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LES ENJEUX THÉORIQUES de la RÉHABILITATION Actes du 3e séminaire du réseau ARCHITECTURE, PATRIMOINE ET CRÉATION École nationale supérieure d’architecture de Lyon 1er- 2 décembre 2016 Sous la direction de Benjamin Chavardès et de Philippe Dufieux François-Frédéric MULLER « OLDWASHING » OU LE RECYCLAGE DU PATRIMOINE Dans les écoles d’architecture, les ateliers que nous dédions à la matière existante de la ville s’attachent à aiguiser le regard de nos étudiants. À des échelles et avec des arrière-plans théoriques différents, nous avons à cœur de questionner l’existant, c’est-à-dire d’évaluer ce qui le compose, d’en extraire les qualités et ce qui mérite d’être transformé ou adapté à un programme contemporain. Cette évaluation patiente n’est pas anodine, elle suppose un temps pour l’observation, pour un relevé, puis un diagnostic, elle favorise l’irruption magique de l’intuition et prépare l’écriture du projet. Mais cette évaluation est également un dialogue entre passé et présent. Que ce dialogue soit respectueux, asymétrique ou iconoclaste, il faut qu’il ait lieu afin que l’étudiant se positionne par rapport à la situation qui lui est donnée. Il peut décider d’abréger la conversation, il peut décider de ne parler qu’à une partie de l’existant et d’en ignorer une autre, il peut feindre de ne pas comprendre ou au contraire entrer en communion avec la matière historique, mais dans tous les cas, nous demandons à l’étudiant de tirer les conclusions de ce dialogue pour projeter. Le cœur de notre enseignement parle de transformation, de continuité et de rupture. Les trois termes supposent bien une évaluation d’une situation et d’un contexte donné. La plupart des projets que nous encadrons parlent de mutation des usages, de continuité des usages ou de réactivation par de nouveaux usages. Nos ateliers n’interdisent pas l’audace et laissent parfois avancer des positions hétérodoxes, pourvu qu’il y ait une relation identifiable entre concept et moyens architecturaux mis en œuvre. L’histoire de l’architecture et de la ville est suffisamment riche pour nous permettre de comprendre et de classer par typologie les interventions de nos étudiants dans l’existant. Eux-mêmes puisent dans les nombreuses références que nous manipulons pour eux, ou qu’ils trouvent dans les bibliothèques et de plus en plus souvent sur internet. Tout notre support théorique passe par une définition de la notion de patrimoine. La beauté et, pour partie, l’ambiguïté du terme est qu’il désigne à la fois un bien matériel dont on hérite et un ensemble d’artefacts qui peu à peu constituent une 41 Fig. 1 − Siège administratif du port d’Anvers (Zaha Hadid Architects) © Léo Tigerman. mémoire collective1. Cette double acception de la notion de patrimoine, entre bien privé et domaine public, n’a pas ou très peu intéressé les philosophes du patrimoine. Ou plutôt tout a été réfléchi comme si, à partir d’une certaine valeur ou à partir d’un certain degré d’universalité, tout patrimoine devenait forcément un bien public géré, entretenu, défendu par la société tout entière. Mon intervention en était à ce point d’avancement lorsque je suis tombé par hasard sur ce projet de Zaha Hadid à Anvers [fig. 1]. Il s’agit du nouveau siège du port d’Anvers, une réhabilitation et extension d’une ancienne caserne de pompiers. Je ne veux pas entamer ici une critique architecturale de l’intervention de Zaha Hadid, ni gloser sur la valeur relative du patrimoine au-dessus duquel elle a construit. Je voudrais plutôt mettre au jour le mécanisme sociétal qui peut conduire à ce genre d’objet, et en quoi il nous renseigne sur l’état présent de notre art. Ce projet doit à mon avis nous faire réfléchir à deux phénomènes parallèles qui se nourrissent réciproquement : - - De la part du grand public, une désaffection constante pour la notion de patrimoine commun ou en tout cas pour le besoin de gérer collectivement notre patrimoine, sachant qu’il n’est pas question d’une disparition de la valeur patrimoniale dans notre société. Au contraire, il semble qu’elle soit de plus en plus présente, mais atomisée, individualisée, réduite