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ÉVOLUTION SOCIOLINGUISTIQUE ET SYSTÈME ÉDUCATIF CHEZ UNE COMMUNAUTÉ AMÉRINDIENNE CÔTIÈRE DE GUYANE : LES KALI’NA D’AWALA-YALIMAPO 1 Sommaire Introduction…...…………………………………………………………...1 I. Situation des Kali’na en Guyane………………………………………..8 II. Revendications………………………………………………………...13 III. L’enseignement en Guyane…………………………………………...15 IV. Awala-Yalimapo……………………………………………………….20 V. École en 2016-2017, pédagogie, kali’na et cadre légal………………...24 VI. Mise en place de la section bilingue…………………………………..31 VII. Observations sociologiques et conclusion…………………………...33 Bibliographie……………………………………………………………...41 2 Introduction L’enseignement en Guyane et son application dans un milieu multilingue, aux nombreuses communautés, ont été étudiés à maintes reprises. En ce qui concerne l’enseignement aux Amérindiens, c’est essentiellement les communautés Wayana et Wayampi, les plus reculées dans la forêt amazonienne, au sud du territoire, sur les fleuves Oyapock et Maroni, essentiellement, qui ont attiré l’attention des anthropologues, sociolinguistes et pédagogues. En effet, l’isolement de ces communautés et leur contact très récent (souvent dans les années 1970) avec le monde extérieur, consumériste et monétarisé, ont provoqué des conditions propices à un violent choc culturel dont nous pouvons voir les effets aujourd’hui, avec les nombreux problèmes rencontrés par ces communautés amérindiennes (suicides, alcoolisme, perte des connaissances traditionnelles nécessaires à la vie communautaire dans la forêt, image conflictuelle de la “réussite”, échec scolaire, difficultés pour obtenir un emploi salarié, etc.). Les Kali’na, eux, aussi connus sous le nom de Galibi, sont une population caribe dont la zone traditionnelle d’habitat se trouve sur la côte atlantique (du delta de l’Orénoque jusqu’à l’embouchure de l’Oyapock). Cette situation littorale en Amérique du Sud, et plus particulièrement en Guyane, les a amenés à être parmi les tous premiers au contact des Européens et des esclaves africains transférés dans la colonie ; et ils en ont payé les conséquences, notamment à cause du choc microbien qui a réduit drastiquement leur population jusqu’au début du XXème siècle ; mais 3 également en raison de la remise en cause de leur système social et la destruction de leur mode de vie traditionnel face aux valeurs, concepts et religions européens, ainsi que la pression née de la présence de colons sur leurs territoires traditionnels. Aujourd’hui, la communauté kali’na ne représente plus vraiment, de par sa longue exposition aux Créoles et aux Européens, la “primitivité” ou l’“exotisme” prêtés aux communautés sylvicoles (Émerillons/Teko, Wayampi, Wayana/Roucouyennes, Apalaï). Fer de lance du mouvement amérindien en Guyane (et de la Fédération des Organisations Autochtones de Guyane en particulier, FOAG), comptant environ 4000 membres et ayant obtenu la création de la seule commune à majorité amérindienne du littoral guyanais (Awala-Yalimapo), les Kali’na représentent un groupe extrêmement intéressant : dans une situation de contacts fréquents avec des non-amérindiens (et pas seulement le personnel enseignant et soignant), cette nation autochtone de Guyane a réussi à survivre, à se développer, à conserver dans une certaine mesure les liens traditionnels avec les Kali’na du Surinam, du Guyana et du Venezuela, et surtout à s’adapter à ce nouveau monde qui leur a été imposé tout en conservant leur langue et leur identité. Les autres communautés amérindiennes de la côté, de la famille arawak (Lokono et Palikur), en plus petits nombres et dispersées, sont loin d’en avoir fait de même, et elles sont actuellement marginalisées socioéconomiquement, largement acculturées et menacées de disparition. Si la majorité des Kali’na de Guyane parlent leur langue ancestrale, ce n’est pas forcément le cas dans les autres pays : 11 500 Kali’na au Venezuela, dont 30% de locuteurs seulement (recensement de 1992), 3000 Kali’na au 4 Guyana, dont 80% de locuteurs, 3000 au Suriname, dont 50% de locuteurs (J. Forte, 2000). Une trentaine de locuteurs sont dénombrés au Brésil (résultat d’une installation tardive, à l’embouchure de l’Oyapock). Le nombre total de Kali’na se situe à peu près entre 20 000 et 25 000 personnes mais le nombre de locuteurs doit être plutôt autour de 10 000. L’école en milieu wayana et wayampi a été amplement étudiée ; mais que peut-on apprendre de la question scolaire chez les Kali’na d’AwalaYalimapo ? Comment ces Amérindiens, vivant au contact des autres communauté de Guyane, connectés à celles-ci par la route, bénéficiant des nouvelles technologies et vivant en pleine modernité ont-ils fait pour s’adapter à cet environnement sans perdre leur identité ? Quelles ont été les stratégies éducatives pour arriver à ce résultat ? Quels ont été les sacrifices consentis pour pouvoir survivre en tant que nation amérindienne au sein d’un état centralisé comme la France, au XXIème siècle ? Ces solutions sont-elles facilement transposables à d’autres groupes autochtones ? Peut-on trouver un échappatoire permettant moins d’acculturation et plus d’épanouissement ? C’est avec ces questions en tête que cette étude a été menée. Les pionniers qu’ont toujours été les Kali’na semblent être la clé pour répondre et anticiper les problèmes rencontrés par les autres communautés 5 amérindiennes, sylvicoles comme côtières ; en espérant amener à des solutions pour développer une éducation pour les peuples autochtones qui leur permette de s’épanouir en tant que groupes humains différenciés, mais aussi en tant que membres actifs de la société guyanaise. 6 CARTE DES COMMUNES DE GUYANE (source : guyaneverte.blogspot.com) 7 I. Situation des Kali’na en Guyane La situation, au cours de l’histoire, du peuple kali’na et des populations caribes entre Orénoque et Oyapock est tout à fait exceptionnelle. Leur forte mobilité et les liens établis entre communautés, sur plus d’un millier de kilomètres de distance, ainsi que l’influence culturelle et l’activité commerciale des Caribes dans les Antilles (qui prendront même leur nom et où un pidgin caribe aurait même servit de langue véhiculaire aux hommes), ont fait entrer ces peuples de plein pied dans l’Histoire. Au contact des premiers Européens venus explorer le Nouveau Monde, ce sont donc les populations Caribes et Arawak qui constituaient l’image de « l’Indien » dans l’imaginaire du Vieux Continent. Kali’na et Lokono sont en contact avec les Européens depuis le XVIIème siècle. La colonisation a signé la disparition des réseaux politiques interethniques dans lesquels les Kali’na avait une importance prépondérante de par leur