1
Abdourahmane Ba
Sous la direction de
Mariella Villasante Cervello
et Raymond Taylor
Avec la collaboration de
Christophe de Beauvais
Histoire et politique
dans la vallée du fleuve Sénégal
Mauritanie
Hiérarchies, échanges, colonisation
et violences politiques, VIIIe-XXIe siècle
© L’Harmattan, 2017
EXTRAITS DU LIVRE :
CHAPITRE 1
LE TAKRUR HISTORIQUE ET L’HERITAGE DU FUUTA
TOORO. L’HISTOIRE POLITIQUE ANCIENNE DU
FLEUVE SENEGAL
(PAGES 95-160)
ABDOURAHMANE BA
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CHAPITRE 1
LE TAKRUR HISTORIQUE ET L’HERITAGE
DU FUUTA TOORO.
L’HISTOIRE POLITIQUE ANCIENNE DU FLEUVE SENEGAL1
Abdourahmane Ba [m. 1996]
Université de Dakar
Notre travail de thèse était, en grande partie, une entreprise de sauvetage
du Takrur. Au cours de ce long travail, nous avons rencontré, entre autres, le
professeur Paulo de Moraes Farias, de l’Université de Birmingham. Parmi
les nombreux et fructueux entretiens que nous avons eus, nous avons surtout
retenu cette injonction qu'il nous lança en nous disant au revoir : « il faut
sauver le Takrur ! ». Le Takrur est en effet menacé de deux phénomènes : le
traitement des sources arabes d’une part, et l’attitude des populations locales
d’autre part. Le Takrur nous est révélé dès le XIe siècle comme un royaume
sis sur le fleuve Sénégal, à cheval sur les républiques actuelles du Sénégal et
de la Mauritanie. Il s’étend, disent les chroniqueurs, plutôt au nord qu’au sud
du fleuve ; mais, très tôt, s’instaure une confusion entre ce Takrur que nous
appellerons le Takrur historique et l’empire du Mali, voire tout le Soudan
occidental. La confusion introduite par les sources arabes et soudanaises est
telle que certains chercheurs modernes ne la soupçonnent même pas. Ainsi,
l’ombre du Mali et du Soudan occidental risquait de faire disparaître le
souvenir du Takrur historique. Il était donc urgent que l’on tentât de faire la
part des choses, dissocier ce qui relève du Takrur de ce qui relève du Mali.
L’attitude des populations locales a contribué à favoriser l’oubli. En effet,
après avoir dépouillé les sources orales déjà transcrites et publiées, nous
sommes retournés au Fuuta Tooro, héritier du Takrur, pendant l’été et l’hiver
1981, espérant avoir plus de chance sur le terrain que dans les bibliothèques.
Notre attente fut déçue. À aucun moment un informateur n’a dit se souvenir
1 [Ce texte est issu de la thèse d’Abdourahmane Ba, Le Takrur des origines à la conquête par
le Mali (VIe-XIIIe siècle), Université Cheikh Anta Diop de Dakar, 1996. Ce travail
remarquable a été envoyé par les professeurs Aboubakri Lam et Lylian Kesteloot à Robert
Vernet, préhistorien reconnu de l’Ouest-saharien, qui l’a publié en 2002 dans le cadre des
publications du département d’Histoire de l’Université de Nouakchott. Abdourahmane Ba est
parti en 1996, après une dizaine de mois de travail à l’Université de Dakar. R. Vernet a été
aidé dans le travail de relecture de la thèse par des professeurs de l’Université de Nouakchott
(Adama Gnokane, Abdel Wedoud ould Cheikh, Elemine ould Mohamed Baba et Baouba ould
Mohamed Naffé). Nous remercions Robert Vernet de nous avoir autorisés à publier le texte
dont nous livrons des extraits choisis par M. Villasante. NDE].
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Abdourahmane Ba
du toponyme Takrur. Tous attribuent au Fuuta Tooro les événements
antérieurs, comme ceux postérieurs, au XVIe siècle. Et pourtant, sans aucun
souci de contradiction, ils reconnaissent que le pays ne porte ce nom que
depuis l’avènement des Deenyanke [XVIe siècle].
Le Takrur disparaît-il de la mémoire collective parce que remontant à la
nuit des temps ? Les traditions relatives, entre autres, au Mali, sont la preuve
que la mémoire peut remonter très loin le cours de l’histoire. Est-on en
présence d’une volonté délibérée d’amnésie sélective ? Et pourquoi ?
Toujours est-il que les « Tukolor » et le Fuuta Tooro sont héritiers du
Takrur. Il y a une coïncidence en effet entre le Takrur et les sites dont la
tradition dit qu’ils appartiennent au Fuuta Tooro.
Dans ce texte, on évoquera trois problématiques : le Takrur existe-t-il ?
Dans quelle mesure les sources permettent-elles de reconstituer les contours
de cet État ? Comment ses frontières ont-elles évolué entre le Ve et le
XIIIe siècle ? La seconde interrogation est relative au peuplement. Moins que
d’apporter des réponses, notre souci est de montrer que l’utilisation de la
notion de « migration » peut être abusive. On tentera enfin d’établir une
chronologie du Takrur qui ne s’articule non pas sur une histoire
événementielle, mais qui prenne en compte des séquences significatives pour
l’histoire économique, sociale et politique. [Mais on commencera en
apportant des informations générales sur le Fuuta Tooro.]
QUELQUES REPERES SUR LE FUUTA TOORO2
Fuuta Tooro est le nom de la région historique qui aujourd’hui couvre
près des 4/5 des régions administratives du fleuve [au Sénégal, en
Mauritanie elle concerne les wilaya (régions administratives) du Trarza, du
Brakna, du Gorgol et du Guidimakha]. Compris pour l’essentiel entre les
isohyètes 300 et 450, le Fuuta Tooro se localise entièrement dans le Sahel ;
en réalité il est comme pris en étau par le désert mauritanien au nord et le
semi-désert du Ferlo sénégalais. Avec une si faible pluviométrie, le Fuuta
Tooro n’aurait offert que de bien médiocres conditions à l’agriculture,
activité principale des Fuutanké, habitants de cette région. Mais le Fuuta
Tooro est drainé par le fleuve Sénégal. Descendu des monts du Fuuta Jaloo,
le cours d’eau s’écoule sur 1 800 kilomètres avant de se jeter dans
l’Atlantique. À Bakel, il quitte le haut relief et adoucit sa pente jusqu’à
Dagana, au-delà duquel il s’étale en un large delta. C’est là, entre
Bakel/Gouye à l’est et Dagana/Tekane à l’ouest que se produit le miracle.
Grâce à ses crues annuelles, le Sénégal inonde près de 200 000 hectares
pendant environ cinq mois (juillet-novembre), répandant le limon sur tout le
waalo. Ainsi, lorsque les eaux se sont retirées, les paysans, qui, pendant la
saison des pluies, cultivent le jeeri, exploitent le waalo et réalisent ainsi deux
2 [Ba 2002 : 9-11, extraits choisis. NDE].
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Le Takrur historique et l’héritage du Fuuta Tooro
récoltes par an. Tandis qu’à l’est, le haut relief, et, à l’ouest, le delta sont
moins favorables à l’implantation humaine, la moyenne vallée du Sénégal va
très tôt apparaître comme une sorte d’El Dorado pour les agriculteurs du Sud
mauritanien et du Ferlo sénégalais. Les populations chassées par la
migration de l’isohyète 400 convergent vers la moyenne vallée. Tels le Nil et
le Niger, le Sénégal, voie de communication et source de vie, devient le
berceau d’une civilisation dont l’âge et la prospérité nous sont révélés au fil
des fouilles et de l’exégèse de textes arabes.
Carte 1. États anciens du Sahel (Larousse)
Aujourd’hui où la sécheresse jette les enfants de la vallée sur les routes
désespérées de l’émigration nationale et internationale, c’est avec amertume
que le « maître de la parole » se souvient. Il se souvient de l’époque où le
pays était « terre d’abondance », véritable creuset où toutes les nations de la
Sénégambie disent avoir séjourné. Précisons que tout au long de ce texte
nous parlerons de nation au lieu du terme contestable d’ethnie (P. Mercier
1978).
Au XIXe siècle, lorsque l’impérialisme français tend ses tentacules sur le
Sénégal, le Fuuta Tooro est un immense pays s’étalant tout en longueur, de
Dagana à Demban Lane. Sept régions le composent : d’est en ouest, le
Damnga, le Ngenaar, le Booseya, le YirlaaBe-HebbiyaaBe, le Laaw, le
Tooro et le Dimat.
C’est cependant aux XVIe et XVIIe siècles que le pays atteint sa plus
grande extension ; il abrite alors le plus vaste État du Soudan occidental, de
l’Atlantique aux confins du domaine Songhay. Au gré des vicissitudes de
l’histoire et de la fortune des princes bidân et sénégambiens, le Fuuta Tooro
verra ses frontières tantôt s’écarter, englobant par exemple toute la région au
sud de l’Assaba et une partie du pays Wolof, tantôt se confiner aux abords
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Abdourahmane Ba
de la vallée. Le Trarza et le Brakna au nord, les royaumes Wolof du Waalo,
du Kajoor et du Jolof à l’ouest et au sud, et enfin le Bundu, à l’est, en
constituent les limites.
On connaît relativement bien l’histoire politique du pays entre le XVIe et
le XIXe siècle, avec des moments forts tels l’invasion deenyaanke et la
révolution théocratique de 1776. Mais lorsqu’il s’aventure au-delà du
XVIe siècle, le chercheur est frappé par la carence ou l’absence de travaux.
Et pourtant, nul n’ignore l’importance de cette région dans l’histoire
sénégambienne, sinon ouest-africaine.
Carte 2. Métallurgie du fer sur la rive mauritanienne du fleuve Sénégal (Ba 2002 : 73)
LE TAKRUR HISTORIQUE : LES JAA OGO DANS LES SOURCES3
[Pour Abdourahmane Ba, l’émergence des Jaa Ogo est antérieure au IXe siècle,
comme l’avançaient Soh et Delafosse (1913). En effet, d’après lui : « Il convient de
remonter aux origines de la métallurgie du fer que les résultats actuels de
l'archéologie permettent de fixer aux IVe-Ve siècles, tout au moins pour Sinthiou
Bara, proche du site d’Ogo. » (Ba 2002 : 68). On reviendra sur la dimension
chronologique dans la dernière section de ce chapitre. Pour l’instant, nous suivons
l’exposé de Ba concernant le Takrur historique et les sources disponibles].
Seuls les textes oraux, et l'archéologie bientôt, permettent d'avoir une
idée des dimensions du Takrur à l’époque des Jaa Ogo, encore qu’il faille
surmonter quelques difficultés. Il est en effet presque vain d'interroger les
sources orales sur certaines questions, celles relatives à l'étendue d'un pays
en font partie. Il y a là une étude fort intéressante à mener, pour montrer
3 [Ba 2002 : 15-34, extraits choisis. NDE].
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Le Takrur historique et l’héritage du Fuuta Tooro
comment le substrat socio-économique conditionne le rapport à l'espace et
par conséquent la relation qu'on en fait.
On peut déplorer que, jusqu'à présent, l'essentiel de l'effort ait été
consacré au rapport sources orales/perception du temps. Il nous semble
pourtant que l'écriture est liée à l'apparition et l'émancipation totale de
l'institution qu'est le pouvoir d'État : l'État en tant qu'appareil de gestion d'un
territoire donné. Ainsi, les limites territoriales sont importantes dans la vie
du groupe qui peut même les tracer avec précision. Par contre, les sociétés
lignagères, ou à structures étatiques peu développées, se reconnaissent non
pas dans les limites d'un territoire, mais plutôt dans l'existence d'un certain
type de rapports d'ordre politique, religieux, culturel ou biologique. Dès lors,
il est naturel que, nulle part dans les sources orales, l'on ne rencontre le souci
de délimiter le Takrur avec précision.
Aussi proposons-nous de considérer comme appartenant au Takrur, les
sites dont la tradition dit qu'ils furent des résidences de la dynastie politique.
Nous n'ignorons pas toute la critique que nécessitent ces témoignages. Mais
il nous semble qu'au sujet des sources orales, les chercheurs sont souvent
passés d'un extrême à un autre. En effet, après avoir combattu ce que
Hennige4 considérait comme « des chimères », les chercheurs ont élevé les
sources orales au rang de documents d'histoire dignes de ce nom, et pour
cela devant être soumises à une critique serrée. Mais cette critique, même si
elle est indispensable, ne doit pas, à notre avis, évacuer des sources orales ce
qui constitue leur originalité.
Les textes que nous utilisons ici sont presque tous des traditions dans le
sens où les définit Vansina (1980 : 181). D’après lui, « la société orale
connaît le parler courant, mais aussi le discours clé, un message légué par
les ancêtres, c'est-à-dire une tradition orale. La tradition est définie comme
un témoignage, transmis verbalement d'une génération à l'autre. » Les
traditions peuvent et doivent être confrontées aux informations fournies par
d'autres traditions, l'archéologie, les sources écrites. Mais, et ceci est
essentiel, parce qu'elles sont le produit de cultures orales, elles relèvent d'une
rationalité et de modes de légitimation spécifiques dont il faut tenir compte.
La tradition est « vraie » soit parce qu'elle requiert le consensus des
dirigeants, soit parce qu'elle est conforme à ce que les générations
précédentes ont dit.
Aussi invraisemblable qu'elle puisse nous paraître, la tradition est vécue
par la société productrice comme son histoire réelle. D’après Y. Person
(19765), les traditions « représentent sans doute une déformation
systématique par rapport à la réalité qu'elles reflètent. Mais telles qu’elles
sont, elles justifient la reproduction de la société. » Il s'agit ici, moins
4 D. Hennige 1974, « The chronology of oral traditions. Questions for two chimera », Oxford,
Studies in African Affairs.
5 Y. Person, 1976, « La chimère se défend », C.E.A., n° 61-62, XVI : 405-408.
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Abdourahmane Ba
d’arriver à restituer une histoire réelle, que de décrire la représentation que
les populations, du moins les chroniqueurs, font du Takrur.
Après s'être enfui du Tor6, le Chef de la migration « s'arrêta au nord du
fleuve dans le Tyée-Gene, qui fut appelé plus tard Tegenti, le nom de la
contrée étant alors Kuda » (Soh 1913 : 16). Selon Gaden, Tye'e-Gene ou
Tyche-gene veut dire les « tombes anciennes » et par extension « les villages
anciens ». C'est ainsi que les Tukolor appellent le Tagant des Bidân, qui
porte aussi le nom arabe de Kuda (montagnes) à cause de sa nature
montagneuse. En ce qui concerne particulièrement Tye’e-Gene, l'auteur
estime qu'il est parfaitement possible que ce soit un nom tiré ultérieurement
de Tegenti, par un écrivain moderne, tel que le tafsiru-boggel Ahmadou
Samba7. Dya Ukka8 devint maître du Tagant où il demeura quelques années
avant de séjourner dans la province du Tooro. Le Tooro est la province
occidentale du Fuuta. Elle est sise aujourd'hui sur la rive gauche du fleuve
[worgo en pulaar].
Le Takrur dans les sources anciennes9
Nous disposons d'informations sur le Soudan Occidental dès le
VIIIe siècle. Le traditionaliste Wahb Ibn Mounabbih classe les Sudan parmi
les descendants de Noë. Dans la deuxième moitié du VIIIe siècle, Al-Fazari
mentionne entre autres « Ghana le pays de l'or » (Cuoq 1973 : 2, et Kamal
1930, III : 483). Un siècle plus tard, Al-Khuwarizmi parle de Kawkaw,
Zaghawa et Ghana. Entre 803 et 870, Ibn Abd Al-Hakam raconte les
expéditions d'Hâbib ben Abi Ubaida (734) vers le Soudan Occidental. Mais
il faut attendre Al-Yakubi, mort à la fin du siècle (891) pour voir ce que
d'aucuns considèrent comme la première mention du Takrur.
Au Xe siècle, Ibn Hawqal à qui l'on doit beaucoup d'informations sur
Awdagust et Ghana passe sous silence le Takrur. On est tenté de croire que
le Takrur est inconnu des Arabes à l'époque des premiers contacts transsahariens. Avec Al-Bakri, les informations sont à la fois plus fournies et plus
fiables. Il présente le Takrur comme une ville dont le chef est suffisamment
puissant pour se porter au secours de Yahya b. Umar assiégé en 1056 dans la
montagne de l'Adrâr par les Banu Djudala [Godâla]. Il le localise sur les
6 Selon Delafosse (Soh 1913 : 307-308), Tor est le « nom donné par les Arabes à la presqu'île
du Sinaï. Une légende rappelant celle de la fuite de Dyâ'Ogo dans les cavernes du Tôr est
racontée par les historiens de Mahomet ».
7 S. A. Soh 1913 : 311.
8 Soh parle tantôt de Dya Ukka, tantôt de Dyâ'Ogo. Ukka serait une ville de Syrie où régnait
le Souverain. Nous utiliserons la deuxième lecture, Dyâ’Ogo, transcrite Ogo pour des raisons
qui seront exposées plus loin.
9 [Ba 2002 : 21-23. Nde].
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Le Takrur historique et l’héritage du Fuuta Tooro
bords du Nil10 entre Sangana et Silla (Cuoq 1973 : 65), mais ne donne
aucune distance. On ne peut pas, comme le fait Hunwick (1979), estimer le
Takrur proche de Silla sur la seule foi que celle-ci fut islamisée par le
Takrur.
Rien ne s'oppose à ce que le prosélytisme ou même l'expansionnisme
takruri atteigne des régions très éloignées. Tout ce qu'on peut retenir, c'est
que le Takrur chez Al-Bakri, est en amont de Silla, entre l'ouest et le qibla
[gibla, gebla]. Cette dernière précision a suscité chez Hunwick [et alii.,
1979] une interrogation qui mérite attention11. Il propose alors de traduire
qibla non pas par « est », comme le voudrait l'usage en Andalousie et en
Afrique du Nord, mais par « sud ». Sa proposition est d'autant plus recevable
que Monteil avait déjà fait remarquer que qibla n'avait qu'un sens relatif
(Monteil 1968a, 1968 b : 107). En d'autres termes, le voyageur qui quitte
Sanghana doit pour atteindre Takrur suivre la direction sud ou sud-est. Cette
mise au point permet, à partir du texte d’Al-Bakri, de remettre en cause
toutes les hypothèses qui ont proposé de localiser le Takrur dans les environs
de Podor. Ces hypothèses ont eu beaucoup d'échos parmi les chercheurs 12.
Précisons que Podor se trouve sur le parallèle 16°40 et Guédé un peu plus
au sud-est. Alors que si l'on situe Sanghana à l'embouchure actuelle du
fleuve Sénégal, c'est-à-dire dans la région de Saint-Louis ou dans les
environs de Dagana, la pointe la plus septentrionale, il apparaît clairement
que Podor ou Guédé ne sauraient occuper la position indiquée par Al-Bakri.
Il convient donc de rechercher la capitale du Takrur en amont de Boghé au
moins, là où le fleuve bifurque et prend la direction sud-est13.
Chez Al-Idrisi, le Takrur est la capitale d'un pays sûr et tranquille, une
grande cité où le souverain réside parmi ses campements. Le chroniqueur
donne une idée de l'importance du Takrur en le comparant à Silla plus petite
et à Mallel, qui n'est qu'un petit bourg sans murailles. La localisation, plus
précise, est différente de celle d'Al-Bakri. Le Takrur est à deux jours de
marche de Silla, et non plus à l'ouest mais à l'est. Désormais Takrur semble
plus proche des centres commerciaux et aurifères du Galaam et de Ghana.
10 Selon Triaud, « Il est commode de traduire le Nil des auteurs arabes par l'expression "le
Fleuve" terme indifférencié et majestueux que les habitants emploient effectivement pour
désigner selon les régions le Sénégal ou le Niger. », in Hunwick J. O., Meillassoux C.,
Triaud J. L., I979 : 412. Ici il s'agit du Sénégal.
11 Hunwick (1979 : 424) écrit : « I am struck by a curious anomaly. He (Al Bakri) describes
it (Takrur) as adjoining (the land of Sanghana) along the river in a direction « between the
west and the quibla while at the same time its inhabited area stretches to the atlantic
Ocean ».
12 P. Diagne « Dekku Tekrwur giy peeyam mi gui waroon feet a fi Podoor nekk tay », in
Travaux du séminaire, Dakar, sans date : 11. [En hassaniyya on désigne sous le nom de
« gibla » les régions du sud-ouest du pays des Bidân, le Trarza et le Brakna. NDE].
13 Ce qui est plus précis que les propositions de Triaud (1979) : « Takrur est dans une région
du moyen Sénégal, assurément peut-être déjà dans la zone de Hal-pulareen ».
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Abdourahmane Ba
L’on peut situer Silla à seize jours, ou à 480 km de l'embouchure. Ce qui
nous amène dans la région de Dembankane alors que le Takrur serait à
420 km de l'embouchure, c'est-à-dire dans la région d'Ogo. Nous pouvons
par ailleurs localiser Silla à Magaama et utiliser la méthode de Hunwick.
Takrur se trouve alors à 50 km de Magaama [Maghama]. Un demi-cercle de
50 km de rayon tracé à partir de Magaama passe par Ogo.
Avec Al-Idrisi, mort en 1166, nous n'avons plus d'information sur le
Takrur. Il faut attendre le dernier tiers du XIIIe siècle pour qu’Ibn Khallikan
(1211-1282) en parle dans son ouvrage Dictionnaire biographique achevé en
1274 (Cuoq 1973 : 192). Enfin, selon Ibn Said, né à Grenade en 1208/14 et
mort à Tunis ou Damas en 1286/74, le Takrur est ville double, s'étalant sur
les deux rives du Nil14. Sa position est de 17° long et I3° 30' et quelques
minutes. Il précise ce qu'Al-Idrisi laissait deviner, Takrur n'est pas seulement
le nom de la résidence princière mais aussi celui du royaume (de l’empire
dans la mesure où les villes États sont dites royaumes).
