Enfances Familles Générations
Revue interdisciplinaire sur la famille contemporaine
Articles sous presse
Configurations familiales et accès des enfants aux
soins à Nouakchott (Mauritanie)
Patterns of family and children healthcare access in Nouakchott (Mauritania)
Hélène Kane
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/efg/1568
ISSN : 1708-6310
Éditeur
Centre Urbanisation Culture Société (UCS) de l'INRS
Référence électronique
Hélène Kane, « Configurations familiales et accès des enfants aux soins à Nouakchott (Mauritanie) »,
Enfances Familles Générations [En ligne], Articles sous presse, mis en ligne le 22 décembre 2017,
consulté le 10 mars 2018. URL : http://journals.openedition.org/efg/1568
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Configurations familiales et accès des enfants aux soins à Nouakchott (Maurit...
Configurations familiales et accès
des enfants aux soins à Nouakchott
(Mauritanie)
Patterns of family and children healthcare access in Nouakchott (Mauritania)
Hélène Kane
Introduction
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À Nouakchott, en Mauritanie, l’offre de soins médicaux, suite à sa mise en place à
l’époque coloniale, s’est considérablement développée ces dernières décennies. Pour se
soigner, les Nouakchottois évoluent au sein d’une offre de soins dense (Salem, 1998),
d’inégale qualité et plurielle puisque exercent marabouts et guérisseurs de divers
horizons. L’offre de soins pédiatriques, spécifiquement, s’est densifiée depuis 2010. Le
nombre de lits a doublé en pédiatrie avec l’ouverture de trois hôpitaux : l’hôpital Mèreenfant, l’hôpital de l’Amitié, et le Centre National d’Oncologie. Ces nouvelles structures
s’ajoutent à l’offre existante, constituée d’un maillage de centres de santé répartis dans
chacune des communes de la capitale, et de postes de santé dispersés dans les quartiers.
Elles offrent de nouvelles possibilités de soins spécialisés, mais qui s’avèrent
particulièrement coûteuses au regard des revenus moyens des familles. Alors que moins
de 10 % des Mauritaniens ont accès à une assurance maladie, dans un contexte où
l’économie des ménages est souvent une économie du quotidien, les parcours de soins
sont largement contraints par la capacité des familles à mobiliser des ressources
économiques. Tous les enfants n’accèdent pas aux options de soins modernes, et pour
beaucoup de ceux qui y accèdent, les dépenses engendrées posent de complexes
difficultés monétaires. L’accessibilité des soins est ainsi très hétérogène selon le milieu de
vie. Dans certaines zones d’habitat précaire et de pauvreté, l’accès aux soins médicaux est
ainsi quasiment nul (Taleb et al., 2006).
2
Dans ce contexte, la maladie d’un enfant, lorsqu’elle persiste et ne peut être guérie par
quelques remèdes ou médicaments à bas prix, se pose comme une inquiétude pour sa
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santé, mais aussi comme une problématique financière menaçant l’économie du ménage.
L’interrogation s’agissant des recours est mise en perspective avec une anticipation des
coûts. Le recours à l’hôpital n’est envisagé qu’avec parcimonie, sachant qu’une
hospitalisation de quelques jours représente en moyenne un à deux salaires mensuels. La
mobilisation des ressources pour obtenir les soins occupe donc une place centrale dans la
gestion familiale des problématiques de santé. Les appuis logistiques et matériels des
membres de l’entourage ne doivent cependant pas être opposés au soutien moral et
affectif. Pour le comprendre, on doit dépasser une pensée manichéenne opposant relation
monétaire et relation affective (Attané, 2009), et analyser l’articulation des relations et
des économies familiales. La question de la mobilisation autour de l’enfant malade
rencontre ainsi des questionnements relatifs aux liens familiaux et aux exigences sociales
d’entraide et de solidarité.
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Plus encore que les adultes malades, les enfants sont dépendants des membres de leur
parenté pour accéder aux soins. Même lorsqu’ils sont assez grands pour se déplacer seuls
en ville, leurs ressources financières sont minimes. Au sein de structures sanitaires
communément jugées inhospitalières (Jaffré et Olivier De Sardan, 2003), la norme veut
qu’ils soient accompagnés par leurs parents (Jaffré et Guindo, 2013). Le fonctionnement
des hôpitaux repose sur la participation active des parents pour réaliser un ensemble de
tâches d’accompagnement et de « garde-malade » : acheter et acheminer consommables
et médicaments, surveiller le petit malade, assurer son hygiène et le nourrir. Un enfant
qui serait seul, lors d’une hospitalisation ou pour une simple consultation, aurait des
difficultés à être pris en charge et serait en tous cas perçu comme un marginal en rupture
familiale. De la sorte, l’accès aux soins des enfants est conditionné par l’implication de
leurs parents et la capacité de ceux-ci à mobiliser des ressources pour les soigner.
4
Partant de ces quelques constats, l’objectif de cet article est d’analyser les configurations
familiales qui construisent l’accessibilité des enfants aux soins, en faisant ressortir la
conjugaison d’éléments qui éloignent certains enfants des soins médicaux. Cette réflexion
s’inscrit dans le champ des travaux en sociologie et anthropologie de l’enfance,
considérant l’enfance comme une construction sociale et les enfants comme des acteurs
propres (James et James, 2004). Cette perspective suppose d’intégrer à l’étude le point de
vue des enfants (James, 2007). Elle permet de considérer comment les marges d’actions
dont disposent les enfants sont construites par différents modèles d’enfance (Bonnet et al.
, 2012) qui structurent leur place dans la famille et les modalités des relations qu’ils
peuvent entretenir avec les membres de leur entourage.
L’enfant, sa famille et les recours aux soins
5
Les enfants sont, un peu partout dans le monde, dépendants de leurs parents s’agissant de
leurs recours aux soins. Même dans les pays où l’accès aux soins médicaux est facilité par
un système de protection sociale performant, et où l’hospitalisation n’exige pas la
présence d’un accompagnant, la famille joue un rôle essentiel dans les recours aux soins
des enfants (Cresson, 1993; Gauthier et al. , 2013). Les travaux menés par Geneviève
Cresson sur le « travail domestique de santé » positionnent les recours aux soins dans une
palette d’« activités sanitaires profanes » qui demeurent souvent invisibles et minimisées
(Cresson, 1995). En effet, en amont des recours se jouent des processus d’identification de
la maladie et de sa gravité, de décision de recours auxquels divers membres de la famille
peuvent prendre part. Au sein des familles, les mères endossent un rôle crucial, et la plus
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Configurations familiales et accès des enfants aux soins à Nouakchott (Maurit...
grande charge du travail domestique de santé leur revient (Cresson, 2001; Saillant, 1992).
Dans le champ de l’anthropologie, d’autres travaux ont spécifiquement mis l’accent sur
les relations familiales qui structurent les choix de recours et le déroulement des
itinéraires thérapeutiques (Benoist, 1996; Gauthier et al., 2013).
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Pour l’Afrique, différentes contributions illustrent comment les modèles familiaux
structurent les décisions de soins. L’ouvrage de John Janzen, s’appuyant sur le parcours
de quelques malades dans ce qui était alors le Bas-Zaïre, analyse comment les décisions de
recours s’organisent au sein de ce que l’auteur a conceptualisé comme « groupe
organisateur de thérapie » (Janzen, 1995). L’ouvrage examine comment la famille exerce ses
prérogatives en termes d’identification et de résolution des maladies dans la société
kongo. En Afrique de l’Ouest, dans des contextes où les soins sont obtenus par paiement
direct, le rôle de la famille face à la maladie de l’enfant a en particulier été envisagé sous
l’angle de la mobilisation des ressources financières. D’importantes contributions ont
concerné les mécanismes de solidarité pouvant contribuer aux dépenses de santé (Vuarin,
1993) et la mobilisation des ressources familiales pour financer le recours aux soins des
enfants (Baxerres et Le Hesran, 2010). Ces travaux éclairent la complexité de la
mobilisation des ressources pour les soins aux enfants, dans des contextes où la gestion
des dépenses relève de facteurs conjoncturels tels que la disponibilité monétaire
(Baxerres et Le Hesran, 2010; Sauerborn et al., 1996). En ce qui a trait aux rôles familiaux
modelant l’accès aux soins des enfants, plusieurs auteurs se sont intéressés plus
spécifiquement aux relations de genre (Desclaux, 1996; Fromageot et al., 2005; Kane, 2015).
