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“Prometheus” 32, 2006, 161-184 LE VIRGILE D’HORACE* Horace et Virgile, les deux plus grands poètes augustéens aussi bien que les deux représentants les plus importants du cercle de Mécène, eurent des relations amicales dont nous trouvons le témoignage chez Horace, qui cultiva des genres poétiques qui permettaient des références à la vie et aux relations personnelles de l’auteur bien plus que ceux où s’engagea Virgile. Virgile est mentionné par son propre nom dans tous les ouvrages d’Horace à l’exception des Épodes; à savoir, deux fois au premier livres des Odes 1; une fois, peut-être, au quatrième2; cinq fois au premier livre des Satires3; une fois au deuxième livre des Épîtres4: une fois dans l’Art poétique5. Dans quelques-uns de ces passages la mention de Virgile est accompagnée par des expressions affectueuses, et dans aucun on ne remarque rien qui puisse faire songer à des désaccords qui aient gâté l’amitié entre les deux poètes. Il n’est pas étonnant, par conséquent, que la majorité des savants pensent que cette amitié ait duré sans interruption jusqu’à la mort de Virgile6, malgré les incontestables différences de tempérament entre le blasé et réaliste Horace et le méditatif et idéaliste Virgile7. Ces différences sont évidentes pour chaque lecteur de leur œuvre; c’est pourquoi je n’ai pas l’intention de m’étendre sur elles; je chercherai plutôt à approfondir l’analyse des textes marquants pour notre enquête, qui laissera au second plan les aspects purement biographiques et se concentrera surtout sur le rapport littéraire et intellectuel entre les deux poètes. Un savant qui a soutenu le refroidissement et la rupture de l’amitié initiale entre Horace et Virgile a été, en Italie, Donato Gagliardi8, qui a été suivi en * Cette étude a été présentée à l’Université de Paris IV - Sorbonne le 10 juin 2005. Le titre reproduit celui de l’article de Moritz 1969 (Horace’s Virgil), qui cherche surtout à démontrer l’identité du Virgile de c. 4.12 avec le poète. Je lui donne un sens plus étendu, pour indiquer la première réception de Virgile chez son plus jeune ami. 1 Hor. c. 1.3.6; 1.24.10. 2 Hor. c. 4.12.13. 3 Hor. sat. 1.5.40 et 48; 1.6.55; 1.10.45 et 81. 4 Hor. epist. 2.1.247. 5 Hor. ars p. 55. 6 Je me borne à citer quelques travaux des plus récents: Barra 1973; Della Corte 1988; Grilli 1990; Vidal 2004. 7 Pour les différences de tempérament entre les deux poètes je renvoie, pour tous, à Halter 1970, un essai d’orientation quelque peu psychanalytique sur les relations entre Horace et Virgile. Un livre suranné sur la question est celui de Bione 1936. 8 Gagliardi 1991. Il avait été précédé, dans une certaine mesure, par Wagenvoort 1956. 162 A. SETAIOLI Espagne par Dulce Estefanía Álvarez9. Entre les motivations alléguées figurent, outre les différences de tempérament, des supposées dissensions littéraires et politiques, sur lesquelles nous reviendrons tout à l’heure, en mentionnant aussi les positions d’autres savants. Mais même Gagliardi ne peut pas nier la cordialité initiale entre les deux poètes, qui apparaît dans les vers de la sixième satire du premier livre décrivant la présentation d’Horace à Mécène par Virgile et Varius10, ou bien dans ceux de la satire précédente, sur la rencontre à Sinuessa avec Virgile, Varius et Tucca durant le célèbre voyage à Brindisi à la suite de Mécène11. Dans le premier de ces textes Virgile est dit optimus, la même épithète qu’Horace réserve à son père12; dans le deuxième le poète nous dit qu’il n’y a pas au monde des âmes plus sincères et cristallines (candidiores) que Virgile, Varius et Tucca. Il y a là des expressions qui ne laissent pas de doute sur l’affection profonde d’Horace pour Virgile; mais des mots encore plus affectueux apparaissent dans la troisième ode du premier livre, qui fut écrite à l’occasion d’un voyage en Grèce projeté par l’ami13. De 35 a. J.-C., l’an où fut publié le premier livre des Satires, à 23 a. J.-C., où apparurent les trois premiers livres des Odes, l’amitié s’était bien, si possible, encore renforcée. Déjà la place de l’ode, immédiatement après la première, qui contient la dédicace à Mécène, et la deuxième, qui est un hymne à Auguste, est privilégiée et témoigne d’une amitié très étroite. Cette ode présente une structure particulière, qui unit des genres différents. Elle commence comme un propemptikon, c’est-à-dire une poésie d’accompagnement pour souhaiter bon voyage à un ami qui part; toutefois, elle ne s’adresse pas directement à Virgile mais au navire qui doit l’emmener sain et sauf en Grèce. En outre, on remarque l’absence de quelques topoi caractéristiques du propemptikon: la prière aux dieux et la prévision d’un heureux 9 Estefanía Álvarez 1994, 11 ss. Nisbet-Hubbard 1970, 41, ne se prononcent pas sur la profondeur de l’amitié entre les deux poètes; ils observent néanmoins que l’Énéide ne fut pas confiée à Horace, mais à Varius et Tucca. 10 Hor. sat. 1.6.54-55 optimus olim / Vergilius, post hunc Varius dixere quid essem. 11 Hor. sat. 1.5.39-44 postera lux oritur multo gratissima; namque / Plotius et Varius Sinuessae Vergiliusque / occurrunt, animae, qualis neque candidiores / terra tulit neque quis me sit devinctior alter. / o qui complexus et gaudia quanta fuerunt. / nil ego praetulerim iucundo sanus amico. 12 Hor. sat. 1.4.105 insuevit pater optimus hoc me. 13 Ce voyage, probablement, ne fut pas réalisé, parce que nous ne connaissons pas d’autres voyages de Virgile en Grèce sauf celui qui s’acheva par sa mort à Brindisi en 19 a. J.-C. Quelques savants sont d’avis que l’ode se réfère bien à ce voyage et qu’on l’a insérée dans ce livre après la première publication. Il s’agit là, bien entendu, d’hypothèses indémontrables. LE VIRGILE D'HORACE 163 retour14. De plus, la partie la plus étendue de la poésie – les huit dernières strophes sur un total de dix – contient un scetliasmov", une malédiction de la navigation. Cette dernière était un topos très repandu dès l’époque d’Hésiode15 et était tout à fait à sa place dans les propemptika16, mais chez Horace elle reçoit un développement disproportionné qui étend la condamnation à l’inventivité humaine en général, conçue comme une rébellion sacrilège contre les lois naturelles établies par la divinité. Comme le remarquent justement Nisbet et Hubbard17, un thème de diatribe s’est superposé au schème du propemptikon. La structure toute entière de l’ode devait être rappelée afin que l’on soit en mesure de formuler un jugement sur des interprétations de la poésie qui, à mon avis, risquent de compromettre irrémédiablement la compréhension de l’attitude d’Horace envers Virgile et de fausser même les mots les plus affectueux que le premier a dédiés au second dans notre ode: animae dimidium meae18, “la moitié de mon âme”. Une interprétation à mon avis tout à fait injustifiée, mais qui a eu et continue à avoir beaucoup de succès, est celle qui voit dans notre ode une espèce d’allégorie littéraire: la navigation dans laquelle Virgile s’embarque serait la poésie épique, qui pour Horace entraîne des risques de naufrage – à proprement parler, d’échec littéraire – et, pour un adepte de la poésie alexandrine comme il l’était, apparaît comme un véritable acte d’hybris comparable au sacrilège. Dans les dernières décennies cette interprétation est devenue courante aux États-Unis19; en Europe elle a été récemment proposée de nouveau par Markus Janka20. Cette interprétation n’est pas étrange en soi, parce que l’image allégorique du navire, à référer, c’est vrai, à la situation de la respublica, était un topos poétique que Horace a repris lui-même dans une autre ode du livre premier21, et la métaphore de la navigation appliquée à la poésie se trouve, entre autres, chez Horace et chez Virgile22. Cependant, comme dans notre ode il n’y a absolument rien pour prévenir le lecteur qu’il s’agit d’une métaphore littéraire, il faudra vérifier attentivement cette interprétation sur la base de ce qu’on peut tirer de l’œuvre horatienne par rapport à son 14 Cf. Nisbet-Hubbard 1970, 43. Cf. Hes. op. 236-237. 16 Cf. Nisbet-Hubbard 1970, 43-44. 17 Nisbet-Hubbard 1970, 43. 18 Hor. c. 1.3.8. 