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Albéric Baumard Thèse présentée en vue de l’obtention du grade de Docteur de l’Université d’Angers Sous le label de l’Université Nantes Angers Le Mans Discipline : Droit Spécialité : Droit public Laboratoire : Centre Jean Bodin – Recherches juridique et politique Soutenue le 21 novembre 2012 École doctorale : Pierre Couvrat, ED n°88 Thèse N° 1271 L’action commune entre collectivités territoriales : La collectivité territoriale chef de file JURY Rapporteurs : Monsieur Jean-François BRISSON, Professeur de droit public, Université Bordeaux IV Monsieur Bertrand FAURE, Professeur de droit public, Université de Nantes Examinateurs : Monsieur Gérard MARCOU, Professeur de droit public, Université Paris I Madame Martine LONG, Maître de conférence HDR en droit public, Université d’Angers Directeur de Thèse : Monsieur Hervé RIHAL, Professeur de droit public, Université d’Angers L’Université n’entend donner aucune approbation, ni improbation aux opinions émises dans les thèses. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs. Remerciements Je tiens tout d’abord à remercier sincèrement Monsieur le professeur Hervé Rihal sans qui cette aventure doctorale n’aurait jamais été possible. Ses conseils et son exigence ont été d’une aide précieuse tout au long de mes recherches. Je remercie Madame Long, Messieurs Brisson, Faure et Marcou d’avoir accepté de lire, de critiquer et de débattre sur l’action commune entre collectivités territoriales. Leur présence dans ce jury est pour moi un véritable honneur. J’adresse une pensée à tous ceux et toutes celles, élus et fonctionnaires, que j’ai rencontré aux cours de mes recherches. Leur apport a été fondamental dans la construction de ce travail et dans l’élaboration de mes convictions sur la fonction de collectivité chef de file et la mise eu œuvre des politiques publiques. Une pensée va également aux enseignants chercheurs du centre Jean Bodin avec qui j’ai pu discuter, échanger et qui m’ont permis d’accéder à certaines sources. Enfin, je remercie chaleureusement mes parents, ma famille et mes amis pour leur patience, leur soutien et leurs encouragements tout au long de ce projet doctoral. A Laure, pour son soutien et sa patience. A Renaud, notre action commune. Sigles et abréviations AdCF ADF Aff. AFPA AJDA al. AMF APA ARF ARS art. art. cit. ASE Ass. AVS Assemblée des communautés de France Assemblée des départements des France Affaire Association pour la formation professionnelle des adultes Actualité juridique – droit administratif Alinéa Association des maires de France Allocation personnalisée d’autonomie Association des régions de France Agence régionale de santé Article Article précité Aide sociale à l’enfance Assemblée Auxiliaire de vie scolaire BJCL BJCP Bulletin juridique des collectivités locales Bulletin de jurisprudence des contrats publics c. CAF CASF Cass. Civ. Cass. Com. CC CCAS CDAPH Contre Caisse d’allocations familiales Code de l’Action Sociale et des Familles Cour de cassation, Chambre civile Cour de cassation, Chambre commerciale Conseil constitutionnel Centre communal d’action sociale Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées Commission départementale de l’éduction spéciale Contrat de développement territorial Conseil d'État Centre de formation des apprentis Code général des collectivités territoriales Chronique Cour de justice des Communautés Européennes Centre local d’information et de coordination gérontologique Collection Conclusions Considérant (n°) Commission technique d’orientation et de reclassement professionnel Contrat de plan/ de projets État région Contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens Chambre régionale des comptes Contrats urbains de cohésion sociale CDES CDT CE CFA CGCT Chron. CJCE CLIC Coll. Concl. Cons. (n°) COTOREP CPER CPOM CRC CUCS -I- DATAR DGCL Dir. Dr. Adm. DTA Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale Direction générale des collectivités locales Sous la direction de Droit Administratif Directive territoriale d’aménagement Ed. EPCI ex. Edition Etablissement public de coopération intercommunale Exemple fasc. Fascicule GAJA GIP Grands arrêts de la jurisprudence administrative Groupement d’intérêt public Ibid. Idem IGAS Infra §(n°) Référence identique à la précédente mais page différente Référence identique à la précédente Inspection générale des affaires sociales Renvoi vers un paragraphe postérieur JCP-A et CT JOCE JORF Jurisclasseur périodique (La semaine juridique), édition administrations et collectivités territoriales Jurisclasseur périodique (La semaine juridique), édition notariale et immobilière Journal officiel des Communautés Européennes Journal officiel de la République française LPA LGDJ Les petites affiches Librairie générale de droit et de jurisprudence MDPH Maison départementale des personnes handicapées n° not. Numéro Notamment ODAS op. cit. Observatoire national de l’action sociale décentralisée Opere citato p. PDH PDI PLH PLU PMI POS Précit. PRDF PTI PUAM Page Plan départemental de l’habitat Plan départemental d’insertion Plan local d’habitat Plan local d’urbanisme Protection maternelle et infantile Plan d’occupation des sols Loi, texte réglementaire ou décision déjà cité précedemment Plan régional de développement des formations professionnelles Plan territorial d’insertion Presses Universitaires Aix-Marseille JCP-N - II - PUF PUG PULIM PUR Presses Universitaires de France Presses Universitaires de Grenoble Presses Universitaires de Limoges Presses Universitaires de Rennes QPC Question prioritaire de constitutionnalité RA RDP RDSS Rec. Req. RFAP RFAS RFDA RFDC RFSP RGCT RGPP RIDC RLCT RMA RMI RSA Revue administrative Revue du droit public Revue de droit sanitaire et social Recueil Requête Revue française d’administration publique Revue française des affaires sociales Revue française de droit administratif Revue française de droit constitutionnel Revue française de science politique Revue générale des collectivités territoriales Révision générale des politiques publiques Revue internationale de droit comparé Revue Lamy des collectivités territoriales Revenu minimum d’activité Revenu minimum d’insertion Revenu de solidarité active SCOT Sct SDRIF SGP Spec. SOCMS SRDE Supra §(n°) Schéma de cohérence territoriale Section Schéma directeur d’Île-de-France Société du Grand Paris Spécialement Schéma d’organisation des compétences et de mutualisation des services Schéma régional d’aménagement et de développement durable du territoire Schéma régional de développement économique Renvoi vers un paragraphe antérieur T. (n°) TA TC TER TFUE Tome (n°) Tribunal administratif Tribunal des conflits Transports express régionaux Traité fondamental de l’Union Européenne V. Voir SRADDT - III - - IV - Sommaire PREMIÈRE PARTIE – L’insertion de la fonction de collectivité chef de file dans son environnement normatif TITRE 1ER – Le concept de collectivité chef de file face aux autres dispositions constitutionnelles TITRE 2 – Les moyens de régulation de l’action commune par la collectivité chef de file SECONDE PARTIE – La collectivité chef de file, un potentiel à confirmer TITRE 1ER – La mise en œuvre de la notion de collectivité chef de file TITRE 2 – Les interrogations sur le devenir de la fonction de collectivité chef de file -5- -6- Introduction générale 1. « Il faut que demain les Français – comme citoyens et comme usagers – sachent clairement quelles affaires, quels services relèvent de l’État, et quels de leurs institutions territoriales. Il faut que l’Etat et les élus locaux sachent clairement où s’arrêtent leurs zones respectives de compétences et assument leur responsabilité dans un cadre précis de droits et de devoirs ».1 « Le constat d’un enchevêtrement excessif des compétences et d’un développement incontrôlé des financements croisés (dans lesquels l’État a joué un rôle central) est unanimement partagé ».2 Trente cinq ans séparent la publication des rapports dont sont extraites ces phrases, pourtant il est remarquable que les auteurs font un même constat. Depuis ce qu’il est courant de désigner comme l’Acte I de la décentralisation, il est un serpent de mer qui préoccupe les élus, locaux et nationaux, la doctrine et qui se trouve au cœur de nombreux rapports sur la décentralisation. Il s’agit de l’enchevêtrement des compétences. Celui-ci renvoie à l’idée qu’il existe un certain nombre de domaines d’intervention – des compétences – dans lesquelles les différents niveaux de collectivités publiques – territoriales pour ce qui nous intéressera tout au long de cette étude – peuvent intervenir de manière superposée, croisée – c’est l’enchevêtrement. Or cela pose indéniablement des problèmes de lecture, de compréhension de l’action locale pour les citoyens. 1 GUICHARD Olivier, Vivre ensemble : rapport de la commission de développement des responsabilités locales, Paris, La Documentation française, 1976, p.36. 2 PERETTI Jean-Jacques de, La liberté de s’organiser pour agir, Rapport au Président de la République, 2011, p.10. -7- 2. Il n’est pas question ici de faire un historique exhaustif de la décentralisation. Il est cependant nécessaire de démontrer que si le constat de l’enchevêtrement des compétences est largement partagé, la réflexion autour de solutions pour remédier à ce problème lui est concomitante et pour le moins aussi ancienne (Section 1). Or il est pertinent de relever que le législateur puis le constituant ont adopté la fonction de chef de file comme une méthode de l’action commune (Section 2). Ces constats, mais aussi les questions qu’ils vont soulever nous conduirons donc à présenter le questionnement guidant notre recherche (Section 3). -8- Section 1. La continuelle recherche d’une solution à l’enchevêtrement des compétences L’enchevêtrement des compétences est lié à différents facteurs qui s’entremêlent dans le cadre de la décentralisation française (§1). Toutes aussi variées sont les solutions pour apporter une certaine forme de cohérence dans la mise en œuvre des politiques locales (§2). §1. L’enchevêtrement des compétences, source de nombreux inconvénients 3. « La répartition des compétences est une démarche éminemment politique. Les possibilités de répartition sont nombreuses et directement en fonction du choix d’un certain type ou d’une certaine structure de l’État ».3 La répartition des compétences entre le niveau national et le niveau local, puis entre les collectivités territoriales entre elles se déroule en théorie selon deux schémas. Soit, il existe une répartition des compétences par attribution – législative ou constitutionnelle – des différentes politiques aux différents échelons de collectivités. Soit, tous les niveaux de collectivités bénéficient d’une compétence générale, ce qui leur permet d’intervenir indifféremment dans tous les domaines. Il est vrai que le premier mode de répartition des compétences, lorsque l’attribution est faite au niveau constitutionnel, caractérise les États fédéraux. « Il n’existe aucun État unitaire dans lequel la répartition des compétences entre l’État et les collectivités locales procède directement de la Constitution ».4 4. La décentralisation à la française n’a pas su faire un choix clair pour l’une des deux méthodes de répartition des compétences. Le système français se caractérise par la superposition des méthodes. Les collectivités territoriales bénéficient, d’une part, de la clause générale de compétence et, d’autre part, de compétences d’attribution. S’agissant de la clause générale de compétences, les communes et les départements en bénéficient depuis le XIXe siècle. Pour les départements, c’est la loi de 18715 qui est considérée comme l’acte fondateur de leur clause générale de compétence puisqu’elle accorde au conseil générale le soin de régler les affaires d’intérêt départemental. Cette disposition survie toujours aujourd’hui à l’article L.3211-1 du Code général des collectivités territoriales.6 La loi de 1884 accorde, quant à elle, la clause générale de compétence aux communes. Ce texte prévoit, en effet, que 3 MADIOT Yves, « Les techniques de correction de la répartition des compétences entre collectivités locales », RFDA, 1996, p.965. 4 MARCOU Gérard, « Les trente ans de la région : et demain ? », AJDA, 2012, p.751. 5 Loi n°1871-08-10 du 10 août 1871 relative aux conseils généraux, JORF, 29 août 1871, p.3041. 6 Cet article disposait, avant la modification apportée par la loi du 16 décembre 2010, que « le conseil général règle par ses délibérations les affaires du département ». -9- « le conseil municipal règle par ses délibérations, les affaires de la commune ».7 La région, qui n’est devenue véritablement une collectivité de plein exercice qu’avec l’élection des conseillers régionaux au suffrage universel en 1986, bénéficie d’une clause générale de compétence depuis cette même année. L’article L.4221-1 du CGCT disposait, jusqu’à sa modification par la loi du 16 décembre 2010 que « le conseil régional règle par ses délibérations les affaires de la région ».8 La clause générale de compétence était donc jusqu’en 2010 reconnue de manière claire à l’ensemble des collectivités territoriales. Les collectivités territoriales pouvaient intervenir dans divers domaines sur son fondement. 5. Or parallèlement, les différentes lois de décentralisation ont transféré des « blocs de compétences » aux collectivités territoriales. L’objectif du bloc de compétence est de confier à un seul niveau de collectivité territoriale le soin de gérer l’ensemble des compétences liées à un domaine, à une politique publique. L’idée était ainsi de permettre aux collectivités territoriales de se spécialiser dans certains domaines d’action et de s’assurer que les actions des différentes collectivités ne pouvaient s’entrecroiser. Cette volonté s’est concrétisée dans la loi du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences dont l’article 3 dispose que « la répartition des compétences entre les collectivités territoriales et l’État s’effectue, dans la mesure du possible, en distinguant celles qui sont mises à la charge de l’État et celles qui sont dévolues aux communes, aux départements et aux régions, de telle sorte que chaque domaine de compétences ainsi que les ressources correspondantes soient affectées en totalité soit à l’État, soit aux communes, soit aux départements, soit aux régions ».9 Cette disposition est aujourd’hui codifiée à l’article L.1111-4 du CGCT. « Cette directive de bon sens s’avère bien difficile à suivre en pratique ».10 La technique de la répartition des compétences par blocs a conduit à accorder de nombreuses compétences particulières aux collectivités territoriales. Il est ainsi nécessaire de constater qu’il y a eu un « extrême morcellement des compétences décentralisées distribuées par des textes surchargés en conditions d’exercice ».11 6. Il y a donc une superposition des deux modes de répartition des compétences. Cela aboutit à l’enchevêtrement des compétences que nous connaissons actuellement. « Ainsi, une 7 Art. 61 de la loi municipale du 5 avril 1884. La rédaction est toujours la même à l’alinéa 1er de l’article L.212129 du CGCT. 8 Nous analyserons ultérieurement le fait que si la loi de réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010 a voulu supprimer la clause générale de compétence du département et de la région, il n’en est rien. Infra §417. 9 Art. 3 de la loi n°83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l’État, JORF, 9 janvier 1983, p.215. 10 LAUBADÈRE André de, Traité de droit administratif, T.1, Paris, LGDJ, 15e ed., 1999, p.158. 11 FAURE Bertrand, « La glorieuse trentenaire. A propos du 30e anniversaire de la loi du 2 mars 1982 », AJDA, 2012, p.740. - 10 - attribution spécifique peut prendre le relais d’une compétence incitative spontanée et s’accompagner de l’octroi de moyens d’action dont la collectivité territoriale n’aurait pas pu disposer autrement (c’est ainsi que se sont consituées la plupart des compétences communes au fil du temps) ».12 Il s’agit d’un véritable problème au cœur de la décentralisation, sans cesse dénoncé mais jamais parfaitement corrigé. L’enchevêtrement des compétences est lié à deux facteurs, d’une part, les collectivités territoriales elles-mêmes et, d’autre part, le législateur. 7. En effet, la doctrine a mis en évidence la tendance qu’ont eue les collectivités territoriales « à sortir du cadre strict des compétences qui leur ont été transférées ».13 Il faut relever ici que, contrairement au discours « dénonçant » l’enchevêtrement des compétences comme provenant de la clause générale de compétence et de la tendance des collectivités territoriales à intervenir tous azimuts, il nous semble que le législateur est responsable d’une grande part de l’enchevêtrement des compétences. En multipliant les lois de transferts de compétences – 70 textes entre 1982 et 201014 – le législateur a autorisé chacun des différents niveaux de collectivités territoriales à intervenir de manière plus ou moins importante dans des domaines au départ réservés à une autre collectivité territoriale. Les compétences se sont ainsi peu à peu enchevêtrées sous l’action d’un travail législatif soit trop rapide, « soit trop ambitieux, soit trop sensible aux pressions non seulement des lobbys mais aussi des bureaux des ministères qui trouvent dans la loi un moyen commode pour corriger les erreurs de plume ou l’échec des constructions trop aventureuses ».15 Ainsi la succession de lois décentralisant des compétences n’est pas toujours une œuvre harmonieuse, basée sur un projet politique assuré. L’histoire récente de la décentralisation des compétences ressemble plutôt à une succession d’interventions qui se superposent les unes aux autres. Dans quelques années, l’historien du droit – tel l’archéologue fouillant les différentes strates géologiques – aura peutêtre du mal à comprendre les logiques de l’évolution à l’œuvre entre chaque texte. Or cette accumulation conduit implacablement à des problèmes de lecture, de compréhension des compétences pour les usagers, mais aussi d’efficacité pour les services en charge de la mise en œuvre de ces politiques. « Dans de nombreux domaines de compétences au départ assez 12 DOUENCE Jean-Claude, « La spécialisation des compétences », in NEMERY Jean-Claude (dir.), Quelle nouvelle réforme pour les collectivités territoriales françaises ?, Paris, L’Harmattan, 2010, p.267. 13 GARREC René, Rapport relatif au projet de loi constitutionnelle et aux propositions de lois constitutionnelles relatifs à l’organisation décentralisée de la République, Sénat, n°27, 2003, p.109. 14 PERETTI Jean-Jacques de, La liberté de s’organiser pour agir, Rapport au Président de la République, op. cit., p.10. 15 JÉGOUZO Yves, « De la loi Chevènement à la loi de démocratie de proximité », AJDA, 2002, p.281. - 11 - clairement affectés, plusieurs niveaux de collectivités territoriales interviennent. Les élus déplorent la complexité croissante du système ».16 8. C’est donc le législateur qui au fil des différentes législations relatives à la décentralisation a permis à chaque collectivité d’intervenir, notamment en fragmentant nombre de compétences pour les partager entre les différents niveaux de collectivités territoriales. « L’État, par ses propres politiques sectorielles (lutte contre les exclusions, réduction de la durée hebdomadaire de travail…) impose de reconsidérer régulièrement le contenu des compétences décentralisées. Une répartition stricte des compétences matérielles propices à l’indépendance d’action des autorités locales semble impossible à établir dans le cadre de la République décentralisée ».17 La plupart des compétences locales sont fortement imbriquées. Les services d’incendie et de secours sont à ce titre un bon exemple. Ainsi jusqu’en 1996, il y avait une coexistence de services départementaux d’incendie et de secours visant à intervenir prioritairement en milieu rural et des services communaux ou intercommunaux d’incendie et de secours. Si l’établissement public dans lequel ces services sont aujourd’hui regroupés relève de la responsabilité du conseil général, le département a en réalité très peu de compétences en la matière. En effet, la compétence des secours relève du pouvoir de police générale du maire. Ainsi l’institution des services départementaux d’incendie et de secours par la loi du 27 février 2002 « conduit à rompre l’équilibre fragile opéré jusqu’à présent entre la gestion du service et l’exercice du pouvoir de police ».18 Il y a donc ici indéniablement une construction législative qui conduit à une difficile lecture des responsabilités de chacun des acteurs locaux. 9. L’échec de la répartition des compétences par blocs à conduit à des situations où « dans la plupart des cas deux, trois voire l’ensemble des collectivités publiques disposent d’une compétence pour intervenir ».19 Le législateur a ainsi fait de la décentralisation le terreau favorable au développement d’une action partagée. Les collectivités territoriales de manière spontanée ont mis en place des méthodes pour organiser, pour rationaliser, pour éclaircir l’exercice des compétences. L’enchevêtrement des compétences conduit les collectivités territoriales « à inventer, en tant que producteurs de politiques publiques, de nouvelles formes de conduite des affaires locales, une nouvelle gouvernance pour la 16 MARZELIER Christiane, Décentralisation Acte II. Chroniques des assises des libertés locales, Paris, L’Harmattan, 2004, p.48. 17 FAURE Bertrand, Droit des collectivités territoriales, Paris, Dalloz, 2e ed., 2011, p.493. 18 PRÉTOT Xavier, « L’organisation et le financement des services d’incendie et de secours », RDP, 2002, n°4, p.1001. 19 PONTIER Jean-Marie, « Pour une reconnaissance de la notion de collectivité chef de file », RA, 2002, n°328, p.406. - 12 - réalisation d’une gestion économiquement efficace ».20 La mise en œuvre de ces actions partagées s’est manifestée de manière très casuistique et a avant tout donné lieu à des flux financiers entre collectivités territoriales pour assumer leurs diverses compétences. Ainsi, « les financements croisés ne sont que le reflet du partage des responsabilités entre collectivités publiques dans les secteurs essentiels de la vie nationale ».21 Les collectivités territoriales ont été le lieu d’exercice d’un foisonnement de compétences pas toujours correctement coordonnées. 10. La décentralisation implique un certain nombre de problématiques qui lui sont propres parmi lesquelles l’enchevêtrement des compétences. « Au nom de cette décentralisation, les collectivités territoriales ont eu, au cours des dix dernières années, une incitation très marquée à exercer des compétences concurrentes, chacune invoquant des raisons qui sont tout à fait légitimes. Est-ce un mal ? Est-ce un bien ? […] La clarification des compétences a donc été souhaitée. Mais bien vite […] nous nous sommes rendus compte que cette clarification n’était pas simple ».22 L’enchevêtrement des compétences est donc non seulement connu, mais le législateur a tenté d’y remédier. Toutefois ces tentatives de solutions semblent être restées assez peu efficaces jusqu’à aujourd’hui. Or il est nécessaire de dépasser ce statu quo. Il n’est pas possible de se contenter d’une situation où les compétences sont enchevêtrées. « La décentralisation dite « territoriale » ne doit pas seulement consister dans la remise, aux collectivités concernées, d’un « lot » de compétences accompagnées de moyens financiers, fiscaux et en personnel. Cette forme de décentralisation doit aussi s’accompagner de la mise en œuvre d’un droit territorialement adapté »,23 c'est-à-dire en ce qui concerne notre étude d’un droit qui permet la mise en place d’une véritable coordination des politiques locales, une véritable action commune. 11. Il est indéniable que les multiples financements croisés, qui ont accompagné l’enchevêtrement des compétences, ont aussi eu des effets bénéfiques. Pour certaines collectivités, les plus petites, les financements croisés ont bien souvent permis d’assurer le financement de projets que celles-ci n’auraient pas réussi seules. C’est ainsi qu’on a progressivement assisté à une multiplication des financements croisés qui, considérés au 20 GORGE Anne-Sophie, Le principe d’égalité entre collectivités territoriales, Paris, Dalloz, coll. Bibliothèque parlementaire et constitutionnelle, 2011, p.454. 21 MADIOT Yves, « Les techniques de correction de la répartition des compétences entre collectivités locales », art. cit., p.967. 22 GIRAULT Jean-Marie, Sénat, JORF Débats, 5 novembre 1994, p.5003. 23 MADIOT Yves, « Vers une « territorialisation » du droit », RFDA, 1995, p.955. - 13 - départ « comme source de complexité et de confusion »24 sont peu à peu devenus « indispensables ».25 Cependant, indispensable ne signifie pas à nos yeux légitime. Ainsi, ce n’est pas parce que les financements croisés sont largement répandus, qu’ils sont parfois utiles à la réalisation de certains projets qu’il ne faut pas réfléchir à une méthode pour organiser, encadrer cette pratique. Lors du débat sur la loi d’orientation pour l’aménagement du territoire, un député évoquait le fait que « prévoir des financements croisés oblige la collectivité chef de file à se faire comprendre, à expliciter son projet, à expliquer ses objectifs aux autres collectivités à qui elle demande une participation ».26 Les financements croisés peuvent être acceptables dès lors qu’ils sont encadrés. Or il ressort de l’enchevêtrement des compétences que tel n’est pas toujours le cas. De plus, n’est-il pas plus efficace d’agir sur la cause plutôt que sur les conséquences ? En effet, il nous apparaît comme plus efficace de chercher à agir sur l’enchevêtrement des compétences, qui est le point de départ des problèmes que nous avons pu constater. Au contraire n’agir que sur les financements croisés ne reviendrait qu’à traiter les conséquences du problème des compétences enchevêtrées. 12. L’enchevêtrement des compétences n’est pas seulement dénoncé pour les problèmes de compréhension de l’action administrative qu’il peut occasionner à l’égard des usagers, mais parce que l’action elle-même en pâti. Pour les citoyens, l’enchevêtrement des compétences nuit à la compréhension de l’action administrative. Il y a des difficultés à identifier la collectivité territoriale responsable de la politique. « Les associations, la société civile interpellent sur l’incapacité du citoyen de base à s’y retrouver. Ils s’inquiètent de la réalité de l’exercice du contrôle démocratique des citoyens, face à la difficulté d’identifier quels sont les élus responsables de quoi ».27 Ainsi, pour le citoyen ordinaire le « mille-feuille administratif » est une réalité, dans laquelle il a parfois bien du mal à déterminer « qui fait quoi, qui finance quoi et pourquoi ». Or cela interroge profondément l’exercice de la démocratie locale. Celle-ci est l’occasion pour le citoyen – usager, destinataire des politiques locales – d’accorder son satisfecit ou au contraire de sanctionner l’action d’une majorité en place. Cependant à cause de l’enchevêtrement des compétences, il est légitime de s’interroger sur la possibilité de disposer de l’ensemble des informations nécessaires pour accorder au crédit ou débit d’une majorité dans une collectivité la réussite ou non d’une politique locale. La lecture, la compréhension de l’action administrative par les administrés se révèle 24 GARREC René, Rapport relatif au projet de loi constitutionnelle et aux propositions de lois constitutionnelles relatifs à l’organisation décentralisée de la République, op cit., p.109. 25 Idem. 26 MILLION Charles, Assemblée nationale, JORF Débats, 11 juillet 1994, p.4654. 27 MARZELIER Christiane, Décentralisation Acte II. Chronique des assises des libertés locales, op. cit., p.48. - 14 - particulièrement difficile. C’est l’accessibilité même du service public qui est mise à mal. Or « la faculté de comprendre aisément une procédure ou une prestation administrative offre à celui qui en a besoin un gage d’accessibilité : on ne se décourage pas devant un service public dont on comprend les rouages internes ».28 Le problème est que l’enchevêtrement des compétences rend difficile la compréhension de ces mécanismes internes de fonctionnement de l’administration. Cette compréhension se révèle d’autant plus difficile lorsque le citoyen doit multiplier les contacts, les demandes auprès de différentes collectivités pour une même question. Chacune de ces demandes implique le plus souvent d’ailleurs pour le citoyen l’obligation de remplir des dossiers qui régulièrement exigent la production des mêmes informations, des mêmes pièces justificatives. Le citoyen peut alors s’interroger sur une certaine inutilité de toutes ces démarches qui se répètent, Tous ces éléments conduisent à ralentir l’action administrative et à la brouiller aux yeux du citoyen. Le citoyen peut ainsi être amené à s’interroger sur l’efficacité de la décentralisation pour répondre à ses besoins. « Quel que soit le niveau, le pouvoir politique doit combiner légitimité et efficacité dès lors que l’efficacité devient une des conditions de sa légitimé ».29 Dès lors, le citoyen pourrait être tenté par une remise en cause de la décentralisation au profit de l’État qui serait considéré alors comme seul garant de l’intérêt général. La réponse à l’enchevêtrement des compétences n’est donc pas qu’un problème de « technique » de répartition des compétences. Elle implique un certain nombre de questionnements plus théoriques, sur la décentralisation elle-même. 13. Du point de vue des collectivités territoriales, l’enchevêtrement des compétences est également néfaste. Il y a un risque que les actions se superposent, c'est-à-dire que différents niveaux de collectivités interviennent chacuns leur tour pour mettre en œuvre des solutions différentes pour un même problème. Cette superposition peut être néfaste dès lors que pour une même politique les différentes collectivités vont viser des objectifs différents – voire contradictoires – mais vont aussi avoir recours à des méthodes différentes. Ce risque est particulièrement visible en matière d’intervention économique des collectivités territoriales. Ainsi « toutes les collectivités locales se sentent concernées par l’interventionnisme économique. Toutes bénéficient de compétences dans ce domaine. Mais ces compétences, par leur chevauchement, amènent les collectivités à se trouver dans une situation de concurrence, pervertissant les effets des mécanismes instituées. Naturellement, la solution à ce problème ne 28 LAJARTRE Arnaud de, « L’accessibilité, nouveau principe de fonctionnement des services publics ? », in LONG Martine (dir.), Egalité et services publics territoriaux, Paris, LGDJ, 2005, p.158. 29 DURAN Patrice, « La gouvernance territoriale en tension », Pouvoirs locaux, 2012, n°93, p.54. - 15 - réside pas dans le fait d’empêcher certaines collectivités d’exercer des compétences économiques, mais dans une meilleure définition des rôles de chacun ».30 Ainsi pour les entreprises cette situation est néfaste car elle implique un investissement important en temps et en connaissance pour savoir à quel niveau de collectivité il convient de s’adresser pour obtenir des aides. Pour les collectivités ce système est également problématique car face au manque de coordination il y a un risque de contradiction entre les aides accordées par les différentes collectivités. Dans ce cas, les collectivités sont également confrontés au risque de saupoudrage. Ainsi, au lieu d’allouer l’ensemble des moyens à un seul type d’action, les collectivités, du fait de l’enchevêtrement, sont obligées – ne serait-ce que du point de vue électoral – de participer au financement d’opérations lancées par d’autres collectivités. Il est intéressant pour une collectivité territoriale de voir son nom accolé aux annonces de la réalisation d’un projet ou d’un équipement collectif. Pour tout élu local qui souhaite assurer la promotion de son action, il est intéressant de pouvoir associer la collectivité qu’il dirige à un projet. Il y a donc une forme de paradoxe entre le ressenti de l’enchevêtrement des compétences par les élus, qui y voient un atout pour valoriser leur dynamisme et les électeurs, qui peuvent être déroutés dans l’exercice de la démocratie locale. Pour cela, les collectivités multiplient les participations, les investissements ponctuels qui au final aboutissent à une dispersion de l’action locale. D’ailleurs, l’une des définitions du mot saupoudrage est à cet égard tout à fait explicite. En effet, le dictionnaire propose « répartition des crédits minimes entre de très nombreux postes ».31 14. Le saupoudrage des crédits empêche selon nous d’avoir une compréhension claire et cohérente de l’action locale. D’ailleurs, l’enchevêtrement des compétences conduit à ce manque de cohérence. Manque de cohérence à l’égard de l’action d’une collectivité particulière, mais aussi manque de cohérence entre les actions des différentes collectivités territoriales. Ainsi l’enchevêtrement des compétences conduit les collectivités à vouloir intervenir dans beaucoup de domaines différents. Or cela conduit parfois à avoir des difficultés à comprendre quels sont les objectifs des élus locaux, quelle est la cohérence de leurs actions, mais également ce qui les justifie. Pour l’électeur local il peut parfois être déroutant de constater les investissements faits par la collectivité où il habite. Quelle cohérence l’électeur pourrait ressentir si sa commune investit en faveur du tourisme vert sur son territoire et qu’elle favorise en même temps l’implantation d’industries lourdes ou encore 30 SOUSSE Marcel, « Les aides des collectivités locales aux entreprises dans la loi relative à la démocratie de proximité », LPA, 2002, n°106, p.4. 31 Le Petit Robert, Ed. Le Robert, 2011. - 16 - d’éoliennes ? De même quelle logique pourra-t-il mettre en lumière si son département investit massivement en faveur des maisons de retraites et qu’en même temps il finance des équipements sportifs à destination des plus jeunes comme un skatepark ? Le souci de cohérence de l’action locale se ressent aussi dans l’absence de coordination entre les actions des différentes collectivités territoriales. Ainsi, si les divers niveaux de collectivités ont identifié un même problème, les moyens mis en œuvre pour le résoudre peuvent être différents. Or cette différence de moyens, non pas seulement financiers, mais aussi matériels et humains, induit des réponses différentes qui peuvent ne pas être cohérentes entre elles. Les différents moyens mis en œuvre peuvent tout à fait se compléter pour aboutir encore plus vite au résultat escompté, mais le plus souvent ces moyens sont redondants, des actions similaires sont mises en œuvre par des niveaux différents de collectivités. Cela conduit finalement à un brouillage de l’action publique, l’usager ne comprenant pas forcément pourquoi le même type d’action est réalisé à plusieurs reprises par des collectivités différentes. De plus, l’enchevêtrement des compétences conduit ici à augmenter inutilement le coût des politiques publiques. En effet, les interventions de chacune des collectivités implique la mise en œuvre par celles-ci de moyens financiers, humains et techniques. Dès lors, l’état des finances locales étant déjà préoccupant, l’enchevêtrement des compétences impose une pression supplémentaire sur celles-ci. Chaque collectivité allouant des moyens à toutes les actions, il y a un risque finalement qu’elle intervienne dans tous les domaines mais qu’aucune politique ne bénéficie de tous les moyens nécessaires pour assurer sa réussite. Il est aisé de retrouver là la définition du saupoudrage telle que proposée dans le dictionnaire, c'est-à-dire l’idée qu’il s’agit de financer à une petite échelle un nombre important de projets. L’enchevêtrement des compétences est donc néfaste pour les finances locales. Enfin la cohérence de l’action locale peut être aussi mise à mal si jamais les moyens mis en œuvre par les différentes collectivités sont contradictoires ou visent des publics similaires pour des objectifs différents. L’enchevêtrement des compétences rencontre de nombreuses et importantes limites. C’est pourquoi il convient de s’interroger sur la manière de faire disparaître ces enchevêtrements, sinon sur les méthodes de coordination des actions locales enchevêtrées. 15. Le constat est assez largement partagé, « la décentralisation par voie de blocs de compétences a montré ses limites ».32 Il est donc nécessaire de s’interroger sur les moyens d’assurer une plus grande cohérence de l’action locale. Il convient de déterminer des moyens 32 CLÉMENT Pascal, Rapport sur le projet de loi relatif à l’organisation décentralisée de la République, Assemblée nationale, n°376, 2002, p.95. - 17 - pour faciliter l’accès à l’action administrative, mais aussi pour lui assurer une plus grande efficacité. Il convient de dépasser la simple action partagée pour mettre en œuvre une véritable action commune. « Si le partage des compétences n’est pas dans son principe condamnable, la pratique locale a montré qu’il pouvait être la cause de sérieux dysfonctionnements (morcellement de l’action publique, concurrence entre collectivités locales). Or c’est précisément l’objet de la notion de collectivité chef de file que de remédier au brouillage des compétences en permettant à une collectivité d’orienter l’action de l’ensemble des collectivités concernées par l’exercice d’une même compétence ».33 L’objectif de cette étude est en effet de présenter une méthode qui permet de dépasser l’enchevêtrement, la superposition anarchique des compétences au bénéfice d’une construction plus cohérente, d’une mise en œuvre concertée des politiques locales. « Les procédures de collaboration sont de plus en plus nécessaires pour réduire la complexité des dossiers et rapprocher les points de vue, dans un esprit de partenariat ».34 L’objectif est en effet de rationaliser l’action locale. S’il nous apparaît difficile de faire entièrement disparaître les financements croisés, il est possible d’assurer une certaine cohérence dans leur pratique et dans leurs effets. « On est obligé de relever qu’au delà du discours rien n’a été entrepris pour remédier [à l’enchevêtrement des compétences], si ce n’est l’idée de désigner une collectivité chef de file […]. Mais cette notion visait d’avantage à rationaliser les interventions de multiples collectivités territoriales dans un même domaine qu’à mieux répartir les compétences ».35 §2. La collectivité territoriale chef de file, l’une des solutions possibles à l’enchevêtrement des compétences 16. Il existe selon nous trois types de solutions pour rétablir une certaine cohérence dans l’enchevêtrement des compétences, sans aller jusqu’à une remise à plat complète des compétences locales. En effet, il nous semble difficile d’envisager aujourd’hui une remise totale sur le métier de l’ensemble des textes conduisant à des transferts de compétences. D’une part, les dispositions sont beaucoup trop nombreuses et disséminées dans de trop nombreux textes. D’autre part, cette remise à plat des compétences conduirait nécessairement ensuite à s’interroger sur la méthode de répartition choisie – clause générale de compétence 33 BRISSON Jean-François, « Les nouvelles clefs constitutionnelles de répartition matérielle des compétences entre l’État et les collectivités locales », AJDA, 2003, p.538. 34 BERNARD Paul, « Les affaires mixte ou l’œuvre commune », AJDA, 1990, p.133. 35 MARCOU Gérard, « Bilan et avenir de la déconcentration », Annuaire des collectivités locales, 2002, n°1, p.38. - 18 - ou bloc de compétences. Or l’une comme l’autre ne peuvent apporter de réponse entière et satisfaisante. « Puisqu’il est impossible de revenir à une France décentralisée exclusivement par blocs de compétences, des modalités de mise en œuvre cohérente des compétences partagées sont à imaginer ».36 Il s’agit donc plutôt d’analyser des méthodes de mise en cohérence des actions partagées. Trois types de solutions se dessinent ainsi, il s’agit tout d’abord de l’inaction la plus totale, ensuite de la mise en œuvre d’une cohérence technique puis la mise en place d’une cohérence politique des actions locales. 17. Paradoxalement la première hypothèse, qui consiste à ne rien faire et à laisser le législateur poursuivre les transferts de compétences sans rechercher une quelconque cohérence, abouti tout de même à une évolution possible. Le risque est ici la recentralisation des différentes politiques par les services de l’État, ou du moins une intervention accrue de l’État considéré comme le seul capable d’assurer la cohérence des différentes politiques. « S’il ne s’agissait que du point de vue administratif, la centralisation assurerait au pays une administration plus habile, plus impartiale, plus intègre et plus économe que la décentralisation. Mais les pays modernes n’ont pas besoin seulement d’une bonne administration ».37 Cette réponse, en forme de non solution, n’est bien évidemment pas satisfaisante, selon nous, puisqu’elle est contraire à l’esprit même de la décentralisation. Or le risque de voir cette hypothèse se réaliser n’est pas simplement virtuel. En effet, nous l’avons évoqué précédemment, l’enchevêtrement des compétences pose un problème en matière de contrôle démocratique des collectivités territoriales par les électeurs. Or si la démocratie locale ne peut pas entièrement jouer son rôle, alors c’est la décentralisation elle-même qui risque d’être remise en cause. Dès lors, la remise en cause de la décentralisation aboutirait nécessairement à un renforcement de l’État central. « La tentation centralisatrice, que certains estiment consubstantielle à une politique d’aménagement du territoire, serait, si elle se concrétisait, plus qu’une erreur : un grave échec qui placerait notre pays en situation de faiblesse en Europe ».38 L’inaction n’est donc certainement pas la solution adéquate pour remédier à l’enchevêtrement des compétences. 18. Il est donc nécessaire de réfléchir à d’autres solutions pour assurer une plus grande lisibilité de l’action locale, la mise en cohérence technique des actions locales est ainsi une première étape. Cette première méthode de mise en cohérence technique existe au travers 36 MARZELIER Christiane, Décentralisation Acte II. Chronique des assises des libertés locales, op. cit., p.53. HAURIOU Maurice, Précis de droit administratif et de droit public, Paris, Dalloz, 12e ed., 1933, réed. 2002, p.86. 38 MADIOT Yves, « Vers une « territorialisation » du droit », art. cit., p.949. 37 - 19 - d’un accroissement de la contractualisation entre collectivités territoriales. Le recours à la contractualisation permet aux collectivités territoriales de faire de la mutualisation ou des délégations de compétence. A travers ces méthodes, les collectivités territoriales peuvent au cas par cas, décider localement, d’assurer une plus grande cohérence dans la mise en œuvre des politiques locales. La mutualisation telle que nous l’envisagerons ici est une « mutualisation-coopération entre deux personnes différentes ayant leur propre autonomie ».39 Il s’agit de permettre à différentes collectivités de mettre en commun certains de leurs services. La mutualisation est ainsi « un outil de partage »40 d’un certain nombre de services techniques, de moyens humains pour mettre en œuvre une politique locale. Il s’agit d’une mise en cohérence simplement technique selon nous, car l’objectif de la mutualisation est avant tout de permettre des économies en partageant, entre différentes collectivités, un certain nombre de fonctions administratives ou techniques qui peuvent être mises en commun. Ainsi, la mutualisation est une première étape dans la construction d’une mise en œuvre cohérente des politiques locales. La mutualisation permet de mettre en commun entre divers niveaux de collectivités territoriales les fonctions de soutien d’une politique locale. On pourrait ainsi imaginer la mise en commun d’un service instructeur en matière de demandes d’aides économiques. Chaque collectivité conserve sa compétence, détermine ses propres critères d’attribution des aides, mais pour les usagers une seule administration – physiquement parlant – assure la réception des demandes, la réalisation du dossier et la collecte des pièces justificatives exigées. Il s’agit donc d’une cohérence technique puisque les collectivités territoriales participantes n’ont pas nécessairement à avoir les mêmes critères de mise en œuvre de leur politique locale. La mutualisation n’implique pas nécessairement l’existence d’un projet commun entre les collectivités. Ainsi, l’objectif premier et avoué de la mutualisation est de permettre la réalisation d’économies d’échelle en partageant le coût de fonctionnement d’un service entre différents acteurs locaux. Il faut toutefois être vigilant « envisager une mutualisation dans les services publics ne peut pas s’envisager de la même manière qu’une mutualisation au sein d’une entreprise privée ».41 En effet, la recherche d’économies ne doit pas se faire au détriment de la qualité du service rendu aux usagers. Si la mutualisation venait à interférer sur la qualité du service, le citoyen pourrait y trouver une raison de remettre en cause la décentralisation. 39 GABORIAU Vincent, « La mutualisation dans les service public, nouvel enjeu de coopération », RDSS, 2012, n°1, p.45. 40 BOULAY Floriane, « Vers une généralisation de la mutualisation des services entre collectivités locales ? », AJDA, 2012, p.468. 41 GABORIAU Vincent, « La mutualisation dans les service public, nouvel enjeu de coopération », art. cit., p.53. - 20 - 19. La délégation de compétence participe de la même logique. Il s’agit pour une collectivité de transférer l’exercice d’une compétence à une autre collectivité qui dispose des moyens appropriés pour répondre aux besoins locaux. Il s’agit là d’un partage de savoir-faire et de moyens. Dans ce cadre la collectivité délégante se « défait » en quelque sorte de sa compétence au profit de la collectivité délégataire. Ainsi, une collectivité qui ne souhaiterait pas développer l’ingénierie nécessaire – moyens techniques et humains – à la mise en œuvre d’une politique locale profite des capacités déjà existantes dans une autre collectivité territoriale. A nouveau, la mise en cohérence est avant tout technique car elle conduit à un partage de moyens et pas nécessairement à la définition d’une politique commune aux différentes collectivités. La mise en cohérence dans le cas de la mutualisation et dans le cas de la délégation de compétence est « visible » pour l’usager puisque ce sont les agents relevant d’un même service, sous l’autorité d’une même collectivité qui mettront en œuvre les diverses politiques locales. Pour le citoyen, cette mise en cohérence technique facilite l’accès aux politiques locales. Il y a pour lui une lecture simplifiée de l’action administrative puisque visuellement c’est une seule et même collectivité qui met en œuvre la politique. Le fait que la politique soit mise en œuvre pour le compte d’une autre collectivité n’est pas forcément identifié de prime abord par l’usager et ne lui pose pas nécessairement de problème dès lors qu’il peut assurer l’ensemble de ses démarches auprès d’une seule et même administration. Si cette solution semble aisée à mettre en œuvre, elle ne nous satisfait pas entièrement. Elle semble n’avoir qu’un caractère transitoire. En effet, une véritable mise en cohérence des politiques locales ne peut se satisfaire d’une solution technique. Ces solutions, qu’il s’agisse de la mutualisation et de la délégation de compétence ont pour l’instant un caractère encore assez empirique. Ainsi, « la mutualisation des services n’est pas une fin qui vise à échapper à la rationalisation de l’action publique locale, mais bien un moyen au service de la redéfinition de cette action ».42 La mise en cohérence technique des politiques locales ne semble ainsi qu’être une étape, qu’une transition vers un système de mise en cohérence plus intégré. 20. A cet égard, la troisième solution de mise en cohérence des actions partagées dans le cadre de la décentralisation nous apparaît ainsi la plus adéquate. Il s’agit d’assurer une cohérence à la fois technique et politique par la désignation d’une collectivité pilote sur une politique locale. Comme dans le cas précédent, il s’agit pour les collectivités territoriales de 42 BOULAY Floriane, « Vers une généralisation de la mutualisation des services entre collectivités locales ? », art. cit., p.474. - 21 - contractualiser sur un certain nombre d’instruments de coopération, la mutualisation ou encore la délégation de compétence, non seulement pour mettre en œuvre plus facilement une politique, mais pour mettre réellement en œuvre une politique commune. Il ne s’agit donc plus seulement de s’entendre sur les moyens mis en œuvre, mais aussi sur les objectifs poursuivis et les méthodes empruntées pour parvenir à la réussite d’une politique locale. Cette mise en cohérence des politiques permet ainsi de basculer d’une action simplement partagée à une véritable action commune. 21. Le changement n’est pas qu’une évolution du vocabulaire. L’action commune implique réellement une volonté partagée par tous les acteurs locaux, une politique mise en œuvre de concert entre toutes les collectivités. Si l’action partagée peut parfois ressembler à une cacophonie, l’action commune implique au contraire une certaine harmonie. Il s’agit de basculer d’un ensemble de musiciens jouant chacun sa partition de son côté, à un orchestre jouant sous la direction d’un chef d’orchestre.43 Or c’est la désignation de ce chef d’orchestre, de la collectivité pilote qui va nous intéresser tout au long de cette étude. L’objectif de la collectivité pilote est de s’assurer que l’ensemble des acteurs participant au contrat « joue le jeu », assure bien la coordination de leurs différentes actions. La collectivité pilote est responsable de l’organisation de l’action commune. Il y a donc la mise en place d’une autorité responsable de l’action commune, ce qui implique que cette autorité dispose d’un certain nombre de pouvoirs à l’égard des autres parties à l’action commune. En cela, la mise en cohérence n’est plus seulement technique, mais aussi politique, car la collectivité pilote est réellement en charge d’assurer la cohérence entre tous les acteurs locaux. Elle doit, notamment, à ce titre s’assurer que les actions locales visent bien ensemble un même objectif, un même résultat. Or tout cela nous interroge nécessairement. Puisque la collectivité pilote est responsable, comment se manifestera cette responsabilité ? Quels sont les moyens accordés à la collectivité pilote pour assurer la mise en cohérence des actions locales ? Quel est le rôle exact de la collectivité pilote ? Selon nous, celle-ci doit pouvoir définir en amont les objectifs à atteindre. C’est en cela que la mise en cohérence de l’action locale se fait par une mise en cohérence politique. Il n’y a plus seulement une action qui est partagée, parce que plusieurs niveaux de collectivités interviennent dans un même domaine, il y a une réelle action commune car tous les acteurs cherchent à atteindre un même objectif. Le rôle de la collectivité pilote est de veiller « à la cohérence des différentes initiatives locales en 43 Nous empruntons la métaphore du chef d’orchestre à Jean-David Dreyfus. Nous l’utiliserons à plusieurs reprises car l’image nous semble particulièrement pertinente. DREYFUS Jean-David, Contribution à une théorie générale des contrats entre personnes publiques, Paris, L’Harmattan, 1997, p.218. - 22 - favorisant une synergie entre les diverses collectivités impliquées ».44 Ainsi, l’objectif de la collectivité pilote est réellement d’assurer la pleine réussite de l’action commune. L’action commune implique de dépasser la simple existence d’interventions diverses et variées de la part de différents niveaux de collectivités territoriales dans un même domaine. L’existence d’une action commune sous entend qu’il y a un projet, une volonté, une intention commune à toutes les parties. La collectivité pilote doit donc assurer « une mission de coordination dans la programmation et l’exécution »45 des politiques publiques qui font l’objet d’une action commune. 22. Ce pilotage peut adopter plusieurs formes. Ainsi, le rapport de Jean-Jacques de Peretti range sous ce vocable de collectivité pilote diverses formes de coordination de l’action locale, qu’il s’agisse de l’autorité organisatrice telle qu’on la retrouve dans les transports terrestres46, de l’expérimentation ou encore de la fonction de chef de file.47 Le premier vocable, celui d’autorité organisatrice, même s’il est intéressant ne nous satisfait pas pleinement. Il trouve à s’appliquer, dans le domaine des transports, non pas dans un cas d’enchevêtrement des compétences, mais plutôt dans un cas de compétences parallèles.48 Ainsi pour les transports terrestres chaque niveau de collectivité territoriale organise un réseau de transport en particulier. Dès lors, c’est la fonction de collectivité chef de file qui nous intéressera pour cette étude. Expression barbare pour certains parlementaires49, c’est pourtant bien l’idée d’une collectivité chef de file qui a été consacrée à l’article 72, alinéa 5 de la Constitution, même si l’expression n’est pas employée. Il y a en effet une forme de consensus dans la doctrine pour considérer que la rédaction de cette disposition constitutionnelle, prévoyant que « lorsque l’exercice d’une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales, la loi peut autoriser l’une d’entre elles ou un de leurs groupements à organiser les modalités de l’action commune », renvoie à la fonction de chef de file. Une première interrogation surgit toutefois ici. En effet, le texte constitutionnel prévoit que la collectivité chef de file organise les modalités de l’action commune. Or nous avions évoqué l’idée que pour nous la fonction 44 GELIN-RACINOUX Laurence, « La fonction de chef de file dans la loi du 13 août 2004 », AJDA, 2007, p.283. 45 GIRAULT Jean-Marie, Sénat, JORF Débats, 5 novembre 1994, p.5005. 46 Loi n°82-1153 du 30 décembre 1982 d’orientation des transports intérieurs, JORF, 31 décembre 1982, p.4004. 47 PERETTI Jean-Jacques de, La liberté de s’organiser pour agir, Rapport au Président de la République, op. cit., p.32 et s. 48 Infra §470. 49 Intervention de Jean Leonetti devant la Commission des Lois à l’Assemblée nationale. Il a en effet, « exprimé des réserves sur l’expression de chef de file en souhaitant qu’une réflexion soit engagée au sein de la Commission, afin de trouver une terminologie permettant de définir, de façon adéquate, le rôle d’une collectivité qui anime un projet que plusieurs collectivités financent ». CLÉMENT Pascal, Rapport sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l’organisation décentralisée de la République, op. cit., p.62. - 23 - de chef de file doit être comprise comme une « fonction d’animation et de coordination ».50 Il y a donc ici une forme de hiatus entre la disposition constitutionnelle et la fonction telle qu’elle pouvait être conçue abstraitement par la doctrine. Il conviendra donc de s’interroger sur les possibilités de résorber ce hiatus, sur la réalité de la mise en œuvre de la fonction de chef de file. Est-elle une simple fonction d’organisation ou assure-t-elle réellement une coordination de l’action commune ? La mise en œuvre législative de cette disposition a-t-elle été audacieuse ou au contraire s’est-elle contentée d’une lecture très stricte du texte constitutionnel ? L’instauration d’une collectivité chef de file va également modifier les rapports entre collectivités territoriales. « L’introduction du chef de file consacre une légitimité fonctionnelle pour certaines collectivités. Le cadre de référence nouveau perturbe évidemment fortement les schémas classiques. Il réinterroge sur les modes de production et les modalités de régulation de l’action publique locale, la valeurs de nouveaux supports juridiques et la nature de la responsabilité de chaque acteur ».51 Est-ce que l’action d’une collectivité peut être encadrée, régulée par une autre ? Les principes d’autonomie et d’égalité des collectivités territoriales ne s’opposent-t-ils pas à la mise en œuvre de la fonction de chef de file ? C’est à ces interrogations que cette recherche tentera d’apporter des réponses. 50 51 PONTIER Jean-Marie, « Pour une reconnaissance de la notion de collectivité chef de file », art. cit., p.406. MARZELIER Christiane, Décentralisation Acte II. Chronique des assises des libertés locales, op. cit., p.54. - 24 - Section 2. Le choix législatif puis constitutionnel de la fonction de chef de file comme outil de l’action commune 23. C’est donc à la faveur d’une méthode imposant une mise en cohérence à la fois technique et politique que la compréhension des politiques locales sera facilitée. Plus particulièrement, cette étude retiendra la technique de la collectivité chef de file. Si cette idée d’un chef de file semble assez récente dans le droit public (§2), dans les faits, d’autres champs juridiques ou non connaissent déjà de cette expression (§1). §1. Un emprunt au vocabulaire courant et au droit privé 24. Le choix du vocabulaire « chef de file » peut surprendre. En effet, a priori cette expression semble bien peu juridique. L’expression nous renvoie plutôt aux arts, qu’ils soient picturaux ou littéraires, où elle désigne alors l’artiste le plus important, l’artiste majeur de tel ou tel courant. Ainsi, le Dictionnaire des Noms propres qualifie Victor Hugo de « chef de file du romantisme ».52 Dans leur Dictionnaire de la Peinture, Michel Laclotte et Jean-Pierre Cuzin qualifient le peintre Gustave Courbet de « chef de file de l’école nouvelle ».53 C’est un vocabulaire que les journalistes empruntent également très souvent pour désigner un leader politique. Le droit semble donc bien loin de ces préoccupations. 25. L’expression de chef de file peut toutefois également recouper un autre champ d’activité, celui du scoutisme, qui peut nous ramener par les chemins détournés de l’enfance au champ juridique. Pour incongru que cela puisse paraître l’expression de chef de file nous renvoie effectivement à certaines fonctions qui existent chez les scouts tels que le chef de troupe ou le chef de patrouille. En fait, le rapprochement n’est pas opéré au hasard. Il ne peut être fait abstraction de l’adhésion aux différents mouvements du scoutisme par de nombreux hommes politiques dans leur jeunesse. Il n’est ainsi pas impossible que cet héritage se soit manifesté d’une certaine manière lors de l’adoption de la disposition constitutionnelle consacrant la fonction. La définition retenue par le scoutisme pour le chef de patrouille fait écho à notre analyse. Ainsi, le chef de patrouille est placé à la tête d’une patrouille et ayant plus d’expérience et/ou de maturité que les autres scouts de sa patrouille, il a pour rôle de les 52 Le petit Robert des Noms propres, ed. Le Robert, 2011. LACLOTTE Michel, CUZIN Jean-Pierre (dir.), Dictionnaire de la peinture, T.1, Paris, Larousse, 1996, p.484, entrée Courbet Gustave. 53 - 25 - aider à progresser. Surtout, il est précisé qu’il « dirige et anime la patrouille ».54 Cette définition nous renvoie aux éléments de définition que nous avons commencé à mettre en lumière au sujet de la collectivité chef de file. Ainsi, celle-ci doit nécessairement bénéficier d’une certaine expérience dans la compétence qu’elle doit encadrer. De même son rôle est bien de diriger, et d’animer l’action commune. Le passé scout de certains hommes politiques est donc peut-être une source d’inspiration, même lointaine, de cette fonction de chef de file. 26. Si le vocable de chef de file semble être apparu, en droit public, en droit de la décentralisation, avec la loi d’orientation sur l’aménagement du territoire de 199555, en droit privé, la doctrine utilisait déjà cette expression. En effet, la doctrine privatiste a recours à ce vocabulaire dans le cadre des consortiums d’entreprises et dans le cadre du droit bancaire lors de certaines opérations de financement. 27. Le consortium d’entreprises est le regroupement temporaire d’un certain nombre d’entreprises afin de pouvoir répondre à un marché ou une commande importante que chaque entreprise seule n’aurait pas pu réaliser. Dans le cadre du consortium une des entreprises sera désignée comme chef de file pour coordonner les actions des diverses sociétés. Ce rapprochement est purement temporaire. Il ne dure en principe que le temps de la réalisation du contrat en cause et il ne conduit en aucun cas à la création d’une nouvelle société. Dans le cadre d’un consortium, chaque entreprise conserve son identité propre. Ce caractère éphémère du consortium nous interroge nécessairement sur le fonctionnement du chef de file en matière de décentralisation. La collectivité chef de file a-t-elle aussi un caractère ponctuel, lié à une action en particulier ou bien dispose-t-elle d’une pérennité plus importante ? 28. Le recours au consortium d’entreprises a un double avantage. D’une part pour les entreprises qui participent au consortium, elles peuvent ainsi accéder à des commandes importantes à côté desquelles elles seraient peut-être passées si elles ne s’étaient pas regroupées. D’autre part, pour les commanditaires le recours à un consortium d’entreprises est intéressant. Il permet au maître d’œuvre d’avoir « face à lui une palette d’entreprises compétentes et capables d’offrir les meilleurs services en homme et en matériel, plutôt que de traiter avec une seule entreprise traditionnelle et non spécialisée ».56 Les entreprises qui se 54 Définition du chef de patrouille. http://fr.scoutwiki.org. Loi n°95-115 du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire, JORF, 5 février 1995, p.1973. 56 COLLART DUTILLEUL François, DELEBECQUE Philippe, Contrats civils et commerciaux, Paris, Dalloz, coll. Précis de droit privé, 8e ed., 2007, p.857. 55 - 26 - regroupent au sein de ce consortium désignent alors un chef de file, c'est-à-dire un représentant du groupement. Le chef de file est ainsi l’interlocuteur unique du commanditaire. Il doit alors s’assurer de la négociation et de la passation des contrats, il doit également vérifier que les informations nécessaires à la réalisation de l’ouvrage circulent correctement entre les membres du consortium et entre ceux-ci et le maître d’œuvre. Le chef de file peut enfin être amené à représenter le consortium auprès de tiers, tels que les banques, les assurances ou encore les administrations. Cependant, la mission du chef de file ne s’arrête pas à un simple rôle de représentation, il est un véritable coordonnateur du chantier commun. Ce second volet de la mission du chef de file est « d’assurer concrètement la meilleure coordination possible de l’opération ».57 Le maître mot du rôle de chef de file est la cohérence de l’action de ses partenaires. L’objectif du chef de file du consortium est de s’assurer que l’ensemble des sociétés participant au chantier puisse intervenir correctement, proposer les meilleurs services au commanditaire, donc assurer la conduite efficace du chantier. Monsieur Chenut définit la mission du chef de file comme l’action de « coordonner […] organiser, gérer, administrer ».58 La définition ainsi proposée doit selon nous être retenue. En effet, elle n’est pas sans rappeler ce que prévoit la Constitution au sujet de la collectivité chef de file qui doit « organiser les modalités de l’action commune ». Le chef de file du consortium est un mandataire commun de l’ensemble des sociétés regroupées. Il se doit à cet égard de respecter un certain nombre d’obligations, telles que la nécessité d’un comportement loyal, le fait qu’il ne doit agir qu’en vertu des décisions collectives du consortium ou encore le fait de « respecter la confiance que les membres du groupement lui ont donné ».59 La fonction de chef de file ne permet donc pas à la société qui en est investie de faire tout et n’importe quoi. Elle ne peut à aucun moment détourner son rôle à son profit. Le chef de file doit rester au service de l’objectif commun. 29. A nouveau cette présentation soulève une foule d’interrogations sur le fonctionnement de la collectivité chef de file. Endosse-t-elle, elle aussi, ce double rôle à la fois de représentation et de coordination ? Quel est le contenu du rôle d’organisation de la collectivité chef de file ? Comment la recherche de cohérence et d’efficacité se manifeste-t-elle dans l’action publique? Quels engagements le chef de file à l’égard des autres collectivités parties à l’action commune prend-il ? L’étude de l’action commune entre collectivités territoriales ne peut pas éluder la réponse à ces questions. 57 CHENUT Charles-Henry, Le contrat de consortium, Paris, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit privé, 2003, p.57. 58 Ibid., p.65. 59 COLLART DUTILLEUL François, DELEBECQUE Philippe, Contrats civils et commerciaux, op. cit., p.860. - 27 - 30. Un autre domaine du droit privé connaît également la fonction de chef de file, c’est le domaine bancaire, plus exactement le domaine des pools bancaires. L’expression de chef de file est d’ailleurs consacrée dans un arrêté relatif à la terminologie économique et financière.60 Le pool bancaire est le fait pour des banques de se regrouper afin de répondre à une demande de financement importante. Il peut, en effet, arriver qu’un établissement bancaire soit sollicité par un emprunteur qui lui demande une allocation très importante de fonds. Ne pouvant y répondre seul, il doit s’associer avec d’autres banques. Ainsi, l’objet du pool bancaire est de permettre à une banque d’assurer une réponse efficace à un client, qu’elle n’aurait pas pu apporter seule. Comme pour les consortiums d’entreprises, l’idée est que l’union fait la force. La création d’un pool bancaire peut se justifier « par la dimension internationale du financement »61 ou encore par la volonté des banques participantes « de limiter le risque financier ».62 Il faut relever que « quelle que soit l’appellation retenu un chef de file est désigné (qui est généralement l’établissement de crédit qui s’engage le plus) ».63 En effet, il y a désignation d’un chef de file en cas de demande d’emprunt important qui implique le recours à plusieurs établissements de crédit pour collecter l’ensemble des fonds nécessaires. L’emprunteur engage alors un banquier en qui il a confiance, en général le sien, pour que celui-ci assure à sa place la recherche de l’ensemble des établissements qui participeront à la levée de fonds. L’établissement bancaire qui est mandaté par le client pour effectuer cette recherche est alors qualifié de chef de file. Une fois le tour de table terminé, le chef de file redevient un membre du pool bancaire au même titre que les autres établissements. Toutefois, le plus souvent il sera aussi nommé pour organiser les relations entre le client et les membres du pool. Cet établissement joue alors un rôle d’intermédiaire, mais il doit aussi prendre les décisions de gestion courante. Dans cette seconde étape, il est considéré comme l’agent du pool. Il faut relever ici que le mot « « agent » est un pur anglicisme et désigne la personne chargée d’une mission d’ « agency », de représentation ».64 60 Arrêté du 18 février 1987 relatif à l’enrichissement du vocabulaire économique et financier, JORF, 2 avril 1987, p.3654. Il faut relever que la circulaire donne la définition de « commission de chef de file » comme étant la commission perçue à l’occasion d’une opération dont on a assuré la direction. C’est donc par déduction que l’on peut en extraire la définition du chef de file. 61 VALETTE Didier, « Conventions de crédit. Règles communes », Jurisclasseur Banque Crédit Bourse, fasc. 500, 1994, p.13. 62 PIEDELIÈVRE Stéphane, Droit bancaire, Paris, PUF, 2003, p.313. 63 NEUVILLE Sébastien, Droit de la banque et des marchés financiers, Paris, PUF, coll. Droit fondamental, p.296. 64 ZEIN Youmna, Les pools bancaires. Aspects juridiques, Paris, Economica, coll. Droit civil, 1998, p.86. - 28 - Comme le plus souvent c’est le même établissement bancaire qui assure ces deux rôles, la doctrine comme la jurisprudence ont très souvent eu tendance a les confondre.65 31. Le choix du banquier chef de file repose sur différents critères. Le premier est un critère affectif, c'est-à-dire que l’emprunteur aura naturellement tendance à s’adresser en premier lieu à la banque avec laquelle il entretient des relations anciennes. Le second critère est celui de la compétence, c'est-à-dire que « la banque chef de file doit inspirer confiance ».66 Les crédits consortiaux mettent en jeu des sommes très importantes, le banquier chef de file doit donc être capable ou être reconnu comme capable de réunir de telles sommes. Enfin le troisième critère est celui de la surface financière. Le banquier chef de file doit disposer de suffisamment d’argent puisque, en général, c’est lui qui accorde le tiers du prêt demandé par l’emprunteur. Ainsi une banque qui remplirait deux de ces critères, voire les trois aurait toutes ses chances pour être choisie comme chef de file par l’emprunteur. La question se pose de savoir si ce sont des critères identiques qui présideront à la désignation de la collectivité chef de file. Celle-ci doit être désignée par le législateur, si l’on suit à la lettre le texte de l’article 72, alinéa 5 de la Constitution. Quels sont alors les critères qui vont conduire le législateur à désigner tel niveau de collectivité plutôt que tel autre pour organiser l’action commune dans un domaine particulier ? Cette nomination se fait-elle de manière totalement abstraite ou au contraire le législateur cherche-t-il à privilégier la connaissance du domaine d’activité, l’assise territoriale des collectivités ou encore d’autres critères ? 32. Quant au rôle du chef de file du pool bancaire, essentiellement dans la seconde partie de son mandat, lorsqu’il intervient en tant qu’agent, il y a là aussi des éléments qui peuvent alimenter notre réflexion sur la collectivité chef de file. Ainsi, l’établissement chef de file est considéré comme le mandataire du pool bancaire. A ce titre, il « a le pouvoir d’agir au nom et pour le compte de ses mandants, à condition de respecter les termes du mandat à lui confié lequel limite généralement les attributions de l’agent « à l’exécution de la présente convention » et à ses suites raisonnables ».67 Autrement dit, la banque chef de file joue un rôle de suivi, d’organisation de l’action. Elle dispose ainsi d’un rôle pivot entre le pool bancaire et l’emprunteur. La banque chef de file s’occupe de la gestion courante de l’emprunt et elle est rémunérée pour ce rôle. Elle a ainsi un rôle de coordination, de gestion de l’opération qui n’est pas sans rappeler les missions confiées à la collectivité chef de file. Il faut relever que la banque chef de file engage sa responsabilité à l’égard des autres membres 65 Ibid., p.87. Ibid., p.31. 67 Ibid., p.122. 66 - 29 - du pool bancaire si jamais elle venait à manquer à ses obligations. La Cour de cassation a ainsi pu sanctionner un banquier chef de file qui avait consenti « sans leur accord, un abandon de créance engageant les membres du pool ».68 Il y a donc un véritable engagement de la part du chef de file dans le bon fonctionnement du pool bancaire. Cette présentation du rôle du chef de file bancaire dans le pool induit là aussi un certain nombre de questions quant au contenu de la fonction de chef de file pour les collectivités territoriales. Est-ce que la collectivité chef de file a un quelconque intérêt financier à assurer ce rôle ? Est-ce qu’elle engage sa responsabilité vis-à-vis des autres collectivités parties à l’action commune ? Si oui, de quelle manière ? Ces questions devront à nouveau trouver une réponse dans le cadre de notre étude. La fonction de chef de file est donc déjà bien connue dans le cadre du droit privé. Nous avons vu qu’elle recouvre différentes réalités, mais avec toujours l’idée que le chef de file intervient dans le cadre d’un regroupement d’entités pour agir de concert. Le chef de file assure alors un rôle central en ce qu’il assure la bonne marche de l’action commune. Il s’agit donc de savoir si les questions que nous avons soulevées trouvent une réponse dans le cadre de la décentralisation. §2. L’apparition récente mais ambiguë de la fonction en droit public Il est tout d’abord nécessaire de revenir sur l’origine de la fonction de chef de file dans le cadre du droit de la décentralisation. En effet, contrairement au droit privé, la fonction de chef de file semble ici être une construction beaucoup plus récente. 33. L’apparition de l’expression chef de file en droit de la décentralisation semble dater de la loi d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire.69 Cette loi, comme son nom l’indique, est une loi d’orientation et propose donc un certain nombre de directions, d’objectifs de développement de la législation relative aux territoires. Parmi ces dispositions, le titre VI de la loi portait sur les compétences des collectivités territoriales. Or le législateur a prévu à l’article 65 de la loi que la répartition des compétences entre l’État et les collectivités territoriales devrait faire l’objet d’une grande loi de clarification. Dans l’attente de cette loi, le législateur autorisait les collectivités territoriales à désigner entre elles une collectivité chef de file dans le cadre de compétences partagées. Le texte disposait « jusqu’à la date d’entrée en 68 Cass. Com., 27 mars 2001, Société financière et Immobilière SA c. Crédit Industriel et Commercial de Paris ; Revue de droit bancaire et financier, 2001, n°116, p.163 et 164. 69 Loi n°95-115 du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire, précit. - 30 - vigueur de cette loi, les collectivités territoriales pourront par convention, désigner l’une d’entre elles comme chef de file pour l’exercice d’une compétence ou d’un groupe de compétences relevant de plusieurs collectivités territoriales ». 