COMMUNICATION ET PARTICIPATION DANS LE CADRE DE GRANDS
PROJETS URBAINS
Sofie Vermeulen & Margaux Hardy
Position paper, State of the art paper
FR
Ce papier souligne l’importance stratégique, pour un grand projet urbain, d’obtenir l’adhésion d’un grand nombre
d’acteurs, et notamment de la société civile. Une communication ouverte, l’instauration d’un véritable dialogue avec
ces acteurs et l’organisation d’une participation citoyenne s’avèrent cruciales à cet égard. Nous approfondissons
ainsi l’expérience de trois villes de Belgique et d’ailleurs à cet égard. L’utilisation des Modes Alternatifs de Résolution
de conflits (MARC) dans le cadre de projets urbains à Gand, Anvers et Louvain a permis d’aplanir les conflits en
impliquant tous les acteurs dans la recherche de solution. Les Wervende programma’s mis en place à Anvers se
concentrent sur les périodes de creux (avant et pendant les travaux) et tentent d’animer l’espace en tranformation
avec la participation de tous. Les Internationale Bauaustellung (IBA) allemandes ambitionnent de rassembler
autour des mêmes objectifs des projets urbains de toute sorte et de les mettre en synergie. Ce qui a notamment
l’avantage de leur donner une plus grande visibilité.
NL
Deze bijdrage onderstreept het strategisch belang voor elk groot stadsproject om de steun te verwerven van een
groot aantal actoren, o.a. in de civiele maatschappij. Een open communicatie, het instellen van een echte dialoog
met de actoren en de organisatie van burgerparticipatie zijn daarin van cruciaal belang. Wij gaan dieper in op drie
ervaringen in Belgische steden en daarbuiten. Het gebruik van alternatieve methodes van conflictbemiddeling
(Alternative Dispute Resolution, ADR) in het raam van stadsprojecten in Gent, Antwerpen en Leuven zijn erin
geslaagd conflicten serieus te nemen door alle actoren te betrekken in het zoeken naar een oplossing. De Wervende
Programma’s opgezet in Antwerpen tijdens dalmomenten (vóór en tijdens de werken) zetten animatie op van de
publieke ruimte in samenwerking met iedereen. De Duitse Internationale Bauaustellung (IBA) hebben dezelfde
bedoeling door verschillende stadsprojecten op elkaar te betrekken et te laten samensporen. Daardoor krijgen de
projecten ook een grotere zichtbaarheid.
EN
This paper underscores the strategic importance of support for urban projects, especially amongst a large number
of actors, including civil society. Open communication, establishing a true dialogue and organizing residents’
participation are crucial in this respect. This paper highlights experiences within three Belgian cities and others
abroad. Public governments in Ghent, Antwerp and Louvain used the tool of Alternative Dispute Resolution (ADR)
with success to resolve conflicts and find solutions. The Wervende Programma’s created in Antwerp focus on
animating public space including participation of everyone, during the ‘in-between-time’ before and during
construction works. The Internationale Bauaustellung (IBA) created in Germany bring several projects for one area
together in order to increase interaction and synergy. This renders urban projects more visible.
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BSI-BCO _ PORTFOLIO #1 _ OUVERTURES - AANZET
accessible en voiture ou moins polluée et plus
respirable ? [Genard et al., dans ce Portfolio]. Dans le
second cas, le manque d’information et de
communication est critiqué, tout comme celui de
transparence sur le rôle de la concertation et de la
participation citoyenne dans le processus général.
C’est sur ces derniers points que nous nous
concentrerons dans ce papier.
L’analyse de l’architecture des débats souligne,
d’autre part, que la communication de la Ville de
Bruxelles au grand public concernant les ambitions
de ce projet urbain complexe n’a pas été efficace.
Vanhellemont [avec Vermeulen, dans ce Portfolio]
constate que le Bourgmestre et les échevins se sont
principalement concentrés sur l’obtention d’un
compromis politique autour du projet aux niveaux
communal, régional et fédéral, ainsi que sur la
sécurisation des ressources financières y afférentes.
Leur politique de communication a donc été orientée
par une logique (de politique) interne. Et il
semblerait que peu d’attention ait été accordée à la
façon dont les opposants à la piétonnisation, mais
aussi ses sympathisants, recevraient leurs messages.
Les citoyens mécontents et autres acteurs locaux
extérieurs à l’arène politique et institutionnelle ont,
de surcroît, apparemment été perçus comme
globalement contre le projet. Pourtant, tous ne s’y
opposent pas. Et toutes les critiques ne concernent
pas forcément le projet en soi. Or, l’adhésion de ces
différents acteurs à un tel projet d’envergure s’avère
essentielle. Leur soutien pourrait d’ailleurs permettre
de dépasser certains blocages politiques.