localisation sur tout le territoire des Guyanes, sur la côte (leur permettant une grande mobilité). Le kali’na y servait d’ailleurs de langue véhiculaire. À cause de la réduction de leur territoire, la dégradation de la forêt et des ressources liées à la chasse et à la cueillette, les Kali’na orientaux se spécialisèrent tôt dans l’exploitation des zones côtières, des estuaires et de la mer. Après une terrible diminution de leur population (estimés à 5 500 au début du XVIème siècle, en 1848 il n’y avait plus que 250 Kali’na en Guyane), les Kali’na ont remonté la pente démographique et se sont réimplantés en Guyane (beaucoup avaient fuit au Surinam). Puis ils se sont 8 adaptés, tout en revendiquant fortement depuis les années 1980 leurs terres, leur identité et leurs droits linguistiques. Environ 80% des 260 000 habitants de la Guyane sont concentrés sur les 320 km de bande côtière. En 2017 les Amérindiens comptaient environ 9000 membres (contre approximativement 30 000 à l’arrivée des Européens) répartis en six ethnies (plus une quarantaine de nouveaux arrivants du Brésil, les Apalaï, du groupe Caribe, vivant dans certains villages Wayana) : trois sur la côte (Lokono, Palikur, Kali’na) et trois dans la forêt équatoriale, au sud du territoire (Émerillons/Teko, Wayampi, Wayana). Les Kali’na et Wayana appartiennent au groupe linguistique Caribe, les Lokono et Palikur au groupe Arawak, alors que les Émerillons et les Wayampi sont des Tupi-Guarani. Les Kali’na, avec une population de près de 4000 membres, sont de loin la nation amérindienne la plus nombreuse, en particulier sur le littoral. Les Lokono (parfois simplement dénommés ‘Arawaks’) sont environ 600, les Palikur aux environs de 1000. Ces deux dernières populations, de par leur éparpillement et leurs faibles contingents, souffre également d’un fort niveau d’acculturation, notamment dans la zone du Bas-Maroni, où les cas de passage au sranan tongo (aussi appelé surinamais, ou encore taki-taki) sont fréquents, et vers Cayenne, où c’est plutôt le créole et, plus récemment, le français, qui servent de moteur assimilateur. Les Kali’na eux, plus nombreux donc, et mieux organisés, avec des communautés assez compactes, sont moins affectés. Dans l’intérieur des terres, et malgré les difficultés de comptage, on estime que les Wayana seraient environ un millier, les Wayampi 800, et les Émerillons, le seul groupe exclusivement présent en Guyane, environ 700. 9 La différence entre la somme des différentes populations et le chiffre de 9000 s’explique par le fait que ce dernier nombre est une estimation actuelle alors que la plupart des chiffres donnés par ethnie sont des recensements ou estimations plus ou moins anciens. La population amérindienne augmente substantiellement en Guyane : en 1979, Pierre et Françoise Grenand dénombraient 3200 Amérindiens. Avec une multiplication de leur population par trois en à peine quarante ans, c’est dire si leur récupération démographique est spectaculaire. Les Kali’na ont une structure sociale patriarcale. Les chefs de famille sont appelés yopoto et ils se distinguent parfois des autres membres de la famille en partant des coiffes de plumes (ce qui est de moins en moins vrai à cause de l’adoption des codes vestimentaires européens). En tant que dépositaires de la mémoire collective du groupe, les anciens sont très respectés et écoutés. Les Kali’na étaient historiquement, comme les autres peuples amérindiens, semi-nomades, changeant assez fréquemment de lieux de résidence, pour favoriser la régénération des sols et respecter les esprits. Bien qu’en majorité baptisés, l’animisme est fortement ancré dans la culture kali’na, et pratiquée en syncrétisme. Ces dernières caractéristiques sont, globalement, partagées avec les autres peuples amérindiens. Cependant, la situation de contact, la diversité des activités possibles, la possibilité d’aller au collège et au lycée (à Mana, notamment) sans avoir à quitter sa communauté, l’adaptation ancestrale et un bon accès aux services de l’État ont permis aux Kali’na de ne pas 10 connaître les vagues de dépression et de suicides des communautés sylvicoles. Langues de Guyane (source : CELIA 2002) 11 Si la situation géographique et sociologique des Kali’na n’entraînent donc pas de déracinement radical et d’acculturation au niveau individuel, le risque est celui d’une perte des connaissances traditionnelles et d’éléments culturels de génération en génération. Géographiquement, la zone entre la Mana et le Maroni est le cœur du pays kali’na, en ce qui concerne la Guyane. Le village de Yalimapo comporte d’ailleurs un site archéologique kali’na, et une réinstallation de la communauté a été possible après la fermeture du bagne, en 1953. On trouve aussi des Kali’na à Paddock, Fatima et d’autres villages de la commune de St-Laurent-du-Maroni, à Mana et à Iracoubo (notamment dans le quartier Bellevue-Yanou et dispersés vers Organabo), ainsi qu’au Village Amérindien de Kourou et dans l’agglomération de Cayenne. II. Revendications Répartition de la langue Kali’na en Guyane (source : Odile Renault-Lescure. La langue kali’na. IRD Editions, 2009) 12 II. Revendications Historiquement, la revendication amérindienne s’est heurtée à la tradition jacobine française et à son droit sclérosé. La reconnaissances des autochtones comme « peuples distincts », réclamée aussi par les Corses, notamment, a été systématiquement rejetée, et si le terme administratif « Amérindiens de la Guyane française » a été adopté en 1984, depuis 1987 c’est l’appellation plus générale de « communautés tirant traditionnellement leurs moyens de subsistance de la forêt » qui a été utilisée. Le refus de reconnaissance des spécificités du territoire et des populations autochtones éloigne la France des standards du droit international. C’est dans cette dynamique de rejet de l’altérité et de la singularité que s’inscrit le refus de signer la convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail, fournissant un cadre légal international aux droits des autochtones, notamment au niveau foncier. Les communautés ne sont donc pas propriétaires de leur terres, faute de droits territoriaux collectifs dans la législation française : c’est l’État qui possède; le préfet peut cependant leur octroyer l’usage de certaines zones. Néanmoins, à partir de 1995 ont été mise en place les « Zones de Droits d’Usage Collectif ». Ces avancées concernent donc la partie foncière des revendications amérindiennes, l’autre volet principal concernant les droits culturels. A la différence d’autres pays sud-américains, comme par exemple le Brésil avec la FUNAI (Fondation Nationale de l’Indien), il n’existe pas de structures officielles