Patrimoines du Sud
10 | 2019
Châteaux, palais et tours : pouvoirs et cultures dans
l'Occitanie médiévale
Castel Narbones. La fierté monumentale des
Raimond de Toulouse
Castel Narbones. The monumental pride of the Raimond de Toulouse
Laurent Macé
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/pds/2962
DOI : 10.4000/pds.2962
ISSN : 2494-2782
Éditeur
Conseil régional Occitanie
Référence électronique
Laurent Macé, « Castel Narbones. La fierté monumentale des Raimond de Toulouse », Patrimoines du
Sud [En ligne], 10 | 2019, mis en ligne le 02 septembre 2019, consulté le 20 mars 2020. URL : http://
journals.openedition.org/pds/2962 ; DOI : https://doi.org/10.4000/pds.2962
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Castel Narbones. La fierté monumentale des Raimond de Toulouse
Castel Narbones. La fierté
monumentale des Raimond de
Toulouse
Castel Narbones. The monumental pride of the Raimond de Toulouse
Laurent Macé
« le château, dont le pareil n’a jamais été vu, je gage,
dans une plaine »
(lo castel, / C’anchom en terra plana non vit, socug, tan
bel)
Guilhem de Tudèle1
1
Depuis l’époque carolingienne, au sud de la cité de Toulouse, s’ouvrant sur la voie
antique qui mène à la province de Narbonne, l’une des principales entrées de la ville
fait l’objet de tous les soins de la part des comtes de Toulouse. Réaménagé avant l’An
Mil, le site a ensuite cédé la place à un véritable château – connu dans la documentation
de l’époque, sous le nom de château Narbonnais (castrum Narbonensis) – qui a été conçu
d’emblée comme résidence du pouvoir princier, au début du XIIe siècle, avant de
connaître une nouvelle et importante phase de travaux dans la seconde partie de ce
même siècle, sous l’impulsion du comte Raimond V (1149-1194). Il s’agit là d’un château
dynastique qui s’inscrit dans une relation directe avec la porte et l’enceinte galloromaines du Ier siècle ap. J.-C. sur lesquelles il est bâti, tout en étant à la fois dans et
hors la ville (intus vel extra civitatem), au cœur d’une sauveté suburbaine fondée
également au début du XIIe siècle2. Devenu un objectif stratégique majeur durant la
croisade contre les Albigeois (1209-1229), aussi bien pour Simon de Montfort que pour
Raimond VI (1195-1222), le château Narbonnais constitue un exemple d’architecture
remarquable que les comtes de Toulouse ont su mettre en valeur, avec un goût affirmé
de la mise en scène.
Patrimoines du Sud, 10 | 2019
1
Castel Narbones. La fierté monumentale des Raimond de Toulouse
Une silhouette littéraire
2
La documentation qui met le plus en exergue cette position singulière est une source
littéraire de premier plan pour l’histoire de la ville au XIII e siècle : il s’agit de la Chanson
de la croisade albigeoise (Canso), texte épique s’il en est, qui retrace les événements liés à
la croisade contre les Albigeois, notamment en ce qui concerne la décennie 1209-1219.
Les deux auteurs qui s’expriment en occitan, Guilhem de Tudèle et son continuateur
anonyme, relèvent la place éminemment stratégique du château Narbonnais quand
celui-ci est devenu le symbole de l’autorité exercée par un comte exogène, le fameux
croisé Simon de Montfort († 1218). Mais à travers le souffle de l’épopée, ce sont les
différentes fonctions de la bâtisse qui apparaissent au fil des vers. Par la pluralité de ses
usages, elles le présentent comme un château d’allure assez conventionnelle.
3
Tout d’abord, la vocation résidentielle du château est soulignée, que son occupant soit
le comte de Toulouse ou son rival du moment, Simon de Montfort. La parenté du prince
y vit ; elle se trouve donc exposée lorsqu’un soulèvement menace l’intégrité physique
des proches du gouvernant. Alors qu’il mène une expédition militaire sur le Rhône,
Simon de Montfort apprend que les Toulousains se préparent à accueillir leur seigneur
légitime, le comte Raimond VI, et que la situation va devenir rapidement compliquée
pour son entourage familial si le château est attaqué. Le messager qui vient l’informer
ne dissimule guère le risque encouru par les femmes et les enfants 3 :
« À mon avis, autant que je puis en juger, ils ont l’intention d’assiéger le château
Narbonnais (lo castel Narbones) » — « Les comtesses sont-elles dedans ? » — « Sire,
oui, bien sûr, tristes, affligées, tout en pleurs ; car elles craignent et redoutent leur
mort et leur perte »4.
4
La munificence est de mise ; des éléments de décor et d’architecture sont mentionnés
dans certains passages de la Chanson. Ainsi, la aula princière, la grande pièce d’apparat,
celle qui est destinée à accueillir les membres du conseil seigneurial, révèle son sol
recouvert d’un dallage :
« [ils] délibérèrent ensemble, dans l’antique salle dallée (e .l paziment antic) »5.
5
Était-il peint et vernissé ? Recouvert de marbre ou de pierres décorées ? La tour
majeure est également pavée ; on y aménage une couche pour que Guy de Montfort, le
frère du croisé, puisse assister au conseil restreint, malgré la grave blessure
occasionnée par un carreau d’arbalète qui est venu se ficher dans ses côtes 6 :
« sur le dallage (pazimens), en présence de Guy de Montfort, grièvement blessé […] »
7
.
