Produire la ville vivante : le travail
des citadins et des non-humains
Par Marion Ernwein et Claire Tollis
Marion Ernwein, Chercheuse boursière du Fonds national Suisse de la recherche
scientifique (FNS) à l’Université d’Oxford – marion.ernwein@ouce.ox.ac.uk
Claire Tollis, Chercheuse post-doctorante à l’Institut français des sciences et
techniques des transports, de l’aménagement et des réseaux (IFSTTAR), Villeneuve
d’Ascq – claire.tollis@ifsttar.fr
Alors que l’urbanisme moderne avait fait des espaces verts un de ses motifs
récurrents (Auricoste 2003), les deux dernières décennies ont vu l’avènement
de nouveaux vocables référant d’abord à la « nature », puis au « vivant » en
ville (Darribehaude et al. 2016)1 . De fait, si l’imaginaire occidental a longtemps opposé ville et nature (Salomon Cavin 2005), la ville durable semble
marquer leur rapprochement, voire leur hybridation. Le développement de
savoirs naturalistes urbains (Blanc 1998 ; Lachmund 2013 ; Lizet et al. 1997)
et l’implication en ville d’organisations de protection de la nature (Ramelet
2014 ; Salomon Cavin 2006 ; Salomon Cavin et al. 2010) ont été autant de
vecteurs y contribuant.
Or, si la ville devient nature, cette « nature » reste, dans la littérature des
sciences sociales francophone, majoritairement appréhendée comme l’objet
de représentations (Arrif 2009) et de pratiques (Ulmi et Girardin 2013),
un objet spatialisé dont la place se trouve avant tout au jardin2 . Pourtant,
comme nous le montrons dans cet article, la « nature » urbaine est loin d’être
homogène, et elle est bien plus active dans la fabrique de l’espace urbain que
la plupart des travaux ne l’admettent.
En outre, (trop) peu de travaux sur la nature urbaine interrogent réellement
la ville en question, les ressorts de sa production, et les leviers de l’action
publique permettant d’agir sur elle, et donc sur sa nature. Or, face au développement de nombreux travaux sur la ville néolibérale (Brenner et Theodore
1. Voir aussi les Symposiums « Vivant en ville » (Lyon 2007, 2009, 2011) ainsi que la journée d’études
« Vivant en ville » (Grenoble 2016).
2. Voir les nombreux événements scientifiques focalisés sur la figure du jardin : Renouveau des jardins :
clés pour un monde durable ?, Cerisy 2012 ; Les jardins en politique, Cerisy 2016 ; Ordres et désordres
au jardin, Strasbourg 2016 ; Jardins de demain, Paris 2017.
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Produire la ville vivante : le travail des citadins et des non-humains
2002), nous défendons l’idée qu’il importe de penser l’économie politique
de la nature en ville.
Enfin, la focalisation d’une partie de la littérature sur une hypothétique
« demande sociale » (Boutefeu 2005 ; Bourdeau-Lepage et Vidal 2013, 2014)
peine à rendre compte des enjeux de pouvoir lui étant associés. Cette notion
de « demande sociale de nature » pose problème car la nature y apparaît à la
fois consensuelle et passive (Classens 2015) : si les citadins sont en demande,
l’institution fournit une nature-objet qui attend sagement. Or, des recherches
récentes montrent que ladite nature n’est pas désirée de façon unanime, et
que son aménagement ne répond pas nécessairement à une « demande » ; il
est même fréquemment controversé (Tollis 2013). De plus, le citadin est loin
de se contenter de « demander » : la nature en ville fait de manière croissante
l’objet d’une co-fabrication qu’il importe de mettre au jour.
Par contraste, nous abordons les citadins non comme des « demandeurs »
mais des acteurs voire des faiseurs de nature (suivant l’expression utilisée
par Debarbieux et Rudaz 2010 ; Matthey 2013), et la « nature » non comme
un objet générique mais comme un ensemble hétérogène et multiple de
non-humains agissants. Nous mettons en évidence l’activité de production
(Smith 1984) mise en œuvre par ces deux catégories d’acteurs au sein de
programmes de bénévolat environnemental et de mise au travail des nonhumains. Alors qu’une littérature a récemment émergé qui porte sur les
faiseurs de (projet de) ville (Matthey 2011, 2014) et les agents – jardiniers,
cantonniers, éboueurs – contribuant à faire et entretenir la forme urbaine
(Arpin et al. 2015 ; Béguin 2013 ; Jeanjean 1999 ; Le Crenn-Brulon 2010 ;
Menozzi 2007 ; Strebel 2011), nous montrons que ces programmes sont
les témoins d’une nouvelle division du travail environnemental à l’heure de
l’austérité – un travail qui n’est plus nécessairement ni salarié ni même mis
en œuvre par des humains.