Ces contributions documentent comment le genre détermine à la fois des rôles
thérapeutiques distincts, des rapports décisionnels à l’œuvre et des relations avec les
thérapeutes. Bien que les variations entre pays ouest-africains soient importantes, les
mères, qui s’occupent de leur enfant au quotidien, sont exposées à un risque de
culpabilisation en cas de maladie (Desclaux, 1996), tandis que l’on attend généralement
des pères qu’ils assurent les dépenses engendrées. Les travaux cités mettent en évidence
un ensemble de contraintes matérielles et sociales s’exerçant sur les mères qui cherchent
à soigner leurs enfants. Il peut s’agir de contraintes temporelles liées aux travaux
domestiques ou aux activités rémunératrices (Fromageot et al., 2005). Il peut aussi s’agir
de contradictions associées au rôle d’épouse : dans de nombreuses sociétés, la bonne
épouse est celle qui réclame peu d’argent pour soigner son enfant (Jaffré, 1991) et qui suit
les conseils de sa belle-mère (Kane, 2015). En cas de mariage polygame, ces contradictions
se posent avec acuité, chacune des épouses tentant d’affirmer sa capacité à soigner son
enfant sans engager les dépenses du mari.
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Dans la lignée de travaux de recherche positionnant l’enfant comme acteur (James et
James, 2004; Sirota, 2006), d’autres travaux se sont intéressés à la manière dont les
enfants sollicitent et négocient leur prise en charge (Bluebond-Langner, 1978). Leur
marge d’action dépend d’abord des dispositions sanitaires de leur milieu de vie, mais
aussi de leur statut dans la famille. Or, le statut des enfants est marqué par de multiples
évolutions qui transforment les modalités des relations intrafamiliales (Neyrand, 2007) et
le rôle des parents dans les trajectoires de maladie (Mougel, 2009). La « médicalisation »
de l’enfance contribue d’ailleurs significativement à l’évolution de la construction sociale
des enfances (Hamelin Brabant, 2006; Turmel, 1997). En Afrique, les enfances, cibles de
programmes de développement visant en particulier la santé, connaissent des
transformations majeures produisant de nouvelles figures d’enfance (Suremain et
Bonnet, 2014). Ces transformations globales impactent inégalement les enfances locales,
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et l’on est face à une diversité de situations sociales au sein desquelles les enfants sont
plus ou moins écoutés et considérés comme partenaires des soins (Héjoaka, 2012; Ida,
2016; Jaffré et al., 2009; Jaffré et Guindo, 2013). Certaines évolutions familiales, conjuguées
à certaines évolutions sanitaires, permettent progressivement à des enfants de
s’affranchir de relations d’autorité et de dépendance pour intervenir davantage dans leur
accession aux soins (Hampshire et al., 2011).
Une étude de cas en milieu nouakchottois
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Ce travail s’inscrit dans le cadre d’un programme de recherche anthropologique intitulé
« Enfances, soins et pédiatrie en Afrique de l’Ouest » (ENSPEDIA) 1, dirigé par le professeur
Yannick Jaffré. Ce programme réunit une trentaine de pédiatres et anthropologues qui
collaborent dans huit pays (Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Mali, Mauritanie, Niger,
Sénégal, Togo). L’un des principaux objectifs est de repenser les problématiques de l’accès
et de la qualité des soins en étudiant le point de vue des enfants. À Nouakchott, en
Mauritanie, nous avons suivi, entre 2013 et 2015, une trentaine de cas d’enfants souffrant
de maux ayant fait l’objet de recours répétés aux structures sanitaires. Ces enfants ont été
rencontrés pour moitié lors d’une hospitalisation en pédiatrie et pour moitié par
l’intermédiaire de petites organisations à base communautaire. Compte tenu de ces
modes de recrutement, certains enfants avaient fait l’objet d’un diagnostic médical
(drépanocytose, diabète, tuberculose, etc.) tandis que d’autres souffraient de maux
désignés par des terminologies populaires (sooynabo2, henndu3, etc.) ou restés à l’état
d’hypothèses confuses. Les enfants suivis étaient âgés de quelques mois à dix-sept ans. Ils
habitaient différents quartiers de la ville, centraux et périphériques. Certains
appartenaient à des ménages pauvres ou très pauvres, d’autres étaient plus aisés mais
rencontraient néanmoins des difficultés pour assurer les dépenses liées à l’éducation et à
la santé. Seuls deux des enfants de notre corpus appartenaient à des ménages aisés
pouvant s’« offrir » sans inquiétude des soins de tous niveaux de spécialisation.
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L’enquête a combiné une cinquantaine d’entretiens compréhensifs, dont dix-neuf avec les
enfants dont l’âge le permettait, et les autres avec des membres de leur famille. Plutôt que
de cibler uniquement « les mères », nous avons tenté de recueillir une pluralité de points
de vue familiaux sur la maladie et les soins. Divers membres de l’entourage intervenant
significativement dans les soins de l’enfant ont donc été écoutés, parmi lesquels
figuraient des mères, pères, grand-mères, tantes, oncles et frères. Ces entretiens ont été
réalisés à chaque fois dans la langue choisie par nos interlocuteurs, qu’il s’agisse du
hassanya, du pulaar, du français, du wolof ou du soninké. Aussi nous sommes-nous
adressée à deux interprètes qui maîtrisaient ces différentes langues. Les questions ont été
centrées sur le suivi des itinéraires thérapeutiques infantiles, le périmètre des recours, le
vécu des soins et les dynamiques familiales intervenant dans la recherche de soins. Afin
de faciliter le dialogue avec les plus jeunes enfants, nous avons eu recours à la technique
du dessin commenté (Fargas-Malet et al., 2010). Tous ces entretiens ont été enregistrés,
traduits et retranscrits en français. Ils ont pu être complétés par des observations
répétées dans les hôpitaux, lesquelles ont fait l’objet d’une prise de notes dans un carnet
de terrain.
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En l’absence de comité d’éthique en Mauritanie, nous avons sollicité et obtenu un avis
favorable du comité scientifique de l’Hôpital national. Le consentement écrit de chaque
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participant a été recueilli, y compris celui des enfants. De plus, les parents ont tous
préalablement donné leur accord avant la réalisation d’entretiens avec leur enfant.
Configurations familiales et périmètre des recours
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Soulignons de prime abord que les modèles familiaux en Mauritanie sont très divers. La
Mauritanie est partagée entre une population maure parlant l’hassanya, et des
populations dites « négro-mauritaniennes », terme regroupant les populations pulaar,
soninké et wolof. Bien que les traits culturels en partage soient nombreux, les structures
de parenté, la place des enfants dans leur famille, les modalités du maternage et les
habitudes de recours admettent des variations fonctions des appartenances à ces groupes
(Marchesin, 1992). La société mauritanienne reste aussi marquée par des hiérarchies
sociales de type féodal, les descendants d’esclaves affranchis demeurant socialement
marginalisés (Botte, 2005). Ces formes d’inégalité s’articulent à des variations en termes
d’éducation et de soins aux enfants. De plus, dans le milieu urbain nouakchottois, les
configurations réelles des familles sont en mutation et se diversifient. La place des
enfants est impactée par des phénomènes globaux tels que l’intensification des
migrations, l’éclatement des familles élargies ou le développement des économies
marchandes, comme cela est observé depuis plusieurs années dans les autres capitales
ouest-africaines (Locoh, 2002; Vimard, 1993). Aussi, lorsqu’on observe les environnements
familiaux où les enfants nouakchottois grandissent et sont soignés, la diversité est
frappante. Certains enfants vivent au sein d’une grande concession regroupant plusieurs
ménages issus d’un même ascendant tandis que d’autres vivent en « famille nucléaire ».
Certains sont issus de mariages polygames ou de familles « recomposées ». Certains n’ont
qu’un seul parent qui subvient à leurs besoins, d’autres vivent loin de leurs parents
biologiques et sont confiés à un oncle ou une tante.
