RIFL/RhétPhil (2017) : 37-51
DOI: 10.4396/RHETPHIL201705
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L’apprentissage de la rhétorique au regard de la papyrologie :
études de cas
Benoît Sans
Université libre de Bruxelles
bsans@ulb.ac.be
Naïm Vanthieghem
Université libre de Bruxelles
nvthiegh@ulb.ac.be
Abstract This article proposes reflection on the contribution of papyrology to our
knowledge of the education system in Greco-Roman Egypt, with a particular
attention for the teaching of rhetoric. It first provides an overview of the education
system, and then focuses on the teaching of rhetoric through the analysis of recently
published papyrus. These rhetorical training evidences provide precious and more
practical complementary information to the theoretical treatises.
Keywords: rhetoric, papyrology, progymnasmata, ethopoiia, controversia
0. Introduction
Les milliers de papyrus mis au jour dans les sables égyptiens ont livré de nombreux
témoignages de l’apprentissage scolaire tel qu’il se pratiquait dans l’Antiquitéέ
Jusqu’à la naissance de la papyrologie à la fin du XIXe siècle, le cursus scolaire
n’était connu que par les seules sources littéraires anciennes – on pense en particulier
aux célèbres chapitres que le rhéteur Quintilien consacre à cette question dans son
De institutione oratoria (voir MARROU 19646). Les papyrus jettent un regard sur la
pratique quotidienne de l’enseignement et permettent suivre la manière dont les
jeunes élèves apprenaient concrètement l’éἵriture, la lecture, le calcul, la rhétorique
ou encore les langues étrangères. Ils ont l’avantage de nous livrer directement des
documents d’écoliers, issus de différentes régions et de milieux sociaux variés, là où
la littérature ne reflète bien souvent que les usages des castes privilégiées issues
sinon de la capitale, du moins de grands centres urbains de l’empireέ Dans notre
contribution, nous proposons de montrer en quoi ces témoignages papyrologiques
peuvent être précieux pour l’historien de la rhétorique. Mais avant de parler de
l’apprentissage de la rhétorique lui-même, il nous paraît utile de retracer brièvement
le cursus des petits Égyptiens.
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1. De l’alphabet à la rhétorique
Comme dans nos écoles, les élèves apprenaient d’aἴord à écrire les lettres de
l’alphaἴetέ Cela commençait par un recopiage des lettres isolées qu’un maître, fût-il
le professeur ou simplement un écolier plus expérimenté, notait sur une feuille de
papyrus (P. Wash. I 69). L’élève assemblait ces lettres pour constituer des syllabes
ouvertes ou fermées et, en parallèle, apprenait à découper des mots en syllabes, en
introduisant entre chaque syllabe un point, deux points ou encore un tiret (P. Cotsen
fo 79). Dans la foulée, il recopiait et classait les mots en monosyllabiques, en
dissyllabiques, et ainsi de suite (GUERAUD & JOUGUET 1938 : 11, ll. 67-83).
Pour parfaire son vocabulaire, l’élève apprenait par ἵœur des listes de mots, le plus
souvent organisées thématiquement (mois, fleuves, dieux, oiseaux ; voir par exemple
SIJPESTEIJN 1977 : 69-71). Le grec de la koinè utilisé en Égypte présentant de
fortes différences morphologiques et syntaxiques avec le grec classique qui était
étudié dans les « écoles », les élèves devaient apprendre la morphologie ainsi que la
syntaxe. Syntaxe et morphologie étaient apprises de manière d’aἴord théorique, en
déclinant et en conjuguant un grand nombre de formes nominales et verbales1 ainsi
que par des questions ponctuelles posées par le maître d’éἵole 2 . L’apprentissage
pratique de la syntaxe passait par des exercices de grammaire et singulièrement par
l’étude de chries, des phrases élémentaires mais néanmoins à contenu noble ou
moral, que l’on déclinait à tous les cas, que l’on faisait varier en genre et nombre ou
que l’on conjuguait à divers temps et modes (KENYON 1909 : 29-30 ;
BASTIANINI 2004). Avec l’exerἵiἵe de la chrie, les élèves avaient un premier
contact à la littérature, même s’il s’agissait d’une littérature adaptée. Les élèves
progressaient dans leur approche des belles lettres en lisant des textes courts,
principalement les sentences dites de Ménandre (Van MINNEN 1992 ; 1995), des
fables (voir par exemple, HESSELING 1892-1893) ou tout autre texte à forte valeur
morale. Quand l’élève atteignait un certain niveau de connaissance du grec, on lui
faisait lire des textes littéraires complexes, en prose et poésie, l’auteur le plus lu étant
Homère. Pour chaque texte, les élèves devaient s’attarder sur la compréhension des
mots rares, sur les problèmes de morphologie et de syntaxe, et enfin on leur
demandait de paraphraser et transposer certains textes, comme des poèmes
homériques en prose classique (PARSONS 1970). Avec ces derniers exercices, on
entre progressivement dans la zone disputée entre le maître de grammaire et le
rhéteur.
