Recherche et formation
56 (2007)
Les organisateurs de l'activité enseignante
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Léopold Paquay, Marguerite Altet, Marc Bru, Pierre Pastré, Aline Robert
et Frédéric Tupin
Quel est l’intérêt du concept
d’« organisateurs des pratiques
enseignantes » pour la formation des
enseignants ?
Table ronde animée par Leopold Paquay
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Référence électronique
Léopold Paquay, Marguerite Altet, Marc Bru, Pierre Pastré, Aline Robert et Frédéric Tupin, « Quel est l’intérêt
du concept d’« organisateurs des pratiques enseignantes » pour la formation des enseignants ? », Recherche
et formation [En ligne], 56 | 2007, mis en ligne le 11 octobre 2011, consulté le 11 octobre 2012. URL : http://
rechercheformation.revues.org/1004
Éditeur : ENS Editions
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TABLE RONDE
de Marguerite ALTET*, Marc BRU*, Pierre PASTRÉ*,
Aline ROBERT*, Frédéric TUPIN*
animée par Léopold PAQUAY**
Quel est l’intérêt du concept d’« organisateurs des pratiques
enseignantes » pour la formation des enseignants ?
Léopold Paquay. – Cette table ronde sera structurée autour de trois questions :
1. Selon chacun de vous, quel est l’organisateur central des pratiques enseignantes ?
2. Les organisateurs des pratiques enseignantes sont-ils les mêmes pour des enseignants débutants et pour des enseignants expérimentés ? Y aurait-il dès lors des
étapes privilégiées dans une planification de la formation ou bien est-il possible de
travailler d’emblée sur les organisateurs experts dès le début de la formation ?
3. Enfin, en quoi la notion d’organisateurs de pratiques enseignantes est-elle
utile aux superviseurs et aux tuteurs lorsqu’ils observent des leçons, donnent
des conseils aux stagiaires et accompagnent ceux-ci dans l’analyse de situations
d’enseignement ?
Ces diverses questions sont interreliées. Commençons par la première.
Question 1. Quel est l’organisateur central des pratiques enseignantes ?
Marc Bru. – Je pense qu’il faut d’abord faire le point sur « ce qu’est enseigner » ?
Pour moi, enseigner c’est créer des conditions (relationnelles, sociales, spatiales, temporelles, matérielles, cognitives, émotionnelles, affectives…) auxquelles sont confrontées des personnes censées réaliser ainsi des apprentissages. Je ne parle pas de
« conditions d’apprentissage », parce que si je disais « enseigner », c’est créer les
« conditions d’apprentissage », cela voudrait dire que ces conditions donnent toujours lieu à apprentissage chez les élèves.
* - Marguerite Altet, université de Nantes (CREN) ; Marc Bru, université de Toulouse-Le
Mirail ; Pierre Pastré, CNAM ; Aline Robert, IUFM de Versailles ; Frédéric Tupin, université de
Nantes, IUFM.
** - Léopold Paquay, université catholique de Louvain.
Pages 139-153
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Table ronde
Au temps « t » de son intervention, l’enseignant crée un ensemble de conditions qui
peuvent être repérées à travers les modalités concrètes prises par des variables d’action (1) relatives aux aspects relationnels, sociaux, spatiaux, temporels, cognitifs…
Selon les explications les plus communes, la façon dont l’enseignant met en œuvre
telles ou telles conditions particulières tiendrait : à la méthode d’enseignement qu’il
a adoptée, à sa personnalité ou à ses caractéristiques personnelles, à ses ressources
professionnelles (expérience, formation), au poids de l’institution et des normes qu’il
a intériorisées, au contexte sociohistorique, à la situation d’enseignement-apprentissage elle-même, aux savoirs de référence et aux contraintes didactiques, à l’accomplissement de l’action… (Voir l’éditorial introduisant ce numéro).
Sans ignorer le rôle des facteurs qui viennent d’être évoqués, la notion de processus
organisateurs peut permettre d’aller plus loin dans la connaissance des dynamiques
et du fonctionnement des pratiques enseignantes en évitant la réduction trop rapide
à une lecture qui expliquerait la façon dont se réalisent ces pratiques par l’effet de
facteurs intervenant toujours selon le nécessaire et le régulier (2).
Léopold Paquay. – Merci Marc d’avoir d’emblée montré que la méthode, la personnalité, l’habitus… ne constituent pas (en tout cas pas à eux seuls) des organisateurs explicatifs de la cohérence d’une pratique enseignante. Et pour toi, Marguerite,
quel est l’organisateur central des pratiques enseignantes et en quoi cette notion
d’organisateurs est utile pour la formation ?
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Marguerite Altet. – Pour moi, j’analyse la pratique enseignante au niveau de l’articulation des processus enseigner - apprendre. Je la définis dans le cadre d’un paradigme interactionniste, celui du processus interactif entre enseigner et apprendre,
parce que l’enseignement est un travail adressé à un élève et relayé par un ou des
élèves. Donc, un des organisateurs centraux se situe au niveau de l’interactivité et de
la dynamique des interactions entre l’activité d’un enseignant et les activités d’élèves ;
le chercheur a besoin de rendre compte des relations entre ces deux types d’activités
par des processus qui font avancer l’apprentissage et permettent de comprendre que
ça avance vers l’objectif : ce processus interactif est un organisateur révélateur d’une
pratique repérable au niveau du mode de guidage des interactions par l’enseignant.