Carte 3. « Royaume de Tocrur », selon la description de Al-Idrisi,
par le Sieur D’Anville, 1727 (© Collection Gallica, BNF)
Le Takrur à l’époque des Manna [XIe-XIVesiècles15]
La place de la Sénégambie dans la géopolitique ouest-africaine souffre
d'une vision de l'esprit qui relève beaucoup plus d'une « histoire bataille »
que d'une approche scientifique. Tant en aval qu'en amont, on a toujours
trouvé les moyens d'affirmer que cet espace ne fut jamais capable d'initier
des processus sociaux générateurs d'entités politiques indépendantes des
« Grands Empires » du Soudan occidental. La puissance et le faste de
Ghana [IVe-XIIIe s.], Mali [XIIIe-XVIe s.] et Songhay [XV-XVIe s.]
14 J. Cuoq : 1973 : 202, il semble que l'auteur reprenne ici des informations d'Al-Idrisi.
15 [Ba 2002 : 23-29, extraits choisis. NDE].
102
Le Takrur historique et l’héritage du Fuuta Tooro
devraient-ils nécessairement faire ombrage au Takrur ? Person (1974 : 7-8)
évoque la situation géographique de la Sénégambie, prise dans l'étau des
trois lignes de front d'acculturation : berbère au nord, soudanais à l'est et
européen à l'ouest. Curtin (1975) écrit « cultural homogeneity had ancient
roots but the tug of political consolidation sometimes came outside the
region ». Le Ghana, le Mali et même le Songhay dominèrent la
Sénégambie. H. Deschamps [1970-1971] avait déjà donné le ton en
avançant que l'un des deux faits dominants de l'histoire de la Sénégambie
était l'influence des Grands Empires16. Ces assertions reprises par des
générations d'historiens ont fini par prendre l'allure de vérités démontrées17.
Il ne s'agit pas de les rejeter en bloc mais de faire la part des choses.
Le Takrur face à Ghana
Aucun texte, ni oral, ni écrit, encore moins une quelconque preuve
archéologique, ne permet d'avancer que le Takrur fut sous la domination du
Ghana. Si depuis Al-Fazari mention est faite du Ghana, il faudra attendre
Al-Bakri pour avoir une idée sur son identité. Au XIe siècle, l'autorité du
Ghana ne dépasse guère six journées de marche environ dans toutes les
directions si l'on excepte Awdaghost [cité ancienne, probablement
Tegdaoust, en Assaba de Mauritanie]. Au XIIe siècle, après l'intervention
almoravide, il ne fait plus de doute que le Takrur est indépendant du Ghana.
Al-Idrisi le confirme lorsqu'il écrit que « le pays de Ghana touche du côté de
l'ouest à celui de Makzâra » qui, compris dans la première section du
premier climat, abrite des villes comme « Oulil, Silla, Tacrour, Daw, Barisa,
Moura18 ».
Dans le contexte politique du XIIe siècle, Silla qui « résiste à Ghana »
trouve dans le Takrur, l'ennemi principal de Ghana, un allié privilégié.
Pourquoi ne pas s'allier au Takrur et, à travers lui, aux Almoravides pour
lutter contre l'hégémonie de Ghana ? Toujours est-il qu'au XIIe siècle, Silla
dépend du Takrur. L'islamisation de Silla pose cependant un certain nombre
de problèmes quant à la chronologie. Selon Al-Bakri, Silla fut convertie par
le souverain du Takrur Warjabi, mort en 1040 (Cuoq 1973 : 65).
Galambu est à une journée de marche de Silla, selon Al-Bakri, également
sur le fleuve. Si nous localisons, comme le font Meillassoux et Triaud, Silla
dans les environs de Kaédi, Galambu doit être situé vers Ngigiloon, soit à la
confluence du Sénégal et de la Faleeme. Par contre, en plaçant Silla aux
environs de Magaama, on atteint la région du Ngaalam. Cette hypothèse peut
être considérée comme vérifiée, grâce à l'étude que Bathily a consacrée à la
16 Hubert Deschamps, 1970-1971, Histoire générale de l'Afrique noire, 2 vol.
17 Selon Barry (1981 : 2) : « Pendant longtemps et pratiquement jusqu'au XVe siècle, la
Sénégambie a été une dépendance du Soudan et du Sahara avant de subir, avec l'arrivée des
Européens, l'influence de l'Océan. »
18 Al-Idrisi, in J. Cuoq, 1973 : 109 -114.
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Abdourahmane Ba
région (1969, 1975, 1989). Certaines traditions des Bathily disent qu'avant la
fondation de l'actuelle Tiyabu, les Bathily vivaient dans un village du confluent
de la Faleeme et du Sénégal, entre Guccube et Tafsirga. Le village s'appelait
Galambo ou Galambu. Les Bathily portent encore deux compléments du
patronyme : Bathily Sempera et Bathily Yaali Galambo. Galambu est aussi le
nom par lequel les Halpular'en appellent le pays de leurs voisins Soninké19. Le
Ngalam borde le Takrur au sud-est, mais n'en relève pas.
Fig. 1. Restes archéologiques de Koumbi Saleh, Hodh Chargui.
Musée Nationale de Mauritanie, 2017 (© Collection Villasante)
On l'aura constaté, l'identification des sites du Takrur à partir des textes
arabes est loin d'être simple. Deux démarches sont possibles à notre avis. La
première consiste à procéder à une lecture littérale des textes arabes, prenant
à la lettre les informations fournies dans leur logique interne. Ensuite, on en
fait une représentation graphique pour chaque auteur. Les différentes
représentations peuvent, après, être superposées et les différences,
analysées. Cette méthode a très peu de chance de déboucher sur une
localisation effective des sites, mais elle présente l'avantage de restituer la
représentation que les auteurs (et au-delà leur société) se font des espaces
étudiés. Ce que l'on perd dans l'identification des sites est quelque peu
compensé par les informations (économiques, sociales, politiques) que
19 O. Kane, Séminaire, Paris VII, Jussieu, janvier 1981.
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Le Takrur historique et l’héritage du Fuuta Tooro
l'analyse des représentations mentales peut mettre en évidence. La deuxième
démarche consiste à considérer les textes arabes comme des témoignages de
situations réelles. Le concours de l’anthroponymie, de la toponymie, des
traditions orales et de la géographie physique est dans ce cas indispensable
pour orienter les fouilles archéologiques.
Les résultats [archéologiques] obtenus à Tegdaoust, Kumbi Saleh et
Jenne Jenno entre autres, sont des incitations. En outre, il n'est plus possible
de mettre en doute le caractère urbain des sites mentionnés. Le vocabulaire
des chroniqueurs est sans équivoque (Devisse 1983), la description des
villes aussi. Elles sont souvent présentées à côté d'un cours d'eau, divisées
en deux parties et avec ou sans murailles (à Kumbi Saleh on a retrouvé les
deux villes). Il est décrit aussi une vie citadine centrée sur le commerce, le
type de consommation urbaine, la présence d'étrangers (Tymowski 1974).
Ces indications devraient encourager des fouilles dans la moyenne vallée du
Sénégal. Il s'agit, nous en avons conscience, d'un travail de grande
envergure et de longue haleine.
Carte 4. Fouilles archéologiques en Mauritanie, Musée national de Mauritanie, 2016
(© Collection Villasante)
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Abdourahmane Ba
LA QUESTION DES MIGRATIONS ET DES PEUPLES DU TAKRUR20
Une certaine conception des mouvements de populations compte parmi
les présupposés les plus néfastes à l'historiographie africaine. En effet,
1'histoire africaine a été longtemps conçue comme une vaste fresque de
courants migratoires et on s'imagine alors d'immenses marées humaines
déferlant du nord au sud, d’est en ouest, ou alors tournoyant au gré d'on ne
sait quel Dieu. Michael Crowder en est une illustration lorsqu'il écrit « The
history of West Africa is the long story of human mouvements, incursions,
displacements, intermixtures or successions of peoples. » (Ajayi et Crowder
1975 : 1).
Dans la plupart des ouvrages et des monographies d'histoire africaine, les
mouvements de populations figurent en bonne place, généralement avant
tout autre développement, avec la notion très répandue de migration. Nous
nous sommes interrogés sur l'origine de cette conception, et plusieurs
éléments de réponse peuvent être retenus. Celui qui nous paraît le plus
évident est une certaine « illusion scientifique » due au mauvais traitement
des sources orales. En effet, les légendes et mythes d’origine font presque
toujours état de mouvements de population. Les sociétés qui ici nous
occupent semblent avoir une très grande propension à lier leur origine à des
espaces et des époques lointaines.
Cela, au demeurant, peut paraître contredire cette autre tendance qui
fonde les rapports à la terre sur la prééminence de l'occupation : le droit du
premier occupant. En réalité, cette contradiction est facilement résorbée
parce que les occupants affirment toujours avoir trouvé la terre vacante. Ces
récits renferment sans doute quelques éléments d'histoire, mais il faut se
garder de les prendre à la lettre.
Toujours est-il que cette conception de l'histoire africaine n'est pas
toujours innocente. Elle traduit l'existence de présupposés idéologiques dont
l'historiographie coloniale nous a déjà donné bien des illustrations. En
esquissant du continent des fresques aussi mouvantes, aussi fluctuantes, on
en donne aussi une image d'instabilité, d'inconsistance et de désordre que
seule la « pax coloniale » saura enrayer. À l'origine de cette conception, on
trouve aussi une pratique (hélas trop courante) qui consiste à projeter sur le
passé, l'histoire récente.
20 [Ba 2002 : 37-38, 40 et sqq. NDE].
106
Le Takrur historique et l’héritage du Fuuta Tooro
Rapports entre nomades et sédentaires : conflits et solidarités
sociales21
Pour expliquer les mouvements de populations de l'Ouest africain en
général et de la Sénégambie en particulier, les chercheurs ont jusqu'à présent
privilégié, parmi les facteurs humains : la poussée des nomades et les
troubles consécutifs au déclin des Grands Empires, Ghana [Wagadu] et Mali.
Nous nous emploierons ici à analyser les rapports nomades/sédentaires. S'il
est indubitable que des rapports conflictuels ont, à certaines époques, brisé
l'équilibre nomades/sédentaires, produisant chez ces derniers des
modifications socio-politiques d'importance, il n'en demeure pas moins
qu'ériger ces faits en lois historiques relève moins d'une pratique scientifique
que d'un discours idéologique, voire d'un traumatisme collectif.
Les historiens occidentaux, qui ont fait un si large usage du mythe du
nomade agresseur dans leur propre histoire, étaient tout disposés à le réitérer
concernant l'histoire africaine. Cette pure vue de l'esprit consiste à croire que
les nomades et les sédentaires constituent deux mondes à part, mutuellement
exclusifs et étrangers l'un à l'autre. Le nomade du fait de la précarité et
l'archaïsme de ses conditions de vie, est toujours à l'affût du butin que
représentent les biens des sédentaires. Alors périodiquement, dans un
mouvement de chocs saccadés et à travers une série de vagues (flux)
nettement différenciés (distincts), il fait irruption dans le monde sédentaire,
le pille, le saccage et bouleverse de fond en comble ses structures sociopolitiques. Déjà à une époque très reculée de l'histoire européenne, les
nomades sont présentés comme des envahisseurs par nature. Dans un
ouvrage consacré à Ibn Khaldun, le géographe Y. Lacoste (1981 : 87-105)
s'attaque avec beaucoup de pertinence à ce qu'il appelle « le mythe de
l'invasion arabe ». Ce mythe explique la crise économique et sociale qui
frappe le Maghreb au XIe par l'invasion des groupes arabes [qabâ’il, sg.
qabîla] venus d'Orient. D'abord et surtout les Bani Hilal, ensuite les Bani
Solaym. C'est dans cet esprit que C. A. Julien (1931) écrit à propos de
« l'invasion hilalienne », elle aurait été la ruée d'un peuple nomade
destructeur qui mit fin, sans la remplacer par quoi que ce fût, à une tentative
d'organisation berbère, dont rien ne prouve qu'elle n'eût pu normalement se
développer et aboutir22. On voit ainsi dessiner à grands traits un peuple
sédentaire porteur d'avenir et un peuple nomade, son antagoniste, par
essence nihiliste et destructeur de toute civilisation.
En outre, les concepts de umran badawi et umran hadari n'opposent pas,
comme on l'a souvent écrit, nomade et sédentaire, mais plutôt rural et urbain.
En effet, selon Ibn Khaldun, dans l’umran badawi « les uns s'adonnent à
21 [Ba 2002 : 40-43, extraits choisis. NDE].
22 Cité par Y. Lacoste 1981.
107
Abdourahmane Ba
l'agriculture, ils plantent et ils sèment, les autres s'occupent à élever certains
animaux, tels que moutons, bœufs, chèvres, abeilles, vers à soie, etc. Les
gens de ces deux classes sont obligés d'habiter la campagne23 ».
À cheval sur le Sahel et le Soudan, le Takrur jette un pont entre les
agriculteurs du sud et les éleveurs du nord. Lui-même bordé dans sa frange
septentrionale par les éleveurs Peul, il est le lieu privilégié des contacts
nomades/sédentaires24. Dès lors, on comprend que les nomades aient pu
jouer un certain rôle dans la mise en place du peuplement. Cependant l'on se
gardera bien de la vision simpliste et erronée que nous venons de dénoncer.
Nous avons une somme considérable de textes oraux faisant état de ces
relations. Cheikh Sidia [Sidiya, in P. Marty] écrit :
« À son arrivée, Abu Bakr s'était mis avec ses armées à chasser les Noirs du
Tagant. Il les chassa encore de l'Adrâr et du Tiris jusqu'au rivage de
l'Atlantique et jusqu'à la rive du fleuve aux eaux douces. » (Sidia 1921 : 76).
Sire A. Soh nous apprend que si les Ogo ont quitté le sud de la
Mauritanie [actuelle] c'est à cause de la convoitise des nomades. La légende
soninké recueillie par Toupet (1966) laisse comprendre que les Soninké ont
été chassés du Tagant et de l'Assaba par les nomades. Les Sereer racontent
qu'ils eurent maille à partir avec les nomades. Selon Wade (1964 : 454) :
« Après la destruction de Ghana par le chef des Almoravides Abu Bakr ben
Omar les peuplades noires qui l'habitaient se dispersèrent vers l'ouest. À leur
arrivée à Kêlow près du lac Cayar (khôômak) le Serère Amar Godomat se
retourna soudain (pour tuer Omar). »
En analysant ces différents textes, on se rend compte qu'ils font tous
allusion à un épisode bien précis de l'histoire du Takrur : l'épopée
almoravide [XIe s.]. Il ne s'agit pas du nomade pris dans son acception
générale, mais d'Abu Bakr et de ses hommes. Au demeurant les Peul ne
sont-ils pas nomades ? Si les Sanhâja étaient essentiellement nomades, il
n'en demeure pas moins que ce qui est privilégié par les textes relève du
politique et non d'un quelconque mode de vie. Il s'agit manifestement d'une
volonté de domination qui, au XIe siècle, tente de contrôler toute la sousrégion et non d'un antagonisme naturel entre nomades et sédentaires. Du
reste, à ce moment même, on voit la direction du mouvement almoravide
nouer des alliances avec des populations sédentaires, du Takrur notamment.
En effet, à la bataille de Tebfarilla, il n'y a pas un front nomade contre un
front sédentaire, mais plutôt une coalition de nomades Sanhâja et des Takruri
23 Ibn Khaldun, cité par Lacoste 1981 : 125.
24 Daveau et Toupet (1963), Modat [sans référence], P. Marty (1919), Saison (1981),
Colombani (1931), Lucas (1931), se font l'écho de nombreuses traditions bidân et soninké
attestant de la cohabitation entre sédentaires et nomades dans le sud mauritanien. De même,
l'analyse toponymique permet d'affirmer l'existence de nombreux sites au sud de la
Mauritanie occupés jadis par des Noirs sédentaires.
108
Le Takrur historique et l’héritage du Fuuta Tooro
qui s'opposent aux nomades Godâla. Des Takruri participeront à des batailles
jusqu'en Espagne (O. Kane 1966).
Les Bidân au Fuuta Tooro
L'on sait par ailleurs que l'histoire du Fuuta Sénégalais aux XVIIIe et
XIXe fut particulièrement marquée par les nomades Bidân. O. Kane (1966) a
publié un article sur ces relations. Jusqu'au XVIIIe les Trarza se déplaçaient
latéralement au fleuve et ne faisaient que quelques rares incursions en
direction du sud pour s'attaquer soit au Waalo soit au Fuuta, mais aussi aux
Brakna nomades comme eux.
Fig. 2. Gravure « Maures du Sénégal »
(© Collection Gallica, BNF)
C'est au cours du XVIIIe que l'axe nord-sud commence à l'emporter sur
l'axe est-ouest et à partir de ce moment l'intervention des nomades dans la
vie politique du Fuuta se fait pesante. Non contents de razzier et de
rançonner le Fuuta, ils font et défont les souverains. Selon Kane :
« C'est une période extrêmement troublée pour les populations riveraines du
fleuve. Les populations noires doivent affronter les Maures renforcés par les
Marocains. »
Antagonismes nomades/sédentaires ? Non. Ces conflits n'ont pas toujours
existé et s'expliquent par la situation politique et économique à la fois du
Fuuta et du sud de la future Mauritanie. La traite négrière avec l'Occident a
rendu les Bidân plus gourmands en esclaves, alors que les révolutions de
palais et les conflits dynastiques rendent le Fuuta plus vulnérable. Mieux, les
Bidân pactisent avec des familles princières rivales. En 1718 ils sont les
109
Abdourahmane Ba
alliés de Bubakar Sire qu'ils déposeront en 1721 pour le remplacer par Bubu
Musa. Les Horman de Gaïdy nouent alliance avec Samba Gelajo Jegi en
1724. De leur côté, les nomades ne sont pas unis. Ils s'opposent directement
ou par prétendant interposé. Pour ce qui nous intéresse ici, la situation est
sensiblement la même au Waalo où il y aura même des mariages entre des
émirs Bidân et des princesses Walo-Walo [Taylor, Chapitre 4].
À en croire Charles Toupet (1966), il faudrait même nuancer l'importance
du mouvement almoravide. Il semble que les premières poussées n'aient pas
conduit à de grands mouvements de populations, car, après la mort d'Abu
Bakr, les groupes de parenté berbères, à nouveau traversés par des conflits
internes, ne purent chasser les Gangara vers le sud. Il faudra attendre
l'arrivée des Bani Hassan au XIIIe siècle pour voir non pas une migration
vers le sud, mais une simple modification de l'occupation de l'espace. Les
Gangara quittent la plaine pour se réfugier dans la montagne.
Premiers occupants du Takrur : Bafour, Sereer et Peul25
Il convient d'ouvrir [cette section] sur la question du fameux peuple
Bafour, tant elle est importante pour la compréhension du peuplement
sénégambien. En effet, l'opinion est très répandue chez les chercheurs
(Toupet 1966) qui veut que le peuple Bafour soit l'ancêtre des peuples de la
Sénégambie. Chez d'aucuns, cette opinion apparaît comme le résultat d'une
adhésion sans critique au discours de certains chroniqueurs. Cependant que
chez d'autres, les Bafour interviennent comme un deus ex machina.
P. Pelissier (1966 : 104) par exemple, devant l'impossibilité, fort
compréhensible, d'expliquer la naissance du peuple Wolof par l'unique
magie de l'appareil d'État de l'empire du Jolof, s'en remet à l'énigmatique
peuple Bafour. Nous espérons, en nous servant largement des travaux de
T. Lewicki, apporter non pas la réponse définitive, mais un élément
susceptible de renouveler la question et poser le débat en termes plus
critiques.
La crédibilité des textes qui attribuent une origine noire aux Bafour a pu
être mise en cause au nom du mode de vie que tous s'accordent à attribuer
aux Bafour26. En effet, les Bafour étaient d'excellents phéniciculteurs et c'est
à eux qu'on doit les palmeraies de l'Adrâr (Ksar Torchane, Kanoal, Amder,
25 [Ba 2002 : 51-64, extraits choisis. NDE].
26 Selon T. Lewicki (1978) : « Les légendes attribuant aux Bafour une origine noire ne sont
pas dignes de foi, vu le fait qu'il s'agit d'un peuple qui a introduit en Adrâr mauritanien la
technique de l'irrigation, la culture du dattier. » D’après Lucas (1931 : 158) : « Ensuite vinrent
les Bafour qui importèrent et plantèrent le palmier… Ces palmiers ont des dattes aussi petites
que le fruit du jujubier. Les Maures appellent aujourd'hui ces palmiers amendour. Tradition
recueillie chez les Ida Aghzeinbou. »
110
Le Takrur historique et l’héritage du Fuuta Tooro
Toungad, Oujeft), comme celles d'Azugui, Toujounine et Ammogjar27. Au
point que les dattiers sont dits par certaines populations actuelles « palmiers
Bafour », « enkhal bafur ». Il s'agit, selon Lewicki, des palmiers de
Toujounine (rouge) et d'el-Malha (jaune), dont une tradition dit qu'ils sont à
l'origine de toutes les autres espèces de dattiers de la Mauritanie.
Fig. 3. Carte postale « Femmes Peulhes du Oualo » (Fortier)
Aux Bafour, on attribue aussi l'introduction des techniques de l'irrigation,
l'élevage des chiens de garde et des chevaux28. Cependant, cet argument est,
à nos yeux, insuffisant pour décider de la couleur des Bafour, dans la mesure
où aucun peuple n'est condamné à conserver éternellement les mêmes
formes d'existence. Selon les incitations de l'histoire, un peuple puise dans
son génie propre des réponses qui peuvent se traduire par des changements
de mode de vie. Sinon comment expliquer que certains peuples qui jadis
connurent des civilisations très brillantes ne les aient pas toujours transmises
à leurs héritiers ?
