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Musa antica, Musa plebea.

Poetry and music in Italy, the "recitar cantando" from the fourteenth century to the birth of the seventeenth-century Opera and beyond, from the streets to the court, to the theater.

Musa Antica, Musa Plebea Francis Biggi À partir de la fin du Trecento, l’arrivée en Italie de musiciens provenant du Nord de la France et des Flandres fut la cause de la disparition des musiciens italiens du cercle des compositeurs de haute école. Tous les recueils qui contiennent des musiques d’auteurs de l’Ars Nova italienne remontent aux premières décennies du xve siècle, tandis que dans les sources, la présence des maîtres Ultramontani augmente avec le temps pour devenir de plus en plus prépondérante. Les musiciens étrangers arrivés en Italie occupent très vite les places essentielles du système de production de la “haute” musique : en qualité de chanteurs dans les chapelles musicales des princes, ils participaient à l’activité musicale des grandes institutions religieuses. Le nombre de compositions en forme et en style français ou flamand-bourguignon contenues dans les codex du dernier quart du siècle témoigne de ce phénomène. Les manuscrits comprennent aussi des musiques en italien qui d’une part, sont liées aux vestiges du Trecento et d’autre part, semblent puiser leurs racines dans une conception de la polyphonie qui présente des caractères d’archaïsme issus d’une tradition de chant ininterrompue. Les caractères particuliers de ces morceaux sont un recours limité au style imitatif ainsi que l’homorythmie prépondérante des voix, accompagnée par une structure rythmique clairement soumise aux impératifs du texte et de la versification. Avec le temps, les musiciens du Nord durent apprendre à se familiariser avec ce langage autochtone. Le nouveau style polyphonique, né entre le xve et le xvie siècle de la fusion entre l’école internationale et le goût italien pour la belle ligne et pour le contrepoint clair, influença à tel point l’esthétique musicale de l’Europe entière qu’il faudrait parler d’une racine plutôt flamande-italienne que franco-flamande de la musique de la Renaissance. La persistance et la réapparition de formes polyphoniques autochtones s’accompagnent d’un phénomène qui représente l’élément le plus caractéristique et le plus original de la coutume musicale et italienne entre le Moyen-Age et la Renaissance. Il s’agit du chant monodique sur des formes poétiques strophiques au contenu épique et lyrique, c’est-à-dire le répertoire de la poésie chantée a l’improvviso, l’art des cantori, canterini et cantaimpanca. Beaucoup plus populaires que les auteurs de motets et chansons, presque inconnus de la majorité des Italiens hors des cercles curiaux, les versificateurs avaient l’art d’inventer des poèmes à chanter élégants sur des modules mélodiques préétablis, appelés aere, souvent définis par un adjectif qui en identifiait l’origine géographique ou le vers auquel ils étaient destinés, comme l’aere venetiano ou l’aria da capitoli. Les sources littéraires et les chroniques, la correspondance entre courtisans et intellectuels du début de la Renaissance sont d’accord pour exalter la poésie chantée comme la forme d’art la plus excellente. La figure du chanteur-poète s’impose dans la culture humaniste italienne déjà vers la fin du xive siècle. La ferveur que l’on consacrait aux classiques, dès l’époque de Pétrarque et de Boccace était le signe d’une conception différente de l’homme et de son destin sur terre et par conséquent de l’art. Les humanistes conscients de la nouveauté apportée par la diffusion de leurs idées, eurent pendant une longue période au xve siècle une position très polémique à l’égard de la polyphonie, qu’ils considéraient comme l’héritière d’une mentalité artificielle et déformée Voir Nino Pirrotta, Musica tra Medioevo e Rinascimento, Torino, G. Einaudi, 1984, et notamment le chapitre « Musica e orientamenti culturali nell’Italia del Quattrocento », p. 213 et suiv. . Les théoriciens du siècle précédent avaient décrit la polyphonie profane comme l’œuvre thaumaturgique d’artistes qui grâce à leur science, avaient réussi à extraire un art supérieur hors des grossières et obscures racines du chant vulgaire. Telle était l’origine du madrigal polyphonique selon Antonio da Tempo « […] mandrialis est rithimus ille, qui vulgariter appellatur marigalis. Dicit autem mandrialis a mandra pecudum et pastorum, quia primo modum illum rithimandi et cantandi habuimus ab ovium pastoribus ». Voir Summa Artis Rithimicis (1332) dans Antonio da Tempo, Delle Rime volgari, trattato di Antonio da Tempo... composto nel 1332, dato in luce integralmente ora la prima volta per cura di Giusto Grion, Bologna, G. Romagnoli, 1869.. Les humanistes n’étaient pas de cet avis. Une lettre d’Ambrogio Traversari assez connue, datant de 1429, adressée à Leonardo Giustinian, le loue pour son habileté à chanter des airs très plaisants, chose qui « à l’opposé de ce qui se faisait chez les anciens, est de nos jours plus connue par le peuple que par les érudits » « Didici iamdudum ingenium illud tuum agile, ac profecto aureum ea quoque consequtum quae vulgo, contra veterum consuetudinem, notiora sunt quam eruditis, ut est peritiam cum sono canendi suavissimos modos ». Ambrosio Traversari (Ambroise le Camaldule), Latinae epistolae, Firenze, ex typographio Caesareo, 1759. Voir : Nino Pirrotta, Musica tra Medioevo e Rinascimento, op. cit., « Ricercare e variazioni su O Rosa Bella », p. 195.. La référence au sentiment poétique et musical, naturel dans le peuple, opposé à l’artificieuse complication de l’œuvre des Maîtres de l’Ars musica est un thème constant de la pensée des humanistes italiens qui fondaient leur esthétique sur la relecture des classiques. Ce n’est que petit à petit, grâce surtout au travail des humanistes-compositeurs comme Gaffurio, Tinctoris et Josquin, que la séparation entre le milieu intellectuel et la musique polyphonique se recomposera. La lettre de Traversari révèle une opinion très partagée, en ce temps-là, sur Leonardo Giustinian. Gentilhomme vénitien, Giustinian (1338 env.–1446) est un personnage typique de la culture humaniste italienne. Engagé personnellement dans la société et dans la vie politique de sa ville, il devint célèbre pour les compositions poétiques et musicales qu’il chantait lui-même et qui furent immédiatement très connues. Son prestige fut très grand et sa renommée ainsi que le genre de compositions qui lui furent attribuées, les Giustiniane ou Venetiane Walter Howard Rubsamen, « The Justiniane or Viniziane of the 15th Century », Acta Musicologica, XXIX, 1957, p. 172-183., restèrent très populaires pendant au moins deux siècles. On les retrouve dans de nombreux recueils de musique. Ce sont des chansons au mètre très varié qui présentent des caractères stylistiques intermédiaires entre l’Ars Nova et la nouvelle manière polyphonique italienne. Il s’agit cependant de morceaux qui ne peuvent pas lui être attribués avec certitude. Il n’en est probablement pas l’auteur ; ce sont plutôt des compositions qui s’inspireraient en quelque sorte de son style personnel ou d’un style de chant en vogue en ce temps-là à Venise. Giustinian était surtout un auteur de strambotti Avec Serafino Dall’Aquila, fort apprécié lui aussi, il rendit très populaire en Italie le strambotto dans la forme de l’ottava toscana Même si avec le temps l’ottava toscana (le huitain toscan) devint le mètre le plus utilisé par les poètes pour composer des strambotti, d’autres mètres furent aussi en usage. Dans les sources poétiques et musicales recueillies dans le milieu de la cour napolitaine, telles que le Ms. 871 de Montecassino ou le Ms. 431 (olim G 20) conservé à Perouse présentent des strambotti à la sicilienne (ABABABAB). Dans Escorial IV a 24, le seul strambotto : « O dio che me volesti » est composé en sesta rima, (ABABAB) avec une reprise (aC) qui alterne avec les distiques. Voir Martha K. Hanen, The Chansonnier El Escorial IV a 24, Henryville, Ottawa, Binningen, Institute of Mediaeval Music, 1984, p. 113 et 396.. À l’époque de Giustinian, l’ottava rima toscana, c’est à dire le huitain d’hendécasyllabes rimés ABABABCC avait déjà une longue tradition. Utilisée par Boccace Boccace à la fin de la IIIe journée du Décameron, décrit Dioneo et Fiammetta en train de chanter à propos de Messer Guglielmo e della dama del Vergiù. Le texte qu’ils chantent est évidemment une vulgarisation italienne du poème lyrique français La Chastelaine de Vergi. Une version en huitain d’endécasyllabes (ottava toscana) de l’anonyme Cantare della Donna del Vergiù nous est parvenue et remonte au xive siècle. Est-ce à ce texte que se référait Boccace ? pour ses poèmes mythologiques, le Filostrato, la Teseida et le Ninfale Fiesolano, composés dans les années 1330-1340, l’ottava est aussi le vers du texte anonyme Cantare di Florio e Biancifiore, qui pourrait remonter à 1320 Il cantare di Fiorio e Biancifiore éd. Vincenzo Crescini, Bologna, Romagnoli 1889-1899, vol I et II Voir aussi : Cantari del Trecento, par Armando Balduino, Milano, Marzorati, 1970.. Ce poème, ainsi que le Filoloco (œuvre en prose de Boccace), sont des vulgarisations du roman lyrique français Flore et Blanchifleur, qui date du xiiie siècle. Vers le milieu du xive siècle, vivait à Florence Antonio Pucci, campanaio e banditore de la ville mais aussi canterino, première voix littéraire du menu peuple, des membres des Arti Minori, les corporations qui regroupaient les Arts et les Métiers les moins prestigieux de la ville. Il est l’auteur de plusieurs cantari chevaleresques et d’un Contrasto delle donne en huitains qui représente la première trace écrite d’un genre poétique destiné, comme nous le verrons par la suite, à une surprenante longévité. Quelques années plus tard, le théoricien Gidino da Sommacampagna dans son Trattato e arte de li rithimi volgari (vers 1381), où il décrit les formes du chant et de la poésie en langue vulgaire, consacre un chapitre aux principes auxquels se conformer pour improviser un Contrasto chanté Gidino da Sommacampagna, « Trattato de li Contrasti », dans : Trattato dei ritmi volgari, éd. Giovanni Battista Carlo Giuliari, Bologna, G. Romagnoli, 1870.. Le strambotto en forme d’ottava toscana est un genre littéraire qui suit un processus de formation très peu clair et qui partage sa structure métrique avec l’ottava narrative des cantari, mais non ses contenus, ses structures, et sa destination. Chaque strambotto est représenté par une strophe d’ottava qui se résume par le schéma thème – exposition – synthèse. C’est une forme qui présente des artifices rhétoriques spécifiques et un mécanisme précis de relation entre le début et la fin de la composition. Dans l’ensemble, les formes poétiques qui se rattachent au vers de l’ottava toscana, sont de loin majoritaires dans la poésie italienne du Quattrocento ; en peu de temps, le strambotto devint une des formes préférées des humanistes qui voulaient se consacrer à la poésie pour la musique. On peut attribuer à Giustinian avec quelque certitude un seul groupe de vingt-sept strambotti, ce qui est étonnant compte tenu de l’exceptionnelle renommée de l’auteur. Il s’agit de textes recueillis dans plusieurs collections ; la plus ancienne est une source imprimée à Venise qui remonte à la fin du xve siècle ou aux premières années du Cinquecento Biblioteca Marciana, A.T. 7.5761; voir Alessandro D’Ancona, La Poesia popolare italiana, Livorno, 1906, p. 544-561. Fac-simile Bologna, A. Forni, 1974.. D’Ancona et d’autres auteurs ont essayé par la suite de démontrer la proximité des thèmes et des images employés par Giustinian avec des exemples conservés dans la tradition populaire italienne. Nous pouvons noter que les chansons et les strambotti qui lui sont attribués sont écrits dans un italien clair et linéaire à peine mâtiné de formes vénitiennes. Giustinian n’emploie pas dans ses poèmes le parler vénitien. Du reste, ses contemporains reconnaissaient à l’aristocrate poète le mérite d’avoir su cueillir l’esprit du peuple et non pas d’être la voix du peuple. Établir si ses strambotti sont postérieurs aux exemples conservés dans la tradition populaire ou si, au contraire, ces derniers dérivent de la minutieuse diffusion de son œuvre à travers toute la Renaissance est un problème insoluble Annexe n° I : Alessandro D’Ancona, Strambotti di Leonardo Giustinian, La Poesia popolare italiana, op. p. cit., p.558-560.. Ce qui nous intéresse ici, c’est le fait que Giustinian chantait lui-même ses compositions et que Traversari, dans sa lettre, fait référence à la pratique du chant et non pas à l’art de composer des vers et des musiques. Cette étroite relation avec la pratique représentait une valeur inaliénable pour les humanistes, convaincus de renouveler ainsi l’usage des aèdes de l’époque antique, animés aussi par une conception éthique de la musique, là où la pratique spontanée s’opposait à l’affectation spéculative des compositeurs de polyphonie. Une note rédigée dans les années 1471-1475 par Cicco Simonetta, secrétaire de Galeazzo Maria Sforza, fait allusion à une lettre envoyée à Girardo Colli, représentant du duc de Milan à Venise, pour solliciter l’envoi d’un livre où étaient transcrites les chansons de Leonardo Giustinian et d’autres auteurs en vogue à Venise, lui recommandant que certaines soient notées pour bien comprendre l’aere venetiano « Sapere da Domino Girardo al quale ho scripto pregandolo che mi facessi scrivere in uno libretto, tucte le canzone de domino Leonardo Justiniano et tucte le altre che siano belle e che siano in uso in Venexia (…) et in doe o tre canzone fati fare le note del canto per intendere laere venitiano », cité par Emilio Motta, « Musici alla corte degli Sforza », Archivio Storico Lombardo, XIV, Milano, Tip. p. Bortolotti di G. Prato, 1887, p. 554. Facsimile : Genève, Minkoff, 1977.. Il demande en outre que le livre arrive à Milan avec un jeune homme bien instruit en chant et en luth. La lettre révèle très clairement le système semi-oral de transmission de ce genre de répertoire. La conservation des textes est confiée au papier, tandis que la musique écrite est reléguée au second plan, ne concernant que quelques morceaux dans un but didactique. À la parfaite compréhension stylistique de l’aere venetiano devait sans doute contribuer, avec l’exemple pratique, le jeune chanteur et luthiste. Il est clair que les mélodies requises par Cicco Simonetta, écrites seulement pour quelques pièces, pouvaient être appliquées à d’autres textes. Il n’y a là rien de vraiment nouveau, car nous ne sommes pas loin de la conception du contrafactum médiéval, dont la technique a de solides racines dans la transmission orale de la musique. Cependant, l’aere est différent car il n’est pas lié à un morceau spécifique. Ce n’est pas un chant auquel on donne