2. L’apprentissage de la rhétorique
Après l’apprentissage de la littérature, à un âge qu’il est difficile de déterminer (sans
doute dans le courant de l’enseignement secondaire), les élèves pouvaient s’initier à
celui de la rhétorique (CRIBIORE 2001 : 220-44 ; HEATH 2004). Ils étaient d’aἴord
1
Ainsi par exemple dans un papyrus florentin publié par G. Zalateo & al., « Papiri Fiorentini inediti »,
Aegyptus 20 (1940) pp. 3-20, en part. pp. 12-14, l’élève devait-il apprendre à décliner à tous les cas et
les nombres le nom du roi Priam ainsi que celui de sa femme, la reine Hécube. Pour un exemple
similaire du côté de la morphologie verbale, cf. P. J. Parsons, « A School-Book from the Sayce
Collection », ZPE 6 (1970), p. 133-149, en part. p. 145, qui reprend la conjugaison du verbe πο έ .
2
Pour des exemples de questions, cf. par ex. F. G. Kenyon, « Two Greek School-Tablets », JHS 29
(1909), p. 29-40, en part. 37 où le professeur demandait « Avec quel mode se construisent ὅφ α,
ὅπ , α et ἐ ? », à quoi l’élève devait répondre « Aveἵ le suἴjonἵtif … », ou encore « Avec quel
mode se construisent ἄ et ε ε ? » à quoi il fallait dire « Aveἵ l’optatif … ».
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soumis à une série d’exerἵiἵes appelés π ο υ
α α (« exercices préparatoires »).
Ces exercices nous sont bien connus par les manuels d’époque d’impériale (Aélius
Théon, Pseudo-Hermogène, Aphthonios, Nicolaos ; PATILLON 2002 ; 2008 ;
KENNEDY 2003 ; WEBB 2001) par divers exemples (GIBSON 2008), notamment
sur papyrus, par des allusions et citations. Les exercices avaient été organisés en un
véritable programme, plus ou moins homogène, et de difficulté croissante. On
commençait par de simples exercices d’éἵriture, comme la fable, la composition d’un
récit ou la chrie, souvent sous des formes plus élaborées que celles dont il a été
question jusqu’à présent3, ou certains types de développements, comme l’éloge ou
l’ekphrasis (WEBB 2009 [2012]), pour aboutir à la rédaction d’argumentaires
complets et de différents types (argumenter pour et/ou contre une proposition de loi).
Chacun de ces exercices visaient une compétence bien précise susceptible de
s’intégrer dans un discours complet. Les premiers exercices étaient progressivement
abandonnés au profit des suivants et ainsi de suite ; ils étaient lus, corrigés,
retravaillés. À côté des exercices principaux, il y avait des exercices
d’aἵἵompagnement, comme des lectures, des élaborations diverses, ou encore
l’assistanἵe à des performances publiques, qui venaient appuyer la formation. Ces
exercices supplémentaires nous sont principalement connus par les traductions
arméniennes du manuel d’Aelius Théon (qui ont été exploitées dans l’édition due à
Michel Patillon et Giancarlo Bolognesi) et révèlent un enseignement, qui loin d’être
rigide et fondé uniquement sur la répétition, s’adaptait au niveau de l’élèveέ Les plus
chanceux pouvaient poursuivre leur apprentissage auprès d’autres rhéteurs. Au début
de l’Empire, la rhétorique était ainsi devenue, en concurrence avec la philosophie, la
filière reine de l’enseignement supérieur, pour tous ceux qui aspiraient à exercer des
fonctions publiques. Les π ο υ
α α préparaient eux-mêmes aux déclamations,
censées être les plus proches des causes réelles et dont nous avons encore de
nombreux exemples via des recueils comme ceux de Sénèque le rhéteur, PseudoQuintilien ou Calpurnius Flaccus, des traités ou des citations (BONNER 1949 ;
1977 ;
DESBORDES
2006 ;
SANS
2015 ;
STRAMAGLIA
2010 ;
WINTERBOTTOM 1980). Elles étaient de deux types : la controverse imitait le
genre judicaire et consistait en une sorte de simulation de procès ; la suasoire imitait
quant à elle le genre délibératif en conseillant ou déconseillant une action. Les sujets
des déclamations s’inspiraient de la littérature, de l’histoire ou de situations de la vie
quotidienne, plus ou moins vraisemblables. Dans les deux cas, il s’agissait désormais
produire un discours complet. Le rhéteur donnait un sujet et éventuellement quelques
explications préliminaires ; les élèves écrivaient leur discours, l’apprenaient et le
prononçaient devant leurs condisciples, parents, amis ou curieux ; ils notaient les
meilleurs passages en vue de pouvoir les réutiliser. Parfois, le maître déclamait luimême en guise de modèle. D’auἵuns s’entrainaient seuls et se consacraient parfois
entièrement à cette pratique en délaissant le forum ou le tribunal auxquels elle était
censée préparer. Les rhéteurs célèbres attiraient les foules et les déclamations
constituaient une sorte de divertissement mondain. Aux controverses et suasoires, il
faut encore ajouter les discours épidictiques, ἵ’est-à-dire le discours d’éloges et de
blâme ou de circonstances (comme l’éloge funèbre, le discours d’anniversaire, de
bienvenue, notamment décrits dans les traités attribués à Ménandre le rhéteur), ainsi
que les performances oratoires en tout genre, réalisées par des sophistes et
La ἵhrie, par exemple, pouvait prendre à un stade avanἵé la forme d’une ἵomposition ἵomplète
ἵomprenant un éloge de l’auteur, une paraphrase, une expliἵation, etἵέ (HτωK & τ’σEIL 1λκθ).