27 Modat, cité par T. Lewicki, 1978 : 19.
28 Voir les Traditions des Oulad Ebeyri [Awlad Abyayri], in Lucas, 1931 : 153.
111
Abdourahmane Ba
Les sources arabes ne parlent pas des Bafour, mais, toujours selon
Lewicki, il existait vraisemblablement à côté de ce nom étroitement lié à la
conquête almoravide, l'Adrâr est dit Djebel Lemtuna par Al-Bakri et Ibn
Said, un nom plus ancien dans la mesure où les premiers voyageurs
portugais semblent y faire allusion. En effet, D. Gomes (1482) parle de la
« montagne d'Aboqui » et [l’éditeur allemand] Valentim Fernandes [15061507] de la « Montagne de Baffor » ou « Montagne de Baaffor ». Le silence
des sources arabes pourrait s'expliquer par la pression idéologique des
Almoravides. Le mépris des réformistes almoravides pour ces « Kaffir »
[infidèles] est connu.
Les Sereer au Takrur
Dans toutes les villes et tous les villages fuutanke où nous nous sommes
rendus au cours de l'hiver 1981/82, les habitants n'ont eu aucun mal à nous
indiquer des tertres (buttes) qu'ils attribuent aux Sereer. Plusieurs fois,
affirment-ils, au hasard d'une promenade, à la suite de travaux ou du
ravinement pluvial, des villageois ont eu la joie de découvrir sur lesdits
tertres ou dans leurs environs immédiats des « trésors sereer » faits
essentiellement de parures. Certains villages sont dits d'origine sereer. Ainsi
en est-il de M'Bumba et de Ciikkite29. La légende raconte que le lamdodes
[souverain] Seerer de M'Bumba se nommait M'Bumba Gey et avait donné
son nom au village. Comme on conduisait la future mariée à M'Bumba, elle
tomba du palanquin et se tua... L'endroit fut plus tard appelé Ciikkite parce
qu'on la pleura au tam-tam qu'on fit en son honneur30.
Des Sereer, interrogés au Sine, affirment que leurs ancêtres ont vécu
entre Salde et Podor où aujourd'hui encore, beaucoup de sites relèvent de la
toponymie Sereer. Ils citent à ce sujet Valeen, Jaalo Wali, Fabeen, Walalde
(Pelissier 1966). Delafosse estime que tous les toponymes comportant le
terme Ayaam sont d'origine sereer (Delafosse, in Soh, 1913 : 194). Nous
avons établi une liste de toponymes fuutanke dont beaucoup sont d'origine
sereer, confirmant ainsi l'étendue des sites jadis, ou, aujourd'hui encore,
occupés par les Sereer. Enfin, selon R. Fall (1983 : 13), « la vallée du fleuve
Sénégal est donc habitée au moins depuis le VIe siècle, la présence des
Sereer y étant attestée par les sondages ».
Les Ogo, les Galunkobe et les Fadube sont-ils des Sereer ?
Certaines sources orales en revanche, ne font pas explicitement référence
aux Sereer, mais plutôt aux Jaa Ogo, aux Fadube et Galunkoobe que nous
faisons l'hypothèse d'identifier aux Sereer. Les Jaa Ogo sont-ils sereer ?
L’appartenance ethnique des Jaa Ogo est bien moins facile à saisir que ne le
29 M'Boumba et Tyikkitte des cartes.
30 Ce texte rapporté par Gaden dans le l0e Cahier des manuscrits de l'IFAN, nous fut conté à
M'Bumba.
112
Le Takrur historique et l’héritage du Fuuta Tooro
pensait Delafosse. Les récits les mieux conservés à ce sujet sont ceux de
Sire-Abbàs Soh31, mais nous en avons recueilli d'autres, de même que les
chercheurs de l’IFAN32 et des Archives culturelles du Sénégal33. Selon
Delafosse, les Jaa Ogo sont des Peul. Il l'affirme sur la foi d'informations
fournies par Soh, qui leur attribue le patronyme Jaa34. Beaucoup de
chercheurs ont adhéré au point de vue de Delafosse sans recul critique.
F. Brigaud, quant à lui, prétend l'avoir vérifié à Matam35.
Ce point de vue nous semble erroné pour plusieurs raisons. Delafosse
(penseur diffusionniste) croit que les Peul ou proto-Peul sont des populations
étrangères à l'Afrique, venues du monde judéo-syrien. Il trouve une
confirmation dans le récit de Sow, qui attribue aux Jaa Ogo une origine
syrienne. En outre, il a tort de prendre Soh à la lettre lorsque ce dernier
attribue aux Jaa Ogo le patronyme Jaa. En effet, il apparaît que Soh se livre
là à une extrapolation facilitée par l'existence d'un patronyme Jaa attribué
aux Peul. Au demeurant, on aura remarqué que Jaa ne fait pas partie des
quatre patronymes effectivement peul. Il faudrait plutôt croire que Jaa ici est
un titre comme nous l'a confirmé B. Gangue36, parmi d'autres. Enfin, il est
établi que les Peul du Takrur sont essentiellement des pasteurs nomades. Or,
à aucun moment, cette activité n'a caractérisé les Jaa Ogo, réputés plutôt
pour leur maîtrise de la métallurgie. Les enquêtes menées auprès du chef de
village d'Ogo abondent dans ce sens (Chavane 1980). Si les descendants des
Jaa Ogo s'octroient des origines orientales, ils n'en rejettent pas moins toute
parenté avec les Peul. On pourrait nous rétorquer qu'il s'agit là d'un groupe
islamisé qui rejette ses origines païennes, mais le doute est au moins
légitime, d'autant plus qu'on connaît la propension des musulmans à se
rattacher à l'Orient. Il est possible, par contre, de faire un rapprochement
entre les Jaa Ogo et les Sereer. Dans les manuscrits de Gaden37 écrits à partir
d'informations fournies par le même Soh, on peut lire :
« Les descendants de Dya'ogo à Agnam Godo ont pour Yettode : Kobor,
Lakkor, Bannor, Sonyam. Ce sont des Séréres (…) beaucoup de Séréres
viennent de l'Empire de Dya'ogo. »
31 S. A. Soh 1913, voir aussi H. Gaden 1931.
32 Nous saisissons cette occasion pour remercier Mme L. Kesteloot qui nous a autorisés à
faire une copie de ces enregistrements.
33 Cette institution a procédé à une importante collecte de sources orales.
34 Delafosse, in Soh, 1913 : 176 (note 1) et 223 ; voir aussi Yoro Dyao 1912, Légendes et
coutumes sénégalaises. Les Cahiers de Yoro Dyao, traduit par H. Gaden.
35 Brigaud affirme : « Nous-mêmes avons entendu dire à Matam que les Diaogo étaient sans
doute des Peul », cité par Boly Diop, Les Subalbé, sans date : l0.
36 B. Gangue, Inspecteur de l'Enseignement Primaire à Podor.
37 Fonds Gaden de l’IFAN, Dakar, sans date.
113
Abdourahmane Ba
Les sources sont contradictoires au sujet de la culture des Jaa Ogo, Soh
les présente comme une population relativement évoluée qui a introduit au
Takrur la métallurgie, les grains, les troupeaux. Par contre, de nombreux
textes en font un peuple primitif frisant parfois l'animalité. Ainsi, selon un
récit que j’ai recueilli :
« [Ogo] était un endroit désertique. Ils [les Dya'ogo] construisaient des cases
et allumaient des feux la nuit. Ces feux attiraient des éléphants qui
détruisaient les cases. Finalement ils ont creusé des trous. Le matin, ils
allaient chasser et rentraient la nuit. Ils pêchaient aussi, mais cultivaient
peu38.
Cette description rappelle celle que A.Y. Ba fait des Galunkobe. Selon un
récit rapporté par Bokoum39 (1980) :
« Les Dia'ogo étaient des sauvages. Il paraît qu'ils ont vécu avant Adam... Ils
avaient des attributs humains (tête, barbe, pieds) et des queues... Ils avaient
promis à Dieu de ne rien faire de mal, ni tuer ou sortir de la voie divine. Plus
tard ils rompirent le contrat et Dieu envoya les anges pour les exterminer. Les
survivants se réfugièrent dans des trous du Tooro. »
Ce texte dont le merveilleux est évident n'a d'intérêt que parce qu'il laisse
deviner que l'idée de Jaa Ogo Peul n'est pas évidente pour les Fuutanké. On
y lit aussi l'ancienneté du peuplement Jaa Ogo. A. Kane [1917] pense que
Jaa Ogo est une déformation d'un mot wolof. Si on ne peut pas écarter
d'emblée cette étymologie, il convient de la corriger. Il ne saurait s'agir de
langue wolof postérieure au Xe siècle40, mais plutôt du Lebu dont nous
verrons plus loin la parenté avec les Sereer.
Nous venons de démontrer combien il est difficile de statuer de manière
formelle sur l'appartenance nationale des Jaa Ogo. Nous proposons
l'hypothèse suivant Madina Ly Tall (et alii. 1979) et B. Chavane (1980)
après elle, qui avaient été frappés par la contradiction évidente entre, d'une
part la relative stabilité du peuplement dont atteste l'archéologie et, d'autre
part, l'impression d'instabilité que laissent les sources orales. Nous pensons
que la clé de l'énigme réside dans la saisie de la confusion notable
qu'entretiennent les textes oraux entre les mouvements de population et les
mutations politiques faisant se succéder au pouvoir des dynasties différentes.
Ces dynasties pouvant ou non être des nations différentes. L'histoire orale
véhiculée au Fuuta, et particulièrement celle fournie par Soh, est une histoire
officielle et dynastique. L'évolution du Takrur nous est contée à travers celle
des différentes dynasties. Au-delà de la dynastie se trouvent mis en cause
tout le lignage, toute la nation. Ainsi lorsqu'une dynastie arrive au pouvoir,
38 Texte recueilli par nous-même.
39 Bokoum, texte oral recueilli par l'IFAN, 1980.
40 Voir la discussion menée par R. Fall 1983 : l8-23.
114
Le Takrur historique et l’héritage du Fuuta Tooro
on a l'impression d'assister à tout un bouleversement national. On peut poser
le problème des Jaa Ogo à la lumière de cette remarque. Ainsi on comprend
mieux que certains textes mettent l'accent sur le peuplement de base et
d'autres sur la dynastie au pouvoir. Il s'agirait ici d'un fond de peuplement
sereer sur lequel se serait greffée une dynastie qui peut bien appartenir à une
autre nation, comme elle peut être issue d'un processus de différenciation
sociale interne à une même nation.
Les descendants des Jaa Ogo interrogés à Ogo disent avoir trouvé les
Sereer quittant le Takrur à l'arrivée des Jaa Ogo au pouvoir. Enfin, la
conclusion de Gaden prend plus de vraisemblance pour nous : « Il sort de
S.A. Soh que Diaogo est un empire à fond de peuplement Sérère41. » Nous
savons par ailleurs que les Fadube sont parfois assimilés aux Jaa Ogo. Selon
un texte rapporté par Gaden « on appelait les Fadube Da'ogo parce qu'ils
brûlaient des pierres pour en faire du fer42 ». Or, d'après P. Diagne (1967 :
52), « tous les noms du groupe dit Fadubé, vivant sur la vallée sont typiques
des Serère et réciproquement... c'est du pays Serère et dans les pays None et
Ndoute que les patronymes du groupe dit Fadoubé sont intégralement
recensés ».
Quant à Galunkoobe, c'est un terme générique qui désigne tous « ceux
qui ne parlent pas pulaar ». Il pourrait donc s'agir aussi bien des Sereer, des
Lebu ou des Soninké. Cependant, la description de la culture Galunkobé
recoupe en plusieurs points celle de la culture Sereer. Mieux, parlant de
l'histoire de Gamaaji, A. D. Ba43 affirme que les Galunkobé que Wele trouva
sur le site étaient des Sereer. La version de E. Abou Ham est quelque peu
différente. On y apprend qu'à son arrivée à Gamaaji, le fondateur H. S. Han
y trouva « des Galunkoobe et un petit groupe de Sèrere habitant là, les autres
étant déjà partis. Ils vivaient de pêche et habitaient dans des grottes44 ».
L'analyse des institutions politiques du Waalo confirme la présence
ancienne des Sereer sur le fleuve. L'une des originalités de l'État africain
traditionnel, face à l'État moderne, est son caractère pluri-national [pluriethnique]. Tandis que l'État moderne est mû par « la pulsion de mort » et
tendant à nier et à écraser toute spécificité nationale (Person 1981), l'État
traditionnel africain ne trouve sa dynamique que dans la richesse des
diversités ethniques et cherche à les favoriser. Aussi lorsque l'État se
constitue, la diversité, la différence s'institutionnalisent et chacune des
communautés ethniques (ou nationales) trouve sa place dans les structures
du pouvoir. Lorsque, sous cet éclairage, on interroge la constitution du
Waalo, on est frappé par la place qu'y occupent les Sereer. En effet, les
41 Gaden, Manuscrits, Cahier n° l0, sans date, Fonds Gaden.
42 Gaden, Manuscrits, Cahier n° 3, 62 feuillets, sans date, Fonds Gaden.
43 A. D. Ba est le plus ancien des habitants de Gamaaji. Il se dit pullo lamankobe.
Notre entretien s'est déroulé en présence du chef de village, qui se dit toorodo.
44 E. Abou Ham, texte recueilli [sans date, ni lieu. NDE].
115
Abdourahmane Ba
chroniqueurs s'accordent pour donner une origine sereer au moen [lignage]
Dyoos, dont on sait par ailleurs qu'il fait partie des trois matrilignages où le
souverain est élu.
Les Sereer constituent l'un des trois éléments du fond de peuplement sur
lequel se greffe le pouvoir Wolof. C'est dans le même esprit que B. Gangue45
nous confie à Podor, qu'à Ogo (domaine des Jaa Ogo selon lui) ceux qui
portent le titre de Jaa couronnent les rois du Damga. Selon A. Wade (1964 :
452-453), le plus ancien dignitaire du Waalo (le diogomayo) est Séreer. Il
porte le patronyme Ngom.
Fig. 4. Carte postale « Famille Wolof » (Duguay-Trouin 1905)
L'archéologie semble confirmer la présence et l'ancienneté des Sereer sur
la vallée. Le site de Guédé (Ceekel) présente la particularité d'avoir autour
de lui une légende encore vivace46 selon laquelle le village fut occupé par les
Sereer avant l'arrivée du Lam Tooro [XVe s.]. Delafosse propose la date de
1450 pour cet événement, ce qui, selon Chavane, corrobore l'analyse de la
généalogie des dix-sept descendants cités par les actuels descendants du Lam
Tooro, de même que par les datations effectuées.
Le site de Podor, fouillé et daté du XIVe siècle par J. Joire (1977), est
attribué, à partir de la position des squelettes, aux Sereer. Plus à l'ouest, les
tumuli de Rao, dits mbanaar, sont attribués à la fois par les archéologues et
les populations actuelles aux Sereer (Thilmans 1979). Pelissier (1966) fait
45 Entretien avec B. Gangue, Inspecteur de 1'Enseignement Primaire à Podor.
46 Selon Chavane (1980 : 123-129) « la céramique trouvée sur le site présente avec l'actuelle
céramique des populations Serères du Sine-Saloum des similitudes ».
116
Le Takrur historique et l’héritage du Fuuta Tooro
remarquer les ressemblances entre ce site, ceux de Diaxaw, de Fiseel, de la
Pointe de Sangomaar, du pays Nomika et du bas Sénégal. La présence des
Sereer au Takrur remonte certainement aux époques les plus anciennes du
Takrur. Leur cohabitation ancienne avec « les gens du filet », Lebu et
Subbalbe (cuutaboi), est attestée à la fois par les sources orales et par les
structures sociales.
Les subbalbe : « les gens du filet », maîtres du fleuve47
Les subbalbe, comme ils se présentent aujourd'hui, ne constituent pas un
groupe [ethnique] mais une caste48 ou groupe socio-professionnel, celui des
pêcheurs. Quant à 1'étymologie du mot, elle est encore objet de controverses
parmi les sources orales. Une première version soutient que le terme serait
composé à partir de baalo, du verbe baa bader (tirer, rapprocher) et de
l'onomatopée cuub (bruit de l'eau) ; faisant ainsi référence à un geste du
pêcheur49. D'aucuns, par contre, estiment que le nom vient de subbabe qui
signifie « le désigné, l'élu ». Il fut attribué aux pêcheurs par extrapolation,
car il désigne le lieu où, lors d'une migration, se noya un des leurs. Le Chef
de la migration choisit alors ledit lieu comme demeure de ses hommes. Ce
site élu subbabe donna son nom aux pêcheurs.
Ces textes sont une fois de plus l'expression de la construction après coup
à laquelle les populations se livrent pour donner un sens à un événement.
Aucune critique ne peut aller au-delà de cette constatation : ainsi les
populations vivent-elles l'étymologie du mot. En revanche, la prééminence
des subbalbe au Fuuta se lit dans les rapports sociaux actuels. La société
halpulaar est une société très fortement hiérarchisée où la tendance est de ne
saisir les groupes sociaux que dans un rapport de dépendance. P. Diagne
(1967) fait remarquer, à ce sujet, que la société halpulaar est la seule qui, en
Sénégambie, est entièrement prise dans un système de caste. On s'attendrait
donc à ce que les subbalbe, travailleurs manuels, autres que les agriculteurs,
soient ravalés au rang de castes inférieures (neenbe, ou ñeeñbe). Or les
subbalbe font partie de la catégorie supérieure des rimbe, gens nés libres ; [le
terme est la] version halpulaar du géér (ou geer) wolof que M. Diouf (1981)
qualifie de non-caste ou out-group.
47 [Ba 2002 : 55-56. On a exclu la description des Lebu (pages 57-60). NDE].
48 [A. Ba utilise le terme « caste » dans son sens courant de groupes fondés sur la fermeture
des mariages, occupés dans des travaux manuels. Or l’expression « groupes de métiers »
semble plus appropriée car la mobilité sociale est aussi présente en Afrique, alors que cela ne
semble pas possible dans le cas de l’Inde. Dans la société indienne la hiérarchie se fonde sur
la religion et non sur le pouvoir ; voir Louis Dumont, Homo hierarchicus (1966). NDE].
49 Selon Kamara (1975 : 752) : « Thiouballo est dérivé de thioufballou (thiouf traduisant le
bruit provoqué par la chute dans l'eau de la lance du pêcheur, ballo signifiant attraper de loin),
ou bien 1'origine du mot thioub-ballo viendrait-elle de thioubbou, nom originel appliqué à
certaines tribus des Soubalbé. »
117
Abdourahmane Ba
La terre : droit du premier occupant
Au Takrur, la terre est généralement fertile mais de valeur inégale et
comme nous le verrons, les terres les plus riches sont l'objet de beaucoup de
convoitises. Parmi les différents modes de contrôle de la terre, nous
retiendrons ici le droit du premier occupant, qui fixe les privilèges des
populations les plus anciennement installées.
Il apparaît que les subbalbe ont su faire prévaloir ce droit sur les terres,
parmi les plus fertiles de la vallée, les pale. Ils possèdent en outre de
nombreux droits sur les kolalle (sg. holalde), les champs les plus convoités.
C'est le signe de leur ancienneté par rapport aux autres occupants venus plus
tard50. Plus que la terre (domaine des hommes), l'eau est, dans la croyance
populaire, le lieu privilégié des génies (bons ou mauvais). Pour s'assurer de
leur bienveillance, le pêcheur doit posséder un certain savoir magicoreligieux, suppléé parfois par la force physique. Les célèbres et très belles
« chansons du pêcheur » sont le récit fort épique des combats à la fois
intellectuels et physiques que le pêcheur livre aux génies des eaux. Les
subbalbe ont institué toute une chaîne de transmission de ce savoir.
Certaines familles sont spécialisées : celle-là, qu'il convient de consulter
lorsqu'on a avalé de travers une arête de poisson, celle-ci, qui détient les
secrets de la pêche (joom liigien, maître de la pêche ou du poisson). Le
savoir se transmet dans des centres d'initiation (ceefi), véritables écoles où se
rencontrent des disciples de tout le Fuuta. Les principaux centres sont :
Dungel, Cubalel, Fanay, Walalde, Jowol, Gamajii, Bow, Mbokki, Sadel,
Giray (B. Diop, sans date).
Les subbalbe sont les maîtres du fleuve. Les mythes d'origine affirment
que leur ancêtre descend d'une femme peule, Awaberi Deedi, et du génie des
eaux, cuub. On voit dans ce pacte symbolique l'initiation du pêcheur par le
génie des eaux, qui fonde en même temps le droit de contrôle de la terre.
Selon M. Wane (1980 : 106) :
« En premier lieu, le droit de propriété s'acquiert par suite d'une alliance
mystico-religieuse avec les divinités du sol, desquelles on attend la protection
et la fertilité de la terre. »
Ils se reconnaissent une certaine suprématie sur les autres pêcheurs,
notamment les Lebu, pour ce qui est du savoir occulte relatif aux cours d'eau,
et au métier du pêcheur. La légende raconte que Penda Saar, descendante de
l'ancêtre éponyme, eut un jour maille à partir avec un Lebu de Get Ndar51, où
50 Selon Kamara (1975 : 792) : « Il est probable que ceux d'entre eux portant ce nom
(Thioubbou) seraient les premiers à avoir été vus en train de pêcher par les habitants du
Fouta. »
51 Get Ndar est un important village de pêcheurs sis sur la langue de Barbarie, bercée par le
fleuve Sénégal et l'Atlantique. Pêcheur intrépide, ici, l'homme est rude et fier d'un mode de
118
Le Takrur historique et l’héritage du Fuuta Tooro
elle voyageait. Pour se venger d'une vendeuse qui avait refusé de lui offrir du
poisson, elle invoqua les génies de l'eau et rendit la pêche impossible pendant
plusieurs jours. Elle prouva ainsi sa haute science et fut consacrée par ceux de
Get Ndar. Penda Saar prolongea son voyage jusqu'au Kaarta où, toujours selon
les sources orales, elle fut accueillie avec tous les égards dus par les Bozos,
cette autre célèbre communauté de pêcheurs.