34. Cette disposition était issue du débat parlementaire. En effet, c’est à l’Assemblée nationale à la suite d’une réflexion autour des financements croisés, que les députés ont proposé ce mécanisme du chef de file. Il s’agissait de permettre aux collectivités territoriales, par voie contractuelle, de décider librement de désigner l’une d’elles comme chef de file en cas de compétence nécessitant l’intervention de plusieurs collectivités. Cette proposition nous paraît particulièrement intéressante de par l’autonomie qu’elle accorde aux collectivités territoriales dans l’organisation de l’action commune. Pour certains commentateurs, la loi a réellement « inventé, ici, une nouvelle forme de coopération ».70 Si la désignation d’une collectivité chef de file ne règle pas totalement le problème de l’enchevêtrement des compétences, elle permet au minimum d’assurer une certaine coordination entre tous les acteurs locaux afin d’éviter les effets les plus néfastes de l’enchevêtrement des compétences. Ainsi, le chef de file n’a pas pour objet de refaire vivre les blocs de compétences. Il s’agit de « favoriser des projets ayant un chef de file mais impliquant la participation d’autres acteurs ».71 L’initiative de cette loi doit selon nous être saluée car elle est fondamentale dans la réflexion sur la répartition des compétences. Si la loi prévoit effectivement qu’un nouveau texte devra intervenir pour clarifier la répartition des compétences, elle exprime en même temps la nécessité d’assurer un moyen d’organisation des compétences partagées. L’article 65 évoque les « compétences homogènes » pour la future répartition des compétences. C’est donc qu’il y a une certaine évolution déjà par rapport à l’idée de blocs de compétences évoquée lors de l’Acte I de la décentralisation. La difficulté de constituer les blocs de compétences est connue. Le législateur sait qu’il existe des domaines pour lesquels il est très difficile de faire des partages clairs de compétences entre les différents niveaux de collectivités. Il est donc nécessaire de mettre au point des modalités de coopération entre collectivités territoriales. C’est de cette volonté d’imaginer des systèmes de coopération que participe la fonction de chef de file. 35. Cependant la disposition faisant référence au chef de file a été censurée par le Conseil constitutionnel72 et aucune collectivité chef de file n’a jamais pu être désignée sur le 70 ROUSSEAU Dominique, « Les principes de libre administration locale et d’égalité à l’épreuve de l’aménagement du territoire », RFDA, 1995, p.882. 71 MILLION Charles, Assemblée nationale, JORF Débats, 22 juillet 1994, p.4654. 72 CC, n°94-358 DC du 26 janvier 1995 loi d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire, JORF, 1er février 1995, p.1706 ; ROUSSEAU, RFDA, 1995, p.876-883. - 31 - fondement de ce texte. La censure de cette disposition explique très certainement la « frilosité » du législateur à l’égard de la fonction de chef de file. En effet, il faudra attendre sept ans, et la loi relative à la démocratie de proximité de 200273, pour voir réapparaître le vocabulaire de chef de file. Cette méfiance a l’égard de la fonction de chef de file est liée selon nous à une erreur d’analyse dans la lecture de la décision du Conseil constitutionnel. En effet, certains auteurs ont considéré que la censure du Conseil constitutionnel jetait une forme d’opprobre sur la fonction de chef de file.74 Au contraire, une autre partie de la doctrine a montré, assez justement, que ce n’est pas la fonction de chef de file en elle-même qui a été censurée par le Conseil constitutionnel dans cette décision mais simplement la méthode utilisée par le législateur. En effet, le Conseil constitutionnel censure la disposition en cause – alors même que cette disposition n’était pas évoquée dans la saisine – pour méconnaissance de sa compétence par le législateur. Il s’agit donc d’un cas de censure pour incompétence négative de la part du législateur. Le juge constitutionnel précise dans sa décision que le législateur « ne saurait renvoyer à une convention conclue entre des collectivités territoriales le soin de désigner l’une d’entre elles comme chef de file pour l’exercice d’une compétence ou d’un groupe de compétences relevant des autres sans définir les pouvoirs et les responsabilités afférents à cette fonction ». Cette décision permet de tirer différentes conclusions autour de la fonction de chef de file. Tout d’abord que le chef de file est bien une fonction, c'est-à-dire que la collectivité qui sera désignée comme telle devrait pouvoir bénéficier d’un certain nombre de prérogatives. Ensuite, le législateur a pour rôle de définir ces prérogatives. C’est pour cela que la disposition de la loi de 1995 est censurée, parce que le législateur n’a pas déterminé quels étaient les pouvoirs de la collectivité chef de file, alors que tel devait être son rôle au vu de l’article 34 de la Constitution. Ainsi, « le Parlement s’étant abstenu de fixer les principes fondamentaux de la compétence des collectivités territoriales en se défaussant de sa tâche sur la convention conclue entre les collectivités territoriales »,75 le législateur a méconnu la compétence que lui accorde l’article 34 de la Constitution et ce faisant a donc violé la loi fondamentale. Cette décision a été interprétée par certains comme une censure par le Conseil constitutionnel de la fonction de chef de file, alors qu’il ne s’agit que de la censure de l’incompétence négative du législateur. En effet, si l’on s’en tient à une 73 Loi n°2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, JORF, 28 février 2002, p.3808. Ainsi, pour Gérard Marcou, cette décision a « neutralisé », a fait « échouer » la fonction de chef de file. MARCOU Gérard, « Bilan et avenir de la déconcentration », art. cit., p.38 ; MARCOU Gérard, « L’action commune des collectivités territoriales selon le Conseil constitutionnel : organiser n’est pas déterminer », in Terres du Droit. Mélanges en l’honneur de Yves Jégouzo, Paris, Dalloz, 2009, p.228. 75 TRÉMEAU Jérôme, « Droit constitutionnel normatif : le principe de légalité et la réserve de la loi », RFDC, 1995, p.394. 74 - 32 - lecture stricte de la décision, le Conseil constitutionnel ne s’exprime pas « sur le fond de l’innovation mais censure seulement pour vice de compétence ».76 Il nous semble même que l’on peut aller plus loin dans l’analyse de cette décision et plutôt que de la considérer comme une censure, la considérer comme une chance pour le législateur. En effet, la lecture en creux, a contrario de la décision permet de comprendre les attentes du Conseil constitutionnel sur l’encadrement de la fonction de chef de file. Le Parlement dispose au travers de cette décision du « mode d’emploi de la technique de correction fondée sur le chef de file : le législateur, et lui seul, doit définir les pouvoirs et les responsabilités afférents à cette fonction ».77 Il faut donc considérer, selon nous, la décision du Conseil constitutionnel de 1995 comme une chance pour le législateur de pouvoir désigner des collectivités chefs de file tout en sachant qu’il ne sera pas censuré s’il respecte les consignes, les recommandations, les avertissements du Conseil constitutionnel. 36. D’ailleurs cette lecture, cette analyse est confirmée par la loi relative à la démocratie de proximité de 2002. En effet, ce texte désigne à nouveau une collectivité chef de file alors même qu’aucune modification constitutionnelle en ce sens n’est encore intervenue. L’article 102 de la loi du 27 février 2002 a désigné la région comme chef de file en matière d’action économique locale. Même si là n’est pas l’objet de notre étude, notons toutefois que ce texte qui portait initialement sur la démocratie locale s’est peu à peu, sous l’effet d’amendements présentés par le Gouvernement, transformé en une grande loi fourre tout où l’on peut s’étonner que des transferts de compétences ou encore les services départementaux d’incendie et de secours participent de la démocratie locale. La doctrine s’est déjà largement étonnée de ce fait.78 Pour ce qui nous intéresse, c'est-à-dire l’enchevêtrement des compétences, la loi consacre la région comme chef de file en matière d’aides économiques, toutefois en prenant le soin de ne pas citer dans le corps même de la loi l’expression de chef de file. Cet article dispose que les aides directes « sont attribuées par la région et leur régime est déterminé par délibération du conseil régional. Les départements, les communes et leurs groupements peuvent participer au financement de ces aides directes dans le cadre d’une convention passée avec la région ». Même si nous reviendrons ultérieurement sur cette disposition, il faut noter que le mécanisme du chef de file est caractérisé ici par deux éléments. D’une part, la 76 ROUSSEAU Dominique, « Les principes de libre administration locale et d’égalité à l’épreuve de l’aménagement du territoire », art. cit., p.882. 77 MADIOT Yves, « Les techniques de correction de la répartition des compétences entre collectivités locales », art. cit., p.968. 78 V. par ex. JÉGOUZO Yves, « De la loi Chevènement à la loi de démocratie de proximité », art. cit., p.281282. - 33 - région détermine les modalités d’attribution des aides directes. D’autre part, les collectivités infrarégionales doivent se conformer à ces modalités et signer une convention avec la région pour pouvoir elles-mêmes accorder des aides. Nous sommes là en présence de deux points, de deux éléments essentiels dans la mise en œuvre de la fonction de chef de file. La question des aides aux entreprises, nous l’avons déjà évoqué précédemment, est sûrement l’un des domaines les plus topiques de l’enchevêtrement des compétences. En effet, toutes les collectivités territoriales : régions, départements, communes et leurs groupements, sont compétentes, et même légitimes, pour intervenir dans ce domaine. Le problème est que face à cette multiplication d’intervenants, les usagers ne s’y retrouvent pas nécessairement et les collectivités risquent de se mettre en situation de concurrence, ce qui nuit à l’efficacité générale du système. L’apport innovant de la loi de 2002 est donc de rationaliser l’action des collectivités territoriales en désignant un chef de file, en l’espèce la région. « La réforme opérée par l’article 102 est remarquable en ce qu’elle touche un des aspect les plus sensibles de la répartition des compétences ».79 La loi relative à la démocratie de proximité est donc une première étape dans la nouvelle consécration de la fonction de chef de file. Cependant, elle n’est qu’une étape partielle puisque la fonction n’est consacrée qu’à l’égard d’un niveau de collectivité en particulier et pour une compétence spécifique. 37. La véritable consécration de la fonction de chef de file arrive avec la révision constitutionnelle de 2003.80 Cette nouvelle étape de la décentralisation a été annoncée par Jacques Chirac dans son discours de Rouen en 2002. Celui qui est alors candidat à sa propre succession se prononce en faveur d’un approfondissement de la décentralisation. Le président de la République affirmait en effet dans son discours que « c’est en prenant les décisions là où s’expriment les besoins, dans un dialogue permanent avec les citoyens, que les bonnes solutions seront trouvées et appliquées ».81 Ce discours est clairement volontariste et favorable à une nouvelle étape de la décentralisation. Dès ce discours, le président de la République évoque la notion de chef de file. Il annonce effectivement que « la confusion naît de l’excès de financements croisés. Demain des collectivités chefs de file devront être désignées ».82 Suivant cette promesse de campagne, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin organise à l’automne 2002 les Assises des libertés locales. Ces travaux, combinés à ceux de 79 SOUSSE Marcel, « Les aides des collectivités locales au entreprises dans la loi relative à la démocratie de proximité », art. cit., p.4. 80 Loi constitutionnelle n°2003-276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République, JORF, 29 mars 2003, p.5568. 81 CHIRAC Jacques, Discours de Rouen, 10 avril 2002. Disponible sur le site vie-publique.fr. http://discours.viepublique.fr/notices/027000109.html. 82 Idem. - 34 - diverses commissions notamment celle dirigée par Pierre Mauroy83 ainsi qu’à un certain nombre de propositions de lois constitutionnelles relatives aux collectivités territoriales84, préfigurent la révision constitutionnelle de mars 2003 qui a modifié en profondeur le titre XII de la Constitution relatif aux collectivités territoriales. Le gouvernement de M. Raffarin était d’ailleurs largement favorable à l’approfondissement de la décentralisation. Ainsi, le Premier Ministre affirmait lui-même dans sa déclaration de politique générale que « plus les responsabilités sont assumées au plus près du terrain, meilleurs sont les décisions ».85 38. En même temps que se déroulaient les Assises des libertés locales, le gouvernement déposait un projet de loi de révision constitutionnelle relatif à l’organisation décentralisée de la République.86 L’exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle indique que pour être efficace, la décentralisation « peut nécessiter une collaboration entre plusieurs échelons ». Se retrouve ainsi consacrée l’idée que les blocs de compétences conçus de manière stricte sont une forme d’utopie. La décentralisation impose le recours à une action partagée. Les compétences ne peuvent pas être nettement découpées, séparées, distribuées entre les différents niveaux de collectivités territoriales. Il y a nécessairement des chevauchements. Or ce sont ces chevauchements qu’il s’agit de rationaliser au travers d’une meilleure collaboration entre collectivités territoriales. L’article 4 du projet de loi constitutionnelle prévoyait de rédiger le cinquième alinéa de l’article 72 de la Constitution ainsi : « lorsque l’exercice d’une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales, la loi peut confier à l’une d’entre elles le pouvoir de fixer les modalités de l’action commune ». Il faut relever deux différences notables entre le texte du projet et celui définitivement adopté. Ainsi, le projet gouvernemental ne faisait pas référence à l’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre. De plus, le projet initial prévoyait que le chef de file ait pour mission de « fixer les modalités » alors que le texte final évoque le fait d’« organiser les modalités » de l’action commune. Il s’agira donc de s’interroger pour savoir si la distinction entre les deux n’est que rédactionnelle ou si elle implique des différences plus fondamentales dans la fonction du chef de file. De même, l’introduction de l’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre n’est pas sans conséquences sur les pouvoirs du chef de file. « L’emploi de l’adverbe « cependant », en mettant à jour la contradiction entre le principe de 83 MAUROY Pierre, Refonder l’action publique locale, Paris, La Documentation française, 2000, 192p. Proposition de loi constitutionnelle relative à l’exercice des libertés locales, Assemblée nationale, 2002, par Hervé Morin ; Proposition de loi constitutionnelle relative à la libre administration des collectivités territoriales, Sénat, 2000, par Christian Poncelet. 85 RAFARRIN Jean-Pierre, Premier Ministre, Déclaration de politique générale, Assemblée nationale, JORF Débats, 3 juillet 2002, p.1843. 86 Projet de loi constitutionnelle relatif à l’organisation décentralisé de la République, Sénat, n°24, 2002. 84 - 35 - non tutelle et la fonction de collectivité chef de file peut, […] générer un conflit de normes constitutionnelles ».87 Il conviendra donc d’analyser ces conséquences. 39. C’est le Sénat qui fut saisi le premier du texte et c’est aux sénateurs que l’on doit l’adjonction au texte gouvernemental de la précision relative à l’interdiction de la tutelle. Pour le rapporteur du projet de loi au Sénat, l’introduction de l’interdiction de la tutelle, au même alinéa que celui relatif à la notion de chef de file, n’aura pas pour conséquence d’empêcher la pleine application de la fonction. Cette adjonction a, au contraire, pour objectif de garantir que le rôle de la collectivité chef de file « se limitera à l’organisation des modalités, à l’animation et à la coordination des actions communes ».88 Il faut remarquer que la peur de l’exercice d’une tutelle d’une collectivité sur une autre accompagne régulièrement les discussions parlementaires relatives à la fonction de chef de file. Le débat sur la tutelle d’une collectivité sur une autre semble ainsi être consubstantiel à celui sur la fonction de chef de file. La crainte principale autour de la fonction de chef de file est que les régions « ne deviennent maîtres d’œuvre de décisions dont les départements et les communes ne seraient plus que les exécutants ».89 Il y a en effet une peur qui entoure la fonction de chef de file qui est celle de la hiérarchisation des collectivités territoriales. Ainsi, « être chef de file pour une collectivité, peut être interprété comme une « valeur ajoutée » permettant à son représentant de mieux asseoir son autorité ».90 Il y a donc une forme de croyance autour de la fonction de chef de file qui considère que cette fonction entraîne nécessairement une hiérarchisation entre les collectivités territoriales, au profit exclusif de la région. Il conviendra alors au cours de notre étude de démystifier cette crainte. 40. Un commentateur de la révision constitutionnelle indiquait que « les dispositions relatives à la fonction de chef de file nous paraissent de registre assez anodin aujourd’hui : elles pourraient, à terme, se révéler être les plus productrices de changement ».91 Il convient là aussi de s’interroger. Avec pratiquement dix ans de recul sur la révision constitutionnelle relative à la République décentralisée quels ont été les effets produits par la constitutionnalisation de la fonction de chef de file ? Au premier abord, le résultat peut sembler mitigé. En effet, hormis dans la loi relative aux libertés et responsabilités locales du 87 GORGE Anne-Sophie, Le principe d’égalité entre collectivités territoriales, op. cit., p.452. GARREC René, Rapport relatif au projet de loi constitutionnelle et aux propositions de lois constitutionnelles relatives à l’organisation décentralisée de la République, op. cit., p.112. 89 MATHON Josiane, Sénat, JORF Débats, 5 novembre 2002, p.3422. 90 MADIOT Yves, « Les techniques de correction de la répartition des compétences entre collectivités locales », art. cit., p.971. 91 AUBY Jean-Bernard, « La loi constitutionnelle relative à la décentralisation », Dr. Adm., avril 2003, p.10. 88 - 36 - 13 août 200492 les mises en œuvre de la fonction de chef de file sont assez rares. Allant même plus loin, la loi de réforme des collectivités territoriales de 201093 semble avoir tout simplement tourné définitivement la page des innovations de l’Acte II de la décentralisation. Faut-il en déduire pour autant que notre objet d’étude est inexistant ? Nullement. En effet, l’analyse des cas de mise en œuvre de la fonction de chef de file est très instructive quant à la nature des pouvoirs dont la collectivité bénéficie, mais aussi sur le type de relation qui se noue entre collectivités territoriales dans le cadre d’une action commune. De plus, même si le vocable de chef de file semble avoir disparu des textes les plus récents, l’enchevêtrement des compétences demeure une réalité. Dès lors, il est toujours nécessaire de réfléchir à des moyens pour assurer la coordination des différentes collectivités territoriales. Donc, même en l’absence du vocabulaire de chef de file, la loi prévoit des modalités de coordination de l’action commune qui peuvent s’en rapprocher, voire même conduire de façon détournée à instaurer de nouveau un chef de file. 92 Loi n°2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, JORF, 17 août 2004, p.14545. Loi n°2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, JORF, 17 décembre 2010, p.22146. 93 - 37 - Section 3. Les axes de la recherche Cette étude se situe dans un contexte particulier qu’il convient de présenter, celui de la décentralisation française (§1). Il conviendra ensuite de présenter la problématique de cette recherche qui conduit à une forme d’évaluation de la fonction de chef de file (§2). §1. Le cadre de l’étude Il convient de circonscrire le cadre d’analyse de notre réflexion d’un double point de vue, à la fois temporel et spatial. 41. A titre liminaire, il nous semble toutefois nécessaire d’opérer une précision sur le vocabulaire. La récente histoire du droit de la décentralisation a vu cohabiter deux expressions différentes, d’une part, celle de collectivité territoriale et, d’autre part, celle de collectivité locale. Certains auteurs ont estimé que les deux expressions étaient similaires94, tandis que d’autres ont considéré qu’elles recouvraient deux réalités différentes. La révision constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à la République décentralisée a unifié le vocable employé au sein de notre norme fondamentale. Désormais, tant l’article 34 que l’ensemble des dispositions constituant le Titre XII de la Constitution se réfèrent aux collectivités territoriales. C’est pour cette raison que notre recherche fera elle-même uniquement référence au vocable de collectivité territoriale. 42. S’agissant de la temporalité dans laquelle s’inscrit notre étude, il s’agit du cadre de la décentralisation de ces trente dernières années. En effet, nous l’avons évoqué le point de départ de notre étude est le problème de l’enchevêtrement des compétences. Or, il est possible de considérer, de manière peut-être un peu arbitraire, le point de départ de cette problématique à la loi du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l’État.95 Ce texte prévoyait en effet que la répartition de compétences devait se faire « dans la mesure du possible » selon la technique des blocs de compétences. Cette technique, nous l’avons déjà évoqué, n’a cependant pas donné les résultats escomptés. C’est l’enchevêtrement des compétences qui s’est produit à la place. Dès lors, c’est nécessairement dans ce cadre temporel, lié à l’Acte I de la décentralisation que se situe notre étude. Toutefois, et pour préciser cette temporalité, ce sont surtout les suites de 94 FAURE Bertrand, Droit des collectivités territoriales, op. cit., p.1, spec. note n°2. Loi n°83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l’État, précit. 95 - 38 - l’Acte II de la décentralisation, c'est-à-dire la révision constitutionnelle relative à la République décentralisée, qui nous intéresseront ici. En effet, c’est à partir de la modification du titre XII de la Constitution que la fonction de chef de file a fait son entrée dans notre droit constitutionnel. Dès lors c’est essentiellement à partir des suites législatives de l’Acte II de la décentralisation que nous analyserons la mise en œuvre de la fonction de chef de file. 43. L’étude se situera essentiellement dans le droit français. En effet, cette fonction de chef de file est une spécificité française qui est liée à la décentralisation telle que nous la connaissons dans notre pays. Dès lors, l’étude de cas étrangers ne pourra venir qu’à titre de comparaison sur certains points précis. Il ne nous a pas semblé possible au vu de nos recherches de situer cette analyse sous le sceau du droit comparé du fait des particularisme de la décentralisation. Les exemples étrangers ne viendront ainsi essentiellement que conforter les réflexions sur l’évolution possible de notre décentralisation, en comparaison donc d’autres modèles d’organisation territoriale. 44. De même si l’outre-mer est très régulièrement considéré comme un laboratoire de la décentralisation, nos recherches ne nous ont pas permis d’identifier un tel trait de caractère pour l’étude de la fonction de chef de file. En effet, la question de l’enchevêtrement des compétences est tout aussi problématique dans les départements et régions d’outre-mer qu’en métropole. Toutefois, il ne semble pas que l’outre-mer ait bénéficié à ce titre d’un traitement particulier. La fonction de chef de file étant prévue à l’article 72 de la Constitution, les collectivités situées outre-mer peuvent y avoir recours dans les mêmes conditions que les collectivités métropolitaines. Dès lors, il ne nous a pas semblé nécessaire de prévoir de développement spécifique en rapport avec l’outre-mer. 45. Le cadre de cette étude est donc particulièrement vaste, mais c’est ce qui fait tout son intérêt. Ainsi, l’analyse de la fonction de chef de file se trouve au confluent du droit constitutionnel, du droit administratif et du droit des collectivités territoriales. Cette étude permet donc de s’interroger à la fois sur les grands principes qui fondent ces trois branches du droit public, et donc leur philosophie même, mais elle n’oublie pas non plus que le droit n’est pas un objet d’étude hors du monde. Notre analyse nous imposera donc d’étudier les mises en œuvre concrètes de cette fonction, nous nous interrogerons alors sur des politiques publiques particulières. C’est cette double dimension, à la fois théorique et pratique, que nous souhaitons mettre au cœur de notre problématique. - 39 - §2. Le questionnement suivi par l’analyse 46. Cette présentation du constat de l’enchevêtrement des compétences et des solutions proposées, parmi lesquelles l’instauration d’une collectivité chef de file, conduit à nous interroger sur la réussite de cette méthode. Ainsi, la problématisation du sujet implique une forme d’évaluation de la fonction de chef de file. Le leitmotiv de cette recherche pourrait être la question « comment ? ». En effet, notre sujet implique d’analyser comment est mise en œuvre la fonction de chef de file, d’un point de vue « technique ». Il convient alors d’analyser le fonctionnement de la collectivité chef de file. Dans le contexte juridique de la décentralisation où existe cette fonction de chef de file, comment la réussite de cette méthode de clarification des compétences est-elle assurée ? Quelle sont les autres techniques à prendre en compte ? Quels sont les principes de la décentralisation à concilier avec la fonction de chef de file ? Quels sont les moyens juridiques à disposition du chef de file pour assurer sa mission ? Mais le comment implique également une étude de la fonction de chef de file d’un point de vue plus « pratique ». Il s’agit alors d’étudier les cas de mise en œuvre de la fonction de chef de file, pour essayer d’en déterminer les limites et les avantages. Quelles sont alors les compétences où la fonction de chef de file a été mise en œuvre ? Quels sont les domaines où la fonction pourrait être mise en œuvre ? Est-ce que le législateur s’est contenté d’une lecture stricte du texte constitutionnel ou s’en est-il au contraire détaché ? Quelles sont les possibilités de voir ressurgir la fonction de chef de file dans une nouvelle législation ? 47. Il conviendra dès lors dans la première partie d’analyser la fonction de chef de file dans le contexte juridique de la décentralisation. A cet égard, il conviendra de noter que la fonction de chef de file s’inscrit dans un cadre constitutionnel qui pourrait s’avérer limitatif. En effet, la disposition de l’article 72, alinéa 5 de la Constitution n’est pas détachable selon nous de deux autres dispositions de cet article. Il en est ainsi de l’alinéa 2 qui constitutionnalise une forme de subsidiarité. Il en est de même de la première phrase de l’alinéa 5 qui interdit la tutelle d’une collectivité sur une autre. Ces dispositions conduisent nécessairement à encadrer les possibilités d’action de la collectivité chef de file. Dès lors, il conviendra également dans cette première partie d’étudier les moyens dont dispose la collectivité chef de file pour assurer sa fonction. Or le constituant n’ayant pas forcément été jusqu’au terme de son innovation, la collectivité chef de file ne dispose finalement que des outils « classiques » de l’action administrative, l’acte unilatéral et le contrat. - 40 - 48. La seconde partie sera elle consacrée à l’étude des mises en œuvre de la fonction de chef de file dans la loi depuis la révision constitutionnelle de 2003. La majeure partie des exemples se trouve dans la loi relative aux libertés et responsabilités locales, transposition législative de l’Acte II de la décentralisation. A cet égard, il sera nécessaire de s’intéresser à des domaines d’action particuliers des collectivités territoriales. Ainsi notre étude portera sur les politiques sociales du département, mais aussi sur les politiques économiques et en matière de formation professionnelle des régions. Si parfois le législateur a été plutôt audacieux en créant des structures de soutien à la collectivité désignée comme chef de file, il a parfois, totalement à l’inverse, désigné une collectivité comme chef de file tout en autorisant les autres collectivités parties à l’action commune à ne pas suivre la coordination proposée par le chef de file. Enfin, si le droit des collectivités territoriales a connu récemment de nouveaux développements, la fonction de chef de file semble avoir été quelque peu oubliée. Cependant l’enchevêtrement des compétences demeurant une réalité, la fonction de chef de file reste toujours une solution à disposition du législateur pour coordonner les politiques locales. PREMIÈRE PARTIE – L’insertion de la fonction de collectivité chef de file dans son environnement normatif SECONDE PARTIE – La collectivité chef de file, un potentiel à confirmer - 41 - - 42 - PREMIÈRE PARTIE L’insertion de la fonction de collectivité chef de file dans son environnement normatif - 43 - - 44 - 49. L’analyse de la fonction de chef de file ne peut se faire de manière totalement abstraite. A cet égard, la fonction de chef de file s’inscrit dans un ensemble normatif ayant trait au droit constitutionnel et au droit administratif. En effet, si l’article 72, alinéa 5 de notre norme fondamentale dispose que « lorsque l’exercice d’une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales, la loi peut autoriser l’une d’entre elles ou un de leurs groupements à organiser les modalités de l’action commune », cette disposition nous indique finalement peu de choses sur la fonction de chef de file. L’analyse de la fonction de chef de file nécessite donc un travail préalable d’ancrage de la fonction dans son environnement juridique. Ce travail conduit ainsi nécessairement à l’étude du cadre constitutionnel qui entoure la fonction de chef de file, et notamment l’ensemble des autres alinéas de l’article 72. A cet égard, la fonction de chef de file paraît inséparable de deux autres « objets constitutionnels » intégrés eux aussi en 2003. Le terme d’objet constitutionnel est ici employé à dessein tant nous verrons que le principe de subsidiarité et l’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre, tels qu’ils ont été inscrits dans notre Constitution, sont porteurs d’interrogations, mais permettent également de définir les limites de la fonction de chef de file. 50. L’article 72, alinéa 5 nous renseigne assez peu sur les méthodes de travail à disposition de la collectivité chef de file. Ainsi, le texte évoque le fait que la collectivité chef de file doit organiser les modalités de l’action commune. Or quels sont les moyens juridiques accordés au chef de file pour assurer cette mission ? La Constitution ne répond pas à cette question. Dès lors, c’est du côté du droit administratif et des moyens traditionnels de l’action administrative qu’il faut tenter de trouver une réponse. Ainsi, nous verrons que l’acte administratif unilatéral qui est le moyen traditionnel de l’action administrative rencontre rapidement des limites en matière d’action commune, notamment du fait de l’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre. L’action contractualisée apparaît alors comme une solution plus appropriée, mais là aussi cette technique rencontre des limites notamment du fait de son instabilité. Il s’agira donc d’étudier dans une première partie le lien entre la fonction de chef de file et les autres dispositions constitutionnelles (Titre 1er) puis d’analyser les outils de l’action commune (Titre 2). - 45 - - 46 - Titre 1er Le concept de collectivité chef de file face aux autres dispositions constitutionnelles. 51. La notion de chef de file a été introduite dans notre droit constitutionnel lors de la révision du 28 mars 2003, relative à la République décentralisée. Le titre XII de notre norme fondamentale qui porte sur les collectivités territoriales a été profondément modifié à cette occasion. Toutefois, « derrière cet acte solennel, il n’est pas mauvais de rechercher la réalité des changement annoncés ».96 En effet, face à une modification d’une telle ampleur, l’étude des nouvelles notions introduites par cette révision constitutionnelle s’impose d’elle-même. 52. Droit à l’expérimentation, obligation de compensation financière pour les transferts de compétences, démocratie locale font partie des nouveautés introduites par cette révision. Le concept de chef de file a été introduit à l’article 72, alinéa 5, qui dispose : « lorsque l’exercice d’une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales, la loi peut autoriser l’une d’entre elles ou un de leurs groupements à organiser les modalités de leur action commune ». Cette disposition ne peut toutefois pas être lue seule. Elle s’intègre dans un ensemble dont elle participe à la mise en œuvre, elle est également contrainte dans cette mise en œuvre. Le chef de file est ainsi pensé pour permettre une meilleure mise en œuvre des compétences partagées entre collectivités territoriales. Mais ce coordonnateur de l’action commune n’est pas totalement libre dans sa mission. Il convient de s’interroger tout d’abord sur la relation entre la notion de chef de file et un autre principe introduit dans la Constitution en 2003, celui de subsidiarité (Chapitre 1er). Le chef de file ne peut pas non plus être analysé sans prendre en compte l’interdiction de la tutelle entre collectivités territoriales inscrite en tête de l’article 72, alinéa 5 de la Constitution (Chapitre 2). 96 SAVY Robert, « Sur un trompe-l’œil constitutionnel », in Apprendre à douter. Questions de droit, questions sur le droit. Etudes offertes à Claude Lombois, Limoges, PULIM, 2004, p.449. - 47 - - 48 - Chapitre 1er La collectivité chef de file un outil du principe de subsidiarité. 53. Le principe de subsidiarité a été introduit dans notre droit constitutionnel à l’article 72, alinéa 2 de la Constitution. Celui-ci dispose que « les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon ». Toutefois, il faut noter que le principe n’est pas expressément nommé. L’analyse de ce concept « peut, à la fois, intriguer et attirer ».97 Cette ambiguïté est liée à l’origine de la notion de subsidiarité. En effet, le principe n’a rien de juridique au départ et encore aujourd’hui sa juridicité peut parfois poser question. La subsidiarité est née dans la pensée des philosophes de l’Antiquité. Le concept s’est ensuite développé dans différents creusets de réflexion. Ce n’est que tardivement qu’il fut capté par le droit. La subsidiarité est un principe protéiforme. Ainsi, « il est vrai que s’agissant d’un concept plus philosophique que juridique, la subsidiarité dont il n’existe pas moins d’une vingtaine de définitions, reste particulièrement difficile à apprécier, aussi bien en ce qui concerne son contenu que ses conséquences ».98 54. Parmi toutes ces définitions, un sens, a minima, de la subsidiarité pourrait être la « recherche constante d’un niveau de décision aussi proche que possible de l’individu ».99 Il convient donc de s’interroger sur la réception en droit français de cette notion. Cette réception est le fruit d’une lente maturation du concept philosophique. Cependant elle n’est pas exempte de défauts puisque le principe de subsidiarité, tel qu’il a été introduit dans la Constitution française, est encore source de nombreuses interrogations. Il semble nécessaire de revenir tout d’abord sur les origines du principe de subsidiarité. En effet celui-ci n’est pas un principe juridique, il s’agit plutôt d’un principe philosophique. D’ailleurs son introduction dans le droit français est porteuse de cette ambiguïté (Section 1). De plus, non seulement le principe de subsidiarité nécessite le concours d’autres mécanismes juridiques, mais c’est une notion difficilement saisissable par le juge (Section 2). 97 D’ONORIO Joël-Benoît, « La subsidiarité, analyse d’un concept », in D’ONORIO Joël-Benoît (dir.), La subsidiarité : de la théorie à la pratique, Paris, Téqui, 1995, p.11. 98 CLERGERIE Jean-Louis, Le principe de subsidiarité, Paris, Ellipses, 1997, p.5. 99 LEURQUIN-DE VISSCHER Françoise, « Existe-t-il un principe de subsidiarité ? », in DELPÉRÉE Francis (dir.), Le principe de subsidiarité, Bruxelles, Bruylant – LGDJ, 2002, p.23. - 49 - Section 1. Le principe de subsidiarité : une lente émergence. 55. L’histoire du principe de subsidiarité remonte à l’Antiquité. En effet, si l’expression de « principe de subsidiarité » est plutôt récente « depuis des millénaires, les peuples européens se réfèrent à l’idée de subsidiarité comme M. Jourdain faisait de la prose, c'est-àdire à leur insu ».100 Il n’est pas question ici d’en faire un historique complet, mais de retracer les grandes lignes de sa genèse. On remarquera alors que « le principe s’est retrouvé au cœur de doctrines assez différentes ».101 56. La notion de subsidiarité est d’abord un principe philosophique de l’Antiquité. Aristote est le premier à développer une réflexion sur le principe de subsidiarité. Pour lui, chaque groupe composant la société doit s’occuper d’un domaine propre. Le niveau supérieure ne prend en charge que les problèmes auxquels le niveau inférieur ne peut pas répondre. Cette succession de niveaux d’intervention permet d’aboutir à une vie en autarcie dans le cadre de la Cité. Pour Aristote, c’est là la perfection.102 Le principe de subsidiarité ainsi entendu vise tout d’abord à favoriser l’intervention des groupes sociaux les plus proches de l’individu. Le principe de subsidiarité a ensuite connu une consécration grâce à l’Eglise catholique. Celle-ci a usé de ce principe pour définir ses relations avec les Etats, puis ses relations avec les Eglises locales. L’objectif est « de limiter le rôle de la Papauté, qui n’aurait plus à intervenir que pour apporter son soutien aux collectivités inférieures dans l’accomplissement de leurs missions ».103 Le principe de subsidiarité se développe alors dans le cadre de ce qu’on appelle le christianisme social ou encore la doctrine sociale de l’Eglise. Dans ces deux cas, l’idée centrale est que c’est au groupe, à la communauté la plus proche de l’individu de prendre en charge les problèmes de celui-ci. Les niveaux supérieurs ne peuvent intervenir qu’à titre de renfort, dans un second temps. Il y a une forme de liberté qui se retrouve en filigrane derrière le principe de subsidiarité. Toutefois, la subsidiarité demeure dans ce cadre un principe de l’ordre de la morale. Il convient donc d’analyser sa réception par l’ordre juridique. Le principe de subsidiarité a été saisi par le droit plus tardivement. De plus, il est au départ un principe juridique étranger au droit français (§1). L’écriture française du principe est l’héritière de cette longue maturation (§2). 100 MILLION-DELSOL Chantal, Le principe de subsidiarité, Paris, PUF, Que sais-je ?, 1993, p.4. DELCAMP Alain, « Droit constitutionnel et droit administratif. Principe de subsidiarité et décentralisation », RFDC, 1995, n°23, p.614. 102 MILLION-DELSOL Chantal, Le principe de subsidiarité, op. cit., p.8 et s. 103 CLERGERIE Jean-Louis, Le principe de subsidiarité, Paris, Ellipses, 1997, p.11. 101 - 50 - §1. Le principe de subsidiarité, une réception juridique dans le cadre de constructions étatiques particulières 57. Le principe de subsidiarité est à l’origine un principe philosophique. Cependant, la science juridique s’en est saisie. Le principe de subsidiarité a trouvé un terreau favorable dans deux cadres : les Etats fédéraux, d’une part, et la construction Communautaire, d’autre part. Dans les deux cas, le principe de subsidiarité permet de réguler les compétences entre les autorités centrales (État fédéral ou Communauté selon l’ordre juridique) et les autorités inférieures (Etats fédérés ou Etats membres). Si le recours à la subsidiarité dans les Etats fédéraux se fait d’une manière plus naturelle, le droit communautaire a conduit à la formulation d’une définition plus précise du principe. Il apparaît que dans les Etats fédéraux, le principe de subsidiarité n’est qu’un principe directeur (A). Le droit communautaire, quant à lui, permet de le consacrer comme un véritable principe juridique (B). A. Un principe directeur dans les Etats fédéraux 58. Dans les Etats ayant adopté une organisation fédérale, il existe une répartition des compétences entre l’État fédéral et les entités fédérés. Cette répartition bénéficie d’une protection particulière puisqu’elle est prévue dans la Constitution fédérale. Cette répartition est la « plus significative expression »104 du principe de subsidiarité. En effet, l’objectif de la répartition des compétences ainsi opérée est d’en accorder l’exercice au niveau le plus efficace. Si les compétences peuvent être mieux mises en œuvre, ou au moins aussi bien, au niveau le plus proche des citoyens plutôt qu’au niveau central, alors c’est le premier qu’il faut privilégier. L’acteur le plus proche du terrain est généralement jugé le plus efficace puisque c’est lui qui connaît le mieux la situation locale et il est le plus aisément reconnaissable par la population. Son intervention est donc en principe tant du point de vue matériel que symbolique la plus efficace. Dans les Etats fédéraux, le principe de subsidiarité rempli ainsi une fonction de séparation des pouvoirs, séparation ici verticale. Le principe de subsidiarité permet de contenir chaque niveau de collectivité, fédéral et fédéré, dans son domaine de compétence. 59. Dans ce cadre, le principe de subsidiarité est à nouveau un corollaire du principe de liberté. En effet, les entités fédérées ont la possibilité de tester différentes solutions. Elles ont 104 MILLION-DELSOL Chantal, Le principe de subsidiarité, op. cit., p.38. - 51 - la possibilité de se tromper, de faire des erreurs sans être sanctionnées. L’État fédéral doit attendre une incapacité avérée avant de pouvoir intervenir. Cela conduit à un effet d’entraînement entre les différentes entités fédérées, il y a une forme d’ « incitation, car le modèle le plus efficace servira d’exemple ».105 Aucune solution n’est considérée par avance comme la meilleure. Le principe de subsidiarité invite à l’expérimentation. Dans le cadre d’un État fédéral, et contrairement à un État centralisé, les entités infraétatiques participent à la définition du bien commun. Le principe de subsidiarité protège cette participation. « L’organisation sociale est antithétique de celle de la république égalitaire française. Le souci d’autonomie des groupes y contraste grandement avec la demande d’assistance des sociétés centralisées ».106 La subsidiarité trouve donc un terreau tout à fait favorable dans les Etats fédéraux puisque ce type d’organisation suppose une large marge d’autonomie aux collectivités inférieures. Dès lors, cela pose question quant à l’introduction de ce principe dans notre ordre juridique, puisque la France est un État unitaire. 60. L’Allemagne offre un bon exemple d’utilisation du principe de subsidiarité. Sans être expressément nommé, le principe de subsidiarité transparaît à l’article 72 de la loi fondamentale allemande. Cet article, inclus dans le titre VII relatif à la législation de la fédération, porte sur les compétences législatives concurrentes. Cette disposition autorise les Länder à intervenir dans les domaines de la législation concurrente tant « que la Fédération n’a pas fait par une loi usage de sa compétence législative ».107 Toutefois, la liberté des Länder est préservée puisque l’intervention de la Fédération est conditionnée, à l’alinéa 2 de l’article 72. Ainsi, dans un certain nombre de matières énumérées à l’article 74108, la Fédération ne peut intervenir que si « l’intérêt de l’ensemble de l’État [rend] nécessaire une réglementation législative fédérale ». Cette limite est elle-même critiquable puisque « l’appréciation de cette condition dépend du seul pouvoir central ».109 La subsidiarité ainsi conçue peut donc être détournée de son objectif original et être le fondement d’une intervention accrue de l’échelon supérieur. L’exemple allemand semble tout à fait topique de l’ambiguïté que porte le principe de subsidiarité une fois introduit dans le domaine juridique. Il est à la fois un principe qui permet de préserver les libertés locales, mais il est aussi favorable à la recentralisation des compétences. C’est d’ailleurs là l’une des limites 105 Ibid., p.43. MILLION-DELSOL Chantal, « La subsidiarité dans les idées politiques », in D’ONORIO Joël-Benoît (dir.), La subsidiarité : de la théorie à la pratique, Paris, Téqui, 1995, p.51. 107 Article 72, alinéa 1er de la Loi fondamentale allemande. 108 Liste des compétences législatives concurrentes. 109 CLERGERIE Jean-Louis, Le principe de subsidiarité, op. cit., p.38. 106 - 52 - communes à beaucoup de traductions juridiques du principe de subsidiarité que d’être contrôlé par l’échelon du pouvoir central. 61. La Constitution italienne fait également référence au principe de subsidiarité. En effet, l’article 118 de la norme fondamentale de l’Italie relatif à la répartition des compétences administratives entre les différents niveaux de collectivités territoriales fait référence au principe de subsidiarité comme l’une des clefs de répartition de ces compétences. La disposition prévoit que l’objectif de la répartition est d’assurer un « exercice unitaire » des fonctions administratives. La lecture de cette disposition, comme dans le cas allemand, semble pouvoir se faire à double sens – voire à double tranchant. Cette ambiguïté se retrouve au niveau communautaire où le principe de subsidiarité peut rassurer tant les « europhiles » que les « europhobes ». B. La consécration du principe de subsidiarité en droit communautaire 62. « La définition la plus convaincante et qui a véritablement contribué à lancer le débat ne se trouve qu’en droit communautaire ».110 Le droit communautaire s’est pleinement saisi du principe de subsidiarité, et ce depuis les années 1980. Si le principe ne sera expressément consacré dans les textes que lors du traité de Maastricht, on en trouve déjà trace dans les textes communautaires avant. 63. Le premier texte communautaire à faire référence au principe est le rapport Spinelli de 1984.111 Ce rapport est en fait un projet de traité visant à instituer l’Union Européenne. Le projet adopté par le Parlement européen le 14 février 1984 à une large majorité sera cependant rejeté par les Etats membres. Le Préambule de ce projet disposait notamment que l’Union Européenne instituée entend « confier à des institutions communes, conformément au principe de subsidiarité, les seules compétences nécessaires pour mener à bien les tâches qu’elles pourront réaliser de manière plus satisfaisante que les Etats pris isolément ».112 Le principe de subsidiarité est un instrument de régulation des compétences entre les institutions communautaires et les Etats membres. On retrouve à l’article 12 de la proposition de traité une formulation assez proche de celle contenue dans la Constitution allemande. L’intervention de l’Union n’était exigée que pour les matières dont la mise en œuvre se révèle 110 DELCAMP Alain, « Droit constitutionnel et droit administratif. Principe de subsidiarité et décentralisation », RFDC, 1995, n°23, p.610. 111 JOCE, C 77, 19 mars 1984, p.33 et s. 112 JOCE, C 77, 19 mars 1984, p.36. - 53 - plus efficace au niveau de l’Union qu’au niveau des Etats, ou parce que les matières avaient des conséquences qui dépassaient le niveau national. L’action de l’Union n’était prévue qu’à titre subsidiaire. L’intervention ne pouvait avoir lieu que si c’était nécessaire et les Etats membres étaient compétents par principe. Toutefois, si ce projet fait référence au principe de subsidiarité, une seule face de ce principe est invoquée. En effet, l’idée de proximité est bien affirmée mais « il est moins certain que l’autre dimension (l’idée de « secours ») y soit également présente : il n’est nulle part mentionné que l’Union a un devoir d’intervention ».113 L’Acte Unique Européen fait lui aussi référence au principe de subsidiarité. On en retrouve trace en matière d’environnement, à l’article 130 R. Ici à nouveau, l’action de l’Union européenne est circonscrite à une meilleure mise en œuvre de la compétence par les autorités de l’Union que par les Etats membres. 64. Le principe est inscrit « avec solennité […] comme un principe fondamental de l’organisation institutionnelle de la construction européenne »114 lors du traité de Maastricht en 1992. L’article 3 B du traité dispose que « La Communauté agit dans les limites des compétences qui lui sont conférées et des objectifs qui lui sont assignés par le présent traité. Dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la Communauté n’intervient, conformément au principe de subsidiarité, que si et dans la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les Etats membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire. L’action de la Communauté n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs du présent traité ». Le principe de subsidiarité est expressément nommé dans cet article. Il est un principe directeur dans la répartition des compétences entre la Communauté et les Etats membres. Ainsi définie, la subsidiarité est « une règle de conduite dans l’action, justifiée par la recherche de la meilleure efficacité dans l’action ».115 En effet, la définition, donnée par le droit communautaire, est relative au moment du déclenchement de l’intervention communautaire. Le principe de subsidiarité n’a pas pour objet de déterminer quelle compétence appartient à quel niveau, mais de déterminer à partir de quel moment l’action de la Communauté est justifiée. « Ce n’est donc pas un 113 DEROSIER Jean-Philippe, « La dialectique centralisation/décentralisation. Recherche sur le caractère dynamique du principe de subsidiarité », RIDC, 2007, n°1, p.130. 114 GAUDEMET Yves, « La subsidiarité en Europe : un principe ambigu et discutable », Futuribles, 2002, n°280, p.6. 115 Ibid., p.8. - 54 - principe d’attribution mais de régulation des compétences ».116 Le principe de subsidiarité permet de favoriser « la collectivité la plus qualifiée pour réaliser les buts fixés par le traité ».117 Cette entité peut aussi bien être la Communauté que l’Etat membre, ou l’une de ses collectivités, même s’il est préférable de privilégier l’intervention la plus proche du citoyen. 65. Le principe de subsidiarité entre en jeu dans la mise en œuvre des compétences concurrentes. Dans le cadre communautaire, il est nécessaire de distinguer deux types de compétences : les compétences autonomes et les compétences concurrentes. Dans le premier cas, les compétences sont clairement accordées à la Communauté ou aux Etats membres. Seuls sont alors compétents en ces matières ceux désignés par les traités, les autres ne peuvent pas intervenir. Dans le second cas, les compétences concurrentes, le niveau d’intervention n’est pas fixé. Par principe, c’est aux Etats membres d’intervenir dans ces domaines. Cependant, la Communauté peut décider d’intervenir si, et seulement si, l’action des Etats membres ne permet pas de réaliser de manière satisfaisante les objectifs du traité. Le principe de subsidiarité, en droit communautaire, est fondé sur une logique de secours, de renfort. La Communauté n’intervient qu’en renfort des Etats membres, si jamais ceux-ci ne sont pas capables d’atteindre les objectifs fixés. L’intervention de la Communauté est donc seconde par rapport à celle des Etats, elle est subsidiaire. Elle arrive en remplacement, en soutien d’un acteur incapable de réaliser sa mission correctement. On peut donc observer que le traité de Maastricht n’a pas corrigé l’erreur faites par les premiers textes communautaires relatifs au principe de subsidiarité. En effet, à nouveau une seule face du principe de subsidiarité est visible. Le traité n’impose à aucun moment une obligation aux organes communautaires d’intervenir pour suppléer les Etats membres si ceux-ci en ont besoin. 66. On saisi ici toute l’ambiguïté du principe, ou du moins son effet à « double tranchant ». Entendu comme un principe qui permet de justifier l’action communautaire, le principe de subsidiarité peut aussi bien justifier une diminution des compétences des Etats membres que leur accroissement. Il n’est pas étonnant alors que l’introduction du principe de subsidiarité dans le traité de Maastricht ait fait l’objet d’un certain consensus. Le principe de subsidiarité permet aussi bien de justifier l’action de la Communauté que son inaction. Le principe de subsidiarité contente aussi bien « europhobes » qu’ « europhiles ». Pour les uns, il est le « moyen d’étendre indéfiniment le champ des compétences de l’Union au nom de l’efficacité, alors que, pour les autres, il permet de restreindre les compétences de l’Union 116 117 ROUX Jérôme, Droit général de l’Union européenne, Paris, Litec, 3e ed., 2010, p.117. CLERGERIE Jean-Louis, Le principe de subsidiarité, op. cit., p.5. - 55 - pour permettre des décisions au plus proche des citoyens ».118 Dès lors, pour certains auteurs « l’effet de l’introduction d’un tel principe au niveau européen demeure donc parfaitement incertain ».119 Il faut supposer que la décision finale est remise entre les mains du juge communautaire qui devra se saisir du principe. Son introduction en droit français abouti aux mêmes interrogations. 67. Il faut relever qu’en droit communautaire, le principe de subsidiarité fonctionne de façon ascendante, c'est-à-dire que c’est l’entité la plus petite qui est compétente en principe pour intervenir, l’entité supérieure n’interviendra qu’en seconde position. Dans le droit français la logique est inverse c'est-à-dire descendante. Dans ce cas, c’est le niveau central qui détient la compétence par principe et par exception les collectivités territoriales peuvent se voir attribuer des compétences. 68. Il faut noter également que le Conseil de l’Europe invoque lui aussi le principe de subsidiarité. En effet, l’article 4.3 de la Charte européenne de l’autonomie locale, désormais en vigueur en droit français depuis 2006120, dispose que « l’exercice des responsabilités publiques doit, de façon générale, incomber, de préférence, aux autorités les plus proches des citoyens. L’attribution d’une responsabilité à une autre autorité doit tenir compte de l’ampleur et de la nature de la tâche et des exigences d’efficacité et d’économie ». Cette saisine par le droit européen démontre que le principe de subsidiarité quitte le seul cadre des Etats fédéraux. En l’introduisant dans cette Charte, le Conseil de l’Europe fait du principe de subsidiarité un principe en faveur du développement des autonomies locales. La captation du principe de subsidiarité par le droit s’est donc faite d’abord dans les Etats fédéraux et dans des organisations internationales de type fédéral. Le principe de subsidiarité se comprend dans ce modèle d’organisation puisque la répartition des compétences entre les autorités centrales et les autorités locales (entités fédérées ou Etats membres) est prévue, protégée, par le texte fondamental. L’inscription du principe de subsidiarité dans un État unitaire tel que la France dès lors ne peut qu’intriguer. 118 SAVY Robert, « Sur un trompe l’œil constitutionnel », in Apprendre à douter. Questions de droit, questions sur le droit. Etudes offertes à Claude Lombois, op. cit., p.452. 119 DELCAMP Alain, « Droit constitutionnel et droit administratif. Principe de subsidiarité et décentralisation », art. cit., p.613. 120 Loi n°2006-823 du 10 juillet 2006 autorisant l’approbation de la Charte européenne de l’autonomie locale, adoptée à Strasbourg le 15 octobre 1985, JORF, 11 juillet 2006, p.10335. - 56 - §2. Une introduction incertaine en droit français 69. Malgré le fait qu’on puisse observer des références au principe de subsidiarité, en matière d’organisation territoriale, dès la Révolution121, le droit français n’a consacré le principe que très tardivement. Cela est très certainement lié à la différence d’objectif entre la philosophie et le droit. La science juridique doit « s’inscrire au sein des réalités sociétaires. Son objectif n’est pas de philosopher sur l’organisation sociale idéale mais de régler la vie sociale effective compte tenu des circonstances de temps et de lieu qui sont les siennes. La concrétisation du principe, qui n’est en réalité qu’une suite d’arbitrages pour ajuster au mieux raison pure et raison pratique, constitue le premier défi à relever ».122 Tout comme l’introduction du principe dans le droit communautaire a posé question, l’inscription du principe de subsidiarité dans le droit français soulève un certain nombre d’interrogations. La première d’entre elles est liée à l’organisation territoriale. En effet, le principe juridique de subsidiarité fonctionne, tel que vu précédemment, dans le cadre d’Etats fédéraux, ou d’organisations s’en rapprochant – comme la Communauté européenne. Or la France est un État unitaire, même s’il est décentralisé. Le principe de subsidiarité et la question de la régulation des compétences entre le centre et les collectivités périphériques ne sont pas des questions habituelles. « La subsidiarité n’est pas un principe cartésien et le juriste français ne s’y retrouve pas ».123 Toutefois, le principe de subsidiarité s’est intégré à la décentralisation française. Le principe de subsidiarité a été inscrit tardivement dans le droit positif français (A). Cependant la formulation qui en a été retenue semble être porteuse d’un certain nombre d’interrogations (B). 121 « Fuyez la manie ancienne des gouvernements de vouloir trop gouverner : laissez aux individus, laissez aux familles le droit de faire ce qui ne nuit point à autrui ; laissez aux communes le pouvoir de régler elles-mêmes leurs propres affaires en tout ce qui ne tient pas essentiellement à l’administration générale de la République ». Discours de Robespierre sur la Constitution, 10 mai 1793, Moniteur Universel, 13 mai 1793, p.363. 122 LEURQUIN-DE VISSCHER Françoise, « Existe-t-il un principe de subsidiarité ? », in DELPÉRÉE Francis (dir), Le principe de subsidiarité, Bruxelles, Bruylant – LGDJ, 2002, p.27. 123 DRAGO Guillaume, « Le principe de subsidiarité comme principe de droit constitutionnel », RIDC, 1994, p.585. - 57 - A. Une consécration tardive du principe de subsidiarité En France la consécration du principe de subsidiarité a été beaucoup plus lente. La loi l’avait déjà consacré depuis un certain temps ainsi que la littérature politico-juridique (1). Cependant, son inscription dans la Constitution en 2003 marque l’attachement particulier de ce principe à la décentralisation (2). 1. Les « premiers pas » du principe de subsidiarité dans le système juridique français 70. On trouve effectivement une première référence à ce principe dans le rapport d’Olivier Guichard, intitulé « Vivre ensemble ». Ce rapport établit une définition assez complète du principe de subsidiarité dans le cadre de la décentralisation. Il définit le principe de subsidiarité comme la recherche du « niveau adéquat d’exercice des compétences, un niveau supérieur n’étant appelé que dans le cas où les niveaux inférieurs ne peuvent pas exercer euxmêmes les compétences correspondantes. L’État doit ainsi déléguer aux collectivités tous les pouvoirs qu’elles sont en mesure d’exercer ».124 Olivier Guichard explique que le principe de subsidiarité renvoie à la recherche du partage optimum des compétences entre l’État et les collectivités territoriales. La corrélation, le lien entre subsidiarité et décentralisation est donc fait à travers ce rapport. Dans le cadre d’un État unitaire, tel que la France, la décentralisation doit permettre au niveau de collectivité le plus apte d’intervenir. « Le principe de subsidiarité explique et justifie tout à la fois la politique de décentralisation ; il la justifie car, abstraction faite des données concrètes dans un pays donné à un moment donné, il fournit une réponse à la question abstraite de savoir qui, dans une organisation complexe, doit disposer des compétences et des pouvoirs. Accepter le principe de subsidiarité c’est, en même temps, pour les gouvernants, admettre le bien-fondé de l’idée selon laquelle des autorités locales doivent disposer de certains pouvoirs. Le principe de subsidiarité induit donc une certaine idée de l’État, il est un instrument de liberté puisqu’il condamne l’absorption de tous les pouvoirs par l’autorité centrale ».125 Tous les auteurs ne s’accordent pas sur cette analyse. Ainsi pour Alain Delcamp, subsidiarité et décentralisation, ne sont associés dans aucun ordre juridique. Cela 124 GUICHARD Olivier, Vivre ensemble : rapport de la commission de développement des responsabilités locales, op. cit., p.97. 125 PONTIER Jean-Marie, « La subsidiarité en droit administratif », RDP, 1986, p.1533. - 58 - est lié, d’après lui, au fait que « ces notions appartiennent à deux ordres différents ».126 Cette analyse doit, nous semble-t-il, être réfutée. D’une part, la subsidiarité est désormais inscrite dans notre constitution, dans le titre relatif aux collectivités territoriales. Dès lors, il y a nécessairement une corrélation entre la décentralisation et la subsidiarité, en droit français, et ce même si les deux principes étaient à l’origine étrangers l’un à l’autre. D’autre part, décentralisation et subsidiarité poursuivent un même objectif : limiter l’intervention de l’autorité centrale au profit des entités les plus proches du citoyen. On peut même estimer que le principe de libre administration contenu à l’article 34 de la Constitution est déjà une forme de subsidiarité. En effet, en prévoyant que les collectivités territoriales s’administrent librement, la Constitution leur accorde une liberté d’intervention dans leurs domaines de compétences qui ne peut être remise en cause par les autorités centrales. Dès lors « peut-être a-t-on fait, dès le départ, de la subsidiarité sans le savoir ».127 Le rapport Guichard contient de nombreuses autres pistes de réflexion sur la répartition des compétences entre les collectivités territoriales et l’État, mais il ne sera pas immédiatement suivi d’effets. 71. Il faut ensuite attendre 1992 pour que le principe de subsidiarité fasse à nouveau son apparition. Sans être expressément nommé, le principe de subsidiarité gouverne l’action de l’administration déconcentrée dans la loi relative à l’administration territoriale de la République.128 L’organisation administrative française offre un cadre propice de réception du principe de subsidiarité, lié aux origines de cette organisation administrative. En effet, le droit administratif est en partie l’héritier du droit canonique.129 L’organisation administrative française est relativement proche de l’organisation de l’Eglise, là où est apparu le principe de subsidiarité. La parenté entre ces deux organisations est un gage d’une réception aisée du principe. Dans le cadre de ce texte, le principe de subsidiarité vise à répartir les compétences entre l’administration centrale et l’administration déconcentrée de l’État. Ainsi, l’article 2 de cette loi dispose que « sont confiées aux administrations centrales les seules missions qui présentent un caractère national ou dont l’exécution, en vertu de la loi, ne peut être déléguée 126 DELCAMP Alain, « Droit constitutionnel et droit administratif. Principe de subsidiarité et décentralisation », art. cit., p.610. 127 MOLITOR Cédric, « La subsidiarité et les collectivités locales », in DELPÉRÉE Francis (dir.), Le principe de subsidiarité, op. cit., p.260. 128 Loi n°92-125 du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République – dite ATR, JORF, 8 février 1992, p.2064. 129 PONTIER Jean-Marie, « La subsidiarité en droit administratif », art. cit., p.1519. - 59 - à un échelon territorial ». Dans l’administration de l’État, l’échelon compétent par principe est donc l’échelon déconcentré. L’échelon central ne peut intervenir qu’à certaines conditions : soit une mission à caractère national, soit que la loi en a décidé ainsi. C’est donc bien une application du principe de subsidiarité puisque c’est l’échelon le plus proche du citoyen qui intervient par principe, l’échelon supérieur ne prenant le relais que si cela s’avère nécessaire. « La règle de subsidiarité rend donc chaque échelon du pouvoir d’État supplétif par rapport aux échelons inférieurs ».130 Si l’idée qui guide cette disposition est celle que la décision soit prise au plus près possible du citoyen, alors il y a bien un lien avec la subsidiarité. Toutefois, la subsidiarité implique aussi, nous l’avons vu, une forme de liberté dans cette prise de décision. Cette liberté n’existe pas dans le cadre de l’administration déconcentrée. Ainsi, cette disposition de la loi ATR « est peut-être un principe de bonne gestion administrative. Cela n’a en tout cas rien à voir avec le respect de la liberté des individus et des groupes, ni avec le principe de subsidiarité : en effet, [les services déconcentrés] ne peuvent avoir des « objectifs propres » ; en tant que services de l’État, il ne peuvent avoir que les objectifs de l’État ou, au moins, ceux que l’État leur assigne ».131 La déconcentration n’offre donc, au final, qu’une application partielle du principe de subsidiarité. La décision est prise au niveau le plus proche du citoyen, mais aucune liberté ne préside à cette prise de décision. Cela semble conduire à la conclusion que le principe de subsidiarité « n’est conçu, en France, que comme un simple principe d’organisation administrative tendant à rapprocher le plus possible la décision du citoyen ».132 C’est dans le cadre de la décentralisation qu’il faut observer une plus juste application du principe de subsidiarité. 2. La décentralisation, domaine de prédilection du développement de la subsidiarité 72. La décentralisation, malgré quelques critiques analysées précédemment, offre un terreau intéressant pour le principe de subsidiarité. En effet, les deux notions visent à « protéger les collectivités de base face à la toute-puissance de l’État ».133 L’État unitaire est 130 ALBERTINI Jean-Benoît, Contribution à une théorie de l’État déconcentré, Bruxelles, Bruylant, 1998, p.88. LEMOYNES de FORGES Jean-Michel, « La subsidiarité dans le fonctionnement de l’État », in D’ONORIO Joël-Benoît, La subsidiarité : de la théorie à la pratique, op. cit., p.67. 132 DELCAMP Alain, « Droit constitutionnel et droit administratif. Principe de subsidiarité et décentralisation », op. cit., p.616. 133 CLERGERIE Jean-Louis, Le principe de subsidiarité, op. cit., p.32. 131 - 60 - traversé par une dialectique134, une opposition, entre centralisation et décentralisation. L’objet de cette confrontation est l’exercice des compétences. Chaque ordre juridique, l’ordre centralisé et l’ordre décentralisé, cherche à exercer le plus de compétences possibles. Il est nécessaire d’organiser cette répartition des compétences, de trouver un principe directeur de résolution de ces conflits. « Le principe de subsidiarité […] offre la possibilité de réguler cette dialectique, en permettant une variation du degré de décentralisation ».135 Décentralisation et subsidiarité ne s’opposent donc nullement. Au contraire, les deux principes semblent se compléter. Pour permettre à cette régulation de s’opérer pleinement il était nécessaire d’inscrire le principe de subsidiarité tout en haut de la pyramide des normes. La constitutionnalisation du principe de subsidiarité permet ensuite de l’imposer à tous les acteurs de la décentralisation. S’il n’était resté qu’un principe législatif, il n’aurait été qu’un outil au service des transferts de compétences de l’État vers les collectivités territoriales. 73. C’est lors de la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 que le principe de subsidiarité a été inscrit dans la norme fondamentale. La subsidiarité est alors présentée comme l’un des « principes fondateurs de la réforme constitutionnelle ».136 Cette inscription est la marque d’une évolution dans la manière de concevoir l’État. Le principe de subsidiarité « nécessite en effet une acceptation par l’État de la place et des revendications des entités secondaires territoriales. Le principe de subsidiarité permet en effet que s’engage une discussion quasiment d’égal à égal, ou tout au moins respectueuse de chacun, entre échelon central et échelon territorial ».137 La mise en œuvre du principe de subsidiarité implique une discussion entre les autorités centrales et les collectivités territoriales. Cette discussion doit permettre à chacun d’expliquer en quoi il est le niveau le mieux à même de mettre en œuvre une compétence. A condition que cette discussion soit réellement effective, le principe de subsidiarité introduit une nouvelle façon de concevoir la décentralisation. Celle-ci ne consisterait plus pour l’État à se débarrasser de certaines compétences au détriment des collectivités locales, mais au contraire à introduire une discussion constructive avec ces dernières dans le but de réaliser au mieux l’intérêt général. 134 DEROSIER Jean-Philippe, « La dialectique centralisation/décentralisation. Recherches sur le caractère dynamique du principe de subsidiarité », art. cit., p.107-140. 135 Ibid., p.112. 136 RAFFARIN Jean-Pierre, Premier Ministre, Assemblée nationale, JORF Débats, 21 novembre 2002, p.5372. 137 VIGUIER Jacques, « Le principe de subsidiarité comme nouvel objet du droit constitutionnel », in ROUSSILLON Henry, BIOY Xavier et MOUTON Stéphane (dir.), Les nouveaux objets du droit constitutionnel, Toulouse, Presses de l’Université de science sociale de Toulouse, 2006, p.123. - 61 - Malgré cette inscription dans le marbre de la norme fondamentale, la subsidiarité est porteuse d’un certain nombre d’interrogations. La formulation retenue par le constituant oblige à une analyse des implications du principe tel qu’il a été introduit en droit constitutionnel français. B. Une signification ambiguë du principe de subsidiarité 74. L’inscription du principe n’est pas pleine et entière. Contrairement au droit communautaire la Constitution ne fait pas référence explicitement au principe de subsidiarité. L’article 72, alinéa 2, dispose que « les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon ». Ainsi formulé, le principe de subsidiarité fait référence à une qualification totalement étrangère à la science juridique : le « mieux ». Cette définition implique que la collectivité qui pourra mettre en œuvre une compétence de la meilleure façon possible devra effectivement se la voir attribuer. Mais comment juger le mieux ? Ce sera là le difficile travail du juge. Il faut cependant s’accorder sur le fait que cette définition marque bien le caractère ambigu du principe de subsidiarité. Tel que formulé à l’article 72, alinéa 2 de la Constitution, le principe de subsidiarité n’est ni favorable, ni défavorable à la centralisation ou à la décentralisation, mais « il s’inscrit plutôt dans une dynamique de régulation de la dialectique de centralisation et de décentralisation ».138 D’ailleurs, face à cette indétermination, face à ce principe gigogne, certains auteurs se sont inquiétés de sa constitutionnalisation.139 Ils estiment que le principe de subsidiarité n’apporte rien de plus à la décentralisation. Ils considèrent même que la subsidiarité n’est qu’un effet de mode et craignent ainsi « que la subsidiarité, comme principe, vive ce que vivent les slogans, les mots d’ordre d’un manifeste »140 et soit rapidement remisée aux oubliettes. Le jugement sur la subsidiarité ne doit toutefois pas être totalement négatif. Ce principe, ainsi que les mécanismes de mise en œuvre qui l’accompagnent, sont « un nouveau souffle »141 pour la décentralisation. Ils y introduisent une volonté de dialogue, d’échange entre les autorités centrales et les collectivités territoriales tout à fait nouvelle. 138 GUILLOUD Laetitia, « Le principe de subsidiarité en droit communautaire et en droit constitutionnel », LPA, 2007, n°79, p.54. 139 GAUDEMET Yves, « La subsidiarité en Europe : un principe ambigu et discutable », art. cit., p.14. 140 Ibid., p.6. 141 MILANO Laure, « La loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, le premier jalon de la réorganisation de l’État », RGCT, 2005, n°33, p.90. - 62 - 75. Le principe de subsidiarité est donc une nouveauté et nouveauté qui a son importance puisqu’elle est placée en tête de l’article 72, c'est-à-dire que tous les autres alinéas de cet article, mais aussi, et surtout, tout le droit des collectivités territoriales, sont traversés par lui. Cette disposition est qualifiée de « fondamentale »142 par le rapporteur du projet de loi constitutionnelle devant l’Assemblée nationale. Pour le gouvernement dirigé par Jean-Pierre Raffarin, la subsidiarité est le « premier levier »143 des cinq que comporte le projet de loi constitutionnelle. Elle doit permettre la « juste répartition des compétences ».144 La mise en œuvre de la décentralisation doit être une recherche permanente du niveau optimum d’exercice des compétences. Selon l’exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle, ce nouvel objectif à valeur constitutionnelle a pour but de déterminer la ligne de partage entre l’administration de l’État et les administrations des collectivités territoriales. Il doit donc être considéré comme un principe directeur pour les lois de décentralisation. Le principe de subsidiarité a pour fonction de servir de « fondement à la répartition des compétences entre collectivités »145, il doit même permettre de légitimer ces transferts.146 76. Le principe de subsidiarité participe au renouvellement du droit. Il s’inscrit dans le mouvement post-moderne du droit. Ainsi, l’inscription du principe de subsidiarité dans la Constitution en 2003 n’est pas un acte neutre. L’une des caractéristiques de la post-modernité juridique est de modifier la perception de la règle de droit. Alain Delcamp estimait en 1995 a propos de l’idée de constitutionnalisation du principe de subsidiarité qu’une « telle insertion doit être appréciée, nous semble-t-il, à la lumière d’une évolution du droit qui perd ses caractéristiques de norme générale, immuable et impersonnelle et s’adapte à l’évolution d’une société complexe et parfois imprévisible ».147 L’inscription du principe de subsidiarité dans notre constitution participe à un mouvement d’ensemble de réforme de l’État et du droit. Le succès du principe de subsidiarité est peut-être lié à cette conjonction d’éléments. Le principe de subsidiarité « correspond en effet à un moment du droit où les catégories trop formelles n’arrivent pas à rendre compte de la complexité de la réalité ni surtout à répondre 142 CLÉMENT Pascal, Assemblée nationale, JORF Débats, 20 novembre 2002, p.5308. RAFFARIN Jean-Pierre, Premier Ministre, Congrès, JORF Débats, 18 mars 2003 p.15. 144 Idem. 145 GARREC René, Rapport sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l’organisation décentralisée de la République, op. cit., p.99. 146 GARREC René, Rapport fait sur le projet de loi constitutionnelle, modifié par l’Assemblée nationale, relatif à l’organisation décentralisée de la République, Sénat, n°86, 2002, p.4. 147 DELCAMP Alain, « Droit constitutionnel et droit administratif. Principe de subsidiarité et décentralisation », art. cit., p.623. 