Soulignons encore que la communication au sujet du
piétonnier a été pour le moins multiple et
fragmentée. Un grand nombre d’acteurs publics se
sont exprimés à son sujet. Songeons ne serait-ce
qu’aux trois niveaux de pouvoirs impliqués : Ville de
Bruxelles, Région de Bruxelles-Capitale, et le fédéral
(Beliris). Des informations révélant des ambitions
contradictoires
ont
circulé.
En
outre,
la
communication des différents acteurs a pu concerner
une grande variété de dossiers rattachés, plus ou
moins directement et plus ou moins consciemment,
au piétonnier (changements du plan de circulation,
transports en commun, travaux d’impétrants, permis
d’urbanisme, situation des commerces, événements
prenant place sur le piétonnier, manifestations ne
pouvant plus emprunter ce chemin, etc.). Le tout
donne une image désordonnée ou floue du projet
global. A ce sujet, le récent travail de la cellule de
communication générale de la Ville et de celle de la
Tranquillité publique a certainement amélioré la
concertation des différents pouvoirs publics
impliqués et a permis de répondre, à travers le point
de contact Julien Mille à des interrogations et plaintes
adressées à la Ville2.
Introduction
Défis en matière de communication du
piétonnier bruxellois
Le piétonnier de Bruxelles a rencontré un certain
nombre d’oppositions. La communication de la Ville
de Bruxelles à son sujet et la (trop mince)
participation des citoyens au processus de décision
ont notamment été critiquées. L’avancement du
projet a ainsi été accompagné d’un débat public
véhément, de conflits, de protestations et finalement
d’actions en justice intentées par des habitants, des
associations et des acteurs économiques locaux
comme des commerçants, des hôteliers et des
restaurateurs [Genard et al., et Vanhellemont avec
Vermeulen, dans ce Portfolio; Vanhellemont, à
paraître].
L’analyse de l’architecture des débats [Vanhellemont
avec Vermeulen, dans ce Portfolio] révèle notamment
deux éléments intéressants si l’on veut approfondir la
réflexion sur la communication du projet de
piétonnisation.
D’une part, elle montre que, contrairement à ce que
l’on pourrait croire, les débats ne se sont pas
polarisés autour de deux camps : celui des politiciens
opposé à celui des commerçants et des citoyens. La
réalité se veut bien plus nuancée et diffuse.
L’expérience vécue lors de la mise sur pied d’autres
grands projets urbains nous enseigne que les griefs
qui se manifestent lors de ceux-ci portent
généralement sur trois types de questions [Van den
Broeck, 2010] :
•
Les intérêts particuliers mis en cause par le
projet ;
•
Les valeurs que celui-ci sous-tend ;
•
Et la manière dont les procédures ont été
organisées.
Dans le cas qui nous occupe, certaines plaintes
relèvent d’intérêts particuliers ou s’attachent à un
contenu spécifique. Elles concernent principalement
le plan de circulation et l’implantation de nouveaux
parkings en centre-ville, leurs impacts potentiels et
modifications ou, plus marginalement, des aspects du
plan d’aménagement du piétonnier1. Cependant, la
plus grande partie du mécontentement a trait aux
idéaux défendus (implicitement ou explicitement)
par la Ville de Bruxelles et son bourgmestre, et à des
aspects procéduraux. Dans le premier cas, des
conceptions très différentes de la ville idéale
s’opposent. Par exemple : la ville devrait-elle être
Remarquons à ce propos que, alors que la Ville de
Bruxelles a manifestement considéré le plan de circulation
et le plan d’aménagement du piétonnier comme deux
dossiers distincts bien que liés, les citoyens, commerçants
et autres utilisateurs ont eu tendance à les appréhender
comme les deux parties d’un même ensemble, « le
piétonnier » [Vanhellemont avec Vermeulen, 2016, dans ce
Portfolio].
1
Nous avons mené des entretiens avec des membres de ces
deux cellules [Cellule Tranquilité publique, 18 août 2016 ;
Cellule Communication, 5 octobre 2016].
2
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COMMUNICATION ET PARTICIPATION DANS LE CADRE DE GRANDS PROJETS URBAINS
Pour les citoyens et riverains, un tel projet peut avoir
un grand impact en influençant leur environnement
quotidien à divers niveaux. S’il change (la plupart du
temps) l’espace bâti – les pavés, le béton, les briques
–, le projet urbain a aussi la capacité de modifier les
pratiques et interactions sociales dans cet espace.
C’est pourquoi, les grands projets urbains mobilisent
généralement nombre de citoyens, associations,
commerçants…
Marges de manœuvre
La communication interne et externe de la Ville de
Bruxelles sur ce grand projet urbain peut
certainement être critiquée. Mais ce papier se
concentrera plutôt sur l’avenir et explorera en
particulier les pistes d’action et d’amélioration qui
s’offrent encore à ce stade aux pouvoirs publics.