Fig. 5. Carte postale « Pêcheurs au fleuve Sénégal » (Fortier)
Naissance des Tukolor52
La saisie de l'origine des « Toucouleurs » [désormais Tukolor] est une
des questions centrales de toute recherche sur le Takrur ou le Fuuta Toro.
C'est une question difficile, compliquée à la fois par l'état actuel des
enquêtes et la forte dose d'investissement idéologique qu'elle occasionne.
On peut schématiquement réduire le débat à l'opposition entre deux
camps, malgré quelques divergences qui les traversent. D'un côté les tenants
de la thèse selon laquelle les Tukolor constituent un groupe ethnique
homogène, « pur », et de l'autre, ceux pour qui [ils] sont le fruit d'un
métissage. M. Delafosse (1972) est la plus ancienne référence de la première
thèse. Selon cet auteur, les Toucouleurs sont le premier peuple autochtone
du Takrur. Avec les Wolof et les Sereer ils constitueraient l'une des trois
ethnies que Al-Idrisi regroupe sous le terme « Makzara de race noire », par
vie qui, au cœur de St-Louis, la Vieille ville française, semble narguer les colons d'hier et leur
civilisation d’aujourd'hui. La femme dure à la tâche est réputée pour son franc-parler ».
52 [Ba 2002 : 60-64. NDE].
119
Abdourahmane Ba
opposition aux Peul53 [FulBe, sg. Pullo]. Ils auraient dominé le Takrur
jusqu'au début du IXe siècle, date à laquelle la première « migration judéosyrienne » aurait atteint le Takrur et pris le pouvoir pour deux siècles. Ladite
migration après avoir adopté la langue des Tukolor (le pulaar), serait par la
suite devenue l'ethnie peule différente de celle des Tukolor. Ce point ne
résiste pas à l'analyse, l'auteur se fonde sur des présupposés.
Nous avons montré que rien ne permet d'affirmer que les Jaa Ogo sont
Peul, au contraire. Par ailleurs, comment accepter que les Pël aient emprunté
la langue des Tukolor, alors que ces derniers se disent « hal pulaar’en »
(ceux qui parlent le pulaar, la langue des Peul). Enfin, citer les Tukolor
parmi les Makzara c'est aller trop vite en besogne et « mettre la charrue
avant les bœufs ». En effet, chez Al-Idrisi, on « trouve dans la première
section (…) Awlil, Silla, Takrur, Daw, Barisa et Mura » et l'on sait tout
simplement que « ces agglomérations sont du territoire des Makzara des
Sudan » (Cuoq 1973 : 109).
Fig. 6. Carte postale « Femmes Tukolor », début du XXe siècle (Fortier)
Selon Ch. A. Diop [1978], [le groupe ethnique] Tukolor est bien
homogène, mais, à l'instar des autres peuples de la Sénégambie, il
53 [Le terme aurait une origine wolof, « Pel », venant du singulier « Pullo ». Il est passé dans
les langues occidentales comme « Peul », ou « Peuhl ». NDE].
120
Le Takrur historique et l’héritage du Fuuta Tooro
proviendrait de la vallée du Nil. À l'appui de sa thèse, l'auteur avance des
arguments linguistiques et ethnographiques. Les Nuers de cette région, le
Soudan, conservent encore, dit-il, sans altérations les noms totémiques
typiques des Tukolor actuels54. La « tribu » des Nyoro et celle des Toro
qu'on rencontre à l'entrée des Nuba Hills rappelleraient étrangement les
toponymies que les Toucouleurs auraient laissées sur leur parcours : Nyoro
(Massina), dans l'ex-Soudan français, où les Tukolor ont séjourné selon la
tradition, Nyoro du Rip que fonda le marabout Tukolor M'Baba Jaxu Ba au
XIXe siècle. Enfin, en Abyssinie, vit une « tribu » appelée Tekrouri et dont
les Tukolor du Sénégal seraient une fraction.
L'argumentation est faible. S'il existe une coïncidence entre les noms
Nuer et les noms Tukolor, ces derniers sont beaucoup plus nombreux que ne
le laisse supposer l'auteur. Quant à Nyoro et Toro, ce sont des noms très
fréquents parmi les populations des Grands Lacs qui ne semblent pas liées
aux Tukolor. De même que les toponymes qu'ils rappellent à Diop sont trop
récents pour justifier une éventuelle migration est-ouest. Enfin, à en croire
Umar Al-Naqar, les Takruri d'Abyssinie font partie selon la tradition d'une
colonie qui revenait d'un pèlerinage à la Mecque au XVIIIe siècle. Elle joue
un rôle important dans l'invasion mahdiste de 1885-1891 (Al-Naqar 1969).
La thèse que défend O. Kane (1966) représente le dernier volet de ce
courant. Les Tukolor seraient un groupe originel mais non autochtone parce
que FulBe. Les Tukolor et les FulBe seraient deux groupes socioprofessionnels d'une même ethnie, les FulBe. Selon O. Kane, l'ethnie retient
trois critères de classification : linguistique, géographique, et socioprofessionnel. Le premier lui permet de se définir comme Halpulaar’en par
opposition aux Sebbe. Le deuxième critère permet de fixer l'origine
géographique des sous-groupes de l'ensemble halpulaar'en : ceux de Nyoro
(Nyoranke) du Fuuta (Fuutanke) du Massina (Massinanke). Le troisième
distingue le Pullo sare (sédentarisé) du Pullo jeere (nomade). Ceux qu'on
appelle Tukolor seraient alors FulBe sare55.
Cette thèse est une illusion. L'auteur a certes raison de rejeter le terme
Tukolor pour s'intéresser à la conscience que ce peuple a de lui-même et non
à ce qu'en font les autres, mais il est regrettable qu'il ait adhéré au discours
du Tukolor sur lui-même sans le passer au crible de la critique. Il lui serait
apparu qu'il s'agit d'un discours idéologique, tendant à occulter plus qu'à
révéler56.
En effet aujourd'hui encore la plupart des Tukolor font état de leur
parenté avec les FulBe, mais revendiquent une appartenance différente.
Bubu Hama (1968) reconnaît que les FulBe et les Toorobe (qu'il confond
54 Kan (Nuer) pour Kann toucouleur, Wan pour Wann, Ci pour Sy, Lith pour Ly, Kao pour
Ka (Diop 1978).
55 Ce point de vue a été défendu lors du Séminaire de Paris VII, janvier 1981.
56 Nous ne discuterons pas ici de la fonction de ce discours.
121
Abdourahmane Ba
avec les Tukolor) sont jaloux les uns et les autres de leur origine distincte.
Les FulBe ne se désignent pas par le terme Halpulaar'en, pas plus que les
Tukolor par celui de FulBe. Les différences prennent parfois l'allure de
véritables antagonismes. Il y a chez les Tukolor toute une imagerie populaire
qui dépeint le FulBe sous des traits peu élogieux. Pour eux, les Peul ne sont
que des humambineebe (ignorants, incultes), des pullone (sg. pullel,
diminutif péjoratif de pullo). Ils ironisent le « pullel labi bali » (petit Peul
couvert de poils de mouton). Du reste, les FulBe le leur rendent bien. Ils
méprisent les Toorobe « Hey da yelo'en » (qui mendient quand ils ont faim)
et parlent de toroodone (diminutif péjoratif de toroodo). Lorsqu'au cours de
la révolution de 1776, le commandant des troupes tukolor demande à Sule
Bubu, le prince deenyanke de se rendre, celui-ci répond par un texte célèbre
(Soh 1913 : 43) :
« Vous fils de crève-la-faim mendiants
Vous fils de ceux aux bouchées pourries
Que Dieu vous casse les gourdes
Que vos pères tendaient en mendiant. »
La société Tukolor est l'une des plus hiérarchisées de la Sénégambie,
alors que chez les FulBe les stratifications sociales restent très sommaires.
Enfin on ne peut pas oublier que les patronymes typiques des Peul sont au
nombre de quatre seulement (Ba, Diallo, Sow, Barry), et que Y. Wane
(1969) fait remarquer que, malgré leur parenté, les mariages entre Peul et
Tukolor restent très rares.
Pour étudier l'origine des Tukolor avec quelque chance de succès, il
convient de dissocier dans un premier temps la question de l'ethnogenèse de
celle de l'ethnique. L'ethnique Tukolor prend sa forme et son contenu
définitif au XIXe siècle, avec la colonisation française. Il est alors utilisé par
les colons et par le reste de la population sénégambienne pour désigner ceux
qui se disent Halpulaar'en. Cependant, Tukolor n'est que la forme francisée
de l'arabe Takrur ou Takruri. Les navigateurs européens héritent du
toponyme avant d'utiliser l'ethnique. Lorsqu'ils abordent les côtes
sénégambiennes, le Takrur est occupé par des populations au mode de vie
différent et complémentaire : nomades et sédentaires. Si l'on peut dire sans
conteste que les nomades sont les FulBe éleveurs de gros bétail,
l'identification des sédentaires pose problème. Il ne s'agit certainement pas
des Sereer qui pour l'essentiel ont, par vagues successives, quitté la vallée. Il
ne s'agit pas non plus des Soninké dont l'essentiel s'est installé sur le haut
fleuve. Quant aux Wolof et aux Lebu, ils appartiennent surtout au Djolof
[Jolof].
Il s'agit plutôt d'un peuple hétérogène, pluriethnique ou trans-ethnique,
résidu (témoin) des différentes populations qui ont résidé et traversé la
vallée, mais aussi résultat des échanges (biologiques et culturels) de ces
peuples entre eux et avec leurs voisins Bidân. C'est ce peuple que pour la
122
Le Takrur historique et l’héritage du Fuuta Tooro
première fois Ça Da Mosto [1455-1457], qui, par ailleurs, connaît les Sereer,
les « Foules », les Wangara et les Wolof, désignera sous le nom
« Thucaror » (Ça Da Mosto 1895 : 33).
La première mention européenne du Takrur apparaît sous la plume de
Dulcert. Le géographe établit en 1339 une carte où l'Afrique et l'archipel
canarien occupent une grande place, et où l'on peut lire « Tochoror ». En
1375, dans l'Atlas Catalan figure une vignette avec le toponyme
« Tacorom » (Takrur)57. En 1506, D. Pacheco Pereira établit une carte où
figure « le royaume de Tucurol ». Mais si Dulcert et Pacheco semblent
utiliser le terme dans le sens d'un toponyme, avec Valentim Fernandes, il ne
fait plus de doute que Tucurooes ou Tucaraes désigne bien une population.
Thucaror, Tochoror, Tucurol, Tucurooes et Tucaraes sont, à l'évidence, un
héritage de la cartographie arabe58. Le passage de la forme arabe à la forme
européenne s'est accompagné d'un glissement sémantique.
Déjà, au XVIe siècle, le terme prend un sens plus précis et désigne soit
des populations vivant à côté des Peul59, soit des métis de Peul (João de
Barros [XVIIe] 1945 : 106), soit une partie intégrante des Peul60. Il s'agit
dans tous les cas d'un groupe caractérisé par son rapport aux FulBe.
Cependant, chez les géographes arabes, Takrur ou Takruri n'a jamais désigné
une nation spécifique. Il s'agirait plutôt d'un ensemble de peuples. En effet
[l'ethnonyme] takruri partage le destin du toponyme. Il n'est pas rare que
dans les sources arabes un même terme soit à la fois un titre, un [ethnonyme]
et un toponyme. Ghana en est un bon exemple61. Au sujet du Takrur,
l'assimilation s'opère très tôt et progressivement. Al-Bakri parle certes du roi
du Takrur, assimilant la ville et l'État, mais Al-Idrisi passe du toponyme au
titre : « elle est, dit-il à propos de Silla, un des États du Takruri qui est un
sultan puissant. » Plus loin, il reprend l'information au sujet de Barisa.
En 1274, Ibn Khallikan franchit le dernier pas, il présente les Kanen
comme les cousins des Takrur. Mieux, il estime que les Takrur tiennent leur
nom de celui du territoire. « Quant à Takrur, c'est le nom donné au territoire
sur lequel ils sont. Leur race est donnée d'après le nom de leur territoire. »
57 Y. Fall, 1982 : 122, pour la carte : cliché 76 C. 96212 BN Paris, et pages 204-205.
58 Pour l'héritage que la cartographie moderne doit à la géographie arabe, voir Y. Fall, 1982 :
183. Il montre avec rigueur que l'utilisation des sources arabes par les cartographes
majorquins n'est pas une surprise. L'activité de traduction des manuscrits arabes est attestée à
Majorque dès la fin du XIIIe siècle avec le collège de Mizamar.
59 V. Fernandes 1951 : 21 : « Les Tucurooes sont une énorme multitude parmi laquelle vivent
les Peuls. »
60 Almada (1964 : 239) : « Les Tacuroes sont une caste des Fulos. »
61 Al-Bakri écrit : « Ghana est le titre que portent les rois du pays... la ville de Ghana se
compose de deux villes. » Plus loin on peut lire : « il y a dans le pays des Ghana... », in Cuoq,
1973 : 68-73.
123
Abdourahmane Ba
(Cuoq 1973 : 192). Selon Ibn Said, « La première ville des Takrur que l'on
rencontre sur les bords du Nil est Kalonbu62 ».
Al-Makrizi parle entre 1364 et 1442 des Takrur, des Nimi, des Tmin, des
Aja, qui se localiseraient à l'ouest de Kawkaw. Dans les Annales d'Égypte
(Manuscrit de la B. N. de Paris, Fonds arabe 1727 et 1732), il fait l'éloge
d'un cadi nommé Djamal Al-Kufat « qui entre autres mérites qu'on lui
reconnaissait parlait le turc et connaissait la langue nubienne et (la langue)
takrurienne. » Il dit aussi que les « Kanem sont une tribu des Takrur » (Cuoq
1973 : 459). En effet, il est fort peu probable qu'aux Xe-XIIe-XIIIe siècles le
Takrur n'abrite qu'une même nation qui, de surcroît, serait les Tukolor
actuels. Sous le terme générique, Takrur ou Takruri, il faut plutôt voir
l'ensemble des composantes nationales du Takrur de l'époque : Sereer, Lebu,
Wolof, Soninké et même Peul. C'est à partir de ce substrat, augmenté de
l'apport bidân, que se constituent les Halpulaar'en. À quel moment ? On ne
saurait le dire avec précision. Dans tous les cas, toutes les composantes sont
en place dès le début de notre ère, et rien ne s'oppose à ce que désormais
Soninké, Sereer, Lebu-Wolof, Bidân, à travers un long processus de
métissage culturel et biologique, donnent naissance à un peuple transethnique.
L'apport des différentes composantes est variable. Si, sur le plan ethnique
[biologique et culturel], les Lebu-Sereer semblent plus influents, les Peul
imposent leur langue alors que l'apport des Bidân et Soninké est relativement
réduit. Ce peuple ne trouve son unité et sa personnalité que très tard, à partir
du XVIe siècle, dans le cadre de la communauté halpulaar'en. Nous retenons
le XVIe siècle parce qu'avant cette date, l'impact FulBe est trop limité pour
expliquer les mutations qui s'opèrent.
La présence des FulBe sur la vallée semble attestée pour le VIIIe siècle.
Elle reste cependant encore marginale. Pasteurs nomades, ils vivent à la
périphérie du monde sédentaire. Ce n'est qu'au XIVe siècle, profitant de
l'affaiblissement du Takrur, désormais province du Mali, que les Lam
Termes et les Lam Taga brisent la frontière et s'installent massivement au
Takrur. Les XIVe et XVe siècles sont des périodes troubles. Désormais le
Takrur est atomisé en plusieurs chefferies, souvent dirigées par des Peul.
Mais, si l'arrivée des Lam Termes et des Lam Taga [XIVe s.] constitue un
fait démographique et politique considérable, il faut attendre le XVIe siècle
pour que l'hégémonie deenyanke change fondamentalement le paysage
humain et politique.
Aux XVIe et XVIIe siècles, les FulBe sont à la tête d'un immense empire,
alors le plus vaste État du Soudan occidental, s'étendant du fleuve Sénégal
au Fuuta Jaloo [Guinée], en passant par les régions aurifères du Haut
Sénégal (Boulègue 1981). Les FulBe, démographiquement très importants et
62 Ibn Said écrit : « En général les Sudan, les Takrur et bien d'autres [peuples] s'habillent de
peaux. » (Cuoq 1973 : 202).
124
Le Takrur historique et l’héritage du Fuuta Tooro
politiquement prédominants, vont désormais façonner le Takrur à leur gré.
Le plus évident en est le changement de nom : le Takrur devient Fuuta.
Mieux encore, cette population hétérogène, très anciennement installée dans
la vallée, va devoir s'uniformiser, se fondre dans le moule Peul. La langue
est l'outil privilégié de cette assimilation. En adoptant le pulaar, ce peupletémoin de Sereer, Soninké, Peul, Bidân et Lebu-Wolof, acquiert une
nouvelle identité : les Halpulaar'en sont nés.
La pression sur la terre et les conflits fonciers63
L'aventure fuutanke n'est certainement pas fille de la faim64, s'il faut
comprendre par là que l'indigence de la terre qui, dans une large mesure, est
le moteur de l'histoire grecque, est la même qui frappe le Takrur et plus tard
le Fuuta Tooro. Cependant, au regard de la période qui nous est la mieux
connue (à partir du XVIe siècle), on se rend compte du rôle capital que la
maîtrise de la terre tient dans l'histoire politique et sociale du Fuuta. Tous les
maîtres du Fuuta, depuis les DeenyankooBe, ont fait de la terre un
instrument politique. La structure de la tenure foncière reflète cette histoire.
On connaît mal la période antérieure aux Deenyanke, mais il semble que les
grands domaines les plus anciens correspondent aux premières dynasties,
notamment les Lam Termes, d'autres provenant soit des commandements
territoriaux exercés par des princes Peul, soit des donations faites à des chefs
Peuls par les descendants du Lam Termes (Laaw, Yirlaabe-HebbiyaaBe,
Booseya).
Avec les DeenyankooBe se constitue la majorité des grands domaines
(Boutillier 1962). Le chef de la dynastie confisqua plusieurs domaines
(notamment ceux des opposants) et les attribua à ses compagnons65. Le
dernier satigui [souverain] ira jusqu'à distribuer les terres de la couronne
(bayti) contre des tributs annuels. Jamais les docteurs de l'islam ne reçurent
autant de terres que sous le satigui Suuley Njaay l'ancien. Les TooroBBe
[groupe religieux], malgré leur idéologie musulmane et égalitaire, usèrent de
la même stratégie politique. À un moment où les convoitises des Bidân, au
nord, se faisaient plus pressantes et où les luttes intestines pour le pouvoir
étaient permanentes, l'autorité des almameeBe [élite religieuse] dépendait en
grande partie de leur capacité à lever une armée puissante et nouer des
alliances politiques. La terre servit à ces fins. Aussitôt après la défaite du
dernier satigui et la mort de l'émir du Trarza en 1786, l’almaami Abdul
chercha dans la stratégie des donations la consolidation de son pouvoir. Pour
63 [Ba 2002 : 85-88. Cette section est insérée dans la partie consacrée aux origines de l’État
des Jaa Ogo, mais nous pensons qu’elle complète mieux cette section consacrée aux
migrations et aux peuples. NDE.]
64 Wane (1980) utilise cette formule inspirée par L'Aventure Grecque de P. Lévêque.
65 « Il réussit par l'attribution d'apanages multiples et par la supériorité militaire à créer un
pouvoir centralisé. » (Wane 1980 : 188). [Voir aussi Gaden 1935].
125
Abdourahmane Ba
endiguer la poussée des Bidân, il plaça aux endroits guéables des chefs
militaires chargés de regrouper autour d'eux des hommes capables de résister
(Boutillier 1962). Il confisqua des terres à des TooroBe, des Sebbe, et à
l'aristocratie peule pour les distribuer aux défenseurs du régime (Robinson
1975a : 15). Il usa du même procédé pour exploiter les rivalités qui
divisaient certaines familles du Booseya, du Ngenaar et du Damnga.
L'importance de la terre dans l'histoire du Fuuta se lit aussi bien dans
1'organisation du rapport à la terre66. Les chercheurs reconnaissent qu'en
Afrique ancienne, la terre ne saurait être l'objet d'une appropriation privée.
Selon M. Wane, on peut, au Fuuta, dégager un dyptique : la terre don de
Dieu et la terre objet de culte, qui fonde le rapport à la terre. Dieu, ici, est
conçu comme « ce quelque chose » auquel on accède par l'intermédiaire de
l'ancêtre et à qui l'on doit tout. La terre, parce que don de Dieu, « ne peut
faire l'objet d'une appropriation plena in re potestas » au risque de porter
malheur à celui qui le tente. Par ailleurs, même s'il n'existe ni cérémonies
propitiatoires, ni rituels fécondateurs institutionnalisés, la terre fait l'objet
d'un culte qui conduit le paysan, au moment des cultures, à mettre des objets
dans les semences. Les objets destinés à assurer la bonne récolte varient
selon les lieux et les familles. La survivance de ces pratiques, malgré
l'ancienneté de l'islamisation, suggère que le Fuuta anté-islamique connut un
corpus de rituels qui traduit le même rapport à la terre que dans le reste de
l'Afrique occidentale. Après la révolution Toorodo le droit musulman se
surimpose au droit traditionnel sans en changer les principes fondamentaux :
la terre, bien collectif et inaliénable [Robinson 1975b].
