Didier Paquelin
Université Laval
La formation pratique
des enseignants :
le cas français
C hronique internationale
L’organisation de l’enseignement en France
Le système éducatif français s’organise de la maternelle à
la fin du secondaire selon quatre niveaux : école maternelle
(trois niveaux de 2 à 5 ans), école primaire (cinq niveaux de
6 à 10 ans), collège (quatre niveaux de 11 à 14 ou 15 ans)
et lycée (trois niveaux de 15 ou 16 ans à 17 ou 18 ans).
Les professeurs qui interviennent dans ces établissements
scolaires reçoivent une formation que nous présenterons
après avoir rappelé brièvement l’historique de la préparation
aux fonctions d’enseignement depuis le dix-neuvième siècle.
Nous reviendrons dans une troisième partie sur les attendus
et le déroulement des stages pratiques en situation au sein
d’établissements scolaires.
Historique de la formation aux fonctions
d’enseignement
L’organisation actuelle de la formation des enseignants du
primaire et du secondaire en France prend son origine au
début du dix-neuvième siècle. Dans la suite de la première
école normale créée à Strasbourg en 1810, la Loi Guizot
du 28 juin 1833 pose comme principe dans son article 11 la
création des écoles normales qui devaient assurer la formation
de milliers de jeunes gens à l’exercice du métier d’instituteurs,
de professeurs.
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CHRONIQUE
La formation pratique des enseignants : le cas français
Art. 11. – Tout département sera tenu d’entretenir une école normale primaire, soit par
lui-même, soit en se réunissant à un ou plusieurs départements voisins. Les conseils
généraux délibèreront sur les moyens d’assurer l’entretien des écoles normales primaires.
Ils délibèreront également sur la réunion de plusieurs départements pour l’entretien d’une
seule école normale. Cette réunion devra être autorisée par ordonnance royale.
Quelques années plus tard, Jules Ferry, alors ministre
de l’Instruction publique, défend devant les
er
sénateurs la proposition de loi de Paul Bert le 1 août 1879 qui vise la création des écoles normales
de filles, la première ouvrira à Sèvres en région parisienne. Cette loi, dit-il, « veut constituer des écoles
normales de filles, parce qu’à notre sens et, je crois pouvoir le dire, au sens de ceux qui ont mis la main,
si peu que ce soit, aux affaires de l’instruction publique, il n’y a pas d’enseignement public sans écoles
normales » (cité dans Chevallard, 2005, p. 1).
Cette organisation a subi quelques accrocs lors de la Seconde Guerre mondiale avec une tentative de
suppression des écoles normales en 1941. En conséquence, des difficultés de formation ont conduit
l’État français à recruter 160 000 instituteurs non titulaires sans réelle formation pédagogique entre
1951 et 1960.
En 1989, les écoles normales départementales sont fermées et remplacées par des structures académiques
(regroupant plusieurs départements) nommées les Instituts universitaires de formation des maîtres
(IUFM). Ces structures ont été rattachées aux universités par la loi d’orientation et de programme
pour l’avenir de l’école du 23 avril 2005.
Depuis 2013, les IUFM ont évolué pour devenir les Écoles supérieures du professorat et de l’éducation
(ESPÉ) qui préparent en deux années à quatre métiers : professeur des écoles (niveau primaire),
professeurs certifiés (niveau secondaire, collège et lycée), personnel d’encadrement éducatif et
professionnel de l’ingénierie de formation. Pour être admis en première année de master « Métier de
l’éducation et de l’enseignement et de la formation » (MEEF), les candidats doivent être titulaires d’une
licence (soit 180 crédits européens-ECTS), d’un master ou d’un diplôme équivalent. Un référentiel de
19 compétences1 structure la formation qui en première année est d’une durée2 de 450 à 550 heures,
complétée par 4 à 6 semaines de stage dans une école, un collège ou un lycée. Au terme de cette
première année, les étudiants passent un concours, qui en cas de réussite leur permet d’intégrer en
seconde année de master en qualité de fonctionnaires-stagiaires rémunérés, année au cours de laquelle
les étudiants seront en situation professionnelle encadrée exerçant à mi-temps dans un établissement
scolaire.
La formation est assurée par des équipes composées de personnels spécialisés dans la formation
des enseignants, de personnels enseignants, d’enseignants-chercheurs en service dans les facultés
universitaires et de professionnels en exercice de l’Éducation nationale.
1
2
Journal officiel de la République française daté du 18 juillet 2013,
http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=73066
Pour le Master MEEF, premier degré (école primaire), la durée de la formation varie de 808 à 847 heures
sur les deux années, durée des stages non-comprise.
