Location via proxy:   [ UP ]  
[Report a bug]   [Manage cookies]                
RIFL/RhétPhil (2017) : 37-51 DOI: 10.4396/RHETPHIL201705 __________________________________________________________________________________ L’apprentissage de la rhétorique au regard de la papyrologie : études de cas Benoît Sans Université libre de Bruxelles bsans@ulb.ac.be Naïm Vanthieghem Université libre de Bruxelles nvthiegh@ulb.ac.be Abstract This article proposes reflection on the contribution of papyrology to our knowledge of the education system in Greco-Roman Egypt, with a particular attention for the teaching of rhetoric. It first provides an overview of the education system, and then focuses on the teaching of rhetoric through the analysis of recently published papyrus. These rhetorical training evidences provide precious and more practical complementary information to the theoretical treatises. Keywords: rhetoric, papyrology, progymnasmata, ethopoiia, controversia 0. Introduction Les milliers de papyrus mis au jour dans les sables égyptiens ont livré de nombreux témoignages de l’apprentissage scolaire tel qu’il se pratiquait dans l’Antiquitéέ Jusqu’à la naissance de la papyrologie à la fin du XIXe siècle, le cursus scolaire n’était connu que par les seules sources littéraires anciennes – on pense en particulier aux célèbres chapitres que le rhéteur Quintilien consacre à cette question dans son De institutione oratoria (voir MARROU 19646). Les papyrus jettent un regard sur la pratique quotidienne de l’enseignement et permettent suivre la manière dont les jeunes élèves apprenaient concrètement l’éἵriture, la lecture, le calcul, la rhétorique ou encore les langues étrangères. Ils ont l’avantage de nous livrer directement des documents d’écoliers, issus de différentes régions et de milieux sociaux variés, là où la littérature ne reflète bien souvent que les usages des castes privilégiées issues sinon de la capitale, du moins de grands centres urbains de l’empireέ Dans notre contribution, nous proposons de montrer en quoi ces témoignages papyrologiques peuvent être précieux pour l’historien de la rhétorique. Mais avant de parler de l’apprentissage de la rhétorique lui-même, il nous paraît utile de retracer brièvement le cursus des petits Égyptiens. 37 RIFL/RhétPhil (2017) : 37-51 DOI: 10.4396/RHETPHIL201705 __________________________________________________________________________________ 1. De l’alphabet à la rhétorique Comme dans nos écoles, les élèves apprenaient d’aἴord à écrire les lettres de l’alphaἴetέ Cela commençait par un recopiage des lettres isolées qu’un maître, fût-il le professeur ou simplement un écolier plus expérimenté, notait sur une feuille de papyrus (P. Wash. I 69). L’élève assemblait ces lettres pour constituer des syllabes ouvertes ou fermées et, en parallèle, apprenait à découper des mots en syllabes, en introduisant entre chaque syllabe un point, deux points ou encore un tiret (P. Cotsen fo 79). Dans la foulée, il recopiait et classait les mots en monosyllabiques, en dissyllabiques, et ainsi de suite (GUERAUD & JOUGUET 1938 : 11, ll. 67-83). Pour parfaire son vocabulaire, l’élève apprenait par ἵœur des listes de mots, le plus souvent organisées thématiquement (mois, fleuves, dieux, oiseaux ; voir par exemple SIJPESTEIJN 1977 : 69-71). Le grec de la koinè utilisé en Égypte présentant de fortes différences morphologiques et syntaxiques avec le grec classique qui était étudié dans les « écoles », les élèves devaient apprendre la morphologie ainsi que la syntaxe. Syntaxe et morphologie étaient apprises de manière d’aἴord théorique, en déclinant et en conjuguant un grand nombre de formes nominales et verbales1 ainsi que par des questions ponctuelles posées par le maître d’éἵole 2 . L’apprentissage pratique de la syntaxe passait par des exercices de grammaire et singulièrement par l’étude de chries, des phrases élémentaires mais néanmoins à contenu noble ou moral, que l’on déclinait à tous les cas, que l’on faisait varier en genre et nombre ou que l’on conjuguait à divers temps et modes (KENYON 1909 : 29-30 ; BASTIANINI 2004). Avec l’exerἵiἵe de la chrie, les élèves avaient un premier contact à la littérature, même s’il s’agissait d’une littérature adaptée. Les élèves progressaient dans leur approche des belles lettres en lisant des textes courts, principalement les sentences dites de Ménandre (Van MINNEN 1992 ; 1995), des fables (voir par exemple, HESSELING 1892-1893) ou tout autre texte à forte valeur morale. Quand l’élève atteignait un certain niveau de connaissance du grec, on lui faisait lire des textes littéraires complexes, en prose et poésie, l’auteur le plus lu étant Homère. Pour chaque texte, les élèves devaient s’attarder sur la compréhension des mots rares, sur les problèmes de morphologie et de syntaxe, et enfin on leur demandait de paraphraser et transposer certains textes, comme des poèmes homériques en prose classique (PARSONS 1970). Avec ces derniers exercices, on entre progressivement dans la zone disputée entre le maître de grammaire et le rhéteur. 2. L’apprentissage de la rhétorique Après l’apprentissage de la littérature, à un âge qu’il est difficile de déterminer (sans doute dans le courant de l’enseignement secondaire), les élèves pouvaient s’initier à celui de la rhétorique (CRIBIORE 2001 : 220-44 ; HEATH 2004). Ils étaient d’aἴord 1 Ainsi par exemple dans un papyrus florentin publié par G. Zalateo & al., « Papiri Fiorentini inediti », Aegyptus 20 (1940) pp. 3-20, en part. pp. 12-14, l’élève devait-il apprendre à décliner à tous les cas et les nombres le nom du roi Priam ainsi que celui de sa femme, la reine Hécube. Pour un exemple similaire du côté de la morphologie verbale, cf. P. J. Parsons, « A School-Book from the Sayce Collection », ZPE 6 (1970), p. 133-149, en part. p. 145, qui reprend la conjugaison du verbe πο έ . 