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Pour citer cet article : Rimbault, Olivier, « L’astrologie antique, entre mythes et réalités », Via Neolatina, avril 2019 (http://www.via-neolatina.fr/historica/symbolae.html) L’ASTROLOGIE ANTIQUE, ENTRE MYTHES ET RÉALITÉS1 Introduction 1. La diversité des théories et des techniques actuelles. Une personne qui, de nos jours, désire apprendre et comprendre l’astrologie, son système, ses possibilités si séduisantes, n’est pas au bout de ses peines si elle s’imagine que l’astrologie est un système unifié et cohérent. C’est la déception de bien des néophytes ! Il n’y a pas une mais des astrologies, qui ne s’entendent pas sur certains points fondamentaux : il existe deux zodiaques, plus d’une dizaine de systèmes de maisons, et des styles, des langages d’astrologues extrêmement différents, en somme des conceptions très variées de l’astrologie. Certains esprits préfèrent ne pas trop réfléchir sur cette diversité déroutante et trouvent très vite l’école, le système qui leur conviennent le mieux. Il est vrai qu’à voir la vigueur des différentes écoles, on peut supposer qu’elles ont toutes les résultats satisfaisants qui nourrissent la foi d’un astrologue et lui attirent des clients. Mais plusieurs expériences ont montré que la crédulité du consultant et la qualité humaine ou psychologique, voire l’intuition ou la « médiumnité » de l’astrologue, peuvent suffire à expliquer la réussite de ce dernier 2 . Cette diversité est un grand avantage : elle permet (et demande) à chaque apprenti-astrologue mieux que le choix, une recherche et une synthèse personnelles. 2. Traditionalistes et modernes. Certains astrologues ont été, sont et seront tentés de chercher la vérité à travers l’Histoire : on en voit beaucoup défendre l’antiquité vénérable de leur art, puis se disputer entre eux en brandissant en faveur de leur école et contre celle du voisin des arguments historiques. En somme, en astrologie, il y a aussi des « traditionalistes » et des « modernes », et ce, on va le voir, depuis au moins le deuxième siècle de notre ère ! Il n’est pas facile d’y voir clair dans leurs débats car les origines et l’histoire de l’astrologie restent un domaine assez mal connu de ses adeptes. Depuis un siècle pourtant, l’archéologie, la paléographie et les études d’un petit nombre d’historiens sérieux n’ont pas cessé d’apporter des éléments nouveaux qui, sans tout éclairer, ont remis bien des pendules à l’heure3. 1 Article à peine modifié paru dans la revue Astralis N°34 (Janvier, Février, Mars 1991), p. 29-36 : « Mythes et réalités des origines de l’Astrologie ». Nous en avons surtout actualisé les références et en avons retranché les derniers paragraphes de la conclusion, qui s’adressaient aux astrologues. C’était l’époque où je pratiquais moimême l’astrologie, par souci d’expérimentation, en même temps que je profitais, pour écrire cet article, de mon travail de maîtrise (la traduction commentée du livre II de la Mathesis de l’astrologue romain Firmicus Maternus, sous la direction de Guy Sabbah et de Josèphe-Henriette Abry), travail soutenu à l’université de Lyon II en octobre 1990. 2 Voir G. Dean et A. Mather, Recent Advances in Natal Astrology..., p. 15-46. 3 J’annonçais ici dans l’article de 1991 la parution, dans un prochain numéro d’Astralis, d’une petite bibliographie critique sur l’astrologie antique et médiévale. Elle a paru dans les numéros 35 (Avril, Mai, Juin 1991) et 42 (Octobre, Novembre, Décembre 1993) de la même revue. On trouvera les titres les plus importants de cette bibliographie à la fin du présent article. 1 3. Intérêt d’une information historique précise et objective. Malheureusement, jusqu’à une époque récente, ces ouvrages sérieux ont été peu lus (surtout en France puisque beaucoup sont en allemand ou en anglais). Parmi les astrologues eux-mêmes, nombreux sont ceux qui semblaient (et semblent encore parfois) ne pas les avoir lus, préférant colporter sur l’histoire de l’astrologie des idées très générales, imprécises, voire partiales et erronées. Cela est surtout flagrant chez les astrologues « traditionalistes, qui font plus que les autres appel à l’Histoire pour défendre certaines techniques astrologiques. Une information historique rigoureuse, prudente, sérieuse et régulièrement remise à jour est donc toujours nécessaire et utile. Je ne prétends pas donner ici, en si peu de lignes, une synthèse complète et suffisante de cette information, mais je résumerai, dans les limites de ma compétence, quelques points historiques ayant été longtemps les plus obscurs et les plus mystifiés. * 1. La question des origines de l’astrologie 1.1. Les astrologies calendériques. L’astrologie, dans son sens le plus large, a fleuri dans tous les coins du monde. On la retrouve en Chine, chez les Mayas et les Aztèques, en Inde, en Égypte, au Moyen-Orient et bien sûr en Occident. L’astrologie chinoise et celle des Aztèques (tout comme celle des Égyptiens avant l’influence babylonienne qui commença vers 500 avant notre ère4) présentent de grandes différences avec ce que nous appelons astrologie en Occident. Ce sont des systèmes calendériques, ayant fixé des significations fastes ou néfastes et d’autres augures aux jours, mois ou années, ou même à des ères beaucoup plus longues retraçant l’histoire universelle. Ces astrologies ne se fondaient donc que sur le calendrier et sur l’observation des deux luminaires (Soleil et Lune) qui le déterminaient. 