L’organisateur c’est une notion de chercheur qui permet à la fois de rendre compte
de la manière dont chaque enseignant articule les différentes variables en jeu en
situation. Au-delà de la variabilité des pratiques chaque enseignant organise la ges1 - M. Bru, Les variations didactiques dans l’organisation des conditions d’apprentissage,
Toulouse : Éditions universitaires du Sud, 1992.
2 - Sujet évoqué par L. Quéré, La théorie de l’action. Le sujet pratique en débat, Paris : CNRS
Éditions, 1993, p. 12.
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Table ronde
tion du savoir et la gestion des interactions en classe en prenant en compte ce qui
est aussi organisé par le format du savoir, par les contraintes de classe.
L’organisateur me semble permettre de rendre compte de la manière dont chaque
enseignant gère des processus en tension dans sa pratique, de façon récurrente.
L’organisateur qui m’intéresse se situe dans la manière dont l’enseignant gère la
dynamique des interactions entre lui, un élève, la classe. Le mode de guidage des
interactions est un organisateur fort de la pratique enseignante ; la manière dont
l’enseignant guide la dynamique des interactions varie selon chaque enseignant et
reflète, selon nos travaux, une certaine stabilité (guidage ouvert ou fermé…). Cette
notion de chercheur permet de rendre compte de la dynamique des processus qui
font le travail interactif de l’enseignant en classe.
L. P. – Si je comprends bien, tu te focalises davantage sur le processus d’organisation que sur des organisateurs ?
Marguerite Altet. – Pour rendre compte de ces processus interactifs, je repère ce qui
les organise : « le mode de guidage » de l’enseignant qui traduit la manière dont il
organise différentes variables par le biais des interactions pour atteindre l’objectif
visé. La notion d’organisateur me semble tout à fait intéressante en recherche pour
rendre compte de la complexité des relations entre les processus et de la dynamique
des processus et pour caractériser les pratiques.
L. P. – Alors en quoi cette notion est-elle utile en formation ?
Marguerite Altet. – Dans un modèle de formation d’enseignants réflexifs, l’objectif
n’est pas de dire comment faire mais bien d’aider le jeune débutant à comprendre
ce qui se passe dans sa classe et comment fonctionne sa pratique. La notion d’organisateurs va alors servir de grille de lecture pour identifier à la fois le rôle des
variables en jeu qui viennent de l’enseignant ou du contexte et comment il les organise. L’intérêt c’est de rendre intelligible un fonctionnement en permettant de lire
autrement les pratiques à l’aide « des organisateurs repérés ». Il s’agit de faire comprendre, en repérant des organisateurs, comment tel choix est organisé ou contraint
par la situation et de faire prendre conscience du mode d’action de l’enseignant.
Donc, l’organisateur est un outil, une grille de lecture pour rendre intelligible le fonctionnement et la dynamique d’une pratique, pour comprendre l’ensemble des processus en jeu et comment ils interagissent, pour voir comment en en prenant
conscience on peut changer ses pratiques.
Marc Bru. – Oui, je ne pense pas que l’on puisse rendre compte des pratiques, de
leur variabilité et de leurs régularités par une sorte de juxtaposition d’explications
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partielles que j’ai évoquées tout à l’heure. Ces explications ont un intérêt mais à
condition d’être lues et reliées à travers le mouvement d’ensemble qui est porté par
des processus organisateurs. En toute hypothèse ce sont ces processus organisateurs
qui font que la pratique, compte tenu des différentes conditions de son exercice et
des facteurs en présence, prend telle ou telle configuration.
L. P. – Pierre, es-tu d’accord avec ces approches de Marc et Marguerite ?
Pierre Pastré. – Pour ce qui est du concept d’organisateur, je renvoie le lecteur à mon
texte dans ce numéro. Je vais me contenter d’en rappeler ici l’essentiel. Il ne faudrait
pas concevoir les organisateurs de l’activité comme des déterminants extérieurs à
l’activité elle-même. Parler d’organisateurs de l’activité, c’est chercher à comprendre
l’activité de l’intérieur, dans son organisation interne. En outre, je fais l’hypothèse
qu’il faudrait distinguer deux grands types d’organisateurs : ceux qui permettent de
comprendre l’activité dans le cadre du couplage schème – situation : l’activité de
l’enseignant y est envisagée comme la gestion d’une situation dynamique. Et il y a
les organisateurs qui permettent de comprendre un peu mieux comment s’organise
la relation interpersonnelle entre l’enseignant et chaque élève, dans une perspective
d’apprentissage et de développement. Dans ce cas, il y a forcément une référence
aux valeurs que chaque enseignant engage dans cette activité.
L. P. – Ce que tu dis là, Pierre, quant à cette référence aux valeurs, me semble assez
nouveau…
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Pierre Pastré. – Tu as raison de dire que c’est relativement nouveau, en tout cas pour
moi. Cette option est née des interactions que j’ai eues avec Isabelle Vinatier. Elle a
une approche qui la situe différemment des deux grandes approches classiques de
l’analyse des pratiques enseignantes que sont l’approche didactique et l’approche
par la gestion de la classe. L’entrée d’Isabelle est une entrée par les interactions.