2 Pour des exemples de questions, cf. par ex. F. G. Kenyon, « Two Greek School-Tablets », JHS 29 (1909), p. 29-40, en part. 37 où le professeur demandait « Avec quel mode se construisent ὅφ α, ὅπ , α et ἐ ? », à quoi l’élève devait répondre « Aveἵ le suἴjonἵtif … », ou encore « Avec quel mode se construisent ἄ et ε ε ? » à quoi il fallait dire « Aveἵ l’optatif … ». 38 RIFL/RhétPhil (2017) : 37-51 DOI: 10.4396/RHETPHIL201705 __________________________________________________________________________________ soumis à une série d’exerἵiἵes appelés π ο υ α α (« exercices préparatoires »). Ces exercices nous sont bien connus par les manuels d’époque d’impériale (Aélius Théon, Pseudo-Hermogène, Aphthonios, Nicolaos ; PATILLON 2002 ; 2008 ; KENNEDY 2003 ; WEBB 2001) par divers exemples (GIBSON 2008), notamment sur papyrus, par des allusions et citations. Les exercices avaient été organisés en un véritable programme, plus ou moins homogène, et de difficulté croissante. On commençait par de simples exercices d’éἵriture, comme la fable, la composition d’un récit ou la chrie, souvent sous des formes plus élaborées que celles dont il a été question jusqu’à présent3, ou certains types de développements, comme l’éloge ou l’ekphrasis (WEBB 2009 [2012]), pour aboutir à la rédaction d’argumentaires complets et de différents types (argumenter pour et/ou contre une proposition de loi). Chacun de ces exercices visaient une compétence bien précise susceptible de s’intégrer dans un discours complet. Les premiers exercices étaient progressivement abandonnés au profit des suivants et ainsi de suite ; ils étaient lus, corrigés, retravaillés. À côté des exercices principaux, il y avait des exercices d’aἵἵompagnement, comme des lectures, des élaborations diverses, ou encore l’assistanἵe à des performances publiques, qui venaient appuyer la formation. Ces exercices supplémentaires nous sont principalement connus par les traductions arméniennes du manuel d’Aelius Théon (qui ont été exploitées dans l’édition due à Michel Patillon et Giancarlo Bolognesi) et révèlent un enseignement, qui loin d’être rigide et fondé uniquement sur la répétition, s’adaptait au niveau de l’élèveέ Les plus chanceux pouvaient poursuivre leur apprentissage auprès d’autres rhéteurs. Au début de l’Empire, la rhétorique était ainsi devenue, en concurrence avec la philosophie, la filière reine de l’enseignement supérieur, pour tous ceux qui aspiraient à exercer des fonctions publiques. Les π ο υ α α préparaient eux-mêmes aux déclamations, censées être les plus proches des causes réelles et dont nous avons encore de nombreux exemples via des recueils comme ceux de Sénèque le rhéteur, PseudoQuintilien ou Calpurnius Flaccus, des traités ou des citations (BONNER 1949 ; 1977 ; DESBORDES 2006 ; SANS 2015 ; STRAMAGLIA 2010 ; WINTERBOTTOM 1980). Elles étaient de deux types : la controverse imitait le genre judicaire et consistait en une sorte de simulation de procès ; la suasoire imitait quant à elle le genre délibératif en conseillant ou déconseillant une action. Les sujets des déclamations s’inspiraient de la littérature, de l’histoire ou de situations de la vie quotidienne, plus ou moins vraisemblables. Dans les deux cas, il s’agissait désormais produire un discours complet. Le rhéteur donnait un sujet et éventuellement quelques explications préliminaires ; les élèves écrivaient leur discours, l’apprenaient et le prononçaient devant leurs condisciples, parents, amis ou curieux ; ils notaient les meilleurs passages en vue de pouvoir les réutiliser. Parfois, le maître déclamait luimême en guise de modèle. D’auἵuns s’entrainaient seuls et se consacraient parfois entièrement à cette pratique en délaissant le forum ou le tribunal auxquels elle était censée préparer. Les rhéteurs célèbres attiraient les foules et les déclamations constituaient une sorte de divertissement mondain. Aux controverses et suasoires, il faut encore ajouter les discours épidictiques, ἵ’est-à-dire le discours d’éloges et de blâme ou de circonstances (comme l’éloge funèbre, le discours d’anniversaire, de bienvenue, notamment décrits dans les traités attribués à Ménandre le rhéteur), ainsi que les performances oratoires en tout genre, réalisées par des sophistes et La ἵhrie, par exemple, pouvait prendre à un stade avanἵé la forme d’une ἵomposition ἵomplète ἵomprenant un éloge de l’auteur, une paraphrase, une expliἵation, etἵέ (HτωK & τ’σEIL 1λκθ). 3 39 RIFL/RhétPhil (2017) : 37-51 DOI: 10.4396/RHETPHIL201705 __________________________________________________________________________________ techniciens de haut vol, qui semblent avoir connu une grande expansion aux premiers siècles de notre ère. Nous allons à présent tenter de nous rapprocher des classes de l’Antiquité, en illustrant certaines étapes du parcours par des papyrus. Ceux-ci sont en effet des témoins nombreux et privilégiés, et souvent trop peu connus des rhétoriciens, pour l’apprentissage de la rhétorique dans l’Antiquitéέ Ils attestent également de la diversité des compositions, qui sortaient parfois des cadres balisés des manuels, de l’originalité des rhéteurs et de leurs élèves. 3. Exemple 1 : P. Oxy. I, 79 (M.