1.2. La Mésopotamie, l’Égypte et l’Inde. Ce que nous appelons astrologie en Occident est un art de présages fondés sur les positions et les intercycles directement observés ou calculés des astres. Cette astrologie-là a semblé si ancienne que les astrologues et les savants se sont longtemps disputés sur la question de son origine dans le temps et dans l’espace. Sous l’Empire romain, il était question de deux traditions : une égyptienne, l’autre babylonienne, et les tenants de chacune des deux n’hésitaient pas à avancer des chiffres astronomiques pour affirmer la haute antiquité de leur science sacrée : - Bérose, qui apporta l’astrologie babylonienne à la Grèce au IIIe siècle avant notre ère, prétendait que sa science était fondée sur 470 000 ou 490 000 ans d’observations. - Épigène de Byzance allait jusqu’à 720 000 ans, et Simplicius (qui portait bien son nom...) jusqu’à 1 440 000 ans ! - Les partisans de l’Égypte répliquaient avec des chiffres du même ordre5. Jusqu’au XIXe siècle d’ailleurs, l’Égypte emportait la palme de l’antiquité dans l’esprit de nombreux savants. Au XIXe siècle, l’astrologie indienne découverte par les Anglais ne manque pas de susciter la même fascination, et ses astrologues prétendent que le berceau de la science des astres, c’est l’Inde, et que c’est de l’Inde qu’elle a passé chez les Grecs via Babylone. Ces astrologues affirment donc aussi que leur tradition, plus ancienne, est plus authentique et véridique (B.V. Raman la fait remonter au temps de Parasara, vers 3000 ans av. J.-C. C’est le 4 Voir R.A. Parker, « Egyptian astronomy, astrology and calendrical reckoning », dans Dictionary of Scientific Biography, New York, 1978, vol. 15, p. 724. Référence notée en abrégé D.S.B. dans la suite de ce chapitre. 5 Voir A. Bouché-Leclercq, L’Astrologie grecque..., Paris, 1899, réimp. 1979, p. 38-39. 2 type même de référence vague et invérifiable comme les aiment les astrologues depuis l’Antiquité6 ! Qui a raison ? En restant dans les limites de l’Histoire vérifiable et d’après les documents les plus anciens déchiffrés jusqu’ici, qu’ils soient babyloniens, sanskrits ou égyptiens, voilà ce qu’il est permis d’affirmer : - L’astrologie zodiacale n’est pas née en Inde, mais y est parvenue tardivement de Babylone et du monde gréco-romain, à partir de la seconde moitié du 1er millénaire av. J.-C. (principalement par l’intermédiaire du monde hellénistique, puis par la Perse des Sassanides ou par les voies maritimes romaines aux premiers siècles de notre ère7). - Les Égyptiens possédaient une tradition astrologique propre, aussi antique que celle des Mésopotamiens, mais elle était presque entièrement préoccupée par la mesure du temps : ils furent ainsi les premiers semble-t-il à découvrir les 365 jours de l’année solaire (dès le début du 3e millénaire avant J.-C.). Même s’il y a dans leurs textes de nombreuses références au Soleil, à la Lune, aux planètes et aux étoiles, aucun d’eux ne ressemble à un traité astronomique comme on en trouve à Babylone. Ce sont les invasions perses (milieu du 1er millénaire) puis l’empire d’Alexandre (vers 300 av. J.-C.) qui vont introduire en Égypte le Zodiaque et son astrologie. De sorte que l’Égypte hellénistique va devenir durant toute l’Antiquité « le champ le plus fertile » de l’astronomie et de l’astrologie au sens grec et moderne8. Ptolémée, le plus illustre représentant de l’une et de l’autre, était un Alexandrin. La seule contribution de l’Égypte ancienne à cette astrologie est celle des décans9. En somme, tous les documents ou l’absence de documents permettent de considérer la Mésopotamie comme le berceau de l’astrologie occidentale. Elle y est attestée « encore modestement, dès la première moitié du 2e millénaire10 ». L’habitude d’observer le ciel, de noter ces observations et certains noms traditionnels de constellations zodiacales remonte aux Sumériens (4e millénaire 11 ), mais au 2e millénaire, l’extispicine (la divination par les entrailles) était encore, semble-t-il, beaucoup plus importante. A Mari (première moitié du 2 e millénaire), elle contrôlait même les résultats astrologiques. C’est au 1er millénaire que l’astrologie est devenue « la mantique "scientifique" la plus fameuse, la plus pratiquée et la plus répandue » chez les Babyloniens12. * 2. L’astrologie babylonienne Dans le développement de l’astrologie babylonienne, on distingue aisément deux étapes, ou du moins, un état initial et un état final : de « collective » et empirique qu’elle était à l’origine, elle est tardivement devenue « individuelle » et mathématique. Paradoxalement, nous sommes beaucoup mieux renseignés sur l’état initial que sur la théorie finale (celle des horoscopes individuels), dont nous ne savons pratiquement rien. 6 Voir G. Dean et A. Mather, Recent Advances in Natal Astrology..., p. 78 et note 137. Voir D. Pingree, « History of mathematical astronomy in India », dans D.S.B., vol. 15, p. 534-356 ; O. Neugebauer, Les sciences exactes dans l’Antiquité..., p. 208-209. 8 Voir R.A. Parker, art. cit., p. 706 et p. 719-720. 9 Ibid., p. 725. 10 J. Bottéro, « Symptômes, signes, écritures en Mésopotamie ancienne », dans J.-P. Vernant (dir.), Divination et rationalité..., p. 102. 11 Voir B.L. van der Waerden, « Mathematics and astronomy in Mesopotamia », dans D.S.B., p. 673. 12 J. Bottéro, art. cit., note 2, p. 102 et note 11, p. 103 ; O. Neugebauer, op. cit., p. 136. 