6
La principale manifestation architecturée du château demeure le donjon avec tout ce
qui vient le garnir. L’imposante hauteur de la tour maîtresse qui domine le paysage
local est accentuée par la taille de ses ouvertures visiblement ornées de vitraux :
« les fenêtres hautes (los verïals primers) de la tour Ferrande » 8.
7
Certes, le motif de la fenêtre appartient au registre de la description littéraire, elle
constitue un topos épique assez fréquent dans les chansons de geste mais elle participe
aussi à l’édification d’une image majestueuse du château :
« La comtesse se tenait, pleine d’anxiété, sous l’arc voûté d’une fenêtre du puissant
et grand palais (Ins l’arc vout, a las estras del ric palais plenier) » 9.
8
C’est encore de cet endroit qu’Alix de Montfort voit les Méridionaux investir la ville et
s’approcher de la place forte. Quelques hommes identifient pour elle les bannières des
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Castel Narbones. La fierté monumentale des Raimond de Toulouse
seigneurs locaux qui veulent s’emparer de la forteresse comtale. Plus loin, elle
considère la situation, si délicate pour elle, depuis ce point de vue :
« la comtesse se tenait, pensive et soucieuse, dans le château, aux fenêtres de la
tour, dans les galeries (E.l castel, a las estras de la tor, als ambans) »10.
9
Grandes salles, pavages, fenêtres voûtées et hautes tours renvoient à des éléments
classiques de la littérature médiévale, ils permettent de brosser l’atmosphère
aristocratique et prestigieuse de tout grand chant épique. Ils viennent d’ailleurs
régulièrement scander la description de la résidence des héros du cycle de Guillaume
d’Orange ou encore de la chanson de Girart de Roussillon, par exemple 11. Mais ce décor
est aussi celui des grands qui vivent réellement dans ces palais, résidence et lieu de
pouvoir d’un homme considéré comme le maître de la ville. Quand Raimond VI est
destitué de son titre de comte de Toulouse, à l’issue du quatrième concile œcuménique
du Latran (1215), il doit avant tout se retirer de son château-palais. Il l’avait déjà donné
en gage de sa bonne volonté au légat pontifical, Arnaud Amaury, en 1210 : Del castel
Narbones li doneron bailia12. Mais après la défaite de Muret (1213), il doit déjà céder la
place à l’évêque Foulque ; dans un premier temps, Raimond VI, son fils et leurs épouses
trouvent l’hospitalité dans la maison d’un des principaux notables de la ville, l’ancien
consul David de Rouaix13 ; puis, le comte devra prendre le chemin de l’exil. Par la suite,
il reprendra pied dans son palais, par la force des armes cette fois-ci.
10
Résidence et lieu de pouvoir, la fonction politique du château s’exprime aussi en tant
que lieu dédié à la parole et à l’échange, au point que le bâtiment se condense parfois
en une scène de conseil. À plusieurs reprises, le poète anonyme fait tenir de telles
délibérations dans cet espace aulique. Soit à l’intérieur de la grande salle publique :
« Quand le jour devint clair et le ciel brillant, le cardinal de Rome et les autres
puissants personnages et l’évêque et l’abbé, qui portait le crucifix, délibérèrent
ensemble, dans l’antique salle dallée »14 ;
« Le comte traversa le fleuve, avec Lambert de Cales, et il tint un conseil et délibéra
(E parla e cosselha) dans le château Narbonnais ; y assistèrent le Cardinal et le
seigneur évêque, le comte de Soissons [etc.] »15.
11
Soit, plus souvent, dans une pièce de la tour majeure lorsqu’il s’agit de convoquer un
conseil réduit aux plus proches compagnons de Simon de Montfort :
« Et aux premières heures du jour, quand il fit clair, le conseil (lo parlamens) fut tenu
au château Narbonnais ; à l’intérieur de la tour antique (la tor antiqua), sur le
dallage, en présence de Guy de Montfort, grièvement blessé, le comte, les gens
d’Église et les vaillants barons, et avec eux la comtesse, délibèrent en secret (parlon
privadamens) »16 ;
« Le comte de Montfort mande promptement son conseil (sos parlamens) : l’évêque,
le prévôt, ses chevaliers et ses parents, réunis dans la tour antique (la tor antiqua),
délibèrent en secret (parlan celadamens) »17.
12
La fonction militaire est tout aussi primordiale. Le château Narbonnais est une place
forte, un élément-clé dans le dispositif fortifié du sud de la ville. Il sert d’ailleurs de
citadelle pour les quelques chevaliers croisés qui parviennent à s’y réfugier lors du
retour de Raimond VI en septembre 1217 :
« Des Français qu’ils rencontrent, ils font grand carnage et massacre ; les autres
s’enfuient vers le château, poursuivis par les habitants de la ville avec force cris et
force coups. Alors du château sortirent maints vaillants chevaliers, garnis de toutes
armes et revêtus de hauberts à mailles doubles ; les gens de la ville leur inspirent
une telle crainte qu’il n’y en eut pas un pour éperonner son cheval et aller recevoir
ou donner un coup »18.
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3
Castel Narbones. La fierté monumentale des Raimond de Toulouse
13
Mais tenir le château ne suffit pas à maîtriser la ville entière. Durant le siège de
1217-1218, Simon de Montfort est cerné de l’intérieur par les Toulousains. Même si cela
ne l’empêche pas d’opérer des sorties grâce aux travaux qu’il a réalisés peu de temps
après son installation sur le site, au début de l’année 1216 :
« Le château Narbonnais, qui était massif (solidum) jusqu’en haut, comme
maintenant, il le fit vider de sa terre, et fit ouvrir une porte à l’est, pour pouvoir y
entrer quand il voudrait à l’insu des gens de la Cité ou malgré eux. Il fit faire aussi
de grands fossés (fossata magna) entre le château et la Cité, et fit entourer le château
de grands pieux de sapin »19.