de l’État exprimant et défendant les intérêts des 13 autochtones. Ce sont donc des associations qui tachent de s’en occuper : l’Union des Peuples Amérindiens de Guyane, l’Association des Amérindiens de Guyane française (AAGF, fondée par les Kali’na en 1981) qui s’est transformée en Fédération des Organisations Autochtones de Guyane (FOAG) en 1992. Un premier rassemblement des Amérindiens en 1984, à été organisé par l’AAGF. C’est en 1989 qu’est créée de la commune d’Awala-Yalimapo, par scission d’avec Mana. La participation de la FOAG à la COICA (Confédération des Organisations Indigènes du Bassin Amazonien) a mis les Amérindiens de Guyane au contact d’autres groupes indigènes issus d’états voisins, confrontés aujourd’hui à des situations sociales, légales et éducatives radicalement différentes, mais ayant des problématiques similaires à la base. Cela leur a permis d’échanger sur les stratégies à adopter, les buts à se fixer, et se familiariser sur le droit international concernant les peuples autochtones. En 1993 a eu lieu, à Awala, le premier congrès des organisations amérindiennes, suivi, en 2001, du forums des élus autochtones de Guyane, avec la création de l’association Villages de Guyane. Les revendications des parents d’élèves amérindiens en 1996 étaient claires : - Reconnaissance par le gouvernement du droit des peuples autochtones à créer leurs institutions et moyens d’éducation suivant certaines normes, - Prise en compte des langues indigènes, 14 - Transfert progressif de la conduite des programmes aux populations indigènes après formation de ses membres, - Prise de dispositions pour sauvegarder et promouvoir les langues autochtones, - Prise en compte de l’histoire, des techniques, des connaissances, des systèmes de valeurs et des aspirations sociales, économiques et culturelles des communautés et de leurs membres, - Allocations de moyens adéquats, - Favoriser la maîtrise du français. Ces revendications reprennent dans les grandes lignes la loi brésilienne 9394 de 1996. III. L’enseignement en Guyane L’altérité culturelle et socio-linguistique du territoire contraste fortement avec une éducation qui se veut, à la base, unilingue et assimilatrice. La scolarité poursuit trois buts, du moins théoriquement (car l’acculturation et l’assimilation ont été des objectifs souvent explicites de l’éducation nationale française) : l’acquisition des savoirs, la socialisation et la réussite sociale. 15 Cependant, l’approche éducative et pédagogique du gouvernement français a été historiquement celle, au pire, de l’écrasement des langues dites « régionales » ou « minoritaires », avec punitions et humiliations à la clé pour ceux qui les parlaient en milieu scolaire, ou, au mieux, celle de l’adoption de l’unilinguisme francophone en ignorant sciemment la/les langue(s) locale(s). Langues de première scolarisation des élèves de Guyane (source : Isabelle Léglise, Langues et cité n.29, septembre 2017) 16 La non ratification de la Charte Européenne des Langues Régionales et Minoritaires et l’absence de cadre juridique formel pour les langues endogènes de la République Française induit un flou total en matière de politique linguistique, notamment au niveau de l’éducation. Si la loi Deixonne de 1951 autorise l’enseignement des langues dites « régionales » (seulement le breton, le basque, le catalan et l’occitan étaient reconnus à l’époque), aucun caractère d’obligation n’est présent et la mise en place de l’enseignement est largement laissée à l’appréciation et au bon vouloir des recteurs, chefs d’établissement et instituteurs volontaires (enseignement de la langue limité de toute façon à une heure par semaine, dirigée à la lecture, l’écriture et la littérature). Cependant, la Guyane, isolée et sous-développée, colonie pénitentiaire, n’a que peu connu les pires heures de la répression linguistique à l’école. La généralisation de l’enseignement et l’ouverture d’écoles en zones reculées n’ont été que tardives (pas avant la fin de la seconde guerre mondiale, et surtout à partir de années 1970). Cette absence de cadre linguistiquement normatif a permis un développement naturel des langues autochtones en Guyane. La diversité linguistique du territoire a même été renforcée par l’arrivée des communautés Hmong et Apalaï, ainsi que par l’immigration massive de Bushinenge et d’Amérindiens en provenance du Surinam, un temps ravagé par la guerre civile (1986-1992) : beaucoup d’habitants de Yalimapo (environ 80%) sont à l’origine des réfugiés kali’na du Surinam ; le village kali’na de Galibi (l’ancien nom colonial donné à ce peuple), 740 habitants, étant même situé juste de l’autre côté du fleuve. 17 Cet influx migratoire a amené de nouveaux locuteurs kali’na dans les communautés de l’ouest guyanais, principalement à Awala-Yalimapo. Ces nouveaux arrivants connaissaient le surinamais (taki-taki) et parfois le néerlandais, mais ignoraient le plus souvent le français et le créole guyanais, impliquant donc l’usage du kali’na comme langue véhiculaire dans la commune. Ce n’est qu’à partir de 1995 qu’apparaît l’enseignement bilingue à parité horaire dans le système français. Et c’est c’est cette forme d’enseignement qui devait être mis en place à l’école d’Awala. Il y a, depuis 1999, une volonté de la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles) de Guyane, s’appuyant sur les timides initiatives de la Délégation Générale à la Langue Française et aux Langues de France (suivant le rapport Cerquiglini), de faciliter la présence des langues autochtones (surtout amérindiennes et bushinenge). L’implantation et le développement de l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement) a facilité les études sociologiques et linguistiques, permettant d’avoir de bonnes connaissances concernant les situations, besoins et aspirations des différentes communautés autochtones. Des ateliers et groupements visent également à la production de matériel pédagogique, éducatif et culturel en langues locales. Dans certaines zones de France, des écoles privés associatives proposent des cours en écoles bilingues ou immersives (Diwan, Bressoles, Calandretas, Ikaztolak, etc). En Bretagne trois types d’écoles proposent un enseignement en breton : Diwan, écoles privées associatives en enseignement immersif (seulement le cours de français est donné en 18 français) ; Dihun et Divyezh, respectivement écoles privées catholiques et écoles publiques bilingues à parité horaire. La non généralisation du système abouti finalement à un mécanisme très inégalitaire : certains ne peuvent pas intégrer la structure de leur choix faute de disponibilités, d’autres sont victimes des choix idéologiques de leurs parents