7 3 2.1. L’astrologie collective et empirique. L’astrologie du XXIe siècle ressemble assez à celle des Grecs mais très peu à celle des plus lointaines origines. Les premiers astrologues observaient tous les phénomènes célestes, météorologiques aussi bien qu’astronomiques, et ils leur attribuaient des significations générales, collectives ou concernant le roi : l’un des textes les plus anciens (première moitié du 2e millénaire) fait des prédictions à partir de l’état du ciel le jour où le croissant lunaire devient visible au début de l’année : « Si le ciel est obscur, l’année sera mauvaise » ; « si la face du ciel est brillante quand la nouvelle lune apparaît, l’année sera bonne » ; « si le vent du nord souffle à travers la face du ciel avant la nouvelle lune, le blé poussera en abondance », etc13. La collection de présages Enuma Anu Enlil, sans doute composée entre 1500 et 900 avant notre ère, en contenait quelque 7000 de ce genre14. On trouve dans les textes hittites du XIIIe siècle avant J.-C. une méthode qui décrit grossièrement le destin d’un enfant à partir du mois de sa naissance. Mais cela reste évidemment très différent des horoscopes planétaires de l’âge hellénistique15. Dans cette phase initiale de l’astrologie, les signes du Zodiaque ne rentraient pas en ligne de compte dans l’observation des phénomènes célestes et leur interprétation, tout simplement parce qu’ils n’existaient pas encore ! Entre l’ancienne et la nouvelle astrologie, il y eut une étape intermédiaire où les signes zodiacaux apparurent mais où l’on ne dressait pas encore d’horoscopes individuels (entre 600 et 400 av. J.-C.16). 2.2. L’astrologie individuelle et mathématique. Ces horoscopes et l’astrologie au sens moderne du terme sont donc beaucoup moins antiques qu’on ne le pense souvent, ou qu’on le laisse croire. Le Zodiaque à douze constellations ne fut créé que vers le VIe siècle av. J.-C. Auparavant, les constellations que les Sumériens et les Babyloniens voyaient dans l’écliptique étaient plus nombreuses17. C’est aussi vers le VIe siècle av. J.-C. (période néo-babylonienne) que l’attention aux cycles de la Lune et des planètes devint de plus en plus grande et précise, aboutissant vers 500 av. J.-C. aux premières théories mathématiques des mouvements planétaires et à l’élaboration des premiers almanachs18. Ces théories et ces almanachs étaient les instruments indispensables de la nouvelle astrologie, puisque l’observation, même la nuit en Mésopotamie, ne peut suffire à l’érection d’un thème natal ou à des prédictions précises de phénomènes astronomiques19. Rappelons que le plus ancien horoscope connu a été fait pour l’année 410 av. J.-C. Les autres horoscopes cunéiformes sont de la période séleucide20. En somme, la précision et l’antiquité légendaire de l’astrologie des origines sont à de nombreux points de vue mythiques, et il est notable que ce mythe se soit constitué pratiquement en même temps que l’astrologie dite classique ou grecque. Le zodiaque a justement été créé assez « tardivement » comme un outil mathématique pour rendre les calculs et les prévisions plus précis. Ajoutons, pour couper court à la fausse querelle des astrologues contemporains au sujet des deux zodiaques, que le zodiaque des origines, celui 13 B.L. van der Waerden, art. cit., p. 672. Ibid., p. 673-674. 15 Voir O. Neugebauer, op. cit., p. 235. 16 Voir B.L. van der Waerden, art. cit., p. 674. 17 Ces constellations sont décrites en détail par A. Florisoone dans deux articles de référence : « Les origines chaldéennes du zodiaque », dans Ciel et Terre LXVI, Bruxelles, 1950, et « Astres et constellations des Babyloniens », dans Ciel et Terre LXVII, 1951 ; voir aussi B.L. van der Waerden, art. cit., p. 676-678. Rappelons qu’on appelle écliptique la bande du ciel où circulent, vus de la Terre, le Soleil, la Lune et les planètes (terme grec signifiant « [astres] errants », par opposition aux étoiles « fixes »). 18 B.L. van der Waerden, art. cit., p. 677, 678 et 680. 19 Voir O. Neugebauer, op. cit., p. 131, 132 et 212. 20 Ibid., p. 234. 14 4 des néo-babyloniens, était, dans l’esprit de ses créateurs et à cause de leur ignorance partielle du phénomène de précession, à la fois tropical et sidéral21 ! * 3. L’astrologie hellénistique et ses courants 3.1. Origines et sources. Tout comme celles de l’astrologie babylonienne, les origines et les premières étapes de l’astrologie grecque (ou plus précisément hellénistique) sont obscures. On peut cependant les situer dans le temps : comme son nom l’indique, cette astrologie est née avec l’empire d’Alexandre, qui unifia la Grèce, le Moyen-Orient et l’Egypte de 335 à 323, date de la mort du jeune Macédonien. Le prêtre babylonien Bérose apporta « directement » l’astrologie de son peuple en Grèce vers 280 av. J.-C. Mais elle se développa aussi et surtout dans l’Égypte des successeurs d’Alexandre, les Ptolémée (dont la dynastie régna de 305 à 30 av. J.-C.). Là, elle resta d’abord enfermée dans les temples où un clergé très structuré lui conféra un caractère beaucoup plus marqué qu’en Chaldée de science sacrée et initiatique. Ces prêtres rédigèrent à la même époque que Bérose (au IIIe siècle av. J.