14
Isolant, au nord, le château du reste de la ville par ces fossés intra-muros, il contrôle
également la partie méridionale, ce qui lui offre la possibilité de recevoir des renforts.
Une de ces colonnes, provenant du Carcassès et conduite par Guy de Montfort, est
interceptée par le comte de Comminges, à proximité de la forteresse :
« Messire Bernard de Comminges s’y est bien comporté ; c’est lui qui, avec sa belle
compagnie, vaillant et avisé, a occupé et tenu, du côté du château, où était leur
convoi, les débouchés et les passages »20.
15
Le reste du temps, le château demeure la principale cible des Toulousains et de leurs
alliés. C’est sur lui que doit porter une partie des efforts toulousains, comme le rappelle
l’un des notables de la ville, maître Bernard :
« Faisons bien le guet et le jour et la nuit et à l’aube. À l’entour construisons des
pierriers et des calabres et un trébuchet qui démolisse, dans le château Narbonnais,
le mur sarrasin (lo mur sarrazinor), la tourelle de guet (e .l miracle) et la tour (la tor) »
21
.
16
De fait, le castel subit un lourd bombardement d’artillerie qui endommage les structures
hautes de la fortification :
« Et là, dans Toulouse, il y eut tant de charpentiers à fabriquer de doubles
trébuchets, tirant fort et rapidement, qu’il ne resta plus dans le château
Narbonnais, qui leur faisait face, ni tour, ni salle, ni créneau, ni mur qui fussent
entiers »22 ;
« Les beaux et gros quartiers de pierre furent mis dans les frondes et ils abattent,
renversent, brisent en morceaux le château Narbonnais, ses portes fortifiées (e .ls
portals frontaliers), ses remparts, ses bretèches (las bertrescas), les hourds (e .ls ambans
meitadiers) qui les relient et les fenêtres hautes de la tour Ferrande » 23.
17
Quant aux défenses (hourds, créneaux et merlons), elles sont garnies d’hommes équipés
d’armes de trait :
« Le château Narbonnais est bien armé et gardé, avec des arcs de toutes sortes et
des carreaux empennés »24 ;
« Les murs et les baies du château furent garnis d’arbalètes à tour approvisionnées
de traits à pointe d’acier »25.
18
Comme dans tout récit épique, le château fait partie du décor, il constitue l’arrière-plan
de la mise en scène de l’action chevaleresque. Dans la Canso, il est presque même l’un
des acteurs, tour à tour sollicité par les différents protagonistes. Il n’est donc pas
étonnant de le voir encore cité dans la toute dernière laisse de l’œuvre. Avec la mort de
Simon de Montfort (juin 1218) et la levée du siège de Toulouse par les croisés, un nouvel
adversaire se présente un an plus tard en la personne de Louis de France, fils aîné du
roi Philippe II Auguste. La ville se prépare à un énième assaut. L’auteur anonyme
termine son chant par un tour des installations de défense, les barbacanes, qui doivent
tenir tête à l’armée de France. Il réserve un passage à cette barbacana del Castel qui sera
tenue fermamens par les hommes désignés par le comte de Toulouse :
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4
Castel Narbones. La fierté monumentale des Raimond de Toulouse
« le vicomte Bertrand, jeune homme qui se forme, et Bartas tiennent ensemble,
avec intelligence et fermeté, la barbacane du château »26.
19
Leur engagement envers Toulouse et ses saints promet d’être indéfectible 27.
20
Enfin, comme tout château comtal digne de ce nom, la construction renferme en ses
murs une prison, car le palais du prince est également le lieu où s’exerce la justice. La
fonction carcérale du château est présentée ici de façon négative car elle est manifestée
par l’attitude arbitraire de Simon de Montfort qui se comporte en mauvais seigneur. Il
veut punir les citoyens toulousains qui ont osé contester son autorité. Après son échec
à Beaucaire (été 1216), le chevalier croisé vient mater la révolte qui gronde à Toulouse.
Il convoque certains édiles et c’est dans le château comtal qu’il souhaite réunir ses
prises de guerre :
« Tous ceux qui vont venir ici, j’ordonne qu’on s’empare d’eux aussitôt et qu’on les
enferme sur-le-champ dans le château Narbonnais »28.
21
Face à la résistance armée, le chef de la croisade ne contrôle plus ses nerfs et menace
rageusement les détenus :
« Et le comte s’en retourne, chagrin et soucieux, dans le château Narbonnais, où
furent poussés force soupirs. Plein de rage et de haine, il alla interpeller ceux des
habitants de la ville qu’il y tenait prisonniers : […] “nulle richesse au monde ne vous
pourra servir à éviter que je vous fasse décapiter et sauter du haut du château”.
Aussi, quand ils l’entendirent jurer et se fâcher, il n’y en eut aucun qui ne se prît à
trembler de peur de la mort »29.
22
D’autres otages viennent gonfler le contingent initial peu de temps après, quand les
représailles de Simon de Montfort s’exercent sur la ville :
« Alors le comte envoie des messagers portant des baguettes par toutes les rues,
tout droit et en hâte. Ils disent aux prud’hommes : “Maintenant il ne s’agit plus de
vous cacher. Messire le comte ordonne que vous alliez rejoindre les otages dans le
château Narbonnais et que vous vous y rendiez sur-le-champ sans prendre congé de
vos amis. […] Et eux s’en remontèrent deux par deux ou isolément. Le comte y en
enferma tant que fut rempli le château »30.