Et cette entrée comporte un aspect qui relève du développement, en ceci que
l’enseignant crédite l’élève d’un véritable pouvoir d’agir, ce qui implique, de la part
de l’enseignant, un engagement et une attitude. Il me semble que, pour cerner
cette dimension, il faut d’autres concepts que ceux qu’on utilise habituellement dans
l’analyse de l’activité.
L. P. – Et toi, Frédéric, comment vois-tu cette double question : « Quel est l’organisateur central au cœur des pratiques enseignantes et quelles sont les incidences en
termes de formation ? »
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Frédéric Tupin. – Avant d’aborder la question de l’organisateur central des pratiques
enseignantes, je souhaiterais préciser en quoi la notion d’organisateur est porteuse
pour la recherche et pour la formation des enseignants. Je crois que l’utilité première
de la notion « d’organisateur » réside dans le fait qu’elle constitue l’une des réponses
scientifiques prometteuses à l’appréhension de la complexité des processus d’enseignement-apprentissage.
Les acquis de la recherche montrent, en effet, que l’acte d’enseigner relève d’une
démarche complexe qui peut être schématiquement décrite comme la résultante
d’objectifs que l’enseignant poursuit et de contraintes qui, non seulement, inhibent
fréquemment la poursuite des objectifs visés mais, de surcroît, sont elles-mêmes
contradictoires (« gestion du groupe-classe » vs « accompagnement individuel de
l’apprentissage des élèves », par exemple). On sait également que cette gestion quotidienne « en tension » trouve des réponses différentes et multiples suivant les individus (maîtres et/ou élèves), les temps d’enseignement-apprentissage et les contextes.
Des résultats (attestés scientifiquement) plus précis deviennent alors utiles à la formation des enseignants. Un nombre non négligeable d’éclairages a ainsi été capitalisé au fil des recherches sur les questions relatives à la gestion du temps
d’apprentissage, à la mobilisation des élèves, aux effets d’attente, à la visibilité de
la pédagogie, à la prise en compte de la culture des élèves… Un certain nombre de
« réponses tendancielles » sont ainsi à disposition de la communauté éducative. Mais
dans le même temps, et c’est là l’une des faces de la complexité que j’évoquais au
début de mes propos, les variables en jeu ne sont pas « stables » et l’on sait qu’un
même comportement enseignant peut avoir des effets inverses selon le contexte interactif dans lequel il se déroule.
Cette instabilité contraint les chercheurs à réfléchir autrement et à considérer non
plus, de façon isolée, l’impact de telle variable, ni même de tel groupe de variables,
sur les apprentissages des élèves mais plutôt d’avancer vers la piste de séquences
potentiellement acquisitionnelles (on doit cette expression à Bernard Py) (3), c’est-àdire d’un enchaînement de conditions, d’actions et d’interactions qui se réalisent lors
d’une séance d’enseignement et dont la configuration est porteuse de résultats prometteurs au plan des acquisitions des élèves.
C’est là, de mon point de vue, que les organisateurs interviennent. Je les définis,
(provisoirement), comme un ensemble de variables actives et de processus qui caractérisent et structurent l’activité de l’enseignant, en s’inscrivant dans un système luimême organisé et hiérarchisé qui induit, pour partie, les effets inférés sur les
résultats-acquisitions des élèves.
3 - J.-F de Pietro, M. Matthey, B. Py, « Acquisition et contrat didactique : les séquences potentiellement acquisitionnelles dans la conversation exolingue », in D. Weil, H. Fougier (éd.),
Actes du colloque régional de linguistique, Strasbourg : université des Sciences humaines et
université Pasteur, 1989, p. 99-124.
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Le fait d’évoquer un système organisé et hiérarchisé suppose d’en repérer les différentes strates, proches de ce que d’autres collègues comme Pierre Pastré ou Aline
Robert ont pu décrire. Pour schématiser, là aussi, on peut repérer trois niveaux :
– l’étage macro, où se situe le système des valeurs portées par l’enseignant (son
ethos) ;
– l’étage méso, où se définissent les cadres didactiques (relatifs aux contenus à
enseigner) et sociologiques (dépendant des caractéristiques sociales du public à
enseigner). À cet étage, on est plutôt du côté des variables organisationnelles,
celles qui vont définir l’architecture de la médiation éducative ;
– enfin, l’étage micro est celui des opérations concrètes de la gestion communicative et sociale des individus-apprenants insérés dans un groupe-classe.
Pour moi, cet ensemble complexe avec ses trois étages constitue un système au sein
duquel se dessinent des configurations qui organisent l’action de l’enseignant, autrement dit, qui lui donnent une structuration interne.
L. P. – Mais quel serait alors l’organisateur central au cœur de ce système complexe ?
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Frédéric Tupin. – Définir cet (ces) organisateur(s) central (aux) suppose de hiérarchiser les objectifs de la formation que l’on se propose de dispenser et donc de distinguer première étape de la formation et étapes ultérieures.