3
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techniciens de haut vol, qui semblent avoir connu une grande expansion aux
premiers siècles de notre ère.
Nous allons à présent tenter de nous rapprocher des classes de l’Antiquité, en
illustrant certaines étapes du parcours par des papyrus. Ceux-ci sont en effet des
témoins nombreux et privilégiés, et souvent trop peu connus des rhétoriciens, pour
l’apprentissage de la rhétorique dans l’Antiquitéέ Ils attestent également de la
diversité des compositions, qui sortaient parfois des cadres balisés des manuels, de
l’originalité des rhéteurs et de leurs élèves.
3. Exemple 1 : P. Oxy. I, 79 (M.-P.3 2588 ; LDAB 5312)
P. Oxy. I, 79, qui se trouve aujourd’hui à la Brisith Library (Inv. 756) a été publié
pour la première fois en 1898 par Grenfell et Hunt dans la série des Oxyrhynchus
Papyri (GRENFELL & HUNT 1989). Il s’agit d’un papyrus de 7 × 13 cm, écrit sur
les deux faces, et qui a fait partie d’un ό ο υ ο
ο , ἵ’est-à-dire un rouleau
réalisé à partir de feuilles de papyrus collées les unes aux autres. Au recto, on trouve
une déclaration de décès datée du règne de l’empereur Commode (180-192) ; au
verso, le papyrus porte un texte fort endommagé écrit d’une main rapide, mais
expérimentée, qui d’un point de vue paléographique n’est pas très éloignée de celle
du recto. Ce second texte date, selon toute vraisemblance, du IIe siècle de notre ère.
On a soupçonné que le verso portait l’éἴauἵhe d’une composition scolaire, mais G.
Bastiani et F. Maltomini (2015) ont proposé récemment d’y voir une éthopée (gr.
ἠ οπο ΐα ; voir également, AMATO & SCHAMP 2005 ; FERNÁNDEZ-DELGADO
1994 ; FOURNET 1992 ; HAGEN 1966). Cet exercice, est, avec l’éloge (voir par
exemple SANS 2016), l’un des mieux représentés sur papyrus (CRIBIORE 2001 :
228), qu’il soit en prose ou en vers. Il faisait partie des π ο υ
α α (voir les
manuels cités plus tôt) et consistait, dans un discours à la première personne, à imiter
l’ἦ ο , parfois associé à un π ο , d’un personnage déterminé ou non dans une
situation donnée : par exemple, « Quelles paroles prononcerait Achille en apprenant
la mort de Patrocle ? » ou encore « Quelles paroles prononcerait un homme qui part
en voyage ? ». Dans la Rhétorique, Aristote présente l’ἦ ο comme l’une des trois
preuves techniques et désigne le caractère moral ou, par extension, l’image que
l’orateur donnait de lui-même à travers son discours. Dans le cadre de l’éthopée, il
faut entendre le terme ἦ ο dans un sens un peu plus large et comprenant des
dispositions émotionnelles ou affects modérés et durables comme l’affeἵtion ou la
sympathie, par opposition à des émotions plus fortes et passagères comme la colère,
la haine ou l’indignation (GILL 1984 ; GOYET 1996 : 261-67 ; 279-301; WISSE :
233-45) ; ces dernières étaient généralement attribuées, de manière stéréotypée, à des
personnages féminins, issus de la mythologie ou de la littérature (cf. Aug., Conf. I,
13 ; 17), afin de permettre aux élèves (exclusivement masculins) d’explorer par
l’exerἵiἵe une gamme plus large d’émotions, y compris celles qui étaient réputées
féminines, sans mettre en danger leur masculinité (KRAUS 2007), voire de
développer une certaine empathie (WOODS 1996 ; 2002). Le but de l’exerἵiἵe est de
parvenir à rendre un certain caractère et les émotions associées à des situations sans
pour autant les décrire. Il s’agirait ici de l’un des plus anciens exemples de cet
exercice sur ce type de support.
