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Jean Guilaine François Briois L'épée de Lafage (St-Amadou, Ariège) In: Bulletin de la Société préhistorique française. 1984, tome 81, N. 4. pp. 122-125. Citer ce document / Cite this document : Guilaine Jean, Briois François. L'épée de Lafage (St-Amadou, Ariège). In: Bulletin de la Société préhistorique française. 1984, tome 81, N. 4. pp. 122-125. doi : 10.3406/bspf.1984.8624 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bspf_0249-7638_1984_num_81_4_8624 Bulletin At la SOCIÉTÉ PRÉHISTORIQUE FRANÇAISE 1984 /ТОМЕ 81/4 LTEpée Je Lafage (Saint-Âmadou, Âriège) par Jean Guilaine et François Briois En 1981, nous était aimablement communiquée par la famille Vessières, de Ludiès, une épée de cuivre découverte fortuitement par M. Auriol, agriculteur de l'Est de Pamiers, qui la conserve. La pièce fut trouvée dans la propriété même de ce dernier, à Lafage, commune de Saint- Amadou (coordonnées zone Lambert III : x = 547,7 ; y = 3090,3 ; z = 320 m) sur le flanc d'un fossé creusé le long du chemin menant au domaine. Nous sommes ici sur le bord de la terrasse de 60 m, au niveau t3, sur des graviers remaniés et partiellement recouverts de sédiments fins. La pièce, découverte à plat, à 80 cm de profondeur, était en pleine boulbène, couche de sédiment fin éolien. D'après l'inventeur, elle était totalement isolée. Aucun galet susceptible de révéler la présence d'une structure n'apparut. L'épée est à lame allongée. La partie distale présente une languette triangulaire très érodée sur les côtés. Un possible trou de rivet, dont il ne subsister ait de nos jours que la moitié, est situé sur un côté de la soie. L'autre bord, très frangé par usure, ne présente pourtant pas semblable encoche. Les côtés de la lame, peu abîmés et relativement rectilignes, sont sensiblement convergents. Vue de profil la pièce est légèrement torse. Les deux faces de cette épée présentent des plaques d'oxyde de cuivre patinées. Entre elles le métal est presque nu. Un décor, bilatéral, présent sur les deux faces, a été remarqué. Il s'agit d'un faisceau de stries parallèles entre elles (quatre ont été dénombrées), longeant les bords. Mensurations : Longueur : 39,3 cm ; largeur maximum : 6 cm ; largeur moyenne de la lame : 4 cm. En dépit de son état de conservation assez médiocre, l'épée de Lafage est intéressante à plus d'un titre. Soulignons toutefois que les comparaisons que nous pourrions tenter au plan régional (Lan guedoc occidental, zone pyrénéenne) demeurent restreintes par suite du faible nombre de dagues ou d'épées mis au jour dans ces régions au cours des premiers temps de l'Age du Bronze. En Ariège même une exception doit être faite à l'épée du Vernet, trouvée en 1870 « dans la plaine de Pamiers, à 300 m de Г Ariège, rive droite, sous un tas de pierres, dans la propriété de M. Dardigna ». L'un de nous a montré qu'il s'agissait d'une version grand format (34 cm) des poignards occidentaux « campaniformes » (Guilaine 1966, 1972). En France les documents pouvant être mis en parallèle avec ce vestige sont rares : épée du Pont de Pirmil à Nantes Fig.Ariège). 1 - Localisation de la découverte de l'épée de Lafage (Saint-Amadou, 123 (longue de 42,5 cm) ou poignards de moindre envergure de l'hypogée de Bounias (Arles) ou des dragages de la Loire (Loiret), ce dernier long de 20,4 cm. En fait les meilleures parentés de l'épée du Vernet sont à chercher dans la péninsule Ibérique dans le groupe campaniforme de Ciempozuelos qui occupe l'essentiel des plateaux centraux à la fin du Chalcolithique et au Bronze ancien. Ce groupe a fourni une série de poignards ou d'épées remar quables. Quand l'on connaît les affinités stylistiques et chronologiques du groupe de Ciempozuelos et du groupe campaniforme pyrénéen (qui dans sa phase tardive affectionne également les bols à décor incisé et estampé) on ne s'étonnera pas de retrouver ici les mêmes vestiges métalliques. C'est donc dans une même ambiance métallique que baignent ces deux horizons frères. Ceci peut notamment expliquer la présence de pièces comme celle du Vernet ou de quelques pointes de Palmela sur le versant nord des Pyrénées. Ajoutons que l'épée du Vernet est, comme il fallait s'y attendre, en cuivre, comme le montre la récente analyse de