Au regard de la formation dite « initiale », ce qui me semble central relève de deux
axes : celui de la maîtrise du temps et celui de la gestion des interactions maîtresélèves. De ces deux entrées vont dépendre, de façon forte, l’adhésion des élèves aux
activités et subséquemment l’apprentissage.
Ce n’est qu’ultérieurement que la formation proposée pourra s’aventurer du côté de
l’étage méso puis vers les macro-organisateurs, étages qui ne peuvent être abordés
que lorsque les futurs enseignants en formation ou les enseignants débutants ont
acquis des gestes professionnels de base au regard des dimensions auxquelles ils
sont confrontés de façon brûlante dès qu’ils se trouvent face aux élèves.
Question 2. Quelle progression des activités de formation ?
L. P. – Ton point de vue, Frédéric, nous introduit immédiatement à la deuxième question : les organisateurs des pratiques enseignantes sont-ils les mêmes pour des enseignants débutants et pour des enseignants expérimentés ? En termes de progression
curriculaire, tu sembles dire qu’il y a un certain nombre de clés d’entrée au départ,
mais on ne peut pas toucher d’emblée à la complexité. Est-ce que tu serais d’accord
avec ce que disait Marguerite Altet, que les organisateurs sont un outil conceptuel
pour réfléchir, pour analyser sa pratique selon les différents aspects. Ou alors,
comme tu semblais l’affirmer, les organisateurs nous fournissent-ils des ciblages sur
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ce qu’il est important que les futurs enseignants apprennent en priorité : d’abord
apprendre à gérer les interactions, à gérer le temps…
Frédéric Tupin. – Oui, j’adhère à ton interprétation. Il existe effectivement une double
dimension dans ce que peut apporter la notion d’organisateur à la formation des
enseignants. Elle constitue à la fois un outil conceptuel qui permet à l’enseignant
formé de réfléchir sur sa pratique et une grille de lecture pour définir les priorités de
la formation.
En effet, lorsque l’on se repositionne dans la situation d’un enseignant débutant, ce
qu’il attend prioritairement, c’est qu’on lui donne accès à des pistes concrètes pour
gérer l’urgence de la classe envahie par des paramètres multiples. Cela justifie le fait
que, dans une formation, il faille commencer par l’étage micro, celui où se situent les
gestes professionnels. Et ce n’est que lorsque cet étage-là est relativement maîtrisé
que l’on aborde l’étage méso évoqué précédemment, celui où peut s’installer un véritable regard réflexif.
Marguerite Altet. – Je pense comme Frédéric que les gestes professionnels de base
sont indispensables à faire acquérir. Mais en même temps, il s’agit de faire prendre
conscience aux stagiaires qu’en mettant en œuvre ces gestes professionnels, il y a
des effets sur les activités des élèves et que tout se joue, dans la manière dont l’enseignant fait interagir tous les facteurs en jeu. Les stagiaires demandent d’abord
« comment faire ? ». Mais l’attitude réflexive se construit en même temps qu’ils
acquièrent les gestes professionnels par le repérage et la prise de conscience « d’organisateurs » de leur pratique. La notion d’organisateur permet de comprendre la
manière dont est mis en œuvre le geste professionnel travaillé. La prise de conscience
de sa pratique par les outils comme le repérage des organisateurs, concept-outil issu
des recherches, permet de lire autrement sa pratique, de lire autrement la situation
en prenant en compte les processus et les variables en jeu. L’organisateur doit aider
à comprendre la relation entre ces processus. Or, le débutant ne voit simplement que
son acte et les conséquences directes de son acte. Il ne comprend pas tout ce qui se
joue du côté de l’élève, du côté de la situation, et qui modifie son acte. Les organisateurs de la pratique l’aident à comprendre son fonctionnement.
Pierre Pastré. – J’aimerais ajouter un point sur la comparaison novices-experts. Il
faut noter d’abord l’importance de la charge cognitive et émotive qui est celle des
novices quand ils débutent. C’est pourquoi il faut leur donner du temps et ne pas leur
demander d’être tout de suite capables de prendre en compte toutes les dimensions
de l’activité. Et en même temps, c’est un paradoxe, il faut que la prise en compte de
la relation à autrui soit introduite très vite. Les données dont on dispose en ergonomie sur la comparaison experts-novices montrent que dans tous les métiers il faut un
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temps non négligeable, entre dix-huit mois et trois ans, pour que les gens cessent
d’être novices. Notamment, il semblerait que ce soit à partir du moment où ils ont
trouvé une certaine sécurité intérieure qu’ils peuvent prendre en compte la dimension
de relation à autrui, qu’ils peuvent s’intéresser à autrui dans leur activité. On pourrait dire que la dimension de relation à autrui doit certes être amorcée pendant que
les acteurs sont novices. Mais je pense que le véritable travail ne pourra se faire qu’à
partir du moment où ils ne seront plus pris par leurs problèmes personnels, notamment quand ils seront au clair par rapport à leur maîtrise du savoir qu’ils doivent
enseigner. Ce n’est que lorsque les jeunes enseignants ont passé cette première étape
d’apprentissage du métier qu’ils peuvent tirer tout le bénéfice des moments d’analyse réflexive et rétrospective de leur activité.
L. P. – Quant aux deux questions abordées jusqu’à présent, Aline, partages-tu les
positions défendues jusqu’à présent ?
