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II À la recherche d’une éthique du milieu Interventions d’architectes dans la campagne chinoise depuis les années 1990 Fang Xiaoling et Qin Lin 1 I. CONTEXTE SOCIAL ET POLITIQUE À partir des années 1990, la réforme économique initiée en 1978 en Chine entraîna une extension rapide des métropoles où se concentrait la production économique, ainsi qu’un exode rural important. Selon une étude de l’université de Tianjin (Lu, 2016), il y avait encore 3 700 000 villages en 2000, mais il n’en restait que 2 600 000 en 2010, soit une disparition de 300 villages par jour sur dix ans. Ces transformations se sont accompagnées de l’anéantissement des cultures traditionnelles, d’une désertification des campagnes, d’une augmentation d’ouvriers migrants vers les villes, de l’accroissement des inégalités urbaines, de conflits issus de l’expropriation des terres, etc. Un décalage considérable entre ville et campagne apparut rapidement comme une menace pour la stabilité sociale. En 1996, l’économiste chinois Wen Tiejun (⑙䫱ߋ) présenta la notion de « trois problèmes ruraux » (йߌ䰞仈), qui concernait ceux de l’agriculture, des zones rurales et des paysans. En 2001, un rapport du gouvernement reprit à son compte la notion des « trois problème ruraux » qui devint l’expression officielle de la préoccupation majeure de l’État chinois. En 2005, le XVIe Congrès national du Parti communiste de Chine dévoila la stratégie du développement de « la Nouvelle campagne socialiste » (ᔪ䇮⽮Պѫѹᯠߌᶁ), puis, en 2013, à l’occasion d’une visite 1. Professeur d’architecture, dirige le département de la rechnologie d’architecture du College of Architecture & Urban Planning of Chongqing University en Chine. Il est membre du conseil de l’Institut de recherche du développement urbain et rural de Chongqing. Ses thèmes de recherche sont la technologie, la culture de l’habitat vernaculaire et la construction hospitalière. 166 La mésologie, un autre paradigme pour l’anthropocène ? du village Tongshan (ጂኡᶁ) dans la province de Hubei, le président Xi Jinping (Ґ䘁ᒣ) annonça officiellement le développement du projet de « Belle campagne », en soulignant qu’il ne s’agissait pas d’embellissement mais de développement complet, urbain et rural (Xi, 2013). II. INTERVENTIONS D’ARCHITECTES Les problèmes auxquels étaient confrontés les architectes dépassaient la dimension esthétique, ils nécessitaient de traiter des aspects économiques, culturels et environnementaux. Une question fondamentale se posait : comment agir face à des milieux façonnés au fil des millénaires, mais impactés avec rapidité et violence par la pauvreté et la modernité ? Quelle pourrait être l’éthique – la conduite de l’agir humain – cohérente avec ce milieu rural ancestral en transformation ? Selon la théorie de la mésologie, c’est toujours à travers l’interprétation que les pratiques humaines tissent des relations avec leur environnement. Le « milieu », selon Augustin Berque, désigne la relation éco-technosymbolique d’une société à son environnement (Berque, 1996). Il varie selon le contexte. Corrélativement, l’éthique du milieu est circonstancielle et répond à la quête constante d’un choix propice à la transformation d’un monde. Cette quête, menée par des architectes chinois, fut marquée par trois phases : d’abord les années 1990, ensuite les années 2005 à 2013, enfin la période actuelle depuis 2013. L’objectif de cette étude est de comprendre la recherche d’une éthique du milieu dans la manière dont les architectes chinois interviennent dans la campagne. 