23
Dans l’enceinte de ce château se trouve également la chapelle comtale. C’est le
chroniqueur cistercien, Pierre des Vaux-de-Cernay, hagiographe de Simon de Montfort,
qui l’évoque au moment du siège de Toulouse en 1218. Avec son calame bien acerbe, il
procède comme de coutume, à savoir en vilipendant ses adversaires qui, à ses yeux,
font preuve d’un anticléricalisme acharné :
« Quand les assiégés avaient connaissance qu’on disait la messe dans la chapelle du
château, ils lançaient des boulets énormes avec leurs trébuchets et leurs
mangonneaux pour pulvériser le cardinal et sa suite, tous les autres assistants et
l’Hostie elle-même. Mais ils ne réussirent qu’à tuer un prêtre avec un trébuchet » 31.
24
À l’opposé, Simon de Montfort vient donc s’y recueillir avant de se diriger vers ce qui
allait être son ultime combat :
« […] le comte qui entendait Matines ordonna de lui préparer ses armes. Les ayant
revêtues, cet homme très chrétien se hâta vers la chapelle pour entendre la messe »
32
.
La brique et la pierre
25
Si une source épique nous livre les contours flous du château des comtes de Toulouse,
les opérations de fouilles préventives, qui ont eu lieu entre 1999 et 2006 sur le site du
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Castel Narbones. La fierté monumentale des Raimond de Toulouse
Tribunal de grande instance, ont permis de retrouver des traces archéologiques de la
forteresse médiévale, pourtant démolie au milieu du XVIe siècle (entre 1549 et 1556) en
raison de la trop grande vétusté d’un bâtiment qui était devenu siège du Parlement en
1444.
26
De ce qui a été exhumé du sol, il est permis de comprendre que le site était protégé à
l’extérieur par un fossé majeur, attesté au début du XIIIe siècle (fig. 1).
Fig. 1
Proposition de plan du château comtal à la fin du XIIe siècle (Laurent Macé ; à partir du dessin de
Fabien Callède, in CATALO Jean, 2010, p. 57, fig. 38)
V. Marill © Région Occitanie, 2019
27
Cette excavation large de près d’une vingtaine de mètres, d’une profondeur d’au moins
2 m et doté, à chaque bord, d’un mur d’escarpe à 45 degrés, n’est pas à cet endroit un
fossé sec : la nappe phréatique qui coule sur le socle géologique marneux assure la
permanence de l’alimentation en eau33. Le fossé des lices, d’environ 6 m de large, bien
que peu profond, complète ce système défensif placé en avant de l’enceinte castrale.
Cet espace est parsemé de pieux, palissades et autres barrières de bois ; le tout s’étend
sur près de 80 m. Ce dispositif permet de maintenir raisonnablement à distance
hommes et machines de siège. Quant au fossé du Salin, à l’intérieur de la Cité, c’est une
structure temporaire à la fois renforcée et protégée par Simon de Montfort et les
Toulousains eux-mêmes au moment des importants combats menés lors du siège du
château Narbonnais en 1217-121834.
28
En ce qui concerne l’édifice proprement dit, les premières mentions trouvées dans la
documentation écrite montrent qu’au début du XIIe siècle, élément castral et ancienne
porte antique se confondent. Ce n’est que sous le principat de Raimond V que le
château se distingue de l’entrée sud de la ville, lorsqu’un important chantier de
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Castel Narbones. La fierté monumentale des Raimond de Toulouse
rénovation est ouvert pour faire de la porte monumentale un véritable palais forteresse
qui viendrait exprimer l’affirmation de la puissance comtale en terre toulousaine. Au
niveau des deux tours à talons contrôlant l’entrée centrale de la porte Narbonnaise, un
mur bouclier de briques mesurant 32 m de long, 2,40 m de large et 6 m de haut vient
clore l’accès initial à la Cité, lequel se trouve déplacé et aménagé dans une brèche
ouverte à l’ouest. Muni de deux puissants contreforts extérieurs, la nouvelle
maçonnerie à vocation défensive, d’une largeur égale à celle du rempart gallo-romain,
complète le dispositif de protection des deux tours antiques qui, dotées également de
contreforts élevés en position rayonnante à l’extrados de leurs pans coupés, avaient
pris un aspect rectangulaire aux alentours de l’An Mil35. À l’est, une ouverture latérale
aménagée à partir de la tour antique pourrait correspondre à la nouvelle entrée de
l’édifice qui connaît de nombreuses transformations durant les années 1155-1175 36. Il
faut signaler que « l’emploi de matériaux de récupération, signe d’une certaine urgence
d’exécution plutôt que d’un projet mûrement prémédité »37 semblerait indiquer que le
chantier obéirait au caractère impérieux du contexte toulousain. Ce dernier n’est pas
toujours favorable au comte Raimond V : nombreuses absences du prince (sollicité en
Provence), lesquelles sont signalées au roi de France par les élites locales en 1164 et
1165 ; fin de l’alliance avec le roi capétien en 1166 ; montée en puissance du
consulat qui revendique davantage de libertés ; sérieuse agitation à caractère séditieux
en 1188 entretenue par le parti aquitain.