143 - 63 - au besoin de conciliation des aspirations contradictoires des acteurs sociaux ».148 Le principe de subsidiarité participe au même mouvement que celui qui conduit le droit à être négocié et non plus imposé par les autorités. Il s’inscrit dans un mouvement beaucoup plus large d’apparition d’une nouvelle méthode de régulation juridique, qualifiée de droit post-moderne. Cette évolution de la production normative s’inscrit elle-même dans la crise de l’État moderne. Cette crise de l’État a notamment des conséquences sur le droit et la production du droit. C’est ainsi que « la rationalité du droit ne se présume plus : la norme est désormais passée au crible de l’efficacité, qui devient la condition et la cause de légitimité ».149 Or la subsidiarité participe à ce mouvement de légitimation. En favorisant le niveau de collectivité le plus efficace, le principe de subsidiarité légitime l’action de ce niveau au détriment des autres niveaux. La lente appropriation du principe philosophique de la subsidiarité par le droit emporte un certain nombre de conséquences quant à l’application juridique de ce principe. En s’inscrivant dans le mouvement juridique post-moderne, la subsidiarité est ancrée dans ce que certains qualifient de droit mou. Celui-ci a pour caractéristique d’être difficilement saisissable par le juge. Dès lors, il semble nécessaire de s’intéresser à la façon dont le juge, particulièrement le juge constitutionnel, sanctionne le non respect du principe de subsidiarité. 148 Ibid., p.612. CHEVALLIER Jacques, « Vers un droit post-moderne ? Les transformations de la régulation juridique », RDP, 1998, n°3, p.669. 149 - 64 - Section 2. La question de la juridicité du principe de subsidiarité 77. Le juge constitutionnel, puisque le principe de subsidiarité est désormais inscrit dans la norme fondamentale, doit se saisir de ce principe. Il doit pouvoir sanctionner le législateur si celui-ci ne respecte pas le principe de subsidiarité. Toutefois, contrairement aux organisations de type fédéral, la Constitution française ne prévoit pas la répartition des compétences entre l’État central et les collectivités territoriales, c’est la loi qui est compétente pour cela.150 Le principe de subsidiarité n’intervient donc pas directement dans la répartition des compétences, mais il est un outil de régulation de cette répartition. Afin de réaliser au mieux cette régulation, le principe de subsidiarité s’accompagne d’autres mécanismes constitutionnels qui permettent de tendre vers un exercice des compétences au niveau le plus proche du citoyen (§1). Le peu d’exemples de jurisprudence constitutionnelle, en France, relative au principe de subsidiarité, à ce jour, ne permet pas une analyse satisfaisante du principe. D’ailleurs le Conseil constitutionnel semble jouer la prudence face à ce principe (§2). §1. Une mise en œuvre médiate 78. La Constitution française ne procède pas à la répartition des compétences entre l’État et les collectivités territoriales. Dès lors, contrairement à la norme fondamentale d’un État fédéral, le principe de subsidiarité ne peut pas être directement invoqué pour juger de cette répartition des compétences. Pour trouver une application pleine et entière, le principe de subsidiarité nécessite l’intervention d’autres instruments. Ainsi, contrairement à ce qu’affirme le professeur Pontier, le principe de subsidiarité ne se suffit pas à lui-même.151 Afin que les collectivités territoriales disposent effectivement des compétences qu’elles sont le mieux à même de mettre en œuvre, il faut déterminer des moyens pour rechercher ce niveau optimum de collectivité. L’application du principe de subsidiarité implique donc la mise en œuvre d’autres mécanismes constitutionnels, tels que l’expérimentation ou la collectivité chef de file. Ces deux mécanismes juridiques introduits eux aussi lors de la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 permettent de concrétiser le principe de subsidiarité. Ainsi, « l’expérimentation, selon les modalités prévues par l’article 37-1 et par l’article 72, alinéa 4 vise à déterminer « pour chaque politique publique […] le bon niveau d’exercice des 150 Article 34 de la Constitution : « La loi détermine les principes fondamentaux : de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources » (C’est nous qui soulignons). 151 PONTIER Jean-Marie, « La subsidiarité en droit administratif », art. cit., p.1524. - 65 - compétences ». La possibilité d’autoriser une ou plusieurs collectivités « à organiser les modalités de leur action commune » relève également de la logique de subsidiarité, c'est-àdire de la recherche du niveau adéquat d’exercice des compétences ».152 Il convient dès lors d’analyser dans un premier temps les rapports entre subsidiarité et expérimentation (A), puis entre subsidiarité et collectivité chef de file (B). A. Expérimentation et subsidiarité 79. L’expérimentation normative, prévue aux articles 37-1 et 72, alinéa 4, de la Constitution, permet de donner corps au principe de subsidiarité. Elle a été qualifiée de « corollaire »153 du principe de subsidiarité. L’expérimentation a pour but de déterminer quel est le niveau de collectivité idoine pour l’exercice d’une compétence. A travers l’expérimentation, l’État peut déterminer la collectivité la plus apte avant de procéder à la généralisation du transfert. Or l’objectif de la subsidiarité est d’accorder l’exercice d’une compétence à un niveau de collectivité qui sera le plus à même de l’exercer. Pour déterminer ce niveau, il faut procéder à une évaluation de la mise en œuvre de cette compétence par les collectivités territoriales. La subsidiarité et l’expérimentation « sont complémentaires et servent un objectif essentiel de la décentralisation : évaluer le niveau le plus adéquat pour l’exercice d’une compétence ».154 Le principe de subsidiarité et l’expérimentation se rejoignent au travers du prisme de l’évaluation. Ainsi l’expérimentation permet de mettre en œuvre le principe de subsidiarité. 80. En procédant à une expérimentation – notamment à une expérimentation transfert de l’article 37-1 – avant de généraliser l’exercice de la compétence, l’État va pouvoir déterminer quel est le niveau de collectivité le plus à même de se charger de cette compétence. L’expérimentation permet la mise en œuvre du principe de subsidiarité. L’expérimentation détermine le niveau de collectivité locale qui peut le « mieux » mettre en œuvre la compétence. L’expérimentation, puisqu’elle sera généralisée ou abandonnée, est une façon de déterminer qui de l’État ou d’un niveau donné de collectivité territoriale est le niveau le plus approprié pour l’exercice d’une compétence. 152 GUILLOUD Laetitia, « Le principe de subsidiarité en droit communautaire et en droit constitutionnel », art. cit., p.56. 153 CLÉMENT Pascal, Rapport sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l’organisation décentralisée de la République, op. cit., p.89. 154 MILANO Laure, « La loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, le premier jalon de la réorganisation de l’État », art. cit., p.89. - 66 - 81. Cependant la concrétisation du principe de subsidiarité par l’expérimentation n’est pas totale. En effet, l’expérimentation ne peut pas être conduite dans différents niveaux de collectivités territoriales en même temps. « Les collectivités territoriales habilitées relèveront de la même catégorie juridique. Il n’est pas envisageable de penser qu’une même expérimentation pourrait être conduite, par exemple, dans un département et dans une commune, puisque l’expérimentation est une dérogation à la loi régissant une compétence donnée ».155 Il est indéniable que les compétences des collectivités locales sont aujourd’hui largement enchevêtrées. Dès lors, dans un tel contexte, pour déterminer le niveau de collectivité le plus à même d’assurer une compétence, il aurait été utile de prévoir la possibilité d’expérimentation dans des cadres territoriaux différents. S’il est indéniable qu’une telle possibilité compliquerait les modalités de mise en œuvre de l’expérimentation, cela conduirait réellement à déterminer quel est le niveau de collectivité le plus à même d’assurer la compétence. Il y aurait une pleine application du principe de subsidiarité. Les textes relatifs à l’expérimentation n’ont pas été aussi loin puisque c’est l’État qui détermine à l’avance quel sera le niveau de collectivité qui participera à l’expérimentation. Il y a une décision unilatérale préalable des services centraux qui décident quelle collectivité participera à l’expérimentation. Ainsi, le principe de subsidiarité apparaît moins au service des collectivités territoriales qu’au service de l’État. B. Collectivité chef de file et subsidiarité 82. En désignant une collectivité chef de file, le législateur applique le principe de subsidiarité. Il considère que c’est le niveau de collectivité le mieux placé pour exercer cette compétence. Le mécanisme de la collectivité chef de file participe à la recherche de la collectivité la mieux à même de mettre en œuvre une compétence. En effet, une fois cette collectivité déterminée – à l’aide de l’expérimentation par exemple – lui confier un rôle de chef de file permet d’affirmer que cette collectivité est capable de mettre en œuvre la gestion la plus efficace dans un domaine de compétence et, à partir de là, de coordonner les autres collectivités qui souhaiteraient intervenir dans ce domaine d’action. La fonction de chef de file et le principe de subsidiarité se complètent donc dans la réussite de l’action commune. « L’objectif n’est donc plus, dans ce cas, de clarifier l’exercice respectif des compétences mais de rechercher la collectivité la plus apte à concevoir et à réaliser telle ou telle politique 155 PIRON Michel, Rapport relatif à l’expérimentation par les collectivités territoriales, Assemblée nationale, n°955, 2003, p.27. - 67 - publique et de donner à cette collectivité les moyens d’accomplir cette politique ».156 Cette méthode favorise le dialogue entre les collectivités territoriales et l’État, et des collectivités territoriales entre elles. Chaque niveau de collectivité doit intervenir pour expliquer pourquoi « son intervention est plus justifiée »157 que celle d’un autre niveau de collectivité. Une forme de concurrence s’installe ainsi entre les collectivités territoriales, mais c’est une forme de concurrence saine, une sorte d’incitation pour les autres collectivités territoriales. La subsidiarité implique ce type de comportement, mais, s’il est connu et accepté dans les État fédéraux158 il risque de rencontrer, en France, une forte opposition. 83. Toutefois cette discussion est importante. En effet, une fois déterminé la collectivité la mieux à même d’intervenir, celle-ci dispose d’une légitimité supplémentaire pour être désignée comme chef de file. « Cette légitimité doit ici encore reposer sur l’idée de « valeur ajoutée » car le chef de file doit correspondre au niveau optimum d’exercice de l’action ».159 Ainsi, si le concept de collectivité chef de file est une mise en œuvre de la subsidiarité, le concept a aussi besoin de celle-ci pour fonctionner correctement. La relation entre les deux notions se fait dans les deux sens, chacune alimente l’autre. 84. Il en est ainsi par exemple dans la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.160 Ce texte a notamment fait du département le chef de file en matière d’action sanitaire et sociale.161 Le conseil général était déjà compétent en ce domaine, mais sa consécration en tant que chef de file permet de lui reconnaître une place à part dans la mise en œuvre de cette compétence. Désormais, « le département définit et met en œuvre la politique d’action sociale ».162 Il est donc habilité pour intervenir sur toute l’étendue de la compétence : de sa conception, à sa mise en œuvre et le cas échéant à son évaluation. Cette désignation permet une gestion plus cohérente. En effet, en accordant le rôle de chef de file à une collectivité territoriale dont la compétence est reconnue dans le domaine d’action, il est plus facile de fédérer ensuite l’ensemble des acteurs autour de cette collectivité territoriale pour la réussite de l’action commune. En devenant chef de file le département est identifié par les autres acteurs locaux comme la collectivité pivot, indispensable à la mise en œuvre des 156 MILANO Laure, « La loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, le premier jalon de la réorganisation de l’État », art. cit., p.93. 157 Ibid., p.94. 158 MILLION-DELSOL Chantal, Le principe de subsidiarité, op. cit., p.43. 159 MILANO Laure, « La loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, le premier jalon de la réorganisation de l’État », art. cit., p.94. 160 Loi n°2004-209 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilité locales, précit. 161 Article 49 de la loi du 13 août 2004, codifié à l’article L121-1 du CASF. Infra §280. 162 Art. L.121-1 du CASF. - 68 - compétences sanitaires et sociales.163 Le lien entre subsidiarité et chef de file se noue ici. Les deux concepts cherchent la mise en œuvre la plus efficace d’une compétence. « La combinaison de la subsidiarité avec la notion de collectivité chef de file est donc un gage d’efficacité et de souplesse : la première permet la recherche du niveau de compétence le plus adéquat tandis que la seconde donne à la collectivité désignée les moyens d’accomplir son action ».164 Ces deux nouveaux objets constitutionnels, que sont le principe de subsidiarité et la fonction de chef de file, se complètent donc pour assurer la réussite de l’action commune. Celle-ci n’est donc pas que l’affaire d’une disposition, mais bien le résultat de la conjonction d’un ensemble d’éléments, le point de rencontre de différents principes issus du droit constitutionnel. 85. Toutefois, comme en matière d’expérimentation, on peut estimer que la complémentarité entre subsidiarité et chef de file n’est pas totale. En effet, ce ne sont pas les collectivités territoriales qui vont pouvoir s’entendre entre elles pour désigner leur chef de file. Dans un tel cas, le leadership, la légitimité, dont aurait bénéficié le chef de file aurait été incontestable. Or la Constitution dispose que c’est au législateur de désigner la collectivité qui sera chef de file. C’est d’ailleurs ce qu’il a fait dans la loi du 13 août 2004. Cela implique que le législateur considère, a priori, que tel ou tel niveau de collectivité est le mieux à même de mettre en œuvre une compétence et donc le mieux à même de coordonner l’action des autres personnes publiques. Le choix de la collectivité chef de file semble ainsi procéder d’une décision unilatérale de l’État central. La subsidiarité apparaît moins au service des libertés locales, qu’à l’usage de l’État pour justifier des transferts de compétences. 86. Dans les deux cas on peut observer le caractère descendant du principe de subsidiarité dans sa conception française. En effet, dans les deux cas c’est au niveau central, de façon plus ou moins autoritaire, qu’est décidé le niveau idoine d’exercice des compétences. Le problème est que « l’arbitre en matière de répartition des compétences, est en même temps une des parties concernées »,165 à savoir l’État central. En matière de décentralisation, c’est l’État central qui se défait de certaines de ses compétences au profit des collectivités territoriales : il enlève au centre, il dé-concentre. Au contraire, dans le principe de subsidiarité, c’est l’entité locale qui est en principe compétente, elle ne fait appel à l’autorité centrale qu’en cas de 163 C’est en tout cas ce qui ressort des différents entretiens menés avec des élus et des responsables administratifs des conseils généraux de Loire-Atlantique, Maine-et-Loire et Mayenne. 164 MILANO Laure, « La loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, le premier jalon de la réorganisation de l’État », art. cit., p.95. 165 MOLITOR Cédric, « La subsidiarité et les collectivités locales », in DELPÉRÉE Francis, Le principe de subsidiarité, op. cit., p.263. - 69 - difficulté. Ainsi, même si décentralisation et subsidiarité ont un même objectif : accorder plus de pouvoirs aux échelons les plus proches du citoyens, il s’agit de « deux principes d’organisation opposés, l’un partant du centre et à l’initiative de celui-ci, l’autre construisant la structure étatique en partant de la base vers le sommet ».166 Le principe de subsidiarité, dans cette conception française, apparaît donc moins favorable aux libertés locales. En effet, il ne faut pas oublier l’idée que la France reste avant tout un État unitaire, même si elle reconnaît le principe de subsidiarité. « Les collectivités territoriales n’ont pas de domaines de compétences constitutionnellement protégés. Leur capacités d’intervention continuent de dépendre des transferts opérés par le législateur ».167 Les collectivités locales restent donc dépendantes des décisions de l’État central. Cette opposition entre subsidiarité et décentralisation peut être dépassée. 87. Certains ne voient même dans le principe de subsidiarité « qu’une reformulation de la clause générale de compétence ».168 Si cette lecture se confirme, elle pourrait faire obstacle à toute velléité de suppression de la clause générale de compétence pour certains niveaux de collectivités territoriales, et notamment pour le département. Cette lecture ne semble toutefois pas avoir été confirmée par le Conseil constitutionnel lorsqu’il s’est prononcé sur la loi de réforme des collectivités territoriales.169 De par son origine, le principe de subsidiarité est totalement étranger au droit français. De plus, l’inscription du principe dans notre Constitution est porteuse d’un certain nombre d’ambiguïtés. Le rôle du juge est alors crucial. C’est au juge constitutionnel de déterminer le principe de subsidiarité, de lui conférer toute sa portée normative. Mais face à un principe dont il n’est pas à l’origine, et qu’il ne maîtrise pas encore pleinement, le Conseil constitutionnel exerce un contrôle plutôt limité sur l’application de la subsidiarité. 166 DELCAMP Alain, « Droit constitutionnel et droit administratif. Principe de subsidiarité et décentralisation », art. cit., p.611. 167 GUILLOUD Laetitia, « Le principe de subsidiarité en droit communautaire et en droit constitutionnel », art. cit., p.58. 168 Idem. 169 CC, n°2010-618 DC du 9 décembre 2010 loi de réforme des collectivités territoriales, JORF, 17 décembre 2010, 22181 ; VERPEAUX, AJDA, 2011, p.99-106. Pour une analyse plus complète de cette décision, ainsi que des interrogations qui en découlent autour de la suppression de la clause générale de compétence, infra §417. - 70 - §2. Le difficile contrôle du juge constitutionnel 88. La juridicité de la notion renvoie à l’idée d’un possible contrôle, par un juge quel qu’il soit, de l’application de la notion à un litige. Il faut donc qu’un juge se déclare compétent pour statuer sur l’application de la notion. Or, le principe de subsidiarité pose problème vis-àvis de cette juridicité, de sa justiciabilité puisque « son inscription dans notre Constitution a d’abord un impact politique ».170 Comme nous l’avons analysé précédemment, la subsidiarité est un principe directeur de la décentralisation. Le législateur doit toujours avoir ce principe en point de mire lorsqu’il adopte des lois de transfert de compétences. Toutefois, il nous semble que l’inscription de cette notion dans notre norme fondamentale suppose d’en revoir la portée afin d’en faire un véritable « principe juridique, susceptible de sanction contentieuse ».171 C’est au juge de réaliser ce travail, de se saisir de la notion de subsidiarité et d’en faire un principe justiciable. Face à des formulations constitutionnelles qui prêtent à interprétation, le rôle du Conseil constitutionnel est primordial.172 C’est à lui de préciser le sens qu’il faut donner à la disposition de l’article 72, alinéa 2. « La subsidiarité ne doit pas uniquement acquérir rang constitutionnel, mais elle doit également devenir un principe normatif (de rang constitutionnel) ».173 Le principe de subsidiarité ne doit pas uniquement rester une déclaration d’intention inscrite dans la Constitution, le juge doit en faire un principe opposable au législateur. La même interrogation s’est faite au niveau communautaire avec le principe de subsidiarité. « S’il est laissé à la libre appréciation des institutions et des Etats chargés de le faire respecter, il servira tout au plus d’alibi, dans un sens ou dans un autre, aux majorités du moment. S’il est soumis au contraire à une vérification systématique des instances politiques et juridictionnelles, il prendra corps peu à peu, par la pratique et la jurisprudence qu’il aura suscitées, comme un principe fondamental de légalité constitutionnelle de l’Union ».174 Le principe de subsidiarité est difficilement saisissable par le juge, c’est là l’une des « incontestables faiblesses »175 de cette notion. Ce concept l’oblige en effet à se prononcer sur 170 MILANO Laure, « La loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, le premier jalon de la réorganisation de l’État », art. cit., p.93. 171 GAUDEMET Yves, « La subsidiarité en Europe : un principe ambigu et discutable », art. cit., p.10. 172 SAVY Robert, « Sur un trompe-l’œil constitutionnel », art. cit., p.450. 173 DEROSIER Jean-Philippe, « La dialectique centralisation/décentralisation. Recherches sur le caractère dynamique du principe de subsidiarité », art. cit., p.138. 174 CHARPENTIER Jean, « Quelle subsidiarité ? », Pouvoirs, 1994, n°69, p.58. 175 FIALAIRE Jacques, « Le droit à l’expérimentation des collectivités territoriales et la subsidiarité : les apparences et « faux-semblants » d’une prétendue territorialisation des normes », in FIALAIRE Jacques (dir.), - 71 - une notion bien peu juridique : « le mieux » (A). De plus l’exigence de respect du principe pose la question de l’accès des collectivités territoriales au juge constitutionnel (B). A. Le contrôle limité du juge constitutionnel sur le principe de subsidiarité 89. La traduction constitutionnelle, en France, du principe de subsidiarité est le « mieux ». C'est-à-dire que le juge, s’il est saisi sur le fondement de l’article 72, alinéa 2 de la Constitution, doit déterminer si la collectivité territoriale désignée par la loi, pour exercer une compétence, est bien la mieux à même de la mettre en œuvre. Cela impliquerait donc que le juge constitutionnel porte une appréciation sur les choix du législateur. Or le Conseil constitutionnel refuse depuis longtemps d’effectuer une telle appréciation. Les Sages estiment en effet qu’ils n’ont pas « un pouvoir général d’appréciation et de décision identique à celui du Parlement, [que l’article 61 leur] donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité à la Constitution des lois déférées ».176 Dès lors, le Conseil constitutionnel se limite dans de telles situations à un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation. 90. C’est ce qu’ont indiqué les juges constitutionnels, dans l’unique exemple à ce jour de décision évoquant le principe de subsidiarité. Il s’agit de la décision relative à la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique.177 Le texte de loi adopté par le Parlement prévoyait que le préfet de département serait l’autorité compétente pour déterminer l’implantation des zones de développement éolien dans les départements. Les parlementaires, auteurs de la saisine, contestaient cette modalité en invoquant le principe de subsidiarité. Pour eux, cette compétence aurait dû échoir au président du conseil général, en application du principe de libre administration et de celui de subsidiarité. Le Conseil constitutionnel a rejeté cette argumentation. Le Conseil constitutionnel a reconnu une large marge de manœuvre au législateur dans la mise en œuvre du principe de subsidiarité. Il s’est contenté de porter un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation sur l’application de ce principe par le législateur. En l’espèce le juge a considéré qu’il n’y en avait pas. Cette décision pose également la question de l’application du principe de subsidiarité au couple décentralisation/déconcentration. Il est traditionnel de présenter les deux mouvements comme Subsidiarité infranationale et territorialisation des normes, état des lieux et perspectives en droit interne et en droit comparé, Rennes, PUR, 2004, p.18. 176 Jurisprudence constante. V. par ex. : CC, n°74-54 DC du 15 janvier 1975, Loi relative à l’interruption volontaire de grossesse, JORF, 16 janvier 1975, p.671. CC, n°2010-604 DC du 25 février 2010, Loi renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d’une mission de service public, JORF, 3 mars 2010, p.4312. 177 CC, n°2005-516 DC du 7 juillet 2005, relative à la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique, JORF, 14 juillet 2005, p.11589 ; SCHOETTL, LPA, 2005, n°168, p.3-11. - 72 - allant de pair. Or la décision du Conseil constitutionnel pose la question, mais sans donner là non plus de réponse claire, de l’application du principe de subsidiarité dans le choix entre une autorité déconcentrée et une collectivité décentralisée. 91. Il faut remarquer que malgré la référence au fondement constitutionnel de l’article 72, alinéa 2, à aucun moment le Conseil constitutionnel, dans sa décision, n’évoque le terme de subsidiarité.178 Il se contente de reprendre textuellement la disposition en cause ou à s’y référer par sa numérotation. C’est indubitablement là le signe d’un malaise du juge constitutionnel face à cette notion. Il est vrai que le terme de subsidiarité n’est pas employé dans la Constitution non plus, mais l’objectif du constituant en 2003 était bien d’introduire ce principe en droit français. C’est d’ailleurs ce qui ressort de l’exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle qui explique que « ce nouvel objectif à valeur constitutionnelle permettra de transposer dans un État restant unitaire la préoccupation qu’exprime, en droit communautaire, le principe de subsidiarité ».179 Le rapporteur du projet de loi constitutionnelle au Sénat relève lui aussi que « l’article 72 de la Constitution tend à introduire le principe de subsidiarité ».180 Une large part de la doctrine se réfère également à cette disposition sous le vocable de principe de subsidiarité. Le Conseil constitutionnel a fait la sourde oreille à ces appels et reste donc méfiant à l’égard de cette disposition. On peut se demander alors si le Conseil ne limite pas trop fortement l’apport du principe de subsidiarité au droit français. C’est d’ailleurs ce que semble confirmer le secrétaire général du Conseil constitutionnel dans son commentaire de la décision. Il estime, en effet, que la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 n’a pas changé tous les principes que le Conseil impose au législateur, lors des transferts de compétences. Ainsi, l’État n’a pas à se justifier, selon JeanEric Shoettl, lorsqu’il décide de transférer une compétence à une collectivité ou non. Si l’on venait à retenir un schéma inverse, ce « serait accorder une portée excessive au principe, dit de subsidiarité ».181 Le Conseil constitutionnel accorde donc une portée limitée au principe de subsidiarité, ce qui implique nécessairement qu’il ne fasse « l’objet que d’un contrôle restreint ».182 Un second argument est invoqué par le secrétaire général pour justifier cette jurisprudence, c’est le manque de temps et de moyens dont dispose le Conseil constitutionnel pour réaliser une expertise plus approfondie sur la recherche du meilleur niveau d’exercice 178 FRAISSE Régis, « Quelle est la portée du principe de subsidiarité ? », Dr. Adm., 2005, n°8-9, p.21. C’est nous qui soulignons. 180 GARREC René, Rapport sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l’organisation décentralisée de la République, op. cit., p.99. 181 SHOETTL Jean-Eric, « La loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique devant le Conseil constitutionnel », LPA, 2005, n°168, p.9. 182 Idem. 179 - 73 - d’une compétence.183 La question peut toutefois être renouvelée dès lors que les collectivités territoriales ont désormais un accès – même limité – au juge constitutionnel par l’intermédiaire de la question prioritaire de constitutionnalité.184 Il résulte toutefois de cette décision, que la notion de subsidiarité telle qu’elle est formulée dans la Constitution est bien « un principe et non un objectif à valeur constitutionnelle ».185 92. C’est entièrement sur l’appréciation du législateur que repose la mise en œuvre du principe de subsidiarité. Cette liberté peut sembler nécessaire du « fait qu’il est très complexe pour le législateur d’apprécier le niveau de décision adéquat ».186 Toutefois, cette marge de manœuvre, cette liberté d’appréciation du législateur est problématique. La notion de subsidiarité suppose pour le législateur de déterminer, a priori, la compétence d’une collectivité territoriale. Il doit pouvoir aussi repérer et juger l’incompétence de cette même collectivité pour pouvoir lui venir en aide. Il ne faut pas que ce constat de la carence de l’acteur local soit instrumentalisé. Dès lors, il faut constater que le principe de subsidiarité est jugé sur « la notion subjective d’insuffisance [qui] peut laisser libre cours à toutes sorte d’excès ».187 Le juge constitutionnel doit donc déterminer, développer, fixer des critères, aussi objectifs que possible, pour juger de l’application de la subsidiarité « afin d’éviter que les pesées d’intérêt auxquelles le principe donne lieu ne soient purement discrétionnaires ».188 Le premier de ces critères objectifs est la justification de son choix par le législateur. Celui-ci doit indiquer dans l’étude d’impact qui accompagne le projet de loi, et cela doit apparaître au cours de la discussion, pourquoi c’est tel niveau de collectivité qui a été désigné pour exercer une compétence plutôt que tel autre. Le recours à l’expérimentation est aussi un moyen de justifier de façon objective un choix. L’évaluation qui est menée à la fin de l’expérimentation permet de déterminer de façon efficace, mais pas totalement incontestable,189 le niveau de collectivité le mieux à même d’exercer une compétence. Une autre manière de déterminer le niveau idoine de façon la plus objective possible est d’accorder une compétence à un niveau de collectivité qui l’exerçait déjà en partie. Si une collectivité territoriale exerce déjà une 183 Idem. Infra §98. 185 FRAISSE Régis, « Quelle est la portée du principe de subsidiarité ? », art. cit., p.21. 186 MILANO Laure, « La loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, le premier jalon de la réorganisation de l’État », art. cit., p.96. 187 MILLION-DELSOL Chantal, Le principe de subsidiarité, op. cit., p.70. 188 LEURQUIN-DE VISSCHER Françoise, « Existe-t-il un principe de subsidiarité », in DELPÉRÉE Francis (dir.), Le principe de subsidiarité, op. cit., p.39 189 BAUMARD Albéric, Le bilan des expérimentations normatives dans les collectivités territoriales depuis la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, Mémoire Master 2 dactylographié, Montpellier, 2009, p.91 et s. 184 - 74 - compétence donnée, elle dispose de savoirs, de moyens techniques et humains au service de cette compétence. L’application du principe de subsidiarité implique alors que lui soit accordée la totalité de la compétence ou les activités annexées à cette compétence. Malheureusement, cette modalité se trouve face à un obstacle important : l’enchevêtrement des compétences. 93. Pour juger de l’application du principe de subsidiarité le Conseil constitutionnel pourrait se référer à la notion d’intérêt. Puisqu’il n’existe pas de répartition constitutionnelle des compétences entre l’État et les collectivités territoriales et que celles-ci disposent de la clause générale de compétence, « le rapport de compétence entre le « décideur » national et le « décideur » [local] est de type concurrentiel ».190 Le principe de subsidiarité permet alors de déterminer le niveau idoine d’intervention dans ce cadre. Certaines compétences sont par principe d’intérêt national191, d’autres sont d’intérêt local. Dès lors, lorsque le législateur transfère des compétences à un niveau de collectivité territoriale, ou au contraire lui retire, le juge constitutionnel doit s’interroger sur le domaine d’effet de cette compétence. Est-ce un domaine national ou un domaine local ? Si la mise en œuvre de la compétence a des effets semblables sur l’ensemble du territoire, alors c’est une compétence d’intérêt national, si elle « n’a que des conséquences sur une partie du territoire, alors elle revêt une dimension locale ».192 Les différents critères qui viennent d’être exposés sont donc des moyens pour le législateur de justifier son choix vis-à-vis du principe de subsidiarité. Il s’agit d’inciter le législateur « à procéder à une analyse objective et raisonnable de l’ensemble des valeurs juridiques »193 qui motive la décision d’accorder l’exercice d’une compétence à une collectivité territoriale. Le juge constitutionnel pourrait tout à fait rechercher l’existence d’une partie au moins de ces justifications objectives, lorsqu’il est saisi sur le fondement du principe de subsidiarité. Toutefois, face à des critères qui restent pour le moins assez imprécis et qui ne sont pas prévus par les textes, le juge constitutionnel est dépourvu d’outils lui permettant de 190 DUARTE Maria Luisa, « La constitution portugaise et le principe de subsidiarité – de la positivation à son application concrète », in DELPÉRÉE Francis (dir.), Justice constitutionnelle et subsidiarité, Bruxelles, Bruylant, 2000, p.126. 191 La théorie de l’intérêt national est une théorie d’interprétation constitutionnelle, qui se rapproche de la subsidiarité, utilisée au Canada. V. BEAUDOIN Gérald-A, « Canada, justice constitutionnelle et subsidiarité », in DELPÉRÉE Francis (dir.), Justice constitutionnelle et subsidiarité, op. cit., p.59. 192 DEROSIER Jean-Philippe, « La dialectique centralisation/décentralisation. Recherches sur le caractère dynamique du principe de subsidiarité », art. cit., p.139. 193 LEURQUIN-DE VISSCHER Françoise, « Existe-t-il un principe de subsidiarité », in DELPÉRÉE Francis (dir.), Le principe de subsidiarité, op. cit., p.39 - 75 - réaliser un plein contrôle. Il est donc réduit, pour le moment,194 à assurer un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation. 94. La difficulté relative à la juridicité de la notion n’est pas propre à la France. On la retrouve dans les autres cadres d’application du principe de subsidiarité. Ainsi, avant même son inscription dans les textes communautaires, Vlad Constantinesco s’interrogeait sur la façon dont la Cour de justice des communautés se saisirait de ce principe : « exercera-t-elle un contrôle juridique ou politique ? ».195 L’analyse de la jurisprudence démontre que la Cour a bien exercé un contrôle juridique, on peut même observer « une inflexion dans le sens d’un contrôle accru ».196 95. En Allemagne, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, après un premier temps d’hésitation, a consacré la justiciabilité du principe de subsidiarité. Elle effectue un contrôle a posteriori sur les lois fédérales intervenant dans le domaine des compétences concurrentes. Il y a là très certainement une source d’inspiration pour le juge français. Toutefois, comme nous l’avons relevé précédemment, le principe de subsidiarité peut aussi être favorable à une recentralisation des compétences. Or, il faut remarquer que « depuis qu’elle a accepté, en 1954, de contrôler le respect de la subsidiarité par le Bund et les Länder […], la Cour constitutionnelle a toujours validé la compétence fédérale au détriment de celle des Länder ».197 96. Le cas du juge constitutionnel portugais est tout à fait intéressant et semblable à celui de la France. En effet, le Portugal est aussi un État unitaire, mais avec une organisation fortement décentralisée. En 1997, le constituant a consacré expressément le principe de subsidiarité dans le cadre de la décentralisation. L’article 6 §1er de la Constitution portugaise dispose que « l’État est unitaire et respecte, dans son organisation et son fonctionnement, le régime autonome des régions insulaires et les principes de la subsidiarité, de l’autonomie des collectivités locales et de la décentralisation démocratique de l’administration publique ». Or force est de constater que le juge constitutionnel portugais n’a pas encore reconnu, même de manière implicite, le principe de subsidiarité.198 Cette absence de reconnaissance est lié au 194 On espère que ce contrôle va s’enrichir au fur et à mesure des jurisprudences et que le Conseil constitutionnel va révéler toute la dimension juridique du principe de subsidiarité. 195 CONSTANTINESCO Vlad, « Le principe de subsidiarité : un passage obligé vers l’Union Européenne », in L’Europe et le droit. Mélanges en hommage à Jean Boulouis, op. cit., p.43. 196 ROUX Jérôme, Droit général de l’Union européenne, op. cit., p.122. 197 CLERGERIE Jean-Louis, Le principe de subsidiarité, op. cit., p.118, note 1. 198 DUARTE Maria Luisa, « La constitution portugaise et le principe de subsidiarité – de la positivation à son application concrète », in DELPÉRÉE Francis (dir.), Justice constitutionnelle et subsidiarité, op. cit., p.128. - 76 - « paradoxe qui, invariablement, accompagne et caractérise la subsidiarité ». 199 Politiquement, la subsidiarité est un vœu partagé par tous – qui serait contre la mise en œuvre d’une compétence au niveau le plus proche du citoyen ? – juridiquement, l’application de la subsidiarité est plus compliquée. C’est au même type de raisonnement que semble se heurter le Conseil constitutionnel, comment déterminer juridiquement le « mieux ». 97. Le contrôle de ce nouveau principe est donc finalement très limité. C’est tout à fait critiquable puisque le principe de subsidiarité est favorable à une plus grande liberté pour les collectivités territoriales. Or tant que le juge ne se saisi pas de ce principe, « tant qu’il n’existe pas de possibilité de sanctionner le législateur lorsqu’il organise l’attribution ou la répartition des compétences […], la notion d’autonomie est purement illusoire ».200 Dès lors que le juge se décidera à se saisir pleinement du principe de subsidiarité, celui-ci déploiera tous ses effets. « Ce contrôle constitue un élément indispensable à son effectivité ».201 Cela est d’autant plus dommageable que les collectivités territoriales n’ont pas un accès direct au Conseil constitutionnel. B. L’accès limité des collectivités territoriales au juge constitutionnel 98. La France, malgré son caractère décentralisé, reste un État profondément unitaire. Cela se manifeste notamment par le fait que les collectivités territoriales n’ont pas d’accès direct au juge constitutionnel. C’est dommageable dans la mesure où la Constitution leur accorde d’importantes libertés qu’elles n’ont donc pas la possibilité de défendre devant le Conseil constitutionnel. Toutefois de nombreux parlementaires sont en même temps des élus locaux et d’une manière détournée les collectivités territoriales ont ainsi accès au juge de la rue Montpensier. Dans le cadre d’une République qui se veut décentralisée, il manque à ces entités infra étatiques une possibilité d’accès direct au juge constitutionnel. 99. Cette possibilité existe pourtant chez nombre de nos voisins européens, en Allemagne, en Autriche ou encore en Espagne.202 Dans tous ces Etats, les collectivités locales ont la possibilité de faire un recours devant le juge constitutionnel lorsqu’elles estiment qu’une loi 199 Ibid., p.134 MOLITOR Cédric, « La subsidiarité et les collectivités locales », in DELPÉRÉE Francis (dir.), Le principe de subsidiarité, op. cit., 261. 201 DEROSIER Jean-Philippe, « La dialectique centralisation/décentralisation. Recherches sur le caractère dynamique du principe de subsidiarité », art. cit., p.138. 202 V. not. BON Pierre, « L’accès des collectivités locales au juge constitutionnel », in La profondeur du droit local. Mélanges en l’honneur de Jean-Claude Douence, Paris, Dalloz, 2006, p.47. 200 - 77 - adoptée par le pouvoir central viole leurs compétences ou leurs libertés. Cette différence serait liée au type d’autonomie dont disposent les entités infra-étatiques. Celles-ci bénéficient en effet d’une autonomie politique, alors que les collectivités territoriales françaises ne disposent que d’une autonomie administrative. Le bénéfice de l’autonomie politique ouvrirait l’accès au juge constitutionnel, alors que celui de l’autonomie administrative ne permettrait l’accès qu’au juge administratif. Une telle approche nous semble devoir être dépassée. D’une part, la différence entre autonomie politique et autonomie administrative semble ténue dès lors que les collectivités territoriales disposent de compétences propres et que les élections locales sont des élections politiques. 203 D’autre part, « puisqu’une exigence constitutionnelle (l’autonomie des collectivités locales) peut être menacée par des actes législatifs (ceux édictés par l’État […]), l’accès des collectivités locales au juge constitutionnel peut paraître justifié ».204 Si l’accès direct des collectivités territoriales au juge constitutionnel n’est pour l’instant qu’une proposition doctrinale, les collectivités territoriales comme tout justiciable ont désormais un accès, très encadré, au Conseil constitutionnel. Depuis la révision constitutionnelle de juillet 2008205, l’article 61-1 de la Constitution permet un contrôle a posteriori de la loi, au travers de la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité (1). Toutefois, la question demeure de savoir si cette procédure sera ou non l’occasion d’accentuer le contrôle du juge constitutionnel sur le principe de subsidiarité (2). 1. La question prioritaire de constitutionnalité : un accès indirect très limité au juge constitutionnel 100. Les collectivités territoriales ont désormais par l’intermédiaire de cette procédure un accès au juge constitutionnel. L’article 61-1 dispose que « lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se 203 V. not. CC, n°82-146 DC du 18 novembre 1982, Loi modifiant le code électoral et le code des communes et relative à l’élection des conseillers municipaux et aux conditions d’inscription des Français établis hors de France sur les listes électorales, JORF, 19 novembre 1982, p.3475, cons. 7. 204 BON Pierre, « L’accès des collectivités locales au juge constitutionnel », in La profondeur du droit local. Mélanges en l’honneur de Jean-Claude Douence, op. cit., p.47. 205 Loi constitutionnelle n°2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la V République, JORF, 24 juillet 2008, p.11890. - 78 - prononce dans un délai déterminé ». La loi organique206 qui a accompagné cette nouvelle disposition a précisé que « l’initiative est ouverte à tous les justiciables et plus largement aux parties à une instance ».207 Une collectivité territoriale est une personne morale qui peut être partie à une instance. A ce titre, elle peut donc tout à fait soulever une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au cours d’un jugement. D’ailleurs, cette faculté fut rapidement reconnue dès les premiers mois d’application de la procédure.208 Il n’est pas question ici de revenir sur les mécanismes d’introduction d’une question prioritaire de constitutionnalité. Toutefois, il est nécessaire de rappeler que l’accès au juge constitutionnel n’est pas direct, mais qu’il se fait par l’intermédiaire de filtres, dont les juges suprêmes de chaque ordre sont les garants. La question prioritaire de constitutionnalité « n’est donc qu’une forme indirecte d’accès des collectivités locales au juge constitutionnel ».209 101. De plus, les collectivités territoriales ne peuvent pas non plus introduire une demande de QPC sur n’importe quel sujet. « La question ne peut être soulevée pour n’importe quel grief d’inconstitutionnalité, comme cela se passe dans la quasi-totalité des pays européens qui connaissent cette voie de droit ».210 Les dispositions procédurales contenues dans la Constitution sont ainsi exclues du champ d’application de la question prioritaire de constitutionnalité. Seules les dispositions déjà qualifiées de « droits ou libertés garantis par la Constitution » pourront donc faire l’objet de cette procédure, ainsi qu’un certain nombre de principes reconnus par la jurisprudence constitutionnelle tel que le principe d’égalité. La subsidiarité ayant été reconnue comme un principe par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, elle pourra faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité. 102. Le mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité a donné ses premiers résultats en matière de droit constitutionnel local dès l’été 2010211. Cette décision est importante, non seulement du fait qu’elle est la première QPC à porter sur le droit des collectivités territoriales mais aussi car elle « porte sur un des aspects qui constituent, depuis bien des décennies, une pomme de discorde entre l’État et les collectivités territoriales, la 206 Loi organique n°2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution, JORF, 11 décembre 2009, p.21379. 207 MONTALIVET Pierre de, « La question prioritaire de constitutionnalité. Etendue et limites d’un nouveau droit », Dr. Adm., mars 2010, p.18. 208 CC, n°2010-12 QPC du 2 juillet 2010, Commune de Dunkerque, JORF, 3 juillet 2010, p.12121 ; VERPEAUX, AJDA, 2010, p.1594-1598. 209 BON Pierre, « L’accès des collectivités locales au juge constitutionnel », in La profondeur du droit local. Mélanges en l’honneur de Jean-Claude Douence, op. cit., p.49. 210 BON Pierre, « La question prioritaire de constitutionnalité après la loi organique du 10 décembre 2009 », RFDA, novembre-décembre 2009, p.1111. 211 CC, n°2010-12 QPC du 2 juillet 2010, Commune de Dunkerque, précit. - 79 - fusion de communes ».212 Cette décision permet de s’assurer que le principe de libre administration des collectivités territoriales « fait à l’évidence partie des droits et libertés garantis par la Constitution »213 et peut donc faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité. Malgré cette reconnaissance, le Conseil constitutionnel se contente de « répondre laconiquement, que le principe même de la fusion n’est pas de nature à remettre en cause le principe de libre administration ».214 Si cette décision marque l’ouverture de la question prioritaire de constitutionnalité au droit des collectivités territoriales, le Conseil constitutionnel dispose de capacités argumentaires habituellement supérieures qui, nous l’espérons, à l’avenir permettront d’éclaircir le contenu du principe de libre administration des collectivités territoriales.215 Il faut relever que par la suite les collectivités territoriales se sont assez largement emparés de la procédure de la QPC pour faire valoir leurs droits. Ainsi, les collectivités territoriales ont trouvé dans cette procédure « le prolongement de batailles au Parlement dans lesquelles les parlementaires, défenseurs des intérêts des collectivités territoriales, n’ont pas réussi à faire valoir leur point de vue ».216 La procédure de la QPC est ainsi devenue une « alliée » des collectivités territoriales qui l’ont largement utilisée pour essayer de défendre leurs prérogatives auprès du juge constitutionnel.217 103. Les deux moyens principalement invoqués par les collectivités territoriales dans leurs recours en QPC sont l’article 72, pour le principe de libre administration, et l’article 72-2, pour les transferts de moyens financiers. En réalité les deux moyens sont régulièrement joints, du fait que l’absence de moyens financiers pour une collectivité territoriale est une entrave à sa libre administration. « L’argumentation des saisissants du Conseil constitutionnel lie souvent l’argument de l’atteinte au principe de libre administration à celui de l’autonomie financière des collectivités territoriales qui en est l’expression la plus exacte : pas de vrai libre administration sans autonomie financière réelle ».218 Toutefois, le Conseil 212 PONTIER Jean-Marie, « Refus de fusion de communes par un préfet : première QPC sur le droit des collectivités territoriales », note, JCP-A, 2010, n°36, p.25. 213 GEFFRAY Edouard, « La procédure de consultation des électeurs en cas de fusion des communes. Conclusions sur Conseil d'État 18 mai 2010, Commune de Dunkerque », concl., RFDA, juillet-août 2010, p.714. 214 VERPEAUX Michel, « Question prioritaire de constitutionnalité et libre administration des collectivités territoriales », note, AJDA, 2010, p.1598. 215 PONTIER Jean-Marie, « Refus de fusion de communes par un préfet : première QPC sur le droit des collectivités territoriales », art. cit., p.25. 216 DRAGO Guillaume, « Question prioritaire de constitutionnalité et droit des collectivités territoriales : premier bilan », JCP-A, 2011, n°24, p.17. 217 En témoigne selon nous, la chronique désormais régulière de Michel Verpeaux et Eric Landot sur la QPC et le droit des collectivités territoriales : RLCT, 2011, n°70, p.50-54 ; 2011, n°73, p.36-40 ; 2012, n°75, p.55 à 58. 218 DRAGO Guillaume, « Question prioritaire de constitutionnalité et droit des collectivités territoriales : premier bilan », art. cit., p.14. - 80 - constitutionnel se révèle être particulièrement exigeant pour reconnaître la méconnaissance de l’article 72-2 de la Constitution. Il a ainsi considéré que la gestion des services d’État civil et donc l’édiction des cartes nationales d’identités et passeports par les communes n’est pas contraire au principe d’autonomie financière des collectivités territoriales puisque « eu égard au montant des sommes en jeu, les dispositions que [le législateur] a adoptées n’ont pas eu pour effet de dénaturer la libre administration de ces collectivités ».219 De plus, le Conseil constitutionnel est très strict quant à l’appréciation de l’article 72-2 qui ne prévoit les transferts de financements de l’État vers les collectivités territoriales qu’en cas de « création ou d’extension de compétence ». Le Conseil constitutionnel se montre intransigeant sur le fait de savoir si le litige porte bien sur la création ou l’extension d’une compétence. Ainsi lorsque tel n’est pas le cas, il refuse de faire droit à la QPC sur le fondement de l’article 72-2 de la Constitution.220 Au vu des difficultés financières que traversent aujourd’hui nombre de collectivités territoriales, l’augmentation des dépenses étant contraintes par la stagnation voire la diminution des dotations de l’État, les décisions du Conseil constitutionnel peuvent a priori sembler critiquables. Cependant, il nous semble au contraire que l’attitude des juges de la rue Montpensier doit ici être saluée. En effet, la jurisprudence ainsi développée leur évite d’avoir à se prononcer dans le contentieux plus politique, celui-ci, qui peut opposer les collectivités territoriales à l’État. Cette jurisprudence inscrit clairement la QPC dans un contentieux objectif dont le but est bien de vérifier la conformité à la Constitution de dispositions législatives et non dans un contentieux qui viserait le fond des affaires et qui serait alors beaucoup plus dangereux à maîtriser pour le juge constitutionnel. La question prioritaire de constitutionnalité n’a pas encore abordé toutes les dispositions contenues dans le titre XII de la Constitution. Ainsi, le droit constitutionnel des collectivités territoriales recèle encore, selon nous, d’autres possibilités de recours que celles utilisées jusqu’à aujourd’hui. 219 CC, n°2010-29/37 QPC du 22 septembre 2010, Commune de Besançon et autres, JORF, 23 septembre 2010, p.17293, spec. cons. 8 ; PONTIER, JCP-A, 2010, n°41, p.28-35. 220 V. not. CC, n°2010-56 QPC du 18 octobre 2010, Département du Val-de-Marne, JORF, 19 octobre 2010, p.18696, spec. cons.6 ; VERPEAUX, AJDA, 2011, p.218-223. CC, n°2010-109 QPC du 25 mars 2011, Département des Côtes d’Armor, JORF, 26 mars 2011, p.5405, spec. cons.6 ; LE BOT, Constitutions, Revue de droit constitutionnel appliqué, 2011, n°3, p.321-323. - 81 - 2. La question prioritaire de constitutionnalité : l’occasion d’un contrôle accru du principe de subsidiarité ? 104. La procédure de la question prioritaire de constitutionnalité pourrait être un moyen, pour les collectivités territoriales, de faire appliquer le principe de subsidiarité en invitant le juge constitutionnel à se prononcer à nouveau sur son application. La situation serait en effet ici différente que lors du contrôle a priori puisque la disposition législative contestée aura été mise en œuvre. Les effets concrets de son application seront donc visibles et il sera possible de les évaluer. D’ailleurs, le Tribunal de Karlsruhe pratique déjà ce contrôle a posteriori.221 Le Conseil constitutionnel pourrait alors être saisi sur le fondement du principe de subsidiarité pour déterminer si la collectivité, désignée par la loi pour exercer une compétence, était bien la mieux à même de la mettre en œuvre. On peut alors penser que le juge constitutionnel pourrait emprunter au juge administratif la technique dite du bilan. Cette technique, issue de la jurisprudence Ville Nouvelle-Est du Conseil d'État222, conduit le juge administratif à effectuer une balance entre les avantages et les inconvénients d’un projet afin de pouvoir porter une appréciation sur son utilité publique ou non. Dans cette décision, le Conseil d'État estime « qu’une opération ne peut être légalement déclarée d’utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et éventuellement les inconvénients d’ordre social qu’elle comporte ne sont pas excessifs eu égard à l’intérêt qu’elle présente ». Le juge recherche les effets positifs et les effets négatifs d’une décision afin de produire un bilan en comparant les deux. S’il y a plus d’effets positifs que négatifs, alors la décision est justifiée ; dans le cas contraire le juge administratif peut être amené à annuler la décision en cause. Le juge constitutionnel pourrait emprunter cette technique du bilan. Il s’agirait alors pour lui de procéder à une évaluation de la mise en œuvre de la compétence par le niveau de collectivité territoriale désigné par la loi. Cette évaluation permettrait ainsi de déterminer si cette collectivité était bien la mieux à même d’exercer cette compétence ou si l’intervention d’un niveau de collectivité supérieur était préférable. Ainsi, « en prenant en compte l’ensemble des paramètres qui influent sur une décision politique (historiques – culturels – économiques – sociologiques …) il faut aboutir à la conclusion que l’autorité […] est à même de garantir une meilleure efficacité dans l’action ».223 Les critères sur lesquels le juge constitutionnel peut juger l’application du principe de subsidiarité dans le cadre d’un contrôle 221 CLERGERIE Jean-Louis, Le principe de subsidiarité, op. cit., p.118, not. note 1. CE, 28 mai 1971, Ministre de l’équipement et du logement c. Fédération de défense des personnes concernées par le projet actuellement dénommé « Ville Nouvelle Est », Rec. p.409, GAJA, 18e ed., n°85. 223 LEURQUIN-DE VISSCHER Françoise, « Existe-t-il un principe de subsidiarité ? », in DELPÉRÉE Francis (dir.), Le principe de subsidiarité, op. cit., p.25. 222 - 82 - a posteriori diffèrent de ceux exposés précédemment dans le cadre du contrôle a priori. Il n’est plus question de rechercher ici des critères objectifs, mais d’évaluer la mise en œuvre de la subsidiarité sur les faits. 105. L’existence d’un tel contrôle reste pour le moment une hypothèse. Il suppose que le Conseil constitutionnel considère le principe de subsidiarité bien comme un principe et non comme un simple objectif à valeur constitutionnelle, mais cela est déjà le cas. En cas de saisine du Conseil constitutionnel par la voie de la question prioritaire de constitutionnalité, les Sages devront déterminer le type de contrôle qu’ils porteront. Soit ils transposent leur jurisprudence a priori sur le contrôle a posteriori et se limitent à sanctionner l’erreur manifeste d’appréciation ; soit ils adaptent leur contrôle au fait que la loi a été mise en œuvre, prennent alors en compte que les circonstances ont pu changer et exercent un contrôle plus important. La seconde solution présente bien entendu plus d’intérêts et permettrait d’accorder au principe de subsidiarité toute sa dimension de norme constitutionnelle. Cependant, les premières décisions du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires de constitutionnalité conduisent à douter du caractère révolutionnaire de cette nouveauté. En effet, il est nécessaire de constater que pour l’instant le contrôle exercé par la voie de la question prioritaire de constitutionnalité ne comporte pas de différences notables avec le contrôle a priori. Il faut remarquer que « la possibilité de déceler l’inconstitutionnalité grâce à l’application de la loi demeure une pétition de principe ».224 Le Conseil constitutionnel demeure pour l’instant dans la logique d’un contrôle abstrait, même en matière de question prioritaire de constitutionnalité. Or seul l’exercice d’un contrôle concret permettrait à la question prioritaire de constitutionnalité de développer toutes ses potentialités et de devenir un réel contrôle au service des droits et libertés garantis par la Constitution. 224 MAGNON Xavier, « La QPC, beaucoup de bruit pour quoi ? », Tribune, AJDA, 2010, p.1673. - 83 - Conclusion Chapitre 1er 106. La subsidiarité est avant tout un principe philosophique, son inscription en tant que principe juridique pose dès lors de nombreuses questions. La lente maturation du principe de subsidiarité dans le droit constitutionnel français des collectivités territoriales n’en est qu’à ses débuts. Le peu de références faites à ce principe, tant dans les textes de lois que dans les décisions de justice, est l’illustration de cette lente construction. Le principe de subsidiarité est un « objet » constitutionnel mal défini. En mettant au centre de la définition arrêtée à l’article 72, alinéa 2 de la Constitution, la notion de mieux, qui n’est pas une notion juridique, le constituant n’a pas facilité sa compréhension. Ainsi une première lecture aurait pu laisser croire que la fonction de collectivité chef de file et le principe de subsidiarité n’avaient aucun lien entre eux. Au contraire, pour nous, le principe de subsidiarité mériterait d’être redéfini afin de devenir un véritable outil au service de la collectivité chef de file. En effet, le principe de subsidiarité permettrait de déterminer quel est le niveau de collectivité idoine pour l’exercice d’une compétence. Cela permettrait d’améliorer la méthode de désignation de la collectivité chef de file. Or cette évolution de la définition du principe de subsidiarité repose selon nous sur le pouvoir constituant et sur le juge constitutionnel. C’est a eux, nous semble-t-il, qu’il échoit désormais de poursuivre le travail amorcé par la doctrine pour transformer le principe de subsidiarité d’un simple « objet » constitutionnel vers un véritable principe juridique. La question prioritaire de constitutionnalité nous semble à cet égard être une voie intéressante pour dynamiser le principe de subsidiarité. Le juge constitutionnel doit pouvoir se saisir de ce principe pour contraindre le législateur à s’expliquer réellement sur ce choix. En effet, il nous semble que l’étude d’impact qui accompagne désormais les projets de lois doit être l’occasion d’une discussion autour du principe de subsidiarité. Ainsi, il est possible d’imaginer que l’étude d’impact d’un projet de loi de transfert de compétences aux autorités décentralisées soit l’occasion d’expliquer les raisons du choix de tel ou tel niveau de collectivité pour l’exercice d’une compétence. - 84 - Chapitre 2 La collectivité chef de file, une dérogation limitée au principe d’interdiction de la tutelle 107. Nous l’avons évoqué, la fonction de collectivité chef de file est entourée par un certain nombre d’« objets » constitutionnels qui sont à mettre en relation avec elle. Ainsi, l’article 72, alinéa 5 de la Constitution dispose qu’« aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre. Cependant, lorsque l’exercice d’une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales, la loi peut autoriser l’une d’entre elles ou un de leurs groupements à organiser les modalités de leur action commune ». Cet article contient deux principes, d’une part l’interdiction de la tutelle entre les collectivités territoriales et, d’autre part, la possibilité pour la loi de désigner une collectivité chef de file. Les deux membres de phrases sont articulés grâce à l’adverbe « cependant », ce qui laisse penser que le second est une exception au principe posé par le premier. 108. Tout comme dans le chapitre précédent, où nous avons analysé les relations entre le principe de subsidiarité et la notion de chef de file, il convient ici d’étudier l’articulation entre celle-ci et l’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre. Cette étude s’impose d’autant plus qu’il semble y avoir une contradiction évidente entre l’interdiction de la tutelle et la notion de chef de file. En effet, le projet de loi constitutionnelle ne contenait pas cette interdiction de la tutelle, ce sont les discussions parlementaires qui l’ont introduite.225 Dès lors, il s’agit de se demander si la notion de chef de file n’est qu’une simple exception au principe d’interdiction de la tutelle ou si les deux membres de phrases ont un contenu autonome. Il convient aussi de s’interroger sur la constitutionnalisation de l’interdiction de la tutelle. 109. Il est indéniable que la question de la tutelle est un élément de la réflexion sur la décentralisation. « Elle est une composante à part entière de la décentralisation ».226 Il peut donc sembler normal qu’elle apparaisse lors de l’élaboration de « l’Acte II » de la décentralisation. Toutefois un rapide panorama de la décentralisation démontre que cette 225 GARREC René, Rapport sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l’organisation décentralisée de la République, op. cit., p.112. 226 CAILLOSSE Jacques, Les « mises en scènes » juridiques de la décentralisation. Sur la question du territoire en droit public français, Paris, LGDJ, coll. Droit et Société, 2009, p.63. - 85 - inscription constitutionnelle n’était pas forcément nécessaire. En effet, la première grande vague de décentralisation dans les années 1980 avait déjà inscrit, au rang législatif, l’interdiction de la tutelle dans notre droit des collectivités territoriales. Le Conseil constitutionnel avait même été plus loin puisqu’il avait consacré l’interdiction de la tutelle comme principe constitutionnel.227 Dès lors, la répétition de cette interdiction au sein même de la Constitution peut sembler non seulement inutile, mais paraît avoir été introduite de force dans le texte fondamental. De plus, des ambiguïtés subsistent toujours quant à la tutelle. D’une part, le mouvement de décentralisation des années 1980 n’avait pas totalement supprimé la tutelle, celle-ci subsiste toujours sous diverses formes, parfois prévues par la loi. D’autre part, en faisant de la collectivité chef de file une exception au principe d’interdiction de la tutelle, le constituant a rendu cette notion en partie inopérante. Il conviendra donc d’analyser dans un premier temps l’interdiction de la tutelle telle qu’elle résultait du premier mouvement de décentralisation (Section 1) puis de comprendre pourquoi l’inscription de ce principe dans la Constitution peut se révéler problématique (Section 2). 227 V. not. CC, n°2001-454 DC du 17 janvier 2002, Loi relative à la Corse, JORF, 23 janvier 2002, p.1526. - 86 - Section 1. Une prohibition législative de la tutelle suffisante 110. La décentralisation est un mouvement qui accorde des libertés à des entités locales, c'est-à-dire que des portions de territoire – les collectivités territoriales – disposent de droits et de libertés.228 L’État central a pu voir dans le développement des libertés locales une forme de concurrence. En effet, en disposant de libertés propres, les collectivités territoriales deviennent autonomes par rapport à l’État. Or notre République unitaire ne peut autoriser des entités infraétatiques à être indépendantes par rapport à l’État central. Face à cela, celui-ci a longtemps cherché à contrôler les collectivités territoriales, à imposer sa tutelle. Pour cela l’État exerçait un lourd contrôle sur les collectivités territoriales. Ainsi jusqu’aux lois de décentralisation des années 1980, c’est le préfet qui est à la tête de la collectivité territoriale départementale. Dans son rôle de tutelle, il peut annuler des décisions des autorités décentralisées, placées sous son contrôle, tant pour des raisons de légalité que d’opportunité. Les collectivités territoriales ont longtemps été considérées comme des mineurs sur le plan juridique. « La présence interposée du préfet entre l’élu local et la légalité était révélatrice : quand un gamin commet un méfait, c’est son père qui est appelé devant le commissaire de police. Il s’en suivait que seul l’État, dépositaire de l’intérêt général face aux intérêts particuliers des collectivités, pouvait s’exécuter par sa propre volonté ».229 L’approfondissement croissant de la décentralisation a conduit progressivement à desserrer l’étau de la tutelle jusqu’à sa suppression par les lois de 1982 et de 1983. Malgré cette inscription dans le bloc législatif, la tutelle n’a jamais complètement disparu. Celle-ci est un principe « intangible, alors même que le contenu en est évolutif ».230 En effet, non seulement l’État central a toujours conservé un certain contrôle sur les actes des collectivités territoriales, mais encore les collectivités territoriales entre elles ont mis en place certaines formes de tutelle. Toutefois, le juge administratif veille à ce que l’autonomie des collectivités demeure suffisante. Donc, si la tutelle a été supprimée dans les textes depuis l’Acte I de la décentralisation (§1), dans les faits certaines formes de tutelle subsistent encore (§2). 228 D’ailleurs il est intéressant de relever à ce titre que les lois de décentralisation du 2 mars 1982 et du 13 août 2004 font toutes deux référence dans leur titre au substantif « liberté ». 229 FAURE Bertrand, « La glorieuse trentenaire. A propos du 30e anniversaire de la loi du 2 mars 1982 », art. cit., p.738. 230 FOURNIÉ François, La décentralisation dans l’œuvre de Maurice Hauriou, Paris, LGDJ, 2005, p.253. - 87 - §1. Une tutelle sur les actes supprimée depuis l’Acte I de la décentralisation 111. La réflexion sur la tutelle, comme nous l’avons déjà relevé, est « consubstantielle »231 à la décentralisation. La tutelle est une figure classique de la décentralisation. « Le droit – qu’il soit écrit ou jurisprudentiel – agence la subordination du local au Centre. L’idée évoquée ci-dessus d’un traitement juridique du local comme objet mineur trouve dans l’institution de la tutelle son expression la plus classique ».232 En effet, en plaçant les collectivités territoriales sous sa tutelle, l’État protège son unité, en s’assurant que les compétences des collectivités ne seront pas détournées. En exerçant cette tutelle l’État se protège aussi lui même, en s’assurant de ne pas imploser. La tutelle sur les collectivités territoriales est réellement liée à une volonté de protection, de l’État lui-même et des collectivités territoriales. La métaphore du mineur juridique prend ici tout son sens, puisque pour l’État, les collectivités sont comme des enfants qu’il faut surveiller pour qu’ils ne fassent pas de bêtises. En effet, on sait que le tuteur, tel qu’il est entendu en droit privé, est responsable des faits de la personne qu’il a sous sa garde conformément à l’article 1384, alinéa 1er du Code civil. Ainsi, « en sa qualité de tuteur, il lui incombe d’organiser et de contrôler de manière permanente le mode de vie et l’activité »233 de la personne sous tutelle. D’ailleurs, dès les années 1970, le rapport Guichard souligne que l’emploi du terme de tutelle « évoque une sorte d’incapacité juridique »234 des collectivités territoriales et se prononce alors en faveur de son bannissement. Cette étude nécessite que nous revenions sur le contenu de la tutelle (A), cela permettra une meilleure mise en perspective avec la notion de chef de file. D’autre part, il faut s’interroger sur la codification au code général des collectivités territoriales de cette interdiction de la tutelle (B), afin de comprendre si son inscription dans la Constitution était réellement nécessaire ou non. 231 WALINE Jean, « A propos de la tutelle sur les collectivités territoriales », in Le droit administratif : permanences et convergences. Mélanges en l’honneur de Jean-François Lachaume, Paris, Dalloz, 2007, p.1097. 232 CAILLOSSE Jacques, Les « mises en scène » juridiques de la décentralisation. Sur la question du territoire en droit public français, op. cit.,p.30. 233 TEYSSIÉ Bernard, Droit civil. Les personnes, Paris, LexiNexis, 13e ed., 2011, p.296. 234 GUICHARD Olivier, Vivre ensemble : rapport de la commission de développement des responsabilités locales, op. cit., p.104. - 88 - A. Les éléments constitutifs de la tutelle 112. Le doyen Hauriou définissait la tutelle comme « un pouvoir de contrôle que certaines personnes administratives exercent sur certaines autres, dans le but à la fois de protéger les intérêts de la personne en tutelle et de maintenir un bon ordre dans l’administration ».235 Il y a dans cette définition une double dimension. D’une part, la tutelle permet de s’assurer que la collectivité se conforme bien à ses obligations et, d’autre part, cela permet d’empêcher la collectivité sous tutelle de s’engager dans des actions qui pourraient la mettre en péril, notamment au niveau financier. Ainsi la tutelle vise à limiter « les abus et les tyrannies locales ».236 Ce second versant de protection corrobore l’idée que les collectivités territoriales sont des mineurs qu’il faut protéger d’eux-mêmes. Il en est de même en droit civil où le tuteur doit donner son approbation pour que le pupille puisse agir. Il convient de déterminer les éléments qui constituent la tutelle (1) puis de différencier la tutelle d’autres techniques qui peuvent lui paraître similaires (2). 1. Les différentes formes de tutelle en droit des collectivités territoriales Il est nécessaire de distinguer la tutelle de l’État sur les collectivités territoriales (a), de la tutelle entre collectivités territoriales (b). a. La tutelle de l’État sur les collectivités territoriales 113. Avant 1982, le représentant de l’État dans le département du fait de la tutelle, pouvait annuler la délibération d’une collectivité territoriale pour un motif de légalité ou pour un motif de pure opportunité. Avant 1982, la tutelle s’exerçait aussi par le fait que le préfet était l’exécutif de la collectivité départementale. Cette position et ces pouvoirs faisaient que le préfet disposait d’un contrôle très important sur les collectivités territoriales. Celles-ci n’étaient pas réellement autonomes puisque l’État, au travers du préfet, exerçait son contrôle en permanence. La loi n°82-213 du 2 mars 1982237 a supprimé l’exercice de la tutelle du 235 HAURIOU Maurice, cité in FOURNIÉ François, La décentralisation dans l’œuvre de Maurice Hauriou, op. cit., p.29. 236 HAURIOU Maurice, Précis de droit administratif et de droit public, op. cit., p.92. 237 Loi n°82-213 du 2 mars 1982, relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, JORF, 3 mars 1982, p.730. « La décentralisation nouvelle est donc réputée découler pour une part décisive de la suppression de la tutelle. La physionomie du texte législatif en donne confirmation : la moitié environ de ses dispositions y sont relatives et dans le Titre premier consacré aux droits et libertés de la commune, cette - 89 - préfet sur les collectivités territoriales et a transféré l’exécutif de la collectivité départementale à un président élu au sein de l’assemblée de la collectivité. La tutelle a été remplacée par le contrôle de légalité, c'est-à-dire que si le préfet estime que la décision d’une collectivité territoriale est illégale, il ne peut pas l’annuler lui-même. Il doit saisir le juge administratif. « On en arrive ainsi, après plus d’un siècle de tergiversations, au seul système de tutelle réellement compatible avec le principe de libre administration des collectivités territoriales ».238 114. Aussi décentralisée que soit notre République, les collectivités territoriales ne peuvent être totalement libres, l’État central doit nécessairement contrôler ce que font ces entités. Dès lors, « il n’est pas question ici de défendre une indépendance utopique des collectivités territoriales. Le contrôle des actes de celles-ci est une nécessité pour la sauvegarde des droits et libertés du citoyen ».239 Cette tutelle est liée au caractère centralisé de l’État. « Elle trouve sa justification dans les principes d’unité et d’indivisibilité de la République ».240 En effet, comme le souligne M. Hauriou dans sa définition, la tutelle a pour objectif de maintenir en ordre l’administration. La tutelle, le contrôle des collectivités territoriales, n’est pas anodin pour l’État central. C’est un moyen pour lui de s’assurer de sa pérennité. En plaçant les collectivités territoriales sous sa tutelle, l’État s’assurait que l’administration locale restait cantonnée dans ses compétences. « En dépit d’une organisation résolument décentralisée, le caractère unitaire et la prééminence de l’État demeurent, précisément parce que ce dernier exerce le contrôle de ces collectivités. L’absence de contrôle conduirait en effet à identifier ces collectivités à de véritables entités fédérées ».241 Qu’il s’agisse d’une tutelle, ou d’un contrôle de légalité, l’État doit nécessairement assurer un certain contrôle sur les collectivités territoriales. Si le contrôle de légalité apparaît comme plus acceptable dans le cadre d’un État de droit que la tutelle, la suppression pure et simple de tout contrôle est inimaginable. 115. Il nous semble également nécessaire de dire un mot sur une forme de tutelle de l’État qui elle n’a pas disparue : la tutelle sur les personnes. L’article L.2122-16 du CGCT prévoit la possibilité pour le gouvernement de suspendre, voire de révoquer le maire ou un adjoint. Cette forme de tutelle permet à l’État d’exercer un important contrôle sur l’action des élus municipaux. Cette tutelle « entend sanctionner non seulement les irrégularités commises à question concerne 19 articles sur 21 ! » REGOURD Serge, « La prétendue suppression de la tutelle », RA, 1982, p.613. 238 WALINE Jean, « A propos de la tutelle sur les collectivités territoriales », art. cit., p.1102. 239 LUCHAIRE Yves, « La persistance de la tutelle dans le droit des collectivités territoriales », AJDA, 2009, p.1134. 240 FOURNIÉ François, La décentralisation dans l’œuvre de Maurice Hauriou, op. cit., p.253. 