-P.3 2588 ; LDAB 5312) P. Oxy. I, 79, qui se trouve aujourd’hui à la Brisith Library (Inv. 756) a été publié pour la première fois en 1898 par Grenfell et Hunt dans la série des Oxyrhynchus Papyri (GRENFELL & HUNT 1989). Il s’agit d’un papyrus de 7 × 13 cm, écrit sur les deux faces, et qui a fait partie d’un ό ο υ ο ο , ἵ’est-à-dire un rouleau réalisé à partir de feuilles de papyrus collées les unes aux autres. Au recto, on trouve une déclaration de décès datée du règne de l’empereur Commode (180-192) ; au verso, le papyrus porte un texte fort endommagé écrit d’une main rapide, mais expérimentée, qui d’un point de vue paléographique n’est pas très éloignée de celle du recto. Ce second texte date, selon toute vraisemblance, du IIe siècle de notre ère. On a soupçonné que le verso portait l’éἴauἵhe d’une composition scolaire, mais G. Bastiani et F. Maltomini (2015) ont proposé récemment d’y voir une éthopée (gr. ἠ οπο ΐα ; voir également, AMATO & SCHAMP 2005 ; FERNÁNDEZ-DELGADO 1994 ; FOURNET 1992 ; HAGEN 1966). Cet exercice, est, avec l’éloge (voir par exemple SANS 2016), l’un des mieux représentés sur papyrus (CRIBIORE 2001 : 228), qu’il soit en prose ou en vers. Il faisait partie des π ο υ α α (voir les manuels cités plus tôt) et consistait, dans un discours à la première personne, à imiter l’ἦ ο , parfois associé à un π ο , d’un personnage déterminé ou non dans une situation donnée : par exemple, « Quelles paroles prononcerait Achille en apprenant la mort de Patrocle ? » ou encore « Quelles paroles prononcerait un homme qui part en voyage ? ». Dans la Rhétorique, Aristote présente l’ἦ ο comme l’une des trois preuves techniques et désigne le caractère moral ou, par extension, l’image que l’orateur donnait de lui-même à travers son discours. Dans le cadre de l’éthopée, il faut entendre le terme ἦ ο dans un sens un peu plus large et comprenant des dispositions émotionnelles ou affects modérés et durables comme l’affeἵtion ou la sympathie, par opposition à des émotions plus fortes et passagères comme la colère, la haine ou l’indignation (GILL 1984 ; GOYET 1996 : 261-67 ; 279-301; WISSE : 233-45) ; ces dernières étaient généralement attribuées, de manière stéréotypée, à des personnages féminins, issus de la mythologie ou de la littérature (cf. Aug., Conf. I, 13 ; 17), afin de permettre aux élèves (exclusivement masculins) d’explorer par l’exerἵiἵe une gamme plus large d’émotions, y compris celles qui étaient réputées féminines, sans mettre en danger leur masculinité (KRAUS 2007), voire de développer une certaine empathie (WOODS 1996 ; 2002). Le but de l’exerἵiἵe est de parvenir à rendre un certain caractère et les émotions associées à des situations sans pour autant les décrire. Il s’agirait ici de l’un des plus anciens exemples de cet exercice sur ce type de support. Au niveau du contenu, l’exerἵiἵe met en scène Alexandre le Grand, dont le nom apparaît en tête de la composition, au nominatif ou au génitif, en tant que persona 40 RIFL/RhétPhil (2017) : 37-51 DOI: 10.4396/RHETPHIL201705 __________________________________________________________________________________ loquens. Cette présentation est inhabituelle4, mais pas sans parallèles (BASTIANINI & MALTOMINI 2015 : 40-1) ; de plus, il ne s’agit ici probablement que d’une ébauche, dont le titre a peut-être été abrégé. On connaît de nombreux exercices, dans les recueils et manuels, qui mettent en scène le conquérant macédonien, mais pas dans l’épisode dont il est question ici, bien qu’il soit mentionné dans les sources historiques (Diod. XVII, 73, 3 ; Plut., Alex., 43, 3 ; Arr., An., III, 22, 1 ; Just. XI, 15 ; Curt. V, 13 ; Hist. Alex. II, 21, 1). La scène se déroule après la mort de Darius III, roi des Perses et ennemi d’Alexandre : peut-être contre l’avis de certains, Alexandre aurait décidé de lui accorder des funérailles royales et de se placer en successeur devant ses hommes et ceux du roi défunt. Le célèbre leader macédonien prononce les paroles suivantes : Alexandre. Nous ne ferons rien de bas, d’ignoἴle, de méprisable ou de lâche. Maintenant qu’il est mort, avec les soldats, les serviteurs et les amis nous formons une seule communauté, désormais. Il est donc possible qu’il reçoive des honneurs funèbres de roi et une sépulture royale. Même si ne pouvons plus lire que ces quelques lignes, elles illustrent bien l’exerἵiἵeέ D’emἴlée, on comprend le souci de celui qui parle d’affiἵher une attitude digne et mesurée, de donner l’image d’un souverain doté de certaines qualités morales, en repoussant des traits contraires. Plutôt que de céder à une basse vengeance, qui pourrait mettre à mal son aura, le personnage se place au-dessus de la mêlée et dans le même temps, choisit de saisir l’opportunité de fédérer un auditoire hétéroclite autour du respect de certaines valeurs, ce qui donne à cet extrait une tonalité épidictique. Par son thème, le texte se rapproche en effet de l’éloge funèbre, qui comportait généralement non seulement l’éloge des valeurs incarnées par le défunt, mais aussi une exhortation à l’égard des vivants (Menand. Rhet., II, 11, 418-422). La solennité du ton est soutenue par une recherche au niveau du vocabulaire (série d’adjeἵtifs) et du style (séries de trois), qui n’est pas sans rappeler le discours de Périclès au deuxième livre de la Guerre du Péloponnèse (Thuc. II, 35-46). L’éthopée était un exercice recommandé aux écrivains de différents genres et permettait d’explorer des situations plus particulières et des types de discours (Aélius Théon, Prog. 10 : 117-118 Spengel) plus précis que les trois genres traditionnels (judiciaire, délibératif, épidictique). De là provient peut-être l’haἴitude des auteurs anciens d’insérer des discours dans la bouche des personnages de leurs œuvresέ 4. Exemple 2 : P. Lond. Lit. 138 (M.-P.3 2515 ; LDAB 4325) P. Lond. Lit. 138, publié in extenso pour la première fois en 1927, est datable du Ier siècle après J.-C (MILNE 1927). Il s’agit d’un ό ο υ ο ο qui, sur son verso, porte les restes d’au moins dix colonnes relativement larges qui contiennent six compositions anonymes : trois π ο υ α α (des « propositions de loi », gr. ό ο ou ό ου εἰ φο ) et trois déclamations (plus précisément, des controverses). L’éἵriture, due à une main unique, est tracée dans module étroit et comporte peu de signes diacritiques. Divers éléments, comme le type d’éἵriture, les abréviations utilisées, les nombreuses corrections par la main du scribe, le contenu des 4 Le titre est généralement exprimé avec la formule type « des circonstances (FOURNET 1992 : 253-266). 