Cet article combine un état de la littérature, nécessairement partiel et partial,
sur les modalités émergentes de production de la nature urbaine, et des éléments empiriques et conceptuels tirés de nos travaux de thèse respectifs sur
la gouvernance de la nature urbaine à Genève et Grenoble (Ernwein 2015 ;
Tollis 2012). Nous commençons par mettre en évidence l’évolution du rôle
joué par les citadins dans la fabrique des espaces urbains végétalisés, avant
de nous pencher sur l’émergence de l’idée que les non-humains puissent être
mis au travail pour fabriquer la ville. Chacune de ces sections propose de
considérer les incidences socio-spatiales et morales de cette redistribution
du travail.
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◮ Jardinage collectif, bénévolat environnemental : la
ville-nature produite par ses habitants
L’émergence de la notion d’espace vert au XXe siècle tient à la fois du développement d’un urbanisme fonctionnaliste et de la domination de l’industrie
horticole sur l’économie floristique (Bergues 2010 ; Cueille 2003). Elle s’accompagne du développement d’un corps de métier, celui des paysagistes
(Donadieu 2009) et horticulteurs (Cueille 2003) qui, regroupés au sein de
services d’espaces verts, prennent en charge l’aménagement et l’entretien des
espaces publics végétalisés au profit de citadins dont le rôle reste restreint à la
promenade et à la contemplation. Si les usages des parcs se diversifient (Ulmi
et Girardin 2013), le citadin se retrouve également, à compter des années
2000, investi sous des formes multiples – jardinage collectif, bénévolat environnemental – dans la production et l’entretien d’espaces végétalisés. Dans
cette section, nous mettons en évidence les formes prises par cet investissement et les multiples manières dont elles réinterrogent la notion de travail et
les modalités de production de la nature en ville.
Jardinage urbain : le renouveau
Le jardinage urbain – entendu au sens de participation, par des citadin-e-s
et au sein de l’espace urbain, à des activités de production horticole, fruitière ou légumière, à des fins non marchandes et hors du cadre professionnel
– n’est pas chose nouvelle. Dans de nombreux pays d’Europe de l’Ouest,
patronat et clergé mettent dès la fin du XIXe siècle à disposition des classes
laborieuses des jardins d’abord appelés, dans leur version française, jardins
« ouvriers » avant de prendre, dans les années 1960, le nom de « familiaux »
(voir Consalès 2000 ; Guyon 2004). L’attraction que le jardinage exerce
depuis une dizaine d’années sur les chercheurs comme les praticiens semble
pourtant indiquer son renouveau. En effet, prenant le nom de « collectifs »,
« partagés » ou encore « communautaires », de nouveaux types de jardins se
sont répandus dans les villes européennes (Demailly 2015 ; Ernwein 2015 ;
Mestdagh 2015 ; Nahmias et Hellier 2012) et nord-américaines (Baudry
2010 ; Paddeu 2015). Situés dans les centres urbains, sur des lots généralement publics, et organisés sur un mode souvent collectiviste, ces jardins font
office de laboratoire des nouvelles sociabilités urbaines par des groupes de la
société civile cherchant à y tester des formes d’organisation politique référant
notamment aux communs (Eizenberg 2012), ou à des échanges démonétisés
(Rosol et Schweizer 2012).
Si le renouveau du jardinage a d’abord été accueilli avec suspicion par des institutions publiques s’interrogeant sur le rôle à jouer dans l’accompagnement
de ces dynamiques (Ernwein 2014), rares sont aujourd’hui les municipalités –
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occidentales en tout cas – s’y opposant. À l’inverse, à l’image du programme
Main Verte ou plus récemment du concours des Parisculteurs, tous deux organisés par la mairie de Paris, de nombreuses municipalités se sont engouffrées
dans cette thématique. Les colloques initiés, en France par les directeurs de
parcs et jardins3 , en Suisse par les autorités cantonales4, pour discuter du rôle
des citadins dans la fabrique des espaces publics végétalisés, sont une preuve
additionnelle de l’intérêt témoigné par les institutions publiques à l’égard de
ces nouveaux espaces. Les porteurs de projets ne sont d’ailleurs pas en reste,
certains cherchant activement le soutien des pouvoirs publics. À Genève,
l’association de guérilla jardinière demande ainsi, en 2012, le soutien de la
municipalité (Ernwein 2016a), à contre-courant d’un discours académique
tendant à présenter ce mouvement comme anti-institution (Adams et Hardman 2014). Aussi une bonne part des jardins collectifs est-elle aujourd’hui,
si ce n’est organisée, au moins accompagnée, par des institutions publiques.