29
Les données archéologiques recueillies par Jean Catalo et son équipe permettent ainsi
de suggérer une première tentative de reconstitution. Le château formerait un
imposant quadrilatère de briques flanqué de deux tours latérales. Celle de l’ouest,
appelée à la fin du Moyen Âge « tour de l’Aigle », correspond à la base d’une tour
antique de la porte Narbonnaise. Celle de l’est, parfois dénommée « tour Ferrande » ou
encore « tour Gaillarde », a été transformée en un rectangle de 18 m sur 10 et surélevée
de façon imposante, atteignant vraisemblablement, sans la tourelle de guet qui la
surmontait, une hauteur de 35 m. « Son caractère massif, pour partie antique, en fait la
tour majeure, celle décrite dans les textes et peut-être la seule émergente de la masse
de la forteresse. En effet, le château apparaît comme un bloc compact de 40 m (25
brasses) de côté. La résidence comtale acquiert donc un aspect résolument militaire qui
participe à l’affirmation du pouvoir »38. Cette tour de l’aile orientale du château sert
d’ailleurs de prison à la viguerie dans les années 1190. En 1274, une déposition auprès
de l’inquisition permet d’apprendre que les prisonniers en attente d’une condamnation
sont incarcérés dans la « tour blanche » du château Narbonnais, allusion à la massive
maçonnerie de pierre de l’ancien bâtiment antique. Cette fonction de détention des
prévenus du viguier traverse le temps, elle est encore attestée au milieu du XIV e
siècle39.
30
Il apparaît donc que par cette refondation du site, Raimond V a souhaité consolider son
autorité sur une ville qui exprimait des velléités d’émancipation et assurer sa mainmise
sur Toulouse en intégrant l’antique porte Narbonnaise dans le système collectif de
défense de cette partie méridionale de l’enceinte urbaine. En en faisant « une forteresse
fermée et compacte dominée par une tour maîtresse »40, c’était aussi une façon d’ancrer
la dynastie dans le passé de la Cité et d’affirmer la légitimité des Raimondins face aux
prétentions récurrentes des ducs d’Aquitaine.
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Castel Narbones. La fierté monumentale des Raimond de Toulouse
L’empreinte du sire
31
La première représentation iconographique du château Narbonnais apparaît sous la
forme d’un édifice miniature, sorte de maquette que le comte Raimond VI montre sur
son grand sceau de majesté en avril 1204 (fig. 2)41.
Fig. 2
Avers de majesté du grand sceau du comte Raimond VI en 1204 (moulage)
© Archives nationales, Sc/D 743
32
La réplique de la forteresse qui est tenue au bout de son bras gauche n’est pas une
figuration héraldique et stéréotypée du très classique château à trois tours qui
apparaît, de façon conventionnelle, sur la plupart des empreintes de cire de l’époque. Il
s’agit bien ici d’une silhouette plus ou moins réaliste, elle offre le tout premier regard
que l’on peut porter sur un édifice qui avait une grande valeur aux yeux des comtes de
Toulouse au point qu’ils aient voulu le faire apparaître à côté de leur personne sur les
documents qu’ils validaient de leur marque personnelle.
33
Mais celui qui fut le premier à orner son sceau de l’effigie du château Narbonnais est
aussi celui qui en a commandé le chantier dans la seconde partie du XII e siècle. C’est
effectivement Raimond V qui, après avoir mis un terme à son alliance avec le roi de
France, en 1165, change alors de matrice de sceau, faisant apparaître dans sa main
gauche un édifice fortifié correspondant à son palais toulousain, monument phare de la
réforme architecturale qu’il est en train de mener au sud de la Cité 42. Un fragment de
sceau daté de 1183 – un des rares parmi ceux qui sont conservés pour cette période –
atteste de l’adoption de ce motif castral singulier, alors unique chez les grands princes
du Midi de la France (fig. 3).
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Castel Narbones. La fierté monumentale des Raimond de Toulouse
Fig. 3
Restitution de l’avers de majesté du grand sceau de Raimond V en 1183 (in MACÉ Laurent, 2018,
p. 34, fig. 2)
© Valérie Dumoulin
34
Si l’on regarde de près la physionomie de cette architecture à partir de ce qu’en livrent
les empreintes de 1183 et de 1204, on constate que sur la première, la tour maîtresse,
plutôt massive, occupe une place importante, au centre du palais, dans une
configuration cependant assez classique. Sur la seconde, vingt ans plus tard, Jean Catalo
relève que « le château est représenté avec une seule grande tour émergente, désaxée
par rapport à l’ensemble du monument »43. De même, l’entrée de l’édifice ne se trouve
pas au centre de la bâtisse, mais décalée et défendue par la tour, comme si elle
correspondait à l’accès latéral repéré par les archéologues. Le sceau de 1204 semble
donc établir un rapport direct avec la réalité morphologique de son temps à travers le
caractère résolument militaire et compact de la forteresse, dépourvue de défenses
latérales mais caractérisée par la présence d’une tour majeure, grande et imposante
que l’on apercevrait depuis l’est (fig. 4).
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Castel Narbones. La fierté monumentale des Raimond de Toulouse
Fig. 4
Détail du château Narbonnais (moulage du sceau de 1204)
© Archives nationales, Sc/D 743
35
Par sa hauteur et sa substructure gallo-romaine, la tor antiqua de la Chanson détonne
dans le paysage toulousain. Avec un certain degré de réalisme, la « maquette »
miniature du début du XIIIe siècle laisse donc apparaître la courtine, avec ses épais
moellons percés de deux baies romanes, le donjon à deux étages doté d’au moins une
fenêtre, la forme élancée des merlons du parapet et de la tour, tous ces éléments
traduisant une représentation assez atypique du traditionnel château de cire.