241 PIRON Michel, Rapport d’information sur l’équilibre territorial des pouvoirs, Assemblée nationale, n°2881, 2006, p.142. - 90 - l’occasion ou en dehors des fonctions et de nature à empêcher le maintien en fonction, mais aussi, tout comportement paraissant contraire à l’intérêt général ».242 On peut considérer qu’il y a ici le maintien d’une forme de contrôle d’opportunité sur les actes, mais aussi sur les propos et agissements des maires et adjoints. « Il apparaît donc que tout agissement fautif est susceptible de fonder légalement la suspension ou la révocation d’un maire ou d’un adjoint. Le pouvoir de sanction reconnu au gouvernement s’exerce indifféremment à l’égard de l’exercice des compétences déconcentrées et décentralisées dévolues aux organes exécutifs des communes. Il transcende la distinction classique entre le pouvoir hiérarchique – qui accompagne la déconcentration – et le pouvoir de tutelle – qui caractérise la décentralisation ».243 Ainsi, cette forme de tutelle peut sembler insidieuse et pourrait permettre à l’État d’adopter des sanctions politiques à l’encontre de certains maires. Tel n’est pas en principe l’objet de cette tutelle qui vise simplement à ne pas laisser une commune dirigée par une personne qui pourrait, par ses comportements, remettre en cause la bonne réalisation des missions de la collectivité territoriale. Toutefois, le basculement de l’un à l’autre, du contrôle organisé par la loi à la sanction politique, peut parfois se produire, la frontière entre les deux paraît être ténue. Pour éviter ce basculement, le CGCT encadre ces procédures en exigeant que les personnes visées par de telles procédures puissent être entendues. Les décisions de suspension ou de révocation doivent être motivées. De plus, la révocation, sanction la plus grave, doit nécessairement être prise par décret en conseil des ministres. Afin d’éviter tout risque d’instrumentalisation de cette forme de tutelle le juge administratif a, en 2010, renforcé son contrôle à la fois sur la motivation de ces décisions de révocation et sur l’adéquation de la sanction retenue par rapport à la faute.244 Enfin à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité, le juge constitutionnel a considéré que la procédure de suspension et de révocation ne méconnaissait pas le principe de libre administration des collectivités territoriales.245 L’article L.2122-16 du CGCT, malgré l’importante tutelle qu’il fait peser sur le maire et ses adjoints, ne méconnait donc aucune autre règle de valeur supérieure. Le contrôle de l’État sur les actes des collectivités territoriales est une nécessité. La suppression de la tutelle n’implique pas que les collectivités territoriales soient totalement 242 FAURE Bertrand, Droit des collectivités territoriales, op. cit., p.235. SEILLER Bertrand, « Le pouvoir disciplinaire sur les maires », AJDA, 2004, p.1639 244 CE, 22 mars 2010, Dallongeville, req. n°328843 ; BOTTEGHI, LIEBER, Chron., AJDA, 2010, p.664-670. 245 CC, n°2011-210 QPC du 13 janvier 2012, M. Ahmed S., JORF, 14 janvier 2012, p.753 ; VERPEAUX, AJDA, 2012, p.546-551. 243 - 91 - libres. « Il ne faut pas déterminer le degré d’autonomie des collectivités territoriales au seul prisme du passage de la tutelle a priori au mécanisme du contrôle de légalité ».246 En effet, un autre risque se présente pour l’autonomie des collectivités territoriales, c’est la mise en place de tutelles des collectivités entre elles. b. La tutelle entre collectivités territoriales 116. Les tutelles entre collectivités territoriales se font plus généralement de manière détournée. « Par tutelle on doit entendre le mode de rapport entre les collectivités territoriales qui, fondé sur des relations de caractère juridique, permet, au-delà du contrôle du strict respect des lois et des règlements nationaux, à une collectivité territoriale d’influer ou de réformer les décisions prises par une autre collectivité territoriale ».247 Il existe une tutelle d’une collectivité sur une autre à partir du moment où les décisions de l’une sont soumises à l’approbation ou au contrôle de l’autre. Comme dans la définition proposée par le doyen Hauriou, il y a bien alors l’idée de contrôle d’une personne administrative sur une autre. Cependant, il est moins sûr que dans le cas d’une tutelle entre collectivités territoriales, celle-ci ait pour but de protéger la collectivité sous tutelle. En effet, la tutelle entre collectivités territoriales semble plus liée à une volonté de contrôle. La collectivité tutrice cherche le plus souvent à guider la décision de la collectivité sous tutelle, afin que les décisions de celle-ci lui soient favorables. 117. Cette tutelle entre collectivités territoriales peut même se présenter sous « des formes plus insidieuses consistant à contraindre une collectivité à effectuer certains choix, à influencer ses décisions ou à lui imposer le respect de certaines conditions, de telle ou telle procédure ».248 Les agréments accordés dans certains domaines par le président du conseil général sont ainsi une forme de tutelle puisqu’ils contraignent les autres départements à suivre le choix effectué par le premier. En effet, les assistants maternels et les assistants familiaux doivent obtenir un agrément de la part du président du conseil général pour pouvoir exercer leur profession.249 Toutefois, si la personne déménage et décide donc d’exercer sa profession dans un autre département « son agrément demeure valable sous réserve d’une déclaration préalable adressée au président du conseil général du département de sa nouvelle 246 FAURE Bertrand, Droit des collectivités territoriales, op. cit., p.141. AUBY Jean-François, « La décentralisation fait-elle naître de nouvelles tutelles ? », AJDA, 1984, p.412. 248 GARREC René, Rapport sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l’organisation décentralisée de la République, op. cit., p.107. 249 Art. L.421-3 CASF. 247 - 92 - résidence ».250 Il y a là une forme de tutelle puisque la décision d’accorder l’agrément à l’assistant maternel ou familial, prise par un premier département s’impose à tous les autres départements. La décision du président du conseil général s’impose donc dans un autre ressort territorial que le sien, ce qui est constitutif d’une tutelle. Le même type de situation se rencontre à l’égard de l’agrément pour l’accueil à domicile des personnes âgées ou handicapées251 ou encore pour l’agrément en matière d’adoption.252 Si une telle situation est bien constitutive d’une tutelle puisque une collectivité peut imposer une décision à une autre, il ne semble pas qu’un tel système serait remis en cause. En effet, cette tutelle semble ici participer d’une forme de continuité du service public ou plutôt d’une application identique de la règle de droit sur l’ensemble du territoire de la République en application du principe d’égalité. Ainsi cet exemple semble indiquer qu’il y aurait différentes formes de tutelles, certaines étant plus ou moins acceptables. Il est également pertinent, nous semble-t-il, de s’interroger sur le devenir d’une telle disposition en cas de recours assorti d’une question prioritaire de constitutionnalité. En effet, la situation nous apparaît comme étant clairement contraire à l’article 72, alinéa 5 de la Constitution. Le Conseil constitutionnel censurerait-il cette disposition ou au contraire est-ce qu’il pourrait considérer que l’intérêt général prime ici sur la libre administration ? 118. Une collectivité peut profiter de son importance économique ou démographique, de l’influence de ses élus pour contraindre d’autres collectivités, plus petites, disposant de moins de moyens, à adopter des décisions dans tel ou tel sens. Ce n’est pas alors une tutelle directe, mais une forme de contrôle par l’influence qui peut s’apparenter au mécanisme de la tutelle. A cet effet, l’un des moyens les plus aisés pour une collectivité d’exercer son pouvoir d’influence sur une autre est le financement de projets, « la collectivité finançant la plus grande part d’un projet pouvant prendre l’ascendant sur les autres ».253 L’attribution d’une aide financière par une collectivité territoriale à une autre n’est pas automatiquement synonyme de tutelle, mais il existe un risque. Les financements croisés s’apparentent ainsi au dieu à double visage, Janus. Ils sont nécessaires à certaines collectivités pour réaliser leurs projets, mais en même temps ils peuvent conduire à mettre en place des relations de dépendance, voire de tutelle entre collectivités territoriales. En effet, certaines collectivités territoriales, notamment les communes les plus petites, n’ont pas les moyens financiers, 250 Art. L.421-7 CASF. Art. L.441-1 CASF. 252 Art. L.225-6 CASF. 253 PIRON Michel, Rapport d’information sur l’équilibre territorial des pouvoirs, op. cit., p.43. 251 - 93 - humains ou techniques pour réaliser certains équipements ou assurer certains services qui sont pourtant indispensables. Ces communes sont alors aidées par d’autres collectivités, notamment le département. Les financement croisés des départements vers les communes et leurs groupements représentaient près de 2 500 millions d’euros en 2004 et de manière générale ce sont les communes qui sont les plus importantes bénéficiaires de ces subventions.254 Toutefois, là encore les effets de la crise économique se font ressentir puisque les départements « ont adopté en 2010 un comportement prudent : ils ont réduit sensiblement leurs dépenses d’équipement ainsi que le montant des subventions d’équipement versées ». 255 Les collectivités territoriales peuvent vouloir effectuer un certain contrôle sur la manière dont la collectivité subventionnée use des fonds alloués. Il pourrait alors être tentant pour la collectivité allocatrice d’influencer les décisions de la collectivité aidée.256 Toutefois, le Conseil d'État a invalidé cette lecture en considérant que dès lors que l’attribution de l’aide n’est pas subordonnée « à une procédure d’autorisation ou de contrôle »,257 il n’y a pas de tutelle. Dès lors, « le mécanisme de subvention ne saurait être présenté comme étant en soi une composante, un procédé de tutelle ».258 Si dans l’affaire Département des Landes, il n’y avait effectivement pas de volonté du conseil général de contrôler les communes bénéficiaires de la subvention, la limite est parfois ténue. Dès lors, le législateur est intervenu pour contrer la jurisprudence du Conseil d'État et interdire aux départements de faire varier leurs subventions aux communes pour les équipements de réseau d’eau en fonction du mode de gestion du service.259 Or la disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel lors d’une QPC considérant que cette interdiction portait atteinte à la libre administration des départements.260 119. L’échec de la décentralisation par blocs de compétences a conduit les collectivités territoriales à multiplier, par nécessité, les cofinancements. Or ces financements croisés comportent indéniablement des risques de tutelle de la part des collectivités qui abondent le 254 QUENTIN Didier, URVOAS Jean-Jacques, Rapport d’information sur la clarification des compétences des collectivités territoriales, Assemblée nationale, n°1153, 2008, p.16 255 Observatoire des finances locales, Les finances des collectivités locales en 2011, Paris, 2011, p.50. 256 V. not. SAVY Robert, « Réformer le Sénat et le principe de « non tutelle » », Pouvoirs Locaux, 2007, n°75, p.136. 257 CE, Sct., 12 décembre 2003, Département des Landes, Rec., p.502 ; DONNAT, CASAS, chron., AJDA, 2004, p.195-199. 258 TESOKA Laurent, Les rapports entre catégories de collectivités territoriales, Aix-en-Provence, PUAM, coll. collectivités locales, 2004, p.241. 259 RICHER Laurent, « Les services de l’eau potable et de l’assainissement dans la loi sur l’eau. La loi à la traîne de la jurisprudence », AJDA, 2007, p.1168-1176. 260 CC, n°2011-146 QPC du 8 juillet 2011, Département des Landes, JORF, 9 juillet 2011, p.11978 ; PAULIAT, JCP-A, 2011, n°35, p.25-28. Pour une analyse plus détaillée de l’affaire infra §141. - 94 - plus financièrement, en plus de compliquer la lecture de l’action publique. Cette recherche est d’autant plus nécessaire, que la tutelle n’est pas le seul cas de relation dissymétrique entre collectivités. Il existe également d’autres cas où une personne publique peut prendre une décision à la place d’une autre personne publique sans pour autant qu’il s’agisse là de l’exercice d’une tutelle. Il convient dès lors de déterminer quelles sont ces situations et comment les différencier de la tutelle. 2. La distinction de la tutelle et du pouvoir hiérarchique 120. Il est nécessaire de distinguer la tutelle de la notion de pouvoir hiérarchique. En effet, un premier élan pourrait conduire à assimiler les deux. Tutelle comme pouvoir hiérarchique impliquent l’idée qu’une décision prise par une première autorité est reprise ou modifiée par une autre autorité. Toutefois, la comparaison s’arrête là. En effet, « les traits de définition de la tutelle ne deviennent caractéristiques que par opposition à ceux de la hiérarchie »,261 il convient donc d’analyser ces différences. 121. Quant à leur champ d’application tout d’abord, la tutelle suppose l’existence de deux personnes morales différentes, alors que le pouvoir hiérarchique ne s’applique qu’à l’intérieur d’une même personne morale « et à la condition qu’au sein de cette personne morale, la répartition des compétences soit organisée sur un mode hiérarchique ».262 Au contraire, deux autorités agissant pour le compte de personnes morales distinctes ne peuvent avoir de relation hiérarchique, mais l’une peut exercer une tutelle sur une autre. C’est ainsi que tutelle et pouvoir hiérarchique interviennent dans deux domaines différents. La tutelle ne se trouve qu’en matière de décentralisation, puisque les collectivités territoriales sont des entités distinctes de l’État qui bénéficient d’un pouvoir de décision propre, d’un pouvoir d’initiative que l’autorité de tutelle doit respecter.263 Le pouvoir hiérarchique, au contraire, intervient en matière de déconcentration. Les autorités déconcentrées n’ont pas de personnalité morale propre, elles font partie de l’État. Dès lors, la chaîne de décision veut que l’autorité déconcentrée est subordonnée à son supérieur hiérarchique. C’est ainsi qu’une première différence entre tutelle et pouvoir hiérarchique tient à l’autonomie dont dispose l’autorité 261 REGOURD Serge, L’acte de tutelle en droit administratif français, Paris, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit public, 1982, p.37. 262 BOISSARD Sophie, « Le pouvoir hiérarchique au sein de l’administration française », Cahiers de la fonction publique, mai 2003, p.5. 263 GAUDEMET Yves, Traité de droit administratif, T.1, Paris, LGDJ, 16e ed., 2001, p.118. - 95 - contrôlée. « La hiérarchie implique autorité du supérieur sur l’inférieur et subordination corollaire de ce dernier, alors que la tutelle repose sur le simple contrôle du premier du fait de l’autonomie du second ».264 122. Une seconde différence tient à l’encadrement juridique dans lequel s’exercent tutelle et pouvoir hiérarchique. En effet, la tutelle doit revêtir un caractère exceptionnel et être prévue par un texte.265 Au contraire, le supérieur hiérarchique détient un pouvoir de droit commun sur son subordonné. Le supérieur hiérarchique n’a pas besoin d’un texte pour exercer son pouvoir. Ce pouvoir est d’ailleurs beaucoup plus large que le pouvoir de tutelle, puisqu’il s’exerce tant en matière de légalité que d’opportunité des décisions du subordonné. Cela implique également que les modalités d’action du tuteur et du supérieur hiérarchique sont différentes. Ainsi le premier n’a que la faculté d’empêcher ou d’approuver une décision de la personne sous tutelle. Le supérieur hiérarchique, au contraire, a le pouvoir de formuler des instructions, d’annuler une décision de son subordonné ou encore de la réformer. Ces différents pouvoirs lui permettent de contrôler l’action de son subordonné qui ne bénéficie alors d’aucune initiative. Celui-ci est contraint de suivre les décisions de son supérieur hiérarchique. « Il s’agit là d’un véritable devoir d’office ».266 Ce devoir implique une autre différence remarquable entre l’autorité sous tutelle et l’autorité subordonnée. Une collectivité territoriale placée sous tutelle peut toujours « contester la validité d’un acte pris par son tuteur par la voie du recours pour excès de pouvoir ».267 Le subordonné ne peut pas quant à lui exercer de recours contre la décision de son supérieur hiérarchique. 123. Il faut relever que, avant 1982 et la suppression de la tutelle, le maire était soumis aux deux modes de contrôle. En effet, « le maire est un agent double […] représentant de deux collectivités différentes, la commune et l’État ».268 Dès lors, il supportait la tutelle de la préfecture en tant qu’autorité décentralisée et le préfet était son supérieur hiérarchique pour les actes adoptés en tant qu’autorité déconcentrée. Si la tutelle a été supprimée en 1982, le maire est toujours soumis à l’autorité du préfet lorsqu’il agit au nom de l’État en vertu de l’article L.2122-34 du CGCT. Il en est de même en matière de police judiciaire où le maire 264 REGOURD Serge, L’acte de tutelle en droit administratif français, op. cit., p.38. Selon l’adage : « pas de tutelle sans texte », CE, Sct., 17 mars 1972, Dame Figaroli, Rec., p.224 ; LABETOULLE, CABANES, AJDA, 1972, p.213-214. On retrouve déjà cette idée dès 1913 dans des conclusions du Commissaire du gouvernement Corneille : CE, 17 janvier 1913, Congrégation des sœurs de Saint-Régis à Aubenas, Rec., p.72 266 HAURIOU Maurice, Précis de droit administratif et de droit public, op. cit., p.78. 267 TESOKA Laurent, Les rapports entre catégories de collectivités territoriales, op. cit., p.245. 268 CASSIA Paul, « Le maire, agent de l’État », AJDA, 2004, p.245. 265 - 96 - exerce ses prérogatives d’officier de police judiciaire269 « sous la direction du procureur de la République ».270 La notion de tutelle correspond donc à une situation bien précise qui ne peut être qualifiée qu’à partir du constat de l’existence de certaines caractéristiques. Les deux formes de tutelle, de l’État sur les collectivités territoriales ou des collectivités territoriales entre elles, ont été prohibées par la vague de décentralisation des années 1980. L’interdiction de la tutelle entre collectivités territoriales sera même consacrée puisque inscrite au Code général des collectivités territoriales. B. L’inscription dans la loi de l’interdiction de la tutelle L’interdiction de la tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre a été inscrite dans les lois de décentralisation. Toutefois, il faut relever qu’il existe plusieurs dispositions qui rappellent cette interdiction (1), il faut donc s’interroger sur cette multiplication. Il convient également de s’attarder sur les justifications de cette interdiction (2). 1. Les dispositions interdisant la tutelle 124. C’est dans le cadre des premières lois de décentralisation que la loi a consacré l’interdiction de la tutelle. Les différentes formes de tutelle administrative de l’État sur les collectivités territoriales avaient déjà été fortement diminuées depuis les années 1970. « Les pratiques administratives renforceront d’ailleurs cet assouplissement des tutelles au-delà des intentions voulues par les textes ».271 La première vague de décentralisation est marquée, d’une part, par la suppression de la tutelle de l’État sur les collectivités territoriales remplacée par le contrôle de légalité et, d’autre part, par l’interdiction de la tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre. « Le législateur, désireux que le terrain abandonné par l’État ne soit pas investi par une autre collectivité territoriale, a également prévu des dispositions pour qu’il n’y ait pas de constitution de phénomènes tutélaires entre les collectivités locales ». 272 L’explication de cette double interdiction de la tutelle se comprend du fait du mouvement de décentralisation lui-même. L’État transforme la région établissement public en collectivité 269 Art. L.2122-21 CGCT. Art. 12 Code de procédure pénale. 271 AUBY Jean-Bernard, AUBY Jean-François, NOGUELLOU Rozen, Droit des collectivités locales, Paris, PUF, coll. Thémis Droit, 5e ed., 2009, p.12. 272 AUBY Jean-François, « La décentralisation fait-elle naître de nouvelles tutelles ? », art. cit., p.412. 270 - 97 - territoriale, l’exécutif du département est transféré du préfet au président du conseil général élu, ce sont donc des nouvelles libertés qui apparaissent pour ces collectivités. Or afin d’éviter que les collectivités territoriales n’usent de ces nouvelles libertés de manière anarchique, le législateur les a toutes placées sur un pied d’égalité et a donc interdit la tutelle de l’une sur l’autre. Il s’est agi pour le législateur d’encadrer ces nouvelles libertés afin d’éviter un usage qui en serait abusif. « La nature administrative a peur du vide et il est compréhensible que là où l’État, pouvoir exécutif, se retire d’autres instances viennent prendre sa place ».273 Il convient donc de prévenir toute tentative de tutelle d’une collectivité territoriale. C’est la raison pour laquelle, lors de l’Acte I de la décentralisation, après avoir supprimé la tutelle du préfet sur les collectivités territoriales, le législateur a interdit la tutelle d’une collectivité territoriale sur l’autre. 125. Deux dispositions, qui interdisent la tutelle d’une collectivité sur une autre ont été insérées dans le CGCT. L’article 2 de la loi du 7 janvier 1983274 est relatif à cette interdiction de la tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre. Cette disposition est à présent codifiée au CGCT à l’article L.1111-3 qui dispose que « la répartition des compétences entre les communes, les départements et les régions ne peut autoriser l’une de ces collectivités à établir ou exercer une tutelle, sous quelque forme que ce soit, sur une autre d’entre elles ». L’article L.1111-4 in fine, issu d’une loi ultérieure,275 dispose quant à lui que « les communes, les départements et les régions financent par priorité les projets relevant des domaines de compétences qui leur ont été dévolus par la loi. Les décisions prises par les collectivités locales d’accorder ou de refuser une aide financière à une autre collectivité locale ne peuvent avoir pour effet l’établissement ou l’exercice d’une tutelle, sous quelque forme que ce soit, sur celle-ci ». La première disposition a une portée beaucoup plus générale que la seconde. Elle prohibe de manière générale la tutelle quelle qu’en soit la forme. La seconde disposition insiste sur les risques de tutelle lorsque des collectivités territoriales subventionnent des projets d’autres collectivités.276 Celle-ci a donc un objet plus précis, elle concerne une situation particulière. Toutefois, les situations qu’elle vise sont également incompatibles avec la première interdiction de portée générale. Dès lors, « si la règle va de soi, on se demande pourquoi on éprouve le besoin de la répéter si souvent ».277 Interrogation d’autant plus 273 Ibid., p.419. Loi n°83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l’État, précit. 275 Loi n°92-125 du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République, précit, spec. art. 92 modifiant l’art. 3 de la loi n°83-8 du 7 janvier 1983. 276 Sur ce risque, supra §118. 277 SAVY Robert, « Réformer le Sénat et le principe de « non tutelle » », art. cit., p.136. 274 - 98 - légitime que l’interdiction de la tutelle est désormais constitutionnalisée. Le juge dispose également d’une norme internationale qui prohibe cette tutelle. En effet, l’article 8.2 de la Charte européenne de l’autonomie locale, ratifiée depuis 2006278 par la France, incite les Etats parties à la convention à ne faire porter sur leurs collectivités territoriales qu’un contrôle de légalité. Une récente évolution de la jurisprudence administrative279 a assoupli les critières de l’effet direct des conventions internationales. Le juge administratif a notamment considéré que « l’absence de tels effets ne saurait être déduite de la seule circonstance que la stipulation désigne les Etats parties comme sujets de l’obligation qu’elle définit ». Dès lors en élargissant les cas où il reconnaît l’effet direct d’une stipulation dans une convention internationale, le juge administratif facilite son invocabilité par les requérants. Les collectivités territoriales pourraient alors utiliser cette évolution et utiliser les dispositions de la Charte européenne de l’autonomie locale à l’encontre des tutelles qui subsistent encore dans le droit français.280 Le juge dispose donc désormais de différents textes pour censurer toute tutelle d’une collectivité sur une autre, de natures différentes : constitutionnelle, internationale ou législative. Quelle est la raison de cette multiplication des fondements interdisant la tutelle ? Selon nous, la réponse à cette question se trouve dans les justifications du principe d’interdiction de la tutelle. Celles-ci sont, en effet, sujettes à controverse. 2. Les raisons de l’interdiction de la tutelle 126. L’interdiction de la tutelle entre collectivités territoriales est liée au principe d’égalité. L’interdiction de la tutelle est un « principe […] intenable mais il est révélateur »281 de la conception française des collectivités locales. La loi considère que toutes les collectivités territoriales sont égales entre elles. « La construction abstraite du principe d’égalité, 278 Loi n°2006-823 du 10 juillet 2006 autorisant l’approbation de la Charte européenne de l’autonomie locale, adoptée à Strasbourg le 15 octobre 1985, précit. 279 CE, 11 avril 2012, Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI) et Fédération des associations pour la promotion et l’insertion par le logement (FAPIL), req. n°322326 ; DUMORTIER, concl, RFDA, 2012, p.547-559. 280 Un élément peut cependant faire douter de l’utilité de la Charte européennes de l’autonomie locale à cet égard, c’est le fait que l’article 8.2 de la Charte autorise, mais à titre d’exception, le maintien d’un contrôle d’opportunité. 281 CHAPUISAT Jérôme, « La répartition des compétences. Commentaire de la loi n°83-8 du 7 janvier 1983, relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements et les régions », AJDA, 1983, p.84. - 99 - constante de l’esprit républicain, se destine à établir l’unité de la loi ».282 Cette conception traduit une vision formelle – voire archaïque – de l’égalité. Plus qu’une question d’égalité il semble que la France soit attachée à une certaine uniformité de ses collectivités territoriales. Cela consiste à prétendre que toutes les collectivités territoriales sont égales entre elles quelle que soit leur taille. Dès lors, le droit français s’adresse de la même manière, et applique les mêmes dispositions, à la région Rhône-Alpes qui compte plus de 6 millions d’habitants, avec une forte densité de population et de nombreuses industries et activités tertiaires qu’à la région Limousin qui en compte moins d’un million283, une densité forcément moindre et une activité beaucoup plus tournée vers l’agriculture. De même, la première partie du CGCT relative aux principes généraux s’applique à toutes les collectivités territoriales indifféremment, qu’il s’agisse de la région Ile-de-France, de la Ville de Lille ou encore d’une petite commune rurale de quelques centaines d’habitants. Il est pourtant clair que des différences démographiques et économiques entraînent des différences quant aux capacités de la collectivité territoriale. Il est en effet indéniable que « le principe de prohibition de toute tutelle juridique d’une collectivité territoriale sur une autre n’a jamais empêché certaines d’entre elles, plus égales que d’autres, d’exercer une influence, d’orienter les choix à atteindre, voire d’aider les collectivités moins importantes ».284 127. Cependant, le droit français se refuse à toute hiérarchisation entre les collectivités et s’attache au principe d’égalité. Chaque collectivité est autonome, indépendante et donc aucune autre collectivité territoriale ne peut lui imposer une décision. Il ne peut y avoir de tutelle dans le cadre de relations horizontales entre collectivités territoriales. L’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre « constitue alors le corollaire du principe d’égalité entre les collectivités territoriales dont il renforce, à ce titre, la protection constitutionnelle ».285 Considérer que l’une puisse exercer une tutelle sur une autre, cela revient à considérer que toutes les collectivités territoriales ne sont pas égales et que certaines disposent d’une autorité sur les autres. « L’idée même d’une tutelle […] n’a pas sa place dans le cadre de relations horizontales entre collectivités publiques secondaires mais autonomes entre elles ».286 Cependant cette justification trouve selon nous rapidement ses limites. En effet, en considérant que toutes les collectivités sont égales, elle se fonde sur une conception formelle de l’égalité. Cela conduit à empêcher effectivement toute mise en place d’une 282 GORGE Anne-Sophie, Le principe d’égalité entre collectivités territoriales, op. cit., p.355. DGCL, Les collectivités locales en chiffres 2012, Paris, p.20. 284 TURPIN Dominique, « Les nouvelles compétences régions », AJDA, 2008, p.1651. 285 GORGE Anne-Sophie, Le principe d’égalité entre collectivités territoriales, op. cit., p.212. 286 FAURE Bertrand, Droit des collectivités territoriales, op. cit., p.483. 283 - 100 - hiérarchisation entre les collectivités territoriales puisque les textes législatifs considèrent que « toutes les collectivités sont égales entre elles, confondant sciemment égalité formelle et égalité réelle ».287 C’est d’ailleurs là une particularité française, qui contrairement aux autres Etats européens n’accorde pas de prééminence à un niveau territorial, en général le niveau régional. A cet égard, la contribution de l’Institut de la Décentralisation aux Etats généraux de la démocratie territoriale nous paraît intéressante. Elle considère que la différenciation qui existe au profit des collectivités d’outre-mer ou de la Corse doit être étendue aux collectivités territoriales de la métropole. « Cela paraît nécessaire si l’on veut répondre à l’enjeu d’une nouvelle République des territoires qui soit en capacité de conjuguer le principe d’égalité et les réalités territoriales ».288 Il nous semble donc évident que le mythe égalitaire des collectivités territoriales doit être abandonné au profit d’une vision plus réaliste des rapports entre collectivités. Ainsi « la protection de la République une, indivisible et décentralisée consacrerait (et supposerait) un processus irréversible de glissement du principe d’égalité, de l’uniformité à la différence ».289 128. Il faut reconnaître toutefois que malgré ces répétitions de l’interdiction de la tutelle, celle-ci demeure sous diverses formes. Il ne faut pas ici prendre le discours du législateur au pied de la lettre. En effet, « on ne peut pas suivre le législateur lorsqu’il affirme, sur un mode péremptoire, avoir supprimé les tutelles ».290 L’affirmation de la suppression de la tutelle, à elle seule, n’implique pas forcément la disparition de tous les mécanismes qui l’accompagnent. Au contraire, il est même nécessaire d’observer « qu’un certain nombre de mécanismes de contrôle continuent de fonctionner sur les décisions prises par les collectivités locales. Ils correspondent à la nécessité de s’assurer du respect des principes de légalité et au besoin de sauvegarder certains impératifs d’intérêt national ».291 C’est sur ces mécanismes qu’il convient désormais de s’interroger. 287 SAVY Robert, « Réformer le Sénat et le principe de « non tutelle » », art. cit., p.137. Institut de la Décentralisation, Contribution aux Etats généraux de la Démocratie territoriale, mars 2012, p.3. Disponible sur le site democratie-territoriale.fr. 289 GORGE Anne-Sophie, Le principe d’égalité entre collectivités territoriales, op. cit., p.380. 290 CAILLOSSE Jacques, Les « mises en scène » juridiques de la décentralisation. Sur la question du territoire en droit public français, op. cit., p.36. 291 AUBY Jean-Bernard, AUBY Jean-François, NOGUELLOU Rozen, Droit des collectivités locales, op. cit., p.335. 288 - 101 - §2. Une persistance de tutelles fortement encadrées 129. La doctrine a largement critiqué l’idée selon laquelle le législateur aurait supprimé toute forme de tutelle. « Il ne faut pas prendre à la lettre le discours tous azimuts du législateur sur la suppression ou l’allégement des tutelles ».292 La réalité est tout à fait différente et certaines décisions des collectivités territoriales ne sont pas aussi libres qu’il y paraît. Le rôle du juge administratif est alors primordial. Il doit veiller à ce que les tutelles qui demeurent soient conformes aux textes qui les prévoient. La tutelle n’existe désormais plus en dehors des textes qui la prévoient expressément. Il s’agit donc de démontrer que certaines tutelles demeurent encore (A), mais que le juge administratif y porte un contrôle attentif (B). A. Des tutelles toujours existantes 130. La suppression de la tutelle par les lois de l’Acte I de la décentralisation a avant tout un caractère symbolique. En effet, c’est beaucoup plus le terme de tutelle qui a disparu de la loi que les mécanismes qui en découlaient.293 Ainsi, il convient d’analyser le fait que subsistent dans la loi des mécanismes se rapprochant fortement de la tutelle (1) et que la décentralisation a créé des relations d’influences entre les collectivités qui peuvent s’apparenter à des tutelles (2). 1. Des tutelles organisées par la loi 131. Dans certains domaines, la loi prévoit encore des formes de tutelles. Ces nouvelles formes de tutelles se situent aussi bien dans les modalités de contrôle qui ont en principe supplanté la tutelle en 1982 que dans les relations organisées par la loi entre les collectivités territoriales. Il convient également de s’attarder sur les normes techniques qui font peser une forme de tutelle sur les collectivités locales. 132. Parmi les contrôles délégués à des juridictions par les lois de décentralisation des années 1980 l’un des plus importants est le contrôle budgétaire. Ce contrôle autrefois exercé par le préfet est désormais l’apanage des chambres régionales des comptes. Toutefois, il faut 292 CAILLOSSE Jacques, Les « mises en scène » juridiques de la décentralisation. Sur la question du territoire en droit public français, op. cit., p.67. 293 V. a cet effet, l’article, au titre évocateur, de S. Regourd, « La prétendue suppression de la tutelle », RA, 1982, p.613-619. - 102 - remarquer que dans certains cas, ce contrôle redevient une tutelle. Ainsi, les articles L.1612-2 et L.1612-5 du CGCT prévoient l’intervention des chambres régionales des comptes, d’une part, si le budget des collectivités territoriales n’est pas adopté à temps et, d’autre part, si celui-ci n’est pas adopté en équilibre. Dans les deux cas, la chambre régionale des comptes (CRC) peut intervenir sur saisine du représentant de l’État. La CRC a alors un rôle de proposition. Elle doit proposer un budget à la collectivité ou les corrections nécessaires pour que le budget soit adopté en équilibre. Dans le premier cas, c’est le représentant de l’État qui rend exécutoire le budget proposé par la CRC. Dans le second cas, la collectivité territoriale peut modifier son budget d’elle-même en tenant compte des remarques de la CRC, mais si ce n’est pas le cas, alors c’est le représentant de l’État qui rend le budget exécutoire. Seulement, dans les deux cas, le représentant de l’État a la faculté de s’écarter des propositions de la chambre régionale des comptes, si tel est le cas, il doit motiver sa décision. Cependant c’est bien une nouvelle forme de tutelle qui s’exerce dans ce cas puisque l’adoption du budget – acte hautement politique pour une collectivité territoriale – n’est plus le fait d’une délibération adoptée par le conseil de la collectivité mais d’une décision d’un agent de l’État. « L’intervention des chambres régionales des comptes ne correspond donc qu’à un simple détour procédural qui tend […] à conférer un caractère juridictionnel au contrôle sans y parvenir réellement puisque l’autorité administrative conserve finalement son pouvoir de substitution ».294 133. L’ancien article L.1511-2 du CGCT, issu de l’article 4 de la loi du 7 janvier 1982,295 disposait que les aides directes aux entreprises « sont attribuées par la région dans des conditions fixées par décret » et elles « peuvent être complétées par le département, les communes ou leurs groupements, lorsque l’intervention de la région n’atteint pas le plafond fixé par le décret mentionné ». Certains auteurs décèlent dans cette disposition des mécanismes de tutelle.296 En effet, la région contrôle dans ce cas la possibilité d’intervention des autres collectivités territoriales. Si l’intervention de la région, atteint le plafond des aides autorisées par l’Union européenne, les autres collectivités ne peuvent pas intervenir. Il y a donc une forme de tutelle de la région qui peut ainsi décider si les autres collectivités interviendront ou non. Ces dispositions ont aujourd’hui été profondément modifiées. D’une part, le droit européen a supprimé la distinction entre aides directes et aides indirectes. 294 REGOURD Serge, « La prétendue suppression de la tutelle », art. cit., p.619. Loi n°82-6 du 7 janvier 1982 approuvant le plan intérimaire 1982-1983, JORF, 8 janvier 1982, p.222. 296 V. not. AUBY Jean-François, « La décentralisation fait-elle naître de nouvelles tutelles ? », art. cit. 295 - 103 - D’autre part, la loi du 13 août 2004, en réécrivant l’article L.1511-1 du CGCT a fait de la région le chef de file en matière d’aide aux entreprises.297 134. La loi n°82-213 du 2 mars 1982 a créé au profit du département deux possibilités de mise en place d’une tutelle de la collectivité départementale sur les communes. La première possibilité est l’article 23 de la loi, aujourd’hui codifié à l’article L.3233-1 du CGCT, qui dispose que « le département apporte aux communes qui le demandent son soutien à l’exercice de leurs compétences ». Cette assistance du département aux communes peut être un moyen pour celui-ci d’exercer un certain contrôle sur les décisions des communes. L’article 32 de la même loi,298 crée les agences départementales qui permettent aux communes de recevoir un appui technique, juridique ou financier de la part du département. Le nom même de cette agence et sa conjonction avec la disposition de l’article 23 démontrent une certaine volonté d’assurer une primauté du département sur les communes. Les communes elles-mêmes sont demandeuses de cette aide, notamment les plus petites qui ne bénéficient pas des moyens nécessaires pour s’assurer de la légalité de leurs décisions. Cependant, cette intervention du département « ne manque pas de soulever des objections de principe tenant au respect de l’autonomie de gestion et de la libre administration des collectivités locales ».299 Sous couvert d’apporter une aide technique ou juridique aux communes, les départements peuvent être tentés d’influencer les choix de celles-ci. Or une telle situation conduirait ni plus ni moins qu’à mettre en place une tutelle du département sur les communes aidées. La question se pose alors de savoir quelle serait l’analyse du Conseil constitutionnel sur cette disposition dans le cadre d’une QPC. La disposition étudiée seraitelle considérée comme contraire à l’article 72, alinéa 5 de la Constitution qui prohibe la tutelle d’une collectivité sur une autre ? La réponse n’est pas certaine car tout dépend de l’acception que le juge retiendrait de la tutelle, soit dans une conception très stricte de la tutelle, juridiquement elle n’existe pas ici, soit au contraire le juge adopte une vision qui dépasse le simple cadre juridique et alors le risque de tutelle est bien présent. 135. L’État lui-même, par l’intermédiaire de ses représentants les préfets, continue de faire peser une certaine forme de tutelle sur les collectivités territoriales. Les lois de l’Acte I de la décentralisation ont subsitué un contrôle de type juridictionnel au contrôle administratif. Le juge administratif a ainsi remplacé le préfet dans le contrôle des actes des collectivités territoriales. Cependant le préfet intervient toujours dans ce contrôle par la voie du déféré 297 Infra §356. Repris à l’article L.5511-1 du CGCT. 299 PIRON Michel, Rapport d’information sur l’équilibre territorial des pouvoirs, op. cit., p.145. 298 - 104 - préfectoral. Or ce déféré n’est pas un contrôle automatique ce qui lui aurait assuré une forme d’objectivité. Au contraire, les services préfectoraux peuvent déterminer d’accentuer ou de cibler leurs contrôles sur tel type d’acte plutôt que sur tel autre.300 Cette décision relève alors de la pure opportunité et laisse à penser que finalement certains actes qui pourraient être illégaux ne sont pas contrôlés par les services de la préfecture. « Le contrôle du juge dépend en définitive avant tout des priorités de l’État, de l’enjeu des affaires et la nature des relations avec les élus, qui sont appréciés discretionnairement par le préfet ».301 A cette forme d’opportunisme dans le choix des actes contrôlés, il faut ajouter un paradoxe du contrôle effectué par le préfet sur les actes des collectivités territoriales. Le recours juridictionnel peut être précédé d’un recours gracieux qui permet alors d’enclencher une discussion entre le préfet et les collectivités territoriales. Il y a alors une forme de tutelle puisque le préfet peut conduire une collectivité territoriale à modifier sa décision, notamment dans les communes les plus petites qui n’ont pas les services juridiques nécessaires pour pouvoir assurer ce dialogue d’égal à égal. Dans ces petites communes, le préfet représentant de l’État peut d’une certaine manière faire peur. « Dans le cadre de cette phase de dialogue préalable, le préfet dispose d’un pouvoir d’influence incontestable ».302 Au contraire, pour les collectivités plus importantes – et plus fortunées – le contrôle de l’administration préfectorale est parfois considéré comme secondaire, comme moins pertinent. Ainsi, dans un rapport sénatorial peut-on lire que « si le déféré ne doit pas constituer l’aboutissement systématique de toute intervention préfectorale au titre du contrôle de légalité, il importe que les services préfectoraux gardent une certaine crédibilité en la matière. L’argumentation des services préfectoraux n’est souvent plus de taille face aux plaidoyers des avocats des collectivités territoriales ». 303 Le fantôme de la tutelle n’est donc jamais loin dans cette lutte que se livrent l’administration préfectorale et les collectivités territoriales. 300 Circulaire du 17 janvier 2006 relative à la modernisation du contrôle de légalité, non publiée au JORF, disponible sur le site du Ministère de l’Intérieur. « Cette stratégie prendra la forme d’un programme annuel de contrôle établissant des critères de priorité et déterminant les catégories d’actes les plus sensibles faisant l’objet d’un contrôle plus approfondi ». Dans le même sens, circulaire du 25 janvier 2012, Définition nationale des actes prioritaires en matière de contrôle de légalité, non publiée au JORF, disponible sur le site du Ministère de l’Intérieur. « Il vous appartient d’effectuer un contrôle qui soit adapté au contexte local et notamment de détecter les risques particuliers liés soit aux caractéristiques de votre département, soit à ses différents acteurs ». Il y est donc clairement conseillé aux préfets d’organiser les contrôles de légalité dans leur département en se fondant sur l’opportunité de contrôler tel ou tel acte. 301 JANICOT Laetitia, « La tutelle de l’État sur les collectivités territoriales trente ans après la loi du 2 mars 1982 », AJDA, 2012, p.756. 302 Ibid., 303 MÉZARD Jacques, Rapport d’information sur les contrôles de l’État sur les collectivités territoriales, Sénat, n°300, 2012, p.44. - 105 - 136. Une autre forme de règles implique une tutelle sur les collectivités territoriales, ce sont les normes techniques. Ces normes techniques sont des dispositions qui visent à « déterminer les caractéristiques d’une marchandise, telles que les niveaux de qualité ou de propriété d’emploi, la sécurité, les dimensions, y compris les prescriptions applicables aux produits en ce qui concerne la terminologie, les symboles, les essais et méthodes d’essais, l’emballage, le marquage et l’étiquetage ».304 Ces normes peuvent être d’origine privée, elles sont alors le fait d’organismes privés et portent le nom de normes Afnor305, normes CEN306, ou encore normes ISO.307 Les normes techniques issues de ces organismes sont d’application volontaire. Les normes peuvent aussi être réglementaires et avoir un caractère obligatoire si elles ont été reprises dans un texte normatif. Dès lors ces normes peuvent aussi s’appliquer en certains domaines aux collectivités territoriales. Ainsi le choix d’une aire de jeux pour les enfants, d’un équipement de transport en commun ou encore la réalisation de certains travaux publics sont soumis au respect d’un certain nombre de normes qui contraignent d’autant la liberté de choix des collectivités territoriales. Il y a alors là une façon très insidieuse pour les services de l’État de rétablir une certaine tutelle sur les collectivités territoriales en se basant sur des interprétations plus ou moins strictes, « tour à tour simpliste[s] ou alambiquée[s] »308 de ces normes techniques. Les collectivités se sentent également mises sous tutelle par l’intervention de ces normes du fait que celles-ci sont élaborés sans leur participation. « Traditionnellement auteurs des normes et proches des autres producteurs publics, notamment du fait du cumul des mandats, elles se sentent devenir progressivement sujets et objets de normes élaborées par des acteurs privés ».309 Elles subissent des normes qu’elles n’ont pas désiré. En cela, la multiplication des normes techniques peut s’apparenter à une nouvelle forme de tutelle sur les collectivités territoriales. L’Acte I de la décentralisation n’a donc pas supprimé la tutelle. La loi a conservé des mécanismes qui, s’ils ne portent pas le nom de tutelle, s’en approchent dans leur tenants et aboutissants. Toutefois, il existe des exemples encore plus pernicieux. Dans le cadre des relations qui se nouent entre les collectivités décentralisées, il y a des pouvoirs d’influence qui peuvent s’apparenter là aussi à de la tutelle. 304 TAMBOU Olivia, « Les collectivités locales face aux normes techniques », AJDA, 2000, p.206. Association française de normalisation. 306 Comité européen de normalisation. 307 Organisation internationale de normalisation. 308 BOUYSSOU Fernand, « Le retour des tutelles techniques », RFDA, 1999, p.591. 309 TAMBOU Olivia, « Les collectivités locales face aux normes techniques », art. cit., p.207. 305 - 106 - 2. Des luttes d’influence nouvelle forme de tutelle ? 137. Il est nécessaire de constater l’échec de la politique des blocs de compétences. « Certains secteurs transversaux, tels que l’aménagement du territoire ou la politique de la ville, voire de plus en plus la promotion du développement durable, appellent l’intervention de plusieurs collectivités et rendent, dès lors, indispensable la pratique des financements croisés ».310 Les collectivités territoriales sont le plus souvent amenées à collaborer entre elles pour exercer les compétences décentralisées. Dès lors, « dans la mesure où l’exercice collectif des compétences décentralisées est de pratique normale, il paraît peu réaliste d’éliminer, fûtce au nom de l’interdiction de toute tutelle, le moindre phénomène d’influence entre collectivités qui finirait par empêcher leur collaboration et se retournerait contre leur libre administration ».311 Dès lors qu’il y a collaboration et donc codécision, un des acteurs peut prendre l’ascendant sur les autres et chercher à imposer sa volonté. En effet, lorsque plusieurs personnes publiques cherchent à se mettre d’accord sur une question, la discussion doit pouvoir être close à un moment donné. Seulement, il n’est pas certain qu’un consensus soit toujours trouvé. Or un défaut de compromis peut-il justifier l’inaction de ces personnes publiques ? Il est alors nécessaire pour sortir de cette impasse qu’une des collectivités territoriales impose une décision aux autres. Chaque collectivité a intérêt à être la collectivité qui arrête la décision, celle-ci aura alors plus de chances d’être conforme à son souhait. Ces luttes d’influence sont constitutives de tutelles, toutefois il est irréaliste de vouloir les supprimer. D’une part ces mécanismes d’influence empruntent des canaux qui ne sont pas juridiques et l’interdiction de la tutelle, qu’elle soit législative ou constitutionnelle, ne peut contrer leur existence. D’autre part, la notion d’action commune suppose qu’à un moment donné l’un des acteurs ait la capacité de suspendre la discussion et d’arrêter une décision. La collectivité chef de file correspond parfaitement à l’exercice de ce rôle. Mais alors elle est bien en contradiction avec l’interdiction de la tutelle puisqu’elle dispose d’un pouvoir supplémentaire par rapport aux autres collectivités dans le cadre de leur action commune. Pour nous, la mise en œuvre de la collectivité chef de file suppose que celle-ci puisse exercer une forme de tutelle sur les autres collectivités qui suivent la file. L’action commune suppose que le chef de file décide à un moment donné de trancher la discussion et de prendre les décisions nécessaires à la mise en œuvre de la compétence ou du projet. 310 311 PIRON Michel, Rapport d’information sur l’équilibre territorial des pouvoirs, op. cit., p.43. FAURE Bertrand, Droit des collectivités territoriales, op. cit., p.483. - 107 - 138. Dans les relations entre collectivités territoriales, il y a des risques de tutelles indirectes. C’est le cas notamment à travers toutes les conventions que peuvent passer les collectivités territoriales entre elles. Il y a là un risque important de tutelle, ou au minimum un pouvoir d’influence. En effet, les éléments juridiques qui permettent de qualifier une situation de tutelle ne sont pas toujours présents, mais il existe d’autres moyens de pression d’une collectivité sur une autre. La tutelle en question ressemblerait plus à « une capacité d’orientation d’une collectivité par une autre par la pression que cette dernière peut exercer sur la précédente ».312 Or cela pose la question d’une hiérarchisation des collectivités territoriales. 139. Les collectivités les plus importantes, que ce soit du fait de leur « poids économique, démographique voire politique (au travers de la notoriété des dirigeants ou des réseaux qui sont les leurs) »,313 peuvent influencer les décisions prises par les collectivités plus petites. Il n’y a pas à proprement parler tutelle puisqu’il n’y a pas de contrôle. Cependant, l’influence que peut avoir une collectivité territoriale importante sur une autre plus petite est bien réelle. Ce pouvoir d’influence peut s’apparenter à la tutelle, car il va inciter les collectivités les moins puissantes à prendre la décision conseillée par l’entité supérieure. Ainsi de la région sur certains départements, de ces mêmes départements sur certaines petites communes rurales, dans les établissements publics de coopération intercommunale de la ville centre sur les autres membres de l’EPCI. Il y a un véritable pouvoir d’influence puisque les plus petites collectivités territoriales ont souvent besoin des concours financiers des collectivités plus importantes. Il y a là une véritable « relation de dépendance »314 qui peut s’apparenter à une tutelle. En effet, qu’en est-il de la libre administration des collectivités territoriales à partir du moment où certaines ne peuvent pas se passer de l’intervention d’une collectivité supérieure pour mettre en œuvre un projet. Il est certain qu’on ne rencontre pas toujours dans ces différents mécanismes les éléments juridiques nécessaires pour qualifier ces situations de tutelles. Il ne s’agirait alors que d’une simple question de vocabulaire. En effet, « peut-être conviendrait-il mieux de parler de moyens de pression ? Mais ne sont-il pas mis en œuvre en vue d’un contrôle ? ».315 La question n’est pas aussi simple qu’il y paraît. Il faut relever que tous les auteurs ne sont pas d’accord et considèrent que ces relations ne font pas naître de nouvelles tutelles. En effet, il n’y a pas nécessairement les éléments juridiques « pour pouvoir 312 TESOKA Laurent, Les rapports entre catégories de collectivités territoriales, op. cit, p.246. KARPENSCHIF Michaël, « Les supports normatifs », in CAUDAL Sylvie et ROBBE François (dir.), Les relations entre collectivités territoriales, Paris, L’Harmattan, coll. Logiques juridiques, 2005, p.102-103. 314 SAVY Robert, « Réformer le Sénat et le principe de « non tutelle » », art. cit., p.136. 315 FOURNIÉ François, La décentralisation dans l’œuvre de Maurice Hauriou, op. cit, p.255. 313 - 108 - qualifier en toute rigueur de tutelle »316 ces relations entre collectivités territoriales. Le fait de qualifier ces relations de tutélaire serait même pour L. Tésoka dangereux à terme puisque « la notion de tutelle s’y trouve finalement vidée de ses caractéristiques principales ».317 Le rôle du juge administratif est alors d’autant plus important qu’il doit veiller à l’harmonie de sa jurisprudence sur la tutelle, en censurant si nécessaire les errements de certains juges du fond. La tutelle entre collectivités territoriales, malgré son interdiction dans les textes législatifs, existe toujours bien. Afin que ces cas d’influence ne se transforment pas en de véritables cas de tutelle, il est nécessaire de s’en remettre aux contrôles du juge constitutionnel et du juge administratif. En effet, nous avons déjà évoqué que la différence entre l’influence et la tutelle peut parfois être ténue. Le rôle du juge administratif est alors d’autant plus important qu’il doit déterminer si les cas qui se présentent devant lui sont ou non des relations de tutelles. B. Un contrôle attentif des juges administratif et constitutionnel 140. Le rôle du juge administratif est d’autant plus important en matière de tutelle que la définition de celle-ci, ses « spécificités sont établies par une jurisprudence ferme et constante ».318 Le juge administratif doit rechercher les éléments qui permettent de qualifier ou non la situation de tutelle. Le rôle du juge administratif, notamment le Conseil d'État, est alors fondamental. Celui-ci se doit d’unifier la jurisprudence. Il faut en effet relever une tendance des juges du premier degré à suivre les idées émises par la doctrine qui appellent tutelle toutes les situations de relations entre collectivités territoriales. Il arrive donc que les juges du premier degré qualifient de tutelle des situations qui ne le sont pas. Or ce faisant, ces juges fragilisent le régime juridique de la tutelle dégagé par le Conseil d'État dans sa jurisprudence. 141. C’est exactement ce qui s’est passé dans l’affaire jugée par le Conseil d'État, en 2003, département des Landes.319 Par une délibération, le conseil général des Landes avait décidé de modifier son taux de subvention aux communes et aux EPCI pour des travaux relatifs au réseau de distribution d’eau potable. Cette délibération prévoyait de majorer de 5 points l’aide accordée si le réseau était exploité en régie ou au contraire de la diminuer de 5 points si le 316 TESOKA Laurent, Les rapports entre catégories de collectivités territoriales, op. cit., p.239. Ibid., p.245. 318 Ibid., p.249. 319 CE, 12 décembre 2003, Département des Landes, précit.. 317 - 109 - réseau était soumis à un affermage. Il y a donc une modulation de la subvention en fonction du mode de gestion du réseau d’eau potable qui laisse entendre la faveur du conseil général pour un mode de gestion. La décision de moduler ce taux de subvention n’était pas le fruit du hasard. En effet, divers rapports avaient alors mis en lumière le fait que le prix de l’eau dans le département des Landes connaissait de fortes variations en fonction du mode de gestion du réseau d’eau. L’objectif du conseil général, à travers cette subvention, était de faciliter le choix des collectivités territoriales. Le conseil général des Landes faisait ainsi clairement un choix politique en faveur d’un mode de gestion en particulier. Le préfet des Landes a saisi le tribunal administratif de Pau de cette délibération, lequel a considéré que celle-ci organisait bien une tutelle du département sur les communes. La cour administrative d'appel de Bordeaux a confirmé ce jugement à son tour. Dès lors, le département des Landes s’est pourvu en cassation. Il s’agit en effet de savoir si la modulation de la subvention décidée par le Conseil général est génératrice d’une tutelle. Il s’agit ainsi de mettre un point final aux errements sur la qualification de tutelle. Le Conseil d'État a cassé l’arrêt de la Cour d'appel de Bordeaux. Il estime en effet que si la modulation du taux de subvention avait pour effet d’inciter les communes à opter pour la régie, le conseil général « n’a pas subordonné l’attribution de ces aides à une procédure d’autorisation ou de contrôle ». Dès lors que ces caractéristiques ne sont pas présentes, autorisation ou contrôle, la relation ne peut pas être qualifiée de tutelle. Le Conseil d'État a suivi les conclusions de son commissaire du gouvernement pour qui « une incitation financière n’est pas une contrainte sauf si, par sa nature et par ses effets, elle entrave la liberté de décision des collectivités qui y sont assujetties ».320 Il y a indéniablement une incitation de la part du conseil général mais nullement une tutelle. D’ailleurs, comme le souligne également le commissaire du gouvernement dans ses conclusions, cette décision de moduler le taux de la subvention n’est qu’une variable de plus dans l’ensemble des critères qui poussent une commune à opter pour le choix de la délégation de service public ou de la gestion en régie.321 Le Conseil d'État rappelle donc dans cette décision que la tutelle implique une relation de contrôle entre deux collectivités. 320 SENERS François, « Conclusions sur l’arrêt Département des Landes », Revue juridique de l’économie publique, 2004, n°606, p.89. 321 Idem. - 110 - 142. Toutefois, le Conseil d'État a été contredit ensuite par le législateur. En effet, à l’occasion de la loi de 2006 sur l’eau322, le législateur a adopté un nouvel article L.2224-11-5 du CGCT. Cette disposition prévoyait que « les aides publiques aux communes et aux groupements de collectivités territoriales compétents en matière d’eau potable ou d’assainissement ne peuvent être modulées en fonction du mode de gestion du service ». Le législateur, qui renverse ainsi la jurisprudence du Conseil d'État, prend lui aussi une définition politique en faveur du libre choix des communes ou de leurs groupements. Le règlement du conseil général des Landes prévoyant toujours une modulation de la subvention en fonction du choix de mode de gestion, il fut attaqué. C’est à cette occasion que le département a soulevé une QPC. La question fut transmise au Conseil constitutionnel qui s’est prononcé dans une décision du 8 juillet 2011.323 Le Conseil a considéré dans cette décision « que cette interdiction de moduler les subventions, selon le mode de gestion du service d’eau potable et d’assainissement, restreint la libre administration des départements au point de méconnaître les articles 72 et 72-2 de la Constitution ».324 Il est intéressant de voir que le Conseil constitutionnel ne se prononce pas tant sur la tutelle ici que sur la libre administration. En effet, s’il vise dans sa décision l’article 72, il ne fait référence qu’au principe de libre administration contenu dans cet article et non à celui d’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre. « La libre administration du département des Landes prime ainsi sur celle des autres collectivités, sans être constitutive d’une tutelle sur ces dernières ».325 Le juge constitutionnel semble donc avoir à son tour une conception stricte de la tutelle, se fondant sur des éléments juridiques de contrôle de la décision d’une collectivité par une autre, éléments qui ne sont pas présents en l’espèce. 143. Si le contrôle du juge administratif est attentif, il fait aussi preuve de pragmatisme. 326 Une conception trop extensive de l’interdiction de la tutelle aurait conduit à empêcher nombre de relations entre les collectivités territoriales de se mettre en place. « Le fait que le Conseil d'État a eu une interprétation assez souple de l’interdiction de la tutelle […] s’explique par le 322 Loi n°2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques, JORF, 31 décembre 2006, p.20285. 323 CC, n°2011-146 QPC du 8 juillet 2011, Département des Landes, précit. ; PAULIAT, JCP-A, 2011, n°35, p.25-28. 324 cons. 5 325 VERPEAUX Michel, « Quand le Conseil constitutionnel veille au respect de la libre administration des collectivités territoriales », note, AJDA, 2011, p.2070. 326 DONNAT Francis, CASAS Didier, « Dans quelles limites et conditions une collectivité territoriale peut-elle subventionner les projets d’une autre ? », Chron., AJDA, 2004, p.195-198. - 111 - fait qu’une interprétation restrictive aurait bloqué l’action publique ».327 Tous les auteurs ne sont cependant pas d’accord avec la décision du Conseil d'État considérant que celui-ci aurait méconnu « la réalité, et aussi l’esprit des textes, qui interdisent l’instauration d’une tutelle d’une collectivité décentralisée sur une autre ».328 Certains estiment même qu’à travers cette décision le juge administratif a ouvert « la boîte de Pandore de l’interventionnisme financier des grandes collectivités locales sur les plus petites ».329 En effet, la décentralisation par blocs de compétences a échoué et l’action commune est devenue un phénomène normal de l’action locale. Les co-décisions et les co-financements sont des situations courantes dans le cadre des compétences décentralisées. Or une interprétation trop stricte de l’interdiction de la tutelle empêcherait l’existence de telles relations. « C’est pourquoi la jurisprudence opte pour une interprétation souple du principe qui ne saurait interdire toute contrainte de fait relevant notamment de mécanismes d’incitation ou de dissuasion ».330 Cette jurisprudence marque le souci du juge administratif de ne pas bloquer l’action de l’administration locale. Ainsi, en laissant œuvrer des relations d’incitation d’une collectivité sur une autre, le juge administratif démontre son réalisme. L’enchevêtrement des compétences est tel en matière de décentralisation que si le Conseil d'État censurait tous les financements entre collectivités, comme constitutifs de tutelles, nombre de projets n’aboutiraient jamais. Les financements croisés sont consubstantiels à notre décentralisation. S’ils étaient considérés comme une tutelle et donc interdits, l’arrêt des financements croisés conduirait à mettre à mal la décentralisation, puisque de nombreuses collectivités territoriales n’auraient pas les moyens d’assurer les compétences transférées à elles seules. Le juge n’a peut être pas dans ce cas de figure respecté l’esprit de la loi de 1983 qui interdisait la tutelle, mais il l’a fait pour permettre un meilleur développement de la décentralisation. Cette conception réaliste convenait tout à fait à la désignation d’un chef de file, qui sans imposer de tutelle, aurait disposé des pouvoirs nécessaires pour mener à bien sa mission. L’inscription constitutionnelle de l’interdiction de la tutelle risque de remettre en cause cette jurisprudence. La présentation de la collectivité chef de file comme une simple exception au 327 CAUDAL Sylvie, « Rapport introductif », in CAUDAL Sylvie et ROBBE François (dir.), Les relations entre collectivités territoriales, op. cit., p.16. 328 ROUAULT Marie-Christine, « De la marge étroite entre pouvoir d’incitation et pouvoir de tutelle entre collectivités territoriales », note, JCP-A, 2004, n°21, p.733. 329 DELELIS Philippe, « Tutelle d’une collectivité sur une autre », note, Contrats et marchés publics, 2004, n°3, p.23. 330 FAURE Bertrand, Droit des collectivités territoriales, op. cit., p.483. - 112 - principe d’interdiction de la tutelle est selon nous un moyen de rendre inefficace cette avancée constitutionnelle. - 113 - Section 2. Une prohibition constitutionnelle inutile et dangereuse 144. L’interdiction de la tutelle était déjà respectée avant la révision constitutionnelle de 2003. Il s’agit donc de s’interroger sur l’intérêt de cette inscription dans la Constitution. Cette interrogation se justifie d’un double point de vue. Non seulement l’interdiction de la tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre avait déjà été consacrée au niveau constitutionnel par les Sages de la rue Montpensier, mais cette nouvelle disposition est beaucoup trop contraignante face à la possibilité de nommer une collectivité chef de file. En effet, « le rappel de ce principe apparaît plutôt comme un effet de contraste – donc de limitation – avec la reconnaissance de la notion de chef de file ».331 L’adjonction de l’interdiction de la tutelle à l’article 72, alinéa 5 de la Constitution, est le fait des sénateurs qui craignaient en réalité que « l’Acte II » de la décentralisation ne se fasse au bénéfice des régions et au détriment des départements. Les sénateurs ont alors introduit cette modification. Or l’interdiction de la tutelle semble en totale contradiction avec la possibilité de désigner une collectivité chef de file. Il s’agit donc d’étudier les différentes étapes de la constitutionnalisation de l’interdiction de la tutelle (§1) puis d’analyser la contradiction entre l’interdiction de la tutelle et le mécanisme de collectivité chef de file (§2). §1. La constitutionnalisation de l’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre 145. La constitutionnalisation de l’interdiction de la tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre est le fruit d’une lente maturation. C’est le juge constitutionnel qui a travers différentes décisions offre une première consécration au principe. Cependant, cette inscription jurisprudentielle a une faiblesse, c’est son fondement. L’interdiction de la tutelle n’étant pas inscrite dans la Constitution, le Conseil constitutionnel l’intègre dans un autre principe. C’est en partie pour remédier à cette absence de fondement incontestable que le constituant à inscrit l’interdiction de la tutelle à l’article 72, alinéa 5 de notre norme fondamentale. Cette constitutionnalisation semble être importante pour les parlementaires puisqu’on retrouve 331 LUCHAIRE Yves, « La révision constitutionnelle dans la stratégie de réforme », Annuaire des collectivités locales, 2004, p.40. - 114 - l’idée dans deux propositions de lois constitutionnelles antérieures.332 Le Président du Sénat dans son discours à l’issue de la première lecture de la loi constitutionnelle cite cette constitutionnalisation « au titre des avancées obtenues ».333 L’inscription de l’interdiction de la tutelle au niveau constitutionnel s’est donc faite en deux temps. Elle est d’abord l’œuvre de la jurisprudence (A) puis celle du constituant – sous l’impulsion des sénateurs – lors de la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 (B). A. Une inscription jurisprudentielle satisfaisante Le Conseil constitutionnel s’était déjà prononcé à plusieurs reprises sur l’interdiction de la tutelle (1), notamment dans sa décision de janvier 1995 sur la loi d’orientation pour l’aménagement du territoire334 et dans sa décision de 2002 relative à la Corse.335 Cependant, avant la révision constitutionnelle de 2003, notre norme fondamentale ne faisait aucune référence à l’interdiction de la tutelle. Il convient donc de s’interroger sur les fondements retenus par le Conseil constitutionnel pour assurer son interdiction (2). 1. Un rappel régulier de l’interdiction de la tutelle 146. Dans la première décision l’interdiction de la tutelle n’est pas directement évoquée, mais c’est elle qui justifie la censure de la disposition relative au chef de file. Cette loi, prenant acte de l’irréalisme des blocs de compétences, proposait de revenir dans une loi ultérieure sur cette répartition des compétences pour désigner notamment des chefs de file dans certains domaines. Cette même disposition prévoyait qu’en attendant l’adoption de cette future loi – qui n’est en fait jamais intervenue – les collectivités territoriales pourraient désigner, par convention, entre elles, une collectivité chef de file. 336 C’est cette seconde partie de la disposition qui fut censurée par le Conseil constitutionnel. Il est possible de considérer 332 Proposition de loi constitutionnelle relative à la libre administration des collectivités territoriales, n°402, Sénat, 2001-2002, présentée par Christian Poncelet ; Proposition de loi constitutionnelle relative à l’exercice des libertés locales, n°249, Assemblée nationale, 2002, présentée par Hervé Morin. 333 PONCELET Christian, Sénat, JORF Débats, 7 novembre 2002, p.3523. 334 CC, n°94-358 DC du 26 janvier 1995, loi d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire, précit. ; ROUSSEAU, RFAP, 1995, p.876-883. 335 CC, n°2001-454 DC du 17 janvier 2002, loi relative à la Corse, précit. ; SCHOETTL, AJDA, 2002, p.100105. 336 Art. 65, censuré, : « I. La répartition des compétences entre l’État et les collectivités territoriales sera clarifiée dans le cadre d’une loi portant révision de la loi n°83-8 du 7 janvier 19833 […] II. Elle définira également les conditions dans lesquelles une collectivité pourra assumer le rôle de chef de file pour l’exercice d’une compétence ou d’un groupe de compétences relevant de plusieurs collectivités territoriales. » - 115 - qu’en censurant cette disposition, le juge constitutionnel a protégé l’interdiction de la tutelle entre collectivités territoriales. Celui-ci « en reprochant au législateur de ne pas définir les pouvoirs et les responsabilités afférents à la fonction de chef de file, sanctionne, en réalité, le non-respect du principe de non-tutelle ».337 Dans le dispositif censuré, c’est par convention entre les collectivités qu’aurait été désignée la collectivité chef de file. Or, il y a bien là un risque de tutelle puisqu’au moment de signer cette convention il y a une hiérarchie qui peut se créer entre les différentes collectivités territoriales.338 Ainsi derrière la censure du dispositif pour incompétence négative du législateur, le Conseil constitutionnel aurait également protégé la règle de l’interdiction de la tutelle. 147. La seconde décision est quant à elle explicite puisque se reportant aux compétences accordées à la collectivité territoriale de Corse, le Conseil constitutionnel estime qu’aucune disposition « n’établit de tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre ».339 Les sénateurs, auteurs de la saisine, contestaient le transfert d’un nombre important de compétences à la collectivité territoriale de Corse. Ils estimaient que ces dispositions portaient atteinte à un certain nombre de principes constitutionnels, notamment ceux contenus aux articles 20, 21, 34 et 72 de la Constitution. Les articles 34 et 72 font tous deux référence à la notion de libre administration. Le juge constitutionnel va rejeter cette argumentation. Il estime, en effet, que ces transferts de compétences seront mis en œuvre « dans le respect des règles et principes de valeur constitutionnelle ».340 Or parmi ces règles et principes à respecter le Conseil constitutionnel fait référence à l’interdiction pour une collectivité territoriale d’établir une tutelle sur une autre collectivité. Cependant, avant 2003, aucune disposition constitutionnelle ne faisait référence à la tutelle. Le Conseil constitutionnel fait référence à cette notion comme à un principe constitutionnel. C’est à travers l’interprétation retenue du principe de libre administration que le juge constitutionnel détermine l’existence d’un principe constitutionnel d’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre. Il convient alors de s’interroger sur le fondement retenu par le Conseil constitutionnel pour hisser au rang constitutionnel l’interdiction de la tutelle. 337 GORGE Anne-Sophie, Le principe d’égalité entre collectivités territoriales, op. cit., p.461. V. not. DREYFUS Jean-David, Contribution à une théorie générale des contrats entre personnes publiques, op. cit., p.217. 339 CC, n°2001-454 DC du 17 janvier 2002, loi relative à la Corse, précit., cons. 29 340 Idem. 338 - 116 - 2. Les fondements retenus par le Conseil constitutionnel 148. Dans ces différentes décisions le Conseil constitutionnel sanctionne toute mise en place d’une forme de tutelle. L’interdiction de la tutelle a pour fondement d’après le Conseil constitutionnel le principe de libre administration qui lui est bien inscrit dans la Constitution. En effet, le Conseil constitutionnel, dans sa décision de 2002 notamment, considère que les transferts de compétences ne portent pas atteinte aux principes fondamentaux de la libre administration des collectivités locales et, également, que ces transferts ne méconnaissent pas « les compétences propres des communes et des départements ».341 Or cette expression de « compétences propres » est assimilable, pour certains auteurs, à celle de libre administration.342 Le Conseil constitutionnel fonde sa décision sur l’article 72 de la Constitution, qui avant la révision de 2003, ne comporte pas de disposition relative à l’interdiction de la tutelle, mais fait référence au principe de libre administration. Le lien entre libre administration et interdiction de la tutelle est aisément compréhensible. 149. Le principe de libre administration suppose que les collectivités territoriales disposent d’un certain nombre d’attributions, de compétences propres qu’elles peuvent exercer librement. Cela fait partie des éléments qui composent ce principe de libre administration et qui ont été reconnus par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.343 Pour le Conseil constitutionnel, le législateur peut moduler les compétences d’une collectivité territoriale, cependant il ne peut pas aller au-delà d’un certain seuil qui conduirait une collectivité à n’exercer effectivement plus aucune attribution. Or si une collectivité met en place une tutelle sur une autre collectivité, elle porte atteinte au principe de libre administration de celle-ci. L’existence d’un contrôle d’une collectivité sur une autre suppose que celle-ci ne dispose plus de la capacité d’exercer ses compétences librement, comme elle le souhaite. Cette collectivité ne dispose plus alors de compétences effectives, puisque l’exercice de celles-ci est lié au contrôle de la collectivité tutrice. L’existence d’une tutelle est donc contraire au principe de libre administration. Sans être explicitement mentionnée dans la Constitution cette interdiction trouve un fondement suffisant dans l’article 72 de la Constitution. Le principe de 341 Idem. JANICOT Laetitia, « Réflexions sur la notion de compétences propres appliquée aux collectivités territoriales en droit français », AJDA, 2004, p.1574-1583. 