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Aline Robert. – J’ajouterai simplement quelques remarques aux interventions précédentes quant à la question « Quel est l’intérêt du concept d’organisateurs des pratiques enseignantes pour la formation des enseignants ? ». Mon point de vue est un
peu différent dans la mesure où les réflexions qui suivent ne concernent que les pratiques des enseignants de mathématiques et qu’une partie de la formation, appelée
disciplinaire, à l’enseignement des mathématiques.
Pour commencer, il m’est difficile de parler d’organisateur central des pratiques,
dans la mesure où j’ai défendu la thèse d’une réelle complexité de ces pratiques : les
cinq composantes (4), qui modélisent dans nos travaux les différents aspects à
prendre en compte et dont l’imbrication fabrique cette complexité, ne sont ni indépendantes ni hiérarchisées.
On a pu noter que les contraintes institutionnelles, liées aux programmes ou aux
horaires, ainsi que les contraintes sociales liées à l’établissement par exemple,
engendraient plutôt des régularités dans les pratiques inter-enseignantes, sur des
choix assez globaux de progression par exemple ; les diversités individuelles se
marquent davantage, au sein de ces choix communs, au niveau des choix d’activités en classe par exemple. Peut-on cependant dire que les premières composantes
sont plus centrales dans la mesure où elles différencient peu les enseignants ou qu’au
contraire ce sont les composantes liées aux choix personnels de contenus et de
gestion de la classe qui sont centrales dans la mesure où elles permettent d’atteindre
des différences ?
4 - Définies dans ce numéro (cf. Masselot et Robert).
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De même, les trois niveaux d’organisation des pratiques que nous avons présentés (5) et qui permettent de raffiner les analyses des pratiques en classe en décrivant
le travail réel des enseignants ne peuvent être hiérarchisés dans la mesure où leur
importance varie selon ce qu’on considère : même si c’est au niveau global que sont
prises des décisions sur les activités à faire faire aux élèves, par exemple, on a montré que des décisions analogues de ce niveau peuvent engendrer in fine des activités très différentes pour les élèves, selon la gestion menée en classe qui relève des
niveaux micro et local entremêlés.
Donnons un exemple d’analyse utilisant ces outils. Nous interprétons nos observations des débutants en faisant l’hypothèse suivante : le fait, pour les enseignants
débutants de ne pas disposer d’automatismes, de routines ni de vues globales sur les
mathématiques ou sur les élèves, fait obstacle à une certaine prise de distance avec
le niveau local, le niveau de la classe au quotidien, qui, de ce fait, occupe toute la
scène. Faute de suffisamment de relais avec les autres niveaux, micro (gestes routinisés, discours standardisés) et global (connaissances de la progression sur l’année),
il y aurait une sorte de « surcharge » du niveau local qui expliquerait une partie des
difficultés et de la fatigue constatées. On peut penser que les enseignants redoutent
beaucoup une telle situation et qu’ils l’évitent à tout prix, ce qui peut expliquer aussi
l’échec de certaines formations continues trop exigeantes.
Beaucoup des interventions précédentes s’interrogent sur les liens à établir entre des
notions a priori travaillées en recherche (les organisateurs des pratiques enseignantes) et une utilisation éventuelle en formation.
De notre point de vue, les classifications que nous proposons peuvent surtout contribuer à aider les formateurs en leur donnant des mots pour dire ce qu’ils perçoivent,
en outillant leur expérience en quelque sorte et en contribuant à préciser certains
objectifs.
Les formations sur le terrain (visites de classe, échanges de classe) sont évidemment
des moments privilégiés où le travail réel de l’enseignant est questionné. Les niveaux
« local » et « micro » sont certes en cause, ainsi que les composantes médiative, personnelle et éventuellement sociale des pratiques.
Même si, à nos yeux, les problèmes de formation ne se posent pas de la même façon
pour des enseignants débutants ou expérimentés – ces derniers ayant des pratiques
stabilisées –, cependant, nous faisons un certain nombre d’hypothèses communes
qui mettent en jeu certains de nos organisateurs : pour tous, un travail qui part des
pratiques et qui permet d’aborder plusieurs composantes à la fois est bien adapté à
la formation de ces pratiques car il s’inscrit directement dans leur complexité et dans
la dynamique d’une conceptualisation à partir de l’action. Il semble notamment très
5 - Un niveau micro, qui consiste à étudier ce qui est automatique ; un niveau local, celui de
la classe au quotidien : où se rencontrent les préparations et les improvisations ; un niveau
macro, celui des projets, des préparations.
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important de mettre en avant le double travail de l’enseignant de mathématiques sur
les tâches et les déroulements, vu leur importance dans la compréhension des activités possibles des élèves.
L. P. – Quelles seraient dès lors les spécificités des formations initiales ?
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Aline Robert. – Il s’agit d’installer, d’amorcer des pratiques. Parmi les objectifs des
formations, on peut citer des prises de conscience se traduisant par des pratiques
spécifiques (voire des futurs automatismes) – à travailler explicitement (cf. M. Altet) :
prise en compte des élèves mais pas au détriment du projet local, prise en compte
des durées, existence de contraintes, nécessité d’adaptations permanentes, prise en
compte d’aspects plus globaux…
Plus précisément, au niveau des préparations et des choix avant une séance de mathématiques, l’objectif principal serait que les stagiaires arrivent à élaborer un « texte » à
peu près complet pour leur classe (les contenus à présenter et à faire travailler).