19 Cf. p. ex. Lockyer, 1967-1968; Basto 1982; Campbell 1987; Pucci 1991; Pucci 19911992. D'autres références chez Kilpatrick 1996, 936. 20 Janka 2000, 293-294; 299. 21 Hor. c. 1.14. Cf. Nisbet-Hubbard 1970, 178 ss. 22 Hor. c. 4.15.3-4; Verg. georg. 2.41. 15 164 A. SETAIOLI attitude envers la production poétique de son ami. Mais, avant de procéder, analysons les mots affectueux que nous venons de rappeler: animae dimidium meae. Gagliardi, qui, comme nous le savons, pense que l’amitié entre les deux poètes s’est à un certain moment gâtée, signale une expression tout à fait semblable, meae... partem animae23, “une partie de mon âme”, par laquelle Horace s’adresse à Mécène. Selon le savant italien ces mots montrent que ce dernier a désormais pris dans le cœur d’Horace la place qui était celle de Virgile24. Mais nous avons déjà remarqué que la place même de notre ode 1.3 démontre que Mécène et Virgile occupaient tous les deux une position privilégiée parmi les affections d’Horace, et la ressemblance des deux formules affectueuses ne fait que souligner encore davantage cette donnée. Un savant américain d’origine italienne, Joseph Pucci, soutient une interprétation encore plus invraisemblable des mots qu’Horace a adressés à la fois à Virgile et à Mécène. Selon Pucci, le mot dimidium adressé à Virgile impliquerait détachement et séparation, tandis que pars adressé à Mécène entraînerait proximité et coparticipation; le premier mot véhiculerait un sens négatif, le deuxième, au contraire, positif. Il va sans dire que tout cela ne tient pas le moindre compte du contexte, qui, justement dans l’ode adressée à Mécène, souligne non pas l’unité et la proximité, mais la séparation violente causée par la mort et, de plus, signale sans possibilité de se tromper l’équivalence sémantique de pars dans cette ode et de dimidium dans l’autre, parce qu’Horace ajoute tout de suite que son âme est l’autre moitié de celle de Mécène25. Selon Pucci, dans l’ode 1.3 animae dimidium meae désignerait la moitié refusée de l’âme d’Horace, parce que Virgile écrit de la poésie de type différent et a un caractère incompatible avec le sien. Je crois qu’il ne faut pas gaspiller beaucoup de mots pour souligner l’absurdité d’interprétations de ce type. Il fallait pourtant les rappeler avant de chercher à présenter une explication moins bizarre de l’expression horatienne. Il faut remarquer en premier lieu qu’il s’agit là d’un cliché très repandu, qui avait été splendidement développé dans le discours d’Aristophane dans le Banquet de Platon26 et repris ensuite dans la philosophie, d’Aristote au 23 Hor. c. 2.17.5. Gagliardi 1991, 376-377. 25 Hor. c. 2.17.5-6 a, te meae si partem animae rapit / maturior vis, quid moror altera...? On peut mesurer la valeur des élucubrations de Pucci sur la base de la grossière faute de traduction du début de l'autre ode horatienne (c. 1.3.3-5 ventorumque regat pater / obstrictis aliis praeter Iapyga, / navis), qu’il répète dans ses deux essais: Pucci 1991, 258 = Pucci 1991-1992, 662: “let the father of winds (by which all things are bound before Iapyx) rule you, ship”. 26 Plat. symp. 189c-193d (cf. p. ex. 191a poqou`n e{kaston to; h{misu to; auJtou`). Diotime 24 LE VIRGILE D'HORACE 165 Stoïcisme27, mais qui avait des solides ramifications chez les poètes alexandrins aussi, à partir de Callimaque28. Dans les langues européennes l’expression a survécu, mais souvent avec une nuance de plaisanterie: “ma moitié”, “la mia dolce metà”, “mi querida mitad”, “meine bessere Hälfte”, “my better half”. Au temps d’Horace, au contraire, elle conservait encore, sans doute, toute sa charge affective. Un texte qui nous permet de saisir l’évolution de ce cliché est constitué par la citation de notre passage horatien par un lecteur d’exception, séparé par quelques siècles du poète augustéen, qui établit pour nous un moment où l’affaiblissement sémantique de l’expression a déjà commencé. Au quatrième livre de ses Confessions St. Augustin conte la mort d’un ami auquel il était très attaché et décrit son propre état d’âme en citant l’expression horatienne, mais en l’intégrant par des références précises à la tradition philosophique dont nous avons parlé, en particulier par des allusions au Banquet platonicien et aux formulations aristotéliciennes et stoïciennes; il y a aussi un rappel très clair du passage parallèle horatien, celui de l’ode 2.17 à Mécène, et une structure rhétorique très soignée gouverne tout le morceau. Voici le texte d’Augustin dans la traduction de Pierre de Labriolle29: Je m’étonnais de voir vivre les autres mortels, puisqu’il était mort celui que j’avais aimé comme s’il n’eût jamais dû mourir; et je m’étonnais encore davantage, lui mort, de vivre, moi qui étais un autre lui même (Aristote avait dit que l’ami est un a[llo" aujtov", Zénon repoussera cette idée: 205d. 27 P. ex. Aristot. eth. Nic. 9, 1168 b 7 miva yuchv (proverbe); cf. Diog. L. 5.20 miva yuch; duvo swvmasin ejnoikou`sa (Aristote); Aristot. eth. Nic. 9, 1161 a 31 e[sti ga;r oJ fivlo" a[llo" aujtov"; Diog. L. 7.23 ejrwthqei;" tiv" ejsti oJ fivlo", “a[llo"” <e[fh> “ejgwv” (Zénon). 28 Callim. epigr. 41.1-2 Pfeiffer h[misu meu` yuch`" e[ti to; pnevon, h{misu d∆ oujk oi\d∆ / ei[t∆ [Ero" ei[t∆ jAi>vdh" h{rpase, plh;n ajfanev". Pour l’histoire du topos cf. Nisbet-Hubbard 1970, 48. 29 Augustin. conf. 4.6.11 mirabar enim ceteros mortales vivere, quia ille, quem quasi non moriturum dilexeram, mortuus erat, et me magis, quia ille alter eram, vivere illo mortuo mirabar. bene quidam dixit de amico suo: ‘dimidium animae meae’ (Hor. c. 1.3.8). nam ego sensi animam meam et animam illius unam fuisse animam in duobus corporibus, et ideo mihi horrori erat vita, quia nolebam dimidius vivere, et ideo forte mori metuebam, ne totus ille morerertur, quem multum amaveram. Ce passage augustinien est discuté par Pucci 1991, mais son argumentation est invalidée par le fait qu’il attribue au saint sa propre et très discutable interprétation de l’ode horatienne. Selon Pucci la citation d’Horace signalerait une prise de distance de la part d’Augustin par rapport à l’ami défunt, aussi bien que la dénonciation de sa propre audace littéraire consistant à s’adresser directement à Dieu dans les Confessions. L’interprétation est même intrinsèquement contradictoire: Augustin correspondrait tantôt à Horace (en prenant ses distances avec l’ami), tantôt à Virgile, dont la hardiesse littéraire serait comparable à la sienne. Pucci ne mentionne pas le passage des Retractationes augustiniennes dont nous parlerons tout à l’heure (note 32). 166 A. SETAIOLI un a[llo" ejgwv)30 . Quelle heureuse expression a su trouver, parlant de son ami, le poète qui l’appelle ‘moitié de son âme’ (c’est l’expression qu’Horace a réservée à Virgile dans l’ode 1.3). Oui, j’ai senti que son âme et la mienne n’avaient été qu’une âme en deux corps (Aristote, selon Diogène de Laërte, disait que les amis sont miva yuch; duvo swvmasin ejnoikou`sa, “une seule âme qui habite dans deux corps”)31; c’est pourquoi la vie m’était en horreur, je ne voulais plus vivre réduit è la moitié de moi-même (c’est ce que dit Aristophane dans le Banquet; et dans l’ode à Mécène Horace disait te meae si partem animae rapit / maturior vis, quid moror altera...?, “si une force prématurée t’arrache à moi, toi qui es une partie de mon âme, à quoi bon dois-je survivre, moi, qui suis l’autre partie?”). Et peut-être ne craignais-je de mourir que de peur qu’il ne mourût tout entier, celui que j’avais tant aimé! La dernière phrase résume et couronne toute la complexe structure à la fois littéraire, philosophique et rhétorique de ce morceau très élaboré. Et pourtant Augustin lui-même la jugera plus tard, dans les Retractationes, comme une declamatio levis, une déclamation vide, plutôt qu’un aveu sérieux, une gravis confessio32. Les expressions d’Horace aussi bien que les sentences des philosophes sur l’amitié sont désormais devenues des topoi rhétoriques banalisés. Comme nous l’avons dit, il n’en était sûrement pas ainsi au temps d’Horace. Il vaut donc la peine d’examiner si des mots si affectueux peuvent ou non coexister avec la condamnation résolue de l’abandon par Virgile du genre poétique précédemment cultivé, que, comme nous l’avons vu, quelques savants trouvent dans cette ode, aussi bien que dans d’autres parties de l’œuvre d’Horace, comme nous allons le voir tout de suite. En premier lieu, il faut remarquer que dans notre ode Virgile n’apparaît pas comme poète, tout comme que dans l’autre ode qui lui est sûrement adressée, 1.24, que nous examinerons plus tard, et dans l’ode 4.12, où le Virgile auquel s’adresse Horace n’est pas, peut-être, le poète. Une idée plus précise sur l’attitude d’Horace face à la poésie de Virgile peut être tirée de ses ouvrages en hexamètres. Dans deux épîtres écrites après la mort de l’ami, l’épître à Auguste et l’Art poétique, Horace met Virgile entre les poètes qui, quoique récents, constituent pourtant les nouveax classiques de la littérature romaine33. Lorsqu’il est encore en vie, dans la dixième 30 Cf. supra, note 27. Cf. supra, note 27. 