343 V. not. CC, n°84-174 DC du 25 juillet 1984, Loi relative aux compétences des régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion, JORF, 28 juillet 1984, p.2493, cons. 5 ; CC, n°91-290 DC du 9 mai 1991, Loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse, JORF, 14 mai 1991, p.6350, cons. 32 342 - 117 - libre administration de l’article 72 est un principe gigogne.344 A ce titre, ce principe est un réceptacle pour l’interdiction de la tutelle, celle-ci y trouvant un fondement suffisant et intelligible. Le Conseil constitutionnel disposait déjà des outils juridiques nécessaires pour prévenir tout risque de tutelle. Il s’assurait que cette interdiction de la tutelle était bien respectée en mettant en œuvre les dispositions constitutionnelles relatives à la libre administration. Dès lors, selon nous, l’inscription du principe d’interdiction de la tutelle, dans le texte constitutionnel en 2003, était inutile. Lors de la discussion au Parlement pour la révision constitutionnelle tant le gouvernement que les parlementaires confirment bien que l’interdiction de la tutelle était déjà reconnue par la jurisprudence du Conseil constitutionnel,345 ce qui interroge donc encore plus sur les raisons de cette constitutionnalisation. Le Conseil constitutionnel interdisait déjà au législateur de mettre en place une tutelle d’une collectivité sur une autre. Cela était contraire au principe de libre administration. En effet, si une collectivité impose sa tutelle à une autre collectivité, alors la seconde ne dispose plus des moyens effectifs d’exercer des compétences. Il n’y alors plus de libre administration. Or ce principe de libre administration est une liberté fondamentale pour les collectivités territoriales. Dès lors que l’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre est inscrite dans la Constitution, quelles évolutions cela va-t-il impliquer ? B. Une inscription imposée à l’article 72, alinéa 5 de la Constitution L’interdiction de la tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre avait déjà acquis rang constitutionnel par l’intermédiaire de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Cette disposition ne faisait pas partie du projet de loi constitutionnelle présenté par le Gouvernement. Ce sont les sénateurs qui l’ont ajoutée. Il convient alors de se demander pourquoi la Chambre Haute, et tous les parlementaires en général, ont tenu à adjoindre cette disposition (1) et d’en analyser les conséquences (2). 344 FAVOREU Louis, ROUX André, « La libre administration des collectivités territoriales est-elle une liberté fondamentale ? », Les Cahiers du Conseil constitutionnel, 2002, n°12, p.92. 345 V. par ex. l’intervention de Dominique Perben, alors Garde des sceaux, devant le Sénat, JORF Débats, 30 octobre 2002, p.3218. - 118 - 1. Les raisons de la constitutionnalisation 150. Le premier membre de phrase de l’article 72, alinéa 5 de la Constitution dispose désormais qu’« aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre ». En cas d’action commune, une collectivité ne peut donc pas imposer sa décision à une autre. Clairement, le constituant rejette ainsi toute possibilité d’une hiérarchisation entre les collectivités territoriales. En interdisant la tutelle d’une collectivité sur une autre, le constituant rappelle que toutes les collectivités territoriales sont égales entre elles – même si cette égalité est purement formelle comme nous l’avons déjà évoqué. En renforçant cette égalité par l’interdiction de la tutelle, la Constitution empêche toute montée en puissance d’un niveau de collectivité par rapport aux deux autres. Ce faisant, la France ne peut pas, pour le moment, suivre le modèle de nombre de ses voisins européens qui privilégient et renforcent un niveau particulier d’administration infraétatique, le plus souvent le niveau régional. 151. Cette disposition a été ajoutée par la Commission des lois du Sénat. Le gouvernement ne s’est pas opposé à son introduction lors du débat et elle fut donc adoptée. En fait, cette disposition révèle plutôt une crainte de certains élus locaux – représentés par les sénateurs – que la désignation d’un chef de file ne conduise à la mise en place de tutelles. L’Assemblée nationale ne remettra pas en cause cette disposition, malgré quelques voix qui s’y opposaient346, et le texte sera donc définitivement adopté ainsi. Pour le président du Sénat, il s’agit là d’une nouveauté d’importance puisqu’il la cite au moment de son discours de clôture de la discussion sur le texte. Nous pensons au contraire que cette introduction n’était pas justifiée. Non seulement l’interdiction de la tutelle était déjà écrite dans les textes législatifs, mais le juge administratif en faisait une application réaliste. La constitutionnalisation de cette interdiction n’apporte donc rien à un état du droit déjà satisfaisant. « Il s’agit davantage de l’aménagement juridique d’un état de fait que d’une véritable innovation, sauf que l’indication de l’absence d’une tutelle exercée par une collectivité territoriale sur une autre préoccupait beaucoup les petites collectivités territoriales qui ont insisté pour que cette précision fût inscrite ».347 La constitutionnalisation de l’interdiction de la tutelle donne l’impression que les parlementaires ont cédé à la pression de certains élus locaux qui avaient peur de ce nouveau mécanisme du chef de file. Ces élus craignaient en effet que la 346 « Certes, ce principe est approuvé par tous mais l’inscrire dans la Constitution me paraît, en l’occurrence, tout à fait injustifié » propos tenus par le député Emile Zuccarelli, Assemblée nationale, JORF Débats, 23 novembre 2002, p.5595. 347 LAVROFF Dmitri Georges, « La révision de la Constitution : la décentralisation facteur d’approfondissement de la démocratie », in LAVROFF Dmitri Georges, La République décentralisée, Paris, L’Harmattan, 2003, p.332. - 119 - désignation d’une collectivité chef de file ne conduise celle-ci à imposer sa tutelle sur les autres collectivités de la file. Ainsi lors des assises des libertés locales, « les élus des communes moyennes et petites expriment les plus extrêmes réserves sur le principe et les conséquences de l’existence d’une collectivité chef de file. Lucides, ils savent et disent qu’ils seront dans la file et refusent le risque de remplacement d’une tutelle nationale par une tutelle qu’ils imaginent surtout régionale ».348 Peur tout à fait compréhensible puisque par définition un chef est une personne placée à la tête d’un groupe et qui le dirige. Cependant, la collectivité chef de file si elle organise effectivement l’action commune, n’est pas non plus un chef tout puissant. Peut-être conviendrait-il mieux de rapprocher la collectivité chef de file du chef de patrouille scout qui, s’il dirige son groupe, veille aussi au « bon développement et [à] la bonne progression de ses scouts ».349 Le rôle du chef de file est un peu similaire. Il doit aider, dans le cadre de l’action commune, chaque collectivité qui lui est associée, à exercer ses compétences. Les parlementaires ont cru à l’instauration d’une tutelle d’une collectivité sur une autre. Cette peur était notamment partagée par les élus départementaux qui craignent de voir en l’Acte II de la décentralisation la consécration de la région comme collectivité hiérarchiquement supérieure, à travers le mécanisme du chef de file. Or rien n’impose nécessairement que ce soit la collectivité géographiquement supérieure qui soit consacrée à chaque fois comme chef de file. Ainsi, un département peut très bien être le chef de file et bénéficier d’une certaine prééminence sur la région. C’est notamment le cas en matière d’action sociale.350 Dès lors le gouvernement, dont l’objectif était la constitutionnalisation de la notion de collectivité chef de file, a du céder à « la pression exercée par certains groupes d’élus locaux qui craignaient l’augmentation du pouvoir des régions ».351 Il y a lieu dès lors de remettre en cause l’intérêt de cette disposition puisqu’elle semble être issue de pressions, de peurs d’élus locaux. 152. Les autres Etats européens qui nous entourent s’inscrivent dans un mouvement similaire au mouvement français en interdisant la tutelle sur les collectivités territoriales au profit d’un contrôle de légalité situé a posteriori. Ainsi, on peut observer « la disparition de la tutelle de l’État central et, d’une manière générale, celle des collectivités supérieures sur les 348 MARZELLIER Christiane, Décentralisation Acte II. Chronique des libertés locales, op. cit., p.53. Définition du chef de patrouille, http://fr.scoutwiki.org. 350 Infra §283. 351 AUBY Jean-Bernard, AUBY Jean-François, NOGUELLOU Rozen, Droit des collectivités locales, op. cit., p.25. 349 - 120 - collectivités inférieures ».352 Dans le cadre de son évolution vers un État régional, l’Espagne a inscrit dans sa Constitution l’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre. L’article 137 de la Constitution espagnole dispose en effet que les collectivités locales « jouissent de l’autonomie pour gérer leurs intérêts propres ». Dès lors chaque niveau de collectivité étant autonome, aucun ne peut se prévaloir d’être hiérarchiquement supérieur à l’autre. La loi tire ensuite les conséquences de cette affirmation en rendant exécutoire immédiatement les actes des collectivités territoriales. Toutefois, seules l’Allemagne et l’Espagne ne prévoient pas l’existence d’un contrôle de légalité dans leur norme fondamentale. La plupart des autres Etats européens après avoir consacré l’autonomie de gestion des collectivités territoriales ont « souvent tempéré [cette reconnaissance] par la constitutionnalisation parallèle du contrôle de leurs actes ».353 Ce contrôle lorsqu’il est mis en place se limite bien évidemment à un contrôle de légalité, situé après l’adoption de la décision. Les contrôles a priori sur les actes des collectivités territoriales sont aujourd’hui très limités et les contrôles d’opportunité sont quant à eux quasiment inexistants. A cet égard, c’est la Constitution portugaise qui est la plus claire. En effet, son article 242 dispose que « la tutelle administrative sur les collectivités locales consiste en une vérification que les collectivités observent la loi ». Ainsi tout contrôle qui s’apparenterait à un contrôle d’opportunité sur les actes des collectivités infraétatiques, au Portugal, s’avérerait être contraire à la Constitution. La Constitution française contient donc une disposition interdisant la tutelle d’une collectivité sur une autre. Il convient toutefois de s’interroger sur les évolutions, notamment de la jurisprudence constitutionnelle, que va engendrer cette nouvelle disposition. 2. Les conséquences de cette constitutionnalisation 153. En inscrivant l’interdiction de la tutelle dans le texte fondamental, le constituant a mis fin aux incertitudes jurisprudentielles quant au fondement de cette interdiction. L’interdiction de la tutelle dispose désormais d’un fondement constitutionnel propre et indépendant. D’une part, l’interdiction de la tutelle est désormais textuellement inscrite dans la Constitution. Désormais, le Conseil constitutionnel n’aura pas à utiliser le principe gigogne de 352 LEVALLOIS Bernard, « L’évolution du contrôle des collectivités locales en Europe », Administration, 2002, n°193, p.30. 353 FONDRAZ Ludovic, « Le contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales. Approche comparatiste », RA, 1999, n°307, p.56. - 121 - libre administration pour y trouver celui d’interdiction de la tutelle. Le juge constitutionnel dispose désormais de l’article 72, alinéa 5, pour censurer expressément toute loi qui conduirait à la mise en place d’une tutelle d’une collectivité sur une autre. « Ce faisant, cette inscription sans équivoque dans le texte fondamental lui donne définitivement un fondement juridique de rang constitutionnel, et non des moindres, puisqu’il s’agit de la matrice première du bloc de constitutionnalité ».354 Il s’est d’ailleurs déjà approprié cette nouvelle disposition à plusieurs reprises.355 Cependant, comme nous l’avons évoqué, dans le cadre de son contrôle a posteriori le Conseil constitutionnel semble encore se référer au principe de libre administration.356 D’autre part, cette inscription se fait dans une disposition indépendante de celle relative à la libre administration des collectivités territoriales. Il faut relever que le constituant n’a pas suivi le juge constitutionnel. Celui-ci estimait que l’interdiction de la tutelle provenait du principe de libre administration. Or en 2003, le constituant n’a pas inscrit cette interdiction à l’alinéa 3 de l’article 72, relatif au principe de libre administration. Le principe d’interdiction de la tutelle entre collectivités territoriales non seulement dispose d’un fondement propre, mais également autonome par rapport à la jurisprudence antérieure du Conseil constitutionnel. « Cette révision constitutionnelle met définitivement fin aux incertitudes antérieures et met un terme aux différentes tentatives, tant doctrinales que jurisprudentielles, pour trouver un fondement constitutionnel précis à cette règle ».357 Ce fondement constitutionnel précis existe désormais à l’article 72, alinéa 5 de la Constitution. 154. La Constitution dispose désormais que la tutelle est interdite, mais il n’y a pas de précisions supplémentaires quant à ce qu’il faut entendre par cette tutelle. En effet, « il n’existe pas de définition constitutionnelle de la tutelle ».358 Le constituant n’a pas pris le soin de préciser quelles situations pouvaient être entendues comme des tutelles. La disposition constitutionnelle ne vise pas telle ou telle technique spécifique de tutelle. Elle vise toute relation de contrôle d’une collectivité sur une autre. La volonté du constituant est donc de rendre impossible toute hiérarchisation entre les collectivités territoriales. Le système 354 TESOKA Laurent, Les rapports entre catégories de collectivités territoriales, op. cit., p.218. V. not. CC, n°2004-490 DC du 12 février 2004, Loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française, JORF, 2 mars 2004, p.4220, cons. 61 ; CC, n°2007-559 DC du 6 décembre 2007, Loi organique tendant à renforcer la stabilité des institutions et la transparence de la vie politique en Polynésie française, JORF, 8 décembre 2007, p.19905, cons. 9. 356 CC, n°2011-146 QPC du 8 juillet 2011, Département des Landes, précit. ; PAULIAT, JCP-A, 2011, n°35, p.25-28. 357 TESOKA Laurent, Les rapports entre catégories de collectivités territoriales, op. cit., p.219. 358 VERPEAUX Michel, « Les principes constitutionnels », in CAUDAL Sylvie et ROBBE François (dir.), Les relations entre collectivités territoriales, op. cit., p.67. 355 - 122 - précédent de la seule inscription jurisprudentielle était plus intéressant car il permettait une certaine adaptation à chaque situation. C’est désormais au Conseil constitutionnel de se saisir de cette disposition et d’en faire application dans ses décisions. Reste cependant à savoir « si la Haute juridiction retiendra la même interprétation que le Conseil d'État ».359 Le risque de cette inscription constitutionnelle est que le juge en fasse une application trop rigoureuse qui condamne l’utilisation de la collectivité chef de file. Non seulement cette inscription au sein de la Constitution est inutile, mais elle nous semble également dangereuse. « La conjugaison de cette disposition avec la notion de collectivité chef de file peut s’avérer problématique ».360 En effet, elle comporte une contradiction fondamentale avec la notion de chef de file, qui conduit à rendre ce nouveau mécanisme quasi inopérant. Sans aller jusqu’à la mise en place d’une tutelle, la collectivité chef de file fait naître des relations de dépendance entre collectivités, relations qui ne sont pas forcément juridiques. Cependant toute relation de dépendance étant interdite, la collectivité chef de file n’a alors que peu d’intérêt. §2. L’interdiction de la tutelle et le mécanisme de la collectivité chef de file, une contradiction évidente La rédaction retenue pour l’article 72, alinéa 5 de la Constitution, laisse à penser que la désignation d’une collectivité chef de file est simplement une exception au principe d’interdiction de la tutelle (A). Toutefois reléguer la notion de chef de file au rang de simple exception à un principe limite son intérêt (B). A. La conjonction problématique entre les deux éléments de l’article 72, alinéa 5 de la Constitution 155. Le principe de l’interdiction de la tutelle ne figurait pas au projet du gouvernement. Ce sont les parlementaires qui ont ajouté cette disposition en tête de l’article 72, alinéa 5. Il est donc nécessaire d’articuler les deux concepts qui sont contradictoires. Le premier principe interdit à toute collectivité de prendre le contrôle sur une autre, alors que le second autorise 359 CAUDAL Sylvie, « Rapport introductif », in CAUDAL Sylvie et ROBBE François (dir.), Les relations entre collectivités territoriales, op. cit., p.16. 360 BRISSON Jean-François, « Les nouvelles clefs constitutionnelles de répartition matérielle des compétences entre l’État et les collectivités locales », art. cit., p.537. - 123 - une collectivité à organiser l’action commune à plusieurs collectivités. La conjonction de ces deux dispositions fait que la collectivité chef de file devra décider du déroulement de l’action commune, mais sans pouvoir imposer son point de vue, sous peine de mettre en place une tutelle sur les autres collectivités. Or force est de constater que la confrontation entre l’interdiction de la tutelle et la notion de chef de file « ne fait qu’ajouter à la confusion sans clarifier le débat ».361 Cette articulation se fait à travers l’adverbe « cependant ». L’utilisation de cet adverbe marque une opposition entre les deux éléments qui l’encadrent, par exemple, un principe et une exception. « En droit l’adverbe cependant manifeste clairement une dérogation, une exception ».362 C’est donc bien que la collectivité chef de file n’est qu’une exception au principe d’interdiction de la tutelle. 156. « Curieusement les parlementaires, bien qu’à l’origine d’une telle rédaction, ont en général réfuté »363 l’opposition entre les deux notions. Lors de la discussion, les parlementaires et le gouvernement ont cherché à limiter cette opposition entre les deux membres de phrases. Les différents intervenants ont même expliqué qu’il n’y avait aucune opposition entre les deux phrases de l’article et que l’insertion du « cependant » ne visait qu’à lier les deux phrases. Pour justifier cette rédaction, le secrétaire d’État aux collectivités territoriales affirme lors du débat parlementaire que le chef de file ne peut être qu’ « un cas forcément exceptionnel ».364 Un rapport du Sénat relève quant à lui que l’introduction dans la Constitution de la notion de chef de file « n’a pas eu pour effet de remettre en cause le principe de l’interdiction des tutelles ».365 C’est donc bien que la collectivité chef de file n’est qu’une simple exception au principe d’interdiction de la tutelle. Elle n’a pas vocation à se généraliser mais doit demeurer au contraire circonscrite. L’objectif du constituant semble être d’empêcher toute hiérarchisation entre collectivités territoriales dans le cadre de leur action commune. Le constituant a recherché « un équilibre des forces »366 entre les collectivités territoriales. Or, comme en matière d’égalité, c’est à une forme d’équilibre formel que le constituant est parvenu. Aucune collectivité ne peut être placée sous la dépendance d’une autre, mais en même temps aucune collectivité chef de file ne pourra remplir son rôle de chef 361 PEYRONNET Jean-Claude, Sénat, JORF Débats, 30 octobre 2002, p.3226. TESOKA Laurent, Les rapports entre catégories de collectivités territoriales, op. cit., p.291. 363 CAUDAL Sylvie, « Rapport introductif », in CAUDAL Sylvie et ROBBE François (dir.), Les relations entre collectivités territoriales, op. cit., p.23. 364 DEVEDJIAN Patrick, Sénat, JORF Débats, 6 novembre 2002, p.3421. 365 GOURAULT Jacqueline, KRATINGER Yves, Rapport d’information sur la réorganisation territoriale (rapport d’étape), Sénat, n°264, 2009, p.83. 366 TESOKA Laurent, Les rapports entre catégories de collectivités territoriales, op. cit., p.385. 362 - 124 - sans un minimum de pouvoir sur les autres collectivités territoriales. Pour certains auteurs cependant, « le respect du principe de non-tutelle et de la fonction de collectivité chef de file est simultanément possible, en proscrivant l’exercice d’un pouvoir juridique de contrainte, le principe de non-tutelle ne récuse pas la fonction de collectivité chef de file ; il en limite simplement la nature et les effets ».367 Or cette limitation de la nature et des effets de la collectivité chef de file n’est pas si anodine que cela pour nous. En effet, en empêchant la collectivité chef de file d’être un véritable chef de l’action commune, le principe d’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre vide complètement de sa substance la fonction de chef de file, d’autant plus qu’aucune collectivité ne se risquera à vouloir imposer sa volonté. En effet, « les collectivités récalcitrantes à la nomination d’un chef de file pourraient être tentées de s’y opposer en invoquant […] l’interdiction constitutionnelle de la tutelle d’une collectivité sur les autres ».368 Aucune collectivité ne se risquera à entrer en conflit avec d’autres collectivités. L’intérêt du chef de file est alors limité. De notre point de vue, la notion de collectivité chef de file a, au contraire vocation à se généraliser, pour répondre au problème des compétences croisées. La collectivité chef de file « répond à un impératif pragmatique »369 de clarification des compétences. Seulement, en l’accolant à l’interdiction de la tutelle entre collectivités territoriales, le constituant en a peut être détruit tout l’intérêt. Les deux éléments de l’article 72, alinéa 5 de la Constitution sont bien en opposition. Non seulement ils sont en opposition, mais la rédaction choisie démontre clairement que ce qui devait être une nouveauté constitutionnelle d’importance se retrouve rétrogradée au rang de simple exception. Or cela compromet l’intérêt du recours à cette nouveauté. B. L’intérêt restreint du recours à une dérogation Le législateur ne peut donc plus que recourir à une exception à un principe, c'est-à-dire qu’il ne peut pas agir n’importe comment. Il doit se conformer aux possibilités ouvertes par le texte constitutionnel (1). Seulement le contenu du texte constitutionnel est assez pauvre sur ce point et laisse place à diverses interprétations que seuls le législateur et le Conseil constitutionnel pourront confirmer ou infirmer (2). 367 GORGE Anne-Sophie, Le principe d’égalité entre collectivités territoriales, op. cit., p.467. KARPENSCHIF Michaël, « Les supports normatifs », in CAUDAL Sylvie et ROBBE François (dir.), Les relations entre collectivités territoriales, op. cit., p.96. 369 PIRON Michel, Rapport d’information sur l’équilibre territorial des pouvoirs, op. cit., p.44. 368 - 125 - 1. Une hiérarchisation impossible entre collectivités territoriales 157. Les parlementaires ont rappelé à plusieurs reprises370 que le rôle du chef de file « se limitera à l’organisation des modalités, à l’animation et à la coordination des actions communes ».371 Pour L. Tesoka l’articulation entre l’interdiction de la tutelle et la collectivité chef de file est possible. En effet, en s’en tenant à une interprétation stricte de la disposition constitutionnelle, et au vu de l’esprit de la disposition, les relations qui vont naître entre le chef de file et les autres collectivités ne sont pas des relations de tutelle. Le rôle du chef de file étant d’organiser les modalités de l’action commune, son action se situe avant la prise de décision. « Autrement dit, il n’exerce nullement une action de contrôle qui est par définition ex post ».372 158. Cette lecture, si elle est la plus conforme à l’esprit et à la lettre du texte constitutionnel, ne permet pas de développer toutes les potentialités offertes par la notion de collectivité chef de file. Au contraire, pour nous, la collectivité chef de file doit pouvoir être amenée à jouer un véritable rôle de chef à un moment donné dans le processus décisionnel. Or l’exercice complet de ce rôle passe par la prise de décision. Le chef de file doit pouvoir prendre une décision qui devra être suivie par les autres collectivités associées à l’action commune. Pour cela, il doit pouvoir non seulement organiser les modalités de l’action commune, mais arrêter, décider, de cette action commune à un moment donné. Dès lors, le chef de file devrait avoir « dans son domaine, sur les autres collectivités un pouvoir allant audelà de la tutelle ».373 Cette lecture, qui serait selon nous plus apte à répondre au problème des compétences croisées, nécessite cependant l’abandon de la règle interdisant la tutelle d’une collectivité sur une autre. En effet, la collectivité chef de file ne doit pas seulement pouvoir organiser les modalités de l’action commune, elle doit pouvoir exercer une véritable « tutelle juridique au sens strict, c'est-à-dire assortie le cas échéant d’un pouvoir de contrainte ».374 Cette tutelle, exceptionnelle, s’exercerait sous le contrôle du juge constitutionnel. 370 V. not. GOURAULT Jacqueline, KRATINGER Yves, Rapport d’information sur la réorganisation territoriale (rapport d’étape), op. cit., p.90. 371 GARREC René, Rapport sur le projet de loi constitutionnelle et les propositions de lois constitutionnelles relatives à l’organisation décentralisée de la République, op. cit., p.112. 372 TESOKA Laurent, Les rapports entre catégories de collectivités territoriales, op. cit., p.292. 373 SAVY Robert, « Réformer le Sénat et le principe de « non tutelle » », art. cit., p.138. 374 TURPIN Dominique, « Les nouvelles compétences des régions », art. cit., p.1651. - 126 - 159. Les pouvoirs de la collectivité chef de file sont donc automatiquement limités puisque celle-ci ne peut à aucun moment prendre une décision à la place d’une autre collectivité. D’ailleurs dès l’adoption de la loi constitutionnelle les pouvoirs du chef de file ont été diminués. D’après le projet de loi constitutionnelle, la collectivité chef de file aurait dû disposer du pouvoir de fixer les modalités de l’action commune. Or sous l’influence du Sénat, ce pouvoir de fixation s’est transformé en simple capacité à organiser les modalités de l’action commune. Dès la constitutionnalisation même de cette notion, les parlementaires se méfiaient de ce nouveau mécanisme. Dès lors, la collectivité désignée chef de file dispose de moyens limités. Dans le projet initial, la collectivité chef de file pouvait fixer les modalités de l’action commune, c'est-à-dire qu’elle disposait d’un pouvoir de décision relatif à l’action commune. Elle aurait pu déterminer le déroulement de l’action commune. Au contraire, si elle n’a plus que la possibilité d’organiser cette action commune, c’est que son rôle se limite à une tâche administrative de préparation en amont de l’action commune. Cela aura alors nécessairement des conséquences sur les moyens d’action dont dispose le chef de file.375 Dans l’esprit de la disposition constitutionnelle, la collectivité chef de file dispose de moyens d’intervention limités. Les parlementaires, en adjoignant à la notion de chef de file l’interdiction de la tutelle, ont rappelé leur attachement à l’égalité entre les collectivités territoriales. Ce faisant, toute possibilité de hiérarchisation entre les collectivités est écartée. Cependant, la formulation de l’article 72, alinéa 5 de la Constitution peut laisser place à des interprétations plus favorables à la notion de chef de file. En effet à la simple lecture de la disposition, on ne peut pas savoir si la loi doit se contenter d’organiser les modalités de l’action commune ou si « l’habilitation législative déroge à l’interdiction de la tutelle ».376 Le Conseil constitutionnel ne va cependant pas suivre cette possibilité, en faisant une analyse très stricte des pouvoirs du chef de file. 375 Infra §163. MARCOU Gérard, « Décentralisation : quelle théorie de l’État ? », Annuaire des collectivités locales, 2004, p.247. 376 - 127 - 2. L’interprétation retenue par le Conseil constitutionnel 160. Le Conseil constitutionnel confirme cette lecture restrictive dans une décision de juillet 2008 relative aux contrats de partenariat.377 La loi déférée modifiait l’article L.1414-1 du CGCT qui définit les contrats de partenariat. La définition proposée par le texte de loi disposait notamment que « lorsque la réalisation d’un projet relève simultanément de la compétence de plusieurs personnes publiques, ces dernières peuvent désigner par convention celle d’entre elles qui réalisera l’évaluation préalable, conduira la procédure de passation, signera le contrat et, éventuellement, en suivra l’exécution. Cette convention précise les conditions de ce transfert de compétences et en fixe le terme ». Cette disposition revient ni plus ni moins qu’à accorder un rôle de chef de file à l’une des collectivités partie au contrat de partenariat. En effet, pour nous, c’est là le véritable rôle de la collectivité chef de file que de pouvoir réaliser entièrement le suivi de l’action commune et prendre les décisions nécessaires à sa mise en œuvre. Dans le cadre de ces contrats de partenariats, c’était organiser l’appel d’offre, se charger des procédures de passation et de signature du contrat. On retrouvait là peu ou prou les missions du chef de file telles qu’on peut les rencontrer dans le cadre d’un consortium d’entreprise.378 Le chef de file doit pouvoir agir comme un maître d’œuvre. Une seule collectivité prend les décisions nécessaires à la mise en œuvre de l’action commune. Cependant, elle n’exerce pas pour autant une tutelle sur les autres collectivités puisque cellesci ont accepté de transférer leur compétence en la matière à la collectivité chef de file lors de leur adhésion à la convention. Pour le Gouvernement, « la loi déférée autorise celle des collectivités territoriales désignée par la convention à organiser les modalités […] selon lesquelles leur projet commun fait l’objet d’un contrat de partenariat, en fonction des prévisions de la convention à laquelle la loi prescrit de préciser les conditions de ce groupement de compétences et d’en fixer le terme ».379 Ainsi, pour le Gouvernement, le législateur s’est contenté d’user de la fonction de chef de file dans le cadre de ce groupement de partenariat, groupement contractuel entre collectivités territoriales. C’est cette adhésion qui est critiquée par les députés requérants. Ceux-ci estiment que la passation d’une convention, pour transférer des compétences d’une collectivité vers une autre qui sera chef de file, est génératrice d’inégalité entre les collectivités territoriales. 377 CC, n°2008-567 DC du 24 juillet 2008, Loi relative aux contrats de partenariat, JORF, 29 juillet 2008, p.12151 ; MOUANNÈS, LPA, 2008, n°158, p.11-23. 378 Supra §27. 379 Observations du Gouvernement sur la saisine du Conseil constitutionnel. Disponible avec le dossier documentaire de la décision sur le site Internet du Conseil constitutionnel. - 128 - Le juge constitutionnel use de l’article 72, alinéa 5. Il estime que cette disposition autorise le législateur « à désigner une collectivité territoriale pour organiser et non déterminer les modalités de l’action commune de plusieurs collectivités ».380 En effet le législateur n’a pas respecté l’étendue de ses pouvoirs d’après le Conseil constitutionnel en autorisant la collectivité chef de file à signer un contrat pour le compte de toutes les collectivités parties à l’action commune. Pour le Conseil constitutionnel, la loi ainsi rédigée « confèr[e] un pouvoir de décision pour déterminer cette action commune » à la collectivité chef de file. Dès lors la loi a méconnu l’article 72, alinéa 5 de la Constitution qui autorise seulement le chef de file à organiser les modalités de l’action commune. Cependant, le Conseil constitutionnel ne censure pas tout le dispositif, mais uniquement la partie qui autorise la collectivité chef de file à signer les contrats pour le compte des autres collectivités. « La position adoptée par le Conseil constitutionnel reflète une profonde réticence à l’égard des procédés contractuels lorsqu’ils sont utilisés entre collectivités territoriales pour aménager librement leurs compétences, alors que sa jurisprudence s’est montrée très favorable à leur développement entre l’État et les collectivités territoriales ».381 On le voit donc à travers cette décision, le Conseil constitutionnel adopte une lecture stricte des dispositions de l’article 72, alinéa 5 de la Constitution. Il faut également relever que le Conseil constitutionnel n’utilise pas dans cette décision l’expression de chef de file. Faut-il y voir une méfiance des juges de la Rue Montpensier face à cette notion ? En tout état de cause, cette analyse, adoptée par le Conseil constitutionnel, semble mettre en difficulté le recours à la fonction de chef de file. Cette lecture est d’autant plus dommageable que la loi du 13 août 2004382 – mise en œuvre législative de l’Acte II de la décentralisation - montre que « les caractéristiques permettant d’identifier le pouvoir de tutelle entre collectivités ne sont pas présentes entre la collectivité chef de file et les autres collectivités ».383 En effet, cette loi contenait un certain nombre de dispositions faisant de la collectivité départementale ou de la collectivité régionale les chefs de file de certains domaines d’action commune.384 Or cette loi a fait l’objet d’un 380 CC, n°2008-567 DC du 24 juillet 2008, Loi relative aux contrats de partenariat, précit., cons. 32. MARCOU Gérard, « L’action commune des collectivités territoriales selon le Conseil constitutionnel : organiser n’est pas déterminer », in Terres du droit. Mélanges en l’honneur de Yves Jégouzo, op. cit., p.238. 382 Loi n°2004-809 du 13 août 2004, Loi relative aux libertés et responsabilités locales, précit. 383 GELIN-RACINOUX Laurence, « La fonction de chef de file dans la loi du 13 août 2004 », art. cit., p.285. 384 Infra §277. 381 - 129 - contrôle par le Conseil constitutionnel,385 où aucune inconstitutionnalité n’a été relevée quant aux dispositions qui portaient sur les chefs de file. 385 CC, n°2004-503 DC 12 août 2004, loi relative aux libertés et responsabilités locales, JORF, 17 août 2004, p.14648 ; SCHOETTL, LPA, 2004, n°174, p.3-13. - 130 - Conclusion Chapitre 2 161. « Objet » constitutionnel incongru l’interdiction de la tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre est une disposition qui n’a pas sa place en l’état dans notre Constitution. En effet, l’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre pose un problème de définition. Le membre de phrase ajouté par les sénateurs est bien trop laconique selon nous. La tutelle peut être comprise de plusieurs façons. Soit stricto sensu ou de manière très juridique la tutelle est avérée lorsqu’il y a un pouvoir de substitution d’une décision d’une collectivité territoriale à une autre. Soit de manière plus extensive sont également considérées comme des tutelles, les relations qui conduisent une collectivité à inciter une autre dans sa prise de décision. La rédaction de l’article 72, alinéa 5 ne permet pas de répondre à cette question. Le juge constitutionnel semble lui-même hésiter. Dès lors, il nous semble que cette difficulté ne peut trouver qu’une seule voie de résolution : la suppression pure et simple de la première phrase de l’article 72, alinéa 5 de la Constitution. De plus, l’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre participe d’une mythologie éculée affirmant l’égalité entre collectivités territoriales. Or il est nécessaire là aussi de prendre en compte la réalité des faits. Le monde juridique ne peut pas totalement s’extraire de cette réalité et imposer une égalité formelle à des collectivités qui démographiquement ou économiquement ne sont absolument pas égales. Il est nécessaire dès lors d’autoriser les collectivités à avoir des relations dissymétriques entre elles. « Notre culture politique a privilégié l’uniformité, comme condition nécessaire de l’unité et de l’égalité. Le moment est peut-être venu d’admettre que la reconnaissance des différences peut, au contraire, consolider l’unité nationale ».386 Ce point de vue n’impose pas nécessairement de considérer un niveau particulier comme étant prépondérant, mais doit pouvoir permettre un exercice plus cohérent des compétences et par la même occasion une pleine application de la libre administration. Alors qu’elle avait pour but de protéger la libre administration des collectivités territoriales, l’interdiction de la tutelle entre collectivités territoriales démontre seulement l’irréalisme de nos représentants face à l’exercice enchevêtré des compétences. Au final, en adoptant une rédaction de l’article 72, alinéa 5 qui fait cohabiter à la fois l’interdiction de la tutelle et fonction de chef de file, le constituant ne s’est pas mis au service des collectivités 386 SAVY Robert, « Réflexion sur la gouvernance territoriale », in Les mutations contemporaines du droit public. Mélanges en l’honneur de Benoît Jeanneau, Paris, Dalloz, 2002, p.613. - 131 - territoriales. De ce point de vue l’Acte II de la décentralisation ne ressemble plus alors qu’à une pièce trop vite jouée. La solution pour dépasser ce blocage passe au minimum par une évolution de la seconde phrase de l’article 72, alinéa 5 de la Constitution. Il faudrait permettre à la collectivité chef de file non seulement d’organiser l’action commune, mais réellement de fixer les modalités de l’action commune. Cette solution, a minima, laisserait la collectivité chef de file être une exception à l’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre, mais une exception efficace et utile pour l’exercice des compétences partagées. - 132 - Conclusion Titre 1er 162. Entourée « d’objets constitutionnels mal identifiés », la fonction de chef de file s’inscrit dans un ensemble juridique encore incertain. Le cadre constitutionnel de la fonction de chef de file manque de précision et semble pouvoir être sujet à de nombreuses interprétations. L’intégration même de la fonction dans la Constitution peut être interrogée. Toutefois, maintenant qu’elle y est inscrite elle doit devenir selon nous un automatisme pour le législateur. En effet, il nous semble que l’intérêt de la constitutionnalisation de cette fonction est de faire l’objet d’un usage automatique dès lors que le législateur se trouve en présence d’une compétence enchevêtrée. Il s’agit donc d’institutionnaliser, de pleinement consacrer l’action commune entre collectivités territoriales. La Constitution ne permet pas de comprendre parfaitement le fonctionnement du chef de file. Si elle nous instruit sur son objectif, organiser l’action commune, et sur le cadre où cette action se déroule, l’interdiction d’établir une tutelle, elle ne nous informe pas sur les moyens dont dispose la collectivité chef de file pour remplir cette fonction. C’est cette question qu’il va nous falloir aborder à présent. - 133 - - 134 - Titre 2 Les moyens de régulation de l’action commune par la collectivité chef de file 163. La fonction de la collectivité chef de file est d’organiser les modalités de l’action commune avec les autres collectivités territoriales. En effet, il faut s’accorder sur le fait que « depuis la décentralisation administrative, l’exécution des services publics est devenue souvent le résultat d’une coadministration ».387 Elle doit pouvoir disposer pour cela d’un certain nombre de moyens d’actions juridiques pour coordonner l’action commune. Cependant, ces moyens sont nécessairement limités puisque, comme nous l’avons analysé précédemment, la collectivité chef de file ne peut pas imposer de tutelle sur les autres collectivités parties à l’action commune. La hiérarchisation entre les différents échelons de collectivités territoriales est constitutionnellement impossible. Dès lors, le chef de file ne peut pas adopter une décision qui s’imposerait à toutes les collectivités de la file. « Un dilemme se trouve posé par la coadministration : soit l’imbroglio incompréhensible et auto-bloquant, soit le partenariat qui permet d’avancer ensemble, ce sont les deux voies ouvertes devant ce nouveau mode d’administration ».388 Le chef de file doit donc organiser les modalités de l’action commune sans porter atteinte à la libre administration de chaque collectivité. La collectivité chef de file dispose pour cela de moyens « forts divers. Le législateur renvoie par exemple à des conventions, sauf compétence de la collectivité chef de file, pour adopter unilatéralement un schéma »389 d’organisation coordonnant l’action commune. La collectivité chef de file doit donc déterminer les outils adéquats à mettre en œuvre pour réaliser pleinement sa fonction. Il s’agit donc de s’interroger sur la manière dont le chef de file peut organiser les modalités de l’action commune sans mettre en place une tutelle sur les autres collectivités. Quelles sont les modalités d’action à disposition de la collectivité chef de file ? Il s’agit de comprendre comment s’effectue la régulation de l’action commune. 387 HAURIOU Maurice, Précis de droit administratif et de droit public, op. cit., p.68. BERNARD Paul, « La co-administration une pratique nécessaire, ou la révélation d’une mutation administrative », RA, 1995, n°284, p.191. 389 CAUDAL Sylvie, « Rapport introductif », in CAUDAL Sylvie et ROBBE François (dir.), Les relations entre collectivités territoriales, op. cit., p.25. 388 - 135 - 164. L’action administrative emprunte deux modes d’action, soit l’acte unilatéral soit le contrat. Ce sont là de manière traditionnelle les deux moyens d’action de l’administration. Ainsi, la collectivité chef de file doit organiser les modalités de l’action commune grâce à des moyens d’action empruntés à ces deux méthodes. La régulation de l’action commune est nécessaire. Face à l’enchevêtrement des compétences, la désignation d’un chef de file doit permettre en principe d’assurer cette tâche de régulation. « La figure du régulateur se présente de la manière suivante. Elle suppose la distinction au sein d’un ensemble – dont le fonctionnement harmonieux ne peut être que la résultante de forces complexes – de deux ou plusieurs entités, entre lesquelles l’articulation n’est ni naturelle ni spontanée, et donc l’ajustement dépend de l’entremise d’un instrument spécifique qui coordonne des actions initialement étrangères l’une à l’autre. Le régulateur occupe donc une position charnière ou d’interface entre deux structures dont il s’agit de concilier les logiques de fonctionnement ».390 Le chef de file doit alors rechercher les moyens juridiques qu’il peut mettre en œuvre pour assurer son rôle. Il utilise les moyens traditionnels de l’action administrative pour assurer la cohérence des décisions des collectivités parties à l’action commune. Il peut donc organiser les modalités de l’action commune soit en ayant recours à l’acte administratif unilatéral, soit au contrat. Cependant, le recours à l’acte administratif unilatéral peut rapidement se heurter au risque de la tutelle d’une collectivité sur une autre. L’intérêt de recourir à ce mode d’action est donc limité, mais toutefois pas nul. Il semble en effet plus intéressant pour la collectivité chef de file d’avoir recours à des procédés contractuels, cela est d’autant plus facile que la contractualisation des relations entre les collectivités est aujourd’hui largement répandue. Adoptant une vision classique de l’action administrative, il conviendra d’abord d’analyser les moyens d’action unilatérale de la collectivité chef de file (Chapitre 1er) puis d’étudier la contractualisation des relations entre le chef de file et les autres collectivités (Chapitre 2). 390 AUTIN Jean-Louis, « Réflexions sur l’usage de la régulation en droit public », in MIAILLE Michel (dir.), La régulation entre droit et politique, Paris, L’Harmattan, coll. Logiques juridiques, 1995, p.53. - 136 - Chapitre 1er Les risques du recours à l’acte unilatéral par la collectivité chef de file 165. L’acte administratif unilatéral est le moyen d’action privilégié de l’administration. C’est un moyen pour l’administration de « manifeste[r] unilatéralement sa volonté de commander ».391 Il y a là l’essence même de l’acte administratif unilatéral, à savoir que c’est un acte adopté par l’administration et qui a pour but d’ordonner ou d’interdire un comportement aux administrés ou aux autres administrations. L’acte administratif unilatéral « est destiné à régir le comportement des personnes qui sont étrangères à son édiction ».392 Ce pouvoir de commandement de l’administration est l’expression, la plus évidente, des prérogatives de puissance publique dont dispose l’administration. 166. L’action commune nécessite « une démarche concertée de prise de décision en vue de réaliser des opérations ensemble ».393 Cependant la collectivité chef de file ne peut pas agir seule par voie d’acte administratif unilatéral. Elle s’expose dans ce cas à ce que les autres collectivités territoriales parties à l’action commune ne l’accusent de mettre en place une tutelle. En effet, la jurisprudence du Conseil constitutionnel394 l’a indiqué, le chef de file ne peut pas adopter des décisions qui engageraient les autres collectivités. Le rôle de la collectivité chef de file doit se limiter à la régulation de l’action commune, elle ne peut à aucun moment imposer sa décision aux autres collectivités. Dès lors, la collectivité chef de file doit trouver le moyen de prendre des décisions afin de coordonner l’action commune sans entraver la libre administration des autres collectivités. 167. Il est alors nécessaire de recourir à l’acte conjoint. En effet malgré son appellation d’acte unilatéral, l’acte administratif n’est pas nécessairement le résultat de la volonté d’une seule personne publique. L’acte administratif peut avoir plusieurs auteurs. « A la base de la distinction [entre acte administratif unilatéral et contrat administratif] se trouve donc une 391 MOREL A L’HUISSIER Pierre, « Décentralisation et tentations recentralisatrices : des politiques contractuelles à refonder (exemple des contrats État-région) », RGCT, 2001, n°19,p. 998. 392 CHAPUS René, Droit administratif général, T.1, Paris, Montchrestien, coll. Domat droit public, 15e ed., 2001, p.492. 393 BERNARD Paul, « La co-administration une pratique nécessaire, ou la révélation d’une mutation administrative », art. cit., p.189. 394 CC, n°2008-567 DC du 24 juillet 2008 loi relative aux contrats de partenariats, précit. Supra §160. - 137 - notion qui n’est nullement quantitative, qui est donc qualitative, c’est celle de côté, camp, partie ».395 L’administration peut intervenir par voie d’acte administratif unilatéral dans le cadre d’une action commune. Dans ce cas, les autres collectivités parties à l’action commune seront les coauteurs de l’acte. Il y a alors une concertation nécessaire afin que l’ensemble des collectivités s’accorde sur une seule et même décision. Cette nécessité de recourir à la concertation est un élément qui illustre l’importance de la régulation. Dès lors, pour certains auteurs « la pluralité des participants à l’élaboration de l’acte unilatéral a […] une portée pratique incontestable dans la mesure où elle améliore le fonctionnement de l’administration ».396 Si l’action administrative est ainsi améliorée, c’est qu’elle est alors le fruit d’une concertation, d’une négociation, d’un consensus. Il faut quelqu’un, il faut qu’une autorité s’occupe d’organiser, de réguler cette négociation. La décision est issue d’une volonté multiple agissant unilatéralement. Cependant, le fait que plusieurs auteurs soient à l’origine d’un même acte entraîne un certain nombre de conséquences néfastes qui peuvent nuire à l’intérêt du recours au chef de file. En effet, l’existence de coauteurs pose un problème en matière de responsabilité. Toutefois la collectivité chef de file peut tout de même avoir recours à certains types d’actes unilatéraux. Il s’agit notamment des schémas d’orientation. L’adoption de ces actes est alors l’occasion pour le chef de file d’organiser une concertation avec les autres collectivités parties à l’action commune. Il peut alors y avoir une coordination des différentes actions, sans pour autant risquer de mettre en place une tutelle. Il s’agira donc dans un premier temps d’analyser la possibilité pour le chef de file d’avoir recours à la décision conjointe (Section 1). Puis dans un second temps, d’étudier les schémas d’orientation qui peuvent être adoptés par les collectivités (Section 2). 395 EISENMANN Charles, Cours de droit administratif, T.2, Paris, LGDJ, 1983, p.689. BELRHALI Hafida, Les coauteurs en droit administratif, Paris, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit public, 2003, p.62. 396 - 138 - Section 1. La décision conjointe, outil limité de l’action commune entre collectivités territoriales Dans le cadre de l’action commune, les collectivités territoriales peuvent tout à fait avoir recours à l’acte administratif unilatéral. Si cet acte ne peut être arrêté par la seule collectivité chef de file au risque de mettre en place une nouvelle tutelle, rien n’empêche les différentes collectivités prenant part à l’action commune d’arrêter ensemble une décision. On parlera alors de décision conjointe. Il convient tout d’abord d’analyser cette notion de décision conjointe (§1) avant d’en exposer la possible utilisation par la collectivité chef de file (§2). §1. Le recours à la décision conjointe, manifestation de l’action commune Il s’agira de définir dans un premier temps la décision conjointe (A) puis d’en analyser les manifestations (B). A. Définition de la décision conjointe 168. Le Conseil d'État a défini la décision conjointe comme celle « adoptée en termes identiques par une pluralité d’auteurs ».397 Avant cet avis de 1993, la doctrine avait déjà mis en lumière, à partir de la jurisprudence du Conseil d'État, cette notion de décision conjointe. Geneviève Koubi, consacrant un article à cette notion, la défini comme « le produit spontané d’une jonction de déclarations parallèles ».398 Pour réaliser cette analyse, elle se base notamment sur les arrêtés municipaux conjoints en matière de police municipale pour la réglementation de la circulation. En effet, la décision conjointe apparaît notamment dans le cas où une route est limitrophe entre deux communes voisines. Le Conseil d'État considère alors que « la police de la circulation sur une voie communale dont l’axe délimite les territoires de deux communes doit être exercé en commun par les maires de ces deux communes et que la réglementation doit être édictée sous forme soit d’arrêtés concordants signés par chacun d’eux soit d’un arrêté unique signé par les deux maires ».399 Il y a bien action conjointe puisque le Conseil 397 CE, avis, 11 juin 1993, Département de Saône-et-Loire, Rec., p.169. KOUBI Geneviève, « L’acte administratif unilatéral conjoint », Revue de la recherche juridique. Droit prospectif, 1985, p.305. 399 CE, 9 mai 1980, Commune de Champagne-de-Blazac, Rec., p.221 ; note, BELLANGER, AJDA, 1981, p.103. 398 - 139 - d'État indique que la compétence doit être exercée en commun, par l’intermédiaire soit de décisions identiques adoptées par chaque autorité, soit d’une seule décision signée par toutes les autorités. La régulation de cette décision conjointe est toutefois assez simple, puisque finalement seules les décisions de deux acteurs sont à coordonner. De plus, en dernière instance dans ces affaires, c’est le Conseil d'État qui a fait office de régulateur en contraignant les communes en cause à adopter la décision conjointe nécessaire à produire l’action commune. Au travers de cette décision conjointe, il y a une action commune. Dans un pareil cas, si l’un des deux maires « agit seul, l’acte pris sera entaché d’excès de pouvoir ; plus précisément, le motif d’annulation sera une incompétence ratione loci, illégalité suffisamment rare pour qu’elle mérite d’être soulignée ».400 Ceci permet de mettre en lumière l’une des caractéristiques de la décision conjointe qui est l’égalité entre les différents coauteurs de cette décision. 169. L’adoption d’une décision conjointe – donc la participation à une action commune – suppose un accord constant entre toutes les parties coauteurs. « L’unanimité ou l’égalité est ainsi la marque de la compétence conjointe ».401 La décision conjointe doit être le fruit d’une concertation entre les différents acteurs de l’action commune. Chaque coauteur doit donner son consentement à l’acte adopté. Ils doivent tous se mettre d’accord sur le but poursuivi et l’objectif à atteindre. Il faut donc que chaque coauteur soit en accord avec la décision adoptée. Pour arrêter cette décision conjointe « les volontés opèrent un véritable dépassement d’ellesmêmes […]. Les égoïsmes disparaissent devant l’effort mené en commun. Les participants ne recherchent plus la réalisation d’un profit personnel à chacun d’eux. Les intérêts individuels sont sacrifiés à une cause qui leur est bien supérieure ».402 L’adoption d’une décision conjointe démontre alors la volonté des différentes autorités coauteurs de viser une certaine coordination de leur action. Il y a une volonté de réussite de l’action commune qui se manifeste à travers le recours à la décision conjointe. Les auteurs de cette décision « entendent réaliser par leur collaboration une œuvre commune ».403 Pour permettre à cet accord de se réaliser, il est nécessaire qu’une autorité, qu’une collectivité en particulier régule 400 MOREAU Jacques, « Le maire ne peut modifier le sens de la circulation d’une voie si ce changement décidé unilatéralement a des conséquences sur les conditions de circulation dans la commune voisine », note, JCP-A, 2004, n°29, p.998. 401 BRIANT Vincent de, L’action commune en droit des collectivités territoriales. Contribution à l’étude des compétences exercées en commun par l’État et les collectivités territoriales, Paris, L’Harmattan, coll. Logiques juridiques, 2009, p.228. 402 ROUJOU DE BOUBÉE Gabriel, Essai sur l’acte juridique collectif, Paris, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit privé, 1961, p.15. 403 Ibid., p.17. - 140 - la discussion, suive la préparation de la décision conjointe. C’est là en partie le rôle de la collectivité chef de file, même si pour nous il ne doit pas s’arrêter là. Il est traditionnel dans la doctrine de trouver cette notion de décision conjointe réduite au cas des arrêtés intermunicipaux ou des arrêtés interministériels. Cette vision nous paraît évidemment trop réductrice et il convient dès lors d’analyser les recours à l’action conjointe dans le cadre de la décentralisation. B. Les cas de recours à la décision conjointe Il est nécessaire de remarquer que les cas de recours à des décisions conjointes s’illustrent plutôt dans l’action commune entre l’État et les collectivités territoriales (1). En effet, entre collectivités territoriales, l’exercice de compétences conjointes « est rare parce qu’[il] semble de nature à remettre en cause individuellement leur autonomie »,404 cependant elle existe, notamment en matière d’intercommunalité (2). 1. La décision conjointe entre l’État et les collectivités territoriales 170. Il existe des manifestations d’action conjointe entre l’État et les collectivités territoriales, notamment en matière d’action sociale (a) et en matière de logement (b). Ces exemples illustrent parfaitement ce que le professeur Eisenmann entendait par « semidécentralisation ». Celle-ci « consiste à attribuer le pouvoir de poser des décisions (des normes) intéressant une circonscription territoriale, c'est-à-dire une collectivité locale, conjointement à une autorité d’État et à une autorité propre à cette circonscription ».405 La décision est le fait, à la fois, d’une autorité décentralisée et d’une autorité déconcentrée, elle est donc semi-décentralisée et semi-déconcentrée. a. La compétence conjointe en matière d’action sociale 171. Le code de l’action sociale et des familles prévoit un nombre important de cas où des décisions doivent être adoptées conjointement par le président du conseil général et le préfet. C’est notamment le cas du plan d’alerte et d’urgence pour les personnes âgées et les 404 BRIANT Vincent de, L’action commune en droit des collectivités territoriales. Contribution à l’étude des compétences exercées en commun par l’État et les collectivités territoriales, op. cit., p.243. 405 EISENMANN Charles, Cours de droit administratif, T.1, op. cit, p.287. - 141 - personnes handicapées en cas de risques exceptionnels. L’article L.116-3 du CASF, qui prévoit ce plan, dispose que celui-ci « est arrêté conjointement par le représentant de l’État dans le département […] et par le président du conseil général ». Cette disposition introduite par l’article premier de la loi de 2004 sur la solidarité pour les personnes âgées et les personnes handicapées406 appelle deux séries de remarques. D’une part, ce plan d’alerte a été rendu obligatoire à la suite de la catastrophe sanitaire provoquée par la canicule de l’été 2003.407 Le décès de très nombreuses personnes a mis en lumière la nécessité de coordonner l’action des différents intervenants du secteur gérontologique, qu’il s’agisse des collectivités territoriales, de l’État ou des services d’urgence. C’est justement en vue de coordonner l’action de tous ces acteurs qu’un tel plan doit désormais être arrêté dans chaque département conjointement entre le président du conseil général et le préfet. Le fait d’arrêter ce plan conjointement permet de s’assurer que les deux intervenants sont d’accord sur les mesures à mettre en œuvre et prévoient de coordonner leurs différents moyens pour éviter une nouvelle catastrophe du type de 2003. Il y a véritablement une action commune qui se met en place et qui ne se limite pas à l’adoption d’une décision conjointe. C’est tout l’ensemble de la procédure qui est conjointe et pas seulement la décision, c'est-à-dire que tant la préparation de la décision, son adoption que sa mise en œuvre relèvent alors de l’action commune. La régulation se fait, d’une part, en amont, puisque la préparation du schéma est une décision conjointe et donc une action commune. Il est nécessaire que l’État et le conseil général s’accordent sur le contenu de ce document. D’autre part, la régulation se fait aussi en aval, puisque l’objectif du schéma une fois adopté est de coordonner les interventions des différents acteurs en cas de nouvelle canicule ou toute autre alerte sanitaire. Cela rejoint alors l’analyse de Vincent de Briant pour qui « la notion de compétence conjointe ne peut se réduire, du point de vue de ses manifestations juridiques, à l’acte conjoint ni même à des actes concordants ».408 L’adoption de ce plan d’alerte est donc une manifestation de l’action commune entre l’État et les collectivités territoriales. La décision d’adopter ce plan sous forme de décision conjointe pose, d’autre part, une seconde question. Ne manifeste-t-il pas une volonté de recentralisation ou du moins une volonté de contrôle de l’État sur ce que font les collectivités territoriales ? En effet, quelques mois après l’adoption de ce texte, un autre texte législatif, la loi du 13 août 2004 relative aux 406 Loi n°2004-626 du 30 juin 2004, relative à la solidarité pour l’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées, JORF, 1er juillet 2004, p.11944. 407 V. not. CORPART Isabelle, « L’intensification de la lutte contre la canicule », RDSS, 2005, n°6, p.943-950. 408 BRIANT Vincent de, L’action commune en droit des collectivités territoriales. Contribution à l’étude des compétences exercées en commun par l’État et les collectivités territoriales, op. cit., p.227. - 142 - libertés et responsabilités locales, transférait au département la compétence d’organisation de l’action sociale en faveur des personnes âgées.409 Il semble donc y avoir une contradiction entre la volonté de faire du département le chef de file en matière d’action sociale pour les personnes âgées et la nécessité d’adopter de façon conjointe le plan d’alerte départementale en faveur de ces mêmes personnes âgées. Il semble que le recours à l’action conjointe soit marqué par « une volonté commune de partager la décision en gardant sur elle un fort niveau de contrôle réciproque ».410 Le recours à une action conjointe marque selon nous l’existence d’une défiance de la part de l’État face à une trop grande décentralisation. 172. La vie des établissements sanitaires et sociaux est également largement soumise à un ensemble de décisions conjointes. L’autorisation qui est accordée à une personne d’ouvrir un tel établissement peut faire l’objet d’une décision conjointe entre le président du conseil général et le directeur régional de l’ARS ou entre le président du conseil général et l’autorité compétente de l’État.411 En effet, dans le cadre des procédures d’appel à projet pour l’ouverture d’un nouvel établissement sanitaire412, certains appels à projets ont lieu par décision conjointe. Ces décisions conjointes sont nécessaires lorsque les établissements qui demandent cet agrément dispensent des prestations financées par le conseil général et l’assurance maladie. Ce sont ensuite toutes les décisions relatives au fonctionnement de ces établissements qui sont soumises à des décisions conjointes. Il en est ainsi de leur tarification,413 de leur contrôle414 ou de leur fermeture.415 Toutes ces décisions semblent a priori relever de décisions conjointes, il est nécessaire de relever que l’ARS ou le représentant de l’État dans le département peut parfois passer outre l’opposition du président du conseil général. En effet en matière de fermeture des établissements sanitaires et sociaux, la décision peut, en cas de désaccord, être prise et mise en œuvre par le représentant de l’État dans le département.416 La décision conjointe n’est donc finalement qu’une illusion en ces matières puisque le refus du président du conseil général peut être contourné par une décision unilatérale du représentant de l’État dans le département. Il serait préférable d’avoir recours à 409 Loi n°2004-809 du 13 août 2004, relative aux libertés et responsabilités locales, précit., spec. art. 56 modifiant l’article L.113-2 du CASF. 410 BRIANT Vincent de, L’action commune en droit des collectivités territoriales. Contribution à l’étude des compétences exercées en commun par l’État et les collectivités territoriales, op. cit., p.234. 411 Art. L.313-3 du CASF, en particulier d) et e). 412 Décret n°2010-870 du 26 juillet 2010 relatif à la procédure d’appel à projet et d’autorisation mentionée à l’article L.313-1-1 du code de l’action sociale et des familles, JORF, 27 juillet 2010, p.13846. 413 Art. L.314-1 du CASF. 414 Art. L.313-13, al. 4 et 5 du CASF 415 Art. L.313-15 et L.313-16 du CASF. 416 Art. L.313-15, al. 2 et 3 et L.313-16, al. 4. - 143 - une solution plus objective qui préserverait selon nous l’autonomie de chacune des deux autorités. C’est notamment ce qui se passe en matière de tarification conjointe. En effet, l’article L.314-1 VI dispose que « dans les cas de compétence conjointe, en cas de désaccord entre le représentant de l’État, ou le directeur général de l’agence régionale de santé et le président du conseil général, chaque autorité précitée fixe par arrêté le tarif relevant de sa compétence et le soumet au tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale dont la décision s’impose à ces deux autorités ». Cette solution, si elle a l’inconvénient d’être juridictionnelle, permet au moins de sauvegarder le caractère conjoint de la décision. Cependant, nous l’avons déjà évoqué l’arbitre « naturel » de la décision conjointe est le juge. Il semble que celui-ci soit considéré comme étant le plus impartial, le plus objectif en cas de litige pour trancher la décision entre les deux parties. Le domaine de l’action sociale n’est pas le seul champ de compétence où État et collectivités territoriales interviennent par voie de décision conjointe. On retrouve une procédure similaire en matière de coordination de l’urbanisme. b. La cohérence des politiques d’habitat 173. L’article L.302-10 du Code de la construction et de l’habitation prévoit l’adoption dans chaque département d’un plan départemental de l’habitat « afin d’assurer la cohérence entre les politiques d’habitat menées dans les territoires couverts par un programme local de l’habitat et celles menées dans le reste du département ».417 Ce plan est « élaboré conjointement, pour une durée d’au moins six ans, par l’État, le département et les établissements publics de coopération intercommunale ayant adopté un programme local de l’habitat ou ayant délibéré pour engager la procédure d’élaboration d’un tel programme ».418 L’objectif du plan départemental d’habitat est d’assurer une certaine cohérence dans les politiques de l’habitat menées sur le département entre les zones couvertes par un document de programmation intercommunale et les zones qui ne le sont pas. Il y a donc à travers l’adoption d’une décision conjointe, en l’espèce le plan départemental d’habitat, la volonté de coordonner l’action des différentes personnes publiques sur un même territoire en matière d’urbanisme. Se met ainsi en place une action commune qui vise à coordonner les 417 418 Commentaire dans le Code de la construction et de l’habitation, ed. Dalloz, 2010. Art. L.302-11 du Code de la construction et de l’habitation. - 144 - différentes politiques de l’habitat conduites dans le département. Cet acte conjoint vise à réguler les interventions des communes en matière d’habitat. 174. Cette action conjointe appelle deux séries de remarques. Tout d’abord on peut s’étonner de l’intervention de l’État. En effet, il n’existe pas de raison évidente, a priori, pour que l’État soit un des coauteurs du plan départemental de l’habitat (PDH). Il s’agit de coordonner les politiques de l’urbanisme menées localement dans chaque commune ou EPCI sur le territoire d’un département. On peut donc s’interroger sur l’opportunité de faire participer l’État à l’adoption de ce document. Ensuite, la liste des participants à l’adoption de l’acte, énoncée à l’article L.302-11 du code de la construction et de l’habitation, peut également poser question à travers les communes ou EPCI qui ne sont pas appelés à participer à l’adoption du PDH. En effet, à titre préliminaire, il faut bien comprendre que « le rôle du PDH n’implique pas d’assurer la cohérence des diverses politiques menées au titre des PLH présents dans le département ».419 Le rôle du PDH est de coordonner les actions d’urbanisme entre les zones couvertes par des plans locaux d’habitat (PLH) et les zones non couvertes par de tels documents. Or parmi les participants à l’adoption du PDH seuls figurent les EPCI ayant adopté ou prévoyant d’adopter un plan local. Dès lors, les communes et EPCI non couverts par un tel document de programmation ne sont pas associés à l’élaboration du PDH, alors même qu’ils seront ensuite soumis à ses prescriptions. Tout au plus, ces collectivités seront alors représentées soit par l’État soit par le département. L’adoption du plan départemental de l’habitat implique donc bien le recours à une décision conjointe. Cependant cette action commune n’est pas parfaite puisque tous les acteurs concernés ne sont pas conviés à l’adoption de la décision conjointe. L’action conjointe existe donc bien entre l’État et les collectivités territoriales. Toutefois, les exemples développés démontrent que l’action conjointe n’est pas forcément synonyme d’une volonté commune. En effet, nous avons pu nous en rendre compte, l’action conjointe entre l’État et les collectivités territoriales semble plus relever, pour l’État, d’une volonté de conserver une certaine emprise sur l’action des collectivités décentralisées. En devenant le coauteur de ces décisions, l’État peut assurer un certain contrôle dessus. C’est ce risque de voir apparaître une forme de tutelle qui limite l’usage de la décision conjointe entre collectivités territoriales. 419 DURAND Patrick, « L’incidence de la loi ENL sur les documents de planification des politiques d’habitat », Construction – urbanisme, octobre 2006, p.17. - 145 - 2. La décision conjointe entre collectivités territoriales Il ne s’agira pas ici de revenir sur les arrêtés intermunicipaux en matière de police des voies de circulation qui ont déjà été présentés précédemment. Il faut admettre que les cas de décisions conjointes entre collectivités territoriales sont rares, tout simplement parce que le risque de mise en place d’une tutelle est à nouveau présent. Ainsi, les décisions conjointes se trouvent essentiellement en matière d’intercommunalité, que ce soit pour leur création (a) ou pour l’exercice de certaines de leurs compétences (b). a. La décision conjointe, modalité possible de création d’un EPCI 175. La création d’un syndicat de communes peut notamment être l’objet d’une décision conjointe. En effet, l’article L.5212-2 du CGCT dispose que la création d’un syndicat de communes peut résulter soit d’une liste arrêtée par le représentant de l’État dans le département, soit « des délibérations concordantes de l’ensemble des conseils municipaux ». Cette exigence d’une délibération concordante revient à exiger une décision conjointe, puisque toutes ces délibérations ont un seul et même but. Toutes les communes en les adoptant visent un même objectif. Il y a bien alors, comme le soulignait G. Koubi, « un concours de déclarations unilatérales de volonté émanant de deux ou plusieurs personnes, autorités administratives, investies de pouvoirs juridiques équivalents, indépendants et différenciés ».420 Cette concordance des décisions des différents conseils municipaux fait que l’on a bien alors affaire à une décision conjointe. Il faut toutefois reconnaître que celle-ci est ici assez limitée puisqu’elle n’est pas automatique. Il ne s’agit là que d’une des voies possibles pour créer un syndicat intercommunal. Toutefois, dans un tel cas s’il y a effectivement décision conjointe, et action commune qui débouche sur la création d’un syndicat intercommunal, il n’y a pas réellement besoin de réguler cette décision. En effet, la seule coordination qui peut exister dans un tel cas, relève de la préparation des délibérations concordantes par les différents conseils municipaux. Mais, il n’y a en aucun cas besoin d’institutionnaliser cette régulation. 420 KOUBI Geneviève, « L’acte administratif unilatéral conjoint », art. cit., p.311. - 146 - Si au moment de la création d’un EPCI, il peut être fait appel à une décision conjointe, l’exercice de certaines compétences par les intercommunalités impose nécessairement le recours à ces décisions conjointes. b. La décision conjointe, recours obligatoire pour certaines compétences des EPCI 176. Depuis la loi du 16 décembre 2010, les présidents des EPCI à fiscalité propre sont compétents dans un certain nombre de domaines relevant auparavant de la compétence des maires des communes membres au titre de leur pouvoir de police. Or si l’article L.5211-9-2 II du CGCT n’exige plus du président de l’EPCI que la transmission des décisions prises en ces matières aux maires concernées, l’ancienne rédaction de cette disposition imposait une décision conjointe du président de l’EPCI et des maires des communes concernées. Le I de cet article prévoyait cinq matières que les communes membres d’un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre pouvaient transférer au président de cet établissement. Ces matières étaient l’assainissement, l’élimination des déchets ménagers, la réalisation d’aires d’accueil ou de passage des gens du voyage, la sécurité des manifestations culturelles ou sportives et enfin la circulation et le stationnement sur la voirie publique. Les maires des communes membres de l’établissement de coopération intercommunale pouvaient donc décider de transférer au président de l’EPCI ces différentes compétences. Le transfert était décidé par arrêté du représentant de l’État dans le département, après accord du président de l’établissement et de tous les maires des communes membres. Or pour agir en ces matières, l’article L.5221-9-2 II, dans sa rédaction issue de la loi du 13 août 2004, précisait que « les arrêtés de police sont pris conjointement par le président de l’établissement public de coopération intercommunale et le ou les maires des communes concernées ». La compétence de police était donc dans ce cas exercée de manière conjointe. Cela s’expliquait par une nécessité de coordonner l’action des différentes communes dans le cadre de l’EPCI, pour éviter que chaque commune agisse de son côté. Cela non seulement aurait nuit à la cohérence de l’action locale, mais en plus aurait risqué de conduire à l’existence de doublons. Dans un tel cas, « la compétence conjointe s’est imposée »421 puisque s’agissant de compétences de police leur transfert intégral à l’EPCI était alors difficilement concevable. Le transfert de compétence qui était ainsi fait de la commune au profit de 421 BRIANT Vincent de, L’action commune en droit des collectivités territoriales. Contribution à l’étude des compétences exercées en commun par l’État et les collectivités territoriales, op. cit., p.248. - 147 - l’établissement public de coopération intercommunale demeurait limité, puisque l’intervention de la commune concernée était toujours nécessaire. On peut ici reproduire le même raisonnement qu’à propos de l’État. Le recours à la décision conjointe marquait ici une méfiance vis-à-vis des EPCI, il n’était pas question de leur transférer l’exercice de toute la compétence. En imposant le recours à la décision conjointe, le législateur permettait aux communes membres de conserver un contrôle sur ces compétences. Le recours à la décision conjointe apparaît ainsi comme une étape intermédiaire dans le transfert de compétences des communes vers les EPCI. Il s’agissait de ménager le pouvoir des maires en ne leur ôtant pas immédiatement toutes leurs compétences en matière de police, mais en le faisant à petits pas, progressivement. 177. Il est possible d’identifier un autre cas de compétence conjointe entre collectivités territoriales. Ce cas se manifeste en matière de nomination de gardes champêtres. Ceux-ci sont en charge de la police des campagnes422 et leur nomination relève en principe des communes. Toutefois, il est précisé que « plusieurs communes peuvent avoir un ou plusieurs gardes champêtres en commun » dans ce cas, « leur nomination est prononcée conjointement par le maire de chacune des communes ».423 Il en est de même si le garde champêtre est recruté par un EPCI, cela relève alors d’une décision conjointe du président de l’établissement de coopération et des maires des communes membres. On peut observer ici que ce n’est pas la compétence toute entière qui est conjointe puisque « pendant l’exercice de leur fonctions sur le territoire d’une commune, [les gardes champêtres] sont placés sous l’autorité du maire de cette commune ».424 C’est uniquement l’opération de nomination qui relève de l’action conjointe. Cela confirme également le fait que la compétence de police du maire ne peut pas être entièrement transférée au président de l’EPCI. Si le président de l’établissement public de coopération intercommunale peut intervenir de manière ponctuelle ou uniquement pour une nomination spécifique, c’est parce que les maires désirent conserver un certain contrôle sur la mise en œuvre de cette compétence. 