La transformation de la perspective des pouvoirs publics vers un soutien quasi
unanime interroge. Outre l’identification d’intentions tout à fait louables
telles que la revitalisation de certains quartiers ou l’encouragement à une activité physique et une consommation saine, certains y voient la conséquence
de la circulation à l’échelle internationale de ce qui serait devenu un nouveau
modèle d’espace public (Eizenberg et Fenster 2015). D’autres y voient un
outil de gentrification, ces jardins étant souvent investis par une population
éduquée, prête à payer des loyers élevés et à contribuer au renouvellement
des profils sociaux des quartiers en question (Exner et Schutzenberger 2017 ;
Mestdagh 2015 ; Quastel 2009). Aussi ce consensus cacherait-il le rejet de
formes d’occupation de l’espace associées aux classes populaires (Domene
et Sauri 2007 ; Frauenfelder et al. 2014 ; Nahmias et Hellier 2012 ; Slavuj
Borcic et al. 2016). D’autres enfin mettent en lien cet intérêt soudain avec
les difficultés rencontrées par les municipalités pour continuer à entretenir
l’espace public à l’heure de l’austérité (Ghose et Pettygrove 2014 ; Perkins
2009, 2010, 2011 ; Rosol 2010, 2012). À Berlin, suite à des coupes massives
dans les effectifs des jardiniers municipaux, la municipalité, initialement
opposée à l’appropriation collectiviste de l’espace public opérée par les jardins collectifs, a littéralement fait volte-face, tentée de voir dans ces jardins
un outil d’entretien des espaces verts (Rosol, 2010). C’est une perspective
partagée par les responsables des espaces verts de plusieurs communes du
canton de Genève, qui voient dans les jardins collectifs des outils d’entretien
ad interim d’espaces en attente d’aménagement. Dans la commune suburbaine de Vernier, les jardins collectifs ont même intégré le plan de gestion
3. Colloque Ville jardinée et initiatives citoyennes, Strasbourg, 2012.
4. Colloque Quand les acteurs privés font la nature en ville, Genève, 2015.
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différenciée, leur spécificité étant d’être entretenus non par les jardiniers
municipaux, mais par les ayants droit (Ernwein à paraître).
Faire-faire, faire-entretenir : le travail des bénévoles
De la sorte, les jardins collectifs permettent aux collectivités de faire-faire, à
tout le moins de faire-entretenir, par des habitants, de nouveaux espaces de
nature aménagés en jardins. D’autres cas témoignent de la délégation, à des
citadins, de parcelles d’espaces publics existants (parcs, squares) jusqu’alors
pris en charge par les pouvoirs publics, par le biais de programmes de
bénévolat, qu’ils soient de type ad hoc (Froik Molin et Konijnendijk van
den Bosch 2014) ou organisé (Krinsky et Simonet 2012). Les bénévoles sont
alors investis dans différentes tâches, allant du ramassage des déchets à la
responsabilité du fleurissement de squares, en passant par le désherbage et la
taille de haies. Cet écovolontariat urbain s’inscrit dans différentes trajectoires
socio-économiques dont un dénominateur commun semble être l’austérité.
Ainsi, l’apparition dans les années 1970, à New York, de programmes de
bénévolat coïncide avec la crise financière ayant touché la ville et conduit
à la suppression de nombreux emplois publics (Krinsky et Simonet 2012).
De même, en Grande-Bretagne, si en 2002 la plupart des programmes de
bénévolat dans les parcs étaient de nature ad hoc (Jones 2002), ils font, depuis
les coupes massives opérées depuis 2010 dans les budgets des gouvernements
locaux, l’objet de programmes organisés.
Reste à savoir ce qui est en définitive produit par ces bénévoles. Ils contribuent en apportant leur force de travail, mais aussi dans certains cas à travers
des dons financiers et/ou matériels (Krinsky et Simonet 2012). Sur un plan
plus général, s’ils contribuent à produire de l’espace public, il semble qu’ils
soient aussi partie prenante de la transformation de la notion même de service
public. Ainsi, à Genève, les réflexions actuellement menées par les responsables du service des espaces verts quant au développement de programmes
de bénévolat, s’accompagnent d’un discours appelant à transformer la notion
de service public en faisant des citoyens non plus des « consommateurs »
mais des « acteurs » dans la fourniture de leurs propres services publics
(Ernwein 2017).
Ainsi, les multiples facettes de la participation des citadins contribuent-elles
à faire de la production de nature en ville une activité partagée dont les gestionnaires d’espaces verts ne sont plus les seuls dignitaires. Loin d’être anecdotiques, ces différentes pratiques contribuent à façonner la forme urbaine et
à produire de la valeur que certains s’essayent à mesurer en la traduisant en
équivalent d’heures de travail (Krinsky et Simonet 2012). Aujourd’hui, les
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observateurs s’interrogent sur la nature de ce type de participation, l’évolution de la notion de travail qu’elle accompagne, ou encore les tropes sociaux
et spatiaux dont témoignent ces programmes.
Mobilisation, responsabilités, justice : les enjeux socio-spatiaux
du travail bénévole
Un des enjeux est la gouvernance, tant des jardins collectifs que des programmes de bénévolat dans les espaces verts : le citadin-comme-bénévole
fournit-il simplement du travail gratuit, ou contribue-t-il/elle également à la
prise de décision ? La plupart des recherches sont plutôt mitigées sur ce plan
(Demailly 2014). Les recherches de Froik Molin et Konijnendijk van den
Bosch suggèrent que l’implication bénévole dans la création de nouveaux
espaces verts offre une marge de manœuvre plus large au citadin dans la
prise de décision que l’implication à titre bénévole dans l’entretien d’espaces
existants, où les bénévoles sont plutôt vus comme des « extras » permettant
de faire face à la diminution des budgets municipaux d’espaces verts (Froik
Molin et Konijnendijk van den Bosch 2014, p. 558).