32 Augustin. retract. 2.6.2 (éd. A Mutzenbecher, CCSL LVII, Turnholti 1984, 94) in quarto libro, cum de amici morte animi mei miseriam confiterer, dicens quod anima nostra una quodammodo facta fuerat ex duabus, ‘et ideo’, inquam, ‘forte mori metuebam, ne totus ille moreretur, quem multum amaveram’. quae mihi quasi declamatio levis quam gravis confessio videtur, quamvis utcumque temperata sit haec ineptia in eo quod additum est ‘forte’. 33 Hor. epist. 2.1.245-247 at neque dedecorant tua de se iudicia atque / munera, quae multa dantis cum laude tulerunt / dilecti tibi Vergilius Variusque poetae; ars p. 53-55 quid 31 LE VIRGILE D'HORACE 167 satire du premier livre, il est pour Horace l’un des juges littéraires dont il souhaite l’approbation pour sa poésie34. Dans la vie comme dans la mort de son ami poète, donc, Horace lui reconnaît une très grande envergure littéraire. Mais, dans la même satire, on trouve aussi un jugement très célèbre sur l’œuvre poétique virgilienne, qui se réfère sûrement aux Églogues, le seul ouvrage paru au moment de la publication du premier livre des Satires: molle atque facetum / Vergilio adnuerunt gaudentes rure Camenae35, “les Muses qui aiment la campagne ont accordé à Virgile la caressante musicalité et la grâce”. Il faudra remarquer en premier lieu que ce couple d’adjectifs oppose nettement la poésie bucolique de Virgile36 au genre épique, représenté ici par Varius, qui est caractérisé par l’épithète acer, tandis que son épopée est désignée par la formule forte epos37; l’énergie de l’épopée s’oppose au mélodieux et délicat raffinement de la poésie pastorale virgilienne. Sur ce jugement d’Horace on a fait couler beaucoup d’encre; mais, à mon avis, pour en saisir le sens tout entier, il faut le placer dans la perspective de la discussion littéraire contemporaine. Les deux adjectifs mollis et facetus apparaissent ensemble déjà dans un fragment d’une lettre de Cicéron, où celui-ci rapportait une phrase de Brutus, qui est citée par Quintilien (6.3.20) avec notre texte horatien. Dans la phrase de Brutus les deux épithètes sont référées à des pedes, aux pieds de quelqu’un, donc encore sans le sens figuré qui en fait des qualités d’un ouvrage littéraire, comme dans la formule d’Horace. Nous avons vu que chez celui-ci molle s’oppose à l’énergie du genre épique; mais facetum ne peut être pleinement compris que par rapport à ce que nous savons de la réception des Églogues dans les cercles littéraires du temps et aux catégories esthétiques mises en vogue par les poètes de la génération proche de celle de Virgile et d’Horace. Virgile lui-même présentait, avec une précieuse coquetterie littéraire, sa poésie pastorale comme rustica, “campagnarde”: Pollio amat nostram, quamvis sit rustica, Musam38, “Pollion aime ma poésie, bien qu’elle soit rustique”; mais l’un de ses obtrectatores, un certain Numitorius, avait composé, comme nous l’apprend Donatus39, des Antibucolica, dont l’un paroautem / Caecilio Plautoque dabit Romanus ademptum / Vergilio Varioque? 34 Hor. sat. 1.10.81-83 Plotius et Varius, Maecenas Vergiliusque, / Valgius, et probet haec Octavius, optimus atque / Fuscus, et haec utinam Viscorum laudet uterque! 35 Hor. sat. 1.10.44-45. 36 Cf. Della Corte 1987, 874. 37 Hor. sat. 1.10.43-44 forte epos acer / ut nemo Varius ducit. 38 Verg. ecl. 3.84. 39 Donat. vit. Verg. 176-177. 168 A. SETAIOLI diait le début de la troisième églogue de Virgile, qui commençait: Dic mihi, Damoeta, cuium pecus? an Meliboei?40 (“dis-moi, Damoeta, à qui est le troupeau? Est-il de Mélibée?”). Numitorius commençait l’un de ses Antibucolica par ces mots: “Dic mihi, Damoeta: ‘cuium pecus’ anne Latinum?” / “non, verum Aegonis nostri. sic rure loquuntur” (“Dis-moi, Damoeta, l’expression cuium pecus est-elle latine?”. “Non, elle est de notre ami Aegon; c’est comme ça qu’on parle à la campagne”). Il faut remarquer qu’à un regard superficiel Numitorius ne paraît pas avoir tout à fait tort. Le pronom interrogatif et relatif cuius, -a, -um devait sonner à l’âge de Virgile comme un archaïsme. Mais on sait que les archaïsmes littéraires correspondent souvent à des formes expressives anciennes qui se sont conservées au niveau de la langue vulgaire et dans les zones périphériques – à la campagne, justement – , ce qui dans ce cas est confirmé par la survie de cuius, -a, -um dans l’espagnol “cuyo”. Or, la stylisation raffinée de Virgile pouvait apparaître à un observateur superficiel comme une marque de rusticitas, le défaut le plus grave selon l’esthétique affirmée dès les newvteroi, et condamné par Horace jusqu’à la fin de sa carrière poétique, lorsque, en écrivant à Auguste, il déplorait encore la survie dans la poésie nationale des traces de la rusticité ancienne: manserunt hodieque manent vestigia ruris41. Mais à partir de Catulle, qui pour nous est le porte-parole des newvteroi, nous savons que l’adjectif facetus désignait justement le raffinement formel qui, en littérature, s’oppose diamétralement à la grossière rusticitas. Le poétereau Suffenus est pour Catulle infaceto... infacetior rure42 (“plus grossier que la grossièreté campagnarde”) et les Annales de Volusius sont marqués par lui non seulement par le célèbre cacata charta, mais aussi comme pleni ruris et inficetiarum43 (“pleins de rusticité et de grossièreté”). Par le terme facetum, donc, Horace attribue un brevet de modernité et de validité littéraire, selon les canons poétiques et esthétiques les plus à la page, à la poésie pastorale virgilienne, en repoussant carrément l’accusation de rusticitas formulée par Numitorius. Tout au contraire, la campagne, le rus, acquiert ici une valeur tout à fait opposée: elle n’est pas le symbole de l’échec poétique, mais plutôt le domaine d’élection d’un genre poétique aimé par les Muses: gaudentes rure Camenae. Si Horace reconnaissait à contrecœur le titre de facetus même à son devancier satirique Lucilius44, c’est seulement dans son verdict sur Virgile que l’épithète indique la pleine correspondance 40 Verg. ecl. 3.1. Hor. epist. 2.1.160. 42 Catull. 22.14 infacetost infacetior rure. 43 Catull. 36.19. 44 Hor. sat. 1.4.6. 