et sortent du lycée comme monolingues francophones. Le cas guyanais est radicalement différent dans le sens que de nombreux enfants ne parlent pas du tout (ou très peu) français avant de rentrer à l’école. Et l’État ne propose pas, à la différence de la Bretagne avec Divyezh, des établissements publiques bilingues, organisés en un seul et même réseau. Sur le Maroni et l’Oyapock, certaines écoles enregistrent 100 % d’élèves allophones en début de scolarisation ; et même à Cayenne, il y a pratiquement toujours des élèves non francophones à la rentrée scolaire. La répartition des collèges et lycées, organisés autour des centres administratifs, accentue les problèmes d’exode des peuples de l’intérieur vers les villes, surtout sur le littoral, et accélère la désintégration sociale en provoquant une rupture nette avec la culture, la langue et l’environnement d’origine. Cela induit, une fois encore, de grandes inégalités devant l’éducation : les élèves francophones vivant en milieu urbain n’ont pas à souffrir du déracinement et de l’échec scolaire, de la rupture culturelle et de la décomposition sociale. Ils ont un accès privilégié aux services de l’État, au premier rang desquels l’éducation. La mise en place, en Guyane, de programmes éducatifs conçus en métropole pour un publique métropolitain frôle parfois l’absurde de par 19 leur ‘exotisme’ vis-à-vis du terroir amazonien (par exemple la mention, avec des élèves guyanais, en poésie, du caractère romantique de la couleur des feuilles à l’automne, sans expliciter ladite couleur ni en quoi consiste l’automne en Europe). La demande de création d’un mini collège à Taluen, dans le Haut Maroni, permettant aux Émerillons et Wayana de la zone de suivre un enseignent secondaire sans avoir recourt aux internats éloignés, a été rejeté. Cela accentue donc le sentiment d’injustice et de discrimination des peuples autochtones du sud de la Guyane. Jolivet déclarait, en 1982 (et c’est toujours d’actualité) : « L’ethnocentrisme de l’enseignement dispensé dans les écoles primaires est le principal moteur de l’inégalité des chances scolaires des Guyanais : il amplifie jusqu’à la caricature le rôle joué à cet égard par les différences d’appartenance socio-culturelles ». A la différence des pays voisins, et tout particulièrement le Brésil, les Amérindiens de Guyane sont placés sous dépendance directe de l’administration française ; les professeurs des écoles dans les communautés autochtones ne sont pas (dans leur immense majorité) amérindiens, pas plus que les personnels de santé. 20 IV. Awala-Yalimapo La création de la commune d’Awala-Yalimapo a, en fait, été une concession faite au mouvement amérindien, porté par les Kali’na. Ce sont en effet très souvent ces derniers qui mettent en place des ateliers, des réunions, festivals, forums et revendications autour des problématiques autochtones. La commune d’Awala-Yalimapo joue un rôle central dans le développement du tissu associatif, culturel et politique amérindien: la municipalité dispose de fonds propres et d’infrastructures permettant l’organisation de ces évènements. Et la composition ethnique de la commune permet aussi de justifier le recrutement d’un personnel administratif amérindien et kali’nophone. Ancienne fraction amérindienne de la commune de Mana, suite aux demandes de ses habitant et de la FOAG, la commune d’Awala-Yalimapo a été crée le 31 décembre 1988. Elle est composée de deux noyaux de peuplement principaux, à 5 kilomètres de distance : Awala, à l’est, près de la Mana, et Yalimapo, à l’ouest, en bord de mer et sur le Maroni, faisant face au village kali’na de Galibi, au Surinam. Le village compte aussi, un peu à l’écart, le hameau de Possoly. La commune est bien connue en Guyane, notamment à cause de la plage des Hattes, zone protégée où les tortues viennent pondre. La motivation principale pour une scission de la commune de Mana (à une dizaine de kilomètres de là) était liée au fait qu’Awala-Yalimapo est presque entièrement peuplé de Kali’na, alors que Mana est un village créole. 21 Les Amérindiens entendaient donc avoir un meilleur contrôle, à travers leur propre municipalité, sur le foncier, la culture et l’éducation. Le maire actuel (depuis 2001) est Jean Paul Ferreira, classé Divers Gauche, vice-président du conseil régional de Guyane. La commune a donc été créée par la volonté des habitants de garantir leurs droits territoriaux. L'espace foncier est géré conjointement par les autorités communale et coutumière. L'autorité coutumière dispose d'un arrêté reconnaissant ses droits d'usages collectifs exclusifs. Le chef Michel Therese a été élu par la population d’Awala et le chef Daniel William par celle de Yalimapo. Les conseils coutumiers bénéficient de l'appui des organisations mandatées et membres de la Fédération des Organisations Autochtones de Guyane. Afin de trouver le consensus sur cette gestion partagée, une commission a été mise en place « la commission mixte commune-communauté » par délibération du conseil municipal, le 26 juillet 2001. Cette situation fait que les Kali’na d’Awala-Yalimapo sont l’archétype d’un développement en contexte inter-systémique (entre concepts occidentaux, cultures créoles et identité amérindienne), la communauté superposant organisation administrative française (commune, élections, mairie, école) et organisation traditionnelle (chefs coutumiers à Awala et à Yalimapo, rites et cérémonies, etc.). En ce qui concerne la population, elle a connu une augmentation constante depuis 1967 (165 habitants à l’époque) pour atteindre 1379 résident en 2015. Cela est dû, notamment, à un solde migratoire positif (avec notamment l’afflux de nouveaux arrivants du Surinam). C’est donc plus du tiers de la population kali’na de Guyane qui vit dans la commune. Par 22 ailleurs, selon le recensement de 2000, à l’époque 60% de la population avait moins de 20 ans, tendance qui se confirme et s’accentue aujourd’hui. D’après l’INSEE, en 2006, il y avait 324 logements à Awala-Yalimapo. Parmi ceux-ci 83,3% étaient des résidences principales, 8,3% des résidences secondaires et enfin 8,3% des logements vacants. La même année, 91,5% des personnes étaient propriétaires et 4,8% locataires. Les logements se répartissaient entre maison individuelle et appartement représentant respectivement 90,7% et 0,6%. Enfin le parc immobilier se composait de 28,5% de 1 pièce, 22,6% de 2 pièces, 20,0% de 3 pièces, 14,1% de 4 pièces et 14,8% de 5 pièces ou plus. Il est à noter que 13,3% des logements étaient des habitations de fortune, 1,5% des cases traditionnelles et 27,8% des maisons ou immeubles en bois. Enfin, seulement 5,2% des logements avaient le tout à l'égout, 1,5% l'eau