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La place de la pratique dans la formation
La pratique est l’une des composantes de la formation tout au long du cursus. La formation pratique est
organisée sur les deux années de formation de master. Pendant la première année de master, l’étudiant
réalise des stages de terrain en observation ou en pratique accompagnée lui permettant de préparer
le concours de professeur. Pour les étudiants admis à la suite de leur réussite au concours de fin de
première année, la deuxième année de master inclura une période en alternance en responsabilité dans
une école ou un établissement scolaire. Ces étudiants auront alors le statut de fonctionnaires-stagiaires
les plaçant dans une véritable alternance avec un service d’enseignement à mi-temps rémunéré à
temps plein. Une partie s’effectuera en responsabilité devant des élèves, une autre à l’université. C’est
une autre manière d’apprendre et de se préparer à l’exercice de ce métier. Les stages en école et en
établissement sont pleinement intégrés à la formation.
L’étudiant fonctionnaire stagiaire (EFS) bénéficie d’un tutorat mixte assuré par deux tuteurs dont
l’un est rattaché à la Direction du service départemental de l’Éducation nationale (DSDEN, service
rattaché au rectorat académique) et l’autre de l’ESPÉ. Un tutorat spécifique est organisé.
Le stage de la formation en alternance comporte un tutorat assuré conjointement par un tuteur
d’établissement désigné par le recteur d’académie et un formateur/référent de l’équipe pédagogique
du parcours enseignement. Les tuteurs accompagnent le stagiaire durant l’année scolaire et
participent à sa formation. (Arrêté du 27 août 2013, article 15)
Le tuteur rend visite au moins une fois à l’étudiant sur son lieu de stage lors des deux premiers temps
d’immersion. Les stages donnent lieu à un temps de préparation et à une phase d’exploitation et
d’analyse réflexive. Chaque visite du tuteur ESPÉ ou DSDEN donne lieu à la production d’une fiche
de suivi qui est ensuite transmise au stagiaire (EFS) et aux services pédagogiques de l’ESPÉ dans un
délai de quinze jours. L’accompagnement des EFS mobilise un portfolio qui correspond à une sélection
de documents et d’écrits produits ou recueillis par le professeur stagiaire qu’il ordonne afin d’attester
de ses progrès dans la construction des compétences professionnelles. Cet outil est une modalité de
communication entre l’EFS et les tuteurs.
En première année de master MEEF, les stages ont une vocation de première mise en situation
professionnelle. Il s’agit de stages d’observation et de pratique accompagnée. Les étudiants réalisent
au total entre quatre et six semaines de stages. Les étudiants seront principalement conduits à réaliser
des observations de situation de classe. Ils auront cependant la possibilité d’exercer ponctuellement à
l’occasion de la prise en charge d’une classe pour une séquence pédagogique. Pendant ces périodes, les
étudiants seront présents en binôme dans la classe d’un enseignant du premier ou du second degré.
Les stages sont répartis sur le premier et le second semestre, selon les organisations de chaque ESPÉ.
Ils permettent aux étudiants de se projeter dans l’exercice du métier, d’engager une réflexion sur les
modalités de mobilisation des savoirs au profit d’un acte pédagogique, d’analyser l’utilisation des
supports d’enseignement et d’appréhender les productions d’élèves. Ces périodes de stages participent
à la préparation des candidats pour les épreuves du concours et à la réflexion des étudiants sur le
contour du mémoire de master qu’ils réaliseront en seconde année. L’étudiant produit un écrit réflexif
relatif à l’observation de séances d’enseignement qui atteste de l’analyse rétrospective de la construction
de la professionnalité. Cet écrit est à rendre au formateur ESPÉ qui l’évalue. L’analyse de la pratique
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CHRONIQUE
La formation pratique des enseignants : le cas français
de stage fait l’objet d’une soutenance orale dans la mesure du possible en présence de deux formateurs
dont le tuteur. Cette soutenance qui s’appuie sur le portfolio doit permettre de vérifier que le stagiaire a
progressé dans la maîtrise de certains items de l’ensemble des compétences du référentiel de juillet 2013.
Le candidat doit montrer par ses différentes productions et analyses réflexives que ce stage l’a fait
progresser dans la construction de sa professionnalité. La note est rendue sur une fiche d’évaluation
individuelle spécifique. L’évaluation a lieu sur une session unique.