41 LE VIRGILE D'HORACE 169 de la poésie de celui-ci avec les catégories esthétiques modernes qui correspondent à son goût. On ne peut donc pas nier que dans la dixième satire du premier livre Horace exprime sa propre appréciation de la poésie pastorale de Virgile dans la mesure où elle correspond aux tendances alexandrines mises en vogue par les poetae novi. Mais selon quelques savants, nous l’avons vu, Horace n’approuverait pas la poésie virgilienne qui la suit. Pour Gagliardi la dissension littéraire éclaterait déjà lors de la publication des Géorgiques45. Le savant italien remarque qu’Horace ne cite jamais directement ce poème et croit découvrir dans son œuvre des allusions polémiques à celui-ci, pour la plupart franchement dépourvues de base réelle46. Le seul cas où une allusion polémique aux Géorgiques pourrait de quelque façon être supposée est celui de la longue description de la campagne qui se trouve dans l’épode 2, et qui à la fin se révèle être une hypocrite fantaisie de l’usurier Alfius. Ce n’est peut-être pas par hasard que l’emplacement de cette épode est symétrique par rapport à la seizième, qui tient l’avant-dernière place dans le recueil47 et contient, nous le verrons, la réponse polémique d’Horace à l’églogue 4 de Virgile. Les parallèles textuels entre l’épode 2 et le finale du deuxième livre des Géorgiques sont nombreux et la priorité de Virgile est presque sûre48. Mais, comme on l’a remarqué de plusieurs côtés, l’ironie d’Horace ne vise pas l’ami poète, mais plutôt l’hypocrisie d’Alfius. Horace apprécie les valeurs traditionnelles liées au modèle ancien de vie, mais, réaliste qu’il est, il sait bien que le rêve virgilien pourra bien difficilement se réaliser dans la société contemporaine. Pour cela, et pour les autres épodes que nous allons citer, je renvoi à mon ‘Forschungsbericht’ publié dans Aufstieg und Niedergang der römischen Welt et à mon article Epodi dans l’Encyclopédie Horatienne49. Comme nous l’avons vu en analysant l’ode 1.3, selon quelques savants la dissension la plus grave entre Horace et Virgile se serait plutôt vérifiée au moment où ce-dernier se dévoua à la composition de l’Énéide: à leur avis le passage de l’ami au genre épique aurait été vécu par Horace comme une véritable trahison de la poétique alexandrine à laquelle les Églogues étaient restées fidèles. Outre les savants américains dont nous avons parlé50 et Donato 45 Gagliardi 1991, 362 ss. Des échos des Géorgiques dans les Odes Romaines sont signalés par Fenik 1962. 47 Comme le remarque, entre autres, Schmidt 1983, 8. 48 Cf. la bibliographie citée et discutée dans Setaioli 1981, 1695-1700; 1766; 1777; Setaioli 1996, 270; Cavarzere 1992, 125-126. 49 Cf. note précédente. 50 On y pourra ajouter Smith 1994, 504-505. 46 170 A. SETAIOLI Gagliardi, cette position a été soutenue récemment par Markus Janka51, dans un article qui lit la troisième Ode Romaine (c. 3.3), avec le long discours de Junon, comme une réprimande adressée à Virgile – qui serait le véritable destinataire de l’ode – afin qu’il ne s’engage pas dans le genre épique. Janka voit la même admonestation aussi bien dans les deux odes adressées à Virgile: 1.3 et 1.24. Nous avons vu52 qu’il accepte l’interprétation de l’ode 1.3 comme une métaphore où les dangers de la navigation symbolisent ceux du genre épique et dans l’épicédion de l’ode 1.24, adressée à Virgile à l’occasion de la mort de leur ami commun, le critique littéraire Quintilius Varus, Janka lit l’affirmation que la mort de celui-ci n’est plus douloureuse pour quiconque que pour Virgile dans le sens que personne plus que lui n’aurait eu besoin du conseil d’un critique littéraire honnête53. Ce n’est pas la peine de gaspiller des mots pour souligner combien Janka force les mots d’Horace, qui affirment seulement que personne n’a pleuré Quintilius plus que Virgile. Il ne fait pas de doute qu’Horace soit un poète de goût alexandrin. Mais s’il reconnaît qu’il n’est pas taillé pour le genre épique et se refuse à s’y engager par plusieurs recusationes54, dont la dernière est adressée à Auguste lui-même, dans le finale de la première épître du deuxième livre55, cela ne signifie pas nécessairement que sa condamnation de l’épopée soit absolue. Pour l’attitude très complexe d’Horace face à Homère je me permets de renvoyer à mes essais sur le sujet et à mon article Omero de l’Encyclopédie Horatienne56; mais nous avons déjà dit que, dans le même contexte où il loue les Églogues de Virgile, il loue aussi le forte epos de l’acer Varius, qu’il loue encore comme poète épique dans la célèbre recusatio lyrique à Agrippa57; et même l’archaïque Ennius, auquel ailleurs il ne ménage pas des pointes polémiques58, est appelé pater par Horace59; et surtout, lorsqu’il doit donner un exemple de diction poétique bien au-dessus des vers plats de ses propres sermones, il ne trouve pas de mieux que de citer Ennius: postquam Discordia 51 Janka 2000. Cf. supra, note 20. 53 Janka 2000, 296. Il me paraît évident qu’il s’agit là d’une interprétation forcée. Horace dit (c. 1.24.10) nulli flebilior quam tibi, Vergili (“à personne sa mort ne fit verser plus de larmes qu’à toi, Virgile”). Voici la paraphrase de Janka: “wenn nun Vergil (1.24) den Verlust eines solchen Freundes und Kritikers mehr als alle anderen beweinen muß, so liegt nicht nur für einen maliziösen Leser die Insinuation nahe, daß er ein solches freundschaftliches Korrektiv auch mehr als alle anderen benötigte und nutzte”. 54 La plus célèbre est celle de c. 1.6. Cf. Smith 1994. 55 Hor. epist. 2.1.250-270. 56 Setaioli 1973; Setaioli 1993; Setaioli 1996b. 57 Hor. sat. 1.10.43-44; c. 1.6.1-2. 58 Hor. sat. 1.10.5; epist. 2.1.50-52. 59 Hor. epist. 1.19.7 Ennius ipse pater. 52 LE VIRGILE D'HORACE 171 taetra / belli ferratos postis portasque refregit60. Il est évident que la conscience de la diversité des choix poétiques n’empêche pas a priori l’admiration pour une poésie qu’Horace reconnaît comme plus élevée que la sienne, spécialement lorsqu’il s’agit de poésie nationale. Le poète national romain avait été jusqu’alors Ennius; mais Virgile le supplanta presque immédiatement après la publication de l’Énéide. Nous le voyons non seulement par l’annonce célèbre du poème par Properce: cedite, Romani scriptores, cedite, Grai; / nescio quid maius nascitur Iliade61, mais aussi et surtout par la poésie horatienne postérieure à la mort de l’ami. Les allusions à la saga troyenne sont nombreuses dans le Carmen saeculare et dans le quatrième livre des Odes, comme l’a souligné, parmi bien d’autres, Eduard Fraenkel dans son livre sur Horace62. Gagliardi63 pense que les références à la légende troyenne ne signalent pas des réminiscences précises de l’Énéide; mais tandis que ces allusions sont nombreuses dans la lyrique horatienne après la mort de Virgile (et donc après la publication de l’Énéide), dans les trois premiers livres des Odes Énée n’apparaît jamais; bien plus: la seule référence indirecte qu’on y trouve pousse à penser qu’Horace y suit encore la version d’Ennius, qui faisait de Rhéa Silvia la fille d’Énée et, par conséquent, faisait de Romulus son petit-fils. En effet, dans la troisième Ode Romaine Junon dit: invisum nepotem, / Troica quem peperit sacerdos, / Marti redonabo64 (“je remettrai à Mars le petit-fils haï, engendré par la prêtresse troyenne”), c’est-à-dire “je cesserai de persécuter Romulus, le fils de Mars et de la troyenne Rhéa Silvia, et petit-fils d’Énée”. La plupart des savants reconnaissent en effet que la dernière production lyrique d’Horace est pleine d’hommages à Virgile et à l’Énéide. La toute dernière ode, 4.15, en représente le cas le plus éclatant. Des savants comme Gagliardi65 et Janka66 soulignent le début alexandrin de l’ode, qui contient une recusatio de la poésie épique très proche du début de l’églogue 6 de Virgile, qui à son tour suit les traces de Callimaque67. Il est pourtant très erroné de considérer l’ode 60 Hor. sat. 1.4.60-61 = Enn. ann. 225-226 Skutsch (266-267 Vahlen). Prop. 2.34.65-66. Je laisse de côté la question de savoir si Hor. sat. 2.1.10 sed si tantus amor scribendi te rapit est ou non la plus ancienne citation de l’Énéide (2.10 sed si tantus amor casus cognoscere nostros), comme le croit Kytzler 1961, suivi par Moritz 1969, 179 n. 6. Selon Della Corte 1987, 875, c’est Virgile qui cite Horace. 62 Fraenkel 1957, 375-376; 402; 421; 430; 452. 63 Gagliardi 1991, 370. 64 Hor. c. 3.30.31-33. 65 Gagliardi 1991, 372. 66 Janka 2000, 298. 67 Hor. c. 4.15.1-4 Phoebus volentem proelia me loqui / victas et urbes increpuit lyra / ne parva Tyrrhenum per aequor / vela darem. Verg. ecl. 6.3-5 cum canerem reges et proelia, Cynthius aurem / vellit et admonuit: “pastorem, Tityre, pinguis / pascere oportet ovis, 61 172 A. SETAIOLI comme une caricature des idéaux augustéens acceptés par Virgile, comme le pense Janka68, ou comme un remploi résiduel de thèmes épiques en forme lyrique, comme le croit Gagliardi69. Les critiques70 qui voient dans l’ode, et surtout dans les vers finaux sur Troie, Anchise et les descendants de Vénus, qui mettent le sceau conclusif à la poésie lyrique horatienne, un hommage à Virgile et à l’Énéide ont sûrement raison. Comme ma contribution personnelle, j’aimerais souligner que cette ode est en réalité toute remplie de réminiscences de tous les ouvrages virgiliens, bien au-delà de la recusatio initiale et des vers finaux sur la saga troyenne, qui sont les seuls endroits signalés par la plupart des savants. Je les enregistre en note vers par vers71. Entre autres, il y en a beaucoup – et de plus claires – issues des Géorgiques, ce qui réfute l’opinion de Gagliardi selon laquelle la publication de ce poème aurait marqué le début de la rupture entre les deux poètes. Tout au contraire, après la deductum dicere carmen”; Callim. aet. fr. 1.21-24 Pfeiffer kai; ga;r o{te prwvtiston ejmoi`" ejpi; devlton e[qhka / gouvnasin, jApovllwn ei\pen o{ moi Luvkio": / ... ajoidev, to; me;n quvo" o{tti pavciston / qrevyai, th;n Mou`san, d∆ wjgaqev, leptalevhn. 