À l’heure de la flexibilisation du travail, Krinsky et Simonet (2012) voient
dans l’ampleur prise par les pratiques bénévoles dans l’entretien des espaces
verts une nouvelle division du travail environnemental urbain. Suite à la crise
financière connue par la ville de New York dans les années 1970, la ville
a vu ses effectifs de jardiniers municipaux diminuer d’environ deux tiers
entre 1975 et 2005. Depuis lors, des travailleurs relevant d’au moins six statuts différents se côtoient dans la prise en charge des parcs : i) des employés
municipaux, ii) des employés des « conservancies »5 qui embauchent leurs
propres jardiniers hors des barèmes salariaux du public et du système syndical, des bénévoles intervenant iii) à titre individuels (« bénévoles à permis »)
ou dans le cadre iv) de journées d’entreprise ou v) d’associations, et vi)
des bénéficiaires de programmes de réinsertion par le travail6 . Cela pose la
question de l’égalité des statuts, des conditions de travail et des droits entre
les différentes catégories de bénévoles, ainsi qu’entre bénévoles et salariés
(Krinsky et Simonet 2012). L’autre manière d’envisager la question consiste
à s’intéresser aux formes de travail nécessaires pour accompagner ce type de
pratiques, et à l’éventuelle évolution des métiers de l’environnement urbain
pouvant y être liée. En dehors des programmes britanniques et américains
5. Krinsky et Simonet définissent les conservancies comme des « associations qui gèrent certains parcs
en partenariat avec la ville [...] et [dont] certaines ont commencé à embaucher leur propre main-d’œuvre »
(Krinsky et Simonet 2012, p. 52).
6. Bien qu’ils soient parfois caractérisés de bénévoles, ils le sont moins que ce qu’il paraît, puisque leur
implication est exigée pour pouvoir bénéficier d’aides sociales.
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souvent plus structurés, les expériences européennes semblent montrer qu’à
l’heure actuelle cette thématique est prise en charge par les responsables
d’espaces verts en sus de leur travail (Froik Molin et Konijnendijk van den
Bosch 2014).
L’implication des citadins dans la production et l’entretien des espaces verts
dépasse la spatialité du parc, qui se voit débordé par l’investissement de
friches (Scapino 2016), de toits, de pieds d’immeubles et autres délaissés
(Demailly 2015). En ce sens, ces programmes ont un réel potentiel de
dépassement de la répartition souvent inégalitaire des espaces verts. Toutefois
ce potentiel n’est de loin pas toujours réalisé. Eizenberg et Fenster (2015)
montrent qu’à Jérusalem la plupart des jardins collectifs sont aménagés
dans des quartiers au profil social élevé. À l’inverse, Ghose et Pettygrove
(2014) montrent que de nombreux dispositifs de prise en charge bénévole des
espaces verts se focalisent dans des quartiers plutôt pauvres, faisant retomber
sur les épaules de ceux qui ont le moins de ressources l’entretien de l’espace
public. En tous les cas, ces programmes témoignent de tropismes spatiaux
qu’il importe de mettre au jour et, éventuellement, de contester.
En dépit de ces points critiques, un atout de ces programmes est la possibilité
pour les citadins de se mettre dans la peau des travailleurs municipaux.
Les journées de nettoyage de la ville de Grenoble sont encore loin de
remplacer les nettoyeurs, mais permettent aux participant-e-s de comprendre
l’expérience de ces derniers en vivant de manière incarnée leur travail. Ces
programmes sont enfin conçus pour susciter un attachement aux services
qui les organisent : ainsi ce responsable d’espaces verts dans une commune
genevoise expliquant que ces dispositifs sont « des manières de ramener
les gens à nous » (et pas uniquement d’externaliser des tâches d’entretien)
(Ernwein 2015 ; voir aussi Perkins 2009).
Loin des lectures univoques, certaines formes d’implication bénévole s’inscrivent ainsi dans une logique de care (Blanc 2013), d’autres de délégation de
service public (Rosol 2012), d’autres encore d’individualisation de l’engagement environnementaliste (Perkins 2010). Autant de lectures contradictoires
qui invitent à reconnaître la multiplicité des visages du phénomène et à
clarifier l’appareil conceptuel mobilisé.
