyance n'en exige aucun. La grammaire de la persuasion, dont je viens de résumer brièvement les éléments essentiels, n'est uti- 137 GENÈSE DE LA PERSUASION lisable que pour la création d'opinions ou de croyances ayant des sentiments pour bases. De ces opinions et de ces croyances dérive l'immense majorité de nos actions. Qui les fait naître est notre maître. Un orateur populaire s'adressant, comme tant d'honnèles logiciens le supposent, à l'intelligence de ses auditeurs, ne convaincrait pcsonne et ne serait même pas entendu. Avec des gestes, des formules, des mots évocateurs d'images il influence leur sensibilité et par elle atteint leur volonJé. Ce qu'il vise, ce n'est pas l'intelligence, mais cette région inconsciente 011 germent les émotions génératrices de nos pensées. On agit sur elle par les moyens que j'ai indiqués prestige, suggestion, etc. Mais, dans notre énumération, ne pouvait figurer, car il n'est guère formulable en règles ce facteur personnel, composé d'éléments très divers et indéfinissables, dont l'en: — — semble constitue la séduction. L'orateur qui séduit charme par sa personne beaucoup plus que par ses paroles. L'âme de ses auditeurs est une lyre dont il ressent les moindres vibrations nées sons l'influence de ses intonations et de ses gestes. Il devine ce qu'il doit dire et comment le dire. L'orateur vulgaire, le politicien craintif, ne savent que tlatter servilement la multitude et accepter aveuglément ses volontés. Le véritable manieur d'hommes commence d'abord par séduire, et l'être séduit, foule ou femme, n'a plus qu'une opinion, de son séducteur, qu'une volonté, la sienne. semblerait que .de ces charmeurs rayonnent des forces attractives inconnues. A qui les possède nul besoin de donner des raisons, la simple affirmation suffit. Si les grands orateurs consentent quelquefois à des explications, lorsque, leurs discours .doivent être publiés, c'est qu'ils n'ignorent pas que le mécanisme de la persuasion par les écrits diffère immensément de celui exercé par la parole. Le prestige individuel celle Il 12. 138 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE constitue cependant une telle puissance que, même son action subsiste encore. De grands écrivains comme Rousseau, ont convaincu, non par leurs arguments souvent très faibles, mais surtout par leur prestige. Le charmeur n'a d'autre ennemi irréductible qu'une solide croyance ancrée dans l'àme de ses auditeurs. Lors(in'une telle croyance a envahi le champ de l'entendement, tout se brise devant elle. C'est un mur que rien ne traversera plus. Le charme magnétique suffît quelquefois, mais non pas toujours, et d'autres qualités, parmi lesquelles l'art de bien parler ne figure qu'à une place secon- dans les écrits, daire, sont nécessaires à l'orateur. Pour persuader, il savoir sortir de sa pensée, j^énétrer dans celle de ses auditeurs, et vibrer à l'unisson de la foule doit qui l'entoure. Il faut s'émotionner avec elle avant de tenter de l'amener à ses vues. C'est ce que sut faire Antoine, prononçant devant le cadavre de César le très habile discours que lui prêle Shakespeare et grâce auquel il transforma en quelques instants ses auditeurs, d'abord favorables aux meurtriers, en vengeurs prêts à les massacrer. Et qu'il s'agisse d'une foule vulgaire ou d'une assemblée d'élite, l'élément de persuasion que je viens d'indiquer sera toujours le plus efllcace. Il faut, répétons-le, deviner ce que pense l'auditoire et penser d'abord comme comme vous. lui pour l'amener ensuite à penser de ce principe est très bien marquée dans passage suivant d'un travail consacré par M. Tardieu à un des grands orateurs de notre temps, le prince de Biilow, alors chancelier de l'empire d'Allemagne. L'utilité le L'essence de l'art oratoire dans une assemblée politique réside la perception immédiate de ce qu'attend l'auditoire. Le contact s'élablit-il ? Voilà la partie gagnée. M. de Biilow a toujours excellé à établir ce contact. Nul plus que lui n'a senti dans 139 GENÈSE DE LA PERSLASION au public qui l'écouy a. dans nombre do ses discours, des pbrases ou dos périodes entières faites pour répondre au goiit du jour. L'affirmation répétée à l'excès de la force allemande, les déclarations « L'Allemagne ne se laissera pas marcher sur le arrogantes pied... L'Allemagne ne se laissera pas mettre de côté... L'Allemagne ne se laissera pas isoler... » sont des banalités usées que cet intellectuel raffiné ne s'approprie point sans raisons. Mais, orateur avisé, il sait que ces banalités plaisent aux députés qui l'écoutent, échantillons assez vulgaires, pour la plupart, d'un Deiitschtum orgueilleux. 11 manœuvre son public comme une d'instinct ce qui convenait, h tout instant, tait. Il : partie d'échecs. Les foules, nous l'avons vu précédemment, possèdent une crédulité infinie, mais le plus souvent les opinions qu'on leur suggère sont momentanées, sans consistance, sans durée et sans force. A de rares périodes de l'histoire seulement on les voit acquérir pour un certain temps de solides croyances. Alors, comme au moment des premières Croisades, pendant les guerres de religion ou à l'époque de la Révolution, elles deviennent un irrésistible torrent qui bouleverse le monde. Ce ne sont pas nos pâles socialistes révolutionnaires, si bruyants devant les défenseurs de l'ordre social, mais si craintifs devant les foules, qui pourraient provoquer de tels mouvements. Trop d'aj)pétits personnels sont à la base de leurs éphémères convictions. Jamais des croyances durables ne s'édifièrent sur d'aussi fuyants appuis. Le rôle des meneurs, connu depuis longtemps, puisqu'il s'est manifesté à toutes les époques, n'a cependant reçu des psychologues qu'une insuffisante explication. Ils ne la fourniront sans doute qu'après avoir exploré davantage cette obscure région du sub- — — conscient le subliminal des chercheurs actuels où s'élaborent les causes de nos actes et les formes de nos pensées. J'irai plus loin, peut-être, que la science positive ne le permet en disant que les âmes inconscientes du charmeur et du charmé, du meneur et pénètrent par un mécanisme mystérieux. du mené se 140 rsYCnoi.oGiE poiitiqif; et défense sociale Celte fusion d'inconscients indiquée, semble-t-il, par un grand nombre de faits, même en psychologie animale, nous conduit au seuil d'un domaine inconnu que la science entrevoit, mais qu'elle n'a pu explorer encore. De ces régions ténébreuses, il faut revenir à celles dont l'observation est facile. J'ai signalé quelques éléments de la persuasion, mais quelques-uns seulement. Comment exposer en d'aussi brèves pages ce qui demanderait un volume? Persuasion par le milieu, par le journal, par les comités anonymes, par l'annonce, par l'intérêt individuel, etc. Que de chapitres dignes de l'attention des psychologues et qui, cependant, ne les ont guère tentés. Ils seraient plus utiles que leurs vaines dissertations sur les catégories de Kant ou sur la nature de l'espace et du temps. Plus utiles, j)lus intéressants, mais beaucoup plus difficiles aussi. Parmi les facteurs principaux des convictions popuénumérées plus haut, il en est un. la contagion mentale, tellement important que nous devons en. dire quelques mots. Elle est le fondamental élément laires de la projjagation des mouvements dont je parlais en commençant grève des postiers, insurrection de Barcelone, etc. Ces mouvements, commencés par les meneurs <juand diverses circonstances un mécontentement i-'^énéral, par exemple, prédispose les esprits à une certaine réceptivité, s'étendent très vite autour d'eux par le mécanisme de la contagion mentale. Son rôle est prépondérant dans la plupart des phénomènes historiques. Sans elle, aucune des fondamentales croyances qui menèrent le monde christianisme, islamisme, bouddhisme, etc.. n'aurait pu se répandre. La contagion mentale seule el jamais la raison entraîna leur propagation. C'est encore la contagion mentale qui généralise les grandes révolutions, les mouvements d'opinions et : — — : Gr:\'È!>E 141 DE LA PEIl.SLASION tout ce qui constitue l'àme d'une époque. Son action semble plus considérable aujourd'hui qu'en aucun temps, parce que l'âge moderne est devenu l'ère de multitudes que les liens du passé ont cessé de retenir. Pour bien discerner les vrais mobiles de la conduite des individus et des foules, il ne faut pas oublier que sentiments et intelligence sont, je l'ai dit déjà, hétérogènes. Régis par des lois fort dilTérentes, ils n'ont pas de commune mesure. Cette notion m'a guidé dans plus d'un livre, et tout récemment encore l'éminent philosophe Ribot insistait sur sa capitale importance. Nous nous obstinons cependant à traduire l'atTectif en termes intellectuels. Sentiments et intelligence étant toujours mélangés sont du reste difficilement séparables. C'est seulement par des moyens détournés qu'on a pu dégager des états de conscience purement affectifs, c'est-à-dire vides de tout contenu intellectuel. Retenons seulement de ces indications sommaires que la logique de l'intelligence n'a, je ne saurais trop le redire, aucun rapport avec celle des sentiments. Les ressources de la première sont donc absolument impuissantes seconde. à interpréter les actes issus de la L'histoire, telle que la bâtissent des érudits de bibliothèque, disciples dociles d'une sévère logique, est une construction artificielle beaucoup trop rationnelle. Les plus importants des événements, ceux qui ont dominé la destinée des peuples et leurs civilisations, émanèrent de facteurs psychologiques inconscients, que l'érudit prétend interpréter sans savoir en pénétrer les causes. Ce n'est pas du rationnel mais de l'irrationnel que Le rationnel crée l'Histoire. les la grands événements sont nés. l'irrationnel conduit Science, CHAPITRE La III Mentalité ouvrière. Je ne voudrais pas méconnaître l'utilité des noude la psychologie contemporaine. 11 est certainement très intéressant d'observer les formes de l'altruisme chez les batraciens et la faiblesse des sentiments conjugaux chez divers arachnides. Je me suis cependant souvent demandé si les psychologues professionnels ne rendraient pas de plus précieux services, en s'adonnant un peu à l'étude des faits journaliers de la vie sociale et à la détermination de leurs causes. Il en résulterait peut-être la connaissance de lois importantes. Les sujets d'observation al)ondent. S'ils ju'ovoquent souvent beaucoup d'étonnement. c'est précisément parce que la psychologie moderne n'a pas encore su en déterminer les lois. Des insurrections comme celle de Draveil par exemple et celles analogues, font partie de ces mouvements |)opulaires imprévus, surprenants toujours, parce que leur déroulement psychologique demeure ignoré. On se souvient de Draveil. Insurrection à main armée ordonnée par les meneurs de la Confédération du Travail, soldats contraints à se défendre pour n'être pas massacrés, etc. Conséquences tinales: adhésion immédiate de la majorité des syndicats ouvriers à la (Confédération, tentative de grève des typographes pour empêcher les journaux de paraître, grève des velles recherclies lA MENTALITÉ OLVRlÈRK électriciens privant Paris de lu.nièro 143 pendant une soirée. Ces faits demeurent incompréhensibles à qui n'a pas un peu étudié la mentalité populaire. L'extraordinaire naïveté des moyens proposés pour en prévenir le retour montre à quel point des hommes pourtant éclairés demeurent étrangers à la psychologie collective. de Draveil est très caractéristique parce fait assez rare en pareille aventure que tous les torts furent d'un côté et le bon droit de l'autre. Révolte contre les lois, attaque violente contre des troupes chargées de protéger les propriétés privées et qui ne se défendirent qu'à la dernière extrémité. La répression était indispensable. Aucun pouvoir politique n'aurait pu l'éviter. Le gouvernement avait donc entièrement raison. Cependant toute la classe ouvrière l'a furieusement blâmé. Pourquoi? Avant de répondre à cette question, il faut répéter encore que les foules obéissent à des impulsions toujours déconcertantes lorsqu'on veut les juger au nom de la logique. Disserter sur l'absurdité de leurs mobiles serait inutile. C'est uniquement l'impression produite par eux dans les esprits qu'il importe de L'alïaire (ju'il reste incontestable — — connaître. Pour saisir l'influence de ces mobiles souvenonsnous du pouvoir des chimères sur l'âme populaire. Méconnaître leur action serait ignorer l'histoire. Dans la chaîne des événements dont elle redit le cours, le rôle de la raison fut toujours minime, et celui du rêve prépondérant. Des millions d'hommes ont péri au service des illusions et par elles furent fondés de puissants empires. Le prestige de l'irréel reste aussi considérable aujourd'hui que jadis. Les chimères qui fascinaient autrefois les multitudes les fascinent encore. Leurs noms seuls ont changé. 144 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE Avant d'étudier la mentalité ouvrière nous devrons rappeler certains caractères généraux communs aux l'ouïes déjà décrits, puis les idées directrices spéciales aux ouvriers et déterminant leur conduite. Une foule n'est pas nécessairement un rassemblement d'hommes. Des suggestions partagées par des individus éloignés, mais que la presse et le télégraphe réunissent mentalement, peuvent leur donner les aptitudes d'une foule. Ils en ont alors l'excitabilité, l'inconstance, la fureur, la crédulité, l'absence totale d'esprit critique, l'incapacité à se laisser influencer par un raisonnement, le fétichisme et le besoin irréductible d'obéir à un maître. Leurs mouvements les plus violents résultent toujours de l'impulsion de quelques meneurs. Aujourd'hui comme autrefois la foule est prête à se prosterner devant tous les tyrans, mais elle en change plus souvent. « Les foules, écrit Tarde, se ressemblent toutes par leur intolérance [irodigieuse, leur certains traits : leur susceptibilité maladive, le sentiment atTolant de leur irresponsabilité née de l'illusion de leur toute-puissance et l'absence totale du sentiment de la mesure qui tient à l'outrance de leurs émotions mutuellement exaltées. Entre Texécration et l'adoration, entre l'horreur et l'enthousiasme, entre les cris vive et à mort, il n'y a pas de milieu pour une orgueil grotesque, foule. )! Ces diverses particularités psychologiques se retrouvent dans tous les grands mouvements populaires récents, notamment ceux de Draveil. Les ouvriers avaient attaqué violemment la troupe pour obéir à quelques meneurs. La riposte des soldats provoqua cependant dans la France entière la furieuse sus- ceptibilité de la classe ouvrière s'imaginant, comme toutes les multitudes, être au-dessus des lois. Immédiatement elle se solidarisa avec les émeutiers et 145 LA MENTALITE OUVRIERE invectiva violemment le gouvernement, coupable uni- quement de n'avoir pas obligé des militaires à se lais- ser massacrer sans défense. « L'amour-propre irrité chez le peuple, disait la mort. » M"^ de Staël, c'est le besoin de donner Quant à la soumission aveugle des foules aux ordres des meneurs elle a été nettement mise en évidence non seulement par les violences exercées sur les soldats, mais encore par les deux grèves consécutives à la répression de l'insurrection. Celle des typographes, qui faillit empêcher les journaux de paraître, n'aboutit qu'à moitié parce que les chefs s'attardèrent à parlementer au lieu d'agir d'une façon assez despotique. La grève des électriciens réussit parfaitement, au contraire, parce que l'ordre en fut donné impérativement, au dernier moment, de manière à éviter toute discussion. Chaque ouvrier reçut simplement l'injonc- tion suivante : Le Comité ordonne à tout syndiqué de cesser de travailler le jeudi 6 août 1908 à huit heures du soir, et de ne recommencer qu'à dix heures. Signé « : Pataud. » Pataud fut obéi comme ne le seraient ni le Tsar ni aucun autocrate. Seul peut-être le Grand Lama, incarnation de Dieu, comme on sait, possède sur ses fidèles une autorité comparable. Les journaux recueillirent pieusement les déclarations du dictateur. Il leur révéla avec condescendance ses opinions. Pataud est antimilitariste, méprise le gouvernement et juge sévèrement le roi des Belges. Il n'admet pas que le Président du Conseil se permette de remplacer les électriciens par des lui enverra d'ailleurs prochainement ses soldats et ordres. Cet éphémère potentat manie assez subtilement Il considère la grève générale comme une merveilleuse baguette magique dont la claSse ouvrière l'ironie. doit profiter, mais il en restitue honnêtement la décou13 146 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE verte à un ministre actuellement en fondions l>référerait, je pense, avoir fait tle et c[ui plus utiles inven- tions. Malgré son pouvoir souverain, je ne conseille pas cependant à cet autocrate de trop compter sur la durée de sa puissance. Il n'est qu'un symbole traduisant un état d'âme populaire, que d'autres sauront prochainement exploiter. Les foules sont obéissantes mais terriblement changeantes et Pataud tombera bientôt dans un oubli aussi profond que Ferroul et Marcelin Albert, rois passagers du Midi. Il fera bien alors de solliciter une chaire de psychologie pratique à la Sorbonne afin d'y enseigner aux politiciens et aux chefs dindustrie l'art de manier les foules, qu'il pos- . sède si bien et ses adversaires si mal. Cet enseignement leur serait fort utile. L'ignorance 'de la mentalité populaire est évidemment complète chez beaucoup d'hommes politiques de tous les partis et aussi chez les chefs industriels. Ils en sont à croire, en effet, qu'on séduit les multitudes par une servile soumission, alors que c'est précisément le contraire. On trouvera des preuves de cette singulière ignorance dans le stupéfiant manifeste des députés socialistes unifiés, à la suite de l'insurrection de Draveil. Bien qu'accablés des plus méprisantes invectives ])ar les meneurs de la Confédération, ils n'ont pas rougi d'affirmer leur solidarité « avec les militants ouvriers en grève et en bataille et les organisations syndicales qui les groupent et les encadrent... Aujourd'hui comme hier, ajoutent-ils. participation entière à toute le parti donnera sa action décidée par le prolétariat organisé ». C'est, comme le faisait remarquer un des journaux qui reproduisirent ce document, « l'abdication pure et simple de toute autorité entre les mains des dirigeants de la C. G. T. » Cette mentalité servile est fort instructive. Elle LA MENTALITE OLVRIERE 147 représente une forme laïcisée de l'esprit clérical le plus humble. Je préfère infiniment les dévots, courbés aveuglément sous les ordres du Pape, aux politiciens s'agenouillant devant les décrets des citoyens Pouget et Pataud. Les premiers ont du moins le mérite du désintéressement. Si l'on ignorait la puissance de l'esprit religieux il serait incompréhensible de voir des hommes éclairés fraterniser avec des anarchistes s'attribuanl le droit de massacrer les soldats, suspendre la publication des journaux, arrêter la vie publique et autres fantaisies que n'auraient osé rêver ni Néron ni Héliogabale. Et de leur basse soumission que retirent-ils? Le mépris intense et non dissimulé des maîtres qu'ils prétendent servir. Evidemment, les députés socialistes unifiés ont fait preuve dans cette circonstance d'une psychologie très pauvre, mais plusieurs défenseurs de l'ordre ne se sont pas montrés beaucoup plus clairvoyants. L'un d'eux, député modéré cependant, assurait dans un journal, que les événements de Draveil résultaient de la lenteur du Parlement à adopter toutes les lois que les syndicats exigent et qu'on devrait s'empresser de les voter. Cela signifie sans doute qu'après avoir admis rachat de l'Ouest, il faut se hâter d'édicter l'impôt sur le revenu qui, en dévoilant l'état des fortunes, permettra de dépouiller les citoyens à volonté. En résumé, obéir sans discussion aux ordres du syndicalisme révolutionnaire qui, d'ailleurs, déclare mépriser toutes ces réformes. Obéir sans trêve, obéir toujours! le Quelle dangereuse conseillère que la peur! On vit mieux encore les conséquences de la crainte par ce qui se passa chez le Président du Conseil lorsqu'au lendemain de la grève des électriciens, il réunit de Paris. avec raison, qu'une ville de millions d'habitants dût subir les caprices d'une les directeurs des six secteurs électriqu&s N'admettant .trois pas, 148 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE poignée de syndicalistes, le ministre conseilla aux immédiatement leur personnel, remplacer par des soldats du génie. Un directeurs de licencier offrant de le seul accepta la proposition, s'engageant à faire fonctionner sans difficulté son usine avec les ouvriers qu'on lui procurerait. Les cinq autres refusèrent, déclarant préférer obéir aux ordres du citoyen Pataud. Le lendemain ils envoyaient un émissaire pour offrir bien humblement à cet homme redouté, un emploi lui laissant toute liberté avec 4.000 francs environ d'ap- pointements La pusillanimité poussée à ce degré est tellement invraisemblable que je n'aurais pas raconté cette histoire si je ne la tenais d'un témoin présent à l'entrevue et qui en sortit rouge de honte, sous l'œil dédaigneux du ministre. ! Cette poltronnerie insigne des directeurs des secparisiens produisit naturellement les effets teurs qu'eût empêchés le licenciement, au moins provisoire, du personnel. La foule méprise toujours la faiblesse et respecte l'énergie. Il n'y a pas d'exemple dans l'histoire qu'elle ait été conquise par la lâcheté. Dans le cas des électriciens, le renvoi était d'autant plus facile, que toutes les machines des secteurs fonctionnent automatiquement. Les ouvriers y jouant pour la plupart le rôle de simples manœuvres peuvent, comme me l'expliquait un des ingénieurs, être remplacés par des hommes quelconques, après un apprentissage très sommaire. Plusieurs journaux flétrirent avec une vigueur dont on doit les féliciter la très honteuse conduite des Depuis que la crise sociale Tnnps, il n'y a pas eu de symptôme plus grave que cette défaillance. L'audace des révolutionnaires n'est rien. C'est la couardise des directeurs de secteurs. est ouverte, concluait « le autres qui serait irréparable. Le gouvernement fait son devoir. On refuse son appui. On ne veut pas être aidé. On veut Si le être battu. » patronat refuse de se défendre et n'arrive pas 149 LA MENTALITE OUVRIERE à mieux s'assimiler la psychologie populaire, tera les déchéanres dont on le menace il et ses mérijours sont comi)tés. caractères communs à toutes les mentalité ouvrière oiîre des particularités spéciales dues à un petit nombre d'idées transformées en dogmes chez l'ouvrier par le mécanisme de la répétition et de la contagion. Ces idées aussi simples qu'absurdes sont présentées par les apôtres de la Confédération du Travail sous les formes suivantes « L'ouvrier est le créateur de la richesse sociale et de cette richesse ne profite pas. Seuls au contraire les hommes qui ne la créent pas en sont bénéficiaires. » Pour remédier à celte injustice, il faut simplement détruire la société actuelle au profit de la classe ouvrière et par conséquent « fortifier des groupements aptes à accomplir l'expropriation capitaliste et capable de procéder à une réorganisation sociale sur le plan En dehors des foules, la : communiste En ». le comité ordonne des grèves répépour arriver, par l'élévation des salaires, à la suppression progressive et bientôt totale du bénéfice attendant, tées des entreprises industrielles. Cette dernière manœuvre accentuée chaque jour, est facilement praticable pour les anciennes entreprises, parce que leurs administrateurs, très craintifs et assez indifférents aux intérêts des actionnaires, iront de concessions en concessions, jusqu'à ce que le dividende tombe à zéro. La valeur de l'action se trouvera réduite alors au même chiffre. Une prochaine et très évidente conséquence de cet état de choses sera la difficulté de trouver des commanditaires pour des entreprises nouvelles. De mieux en mieux fixé sur son sort, l'actionnaire préfère engager ses capitaux dans des sociétés étrangères. La liste déjà serait longue des produits vendus en France 13. 150 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE mais ne se fabri(]uant plus qu'au dehors. L'ouvrier, sans s'en apercevoir, est en train de tuer la poule aux œufs d'or. Totalement incapable de prévision, il ne que les résultats immédiats, momentanément avantageux pour lui, et persévérera dans la voie où on l'a engagé jusqu'à l'heure finale de la ruine. Cette course à l'abime des classes ouvrières, est accélérée par les déclamations furieuses d'une foule de demi-intellectuels en révolte. Mécontents de leur sort, persuadés que les diplômes obtenus par la récitation mécanique de gros manuels devraient leur procurer des situations élevées, tous ces incompris maudissent la société qui iiiéconDaît leur génie et de l'ouvrier, bien entendu, ne se soucient nullement. voit Dépourvus du sens des nomiques qui régissent réalités et des nécessités écoles civilisations modernes, ils s'imaginent qu'une société nouvelle s'inclinera devant leurs qualités éclatantes si mal ai)préciées par le monde actuel. Abusé par ces déclassés, fruits de notre enseignement universitaire, l'ouvrier se persuade chaque jour davantage être victime des plus criantes injustices ne rêve que révoltes. et C'est ainsi que les cervelles populaires se sont peuplées d'illusions. Le simple manœuvre s'imagine maintenant, malgré l'évidence contraire, produire des revenus dont il ne profite pas. Est-il nécessaire de démontrer que les véritables créateurs de la richesse sont des agriculteurs, des industriels, des ingénieurs, des savants, possesseurs de capacités absolument étrangères à l'ouvrier. L'action de ce dernier a toujours été nulle dans les grandes inventions qui le font vivre. Evidemment le travail manuel contribue à permettre d'utiliser ces inventions, mais avec les progrès incessants du mécanisme moderne, le rôle de la maind'œuvre se restreint progressivement. Nous avons déjà dit à propos des usines électriques qu'un petit nombre de simples manœuvres suffit à les faire mar- LA MENTALITE OUVRIERE 151 Dans la plupart des industries, celle des autopar exemple, la main-d'œuvre ouvrière n'enlre pas pour plus d'un cinquième dans la valeur totale de l'objet fabriqué. «cher. mobiles, Est-il vrai d'ailleurs que cette main-d'œuvre soit mal rétribuée? Elle l'est au contraire si bien que beaucoup d'ouvriers reçoivent maintenant des salaires supérieurs à ceux qu'atteignent oifficilement, après vingt ans de travail, une foule de bourgeois: magistrats, officiers, médecins, ingénieurs, avocats, fonc- munis cependant d'une éducation extrêmement coûteuse. Dans la plupart des usines parisiennes, notamment celles des automobiles citées plus haut, le travail du tionnaires, etc., dernier des manœuvres est payé 6 francs par jour, traitement d'un préparateur, déjà docteur, dans une Faculté, et les ouvriers un peu habiles arrivent rapidement à des gains quotidiens de 13 à 14 francs. Parmi les illusions populaires figure, malheureusement, celle-ci que les hommes sont égaux par l'intelligence. Les bénéfices des chefs d'usine paraissent en conséquence injustement élevés. Un simple travail- leur est pour la foule aussi apte à bien diriger une usine ou régir une Compagnie qu'un homme instruit. Les ouvriers ont pourtant fait de probantes expériences qui auraient dû les éclairer sur l'insuffisance de leurs capacités. Combien pourraient-ils citer d'entreprises industrielles fondées par eux, à l'aide de capitaux complaisants, ayant réussi? La haine des supériorités est si générale aujourd'hui, qu'on a vu de. grandes villes, Brest, Dijon, Roubaix, Toulouse, etc., choisir comme maires et conseillers municipaux, de simples ouvriers, de modestes facteurs de gare, de médiocres commis. On sait les résultats. Ils furent nettement désastreux. Un tel gaspillage financier et une si rapide désorganisation s'en suivirent qu'il fallut aux i)remières élections se débarrasser d'eux. 152 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE Partout, mêmes conséquences. En Alsace-Lorraine, par exemple, les dernières élections éliminèrent les ouvriers de toutes les municipalités, notamment à Strasbourg et à Mulhouse. Dans cette dernière ville, ils s'étaient livrés à des désordres administratifs tellement invraisemblables que pas un seul conseiller municipal sortant n'a pu être réélu. Les peuples ne s'instruisant que par l'expérience, il leur devient utile d'en faire quelquefois de semblables, si ruineuses puissent-elles être. Le gouvernement de toutes les communes de France par des ouvriers socialistes engendrerait sûrement en quelques mois l'horreur intense du socialisme. Alors seulement les foules découvriraient peut-être que la nature s'est obstinément refusée à créer les hommes égaux, que la capacité est la première des puissances et que la grandeur, la force et la richesse d'un pays, sont uniquement constituées par une petite élite d'esprits supérieurs savants, industriels, artistes, ingénieurs, ouvriers de choix, etc. Jamais les masses ne s'empareront du capital comme le demandent tant (le fanatiques imbéciles, parce que le véritable capital c'est l'intelligence. De cette propriété on ne peut dépouiller personne. : CHAPITRE IV Les Formes nouvelles des aspirations populaires. Considérée dans ses résultats immédiats, la grève des postiers apparut comme un incident comparable à une grève quelconque. Envisagée dans ses causes lointaines et dans l'avenir dont elle est chargée, elle constituait, au contraire, un de ces événements marquant une phase nouvelle de l'histoire, la chute de Byzance, par exemple. Pour la première fois, en effet, on a constaté le commencement de désagrégation d'une société en petits groupes homogènes, ne possédant chacun d'autre patriotisme que celui de leur groupe et prêts à sacrifier l'intérêt général, dès qu'ils y trouvent un avantage particulier. Le monde civilisé a vu, avec étonnernent. des postiers traiter le reste de la nation en ville assiégée que l'ennemi cherche à isoler et à réduire par la famine. Nul souci des ruines que pouvait provoquer un pareil arrêt de la vie publique. Cet égoïsme corporatif substitué à l'intérêt général du pays frappa beaucoup les étrangers. Voici comment s'exprima, à ce propos, le plus important des grands journaux anglais, le Times : de constater que la grève actuelle jette un jour véritablement sinistre sur certains aspects de la vie nationale en France. ...Si la crise européenne actuelle s'était dénouée soudainement par une guerre, la puissance militaire de la France eût été Il est triste 154 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFE\SE SOCIALE réduite en ces quelques jours à son minimum et un épouvantable désastre national eût été rendu inévitable. ...Un corps de fonctionnaires publies qui, dans une heure de difficulté et d'anxiété internationales, ne tient pas compte de pareilles considérations, manque forcément, ou bien de l'intelligence la plus ordinaire, ou bien des moindres éléments du patriotisme. Le mépris de tout un irroupe de citoyens pour l'inne constitue qu'un des enseignements de cette grève. Elle en comporte bien d'autres. Son explosion soudaine fut la conséquence de la térêt général formation d'énergies sociales nouvelles, inaperçues, mais grandies dans l'ombre depuis longtemps. Conscientes de leur force, elles se sont dressées devant l'Etatisme parlementaire et, par un foudroyant succès, ont montré ce que pourrait devenir leur rôle. Ce pouvoir imprévu s'élève aussi bien contre la puissance de l'Etat que contre celle du socialisme, simple floraison de l'Etatisme. Les collectivistes eurent donc, en vérité, bien tort de se réjouir de la réussite d'une grève dont, évidemment, ils ne soupçonnèrent aucunement la portée. Le triomphe des postiers fut favorisé par l'impopularité croissante d'un Parlement qui n'a su qu'édiavec la fier des lois incohérentes et persécuter, plus cruelle intolérance, des classes entières de citoyens. L'histoire, rapportée à la Chambre, de cette receveuse des postes dont un préfet exigeait la révocation, uniquement parce qu'elle allait à la messe, provoqua, dans le public, une véritable explosion d'indignation et fut, pour beaucoup, dans la sympathie témoignée aux grévistes, Cette nouvelle évolution des aspirations populaires nous ramène à une période d'anarchie et de régression. La Révolution avait remplacé les corporations par la liberté, et voici que les corporations se rétal3lissent. Elle avait supprimé l'impôt personnel, pour éviter l'inquisition fiscale, et nous allons rétablir cette AS1'IK.VTI0\S l'OPULAIRES 155- FORMES .NOUVELLES DES qui deviendra plus oppressive que les anciennes persécutions religieuses. Les vieilles tyrannies renaissent donc tour à tour et changent simplement de noms. La seule liberté de Tavenir sera celle inquisition de nous haïr. La théocratie syndicaliste n'en tolère pas dautres. La soudaineté de la grève dont nous venons de parler et son absence de motifs prouve clairement qu'elle était issue d'un nouvel état mental des foules. Dès qu'ils l'eurent proclamée, les postiers eurent bien de la peine à lui trouver des causes avouables. Leurs affiches trahirent nettement cet embarras. Dans une proclamation du Conseil central de la grève publiée par le Matiii du 19 mars 1909, nous lisons : n'avons envisagé la grève comme moyen de défense professionnelle, ce sont les injures adressées par M. Syniian à nos collègues dames qui ont soulevé l'indignation du personnel tout entier. Jamais nous Mais, comprenant bientôt que le fait d'avoir adressé dames des noms de volatiles, peu réputés parleur à des ne suffisait pas à e.vcuser l'arrêt de la vie d'un pays, les grévistes cherchèrent d'autres motifs. Ils ne trouvèrent à invoquer qu'un vague favoritisme, utilisé d'ailleurs par la plupart des agents, et dont le seul résultat était de faire gagner trois mois à des employés avançant automatiquement tous les intelligence, trois ans. En réalité, la grève eut de tout autres causes et la situation des postiers ne la justifiait nullement. Cette situation était, en comme effet, absolument privi- des agents électorau.v précieu-x. ils voyaient, depuis quinze ans, toutes leurs exigences satisfaites. Mieux payés que la plupart des fonctionnaires et beaucoup plus que les meilleurs ouvriers, ils ne possèdent cependant qup l'instruction primaire de ces derniers et exécutent un travail bien légiée. Considérés moins difficile. 156 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE Le coniiiiis qui a dirigé la grève toucliail, avec ses indemnités, près de 6.000 francs d'appointements, et l'employé le plus mal noté est toujours sûr d'arriver, à quarante-cinq ans, avec les remises, à 4.400 francs, s'il travaille dans un bureau fixe, et 5.500 francs, s'il est ambulant. La retraite représente les deux tiers des appointements. Les sujets capables avancent tous les trois ans. Les moins capables sont seulement retardés de trois mois. En publiant les instructions qui règlent l'avancement, les journaux montrèrent l'indulgence de l'administration et quelles faibles notes il fallait avoir pour n'avancer (\uk l'ancienneté. Voici ce que disent ces instructions : L'avancement par ancienneté se fera poni' le personnel des de direction et de surveillance se signalant pa?- sa faiblesse de rendement, manquement de zèle, d'assiduité, d'exactitude, manque d'autorité, négligences graves on services d'exécution, répétées dayis le service. Alors, pourquoi la grève? Elle fut simplement une crise de vanité collective exaspérée chez des gens conscients de la force artificielle qu'on leur avait laissé prendre. En voici la genèse : Les ministres et sous-secrétaires d'Etat qui se sont succédé depuis dix ou douze ans, écrivait le Temps, ont eu pour politique de conquérir à tout prix la faveur de leurs subordonnés. A priori, toutes les réclamations du personnel étaient aux yeux des ministres ou sous-secrétaires d'Etat justes en principe et faciles à satisfaire. Même quand ces réclamations étaient formulées comme des ordres et ceci devint la règle constante tout allait pour le mieux, car il convenait d'éviter un conflit. C'est ainsi qu'on le préparait, et qu'on le préparait plus — — — — grave. Le pouvoir ilattait avec servilité les délégués de Son président, a-t-on révélé, «déjeunait semaines chez le sous-secrétaire d'Etat, l'Association. toutes les qui le consultait sur les promotions, les tableaux sur les nominations des directeurs! » la suite de quelques discussions se manifesta un d'avancement A et FORMES NOUVELLES DES ASPIRATIONS POPULAIRES 157 brusque refroidissement dont le point de départ tut l'insuffisance des crédits, impuissants à satisfaire de commis, habitués à parler en maîtres devant des chefs très déférents, furent indignés d'une ébauche de résistance et commencèrent à menacer. Le conflit devenait psychologiquement évident, au premier refus d'un pouvoir toujours prêt croissantes exigences. Ces à céder. II éclata bruyamment, pour le plus futile motif. Le 13 mars, une délégation n'ayant pas obtenu du ministre ce qu'elle exigeait. c"est-à-dire la suppression de l'avancement au choix, sortit de l'audience en poussant des hurlements de fureur et se précipita vers le bureau central de télégraphie. Elle y sema le désordre par ses vociférations et commença la grève. Cette dernière fut votée à l'unanimité le lendemain par les postiers et télégraphistes réunis au Tivoli Vauxhall. On connaît ses résultats. Après quelques jours de vague résistance et de menaces de révocation, le gouvernement, malgré l'appui de la Chambre, capitula de la plus complète, et, il faut bien le dire aussi, de la plus humiliante façon. C'est, en etïet, très humblement, que des ministres, disposant de toute la puissance publique, cédèrent aux injonctions insolemment formulées de fonctionnaires révoltés. Le représentant des postiers sut bien marquer la forme humiliante de la défaite devant ses camarades enthousiasmés par un succès si imprévu. Quand j'ai vu, hier, dans le cabjnet du Président du Conseil, gouvernants à genoux, pour ainsi dire, nous demander l'apaisement du conflit, j'ai senti que nous étions forts parce que nous étions résolus. les Les révoltés ne mirent pas longtemps à dégager les enseignements de leur triomphe. Il a été "clairement indiqué par un de leurs délégués. Nous avons appris par notre mouvement la signification 14 du 158 PSYCHOLOGIE POLITIQDE ET DÉFENSE SOCIALE maitre. Pour nous, il n"v n plus île umitres... Nous plus des subordonnés, mais dos collaborateurs. Miot ne sommes Ce délégué de fut modeste, collaborateurs. Il eût en qualifiant les postiers pu dire plus justement les maîtres, nous l'avons : nous qui sommes montré et le montrerons encore. Quel frein moral, en effet, pourrait arrêter aujour- c'est d'hui des fonctionnaires sachant n'avoir qu'à pour obtenir. Tous, maintenant, y compris menacer la corpo- ration des sergents de ville, font entendre des revendications. C'est un psychologue pratique très expert, le citoyen Pataud, qui. de cette triste aventure, a le mieux déduit la leçon. « Les dirigeants, a-t-il écrit, ont une faute impardonnable à leur actif. C'est d'avoir laissé prendre conscience de leur force à des agents qui ne s'en doutaient guère. » Le même citoyen Pataud n'ignore pas la valeur de la discipline. Ce sagace despote sait se faire obéir de fonctionnaires sur lesquels le gouvernement reste sans action, aussi a-t-il pu assurer en public que s'il ordonnait de jeter tous les chefs de service dans des chaudières, il serait instantanément obéi. Remercions-le de bien vouloir ajourner un peu 1? réalisation de ses menaces. Les feuilles socialistes marquèrent également les conséquences du triomphe de la grève. Voici ce qu'écrivait la plus importante d'entre elles : Le prolétariat peut se rendre compte de la force que lui donnerait la possession de l'outillage des communications postales, téléphoniques et télégraphiques, lorsqu'il les prendrait en main à son usage, non plus, comme dans la grève d'aujourd'hui, pour une revendication particulière ou pour le renvoi d'un sousniinistre, mais pour une lutte générale, à l'heure décisive, en vue de son émancipation. Une sions, fois il c'est ce engagé dans la voie des lâches conces- faut la parcourir jusqu'à la chute finale et que nous faisons maintenant. FORMES NOUVELLES DES ASPIRATIONS POPULAIRES 159 Les journaux ont signalé cette invraisemblable énorniité que le Conseil d'administration des chemins de fer de l'Etat avait décidé de s'adjoindre un des secrétaires de cette confédération révolutionnaire du travail qui ne cache pas son intention de défruire violemment la société. On voit jusqu'où peut pousser l'aiguillon de la peur et on devine quel avenir attend des chefs, ne comptant que sur la méprisante pitié de leurs subor- donnés. Bien que momentané, le succès des fonctionnaires révoltés entraînera des conséquences profondes et lointaines. Je ne m'occuperai ici que des plus rapprochées. Nous allons assister à l'accélération d'une désorganisation générale, commencée d'ailleurs depuis longtemps. Finances, services publics, marine et bientôt armée, tout s'effondrera plus ou moins lentement mais sûrement. Ce sont surtout les forces morales, seules armatures réelles d'une société, qui s'effritent maintenant. Un tel phénomène n'a pas été l'œuvi'e d'un jour. Pendant de longues années, des politiciens avides de succès ne cessèrent de bercer leurs électeurs de promesses irréalisables et de flatter les plus bas instincts populaires. Les comités électoraux, les instituteurs et les cabaretiers devinrent nos vrais maîtres. D'une pareille collaboration, quel idéal pouvait sortir? Toutes les hiérarchies, toutes les disciplines, tous les dévouements à l'intérêt collectif furent lentement détruits. Ce n'est pas impunément qu'on anéantit de tels sentiments dans les âmes. L'anarchie que nous voyons éclore était donc inévitable et à peine est-il temps encore de méditer sur les enseignements de l'histoire. A Rome, à Athènes, dans les Républiques italiennes, partout enfin, l'anarchie prépara toujours les plus dures dictatures. Devant la situation morale créée par la grève des 160 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE postiers, des les politiciens remèdes. Imbus de ont naturellement cherché grande illusion latine sur la la toute-puissance des lois, ils proposèrent immédiatement de combattre le désordre avec des règlements et le gouvernement combina vite une loi sur le statut des fonctionnaires destinée à punir ceux qui se mettront en grève. Un tel degré de naïveté est surprenant. On s'est étonné de voir un journal sérieux qui a souvent montré comment le gouvernement passait « de l'énergie des paroles à la veulerie des actes », croire à l'efficacité de semblables mesures. Est-il beaucoup de personnes capables d'admettre que lorsque dix mille employés se mettront en grève, la perspective de la révocation ou même de la prison pourra les arrêter? On les avait aussi menacés de la révocation dans la dernière grève. Quelle action la menace a-t-elle exercé sur eux? Absolument aucune. Ce moyen n"a pas été d'ailleurs le seul proposé la discussion sur la grève au Parlement en a fait surgir de plus candides encore. Un député, d'âme évidemment simple, est venu assurer la Chambre que tout rentrerait dans l'ordre si le sous-secrétariat des postes était transformé en ministère Des mots et des formules nous ne savons pas sortir. En fait de remèdes, il n'en existait qu'un seul et après la seconde grève, force fut d'y avoir recours. La conduite à tenir était exactement celle qui s'imposait déjà lors de la grève des électriciens des secteurs, dont les directeurs, par leur pusillanimité, déterminèrent en grande partie la grève des postiers. (Juand une armée en lu-ésence d'une autre se trouve dans l'impossibilité de fuir, il ne lui reste que deux partis à prendre, se constituer prisonnière ou combattre. En cédant, elle se met à la discrétion du vainqueur qui usera largement de sa victoire. En se défendant, elle peut triompher. Vaincue, son sort n'est pas plus dur. Elle a en outre sauvé l'honneur.' : ! FORMES NOUVELLES DES ASPIRATIONS POPULAIRES 161 La seule décision efficace pour le gouvernement la Chambre, était donc de livrer bataille aux forces coalisées contre lui. Électriciens, employés de chemins de fer et de beaucoup d'administrations se seraient peut-être joints aux postiers, l'émeute aurait troublé les rues et Paris se serait vu légèrement affamé pendant quelques jours. Dure peut-être eût été la lutte, mais le succès était .certain. En cédant lâchement, on n'a pas évité de futurs combats, mais alors le triomphe sera beaucoup moins assuré, car s'il est encore possible aujourd'hui de s'appuyer sur l'armée, dans très peu d'années cela ne le sera probablement plus. Il n'y avait donc qu'un moment difficile à passer et mieux valait l'accepter pour en éviter de plus sombres. Deux prinqu'appuyait cipes contraires, l'ordre et la révolution, ne peuvent subsister simultanément. Les peuples ont subi de nombreux bouleversements mais on n'en peut citer aucun ayant vécu longtemps dans un état de révolution permanente, comme celui où nous semblons , entrer. Inutile d'insister sur une thèse juste, mais que n'a pas osé adopter un gouvernement dont plusieurs ministres avaient fomenté diverses grèves et pactisé souvent avec l'émeute, avant d'arriver au pouvoir. Tenons-nous-en donc uniquement aux considérations de philosophie pure, bien qu'elles soient toujours très vaines. Les forces sociales antagonistes en présence sontelles inconciliables? Elles ne le sont certes pas en théorie, leur antagonisme n'étant qu'apparent. Elles le deviennent malheureusement en pratique, parce qu'une des forces rivales dérive de sentiments sur lesquels la raison est sans prise. La haine, l'envie, la magie des mots et des formules a[)parliennent à la catégorie des puissances que la logique ne saurait atteindre. Ce sont donc les esprits qu'il faudrait pouvoir 14. 162 PSYC'WLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE modifier et non les institutions politiques. Filles de nécessités économiques, ces dernières échappent toujours à notre action. Changer les la foule se ses fureurs, loin représentations mentales erronées que des réalités, et calmer ses jalousies et fait une tâche peu est du jour où les politiciens facile. Nous sommes comprendront qu'une société ne se reconstruit pas au gré de leurs caprices, une divinité assez puissante pour apprendront enfin que le perfectionnement d'un peuple dépend uniquement du progrès mental des individus qui le composent. Le syndicalisme actuel, dont la grève des postiers représente une manifestation, est dangereux, non par ses buts très chimériques, mais bien par une discipline et une énergie, auxquelles un Parlement disque l'Etat n'est point tout transformer, oîi ils crédité, divisé et sans force, n'oppose qu'incohérence et faiblesse. L'expérience du passé prouve que le monde a toujours appartenu aux audacieux, dominés par un idéal puissant, qu'elle qu'en fût la valeur. C'est avec des volontés fortes, soutenues par des convictions puissantes, que furent détruits de grands empires et fondées de grandes religions capables d'asservir les âmes. La faiblesse philosophique des nouveaux dogmes ne saurait donc nuire à leur propagation. Les volontés disciplinées et actives qui les défendent les rendent redoutables. Il leur suffirait de se maintenir pour créer un droit nouveau, car le droit n'est que de la force qui dure. CHAPITRE V L'Impopularité parlementaire au commencement de C'était la et !a surenchère. Révolution française ; l'habitude de se débarrasser de ses contradicteurs en leur coupant la tète n'était pas encore régulièrement Le doux Saint-Just guettait celle de Camille Desmoulins, mais n'avait pu réussir encore à la lui faire supprimer. Profitant d'un répit qui devait être assez court, le célèbre polémiste écrivait avec une établie. fiévreuse activité ses dernières réflexions. Elles paraissaient dans un petit journal nommé Le Vieux Cor- delier. Vous n'avez jamais lu, sans doute, cette feuille vénérable, je ne la connaissais pas davantage jusqu'au jour récent où le hasard mit sous mes yeux le numéro du « 20 frimaire an II de la République une et indivisible. » Son instructive lecture prouve, à qui aurait pu l'ouque dès les débuts de la Révolution, la méthode blier, de la surenchère, ce fléau des démocraties, sévissait furieusement. Camille Desmoulins s'en plaint avec amertume et indique les moyens de la combattre en rappelant une vieille histoire de l'époque romaine. En ce temps-là, dit le célèbre polémiste, que je résume un peu, vivait à Rome un certain député collectiviste du nom de Gracchus, devenu très gênant, parce qu'il faisait aux ouvriers quantité de promesses irréalisables. Ces promesses le rendaient fort popu- 164 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE mais dépopularisaient en même temps le Sénat. Inquiète de ses manœuvres, l'illustre assemblée finit par prendre à sa solde un anarchiste du nom de Drusus, chargé de renchérir sur toutes les motions de laire, Gracchus. Ce dernier demandait-il de livrer au peuple pain à quatre sous la livre, Drusus proposait aussitôt de le donner pour deux sous et ainsi de suite. En peu de temps. Gracchus perdit toute sa popularité. Il la perdit même tellement que ses anciens adorateurs finirent, à la grande satisfaction du Sénat, par lui casser la tète. Ses contemporains le plaignirent peu, et la postérité moins encore. Tel est le sens général de l'histoire rapportée par le Vieux Cordelier d'après les auteurs latins. L'apologue du célèbre polémiste ne fut pas compris et sous l'influence des surenchères journalières, la République descendit rapidement la pente des violences, de l'anarchie et des mesures arbitraires ({ui la firent sombrer dans la dictature. Certes, la surenchère constitue, en apparence du moins, un assez sûr moyen de vaincre ses rivaux, surtout si ces derniers gardent quelques scrupules et si du premier coup on va assez loin. Il est incontestable que le député socialiste qui promettait jadis 6.000 francs de rente à chacun de ses électeurs, en échange d'une heure de travail quotidien, dans le cas où son parti triompherait, ne devait pas craindre beaucoup de surenchères. On eût pu tout aussi aisément promettre à chaque électeur 12.000 francs de rente et une automobile conduite par un bourgeois enchaîné sur le siège; mais, en matière de surenchère, s'il est recommandable d'arriver de suite aux extrêmes limites du vraisemblable, il est dangereux de trop les dépasser. La méthode de la surenchère étant très commode. certains politiciens ont pris l'habitude d'en user largement. C'est seulement maintenant qu'ils lui décou- le . vrent d'assez nombreux inconvénients. IMPOPULARITÉ PARLEMENTAIRE ET SURENCHÈRE 165 Promettre n'est jamais difUcile, tenir l'est toujours. Sans doute, peut-on ajourner pendant quelque temps les réalisations, en invoquant l'opposition des partis, mais un moment arrive où l'électeur finit par découvrir qu'on l'a berné avec des chimères. 11 perd alors ses illusions et les illusions sont choses trop précieuses pour qu'on les perde sans colère. Aujourd'hui, grâce justement à leurs surenchères, beaucoup de parlementaires sont enveloppés d'un nuage d'impopularité qui s'accroît chaque jour. Non pas, certes, que ces législateurs aient manqué de zèle, mais nul n'est capable de créer l'impossible. Or, ce qu'on a promis est précisément l'impossible. Se heurtant sans cesse à des nécessités naturelles, les lois édictées n'ont fait parfois qu'accentuer les maux qu'elles prétendaient guérir. De surenchère en surenchère, le Parlement avait voté des retraites ouvrières qui eussent coûté annuellement. 800 millions, des retraites pour les employés de chemin de fer en exigeaient 200, etc. Les intéressés eux-mêmes, comprenant l'absurdité de ces votes, laissèrent le Sénat les ramener à des chiffres vraisemblables. Dupé d'abord par de magnifiques promesses, le peuple a fini par s'apercevoir que seuls, restaient vivaces aujourd'hui chez ses maîtres, les conflits d'appétits, et que leur morale se ramenait à une course vers la satisfaction de ces appétits. 11 vit les candidats, si humbles votes, devenir ensuite lorsqu'ils se disputaient ses tyranniques avec les faibles et trop dépourvus de convictions pour reculer devant les plus irréalisables programmes, les plus absurdes promesses. Aujourd'hui le député est à la fois l'esclave de son comité et le tyran de ceux dont il ne pqut escompter les voix. Il lui faut toujours servir les besoins et les haines de ses électeurs influents. Son existence est véritablement peu enviable. On en jugera d'après le tableau tracé par M. Raymond Poin- 166 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE c-aré, de la vie d'un notaire de ]»rnvince devenu dé- puté, puis ministre. 11 mit peu de temps aies perdre. 