1. Années 1990 : face à la disparition des cultures traditionnelles La perte des cultures traditionnelles a préoccupé de nombreux architectes comme l’exprimait la Charte de Beijing à l’occasion de XXe Congrès international des architectes : « la singularité et la variété de la culture locale est en train de diminuer, voire de disparaître, […] la caractéristique de l’architecture s’affadit. La globalisation et l’uniformisation des cultures architecturales et urbanistiques conduisent à la crise d’identité 2… » (Zhang et al., 2017, p. 91). Il paraissait urgent d’entamer le sauvetage 2. « ൠฏ᮷ॆⲴཊṧᙗ઼⢩㢢䙀⑀㺠ᗞǃ⎸ཡ……ᔪㆁ⢩㢢䙀⑀䳀䘰, ᔪㆁ᮷ॆ઼෾ᐲ᮷ॆࠪ⧠䎻਼⧠䊑઼⢩㢢ডᵪ. » Le texte d’origine est tiré de Wu Liangyon (੤㢟䮋), «ഭ䱵ᔪॿेӜᇚㄐ˖ᔪㆁᆖⲴᵚᶕ » (Charte de Beijing : l’Avenir de l’architecture), XXe Congrès international des architectes en 1999, Beijing, Éditions de l’université de Qinghua, 2002. À la recherche d’une éthique du milieu 167 culturel, mais cela n’était pas encore au cœur des préoccupations du pouvoir central, qui se focalisait sur le développement économique. Les architectes, dont la plupart étaient enseignants, se sont mobilisés pour mener des études sur les villages traditionnels. S’ils n’étaient pas à eux seuls en mesure d’endiguer ce torrent de destruction, ils pouvaient au moins recueillir et préserver les informations pour les générations futures. Plusieurs personnages ont marqué cette période, dont Lu Yuanding (䱶‫ݳ‬唾) organisateur de conférences annuelles sur l’architecture vernaculaire et Chen Zhihua (䱸ᘇॾ), professeur à l’Université de Qinghua et leader de ce mouvement de sauvegarde. Parmi ces pionniers, l’architecte et professeur Shan Deqi (অᗧ੟) exerça une pratique différente de celles de ses confrères. Avec ses élèves, il rénova et réaménagea plusieurs villages éloignés de la civilisation urbaine dans la province de Guangxi, dont Zhengduozai (ᮤ෋መ), où les maisons en bois souvent très abîmées prenaient facilement feu. L’équipe imagina trois types de maison modulable adaptés au mode d’auto-construction local et aux faibles moyens financiers des paysans (figure 1). 1. Rénovation et aménagement du village Zhengduozai menés par l’équipe de Shan Deqi (source : Shan, 2008, p. 23-24). 168 La mésologie, un autre paradigme pour l’anthropocène ? 2. 2005 à 2013 : de la prise de conscience à l’action des architectes dans la reconstruction matérielle et sociale Dès 2005, l’assistance bénévole à la construction rurale se poursuivit dans les campagnes à l’Ouest de la Chine sous l’impulsion d’architectes comme Wu Enrong (੤ᚙ㶽), avec son projet « Bridge Too Far » (ᰐ→ẕ) (figure 2), Li Xiaodong (ᵾᲃь), avec l’école primaire du village Yuhu (⦹⒆ᶁሿᆖ, 2004) dans le Yunnan et le Bridge School du village Xiashi (ᒣ઼৯л⸣ᶁẕкҖቻ, 2009) dans le Fujian (figure 3), Zhu Tao (ᵡ⏋), pour l’école primaire de Huacun Xiwang (ॾᆈᐼᵋሿᆖ, 2005) dans le Sichuan (figure 4), etc. Pourtant, en raison de la forte expansion immobilière, la pratique professionnelle restait souvent dictée par des logiques commerciales et déconnectée de la population. Le séisme de 2008, qui fit environ 70 000 morts et détruisit maints villages dans le Sichuan, secoua le monde des architectes. Face aux milliers de personnes sans abri, il était impératif de construire vite et peu cher. Population et professionnels se mobilisèrent en urgence pour participer à la reconstruction. La solution proposée par l’architecte taïwanais, Xie Yingjun (䉒㤡‫ )׺‬s’appuyait sur un modèle participatif – Xieli Zaowu (ॿ࣋䙐ቻ). À l’occasion d’un séisme à Taiwan en 1999, il avait inventé une structure porteuse en acier léger résistante aux séismes, composée de modules préfabriqués que les sinistrés pouvaient facilement assembler. Les murs, libérés de la structure, pouvaient être composés 2. Projet de « Bridge Too Far » au village de Taibai dans le Gansu, 2009 (source : <https://www.nwd.com.hk/ content/new-world-wu-zhi-qiaocommences-its-service-taibaivillage-ganzu-0>© 2017 New World Development Company Limited). À la recherche d’une éthique du milieu a 169 b 3. Projets de Li Xiaodong. a : École primaire du village Yuhu, 2004. b : Bridge School du village Xiashi, 2009 (photos fournies par Li Xiaodong Atelier [ᵾᲃьᐕ֌ᇔ]). de matières locales et fabriqués artisanalement par les habitants. Les architectes intervenaient uniquement au début de la construction pour guider l’apprentissage. Ce processus participatif nécessita également une organisation sociale efficace. Le fait de travailler ensemble favorisa une grande