-C. donc) les premiers traités d’astrologie en même temps que les premiers écrits de cette philosophie ou gnose hermétique dont ils imprégnèrent leur astrologie. Celle-ci devint une sagesse dont on attribua la révélation à Hermès-Thot, ou à Néchepso et Pétosiris (IIe siècle avant notre ère). Ces traités ne vont pas tarder à sortir des temples. Ils seront la « Vulgate de l’astrologie hellénistique », la source la plus ancienne (avec les Babyloniaca de Bérose et d’autres hypothétiques traités chaldéens ?) des astrologues gréco-romains : Nigidius Figulus qui introduisit l’astrologie « savante » à Rome au Ier siècle avant notre ère, Sérapion d’Alexandrie qui fut sans doute l’élève d’Hipparque, Teukros (époque imprécise), Manilius (contemporain de l’empereur Auguste), Dorothée de Sidon au Ier siècle de notre ère, Vettius Valens, Manéthon et Ptolémée au IIe siècle, Firmicus Maternus et Paul d’Alexandrie au IVe siècle, Rhétorios au VIe siècle, etc22. Nous n’allons pas faire ici la liste des nombreux astrologues de l’Antiquité ni étudier la façon dont leur art va conquérir leurs contemporains, depuis l’homme de la rue jusqu’à l’Empereur. Tout cela dépasse trop largement notre propos. Il nous suffit de faire deux observations sur l’évolution de l’astrologie romaine. La première est que deux sortes d’astrologie apparaissent à mesure que l’art de lire dans les astres se répand, se laïcise, se vulgarise : une astrologie savante, bien sûr, celle que tous les traités écrits par des compilateurs, des lettrés, des astronomes, des philosophes, des médecins, etc. ; dérivée de celle-ci et sans doute aussi ancienne, une astrologie populaire, celle des « chaldéens » de la rue, qui ne devaient pas s’encombrer souvent d’une grande érudition technique et théorique. La deuxième observation qu’on peut faire en étudiant l’astrologie de l’époque romaine est 21 Voir A. Florisoone, « Les origines chaldéennes du zodiaque », p. 263 ; O. Neugebauer, op. cit., p. 137. Le phénomène était connu de l’astronome grec Hipparque, au IIe siècle av. J.-C. et fut sans doute remarqué avant lui en Orient. Rappelons que le zodiaque tropical, celui des saisons, calcule les douze signes à partir du degré du ciel où le Soleil se lève à l’équinoxe de printemps tropical, mais un mouvement cyclique de la Terre sur l’axe de ses pôles (s’étalant sur 25 760 ans) produit un déplacement de ce degré par rapport aux étoiles fixes, si bien que la constellation du Bélier des Babyloniens ne correspond plus aux trente premiers jours du printemps : ce phénomène a fait apparaître au XXe siècle, quand l’information s’est vulgarisée, la croyance en un nouvel âge planétaire à venir, celui du Verseau, constellation devant laquelle le point vernal commencera à se trouver vers 2700 environ. Il passe devant les étoiles de la constellation des Poissons depuis l’époque d’Hipparque. 22 Voir A.J. Festugière, La révélation d’Hermès Trismégiste, t. 1 (L’astrologie et les sciences occultes), Paris, 1950, réimp. 1989, p. 112, sq. ; W. & H.G. Gundel, Astrologumena, Wiesbaden, 1966, tableau 2, p. 384. 5 qu’apparaissent aussi deux courants dans lesquels on peut voir une dialectique permanente par la suite de l’astrologie, parce que cette dialectique correspond à deux attitudes archétypales : une astrologie occultiste se distingue se plus en plus d’une astrologie « rationnelle », se voulant scientifique. 3.2. L’astrologie occultiste. L’astrologie occultiste (voire mystique) de cette période se caractérisait par son traditionalisme et son fatalisme. Elle postulait en effet un divin créateur du monde et des destins. Firmicus Maternus, au IVe siècle de notre ère, est le plus typique représentant de ce courant. Il est l’auteur de la Mathesis, le plus gros traité d’astrologie en langue latine que nous ait légué l’Antiquité, écrit vers 337, peu avant la mort de Constantin. Quelques extraits donneront mieux une idée de son style et de son enseignement23 : A l’intention du futur astrologue : Efforce-toi par tes règles de vie et tes dispositions de l’emporter sur celles des bons prêtres ; car le prêtre du Soleil, de la Lune et de tous les autres dieux [planétaires] par lesquels toutes choses terrestres sont gouvernées [autrement dit l’astrologue] doit toujours édifier son âme de telle sorte que les témoignages de tous les hommes le reconnaissent digne de pratiques aussi vénérables [la pratique de l’astrologie]24. Ne confie pas les arcanes de cette pratique sacrée aux désirs inconstants de l’âme ; en effet, il ne faut pas que les esprits des hommes dépravés soient initiés à des pratiques divines [...]. Sois pur, chaste, et si tu t’es mis à l’écart de toutes les activités impies, qui mènent habituellement l’esprit à sa perdition, [...] si tu te montres sans faute et si tu gardes en mémoire ton origine divine, aborde cet ouvrage et apprends les livres suivants ; afin que la divinité te transmette sa science dans son entier et qu’elle s’approche de ton âme avec sa grandeur prophétique et mystérieuse ; afin que tu atteignes la véritable science de la divinité et que tu deviennes capable d’expliquer les destinées humaines et de dévoiler le cours de l’existence non seulement par toutes tes connaissances livresques mais aussi par les jugements personnels de ton esprit ; afin de recevoir davantage de la divinité de ton âme que l’enseignement livresque25. Que toutes ces belles paroles n’illusionnent pas trop ! Voici maintenant quelques extraits sur la pratique de l’astrologue Firmicus Maternus : Un thème natal est médiocre quand il contient dans les maisons principales une seule planète située dans son domicile26 ; des satisfactions moyennes soutiennent celui qui a deux planètes situées en leur domicile dans les maisons favorables du thème natal ; il sera Les références sont celles de l’édition du texte grec par W. Kroll et F. Skutsch (Stuttgart, Teubner, 1897-1913, réimp. 