Des recours parentaux différenciés par le genre
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Nonobstant cette diversité des compositions familiales, dans une majorité des cas, les
ascendants directs que sont les mères et les pères sont à l’initiative des recours aux soins.
Nous remarquons aussi que les mères soignent plutôt des affections jugées banales par
des remèdes et recours de proximité, tandis que les pères interviennent lorsque l’état de
l’enfant suscite inquiétude. Ce sont plutôt les pères qui mettent en œuvre des recours
vers des structures plus difficilement accessibles géographiquement et économiquement,
tel l’hôpital. Cette division des rôles se retrouve communément dans les différents cas
étudiés. Nous pouvons l’illustrer avec l’exemple des recours de la famille d’Abou.
Le père d’Abou est habitué à fréquenter l’Hôpital national, et il lui est aussi habituel
d’acheter des médicaments directement à la pharmacie. La mère d’Abou fréquente
le poste de santé proche de chez elle, où elle a fait suivre ses grossesses et où elle
conduit ses enfants pour les vaccinations. Lorsque Abou présente plusieurs jours
durant une forte fièvre, son père, inquiet, le conduit à l’Hôpital national, où l’enfant
est hospitalisé à plusieurs reprises. En outre, il sollicite un oncle pédiatre qui leur
dicte souvent des prescriptions par téléphone. Par ailleurs, une tante de l’enfant, à
l’insu du père, consulte un marabout au sujet des maux d’Abou. (Abou, trois ans,
garçon pulaar, fièvres à la suite d’une chute.)
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En Mauritanie, les hôpitaux sont largement perçus comme des lieux hostiles où il est
préférable d’être accompagné d’un connaisseur et, si possible, d’un homme considéré plus
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à même de négocier la prise en charge. Le père d’Abou explique, en ce sens, qu’il devait
être quotidiennement présent pour stimuler les soins en pédiatrie : « Il faut toujours
demander. Moi, ma femme est un peu timide elle ne peut pas rentrer demander
partout… » À l’inverse, les postes de santé, tout comme les vendeurs de plantes et de
médicaments sur les marchés, s’intègrent à des lieux fréquentés par les femmes, qui de
fait deviennent des espaces thérapeutiques fortement féminisés (Leach et al., 2008). La
mère d’Abou explique ainsi sa préférence pour le poste de santé de son quartier, car elle
connaît « les femmes qui sont là-bas », bien qu’ayant conscience que les moyens
techniques y soient limités. Comme on l’observe ailleurs en Afrique, compte tenu de
contraintes économiques et temporelles, mais aussi de familiarités dans certains espaces,
les mères tendent à s’affairer à l’instigation de recours informels et de proximité, tandis
que les pères s’orientent davantage vers les structures sanitaires (Fromageot et al., 2005).
Au-delà de la répartition des rôles dans le couple parental, cette divergence concerne plus
largement les recours des hommes et femmes de l’entourage de l’enfant. Le cas de Demba
décrit en ce sens l’addition de recours impulsés par ses entourages féminin et masculin.
Demba souffrant de douleurs dans le bas du dos, sa mère, au village, le soulage en
lui versant de l’eau fraîche. Comme son état ne s’améliore pas, elle décide de
consulter au dispensaire. Malgré les médicaments prescrits, l’état de Demba
s’aggrave et il perd l’usage de ses jambes. Sa mère, en l’absence de son mari, qui
travaille dans une autre région, consulte alors plusieurs guérisseurs. Quelques
semaines plus tard, des oncles résidant en France, informés de la situation,
envoient de l’argent pour que l’enfant parte se soigner à Nouakchott. Suivi à
l’hôpital neuropsychiatrique, Demba reçoit un traitement médicamenteux et
bénéficie de massages pendant plusieurs mois. Son état s’améliore, mais il reste
tétraplégique. Pendant ce temps, accompagnée par une tante, la mère de Demba
court de marabout en guérisseur pour trouver celui qui saura guérir son enfant.
(Demba, dix-sept ans, garçon soninké, tétraplégie.)
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Dans le cas de Demba, les différents recours choisis par l’entourage s’accordent non
seulement à des positionnements au sein d’espaces thérapeutiques, mais répondent aussi
à des divergences interprétatives. Tandis que pour la mère et la tante, cette étrange
maladie ne peut être que l’effet d’une attaque surnaturelle (henndu), les oncles tablent sur
la médecine pour expliquer, traiter et redonner à l’enfant l’usage de ses membres. Demba,
dans l’espoir de guérir, prend sans rechigner les traitements et remèdes proposés par les
différents membres de sa famille : « Moi, je ne sais pas ce qui est mieux. Je fais les deux,
j’ai confiance aux deux. »
15
D’autres cas étudiés présentent des divergences interprétatives, qui se traduisent par une
discorde familiale et des recours additionnels. De nombreux recours sont l’objet
d’initiatives individuelles plutôt que de décisions concertées dans la famille. Même
lorsque les parents s’accordent pour privilégier les soins médicaux, il est courant qu’une
grand-mère ou grand-tante s’inquiète de la nature de la maladie et sollicite une
intervention maraboutique. Différents membres de la famille constituent donc un
entourage impliqué dans les soins de l’enfant, mais on est loin d’un « groupe organisateur
de thérapie » (Janzen, 1995) qui déciderait consensuellement des soins. Ces démarches
parallèles contribuent à la mixité des parcours, difficilement compréhensible par une
vision linéaire des recours successifs (Rossi, 2007). Bien que les différentes réponses ne
soient pas mises sur le même plan, tous ou presque admettent qu’une chance de guérir
peut provenir des interventions maraboutiques. Comme le signifie Demba, la richesse de
l’entourage est que chacun apporte sa solution et porte un espoir de guérison.
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Configurations familiales et accès des enfants aux soins à Nouakchott (Maurit...
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À travers les cas étudiés, nous remarquons que les femmes ont plus spontanément
recours aux marabouts et guérisseurs, tandis que les hommes gardent leurs distances visà-vis de pratiques magiques contraires à l’orthodoxie religieuse. Cette division genrée des
recours se retrouve ailleurs en Afrique de l’Ouest (Baxerres et Le Hesran, 2010; Jaffré,
1991). Cette tendance n’épuise toutefois pas la diversité des configurations rencontrées.
Certaines femmes, comme la mère d’Awa, se montrent déterminées à soigner leur enfant
dans l’environnement des grandes structures hospitalières.
Lorsque Awa souffre de son ventre ou de ses pieds, sa mère lui donne des
médicaments antalgiques, puis la conduit soit dans une clinique, soit à l’hôpital.
Awa souffre régulièrement de ces douleurs handicapantes, mais les analyses
réalisées n’ont pas permis de diagnostiquer l’origine des maux. Sa grand-mère,
pour la soulager, psalmodie des prières au-dessus de son ventre. Comme les
médecins ne parviennent pas à expliquer les douleurs, les parents, voisins, amis
disent à sa mère d’aller voir le guérisseur, mais celle-ci privilégie toujours le
recours aux structures sanitaires.(Awa, fille pulaar, dix ans, douleurs au ventre et
aux articulations.)
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Dans le cas d’Awa, la mère, soutenue financièrement par son mari, accompagne sa fille
dans des structures sanitaires spécialisées. Enseignante, elle dispose de ressources
financières et d’une bonne connaissance du français. On est dans une configuration où la
mère a le pouvoir de recourir aux soins sans négociation préalable, ce qui se traduit par
des réponses sanitaires rapides. La petite Awa l’a bien compris, qui déclare « aller vers
maman » lorsque ses douleurs surviennent.
Le rôle central des mères
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Nous comprenons, à la lumière des exemples évoqués, le rôle clé des mères dans
l’articulation des recours. Confidentes de leurs enfants, elles sont positionnées à
l’interface entre les remèdes conseillés par l’entourage féminin et les moyens octroyés
par leur mari pour les dépenses de santé. La présence de la mère et son attention envers
l’enfant, son statut et sa capacité à mobiliser des ressources s’avèrent centrales pour
l’accession aux soins. Lorsque la mère a peu de ressources et de pouvoir, la chaîne de
mobilisation aboutissant à un recours est plus longue. Dans les cas où elle est absente,
cela précarise l’accès de ses enfants aux soins, bien que son rôle puisse être partiellement
suppléé par d’autres membres de l’entourage, comme l’illustre le cas de Siré.