68 Janka 2000, 297. 69 Gagliardi 1991, 372-373. 70 P. ex. Fraenkel 1957, 452; Barra 1973, 50; Schmidt 1983, 10-11; Kilpatrick 1996, 936. 71 Hor. c. 4.15.1-4 (cf. supra, note 67): à côté de la reprise de la recusatio de Verg. ecl. 6.3-5, signalée par beaucoup de savants, l’image des voiles poétiques vient de Verg. georg. 2.41 pelagoque volans da vela patenti. Hor. c. 4.15.4-5 tua, Caesar, aetas / fruges et agris rettulit uberes: allusion au sujet du poème géorgique, comme dans c. 4.5.17-18; pour l’expression cf. Verg. ecl. 9.48 astrum quo segetes gauderent frugibus. Hor. c. 4.15.6-8 et signa nostro restituit Iovi, / derepta Parthorum superbis / postibus: cf. Verg. Aen. 7.606 auroramque sequi Parthosque reposcere signa. Hor. c. 4.15.8-9 et vacuum duellis / Ianum Quirini clausit: cf. Verg. Aen. 1.294 claudentur belli portae (ce parallèle est signalé aussi par Duckworth 1956, 316). Hor. c. 4.15.12-14 et veteres revocavit artis, / per quas Latinum nomen et Italae / crevere vires: cf. Verg. georg. 2.532-534 hanc olim veteres vitam coluere Sabini, / hanc Remus et frater; sic fortis Etruria crevit / scilicet et rerum facta est pulcherruma Roma. Hor. c. 4.15.14-16 et imperi / porrecta potestas ad ortum / solis ab Hesperio cubili: cf. Verg. Aen. 6.794-796 super et Garamantas et Indos / proferet imperium; iacet extra sidera tellus / extra anni solisque vias. Hor. c. 4.15.16-17 custode rerum Caesare non furor / civilis aut vis exiget otium: cf. Verg. Aen. 1.294-296 furor impius intus / saeva sedens super arma et centum vinctus aenis / post tergum nodis fremet horridus ore cruento. Hor. c. 4.15.19-20 non ira, quae procudit enses / et miseras inimicat urbes: cf. Verg. georg. 1.508-511 et curvae rigidum falces conflantur in ensem / ... / vicinae ruptis inter se legibus urbes / arma ferunt. Hor. c. 4.15.21 non qui profundum Danuvium bibunt: cf. Verg. ecl. 1.62 aut Ararim Parthus bibet aut Germania Tigrim et Aen. 7.715 qui Tiberim Fabarimque bibunt. La strophe finale décrit la famille romaine toute entière en train de chanter la légende d’Énée (Hor. c. 4.15.31-32 Troiamque et Anchisen et almae / progeniem Veneris canemus): un regard vers le passé (Anchise) et vers le futur (la descendance de Vénus: Énée, mais aussi Auguste), dans la même perspective du poème virgilien. LE VIRGILE D'HORACE 173 mort de l’ami, Horace voulut placer un hommage à l’œuvre toute entière de Virgile comme le sceau final couronnant sa poésie lyrique. Je crois que l’opinion de ceux qui supposent une rupture entre Horace et Virgile en raison de dissensions littéraires est désormais réfutée de manière convaincante. Je ne ferai qu’une allusion très brève à une poésie de jeunesse d’Horace: l’épode 10, que beaucoup de savants lisent dans la perspective non seulement de l’amitié mais aussi de la communauté de goûts littéraires entre les deux jeunes poètes72. Il ne fait point de doute que le personnage attaqué par Horace, Mévius, est un poète adversaire de Virgile, qui le mentionne avec un autre personnage, Bavius, dans l’églogue 3: qui Bavium non odit, amet tua carmina, Mevi, / atque idem iungat vulpes et mulgeat hircos73 (“celui qui ne hait pas Bavius peut bien aimer tes vers, Mévius – et aussi bien atteler des renards et traire des boucs”). Mais l’épode ne dit nulle part que Mévius soit un poète74 et il n’y a rien du tout qui puisse faire songer à une divergence littéraire, comme beaucoup l’ont cru, à partir de Leo75. Fraenkel76 souligne justement le caractère tout à fait artificieux de l’invective, qui ne contient même pas la cause de la haine du poète envers Mévius. Les tentatives qu’on a faites pour découvrir le crime de ce dernier ont abouti à des résultats incertains et contradictoires77. Je n’ai pas l’intention de revenir ici sur les rapports de cette épode horatienne avec l’une des épodes de Strasbourg ni sur les autres questions qui se rapportent à cette poésie. Pour tout cela je renvoie à ma notice Mevio de l’Encyclopédie Horatienne78. J’aimerais souligner seulement que la structure de l’épode, qui est un propemptikon à l’envers, et se conclut avec la prédiction du naufrage de Mévius, paraît n’être pas opposée fortuitement à celle de l’ode 1.3 que nous avons analysée auparavant, qui souhaite à Virgile une heureuse navigation. Le rapport de cette épode avec Virgile paraît donc assuré, mais on ne peut pas faire de remarques plus précises sur son poids réel, à part la communauté d’inimitiés 72 Je cite pour tous le plus récent: Vidal 2004, 438. Verg. ecl. 3.90-91. De l’allusion virgilienne aux boucs descendent peut-être l’épithète olens appliquée à Mevius dans Hor. epod. 10.2 aussi bien que le sacrifice final d’un bouc (epod. 10.22). Cf. Barra 1973, 26. 74 Cet titre lui est donné par l’en-tête de l’épode dans quelques manuscrits et par les scholiastes horatiens, Porphyrion et Ps.Acron. Cf. aussi Serv. ad ecl. 3.90. 75 Une cause de dissension littéraire pourrait être fournie par Ps.Acr. ad iamb. 10.2 fuit enim obtrectator Horatii, sectator vocum antiquarum. Cela ne trouve pourtant aucune confirmation dans le texte de l’épode. 76 Fraenkel 1957, 24-36. 77 Pour Schmidt 1977, 406-412, suivi par Cavarzere 1992, 183-184, Mévius est coupable d’incontinence sexuelle (cf. aussi Harrison 1989); Pour Koenen 1977, il serait un voleur. Mosca 1985 l’identifie avec le canis de l’épode 6: Mévius serait donc un médisant. 78 Setaioli 1996a; cf. aussi Setaioli 1981, 1732-1734; 1783-1784; 1785. 73 174 A. SETAIOLI entre les deux poètes. Outre des dissensions littéraires supposées, une autre cause de divergence entre Virgile et Horace a été soulignée par les savants qui croient à une rupture de l’amitié entre les deux poètes, c’est-à-dire la différence de leurs positions idéologiques et politiques. Il s’agit là, à première vue, d’une argumentation qui n’est pas dépourvue de quelque fondement, parce que au moins l’attitude politique initiale des deux amis ne pouvait pas être plus divergente, comme le démontrent l’églogue 4 de Virgile et l’épode 16 d’Horace, dont nous parlerons tout à l’heure. Mais il faudra remarquer tout d’abord que, quoique leur dissension politique se fût déjà manifestée, elle n’empêcha pas Virgile de présenter Horace à Mécène, et la description du voyage à Brindisi démontre que la chaleur de l’amitié ne s’était pas refroidie ni à cause de cette divergence ni pour les incontestables différences de tempérament79. Affirmer, comme le fait Janka80, que même longtemps après son admission dans le cercle de Mécène Horace s’oppose à l’idéologie de l’Énéide, ou aller jusqu’à en faire, comme le suggère Gagliardi, un anti-augustéen qui désapprouve les principes inspirateurs des Géorgiques aussi bien que de l’Énéide81 paraissent franchement de grossières exagérations. Pourtant, il n’y a pas de quoi s’étonner trop de ce que des affirmations pareilles aient été faites à propos d’Horace, dès lors qu’il ne manque pas de savants, entre autres ceux de l’école de Harvard, pour faire de Virgile lui-même un ennemi d’Auguste. Tous ces critiques ne s’inquiètent guère de mettre leurs idées en accord avec le témoignage des textes. Or, en ce qui concerne Horace, c’est luimême qui déclare explicitement sa propre conversion politique. Je ne me réfère pas aux pièces où il loue Auguste et le principat, qu’on peut taxer d’insincérité, mais à une ode où, à partir de Quintilien82, tout le monde voit une allégorie politique, où l’image du navire symbolise la res publica. Quelle que soit la chronologie de cette ode, elle est sûrement plus tardive que l’épode 16, et Horace nous y dit expressément que le “navire de l’état”, qui avait été pour lui cause de dégoût, était maintenant devenu l’objet de son souci dévoué: nuper sollicitum quae mihi taedium, / nunc desiderium curaque non levis83. La troisième Ode Romaine aussi, dans laquelle Janka voit une prise de distances à l’égard de Virgile, à mon avis démontre surtout une chose, c’est qu’Horace a effectué une conversion de 180 degrés par rapport à sa position politique originaire: dans cette ode Junon met en garde les Romains 79 Cf. Vidal 2004, 436-437. Janka 2000, 282. 