41 α ἂ ε πο ό ου », suivie du sujet et RIFL/RhétPhil (2017) : 37-51 DOI: 10.4396/RHETPHIL201705 __________________________________________________________________________________ compositions, ainsi que l’aἴsenἵe de noms propres dans celles-ci5 invitent à penser que ce recueil était utilisé en milieu scolaire (RUSSO 2013 : 303). L’une des déclamations présentes sur ce document, la seconde controverse plus exactement, est relativement bien conservée et de ce fait, a très tôt attiré l’attention des chercheurs et fait l’oἴjet de plusieurs éditions séparées (KENYON 1898 ; JANDER 1913; CRÖNERT; OLDFATHER 1923 ; RUSSO 2013) ; la plus récente, sur laquelle nous nous appuierons ici, est due à Giuseppe Russo (2013), et permet de lire la déclamation dans sa quasi-totalité, ce qui est, à notre connaissance, unique en papyrologie. Cette lecture est intéressante à plus d’un titre. Tout d’aἴord, le sujet (gr. ὑπό ε ) de la controverse, même s’il peut en rappeler d’autres, n’est attesté nulle part ailleurs : Un homme a mis en dépôt (la somme d’) un talent auprès d’un ami. Cet ami enterra le dépôt en sa présence dans un domaine lui appartenant. Par la suite, il [scil. le dépositaire] le [scil. le déposant] trouva par surprise en train d’enlever le talent. Il [scil. le dépositaire] l’[sἵilέ le déposant] accuse de vol. L’affaire est construite autour d’un dépôt, une pratique courante dans l’Antiquité, qui consistait à déposer une somme auprès d’une personne pour qu’elle la garde sans intérêts et effectue des paiements ; la somme déposée pouvait éventuellement servir à proposer des prêts à intérêts, le plus souvent à court terme. Cet énoncé constitue un bel exemple de ce qui devait être le quotidien des étudiants en rhétorique aux alentours du Ier siècle de notre ère. Le papyrus porte le discours de l’aἵἵusation, mais ce discours est précédé et entrecoupé de commentaires didactiques, qui fournissent les indications essentielles pour bien comprendre et traiter le sujet. Ces commentaires sont attribuables à un maître de rhétorique, qui aurait ainsi préparé un modèle à des fins d’apprentissage (RUSSO 2013 : 311 ; 313). Il tente de mettre ses élèves sur la voie : il indique que l’aἵtion est recevable – qu’il est donc inutile d’argumenter pour le contraire –, l’auteur des faits est connu et les faits eux-mêmes ne sont pas mis en doute : ἵ’est bien alors qu’il était en train de déterrer son propre talent que le déposant a été surpris. Mais ἵ’est là justement le problème : peut-on effectivement parler de « vol » pour ce qui s’est passé dans ces circonstances précises ? En fait, d’un point de vue technique, le rhéteur élimine certaines possibilités de traitement du problème au regard de la théorie des « états de la cause » (gr. ). Ce système, auxquelles les controverses étaient liées, consistait en une sorte de typologie des différents cas de figure qui pouvaient se présenter (D. BERRY & HEATH 1997 ; CALBOLI-MONTEFUSCO 1986 ; HEATH 1997 ; RUSSEL 1983 : 40-73). Il semble avoir été popularisée par Hermagoras (WOERTHER 2012), au premier siècle avant J.-C., mais il nous est surtout connu par le traité éponyme d’Hermogène (HEATH 1995 ; PATILLON 2009), datant du premier siècle après J.-C., qui a été largement repris et commenté, et par la Δδαίλε δμ αβ βηά ωθ de Sopatros (WEISSENBERGER 2010), rhéteur du IIIe siècle. En l’oἵἵurrenἵe, il s’agit d’un état de « définition », visant discuter, non pas le fait lui-même, mais sa qualification. Le rhéteur explicite aussi la ligne d’argumentation que l’aἵἵusation doit poursuivre : il y a bien vol, car à travers ses propres biens, l’aἵἵusé vole ceux d’un autre. Le commentaire fournit ensuite quelques clés pour les principaux points à développer. En effet, avec les « états de la cause », les élèves apprenaient non seulement à bien 5 Voir RUSSO 2013 : 303 n. 14. On trouve toutefois des noms propres dans les déclamations, qui réfèrent parfois des personnages historiques. 42 RIFL/RhétPhil (2017) : 37-51 DOI: 10.4396/RHETPHIL201705 __________________________________________________________________________________ identifier le problème, mais aussi les « points » (gr. εφ α α) d’argumentation disponibles dans chaque cas, y compris ceux de la partie adverse. Selon Hermogène, la division d’un état de définition était la suivante : Proposition (gr. π ο ο ) Brève présentation des faits et de la thèse Éventuellement suivie d’un exposé des soutenue, et amplification à partir des faits (gr. α α ) circonstances, des ἵonséquenἵes,… Définition (gr. ὅ ο ) La défense avance une définition stricte qui place l’aἵte concerné en dehors de celle-ci. Contre-définition (gr. ἀ ο ό) L’aἵἵusation avance une définition plus large dans laquelle l’aἵte concerné peut entrer… Assimilation (gr. υ ο ό) …et affirme que par extension, la loi invoquée est bien pertinente pour l’affaire présente. Intention du législateur (gr. ώ οῦ Les deux parties affirment que leur ο ο ου) interprétation de la loi reflète l’intention sous-jacente du législateur. Quantité ou importance (gr. π ό ) On montre par amplification que ce qui a & été fait est intrinsèquement important et Relation ou importance relative (gr. π ο plus important que ce qui n’a pas été fait ) ou inversement, que ce qui n’a pas été fait est important et plus important que ce qui a été fait. Opposition (gr. ἀ ε ) L’aἵte peut être justifié par ses conséquences positives (gr. ἀ α), par transfert de responsabilité (sur la victime ou une tierce personne) ou par une atténuation (gr. υ ώ ). Antilepse (gr. ἀ ε ) La défense affirme que l’aἵte est en luimême permis et légitime. Métalepse (gr. ε ε ) L’aἵἵusation répond en tirant parti des circonstances, qui rendent l’aἵte criminel. Qualité (gr. πο ό ) & Intention (gr. Examen de la personne de l’aἵἵusé et de ώ ) ses intentions. Épilogue (gr. ἐπ ο ο ) Conclusion Il ne faut toutefois pas considérer les choses de façon trop rigide : il ne s’agit que d’un canevas ou d’un guide pour la pensée, auquel il fallait donner de la substance grâce aux différentes techniques apprises aux cours des étapes précédentes du parcours ; selon les cas, les