En seconde année de master MEEF, les étudiants admis aux concours de recrutement intègrent le
cursus « alternance-Éducation nationale ». Il s’agit d’un stage de pratique accompagnée. Il confère
au minimum 20 crédits sur les 60 crédits validés en deuxième année de master. Le stage est réparti sur
plusieurs périodes au cours de l’année. Il peut se dérouler selon une alternance variable en fonction
des ESPÉ et des disciplines pour le second degré (par exemple, huit heures par semaine dans un
établissement scolaire et onze heures par semaine à l’ESPÉ). À chacune de ces périodes correspond un
ensemble de compétences à développer (cf. tableau 1).
Tableau 1
Palier de compétences pour les périodes 1 et 4.
Compétences visées lors de la première période de stage en
responsabilité de classe
• faire partager les valeurs de la République
Compétences visées lors de la quatrième période de stage en
responsabilité de classe
• prendre en compte la diversité des élèves
•
agir en éducateur responsable selon les principes éthi- •
ques
•
maitriser la langue française dans le cadre de son ensei•
gnement et à des fins de communication
•
s’engager dans une démarche individuelle et collective de
développement professionnel
construire, mettre en œuvre et animer des situations
d’enseignement et d’apprentissage prenant en compte la
réussite des élèves
évaluer les progrès et les acquisitions des élèves
(Source : ESPÉ, Académie Nancy-Metz)
L’enseignant d’accueil assure une initiation guidée à l’exercice du métier en aidant à la prise en charge
progressive de séquences, puis de l’ensemble des activités d’une classe. Les stagiaires sont visités par un
formateur selon un calendrier prédéfini. Une première rétroaction est consignée dans un calendrier de
visite en clôture de chaque visite et précise les points d’appui et les points à consolider. Le formateur
visiteur remplit après chaque passage une fiche de visite organisée en six items :
•
particularités des conditions d’exercices : organisation, fonctionnement ayant une incidence sur
la prise en main de la classe (effectifs, niveaux, présence d’élèves à besoins particuliers, locaux,
décloisonnement, etc.);
•
préparation et conception de la séance : qualité et régularité des écrits professionnels,
pertinence de la conception des séances en fonction du niveau de la classe, des contenus et de la
progression, maîtrise des contenus enseignés;
•
conduite de la séance : adéquation entre activités prévues et tâches effectives des élèves, prise en
compte des réponses des élèves, exploitation des habitudes de travail;
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•
relation pédagogique : positionnement du stagiaire vis-à-vis des élèves, climat de la classe,
gestion du groupe-classe et des groupes de travail;
•
analyse de la pratique : analyse de l’adéquation entre activités prévues et tâches effectives des
élèves, nature de la participation à l’entretien, capacité à identifier les points d’appui et les points
de difficultés, prise en compte des indications et conseils formulés au cours des précédentes
visites;
•
axes de progrès et conclusion : ces éléments constituent les bases d’un contrat de formation
d’une visite à l’autre et sur l’année scolaire.
Une fiche de bilan intermédiaire est à remplir au terme de chaque période. Il fait état de la maîtrise des
dix-neuf compétences catégorisées en treize groupes. Il s’agit d’une appréciation qui précise notamment
les compétences en voie d’acquisition et celles qu’il convient d’acquérir en priorité.
L’organisation des stages en seconde année pose la question du suivi dès lors que les professeurs
stagiaires sont éloignés de leur établissement de formation. Des dispositifs d’accompagnement à
distance peuvent être mis en place.
Conclusion
Au cours des 150 années écoulées, la formation des enseignants est l’une des préoccupations fortes
de l’État français qui, par des évolutions successives, a tenté d’augmenter le niveau de qualification
des futurs enseignants en cherchant un équilibre entre les apprentissages théoriques et leur mise en
pratique professionnelle. L’importance de la période de stage et des suivis qui sont assurés par les tuteurs
contribue, par les activités de distanciation proposées, à développer des compétences transversales de
réflexivité propices à l’adaptation des pratiques éducatives en fonction des situations et de l’évolution
des publics.
Références
Chevallard, Y. (2005). De l’École normale à l’IUFM et au-delà. Repéré à
http://yves.chevallard.free.fr/spip/spip/IMG/pdf/De_l_Ecole_normale_a_l_IUFM_et_au-dela.pdf
ESPÉ Créteil. (2006). Conférence de Consensus 2006 « L’analyse des pratiques dans la formation
des enseignants ». Repéré à http://espe.u-pec.fr/formation/formation-continue/formation-deformateurs/conference-de-consensus-2006-l-analyse-des-pratiques-dans-la-formation-desenseignants--530286.kjsp
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