81 Gagliardi 1991, 367-368 et 374-374 respectivement. 82 Quint. 8.6.44. 83 Hor. c. 1.14.16-17. 80 LE VIRGILE D'HORACE 175 contre les dangers du déplacement de la capitale de Rome à Troie84, tandis que dans l’épode 16 le poète prônait l’abandon du sol maudit de la patrie. La question des rapports entre l’églogue 4 et l’épode 16, démontrés par des parallèles textuels précis, est l’une des plus débattues de toute la littérature latine. Je suis intervenu sur elle plusieurs fois dans le passé85 et je n’ai pas l’intention d’y revenir. Je dirai seulement qu’à mon avis la priorité virgilienne ne peut pas être mise en doute. La seule voix de quelque autorité qui a soutenu la priorité horatienne dans les années récentes a éte celle de Wendell Clausen, dans un appendice (Appendix) à son commentaire à l’églogue 486. Toutefois, il se préoccupe seulement de repousser les arguments avancés en 1938 par Bruno Snell87, sans tenir le moindre compte de ceux, bien plus convaincants, qui ont été avancés ensuite par d’autres savants. Il ne fait pas de doute que l’ex-républicain Horace, rescapé de Philippes, s’oppose nettement à l’optimisme virgilien, qui, dans l’églogue 4, place le rêve de l’âge d’or renouvelé dans le cadre institutionnel de la res publica: le nouveau siècle commencera sous le consulat de Pollion (te consule, v. 14), et l’enfant miraculeux lui-même ne se détachera pas de la tradition romaine en suivant les traces de son père et dans le culte de la virtus88. Horace, au contraire, le place dans une utopie à la fois géographique et politique, qui suppose l’abandon de la patrie et du cadre institutionnel de la res publica. L’épode est plus ancienne que l’entrée d’Horace dans le cercle de Mécène; nous venons justement de voir qu’ensuite il renversa totalement son attitude politique. Ses rapports avec Virgile, qui avaient été cordiaux même pendant que les deux poètes exprimaient des conceptions idéologiques opposées, ne pouvaient certainement pas se gâter plus tard, lorsqu’Horace renonça à ses idées, pour ainsi dire, ‘subversives’89. Je crois que son amitié avec Virgile a duré, ininterrompue, jusqu’à la mort de celui-ci et qu’ensuite Horace en a honoré la mémoire et l’a reconnu comme le poète national de Rome. Il y a pourtant, nous le verrons tout de suite, un contraste réel entre les deux poètes, qui n’entama pas leur amitié, mais qui ne parvint jamais à se résoudre ni durant la vie de Virgile ni après sa mort. Outre 1.3, il y a encore deux odes qui nomment Virgile comme destina84 Hor. c. 3.3.36 ss. P. ex. Setaioli 1971, 1744-1762; 1764-1765; 1779-1780; Setaioli 1996, 270. 86 Clausen 1994, 145-150. 87 Snell 1938. 88 Verg. ecl. 4.17 pacatumque reget patriis virtutibus orbem; 26-27 at simul heroum laudes et facta parentis / iam legere et quae sit poteris cognoscere virtus. 89 Sur le rapport très complexe entre Horace et l’idéologie du principat le beau livre de La Penna 1963 demeure fondamental. 85 176 A. SETAIOLI taire. L’une d’elles, l’ode 4.12, est une invitation au banquet, et son destinataire est identifié avec le poète par Porphyrion. Mais lors de la publication du quatrième livre des Odes Virgile était mort depuis déjà plusieurs années. Les opinions des savants sont partagées. Après Bentley, qui identifiait le destinataire de l’ode avec le poète Virgile, la thèse de ceux qui le considéraient comme un marchand du même nom l’emporta pour longtemps, mais dans les années plus proches de nous beaucoup de critiques sont revenus à l’opinon de Bentley90. Quelques-uns d’entr’eux signalent des parallèles avec la poésie de Virgile: on ne peut pas nier que la troisième strophe de l’ode rappelle de près les Églogues91; et l’en-tête de cette ode dans quelques manuscrits, Ad Vergilium quendam unguentarium (“à un Virgile marchand de parfums”), semble bien une maladroite induction à partir du texte horatien, qui demande à l’invité d’apporter du parfum en échange du vin qu’il recevra d’Horace92. L’apostrophe à Virgile comme iuvenum nobilium cliens93 (“client de jeunes gens de la noblesse”), qui scandalisait Fraenkel, s’adapterait très bien au jeune Virgile, protégé par Asinius Pollion et d’autres nobles personnages; s’il s’agit bien du poète, Horace pense peut-être à Mécène aussi, dont il ne paraît pas encore fréquenter le cercle, vu l’allusion à sa pauvreté. En ce qui concerne l’autre expression ‘scandaleuse’, qui attribue à Virgile le studium lucri94, le désir du gain, il suffira de rappeler les cadeaux que le poète reçut d’Auguste, dont Horace parle expressément dans l’épître adressée à celuici95. Finalement, si l’ode ne fait pas allusion à l’activité poétique de Virgile, il faudra rappeler que la même chose arrive dans les deux odes qui lui sont sûrement adressées: 1.3 et 1.24. Je ne prétens pas être en mesure de résoudre en peu de mots l’ancienne question de l’identité du destinataire de cette ode. Je me borne à avancer deux argumentations inédites, l’une pour, l’autre contre l’identification avec le Virgile poète. 90 Entre autres Bowra 1928; Moritz 1969; Nisbet-Hubbard 1970, 40; Barra 1973, 34-35; Putnam 1992-1993, 131 n. 18; Salvatore 1994; Johnson 1994 (à la p. 49 n. 1 une bibliographie sur la question); Vidal 2004, 442-443. Entre ceux qui nient l’identité de ce Virgile avec le poète Fraenkel 1957, 418 n. 1, est particulièrement tranchant. Une revue équilibrée de la bibliographie et des arguments pour et contre l’identification avec le Virgile poète chez Bellandi 1996, qui pour sa part incline au scepticisme. 91 Hor. c. 4.12.9-12 dicunt in tenero gramine pinguium / custodes ovium carmina fistula / delectantque deum, cui pecus et nigri / colles Arcadiae placent. 92 Le poème bien connu de Catulle à Fabullus (Catull. 13) repose sur le même motif, avec inversion des termes. 93 Hor. c. 4.12.15. 94 Hor. c. 4.12.25. 95 Hor. epist. 2.1.246-247 munera, quae multa dantis cum laude ceperunt / dilecti tibi Vergilius Variusque poetae. Cf. supra, note 33. LE VIRGILE D'HORACE 177 Les nombreuses réminiscences et les hommages à Virgile qui se trouvent au quatrième livre des Odes nous pousseraient à penser qu’Horace a récupéré une composition de jeunesse adressée à son ami, pour l’insérer dans un recueil où beaucoup d’espace est dédié à des hommages à sa poésie. Mais un autre détail important nous pousserait plutôt à nier que le Virgile de cette ode puisse être le poète. Elle exhorte le destinataire à oublier par le vin le caractère inévitable de la mort: nigrorumque memor, dum licet, ignium / misce stultitiam consiliis brevem96 (“en te souvenant des sombres flammes du bûcher, mêle un moment de folie aux sages pensées”). Dans une autre ode adressée à Virgile, dont nous parlerons tout à l’heure, 1.24, pour la mort de l’ami commun Quintilius Varus, la mort n’est pas exorcisée à travers l’évasion dans le vin et les plaisirs, mais accueillie et rendue acceptable grâce à l’endurance virile, avec des mots qui rappellent de près des vers célèbres d’Archiloque: levius fit patientia / quidquid corrigere est nefas97 (“ce que nous ne pouvons pas changer devient plus léger par l’endurance”). Archiloque avait dit: ajlla; qeoi; ga;r ajnhkevstoisi kakoi`sin, / w\ fivl∆, ejpi; kraterh;n tlhmosuvnhn e[qesan / favrmakon98 (“mon ami, les dieux ont posé la ferme endurance comme remède pour les maux irrémédiables”)99. Certes, on ne doit pas oublier que le thème du carpe diem, de la réaction vitale à la menace toujours présente de la mort, était à sa place dans une ode pour le banquet, tandis que dans les consolations, dont l’ode 1.24 présente quelques caractéristiques, l’exhortation à l’endurance était bien l’un des thèmes les plus récurrents100. Mais ce thème n’apparaît pas dans une autre consolation horatienne, l’ode 2.9, où le destinataire Valgius est exhorté à oublier la mort de son bien-aimé Mystès en chantant la gloire d’Auguste. Il est évident qu’Horace considérait Virgile comme une âme trop sensible pour oublier le deuil en détournant sa pensée ou en s’évadant dans l’habituelle réaction vitale hédoniste. Or, tous les lecteurs d’Horace savent que, pour sa part, il préféra toujours cette évasion, sans affronter sérieusement le problème de la mort. Cette ode à Virgile est presque le seul endroit où il prône 96 Hor. c. 4.12.26-27. Hor. c. 1.24.19-20. 