178. Enfin, il est également possible de faire référence à l’élaboration des plans locaux d’urbanisme, lorsque ces documents sont élaborés par les structures intercommunales. Il 422 Art. L.2213-16 du CGCT. Art. L.2213-17 du CGCT. 424 Ibid., in fine. 423 - 148 - apparaît alors un phénomène de codécision de fait.425 Ainsi, il ressort de la lecture des articles L.123-9 et L.123-18 du Code de l’Urbanisme, que lorsqu’un EPCI est compétent pour élaborer un PLU l’ensemble des communes concernées participe à l’élaboration de ce document. Cette participation se manifeste par le biais d’avis ou de propositions, en somme une négociation s’engage entre l’EPCI et ses communes membres sur le contenu de ce document. Or, comme le souligne très justement M. Eddazi dans sa thèse, si juridiquement le Code de l’urbanisme n’exige pas une codécision pour arrêter un PLU, dans les faits les EPCI sont marqués par un fort lien de dépendance, notamment démocratique, à l’égard des communes membres. Dès lors, cela implique qu’un EPCI se retrouve contraint – mais pas juridiquement – par les avis donnés par les communes membres. « L’intercommunalité ne peut pas être perçue comme en situation de recevoir les participations des communes et de poursuivre le cours de la procédure visant à déterminer la planification urbaine sans en tenir compte. La domination communale de l’institution intercommunale contraint l’intercommunalité à un degré de prise en compte des participations communales que le droit ne prévoit pas. Effectivement, l’intercommunalité n’arrêtera pas un projet de planification qui suscite l’opposition marquée d’institutions disposant du monopole démocratique sur leurs territoires respectifs ».426 Si les éléments constituant juridiquement la codécision ne sont pas présents, de facto, dans l’attente d’une évolution de sa propre légitimité, l’EPCI est en situation d’avoir recours à une décision conjointe pour arrêter son PLU. Comme nous venons donc de l’analyser l’action conjointe est une forme de mise en œuvre de l’action commune. Dans le cadre de ces compétences conjointes, diverses personnes publiques sont amenées à se mettre d’accord, à faire concorder leurs volontés afin de prendre une décision. Cependant, dans le sillage de l’action conjointe semble toujours se dessiner une volonté de contrôle, voire de tutelle. C’est là une des raisons, selon nous, qui limite l’intérêt du recours à la décision conjointe par le chef de file. 425 426 EDDAZI Fouad, Planification urbaine et intercommunalité, Thèse dactylographiée, Orléans, 2011, p.459. Ibid., p.475. - 149 - §2. De l’intérêt limité de la décision conjointe pour le chef de file Le recours à la décision conjointe dans le cadre de la désignation d’un chef de file est limité. D’une part, la décision conjointe implique que tous les participants à l’acte en sont des coauteurs, ce qui ne facilite pas nécessairement la coordination de l’action commune (A). D’autre part, en recourant à l’action conjointe, il y a un risque de voir apparaître certaines dérives auxquelles la nomination d’un chef de file devait, en principe, répondre (B). A. La difficile coordination d’une décision aux auteurs multiples 179. L’action commune produit nécessairement, à un moment donné, des décisions conjointes. En effet, « l’acte unilatéral conjoint est élaboré par plusieurs autorités dont les compétences se chevauchent ».427 Les compétences des collectivités territoriales ne sont pas parfaitement séparées, elles se recoupent, il existe un enchevêtrement des compétences qui les conduit à devoir coordonner leurs actions pour adopter des décisions conjointes. Il est donc nécessaire, pour coordonner cette action commune, qu’une collectivité en particulier intervienne. C’est le rôle de la collectivité chef de file. Or, si l’action commune se manifeste uniquement par des décisions conjointes, la régulation est impossible pendant l’action ellemême (1) et ne peut avoir lieu qu’à titre préliminaire (2). 1. L’impossible régulation pendant l’action commune 180. Le rôle de régulateur semble compliqué dans le cadre de l’adoption d’une décision conjointe. En effet, comme nous l’avons déjà relevé, les participants à la décision conjointe sont tous égaux. Ils doivent tous être considérés comme des coauteurs de l’acte. Il n’est pas possible de réduire l’un des participants à un simple rôle de donneur d’avis. Chacun est un des coauteurs de l’acte. Les coauteurs sont tous ceux « que le droit appelle à donner ou à refuser, par une décision personnelle et libre leur consentement aux normes que l’acte doit poser ».428 Selon le professeur Eisenmann, c’est donc la notion de consentement qui est au cœur de la définition du coauteur. Une autorité ne peut être considérée comme coauteur d’un acte que si par sa volonté elle est capable d’empêcher l’adoption de l’acte ou au contraire la permettre. Le consentement de chaque coauteur est nécessaire, sans quoi l’acte conjoint ne peut pas être 427 428 BELRHALI Hafida, Les coauteurs en droit administratif, op. cit., p.47. EISENMANN Charles, Cours de droit administratif, T.1, op. cit., p.416. - 150 - adopté. En effet, « la contribution de chaque coauteur doit être indispensable à la production de ces effets juridiques, sinon cet organe ou cette personne juridique ne peut être considéré comme un coauteur ».429 Il en ressort une égalité entre tous les coauteurs. L’intervention, le consentement de chacun des auteurs de l’acte conjoint est nécessaire afin que celui-ci acquière sa force juridique. Ainsi, si la compétence commune suppose l’adoption d’un acte conjoint, la collectivité chef de file n’aura pas plus de pouvoirs que les autres collectivités territoriales pour intervenir dans la prise de décision. Tous – et pas uniquement le chef de file – pourraient empêcher l’adoption de la décision conjointe. L’égalité des coauteurs rejoint ici la conception de l’égalité entre les collectivités territoriales qui justifie l’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre.430 181. Il n’est pas, non plus, possible de réduire le rôle de la collectivité chef de file à un simple avis. En effet, si la jurisprudence du Conseil d'État a longtemps considéré que « le fait de subordonner la décision d’une autorité administrative à l’avis conforme ou à l’accord d’une autre autorité conduit à un partage entre ces deux autorités, de la compétence pour prendre la décision »431, désormais ce n’est plus le cas. En effet, le Conseil d'État a jugé en 2001432, que dans certains cas l’autorité qui prend une décision sur un avis peut s’en affranchir si elle estime que cet avis est illégal. « La faculté d’empêcher n’est pas en cela la même que la faculté de décider ».433 L’égalité qui existe entre coauteurs d’une décision conjointe n’existe pas entre l’autorité titulaire de la compétence et l’autorité qui donne l’avis, même conforme. De plus réduire le rôle du chef de file à un simple avis, alors qu’il est désigné pour coordonner l’action commune, c’est limiter trop fortement la portée du mécanisme. 429 BELRHALI Hafida, Les coauteurs en droit administratif, op. cit., p.17. Supra §150. 431 GUYOMAR Mattias, COLLIN Pierre, « Une autorité administrative peut-elle légalement s’affranchir d’un avis conforme illégal ? », chron., AJDA, 2002, p.118. 432 CE, Ass., 26 octobre 2001, M. et Mme Einsenchteter , Rec. p.495 ; GUYOMAR et COLLIN AJDA, 2002, p.118. 433 BRIANT Vincent de, L’action commune en droit des collectivités territoriales. Contribution à l’étude des compétences exercées en commun par l’État et les collectivités territoriales, op. cit., p.231. 430 - 151 - 2. La régulation par les seuls actes préparatoires 182. Dès lors que l’action commune entre collectivités territoriales a lieu par voie de décisions conjointes, la nomination d’une collectivité chef de file est d’un intérêt limité. En effet l’intervention de tous les coauteurs est nécessaire et tous sont égaux entre eux. Le rôle du chef de file ne peut, donc, pas être prépondérant au moment de l’adoption de la décision. Il serait alors nécessaire dans un tel cas de rejoindre la proposition faite par Laurent Tesoka de limiter le rôle du chef de file à la préparation de la décision.434 Or limiter l’intervention de la collectivité chef de file à un rôle préparatoire de la décision conjointe, pour mettre en œuvre l’action commune, ne permet pas de prendre en compte toutes les potentialités de la désignation d’un chef de file. En effet, une collectivité chef de file doit pouvoir faire plus que simplement préparer la décision conjointe. Cela revient à limiter son rôle à une action de concertation avec les autres collectivités parties à l’action commune. Or si une collectivité a été désignée comme chef de file dans un domaine de compétence, c’est qu’elle a une certaine connaissance de l’exercice de cette compétence. Elle devrait donc pouvoir intervenir tout au long de l’action commune afin de s’assurer de son bon déroulement. En effet, « dans une action commune, nous nous intéressons à un résultat commun étroitement dépendant de l’action d’autrui et nous nous efforçons de l’aider à corriger des déviations par rapport à ce résultat commun ».435 C’est pourquoi dans la recherche de ce résultat commun, le rôle de la collectivité chef de file ne peut être limité à une action préparatoire. Le chef de file doit aussi pouvoir intervenir tout au long de la mise en œuvre de l’action commune afin de s’assurer que le but recherché est correctement atteint. Limiter le rôle de la collectivité chef de file à une action ex ante, comme le propose L. Tesoka, ne permet pas de prendre en compte toutes les possibilités d’organisation de l’action commune que recèle ce mécanisme. D’ailleurs, lui même, dans une première lecture des nouvelles dispositions constitutionnelles de 2003 estimait qu’il était « difficile de nier que derrière l’inscription normative de cette fonction, il y a la volonté d’attribuer un pouvoir de contrainte à son titulaire en vue de coordonner les différentes actions de chaque niveau de collectivités locales »436 parties à l’action commune. 183. La désignation d’une collectivité chef de file pour une compétence qui est exercée par voie de décision conjointe est d’un intérêt limité. En effet, dans le cadre d’une action 434 TESOKA Laurent, Les rapports entre catégories de collectivités territoriales, op. cit., p.292. LIVET Pierre, THÉVENOT Laurent, « Les catégories de l’action collective », in ORLÉAN André (dir.), Analyse économique des conventions, Paris, PUF, 1994, 1er ed., p.153. 436 TESOKA Laurent, Les rapports entre catégories de collectivités territoriales, op. cit., p.290. 435 - 152 - conjointe, le chef de file ne peut pas coordonner correctement l’action commune. Il ne dispose pas des capacités pour organiser l’action commune puisqu’il est réduit au même rang que les autres collectivités participantes à l’action commune. Non seulement, le chef de file est limité dans le cadre d’une action conjointe, mais la clarification des compétences n’est pas présente non plus. B. Les risques de dérives Le recours à la décision conjointe comporte selon nous deux risques de dérives pour le chef de file. D’une part, le risque de mettre en place une tutelle (1) et, d’autre part, le risque de ne plus savoir quelle collectivité doit endosser la responsabilité de l’acte (2). 1. Le risque d’une tutelle 184. Comme nous l’avons déjà relevé les coauteurs d’une décision conjointe sont tous égaux, c'est-à-dire que du point de vue de l’acte lui-même tous ont le même pouvoir, le même effet sur l’adoption de l’acte. L’opposition d’un seul peut donc suffire à empêcher l’adoption de la décision. Or certains élus locaux « y voient une forme de survivance de la tutelle d’une autorité sur l’autre ».437 Ce risque avait déjà été mis en lumière dans le cadre de l’action commune, par voie de décision conjointe, entre l’État et les collectivités territoriales. Nous nous sommes déjà interrogés sur les motivations qui poussent l’État a conserver un pouvoir d’intervention dans certaines compétences, par le biais de décisions conjointes. Il y a là une volonté de conserver un certain contrôle sur la décentralisation. C’est une manière pour l’État de continuer d’exercer une tutelle sans le faire apparaître. 185. Le même raisonnement peut dès lors être conduit à propos de l’action conjointe entre collectivités territoriales. Le chef de file ne serait pas alors le seul à risquer d’être accusé de mettre en place une tutelle, mais il serait en première ligne du fait de son rôle de coordinateur de l’action commune. Même s’il se limite à un rôle de préparation de la décision conjointe, une autre collectivité participant à l’action commune pourrait très bien empêcher l’action commune d’aboutir en invoquant le fait que la collectivité chef de file aurait exercé une tutelle. En effet, en préparant la décision conjointe, le chef de file va chercher à obtenir un consensus, un accord autour d’un projet par toutes les collectivités parties à l’action 437 BRIANT Vincent de, L’action commune en droit des collectivités territoriales. Contribution à l’étude des compétences exercées en commun par l’État et les collectivités territoriales, op. cit., p.228. - 153 - commune. Après la prise de décision, un changement de majorité dans l’une des collectivités, ou tout simplement un problème d’entente entre les dirigeants des différentes collectivités, pourrait pousser l’une d’entre elles à dénoncer la décision conjointe en expliquant qu’il n’y a pas eu de consensus, mais que l’accord s’est fait à cause de la tutelle du chef de file. Ce risque est encore plus grand si la décision conjointe, prévoit des financements croisés. Dans le cadre d’une action conjointe, il n’y a aucune possibilité pour le chef de file de faire état d’une quelconque hiérarchie vis-à-vis des autres collectivités parties à l’action commune. Toute idée de hiérarchisation entre les collectivités territoriales demeure impossible dans le cadre d’une décision conjointe. Décision conjointe et interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre sont donc complémentaires l’une de l’autre. Toutefois, elles ne permettent pas à la collectivité chef de file de coordonner correctement l’action commune. 186. Cela met en lumière à nouveau le fait que la constitutionnalisation de l’interdiction de la tutelle en même temps que celle de la possibilité de désigner un chef de file sont contradictoires. La rédaction retenue par l’article 72, alinéa 5 de la Constitution, ne fait pas du chef de file une simple exception. Il existe selon nous une réelle contradiction entre les deux phrases. Cette contradiction ne peut être dépassée, selon nous, qu’en supprimant cette référence à l’interdiction de la tutelle et en accordant à la collectivité chef de file de véritables pouvoirs de coordination de l’action commune. La décision unilatérale conjointe soulève également un problème en matière de responsabilité. Il convient de s’y attarder. 2. La difficile recherche de la responsabilité 187. Il y a, en effet, une difficulté qui est de déterminer qui est l’auteur de la décision. Dans le cadre de la décision conjointe, toutes les autorités sont coauteurs. Juridiquement, il n’y en a pas une dont le rôle serait plus important que l’autre. Il y a un partage du pouvoir de décision, tous les coauteurs sont égaux entre eux. Cela va provoquer un étiolement du sentiment de responsabilité. Il s’agit là d’un sentiment naturel lorsqu’on agit à plusieurs, il est facile d’avoir l’impression que finalement l’un des auteurs de la décision n’y est pour rien. En effet, le recours à la décision conjointe « a un double inconvénient : - la lourdeur des procédures administratives qui en découlent, notamment en ce qui concerne le financement de projet ; - - 154 - lorsque tout le monde a compétence plus personne n’est responsable ».438 Les risques d’immobilisme sont alors importants. Toutes les collectivités parties à l’action commune ne souhaitant pas forcément aller dans le même sens. Le rôle du chef de file est d’essayer de mettre tout le monde d’accord ; mais sans pouvoir de décision, de contrainte à un moment donné sur les autres collectivités, sa capacité à réussir un compromis entre toutes les collectivités n’est pas évidente. 188. Cette multiplication des autorités considérées comme des auteurs de l’acte pose un problème en matière contentieuse. En effet, contre qui agir en cas de problème et de saisine du juge administratif ? En cas de codécision, il y a une pluralité d’auteurs pour une même décision. Or si un administré veut faire un recours contre la décision contre qui doit-il le faire ? Qui est l’auteur responsable en cas de litige ? Est-ce qu’il faut faire un recours contre tous les coauteurs de la décision ? Est-ce qu’un recours contre l’un seulement des coauteurs est suffisant, en particulier contre le chef de file ? La condamnation de l’un vaut-elle condamnation pour tous ? Une telle situation est source d’insécurité juridique tant pour les administrés que pour les administrations elles-mêmes. Ainsi une erreur, même matérielle, de la part de l’une seulement des autorités coauteurs de l’acte peut conduire à l’annulation de l’ensemble de l’acte et donc retarder la prise de décision. Le recours à une collectivité chef de file n’aura alors pas profondément modifié un état de fait où les compétences et les responsabilités étaient déjà largement enchevêtrées, ralenties et instables. Dans le cadre d’un recours contre une décision conjointe, le Conseil d'État semble indiquer dans sa jurisprudence que le recours doit se faire contre tous les coauteurs de la décision. 439 Cela implique pour le requérant et pour le juge administratif certaines complications puisque tout doit être fait en double, toutes les pièces du dossier doivent être transmises aux différents défendeurs coauteurs de l’acte conjoint. Cela implique également que les auteurs de l’acte conjoint se mettent d’accord sur une défense commune. Or ce dernier point n’est pas toujours facile à réaliser, notamment lorsque les deux autorités qui doivent adopter la décision conjointe ne sont pas d’accord. Le Conseil d'État a déjà eu à juger d’un cas où la cession de l’exploitation d’une maison de retraite nécessitait une autorisation conjointe du préfet et du président du conseil général pour le nouvel exploitant, mais chaque autorité avait accordé cette autorisation à une personne morale différente. « Deux entités pouvaient se prévaloir d’une autorisation 438 GROSHENS Jean-Claude, WALIE Jean, « A propos de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 », in Mélanges Paul Amselek, Bruxelles, Bruylant, 2005, p.394 439 CE, 29 décembre 1993, Garcia et autres, Rec., p.376. - 155 - mais aucune en réalité n’en était titulaire puisqu’une décision conjointe s’impose pour l’accorder ».440 Le Conseil d'État tranche alors le litige en faveur de la société qui avait été désignée, par le tribunal de grande instance, pour reprendre les activités de la fondation qui exploitait auparavant la maison de retraite. C’est un principe de réalité qui a conduit le Conseil d'État à adopter une telle décision puisque l’absence d’accord entre les deux autorités pouvait conduire à la fermeture de l’établissement qui ne disposait pas des autorisations nécessaires. Le Conseil d'État « ajoutait qu’une telle mesure de fermeture porterait préjudice aux personnes hébergées en mettant fin aux prestations dont elles bénéficient ».441 Cette décision pose en tout cas la question de la nécessité de coordonner les volontés des différents acteurs qui doivent adopter la décision commune. En effet, le refus opposé au départ par le département à la société privée était motivé par sa volonté de voir la maison de retraite gérée par une mutuelle, alors que le préfet avait donné sa préférence à une société privée. La décision conjointe peut donc faire naître un contentieux sur la base d’un désaccord entre les différentes autorités concernées. Il y avait dans ce désaccord une véritable opposition « politique » au sens du choix de la décision publique. Or une telle opposition peut se retrouver entre collectivités territoriales. 189. Si un tel désaccord n’existe pas, il serait alors possible de recourir à la fiction juridique d’un auteur unique. Cependant, même ce subterfuge ne résout pas tout puisqu’il faudra toujours rechercher comment répartir « l’ensemble des compétences nécessaires à l’édiction de l’acte, à la fois d’un point de vue institutionnel et d’un point de vue contentieux, entre personnes publiques ».442 Il faudra alors analyser non pas la seule décision conjointe, mais toute l’action conjointe dans son ensemble, c'est-à-dire notamment les actes préparatoires. En effet, l’analyse des actes préparatoires permet d’éclairer le juge sur la part d’influence et donc de responsabilité de chaque coauteur dans l’adoption de la décision conjointe. La compétence conjointe ne doit donc pas être limitée à la décision finale, qui peut faire grief, elle est une action complète. C’est à ce moment là, dans la préparation de la décision qu’une « relation d’autorité normative peut très bien naître entre les décisions prises en amont par la collectivité chef de file pour l’organisation des actions communes et les décisions prises 440 RIHAL Hervé, « Clarification du régime de la cession des établissements sociaux et médico-sociaux », note, AJDA, 2008, p.259. 441 Ibid., p.260. 442 BRIANT Vincent de, L’action commune en droit des collectivités territoriales. Contribution à l’étude des compétences exercées en commun par l’État et les collectivités territoriales, op. cit., p.226. - 156 - ensuite par les autres collectivités participantes ».443 Or si une telle relation naît entre les décisions en amont de la collectivité chef de file et les décision des autres collectivités, il y a le risque d’y voir une hiérarchisation des collectivités et donc l’instauration d’une tutelle. 190. L’action conjointe n’est donc pas la meilleure solution pour le chef de file pour pouvoir organiser l’action commune. L’action conjointe, puisqu’elle impose une égalité entre tous les intervenants, empêche toute hiérarchisation entre les collectivités territoriales. En cela, elle permet de ne pas contredire l’interdiction constitutionnelle de la tutelle d’une collectivité sur une autre. Cependant, cette méthode ne permet pas de clarifier l’enchevêtrement des compétences auquel est censé répondre la désignation d’un chef de file. L’acte unilatéral semble donc être d’un intérêt limité pour la collectivité chef de file. En effet, ne pouvant exercer de tutelle sur les autres collectivités, elle ne peut pas prendre de décisions qui s’imposeraient à celles-ci. Toutefois, le chef de file peut tout de même adopter certaines décisions unilatérales, qui si elles ne s’imposeront pas aux autres collectivités parties à l’action commune, permettront d’orienter leurs décisions et donc de mieux organiser l’action commune. 443 TESOKA Laurent, Les rapports entre catégories de collectivités territoriales, op. cit., p.292. - 157 - Section 2. Les schémas d’orientation, un outil de coordination privilégié de l’action commune 191. Le schéma d’orientation est bien un acte unilatéral puisqu’il est de la seule compétence de l’assemblée délibérante d’une collectivité territoriale. Comme dans la définition proposée par le professeur Chapus, l’objectif de cet acte est d’imposer des règles de droit à des personnes ou des autorités qui n’ont pas participé à son élaboration. Toutefois, son caractère contraignant n’était pas évident au départ. Il était plutôt considéré comme un document d’orientation que les autres collectivités parties à l’action commune n’avaient pas l’obligation de suivre. L’adoption de ces schémas abouti à une « pyramide » qui impose la compatibilité entre différents schémas. Tout ceci « structure d’autant plus l’administration locale, que [ceux-ci] relèvent eux-mêmes, comme actes unilatéraux de l’action commune ».444 Dans le cadre d’une décentralisation accrue, qui a vu les libertés locales se développer, notamment depuis 1982, qui a vu la consécration de la région comme collectivité territoriale, « la question de la coordination ne pouvait pas ne pas se poser ».445 C’est à cet objectif qu’essaie de répondre l’adoption d’un schéma d’organisation ou de coordination. Il s’agira donc d’analyser la possibilité d’adopter des schémas d’orientation (§1), puis de démontrer que leur utilisation par la collectivité chef de file est là encore sujette à caution (§2). §1. Les schémas de coordination, une méthode de régulation largement diffusée 192. Il convient de remarquer que si la loi peut accorder le droit à « la collectivité chef de file [d’]adopter unilatéralement un schéma opposable »,446 ce cadre n’a pas l’exclusivité du recours à cette technique d’harmonisation de l’action des collectivités territoriales. En effet, si le recours à des schémas d’organisation ou de coordination est assez largement répandu en matière de décentralisation (B), c’est parce que l’adoption de tels schémas est un moyen d’harmoniser l’action des différentes collectivités territoriales (A). 444 BRIANT Vincent de, L’action commune en droit des collectivités territoriales. Contribution à l’étude des compétences exercées en commun par l’État et les collectivités territoriales, op. cit., p.422. 445 PONTIER Jean-Marie, « Les cartes et schémas : de nouvelles interrogations pour la décentralisation », in PONTIER Jean-Marie (dir.), Cartes, schémas et décentralisation, Aix-en-Provence, PUAM, coll. collectivités locales, 2000, p.17. 446 CAUDAL Sylvie, « Rapport introductif », in CAUDAL Sylvie, ROBBE François (dir.), Les relations entre collectivités territoriales, op. cit., p.25. - 158 - A. Un mécanisme d’harmonisation des compétences des collectivités territoriales En matière de décentralisation, il y a un certain engouement pour les schémas d’organisation. Cela s’explique notamment par leur relative plasticité. Les collectivités territoriales trouvent certains avantages à adopter des schémas d’organisation. En effet, le schéma est avant tout un outil prévisionnel (1) qui se caractérise également par son adoption qui est elle-même l’illustration d’une action commune (2). 1. Le schéma, un outil prévisionnel 193. Le recours à des schémas d’organisation permet de coordonner l’action des collectivités territoriales sur un même territoire. Il permet d’éviter que les actions des collectivités se dispersent. Il y a une volonté de coordonner l’intervention des collectivités territoriales. Pour pouvoir coordonner cette action, il est nécessaire que les collectivités territoriales échangent entre elles. Il doit nécessairement y avoir une concertation entre les collectivités pour que l’action commune soit efficace. La concertation renvoie alors à l’idée d’ « harmonisation, de synchronisation, d’orchestration, comme dans aller de concert ».447 Or on retrouve là toute la philosophie de la collectivité chef de file selon nous. En effet, la désignation de celle-ci doit permettre, a minima, de mettre de l’ordre, d’harmoniser le concert des compétences locales. La collectivité chef de file est « un chef d’orchestre ».448 En effet, une véritable harmonisation de l’action « suppose un minimum de structuration, d’organisation et aussi, sinon la permanence, du moins un minimum de continuité et de périodicité ».449 La collectivité désignée comme chef de file peut tout à fait assurer ce rôle de structuration de l’action commune et veiller à la continuité de son déroulement. 194. Les schémas d’orientation sont un outil de planification. Ils mettent « en place un cadre contraignant pour l’avenir ».450 Ils sont réalisés en plusieurs étapes. D’abord ils font état de l’offre et des besoins – présents et futurs – de services sur un territoire. A partir de 447 LAUBADÈRE André de, « L’administration concertée », in Mélanges en l’honneur du professeur Michel Stassinopoulos, Paris, LGDJ, 1974, p.409. 448 DREYFUS Jean-David, Contribution à une théorie générale des contrats entre personnes publiques, op. cit., p.218. 449 Ibid., p.413. 450 BRIANT Vincent de, L’action commune en droit des collectivités territoriales. Contribution à l’étude des compétences exercées en commun par l’État et les collectivités territoriales, op. cit., p.424. - 159 - cette première étape, le schéma d’organisation permet d’orienter l’action des collectivités territoriales sur le territoire en fonction des résultats de ce premier audit. Ces actes présentent une planification, une projection, une perspective des actions à mener sur le territoire d’une collectivité pour les années à venir. « Ce sont des documents indicatifs sur la politique que compte suivre, dans le domaine auquel ils s’appliquent, la puissance publique ».451 On peut ici prendre l’exemple des schémas départementaux d’action gérontologique. Dans un premier temps, le schéma doit faire état de l’offre en matière d’hébergement des personnes âgées. A partir de ce constat, les orientations du schéma peuvent être adoptées en fonction des prévisions démographiques. Ainsi, le schéma départemental d’action gérontologique de la Mayenne, qui nous a été communiqué, démontre que son adoption « a mis un coup d’arrêt à l’ouverture de nouveaux établissements, sauf dans l’agglomération lavalloise qui était souséquipée ».452 Cela démontre que ces schémas en tant qu’instruments prévisionnels permettent d’orienter l’action des collectivités territoriales afin que celle-ci réponde aux besoins de la population. Il s’agit « de ne pas laisser les équipements […] être réalisés au gré des interventions et des pressions locales ».453 Dans une logique de rationalisation des dépenses publiques, d’une meilleure adaptation de l’offre de services aux besoins des administrés,454 les schémas d’organisation sont une manière de répondre à ces nouvelles problématiques qui se posent aux collectivités territoriales. Les schémas d’organisation sont un moyen de planifier l’action et donc de permettre de cibler les dépenses publiques en fonction des nécessités des populations. Cette « exigence de cohérence est une conséquence de la complexification des interventions dans la plupart des domaines. Cette complexification tient pour partie à la pluralité des intervenants ».455 Les schémas d’organisation sont un moyen de répondre à cette complexification en proposant une planification de l’action. En se projetant ainsi dans le futur, le schéma d’organisation permet d’assurer la coordination des futures interventions dans le cadre d’une compétence. Ils sont un outil de prévision politique à moyen terme. 451 PONTIER Jean-Marie, « Les cartes et schémas : de nouvelles interrogations pour la décentralisation », in PONTIER Jean-Marie (dir.), Cartes, schémas et décentralisation, op. cit., p.36. 452 Schéma départemental de l’organisation sociale et médico-sociale, personnes âgées. Années 2008-2012, Conseil Général de la Mayenne, p.11. Document fourni par M. Cruard, directeur du service Personnes Agées – Personnes Handicapées du Conseil général, lors de notre entretien à Laval en mars 2010. 453 PONTIER Jean-Marie, « Les cartes et schémas : de nouvelles interrogations pour la décentralisation », in PONTIER Jean-Marie (dir.), Cartes, schémas et décentralisation, op. cit., p.13. 454 « Devant la complexité de la vie publique, le coût de la superposition des instances administratives et la multiplicité des décideurs, le citoyen ne veut pas entrer dans le détail d’une recherche de compétence et il a tendance à considérer que tous les décideurs publics doivent unir leurs efforts et leurs moyens pour lui procurer un service public aussi proche et aussi peu coûteux que possible », BERNARD Paul, « La co-administration une pratique nécessaire, ou la révélation d’une mutation administrative », art. cit., p.190. 455 PONTIER Jean-Marie, « Les cartes et schémas : de nouvelles interrogations pour la décentralisation », in PONTIER Jean-Marie (dir.), Cartes, schémas et décentralisation, op. cit., p.30. - 160 - Moyen terme, car en tant qu’instrument de planification qui vise à assurer une certaine cohérence, les schémas d’organisation ne peuvent pas être valables indéfiniment. Il est nécessaire de régulièrement les remettre sur le métier afin de s’assurer que les objectifs qu’ils définissent sont toujours en adéquation avec les besoins constatés au niveau local. C’est pourquoi, on peut constater que nombre de ces instruments de planification sont adoptés pour une durée n’excédant en général pas cinq années. Il faut relever toutefois que cette durée implique certaines complications pour les collectivités. En effet, lorsqu’il s’agit de dresser le bilan d’un schéma et de préparer le suivant, les collectivités n’ont pas toujours les moyens nécessaires au sein de leur propre structure pour réaliser l’évaluation de l’action précédente. Cette évaluation est alors régulièrement confiée à des cabinets d’audits extérieurs. Cet appel à des cabinets extérieurs peut être tout à la fois justifié et décrié. Justifié car « c’est un moment à partager avec une équipe compétente, différente, donc nécessairement extérieure ».456 L’audit peut également effrayer puisque « les problèmes de compétence stratégique et de rigueur déontologique sont fréquemment soulignés dans la littérature ».457 Le schéma d’organisation est donc un acte qui permet de se projeter dans l’avenir et de prévoir les actions locales. Cependant, les schémas ne se contentent pas de prendre en compte les projets de la seule collectivité qui l’adopte. Il y a une volonté d’associer les autres collectivités afin de construire un réel projet de territoire. 2. Le schéma, un outil lui-même issu de la codécision 195. Les schémas d’organisation sont eux-mêmes généralement issus d’une action commune. En effet, la plupart du temps leur élaboration est le fruit d’une concertation. Ceci est un intérêt supplémentaire non négligeable pour favoriser le recours aux schémas. « Ces actes sont le plus souvent eux-mêmes le résultat d’opérations communes, ce qui participe potentiellement de leur efficacité, du point de vue de la régulation de l’administration locale ».458 L’objet de ces schémas d’organisation est de permettre cette régulation de l’action locale. Ils sont un « instrument spécifique qui coordonne des actions initialement étrangères 456 PERRIN Bernard, « Les conditions de réussite d’un audit », Cahiers de la fonction publique, 1994, n°120, p.8. 457 PERRET Bernard, « Réflexions sur les différents modèles d’évaluation », RFAP, 1993, p.238. 458 BRIANT Vincent de, L’action commune en droit des collectivités territoriales. Contribution à l’étude des compétences exercées en commun par l’État et les collectivités territoriales, op. cit., p.425. - 161 - l’une à l’autre ».459 Le schéma d’organisation est un instrument qui permet la coordination des actions locales, il est donc un instrument régulateur. Si juridiquement, le schéma d’organisation apparaît comme un acte unilatéral adopté par une autorité en particulier, sa préparation est l’occasion d’une concertation entre les collectivités territoriales concernées. Dans la phase de préparation des schémas d’organisation, il est nécessaire pour la collectivité responsable de prendre en compte, au minimum, l’avis des autres collectivités territoriales, au mieux, de les associer réellement à l’élaboration de ces schémas. En matière de chef de file, ceci est d’autant plus important que « l’exercice effectif des compétences par la collectivité ou le groupement désigné n’est possible qu’avec l’assentiment des autres collectivités concernées ».460 La phase d’adoption du schéma d’organisation est un moment privilégié de concertation, où l’on peut notamment observer « une large concertation sur la politique [concernée] avec, notamment, participation de nombreux élus »461 locaux intéressés par l’action en question. 196. Au niveau de la préparation du schéma, la concertation avec les autres collectivités est nécessaire, ne serait-ce que parce que pour faire un état de l’offre et des besoins des services, il faut recueillir les informations auprès de toutes les collectivités concernées. On le remarque dans les textes qui confient le soin à une collectivité d’élaborer un schéma d’organisation, en général, il est précisé que c’est après avis ou avec le concours des collectivités et personnes intéressées. De plus, l’article 145 de la loi du 13 août 2004462 dispose que les communes et leurs groupements « sont associés selon les modalités fixées par la loi à l’élaboration des schémas ou plans établis par la région ou le département ». Les collectivités territoriales sont donc incitées à faire participer à l’adoption de ces schémas leurs collectivités composantes, ou du moins les plus petites d’entre celles-ci, les communes. En effet, il faut remarquer que la loi n’impose pas aux régions de consulter les départements qui les composent au moment de l’adoption d’un schéma et encore moins à un département de consulter la région dont il fait partie. Ainsi, ces schémas peuvent apparaître avant tout comme un « cadre de réflexion et d’action pour les collectivités plus grandes dans leur politique à l’égard des collectivités 459 AUTIN Jean-Louis, « Réflexions sur l’usage de la régulation en droit public », in MIAILLE Michel (dir.), La régulation entre droit et politique, op. cit., p.53. 460 KARPENSCHIF Michaël, « Les supports normatifs », in CAUDAL Sylvie, ROBBE François (dir.), Les relations entre collectivités territoriales, op. cit., p.96. 461 Schéma départemental de l’organisation sociale et médico-sociale, personnes âgées. Années 2008-2012, Conseil Général de la Mayenne, p.17. 462 Loi n°2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilité locales, précit. - 162 - composantes ».463 On peut là aussi à nouveau faire référence au schéma d’organisation gérontologique de la Mayenne. Il ressort des discussions tenues avec les responsables sur place que les collectivités infra départementales n’ont pas forcément été demandeuses de participer à la préparation du schéma. En effet, si l’adoption du schéma « s’inscrit dans une large consultation partenariale »,464 les collectivités infradépartementales ne sont pas les plus représentées dans les différents groupes de travail. Dans la phase de préparation du schéma, des groupes de travail ont élaboré des propositions pour le nouveau schéma. Or il est important de constater que dans la composition de ces groupes, les seuls élus locaux présents sont les élus du conseil général. Certaines communes sont tout de même représentées par le biais de leurs centres communaux d’action sociale (CCAS) qui étaient présents dans ces groupes de travail, mais cette représentation, cette association ne se fait que de manière indirecte. 197. Il y a donc une ambiguïté qu’il serait ici nécessaire de lever. En effet, le schéma est un outil de régulation de l’action commune. Il permet d’organiser, de coordonner et d’harmoniser les compétences des collectivités territoriales. Or pour mener à bien cet objectif, toutes les collectivités concernées devraient participer à l’élaboration des schémas d’organisation. Il y a donc là selon nous une précision à apporter, notamment lorsque le schéma d’organisation est adopté par une collectivité préalablement désignée comme chef de file. En effet, la collectivité chef de file doit être suffisamment influente pour réunir toutes les collectivités concernées par le schéma à la négociation préalable. A nouveau, l’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre, empêche la collectivité chef de file de contraindre les collectivités à participer à cette étape préliminaire de l’adoption du schéma d’organisation. C’est donc, nous semble-t-il, à la loi qui prévoit un schéma d’organisation d’inciter fortement – voire de contraindre – les collectivités concernées par le champ d’action du schéma à participer à la préparation de celui-ci. 463 PONTIER Jean-Marie, « Les cartes et schémas : de nouvelles interrogations pour la décentralisation », in PONTIER Jean-Marie (dir.), Cartes, schémas et décentralisation, op. cit., p.30. 464 Schéma départemental de l’organisation sociale et médico-sociale, personnes âgées. Années 2008-2012, Conseil Général de la Mayenne, p.1. Mot du président du Conseil général. - 163 - B. Les exemples de recours aux schémas d’organisation entre collectivités territoriales 198. Le schéma d’organisation est désormais régulièrement utilisé dans le cadre de la décentralisation. De tels schémas permettent de répondre à la nécessité de coordination de l’administration, à sa volonté d’efficacité et de cohérence.465 Il est nécessaire de constater que « la régulation débouche ainsi sur un droit mou (soft law), formulé en termes d’objectifs, directives recommandations ».466 Si on continue de les trouver encore en matière de relations Etat collectivités territoriales, notamment à travers l’exemple le plus parlant que sont les contrats de projet État région,467 c’est désormais en matière de relations entre collectivités territoriales que les schémas connaissent une importante utilisation. Il n’est qu’à regarder la loi du 13 août 2004 sur les libertés et les responsabilités locales. Ce texte prévoit près d’une dizaine de schémas d’organisation divers. On retrouve ainsi tout d’abord le « schéma régional de développement économique »,468 les schémas « prévisionnel[s] d’apprentissage »,469 des « formations sociales »470 et des « formations sanitaires »,471 tous les quatres adoptés par la région. La loi instaure également au profit de la région un « schéma prévisionnel des collèges, des lycées, des établissements d’éducation spéciale, des lycées professionnels maritimes et des établissements d’enseignement agricole ».472 Le conseil régional détient également la compétence d’adopter le « schéma régional de formation de l’AFPA ».473 Il a aussi compétence pour arrêter le « schéma régional des infrastructures et des transports »,474 qui fait lui même parti du « schéma régional d’aménagement et de développement du territoire ». La région reçoit enfin compétence pour déterminer la « politique du logement des étudiants »475 au travers d’un schéma. Le département n’est pas en reste lui non plus puisqu’en plus du « schéma départemental d’organisation sociale et médico-sociale »,476 il arrête également le « schéma départemental de développement des enseignements 465 PONTIER Jean-Marie, « Les cartes et schémas : de nouvelles interrogations pour la décentralisation », in PONTIER Jean-Marie (dir.), Cartes, schémas et décentralisation, op. cit., p.11 466 CHEVALLIER Jacques, « La régulation juridique en question », Droit et société, 2001, n°49, p.834. 467 Infra §248. 468 Art. 1er 469 Art. 11. 470 Idem. 471 Idem. 472 Art. 12. 473 Art. 13. 474 Art. 17. 475 Art. 66. 476 Art. 50. - 164 - artistiques ».477 L’occurrence « schéma » apparaît plus de cinquante fois dans la loi. Cet inventaire, s’il peut sembler fastidieux, démontre toutefois deux choses. D’une part, le recours à un schéma d’organisation est plutôt courant en matière de décentralisation. Il y a en effet un développement du recours à ce mécanisme afin de coordonner les actions sur un même territoire. D’autre part, l’adoption d’un schéma d’organisation n’est pas l’apanage des seules collectivités chefs de file. En effet, dans certains domaines tels le logement étudiant ou encore l’enseignement artistique, ni la région ni le département n’ont été désignés comme chefs de file. Ils ont pourtant la possibilité d’adopter des schémas d’organisation sur ces matières, afin de planifier l’action sur leur territoire. Les schémas d’organisation sont largement présents en matière de décentralisation et pas seulement au bénéfice de collectivités désignées comme chefs de file. « Si la planification d’abord, puis plus généralement l’administration économique constituent bien son domaine originaire, la notion de concertation a tendu depuis lors à gagner d’autres secteurs de la vie administrative, a fait tache d’huile et a été de plus en plus invoquée. Elle est devenue, peut-on dire, une idée à la mode ».478 Il s’agira ici de démontrer que si la loi permet, parfois, à la collectivité chef de file d’avoir recours à des schémas d’organisation (1), d’autres collectivités peuvent y avoir recours sans nécessairement être désignées comme chef de file (2). 1. Le recours aux schémas d’organisation par les collectivités chefs de file 199. Les schémas d’organisation sont un outil parfaitement adapté à la fonction de chef de file. En effet, « la capacité d’arbitrage requiert une compétence technique, une indépendance d’esprit, voire une autorité morale, qui transforme l’expert en sage, disposant en tant que tel de la hauteur de vue nécessaire ; mais la régulation suppose aussi une connaissance intime du secteur à réguler, des contacts étroits avec ses représentants, qui imposent un processus de rapprochement avec le milieu et le relâchement corrélatif des contraintes résultant de l’appartenance à la machine bureaucratique ».479 Or une collectivité, désignée comme chef de file, doit nécessairement selon nous disposer de toutes ces qualités. C’est à cette seule condition qu’elle pourra réellement et efficacement assurer la régulation de son domaine de compétence. L’adoption du schéma d’organisation est ainsi l’occasion pour le chef de file de 477 Art. 101. LAUBADÈRE André de, « L’administration concertée », in Mélanges en l’honneur du professeur Michel Stassinopoulos, op. cit., p.407. 479 CHEVALLIER Jacques, « La régulation juridique en question », art. cit., p.839. 478 - 165 - démontrer qu’il a les compétences nécessaires, qu’il sait fédérer tous les acteurs du secteur à coordonner autour d’un projet. C’est donc selon nous l’outil adéquat, même s’il comporte quelques limites, pour exprimer toutes les potentialités du « chef de filât ». 200. L’objet n’est pas ici de développer dans les détails les cas où les collectivités chefs de file peuvent adopter des schémas d’organisation. Ces éléments seront développés plus longuement dans la seconde partie.480 Toutefois, il faut relever que en tant que chefs de file, département et région disposent depuis la loi du 13 août 2004 de la capacité d’adopter des schémas d’orientation, dans le cadre des compétences qui leurs sont dévolues. Il s’agit de la compétence économique pour la région, et de la compétence sociale et médico-sociale pour le département. 201. Ainsi, le code de l’action sociale et des famille dispose, en son article L.312-5 4° que « le président du conseil général élabore les schémas [d’organisation sociale et médicosociale], adoptés par le conseil général ». Ce schéma était auparavant élaboré par le président du conseil général et le préfet, c'est-à-dire que c’était une compétence partagée entre la collectivité territoriale et l’État. La compétence pour l’adoption de ce schéma relève désormais du seul département, ce qui semble normal puisqu’il est désormais le chef de file en ce domaine. C’est sur la base de ce schéma que le département peut ensuite coordonner « les actions menées par les différents intervenants ».481 L’objectif de ce schéma est donc bien de permettre au chef de file de réguler l’action, de coordonner les interventions des différents acteurs d’un domaine. Le schéma d’organisation sert de partition à la collectivité chef de file, chef d’orchestre de l’action commune, pour permettre d’éviter la cacophonie entre les collectivités territoriales. Il permet à la collectivité chef de file de rationaliser l’action commune et donc de répondre de façon plus adéquate aux exigences des administrés. 202. Les régions peuvent également adopter des schémas d’organisation et notamment en matière d’action économique. En effet, la loi du 13 août 2004, en modifiant l’article L.1511-1 du Code général des collectivités territoriales, donne compétence à la région pour coordonner les actions de développement économique. A cet effet, le II de l’article 1er de la loi autorisait, à titre expérimental, les régions qui le souhaitaient à adopter un schéma régional de développement économique. L’objectif de ce schéma est de « coordonner les actions et de 480 481 Infra §277. Art. L.113-2 du CASF. - 166 - définir les orientations stratégiques en matière de développement économique ».482 Cet exemple démontre bien qu’il y a un lien, une corrélation, entre l’adoption de tels schémas et la régulation de l’action commune par un chef de file. Particularité de ces schémas, ils n’étaient au départ proposés qu’à titre expérimental. Or avant même la fin de l’expérimentation en 2009, toutes les régions s’en étaient dotées. Sur le plan de l’expérimentation elle-même cela interroge, mais du point de vue de la désignation de la région comme chef de file cet engouement se comprend. 2. Les schémas d’organisation comme outil d’aménagement du territoire 203. L’aménagement du territoire et l’urbanisme sont certainement les matières qui ont le plus recours à des schémas d’organisation pour s’assurer de l’harmonisation des actions locales. Il est nécessaire, en matière d’aménagement du territoire, de coordonner un minimum les décisions des collectivités territoriales, afin de permettre un développement harmonieux du territoire. Cette obligation est présente dès la première disposition du Code de l’urbanisme qui précise que « les collectivités harmonisent, dans le respect réciproques de leur autonomie, leurs prévisions et leurs décisions d’utilisation de l’espace ».483 En effet, il n’est pas concevable de laisser chaque commune décider de manière totalement arbitraire de l’aménagement de son territoire. Il est nécessaire que son développement prenne en compte, au minimum, les décisions en matière d’aménagement des communes limitrophes, au mieux, qu’elle s’inscrive dans une coordination de l’aménagement du territoire plus vaste, correspondant par exemple à un bassin de vie. Ainsi, en matière d’urbanisme, et depuis la loi du 13 décembre 2000, dite loi SRU,484 les communes, ou leurs groupements lorsqu’ils sont compétents, peuvent adopter un plan local d’urbanisme (PLU). Ce document remplace les anciens plan d’occupation des sols (POS), qui n’étaient pas obligatoires pour toutes les communes. « La notion de plan local d’urbanisme, qui tend à gommer l’aspect foncier, soustend l’idée d’un urbanisme de projet dont ce nouveau document d’urbanisme est appelé à être le vecteur ».485 Cependant afin d’assurer une certaine cohérence dans l’aménagement du territoire, les PLU doivent se conformer à certains documents de programmation. « Les plans 482 SESTIER Jean-François, « Le renouveau législatif du développement économique », JCP-A, 2005, n°1, p.8. Art. L.110 du Code de l’urbanisme. 484 Loi n°2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, JORF, 14 décembre 2000, p.19777. 485 CASSIN Isabelle, Le PLU, Paris, Le Moniteur, 3e ed, 2007, p.9. 483 - 167 - locaux d’urbanisme sont surplombés par une série de normes et documents dont le champ d’application est plus large, et qui ne sont pour autant pas toujours hiérarchiquement supérieurs […] ou qui sont de niveau hiérarchiquement supérieur, sans être dans tous les cas d’un champ d’application plus large ».486 Il n’est pas question ici de revenir sur toute l’architecture applicable en matière de droit de l’urbanisme. En effet, l’étude des différents documents de programmation en matière d’aménagement du territoire serait ici hors de notre propos, et leur articulation mériterait un cadre d’étude plus étendu que les quelques mots qui vont suivre. L’objectif est ici de démontrer que la décentralisation a produit des documents adoptés par les collectivités territoriales visant à coordonner leurs interventions, sans qu’il soit besoin de désigner préalablement un chef de file. Seuls deux exemples seront ici analysés, en raison d’une part de leur caractère programmatique et, d’autre part, de leur caractère contraignant pour l’adoption ensuite des décisions individuelles. Il s’agit donc d’étudier les schémas de cohérence territoriale (a), puis le schéma directeur de la région d’Ile-de-France (b). a. Les schémas de cohérence territoriale, outils d’aménagement concerté du territoire intercommunal 204. Les schémas de cohérence territoriale (SCOT) ont été institués par la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain. Ils ont remplacé les schémas directeurs d’aménagement et d’urbanisme. Les SCOT sont élaborés à l’initiative des communes ou de leurs groupements compétents. Le SCOT concerne « un territoire d’un seul tenant et sans enclave ».487 Il peut recouvrir le territoire de plusieurs EPCI, et doit tenir compte des périmètres des agglomérations nouvelles, des pays et des parcs naturels. Il doit également prendre en compte les autres SCOT limitrophes, les plans de déplacement urbain, les schémas de développement commercial, les programmes locaux de l’habitat et les chartes intercommunales de développement et d’aménagement. Si les communes et leurs groupements ont l’initiative du déclenchement de l’élaboration du SCOT, l’élaboration proprement dite de celui-ci est ensuite de la compétence d’un établissement public de coopération intercommunale ou d’un syndicat mixte « constitués exclusivement des communes et établissement publics de coopération 486 AUBY Jean-Bernard, PÉRINET-MARQUET Hugues, NOGUELLOU Rozen, Droit de l’urbanisme et de la construction, Paris, Montchrestien, coll. Domat, 9e ed., 2012, p.259. 487 Art. L.122-3 II du Code de l’urbanisme. - 168 - intercommunale compétents compris dans le périmètre du schéma ».488 Le SCOT est donc un document de programmation à vocation intercommunale large. Il a pour objectif de coordonner l’aménagement du territoire, en matière d’habitat, de déplacement urbain, de zones commerciales et de zones d’emploi, dans un bassin présentant une communauté d’intérêts économiques et sociaux. 205. L’article L.122-1 du Code de l’urbanisme détermine le contenu du schéma de cohérence territoriale. Cet article dispose, notamment, que les SCOT « exposent le diagnostic établi au regard des prévisions économiques et démographiques et des besoins répertoriés en matière de développement économique, d’agriculture, d’aménagement de l’espace, d’environnement, d’équilibre social de l’habitat, de transports, d’équipements et de services. Ils présentent le projet d’aménagement et de développement durable retenu, qui fixe les objectifs des politiques publiques d’urbanisme en matière d’habitat, de développement économique, de loisirs, de déplacements des personnes et des marchandises, de stationnement des véhicules et de régulation du trafic automobile ». C’est donc bien un document de programmation et on y retrouve les mêmes éléments que dans les schémas adoptés par une collectivité chef de file. Il s’agit dans un premier temps de dresser un bilan de l’offre, puis à partir de diverses prévisions de déterminer un projet pour l’aménagement futur du territoire concerné. Le contenu des SCOT a été quelque peu modifié par la loi portant engagement national pour l’environnement, dite loi Grenelle 2.489 L’article L.122-1 du Code de l’urbanisme a été divisé, et il faut désormais se référer aux articles L.122-1-1 à L.122-1-15. La modification vise avant tout à rendre les différentes dispositions précédemment contenues au seul article L.122-1, plus claires, plus lisibles. Il faut remarquer également qu’avec ces nouvelles dispositions, « les préoccupations d’environnement pénètrent dorénavant encore davantage les schémas de cohérence territoriale ».490 En effet, les SCOT jouent désormais un rôle majeur en matière d’aménagement et de développement durable. Si leur adoption devrait devenir, d’ici à 2017, obligatoire, leur objet est toujours le même, coordonner l’aménagement du territoire sur une zone donnée. En cela ils imposent des règles aux documents qui leur sont inférieurs. Les plans locaux d’urbanisme (PLU) sont notamment frappés par cette obligation de compatibilité avec les schémas de cohérence territoriale. « En principe les rapports entre PLU et SCOT sont toujours des rapports de 488 Art. L.122-4 du Code de l’urbanisme. Loi °2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, JORF, 13 juillet 2010, p.12905. 490 DUTRIEUX Damien, « Loi Grenelle 2 et droit de l’urbanisme », JCP-N, 2010, n°36, p.17. 489 - 169 - compatibilité. Mais dans ces domaines, le SCOT peut imposer au PLU des normes précises particulièrement contraignantes ».491 Nous sommes donc en présence d’un acte, adopté par un EPCI, qui contraint ensuite les décisions que peuvent prendre les communes membres. Les PLU sont en effet dans un rapport de compatibilité avec les SCOT. La loi Grenelle 2 marque clairement « l’émergence des SCOT comme documents de planification incontournables ».492 Cela est d’autant plus vrai que l’adoption ou non d’un SCOT peut conditionner la possibilité pour une commune d’adopter certaines règles dans son PLU. En effet, l’article L.122-2 du Code de l’urbanisme limite les possibilités pour les communes d’ouvrir à l’urbanisation certaines zones, lorsque le territoire de la commune n’est pas couvert par un SCOT. A nouveau donc, les décisions de la collectivité nucléaire qu’est la commune peuvent être limitées par des décisions prises à un niveau géographiquement supérieur. La loi portant engagement national pour l’environnement consacre même un certain nombre de domaines où les SCOT peuvent arrêter des normes impératives, qui s’imposeront donc aux documents du type PLU. Ainsi, l’article L.122-5-1 du code de l’urbanisme prévoit un certain nombre de domaines dans lesquelles le SCOT peut « arrêter des objectifs chiffrés », peut « déterminer des secteurs », ou encore « imposer » certaines démarches. Certaines dispositions des SCOT peuvent donc être rédigées de manière impérative. Or cela pose la question de savoir s’il n’y a pas alors une forme de tutelle, ou au minimum une atteinte à la libre administration des EPCI puis des communes. Il paraît que le juge analyse une telle situation de manière réaliste. Il semble en effet que « le but d’intérêt général poursuivi et l’existence de garanties de procédures […] suffisent à écarter le moyen d’une atteinte excessive à la libre administration des collectivités territoriales ».493 206. Cet exemple permet de démontrer que lorsqu’il s’agit de coordonner l’action des collectivités territoriales en vue d’un objectif d’intérêt général, tel que l’aménagement du territoire – visant même un aménagement durable du territoire – les collectivités territoriales sont prêtes à voir leurs pouvoirs limités par des actes adoptés par des groupements de collectivités qui leurs sont « supérieurs ». La même réflexion devrait pouvoir se faire, de manière naturelle – sans être effrayé par la tutelle – en matière de compétence commune pour le chef de file. La région Ile-de-France dispose également d’un schéma spécifique en matière 491 JACQUOT Henri, LEBRETON Jean-Pierre, « La réforme du plan local d’urbanisme », AJDA, 2010, p.1698. BAFFERT Philippe, « La planification stratégique », AJDA, 2010, p.1688. 493 EDDAZI Fouad, Planification urbaine et intercommunalité, op. cit., p.554. 492 - 170 - d’aménagement, qui lui aussi encadre les politiques d’urbanisme des communes et leur est opposable. b. Le schéma directeur de la région Ile-de-France, un outil particulier pour une région singulière 207. La région Ile-de-France, de par sa situation particulière, dispose elle-même d’un régime juridique spécifique. Celui-ci se traduit notamment en matière d’aménagement du territoire. En effet, en plus des PLU adoptés au niveau communal et des SCOT adoptés au niveau intercommunal, la région adopte, elle aussi, un outil de coordination de l’aménagement du territoire qui se superpose aux deux premiers niveaux. C’est pourquoi l’article L.141-1 du Code de l’urbanisme donne compétence à la région Île-de-France pour élaborer, en association avec l’État, un schéma directeur (SDRIF). Celui-ci « peut être défini comme un document d’urbanisme de portée régionale ».494 Il vise à « maîtriser la croissance urbaine et démographique et l’utilisation de l’espace tout en garantissant le rayonnement international de cette région ».495 208. L’élaboration même du SDRIF démontre cette volonté d’en faire un outil de coordination de l’aménagement du territoire. En effet, s’il est de la compétence du conseil régional d’élaborer ce document, il doit nécessairement recueillir l’avis des conseils généraux concernés, du conseil économique et social régional ainsi que des chambres consulaires. L’article L.141-1 précise, in fine, que les SCOT et, en leur absence, les PLU, cartes communales ou autres documents en tenant lieu doivent être compatibles avec le SDRIF. On peut donc s’interroger sur la possibilité d’existence d’une tutelle de la région sur les communes à travers le SDRIF. Cependant, cette possibilité doit être rejetée pour deux raisons. D’une part, selon nous, la relation de hiérarchie entre le SDRIF et les autres documents locaux n’induit qu’un rapport de compatibilité, c'est-à-dire que les communes conservent tout de même une marge d’appréciation. D’autre part, et suivant le raisonnement de Gérard Marcou,496 on peut considérer qu’il n’y a pas de tutelle puisque le SDRIF a les mêmes effets qu’une directive territoriale d’aménagement (DTA). Or le plan d’aménagement et de développement durable de la collectivité territoriale de Corse a également les mêmes effets qu’une DTA. Le Conseil constitutionnel a jugé que les compétences transférées à la 494 MARCOU Gérard, « Le schéma directeur de la région Ile-de-France entre aménagement du territoire et urbanisme », AJDA, 2004, p.1403. 495 Art. L.141-1, al. 2, Code de l’urbanisme. 496 MARCOU Gérard, « Le schéma directeur de la région Ile-de-France entre aménagement du territoire et urbanisme », art. cit., p.1406. - 171 - collectivité territoriale de Corse en matière d’urbanisme dans le cadre du plan d’aménagement et de développement durable n’ont pas conduit à méconnaître les compétences des communes et des départements, dès lors il n’y a pas de tutelle d’une collectivité sur une autre. Par analogie, il est donc possible de reproduire le même raisonnement à propos du SDRIF et donc en conclure qu’il ne met pas en place de tutelle d’une collectivité sur une autre. 209. A nouveau, nous sommes en présence d’un outil de coordination adopté par une collectivité territoriale, et opposable aux décisions d’autres collectivités, sans que cela ne crée de tutelle et sans que la collectivité ait été préalablement désignée comme chef de file. Ceci démontre qu’il est tout à fait possible de coordonner l’action de collectivités de niveau différent en mettant en place une forme de hiérarchie entre les documents d’orientation adoptés par chaque niveau. Cela permet de voir en tout cas que le recours à ces schémas est quelque chose d’assez courant en matière de décentralisation. Il y a un recours fréquent à ce mode de régulation de l’action des collectivités territoriales. On peut s’interroger sur cet engouement pour ce genre de schémas. La raison doit être recherchée selon nous dans la relative plasticité de ces actes. §2. Le schéma d’orientation, un document au service des collectivités territoriales Les schémas d’organisation sont un bon outil juridique pour permettre la régulation. En effet, ils sont une bonne illustration de ce droit mou, de cette « soft law », qui caractérise l’opération de régulation juridique. Les schémas sont un outil adaptable. Ils rejoignent toutefois deux interrogations soulevées par le concept de chef de file. Il s’agit, d’une part, de la question de la hiérarchisation des normes (A) et, d’autre part, de la capacité décisionnelle (B). A. L’empilement des schémas, structure pyramidale ou château de cartes 210. On peut s’interroger sur l’empilement des schémas, notamment en matière d’aménagement du territoire. Est-ce qu’il n’y a pas un risque que si « un tombe tous suivent », un peu comme un château de cartes. « On peut douter de l’efficacité de ces édifices formés de plans et de schémas, qui se superposent à d’autres plans et schémas, s’articulent avec encore - 172 - d’autres plans et schémas».497 L’articulation entre ces différents schémas interroge en effet sur notre conception de la hiérarchie des normes. « Ce ne sont pas des rapports de verticalité unilatérale qui apparaissent, mais plutôt des alternances de rapports de subordination ».498 En effet, dans un cas c’est la région qui va pouvoir adopter un schéma qui va s’imposer aux départements et aux communes qui la constituent ; mais, dans un autre cas, c’est le département qui va adopter un schéma qui peut s’imposer aux communes et à la région. On peut également imaginer que le niveau communal soit désigné comme chef de file et adopte à ce moment là un schéma, dans lequel le département et la région n’auraient d’autre choix que de s’intégrer. 211. Ces schémas sont des documents de programmation et donc n’emportent pas, par eux- mêmes, une décision. Or l’accumulation de ces schémas fait qu’on essaye aujourd’hui d’articuler, de hiérarchiser des actes non normatifs. Leur reproduction à toutes les échelles territoriales peut finalement nuire à leur utilité. « On ne peut qu’être frappé de voir perdurer cette logique hiérarchique et pyramidale, et un peu sceptique sur les chances qu’elle a de produire de l’effectivité ».499 La collectivité chef de file elle-même peut se retrouver face à cet imbroglio de schémas. C’est notamment le cas en matière de schémas d’organisation sociale et médico-sociale. En effet, si le 4° de l’article L.312-5 du Code de l’action sociale et des familles donne compétence au conseil général pour adopter le schéma d’organisation sociale et médico-sociale du département, d’autres autorités peuvent également en adopter. Ainsi, le ministre en charge des personnes âgées et des personnes handicapées adopte un plan national,500 le représentant de l’État dans la région adopte un plan régional501 et le directeur de l’agence régionale de santé en adopte également un.502 Evidemment tous ces schémas ne portent pas sur exactement les mêmes services ou bénéficiaires, mais ils doivent s’articuler. De plus, ils doivent être « en cohérence »503 avec le projet régional de santé, prévu à l’article L.1434-2 du Code de la santé publique et, notamment, dans ce projet avec les « schémas régionaux de mise en œuvre en matière de prévention, d’organisation des soins et 497 AUBY Jean-Bernard, « Préface », in TRAORÉ Seydou, Les schémas de cohérence territoriale de la loi SRU du 13 décembre 2000, Paris, L’Harmattan, 2001, p.11. 498 CAUDAL Sylvie, « Rapport introductif », in CAUDAL Sylvie, ROBBE François (dir.), Les relations entre collectivités territoriales, op. cit., p.28-29. 499 AUBY Jean-Bernard, « Le palimpseste de l’aménagement du territoire », Dr. Adm., août-septembre 1998, p.3 500 Art. L.312-5 1°, ce schéma porte sur les établissements accueillant des catégories de personnes pour lesquelles les besoins ne peuvent être appréciés qu’au niveau national. Ces catégories sont fixées par décret. 501 Art. L.312-5 2°, ces schémas portent sur les centres d’accueil pour les demandeurs d’asile et sur les services relatifs à la protection des majeurs ordonnée par l’autorité judiciaire. 502 Art. L.312-5 3°, ce schéma porte sur l’offre d’établissements sociaux et médico-sociaux dans la région pour l’accueil des personnes handicapées ou en perte d’autonomie. 503 Art. L.312-4 du CASF. - 173 - d’organisation médicale ». Ceci pose en fait la question de la compatibilité de ces différents schémas entre eux, mais aussi de la décision finale par rapport à ces actes. Ces schémas qui se superposent les uns aux autres ne doivent pas en principe être en contradiction les uns avec les autres. Or « puisque la superposition d’actes juridiques émanant d’acteurs toujours plus variés semble suivre un développement exponentiel, les problèmes de conciliation de normes vont aller en se multipliant ».504 C’est pourquoi il est nécessaire de s’assurer de leur correcte articulation. Cette superposition de schémas en matière sociale pose également la question de la « fracture »505 opérée dans ce domaine d’action par le législateur. Il y a la cohabitation entre, d’une part, une action sociale décentralisée organisée par le département et, d’autre part, une action sociale déconcentrée dont la région est le niveau d’action privilégié au travers de l’ARS. Ainsi, le secteur social est « partagé entre département, intercommunalités, services déconcentrés et diffracté entre les différents espaces où s’inscrivent ces trois types d’acteurs. Cela fait potentiellement beaucoup de « territoires » pour un seul champ institutionnel et, avant que tout cela ne se réordonne, on va certainement assister à une complexification généralisée de l’action collective ».506 212. Le juge constitutionnel s’assure en partie que cette articulation est possible. Il veille notamment à ce que l’empilement des schémas ne limite pas le principe de libre administration des collectivités territoriales. Le Conseil constitutionnel veille, semble-t-il, à deux éléments, d’une part, que le schéma supérieur n’arrête que des orientations générales puis, d’autre part, que le schéma inférieur ne soit soumis qu’à une obligation de compatibilité et non de conformité. Dès lors, pour le Conseil constitutionnel « une telle obligation n’est pas de nature à porter atteinte à la libre administration des collectivités concernées ».507 En effet, la compatibilité permet de laisser aux collectivités soumises au respect du schéma une certaine marge de manœuvre. « La compatibilité se distingue de la conformité en ce que la seconde implique un rapport de stricte identité alors que la première se satisfait d’une contrariété ».508 Cette simple obligation de compatibilité implique que « le document de niveau supérieur respecte l’autonomie de décision des autorités chargées d’élaborer les 504 CAUDAL Sylvie, « Rapport introductif », in CAUDAL Sylvie, ROBBE François (dir.), Les relations entre collectivités territoriales, op. cit., p.29. 505 LAFORE Robert, « Les « territoires » de l’action sociale : l’effacement du modèle « départementaliste » ? », RDSS, 2011, n°1, p.13. 506 Ibid., p.16. 507 CC, n°2000-436 DC, 7 décembre 2000, loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, JORF, 14 décembre 2000, p.19840, cons. 7 ; SCHOETTL, AJDA, 2001, p.18-26. 508 TRAORÉ Seydou, Les schémas de cohérence territoriale de la loi SRU du 13 décembre 2000, op. cit., p.120. - 174 - documents d’application ».509 La compatibilité entre deux schémas ne provoque donc aucune tutelle d’une autorité sur une autre, puisque celle qui adopte la décision « inférieure » demeure libre dans ses choix. Celle-ci peut toujours adopter une décision qui diffère des préconisations du schéma général, voire même adopter une décision qui serait contraire au premier schéma, dans une certaine mesure.510 « Tout laisse à penser qu’une telle jurisprudence s’appliquerait aussi aux rapports de subordination établis entre les actes des différentes catégories de collectivités territoriales. En revanche, la nouvelle fonction de collectivité chef de file pourrait permettre – si telle devait être la position du Conseil constitutionnel – au législateur de s’affranchir du respect de l’un au moins des deux critères précités ».511 Il faut relever toutefois qu’en matière de documents d’urbanisme, notamment s’agissant des PLU communautaires, la jurisprudence512 puis la loi513 ont amorcé une évolution favorable au caractère impératif du PLU par rapport aux documents d’urbanisme inférieurs. Ainsi certaines dispositions des PLU peuvent avoir un caractère impératif et donc imposer des prescriptions. « Théoriquement c’est toujours le rapport de compatibilité qui doit régir les relations entre les planifications urbaines. Mais comment pourrait-il en être ainsi si la norme impliquant un rapport de compatibilité est rédigée de façon impérative ? ».514 Il serait intéressant de voir une telle évolution se produire également dans le cadre des documents de programmation adoptés par le chef de file. Cela permettrait ainsi à la collectivité chef de file de profiter pleinement de cet outil de régulation que sont les schémas de coordination. A minima, les schémas adoptés par la collectivité chef de file devraient imposer une exigence de compatibilité pour les décisions prises par les collectivités parties à l’action commune. Cependant, il nous semble même que l’évolution devrait aller pourquoi pas jusqu’à imposer la conformité des décisions des collectivités parties à la file par rapport aux schémas adoptés par la collectivité chef de file. 509 Observations du gouvernement sur la saisine du Conseil constitutionnel sur la loi SRU. Disponibles sur le site du Conseil constitutionnel avec le dossier relatif à la décision. 510 CHAPUS René, Droit administratif général, T.1, op. cit., p.1082. 511 CAUDAL Sylvie, « Rapport introductif », in CAUDAL Sylvie, ROBBE François (dir.), Les relations entre collectivités territoriales, p.28. 512 CE, 10 janvier 2007, Fédération départementale de l’hôtellerie de plein air de Charente-Maritime, req. n°269239, mentionné aux Tables ; SOLER-COUTEAUX, Revue de droit immobilier, mars-avril 2007, p.186188. 513 Loi n°2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, précit. 514 EDDAZI Fouad, Planification urbaine et intercommunalité, op. cit., p.552. - 175 - B. Le caractère contraignant des schémas d’organisation Les schémas d’organisation sont des documents prévisionnels. Ils ne sont que l’expression d’une orientation politique et ne contiennent pas réellement de décision (1). Dès lors, sont-ils simplement un document prospectif sans aucune valeur ou peuvent-ils servir de base légale pour certaines décisions ? C’est alors la question de leur opposabilité qui se pose (2). 1. Un document non décisionnel 213. Le schéma d’organisation adopté par la collectivité chef de file ne peut pas être imposé aux autres collectivités qui suivent la file. Il ne peut être qu’un document d’orientation. « Les schémas sont des documents administratifs destinés à faciliter la prise de décision par les autorités concernées, ils sont une aide à la décision, il est donc normal qu’ils ne produisent pas, par eux-mêmes d’effets juridiques ».515 En effet, à nouveau l’interdiction de la tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre contenue à l’article 72, alinéa 5 de la Constitution, empêche toute hiérarchisation entre les actes des collectivités territoriales. Même le chef de file ne peut user d’un schéma d’organisation pour imposer des décisions aux autres collectivités parties à la file. Toutefois, il nous semble à nouveau que cette vision doit être dépassée. La régulation de l’action commune par le chef de file doit nécessairement selon nous aboutir à une certaine coordination des collectivités territoriales. Cependant, cela ne devrait pas se faire au profit unique d’un niveau de collectivité. Là, la région chef de file pourrait imposer ses orientations aux départements et aux communes qui la constituent ; et, ici, le département pourrait obliger la région et les communes à suivre son schéma d’organisation sur telle autre compétence. « La hiérarchisation ne constitue donc plus le principe d’intégration d’un ordre devenu polycentrique : elle est au demeurant peu compatible avec la logique nouvelle d’un droit de régulation misant sur la souplesse et la flexibilité plus que sur la contrainte ; aussi l’articulation va-t-elle passer par des mécanismes plus diffus d’ajustement ».516 Les schémas d’organisation puisqu’ils nécessitent des outils de mise en œuvre par la suite, notamment contractuels, sont donc des bons mécanismes d’ajustement. Les schémas se présentent en effet à la limite entre l’acte unilatéral et l’acte 515 PONTIER Jean-Marie, « Les cartes et schémas : de nouvelles interrogations pour la décentralisation », in PONTIER Jean-Marie (dir.), Cartes, schémas et décentralisation, op. cit., p.34. 