chaude et 44,8% l'électricité. La commune dispose d’un centre des arts et de la culture kali’na où sont régulièrement organisés des ateliers savoirs et savoir-faire traditionnels, financés par un budget municipal triennal. Elle organise des évènements de plus en plus fameux: le festival interculturel kiyapane (juillet), avec de nombreux concerts, et les jeux kali'na (décembre) : jeu du diable, transport de 23 charge, course de pirogue, remonté de pirogue, grimpé de cocotier wasai, lancé de harpon, course à pied, tir-à-la-corde. Enfin, Awala-Yalimapo détient depuis 2013 le label Pays d’Art et d’Histoire. V. École en 2016-2017, pédagogie, kali’na et cadre légal À Awala-Yalimapo, en 2006, la population scolarisée comprenait, par tranche d'âge, 69,8% des enfants de 2 à 5 ans, 96,2% des enfants de 6 à 14 ans, 80,0% des 15 et 17 ans, 17,8% des 18 à 24 ans, 0% des 25 à 29 ans et 1,0% des plus de 30 ans. Sur l'ensemble de la population non scolarisée, 1,9% étaient titulaires d'un CEP, 7,4% du BEPC, 18,3% du CAP ou du BEP, 4,2% du BAC ou un équivalent, 1,7% d'un BAC +2 et 1,4% d'un diplôme de niveau supérieur. 65,2% de cette population n'avait pas de diplôme. Il y a donc de fortes attentes de la part d’une population largement sous-diplômée vis-à-vis de l’école pour leurs enfants. On note la présence d’une école primaire, le groupe scolaire Yamanale. C’est là qu’a été menée cette courte enquête de terrain (ainsi qu’à la mairie). J’ai pu m’y entretenir avec la directrice, madame Hélène Aurand. Pour continuer les études au collège, les élèves se rendent à Mana (collège Léo-Othily), ou à Saint-Laurent-du-Maroni pour aller au lycée. Durant l’année scolaire 2016-2017 il y avait 165 élèves, dont 16 non kali’na, avec une moyenne de 22 élèves par classes. 24 École Yamanale d’Awala (source : http://awala-yalimapo.mairies-guyane.org/?chap=26&education) Jusqu’au décès de l’une d’entre elles, l’école comptait deux intervenantes en langues maternelle (les ILM ont remplacé le poste de médiateur culturel bilingue, en fonction à l’école Yamanale jusqu’en 2009). Le rôle des ILM est de favoriser le développement de la parole et de la pensée des élèves dans leur langue maternelle, de faire le lien entre institution et familles et de représenter, dans l’école, la culture des enfants. Les élèves recevaient une heure de kali’na par semaine, en groupe réduits (généralement en demi classe). La classe était essentiellement centrée sur les contes et activités artisanales traditionnelles, ainsi que sur des jeux: Madame Isabelle Apollinaire, ILM, menait, par exemple, des activité de perlage et des jeux de dînette en kali’na. En interrogeant des enfants en dehors des horaires scolaires, j’ai pu remarquer qu’ils se référaient beaucoup à « Tata Isabelle » quand on leur parlait de leur pratique du kali’na. Il apparaît donc que les ILM jouent un rôle très important dans le maintient du lien linguistique et culturel intergénérationnel dans la communauté. Les deux ILM on également écrit un livre de jeunesse, qui a par la suite été publié. Il existe aussi un projet de cahier pédagogique et une bande dessinée en kali’na, Le Faucon, qui a été créée par des CM2. Un imagier 25 multilingue de Guyane (par Odile Lescure) a été édité et mis à disposition en 2009. En ce qui concerne le milieux associatif kali’na, madame Éléonore Johanesse, à travers l’association Kalalawa, a proposé depuis 2013 des ateliers d’initiation à la langue, notamment à Cayenne. Elle a également produit un fascicule destiné à l’apprentissage du kali’na. Depuis 2013, l’IRD de Cayenne a mis en place le projet participatif et pédagogique ‘Dictionnaires et lexiques bilingues des langues de Guyane’. Ce projet visait à concevoir et à éditer, pour l’année 2015, des dictionnaires à double entrée pour des langues de Guyane manquant de ressources lexicographiques satisfaisantes. Si des grammaires et dictionnaires ont été produits pour l’arawak et le nengee, en 2017 la rédaction d’un dictionnaire français - kali’na était toujours en cours, s’appuyant notamment sur des ateliers d’écriture. C’est lors d’un de ces ateliers, où un membre de la communauté apalaï était présent, que les participants kali’na se sont rendu compte de la plus forte proximité entre les langues des deux communautés qu’avec le wayana (alors que la cinquantaine d’Apalaï de Guyane vivent dans des villages wayana), et qu’une collaboration plus rapprochée entre les deux communautés serait intéressante pour les efforts de standardisation graphique et de publication de matériel scolaire et culturel (tout en sachant qu’une normalisation de l’écriture à vocation « internationale » a été adoptée par la majorité des Kali’na de Guyane en 1997). Dans cet esprit, le 26 16 juin 2017 a été organisé, avec l’aide de l’ethnolinguiste Hélène Camargo, un atelier de comparaison avec le wayana. Des ateliers d’écriture et de constitution du dictionnaire bilingue, ainsi qu’une dictée kali’na, ont été menés par Odile Lescure et la municipalité ; l’Institut de Recherche pour le Développement a également republié le dictionnaire Caraïbe – Français du Père Raymond Breton de 1665 (accompagné d’un cédérom). Le projet lexicologique de l’IRD fait suite aux recommandations des États Généraux du Multilinguisme des Outre-mer, qui se sont tenus à Cayenne en décembre 2011. Le droit des enfants d’apprendre à lire et à écrire dans leur langue maternelle y a été souligné, reprenant les Recommandations de La Haye de 1996 sur les droits des minorités à l’éducation et la nécessité d’ « équiper » les langues des Outre-mer avec des ouvrages de référence y a été réaffirmée. L'Unesco soutient aussi l'usage des langues maternelles pour faciliter les apprentissages. En 2016, Chantal Berthelot, élue de Guyane, a interpellé Najat VallaudBelkacem dans l’hémicycle concernant les nécessaires réformes de l’éducation en Guyane afin de permettre la réussite scolaire de tous les élèves, insistant sur le besoin d’adaptation du système scolaire aux réalités linguistiques et la nécessité du bilinguisme à l’école. La loi de refondation de l’école de la République, de 2012, a donné la possibilité de recourt aux langues régionales pour l’acquisition du socle commun de connaissances, de compétences et de culture, dans le premier comme dans le second degré, et pour l’ensemble des disciplines. 