À ce même niveau, le deuxième objectif serait qu’ils intègrent des prévisions de
déroulement à leur travail sur les contenus, difficultés des élèves et durées – de
manière beaucoup plus centrale que ce n’est souvent le cas au début.
Au niveau local, celui des déroulements en classe, un objectif serait de mettre
en place des routines raisonnables en termes de métier d’enseignant de mathématiques et de respect des contraintes élémentaires ; ces routines pourraient devenir des
automatismes.
Ensuite, une fois mis en place de manière non automatisée mais adéquate, certains
gestes qui deviendront automatisés, une fois éprouvée une certaine globalité de
l’exercice du métier, on peut penser à provoquer des prises de conscience concernant plus précisément les contraintes, les marges de manœuvre et les possibles, avec
la conscience des variables et du fait que tout ne dépend pas d’eux !
L. P. – Par rapport à ces questions (organisateurs – formation – progression curriculaire), Marc, tu sembles manifester quelque désaccord quant aux points de vue
exprimés ?
Marc Bru. – Je pense que la notion d’organisateur est une notion utile à nous, chercheurs, pour essayer d’expliquer le fonctionnement des pratiques enseignantes.
L’éclairage que nous apporte cette notion à travers les travaux que l’on peut conduire
nous fournit certes des matériaux qui nous permettent de concevoir ce que pourrait
être la formation des enseignants. Mais je suis assez réticent à l’idée que cette notion
d’organisateur est directement utilisable dans la formation. Elle est utilisable à travers des résultats qu’elle permet de construire, résultats qui servent de point d’appui
pour la formation des enseignants.
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Je voudrais aussi signaler les limites de la réflexivité. Il ne faudrait pas que le modèle
de base de la formation par la réflexivité soit le modèle du choix rationnel. De mon
point de vue, la notion d’organisateur nous permet de penser la pratique enseignante et de l’expliquer dans son fonctionnement, ce qui en termes de formation des
enseignants, peut nous amener à faire en sorte que les enseignants en formation
prennent en considération le fait qu’une configuration de la pratique n’est pas bonne
en soi, ni efficace en soi, ni pertinente en soi, mais par rapport à des situations, par
rapport aux dynamiques qui caractérisent l’action à un moment donné.
Entre autres, la formation consiste à amener l’enseignant à s’ouvrir à un ensemble
de possibles qu’il n’a pas imaginés, c’est-à-dire, à élargir son empan de variabilité,
non pas pour qu’il fasse tout et n’importe quoi mais pour qu’il ait davantage de
cordes à son arc, ce qui potentiellement enrichit sa pratique.
Il me semble aussi qu’un des points importants de la formation c’est d’arriver, comme
le disait Pierre, à faire en sorte que les enseignants soient en mesure de prendre des
risques liés aux variations qu’ils vont s’autoriser à mettre en œuvre.
Une autre idée, celle de mobilité, me paraît importante à travailler dans la formation. Il s’agit de porter l’attention sur ce qui peut constituer le ressort et le mouvement
de la pratique, y compris par l’identification des invariants de la mobilité (des variations) de la pratique.
L. P. – Si je comprends bien, Marc c’est que dans vos recherches, vous avez montré
qu’il y a des invariants dans la variation. Mais lorsque tu dis qu’un enseignant prend
conscience de ses propres invariants dans la variation, n’est-ce pas là une démarche
de réflexivité ?
Marc Bru. – Je mets en cause la réflexivité telle qu’on la conçoit parfois dans l’analyse des pratiques. Je pense aux travaux d’analyse des pratiques qui laissent penser
que les pratiques enseignantes relèvent en tout et pour tout du modèle du choix
rationnel, et de délibérations explicites sur le seul critère de finalité (meilleure réussite de tous les élèves dans leurs apprentissages).
Marguerite Altet. – Je ne pense pas avoir dit qu’il faut utiliser la notion d’organisateur telle quelle dans la formation. Mais comme un outil d’intelligibilité du fonctionnement de la pratique pour réfléchir, construire un raisonnement argumenté chez
l’enseignant à partir des choix possibles ou à partir de l’imbrication des variables
observées. Il s’agit de montrer que l’enseignant est autant bricoleur que rationnel et
que, en formation des enseignants, la planification est un cadre qui permet à l’enseignant de préparer ses notions, préparer le contrat qu’il va mettre en place avec
les élèves, d’anticiper ce qui peut se passer dans la séquence par rapport à un objectif visé sans pouvoir prévoir ce qui se joue dans les interactions en situation. À côté
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de sa pratique organisée qu’il organise par la planification, se jouent dans les interactions entre les variables un ensemble de processus qui lui échappent.
Là, l’idée d’organisateur va l’aider à comprendre qu’il est à la fois acteur, mais qu’en
même temps, il se passe dans la situation un certain nombre de facteurs qui lui
échappent complètement dans la dynamique des interactions ; il pourra ainsi
prendre conscience que, pour s’adapter, il devra construire en action, à partir des
interactions, un certain nombre d’ajustements qu’il n’avait pas prévus dans la planification. Il pourra mieux s’adapter en comprenant où sont les organisateurs internes
qui dépendent de lui et ceux qui dépendent des autres et qui lui échappent.