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Produire la ville vivante : le travail des citadins et des non-humains
◮ Les non-humains au travail : intelligence végétale et
ingénierie animale au service de la ville
Outre le rôle nouveau du citadin, le modèle horticole s’est également récemment vu remis en cause par l’émergence de préoccupations environnementales et budgétaires. La directive Européenne REACH, les directives sur
l’eau, la loi Labbé ou, en Suisse, l’ordonnance sur la réduction des risques
liés aux produits phytosanitaires (OrrChim 2005), ainsi que les compressions budgétaires liées aux politiques d’austérité ont requis de réviser le
modèle reposant sur un travail intensif et de grandes quantités d’intrants –
eau, engrais, biocides, carburants. Loin de n’être qu’une question technique,
cette nouvelle approche a entraîné un changement de paradigme dans la
manière de concevoir la nature de la ville et l’éthique des relations au vivant.
En effet, la remise en cause du modèle horticole des espaces verts a rendu
les dynamiques du vivant excessivement visibles. L’adoption de pratiques
« zéro-phyto » et l’abandon du désherbage chimique, conjugués à une diminution des effectifs de jardiniers, ont mis au jour la nécessité de s’adapter
de manière innovante à un végétal pouvant être débordant. Plusieurs stratégies de gestion ont été mises sur pied, qui témoignent de la reconnaissance
du caractère plus-qu’humain de la ville (Braun 2005), une ville où les nonhumains ne se contentent pas des places qui leur sont assignées. Dans cette
section nous abordons d’abord la manière dont la gestion différenciée s’y
attaque, puis nous explorons l’émergence de discours et pratiques tentant
de discipliner les dynamiques du vivant afin de mettre les non-humains au
travail.
Vers la ville vivante
À Grenoble, ladite écologisation de la gestion des espaces verts s’est opérée
en plusieurs étapes. La gestion dite durable mise en place dès le début des
années 1990 encourage à prendre en compte les éléments de l’environnement
global dans les pratiques de gestion (réduction de la pollution de l’air par
les transports et les dispositifs d’entretien des végétaux, économies d’eau
et d’énergie, encouragement de la biodiversité). Dans ce cadre, la gestion
différenciée (Aggeri 2004 ; Le Crenn Brulon 2010 ; Menozzi 2007) mise
en place au début des années 2000 opère un zonage entre les surfaces
à gérer selon les usages et le degré d’intervention des agents. Plusieurs
classes de gestion sont ainsi définies, de la plus maîtrisée (massifs de fleurs
ornementaux à l’entretien hebdomadaire) à la plus « libre » ou « extensive »
(prairies fleuries fauchées une à deux fois par an). Si certains y voient le retour
du « sauvage » ou du « champêtre » en ville (Aggeri 2004), le cas genevois
témoigne en parallèle de l’adoption d’un vocable référant à une nature
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urbaine plus « vivante » (Ernwein 2016b). Alors que le modèle horticole
envisageait la nature en ville au prisme de la « nature morte » (Arpin et al.
2015), la valorisation des plantes vivaces, indigènes et autres prairies laisse
en effet plus de place à l’expression d’un végétal qu’on s’occupe moins à
tondre et à tailler. Même la conception des massifs ornementaux change,
puisqu’ils sont désormais conçus sur un mode plus fluide qui valorise les
interactions entre les plantes (Ernwein 2016b).
Si la prise en compte de « la vitalité et la récalcitrance des non-humains »
(Braun 2008) a permis d’envisager de nouveaux types d’aménagement, la plupart des travaux existants célèbrent simplement cette nouveauté, omettant de
l’inscrire dans les enjeux socio-économiques contemporains. D’autres littératures, autour des travaux de Donna Haraway (2008) notamment, s’intéressent
pourtant aux conséquences, sur la pratique des humains, de la reconnaissance
des capacités actives des non-humains. Cette littérature analyse notamment
l’émergence de discours et pratiques qui voient dans la capacité d’action
des non-humains une force de travail pouvant être activée pour produire de
nouvelles infrastructures ou entretenir des paysages urbains (Braun 2014 ;
Wakefield 2016). Ainsi, non seulement les non-humains sont-ils actifs et,
pour certains, encouragés à l’être, mais leur activité est aussi cooptée pour
fabriquer et gouverner l’espace urbain. Cela nécessite de réinterroger ce
qu’est aujourd’hui un producteur de forme urbaine, à l’heure où les plantes
s’auto-entreprennent, et où les animaux sont désignés comme des ingénieurs
et les insectes des auxiliaires dans la lutte contre les parasites.
De la récalcitrance au travail : changer de regard sur l’activité des
non-humains
À Grenoble, la mise en œuvre de la gestion différenciée s’accompagne de la
mise en place, à l’échelle de la ville, d’une protection dite biologique, qui
vise à remplacer l’usage des produits phytosanitaires par l’exploitation de la
relation « naturelle » de prédation entre les espèces. L’adoption d’une telle
approche biocontrôle et non plus biocide de la gestion des espaces verts se
base sur la mobilisation d’insectes et acariens désignés comme des « auxiliaires » – un discours quasi-militaire (Tollis et Garcia 2011). Cela témoigne
d’une approche probiotique de la biopolitique (Lorimer 2017), qui consiste
à utiliser les compétences de non-humains pour en faire vivre ou en faire
mourir d’autres. En ce sens, des compétences précises des non-humains sont
utilisées par les humains concernés pour mettre en œuvre leur projet. Aussi
les jardiniers grenoblois, estiment-ils que « [leurs] insectes » « travaillent
pour [eux] », témoignant de relations nouvelles se tissant avec ces adjuvants
de la gestion de l’espace public. Les auxiliaires sont en outre souvent vus
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Produire la ville vivante : le travail des citadins et des non-humains
comme plus efficaces et de toute façon plus vertueux que les anciens outils.