un texte nouveau, comme c’est le cas pour les grands recueils de laude de dévotion du Quattrocento, construites sur des mélodies préexistantes Il s’agit des recueils dits Cantasi come ; voir à ce propos Alessandro D’Ancona, « Tavola dei principj di canzoni del secolo XV e XVI citati nelle raccolte di Laudi spirituali » dans : La Poesia popolare italiana, op. cit., p. 475-495; et aussi : Laude spirituali di Feo Belcari, Lorenzo de’ Medici, di Francesco d’Albizzo, di Castellano Castellani e di altri, Firenze, Molini e Cecchi, 1863.. L’aere est une mélodie conçue pour tout un genre poétique : ottava, capitolo, strambotto, ode, sestina, sonetto, etc. L’habileté du canterino consiste à le plier aux exigences expressives du texte qu’il interprète. Les références à l’interprétation dans la poésie chantée sont très nombreuses. Vers 1490, Angelo Poliziano, l’auteur de la Fabula d’Orpheo, adressait une lettre à Pic de la Mirandole, dans laquelle le grand poète florentin, lui-même chanteur, décrivait un banquet chez Paolo Orsini. Pendant le repas, Fabio, le fils du maître de maison, se mit à chanter et Poliziano raconte que le jeune homme interprétait avec quelques camarades capables de lire la musique, des morceaux de polyphonie. L’auteur de la lettre se réfère à ces musiques comme à un chant noté avec les « petits signes de la musique « […] notata musicis accenticuli carmina » voir Angelo Poliziano, Epistolae lib. XII, dans : Nino Pirrotta, Li due Orfei : da Poliziano a Monteverdi, Torino, ERI, 1969, p. 36. », soulignant sans doute volontairement son ignorance de l’écriture musicale. Son commentaire de l’interprétation méconnaît tout à fait le morceau ; il se borne à louer la voix du garçon. Son enthousiasme se manifeste dès que Fabio abandonne la polyphonie et se met à chanter en l’honneur de Piero de Médicis des vers qu’il venait de composer. Poliziano narre que « sa voix n’était pas à proprement parler celle d’un lecteur ni celle d’un chanteur, mais tu aurais pu les entendre ensemble, sans réussir à distinguer l’une de l’autre. Elle était toute ou pleine ou modulée, changeante comme l’exigeait le passage, tantôt variée et soutenue, tantôt exaltée et modérée, tantôt ralentie ou accélérée ; toujours précise et claire, toujours agréable Nino Pirrotta, Li due Orfei, op. cit., ibid. ». On pourrait difficilement imaginer une description plus émue de ce chant qui reste suspendu entre récitation et mélodie, interprété par un garçon qui savait souligner habilement avec l’expression des affetti les moindres nuances poétiques du texte. Dans l’attention extasiée que Poliziano réserve au garçon résonne le même enchantement qui envahit les âmes des pénitents aux premières montées du Purgatoire, lorsque Dante et Virgile rencontrent le musicien Casella Dante Alighieri, Comoedia – Purgatorius II, 77 « Noi eravamo tutti fissi/ e attenti alle sue note/… ».. Des jugements et des descriptions semblables ne sont pas rares : de Serafino Aquilano, l’on disait qu’il savait accorder les paroles au luth, pour les imprimer dans l’âme des gens Vincenzo Calmeta, « Vita di Serafino Aquilano », dans Cecil Grayson (dir.), Prose e lettere edite e inedite di Vincenzo Calmeta, Bologna, Commissione per i testi di lingua, 1959. Serafino Aquilano y est décrit comme un jeune bien portant, fort et agile, à l’apparence peu soignée : « In abito più a Diogene che a Platone disposto », peu respectueux des puissants, auxquels il adressait parfois des vers audacieux. Il fut impliqué dans plusieurs faits d’armes et fut blessé grièvement deux fois, mais il mourut à trente-quatre ans de fièvre (« febbre terzana doppia »).. Cette capacité de fondre chant et texte était à tel point perçue comme la marque de l’excellence des musiciens que Serafino Aquilano, dont nous ne possédons pas une seule ligne de musique s’adressait à Josquin en l’appelant « suo compagno musico » dans la dédicace d’un sonnet datant de c. 1490 Annexe II, Mario Menghini, Le rime di Serafino Ciminelli dall’Aquila, Bologna, Romagnoli-Dall’Acqua, 1894, p.112.. En 1510, Paolo Cortese, un humaniste qui avait été secrétaire du pape, composa un décalogue des comportements pour les hauts prélats (De Cardinalatu libri tres) Paolo Cortese, De Cardinalatu libri tres, Castel Cartesiano, 1510. Nino Pirrotta, dans Musica e orientamenti culturali nell’Italia del Quattrocento, p. 229-230 et p. 235-249, en donne une analyse critique approfondie. ; la musique figure parmi les sujets traités. Cortese réserve la polyphonie exclusivement au répertoire religieux : après avoir présenté synthétiquement les genres, il examine les plus grands compositeurs de son temps (Obrecht, Isaac, Agricola, Compère, Brumel, Spataro) louant plus que tout autre Josquin, qu’il estime le meilleur. Pourtant, quand il évoque le chant profane, il fait l’éloge de Serafino qui est à son avis le plus grand des musiciens « laïques ». Il ne parle pas des chansons polyphoniques, même de celles de Josquin. Dans les témoignages littéraires, l’hommage aux maîtres de la polyphonie est accompagné de la description émue et enthousiaste de l’art des poètes canterini. Les rapports difficiles entre l’Ars Musica et les intellectuels italiens apparaissent dans de nombreuses pages, même quand il n’y a pas d’intentions polémiques. Antonio Cornazano, plutôt connu de nos jours pour son traité de danse Antonio Cornazano « Libro dell’arte del danzare (1455) ». Édité par C. Mazzi, dans : La Bibliofilia, anno XVII, Firenze, 1916, p. 1-30., mais qui fut un vrai cortegiano, diplomate, écrivain et poète, est l’auteur de la Sfortiade, sorte de long poème encomiastique d’inspiration classique dans la forme et le contenu, dédié à Francesco Sforza. Une section de l’ouvrage, intitulée Laudes Petri Boni cythariste décrit un concert à la cour des Sforza, probablement en 1456 Nino Pirrotta, Musica e orientamenti culturali nell’Italia del Quattrocento, p. 233., par le célèbre luthiste Pietrobono, apprécié à l’époque aussi pour ses qualités de chanteur : « Il chantait, en s’accompagnant de la cetra, une frotta Frotta, en italien signifie groupe, ensemble. De ce mot pourrait dériver le terme frottola, dans ce cas, l’opposition à la singular canzone qui suit pourrait indiquer que Cornazano fait référence à une forme de la poésie à déclamer, ottava, capitolo, oda…. bien ordonnée de vers qui parlaient de l’amour de plusieurs contemporains : de quelle façon le seigneur de Rimini eut Isotta ; il louait le rivage vénitien où elle naquit, et ensuite comment le roi d’Aragon eut Lucrezia. » Et encore : « avec un chant spécial, ou particulier « Per singular canzone », peut-être une chanson polyphonique, une composition spécifique, unique, donc en opposition à la frotta de vers. , il racontait avec passion l’amour qui avait pris le Comte, quand il était à Acquapendente [ville du Latium] et il conduisait le chant tout en demi-tons, avec des syncopes et des proportions, fuyant retardant les cadences ? le tenor et ses grandes cordes cantoni ? Annexe n° III ; Antonio Cornazano, La Sfortiade, Ms. Paris, Bibl. Nat. nouv. acq. 1472; cit. dans : Nino Pirrotta, Musica e orientamenti culturali, op.cit., p. 231.. » Il s’agit là d’un bel exemple d’insouciance de la part d’un humaniste lorsqu’il utilise le vocabulaire technique musical : comment ne pas être d’accord avec Nino Pirrotta quand il dit que « nous avons ici encore le cas d’un poète (Cornazano) qui emploie des termes musicaux seulement à cause de leur son Nino Pirrotta, Musica e orientamenti culturali nell’Italia del Quattrocento, p. 233. ». La vision esthétique musicale de l’humanisme est toute entière dans la synthèse idéale faite vers la fin du xve siècle par Vincenzo Calmeta, courtisan et poète lui-même : « il faut considérer comme excellents ceux qui, en chantant, s’efforcent de bien exprimer les mots et veulent que la musique les accompagne comme les maîtres sont accompagnés de leurs serviteurs, de telle sorte que le texte et les affetti ne soient pas soumis à la musique, mais, au contraire, que la musique soit soumise au texte et aux affetti « Sono da essere estimati sommi coloro che cantando mettono tutto lo sforzo in esprimere bene le parole e fanno che la musica le accompagna con quel modo che sono i padroni accompagnati dai servi […] facendo non gli affetti e le sentenze della musica, ma la musica delle sentenze e degli affetti esser ministra ». Vincenzo Calmeta, «  La poesia del Tebaldeo», dans: Prose e lettere edite e inedite (con due appendici di altri inediti) éd. C.Grayson, Bologna, Commissione per i testi di lingua,1959. p. 50. » Une profession de foi sincère et sans hésitation : prima le parole ! Baldassarre Castiglione, qui publia le Libro del Cortegiano en 1528, est beaucoup plus explicite. En parlant de musique, il ne fait que répéter les opinions que nous avons déjà entendu énoncer plusieurs fois au siècle précédent. Il arrive cependant à expliquer pourquoi, à son avis, il faut préférer le chant monodique : « Il me semble – répond messire Federico – que bien savoir chanter a libro (en lisant la musique, c’est à dire la polyphonie) de façon sûre et plaisante c’est de la belle musique ; mais le chanter en s’accompagnant avec la viole est encore mieux parce que … l’on entend et l’on note la belle manière et l’aria avec plus d’attention puisque les oreilles ne sont occupées que par une seule voix. Mais ce que j’aime par-dessus tout c’est le chant à la viole pour réciter, ce qui ajoute tant de grâce et d’efficacité aux mots et qui nous émerveille Annexe n°IV; Baldesar Castiglione, Il libro del Cortegiano, éd. G. Preti, Torino, Einaudi, 1965, livre II°, p. 13.. » Castiglione réussit à décrire avec quelques traits subtils un comportement qui devait être assez répandu dans les cours de la fin du xve siècle à l’égard de l’art polyphonique tant admiré mais si peu compris : « Vous-même et nous aussi bien des fois et aujourd’hui encore, nous croyons plus à l’opinion d’autrui qu’à la nôtre… Et pour preuve, il n’y a pas longtemps … qu’un motet qui était chanté en présence de Madame la duchesse en personne fut bien accueilli et apprécié seulement quand on vint à savoir que c’était une composition de Josquin des Prés. Quelle autre preuve voulez-vous de la force de l’opinion Annexe n°V; Baldesar Castiglione, Il libro del Cortegiano, op. cit., livre II, p. 35. ? » Les intellectuels comme Calmeta ou Poliziano prétendaient avoir renouvelé l’art des classiques et se considéraient comme des innovateurs, alors que les conceptions musicales qu’ils soutenaient descendaient directement d’une pratique qui avait ses sources dans une tradition orale partagée par la société : on ne reconnaissait pas seulement aux musiciens et aux poètes de cour les qualités expressives idéales du canterino humaniste. Nous soulignons, à titre d’exemple parmi cent autres, combien on appréciait Antonio di Guido B. Becherini: « Un canta in panca fiorentino, Antonio di Guido », Rivista Musicale Italiana, I, 1948, p. 20, héraut de la ville de Florence et bouffon qui se produisait au coin des rues et partout où on le demandait. Il était sans doute doué d’un esprit vif et malin, qui apparaît bien dans les vers qui nous sont parvenus ; par exemple, les neuf stances en octaves dans lesquelles il résume toute la matière de la Sainte Écriture : l’Ancien et le Nouveau Testament, les Épîtres, l’Apocalypse Annexe n° VI; Antonio di Guido, Rime, Lirici toscani del Quattrocento vol. I, éd. Antonio Lanza, Roma, Bulzoni, 1973, p 192.. Son concitoyen Filippo Scarlati était lui-même cantimpanca. Son petit recueil écrit entre 1470 et 1480 illustre bien le genre de répertoire de la catégorie : une série de rispetti à chanter avec luth ou viole très proches par leur forme et leurs contenus de ceux qui ont été attribués à Giustiniani ; il s’agit de quelques ballades très connues à l’époque, au caractère vivant, comme Hora mai che fora son. Un poème de Francesco di Vannozzo, jongleur, musicien et rimeur, ami de Pétrarque, adopté par Scarlatti en guise de présentation, nous transmet une description très badine de son art Annexe n°VII; G. Volpi, Poesie popolari italiane del XV secolo, op. cit., p.36.. Raffaele Brandolini écrit en 1513, à la demande de Jean de Medicis, ancien élève de Politien et futur pape, écrit une oratio, dont l’argument est clairement énoncé dans le titre : De Musica et Poetica. L’auteur, professeur de rhétorique, poète et musicien, frère du plus célèbre Orpheus Christianus – Aurelio Brandolini – décrit avec orgueil ses propres dons d’improvisateur vertueux et cultivé et explique sa façon d’agir en posant une série de questions rhétoriques : « Qu’est ce que je chante quand j’improvise en m’accompagnant avec ma lyra da braccio ? Où et comment je choisis les arguments ? Bien entendu, [je m’inspire] des circonstances et des occasions, des gens, des places et des époques. J’ai chanté le passé, le présent et le futur, selon le désir de ceux qui m’avaient demandé de le faire Raffaele Lippo Brandolini, De Musica et poetica, 1513, éd. Ann E. Moyer, On Music and Poetry = De Musica et poetica, 1513, Tempe, Arizona Center for Mediaeval and Renaissance Studies, 2001.. » Mais Brandolini, avant tout, révèle dans ses lignes une nouvelle conception de la musique, envisagée comme un phénomène plutôt culturel que philosophique ou mathématique. Un art qui prévoyait, entre l’interprète et son public, le partage profond, presque rituel, d’un code de communication musical et poétique. Plus encore, un art qui témoignait d’une idée du pouvoir de la musique opposée aux nécessités et aux valeurs esthétiques de l’univers de la polyphonie, le royaume de l’écriture musicale. Chanter des vers était une activité sociale. Laurent et Pierre de Médicis, Baccio Ugolini, Poliziano et Marsile Ficin échangeaient des vers et des poésies. Peut-être improvisaient-ils même des joutes, des Contrasti. Les étrangers n’étaient pas exclus de cet art, du moins dans les cours. Citons Jean Cordier, chanteur venu de Bruges, très aimé de Laurent de Médicis pour son habileté à improviser accompagné de sa lyra da braccio Voir Reinhard Strohm, Music in Late Medieval Bruges, Oxford, 1985, p. 39.. Que pouvait bien chanter ce musicien venu du Nord à la cour de Florence en 1467 ? Il ne connaissait probablement pas assez bien l’italien pour manipuler avec adresse stanze ou poèmes. Comme il était clerc, il pouvait improviser (ou plus probablement composer) des vers latins, sous forme d’odi et egloghe Pour la diffusion de la déclamation chantée à l’italienne en France, voir Jean-Pierre Ouvrard « Populaire ou savante : la « chanson en forme de voix de ville » vers 1550 et le modèle italien de la « Poesia per Musica », Meslanges pour le Xe anniversaire du Centre de Musique Ancienne, Genève, 1988.. Désireux de retourner aux sources de la poésie antique, les humanistes avaient greffé sur le tronc de la poésie chantée les