Au niveau du contenu, l’exerἵiἵe met en scène Alexandre le Grand, dont le nom
apparaît en tête de la composition, au nominatif ou au génitif, en tant que persona
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loquens. Cette présentation est inhabituelle4, mais pas sans parallèles (BASTIANINI
& MALTOMINI 2015 : 40-1) ; de plus, il ne s’agit ici probablement que d’une
ébauche, dont le titre a peut-être été abrégé. On connaît de nombreux exercices, dans
les recueils et manuels, qui mettent en scène le conquérant macédonien, mais pas
dans l’épisode dont il est question ici, bien qu’il soit mentionné dans les sources
historiques (Diod. XVII, 73, 3 ; Plut., Alex., 43, 3 ; Arr., An., III, 22, 1 ; Just. XI, 15 ;
Curt. V, 13 ; Hist. Alex. II, 21, 1). La scène se déroule après la mort de Darius III, roi
des Perses et ennemi d’Alexandre : peut-être contre l’avis de certains, Alexandre
aurait décidé de lui accorder des funérailles royales et de se placer en successeur
devant ses hommes et ceux du roi défunt. Le célèbre leader macédonien prononce les
paroles suivantes :
Alexandre. Nous ne ferons rien de bas, d’ignoἴle, de méprisable ou de lâche.
Maintenant qu’il est mort, avec les soldats, les serviteurs et les amis nous
formons une seule communauté, désormais. Il est donc possible qu’il reçoive
des honneurs funèbres de roi et une sépulture royale.
Même si ne pouvons plus lire que ces quelques lignes, elles illustrent bien l’exerἵiἵeέ
D’emἴlée, on comprend le souci de celui qui parle d’affiἵher une attitude digne et
mesurée, de donner l’image d’un souverain doté de certaines qualités morales, en
repoussant des traits contraires. Plutôt que de céder à une basse vengeance, qui
pourrait mettre à mal son aura, le personnage se place au-dessus de la mêlée et dans
le même temps, choisit de saisir l’opportunité de fédérer un auditoire hétéroclite
autour du respect de certaines valeurs, ce qui donne à cet extrait une tonalité
épidictique. Par son thème, le texte se rapproche en effet de l’éloge funèbre, qui
comportait généralement non seulement l’éloge des valeurs incarnées par le défunt,
mais aussi une exhortation à l’égard des vivants (Menand. Rhet., II, 11, 418-422). La
solennité du ton est soutenue par une recherche au niveau du vocabulaire (série
d’adjeἵtifs) et du style (séries de trois), qui n’est pas sans rappeler le discours de
Périclès au deuxième livre de la Guerre du Péloponnèse (Thuc. II, 35-46). L’éthopée
était un exercice recommandé aux écrivains de différents genres et permettait
d’explorer des situations plus particulières et des types de discours (Aélius Théon,
Prog. 10 : 117-118 Spengel) plus précis que les trois genres traditionnels (judiciaire,
délibératif, épidictique). De là provient peut-être l’haἴitude des auteurs anciens
d’insérer des discours dans la bouche des personnages de leurs œuvresέ
4. Exemple 2 : P. Lond. Lit. 138 (M.-P.3 2515 ; LDAB 4325)
P. Lond. Lit. 138, publié in extenso pour la première fois en 1927, est datable du Ier
siècle après J.-C (MILNE 1927). Il s’agit d’un ό ο υ ο
ο qui, sur son
verso, porte les restes d’au moins dix colonnes relativement larges qui contiennent
six compositions anonymes : trois π ο υ
α α (des « propositions de loi », gr.
ό ο ou ό ου εἰ φο ) et trois déclamations (plus précisément, des controverses).
L’éἵriture, due à une main unique, est tracée dans module étroit et comporte peu de
signes diacritiques. Divers éléments, comme le type d’éἵriture, les abréviations
utilisées, les nombreuses corrections par la main du scribe, le contenu des
4
Le titre est généralement exprimé avec la formule type «
des circonstances (FOURNET 1992 : 253-266).
41
α ἂ ε πο
ό ου », suivie du sujet et
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compositions, ainsi que l’aἴsenἵe de noms propres dans celles-ci5 invitent à penser
que ce recueil était utilisé en milieu scolaire (RUSSO 2013 : 303). L’une des
déclamations présentes sur ce document, la seconde controverse plus exactement, est
relativement bien conservée et de ce fait, a très tôt attiré l’attention des chercheurs et
fait l’oἴjet de plusieurs éditions séparées (KENYON 1898 ; JANDER 1913;
CRÖNERT; OLDFATHER 1923 ; RUSSO 2013) ; la plus récente, sur laquelle nous
nous appuierons ici, est due à Giuseppe Russo (2013), et permet de lire la
déclamation dans sa quasi-totalité, ce qui est, à notre connaissance, unique en
papyrologie.
Cette lecture est intéressante à plus d’un titre. Tout d’aἴord, le sujet (gr. ὑπό ε ) de
la controverse, même s’il peut en rappeler d’autres, n’est attesté nulle part ailleurs :
Un homme a mis en dépôt (la somme d’) un talent auprès d’un ami. Cet ami
enterra le dépôt en sa présence dans un domaine lui appartenant. Par la suite, il
[scil. le dépositaire] le [scil. le déposant] trouva par surprise en train d’enlever
le talent. Il [scil. le dépositaire] l’[sἵilέ le déposant] accuse de vol.