27 Le caractère non systématique et non contraignant de cette loi pose le problème de la volonté et de la compétence sur le terrain, que ce soit au niveau des rectorats comme au niveau des personnels enseignants et administratifs. Mais, en ce qui concerne la Guyane, cette législation à donné une impulsion positive, notamment en permettant : - Un parcours de professionnalisation pour les ILM ; ce système étant en usage depuis 20 ans, avec une coupure très préjudiciable en 2009, d’abord sous l’appellation « médiateurs bilingues et culturels » en tant qu’emplois jeunes, il était temps de permettre à ces intervenants d’avancer professionnellement. Les statuts ont variés depuis la créations des MBC (aides-éducateurs, assistants pédagogiques, assistants d’éducation, contractuel à contrats aidés), mais la précarité de ces emplois et leur rétribution médiocre sont restés constants (une limite d’âge a conduit à l’exclusion de neuf ILM expérimentés en 2009 (avant une réorganisation du système), allant à l’encontre de l’idée de pérennisation de ces postes). - Une formation et habilitation à enseigner dans les langues de Guyane pour les locuteurs natifs. - Et une expérimentation pédagogique et didactique depuis 2016 chez les wayana et les kali’na (qui en réalité a pris plus de temps à se mettre en place chez ces derniers). Depuis 2010, deux dispositifs bilingues coexistent donc en Guyane : le dispositif des ILM et un dispositif à parité horaire français-créole guyanais. En 2016 la Guyane comptait 44 intervenants en langue maternelle, encadrant, en cycle pré-élémentaire, dans 27 écoles, environ 2500 enfants 28 dont la langue maternelle n’était pas le français. La convention du Rectorat de Guyane avec l’Université a permis la mise en place d’un diplôme en sciences de l’éducation et de la formation. Avec ce diplôme les ILM peuvent prétendre au statut de professeur des écoles, mettant fin à la précarité des postes d’assistants pédagogiques et d’instituteurs suppléants (comme ils étaient reconnus depuis 2012). Dispositif académique en langue maternelle 2016-2017 (sources : Didier Morel, Rectorat de Guyane) C’est depuis plusieurs années le conseiller pédagogique départemental pour les langues amérindiennes, Didier Maurel, qui porte le projet d’enseignement bilingue ; celui-là même qui a débouché à l’instauration (limitée) d’un système bilingue à parité horaires à l’école Yamanale d’Awala à la rentrée 2017. 29 La mise en place du bilinguisme a été quelque peu chaotique, et a eu des conséquences politiques, le maire étant plutôt opposé au projet tel-quel, alors que celui-ci était soutenu par le chef traditionnel d’Awala. L’absence de concertation et le manque d’information avait également créé de nombreuses résistances au sein de l’école : on craignait le remplacement de professeurs travaillant depuis longtemps à l’école (mais qui n’avaient pas appris le kali’na...), on se posait beaucoup de questions sur la faisabilité du projet et sur les moyens nécessaires et disponibles. La volonté académique sans travail de terrain, sans communication efficace ni planification concertée, sans implication de la communauté, a été un des freins à une mise en place sereine et enthousiaste du programme bilingue à Awala. Celui-ci devrait servir de laboratoire pour une extension du bilinguisme scolaire à l’ensemble du territoire départemental et ses élèves. Pour cela il est en effet urgent de produire un corpus important en langues autochtones (et d’immigration, comme le hmong) permettant d’enseigner les différentes matières proposées par l’éducation nationale. La question du recrutement est également aiguë; en effet, seuls trois personnes étaient habilités, en 2017, en kali’na : Madame Florence JeanJacques, ILM de l’école de Bellevue-Yanou, à Iracoubo, Liliane Apollinaire, professeur des écoles à Javouhay, et une troisième personne résidant à Cayenne. La nécessité d’être titulaire au minimum d’une licence pour devenir professeur des écoles, sur un territoire de la taille de la Guyane, avec une université nouvelle (depuis 2014), géographiquement éloignée de l’ouest guyanais, présentait un défi pour des populations à taille 30 et ressources réduites. La nouvelle loi de 2012 devrait permettre d’apporter des solutions à ce problème et faciliter le recrutement des personnels nécessaires. N’oublions pas également la nécessité de former les enseignants aux nouvelles technologies, qui peuvent s’avérer extrêmement productives, comme par exemple l’utilisation des tablettes numériques permettant la création de livres multimédias et de saynètes (comme sur le Haut Oyapock) ou la prises de photos et de vidéos comme supports d’expression orale (comme chez les Hmong de Javouhey). VI. Mise en place de la section bilingue L’école bilingue à parité horaire réclamée, sans trop y croire, en 2004 par Jean-Paul Fereira, (ancien médiateur culturel bilingue devenu depuis maire d’Awala-Yalimapo), est enfin une réalité. Depuis la rentrée 2017, l’école Yamanale a vu sa petite section de maternelle officiellement passer en classe bilingue. Madame Liliane Apollinaire, travaillant précédemment à Javouhey, et déjà pressentie pour le poste, a été recrutée en tant que professeure bilingue. La parité horaire à été organisée par jour : à chaque jour de classe, alternativement, correspond une langue d’enseignement, français ou kali’na. Ce dispositif ne concerne pour l’instant qu’une classe, correspondant à 24 élèves, le projet étant de transformer la classe de moyenne section en classe bilingue à la rentrée 2018, permettant ainsi aux élèves de petite section de 2017-2018 de poursuivre leur scolarité dans un cadre bilingue. Le projet est, à terme, de passer chaque année la classe 31 suivante en système bilingue. Cette approche permet une mise en place progressive, des ajustements nécessaires, et surtout la formation de professeurs kali’nophones, la question du recrutement étant la plus aiguë. Vu la mise en place tardive de cette section bilingue, l’école d’Awala a bénéficié pour 2017-2018 d’un poste d’enseignant supplémentaire, l’ancienne titulaire, francophone, du poste en petite section restant affectée à l’école. Comptant pour l’instant 3 professeurs en maternelle et 6 en élémentaire, l’augmentation des effectifs en maternelle nécessitera de toute manière la création d’une nouvelle classe et donc le maintien de ce poste additionnel, avec certainement le remplacement d’un enseignant francophone par un enseignant bilingue. Ce passage partiel de l’école en système bilingue à parité horaire n’a pas modifié l’organisation scolaire en dehors de la classe de petite section : les 2 ILM continuent leurs interventions en kali’na dans les autres classes. Avec 65 élèves en maternelle et environ 160 sur l’ensemble de l’école, le nombre d’écoliers augmente annuellement, soulignant la bonne dynamique démographique du peuple kali’na à Awala-Yalimapo et sa jeunesse. À travers les activités en kali’na, toujours populaires, l’école est valorisée et les grands-parents retrouvent un rôle éducatif