mètres et les formes de la poésie classique, qu’ils appliquaient tant à l’italien qu’au latin. C’était un classicisme tout autre que formel. À la base il y avait, surtout chez les intellectuels les plus conscients, une grande familiarité avec la philosophie classique. La revalorisation et la connaissance de la culture grecque et romaine à partir des sources originales était tout l’outil et l’indépendance que les intellectuels revendiquaient. Les images arcadiennes et pastorales, comme il y en avait à un autre niveau avec la chanson chevaleresque, étaient porteuses de valeurs éthiques sincèrement partagées, même hors des milieux érudits. C’est dans ce climat culturel qu’Angelo Poliziano composa vers 1480 la Fabula d’Orpheo Pour une édition de la Fabula d’Orpheo dotée d’un excellent apparat critique voir : Antonia Tissoni Benvenuti, L’Orfeo del Poliziano : con il testo critico dell’ originale e delle successive forme teatrali, Padova, Antenore, 1986.. Il y a quelques années, un projet de recherche et création de grande envergure, destiné à rendre à la Fabula son espace musical, a été organisé grace à une collaboration entre la Haute Ecole de Musique de Genève et la Fondation Royaumont de Paris. Les résultats de cette opération et du procès qui a mené à la reconstitution d’aires de déclamation possible à l’état des connaissances, ont été l’objet d’un CD et de deux articles Francis Biggi et la Compagnia dell’Orpheo : La Fabula d’Orpheo, CD K617, 2007. Francis Biggi, « La Fabula di Orpheo d’Ange Politien ou comment rendre une œuvre à l’espace de l’interprétation ? », dans Xavier Bisaro, Rémy Campos (dir.), La Musique Ancienne entre Historiens et Musiciens, Genève, Droz - Haute école de musique de Genève, 2014, p. 491-512 ; Alexandre Traube, « Traces de déclamation dans les recueils de Frottole à la fin du xve siècle », ibid., p. 513-520.Le texte de l’Orpheo est un catalogue de plusieurs formes métriques de la poésie classique et de la poésie italienne, l’ottava étant de loin la forme la plus représentée. Le public auquel Poliziano s’adresse se compose de nobles et de courtisans. Comme tous les intellectuels de son temps, il vivait dans un milieu qui hésitait entre la curiosité envers les nouveautés, l’adhésion enthousiaste à tout ce que les modes imposaient et des goûts qui ne différaient guère de ceux d’un membre quelconque du Popolo Grasso citadin. Depuis le Moyen-Âge, l’aristocratie italienne (autant celle d’ancien lignage, que celle des parvenus arrivés au pouvoir profitant de la crise de la société communale) habitait la ville plutôt que la campagne. C’est spécialement dans l’Italie du Centre-Nord et surtout à Florence que les hautes couches de la bourgeoisie avaient vécu avec les nobles, en compétition pour le contrôle politique des villes qu’ils avaient souvent réussi à conquérir. La plupart des membres de la classe dirigeante italienne avaient une connaissance assez limitée du latin, tout en tenant en grande considération les latinistes et les poètes capables d’écrire des vers en latin. À la différence des traditions de l’administration ecclésiastique, la langue commune des échanges entre les chancelleries des cours n’était pas le latin, mais un italien fortement marqué par les particularités régionales, comme en témoigne l’abondante correspondance qui nous est parvenue. Une quantité de lettres personnelles, de communications réservées, de chroniques prouvent aussi que parmi les cortigiani, certains maîtrisaient assez mal l’écriture. La langue poétique était une langue artificielle, littéraire, dérivée du toscan purifié par Dante, Boccace, Pétrarque, une langue en formation depuis plus de deux siècles, conçue pour et par des intellectuels laïques, qui s’étaient formés en dehors de la structure. Ce n’était pas la langue parlée dans les rues de Florence ou de Sienne. D’après les sources, au cours du Quattrocento, la production de pièces « rustiques » en dialecte napolitain ou vénitien, telles que les Villanesche ou les Moresche n’existait pas. En revanche, il existe de nombreuses compositions écrites dans cet italien « courtois », encore en formation et fréquemment veiné de colorations locales. Ce public louait les expériences d’avant-garde de Poliziano et d’autres prestigieux intellectuels dans le renouvellement de la poésie latine, mais dans sa majorité, il n’était en mesure d’apprécier pleinement que la poésie en italien Dans sa première version de la Fabula, Poliziano n’avait pas inséré des vers latins, comme il le déclare dans la lettre à Carlo Canal qui précède le texte de l’Orpheo. La fabula doit être en langue vulgaire, pour être mieux comprise par l’audience : « in stilo vulgare perché dagli spectatori meglio fusse intesa ». La célèbre ode latine chantée par Baccio Ugolini-Orfeo a été ajoutée en prévision d’une représentation en l’honneur du cardinal Francesco Gonzaga, le dédicataire de l’ouvrage. Même si l’édition imprimée à Bologne avec les indications pour la mise en scène, contient tout le texte de l’ode à Francesco, il est clair, comme l’indique la didascalie qui accompagne le passage, qu’Orphée est brusquement interrompu par la nouvelle de la mort d’Euridice. Le manuscrit de Padoue (Bibl. del Seminario, 116) indique avec précision le point de l’interruption, qui se situe au deuxième couplet de l’ode. Si, à ces deux couplets, nous ajoutons les deux distiques qui suivent au vers 245, nous avons un total de douze vers latins effectivement inclus dans la représentation de la Fabula, contre les 342 vers italiens. À propos de la traditio de la Fabula d’Orpheo voir Antonia Tissoni Benvenuti, L’Orfeo del Poliziano, op. cit., p. 11-57.. Si nous examinons l’ensemble des compositions poétiques du Quattrocento, nous devons admettre que seules les formes liées à la pratique orale bénéficient d’une vraie popularité : canzonette, sonetti, rispetti et surtout l’ottava, tant sous la forme du strambotto que des stanze au contenu élégiaque, moralisant, célébratif ou du cantare épique, chevaleresque. Pour ce qui est de la musique, la situation paraît encore plus extrême : il est évident que les grandes chapelles des palais et des basiliques étaient composées et entretenues surtout pour donner du lustre à leur mécène, au moyen des musiciens célèbres qui les animaient, presque tous étrangers. La musique des chapelles était strictement fonctionnelle, acquise à la représentation du pouvoir. Fascinante, grandiose, magnifique, mais absolument inconnue à la presque totalité de la population de la Péninsule. Certes, les courtisans étaient toujours prêts à louer l’habileté de Josquin et beaucoup d’entre eux étaient probablement capables d’apprécier les raffinements d’une chanson de Loyset Compère, mais leur enthousiasme allait surtout vers ceux qui savaient offrir des beaux vers avec sentiment et virtuosité, en s’accompagnant au luth ou à la viole. À la mort de Leonello d’Este, son successeur, Borso d’Este Sur la musique à Ferrare à l’époque de Borso d’Este, voir Lewis Lockwood, La Musica a Ferrara nel Rinascimento : la creazione di un centro musicale nel XV secolo, Bologna, Il Mulino, 1987. laissa partir les chanteurs de la chapelle et il ne retint que Niccolò Tedesco, qui était un instrumentiste virtuose et qui, pendant les années de Leonello, avait été associé au groupe de musiciens « profanes ». Borso d’Este ne dédaignait pas la musique et son but n’était pas de réduire les frais de sa cour aux dépenses de la cappella. Tout simplement, il avait des goûts différents de ceux de son prédécesseur. À sa cour séjournaient de nombreux instrumentistes. Les trombetti, joueurs de trompette naturelle, avaient une fonction plutôt liée à l’apparat et à la signalisation qu’à la musique proprement dite. Il y avait aussi un trombone (saqueboute), des piffari (chalemies), des joueurs de luth, harpe, viole, lira da braccio et claviers. Niccolò Tedesco était cantor e pulsator, chanteur et instrumentiste ; à l’époque de Borso, il est identifié, au moins une fois dans les sources, en tant que cantarino Niccolò Tedesco est cité pour la première fois dans les documents d’archives en 1436 en tant que cantor et pulsator. Il sera ainsi mentionné jusqu’en 1450. Il sera à nouveau présent dans les documents dès 1455 sous la seigneurie de Borso. En 1455 il est enregistré en tant que cantarino, pour revenir à l’ancienne définition latine l’année suivante. Voir Lewis Lockwood, La Musica a Ferrara nel Rinascimento, op. cit., p. 392-394.. Il serait intéressant de savoir si cette définition italienne a été utilisée en tant que traduction générique du mot cantor ou s’il s’agit d’une identification spécifique pour les chanteurs spécialisés dans les formes vulgaires et profanes italiennes. Il aurait donc appris ces répertoires ainsi que, peut-être, l’art d’improviser des vers, pendant son séjour à Ferrare. Borso n’aimait pas que la musique instrumentale : peu intéressé par la polyphonie internationale, il était en revanche passionné par l’art des canterini. Au moins deux des canterini les plus réputés de son époque, Francesco Cieco et Giovanni Orbo, furent à son service. À Ferrare, de nombreux improvisateurs de passage – instrumentistes, chanteurs et poètes – trouvèrent certainement un accueil chaleureux. Parmi les musiciens au service de la famille d’Este, celui qui incarna le mieux l’univers musical du cortegiano en Italie fut sans doute Pietrobono de’ Burzellis, le très célébré Pietrobono dal Chitarrino, un des artistes les plus illustres et influents du Quattrocento. Actif pendant presque un quart de siècle il fut au service de Leonello, de Borso, il voyagea à Milan, Mantoue, Naples, et jusqu’à la cour de Hongrie. Nous avons lu les louanges qui lui furent adressées en tant que chanteur de vers, mais il fut plus connu et admiré pour son jeu virtuose au luth ou à la guiterne. Comme dans le cas de Serafino Aquilano, son art était essentiellement improvisé. Nous n’avons conservé de ce musicien exalté par les poètes et admiré par les cours aucune musique écrite. La prédilection pour la monodie et la monodie accompagnée apparaît à nos yeux plus qu’une simple mode. Elle était enracinée au plus profond des goûts et elle était destinée à défier les siècles. En 1539, la nouvelle forme polyphonique, le madrigale, parfaitement adaptée au goût des cours et des palais où elle fleurissait, avait désormais imposé sa présence dans toute la Péninsule. Pendant les réjouissances pour les noces entre Cosme de Médicis et Léonore de Tolède, lors d’une fête splendide dont une description très vivante nous a été laissée par Francesco Giambullari Pierfrancesco Giambullari, Apparato et feste nelle noze dello Illustrissimo Signor Duca di Firenze et della Duchessa sua consorte, con le sue stanze, madriali, comedia e intermedij, in quele recitati, Firenze, B. Giunta, 1539., des musiciens interprétant des personnages allégoriques, les villes de la Toscane ou le fleuve Tibre, chantèrent des madrigaux dont nous avons conservé la musique Musiche fatte nelle nozze dello Illustrissimo Duca di Firenze il Signor Cosimo de’ Medici et della Illustrissima Consorte sua Mad. Leonora da Tolleto, Venezia, 1539, voir, pour l’édition des musiques : A Renaissance entertainment. Festivities for the marriage of Cosimo I, Duke of Florence in 1539, éd. Andrew C. Minor et Bonner Mitchell, Columbia, University of Missouri, 1968.. Francesco Giambullari nous fait savoir aussi que chaque groupe allégorique qui s’apprêtait à rendre un hommage en musique au couple était introduit par un canterino habillé en Apollon, qui chantait des ottave de célébration et de commentaire. À la fin de la cérémonie, cet Apollon aurait chanté quarante stanze dont nous conservons les textes mais, bien évidemment, pas une seule note de musique. En contradiction apparente avec ces dernières observations, nous sommes en possession d’une grande quantité de musique composée pour des giustiniane, strambotti, odi, ou capitoli. Il s’agit de compositions polyphoniques réunies dans de nombreuses sources dont les plus anciennes remontent au plus tôt aux années 1460. Plusieurs musicologues, dans le passé Voir, parmi les très nombreux passages explicites à ce sujet, Nino Pirrotta, Li due Orfei, op. cit., p. 26; Walter Rubsamen, « The Justiniane or Viniziane of the 15th Century », art. cit.; I. Pope, M. Kanazawa, The Musical manuscript Montecassino 871, Oxford, Clarendon Press, 1979, p. 80; Martha K. Hanen, The chansonnier El Escorial IV.a.24, op. cit., p. 108., ont considéré ces musiques en tant qu’exemples, plus ou moins proches, du style « originaire » des canterini. Parfois ils y ont même vu des transcriptions fidèles de morceaux improvisés. Du point de vue structurel, on a énoncé une hypothétique descendance de ces musiques d’une « tradition orale » dont témoigne la relation étroite entre le superius et le tenor et en particulier par l’homorythmie qui les caractérise. Ce lien étroit aurait favorisé, avec le temps, le développement entre les deux voix, d’une relation harmonique au détriment d’un vrai contrepoint. Ce schéma, selon Nino Pirrotta, remonterait au moins au xive siècle, et il est le témoin d’un style où le tenor, « subordonné au message mélodique confié à la voix supérieure Voir Nino Pirrotta, Musica tra Medioevo e Rinascimento, op. cit., « Nuova luce su una tradizione non scritta », p. 170. » est destiné à être joué par un instrument, qui improvise un accompagnement « peut-être peu orthodoxe du point de vue de l’enseignement musical officiel Voir Nino Pirrotta, Li due Orfei, op. cit., p. 25. ». Avec le temps, à cette disposition des voix aurait été intégré l’ajout d’un contratenor bassus destiné à perfectionner l’harmonie de base, le contratenor altus étant destiné à couvrir uniquement une fonction de complément non essentiel. La structure syllabique de la mélodie du superius, ainsi que la présence d’une corda de « récit » dans l’incipit du vers ou la présence de mélismes seulement aux cadences, ont été interprétés en tant que traces d’une origine clairement orale ou même « populaire ». Dans cette perspective, des morceaux tels que les strambotti « Tu dormi e io veglio alla tempesta e al vento» Annexe VIII : Tu dormi io veglio (Bartolomeo Tromboncino (1470-1535) dans Franciscus Bossinensis, Tenori e contrabassi intabulati Libro primo, Venetia, Petrucci, 1509, fol. 22r. ou « El bon nocchier » Annexe IX : Il bon nochier, texte de Angelo Poliziano dans Franciscus Bossinensis, Tenori e contrabassi intabuati Libro secundo. Venetia, Petrucci, 1511, fol. 5 r. ou le capitolo «La insuportabil pena el focho ardente» Annexe X : La insuportabil pena el focho ardente, Andrea Antico (1470/80 -1540), dans : Frottole Libro IX. Venetia, Petrucci 1508, fol. 50v- 51r. seraient, de quelque sorte, les exemples du style déclamatoire original des canterini , tandis que des pièces plus élaborées telles que les strambotto « Signor lo capitanio castigate» Annexe XI : Signor lo capitanio, castigate,  Modena, Bibl. Estense, Ms. alpha F.9.9 (1495-96), fol. 71v- 72r. ou le capitolo « Triumpho dele done » Annexe XII : Triumpho de le done. (Leonardo Giustinian ? 