L’affaire est construite autour d’un dépôt, une pratique courante dans l’Antiquité, qui
consistait à déposer une somme auprès d’une personne pour qu’elle la garde sans
intérêts et effectue des paiements ; la somme déposée pouvait éventuellement servir à
proposer des prêts à intérêts, le plus souvent à court terme. Cet énoncé constitue un
bel exemple de ce qui devait être le quotidien des étudiants en rhétorique aux
alentours du Ier siècle de notre ère. Le papyrus porte le discours de l’aἵἵusation, mais
ce discours est précédé et entrecoupé de commentaires didactiques, qui fournissent
les indications essentielles pour bien comprendre et traiter le sujet. Ces commentaires
sont attribuables à un maître de rhétorique, qui aurait ainsi préparé un modèle à des
fins d’apprentissage (RUSSO 2013 : 311 ; 313). Il tente de mettre ses élèves sur la
voie : il indique que l’aἵtion est recevable – qu’il est donc inutile d’argumenter pour
le contraire –, l’auteur des faits est connu et les faits eux-mêmes ne sont pas mis en
doute : ἵ’est bien alors qu’il était en train de déterrer son propre talent que le
déposant a été surpris. Mais ἵ’est là justement le problème : peut-on effectivement
parler de « vol » pour ce qui s’est passé dans ces circonstances précises ? En fait,
d’un point de vue technique, le rhéteur élimine certaines possibilités de traitement du
problème au regard de la théorie des « états de la cause » (gr.
). Ce système,
auxquelles les controverses étaient liées, consistait en une sorte de typologie des
différents cas de figure qui pouvaient se présenter (D. BERRY & HEATH 1997 ;
CALBOLI-MONTEFUSCO 1986 ; HEATH 1997 ; RUSSEL 1983 : 40-73). Il
semble avoir été popularisée par Hermagoras (WOERTHER 2012), au premier siècle
avant J.-C., mais il nous est surtout connu par le traité éponyme d’Hermogène
(HEATH 1995 ; PATILLON 2009), datant du premier siècle après J.-C., qui a été
largement repris et commenté, et par la Δδαίλε δμ αβ βηά ωθ de Sopatros
(WEISSENBERGER 2010), rhéteur du IIIe siècle. En l’oἵἵurrenἵe, il s’agit d’un état
de « définition », visant discuter, non pas le fait lui-même, mais sa qualification. Le
rhéteur explicite aussi la ligne d’argumentation que l’aἵἵusation doit poursuivre : il y
a bien vol, car à travers ses propres biens, l’aἵἵusé vole ceux d’un autre. Le
commentaire fournit ensuite quelques clés pour les principaux points à développer.
En effet, avec les « états de la cause », les élèves apprenaient non seulement à bien
5
Voir RUSSO 2013 : 303 n. 14. On trouve toutefois des noms propres dans les déclamations, qui
réfèrent parfois des personnages historiques.
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identifier le problème, mais aussi les « points » (gr. εφ α α) d’argumentation
disponibles dans chaque cas, y compris ceux de la partie adverse. Selon Hermogène,
la division d’un état de définition était la suivante :
Proposition (gr. π ο ο )
Brève présentation des faits et de la thèse
Éventuellement suivie d’un exposé des soutenue, et amplification à partir des
faits (gr. α
α )
circonstances, des ἵonséquenἵes,…
Définition (gr. ὅ ο )
La défense avance une définition stricte
qui place l’aἵte concerné en dehors de
celle-ci.
Contre-définition (gr. ἀ ο
ό)
L’aἵἵusation avance une définition plus
large dans laquelle l’aἵte concerné peut
entrer…
Assimilation (gr. υ ο
ό)
…et affirme que par extension, la loi
invoquée est bien pertinente pour
l’affaire présente.
Intention du législateur (gr. ώ
οῦ Les deux parties affirment que leur
ο ο ου)
interprétation de la loi reflète l’intention
sous-jacente du législateur.
Quantité ou importance (gr. π
ό ) On montre par amplification que ce qui a
&
été fait est intrinsèquement important et
Relation ou importance relative (gr. π ο plus important que ce qui n’a pas été fait
)
ou inversement, que ce qui n’a pas été
fait est important et plus important que ce
qui a été fait.
Opposition (gr. ἀ
ε )
L’aἵte peut être justifié par ses
conséquences positives (gr. ἀ
α),
par transfert de responsabilité (sur la
victime ou une tierce personne) ou par
une atténuation (gr. υ ώ ).
Antilepse (gr. ἀ
ε )
La défense affirme que l’aἵte est en luimême permis et légitime.
Métalepse (gr. ε ε )
L’aἵἵusation répond en tirant parti des
circonstances,
qui
rendent
l’aἵte
criminel.
Qualité (gr. πο ό ) & Intention (gr. Examen de la personne de l’aἵἵusé et de
ώ )
ses intentions.