Comment peuvent-ils renforcer la communication et
le dialogue au regard des circonstances actuelles,
limites
existantes,
initiatives
déjà
prises,
connaissances - abondantes bien que partielles qu’ont accumulées les acteurs publics et privés et la
société civile ?
Nous expliquerons d’abord pourquoi la politique de
communication des projets urbains d’envergure
différe généralement des stratégies habituelles. Nous
approfondirons ensuite l’expérience de trois villes
(de Belgique et d’ailleurs) à cet égard. Le premier de
ces cas nous enseigne les différentes possibilités qui
s’offrent en matière de gestion de conflits (on parle
alors de « Modes Alternatifs de Résolution de
Conflit »). Le deuxième se révèle être un bon exemple
de coproduction de projets urbains et espaces en
transformation (Wervende programma’s 3, Belgique).
Le troisième montre comment établir, en tant
qu’acteur public, une structure organisationnelle
souple qui permet d’engendrer, avec des acteurs
locaux, un cercle vertueux (en ce qui concerne le
financement et l’apport de nouvelles idées) pour de
futurs programmes et projets (« Internationale
Bauausstelling [IBA] », Allemagne).
‘Dans les cas où ce qui ne relève pas
de la brique n’est pas suffisamment
pris en compte, le décalage entre
décideurs politiques et citoyens tend à
s’agrandir’
Du point de vue des décideurs politiques, les projets
urbains sont avant tout perçus comme des
instruments de gouvernance et de planification pour
le renouvellement de l’espace bâti [Lascoumes et Le
Galès, 2004 ; Pinson, 1999 ; 2002 ; 2005 ; 2006 ;
2009 ; 2010]. Mais dans les cas où ce qui ne relève
pas de la brique - soit, les pratiques et interactions
sociales – n’est pas suffisamment pris en compte, le
décalage entre décideurs politiques et citoyens tend à
s’agrandir.
Par ailleurs, les rythmes que suivent citoyens et
décideurs politiques diffèrent. Les projets urbains
dépendent notamment des échéances électorales et
des procédures administratives. La concrétisation de
ces projets permet, par exemple, d’apporter à leurs
porteurs une certaine visibilité auprès de leur
électorat et, de ce fait, leur finalisation durant un
mandat
politique
est
considérée
comme
indispensable [Burgers et al., 2003]. Dans cette
optique, réunir les ressources financières et
bénéficier d’un soutien politique ne constituent pas
les seules conditions nécessaires à la bonne marche
du projet ; tout dépassement de délai doit
absolument être évité. Néanmoins, suivre un tel
rythme peut compromettre le soutien des personnes
évoluant en dehors de l’arène politique et
institutionnelle. Celles-ci vivent la planification
urbaine sur un temps plus long qui, rappelons-le,
s’inscrit souvent dans leur quotidien et connaît donc
aussi moins de temps mort.
En outre, les citoyens, commerçants et autres
habitants
appréhendent
généralement
leur
environnement et les projets qui le façonnent de
manière globale. Pour un commerçant, par exemple,
le réaménagement de la rue, les travaux d’impétrants,
les changements de circulation - voire du statut de la
zone -, les problèmes de propreté ou d’insécurité,
mais aussi le nouveau projet immobilier qui prend
forme à proximité, les activités culturelles qui
naissent ou s’éteignent dans le quartier, les
1. La communication dans les grands
projets urbains
Les projets urbains : politiques, conception,
briques, programmes et images
Les projets de piétonnisation constituent un parfait
exemple de planification urbaine complexe. Ils
revêtent souvent une importance stratégique,
d’autant plus s’ils prennent place dans les centresvilles de capitales. Dans ce cas, ils acquièrent même
généralement une importance nationale – le pouvoir
des imaginaires des centre-villes fonctionnant à une
plus large échelle [Genard et al., dans ce Portfolio]. En
outre, ces projets influencent non seulement l’usage
de l’espace public, la mobilité, l’accessibilité, l’habitat,
l’économie et les interactions socio-culturelles, mais
aussi l’image de la ville telle qu’elle est perçue et
créée par les habitants, visiteurs, travailleurs,…
[Genard et al; Boussauw ; dans ce Portfolio].
Tous les acteurs n’ont pas la même perception des
projets urbains [Vermeulen, 2015]. Or, ces
différences de conception et de vécu peuvent
engendrer des incompréhensions.
3 Les Wervende Programma’s ont récemment été rebaptisés
Programma’s Stad in Verandering soit les « Programmes de
la Ville en transition ».