1388-1446), Cancionero Musical de El Escorial, IV a 24 (1460-1474) fol. 86v- 87r. seraient des exemples des ornements improvisés avec lesquels les chanteurs experts enrichissaient leurs interprétations. On serait déjà en présence, entre XVe et XVIe siècle, de la dichotomie. Quelques aspects formels de ces compositions peuvent êtres rapprochés à des stéréotypes propres des traditions orales.  Par exemple, l’économie des moyens expressifs ou la présence de formules mélodiques réitérées. Cette simplicité n’est pas nécessairement le témoin certifiant une matrice « populaire » Le problème des origines est commun à tous les genres de musique qui prétendent se référer dans leur dénomination à une source d’inspiration « populaire », des « Villanelle alla Napolitana », aux « Chansons Rustiques » jusqu’aux « Villancicos ».. On pourrait la considérer comme une caractéristique du genre, qui viendrait d’un côté de la volonté du compositeur d’imiter la prétendue « naïveté » des musiques du peuple, mais d’autre part, mettrait ces compositions à la portée du public pour lequel les chansonniers imprimés étaient conçus : les amateurs qui savaient lire la musique, les courtisans, les bourgeois cultivés, tous ceux qui disposaient des moyens économiques suffisants pour acheter des livres ou des instruments de musique et acquérir une formation musicale. Strambotti, capitoli, odi et autres genres de frottole, abondent dans les premiers recueils imprimés. Les imprimeurs étaient des producteurs et des marchands. Ils agissaient suivant les sollicitations et les demandes du marché et les compositeurs s’adaptaient à leurs nécessités. De nombreux musiciens se spécialisèrent dans la production de musiques dans les styles les plus appréciés et les plus populaires. Les onze livres de Frottole imprimés par Petrucci sont le meilleur exemple d’une production orientée par un marché en plein développement, qui demandait sans cesse de nouvelles chansons et qui, si on fait fi des copieux recueils qui nous sont parvenus, concevait l’écriture musicale exclusivement au service de la polyphonie. Cette conception est présente aussi dans les deux livres de frottole mises en tablature pour luth et voix par François de Bosnie Franciscus Bossinensis, Tenori e contrabassi intabulati col sopran in canto figurato per cantar e sonar col lauto, lib. I, Petrucci, Venezia, 1509. Franciscus Bossinensis, Tenori e contrabassi intabulati […], vol. II, Venezia, Petrucci, 1511. dont quelques exemples ont été proposés parmi les pièces citées auparavant. Bossinensis a effectué une transcription simplifiée des pièces polyphoniques, en éliminant le contratenor altus. Même les aire à déclamer présents dans les deux livres sont une simple adaptation de morceaux polyphoniques préexistants. Hormis l’indication fondamentale transmise par la source même, signalant qu’il est possible, dans une frottola polyphonique, d’adapter les voix inférieures à un instrument et de chanter a solo la première voix, il n’y a dans le traitement de la mélodie du cantus proposé par Bossinensis aucune caractéristique spécifique ni la moindre indication pouvant suggérer la façon d’ornementer le chant. Ces transcriptions, proches dans leur disposition voix-instrument du cantare sulla viola si prisé par Baldassarre Castiglione et son entourage, nous disent que l’interprétation était complètement soumise à une tradition partagée entre le musicien et son public. Une tradition qui n’avait aucune nécessité d’être confiée à l’écriture, parce qu’elle s’apprenait par l’écoute et l’exemple, l’écriture n’étant pas (à cette époque comme de nos jours) en condition de rationaliser et de transcrire dans un système cohérent la complexité des variables propres à l’expérience musicale. Les sources primaires n’apportent pas beaucoup d’aide dans la définition du style et de la façon d’interpréter que les canterini utilisaient pour chanter ou déclamer. Les témoignages secondaires parlent d’un chant essentiellement soliste, qui pouvait être soutenu par un accompagnement instrumental. À part les arrangements de Bossinensis, qui se limitent donc à transcrire en tablature de luth les voix de tenor et bassus comme elles se présentent dans les originaux à quatre parties, il n’y a rien, dans la conception musicale des éditions des frottole, qui suggérerait une vocation surtout instrumentale des voix inférieures des compositions. Dans les sources littéraires, les références aux instruments utilisés pour l’accompagnement de la déclamation et du chant a solo sont synthétiques et rapides. Lyra da braccio, viola, chytara ou lembutum (luth), tandis que des flots d’encre sont versés pour exalter la suavité extrême d’un poème ou pour louer l’habileté de son interprète. En résumé, sur le vrai Segreto del Quattrocento, pour paraphraser le très célèbre ouvrage de Torrefranca Fausto Torrefranca, Il Segreto del Quattrocento : Musiche ariose e poesia popolaresca, Milano, Hoepli, 1939., nous n’avons aucune source musicale primaire. De l’art de « dire et chanter », d’interpréter la poésie, il ne nous reste que les descriptions des humanistes et des vestiges littéraires. La déclamation était un art monodique, dans lequel la présence des instruments tels que la lyra da braccio ou le luth avaient uniquement une fonction de soutien et d’accompagnement. Les musiques sur des textes à la structure strophique, strambotti, capitoli, odi mais aussi sonetti, contenues dans les recueils de frottole des dernières décennies du xve siècle et des premières du xvie siècle, sont le résultat conscient d’un processus d’adaptation et d’arrangement effectué par des compositeurs polyphonistes, des spécialistes du genre. Si ces morceaux contiennent peut-être un reflet lointain des modèles mélodiques utilisés pour déclamer, ils ne sont certainement pas la transcription fidèle d’une forme musicale-poétique dont le moyen de transmission aurait été, jusqu’alors, oral. Ils représentent plutôt une approche différente du sujet, la « normalisation » du répertoire (comme dans le cas de certains refrains « rustiques » contenus dans des frottole à l’allure populaire), son détachement de la source d’inspiration originale car le but artistique d’un compositeur de frottole n’est pas le même que celui d’un poète-chanteur-improvisateur ou d’un canterino. L’adaptation polyphonique des strambotti, capitoli ou des odi avait un but commercial immédiat, dont témoignent la publication des vingt-six recueils imprimés de strambotti et frottole par Petrucci et Antico, de 1504 à 1530. Il est possible que les lignes du cantus de certaines compositions strophiques dans les recueils qui nous sont parvenus, manuscrits ou imprimés, cachent des témoignages partiels de mélodies utilisées pour déclamer. Mais aucune mélodie retrouvée ou reconstituée ne pourra nous rapprocher d’un art qui demandait à l’exécutant de lier de façon parfaite chant et interprétation au texte qu’il déclamait. Dans sa pratique quotidienne, le canterino partageait avec son public un langage expressif et symbolique qui n’avait aucune nécessité d’être confié à l’écriture pour maintenir sa vitalité et garantir sa persistance. Son art n’était certainement ni élémentaire ni spontané : qu’il soit cantimpanca s’exhibant au coin des rues ou poète à la cour d’un prince humaniste, il devait posséder une technique vocale solide, un bagage important de stéréotypes expressifs, et des qualités théâtrales peu communes. Il devait connaître par cœur un grand nombre d’aeri et de poèmes, il possédait parfois une imagination assez agile et il maîtrisait la métrique au point de pouvoir improviser des vers à l’impromptu, peut-être sur des mètres différents, même si, apparemment, l’épaisseur de la vis poetica n’était pas une valeur absolue ; à la profondeur du contenu, on préférait l’élégance de la versification et la beauté des images. Même s’il ne possédait pas une habileté extraordinaire dans le jeu instrumental, il devait sans doute maîtriser suffisamment son instrument pour accompagner son chant de façon appropriée. Il est possible que l’instrument ait joué une ligne de tenor « peu orthodoxe », pour reprendre les mots de Pirrotta, mais il est aussi possible (et même probable), que l’accompagnement ait consisté en un mélange de bourdons, lignes de ténor, accords et variations sur la mélodie chantée. La déclamation musicale, le dire-chanter décrit par les humanistes, puise ses racines dans une tradition orale partagée et pluriséculaire, résultat d’une élaboration collective. À partir du xve siècle, plusieurs musiques pour des formes poétiques autrement destinées à la déclamation en soliste sont l’ouvrage de compositeurs polyphonistes, elles sont le produit d’une pensée individuelle, d’un acte créatif personnel. En revanche, l’idée d’un canevas mélodique adaptable à différents textes, à la structure nécessairement stéréotypée, que l’interprète peut adapter à son habileté et au contenu du texte qu’il doit chanter, est certainement ancienne comme le chant même… Comment évaluer, en résumé, la relation entre les descriptions littéraires de l’arte des canterini et les musiques conservées et, surtout, comment évaluer ces dernières ? Seraient-elles des musiques destinées dans l’intention des auteurs à unir le style déclamatoire si apprécié avec la nouvelle polyphonie à l’italienne, pour se plier pour des raisons commerciales, à un goût de plus en plus diffusé ? Il n’est pas facile de répondre à cette question. Il est légitime de penser que ces aeri da cantar ottave ou capitoli se rapprochent plus de l’art de la déclamation à la lyra da braccio au luth ou sulla viola que les canzoni villanesche ne le font d’une tradition de chant populaire qu’ils prétendent imiter. Notre voyage dans l’univers incertain des aeri à la découverte de l’art caché des canterini pourrait se terminer ici avec beaucoup de questions et très peu de réponses. Comme il arrive fréquemment quand on travaille sur les répertoires anciens, nous trouvons abondance d’informations sur de multiples aspects de celui-ci, sur sa destination et son usage, sur l’attitude des contemporains à l’égard des interprètes et des genres musicaux. Dans notre cas, nous savons quelles étaient les caractéristiques formelles et expressives qui rendaient le chant des canterini prisé et digne de louange. Il est possible que, parmi les compositions des frottolisti on puisse trouver au moins le reflet lointain d’un langage musical qui devait être vivant, coloré et extrêmement communicatif. Mais le sens profond de cet art nous échappe à jamais. Aucune description, aucune trace musicale ne pourront nous rendre l’expérience d’un langage poétique-musical complexe et partagé, de la série infinie de stéréotypes qui rendaient plaisante et crédible l’expression des idées et des sentiments que l’interprète voulait transmettre à son public : de la façon de chanter à la conduite de la mélodie et du texte, en passant par le jeu de l’instrument, l’attitude corporelle et la disposition de l’âme de celui qui s’apprêtait à écouter. Tout ceci est trop éloigné de notre expérience quotidienne et de nos codes de communication. La distance qui sépare de notre temps toute œuvre musicale et l’époque où elle a vu le jour est une donnée commune à tout répertoire non contemporain et elle est le moteur premier qui pousse à la recherche dans les domaines de la musicologie historique et de l’histoire de la musique ou de l’interprétation. Pour rester dans le thème traité dans ces pages, la distance qui nous sépare de l’objet de notre quête est encore majeure, car nous nous trouvons face à un univers musical basé essentiellement sur la création et la transmission orale et, ce qui complique encore plus les choses, dans un univers symbolique partagé entre l’interprète et son public. Un univers auquel nous ne pouvons accéder que par métaphores et par similitudes, et non par expérience directe. Une représentation des valeurs et des idéaux d’un monde qui, dans le Quattrocento et bien au delà, se transfigurait dans le classicisme idéalisé des cours italiennes ou dans l’univers héroïque du cantare chevaleresque, tellement prisé par toutes les couches de la société italienne de l’époque. La déclamation chantée de vers est un trait fondamental de la culture italienne à travers les époques. Les références littéraires et musicales à partir du Moyen Âge sont très nombreuses et s’étalent sur plusieurs siècles et, à partir du xvie siècle, on trouve des monodies destinées à chanter les stanze ou les ottave. En 1567, dans l’un des intermedi de l’Alessandro, d’Alessandro Piccolomini, la chanteuse napolitaine Formia chanta des stanze écrites par Tansillo, habillée en Cléopâtre. La musique de ces ottave nous est parvenue dans une édition de 1577. La pièce ne sort pas des stéréotypes du genre, la mélodie se répète identique à chaque distique, l’extension se limite à une petite quarte. Formia interpréta ces stanze « à mi-chemin entre le chanter et le réciter » « a mezzo tra cantare e recitare ». Tout l’épisode et la transcription de la mélodie dans : Li due Orfei, op. cit., p. 220-221.. Ces témoignages nous parlent donc d’une tradition profondément enracinée. Mais évidemment, ils ne répondent pas aux questions liées à son interprétation et à sa réception. Sigismondo d’India Sigismondo D’India, Musiche da cantar solo, Milano, L'herede di Simon Tini, & Filippo Lomazzo, 1609 , Severo Bonini Severo Bonini, Madrigali e Canzonette spirituali, Firenze, Marescotti, 1607. et Claudio Saracini Claudio Saracini, Terze musiche de Madrigali e Arie,Venezia, Vincenti, 1620. Bellerofonte Castaldi Bellerofonte Castaldi, Mazzetto di fiori musicalmente colti dal Giardino Bellerofonteo, Venezia, Vicenti,1623. figurent parmi les nombreux compositeurs qui nous ont laissé des arie per cantar ottave. Nous avons constaté qu’en Italie, la déclamation chantée de longs poèmes au contenu héroïque, mythologique ou hagiographique est une tradition acquise dès le premier quart du xive siècle. Nous avons constaté aussi qu’elle avait un lien avec une tradition « populaire », au-delà des affirmations formelles des humanistes qui revendiquaient que l’inspiration populaire était plus proche d’une « naturalité » perçue comme caractéristique de la poésie des anciens. Une grande partie du répertoire des cantaimpanca, était consacrée aux longs cantari en ottava qui traitaient dans des centaines de stanze l’épopée chevaleresque de la « matière de France et Bretagne », donc des thèmes dérivés de la chanson de Roland et des autres textes faisant partie du même cycle, ainsi que ceux qui provenait des gestes des chevaliers du roi Arthur. Andrea da Barberino Sur Andrea da Barberino (1372-1433?), voir Gloria Allaire, Andrea da Barberino and the language of chivalry, Gainesville, University Press of Florida, 1997., canterino actif entre la fin du xive et les premières années du xve siècle, très apprécié à Florence et auteur d’ouvrages fondamentaux pour l’évolution de l’épique chevaleresque de la Renaissance aux siècles suivants tels que les Reali di Francia ou le Guerrin Meschino, tirait son inspiration d’une littérature vaste et hétérogène, qui comprenait les œuvres de Marie de France, Chrétien de Troyes, des traductions en langue vulgaire de textes de l’antiquité classique, et une vaste collection de cantari. L’ottava fut aussi le système de versification des Sacre Rappresentationi florentines des xve et xvie siècles, imprimées à maintes reprises jusqu’au xviie siècle et très populaires dans toute la Péninsule. En 1530, un auteur anonyme publia un cantare appelé la Historia de Orfeo, une réécriture en 96 stanze de la Fabula d’Ange Politien, à laquelle il intégra une vaste narration des épisodes précédents (du mariage d’Apollon et Calliope à la rencontre d’Orphée et Euridice) Voir l’Orfeo del Poliziano, op. cit., p. 127 et Francesco Alfonso Ugolini I cantari d’argomento classico con un’appendice di testi inediti, Firenze-Genève, L.S. Olschki, 1933.. L’Innamoramento d’Orlando (Roland L’Amoureux) de Boiardo Matteo Maria Boiardo (1441-1494), L’innamoramento d’Orlando ou L’Orlando Innamorato, (première édition Reggio Emilia ou Modena, 1483, perdue) Venezia, Pietro de’Piasi, 1487., L’Orlando Furioso de l’Arioste et la Gerusalemme Liberata du Tasse sont tous écrits en ottava et on les chanta depuis leur apparition La première mise en musique d’une Stanza de L’Orlando Furioso remonte à 1517 : « Queste non son più lacrime » par Bartolomeo Tromboncino. Les compositions de Giaches de Wert sur les Stanze de la Gerusalemme Liberata datent de 1586. . Même l’épopée héroïco-comique de Pulci, le Morgante, utilise le même mètre, ainsi que la belle version des Métamorphoses d’Ovide, publiée en 1561 par Giovanni dall’Anguillara. Nous avons une Megillat Ester en ottava rima, pour la fête de Pourim, écrite au milieu du xvie siècle par le rabbin Mordekay Dato, destinée aux membres de la communauté (femmes et enfants) qui ne connaissaient pas l’hébreu Giulio Busi, La istoria de Purim io ve racconto – il libro di Ester secondo un rabbino emiliano del Cinquecento, Rimini Forli, Luisè, 1987.. Il ne s’agit ici que de quelques exemples parmi les innombrables possibilités : depuis les premières décennies du xive siècle et pendant au moins les trois siècles suivants, l’ottava et en particulier l’ottava toscana fut cadre poétique auquel on avait recours pour raconter une grande épopée, une grande narration en vers au sein d’une littérature très vaste qui se révèle très partagée. Le peuple et les gens de la cour aimaient les mêmes histoires, les mêmes poèmes qui eurent une vaste diffusion dans toute l’Italie. Le xve et le xvie siècles virent la floraison de la poésie à chanter dans toutes ses déclinaisons, mais aussi de l’affirmation auprès de toute la société italienne d’une poésie épique et héroïque ou hagiographique, à forte connotation moralisante et didactique. La société de la Renaissance italienne est déjà une société moderne selon nos critères. La force des coutumes et des cultures locales certainement très enracinées, avait une importance difficile à percevoir de nos jours. Toutefois, les villes et les campagnes étaient ouvertes aux influences externes et les échanges avec le monde extérieur étaient fréquents et intenses, surtout dans les villes autour desquelles se structuraient les grands axes du commerce, de la finance et du pouvoir. Mais les temps et les modes de cette perméabilité étaient différents dans un monde où la transmission orale et la mémoire étaient les premiers vecteurs du partage et de la conservation des informations. Cette société dont les classes dirigeantes faisaient tout pour être anoblies, en rêvant d’un passé légendaire, suspendu entre Arcadie et Chanson de Geste, présentait des différences importantes avec le reste de l’Europe. En Italie, au moins dans le Nord du Pays et au Centre, en dehors des régions contrôlées par l’Église ou soumises à des monarchies restées féodales, comme dans le Sud, la mentalité avait profondément changé. Les membres de l’ancienne aristocratie impériale habitaient en ville et dans les villes, loin de la terre, se mesuraient avec l’influence des très puissantes guildes des artisans, banquiers et marchands. Une société basée sur les valeurs d’une bourgeoisie riche et puissante, nouvelle classe de parvenus, comme les appelait Dante, qui lui-même était fier de ses petits quarts de noblesse remontant dans les siècles, mais qui pourtant y renonça pour s’inscrire à l’Arte degli Speziali, et pouvoir participer ainsi activement à la vie politique florentine, étant donné que les nobles en étaient écartés. Un monde qui devait ménager des instances provenant du bas, dans une dialectique réelle, dans des systèmes républicains et partagé dans une pléthore d’états presque tous petits, parfois à peine plus grands qu’une province, réunissant quelques villes et des terres et en lutte perpétuelle les uns contre les autres. Un chaos. Néanmoins, un chaos qui favorisait la perméabilité culturelle, au moins à l’intérieur d’une ville ou d’une même région. Si les Canterini pouvaient sans peine passer de la cour aux rues, et y trouver la même attention pour leur art, c’est parce que toute la société, de haut en bas, partageait un fond de culture commun. Et parce que, en définitive, le rôle du Canterino, avait perdu complètement l’aura de sacralité qui entourait les bardes anciens et le chanteur d’épopées et de mythes. Dans la société italienne au moins depuis la Renaissance, la tâche de préserver la tradition de ces cycles poétiques, considérés comme fondamentaux dans la construction, le maintien et la transmission d’importantes valeurs partagées, n’était plus l’apanage d’une classe particulière d’interprètes. Tous ceux qui étaient en mesure de le faire, pouvaient chanter de la guerre de Troie, la prise de Jérusalem, les batailles de Renaud de Montauban. Ceci fut possible car on enregistre un degré majeur d’alphabétisation en Toscane dès le xive siècle par rapport à d’autres sociétés contemporaines Voir Duccio Balestracci, Cilastro che sapeva leggere : alfabetizzazione e istruzione nelle campagne toscane alla fine del Medioevo : XIV-XVI secolo, Pisa, Pacini, 2004.. Les Toscans savent lire plus que les autres, et cette caractéristique qui s’élargit au-delà des couches riches du Popolo Grasso, descend jusqu’aux classes subalternes, qui ont elles aussi un accès limité mais pour autant réel aux sources écrites, et la possibilité de les partager avec ceux qui ne savent pas lire. La transmission des valeurs déjà passée de l’aede sacralisé au canterino professionnel, devient maintenant un patrimoine collectif, dont la sagesse est renfermée dans les pages de livres, sources d’inspiration et de connaissance. À ce propos l’exemple de Dovizia la servante, cité par Michel de Montaigne en 1580 dans son Journal de voyage, est édifiant Texte n°XX, Journal du Voyage de Michel de Montaigne en Italie, Paris, Querlon, 1774, p. 240.. L’Ottava Rima s’est rapidement imposé comme le mètre fondamental, sinon unique, de la poésie épique, chevaleresque et hagiographique en Italie, ainsi que le mètre le plus prestigieux de l’improvisation poétique. La transversalité de cette forme de poésie chantée propre à toute la société italienne, des cours aristocratiques, aux académies littéraires jusqu’aux tavernes et aux cabanes de bergers, est un trait unique et persistant. De nos jours, elle est encore vivante dans une vaste partie de l’Italie centrale, de la Toscane à l’Ombrie, au Latium, aux Marches et aux Abruzzes et jusqu’en Sardaigne. Les grands interprètes, ceux qui savent mieux transmettre le contenu expressif et didactique du texte et se sont révélés les narrateurs les plus charismatiques, jouissent d’un grand prestige, entourés de respect et d’admiration. Mais aujourd’hui, on trouve moins de « singers of tales » Je reprends volontiers la belle définition qui donne son titre à l’incontournable ouvrage dédié à la formation du répertoire épique et à sa transmission de Albert Lord, The singer of Tales, Cambridge, Harvard U.P., 1960., qu’il y a quelques décennies, de chanteurs capables de déclamer des dizaines de stanze de poèmes héroïques et chevaleresques, tandis que la pratique de l’improvisation poétique en Ottava prévaut. Après sept siècles, l’ottava suit strictement le mètre et la structure de la forme originale. La langue utilisée par les chanteurs, quoique marquée par des expressions dialectales, est proche de la langue littéraire et utilise des images rhétoriques et des expressions qui peuvent remonter parfois au xviie siècle. Il n’y a qu’en Sardaigne où elle est chantée dans les idiomes locaux. Les poètes de l’Ottava improvvisata, hommes et femmes, car c’est un art qui est ouvert aux femmes depuis des siècles, sont des paysans et des ouvriers, mais aussi des commerçants, des employés, des enseignants. Dans de nombreux cas, parmi les personnes les plus âgées, le niveau de scolarité est minime. Cependant, ils partagent une culture « littéraire » surprenante, qui apparaît absolument anachronique aujourd’hui. Une bibliothèque qui, sans être très vaste est néanmoins riche. Les textes de référence les plus largement partagés et aimés sont l’Orlando Furioso de Ludovico Ariosto (1516) la Gerusalemme Liberata de Tasso (1580), l’Adone de Giovan Battista Marino (1623), la Pia de’ Tolomei de Giuseppe Moroni (1870), mais aussi l’Iliade et l’Odyssée  (à partir du xive siècle, les œuvres d’Homère ont été traduites en italien, en prose ou en vers Dario Mantovani : La guerra di Troia in Ottava Rima, Milano, Ledizioni LediPublishing, 2013.), ou l’Enéide de Virgile (la version italienne, traduite par Annibal Caro, date de 1581) et, surtout, la Divina Commedia de Dante Alighieri, un texte qui n’est pas chanté, mais qui a été la première référence de la littérature italienne depuis sa création. Il y a quelques décennies encore, il était courant que les poètes vantent parmi leurs lectures le Guerrin Meschino et les Reali di Francia d’Andrea da Barberino ou les Métamorphoses d’Ovide dans la traduction en ottava de Giovanni dell’Anguillara (1571). Toutes ces œuvres ont joui pendant des siècles d’une grande popularité et au fil des années, elles ont été réimprimées plusieurs fois dans des éditions simples et bon marché, destinées au colportage. Parfois, des copies de ces livres ont été transmises de génération en génération, gardées avec le même soin que l’on pourrait réserver à une relique religieuse. Jusque récemment, il n’était pas rare de trouver dans les maisons paysannes de l’Italie centrale des éditions du xviiie siècle, abîmées par l’usage, de l’Orlando Furioso ou de la Gerusalemme Liberata. Fortement ancré dans la tradition écrite et littéraire, l’ottava Rima est cependant un art de la mémoire. Le chanteur s’appuie exclusivement sur sa capacité à mémoriser : il ne chante en lisant que dans des occasions exceptionnelles et inhabituelles. Faire preuve de bonne mémoire est essentiel pour chanter l’Ottava, qu’elle soit littéraire ou improvisée : de brèves considérations sur la forme improvisée peuvent clarifier le lien étroit entre les sources littéraires et l’improvisation. Le genre d’improvisation le plus aimé est le Contrasto, la joute entre les poètes. Il s’agit d’un duel poétique qui se déroule en public, autour d’un thème décidé sur le moment : la vie de tous les jours, des faits divers, une discussion entre maître et fermier, un thème politique, un épisode des poèmes chevaleresques, voire une série d’observations sur l’art de faire des vers et de la poésie. Les règles sur la façon dont ces défis poétiques doivent avoir lieu ont été codifiées dès le xive siècle, comme en témoigne le petit traité De li Contrasti de Gidino de Sommacampagna. Les prétendants improvisent une octave chacun, en utilisant des images poétiques et rhétoriques suggestives, des exemples tirés du réservoir hétérogène de leurs savoirs. L’obligation de rimer est stricte, et le poète qui ne parvient pas à lancer sa propre strophe en utilisant la dernière rime de l’Ottava du concurrent décrète sa propre défaite. Les poètes qui connaissent par cœur des extraits des œuvres de référence sont souvent aussi les meilleurs improvisateurs, car ils en tirent des images, des métaphores, des rimes qui peuvent être utilisées si et quand « La Muse offre sa dot nuptiale « La musa te li offre i suoi corredi… » : Nello Landi/Emilio Meliani, Ottava a contrasto, sur le thème de l’improvisation. Enregistrement effectué à Buti (Pisa), 2003 par l’auteur. », c’est-à-dire si et quand ils ont la capacité innée d’improviser suivant des règles aussi rigides et complexes. La technique d’improvisation révèle des indices importants sur la composition de la Stanza elle-même. L’ottava est conçue selon une structure interne qui suit une logique, en ordonnant les huit vers dans une hiérarchie précise. Le poète improvisateur imagine la stanza comme une concaténation croisée de vers : il conçoit le premier vers avec le troisième et le cinquième, le second avec le quatrième et le sixième, tandis que le septième et le huitième, avec la rime suivie, sont la synthèse ou la conclusion de ce qui vient d’être esquissé par la strophe. Ce processus mental se réalise pendant qu’il chante. Il imagine le premier vers dans le très court intervalle qui suit le dernier vers de son adversaire et il structure le troisième et le cinquième vers pendant qu’il chante le premier. Pendant le deuxième vers, il prépare le quatrième et le sixième. Le septième et huitième vers, quant à eux, « sortent tous seuls... « e il settimo e l’ottavo escono da soli, via. » Interview de Nello Landi, ibidem. » Chaque strophe est une superposition de structures : la séquence des accents toniques au sein du vers, la hiérarchie des rimes, la forte vocation prosodique que présente l’hendécasyllabe, qui est un vers conçu pour argumenter et décrire, sous une forme strophique ample : une sorte de parler en poésie. Il n’est pas inhabituel pour le poète, quand il en éprouve le besoin, d’amener son argument au-delà des limites des onze syllabes et de la rime, en incluant cette dernière dans une phrase qui se termine dans le vers suivant Un exemple tiré d’un texte très connu par les poètes de l’Ottava : le chant XII de la Jérusalem délivrée de Tasse, le « Combat de Tancrède et Clorinde » : les premiers deux hendécasyllabes de la Stanza 54. Non schivar, non parar, non ritirarsi // voglion costor, né qui destrezza ha parte. La construction du vers et de la rime croisée est claire, mais la construction syntaxique de la