516 CHEVALLIER Jacques, « La régulation juridique en question », art. cit., p.842. - 176 - contractuel. Ils sont des actes unilatéraux puisque leur adoption relève de la compétence d’une seule personne ; mais ils sont en même temps issus d’une négociation, ou du moins d’une concertation préalable ce qui les rapproche plus de l’acte contractuel. Ils sont en cela un parfait outil de régulation puisque celle-ci tend à brouiller les catégories juridiques classiques. « Car si la vision classique nous incline à distinguer nettement prescription et influence, procédés impératifs et techniques incitatives, mesures de sanction et dispositifs correcteurs, la régulation subvertit ces classifications et nous offre un modèle d’analyse, où se combinent techniques juridiques et pratiques extrajuridiques, certainement plus représentatif de la réalité sociale ».517 Les schémas d’organisation permettent de prendre en compte ces nouvelles formes de régulation. Ils ne sont pas des actes juridiques coercitifs. Au contraire, ce sont des actes de planification et qui cherchent uniquement à orienter l’action des acteurs concernés. 2. L’opposabilité des schémas d’orientation 214. L’intérêt justement du schéma c’est que en lui-même il n’arrête aucune décision, il ne décide de rien. Les effets juridiques des schémas départementaux d’organisation sociale et médico-sociale ont par exemple fait l’objet de diverses interprétations par le juge administratif. Dans une première décision de 1991,518 le Conseil d'État a ainsi considéré que la réorganisation d’un établissement médico-social, en l’espèce un centre départemental de l’enfance, n’avait pas besoin d’être subordonné à l’intervention préalable d’un schéma d’organisation sociale et médico-sociale. Toutefois, dans une décision ultérieure, le Conseil d'État a jugé que le refus de « l’autorisation de créer un centre d’hébergement collectif de 24 lits pour des personnes âgées dépendantes, se fonde sur ce que le schéma départemental ne fait pas apparaître de déficit en lits pour personnes âgées dans le secteur géographique concerné et sur ce que le projet de la société ne répond pas à un besoin dudit secteur ».519 Dès lors, le Conseil d'État a jugé que la délibération du conseil général refusant l’autorisation d’ouverture d’un établissement pour personnes âgées était correctement motivée. Dans cette seconde espèce, le juge administratif reconnaît donc que le schéma d’organisation peut servir de base à la prise de décision et que donc il a un effet contraignant. Il y a évolution dans la 517 AUTIN Jean-Louis, « Réflexions sur l’usage de la régulation en droit public », in MIAILLE Michel (dir.), La régulation entre droit et politique, op. cit., p.55. 518 CE, 27 mars 1991, Syndicat départemental des services de santé et des services sociaux CFDT de la Vienne, req. n°80442, mentionné aux tables du Rec, p.1111. 519 CE, 29 juillet 1994, Département des Vosges, req. 129371, inédit au Rec. - 177 - conception par le juge administratif de ces schémas. Toutefois, dans le cadre de notre analyse relative au chef de file, cette évolution est encore à parfaire. Dans les deux espèces en cause, l’opposabilité des schémas d’organisation est en cause par rapport à des personnes privées, et non par rapport à des collectivités territoriales. Toute la question que pose l’articulation entre le schéma d’organisation et l’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre, est de savoir si un schéma adopté par une collectivité chef de file est opposable aux décisions des autres collectivités parties à l’action commune. C’est là que résiderait réellement l’intérêt du recours au schéma d’organisation par la collectivité chef de file. Si celui-ci peut être opposé aux autres collectivités parties à l’action commune, qui auront participé à sa préparation, alors le chef de file serait vraiment en position de coordonner une véritable action commune. Le caractère opposable des schémas d’organisation sociale et médico-sociale a été renforcé par le décret du 26 juillet 2010 relatif à la procédure d’appel à projet. 520 Ce décret porte sur la procédure d’autorisation d’ouverture des établissements sociaux et médicosociaux. Il institue une commission de sélection d’appel à projet social ou médico-social qui doit se prononcer sur toute création ou extension d’un établissement social ou médico-social. Pour se prononcer, la commission se base sur le cahier des charges de l’appel à projet qui « identifie les besoins sociaux et médico-sociaux à satisfaire, notamment en termes d’accueil et d’accompagnement des personnes, conformément aux schémas d’organisation sociale et médico-sociale ».521 Or si une collectivité, et notamment une commune, désire désormais ouvrir un tel établissement, elle devra se conformer à la procédure d’appel à projet. Cela implique que, dans pareil cas, le schéma d’organisation sociale et médico-sociale est opposable à une collectivité territoriale, lorsqu’elle souhaite intervenir dans le domaine en cause, tout comme pour une personne privée. De plus la collectivité territoriale qui répond à l’appel à projet est un candidat au même titre que les autres, elle n’est donc pas assurée d’être sélectionnée pour créer l’établissement qui fait l’objet de l’appel à projet du seul fait de sa qualité de personne publique. Cela peut entraîner des complications, notamment pour les communes rurales qui désirent ouvrir une maison de retraite. En effet, ce projet doit non seulement s’inscrire dans le cadre des besoins déterminés par le schéma départemental d’organisation sociale et médico-sociale, mais il devra également faire l’objet d’une procédure d’appel à projet que la commune n’est pas certaine de remporter. 520 Décret n°2010-870 du 26 juillet 2010 relatif à la procédure d’appel à projet et d’autorisation mentionnée à l’article L.313-1-1 du code de l’action sociale et des familles, précit. 521 Art. R.313-3-1-I du CASF. - 178 - 215. L’opposabilité des schémas pourrait également passer par la prévision de certaines subventions dans ces schémas. La collectivité chef de file pourrait ainsi prévoir de majorer les aides à la réalisation de certaines opérations, à condition que ces opérations soient en cohérence avec les objectifs du schéma d’organisation préalablement adopté. De plus, un tel système permet de contourner l’interdiction de la tutelle, puisque s’il ne s’agit que d’une modulation de la subvention, le juge administratif considère qu’il n’y a pas de tutelle. En effet, nous serions là dans un cas d’application de la jurisprudence département des Landes du Conseil d'État sur les subventions entre collectivités.522 La modulation de la subvention n’empêche pas la collectivité subventionnée de prendre une décision différente de celle préconisée dans le schéma, elle conserve son entière autonomie et il n’y a donc pas de tutelle d’une collectivité sur une autre. La modulation de la subvention conduit uniquement à orienter, sans obliger, les collectivités parties à l’action commune à se conformer aux orientations adoptées, en principe après consultation de toutes les collectivités intéressées, dans le schéma d’organisation. 216. Les schémas adoptés actuellement ne sont cependant pas sans aucun effet. Ainsi, les différents schémas départementaux d’organisation sociale et médico-sociale que nous avons pu consulter démontrent qu’ils ont tout de même certaines conséquences. Le conseil général de la Mayenne a pu par exemple s’appuyer sur son premier schéma d’organisation gérontologique « pour éviter un développement anarchique de nouveaux établissements, ainsi que pour créer, a contrario, des places sur le territoire du pays de Laval qui était souséquipé ».523 Toutefois de tels résultats ne sont possibles que si tous les acteurs décident de coopérer et que, comme dans le cas de la Mayenne l’offre est suffisante. En effet, le conseil général du Maine et Loire s’est lui retrouvé face à une situation un peu plus compliquée puisque en moyenne le taux d’équipement du département en matière d’établissement d’accueil des personnes âgées était suffisant, mais cette moyenne cachait en fait des disparités à l’intérieur du département. « En conséquence, la seule façon de rééquilibrer le territoire départemental aurait été de réduire la capacité d’accueil dans une zone au dessus de la moyenne pour l’augmenter ailleurs, ce qui n’était pas réalisable hors restructuration volontaire ».524 Cela démontre qu’il y a tout de même des limites à recourir à ces schémas. Ils 522 CE, Sect., 12 décembre 2003, Département des Landes, précit. Supra §141. Schéma départemental de l’organisation sociale et médico-sociale, personnes âgées. Années 2008-2012, conseil général de la Mayenne, p.13. 524 Schéma gérontologique départemental de transition, 2008-2010, conseil général de Maine et Loire. Document disponible sur le site Internet du Conseil général. http://www.cg49.fr/le-conseil-general-a-votreservice/solidarites/personnes-agees/le-schema-gerontologique-departemental. 523 - 179 - impliquent pour leur mise en œuvre, à nouveau une discussion, afin que tous les partenaires se mettent d’accord sur les modalités de réalisation des objectifs du schéma. 217. Cet accord se matérialise dans un contrat que les collectivités passent entre elles, afin de mettre en œuvre les objectifs du schéma d’organisation. En effet, l’adoption d’un schéma d’organisation implique nécessairement la contractualisation des moyens pour sa mise en œuvre. « La contractualisation, par sa souplesse, est l’instrument qui est souvent le mieux adapté, puisqu’il est possible de conclure plusieurs contrats, faisant référence aux schémas, tout en modulant les exigences et les obligations en fonction des différentes collectivités ».525 Schémas et contractualisation se complètent ici parfaitement puisqu’ils échappent pour partie aux catégories juridiques préétablies. Ces modes d’action aujourd’hui largement répandus dans l’administration permettent en effet une souplesse, une adaptabilité dont ne disposait pas nécessairement l’acte unilatéral. Dès lors, ces modes d’action concordent parfaitement avec le rôle de régulation de l’action commune qui est dévolu au chef de file. 525 PONTIER Jean-Marie, « Les cartes et schémas : de nouvelles interrogations pour la décentralisation », in PONTIER Jean-Marie (dir.), Cartes, schémas et décentralisation, op. cit., p.34. - 180 - Conclusion Chapitre 1er 218. Si l’acte administratif unilatéral est le moyen traditionnel de l’action administrative, dans le cadre de l’action commune organisée par un chef de file le recours à ce type d’actes n’est pas nécessairement le plus aisé. Toutefois, dans la typologie des actes administratifs unilatéraux un type d’acte est particulièrement intéressant pour le chef de file : le schéma d’orientation. Là encore certaines évolutions nous semblent fondamentalement nécessaires. En effet, le schéma d’orientation adopté par le chef de file doit acquérir une valeur prescriptive. Ce document ne doit pas se contenter de fixer des objectifs, qu’il s’agira pour les collectivités parties à la file d’essayer d’atteindre. Le schéma d’orientation doit devenir réellement prescriptif à l’égard des collectivités parties à l’action commune. Cette évolution n’imposera pas selon nous pour autant de tutelle d’une collectivité sur une autre. Trois arguments complémentaires militent en faveur de ce raisonnement. D’une part, le schéma d’organisation vise un objectif d’intérêt général. En effet, l’objectif de l’action commune est d’assurer un exercice plus efficace des compétences locales. Dès lors que l’intérêt général est l’objectif de cet aménagement des relations entre collectivités territoriales, il doit être consenti et considéré comme ne portant pas atteinte à l’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre. D’autre part, le schéma d’organisation est issu d’une procédure de discussion, de recherche de consensus. Ainsi, l’ensemble des collectivités parties à l’action commune participent à l’élaboration du schéma, sous la direction du chef de file. Dès lors, que chaque collectivité peut librement participer à ce processus de discussion, qu’elle peut donner son avis et permettre d’aboutir au consensus, tout risque de tutelle est à nouveau écarté. Enfin, les schémas nécessitent régulièrement, dans le cadre de leur mise en œuvre de recourir à des contrats. Or nous allons analyser que les relations contractuelles permettent justement de s’écarter du risque de tutelle. - 181 - - 182 - Chapitre 2 La régulation de l’action commune par la contractualisation 219. L’acte unilatéral n’est qu’une modalité d’action limitée pour la collectivité chef de file. La clarification des compétences espérée n’est pas réelle et, au contraire, le risque de tutelle d’une collectivité sur une autre est présent. Le chef de file doit nécessairement trouver d’autres moyens pour organiser l’action commune. Nous l’avons déjà indiqué, l’adoption d’un schéma d’orientation pour la matière qui fait l’objet de la compétence commune est un premier moyen de coordonner ces actions. Les schémas contiennent des objectifs à réaliser, mais ces objectifs nécessitent d’être mis en œuvre. Cette mise en œuvre passe alors, selon nous, par la contractualisation d’actions à réaliser entre collectivités territoriales. La contractualisation est le moyen pour les collectivités territoriales de s’entendre sur des objectifs communs. Elle suppose une relation d’échange, avant la signature du contrat. Or ces échanges préalables permettent d’aboutir à un consensus. Cette notion de consensus est l’avantage indéniable de la procédure conventionnelle par rapport à l’acte unilatéral. 220. Il faut s’entendre d’abord sur le vocabulaire. Il nous paraît nécessaire de parler ici de contractualisation et non de contrat. Au delà de la seule différence de terme, les deux notions recouvrent des réalités connexes, mais l’une est beaucoup plus large que l’autre. « La contractualisation est une forme d’institutionnalisation du contrat, elle est une généralisation de la relation contractuelle ».526 C’est à dessein que l’on emploi ici le terme de contractualisation et non celui de contrat. En effet, le second renvoie à un objet juridique trop précis ; alors que le premier implique plutôt un ensemble de relations qui ne s’arrêtent pas au seul contrat. « Le terme de contractualisation est issu du terme contrat mais est beaucoup plus large que ce dernier. Il n’évoque pas seulement un acte qui est la concrétisation juridique d’un accord de volontés, mais toute une activité ou un mode de relations entre des personnes. La contractualisation signifie la substitution de relations fondées sur la discussion et l’échange à des relations commandées par la subordination et le commandement ».527 221. Il s’agit donc de se demander comment la collectivité chef de file peut avoir recours à la contractualisation pour mener à bien l’organisation de l’action commune entre collectivités. Le contrat est-il un mode d’action plus à même de permettre à la collectivité désignée comme 526 POULET-GIBOT LECLERC Nadine, « La contractualisation des relations entre personnes publiques », RFDA, 1999, p.552. 527 PONTIER Jean-Marie, Les contrats de plan entre l’État et les régions, Paris, PUF, coll. Que sais-je ?, 1998, 1ère ed., p.17. - 183 - chef de file de développer toutes les potentialités contenues dans la notion ? La contractualisation permet-elle de passer outre l’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre ? En effet, c’est bien cette réflexion qui semble toujours être au cœur de nos développements, à savoir l’articulation entre les modalités d’actions de la collectivité chef de file et l’interdiction constitutionnelle d’établir une tutelle entre collectivités. Pour répondre à cette question il s’agit tout d’abord de comprendre quel est l’intérêt pour les personnes publiques de recourir au contrat. Dès lors, nous verrons que la contractualisation permet au chef de file de s’assurer de la réalisation des objectifs fixés dans les schémas d’organisation. « La notion de collectivité chef de file conjuguée à l’interdiction de la tutelle entre collectivités territoriales suggère que l’articulation des compétences au niveau local ne pourra prendre qu’une forme contractuelle, seule en mesure de garantir le consentement de l’ensemble des partenaires aux orientations définies par le chef de file ».528 De ce point de vue, l’action du chef de file peut être comparée à ce qui se fait pour la mise en œuvre des objectifs des contrats de projet État région. Toutefois, le recours à la contractualisation ne résout pas tous les problèmes. Il rencontre tout de même des limites. Le risque de tutelle est toujours présent. Cependant nous nous intéresserons également aux effets juridiques de la convention, tant entre les cocontractants qu’avec les tiers. Ces effets peuvent faire surgir des difficultés qui pourraient limiter le recours à la contractualisation par la collectivité chef de file. De plus le recours à la contractualisation fait intervenir la notion d’intuitu personae, ce qui peut être source d’insécurité juridique. Il s’agira donc après une rapide présentation du mouvement de contractualisation entre collectivités territoriales (Section préliminaire), d’étudier comment la contractualisation peut être un outil de mise en œuvre des objectifs communs (Section 1). Certaines particularités méritent toutefois d’être exposées (Section 2). 528 BRISSON Jean-François, « Les nouvelles clefs constitutionnelles de répartition matérielle des compétences entre l’État et les collectivités locales », art. cit., p.528. - 184 - Section préliminaire. Le recours, devenu normal, à la contractualisation entre collectivités territoriales 222. Le mouvement de contractualisation des relations entre personnes publiques n’est pas nouveau. Il est aisé de faire un parallèle entre le développement de la décentralisation et l’essor de la contractualisation. Alors que la contractualisation des relations entre collectivités territoriales pouvait paraître un mode d’action nouveau, ou pour le moins différent, il y a encore quelques années, il est devenu aujourd’hui un mode normal d’action des personnes publiques. « Le procédé contractuel prend une place déterminante dans l’action publique : il souligne la volonté de rechercher une alternative à l’acte unilatéral, dans les domaines où la négociation et la concertation sont préférées ».529 Le développement de l’administration contractuelle peut se justifier pour différentes raisons. D’une part, l’État ne dispose plus de la même légitimité pour commander de manière unilatérale, pour imposer une décision sans concertation. D’autre part, la complexité des structures administratives, le mille-feuille administratif tant décrié, conduit nécessairement à rechercher d’autres moyens d’actions. Enfin, « la troisième cause est à rechercher dans la difficulté de mener à bien des politiques publiques de façon isolée [celles-ci] supposent des actions conjointes et des financements croisés ».530 La contractualisation apparaît donc comme le moyen d’action pour l’administration le plus à même de répondre à ces trois critiques. Elle s’est donc progressivement imposée comme un moyen d’action à part entière pour les collectivités territoriales à côté de l’acte unilatéral, et pas uniquement dans leurs relations avec les personnes privées. 223. La liberté de contracter entre les personnes publiques a été consacrée assez tardivement, seulement dans les années 1980. C’est en effet par deux décisions que le Conseil constitutionnel a reconnu la possibilité de contracter entre personnes publiques. Tout d’abord la décision du 27 juillet 1982531 puis la décision du 19 juillet 1983.532 Cette seconde décision est très importante car le juge constitutionnel y reconnaît la possibilité pour les conventions entre personnes publiques « d’harmoniser l’action des administrations respectives de l’État, 529 POULET-GIBOT LECLERC Nadine, « La contractualisation des relations entre personnes publiques », art. cit., p.557. 530 DENOIX DE SAINT MARC Renaud, « La question de l’administration contractuelle », AJDA, 2002, p.970. 531 CC, n°82-142 DC du 27 juillet 1982, Loi portant réforme de la planification, JORF, 29 juillet 1982, p.2424, cons. 19 ; JACQUOT, AJDA, 1982, p.577-582. 532 CC, n°83-160 DC du 19 juillet 1983, Loi portant approbation d’une convention fiscale avec le territoire d’outre mer de la Nouvelle-Calédonie et dépendances, JORF, 21 juillet 1983, p.2251 ; JARNEVIC, AJDA, 1984, p.28-33. - 185 - d’une part, et des collectivités territoriales, d’autre part, dans l’exercice des compétences qui leur sont dévolues en vertu de la constitution et de la loi ».533 Deux éléments expliquent cette reconnaissance tardive. D’une part, cette liberté a pu ne pas apparaître aussi urgente que d’autres à reconnaître et, d’autre part, sa non reconnaissance n’avait pas empêché jusqu’alors l’action administrative de s’accomplir. En effet, face à des libertés qui peuvent apparaître plus importantes telle que la liberté d’association534, la liberté de contracter pour les personnes publiques a pu apparaître comme une liberté secondaire, une liberté moins urgente à reconnaître. Il peut même sembler tout à fait justifié que le Conseil constitutionnel ait d’abord cherché à consacrer les libertés individuelles, plutôt que des libertés d’action surtout en faveur des personnes publiques, d’autant plus que celles-ci bénéficiaient déjà de leurs prérogatives de puissance publique pour agir. Leur reconnaître une liberté de contracter pouvait ainsi ne pas apparaître urgent. Cela ne les empêchait pas d’agir. La liberté contractuelle est donc finalement une conquête assez récente pour l’administration. L’émergence de la contractualisation a été lente. « Cette idée de partenariat ne pénètre notre droit public qu’avec beaucoup de difficultés. Il est certes bien connu que la société française souffre d’un déficit de culture de la négociation et du contrat. Dans toutes les relations sociales impliquant des acteurs publics, le transactionnel, le négocié, le contractuel trouvent difficilement leur place parce que, dans notre vision, l’intérêt général ne se négocie pas ».535 224. Il y a un lien entre contractualisation et décentralisation qui est indéniable. L’une et l’autre se nourrissent. « La décentralisation aurait pu rester pour partie une construction juridique formelle, une lettre d’intention, si la contractualisation n’avait permis de mettre en action concrètement les dynamiques locales et les coopérations entre compétences. La contractualisation, de son côté, serait restée probablement expérimentale, si le climat de la décentralisation n’avait impulsé et diffusé largement l’idée d’une égalité nouvelle entre collectivités publiques. Les contrats sont ainsi devenus de la décentralisation en actes et celle-ci, en retour, la condition nouvelle d’une contractualisation sans tutelle symbolique ».536 En effet, comme nous l’avions relevé dans le chapitre précédent537, le recours à l’acte unilatéral peut comporter des risques de mise en place d’une tutelle entre les collectivités 533 Ibid., cons. 4. CC, n°71-44 DC du 16 juillet 1971, Loi complétant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, JORF, 18 juillet 1971, p.7114 ; RIVERO, AJDA, 1971, p.537-542. 535 AUBY Jean-Bernard, « L’aménagement, le droit et le contrat », in Direction générale de l’urbanisme, de l’habitat et de la construction et Club Ville/Aménagement, Fabriquer la ville. Outils et méthodes : les aménageurs proposent, Paris, La Documentation française, 2001, p.82. 536 GAUDIN Jean-Pierre, « La négociation des politiques contractuelles », in GAUDIN Jean-Pierre (dir.), La négociation des politiques contractuelles, Paris, L’Harmattan, coll. Logiques politique, 1996, p.11. 537 Supra §184. 534 - 186 - territoriales. Au contraire, la convention, comme elle est le fruit d’un accord entre plusieurs personnes et qu’elle présuppose une égalité entre tous les signataires n’est pas soumise à ce risque de mise en place d’une tutelle. Les collectivités territoriales ont ainsi trouvé dans la contractualisation un moyen de mettre en œuvre les nouvelles libertés qui leur étaient accordées avec la décentralisation. La liberté contractuelle est un moyen d’expression de la libre administration, de la même manière que l’essor de la libre administration a permis le développement exponentiel de la contractualisation. « Grâce à la convention, la simple liberté d’être se transforme en liberté d’agir ; dès lors le principe de la libre administration prend sa signification véritable ».538 Il n’est donc pas étonnant que la collectivité désignée chef de file trouve dans la contractualisation un moyen d’action précieux pour organiser l’action commune. « La gouvernance contractuelle s’impose comme l’un des modes ordinaires de coordination entre personnes publiques ».539 225. Lors du débat parlementaire sur la révision constitutionnelle de mars 2003, certains parlementaires voulaient mettre la contractualisation au cœur du dispositif de chef de file. En effet, certains sénateurs avaient proposé que la collectivité chef de file soit désignée, par les collectivités parties à l’action commune, par voie contractuelle. C’est notamment à l’initiative du sénateur Jean-Claude Peyronnet que des amendements avaient été déposés pour modifier le projet de loi constitutionnelle en ce sens. Il estimait que cette désignation, par contrat de la collectivité chef de file était un moyen mieux adapté d’éviter la mise en place d’une tutelle. 540 « Cela se fait déjà couramment lorsqu’un projet intéresse plusieurs collectivités : on s’installe autour d’une table, on débat, puis on arrive à un accord ou à une convention, convention que les collectivités ont la liberté de signer ou de ne pas signer. […] On passe contrat ou on ne passe pas contrat. C’est tout de même tout à fait différent du système que vous proposez, dans lequel la loi confie l’organisation à une seule collectivité. Les autres collectivités seront alors tenues de se plier, en vertu du principe constitutionnel que vous voulez édicter, aux décisions de la collectivité qui aura reçu la responsabilité d’organiser l’action commune »541 indiquait un sénateur pour défendre l’idée d’une désignation du chef de file par convention entre collectivités plutôt que par la loi. Le Gouvernement et la commission des lois vont s’opposer à ces amendements. Cela ressemble fort au système proposé dans la 538 FORT François-Xavier, « Coopération intercommunale et principe de libre administration », Dr. Adm., 2003, n°2, p.15. 539 BRIANT Vincent de, « La gouvernance locale : du politique au juridique », Pouvoirs locaux, 2002, n°55, p.122. 540 PEYRONNET Jean-Claude, Sénat, JORF Débats, 12 décembre 2002, p.5688. 541 SUEUR Jean-Pierre, Sénat, JORF Débats, 12 décembre 2002, p.5699. - 187 - loi de 1995 et qui avait justement été censuré par le Conseil constitutionnel. L’objectif de cet amendement était de faire en sorte que la désignation du chef de file ne se fasse pas de façon arbitraire, par le législateur, mais puisse se faire au cas par cas pour chaque action commune par chaque groupe de collectivités. Une telle solution peut apparaître intéressante car elle laisse une plus grande autonomie aux collectivités territoriales, elles peuvent choisir ellesmêmes leur chef de file. Cette solution aurait surtout eu l’avantage de légitimer peut être un peu plus l’action de la collectivité chef de file. C’est d’ailleurs ce qu’indique le rapport du Sénat sur le projet de loi lorsqu’il explique que « on peut toutefois imaginer que, dans certains cas prévus par la loi, la fonction de chef de file ne serait mise en œuvre que par voie de convention entre des collectivités territoriales volontaires ». 542 En effet, ce ne serait pas un chef de file imposé mais un chef de file choisi. Cependant cette option n’a finalement pas été retenue. Elle aurait posé la question de la tutelle d’une collectivité sur une autre. En effet, laisser ce choix aux collectivités territoriales peut favoriser les luttes d’influences et donc les risques de tutelles. « Les difficultés, […] qui ont amené le Conseil constitutionnel à censurer [en 1995] une partie du dispositif adopté par le Parlement, découlent du risque de tutelle – en quelque sorte consentie – qui pourrait résulter de la conclusion d’une convention de chef de file entre collectivités locales. Bien plus, ne risque-t-on pas, avec ce type de convention, de voir s’instaurer une hiérarchisation des différentes personnes publiques locales, ce qui est en totale contradiction avec la tradition républicaine française ? ».543 S’agissant d’une disposition constitutionnelle, la jurisprudence du Conseil constitutionnel de 1995 aurait toutefois été inapplicable. L’intention est louable au départ, à savoir, assurer une autorité qui soit consentie par tous à la collectivité chef de file. Cependant, le constituant a finalement estimé que cette solution aurait eu plus d’inconvénients que d’avantages et l’a donc rejetée. 542 GARREC René, Rapport sur le projet de loi constitutionnelle et les propositions de lois constitutionnelles relatives à l’organisation décentralisée de la République, op. cit., p.112. 543 DREYFUS Jean-David, Contribution à une théorie générale des contrats entre personnes publiques, op. cit., p.217. - 188 - Section 1. La contractualisation, outil de réalisation de l’action commune 226. La contractualisation est aujourd’hui largement répandue dans les relations entre collectivités territoriales. « L’action publique fait de plus en plus appel au contrat, ou tout au moins à des modalités qui empruntent la forme et le vocabulaire du contrat ».544 Ce développement est lié, d’une part, à l’intérêt qu’ont porté les collectivités à un mode de gestion aisée de leurs relations. D’autre part, le législateur lui même a contribué au développement de la contractualisation, ce qui s’est parfois fait au détriment de la clarification des compétences. L’intérêt de la contractualisation est aussi de servir d’outil de mise en œuvre des politiques décidées dans les schémas d’orientation et, là, il n’y a rien de nouveau puisque dans le cadre des contrats de plan État-région, les collectivités territoriales avaient déjà l’habitude de contractualiser sur les moyens pour réaliser les objectifs définis dans les contrats de plan. Il s’agira donc d’analyser dans un premier temps les intérêts du recours au contrat (§1) puis de comprendre que la contractualisation est un outil qui permet de donner une force juridique à ce « droit mou » que nous avons mis en évidence précédemment (§2). §1. Les intérêts du recours à la contractualisation 227. Le recours à la contractualisation s’est largement répandu dans les relations entre personnes publiques, entre collectivités territoriales en particulier. Les collectivités y ont à la fois un intérêt pratique et politique. Le développement de la contractualisation est donc pour nous avant tout le signe d’un pragmatisme des décideurs locaux. « Pour l’administration, parler de contrat ne revient pas toujours à créer d’authentiques obligations contractuelles, mais à feindre leur existence. C’est alors l’idéologie contractuelle qui importe, plus que l’institution ».545 Le contrat véhicule en effet toute une symbolique que les acteurs locaux mettent en avant. Il ne s’agit pas tant d’aboutir à la signature de véritables contrats que de convaincre tous les partenaires qu’il existe une discussion, une négociation. Il ne sera pas fait état ici de la coopération contractuelle sous forme institutionnelle. Plus particulièrement nous écarterons l’analyse des EPCI, comme coopération contractuelle entre collectivités territoriales. Il nous semble en effet que les collectivités territoriales ont 544 MARCOU Gérard, RANGEON François, THIÉBAULT Jean-Louis, La coopération contractuelle et le gouvernement des villes, Paris, L’Harmattan, 1997, p.7. 545 CAILLOSSE Jacques, « Sur la progression en cours des techniques contractuelles d’administration », in CADIET Loïc (dir.), Le droit contemporain des contrats, Paris, Economica, 1987, p.90. - 189 - vocation à se fondre dans ces groupements, perdant ainsi une partie de leur capacité juridique. La formule institutionnelle pourra toutefois être parfois retenue comme nous l’étudierons ultérieurement avec le cas du groupement d’intérêt public.546 Le recours à la contractualisation s’est largement développé dans les relations entre collectivités territoriales, d’une part du fait des collectivités elles-mêmes qui y ont trouvé un outil de gestion qui facilite les relations entre elles (A). D’autre part, c’est le législateur luimême qui a favorisé ce développement en permettant aux collectivités territoriales de se déléguer entre elles certaines de leurs compétences par voie contractuelle (B). Tous ces développements se font, parfois, au détriment de la lisibilité de la répartition de compétences entre collectivités territoriales. A. Le développement de la contractualisation à l’initiative des collectivités territoriales Les collectivités territoriales ont vu un intérêt flagrant à développer les procédures contractuelles dans leurs relations entre elles. En effet, les contrats facilitent la gestion des relations intercollectivités (1). L’un des meilleurs exemples de ce développement est incarné selon nous par la mutualisation des moyens entre les communes et leurs EPCI (2). Cet exemple est d’autant plus parlant qu’il est une étape dans la rationalisation de l’action locale. 1. La simplification des relations Les collectivités territoriales ont massivement recours à la contractualisation car elles y trouvent des intérêts pour la conduite de leur relation. Deux éléments plaident en faveur de ce développement. D’une part, la contractualisation est un moyen pour les collectivités territoriales d’exercer leur liberté (a). D’autre part, la contractualisation permet d’imposer une négociation des relations, ce que ne permet pas l’action unilatérale (b). 546 Infra §315. - 190 - a. La contractualisation, outil de libéralisation 228. La passation de contrats entre les collectivités territoriales permet de faciliter leurs rapports entre elles. En effet, les relations contractuelles entre collectivités sont marquées du sceau de la liberté. Il y a toute une idéologie autour de la contractualisation qui pousse les collectivités territoriales à avoir recours à ce mode de relations. La relation contractuelle dans sa forme est également simplificatrice. Le choix des cocontractants, le contenu de la convention, les engagements de chacun sont librement discutés et déterminés en amont. La convention est ainsi un mode non autoritaire d’organisation de l’action commune. Cela permet à chaque collectivité de conserver une impression de liberté. Cette liberté est d’autant plus importante que les relations conventionnelles permettent de s’affranchir des limites géographiques. « En vertu du principe de libre administration, les communes peuvent coopérer sur une base contractuelle. Cela signifie qu’elles ont une totale liberté dans le choix du partenaire qui n’est pas subordonné à des limites territoriales comme dans le cadre de la coopération institutionnelle. ».547 229. L’idéologie contractuelle est très marquée par cette idée de liberté. Celle-ci implique un certain nombre de principes favorables au développement de la contractualisation. Il en est ainsi de l’intervention du contrat comme point d’articulation entre l’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre et la nécessité d’agir. Il y a en effet une idée d’égalité entre les cocontractants qui s’accorde avec l’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur l’autre. La contractualisation apparaît comme « un moyen sans équivalent pour résoudre les problèmes. Quand les réformateurs veulent débloquer une situation en sortant des sentiers battus, ils ont recours au contrat, qui apparaît de la sorte comme un moyen d’action anti-conventionnel. Mais à force d’être utilisé le procédé contractuel est devenu tout à fait conformiste, il s’est banalisé ».548 Les relations contractuelles et toutes les idées qui gravitent autour d’elles – l’égalité des parties, la négociation, le consensus … – ont été les facteurs de cet important développement. Le contrat est ainsi devenu un mode de relation normal, si ce n’est le mode de relation normal, entre collectivités territoriales. La littérature doctrinale pléthorique sur cette question en est peut être le meilleur indice. 547 FORT François-Xavier, « Coopération intercommunale et principe de libre administration », art. cit., p.14. RICHER Laurent, « La contractualisation comme technique de gestion des affaires publiques », AJDA, 2003, p.274. 548 - 191 - b. La contractualisation, outil nécessaire pour la négociation 230. Le développement exponentiel de la contractualisation peut s’expliquer aussi par la complexification des compétences des collectivités territoriales et surtout par l’interconnexion des différentes politiques. « Aujourd’hui, dans les domaines des politiques sociales, environnementales ou de développement local, on observe cette multiplication et cette diversification des initiatives contractuelles ».549 Or ces domaines nécessitent des interventions des différents niveaux de collectivités. Ainsi, la matière environnementale ne peut pas être de la compétence d’un seul niveau de collectivité. La préoccupation écologique est aujourd’hui nécessairement partagée par tous les niveaux d’administration.550 Tous ces niveaux étant également à même de pouvoir intervenir dans ce domaine, il est nécessaire de trouver un moyen d’organiser leur action. Ce moyen peut être le contrat. La procédure contractuelle permet ainsi de déterminer au mieux les moyens de coordonner les actions entreprises par chaque niveau de collectivité. « La multiplication des procédures contractuelles peut s’analyser comme l’expression de la tendance générale à l’intensification des relations intergouvernementales dans des politiques publiques de plus en plus complexes ».551 Le recours aux contrats permet une facilité de gestion que n’autorise pas forcément le recours à l’acte unilatéral. 231. Le recours aux conventions entre personnes publiques est également important en matière de financement. En effet, ces conventions sont non seulement le cadre de définition des actions à mener, mais aussi l’occasion de déterminer les participations financières des différents cocontractants. « Les relations financières accompagnent la plupart des modes de coopération conventionnelle entre collectivités et constituent le plus souvent un aspect primordial de ces actes ».552 Au cœur de ces conventions sont déterminées les parts de cofinancements de chacun des acteurs. C’est un point crucial de ces conventions car il va déterminer la faisabilité ou non du projet en fonction des investissements des différentes collectivités participantes. Nous reviendrons ultérieurement sur les cofinancements et leurs limites. 549 GAUDIN Jean-Pierre, « La contractualisation des politiques et la nouvelle action publique », in LUCHAIRE Yves (dir.), Collectivités territoriales et gouvernance contractuelle, Paris, L’Harmattan, 2006, p.25. 550 Le Contrat de projet État région, Pays de la Loire, 2007-2013 expose bien ce point de vue. « Transversal par nature, ce sujet concerne l’ensemble des acteurs économiques et sociaux ». p.54. 551 GODARD Francis (dir.), Le gouvernement des villes. Territoire et Pouvoir, Paris, Descartes & Cie, 1997, p.138. 552 DELIVRE-CILG Cendrine, « Les relations financières », in CAUDAL Sylvie et ROBBE François (dir.), Les relations entre collectivités territoriales, op. cit., p.181. - 192 - 232. La contractualisation autorise une plus grande souplesse dans la gestion. « Le contrat, produit d’une négociation et support d’un dispositif de suivi, permet de mieux assurer la mise en œuvre de la politique, et il permet aussi une meilleure coordination des interventions publiques ».553 Le contrat est le fruit d’une négociation, d’une discussion et implique alors l’accord de l’ensemble des parties. Or ce dernier point est important car c’est là dessus que se fonde le développement de la contractualisation. Celle-ci a permis de mettre en place un nouveau type de relations entre les collectivités territoriales, relations fondées sur le consensus plutôt que sur la décision unilatérale. La contractualisation est ainsi la marque d’une évolution dans les interactions entre personnes publiques. Elle permet aussi des évolutions des contrats qui sont plus faciles, car essentiellement basées sur l’entente ou les relations entre les décideurs locaux. « La formule du contrat permet d’adapter les dispositifs publics aux spécificités locales et de substituer aux rapports traditionnels de subordination et de commandement, des rapports fondés sur la négociation et la discussion ».554 Les formalités, les procédures administratives sont plus souples dans le cadre de la contractualisation. Or les collectivités territoriales cherchent justement cette souplesse. C’est ce qui explique en partie le succès de la contractualisation. La contractualisation permet une meilleure adaptation aux exigences de la réalité. Elle permet une réactivité, une organisation plus souple et consensuelle. La contractualisation peut ainsi apparaître comme un remède à tous les maux de l’administration locale. Or « les personnes publiques usent et abusent aujourd’hui des techniques conventionnelles ».555 La contractualisation n’est pas un outil miracle, elle comporte tout de même certaines limites que nous analyserons ultérieurement.556 La contractualisation permet donc aux collectivités de mieux organiser leurs relations entre elles. Elles y ont trouvé un moyen de faciliter la gestion de leurs relations. Les conventions permettent une meilleure adéquation de l’action administrative à la réalité. L’un des exemples les plus parlant en ce sens est, selon nous, la mutualisation. En effet, c’est pour répondre à une situation bien précise, l’augmentation exponentielle des fonctionnaires locaux, que les communes ont mis au point ce stratagème conventionnel. 553 MARCOU Gérard, RANGEON François, THIÉBAULT Jean-Louis, La coopération contractuelle et le gouvernement des villes, op. cit., p.33. 554 DATAR, Les contrats de plan État-région, Paris, La documentation Française, coll. Territoires en mouvement, 2002, p.10. 555 CAILLOSSE Jacques, « Sur la progression en cours des techniques contractuelles d’administration », art. cit., p.91. 556 Infra §258. - 193 - 2. La mutualisation, un exemple de contractualisation réussie La mutualisation des moyens renvoie à la possibilité pour les collectivités territoriales, les communes essentiellement, de signer des conventions avec leur EPCI d’appartenance, c'est-à-dire une intercommunalité, pour mettre en commun certains services afin de limiter l’augmentation des dépenses publiques. L’une des particularités de la mutualisation est que son statut juridique s’est construit progressivement. En effet, d’origine purement spontanée, la mutualisation a mis du temps avant d’être prise en compte par le législateur. Cependant, aujourd’hui c’est son adéquation au droit communautaire qui est en question. Il est donc nécessaire de revenir dans un premier temps sur la genèse de cette pratique (a), avant d’en analyser la virtuelle adaptation à la collectivité chef de file (b). a. La difficile émergence de la mutualisation 233. L’objectif de la mutualisation est de mettre en commun des moyens détenus par différentes collectivités afin de rationaliser l’action et de permettre des économies. La mutualisation se rencontre en matière de relation entre les communes et leurs EPCI. L’intérêt de relever cet exemple de la mutualisation est qu’il s’est fait au départ en dehors du cadre législatif. « Ainsi, bien avant les discours parlant de rationalisation des moyens, d’économie d’échelle, de restrictions budgétaires et de protection des deniers publics…, [des] collectivités ont expérimenté la mutualisation ».557 La mutualisation est donc une innovation à mettre au crédit des collectivités territoriales. En effet, ce sont les communes membres d’EPCI qui d’elles-mêmes ont mis en place cette contractualisation. « La mutualisation n’a pas été pensée par l’État puis mise en œuvre au niveau territorial. C’est le chemin inverse qui a été suivi ».558 Le premier exemple à relever est celui de la mutualisation des personnels de la ville de Strasbourg avec la communauté urbaine dès 1972. « Cette expérience constitue une première et s’avère être d’un point de vue fonctionnel une réussite ».559 Cet exemple démontre d’ailleurs de manière pertinente la nécessité de faire confiance à l’initiative des territoires, à leur intelligence. 557 GABORIAU Vincent, « La mutualisation dans les services publics, nouvel enjeu de coopération », art. cit., p.46. 558 RIBOT Catherine, « La mutualisation des compétences entre communes et communautés », RLCT, 2008, n°33, p.51. 559 NEVEU Philippe, « Contractualisation et mutualisation, outils de l’intercommunalité », JCP-A, 2010, n°30, p.29. - 194 - 234. Le législateur n’est venu encadrer cette pratique que tardivement, puisque ce n’est qu’avec les lois du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité560 et du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales561 que la mutualisation des services obtient un statut législatif. La disposition, codifiée à l’article L.5211-4-1, permet tant la mutualisation ascendante, c'est-à-dire des communes vers l’EPCI, qu’une mutualisation descendante, de l’intercommunalité vers les communes. La mutualisation est toutefois limitée dans sa mise en œuvre. Elle ne peut intervenir que si elle « présente un intérêt dans le cadre de la bonne organisation des services ». Pour recourir à une convention de mutualisation, la première étape est de déterminer cet intérêt. Il devra être mentionné dans la délibération de la commune et de l’EPCI autorisant l’exécutif à conclure la convention de mutualisation. Enfin, la loi de réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010562 a légèrement modifié cette disposition. En effet, il n’est plus nécessaire désormais de déterminer l’intérêt de la mutualisation. Ainsi, la mutualisation peut désormais se faire dès lors qu’il en va de la « bonne organisation des services ». Il est nécessaire de relever que cette procédure a un aspect dérogatoire. En effet, en principe l’établissement de coopération intercommunale doit bénéficier de ses propres services et les compétences qui lui sont transférées par les communes sont accompagnées du « transfert du service ou de la partie de service chargé de sa mise en œuvre ».563 Toutefois, de tels transferts, en bloc, peuvent être « source de fâcheuses désorganisations des services existants ».564 La mise à disposition de ces services, leur mutualisation, est ainsi un moyen de palier à ces inconvénients de manière dérogatoire. La mutualisation des services permet de « concilier deux objectifs en partie contradictoires : faire des économies d’échelle, sans bouleverser l’organisation des services ». 565 235. La mutualisation permet par exemple à une commune, en général la commune centre car la mieux dotée, de mettre à disposition de l’EPCI un service, ou inversement. Ces mises à dispositions permettent de limiter la multiplication à outrance des personnels. Ainsi l’augmentation des dépenses locales est mieux maîtrisée. « A la différence de la quête du Graal, avec la mutualisation nous cherchons à faire des économies d’échelle et nous avons 560 Loi n°2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, précit. Loi n°2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, précit. 562 Loi n°2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, précit., spec. art. 65. 563 Art. L.5211-4-1 I, CGCT. 564 PRIET François, « Rapport introductif : la coopération entre collectivités publiques », LPA, 2010, n°185-186, p.4. 565 Ibid., p.7. 561 - 195 - des chances de pouvoir en faire : les juridictions financières le reconnaissent ».566 Ces mutualisations concernent généralement les services de l’administration générale, tels que le service des ressources humaines, un service juridique, celui de la communication ou encore les services informatiques.567 Cette mutualisation a pour objectif de rationaliser les effectifs et ainsi éviter des dépenses inutiles. « Elle évite la permanence de doublons entre les services communaux et intercommunaux ».568 Pour matérialiser cette mutualisation, les communes contractualisent avec l’EPCI pour déterminer les modalités de ces mises à dispositions de moyens, de matériels et de personnels. En effet, la convention est « l’outil du partenariat par excellence entre les collectivités publiques. [Elle] permet d’organiser la coopération sans figer les relations de manière définitive, en fixant les conditions adaptées à chaque cas ».569 La mutualisation est donc un bon exemple d’utilisation de l’outil contractuel pour adapter l’exercice des compétences locales aux réalités. Pendant la durée de la convention, le service mutualisé se trouve placé sous l’autorité de l’exécutif de la collectivité publique bénéficiant du transfert. Le service se trouve sous la surveillance et la responsabilité de celui-ci et le chef de ce service peut se voir accorder une délégation de signature pour l’exercice des missions qui lui sont confiées. « Il s’agit donc réellement du partage d’un service entre deux exécutifs, et non de l’achat d’une prestation d’une collectivité à une autre ».570 Cette idée à une importance cruciale notamment au regard du droit communautaire. 236. En effet en 2007, la Commission européenne a adressé un avis motivé dans le cadre d’une procédure d’infraction contre la France concernant justement les conventions de mutualisation. La Commission considérait que ces conventions de mutualisation étaient en fait des marchés attribués de gré à gré, sans respecter les procédures de passation des marchés publics prévues dans les directives.571 Dans un premier temps, la réponse de la France a été de considérer les conventions de mutualisation comme relevant de la jurisprudence communautaire relative aux contrats « in house ».572 Cependant cette réponse n’était pas entièrement satisfaisante car les conventions de mutualisation de services ne correspondaient 566 GABORIAU Vincent, « La mutualisation dans les services publics, nouvel enjeu de coopération », art. cit., p.51. 567 Pour des exemples plus nombreux, v. NEVEU Philippe, « Contractualisation et mutualisation, outils de l’intercommunalité », art. cit., p.29-40. 568 DREYFUS Jean-David, « Autour des notions de bonne organisation des services et de prestation hors marché », AJDA, 2007, p.1866. 569 PRIET François, « Rapport introductif : la coopération entre collectivités publiques », art. cit., p.5. 570 DURU Emmanuel, « Mutualisation des services : vers une levée de l’épée de Damoclès ? », Dr. Adm., 2010, n°3, p.43. 571 PASTOR Jean-Marc, « La Commission européenne conteste la mutualisation des services entre communes et intercommunalités », AJDA, 2007, p.1325. 572 CJCE, 18 novembre 1999, Teckal Srl c. Commune di Viano, aff. C-107-98. ; concl. Geroges COMAS, BJCP, 2000, n°8, p.43-42 ; BRENET, AJDA, 2000, p.784-786. - 196 - pas précisément aux critères développés dans la jurisprudence Teckal. Cette exception à la passation d’un marché public suppose deux conditions cumulatives, d’une part que la collectivité territoriale exerce sur son cocontractant un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services et, d’autre part, que cette personne réalise l’essentiel de son activité avec la ou les personnes qui la détiennent. Cette jurisprudence ne pouvait pas s’appliquer à la mutualisation, car les relations entre une commune et l’EPCI dont elle est membre ne sont pas marquées du sceau de cette soumission. C’est pourtant bien de la jurisprudence communautaire qu’est venu le salut de la mutualisation. Dans une affaire de juin 2009573, la Cour de justice a concilié le droit de la commande publique avec les conventions de mutualisation de services, « en considérant qu’un contrat conclu entre des autorités publiques (et non des pouvoirs adjudicateurs) en vue d’assurer une mission de service public commune aux parties ne constitue pas un marché public (de service), mais une mesure interne collaborative entre personnes publiques ».574 La Cour a donc dans cette affaire créé une nouvelle exception jurisprudentielle à la directive relative aux marchés publics. Ce faisant, elle reconnaît également la spécificité de la mutualisation qui n’est pas une prestation économique qu’un tiers rend au profit d’une collectivité publique, mais bien un moyen de rationaliser l’organisation des services de ces collectivités. D’ailleurs les modalités financières de la mutualisation plaident en ce sens. En effet, la collectivité qui met à disposition ses services ne peut nullement y rechercher un bénéfice puisque la loi prévoit qu’elle ne peut être remboursée que « des frais de fonctionnement du service ».575 La mutualisation peut donc difficilement s’apparenter à un marché public puisqu’il n’y a aucune recherche de bénéfice. Pour la collectivité qui met à disposition son service, il s’agit d’une opération blanche. Il y a un équilibre qui se fait entre les dépenses qu’elle a engagées pour faire fonctionner ce service et le remboursement de ces dépenses par la collectivité qui a profité du service. La mutualisation est donc loin du modèle économique du marché, où tout opérateur qui fournit un service, le fait dans l’objectif de réaliser un bénéfice. 237. La loi du 16 décembre 2010 portant réforme des collectivités territoriales a légèrement modifié le régime de la mutualisation. Désormais la mutualisation peut avoir lieu en dehors des compétences transférées. Dès lors « les services communs sont gérés par l’établissement 573 CJCE, 9 juin 2009, Commission c. République fédérale d’Allemagne, aff. C-480-06 ; note, AJDA, 2009, p.1715-1721 ; GLATT, LPA, 2009, n°151, p.10-21. 574 RAYMUNDIE Olivier, MATHARAN Xavier, « Mutualisation des services : le contrat comme alternative au in house ? », RLCT, 2010, n°59, p.30. 575 Art. L.5211-4-1 IV, CGCT. - 197 - public de coopération intercommunale à fiscalité propre ».576 Il y aura désormais une gestion unifiée d’une partie des services communs. Dans ce cadre, la mutualisation n’aura lieu que de façon descendante. « Sans différer en profondeur des règles préalablement en vigueur, ces nouvelles rédactions clarifient le cadre de déploiement de la mutualisation et la sécurisent ».577 Le législateur est à nouveau intervenu pour repréciser l’organisation de la mutualisation des services. La nouvelle évolution législative est plutôt limitée. Si elle permet de sécuriser un peu plus la procédure de mutualisation vis-à-vis du droit communautaire, l’intervention du législateur marque surtout selon nous la reconnaissance, la validation et l’incitation au recours à cette pratique. Cette nouvelle forme de mutualisation est intéressante car elle accentue l’intégration entre les communes et leurs EPCI. Toutefois, en matière de compréhension de l’action publique, il n’est pas sûr que l’administré si retrouve facilement. La naissance de la procédure de mutualisation a donc été lente. Elle s’est surtout faite au départ en dehors de toute intervention du législateur. Son statut juridique est longtemps resté incertain au regard du droit communautaire. Dès lors qu’aujourd’hui, le législateur et le juge communautaire ont reconnu cette modalité d’organisation interne des services de différentes collectivités, il serait bon selon nous de franchir un pas supplémentaire. Cette avancée serait réalisée en ouvrant la possibilité de la mutualisation de services au profit de la collectivité chef de file. b. La mutualisation au service de la collectivité chef de file 238. La mutualisation participe à la rationalisation de l’action administrative. Toutefois, son apport était encore limité, avant 2010, puisque seules les communes et les intercommunalités dans leurs relations entre elles peuvaient avoir recours à des conventions de mutualisation. « Le pas suivant sera peut-être franchi lorsque les mises à disposition se feront aussi entre départements/régions et établissements ».578 La loi du 16 décembre 2010 contient une avancée en ce sens. En effet, dans le cadre de la création des métropoles, le nouvel article L.5217-4 du CGCT prévoit le transfert d’un certain nombre de compétences du département et de la région vers la métropole. Ces transferts ont lieu, selon les matières, soit de manière obligatoire soit de manière volontaire. Ces répartitions de compétences 576 Art. 66 de la loi n°2010-1563 du 16 décembre 2010, introduisant le nouvel article L.5211-4-2 du CGCT. PORTIER Nicolas, « La coopération intercommunale dans la réforme des collectivités », AJDA, 2011, p.82. 578 RIBOT Catherine, « La mutualisation des compétences entre communes et communautés », art. cit., p.54. 577 - 198 - s’accompagnent de la redistribution des services nécessaires. « Toutefois, lorsque le département [ou la région], dans le cadre d’une bonne organisation des services, décide de conserver une partie des services concernés par un transfert de compétence, la ou les conventions […] peuvent prévoir que ces parties de services sont mises en tout ou partie à disposition de la métropole pour l’exercice de ses compétences ».579 L’appel de Catherine Ribot a donc été entendu. La mutualisation peut désormais, dans le cas précis des métropoles, avoir lieu entre les départements ou les régions et un EPCI. Premier pas d’une timide avancée qui pourrait selon nous à terme conduire à la mutualisation des services des collectivités parties à l’action commune vers la collectivité chef de file. Les collectivités pourraient très bien par convention décider de mettre à disposition du chef de file, tout ou partie de leurs services, permettant la bonne réalisation de l’action commune. La mutualisation peut alors s’analyser comme un outil pour le chef de file. 239. Au delà de l’intérêt évident qui est de ne pas multiplier à outrance les structures et interfaces pour l’administré, la mutualisation des services dans le cadre de l’action commune implique au moins deux avantages. D’une part l’exécutif de la collectivité qui bénéficie de la mutualisation peut adresser directement ses ordres au chef du service mis à disposition. Cela permet, selon nous, d’assurer une cohérence dans l’action commune. En effet, en limitant le nombre de donneurs d’ordres, la mutualisation conduit à une certaine unité logique de l’action administrative. De plus, la modalité contractuelle permet d’éviter la qualification de tutelle pour cette relation. D’autre part, l’action mutualisée permet d’assurer à l’administration une proximité plus importante des citoyens. En effet, la mutualisation permet à la collectivité qui en bénéficie de s’appuyer sur les services et les personnels de terrain déjà existants pour mettre en œuvre une action commune. Ainsi, en matière d’action sociale, les centres communaux d’action sociale opèrent déjà une forme de mutualisation avec les services sociaux du conseil général.580 En effet, certaines demandes d’aides sociales gérées par les départements peuvent être déposées dans un CCAS, celui-ci les transmet ensuite aux services instructeurs du conseil général. Il est toutefois possible d’imaginer que les CCAS puissent eux-mêmes à terme instruire ces demandes, en application des politiques du département. Cette solution aurait l’avantage de conserver un interlocuteur unique pour l’administré, interlocuteur qui mettrait en œuvre la politique du chef de file. Pour le citoyen, un tel système est bénéfique, en évitant les doublons, il permet de rationaliser la dépense publique ; en lui 579 580 Art. L.5217-4 II 2) et III 2), CGCT. Cette mutualisation ne s’est pas faite spontanément, mais a été imposée par la loi. Art. L.123-5 du CASF. - 199 - assurant un interlocuteur unique, un tel système permet une plus grande proximité, et donc une meilleure adéquation, entre l’action administrative et les besoins des citoyens. 240. La mutualisation et, à travers elle, la contractualisation sont des modalités d’organisation de l’action administrative parfaitement en adéquation avec l’action commune. Il y a ici un appel à faire au législateur pour qu’il fasse un nouveau pas, une nouvelle avancée en matière de mutualisation. Il y aurait en effet tout intérêt, selon nous, à ouvrir la possibilité de mutualiser les services dans le cadre d’une action commune, au profit du chef de file. Rien ne s’oppose à ce que dans un premier temps, les collectivités parties à l’action commune organisent, d’elles-mêmes, cette mutualisation au profit du chef de file, comme ce fut le cas pour la mutualisation des moyens entre la ville de Strasbourg et sa communauté urbaine dans les années 70. Cependant, une intervention du législateur nous semble nécessaire afin de sécuriser juridiquement ce système. Le développement de la contractualisation des relations entre personnes publiques est avant tout issu d’un mouvement spontané. Les collectivités publiques, en particulier les collectivités territoriales, ont trouvé dans la solution contractuelle un moyen d’organiser leurs compétences de manière souple. De ce fait, le législateur n’a pour l’essentiel fait que « valide[r] l’utilisation du procédé contractuel faite par ces dernières pour mettre en musique leurs initiatives respectives ».581 B. Le développement de la contractualisation sous l’influence du législateur Dans les différentes lois relatives à la décentralisation, le législateur a largement autorisé des transferts de compétences entre collectivités par voie contractuelle (1). Ces possibilités de transferts se sont largement développées, parfois au détriment de la compréhension de l’action locale (2). 581 DREYFUS Jean-David, Contribution à une théorie générale des contrats entre personnes publiques, op. cit., p.209. - 200 - 1. L’autorisation législative des transferts de compétences entre collectivités territoriales 241. Le législateur a participé lui aussi au développement de la contractualisation. On le constate à plusieurs reprises dans les différentes lois de décentralisation. On retrouve régulièrement dans les différentes lois concernant la décentralisation des dispositions autorisant les collectivités territoriales à déléguer certaines de leurs compétences à d’autres niveaux de collectivités. Dès les lois de décentralisation des années 80, la répartition par bloc de compétences devait se faire « dans la mesure du possible ». Avant même d’avoir commencé à décentraliser les compétences, le législateur affirme son échec, ou du moins l’impossibilité de remplir pleinement l’objectif qu’il s’est fixé. Il renvoie alors la charge aux collectivités territoriales par le biais de la contractualisation de former d’elles-mêmes ces blocs de compétences. Il y aurait presque eu ici possibilité d’établir une incompétence négative du législateur582 ou du moins de confronter celui-ci à son obligation de « bien légiférer ».583 En effet, celui-ci se rendant compte qu’il est impossible de forger de véritables blocs de compétences de manière législative renvoie le soin aux collectivités locales de s’en arranger par voie contractuelle. Il refuse donc d’intervenir, ou du moins, il refuse de s’engager dans un débat extrêmement compliqué. Le législateur préfère laisser aux collectivités territoriales le soin de déterminer, en partie d’elles-mêmes la répartition des compétences entre les différents niveaux d’administration locale. 242. En principe, les collectivités ne peuvent pas d’elles-mêmes se transférer leurs compétences. En effet, elles ne disposent pas librement de leurs compétences. Elles n’ont pas la compétence de leurs compétences. « Les collectivités territoriales ont l’obligation d’exercer effectivement les compétences qui sont les leurs, obstacle que la politique contractuelle va s’employer à contourner ».584 Le législateur autorise en effet les collectivités territoriales à transférer certaines de leurs compétences à d’autres collectivités par voie contractuelle. Une telle délégation est alors possible puisque c’est le législateur, qui est compétent en matière de compétences des collectivités territoriales, qui autorise celles-ci à contractualiser. Le législateur est compétent pour autoriser ce type de conventions. « Ainsi, le contrat est le support normal de la coopération locale. Force est de constater la 582 L’article 34 de la Constitution renvoie au législateur le rôle de déterminer les compétences des collectivités territoriales. 583 GALLETTI Florence, « Existe-t-il une obligation de bien légiférer ? Propos sur l’incompétence négative du législateur dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », RFDC, 2004, n°58, p.389. 584 GROSHENS Jean-Claude, WALINE Jean, « A propos de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 », in Mélanges Paul Amselek, op. cit., p.422. - 201 - multiplication des relations intercollectivités que le législateur encourage en prévoyant des interventions croisées ou complémentaires et en incitant au développement des procédures contractuelles ».585 Cela permet des transferts de compétences entre collectivités territoriales, mais aussi des aides matérielles ou financières entre collectivités. Le contrat est devenu le support normal de l’articulation des compétences entre les collectivités territoriales. 243. La loi du 16 décembre 2010 portant réforme des collectivités territoriales est allé plus loin dans le transfert contractuel des compétences. Elle prévoit d’insérer, à compter du 1er janvier 2015, un nouvel article L.1111-8 au CGCT. Celui-ci dispose qu’« une collectivité territoriale peut déléguer à une collectivité territoriale relevant d’une autre catégorie ou à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre une compétence dont elle est attributaire ».586 La loi du 13 août 2004 avait déjà prévu une disposition similaire en son article 151587, mais la disposition ne permettait de déléguer des compétences d’une collectivité territoriale que vers un EPCI. La nouvelle disposition de la loi du 16 décembre 2010 est plus large puisque désormais des collectivités territoriales pourront se porter candidates pour la gestion d’une compétence relevant en principe d’une autre collectivité. 244. L’exercice de ces compétences déléguées se fait à chaque fois dans le cadre de conventions conclues entre la collectivité délégante et la personne publique délégataire. « En France, la réforme de la décentralisation a favorisé le développement des instruments contractuels, dans les rapports entre les collectivités locales ».588 En effet, ces textes en plus de conventions particulières pour mettre en œuvre certains objectifs, permettent aux collectivités territoriales de se déléguer des compétences entre elles par voie contractuelle. « On voit ainsi comment toute idée de répartition des compétences par blocs dans la mesure du possible, affirmée à l’article 3 de la loi du 7 janvier 1983, est apparue assez vaine parce que le système organise structurellement leur contournement, en encourageant les initiatives locales et par conséquent toutes les formes de coopération qu’elles soient contractuelles ou institutionnelles, mais le plus souvent inspirées du contractualisme ».589 Le législateur organise lui-même la contractualisation croissante des relations entre collectivités territoriales. 585 FORT François-Xavier, « Coopération intercommunale et principe de libre administration », art. cit., p.14. Art. 73 de la loi n°2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales. 587 Art. L.5210-4 CGCT. 588 GODARD Francis (dir.), Le gouvernement des villes. Territoire et pouvoir, op. cit., p.188. 589 BRIANT Vincent de, « La décentralisation coopérative et ses limites », Pouvoirs locaux, 2006, n°68, p.65. 586 - 202 - Le législateur a peu à peu ouvert de manière de plus en plus large la possibilité pour les collectivités de contractualiser, notamment sur l’exercice de leurs compétences. Si ces transferts étaient au départ uniquement autorisés au profit des EPCI, le législateur a désormais autorisé cette possibilité au profit de toutes les collectivités territoriales. Si une telle attitude peut se comprendre en matière d’adaptation des compétences locales aux moyens réels des collectivités, elle pose d’importantes questions en matière de lisibilité de l’action locale. 2. La difficile lecture de la clef de répartition des compétences 245. La contractualisation autour des compétences locales permet un certain nombre d’arrangements. Ainsi une convention peut être le support d’un financement croisé pour une collectivité disposant de peu de moyens ; elle peut aussi être l’occasion de transférer une compétence qui en raison des spécificités locales serait mieux exercée par une autre collectivité que celle désignée par la loi. « Non seulement cela est une évidence la décentralisation a accru les compétences des collectivités territoriales. Elle a, de ce fait, inexorablement, on serait tenté de dire mécaniquement, provoqué une croissance du recours à la solution contractuelle. Mais il y a plus : la diversité des compétences dévolues, l’originalité de nombre d’entre elles, les complexités qu’elles engendrent en terme de gestion laissent ces collectivités complètement incapables d’assurer elles-mêmes les tâches requises par ces compétences nouvelles. Elles sont contraintes de déléguer la gestion des services publics nouveau-nés de ces compétences nouvelles ».590 Le contrat est un moyen pour les collectivités locales de mieux s’organiser face aux compétences transférées de manière autoritaire par l’État. Les collectivités territoriales reçoivent de nouvelles compétences, mais dans certains cas particuliers le niveau de collectivité à qui est transféré la compétence n’est pas le mieux à même de l’exercer. Le transfert contractuel de cette compétence est alors une manière de prendre en compte les réalités locales, les moyens de chaque collectivité. Ainsi, dans certains départements, l’agglomération centre est tellement importante qu’il paraît normal que le département transfère certaines compétences à cette agglomération. Certaines compétences peuvent ainsi paraître naturellement transférables, telles que l’aide sociale ou le transport scolaire. On peut s’interroger par exemple sur l’opportunité pour un conseil général tel que celui du département du Nord de conserver toutes ces compétences alors que la grande 590 RICCI Jean-Claude, « Rapport introductif », in LUCHAIRE Yves (dir.), Collectivités territoriales et gouvernance contractuelle, op. cit., p.8. - 203 - majorité de la population est concentrée dans les grandes agglomérations. 591 La loi du 16 décembre 2010 portant réforme des collectivités territoriales comporte là aussi d’importants développements dans ce sens, notamment du fait de la création des métropoles. Ces nouveaux groupements créés sous forme d’EPCI592 pourront se voir transférer un certain nombre de compétences par voie conventionnelle. Il pourra en être ainsi de la gestion des collèges593 ou des lycées594 sur leur territoire. 246. L’objectif d’autoriser de telles conventions est de permettre une action administrative plus efficace. « L’administration contractuelle est l’un des remèdes les plus efficaces à ce que l’on sait être l’une des plaies du système administratif français, des découpages institutionnels et des enchevêtrements de compétences souvent irrationnels accompagnés de financements croisés. Indiscutablement, le contrat permet de faire fonctionner un système qui autrement serait bloqué ».595 Cependant du point de vue de la lisibilité de l’action administrative, il n’est pas sûr que la contractualisation autour des compétences permette une clarification de l’action, notamment pour l’administré. Les relations contractuelles peuvent ainsi participer à la complexification du mille-feuille administratif. « Ces relations sont aussi porteuses de dysfonctionnements pour le système local. La rationalité cartésienne semble ici bien loin… ».596 La contractualisation si elle permet une meilleure adaptation de l’administration locale à la réalité peut aussi conduire à un résultat totalement inverse si elle n’est pas contrôlée. Il ne faut pas que le législateur laisse le phénomène contractuel se développer de manière anarchique. Il est nécessaire d’organiser un minimum l’existence des contrats. « La contractualisation, si elle est en soi un procédé louable et à encourager, doit être maîtrisée ».597 Il est indéniable que contractualisation et décentralisation se sont mutuellement nourries. Leur développement est allé de concert. Surtout l’une des particularités de ce mouvement de contractualisation est qu’il s’est d’abord développé à l’initiative des 591 75% de la population de la Région Nord Pas de Calais vit en milieu urbain. Chiffre issu du Schéma régional Climat Air Energie du Nord Pas de Calais, p.4. 592 art. 12 de la loi n°2010-1563 du 16 décembre 2010 créant l’art. L.5217-1 CGCT. 593 Art. L.5217-4 II 2) b) 594 Art. L.5217-4 III 2) a) 595 JÉGOUZO Yves, « L’administration contractuelle en question », in Mouvement du droit public. Mélanges en l’honneur de Franck Moderne, Paris, Dalloz, 2004, p.553. 596 CAUDAL Sylvie « Rapport introductif », in CAUDAL Sylvie et ROBBE François, Les relations entre collectivités territoriales, op. cit., p.10. 597 PONTIER Jean-Marie, Les contrats de plan entre l’État et les régions, op. cit., p.122. - 204 - collectivités territoriales elles-mêmes. Le législateur n’est intervenu que dans un second temps, pour encadrer et encourager ce phénomène. La convention semble donc être un outil approprié pour organiser les relations en matière d’action commune entre collectivités sous l’égide d’un chef de file. Ce constat est corroboré par le fait que de nombreux contrats entre collectivités territoriales permettent en fait de mettre en œuvre des décisions arrêtées en amont. §2. La contractualisation, traduction juridique des décisions politiques 247. La contractualisation est un moyen de mettre en œuvre, d’atteindre les objectifs fixés dans les schémas d’orientation. « Dans la plupart des cas, le contrat est un mode d’action publique non pas alternatif mais complémentaire des modes traditionnels ».598 Les contrats permettent en effet de traduire juridiquement les éléments de soft law contenus dans les schémas. Ils participent à la concrétisation de décisions au départ politiques. Ils servent à mettre en œuvre les schémas que nous avons étudié précédemment.599 Ils sont un outil de l’action commune, car ils facilitent la collaboration entre les collectivités territoriales. « La coopération implique un travail en commun, une œuvre à réaliser à plusieurs ».600 Le chef de file, désigné dans le cadre d’une action commune, peut se servir du contrat pour faire aboutir ses objectifs. Ce sont déjà de tels mécanismes qui existent en matière de mise en œuvre des contrats de projet État région (A) et il apparaît donc assez aisé de les retranscrire en matière d’action commune (B). A. La mise en œuvre des CPER par l’intermédiaire de contrats Les contrats de plan État région, désormais contrats de projets État région (CPER), sont des actes négociés, comme leur nom l’indique entre l’État et les régions. Ils ont pour objectif de permettre le développement des territoires (1). Leur mise en œuvre pratique est ensuite assurée par un ensemble de contrats particuliers entre la région et les collectivités 598 MARCOU Gérard, RANGEON François, THIÉBAULT Jean-Louis, La coopération contractuelle et le gouvernement des villes, op. cit., p.35. 