Tandis que ses parents sont au village, Siré partage une petite chambre louée à
Nouakchott avec son grand frère et son cousin. Tous trois ont rejoint la capitale
pour poursuivre leurs études. Siré souffre de douleurs à la poitrine, avec une toux
sanguinolente. Pendant plusieurs semaines, une fatigue intense l’empêche de suivre
ses cours au lycée. Son grand frère, ne sachant que faire, téléphone à son oncle, à
l’étranger, qui lui recommande de ne pas en parler aux parents afin de ne pas les
inquiéter. Le frère de Siré, ayant peu de ressources, achète des médicaments à la
pharmacie. Ce n’est que quinze jours plus tard que sa mère, en déplacement dans la
capitale, trouve Siré malade et l’accompagne à l’hôpital pour le faire soigner. (Siré,
garçon pulaar, quinze ans, tuberculose.)
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L’exemple de Siré montre comment l’éloignement de la mère, qui surveille, et du père,
qui finance les recours, occasionne une moindre accessibilité des soins, en lien avec un
ensemble de normes sociales dictant les rapports entre les parents, à qui revient la
responsabilité des soins de leurs enfants, et les enfants, que l’on enjoint de ne pas
« fatiguer » leurs parents. Cet exemple montre aussi à quel point l’accès aux soins peut
être dépendant de configurations singulières et conjoncturelles. En fonction des diverses
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Configurations familiales et accès des enfants aux soins à Nouakchott (Maurit...
compositions familiales et de résidence, les membres de la famille élargie peuvent plus ou
moins interférer pour stimuler, orienter ou inhiber différents types de soins. La présence
de la mère est essentielle mais, pourrait-on ajouter, insuffisante pour favoriser les
recours sanitaires. En effet, les mères interviennent surtout pour stimuler et articuler des
recours que, bien souvent, elles n’ont pas les moyens de mettre en œuvre seules. Aussi,
l’isolement de la mère, la faiblesse de son statut marital ou l’existence de conflits
familiaux sont autant d’éléments fragilisant les chances de l’enfant de poursuivre un
traitement approprié, comme l’illustre dramatiquement le cas d’Aïchetou.
La petite Aïchetou est le troisième enfant de sa mère, qui, suite à un second divorce,
est retournée vivre chez ses parents. La cohabitation est conflictuelle car la grandmère d’Aïchetou s’est disputée avec sa fille depuis son mariage, qu’elle
désapprouvait. Lorsque Aïchetou présente des signes de diarrhée, sa mère la
conduit chez un marabout du quartier. Devant l’aggravation des symptômes, elle
sollicite son ex-mari pour consulter à l’hôpital, où Aïchetou est hospitalisée. La
mère d’Aïchetou est éprouvée, elle doit rester seule au chevet de l’enfant car sa
mère et ses sœurs, fâchées, ne lui apportent pas d’aide. Elle quitte l’hôpital contre
l’avis médical. Plus tard, constatant la ré-aggravation des symptômes, elle se rend
dans un autre hôpital, où Aïchetou est hospitalisée. Elle ne parvient pas à payer les
analyses prescrites avec l’argent donné par son ex-mari. Aïchetou décède quelques
jours plus tard. (Aïchetou, fille maure, six mois, diarrhées et déshydratation.)
20
Dans le cas d’Aïchetou, nous constatons comment les retards et les lacunes de prise en
charge s’additionnent du fait d’une conjoncture défavorable isolant la mère : divorce,
manque de ressources et conflits familiaux. L’histoire d’Aïchetou est certes
exceptionnelle par ce cumul d’éléments défavorables. En revanche, l’isolement est le lot
commun d’un nombre croissant de mères en milieu urbain. Ces femmes qui, du fait d’une
migration, d’un divorce ou d’un décès, deviennent chefs de famille au quotidien, doivent
faire face à une situation précaire et composer avec de fortes contraintes entravant
l’accès aux soins. L’absence du père s’accorde ainsi à une détérioration de l’accessibilité
des soins, comme nous pouvons l’observer dans le cas de Mariem.
Cadette de sa fratrie, Mariem vit avec sa mère, veuve, dans un village à l’intérieur
du pays. Mariem souffre de drépanocytose, tout comme l’un de ses frères aînés,
désormais adulte et autonome. Après le décès de son mari, la mère de Mariem a
perdu beaucoup de pouvoir d’achat. Alors qu’elle fait suivre son fils malade dans le
privé, elle doit se limiter à des soins moins coûteux pour sa cadette. Grâce à l’aide
de son entourage et de parents résidant à Nouakchott, elle parvient néanmoins à
consulter l’Hôpital national pour Mariem. (Mariem, fille pulaar, dix ans,
drépanocytose.)
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Les cas décrits illustrent la diversité des configurations familiales organisant les recours
aux soins en cas de maladie, dans une ville où les modèles familiaux sont pluriels et en
mutation. Les « groupes organisateurs de thérapie » (Janzen, 1995) se révèlent être des
ensembles à géométrie variable, dépendant d’un ensemble de normes sociales
structurantes, mais aussi de conjonctures peu prévisibles. Comme partout, la
déstructuration de l’environnement familial a des répercussions sur l’accès des enfants
aux soins. Ce qui est ici remarquable, c’est à quel point l’accès aux soins est sensible à de
fines variations familiales, dans un contexte de précarité et de contrainte au paiement
direct.
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Configurations familiales et accès des enfants aux soins à Nouakchott (Maurit...
L’enfant dans ses configurations familiales
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Un point commun aux différentes configurations familiales décrites est finalement la
faible latitude dont disposent les enfants pour solliciter des soins. Les enfants sont
dépendants de leur entourage pour accéder aux soins, et interviennent de manière
policée pour les solliciter. Il est mal perçu qu’ils se plaignent publiquement, ce qui revient
à offenser leurs parents, à laisser entendre la négligence de leur mère ou le manque de
moyens de leur père. Ils modulent leurs plaintes selon les contours qui leur sont imposés
par leurs environnements familiaux. La plupart des enfants que nous avons rencontrés
laissent savoir leur maladie en s’allongeant ou en refusant de manger, plutôt que de s’en
plaindre ostensiblement. Ils décrivent les longs moments à supporter la douleur, l’attente
de réponse. Ils évitent de mettre leurs parents dans l’embarras, prennent patience tandis
que ceux-ci cherchent les moyens de répondre à leur besoin.
23
Avec tact, mobilisant une fine compréhension des enjeux et rôles sociaux autour de leur
maladie, les enfants parviennent néanmoins à interférer sur les recours. En s’orientant
vers l’un ou l’autre membre de leur entourage, ils cherchent à faire savoir leurs maux, à
obtenir du réconfort, à recevoir les traitements qu’ils préfèrent. C’est plutôt à leur mère,
en catimini, que les enfants font connaître leurs maux. Khadjetou, huit ans, qui souffre de
crises de paludisme à répétition, nous dit : « Quand j’ai mal à la tête, je prends ma
couverture et je dis à maman que la maladie est revenue. » De même, Awa, dix ans,
souffrant de maux de ventre, décrit : « Je me couche un peu et si ça ne va pas mieux, je
vais voir maman. » D’autres enfants, encore plus discrets, laissent leur entourage
s’apercevoir de leur malaise : « J’étais allongée et ma poitrine me faisait mal… Ma mère a
su que j’avais mal car elle m’a entendue tousser », relate Fatimata, onze ans. En revanche,
Yeyha, quinze ans, se rapproche plutôt de son père quand elle a mal au ventre, car celuici conserve l’ordonnance d’un médicament qui la soulage, alors que sa belle-mère la
conduirait chez une guérisseuse dont elle n’apprécie pas les remèdes. Ce peut aussi être
auprès d’une grand-mère que les enfants se plaignent et obtiennent du réconfort, comme
en témoigne Mamoudou, un garçon de treize ans souffrant de drépanocytose : « Je vais à
la maison, là-bas, chez ma grand-mère, et elle me conseille. […] Si j’ai mal au pied, par
exemple, je prends de la pommade et elle commence à me masser. À part elle, il n’y a pas
d’autres qui me font ça. […] Oui et puis elle, elle a pitié de moi. Je l’aime beaucoup. » La
relation avec la grand-mère, empreinte d’affectivité et moins contrainte par des
obligations réciproques, est propice à l’empathie, comme cela a notamment été relevé au
Burkina Faso (Vinel, 2008).