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Pierre Pastré. – Marc, je reviens sur ton intervention et je t’accorde deux choses :
d’une part, le concept d’organisateur est un concept de chercheur. Il permet de comprendre comment on peut analyser l’activité d’un enseignant et son organisation. Il
n’est pas question d’en faire un objet d’enseignement pour des futurs ou jeunes
enseignants. D’autre part, je te rejoins tout à fait dans ta critique de l’activité considérée comme une suite de choix rationnels : dire que l’activité humaine est organisée, ce n’est pas dire que les humains procéderaient en faisant des délibérations, des
plans a priori, des calculs avant d’agir. L’action est toujours en situation et ce n’est
généralement qu’après coup qu’on découvre ses raisons d’agir.
Là où peut-être nous différons, c’est justement à propos de la réflexivité. Je pense que
c’est un outil extraordinaire de formation que d’être capable d’analyser sa pratique.
Ce n’est pas un exercice facile. L’expérience m’a montré, dans d’autres domaines,
que pour être un véritable instrument de formation, l’analyse réflexive et rétrospective de sa pratique demandait des conditions : il faut notamment que l’apprenant
n’ait pas à construire le cadre qui va servir à son analyse tout en conduisant cette
analyse. Il ne faut pas lui demander de construire le chemin sur lequel on l’invite à
marcher.
Marc Bru. – Dans la formation, en termes d’accompagnement de la réflexion sur la
pratique, je peux imaginer facilement comment prendre appui sur les résultats des
recherches. Dans plusieurs travaux de l’équipe toulousaine ou en coopération avec
d’autres équipes, nous avons pu identifier les composantes des pratiques enseignantes les plus importantes en ce qu’elles jouent au sein des autres composantes
(ou variables d’action de l’enseignant citées précédemment), un rôle organisateur
interne majeur des configurations que prennent les pratiques enseignantes. Il s’agit
de la dimension temporelle (étudiée en particulier par Jean-Jacques Maurice à partir de la notion d’invariance temporelle relative), des interactions et notamment des
répartitions d’initiatives dans les interactions (interactions dont le « pouvoir » organisateur a été étudié par Joël Clanet), des tâches proposées aux élèves qui, également, constituent une préoccupation souvent première pour l’enseignant et qui
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contribuent à l’organisation des autres éléments des configurations des pratiques
enseignantes.
Il peut donc être intéressant, en formation, d’examiner d’abord ce qu’il en est de ces
trois variables dans les pratiques. Il peut s’agir d’une entrée privilégiée pour engager l’analyse des pratiques.
Question 3. Comment analyser les pratiques enseignantes des stagiaires ?
L. P. – Je vous invite maintenant à vous mettre dans la peau d’un formateur (conseiller
pédagogique ou superviseur) qui observe la leçon d’un stagiaire.
Premier cas de figure : la visite est à visée purement formative : « Voilà ! C’est simple !
Je vais concentrer mon analyse de cette leçon sur les trois entrées clés du comportement du stagiaire : sa gestion du temps, sa gestion des interactions et sa gestion des
tâches des élèves. Et à partir de là, dans l’entretien consécutif à la leçon, on va pouvoir tirer les fils et travailler sur tout le reste » !
Deuxième cas de figure : l’enjeu de la visite est une validation du stage ; pour préparer son jugement certificatif, le superviseur focalise ses observations sur les trois
indicateurs clés précités. S’ils sont bons, le reste devrait l’être aussi ! Un peu à l’image
des pilotes de centrales nucléaires qui, confrontés à une quantité phénoménale d’informations, focalisent leur attention sur quelques indicateurs clés liés à la pression,
le superviseur focaliserait ses observations sur la qualité du fonctionnement des trois
dimensions précitées, ce qui lui permettrait effectivement de constituer les bases d’un
jugement plus global !
Dans ces deux cas de figure, on pourrait dire que, pour des tuteurs et des superviseurs, il n’y a rien de plus pratique que des organisateurs… ! Qu’en pensez-vous ?
Marc Bru. – Si nos recherches montrent que les trois variables que je viens d’évoquer
occupent une place importante, si nous pouvons penser qu’une fois adoptées, les
modalités de ces variables ont un pouvoir organisateur sur tout le reste, on ne sait pas
précisément quelles sont les modalités concrètes qui vont rendre efficace la pratique
de tel enseignant dans le contexte et la situation où il se trouve. On a une meilleure
intelligibilité des pratiques enseignantes qui donne lieu à une grille de lecture de leur
fonctionnement mais qui n’est pas automatiquement une grille d’évaluation.