On leur attribue des compétences : vitesse, agilité, solidarité. Toutefois, il
peut y avoir « des ratés » : à Grenoble, certains espaces en gestion dite naturelle, comme la Bastille, constituent des réservoirs d’auxiliaires voués à se
déplacer pour « intervenir » dans d’autres espaces. Parfois, il faut attendre
que les insectes partenaires « arrivent » sur les lieux d’une invasion, alors
qu’une intervention chimique aurait pu être immédiate. Si, « de toute façon
ils vont venir puisqu’il y a à manger pour eux », cela ne correspond pas forcément au temps d’intervention d’une pulvérisation biocide. Ainsi, les insectes
sont vus à la fois comme des adjuvants permettant une meilleure maîtrise
du caractère naturel de la ville mais également comme des facteurs d’incertitude, de résistance temporaire à une maîtrise auparavant (crue comme)
totale : « Tout ça c’est dans une marmite : on fait, on défait, on refait ». Audelà de la relation au vivant, c’est tout un pan de l’action publique qui se
réorganise autour de modes de faire plus proches de l’improvisation et d’un
droit à l’erreur qu’il conviendrait de rendre légitime7 .
Si les insectes s’activent pour protéger les plantes, ces dernières ne sont pas
en reste. Alors qu’à l’ère horticole, les plantes étaient généralement mises
en terre à leur stade adulte – les gestionnaires les appelaient d’ailleurs des
« plantes finies » – et tenues de rester stables – ce dont on s’assurait en les
arrosant, en les nourrissant et en les taillant (Hitchings 2007) – ce rapport
au végétal a récemment commencé à être remis en cause. À Genève, l’idée
de recourir davantage à l’« intelligence végétale » (Armanios 2016) est ainsi
mobilisée par la direction du service des espaces verts au moment où elle
demande aux jardiniers, de moins en moins nombreux, de « cesser le jardinage »8 pour économiser les ressources humaines9 . Qu’est-ce que cette
intelligence végétale ? Ce n’est pas seulement avoir, en tant qu’humain, l’intelligence de placer le bon végétal au bon endroit pour s’économiser des ressources, c’est aussi et surtout reconnaître les capacités propres aux plantes10
(Atchison et Head 2013). À Genève cette mobilisation de l’ « intelligence
végétale » prend trois visages : c’est utiliser la capacité reproductive des
plantes pour aménager à moindre coût de nouveaux espaces, par exemple en
7. Certains le font déjà, à l’image de maires de petites communes instaurant une dynamique de transition
écologique et citoyenne (par exemple J.-F. Caron, maire de Loos-en-Gohelle).
8. Document interne, SEVE Genève, août 2015.
9. Entre 2010 et 2016, les effectifs de jardiniers ont diminué de 9 % alors que les surfaces à gérer
augmentaient du même pourcentage.
10. Cette approche fascine le grand public, en témoignent certaines revues de vulgarisation scientifique,
comme ce numéro de Science & Vie de mars 2013 « Plantes. Elles sont intelligentes. Elles ont de la
mémoire, s’entraident... », dossier “A la une” de 20 pages. Dynamique à laquelle participent aussi d’autres
auteurs comme J.-M. Pelt qui a publié de nombreux livres sur les faits troublants du vivant (voir Pelt
1996), ainsi que F. Hallé (1999 ; 2011), sur les compétences des arbres.
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autorisant des plantes spontanées couvre-sol à se répandre au lieu de semer du
gazon ; c’est aussi favoriser, en lieu et place de plantes horticoles annuelles,
la robustesse et la vitalité de plantes vivaces pouvant rester en place plusieurs saisons au lieu de nécessiter l’intervention régulière du jardinier ; c’est
enfin travailler sur les capacités interactives des plantes afin de les laisser se
contrôler mutuellement plutôt que de devoir intervenir. Ainsi de nouvelles
connaissances du végétal contribuent-elles à penser les plantes comme des
actrices permettant de réduire les tâches d’entretien voire d’aménager de
nouveaux espaces – bien loin de l’approche horticole fixiste exigeant simplement des plantes de rester en vie. Cela s’accompagne de transformations
discursives, ces plantes dynamiques et robustes étant positivement taxées de
« vivantes », les plantes horticoles annuelles de « crevasses » ou encore de
« plantes molles » (Ernwein 2016b).