Cependant, même si le principe du libre accès à la terre pour tout le
monde est sauf et que les droits du premier occupant sont reconnus jusqu'à la
fin de la dynastie deenyanke, les FuutankooBe ont su élaborer un judicieux
système de redevances dont la complexité et l'ingéniosité sont à la mesure de
l'importance de la terre. « Leydi ala ndi hujja » [nul terrain n'est exempt de
redevances] aiment à répéter les Fuutanke. La subtilité réside, selon Deme
(1966) dans la « dissociation entre droit de propriété et droit de culture, qui
introduit un type original d'appropriation des terres. » Et, selon Robinson
(1975a : 4) : « These rules made farming in the flood plain problematic in
spite of its fertility. »
La lutte pour la terre n'est pas étrangère à l'instabilité politique que
connaît le Fuuta théocratique. De 1805 à 1890, date de l'installation
française, le Fuuta connut 51 almameeBe selon B. Sall, et 53 selon S.A. Soh
(Brigaud 1962, Soh 1913 : 173-175). Devant la ronde des almameeBe,
Kamara se détourne de la théocratie élective pour porter sa sympathie au
régime dynastique héréditaire. Il explique la crise chronique qui frappe l'État
entre autres par le fait que « favorisé par des circonstances un ignorant peut
s'imposer par ses largesses et son courage et les habitants du Fuuta se
66 Nous préférons cette formule à l'expression « droit foncier », largement européocentriste.
126
Le Takrur historique et l’héritage du Fuuta Tooro
soumettent à ce pouvoir qui fait qui vient se surimposer à celui de l'almaami
légalement élu67 ».
Conditions naturelles du Fuuta Tooro
Si la terre joue un tel rôle dans l'histoire du Fuuta, cela tient sans nul
doute aux vicissitudes politiques (pressions des Bidân, crises internes) mais
aussi à un phénomène structurel lié aux conditions naturelles qui depuis les
Ve-VIe siècles ont imprimé au Takrur une personnalité particulière. En
étudiant le rapport à l'environnement, nous avons montré comment le
Takrur, parce que refuge de l'isohyète 400 a constitué, à partir de 1'ère
chrétienne un pôle d'attraction pour les agriculteurs du Sahara. Cependant, la
pluviométrie n'est pas le seul phénomène déterminant dans cette situation.
Selon S. M. Seck68 : « Le fleuve réserve d'eau dont la valeur est surenchérie
par l'environnement structurellement sec demeure l'élément fondamental
d'organisation de l'espace. » Il façonne deux grands ensembles
géomorphologiques avec chacun une fonction spécifique : le waalo et le
jeeri [terres de décrue]. Le waalo couvre aujourd'hui une superficie
d'environ 200 000 ha et se trouve inondé dans sa majeure partie de juillet à
novembre. Ainsi le reste de l'année, lorsque les pluies cessent de tomber et
que les eaux de crue se sont retirées, les paysans y pratiquent la culture
inondée. Sous le terme jeeri on regroupe les terres exondées de la vallée.
Elles se localisent à une vingtaine de kilomètres de part et d'autre du fleuve.
Tandis que le waalo, particulièrement fertile, mais peu étendu, est l'objet de
beaucoup de convoitises, le jeeri, vaste, mais de faible rendement, n'attire
point le paysan. Cette différence imprime un double aspect à la tenure au
Fuuta. Dans le waalo, les droits sont très élaborés et stricts, traduisant
l'importance des convoitises, alors que dans le jeeri ils sont plutôt lâches69.
En dehors des deux grands ensembles, le fleuve délimite de petites unités
d'inégales propriétés pédologiques. Le Sénégal descendu du Fuuta Jaloo et
du plateau manden, nourri par le Bafin, le Bakoy (à Bafuulabe) et la Faleme,
est de très faible dénivellation. À Bakel il n'atteint que 22 à 23 m d'altitude et
4 m à Richard Toll, soit à 80 km de la mer. La faible dénivellation a favorisé
divers dépôts qui ont donné naissance à de véritables micro-reliefs : des
cuvettes au sol argileux, parfois dans certaines parties très basses, mal
drainées ou cloisonnées par différents bourrelets. De grandes mares y
67 Manuscrit arabe cité par Djennedi 1977. Au cours d'un entretien à Dakar, P. Diagne nous a
suggéré que l'aristocratie Toorodo a volontairement entretenu cette crise, que l'avènement
d'un nouvel almaami était pour elle 1'occasion de nouvelles donations.
68 [Seck, Thèse, sans date, page 128. NDE].
69 Selon Robinson (1975a : 3) : « In contrast to the jerri where land had little scarcity value
and belonged to whoever scared and cultivated it, the much coveted flood plain has long been
subject to complicated rules which survive today. »
127
Abdourahmane Ba
subsistent en saison sèche. Enfin, au cours du premier siècle de notre ère, des
modifications furent apportées au tracé du fleuve (détournement vers la
région de Saint-Louis, assèchement du climat, légère variation du niveau de
la mer).
Les variétés du sol au Fuuta Tooro
Les FuutankooBe ne distinguent pas moins de 5 variétés de sol dans le
jeeri et 8 dans le waalo, auxquelles sont attachés des droits spécifiques. Du
fleuve au jeeri on rencontre70 :
• Le falo (pl. pale) : terrains généralement très en pente, longeant le lit mineur du
fleuve. Ils sont sableux à la base et sablo-limoneux de couleur plus claire au
sommet. Immergés pendant plusieurs mois, ils reçoivent le limon des crues. Ils
abritent plusieurs variétés de cultures : de haut en bas on y rencontre maïs, nebbe,
dene (courges), citrouilles, patates douces, tomates, tabac... Les arbustes y sont
rares, ce qui rend le travail moins pénible. Les Tukolor disent « falo, falotoo ko
heege » [le falo empêche la famine]. La grande majorité des terres est contrôlée par
les pêcheurs.
• Le holalde (pl. kolalle ou kolle) : terrains facilement inondables (l00 à 120 jours),
situés au centre de la cuvette que forme le waalo. De fine texture (40 à 60 %
d'argile ; 15 à 20 % de limon, 0,5 % de matières organiques), ils constituent
l'essentiel des terres cultivées (62,5 % environ). Leur richesse, la facilité de leur
exploitation en font l'objet de beaucoup de transactions (plus des 2/3 sont entre les
mains de familles qui ne les tiennent qu'à titre onéreux).
• Le wakadiju (pl. wakadiiuuje) et le hoLaawaka (pl. kolle wakaaje) se suivent et se
ressemblent. Ils sont à la limite de l'inondation et pour cela, peu exploités.
• Le wallere (pl. balle) est niché dans les brèches des bourrelets ou situé en bordure
des cuvettes. Il reçoit, grâce aux courants, d'importants apports limoneux. Terrain à
surface sablonneuse et fertile, il comporte trois variétés : le wallere wodeere
(wallere rouge) se rencontre dans les kollale (terrains facilement inondables) et les
itite (les derniers terrains qu'atteint la crue), le wallere baleere (wallere noir), ou
mbolto, que préfèrent les cultivateurs et enfin le wallere raneere (wallere blanc) ou
booltanel qui fait partie des pale. Comme dans les pale, tout pousse dans les balle.
• Les itite (sing. itital) sont de plus haute altitude que les kolalle : l'eau y pénètre par
les thalwegs.
• Le toggere mbalwaaldi (pl. togge mbalwaaldi), terrains boisés et pierreux, est la
partie la plus haute d'un terrain de culture du waalo. Ils sont peu fertiles et peu
convoités.
• Le poonde (pl. poode) est un bourrelet surplombant les rives, dont le sol à taches et
concrétions de couleur rouille ou grise est composé de limon et de sable fin.
Rarement inondé (forte crue) et pour peu de temps (environ 30 jours), il abrite des
arbustes qui rendent le travail pénible.
• Le jakre (pl. jake) encore plus élevé que le précédent est une levée dont les
Fuutanke disent « demdo jakre ko jaakdo » (qui cultive le jakre n'a pas le choix).
70 Wane 1980 : 92-96, Ba 1977 : 204-248, Vidal 1935.
128
Le Takrur historique et l’héritage du Fuuta Tooro
Les Tukolor distinguent à partir du jeejengol (terrasses de remblaiement à
la limite des inondations et du jeeri) les micro-reliefs suivants :
• Le baljol (balji), terre à carapace dure, propice au mil (feelaa) et au maïs lorsque
les précipitations sont abondantes.
• Le raneewo ou hoyngo, terre légère aimant peu l'humidité et sur laquelle pastèques
et haricots (nebbe) poussent bien, même en cas de demi-sécheresse.
• Le jeeri seeno, dit sablière ou balewo, est une terre d'aspect noirâtre à cause sans
doute de sa composante argileuse, aimant l'humidité. Terrain de prédilection du petit
mil (ndiamiri) et du nebbe. En amont on y sème un peu d'arachides.
• Le hartuLaawo : terre nue et pierreuse, impropre à l'exploitation. On y trouve
quelques épineux tel le jujubier (jaabi).
• Le seeno geddo, proprement stérile, à dominance pierreuse, domaine privilégié des
lézards.
BREVE CHRONOLOGIE POLITIQUE DU TAKRUR71
Le souvenir le plus ancien de la métallurgie du fer au Takrur est lié à
celui de la plus ancienne dynastie. Cette conclusion nous amène à émettre
l'hypothèse selon laquelle le pouvoir des Jaa Ogo remonte à une époque plus
ancienne que celle proposée par M. Delafosse. En effet, M. Delafosse
(1913 : 172), se fiant aux informations de S. A. Soh et de Yoro Dyao,
relatives à la durée des différents règnes, retient la moitié du IXe siècle
comme début du règne des Jaa Ogo. Pour notre part nous pensons que la
conclusion de M. Delafosse, outre les informations des chroniqueurs, est
aussi inspirée par l'idée que les Jaa Ogo constituent une dynastie issue de la
migration peule ou plutôt proto-peule, qui atteint les rives du Sénégal au
IXe siècle. Nous avons déjà montré à quel point cette conception nous laisse
sceptiques. Il convient de remonter aux origines de la métallurgie du fer que
les résultats actuels de l'archéologie permettent de fixer aux IVe-Ve siècles,
tout au moins pour Sinthiou Bara [près de Matam], proche du site d'Ogo.
Ce que C. Becker et V. Martin (1976) ont appelé « les anciens villages
métallurgiques » du Sénégal, couvre la région qui va de Dagana à Kanel soit
environ 300 kilomètres d'ouest en est, et de la frontière sénégalomauritanienne aux limites du Ferlo sénégalais, soit une amplitude nord/sud
variant de 90 à 65 kilomètres. Ils y ont recensé, en 1974, 250 sites dont
30 sites métallurgiques. On est encore très loin d'avoir fouillé ou tout
simplement sondé l'essentiel de ces sites, mais les travaux qui ont été
conduits sur certains d'entre eux attestent déjà de l'ancienneté de la
métallurgie du fer dans la vallée. Sur le site de Podor, fut découverte, en
1958, une somme considérable d'objets, entre autres, « la plus importante
collection d'objets de parure anciens trouvés jusqu'ici au Sénégal72 ».
71 [Ba 2002 : 68-144, extraits choisis. NDE].
72 Thilmans G., Bull. IFAN, ser. B, t. 39, n° 4 : 669-694.
129
Abdourahmane Ba
Il témoigne d'une grande activité métallurgique, mais nous ne pouvons
malheureusement pas utiliser ces résultats, au grand dommage de l'intérêt
qu'il pourrait représenter pour nous, dans la mesure où les datations jusqu'à
présent obtenues le font remonter à peine au début du XVIe siècle. Le site de
Jallowaali, découvert en 1945 et fouillé en 1976 a livré, entre autres, des
scories de la métallurgie du fer, des éléments de bas fourneaux et quelques
fragments d'objet en fer non identifiés.
Des chercheurs de l'Institut mauritanien de Recherche scientifique
[IMRS] ont, en 1982, recensé 200 sites métallurgiques sur la rive
mauritanienne du fleuve. La cartographie des sites permet de délimiter, selon
l'importance des fourneaux, deux régions différentes. Dans le pays en aval
de Kaédi, de Belinabé, à Aïré M’bar, la densité de l'implantation est telle
qu'on peut parler de véritable région métallurgique. En effet y ont été
dénombrés pas moins de 39 325 fourneaux répartis comme suit :
• Une concentration orientale73, regroupant 3 657 fourneaux autour de Belinahé,
Rinjaaw, Silla, Sinthiou Boumaka et Woloumneré, au nord-ouest. Les ensembles les
plus denses se trouvent à Silla et à Sinthiou Boumaka, avec chacun plusieurs
centaines de fourneaux. Une concentration intermédiaire englobant la zone de
Woloumneré, Nabina, Mbahe, Mbari, Ferrala, et atteignant vers le nord-ouest Garol.
Elle compte 2 985 fourneaux ; ensembles moins denses, le plus important
regroupant 400 fourneaux et le plus restreint, quatre seulement.
• Enfin, une énorme concentration occidentale avec 34 685 fourneaux répartis entre
Ellimane, Bababé, Junde, Aïré Gollere et Aïré Mba. Les ensembles les plus
importants peuvent compter jusqu'à 2 500 fourneaux.
• En amont de Kaédi, la région qui va de Jagily au sud à Kaedi, y compris le
Guidimaka, les rives du Gorgol jusqu'à Talhaya et Lexeiba, est plus modeste. Elle
regroupe au total 752 fourneaux dont 214 autour de Sive, qui en est le seul ensemble
important.
• Ailleurs, les fourneaux sont parfois isolés par groupe de trois ou quatre en zone
forestière proche du fleuve, ou sur les « fonde » les plus proches des berges.
Au total près de 40 000 fourneaux ont fonctionné sur la rive droite du
Sénégal. Ce chiffre fort élevé appelle une remarque. Si on est loin d'avoir
recensé l'ensemble des sites et des fourneaux, il faut quand même se garder
de penser que tous ces fourneaux ont été contemporains. En attendant qu'une
datation systématique permette d'établir une chronologie précise et de
quantifier la production de fer, on peut signaler que, selon L. M. Diop
(1968), un centre est moyen lorsqu'il réunit une dizaine de fourneaux et
grand lorsqu'il en compte au moins une trentaine. Nous ne disposons, en
effet, d'aucune datation absolue desdits sites, mais les vestiges recueillis
autorisent quelques hypothèses.
73 Voir les cartes de Robert-Chaleix D. et Sognane M. 1983a.
130
Le Takrur historique et l’héritage du Fuuta Tooro
Fig. 7. Poteries en terre cuite de Sinthiou Bara
(Ba 2002 : 35)
La céramique associée aux fourneaux de l'espace à l'amont de Kaédi,
surtout celle de Sive rappelle la céramique de Sinthiou Bara, datée du
Ve siècle. Il s'agit surtout d'une céramique à engobe gris-brun, très bien
polie, les formes souvent fermées, sphéroïdes aplaties, à cols hauts et droits
extérieurement moulurés, comportant à la base une forte moulure de section
carrée74. En conclusion, l'analyse des données géographiques de même que
celle des sources orales prouvent que les conditions sont réunies au Takrur
pour une métallurgie du fer. Les témoignages arabes nous permettent
d'affirmer que ces potentialités sont déjà exploitées au XIe siècle.
L'archéologie quant à elle recule la limite chronologique jusqu'au Ve siècle.
Quand on sait que les fouilles sont encore peu nombreuses au Fuuta et que la
présence du fer est attestée dans les régions environnantes pour une période
antérieure, on est en droit de s'attendre à ce que les recherches futures nous
conduisent à des horizons encore plus profonds.
Les groupes de métier de forgerons
74 Robert-Chaleix D. et Sognane M., 1983a : 54. Voici la description que B. Chavane (1980 :
134) fait de la céramique de Sinthiou Bara : « elle est caractérisée par de très belles poteries à
col large, souvent engobées et décorées de larges cannelures. Les panses portent parfois des
motifs géométriques cannelés (ocellés, chevrons, losanges, ovales). »
131
Abdourahmane Ba
D'aucuns ont prétendu que la structure de « castes » fut introduite au
Fuuta par les Peul. Ces nomades nourriraient un tel mépris pour le travail
manuel qu'ils auraient rejeté et enfermé les forgerons dans une strate
inférieure (Suret-Canal 1980, Diop 1968). Nous ne pensons pas que le
système des castes, encore moins la métallurgie du fer, soit introduit au
Takrur de l'extérieur. Ici, comme chez les Soninké et les Manden, il est le
produit d'un processus interne à la société Jaa Ogo. Il est le produit de la
défaite des couches sociales liées à la métallurgie du fer, face à celles du
commerce international. Dans une étude consacrée à « la caste des forgerons
et son importance dans le Soudan Occidental », Ch. D. Ardouin (1978 : 22)
établit une typologie qui nous permet de distinguer deux groupes de sociétés
se différenciant par la position qu'y occupe le forgeron. Il écrit :
« En nous déplaçant de la côte occidentale vers le centre, nous entrons
progressivement dans une région qu'on peut appeler « la ceinture du fer »
(iron belt). Là... nous rencontrons une technique assez développée
d'extraction et de travail du fer, avec des hauts fourneaux de grandes
dimensions qui utilisent les courants d'air naturels... À mesure que nous
pénétrons dans le centre de cet iron belt [ceinture de fer] la position du
forgeron dans la société change. »
Dans le premier groupe, constitué par les Wolof, les FulBe, les Soninké
et les Bidân, le forgeron occupe une position inférieure. En revanche, chez
les Bamana, les Khaasonke, les Maninka, les Dogon, les Minianka, Mossi,
Senufo « les forgerons forment un groupe qu'on peut appeler un nœud social
concentrant dans leurs mains des fonctions sociales, économiques et
religieuses très importantes. » (Ardouin 1978 : 22). L'auteur propose alors
deux hypothèses pour expliquer cette différence. Celle-ci serait liée à
l'ancienneté (ou non) de la métallurgie du fer, et à la profondeur (ou non) de
l'islamisation. Nous pensons pour notre part que des sociétés peuvent avoir
connu très tôt la métallurgie du fer, ou en tout cas une organisation sociale
où le forgeron occupe une place importante et, aujourd'hui, tenir ce groupe
pour méprisable. L'exemple des Soninké nous en offre l'illustration ; dans les
mythes de fondation soninké, le forgeron apparaît comme un élément
important ayant joué un rôle dans la constitution du groupe75. Et selon
M. Sarr (1976 : 132-185), c'est à un moment précis, suite à des luttes
politiques, qu'il perd cette position pour être regardé avec mépris. L'auteur
raconte comment, aux IXe et Xe siècles, un conflit éclata entre les « grandes
familles » islamisées et liées au commerce à longue distance et le pouvoir
des Tunka, dont l'idéologie relève des religions traditionnelles. Dans le
même élan, les grandes familles musulmanes qui vont émigrer remirent en
cause, toujours selon M. Sarr, « les traditions qui mettaient les forgerons sur
le même pied que les nobles. »
75 La légende du Wagadu, rapportée par M. Sarr 1976 : 8.
132
Le Takrur historique et l’héritage du Fuuta Tooro
L’État forgeron des Jaa Ogo [Ve-Xe siècles76]
La langue, support à la pensée, et donc au passé et à sa connaissance, est
un lien et une source privilégiée du document historique. Aussi, la prise en
compte du lexique politique du Takrur des Jaa Ogo nous aide-t-elle à mieux
comprendre la nature de leur pouvoir. Jaa est un terme de la titulature [titres]
du Takrur. Selon S. A. Soh (1913 : 16), il s'agissait d'un terme hérité de
l'arabe za. Cette étymologie est contestable. On y voit la volonté du
chroniqueur de donner une souche arabe aux Jaa Ogo. Par contre
M. Delafosse signalait déjà que dans l'ouest du Fuuta, on rencontre plusieurs
titres de la même forme que Jaa77. L'information nous a été confirmée par B.
Gangué à Podor78.
« Jaa est un titre local, des Jaa, j'en ai rencontré au niveau des départements
de Bakel et Podor. Le premier Jaa était le Jaa Ogo… J'ai trouvé des
traductions fantaisistes, Jaa Ogo signifie exactement le maître d'Ogo. »
Selon P. Diagne [sans date], Jaa vient de Caa qui a donné CaaLaaw, ou
Caa Laaw qui signifie maître du Laaw, de même qu'il existait un Jaa Giya,
un Jaa Diyo, un Jaa Wirnde (près de Guédé), un Jaa Walère. Le titre Jaa
appartient donc à la plus ancienne terminologie politique du Takrur, dans la
mesure où il est d'abord associé à la dynastie des Jaa Ogo. De l'avis de
B. Gangué, il a trait à la maîtrise de l'espace. Par ailleurs, on sait que le
terme le plus universel et le plus permanent dans le lexique politique propre
à la notion de pouvoir politique en Afrique de l'Ouest est relatif au problème
de la maîtrise de l'espace. L'espace, ici, doit être compris comme désignant
tout ce qui relève du territoire : terre de culture, terrain de parcours, zones de
pêche et même sous-sol. De ce fait, Jaa Ogo pourrait avoir deux sens. Il
pourrait signifier « maître des terres du village d'Ogo » comme le laissent
supposer certaines traditions79. Ainsi Jaa serait l'équivalent du laman Sereer,
du dugutigi manden, du topsaba des Mossi de Haute Volta, c'est-à-dire un
maître de terre. On peut aussi voir dans Ogo non pas le village du même
nom, mais le fer produit à Takrur, et Jaa Ogo serait « maître du fer »,
renvoyant comme nous l'avons vu plus haut à la qualité de forgeron des Jaa
76 [Ba 2002, 2002 : 91-93. NDE].