1968). Nous avons publié nous-même en 1990, à l’aide de cette édition, la première traduction française du livre II de la Mathesis (voir ci-dessus note 1) juste avant que Pierre Monat ne fasse paraître les huit livres en édition bilingue dans la Collection des Universités de France (Paris, Les Belles Lettres, 1992-1997). Il eut la bonté de faire l’éloge de ma traduction et de mes commentaires dans son introduction (Tome I, p. 34). Pour en savoir plus sur Firmicus, on se référera donc à cette introduction de Pierre Monat, ainsi qu’à celle de Robert Turcan, qui publia dans la même collection une édition bilingue de l’autre œuvre de l’astrologue, écrite après sa conversion au christianisme, L’erreur des religions païennes (Paris, Les Belles Lettres, 1982). 24 Mathesis, II, 30, 2. 25 Ibid., dernières lignes du Livre II. 26 L’astrologie assigne à chaque planète (Soleil et Lune compris) des signes où la force de leur influence est aussi grande que positive : l’astrologue appelle ces signes le domicile de ces astres (domicilium en latin). Par exemple, le Soleil est dans son domicile dans le Lion ; la Vierge est avec le signe des Gémeaux l’un des deux domiciles de Mercure, etc. Les « maisons » (domus en latin) sont encore autre chose : elles désignent les découpages de la sphère céleste à partir de l’horizon et du méridien pour l’heure où l’horo-scope dessine les diverses positions astrales. 23 6 extraordinairement heureux et puissant celui qui en aura trois. Il accèdera presque à la félicité des dieux celui qui aura quatre planètes dans leur domicile. La condition humaine ne permet pas de dépasser ce chiffre. Celui qui n’aura aucune planète située dans son domicile sera un inconnu, un homme de basse extraction, et toujours occupé à des activités misérables27. Quelle que soit la bienveillance de la planète Jupiter, elle ne peut résister à elle seule à l’attaque de Mars et de Saturne, s’ils l’assaillent d’un violent rayonnement [un « mauvais » aspect dans un langage plus astrologique] ; de fait, les hommes seraient immortels si, dans leurs génitures, la bienfaisance de Jupiter n’était jamais vaincue28. Au fil des six livres de sa Mathesis, Firmicus, en bon compilateur, nous énumère les « destins » bons ou mauvais que réserve chaque aspect, chaque position planétaire en signe ou en maison, chaque degré de l’Ascendant, etc., sans jamais donner à son élève la clé d’une lecture synthétique du thème astral. On nage dans une masse d’informations confuses, souvent contradictoires. D’une manière tout aussi typique, il présente plusieurs techniques (les docécatémories, les maisons, les parts, le 90e degré, les degrés « symboliques », etc.) comme si chacune était la clé des « secrets » du thème natal et de la destinée individuelle dans leur entier. Bref, l’apprenti-astrologue de l’Antiquité avait encore plus de difficultés que son collègue d’aujourd’hui à entrer dans cette forêt vierge au fond de laquelle il espérait trouver l’omniscience divine ! Encore une fois, qu’on ne s’illusionne pas : la grande majorité des traités des soi-disant « grands » astrologues antiques, à commencer par les Astronomica de Manilius (1er siècle ap. J.-C.) sont du même style. 3.3. L’astrologie rationnelle. Un second courant s’opposait un peu et complétait le courant que nous appelons occultiste : c’est le courant d’une astrologie rationnelle, nullement assujettie au culte de la Tradition, héritière de celle-ci mais n’hésitant pas à la rénover. Ptolémée est évidemment le grand représentant de ce courant, au IIe siècle ap. J.-C. Il n’est peut-être pas tout à fait le premier. Hipparque de Nicée, son illustre prédécesseur en matière d’astronomie (au IIe siècle av. J.-C.) n’a pas seulement découvert la précession des équinoxes, mais semble avoir été aussi très adonné à l’astrologie. Il en réforma certains points comme la mélothésie zodiacale et les antisces. Il s’y adonna au nom d’une idéologie plus ou moins platonicienne de la parenté de l’âme humaine avec les astres et le ciel 29. Idéologie qu’on retrouve dans les textes hermétiques que connaissait parfaitement un autre grand savant de l’époque hellénistique, Ératosthène de Cyrène (IIIe siècle av. J.-C.). Cet esprit universel dirigea la bibliothèque d’Alexandrie durant les quarante dernières années de sa vie, calcula la circonférence terrestre et l’obliquité de l’écliptique avec une exactitude étonnante, et écrivit entre autres œuvres un Hermès malheureusement perdu30. La différence idéologique est grande entre des savants comme Ératosthène ou Hipparque, qui avaient adopté et développé certaines croyances métaphysiques de leur époque, et Ptolémée d’Alexandrie, qui passe royalement sous silence la doctrine hermétique des décans ou peut-être même la méprise, comme beaucoup d’autres techniques pourtant traditionnelles 27 Mathesis, II, 21. Pas de chance pour vous si vous êtes dans ce cas ! Ibid., II, 13, 6. 29 Voir W. et H.G. Gundel, Astrologumena..., p. 109-110. 30 Ibid., p. 92. L’helléniste français Pascal Charvet a fait paraître une traduction commentée du traité d’astronomie d’Eratosthène, Les Catastérismes (P. Charvet, Le Ciel : mythes et histoires des constellations ; les Catastérismes d’Eratosthène, Paris, Nil Editions, 1998). 28 7 mais qu’il juge « illogiques » ou « sans fondement » parce que « non naturelles 31 ». Cette différence est significative du chemin parcouru par l’astrologie entre le IIe siècle avant et le IIe siècle après J.