11 d'abord subir la promiscuité du comité électoral et ses exigences. Elu, il essaya d'être indépendant. On lui fit comprendre qu'il ne fallait pas s'amuser à ce jeu. Il dut s'inféoder à un groupe. Les lettres qui affluaient demandant des palmes, des secours, des places ne l'y obligeaient-elles pas ? Puis il devint ministre. A peine était-il désigné que son antichambre était envahie par une vingtaine de jeunes gens ambitieux de s'embarquer sur l'esquif qui portait sa fortune. Après une tentative tôt réprimée de résistance, il en fit des «hefs, des sous-chefs, des chefs adjoints, des attachés de ca- Il était plein d'illusions. lui fallut binet. Mais il même gouverner. Les séances du dissuadèrent promptement. Il fallait voulait tout de conseil des ministres l'en vivre d'abord, durer, éviter les naturellement, et lassé, dégoûté, sa petite ville et à son champ. affaires il gênantes... il tomba est discrètement retourné à Parmi les députés, certains sont cependant pleins de bonne volonté. Réunis en foule, ils ne peuvent rien. Un député de la gauche, M. Labori, qui a renoncé A se représenter, marque très justement cette impuissance dans les lignes suivantes : L'initiative parlementaire est à peu près nuUi- pour tout ce qui touche aux intérêts généraux. Le travail parlementaire se fait sans l'ègle, sans ordre, sans sincérité. Les votes escamotés sont acquis. Le contrôle parlementaire est impossible. Les députés sont subordonnés aux ministres dont ils ont un besoin continuel pour assurer à leurs électeurs la justice qui, dans l'état de nos mœurs politiques, est devenue une faveur. Le Parlement et le gouvernement réunis sont cahotés entre les exigences d'une démocratie chaque jour plus impérieuse et celles dune oligarchie financière qui défend ses intérêts, et non ceux de l'Etat. Ainsi la vie politique n'est qu'un perpétuel compromis entre deux puissances de surenchère ou de corruption la ilémagogie et l'argent. La Chambre vole les lois au hasard des intérêts de l'heure. Quatre années m'ont enseigné qu'au Parlement les hommes de bonne volonté et de pensée droite s'épuisent en vains efforts. : L'usage de la surenchère a été une des Causes prin- IMPOPULAnilÉ PAHLE.MEXTAIRE ET SURENCHÈRE 167 cipales d'antipathie croissante contre le Parlement^ dont sont animés beaucoup de citoyens comme nous le montrerons bientôt. Examinons d'abord les méthodes gouvernementales qu'elle engendra. L'habitude de la surenchère rend naturellement très obéissant devant les menaces. On cède par crainte de voir ses collègues céder. Or. ce n'est guère que dans la classe ouvrière, que se font entendre de bruyantes menaces. C'est donc pour elle surtout que le Parlement a légiféré, accumulant les lois sociales, sans s'occuper de leurs répercussions, et sans se douter qu'elles ne feraient qu'attiser des haines. Ces terribles lois sociales ont en effet semé partout la discorde, grevé lourdement nos tinances et gêné singulièrement notre industrie. Le directeur d'une de nos plus grandes compagnies de navigation maritime écrivait récemment qu'elles étaient une des causes de la triste décadence de notre marine marchande. Elles limitent graduellement l'avenir de nos entreprises industrielles en obligeant les patrons, entravés par des règlements tatillons, à supprimer de fait l'apprentissage, jetant ainsi sur le pavé des milliers d'enfants dont beaucoup sont devenus de dangereux criminels. L'assistance aux vieillards n'a guère servi qu'à allouer plus de 90 millions par an aux électeurs influents, comme l'ont prouvé récemment des rapports officiels. Qu'on y ajoute la centaine de millions aljandonnés aux bouilleurs de cru, puis les centaines do millions que coûteront les retraites ouvrières votées par le Parlement, et on aura une idée du poids que peuvent faire peser sur le budget et l'industrie les surenchères de l'intérêt individuel talonné par la peur. Bien entendu, le législateur se soucie peu des conséquences de ses lois. La plus anodine en apparence coûte cependant fort cher. Dans le Bulletin officii'l de la Ville de Paris du 2 avril 1908, on peut lire le rapport d'un conseiller constatant avec amer- 168 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE tume que pour ses services municipaux, la ville était obligée de payer à la Compagnie qui lui fournissait le charbon nécessaire aux usines des eaux, nne augmentation annuelle de 600.000 francs, conséquence des nouvelles lois ouvrières. Les municipalités auraient tort de se plaindre, car elles pratiquent la surenchère tout autant que les politiciens. Un joui'nal financier, Le Globe, montrait dans son numéro du 19 août dernier que les mesures prétendues humanitaires du conseil municipal de Paris avaient coûté aux actionnaires des diverses compagnies detrannvays parisiens plus de 75 millions. Ces compagnies ayant vu disparaître tout leur capital et n'exploitant plus qu'à perte, ne distribuent naturellement aucun dividende à leurs actionnaires. Les socialistes diront que c'est tant mieux. Ils découvriront que c'est tant pis lorsque devant la grève fatale des futurs actionnaires les municipalités se verront obligées d'assurer elles-mêmes leurs services. Ce seront alors tous les contribuables, y compris les socialistes, qui subiront les pertes. Ce jour-là, ils commenceront à comprendre la puissance des lois économiques. Rien ne servirait de récriminer puisque la surenchère, l'humanitarisme et la peur sont devenus nos guides. De tels fléaux sévissent fréquemment chez les peuples sans stabilité mentale et que menace la décadence. On conçoit facilement maintenant les causes prinde l'impopularité du Parlement. Illusions créées par l'abus des promesses. Tentatives de réaliser ces impossibles promesses et par suite désordre jeté dans le commerce, l'industrie et les finances. Persécutions de classes entières de citoyens aux dépens desquelles on a voulu exécuter ces promesses. Déce])tion de tous les croyants dans la puissance de l'Eta- cipales tisme. IMPOi'L r.ARITÉ PARLEMENTAIRE ET SURENCHÈRE Suivons maintenant parlementarisme dans le 169 développement de l'anticouches sociales. les diverses Inutile, naturellement, d'insister sur sa progression dans le clergé et chez les catholiques, c'est-à-dire dans une fraction déjà notable de la nation. On ne peut espérer que des gens dépouillés, traqués, persécutés de toute façon, puissent avoir de la sympathie pour des oppresseurs qui se déclarent leurs irj-éductibles ennemis. Donc inimitié certaine, et d'ailleurs fort justifiée, de leur part. La même inimitié est évidente encore, quoique nullement justifiée cette fois, chez les instituteurs et de nombreux fonctionnaires. Aucun gouvernement n'a autant très pour fait les insti- tuteurs que la République actuelle, aucun cependant n'a récolté pareille impopularité. L'adhésion récente Fédération des syndicats d'instituteurs à la Conrévolutionnaire du travail traduit nettement l'esprit dont ils sont animés. Quant à l'hostilité des fonctionnaires proprement dits 800.000 environ elle croît à mesure que sont exaucées leurs revendications et si l'on ne réussit pas à les dominer, ils pourront nous conduire fort loin. Non seulement en écrasant progressivement le budget, mais encore par leur prétention de se substituer aux autres pouvoirs et de former de petits Etats dans l'Etat. Tant qu'il obtempérera à leurs désirs, le gouvernement pourra compter sur eux dès que cela deviendra impossible, faute d'argent, comme pour les postiers, il les verra se dresser contre lui. Ce que les fonctionnaires demandent maintenant, c'est simplement « détruire la puissance ministérielle pour la répartir entre les administrations mêmes », Ce serait le despotisme complet du rond-de-cuir. Mieux vaudrait sûrement Héliogabale ou Tibère, On peut se débarrasser d'un tyran et son pouvoir est toujours éphémère. La tyrannie anonyme et indestructible des bureaucrates nous laisserait sans espoir, de la fédération — " — ; 15 170 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE Nous sommes pourtant menacés de finir par elle. On a depuis cent ans, en France, renversé bien des régimes, bien des chefs d'Etat, bien des ministres, seule la puissance des fonctionnaires n'a jamais été Sur toutes les ruines accumulées ils n'ont effleurée. fait que grandir, et on entrevoit le jour où définitivement nos seuls maîtres. Presque autant que la classe ils seront des instituteurs et des fonctionnaires, celle des ouvriers a été depuis vingt ans favorisée par les législateurs. Cependant ces der- n'ont pas de plus bruyants adversaires. Nul besoin d'être un Machiavel pour expliquer ce phénomène. Il résulte des invariables lois de la psychologie populaire. Les foules ne respectent que les gouvernements forts. Elles n'ont jamais, je l'ai dit déjà, de reconnaissance pour ce qu'elles obtiennent par les seules menaces. Le mépris du faible a toujours été leur loi. L'antiparlementarisme des ouvriers en général, et de la Confédération du travail en particulier, est indiscutable. Leur haine contre les législateurs s'adresse à tous les partis, aux socialistes surtout. Pour les cléricaux seulement ils manifestent parfois quelque indulgence, sans doute parce que leur mentalité est assez voisine. L'ouvrier rêve aujourd'hui d'une autocratie populaire nouvelle dressée contre l'autocratie jacobine. Il est persuadé que, grâce à ses mystérieuses capacités, le prolétariat réalisera ce que n'a pu réaliser la bourniers geoisie : le bonheur universel. A force d'entendre les parlementaires lui promettre des miracles, lui proclamer tous les jours qu'il est le maître souverain de toutes choses, investi de tous droits, sans nul devoir, qu'il n'a qu'à vouloir pour pouvoir, le Nombre, écrit M. Jules Roche, « a fini par croire ses courtisans. Plus de politiciens! Plus d'action parlementaire! IMPOPULARITÉ PARLEMENTAIRE ET SURENCHÈRE lî l Tout par raction directe » est aujourd'hui la devise des entraîneurs populaires. Sentant cette hostilité croissante, les socialistes avancés ont tâché de la combattre par des flatteries, mais ils n'ont abouti qu'à des échecs et en sont arrivés à ne plus oser se montrer dans les grands meetings ouvriers. Quand par hasard ils essaient de s'y insinuer, c'est pour se voir accueillis de la plus insolente façon. On en jugera par les extraits suivants d'un compte rendu que j'emprunte au journal Le Temps flu 21 mai 1909 : M. Dejeante, député de Paris, essaye d'obtenir le silence il adjure les auditeurs de rester calmes, il n'obtient qu'une ; réponse : — Hou hou les quinze mille Toute la salle est debout, soit sur les banquettes, soit sur les tables. Les interruptions opposées se croisent Dehors, les mouchards A la porte, les députés Le tapage redouble encore lorsque M. Dejeante veut prononcer son discours. Je suis un vieux syndiqué, dit-il. Et un « quinze mille » en même temps lui répond le groupe des interrupteurs. Nouvelle bagarre. M. Dejeante voulant parler quand même, les révolutionnaires entonnent V Internationale. M. Dejeante prend le parti de faire chorus avec eux la un de V Internationale est accueillie par des applaudissements frénétiques. Puis, c'est un libertaire qui vient prêcher le sabotage Nous avons entendu des gens parler de révolutions et qui s'en sont fait des rentes. Messieurs les députés qui avez table bien servie, auto et le reste, vous en parlez à votre aise. Mais nous n'avons rien, nous n'aurons ritn. Il ne s'agit pas de discours. ! ! ! — — : ! ! — — ! ; : — Il faut des actes. Pour des raisons très diiîérentes, mais parfaitement justifiées, les industriels et les capitalistes, c'est-à-dire générateurs de la richesse nationale, ne professent aucune sympathie pour nos gouvernants. Non seulement ces derniers ne les ont guère protégés contre le sabotage, l'incendie et les violences de toute les vrais 172 PSYCHOLOGIE POLITIOLE ET DÉFENSE SOCIALE mais ils entravent cliaque jour leurs industries par les lois sociales les plus vexatoires, en attendant de pouvoir détruire définitivement leurs fortunes par des impôts inquisitoriaux plus vexatoires encore. On croit ne pas devoir les ménager parce qu'ainsi que le dit M. Pierre Baudin dans son livre La Politique réaliste^ « les sociétés ne sont plus représentées par l'élite >>. Cela n'est vrai que d'apparence. En réalité, je l'ai précédemment montré, les élites ne furent jamais aussi nécessaires qu'aujourd'hui. Loin de diminuer leur r(Me grandira encore. Sans élites, ni science, ni industrie, ni progrès matériels. Sans elles ce serait la basse décadence socialiste caractérisée par l'égalité dans la misère et la servitude. Donc le parlementarisme s'est créé des ennemis nombreux et variés. Toutes les classes lui témoignent de l'aversion. Une seule, la bourgeoisie moyenne, ne lui est pas hostile, mais simplement indifférente, immensément indifférente. M. d'Auriac. dont j'ai plusieurs fois cité les écrits, l'a très bien montré dans sorte, les termes suivants La bourgeoisie : composée d'éléments divers, secouée par dix révolutions, est profondément indifférente à toutes les formes de gouvernement. Elle n'est ni royaliste, ni impérialiste, ni républicaine. Elle vote pour la république parce que la république existe, elle est conservatrice, non d'une forme de gouvernement, mais de ce qui est. Elle est fidèle à celui, quel qu'il soit, qui lui donne la paix et la sécurité. Le lendemain de la chute elle ne le connaît plus puisqu'il ne peut plus lui servir à rien. française, Une des causes les plus actives de l'impopularité parlementaire est la tyrannie véritablement odieuse que le député de province, obligé d'épouser toutes les haines locales de son comité, fait lourdement peser sur les citoyens n'appartenant pas à son parti. Dans une interview publiée par Le Journnl. M. Loubet, qui fut député avant de devenir Président de la République, lit à ce sujet les révélations suivantes : Comment voulez-vous que l'on conserve le scrutin d'arron- IMPOPIIARITÉ PARLEMENTAIRE ET SURENCHÈRE 173 dissemcnt dans l'état misérable où il est tombé avec les réprésentations qu'il adonnées et qu'il préparerait encore? C'est le comble de l'abaissement. On n'a pas idée à Paris des mœurs que ce système déformé a fini par créer dans les provinces, des tyrannies qu'il a érigées, des procédés d'oppression publique qu'il a installés. « Celui qui ne vote pas pour moi est mon ennemi. » Voilà la formule. Elle ne se déguise pas. Peu importe que la grêle tombe sur la vigne de l'adversaire et que son bétail soit emporté par la maladie. Il y aura des indemnités pour certains électeurs. Il n'y en aura pas pour les autres. Tant pis pour eux s'ils sont ruinés ça leur apprendra à ne pas faire partie de la clientèle triomphante Dans un pays centralisé comme la France, de telles mœurs ont pu durer très longtemps, mais elles sont arrivées à un point d'excès où l'instinct de justice qui est si vif chez nous finit par être universellement révolté. Et il est dangereux d'exaspérer en France le sentiment de justice. : ! Les hommes les plus éclairés ont fini par se for- mer de la Chambre des députés une idée très sévère. On en peut juger par l'extrait suivant d'un manifeste du comité républicain de République proportionles plus connus de l'Tnstitut, de la Sorbonne. de l'Industrie et du Barreau MM. A. Carnot, Bouchard, Croiset, Dastre, Painlevé, Ilarmand. Diehl, Fernand Faure, etc. Cet etc. J. comprend une cinquantaine de noms, la plupart éminents. Au fond, ce manifeste signifie simplement que, par trop opprimée, l'élite finalement se révolte. « nelle ». Il est signé des la noms : L'usage du scrutin d'arrondissement a perpétué des mœurs la candidature officielle, électorales et politiques intolérables l'arbitraire dans les actes ; administratifs, l'arbitraire même dans l'application des lois, la faveur substituée à la justice, le désordre dans les budgets où les intéde clientèle prévalent sur l'intérêt général. Il faut aflranchir les députés de la servitude qui les oblige à satisfaire des appétits pour conserver des mandats. Il faut mettre plus de dignité et de moralité dans l'exercice du droit de suffrage; substituer la lutte des idées à la concurrence des personnes. dans les services publics, le déficit rêts privés et Comment, après avoir accumulé toutes les classes, le régime tant d'hostilité dans parlementaire peut-il encore subsister? 15. 174 11 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE dure, et probablement durera longtemps, grâce à cette raison tout à fait capitale d'être à peu près le seul gouvernement possible chez les peuples civi- justement pourquoi tous l'ont adopté. régime parlementaire ait à sa tête un souverain héréditaire, comme en Angleterre, en Belgique et en Italie, ou un chef élu comme en France et en Amérique, ce sont toujours des parlements qui légiC'est lisés. Que le fèrent et des ministres qui gouvernent. Les derniers gouvernements autocratiques de l'Europe, la Russie et la Turquie, ont dû finir par accepter le parlementarisme, ne pouvant faire autrement. Quand un régime est inévitable il faut l'accepter, mais tâcher de l'améliorer. On améliorera le régime parlementaire par un mode d'élection des députés leur donnant quelque indépendance à l'égard des électeurs. On l'améliorera encore au moyen des mesures que j'ai indiquées contre la dangereuse armée des fonctionnaires. Lorsque ces derniers seront uniquement, ainsi que dans l'industrie privée, des agents auxiliaires, à l'égard desquels aucun engagement n'aura été pris au début de leur carrière, ils se considéreront comme des serviteurs facilement remplaçables et ne s'érigeront plus en maîtres impérieux. Enfin le régime parlementaire sera surtout amélioré quand les gouvernants se décideront à faire preuve d'un peu d'énergie et à ne plus pactiser sans cesse avec l'émeute, sous prétexte d'apaisement. Comment, malgré tant d'exemples répétés, les hommes au pouvoir n'arrivent-ils pas à découvrir que leur faiblesse constante, leurs amnisties à jet continu ne font qu'accroître l'armée des révoltés, des incendiaires et des saboteurs? Et par le fait seul que les amnisties sont à jet continu, les émeutes le sont aussi. Le bilan en devient de plus en plus sombre. 1907, révolte de deux départements du Midi et mutinerie d'un régiment; 1908, insurrection à main . IMPOPULARITÉ PARLEMENTAIRE ET SURENCHÈRE armée de Draveil; 1909, grèves des 175 postiers et des maritimes, grèves révolutionnaires de Méru et de Mazamet, sabotages variés, emploi de la dynamite pour faire exploser des bateaux; 1910, nouvelle grève des inscrits de Marseille, etc. Une faiblesse aussi constante que celle de nos gouvernants ne saurait longtemps durer. Quand l'anarchie grandit sans cesse et que le parti de l'ordre faiblit toujours, c'est l'anarchie qui finit par triompher. inscrits CHAPITRE VI Les Progrès du Despotisme. L'évolution du collectivisme et du syndicalisme révolutionnaire vers un despotisme absolu est une des caractéristiques de l'âge actuel. Un grand journal en donnait récemment l'exemple suivant, choisi entre mille. Un cas tout à fait odieux de tyrannie syndicale vient de se produire à Cette. Douze ouvriers sont mis, par le syndicat, dans l'impossibilité absolue de tiavailler, et par conséquent de vivre, ces ouvriers-là n'ayant pour vivre que leur travail. Quel est donc leur crime ? De s'être laissé embaucher durant une grève récente qu'ils n'approuvaient point. Nulle part la tyrannie syndicale n'a exercé de tels ravages et causé tant de ruines qu'cà Cette, une pauvre ville très affaiblie déjà par la crise économique. Les ouvriers dockers, par leurs prétentions exorbitantes, par leurs grèves incessantes, ont tout fait pour détruire ce qui restait encore de vie dans notre second port méditerranéen. La pauvreté, la misère augmentent; les quais restent déserts c'est à peine si, à de rares intervalles, un navire se montre dans le port. ; Ce n'est pas à Cette seulement que se produisent semblables faits. On peut les observer partout. Après avoir constitué une exception, ils deviennent la règle. Une telle généralisation résulte de causes lointaines. Les événements politiques et sociaux ne germent pas spontanément. Ils ont des racines profondes et représentent toujours l'épanouissement de phénomènes antérieurs. Les discours de tous les orateurs politiques, du LES PROGRES DU DESPOTISME 177 la Révolution à nos Jours, proclament sans cesse la haine du despotisme et l'amour de la liberté. L'histoire de la même période révèle, au contraire, début de — surtout de celle l'horreur profonde de la liberté, des autres et le goût de la tyrannie. Toutes nos batailles politiques ont roulé presque exclusivement sur la question de savoii' quel parti exercerait cette tyrannie et quelles classes de citoyens la supjtorteraient. Nous avons peu varié depuis Louis XIV. L'Etat persécutait alors les protestants et les Jansénistes rebelles à ses volontés. Il continue aujourd'hui la même méthode, vis-à-vis de ceux qui ne pensent pas comme lui, et les dépouille de leurs biens. Nos petits despotes ne sont pas assurément très comparables à Louis XIV. mais ils possèdent les mêmes besoins de domination. Les syndicats ouvriers sont héritiers de l'esprit du grand roi. Tous les partis sont animés en France d'une égale et farouche intolérance, d'une identique tendance à la tyrannie. Comme l'écrit justement Faguet, ce qu'on enseigne d'abord à l'enfant, c'est une doctrine à détester, des catégories de citoyens à haïr. On sait avec quelle vigueur un trop grand nombre d'instituteurs développent ces sentiments dans les couches populaires. Notre goût très vif pour le despotisme et notre horreur invincible de la tolérance, étant des sentiments manifestés par les classes sociales les plus différentes, il faut bien les subir. Pratiqué d'abord parla noblesse et les rois, puis par la bourgeoisie, le despotisme l'est maintenant par les classes populaires. Elles apportent naturellement dans son exercice les violences caractéristiques de leur mentalité rudimentaire. Ces violences ne déplaisent — nullement d'ailleurs aux socialistes puisqu'ils ne cessent de ITatter leurs maîtres avec des expressions d'adulation que seuls les rois nègres obtenaient jusqu'ici de leurs esclaves. Toutes les décisions élaborées dans les vapeurs de 178 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE par quekiues meneurs attablés chez des marchands de vins sont écoutées avec respect et humble- l'alcool ment obéies. Ces entraîneurs et les foules qui les suivent blement impulsifs. facile, même eux. Les l'injuste, forment sont terri- Servir de tels maîtres n'est pas en se prosternant perpétuellement devant primitives ne connaissent, en effet, ni âmes ni l'absurde, la majorité, ni on Comme l'impossible. est bien obligé elles de subir les du nombre interprétées par les esclaves du nombre. 11 faut, et notre Parlement ne fait guère fantaisies autre plus incohérentes mesures, mépriser les nécessités écono- chose, voter les rejeter les traditions, miques, agir contre les lois naturelles, n'obéir enlin qu'aux intérêts et aux impulsions du moment. Ces impulsions représentent les volontés du syndicalisme et du collectivisme révolutionnaire. Parmi les meneurs les plus influents, figure la demi-douzaine des chefs de la Confédération du travail. Leur pouvoir absolu a vite fait pâlir celui des socialistes, précisément parce qu'il est absolu. La mentalité de ces meneurs est cependant singulièrement inférieure. M. Deschanel en a très bien mis en évidence les éléments dans un discours : sont k la fois césariens, aristocrates et mystiques. Césaricns, autant par leur mépris des institutions parlementaires que par leur mode de votation arbitraire et la direction autoritaire de la confédération aristocrates par leur dédain du suffrage universel et de la démocratie mystiques puisqu'ils croient au « cataclysme » d'où surgira le monde nouveau. Ils se flattent de ne plus croire aux mythes et ils vivent sur un mythe comme aux âges primitifs. Le miracle est déplacé, il a changé de forme mais c'est toujours le miracle, le coup magique qui renouvelle les sociétés en changeant la nature Ils ; ; ; humaine elle-même. L'idéal de ces âmes rudimentaires représente une régression politique et sociale complète, un retour à la barbarie des premiers où dominait ce collectivisme pur dont l'humanité eut tant de peine à sortir. 179 LES PROGRES DU DESPOTISME Leur mentalité et le but poursuivi les rapprochent beaucoup des premiers chrétiens. Les prophètes juifs fuhninaient eux aussi contre les riches et annonçaient le règne de la justice et de l'égalité. Les Pères de l'Eglise déclaraient avec saint Basile et saint Jean-Ghrysostome que les riches sont des lar- Pour saint Jérôme, la richesse était toujours produit du vol. Il fallait revenir à la communauté des biens, à l'égalisation des fortunes. Les chefs de la Confédération peuvent donc invoquer de célèbres prédécesseurs. rons. le Le besoin de tyrannie est un sentiment de race faisant partie, à vrai dire, de notre constitution psy- chologique. comme je On l'ai le prouve aisément en comparant, tenté déjà, les effets d'institutions iden- tiques chez des nations différentes. Considérons par exemple le syndicalisme, évolution naturelle de l'esprit corporatif, qui se développe chez tous les peuples. En France, ment de violence, prêchant il est devenu un instru- la révolte, la haine, l'an- un agent de désagrégation sociale menaçant l'existence même de notre pays. En Angleterre, le syndicalisme est, au contraire, une institution pacifique fort utile pour régulariser les rapports entre patrons et ouvriers et n'incitant à la haine et à la révolte contre personne. Ce phénomène impressionna beaucoup les ouvriers d'une délégation, chargée récemment d'aller étudier sur place, l'organisation du travail en Angleterre. Voici un extrait de son rapport tipatriotisme, l'antimilitarisme, et constitue : Nous avons l'esprit national qui anime nos nous ont parlé de leur sentiment de fraternité aucun ne trouve à exprimer de sentiments hostiles ou du moins violemment hostiles au gouvernement anglais. En plusieurs cas, notamment à la Bourse du Travail de Manchester, nos camarades syndiqués ont porté la santé du roi. Nos amis ne paraissent point aussi prompts que nous à faire la critique de leur propre pays. amis. Tous universelle été frappés par ; . 180 PSYCHOLOGIE POLITIQLE ET DÉFENSE SOCIALE Nous avons vu nos camarades des syndicats s'asseoir à la table des patrons, nous inviter à en faire autant. Il semble que les relations aient une forme plus diplomatique entre syndicats ouvriers et syndicats patronaux. Je ne sais pas si le siècle actuel assistera, symptômes, à comme naissance d'une religion nouvelle. Elle aura droit à notre admiration si elle réussit à nous inculquer l'esprit de tolérance et l'horreur du despotisme, sentiments totalement ignorés de nos mentalités latines. Les conséquences de la tyrannie exercée par les meneurs ouvriers ne s'aperçoivent que lorsqu'elles se manifestent sous forme de grèves ou d'insurrections, comme àDraveil, mais les plus dangereuses sont celles qu'on ne voit pas. Par leur action continue et l'accumulation de leurs elTets. elles produisent une lente désagrégation des services publics et de l'industrie, c'est-à-dire des éléments de la vie sociale. Redoutant le sabotage qui les ruinerait, certains de ne pas être soutenus par le gouvernement, chefs et patrons acceptent maintenant les yeux fermés toutes les exigences des ouvriers et tolèrent la réduction croissante de leur production. Ils se disent qu'après tout, ce sont des collectivités anonymes, actionnaires ou caisses publiques, qui supporteront les frais de cet état de choses. La diminution du travail et. par conséquent, l'élévation des prix de revient, s'accroissent dans d'énormes proportions, sous l'empire dune crainte générale. Elle règne, cette crainte, dans les secteurs électriques de Paris, où, depuis la grève des électriciens, on n'ose pas prendre la plus anodine mesure sans avoir demandé l'avis du redouté secrétaire dont l'ordre a provoqué cette grève dans les arsenaux où la production d'après la est réduite à ce point qu'ils consacrent, cinq ans à déclaration d'un ministre de la Marine, la construction d'un cuirassé que l'Angleterre édifie en deux ans avec une dépense Ijeaucoup moindre. l'indiquent certains ; la — — 181 LES PROGRÈS DU DESPOTISME Par contagion, l'autorité s'affaisse universellement. Convaincus de leur impuissance, les chefs se désintéressent de la chose publique et ne songent plus qu'à leurs intérêts personnels. De temps en temps éclate une catastrophe, synthèse de toutes ces petites désorganisations et indifférences partielles. Ce ne sont pas des accidents purement fortuits qui causèrent en quelques années la disparition d'importantes unités de notre marine Vléna, le Sully, le Jean-Bart, le Chanzy, la Nive. Le despotisme populaire s'ajoute du reste à beaucoup d'autres. L'autocratie jacobine des collectivistes n'est pas moins oppressive et son action s'étend chaque : jour. Persécutions religieuses pratiquées sur une grande classe très nombreuse, nie contre le commerce lois féroces, expropriations à l'égard d'une d'une intolérable tyran- échelle et l'industrie, etc. Actuellement, elle prépare, sous le nom d'impôt sur le revenu, le plus formidable engin d'oppression individuelle que la France ait connu depuis plusieurs siècles. Tous les économistes ont répété, et Paul Delombre en a refait vingt fois la preuve, dans ses beaux articles, que cet impôt, tel qu'on le propose, désorganisera entièi'ement nos finances déjà si incertaines sans alléger personne. Les collectivistes le savent d'ailleurs parfaitement et s'en réjouissent, puisqu'ils se ju'oposent les deux buts suivants: 1° Persécuter d'une façon insupportable les gens qui ne sont pas de leur parti 2° obtenir par une inquisition fiscale de tous les instants l'inventaire des fortunes, de façon à s'en emparer, soit progressivement, soit en bloc, le jour où il sera possible de le faire par une mesure légale identique à celle qui permit d'exproprier les. congrégations, sans avoir à invoquer d'autre ; que celui du plus fort. En attendant, la loi fonctionnera comme un moyen d'oppression autorisant à écraser de taxes ceux qui déplairont et à dégrever de toute charge les amis. Les collectivistes droit IG 182 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE ne se doutent guère que ce régime d'inquisition deviendrait vite tellement odieux, engendrerait de telles révoltes que son application marquerait, malgré la veulerie universelle, la fin certaine de la Les moutons eux-mêmes finissent par du despotisme est trop intense dans les âmes qu'elle domine pour leur laisser aucun jugement. République. s'insurger. Mais la passion Si le penchant à liberté sont la tyrannie et le mépris de la universels en France, on ne peut nier, cependant, qu'il s'y rencontre une élite d'esprils libéraux éclairés, n'éprouvant pas le besoin de persécuter et d'asservir des classes entières de citoyens pensant différemment qu'eux. Leur nombre est trop minime pour pouvoir former un parti influent. Loin de s'accroître, ce parti diminue chaque jour. pourquoi Ici se pose une question embarrassante cette élite, déjà si faible, se réduit-elle constamment? Comment rencontrons-nous parmi les députés d'ailleurs, : et leurs électeurs, sages : beaucoup d'esprits pacifiques et professeurs, médecins, industriels, ingénieurs, devenus les défenseurs des doctrines les plus subversives? Pourquoi, par exemple, est-ce surtout chez les universitaires que se recrutent les chefs et les principaux apôtres du collectivisme révolutionnaire, de l'antipa- etc., triotisme, de l'antimilitarisme, etc. ? bon sens n'accompagne pas toujours que les intellectuels ne brillent pas tous par l'intelligence serait une insuffisante réponse. Diverses raisons ont déterminé ce nouvel état mental. Il faut citer, au premier rang, la peur, devenue, nous l'avons vu, le véritable mobile des votes parleRappeler que l'instruction le et mentaires. Un ancien député socialiste, M. Fournière, justement exprimé dans les lignes suivantes : l'a très LES PROGRES DU DESPOTISME 183 Du plus anarchiste au plus parlementaire d'entre nous, nous portons tous une chaîne de terreur, la terreur de n'être pas aussi avancé que celui qui est devant nous... Cures de la sociale, nous avons promis le paradis à nos ouailles, où les avons-nous conduites ? Terrorisé par les clameurs des comités que dirigent d'obscurs sectaires, le député redoutant de ne pas paraître assez hardi, de ne pas flatter suffisamment les aspirations populaires, tâche de les dépasser. Pour être entendu, il crie plus fort que ses concurrents et. à force de se répéter, finit par croire à ses propres discours. Cette cause n'est pas la seule de la mentalité que j'essaie d'expliquer. Une des principales est l'antique erreur latine que les sociétés peuvent se transformer par des lois. Tous les partis étant persuadés qu'avec de bons décrets il est facile de remédier aux maux dont chacun souffre, le député est harcelé par ce désir de « faire quelque chose ». Les complications formidables des nécessités sociales lui échappant, ainsi qu'échappait jadis aux médecins la complication de l'organisme, il traite le corps social comme les docteurs traitaient alors les malades, saignant et purgeant au hasard. Eux aussi s'acharnaient à « faire quelque chose >>. Ils mirent plusieurs siècles pour découvrir que beaucoup mieux eût valu ne rien faire, laisser agir les lois naturelles, et éviter ainsi de mettre le doigt dans un mécanisme très compliqué et mal connu. Aucune démonstration fort n'est arrivée à affaiblir en France cette conviction que l'Etat peut tout avec des lois. Elle est même devenue une sorte de dogme religieux intangible pour une foule de sectaires. Dans un lumineux article, M. J. Bourdeau analysait récemment le livre d'un professeur de l'Université, destiné de l'Etat. Suivant ce charger du bonheur du peuple, de son salut terrestre et exercer un rôle ana- à justifier le professeur, rôle l'Etat providentiel doit se 184 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE à celui de l'Eglise au Moyen Age. Quels terribles éducateurs s'est donnés notre démocratie Combien logiie ! funestes ces pédagogues vivant uniquement d'illusions loin des réalités qui conduisent le monde. L'idée d'un Césarisme étatiste absolu pouvant tout se permettre est tellement ancrée, dans la cervelle des sectaires socialistes, que d'après eux l'Etat n'est tenu à respecter aucun engagement, aucun droit et n'a d'autre maître que son bon plaisir. Cette prodigieuse mentalité n'avait été observée, jusqu'ici, que chez les rois nègres de l'Afrique. Ils respectaient, cependant, quelquefois leur parole. Pour socialistes, au contraire, l'Etat n'est nullement obligé à en tenir compte. Le chef du parti socialiste, en France, n'a pas hésité, dans une discussion récente les au Parle'ment, à soutenir cette thèse. Il s'est attiré la réponse suivante, d'un ministre dont le jugement a survécu à son passé socialiste. Comment un contrat est passé entre une Compagnie et l'Etat, ! des difficultés s'élèvent sur l'interprétation du contrat entre les deux parties, et l'une des parties réglerait elle-même ces difficultés en interprétant toute seule le contrat Est-ce possible ? Que deviendrait la parole de l'Etat et j'ose dire le crédit même de l'Etat si les engagements pris au nom du pays pouvaient être le lendemain, ou vingt ou trente ans après le temps ne fait rien à l'affaire reniés avec cette désinvolture ? ! — — De telles évidences devraient sembler indiscutables. Le fait qu'il soit devenu nécessaire de les défendre montre à quel point les doctrines les plus despotiques ont séduit nombre d'esprits. Les observations précédentes révèlent la mentalité des législateurs et l'expliquent un peu. D'où vient celle du bourgeois à tendances révolutionnaires? Inapte généralement à la réflexion et au raisonnement, il adopte, par simple imitation, quelques formules à la mode qui lui permettent de se dissimuler la médiocrité de ses pensées. « Marcher avec son ji 185 LES PROGRES DU DESPOTISME temps, être un homme de progrès», etc. Ce que cela signifie, il ne l'a jamais soupçonné et les braves gens qui l'écoutent ne le savent pas davantage. Il est, du reste, de même que tous les Français, incurablement Etatiste et c'est pourquoi les bourgeois de tous les partis cléricaux, collectivistes, monarchistes, etc.. se trouvent d'accord pour exiger de l'Etat des lois destinées à remanier le monde. Le socialisme synthétisant cette aspiration générale fait, pour cette raison, de rapides progrès dans la bourgeoisie, bien qu'il soit un retour vers la barbarie et nous menace d'un despotisme plus dur que tous ceux étudiés par l'histoire. Aux causes qui viennent d'être données de la mentalité bourgeoise actuelle, s'ajoute encore son antipathie apparente pour la tradition. Aucune classe n'est plus courbée sous son joug et pourtant, aucune ne la déteste davantage, sans doute parce que, de temps à autre, elle sent que, malgré tant d'efforts, il est impossible de détruire sa puissance. On la déteste comme l'esclave déteste le maître qui le domine tout en sachant bien qu'il faut lui obéir. Pour toutes ces causes diverses, des hommes relativement éclairés en sont arrivés à se courber devant les bas démagogues des Eglises nouvelles avec autant de servilité que des courtisans asiatiques devant un souverain absolu. Quelques rares indépendants finissent pourtant par renoncer à servir de pareils maîtres. Un des anciens chefs du parti socialiste belge, M. le sénateur Edmond Picard, a exprimé sa répulsion à cet égard dans une lettre publique dont voici quelques extraits : : Je ne quiUe pas le parti ouvrier, mais je quiUe le groupe des sectaires qui y tapagent et que, suivant la tradition, les raisonnables se laissent aller à suivre. L'inévitable surenchère s'impose à ceux qui craignent de paraître pusillanimes s'ils ne font pas autant ou plus que les extravagants. J'ai une ùme rebelle à l'intolérance. Vous avez, parmi vous, des individualités qui pratiquent, à la sauce socialiste, le Perindc 16. 186 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE ac cadaver d'Ignace de Loyola. Je refuse de m'y soumettre, ne que pour Texemple et pour la dignité humaine. Que ce clergé cherche ailleurs des esclaves. Suivez vos destinées. Leur fatalité vous entraîne. fût-ce Le « clergé socialiste découvrir lité de.s actuelle, il esclaves. n'est pas embarrassé pour Avec l'évolution de la menta» est facile de trouver des âmes prêtes beaucoup plus redoutables que celles des anciens rois absolus. La liberté possède encore des défenseurs théoriques, mais c'est le desà subir des tyrannies potisme qui séduit les foules et leurs maîtres. LIVRE IV LES ILLUSIONS SOCIALISTES ET SYNDICALISTES CHAPITRE I Les Illusions socialistes. Le socialisme dont nous discutons les doctrines ne doit pas être confondu avec le mouvement de solidarité sociale, que nous voyons se développer un peu partout. Ce dernier n'est aucunement issu des théories socialistes et le triomphe de ces dernières ne pourrait même que l'entraver. Etablir universellement le même niveau égalitaire sous la main rigide de l'Etat ne conduirait nullement, en effet, à l'amélioration du sort des classes ouvrières, et empêcherait tout progrès. Donc, en luttant contre les théories socialistes, nous bien assurés de ne pas combattre le mouvement de solidarité sociale dont je viens de parler et que personne sauf peut-être les socialistes ne songe à empêcher. Le progrès matériel et moral des classes pauvres est l'objet des préoccupations universelles. On sait quels efforts se multiplient pour réaliser un tel but. Assurances contre les accidents, créations de maisons ouvrières, retraites, hygiène, éduca- sommes — — J88 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE développement de la mutualité, organisation de la prévoyance, etc., etc.. sont des preuves évidentes de la sollicitude générale. Ce n'est pas là du socialisme, mais du devoir social, chose lion, crédit agricole, bien différente. Le socialisme comprenait jadis des sectes diverses n'ayant de commun qu'une haine intense de l'organisation établie. Depuis quelques années, le collectivisme semblait devoir se substituer à toutes ces sectes et devenir prépondérant. Il règne encore au Parlement et inspire beaucoup de ses votes. Un tel triomphe ne parait pas devoir durer. Progressivement, on a vu se développer en Allemagne, en France, et ailleurs, une nouvelle doctrine, le Syndicalisme, en voie de conquérir le monde ouvrier et de le détourner entièrement du collectivisme. Les deux doctrines sont nettement opposées. Les syndicalistes tiennent essentiellement du reste à bien marquer cette divergence. Les collectivistes font leur possible au contraire pour la cacher, sachant parfaitement, combien ce nouveau mouvement est nuisible à leurs théories, et voyant chaque jour l'âme populaire se détourner d'eux. Malgré les concessions les plus humbles des collectivistes, les syndicalistes ne cessent d'insister sur rincompatibilité qui les sépare des socialistes. Ils y reviennent sans cesse dans leurs journaux et leurs congrès. A celui d'Amiens où figurait un millier de syndicats représentés par 400 délégués, il fut proposé « de faire entrer les syndicats en rapport avec le parti socialiste. Cette proposition a été repoussée à la quasi-unanimité ». Les syndicalistes tiennent surtout à montrer le côté chimérique des doctrines collectivistes. S'adressant à un des chefs du socialisme français, un membre influent du syndicalisme s'est exprimé au Congrès de 1907 dans les termes suivants : LES ILLUSIONS SOCIALISTES 189 Vos conceptions sont utopiqucs parce qu'elles ilunnent à force coercitive de l'Etat une valeur créatrice qu'elle n'a pas... Vous ne ferez pas surgir du jour au lendemain une société toute faite, vous ne donnerez pas aux ouvriers la capacité de diriger la production et l'échange, vous serez les maîtres de l'heure, vous détiendrez toute la puissance qui hier appartenait à la bourgeoisie, vous entasserez décrets sur décrets, mais vous ne ferez pas de miracle et vous ne rendrez pas du coup les ouvriers aptes à remplacer leF capitalistes. En quoi, dites-moi, la possession du pouvoir par quelques hommes polila tiques aura-t-elle transformé la psychologie des masses, modifié les sentiments, accru les aptitudes, créé de nouvelles règles de vie ? Ce n'est pas en France seulement, mais en Alles'est opérée la scission entre syndicalistes magne que et collectivistes. Au Congrès de Mannheim, en 1906, le socialiste son parti se sont trouvés en présence des syndicalistes. « Bebel, rapporte M. Faguet, a été obligé, pour conserver une ombre d'autorité, de leur faire, au mépris de toutes ses déclarations antérieures, des concessions quasi complètes. » Dans leurs journaux, les syndicalistes repoussent fièrement toute alliance avec le socialisme. Bebel et Le socialisme, écrit l'un d'eux, tend à étendre le domaine des institutions administratives... Il est un principe de lassitude et de faiblesse espérant réaliser par l'intervention extérieure du pouvoir ce que l'action personnelle ne peut atteindre. C'est le produit de nations en décadenci' économiciue, de peuples anémiés et vieillis. Ces vérités n'étaient évidentes, il y a quelques années, que pour un petit nombre de psychologues. Il est intéressant aujourd'hui de les voir comprises par des ouvriei'S. Depuis longtemps, du reste, les creuses déclamations des rhéteurs sur la dictature du prolétariat et sa substitution à la classe bourgeoise avaient été jugées à leur valeur par des socialistes éclairés. La dictature du prolétariat, écrivait Bernstein, cela veut dire la dictature d'orateurs de clubs et de <i littérateurs. » 190 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE Devant les attaques répétées des syndicalistes, les socialistes s'affolent et acceptent avec résignation des théories les plus avancées, telles que l'antipatrio- Un journal, organe officiel de leurs doctrines, a publiéen premièrepage, un dessin allégorique reprétisme. sentant des ouvriers déchiquetant des drapeaux couverts des noms les plus glorieux de notre histoire. De si basses concessions ne sauraient empêcher la désagrégation du socialisme. Il se divise maintenant en petites chapelles s'accablant d'invectives. Ce sont là querelles de moines, possédant la vérité pure, et réservant des trésors de haine pour les impies. Les journaux doctrinaires gémissent de ces dissensions, mais ils sont bien obligés de les confesser. Le Mouvement socAaliste du 15 janvier 1908 s'exprimait ainsi : Le socialisme s'enfonce toujours davantage dans une crise inextricable. Le glorieux mouvement qui avait, au cours du siècle passé, éveillé tant d'espérances, risque de s'acheminer à plus triste des faillites. Voilà qu'à coté du socialisme ouvrier révolutionnaire pullulent, comme autant de champignons vénéneux qui étoufferont sa poussée, des multitudes de socialismes étranges et imprévus. Nous avions le socialisme d'Etat, le socialisme municipal de l'eau et du gaz, le socialisme francmaçon, le socialisme intégral et intégraliste, et toute une série d'autres aux adjectifs également variés. Nous avons maintenant, officiellement défendu par le plus vaste parti socialiste, le socialisme patriotique. A quand le socialistne capitaliste? la et Le côté chimérique du collectivisme éclate donc maintenant à bien des yeux. Gela ne l'empêche pas d'être toujours très puissant au Parlement, où s'élaborent sous son influence de pernicieuses lois, et c'est pourquoi nous croyons utile d'indiquer ici ses dangers. Dans un autre chapitre, nous parlerons plus en détail du syndicalisme, mouvement autrement sérieux que le collectivisme, car ce sont les nécessités économiques modernes et non des rêveries qui l'ont créé. Un des buts fondamentaux des socialistes est d'effacer 191 LES ILLUSIONS SOCIALISTES inégalités naturelles les en établissant l'égalité des On espère y arriver par la suppression de la propriété et de la fortune individuelle et la gestion conditions. de toutes les industries par l'Etat. Cette doctrine représente, en réalité, une des formes de du pauvre contre de remonte aux origines de l'histoire. Tous les peuples connurent de telles luttes. Pour les Grecs, elles amenèrent la perte de l'indépendance, pour les Romains la fin de la République et l'établissement de l'Empire. La Révolution française fut peu favorable aux socialistes. Elle proclama l'égalité, mais, après avoir exproprié la noblesse et le clergé, s'empressa de déclarer que la propriété était chose sacrée et la base même de l'ordre social. Il y eut bien alors quelques tentatives de socialisme communiste. On y mit rapidement fin en coupant le cou aux adeptes de la la lutte éternelle le riche, l'incapable contre le capable et à ce titre il doctrine. Comment est né le socialisme moderne, comment développé au point d'être devenu une véritable religion? C'est ce que j'ai expliqué dans ma Psychologie du Socialisme^ et ne saurais redire ici. En politique comme en religion les formules vagues et imprécises sont fort utiles, chacun pouvant les interpréter à son gré. Rien de plus nuageux que le sens actuel du mot socialisme. Pour les gens satisfaits de leur sort, il exprime un désir d'améliorer les conditions d'existence de classes populaires redoutées. Pour les mécontents il traduit simplement leur mécontentement. Le commis à 1.500 francs qui n'avance pas assez vite, le marmiton dont on méconnaît les mérites, le marchand de vins qui voit un concurrent s'établir près de lui. deviennent immédiatement socialistes. Pour les théoriciens ce mot représente une organisas'est-il tion sociale, variable 1. 6= édition, 1910 '^Librairie suivant Alcan.) chacun d'eux, et qui 192 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE doit être substituée par la force à l'organisation actuelle. Le primordial caractère du socialisme est une haine supériorité du de toutes les supériorités talent, de la fortune et de l'intelligence. Pour ses adeptes, il a remplacé les anciens dieux et constitue une puissance mystique capable de réparer intense : du sort. Le collectivisme avait Uni par concrétiser la foi nouvelle. Sur les débris de la vieille société, s'élèverait un monde régénéré où. comme dans les Paradis les iniquités de jadis, tous les hommes jouiraient d'une félicité éternelle. Longtemps, labsurdité de la doctrine ne nuisit nullement à sa propagation. Elle flattait des instincts assez bas et par conséquent assez répandus. Prendre à ceux qui possèdent est toujours tentant pour qui ne possède rien. Les dogmes d'ailleurs s'imposent par les espérances qu'ils font naître et jamais par les raisonnements qu'ils proposent. Ils triomphent, malgré leur illogisme, dès que sont déterminées dans les âmes certaines transformations mentales. Le rôle des apôtres est de produire ces transformations. Le socialisme n'en a jamais manqué. Son succès universel rappelle les débuts du christianisme. Ce dernier, lui aussi se propageait, malgré la faiblesse logique de ses dogmes, et les réfutations des philosophes. Par la puissante action de la suggesUnit par conquérir la contagion, il tion et de jusqu'aux classes éclairées que son influence devait bientôt détruire. élément de succès du socialisme fut moment où l'homme ne croyant plus à la puissance de ses anciens dieux, en cherchait d'autres à invoquer. Les divinités meurent quelquefois, mais la mentalité religieuse leur survit toujours. L'esprit humain ne sait pas vivre sans religion, c'est- Le grand d'apparaître au à-dire sans espérance. Cette mentalité est la même dans toutes les classes 193 LES ILLUSIONS SOCIALISTES sociales. 'Juand on renie les dieux, on croit aux fétiches. Et c'est pourquoi la religion socialiste a autant triomphé dans la bourgeoisie que dans les couches populaires. La magique puissance de la nouvelle foi est telle, que les classes éclairées perdent toute confiance dans la justesse de leur cause et ne savent pas se défendre contre les plus audacieux rhéteurs. Elles sont envahies par la peur et aussi par un humanitarisme vague, forme assez méprisable de l'égoïsme et grave symptôme de décadence, comme Renan l'avait déjà observé. Le socialisme ne progresse pas en réalité par la valeur de l'idéal très bas qu'il propose, mais malgré cet idéal. C'est son côté mystique, l'espérance d'un paradis terrestre où tous les hommes jouiraient d'une éternelle félicité qui fait sa force. J'ai eu souvent occasion de montrer qu'au cours de l'histoire les hommes se sont fait tuer pour des idées, beaucoup plus que pour satisfaire des besoins matériels. C'est l'idéal à poursuivre qui les a charmés. L'espoir de travailler, sous la férule de l'Etat collectiviste, pour obtenir des bons de pnin et de charcuterie ne passionnera jamais personne. Dans un intéressant livre, les Découvertes de VEconomie sociale, M. d'Avenel est arrivé par une autre voie à la même conclusion. comment Voici Le dans (' bien-être » il s'exprime ; ne tient vraiment- qu'une place très petite l'histoire des nations. C'est assez tard qu'elles se sont avisées d'y penser. Elles ont visé longtemps à des satisfactions d'un tuut autre ordre elles se sont passionnées pour tout autre chose et, dans sa marche lente, la civilisation, celle de l'antiquité aussi bien ; du Moyen Age, a recherché le beau bien avant Vutile. ou des temples avant de faire des lampes ou des parapluies elle a su écrire avant de savoir que celle Elle a excellé à faire des statues ; pinceau avant la fourchette. Ces hommes ont vécu pour l'idée plus que pouV la matière ils ont glorilié les noms des guerriers qui ont accompli les faits héroïques, dont les peuples le plus souvent ont souffert; et aussi noms] de ceux qui ont formulé des pensées ou créé des les se chauflfer et a découvert le ; 17 194 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE d'utilité pratique. Quant aux noms de dotés des inventions les plus nécessaires, semble-t-il, à la vie, ils les ont laisse tomber dans l'oubli. Di' sorte qu'à examiner les faits au long des siècles on s'aperçoit qu'il n'y a que les « idées » qui comptent. C'est pour elles que les hommes vivent c'est pour elles qu'ils meurent. De nos jours encore, ceux qui semblent le plus attachés soit à l'argent soit aux plaisirs qu'il sert à payer, poursuivent, au fond, une satisfaction purement idéale beaucoup plus qu'un besoin œuvres d'art, ceux qui les dépourvues ont ; corporel. Je n'ai commencé à comprendre les divagations des théologiens du Moyen Age qu'après avoir lu celles des socialistes sur la société future. Même ignorance de la nature humaine et des nécessités économiques, mêmes visions chimériques, même besoin de destruction du présent pour réaliser le monde idéal enfanté par leurs rêves. Les théologiens disparus ont laissé des héritiers de leur esprit. Les chimères n'ont fait que changer de nom et les fanatismes qu'elles engendrent, les destructions dont elles nous menacent, sont les mêmes que par le passé. Le socialisme constitue une religion dont les apôtres ont toute l'intolérance de leurs ancêtres. Doctrines, langage, croyances, méthodes de propagation sont presque identiques. Nous n'avons éteint des que pour allumer fantômes, écrit justement des étoiles chimériques. Notre Cité Future vaut la Jérusalem Céleste. Ces deux villes sont également métaphysiques. Toutefois, on s'ennuiera peutêtre moins dans la Cité Future parce qu'on s'y ennuiera moins longtemps. astres Sageret, Le christianisme des premiers âges, avec lequel le socialisme offre tant d'analogies, possédait cependant un élément de succès dont les doctrines actuelles sont dépourvues. Les récompenses espérées devaient être accordées dans un paradis dont nul n'était revenu. Les promesses de bonheur terrestre faites par le socialisme depuis soixante ans et qui devaient se réaliser dans un avenir prochain n'ayant pu s'accomplir, la confiance . 195 LES ILLUSIONS SOCIALISTES dans la doctrine a été ébranlée et, aujourd'hui, une nouvelle, le syndicalisme, tend à la remplacer. Moins chimérique sur bien des points, elle est sans foi doute destinée à un plus durable avenir. Le socialisme collectiviste repose sur une série d'illusions dont on commence maintenant à voir la vanité mais qui s'imposeront pendant longtemps encore. Elles ramènent aux propositions suivantes: l^Une société peut être refaite de toutes pièces à coups de décrets par une révolution 2" Le régime capitaliste étant la source de tous les maux, il suffirait de le supprimer se ; pour établir un bonheur universel ; 3° L'Etat doit s'emparer de toutes les propriétés, de toutes les industries, et les faire administrer par une armée de fonctionnaires chargés de répartir également les produits entre les membres de la communauté. De pareilles théories ne tenant compte ni des passions, ni des sentiments, ni des nécessités économiques,, ni d'ailleurs de réalités d'aucune sorte, il est facile, en les prenant pour base, de bâtir sur le papier des sociétés artificielles très variées. Ce sont les paradis des âmes simples. Ces chimériques illusions demeurent en France — — du moins très puissantes encore. Elles inspirent une absolue confiance aux cafetiers et aux commis voyageurs de province, dont se composent tant de comités électoraux, et sont au "Parlement l'origine de lois fort dangereuses. On ne nie plus que le rachat d'une importante ligne de chemins de fer ait été, comme revenu, inspiré par les docLa première de ces opérations était destinée à préparer l'accaparement de toutes les industries {)ar l'Etat. L'impôt sur le revenu n'avait d'autre but que de faire le bilan de la fortune des citoyens, de façon à pouvoir plus tard les dépouiller à volonté. Les socialistes savent fort bien qu'un tel impôt ne s'établirait qu'au prix d'odieuses inquisitions destinées à susciter de redoutables ennemis au régime trines l'impôt sur le collectivistes. 19(3 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE républicain, sans le moindre bénéfice Pinancier pour personne. De telles évidences n'ont arrêté cependant aucun vote. Les comités électoraux socialistes ayant parlé, le Parlement a servilement obéi. De toutes les illusions socialistes, la plus vaine peut-être est le rêve de supprimer la classe bourgeoise dont le talent, l'intelligence et les capitaux ont créé et font prospérer les industries desquelles les ouvriers vivent. Supposons qu'un chef d'usine ayant i.OOO ouvriers et réalisant 40.000 francs de bénéfices annuels donne gratuitement son usine aux travailleurs. Grâce aux 40.000 francs abandonnés, le salaire de chacun augmenterait en apparence de 10 centimes environ par jour^. En réalité, il serait bientôt très amoindri, car les hommes aptes à diriger de grandes industries sont rares, et dès que la capacité du chef diminue, les bénéfices s'efi'ondrent. Vérité éclatante que les sociane veulent pas comprendre. Dans l'état actuel listes de l'industrie, l'homme capable devient un instrument si précieux qu'il est toujours économique de le payer fort cher. Supposons cependant que le socialisme triomphe, avec son administration collectiviste de l'industrie et son égalisation des salaires. Immédiatement, tous les hommes intelligents savants, artistes, inventeurs, ouvriers habiles, etc., peu soucieux de voir rémunérer leur talent avec des bons d'aliments, émigreraient vers des pays voisins qui les accueilleraient avec enthousiasme, car le talent fait prime partout. Le socialisme ne régnerait alors que sur une société composée d'individus de la plus basse médio: crité. Bien entendu, le conquérant qui voudrait s'empad'un pays ainsi socialisé n'aurait qu'à lever le doigt. Les socialistes répondront que cela leur est rer Ce cliifTie lie 10 centimes comme bénéfice moyen réalisé sur l'ouvrier a également donné à la Chambre des députés dans une discussion récente. 