24
Dans de nombreuses familles mauritaniennes, l’enfant est tenu à l’obéissance (Diallo,
2004) et peut être rappelé à l’ordre lorsqu’il se plaint de ses maux. En milieu pulaar, on
attend très tôt des petits garçons et, dans une moindre mesure, des petites filles, qu’ils
adoptent une attitude stoïque face à la douleur. Amadou, un garçon pulaar de quatorze
ans souffrant de drépanocytose, décrit comment il supporte ses douleurs : « À chaque
fois, aussi, ma tête me fait mal. […] Mais je n’ai jamais montré cela à un docteur. Quand je
dis à mes parents que j’ai mal à la tête, ils me demandent de me coucher. Je me couche.
Souvent, cela me fait du bien mais parfois, non. » Cette valorisation des attitudes
impassibles face à la douleur se retrouve aussi en milieu wolof, où les jeunes garçons,
même aux prises avec les douleurs d’un cancer en stade terminal, font leur possible pour
s’exprimer avec sobriété (Ida, 2016). En milieu maure, les fillettes peuvent davantage se
Enfances Familles Générations , Articles sous presse
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Configurations familiales et accès des enfants aux soins à Nouakchott (Maurit...
plaindre, tandis que l’on apprend aux garçons à endurer avec courage maux et privations
(Fortier, 2000). L’apprentissage de cette retenue est d’autant plus strict que la famille est
en difficulté financière et que la maladie se profile comme une dépense catastrophique
dont on redoute la survenue. Les enfants ont conscience des contraintes économiques
pesant sur leur famille, et s’efforcent de ne pas s’apitoyer sur leurs maux. Vu les
difficultés de sa famille, Ahmed en vient carrément à nier sa maladie.
Depuis sa naissance, Ahmed est un enfant « faible ». Son développement était
retardé, sa mère et sa tante le soignaient avec la médecine traditionnelle. Son père
est décédé et Ahmed vit avec sa mère dans la concession de son grand-père
maternel. Il souffre de difficultés respiratoires et d’insomnies, pour lesquelles sa
tante l’accompagne à plusieurs consultations dans un centre de santé. Sa mère
commence à être âgée et son grand-père se plaint de ses propres problèmes de
santé. Sa tante s’inquiète pour lui, mais Ahmed affirme qu’il n’est pas malade.
(Ahmed, garçon maure, quinze ans, troubles respiratoires et insomnies.)
25
Alors que son père est décédé et qu’il est le seul garçon de sa fratrie, Ahmed devrait être
en âge de contribuer aux besoins de sa famille. Il ne peut faire reconnaître sa maladie
alors que son grand-père s’affaiblit et que personne d’autre que lui n’est en position de
subvenir aux besoins de la famille. Dans ce contexte précaire, la maladie va à l’encontre
des espoirs placés en lui. Elle est de ce fait difficilement admissible ou exprimable. Plus
généralement, les contraintes pesant sur l’expressivité des jeunes garçons sont
importantes. Ceux-ci doivent s’affirmer par des attitudes viriles et s’émanciper par des
activités extérieures (Tauzin, 2001). Mais là encore, les variations sociales sont
importantes, les familles étant partagées entre plusieurs modèles éducatifs. L’évolution
des modalités de relation entre parents et enfants dessinent de nouveaux contextes de
communication, laissant plus de place à l’expressivité de l’enfant. La scolarisation ouvre
de nouvelles voies d’affirmation. Ainsi, Mamadou, treize ans, est reconnu dans sa capacité
à signaler ses maux et à orienter les réponses à sa maladie.
Depuis la découverte de sa maladie lorsqu’il était bébé, Mamadou est suivi par une
pédiatre qu’il consulte régulièrement. De milieu aisé, il suit une scolarité dans une
école privée renommée. Il a appris des règles d’hygiène de vie et peut gérer luimême ses crises, grâce aux médicaments laissés à sa disposition. Ses parents lui ont
donné un téléphone afin qu’il puisse les appeler lorsque ses douleurs surviennent. Il
regrette que ses amis, du fait de sa petite taille, le prenne pour plus jeune, mais
s’affirme par ses bons résultats scolaires et une élocution élaborée. (Mamadou,
garçon pulaar, treize ans, drépanocytose.)
26
L’accès au diagnostic et sa compréhension sont certes des éléments clés de la
reconnaissance des maladies infantiles. Cependant, les milieux sociaux produisent
différents statuts de l’enfant et différentes insertions familiales qui font que leurs maux
peuvent être plus ou moins reconnus et obtenir réponse. Les exemples d’Ahmed et de
Mamadou, contrastés, font ressortir comment l’expression des maux peut être étouffée
ou permissive selon le milieu social (Le Breton, 1995). De même, la reconnaissance de
l’importance des maux de l’enfant dépend des moyens disponibles pour y remédier. La
facilité d’accéder à des soins modernes, pour les quelques familles les plus aisées,
construit de nouvelles sensibilités vis-à-vis des douleurs de l’enfant. Dans ces contextes,
les enfants eux-mêmes entretiennent différents rapports à leurs maux et maladies.
Enfances Familles Générations , Articles sous presse
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Configurations familiales et accès des enfants aux soins à Nouakchott (Maurit...
Solidarité familiale et gestion des dépenses de santé
27
Comme nous l’avons présenté, l’enfant est dépendant des configurations de son
environnement familial pour accéder aux soins. En raison de la diversité de leurs
entourages, les enfants ne disposent pas tous des mêmes fenêtres et ressources pour faire
reconnaître leur maladie et accéder aux soins. Chaque entourage accompagne l’enfant
dans les espaces thérapeutiques qui lui sont financièrement accessibles et familiers. Nous
aborderons maintenant la façon dont les relations familiales engagent différentes
contraintes et enjeux de gestion des dépenses de santé. L’accessibilité des enfants aux
soins peut ainsi être pensée au carrefour des configurations familiales, des ressources
économiques, et d’un ensemble de normes sociales régissant l’allocation des dépenses.
La gestion des dépenses de santé dans le couple parental
28
Les dépenses de santé s’agissant des enfants sont, en premier lieu, l’affaire du père et de
la mère, que l’on soit dans le contexte d’une résidence autonome ou d’une communauté
de résidence avec d’autres membres de la parenté. L’un et l’autre s’efforcent d’endosser
son rôle de parent, ce qui signifie être en mesure de soigner ses enfants, si possible sans
devoir faire appel au soutien de l’entourage. Nous pourrions illustrer cette répartition des
rôles avec l’exemple d’Abdoulaye.
Abdoulaye vit avec sa mère dans la concession de son grand-père maternel, comme
son père n’a pas trouvé les moyens d’obtenir un logement autonome pour y
installer son épouse et ses deux enfants. Abdoulaye souffre de divers maux
récurrents, fièvres, constipations et problèmes dermatologiques. Il présente un
retard de développement. Son grand-père, marabout, lui prodigue divers
traitements et protections. Grâce à l’argent donné par le père, sa mère consulte à
plusieurs reprises un infirmier retraité qui revend des médicaments, et achète
parfois des ordonnances en pharmacie. Malgré la persistance des problèmes de
santé d’Abdoulaye, elle ne s’est jamais rendue dans une structure sanitaire.
(Abdoulaye, garçon pulaar, trois ans, troubles du développement.)