L’utilisation des capacités du vivant pour aménager l’espace est poussée
à son paroxysme dans la notion d’infrastructure vivante. Face au risque
de montée des eaux et de tempêtes dévastatrices dont l’ouragan Sandy a
donné il y a quelques années un avant-goût, la ville de New York envisage
d’inviter les huîtres, naturellement présentes dans la baie, à s’agglomérer
en récifs autour de carcasses de voitures submergées, construisant ainsi
des barrières contre les courants. Il s’agit là d’une infrastructure vouée
à être dynamique, mouvante, la construction de laquelle mobilisent les
compétences d’ecosystem engineering des huîtres (voir Jones et Wright
2006)11 pour protéger des infrastructures urbaines (Braun 2014 ; Wakefield
2016).
Ces approches ne sont pas sans parenté épistémologique avec la notion de
service écosystémique (Maris 2014). On y retrouve en effet une lecture utilitariste des fonctions écologiques, perçues non pour leur valeur intrinsèque
mais pour ce qu’elles peuvent apporter comme service à l’humain – huîtres
ne faisant pas que s’agglomérer mais offrant une barrière contre les courants
aux humains, pissenlits et chardons ne faisant pas que se répandre mais
aménageant pour un service d’espaces verts en sous-effectif un cimetière
jusqu’alors minéral, etc. Nous estimons pourtant qu’elles s’en distinguent
pour au moins trois raisons. Dans le cas genevois, il s’agit explicitement
de redistribuer l’effort de travail vers les non-humains au moment où d’importantes réductions d’effectifs empêchent la réalisation de certaines tâches.
Ainsi l’« intelligence végétale » est-elle mise au service de l’« optimisation
des ressources managériales » (Armanios 2016 ; de Weck 2016). A Grenoble,
les jardiniers expliquent également considérer les insectes auxiliaires comme
11. Le concept d’ecosystem engineering désigne la capacité des non-humains animaux et végétaux à
transformer les conditions abiotiques de leur écosystème.
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Produire la ville vivante : le travail des citadins et des non-humains
des « travailleurs », témoignant de l’existence d’un discours émique sur un
travail non-humain. Dans les deux cas, les non-humains sont considérés
comme des forces de travail mobiles qui vont être activées et disciplinées,
plutôt que comme des fonctions écologiques préexistantes à valoriser et
monétariser.
Alors que la pensée économique classique voit la nature comme une ressource passive et restreint la notion de travail aux humains, cette mobilisation des compétences du vivant invite à réfléchir à ce qu’on appelle une
force de travail dans la production urbaine. Un certain nombre de théoriciens
réfléchissent depuis une dizaine d’années à la notion de travail animal et
à la marchandisation des compétences du vivant (Barua 2016 ; Collard et
Dempsey 2013 ; Haraway 2008 ; Porcher 2015). Si certains insistent sur
le travail reproductif des non-humains (ce qui est le cas des vivaces ou des
plantes couvre-sol), on peut discerner ici deux autres activités mises en œuvre
par les non-humains. D’une part, on peut identifier un travail biopolitique,
quand les compétences de non-humains sont déployées pour gouverner la vie
d’autres non-humains (voir notamment Hodgetts 2017). On mobilise alors le
comportement des uns pour faire vivre, faire mourir, ou encore susciter un
comportement adéquat chez d’autres. D’autre part, ces non-humains apparaissent mettre en œuvre un travail génératif de construction, mobilisant soit
leurs compétences spatiales (plantes couvre-sol qui aménagent un bosquet),
soit des compétences d’ecosystem engineering (huîtres qui construisent des
récifs). L’utilisation des non-humains à ces fins n’est pas sans poser des
questions d’ordre éthique et moral.
Exploitation, invisibilisation, commercialisation : les enjeux
socio-spatiaux du travail des non-humains
À partir du moment où les humains comptent sur le travail de nonhumains, apparaît le risque de développer une relation d’exploitation. À
titre d’exemple, certaines larves d’auxiliaires sont mises au réfrigérateur
lorsqu’elles sont réceptionnées (après avoir été commandées sur catalogue)
afin que leur développement soit bloqué. Ainsi, l’utilisation des compétences
vitales des auxiliaires reste liée à une perspective dominatrice des humains
qui jouent sur leur rythme biologique (Cooper 2015). Si les conditions
de travail des mammifères (animaux d’élevage, prédateurs dans des parcs
naturels) font l’objet d’une littérature certes marginale mais cohérente,
comment penser un rapport éthique à l’insecte12 ?
12. Un insecte qui, à l’heure du développement de l’industrie de l’entomophagie, pourrait bien devenir
l’animal en batterie de demain si l’on ne s’intéresse pas à ses conditions de travail et d’élevage.