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événements qui y sont organisés, etc. font partie d’un
tout – l’environnement du commerce dont question -.
Un tout perçu de manière plus ou moins cohérente.
Or, les compétences politiques mobilisées par les
grands
projets
urbains,
tout
comme
les
administrations qui y sont associées, peuvent être
nombreuses. Il est donc vital pour ces acteurs de se
coordonner en interne, mais aussi de communiquer
de manière concertée sous peine de donner l’image
d’une grande désorganisation et d’un manque de
cohérence.
Quoi qu’il en soit, les recherches montrent que tous
les projets de développement urbain (comme ceux de
piétonnisation) impliquent conflits et protestations
[Coppens, 2011 ; Boussauw, dans ce Portfolio]. Mais
ces conflits peuvent s’envenimer quand les différents
acteurs ne sont pas ou peu pris en considération et
impliqués dans le processus d’information, de
conception et de décision. Les acteurs de terrain
risquent alors de percevoir les projets comme
réalisés de manière non-professionnelle ou dans leur
dos. Ce qui a pour conséquence d’amplifier encore les
conflits et protestations, jusqu’à parfois mener à de
véritables impasses structurelles.
1990 ; Cornips, 2008 ; McLeod et al., 1999 ; Ostrom
et al., 1994 ; Papacharissi, 2002 ].
Or tout le monde ne peut accéder et n’accède pas à
ces arènes. Et par conséquent tout le monde n’accède
pas aux mêmes informations et discours. La
connaissance qu’accumule un acteur sur un projet
n’est pas forcément celle des autres. Et des récits
souvent incomplets et fragmentaires circulent. Les
relations de pouvoir qui se négocient au cours du
processus se voient également fortement influencée
par cet accès différentié [Cornips, 2008]. La manière
dont les multiples acteurs percevront le projet
dépend donc largement de la façon dont celui-ci sera
communiqué. Les porteurs de grands projets
urbanistiques ont dès lors stratégiquement intérêt à
penser leur communication, s’ils ambitionnent
d’améliorer significativement la qualité non
seulement de l’espace, mais aussi du vécu et des
relations sociales.
Les stratégies de communication doivent
dépasser la simple publicité
Les stratégies de communication prennent de plus en
plus d’importance dans la coordination de projets
urbains dans le monde entier [Ingallina, 2010 ; Van
den Broeck, 2004]. Cela se comprend facilement si
l’on se penche sur le contexte dans lequel ceux-ci
prennent
place
aujourd’hui.
Les
stratégies
d’aménagement du territoire se veulent davantage
orientées projets. Et les gouvernements locaux
ressentent une pression croissante les menant à
renforcer la position concurrentielle de leur ville au
niveau global (ce qui explique l’importance
grandissante du marketing urbain ou city branding)
[Kavaratzis et Ashworth, 2005 ; Swyngedouwet al.,
2002].
Dans cette lignée, leurs relations avec le public
prennent souvent la forme d’une communication à
sens unique, visant essentiellement la diffusion
efficace de messages prédéfinis, suivant les principes
classiques du marketing et de la publicité [Ashworth
et Voogd, 1990 ; Kavaratzis et Ashworth, 2005]. De
surcroît, la conception de cette communication vers
le public et sa responsabilité sont de plus en plus
souvent déléguées à des agences privées expertes.
Or nous avons vu que les grands projets urbains
touchent souvent les citoyens au cœur de leur
environnement quotidien, jusqu’à boulverser des
habitudes qu’ils y ont prises. Ils ont ainsi un fort
potentiel mobilisateur. Les instances publiques ne
peuvent se contenter de communiquer le projet de
manière passive et descendante. L’expérience et les
recherches montrent que ce type de stratégies ne
parvient pas à créer l’adhésion au projet. Pour ce
faire, une réelle participation de tous les acteurs dès
le début de la planification et de la conception du
projet s’avère indispensable [De Rynck et Dezeure,
2009].
Les projets urbains impliquent un grand nombre
d’acteurs
Pour résumer, les projets urbains d’envergure
impliquent un grand nombre d’acteurs : les acteurs
publics, les acteurs privés et, de manière plus ou
moins encadrée et officielle, la société civile. En
créant l’espace, ils deviennent des « acteurs
territoriaux » [Bailleul, 2011 ; Hubert et al. 2014 ;
Ingallina, 2010 ; Raynaud et al., 2014]. Si la
communication entre les acteurs publics et privés
(p.e. leurs prestataires), certes parfois compliquée et
certainement imparfaite, parait toujours évidente, les
acteurs publics négligent souvent les échanges avec la
société civile.