première phrase dépasse les limites du premier hendécasyllabe car les sujets et le verbe qui la soutiennent se trouvent au cœur du deuxième vers: Non schivar, non parar, non ritirarsi voglion costor, // né qui destrezza ha parte.. L’ottava est conçue pour le chant et la narration. C’est une forme collective, elle est chantée pour les gens, pour un public, parce que c’est la fonction sociale qui appartient au poète, au barde, au « singer of tales ». Cette fresque hétérogène, cet échange sans faille entre art et inspiration populaire, entre muses nobles et communes, lie la tradition contemporaine à l’univers de la Renaissance italienne. Le lien n’est pas seulement dans la persistance d’une forme de vers ou dans la mémoire des actes héroïques renfermés dans la mémoire et dans les pages de l’Arioste ou du Tasse. Ce n’est pas seulement dans l’importance que ces contes anciens ont eu pendant des siècles dans la transmission des valeurs et des comportements. Non seulement la forme poétique et le contenu ont été transmis, mais aussi des modèles musicaux qui, au fil des siècles, tout en s’adaptant aux changements de goûts et aux différents environnements sociaux, ont conservé une intégrité fondamentale. Une matrice musicale commune montre que la fonction de l’ottava a été préservée intacte au cours des siècles et comment les mélodies destinées à soutenir le chant sont toujours liées à une sorte de pensée unique, comme s’il était possible seulement de cette façon de concevoir la forme poétique et son interprétation par le chant comme un élément unique, une fusion entre texte, mélodie et interprétation. Un concept qui fait déjà partie de la culture de la Grèce classique, une unité indissoluble. Aujourd’hui l’ottava est déclamée en utilisant différentes versions d’une même structure musicale. Il ne s’agit pas d’une mélodie commune, mais d’une forme élémentaire partagée, une structure essentielle avec des caractéristiques communes, déclinées de manière différente selon les traditions locales et le goût (ou les moyens…) des chanteurs. Le but de la ligne mélodique est de soutenir le texte en donnant à l’interprète la liberté nécessaire pour exprimer le contenu du récit ou, dans le cas de l’improvisation, de sa propre créativité. Fondamentalement, la forme musicale de l’ottava moderne est un recitativo non accompagné, dont l’extension en général ne dépasse jamais l’octave. La conduite mélodique du vers alterne des parties purement syllabiques ou légèrement ornées avec des cadences mélismatiques sur l’avant-dernière syllabe accentuée. L’importance de la partie mélismatique est soumise à une série de variables. Si l’interprète veut mettre en valeur les qualités de son chant, le développement des mélismes peut être relativement important, mais jamais au détriment de la cohérence et de l’intelligibilité du texte. La structure musicale suit quelques règles précises : la stanza est divisée en deux quatrains similaires, mais non identiques. Le deuxième quatrain reprend le mouvement du premier, les deux parties sont proches mais chaque vers est traité différemment, de sorte qu’il est possible d’identifier immédiatement, à partir de la mélodie, la position du vers chanté dans l’ensemble de l’ottava. Dans l’improvisation, cet élément est fondamental. La transcription de l’exemple recueilli en 1964 à Barbarano Romano Annexe XIV : « Ottava a Contrasto », dans  Giovanni Kezich  et Maurizio Agamennone ed., I Poeti Contadini. Introduzione all’ottava rima popolare : immaginario poetico e paesaggio sociale, Bologna, Bulzoni, 1986, p. 201., décrit le processus d’une manière efficace. La mélodie s’étend sur un septième. Les mélodies des versets 1-5, 2-6, 3-7, 4-8 sont similaires, mais les éléments de chaque paire se distinguent clairement par des variations significatives. L’improvisateur a utilisé le même mélisme pour la pénultième syllabe des versets 1-2-6, tandis que le verset 5, bien que directement lié au verset 1, présente les ornements les plus développés de l’octave entière. La structure en « cascade » de la mélodie est une caractéristique typique de la forme. Les versets 1-2-3 et 6-7 s’ouvrent sur le cinquième degré de la gamme, les versets 4-8 sur le sixième. Le verset 5, dont la mélodie se termine par un mélisme beaucoup plus développé, commence avec le quatrième. En regardant la transcription réalisée par Agamennone, le résultat est une mélodie qui oscille entre le mode éolien (mineur) et le mode dorien, avec une liberté considérable et une attraction tonale évidente dans les cadences. Les versets 1-4-5-8 se terminent sur la fondamentale du mode, les versets 2-6 sur le deuxième dégré, le verset 3 sur le quatrième et le verset 7 sur le troisième. L’ottava enregistrée à Buti en 2003 Annexe XV : Gerusalemme Liberata XII, 5 Enregistré à Buti (Pisa) 2003, executeur Andrea Bacci. Enregistr. et transcription, Francis Biggi, une stanza tirée de la Jérusalem Délivrée, présente des caractéristiques similaires. Extension mélodique d’une octave, les vers 3 et 7 portent une ligne moins développée, le vers 5 présente un mélisme relativement ample. La disposition modale de cette ottava est éolienne, mais d’autres cas manifestent une certaine variabilité modale et la présence de passages chromatiques. Les vers 1-4-5-8 se terminent sur la fondamentale, les vers 2-6 sur le deuxième degré, le 3 et le 7 sur le cinquième. La structure générale qui soutient la déclamation est claire : une sorte de psalmodie simple, une conception modale certainement archaïque mais influencée par une forte attraction tonale, notamment dans les cadences. Même l’ottava enregistrée en 1964 par Diego Carpitella et ses collaborateurs dans les campagnes près d’Arezzo présente une structure similaire Annexe XVI : extrait de la Pia dei Tolomei, dans Diego Carpitella, Musica contadina dell’Aretino, vol. I, LP Albatros, 1976. . Comme nous l’avons vu, les canterini étaient des spécialistes d’un genre monodique qui a laissé peu ou point de traces dans la littérature musicale. Les intellectuels de la Renaissance considéraient ce style comme l’équivalent de la poésie « naturelle » et archaïque, chantée par un interprète non concerné par les détails de l’écriture musicale mais par le contenu narratif ou émotionnel des vers qu’il chantait. Le désir de capturer l’essence de l’expérience poétique et musicale a poussé les artistes et les philosophes à exalter la simplicité de l’expression populaire : une voix d’un âge plus innocent, plus proche de la pureté spontanée de ses origines. Bien que nous sachions que cette manière « naturelle » de chanter était populaire au point d’être une forme d’art apprécié dans toutes les classes et largement répandu, destiné à se perpétuer au cours des siècles, nous n’en possédons aucune trace musicale écrite directe. Cette Arcadie chantée en langue vernaculaire, appelant à la simplicité naturelle de l’Antiquité est un thème cher au cœur du Nouvel Homme de la Renaissance. Un mythe d’une grande ténacité, engendré en Italie fort probablement par la proximité que la société de la Péninsule dans sa globalité manifesta avec la déclamation et l’improvisation poétique. Au cours des siècles, de la Renaissance au Baroque, de nombreuses collections musicales ont préservé des exemples d’airs génériquement dénommés « aria per cantar Ottave » ou des compositions dont la mélodie peut être adaptée à tout poème du même mètre. Il s’agit souvent de simples lignes mélodiques, récitatifs dont les caractéristiques sont très proches des exemples provenant de l’Italie Centrale présentés plus haut. Parmi les nombreux exemples présents au xvie siècle, sans oublier les recueils de Frottole du début du siècle, on peut citer les recueils pour luth de Cosimo Bottegari Modena, Biblioteca Estense, Ms. C311. (1574) et de Raffaello Cavalcanti Bruxelles, Bibliothèque Royale Albert Ier, Ms II 275 D. Voir Victor Choelo, « The Players of Florentine Monody in Context and History, and a Newly Recognized Source for Le Nuove Musiche », Journal of Seventeenth-Century Music, vol.9, (2003), n° 1. (1590), qui conservent un bon nombre d’arie avec accompagnement de luth. Nous avons retenu plusieurs autres recueils de tablatures pour luth et voix du xvie siècle, notamment florentins À ce sujet voir l’excellent travail de Keith Falkenstein, The Late Sixteenth-Century Repertory of Florentine Lute Song, Thèse doctorale, New York State University, Buffalo, 1997., contenant des transcriptions d’airs pour stanze. Parfois, la « musique » n’est qu’une série d’accords sur lesquels les paroles peuvent être chantées, sans ligne musicale pour la mélodie, car elle pouvait être dérivée ou improvisée à partir de la progression harmonique, si essentielle dans sa simplicité. Une telle essentialité formelle est présente aussi dans l’Aria da cantare Ottave de Claudio Saracini, publiée en 1620 Annexe XVII : Claudio Saracini (1586-1630), Aria da Cantare ottave, dans Le Terze Musiche de Madrigali e Arie, op. cit., 24, une mélodie syllabique très simple qui suit le modèle harmonique de la basse, conçue pour soutenir une déclamation fluide continue, dont les composants expressifs sont laissés complètement à la volonté et les possibilités techniques de l'interprète. Toutes les mélodies du xviie siècle n'ont pas cette structure simple et déclamatoire. Certaines ont les caractéristiques d'un air baroque, exemples d'un style virtuose et complexe, évidemment composées pour un texte spécifique, auquel elles sont parfaitement adaptées. La complexité de Porterà ‘l Sol Annexe XVIII : Bellerofonte Castaldi, Porterà ‘l Sol, dans Mazzetto di Fiori, op. cit., p. 15. de Bellerofonte Castaldi, publiée en 1623, est évidente. La mélodie s'étend sur deux octaves presque, couvrant toute la Stanza sans répétitions et nécessite un interprète expérimenté. Dans les collections musicales de l'époque baroque, on trouve des Ottave sous forme de récitatifs simples et d’autres conçues comme des arias. Au xviiie siècle, la déclamation chantée des poèmes héroïques et chevaleresques quitte peu à peu les cours et les salles des maisons aristocratiques. De nouveaux goûts et de nouvelles idées s'imposent dans le monde de la culture « haute » et de la « bonne » musique. Cependant, l’Ottava ne disparaît pas des cours et des palais, mais elle se réduit aux exercices des poètes d’une Arcadie tardive Voir Alessandro Di Ricco, « Poeti improvvisatori aulici in Età Moderna », dans : Maurizio Agamennone ed., Cantar Ottave : per una storia culturale dell’intonazione cantata in Ottava Rima, Lucca, Libreria Musicale italiana, 2017. . Un mouvement paneuropéen, comme ce fut le cas dans les siècles précédents à partir du xve siècle, qui chercha à renouveler le goût littéraire, en exaltant les valeurs de l'Humanité à l'Age des Mythes, époque de paix, prospérité et bonheur qui précéda les temps historiques. Les palais des Rois et des Princes se remplirent d'instruments populaires, adaptés aux besoins de la musique de cour. La noblesse se réunit dans des salons littéraires où les Arcadiens prennent le nom de nymphes, bergères et bergers à l’imitation de l’antiquité. En Italie, ce mouvement culturel s'exprime aussi à travers la composition de poèmes en ottava et la persistance de l'improvisation poétique « cultivée », à l’imitation du peuple cette fois. Le « couronnement arcadique » à Rome en février 1775 de Corilla Olimpica, au civil Maria Maddalena Morelli (1727-1800), poétesse toscane, en est un exemple parfait. Le rite du couronnement, avec les poèmes composés pour la circonstance est décrit dans l’Adunanza degli Arcadi per la coronazione della Celebre Pastorella Corilla Olimpica AA.VV, L’Adunanza degli Arcadi per la coronazione della Celebre Pastorella Corilla Olimpica, Rome, Salomoni, 1775. et c’est à la vie de la poétesse, reine des salons et une des icônes italiennes de la femme libre et cultivée du Siècle des Lumières qu’est consacrée la biographie que l’historien Alessandro Ademollo Alessandro Ademollo, Corilla Olimpica. Florence, C. Ademollo e c., 1887. publia un siècle plus tard. Ademollo rapporte des longs extraits de l’Adunanza, où les vertus de Corilla dans l’improvisation sont largement louées : « On commença avec la déclamation de nombreux poèmes qui lui étaient dédiés. Ensuite, pendant un long moment, elle improvisa, tantôt seule, tantôt en alternance avec Messieurs l’Abbé Baldassarre Rocchetti, le Docteur Angelo Talassi, Giovanni De Rossi et Giuseppe Giordani. Les sujets de l’improvisation furent la fuite de Marc Antoine en Egypte après la bataille de Azio, les effets de la lumière du soleil sur les fleurs, et la doctrine d’Epicure, dans la confutation de laquelle se distingua la très louée Corilla ». Alessandro Ademollo, Corilla Olimpica, op.cit., p. 165 : « Fu poi dato principio alla recita di vari componimenti, la maggior parte dei quali erano in di lei lode, e fu poi dalla medesima per lungo spazio di tempo improvvisato ora a solo ora alternativamente coi sig. Abb. Baldassarre Rocchetti, Dott. Angelo Talassi, Gio. De Rossi e Gius. Giordani. Gli argomenti tratti furono — la fuga di Marcantonio in Egitto dopo la celebre battaglia di Azio — gli effetti che fa la luce del sole ne' fiori e la dottrina di Epicuro, nel combattere la quale si distinse la prelodata Corilla ».  