1. été 197 LES ILLUSIONS SOCIALISTES égal puisqu'ils se déclarent de plus en iilns antiinilila- yeux patron franou patron allemand représentent la même chose. Pour leur ôter cette nouvelle illusion, il suffit de les renvoyer aux livres d'histoire montrant la destinée des peuples que leurs dissensions ont conduits sous la loi de l'étranger. La Pologne en est un frappant exemple. Bàtonnés et expropriés par les Allemands, vigoureusement mitraillés par les Russes dès qu'ils crient trop fort, ne pouvant même pas, sous peine du fouet, faire apprendre leur langue dans les écoles à ristes et antipatriotes, et qu'à leurs çais leurs propres enfants, les infortunés Polonais expient durement les luttes civiles ancestrales. devrait être salles des Leur destinée gravée en lettres d'or dans toutes les congrès socialistes où l'antipatriotisme s'enseigne. Le socialisme collectiviste qui triompherait quelque durer bien longtemps. Il ramènerait vite les despotes libérateurs que le peuple acclamerait comme il l'a fait pour tous ceux subis par la France depuis la Révolution. En attendant, les ravages produits seraient terribles. Je suis de l'avis de Laveleye montrant à la suite du socialisme victorieux « nos capitales ravagées par la dynamite et le pétrole, d'une façon plus sauvage et surtout plus systématique que Paris ne l'a été en 1871 par la Commune ». Faguet a recherché comment pourrait triompher le socialisme, et il admet, ainsi que je l'avais fait moimême, que ce sera peut-être par l'affaiblissement moral de l'armée. Nous avons déjà vu, dans les troubles du Midi, un régiment lever la crosse, et l'histoire de la Commune montre qu'en pareil cas un gouvernement peut s'effondrer instantanément. Cet effondrement s'accomplirait plus simplement encore par des mesures législatives. Le même auteur fait remarquer « qu'il suffirait d'une décision législative comme en 1790, ou d'un coup d'Etat populaire pour exproprier la bourgeoisie et procéder à son part ne saurait d'ailleurs 198 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE égard comme elle a procédé à l'égard du clergé et de la noblesse au moment de la Révolution, et plus récemment à l'égard des congrégations possédantes et du clergé séculier ». semble qu'un souffle d'aliénation aveugle aujour- Il d'hui la bourgeoisie, car elle ébranle sans trêve les plus solides colonnes delà société qui l'abrite, notamment les finances et l'armée. Elle détruit progressive- ment toute discipline, et vote les pires mesures finan- cières et militaires proposées par les socialistes sans pouvoir douter cependant que le triomphe du socialisme serait, comme l'a écrit le révolutionnaire Malato. « un despotisme plus dangereux que le système monarchique, parce qu'il serait insaisissable et impersonnel. » La bourgeoisie se fait donc profondément illusion en suivant le courant qui la pousse et qu'il lui serait possible non de remonter, mais d'orienter. Elle perd conscience de sa supériorité, de sa puissance et de sa valeur, et ne comprend pas qu'une société ne saurait vivre sans discipline, sans tradition et sans hiérarchie. Elle ignore surtout l'art de parler aux foules et ne conçoit guère le simplisme de leur âme. La seule vision politique de l'ouvrier est qu'il est exploité par le patron et que le gouvernement doit faire augmen- ter sa paye. « La masse, écrit justement M. Bourdeau, n'a aucune idée nette, elle est toujours de l'avis de l'orateur qui pérore devant elle, qu'il soit favorable à la défense républicaine ou anticlérical, patriote ou antipatriote, politicien ou syndicaliste révolutionnaire. » La foule, en effet, juge en bloc uniquement d'après l'impression produite sur elle par les vociférations des orateurs. Leurs raisons, elle ne les entend pas et, comme les femmes, se passionne pour les individus sans écouter leurs discours. Toutes les vérités seront acceptées si l'homme qui les dit lui plaît, et il lui plaît 199 LES ILLUSIONS SOCL-VLISTES quand il est énergique. On a vu dans une circonscription du Nord, citadelle du socialisme, un candidat, faire nommer assez conservateur cependant, se député à la place de l'un des grands chefs du socialisme, non par ses raisons mais parce qu'il avait su plaire et que les foules sentaient en lui le maître réclamé toujours. Malgré leurs instincts révolutionnaires apparents les multitudes ne demandent qu'à obéir. Toute l'histoire est là pour le dire. Les ouvriers les plus violents obéissent sans discuter aux coups de sifflet du délégué des comités révolutionnaires et se mettent instantanément en grève, sans se permettre la moindre observation. Louis XIV ou Bonaparte n'auraient jamais osé les prescriptions draconiennes décrétées par d'obscurs comités auxquels leur anonymat seul con- fère du prestige. Beaucoup de socialistes sont trop intelligents pour avoir confiance dans leurs doctrines et les abandonnent dès qu'ils arrivent au pouvoir. Devenus alors en découvrent non sans quelque étonnement, les compliments décernés aux bourgeois par un socialiste devenu ministre, M. Viviani, dans un discours prononcé à Calais partie intégrante de la bourgeoisie, brusquement les qualités. On ils a pu lire, : Autour du une bourgeoisie qui Et c'est une grande injustice que de la dénoncer dans son ensemble à la colère ou au mépris des travailleurs. C'est elle qui, par ses penseurs et ses philosophes, a montré le vide du Ciel. ... prolétariat, disait-il, vit travaille, qui a ses intérêts, sa volonté, ses désirs. bourgeoisie n'avait fait que détruire des illun'y aurait pas lieu de lui en être extrêmement reconnaissant. Je ne sais pas ni M. Viviani non plus si le ciel est vide. C'est une hypothèse probable mais non démontrée. En tout cas, c'est une hypothèse que la très grande majorité des Français n'admet pas encore. Or, un véritable homme d'Etat Si la sions, il — — 200 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE doit savoir respecter toutes les convictions et gouverner les peuples avec leurs idées, et non avec ses propres croyances. Mais si les hypothèses relatives au ciel restent incertaines, au moins est-il sûr que les progrès de la civilisation sont dus uniquement à la bourgeoisie de tous l^s âges, puisque c'est dans son sein qu'ont toujours été recrutés artistes, industriels, philosophes et savants. La démocratie, disait M. Clemenceau dans un de ses discours, gouvernement du nombre... A la source de toute évolution nous trouvons l'efTort individuel des penseurs, tandis que le progrès général doit résulternécessairement de l'accommodation progressive des masses aux idées soumises à la sanction n'est pas le de l'expérience par Ne le génie de quelques-uns. ces vérités de banales puisque jour où ils arrivent au pouvoir que les politiciens les découvrent. Elles ne sauraient bien entendu effleurer les socialistes révolutionnaires, rêvant la destruction de la c'est qualifions pas seulement le société actuelle. Avec un peu plus d'intelligence, ces bruyants apôtres arriveraient à comprendre qu'ils ne gagneraient rien à se substituer au gouvernement qu'ils maudissent. Les survivants de leurs hécatombes iinique les méthodes de gouvernement sont peu variées, et deviendraient plus réactionnaires encore que leurs prédécesseurs. C'est ce qui fut toujours observé du reste quand les Césars vinrent écraser l'anarchie. Des révolutionnaires vainqueurs ne peuvent prendre en effet que deux partis rester révolutionnaires, et dans ce cas perpétuer un désordre contre lequel se liguent vite toutes les opinions et qui par conséquent ne saurait durer, ou gouverner à peu près comme leurs aînés. Ce dernier parti fut toujours adopté par tous les démagogues triomphants. Ceux qui, avant d'arriver au pouvoir prêchaient l'insurrection, la raient par constater, : 201 LES ILLUSIONS SOCLVLISTES grève générale et la violence, les quement une devenus fois les combattent énergi- maîtres. Non, certes, mais simplement parce qu'ils découvrent alors que le maintien de la vie d'un peuple est soumis à l'observance de certaines qu'ils trahissent leurs principes, règles traditionnelles. Ce ne sont pas en réalité les violences des révolu- tionnaires, mais la faiblesse de nos gouvernants qui constitue le d'anarchie, vrai danger. quand trop Quand un pays est saturé sont menacés et d'intérêts qu'on ne voit partout que palabres inutiles, pro- peuples se dirigent d'instinct vers un dictateur capable de ramener l'ordre et de protéger le travail. C'est ainsi que tant de démocraties ont péri. messes mensongères et lois stériles, les La dictature, c'est évidemment l'ordre pour quelque temps, mais c'est aussi Waterloo, Sedan et l'invasion. Sans doute les Romains n'eurent pas à regretter l'avènement d'Auguste, mais son règne rendit possible Tibère, Caligula, la lente décadence et l'écrasement final sous le pied des Barbares. La reconstruction du monde détruit par ces nouveaux maîtres exigea mille ans de guerres et de bouleversements. Le présent est fait surtout du passé et le passé ne se recrée pas. Aujourd'hui les barbares sont dans nos murs et nous les laissons saper jour après jour un édifice social péniblement construit. Ils pourront le détruire mais non le remplacer. Une société périt parfois très vite, les mettent de la rebâtir. siècles seuls per- CHAPITRE Les II Illusions syndicalistes. L'association des intérêts similaires est devenue la de l'âge moderne. La grande industrie ne loi l'a pas créée, mais fortement développée. pays ont connu des formes diverses d'asFlorence et Sienne, au Moyen Âge. étaient des Républiques professionnelles, formées d'une agglomération de syndicats réalisant assez bien le rêve de beaucoup de théoriciens actuels. Les corporations détruites par la Révolution constituaient aussi de véri- Tous les sociation. taldes syndicats. L'avantage évident de telles institutions est de conde petites collectivités une puissance que ne saurait posséder l'individu isolé. Elles le dispensent, en outre, d'initiative et de volonté, qualités d'un exercice fatigant et d'ailleurs assez peu répandues. Les liens du syndicat tendent à devenir aujourd'hui la seule attache entre les hommes. Alors que les institutions politiques ne sont plus respectées, que ridée de patrie s'affaiblit, que toutes les croyances ancestrales s'évanouissent. l'influence de l'idée syndicaliste grandit chaque jour. Elle est en voie de donner naissance à des formes de droit nouvelles. Tel par exemple le contrat collectif dans lequel le patron traite, non plus avec l'ouvrier, mais avec son syndicat. Il tend à devenir le régime normal de l'inférer à dustrie. LES ILLUSIONS SYNDICALISTES L'ouvrier 203 — surtout le médiocre — gagne à ce régime, condition d'accepter une tyrannie très peut conserver l'illusion du pouvoir, il ne saurait garder celle de la liberté. De cette vérité banale, que les institutions n'ont par elles-mêmes aucune vertu et que leur influence varie avec les qualités mentales des peuples les ayant adoptées, l'histoire du syndicalisme fournit, je l'ai montré déjà, une preuve frappante. Il se présente, en effet, sous deux formes très difféle syndicalisme pacifique et rentes suivant les races le syndicalisme révolutionnaire. Le premier s'observe chez les Anglo-Saxons. Les syndicats ne s'y occupent que d'intérêts économiques et ignorent les luttes de classes. Chez les peuples latins, le syndicalisme est devenu, au contraire, un instrument d'anarchie ne visant que la destruction de la société. C'est ce dernier que nous étudierons maintenant. Quelques syndicats d'ouvriers français se bornent bien, comme en Angleterre ou en Allemagne, à défendre leurs intérêts et ne présentent, jusqu'à présent du moins, rien de subversif. Etant peu nombreux ils ne possèdent guère d'influence. Tout autre est le syndicalisme révolutionnaire, représenté par la bruyante Confédération du travail. Nous avons précédemment montré son antipathie pour le collectivisme, considéré par elle, avec raison, comme une simple forme de l'Etatisme. Cette Confédération, à peine âgée de quelques années, prétend constituer un syndicat de syndicats; mais, en réalité, compte très peu de syndiqués, puisque 5 p. 100 à peine des ouvriers français en font partie. Il est vrai que ce n'est pas le nombre des apôtres qui fait la force d'une doctrine. Ses débuts furent assez flottants. Elle ne commença à devenir puissante qu'après avoir eu à sa tête quelques révolutionnaii*es intelligents, comprenant qu'un pouvoir anonyme, hardi et possesseur d'un mais sous dure. la S'il : 204 petit PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFEASE SOCIALE nombre de principes fixes, devait, grâce à la gouvernementale et à l'anarchie générale, acquérir une autorité considérable. Au double point de vue psychologique et politique, son histoire est très intéressante. Elle montre comment une poignée d'hommes résolus, peut arriver à fonder une organisation traitant d'égal avec l'Etat, au point d'obliger le Parlement à voter d'urgence des lois impérieusement dictées. En politique, l'autorité est précieuse, mais il suffit parfois de faire croire qu'on la possède. Le prestige des sorciers a duré mille ans, bien qu'ayant comme unique appui la foi dans la sorcellerie. Fonder un pouvoir personnel est extrêmement compliqué. Créer un pouvoir anonyme est, au contraire, assez facile. On discute le premier, on subit le second. En France, le pouvoir des comités anonymes est toujours respecté. Au Parlement, ils régnent en maîtres. L'éminent homme d'Etat R. Poincaré montrait, dans un discours récent, ces députés affolés, « agitant en désordre leurs bulletins, jetant sur leurs circonscriptions muettes des regards interrogateurs, « Vais-je i)laire à mon comité? » en se demandant Les plus farouches socialistes, interrupteurs bruyants des ministres, sont en général très modestes, très petits, devant des comités souvent composés de braillards alcooliques qui. en fait de volonté populaire, ne représentent que la leur. Appuyé sur des comités, un journal et le concours d'un nombre suffisant de marchands de vin, on peut devenir un des maîtres faiblesse : d'un pays. On l'a pu du moins jusqu'ici, mais les comités électoraux sont maintenant assez menacés. Ayant forcé députés d'édicter des lois très dangereuses pour prospérité de notre industrie, ils conduisirent les négociants à former des ligues de défense. Les Chambres de commerce n'ont pas réussi à empêcher le les la ruineux rachat de l'Ouest, ordonné par les comités 205 LES ILLUSIONS SYNDICALISTES socialistes, mais la Fédération détaillants a fait hésiter la des commerçants Chambre devant j)lusieurs impôts. Quoi autre, qu'il en sous une forme ou sous une soit, groupement d'intérêts politiques ou d'intérêts professionnels, l'avenir n'est pas aux influences personnelles, mais surtout aux collectivités anonymes, guidées par des meneurs. Les créateurs de la Confédération du travail comprirent parfaitement ces vérités élémentaires et quelques autres. Leur programme apparent fut de former un syndicat global, géré par un comité dépourvu de pouvoir visible, mais les exerçant tous, en réalité, et notamment celui d'imposer aux sociétés confédérées des ordres exécutés sans discussion. Un premier obstacle se présentait. Pour arriver à dominer, ne fallait-il pas faire voter d'abord les ouvriers et obtenir une majorité? Des politiciens ordinaires auraient été arrêtés par cette difficulté. Elle n'embarrassa nullement les fon- dateurs de la Confédération. Ne pouvant espérer le nombre, ils déclarèrent simplement substituer au pouvoir des majorités celui des minorités, et pour justifier une telle prétention, celle d'ailleurs de toutes les aristocraties, décidèrent hardiment, en oppo- — — sition aux idées démocratiques et socialistes, que les le droit d'imposer leurs volontés. minorités seules ont ...Ainsi apparaît, écrit l'un d'eux, l'énorme différence de méthode qui distingue le syndicalisme du démocratisme celuici, par le mécanisme du suffrage universel, donne la direction aux inconscients, aux tardigrades et étouffe les minorités, qui portent en elles l'avenir. La méthode syndicaliste donne, elle, un résultat diamétralement opposé l'impulsion 'est imprimée : ; par les conscients, les révoltés. Et sur quoi est fondée cette aptitude d'une minorité de révoltés? Uniquement sur l'instinct. Les maîtres du parti assurent que « le plus simple ouvrier, engagé dans le combat, en sait davantage que les plus abscons is 206 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE doctrinaires de toutes les écoles ». L'ouvrier insurgé, bien entendu, s'il est membre de la Confédéra- — tion. — devient ainsi une sorte de baron féodal placé au-dessus des lois. Les conseils qu'on lui donne sont, en effet, ceux qui pourraient être présentés à un souverain absolu, n'ayant pas à tenir compte des codes. Il faut aller de Tavant, se laisser porter par sa propre impiilsioa naturelle, ne se fier qu'à soi-même et se dire que ce n'est pas à nous à nous adapter à la légalité, 7)iais à la légalité à s'adapter à notre volonté. Les autocrates étant placés l'aristocratie constituée par les au-dessus membres de des lois, la Confé- dération n'est pas tenue à les respecter. L'ouvrier français, écrit un des grands chefs de autocratie, est au-dessus de toute autorité, de tout toute hiérarctiie. lui Il permet ou non ne se demande pas, avant d'agir. Il la nouvelle respect, de d'agir, si la loi agit et voilà tout. Evidemment, Louis XIV et Napoléon étaient plus modestes et moins convaincus de leur grandeur. Quant à la foule, jamais despote asiatique ne manifesta à son égard autant de mépris que les nouveaux potentats. Ils assurent, et en ceci n'ont pas tort, c{ue les masses adoptent tout ce qu'on leur suggère et sont incapables de réflexion. En cas de révolution, le peuple se tournera du côté des plus hardis. En temps ordinaire, il n'a qu'à se taire. « Les conscients, les militants ont seuls le droit de parler au nom de la classe ouvrière. » Naturellement, les conscients sont les directeurs de la Confédération. Pénétrée de l'infériorité de la vile multitude, ils la traitent, à chaque occasion, comme un simple troupeau d'esclaves. Leurs délégués ne prennent même pas la peine d'expliquer les ordres donnés, celui de se mettre en grève par exemple. Si quelque ouvrier un peu indépendant esquisse une résistance, il est vigoureusement assommé par les camarades obéissant avec une parfaite servilité aux injonctions du LES ILLLSIO^•S SYNDICALISTES 207 comité. L'ordre du délégué remplace ainsi le fouet du commandeur sur les plantations jadis cultivées par les nègres. La plus invraisemblable fantaisie préside souvent à ces grèves. La preuve en est fournie par un des membres les plus influents de la Confédération du Travail, M. Victor GrilTuelhes dans son opuscule Voyage d'un Révolutionnaire. Voici comment il s'ex- prime A par un : Marseille, sur les quais, il y avait par chantier un délégué Syndicat. Il avait un pouvoir grand... trop grand. Pour rien, je dis pour un rien, souvent ce délégué lançait en le plein travail un coup de sifflet. C'était le signal, quitter le chantier, c'était la grève. l'ignorait, patrons Pourquoi ? chacun devait Tout le monde et ouvriers. De tels aveux montrent avec quelle facilité se peuvent asservir les foules ouvrières dès qu'on possède du prestige. Leur obéissance va jusqu'à une abnégation que n'auraient jamais exigée les pires despotes. On connaît l'aventure récente de ce patron briquetier des environs de Paris, qui, voulant se retirer et n'ayant pas d'héritiers, offrit à ses ouvriers de mettre son usine en actions et de les leur distribuer en restant gérant pour quelque temps afin de ne pas laisser l'affaire péricliter. Les briquetiers acceptèrent avec enthousiasme, mais la C. G. T. intervint et, redoutant cet exemple d'accord entre patrons et ouvriers, donna l'ordre impératif à ces derniers de refuser le présent. Ils obéirent sans discussion. Guéri de sa philanthropie le patron ferma l'usine. Les méthodes gouvernementales employées par les chefs syndicalistes ne constituent pas assurément une innovation, puisqu'elles furent celles de tous les anciens tyrans. Il fallait une grande confiance dans la servilité des multitudes pour oser les appliquer de nos jours. Comment se maintient ce pouvoir nouveau qui 208 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE prétend remplacer tous les autres? Les syndicalistes révolutionnaires n'ayant à tenir compte ni de la volonté populaire, ni des lois, d'ailleurs, de plus en plus fléchissantes devant eux, le problème devenait relativement assez simple. Grâce aux menaces, au sabotage et aux grèves violentes, ils obtiennent à peu près tout ce qu'ils exigent. Ouand une grève pacitique éclate quelque part, le comité envoie aussitôt quelques délégués pleins d'expérience, car ce sont toujours les mêmes, pousser les grévistes aux violences. Dès que les coups commencent à pleuvoir, ils disparaissent pour aller exercer leur apostolat ailleurs. De pareils procédés ont du reste le privilège d'exaspérer les socialistes qui croient encore au suffrage universel et à l'efficacité des lois. ' Le syndicalisme, a dit l'un d'eus au Congrès de Nancy de emploie pour arriver à ses fins le boycottage, le sabotage, les grèves partielles. Telles sont les armes vos seules armes avec lesquelles vous avez la prétention de transformer la propriété et la société. C'est avec cela que vous entendez faire l'économie de la conquête de l'Etat, enclouer ses canons. N'estce pas souverainement ridicule 1907, — — ! On leur fit remarquer ensuite que le syndicat contenait assez peu de syndiqués. Sans doute, mais point n'est besoin, je le répète, de beaucoup d'apôtres pour fonder un culte. C'est un des grands chefs du socialisme doctrinaire, M. Guesde, qui s'est le plus insurgé contre le pouvoir grandissant et les méthodes de la Confédération. Je voudrais seulement qu'on m'expliquât, dit-il, comment casser des réverbères, éventrer des soldats, brûler des usines, peut constituer un moyen de transformer la propriété. Il faudrait en finir avec toute cette logomachie prétondue révolutionnaire. Aucune action corporative, si violente soit-elle, grève partielle ou grève générale, ne saurait transformer la propriété. Les syndicalistes révolutionnaires répondent, très justement. (|ue leur méthode est excellente puisqu'elle produit d'utiles résultats. Ils en fournissent comme 209 LES ILLLSIOXS SYMJICAI.ISTES preuve l'affaire plusieurs exemples, notamment des bureaux de placement. celui de Les manifestations violentes et répétées avaient surpris et intimidé le gouvernement. Effrayé, le ministère Combes déposa au plus vite un projet de loi que, sans perdre haleine, votèrent en trois jours la Chambre et le Sénat. Faut-il rappeler à quel degré la leç.on de ce simple fait et d'autres semblables a été efficace ? Je n'en doute pas un instant, mais je ne doute pas davantage que si le ministre, cité plus haut, avait dépensé, pour résister à des menaces présentées de la plus insolente façon, le quart de l'énergie déployée par lui pour dépouiller et expulser de vieux moines et des religieuses sans n'aurait pas fait les défense, l'anarchie sociale progrès que chacun constate aujourd'hui. La puissance de la Confédération du travail ne repose en effet que sur l'extrême faiblesse du pouvoir. Son développement n'était possible qu'en France. En Amérique et en Angleterre, les faits exposés plus haut ne pourraient se produire. Aux Etats-Unis, leurs auteurs subiraient de nombreuses années de prison, sans aucune chance d'amnistie. En Angleterre, les syndicats étant pécuniairement responsables des détériorations commises par leurs membres, le sabotage y est inconnu. Évidemment, cette mollesse du gouvernement constitue un facteur que les psychologues de la Confédération savent ingénieusement utiliser, mais ils commencent à triompher trop bruyamment. L'exagération de leurs violences est d'ailleurs salutaire, car elle finira sûrement par faire surgir un ministère de défense sociale qui les mettra rapidement à la raison par la rigoureuse application des lois. Lors de la grève de Draveil, la Confédération se croyant sûre de l'impunité dépassa fortement la mesure. Les grévistes ayant saboté les machines, dévalisé les passants, attaqué des voitures en circu18. 210 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE tribunaux n'osèrent pas fermer les yeux et entamer des poursuites. La Confédération menaça alors le gouvernement de décréter une grève générale s'il ne suspendait pas l'action de la justice. A la vérité, le droit de piller les diligences et d'incendier les usines est pratiquement reconnu aux ouvriers, mais on a négligé de l'inscrire dans les codes. Il fallut donc prononcer quelques condamnations. Elles furent très anodines d'ailleurs, et peu de semaines plus tard. les courtisans de la basse popularité firent, comme d'habitude, voter une lation. les se résignèrent à amnistie. moins pour montrer au gouvernement la vanité des menaces qui l'ont fait tant de fois trembler. Il comprit, pour la première fois, que le pouvoir de la ConCette tentative de révolution eut au résultat de fédération inspire. reposait Son action surtout sur la n'est considérable terreur qu'elle que parce que s'exerçant contre des ministres sans résistance. Mais à défaut de la défense gouvernementale sur laquelle on ne peut guère compter, la Confédération du travail se trouve maintenant en face d'ennemis plus sérieux que la police et l'armée. Elle a vu, bien à contre-cœur, s'enrôler sous sa bannière la secte redoudes anarchistes. Impossible de les repousser, leur programme de destruction sociale, pour établir nne sorte de communisme, était identique à celui de la Confédération. Les compagnons anarchistes ne connaissant guère d'autre méthode de raisonnement que le sabotage et rincendie, ne sont pas d'un maniement facile. Ces illuminés veulent bien tâcher d'anéantir la société en bloc, assassiner en attendant le plus de souverains possible, souffrir au besoin le martyre pour leur foi, mais jamais ils ne se plieront à la discipline d'un syndicat. Les membres de la Confédération du travail ont victorieusement tenu tête dans les congrès aux collectivistes, mais on ne voit pas facilement comtable LES ILLUSIONS SYNDICALISTES ment ils 211' réussiront à se défaire de leurs nouveaux Nous examinerons les conséquences de leur présence dans le prochain chapitre. Quant aux ouvriers, esclaves dociles poussés par d'invisibles mains, ils n'ont assurément rien à gagner dans la voie où on les dirige et beaucoup à perdre. Leur salaire, en effet, dépend uniquement de l'état des alîaires industrielles. Ils pourraient être syndiqués jusqu'au dernier sans obtenir une augmentation d'un centime, si le commerce de leur pays diminuait d'imalliés les anarchistes. portance. Cette diminution, déjà commençante, deviendra beaucoup plus grande encore, quand les capitaux elTrayés iront chercher des pays sagement gouvernés où ne les inquiéteront pas les grèves violentes, les sabotages et les lois tyranniques que les Chambres ne cessent de voter et qui déterminent de plus en plus l'émigration des fortunes. Ces vérités, les prétendus défenseurs des classes ouvrières se gardent bien de les dire. Ils savent la pourtant que ce n'est pas en s'appropriant fortune d'autrui que les travailleurs amélioreront leur sort, mais seulement en perfectionnant leur instruction technique. La capacité est la grande puisabsolument rien sance de l'âge moderne et rien ne peut la remplacer. Que l'ouvrier accroisse sa valeur professionnelle, qu'il finisse par s'élever au niveau de ses collègues américains dont nous parle Paul Adam, gentlemen qui arrivent le matin à leur atelier élégamment vêtus, mettent une blouse, travaillent et, leur journée finie, prennent un bain et vont achever la soirée au cercle sans que rien les distingue dans leurs manières des hommes du monde — — plus corrects. côté de ces ouvriers à 25 francs par jour végètent,, est vrai, les manœuvres ignorants et bornés qui ne les A il gagnent que 4 francs dans le même la civilisation est-il d'élever le temps. L'idéal de manœuvre au rang du gentleman ou de créer une société artificielle qui. 212 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE manœuvre? Je réponse des socialistes, mais je sais aussi celle dictée par le simple bon sens. Dédaignons les vagues phrases humanitaires inspirées uniquement par la basse envie. Tous nos efforts doivent tendre à fortifier la mentalité d'un peuple et non à l'amoindrir. Le progrès n'est pas dans la haine des classes, comme ne cessent de le répéter les sectaires, mais uniquement dans leur fusion. Les socialistes, qui d'abord favorisèrent la création des syndicats, les voient maintenant se retourner contre eux. Bien vainement essaient-ils de calmer cette hostilité. Malgré leur soumission, la Confédération du Travail les repousse avec mépris. Dans ses meetings récents, elle a refusé la présence d'un seul député socialiste. L'idéal des syndicalistes reste encore lUi peu vague, car pour le moment ils ne cherchent qu'à détruire, mais leurs écrivains ont déjà pris soin de nous dépeindre la future société syndicaliste. Elle sera composée de producteurs réunis en syndicats échangeant leurs services. Cette organisation, très éloignée de la forme Etatiste prônée par les collectivistes, lui serait éviabaisserait le gentleman au niveau du connais la demment supérieure. Collectivistes et syndicalistes sont en réalité aux pôles de la pensée, et nulle conciliation n'est possible entre eux. Beaucoup de braves gens prennent des airs entendus pour nous révéler que le syndicalisme représente l'aurore de temps nouveaux. Ils ne semblent pas soupçonner que cette aurore constitue simplement une régression vers un état de choses fort ancien et si insupportable qu'il fut abandonné. Le régime syndicaliste a fonctionné, en effet, pendant des siècles dans les républiques italiennes. Elles n'étaient que des fédérations de syndicats industriels, sous la direction d'un conseil élu par ces syndicats. 213 LES ILLUSIONS SYNDICALISTES Le tableau des conséquences de cette forme gouvernementale a été parfaitement tracé par un professeur au Collège de France, M. Renard, que sa qualité de socialiste humanitaire rend peu suspect. Je lui emprunte sa description : Querelles de ville à ville, de quartier à quartier, de famille à famille, interminable et monotone kyrielle de vendettas, d'émeutes, d'incendies, de meurtres, de barricades, d'exils, de confiscations, voilà le spectacle désordonné, tumultueux, qu'offrent pendant des siècles les communes italiennes, Florence la Belle aussi bien que les autres. En Italie on croirait à certains moments qu'on descend avec Dante dans un de ces cercles infernaux où se poursuivent, se débattent, se mordent, se dévorent des troupes de monstres, de démons et de damnés. Dans son livre, Socialisme à l' Etranger', M. QuentinBauchart montre que ce régime syndicaliste était si oppressif pour l'ouvrier que l'on considéra partout comme un bonheur d'en être débarrassé même au prix de dictatures militaires très dures. La Révolution — se crut obligée d'abolir les corporations, infiniment moins tyranniques cependant que les tout-puissants syndicats des républiques italiennes. que l'effort de la dont est sortie la constitution des grands Etats, a été de substituer l'intérêt général à des intérêts individuels et corporatifs toujours en lutte. Le syndicalisme est donc, en réalité, je le Il n'est pas douteux, d'ailleurs, civilisation, effort une évolution régressive et non progressive. Que des intérêts similaires se syndiquent, rien de plus naturel. Cela existe universellement. En Allemagne, notamment, les syndicats sont innombrables. répète, Tous corps d'état, bouchers, professeurs, magisetc., sont plus ou moins syndiqués. En France seulement, se manifeste la prétention des syndicats de renverser l'Etat pour être les maîtres, etrevenir à une forme de gouvernement que le progrès de la civilisation a fait disparaître. Si le syndicalisme triomphait un jour, nous verrions s'ouvrir une période d'anarchie à laquelle aules trats, égoutiers, 214 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE cane organisation sociale ne saurait résister longtemps. Les peuples révoltés contre leurs lois sont condamnés à subir bientôt les fantaisies des despotes <iue le désordre fait invariablement surgir, et finalement les invasions. C'est pour ne l'avoir pas compris que de grandes nations ont péri, que la Grèce, flambeau du monde antique, fut réduite en esclavage et que la Pologne disparut de l'Histoire. Le triomphe du mouvement actuel ne serait qu'une conséquence de la désagrégation mentale dont la révolte des postiers constitue un alarmant symptôme. Dans leurs meetings, on a vu ces derniers prôner l'antimilitarisme, l'antipatriotisme et l'anarchie. Leur grève, au moment même où l'alîaire des Balkans paraissait devoir entraîner la France dans une guerre redoutable, prouve à quel point des syndiqués font passer de petits intérêts particuliers avant Pour eux, la patrie, c'est leur syndicat. dessine de plus en plus nettement syndicalisme révolutionnaire et l'Etatisme l'intérêt général. La lutte entre le se Ces deux formes de tyrannie sont égaleque la première serait peut-être la moins dure, parce que de petits despotismes collectifs se font équilibre et sont dès lors moins tyranniques qu'un seul despotisme collectif tel que celui rêvé par les socialistes. Avec l'efTacement progressif des caractères et Tincompréhension générale des lois naturelles, nous sommes condamnés à subir l'une ou l'autre de ces tyrannies, à moins que ces deux forces antagonistes n'arrivent à se neutraliser l'une par l'autre. Ne l'espérons pas trop. collectiviste. ment détestables. Je crois cependant ' CHAPITRE III L'Évolution anarchique du Syndicalisme. Le don de proi)hétie constituait, jadis, un exceptionnel présent des dieux. La Bible ne cite qu'un petit nombre de prophètes et témoigne à leur égard d'une respectueuse vénération. Grâce sans doute aux incontestables progrès de la religiosité contemporaine, la faculté de deviner l'avenir est devenue générale. On rencontre peu d'hommes qui n'utilisent plusieurs fois par jour cette aptitude, autrefois si rare. Je ne fais pas allusion seulement aux socialistes, perpétuels prophètes, dont tous les verbes se conjuguent invariablement au futur, ainsi qu'on le leur a déjà fait observer. Je parle simplement d'individus quelconques, habitués comme la plupart de leurs contemporains à disserter longuement sur les sujets qu'ils ignorent. Vous causerez difficilement dix minutes avec eux sans entendre une prédiction. Si elle ne concerne pas l'avenir de la France ou des, autres Etats, elle touche au sort de leurs voisins. On ne saurait donc tirer vanité d'une faculté que tous possèdent, ou au moins exercent, d'une si continue façon. Ne pas la pratiquer serait vouloir se distinguer. Donc, me conformant à l'usage universel, il m'arrive parfois de tenter des prédictions. Elles sont le plus souvent à longue échéance, pour m'éviter d'assister à leur irréalisation. 216 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE J'en ai cependant risqué c|uelc|iies-unes à brève échéance. Parmi ces prédictions appuyées uniquement d'ailleurs sur des notions psychologiques très simples, je citerai celle publiée dans un grand journal lendemain même de l'exécution de Ferrer où je prédisais que cet événement si bruyamment commenté à Paris ne produirait aucune espèce d'émotion en Espagne. Vérifiée aussi fut la prédiction où j'annonçais que la Confédération du travail finirait par subir l'absorption des éléments anarchiques qu'elle s'était si maladroitement annexés. Sur ce dernier point voici comment s'est exprimé, juste une année après mon pronostic, le secrétaire démissionnaire de la C. G. T.. M. Xiel parisien, le et : Tous nos efforts pour arrêter l'envahissement du syndicalisme par la politique ont tout bonnement abouti à ceci c'est qu'on a fermé la porte de devant au virus socialiste pour ouvrir celle de derrière au poison anarchiste... Peu à peu, soutte à goutte, : politiciens anarchistes incorporent tout l'anarchisme au syndicalisme, à tel point qu'ils n'ont plus besoin d'employer l'expression compromettante, anarchisme, pour faire triompher leur politique anarchiste, celle plus sympathique de syndicalisme leur suffisant de plus en plus... Le syndicalisme, c'est l'anarchisme sans le mot. les Arrêtons-nous sur cette dernière définition qui synthétise fort justement le syndicalisme latin actuel ; de l'anarchisme sans le mot ». Les fondateurs du syndicalisme pacifique ont mis quelque temps à le découvrir. Les ouvriers le découvriront peut-être également et finiront par comprendre que l'anarchisme ne constitue pas une doctrine politique, mais un état mental, spécial à des variétés bien définies de dégénérés, catalogués depuis longtemps par les pathologistes. Ils s'apercevront alors que le sabotage des machines, l'incendie des usines, l'assassinat des soldats est une œuvre de demi-aliénés, ne pouvant améliorer le sort de personne. Hallucinés par leurs impulsions morbides, les anarchistes se soucient peu d'ailleurs d'améliorer l'exis« l'évolution ANARCIIIQlf^ DL" 217 SYNDICALISME tence des classes ouvrières, comme réussirait ù le faire un syndicalisme intelligent, celui d'Angleterre ou d'Amérique par exemple. Une très utile leçon fut récemment donnée, sur par M. Samuel ce sujet, aux syndicalistes français Gompers, président de la C. (i. T. américaine [Amei'ican Fédération of Labour k Cette association compte deux millions d'ouvriers, alors que la nôtre en comprend seulement trois cent mille. Leur richesse est conils possèdent plus de trois cents journaux. Le mépris professé par les syndicalistes américains pour les agitations stériles des syndicalistes français sidérable et est visible. Ils considèrent les conceptions de ces der- niers comme fort puériles. Autrefois, est-il dit dans le discours de M. Gompers, alors que nous étions dans l'enfance, nous avions nous aussi nos commu- nos anarchistes, nos chevaliers du travail, nous étions impuissants. ...Le syndicalisme ne doit pas être destructif, il doit êtreconstructif... Ruiner l'industrie nationale par le sabotage et les grèves est un mouvement incohc'-rent comme les Jacqueries du Moyen Age. Le prolétariat français n"a rien appris, il est resté impulsif. nistes, L'assertion qui a le plus frappé les syndicalistes français et les a remplis d'horreur, est celle du pré- grande Confédération américaine leur certain que la suppression du patronat serait un progrès. Ce pourrait même être un retour à l'esclavage >'. Nos syndicalistes auraient entendu des affirmations analogues en Angleterre et en Allemagne, mais leur mentalité étroite ne leur permet pas la compréhension de pareilles vérités. Seul le travailleur, capable d'observer, comprend que le produit de Fatelier. et par conséquent le salaire, dépend avant tout de la valeur sident disant de « la n'être nullement du patron. Cette dernière concejjtiou n'est jamais admise par Quand ou leur demande de prérépondent invariablement: «l'ate- les syndicalistes latins. ciser leur lier rêve, ils sans maître ». 19 . 218 PSYCHOLOGIE l'OMTIOl E ET DÉFENSE SOCIALE Ce sont là évidemment utopies d'intellectuels qui n'ont pas dû fréquenter beaucoup d'ateliers ou ne les i>nt jamais regardés bien attentivement. Un superliciel examen leur eût vite prouvé que l'usine vaut surtout par son chef. Tel maître, telle usine. La grande difficulté actuelle, avec les complications énormes de technique la moderne, n'est pas de recruter les soldats de l'industrie, mais leurs chefs, l'ne usine prospéi-ant sous un directeur habile dépérit l»romptement entre des mains inexpérimentées. L'atelibre, c'est-à-dire sans chef, serait le vaisseau sans capitaine. Anarchie aujourd'hui, ruine demain. Ces vérités sont au surplus dénuées d'intérêt pour les anarchistes devenus les maîtres du syndicalisme, puisqu'ils ne poursuivent d'autre but que de détruire la lier un vague communisme. ennemis du syndicalisme que du collectivisme, ou de toute autre forme d'orgasociété, Ils pour la remplacer jiar sont en réalité autant nisation sociale. Bien que redevables à la faiblesse de l'Etat moderne des lois qui leur permetlent de vivre, ils se dressent maintenant contre lui et nous avons la naïveté de les supporter. J'ai exposé dan> un précédent chapitre quelques-uns des méfaits des lois que les législateurs s'obstinent à entasser, sans en prévoir les incidences. Parmi elles, on peut mentionner encore la loi créée en 1884 par un ministre, orateur excellent mais psychologue détestable, sur les syndicats professionnels. Les avertissements ne lui manquèrent pas. En réponse à un sénateur, craignant « qu'il ne vienne un jour où le Pai-lement sera dominé ])ar une Fédération d'ouvriers obéissant à un mot d'ordre donné par un grand syndicat ». il se borna à railler « ce pouvoir indicible, supérieur à celui qui a pu être exercé par toutes les dictatures, qui serait attribué à je ne sais quel conseil général des syndicats ». On lui avait pourtant signalé le danger en termes l'évolution anarciiiqle du syndicalisme 219 d'une psychologie très sûre « La tlominalion, déclarait un judicieux sénateur, sera inévitablement absolue, car il n'y a pas de milieu, ou elle n'existera pas ou elle sera absolue; ou il n'y aura pas de Fédération de syndicats professionnels ou l'union aura une autorité sans limites, car on sait comment parmi les ouvriers l'autorité sait s'imposer et se faire obéir"». On indiqua également comme conséquences du projet, le développement de Fantimilitarisme, et de l'antipatriotisme. Rien n'y fit. L'aveuglement demeura général et la loi dont se déroulent, grandissants chaque jour, les désastreux effets fut votée. Grâce à elle, la Confédération des ouvriers peut se maintenir impunément en guerre contre la patrie, l'armée, la société, le capital, ne cessant sa propa: gande antimilitariste, provoquant les pillages d'usines et les incendies. le royaume de de l'Ecole socialiste M. Jaurès lui-même a montré, par l'examen d'un livre récent de deux syndicalistes révolutionnaires, que ces bruyants révoltés n'arrivaient qu'à proposer le rétablissement exact de ce qu'ils auraient détruit par une Tous ces fanatiques vivent dans l'illusion pure. A l'ouverture révolution violente. Un des traits qui me frappent le plus dans la révolution qu'on nous raconte, écrit M. Jaurès, c'est son invraisemblable facilité Le gouvernement disparaît comme un fantôme, le parlementarisme s'évanouit comme une fumée, l'armée passe au peuple. Tout cède... Mais voilà qu'aussitôt, dans la réorganisation sociale à laquelle les syndicats président, apparaît une série de transactions et d'arrangements si opportunistes, que le plus modéré des parlementaires d'aujourd'hui y pourrait prendre des leçons Le paysan garde son champ, le petit boutiquier sa boutique. La Révolution s'empare des banques, mais c'est pour remettre aux déposants des carnets de chèques nouveaux... L'Etat détruit renaît. Le Parlement reparaît dans le Congrès Confédéral, où l'on ne résout pas seulement des ([uestions corporatives, mais la question agraire entière, mais la question de la monnaie et bien d'autres aussi. Tous les éléments de la société s'y trouvent, c'est la loi de la ! ! 220 PSYCHOLOGIE POLITIQLE ET DÉFENSE SOCIALE ilrmocratio mais toutes (jiii les -régit. Nuus avons bien santé la barricade, de l'autre côté... Ceux qui souvent nous ont traités, non sans dédain, d'opportunistes, tombent à notre triste niveau dès qu'ils essaient de prendre contact avec la réalité, Ihunanité àxi 30 novembre 1909). les difficultés actuelles se retrouvent i En attendant son rôle lutur. la Confédération du dans le présent une action destructrice indubitable. Elle tend à ruiner beaucoup d'industries, sans se douter d'ailleurs que ce sera la misère des ouvriers vivant de ces industries. Son influence contribua fortement, par les grèves maritimes et l'élévation des salaires, à la décadence de notre marine marchande. On peut juger do son état actuel par le tableau suivant, indiquant la chute des dividendes de nos grandes compagnies de navigation en moins travail exerce de dix ans. en 1900. En 1908 Chargeurs Réunis .^Ofr.» Néant Compagnie havraise 30 Messageries maritimes Compagnie générale Iransatlanliqin' 2o 50 Uivideniips payés 16 » » 20 Néant 12 un discours prononcé au Sénat et dont extraits empruntés à l'Officiel du 11 mars 1910. M. Méline montra parfait^^ment les résultats créés par l'anarchie législative et l'état menDans voici quelques actuel de la population ouvrière. tal Je vis dans le monde industriel; eh bien! laissez-moi vous que je constate que l'esprit d'entreprise et d'initiativ& est découragé. Les menaces dirigées contre le capital, les grèves à jet continu, les attentats trop souvent impunis à la liberté du travail, les menaces fiscales dirigées contre tous ceux qui possèdent et qui épargnent, sont peut être pour beaucoup dans ce « dire découragement. " Les révolutionnaires qui nous pous.sent dans cette voie sont bien imprudents. Ils sont en train de tuer la poule aux œufs d'or. Ils espèrent qu'avant peu il n'y aura plus de riches. S'il n'y a plus de riches, tout le monde sera pauvre, les pauvres seront plus pauvres et ce sera la misère générale. » Quant à l'objection tirée des bilans commerciaux 221 L EVOLUTION ANARCHIQUE DU SYNDICALISME 1res avantageux en apparence, attestés par nos stal'orateur n'eut pas de peine à montrer de listiques, (|uelles illusions optimistes les hommes d'Etat qui invoquent étaient victimes. Alors que depuis vingt ans le commerce de la plupart des pays Allemagne, Etats-Unis, Belgique, etc., a doublé, le nôtre, au point de vue de la progression, est lentement tombé au dixième rang. Et pendant que nous nous ralentissons ainsi, tous los peuples devenant de plus en plus industriels trouvent de moins en moins de débouchés. Ces derniers se ferment successivement. « Un jour peut venir où les difficultés de cet encombrement général ne seront plus d'ordre économique et pourront tourner en conflits de peuple à peuple ». Une des causes contribuant aussi, en dehors de l'ordre qui y règne, à la puissance de certains pays étrangers, c'est qu'au lieu de la sinistre armée des déclassés fabriqués par notre Université, ils possèdent " une jeunesse ardente et nombreuse qui se répand les : d'un bout du monde à l'autre et qui travaille à la prospérité des affaires de son pays d'origine ».M.Méline espère que nous aurons cette jeunesse le jour où nous serons guéris de la plaie du fonctionnarisme. Plus grave est la plaie de notre Université. Le fonctionnarisme n'en constitue que la conséquence nécessaire. * Dès qu'un parti politique se fonde et quelles que soient ses doctrines, eût-il pour but de saccager des machines ou de « planter le drapeau national dans le », on est toujours sûr de voir accourir à son aide une nuée de demi-intellectuels sans emploi. Notre éducation classique en fabrique des légions, incapar- fumier Ne nous étonnons formes du syndicalisme anarchique puissent recruter de nombreux avocats. Le sabotage des usines, ou la destruction des fils bles de remplir d'autres fonctions. donc pas que les pires 19. ~22 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE télégraphiques, constituant des opérations qu'on évite de recommander trop ouvertement, par crainte des professeurs d'anarchie linirent par essayer philosojihie. d"où pourraient se déduire, grâce à d habiles subterfuges de langage, les pratiques du syndicalisme anarchiste. lois, les de découvrir une La On tentative étant malaisée réussit médiocrement. avec étonnement les doctrines enseignées au Collège de France par le plus do'ux et le plus sagace des philosophes, M. Bergson, devenir TEvangile du vit syndicalisme révolutionnaire. C'est de M. Bergson l'école nouvelle », nous dit M. le professeur Bougie. 11 est vrai que les modernistes, les néo-catholiques et d'autres sectes s'en prévalent également. « Ce que demandent les uns et les autres à leur maître involontaire, ce sont des leçons d'autii< que se réclame « On doit remplacer le raisonnement par des intuitions illuminantes, qui seules nous permettent de comprendre la vie par une sorte de sympathie inexprimable... Il faut s'en lier en tout et pour tout, aux inspirations de l'élan ouvrier, frère de l'élan vital ». Vous ne comprenez peut-être pas très bien? Moi non plus,, et les syndicalistes encore moins. Cela n'a du reste aucune importance. La grande force d'une doctrine est souvent d'être incompréhensible. Les foules ne se passionnent guère que pour ce qu'elles ne comprennent pas. A l'époque du Jansénisme, l'Europe faillit être bouleversée par une doctrine de la Grâce, dont aucun théologien n'est jamais parvenu à nettement exposer les principes nia voir l'immoralité. En fait, les théoriciens du syndicalisme ont sim- intellectualisme. « plement pressenti l'utilité pour une doctrine politique de posséder une philosophie. Celles d'Hegel, Comte et quelques autres avaient déjà servi à des partis très divers fallait prit la et d'ailleurs étaient bien vieilles. 11 donc en choisir une autre et naturellement on plus neuve. Lorsque les anarchistes incendie- ll-«n l'évolution ANARCIIIQUE DU SYNDICALISME 223 ront une usine, ils pourront assurer désormais le faire au nom d'une philosophie et avoir pour guides « les intuitions illuminantes de l'instinct ». Et ceci nous montre en passant combien est dangereuse la tendance de la philosophie pragmatiste à dédaigner oublie la raison pour lui trop facilement qu'il substituer l'instinct. On fallut à l'homme des entassements d'âges, pour sortir de l'instinctif et entrer dans le rationnel. Ce n'est qu'en se dégageant progressivement de ses impulsions instinctives, que l'humanité put s'élever sur l'échelle de la civilisation. Une civilisation, c'est la domination de l'instinctif par le rationnel. Une révolution et l'état de barbarie <iui l'accompagne, c'est la revanche de l'instinctif contre Si le rationnel. donc, comme l'affirme M. Bougie, la philosophie anti-intellectualiste doit conduire « les constructions retourner spontanément en poussière » on peut assurer que le même jour l'humanité retombera au plus inférieur degré de la basse barbarie. La philosophie de l'instinct a toujours été pratiquée en réalité par les sauvages et les apaches de tous les temps. Il faut la leur laisser. Les doctrines du syndicalisme révolutionnaire et la faiblesse gouvernementale nous préparent de furieux bouleversements. Peut-être finalement en résultera-t-il quelque utilité. L'âme des peuples est parfois si stable que la modification, même légère, du moindre élément de leur vie sociale, réclame un temps fort long ou une révolution très violente. Les révolutions coûtent cher et produisent peu, mais enfin il en reste parfois quelque chose. La Terreur, vingt ans de guerres européennes et la mort violente de trois millions d'hommes furent nécessaires pour donner simplement aux Français la similitude des droits et l'égalité devant la loi. Ils eussent fini par les obtenir sans révolution, car la locomotive est une niveleuse plus puissante que la guillotine; mais il aurait fallu intellectuelles à 224 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE attendre un peu. et les dieux n'ont Latins la faculté d'attendre. pas accordé aux rôle, assurément très important, joué syndicalisme dans l'Evolution économique du nous entraînerait au delà des limites possibles L'examen du par le monde d'un chapitre. Voulant nous restreindre au point le plus intéressant, nous remanjuerons simplement que le syndicalisme pourra peut-ètrC; s'il réussit à se débarrasser des anarchistes, s'opposer utilement au développement du collectivisme, forme suprême de l'Etatisme. dans lequel nous nous enlisons chaque jour davantage et dont le terme ultime serait la misère dans l'égalité et la servitude. ne faut pas oublier, eu ellet, et cesser de répéter, que le syndicalisme est l'ennemi irréductible du collectivisme. Associer les deux mots, c'est comme si on chrétiens musulmans ou de cléricaux parlait de Il libres penseurs. Aux personnes ignorantes de cette divergence absode doctrines, que persistent à méconnaître les socialistes, je recommande la lecture d'un opuscule intéressant, dû à la plume d'un syndicaliste fervent. M. Edouard Berth. Il y démontre fort bien l'irréductible différence séparant le collectivisme, expression finale de l'Etafisme, du syndicalisme qui repousse de toutes ses forces l'intervention de l'Etat. L'auteur lue considère, non sans raison, que le développement du socialisme est une conséquence de la décadence bourgeoise. Il combat également l'anarchisme qui, explique-t-il judicieusement. « représente la résistance au progrès ou la dissolution du progrès ». Quant au capitalisme si persécuté par les socialistes, les syndicalistes en comprennent parfaitement au contraire la puissance. Le syndicalisme, dit M. Hertli, considère un merveilleux magicien qui a sn. grâce le capitalisme à l'audace comme combinée l'évolution anarchique du syndicalisme de de dormaient linitiiitive individuelle et travail social où elles la 225 coopération, faire sortir du des forces productives l'infinité humaines. De plus en plus effacés devant leurs rivaux, les cependant aujourd'hui que le synditravaille à déposséder le parti socialiste de socialistes savent calisme « ses électeurs ouvriers >>. Ces rivalités nous présagent bic-n des combats. Ne les redoutons pas trop, puisqu'ils sont inévitables et que la nature n'a pas encore trouvé d'autre moyen de réaliser ses progrès. La lutte, elle est partout. Luttes entre les espèces animales, luttes entre les peuples, luttes entre les individus, luttes entre mêmes les de notre organisme. Et ces dernières, quoique cachées, sont justement les plus impitoyables. Il faut donc se résigner à toutes ces batailles que ne sauraient prévenir nos discours. Le monde marche avec nous ou contre nous suivant la manière dont nous savons nous orienter. Les nécessités naturelles nous conduisent, et vainement chercherions-nous à les fuir. On peut les mausexes, luttes enfin entre les cellules dire. Il faut les subir. LIVRE V LES ERREURS DE PSYCHOLOGIE POLITIQUE EN MATIÈRE DE COLONISATION CHAPITRE I Nos Principes de Colonisation. Les luttes économiques entre l'Occident et rOrienl sans doute, une des sérieuses préoccupations du xx*" siècle et entraîneront, fatalement, plus de ruines et de sang versé que les guerres des temps seront, passés. Dans ce conflit de deux civilisations aux pi'ises, les colonies sont appelées à jouer un rôle considérable. On ne conteste plus, aujourd'hui, l'intérêt que nous les nôtres. ÎSous ne saurions donc avons à conserver rester inditférents à ce qui les concerne. L'administration des colonies fondées par les nations européennes, repose sur quelques principes très précis. Ces principes, engendrés par l'expérience, et qui devraient, semble-t-il, être généraux, varient, au contraire, d'un peuple à l'autre. D'un peuple à l'autre est peut-être trop dire, car, en ce qui touche les méthodes colonisatrices, on peut distinguer, parmi les puissances européennes, deux -catégories. Dans la première, nous sommes, nous, diverses NOS PRINCIPES DE COLONISATION ~~'i Français, à peu près isolés, la seconde comprend la plupart des autres nations. Ces divers pays fondent (les colonies pour les garder et en tirer profit. Supérieurs à ces préoccupations mesquines, et n'oubliant pas que notre rôle est de porter aux divers peuples de la terre les bienfaits de la civilisation, nous préten- dons les gouverner avec nos institutions Institutions et idées sont et nos idées. malheureusement repous- avec une complète unanimité. Convaincus de notre bon droit, nous persistons dans nos doctrines, et il en sera sans doute ainsi jusqu'à ce qu'une série suffisante de désastres nous ait solidement prouvé (ju'en matière de colonisation, nos grands jirincipes constituent, théoriquement et pratiquement, de lamentables erreurs. Dans un chapitre de mon livre Les civilisalions do sées : montré les principes directeurs suivis par l'Angleterre pour la conquête et l'administration de l'Inde, j'ai ses colonies, et notamment l'Inde; comment cette dernière avait pu être soumise avec l'argent et les hommes du peuple conquis; combien elle était sagement administrée; et comment, par l'application d'un >eul principe psychologique erroné, ce gigantesque empire échapperait peut-être un jour à ses vainqueurs. Obligé d'être bref, je me bornerai, dans ce chapitre, à rechercher les idées courantes en France sur l'administration de notre colonie la plus voisine, l'Algérie, et quelles conséquences peut entraîner leur application. Les études sur l'Algérie sont innombrables; mais d'entre elles, rédigées par des auteurs fort compétents, résument clairement la moyenne des opinions admises. L'une a pour auteur un savant [u'ofesseur du ccrllège de France, M. Leroy-Beaulieu. l'autre, un ancien consul français, M. Vignon. Je n'ai pas pour but. dans ce chapitre, d'examiner en détail les résultats de notre colonisation algérienne; mais seulement la valeur des idées psycholo- deux 228 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE giques fondamentales qui ont dirigé et paraissent devoir diriger longtemps encore notre administration. Mes critiques porteront donc uniquement sur les principes et nullement sur les hommes qui les appliquent. Ce sont des nécessités politiques et non des théories qui dirigent les hommes d'Etat; or, les nécessités sont de l'opinion. C'est donc à l'opinion qu'il faut s'en prendre, non aux personnes forcées de la subir et dont aucune ne serait assez puissante pour gouverner sans elle. La changer sera fort difficile, car si le peuple français se montre le plus révolutionnaire des peuples, en apparence, il est peut-être, au fond, le filles plus conservateur de l'univers. L'Algérie, contrée aussi vaste que la France, est un pays assez peu peuplé. Elle est habitée par six millions de musulmans dévoués à nos institutions, assurent les rapports officiels; mais, en ment a besoin d'être consolidé par ce dévoueune armée de fait, 60.000 hommes, c'est-à-dire à peu près égale à celle qu'emploient les Anglais pour maintenir sous l'obéissance 250 millions d'Hindous, dont 50 millions de musulmans bien autrement redoutables et difficiles à manier que leurs coreligionnaires algériens'. milieu de cette population musulmane de l'Alévolue une autre de 800.000 Européens dont la moitié seulement est française; l'autre moitié est espagnole, italienne, maltaise, etc. Ces éléments européeiLs, d'origines si diverses, ne se croisent pas Au gérie en avec les Musulmans, mais seulement entre eux, et le jour est proche où il résultera de ces mélanges une l>opulation nouvelle à caractères bien tranchés et 1. Beaucoup de musulmans de l'Inde sont d'ailleurs de purs Arabes. On rencontre surtout dans l'empire du Nizam. A Hyderabad, ils forment une population tellement fanatique et dangereuse, que le gouvernement anglais a pris le parti d'interdire absolument aux Européens de traverser les rues sans les et sans escorte. C'est, du reste, un principe général, aux Indes, d'empêcher autant que possible le contact des indigènes et des Européeas. Chaque cité comprend toujours deux parties souvent séparées par plusieurs cette dernière kilomètres de distance, la ville indigène et la ville européenne forme ce qu'on appelle le cantonnement. autorisation : 229 NOS PRINCIPES DE i.OLOMSATION dont les intérêts seront, nalurelltmenl. ceux de l'Albeaucoup plus que ceux de la métropole. Elle apparaît un peu déjà, cette métropole, comme une sorte de banquier naturel destiné à gratifier le pays de chemins de fer, d'établissements publics et de subventions variées. gérie, Quant aux musulmans, constituant majeure partie la de la population, ils contiennent des descendants de tous les conquérants africains; mais le fond paraît être formé principalement de deux tiers de Berbères et d'un tiers environ d'Arabes. Les différences entre eux sont assez faibles; la seule présentant quelque importance est la division en sédentaires et en nomades. Nous verrons plus loin que, contrairement à une opinion très répandue, Arabes et Berbères fournissent des éléments à ces deux classes. Le livre de M. P. Leroy-Beaulieu pourrait se résumer en un mot, traduction exacte, d'ailleurs, des idées régnantes en France sur l'Algérie Franciser lés : musulmans (( ». Le système politique suivi jusqu'ici pour franciser ou conquérir moralement ces musulmans est d'ailleurs d'une barbarie voisine du procédé des primitifs Américains à l'égard de ces Peaux-Rouges, qu'on dépouillait de leurs territoires de chasse en leur laissant la pleine liberté de mourir de faim. peu de choses près notre méthode adminisdu refoulement fort bien décrit par M. Vignon C'est à trative : L'administration, dit-il, voyant les gouverneurs généraux confisquer une partie des terres des tribus après chaque insurrection, pensa qu'elle pouvait en toute justice faire choix des meilleures terres pour les colons et « refouler » les indigènes. A mesure que l'élément européen se développait, les indigènes étaient renvoyés de l'héritage de leurs pères, dos tribus entières transportées loin de la région qui était en quelque sorte leur patrie... Les résultats d'une pareille politique suivie pendant plus de trente ans ne pouvaient èln' dou^ux ici, l'Arabe incessamment refoulé, toujours plus incertain de recueillir le fruit de son travail, ne songeait ni à bien cultiver, ni à améliorer le sol ; là, privé des terres labourables de sa tribu, de la joui.';; • 20 230 PSYCHOLOGIE l'OLlTIOUE ET DEFENSE SOCIALE même de l'accès lie.s cours d'eau, ne pouvant lutter contre sécheresse, il ne recueillait pas le blé suffisant à sa nourripartout, ture et voyait ses troupeaux diminuer ou disparaître enfin, ces mille souffrances entretenaient les haines de l'indigène contre le colon et creusaient, au lieu de le combler, le fossé déjà profond qui sépare les deux races. Le sénatus-consulte de IStJo qui déclara les tribus propriétaires des territoires dont elles avaient la jouissance n"a pas rais fin au système du « refouU'raent », mais il a chanaé de forme et de nom. Aujourd'hui il sappelle le système de « l'expropriation poiu" cause d'utilitc- puiilique »... Deux traits essentiels d'une part, il ne procure la terre aux caractérisent ce système colons qu'en i'ôtant aux indigènes, il constitue des cercles exclusivement européens d'où les indigènes sont écartés avec soin en tant que proprii'-taires d'une autre, il condamne à la misère l'indigène dépossédé. L'ancien propriétaire du sol reçoit une indemnité en argent qui est fixée par les tribunaux elle varie généralement de 50 à 60 francs par hectare. L'indigène se trouve donc échanger les 30 ou 40 hectares sur lesquels il vivait aisément avec sa famille contre une somme de 1.500 francs à 2.000 francs, c'est-à-dire qu'au lieu d'un fonds de terre suffisant à ses besoins pour toute sa A"ie, il n'a plus (ju'un capital qu'il épuise en une ou deux années. sance la ; : ; ; Une des plus ét.rani;es applications faites eu Algérie de l'omnipotente intervention de l'Etat a été la colonisation officielle. Il faut en lire la lamentable histoire dans le livre qui' je viens de citer. On y verra les conséquences de ces distributions gratuites de terres à des déclassés de toutes sortes, aussi aptes à cultiver le sol qu'à professer le sanscrit, de ces créations de villages officiels devenus aujourd'hui des déserts, etc. Les résultats de cette désastreuse e.xpérience, et les frais excessifs entraînés par elle, iront pas suffi pourtant à éclairer nos administrateurs, puisque, il y a quelques années, un gouverneur général demandait 50 millions pour exproprier encore des Arabes et créer d'autres villages en remplacement de ceux qui avaient si misérablement échoué! Heureusement, le projet fut repoussé par les Chambres, car il préparait sûrement une nouvelle révolte de la population musulmane millions de la et un nouveau gouffre pour Qu'un pareil projet métropole. les ait NOS PRINCIPES DE COLONISATION 231 pu être proposé, discuté et près d'aboutir, cela montre à cjuel point l'éducation de l'opinion française demeure encore primitive en matière de colonisation. Il n'est pas surprenant ciu'avec de telles expériences nous coûte excessivement cher. On évalue ce que nous avons payé pour elle à plus de 4 milliards, l'Algérie déduction faite des recettes. Au prix de tant de sacriavons-nous au moins pacifié le pays ? Tâchons de nous le persuader, mais n'oublions pas que, pour y conserver une paix relative, il nous faut y entretenir constamment une importante armée. fices, Depuis la conquête de l'Algérie, deux princi])es fondamentaux, alternés suivant les mouvements de l'opinion, semblent avoir exclusivement dirigé notre politique colonisatrice. L'un consiste à exproprier les Arabes, puis à les refouler dans le désert: l'autre à les franciser en leur imposant nos institutions. Les Arabes ne se sont pas laissé refouler, par l'excellente raison que le désert ne peut nourrir personne, et qu'avant de consentir à mourir de faim, plusieurs millions d'hommes commencent généralement par opposer quelque résistance. Les indigènes n'ont pas plus accepté d'être francisés que refoulés, parce que jamais jusqu'ici un peuple n'a pu changer sa constitution mentale, pour adopter celle d'un autre. Les deux systèmes sont donc également détestables et le passage successif de l'un à l'autre ne nous offre aucune chance de les améliorer. On continuera la série des ruineuses expériences, jusqu'au jour oi^i nos gouvernants, enfin éclairés, s'aviseront que laisser au pays conquis ses institutions, ses coutumes' son genre de vie, ses croyances, comme le font tous les peuples colonisateurs, les Anglais et les Hollandais notamment, est la plus simple, la moins coûteuse et la plus sage des solutions. 