que la francophonie du système leur avait enlevé. En ce qui concerne la créativité et la formation continue, madame Apollinaire participe régulièrement (environ une fois par période scolaire) à des ateliers et séminaires de formation et de création de matériel pédagogique, visant à aider les professeurs en sections bilingues à se familiariser à de nouvelles approches pédagogiques et à créer leur propre 32 matériel. La mutualisation des ressources pédagogiques créées est à espérer pour pouvoir pousser plus en avant les projet d’écoles bilingues sur l’ensemble du territoire guyanais et pour toutes les communautés autochtones présentes. VII. Observations sociolinguistiques et conclusion La Guyane multilingue est particulièrement concernée par les nouvelles orientations des gouvernements français en matière de politique linguistique à l’école, ses habitants devant avoir souvent recours à la traduction (à travers les personnels administratifs, les formateurs, les médiateurs) et sa richesse en patrimoine culturel étant, à plus ou moins court terme, menacée. Les manifestants de 2017 ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, en réclamant plus de moyens éducatifs et d’ILM pour les populations de Guyane. L’UNESCO, dans un rapport de 2016, préconise que les enfants reçoivent un enseignement dans une langue qu’ils comprennent pendant un minimum de six à huit ans, l’inhibition des élèves, souvent due à l’élément linguistique, leurs faisant perdre un à deux ans dans l’avancement de leurs scolarité. Il est donc en effet nécessaire de présenter des concepts déjà compliqués car extérieurs aux codes culturels des communautés (numération, géométrie, prise de parole, esprit critique, interaction, rapport à l’écrit, etc..) dans une langue compréhensible par l’élève. Il est également temps de généraliser la connaissance des systèmes graphiques, mis en place pour beaucoup dans les années 1970, parmi les populations concernées et préserver la culture des populations de Guyane. 33 À Awala, il est frappant de voir les enfants jouer au football ou faire du vélo dans les rues, n’utilisant que le français dans leurs jeux. Leur usage du kali’na est en régression, sa présence à l’école devenant d’autant plus indispensable. En effet, certains élèves rentrent à l’école n’ayant qu’une connaissance partielle du kali’na et du français, faisant d’eux des semilocuteurs : la maîtrise langagière est souvent défaillante. De l’aveu même de madame Aurand, la directrice de Yamanale, l’acculturation linguistique en français et en néerlandais (remplaçant dans ce rôle le créole guyanais et le surinamais, respectivement en Guyane et au Surinam) est en progression chez les enfants kali’na. Cela pourrait probablement s’expliquer par l’exposition de plus en plus importante aux médias (films, dessins animés, etc.) et à l’internet, le français servant de vecteur. Et en ce qui concerne les adultes, les employés de la mairie, pourtant kali’nophones, s’expriment habituellement en français entre eux, ainsi que de nombreux habitants, dans les commerces (tenus par des chinois) comme dans la rue. On peut craindre un affaiblissement de la transmission intergénérationnelle de la langue bien que différents profils linguistiques existent à AwalaYalimapo, les émigrés venant du Surinam ayant souvent une commande de la langue française inférieure à celle de leurs co-administrés ayant grandi du côté est du fleuve Maroni, et donc assez fortement exposés au français. Il est donc urgent d’entreprendre ce travail de valorisation et de protection ; de promouvoir la présence de la langue dans les différents secteurs de la vie publique ; de développer l’interculturalité de manière à favoriser le dialogue et la collaboration entre communautés. La cohésion sociale, le développement et l’épanouissement passent par là. 34 La Guyane a un rôle fondamental à jouer dans le cadre administratif français : à la différence des autres départements d’outre-mer, ce n’est pas une île, et les peuples et langues sont très souvent distribués de part et d’autre des frontières (Bushinenge, Wayana, Kali’na aussi présents au Surinam, Apalaï, Brésiliens, Wayampi également au Brésil, Lokono au Guyana, etc.) Mais le territoire est également créole et en cela se rapproche des sociétés caribéennes, surtout de celles ayant encore aujourd’hui un créole à base française largement utilisé (Sainte-Lucie, Dominique, Guadeloupe, Martinique, Haïti). La position de carrefour culturel et de melting pot ethnique fait de la Guyane un laboratoire vivant des dynamiques linguistiques, culturelles et migratoires. Les récentes initiatives prises pour faire face à une réalité du terrain bien distincte de celle de la métropole (et c’est pourtant sur cette dernière qu’est modelé à la base tout le système éducatif français) ouvrent la voie à une évolution globale de l’approche pédagogique française, notamment dans les Outre-mer. Comme démontré avec l’exemple breton (mais aussi avec les Basques, Occitans, Corses, Catalans et Alsaciens, essentiellement) le modèle d’écoles bilingues à parité horaire ou immersives est déjà implanté depuis un certain temps en métropole. Cependant, ce sont surtout des associations qui ont mené la lutte pour des écoles en langues dites régionales, rencontrant fréquemment l’hostilité de l’État français et de son idéologie. La mise en place des écoles publiques bilingues, projet porté par des associations de parents d’élèves (comme dans le cas de Div Yezh), a connu un certain développement avec trop souvent l’idée, de la part des responsables politiques, de « couper l’herbe sous le pied » des mouvements culturels et politiques bretons et de limiter leur influence. Le bénéfice de cet enseignement sur l’apprentissage 35 des élèves et leur construction personnelle ne passant souvent qu’au deuxième plan. Des sondage montrent (Institut TMO Régions) qu’en 2001 38% des répondants en Basse-Bretagne se prononçaient en faveur de l’enseignement obligatoire du breton à l’école, un chiffre en nette augmentation. Malheureusement, s’il est clair que les mentalités évoluent et qu’on s’éloigne d’une vision monolithique de la toute puissance du français comme unique langue de réussite scolaire et sociale, on manque de chiffres concernant les opinions sociolinguistiques des Guyanais et leur évolution. L’INSEE fournit des chiffres intéressants malgré les difficultés engendrées par la configuration territoriale et sociale de la Guyane, mais les recensements français de la population se fondent sur des déclarations de nationalité et de lieu de naissance et non pas sur des identifications ethniques ou linguistiques (à l’inverse de la plupart des pays). Cette