Épilogue (gr. ἐπ ο ο )
Conclusion
Il ne faut toutefois pas considérer les choses de façon trop rigide : il ne s’agit que
d’un canevas ou d’un guide pour la pensée, auquel il fallait donner de la substance
grâce aux différentes techniques apprises aux cours des étapes précédentes du
parcours ; selon les cas, les différents points étaient possibles ou non, et il était
parfois nécessaire de puiser dans d’autres cas de figure. Il fallait preuve
d’intelligenἵe et de créativité pour adapter le modèle à chaque cas. Le plan du
discours de P. Lond. Lit. 138 peut se décrire comme suit :
P. Lond. Lit. 138
III, 14-18
Division
1) α
α
(rapide exposé de la situation)
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III, 18-33
2) ε ε
αἰ α (présentation d’un autre motif pour
l’aἵte), analysable selon les formes de l’opposition
(ἀ
ε )
(III, 23-26)
(commentaire du rhéteur)
III, 33 - IV, 1-2
IV, 4-14
3) première série de contradictiones (et inversion des
rôles) ; nouvelles formes d’ἀ
ε
a) « tu aurais pu dire que tu avais égaré la somme »
b) « tu aurais pu dire qu’elle avait été dérobée par des
voleurs »
c) « et qu’ils avaient creusé »
IV, 14-18
4) deuxième série de contradictiones (« alors que je n’ai
rien dérobé ou emporté, je suis accusé de vol »)
-π
ό
(amplification de la gravité de l’aἵte)
- ώ
οῦ ο ο ου (« intention du législateur »)
III, 33-37
III, 37-44
III, 44 - IV, 2
5)
épilogue
(récapitulation
et
appel
aux
émotions) insistant sur la ώ (intention) de l’aἵἵuséέ
Le discours d’aἵἵusation proprement dit ne présente pas d’introduἵtion : celle-ci est
généralement courte et a sans doute été jugée trop évidente. Il débute par un bref
rappel des faits sous la forme de questions incisives : comme le suggère le rhéteur
dans son commentaire, l’aἵἵusateur souligne les circonstances de l’aἵte qui indiquent
le vol : l’aἵἵusé est venu seul, de nuit, sans prévenir. Ensuite surgit une première
objection, ou prolepse argumentative, de la part de l’aἵἵuséέ L’orateur fait ici parler
l’aἵἵusé à la première personne : « j’avais une urgence », me diras-tu. Ce type
d’intervention est fréquent dans les déclamations (cf. Ps.-Quint, Decl. Min., 350;
SANS 2015) et sans doute facilité par l’exerἵiἵe de l’éthopée, dont il a été question
dans l’exemple précédent. En réponse, l’orateur montre alors que le déposant n’avait
aucun avantage à agir de la sorte : il aurait pu demander un prêt à intérêt, et en allant
récupérer la somme de nuit, il risquait d’être pris pour un voleur et d’être tué.
Ensuite, le discours envisage ce qui se serait passé si l’aἵἵusé avait pu agir à sa guise
et emporter le dépôt : pour l’aἵἵusateur, il est clair qu’il serait venu réclamer la
somme déposée dès le lendemain. Les rôles s’inversent alors et l’orateur imagine, à
l’irréel, les réponses qu’il aurait pu faire en pareil cas, mais ces réponses sont placées
dans la bouche du déposant, de la manière suivante : dans ce cas-là, « tu aurais pu me
dire que tu avais égaré la somme », « que des voleurs l’avaient prise », « que tu avais
été contraint ». Le discours réfute ces explications boiteuses en montrant qu’un
scénario impliquant d’autres voleurs est invraisemblable et surtout, que dans tous les
cas, la responsabilité incombe malgré tout au dépositaire. Autrement dit, l’orateur
montre qu’il se serait retrouvé sans argument et aurait dû rembourser la somme. Le
déposant contre-attaque alors à nouveau en s’étonnant d’être accusé de vol alors
qu’en l’état, il n’a, ni soustrait quelque chose à son accusateur, ni emporté l’argentέ
Le dépositaire réplique, à l’aide de comparaisons, qu’en enlevant le dépôt, le
déposant le prive de ses biens à lui (ἵ’est-à-dire de l’aἵtivité bancaire et des bénéfices
qu’elle aurait pu engendrer) et rappelle que la loi est davantage faite pour protéger
les dépositaires des abus que les déposants. Enfin, il conclut en insistant sur sa thèse
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et l’intention du déposant qu’il tient désormais pour établie : réclamer la somme
apparemment perdue et voler ainsi le dépositaire une seconde fois, en lui extorquant
une indemnité. Il récapitule ainsi les principaux points de son argumentation et
soulève encore contre l’aἵἵusé l’indignation (il a non seulement commis un vol, mais
aussi une forme d’impiété) ; on retrouve là les deux fonctions classiques de la
conclusion (voir par exemple, Quint., VI, 1). Le recueil P. Lond. Lit. 138 mérite donc
tout l’intérêt des rhétoriciens, tant par ses particularités que par son traitement pour le
moins sophistiqué. Il témoigne en particulier d’une remarquable capacité à changer
de point de vue, à adopter celui d’un autre sans pour autant y adhérer afin d’enriἵhir
l’argumentation. Le papyrus laisse penser que cette capacité était exercée et attendue
chez les futurs orateurs6.