29
Dans le cas d’Abdoulaye, son père, bien que ne résidant pas avec son fils, fait parvenir de
l’argent pour le soigner, tandis que sa mère opte pour des recours peu coûteux
correspondant aux ressources qui lui sont remises. L’obligation sociale de financer les
soins médicaux revient aux pères, qui sollicitent rarement l’aide financière de leur
entourage, préférant, si l’argent manque, vendre un bien, une tête de bétail, ou
emprunter auprès de connaissances nouées dans le cadre de leurs activités
rémunératrices. Pour les pères, devoir honorer les ordonnances est une hantise, les
exposant à la honte éventuelle d’être pris au dépourvu, et à la déstabilisation causée par
une dépense exubérante, le cas échéant. Dans les sociétés d’Afrique de l’Ouest, la norme
veut que les maris subviennent aux besoins leur(s) épouse(s) et enfant(s), obligation
perçue comme le corollaire de leur autorité dans la famille (Attané, 2009). Il en va de leur
statut de chef de famille et du prestige de leur ménage. Cela n’exclut pas qu’une aide
puisse intervenir, mais celle-ci doit provenir d’un cercle de confiance (Fassin, 1992) et
rester tacite afin que l’image du père n’en pâtisse pas. De ce fait, certaines mères font en
sorte de ne pas prendre à défaut leur mari dans leur capacité à endosser les dépenses,
quitte à renoncer à certains soins, ou à suppléer discrètement le manque d’argent grâce à
leurs propres activités rémunératrices. Au Burkina Faso, Claudia Roth a étudié des
situations comparables où hommes et femmes s’engageaient dans différentes stratégies
Enfances Familles Générations , Articles sous presse
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Configurations familiales et accès des enfants aux soins à Nouakchott (Maurit...
économiques respectant un « code social d’honneur » marqué par le genre (Roth, 2007).
Cette construction sociale de l’honneur paternel explique que, pour les soins des enfants,
la solidarité financière de l’entourage élargi soit peu aisément mobilisable. Aussi, à
Nouakchott comme cela a pu être observé ailleurs en Afrique de l’Ouest, les stratégies
pour faire face aux dépenses de santé des enfants engagent rarement la solidarité de la
parenté éloignée (Baxerres et Le Hesran, 2010; Sauerborn et al., 1996; Vuarin, 1993).
30
Le père et la mère, pour préserver leur statut social, ont un intérêt conjoint à s’arranger
sans solliciter de tiers. La maladie d’un enfant n’en demeure pas moins un événement
pouvant susciter des tensions conjugales, où tantôt le père accusera la mère de la
survenue de la maladie, et tantôt la mère réclamera avec insistance des soins pour
l’enfant, acculant celui-ci à ses responsabilités. Les modalités de la relation de couple
tissent les contextes dans lesquels se prennent les décisions de soins. Ces relations
apparaissent différemment équilibrées entre les milieux maures et pulaar : tandis que les
mères maures se permettent d’exiger des recours dispendieux, les mères haalpulaaren
craignent davantage la réprobation de leur mari et de leur belle-famille (Diallo, 2004). Les
modèles de relation conjugale, en milieu maure, admettent les dépenses « capricieuses »
des femmes et valorisent la générosité des hommes (Tauzin, 2001). En milieu pulaar, en
revanche, mises à part les cérémonies où les dépenses ostentatoires sont à l’honneur,
c’est la capacité des épouses à gérer l’argent avec parcimonie qui est attendue. Aussi, les
femmes haalpulaaren sont plus enclines à résoudre seules les problèmes de santé, ce qui
prend des tournures plus ou moins favorables selon leur degré d’autonomie financière.
Évoquons deux cas représentant ces possibles contrastes dans la gestion familiale des
dépenses de santé.
Pour soigner Moussa, dont la respiration semble toujours encombrée, ses parents
ont recours à un infirmier retraité consultant dans le quartier. Durant plusieurs
semaines, les traitements successifs prescrits demeurent inefficaces. Celui-ci les
oriente alors vers l’Hôpital national, où Moussa finit par consulter un ORL qui
programme une ablation des végétations. Lors de ses passages à l’hôpital, la mère
de Moussa se montre anxieuse et tenace. Elle exerce une pression pour que les soins
se déroulent plus rapidement, contourne autant que possible certaines dépenses en
passant par une connaissance, et oppose une patience insistante aux
dysfonctionnements hospitaliers. (Moussa, garçon pulaar, dix-huit mois,
respiration encombrée.)
Pour soigner Sidi de ses « crises de palu », son père le conduit dans les principales
structures publiques et privées de Nouakchott. Il se fixe un temps à l’hôpital Mèreenfant, où il se réfère à une pédiatre qui lui prescrit un traitement au long cours, y
conduisant son fils à la moindre crise. Cependant, vu les absences de la pédiatre, il
s’oriente de nouveau vers diverses cliniques, où il refuse de réaliser de nombreuses
analyses prescrites. Il exprime sa volonté de partir à l’étranger pour soigner son
fils. La mère de Sidi, de son côté, soutire de l’argent à son mari afin de le conduire
en secret chez des marabouts et des guérisseurs. (Sidi, garçon maure, trois ans,
paludisme et épilepsie.)
31
Les moyens de la famille de Moussa sont moins importants que ceux de la famille de Sidi,
et les pathologies impliquées diffèrent. Le niveau de ressources détermine
incontestablement le périmètre des recours aux soins. Cependant, ces deux exemples
montrent comment différents modèles conjugaux constituent des trames à partir
desquelles les décisions de recours se construisent. Le comportement de la mère de
Moussa, qui se fixe assidûment à l’hôpital, peut ainsi être compris comme résultant à la
fois de son inquiétude vis-à-vis de l’enfant et de sa préoccupation d’épargner les maigres
ressources de son ménage. Comme ne manque pas de le rappeler son mari, « Nous
Enfances Familles Générations , Articles sous presse
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Configurations familiales et accès des enfants aux soins à Nouakchott (Maurit...
croyions que nous allions dépenser moins; nous avons dépensé beaucoup. L’hôpital, c’est
beaucoup de problèmes. » Plus tard, il ajoute recourir rarement aux structures
sanitaires : « C’est normal, c’est dans notre culture. Quand on a un peu mal, on va au
marché et on achète une plante pour se soigner. » À travers ces propos, nous comprenons
qu’au manque de moyens s’agrège une banalisation de la maladie et une habitude de se
contenter d’options thérapeutiques peu onéreuses. L’attitude du père de Sidi,
inversement, est de « dépenser sans compter » pour son fils, mais aussi de s’enorgueillir
des dépenses consenties. Aussi n’hésite-t-il pas à désavouer des prescriptions obtenues à
prix fort ou à jeter des médicaments. Son détachement vis-à-vis des dépenses de santé est
l’expression ostensible de son affection pour son petit garçon. Il affirme ainsi combien
l’argent est dérisoire en comparaison de la santé de sa famille. Évoquant l’opportunité
d’un recours à l’étranger, il confie : « Tu sais, la maladie, la plupart c’est moralement.
Quand tu dis que tu vas te déplacer pour améliorer, ça remonte le moral pour sa maman
et la famille. » Ces propos dénotent le fait que l’effort et la dépense de santé, plutôt que le
recours lui-même, peuvent être affirmés en réponse à la maladie.
32
Ces deux cas représentent des relations conjugales au sein desquelles les dépenses de
santé s’inscrivent très diversement. Nous aurions tort de les rapporter strictement à
l’appartenance ethnique ; un faisceau d’influences culturelles, de contraintes
économiques et sociales se forme, produisant ces situations inégales en termes
d’accessibilité aux soins. Ces conjugaisons socioculturelles font que les dépenses de santé
prennent ici des significations opposées. Entre ces deux situations, bien des déclinaisons
sont possibles, qui construisent la mise en œuvre des recours. Encore faut-il souligner que
les configurations familiales sont dynamiques et que, dans le contexte d’économies
précaires, les fenêtres d’accès aux soins s’ouvrent et se ferment de manière
conjoncturelle. Un autre cas nous semble tout à fait emblématique de cette vulnérabilité
aux aléas.