solidarité et apporta un soutien psychologique aux sinistrés. La reconstruction d’une maison contribuait, d’une certaine façon, à la régénération de la société locale (figure 5). L’urgence des secours stimula la créativité et entraîna des inventions techniques dont celle de Liu Jiakun (ࡈᇦ⩘), « brique recyclée – petite structure – maison extensible » (޽⭏⹆ – ሿṶᷦ – ޽ॷቻ). Pour baisser le coût et raccourcir la durée de construction, il proposa de recycler les matériaux provenant des ruines. En les compressant ensemble avec de la paille, du ciment, de la terre, il fut possible de fabriquer des briques creuses avec des moyens simples (figure 6). Fort de cette expérience, Liu Jiakun « énonça » et développa la stratégie du low-tech (վᢰㆆ⮕) comme l’un des nouveaux fondements de son architecture (Liu, 1997). 4. École primaire de Huacun Xiwang de Zhu Tao (photos fournies par Zhu Tao, 2005). 170 La mésologie, un autre paradigme pour l’anthropocène ? 5. Projet de secours suite au séisme de Xie Yingjun, village Yangliu (ᶘḣ) dans le Sichuan en 2008 (photos fournies par Atelier-3 x Design For People Co., Ltd.). 6. Liu Jiakun et sa technique de briques recyclées (photos fournies par l’atelier de JIAKUN ARCHITECTS). 3. Depuis 2013 : la vague de la « Belle campagne » Le recyclage des matériaux fut poussé à son apogée par l’architecte Wang Shu (⦻▽), lauréat du prix Pritzker en 2012. En 2008, il réalisa le musée de Ningbo, dont les murs étaient constitués des matériaux recyclés des villages démolis sur le site. Afin d’entretenir le savoir-faire artisanal, il employa les artisans locaux pour son chantier. Parallèlement, à partir 2010, Wang Shu encouragea ses étudiants à étudier les villages traditionnels dans l’agglomération de Fuyang (ᇼ䱣). Selon leurs enquêtes, elle comportait au total 300 villages, dont une vingtaine garde encore des traces traditionnelles. Telle est selon lui, la réalité de la campagne chinoise aujourd’hui (Wang, 2016). Entre 2012 et 2015, Wang Shu modifia le plan d’aménagement du village Wencun (᮷ᶁ) et conçut les plans de vingt-quatre maisons en insistant sur le fait qu’un village devait sembler pousser spontanément. Pour préserver l’apparence de ce projet exemplaire de « Belle campagne habitable » (meili yi ju cun 㖾ѭᇌትᶁ), la mairie imposa cependant des règles d’utilisation aux habitants, telles que l’interdiction d’ajouter quoi que ce soit à l’extérieur des bâtiments pendant trois ans (figure 7). À la recherche d’une éthique du milieu 171 D’autres architectes adoptèrent un processus de projet plus expérimental et plus ouvert au public. En association avec l’Institut du développement rural (ѝഭґᔪ䲒), l’équipe de l’atelier 97 Huaxia (ҍгॾ༿ᐕ֌ᇔ) entama ses premiers projets en 2015 dans le village de Zhongguan (ѝ‫ޣ‬ᶁ) dans le Guizhou (figure 8). Le modèle participatif fut repris par le groupe dans le but de développer une communauté sociale (⽮४㩕䙐). Pour cela, il fallait que les paysans sortent de la logique du « on me demande » en adoptant celle du « je demande ». Par conséquent, la pédagogie et la communication prirent une place importante dans la méthode du projet : furent organisées des visites, des réunions, des formations de gestion et d’aménagement, des classes de dessins pour les enfants, etc. Afin de préserver au mieux le village existant, le choix des habitants était orienté, par exemple, en adaptant les subventions de l’État, qui étaient importantes pour rénover une vieille maison plutôt que de la détruire et en construire une neuve. Dans les régions vallonnées, les maisons rurales sont souvent dispersées dans les montagnes. Cette situation rend l’intervention des architectes plus difficile. Pour fournir une assistance technique à l’auto-construction, une équipe d’architectes de l’université de Chongqing 3 choisit d’établir des guides de construction détaillés après plusieurs mois d’études sur place. Elle utilisa des calendriers comme outil de communication pour faire circuler ces guides et susciter des échanges dans les campagnes reculées. Sur chaque