36
Derrière la confrontation possible des données archéologiques et des sources sigillaires,
demeure la question de la chronologie du chantier entamé au XII e siècle par le comte de
Toulouse. Le fragment d’empreinte du sceau de 1183 indique que l’édifice que Raimond
V tient dans sa main n’est pas précisément celui que l’on découvre en détail deux
décennies plus tard. Les aménagements observés sur le terrain de fouilles ne sont pas
perceptibles dans cette première physionomie castrale qui demeure pour le moins
sommaire et basique. La campagne de travaux, correspondant de prime abord, selon les
archéologues, à l’intervalle 1155-1175, semble donc se poursuivre au-delà de 1180, pour
sans doute s’achever dans la dernière décennie de ce principat. Le sceau de Raimond VI
montrerait ainsi le dernier état du château Narbonnais bâti par son père, entre 1170 et
1190, après la fin de l’alliance capétienne, et durant une période où la menace aquitaine
et aragonaise redevient d’actualité44.
37
Mais la présence d’un tel édifice sur le sceau des comtes de Toulouse ne renvoie pas
seulement à la fonction militaire de la bâtisse. Il est également, et surtout,
manifestation de l’autorité judiciaire du prince45. Le château Narbonnais est certes le
palais du maître, mais c’est également l’endroit où est rendue la justice du comte et des
consuls. C’est dans son enceinte que se trouvent les cachots de la prison de la viguerie,
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Castel Narbones. La fierté monumentale des Raimond de Toulouse
dans la tour maîtresse, symbole visible du droit de punir que, depuis 1189, Raimond V
partage avec les élites du bourg et de la cité de Toulouse. Le bâtiment rénové n’est pas
seulement regardé comme assise monumentale du pouvoir. Sur l’empreinte de cire, il
faut le lire à travers un mouvement de va-et-vient accompli avec l’autre bras du comte,
le droit, munie d’une arme qui peut être dégainée selon son bon vouloir 46. Le château se
définit dans un lien dialectique avec l’épée de justice dont le prince est le détenteur,
comme le montre cette scène aulique révélée aux yeux des récepteurs du sceau.
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L’autre grande originalité de la matrice de 1204 est qu’elle permet de faire de ce palais
forteresse une image allégorique d’un espace qui intègre physiquement celui qui assiste
à cette ostentation princière. On se trouve à l’évidence dans une pièce qui est un haut
lieu de la mise en scène du pouvoir comtal. Tout en étant à la fois présent dans
l’enceinte du château qui est lui-même montré sous la forme d’une maquette
d’architecture tenue à bout de bras. On participe donc à une scène d’intérieur qui
pourrait être la tenue d’une audience à la cour de justice, dans la grande salle castrale
des Raimond. Cette pièce publique est l’élément essentiel du palais auquel elle
s’identifie. Par ailleurs, elle laisse paraître un détail qui est loin d’être anodin. À la
droite de la tour maîtresse, au-dessus de l’entrée du château, se devine une petite
sphère plantée sur une longue hampe fichée au cœur de l’enceinte castrale. Il s’agit là
d’un poteau de justice, sorte de mât que l’on vient frapper lorsqu’il s’agit de saisir la
justice du maître des lieux. Raimond VI est le tout premier, dans le Midi, à représenter
sur son sceau un tel symbole de son dominium judiciaire. Ce genre de prérogative est
emblématiquement associé à l’effigie du comte ; le poteau est au plus près de sa
personne, près du bras qui tient la maquette de son palais. Dans une liaison
complémentaire, il fait écho à l’épée de justice et au lieu où cette dernière s’exerce, le
palais comtal. Il renforce l’idée d’une explicite mise en abyme de la fonction première
du prince qui est l’essence de la loi.
Une identité raimondine et toulousaine
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Espace du pouvoir, expression de la puissance, instrument de l’exercice de la justice, le
palais est au centre de toute représentation intellectuelle de l’autorité rêvée d’un
grand. C’est le cadre idéal pour la grande parade du pouvoir. Son image littéraire joue
d’ailleurs un rôle central dans l’imaginaire d’une cour aristocratique abreuvée de
romans et de textes épiques, œuvres dans lesquelles cet édifice paraît comme le lieu par
excellence de l’action politique. C’est là où se retrouve l’assemblée des barons, le
conseil plénier, le collège des experts. C’est là où la parole proférée par le prince se
manifeste. Un espace de majesté donc, qui contribue au prestige d’un maître qui convie
chacun dans ce décor exprimant l’auctoritas. Mais c’est aussi une forme de
démonstration architecturale qui fait appel au prestige et au passé de la ville, puisant
dans sa plus haute Antiquité. Ce vieil héritage conforte la légitimité d’une dynastie qui
tient à s’enraciner ostensiblement dans l’appareil gallo-romain de la tour maîtresse, qui
veut entretenir une relation de continuité dans l’expression architecturale et concrète
de la domination. Comme une lointaine quête du lustre des origines, comme une
évocation permanente des autorités d’hier. C’est d’ailleurs là un schéma de
matérialisation du pouvoir que l’on retrouve, au cours du XIIe siècle, à Aix, quand les
comtes de Provence décident de s’installer sur une porte romaine, dans les années
115047. Il en est de même à Barcelone, à l’époque de Raimond Bérenger IV, lorsqu’on
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Castel Narbones. La fierté monumentale des Raimond de Toulouse
réaménage le Palau Comtal adossé contre la muraille antique dont il intègre deux tours
rectangulaires48. Ou encore plus tard, au début du XIIIe siècle, à Bordeaux, lorsque le
duc d’Aquitaine restructure le château de l’Ombrière, à proximité du rempart antique
et de ses tours séculaires49. Dans le Midi de la seconde partie du XIIe siècle, le pouvoir
comtal arrime ses fondations dans le marbre et le calcaire. Fier de l’embellissement de
ce palais monumental qu’il tient en sa main et qui lui donne une nouvelle assise dans
ses terres garonnaises, le prince livre une image singulière du site antique. Jusqu’à leur
disparition, les Raimond restent d’ailleurs attachés à la présence du château ancestral
sur la face principale de leurs sceaux, même s’il tend à prendre progressivement une
forme plus stylisée à partir de 122950. Cet édifice les situe précisément dans l’histoire –
la leur et celle de la ville –, il les place dans la perspective valorisante d’un passé dans
lequel s’ancrent leur présent et la légitimité de leur domination.