absence de statistiques officielles est un handicap pour la création et la mise en place de politiques linguistiques adéquates et efficaces. Le développement de l’enseignement en/des langues vernaculaires répond à deux problématiques distinctes, mais qui, notamment en Guyane, se rejoignent : la protection des langues et cultures autochtones, patrimoine de l’humanité et référent identitaire, et la réussite scolaire et sociale qui passe par une bonne scolarisation (allant au-delà de l’objectif d’intégration au tissu économique local et national). Se voulant officiellement unitaire pour des raisons d’égalité devant l’éducation, l’école de la république crée, au contraire, de fortes disparités et inégalités, comme observées par Dorothée Serges (2009 : 13) 36 (observation valable non seulement pour les Amérindiens de Guyane mais aussi pour toutes les populations minorisées vivant sur le territoire de la République Française) : « Les structures d’enseignement en Guyane sont inadaptées au contexte local, les différences culturelles – linguistiques, mais également de transmission des savoirs par voix orale – deviennent des inégalités dans l’accès aux classes supérieures.» Celle-ci souligne aussi « la difficulté à gérer des normes contradictoires dans une société pluraliste » (1999 : 3). Cette marginalisation scolaire et économique des non francophones a été amplement utilisée par les gouvernements français pour anéantir les langues vernaculaires et les cultures de métropole, avec un large succès à partir de 1914 et surtout après la seconde guerre mondiale. L’isolement et le sous développement de la Guyane ont induit une répit dans cette pression, mais aujourd’hui la globalisation des échanges, l’implantation des médias, de l’internet, la construction de routes, l’amélioration des transports, la généralisation de la scolarisation en français amène la menace de l’acculturation et le défi de l’intégration à la porte des peuples autochtones de Guyane. Dorothée Serges (2009) montre bien dans ses études de terrain les challenges culturels et l’acculturation progressive des jeunes hommes kali’na en milieux urbains ethniquement et linguistiquement mixtes. AwalaYalimapo, avec son habitat dispersé et sa population homogène kali’na présente donc un cas particulier et une chance pour le peuple et la culture kali’na dans leur ensemble. En effet, la commune, comme indiqué 37 précédemment, constitue désormais le centre culturel des Kali’na de Guyane. Ses dirigeants, coutumiers et administratifs, ont donc une responsabilité qui va au-delà de du périmètre de la municipalité et de leurs administrés : une bonne partie du futur du peuple kali’na repose entre leurs mains et leur capacité à mettre en place les structures et activités nécessaires au développement et à la protection des ethnies amérindiennes de Guyane, au premier rang desquelles les Kali’na. La situation géographique des langues en Guyane est fluctuant, ainsi que leurs formes. L’arrivée massive de Noirs Marrons (Bushinenge) dans l’ouest guyanais, à radicalement changé le panorama linguistique sur le bas Maroni : la ville de St-Laurent, en première ligne face aux vagues migratoires en provenance du Surinam, notamment durant la guerre civile, est devenue largement nengophone (Ndjuka, Aluku et Paramaka), sa forme traditionnelle de créole guyanais ne concernant aujourd’hui qu’à peine un cinquième de la population locale. L’urbanisation des différentes ethnies marronnes et l’augmentation des contacts intercommunautaires sur le Maroni ont provoqué la naissance d’une sorte de koinè (bushi)nenge, parlée aussi par des populations non marronnes, comme langue seconde, mais aussi comme langue maternelle, comme de nombreux Lokono de l’ouest Guyanais. La différence est aujourd’hui marquée entre St-Laurent, de plus en plus bushinenge, et Cayenne, plus cosmopolite, où aucune communauté ne domine clairement. N’oublions pas que récemment, parmi les élèves de 10 ans interrogés, 93 % déclaraient parler deux langues, 41% trois langues et 11% au moins quatre langues. Le plurilinguisme des apprenants, perçu jusqu’à présent comme un 38 handicap devrait être pris pour ce qu’il est : un énorme avantage pour le développement des facultés cognitives, et pas seulement les capacités expressives. La valorisation des langues maternelles, qu’elles soient vernaculaires ou d’immigration, est importante pour l’estime de soi, le développement de la pensée et de la parole ; cependant, tous les autres idiomes faisant partie du répertoire linguistique des élèves devraient être pris en compte d’une manière ou d’une autre. Les dispositifs destinés à l’allophonie ont, jusqu’à très récemment et encore dans une écrasante majorité aujourd’hui, constitué des programmes compensatoires. L’altérité est donc historiquement perçue par le système français comme, au mieux, un handicap, au pire, une menace. L’absence d’une politique linguistique officielle et généralisée pour l’usage public des langues maternelles induit des situations aléatoires, laissées à l’appréciation et le bon vouloir des professionnels qui doivent s’adapter aux profils linguistique des individus auxquels ils sont confrontés. L’hôpital est sans aucun doute l’endroit ou la mosaïque linguistique guyanaise est la plus prégnante. L’annonce faite en 2016 par la ministre de l’éducation du projet, sur dix ans, de la création de plusieurs écoles bilingues sur les deux fleuves frontières de la Guyane, dans une perspective de continuité (cycle 1 à 3) et de bilinguisme additif, et non de substitution, va dans le bon sens, et la mise en place du cursus bilingue à Awala constitue une pierre importante de l’édifice. Il sera cependant important de prendre des mesures légales pour encadrer l’utilisation des langues de Guyane dans les services publics 39 autres que l’école, afin de donner toute leur place aux cultures locales et favoriser la communication interculturelle. En 1946 Serge Mam Lam Fouck déclarait d’ailleurs : «Sous la IVe République, les Hommes politiques qui parlent au nom des Antillais et des Guyanais veulent pousser la logique de l’assimilation jusqu’à gommer toute différence législative et économique entre la France et leur pays. Ils considèrent l’assimilation comme une marche vers le progrès » Au XXIème siècle, il nous faut faire face de manière positive au challenge de l’allophonie et il est grand temps pour la Vème république de considérer le plurilinguisme comme un atout. 40 Bibliographie Ailincai Rodica, Jund Sandrine, Ali Maurizio, 2012, Comparaison des écosystèmes éducatifs chez deux groupes d’Amérindiens : les Wayãpi et les Wayana. L’Harmattan. 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