différents points étaient possibles ou non, et il était parfois nécessaire de puiser dans d’autres cas de figure. Il fallait preuve d’intelligenἵe et de créativité pour adapter le modèle à chaque cas. Le plan du discours de P. Lond. Lit. 138 peut se décrire comme suit : P. Lond. Lit. 138 III, 14-18 Division 1) α α (rapide exposé de la situation) 43 RIFL/RhétPhil (2017) : 37-51 DOI: 10.4396/RHETPHIL201705 __________________________________________________________________________________ III, 18-33 2) ε ε αἰ α (présentation d’un autre motif pour l’aἵte), analysable selon les formes de l’opposition (ἀ ε ) (III, 23-26) (commentaire du rhéteur) III, 33 - IV, 1-2 IV, 4-14 3) première série de contradictiones (et inversion des rôles) ; nouvelles formes d’ἀ ε a) « tu aurais pu dire que tu avais égaré la somme » b) « tu aurais pu dire qu’elle avait été dérobée par des voleurs » c) « et qu’ils avaient creusé » IV, 14-18 4) deuxième série de contradictiones (« alors que je n’ai rien dérobé ou emporté, je suis accusé de vol ») -π ό (amplification de la gravité de l’aἵte) - ώ οῦ ο ο ου (« intention du législateur ») III, 33-37 III, 37-44 III, 44 - IV, 2 5) épilogue (récapitulation et appel aux émotions) insistant sur la ώ (intention) de l’aἵἵuséέ Le discours d’aἵἵusation proprement dit ne présente pas d’introduἵtion : celle-ci est généralement courte et a sans doute été jugée trop évidente. Il débute par un bref rappel des faits sous la forme de questions incisives : comme le suggère le rhéteur dans son commentaire, l’aἵἵusateur souligne les circonstances de l’aἵte qui indiquent le vol : l’aἵἵusé est venu seul, de nuit, sans prévenir. Ensuite surgit une première objection, ou prolepse argumentative, de la part de l’aἵἵuséέ L’orateur fait ici parler l’aἵἵusé à la première personne : « j’avais une urgence », me diras-tu. Ce type d’intervention est fréquent dans les déclamations (cf. Ps.-Quint, Decl. Min., 350; SANS 2015) et sans doute facilité par l’exerἵiἵe de l’éthopée, dont il a été question dans l’exemple précédent. En réponse, l’orateur montre alors que le déposant n’avait aucun avantage à agir de la sorte : il aurait pu demander un prêt à intérêt, et en allant récupérer la somme de nuit, il risquait d’être pris pour un voleur et d’être tué. Ensuite, le discours envisage ce qui se serait passé si l’aἵἵusé avait pu agir à sa guise et emporter le dépôt : pour l’aἵἵusateur, il est clair qu’il serait venu réclamer la somme déposée dès le lendemain. Les rôles s’inversent alors et l’orateur imagine, à l’irréel, les réponses qu’il aurait pu faire en pareil cas, mais ces réponses sont placées dans la bouche du déposant, de la manière suivante : dans ce cas-là, « tu aurais pu me dire que tu avais égaré la somme », « que des voleurs l’avaient prise », « que tu avais été contraint ». Le discours réfute ces explications boiteuses en montrant qu’un scénario impliquant d’autres voleurs est invraisemblable et surtout, que dans tous les cas, la responsabilité incombe malgré tout au dépositaire. Autrement dit, l’orateur montre qu’il se serait retrouvé sans argument et aurait dû rembourser la somme. Le déposant contre-attaque alors à nouveau en s’étonnant d’être accusé de vol alors qu’en l’état, il n’a, ni soustrait quelque chose à son accusateur, ni emporté l’argentέ Le dépositaire réplique, à l’aide de comparaisons, qu’en enlevant le dépôt, le déposant le prive de ses biens à lui (ἵ’est-à-dire de l’aἵtivité bancaire et des bénéfices qu’elle aurait pu engendrer) et rappelle que la loi est davantage faite pour protéger les dépositaires des abus que les déposants. Enfin, il conclut en insistant sur sa thèse 44 RIFL/RhétPhil (2017) : 37-51 DOI: 10.4396/RHETPHIL201705 __________________________________________________________________________________ et l’intention du déposant qu’il tient désormais pour établie : réclamer la somme apparemment perdue et voler ainsi le dépositaire une seconde fois, en lui extorquant une indemnité. Il récapitule ainsi les principaux points de son argumentation et soulève encore contre l’aἵἵusé l’indignation (il a non seulement commis un vol, mais aussi une forme d’impiété) ; on retrouve là les deux fonctions classiques de la conclusion (voir par exemple, Quint., VI, 1). Le recueil P. Lond. Lit. 138 mérite donc tout l’intérêt des rhétoriciens, tant par ses particularités que par son traitement pour le moins sophistiqué. Il témoigne en particulier d’une remarquable capacité à changer de point de vue, à adopter celui d’un autre sans pour autant y adhérer afin d’enriἵhir l’argumentation. Le papyrus laisse penser que cette capacité était exercée et attendue chez les futurs orateurs6. 5. Conclusion L’analyse de ces deux seuls documents permet déjà de se faire une idée assez précise des apports de la documentation papyrologique à notre connaissance de l’enseignement de la rhétorique dans l’Antiquité, qui viennent utilement compléter ceux des traités et de la littérature : les papyrus permettent d’exemplifier cet enseignement à des époques ou dans des contextes pour lesquels nous ne disposons pas ou de peu d’autres sources ; ils nous renseignent sur la pratique quotidienne et sur les écarts entre celle-ci et la théorie des manuels, en révélant d’autres sujets ou adaptions, des spécificités de traitement, les attentes ou exigences des rhéteurs (en quantité et en qualité), mais aussi les performances variables de leurs élèves7 ; enfin, en illustrant la pratique, les papyrus rhétoriques peuvent aussi nous livrer, de façon explicite ou implicite, des principes pédagogiques ou des indications sur la manière d’utiliser le matériel hérité de l’Antiquité (voir par exemple SANS 2016). Ils constituent dès lors non seulement des documents de première importance d’un point de vue historique, mais aussi une ressource précieuse en vue d’une réadaptation de ces exercices pour la formation de publics contemporains à l’art du discours. Bibliographie AMATO, Eugenio & SCHAMP, Jacques (éds) (2005), ἨΘΟΠΟΙΙΑ: la représentation de caractères entre fiction scolaire et réalité vivante à l’époque impériale et tardive, Salerne, Hélios. ω’est ἵe genre de ἵapaἵité que l’équipe du GRAL et moi-même avons essayé de tester et de développer chez des élèves et des étudiants en leur proposant des cours de rhétorique construits autour d’exerἵiἵes inspirés de ἵeux qui étaient pratiqués dans l’Antiquité (SAσS βί1ι ; SANS & DAINVILLE 2016 ; SANS & FERRY 2014). 