J. Bourhis (Cf. infra) (1). L'évolution de la métallurgie en domaine pyrénéen à partir de ce fonds primitif se laisse suivre plus difficilement. Ici se place l'intérêt d'une pièce comme celle de Lafage marquée par : 1) Un certain nombre de caractères archaïques : — Ainsi la lame est relativement plate ou faibl ement biconvexe, sans nervure longitunale ni renfor cement en épaisseur sur l'essentiel de son dévelop pement. — le faible élargissement au niveau de la garde (dans la mesure où il faudrait considérer ses bords comme peu altérés) est aussi un critère à prendre en compte. — l'utilisation du cuivre surtout nous paraît être un fait notable ; on aurait pu s'attendre, compte tenu de la typologie de cette pièce, à une composition révélant la présence d'étain. 2) L'apparition de quelques caractères novateurs : — On citera d'abord l'allongement de la lame, développé jusqu'à atteindre 40 cm. Ce phénomène était assez rare en contexte campaniforme sans y être inconnu : Mêles à Fornos de Algodores, Portugal : 57 cm ; Santa Maria de Lobelhe, Portugal : 38 cm ; Pont de Pirmil, Nantes : 42,5 cm ; La Obispa, Burgos : 35 cm ; Arrabal del Portillo, Valladolid : 35,8 cm ; San Miguel, Burgos : 35 cm. Cet allonge mentest d'ailleurs déjà sensible sur l'épée du Vernet : 34 cm. (1) Les prélèvements sur les épées du Vernet et de Lafage ont été effectués par J. Coularou, I.T. A. au C.N.R.S. Nous remercions M. Bourhis pour les analyses réalisées sur ces deux pièces. Par ailleurs nous devons à l'amabilité du Dr Leclercq, de Pamiers. la mise à notre disposition de l'épée du Vernet. — Autre caractère, l'écourtement de la languette qui connaît une faible longueur eu égard au dévelop pement global de l'arme. Cette réduction de la languette s'inscrit dans une évolution qui pourrait conduire vers certains poignards ou épées du Bronze ancien. — La présence (?) de rivets. Rappelons que ce caractère est dans le cas présent incertain en raison de l'aspect aujourd'hui frangé des bords de la garde. Si l'échancrure, visible sur un bord, est bien le vestige d'un trou destiné à une fixation, il faut en déduire que le bord opposé — où une échancrure semblable n'est pas visible — aurait subi une érosion appréc iable. Le développement des lames à rivets au Bronze ancien est un phénomène sensible. Mais l'on peut rencontrer en fait de tels exemplaires dès l'Age du Cuivre en Languedoc ou dans les Pyrénées (ainsi l'exemplaire à lame plate et deux rivets de Bouriège, Aude). — La présence d'un faisceau de rainures gravées parallèles aux bords (quatre dans le cas ici évoqué) est une originalité propre aux rapières du Bronze ancien. On en connaît des exemples en milieu rhodanien ou italique (Loreto Aprutino, Ripatransone, etc.), armoricain (par exemple Tumulus de Carnoët, Quimperlé, Finistère), ibérique (épée de Saint- Jacques-de-Compostelle), etc.. Ces filets ne sont généralement pas signalés sur les lames campaniformes — où toutefois s'observe parfois une cannelure ou un décrochement parallèle aux bords — mais pourront être un bon traceur des cultures du Bronze ancien et moyen. Dans le Sud de la France leur présence sur les poignards du Bronze ancien (Cissac) et sur les épées plus évoluées du type Le Cheylounet-Jugnes a souvent permis d'évoquer une possible continuité stylistique des premiers aux secondes. *** L'épée de Lafage associe donc des caractères propres aux premières épées connues, attribuables à l'Age du Cuivre, et des aspects à peine plus évolués qui préfigurent ou l'assimilent à certaines dagues du Bronze ancien. On peut donc la dater sans difficulté de la fin du Chalcolithique ou des débuts de l'Age du Bronze. Au plan culturel son attribution reste davantage problématique dans la mesure où les groupes régionaux du Bronze ancien sont trop peu fournis en pièces métalliques et notamment en poignards et en épées pour pouvoir revendiquer sans difficulté cette arme. Il fut un temps où cette pauvreté faisait considérer automatiquement les vestiges méridionaux comme des importations à partir des centres métallurgiques du Bronze ancien plus prospères : aire rhodanienne (dont les effets sont sensibles jusqu'aux Pyrénées), aire du Sud-Est ibérique (El Argar), zone des Tumuli armoricains. On se contentera ici de formuler une hypothèse dont le caractère spéculatif n'échappera pas. L'utilisation 124 rç> [^! Тт H тттттиштттитвт» V, *:*'№ 5 cm Fig. 2 - L'épée de Lafage (Saint- Amadou, Ariège). On a figuré à ses côtés l'épée du Vernet (Saverdun, Ariège) pour comparaison. 