98 Archil. fr. 7.5-7 Diehl. 99 D’autres parallèles chez Nisbet-Hubbard 1970, 288-289. Une interpolation tardive insérée dans la Vita donatienne de Virgile, peut-être dans la foulée de notre ode horatienne, attribue à Virgile lui-même un éloge de la patientia: solitus erat dicere (Vergilus) nullam virtutem commodiorem homini esse patientia, ac nullam asperam adeo esse fortunam, quam prudenter patiendo vir fortis non vincat. quam sententiam in V Aeneidos inseruit: ‘nate dea, quo fata trahunt retrahuntque sequamur; / quicquid erit, vincenda omnis fortuna ferendo est’ (Aen. 5.709-719). Cf. Brummer 1912, 31. 100 Cf. Nisbet-Hubbard 1970, 281; 288. 97 178 A. SETAIOLI la ferme endurance, ce qui nous montre l’estime qu’il avait pour la sensibilité de l’âme de son ami et pour le sérieux de son attitude. Ces deux consolations horatiennes nous permettent une remarque importante. Dans une séries d’articles sur la littérature consolatoire de l’antiquité101 j’ai pu remarquer que les Consolationes au sens propre et les autres écrits consolatoires renoncent bien rarement à insérer quelques allusions à la survie de l’âme du défunt. Le topos a reçu une codification rhétorique précise dans les manuels de Ménandre le Rhéteur et du Ps. Denys d’Halicarnasse. Eh bien: dans ses odes consolatoires Horace ne fait jamais la moindre allusion à la survie de l’âme. Dans l’ode 24 du premier livre il nous présente un Virgile déçu en ses principes les plus profonds, un Virgile qui adresse aux dieux une protestation et une question qui resteront sans réponse: tu frustra pius, heu, non ita creditum / poscis Quintilium deos102 (“toi, inutilement pieux, tu demandes raison aux dieux de Quintilius, que tu ne leur avais pas recommandé de cette manière”). On remarquera la correspondance avec la manière dont Virgile est recommandé au navire qui doit l’emmener en Grèce, dans l’ode 1.3: navis, quae tibi creditum / debes Vergilium103 (“navire, qui es redevable de Virgile, qu’on t’a confié”). Mais dans le cas de Quintilius, les dieux n’ont pas honoré la dette qu’ils avaient contractée avec Virgile et lui ont arraché Quintilius. Est-il donc qu’ils sont sourds à la pietas, la piété, la première vertu de l’Énée virgilien? La pietas d’Énée lui permet de franchir la porte de l’au-delà pour rendre visite à son père dans l’Élysée: vicit iter durum pietas104; mais Horace nous rappelle qu’elle ne peut pas arrêter la mort: nec pietas moram / rugis et instanti senectae / adferet indomitaeque morti105 (“la piété ne retardera pas les rides, la vieillesse qui nous guette et la mort inexorable”). C’était là une réaction bien humaine et parfois on entend des accents semblables même chez Virgile106. Virgile n’était exempt, bien entendu, du doute – je renvoie à une conférence sur le doute chez Virgile que j’ai tenue l’année dernière à la Sorbonne et qui sera bientôt publiée dans les “Cuadernos de Filología Clásica. Estudios Latinos” de l’Universidad Complutense de Madrid107. Et des idées pareilles se retrouvent occasionnellement dans 101 Setaioli 1999; Setaioli 2001. Cf. aussi Setaioli 1997 (maintenant recueilli dans Setaioli 2000, 275-273) et Setaioli 2001a. 102 Hor. c. 1.24.11-12. 103 Hor. c. 1.3.5-6. La correspondance avec 1.24.11-12 a été remarquée par bien de savants; entre autres Nisbet-Hubbard 1970, 286; Putnam 1993, 131-132. 104 Verg. Aen. 6.688. 105 Hor. c. 2.14.2-4. Pour c. 4.7.23-24 v. infra, note 131. 106 Verg. Aen. 6.878 heu pietas, heu prisca fides eqs.; cf. 11.843-844; georg. 3.525 quid labor aut bene facta iuvant? 107 Entre-temps parue: Setaioli 2005. LE VIRGILE D'HORACE 179 des textes qui déplorent un deuil108. Il faut pourtant remarquer que l’inanité de la pietas face à la mort n’était pas un topos codifié des lamentations ni, bien entendu, des consolations, au moins dans la revue de topoi qu’on lit chez Ménandre le Rhéteur109. Mais l’ode 1.24 doit être jugée dans le cadre tout entier de l’attitude d’Horace face à la mort. Dans un article paru il y a quelques années110 et dans une conférence de l’année dernière à Paris XII, qui serà publiée dans la même revue espagnole111 , j’ai souligné le sens tragique de la mort qui domine une partie consistante de la poésie horatienne et devient de plus en plus insistant dans les Odes, et, dans les Épîtres, envahit même la poésie en hexamètres. Horace chercha durant toute sa vie à vaincre l’effroi que lui inspirait l’inéluctabilité de la mort, en recourant tantôt aux remèdes stoïciens, tantôt aux épicuriens. Mais, à la fin de sa vie, dans le véritable testament spirituel qu’on lit dans les derniers vers de l’épître à Florus, il avoue qu’il n’y avait pas réussi112. L’un des remèdes auxquels recourt Horace est la foi dans l’immortalité conférée par la poésie113. Horace réclame l’immortalité poétique pour lui-même aussi: “je ne mourrai pas tout entier et une grande partie de moi se soustraira à Libitina”114 ; et ailleurs: “je ne mourrai pas et ne serai pas retenu par l’onde du Styx”115. Il est très facile de dire qu’il s’agit là d’un volontarisme qui contraste avec les convictions les plus profondes d’Horace. Il ne faut pourtant pas oublier qu’à son époque la croyance à l’héroïsation par la culture était très répandue, comme le démontrent de façon très claire les ouvrages classiques de Franz Cumont. Horace se cramponnait donc à un espoir de survie que la culture de son âge mettait à sa disposition. Mais ici, en s’adressant à Virgile, il est tout à fait sincère: ni la piété ni même la poésie ne peuvent rien contre la mort. Virgile pourra bien chanter de manière plus douce qu’Orphée: il ne pourra pas réveiller de la mort son ami Quintilius. Il 108 Cf. Consol. ad Liv. 131 ss.; CLE 1225.7-8, cités par Nisbet-Hubbard 1970, 286. Chez Ménandre le Rhéteur on ne trouve pas un topos tout à fait semblable dans ses chapitres sur les lamentations et les consolations (peri; paramuqhtikou`: III, pp. 413-414 Spengel; peri; ejpitafivou: III, pp. 418-422; peri; monw/diva": III, pp. 434-437). Le passage le plus proche de cette idée est peut-être III, p. 435, 9-12 crh; toivnun ejn touvtoi" toi`" lovgoi" eujqu;" me;n scetliavzein ejn ajrch`/ pro;" daivmona" kai; pro;" moi`ran a[dikon, pro;" peprwmevnhn novmon oJrivsasan a[dikon. 110 Setaioli 1995. 111 Entre-temps parue: Setaioli 2005a. 112 Hor. epist. 2.2.207. Nous avons vu, d’ailleurs, qu’il préfère s’évader dans le vin plutôt qu’affronter sérieusement le problème de la mort. 113 Cf. l’ode 2.13, où Alcée et Sapho réjouissent encore les ombres par leur chant; pour l’immortalité de ceux qui sont célébrés par les poètes cf. c. 4.2.21-24 et 4.8.26-27. 114 Hor. c. 3.30.6-7 non omnis moriar multaque pars mei / vitabit Libitinam. 