Un siècle après Castaldi ou Saracini, le cantar l'ottava est considéré comme un phénomène typique de « l'esprit » du peuple italien, ainsi il est présenté par Giuseppe Baretti, un Italien qui a vécu en Angleterre et a publié à Londres en 1769 Un compte des mœurs et coutumes de l'Italie Joseph (Giuseppe) Baretti, An Account of the Manner and Customs of Italy, London, Davies and Davis, 1769.. Baretti inclut dans son livre les transcriptions de deux airs pour chanter les ottave, sur le texte d’un épisode bien connu et aimé encore aujourd’hui de la Jérusalem Délivrée, le Canto di Erminia. Les mélodies portent des titres qui se réfèrent clairement à une origine locale, régionale. Le double caractère manifesté dans les ottave baroques est présent : la forme psalmodique et l'aria. La première mélodie, qui porte le titre de Tasso alla Veneziana est un air complexe, qui a une structure similaire à l’air Porterà 'l sol. de Castaldi, Une mélodie caractérisés par un grand développement, un abondant usage de chromatiques et une extension qui dépasse une octave et une tierce. L'édition de Baretti présente le Tasso alla Veneziana comme une pièce a cappella, sans accompagnement instrumental. La deuxième mélodie, les Ottave alla Fiorentina est une monodie plus simple, qui alterne de courtes sections de récitatif avec des passages à peine plus développés. Dans ce cas, selon les mêmes principes que ces exemples du xviie siècle, Baretti ajoute une ligne de basso continuo. Dans les deux cas, les mélodies sont présentées comme recueillies par la voix anonyme du peuple. Baretti affirme avoir entendu le Tasso alla Veneziana chanté par des gondoliers à Venise Joseph (Giuseppe) Baretti, An Account of the Manner and Customs of Italy, op. cit., vol. II, 1769, p. 153. et insiste d’autre part sur la capacité des Toscans, même chez les plus humbles « menuisiers, tonneliers, barbiers, cordonniers et autres gens de cette classe» Ibidem, p. 175. de savoir chanter et improviser des vers. Il affirme avec une sincère admiration « plusieurs fois j'ai été étonné de la rapidité de leur expression, de la facilité de leurs rimes, de la justesse de leur nombre, de l'abondance de leurs images et de la chaleur et de l'impétuosité de leurs pensées » Ibidem, p. 174-176 « Among the general characteristics of the Tuscans I have already touched upon their love of poetry, and, what is altogether singular in them, their common custom of improvvisare ; that is of singing verses extempore to the guitar and other stringed instruments. Both these qualities in them are of a vers ancient date. The Tuscans were smitten by the charms of poetry to a greater degree than any other people as soon as their language began to be turned towards verse. (….) With regard to their improvvisare, my English reader will not easily be made to conceive it as a thig, which requires graet poetical powers ; nor is it possible to give a just idea of it to a stranger. Yet I cana ver, that it is a very great entertainement, and what cannot fail of exciting very great surprise, to hear two of their best improvvisatori, et cantare pares et respondere parati, and each eager to excel, expatiate in ottava rima upon any subject moderately susceptible of petical amplification. Several times have I beastonished at the rapidity of their expressions, the easiness of their rhymes, the justness of their numbers, the copiousness of their images, and the general warmth and impetuosity of their thoughts... ». Il est donc très proche de la description de l’art de Dovizia, qui avait tant émerveillé Montaigne deux siècles auparavant. Les mêmes arias sont présents parmi la musique recueillie dans les Consolations des misères de ma vie de Jean-Jacques Rousseau Annexe XIX : Jean-Jacques Rousseau, Consolations des misères de ma vie, Paris, De Roullede de la Chevardière, 1781, 198v-199r.. Rousseau ne donne pas d'indications sur la source d'où proviennent les musiques, mais elles sont les mêmes, note à note, que celles publiées par Baretti. À ces deux exemples, Rousseau ajoute un autre air composé par lui-même : Psalmodie nouvelle sur le Tasse Annexe XX : ibidem,198r.. C'est essentiellement une mélodie syllabique, ce que recouvre parfaitement le terme de psalmodie qu’il choisit, en soulignant ainsi son origine et sa fonction narrative et déclamatoire. Il est possible d’envisager un style qui, bien au-delà de l’institution formelle d’une Seconda Practica, dans le courant des siècles en s’adaptant et absorbant des caractéristiques propres aux transformations du langage musical, révèle des composantes fondamentales et persistantes : un style qui a des caractéristiques reconnaissables dans le temps et qui est lié à des structures poétiques définies. Toute généralisation est dangereuse, mais la présence de traits communs à un strambotto tel que Tu dormi e io veglio - un parmi les multiples exemples possibles - à un aria da cantare ottave tel que Strane guise d’amor de Saracini, ou au Tasso alla Fiorentina de Baretti et jusqu’aux exemples contemporains de la tradition vivante en Italie, laisserait envisager un lien plus profond dans la relation texte-déclamation que la simple appartenance à une commune racine culturelle. Bien certainement, le modèle de référence qui revient immédiatement à l’esprit est celui de la cantillation et de la psalmodie rituelle, donc de modèles qui seraient enracinés dans la culture italienne et européenne en général depuis des âges lointains et diffusés par le biais du chant sacré. La psalmodie, la lectio, appartiennent bien au même univers musical. À voir s’il ne s’agirait pas plutôt d’une commune appartenance plutôt que d’une filiation. Sommes-nous en face d’une forme culturelle, donc d’une assimilation de données par apprentissage, ou plutôt dans un domaine différent ? Déclamer ne serait pas plutôt une structure fondamentale de la communication ? Nous sommes aux questions fondamentales que Lord pose en parlant de la réception des théories de Parry autour de l’oral narrative poetry : quels sont les mécanismes de création et de transmission qui définissent une épique orale ? Où se situe la limite entre création et transmission d’une épique orale par rapport à la transmission orale d’un épique écrite, donc littéraire Albert B. Lord, Singer of Tales, Cambridge, Harvard U.P.,1960 (2000), p. 5 : « The need for a clarification of the oral process of composition is reflected in the many terms which are used for oral narrative poetry. To no small degree difficulties have arisen because of the ambiguity of terminology […] The term "oral" emphasizes, I believe, the basic distinction between oral narrative poetry and that which we term literary epic. But it too carries some ambiguity. Certain of the misunderstandings of Parry's oral theory arise from the failure to recognize his special use of the word "oral." For example, one often hears that oral poetry is poetry that was written to be recited. Oral, however, does not mean merely oral presentation. Oral epics are performed orally, it is true, but so can any other poem be performed orally. What is important is not the oral performance but rather the composition during oral performance. »  ? Du point de vue musical, dans les exemples propres à la tradition italienne d’aujourd’hui, il n’y a aucune différence entre les formules mélodiques utilisés pour chanter les épopées littéraires transmises semi-oralement et la déclamation de vers improvisés. Si différence il y a, elle est dans l’application de ces formules, dans la façon de chanter les ottave quand on interprète ou quand on improvise. D’autre part, comme Lord fait bien remarquer dans la préface à la deuxième édition de son ouvrage, il est difficile pour un auditeur moderne s’accoutumer au fait que l’improvisation de vers est un acte créatif, produit par un artiste qui n’est pas seulement l’interprète d’une tradition, mais qui est en train de créer la tradition Albert B. Lord, ibidem, p. 13 « It is sometimes difficult for us to realize that the man who is sitting before us singing an epic song is not a mere carrier of the tradition but a creative artist making the tradition. The reasons for this difficulty are various. They arise in part simply from the fact that we are not in the habit of thinking of a performer as a composer ». Il est donc difficile imaginer sans faire recours à des outils de référence, qui ne peuvent être repérés que dans les traditions vivantes encore accoutumées à ce genre d’expression, quel était l’art complexe d’un canterino italien de la Renaissance. La comparaison entre cultures est un instrument déjà largement expérimenté dans nombre de domaines de recherche par des spécialistes qui, au moins à partir de la fin du XIX siècle, se sont consacrés à l'étude des origines des cultures et des mythes Parmi les auteurs qui ont beaucoup influencé avec leurs écrits la pensée contemporaine autour de la fonction des archétypes, la diffusion des mythes et leur importance dans la formation et la structuration des sociétés humaines, je rappelle : James G. Frazer, The Golden Bough, London, MacMillian, 1890 ; Vladimir Propp, Morphologie du conte (Морфология сказки) Leningrad 1928, première édition française Paris, Seuil 1973 et Les Racines historiques du conte merveilleux (Исторические корни волшебных сказок), Leningrad 1946, première édition française Paris, Gallimard 1983 ; Joseph Campbell, The Hero with a Thousand Faces, New York, Pantheon Books, 1949 ; Claude Levi-Strauss, Mythologiques I : Le Cru et le Cuit, Paris, Plon, 1964 ; Mythologiques II : Du miel aux cendres, Paris, Plon, 1967 ; Mythologiques III : L'Origine des manières de table Paris, Plon, 1968 : Mythologiques IV : L'Homme nu, Paris, Plon, 1971. . Elle se démontre très efficace aussi dans l’élaboration de modèles aptes à nous donner une reconstruction du fonctionnement des sociétés préindustrielles en Europe et à nous permettre de dessiner la complexité des conventions et des usages qui réglaient les relations entre individus, classes sociales, genres. Bien évidemment il ne s’agît pas de considérer toutes les cultures identiques, comme si les différences n’étaient que des accidents, posées au-dessus d’une souche universelle et commune. Mais il est certain qu’on peut considérer qu’à des nécessités égales, les sociétés humaines répondent avec des solutions proches. Dans notre domaine, il est intéressant donc d’élargir la recherche au-delà d’un arc temporel, et de dépasser les bornes imposées par une réflexion qui se limiterait uniquement à la présence, en Italie, d’un langage poétique et musical qui se maintient dans le temps car il répond à des besoins perçus comme actuels et fonctionnels à travers les siècles. De ce point de vue, les réponses provenant de l’observation de l’art des poètes de l’Ottava contemporaine, comparées aux descriptions et aux témoins musicaux et aux sources secondaires des siècles passés, sont en même temps substantielles et insuffisantes. Substantielles car nous donnent des indications claires sur le fonctionnement de la transmission orale, sur la formation de modèles de chant et sur l’appropriation de matériel provenant de la littérature écrite, ainsi que des relations qui liaient le poète chanteur à son entourage. Insuffisantes car la société de l’Italie d’il y a cinq siècles était porteuse de valeurs et croyances très lointains de l’expérience du XXI siècle. Car le but de cette recherche de fond, est de mettre en pratique une méthode interdisciplinaire, euristique par sa démarche, entre musicologie, histoire de la musique, ethnomusicologie, (ou pour mieux dire : musicologie transculturelle) pour donner aux musiciens occidentaux du XXI siècles des moyens de réflexion et des sources d’inspiration allant à l’encontre de certains stéréotypes actuellement fréquents dans l’interprétation des répertoires anciens, et concernant notamment les relations et les interactions réciproques entre texte et musique. Une option, pour résoudre ce gap de compréhension, est donc de s’approcher à d’autres cultures. Pendant deux ans, un projet de recherche dédié à la narration chantée en Italie et au Japon a été mené à la Haute Ecole de Musique de Genève en collaboration avec le Research Centre for Japanese Traditional Music de la Kyoto City University of Arts, dirigé par Alison Tokita. Le projet était consacré à la comparaison de formes, thèmes et contenus, ainsi qu’à la perception du rôle du poète – chanteur dans les deux cultures et à sa transformation dans le temps. Les travaux consacrés à la narration chantée de poèmes héroïques japonais sont nombreux et de très grande qualité. Beaucoup ont été rédigés en anglais depuis l’étude de Kenneth Butler en 1966 Kenneth Butler, « The Heike Monogatari and the theories of oral epic litterature“  dans : Seikei Daigaku Bungakubu kiyō, 2, Tokyo, Seikei Daigaku Daigakuin Bungaku Kenkyūka, 1966. jusqu’à I’ouvrage fondamental de Alison McQueen Tokita, Japanese Singer of Tales Alison Tokita, Japanese Singers of Tales, Ten Centuries of Performed Narrative, Farnham, Ashgate, 2015., consacré entièrement au sujet. Il faut aussi mentionner l’important article sur l’Heike Monogatari de Haruko Komoda Haruko Komoda, « The Musical narrative of the Tale of Heike » dans : Alison Tokita, David Hughues ed. The Ashgate Research Companion of Japanese Music, Farnham, Ashgate, 2008, p. 77-104., la plus récente traduction anglaise de ce texte par Royall Tyler Royall Tyler, The Tale of Heike, London, 2012., les nombreuses recherches dédiées aux Biwa Hoshi, les « prêtres au luth », qui ont été pendant des siècles les interprètes itinérants de la tradition. On citera, enfin, le travail dédié au biwa et à l’accompagnement instrumental de la déclamation publié par Hughes De Ferranti, The Last Biwa Singer : A Blind Musician in History, Imagination and Performance Hugh De Ferranti, The Last Biwa Singer : A Blind Musician in History, Imagination and Performance, Ithaca, Cornell U.P., 2009.. Ces ouvrages sont très importants car ils donnent une représentation précise et analytique des formes de la narration chantée dans la tradition japonaise du point de vue historique et quant à sa persistance à l’époque contemporaine, depuis la formation du répertoire textuel jusqu’à l’élaboration et à la transmission des mélodies et des techniques d’interprétation. Ces travaux arrivent à fusionner de façon harmonieuse les données de la recherche historique et de l’observation de terrain. Les publications qu’on vient de mentionner sont des exemples méthodologiques incontournables car le corpus italien a été peu étudié alors même que la la déclamation était considérée depuis les années 1930 par les musicologues italiens comme l’innovation musicale la plus importante du XVe siècle dans la Peninsule. Aucun chercheur n’a jusqu’ici tenté, sinon très récemment et de façon limitée, de lier recherche ethnographique sur la poésie à déclamer dans la tradition italienne contemporaine et le développement historique du phénomène, en partant de ses premières traces accessibles, comme nous avons vu, dès le XIVe siècle. Dans cette perspective, l’expérience des chercheurs qui ont longuement travaillé au Japon autour de la saga médiévale qui relate de la ruine du clan des Taira (dits les Heike) LesTaira, puissant clan du Japon médiéval lié à la famille impériale, en 1161 arrive après une confrontation sanglante, à défaire le clan rival des Minamoto. Mais incapables de retenir leur haine et leur arrogance, ils furent la cause de leur propre ruine. En 1185, les Minamoto retrouvent leurs forces et leur unité et dans la bataille navale de Dan-no-Ura ils anéantissent l’armée des Taira, dont les membres les plus importants préfèrent se suicider. Les Minamoto, s’emparant du contrôle de l’Empire, fondent le premier Shogunat. Le Heike , épopée fondamentale pour l’identité culturelle japonaise est un exemple de première importance. L’histoire des Heike a donné naissance à travers les siècles à des vastes corpus de Joruri (épopées déclamées accompagnées au shamisen), Katari (contes dramatisées), Monogatari (poèmes déclamés), Katarimono (narrations mises en musique et chantées), développés depuis le Moyen-Âge, qui ont été transmis de génération en génération jusqu’à nos jours. Parmi les plus importants pour notre travail, l’Heike Monogatari, vrai corpus de narrations, entre la chanson de geste et l’épopée, est fondamental. Son interprétation et sa diffusion ont été confiées pendant des siècles à un groupe de