77 Delafosse, in Soh 1913 : 223.
78 Entretien avec Baba Gangué, inspecteur de l'Enseignement Primaire, rencontré à Podor le
27 octobre 1981. Il se dit descendant des Lam Tooro.
79 Selon M. Delafosse (in S.A. Soh 1913) : « Si, comme le rapportent certaines traditions, la
résidence des chefs Dya Ogo était le village d'Ogo, on pourrait traduire Dya Ogo par les Dyah
de Ogo, ou les chefs de Ogo. »
133
Abdourahmane Ba
Ogo. Jaa Ogo rappellerait alors un des attributs du souverain de Ghana :
kayamagan, le « maître de l'or »80.
Ces deux lectures ne sont pas exclusives du reste et permettent d'avancer
une hypothèse sur les fondements du pouvoir des Jaa Ogo. En effet, il est
fort probable qu'avec la pression démographique, il se soit produit des
conflits d'intérêts autour de la terre [comme on l’a vu plus haut], nécessitant
l'intervention d'un arbitre. Nous pensons que dans pareils cas, l'arbitrage
peut revenir à celui qui est capable d'imposer sa volonté par la force. Ici, les
détenteurs du fer sont les mieux placés.
Les Jaa Ogo seraient donc les maîtres de l'État forgeron. L'emploi du
concept d'État, ici, ne manquera pas de choquer les chercheurs eurocentristes pour qui l'État-nation moderne est un modèle (Mutuza 1978 :10,
Person 1981). Il en va de même des chercheurs, dont le point de vue
participe de l'imagerie du bon sauvage, née en Europe au XVIIIe siècle,
épanouie avec le romantisme du XIXe siècle et reprise par une certaine
idéologie nationaliste africaine (Coquery Vidrovitch 1981b : 2). Loin de
nous l'idée de nier la spécificité et la diversité des formes d'expression du
pouvoir politique. Les ressortissants des pays dominés qui vivent dans les
démocraties bourgeoises ne nous le pardonneraient pas. En revanche si l'État
esclavagiste, l'État féodal, l'État bourgeois libéral, l'État fasciste sont si
différents en apparence, ils retrouvent leur unité quelque part. C'est ce lieu
qu'il faut saisir, l'essence d'abord, la forme après. L'État apparaît, selon
Engel81, dès qu'il y a nécessité d'arbitrage :
« Il est le produit de la société à un stade déterminé de son développement, il
est l'aveu que cette société s'empêtre dans une insoluble contradiction avec
elle-même, s'étant scindée en oppositions inconciliables, qu'elle est
impuissante à conjurer (...). Ce pouvoir né de la société mais qui se place audessus d'elle et lui devient de plus en plus étranger, c'est l'État. »
Ce niveau de développement est atteint par le Takrur des Jaa Ogo.
Produit de l'histoire, l'État revêt des formes et utilise des stratégies
idéologiques différentes. L'État traditionnel ouest-africain, dont relève le
pouvoir des Jaa Ogo, en est une illustration. Les communautés ouestafricaines semblent avoir répondu à cette époque à un modèle de distinction,
de hiérarchie, et de complémentarité et tirent de cette complémentarité leur
reproduction en tant que groupe : le paysan, qui n'a pas le droit de travailler
le fer, a besoin du forgeron qui, ne pouvant travailler la terre, attend sa
nourriture du paysan.
80 Il semble, sans qu'on puisse le vérifier pour l'instant, qu'il y ait un rapport entre Jaa Ogo et
Joogomay : « maître du fleuve », kayamagan, maître de l'or, est donné par M. Kati (1913 :
75). Adama Gnokane [professeur à l’Université de Nouakchott] fait remarquer qu’il existe
encore beaucoup de titres coutumiers commençant par Jaa : Jaa-fodo, Jaa-xétéré, Jaa-Ndoogu,
Jaa-wirnde.
81 F. Engels, L'origine de la famille, de la propriété privée et de 1'État, 1973 : 178.
134
Le Takrur historique et l’héritage du Fuuta Tooro
La plupart des mythes de fondation de communautés montrent que des
individus semblables ne peuvent pas fonder la société politique, et qu'ils
doivent au préalable se différencier pour se rendre indispensables les uns aux
autres. Cette logique lie les pouvoirs, des pouvoirs de natures différentes
hiérarchisés et interdépendants (Alliot 1981 : 95-96). Il s'agit d'un État
différentiel qui, non seulement tolère, mais suscite et institutionnalise la
différence. État pluri-ethnique, pluri-lingue et de grande tolérance religieuse.
L'État unitaire ne relève pas de la panoplie des pratiques et théories
politiques ouest-africaines, avant l’irruption de l'influence islamique et arabe
ou européenne82.
La période politique des Manna [Xe-XIVe siècles83]
Nous allons essayer, en nous appuyant sur les témoignages oraux et les
sources arabes, de définir l'appartenance nationale [ethnique] de la dynastie
des Manna. Selon Soh (1913 : 19), le fondateur de la dynastie Musa, plus
connu sous le nom de Manna, venait de Mina. Il envahit le Fuuta et tua le
dernier prince Jaa Ogo. Dans son exode, il habita d'abord au nord du fleuve,
à Dalol (dans les environs du Hausa), à Magama, près de Kumballi, dans les
localités du Booseya, des Hebbiyabe et des Yirlaabe, situées au nord du
fleuve. Ensuite, il habita dans le Ngadyak au sud du fleuve, avant de se
rendre maître du Fuuta Tooro. Les souverains Manna portaient le patronyme
Bah.
Nous n'avons pas réussi à identifier Mina84, mais cela semble de peu
d'intérêt dans la mesure où, dans l'optique de Soh, les six migrations qui
peuplèrent le Fuuta Tooro étaient toutes originaires d'Égypte. Par contre, les
localités du Booseya et du Yirlaabe-HebbiyaaBe sont des provinces du Fuuta
central, à cheval sur la Mauritanie et le Sénégal actuels. Quant au Dalol, « il
est probable que ce fameux Dalol d'où proviennent tant de Peul était tout
simplement celui que le capitaine Aubert à traversé et qui porte encore le
nom de Tourmiss ou Termes. » Par ailleurs, le chroniqueur a avoué à
H. Gaden tenir de son père « que le premier chef du Termes a été Manna85 ».
Selon M. Delafosse (in Soh, 1913 : 176) :
82 Selon P. Diagne (1981 : 54) : « Lat Joor est incapable non pas d'unifier militairement
l'espace politique de l'ancien Jolof qu'il arrive à conquérir, mais de concevoir le droit légitime
d'y imposer un pouvoir unique. »
83 [Ba 2002 : 97-101, extraits choisis. NDE].
84 Mina, semble-t-il, est une localité voisine de la Mecque, près de laquelle se trouve la
célèbre colline d'Al-Aqaba. Delafosse pense que S.A. Soh en fait le pays d'origine de Manna à
cause de l'homophonie entre Manna et Mina. Pour notre part, nous pensons y déceler une
volonté souvent présente chez les populations musulmanes de se rattacher à la Mecque.
85 Gaden H., Manuscrits IFAN, Cahier n° 10.
135
Abdourahmane Ba
« On peut avec quelque raison l'identifier (Manna) avec la dynastie Soninké
appartenant au clan des Niakhate, lequel a pour correspondant en peul le clan
Bah, auquel, selon les chroniqueurs, appartenait Manna. »
Le souverain takruri War Jaabi (m. 1040 ?)
D'un autre côté, M. Sarr (1976 : 85-86) affirme que parmi les « grandes
familles qui quittèrent le Ghana pour se fixer au Takrur, figuraient les
Bathily et les Jaabe ». Nous nous proposons de rapprocher cette famille
Jaabe (Maghan Diabe) de l'énigmatique souverain takruri War Jaabi. À notre
connaissance, aucune source orale (en tout cas pas celles du Fuuta) n'a
retenu le nom de ce personnage. C'est à Al-Bakri que nous devons la
première mention que nous en avons. Il écrit notamment que le Takrur
devint musulman aux temps de War Jaabi, mort en 1040. L'information sera
reprise plus tard par Al-Idrisi et bien d'autres compilateurs. S'il fallait lire AlBakri à la lettre, notre hypothèse s'en trouverait affaiblie par un certain
décalage chronologique, dans la mesure où l'exode de grandes familles Jaabe
se situe aux environs des IXe et Xe siècles. Cependant, l'on sait que nombre
d'informations fournies par Al-Bakri au XIe siècle remontent en réalité au
Xe siècle (Lewicki 1965 : 9-14). En outre, pour des périodes et des espaces
aussi lointains, la chronologie, dût-elle être fixée en des textes auréolés par
la mystique de l'écrit, n'en demeure pas moins approximative.
Qui plus est, on notera que si War Jaabi meurt en 1040, la dynastie, quant
à elle, arrive au pouvoir au plus tard dans la deuxième moitié du Xe siècle,
car Al-Bakri a retenu le nom du père de War Jaabi : Rabis. Ainsi en 1040,
nous sommes déjà au bout d'au moins deux générations de souverains Jaabi.
Si nous observons la pratique généralement admise d'attribuer de manière
théorique une trentaine d'années à chaque génération, il apparaît que la
dynastie arrive au pouvoir au plus tard en 980 (Boulègue 1966). On a pu,
avec une légèreté certaine, écrire que War Jaabi est probablement un znagî
car la plupart des noms berbères commencent par Wer ou War. L'auteur [AlBakri ?] part de l'hypothèse selon laquelle le Takrur islamisé 35 ans avant
Ghana n'a pu l'être que par le biais des Zenagh [Aznâga]. L'hypothèse de
l'islamisation du Takrur par les Sanhaja est fort intéressante et même
plausible, mais n'indique en rien que le relais local (Takruri) appartienne au
groupe Sanhaja. D'autre part, l'on sait que W. Cooley connaît très peu
l'histoire du Takrur qu'il confond avec Zaghai sur le Niger, un peu au nord
de Jenné86.
Du texte d'Al-Bakri, nous retiendrons que l'auteur associe l'islamisation
du Takrur à War Jaabi, or les commerçants soninké constituent un relais
local de l'islam berbère. À l'appui de cette thèse, l'on peut évoquer le point
de vue de P. Diagne (1967 : 4). Le linguiste sénégalais estime que War Jaabi
est soninké ; en effet : « il a un nom à consonance sarakhoulé, et son nom
86 Cooley W. D., 1966 : 97-98.
136
Le Takrur historique et l’héritage du Fuuta Tooro
Ndiaye (patronyme) serait probablement un titre qu'il portait, comme le
faisaient les gens du Ngoye jusqu'à une époque encore récente ».
Les Manna et le commerce à longue distance
L’État mannankobe est l'expression politique et idéologique de la place
prépondérante qu'occupent les commerçants dans la société du Takrur. Ce
groupe socio-professionnel apparaît très tôt grâce aux échanges interrégionaux, mais ne se cristallise en classe dominante qu'avec l'apparition du
commerce transsaharien ; son importance devient manifeste dans la
deuxième moitié du XIe siècle. Avec le mouvement almoravide, le Takrur
devient, et ce pour la première fois de son histoire, l’un des principaux
débouchés du commerce transsaharien. En dehors des sources
traditionnellement utilisées, une lecture graphique des textes arabes nous en
donne une idée très précise. Les textes arabes relatifs à l'histoire du Soudan
occidental depuis les IXe et Xe siècles, appartiennent tous au genre des
masalik wal mamalik, dont l'attention accordée aux itinéraires est une des
caractéristiques principales. Cela tient à plusieurs choses.
D'abord la géographie arabe est le reflet des préoccupations de la société
matrice87. La civilisation qui voit naître les masalik est fondamentalement
commerçante et urbaine (malgré la crise qui la frappe), mais connaît une
nouveauté. Désormais la grande route maritime de l'Inde et de la Chine perd
de son importance, minée par l'anarchie et la misère en Mésopotamie,
l'affaiblissement de l'économie marchande, et la piraterie (aux IXe et
Xe siècles), et surtout les vicissitudes de la Chine au IXe siècle. L'intérêt des
marchands se porte alors au Xe siècle sur les voies terrestres, et avant tout,
vers celles de l'or et des esclaves du Soudan, de la côte orientale de l'Europe
centrale et orientale.
La géographie des masalik est d'abord celle du commerçant. Elle naît à
une époque où, même si le syndrome de la mamlaka persiste avec force, la
réalité traduit de profonds déchirements dans l'empire. Siècle de tensions
économiques, sociales, religieuses, dynastiques, éthiques, où le mouvement
chiite s'amplifie et va donner tout son sens à la confrontation AbbassidesFatimides ; où l'Égypte Fatimide, l'Espagne Umayyade, le Hurâzan
Samanide, les multiples principautés locales et Bagdad (où le pouvoir
prétorien est consacré en 334/345 par le protectorat buyide) brisent l'unité
87 Selon Y. Fall (1982 : 27) : « Le phénomène cartographique, à travers ses différentes
manifestations présentes ou passées, est moins une vedette de l'histoire générale qu'un
réceptacle devant permettre la recherche et la constatation directe des différentes
préoccupations, des besoins culturels, des mythes et des phantasmes collectifs ; des
pesanteurs matérielles et idéologiques ainsi que de leur enchevêtrement dans une société
donnée. »
137
Abdourahmane Ba
politique. Dans ce cadre, la connaissance et la maîtrise des itinéraires
conduisant à l'or et aux esclaves deviennent un enjeu de taille88.
Les masalik sont aussi héritiers de la tradition du voyage qui caractérise
l'iyan, selon Miquel (1967 : 278), « la systématisation de l'enregistrement de
la chose vue, fiévreusement menée, si constant qu'il laisse loin derrière toutes
les ébauches antérieures. » Les auteurs porteront cette curiosité au-delà de
l'échelon limité de la province. Ils ne cessent de le dire « pour être géographe,
il faut d'abord prendre le bâton du voyageur ». La géographie des masalik est
celle du piéton et du missionnaire. Enfin, les conditions physiques de la
traversée du désert, où toute improvisation risquait d'être fatale, expliquent
aussi le soin mis par les chroniqueurs arabes à décrire les itinéraires.
Les Manna et les Almoravides : le rôle politique des Africains89
L'histoire de la frange méridionale de l'empire almoravide a depuis trop
longtemps été négligée par les chercheurs. À cela plusieurs raisons. La place
prépondérante de la direction berbère a pu occulter aux yeux de certains le
rôle tenu par les Africains en général et ceux du Takrur en particulier. Dans
la présentation qu'il fait des troupes almoravides, A. Laroui (1976 : 150) fait
fi des hommes du Soudan occidental ; il écrit :
« L'armée qui est à la base de l'État est formée de contingents de provenances
diverses, de valeur et de prestige inégaux ; le fond reste constitué par les
Lamtuna, Goddala, Lamta, auxquels se sont adjoints des auxiliaires levés sur
les populations du Maroc du Sud (Jazula et Masmuda) et ce qui reste des
armées des princes zanatiens vaincus. Plus tard ils seront renforcés par des
mercenaires turcs (ghuzz) et même des chrétiens. »
La fascination de la frange maghrébine apparaît chez le même auteur
lorsqu'il analyse la source d'inspiration religieuse des Almoravides. Il est
convaincu que le contact des Africains a altéré l'islam berbère (Laroui 1976 :
146). On peut saluer chez A. Laroui sa tentative de réhabiliter le Maghreb
face à l'orientalisme classique90, mais en revanche, sa réaction nationaliste
[ethnocentrique] le situe d'emblée sur le même axe unilatéral et le conduit à
négliger, voire ignorer, les autres composantes du mouvement. Certains
chercheurs ont été amenés à privilégier la frange septentrionale en se fondant
sur le fait que, très tôt, la dynastie semble s'être désintéressée du Soudan.
88 Pour A. Miquel (1967-75 : 148) : « Le Soudan émerge dans la connaissance musulmane
pour des raisons essentiellement commerçantes qui ont pour nom routes du sel, de l'or, des
esclaves et ce sont d'abord ces préoccupations que les auteurs traduisent dans leurs notes. »
89 [Ba 2002 : 109-122, sélection de passages. Nous avons choisi d’écrire « Africains » à la
place de « Noirs », terme construit socialement et trop connoté. NDE].
90 Selon Laraoui (1976 : 144) : « Les sources écrites sont assez nombreuses, mais elles sont
toutes centrées sur le rôle qu'elle (la dynastie) a joué en Andalousie dans la lutte contre les
Castillans, de telle manière qu'elle apparaît très rapidement plus Andalouse que
Maghrébine. »
138
Le Takrur historique et l’héritage du Fuuta Tooro
D'une part, il n'y aurait pas eu de véritable impact religieux des Almoravides
sur les Africains et, d'autre part, quand, entre 1053 et 1056, l'essentiel de la
dynastie quitte le Soudan, ce serait pour toujours (Moraes Farias 1967 : 800).
Pourtant le rôle des Takruri dans la geste almoravide nous semble évident, et
peut être établi grâce à une analyse globale du mouvement et à la lecture de
certains textes91.
Carte 5. Expansion des Almoravides à partir de Marrakesh (Wikipedia)
[En outre] la controverse se poursuit encore, qui oppose les partisans d'un
commerce transsaharien fort ancien, remontant au début de notre ère, voire
aux époques carthaginoise et romaine, et, d'autre part, les partisans d'un
commerce plus récent. Les arguments n'ont pas manqué pour la première
thèse. Les expéditions des Carthaginois, celles des Romains de même que
celles des Arabes à l'époque de « la première grandeur de l'islam », la
diffusion du chameau et l'existence des « routes des chars » permettent de
supposer que l'or du sud était connu et peut-être déjà l'objet des convoitises
des pays du pourtour méditerranéen. Les échanges transsahariens ont existé
bien avant le Xe siècle. Ce qui est en cause c'est la nature de ces échanges.
À partir de la deuxième moitié du Xe siècle, le Soudan occidental entre de
plain-pied dans l'économie de la Méditerranée. [C’est à ce moment-là que la
91 [On rappellera l’importance des travaux de Paulo de Moraes Farias sur les Almoravides,
dont son article de 1967 qui fait toujours autorité (« The Almoravids : Some questions
concerning the character of the movement during its periods of closest contact with the
Western Sahara, BIFAN, XX, B, 3-4 : 794-878). NDE].
139
Abdourahmane Ba
frappe de la monnaie devient la règle générale. Le nouveau rôle de l’or dans
l’économie musulmane est illustré par la numismatique, en particulier les
monnaies frappées par les dynasties rivales des Fatimides d’Ifriqiya et des
Ummayades d’Espagne]. Du coup, autant les débouchés septentrionaux, les
ports méridionaux, que les axes qui les unissent, deviennent des enjeux de
taille dans les nombreux conflits qui divisent le monde musulman. C'est dans
ce cadre, pensons-nous, qu'il faut situer les conflits qui opposent Ghana aux
Almoravides.
Tandis qu'au nord, le Maghreb tente de s'unifier à travers l'expérience
Fatimide et Ziride, au sud, les nombreuses qabâ’il [groupes unis par la
parenté] nomades à la lisière du monde noir connaissent des mutations
socio-économiques et politiques. Cette partie du Sahara était depuis
longtemps (IVe-VIIe siècles) parcourue par les grands nomades chameliers,
les Sanhaja, dont l'importance économique dans les siècles antérieurs aux
Xe-XIe siècles reste encore à étudier. Habitués de ces étendues désertiques,
dont les rigueurs climatiques et les secrets sont là pour décourager tout
aventurisme, ils sont vite apparus comme les intermédiaires indispensables
de tout contact entre le nord et le sud.
Cependant, rien ne s'oppose à ce que les Takruri aient effectivement
représenté un élément militaire considérable au sein du mouvement
almoravide. Dans une thèse défendue en 1982, A. Courteaux soutient que
« chez les Almoravides, les Africains jouent un rôle déterminant dans la
conquête de l'Espagne, tant comme esclaves que comme guerriers ». Il est
vrai que la présence des Africains dans le Sud espagnol est fort ancienne et
que le statut d'esclave enlève quelque peu sa consistance à l'hypothèse d'une
alliance Almoravides/Takruri. Cependant, si les autres dynasties (antérieures
ou postérieures) ont dû s'en remettre au trafic négrier pour renforcer leurs
troupes, les Almoravides, du fait de leur origine ouest-africaine, n'étaient pas
soumis aux mêmes contraintes. En outre, n'y a-t-il pas lieu de nuancer le
crédit accordé aux sources écrites, sur cette question ? L'ancienneté de la
traite négrière (arabe et européenne) a contribué à créer un stéréotype trop
souvent pris pour réalité, celui du Noir-esclave.
La présence dans l'aristocratie de nombreux métis de même que la liberté
de mouvements des Africains doivent nous mettre la puce à l'oreille. Ibn
Abdun, chargé sous le règne d'Al-Mutamid (1066), de la police de Séville, se
croit obligé de « prescrire aux passeurs qui assurent la traversée du fleuve
Guadalquivir aux différents embarcadères de ne pas prendre à leur bord des
nègres ou des domestiques berbères connus pour leurs rapines, qui
s'approchent des propriétés privées aux heures de canicule et y mangent des
fruits. » (Levi-Provençal 1947). D'autre part, le port du voile, signe distinctif
des Almoravides, par les Africains, devait être pratique relativement
140
Le Takrur historique et l’héritage du Fuuta Tooro
courante, pour que le préfet de police s'érige contre. Or, comment imaginer
que des esclaves aient eu accès à ce qui faisait la fierté des Almoravides92 ?