232 PSYCHOLOGIE l'OLlTIOIE ET DÉFENSE SOCIALE serait Cette solution actuellement impossible, puisque l'opinion publique est contre elle. La conduite de nos administrations, les idées émises dans les journaux et dans les livres, le prouvent suffisamment. A peu près dégagés en Occident de l'influence des croyances religieuses, nous supposons volontiers (ju'il en est universellement ainsi. Fort peu d'auteurs européens ont compris qu'en Orient la question religieuse prime toutes les autres. Institutions civiles et politiques, vie publique ou privée sont, pour les disciples de Mahomet, comme pour ceux de Siva ou de Bouddha, uniquement régies par la loi l'eligieuse. Manger, boire ou dormir, ensemencer son champ, recueillir sa récolte, constituent chez l'Oriental des actes religieux. Les Anglais le comprennent si bien (jue, malgré leur protestantisme rigide, ils restaurent aux Indes les pagodes, entretiennent largement les prêtres de Siva et de Yichnou, et ne favorisent nullement le zèle de leurs pi'opres missionnaires. On chercherait vainement sous le ciel britannique des avocats pour soutenir qu'une colonie doit périr plutôt (|u"uii principe. Protéger la religion musulmane, nous appuyer sur les congrégations influentes, fortifier l'autorité des prêtres musulmans au lieu de la combattre et de l'affaiblir, aurait dû être la base de notre politique. Le l)remier résident français. à Tunis, un des bien rares gouverneurs ayant su s'assimiler les choses de l'Orient, et qu'on s'est d'ailleurs empressé d'en retirer, faisait preuve d'un sens politique très profond quand il suggérait au bey de Tunis la promulgation de décrets religieux pour affirmer aux yeux des croyants la légitimité des mesures qu'il voulait imposer. Respecter les coutumes religieuses des Arabes, c'est respecter toutes leurs institutions, ces dernières dérivant uniquement, comme je le disais plus haut. des croyances religieuses. M. Leroy-Beaulieu réprouve 233 NOS PRINCIPES DE COLONISATION cette politique qu'il qualifie de politique d'abstention respect complet des coutumes, des de ce que l'on a appelé la nationalité arabe exigerait que notre armée et nos colons quittassent l'Afrique ». et ajoute que « le traditions, des Pourquoi le mœurs respect des mœurs et coutumes arabes armée et entraînerait-il le départ obligatoire de notre de nos colons? L'auteur oublie totalement de nous le dire. Je crois qu'il aurait grand'peine à étayer son opinion d'aucune raison sérieuse. La politique défendue ici est celle adoptée à l'égard des musulmans par les Anglais aux Indes sans que ces derniers paraissent nullement disposés à abandonner leur immense empire. Les mesures conseillées par M. Leroy-Beaulieu sont bien conformes à nos idées d'égalité universelle. Elles consistent dans « la fusion de l'élément indigène avec l'élément européen ». Cette fusion est représentée comme « un état de choses oi^i les deux populations d'origine différente seraient placées sous le même régime économique et social, obéissant aux mêmes lois générales, et suivraient dans l'ordre de la production la même impulsion ». Le tableau apparaît séduisant sur le papier. C'est le rêve égalitaire de nos théoriciens de 93 et d'auIl ferait un peu sourire le plus modeste employé du service civil des Indes. On peut être un savant remarquable sans soupçonner l'abîme qui jourd'hui. sépare la pensée et les sentiments d'un Oriental de ceux d'un Occidental. L'auteur prévoit bien quelques obstacles à sa politique de fusion, mais les surmonte aisément. D'abord il assure, toujours sans dire sur quelles observations s'appuie son assertion, que « les Kabyles ne diffèrent des Européens que par un point, la religion ». Quelle erreur! On serait plus près de la vérité en disant qu'entre l'Européen civilisé et le Berbère actuel, la différence est aussi considérable qu'entre 20. ' 234 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE et un Parisien de nos jours. Les Berbères, suivant M. Leroy-Beaulieu, étant identiques aux Européens, les Arabes, seuls, resteraient à franciser. La chose lui parait fort simple « Il faudrait, explique l'auteur, radicalement modifier le système de la tribu, de la propriété collective, de la famille polygame. Ces trois points obtenus, il ne resterait plus que des détails dont on viendrait à bout avec le temps. » Ces petites transformations, qui réjouiraient assurément les plus purs des socialistes, semblent si faciles à l'auteur qu'il ne juge même pas utile d'indiquer le moyen de les opérer. Je crois cependant que pour toute personne un peu familiarisée avec l'étude de la constitution mentale des Arabes, réaliser de telles modiOcations n'offre guère moins de difficultés que de changer un indigène australien en professeur au Collège de France, ou d'apprendre à voler à un batracien. M. Leroy-Beaulieu n'est pas tendre d'ailleurs pour les Arabes, qu'il parait considérer comme une collection de sauvages. Leur organisation est simplement, suivant lui, «l'ancienne constitution de tous les peuples pasteurs ». L'auteur croit évidemment que tous les Arabes sont des pasteurs, et les Berbères des séden- un Gaulois du temps de lirennus : taires. En réalité, nomades et sédentaires subsistent chez les deux peuples. Les plus purs des Berbères, les Touaregs, sont exclusivement nomades. En lisant ce qu'écrivait Ibn Khaldoun au xiv* siècle, on voit que cette division des Berbères de l'Algérie en sédentaires et en nomades ne date pas d'hier i. Depuis les temps les plus anciens, dit Ibn KhalJoun, cette race d'hommes Berbères) habite le Maghieb, dont elle a peujjlé les plaines, les montagnes, les plateaux, lus régions mariiimes, les cam])agnes et les villes. Ils construisent 1. « lies leurs demeures, solide pierres, soit d'argde, soii de ou et loseanxetde broussailles, de chameau. Ceux d'entre les Bejbères qui la puissance et qui dominent les autres s'adonnent à la vie nomade parcourent avec leurs troupeaux les pâturages auxquels un court voyage peut bien de jouissent de toiles faites de poil NOS PRINCIPES DE COLONISATION 235 Les distinctions faites autrefois par quelques auteurs entre Berbères et Arabes, au point de vue de l'aptitude à la civilisation, reposaient sur des observations fort superficielles et ne sont plus soutenables aujourd'hui. Il y a, je le répète, parmi les Berbères, des sédentaires et des nomades, comme il y en a parmi Arabes. Le mode d'existence dépendant du milieu, ces deux formes de la vie sociale résultent de la nature du sol et non de la race. Dans les plaines les sablonneuses, Arabes et Berbères sont nomades; les régions fertiles ils sont sédentaires. On trouve des Arabes nomades et des Arabes sédentaires en Algérie, aussi bien qu'en Egypte, en Syrie et en Arabie. Des Berbères sédentaires et des Arabes sédentaires, je ne vois guère qui l'emporte comme développement intellectuel. Si l'on devait pencher d'un côté, ce serait plutôt vers les Arabes, possesseurs jadis d'une civilisation très haute, alors que celle des Berbères fut toujours assez rudimentairc^. La réforme sur laquelle M. Leroy-Beaulieu insiste le plus mais toujours en oubliant de nous indiquer son mode d'application pratique est la suppres- dans — — ils m: quiUeut l'inlérieui' du Tell pour entrer dans les vastes Us gagnent leur vie à élever des moutons et des bœufs, réservant ordinairement les chevaux pour la selle et pour la propagation de l'espèce. Une partie des Beriieres nomades l'ail aussi métier d'élever ues chameaux, se donnant ainsi une ocLU)ia ion qui est plutôt celle des Arabes. Les Berbères de la classe pauvre tirent leur si'.bsistaiice du produit de leurs champs et des bestiaux qu'ils élèvent chez eux; mais la haute classe, celle qui vit en nomade, parcourt le pays avec ses chameaux, et toujours la lance en main, elle ^'occupe également à multiplier ses troupeaux et à dévaliser les voyageurs. » lus aiiieiior plaines du ; jamais désert. 1. Au point de vue moral, les Berbères paraissent même très inlérieurs aux Arabes. Les premiers sont célèbres depuis la plus haute antiqiiité par leur perfidie. Ils étaient nombreux sans doute dans les armées cai ihaginidses et ont dû 'miributr certainement à la mauvaise renommée de la foi punique. Lorsque Mouza, conquérant arabe de l'Espagne, fut interrogé par le calite de Damas sur les Berbères haijitant les provinces qui forment l'Algérie actuelle, il lui en lit le tableau suivant que beaucoup de personnes trouveiont encore très exact « ils ressemblent fort aux Arabes dans leur manière d'attaquer, de combattre; huspilaliers entre eux, mais ce sont le» gens les ils sont patients, sobres et plus perlides du monde ; promesses ni parole ne sont sacrées pouf eux. » ' : . 236 PSYCHOLOGIE POLITIQIE ET DEFENSE SOCIALE sion de la polygamie. Il nous développe les avantages monogamie et révèle à ses contemporains que « le ménage est essentiellement le domaine de la femme unique sans elle l'âme de la famille manque, de la ; et le ressort de la prospérité C'est là de la une des grandes causes de maison la est absent. stagnation où se trouve la société arabe « Je ne veux pas entrer dans le fond de la question et objecter que tous les Orientaux étant polygames, il faut bien quelques puissants motifs à cette coutume. Je ne ferai pas remarquer non plus que la polygamie légale des Orientaux vaut bien la polygamie hypocrite des Européens et son cortège de naissances illégitimes. On i)Ourra trouver des développements suffisants sur ces questions et quelques autres dans mon Histoire dr la civilisation des Arabes'^ et y voir aussi que sous la domination arabe, les harems ont produit autant de bas-bleus illustres et de femmes savantes (jue nos lycées de filles. Il est bien démontré aujourd'hui que la polygamie n'a jamais causé la stagnation des musulmans. Est-il nécessaire de rappeler que les Arabes, et les Arabes seuls, nous ont révélé le monde gréco-latin, et que les universités européennes, y compris celle de Paris, ont pendant six cents ans vécu exclusivement des traductions de leurs livres et de l'application de leurs méthodes? La civilisation arabe fut une des plus brillantes qu'ait connues l'histoire. Elle est morte comme bien d'autres; mais ce serait se contenter d'explications par trop superficielles que d'attribuer à la polygamie les conséquences de facteurs d'une tout autre importance. On ne saisit pas très bien d'ailleurs les motifs de l'animosité du vertueux professeur contre la polygamie, puisqu'il nous annonce qu'elle est restreinte aux familles riches, et perd du terrain. Si elle devient 1. Un vol. in-4'' de 750 pages. — Vuli. Didol, 18S4. NOS PRINCIPES DE C0L0.\'1SATI0N 237 rare ol de si peu d'influence, pourquoi donc alors vouloir la supprimer, et comment justifier que cette si coutume puisse être « une des grandes causes de stagnation où se trouve la société arabe » ? la Leroy-Beaulieu range notre éducation latine les principaux moyens d'action sur les Arabes. C'est là, du reste, une opinion générale aujourd'hui, que j'ai partagée comme tout le monde, et dont il m'a fallu beaucoup de voyages et d'observations pour me dépouiller complètement. Bien que ne pouvant espérer convertir à mes idées un seul lecteur français, le sujet est trop grave pour que je ne dise pas toute ma pensée. Elle sera exposée dans un prochain chapitre. On y verra que loin d'améliorer la condition des indigènes, l'instruction européenne n'a d'autre résultat que de les rendre moralement et matériellement tout à fait misérables. Les raisons psychologiques du déplorable effet produit sur des races relativement inférieures ou, du moins, différant profondément de celles de l'Europe par notre éducation européenne n'étaient pas impossibles à prévoir. Cette éducation adaptée par des transformations séculaires à nos sentiments et à nos besoins ne pouvait l'être à des sentiments et à des besoins différents. Ses premiers résultats sont de dépouiller brusquement l'Arabe, l'Hindou ou un Oriental quelconque des idées héréditaires sur lesquelles sont fondées ses institutions et ses croyances, base de son existence. Si le rêve de M. Leroy-Beaulieu et de tous les auteurs qui prônent l'éducation européenne des M. parmi Arabes s'accomplissait, l'Algérie serait pour nous ce que fut laVénétie pour l'Autriche, ce qu'est l'Irlande pour l'Angleterre, l'Alsace {)0ur l'Allemagne. Nos historiens gémissent quelquefois dans leurs' livres de la perte de l'Inde, jadis en partie conquise par le génie du grand Dupleix. Ne la regrettons pas trop. Gouvernée comme nous gouvernons Pondichéry et nos autres colonies, c'est-à-dire avec les principes 238 PSYCHOLOGIE l'OLITIOIE ET DEFEiNSE SOCIALE exposés par M. Leroy-Beaulieu, l'Inde, rapidement mise à feu et à sang, n'eût pas lardé à nous échapper. On a recommencé en Indo-Chine ^ exactement les mêmes lourdes fautes qui rendent partout notre domination si intolérable et si ruineuse. Nous envoyons administrer des Orientaux par des agents politiques qui les traitent à la façon d'un département français, avec une armée de fonctionnaires, n'ayant pas les notions les plus vagues des mœurs et des coutumes du peuple indigène, et le heurtant à chaque instant. Alors, que notre grande colonie devrait rapporter 200 millions par an à la métropole, suivant l'assertion d'un ancien gouverneur, M. Harmand. nous continuons à y semer millions et soldats, sans autrt' résultat que de nous faire profondément haïr, perdre tout prestige et montrer une fois de plus au monde notre désolante incapacité à comprendre quelque chose aux besoins, aux sentiments et aux idées des races étrangères et, par conséquent, à les gouverner. Le danger apparaît donc clairement de vouloir imposer aux indigènes des colonies des institutions. et des besoins de peuples diiïérents. Nous pouvons ajouter, d'ailleurs, que pareille tâche est impossible et qu'aucune nation n'a jamais réussi à la réaliser. Le vernis provisoire de l'éducation européenne modilie fort peu l'indigène. Causez quelque temps avec des lettrés hindous, élevés dans les écoles anglo-indiennes, vous constaterez, malgré une instruction à peu près égale à celle du bachelier ou du des idées licencié européen, l'abîme subsistant entre leurs idées 1. une En Indo-Chine et paj'loul. série d'arlieles où il Le D' Colin a publié sur le Sanégal el le Soudan raonir« les tristes résultats de notre incurable manie de vouloir imposera tous les peuples nos institutions. « En nous attaquant prématurément à lorganisaiion de la souiélê nègre, dit lauleur, nous aurons la guerre, la guerre perpémelle et sans mer<;l, et nous trouverons devant nous tous les peuples l'étiL-histes et masuhnans, sans compter (jue les esclaves eux-mêmes seraient contre nous. » 239 NOS PRINCIPES DE COLONISATION de longs siècles aux Barbares du monde romain, une civilisation, une langue et des arts adaptés à leurs besoins. Ces grandes transformations, le temps seul peut les accomplir. L'histoire prouve que deux civilisations trop différentes, mises en présence, ne se combinent jamais. Les peuples conquérants qui ont pu en influencer d'autres sont uniquement ceux dont les sentiments, les idées, les institutions et les croyances ne présentaient pas de divergences trop accentuées. Les Orientaux agissent aisément pour celte raison sur des Orientaux, mais jamaisles Occidentaux n'ont pu acquérir d'action sur eux. Tel est le secret de l'influence immense exercée par les Arabes en Orient, et qu'ils possèdent encore en Afrique, en Chine et dans l'Inde. Partout ils ont réussi sans effort à faire adopter aux })euples en contact avec eux les éléments les plus fondamentaux de leur civilila religion, la lq.ngue et les arts. Implantée sation dans un pays, la civilisation musulmane y semble fixée pour toujours. Elle a fait reculer dans l'Inde des religions pourtant bien vieilles et rendu entièrement arabe cette antique Egypte des Pharaons sur laquelle les Perses, les Grecs et les Romains eurent si peu d'influence. L'Islamisme compte 50 millions de sectateurs dans l'Inde, 20 millions en Chine, et ce nombre s'accroît rapidementchaquejour.il conquiert aujourd'hui tout le continent africain, alors que les etîorts des missionnaires européens échouent misérablement. L'explorateur européen, parvenu à grand'peine au centre de l'Afrique, trouve des caravanes d'Arabes laissant derrière elles leur religion et souvent leur langue. Les Européens peuvent être des colonisateurs habiles mais, depuis Rome, les seuls peuples réellement civilisateurs ont été les musulmans. Seuls* en effet, Hs réussirent à faire adopter à d'autres races les éléments essentiels d'une civilisation la et les nôtres. Il fallut [lour se créer, avec les débris : ; : reliiïion. les institutions et les arts. 240 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE Les Européens parviennent assez aisément, comme Anglais dans l'Inde, à dominer un peuple inférieur; mais modifier sa mentalité, il n'y faut pas songer. L'écart entre nos sentiments, nos besoins et les leurs est trop considérable pour que les étapes en puissent être brusquement franchies. La civilisation adaptée à nos besoins ne l'est nullement aux leurs notre vie factice, nos inquiétudes perpétuelles, nos révolutions fréquentes, nos nécessités artificielles et le travail incessant qu'elles entraînent, la vie de l'ouvrier de l'usine ou des mines, péniblement attelé à un dur labeur et ne possédant de la liberté que le mot. rien de tout cela ne le tente. Je fus toujours frappé, dans mes voyages, de constater que les lettrés orientaux, ayant visité l'Europe, étaient les moins séduits par notre civilisation. 'Je n'en ai jamais connu qui n'aient considéré l'Oriental comme beaucoup plus heureux, i)lus honnête et plus moral que l'Européen tant qu'il n'a pas subi son contact. Le seul résultat de notre civilisation sur les Orientaux est de les dépraver et de les rendre misérables. Impossible d'insister longuement sur les vérités qui précèdent. On ne peut qu'énoncer brièvement ici des les ; dont le développement exigerait un volume. Pour en revenir à M. Leroy-Beaulieu. j'ai l'espoir qu'en y réfléchissant il reconnaîtra que l'idée de franciser un peuple demi-barbare en lui inculquant notre idées éducation, théorie si générale encore en France, n'est véritablement plus soutenable par un savant. Laissons de telles idées aux démagogues socialistes. On n'a plus aujourd'hui le droit d'ignorer que les institutions d'une race ont un enchaînement nécessaire, qu'elle ne peut pas les choisir à volonté, mais doit subir celles en rapport avec ses besoins et imposées par son évolution. Inutile de rechercher la civilisation théoriquement la meilleure pour une nation, mais bien celle qui lui convient. Je n'ai cessé depuis vingt ans de répéter les vérités NOS PRINCIPES DI" COLONISATION 2Ai qui précèdent. Elles commeuceiit. bien que très lentement, par faire leur chemin. Dans son remarquable ouvrage, Domination et (olonisalion, un des hommes avec les choses de l'Orient, M. l'ambassadeur Jules Harmand. s'exprime de la façon sui- les plus familiers vante : plus grande des erreurs et la plus fatale pour le et pour ses sujets de ne pas reconnaître qu'il y a des races et des sociétés supérieures de pa'' la nature et par l'accumulation des circonstances évolutives, qu'il y en a d'autres moins favorisées, et que plus la distance qui les sépare est grande et moins il est possible de les i-approcher par des lois C'est la conquérant communes et par les mêmes ...Ce sont ces convictions, procédés de culture. dictées par l'observation des faits, doivent inspirer la conduite des Européens dans leur expansion lointaine, accomplie par la domination des peuples si différents d'eux-mêmes. Leur application seule, résolument désassimilatrice, systématiquement respectueuse de la constitution mentale de ces peuples, des organisations politiques et sociales qui sont la résultante de leurs besoins matériels et moraux, peut être profitable en même temps au dominateur et au sujet, et justifier ces vastes et difficiles entreprises. qui Nos hommes politiques sont pour loin encore de ces idées. la plupart très Couramment des adminis- trateurs font traduire et afticher, dans les pays bar- bares qu'ils gouvernent, la proclamation des Droits de Vhomme, pour se concilier les populations envahies et leur faire apprécier les bienfaits de nos institutions. Cette enfantine conception donne l'exacte mesure de leur mentalité en matière de colonisation. A nos méthodes d'assimilation forcée se joignent, les colonies un peu éloignées, des procédés d'autocratie jacobine, qui les rendent rapidement inhabitables pour des Européens. Le moindre petit gouverneur fruit sec de la politique le plus souvent se croit un potentat et .se conduit en despote dans — asiatique. — * 242 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE Le Matin du 29 mars 1910 contenait à ce sujet une correspondance d"un voyageur à la Guyane dont voici un extrait : Les hauts fonctionnairf.s e-nvoyiis de la métropole m,' passent que pour amorcer une aSaire ou une candidature. S'ils séjournent un peu, ils sont en proie à la folie autocratique, promulguent des ukases effarants, ordonnent des arrestations, séquestrations, expulsions, répandent la terreur, préparent la révolte. Quand, à la dernière extrémité, le gouvernement central les rappelle, c'est pour les envoyer ailleurs en fructueuse mission. Pour le malheureux colon, nulle sûreté; politiquement, l'arbitraire; commercialement, l'arbitraire. L'interprétation variable des tarifs de douane permet à l'administration de ruiner Pierre au bénéfice de Paul. Nulle garantie pour' Tavenir d"une entreprise. Vous achetez des terres pour y planter des cacaoyers, sur lesquels on vous promet une prime de 80 centimes quand ils seront en rapport; vous engagez vos capitaux le moment venu, il se trouve que la prime est réduite à 3(J centimes, et qu'au surplus il n'y a pas de crédits au budget pour la payer. Vous réclamez on vous objecte « L'administration n'est pas allée vous chercher en France: que venez-vous faire ici? » : ; : de deviner à quelle misérable situation, procédés ont conduit ces colonies. Le résultat est rendu frappant, par la comparaison avec des pays voisins. Alors que la Guyane anglaise et la Guyane hollandaise ont atteint un haut degré de pi'ospérilé, la Guyane française retourne à l'état sauvage. J'ai déjà montré dans un précédent chapitre, en reproduisant des fragments d'une circulaire du gouverneur actuel de la Côte-d'Ivoire, combien étaient maladroitement féroces nos méthodes de colonisation et à quel point elles avaient exaspéré les populations. L'n journal anglais, YAfrican Mail faisait justement remarquer que les révoltes de toutes ces peuplades, auxquelles nous prétendons imposer par la violence les bienfaits de notre civilisation, étaient fatales. Il est aisé semblables Les autorités récoltent ce qu'elles ont semé, et depuis deux ans la Càte-d"lvoire est le théâtre de combats incessants aboutissant à \\n état de choses, presque sans précédent, dans les annales de l'Afrique occidentale moderne. On peut tirer de' ce qui se 'passe actuellement à la Côte- 243 NOS PRIN'CIPES DE COLONISATION ijlu.sieiii.s leçons, dont la principale rst la folie ([u'il y a à frapper d'impôts les tribus des forêts qui n'ont substantiellement rien gagné à l'occupation européenne. Une telle politique ne peut être appliquée que par des méthodes brutales: incendies de villages, raids sauvages et incidents déshonorants. Lorsqu'une administration civilisée exhibe sur des lances les têtes des cliefs indigènes rebelles pour montrer ses prouesses, lorsqu'elle hypothèque les récoltes des villages indigènes pour le paiement de ses impôts, on ne peut guère se montrer surpris que les communautés indigènes soient préparées à courir le risque d'une destruction complète pour secouer un joug si odieux. d'Ivoire — Comme — d'ailleurs médiocre de consolation coloniaux, nous pouvons dire que les Allemands ne furent pas plus heureux. Les Belges ont employé des procédés aussi durs que les nôtres, mais, possédant en plus beaucoup de méthode et des 'nos insuccès hommes capables, ils ont su retirer de leur grande colonie du Congo d'immenses richesses. N'ayant nullement la prétention toujours un peu hypocrite d'être les bienfaiteurs de l'humanité, ils se sont bornés à devenir les bienfaiteurs de leur propre pays. C'est généralement le seul but qu'on puisse se proposer et obtenir en matière de colonisation. — — CHAPITRE Résultats psychologiques de péenne sur les II l'Éducation euro- Peuples inférieurs. Nous venons d'étudier les idées françaises reçues en matière de colonisation. Abordant la question sous un point de vue plus spécial, nous allons maintenant rechercher quelle influence notre civilisation européenne, nos institutions, notre éducation, peuvent exercer sur les populations indigènes des colonies. Ce sujet a toujours été, en France, l'objet de débats passionnés, et ou sait la voie funeste dans laquelle l'opinion et les pouvoirs publics se sont engagés pour tenter d'en trouver la solution. Il n'est question que de franciser les Arabes de l'Algérie, les populations jaunes de l'Indo-Chine, les nègres de la Martinique; d'imposer à ces colonies nos mœurs et nos lois, de les transformer en véritables départements français. La France ne se trouve pas seule d'ailleurs intéressée à l'étude de ce grave problème. Il est essentiellement international, et s'est posé ou se posera tôt ou tard chez toutes les nations possédant des colonies, c'est-à-dire dans l'Europe entière. Les principes généraux que je défends n'ont jamais rallié, dans notre pays, de nombreux sutfrages. Pour persister à les soutenir, il faut avoir acquis cette conviction profonde, résultat de nombreux voyages, que l'application soutenue de ces principes assure aux RÉSULTATS DE l'ÉDL'CATIOIV EUROPÉENNE 245 colonies anglaises et hollandaises la persistante prospérité dont elles jouissent. Régies par des méthodes psychologiques fort différentes, les nôtres se trouvent dans une situation fort peu brillante, si l'on s'en rapporte à la statistique, aux plaintes unanimes de leurs représentants, enfin aux charges toujours croissantes qu'elles imposent à notre budget. Des divers facteurs de la civilisation, celui supposé plus important est l'éducation C'est le seul que nous nous proposions d'étudier maintenant. Les résultats de l'éducation européenne sur les indigènes ne peuvent être considérés comme concluants que lorsqu'ils résument des tentatives faites pendant de longues années sur un nombre considérable d'individus. Si je citais, dès le début, les expériences accomplies dans nos propres colonies françaises, en Algérie, par exemple, on pourrait me répondre qu'elles ont été exercées sur une trop petite échelle. Il est donc nécessaire d'appuyer l'observation faite dans nos colonies par d'autres recueillies ailleurs. C'est pourquoi nous parlerons d'abord des expériences d'éducation européenne tentées aux Indes par les Anglais. L'essai a porté sur une population de 250 millions d'hommes; il dure depuis soixante-dix ans. C'est une des plus gigantes({ues expériences qu'ait connues l'histoire. Ce fut en 1835, sous l'inspiration de lord Macaulay, alors membre du Conseil du Gouvernement général à Calcutta, que commença l'éducation anglaise de l'Inde. le ! Les livres et les sciences de l'Inde paraissant tout à méprisables à l'éminent homme d'Etat, comparés à la Bible et aux ouvrages anglais, devaient être, suivant lui. rigoureusement bannis de l'enseignement. Grâce à son influence, le gouvernement de lord Bentinck décida qu'on enseignerait exclusivement, dans les écoles anglaises de l'Inde, la littérature anglaise et les sciences européennes. fait 24G PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE L'expérience se continue dei)iiis cette époque; l'Indt^ possède aujourd'hui quatre universités européennes. 130.000 écoles et 3 millions d'élèves. Plus de 50 rail lions sont consacrés à cet enseignement. Un tiers de cette somme est destiné aux écoles primaires, le reste à l'enseignement secondaire et aux universités. Au point de vue de l'utilité pratique immédiate, pour obtenir à bas prix les milliers d'agents subalternes nécessaires aux Anglais dans leurs admi- e'est-à-dire nistrations bureaux, : postes, etc.. l'utilité télégraphes, chemins de fer, des résultats obtenus n'est pas contestable. Les écoles anglaises fournissent surabon- damment un contingent d'employés que les Anglais Europe à des prix vingt fois supérieurs. Mais ce point de vue n'est pas le seul. Il faut se demander encore premièrement si les individus imprégnés de cette éducation anglaise sont devenus amis ou ennemis de la puissance qui les en a dotés, seraient obligés de se procurer en : secondement si l'instruction européenne élève leur intelligence et développe leur moralité. A ces questions, la réponse théorique ne semble d'abord pas douteuse. L'instruction n'est-elle pas considérée comme une sorte de ])anacée universelle? Capable de rendre tant de services en Europe, ne doit-elle pas en rendre d'aussi appréciables aux Indes, chez un j)euple dont la civilisation était déjà ancienne et très développée ? Les résultats de l'expérience ont été diamétralement opposés aux indications de la théorie. A la profonde stupéfaction des professeurs, l'instruction européenne n'a fait que déséquilibrer entièrement les Hindous et leur enlever l'aptitude au raisonnement, sans parler d'un énorme abaissement de la moralité, dont j'aurai m'occuper plus loin. Les partisans de l'éducation européenne ne songent plus à le nier aujourd'hui. Leur opinion peut se résumer dans les citations suivantes, empruntées à un livre à . BÉSULTATS DE L'ÉDUCATION EUKOPÉENNE 247 de M. Monier Williams, jadis professeur de sanscrit Oxford, et qui a comme moi visité l'Inde en tous sens à : Je dois avouei' en toute vérité, dit-il, que je n'ai pas été favorablement impressionné par les résultats généraux de notre campagne éducatrice. J'ai rencontré un grand nombre d'hommes mal instruits et mal formés, c'est-à-dire sans force <lans le caractère et sans équilibre dans l'esprit. De tels hommes peuvent avoir appris beaucoup dans les livres mais s'ils pensent par eux-mêmes, leur pensée est sans consistance. La plupart d'entre eux ne sont que de grands baA'ards. On les croirait atteints d'une sorte de diarrhée verbale. Us sont incapables <run effort durable ou, s'ils ont la force d'agir, ils agissent en dehors de tout principe arrêté, et comme entièrement détach<-s de ce qu'ils disent ou écrivent. ... Ils abandonnent leur propre langue, leur propre litlépropre philosophie, les rature, leur propre religion, leur règles de leurs propres castes, leurs propres coutumes consacrées par les siècles, saps pour cela devenir de bons disciples de nos sciences, des sceptiques honnêtes ou des chré; ; tiens sincères. nous fabriquons ce qui s'appelle il se tourne contre nous au lieu de nous remercier pour la peine que nous avons prise à son sujet, il se venge sur nous du tort que nous avons causé à son caractère, et il fait servir l'imparfaite éducation reçue en ... Après beaucoup un indigène d'efforts, instruit. Et aussitôt ; l'employant contre ses maîtres. La pauvreté mentale de l'indigène instruit n'est égalée que par son incurable manie de discourir à tort et à travers. Il abordera le premier Européen rencontré pour lui demander gravement, et sans attendre d'ailleurs les réponses, s'il préfère Shakspeare à Ponson du Terrail, si le roi d'Angleterre chasse le tigre à Londres, et quel est le nombre de ses femmes. L'incohérence de ses idées est frappante. Vichnou, Siva, Jupiter, la Bible, le prince de Galles, les héros Grèce et de Home, les anciennes républiques, monarchies modernes, dansent dans son cerveaii une sarabande elfroyable. Volontiers s'imagine-t il que le roi d'Angleterre, son premier ministre et le prince de Galles forment une trinité semblable à celle de Brahma, Vichnou et Siva. Il interprétera de les la . 248 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE toutes ses notions nouvelles d'après les conceptions héréditaires de sa race, les seules auxquelles il puisse atteindre, malirré ri nfatuation où son éducation anglaise l'a plongé. Le dernier passage de la citation reproduite plus répond clairement à la question que nous nous sommes posée l'éducation européenne fait-elle de l'indigène un ami ou un ennemi du peuple qui la lui inculque? Par milliers d'ailleurs pourraient être fournies les observations du même ordre. On ne trouve guère d'administrateur anglais dans l'Inde qui ne soit solidement convaincu que la totalité des indigènes élevés dans les écoles anglaises, deviennent des ennemis irréconciliables de la puissance anglaise, alors que ceux édu(jués dans les écoles hindoues ne lui sont pas hostiles. Ces derniers apprécient au contraire la paix profonde que leur assure la domination britannique, domination du reste moins pesante que celle de la race mogole. sous le joug de laquelle ils vivaient aujiahaut : ravant Pour connaître l'opinion des Hindous élevés à l'eulire les nombreux journaux le gouvernement anglais est traité aussi durement que le nôtre par les plus furieux ropéenne, il sul'lit de publiés par eux. et où Il est instructif de voir des Hindous, jadis remarquables par leurextrème douceur, devenir féroces aussitôt que l'éducation anglaise les a effleurés. Si l'Angleterre réussit à maintenir son prestige devant des attaques semblables, c'est que ces dernières ne rencontrent nul écho au sein d'une population dont l'immense majorité ne sait pas lire. Le cri de guerre des lettrés hindous, instruits par Devise « l'Inde aux Hindous! » les Anglais, est d'ailleurs dépourvue de sens dans un pays composé des races les plus diverses, parlant plus de 200 langues anarchistes. : RÉSfl.TATS DE l'ÉDUCATIOX ELROI'ÉEWE L'iitièrement différentes, mun, que et 249 n'ayant aucun intérêt com- ne connaissant d'autre unité politique et sociale le village et la caste. Mais si la classe nouvelle des lettrés n'est pas encore très redoutable actuellement, à cause de son faible nombre, elle constitue, ce nombre s'accroissant chaque jour, une sérieuse menace pour l'avenir de la puissance britannique aux Indes. Les faits cités répondent suffisamment aux deux questions posées L'éducation européenne élève-t-elle le niveau intellectuel de l'Hindou? Fait-elle de lui l'ami du peuple qui la lui inculque? Reste à élucider ce dernier point fondamental L'éducation européenne développe-t-elle la moralité de l'Hindou? La réponse sera catégorique. Loin d'élever le niveau moral des Hindous, l'éducation européenne l'abaisse à un degré dont les personnes qui les ont fréquentés peuvent seules avoir l'idée. Cette éducation transforme des êtres inoffensifs et honnêtes en individus fourbes, rapaces, sans scrupules, insolents et tyranniques envers leurs compatriotes, platement serviles avec leurs maîtres. Voici comment s'exprime à cet égard le professeur anglais déjà cité : : : que les Européens ont des vices que leurs vertus, et que l'Hindou, quoique rarement capable de s'assimiler nos qualités, est au contraire très apte à s'emparer de nos défauts... Des officiers instruits par une longue expérience, et (jui ont vu s'étendre progressivement notre empire de l'Inde, m'ont dit que dans les territoires nouvellement annexés, on n'a jamais constaté d'abord chez les habitants la Il faut tenir compte, dit-il, aussi forts fourberie, l'amour des procès, la fausseté, l'avarice montraient ensuite d'une façon devant nos tribunaux comme dans leurs rapports nous. défauts, Mais qu'ils c'est surtout le contact et autres frappante officiels avecsi des employés subal- ternes, élevés dans les écoles anglaises, qui révèle leur absence profonde de moralité. L'administration an- 250 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE glaise, parfailement édifiée sur ce point, est obligée de prendre les précautions les plus minutieuses et de l'infini les moyens de contrôle pour se mettre à l'abri des déprédations de ses agents hindous des chemins de fer et des postes. Pourquoi cette immoralité ne s'observe-t-elle que chez les indigènes élevés à l'européenne? Simplement parce que notre éducation, mal adaptée à la constitution mentale de l'Hindou, a eu pour conséquence de détruire en lui les résultats des influences ancestrales, d'ébranler les vieilles croyances sur lesquelles se basait autrefois sa conduite, et de les remplacer par des multiplier à théories trop abstraites pour lui. Il a perdu la morale de ses pères, sans avoir pu adopter celle des Européens. Jadis dépourvu de besoins, sa nouvelle éducation lui en crée une foule, sans lui donner les moyens de les satisfaire. Il méprise ses frères, mais se sent méprisé par ses maîtres. Ne trouvant plus de place dans la société, désorienté et misérable, il devient forcément l'implacable ennemi de ses éducateurs. Ce n'est pas l'instruction elle-même, assurément, mais je le répète, ime instruction mal adaptée à la constitution mentale d'un peuple, qui produit ces tristes effets. On peut s'en convaincre par la comparaison des résultats de l'éducation européenne avec ceux de l'éducation exclusivement hindoue telle qu'elle se pratique depuis des siècles. Les lettrés hindous, élevés par des Hindous, sont des hommes instruits, honnêtes, estimables, dont plusieurs pourraient figurer dans les grandes assemblées savantes européennes, et dont la conduite pleine de dignité est sans parenb' avec l'attitude à la fois insolente, et rampante des sortis des écoles anglaises. L'inimitié i)Our leurs maîtres, des indigènes élevés à l'européenne n'est aucunement spéciale à l'Inde. Hindous Nous avons commis les mêmes mêmes erreurs en Indo-Chint^ La preuve en est fournie par l'extrait suivant d'un rapport de M. Klobuet récolté les résultats. . ~5l RÉSULTATS DE l'ÉDLC.ATIOX EUROPÉENNE kowski. gouverneur de rindo-Ghhie. reprodiiil par Le Journal du 27 décembre 1909. Après avoir constaté l'antipathie croissante des Annamites contre nous, M. Klobukowski ajoute : Dans des conversations ou des conférences, on excitait les habicampagnes contre le gouvernement français et les man- tants des darins qui collaboraient à notre œuvre. A côté de ces lettrés, propagateurs dldées aventureuses, la classe remuante des gradés universitaires sans place, aigris, froissés dans leur orgueil d'être tenus à l'écart des affaires, continue à fomenter contre nous, par esprit de caste, une sourde hostilité. Et parmi eux, se distinguent des jeunes gens que nous avons vus naître, demi-savants pleins de convoitises, avides de se produire et de s'élever, disaient-ils, au niveau du .lapon! Eclairé par l'expérience sur la valeur de nos idées latines d'assimilation. M. coliquement Klobukowski ajoute mélan- : (Je n'est pas toujours aider au progrès des peuples placés sous notre influence que prétendre substituer nos coutumes à leurs rites séculaires et nos conceptions sociales à leurs traditions et fortes pratiques, telle, par exemple, et en première ligne, l'admirable commune annamite, cette cellule originelle de organisme national, dont une tendance trop fréquente de notre administration à l'intervention directe a souvent faussé oii même entravé le fonctionnement. Il ne faut toucher que d'une main fort légère à l'œuvre de le temps, loin d'effriter cet édifice, générations successives d'une originalité d'ailleurs saisissante, où s'abritent les mœurs et la législation d'un peuple, le consolide au contraire ce fut ime erreur grave et, nous le voyons aujourd'hui, d'une de procéder, dans le domaine polirépercussion lointaine tique et administratif, à des innovations hâtives et trop brusques, risquant de contrarier des habitudes invétérées. I ; — ; — Quittons ces pays lointains et arrivons à la plus importante de nos colonies. l'Algérie. La majorité des ]»oliticiens français tombent d'accord pour proposer c'est l'expression consacrée au de la franciser moyen de l'éducation. Il s'agit sans doute ici de races l)ien différentes de celles de l'Inde. Voyons cependant — — 252 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE si les expériences déjà accomplies en Algérie peuvent faire espérer des résultats meilleurs que ceux obtenus par les Anglais dans leur grand empire asia- tique. assez est Il ment sur les de difficile musulmans expérimentale- vérifier algériens la valeur de notre éducation, car ils ne fréquentent guère nos écoles. Mais bien que les conséquences observées l'aient été sur une petite échelle, elles sont déjà suffisamment probantes. En voici quelques-unes, racontées Les Français dans un travail de M. Paul Dumas : d'Afrique. En 1868, pendant la famine, M. Lavigene, archevêque d'Alger, inaugurant en cela son système de propagande, recueillit un grand nombre d'enfants indigènes abandonnés, garçons et filles. Cette fondation charitable a donné lieu à lapins instructive, mais aussi à la plus navrante des expériences. Il n'y a pas longtemps, me rendant d'Alger à Constantine, j"fus occasion de causer dans le train avec un ecclésiastique fort distingué, qui me parut ne plus nourrir aucun espoir au sujet de l'amélioration de cette malheureuse race arabe. Il me raconta l'histoire lamentable des orphelins de M. Lavigerie. « Quatre mille enfants environ, me dit-il, lui imt passé par les mains une presque tous sont centaine seulement sont restés chrétiens revenus à l'islamisme. Ces orphelins ont d'ailleurs, en Algérie, les divers colons bien intentionnés la plus détestable réputation qui se sont avisés d'en employer quelques-uns ont dû se débarvoleurs, fainéant?, ivrognes, rasser d'eux au plus vite tous les vices, ceux de leur race qu'ils oui ils synthétisent sang, et les nôtres par- dessus le indélébilement dans le marché. On a eu l'idée de les marier les ims aux autres on a ensuite installé ces ménages dans des villages spéciaux, on les a pourvus de terres, on les a outillés, on les a mis dans le meilleur état pour bien faire. Les résultats ont été lamentables. En 1880, dans un de ces villages, ils ont assassiné leui' ; ; ; ; ; curé ! » L'expérience qui précède, fort connue en Algérie, est tout à fait caractéristique i»uisqu'elle a porté sur dans les meilleures conditions pour subir notre influence, puisqu'ils étaient entière- •4.000 enfants, placés ment soustraits à l'action de leurs parents. Qu'il s'agisse d'enfants ou d'adultes, d'instruction i)ar 253 RÉSULTATS DE l"ÉDL'CATIO\ EUROPÉENNE de l'école ou d'éducation par le contact hommes, les résultats ont toujours été analogues. Aucune discipline n'est plus apte assurément à dompter les âmes que celle du régiment, et nous ne possédons pas de moyen plus efficace de fusionner l'Arabe, et le Français que de les enrôler sous le même drapeau. Or, beaucoup d'Arabes ont servi dans les régiments d'Algérie, commandés par des sous-officiers et des officiers français. Ont-ils été francisés parce contact de plusieurs années? Nullement. Ce sont de très braves soldats assurément-, mais en déposant l'uniforme, ils se débarrassent du même coup de leur faible vernis européen. les livres journalier des Aussitôt libéré, dit l'auteur cité plus haut, notre turco s'est hâté de reprendre son burnous, il a repris le chemin de son douar ou de son village, il n'aime toujours que le couscoussou, il prendra autant de femmes qu'il lui en faudra et qu'il pourra en entretenir moralement, il estimera toujours qu'il n'y a qu'un seul Dieu qui est Dieu, et que Mahomet est son prophète, que les chrétiens sont des chiens, fils de chiens, que la femme est une bête de somme... Il est devenu aussi peu Français que possible. La plupart du temps il s'est assimilé quelque chose de nous, nos vices, hélas et, parmi eux, le seul des nôtres qui peut-être n'était pas le sien l'ivrognerie. ; ! : L'opinion que je viens d'exposer sur l'impossibilité aux Arabes d'Algérie notre civilisation, par nos méthodes d'éducation, ne m'est nullement personnelle. On la trouve répandue chez toutes les personnes ayant étudié l'Algérie, sans préjugés ni intérêt individuel, en un mot allégées de théories préconçues. J'ajouterai que cette opinion est également celle des Arabes les plus lettrés. Les avis que j'ai pu recueillir de musulmans les plus divers, depuis le Maroc jusqu'au fond de l'Asie, ont été unanimes. Tous considèrent que notre éducation rend les musulmans d'infuser ennemis invétérés des Européens, envers lesquels ils ne professaient d'abord qu'indifférence. Les Arabes éclairés que j'ai consultés affirment sans exception, que le seul résultat de nos essais éducateurs est 22 254 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE de dépraver leurs compatriotes, de leur créer des besoins factices sans fournir les moyens de les satisfaire, en un mot d'assombrir leur sort et d'en faire des révoltés. L'instruction c}ue nous nous efforçons avec tant de peine d'inculquer leur apprend la distance que nous mettons entre eux et nous. Chaque page de nos livres d'histoire enseigne à ces Aaincus que rien n'est plus humiliant que la résignation sans révolte à la domination étrangère. Si l'éducation européenne se généralisait dans notre colonie méditerranéenne, est L'Aldes musulmans algériens serait bientôt aux Arabes! de même que L'Inde aux Hindous! le mot d'ordre de tout indigène de l'Inde imbu de la civilisation anglaise. le cri : gérie ou prouver combien est vain l'espoir de modifier un peuple par l'éducation. Continuer à tenter de telles expériences serait dangereux chez une nation dont on ne peut dire qu'elle soit encore pacifiée, puisqu'il nous faut une puissante armée pour l'empêcher de se Ces faits, qu'il s'agisse de l'Inde, de d'autres pays, étant identiques, l'Algérie suffisent à révolter. ne faudrait pas conclure de ce qui précède que je à un degré quelconque, ennemi de l'instruction. J'ai tenu à prouver seulement que le genre d'éducation applicable à l'Européen civilisé ne l'est nullement à d'autres hommes d'une civilisation ni ditTérente surtout à ceux n'ayant pas de civilisation du tout. Des modifications que serait forcée de subir l'instruction européenne pour être utile aux races inférieures, je n'ai pas à m'occuper ici et remarquons seulement, en passant, que l'éducation technique Il sois, d'abord, puis des notions très simples, comprenant éléments du calcul et quelques applications des sciences à l'agriculture, à l'industrie ou aux métiers les manuels, suivant les régions, devraient constituer les seules bases de leur instruction. Ils s'y intéresseraient sans doute davantage qu'à la généalogie des rois de RÉSULTATS DE l'ÉDUCATION EUROPÉENNE 255 France ou aux causes de la guerre de Cent ans. Ils en retireraient aussi, je pense, plus de profit. Si je ne formule pas d'ailleurs de programmes détaillés, c'est que j'ai la claire notion de la parfaite inutilité de tout ce qu'on pourrait écrire sur ce sujet. CHAPITRE III Résultats psychologiques des Institutions et des Religions européennes sur les Peuples inférieurs. Notre éducation européenne a donc pour résultai inyariable de démoraliser l'indigène et de le transfor- mer en ennemi acharné de l'Européen, sans élever son niveau intellectuel. Laissant de côté ces effets de l'éducation européenne sur l'indigène, dont j'essaierai plus loin de fournir l'explication, je vais aborder maintenant un autre facteur d'assimilation, en recherchant quelle influence les institutions européennes peuvent exercer sur les indigènes des colonies. L'idée qu'on transforme un peuple en changeant ses institutions, est trop répandue en France, pour être ébranlée. Avec notre goût de l'uniformité, nos sinon dans la durée, au moins dans l'espace, institutions actuelles nous apparaissent toujours comme les meilleures, et notre tempérament nous conduit à vouloir les imposer. Généralement fondées sur des abstractions et déduites de la raison pure, nos spéculations politiques et sociales acquièrent rapidement, à nos yeux, l'autorité de vérités révélées. Comme tous les apôtres, nous sentons le besoin de les propager pour le bonheur de l'humanité. La plupart des nations civilisées s'élant montrées assez réfractaires à nos leçons, nous avons dû nous rabattre sur nos possessions coloniales, pour les fran- — — RESULTATS DES INSTlTLiTIOiVS EL'r^01'EE^^ES 257 obtenus sont du plus haut intérêt pour les philosophes. Nos théories nous ont conduits progressivement à faire de nos colonies de vastes départements français. Peu importe, d'ailleurs, la population qui les occupe. Nègres, jaunes, Arabes, sauvages même, doivent bénéficier de la Déclaration des droits de Vhomme et des grands principes. Tous possèdent le suffrage universel, des conseils municipaux, des conseils d'arrondissement, des conseils généraux, des tribunaux de tous les degrés, des députés et des sénateurs qui les représentent dans nos assemblées. De braves nègres, à peine émancipés et dont le développement cérébral peut être assimilé à celui de nos ancêtres de l'âge de la pierre taillée, sautent à pieds joints dans toutes les complications de nos formidables machines administratives modernes. Ce régime fonctionne depuis un temps assez long pour qu'on puisse en apprécier les etfets. Ils sont incontestablement désastreux. Des pays, jadis prospères, sont tombés dans la plus basse décadence. Les statistiques nous les montrent réduits à vivre du budget que leur consacre la métropole et ne cessant de faire entendre, par leurs représentants officiels, d'exigeantes lamentations. Bien que l'assimilation ait causé la ruine de nos ••olonies, toutes réclament une assimilation encore plus complète que celle existante. Ne nous imaginons pas cependant nos sujets d'outremer aussi naïfs que leur langage le ferait sujiposer. Quand ils exigent l'assimilation, ce n'est pas qu'ils admirent les rouages compli(|ués de notre système administratif et judiciaire. Leur rêve, en effet, est d'être assimilés à la métropole pour les avantages pécuniaires du régime et non pour les charges qui en résidtent. Au lieu de construire à leurs frais, routes, ports ou canaux, comme cela se pratique dans les indigènes souhaiteraient les colonies anglaises ciser à outrance. Les résultats , 22. ~5S PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE vivement voir l'Etat se charger de ces travaux publics, sans être tenus à payer nos impôts. Etre assimilées signifie pour nos colonies devenir les penconsidéré comme une sorte sionnaires de l'Etat. de providence toute-puissante, aux inépuisables trésors. Leurs vœux, en ce sens, sont exprimés avec une candeur ne laissant place à aucun doute. Ils se résument clairement dans la phrase suivante, émise I>ar un président du Conseil général de la Réunion « Nous souhaitons l'assimilation progressive de la colonie à la métropole et sa transformation en un département français, mais sans que celte assimilation puisse nous assujettir auxmêm<'s impôts que ceux payés — : — : en France. » Le système de l'assimilation, séduisant en théorie par son apparente simplicité, présente, au contraire, dans la pratique, une extraordinaire complexité. Nos institutions administratives et judiciaires sont fort compliquées, parce qu'elles répondent aux besoins non moins compliqués d'une civilisation très ancienne. Nés et vivant sous leur joug, nous y sommes faits, et cependant récriminons à toute occasion contre les lenteurs et les vexations de l'administration ou de la procédure. Que de formalités administratives entraînent chez les nations civilisées les actes les plus inévitables, la naissance, le mariage et la mort! En France même, est-il beaucoup de citoyens possédant des notions précises sur les attributions d'un conseil municipal, d'un conseil d'arrondissement, d'un conseil général, d'un juge de paix, d'un tribunal de première instance, dune cour d'appel, etc. ? Et vous voulez qu'un malheureux nègre, un Arabe, un Annamite, se représente le jeu de tant de rouages enchevêtrés, qu'il doit accepter tout à coup, d'un seul bloc? Songez à tous les devoirs nouveaux que, sous peine d'amende, il n'a plus le droit d'ignorer, aux nombreux fonctionnaires avec RÉSULTATS DES INSTITUTIONS EUROPÉENNES 259 lesquels il va se trouver en contact, le guettant à chaque détour de la vie. Il ne peut vendre ou acheter un lopin de terre, réclamer une dette à son voisin, sans subir les formalités les plus longues et les plus compliquées. Vous l'avez enfermé, lui, le barbare, l'homme à demi civilisé, dans une série inextricable d'engrenages. Jusqu'alors il n'avait connu que des institutions simples et parfaitement en rapport avec ses besoins une justice sommaire, mais peu coûteuse et rapide, des impôts dont il comprenait le mécanisme, auxquels il était habitué et qui ne comportaient rien d'imprévu. Lui dont la vie ignorait les entraves, et pour lequel le lointain pouvoir absolu d'un chef ne signifiait souvent rien de direct et de réel, il trouve que la prétendue liberté dont nous le dotons se présente sous des formes singulièrement tyranniques. Ces objections ne sauraient ralentir le zèle de nos théoriciens, qui se croient le devoir de faire le bonheur des peuples malgré eux. En dépit des répugnances les plus naturelles, nos colonies doivent bon gré mal gré jouir des bienfaits de nos institutions com: pliquées. Pour maintenir ces institutions, on leur expédie des légions de fonctionnaires. C'est à peu près d'ailleurs notre seul article d'exportation sérieux. A la Mar- où les quatre-vingt-quinze centièmes de population sont des nègres, on compte huit cents fonctionnaires français. Dans les trois ou quatre petits villages de l'Inde nous appartenant encore, et dont les habitants sont exclusivement hindous, nous avons, en dehors d'un sénateur et d'un député, plus de cent fonctionnaires, dont trente-huit magistrats. tinique, la En Indo-Chine, ils forment une armée. Tous partent d'Europe animés d'un zèle ardent, mais il leur faut bientôt reconnaître que forcer un peuple à renier ses institutions pour adopter celles d'un autre est une utopie réalisable seulement dans 260 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE Leurs tentatives n'ont pour résultat qu'une complète anarchie. Aux prises avec des difficultés de toute sorte, chacun d'eux essaye d'improviser un sysles livres. tème bâtard destiné à concilier tous les intérêts, et qui. naturellement, n'en satisfait aucun. De temps à autre, un gouverneur énergique et clairvoyant pratique des coupes sévères parmi ces rangs épais de bureaucrates, et la colonie respire momentanément. C'est ainsi que, dans l'Indo-Chine. M. Constans en supprima d'un seul coup un nombre suffisant pour peupler une petite ville, et réalisa ainsi sur cet unique chapitre une économie annuelle de plus de 8 millions. Bien entendu, aussitôt son départ, on s'empressa de les réintégrer. Ce n'est pas uniquement au défaut de capacité de nos fonctionnaires qu'il faut attribuer leur insuccès, mais à l'absurdité du devoir imposé. Ils quittent la France avec la mission d'api)liquer nos institutions à des peuples qui ne sauraient les accepter ni même les comprendre. De loin, rien ne leur semble plus facile; mais, sitôt à leur poste, le découragement les saisit avec le sentiment d'une complète impuissance. Les gouverneurs eux-mêmes renoncent à cette trop lourde tâche; on vit autrefois, en six ans, quinze gouverneurs généraux se succéder en Indo-Chine, soit une moyenne de cinq mois pour chacun. S'ils y restent plus longtemps aujourd'hui, c'est que l'emploi étant royalement rétribué, on le donne à des hommes politiques inlluents. Instruit par l'échec désastreux de son prédécesseur, chaque nouveau gouverneur essaye un système différent, et ne fait qu'accroître l'anarchie. Ce n'est pas toujours, d'ailleurs, ses vues personnelles qu'il applique, mais celles que le télégraphe lui impose. Le gouverneur cité plus haut faisait remarquer, dans un intéressant discours prononcé devant la Chambre des députés, qu'en un règne de six mois, il avait dû obéir à trois ou quatre ministres, « lui donnant chacun une impulsion différente». 