Le petit Aliou, âgé de trois ans, a souffert de fièvres durant plusieurs jours. Lorsque
cette fièvre est survenue, sa mère et l’actuel mari de celle-ci étaient absents, partis
présenter leurs condoléances au village. Lorsqu’ils sont rentrés, ils ont trouvé
l’enfant malade : il avait consulté gratuitement un pédiatre que ses parents
connaissent mais la tante qui le gardait n’avait pas pu acheter les médicaments. Le
beau-père n’ayant plus d’argent après le voyage, sa mère tente de solliciter le père
de l’enfant, qui affirme lui aussi ne pas avoir de moyens. Le pire, explique la mère,
est que le père étant garde national, il aurait pu inscrire cet enfant à la CNAM 4. Se
trouvant passagèrement sans moyens pour acheter les médicaments, elle prodigue
à Aliou des soins domestiques. (Aliou, garçon maure, trois ans, fièvres.)
33
En d’autres circonstances, Aliou aurait probablement pu recevoir son traitement. Mais la
configuration de son entourage (famille recomposée, désengagement de son père
biologique) s’est cette fois conjuguée avec une indisponibilité monétaire. Comme dans la
famille d’Aliou, l’économie de nombreux ménages, relevant de revenus fragmentés et
irréguliers, procure une disponibilité monétaire contingente. Pour faire face aux coups du
sort, les familles s’appuient sur leur débrouillardise économique et leur intégration à des
activités financières dites informelles. La mobilisation des ressources doit beaucoup à des
« arrangements financiers populaires » (Kane, 2010), qui mêlent le don, l’emprunt et le
petit commerce. La dépendance à ces arrangements retarde et rend précaire l’accès aux
soins. Pour joindre les deux bouts, les parents cherchent à minimiser les dépenses
(Baxerres et Le Hesran, 2008) et répondent sélectivement aux besoins de santé. En
fonction de leurs ressources, ils adoptent diverses stratégies visant à concilier
l’accompagnement aux soins et la poursuite d’activité génératrices de revenus (Sauerborn
Enfances Familles Générations , Articles sous presse
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Configurations familiales et accès des enfants aux soins à Nouakchott (Maurit...
et al., 1996; Wallman et Baker, 1996). Les parcours de soins des enfants sont ainsi soumis à
la contrainte du gain quotidien et aux saccades de la disponibilité monétaire.
La contribution de la famille élargie
34
En milieu urbain nouakchottois, l’éclatement des familles élargies, la résidence en famille
nucléaire et les contraintes financières font que l’économie du couple parental est de plus
en plus centrale dans les décisions de recours aux soins pour les enfants. Il est néanmoins
important d’examiner le rôle des autres membres de l’entourage. Figures centrales, les
grands-mères maternelle et paternelle de l’enfant peuvent notamment avoir une
influence sur les décisions de recours. Représentant le savoir et l’expérience en termes de
soins infantiles, elles ont en principe autorité sur les jeunes mères et épouses (Vinel,
2008). Face aux grands-mères, les mères mauritaniennes ne sont pas toujours libres
d’opter pour certaines modalités de soins (Diagana et Kane, 2016), comme cela a déjà été
observé dans d’autres sociétés ouest-africaines (Aubel et al. , 2004; Jaffré, 1991). Les
grands-mères apportent, notamment, des soins de réconfort tels que des bénédictions,
des massages. Contrairement à ce que l’on pourrait supposer, cependant, les grand-mères
ne sont pas qu’à l’initiative de soins domestiques. Elles sont, pour certaines pathologies,
incitatrices, accompagnatrices et pourvoyeuses de soins médicaux. Face à la précarité des
jeunes couples, ce sont parfois elles qui suppléent dans l’intimité au manque de moyens
du père, grâce à l’argent remis par d’autres descendants, ou aux bénéfices d’un petit
commerce (Roth et al., 2010). Les cas étudiés montrent par ailleurs que s’il leur tient à
cœur de prodiguer protections, prières et remèdes à leurs petits-enfants, les grandsmères s’opposent rarement aux recours médicaux. Comme l’exprime l’une d’entre elles :
« La médecine, c’est bien, c’est très bien même, mais n’oubliez pas nos soins
traditionnels. » Le cumul de réponses thérapeutiques est ordinaire dans les familles. En
revanche, l’opposition à une intention de soigner est vécue comme un rejet et une
dénégation du rôle vis-à-vis de l’enfant, et suscite des conflits. Il est courant que d’autres
parents âgés, grands-tantes mais aussi grands-pères, apportent leur pierre à la réponse
thérapeutique, qu’il s’agisse de bénédictions, de conseils ou de remèdes. Les réponses
ayant trait à l’Islam sont centrales chez les personnes âgées consacrant une grande part
de leurs journées à la prière, et reconnues pour leur religiosité. Ces apports indiquent
leur préoccupation de guérir et réconforter l’enfant, et constituent aussi une affirmation
de leur rôle familial.
35
Lorsqu’un enfant tombe malade, l’entourage élargi n’est pas toujours tenu informé. Faire
connaître la maladie signifie divulguer la gravité de la situation, les maux des enfants
étant habituellement perçus comme des événements banals (Baxerres et Le Hesran, 2008).
De plus, on préfère taire l’état de santé des enfants, qu’il soit bon ou mauvais, par volonté
de les protéger du mauvais œil ou de la mauvaise langue. Lorsqu’on informe des parents
éloignés de la maladie d’un enfant, c’est plutôt par l’intermédiaire d’un tiers, afin de ne
pas donner l’impression de réclamer une aide. Les membres informés expriment leur
soutien en téléphonant pour apporter leurs mots de réconfort, en rendant visite, en
envoyant spontanément de la nourriture, de l’argent. Face à la maladie d’un chef de
famille, l’aide est plutôt monétaire afin d’exprimer une reconnaissance sociale et de
rétablir rapidement l’homme dans ses fonctions rémunératrices. Mais lorsque c’est un
enfant qui est malade, les dons d’argents sont minimes. La solidarité se manifeste plutôt
par le don de friandises ou de monnaie « à taille d’enfant ». Ces petits expédients sont peu
Enfances Familles Générations , Articles sous presse
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Configurations familiales et accès des enfants aux soins à Nouakchott (Maurit...
significatifs par rapport aux coûts pouvant être engagés par les soins médicaux, restant
largement à la charge des parents. La petite Mettu, huit ans, décrivant son hospitalisation
suite à un accident, témoigne ainsi comment elle a été gâtée de nourriture par divers
parents venus porter leur soutien : « Je me suis réveillée, on m’a amené à manger. Tout le
monde m’a amené à manger, j’ai mangé, mangé, et moi j’ai dit “je reste un peu et je vais
partir à la maison pour manger.” » De même, la solidarité s’est ainsi exprimée au regard
de Daouda, huit ans, qui, oubliant les douleurs, nous raconte son hospitalisation :
« L’hôpital, c’est bien. Ce qui est bien, ce sont les bananes. Les bananes et le pain. » La
solidarité de l’entourage élargi face à la maladie de l’enfant, bien que variable selon le
milieu socio-économique, emprunte la voie d’une consolation enfantine peu propice à la
mobilisation d’importantes sommes d’argent. Ainsi, un mécanisme de solidarité comme la
lawha, qui, en milieu maure, correspond à une collecte d’argent au sein de la tribu (Ballet
et Hamzetta, 2003), est parfois mise en œuvre pour l’évacuation à l’étranger d’adultes,
quoique plus difficilement dans le cas d’enfants malades. Pour des raisons qui sont aussi
pragmatiques, les mécanismes de solidarité communautaire fonctionnent mal pour les
maladies de l’enfance nécessitant une réponse rapide. Ces solidarités sont « surtout
opérantes dans le cas de maladies jugées graves, mais dont les soins ne sont pas
extrêmement urgents » (Baxerres et Le Hesran, 2010).
36
Ces différents éléments montrent que les normes sociales régissant l’expression de la
solidarité et le soutien financier sont peu opérantes pour accéder aux soins médicaux,
dont le financement incombe essentiellement aux proches ascendants, père, mère et
parfois grands-parents. Plutôt que financière, l’aide de l’entourage peut être une réponse
thérapeutique jugée complémentaire ou une aide matérielle. Les soutiens familiaux
contribuant à la prise en charge de l’enfant sont aussi sensibles aux milieux sociaux. Dans
la plupart des familles, l’aide de l’entourage élargi se limite à une aide logistique
d’hébergement, à des dons alimentaires ou à de petites aides au transport. Toutefois, dans
les milieux les plus aisés, nous observons que l’aide familiale peut se déplacer de ces frais
quotidiens à des dépenses plus importantes et exceptionnelles liées à la santé. La
solidarité familiale s’accorde également à la densité de l’entourage. Comme l’ont bien
démontré les travaux de Robert Vuarin sur la conversion de l’argent et de l’entregent au
Mali (Vuarin, 1993; Vuarin, 1994), la pauvreté matérielle tend à se conjuguer au
dénuement relationnel. De la sorte, la solidarité dont bénéficient les enfants dépend à la
fois de la richesse et du réseau social de leurs parents, lesquels sont étroitement liés.