Les Almoravides au Takrur : la réécriture de l’histoire93
Les traditions wolof, sereer, soninké et fuutanke font état d'étroites
relations entre les Almoravides et les populations de la vallée. De l'avis des
chroniqueurs sereer, c'est un des leurs qui tua Abu Bakr. Nous savons
qu'Abu Bakr est mort en 1087 dans le Tagant94, mais ce texte garde tout son
intérêt et doit être interprété comme le témoignage quelque peu symbolique
d'une relation conflictuelle avec les Almoravides. Ce contact s'est effectué
sur les rives du Sénégal. En effet, les textes indiquent qu'après la destruction
de Ghana, les Almoravides se mirent à chasser les Noirs vers l'ouest. C'est
alors qu'arrivé sur les rives du Sénégal, le chef de la troupe, un vieil aveugle
sereer, se retourna et tira une flèche sur Abu Bakr. Le chef almoravide blessé
s'en retourna mourir au Tagant. En dépit de quelques variantes mineures, les
traditions du Waalo95 reprennent la même histoire : Abu Bakr, touché à
Kelow, près du lac Kajoor, serait mort à Chinguetti, dans l'Adrâr de la
Mauritanie actuelle.
Il convient de faire deux remarques à ce sujet. La première concerne la
ressemblance entre les circonstances de la mort d'Abu Bakr et celle de l'iman
Al-Hadrami, comme la restituent les traditions bidân. D'après celles-ci,
l'imam fut abattu aux portes de Madinat Al-Kilab, par un archer sereer.
L'homme qui avait perdu l'usage de ses yeux et qui avait compris que les
chiens seraient incapables d'arrêter l'imam, avait alors demandé à sa fille de
guider son arme. L'imam blessé fut, selon certaines sources, englouti par la
terre, d'autres disent qu'il fut conduit par son cheval vers un lieu inconnu, et
d'autres enfin situent sa sépulture dans la passe de N'Tarazi. [Le chercheur
mauritanien] A. ould El-Bah (1982) a cru comprendre que la convergence
entre les traditions s'explique par la volonté des chroniqueurs bidân
d'idéaliser les deux personnages. [En effet, d’après lui] :
« Si on le fait tuer [l’imam] par un archer aveugle ou par des femmes c'est
que ceux-ci sont armés par Dieu. Un homme valide, un combattant ne
92 H.T. Norris 1978 : 43 écrit : « The true litham was (…) the exclusive privilege of the
Saharan elite and more particularly of the Lamtuna and the Lamta (...) The veiling of the face
was the distinctive mark of the ruling Almoravids. »
93 [Ba 2002 : 115-118. NDE].
94 Paulo de Moraes Farias (1967 : 849) montre qu'outre les textes d'Ibn Abi Zar (Rabat :
1972 : 135) et d'Ibn Khaldun (Beyrouth, t. 4 : 26), qui donnent respectivement 480 et 468, la
numismatique de Sijilmasa permet de fixer le mort d'Abu Bakr à 1087. À partir de cette date,
en effet, les monnaies sont frappées au nom de Yusuf b. Tashffin.
95 A. Wade 1964 : 454-455. Y. Dyao (1912 : 128), dit que « Boubakar ibn Amar ou Abou
Darday est mort à M'Boumba (…) de la maladie qui l'y avait atteint. »
141
Abdourahmane Ba
pourrait pas le tuer (…). Ce sera la même chose pour Abu Bakr Ben Omar. »
(Bah 1982 : 51).
Cette explication nous semble bien insuffisante. Il faudrait plutôt rappeler
que dans les traditions, les biographies d'Al-Hadrami et celle d'Abu Bakr se
croisent et se chevauchent plusieurs fois. Par ailleurs, outre la volonté
délibérée de réécrire l'histoire, les chroniqueurs ont pu être induits en erreur
à la fois par la difficulté de suivre l'itinéraire de l'imam et surtout par le fait
qu'il s'appelait aussi Abu-Bakri96. La deuxième remarque est relative à la
convergence entre les circonstances de la mort d'Abu-Bakr et celle d'Abu
Darday, telles que les restituent les sources orales fuutanke. Lesdites sources
n'ont pas retenu le souvenir de l'imam Al-Hadrami, mais gardent par contre
des traditions très vivaces sur un certain Abu-Darday.
Chef religieux et homme de guerre, Abu Darday, un bidânî97, guerroyait
contre les populations noires du fleuve. Un jour qu'il progressait de Guédé
vers Bakel, il fut blessé par un archer aveugle. Pour respecter une volonté
qu'il avait jadis exprimée, ses compagnons laissèrent son cheval le conduire
à l'endroit qui devait être sa sépulture. Le sort voulut que ce fut CubbaloM'Bumba. Ce récit nous fut raconté sur les lieux mêmes et nos informateurs,
une assemblée d'anciens, nous ont indiqué un tertre près de la vallée fossile
de Tokoror, où, dirent-ils, fut enterré Abu Darday. Or Abu Darday n'est
autre qu'Abu Bakr, mais certainement pas le compagnon de l'imam Al
Hadrami.
En effet, les traditions des Wolof et des Fuutanke établissent des liens de
parenté entre ces derniers et les Almoravides. Longtemps considérés comme
des affabulations légendaires sans grand intérêt98, ces témoignages prennent
un relief nouveau depuis l'étude fort bien menée que V. Bomba consacra à
Njaajan Njaay99. La plupart des traditions wolof présentent l'ancêtre
96 On consultera avec intérêt, outre les travaux de Norris et de P. de Moraes Farias,
l'importante mise au point d'Abdel Wedoud ould Cheikh et B. Saison, 1983.
97 Quelque part dans le sud mauritanien s'est établie une frontière entre le Trab Al-Bidân et le
Bilad es-Sudan, entre le monde arabo-berbère et le monde négro-africain. Dans les traditions,
au sud de cette ligne, il n'est pas rare de trouver le terme « bidan » pour désigner les araboberbères. [Nous avons choisi d’écrire « bidân/bidânî » à la place du terme colonial
« Maures/Maure ». Le terme « bidân » a deux sens, le premier est un ethnoterme qui désigne
« ceux qui parlent hassaniyya » (Bidân), et le second sens (bidân) est statutaire et désigne les
« personnes libres ». NDE].
98 Nous avons séjourné à M'Bumba pendant près d'une dizaine de jours au cours desquels
nous avons traversé trois fois le fleuve pour passer la journée à Cubbalo M'Bumba. Le
village, de petite taille, est habité par la même famille de pêcheurs, celle de M. Diouf. En
dehors des différents entretiens informels que nous y avons eus, nous avons participé à une
sorte de veillée au cours de laquelle le chef de famille, entouré de plusieurs vieux, nous a
conté avec force précautions, ce qu'ils avaient retenu de l'histoire du village. Nous signalons
que les Diouf sont des Cubbalo.
99 Bomba, in Y. Dyao (1912 : 128) : « Reprenons la légende d'Ahmadou, écrit H. Gaden,
légende fabuleuse, mais que cependant les Ouolof tiennent pour vraie. » [Voir Bomba 1977].
142
Le Takrur historique et l’héritage du Fuuta Tooro
éponyme des Njaay et fondateur de l'empire du Jolof, comme le fils d'Abu
Bakr ibn Umar. Dyiao (1912 : 126-127) écrit :
« Vers l'an 1200 parut à nos ancêtres sénégalais au bord de notre fleuve le
Sénégal, un vénérable religieux musulman du nom de Boubacar-ibn-Amar
appelé aussi Abou Dardaî (...) pendant un de ses voyages, il convertit le Lam
Toro Abrann. Le Lam Toro lui donna en mariage sa fille Fatima Sall qui le
rendit père d'un homme nommé Ahmadou (...) appelé ensuite Ndyadiane
N'Diaye. »
[Cependant] Njaajan n'est assurément pas le fils du conquérant berbère
mort en 1087. Certaines traditions wolof, au demeurant, le montrent assez
clairement, et laissent entendre qu'il y eut deux Abu Bakr100. Dans la
généalogie du matrilignage Loggar le nom d'Abu Bakr, père d'Aram Bakar,
ancêtre des Loggar est suivi de la mention « sixième khalif ».
Mais qu'en est-il des traditions des Bidân ? On peut établir une
cartographie relativement satisfaisante des sources orales bidân, relatives
aux Almoravides. Le pays de la tradition almoravide se situe à l'ouest d'une
ligne nord/sud qui passe entre Atar et Chingetti, pour rejoindre le Haut
Sénégal à l'est du Gidimaxa [Guidimakha] ; avec, comme foyers, l'ouest de
l'Adrâr (le baten), la gebla (le Trarza et le Brakna), le Waalo mauritanien et
le Gidimaxa. Dans tout le reste de la Mauritanie, on constate un silence total
sur les Almoravides (Bah 1982 : 5). Il semble qu'une vieille tradition
historiographique écrite et orale dans le gebla, une participation privilégiée
au mouvement dans l'Adrâr, et une forte personnalité ethno-culturelle (dans
le Waalo et le Gidimaxa), ajoutée à la volonté de se rattacher aux illustres
Almoravides « arabes », expliquent la situation de la partie ouest du pays.
Cependant qu'à l'est [sharg], les populations, dont l'implantation récente et
l'origine arabe sont reconnues par tous, n'ont besoin d'aucune légitimation101.
L'histoire servant surtout à cela, on comprend que ces populations ne se
soucient point des Almoravides (Bah 1982 : 4-12). Contrairement à ce que
pense Bah, le souvenir des Almoravides se poursuit au-delà de la disparition
d'Abu Bakr et de l'imam Al-Hadrami102. L'on sait comment les sources
orales et les sources écrites se nourrissent mutuellement dans les pays où la
tradition de l'écriture remonte à plus d'un siècle. Nous en voulons pour
100 Selon Y. Dyao (1912 : 126-27) : « Ce marabout auquel la tradition attribue (d'être)
l'auteur de 1'introduction et prêcheur primitif de l'islam dans nos contrées est aussi, d'après
elle, descendant direct de son homonyme. »
101 [La thèse de Mariella Villasante (EHESS, 1995, citée dans le Chapitre 11), centrée sur
l’Assaba, confirme cette proposition ; dans le sharg mauritanien la geste almoravide, ainsi
que Sharbubba, sont mal connues dans les traditions orales des populations. NDE].
102 D’après Bah (1982 : 47) : Après la mort d'Abou Bakr on n'entend plus parler des
Mourabitouns. (…) Après l'imam El Hadrami et Abou Bakr, c'est le vide. » Cette conclusion
nous surprend et nous pose problème de la part d'un chercheur qui, outre sa connaissance
empirique d'un pays où il vit, a eu le privilège de fréquenter des bibliothèques et des archives
privées.
143
Abdourahmane Ba
preuve les textes bidân traduits par H. T. Norris [1972, 1978]. Les
manuscrits disparus de Yoro Dyao, les manuscrits en caractères arabes, que
nous avons vus au Fuuta et qui représentent une variante des chroniques de
Sire Abbas Soh, nous pensons surtout à l'œuvre monumentale de Cheikh
Musa Kamara où s'étalent à travers une érudition fantastique des
informations puisées tant dans les récits du terroir que dans les textes arabomusulmans103. Il apparaît ainsi qu'au sud, la dynastie survécut à la disparition
d'Abu Bakr.
Fig. 8. Carte postale, Bidân de la région de Mbout (Gorgol), début du XXe siècle
[Selon la tradition recueillie par] Cheikh [sans date] sur le personnage
« Cheikh Muhammad M'Barak Al-Lamtuni »104, [il] composa une ode pour
les Almoravides au XIXe siècle, la succession d'Abu Bakr fut assurée par son
fils Muhammad. Après que Muhammad fut déposé, le pouvoir revint à AlKhadir Al-Lamtuni, fils de Yusuf ben Tashffin. Il régna 60 ans sur tout le
Sahara, avant d'être remplacé par son fils Al-Bushara qui régna pendant
30 ans. Puis le pouvoir revint durant 20 ans à son fils Badi surnommé Innah.
Amar, son fils, lui succéda pendant 40 ans, avant de passer le pouvoir à
Muhammad Al Bambari Al-Lamtuni. Au bout de 10 ans, ce dernier abdiqua
et à la suite de désastres et de guerres, les Lamtuna se divisèrent en quatre
103 Norris 1972, Dyao 1912, Djennedi 1977 et 1983.
104 Cheikh [sans référence] remarque que le très énigmatique texte de Cheikh Muhammad
M'barak Al-Lamtuni n’est étayé par aucune tradition orale ou écrite autre que celle qu’il
rapporte. [Voir U. Rebstock, Maurische Literatur Geschichte, 2001. Référence ajoutée en
2002. NDE].
144
Le Takrur historique et l’héritage du Fuuta Tooro
factions avec chacune son chef. L'une des factions était dirigée par Ahmad,
fils du sixième Khalif Muhammad Al-Bambari (Norris 1972 : 112-114).
Le texte, on l'aura constaté, ne donne pas la durée du règne du deuxième
Khalif. Nous pourrions la fixer à 30 ans, âge théorique d'une génération,
mais, puisque Muhammad fut déposé, on peut aussi estimer que son règne
dura moins. On se limitera alors à noter que Muhammad Al-Bambari, le
sixième Khalif, dont le nom indique sans conteste l'origine négro-africaine,
régna entre 1237 et 1267, tandis que son fils Ahmad fut à la tête de l'une des
quatre factions, entre 1247 et 1277 environ. On peut aussi de manière
théorique, en faisant fi des durées de règne fournies par Muhammad
M'Barak Al-Lamtuni estimer chaque règne à 30 ans. Ce qui nous conduit à
1267 pour Muhammad Al-Bambari et 1297 pour son fils Njaajan.
Nous savons par ailleurs que Njaajan Njaay, encore appelé Ahmadou
(Dyao 1912 : 128), altération de Muhammad, ou encore Ahmad, a vécu
probablement à la charnière des XIIIe et XIVe siècles105. Dès lors n'est-il pas
permis de penser que le fondateur de l'État wolof, dit fils d'Abu Darday, n'est
autre qu’Ahmad fils de Muhammad Al-Bambari ? Un fait vient renforcer
cette hypothèse : le lion est l'animal associé aux Njaay ; « gaïnde njaay » a-ton coutume de dire. Alors que selon Muhammad M'Barak « the Lamtuna of
Mauritania are descended from Jakir-al-Abarr the lion of the Lamtuna. »
(Norris 1972).
Si nous avons établi avec quelque vraisemblance que l'ancêtre des Wolof
descend par son père des Almoravides, nous avons par la même occasion fait
la preuve qu'il existe une solide alliance entre ceux-ci et le Takrur. En effet,
la mère de Njaajan n'est autre que Fatimata Sall, la fille du Lam Tooro. Nous
savons que la stratégie matrimoniale est une pratique très courante et
souvent efficace dans la région. Les traditions sont précises, qui indiquent le
lieu de cette alliance. Selon Y. Dyao, « ceci se passait à Gallat, village de la
rive gauche voisin de Bakel et qui était alors la capitale du Lam Toro. »
(Dyao 1912 : 129). Nous ne possédons pas la généalogie de Fatimata Sall,
mais P. Diagne [sans date] suggère, sans qu'on puisse le vérifier, que le
prince Takruri qui participe à l'expédition de Tabfarilla, avait pour prénom
Lebbi comme l'enseigne Al-Bakri et pour nom Sall. L'on peut en déduire que
Lebbi Sall, premier allié des Almoravides, est l'ascendant de Fatima Sall et,
que de 1056 à 1267-1297, la dynastie est restée proche des Almoravides. À
la mort d'Aram Bakar, fille d'Abu Dardaî et d'une femme arabe (sic)
(Myriam), Souaiboun Ouahad épouse Kadiata, fille d'un chef ururbé de
Guédé (Ali Myriam). Faduma Yumeyga, fille d'Aram Bakar et de Souaiboun
Ouahad, épouse à son tour Isma, ardo des Peul Wadabe du Dimat et du
105 Le règne de Njaajan se situe entre 1186 et 1202 pour A. Wade, et 1212-1256 pour
Y. Dyao. B. Barry [1972 et 1981], quant à lui, propose 1349 et 1358. Voir la chronologie dans
la tradition orale du Waalo, in Africa Zamani, Yaoundé, n° 3, 1974.
145
Abdourahmane Ba
Waalo ! (Dyao 1912 : 127). On le voit, Y. Dyao établit la parenté des
Almoravides et des Peul du Takrur à travers trois générations106.
L’islamisation du Takrur107
L'islamisation [du Takrur] doit être appréhendée sous un double rapport :
soit comme le résultat d'une action ponctuelle, soit comme l'aboutissement
d'un processus lent, long et diffus. Il nous semble qu'il faut retenir la
deuxième hypothèse, qui suppose des conditions internes et externes
précises. En effet, il existe dans le voisinage du Takrur des populations
acquises à l'islam bien avant le XIe siècle. Au nord, les Berbères Goddala et
Lemtuna ont pu être le véhicule de l'islam au Takrur.
L’avènement des Tondjon108 [XIVe-XVe siècles]
Les sources arabes ne nous apprennent pas grand-chose sur la fin de la
dynastie Manna. Al-Idrisi, notre principal informateur, s'en tient à la période
faste, tandis qu'Al-Umari arrive trop tard pour parler de cette province
extrême-occidentale de l'empire du Mali. Les sources orales par contre
relatent la fin du dernier souverain Manna, avec force détails, qu'il convient
d'analyser. Nous avons recueilli à M'Bumba, dans la province du Laaw, un
récit, qui, tout en recoupant ceux déjà publiés109, les dépasse par sa richesse.
Les anciens du village nous ont appris que Manna Maxan était un prince
despotique sous le règne duquel le Fuuta (Takrur) vivait dans la misère et
l'insécurité. Manna Maxan et ses hommes ne respectaient aucune coutume et
se livraient à toutes sortes d'exactions sur les populations. Il avait coutume,
disent nos informateurs, de moissonner le mil avant qu'il ne soit à terme,
sous prétexte qu'en tant que souverain, il lui revenait de se servir avant les
autres. Un jour, le peuple n'en pouvant plus lui tendit un piège. Il fut
embarqué dans une pirogue et abandonné à la dérive. Ainsi prit fin le règne
du mauvais souverain. Ce récit est renforcé par les textes de S. A. Soh et une
tradition jadis consignée par H. Gaden110, dans les manuscrits qu'il légua à
1'IFAN :
« Manna fut noyé entre Horndoldé et Bappalel (…). Jusqu'à présent, quand
les enfants du Fouta se baignent et frappent l'eau pour s'amuser, ils crient
Wey Manna Yo Wey Manna yo. Puis quand ils jouent près des villages, ils
106 [Ba aborde ici « La question du fameux ribât almoravide », et il examine les apports de
Paulo de Moraes Farias et considère, avec ce dernier, que le ribât [refuge] était installé au
Takrur, et non pas sur l’Atlantique, ni sur l’embouchure du fleuve Sénégal ; voir Ba 2002 :
119-122. NDE].
107 [Pour plus de précisions, voir Ba 2002 : 122-125. NDE].
108 [Ba 2002 : 133-135, extraits choisis. NDE].
109 A M'Bumba, nous avons eu un entretien enregistré avec M. Pathé Wane.
110 Gaden H., Manuscrit I.F.A.N., Cahier N° 10 et Soh 1913 : 18 et 274.
146
Le Takrur historique et l’héritage du Fuuta Tooro
disent souvent : holto Koba nati ? Holto Kuyam nati ? Réponse : Nderdundu
(dans la forêt) parce qu’après que Manna ait été noyé, ce que rappelle leur
Wey Manna, ses parents Koba et Kuyam s'enfuirent dans la brousse. »
L'évocation de la fin de Manna apparaît à nos yeux comme l'expression
symbolique de la crise politique qui frappe le Takrur au XIIIe siècle. Nous
n'ignorons pas qu'un pouvoir autocratique n'est pas nécessairement un
pouvoir faible, dans la mesure où il peut toujours se maintenir en substituant
à l'idéologie de légitimation les appareils de répression. Mais lorsque la
remise en cause du pouvoir aboutit à la destitution et au meurtre du
souverain, on peut véritablement parler de crise politique, voire d'une remise
en cause de la légitimité du pouvoir. Par ailleurs, l'autorité des Manna s'est
considérablement affaiblie avant la fin de la dynastie. Les régions extrêmeorientale et occidentale échappent à son contrôle. La naissance du Djolof
peut d'ailleurs être appréciée dans cette perspective. La région où Njaajan
Njaay va construire le royaume Wolof appartient au Takrur. Selon Y. Dyao,
c'est sous Manna que la province du Gammalo devint indépendante. L'on
sait par ailleurs que le Gammalo appartient à Waalo, berceau de l'empire
Wolof. De même, selon les mêmes sources, la province du Dimat fait
allégeance au buurba Jolof, à la même époque (Dyao 1912 : 133).
La conquête de l’empire du Mali
Les traditions orales, comme les sources arabes, permettent d'établir que
le Takrur, au XIIIe siècle, fut victime de l'expansionnisme de l’empire du
Mali. Les traditions fuutankooBe font l'impasse sur cet épisode, et pour
cause. Même C. M. Kamara, dont le souci d'objectivité est fort remarquable,
n'échappe pas à la règle111. Les traditions extérieures, par contre, sont assez
explicites. Les textes manden recueillis par J. Vidal, en 1923 [sans
référence], à Kangaba, citent parmi les pays dépendants du Mali à la mort de
Soundiata [Sunjata112] : le Fuuta Tooro, Sankaran, le Wasulu, le Fuuta Jaloo,
la Haute Gambie. D. T. Niane (1977 : 35) confirme l'information lorsqu'il
donne le Fuuta Tooro comme marge occidentale de l'empire manden.
[Manden Duguba, ou Terre des Mandé, noyau historique de l’empire du
Mali, ses ressortissants se nomment Mandenka ou Maninka].
