L’actualité d’Amour et fragilité : regards philosophiques au cœur de l’humain de Gaëlle Fiasse consiste sans doute en partie en ce que le livre s’accorde à la nouvelle tendance de mettre au premier plan la fragilité et la vulnérabilité humaines pour penser la vie éthique. En effet, au cours des dernières années, plusieurs théories sur la fragilité et la vulnérabilité ont paru, notamment des théories qui s’inscrivent dans le domaine de l’« éthique du care » et qui défendent l’importance de la justice et du soin pour autrui, surtout pour les personnes les plus fragiles et les plus vulnérables1. Ces théories s’inspirent souvent de la philosophie analytique et de la psychologie du développement, dans laquelle l’éthique du care trouve son origine, autant que de la pensée continentale, en particulier la phénoménologie et l’herméneutique. Bien qu’Amour et fragilité ne développe pas dans le sens strict une théorie du care, c’est un essai riche et actuel. L’essai a pour but de démontrer que la fragilité se trouve au cœur de la vie éthique et de nos vies quotidiennes. Fiasse dessine adéquatement comment la fragilité se retrouve dans les différentes sphères de notre existence, dans nos corps mortels, nos relations sociales qui sont souvent blessantes, ainsi qu’à l’échelle de l’être comme tel qui est un mélange entre activité et passivité. Pour Fiasse, c’est l’amour, en particulier sous la figure de l’amitié et de la sollicitude, qui devrait être la réponse adéquate à cette fragilité. C’est dans l’amour et le soin pour autrui que nous apprenons des valeurs essentielles de la vie, comme la conscience de notre propre vulnérabilité et la joie des choses quotidiennes. Dans cette étude, j’essaierai d’exposer comment Fiasse propose de penser la fragilité et l’amour par rapport à la vie éthique. Pour ce faire, je procéderai en deux temps. Dans un premier temps, je commenterai en bref l’argumentation que Fiasse développe dans les chapitres d’Amour et fragilité. Elle définit d’abord la fragilité de l’existence en soi, procède à une analyse des différentes fragilités des relations humaines, pour finir avec une étude du cas particulier du milieu hospitalier. Dans un deuxième temps, j’analyserai plus en détail cette argumentation. Je proposerai de tirer quelques conséquences qui ne sont pas explicitement thématisées par Fiasse elle-même, mais qui découlent de son argument. Plus précisément, je propose de penser également le rapport entre fragilité et narrativité. À partir de l’idée de Fiasse de mettre la fragilité au cœur de l’éthique, ainsi qu’à partir de la philosophie de Ricœur, et de son concept de narrativité en particulier, j’argumenterai l’idée selon laquelle notre fragilité proprement éthique se montre également dans diverses narrations, d’abord dans l’identité narrative du soi qui est fragile (c’est-à-dire l’idée de l’attestation) et puis dans les narrations qui font partie de l’histoire et de la culture et qui témoignent de la fragilité des personnes (c’est-à-dire l’idée de témoignage).