261 RÉSULTATS DES INSTITUTIONS EUKOPÉEN.NES Les conséquences d'un tel système, on les devine aisément anarchie d'abord, révolte ouverte ou tout au moins haine profonde des populations, ensuite. Les témoignages, malheureusement, sont unanimes ; sur ce point. La cause iveilo de la piraterie vn ludo-Chiiie, lisons-nous dans un ouvrage récent, n'est pas une idée de patriotisme soulèverait les populations indigènes contre l'envahisseur. nous qui l'avons suscitée. Nous avons indisposé les populations paisibles en réquisitionnant des porteurs, en éloignant de leurs terres des agriculteurs pour en faire des coolies, en (jui C'est brûlant des villages, en tyrannisant les indigènes, en établissant partout et sur tout des taxes lourdes, dépassant trois ou quatre fois la valeur des produits la piraterie n'est que le résultat des tracasseries de nos administrateurs et d'^s crimes des mandarins que nous couvrons. ; Notre ruineux système ne sème pas ses tristes conséquences uniquement en Indo-Chine. Nous tentons également d'assimiler toutes nos colonies anciennes et nouvelles, et partout avec le même insuccès. Je ne veux pas rappeler car cet exemple n'est pas exactement applicable à ma démonstration actuelle que la cause du dernier bouleversement qui faillit nous enlever l'Algérie fut l'incompréhensible mesure par laquelle nous avons naturalisé en bloc toute la partie juive de la population. Mais je citerai, d'après des témoins oculaires, les faits observés au Sénégal. Dans une série d'articles publiés par un grand journal parisien, M. Colin montre jusqu'où peut conduire la manie d'imposer nos institutions à des peuples — — qui n'en veulent pas. En nous attaquant prématurément à l'organisation de la société nègre, dit M. Colin, nous aurons la guerre, la guerre perpétuelle et sans merci, et nous trouverons devant nous tous les peuples fétichistes et mêmes musulmans, sans compter que les esclaves eux- seront contre nous. La guerre durable non, sans doute, ni au Sénégal dans nos autres colonies, tant que, très visiblement, nous resterons les plus forts mais l'hostilité des popuni ; 2(i2 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE lations si maladroitement troublées, nous l'avons éveillée partout. Un observateur judicieux, ayant longtemps habité Poitou-Duplessy. ancien médecin principal de la marine, écrit nos colonies, M. : L'application prématurée du suffrage universel aux colonies, la mise à l'élection de tous les postes principaux ont eu pour elïet de faire tomber tout le pouvoir aux mains des noirs sept à Iiuit fois plus nombreux, et, grâce à la faiblesse, à la pusillani- mité du pouvoir métropolitain et de ses représentants, de rendre pour la race blanche, vouée le séjour des iles impossible aujourd'hui à l'oppression ou à la disparition. C'est le retour fatal à la barbarie. L'exemple de Saint-Domingue est là pour le prouver... Si l'on considère le nombre d'électeurs que représente tel ou tel député colonial qui vient légiférer à Paris sur nos intérêts les plus chers, on arrive à cette conclusion singulière ([u'un nègre des Antilles compte sept à huit fois plus dans la balance des de.stinsde la patrie que n'importe lequel des citoyens français. Tels sont les résultats produits par l'application des européennes aux indigènes des colonies. institutions Ayant successivement étudié l'influence de l'éducail ne me reste plus qu'à examiner celle des croyances religieuses. Sur l'action que nous pouvons exercer par elles, je serai fort bref. Accuser nos hommes d'Etat actuels de prosélytisme religieux serait injuste et le temps est passé où l'on prenait les armes pour défendre les mislion et des institutions, sionnaires troublant par leurs prédications les institutions sociales des Orientaux. Si l'on devait nous reprocher quelque chose, ce serait plutôt un prosélytisme négatif. Mais enfin, nos indigènes coloniaux res- généralement parfaitement libres dans la pratique de leurs différents cultes. J'aborde donc seulement ce côté de la question, pour compléter ma démonstration qu'aucun des éléments d'une civilisation supérieure ne peut s'imposer à des peuples inférieurs. tent Quelques chilTres suffiraient à montrer le peu d'in- RÉSULTATS DES INSTITUTIONS EUROPEENNES 263 lUience de nos croyances religieuses sur les Oriensont superflus devant les aveux d'impuissance échappés aux missionnaires eux-mêmes. taux. Mais ils En ce qui touche les Arabes, j'ai déjà cité le cas des 4.000 orphelins du cardinal Lavigerie. Elevés dans la religion chrétienne, soustraits à tout contact indigène, l'immense majorité de ces orphelins est retournée à l'islamisme aussitôt parvenue à l'âge adulte. L'expérience se poursuit sur une bien autre échelle en Orient, et notamment dans l'Inde anglaise. Au sein d'un congrès de l'Eglise anglicane, un chanoine, M. Isaac Tylor, fut obligé de constater le navrant insuccès des missionnaires anglais, (jui, en de nombreuses années, malgré la protection du gouvernement et d'énormes dépenses, n'avaient recruté qu'un nombre très minime de prosélytes, et parmi les plus basses castes. Dans les pays musulmans, où les missionnaires ne peuvent espérer l'appui de leur gouvernement, les échecs sont plus signalés encore. Après avoir dépensé un demi-million et dix ans d'efforts, en Arabie, en Perse, en Palestine, ils n'ont pu obtenir qu'une seule conversion, celle d'une jeune fille, notoirement connue d'ailleurs pour être à demi idiote. Cet exemple, ajouté à tant d'autres, dénonce l'impossibilité où nous sommes de faire pénétrer nos idées, nos conceptions, notre civilisation, dans les cerveaux des Orientaux, par quelque moyen que ce soit. L'impuissance des croyances religieuses est importante à noter après celle de l'instruction et des institutions. Mais, je le répète, elle ne constitue pour ma thèse qu'un argument accessoire. Je ne suis nullement l'ennemi des missionnaires, dont je respecte le courage et les illusions, et qui nous rendent souvent de grands services dans les pays demi-civilisés n,e nous appartenant pas, la Syrie, par exemple, en répandant notre langue au moyen de leurs écoles. Ma tâche pourrait paraître terminée, après avoir montré que notre éducation et nos institutions, appli- ^<34 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE quées aux indigènes des colonies, n'ont d'autre résultat que de troubler {irofondément leurs conditions d'existence et les transformer en ennemis irréconciliables des Européens. De tels faits sont indépendants de toute théorie. Mais ils doivent avoir des causes, et ce sont ces causes que je veux essayer maintenant de déterminer. Les faits ne sont que les conséc|ueiices de lois très générales qu'il faut toujours tâcher de découvrir. C'est ce que nous allons tenter maintenant en recherchant les causes de notre impuissance à élever au niveau de la civilisation européenne les peuples demi-civilisés ou barbares. Alors peut-être apparaîtront nettement au lecteur les raisons profondes de l'impénétrabilité des races. CHAPITRE IV Raisons psychologiques de l'impuissance de à la Civilisation transformer les européenne Peuples inférieurs. L'étude des éléments divers d'une civilisation, notanijnent les institutions, les croyances, la littérature, la langue et les arts, montre qu'ils correspondent à certains modes de penser et de sentir des peuples qui les ont adoptés, et se transforment seulement quand ces modes de penser et de sentir viennent eux-mêmes à se modifier. L'éducation ne civilisation ; fait que résumer les institutions et les de la repré- les résultats croyances sentent les besoins de cette civilisation. Si donc une civilisation n'est pas en rapport avec les idées et les sentiments d'un peuple, l'éducation synthétisant cette civilisation restera sans prise sur lui; de même les institutions, correspondant à certains besoins, ne sauraient correspondre à des besoins différents. Le parallèle le plus sommaire montre facilement que la distance mentale qui sépare les peuples de l'Orient musulmans et Indo-Chinois notamment de ceux de l'Occident est trop considérable pour que les institutions des uns puissent être applicables aiix autres. Idées, sentiments, croyances, modes d'existence, tout diffère profondément. Alors que les nations de l'Occident tendent chaque jour davantage à se dégager des influences ancestrales, celles de l'Orient vivent — — 23 266 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE presque exclusivement du passé. Les sociétés orientales ont une fixité de coutumes, une stabilité inconnue aujourd'hui en Europe. Les croyances que nous avons perdues, elles les conservent avec soin. La famille, si fortement ébranlée chez les peuples occidentaux, demeure intacte chez l'Oriental, dans son immuabilité séculaire. Les principes, qui ont perdu leur action sur nous, gardent toute leur puissance ont un idéal très fort et des besoins très que notre idéal est incertain et nos besoins très grands. Religion, famille, autorité de la tradition et de la coutume, toutes ces bases fondamentales des sociétés antiques, si profondément sapées en Occident, ont conservé un prestige indiscuté en Orient. Le souci de les remplacer n'a pas encore tz'aversé leur esprit. Mais c'est surtout dans les institutions que se révèle entre l'Orient et l'Occident un incomblable abîme. sur eux. Ils faibles, alors Toutes les institutions politiques et sociales des Orientaux, qu'il s'agisse d'Arabes ou d'Hindous, dérivent uniquement de leurs croyances religieuses, alors qu'en Occident les peuples les plus dévots ont depuis longtemps séparé institutions politiques et croyances. Point de- code civil en Orient, il existe seulement des codes religieux. Une nouveauté quelconque n'y acceptée qu'à la condition d'être le résultat de prescriptions théologiques. Sous peine de perdre toute est influence, les Anglais en sont réduits, je le rappelle, malgré leur protestantisme rigide, à restaurer les pagodes et entretenir largement les prêtres de Vichnou et de Siva et à professer en toutes circonstances les plus grands égards pour la religion de leurs sujets et les institutions qui en découlent. Le vieux code, religieux et civil, de Manou, est resté la loi fondamentale de l'Inde depuis deux mille ans, comme le Coran, code également religieux et civil, demeure la loi suprême des musulmans depuis Mahomet. Ce n'est pas seulement dans la constitution mentale. niPlISSANCE DE LA CIVILISATION EUROPEENNE •26^ It's instilulions et les croyances, que résident les divergences profondes qui nous séparent des peuples de rOrient. Elles éclatent dans les moindres détails de l'existence, et principalement dans la simplicité de leurs besoins comparée à la complexité des nôtres. Les modestes aspirations de l'Oriental, l'acceptation de conditions d'existence considérées en Europe comme la noire misère, frappent toujours le voyageur. Une couverture, une cabane ou une tente, quelques végétaux suffisent à son ambition. Les mêmes hommes élevés à l'européenne acquièrent fatalement aussitôt un certain nombre des besoins factices créés par notre civilisation; et comme il est impossible de les gratifier en même temps des ressources nécessaires pour satisfaire ces besoins, les simples, les heureux, deviennent mécontents, misérables et révoltés. Dans les Indes anglaises surtout, où l'éducation européenne sévit sur une large échelle, le fait est significatif. Un indigène imprégné d'éducation anglaise, et muni de protections, peut obtenir des appointements de 30 fi"ancs par mois. Aussitôt à la tète de ce revenu, il s'essaye à singer le gentleman européen, porte des chaussures, devient membre d'un club indigène, fume des cigares, lit des journaux. Finalement il trouve son sort tout à fait déplorable avec une somme qui ferait vivre largement deux familles élevées dans les usages hindous. La simple comparaison des besoins d'un Arabe d'Algérie et d'un colon européen, suffit à prouver combien deux races, parvenues à des degrés inégaux de civilisation, peuvent, sur le même sol, avoir des exigences différentes. La petite provision de graines nécessaire pour son couscoussou, de l'eau pure, une lente comme habitation, un burnous pour vêtement, voilà comblées toutes les aspirations de l'indigène. Combien plus compliqués les besoins de son voisin le colon européen, même appartenant aux couches sociales inférieures. Il lui faut une maison, de la . 268 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE viande, du vin, des vêtements variés: en un mot, matériel de nécessités factices auquel l'a habitué lo le milieu européen. De ces faits multiples, constatés en tous lieux, se dégage clairement cette loi psychologique l'éducation européenne, appliquée à l'indigène, le rend profondément misérable parce qu'elle lui impose des idées nouvelles et un mode de vie raffinée sans lui procurer les moyens de la pratiquer. Elle détruit les : legs héréditaires de son passé et le laisse désorienté en du présent. Devons-nous espérer que nos institutions face et notre éducation euroiiéenne rapprocheront de nous les Orientaux distancés aujourd'hui par un si vaste abîme? Les exemples que j'ai cités n'autorisent guère cette espérance, et la théorie vient à leur appui, en nous enseignant que la plus difficile transformation à accomplir chez un peuple est celle de ses sentiments héréditaires. Or c'est précisément la différence de leurs hérédités qui sépare si profondément l'Orient de l'Oc- cident. Sur ces sentiments mêmes ambiances, les nationaux, mêmes formés institutions, les par les mêmes croyances agissant depuis des siècles sur ces sentiments, dis-je, l'éducation demeure sans prise. Ils i-eprésentent, en effet, le passé d'une race, le résultat des expériences et des actions de toute une longue série de générations, les mobiles héréditaires de la conduite. Constituant l'âme d'un peuple, leur poids est ; considérable. Ces caractères des peuples, nul ne l'iimore, jouent un rôle fondamental dans l'histoire. Les Romains ont dominé la Grèce, et une poignée d'Anglais domine aujourd'hui l'Inde, beaucoup plus par le développe- ment de certaines qualités nationales, la persévérance et l'énergie, notamment, que par l'élévation de leur intelligence. Nulle éducation ne saurait empêcher certains peuples, les nègres, par exemple, de IMPIISSANCE DE I.V CIVILISATION EUROPEENNE 2(39 rester impulsifs, imprévoyants, incapables d'énergie durable, d'efforts soutenus. Si l'on ne considère l'instruction ipie comme Fart de fixer dans la mémoire un certain nombre de théories livresques, nous pouvons assurer quo les peuplades anthropologistes de races iulérieures, en y comprenant les plus inférieures, toiles que certains nègres, peuvent être éduquées comme les Européens. Un professeur de notre Université, à son retour d'Amérique, M. Hippeau, parle avec par (pialifiées les admiration des jeunes nègres qu'il a vus dans les classes, répétant des démonstrations de géométrie et « Jamais on n'a traduisant Thucydide à la perfection mieux compris, dit-il, que les nègres et les blancs sont enfants du même Dieu; que la nature n'a établi entre les uns et les autres aucune différence fondamentale. » J'ignore, faute de lumières suffisantes sur ce point, si les nègres et les blancs sont les enfants d'un même Dieu; mais ce que je crois bien savoir, c'est que l'auteur est dupe ici d'une illusion, partagée d'ailleurs par beaucoup de personnes s'occupant de l'éducation des peuples inférieurs, les missionnaires notamment. Je dis d'une illusion, et voici pourquoi. L'enseignement des écoles se compose presque uniquement d'exercices de mnémotechnie destinés à ai)provisionner la mémoire de matériaux que l'intelligence, «piand elle se développera, pourra utiliser. Elle les utilisera, grâce à des aptitudes intellectuelles héréditaires, des modes de sentir et de penser qui représentent la somme des acquisitions mentales de toute une race. Ce sont précisément ces différences d'aptitndes, apportées par l'homme en naissant, qui établissent entre les races des inégalités dont aucun système d'éducation ne saurait effacer la trace. L'enfant appartenant à un peuple demi-civilisé ou demi-sauvage réussira généralement aussi bien à : : 23. 270 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE que rEiiropéen, mais uniquement parce que éludes classiques sont surtout des exercices de mémoire créés pour des cerveaux d'enfants, et que la différenciation intellectuelle entre les races ne se manifeste guère avant l'âge adulte. Alors que l'enfant européen perd, en grandissant, son cerveau d'enfant, riiomme inférieur, incapable, de par les lois de l'hérédité, de dépasser un certain niveau, s'arrête à une phase inférieure de développement et laisse en friche les matériaux fournis par l'instruction du collège. Suivez dans la vie ces blancs et ces nègres, jadis égaux à l'école, et bientôt vous apparaîtront les diiTéi'ences profondes qui séparent les races. Le seul résultat définitif de l'instruction européenne, aussi bien pour le nègre que pour l'Arabe et pour l'Hindou, est d'altérer, je le répète, les qualités héréditaires de leur race sans leur donner celles des Européens. Ils pourront acquérir parfois des lambeaux d'idées européennes, mais les utiliseront avec des raisonnements et des sentiments de sauvages ou de demi-civilisés. Leurs jugements flottent entre des idées contraires, des principes moraux opposés. Ballottés par tous les hasards de la vie et incapables d'en dominer aucun, ils n'ont finalement pour guide que l'impulsion du moment. Ne nous laissons donc pas illusionner par ce faible vernis jeté provisoirement sur un indigène au moyen (le notre éducation européenne. On peut la comparer à un de ces vêtements éphémères de théâtre qu'il ne faut pas regarder de trop près. J'ai eu des centaines de fois l'occasion de causer avec des lettrés hindous, ("levés dans les écoles anglo-indiennes, ou même ayant pris leurs grades dans des universités européennes. Toujours il m'a fallu constater qu'entre leurs idées et les nôtres, leur logique et la nôtre, leurs sentiments et les nôtres la distance restait iml'école les , mense. Est-ce à dire que ces peuples demi-civilisés ou bar- IMPUISSANCE DE LA CIVILISATION EUROPÉENNE 271 Imres n'arriveront jamais au niveau de la civilisation européenne? Ils y atteindront un jour, sans doute, mais seulement après avoir franchi successivement, et non d'un seul coup, les nombreuses étapes (|ui les en séparent. Nos pères, eux aussi, ont été plongés dans la barbarie. Il leur a fallu près de mille ans d'elTorts pour en sortir et pouvoir utiliser — — les trésors de la civilisation antique. On sait quelles modifications successives ils durent faire subir à ses la langue, les institutions et les arts, éléments notamment, pour se les adapter. À. leurs cerveaux de barbares, une civilisation raffinée ne pouvait pas plus convenir que la nôtre aux cerveaux des : peuples inférieurs. Les lois de l'évolution sociale sont aussi rigoureuses que celles de l'évolution des êtres organisés. La graine ne devient un arbre, l'enfant ne devient un homme, les civilisations ne s'élèvent aux formes supérieures qu'après avoir passé par toute une série de développements graduels et presque insensibles dans leur lente succession. Nous pouvons, par des mesures violentes, troubler chez les peuples cette évolution fatale, comme on peut suspendre l'évolution de la iiraine en la brisant, mais il ne nous est pas donné «l'en modifier les lois. — — Une des principales raisons psychologiques de notre impuissance à imposer notre civilisation aux peuples inférieurs peut être exprimée d'un seul mot Elle est trop compliquée pour eux. Les seules institutions, les seules croyances, la seule éducation, capables d'agir sur leur mentalité, sont celles dont la simplicité les met à la portée de leur esprit et qui ne bouleversent: pas leurs conditions d'existence. justement la civilisation musulmane, et profonde influence, en apparence mystérieuse, que les musulmans ont exercée et Telle est ainsi s'explique la si it-C rSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE exercent encore en Orient. Les peuples conquis par eux étaient ou sont le plus souvent des Orientaux, possédant des sentiments, des besoins, des coutumes de vie fort analogues aux leurs. Par conséquent, en s'assiniilant les éléments londamentaux de la civilisation musulmane, ils n'ont pas eu à subiices modifications radicales que l'adoplion d'une civilisation occidentale compliquée entraîne. Les historiens ont cru pouvoir attribuer le prodigieux ascendant moral et intellectuel exercé par les musulmans dans le monde à leur force matérielle. Il n'est plus permis aujourd'hui d'ignorer que la civilisation musulmane continua de se répandre longtemps après que la puissance politique de ses propagateurs était anéantie. Le Coran compte 20 millions de sectateurs en Chine, où les mahométans il en a recruté n'ont jamais exercé aucun pouvoir 50 millions dans l'Inde, c'est-à-dire iiiliniment plus qu'à l'apogée de la domination mogole. Ces nombres énormes s'accroissent sans cesse. Les mahométans sont, après les Romains, les seuls civilisateurs ayant réussi à faire adopter par les races les plus diverses les éléments fondamentaux de toute ; culture sociale, la religion, les institutions et les arts. Loin de tendre à disparaître, leur influence grandit chaque jour et dépasse les limites atteintes aux époques splendides de leur puissance matérielle. Le Coran et les institutions qui en découlent sont si simples, tellement en rapport avec les besoins des peuples primitifs, que leur adoption s'opère toujours sans difficulté. Partout où passent des musulmans, fût-ce en simples marchands, on retrouve leurs institutions et leurs croyances. Aussi loin que les explorateurs modernes aient pénétré en Afrique, ils y ont trouvé des tribus professant l'islamisme. Les musul- mans civilisent actuellement les dans la leur mesure où puissante action elles sur peuplades de l'Afrique peuvent l'être, étendant le continent mystérieux, - IMPUISSANCE DE LA CIVILISATION ELROPEENNE que 21'A Européens (jui parcourent l'Orient, soit en commerçants, ne laissent pas trace d'influence morale. alors les en conquérants, soit La conclusion de ce chapitre et des précédents est par l'éducation, ni par les institutions, ni par les croyances religieuses, ni par aucun des moyens dont ils disposent, les Européens ne peuvent exercer d'action civilisatrice rapide sur les Orientaux, et moins encore sur les peuples inférieurs. L'histoire récente du Japon ne saurait modifier aucune des conclusions qui précèdent. Ne pouvant traiter ici en détail ce cas particulier d'un peuple arrivé à un degré de civilisation déjà haute, très nette. Ni qui paraît la changer pour une autre civilisation élevée mais différente, je me bornerai à une remarque essentielle. Par l'adoption en bloc des résultats de la civi- européenne, le Japonais n'a transformé en fondamentales, ni ses croyances, ni surtout son caractère. Il représente ce que serait un baron féodal revenu à la vie et auquel on apprendrait l'usage des locomotives et le maniement du canon. Sa mentalité se trouverait-elle beaucoup modifiée par cette éducation? L'âme japonaise ne l'a pas été davantage, mais la variation apparente d<> la vie extérieure du Japon a dissimulé aux Européens la fixité de sa vie intérieure. Ouoi qu'il en soit, aucune des nations que nous essayons de coloniser ne possédait quand nous l'avons conquise une culture comparable à l'ancienne civilisation du Japon. Nous pouvons donc répéter que nos espoirs d'assimiler ou de franciser un peuple conquis sont de dangereuses chimères. Laissons aux indigènes leurs coutumes, leurs institutions et leurs lois. N'essayons pas de leur imposer l'engrenage de notre administration compliquée, et ne conservons sur eux qu'une haute tutelle. Pour y arrilisation réalité ni ses lois — — -i'-i PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE ver, réduisons énormément le nombre de nos fonc- tionnaires coloniaux; exigeons d'eux une étude approfondie des mœurs, des usages et de la langue des indigènes. Assurons-leur surtout une situation considérable, capable de leur conférer le prestige nécessaire. Ces projets de réformes, ou pour mieux dire de simme borne à les énoncer d'une façon sommaire, considérant leur développement comme inutile. 11 faudra longtemps encore pour atteindre l'opinion publique. Les idées politiques actuelles, si contraires à celles que j'ai exposées, forment un courant qu'il n'est pas aisé de remonter. La chimérique entreprise d'assimilation à laquelle nous consacrons tant d'hommes et d'argent nous est dictée par des motifs de sentiments, sur lesquels la logique rationnelle reste impuissante. Cette dernière ne triomphe qu'au prix des plus cruelles expériences. Les catastrophes seules ont le pouvoir de faire jaillir la lumière dans les esprits chargés d'illusions. On ne peut se demander sans douleur est-il vraiment possible que, pour réaliser des rêves, aussi chimériques que les croyances religieuses auxquelles nos pères ont sacrifié tant de vies, nous persistions dans nos dangereux errements ? Est-ii croyable ({u'on rencontre encore des hommes d'Etat convaincus de notre mission d'assurer, malgré eux, le bonheur des autres peuples? Est-il admissible qu'on entende journellement des économistes prétendre transformer la constitution mentale d'une race telle que celle des Arabes, en « modifiant radicalement chez eux le système de la propriété collective et de la famille » ? Songeons à ce que nous ont coûté quelques-unes de ces grandes théories humanitaires et simplistes si déplorablement ancrées dans notre esprit! C'est en leur nom que nous avons versé notre sang pour la liberté ou l'unité de peuples devenus aujourd'hui nos pires ennemis. C'est pour elles que nous nous obstinons plifications, je : IMPUISSANCE DE LA CIVILISATION El'ROPEEKNE ~<0 des populations jadis paisibles sous antiques lois. Qu'avons-nous recueilli de nos utopiques entreprises, sinon des haines et d'incessantes guerres ? Il éprouve toujours un sentiment de profonde humiliation, le voyageur français quittant nos colonies pour visiter celles d'autres Européens. Anglais et Hollandais, notamment, qui se gardent soigneusement de nos grands principes. Quel merveilleux s|)ectacle que ce gigantesque empire des Indes, oi^i 250 millions d'indigènes sont gouvernés dans une paix profonde par un millier de fonctionnaires, appuyés d'une petite armée de soixante mille hommes, et qui se couvre de canaux, de chemins de fer. de travaux de toute sorte, sans à franciser leurs réclamer un centime à la métropole Le prestige moral constitue la seule force de cette poignée de gouvernants, mais un prestige que nous n'avons jamais su obtenir dans nos colonies. Sans doute, ces mil! lions d'indigènes n'ont point le suffrage universel, ils ne possèdent pas de conseils généraux et ne sont pas représentés en Europe par des sénateurs et des députés. Ignorant nos institutions compliquées, ils s'administrent eux-mêmes, suivant leurs vieux usages, sous la haute et lointaine tutelle d'un nombre insignifiant d'Européens intervenant le moins possible dans leurs affaires. malheureux que les indigènes de en tous sens par nos milliers d'agents, pris dans l'engrenage de lois et de coutumes incompréhensibles pour eux? A ceux qui le croiraient je conseille la visite des trois ou quatre petits villages, derniers vestiges de notre grand empire des Indes. Ils y trouveront des centaines de fonctionnaires français, dont le seul rôle possible est de bouleverser de fond en comble les antiques institutions hindoues et ils verront de quel poids pèse sur l'indigène ce que nous appelons le régime de la liberté, les discordes et les luttes intestines engendrées par nos méthodes chez Sont-ils plus nos colonies, tiraillés . 276 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE une population jadis si pacifique, sans que tous nos sacrifices nous procurent même un peu de respect. Pour comprendre la portée psychologique d'un système dilïérent, visitez quelques lieues plus loin les mêmes populations placées sous la domination anglaise. Dès les premières minutes, vous serez frappé des égards de l'indigène pour ses conquérants, vous y verrez à quel point l'unique fonctionnaire surveillant d'un vaste district pénètre peu dans la vie publique ou privée des citoyens, respecte leurs institutions, leurs coutumes, leurs fictive, mais mœurs et leur laisse une liberté pouvais imposer à tous les Français un pareil voyage, la thèse que je défends n'aurait plus de contradicteurs, et nous renoncerions vite à l'idée d'imposer nos lois à des peuples étrangers pour le seul triomphe de nos grands prin- non pas réelle. Si je cipes. Assurément, il ne faut pas les dédaigner, ces prinCe sont les formes d'un idéal nouveau, fils des illusions religieuses que nous avons perdues et l'homme n'a pas encore appris à vivre sans illusions. Abdiquons seulement le rôle d'apôtres, et n'oublions pas que dans la lutte économique oîi le monde moderne s'engage de plus en plus, le droit de vivre appartiendra uniquement aux peuples forts. Ce n'est pas avec des chimères que nous assurerons l'avenir de notre patrie; c'est avec des chimères que nous pourcipes. rions le perdre. CHAPITRE V Les Formes nouvelles de la Colonisation. Les procédés de colonisation pratiqués aux diverses périodes de l'histoire sont peu nombreux puisqu'ils se réduisent à deux. Les Romains n'en ont d'abord connu qu'un conquérir un peuple à main armée, : prendre ses trésors et vendre comme esclaves les plus vigoureux de ses habitants; les autres repeuplaient lentement le pays jusqu'à ce que ce dernier étant enrichi de nouveau, le pillage put recommencer. On finit cependant par s'apercevoir que cette méthode à la fois coûteuse et simpliste n'est pas très profitable aux vainqueurs et, vers l'époque des premiers empereurs. Rome en découvrit une seconde, consistant à exploiter les populations conquises par l'intermédiaire de gouverneurs qui les chargeaient d'impôts, leur laissant cependant de quoi vivre et en échange leur assurant la paix. Ce dernier procédé ne s'est pas sensiblement modifié pendant le cours des siècles. Bien appliqué, il est généralement d'un bon rapport, mais entraîne beaucoup de complications par suite de la nécessité de défendre le pays conquis contre les agressio/is armées des rivaux jaloux. En outre, il faut savoir administrer avec ordre et intelligence. Si l'administration est mauvaise, le peuple colonisé ne procure que des désagréments et constitue une cause perpé- 278 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE de conflits. Personne n'ignore que nos colonies non seulement ne nous rapportent rien, mais coûtent tuelle cher et sont, par les guerres lointaines dont nous menacent, un danger permanent. Aux deux systèmes précédemment énoncés, les Allemands en ont ajouté un troisième très ingénieux. Il consiste simplement à ne recueillir que les bénélices d'un pays, en laissant à des étrangers les charges de son gouvernement et de sa défense. Après avoir laissé d'autres peuples prendre la peine de conquérir et de garder un j)ays, les Allemands s'y installent ensuite et l'exploitent. Aux conquérants, les dépenses d'hommes et d'administration et le pouvoir nominal. Pour eux les bénéfices d'abord, puis plus tard, le pouvoir réel que confère toujours la richesse. Ils gardent l'amande et laissent les possesseurs du sol se disputer les coquilles. La réalisation de ce programme exigeait certaines qualités de caractère jointes à une supériorité industrielle et commerciale, permettant •d'éliminer tous les rivaux. Grâce à une éducation technique remarquable, les Allemands ont acquis cette supériorité, et la lutte contre eux est devenue presque impossible aujourd'hui. Les Anglais eux-mêmes y ont renoncé. Partout où les pz*emiers s'installent, en nombre d'abord restreint, puis chaque jour grandissant, ils s'emparent de toutes les industries, de tout le commerce, et deviennent bientôt les maîtres. C'est ainsi qu'en moins de vingt ans, ils ont conquis une place prépondérante dans cette magnifique région méditerranéenne, dite Côte d'Azur, jadis grand enjeu de l'histoire. Leur puissance se dessine actuellement sur 200 kilomètres de côtes et s'accentue rapidement. C'est à la fois en colonie de peuplement et d'exploitation que les Allemands transforment la Côte d'Azur. Ils s'emparèrent d'abord de l'industrie des hôtels, qui sont maintenant presque entièrement dans leurs mains. fort «lies FOEMES NOUVELLES DE LA COLONISATION 27^ Le jiersonnel y est exclusivement allemand et la cliende plus en plus allemande. En 1906, je fis à Menton un relevé montrant que sur 1.000 étrangersdisséminés dans 22 hôtels figuraient 350 Allemand& et 50 Français. Je n'ai rencontré sur la Côte d'Azur aucun hôtel, sauf quelques auberges de dernière catégorie tenues par des Français. Cet envahissement teuton, si surprenant pour ceux (pii comparent la Côte d'Azur actuelle à son état antérieur, est aussi le résultat d'une cause économique profonde, que l'habileté des hôteliers ne suffirait tèle pas à expliquer. Avant la guerre, l'Allemand était pauvre et laborieux. Il est resté laborieux mais il n'est plus pauvre. Son développement industriel l'a conduit à la richesse et aux goûts de luxe qu'elle entraine. Ce sont les Français qui sont appauvris aujourd'hui. Donc, l'Allemand travaille et s'enrichit. Après des mois de labeur, il vient chercher sur la Côte d'Azur repos et distractions, espérant bien d'ailleurs y trouvei'. en outre, quelques affaires fructueuses à traiter, placement de marchandises, spéculations de terrains, etc. L'industrie des hôtels, créés surtout par lui, est si rêve de chaque gérant d'hôtel est naturellement d'en fonder un, à son tour. Quand il fait preuve de capacités, un banquier de Hambourg ou d'ailleurs lui fournit facilement les fonds. Les Banques allemandes recherchent fort les placements industriels, alors que nos sociétés de crédit françaises ont réussi à en détourner entièrement le public, le dirigeant exclusivement vers les placements de fonds d'Etat ou de chemins de fer étrangers susceptibles de procurer aux banques des remises % lucrative que le 1. Le chiffre des remises versées par le Gouvernemeni russe aux cinq malsons de Bani[ae de Paris qui se sont chsirgées du lancement récent d'un, emprunt de 1.200 raillions s'est monté i 8 p. 100, soit 96 millions. Il est navrant. 280 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE naturellement que les valeurs à Un État quelconque, Venezuela, Haïti ou tout autre de même nature, est toujours sûr de trouver de grandes maisons françaises pour lancer ses emprunts. Les banquiers allemands ne sont pas assurément plus patriotes que les nôtres, mais beaucoup plus intelligents et savent mieux placer leurs fonds, c'est-à-dire ceux de leurs clients. On m'a cité le gérant d'un hôtel de Monte-Carlo, qui, ayant économisé 60.000 francs, trouva un banquier pour lui en avancer 200.000. et acheta un hôtel qu'il revendit un million, au bout de cinq ans. J'ai pu me procurer, il y a quelques années, les comptes de deux grands hôtels de Menton, que les habitués du pays reconnaîtront facilement à ce détail, qu'ils sont situés sur une hauteur à faible distance l'un de l'autre. Le premier a réalisé, pour la saison 1904-1905, 397,444 francs de bénétlces, le second 167.153 francs. Nulle mine d'or n'équivaut à de telles exploitations. Quel service nous rendrait l'homme de génie qui nous apprendrait à profiter des richesses de la France, si ingénieusement exploitées par des étrangers, au lieu de nous prêcher l'émigration dans de lointaines régions fiévreuses, pauvres et à peine peuplées! Avant de prétendre coloniser le Congo ou Madagascar, pourquoi ne pas songer à profiter des richesses dont la France est remplie, aux yeux de qui sait les voir? d'autant plus fortes placer sont plus véreuses. Dans le rapide qui me ramenait à Paris, j'eus poui' compagnon un vieux professeur allemand de philosophie. fait de Un incident imprévu de la route entrer en relation, penser que ces sommes énormes refaire notre outillage industriel, totalité dans les je lui si soumis les nous ayant observations dont nous aurions tant besoin pour passèrent en presque inférieur maintenant, mains des Allemands, fournisseurs l'outillage militaire, industriel et naval. attitrés de la Russie pour FORMES NOUVELLES DE L.V 281 COLONISATION qui précèdent et Finvitai à me donner ses impressions, dégagées de toutes vaines formules de politesses. Pour le mettre d'ailleurs à son aise sur ce dernier point, j'avais commencé par plaindre charitablement les Allemands d'être conduits par un César capricieux et despotique. Le philosophe sourit, me demanda la permission d'allumer sa pipe et posément s'exprima comme il suit : Laissons de côté les Césars. L'histoire nous montre qu'ils apparaissent toujours quand un peuple est livré à des divisions intestines. Ils s'appellent tantôt Sylla et t;intùt Bonaparte. Ne nous plaignez pas trop de vivre sous un régime denii-césarien, car vous marchez à grands pas vers des Césars de décadence, destinés à vous sortir de l'anarchie où vous vous enlisez chaque jour. Vous en serez bientôt à l'ère des pronunciamentos et mieux vaut un (lésar, illustre et accepté comme le nôtre, ({ue les Césars d'occasion qui surgiront chez vous, ainsi qu'ils l'ont déjà fait plus d'une fois. Ne nous occupons donc, si vous le voulez bien, que des faits économiques qui ont attiré votre attention sur la (]ôte d'Azur, et qui sont d'ailleurs, je le reconnais volontiers, rigoureusement exacts. Je suis assez âgé pour avoir suivi l'évolution allemande depuis uniquement le développement de l'éducation tech- la guerre. C'est nique, jointe à certaines qualités de caractère, qui sont, comme l'avez bien vu, les causes de son développement industriel et commercial. L'intelligence, généralement assez lourde de vous mes compatriotes, n'y est pour rien. Il leur suffît de posséder de de la méthode. Ces qualités et une instruction convenable assurent toujours le succès dans la vie. L'Allemand idéaliste de jadis a complètement disparu. Il ne perd plus son temps à disserter sur la philosophie. Il fonde des usines, des banques, des ports, des entreprises de toute sorte et s'enrichit rapidement. Je l'ai connu à l'époque où il vivait pauvrement, considérant la viande comme un article de luxe, ne voyageant qu'en troisième classe, et ne fréquentant ([ue des hôtels borgnes. Aujourd'hui, ce même Allemand est riche et dépense largement. Comme tous les parvenus, il est devenu insolent et grossier. Vos employés de chemins de fer du littoral s'en plaignent justement. Je confesse qu'il se conduit souvent en rustre et ignore tout à fait les raffinements d'une civilisation avancée. Ce sont là des défauts évidents, mais qui n'ôtent rien à son mérite. L'Allemand est assuré maintenant d'être le premier partout où il s'installera, grâce à la supériorité de son outillage, de son organisation et de son éducation technique. Même dans votre capila discipline et 24. 282 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE laie, il vous l'ait une concurrence redoutable, absorbant l'une après l'autre à son profit vos grandes industries produits chimiques, objectifs photographiques, instruments de précision, : Il commence déjà à usines pour éviter vos barrières de droits protecteurs, qui bientiM n'auront plus rien à outillage électrique, etc. installei', Le reste suivra. sur votre territoire même, des protéger. Ce que vous avez constaté sur la Côte d'Azur vous le constadonc également ailleurs. Nous allons coloniser maintenant le Maroc, comme nous avons colonisé la plus belle partie de la Méditerranée, bientôt tout entière dans nos mains. Qui tient l'industrie et le commerce d'un pays en est le vrai maître. L'affaire marocaine, à laquelle vos journaux n'ont rien compris, était en réalité très simple. Nous ne tenions nullement à entreprendre la très coûteuse et très improductive con(juête de cette contrée et, volontiers, nous vous aurions laissé la gloire et les dépenses de cette opération, si l'administration despotique et tatillonne de vos colonies ne les rendait inhala liitables, même pour des Français. C'est seulement dans France même que le pouvoir est trop discuté pour être bien gênant et vous avez vu sur la Côte d'Azur qu'il ne nous importune guère. Il fallait donc simplement vous empêcher de gouverner le Maroc, c'est-à-dire de le fermer à notre commerce et nous y avons réussi pleinement. Point n'était besoin d'une guerre pour cela. La menace en suffisait et l'Allemagne n'avait aucun intérêt à vous la faire maintenant. Nous y songerons seulement le jour où vos pacifistes, vos internationalistes, vos antimilitaristes et autres variétés d'imbéciles, auront achevé de dissocier dans vos âmes l'idée de patrie qui fait notre force. Nous n'aurons alors qu'un bien faible pffort à tenter pour vous imposer toutes, nos volontés. Mon pays ne tenait donc nullement à la guerre. L'heure n'était pas venue d'ailleurs de lutter contre l'Angleterre, votre alliée, que nous ne redoutons pas au point de vue commercial et industriel et qui, au contraire, sur ces deux points, nous redoute beaucoui). La guerre avec elle est inévitable bientôt, mais l'enjeu en sera autrement important que le Maroc. Hambourg est devenu trop petit. Un grand port militaire et commercial nous est nécessaire, et il n'y a guère qu'Anvers dans notre maisons de comvoisinage. Nous y avons multiplié nos merce, nos entreprises maritimes, nos banques, mais cela ne suffit pas, car dans ce port si voisin de l'Angleterre, la puissance militaire doit accompagner la puissance commeiciale. Les Belges connaissent parfaitement d'ailleurs ces aspirations, qui sont celles de tous les Allemands et que certains atlas de géographie ont vulgarisées partout. J'ai lu le discours qu'un de leurs hommes d'Etat les plus émincnts, le sénateur teriez FORMES NOUVELLES DE LA COLONISATION Edmond 283: prononça à co propos devant le Parlement mais bien inutile. Les peuples n'échappent pas à leur destinée. Les belges la retarderaient peut-être un peu, en se fondant avec la Hollande, mais ils ne paraissent pas assez subtils pour comprendre (}ue bientôt il n'existera plus de place dans le monde pour les petites nations. Naturellement, et c'est là que gît l'unique difficulté, les Anglais s'opposeront à cette-entreprise. \oilà pourquoi la guerre avec eux est fatale. Vous vous y joindrez sans doute, mais, à belge. ce Picard, Cri d'alarme très justifié, moment, plus affaiblis encore qu'aujourd'hui, votre seul rôle probable sera de payer les frais d'une guerre nécessairement fort coûteuse. D'ici là, en effet, vos luttes religieuses et politiques achève- vous user. Vous êtes arrivés à un degré d'intoléun besoin de persécution qui finiront par vous rendre odieux à tous les peuples assez civilisés pour pratiquer la liberté. Vos innombrables syndicats, dont la tyrannie est autrement lourde que ne le fut jamais celle des plus furieux despotes, ne syndiquent guère que des jalousies et des haines. La haine et l'envie semblent les seuls sentiments ayant survécu dans l'âme des Latins. Vous ressemblez à des insectes, luttant àprement au fond d'une mare, pour s'arracher les maigres provisions que quelques-uns possèdent, alors qu'autour d'eux s'étendent de riches prébendes. Vous descendez rapidement au dernier rang des peuples, après avoir été si longtemps au premier. Vous devenez une petite nation repliée sur elle-même, écrasée d'impôts, ne subsistant qu'à force d'économie et de privations, ront de rance, à et de plus en plus incapable de s'offrir le luxe d'avoir des enfants. il vous faudrait renoncer à vos haines politiques et religieuses, hypothèse bien improbable, et changer entièrement votre système d'éducation, ce que vous avez très inutilement tenté. Il vous faudrait en outre un esprit de solidarité que vous n'acqueiTez jamais. Vous êtes restés un peuple d'artistes et de beaux parleurs. De telles qualités, si prépondérantes jadis, n'ont plus cours dans la phase savante, industrielle et économique de l'âge actuel. Le monde moderne est gouverné par la technique et, qu'il s'agisse de guerre ou d'industrie, la technique demande avant tout une précision qui s'obtient seulement par un travail méthodique, continu et une persévérance que vous ne possédez pas. L'imprécision restera toujours le grand défaut des Latins. Voyez, comme je le remarquais à l'instant, le sort d'industries jadis florissantes chez vous, dès que nous les avons abordées avec notre outillage et nos méthodes. En quelques années, vous avez été forcés de renoncer à la lutte. Sur le terrain maritime, vous avez dû également à peu près disparaître. Consultez le cours de la Bourse et voyez par leur cote, la misérable situation de vos grandes corn- Pour remonter cette pente de la décadence, 284 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE pagnies de navigation, alors que les nôtres, si prospères, distribuent de beaux dividendes à leurs actionnaires. Les arguments humanitaires et pacifistes jouent aujourd'hui rôle prépondérant dans vos discour.«. constituent Ils même la principale force des socialistes. Mais quelle puissance peuvent-ils avoir contre les nécessités économiques qui régissent le monde moderne? Exactement celle des conjurations adressées par de superstitieux Napolitains au Vésuve, pour calmer ses fureurs. On n'éteint pas les volcans avec des mots. Ce sont uniquement des nécessités économiques qui dominent aujourd'hui les forces inconscientes conduisant les peuples. L'Allemagne commence à avoir trop d'enfants alors (jue vous n'en avez plus assez. Elle fabrique trop de produits qu'il lui faut, à tout prix, écouler, ce qui lui sera bientôt impossible. Le monde devient trop petit et la clientèle de l'Orient conquise par le Japon disparaît pour nous. C'est donc vers nos plus proches voisins cpie nous devrons tourner les yeux, industriellement d'abord, militairement ensuite. Nous jetterons chez vous l'excédent de nos produits et de notre population et attendrons seulement, ce qui ne saurait être bien long, que les divisions et l'anarchie vous aient suffisamment affaiblis pour rendre impossible votre défense. Les lois de l'histoire restent les mêmes. La destinée du plus faible fut toujours de disparaître devant le plus fort, ou de le servir. Le progrès ne s'est jamais réalisé autrement. Elle est encore plus vraie aujourd'hui qu'il y a 2.000 ans, l'impitoyable sentence du vieux Brennus « Malheur aux vaincus » un : ! Ainsi parla le rude Germain. (Jn aurait pu opposer bien des objections à ses farouches assertions, mais à quoi bon? Les convictions individuelles ne se transforment guère avec des arguments. Xotis approchions, d'ailleurs, de Paris, et je pensais aussi (pie les paroles du philosophe contenaient bien des fragments de vérité. Je me bornai donc à un léger haussement d'épaules, accompagné d'un vague sourire, tout en éprouvant un peu les sensations d'un voyageur poussé vers un abîme très profond et très noir. LIVRE \'I L'ÉVOLUTION ANARCHIQUE ET LA LUTTE CONTRE LA DÉSAGRÉGATION SOCIALE CHAPITRE I L'Anarchie sociale. Il n'était ni pacifiste Marcius Censorinus, mais logie de ses adversaires. Quand ni il humanitaire, le consul savait utilis-^r la psycho- ce subtil guerrier se présenta devant Car- thage, la grande cité passait pour la plus riche capi- du monde Les arts, le commerce y également. Après avoir longuement vanté à ces derniers les bienfaits de la paix et maudit les horreurs de la guerre, Censorinus conclut en leur disant « Livrez-moi vos armes et Rome se chargera de vous protéger. » Les pacifistes gens de mentalité toujours médiocre s'empressèrent d'obéir. « Livrez-moi maintenant vos vaisseaux de guerre; ils sont encombrants, d'un entretien coûteux et bien inutiles puisque Rome vous défendra contre vos ennemis. » Les pacifistes obéirent encore. « Votre soumission est louable, leur dit alors le consul. Il ne me reste plus qu'un sacrifice à vous demander. Pour éviter une révolte possible, Rome m'ordonne de raser tale llorissaient antique. et les pacifistes : — — 2S6 i'SYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE Carthage. Elle vous autorise, d'ailleurs, à vous établii dans le désert, sur le point que vous choisirez, sous condition qu'il soit situé à 80 stades de la mer. » Alors seulement les Carthaginois comprirent les dangers du pacifisme, et, devant la perspective assurée de mourir de faim dans les sables, entreprirent de se défendre. Il était trop tard. Carlhage fut prise, incendiée avec tous ses habitants et disparut de l'histoire. Cette aventure, bien qu'un peu ancienne, contient cependant d'assez modernes enseignements. J'imagine qu'elle a dû, après la première grève des postiers, hanter les songes d'un de nos hommes d'Etat, à ce moment président du Conseil. Je base cette supposition sur la lecture du discours qu'il prononça devant le monument de Gambetta. On y relève les vérités suivantes . tiiie pour les foils... L'avenir est à qui ne Toute société capaljle de tolérer la révolte des fonctionnaires s'effondrerait sous le mépris universel. La prompte répression devient en conséquence ici une nécessité de salut 11 n'y a de redoute di'oit rien... public. Ce langage contraste heureusement avec celui d'un membre du gouvernement qui, pour remédier à l'insurrection des fonctionnaires, aux menaces, aux grèves et aux sabotages des ouvriers, n'a trouvé que ces vagues formules « Tenir compte des faits nouveaux, être de son temps, faire confiance à la classe ouvrière. » L'auteur termine en s'adressant à ceux qu'il nomme les « heureux de la vie » et leur conseille des libéralités aux ouvriers et aux fonctionnaires. Ce pauvre langage est une des manifestations de la nouvelle philosophie humanitaire qualifiée de solidaautre : que, suivant la juste expression de G. Sorei, il plus exact de nommer « la philosophie de l'hypocrite lâcheté ». L'humanitarisme est notre plaie- rité et serait sociale. l'anarchie sociale Ou connaît 287 la réponso des; ouvriers et des lonctioninsurgés à ces bêlements humanitaires. Plus ils se sentent redoutés, plus ils méprisent et menacent. A la moindre résistance, grève, sabotage et incendie. La dominante actuelle des gouvernants est, malheureusement, la peur, l'horrible i)eur qui fit perdre tant de batailles et prépara tant de révolutions. Les sages paroles de l'ancien président du Conseil, précédemment citées, et prononcées après la grèv<', des postiers, auraient beaucoup gagné à l'être au moment même de cette grève, alors que la défense offrait peu de difficultés. Elles eussent évité à leur auteur d'être qualifié, par le directeur d'un grand journal socialiste, de « feuille morte s'abandonnant sans résistance à tous les remous ». La défense était facile, en effet. Céder ne fit que donner aux révoltés conscience de leur force et provoquer leur mépris. Machiavel l'avait indiqué depuis longtemps les foules n'ont aucune reconnaissance pour ce qu'elles obtiennent par la force. Machiavel étant très vieux, n'a pas été écouté et on est d'abord entré dans la voie des concessions. \^Officiel enregistra vite une augmentation notable des traitements des postiers. Leurs exigences, naturellement, ne manquèrent pas de croître et le gouvernement dut reconnaître que, sous peine de se démettre, il devenait impossible de toujours se soumettre. C'est, d'ailleurs, avec la plus extrême insolence et la menace répétée d'une nouvelle grève que les postiers l'évoltés manifestèrent leurs volontés. Les autres fonctionnaires, voyant le succès de cette méthode d'intimidation, commencèrent aussitôt à clamer des revendications. Pour y satisfaire, il eût fallu doubler le budget et, par conséquent, les impôts. Sans doute, les ministres et le Parlement se soucient médiocrement des conséquences de leur faiblesse. sachant bien qu'ils ne seront plus là pour en supporter les effets, mais les exigences avaient grandi si ïiaires : ~bO PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE vite que, sous peine de trop indigner l'opinion, force un peu. La seconde grève des postiers n'a pas été sans résultats utiles. Il est bon que le public soufîre un peu des grèves des postes, des chemins de fer, etc., pour comprendre ce que lui prépare le régime syndifut de résister caliste ; alors, et seulement alors, l'opinion, fort puis- sante aujourd'hui, se dressera énergiquement contre tous les révolutionnaires. Si l'on avait continué à subir les caprices des révoltés, ils auraient créé un Etat dans l'Etat, vite devenu un Etat contre l'Etat. Ce fut une véritable dérision que cette prétention de quelques milliers de commis d'arrêter la vie d'un grand pays. On serait stupéfié des insanités pouvant germer dans de faibles cervelles si ne se révélait, dans le mouvement actuel, un de ces cas d'épidémie mentale ])ropagée par contagion, très fréquente aux époques troublées et (jui avec Il ne sauraient surprendre les personnes familières la psychologie des foules. faut apprendre à se défendre, et cela sans crainte. La peur, cette terrible conseillère, a toujours été l'origine de perturbations sanglantes et de tous les despotismes militaires qu'elles engendrent. Croit-on. en vérité, que les agents des postes, les instituteurs, etc., auraient osé tenir le langage reproduit dans les journaux s'ils n'avaient été assurés de la terreur (ju'inspiraient leurs discours? Peut-on tolérer un instant que des fonctionnaires entretenus par l'Etat viennent prêcher l'antipatriotisme et l'antimilitarisme, c'est-à-dire la destruction de la société dont ils vivent? Doit-on accepter que des instituteurs s'expriment comme l'a fait un de leurs représentants autorisés dans un meeting public : Afin d'émanciper le prolétai'iat, je réclame pour les instituteurs le droit de s'affilier aux Bourses du travail, à la G. G. T. et celui d'incruster dans le cerveau des enfants la haine de la bourgeoisie. 289 l'anarchie sociale Il n'y a i)as à discuter avec des dévoyés fanatisés par quelques meneurs. Ces gens, qui se plaignent si bruyamment, appartiennent, en réalité, à une des fractions les plus privilégiées de la bourgeoisie. On a relevé l'amusant paradoxe de ce chef du mouvement des, postiers jouissant de près de 6.000 francs d'appointements, devant toucher plus de 3.000 francs de retraite, et se qualifiant de prolétaire Si le syndicalisme triomphait, les salaires de tous ces employés seraient vite ramenés à ceux des ouvriers. Pendant la grève des postiers, nous avons assisté à ce spectacle singulier d'un gouvernement dont une partie était insurgée contre l'autre. De quoi, en effet, est formé le gouvernement d'un pays? Ce n'est pas seulement du Parlement qui vote les lois et de la douzaine de ministres en ordonnant l'exécution. Il se compose surtout du million de fonctionnaires qui les exécutent et entre lesquels l'autorité est dispersée. Que ces fonctionnaires se révoltent, l'État s'évanouit. Les ministres, on s'en passe, mais comment se dispenser de fonctionnaires dans une organisation aussi étatiste que la nôtre? Jamais, heureusement, ne se présentera l'ombre d'une difficulté pour les remplacer. Il faut des années pour former un mécanicien ou un forgeron, mais quelques semaines suffisent à fabriquer un excellent chef de bureau, un estimable receveur des postes, un bon percepteur, un parfait facteur. Dans cette immense armée de fonctionnaires, les techniciens dont le métier exige un peu d'apprentissage, tels I que les télégraphistes, constituent l'exception. * « Ce qui trouble les hommes, ce ne Epictète a dit sont pas les choses elles-mêmes, mais les opinions : qu'ils s'en font. » Voilà précisément le danger de l'heure présente. Il ne réside pas dans les faits eux-mêmes, mais dans les 25 290 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE provoquées par eux et les idées c[ui les engendrent. Les chimères seules soulèvent les peuples et l'histoire montre qu'il a fallu des siècles de luttes et des fleuves de sang pour ébranler la puissance de certains lantômes. A aucune époque, le sort des classes populaires ne fut plus favorisé qu'aujourd'hui, comme l'a fort bien montré récemment rencjuète de M. d'Avenel. A aucun âge, cependant, elles ne firent entendre des plaintes illusions plus vives. Les divergences d'intérêts seraient faciles à conqui reste inconciliable, ce sont les haines et les jalousies semées par des politiciens flattant bassement les foules. Nous en voyons maintenant l'éclosion. La contagion mentale a rendu le mécontentement universel. Le socialisme, il y a peu de temps, le syndicalisme et l'anarchisme, maintenant, sont devenus les panacées offertes à tous les maux. Les foules, imprégnées des nouvelles doctrines, se composent d'un mélange hétérogène d'arrivistes ferd'universitaires vents, de fanatiques convaincus, aigris, d'humanitaires larmoyants et d'une masse immense de doux imbéciles qui suivent tous les mouvements parce que leur faible mentalité les condamne à toujours suivre quelque chose. Les croyances actuelles collectivisme, anarchisme. syndicalisme, etc. sont fondées uniquement sur les visions que leurs disciples ont de l'avenir. Ces visions restent forcément chimériques, l'avenir nous étant fermé, mais elles n'en constituent pas moins de puissants mobiles d'action. L'audace croissante des partis révolutionnaires provient surtout de la grande pusillanimité des gouvernants dont l'humanitarisme craintif est tout à fait cilier: ce : néfaste. Aucune illusion sur les résultats de celte faiblesse ne reste possible. Dans son intéressant livre Réflexions : 291 l'anarchie sociale sur lu violenc(\ M. G. Sorel, défenseur désabusé des doctrines socialistes, s'exprime ainsi : Le facteur le plus déterminant de la politique sociale est lu poltronnerie du Gouvernement... 