6 7 Le papyrus P. Oxy XVII 2084, qui porte un éloge de la figue, présente des maladresses et semble être dû à un orateur moyen (PORDOMINGO 2007 : 428-30). 45 RIFL/RhétPhil (2017) : 37-51 DOI: 10.4396/RHETPHIL201705 __________________________________________________________________________________ BASTIANINI, Guido & MALTOMINI, Francesca (2015), « Etopea di Alessandro alla morte di Dario (rilettura di P. Oxy. I 79 verso) », Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 195, pp. 38-43. BASTIANINI, Guido (2004), PSI 85 e la definizione di “chreia”, in FUNGHI, Maria Serena (ed.), Aspetti di letteratura gnomica nel mondo antico. II., Florence, Leo S. Olschki, pp. 249-263. BERRY, Dominic & HEATH, Malcolm (1997), Oratory and Declamation, in PORTER, Stanley E. (éd.), Handbook of Classical Rhetoric in the Hellenistic Period (330 B.-C.- A.D 400), Leyde - Londres – New York, Brill, pp. 393-420. BONNER, Stanley Frederik (1977), Education in Ancient Rome, from the elder Cato to the younger Pliny, Londres, Methuen & Co Ldt. BONNER, Stanley Frederik (1949), Roman Declamation in the Late Republic and Early Empire, Berkeley et Los Angeles, University of California Press. CALBOLI MONTEFUSCO, Lucia (1986), La dottrina degli “status” nella retorica greca e romana, Hildesheim – Zurich – New York, Olms-Weidmann. CRIBIORE, Raffaella (2001), Gymnastics of the Mind : Greek Education in Hellenistic and Roman Egypt, Princeton, Princeton University Press. CRÖNERT, Wilhelm (1901), « Literarische Texte mit Ausschluß der christlichen », Archiv für Papyrusforschung 1, 1901, pp. 117-118. DAINVILLE, Julie & SANS, Benoît (2016), « Teaching rhetoric today: Ancient exercises for contemporary citizens », Educational Research and Reviews 11(20), pp. 1925-1930. DESBORDES, Françoise (2006), Pirates et empoisonneurs : l’invention romanesque dans la déclamation latine, in CLERICO Geneviève et SOUBIRAN Jean (éds), Françoise Desbordes. Scripta Varia. Rhétorique antique & littérature latine. Textes réunis par G. Cl. et J. S., Louvain, Peeters, pp. 177-207. FERNANDEZ DELGADO, José-Antonio (1994), Hexamatrische-Ethopoiiai auf Papyrus und anderen materialen, in BÜLOW-JACOBSEN, Adam (éd.), Proceedings of the 20th International Congress of Papyrologists (Copenhagen, 2329 August, 1992), Copenhagen, Museum Tusculanum Press, pp. 299-305. FERRY, Victor & SANS, Benoît (2014), « Educating Rhetorical Consciousness in Argumentation », in CASDW 2014 Proceedings, 2014, pp. 96-112. FOURNET, Jean-Luc (1992), « Une éthopée de Caïn dans le Codex des Visions de la Fondation Bodmer », Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 92, pp. 253-266. GIBSON Craig A. (2008), Libanius’s Progymnasmata. Model Exercises in Greek Prose Composition and Rhetoric. Translated with an Introduction and Notes by Cr. A. Gibson, Atlanta, Society of Biblical Literature. 46 RIFL/RhétPhil (2017) : 37-51 DOI: 10.4396/RHETPHIL201705 __________________________________________________________________________________ GILL, Christopher (1984), « The ethos/pathos distinction in rhetorical and literary criticism », Classical Quarterly 34, pp. 149-166. GOYET, Francis (1996), Le sublime du « lieu commun ». L’invention rhétorique dans l’Antiquité et à la Renaissance, Paris, Honoré Champion. GRENFELL, Bernard Pyne & HUNT, Arthur Surridge (1898), The Oxyrhynchus Papyri, Londres, Egypt Exploration Fund. GUERAUD, Octave & JOUGUET, Pierre (1977), Un livre d'écolier du IIIe siècle avant J.-C, Le Caire, Publications de la Société Royale Égyptienne de Papyrologie. HAGEN, Hans Martin (1966), Ἠγοποδία. Zur Geschichte eines rhetorichen Begriffs, Erlangen, Universität Erlangen-Nürnberg, 1966. HEATH, Malcolm (2004), Menander. A Rhetor in Context, Oxford, Oxford University Press. HEATH, Malcolm (1997), Invention, in PORTER, Stanley E. (éd.), Handbook of Classical Rhetoric in the Hellenistic Period (330 B.-C.- A.D 400), Leyde - Londres – New York, Brill, pp. 90-119. HEATH, Malcom (1995), Hermogenes. On Issues : Strategies of Argument in Later Greek Rhetoric, Oxford, Clarendon Press. HESSELING, Dirk Christiaan (1892-93), « On Waxen Tablets with Fables of Babrius (Tabulae Ceratae Assendelftianae) », Journal of Hellenic Studies 13, pp. 293-314. HOCK, Ronald F. & τ’σEIL, Edward N. (1986), The Chreia in Ancient Rhetoric. Vol. I. The Progymnasmata, Atlanta, Society of Biblical Literature. JANDER, Konrad (1913), Oratorum et rhetorum Graecorum nova fragmenta collecta adnotationibusque instructa, Bonn, Marcus & Weber. KENNEDY, George A (2003), Progymnasmata. Greek Textbooks of Prose Composition and Rhetoric.Translated with Introductions and Notes. Atlanta, Society of Biblical Literature. KENYON, Frederic George (1909), « Two Greek School-Tablets », Journal of Hellenic Studies 29, pp. 29-40. KENYON, Frederic George (1898), « Fragments d’exerἵiἵes de rhétorique conservés sur papyrus », Mélanges Henri Weil, Paris, A. Fontemoing, pp. 243-248. KRAUS, Manfred (2007), Rehearsing the Other Sex : Impersonation of Women in Ancient Classroom Ethopoeia, in FERNANDEZ-DELGADO, José Antonio, PORDOMINGO & STRAMAGLIA, Antonio (éds), Escuela y Literatura en Grecia Antigua. Actas del Simposio Internacional. Universitad de Salamanca 17-19 Noveimbre de 2004, Cassino, Università degli Studi di Cassino, pp. 455-468. 