à notre entourage immédiat. Il y a de moins en moins d’appétence pour une mémoire collective à l’échelle nationale ou régionale, mais une réduction parfois absurde à une défense de son clocher, de sa fontaine ou de son banc. De la part de grandes sociétés commerciales ou industrielles, une volonté toujours plus patente de se fabriquer une légitimité historique en achetant et en restaurant des pans entiers de notre patrimoine bâti. La question est politique, car elle nous parle d’un désengagement des États dans des domaines de plus en plus nombreux. En France, la privatisation des autoroutes ou la généralisation des PPP [Partenariat Public-Privé] dans les marchés publics n’est que la partie visible de l’iceberg. Derrière ces phénomènes largement médiatisés se cachent des affaires plus graves dans les champs de la santé, de l’alimentation ou de l’éducation. Mais ce qui nous intéresse ici reste le patrimoine bâti. Il va de soi que ce que nous abandonnons collectivement dans ce domaine n’est pas perdu pour tout le monde. Reprenons l’ambiguïté du patrimoine, entre héritage privé et mémoire collective, il semble que ce que nous délaissons fait le bonheur de sociétés privées qui n’ont hérité de rien mais qui s’achètent une respectabilité historique en ramassant ce que nous laissons 1. Voir sur ce sujet les travaux de Pierre NORA (dir.), Les Lieux de mémoire, Paris, collection Quarto, Gallimard, 1997, 1664 p. 43 Fig. 2 − Chocolaterie Menier à Noisiel, siège de Nestlé France. Source internet. Fig. 3 − Fondation Prada à Milan (OMA) © OMA. Fig. 4 − Siège de la maison Fendi dans le Palais de la civilisation italienne © Fendi. de côté. C’est une attitude que je propose de nommer « Oldwashing » et je vais en détailler plus bas quelques mécanismes. Outre le cas de Zaha Hadid, sur lequel je m’appuierai pour son côté spectaculaire et caricatural, on peut citer trois exemples récents qui marquent tout autant pour leur valeur symbolique. À Noisiel, au bord de la Marne, le Moulin de la chocolaterie Menier [fig. 2], conçu par Jules Saulnier, est l’un des premiers bâtiments au monde à structure métallique apparente, construit entre 1869 et 1872. Il est acheté par Nestlé en 1988, qui en fait son siège français en 1996 après un classement au titre des monuments historiques en 1992. Le site est aujourd’hui uniquement visitable lors des Journées européennes du patrimoine et quelques jours par an selon le bon vouloir de Nestlé. L’image du bâtiment est utilisée sur le site internet de Nestlé France pour illustrer l’histoire de la société multinationale. La fondation Prada a été installée par l’OMA [Office for Metropolitan Architecture] dans une ancienne distillerie de 1910 à Milan [fig. 3]. Il s’agit d’un musée privé de dix-neuf mille mètres carrés organisé autour des thèmes du cinéma, du design, de l’architecture, de la philosophie, de la mode et de la performance. On y trouve par exemple une « Académie des enfants » dessinée par des étudiants de l’ENSA de Versailles et conçue avec l’appui de la neuropédiatre Giannetta Ottilia Latis, et le Bar « Luce » dessiné par Wes Anderson sur le modèle d’un café typiquement milanais. Selon les propres termes de ses fondateurs, la styliste Miuccia Prada et son mari Patrizio Bertelli, cette institution culturelle sert à « enrichir notre vie quotidienne2». Avec une tout autre portée symbolique, un autre grand nom de la mode, Fendi, a investi un bâtiment bien plus chargé historiquement : le Palais de la civilisation italienne, construit en 1943 [fig. 4]. Il faut rappeler ici que les arches visibles en façade sont au nombre de neuf pour, dit-on, reprendre le nombre de lettres du nom Mussolini. Nous ne résistons pas à l’envie de citer le P-DG de Fendi, Pietro Beccari qui, interrogé par Le Figaro sur l’aura particulière du bâtiment, a répondu : « Il n’est pas connoté «fasciste» car aucun fasciste n’y a habité ou travaillé3. » Il devient difficile de continuer à faire réfléchir nos étudiants sur des situations contemporaines avec des outils de classement et d’intellectualisation très pertinents, mais incomplets. Pour reprendre simplement Riegl4, il manque, à