Marguerite Altet. – Je suis d’accord avec Marc. La notion d’organisateur est un outil
pour l’analyse, pour comprendre comment fonctionne la pratique, et permet à l’enseignant de prendre conscience que les facteurs repérés sont fondamentaux. Mais
c’est surtout le fait qu’après avoir analysé les facteurs en jeu, le formateur va identifier sa posture, sa capacité à gérer sa prise de décision par rapport à la situation
analysée. Si ce débutant est capable de mieux s’adapter, de faire le choix pertinent,
de prendre la décision appropriée par rapport à une situation, c’est parce que les
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outils d’analyse que je lui ai apportés l’ont aidé à comprendre comment ça fonctionne, à repérer ce qui organise ses pratiques. C’est ça la différence : on n’évalue
pas la mise en œuvre de principes, on évalue sa capacité à se mettre à distance et
à prendre la bonne décision grâce à son « savoir analyser » à l’aide d’outils.
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Frédéric Tupin. – Sur la base cumulée des travaux que nous avons pu mener les uns
et les autres, j’ai le sentiment que lorsque l’on va dans une classe pour superviser
une leçon, l’indicateur central est l’implication des élèves comme reflet de la gestion
simultanée du temps, de la tâche et des interactions. Sachant que l’implication réelle
des élèves sur les plans communicationnels, cognitifs et même affectifs n’est bien évidemment jaugée qu’indirectement, on peut néanmoins supposer que l’expérience du
formateur lui permet de déceler lorsque les élèves sont « globalement » impliqués
puis, de façon plus fine, à l’aide de paramètres comme « l’équilibre des modes d’intervention entre les différents élèves » ou « la longévité comparative de l’attention au
fil de la séance » entre élèves de niveaux hétérogènes.
Sur ce point également, je rejoins Marguerite Altet étant donné que ce que l’on évalue au travers de ces différents indices d’implication renvoie à la compétence
d’adaptation du maître au contexte, à ses imprévus, à tout ce qui se passe en temps
réel dans la classe. C’est donc effectivement ce dont un formateur pourrait s’emparer pour gérer un entretien formatif comme pour évaluer/valider un stage. Il s’agirait, dans un premier temps, d’amener le stagiaire à auto-évaluer l’implication de sa
classe puis de remonter aux trois entrées maintes fois évoquées (temps, interactions
et tâches) comme organisateurs centraux de l’activité, points de départ d’une exploration d’autres dimensions de l’enseignement-apprentissage et conjointement, éléments clés de l’appréciation de la maîtrise de la situation de classe par le stagiaire.
Pierre Pastré. – Il me semble qu’une des difficultés de l’analyse réflexive tient à ce
que chaque situation est singulière. Or, analyser les situations en termes d’organisateurs amène à mettre l’accent sur l’invariance et pas sur la singularité des situations.
On pourrait dire que les organisateurs fonctionnent dans un champ de possibles, en
ouvrant et en fermant certains d’entre eux. C’est utile et éclairant, mais on passe un
peu à côté du côté singulier des situations.
C’est pourquoi j’ai proposé, dans un autre contexte, de compléter la recherche d’invariants opératoires par une autre démarche : la construction de l’intrigue correspondant à la situation qui a été vécue. Le concept d’intrigue permet de donner du
sens à des événements singuliers. Comme dit Ricoeur, l’intrigue est la part d’intelligibilité présente dans les événements temporels : c’est un mélange de relations de
causalité, de relations de finalité et de hasard. Or, il m’est apparu que ce concept
d’intrigue constituait un instrument très performant en formation, car les apprenants,
après coup, s’avèrent capables de reconstituer l’intrigue d’un épisode critique. On
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peut même dire que ce qu’ils ont vécu dans le désarroi et la désorientation, ils sont
capables après coup de le reconfigurer et ainsi de retrouver son sens. Cette mise en
intrigue constitue un moment intermédiaire dans le processus d’analyse qui permet,
ensuite, d’avoir accès aux organisateurs de l’activité. Ainsi on apprend certes par
l’exercice de l’action, mais on apprend encore plus, et autre chose, par l’analyse
après coup de son action.
Marc Bru. – Je reviens sur l’idée d’évaluation. Nous avons pu montrer que les enseignants dont les élèves étaient - quel que soit leur niveau de départ - les plus impliqués dans les tâches scolaires étaient les enseignants qui, quand on décrit leur
pratique sur la durée (en t1, t2, t3, t4…), faisaient preuve d’une assez large variabilité de leur pratique.
Ce travail montre qu’il y a corrélation positive entre la variabilité et implication des
élèves et il laisse penser que ce qui fait l’effet-maître, c’est davantage le mouvement
de la pratique qu’un choix de modalité établi une bonne fois pour toutes. Si on arrivait à identifier les processus organisateurs de ce mouvement, de cette variabilité
(que l’on conçoit non aléatoire) on progresserait dans l’explication de l’effet-maître
et on posséderait de précieux points d’appui pour la formation des enseignants.
L. P. – Merci à chacun et chacune d’entre vous pour votre engagement dans le débat.
Vos dernières interventions montrent à l’évidence que la notion d’organisateur de
l’activité enseignante est utile pour des formateurs d’enseignants, entre autres pour
analyser des pratiques observées. Mais il serait réducteur et illusoire d’espérer dégager quelques indicateurs standards grâce auxquels on pourrait analyser toutes les
situations observées. Des recherches seront encore nécessaires ; mais d’ores et déjà,
il ressort que certains organisateurs repérés par les chercheurs permettent de mieux
comprendre la complexité de l’activité enseignante et d’en saisir des dimensions
structurantes.
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