40
Pour autant, ne peut-on voir dans cette imposante matrice de 1204 la volonté du comte
d’affirmer une compétence qu’il s’arroge personnellement alors qu’il doit la partager
avec les consuls de la ville de Toulouse depuis 1189 ? Les affaires provençales étant
alors quasiment réglées en ce début d’année 1204, il semblerait que le prince, dans un
mouvement de repli sur sa capitale, tente de mener une contre-offensive politique sur
les berges de la Garonne. Dans les mois qui suivent, les magistrats municipaux
entreprennent, à leur tour, de faire réaliser deux cartulaires consignant leurs libertés
et privilèges51, ainsi que la matrice biface de leur premier sceau commun (févrierseptembre 1205). Les représentations sigillaires de la ville de Toulouse s’inspirent du
sceau princier en reprenant à leur compte la figuration combinée des deux principaux
monuments de la Cité et du Bourg : le château Narbonnais et la basilique Saint-Sernin 52.
Le sceau communal est définitivement fixé pour toute la période médiévale (fig. 5) ; il
est à l’origine des armoiries anciennes de Toulouse.
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Castel Narbones. La fierté monumentale des Raimond de Toulouse
Fig. 5
Avers du sceau de la ville de Toulouse en 1243 (moulage)
© Archives nationales, Sc/D 5682
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Le choix monumental des édiles ne concerne pas seulement les sceaux, il touche
d’autres signes manifestes de leur autorité comme, par exemple, les poids municipaux
monétiformes qui déclinent les multiples et les divisions de la livra de Tolosa. La
première émission, datée de 1239, reprend directement des motifs sigillaires à travers
l’adoption de la silhouette du château Narbonnais à l’avers, sous la forme simple et
stéréotypée de la forteresse à trois tours, et au revers celle du lieu où convergent les
pèlerins, Saint-Sernin53 (fig. 6).
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Castel Narbones. La fierté monumentale des Raimond de Toulouse
Fig. 6
Poids monétiforme du XIIIe siècle correspondant à une demi-livre (coll. part.)
© Droits réservés
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Comme on le voit encore sur une enluminure du Commentaire des coutumes de Toulouse
(1296)54, l’identité unitaire de la communauté des habitants du XIII e siècle se réalise à
travers deux constructions emblématiques de son paysage architectural.
43
Durant sa longue histoire, le château Narbonnais n’a jamais été pris par les armes.
Simon de Montfort a perdu la vie à quelques encablures de ce palais dans lequel il a
vécu mais qu’il n’a pu détenir que durant trois années. Démilitarisé et confié à une
garnison française, en vertu des clauses du traité de 1229, il est cependant rendu au
dernier comte, Raimond VII, en 1236. À sa mort, ses successeurs, Alphonse de Poitiers,
et son épouse, Jeanne de Toulouse, ne viennent pas y résider. Quand tous deux
disparaissent en 1271, le château comtal devient palais royal ; il connaît alors une
nouvelle campagne de travaux qui vise à l’intégrer dans un ensemble de bâtiments
nécessaires à l’administration capétienne (Trésorerie, Hôtel de la Monnaie, maison de
l’Inquisition) donnant naissance à une profonde restructuration fonctionnelle du site,
achevée en 128755. Le château de Raimond V n’est déjà plus qu’un lointain souvenir.
44
Les sources textuelles, archéologiques et sigillaires, se complétant avec bonheur,
permettent d’apprécier l’œuvre de ce comte qui a fait de cet édifice, à travers la
« castralisation de la porte Narbonnaise »56, un monument d’ostentation et un outil
symbolique de sa domination sur la Cité. Il semble avoir frappé ses contemporains tant
la fierté de la dynastie et l’affirmation de sa puissance s’appuient sur le prestige antique
de l’appareil gallo-romain, fondamentale source de légitimité pour les Raimond. Le
château Narbonnais fait durablement partie de leur identité et de celle de la ville de
Toulouse, tout comme la croix que princes et magistrats municipaux arboraient au
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Castel Narbones. La fierté monumentale des Raimond de Toulouse
Moyen Âge. Non pas celle de l’Occitanie ou de Toulouse, mais bien celle des comtes
raimondins qui avaient su l’inventer et lui donner leur nom… 57
BIBLIOGRAPHIE
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VAUX-DE-CERNAY (des), Pierre. Histoire Albigeoise. Trad. Pascal Guébin et Henri Maisonneuve.
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NOTES
1. - Laisse 45, vv. 4-5, extrait de La Chanson de la croisade albigeoise, éditée et traduite par Eugène
Martin-Chabot (référence dorénavant abrégée sous le titre Canso).
2. - PRADALIÉ, 1990, p. 31.
3. - « La noble comtesse, épouse du comte de Montfort, les femmes de Guy, frère du comte,
d’Amaury et de Guy, fils du comte et les nombreux enfants, garçons et filles, du comte et de son
frère, habitaient la forteresse toulousaine qu’on appelle le Château Narbonnais » (VAUX-DECERNAY (des), § 600).
4. - Canso, t. III, laisse 186, vv. 18-22.