calendrier figurait un modèle de maison avec ses variantes. Pour consulter d’autres modèles, les paysans devaient se rendre chez leurs voisins (figure 9). Les commandes privées représentent un budget souvent limité, mais pour les jeunes architectes qui ne disposent pas du réseau institutionnel, elles sont plus accessibles. Couvrant toutes les étapes de la construction, ces expériences constituent également une autoformation comme l’a montré l’architecte Xie Kai (䉒ࠟ) dans son journal de bord baptisé du nom de Design simple. Journal de la construction de la maison de Jie. L’architecte détaille son projet depuis la conception jusqu’à l’aménagement intérieur. Le processus de construction se déroule comme une découverte progressive du milieu où se trouve le site. L’exploration va au-delà d’une simple mission de construction et porte un véritable regard mésologique comme le montre cette citation : 3. L’équipe dépend du département d’architecture et de technique de construction dont la directrice est le professeur Qin Lin (㾳⩣). 172 La mésologie, un autre paradigme pour l’anthropocène ? 7. Village de Wencun (photos : Fang Xiaoling, 2016). 8. Concertation entre les architectes de l’Institut du développement rural et les paysans, et extension d’une maison du village de Zhongguan (photos fournies par l’Institut du développement rural de la Chine, Wang He, 2016). À la recherche d’une éthique du milieu 173 Pas d’héritage historique ni de paysage pittoresque, c’est un village ordinaire. […] Les constructions, y compris le temple du clan, sont des blocs en béton sombres sans aucune trace traditionnelle. Après des heures d’observation, j’ai pu voir que le tissu spatial du village ancien subsistait encore. Cette découverte a changé mon regard. Les ruelles sinueuses reflètent non seulement le changement foncier dans l’histoire mais aussi l’évolution des réseaux familiaux. (Xie, 2017, p. 32.) (figure 10) Au cours des trente dernières années, autour de la question : « comment agir sur le milieu rural ? » les pratiques des architectes évoluent et se diversifient progressivement. Elles engendrent aujourd’hui des réflexions qui remettent en question le rôle des architectes et leur(s) façon(s) d’agir. On peut les observer de trois points de vue. 9. Exemplaire de calendrier de guides de construction réalisé par l’équipe d’architectes de l’université de Chongqing (image fournie par Qin Lin, 2015). Le rôle social de la pratique d’architecte Depuis quelques années, les architectes prennent conscience que l’activité de construction peut avoir une forte portée sociale. Après le séisme de 2008, la reconstruction a montré que leurs interventions pouvaient non seulement permettre la préservation et l’adaptation des techniques vernaculaires aux circonstances actuelles, mais également contribuer à une régénération de la communauté rurale. En 2008, l’hebdomadaire du sud (ইᯩઘ ᣕ) a créé le Prix des médias de l’architecture chinoise – « Vers une architecture de citoyen » (䎠ੁ‫Ⲵ≁ޜ‬ᔪ ㆁ) – qui cherche à favoriser le sens social et humanitaire de l’architecture (Rao, 2009). Il reflète les interrogations 174 La mésologie, un autre paradigme pour l’anthropocène ? 10. La maison de Jie réalisée par Xie Kai (source : Xie, 2017). collectives sur le rôle de l’architecture : concevoir oui, mais pour qui, pourquoi et comment ? L’activité de l’architecture tend à quitter son statut d’élite au service du pouvoir, elle revient à ses origines : une activité spontanée, vitale, exercée par des habitants, non-architectes d’un point de vue professionnel et disciplinaire, mais constructeurs. La question de l’esthétique, reléguée au second plan Cette remise en question du rôle de l’architecture provoque naturellement une mise en cause de son esthétique. Le projet réalisé par l’entreprise GAD (㔯෾ᔪㆁ䇮䇑) en 2016, dans le village de Dongzhiguan (ьṾ‫ )ޣ‬à Hangzhou, semble avoir reproduit une peinture de Wu Guanzhong (੤ߐѝ), une image typique des maisons campagnardes du Sud-Est de la Chine (⊏ই) avec des murs blancs et des