Les sources arabes confirment largement l'appartenance du Takrur au
Mali. Al-Umari, le premier, fournit une indication certes indirecte, mais
111 À propos de la conquête du Fuuta par le Jolof, Kamara (1975 : 794) écrit : « Les habitants
du Fouta ignorent cela (voire) le nient, n'en ayant pas pris connaissance, étant donné leur
ignorance prédominante en matière d'histoire et à cause de l'ancienneté de l'époque. »
112 [Sur Sunjata et le mansa Musa voir le très intéressant texte de Paulo de Moraes Farias,
Au-delà de l’opposition coloniale entre authenticité africaine et identité musulmane. L’œuvre
de Waa Kamisoko, barde moderne et critique du Mali, in M. Villasante (dir.), Colonisations
et héritages actuels au Sahara et au Sahel, L’Harmattan, 2007 (2 vol.), vol. II : 271-307. NDE].
147
Abdourahmane Ba
suffisante. Il rapporte une mise au point que lui fit mansa [souverain] Musa
lors de son voyage au Caire. En effet, on avait coutume, à cette époque,
d'appeler le Mali « Takrur » et « il (mansa Musa) en est froissé, écrit AlUmari, car le Takrur n'est que l'une des régions des peuples de son empire.
Le nom qu'il préfère est celui de Mali qui est la région la plus étendue de ses
États. » (Cuoq 1973 : 281). Dans un autre passage, il donne les limites de
l'empire manden : « Le Mali s'étendait jusqu'à Toura à l'ouest et comprenait
parmi ses provinces Takrur et Sanagana. » [De son côté], Jean Boulègue
(1968 : 44) nous invite, à juste titre, à lire Tooro pour Toura. Ibn Khaldun a
une acception totalement erronée des Takruri qu'il place à l'est113, mais il
nous apprend que l'empire du Mali s'étendait depuis l'Atlantique et Ghana à
l'ouest, et que « la ville de Silla, Takrur et Ghana appartiennent aujourd'hui
aux gens du Mali. » (Cuoq 1973 : 402).
Al-Kalashandi (m 1418) se trompe surement lorsqu'il affirme que Takrur
est la capitale du Mali, mais le moins qu'on puisse en tirer est l'appartenance
de cette ville à l'empire (Cuoq 1973 : 441-442). Au XVIe siècle, M. Kati
(1964 : 68-69) recueillit auprès d'Ibn el Moktar le témoignage suivant : « Le
pouvoir de l'Empereur s'étendait autrefois du Biton jusqu'à Fankâsso, et du
Kaniaga jusqu'à Singuilo, y compris le Fouta et le pays de Diara ainsi que
les Arabes qui s'y trouvent. » Il semble donc que la conquête du Takrur par
le Mali n'advient pas avant 1286114. [On a montré que] la prééminence des
Tondjon date de l'époque de Sakura, plus que de celle de Sunjata. Enfin,
toutes les sources manden s'accordent à attribuer la conquête sinon de la
Sénégambie, du moins celle du Djolof et de la Gambie, à Tiramagan Traore,
contemporain et général de Sunjata. Leur silence sur le Takrur nous semble
être la preuve que Soundiata ne vit pas la conquête de celui-ci.
L’origine des Tondjon : mythe de fondation manden115
Le mythe de fondation manden donne une idée précise sur l'origine des
Tondjon. Ce mythe, comme beaucoup d'autres, jette les bases de la
structuration sociale du pays des Mandé. Il établit et justifie les différentes
hiérarchies. Selon O. Konaré (1981 : 133) :
« La coutume qui a donné naissance aux structures sociales du Manden
daterait de l'époque de Sunjata (…). Après la bataille de Kirina en 1235,
Sunjata aurait fixé les droits et devoirs de tous les alliés réunis à KuruKantuga, près de Kaaba. La structure de la société manden n'aurait subi
aucune modification sensible depuis lors. »
113 Cooley (1970), le suit dans la même erreur.
114 Cuoq J., 1973 : 202. Voir aussi note n° 8, page 217.
115 [Ba 2002 : 139-14, extraits choisis. NDE].
148
Le Takrur historique et l’héritage du Fuuta Tooro
Fig. 9. Mansa Musa (c. 1280-c. 1337)
(Détail, Atlas catalán 1375, NY Daily News)
Cependant, l'analyse à laquelle nous avons soumis ce mythe, en
séminaire, ne nous autorise pas des conclusions chronologiques aussi
précises. Nous avons tout simplement retenu qu'il a pris corps au moment de
la plus grande extension du Mali. Rien ne s'oppose à ce que le texte ait été
retouché après Sunjata116. Dans le texte oral, tel qu'il est publié, les Manden
descendent de Bilali Benouma, compagnon du Prophète. Parmi les sept
petits-fils de Bilali, l'aîné Laawalo partit de la Mecque pour le Manden. Il
eut deux fils, Kalabi Boniba qui choisit le pouvoir et Kabali Dauman qui
préféra la richesse, il serait l'ancêtre des Dioula [Joola]. Kalabi Boninta eut
trois petits-fils dont descendent les trente familles du Mandé : cinq familles
Masaré ou Keita, cinq familles de marabouts, quatre familles de « gens de
caste », seize familles de « captifs nobles » dits tôta dyô tâ Woro (seize
captifs qui ont pris l'équipement de guerre). Ils sont les alliés volontaires de
Keita, avec qui ils sont parfois unis par le mariage.
Les chercheurs qui se sont intéressés à l'empire du Mali ont tous insisté
sur l'aspect commerçant et musulman du pouvoir. Cependant, si la naissance
de l'empire est liée au personnage de Soundiata [Sunjata], « roi musulman »,
il demeure que, très tôt, le pouvoir fut soumis, de fait, à des hommes
d'origines sociales et d'idéologies tout à fait différentes. Dès 1285, le règne
de Sakura, qui se prolonge jusqu'en 1300, révèle l'importance que les
116 Séminaire « Cultures matérielles et occupations de l'espace », dirigé par J. Devisse,
C.R.A Paris, 1979/1980.
149
Abdourahmane Ba
esclaves de la couronne ont acquise au sein de la société politique et civile. Il
y eut entretemps le célèbre règne de Mansa Musa. Mais, de 1374 à 1387,
comme de 1388 à 1390, les honneurs suprêmes furent dévolus
respectivement à Marijaata et Santigi (Konaré 1981 : 148). On comprend
aisément que le souvenir des souverains d'origine servile n'apparaisse pas
toujours à travers les sources orales. Les chroniqueurs leur attribuent des
généalogies idéales par prestige ou par piété, ou alors omettent purement et
simplement d'en parler. M. Ly Tall (1975) a eu l'occasion, au cours
d'enquêtes menées au Mali, d'en donner une illustration qui, en dehors du
recul critique qu'elle nous enseigne, nous fournit la preuve de la place que
certains hommes d'origines serviles ont occupée au Mali.
Les ceddo : armée professionnelle
D'un autre côté, nous avons relevé un élément important du phénomène
ceddo117 : la constitution d'une armée de professionnels de la guerre. Or, ce
qui ne saurait être un hasard, c'est avec l'émergence des esclaves de la
couronne que l'armée des professionnels de la guerre est instituée au Mali.
L'armée du temps de Soundiata était « composée, à l'occasion, de chasseurs
et de paysans. Chaque village fournissait, en cas de nécessité, un contingent
constitué surtout de chasseurs mobilisables à tout moment ». À cette époque,
tout homme libre pouvait lever armée quand le besoin se faisait sentir. « La
guerre, selon O. Konaré (1981 : 152), était réservée en priorité aux horon
(hommes libres), car elle représentait pour le horon un moyen de justifier sa
qualité ». Chaque village, constitué essentiellement de chasseurs, donc de
guerriers potentiels, apportait son contingent le moment venu et chaque
contingent assurait lui-même sa survie. Avec les Tondjon fut instituée
l'armée de métier, ou plus exactement l'armée des professionnels de la
guerre, qui, non seulement, se recrutait parmi une catégorie spécifique de la
société, mais aussi vivait aux dépens des autres.
117 [Selon Ba 2002, note 257, le mot ceddo est d’origine manden et signifie « homme par
essence ». En pulaar il désigne « ceux qui ne sont pas halpular’en ». En wolof, il désigne
l’aristocratie préislamique. Le terme a été utilisé de manières différentes dans la région. Voir
le Chapitre 3, James Searing. NDE].
150
Le Takrur historique et l’héritage du Fuuta Tooro
Fig. 10. Gravure « Guerriers Wolof »
(sans date ni auteur, archeo-gallay.ch)
Les armées de métier vivaient de contributions imposées aux populations
des régions où elles se trouvaient en stationnement. Les chefs recevaient
chaque année des gratifications du mansa. La taille du Mali, vaste empire
s'étalant du Niger à l'Atlantique, regroupant des provinces dont l'histoire et le
peuplement étaient différents, nécessitait un appareil administratif
relativement sophistiqué. C'est ainsi que selon la nature des provinces on
distinguait trois types d'administration. L'épicentre constitué par les
provinces du Mande était sous l'autorité directe du mansa, représenté soit par
un parent, soit par un allié. Certaines provinces étaient soumises à un simple
tribut. Il s'agit, selon M. Ly Tall (1975 : 114-115), de royaumes déjà
constitués avant la soumission, tels Walata [cité caravanière], Diarra,
Wagadu… Et quand la résistance n'avait pas été forte, la dynastie locale
conservait son trône, tout au plus procédait-on à un changement de branche
pour porter au pouvoir tel chef plus docile. Un fonctionnaire était alors
nommé pour surveiller le chef local et, semble-t-il, les négociants arabes,
pour les villes frontières, telle Walata. [Le fonctionnaire], très discret,
semble s'en tenir à une fonction surtout économique et diplomatique.
Au sujet de Ghana, nous possédons le témoignage d'Al-Umari, confirmé
par les sources orales118. Le troisième type de provinces étant sous
118 Selon Al-Umari (1927 : 5) : « Sur l'étendue de ce royaume, nul ne porte le titre de roi que
le souverain de Ghana qui n'est plus que le lieutenant du souverain malgré son titre de roi. »
Selon M. Ly Tall (1977 : 68-77) : « Les traditionnistes de Dioma-Hamana se rappelaient
151
Abdourahmane Ba
administration directe, le mansa y était représenté par les faren. Selon M. Ly
Tall, l'administration directe était imposée aux royaumes où la résistance
avait été trop violente. Elle cite à ce sujet l'exemple du Sooso qui, selon la
tradition, fut totalement rasé et la dynastie des Kanté remplacée par des
représentants du mansa (Niane 1960 : 126). Par ailleurs, l'on constate que le
Takrur relevait de ce troisième type de provinces. Faut-il pour autant avancer
que la résistance y fut violente ? Rien n'autorise une telle conclusion, même
si une source orale quelque peu douteuse, selon J. Boulègue, laisse supposer
que la conquête du Jolof fut violente. Par contre, il est possible que
l'administration directe ait été appliquée aussi aux provinces auxquelles la
situation géographique confère quelque importance stratégique ou
économique. En effet, le Takrur est avant tout une marche militaire. Localisé
sur la frontière ouest de l'empire, il en constitue une des portes dont la
maîtrise peut être capitale pour la sécurité du pays.
Mais le Takrur est surtout cet empire qui, aux XIe-XIIe siècles contrôle,
avec le Ghana d'abord, le trafic de l'or sur les axes occidentaux. Le Takrur
était donc administré par des faren. Les farinw (farin, courageux)
désignaient les preux du Manden. Ils étaient chefs de provinces et, à ce titre,
n'avaient aucun pouvoir sur le Manden, mais, contrairement aux
fonctionnaires discrets de Walata, par exemple, ils étaient des chefs
d'armées, responsables de la sécurité interne et externe du Mali. En qualité
de chefs de provinces, ils représentaient le mansa, rendaient la justice en son
nom, garantissaient la sécurité et levaient les impôts. Ils étaient d'origines
diverses : parents, alliés du mansa mais aussi affranchis. Ce qui nous
importe ici, c'est le caractère militaire et l'origine servile qui nous éclairent
sur la nature du pouvoir des Tondjon, car ces derniers portaient le titre de
faroba (Soh 1913 : 307). Il semble que le faren du Ghana, le faraba de
l'empire du Mali ou le fari (farba) wolof soient tous dérivés du même titre
« pharaon » dit pour fari Ise. En égyptien ancien « fari » est un composé de
far (fiancé ou épouse en Wolof) et de Isé (Isis) (Diagne 1981 : 28).
L'ensemble de ces indices incline à conclure que l'avènement des
Tondjon traduit au Takrur la prééminence d'une aristocratie militaire,
d'idéologie féodale et dont la conception du pouvoir politique repose sur la
violence. Le pouvoir Tondjon peut, à nos yeux, être caractérisé comme un
État guerrier. Nous n'ignorons pas que le concept d'État guerrier est loin
d'être neuf. Largement étudié entre autres par Clausevitz, il a récemment été
opérationnalisé sur le champ de l'histoire africaine à travers un imposant
ouvrage collectif, Guerres de lignages et Guerres d'États119. De cet ouvrage,
encore, en 1960, le statut particulier dont bénéficiait le roi du Wagadu qui a royalement reçu
Soundiata en exil. » Le statut du Wagadu peut s'expliquer par son rôle d'intermédiaire dans le
trafic de l'or.
119 Présenté par J. Bazin et E. Terray, 1982.
152
Le Takrur historique et l’héritage du Fuuta Tooro
nous retiendrons en particulier deux contributions : celle de J. Bazin et celle
de C. Aubin (Bazin et Terray, 1982 : 319-374 et 423-500).
Les ceddo et la traite négrière120
Au XVIe siècle, l'ouverture du front historique atlantique intègre, et ce
jusqu'à nos jours, la Sénégambie dans le marché capitaliste. L'arrivée des
Européens aura des conséquences considérables sur l'histoire en général, et
en particulier la conception du pouvoir en Sénégambie. Quelques
monographies consacrées au Kajoor nous permettent d'étudier la mutation
profonde introduite par ce qu'Audiberti a appelé « l'effet ceddo »121 et qui
nous semble pouvoir éclairer la signification du pouvoir des Tondjon.
Tous les chercheurs s'accordent à reconnaître que le phénomène ceddo
est étroitement lié à la traite négrière. Aux XVII-XVIIIe siècles, l'âge d'or, si
l'on peut ainsi s'exprimer, de la traite négrière, le royaume du Kajoor se
trouve dans une situation particulière où, pour répondre aux exigences
économiques de l'aristocratie dominante, il est obligé de s'adonner au juteux
commerce de l'homme. De par sa position géographique, le Kajoor est exclu
des grandes voies de communication que constituent les fleuves Sénégal et
Gambie. En 1658, les Français s'installent à Saint-Louis et contrôlent le
fleuve Sénégal, alors que, près d'un demi-siècle plus tard, les Anglais
s'arrogent le monopole presqu'exclusif de la Gambie. La seule ouverture du
Kajoor (et du Waalo) reste le comptoir de Rufisque, face au tristement
célèbre comptoir négrier, l’île de Gorée. Curtin (1975 : 185) [a abordé cette
question, cependant, il] a tort lorsqu'il évoque l'incapacité des souverains à
maîtriser les ceddo. En fait, l'activité des ceddo répondait d'abord aux
besoins des souverains et pour cela fut institutionnalisée. Pour répondre à la
demande du marché euraméricain, les États avaient besoin d'une caste
guerrière entièrement dévouée, capable de razzier et d'asservir les paysans
désarmés. En contrepartie, les ceddo bénéficiaient, entre autres, du droit de
moyal, droit de pillage qui rappelle sans étonner le droit de fait dont
jouissaient les guerriers du moyen-âge européen.
Le phénomène ceddo est aussi lié à la recrudescence de la violence
consécutive aux troubles occasionnés par la guerre des marabouts et des
conflits entre les différentes familles aristocratiques. [Comme l’ont noté
Barry (1980 : 19) et Rousseau (in Dyao 1933)]. De l'avis de M'Baye Gueye
(1981 : 5-7), l'institution des ceddo répondait à une autre exigence. Il
soutient que l'institution est une réaction « aux menaces extérieures que
représentaient l'islam et surtout la traite négrière qui, du XVIe jusqu'à la
conquête coloniale (sont) les facteurs déterminants qui ont rompu l'équilibre
institutionnel de la société, provoqué des désaxements d'une telle ampleur
120 [Cette section a été insérée en introduction au chapitre sur les Tondjon et la conception
du pouvoir, elle, est incluse ici parce qu’elle aborde les XVI-XVIIIe siècles. NDE].
121 Cité par Le Roy E., 1981 : 152.
153
Abdourahmane Ba
que la société a été obligée de se remodeler pour sauver son identité. » La
réponse aux défis extérieurs serait la centralisation politique et
administrative dont les ceddo ont été l'instrument. « Sans doute, ajoute
l'auteur, cette catégorie existait de tout temps dans les cours royales, ses
fonctions étaient strictement limitées à l'étiquette de cour (mais après) ils
furent alors utilisés à des emplois politiques et administratifs pour mieux
contrôler les laman ». M'Baye Gueye semble par ailleurs favorable à cette
institution dont il fait remarquer que le rôle s'accrut au Kajoor avec la
dynastie des « Guedj issue du peuple (et qui) percevait mieux que quiconque
les doléances et les préoccupations des collectivités. » Ce point de vue nous
semble partiel [car] il tend à occulter les exactions des ceddo sur les paysans,
et leur fonction sociale et politique. Elle participe de la même démarche qui,
récemment, a conduit un cinéaste sénégalais, dont le talent est incontestable,
à confondre ceddo et peuple122.
CONCLUSIONS
On l'aura constaté, ce travail, à certains moments, pose plus de questions
qu'il n'apporte de réponses. Nous sommes cependant arrivés à quelques
conclusions. À la faveur de la migration de l'isohyète 400, consécutive à la
péjoration climatique qui frappe le Soudan occidental au début de notre ère,
des populations sédentaires jadis localisées dans le Sud mauritanien
[contemporain] ont glissé vers la moyenne vallée du fleuve Sénégal. Quelles
sont ces populations ? Si certains indices permettent d'identifier les Seerer, il
faut se garder de vouloir à tout prix voir là des nations différentes,
constituées en ethnies. Dans l'état actuel de nos connaissances, il semble plus
juste de parler de populations sédentaires vivant d'agriculture et de pêche.
Le glissement de ces populations n'est nullement occasionné par les
invasions nomades. Les nomades et les sédentaires ne sont pas des
populations antagoniques par nature. Non seulement leurs économies sont
complémentaires, mais, à plusieurs moments de leur histoire, ils ont
entretenu des relations pacifiques et même noué des alliances politiques.
L'image du nomade envahisseur relève d'un certain diffusionnisme. Si les
sédentaires ont quitté le sud de la Mauritanie actuelle, c'est parce que les
conditions physiques ne leur laissaient que cette alternative, à moins de
changer de mode de vie.
Sur les rives du fleuve Sénégal, ils constituent un État que nous
connaissons au XIe siècle, sous le nom Takrur, mais dont les racines
plongent dans les Ve ou VIe premiers siècles de notre ère. En effet, dès cette
époque, la maîtrise du fer, dont l'archéologie apporte maintes preuves, a pu
122 O. Sembene a réalisé en 1977 un très beau long métrage où, à travers une violente satire
contre le christianisme, la traite négrière et l'islam, il célèbre la résistance des peuples noirs
africains face aux idéologies et pouvoirs étrangers. Ces peuples, il les nomme « ceddo ».
154
Le Takrur historique et l’héritage du Fuuta Tooro
donner naissance à une civilisation prospère. C'est à cette époque que se
constitue ce que nous avons appelé l'État forgeron [Jaa Ogo]. Il s'agit de la
première organisation politique du pays. Elle est dominée par ceux qui
contrôlent la production du fer.
À partir du XIe siècle, le commerce transsaharien et l'empire almoravide
jettent un pont entre le Sénégal et les pays de la Méditerranée. Désormais, et
ceci pour deux siècles, le Takrur ravit sa place au Ghana et devient le
principal débouché des axes transsahariens. C'est l'apogée du royaume qui
étend son hégémonie sur des cités prospères, telles Barisa, Silla et peut être
Awlil. L'islam devient la religion d'État et, en son nom, les souverains du
Takrur razzient et asservissent les populations animistes vendues sur les
marchés esclavagistes au-delà du Sahara. Nous avons caractérisé cette
période comme celle de l'État marchand [Manna].
Quelque part à la fin du XIIIe siècle, le Takrur, affaibli par une crise
interne et probablement par le détournement des voies commerciales, est
conquis par l'empire du Mali. Il est administré par les Tondjon, aristocratie
militaire d'origine servile. C'est le règne de l'État guerrier.
À partir du XIVe siècle, les sources arabes et plus tard les chroniqueurs
du Soudan occidental utilisent le toponyme Takrur pour désigner le Mali et
tout le Soudan occidental. La confusion s'explique non pas, comme on l'a cru
jusqu'à présent, à la faveur de l'islamisation du Takrur, mais pour des raisons
d'ordre économique. En effet, il nous semble que, pendant les XI-XIIXIIIe siècles, le Takrur a connu un tel développement et joué un rôle si
important dans les relations transsahariennes que, lorsqu'à la fin du
XIIIe siècle [le Mali] émerge, on l’appelle Takrur.
Si ce travail, à la fois ambitieux et modeste, parvenait tout simplement à
dégager des orientations de recherches attestant qu'il est possible d'écrire
l'histoire du Takrur, son auteur s'en trouverait largement comblé.
*
155
Abdourahmane Ba
REFERENCES CITEES
Entretiens
A. D. Ba (qui se dit pullo lamankobe) entretien à Gamaaji.
Baba Gangué, inspecteur de l'Enseignement primaire, rencontré à Podor le
27 octobre 1981. Il se dit descendant des Lam Tooro.
M. Pathé Wane, entretien enregistré à M'Bumba.
P. Diagne, entretien à Dakar.
Archives
GADEN H., [sans date], Manuscrits, Fonds Gaden de l’IFAN, Cahiers, Dakar.
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