5. Conclusion
L’analyse de ces deux seuls documents permet déjà de se faire une idée assez précise
des apports de la documentation papyrologique à notre connaissance de
l’enseignement de la rhétorique dans l’Antiquité, qui viennent utilement compléter
ceux des traités et de la littérature : les papyrus permettent d’exemplifier cet
enseignement à des époques ou dans des contextes pour lesquels nous ne disposons
pas ou de peu d’autres sources ; ils nous renseignent sur la pratique quotidienne et
sur les écarts entre celle-ci et la théorie des manuels, en révélant d’autres sujets ou
adaptions, des spécificités de traitement, les attentes ou exigences des rhéteurs (en
quantité et en qualité), mais aussi les performances variables de leurs élèves7 ; enfin,
en illustrant la pratique, les papyrus rhétoriques peuvent aussi nous livrer, de façon
explicite ou implicite, des principes pédagogiques ou des indications sur la manière
d’utiliser le matériel hérité de l’Antiquité (voir par exemple SANS 2016). Ils
constituent dès lors non seulement des documents de première importance d’un point
de vue historique, mais aussi une ressource précieuse en vue d’une réadaptation de
ces exercices pour la formation de publics contemporains à l’art du discours.
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ω’est ἵe genre de ἵapaἵité que l’équipe du GRAL et moi-même avons essayé de tester et de
développer chez des élèves et des étudiants en leur proposant des cours de rhétorique construits autour
d’exerἵiἵes inspirés de ἵeux qui étaient pratiqués dans l’Antiquité (SAσS βί1ι ; SANS &
DAINVILLE 2016 ; SANS & FERRY 2014).
6
7
Le papyrus P. Oxy XVII 2084, qui porte un éloge de la figue, présente des maladresses et semble
être dû à un orateur moyen (PORDOMINGO 2007 : 428-30).
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ANNEXE - Traduction de P. Lond Lit 138 (d’après le texte de G. Russo)
[III 5] Un homme a mis en dépôt (la somme d’)un talent auprès d’un ami. Cet ami
enterra le dépôt en sa présence dans un domaine lui appartenant. Par la suite, il [scil.
le dépositaire] le [scil. le déposant] trouva par surprise en train d’enlever le talent. Il
[scil. le dépositaire] l’[sἵilέ le déposant] accuse de vol.
Les autres points sont clairs et évidents, à savoir qu’il [scil. l’accusé] a volé ses
propres biens et que ceux qui ont volé leurs propres biens sont passibles d’un
procès. L’argumentation est la suivante : à travers ses propres biens, [III 10] il a
volé ceux de l’autre. Car pour quelle raison, s’il avait le droit de le retirer, après
avoir enfreint la manière légale de faire le retrait et s’il devait effectivement le
reprendre, a-t-il été surpris de nuit, en cachette et seul, violant même l’entrée du
domaine ; après avoir l’avoir escaladé à l’aide d’outils, non pas de jour, comme
lorsqu’il a fait le dépôt, et sans lui [scil. le dépositaire] ? Et en effet si les voleurs
avaient le droit de disposer de leurs propres biens comme de les prendre sur
demande, on ne pourrait pas intenter ce genre d’action.
Je dirai que même la façon dont il est entré dans le domaine [III 15] dénonce le vol :
il tremblait, regardait partout autour de lui et marchait à pas feutrés comme s’il
craignait que quelqu’un ne le vît. Mais peut-être ne vous fieriez-vous pas à ces
éléments pour le jugement. J’ajoute alors aussi que je l’ai poursuivi et qu’il s’est
enfuit en se baissant et en refusant de parler. Quelle serait donc sa justification ? «
J’étais sous le coup d’une urgence », affirme-t-il. Mais quelle urgence ? Qu’avais-tu
découvert ? Et qu’est-il encore arrivé ? Si on fait un investissement, on ne récupère
pas le capital par la suite, [III 20] mais on peut se voir offrir un prêt. Qu’est-ce qui te
gênait dans cela ? Dans un tel cas, du moins, il te fallait plutôt reporter et temporiser,
mais non pas, même si cela avait été légal, effectuer le retrait, ou te précipiter dans
l’illégalitéέ Non, il n’est pas possible de trouver un motif d’urgenἵe, pas même pour
celui qui voudrait en imaginer un. Mais veux-tu que je t’aἵἵorde le fait que tu avais
une urgence ? Qu’est-ce que cela t’apporte de plus ? Il fallait en effet venir me
prévenir.
En effet, il [scil. le dépositaire] n’habitait pas loin du domaine, mais dans la ferme ;
il s’en serait rendu compte immédiatement ; [III 25] et quand bien même avait-il une
urgence, il aurait repris la somme d’autant plus vite qu’ils auraient été deux à
creuser.