toits noirs (ⲭ້唋⬖) (figure 11). On se trouve parfois face à une beauté rigidifiée, comme dans le cas du projet de Wencun. Mais est-ce ce dont les villageois ont besoin ? Le paysagiste Fu Yingbin (‫ڵ‬㤡ᮼ 4) se demande même si la campagne a besoin d’un Landscape design, car les agriculteurs eux-mêmes sont déjà créateurs de paysage (Anonyme, 2017). Le fondateur de l’atelier 97 Huaxia/Architecte, Hong Jincong (⍚䠁㚚), affirme que son projet dans le village de Zhongguan s’inscrit dans une action d’accompagnement de transition rurale, et non dans une recherche d’esthétique. Les architectes en contact direct avec les paysans sortent de leur cocon. Ils peuvent comprendre qu’en réalité, ceux-ci se préoccupent moins du langage architectural que de leur vie quotidienne dont les aspects pratiques peuvent sembler désordonnés aux yeux d’un architecte professionnel qui, de plus, n’habite pas le lieu et n’y travaille pas de manière permanente. Ce désordre apparent entre ainsi souvent 4. Paysagiste, membre de l’Institut du développement rural, participant activement au projet du village Zhongguan. À la recherche d’une éthique du milieu 175 11. En haut : projet réalisé à Dongzhiguan par l’entreprise GAD en 2016 (source : Gad, 2017) © 2010-2017, 䉧ᗧ䇮䇑㖁. En bas : une peinture de Wu Guanzhong, vers 1980 (source : <https://www.liciwang.com/tupian/%E5%90%B4%E5%86 %A0%E4%B8%AD%E7%94%BB%E4%BD%9C%E9%AB%98%E6%B8% 85%E5%A4%A7%E5%9B%BE.html>) © Ộᆀ㖁. en conflit avec l’espace net et lisse d’une « belle architecture ». Dans ce cas, qu’est-ce qu’un « bon » projet d’architecture ? Le processus de projet Dans cette ambiance d’auto-examen, le statut de chef d’orchestre d’un architecte est vite remis en cause. La conception classique du projet, dominant en architecture, crée parfois un décalage d’idées entre le concepteur et les utilisateurs. Malgré les efforts de l’équipe de Wang Shu, qui établit soigneusement des plans selon les demandes des paysans, des maisons restent néanmoins vides. La fragmentation des espaces intérieurs de certaines maisons ne peut visiblement pas convenir à la vie quotidienne. Comment créer un pont entre la subjectivité 176 La mésologie, un autre paradigme pour l’anthropocène ? du concepteur et les besoins des paysans ? Quelle est la juste mesure entre ces deux polarités ? Cette position médiane est au cœur des préoccupations de la mésologie 5. Les architectes recherchent cette « juste mesure » à travers l’expérimentation de multiples approches. Parmi elles, les méthodes participatives attirent de plus en plus l’attention. De nombreux jeunes architectes quittent leur atelier et expérimentent un processus réflexif in situ. Avec la conscience de la singularité de chaque société rurale, la conception architecturale devient une activité collective et se forme progressivement au fil de l’avancement de la connaissance d’un site. Les expérimentations visant à explorer de nouvelles méthodes de projet, plus participatives, constituent la quête sans fin d’une éthique du milieu rural. Cette recherche génère également un changement de paradigme, autant de la pratique professionnelle que de l’enseignement de l’architecture en Chine. Bibliographie Aizaijianguo, « ሶᔪㆁⲴ࣋䟿䘈㔉Ӫ≁üüᔪㆁᐸ䉒㤡‫ «[ » ׺‬Rendre la force de l’architecture au peuple – architecte Xie Yingjun »], le 14 mai 2015, <http://csratckgroup.blogspot.fr/2015/05/blog-post_14.html>. Anonyme, « Under 35-FU Yingbin, China new rural planning and design : a young landscape architect fighting on the forefront of rural China », 24 mars 2017, <http://www.gooood.hk/under-35-fu-yingbin-china-newrural-planning-and-design.htm>. Li Xiaodong Atelier, « The bridge, the school, the playground, the stage », 31 mai 2010, <http://www.gooood.hk/contemporary-rural-cluster-dongziguan-affordable-housing-for-relocalized-farmers-in-fuyang-hangzhouby-gad.htm<http://fr.archello.com/en/project/bridge-school>. — ⦹⒆ᆼሿ/ᵾᲃь [École primaire du village Yuhu], 8 avril 2014, <http://www.ikuku.cn/post/14325>. 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