‘La perception que les acteurs se font
d’un projet urbain dépend aussi
largement de la politique de
communication qui l’accompagne’
Pourtant la société civile est de facto une des parties
prenantes de la planification urbaine. Et des échanges
existent naturellement. Ces différents acteurs
discutent entre eux de certains aspects des projets
urbains, avec plus ou moins d’intensité et de manière
plus ou moins formelle, dans différentes arènes. Cela
peut aller d’un contact informel au coin d’une rue ou
dans un couloir, à des réunions formelles au Conseil
communal ou dans une maison de quartier, en
passant par les arènes réelles et virtuelles des médias
locaux et (inter)nationaux, voire parfois par les
tribunaux [Céfaï, 2002 ; Chavis et Wandersman,
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COMMUNICATION ET PARTICIPATION DANS LE CADRE DE GRANDS PROJETS URBAINS
2. Regards croisés : trois exemples
le cadre des conflits environnementaux. A Gand,
Anvers et Louvain, quelques expériences ont eu lieu
pour résoudre des conflits liés à l’aménagement de
l’espace public ou à son utilisation. Comme l’explique
Coppens [2010], les expériences menées sur les
MARC par le Lincoln Institute montrent que cette
approche est non seulement efficace pour atténuer
les conflits mais qu’elle permet aussi d’aboutir à des
situations bénéfiques pour tous les acteurs concernés
dans environ 60% des cas. Les solutions qui
ressortent de ce processus se montrent bien souvent
plus créatives et stables. Elles s’avèrent de plus moins
chères et moins chronophages. Le processus mène
généralement à un apprentissage mutuel et permet
d’instaurer une plus grande confiance entre les
acteurs publics et les citoyens.
Le recours aux MARC se veut particulièrement
efficace quand :
Il y aura du drame! Modes Alternatifs de
Résolution de Conflits (MARC)4
Conflits et protestations dans le développement urbain5
Les recherches internationales montrent, nous
l’avons vu, que les projets urbains de grande
envergure engendrent, presqu’automatiquement,
conflits et protestations. En particulier, « les conflits
concernant des espaces et des lieux résultent de deux
processus plus ou moins autonomes bien
qu’incomplets ; c’est-à-dire le processus de prise de
décision dans l’arène politico-administrative et le
processus de mobilisation et de stratégies dans la
société civile. » [De Rynck et Dezeure, 2009 : 108,
notre traduction]. Toute insatisfaction liée au
processus décisionnel ne mène pas automatiquement
à des protestations ou au conflit ouvert. Pour cela, il
faut qu’un processus de mobilisation s’enclenche
dans la société civile, que ce soit de manière plus ou
moins individuelle ou organisée.
Modes Alternatifs de Résolution de Conflits (MARC)
Les Modes Alternatifs de Résolution de Conflits
(MARC) consistent en la mise en place d’un processus
de concertation entre tous les acteurs. Ce processus
permet de mettre à plat les conflits, avec l’aide d’un
médiateur neutre, accepté par toutes les parties
prenantes.
•
Il faut trouver une alternative aux procédures
juridiques, un processus de consultation entre les
acteurs ;
•
Les acteurs sont mutuellement dépendants
durant la réalisation du projet ;
•
L’unique prise laissée aux citoyens est le blocage
juridique du dossier ;
•
Le projet risque d’aboutir à un résultat incertain
ou insatisfaisant ;
•
Plusieurs conflits s’entremêlent.
Le processus de concertation a pour principal objectif
la rationalisation des conflits, que les émotions,
attitudes ou comportements soient légitimes ou non.
Par conséquent, il est indispensable que le médiateur
gagne la confiance de l’ensemble des acteurs
concernés, et que la participation soit volontaire. Les
MARC peuvent aussi bien être employés dans les
premiers moments du conflit que plus tard. Suivant le
moment, les MARC peuvent aider à évaluer le conflit,
faciliter la mise en place de solutions éventuelles, et
aider la négociation. A un stade plus avancé du
projet, les MARC se limitent à des procédures semijuridiques et d’arbitrage.
Le processus comprend 3 phases.
La première phase consiste à réaliser un état des
lieux. Quelles sont les parties impliquées ? Les
problèmes et les conflits ? Existe-t-il des possibilités
d’aboutir à des situations bénéfiques pour tous ? Les
différents acteurs veulent-ils participer au
processus ?
Le
recours
aux
MARC
est-il
envisageable ?
La deuxième phase renvoi au processus de
négociation en lui-même. Les acteurs initient
ensemble, avec l’aide d’un médiateur, un processus
de résolution conjointe du problème et mènent, si
nécessaire,
des
recherches
complémentaires.