5. - Canso, t. III, laisse 206, v. 15.
6. - Canso, t. III, laisse 188, vv. 36-39.
7. - Canso, t. III, laisse 189, vv. 17-20.
8. - Canso, t. III, laisse 198, v. 8.
9. - Canso, t. II, laisse 183, vv. 23-24.
10. - Canso, t. II, laisse 185, vv. 80-81.
11. - LABBÉ, 1988, p. 173-200.
12. - « On lui donna la garde du château Narbonnais, dont lui et l’évêque Foulque eurent la
seigneurie et furent les maîtres. […] En présence de la population toute entière, le comte livra à
l’abbé [de Saint-Sernin] et à l’évêque le château, dont le pareil n’a jamais été vu, je gage, dans une
plaine. » (Canso, t. I, laisse 44, vv. 18-20 ; laisse 45, vv. 4-5).
13. - Chronique de Guillaume de Puylaurens, p. 97.
14. - Canso, t. III, laisse 206, vv. 12-15.
15. - Canso, t. III, laisse 202, vv. 53-56.
16. - Canso, t. III, laisse 189, vv. 15-20.
17. - Canso, t. II, laisse 179, vv. 13-15.
18. - Canso, t. II, laisse 183, vv. 16-22.
19. - Chronique de Guillaume de Puylaurens, ch. XXIV, p. 99.
20. - Canso, t. II, laisse 184, vv. 57-60.
21. - Canso, t. III, laisse 191, vv. 107-110.
22. - Canso, t. III, laisse 192, vv. 6-9.
23. - Canso, t. III, laisse 198, vv. 5-9.
24. - Canso, t. III, laisse 190, vv. 68-69.
25. - Canso, t. III, laisse 187, vv. 60-61.
26. - Canso, t. III, laisse 214, vv. 86-88.
27. - « Les barons ont tous juré sur les reliques des saints que rien, ni le péril ni l’assaut ni les
coups ni les blessures ni la crainte de la mort ou du carnage, ne leur ferait, tant qu’ils seraient en
vie, quitter les ouvrages fortifiés qui leur étaient confiés » (Canso, t. III, laisse 214, vv. 104-108).
28. - Canso, t. II, laisse 171, vv. 75-76.
29. - Canso, t. II, laisse 173, vv. 49-52 ; vv. 55-58.
30. - Canso, t. II, laisse 176, vv. 9-14 ; vv. 19-20.
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31. - VAUX-DE-CERNAY (des), § 606 C.
32. - VAUX-DE-CERNAY (des), § 608.
33. - CATALO, 2014, p. 473.
34. - CATALO, 2010, p. 103-106.
35. - CATALO, 2014, p. 480.
36. - CATALO, 2010, p. 57 ; p. 59.
37. - CATALO, 2014, p. 485.
38. - CATALO, 2010, p. 62.
39. - CATALO, 2014, p. 486.
40. - CATALO, 2014, p. 487.
41. - Archives nationales (France), Sc/D 743 (moulage).
42. - MACÉ, 2018, p. 176-179.
43. - CATALO, 2014, p. 485.
44. - Expédition sur Toulouse du roi d’Aragon, comte de Barcelone, en 1175 ; alliance contre
Raimond V signée à Najac entre ce même roi et le duc d’Aquitaine, Richard, en avril 1185/86.
45. - MACÉ, 2018, p. 179-183.
46. - MACÉ, 2018, p. 171-176.
47. - CATALO, 2014, p. 488.
48. - BELTRÁN DE HEREDIA BERCERO, 2008, p. 40-42.
49. - BOUTOULLE, 2003, p. 59-75.
50. - MACÉ, 2018, p. 159-162 ; p. 179.
51. - MACÉ, 2002, p. 51-59.
52. - MACÉ, 2009, vol. 1, p. 241-255.
53. - BORDES, 2005, p. 106-110.
54. - BORDES, 2005, p. 93.
55. - CATALO, 2010, p. 156-164.
56. - CATALO, 2014, p. 484.
57. - MACÉ, 2018, p. 93-103.
RÉSUMÉS
La résidence fortifiée que les comtes de Toulouse firent bâtir dans leur capitale, dans les
dernières décennies du XIIe siècle, est appréhendée dans cette étude selon l’apport de trois types
de sources : les données littéraires, archéologiques et sigillaires. Ces différents angles d’approche
permettent de comprendre la nature, la genèse, ainsi que les transformations successives d’un
site castral qui est devenu, au fil du temps, un emblème de la puissance princière ainsi qu’une
marque identitaire de la dynastie raimondine que la ville s’est, à son tour appropriée, au cours de
la période médiévale.
The fortified residence built by the Counts of Toulouse in their capital in the final decades of the
12th century is appreciated in this study through three sources: literary, archaeological and
sigillographic. These different angles of approach assist in understanding the nature, genesis and
successive transformations of a castral site that over time became an emblem of princely power
and a mark of identity of the Raimond dynasty, that the city appropriated in its turn during the
mediaeval period.
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Castel Narbones. La fierté monumentale des Raimond de Toulouse
INDEX
Keywords : counts of Toulouse, 12th century, 13th century, seals, Albigensian Crusade,
archaeology, sigillography, emblematic
Mots-clés : comtes de Toulouse, XIIe siècle, XIIIe siècle, sceaux, croisade albigeoise, archéologie,
sigillographie, emblématique
Index géographique : Toulouse, château Narbonnais
AUTEUR
LAURENT MACÉ
Professeur d’histoire médiévale, Université Toulouse-Jean Jaurès
Patrimoines du Sud, 10 | 2019
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