125 Blance В. (1971) — Die Anfànge der métallurgie auf der lberischen Halbinsel, Romisch-Germanische Zentralmuseum, SAM, 4, Berlin, 204 p., 17 cartes, 30 pi. Briard J. et Mohen J.-P. (1975) — Le tumulus de la forêt de Carnoët à Quimperlé (Finistère), Antiquités Nationales, 6, pp. 46-60, 9 fig. Delibes de Castro G. (1977) — El vasp campaniforme en la Meseta norte espanola, Universidad de Valladolid, 174 p., 35 fig., I carte. Delibes de Castro G. (1978) — Carbono 14 y fenomeno campaniforme en la Peninsula iberica, Fundacion Juan March, 11, pp. 84-94. Guilaine J. (1976) — L'épée du Vernet près Saverdun (Ariège) et la question des groupes épicampaniformes, Bulletin de la Société Préhistorique Française, T. LXIII, pp. CCIII-CCIX, 3 fig. Guilaine J. (1972) — L'Age du Bronze en Languedoc occidental, Roussillon, Ariège, Klincksieck, Paris, 460 p., 136 fig., II pi. Harrison R. (1977) — The bell beakers cultures of Spain and Portugal, Peabody Museum Harvard University, Cambridge, Massachusetts, 257 p., 110 fig. Maluquer de Motes J. (1961) — Nuevos hallazgos de la cultura del vaso campaniforme en la Meseta, Universidad de Barcelona, 14 p., VII pi. Martin Valls R. y Delibes de Castro G. (1975) — La cultura del vaso campaniforme en las campinas méridionales del Duero (el enterramiento de Fuente Olmedo, Valladolid), Monografias del Museo Arqueologico de Valladolid, 58 p., 19 fig., 11 pi. Peroni R. (1971) — L'Eta del Bronzo nella penisola italiana. I. L'antica Eta del Bronzo, Olschki, Firenze, 372 p., 73 fig., 11 pi. (Centre d'Anthropologie des Sociétés Rurales, 56, rue du Taur, 31000 Toulouse). : du cuivre, comme c'est le cas ici, pour des pièces déjà proches du Bronze ancien, est un fait bien connu dans la péninsule Ibérique (par exemple dans la première phase d'El Argar ou dans le Bronze valencien). On peut donc se demander si ce type de rapière ne s'est pas développé sur une base ré gionale les groupes campaniformes des plateaux nord de la péninsule Ibérique — zone du groupe de Ciempozuelos — et de l'aire sud pyrénéenne, dont l'influence sur la partie française de la chaîne est certaine. Rappelons encore une fois que les longs poignards ou épées en cuivre d'état-civil campani formesont assez nombreux dans cette partie de la péninsule Ibérique et que, d'autre part, leur chrono logie « basse », en plein Bronze ancien, est confirmée par plusieurs datations С 14 (Delibes de Castro, 1978). Le maintien de l'utilisation du cuivre dans le cas de l'épée de Lafage s'inscrirait donc dans une tradition technique interrégionale recouvrant un cadre géographique à forte emprise campaniforme. Quant aux autres critères « novateurs » rencontrés sur cette arme (faisceaux de rainures par exemple), ils ne feraient que traduire une évolution typologique plus générale, propre à plusieurs groupes de cette période. Almagro Gorbea M. (1973) — La espada de Santiago, Cuadernos de Estudios G alleges, XXVIII, 84, pp. 70-79, 1 ph. Analyses métalliques par J.-R. Bourhis Les analyses des épées de Lafage et du Vernet ont donné des résultats suivants : I (épée de Lafage, Pamiers, Ariège) II (épée du Vernet, Saverdun, Ariège) Cu Sn Pb As Sb Ag Ni Bi Fe Zn Mn 95,5 — 0,002 3~ 0,005 0,002 — 0,004 0,001 — — 96,0 — 0,002 3~ — 0,005 — 0,015 0,001 — — Les teneurs en cuivre ont été dosées par elec trolyse. Les teneurs en impuretés ont été détermi nées par spectrographie. Les deux épées sont en cuivre arsénié, les teneurs en cuivre sont de l'ordre de 95 à 96 %, les teneurs en arsenic sont fortes de l'ordre de 3 % environ (il a pu y avoir apport d'arsenic pour obtenir un outil plus fonctionnel), les autres impuretés sont à l'état de traces très faibles ou nulles. Ces deux compositions sont pratiquement identiques sauf une teneur légère mentplus forte en bismuth pour l'épée du Vernet. La présence d'arsenic fait penser à un minerai d'origine ibérique plutôt qu'à un minerai languedocien plus riche en antimoine et en argent. (Équipe de Recherche n° 27 du C.N.R.S. Laboratoire d'Anthropologie. Campus de Beaulieu, 35042 Rennes Cedex)