L’objectif est d’arriver à un consensus. Pour cela, les
MARC tentent de sortir des sentiers battus en
proposant des solutions qui pourraient satisfaire tous
les acteurs, y compris en concevant de nouveaux
plans, voire de nouveaux projets, en trouvant
‘Les solutions qui ressortent des MARC
s’avèrent bien souvent plus créatives et
stables, mais aussi moins chères et
chronophages’
Les MARC reposent sur le principe que tout conflit est
bon à prendre et qu’il faut savoir en tirer profit. Il est,
dans cette optique, indispensable d’affronter
frontalement les crises, en poussant les acteurs à se
rassembler autour d’une table et à discuter. Les
MARC visent à trouver des solutions pour éviter la
persistance, l’escalade, la bureaucratisation et la
judiciarisation des conflits spatiaux. Ils tentent donc
de trouver des alternatives aux recours aux
tribunaux, les conflits y étant en fin de compte
rarement résolus [Coppens, 2011 ; Dziedzicki, 2003].
Les pouvoirs publics aux Etats-Unis ont
régulièrement recours aux MARC, en particulier dans
4 Nous nous référons ici plus précisément à la littérature
renvoyant au Alternative Dispute Resolution (ADR) telle que
mobilisée notamment aux Etats-Unis [p.e. Carpenter et
Kennedy, 1998 ; Suskind et Field, 1996].
5 Ce point résume les recherches doctorales de Coppens
[2011] sur les « Conflits et la gestion de conflits dans les
projets stratégiques urbains » [notre traduction] et qui
s’intégraient dans une recherche européenne plus large sur
les projets urbains d’importance stratégique [SPINDUS].
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BSI-BCO _ PORTFOLIO #1 _ OUVERTURES - AANZET
éventuellement des compensations, ou encore en
faisant appel à de nouveaux acteurs pour sortir de
certaines impasses.
Enfin, la troisième phase porte sur la mise en œuvre
des solutions négociées. Une fois que chacun a
marqué son accord, une note comprenant des tâches
et des devoirs mutuels est écrite, d’éventuels
engagements contractuels sont pris, et un accord sur
l’exécution de ces devoirs est passé.
Les MARC rencontrent cependant quelques limites.
Ils sont par exemple moins efficaces dans les conflits
fortement chargés de valeurs, dans les conflits
constitutionnels et dans ceux qui impliquent des
acteurs dont l’objectif est de créer un précédent. Par
ailleurs, les MARC cherchent à créer un consensus. Or
il n’est parfois pas possible d’aboutir à une solution
qui satisfait tout le monde.
programma’s »6. Elles travaillaient alors à la
reconversion d’une grande friche urbaine (une
ancienne ligne de chemin de fer industrielle) en un
parc de 18ha, le Park Spoor Noord. Pour éviter que la
popularité du projet ne diminue durant la période
d’entre-deux et qu’un certain mécontentement ne le
fragilise (comme c’est souvent le cas), ces
administrations ont développé le premier wervend
programma, un outil de gouvernance et de
planification très intuitif.
‘Au travers d’évènements variés, le
wervend programma permet d’animer
les périodes d’attente, tout en
améliorant la cohésion sociale’
Informer et activer - Wervende programma’s
Un programme pour la Ville en transition
L’idée de ces programmes est d’animer ces moments
d’attente en coproduisant des ateliers, événements et
programmations avec d’autres acteurs publics et
privés, des habitants, visiteurs, commerçants,… Des
acteurs souvent cantonnés à un rôle passif qui sont
de cette façon activés, participent de manière
concrète à la transformation de leur espace public
[Haine et De Wever, 2006; Van Nieuwinckel, 2007;
Van den Broeck, 2010].
Deux collaborateurs temps plein se sont consacrés à
la tâche dans le cas du Park Spoor Noord. Une Maison
du projet a été installée sur place. Elle faisait office de
bureau pour les deux animateurs, mais accueillait
aussi les réunions, débats et expositions, ainsi que
des plans et maquettes du projet qui y étaient
exposés dans une optique pédagogique.
Durant les huit années qu’a duré la phase d’attente de
cet important projet, des activités très variées (bien
que généralement socio-culturelles) ont été
organisées : un festival de chant, un théâtre ambulant,
des projets photo, une course à pied, un festival d’une
semaine et un livre sur l’histoire des lieux, des visites
avec des urbanistes, un marché aux puces, etc. [De
Smet, 2013 ; Kenniscentrum Vlaamse Steden, 2014].
Le public voit généralement le wervend programma
comme « une série d’activités et évènements
agréables » centrés sur l’espace en transition. Cet
outil participe par là également à la cohésion sociale
(comme développé dans le samenlevingsopbouw).