115 Hor. c. 2.20.5-8 non ego... obibo / nec Stygia cohibebor unda. 109 180 A. SETAIOLI s’agit encore une fois d’un topos, comme l’ont bien souligné Nisbet et Hubbard116 , mais il ne faut pas oublier que l’Orphée virgilien avait pu arracher son épouse à la mort, et l’avait ensuite perdue par sa propre faute. Ici Horace n’hésite pas à contredire son ami. Mais le dialogue poétique qu’il établit va bien au-delà. L’ode 1.24 est influencée de près par un petit poème de Catulle adressé à son ami Calvus pour la mort de sa femme Quintilia, dont le nom même n’est pas sans rappeler l’ami défunt de Virgile et d’Horace, Quintilius117. Chez Horace on retrouve l’écho de beaucoup des expressions de Catulle, mais l’attitude de celui-ci est inversée. Catulle, qui, de son côté, ne croit pas à l’immortalité, comme on peut très aisément le déduire du poème des baisers et de celui pour son frère118, dans le poème consolatoire pour Calvus suppose au contraire la survie de Quintilia et une “corrispondenza d’amorosi sensi”119 (“correspondance de sentiments d’amour”) entre les vivants et les morts120, qui renverse le thème de la tombe muette qui apparaît au début du poème121 et domine entièrement celui pour son frère. Dans cette composition consolatoire Catulle suit les préceptes des rhéteurs, qui prônaient d’insérer l’allusion à la survie du défunt, même contre ses propres convictions; et peut-être se rattachait-il à Calvus lui-même, si l’un des fragments de celui-ci, constitué par le pentamètre forsitan hoc etiam gaudeat ipsa cinis122 (“peut-être les cendres mêmes en tireront jouissance”), faisait partie de son épicédion pour Quintilia. Horace, tout au contraire, quoique se référant à Catulle, ne suit pas les manuels de rhétorique, mais sa propre conviction, qui coïncidait avec celle qu’avait exprimée le philosophe académicien Crantor dans l’écrit consolatoire le plus célèbre de l’antiquité, le Peri; pevnqou" (“Sur le deuil”); et il fau– dra rappeler qu’Horace connaît Crantor, qu’il cite ailleurs, avec le stoïcien Chrysippe, comme un maître d’enseignements éthiques123. Dans le Peri; 116 Nisbet-Hubbard 1970, 286-287, qui citent Eur. Alc. 357 ss. et Iphig. A. 1211 ss.; epitaph. Bion. 115 ss. 117 Cf. Putnam 1992-1993, 124-126. 118 Catull. 5.6 nox est perpetua una dormienda; 101.4 et mutam nequiquam alloquerer cinerem. 119 C’est intentionnellement que j’emploie cette expression du grand poète italien Ugo Foscolo (I sepolcri, v. 30). Comme Crantor (cf. infra), il posait l’exigence d’une communication entre les vivants et les morts, sans pourtant se dissimuler que les morts ne peuvent pas répondre (vv. 24-25: “l’illusion che spento / pur lo sofferma al limitar di Dite”). 120 Catull. 96.5-6 certe non tanto mors immatura dolorist / Quintiliae quantum gaudet amore tuo. 121 Catulle 96.1-2 si quicquam muteis gratum acceptumque sepulcris / accidere a nostro, Calve, dolore potest. 122 Calu. fr. 16 Morel = Büchner. 123 Hor. epist. 1.2.4. LE VIRGILE D'HORACE 181 pevnqou" Crantor avait bien parlé d’une correspondance amoureuse entre les vivants et le défunts124, mais il spécifiait qu’elle peut aller dans une seule direction: seuls les vivants peuvent être bienfaisants envers les morts en honorant leur mémoire125. C’est bien la même idée que dans le poème I sepolcri du grand poète italien Ugo Foscolo, d’où vient la phrase italienne que nous venons de citer. Quant à la pietas, nous avons déjà vu que pour Horace elle ne peut rien face à la mort. Il n’en était pas ainsi pour Virgile, au moins dans le cas d’Énée, le héros pieux par antonomase, auquel l’immortalité est prophétisée deux fois dans l’Énéide par Jupiter lui-même, au début et à la fin du poème, de façon à donner le plus grand relief à cette promesse126. Eh bien: c’est justement dans le quatrième livre des Odes, qui – nous l’avons vu – contient l’hommage littéraire et politique le plus vif à l’œuvre toute entière de Virgile, qu’on trouve une ode qui le contredit de manière tranchante sur ce point. Dans l’ode 7 du quatrième livre Horace insiste encore sur la brièveté de la vie, à laquelle s’opposent les ténèbres éternelles de la mort. Nous rencontrons ici une liste de grands personnages qui sont morts, pareille à celle qu’on trouve dans une autre ode, 1.28, où le poète s’adresse au philosophe pythagoricien Archytas. C’est le topos de l’ubi sunt?, qu’on retrouve à d’autres endroits chez Horace, jusqu’à la fin de sa carrière poétique127. Ce thème est développé avec une grande puissance poétique par Lucrèce, au troisième livre (3.1035-1044), et puis a connu une grande diffusion dans la poésie européenne. En France tout écolier connaît la Ballade des dames du temps jadis et la Ballade des seigneurs du temps jadis de François Villon: “mais où sont les neiges d’antan?”, “mais où est le preux Charlemagne?”. Dans l’ode 4.7 Énée lui-même apparaît dans une liste de ce type: nos ubi decidimus / quo pius Aeneas, quo dives Tullus et Ancus, / pulvis et umbra sumus128 (“nous, lorsque nous sommes descendus là où sont tombés le pieux Énée, le riche Tullus et Ancus, nous ne sommes plus que poussière et ombre”). Alfonso Traina129 a raison, à mon avis, de retenir la leçon pius, au lieu de pater, donnée par d’autres manuscrits. Pater est un appellatif virgilien d’Énée aussi fréquent que pius130, mais dans cette ode l’inanité de la pietas 124 Crantor F 3a Mette th;n ejk tou` filei`sqai kai; filei`n eu[noian. Crantor F 6a Mette wjfevleia d∆ ejsti; toi`" ajfh/rhmevnoi" hJ dia; th`" ajgaqh`" mnhvmh" timhv. 126 Verg. Aen. 1.259-260 sublimemque feres ad sidera caeli / magnanimum Aenean; 12.794-795 indigetem Aenean scis ipsa et scire fateris / deberi caelo fatisque ad sidera tolli. 127 Cf. Hor. epist. 1.6.27. 128 Hor. c. 4.7.14-16. 129 Traina 19862, 265 et n. 1. Cf. Aussi Wagenvoort 1956, 82. 130 Pater Aeneas se trouve p. ex. dans Verg. Aen. 1.699; 2.2; etc. Wagenvoort 1956, 82 et 125 182 A. SETAIOLI face à la mort est l’idée dominante: non, Torquate, genus, non te facundia, non te / restituet pietas131 (“ni ta noblesse, Torquatus, ni ton éloquence, ni ta piété te fairont revivre”). Horace l’avait déjà dit, nous l’avons vu, dans l’ode 2.14 à Postumus132. À la fin de la même ode 4.7, comme pour réaffirmer son désaccord avec Virgile, Horace dit résolument: infernis neque enim tenebris Diana pudicum / liberat Hippolytum133 (“Diane ne délivre pas Hippolyte des ténèbres infernales, malgré sa chasteté”). Dans le livre 7 de l’Énéide Virgile avait au contraire accueilli une autre version, selon laquelle Hippolyte avait été ressuscité par Diane134. Dans un livre comme le quatrième des Odes, bourré d’hommages à Virgile et d’échos de sa poésie, ces références ne peuvent pas être fortuites. Donc, s’il y eut une dissension profonde entre Virgile et Horace, elle ne se déroula pas sur le plan de la littérature et de la politique; ici les désaccords, quoique profonds, n’aboutirent pas à des divergences irrémédiables. Ce fut dans la position face à la mort que l’attitude désolée d’Horace s’opposa toujours, en vie et en mort de Virgile, à celle de son ami135. Comme dans sa jeunesse Horace l’avait mis en garde contre la naïveté du rêve de l’âge d’or, de la même manière il protesta toujours contre les illusions de son ami face à la mort; mais tandis que Virgile, déçu dans sa foi religieuse, élevait d’inutiles protestations aux dieux, Horace lui enseignait le seul remède véritable: une ferme, mais toute laïque, endurance virile. Université de Perugia ALDO SETAIOLI OUVRAGES CITÉS G. Barra, L’amicizia tra Virgilio e Orazio, “Vichiana” 2, 1973, 22-50 R. Basto, Horace’s propempticon to Vergil: A Re-examination, “Vergilius” 28, 1982, 30-43 F. Bellandi, Virgilio 2 (Vergilius), dans: Orazio. Enciclopedia Oraziana, I, Roma 1996, 942944 C. Bione, Orazio e Virgilio. Un ventennio di vita spirituale nella Roma augustea (37-17 a.C.), Firenze 1936 C. M. Bowra, Horace, Odes IV.12, “CR” 42, 1928, 165-167 n. 3, compte 18 cas de pater Aeneas et 18 de pius Aeneas dans l’Énéide. 131 Hor. c. 4.7.23-24. 132 Hor. c. 2.14.2-4. Cf. supra, note 105. 133 Hor. c. 4.7.25-26. 134 Verg. Aen. 7.765-777. 135 Cf. Wagenvoort 1956, 83. Je ne pense pas pourtant que l’attitude d’Horace envers la pietas de Virgile soit “rather sarcastic”, comme le dit Wagenvoort. LE VIRGILE D'HORACE 183 J. Brummer, Vitae Vergilianae, Lipsiae 1912 J. S. Campbell, Animae dimidium meae: Horace’s Tribute to Virgil, “CJ” 82, 1987, 314-318 A. Cavarzere, Orazio. Il libro degli Epodi. Trad. di F. Bandini, Venezia 1992 W. Clausen, A Commentary on Virgil, Eclogues, Oxford 1994 F. Della Corte, Orazio (Q. Horatius Flaccus), dans: Enciclopedia Virgiliana, III, Roma 1987, 872-876 F. Della Corte, Virgilio e Orazio, “C & S” 108, 1988, 47-55 E. Duckworth, Animae Dimidium Meae: Two Poets of Rome, “TAPhA” 87, 1956, 281-316 D. Estefanía Álvarez, Horacio, la amistad y los amigos, dans: D. Estefanía Álvarez (éd.), Horacio, el poeta y el hombre, Madrid-Santiago de Compostela 1994, 1-20 B. 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