côté de la valeur d’ancienneté ou de la valeur commémorative, une valeur de rentabilité historique, une sorte de « bankabilité » (pour céder aux sirènes obligatoires des anglicismes), c’est-à-dire le pouvoir qu’aurait un bâtiment 2. https://www.letemps.ch/lifestyle/dessinee-rem-koolhaas-fondation-prada-dialoguer-arts?utm_ source=mail&utm_medium=share&utm_campaign=article 3. http://immobilier.lefigaro.fr/article/quand-un-palais-de-l-epoque-fasciste-devient-un-siege-dentreprise_31d6c01e-794a-11e5-8ded-ca4a82c085b6/ 4. RIEGL Aloïs, Le Culte moderne des monuments, Paris, Éditions du Seuil, 1984, 123 p. 45 existant de procurer à l’entreprise qui l’achète et qui investit dans sa restauration une valeur ou plutôt un vernis historique. En la matière, on voit bien que ce qui importe est moins la valeur que le vernis historique, c’est-à-dire la simple surface des choses, le marketing ayant depuis longtemps ringardisé l’Histoire. Dans notre monde fini, ces situations vont se multiplier en posant crûment la question de la privatisation du patrimoine. Nombre d’observateurs contemporains − je pense en particulier à Françoise Choay − se sont élevés contre la muséification des espaces patrimoniaux, c’est-à-dire contre le fait qu’ils soient extraits de la vie de la cité pour être figés en icônes mémorielles5. Mais au moins ces musées et ces icônes étaient-ils encore accessibles au public. Qu’est-ce qui nous attend dans une société où ce que nous considérons comme notre patrimoine est entièrement privatisé ? Certes, l’argent privé peut constituer une manne providentielle, un moyen d’entretenir notre patrimoine sans peser sur nos impôts ; mais qui empêchera les généreux donateurs de limiter de plus en plus l’accès à ce patrimoine commun ? 46 À l’heure où les débats sont alimentés par l’opprobre jeté sur de prétendues élites, il semble qu’une marge oligarchique de la société s’approprie à bas bruit des pans entiers du patrimoine commun en pratiquant ce que je propose de nommer « oldwashing ». Pourquoi parler d’oldwashing ? Évidemment, pour reprendre point par point le mal que fait le greenwashing à l’écologie. Pour ne parler que du domaine de l’architecture, le greenwashing est une manipulation trop facilement détectable qui consiste à se racheter une morale écologique en accumulant les effets cosmétiques. C’est une affaire de vernis tellement fin et transparent qu’il laisse voir − pour peu qu’on n’ait pas envie de se laisser berner − une réalité beaucoup moins vertueuse qu’annoncée. Le mur végétal est le nez rouge, la tarte à la crème du greenwashing à l’échelle d’un bâtiment, mais toutes sortes de manipulations marketing entretiennent le verdissement des sociétés industrielles qui déversent leurs produits empoisonnés dans notre environnement. Il en va de même pour l’oldwashing qui pourrait décliner ces principes dans le domaine du patrimoine bâti. Il y a longtemps que cela existe dans le marketing, combien de sociétés se fabriquent une contenance en se réclamant d’un héritage ancien ? Qui peut croire que le pain industriel Paul a quelque chose à voir avec une quelconque boulangerie familiale fondée en 1889 ? Mais souvent le titre et le sous-titre ne suffisent plus, il faut ajouter de la matérialité au mensonge. Il en va du oldwashing comme du greenwashing, plus les manipulations sont grossières, plus elles sont admises. Il est d’ailleurs assez surprenant de voir comme il est facile pour nous de les détecter, mais comment leur mise au jour n’a pas ou peu d’impact sur le grand public. Il faut 5. Voir à ce sujet l’introduction de son anthologie CHOAY Françoise, Le Patrimoine en questions, anthologie pour un combat, Paris, Éditions du Seuil, 2009, 272 p. croire que notre temps de cerveau n’est pas disponible pour ce genre d’information. Est-ce que cette apparition de l’oldwashing n’est pas à mettre sur le compte de notre trop forte propension à conserver ? On peut se demander si notre manie de figer et de sacraliser tout et parfois n’importe quoi ne se retourne pas contre nous. Le projet de Zaha Hadid est étonnant. Son bâtiment se suffit à lui-même. Pourquoi cette superposition avec un édifice existant ? La tentation du cadavre exquis ? Pour que l’illusion opère, il nécessite pourtant un point de contact, un espace très court de continuité. Rien dans ce projet ; il semble même que Hadid ne se soit résolue qu’à contrecœur à effleurer l’existant au droit de la verrière rajoutée dans la cour intérieure. De l’extérieur, aucune partie de son bâtiment ne touche l’autre, celui qui est en dessous, celui avec lequel elle a été presque obligée de composer. Sur le même port, à quelques centaines de mètres, pour son « MAS Museum », Neutelings assume le neuf, tout en jouant des codes traditionnels [fig. 5]. Son attitude est esthétiquement encore plus surprenante, mais finalement plus honnête. Ce qui interpelle véritablement, c’est l’intrusion de la vulgarité dans le domaine de la création architecturale liée au patrimoine bâti. Jusque-là, cette famille de projets était nimbée d’une aura savante, discrète, intellectuelle, parfois élégante, souvent frileuse mais toujours basée sur une certaine idée du dialogue à maintenir entre le passé et le présent. Même les projets les plus violents (par exemple le musée d’histoire militaire à Dresde par Daniel Libeskind) introduisent l’idée d’une dialectique entre bâtiment existant et intervention contemporaine. Quoi qu’on en pense, la décision de trancher littéralement dans le vif est la matérialisation architecturale d’une confrontation, d’une manière de percevoir la matière donnée comme support. L’acte de détruire partiellement, d’éventrer, de transformer violemment montre, même par antinomie, que l’existant a été objectivé, analysé et qu’il a fait l’objet d’une décision de projet. Au contraire, dans le projet de Hadid, il y a négation du support. On pourrait d’abord penser à un écrasement, mais l’écrasement suppose encore déformation, compression de l’objet support. Ici, il s’agit plutôt de domination. Hadid ne prête aucun rôle, ne serait-ce que simplement structurel, au bâtiment existant. Son projet n’est pas même appuyé sur l’existant, il est planté à travers, et ses structures porteuses, bien visibles et savamment surdimensionnées, indiquent que la construction contemporaine ignore superbement sur support [fig. 6]. Tout se passe comme si on voulait donner l’impression que la démolition du bâtiment existant est envisageable, voire envisagée. D’autres avant Hadid se sont lancés dans ce type de superposition. Dans le projet d’un 47 Fig. 5 − Mas Museum à Anvers (Neutelings Riedijk architectes) © Léo Tigerman. Fig. 6 − Siège administratif du port d’Anvers (Zaha Hadid architects), vue de détail © Léo Tigerman. Fig. 7 − Cabinet d’avocats sur Falkestrasse à Vienne (Coop Himmelb(l)au) © Coop Himmelb(l)au Fig. 8 − Zaha Hadid et M. Hulot © Léo Tigerman et Site «Art de la fessée» http://chroniqueurs.canoe.com/artdevivre/ ellelui/nouvelles/archives/2012/07/20120705-111237.html cabinet d’avocats sur Falkestrasse à Vienne [fig. 7], Coop Himmelb(l)au pose une structure d’apparence fragile sur un immeuble épais, mais la faible taille de l’objet et la finesse de la branche qui dépasse sont comme une invitation à imaginer ce qui advient une fois sur la toiture. Avec Coop Himmelb(l)au on est dans le registre du strip-tease, avec Hadid on passe à la pornographie, tout est dit tout de suite. Pas de suggestion, pas d’attente fébrile, pas de déshabillé de soie qui laisse entrevoir sans révéler complètement. Ici, c’est cru, facile à saisir, c’est de la snuff-architecture [fig. 8]. La métaphore est certes bancale, elle oscille entre comique troupier et philosophie de comptoir, mais les outils à notre disposition dans l’univers théorique lié au patrimoine ne nous suffisent plus à décrire ce qui se passe aujourd’hui. En réalité, ces théories partent d’un principe simple : qu’il s’agisse de conserver farouchement ou de démolir sans état d’âme, elles supposent que l’existant soit objectivé, analysé, considéré pour ce qu’il est, parfois objet d’admiration, parfois repoussoir, mais toujours investi d’une valeur liée à un fait social, religieux ou historique. Avec le projet d’Hadid, et avec les suivants qui ne manqueront pas d’arriver, nous assistons à l’irruption de la fin de