-C. sous l’influence du développement des sciences et de la réflexion philosophique (en particulier celle d’Aristote). D’apocryphe et initiatique qu’elle était, l’astrologie devient de plus en plus technique, et elle est enseignée par des auteurs qui se nomment, qui défendent parfois des opinions personnelles ou critiquent celles de leurs prédécesseurs. Sous l’Empire romain, l’astrologie évolue donc dans deux directions qui restent mêlées à des degrés divers selon les auteurs : certains (la majorité) reprennent, développent, voire mythifient les matériaux et l’esprit occulte et mystique de l’astrologie hermétique. D’autres, Ptolémée et ceux qui l’influencera (ils seront de plus en plus nombreux) tentent de systématiser et de « rationaliser » ces matériaux confus. Ils y adjoignent des procédés techniques de plus en plus savants, non sans excès. Ptolémée ne fut pas seulement celui que ses héritiers médiévaux appelleront le « Prince des astrologues ». Il fut aussi le dernier grand savant de l’Antiquité. A ce titre, son œuvre (surtout son astronomie et sa géographie) fera autorité sur les Arabes et sur les Occidentaux jusqu’à la Renaissance. Ptolémée était aussi philosophe, et la plupart de ses conceptions de l’astrologie, même si elles restent dans les limites de la science de son temps, sont étonnamment modernes. Nous allons résumer quelques-unes de ses idées qui permettront d’en juger et de comprendre ce qui le distingue d’un Firmicus32. Dès l’introduction du Tetrabiblos, Ptolémée fait une nette distinction entre l’astronomie (dont les prévisions sont certaines) et l’astrologie (dont les prévisions sont relatives). Partant de là, il cherche ensuite à défendre une position médiane entre ceux qui jugent l’astrologie trop difficile et incompréhensible, et ceux qui jugent inutile de prévoir l’inévitable fatalité (I, 1-2-). En somme, les adversaires de l’astrologie sont des ignorants, et le fatalisme la ruine à sa base. C’est une attitude intellectuelle inédite en son temps : avant d’exposer la doctrine, Ptolémée ne la défend pas par un déterminisme absolu (comme le fait Firmicus avec de naïfs arguments !), mais en circonscrivant « la possibilité et l’utilité d’une telle méthode de prévision » (I, 1-2-). Il tente d’abord de la défendre : puisque l’on reconnaît couramment et scientifiquement certaines influences des astres (en particulier celles du Soleil et de la Lune) sur le monde terrestre, pourquoi les conditions climatiques et astrologiques n’influenceraient-elles pas la destinée humaine via le tempérament via le corps ? (I, 2-6-). On ne peut pas non plus, dit-il ensuite, condamner l’astrologie en la jugeant sur ce qu’en font les imposteurs ou les incompétents - et ils sont nombreux, souligne-t-il (I, 2-6-). C’est que l’astrologie a des limites, qui sont celles de son praticien mais aussi celles de son objet : 31 Ptolémée, Tetrabiblos, I, 22 (éd. Loeb, p. 108). Les références sont celles de l’édition du texte grec traduit en anglais par Robbins dans la collection Loeb (London, Harvard University Press, 1940, réimp. 1980). Le troisième chiffre est celui qu’on trouve à gauche du texte grec : il indique les pages de la seconde édition de Camerarius, parue en 1553. Le lecteur français dispose aujourd’hui de deux traductions du traité d’astrologie de Ptolémée : d’abord celle de Nicolas Bourdin de Villennes, publiée en 1640 sous le titre L’Uranie et rééditée plusieurs fois récemment avec diverses révisions du texte (par exemple celles d’Alain Verse avec une préface de l’astrologue Elizabeth Teissier aux Belles Lettres en 1993, sous le titre Manuel d’Astrologie : la Tétrabible. Cette traduction est d’autant plus critiquable que non seulement son français a vieilli mais surtout qu’elle passe elle-même par une autre traduction, puisque Nicolas Bourdin traduisit non pas le texte grec édité en 1535 et réédité en 1553 par Joachim Camerarius, accompagné d’une traduction en latin ; on préférera donc à la traduction de Bourdin celle, plus récente mais insuffisamment commentée, de Pascal Charvet (Le livre unique de l’astrologie : le Tétrabible de Ptolémée, astrologie universelle et thèmes individuels, Paris, Nil éditions, 2000). Une édition scientifique bilingue des œuvres de Ptolémée aux éditions des Belles Lettres serait encore la bienvenue ! 32 8 - Toute science de la matière et du monde sublunaire est conjecturale, surtout celle qui est composée de nombreux éléments divers (I, 2-7-) ; - Les configurations astrales ne se répètent jamais de façon parfaitement identique : Ptolémée rejette donc l’astrologie qui, à la façon de celle de Babylone, tire ses oracles de ce qui s’est déjà produit. Toute situation de prévision comporte toujours un facteur d’inédit, d’inconnu (I, 2-7-) ; - Enfin, l’astrologue se trompera à coup sûr s’il ne prend pas en considération l’influence de l’hérédité (« la semence, la race »), celle du milieu social et culturel (« le pays et ses mœurs ») et « toutes les autres données accidentelles » (I, 2-8- et 9-) - Ptolémée parlera aussi du facteur âge, dans le livre IV. Certains scientifiques modernes, abusés par leur rationalisme et le mythe du progrès qu’ils projettent sur un savant grec comme Ptolémée, ont jugé « énigmatique » son œuvre astrologique et se sont sérieusement demandé, comme Germaine Aujac, s’il fallait tout y « prendre au pied de la lettre » ou bien « y voir affleurer une bonne dose d’humour33 ». Dans le même temps, abusés par le mythe