moines itinérants, les biwa hoshi, s’accompagnant au luth. En traitant du Heike Monogatari, dans un long article publié en 2003, Alison Tokita, fait des observations importantes, autour des mécanismes de transmission et de réception de la littérature orale. Alison Tokita : « The Reception of the Heike Monogatari as Performed Narrative: The Atsumori Episode : Heikyoku, Zatō Biwa and Satsuma Biwa”. dans : Japanese Studies, vol 23, N.1, Seattle, Washington University, 2003, p. 59. ”This paper looks at reception of the Heike in the sense of its re-creation in different performance contexts, and examines one of the most frequently received of the episodes, the Atsumori episode, in three genres accompanied by the biwa. It concludes that oral narrative, while relying on verbal and musical formulae, has the maximum flexibility through the direct input of the performer in shaping the narrative in the performance situation. In the genres where the text is fixed, musical flexibility may remain because of limited musical notation. Where the musical realization of the narrative performance becomes fixed and permanently notated, the performer has no more than interpretive possibilities. The implication for reception theory is that a powerful epic cycle such as the Heike with its multiplicity of contexts and realizations, both textual and performance, calls for a new kind of approach, as the concept of the ‘work’ is so fluid.” On ne peut pas nier que la proximité des solutions mises en pratique par les bardes japonais dans leur chant avec les observations faites autour de la déclamation en Italie à travers les siècles, ne soit pas frappante Annexe XXI : Extrait du Heike Monogatari, Livre X, chapitre IX, « Yokibue » dans : Alison Tokita, Japanese Singers of Tales, cit. p.75.. De ce point de vue, comme dans d’autres domaines de la recherche autour de l’interprétation des musiques anciennes, une porte ouverte nous emmène à d’autres portes et à d’autres questions. Le chemin de la recherche s’étale maintenant le long de la Voie de la Soie, de ses frontières les plus extrêmes et bien au-delà, car l’art des singers of tales, apparaît bien plus qu’un art, mais un moyen de transmission fondamental, un langage structuré par des règles spécifiques dont la trace persiste au-delà des différences culturelles et des traditions locales. Annexe I La Poesia popolare italiana, Livorno, 1906 (Fac-simile Bologna, A. Forni, 1974), p. 558-560. Leonardo Giustinian, strambotto XXIV Non ti ricordi quando mi dicevi Che tu m’amavi sì perfettamente? Se stavi un giorno che non me vedevi Con li occhi mi cercavi tra la gente. E risguardando s’tu non mi vedevi Dentro de lo tuo cor stavi dolente: E mo mi vedi e par non mi cognosci, Come tuo servo stato mai non fosci. Tradition populaire toscane: rispetto (publié en1896) Non t’arricordi quando mi dicevi Che tu m’amavi sì sinceramente? Se stavi un’ora che non mi vedevi Con gli occhi mi cercavi fra la gente. Ora mi vedi, e non mi dici addio, Come tua dama non fossi stata io; Ora mi vedi e non mi riconosci Come tua dama io stata non fossi. Tradizione popoulaire venitienne: quartina (publiée en 1874) Ma dove xe quel ben che mi volevi, Quele careze che d’amor me fèvi? Co’ g’era un’ora che no me vedevi Co i oci tra la gente me çerchevi. Annexe II Mario Menghini, Le rime di Serafino Ciminelli dall’Aquila, Bologna, Romagnoli-Dall’Acqua, 1894, p. 112 Ad Iusquino suo compagno Musico: Iusquin, non dir che ‘l ciel sia crudo et empio che t’adornò de sì sublime ingegno e se alcun veste ben, lassa lo sdegno che di ciò gaude alcun buffone o scempio. Da quel ch’io te dirò prendi l’exempio: l’argento e l’or che da se stesso è degno se monstra nudo e sol si veste il legno quando se adorna alcun teatro o tempio. El favor di costor vien presto manco e mille volte el dì, sia pur giocondo, se muta el stato lor de nero in bianco. Ma chi ha virtù, gire a suo modo el mondo, come om che nota e ha la zucca al fianco: mettil sott’acqua, pur non teme el fondo. Annexe III Antonio Cornazano, Laudes Petri Boni Cythariste, Sforziade, VIII Paris, Bibliothèque Nationale, Ms. nouv. acq. 1472, ff. 106v-107v A questo alto triumpho era chiamato un Piero Bono da lontana via, che in musica le stelle havean dotato pascer l'orechia di dolce armonia. Non havra el mondo el piiu prestante deo, ni accender fiama in cor, ch'el là non sia. Ancho di forma el primo cithareo è questi, apena cavo fu vivendo, excepto Apollo, el bel corpo d'Orpheo. E per quanto da lui de ciò m'intendo a soa comparation nullo reservo, e l'armonie che i ciel fano suspendo. Quest'un già puote col percosso nervo svegliar gli corpi nelle sepolture, et adolcire ogn'animo protervo; gli attracti sensi da tucte altre cure subvertir puote e con sue voci liete fermar gli fiumi e dar strada a le mure. Quasi ebriati nel fonte di Lethe trava a se i cor la man si dolc'e dotta e convertia ciascun a Anaxarethe. Cantava in cetra ad ordinata frotta l'amor d'alcun moderni chi s'appretia: come el Signor d'Arimini hebbe Ysotta, Laudava la marina de Venetia ov'ella naque, e quinci entrava in canto come el re d'Aragona hebbe Lucretia. A questa de le belle dava el vanto, e dicea, in aer più d'altro superno, de Viola novella el fine e 'l’pianto. Metea costei dannata al campo Averno e comendava el giustissimo amante che andò a vederla fino entro lo 'nferno. D'una madonna assai poco constante dicea l'ardor con la corrente spanna, e per coprirla molto andava errante; pur s'intendea la regina Giohana, e fra gli suoi amator par che mettea el magno Sforça chi la vide a canna. Molto mostrava che tacito ardea, ma a cio che pervenisse el cuore ardente lasso in dubio el si e 'l no, s'el la tenea. Per singular cancone estremamente dicea d'un'altra l'inflamationi, passando el Conte sotto Aquapendente. E la guidava tucta in semitoni, Proportionando e sincoppando sempre, e fugiva el tenore a i suoi cantoni. Tanto expedite, chiare e dolce tempre s'udiron mai, oyme ch'io el posso dire: qual cor si temprato e che amor non stempre? Quinçi scendeva in languido finire, tal che fe' ponto fino in su la rosa e una pausa per duol vene a tegnire. Di questa, a lui palese, ad altri ascosa, la sententia era e fiori e non viole d'una seconda madre e d'una sposa. In ta' mellodie docto, al mondo sole, soleva ascoltatissimo a lor farse, dando col suon vivissime parole. Allor, retracto in altro adoperarse, hebbe el cerchio amoroso a ballo spinto e gli portici voti a copie sparse, quale Amphion in meço all'Arachinto con la cava testude, a Thebbe intorno, de comandati sassi el muro ha cincto. Annexe IV Baldassarre Castiglione Libro del Cortegiano Libro II, 13 “Allor il signor Gaspar Pallavicino : - Molte sorti di musica, - disse, - si trovano, cosí di voci vive, come di instrumenti; però a me piacerebbe intendere qual sia la migliore tra tutte ed a che tempo debba il cortegiano operarla. - Bella musica, - rispose messer orecchie in piú che in una sol voce, e meglio ancor vi si discerne ogni piccolo errore; il che non accade cantando in compagnia perché l'uno aiuta l'altro. Ma sopra tutto parmi gratissimo il cantare alla viola per recitare; il che tanto di venustà ed efficacia aggiunge alle parole, che è gran maraviglia. Federico : - parmi il cantar bene a libro sicuramente e con bella maniera; ma ancor molto piú il cantare alla viola perché tutta la dolcezza consiste quasi in un solo e con molto maggior attenzion si nota ed intende il bel modo e l'aria non essendo occupate le orecchie da piú di una sola voce. Ma sopra tutto mi pare assai gradito il cantare alla viola per recitare; il che tanto di venustà ed efficacia aggiunge alle parole, che è gran maraviglia (…) e meglio ancor vi si discerne ogni piccolo errore; il che non accade cantando in compagnia perché l'uno aiuta l'altro.” Annexe V Baldassarre Castiglione Libro del Cortegiano Libro II, 35 " voi stesso e noi altri tutti molte volte, ed ora ancor, credemo piú alla altrui opinione che alla nostra propria. … E che sia 'l vero, non è ancor molto tempo, che (…) cantandosi pur in presenzia della signora Duchessa un mottetto, non piacque mai né fu estimato per bono, fin che non si seppe che quella era composizion di Josquin de Pris. Ma che piú chiaro segno volete voi della forza della opinione?” Annexe VI Antonio di Guido Rime Dans: Lirici toscani del Quattrocento vol. I. Roma 1973 “Queste nove istanze di là iscritte fé messer Antonio, cioè Maestro Antonio di Guido, cittadino fiorentino, e contengono tutta la scrittura del Vecchio e Nuovo Testamento, cioè la Scrittura Santa. Fella a preghiera d’un servigiale di Santa Maria Nuova; e, sendo lui amorbato, guarì e soddisfece a’ prieghi del detto servigiale, ch’era stato a governarlo nella sua malattia.” L'util domanda tua savia e onesta mi strigne, mio Girolamo, a ubidire; ben ch'i' sia in vista lacrimosa e mesta, né faccio un passo sol sanza sospiri, or da tergo por[[r]]ò quel mi molesta, disposto al voler vostro conseguire: e quale è suta la pitizion vostra fie largamente nel successo mostra. Moises iscrisse un lib[[r]]o intitolato il Genesì, che principio è del mondo, dove s'intende Adam esser plasmato; l'Essodo iscrisse poi: quest'è 'l secondo; el Levitico il terzo, ov'ordinato fu 'l sacrificio netto, puro e mondo; el quarto e Numeri è da quegli distinto; e Deuteronominum: e quest'è 'l quinto. Appresso a questo segue Iosìè, Ghiudicum e Ruth, che duo libri sono; po' è l'unto Saùl primo de' Re, ch'a David succedette il degno trono, e, morto poi quello in Gelbìè che del fiero Golia s'udì il gran sòno, e de' secondum regum terzo e quarto: or vedi chiar che dall'ordin non parto. Paralipominon seguita a questo, e così segue poi Esdra e Tobia, Iudit, Ester, Iob mirabil testo, po' el Saltero colla sua salmodia, Proverbi, Ecclesíastis, ch'è 'n un sesto, Cantica e Sapíenzia in compagnia; da poi l'Ecclesiastico si pone: e questi cinque fece Salamone. Po' seguita Isaia e Ieremia e seguita Baruc, Ezechíel e la contemplativa profezia del santo immaculato Daníel, il qual dell'ago[[n]] de' lion uscìa; e seguita Osea e poi Ioel, seguita appresso Amos e poi Abdia, Iona appresso, Michea e Zacheria. Né Malachia non m'uscirà di mente, e' Maccabei non si voglion lasciare, Naum profeta e 'Bacuc veemente, qual l'ang[[i]]ol pe' capegli usò portare, Sofonia, Ageo; e brevemente credo aver sodisfatto a tuo rogare, ridotto in brevità com'uno specchio: e questo è tutto il Testamento Vecchio. Or seguita il Nuovo Testamento: prim'è 'l vangel dell'aquilin Giovanni, po' è Matteo del duoden reggimento; po' Luca e Marco ne' sicondi scanni, po' per seguente Pagol tutto attento a procurar di Stefano e sua afanni, il qual Idio percosse e 'n terra il misse; e Pagol surse e le pìstole scrisse. Pìstole di san Iacopo troviamo e di san Pier, che fu primo pastore; di san Giovanni pìstole leggiamo di sottil senso e di molto sapore; Iuda anche scrisse e quel Mattia chiamiamo pìstole ardente in carità e amore, e gli Atti degli appostol Luca iscrisse, e Giovanni in Pa[[t]]mòs l'Apocalisse. Or questo è 'l Vecchio Testamento e 'l Nuovo, Vangeli, Salmi, Pìstole, Profeti; ciò ch'i' posso ritrar di ciò ch'i' truovo ne' più celati e latenti sagreti, tutto credo, confesso e non mi muovo né moverò, né penso alcun mel vieti. così vo', Gironimo, ancor farete e salvo in vita eterna alfin sarete. Annexe VII Filippo Scarlati Dans : G. Volpi, Poesie popolari italiane del XV secolo. “ Biblioteche delle Scuole Italiane” IV, 1891, pag. 36 et suiv. …assai men che matto son tenuto con tutto il mio liuto, ovver chitarra per tenda e per isbarra mi vo grattando e vo cantando fole su pelle tole altrui con questi e con colui per un bicchier di vino. Annexe VIII Tu dormi io veglio (Bartolomeo Tromboncino (1470-1535) dans: Franciscus Bossinensis, Tenori e contrabassi intabulati Libro primo. Venezia, Petrucci 1511. fol XX r. Annexe IX Il bon nochier, texte de Angelo Poliziano dans: Franciscus Bossinensis, Tenori e contrabassi intabuati Libro secundo. Venezia, Petrucci 1511, fol. 5 r. Annexe X La insuportabil pena el focho ardente. Capitolo Andrea Antico, dans : Frottole Libro IX. Venezia, Petrucci 1508 Annexe XI Signor lo capitanio, castigate. Strambotto. Modena, Bibl. Estense, Ms. alpha F.9.9 (1495-96) fol. 71v. 72r. Annexe XII Triumpho de le done. Capitolo. Madrid, Cancionero Musical de El Escorial, IV a 24 (1460-1474) fol. 86v. 87r. Annexe XIII M. de Montaigne, Journal du Voyage de Michel de Montaigne en Italie, Paris 1774, p.240 “è una povera contadina, vicina duo miglia dai bagni, che non ha né il marito, né altro modo di vivere che del travaglio di lor proprie mani, brutta, dell’età di 37 anni. La gola gonfiata, non sa né scrivere né leggere. Nella sua tenera età, avendo a casa del patre uno zio che leggeva tuttavia in sua presenzia l’Ariosto ed altri poeti, si trovò il suo animo tanto nato alla poesia che non solamente fa versi di una prontezza la più mirabile che si possa, ma ancora ci mescola le favole antiche i nomi delli dei, paesi, scienzie, uomini clari, come se fusse allevata agli studi”. Annexe XIV Ottava a Contrasto. Dans : Giovanni Kezich – Maurizio Agamennone : I Poeti Contadini. Introduzione all’ottava rima popolare: immaginario poetico e paesaggio sociale. Bologna 1986, p. 201. Barbarano Romano (Roma) 1964, executeur Vittorio Fiaschetti. Transcr. Maurizio Agamennone. Annexe XV Gerusalemme Liberata XII, 5 Enregistré à Buti (Pisa) 2003, executeur Andrea Bacci. Transcr. Francis Biggi. Annexe XVI Extrait de la Pia dei Tolomei. Texte : Giuseppe Moroni (1810-1880) Dans : Diego Carpitella, Musica contadina dell’Aretino Vol. I, LP Albatros 1976. Enregistrement effectué aux années 1960. Executeur Egidio Bigoni. Transcr. Francis Biggi. Annexe XVII Claudio Saracini (1586-1630) Aria da Cantare ottave. Dans : Le Terze Musiche de Madrigali e Arie, 1620. f. 14v Annexe XVIII Bellerofonte Castaldi : Porterà ‘l Sol. Dans : Mazzetto di Fiori musicalmente colti dal Giardino Bellerofonteo, Venezia 1623 Annexe XIX Tasso alla Veneziana et Ottave alla Fiorentina Jean-Jacques Rousseau, Consolations des misères de ma vie, Paris 1781, p.198v-199r tiré de: Giuseppe Baretti, An Account of the Manners and Customs of Italy, London 1769 Annexe XX Psalmodie Nouvelle sur le Tasse Jean-Jacques Rousseau, Consolations des misères de ma vie, Paris 1781, p.198r Annexe XXI Extrait du Heike Monogatari, livre X, chapitre IX : « Yokobue », dans : Alison Tokita, Japanese Singers of Tales, Ten Centuries of Performed Narrative, Farnham, Ashgate, 2015, p. 75 Déclamation selon le module psalmodique kudoki. Kōya ni toshigoro shiritamaeru hijiri ari Au mont Konya vivait un prêtre que (Koremori) connaissait depuis longtemps. Sanjō no Saitōzaemon Mochiyori ga ko ni Il était fils de Saitō Mochiyori, membre de la Garde de la Porte de Gauche, Saitō Takiguchi Tokiyori to te. son nom était Saitō Takiguchi Tokiyori. © Francis Biggi 42 42