47 RIFL/RhétPhil (2017) : 37-51 DOI: 10.4396/RHETPHIL201705 __________________________________________________________________________________ MARROU, Henri-Irénée (19646), Histoire de l’éducation dans l’antiquité, Paris, Seuil. MILNE, Herbert John Mansfield (1927), Catalogue of the Literary Papyri in the British Museum, Londres, The Trustees. OLDFATHER, Charles Henry (1923), The Greek Literary Texts from Greco-Roman Egypt, 9, Madison, University of Wisconsin Studies in the Social Sciences and History. PARSONS, Peter J. (1970), « A School-Book from the Sayce Collection », Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 6, pp. 136-137. PATILLON, Michel (2009), Corpus Rhetoricum. T 2. Hermogène. Les États de la cause. Texte établi et traduit par M. P., Paris, CUF. PATILLON, Michel (2008), Corpus Rhetoricum. T. 1. Préambule à la rhétorique. Aphtonios, Progymnasmata. Pseudo-Hermogène, Progymnasmata. Texte établi et traduit par M. Patillon, Paris. PATILLON, Michel (2002), Aelius Théon. Progymnasmata. Texte établi et traduit par M. Patillon, Paris, CUF. PERNOT, Laurent (1993), La rhétorique de l’éloge dans le monde gréco-romain, T. 2, Paris, Institut d’Études Augustiniennes. PORDOMINGO, Francisca (2007), Ejercicios preliminares de la composición retórica y literaria en papiro: el encomio, in FERNANDEZ-DELGADO, José Antonio, PORDOMINGO & STRAMAGLIA, Antonio (éds), Escuela y Literatura en Grecia Antigua. Actas del Simposio Internacional. Universitad de Salamanca 1719 Noveimbre de 2004, Cassino, Università degli Studi di Cassino, pp. 405-453. RUSSELL, Donald Andrew (1983), Greek Declamation, Cambridge, Cambridge University Press. RUSSO, Guiseppe (2013), « L’uomo ἵhe ruἴò a se stessoέ Una deἵlamazione ἵon notazioni didattiche (P. Lond. Lit. 138, coll. III 5 – IV 18) », Archiv für PapyrusForschung 59, 2, pp. 301-325. SANS, Benoît (2017), « Des exercices anciens pour les citoyens de demain. Bilan d’un an d’enseignement de la rhétorique », Enjeux 91, pp. 113-135. SANS, Benoît (2016), Se il genere epidittico fosse insegnato, in DI PIAZZA, Salvatore et PIAZZA, Francesca (éds), Building Consensus, Special issue of the Rivista Italiana di Filosofia del Linguaggio, 2016, 8 p. SAσS, ψenoît (βί1η), « Exerἵer l’invention ou (ré)inventer la controverse », in FERRY, Victor & SANS, Benoît (éds), Rhétorique et citoyenneté. Exercices de rhétorique, 5, 25 p. 48 RIFL/RhétPhil (2017) : 37-51 DOI: 10.4396/RHETPHIL201705 __________________________________________________________________________________ SIJPESTEIJN, Pieter Johannes (1977), « List of Birds », Mnemosyne 30, pp. 69-71. STRAMAGLIA, Antonio (2010), Come si insegnava a declamare? Riflessioni sulle ‘routines’ scolastiche nell’insegnamento retorico antico, in DEL CORSO, Lucio & PECERE, Oronzo (éds), Libri di scuola et pratiche didattiche. Dall’ Antichità al Rinascimento. Atti del Convegno Internazionale di Studi. Cassino, 7-10 maggio 2008, T. 1, Cassino, Edizioni Università di Cassino, pp. 111-151. Van MINNEN, Peter (1995), « A Late Antike School-Tablet at Duke University », Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 106, pp. 175-178. Van MINNEN, Peter (1992), « A Schooltablet in the University of Michigan Collection », Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 93, pp. 209-211. WEBB, Ruth (2001), The Progymnasmata as Practice, dans Yun Lee TOO (éd.), Education in Greek and Roman Antiquity, Leyde - Londres - Cologne, Brill, pp. 289315. WEBB, Ruth (2009 [2012]), Ekphrasis, Imagination and Persuasion in Ancient Rhetorical Theory and Practice, Farnham, Ashgate. WEISSENBERGER, Michael (2010), Sopatri Quaestionum Divisio. Sopatros. Streitfälle : Gliederung und Ausarbeitung kontroverser Reden. Herausgegeben, übersetzt, mit einer Einleitung und einem Glossar versehen von M. W., Würzburg, Königshausen & Neumann. WINTERBOTTOM, Michael (1980), Roman Declamation. Extracts edited with commentary by M. W., Bristol, Bristol Classical Press. WISSE, Jakob (1989), Ethos and Pathos, from Aristotle to Cicero, Amsterdam, Hakkert, pp. 233-245. WOERTHER, Frédérique (2012), Hermagoras. Fragments et témoignages. Texte établi et traduit par Fr. W., Paris, CUF. WOODS, Marjorie Curry (2002), Weeping for Dido : Epilogue on a Premodern Rhetorical Exercise in Postmodern Classroom, in LANHAM, Carol Dana (éd.), Latin Grammar and Rhetoric : From Classical Theory to Medieval Practice, Londres - New York, Continuum, pp. 284-294. WOODS, Marjorie Curry (1996), Rape and the Pedagogical Rhetoric of Sexual Violence, in Rita COPELAND (éd.), Criticism and Dissent in the Middle Ages. Cambridge, Cambridge University Press, pp. 58-96. 49 RIFL/RhétPhil (2017) : 37-51 DOI: 10.4396/RHETPHIL201705 __________________________________________________________________________________ ANNEXE - Traduction de P. Lond Lit 138 (d’après le texte de G. Russo) [III 5] Un homme a mis en dépôt (la somme d’)un talent auprès d’un ami. Cet ami enterra le dépôt en sa présence dans un domaine lui appartenant. Par la suite, il [scil. le dépositaire] le [scil. le déposant] trouva par surprise en train d’enlever le talent. Il [scil. le dépositaire] l’[sἵilέ le déposant] accuse de vol. Les autres points sont clairs et évidents, à savoir qu’il [scil. l’accusé] a volé ses propres biens et que ceux qui ont volé leurs propres biens sont passibles d’un procès. L’argumentation est la suivante : à travers ses propres biens, [III 10] il a volé ceux de l’autre. Car pour quelle raison, s’il avait le droit de le retirer, après avoir enfreint la manière légale de faire le retrait et s’il devait effectivement le reprendre, a-t-il été surpris de nuit, en cachette et seul, violant même l’entrée du domaine ; après avoir l’avoir escaladé à l’aide d’outils, non pas de jour, comme lorsqu’il a fait le dépôt, et sans lui [scil. le dépositaire] ? Et en effet si les voleurs avaient le droit de disposer de leurs propres biens comme de les prendre sur demande, on ne pourrait pas intenter ce genre d’action. Je dirai que même la façon dont il est entré dans le domaine [III 15] dénonce le vol : il