opposé (celui des vérités perdues de l’Antiquité), des astrologues contemporains ont reproché à Ptolémée d’avoir grandement « corrompu » une tradition originelle qui, d’une certaine façon, n’existe que dans leur esprit. Ces quelques exemples montrent en quoi nul mieux que lui n’a assuré la survie et le développement de l’astrologie en Occident : d’abord en rejetant la conception stoïcienne du temps (l’Eternel Retour) et de l’univers (le déterminisme absolu), ensuite en liant l’astrologie à la doctrine des tempéraments (qui allait dominer la médecine jusqu’au XVIIIe siècle et qui préfigurait la psychosomatique moderne). Par la part que Ptolémée reconnaît à d’autres influences avec une modernité pleine de bon sens, il rénove l’astrologie médicale, et, surtout, il pose les bases d’une astrologie chrétienne (telle qu’elle fut définie par saint Thomas d’Aquin) et même les bases de l’astrologie psychosomatique du XXe siècle ! * En guise de synthèse et de conclusion Par ce rapide exposé, nous avons voulu montrer deux choses. La première, c’est que les idées que l’on a sur l’astrologie sont souvent, par leur imprécision et leur caractère traditionnel, plus ou moins mythiques. Par exemple (citations authentiques) : « l’astrologie est d’une antiquité vénérable, voire immémoriale », « les astrologues de l’Antiquité étaient de très grands astrologues auprès desquels les modernes font pâle figure », « il existait une tradition authentique aujourd’hui plus ou moins perdue », « les Hindous ont conservé cette tradition », « cette tradition a une remarquable capacité de prédiction perdue par les astrologues qui se réfugient dans l’"astro-psychologie" », etc., etc. Ce genre d’errements s’est rencontré dans certains écrits des premiers historiens de l’astrologie : Otto Neugebauer (18991990) a pu ainsi critiquer les théories « aberrantes » d’une philosophie cosmique 33 G. Aujac, Claude Ptolémée : astronome, astrologue, géographe..., p. 103. On retrouve le même type d’idéologie et d’argument chez un admirateur du « génie grec » qu’il oppose aux monothéismes, Jean Soler, qui voit Homère sourire dès qu’il est question des dieux dans L’Iliade et L’Odyssée (voir Le Sourire d’Homère, Paris, Éditions de Fallois, 2014, par ex. p. 19, 59, 67, 72, 168, etc.). Ce n’est autre, le plus souvent, que le sourire ironique de ce commentateur, non celui des pieux Grecs qui ont écrit ces vers, comme il l’écrit d’ailleurs luimême : « Zeus sourit, Homère sourit, et nous sourions, nous aussi » (ibid., p. 168). Les contresens de Jean Soler sur l’esprit religieux des Grecs rendent son commentaire (qui n’est le plus souvent qu’une paraphrase) sans intérêt. Ptolémée est présenté en passant comme un « astronome qui a fait la synthèse des connaissances accumulées par les savants qui l’ont précédé » (ibid., p. 18). 9 babylonienne associée à une astronomie très ancienne, que certains historiens allemands défendirent entre 1900 et 1914. Une image fantastique fut ainsi créée, qui exerça (et continue d’exercer) une grande influence sur la littérature concernant Babylone, au moyen d’un suprême mépris de toute preuve textuelle, de l’utilisation généralisée de traductions dépassées, au service d’une chronologie absolument préconçue34. Le même auteur montre parallèlement qu’on ne trouve pas la moindre intention de mystère, de secret dans les textes mathématiques ou astronomiques tant égyptiens que mésopotamiens. La notion d’ésotérisme se prête volontiers à des mythes et à des idées arbitraires de toutes sortes, surtout pour des périodes éloignées et mal connues. La seconde chose que nous avons voulu démontrer (si besoin était !), c’est que, si l’on postule que l’astrologie mérite encore une certaine attention des scientifiques (comme le prétendent d’authentiques érudits formés par l’université comme Jacques Halbronn et Patrice Guinard), l’Histoire ne peut pas être pour autant un critère de vérité absolue en matière de technique astrologique : la notion de « Tradition » a toujours recouvert des traditions et des techniques parfois concurrentes ou contradictoires, parfois remplies d’erreurs et de confusions, et souvent masquée par une idéologie qui n’est plus crédible aujourd’hui. De plus, ces traditions se sont constituées étape par étape, à partir d’une époque relativement récente. Par conséquent, quand faudrait-il situer la « Tradition » si l’on entend par là un état, initial ou pas, où l’astrologie constitua un corpus complet et véritablement « authentique » ? - A Babylone ? Elle ne remonte donc pas au-delà du VIe siècle avant notre ère. Il ne nous reste malheureusement rien de la théorie des astrologues babyloniens. En tout cas, elle ne pouvait pas encore contenir de nombreuses techniques dites traditionnelles comme celle des décans, celle des quatre humeurs si fondamentales en astrologie médicale, celle d’une Lune symbolisant le féminin (Sin était pour les Chaldéens une divinité masculine). Vraisemblablement, cette théorie ne pouvait pas non plus comprendre la technique des Maisons astrologiques. Enfin, qu’on ne demande pas aux Babyloniens de trancher la question du Zodiaque, puisque celui-ci était pour eux (par ignorance) à la fois sidéral et saisonnier ! - La « Tradition » est-elle née dans l’Égypte hellénistique ? Elle remonte donc au plus tard au IIIe siècle av. J.-C. et surtout à l’époque d’Hipparque (150 av. J.