La période intermédiaire entre la fin de la conception
du projet et le début des travaux comprend
généralement un certain nombre de tâches plus ou
moins administratives (on parle d’ailleurs de « phase
administrative ») pour les pouvoirs publics : des
contrats sont passés, des travailleurs engagés, des
formalités remplies. Si cette période d’entre-deux
peut paraître relativement courte d’un point de vue
politico-administratif, elle représente généralement
une longue période d’attente pour les habitants,
visiteurs, commerçants, hôteliers, restaurateurs, etc.
[Haine et De Wever, 2007]. Or, dans le même temps,
ceux-ci continuent de percevoir, de partager et de
faire l’espace concerné de manière quotidienne
[Lefebvre, 1991 (1974)]. Il est donc important pour
les pouvoirs publics de ne pas négliger la
communication et la participation durant cette étape
du projet.
L’approche des Wervende Programma’s développée
par la Ville d’Anvers dans le cas du Spoor Noord
constitue un exemple inspirant à cet égard, par
ailleurs gratifié de nombreux prix. Elle consiste en
une série de programmes socio-culturels qui
prennent leurs racines dans la participation
riveraine. Mais, contrairement à la participation
classique, ces derniers sont conçus pour être plus
accessibles en se concentrant sur [Van den Broeck,
2010] :
•
•
Des activités concrètes (donc moins de
discussions dans des audiences officielles et
autres réunions) ;
Internationale Bauausstellung (IBA)
Rassembler des projets locaux à l’échelle métropolitaine
L’Internationale Bauausstellung (IBA), soit l’exposition
internationale d’architecture, n’est, contrairement à
ce que son nom indique, pas une exposition. Il s’agit
en fait d’un instrument de planification et de
renouvellement urbains, développé depuis plus d’un
La mise en avant des qualités du lieu tel
qu’envisagé, de ces usages potentiels et des
transformations à venir.
Comment la Ville d’Anvers a-t-elle procèdé ?
C’est en 2000 que deux administrations publiques
d’Anvers
ont
développé
les
« wervende
Les Wervende Programma’s ont récemment été
rebaptisés « Programma’s Stad in Verandering » soit les
« Programmes de la Ville en transition ».
6
126
COMMUNICATION ET PARTICIPATION DANS LE CADRE DE GRANDS PROJETS URBAINS
siècle en Allemagne. Une IBA nait en général de la
volonté de donner une nouvelle impulsion à un
territoire, souvent au niveau métropolitain. Elle vise
pour cela à susciter de nouveaux projets et de
nouvelles idées pouvant faire évoluer, dans une
direction prédéfinie, l’espace urbain dont question.
Cette structure souple a ainsi pour objectif de
dynamiser la planification, la construction et
l’aménagement, mais aussi de « mobiliser l’ensemble
des acteurs d’un territoire autour d’un concept qui les
réunit pendant un temps limité » [APUR, 2009 : 1]. Le
fait que son action s’étende sur une période de temps
limitée – dans la plupart des cas, de 7 à 10 ans permet de clarifier l’horizon d’attentes de tous les
acteurs [APUR, 2009 ; Pinch et Adams, 2013 ; Shay,
2012].
qu’elle soutient ce qui, en retour, tend à favoriser le
développement de nouvelles propositions.
Des projets diversifiés, une structure flexible
Les projets peuvent être de nature très variées. Ils
jouent sur des aspects divers du projet urbain :
sociaux, culturels, environnementaux, architecturaux,
urbanistiques… Ils viennent autant d’acteurs privés
que d’acteurs publics et de la société civile. Dans le
cas le plus connu de l’IBA Emscher park (Ruhr), il
s’est agi de projets tels que la rénovation des cités
ouvrières, la transformation d’une halle en lieu de
spectacles, l’épuration de la rivière, la création d’une
pépinière d’entreprises innovantes, etc.
Le concept d’IBA ne relève pas pour autant d’une
méthode précise ou d’un cadre organisationnel strict.
Elle se structure légalement de manière similère aux
SPRL belges. Elle se veut ainsi flexible et bénéficie
d’une certaine marge de manœuvre. En même temps,
son comité de direction se compose en général de
représentants du Land, mais aussi des autres niveaux
de pouvoir, de la société civile (représentée par des
associations locales et des syndicats), de sociétés
privées et de professionnels de l’aménagement
urbain.
Concrètement, une fois que la création d’une IBA a
été décidée, un diagnostique plus approfondi est posé
sur le territoire en jeu. Le comité de direction fixe
ensuite, en concertation, les grandes lignes
directrices et la durée d’action de l’IBA. Sur ces bases,
l’IBA organise des appels à projets ou des concours et
encourage une grande variété d’acteurs à déposer des
projets. Elle soutient ensuite la réalisation des projets
sélectionnés qui restent toutefois sous l’entière
responsabilité de leurs porteurs. Même les plus petits
porteurs de projet (citoyens, associations de
quartiers…) gardent leur indépendance. L’IBA fait
preuve d’une grande souplesse.