37
Aussi, les inégalités sociales se cumulent pour les enfants issus de milieux pauvres : leurs
mères ont peu d’autonomie dans leurs recours aux soins, leurs pères sont davantage
contraints par la nécessité de générer des revenus, la solidarité de leur entourage élargi
répond principalement à des besoins immédiats et notamment alimentaires, le réseau
social au sein duquel les parents peuvent emprunter de l’argent est moins vaste. La
mobilisation de l’argent pour les dépenses de santé est donc problématique dans les
familles pauvres, du fait de la faiblesse des revenus, mais aussi indirectement du fait de
l’orientation des solidarités dans l’entourage. Cela nous permet de comprendre que
l’environnement familial de certains enfants les positionne en situation d’enclavement
sanitaire.
Enfances Familles Générations , Articles sous presse
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Configurations familiales et accès des enfants aux soins à Nouakchott (Maurit...
Conclusion
38
Dans le contexte mauritanien, où l’accès aux soins est une gageure pour de nombreux
ménages, les contraintes économiques sont au cœur de la gestion familiale de la maladie.
À partir de l’étude d’une trentaine de cas d’enfants malades, nous avons montré comment
les configurations familiales et la construction sociale des rôles dans l’entourage sont
décisives pour l’accès des enfants aux soins. Cela nous a menée à explorer les modèles de
genre structurant la mobilisation des ressources, ainsi que l’influence des relations
intergénérationnelles, notamment à travers le rôle des grands-mères. Bien que
l’entourage se manifestant autour d’un enfant malade soit multiple et les soutiens,
nombreux, les parents cherchent à régler de manière autonome les dépenses liées aux
soins médicaux, affirmant ainsi leur rôle vis-à-vis de l’enfant. Les propos des enfants ont
fait ressortir différentes gestions familiales de la maladie, plus ou moins empathiques et
réactives en réponse à l’expression de la douleur. Force est de constater que les enfants
nouakchottois, dont la parole reste souvent peu considérée, éprouvent des difficultés à
faire entendre leurs maux et à être reconnus comme partenaires de leurs soins. Les
enfants ont aussi mis en évidence une certaine inertie de leur entourage pour recourir
aux soins médicaux. Compte tenu des contraintes sociales et des stratégies économiques
mises en œuvre, les réponses aux maux des enfants s’avèrent tardives et irrégulières, bien
qu’il soit douloureux pour leurs parents de le reconnaître.
39
Ce travail nous autorise à relever des différenciations sociales de l’accompagnement de
l’enfant vers les soins, à montrer comment les niveaux de ressources et les modes de
solidarité sont intriqués. Le manque de moyens et la précarité inhibent par des voies
multiples les recours aux soins de certains enfants. Nos résultats soulignent que les
inégalités d’accès aux soins découlent de processus sociaux complexes. Aussi, la
compréhension des dynamiques familiales gagnerait à être investie pour l’élaboration des
politiques publiques et des programmes d’aide internationale, qui ne devraient pas
s’appuyer sur des conceptions naïves implicites de la famille et des solidarités familiales
(Vidal, 1994). La prise en compte de la diversité des configurations familiales et des
enfances apparaît essentielle pour comprendre les problématiques d’accessibilité des
soins et identifier des leviers susceptibles d’y répondre.
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NOTES
1. Ce programme a obtenu des financements de l’Unicef, du ministère français des Affaires
étrangères et de la principauté de Monaco.
2. Catégorie nosologique correspondant à une « jaunisse ».
3. Catégorie nosologique renvoyant à une paralysie liée à une attaque de djinn(s).
4. Caisse nationale d’assurance maladie.
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RÉSUMÉS
Cadre de la recherche : Bien que l’offre de soins se soit développée ces dernières années à
Nouakchott, l’accès des enfants aux soins médicaux demeure une problématique majeure, les
parents s’efforçant de les obtenir avec leurs maigres ressources.
Objectifs : L’objectif de l’article est d’analyser comment les enfants dépendent de leur famille
pour accéder aux soins, et comment la construction des rôles dans leur entourage est décisive
pour leur itinéraire thérapeutique.
Méthodologie : Cette contribution s’inscrit dans le cadre d’une anthropologie de l’enfance, de la
solidarité et des liens familiaux. Elle s’appuie sur des enquêtes menées entre 2013 et 2015,
combinant une cinquantaine d’entretiens avec les enfants et leurs parents, ainsi que des
observations dans les structures sanitaires.
Résultats : Les réponses familiales face à la maladie sont coordonnées selon des relations
socialement construites, mais aussi dépendantes d’initiatives individuelles et d’un ensemble
d’éléments conjoncturels. Les modes de relation conjugale sont au cœur des décisions de recours,
les mères étant couramment tenues responsables de la santé et les pères, considérés comme
pourvoyeurs du financement des soins. Bien que la famille élargie apporte un soutien, les parents
se trouvent généralement seuls pour faire face à des dépenses de santé désastreuses pour
l’économie de leur ménage. Le statut accordé aux enfants et ses variations dans des
configurations familiales en mutation modulent leur accès aux soins.
Conclusions : Tandis que les parents décrivent leurs stratégies pour accéder aux soins, les
enfants font ressortir le délai des réponses face à leurs maux. Ils décrivent une alternance entre
les efforts de leurs parents et des temps d’attente où ils doivent supporter leurs maux.
Contribution : La solidarité familiale tend à être idéalisée, mais elle apparaît peu opérante pour
l’accès aux soins médicaux, laissant certains enfants en situation d’enclavement sanitaire. La
compréhension des configurations familiales gagnerait à être investie pour l’élaboration des
politiques publiques et des programmes d’aide internationale visant la santé des enfants.
Research Framework: Despite the wide array of medical facilities in Nouakchott, access to
healthcare for children constitutes a major public health issue and a financial burden for parents
with limited resources.
Objectives: The objective of this article is to analyze how children depend on their family to
access healthcare, and how their therapeutic journey is impacted by the roles of the child’s
entourage.
Methodology: The foundation of this contribution lies within the anthropology of childhood,
solidarity and family links. It is based on research carried out between 2013 and 2015. It
integrates observations on pediatric wards with roughly fifty interviews conducted with children
and their relatives.
Results: The family’s response to disease depends upon socially constructed relationships, as
well as on individual initiatives and the situational context. Parents are at the center of healthrelated decisions; mothers are usually held accountable for the health of the child, whereas
fathers provide the financial means to access care. Although the extended family provides
support, parents generally find themselves alone in dealing with catastrophic healthcare costs.
The status of the children in their family and the variations of the family configurations
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Configurations familiales et accès des enfants aux soins à Nouakchott (Maurit...
determine their access to healthcare. The status accorded to the child and its variations in
changing family configurations modifies their access to care.
Conclusions: While parents describe their strategies for accessing care, children highlight the
inertia of their entourage in the face of their pains. They describe how their parents' efforts
alternate with times of waiting, during which they have to bear their pain.
Contribution: Family solidarity tends to be idealized, but it appears to have little effect on access
to health care, leaving some children isolated medically. Investments in understanding family
configurations would benefit the development of public policies and international aid programs
for children's health.
INDEX
Keywords : access to care, childhood, ethnographical approach, social inequalities, Mauritania,
participation of children, parental responsibility
Mots-clés : accès aux soins, approche ethnographique, enfance, inégalités sociales, Mauritanie,
participation des enfants, responsabilité parentale
AUTEUR
HÉLÈNE KANE
Anthropologue, Ph. D., Chercheure associée, Unité Mixte Internationale Environnement Santé
Sociétés (UMI 3189), helene.kane@gmail.com
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