11 n'a pas lallu beaucoup de lenips aux chefs des syndicats pour bien .saisir cette situation... Ils enseignent aux ouvriers qu'il ne s'agit pas d'aller demander des faveurs mais qu'il faut profiter de la lâcheté bourgeoise pour imposer la volonté du prolétariat... Une politique sociale l'ondée sur la lâcheté bourgeoise qui consiste à toujours céder devant la menace dé violences, ne pouvait manquer d'engendrer l'idée que la bourgeoisie est condamnée à mort et que sa disparition n'est plus qu'une affaire de temps. Convaincus de la peur qu'ils inspirent, les sociarévolutionnaires accentuent chaciue jour leurs menaces. On peut en juger par le programme récent listes de et la « Fédération Socialiste de la Seine » : Pour son combat, qui ne peut prendre fin qu'avec la société Vétat capitaliste eux-mêmes, et par la mainndse du prolé- tariat sur la matière instruments de la production de emploie tous les moyens d'action, suivant les circonstances action électorale et parlementaire, action directe, <jrève générale et insurrection. (]'cst dans cette idée qu'il affirme que l'idée collectiviste ou communiste se fera par une propagande portée jusque dans le fond des campagnes, afin de susciter en tous milieux l'esprit de et les l'achat et de l'échange, le parti : révolte. Bien entendu, il ne faudrait pas demander à ces farouches sectaires étatistes quelles conséquences enti-aînerait la réalisation de leurs rêves. Ils ne voient pas si loin et ne songent qu'à détruire. On peut cependant considérer comme certain que si une divinité malfaisante exauçait d'un coup de baguette tous les souhaits révolutionnaires et transformait la société suivant leurs désirs, le sort de l'ouvrier sous infiniment plus dur le régime syndicaliste serait qu'aujourd'hui. De cet avenir lointain les révolutionnaires se préoccupent nullement. Leur but est de provoquer les fureurs populaires et ils y réussissent parfaitement. Les socialistes parlementaires qui s'imaginent cana- 292 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE trompent fort et calmer les anarchistes par des concessions auxquelles ces derniers ne tiennent nullement, telles que le rachat des chemins de fer et l'impôt sur le revenu. Aucune illusion ne devrait être permise sur les effets de ces mesures en regardant de quel côté se tournent progressivement les masses ouvrières. Est-ce vers les auteurs de ces vaines réformes ou vers les syndicats révolutionnaires qui n'en proposent d'autres que la destruction violente de la société au liser à leur profit ces colères, se s'illusionnent plus encore, en croyant moyen d'une guerre civile? En dehors des motifs d'ordre économique que n'examinerai pas ici, je une cause évidente détermine nouvelle des classes ouvrières vers Entre des gouvernants timides, inclinés devant toutes les menaces, et un pouvoir autocratique solidement constitué comme celui de la cette orientation les révolutionnaires. Confédération du travail, dirige d'instinct, comme la foule n'hésite pas. Elle se toujours, du côté où elle sent une autorité active, des convictions inéhranlables. Impossible de méconnaître que le syndicalisme révolutionnaire possède une autorité forte. Il conduit, en effet, les masses ouvrières, courbées sous son joug, avec des procédés devant lesquels hésiteraient les plus rudes despotes. Bien que parlant peu, ces maîtres redoutés savent se faire obéir des foules en apparence plus indisciplinées. Abandonnant aux faibles les longs discours, ils se contentent d'agir. Leurs décrets sont formulés par un comité généralement anonyme, les grèves commandées à coups de sifflet ou par un ordre porté à bicyclette par un délégué qui n'a pas à fournir d'explications. Qui résiste est aussitôt assommé par des camarades trop heureux de paraître zélés aux yeux de leurs maîtres. On se souvient de l'aventure de ce contremaître d'Herserange qui, ayant eu l'audace, après un ordre d'expulsion du syndicat, de venir chercher ses hardes. n'échappa à la mort que par les l'anarchie sociale 293 la gendarmerie qui le retira des mains des ouvriers en fort piteux état: Dans une fabrique de tabac, une cigarière subit dernièrement un sort analogue, pour avoir osé accepter un salaire l'intervention de supérieur à celui décrété par le syndicat. Tous les commandements sont exécutés alors même qu'ils dépassent les bornes de l'insanité pure. A Hazebrouck, les ouvriers sont demeurés en grève plusieurs mois, sur l'ordre d'un délégué du syndicat, parce que les directeurs d'une usine de tissage s'étaient permis d'installer, à la place de leur vieil outillage, des machines perfectionnées, employées d'ailleurs en Amérique depuis dix ans. Si les chemins de fer n'existaient pas, je doute que leur création fût possible aujourd'hui en France, avec la mentalité ouvrière actuelle, et la faiblesse des gouvernants. De tels exemples sont nécessaires à ceux qui croient de raisonner. Confédération du travail est précisément d'avoir compris qu'elles ne raisonnent jamais et n'obéissent qu'à la force ou au prestige. Aussi repoussent-ils le sutTrage universel et proclament le droit des minorités, c'est-à-dire de quelques meneurs des syndicats. Ce droit, peu démocratique assurément, finira cependant par s'imposer puisque les foules l'acceptent docilement. les collectivités populaires susceptibles La supériorité des meneurs de la Le danger du mouvement révolutionnaire ne consiste pas uniquement dans les violences suscitées par lui car elles ne sauraient durer. Il réside principalement, je le répète, dans l'anarchie mentale propagée par voie de contagion, parmi toutes les classes. C'est ainsi qu'ont pris naissance la grève des employés des postes, celle des sergents de ville de Lyon, le soulèvement des instituteurs, les syndicats des fonctionnaires, etc. Devant ces essais d'intimidation, le gouvernement cédant toujours, a fortifié dans l'àme des révoltés 294 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE conviction qu'il suffit de menacer la Tiraillés entre des intérêts pour obtenir. contraires, apercevant derrière chaque insuriré l'électeur de demain, les législateurs perdent toute notion de Tengrenage des nécessités les économiques et votent au hasard, sans en prévoir contradictoires dès que les incidences, des lois menaces deviennent trop ])ruyantes. Etant d'ailleurs humanitaires et surtout craintifs, ils se disent qu'après tout ces réclamants ont un peu raison, que sans doute il est regrettable de voir des usines saccagées, des soldats assassinés, des industries ruinées, mais qu'on doit faire preuve d'indulgence vis-à-vis des égarés. N'est-il pas certain qu'avec de ])onnes lois ces égarés rentreront dans le devoir et deviendront bien sages? Aussi se hàte-t-on d'amnistier ceux qui après avoir trop massacré ou incendié subissent quelques jours de prison. S'ils récidivent, c'est évidemment que les lois n'étaient pas assez bonnes, et on s'empresse d'en faire d'autres. Ainsi s'établit, aussi bien au Parlement que dans toute la classe bourgeoise, un état d'esprit des plus dangereux, puisqu'il a créé l'atmosphère d'anarchie où nous sommes plongés. M. R. Poincaré a très justement marqué les conséquences de cette mentalité nouvelle des classes dirigeantes dans un de ses beaux discours : un éternel niinige Toasis où l'humanité se reposera dans l'égalité parfaite de ses fatigues séculaires, nous demeurons incrédules... ilais Lorsque, dit-il, le collectivisme nous montre en sonmies-nous bien sûrs de ne jamais faciliter nous-mêmes inconsciemment la tâche de ces rêveurs ? Nous sourions de leurs utopies, nous protestons contre leur politique que nous croyons décevante et chimérique et tous les jours pourtant, dans l'illusion d'apaiser leur hostilité systématique, nous leurs livrons des lambeaux de nos convictions. kii-mème l'éminent homiue C'est liélas ce qu'a iail d'Etat, montrant ainsi la Télat d'esprit (jull indique dn Sénat comptaient sur ])uissance inconsciente de si clairement. Ses collègues combattre le rachat lui jiour l'anarchie sociale 295 que seul capable de l'ah-e échouer un désastreux pour nos iinances, il s'est cependant abstenu. La peur est un [)uissant transformateur des opinions. C'est justement pourquoi on constate tant de contradictions entre les paroles des hommes d'Etat et leur conduite. Nous avons vu un président du Conseil protester dans un discours contre les « criminelles divagations » des syndicats. Cette protestation ne l'a pas empêché, ainsi que le lui a fait remarquer un grand journal, de continuer à payer sur les fonds des contribuables la propagande antipatriotique sous prétexte de subventions aux syndicats. » Une des caractéristiques les plus visibles de la mentalité actuelle des peuples latins est l'affaissej'allais dire surtout ment de la volonté, même chez les plus hautes intelligences. Or ce fut toujours par cet alTaiblissement du caractère, et non par celui de l'intelligence, que de grands peuples disparurent dp l'histoire. (le rOiicsl. Bien |)roj('t si '-. — — En dehors de leurs causes apparentes immédiates, événements sont déterminés par un engrenage d'enchaînements lointains. Dans la graine visible les l'arbre invisible est contenu. Les crises politiques actuelles nous frappent par leur violence, mais elles sont arcomj)agnées et souvent engendrées par beauconji d'autres. Leur ensomble r('>V(Me une perturbation [)rofonde des esprits. de jeter les yeux autour de soi pour consdésorganisation actuelle porte sur toutes les forces morales, vrais soutiens d'un peuple. Crise de la famille qui se dissocie et ne se multiplie que foi*t lentement, crise des besoins augmentant beaucoup plus rajjidement que les moyens de les satisfaire, crise de l'autorité que personne ne respecte, l'idée d'égalité faisant repousser toutes les supériorités, crise de la Il tater suffit que la 296 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE morale qui s'effondre pendant que la criminalité s'accroît dans d'énormes proportions, crise de la volonté qui s'affaisse chaque jour, crise des fonctionnaires qui s'insurgent, des magistrats n'osant plus rendre la justice, des instituteurs professant l'anarchie, etc. Les syndicats qui se multiplient ne syndi- quent guère que des mécontentements et des haines haine de la patrie, de l'armée, du capital, des capacités. Il faut vraiment que l'armature mentale formée par l'hérédité soit bien résistante, pour qu'une société qui se désagrège ainsi, puisse se maintenir : encore. Du haut en bas de l'échelle sociale, pline s'évanouit et l'autorité disparait. ment général, les dirigeants A la disci- cet effondre- n'opposent hélas, qu'une tranquille résignation. Ceux qui jadis ordonnaient ne songent maintenant qu'à obéir. M. Aulard. professeur d'histoire à la Sorbonne, donna récemment de cet état d'esprit un exemple, qui aurait dû mieux le renseigner à l'égard de la psychologie populaire, que les montagnes de paperasses réunies par lui sur l'époque de la Révolution. Donc, cet admirateur convaincu des vertus des foules fut obligé, par suite d'un retard de train, d'aller un matin chercher dans une grande gare de Paris sa valise laissée à la consigne. Le local affecté à ce dépôt était occupé par quatre solides facteurs déambulant d'un pas tranquille. Jugeant, à l'allure modeste et un peu terne du réclamant, que ce n'était pas un de ces voyageurs de marque dont on peut espérer une rétribution sérieuse, ils considérèrent comme inutile de se déranger trop vite et continuèrent leur promenade. Un peu humilié par cette dédaigneuse indifférence, le professeur se plaignit au chef des facteurs qui écrivait dans un bureau voisin. Ce dernier reconnut que son interlocuteur avait parfaitement raison, mais ajouta que, ne possédant aucune autorité sur ses subordonnés, il ne pouvait que livrer la 297 l'anarchie sociale valise placer sortie. lui-même et poussa l'obligeance jusqu'à la sur un chariot qu'il roula vers la porte de Les quatre facteurs s'étant par hasard retour- n6s aperçurent la manœuvre. Exaspérés par la |)erte même modeste, ils se précipitèrent sur leur chef, l'accablèrent d'invectives et le sommèrent de laisser sur place la valise, sous peine d'être assommé. Le chef se sauva précipitamment en adressant à ses subordonnés d'humbles excuses. Je sais bien qu'on ne doit pas avoir une confiance illimitée dans les dires d'un professeur d'histoire, plus apte à réunir des documents qu'à les interpréter, mais alors même que la relation précédente d'ailleurs non démentie par les intéressés ne serait qu'à demi exacte, elle n'en resterait pas moins fort possible d'un pourboire, — — instructive. Chacun, du reste, peut observer journellement autour de lui des faits analogues. Regardez par exemple un simple cantonnier dans l'exercice de sa profession. Faites-vous renseigner ensuite sur le rendement actuel de son travail et comparez-le au rendement d'il y a vingt ans. Le déchet est énorme. Pourquoi d'ailleurs travaillerait-il sérieusement, ce cantonnier? N'a-t-il pas la certitude d'être protégé contre ses chefs par son député et son débitant d'alcool? L'anarchie sociale ne se manifeste pas seulement les couches inférieures de la société. Elle est, comme toutes les épidémies mentales, une maladie essentiellement contagieuse. La contagion mentale conduit aujourd'hui les conservateurs eux-mêmes à s'allier aux pires anarchistes. Nous avons vu récemment l'archevêque de Paris fraterniser avec un dcr, chefs de la Confédération du travail. Dans un récent congrès catholique, le droit de grève, c'est-à-dire de révolte du fonctionnaire, fut énergiquement soutenu par un prêtre. « Des prêtres, écrit le Temps, défen- dans 298 PSYCHOLOGIE POLITIOTiE ET DEFENSE SOCIALE dent et répandent les théories les plus audacieuses, » les plus antisociales, les plus anarchiques Le besoin d'une basse popularité ne se développe donc pas seulement chez les socialistes avancés, mais chez des conservateurs qui devraient être les plus fermes soutiens de la société. ! « Ils peuvent, disait justement le journal cité plus haut, contribuer efficacement à ruiner un ordre social dont ils sont d'ailleurs parmi les principaux bénéficiaires. Quant à recueillir eux-mi^mes de ces dégâts un profit politique, utopie, chimère » Les syndicalistes et les révolutionnaires se serviraient peut-être d'eux mais ne leur accorderaient rien. ! C'est surtout par les progrès de l'antipatriotisme que se révèle le développement de notre anarchie. Dans les discours, toujours pleins d'éloges, qu'ils adressent aux instituteurs et aux membres de l'Université, les ministres feignent de croire que le développement de l'antipatriotisme et de l'antimilitarisme — ce qu'on appelle aujourd'hui — « l'hervéisme » est exceptionnel en France. A qui espèrent-ils faire illusion? Cacher un mal n'est pas le guérir. Malgré sa réserve habituelle M.R. Poincaré n'a pas hésité dans un discours récent à insister sur la grandeur du mal. Après avoir montré que ces antipatriotes qui refusent de défendre la France contre l'étranger, prêchent avec enthousiasme la guerre civile pour établir le triomphe de leur parti, l'orateur ajoute très juste- ment : M. Hervé est-il un isolé, un esprit fantasque, qui tient une gageure personnelle? Pour peu que nous jetions un coup d'œil sur les délibérations de certains congrès, nous sommes malheureusement forcés de constater que s'il met une violence calculée dans l'expression de ses idées, il n'est pas seul à les professer, et qu'il est en définitive, un personnage représentatif. N'exagérons pas l'influence de son action et celle de ses semblables; mais ne croyons pas détruire cette action en la niant. Pendant que M. Hervé écrivait des lignes sacrilèges, vous savez ce que disait Bebel au Heichstag « Si jamais on attaquait l'Aile: L magne, ANARCHIE SOCIALE 299 était en jeu, alors, je puis en donner du plus jeune au plus vieux, nous serions prêts à mettre le fusil sur l'épaule et à marcher sus à l'ennemi. Cette terre est aussi notre patrie. Nous nous défendrions jusqu'à notre dernier souffle, je vous en fais serment! » En présence du contraste qui éclate entre ces deux langages, le langage du socialiste allemand et celui du révolutionnaire ma si son existence parole, tous, comment ne pas se rappeler la parole d'Edgar Quinet France se fait cosmopolite, elle deviendra imnianqualdoment dupe de tous les autres peuples. Oui, c'est le mot qu'il faut reprendre. L'antipatriotisme ne peut être, à l'heure où nous sommes, dans l'Europe où nous vivons, que la plus effroyable duperie. 11 n'aurait d'excuse que dans ce pays chimérique dont pailail ironiquement Waldeck-Rousseau, chez un peuple sans passé et sans rivaux, habitant, au milieu d'un océan ignoré, une île assez fertile pour le nourrir et assez pauvre, en même temps, poiu' ne tenter l'ambition de personne. français, « : Si la ;. L'iiistoire montre par d'éloquents exemples le sort des peuples tombés dans l'anarchie. Mais l'histoire ne parle que de choses passées qui ne sont pas toujours applicables au présent. C'est donc dans le présent qu'il faut examiner les faits. Un vaste continent occupé par 25 républiques espagnoles nous renseigne sur le sort des nations tombées dans l'anarchie par l'absence d'idéal moral, d'ordre et de discipline. Ces malheureuses républiques ont sombré dans une demibarbarie et si leur commerce et leur industrie mains d'étrangers elles y retourneraient tout à fait. Des bandes armées les ravagent sans trêve, cherchant à s'emparer du pouvoir pour n'étaient pas entre les nommer président un de leurs chefs. La puissance de ce dernier est très éphémère, car d'autres bandes, désireuses de pouvoir piller à leur tour, l'as- faire sassinent bientôt. suivant paru dans quelques journaux et pourrait s'appliquer plusieurs fois l'an à la pluj)art de ces républiques montre ce qu'est devenue la L'extrait ({ui vie sociale dans ces contrées : 300 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE Les dépêches américaines représentent le Nicaragua comme un état de pleine anarchie justifiant l'intervention des Etats-Unis, demandée par les Nicaraguéens eux-mêmes. D'après ces dépêches, tout le pays est en pleine fermentation et se soulève contre le président Zelaya. Les manifestations continuent dans les rues de Managua et de Corinto, où l'on se bat à coups de revolver. On craint un massacre général de détenus politiques dont les prisons regorgent et qu'on laisse mourir de faim. Des comités de vigilance se sont formés pour empêcher le président de fuir. Dans un combat qui vient d'avoir lieu à Rama, les zelayistes seraient vainqueurs. Le général Vasquez, chef des forces gouvernementales, aurait fait massacrer un grand nombre de révoétant dans lutionnaires qui auraient violé l'armistice. Le gouvernement américain insistera sur le châtiment du président Zelaya pour violation criminelle du droit des gens. Il n'acceptera qu'ensuite la coopération du Mexique pour imposer aux Etats centre-américains la paix et le respect de leurs obli- gations. Impo.ser à ces gens-là le respect de leurs obligations Cette notion implique déjà un niveau de ! civilisation que d'eux-mêmes ils n'atteindront jamais. Souhaitons que les Etats-Unis s'emparent de ces pays pour les y élever. Par l'entière transformation de Cuba en peu d'années et l'organisation prospère d'un pays que l'administration latine avait plongé dans la plus complète anarchie, ils ont montré ce que peuvent l'ordre et la discipline et créé un admirable exemj)le du rôle de ces qualités dans l'histoire. Les peuples latins feront sagement de le méditer et de songer qu'ils laissent se dissocier chaque jour les qualités de caractère assurant la grandeur des peuples et sans lesquelles aucune société civilisée ne saurait se maintenir. CHAPITRE Les Progrès de la II Criminalité. Un des résultats les plus visibles du développement de l'anarchie sociale est l'extension de la criminalité. La lecture des récentes discussions parlementaires sur la criminalité et la peine de mort est instructive. On y apprend avec quelle facilité des orateurs, dont l'intelligence n'est cependant pas au-dessous de la moyenne, arrivent à déraisonner lorsqu'ils ont pour guide unique leurs convictions sentimentales. Nous y voyons encore comment, du groupement habile des mêmes chiffres, il est possible de tirer des conclusions diamétralement contraires. Pour protéger la vie des assassins et leur permettre trop de risques l'industrie dont ils vivent, des motifs variés ont été invoqués dont je vais d'exercer sans donner la liste. Je laisserai de côté dans cette énumé- ration les causes de la criminalité découvertes par un député socialiste et révélées par lui à ses collègues. Les crimes disparaîtront, assure-t-il, quand les seront sûrs de trouver de quoi vivre au soleil librement, sans être opprimés comme ils le sont à l'heure actuelle par tout un système capitaliste qui les broie sans qu'ils puissent s'en libérer ». Suppri- citoyens mons « ces vilains capitalistes et évidemment il 26 n'y 302 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE aura plus d'assassins. La grande force des socialistes est de ne jamais hésiter devant ces solennelles absurdités. Voici les divers arguments présentés à contre la peine de mort la Chambre : est mauvaise parce qu'elle ne préserve pas punit des irresponsables. La peine de mort n'est ni moralisatrice ni exemplaire. La peine de mort est un crime social. Un homme n"a aucun droit sur la vie d'un autre homme. La peine de mort ne s'explique que par l'idée de vengeance. On a pu constater qu'un certain nombre de guillotinés étaient des fous. Comme on ne peut pas toujours reconnaître d'une façon certaine les stigmates delà folie avant l'exécution, il faut, afin de ne pas s'exposer à décapiter un fou, un irresponsable par conséquent, supprimer la guillotine. La peine de mort déshonore plus ceux qui l'appliquent que ceux qui la subissent. La peine de mort n'a jamais exercé aucune action efficace sur la marche des crimes dans aucun pays. La peine de mort la société et Seul le dernier de ces arguments présente un aspect sérieux. nistre Il s'est par M. Briand et ce midonné un mal énorme pour essayer de a été invoqué sans réussir d'ailleurs à convaincre personne et peut-être pas lui-même. Pour prouver que la peine de mort n'a aucune intluence sur la criminalité, on a cité surtout les données de la statistique. Malheureusement, ses chiffres sont aussi précis que navrants. La criminalité a augmenté dans des proportions véritablement terrifiantes 30 p. 100 pour les assassinats, et l'ensemble de la criminalité doublé en cinq ans. Voici d'ailleurs les le justifier ; documents fournis à la Chambre par le Président de la Commission de la réforme judiciaire : nous considérons, non pas seulement les affaires jugées, mais l'ensemble des crimes commis, ce qu'on appelle la criminalité connue, voici les chiffres 795 en 1901, 1.313 en 1905, Si : 1.434 en 1907. donc absolument raison, conclut M. Berry, en disant en croissant d'année en année depuis suppression en fait de la peine de mort... Les assassins, .J'avais que la la criminalité allait 303 LES PROGRES DE LA CRLMINALITE assurés de ne plus subir l'expiation suprême, ne redoutent plus d'accomplir les plus grands crimes. Devant cette recrudescence, on comprend que tous généraux, sauf trois, aient sollicité des pouvoirs publics le maintien de la peine de mort et du pouvoir exécutif son application. La terreur que la peine de mort inspirait autrefois aux criminels est péremptoirement démontrée, par l'orateur précédemment nommé, à l'aide des faits les plus probants aveux des criminels ayant reculé devant le meurtre par peur de la guillotine, opinion de tous les chefs de sûreté, des avocats ayant plaidé pour les coupables, etc. les Conseils : est évident, Il d'après ses déclarations, marchand de bestiaux Leuthereau, ne que l'assassin du tua que parce qu'il savait ne pas être guillotiné et ne pas risquer grand'chose. « Les responsabilités, déciara-t-il après son crime, je les connais j'irai à la Nouvelle ou à la Guyane, et comme je suis instruit et que je sais être bon sujet quand je veux, je serai, dans au bout d'un an ou deux, employé de l'administration dix ans, j'aurai une concession et je me referai une nouvelle vie, une vie peut-être plus heureuse que celle que j'aurais menée en France. » le ; ; peine de mort est tellement indiscupays, comme la Suisse, l'ayant supprimée, sont obligés d'y revenir. Dix cantons l'ont rétablie les uns après les autres. En sa qualité de socialiste, M. Briand avait son Le rôle de table que siège la les rares établi, mais les chiffres étaient si clairs, les concluants qu'il importait de se débarrasser au moins des premiers. Sa façon d'épiloguer a été peu probante, mais ingénieuse. Les meurtres, souvent non prémédités, ont été séparés des assassinats qui le sont généralement.; Bien entendu, la victime périt dans les deux cas et ce doit être une maigre consolation pour elle, lorsqu'on l'égorgé, de succomber à un meurtre et non à un assassinat. M. G. Berry montra l'absurdité de cette distinction en relatant les meurtres de passants par faits si 304 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE les apaches sans autre motif que le simple plaisir de tuer et répondit avec raison au ministre de la jus« Un meurtre accompli dans certaines conditions tice : vaut un assassinat. » Le ministre a simplement maintenuses distinctions. Il eût mieux fait de se taire. Les applaudissements dont furent saluées les paroles de son adversaire le lui ont suffisamment démontré. Essayons maintenant, nous élevant au-dessus de casuistique de théologiens, de voir le fond du problème et les mobiles secrets de tant de longs discette cours. Le moteur inconscient de ces discussions a été la grosse question de la responsabilité qui a tant pesé sur la répression depuis cinquante ans, mais que l'on peut considérer comme à peu près élucidée maintenant. Responsabilité implique libre arbitre; or, les savants philosophes ne croient guère aujourd'hui à ce libre arbitre. Donc, l'individu criminel ne serait pas responsable de ses actes. Il ne l'est pas en effet, philosophiquement, mais l'est complètement au point de vue social, car, sous peine de périr, une société .doit se défendre et n'a pas à se préoccuper de subtilités métaphysiques. Très certainement, ce n'est pas la faute de l'apache assassin s'il possède une mentalité d'apache au lieu de celle d'un Pasteur. Cependant l'apache et Pasteur jouissent d'une considération fort différente. Le mouton, lui non plus, n'est pas responsable de sa qualité de mouton et cependant elle le condamne fatalement à se voir dé[iouiller de ses côtelettes par le boucher. (Jette distinction entre la responsabilité sociale et l'irresponsabilité philosophique a mis quelque temps à être comprise. Les divers congrès consacrés à. son étude, et notamment celui des médecins aliénistes. et les 305 LES PROGRÈS DE LA CRIMINALITÉ tenu à Genève en 1907, ont fini par la mettre nettement en évidence. J'emprunte à R. de Gourmont le résumé des opinions émises à ce dernier congrès Fous et demi-fous doivent être également condamnés s'ils : sont coupables, c'est-à-dire s'ils ont volontairement ou involontairement violé les lois sociales... S'il faut abandonner l'idée de responsabilité morale, il n'en est pas de même de l'idée de responsabilité sociale... Peu importe que le criminel ait agi avec conscience ou avec insconscience il est également dangereux dans un cas comme dans l'autre et il doit être chassé de la société pour laquelle il est un danger. Nul ne doit échapper à la responsabilité sociale. Elle est et doit rester un fait inattaquable, un fait sacré. Sans la responsabilité sociale, aucune : civilisation n'est possible. Jusqu'ici, dit le savant criminaliste Garofalo, les peines sont graduées d'après rme idée fausse de libre arbitre et de responsabilité morale. Il nous faut changer tout cela, nul n'étant libre. Nous ne punissons plus en raison du degré de liberté, mais en raison de l'intérêt de la société et en proportionnant la peine au danger que présente le criminel. Le docteur Bard, de Genève, a été encore plus loin en disant: « Si j'étais législateur, je n'hésiterais pas à faire de la demi-folie une circonstance aggravante du crime, car les demi-fous sont de tous les criminels les plus dangereux pour la société. Les médecins sont presque tous d'accord pour abandonner l'idée de responsabilité morale, mais ils affirment unanimement la responsabilité sociale des criminels et la nécessité d'une répression de plus en plus attentive des crimes dont plus (jue jamais souffre la civilisation. Ce ne sont pas seulement les médecins et les criminalistes qui défendent ces théories. Voici comment s'exprime M. Faguet : Soleilland est-il coupable moralement ? Pas du tout, pas plus qu'un chien, tant il est évident qu'il est une brute, tant on le voit n'avoir aucun remords, aucun regret, aucune inquiétude de conscience. Dès lors, il n'est pas coupable. Absolument pas... Il n'est pas coupable, seulement il est furieusement dan- gereux. Pour il faut une moelle épinière justement parce qu'il a une moelle tout à fait particulière qu'il convient de la lui couper. ... Quand il s'agit de malades, de pauvres malades, bien dignes de pitié, certes, mais dont la maladie consiste à égorger leurs semblables, je ne vois pas du tout pourquoi on ne s'appliquerait qu'à prolonger leur existence. tout à faire ce qu'a fait Soleilland, fait particulière. Mais c'est 26. . 306 ... PSYCHOLOGIE POLITIQI'E ET DÉFENSE SOCIALE Pour moi, Elle sert manent : l" à peine de mort est une question d'opportunité supprimer la hèXe féroce qui est un danger per- la ; 2» à terroriser les autres bêtes féroces. Je suis pour la répression très sévère des criminels et tout particulièrement des criminels malades parce que ce sont les plus dangereux. Soyez sûrs que cela fera sur certains malades un ; effet très curatif. Il est indiscutable que la plupart des dégénérés, demi-fous, alcooliques, déséquilibrés, etc., sont très influençables par la crainte du châtiment et que plus ce châtiment sera sévère, plus ils le redouteront. une catégorie de gredins, pour lesquels la guillotine devrait être rigoureusement appliquée sans exception, alors qu'elle ne l'est jamais. Je veux parler de ces sinistres brutes, terreur de nos faubourgs, tuant uniquement pour le plaisir de tuer. Le passant attardé, la femme et l'enfant rencontrés par hasard tombent indifféremment sous leurs coups. Arrêtés, ils s'en tirent avec quelques mois de prison et recommencent aussitôt relâchés. Ce ])esoin de tuer par simple dilettantisme se développera encore plus si l'on ne prend soin de le vigoureusement réprimer, parce qu'il est un résidu ancestral des temps primitifs toujours prêt à renaître. Le demi-civilisé et même le civilisé lui donnent satisfaction par la chasse, qui n'a guère d'autres motifs que le besoin de tuer. Un magistrat distingué, grand chasseur lui-même, a très bien décrit, cette psychologie du chasseur, qui ne se distingue souvent de celle de l'apache meurtrier, que parce que leur férocité s'exerce sur des existe Il êtres diirérents. Ah les remords d'un chasseur, quel douloureux chapitre Tuer impitoyablement, et c"est plus atroce encore -^ trouver un plaisir intense, violent, magnifique à tuer, à tuer encore ces animaux de douceur, ces oiseaux charmants, ces merveilles de grâce, de beauté... et ne pas pouvoir s'en empêcher, ne pas pouvoir renoncer à verser ce sang innocent, à répandre ces 1 ! — injustes souffrances, quelle misère Comme le chasseur, plaisir intense, violent, ! l'apache trouve magnifique ». à tuer « Pas plus que un le I,ES PROGRES DE LA CRIMINALITE 307 chasseur. « il ne peut s'empêcher de tuer ». Voilà pourquoi nous devons le supprimer afin d'éviter d'être supprimé par lui. Remarquons en passant combien se sont modifiées en que](iues années les idées des médecins et des criminalistes. Il y a peu de temps encore, tous les criminels étaient des fous irresponsables qu'il fallait se borner à soigner. Aujourd'hui, on les considère encore comme des détraqués, mais i)arfaitement responsables. Au point de vue de l'intérêt social, on réclame maintenant, à leur égard, l'application de toutes les rigueurs du Code. Se contenter de les enfermer ne servirait à rien, car au bout de peu de temps, jugés guéris, ils seraient relâchés et recom- menceraient aussitôt. Je suis d'accord avec l'école nouvelle sur la nécessité de la répression, mais je voudrais qu'elle s'étendit à toutes les variétés de délinquants sans cesse récidivistes. Rappelons à ce sujet ce que j'écrivais dans la Revue Philosophique, bien avant l'éclosion des idées actuelles, dans le but de montrer que « tous les criminels sont responsables ». J'arrivais alors à pour les criminels d'occasion, des cette conclusion peines corporelles énergiques; pour les criminels d'habitude qui sont des êtres incurables dont une société doit se défaire, la déportation dans un pays lointain. C'est le traitement qu'on api>liquait jadis aux lépreux considérés, eux aussi, comme dangereux et : On pourrait utiliser d'ailleurs les récidiincorporant dans des compagnies de discipline employées à construire des routes et des chemins de fer au centre de l'Afrique. incurables. vistes en les Ce qui précède nous conduit à examiner notre pénaLa peine de mort n'en est qu'un élément d'influence toujours restreinte parce que rarement appliquée. Le problème est autrement vaste, en effet, que celui lité. 308 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE discuté à la ment Chambre. La criminalité croît énormé- quelques douzaines d'exécutions annuelles ne sauraient contribuer notablement à la ralentir. L'assassinat et le meurtre resteront toujours les crimes les moins nombreux. Ce sont donc les autres qu'il faut apprendre à combattre. Nous les réprimons actuellement de la plus misérable façon, par le seul moyen des bagnes et des prisons. Nos idées humanitaires ont transformé les premiers en Aéritables villégiatures et les secondes en demeures de luxe. Un avocat général me parlait récemment des résultats produits aujourd'hui par certaines prisons modèles dont le confortable dépasse de beaucoup celui de la et jjlupart des petits bourgeois. Electricité, chauffage eau chaude et eau froide, salles de bains, promenades dans de beaux jardins ombragés, etc. Il a vu plusieurs fois des individus commettre des délits, uniquement pour se faire enfermer pendant six mois de l'hiver dans ces asiles princiers où se rencontrent tous les luxes, sauf celui de la liberté. Tout autre est le système de l'Angleterre, pays des peines brèves, mais énergiques, et par conséquent très efficaces -siir des âmes criminelles. Dans la prison, c'est le travail forcé et l'application rigoureuse du fouet à neuf queues. central, Cette méthode a vite réduit la criminalité. M.Lacas- sagne remarque qu'on n'a connu à Londres qu'une seule bande d'apaches l'emploi du fouet et du hard labour aux membres capturés la fit disparaître en quelques semaines et depuis cette époque on n'entendit plus parler de ces bandits dont le nombre est de 30.000 à Paris. ; M. Lacassagne ajoute On : magistrats et du Paris devient sous l'influence du régime dire grâce à une excessive indulgence des parquet. Les neuf dixièmes des malandrins raflés la nuit sont chaque matin remis en circulation après une sait ce que contraire, c'est à 309 LES PROGRÈS DE LA CRIMINALITÉ admonestation. La mise en parallèle des deux syspeines physiques et tolérance abusive, montre où sont la raison et le bon sens pratique. Les châtiments corporels seuls sont efficaces pour les criminels professionnels. En 190j, au Danemark, comme il y avait de nombreuses attaques contre des personnes, on rétablit la bastonnade en peu de temps les crimes de cet ordre ont cessé. Nous estimons, conclut le professeur Lacassagne, qu'il faudrait introduire l'usage des châtiments corporels ce sont les seuls qui agissent, l'expérimentation anglaise l'a bien prouvé. Il est plus sûr et plus efficace, nous dirons môme plus hygiénique, d'infliger des coups de fouet ({ue d'appliquer des mois ou des années de prison. paternelle tèmes : ; : Assurément, devant l'incapacité, criminalité la nullité de la répression et parfois excessive, de nos magistrats, la est destinée à s'élever encore. Les lois dites humanitaires, et en réalité féroces, sur le travail dans manufactures contribuent fortement à augnombre des criminels. Elles ont eu pour résultat, comme je l'ai dit déjà, de jeter sur le pavé des milliers d'adolescents qui, par désœuvrement, adoptent vite la profession de souteneur et d'apache. Le peu de risques qu'entraînent le meu:^tre et l'assassinat, les bons soins attendant les condamnés dans les prisons ou dans les bagnes provoquent également l'accroissement de la criminalité. Au cours d'une séance récente du Conseil municipal de Paris, deux conseillers se plaignirent de la fréquence des attaques nocturnes à Paris. Le préfet, M. Lépine, répondit en montrant que la faiblesse de la magistrature et les amnisties continues avaient entièrement désarmé la répression et conclut par ces mots « Le vent d'humanitarisme qui souffle depuis quelques années sur le pays porte aujourd'hui ses fruits. » Seul l'excès du mal pourra engendrer le remède. Les cervelles les plus dures, celles dominées par la' plus plaintive sentimentalité, sont bien obligées de se rendre aux leçons de l'expérience. Lorsque certains quartiers des grandes villes seront devenus des coupegorges redoutables, que des bandes de chauffeurs les menter le : 310 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE infesteront les campagnes, qu'il sera impossible sortir dents, le soir dans Paris sans peut-être être décidera-t-on se de armé jusqu'aux prendre à des mesures pour nous défendre. Mais alors, les lois répressives sérieuses n'existant pas encore et chacun étant obligé de se protéger luimême, nous verrons, ainsi que l'a très bien montré à la Chambre le rapporteur de la commission, se déchaîner les fureurs populaires et devenir usuel le lynchage des criminels. La justice de la foule est impulsive, brutale, sommaire, aveugle parfois et les pouvoirs publics seraient coupables s'ils abdiquaient entre les mains d'irresponsables le droit social d'infliger la peine de mort pour la défense des honnêtes gens. Les pouvoirs publics seraient coupables s'ils amenaient à se munir d'armes pour se faire justice eux-mêmes les citoyens qui n'auraient plus confiance dans la protection de la loi. La pusillanimité excessive de notre magistrature qui redoute la vengeance des criminels, et ne sévit avec rigueur, que lorsque de bas policiers lui amènent des femmes sans défense, coupables de délits, est aussi une cause active d'accroissement de la criminalité. Ce point a été bien marqué par un magistrat dans une interview dont je reproduis ici un fragment légers : — Vous parlez procédure, dit-il, et vous n'envisagez jamais répression. Savez-vous que depuis vingt ans l'échelle des peines a été abaissée de cinquante pour cent, que la libération conditionnelle et la défalcation de la prison préventive ont énervé l'action de la justice ? La loi sur la relégation n'est pas la appliquée, et ainsi chaque jour grossit le nombre des récidimais alors previstes. Vous voulez la procédure anglaise. Soit punissez nez la répression anglaise, le fouet, le hard labour sans pitié les délits et les crimes de nature à affaiblir l'autorité entourez les agents du pouvoir d'une telle sollicitude qu'ils soient intangibles. Les policeraen n'ont ni sabre ni revolver et ils circulent isolés à Londres dans des quartiers où nos agents .' ; ; n'iraient qu'en troupe et armés jusqu'aux dents. Alors, quand vous aurez supprimé le crime par la terreur du châtiment implacable, nous parlerons de la procédure. La terreur du châtiment est, au demeurant, l'unique 311 LES PROGRES DE LA CRLMINALITE (l'aiTèter les progrès de la criminalité, comme également fort bien montré Maxwell clans son beau livre Le Crime et la Société. L'aliéné kii-nièine est parfaitement sensible à la menace du châtiment. moyen l'a * * * Pour arriver aux répressions nécessaires, il faudra guérir le public de son humanitarisme maladif et la magislralure de ses craintes. Quelques indices, bien insuffisants encore, permettent cependant d'espérer un peu cette guérison. A l'enterrement récent d'un brave sergent de ville par un apache, le président du Conseil municipal disait très justement « Mais, ce qui importe surtout, c'est de ne pas nous laisser envahir par ces doctrines soi-disant humanitaires qui n'aboutissent qu'à énerver toutes les énergies et sont plus pernicieuses que les malfaiteurs euxassassiné : mêmes. » Je suis absolument de cet avis. Les humanitaires sont, indirectement mais sûrement, beaucoup plus dangereux que les bandits. En attendant la vulgarisation de ces vérités, l'humanitarisme continue à s'étendre. Une de ses plus funestes manifestations fut l'incorporation des criminels de profession dans l'armée. On se demande dans quelle cervelle de bureaucrate borné a pu germer l'idée d'introduire les repris de justice dans nos casernes. Certains régiments, comme certain moment le 82™*= de ligne, ont renfermé à une centaine d'apaches ayant subi de nombreuses condamnations. Le Journal du 28 décembre 1909 indiquait les conséquences de leur présence. Dopuis le mois d'octobre dernier, deux vols à inconnue des Montargeois, ont spécialité jusqu'alors l'esbroufife; été commis en pli'in jour, au contre même de la ville; la villa d'un lieutenant fut cambriolée selon toutes les règles de l'art; un habitant fut nuitamment frappé « au lancé » d'un coup de couteau entre les deux épaules par deux militaires qu'il ne put malheureuse- 312 PSYCHOLOGIE POLITIQLE ET DÉFENSE SOCIALE ment pas reconnaître; enfin, il y a huit jours à peine, on retrouvait dans le canal le cadavre d'un soldat noyé « accidentellement », conclut le parquet, à la suite d'uue discussion avec un camarade, dit-on ouvertement en ville. La conduite de ces soldats apaches n'autorise-t-elle pas les pires soupçons?... Si l'opinion publique n'avait fini par se révolter et obtenir l'abrogation de cette funeste loi, la pernicieuse engeance des humanitaires aurait achevé de désorganiser entièrement l'armée. Malheureusement, les tendances actuelles nous poussent plus en France vers la protection des criminels que vers leur répression. Les divagations de certains professeurs de droit sur atteignent le ridicule. Ils font raisonner le criminel comme ils raisonneraient eux-mêmes et agir d'après les mêmes motifs. N'est-ce pas enfantin de vouloir assimiler l'état d'esprit d'un bandit à celui d'un professeur de droit? M. Chaumet, député de la Gironde, s'est montré beaucoup plus intelligent en écrivant les lignes suivantes sur la nécessité des peines corporelles, pour limiter les progrès effrayants de la criminalité la criminalité : Je m'excuse de scandaliser les àmcs sensibles. Mais je le déclare tout net je demande qu'on punisse de châtiments corporels les jeunes apaches qui commettent tant de lâches et d'odieux attentats contre les personnes. Avant de philosopher, il faut vivre. La question n'est pas de savoir si les criminels sont responsables, mais s'ils sont dangereux. Hélas à cet égard, il n'y a point de contradiction. Il n'est pas de jour où nous n'ayons à enregistrer des agressions sauvages, des meurtres, des guets-apens, des assassinats, commis le plus souvent par de tout jeunes gens, et parfois sans motif apparent, par bravade, pour rien, pour le plaisir. l'^aites l'analyse psychologique de ces apaches. Elle n'est guère compliquée. Ce sont des paresseux, des jouisseurs, mais surtout des cabotins. Au lieu de travailler dans l'usine ou dans le chantier, ils trouvent plus commode de se faire entretenir par des filles. Ils promènent leur prétentieuse oisiveté de cabarets en cabarets, plastronnant devant leurs pareils, désireux de paraître plus audacieux, moins scrupuleux que le voisin, jaloux de provoquer l'admiratiun particulière de leur milieu très : ! spécial. 313 LES PROGRES DE LA CRIMINALITE L'apachc tue souvent pour voler, mais plus encore par gloire. fois avons-nous lu dans les journaux ces exploits signi« Parie un litre que je dégringole le premier bourgeois ficatifs qui passe » Le pari est tenu... et gagné. Voici un brave homme, un père de famille lâchement assassiné par un gamin alTolé de Que de : ! cabotinage. contre Il faut donc, quand nous songeons à nous défendre les apaches, tenir compte de ce trait essentiel de leur caractère. Les pénalités, pour être efficaces, doivent d'abord n'être pas de nature à ajouter un rayon à l'auréole qu'ils ambitionnent. Le principal avantage des châtiments corporels est précisément qu'ils sont, en même temps que douloureux, humiliants. Un apache se vantera de risquer le bagne ou même l'échafaud. 11 ne se vantera pas d'avoir reçu dix ou vingt coups de fouet. Or, si nous ne considérons pas la peine comme un châtiment ni comme une rédemption, si elle nous apparaît, ce qu'elle doit être un moyen de préservation, un procédé d'intimidation de nature à décourager les tentatives criminelles, quelle objection pourrait-on élever contre les châtiments corporels ? : En attendant, l'apache commence déjà à recruter des défenseurs. Un journal a publié le manifeste d'une brave doctoresse racontant qu'elle fut convertie à « l'apachisme » par un jeune gredin, lui ayant fait comprendre que « l'honnêteté ne sert qu'à sauvegarder les riches ». Être ouvrier, ajoutait le triste vaurien, ^ c'est ennuyeux. La profession d'apache, au contraire, est pleine d'imprévus agréables ». Séduite par d'aussi lumineux arguments, l'aimable dame arrive à cette conclusion « qu'il ne serait pas mal qu'il y ait dans notre armée révolutionnaire quelques apaches conscients ». Bel exemple des troubles que peut déterminer l'instruction sur de faibles cervelles. L'expérience seule pourra nous renseigner sur les conséquences de notre humanitarisme. Lorsque le danger sera devenu trop aigu, et qu'un nombre suffisant de philanthropes aura été éventré, notre sentimentalité s'évanouira rapidement. Alors, comme les Anglais, nous emploierons des moyens peines corporelles surtout. Quand les 30.000 apaches qui infestent Paris auront acquis la efficaces, les 27 314 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE solide conviction qu'au lieu d'une villégiature en Nouvelle-Calédonie ou dans une prison bien chauffée, ils risquent le fouet, un labeur forcé et la guillotine, le travail leur semblera préférable au vol et à l'assassinat. En quelques semaines, Paris sera purgé de son armée de bandits. Nos législateurs découvriront alors <[ue de toutes les formes d'imbécillité connues, l'humanitarisme est la plus funeste, aussi bien pour les individus que pour les sociétés. 11 a toujours constitué un énergique facteur de décadence. À CHAPITRE III L'Assassinat politique. politiques, devenus si fréquents une des manifestations de l'anarchie sociale actuelle. Ils trahissent un déséquilibre Les assassinats aujourd'tiui, sont mental profond. L'impression la plus frappante pour le public dans les meurtres politiques, après l'horreur qu'ils insc'est leur absurdité pratique. Que la victime impératrice d'Autriche, président de République, roi de Portugal, etc., il est évident que les souverains assassinés seront immédiatement remplacés et que le régime qu'ils représentent ne changera pas. Ces assassinats produisent même des réactions fortifiant le régime pirent, soit empereur de Russie, combattu. est Il roi d'Italie, également certain que l'assassin n'a rien à espérer personnellement de son crime. De évidences semblent dérouter toutes les de psychologie courante qui montrent le crime comme conséquence d'un intérêt personnel quelconque vengeance, cupidité, etc. Ces crimes politiques dérivent donc de mobiles paraissant étrangers à l'intérêt personnel et à l'utilité^ générale. Comment la psychologie actuelle peut-elle les expliquer? Pour les comprendre, il faut rechercher le mode de propagation de certaines convictions dans les telles notions : esprits et leur puissance. 316 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE La nécessité de se soumettre à une foi quelconque, ou sociale, constitue pour beaucoup d'âmes un très impérieux instinct. Elles ont besoin de croyances pour diriger machinalement leur vie et divine, politique s'épargner tout effort de raisonnement. C'est à l'esclavage de la pensée, et non à la liberté, que la plujtart des hommes aspirent. Les croyances fortes échappent entièrement à l'influence du raisonnement et deviennent de puissants mobiles d'action. Aucune des grandes croyances qui régirent l'humanité et au nom desquelles s'établirent de durables religions, de solides empires, ne fut fille delà raison. Elles eurent pour auteurs un petit nombre d'hallucinés et furent propagées par des apôtres imbus de convictions, assez intenses pour transformer en vérités éclatantes les plus manifestes erreurs, et asservir entièrement les âmes. Les convictions de ces apôtres sont si puissantes qu'ils obéissent à leurs suggestions sans se soucier de leur intérêt personnel. Hypnotisés par la foi qui les a subjugués, ils sacrifieront tout pour en établir le règne. Ces demi-aliénés, dont l'étude relève surtout de la rôle pathologie mentale, jouèrent cependant un immense dans l'histoire. recrutent principalement, comme je l'ai montré dans ma Psychologie du socialisme, parmi les Ils se esprits doués à un haut degré d'instinct religieux, instinct dont la caractéristique est le besoin d'être dominé par un être ou par un Credo quelconque, et de se sacrifier pour faire triompher l'objet de leur adoration. Tous rêvent une société paradisiaque bien proche du paradis céleste de nos pères. Les terroristes russes et les diverses variétés d'anarchistes en fournissent de curieux exemples. Dans ces cervelles rudimeiitaires, entièrement dominées par l'atavisme religieux, et qu'aucun raisonnement ne saurait effleurer, le vieux déisme ancestral s'est objectivé sous la forme 317 l'assassinat politique d'un paradis terrestre, gouverné par un Etat provitoutes les injustices et doté de la puissance illimitée des anciens dieux. L'incapacité de l'apôtre à raisonner, son besoin de propager sa croyance, son ignorance des nécessités et des réalités le rendent très dangereux, parce qu'il dentiel réparant sur des foules incapables, elles aussi, de raisonner et dont les opinions se forment surtout par voie de contagion. Une des grandes erreurs de l'âge moderne est de croire que l'on persuade les foules avec des raisonnements. L'affirmation, la répétition, le prestige et la contagion sont, je le rappelle de nouveau, les sources à peu près uniques de leurs convictions. Que agit dernières contrarient leurs intérêts les plus cerqu'elles se heurtent à des impossibilités évidentes, peu importe. Les croyances acceptées, si absurdes soient-elles, deviennent de puissants mobiles d'action. C'est au nom de croyances fort contraires à la raison que le monde fut bouleversé tant de fois ces tains, et le sera sans doute encore. De semblables vérités, qui devraient être élémenexpliquent les assassinats politiques. Ils peuvent nous indigner, mais non pas nous surprendre. La caractéristique de l'apôtre convaincu est de faire partager à tout prix sa croyance et de détruire sans pitié tous ceux qui, dans son esprit, y font obstacle et sont, par conséquent, les ennemis évidents de l'humanité. L'apôtre éprouve un ardent besoin de propager sa foi et d'apporter au monde la bonne nouvelle qui sortira l'humanité de l'océan de misères oi^i elle avait végété jusqu'à lui. Cette soif de destruction est, je le répète, un des éléments constitutifs de la mentalité de l'apôtre. Pas de véritable apostolat sans le besoin intense de massacrer quelqu'un ou de briser quelque chose. Pour détruire les ennemis de sa foi, l'apôtre n'hésite pas à faire périr des milliers d'innocentes victimes. 11 lance taires, 27. 318 PSYCHOLOGIE POLITIOLE ET DEFENSE SOCIALE ses bombes dans un théâtre rempli de spectateurs ou dans une rue populeuse. Qu'importent de telles hécatombes quand il s'agit de régénérer le genre humain, d'établir la vérité et de détruire l'erreur Ces apôtres meurtriers ne se recrutent pas principalement dans les éléments inférieurs d'un peuple. chez des demi-intellecIls se rencontrent souvent éducation universitaire mal tuels, ayant reçu une adaptée à leur mentalité simpliste. Ce sont parfois de doux philanthropes dominés par l'idée fixe de rénover Marat. Robesla société. Torquemada. Ravaillac. pierre se considéraient comme des amis du genre humain, ne rêvant que son bonheur et prêts à sacrifier leur vie pour lui. ! Les aliénés et les passionnés à tendances altruistes ont surgi de tout temps, écrit Lurabroso, même à l'époque sauvage, mais plus tard, alors ils trouvaient un aliment dans les religions ils se rejetèrent dans les factions politiques et les conjurations antimonarchiques de l'époque. D'ahord croisés, puis rebelles, errants, puis martyrs de la foi ou de puis chevaliers ; l'athéisme. De nos jours, et surtout chez les races latines, lorsqu'un de ces fanatiques altruistes surgit, il ne trouve d'autre aliment possible à ses passions que sur le terrain social et économique. Ce sont presque toujours les idées les plus discutées et les moins sûres qui laissent le champ libre à l'entlicusiasme des fanatiques. Vous trouverez cent fanatisés pour un problème de théologie ou de métaphysique vous n'en trouverez point pour un théorème de géométrie. Plus une idée est étrange et absurde, plus elle entraine derrière elle d'aliénés et d'hystériques, surtout dans le monde politique où chaque triomphe privé devient un échec ou un triomphe public, et cette idée ; soutient jusqu'à la mort les fanatiques à qui elle sert de compensation pour la vie qu'ils perdent ou les supplices qu'ils endurent. Les doctrines anarchiques nmltiplient de plus en nombre des assassinats politiques. On connaît celui tout récent du colonel aide de camp du ministre des Indes, par un jeune étudiant hindou, imbu des doctrines d'un journal où se lisaient les lignes suivantes: « Au risque de perdre l'esliiiie et la sympathie de plus le 319 L ASSASSINAT POLITIQIE nos vieux amis, nous répétons que l'assassinat politique n'est pas un crime. Toutes les personnes libres de préjugés traitent l'assassin politique, non comme un criminel, mais comme un vengeur de l'humanité. » En un an, on a signalé dans le Bengale 329 crimes, dont beaucoup ne sont peut-être que des actes de simple brigandage, mais qui se qualifient de crimes politiques. Le nombre des meurtres commis depuis ans i)ar les anarchistes, les terroristes variétés de convaincus est considérable. dique qu'il au contraire, doive qu'il et les hallucinés, diminuer. Tout et trente diverses Rien n'in- porte à croire, augmentera encore. Les mystiques absorbés jadis par les religions, se report(mt aujourd'hui vers la politique. Inutile de discuter avec ces dangereux hallucinés. 