-C.)35. S’il est vrai que le corpus astrologique connu ne remonte pas au-delà de ces dates, pourquoi certains astrologues ont-ils voulu qu’il fût « achevé » avant Ptolémée ? Faut-il rejeter, quand on est astrologue, les innovations que celui-ci a faites, en astrologie médicale par exemple, et celles de ceux qui sont venus après lui, les Arabes notamment ? Il est vrai que les Indiens ont emprunté à l’astronomie grecque et adopté l’astrologie hellénistique avant que celles-ci aient connu l’influence de Ptolémée qui « perfectionna » l’une et l’autre, du point de vue du rationalisme grec36. D’un point de vue historique et rationnel (s’il est possible de s’adresser rationnellement à ceux qui sont mus par leur imaginaire), c’est donc un procès inconsistant que celui fait par les tenants de la « Tradition » à Ptolémée. Mais le fait est que celui-ci fut l’initiateur ou le bouc émissaire d’un débat psychologiquement très intéressant, anthropologiquement fondé, entre tenants de la tradition (autre nom de la révélation divine, qu’il conviendrait de conserver ou O. Neugebauer, op. cit., p. 182-183. C’est nous qui soulignons. Sur les dates de l’introduction de l’astrologie babylonienne dans le monde grec, voir O. Neugebauer, ibid., p. 234-235. 36 Voir ibid., p. 218. 34 35 10 de retrouver) et tenants de la modernité (autre nom de la raison humaine, qui n’a pas peur d’innover, quitte à bouleverser les vérités les mieux acquises et garantes d’un ordre intellectuel et social). Olivier Rimbault (Centre de Recherche sur l’Imaginaire, Université de Perpignan Via Domitia) * Bibliographie37 Aujac, Germaine, Claude Ptolémée : astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité, Paris, Éditions du CTHS, 1993. Bottéro, Jean, « Symptômes, signes, écritures en Mésopotamie ancienne », dans Vernant, Jean-Pierre (dir.), Divination et rationalité, Paris, Le Seuil, 1974, p. 70-197. Bouché-Leclercq, Auguste, L’Astrologie grecque, Paris, 1899, réimp. Aalen, Scientia Verlag, 1979. Dean, Geoffrey (dir.), Recent advances in natal astrology : a critical review, 1900-1976, compiled by Geoffrey Dean, assisted by Arthur Mather, London, The Astrological Association, 1977. Festugière, André-Jean, La révélation d’Hermès Trismégiste (4 vol), t. I ; L’astrologie et les sciences occultes, avec un appendice sur l’Hermétisme Arabe par Louis Massignon ; t. II, Le dieu cosmique ; t. III, Les doctrines de l’âme suivi de Jamblique, Traité de l’âme, traduction et commentaire ; Porphyre, De l’animation de l’embryon ; t. IV, Le dieu inconnu et la gnose, Paris, J. Gabalda, 1950-1953, réimp. en un vol. de la 2e édition, Paris, Les Belles Lettres, 1989, 2006 (nouvelle édition définitive, revue et augmentée, 2014). Firmicus Maternus, Julius, Mathesis (3 vol.), texte établi et traduit par Pierre Monat, t. I (Livres I et II), t. II (Livres III-V), t. III (Livres VI-VIII), Paris, Les Belles Lettres [CUF], 1992-1997. - Mathesis [Livre II], présentation, traduction et commentaire par Olivier Rimbault, Mémoire de maîtrise soutenu à l’université Lyon II en octobre 1990, préparé sous la direction de Guy Sabbah et de Josèphe-Henriette Abry. - L’erreur des religions païennes, texte établi, traduit et commenté par Robert Turcan, Paris, Les Belles Lettres, 1982. Florisoone, André, « Les origines chaldéennes du zodiaque », dans Ciel et Terre LXVI, Bruxelles, 1950, p. 256-268 ; - « Astres et constellations des Babyloniens », dans Ciel et Terre LXVII, Bruxelles, 1951, p. 153-169. Cette bibliographie est évidemment très loin d’être exhaustive ou simplement satisfaisante sur un sujet si vaste qui nécessite encore d’être trilingue (anglais, allemand, français), en plus de maîtriser les langues anciennes. 37 11 Gundel, Wilhelm & Hans Georg, Astrologoumena : Die astrologische Literatur in der Antike und ihre Geschichte, Wiesbaden, Steiner, 1966. Un compte-rendu de cet ouvrage par Robert Turcan en fait un très bon résumé en français : « Littérature astrologique et astrologie littéraire dans l’Antiquité classique », dans Latomus, t. XXVII, avril-juin 1968. Neugebauer, Otto, Les sciences exactes dans l’Antiquité (1952), traduit de l’américain par Pierre Souffrin, Arles, Actes Sud, 1990. Parker, Richard A., « Egyptian astronomy, astrology and calendrical reckoning », in Gillespie, Charles Coulston (editor in chief), Dictionary of Scientific Biography (16 t. en 8 vol., 1970-1980), t. XV [= Supplement I], New York, Charles Scribner’s sons, 1978, p. 706-727. Pingree, David, « History of mathematical astronomy in India », in Gillespie, Charles Coulston (editor in chief), Dictionary of Scientific Biography (16 t. en 8 vol., 1970-1980), t. XV [= Supplement I], New York, Charles Scribner’s sons, 1978, p. 533-633. Ptolémée, Tetrabiblos, edited and translated into English by Frank Egleston Robbins, London, Harvard University Press [coll. Loeb], 1940, réimp. 1980. - Le livre unique de l’astrologie [= Tetrabiblos] : Le Tétrabible de Ptolémée. Astrologie universelle et thèmes individuels, présenté, traduit et commenté par Pascal Charvet, avec la collaboration scientifique de Robert Nadal, Yves Lenoble et Jean-Marie Kowalski, Paris, Nil éditions, 2000. Turcan, Robert, Les cultes orientaux dans le monde romain, Paris, Les Belles Lettres, 1989. - Voir aussi Gundel, Wilhelm & Hans Georg. Van der Waerden (Bartel Leendert), « Mathematics and astronomy in Mesopotamia », in Gillespie, Charles Coulston (editor in chief), Dictionary of Scientific Biography (16 t. en 8 vol., 1970-1980), t. XV [= Supplement I], New York, Charles Scribner’s sons, 1978, p. 667-680. * 12