Mais à présent, il a aussi pris un risque : si je l’avais frappé et tué comme s’il
s’agissait d’un voleur, il serait mort. Et si on m’avait demandé alors : « qui as-tu tué
? », j’aurais répondu, non pas le dépositaire, mais le pilleur ; non pas celui qui avait
confié la somme, mais celui qui avait tenté de la dérober. Le corps est le même, mais
le caractère est différent et changeant : [III 30] aurais-je pu croire en effet que celui
qui avait confié l’argent était justement le voleur ? Dans quel but ? Et quoi ? De nuit,
il n’est pas possible de distinguer quelque chose de façon claire, et alors que j’avais
crié et demandé qui il était, il s’est tu et s’est dissimulé pour ne pas être vu. Ainsi,
d’une part, il volait cette somme et d’autre part, voulait m’en soutirer une autre, et
me l’aurait réclamée le lendemain. « Et alors ? », dit-il, « tu aurais pu dire que tu
avais perdu le dépôt ». Et en quoi en aurais-je tiré avantage ? Ne me serais-je pas
exposé, outre à un tort, mais à un outrage de ta part ? [III 35] Peut-être n’aurais-tu
pas répondu : « Moi je t’ai confié une partie de mes économies, j’ai pris un risque,
pour que tu me dises ‘Je l’ai perdu’ ? Une loi te libère donc de la responsabilité
lorsque tu perds (ce qu’on t’a confié) ? Montre-la moi ! Le législateur n’a-t-il pas
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contraint à dédommager ceux qui ont perdu un dépôt afin qu’ils n’inventent pas de
façon répétée des excuses de ce genre ? Et quoi ? Si cela avait été écrit, ne m’auraistu pas trompé encore en disant : ‘Mais je ne l’ai pas perdu : des voleurs me l’ont
déroἴé’ Et quand ? Qui les a vus ? D’autres choses ont-elles été perdues ? [III 40] Tu
ne pourrais le montrer de façon vraisemblable. Car à quelle autre occasion d’autres
personnes sont-elles entrées dans le domaine, si ce n’est au moment où j’ai fait le
dépôt ? Qui était au courant ? σ’est-ce pas moi seul et toi qui l’avons enfoui ? Et si
des voleurs étaient venus, ne se seraient-ils pas rendus à la ferme ? Ils n’auraient pas
pu déterrer cet argent, car personne ne se dirige vers le domaine, mais vers
l’haἴitation ; nombreux sont ceux qui délaissent les biens enfouis, ne soupçonnant
même pas leur présence, mais qui entreprennent de voler ceux qui sont gardés. ‘Mais
ils ont aussi ἵreusé’έ Montre-le ! Quand bien même auraient-ils également creusé,
[IV] tu aurais fait faire, même contre ta volonté, par d’autres ce qu’il te déplaisait de
faire, toi qui aime mener une vie tranquille, afin de me dépouiller de mes biens en
leur ayant confié la tâche ? ». σ’aurais-tu pas soutenu, en appelant cela de la
déloyauté et de la malhonnêteté, que les règles du dépôt avaient été complètement
mises à bas ? Si justement, en avançant ces arguments, tu pouvais exiger la somme
de moi, comment ne peut-il être évident que si j’avais perdu une telle somme,
j’aurais cherché à disparaître ?
« Ainsi », dit-il, [IV 5] « en n’ayant ni soustrait ni emporté quoi que ce soit, je serai
puni de vol ? » Oui, car à travers ces biens, ce sont les miens que tu as volés ; et de
même que si tu avais volé un contrat déposé auprès de moi, tu ne serais pas puni pour
le document en lui-même, mais pour les intérêts qui y sont liés, pour ces intérêts-ci,
complètement violés par la rupture de l’aἵἵord qui résulte de tes actes, un recouvreur
te sera envoyé pour ce qui s’est passé. Et même si tu avais incendié une partie de ta
maison et qu’à partir d’elle toute la cité [IV 10] avait brûlé, tu ne serais pas puni
seulement pour ta partie. Lorsque tu dis qu’« en ayant rien emporté ni soustrait, je
serai puni de vol », la loi interdit précisément cet acte (voler ses propres biens), mais
non pas pour protéger ton propre intérêt. « Mais peut-être pour ma propre ruine alors
? Et si toi, après avoir soustrait un bien (qui t’avait été confié), tu l’avais soit perdu,
soit revendu pour moins de sa valeur, soit si tu avais manigancé quelque autre tour,
je serai quand même puni de vol ? ». Tu n’avais pas l’intention de recouvrer auprès
de moi la somme [IV 15] car elle aurait été perdue – et, clairement, ἵ’eût été juste –
mais tu essayais de voler mes biens à travers ceux que tu aurais demandé à recouvrer.
Mais tu diras sans doute maintenant qu’auἵune personne saine d’esprit n’est privée
de la crainte de la fortune, de la divinité ou du destin. Toi, qui m’a tendu un appât,
comme à un animal, pour me faire tomber dans un piège, tu n’auras pas à payer ? J’ai
mis au jour un vol de biens propres, mais tu rendras compte de pires actions.
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