11 faut les supprimer ou être supprimés par eux. CHAPITRE IV Les Persécutions religieuses. Les haines religieuses sont une des nomlireuses causes des progrès de l'anarctiie sociale en France. Poussé par de bruyants sectaires, le gouvernement est entré, malheureusement pour lui. dans cette phase (les persécutions religieuses qui n'ont jamais profité à personne. Elle indique d'ailleurs une ignorance parfaite, de la psychologie et de l'histoire. Ces persécutions se sont manifestées surtout par la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat, et par celle d'expropriation des congrégations. La haine aveugle toujours. Il fallut en vérité un aveuglement excessif pour voter cette loi de la séparation, dont le vrai but était de dépouiller le clergé des modestes traitements qui le faisaient vivre, et dont le résultat sera tout autre. Aucune mesure ne pouvait être plus dangereuse pour la République. Le clergé eut tort de s'en plaindre, car elle lui a octroyé une liberté et lui donnera une puissance que le plus catholique de nos rois n'aurait jamais tolérée. Peut-on imaginer mesure aussi inopportune que de soustraire le clergé à l'autorité séculière, laisser le pape nommer des évêques, choisis autrefois en fait par le gouvernement, qui les tenait en main grâce à ce choix et au traitement qu'il leur servait ? la Rien ne pouvait être plus maladroit également, que persécution mesquine des membres du clergé, LES PERSÉCUTIONS REMGIEUSES «'^Sl chassés de leurs presbytères et privés de leurs moyens d'existence. Combien plus intelligente la conduite du gouvernement allemand en Alsace. C'est par le clergé conquête morale du pays, le comde le persécuter, et augmentant notablement son traitement. Bien peu d'efforts étaient nécessaires pour rallier à la République un clergé pauvre, n'ayant guère d'opinions politiques à défendre. Aveuglés par notre imprévoyant fanatisme, nous avons agi contre nos plus évidents intérêts. Les i)uissances morales ne se combattent pas avec des violences. C'est à l'école primaire que devraient être enseignées d'aussi rudimentaires vérités. Quant aux lois d'expropriation des biens des congrégations elles ne furent pas seulement maladroites, mais d'une iniquité sauvage et trahissent une qu'il a entrepris la blant d'égards au lieu , incapacité prodigieuse à comprendre certaines notions d'équité. Elles ont montré aussi à quel point les lois immorales, étaientgénératrices d'immoralité chez ceux qui les appliquent. Chacun sait que l'origine de ces lois fut le pros'emparer du milliard, supposé appartenir aux congrégations, pour le distribuer en partie aux ouvriers sous forme de retraites afin de s'assurer leurs votes. Le seul résultat obtenu a été de s'assurer leurs haines, jet de car le milliard s'est vite évanoui. La liquidation finale ne produira guère plus d'une dizaine de millions et sera tout à fait désastreuse, les innombrables œuvres d'assistance entretenues par les congrégations et où passaient tous leurs revenus retombant maintenant à la charge de l'Etat. Les seules personnes qui aient gagné quelque chose à l'opération sont des liquidateurs et des spéculateurs.' Ils y ont réalisé de brillantes fortunes et le principal l'opération auteur de cette loi, M. Combes, eut raison de reconnaître, dans une interview, que son exécution avait été un acte de banditisme. H22 PSYCHOLOGIE POIITIOIE ET DEFENSE SOCIALE Les chiffres donnés dans son rapport au Sénat par M. Regismanset. jettent les plustiistes lueurs sur cette sombre aventure. Certains liquidateurs se voyaient allouer par de complaisants tribunaux 100.000 francs d'honoraires sur un actif de 600.000 francs. Un autre se fait donner 10.000 francs sur un actif de 28.000 francs. A Nice, un liquidateur se fait attribuer 16.000 francs, alors que l'actif est nul, etc. Mais ces sommes englouties par les liquidateurs et leurs protégés sont bien peu de chose, auprès des bénéfices colossaux réalisés par des industriels se portant acquéreurs, à la suite d'adjudications faites sans publicité, au moment de l'année où les acheteurs possibles étaient absents. Dans la séance du 14 décembre 1909, M. de Villaine a cité des faits typiques qui n'ont pu être démentis et qui d'ailleurs se sont multipliés dans d'immenses proportions. que l'Abbaye-aux-Bois a été vendue 2.600.000 fr. un personnage qui en a retiré immédiatement 8 millions. Un autre amateur, de même origine, qui faisait le guet a vu son tour de faveur se réaliser avec l'acquisition, à un prix trois fois au-dessous de sa valeur réelle, du couvent des Oiseaux C'est ainsi à dépendances. Aujourd'hui, on espère continuer cette série scandaleuse. La propriété du Sacré-Cœur représente 52.000 mètres carrés. La mise à prix est de 5.200.000 francs. On peut supposer que les enchères ne monteront guère, parce que chacun sait que derrière l'achat global, attend un financier tout prêt à entrer en scène. Il est donc à prévoir que l'enchère définitive et globale no dépassera pas 6 millions. Par conséquent vous allez vendre à X..., pour6 millions, c'est-à-dire sur le pied de lOOfrancs le mètre, une propriété qui, par sa situation dans Paris, vaut au moins ajoutons 400 francs le mètre. Vous allez livrer pour 6 millions encore 2 millions de frais, soit pour 8 millions au total à une société ou à un individu, une propriété qui vaut, au bas mot, et ses — — 20 millions. Ainsi interpellé, le président du Conseil fut forcé de reconnaître que l'adjudication qui devait produire d'aussi énormes bénéfices, n'avait pas été régulière. Voici comment il s'exprima : La vente avait été fixée en plein été, à la fin de juillet, à une LES PERSÉCUTIONS RELIGIEUSES 323 époque peu propice à des opérations de ce genre. De plus le ministre de la justice a constaté que l'adjudication n'avait pas été précédée d'une publicité suffisante. Il a soumis des observations, à ce sujet, au parquet le procureur de la République a partagé sa manière de voir et il a, en conséquence, présenté au tribunal civil de la Seine des conclusions auxquelles celui-ci, dans la liberté de son appréciation, a fait droit. : On connaît les manœuvres dont le récit a révolté Chambre et les complicités, faisant dire au ministre la lui-même en plein Parlement, qu'il y décidément quelque chose de gangrené dans notre organisation judiciaire. Grâce à elles, furent adjugées [tour 500.000 francs aux amis d'un liquidalour, l'usine et la marque do la grande Chartreuse évaluées officiellement à 8 millions. On sait également que, malgré de trop persistantes protections, et devant la pression de l'indignation générale, il fallut arrêter pour vol de 5 millions un des membres de la sinistre bandf qui vivait sur le milliard des congrégations. Quant aux expropriés, personne ne songea à s'en occuper. La plupart de ces malheureux sont tombés dans une noire misère. Certains attendent vainement depuis cinq ans les pauvres secours promis par leurs spoliateurs, qui n'ont pas osé proposer de les laisser entièrement mourir de faim. Leurs promesses ont été vite oubliées, à en juger par l'extrait suivant d'une lettre que M. Briand, président du Conseil, adressait en juillet 1908 à son cojjègue de l'Instruction publique de la Justice avait : assumer jusqu'à la fin de laisser dajis la plus atroce misère des femmes qui, après avoir obéi à la loi, se voient privées, par le fait de l'Etat lui-même, de l'indemnité alimentaire que prétendait leur assurer cette loi. î'ermellez-niui d'ajouter ipie je ne puis de l'année la responsabilité On a rapporté à Chambre, sans être démenti, jour sur la mentalité' de certains h'gislateurs. Elle fait songer à celle de Torquemada. Si le socialisme triomphant les dépouille la d'autres faits jetant un bien à leur tour, trouveront-ils s'apitoyer sur leur sort".' et tristr; beaucoup d'historiens pour J'ospère qu'ils n'en ren- 324 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE contreront aucun. Quand pour satisfaire aux exigences de quelques braillards fanatiques on se livre à de pareilles spoliations on ne mérite ni excuses ni pitié. Après avoir cité M. Briand. qui semble connaître aujourd'hui le remords et en tout cas reconnaître, que l'extrême fanatisme confine à l'extrême maladresse, je donne maintenant un passage reproduit à VOfficiel du discours d'un orateur. Dernière question capitale que j'adresse à M. le Président du Qui, aujourd'hui, va nourrir ces religieux et religieuses dépouillés par vos liquidateurs et comment allez-vous subvenir à leurs besoins ? Ils n'ont pas de retraite, ils n'ont pas de ressources! A l'heure actuelle, le directeur de Stanislas, un prêtre âgé de plus de soixante ans, n'a pas un morceau de pain et donne des leçons conseil : pour vivre. lard A six reprises j'ai demandé une retraite pour ce vieil- : On a volé 2 raillions à cette maison, alliée cependant à l'Uniet où les années de professorat comptaient pour la versité, retraite. Et celui qui la dirigeait végète à un sixième étage, ayant inutilement tendu la main et fait valoir ses années de service N'est-ce pas odieux ? M. Georges Berry. Je comprends votre indignation et I — y m'y associe. Qui donnera du pain à ces frères des écoles chrétiennes auxquels on a pris l'argent qui leur servait à donner l'instruction aux enfants du peuple? N'ayant pas trouvé grâce devant vous, ils n'ont pas davantage trouvé grâce devant vos liquida- — teurs ! Nous connaissons maintenant la première utilisation du fameux milliard des congrégations. Nous savons à quoi il a servi à chas: ser de saintes filles, de braves gens qui ne demandaient qu'à faire le bien, étant les soutiens des malheureux et les protec- teurs de l'enfance. Ainsi, vous avez chassé, traqué, dépouillé, ruiné, mis dans l'impossibilité de vivre, si ce n'est en s'expatriant, les meilleurs d'entre nous, et pourquoi faire ? Pour permettre à quelques Duez de fourrer de l'argent dans leurs poches. Ah! messieurs, quelle tristesse pnur nous, mais pour vous quelle responsabilité ! Je ne saurais reproduire ici les articles de très légitime indignation, que cette expropriation digne des LES PERSÉCUTIONS RELIGIELSES -^25 âges les plus barbares provoqua dans le monde entier. Je me bornerai à citer les paroles d'un grand personnage, candidat à la présidence de la République de son pays, et reproduites dans un joui'nal brésilien non suspect de cléricalisme : fantôme du cléricalisme, va sans cesse de réaction en réaction, inquiète, agressive, despotique. Avec elle, sous l'apparence de la licerté républicaine, le xx^ siècle assiste à un épouvantable accès de régalisme, qui a déjà banni du pays les congrégations religieuses. Au sein de l'Amérique, se réunissent les exilés de la persécution d'outre- La France, obsédée par mer, et les collectivités l'éternel religieuses se développent tranquilles, prospères, fécondes, sans le moindre nuage à leur horizon. C'est dans la plus parfaite cordialité que les prélats romains et les membres du Sacré Collège s'asseyent à la table du protestant Roosevelt. Aucun esprit indépendant ne peut nier la perturbation du sens de la justice et la démoralisalion que comporte la mainmise par l'Etat sur des propriétés privées comme l'usine de la Grande Chartreuse. appartenant à une association d'individus qui l'avait créée avec ses capitaux et son labeur. C'est une monstruosité de déposséder des hommes de leurs biens, uniquement parce que leurs opinions religieuses ne cadrent pas avec les idées des gouvernants détenant le pouvoir. Avec un pareil mépris du droit, sur quelle baso une société peut-elle vivre ? C'est un retour aux âges de barbarie où n'existait que le droit du plus fort. — la gauche très peu hélas reconnaître combien sont odieuses ces persécutions religieuses qui nous ramènent en plein Moyen Age. Voici comment s'exprimait devant la Chambre l'un d'eux, M. Labori Quelques députés de — commencent à ! : Une bonne part de la besogne effective depuis vingt ans se ramène à une guerre religieuse, déclarée ou sourde, selon qu'il est compris, n'est plus la défense du pouvoir contre les empiétements du cléricalisme. Sous prétexte de tolérance ou de liberté de conscience, sous le l'heure. L'anticléricalisme, tel 28 326 PSYCHOLOGIE POLITIOLE ET DÉFENSE SOCIALE couvert de ces mots magnifiques, dont rarement il a été fait plus grand abus, il s'agit de brimer qui garde une foi ou une conception philosophique qu'on ne partage point. Je me suis élevé et je m'élève encore contre l'hypocrisie de ceux qui veulent détruire les religions, alors qu'eux-mêmes ou leurs proches observent, dans les circonstances solennelles, les rites de la leur. 11 n'appartient pas à l'Etat de tenter de faire l'unité morale de la nation dans un athéisme officiel que même les hommes au pouvoir ne respectent pas quand il s'agit d'eux. La France a souffert assez jadis quand Louis XH' voulut faire cette unité morale dans la foi catholique, pour que l'Etat républicain n'essaie pas aujourd'hui un effort analogue, au nom deje ne sais quel dogme matérialiste, de tous le moins satisfaisant, selon moi, pour la raison. Les générations do Tavenir jugeront sûrement les persécutions religieuses d'aujourd'hui, le dépouillement du clergé et des ordres monastiques comme nous jugeons l'Inquisition et la Révocation de l'Edit de Nantes. Nos gouvernants ont invoqué d'ailleurs exactement les mémos raisons que Louis XIV obtenir Tunité morale et politique du pays. Les consétjuences de leur œuvre seront aussi néfastes que celle des édits du irrand roi. : Un seul motif d'apparence scientifique pouvait être invoqué, non pas pour justifier d'injustifiables expropriations, mais pour expliquer l'expulsion des congrégations. Ces dernières enseignaient des théories religieuses erronées, donc répandaient des erreurs. De bons professeurs saturés de manuels scientifiques devaient les remplacer. Ce sont Là conceptions de primaires fort étrangers à l'évolution de la psychologie moderne. Cette dernière a montré, en etîet, que les dogmes ne doivent pas être jugés d'après leur valeur rationnelle, mais par les actes qu'ils inspirent. Peu importe donc, leur degré de vérité ou d'erreur. Seules peuvent nous intéresser les actions provoquées par leur influence. On voit naître chaque jour aux Etals-Unis des religions LES PERSÉCUTIONS RELIGIEUSES nouvelles cela même 327 comme mobiles d'activité et pour La religion des Mormons, par un bienfait pour l'Amérique, puisqu'elle utiles respectées. exemple, a été a déterminé la fondation de plusieurs grandes cités prospères dans des pays jadis incultes. Ce point de vue utilitaire est pratiquement capital. Les libres penseurs s'attaquant à des dogmes, sous prétexte qu'ils sont erronés, ne comprennent rien au rôle des religions. Il est évident qu'au point de vue rationnel, elles ne contiennent que de faibles parcelles de vérité. L'histoire nous montre cependant que c'est avec l'appui des grandes croyances que les civilisations les plus importantes furent fondées. Elle nous apprend aussi que la foi dans les dogmes, a embelli la vie de millions d'hommes, et que jamais doctrines philosophiques n'inspirèrent pareilles abnégations, semblable dévouement, aussi intense altruisme. Les religions constituent une force à utiliser, non à détruire. Leurs disciples ne doivent être combattus que lorsqu'ils veulent persécuter d'autres croyances. Créatrices des longs espoirs, soutiens des faibles et des déshérités du destin, les religions furent toujours l'asile de ceux que. le sort condamnait à soutîrir. Seules elles ont su adoucir la désespérante horreur de la mort. Considérons comme de grands bienfaiteurs de l'humanité les rêveurs, dont l'imagination charmeuse inventa et glorifia les dieux. Jugées par les œuvres dont elles furent les soutiens, ces augustes ombres méritent toute la vénération des penseurs. La science qui les connaît mieux, renonce à les combattre et proclame la grandeur de leur rôle. Elles furent dans le passé les éléments les plus sûrs de la stabilité morale des peuples. L'avenir les transformera sans doute, mais tant que l'âme humaine aura besoin d'espérance elles ne pourront périr. CHAPITRE V Les Luttes sociales. Située dans ces régions brumeuses que les anciens considéraient comme les confins du monde, Stockholm est une ville de réputation discrète qu'on ne visite guère. Les guides prétendent qu'elle rappelle Venise, mais les touristes restent mal persuadés delà justesse de cette comparaison. Ils jettent un coup d'œil dis- sur les points intéressants de la cité et n'y séjournent pas. Stockholm, cependant, connut la célébrité pendant quelque temps. Les voyageurs, amenés par le hasard de leur fantaisie, y assistèrent à un spectacle que nous reverrons peut-être, mais que, depuis l'origine des âges, aucun œil humain n'avait pu contempler encore. trait L'inédite vision que cette capitale donna durant de longs jours, fut un monde où les antiques hiérarchies sociales se trouvaient renversées. Le maçon devenu rentier et le grand seigneur remplissant les fonctions du maçon des ingénieurs remplaçant les conducteurs de tramways, des banquiers balayant les rues, des étudiants chargeant et déchargeant les bateaux, ; de graves magistrats exerçant la profession utile, mais sans éclat, d'égoutier. Contemplant ce spectacle d'un œil étonné, de lentes théories d'ouvriers oisifs flânaient le long des rues et des canaux. 329 LES LUTTES SOCLVLES De quel pouvoir magique résultaient pareilles transformations? Etaient -elles l'œuvre de ces sombres génies, qui, au dire des légendes Scandinaves, peuplent le ciel, la terre et l'onde? Non certes. Les génies ne sont pas assez influents pour bouleverser à ce point les pensées qui nous dirigent et le farouche Odin lui-même y eût échoué. Plus puissante qu'eux, une de ces forces invisibles et souveraines qui conduisent le monde, avait suffi pour renverser en un instant hiérarchies sociales et conditions normales de l'existence. Cette force était la nécessité de la défense sociale, apparue brusquement à tous les citoyens. Elle seule pouvait réussir à modifier aussi complètement leurs âmes et imposer la pratique immédiate des plus durs métiers. Fier de son pouvoir croissant, certain d'être toujours obéi par des travailleurs asservis, un syndicat ouvrier international venait, par une grève générale, de déclarer une guerre sans merci à la société. Chacun sentit aussitôt que, sous peine de voir périr la patrie, la défense devenait urgente contre les prétentions de ces nouveaux barbares. Sans doute, pouvait-on, malgré l'absurdité des exigences syndicales, céder, comme le fit en France un président du Conseil dans la première grève des postiers, mais cette pusillanimité ne fût parvenue qu'à reculer le danger et l'accentuer. C'était, en perspective, de nouvelles grèves générales, engendrant fatalement la destruction du commerce et de l'industrie et la substitution aux couches supérieures, créatrices de tous les progrès, d'éléments inférieurs. La nécessité de la résistance s'imposait, et sans rien demander à l'Etat, ne comptant que sur son initiative et son courage, la classe bourgeoise se substitua presque instantanément à la classe ouvrière. Après trois mois de lutte, la formidable grève fut vaincue. Elle le fut malgré les efforts désespérés 28. 330 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE syndicat pour réduire la société et l'asservir à son (lu Suède rendit un apprit aux classes dirigeantes, dont la résistance dans d'autres pays est si faible, comment on se protège. En dévoilant à une foule d'humanitaires bornés de quels dangers le socialisme nous menace, cette grève eut une autre utilité incontestable. Un impor« que son résultat le tant journal suédois écrivait plus tangible a été de souder dans un bloc compact tous les éléments non socialistes, c'est-à-dire les cinq sixièmes du pays, tournés de toutes leurs énergies hostiles contre le danger socialiste. » La défense ne fut d'ailleurs possible que grâce à la cohésion admirable des syndicats patronaux, encore si peu coordonnés chez nous, et à la sympathie de Par cette courageuse défense, immense à la service la civilisation. Elle : l'opinion publique. Elle fut favorisée aussi, parce que la plupart des bourgeois avaient reçu cette précieuse éducation manuelle qui apprend à .se servir de ses mains, éducation leur permettant, lorsqu'ils habitent les campagnes un peu éloignées, d'entreprendre une foule de petits travaux urgents limer, tourner, raboter, sou: der, forger, etc. Un tel partie de toute éducation. reusement Il n'a le demander enseignement devrait faire Nous ne pourrions malheu- à notre Université. faut considérer encore qu'on pas ce caractère résigné en France Suède la bourgeoisie veule si commun dépouillement, sans et et qui facilite son autre protestation que de vains discours. Si elle ne songe pas à s'associer pour se défendre, la bourgeoisie française arrivera vite à être complètement spoliée, puis à disparaître. Nous vivons à une époque, écrivait récemnientM. S. Lauzanne, où vis-à-vis de l'Etat, il ne sert à rien de se montrer éloquent, humilié ou attendrissant il faut se montrer fort. Regardez tout ce que les ouvriers obtiennent chaque jour c'est qu'ils sont unis, : : LES LUTTES S0CL4.LES 331 puissants et rudes. Regardez au contraire comment, chaque matin, on s'assoit un peu plus sur les bourgeois, les industriels et les conmierçants c'est qu'ils sont divisés, timides et mous. Ils appartiennent à ce qu'un ancien président des Etats- Unis appelait « type flasque ». : Ces tentatives de grève générale, les révoltes de comme celle des postiers, les pronunciamentos militaires en Grèce, etc., peuvent sembler issus de causes diverses. En réalité, ce sont des phénomènes semblables, résultats d'une même loi psychologique vérifiée par l'histoire chez tous les peuples, à toutes les époques. Cette loi peut se formuler ainsi chaque fois que dans une société une classe quelconque voit par un motif quelconque son influence s'accroître, elle tend aussitôt à devenir prépondérante et asservir les fonctionnaires : autres. La prépondérance initiale, qui précède l'absorption dès que les divers éléments constitutifs de la vie sociale, cessent de se faire équilibre. La vie d'un peuple, comme celle d'un individu, ne peut se maintenir que par l'équilibre des forces en présence. Le trouble de cet équilibre, c'est la maladie. La persistance du trouble, c'est la mort. Il existe des maladies sociales comparables aux maladies individuelles. Un traité de pathologie sociale complet formerait certainement un gros livre. Mais si les empiriques proposant des remèdes pour ces maladies sont innombrables, les savants capables de déterminer leur genèse demeurent singulièrement rares. Un coup d'oeil très sommaire, jeté sur l'histoire, suffit pour justifier cette loi de la tendance constante à dominer des diverses classes sociales par celle' devenue prépondérante. Rome, qui domina le monde par ses armées, finit par les avoir pour maîtres, dès que la puissance du Sénat leur faisant équilibre fut annihilée par les empereurs. Au déclin de l'Em- finale, se produit 332 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE pire, les soldats seuls possédaient le pouvoir de créer des Césars. La même action absorbante a été exercée plus tard par des éléments sociaux divers devenus trop prépondérants féodalité; clergé, monarchie, etc. L'excès même de leur prépondérance, rompant par l'effacement des classes antagonistes l'équilibre qui leur était nécessaire, en amena la perte. La Monarchie française périt pour n'avoir pas compris l'importance de cet équilibre. C'est donc un principe politique primordial, de maintenir toujours la balance entre les divers éléments d'une société et, par conséquent, de ne pas favoriser l'extension des uns aux dépens des autres. : la monarchie périt pour avoir méconnu cette notre république périrait également en continuant à la méconnaître. Il suffirait qu'elle laissât les |)Ouvoirs nouveaux que nous voyons grandir Confédération du travail, syndicats de fonctionnaires, etc., jirendre trop d'influence. Oui exerce un tel rôle devient bientôt l'unique maitre. Cette loi générale se vérifiera toujours, et nous en avons vu une pi'euve bien frappante en Grèce. Elle explique comment une classe d'officiers, qu'on a trop insoucieusement laissée se développer, a pu finir par établir une véritable dictature militaire. Si loi, : Les vaines parlotes humanitaires, les perpétuelles capitulations devant toutes les révoltes, deviennent inutiles. Nous sommes maintenant en présence d'ennele programme de destruction est absolument desquels, en cas de défaite, aucun quartier ne mis dont clair et serait à espérer. « Le syndicalisme révolutionnaire, dit un de leurs écrivains, a pris nettement position contre l'armée et la patrie », et dans un récent discours, un député socialiste de Paris « a montré en exemple aux jeunes 333 LES LUTTES SOCL\LES appelés sous les drapeaux la conduite des ouvriers de Barcelone qui ont refusé de répondre à l'ordre de mobilisation et se sont révoltés contre l'au- gens torité militaire ». Voici donc la guerre vigoureusement déclarée à meneurs de la classe ouvrière, dont la rouge bannière est suivie par un certain l'ordre social par les nombre de députés et beaucoup de fonctionnaires d'instituteurs. Pactiser avec eux, ques riches bourgeois dans qu'ils considèrent comme comme l'espoi]- le et font quel- d'attendrir ceux leurs futurs vainqueurs, est d'une pauvre psychologie. Toutes ces lâches et très honteuses faiblesses ne font qu'accroître l'audace des assaillants. De telles luttes ne comportent d'autre alternative que vaincre ou périr. Pactiser n'éviterait pas la défaite et engendrerait, outre la ruine, la honte dans le présent et le mépris de nos fds dans l'avenir. Rien ne servirait donc de continuer à masquer sa peur sous d'hypocrites discours philanthropiques auxquels ne croient plus, ni ceux qui l3S débitent, ni ceux qui les entendent. La tactique actuelle des socialistes révolutionnaires menacer toujours, et par la menace tout obtenir. J'ai montré dans un autre chapitre que la peur qu'ils inspirent, constitue aujourd'hui un des est très simple : plus puissants facteurs psychologiques des décisions du Parlement. Les incidences de toutes les mesures que font adopter les socialistes sont fatales. C'est notamment la ruine prochaine de nos finances. Mais qui s'intéresse aujourd'hui à cette échéance, en apparence lointaine et, en réalité, si proche? On peut cependant constater chaque jour les conséquences de lois votées sous la pression des anarchistes et des collectivistes. Le fameux rachat de l'Ouest, effectué malgré l'opposition à peu près unanime des chambres de commerce et qui devait, assuraient ses 334 PSYCHOLOGIE P0I,1TIQLE ET DÉFENSE SOCIALE promoteurs, créer uno ère de prospérilé. a creusé dans le budget un nouveau gouiTre. M. Douraer a montré que le déficit de cette ligne a été de 31 millions en 1909 et sera de 50 millions en 1910. C'est d'ailleurs une loi générale pour toutes les exploitations privées passant dans les mains de l'Etat, et dont nous avons déjà donné les causes défaut de responsabilité des employés, indifférence totale des fonctionnaires pour une bonne gestion, etc. Les pertes financières causées par des théoriciens, que domine leur chimère, grandissent chaque jour. Le rachat de l'Ouest a simplement montré une fois (le plus leur funeste rôle. Dans l'espoir de satisfaire le fanatisme de quelques collectivistes, et, sans que personne puisse en retirer aucun bénéfice, l'Etat s'est créé une charge nouvelle de 50 millions par an et qui, d'après les calculs de M. le sénateur Boudenoot. représentera dans dix ans une perle : totale d'un milliard. Mais ce n'est là qu'un modeste commencement. Sous l'influence des idées qui mènent le Parlement va se creuser très rapidement le gouffre du déficit. Ne parlons pas des lois encore non formulées, bien (]ue figurant sur la liste des réformes socialistes, tel que le monopole de l'enseignement qui, d'après les calculs les plus modérés, exigera une dépense annuelle dépassant 150 millions. On avait le secret espoir de pouvoir consaci*er à cette réforme une partie du fameux milliard des congrégations, sans prévoir qu'aujourd'hui, presque rien ne resterait sauf entre les mains des gens de loi de cette gigantesque spoliation. Entré dans la voie des expropriations autocratiques, on ne s'arrête pas. On ne s'est plus arrêté, en effet. Nombre de lois récentes constituent, sous couleur de mesures humanitaires, de véritables lois expropriatrices. Aucun juriste ne saurait qualifier autrement celle qui força les Compagnies de chemin de — — . 335 LES I-ITÏES SOCIALES servant déjà des retraites éleAéesà leurs employés 2.400 francs par an pour lés mécaniciens à les .uignienter encore. Pour le P.-L.-M. seulement, l'accroissement annuel des dépenses est de 10 millions environ. C'est donc 10 millions dont on dépouille fer. — — rhaque année cette compagnie, autrement dit, ses .-ictionnaires. L'obtention de pareille loi d'expropriation n'exigea des syndiqués qu'une menace de grève. Gomme iDUJours, le Parlement céda. Il serait naïf de compter sur lui pour assurer la défense sociale. Les agents des Compagnies voyant avec quelle docilité on leur obéissait, se réunirent alin d'élaborer un nouveau projet destiné à obtenir, sous i»eine de grève toujours, des augmentations de traitement. Le chiiï're total de ces augmentations s'élèverait, d'après leur propre estimation, à 80 millions pour l'ensemble des chemins de fer. C'est ce qu'ils appellent « enfoncer d'un vigoureux coup de bélier le cotTre-fort capitaliste » la nouIl est intéressant de rechercher combien velle expropriation coûtera aux Compagnies. Prenons la plus importante, celle qui passe pour la plus intel- ligemment administrée, la Compagnie Paris-LyonMéditerranée. Sa part contributive exigerait une dépense annuelle de 25 millions. En divisant ce chiiTre par les huit cent mille actions de la Compagnie, on voit que la charge, par action, serait de 31fr. 25 c. L'actionnaire, au lieu de toucher, comme aujourd'hui, 56 francs, ne toucherait donc plus que 24 fr. 75 c, soit beaucoup moins de la moitié de son ancien revenu annuel. Inutile de compter sur la garantie d'intérêt de l'Etat, puisqu'elle expire, pour cette Compagnie, en 1914. }satui'ellement, les socialistes se réjouiront de la perte subie par les actionnaires, oubliant que ces derniers sont parfois d'anciens ouvriers, de petits fonctionnaires ayant mis de nombreuses années pour économiser de quoi acheter quelques titres. 336 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE Que ces actionnaires apprennent Qu'ils aient assez à se défendre. pour provoquer, d'initiative le moment venu, un mouvement d'opinion, des réunions publiques et. surtout, découvrir des députés assez influents pour protéarer leurs petits revenus, si durement et si Si toutes ces prochainement menacés. menaces de ruine pouvaient son apathie notre bourgeoisie il sortir de faudrait les bénir. Nos actes visibles sont le plus souvent la conséquence des forces invisibles qui nous mènent. Nous ne les connaissons, ordinairement, que par leurs elTets. Elles inspirent cependant non seulement nos actes, mais encore les raisons imaginées après coup j)Our les expliquer. loi s'applique surtout aux esprits ne posséguère que des convictions sentimentales. Les hommes politiques n'en ayant guère d'autres ne sauraient y échapper. Les motifs donnés par eux pour justifier leur conduite diffèrent très fort, généralement, de ceux qui les ont inspirés. Ces derniers restent ignorés parce qu'élaborés dans l'obscure région de l'inconscient. Les principes directeurs des savants d'une génération ne sont jamais bien nombreux. Ceux qui conduisent les hommes politiques d'une époque ne le sont pas davantage. En recherchant les facteui*s des actes de nos gouvernants depuis une trentaine d'années, on découvre Cette dant les trois suivants, dominant tous les autres, bien ne soient jamais avoués 1° une peur intense des électeurs; 2° la croyance que. pour leur plaire, il faut persécuter vigoureusement les minorités, alors même qu'elles comprennent des classes entières de citoyens; 3° l'influence des doctrines collectivistes. Montrons maintenant, par de clairs exemples, l'action de ces trois facteurs. qu'ils : 337 LES LUTTES SOCL\LES En ce qui concerne la peur. J'ai déjà consacré un chapitre à ses effets. Nul né j»rétendrait, je crois, en contester l'énoz-me influence. Son rôle, visible dans l'élaboration de la plupart des lois récentes, s'est manifesté sur une grande échelle, lors de la première grève des postiers, où l'on vit les miParlement céder, en s'inclinant bien bas, aux injurieuses menaces de fonctionnaires révoltés. Le second des facteurs énoncés, l'esprit de persécution, est également trop apparent pour avoir besoin d'être discuté. Des persécutions de tout ordre constituèrent le principal levier do la pluj)artdes ministères nistres et le qui se sont succédé. « Waldeck-Rousseau, écrivait récemment un grand journal, a vécu trois ans avec la loi contre les congré- Combes a vécu autant avec la fermeture des écoles et l'expulsion des moines; M. Rouvier avec la loi de séparation des Eglises et de l'Etat. On a espéré calmer la surexcitation populaire en lui donnant, en pâture, les biens des fabriques et des gations; M. églises. » Des mérés, trois le facteurs politiques précédemment énu- dernier, l'influence collectiviste, joue, comme déjà montré, un rôle des plus actifs. Par suggestion, répétition et contagion, les théories collectivistes je l'ai par constituer une religion aux dogmes plus que les vieilles croyances. Ceux mêmes qui ne les acceptent pas en sont fortement imprégnés et osent à peine les combattre.- Nous assistons à une réédition des débuts du christianisme, alors que n'avait déjà très répandu il pas complètement triomphé. L'influence collectiviste a insjiiré nombre de lois désastreuses. Tel ce ruineux rachat de l'Ouest, dont ont fini intolérants . parlé plus haut. Pour flatter les collectivistes, beaucoup de radicaux l'avaient fait figurer sur leurs programmes, et cette unique raison les poussa à le voter, sans s'inquiéter des conséquences d'une j'ai 29 338 PSYCHUIOGIE POLITInlE ET DÉFENSE SOCIALE semblable opération, conséquences prévues par lous économistes et réalisées immédiatement. Sont également filles des théories collectivistes et du vague humanitarisme qu'elles utilisent comme dont le résultat fut, soutien, beaucoup de lois comme je l'ai montré dans un autre chapitre, de désorganiser profondément aussi bien nos croyances morales que notre commerce, notre marine et notre industrie. Telle, jiar exemple, celle sur le travail dans les manufactures qui. par la suppression de l'apprentissage, transforma en apaches une foule d'an- les ciens apprentis inoccupés. Tant que les membres éclairés, des classes encore un peu dirigeantes, persisteront dans un découragement aussi terne, une indiiîérence aussi profonde pour le sort qui les menace, les facteurs politiques énumérés plus haut, constance. (ontinueronl à agir Nous allons les voir bienlùl avec régularité et s'exercer encore dans le revenu, basé sur Volé par la Chambre avec une écrasante mais très humiliante majorité, il est discuté maintenant au Sénat. De son succès ou de son rejet dépendra sûrement la durée du régime républicain. La France a supporté bien des tyrannies mais l'inquisition bureaucratique dont on la menace serait trop vexatoire pour être tolérée longtemps. Personne n'ignore plus d'ailleurs que le dégrèvement annoncé, de quelques catégories de citoyens, serait tout à fait insignifiant et obtenu uniquement au prix d'intolérables investigations dans la vie privée. S'il en est ainsi, quels mobiles poussèrent le Parlement à voter une loi dont le premier résultat sera de désorganiser entièrement nos finances déjà si ébranlées? Nous l'avons dit, mais il ne sera pas inutile de le répéter encore. Ce vote eut plusieurs causes psychologiques. D'abord la menace des comités électoraux qui. dans la sinistre l'inquisition loi de fiscale. l'imjiôt sur ?39 LES LUTTES SOCIALES leur épaisse ignorance des lois économiques, s'ima- ginaient (ju'on pourrait faire peser tous les impôts sur une classe uni(|ue de citoyens en dégrevant totalement les autres. L'inquisition fiscale, sans laquelle la loi inexécutable, fut également une cause de son On devine de quelle utilité pourra devenir, pour les factions politiques, cette irquisition dans nos jietites villes de province, déjà si divisées. On voit serait succès. aussi quelles indications précieuses elle fournirait aux collectivistes sur la fortune des citoyens, et quel parti les socialistes pourront en tirer le jour où, à la d'une majorité suffisante, il leur deviendra posd'appliquer aux capitalistes, par un simple décret, les procédés sommaires d'expropriation déjà employés contre les congrégations. Les doctrines collectivistes, l'esprit de persécution et la peur furent donc les générateurs de cette loi. Ainsi se retrouvent à sa base les trois grands facteurs des convictions politiques, dont nous avons étudié tête sible nrécédemment les etTets. Notre avenir dépend de ce que pensera, dira et fera jeunesse que nous voyons grandir. Celle d'hier est arrivée à la vie sociale sur un entassement de ruines. Elle a contemplé l'évanouissement des croyances du passé, la désagrégation des antiques conventions sociales. Ne trouvant plus d'idéal à défendre, voyant la les vieilles hiérarchies, la famille, la propriété, la patrie et l'armée battues en brèche sans relâche, elh' a fini par se convaincre de l'inutilité de tout effort. Semblable persuasion devait rapidement conduire à des caractères qui fait supporter avec résignation' les persécutions et les violences. Une aussi passive attitude encouragea l'audace de révolutionnaires hardis, sans traditions ni scrupules, ne songeant qu'à l'heure présente et ne concevant d'autres sources de richesse que le pillage de cette usure PSYCHOLOGIE POLITIQLE ET DÉFENSE SOCIALE ;-)40 fortunes péniblement acquises par autrui. Le fanatisme du mal devient vite très puissant quand le fanatisme du bien ne lui est pas opposé. La jeunesse bourireoise reste cependant toujours l'élite, parce que la science, l'industrie, la littérature demeurent encore entre ses mains, mais sans caractère n'est bientôt plus une élite. et les arts une élite Très raffinée aussi était l'élite romaine, à la fin de l'Empire, mais, ayant perdu toute énergie morale, elle ne sut pas résister à l'avidité de Barbares, possédant une volonté forte. Quand les classes, jadis dirigeantes, se laissent de plus en plus diriger, elles sont bien proches de leur fin. Malgré tant d'apparences contraires, les luttes de l'avenir ne seront pas uniquement des conflits d'intérêts économiques, mais aussi des luttes d'idées, ou plutôt de sentiments (Migendrés par ces idées. Les sentiments dont l'ensemble constitue le caractère d'une nation ne changent que très lentement. Cependant, au cours des âges, on les a vus plusieurs fois évoluer. C'est ainsi, par exemple, que l'éducation, qui continue à jouor en France un rôle si nuisible, parvint, dirigée par des mains habiles, à transformer l'Allemagne en moins d'un siècle. Les maîtres ne gagnent pas les batailles, comme on le quelquefois, mais ils peuvent créer la mentalité qui les fait perdre. Modifier les sentiments d'un peuple serait changer le cours de son histoire. d'écoles dit CHAPITRE VI Le Fatalisme moderne et la dissociation des fatalités. On pressent les destinées d'une génération par rétude des idées directrices qui orientent ses volontés et déterminent sa conduite. Mais où les rechercher, ces idées? Ce n'est certes pas dans les actes des multitudes. Elles possèdent des appétits et non des pensées. Sera-ce chez les intellectuels qui font des livres et prononcent des discours ? Ils ne nous donnent le plus souvent que le redet d'opinions adoptées pour séduire auditeurs ou lecteurs. Malgré la difficulté de dégager nettement les idées d'une époque, on peut s'en faire une notion approximative par l'enseignement des maîtres les plus écoutés. De récents discours académiques, ceux notamment de MM. Lavisse et Pierre Loti, trahissent clairement les préoccupations actuelles des guides de la jeunesse. Ils ne sont pas réconfortants, ces discours. Un pessimisme attristé les domine. Ce qu'on y lit surtout, c'est la conviction de l'inutilité de l'etTort, une résignation passive devant les événements, la proclamation de l'impuissance de la science à éclaircir les mystères qui nous enveloppent. Un fatalisme sombre semble envahir, au déclin de leurs jours, l'àme de penseurs qui. à l'aurore de leur activité mentale, étaient tout rayonnants d'espérances. 29 342 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE Cette note fataliste constatée chez les professeurs et les académiciens, hommes nous la retrouverions également Dans une interTiew,un ancien président de la République, M.Loubet, s'exprime ainsi « La force inéluctable des choses l'emporte sur la volonté des hommes. Une logique mysNous verrons bientôt de térieuse nous conduit. quels éléments se composent cette force inéluctable chez les politiques actuels. : >> et cette Parmi logique mystérieuse. les académiciens dont je viens de parler, Pierre Loti s'est montré le plus attristé. Dans une langue harmonieuse, il réédite la vieille plainte de au cours des âges. de la science, créatrice cependant de tous les progrès civilisateurs, que s'en prend M. Loti. Il lui reproche de ne savoir rien expliquer. l'Ecclésiaste, tant de fois répétée C'est à l'impuissance Nous ne savons ni ne saurons jamais rien de rien : c'est le seul fait acquis. La vraie science n'a même plus cette prétention d'expliquer, qu'elle avait hier. Chaque fois quun pauvre cerveau humain d'avaht-garde découvre pourquoi de quelque chose, une nouvelle porte de fer, mais pour n'ouvrir qu'un couloir plus effarant, plus sombre, c'est comme s'il le réussissait à forcer qui aboutit à une autre porte plus scellée et plus terrible. A mesure que nous avançons, le mystère, la nuit s'épaississent, et l'horreur augmente... C'est alors que le « résidu » chrétien essaye encore de protester doucement au fond de nos nmes. Nous voyons bien que ce n'e.st pas cela, qu'il n'est pas possible que c& soit cela infiniment mais derrière l'ineffable symbole, loin derrière, si l'on veut, là-bas aux confins de l'incompréhensible, -nous nous disons qu'il y a peut-être la vérité, avec — ; — l'espérance. Peu confiant dans la puissance explicative de la science, le célèbre écrivain ne croit pas davantage à de l'elîort pour se défendre contre la menace des événements. « Il n'y a pas de lutte possible, dit-il, contre ce souffle moderne qui se lève pour tout abattre en nivelant tout. » Je doute fort de ce nivellement, admettant au contraire une dénivellation croissante entre les individus, et par conséquent entre leurs situations, à mesure celle 343 LE FATALISAIK MODERNE donné, il y a longtemps, psychologiques de cette différenciation ]»rogressive, dont j'ai déjà parlé dans un précédent chapitre. Avec les complicalions de la science et de la technique industrielle- la distance entre les mentalités du savant et de l'ignorant, entre celles de l'ingé- <lii'ôvolue la civilisation. J'ai raisons les nieur et de l'ouvrier devient immense et s'accroît chaque jour. On égalisera de plus en plus les apparences, mais de moins en moins les hommes. Le capitaine sachant lire dans les astres la direction que doit suivre son navire, pour ('viter les écueils des mers tt'n('breuses, ne sera jamais l'égal de l'obscur matelot, infaiUiblement perdu s'il est abandonné à lui-même. Les inégalités mentales sont des fatalités irréductibles, qu'aucune violence ne saurait effacer. Le pessimisme et le fatalisme de M. Lavisse n'appai-;ussent pas moindres que ceux de M. Loti. Recevant M. R, Poincaré, il commença d'abord par le gourmander de son demi-optimisme, lui reprochant « l'usage de formules un peu défraîchies ». « Je serais fâché pour vous et aussi pour moi, ajoute M. Lavisse, si vous croyiez que quelques principes anciens v\ simples puissent suffire à conduire les hommes dans leur politique d'aujourd'hui. » Quels seraient alors les nouveaux principes directeurs? M. Lavisse ne les indique pas, sans doute parce qu'il les ignore; mais il les appréhende beaunuip. Les fantômes lointains paraissent toujours dangereux. en question et un tumulte énorme d'instincts, de passions et d'idées. Elle ne sait ni ne peut savoir au juste ce qu'elle veut, et personne n'est en état de proposer à ses obscures volontés le plan de la cité future. Gênée, irritée par les institutions, lois et coutumes, elle s'attaque à tous les étais de la cité présente et tout s'ébranle et semble pencher vers la ruine. ... Un jour, il faudra dans tous les États du monde choisir entre les dépenses militaires et les dépenses sociales. Ce jour L'Etat et on péril... la société, continue l'orateur, sont Une démocratie commence par être 344 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE viendra, il approche. 11 mettra en présence deux mondes, deux conceptions différentes de l'humanité. Ce sera le grand jour. L'éminent prophète est-il l)ien sûr que ses craintes ne soient pas un peu vaines ? A-t-il vraiment oublié f|ue les mêmes problèmes se sont posés sous les mêmes formes, chez tous les peuples, à Athènes, à Rome, à Florence, de l'antiquité aux temps modernes? Répétés dans des termes presque identiques, ils ont ahouti partout aux mêmes solutions. La barbarie changea souvent de nom, mais force fut sans cesse de lutter contre celle du dedans et celle du dehors. Cette lutte constitue d'ailleurs un des facteurs du progrès. Elle n'est dangereuse que si, les défenseurs d'un ordre social établi, se l'ésignent d'avance à la défaite. Fatalement vaincus alors, ils méritent l'écrasement qui termine leur inutile existence. L'hétérogène alliance des pacifistes, des socialistes et des universitaires de race latine, pourra peut-être faire éclore dans un pays, le « grand jour » de M. Lavisse, mais il aurait son lendemain, ce grand jour rèv('\ Ce serait l'assez'vissement immédiat et le pillage <lu peuple désarmé, par des voisins avides d'encaisser (les milliards et de supprimer la concurrence des vaincus. Ces fâcheuses réalités sont fondées sur des pasque les rêveries humanitaires ne sauraient enrayer. Elles ont jusqu'ici gouverné le monde et sans doute le gouverneront toujours. Les tendances pessimistes et fatalistes, dont nous venons d'indiquer les symptômes, ne se rencontrent pas seulement dans les discours académiques. Elles envahissent de plus en plus notre enseignement unisions versitaire. Les professeurs qui ne sont pas des résignés deviennent bientôt des révoltés. Beaucoui) se mettent aujourd'hui à la tête du socialisme l'évolutionn ai 1-e. LE FATALISME JIODERNE 345 La lecture de leurs œuvres montrent quel mélange d'humanitarisme, de religiosité et d'envie sature leurs âmes. Les écrits récents d'un professeur au Collège de France sont typiques à ce point de vue. Dans son livre, Paroles d'avenir^ écrit en style apocalyptique, nous apprenons que la liberté de l'ouvrier consiste à « crever dans un fossé comme un chien ou dans un lit d'hôpital comme un gueux qu'il est. Il a la liberté de mourir de faim et de misère ». Quant aux riches, l'auteur révèle à ses lecteurs qu'ils n'ont guère d'autres occupations que « des orgies stupides et immondes ». On doit les dépouiller de leurs richesses. « Délivrer ces bons à rien des tares des misères morales qu'engendre l'extrême opulence serait leur rendre un signalé service. » C'est, on et dans les temples de la science pure que grandissent aujourd'hui les futurs Marats. le voit, Des élucubrations aussi haineuses sont assurément trop dépourvues de style, de pensée et de vérité, pour exercer quelque influence sur des esprits éclairés. Mais n'oublions pas que leurs auteurs sont les guides <le la jeunesse. Quelle génération sortira des mains de pareils maîtres? La résignation d'une part, la révolte ensemblent devenir chaque jour les dominantes des éducateurs latins. L'influence de l'esprit révolutionnaire n'amène que des violences éphémères, celle du fatalisme est plus durable et pour cette raison plus dangereuse. Le de davantage vieuse fataliste l'autre, fatalisme est la religion des faibles, incapables d'efAppuyé en apparence sur des bases scientifiques, fort. il semble un monstre redoutable. Sa force cependant n'est qu'illusoire. Le fatalisme est un héritage antique, continué par philosophies. Au sommet des choses, dominant les dieux et les hommes, les anciens les religions et les 346 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE un pouvoir souverain nommé destin. Ses « Tu tueras ton père et épouseras ta mère », avait dit l'oracle à Gîdipe et Œdipe, malgré tous ses efîorts, dut subir sa des- plaçaient arrêts étaient inviolal)les. tinée. Les religions ont perpétué cette tradition. Dans la doctrine de la prédestination, encore chère à plusieurs sectes protestantes, et qui fait le fond du jansénisme. Dieu, dès l'origine des choses, a décrété que certaines âmes seraient sauvées et d'autres damnées. déterminisme de la science moderne paraît pour beaucoup leur fatalisme atavique, c'est qu'ils confondent fatalisme et déterminisme, choses en réalité fort différentes. Le déterminisme enseigne qu'un phénomène est la conséquence rigoureuse de Si le justifier certaines causes antérieures. Il se répète quand les mêmes causes se reproduisent et sans que les volontés d'aucun être supérieur puissent intervenir dans cet enchaînement. Les anciens avaient divinisé toutes les forces naturelles parce qu'ignorant leur engrenage invariable, ils espéraient, avec des prières, en modifier le cours. Rejeter l'intervention d'êtres supérieurs, voilà tout le déterminisme. Le fatalisme comporte une définition tout autre. Alors que le déterminisme échappe à notre volonté, beaucoup de fatalités peuvent, au contraire, être dominées par elle. Laissons avix métaphysiciens les discussions subtiles sur le libre arbitre, puisque le problème est philosophiquement insoluble. En se jjlaçant à un point de vue exclusivement pratique, il devient facile de prouver que la fatalité n'est le plus souvent que la synthèse de nos ignorances et s'évanouit dès qu'on sait désagréger les éléments qui la composent. la Trois classes distinctes peuvent être étal)lies dans grande famille des fatalités l*" Les fatalités natu: LE FATALISME MODERNE relies, irréductibles. 347 Telles soiil la vieillesse, les phé- nomènes météorologiques, le cours des astres. Tout au plus pouvons-nous en déterminer les lois, les prévoir et quelquefois nous protéger un peu contre elles. 2° Les fatalités réductibles. Dès que les progrès de la science permettent de dissocier leurs éléments et de les attaquer séparément, elles s'évanouissent. Les grandes épidémies, les famines, qui faisaient autrefois périr des millions d'hommes, en sont des exemples. ;i° Les fatalités artificielles. Créées par nous, ces dernières remplissent l'histoire. Lutter contre elles est difficile, parce qu'une cause étant constituée, ses effets ont un déroulement nécessaire. Pour les dominer, il faut savoir opposer, à la cause possédant un certain poids, une autre cause d'un poids plus lourd. C'est ainsi généralement que les grands hommes surent briser les fatalités. L'examen sommaire du rôle de la science sur des phénomènes, considérés jadis comme d'inexorables destins, enseigne clairement de quelle façon peuvent être désagrégées et anéanties certaines fatalités. Il y a quarante ans, c'était une inéluctable fatalité, que tout sujet amputé dans un hôpital parisien succombât en quelques jours. C'était également une fatalité que les habitants de diverses contrées fussent victimes de fléaux comme le paludisme et la fièvre jaune. Aujourd'hui, éléments de ces fatalités étant Les amputés périssaient par l'action de certains microbes. Dès que les méthodes d'asepsie permirent de supprimer cette dissociés, les on a pu les anéantir. action, les opérations jadis mortelles devinrent inoffcnsives. De même pour le paludisme et la fièvre jaune» Aussitôt qu'on les sut produits par des parasites, qu'introduisaient dans les globules du sangles piqûres de certains moustiques, on entrevit le moyen de faire disparaître ces épidémies et la fatalité commença à 348 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE dissocier. se Elle ne le fut •utièremenl que lors- que, étudiant les conditions d'existence de ces moustiques, on découvrit qu'ils se reproduisaient seulement dans des mares ou flaques d'eau. Mares et flaques d'eau desséchées, les moustiques disparurent et du même coup les épidémies. Des pays, comme la Havane, au séjour si souvent mortel, devinrent habitables sans danirer, La fatalité s'était évanouie. Même observation pour la peste, dont certaines explosions tirent périr jadis jusqu'à vingt-cinq mil- d'hommes. Nous la savons maintenant résultant d'un bacille, produit par la morsure des puces ayant abandonné les cadavres de rats pesteux. De même encore pour la maladie du sommeil qui dépeuplait diverses régions de l'Afrique, etc. Les faits analogues sont innombrables. Les Hollandais surent se soustraire par un énergique effort à la fatalité d'inondations dont la mer les menaçait. La Prusse transforma les sables de la Poinéranie ef les tourbières du Brandebourg en forêts magnifiques et en champs fertiles. Tous ces dominateurs de la nature ont lutté contre des fatalités et les ont vaincues, parce qu'ils se refusèrent à la lions résiffnation. Ce que nous venons de dire de la désagrégation de certaines fatalités naturelles peut s'appliquer égale- ment aux fatalités historiques. Quoique ])arfois très lourdes, lorsqu'elles dérivent de la race et du passé politique d'un peuple, elles n'échappent pas à cette de l'évanouissement par dissociation de leurs éléments. C'est principalement notre ignorance de la nature des éléments d'une fatalité qui fait sa force. Chaijue page de l'histoire vérifie ces assertions. Considérez un événement important, la guerre de 1870, par exemple, analysez-en tous les facteurs loi 349 LE FATALIS-Ml- MODERNE psychologi([uos immédiats l'I surtout lointaius, vous découvrirez vite que, si notre défaite était devenue inévitable, les divers éléments qui la rendirent telle auraient pu être successivement annulés par dès intelliirences supérieures, avant que leur accumulation devînt trop écrasante. Les erreurs de psychologie dans le présent et l'incapacité de prévision pour l'avenir, sont toujours l'origine de fatalités ruineuses qui pèsent ensuite sur plusieurs générations. Que de fatalités créées par les aveugles conseillers du souverain, qui présidait à nos destinées, il y a cinquante ans. Des erreurs analogues, l'absence complète d'esprit d'observation, une ignorance invraisemblable de la psychologie des Japonais engendrèrent les défaites des Russes et des conséquences destinées peut-ètro à transformer l'avenii- de l'Europe, Les fatalités arlilicielles ([ui nous enveloppent sont innombrables. Tel, par exemple, l'alcoolisme. Nous savons à quel point il nous envahit et que près du quart des conscrits sont éliminés en raison des tares héréditaires dues à des parents alcooliques. Sur cette fatalité, nous avons peu d'action. L'Etat, d'ailleurs, est presque obligé de l'encourager, sous peine de provoquer un énorme déficit dans son budget. Toutes ces fatalités, que nous créons sans relâche, finissent par devenir si puissantes qu'il devient presque impossible de les dissocier. Un livre récent de M, Cruppi. ancien ministre du commerce, en fournit un excellent exemple. On y voit comment un ministre, en apparence tout-puissant, peut demeurer très impuissant à rien réformer dans son propre ministère, et se trouve obligé de subir l'anarchie qu'il y constate. L'auteur nous révèle le désordre prodigieux des services administratifs qu'il espérait vainement pouvoir diriger disputes perpétuelles des employés, confusions des responsabilités, manque d'unité dans le commandement, organismes vieillis, etc. : 30 350 ' PSY(H(jI KGIE POLITIOUE KT DÉFENSE SOCIALE Pendant les denx années qu'il resta en fonctions, ce ministre n'est parvenu à aucune modification utile, et on voit bien dans son livre qu'il n'a pas très nette- ment conq)ris ie^ motifs de son impuissance, puisque le seul remède proposé par lui est de « changer la morale même de la démocratie par la réforme élecPour réussir à combattre les forces réelles qui conduisent les choses, il faut mieux les connaître. torale '). Les fatalités sentimentales sont peut-être les jilus redoutables de toutes par leurs conséquences. C'est pourquoi l'humanitarisme, forme inférieure du christianisme, devient un des fléaux de la France moderne. Il ronge sans relâche les bases de l'édifice social. C'est par humanitarisme, je l'ai déjà montré, que nous avons créé tant de lois génératrices de révolutions redoutables. C'est par humanitarisme encore que furent introduits les apaches dans l'armée au risqua de la désorganiser entièrement. Par humanitarisme toujours, nous réservons à ces apaches des prisons bien chauffées, pourvues de tout le confort moderne et fort supérieures au logement de la plupart des ouvriers. Grâce aux humanitaires, les assassins se multiplient dans d'efi'rayanles projjortions. En (jnelques années le nombre des meurtres a triplé. Il a fallu une véritalde explosion d'indignation publi(]ue pour décider le gouvernement à laisser guillotiner des assassins .ayant rôti leurs victimes à petit fou. Quand la funeste race des philanthropes s'abat sur un i»euple, il est près des grandes catastrophes. Un sait à quel point ils pullulèrent, la veille de la Révolution. cations à l'Etre suprême, d'appels émus Que d'invoà la Frater- avant les massacres de Septembre et la permanence de la guillotine Le terme ultime de l'Evolution de l'humanitarisme fut invariablement de sanglantes hécatombes. Il faut craindre la peste, mais redouter beaucoup [dus encore les philanthropes. Les sociétés n'eurent jamais de nité, ! LE FATALISME MODERNE pires ennemis. Le iihilanihrope l'homme du progrès, mais n'est 351 nullemenl eelui qui tlétruit toutes les initiatives et entrave tous les progrès. L'ulililé (les counaissances psychologiques pourdésagréger les l'atalités, apparaît clairement, je suppose. Un de nos plus éminents ministres des aiVaires étrangères. M. Hanotaux, consulté récemment par moi sur ce point, me disait qu'il ne voyait pour l'homme d'Etat aucune connaissance plus nécessaire, aucune ([u'il ait eu à employer plus souvent pendant sa longue carrière. La psychologie politique n'apprend pas seulement à combattre avec succès les fatalités qui entravent sans cesse la vie des peuples. Elle enseigne aussi à conduire les hommes et à diriger les événements. Les grands hommes d'Etat Richelieu, Cavour, Bismarck, le roi Edouard, etc., surent, non seulement gouverner, mais encore dissocier et détruire les éléjnents dont l'ensemble forme les fatalités de l'histoire. Tous ces esprits éminents manièrent avec une précision merveilleuse les facteurs psychologiques qui nous mènent. Ils comprirent aussi le rôle des nécessités : économiques que chaque époque dont nous ne saurions être maîtres. Séparer les fatalités inévitables de celles qui ne le sont pas et ne jamais s'user dans d'inutiles luttes, est un des points fondamentaux de la psychologie politique. On ne peut détruire en effet les fatalités créées par <les conditions extérieures indépendantes de notre volonté, mais l'homme supérieur les utilise comme le marin utilise le vent malgré sa direction. C'est ainsi, par exemple, que devant le problème de la surproduction et des concurrences ruineuses qu'elle engendre, les Allemands, au lieu d'entrer en lutte contre des fatalités économiques, les ont utilisées par la création de ces syndicats de production dits cartells, qui religieuses, sociales et voit surgir et 352 PSYCHOLOGIE POLITIOLE ET DÉFENSE SOCIALE empêchent concurrence et surproduction. Impuissants comprendre les nécessités inéluctables de la concentration industrielle, nous combattons par des lois draconiennes ces syndicats, que l'empereur d'Allemagne aide au contraire de tout son pouvoir. Clairvoyance d'un côté, aveuglement de l'autre. à Lorsque, incapable i)ar ignorance d'utiliser les fatarésultant de lois naturelles, on essaie de leur résister, il on résulte des calamités dont les générations futures subissent longtemps les conséquences. Chaque fatalité artificiellement créée implique, en etTet, un déroulement nécessaire. Nous évoquions plus haut la guerre de 1870, Beaucoup de Français l'ont oubliée, à tel point qu'un professeur de l'Ecole normale supérieure signalait récemment, dans le Temps, (jue certains candidats à cette école l'ignoraient complètement. Et, pourtant, nous sommes tellement enveloppés encore de son influence que ses conséquences continuent à régir l'Europe. Au seul point de vue de ses incidences financières, nous payons toujours 450 millions par an, rente des 15 milliards que cette guerre a coûtés. Parmi les autres conséquences de notre défaite, figure encore celle-ci, que, pour éviter l'attaque dont nos voisins victorieux n'ont pas manqué, depuis quarante ans. une seule occasion de nous menacer, nous avons dépensé en armements, suivant les calculs de M. Cochery, 53 milliards. On voit ce que pèse l'imprévoyance des hommes d'Etat, et combien sont précieux pour leur pays, les grands hommes politiques, qui savent dans le présent lire un peu l'avenir, et éviter de créer des fatalités. lités Ils sont malheureusement fort rares. développement du parlementarisme, beaucoup d'hommes d'Etat considèrent que la politique est simplement l'art de bien parler et se préoccupent peu de bien penser. Séduire son auditoire par le cliquetis charmeur des formules sonores, ne constitue pourtant qu'un succès éphémère. Dej)uis le 353 LK FATALISME MODERNE Habitué à prendre les mots pour des réalités, fréquemment un le homme d'Etat médiocre. Nul besoin, en effet, pour discourir élégamfaraud orateur est ment, de i)Osséder cette connaissance des hommes des choses qui permet les décisions justes, énergiques et rapides, ni cette continuité dans l'effort, et génératrice des succès durables. Pour l'orateur politique, obligé de satisfaire aux besoins d'explications d'un public peu capable de les événf^ments sont engendrés par des causes très simples, paraissant évidentes. La vérité est cependant tout autre. Ce n'est nullement par l'évident, l'immédiat, le clair et le simple que s'expliquent les phénomènes historiques. Ils sont créés au contraire par le lointain et le complexe. Et c'est pourquoi la faculté de prévoir les conséquences de leurs actes échappe si souvent aux hommes d'Etat actuels. S'ils ne prennent pas constamment leurs idées pour des faits, ils croient volontiers que leurs idées modifieront les faits et vivent trop exclusivement dans l'heure présente pour tâcher de pi'évoir un peu. Or l'homme d'Etat incapable de prévision est, je le répète, un créateur de fatalités désastreuses. Si l'Angleterre se débat actuellement contre les immenses difficultés qu'entraîne la nécessité d'accroître considérablement ses impôts, pour augmenter sa flotte et lutter contre la menaçante suprématie de l'Allemagne, c'est parce que, il y a quarante ans, ses gouvernants ne surent rien prévoir. Pour satisfaire des rancunes, qu'un véritable homme politique devrait ignorer, elle nous refusa, après la guerre franco-allemande, de favoriser un congrès qui eût limité les prétentions de l'Allemagne et changé l'avenir. La crainte de voir se réunir ce congrès était le cauchemar' de Bismarck. Il y pensait jour et nuit, dit-il, dans ses Mémoires. Ce grand psychologue comprenait bien qu'un tel congrès eût réussi à « rogner le prix de ses victoires ». C'est justement ce que fit, quelques années réfléchir, 30. 354 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE plus tard, le congrès de Berlin, qui obligea les Russes, victorieux des Turcs, à renoncer à s'emparer des territoires convoités par eux. Jamais en effet, et malgré nos défaites, un congrès n'aurait laissé troubler entièrement l'équilibre de l'Eu- rope au profit d'une seule puissance. L'Angleterre, l'Autriche et la Russie n'avaient-elles pas un intérêt évident à empêcher la formation d'un Etat prépondérant au centre de l'Europe? Les hommes d'Etat anglais expient aujourd'hui les fautes de prévision alors commises. La destinée des peuples taine aujourd'hui, parce latins est devenue très incer- que les politiciens, n'ayant chez eux qu'une existence éphémèi'e, vivent uniquement dans le présent, sans souci de l'avenir. Une politique ne tenant compte que de l'heure actuelle, est toujours d'ordre inférieur, et condamnée à subir les coups de toutes les fatalités. En politique comme dans l'industrie, le succès appartient aux jirévoyants. L'histoire récente de la Belgique en fournit un bien frappant exemple. Il y a quarante ans, l'Afrique était à {>eu près inconnue. Quelques explorateurs hardis commençaient à peine à la révéler. Un jeune roi, doué de vision lointaine, comprit que l'Asie, allant échapper à l'Europe, l'avenir des Européens était en Afrique. Alors, presque sans ressoui'ces, malgré l'opposition ou la mauvaise volonté de ses sujets, il c-ommença au centre du continent africain la fondation d'un empire qui, progressivement agrandi, occupe maintenant une surface égale à la moitié de la Russie. 