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Information géographique n°3 - 2017
En outre, certains auxiliaires (les acariens, notamment) ne sont pas visibles
à l’œil nu ; leur travail n’est donc pas directement visible. Plus, il contribue
à invisibiliser le travail des humains qui les accompagnent – un travail qui
inclut des tâches de veille, de comptage, d’essaimage, d’évaluation, ou encore
d’intervention correctrice. Cet accompagnement prend du temps et demande
lui aussi des compétences. Le témoignage d’un interviewé genevois est à ce
sens éclairant, qui indique à propos d’un jardin géré de façon extensive : « on
aurait cru que tous les jardiniers étaient morts ». Espacer les tontes, favoriser
le développement des espèces vivaces, indigènes, résistantes, compter les
auxiliaires, s’assurer qu’ils sont mobiles et susceptibles d’intervenir « en
urgence », vérifier l’adéquation entre plantes, habitat, auxiliaire et prédateurs,
relève d’un travail important. En bref, laisser-faire la nature est un art de faire
qui se donne à voir sous une forme qui peut être associée à du laisser-aller.
Lorsque sont organisées les conditions pour qu’un jardin « se débrouille tout
seul » (selon les termes d’un jardinier grenoblois), le travail des faiseurs –
humains comme non-humains – est rendu invisible, au moins partiellement,
au moins par moments.
Pour finir, la commercialisation de ces compétences vitales pose question.
D’un côté, le marché des auxiliaires biologiques est en pleine expansion.
Les évolutions des législations européennes et nationales laissent imaginer
que le commerce de ces insectes « utiles » puissent/devraient remplacer
rapidement celui des produits phytosanitaires. Par contraste, recourir aux
compétences de plantes vivaces qui se reproduisent par elles-mêmes est vu
par les gestionnaires d’espaces verts comme une manière de contourner
l’emprise des grandes entreprises compagnies horticoles et semencières
qui, du fait de leur situation oligopolistique, avaient jusqu’ici le pouvoir
d’imposer des quotas et des conditions drastiques sur les achats de plantes
(Ernwein, à paraître).
Cette marchandisation ambiguë du vivant, la question des conditions de
travail des non-humains et du soin dont ils peuvent faire l’objet sont à mettre
en perspective avec les relations de coopération (beaucoup plus sensibles) qui
se jouent entre les jardiniers et leurs insectes dans de plus amples recherches,
à venir.
◮ La ville vivante, un réseau de contributions
Cette contribution a été conçue comme une prise de position à l’encontre
des approches de la nature en ville par la présupposée « demande sociale »
dont elle ferait l’objet. Abordant les citadins non comme des « demandeurs »
mais des acteurs voire des faiseurs, et la « nature » non comme un objet
Information géographique n°3 - 2017
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Produire la ville vivante : le travail des citadins et des non-humains
générique mais comme un ensemble hétérogène et multiple de non-humains
agissants, il a visé à saisir l’activité de production mise en œuvre par ces deux
catégories d’acteurs. Alors que citadins et non-humains ont récemment surgi
à titre d’acteurs dans les politiques d’espaces verts, leur prise en compte par
les autorités publiques présente un certain nombre de caractères communs.
Les programmes de travail bénévole et de mise au travail des non-humains
sont tous deux des témoins de l’intégration des dynamiques sociales et non
humaines dans une nouvelle division du travail environnemental à l’heure
de l’austérité. Ce qui pose la question de la protection de ces travailleurs
non-salariés et non-humains face aux risques d’exploitation, ainsi que de la
survie d’une profession formée, salariée et syndicalement protégée s’activant
pour la réalisation d’un service public.
En prenant au sérieux la contribution de la société civile et des non-humains
à la fabrique de la nature urbaine, nous avons tenté de la cadrer vis-à-vis des
problématiques touchant la ville à l’ère néolibérale (privatisation, délégation
de service public, valorisation économique du vivant, mais aussi culture de
l’improvisation). Penser les faiseurs de nature en ville dans leur diversité
force en effet, pour penser l’objet nature en ville, à prendre en compte
l’économie politique, à réinterroger le travail, et à prendre au sérieux la
matérialité dans sa dimension active et productive. Aussi éclairons-nous à
partir de l’objet nature en ville certains des processus contemporains de
l’action publique.
Finalement, reconnaître le caractère proliférant, spontané, dynamique, des
non-humains, c’est voir en la ville non seulement du vert, mais surtout du
vivant (Hinchliffe et Whatmore 2006). C’est aussi considérer le volet processuel de la nature (natura-naturans selon Larrère et Larrère 1997). Ainsi, nous
proposons le terme de ville vivante pour rendre visibles et synthétiser les
recherches récentes sur cette nature urbaine. Active, changeante, spontanée,
la nature en ville ne relève plus d’un simple « vert » mais d’une mobilisation, d’un foisonnement, d’une incertitude liés à son caractère vivant qui
fabrique, qu’on le voie ou non, la ville d’aujourd’hui. Notre approche sous
l’angle du vivant invite enfin à l’interdisciplinarité : comprendre le rôle des
non-humains comme faiseurs de ville requiert de travailler avec les biologistes, pour d’un côté comprendre les processus impliqués dans l’action des
non-humains, et en retour proposer une version de la biogéographie qui soit
ouverte aux apports des sciences sociales et politiques.
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