tremblait, regardait partout autour de lui et marchait à pas feutrés comme s’il craignait que quelqu’un ne le vît. Mais peut-être ne vous fieriez-vous pas à ces éléments pour le jugement. J’ajoute alors aussi que je l’ai poursuivi et qu’il s’est enfuit en se baissant et en refusant de parler. Quelle serait donc sa justification ? « J’étais sous le coup d’une urgence », affirme-t-il. Mais quelle urgence ? Qu’avais-tu découvert ? Et qu’est-il encore arrivé ? Si on fait un investissement, on ne récupère pas le capital par la suite, [III 20] mais on peut se voir offrir un prêt. Qu’est-ce qui te gênait dans cela ? Dans un tel cas, du moins, il te fallait plutôt reporter et temporiser, mais non pas, même si cela avait été légal, effectuer le retrait, ou te précipiter dans l’illégalitéέ Non, il n’est pas possible de trouver un motif d’urgenἵe, pas même pour celui qui voudrait en imaginer un. Mais veux-tu que je t’aἵἵorde le fait que tu avais une urgence ? Qu’est-ce que cela t’apporte de plus ? Il fallait en effet venir me prévenir. En effet, il [scil. le dépositaire] n’habitait pas loin du domaine, mais dans la ferme ; il s’en serait rendu compte immédiatement ; [III 25] et quand bien même avait-il une urgence, il aurait repris la somme d’autant plus vite qu’ils auraient été deux à creuser. Mais à présent, il a aussi pris un risque : si je l’avais frappé et tué comme s’il s’agissait d’un voleur, il serait mort. Et si on m’avait demandé alors : « qui as-tu tué ? », j’aurais répondu, non pas le dépositaire, mais le pilleur ; non pas celui qui avait confié la somme, mais celui qui avait tenté de la dérober. Le corps est le même, mais le caractère est différent et changeant : [III 30] aurais-je pu croire en effet que celui qui avait confié l’argent était justement le voleur ? Dans quel but ? Et quoi ? De nuit, il n’est pas possible de distinguer quelque chose de façon claire, et alors que j’avais crié et demandé qui il était, il s’est tu et s’est dissimulé pour ne pas être vu. Ainsi, d’une part, il volait cette somme et d’autre part, voulait m’en soutirer une autre, et me l’aurait réclamée le lendemain. « Et alors ? », dit-il, « tu aurais pu dire que tu avais perdu le dépôt ». Et en quoi en aurais-je tiré avantage ? Ne me serais-je pas exposé, outre à un tort, mais à un outrage de ta part ? [III 35] Peut-être n’aurais-tu pas répondu : « Moi je t’ai confié une partie de mes économies, j’ai pris un risque, pour que tu me dises ‘Je l’ai perdu’ ? Une loi te libère donc de la responsabilité lorsque tu perds (ce qu’on t’a confié) ? Montre-la moi ! Le législateur n’a-t-il pas 50 RIFL/RhétPhil (2017) : 37-51 DOI: 10.4396/RHETPHIL201705 __________________________________________________________________________________ contraint à dédommager ceux qui ont perdu un dépôt afin qu’ils n’inventent pas de façon répétée des excuses de ce genre ? Et quoi ? Si cela avait été écrit, ne m’auraistu pas trompé encore en disant : ‘Mais je ne l’ai pas perdu : des voleurs me l’ont déroἴé’ Et quand ? Qui les a vus ? D’autres choses ont-elles été perdues ? [III 40] Tu ne pourrais le montrer de façon vraisemblable. Car à quelle autre occasion d’autres personnes sont-elles entrées dans le domaine, si ce n’est au moment où j’ai fait le dépôt ? Qui était au courant ? σ’est-ce pas moi seul et toi qui l’avons enfoui ? Et si des voleurs étaient venus, ne se seraient-ils pas rendus à la ferme ? Ils n’auraient pas pu déterrer cet argent, car personne ne se dirige vers le domaine, mais vers l’haἴitation ; nombreux sont ceux qui délaissent les biens enfouis, ne soupçonnant même pas leur présence, mais qui entreprennent de voler ceux qui sont gardés. ‘Mais ils ont aussi ἵreusé’έ Montre-le ! Quand bien même auraient-ils également creusé, [IV] tu aurais fait faire, même contre ta volonté, par d’autres ce qu’il te déplaisait de faire, toi qui aime mener une vie tranquille, afin de me dépouiller de mes biens en leur ayant confié la tâche ? ». σ’aurais-tu pas soutenu, en appelant cela de la déloyauté et de la malhonnêteté, que les règles du dépôt avaient été complètement mises à bas ? Si justement, en avançant ces arguments, tu pouvais exiger la somme de moi, comment ne peut-il être évident que si j’avais perdu une telle somme, j’aurais cherché à disparaître ? « Ainsi », dit-il, [IV 5] « en n’ayant ni soustrait ni emporté quoi que ce soit, je serai puni de vol ? » Oui, car à travers ces biens, ce sont les miens que tu as volés ; et de même que si tu avais volé un contrat déposé auprès de moi, tu ne serais pas puni pour le document en lui-même, mais pour les intérêts qui y sont liés, pour ces intérêts-ci, complètement violés par la rupture de l’aἵἵord qui résulte de tes actes, un recouvreur te sera envoyé pour ce qui s’est passé. Et même si tu avais incendié une partie de ta maison et qu’à partir d’elle toute la cité [IV 10] avait brûlé, tu ne serais pas puni seulement pour ta partie. Lorsque tu dis qu’« en ayant rien emporté ni soustrait, je serai puni de vol », la loi interdit précisément cet acte (voler ses propres biens), mais non pas pour protéger ton propre intérêt. « Mais peut-être pour ma propre ruine alors ? Et si toi, après avoir soustrait un bien (qui t’avait été confié), tu l’avais soit perdu, soit revendu pour moins de sa valeur, soit si tu avais manigancé quelque autre tour, je serai quand même puni de vol ? ». Tu n’avais pas l’intention de recouvrer auprès de moi la somme [IV 15] car elle aurait été perdue – et, clairement, ἵ’eût été juste – mais tu essayais de voler mes biens à travers ceux que tu aurais demandé à recouvrer. Mais tu diras sans doute maintenant qu’auἵune personne saine d’esprit n’est privée de la crainte de la fortune, de la divinité ou du destin. Toi, qui m’a tendu un appât, comme à un animal, pour me faire tomber dans un piège, tu n’auras pas à payer ? J’ai mis au jour un vol de biens propres, mais tu rendras compte de pires actions. 51