11 est finalement devenu pour la Belgique une source de richesse telle, que ce petit pays va compter parmi les plus grandes puissances économiques du monde. Le lecteur qui a bien voulu nous suivre doit avoii' maintenant de la fatalité une idée tout autre que celle LE FATALISME MODEHNE 355 «lonnée par les livres. Envisagée comiae nous l'avons l'ait, elle perd son pouvoir inexorable et mystérieux. Beaucoup de fatalités naturelles sont des forces que nous devons vaincre. Celles engendrées par l'impr-évoyance des aïeux sont destructibles par la volonté. Nous ne cessons, malheureusement, de créer des fatalités artificielles dont les conséquences retombel'ont durement sur nos descendants. Croit-on, par exemple, que vainement se prêchent l'antipatriotisme, l'antimilitarisme et l'anarchie; que nous supportons les révoltes des fonctionnaires; que nous entassons des lois de plus en plus oppressives pour l'industrie; <|ue les maîtres de l'Université donnent une éducation dont le niveau technique et moral s'affaisse chaque jour? Est-ce impunément qu'ils infdtrent dans l'âme de la jeunesse avec la haine des supériorités, créatrices cependant de la puissance d'un peuple, l'indifférence pour toutes les grandes causes, la résignation morne, l'esprit de négation et de dénigrement, l'absence de morale directrice capable d'orienter les volontés? Comme conséquence, nous descendons mpidement, alors que l'Allemagne, guidée par d'autres maîtres, ne cesse de grandir. C'est par l'éducation, que nous n'avons pas su manier, qu'elle parvint à désagréger des fatalités subies depuis des siècles. Il est fort redoutable pour un peuple de s'engager dans une voie ayant le désordre et les révolutions pour inévitable issue. Or, celle voie si dangereuse, nous la suivons de plus en plus. Créer des privilèges à l'incapacité et au désordre, poursuivi'e d'une haine aveugle les élites et tenter de pratiquer l'égalité par en bas, persécuter les croyant^es, essayer par des lois vexatoires de s'emparer des fortunes qu'édifie le travail, méconnaître les nécessités naturelles, exciteï' sans cesse les jalousies et l'envie, tel est actuellement le rôle des meneurs populaires. Toutes leurs tentatives constituent une œuvre de démagogues que devrait rejeter un grand peuple. 356 PSYCHOLOGIE POLITIQIB ET DÉFENSE SOCIALE Et pendant que s'accumulent tant de causes de décadence, nous laissons se développer une armée de révolutionnaires fanatiques, sans traditions, sans principes, sans scrupules, n'ayant pour idéal que la violence de leurs appétits et un intense besoin de destruction. Nous leur opposons seulement nos pâles incertitudes, notre indifférence et notre résignation fataliste. A mesure qu'ils menacent, nous cédons davantage. Ne croyant plus à rien, nous ne savons rien défendre. Faiblesse grandissante d'un côté, puissance grandissante- de l'autre. La balance oscille encore un peu dans le sens de l'ordre, mais bientôt elle n'oscillera plus. cet ouvrage a pu éclairer quelques esprits, lourd travail (ju'il a demandé n'aura pas été perdu. Je n'ai dit le plus souvent d'ailleurs que des vérités banales et, qu'avec un peu de réflexion, chacun pouvait énoncer. Les peuples qui nous suivaient jadis et nous précèdent aujourd'hui les connaissent parfaitement. Tous leurs guides les proclament. On les retrouvera dans le discours prononcé à la Sorbonne le 24 avril 1910 par un des plus illustres présidents des Etats-Unis M. Roosevelt. Lui aussi a montré l'absurdité de nos théories égalitaires, le danger des doctrines socialistes, la supériorité du caractère sur l'intelligence, dans la conduite de la vie, et bien d'autres vérités encore. Voici quelques extraits de sa magistrale leçon Si le : ne nous faut jamais oublier qu'aucune acuité ou subtilité d'intelligence, aucun poli, aucune habileté ne saurait compenser le manque des grandes qualités fondamentales de caractère. La maîtrise de soi-même, le pouvoir de se contraindre, le sens ...Il commun, d'accepter la responsabilité individuelle et avec les autres, le courage et la résolution voilà les qualités à quoi se reconnaît un maître peuple. Sans elles, aucun peuple ne peut se régir lui-môme, ni s'éviter à lui-même d'être rési du dehors. la faculté cependant d'agir en union : LF, FATALISME MODERNE 357 Devant l'intelligence, je m'incline, mais j'ajoute, que de plus d'importance encore, sont les qualités communes et les vertus de liiiis les jours. ...On ne saurait exagérer le funeste elTct, sur aucune race, de l'adoption d'un S)-stème logique de socialisme poussé à l'extrême. 11 n'en pourrait sortir que destruction; il produirait de plus grands maux et une plus grande injustice, une pire immoralité qu'aucun système actuel. ...Nous ne devons pas plus consentu' à pratiquer un mensonge qu'à en dire un. Nous ne saurions déclarer que les hommes sont égaux, alors qu'en fait ils ne le sont pas, ni agir comme si nous tenions pour réelle une égalité non existante. ...Il y a eu bien des Républiques dans le passé. Elles tombèrent, et le premier facteur de leur ruine fut ce fait que les partis tendaient à se diviser selon la ligne de partage de la richesse et de la pauvreté. Peu importa quel parti réussit à dominer l'autre; peu importa sous la règle de qui tomba la République, et que ce fût celle d'une oligarchie ou celle de la populace. Dans l'un et l'autre cas, quand la fidélité à une classe eut remplacé la fidélité à la République, la fin de la République était proche. Ce sont là choses que depuis bien des années je de répéter, mais qu'il faut constamment redire. La répétition seule peut les faire entrer dans l'esprit. Les idées s'imposent rarement par la démonstration de leur exactitude, elles s'imposent seulement, après avoir envahi ces régions profondes de l'esprit oîi s'élaborent les mobiles de nos actions. n'ai cessé CHAPITRE VII La Défense sociale. L'anarchie ot les luttes sociales dont nous avons le tableau se manifestent surtout chez les peuples ayant tenté de rompre avec leur passé et dont la mentalité a par conséquent perdu sa stabilité. L'âme d'une nation est formée d'un réseau de traditions, de croyances, de sentiments communs, de préjugés même, fixés par l'hérédité. Cette âme oriente inconsciemment nos pensées et dirige notre conduite. Grâce à elle, les peuples pensent et agissent d'une façon semblable dans les conditions fondamentales de leur existence. Une société n'est solidement constituée, et l'idée de patrie qui conduit à la défendre, ne peut exister que lorsque l'âme nationale est née. Jusqu'à sa formation, un peuple reste une poussière de barbares capable seulement de cohésion momentanée, et sans lien durable. Il retourne à la barbarie dès que l'âme nationale se désagrège. Rome périt en perdant son âme. Les envahisseurs qui héritèrent de ses ruines, mais non de sa grandeur, mirent plusieurs siècles pour acquérir cette âme nationale, dont la possession pouvait seule les sortir de la barbarie. Or, nous sommes précisément à une de ces phases critiques de l'histoire où les croyances religieuses, politiques et morales, qui orientaient nos pensées et notre conduite, s'évanouissent progressivement et où tracé . 359 LA DEFENSE SOCIALE celles qui doivent les remplacer ne sont pas formées encore. C'est une terrible chose pour un peuple d'avoir perdu ses dieux. Le scepticisme, possible chez quelques individus, est un sentiment que les foules ne sauraient connaître. II leur faut un idéal créateur d'espérances. Comme l'a dit très justement un poète : A l'Homme il faut toujours, incarnant son désir, Héros, doctrine ou dieu, quelque fétiche étrange En vain, sans se lasser, un ténébreux archange Jette à bas les palais qu'il s'épuise à bâtir. En vain le Sort moqueur inccssannnent dérange Les nuages fuyants qu'il s'obstine à saisir '. ; Les dieux changent quelquefois, mais ils ne peuvent mourir. Une croyance nouvelle vient bientôt se substituer à celle usée par les siècles. Les dogmes socialistes tendent aujourd'hui à remplacer les dogmes chrétiens. Leur principale force de pouvoir se rattacher aisément aux croyances ancestrales. L'Etat providence est une forme affaiblie du ciel providence de nos pères. Les paradis socialistes sont proches parents de ceux des primitives est légendes. Il n'en fut jamais autrement. Les peuples très vieux, portant le poids d'hérédités très lourdes, ne peuvent guère posséder que d'anciennes croyances trans- formées et, par conséquent, changer simplement leurs noms. Les sentiments qui ont demandé des successions d'âges pour se fixer dans l'esprit ne sauraient brusquement disparaître. en partie pour cette raison que, malgré le peu d'élévation de son idéal, la foi socialiste, héritière immédiate de la foi chrétienne, progresse dans l'esprit des foules. Elle rend aux simples l'espérance, que les dieux ne leur donnaient plus, et les illusions que la C'est science 1. leiir avait ôtées. E. Picaïui. Podsies philosophiques. 360 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE Ses apôtres poursuivent bien à tort d'une haine intense les vieux dogmes. Cléricaux, socialistes, anarchistes, etc., sont des variétés voisines d'une même espèce psychologique. Leur âme est ployée sous le poids de semblables chimères. Ils ont une mentalité identique, adorent les mêmes choses et répondent aux mêmes besoins par des moyens peu différents. Si les propagateurs de la religion nouvelle se bornaient à prêcher pacifiquement leur doctrine, ils ne seraient pas trop dangereux, mais les socialistes partagent avec tous les apôtres ce caractère commun, de vouloir imposer par la force l'idéal qu'ils croient destiné à régénérer le monde. La haine que la société inspire à des esprits, dominés par un atavisme religieux à peine laïcisé, se répand rapidement parmi les ouvriers. Le sort de ces derniers est beaucoup plus heureux aujourd'hui que jadis et cependant, leurs malédictions contre l'organisation actuelle, sont identiques à celles des premiers chrétiens envers le monde antique qu'ils finirent par détruire. Bien que l'attaque jour plus violente, sa celle du monde païen aux mêmes causes. de la société s'accuse chaque défense reste aussi molle que devant la foi nouvelle et tient Maintenant comme alors, les esprits d'élite ne croient plus à la solidité des principes sur lesquels l'édifice social est bâti. Tiraillés par des influences ataviques, dont ils se délient, et par les nécessités de l'heure présente, ils sont incapables de volonté forte et finissent par céder à tous les mouvements de l'opinion populaire. Or, cette opinion est extrêmement changeante. Des explosions imprévues de fureur, d'indignation, d'enthousiasme, éclatent à propos des moindres événements. ^"'ayant plus un fonds commun de principes susceptibles d'endiguer leurs oscillations mentales, aucun 361 DÉFENSE SOCIALE I.A phare direcleur pour orienter leur conduite, les gouvernants suivent les foules au lieu de les guider. L'action des élites perd ainsi graduellement sa force et sera bientôt sans poids. Toutes les formules dans lesquelles se condensent maintenant les instincts populaires et qui visent à la destruction totale de la société, sont propagées par cette catégorie de demi-hallucinés désignés sous le nom de meneurs ou d'apôtres et dont la psychologie n'a pas varié à travers les âges. Ce sont généralement des esprits très bornés, mais doués d'une ténacité forte, répétant toujours les mêmes choses dans les mêmes termes et prêts souvent à sacrifier leurs intérêts personnels et leur vie pour le triomphe de l'idéal qui les a conquis. Leur puissance sur l'àme des foules est considérable, parce •ju'ils promettent sans trêve de lumineux paradis. Un paradis, c'est de l'espérance, et l'espérance fut toujours le grand mobile de l'activité des hommes. Hypnotisés par leurs rêves, ils finissent par halluciner les multitudes et par les déchaîner furieusement contre tous les obstacles. La mentalité des masses ne s'est guère modifiée dans le cours des siècles. L'intelligence peut évoluer, mais les sentiments et les passions, qui sont nos vrais guides, n'ont jamais changé. Les apôtres ne se combattent malheureusement qu'avec des apôtres or, si ceux du désordre sont nombreux, ceux de l'ordre demeurent bien rares. L'erreur passionne, les froides vérités n'enthousiasment pas. La tâche est plus facile, d'ailleurs, de vanter des illusions que de défendre des réalités. Assurez à l'ouvrier que son patron est un voleur et qu'il faut en incendier l'usine, il vous croira aisément. Expliquezlui que le patron est obligé de réduire les salaires, parce que de petits hommes jaunes fabriquent, au fond de l'Asie, à bien meilleur marché, les mêmes produits, vous ne serez nullement écouté. Le monde a été jusqu'ici bouleversé par des chi; 31 362 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE mères. De grands empires furent détruits sous l'in- fluence de convictions sentimentales, dont l'insignifiance nous paraît aujourd'hui extrême. N'espérons guère que la raison joue dans l'avenir un rôle qu'elle n'a pas su exei'cer dans le passé et apprêtons-nous à subir encore l'invincible puissance des chimères. Les illusions pénètrent lentement dans l'âme des foules, mais lorsqu'elles y sont implantées, c'est pour longtemps, et il est impossible d'en prévoir les ravages. Dans un des premiers chapitres de cet ouvrage, lâché de montrer que les violences de la Révolution résultèrent de ce que l'instinct de barbarie primitive, sommeillant toujours au fond de l'âme d'un j'ai peuple, avait été, grâce à certaines théories philosophiques, accepté comme genèse d'un droit nouveau. On crut agir au nom de la raison, l'invoquant sans cesse, alors qu'on luttait en réalité contre elle et que des instincts ancestraux, libérés de tout frein, étaient les seuls guides. La Terreur représente la transformation en droits d'instincts inférieurs. Elle fut l'effort de l'inspour dominer le rationnel et non une domination du rationnel, comme se l'imaginèrent les personnages qui en furent les auteurs et les historiens qui la tinctif racontent. Ce triomphe légal, d'instincts ataviques, était chose neuve dans l'histoire, car tout l'effort des sociétés, effort indispensable pour leur permettre fut constamment de refréner par la de subsister, puissance des traditions, des coutumes et des lois, certains instincts naturels légués à l'homme par son animalité primitive. Il est possible de les dominer et un peuple est d'autant plus civilisé qu'il les mais on ne peut les détruire. domine davantage Sous l'influence d'excitants divers, le socialisme par exemple, ils reparaissent facilement. Les grands mouvements populaires ne sont jamais assez — — — — LV DÉFENSE SOCIALE 363 la raison, mais le plus souvent une contre la raison. Chercher à expliquer par la logique rationnelle ce qui fut créé par la logique des instincts, est ne rien entendre à l'histoire. Le mouvement révolutionnaire actuel n'est, comme tous ccu-v qui l'ont précédé, qu'une réaction d'ins- un résultat de lutte barbares aspirant à secouer le joug de liens sociaux assez affaiblis pour qu'on puisse espérer les détruire. Ce que beaucoup d'esprits aveuglés par des chimères, considèrent comme le progrès, est une simple régression vers des formes inférieures d'existincts tence. Toute civilisation implique gène et contrainte. On ne devient même civilisé qu'après avoir appris à supporter cette contrainte et cette gêne. C'est en créant des freins sociaux puissants, que les peuples sortent do la barbarie, c'est en les laissant s'affaiblir qu'ils y retournent. Les liens sociaux créés par la civilisation ne se maintiennent que par un constant effort. Une des grandes causes de décadence est de renoncer à l'effort, le croyant inutile. Cette notion d'impuissance est surtout répandue dans les couches éclairées de la nation. Elles se résignent aux calamités sociales, comme on se résignait jadis à des épidémies, qu'une science soustraite au pessimisme, a fini par vaincre. Le scepticisme indilTérent, (jui fait notre faiblesse, n'a ]»as du tout La conun des éléments de leur force. atteint les apôtres révolutionnaires. fiance dans le succès est Bien que la situation des travailleurs soit très prospère aujourd'hui, les doctrinaires les ont tellement persuadés de l'injustice de leur sort qu'ils ont fini par y croire. La véritable réalité des choses, c'est l'idée qu'on s'en fait. Retournée progressivement aux instincts primitifs, mentalité de l'ouvrier moderne est en voie de la devenir celle d'un barbare. . 364 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE le ramener à la civilisafaudra d'abord parvenir à lui démontrer la valeur respective de l'inlolligence, du capital et du La tâche sera lourde, de tion. Il travail, puis lui faire saisir offert comme un mirage que l'ordre social nouveau à ses yeux, serait la misère les travailleurs. Mais où sont les maîtres capables d'enseigner ces choses? pour N'en possédant pas, ne pouvant s'appuyer sur une Université dépourvue de règles directrices, ni sur un gouvernement sans force, notre bourgeoisie doit compter seulement sur elle-même s'organiser pour se défendre dans sa lutte contre l'insurrection de Instruit par l'expérience, le comprit que le et comme apprendre à la Suède le fit la classe ouvrière. gouvernement suédois droit de grève, tel qu'il est pratiqué aujourd'hui, accordant à une minorité de factieux le droit d'arrêter tous les services publics d'un pays et semer partout le désordre, était complètement incompatible avec les progrès de la civilisation. Il déposa Parlement un projet de loi réglant les contrats collectifs et prononçant des pénalités sévères contre les grèves de nature à entraîner un danger public. Un tribunal spécial d'arbitrage réglera les différends. Avec une telle loi nous n'eussions connu, ni la grève des I)Ostiers, ni les grèves répétées des inscrits maritimes qui achèvent de ruiner notre marine marchande. Un mouvement analogue commence à se dessiner en France devant les dures leçons de l'expérience. Mais notre mentalité devra subir quelques changements, avant qu'il aboutisse à des lois ^ Notre bourgeoisie est encore trop indécise et trop molle pour songer à se protéger, mais l'énergie de 1. On trouvera d'intéressants développements sur ce sujet devant le de M. Bouioc /c Droit de grève. 11 montre claipsychologiques et économiques d'un tel droit. J'engage l'auteur à se répéter souvent, s'il veut intéresser à sa cause d'influents orateurs. dans le rement livre les : illusions 365 LA DEFENSE SOCIALE amènera peut-être celle de la défense. M. Georges Sorel le montre fort bien « Le jour, dit-il, où les patrons s'apercevront qu'ils n'ont rien à gagner ]iar les œuvres de paix sociale ou par la démocratie, ils comprendront qu'ils ont été mal conseillés, alors il y a quelque chance pour qu'ils retrouvent leur ancienne énergie. Une classe o'ivrière grandissante l'attaque : solidement organisée peut forcer la classe capitaà demeurer ardente dans la lutte industrielle. » Qui veut mériter de vivre doit rester le plus fort. Avec l'évolution moderne du monde, nul ne pourra conserver ce qu'il ne saura défendre. Pour triompher dans les luttes que nous voyons grandir, notre bourgeoisie devra acquérir certaines vertus et renoncer à certains vices. L'insolence du luxe de quelques parvenus oisifs, luxe que l'ouvrier croit composé d'une partie considérable de son travail, a suscité plus de haines que tous les discours socialistes. Comparée soit à l'aristocratie anglaise, soit à l'ancienne aristocratie française, notre bourgeoisie vieillit très vite, et ne durerait guère, si presque à chaque génération elle n'était consolidée par les éléments et liste empruntés à la classe placée au-dessous d'elle. ne faudrait pas cependant s'en trop étonner. Les vieilles aristocraties ne se perpétuaient que par des droits héréditaires, ne nécessitant aucune supériorité. Les aristocraties de l'intelligence ne subsistent au contraire, qu'à la condition du maintien de leur supériorité intellectuelle. Or l'hérédité ne le permet guère. J'ai montré dans un autre ouvrage^ que les élites sociales sont condamnées à se renouveler constamment, parce que les lois de l'hérédité ramènent bien vite au type moyen de la race, les descendants des Il individus qui s'en étaient trop écartés. La nature, elle aussi, est parfois égalitaire les 1. socialistes. mais non Loin d'égaliser Les Lois psychologiques de l' les comme le rêvent^ individus d'une Évolution des peuples, 9*= 31 édition. . 366 rSYCHOLOGIE l'OLITIOLE ET DEFENSE SOCIALE génération, elle les différencie. C"est seulement les descendants des élites qui sont ramenés à l'égalité. La nature égalise donc seulement dans le futur, alors (jue les socialistes voudraient égaliser dans le présent. 11 ne semble pas aujourd'hui, que ce soit dans les couches élevées de la l)ourgeoisieque la défense sociale se dessine, mais dans ses rangs les plus humbles boutiquiers, petits commerçants, etc. Toujours très menacés et jamais défendus, ils comprennent maintenant qu'ils ne peuvent compter que sur eux et commencent à s'organiser pour soutenir la lutte. Ils se syndiquent, forment des associations et projettent même de constituer une milice pour les protéger. L'exemple donné par la Suède leur a servi de leçon. On ne saurait tro[) les encourager à persister dans cette voie. : La situation devenait eux. Voici le j'emjjs comment d'ailleurs s'exprimait intolérable récemment pour à ce sujet : Le conimerçaQt. est livré par la surenchère démagogique des aux loups du législateurs et la faiblesse des pouvoirs publics, syndicalisme. Sous le du nom de politique régime de répartition fantaisiste, sociale, à lui les patentes, à lui les des. Les lois dites sociales, il les baptisé amen- supporte doublement, en tant que patron. Est-ce à dire qu"en échange de ces sacrifices croissants, on lui assure la protection à laquelle il adroit? Nullement. De temps en temps, les volontaires de l'action directe vont lui rendre visite. Si le commerçant n'obtempère pas à leurs sommations, il y est contraint par la force. Des syndiqués se répandent dans ses locaux, envahissent ses « rayons », chassent les commis, épouvantent les acheteurs. Les commerçants détaillants, race taillable et corvéable à merci, se rebiffent enfin. Ils se montrent fermement résolus à se défendre eux-mêmes s'ils ne sont pas défendus et projettent l'organisation d'une milice qui opposerait la force à la force. Voilà où l'indifférence des gouvernements qui se succèdent depuis une dizaine d'années nous conduit à la défense directe des citoyens molestés. : 367 LA DÉFENSE SOCIALE Ce qui précède ne concerne que diate contre des violences. Il la serait défense immé- autrement impor- tant d'acquérir quelques principes fixes, capables de nous orienter un peu. au sein du désordre où nous sommes plongés, et de lutter contre les forces qui désagrègent de plus en plus l'édifice social. Ce sont justement ces principes fixes qui nous manquent. Quelques-uns des faits enregistrés quotidiennement par les journaux, et qui constituent d'utiles fragments de notre histoire sociale, trahissent une psychologie que les hommes de l'avenir ne comprendront plus. Quelle aventure typique, celle de ces manifestants, conduits par leur député, arrêtant brusquement un train express à Villeneuve-le-Roi, au risque de produire une catastrophe, dans le but la Compagnie à leur donner une gare. une mentalité de sauvages pour en arriver là. d'obliger faut Quand le mépris des d'autorité a disparu et lois est général, que toutes que le Il principe les disciplines qui font la force d'une civilisation s'évanouissent, l'écrou- lement d'une société est proche. Rien n'est respecté aujourd'hui en dehors de la force. Le fonctionnaire est insolent devant ses chefs, le matelot devant son capitaine, l'ouvrier devant son patron. Et il faut bien reconnaître aussi, que les vieilles autorités perdent chaque jour leur droit à être respectées. La magistrature ne rend plus la justice et semble réserver toute son indulgence à des forbans, que leur or protège. Les gouvernements obéissant aux pires sectaires, ne protègent plus les citoyens contre les violences, et ne manifestent d'énergie que pour dépouiller et persécuter de vieux moines sans défense. C'est toute une civilisation qui s'écroule, un passé glorieux qui s'éteint. Des phénomènes du même ordre se manifestèrent à la fin du Directoire après dix ans d'anarchie. Sans doute, la rude main d'un 368 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE despote suffit alors à rétablir l'ordre, mais à quel prix! Pouvons-nous, en vérité, recommencer des expériences semblables? Où donc chercher un frein? Vers qui se retourner? Vers nous-mêmes seulement, je le répète et non vers les gouvernants, moins encore vers les législateurs. Que pourraient d'ailleurs ces gouvernants et ces législateurs sans liberté, sans dignité et sans force? Ils ne songent qu'à obéir aux exigences de comités dont ils sont les esclaves. M. R. Poincaré montrait récemment que le député, devant le Parlement, n'était qu'un modeste courtier d'arrondissement « ne faisant pas un pas sans entendre le bruit des anneaux qui lui rappellent son esclavage » et prêt « à agenouiller les plus fiers desseins, devant ces divinités mystérieuses et redoutables, qui s'appellent les comités d'arrondis- parfois si altier sement ». Le législateur, tel qu'il est élu aujourdhui, constitue un véritable danger social parce que, dépourvu de caractère et ne songeant qu'à sa réélection, aux plus bas instincts de la multitude. il obéit 11 serait inutile de se le dissimuler. La plèbe seule aujourd'hui nous gouverne. Or, ignorante de ses propres intérêts et rongée par l'envie, elle rêve uniquement de s'emparer des richesses conquises par l'intelligence, et de supprimer toutes les supériorités. Elle en arrive à exiger la confiscation brutale des fortunes, sans lesquelles aucune industrie ne saurait prospérer. Impôt inquisitorial sur le revenu, confiscation du quart des successions, etc. C'est vers la ruine complète de nos finances que, sous son impulsion, nous marchons à grands pas. L'histoire sera justement sévère pour les esclaves qui suivent de pareils maîtres, sans jamais chercher à les éclairer. LA DEFENSE SOCIALE 369 Les humbles serviteurs du gouvernement populaire avec des lois les sociétés, établir l'égalité et déposséder les détenteurs des richesses. -Nous avons montré dans cet ouvrage la vanité et les dangers de ces tentatives auxquelles s'acharnent inlassablement nos législateurs. Etudiant récemment les origines des grands progrès qui ont transformé les conditions d'existence des hommes, et fait de l'ouvrier moderne l'égal du riche d'autrefois, M. d'Avenel montrait, une fois de plus encore, que ces progrès ne furent jamais le résultat d'entreprises collectives, mais d'efforts individuels. croient refaire Ce que le libre jeu de ces derniers a réalisé, ni la charité chré- tienne, ce socialisme facultatif d'hier, ni le socialisme moderne, cette charité obligatoire d'aujourd'hui, n'auraient pu ni ne pourraient l'obtenir... les progrès futurs seront le résultat du libre individuel et non de la bonté collective, fût-elle érigée en système légal. La bonté sert beaucoup à Famélioration morale de ceux qui l'exercent comme un devoir, et fort peu au soulagement de ceux qui la réclament comme un droit. Elle crée seulement de la vertu pour les uns, elle ne crée pas de richesses pour les autres. Au point de vue économique les bienfaiteurs effectifs de l'humanité ne sont pas les organisateurs de la bonté, mais les entraîneurs de travail. effort Nos pour changer des lois naturelles inélucexemple l'égalité, là où la nature impose l'inégalité, représentent d'aussi dangereuses tentatives que celles d'un chef d'usine qui voudrait violer toutes les lois de la physique et de la mécani(jue. La ruine lui montrerait bientôt le danger d'une efforts tables, établir par telle entreprise. Rechercher ici quelles règles morales dirigeront de l'avenir serait bien inutile. Nous devons nous occuper surtout de celle où nous vivons et des moyens de la faire durer, en arrêtant la grandissante les sociétés anarchie. Les principes directeurs capables de guider un peuple n'ont pas besoin d'être nombreux, s'ils sont 370 PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE Le culte de Rome, dominant des Romains, assura leur grandeur jusqu'au jour où il s'affaiblit dans Tàme des citoyens. forts et universellement respectés. idéal C'est précisément sur la défense patrie, impliquant toute de la notion de une organisation morale, que nos efforts doivent se concentrer. Elle est profondément sapée en France par la plupart des sectes socialistes qui sentent nettement que cette idée, pivot de l'édifice social, étant détruite, l'édifice s'écroulerait d'un seul coup. De cette notion fondamentale beaucoup d'autres qu'un peuple ne découlent, et notamment celle-ci peut vivre sans armée, sans hiérarchie, sans respect de l'autorité; sans discipline mentale. Ces éléments essentiels, aucun parti, sauf celui des révolutionnaires, ne saurait les rejeter, puisque tous aspirent nécessairement à la durée du pays où ils vivent. L'amour de la patrie forme le véritable ciment social capable de maintenir la puissance d'un peuple. La patrie est le symbole des acquisitions héréditaires de toute notre existence ancestrale. Ne pouvant vivre que par elle, nous devons vivre pour elle. C'est en faisant aiqjel au culte de la patrie que les auteurs de la récente Révolution turque conquirent les âmes « Tout homme de cœur et de conscience, disait une de leurs proclamations, sait que la patrie est chose plus sainte, plus chérie que la mère, le père, en un mot que tout au monde. » Malheureusement, le culte de la patrie, qui créa jadis la puissance de Rome, et a tant contribué de nos jours au développement rapide de la prospérité allemande, est bien faiblement défendu chez nous maintenant. En Allemagne, comme en Amérique, il est propagé par les universités dans les classes lettrées, et par les instituteurs dans les couches populaires. Pouvons-nous compter, en France, sur la même catégorie de défenseurs auprès de la jeunesse et de l'enfance? On a trop de raisons d'en douter.' : : LA DÉFENSE SOCIALE 371 M. Bougie faisait remarquer récemment que ce que comprennent de plus clair, ce qui les /'meut et les attire le plus dans le socialisme, c'est « l'hervéisme ». On sait avec quelle vigueur il fut repoussé par les Allemands, au dernier Congrès socialiste international. Pareille leçon n'a pas corrigé nos les « jeunes »> professeurs. Si cette mentalité se perpétue, si les instituteurs s'agrègent progressivement aux syndicats prêchant la haine de la patrie et de l'armée, que devrons-nous attendre des générations ainsi formées? Quand les hommes renient leur patrie et s'insurgent contre ses lois, sur quels éléments une société pourrait-elle s'étayer pour continuer à vivre? Vérités évidentes sans doute, mais qu'il ne faut pas cependant se lasser de redire. Les socialistes se répètent sans cesse, et à force de vociférer contre le capital et l'organisation actuelle, ils ont fini par persuader les foules de la justesse de leurs théories. Une vérité ne s'incruste dans les âmes qu'après des répétitions innombrables. Si les défenseurs de la société étaient animés d'une foi aussi ardente et propageaient leurs doctrines avec le même zèle que les révolutionnaires, la défaite de ces derniers se dessinerait rapidement. Nous sommes arrivés à cette heure décisive où chacun devra se résigner à être un apôtre pour défendre l'édifice social contre la barbarie destructive des sectaires. Le triomphe de ces derniers conduirait vite à la ruine générale, aux guerres civiles et aux invasions. Défendre la patrie, combattre l'anarchie est devenu un devoir auquel nul ne doit se soustraire. Les lois morales dérivées de la notion de patrie suffisent à constituer l'armature sociale d'un peupje. Leur force dépend uniquement de l'action qu'elles exercent sur les âmes. Soutenue seulement par les codes, cette force serait bien faible. Ce ne sont ni les constitutions, ni les flottes, ni les 372 PSYCHOLOGIE POLITIQLE ET DÉFENSE SOCIALE la cohésion à une nation et maintiennent sa grandeur. Sa vraie force, c'est son idéal. Puissance invisible, créatrice des choses visibles, il dirige les âmes. Un peuple met des siècles pour acquérir un idéal et retombe dans la barbarie dès armées qui donnent de qu'il l'a ])erdn. De la décadence qui nous menace, le plus sûr symptôme est l'atTaissement général des caractères. Nombreux, aujourd'hui, sont les hommes donl surtout parmi les élites qui en faiblit, auraient justement le plus besoin. Chez les grands maîtres placés à la tête des nations comme chez les petits chefs qui en gouvernent les détails, l'indécision et la mollesse deviennent dominantes. Les fanatiques révolutionnaires, dotés d'énergie par leur fanatisme même, sont pour cette raison redoutables. Devant une volonté forte, toute volonté faiblo l'énergie doit plier. Ces agitateurs ne sont pas encore aussi dangereux pourront le devenir, parce que les traditions sociales, créées par un long passé, maintiennent un peu l'édifice journellement sapé. Dans l'ombre des tombeaux se trouvent nos vrais maîtres. Contre les fantaisies des vivants se dresse le despotisme des (ju'ils morts. 11 semblerait même aujourd'hui que les morts seuls aient de l'énergie pour nous. Cependant ils ne pourront nous aider toujours. Le pouvoir du passé ne se maintient que si le présent lui fournit un apport constant. Arrivé au terme de ce long travail, il faut conclure. Je le ferai en essayant de montrer, dans une brève synthèse, que les phénomènes physiques, biologiques quelles que soient les et sociaux sont conditionnés — 373 LA DÉFENSE SOCIALE — lois diverses qui les régissent par des nécessités générales du même ordre. Ces nécessités supérieures semblent constituer l'ultime philosophie accessible des choses. Le monde de la connaissance a pris depuis un demisiècle une extension plus vaste que durant toute la série des âges antérieurs. Aux découvertes réalisées dans les faits, se sont ajoutées les théories proposées pour les interpréter. La science moderne renonce à découvrir un élément fixe dans l'univers, un repère invariable dans l'écoulement des phénomènes. Tous se sont évanouis tour à tour, et la matière elle-même, le dernier sur lequel on croyait pouvoir compter, a perdu son éternité. L'instabilité succède ainsi à la fixité. Des fluctuations perpétuelles d'équilibre ont remplacé le repos. La raison première des choses recule dans un infini inaccessible. Seuls sont connaissables les rapports des phénomènes. L'ensemble des expériences conduit à cette conclusion si profonde de Poincaré : « Dans notre monde relatif toute certitude est un mensonge ». Abandonnant les explications trop sommaires, la science substitue maintenant aux grandes lois géné- rales l'accumulation de causes infiniment petites, mais infiniment nombreuses. Elle enseigne que le monde physique, le monde biologique et le monde social sont l'œuvre de minimes individualités, sans action (]uand elles restent isolées, mais fort puissantes dès sont associées. Les infiniment petits font surgir les continents, germer les moissons et mainqu'elles tiennent la vie. Les multitudes humaines font évoluer les civilisations. Mais en montrant ce rôle de la multiplicité et de des causes dans la genèse et l'évolution des phénomènes, la science a prouvé également démonstration capitale que toutes ces individualités diverses atomes physiques, cellules vivantes, unités l'addition — — : 32 374 PSYCHOLOGIF, POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE humaines, etc., demeurent sans effet, si des forces provoquer et canaliser leurs directrices ne viennent actions. Que les éléments considérés appartiennent au cycle physique, biologique ou social, il n'importe. Les agents directeurs sont toujours indispensables pour les orienter. Dès qu'ils cessent de subir leur influence éléments individuels deviennent une vaine les poussière. Pour les cellules d'un être organisé, l'orientation directrice c'est la vie. son arrêt c'est la mort. Pour les unités de l'être social, la loi est la même. Dans voyons le cycle humain les forces — seul à considérer — nous directrices ici : croyances, idéal, etc. succéder sans jamais disparaître. Elles peuvent changer de nom, mais persistent toujours. Orientation par la foi, l'épée. la science ou l'idée, il en fallut à toutes les phases de l'histoire. Priver une société de puissances directrices ou la soumettre à des forces capricieuses oscillant constamment, serait la con- se damner à périr. Le rôle des gouvernants dans la conduite des peuples est tout à fait comparable à celui du savant dans le maniement des phénomènes. Comme ce dernier, l'homme d'Etat ne peut qu'utiliser, en les orientant sagement, des forces naturelles qu'il ne saurait créer. De même que le savant encore, il peut lutter contre elles en leur opposant des forces antagonistes. Parmi les forces diverses dont l'homme dispose, pour lutter victorieusement contre les puissances qui l'étrei- gnent, la volonté fut toujours la plus active. Divinité souveraine, elle fit sortir du néant avec les merveilles des sciences et des arts, tout ce qui fait l'éclat des civilisations. En remontant chant comment la chaîne de l'histoire, et recher- certains peuples acquirent leur gran- LA DÉFENSE SOCIALE comment 375 maîtres de la pensée obligèrent on retrouve toujours, à la base de leurs succès, une volonté forte. Si nous tâchons de découvrir ensuite, pourquoi tant de nations périrent après un long déclin, pourquoi Rome, jadis reine du monde, finit par tomber sous le joug des Barbares, nous constatons que ces chutes profondes eurent généralement une même cause, raffaiblissement de la volonté. Cette faculté est donc la qualité maîtresse des individus et des peuples. Le but primordial de l'éducation devrait être de la fortifier et non de l'atïaiblir. Le difficile n'est pas de vouloir un instant, mais de vouloir sans trêve. Une volonté forte ne désespère jamais. « J'en réchapperai malgré les dieux», s'écriait Ajax, déjà enveloppé par les vagues que déchaînait la fureur de Neptune. La foi qui soulève deur. les l'univers à livrer ses mystères, les montagnes s'appelle la volonté. Elle est la véri- table créatrice des choses. moderne nous montre des nations chaque jour, alors que d'autres restent stationnaires ou déclinent, la raison s'en trouve dans les quantités variables de volonté que ces nations possèdent. Ce n'est pas la fatalité qui régit le monde, c'est Et si l'histoire s'élevant la volonté. TABLE DES MATIERES LIVRE I BUT ET MÉTHODE Pages — H — — — III. — Chai-. [. La Psychologie politique 1 Les Nécessités économiques et les théories Méthodes d'étude de politiques i;j la LIVRE psychologie politique. 27 II FACTEURS PSYCHOLOGIQUES DE LA VIE POLITIQUE Cn.\p. I. — L'Origine des lois et les illusions législa- ... tives — — — — II. — Les Méfaits des lois. m. — Rôle politique de la Peur IV. — V. — 50 . ci Transformation moderne du droit divin. L'Étatisme Facteurs psychologiques des luttes — 71 guer- rières 84- — VI. — Facteurs psychologiques des luttes écono- — VII. — Influences w miques ment 40 psychologiques universitaire de renseigne103 378 TABLE DES MATIÈRES LIVRE m LE GOUVERNEMENT POPULAIRE l'ages — m. — IV. — V. — — — — — — VJ. — CiiAP. ]. — 11. L'Élite et la Foule 118 Genèse de 133 la Persiiasion La Mentalité ouvrière 142 Formes nouvelles des aspirations populaires 153 L'Impopularité parlementaire et chère 163 Les Progrès du Despotisme la suren- 176 LIVRi: IV LES ILLUSIONS SOCIALISTES ET SYNDICALISTES (ln.\p. — — 1. — Les Illusions socialistes 187 II. — Les Illusions syndicalistes 202 111. — LÉvolution anarchique du syndicalisme. . . 215 LIVRE V LES ERREURS DE PSYCHOLOGIE POLITIQUE EN MATIÈRE DE COLONISATION — 11. — — — III. — — IV. — V. — Chap. 1. Nos Principes de Colonisation 226 Résultats psychologiques de léducation européenne sur les peuples inférieurs .... 244 Résultats psychologiques des institutions et des religions européennes sur les peuples inférieurs 256 Raisons psychologiques de l'impuissance de la civilisation européenne à transformer les peuples inférieurs 265 Les Formes nouvelles de la Colonisation. 277 . . 379 TABLE DES MATIÈRES LIVRE \l L'ÉVOLUTION ANARCHIQUE ET LA LUTTE CONTRE LA DÉSAGRÉGATION SOCIALE Pages CiiAP. I. — II. — in. 1\ — — . V. VI. — — — — — — L'Anarchie sociale Les Progrès de la 2s:i Criminalité :i01 LAssassinat politique 31.j Les Persécutions religieuses 320 Les Luttes sociales 32S Le Fatalisme moderne et la dissociation des fatalités — VII. — H il La Défense sociale 7113. — Paris. — Imp. Hemmerlé ; et C". -- 5.10 . 3.ïs IRNEST FLAMMARION, ÉDITErR, 26, RUE RACINE, PARIS BIBLIOTHÈQUE DE rniLosoniiE scientifique Publiée sous la direction du Collection, iii-18 jésus à 1' — Série. BOINET D"" 3 Gustave Le Bon fr. 50 le volume Sfieiircs pliYsiijiies el naturelles (E.), Professeur de Clinique médicale. trines médicales. — — Les Doc- Leur Évolution. La nécessité dune doctrine directrice s'impose à la médecine, qui est à la fois un art pnr ses applications et une science par ses [noyens d'éludé. Les doctrines médicales ont donc une portée pratique el théorique, et leur évolution marque les étapes de la médecine. Un vol. — BONNIER (Gaston), Membre de Vlnstitul, Pro'iesseur à la Sorbonne. Le Monde végétal. Dans Le Monde Végétal, l'auteur, avant tout, expose les faits qui — la philosophie des sciences naturelles; il y passe en revue succession des idées que les savants ont émises sur les végétaux; éclairent la il les commente BOUTY el il les discute. — Un vol. illustré de 230 figures — (E.). Prolesseur à la Faculté des Sciences. La VéSa Poursuite. rité scientifique. Mettre en lumière les caractères généraux de la vérilé scientifique, le rôle que jouent lexpérience et le raisonnement dans sa découverte; montrer l'unité réelle de l'effort sous la diversité — indéfinie de ses formes, l'étroite solidarité des sciences considérées la fois dans leur développement logique et historique, tel esl l'objet essentiel de ce livre. Un vol. à — BRUNHES (Bernard), — Directeur de VObservatoire du Puy La Dégradation de l'Énergie. de Dôme. Quand le public cultivé parle de « conservation de l'énergie il (le », croit en général à la conservation de « lénergie utilisable » ou. la « capacité de produire du travail ». Non content de dénoncer, une livre fois en genèse. de plus, le contre-sens si usuel, l'auteur a voulu dans ce rechercher les origines historiques et en expliquer la — Un vol. illustré. 2 COMBARIEU (Jules), au Collège de France. son Evolution. Dans ce gage très Chargé du Cours dllistoîre inusicale Ses Lois et La Musique. — — l'auteur ne s'est pas contenté d'exposer en lanavec exemples à Tappui, les lois de la musique il les explique, en rattachant un état donné de l'art et de la théoUn vol. illustré. rie à l'élat correspondant de la vie sociale. travail, clair, : — DASTRE. Prolesseur de Physiologie à La Vie et la Mort. rinslitut. Ce livre — traite point de vue de Sorbonne, Membre de la des questions relatives à la Vie philosopliie et de la science. la ETELAGE (Yves) et GOLDSMITH — (M.). — à et Un Mort au la vol. Les Théories de l'Evolution. Sur le principe de l'évolution, c'est-à-dire sur l'idée que les êtres animés descendent les uns des autres, on est à peu près d'accord. Mais sur le modus agendi de cette évolution, il est loin d'en être ainsi. Le lecteur curieux de ces questions trouvera dans ce livre un fil d'Ariane qui lui permettra de se retrouver dans le dédale des opinions contradictoires et de se i'a;ie une idée d ensemble sur une question qui intéresse l'humanité entière en raison Un vol. de ses applications aux théories sociologiques. — DEPÉRET Lyon. — (Charles}, Z)oj/c7i de la Faculté Les Transformations <1u des Sciences de Monde animal. Ce livre est destiné à exposer ce que nous savons, actuellement, des lois qui ont présidé aux transformations du monde anim.al, depuis l'apparition de la vie sur le globe jusqu'à nos jours. Un voj. — HÉRICOURT J). (D"^ — L-'s Frontières de Mal la ul e. toutes les maladies qui laissent aux patients les apparences de la sanié, et qui. par cela même, sont abandonnées à leur libre évolution dans leur phase maniable par l'hygiène, jusqu'à leur transformation en états graves, contre lesquels la thérapeutique est alors le plus souvent Les frontières de impuissante. — — Un la maladie, ce sont vol. L'Hygiène moderne. Sous une forme toute nouvelle, l'auteur présente aux lecteurs un ensemble d'idées générales capables de les guider avec sûreté pour la solution de tous les problèmes concernant la conservation et la protection de leur santé. Un vol. — HOUSSAY — (Frédéric\ Prolesseur de Zoologie à Nature et la Sorbonne. Science.<î naturelles. Ce nouveau livre, accessible à tous les esprits cultivés et réfléa pour noyau la plus originale tentative pour montrer, dans de la science, la continuité de pensée depuis l'antiquité jusqu'à notre époque. Un vol. chis, l'édification LAUNAY — (L. de), Professeur à V Ecole des ilines. toire de la Terre Faire une Histoire de la Terre, qui soit, à — L'His- proprement parler, une - 3 — Histoire, c'est-à-dire qui raconte simplement les faits du passé dans leur succession chronologique et qui ne devienne pas, pour cela, un roman, tel est le but difficile que s'est proposé M. De Lauxay. — — Un vol. La Conquête minérale. Le but de cet ouvrage est d'étudier le rôle industriel, économique, social et politique de la richesse minérale dans l'histiiire, en indiquant l'évolution subie, dans son mode de découverte, Un vol. d'extraction et d'applicalion dans l'industrie. — LE BON iD"" Gustave). — L'Évolution de Matière. la Cet ouvrage présente un intérêt scientifique et philosophique considérable. L'auteur y a développé les recherches nombreuses que sous ces titres La Lumière Noire, La Demniérialisation de la ilalière. etc., il a publié depuis plusieurs années. Ua vol. illustré de 65 gravures photographiées au laboratoire de l'auteur. : — — L'Évolution des Forces. livre est consacré à développer les conséquences des principes exposés par Gustave Le Bon dans son ouvrage l'Evolution de la Matière, dont le 18* mille a paru récemment. Un vol. illustré Ce — de 42 figures. LE DANTEC f Félix), Chargé de Cours à la Sorbonne. — Les Influences Ancestrales. L'auteur montre comment, de la seule notion de la continuité des lignées, on conclut sans peine aux principes de Lamarck et Darwin. Le premier livre de l'ouvrage est un véritable résumé de la biologie tout entière. — La — Un vol. Lutte universelle. Contrairement à Siint Augustin qui affirme que les corps de nature se soutiennent réciproquement et « s'aiment en quelque sorte » M. Le Dantec prétend, dans ce nouveau livre, que l'existence même d'un corps quelconque est le résultat d'une lutte. la — Un vol. — Philosophie XX* du Siècle • de l'honiivie a la SCIENCE. Les études biologiques de M. Le Dantec, ses efforts pour placer la vie au milieu des autres phénomènes naturels, devaient l'amener à écrire une œuvre de synthèse. Un vol. — — • SCIENCE ET CONSCIENCEScience et Conscience nous est donné par M. Le Dantec comme son dernier livre de Biologie. Son œuvre considérable ne saurait manquer d'avoir une grande influence sur la pensée moderne. 3f — Un vol. MARTEL Sous ce fE.-A.). titre, c'e«t-''-d'rp vol. illustré 1 — L'Évolution souterraine. l'autour évn'iiiion montre 1 histoire souterraine de la planète rrrnnrtlnïîp de 80 belles gravures. cf continue de la Terre. — Un —4OSTWALD zig. {'W.),Prolesseur de Chimie à VUniversUé de Leip- — L'Evolution d'une Science. — La Chimie, tra- duction du Docieur DLTOUR, Professeur agrégé à la Facvlté de Médecine de yanry Bien que VEvoluiion d'une Science ne soil pas à propremenl parler une hislol"? de la ihimie, l'auteur a cherché à ne lai.=ser de côlé aucun point essentiel. Son 'ivre est um^ pierre apporlée à Ihisloire de la chin.i.% et c'est aussi une contribution à l'histoire Un vol. générale de la sJenc-. — PICàRD ^Émile honne. M. — Picard . de VlnsUhU, Prolesseur à la Soret son État actucL proposé di- donner, dans ce volume, une idéi .I/e;)it)e La Science moderne s'est physiques Tétst des sciences rnalhémaliques, naturelles dans les premières années du xx* siècle. sur d'ensf^nible — POINCARÉ (H.), de VAcadémie Française. et rSiypothèse. — et L'n vol. La Science y. Poi.vcARÉ a réuni sous ce litre les résultais de ses réflexions L'n vol. sur la logique des sciences mathématiques et physiques. — — La Valeur de Science. la Cet ouvrage a pour but de valeur objective de la science. — recherchi-r — Un quelle est la véritable vol. Science et Méthode. PoiNCARÉ a réuni dans cet ouvrage diverses études se rapUn vol. portant à des questions de méthodologie scientilique. M. — POINCARÉ Lucien — Inspecteur général de llnslruciion pu- , blique. La Physique moderne. Ouvrage couronné par l'Académie des Sciences. — Son Évolution, L'auteur a pensé qu'il serait utile d'écrire un livre où, tout en d'insister sur les détails techniques, il ferait connaître, d'une façon aussi précise que possible, les résultats si renuirquables qui, depuis une dizaine d années, sont venus enrichir le domaine de la physique et modifier profondément les idées des Un vol. philosophes aussi bien que celles des savants. évitant — — L'Électricité. Dans ce volume, M. Lucien Poincaré étudie les modes de production et d'ulilisalion des courants électriques et les principales applications qui appartiennent au domaine de léleclrotechnique. — Un vol. RENARD (Commandant Paul tel . — L'Aéronautique. aéronautique tout entière et bien qu'un volume embrasse sujet comporte nécessairement des parties abstraites, l'auteur a Kie I su exposer avec clarté les questions les plus arides sans rien sacrifier de la précision n'écess.iirp et en se mettant à la portée de tous les lecteurs. Un vnl. illustré. — —52' Skrie. BINET — Psychologie et Hisloire. (Alfred\ Direcleur de Laboratoire à Les Idées Modernes sur les la Sorbonne. — Enfants. Depuis une Irenlaine d'années, en Allemagne, en Amérique, en en France, des médecins, des ph\siologisles et des psychologues ont cIk rché à intioiluire les méthodes scienliliques dans les auteur examine en toute imchoses de educalion. Voilà ce que partialité. Sou livre s'adresse aux pères de faiiiille, aux éducateurs, politiques ceux qui s'intéressent au proaux hommes ei à tous blème de l'enfance. Un vol. Italie, I 1 — — L'Ame et le Corps. M. BiNET a voulu montrer que les progrès récents de la psychologie expérimenlale ont eu un retentissement sur les spéculations les plus hautes et les plus abstraites de la philosophie. Un vol. — — BIOTTOT (Coloner. Les Grands Inspirés devant la Science. — jeanne d'arc. Celte œuvre s adresse cgalcmont aux penseurs et aux simples curieux dune explication scientifique de Jeanne d'Arc, l'héroïne du patriotisme. Un vol. — BOHN — (Georges). La Naissance de l'Intelligence. Ce volume est un exposé de létat actuel des problèmes de chologie animale. Un vol. — la psy- — BOUTROUX (Emile). Membre de VInstilut. Science et la philosothie conteiviporaineEtude critique des princ'pales solutions que reçoit actuellement, parmi les hoinmrs qui réfléchissent, le problème des rapports de la religion el de la science. Un vol. Religion dans — BRUYSSEL (Ernest van). Consul général de Belgique. Ses Evolutions. Vie Sociale. — — La Ce livre expose dans son ensemble toute l'histoire de l'humanité. a pour but élude des idées sociales dès leur origine et à travers leurs évolutions, durant la succession des siècles. Un vol. Il — I CROISET fAlîred\.l/emf;re de Vlnsl'dul, Doyen de des Lettres de Vlniversilé de Paris. — la Faculté Les Démocraties Antiques. Faire c<innaîlre, par un exposé rapide, non seulement les traits saillants des inslilui ons démocratiques de l'antiquité, mais aussi les grandes lignes de leur évolution et, autant que possible, les causes écorio'iiiiines, polilii]ues, morales qui en ont réglé le dévetoppeiiient ou dét. miné le caractère, tel est lobjet du présent ouvrage. — i Un vol. —6— CRUET Docteur en droit, Avocat à la Cour d'appel. [)roit ET L'impuissance des lois. Cet ouvrage examine s'il n'y a pas, contre le droit du législateur et à côté de lui, un droit du juge et un droit des mœurs. Il convient dapporter au moule dans lequel doit être coulée la pensée législative, certaines retouches ou corrections. Le législateur ne doit Un vol. pas proiiieltre ce qu il ne saurait tenir. — (Jean), La Vie du — DUBUFE Guillaume Ce que représenle . — La l'art Valeur de l'Art. chez les divers peuples, les aspirations est la synthèse, les besoins qu'il traduit, les élémrnls quil fournit ù l'étude des civilisations, telles sont les questions abor- dont il dées dans cet ouvrage. JANET (D'" Pierre), Professeur de Psychologie au Collège de France. Les Névroses. Cet ouvrage présente un résumé rapide d'un grand nombre d'études que l'auteur a publiées depuis vingt ans sur la plupart — des troubles névropathiques. LE BON et D"^ Gustave). — — Un vol. Psychologie de l'Éducation. Ce livre a été écrit pour tous les membres de l'enseignement, au moins autant pour les pères de famille, soucieux de l'avenir de leurs fils. — Un vol. — LE DANTEC L'Athéisme. (Félix). Voici, nous dit fauteur, un livre de bonne foi; et, réellement, le ton de l'ouvrage est tel qu'on pourrait se demander, le plus souvent, si l'on est en présence d'un plaidoyer pour l'athéisme ou pour la nécessité d'une foi religieuse. Un vol. — LICHTENBERGER .Henri), \laître de Conlérences à la Sorbonne. Son Évolution. L'Allemagne moderne. Dans cet ouvrage on a essayé de donner, en. quatre livres, un tableau sommaire de l'évolution économique, politique, intellectuelle, artistique de Allemagne moderne. Un vol. — — — 1 — Université de Vienne. La Connaissance et l'Erreur, traduction du U"" Dufour, Profes- ti A.CE {E.). Prolesseur à seur h la FdCiiUé de \ancy. M. Mach est un physicien dont la pensée a été fortement influencée par la théorie de l'évolution. Selon lui, le but de la science est de mettre de l'ordre dans les données sensibles, et de chercher avec toute l'économie de pensée possible les relations de dépendance qui existent entre nos sensations. Un vol. — MAX'WELL Docteur en médecine. Substitut du Procureur général près la Cour d'appel de Paris. Le Crime et la Société. M. Maxwell expose dans cet ouvrage les idées actuelles sur la naiure et les causes de la criminalité qui lui paraît être un phéno- mène (G.), social normal. — 11 analyje 1 acte criminel et son auteur dans , —7— les différentes variétés; la responsabilité pénale, la l'évolution sont ensuite étudiés. classification des criminels, minalité politique, NAUDEAU (Ludovic). — Le l'aliéné criminel, contemporaine de — La cri- la vol. J^pon moderne, son Évo- lution. L'auleur, capturé sur le champ de bataille de Moukden, par les vainqueurs, et amené par eux au Japon s'y attarda plus d'un an, car il sentait le désir intense de pénétrer leur mentalité. Aussi doitUn vol. on lire cet ouvrage si l'on veut connaître le Japon. — PICARD (Edmond), Avocat gique. Le Droit pur. — à la Cour de Cassation de Bel- Ce livre est en quelque sorte un « Testam''nt juridique », le legs d'un opulent patrimoine intellectuel accumulé au cours de l'pjiislence prolongée de lutte et de travail du célèbre avocat et professeur à r Université Nouvelle de Bruxelles. Un vol. — REY (Abel), Processeur agrégé de Philosophie. — La Philo- sophie moderne. Dans ce lauteur renouvelle les vieilles questions philosomatière et de la vie, de l'esprit et le la raison, du vrai et du bien, et les résultats déjà obtenus. Un vol. livre, phiques de la — DERNIERS VOLUMES PARUS GUIGNEBERT (Charles), cienne du Cliristianisme à Chargé du Cours d'Histoire anla Faculté des Lettres de Paris. — L'Évolution des Dogmes. Dans cet ouvrage, l'auteur s'est proposé d'établir que tout dogme se développe, se transforme, vieillit et meurt, ainsi qu il arrive à tous les organismes de la nature. naît, GENNEP (A. van), Directeur de la « graphiques ». — La Revue des Études Ethno- Formation des Légendes. ceux qui s'intéressent aux problèmes de la production en général que s'adresse l'auteur dans ce livre original, bien documenté, agréable à lire et souvent amusant. Un vol. C'est à tous littéraire PIÉRON — (Henri). Maître de Conférences à l'Ecole des Hautes — Eludes. L'Évolution de la Mémoire. Sous quelles formes se présente la mémoire ? Quels sont les aspects et les limites de la mémoire humaine, en quoi consistent ses troubles et quels peuvent être ses progrès ? . C'est à ces diverses questions que le lecteur trouvera en ce livre une réponse, basée sur l'ensemble des faits actuellement établis par la psychologie objective, humaine et comparée. Un vol. — AVENEL (Vicomte Georges d'].— Découvertes d'Histoire Sociale. L'idée maîtresse de ce livre est que les évolutions économiques, en bien ou en mal, ne dépendent pas des changements politiques ou sociaux. Un vol. — JAMES (William), Prolesseur à Vlniversiléde Harvard, Membre associé de llnslitut, La Philosophie de l'Expérience, traduit par E. Le Bbln et M. Paris. D'après M. W. James, pour être un philosophe, il faut d'abord — une vision » portant sur « la nature intime du réel, » une mélhode par laquelle interpréter cette vision. Un « ROZ Firmin). ÉTATS-UNIS. — — et ensuite vol. L'Énergie Américaine, évolution des Ce livre essaie d'ordonner en une philosophie de leur histoire éludes et les témoignages de toute sorte dont les Etats-Unis l'objet depuis quelques années. Un vol. les — ont été — HANOTAUX (Gabriel), de VAcadémie Française. La. Démocratie et le Travail. Dans ce livre, d'un intérêt si actuel. M. Gabriel IIanotaix mais, c'est la plus apporte sa solution de la question sociale, simple, la plus naturelle, la plus unie, la plus la solution par le travail. marche des choses PIRENNE (H.\ — conforme à Un vol. Prolesseur à Université de Gand. : — la Les Anciennes Démocraties des Pays-Bas. On verra dans ce livre comment furent résolus, jadis, des propresque identiques à ceux qui s'agitent aujourdhui. — blèmes Un vol. CHARRIAUT (Henri), Chargé de vnssion par ment Français. — le Gouverne- La Belgique Moderne, terre d'EX- PÉRIENCES. La plus haute leçon qui se dégage de la Belgique moderne est celle de la puissance de la volonté réfléchie et de la grandeur que peut atteindre un pays, si étroites que soient ses frontières, lorsque chaque citoyen constitue un foyer d'énergie. Un vol. — LE BON (Gustave). Défense Sociale. — La Psychologie Politique et la Sous ce titre, lauleur de la Psychologie des foules fait voir que la plupart des grands mouvements populaires sont généralement une révolte de l'instinctif contre le rationnel. Un vsl. — MEUNIER (Stanislas toire Aaturellc. — Muséum \aHonal d'HisLes Convulsions Uc l'Écorce TerProlesseur au I, restre. Tous les amateurs de sciences voudront connaître le dernier mot de la géologie quant à l'explication des tremblements de terre et des volcans, mènes dans 1 et apprécier le rôle de ces terribles phénola nature. Un vol. harmonie de — Date Due yORKUMIVERSÎTï JBRARÎESl FROST I