l’histoire dans le domaine encore relativement protégé de l’architecture. Fin de l’histoire (selon Fukuyama et ses exégètes), ce n’est pas fin de l’historicité, mais c’est l’avènement du présent permanent, de l’image pour l’image, du vernis pour le vernis, du cadavre exquis qui n’est plus exquis, du collage sans poésie, de la froide démonstration bodybuildée de l’argent-roi. Il se joue là une certaine métaphore de l’écrasement du temps historique. Il est plus facile d’écraser physiquement quand on ne prête plus de profondeur au temps, quand tout est ramassé, plus rien n’a de valeur d’ancienneté (les valeurs chères à Riegl sont de nouveau inopérantes). La valeur historique est ramenée à une valeur de marché. En quoi ce bâtiment va-t-il me permettre de valoriser mon investissement ? Un autre contributeur convoquait George Orwell et son concept de common decency, mais Orwell est également celui qui a entrevu la transformation de notre époque et qui, au-delà de la fin de l’histoire, a prédit que notre société allait entreprendre sa réécriture par la novlangue et l’oxymore permanent. Ce qui est fascinant, c’est que l’architecture, l’acte de bâtir, ait été atteint par les aspects les plus détestables du marketing et du consumérisme. L’acte de bâtir est en soi l’inverse même de ce qui nourrit la société de consommation. L’acte de bâtir, c’est peser, évaluer, programmer, investir ; comment cet acte éminemment lent, lourd, réfléchi, prudent, peut-il être victime de l’anéantissement du temps ? À d’autres époques, c’était le fait du prince, mais le pouvoir 51 52 était identifiable et personnalisé. Aujourd’hui, ce qui nous asservit, c’est la marque, c’est-à-dire l’image, et les architectes n’y échappent pas. L’œuvre se mesure en taux de pénétration dans nos cerveaux. Finalement, que doit-on en dire à nos étudiants ? Que peut-on dire à nos étudiants ? Qu’est-ce qui est le plus détestable ? L’honnêteté dans la vulgarité de Hadid ? Ou la mort à petit feu imposée à de plus en plus de secteurs sauvegardés par l’étouffement de la création ? La vraie question, c’est la qualité architecturale, la pertinence du projet. Bien sûr, il est parfois plus pertinent de ne rien faire. Encore faut-il souligner que désormais le star system architectural, dans ce qu’il a parfois d’aimable mais aussi dans ce qu’il a de plus détestable, a atteint le domaine autrefois réservé du patrimoine bâti. On a avec Hadid l’alternative extrême à une attitude de conservation extrême du patrimoine. Parler de beau et de laid n’est plus opérant, l’époque pratique le relativisme esthétique. Pour le meilleur et le pire, il n’est plus permis d’émettre un avis sur le style, car le style n’existe plus. C’est peut-être préférable, c’est peut-être le moment où on a tué le père esthétique qu’on peut se poser la vraie question de la mutation de nos villes, c’est-à-dire de tout ce qui fait nos villes, y compris son patrimoine et son patrimoine classé. La seule question qui vaille, c’est l’usage. Comment faire vivre la ville qui nous est donnée ? Comment changer notre mode de classement du patrimoine bâti ? Comment envisager les ressorts sociétaux qui nous permettront d’adapter de nouveaux usages à des objets qui ne peuvent plus les accueillir sans transformation ? Comment continuer à parler contexte, transformation mesurée, intelligence de la matière à nos étudiants ? Dans quoi ce projet de Zaha Hadid nous projette-t-il ? Ne faisons pas les vierges effarouchées, ce n’est pas le premier massacre auquel nous assistons, pas la première démonstration d’une certaine vulgarité de notre époque. Ce qui est le plus intéressant dans ce projet, outre la fascination qu’un freak peut provoquer, est ce qu’il raconte sur notre façon d’envisager le patrimoine bâti. L’ancienne partition entre ce qui est à conserver et ce qui n’en vaut pas la peine, ne tient plus. Il s’agit aujourd’hui de savoir jusqu’à quel point le patrimoine peut servir d’alibi à des projets qui ignorent spectaculairement leur contexte physique et historique. Il faut identifier comment le clinquant récupère un peu de patine à moindres frais. Connaître le oldwashing pour mieux le neutraliser.