‘En fédérant des projets diversifiés
dans un même structure stratégique,
l’IBA offre une lecture globale et
cohérente du projet urbain’
Ce qui nous intéresse ici plus particulièrement, c’est
qu’en fédérant de nombreux projets autour des
mêmes axes stratégiques, l’IBA donne également à
ceux-ci une plus grande visibilité. Ces projets qui,
sinon, apparaissent de manière morcelée et passent
parfois relativement inaperçus, acquièrent pour les
différents acteurs un nouveau sens. Ils sont perçus de
cette façon comme les pavés d’une même route. Cette
manière de procéder correspond d’ailleurs
probablement mieux aux vécus et perceptions des
citoyens, commerçants, habitants. Comme nous
l’avons souligné précédemment, ce type de projets
intervient dans leur quotidien et ils les appréhendent
généralement de manière globale. Si cette perception
ne suit pas les temporalités de l’arène politicoadministrative, elle n’embrasse pas plus les divisions
et les domaines de compétences administratives et
politiques. A ces égards, l’IBA permet aux
gouvernants et administrations de communiquer, de
manière globale, et généralement cohérente, les
objectifs poursuivis, bien qu’ils dépendent de la mise
œuvre d’une multitude de projets.
En Allemagne, les IBA se créent au niveau des Lands.
Plutôt que de subsidier des projets de manière plus
ou moins disparate, ces états allouent leur budget à
une structure – l’IBA - qui va encourager la création
de projets, mettre ceux-ci en synergie, les conseiller,
les aider à trouver les financements et subsides
(européens, nationaux, locaux) nécessaires, tout en
suivant de près leur évolution. L’IBA contribue, d’une
part, à rediriger des fonds déjà existants vers la
concrétisation des initiatives soutenues dans un
objectif précis et concerté, mais à obtenir d’éventuels
financements supplémentaires. D’autre part, l’action
de l’IBA facilite le développement des initiatives
Conclusion
La Ville de Bruxelles a récemment pris plusieurs
initiatives qui offrent nombre de possibilités en
matière de communication. Depuis l’automne 2015,
elle a mis en place un point de contact, Julien Mille,
entièrement dédié au piétonnier. Parallèlement, une
nouvelle cellule de communication générale a vu le
jour fin 2015. Elle rassemble six professionnels de la
communication qui développent des instruments et
stratégies pour communiquer les projets de la Ville,
dont celui du piétonnier. Le Bureau des Grands
Evénements (BGE) et Bruxelles Participation jouent
également un rôle dans ce cadre. Ces institutions et
acteurs communaux se coordonnent plus ou moins
régulièrement, tout en respectant la division
habituelles des tâches.
Or, comme l’illustre bien l’exemple des Internationale
Bauausstellung (IBA), la communication concernant
la piétonnisation des boulevards centraux - et, en
général, des grands projets urbains - gagnerait à être
127
BSI-BCO _ PORTFOLIO #1 _ OUVERTURES - AANZET
plus intégrée pour les phases à venir du projet. Si la
coordination interne de services, administrations et
responsables politiques impliqués a commencé à être
mise en place, notamment grâce aux réunions
instiguées par le point de contact Julien Mille, l’image
que renvoie la Ville vers l’extérieur sur ce grand
projet urbain reste très fragmentée et manque
parfois de cohérence. Définir des axes stratégiques
clairs, mais aussi rassembler et mettre en synergie les
propositions de tout bord (citoyennes, d’acteurs
privés, d’acteurs publics) les poursuivant, à l’instar
des IBA, permettraient d’améliorer la lisibilité du
projet, ainsi que sa mise en œuvre.
L’approche du Wervend Programma est également
inspirante. Elle permet d’animer les périodes creuses,
des moments généralement perçus comme des temps
morts par l’extérieur, comme celui précédent le début
des travaux d’aménagement et celui du chantier à
proprement parler. Adaptée au contexte et au
contenu de la piétonnisation bruxelloise, cette
approche pourrait aider à renforcer l’appropriation
de cet espace par ses habitants et utilisateurs, mais
aussi favoriser, de manière collaborative, le
développement d’usages variés des lieux et une
programmation des événements pour l’avenir, y
compris lorsque les travaux de construction seront
réalisés.
Enfin, les Modes Alternatifs de Résolution de Conflits
(MARC) proposent des pistes efficaces de gestion du
conflit. Utilisés dans les conflits qui interviennent,
presque inévitablement, lors du développement de
projets urbains, ils permettent non seulement
d’apaiser les tensions en impliquant directement
l’ensemble des acteurs concernés, mais aussi
d’aboutir à des solutions originales qui n’auraient pas
pu émerger sinon.
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