599 Supra §191. 600 POULET-GIBOT LECLERC Nadine, « La contractualisation des relations entre personnes publiques », art. cit., p.560. - 205 - territoriales composantes (2). « La multiplication des instruments de planification est la source d’une importante production textuelle, et ne constitue sans doute pas un progrès ».601 1. L’objectif des CPER Il s’agira de revenir d’abord sur la naissance des CPER (a). Cette étude permet de se rendre compte que l’un des points essentiels des CPER est la détermination des cofinancements (b). a. De la planification nationale aux contrats de projets 248. La genèse des contrats de plan nécessite d’évoquer tout d’abord les Plans de la nation. Cette planification organisée après la seconde guerre mondiale visait à maîtriser la reconstruction du pays puis à assurer le rééquilibrage des territoires. Les contrats de plan sont eux apparus au cours des années 1980, de façon corollaire à la décentralisation. C’est en effet avec la loi du 29 juillet 1982602, dite loi Rocard, que le législateur a défini les contrats de plan et leur articulation avec le Plan de la nation. L’article 11 de ce texte disposait que « l’État peut conclure avec les collectivités territoriales, les régions, les entreprises publiques ou privées ou éventuellement d’autres personnes morales, des contrats de plan comportant des engagements réciproques des parties en vue de l’exécution du plan et de ses programmes prioritaires. Ces contrats portent sur les actions qui contribuent à la réalisation d’objectifs compatibles avec ceux du plan de la nation. Ils définissent les conditions dans lesquelles l’État participe à ces actions ». Il y a donc clairement une articulation entre le plan de la nation et les contrats de plan. Les seconds participent à la mise en œuvre des objectifs fixés dans le premier. Il s’agissait dans un premier temps de décliner les objectif adoptés dans le Plan de la nation à un niveau territorial plus proche des citoyens, c’est le niveau régional qui sera retenu. « Les contrats de plan sont un instrument inventé par le législateur pour mieux maîtriser le développement, à une période où les exigences de rééquilibrage au sein du pays se manifestent d’autant plus que les Trente Glorieuses s’étaient achevées, et que la crise mettait à jour les insuffisances du développement du territoire. Les contrats de plan avec les régions sont la conjonction d’une volonté d’intervention, avec la planification, et d’un souhait de 601 602 PONTIER Jean-Marie, Les contrats de plan entre l’État et les régions, op. cit., p.30. Loi n°82-653 du 29 juillet 1982, portant réforme de la planification, JORF, 30 juillet 1982, p.2441. - 206 - collaboration entre les collectivités publiques ».603 Les contrats de plans se sont toutefois peu à peu émancipés du Plan de la nation, jusqu’à continuer à être adoptés alors même que le Plan n’existe plus depuis les années 1990. Dès la fin des années 80, l’adoption du Plan de la nation a fait l’objet d’évolutions puisque le IXe Plan (1984-1988) ne fut pas adopté dans les formes prévues par la loi. Ensuite le Xe Plan ne fut adopté que pour quatre ans au lieu de cinq. Enfin, le XIe Plan ne vit jamais le jour puisque le Parlement ne l’a jamais adopté. A partir de là, le Plan de la nation fut abandonné. 249. L’objectif des contrats de plan État région, devenus contrats de projets, est d’assurer un développement plus harmonieux des territoires. A ce premier objectif s’ajoute l’idée que le développement des territoires ne peut pas être imposé de manière autoritaire et unilatérale par le pouvoir central. La formule contractuelle apparaît alors comme un moyen de s’assurer de la participation des territoires et donc de leur coopération. Il est nécessaire de relever ici que le Conseil d'État a validé cette qualification de contrat. C’est au cours de l’affaire dite du Synchrotron qu’il a procédé à cette qualification.604 La Haute juridiction a même confirmé cette qualification dans une seconde affaire en 1996.605 Comme le relève le professeur Madiot dans sa note, il y a un « faisceau d’indices [conduisant] à une conclusion : le contrat de plan est bien un contrat ».606 Les CPER sont divisés en articles, ils indiquent très souvent que les parties s’engagent à réaliser les programmes qui sont contractualisés, ils sont souvent rédigés à l’indicatif. Surtout, le législateur dès 1982 avait donné un indice important en ce sens, puisque l’article 12 de la loi du 29 juillet 1982 dispose que les contrats « sont réputés ne contenir que des clauses contractuelles ». Cependant des interrogations demeurent du fait d’une pratique administrative des CPER pas toujours en adéquation avec la pratique contractuelle. Le professeur Madiot plaide alors pour une requalification en tant que « protocole d’accord »607 qui serait selon lui plus en adéquation avec le contenu des contrats de plan État région. « La notion de planification contractuelle n’est pas exempte d’ambiguïtés, ou de contradictions. D’une part, le fait d’affirmer que les relations entre l’Etat et les régions sont contractualisées ne veut pas dire que les régions disposent d’une pleine liberté contractuelle. 603 PONTIER Jean-Marie, Les contrats de plan entre l’État et les régions, op. cit., p.9. CE, Ass., 8 janvier 1988, Ministre chargé du plan et de l’aménagement du territoire c. Comunauté urbaine de Strasbourg, Rec. p.2 ; concl. Serge DAËL, RFDA, 1988, p.25-35 605 CE, 25 octobre 1996, Association Estuaire-Ecologie, Rec. p.415 ; concl. Jacques-Henri STAHL, RFDA, 1997, p.339-342 ; note Yves MADIOT, RFDA, 1997, p.343-348. 606 MADIOT Yves, « Les incertitudes de la force juridique des contrats de plan », note, RFDA, 1997, p.344. 607 Ibid., p.346. 604 - 207 - Les priorités inscrites dans les contrats de plan ne sont pas nécessairement celles que les régions auraient souhaité voir retenues ».608 Cela démontre que la contractualisation n’est pas la solution miracle à l’organisation de l’action administrative. Si tous les cocontractants sont en principe égaux, l’influence réelle diffère en fonction du poids économique, démographique ou politique de chaque collectivité territoriale. Il est possible à l’égard de cette situation de faire un parallèle avec ce que la doctrine privatiste qualifie de contrats d’adhésion « dans lesquels une partie ne fait qu’adhérer à une convention entièrement préparée par l’autre ».609 Malgré cette différence de situation, objectivement appréciable entre les cocontractants, la fiction de l’égalité contractuelle des parties continue de s’appliquer. 250. Toutefois, il ne faut pas non plus considérer que la formule contractuelle ne comporte que des défauts. La pérennisation de ce mode d’intervention est, selon nous, le signe de l’intérêt que l’ensemble des acteurs publics trouve dans cette démarche. D’ailleurs « Les [quatre] générations de contrats de plan qui se sont succédées jusqu’à présent ont été élaborées dans le cadre d’une concertation entre l’État et les régions, cette concertation étant une condition d’une bonne conclusion des contrats de plan ».610 En tant qu’outils de planification, les contrats de projet sont adoptés pour une période de cinq ans, au départ, voire sept ans, pour la dernière génération.611 Ils sont donc régulièrement négociés, ce qui permet d’assurer leur adaptation aux réalités, aux besoins locaux. La poursuite des contrats de projets État région, malgré l’abandon du Plan de la nation, démontre la pérennité de l’outil contractuel. Le recours à la contractualisation s’inscrit parfaitement dans l’évolution du droit et dans la volonté d’en faire non pas un droit imposé, mais un droit négocié et donc plus largement accepté. Les contrats de projets entre l’État et les régions apparaissent aujourd’hui comme un outil essentiel au développement local. Ils permettent de déterminer au mieux les besoins des territoires et d’adopter les moyens nécessaires pour assurer la satisfaction de ces besoins. Il est alors nécessaire de déterminer les moyens de financer ces projets. C’est là, l’un des points essentiels du contenu des contrats de projet. 608 PONTIER Jean-Marie, Les contrats de plan entre l’État et les régions, op. cit., p.18. BÉNABENT Alain, Droit civil. Les obligations, Paris, Montchrestien, 12e ed., 2010, p.21. 610 PONTIER Jea-Marie, Les contrats de plan entre l’État et les régions, op. cit., p.72. 611 L’ensemble des contrats État région de la dernière génération a été conclu pour la période 2007-2013. Ils sont disponibles dans leur intégralité sur le site de la DATAR. http://territoires.gouv.fr/cper-20072013-consultez-les26-contrats-regionaux-les-5-conventions-de-massif-et-les-5-plans-fleuves. 609 - 208 - b. L’organisation des cofinancements 251. Au delà des projets prévus dans les CPER, l’objectif de ces contrats est aussi de déterminer la répartition des financements des projets. Les CPER fixent donc les engagements financiers des différentes parties, État et région. Un premier constat doit être fait sur ce point. Si au départ, dans les premières générations de CPER, l’État finançait la majorité des projets, aujourd’hui État et régions financent des parts équivalentes612, voire même plus importante pour la région sur certains objectifs particuliers. Les contrats de projets contiennent donc des cofinancements, ou encore des financements conjoints.613 L’objet du cofinancement est de réaliser une opération, avec le financement de différentes personnes publiques, en fonction de leurs capacités. Plusieurs personnes participent ainsi à la réalisation d’un seul et même objectif. Le cofinancement permet donc de réaliser des opérations de plus grande envergure en faisant appel à plusieurs financeurs. Les cofinancements, s’ils permettent donc d’exécuter des investissements plus lourds, contiennent aussi des limites. Ainsi, si jamais un des cofinanceurs ne peut plus assurer sa part, il y a un risque important que le projet ne puisse pas aboutir, à moins que les cocontractants n’aient prévu en amont une telle possibilité de défaillance. 252. Dans le cadre des contrats de projets État région, les deux collectivités y trouvent des avantages non négligeables. Pour l’État, il s’agit de mobiliser de nouveaux financeurs tout en conservant une certaine maîtrise sur les opérations ; tandis que les régions y ont trouvé un moyen de reconnaissance de leur action.614 Au delà de ces financements multiples, la question se pose des engagements pluriannuels qu’ils contiennent et de leur adaptation au principe de l’annualité budgétaire. En effet, en principe les budgets publics sont adoptés pour un an. Or les CPER contiennent des projets et des engagements sur plusieurs années. Les contrats ont permis de contourner cet écueil. Les collectivités ont fait appel aux autorisations de programme. « Celles-ci sont une technique budgétaire permettant d’engager des dépenses 612 Ainsi, sur le CPER relatif aux Pays de la Loire, pour 2007-2013, l’État s’est engagé à hauteur de 489,504 millions d’euros, tandis que la Région prévoit d’investir 509,411 millions d’euros. 613 Pour une distinction sémantique entre financements multiples, financements croisés et financements conjoints, v. PONTIER Jean-Marie, « Les avatars du cofinancement », LPA, 1993, n°84, p.14-19. Quoique nous ne soyons pas tout à fait d’accord avec l’analyse proposée par le professeur Pontier. En effet, pour lui le financement croisé correspond à la subvention d’une collectivité A pour le projet d’une collectivité B, puis en retour cette seconde collectivité verse elle aussi une subvention pour un projet de la première collectivité. Le financement conjoint correspondant, quant à lui, à la participation financière de plusieurs collectivités à un seul et même projet. La différence n’est pas aussi évidente selon nous. Elle semble plus relever de la distinction du moment où les relations financières sont analysées. Si c’est sur un seul projet, c’est effectivement un financement conjoint, mais l’agrégat de plusieurs financements conjoints peut aboutir à des financements croisés. 614 PONTIER Jean-Marie, Les contrats de plan entre l’État et les régions, op. cit., p.101. - 209 - pour une période supérieure à une année ».615 Ces autorisations de programmes sont ensuite réparties en crédits de paiement affectés au budget annuel de la collectivité. Ces autorisations de programmes peuvent toujours être révisées en cas d’élection d’une nouvelle majorité à l’Assemblée nationale ou dans les régions. Il existe donc une sorte d’incertitude constante sur l’exécution financière des contrats de projet. Les contrats de projet décident d’un certain nombre de politiques, d’actions qu’il faudra ensuite mettre en œuvre. Or les CPER sont conclus entre l’État et la région qui ne disposent pas nécessairement de l’ensemble des compétences et des ressources pour réaliser ces projets. L’État et la région doivent faire appel aux autres collectivités infraétatiques pour remplir ces objectifs. Dès lors pour mettre en œuvre réellement tous ces projets, il est nécessaire de recourir à des conventions particulières. 2. Les contrats particuliers 253. « Un inconvénient tient au fait que l’engagement dans le contrat de plan des personnes autres que l’État et la région ne peut avoir de valeur juridique, puisque le contrat est conclu entre l’État et la région. Il est alors indispensable de prévoir des contrats particuliers (quelle qu’en soit la dénomination variable, suivant les générations de contrats de plan) avec les personnes qui participent financièrement à l’opération. Cela n’est pas un défaut du système de cofinancement mais résulte de la définition même des contrats de plan et entraîne une multiplication du phénomène contractuel ».616 Pour réaliser les objectifs fixés dans les CPER, les régions et l’État passent un certain nombre de contrats particuliers, avec des personnes publiques, dont des collectivités territoriales. En effet, les CPER contiennent un certain nombre d’objectifs qu’il faut remplir. Cependant, l’État et la région n’ont pas nécessairement toutes les compétences, ni tous les moyens humains, matériels et techniques pour réaliser ces objectifs. Les contrats font alors appel à d’autres financeurs, qui sont généralement les collectivités territoriales infrarégionales. Cependant, les CPER étant adoptés entre l’État et la région, les engagements pris dans ces documents pour les autres financeurs n’ont en principe aucune valeur. C’est pourquoi des contrats spécifiques valident pour chaque collectivité les décisions prises dans le contrat de projet. « Les modalités de mise en œuvre des projets et des opérations du contrat de projet sont précisées, si besoin est, par des 615 616 Ibid., p.110, Ibid., p.103. - 210 - conventions d’application ».617 Le contrat est le moyen le plus sûr de s’assurer de la mise en œuvre des objectifs des CPER. 254. Les contrats permettent de déterminer réellement les actions à mettre en place pour atteindre les différents objectifs prévus et surtout pour déterminer la répartition des contributions financières des différentes collectivités participantes. Dans le sillage des CPER une multitude de contrats particuliers est donc signée, parfois même hors du champ d’action du plan. « Les programmes et sous-programmes d’action renvoient à des contrats particuliers le soin de préciser les conditions d’intervention des communes et des départements et notamment, les modalités financières de leur association à l’exécution des contrats de plan ».618 La troisième génération de contrats de plan (1994-1999) a tenté de limiter ce foisonnement. Pour certains auteurs, Jean-Marie Pontier en particulier, le développement très important de contrats particuliers autour des CPER s’apparente à « un phénomène de cancérisation ».619 En effet, on peut considérer qu’il y a un danger à multiplier ces contrats d’application des CPER. La lecture de l’action administrative en est compliquée. Les risques contentieux sont également augmentés. Enfin, le citoyen reste tout de même largement à l’écart de toutes ces procédures contractuelles. Il y a donc un risque que la multiplication des contrats n’aboutisse à une technocratisation trop importante de l’action administrative. Il est nécessaire de canaliser, d’organiser un minimum les relations contractuelles entre collectivités territoriales. Il s’agit donc de trouver un équilibre entre l’encadrement du phénomène de contractualisation et la liberté des collectivités territoriales. On peut indiquer pour conclure qu’il existe une relation forte entre les contrats particuliers et les CPER. Ceux-ci ont réellement besoin des premiers pour mettre en œuvre leurs objectifs. Or selon nous, une méthode de fonctionnement similaire peut être adaptée au profit du chef de file lorsqu’il arrête un schéma d’organisation. 617 Contrat de projet État région, Pays de la Loire, 2007-2013, p.77. GUIBAL Michel, RAPP Lucien, Contrats des collectivités locales, Paris, Francis Lefebvre, 1995, 2e ed., p.410. 619 PONTIER Jean-Marie, Les contrats de plan entre l’État et les régions, op. cit., p.20. 618 - 211 - B. Le recours à la contractualisation par la collectivité chef de file 255. Dans le cadre de l’organisation de l’action commune, les pouvoirs accordés au chef de file sont nécessairement limités du fait de l’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre. La contractualisation peut alors apparaître comme une modalité d’organisation de l’action commune. Celle-ci suppose que différents niveaux de collectivités peuvent intervenir en même temps sur une même compétence. La formule conventionnelle peut alors être l’occasion pour le chef de file d’instaurer une discussion avec l’ensemble des collectivités territoriales participant à l’action commune pour coordonner les différentes interventions et donc rationaliser l’action publique. « Tôt ou tard, ces interventions croisées et simultanées doivent faire l’objet d’une coordination afin que la politique des uns ne remette pas en cause les objectifs poursuivis par les autres. Mais cette coordination ne s’effectue pas de manière spontanée. Elle implique au préalable une négociation destinée à résoudre d’éventuels conflits et à définir des stratégies communes. Or cette négociation ne peut aboutir que si elle est encadrée par une administration animatrice jouant le rôle de chef de file ».620 Si l’on reprend à nouveau l’analogie du chef d’orchestre pour désigner le chef de file, alors la convention serait la partition qu’il doit faire exécuter et suivre par tous les musiciens, à savoir les autres collectivités parties à l’action commune. La particularité de cette symphonie étant toutefois que la musique aura été écrite avec la participation de tout l’orchestre. 256. Les procédés de contractualisation employés en matière de mise en œuvre des CPER sont, selon nous, tout à fait reproductibles dans le cas de la désignation d’une collectivité chef de file. Celle-ci, comme nous l’avons déjà analysé précédemment, peut adopter des schémas d’organisation concernant une compétence particulière. Le contenu de ces schémas se rapproche du contenu des contrats de projets État région. Ils listent tous deux un ensemble de besoins et d’actions pour y répondre. Il est ensuite nécessaire de s’entendre sur les moyens juridiques, matériels, humains et financiers pour mettre en œuvre ces actions. Dans le cadre des CPER, nous venons de le voir, ces moyens sont mis en œuvre par des contrats particuliers. Nous l’avons déjà relevé dans le chapitre précédent,621 on peut légitimement craindre « que le schéma soit plus l’expression d’une gouvernance molle, le résultat d’un 620 ROBBE François, « Le rôle de l’État », in CAUDAL Sylvie et ROBBE François François (dir.), Les relations entre collectivités territoriales, op. cit., p.194. 621 Supra §213. - 212 - compromis prudent entre les parties prenantes plutôt qu’un projet audacieux ».622 Le schéma d’organisation ne contient de toute manière que des intentions, il faut ensuite prévoir les moyens de les mettre en œuvre. La contractualisation des moyens pour atteindre les objectifs contenus dans ces schémas est un moyen – peut-être le seul – de poursuivre cette action commune sans risquer de tutelle. « Bien que le contrat ne fasse pas directement son entrée dans le texte constitutionnel lors de la révision du 28 mars 2003, celle-ci introduit des relations entre collectivités ou entités publiques qui peuvent ouvrir des perspectives nouvelles au recours à la technique contractuelle ».623 257. Les contrats permettent de s’organiser sur les moyens à mettre en œuvre par chaque collectivité, moyens humains, matériels et financiers, afin de réaliser les objectifs déterminés dans les schémas d’organisation. « Les membres de la file confient à celui qui en est le chef la responsabilité de diriger l’action avec les moyens dont chacun dispose en propre ».624 Comme dans les CPER, où les programmes particuliers sont mis en œuvre par voie contractuelle, la collectivité chef de file pourrait prévoir que les objectifs des schémas d’organisation seraient mis en œuvre par voie contractuelle avec les autres collectivités parties à l’action commune. C’est d’ailleurs, déjà ce qui se passe lorsqu’on analyse les schémas régionaux de développement économique.625 Il s’agit ainsi d’un « premier pas vers la mise en place du régime juridique du partenariat ».626 Le recours aux conventions peut donc être un moyen pour la collectivité chef de file d’organiser de manière rationalisée l’action commune. Le législateur pourrait tout à fait s’inspirer à cet égard de ce qui se fait en matière de mise en œuvre des contrats de projet État région. Les similitudes entre ce qui se fait dans ce domaine et l’organisation de l’action commune par la collectivité désignée comme chef de file paraissent ainsi nombreuses. La contractualisation des relations entre collectivités territoriales n’est pas cependant la réponse à tous les maux engendrés par l’acte unilatéral. En effet, la contractualisation elle aussi connaît certaines limites. 622 LEBRETON Jean-Pierre, « Syndicats mixtes et politiques intercommunales », AJDA, 2004, p.914. VERPEAUX Michel, « Les principes constitutionnels », in CAUDAL Sylvie et ROBBE François (dir.), Les relations entre collectivités territoriales, op. cit., p.66. 624 LEFEBVRE François, « La notion de chef de file dans la législation sur l’aménagement du territoire », Territoires 2020, 2003, n°8, p.27. 625 « Chaque action, préalablement validée par le plan d’actions, sera financée par les collectivités locales signataires de la convention », SRDE Bretagne, p.66. Document disponible sur le site Internet du Conseil Régional. http://www.bretagne.fr/internet/jcms/TF071112_5050/economie-et-emploi. 626 HÉMERY Véronique, « Le partenariat, une notion juridique en formation ? », RFDA, 1998, p.356. 623 - 213 - Section 2. Les limites et particularités du recours à la contractualisation. 258. Le recours à la formule contractuelle conduit tout de même à un certain nombre d’interrogations. Si la fonction de collectivité chef de file peut trouver dans le recours au contrat un moyen important de développement, celui-ci peut aussi être source d’un certain nombre de questionnements légitimes. « Serons-nous ici en présence de vrais contrats ? Quelle sera l’autorité de ces conventions (sans que l’on sache d’ailleurs s’il sera possible d’apporter une réponse générale à cette interrogation) ? Des contrats sont-ils à envisager ? Comment, plus largement, concilier ces conventions avec le principe de libre administration des collectivités et la clause générale de compétences dont elles bénéficient, sans oublier l’interdiction de toute tutelle entre collectivités territoriales ? »627 L’ensemble de ces questions démontre que la formule conventionnelle est aussi source d’incertitudes juridiques. Il semble nécessaire de ne pas voir dans le contrat, la solution miracle prévenant tous les maux de l’action unilatérale. Le contrat, lui aussi, comporte un certain nombre de limites qu’il est nécessaire de connaître. 259. Une première limite évidente de la contractualisation est le fait que les collectivités ne sont en réalités pas égales entre elles. « Le vocable partenariat évoque ainsi un état d’esprit égalitaire et consensuel. Il évoque aussi l’alliance en vue de la réalisation d’un objectif commun, la solidarité entre les partenaires ».628 Malgré le discours égalitaire sur les collectivités, la réalité est toute différente. Comme nous l’avons déjà évoqué, le principe d’égalité entre les collectivités territoriales est une fiction juridique. Si sur le plan du droit, les différentes collectivités territoriales françaises sont effectivement considérées sur un pied d’égalité, dans les faits la réalité est toute différente. Or les différences de population, de richesse, l’assise des élus locaux sont autant de sources d’atteinte à l’égalité des collectivités. Tous ces éléments influencent la négociation et l’adoption des contrats entre collectivités. « L’analyse des procédures contractuelles conduit à s’interroger sur les rapports réels entre les volontés que la nature égalitaire du contrat tend à masquer ».629 Les différences de faits entre collectivités territoriales peuvent conduire certaines à vouloir imposer leur volonté. Il n’y a alors plus d’égalité entre les parties au contrat et le contenu de celui-ci n’est alors plus que le résultat des luttes d’influences. « En pratique, la liberté contractuelle permet à la 627 KARPENSCHIF Michaël, « Les supports normatifs », in CAUDAL Sylvie et ROBBE François (dir.), Les relations entre collectivités territoriales, op. cit., p.103. 628 DENOIX DE SAINT MARC Renaud, « La question de l’administration contractuelle », art. cit., p.970. 629 GODARD Francis (dir.), Le gouvernement des villes. Territoire et Pouvoir, op. cit., p.141. - 214 - partie la plus puissante de faire adopter par la plus faible des dispositions qu’elle n’aurait pu imposer par une décision unilatérale ».630 On retrouve alors le rapprochement avec les contrats d’adhésion en droit privé. En effet, « la différence de puissance économique rend souvent illusoire la négociation : le plus faible est contraint d’en passer par les conditions qui lui sont imposées, qui ne sont pas nécessairement « justes » à son égard ».631 L’existence de disparités entre les collectivités territoriales se retrouve au moment de la négociation des contrats. 260. Ces éléments sont largement en lien avec ce que nous avons déjà développé sur la prétendue égalité entre collectivités territoriales, c’est pourquoi nous ne nous y attarderons pas outre mesure. « Ces notions rendent néanmoins compte effectivement de l’imaginaire politique dont participent en France la contractualisation et la décentralisation. Cette dernière entendait instaurer des relations désormais sans tutelle entre les collectivités publiques. Quant aux démarches contractuelles, elles attirent à elles toutes les connotations implicites qui s’attachent à la philosophie juridique des contrats, supposant le libre engagement des parties et, bien sûr, entre elles une égalité de rang. D’autant qu’on a beaucoup parlé également à cette occasion de décloisonnement, de coordination et d’horizontalisation des rapports entre acteurs ».632 Il semble donc important de relever que le mouvement de contractualisation en France relève d’une certaine idéologie égalitaire des relations entre collectivités. Le recours aux conventions, s’il est d’un intérêt non négligeable, s’est aussi largement développé car il relève d’une certaine option politique. Ici cependant, ce sont deux autres écueils que nous relèverons. D’une part, le fait que l’effet relatif des conventions oblige à multiplier les signataires d’une même convention ou alors à multiplier les conventions elles-mêmes pour atteindre les objectifs fixés. Dès lors se posent des questions sur la nature juridique de toutes ces relations conventionnelles (§1). D’autre part, nous verrons que la formule contractuelle peut poser des problèmes parce qu’elle repose sur une notion peu juridique : le consensus (§2). 630 HÉMERY Véronique, « Le partenariat, une notion juridique en formation ? », art. cit., p.353. BÉNABENT Alain, Droit civil. Les obligations, op. cit., p.21. 632 GAUDIN Jean-Pierre, « La négociation des politiques contractuelles », in GAUDIN Jean-Pierre (dir.), La négociation des politiques contractuelles, op. cit., p.13. 631 - 215 - §1. Les interrogations autour des relations contractuelles L’une des premières limites, selon nous, au recours au contrat est qu’il n’engage que ses signataires. Un contrat ne peut pas avoir d’effet à l’égard de tiers à sa signature. C’est ce qu’on appelle l’effet relatif des contrats. L’effet relatif des conventions veut que celles-ci ne sont opposables qu’à l’égard de leurs signataires. De plus, cela pose également la question de leur invocabilité par les justiciables. Toutefois, la loi sur le Grand Paris adoptée en 2010 réalise une brèche dans le principe de l’effet relatif des conventions que nous pourrions réutiliser au profit de la collectivité chef de file (A). Une autre question qui se pose s’agissant de ces conventions entre personnes publiques est la nature des relations qu’elles mettent en œuvre entre les cocontractants (B). A. Les relations des tiers avec la convention Il s’agit de revenir ici dans un premier temps sur l’effet relatif des conventions. En effet, celles-ci n’ont, juridiquement, aucun effet à l’égard des tiers à leur conclusion, quels que soient ces tiers (1). Toutefois, les développements législatifs récents ont mis à mal ce principe de l’effet relatif du contrat (2). 1. Le principe de l’effet relatif des conventions 261. Les conventions engagent généralement deux, ou plusieurs personnes, les unes envers les autres, chaque cocontractant ayant des engagements à réaliser au profit d’un objectif commun. « Les engagements sont formellement réciproques et de pleine adhésion entre les signataires ».633 Le meilleur exemple est à nouveau le contrat de projets État région, il n’engage sur ces objectifs que les seules collectivités signataires, c'est-à-dire l’État et la région. L’effet relatif des conventions signifie que les contrats n’ont d’effets qu’à l’égard des personnes signataires. Ils ne peuvent donc pas être opposés à d’autres collectivités. Les collectivités non signataires ne peuvent pas se voir imposer des obligations en vertu des conventions qu’elles n’ont pas signées. Ainsi ce principe oblige, comme nous l’avons déjà relevé précédemment, dans le cadre des contrats de projets État région à adopter un ensemble de conventions particulières pour mettre en œuvre le contrat originel. « Cela signifie-t-il qu’en 633 GAUDIN Jean-Pierre, « La négociation des politiques contractuelles », in GAUDIN Jean-Pierre (dir.), La négociation des politiques contractuelles, op. cit., p.9. - 216 - l’absence de contrats particuliers, les communes et les départements ne sont pas juridiquement liés par les dispositions d’un contrat de plan ? Il le semble, si l’on s’en tient au principe de l’effet relatif des conventions, mais encore faut-il que ce principe soit applicable au contrat de plan. Au moins, à défaut de contrats particuliers une délibération de l’organe délibérant des collectivités locales concernées est nécessaire pour rendre exécutoire les dispositions du contrat de plan ».634 Si pour certains auteurs, il serait donc possible d’étendre les effets d’une convention à une collectivité non signataire par simple délibération de l’assemblée de celle-ci, il n’est pas certain selon nous que la solution soit aussi simple que cela. Elle entraîne semble-t-il deux séries de questions. D’une part, si la collectivité adopte une délibération rendant exécutoire les dispositions contenues dans un contrat, ne devient-elle pas elle-même partie à cette convention ? Cette délibération serait ainsi une sorte d’avenant à la convention originelle qui intègre un nouveau cocontractant. Mais quid alors de la volonté des autres collectivités parties à la convention, ne devraient-elles pas donner leur accord à l’accueil de ce nouveau participant ? D’autre part, si la délibération de la collectivité rend exécutoire les clauses du contrat, mais sans faire de la collectivité un cocontractant, alors cela ne signifie-t-il pas d’une certaine manière que cette collectivité a été mise sous tutelle ? En effet, la décision de l’organe délibérant permettant l’exécution du contrat viendrait, en quelque sorte, entériner, a posteriori, une décision qui aurait été prise à sa place. La collectivité signataire de la convention aurait contracté à l’avance pour une autre collectivité ce que l’organe délibérant de celle-ci valide ensuite. Dès lors, une telle analyse pose un certain nombre de questions. « Dans quelle mesure les autorités publiques peuvent-elles s’engager (entre elles) sur l’exercice de leur pouvoir de décision ? Quelle est la portée de cet engagement ? ».635 En l’absence de réponse satisfaisante et face à l’insécurité juridique d’une telle situation, il est nécessaire de s’en remettre pour l’instant à la solution de la multiplication des contrats particuliers. Chaque objectif adopté dans le contrat de projet ou dans le schéma d’organisation est ensuite mis en œuvre par un contrat spécifique que chaque collectivité concernée adopte. 262. L’absence d’effet d’une convention à l’égard des tiers implique également que ceux-ci ne peuvent pas en principe former de recours contre celle-ci. En fait les tiers au contrat ont un accès limité au juge pour contester la validité du contrat. Deux recours sont classiquement 634 GUIBAL Michel, RAPP LUCIEN, Contrats des collectivités locales, op. cit., p.410. DOUENCE Jean-Claude, « Les conventions entre personnes publiques », in Mélanges en l’honneur du professeur Michel Stassinopoulos, Paris, LGDJ, 1974, p.116. 635 - 217 - envisageables, le premier est le recours contre les actes détachables du contrat636 et le second est le recours contre les dispositions réglementaires du contrat. 637 Cependant ces deux cas ne sont en général pas certains d’aboutir et, de plus, « l’annulation d’une disposition réglementaire n’a pas d’effet direct sur le contrat. Comme à la suite de l’annulation d’un acte détachable, il faudrait que les parties saisissent le juge du plein contentieux pour lui demander la disparition du contrat ».638 Les tiers n’avaient jusque là qu’un accès à un contentieux objectif à l’encontre du contrat. Une évolution jurisprudentielle a eu lieu récemment, qui sans ouvrir totalement le recours contentieux contre le contrat à tous les tiers, l’ouvre à certains d’entre eux. Dans son arrêt du 16 juillet 2007 Société Tropic Travaux Signalisation639, le Conseil d'État a admis que les concurrents évincés de la conclusion d’un contrat administratif puissent faire un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat ou de certaines de ses clauses. A travers cette jurisprudence, le Conseil d'État crée donc un régime d’exception en matière de recours contre les contrats en faveur des candidats évincés. « A côté d’un groupe de requérants « surprotégés », les candidats évincés, dotés à la fois du référé précontractuel avant la signature du contrat, dont ils ont l’exclusivité, et, désormais, d’un recours devant le juge du contrat après cette signature, les autres tiers, notamment ceux ayant un intérêt patrimonial à obtenir l’annulation du contrat, mais qui ne sont pas des candidats évincés, doivent se contenter du vil recours pour excès de pouvoir contre les actes détachables… et de son lot d’obstacles procéduraux ».640 Cette nouvelle jurisprudence vise pour l’instant les contrats publics d’affaire, mais la question qui peut se poser est de savoir si cette solution pourrait s’étendre à toutes les formes de contrats publics. Dès lors on pourrait s’interroger sur la probabilité d’un recours d’une collectivité territoriale contre un contrat signé entre l’État et une autre collectivité territoriale. Une telle extension semble assez peu probable du fait que le « recours Tropic » n’a pas été ouvert à tous les tiers, mais bien au seul « concurrent évincé de la conclusion d’un contrat administratif ». Or il n’est pas sûr qu’une collectivité territoriale puisse être qualifiée comme telle. 263. De mêmes les conventions n’ayant pas d’effet à l’égard des tiers, les administrés ne peuvent pas en principe se saisir de ces conventions pour réclamer leur exécution en justice. « Le contrat de plan n’emporte aucune conséquence directe quant à la réalisation effective des actions ou opérations qu’il prévoit. Cela signifie que les tiers au contrat, par exemple des 636 CE, 4 août 1905, Martin, Rec., p.749 ; GAJA, 18e ed., n°15. CE, Ass., 10 juillet 1996, Cayzeele, Rec. p.274 ; CHAUVAUX, GIRARDOT, chron., AJDA, 1996, p.732. 638 POUYAUD Dominique, « Le contentieux des contrats publics en Europe. La France », RFDA, 2011, n°1, p.14 639 CE, Ass., 16 juillet 2007, Société Tropic Travaux Signalisation, Rec., p.360, GAJA, 18e ed., n°115. 640 BRACONNIER Stéphane, « Les recours ouverts au tiers », AJDA, 2011, p.317. 637 - 218 - usagers, ne peuvent assigner les cocontractants pour la non-réalisation d’un équipement prévu ».641 La même idée peut tout à fait être reproduite à l’égard des schémas d’organisation adoptés par une collectivité chef de file et des contrats particuliers signés avec les autres collectivités parties à l’action commune. Il ne semble, en effet, pas possible qu’un administré engage la responsabilité d’une collectivité territoriale pour non respect des engagements adoptés dans le cadre d’un schéma d’orientation. L’administré étant un tiers au contrat, même si les effets de cette convention lui sont en principe destinés, il ne peut pas former un recours pour non exécution du contrat, ou d’une partie des projets prévus dans le contrat. L’inconvénient majeur en matière de contractualisation est donc l’effet relatif des conventions. Seules sont liées par les décisions prises dans les conventions les collectivités qui en sont signataires. Toutefois, il semble au regard de la législation récente que l’effet relatif des conventions ne soit pas un principe absolu. 2. Le dépassement de l’effet relatif dans le cadre de la Loi sur le Grand Paris 264. La loi sur le Grand Paris, adoptée en 2010 et relative à l’aménagement de la région parisienne642, a pour objectif de « permettre à la région capitale de conforter la place d’exception qu’elle occupe dans le monde, libérer ses potentiels pour répondre aux défis du XXIe siècle et contribuer, par un effet d’entraînement, au développement économique et social du pays tout entier ».643 Afin de réaliser ces objectifs, le projet de loi s’articule notamment autour de la création d’un nouvel établissement public, compétent en matière d’aménagement du territoire, la Société du Grand Paris (SGP). L’article 1er de la loi dispose que « Le Grand Paris est un projet urbain, social et économique d’intérêt national qui unit les grands territoires stratégiques de la région Ile-deFrance, au premier rang desquels Paris et le cœur de l’agglomération parisienne, et promeut le développement économique durable, solidaire et créateur d’emplois pour la région capitale. Il vise à réduire les déséquilibres sociaux, territoriaux et fiscaux au bénéfice de l’ensemble du territoire national. ». Pour mettre en œuvre ces différents objectifs définis à 641 BROUANT Jean-Philippe, « Les contrats d’agglomération : l’intercommunalité de projet à l’épreuve du principe de spécialité », AJDA, 2004, p.908. 642 Loi n°2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris, JORF, 5 juin 2010, p.10339. 643 Exposé des motifs du projet de loi sur le Grand Paris. - 219 - l’article 1er de la loi, le texte prévoit que l’État, les communes et leurs EPCI peuvent conclure des contrats de développement territorial. 265. Ce sont ces contrats de développement territorial (CDT) qui nous intéressent ici, et notamment leurs effets. Le régime des contrats de développement territorial est particulier, par rapport au régime classique des contrats publics. Ainsi, ces contrats peuvent, notamment, lier la Société du Grand Paris « bien que non signataire du contrat. SGP ne peut conduire une opération d’aménagement ou de construction sur le territoire d’une commune signataire d’un CDT que si celui-ci le prévoit ».644 C’est ce qui est prévu par l’article 7 de la loi. Le contrat de développement territorial a donc des effets à l’égard d’une personne publique non signataire. Le contrat limite la capacité d’intervention de la SGP. L’intérêt de cet exemple est qu’il contourne le principe de l’effet relatif des conventions. Dès lors, on peut en conclure qu’il ne s’agit pas là d’un principe absolu et que le législateur peut le contourner. Il serait alors possible d’imaginer que le législateur en fasse de même pour des conventions signées par une collectivité chef de file avec une autre collectivité partie à l’action commune. Toute nouvelle collectivité qui voudrait alors intervenir dans le cadre de ce champ de compétence ne pourrait le faire que si la convention signée par le chef de file avec les autres collectivités parties à l’action commune le prévoit. Cette modalité permettrait de limiter le nombre d’intervenants en les obligeants à se fédérer autour du chef de file. Les effets d’une convention à l’égard des tiers semblent donc, a priori, assez bien définis, même si des évolutions semblent aujourd’hui envisageables. Les relations entre cocontractants et tiers au contrat soulèvent donc des interrogations auxquelles il sera nécessaire de répondre pour permettre à la collectivité chef de file d’exercer pleinement sa fonction. D’autres relations semblent devoir être clairement définies, ce sont les relations entre les cocontractants eux-mêmes. B. L’incertaine nature des relations entre cocontractants 266. Les relations entre les cocontractants sont elles-mêmes mal définies. La question de la nature de ce type de contrats est rapidement résolue. « Pour ce qui est du régime du contrat, la question principale qui se pose est mal résolue ; c’est celle de l’égalité entre les parties : le contrat entre personnes publiques est présumé égalitaire, alors que le contrat entre personne 644 MARCOU Gérard, « La loi sur le Grand Paris : le retour de l’État aménageur ? », AJDA, 2010, p.1872. - 220 - publique et personne privée est présumé inégalitaire. A partir de là, on se demande ce qu’il en est du pouvoir de résiliation unilatérale, du pouvoir de sanction. La jurisprudence est peu abondante et porte principalement sur les contrats Etat-collectivités locales ».645 Certains auteurs se prononcent toutefois en faveur d’une égalité stricte entre personnes publiques dans leurs relations contractuelles, ce qui conduirait notamment à des sanctions en cas de non respect de leurs engagements ou en cas de modification unilatérale du contrat.646 La jurisprudence du Conseil d'État semble également pencher en ce sens. En effet, la question de la nature juridique des conventions entre personnes publiques et de leur relation est longtemps restée sans réponse. Le Tribunal des conflits a apporté une réponse à la première question dans une décision de 1983.647 Le Tribunal des conflits a suivi les conclusions de son commissaire du gouvernement qui l’invitaient à affirmer « une présomption : un contrat entre deux personnes publiques doit être présumé administratif car il est normalement à la rencontre de deux gestions publiques. Mais cette présomption n’a rien d’irréfragable et doit céder dans les cas où précisément le contrat ne correspond à aucune gestion publique ».648 Or dans le cas qui nous intéresse, des compétences communes, cette présomption est corroborée puisque l’objet de la convention est d’assurer une meilleure organisation du service public. Reste à savoir si dans le cadre d’un contrat administratif passé entre deux personnes publiques celles-ci disposent encore de leurs prérogatives de puissance publique ? Sont-elles autorisées à modifier unilatéralement le contrat ou au contraire sont-elles placées sur un pied d’égalité ? Le Conseil d'État a apporté une réponse assez tardivement là aussi. La Haute juridiction considère, en effet, que si traditionnellement face à une modification unilatérale d’une convention le juge ne peut pas l’annuler mais seulement rechercher si cette modification ouvre droit à indemnité, « il en va autrement lorsqu’il s’agit d’un contrat passé entre deux personnes publiques et ayant pour objet l’organisation d’un service public ».649 Le juge administratif consacre ainsi l’existence d’une différence de nature entre les contrats administratifs passés entre une personne publique et une personne privée et les contrats administratifs conclus entre deux personnes publiques. Le fait que le Conseil d'État admette 645 RICHER Laurent, « La contractualisation comme technique de gestion des affaires publiques », art. cit., p.974. 646 PORTIER Nicolas, « Un nouveau mode de relation entre l’État et ses partenaires : l’exemple de l’aménagement du territoire », AJDA, 2003, p.986-988. 647 TC, 21 mars 1983, UAP c. Secrétaire d’État aux P et T, Rec., p.537 ; concl. Daniel LABETOULLE, AJDA, 1983, p.356-359. 648 LABETOULLE Daniel, « Conclusions sur l’affaire UAP c. Secrétaire d’État aux P et T », AJDA, 1983, p.358. 649 CE, 13 mai 1992, Commune d’Ivry-sur-Seine, Rec., p.197 ; MAUGÜE, SCHWARTZ, chron., AJDA 1992, p.480-482. - 221 - que ces pouvoirs diffèrent entre ces deux situations implique qu’il existe une différence de situation entre les cocontractants. Le juge reconnaît ainsi que « les collectivités publiques se trouvent dans ce cas placées sur un pied d’égalité et la justification traditionnelle aux pouvoirs exorbitants du droit commun dont dispose l’administration contractante n’a plus lieu d’être ».650 Désormais, dans le cadre d’une convention entre deux personnes publiques, si l’une d’entre elle fait usage de ses prérogatives habituelles en matière contractuelle elle ne sera pas exposée au simple risque de devoir reverser des dommages et intérêts à son cocontractant, le juge pourra dans un tel cas annuler la décision litigieuse de l’administration. A travers cette jurisprudence le Conseil d'État impose une égalité entre les personnes publiques cocontractantes. L’administration doit tenir compte du fait que lorsqu’elle contracte avec une autre personne publique ses pouvoirs sont limités, « sa liberté contractuelle est réduite ».651 Cet égalitarisme conduit même le Conseil d'État a retenir désormais la responsabilité contractuelle de l’État, lorsqu’il modifie unilatéralement la convention qui l’unissait à une collectivité territoriale.652 Cette jurisprudence participe à favoriser cette égalité entre personnes publiques dans le cadre des contrats. En effet, cette décision efface progressivement la distinction qui s’est longtemps opérée entre l’État et les collectivités territoriales, considérées comme des personnes publiques de second rang. Elle permet aussi d’affirmer que « si l’on veut parvenir à une coopération qui, sans être égalitaire, soit relativement équilibrée, il faut que la responsabilité de l’État puisse être consacrée lorsque les pouvoirs publics nationaux décident de se désengager ».653 267. Si l’égalité entre les cocontractants publics semble a priori une méthode plus en accord avec le principe d’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre, en matière de chef de file il nous apparaît que l’analyse doit être différente. Pour nous, la relation doit être inégalitaire au profit de la collectivité chef de file. Celle-ci a été désignée justement pour organiser l’action commune. Dans le cadre de la mise en œuvre contractuelle de l’action commune, le chef de file doit pouvoir influer sur la réalisation de l’action commune. Il est donc nécessaire qu’il détienne des prérogatives spécifiques, tel que le pouvoir de modification unilatérale de la convention. Dans sa thèse relative aux contrats entre personnes publiques, 650 MAUGÜÉ Christine, SCHWARTZ Rémy, « Chronique générale de jurisprudence administrative française », AJDA, 1992, p.481-482. 651 Ibid., p.482. 652 CE, 21 décembre 2007, Région du Limousin et autres, Rec., p.534 ; PONTIER, note, JCP-A, 2008, n°9, p.3236. 653 PONTIER Jean-Marie, « La responsabilité contractuelle de l’État dans ses relations avec les collectivités territoriales », JCP-A, 2008, n°9, p.36. - 222 - Jean-David Dreyfus défend un avis similaire. Il critique la position du Conseil d'État qui en vient à limiter les capacités d’action de l’administration sous prétexte qu’elle contractualise avec une autre personne publique. « Quel que soit le contrat en cause, il faut donc que la personne administrative conserve la possibilité de modifier le cours de son exécution si le service public l’exige. On voit de ce fait mal comment une collectivité publique pourrait être, en quelque sorte, « privée » de ses pouvoirs d’intervention lorsqu’elle conclut un contrat ayant pour objet l’organisation du service public avec une autre personne publique ».654 Une telle option ne conduirait pas le chef de file à mettre en place une tutelle sur les autres collectivités parties à l’action commune, cela serait seulement un moyen pour cette collectivité mise dans une situation particulière – devoir organiser l’action commune – d’assumer cette fonction. Il n’est pas question pour autant de laisser la collectivité chef de file agir de manière libre et totalement disproportionnée. « Le contrat serait une tutelle intelligente ».655 Le juge doit pouvoir contrôler les décisions de modification unilatérale du chef de file afin d’éviter toute tendance hégémonique. « Le juge pourrait en effet se voir reconnaître une place importante face à toute prétention répressive de l’administration chef de file ; il pourrait être à même de jouer un rôle d’arbitre entre les deux personnes publiques ».656 Ce rôle d’arbitre n’est pas sans rappeler la fonction identique que remplit le juge dans le cadre de la codécision.657 L’intérêt pour la collectivité chef de file serait de ne pas l’enfermer dans cette jurisprudence égalitaire du Conseil d'État. Le chef de file a été investi d’une mission spécifique selon la Constitution, celle d’organiser les modalités de l’action commune entre collectivités territoriales. Il faut donc lui accorder les pouvoirs nécessaires pour réaliser au mieux les missions comprises dans cette fonction. 268. « Il serait tout à fait imaginable, notamment dans la perspective de la mise en place de la nouvelle vague de décentralisation et du développement de la notion de chef de file, que les contrats aillent plus loin. Ils pourraient prévoir que tel contractant s’engage à exercer une de ses compétences stratégiques en vue d’appuyer les objectifs du contrat ».658 Cette seconde option diffère quelque peu. Elle conduirait les cocontractants à s’engager non seulement pour une action particulière, mais à soumettre l’ensemble de leur politique à la réalisation du 654 DREYFUS Jean-David, Contribution à une théorie générale des contrats entre personnes publiques, op. cit., p.323. 655 JÉGOUZO Yves, « L’administration contractuelle en question », in Mouvement du droit public. Mélanges en l’honneur de Franck Moderne, op. cit., p.553 656 DREYFUS Jean-David, Contribution à une théorie générale des contrats entre personnes publiques, op. ci., p.327. 657 Supra §188. 658 BROUANT Jean-Philippe, « Les contrats d’agglomération : l’intercommunalité de projet à l’épreuve du principe de spécialité », art. cit., p.908. - 223 - contrat. Cette seconde solution nous apparaît toutefois un peu moins favorable, car elle risque d’être difficilement acceptée par les collectivités parties à l’action commune. Cette solution est peut-être un peu trop en avance, dans le sens où elle conduit à une nécessaire hiérarchisation entre collectivités territoriales. Le recours aux conventions contient donc en germe un certain nombre d’interrogations qui concernent les relations juridiques entre les cocontractants et entre ceux-ci et les tiers. Les conventions, comme nous l’avions pressenti, ne sont pas une réponse miracle aux limites de l’action unilatérale. Ce sentiment est confirmé par les premières limites que nous avons exposé sont d’ordre juridique et peuvent donc trouver une réponse, dans les textes ou dans la jurisprudence. Il existe cependant une autre particularité, très importante, en matière de contractualisation. C’est la mise en jeu du facteur humain. §2. La part de risque contenue dans les conventions 269. La contractualisation des relations renvoie à une idée centrale qui est celle de l’intuitu personae, c'est-à-dire que dans les conventions, y compris celles entre collectivités territoriales, il y a une part importante de relation humaine. Le Vocabulaire juridique Cornu définie la notion comme caractérisant « les opérations dans lesquelles la personnalité de l’une des parties est tenue pour essentielle ».659 La bonne entente entre les individus qui représentent les différentes collectivités contractantes est un élément central de la réussite des procédures contractuelles. « Les relations personnelles sont importantes. Leur qualité est primordiale, car les procédures croisées créent souvent des difficultés. Les demandes sont à formuler d’une façon différente à chaque fois ».660 Les conventions impliquent une relation de confiance entre les cocontractants. Ces relations sont basées sur une notion essentielle selon nous en matière d’action commune : le consensus. L’idée de consensus renvoie à la notion d’accord entre personnes, à la recherche de cet accord de la part d’une majorité des participants. « Rechercher le consensus ne signifie pas obtenir l’unanimité ».661 C’est cet élément personnel, humain qui est au cœur de la procédure contractuelle selon nous, mais qui n’est pas un élément appréhendé par le droit. Toute la procédure contractuelle est marquée selon nous par cette dimensions humaine. « La bonne volonté des parties est donc une 659 CORNU Gérard – Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 8e ed., 2007, p.513. GODARD Francis, Le gouvernement des villes. Territoire et Pouvoir, op. cit., p.159. 661 SUSSKIND Lawrence, DUZERT Yann, PEKAR LEMPEREUR Alain, Faciliter la concertation. A bon processus, bon consensus, Paris, Eyrolles – Ed. d’Organisation, 2009, p.30. 660 - 224 - condition indispensable »662 à la réussite de la formule contractuelle. Cela est d’autant plus vrai que les collectivités locales sont dirigées par des majorités politiquement différentes. La formule conventionnelle, de par la discussion qu’elle implique, permet d’accorder sur un même projet des collectivités territoriales politiquement opposées. Dans le cadre contractuel, les collectivités sont obligées de trouver un consensus, chacune fait des concessions pour aboutir à une décision qui convient à tous. « Dans la société contemporaine, le contrat entre l’État et les collectivités locales ou d’autres entités extérieures prend souvent la forme d’un traité de paix, qui ne consacre qu’un équilibre provisoire, chaque partie ayant l’espoir de nouvelles avancées, et aucune d’elle n’étant parfaitement satisfaite ».663 Les contrats sont donc continuellement remis sur le métier. Les collectivités sont amenées à renégocier sans cesse les conventions, à trouver de nouveaux consensus. C’est à la fois un avantage et un inconvénient. Un inconvénient car le contrat de ce point de vue n’a pas la même permanence qu’un acte unilatéral. Le contrat est toujours menacé d’évoluer, de changer. Cela peut poser des questions quant à la sécurité juridique. Toutefois, cela peut aussi être considéré comme un avantage. En effet, le contrat permet une meilleure adaptation de l’action administrative à la réalité des faits. La formule contractuelle permet une meilleure réactivité par rapport à l’acte administratif unilatéral. Cette recherche du consensus fait dire à certains auteurs que « la valeur qui est reconnue au contrat n’est pas de produire des obligations, c’est de procéder d’une négociation et d’aboutir à un accord ».664 Nous sommes en partie seulement d’accord avec une telle affirmation. En effet, l’objectif de la contractualisation est tout de même de permettre la mise en œuvre des différentes compétences des collectivités territoriales. Il est indéniable que la phase précontractuelle, la phase de négociation revêt une importance cruciale dans la multiplication très importante des conventions entre personnes publiques. Il existe indéniablement une volonté de développer cette idée de consensus. Les décisions locales, notamment dans les intercommunalités, sont très fortement marquées par cette idée de consensus. En effet, les communes membres ne sont pas toujours toutes dirigées par des majorités politiques similaires. Pour éviter que des blocages apparaissent dans les décisions à prendre par l’intercommunalité, il est alors nécessaire de rechercher la décision qui fera consensus entre tous les élus locaux. La recherche de ce consensus est aujourd’hui au cœur de l’action politique. « La recherche d’un tel compromis exige que les acteurs en présence 662 PONTIER Jean-Marie, Les contrats de plan entre l’État et les régions, op. cit., p.113. RICHER Laurent, « La contractualisation comme technique de gestion des affaires publiques », art. cit., p.975. 664 MARCOU Gérard, RANGEON François, THIÉBAULT Jean-Louis, La coopération contractuelle et le gouvernement des villes, op. cit., p.9. 663 - 225 - transigent sur leurs intérêts, c'est-à-dire acceptent la remise en cause de certains de leurs intérêts afin que la négociation aboutisse ».665 270. Même si ce n’est pas nécessairement une notion juridique, le consensus est dans les faits une notion centrale de l’action publique. Pour qu’une politique publique aboutisse, encore plus lorsque cette politique est une action commune, tous les acteurs doivent nécessairement travailler ensemble. « La coopération repose alors largement sur l’initiative le volontariat de toutes les collectivités concernées et sur la bonne volonté des élus qui sont souvent politiquement opposés ou concurrents ».666 Il faut donc rechercher un consensus pour que toutes les personnes impliquées acceptent de travailler dans le même sens, à un projet commun. D’ailleurs, il ressort largement des divers entretiens menés, tant avec des élus qu’avec des administrateurs, durant nos recherches que la place de l’accord, de la discussion et donc du consensus est centrale en matière d’action commune. « L’accord des partenaires apparaît comme un outil intrinsèquement démocratique »667, alors même qu’au final la population est bien souvent absente des procédures de préparation de ces contrats. Les collectivités « déploient toutes une stratégie de la séduction dont la rhétorique contractuelle constitue un élément ».668 C’est donc cet élément qu’il faut permettre de développer pour assurer la réussite de la notion de collectivité chef de file. Il semble, en effet, qu’en l’état actuel des dispositions constitutionnelles, la fonction de chef de file trouvera « son effectivité sur le terrain politique ».669 Nous retrouvons, à travers cette notion de consensus, une idée qui se rapproche de la théorie de l’agir communicationnel développée par Jürgen Habermas. Pour celui-ci « le concept d’agir communicationnel concerne l’interaction d’au moins deux sujets capables de parler et d’agir qui engagent une relation interpersonnelle (que ce soit par des moyens verbaux ou extraverbaux). Les acteurs recherchent une entente (Verständigung) sur une situation d’action, afin de coordonner consensuellement (einvernehmlich) leur plans d’action et de là même leurs actions. ».670 L’auteur résume ainsi parfaitement l’idée qui devrait, selon nous, guider le développement de la fonction de chef de file. Il s’agit de permettre le développement des relations entre les décideurs locaux, afin de leur permettre, à 665 EDDAZI Fouad, Planification urbaine et intercommunalité, op. cit., p.473. HÉMERY Véronique, « Le partenariat, une notion juridique en formation ? », art. cit., p.352. 667 GODARD Francis, Le gouvernement des villes. Territoire et Pouvoir, op. cit., p.169. 668 CAILLOSSE Jacques, « Sur la progression en cours des techniques contractuelles d’administration », in CADIET Loïc, Le droit contemporain des contrats, op. cit., p.91. 669 GROULIER Cédric, « L’exercice fédéré des compétences locales », Fédéralisme Régionalisme, 2009, n°2, p.7. 670 HABERMAS Jürgen, Théorie de l’agir communicationnel – Rationalité de l’agir et rationalisation de la société, T.1, Paris, Ed. Fayard, 1987 (pour la traduction), p.102. 666 - 226 - travers leurs discussions de trouver une décision qui puisse être acceptée par la plus grande majorité d’entre eux, afin d’organiser leur action commune. La méthode conventionnelle, doublée de la recherche du consensus, peut permettre d’aboutir à une véritable exploitation de la fonction de chef de file, tout en limitant au maximum le risque de mise en place d’une tutelle. - 227 - Conclusion Chapitre 2 271. La collectivité chef de file peut selon nous trouver dans les relations contractuelles un outil d’organisation de l’action commune adapté. En effet, la contractualisation permet de s’assurer d’une véritable adhésion des partenaires. Le risque de mise en place d’une tutelle est limité dans ce cadre. La contractualisation des relations ne peut fonctionner correctement qu’à la condition que les collectivités territoriales et leurs dirigeants s’investissent positivement en faveur de telles relations. Ainsi le facteur humain, la nécessité d’assurer une discussion et la recherche du consensus apparaissent comme des éléments centraux de réussite des relations contractuelles. De plus les contrats peuvent permettre la mise en œuvre concertée des décisions adoptées précédemment, dans le cadre par exemple d’un schéma d’organisation, par la collectivité chef de file. Il n’y a dans un tel système aucun risque de tutelle, surtout, il n’y a rien que le juge ne connaisse déjà. Un procédé similaire existe déjà en matière de mise en œuvre des objectifs contenus dans le CPER. Les contrats de projets sont signés entre l’État et les régions, mais ensuite, ils nécessitent des conventions particulières pour réaliser les différents projets. Or ces conventions particulières sont ouvertes, font appel aux autres collectivités infraétatiques pour financer et atteindre les objectifs fixés. La collectivité chef de file devrait pouvoir bénéficier pleinement de ces possibilités offertes par la contractualisation. L’action commune entre collectivités territoriales implique l’existence d’un processus décisionnel marqué par la nécessaire discussion entre tous les acteurs. L’organisation et la conduite de cette discussion relèvent essentiellement de procédés non juridiques. Cependant, la formalisation du résultat de la discussions nécessite des moyens juridiques tels que les contrats pour parvenir à mettre en œuvre une politique locale cohérente, une action commune. - 228 - Conclusion Titre 2 272. L’article 72, alinéa 5 de la Constitution, dispose que « lorsque l’exercice d’une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales, la loi peut autoriser l’une d’entre elles ou un de leurs groupements à organiser les modalités de leur action commune ». Cependant une question reste en suspend à la lecture de cet article. Comment le chef de file procède-t-il pour organiser l’action commune ? Il y a une nécessaire articulation à réaliser entre les schémas d’orientation et les contrats. Cette coordination entre les différents acteurs de la file doit permettre « d’investir la collectivité publique de rang territorial inférieur d’une fonction de représentation de la collectivité de rang supérieur, à charge pour la première d’agir pour le compte de la seconde dans les matières nécessitant une déclinaison territoriale ».671 L’articulation de ces différents modes d’action permettrait ainsi à la fonction de chef de file de donner à la collectivité investie de ce rôle une fonction de conception des politiques publiques, qu’elle pourrait ensuite faire faire par les autres collectivités parties à l’action commune. Si le droit propose des solutions au travers de l’acte administratif unilatéral ou du contrat, ces solutions ne peuvent elles-mêmes se concevoir sans l’apport d’une autre notion. En effet, le maître mot de la mise en œuvre de l’action commune est le consensus. Ainsi, l’action commune entre collectivités territoriales, sous la direction d’un chef de file, doit se dérouler selon nous en deux temps. Le chef de file doit d’abord préciser, de manière concertée, les objectifs à atteindre par l’action commune dans le cadre d’un schéma d’organisation. Il décide, ensuite, avec les autres collectivités de la file, des moyens à mettre en œuvre pour atteindre ces objectifs dans le cadre de conventions particulières. C’est par la pratique constante de ce dialogue, tout au long des différentes étapes constitutives de l’action commune que le chef de file pourra assurer la réussite de sa mission, sans pour autant mettre en place de tutelle sur les autres collectivités de la file. La réussite de l’action commune implique donc l’existence d’une véritable volonté politique. 671 STUSSI Pierre, « Repenser la gouvernance locale : globaliser les enjeux et différencier les réponses », Pouvoirs locaux, 2012, n°93, p.67. - 229 - - 230 - Conclusion Première Partie 273. Destiné à clarifier la répartition des compétences, l’introduction dans notre constitution de la notion de chef de file n’a pas selon nous atteint cet objectif de manière satisfaisante. Son environnement constitutionnel, tout d’abord, ne permet pas d’en assurer la meilleure protection. Outil de mise en œuvre du principe de subsidiarité, celui-ci ne semble pas être pleinement défendu par le Conseil constitutionnel qui s’en remet pour l’instant au pouvoir d’appréciation du législateur. Par ricochet, le législateur est finalement assez libre pour déterminer le niveau de collectivité qu’il estimera le plus à même d’organiser l’action commune, et donc de remplir ce rôle de chef de file. Ensuite, face à la crainte de certains parlementaires de voir apparaître une hiérarchie entre collectivités territoriales, la fonction de chef de file a été limitée par l’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre. Ainsi, la rédaction de l’article 72, alinéa 5 de la Constitution, telle qu’elle est issue de la révision constitutionnelle de mars 2003, présente comme un principe l’interdiction de la tutelle entre collectivités territoriales, et la fonction de chef de file n’est alors qu’une exception à ce principe. Dans la rédaction même de la Constitution, il existe donc une maladresse qui conduit à limiter l’intérêt du recours au mécanisme du chef de file. L’intérêt est d’autant plus limité que la Constitution ne répond pas à la question des moyens mis à disposition de la collectivité chef de file pour organiser l’action commune. En effet, la Constitution ne dit rien sur les modalités d’organisation, de coordination de l’action commune par le chef de file. Nous en avons déduit que de manière traditionnelle la collectivité chef de file pouvait avoir recours soit à l’acte unilatéral, soit au contrat. Là encore l’interdiction de toute tutelle d’une collectivité sur une autre, au nom d’une pseudo égalité entre collectivités territoriales, impose d’importantes contraintes à la collectivité chef de file. En fait il semble qu’en l’espèce les deux modes d’action se complètent. Dans un premier temps, la collectivité chef de file détermine le cadre, l’orientation de l’action commune à travers un schéma d’organisation. Dans un second temps, ce cadre est mis en œuvre à travers des contrats particuliers signés entre la collectivité chef de file et les autres collectivités parties à l’action commune. L’intérêt de cette démarche est qu’elle implique une constante coordination entre tous les acteurs publics locaux, elle nécessite un dialogue constant et donc évite de ce fait le risque de la tutelle. Après avoir analysé comment la fonction de collectivité - 231 - chef de file s’intégrait dans la Constitution et quels étaient les outils juridiques à disposition de la collectivité chef de file pour assumer son rôle, il apparaît nécessaire d’en étudier les mises en œuvre. - 232 - SECONDE PARTIE La collectivité chef de file, un potentiel à confirmer - 233 - - 234 - 274. Peu de lois font référence à la fonction de chef de file, on la retrouve essentiellement dans la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales672 ou encore dans la loi du 11 février 2005 relative au handicap.673 Dans le cadre de l’Acte II de la décentralisation, le législateur ordinaire s’est saisi de ce nouvel outil intégré dans notre loi fondamentale par le pouvoir constituant dérivé, mais depuis il semble avoir totalement oublié la disposition de l’article 72, alinéa 5 de la Constitution. 275. Dans la loi libertés et responsabilités locales, le département est confirmé en tant que chef de file en matière d’action sanitaire et sociale et la région est promue à ce rang pour l’action économique et pour la formation professionnelle. En dehors de ces cas, la fonction de chef de file n’a été que peu reprise dans les lois ultérieures. Ainsi, la loi du 16 décembre 2010 portant réforme des collectivités territoriales674 – dernière loi en date concernant la décentralisation – néglige totalement les apports de la révision constitutionnelle de mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République. Si l’expression de chef de file apparaissait dans le projet initial du gouvernement675, déposé au Sénat à l’automne 2009, force est de constater que le texte final ne fait pas mention de cette fonction. 276. Dès lors une question se pose : l’introduction de la fonction de chef de file dans la Constitution en 2003 a-t-elle servie à quelque chose ? La fonction de chef de file revêt-elle réellement une utilité pour l’exercice des compétences communes entre collectivités territoriales ? On peut se demander si l’intégration de la fonction de chef de file dans la Constitution n’a pas été qu’une forme de leurre, masquant les véritables intentions du constituant.676 Le constat nécessairement amer d’une mise en œuvre encore limitée de la fonction de chef de file dans les différents textes de loi concernant la décentralisation ne doit cependant pas l’emporter. Il est nécessaire d’analyser ces mises en œuvre, mais aussi de s’interroger sur les potentialités de retrouver la fonction de chef de file dans le futur. Même en l’absence du 672 Loi n°2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, précit. Loi n°2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, JORF, 12 février 2005, p.2353. 674 Loi n°2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, précit. 675 Article 35 du projet de loi : « lorsque, à titre exceptionnel, une compétence est partagée entre plusieurs niveaux de collectivités, la loi peut désigner la collectivité chef de file chargée d’organiser l’exercice coordonné de cette compétence ou donner aux collectivités intéressées la faculté d’y procéder par voie de convention ». 676 On retrouve le même type d’interrogation à propos de l’introduction en 2003 de deux formes d’expérimentations l’une au profit des collectivités territoriales pratiquement jamais mise en œuvre (art. 72, al.4 de la Constitution) et l’autre au profit de l’État (art. 37-1 de la Constitution) qui a servi à justifier de nombreux transferts de compétences. 673 - 235 - vocabulaire de chef de file, il est tout à fait aisé d’imaginer des moyens de coordination de l’action locale partagée qui usent des méthodes déjà mises en œuvre. Il s’agira donc d’étudier les mises en œuvre de la fonction de chef de file (Titre 1er) puis de s’interroger sur son devenir (Titre 2). - 236 - Titre 1er La mise en œuvre de la notion de chef de file. 277. Une première lecture de la loi libertés et responsabilités locales peut laisser un sentiment d’étonnement pour deux raisons. D’une part, alors que ce texte est la consécration législative de l’Acte II de la décentralisation, aucune mention n’est faite dans la loi de l’expression « chef de file ». « La notion de collectivité chef de file bénéficie désormais d’un fondement constitutionnel sous une forme quelque peu édulcorée. Pour autant, le législateur manifeste une certaine réticence à l’utiliser. Ainsi, si le projet de loi devenu la loi du 13 août 2004, dans sa rédaction initiale, utilisait l’expression à deux reprises (pour le développement économique et l’action sociale), la terminologie retenue au final est plus souple ».677 Cela est d’autant plus étrange que le vocabulaire est toutefois accepté par la classe politique, comme l’atteste la lecture des débats parlementaires, et par la doctrine juridique.678 Est-ce à dire alors que l’expression ne mériterait pas d’être consacrée législativement ? D’autre part, les cas où des collectivités sont consacrées comme chefs de file relèvent d’un accord assez général. En effet, les matières où des collectivités ont été désignées chefs de file sont des matières où celles-ci exerçaient déjà un rôle important. Ainsi, le département est désormais chef de file en matière d’action sociale. Or, depuis l’Acte I de la décentralisation la collectivité départementale avait régulièrement fait l’objet de transferts de compétences en ce domaine. Il en va de même pour la région qui est consacrée, par la loi du 13 août 2004, comme chef de file en matière d’action économique. Or depuis son accession au statut de collectivité territoriale, la région a toujours disposé d’une compétence prépondérante en matière de développement économique. 278. On peut ainsi reprocher au législateur un manque d’audace dans la désignation des collectivités chefs de file. Manque d’audace justifié, en partie par la crainte – infondée nous semble-t-il – de voir la région prendre une forme d’ascendant sur les autres collectivités territoriales. Nous verrons ultérieurement que cette crainte est toujours bien présente. Une 677 LONG Martine, « Le département, chef de file de l’action sociale : vers de nouveaux espaces de solidarité ? », in BRISSON Jean-François (dir.), Les transferts de compétences de l’État aux collectivités locales, Paris, L’Harmattan, 2009, p.414. 678 « En confiant à la région le chef de filat pour la stratégie économique et la programmation et celui de la cohésion territoriale au département, nous avons engagé la clarification des compétences », RAFFARIN JeanPierre, « Préface », in TULARD Marie-José, La région, Paris, LGDJ, 2008, p.2. - 237 - autre oubliée en matière de chef de file dans la loi du 13 août 2004, c’est la commune. En effet, cette collectivité territoriale ne bénéficie pas, dans ce texte, de la fonction de chef de file. On peut s’interroger sur cette absence qui sera réparée quelques années plus tard679, mais encore l’inscription de la commune comme chef de file est timide.680 Quelle en est la raison ? Est-ce parce qu’aucune compétence qui relève de cette collectivité ne conduit à une action commune et donc à une nécessité de coordonner l’action ? Est-ce parce qu’on aurait considéré que la commune – du fait qu’elle est le plus petit niveau de collectivité – ne peut pas être désignée comme chef de file ? Dans les deux cas, l’argumentation ne peut pas tenir selon nous. D’une part, la commune exerce certaines de ses compétences en commun avec d’autres collectivités, il n’est qu’à évoquer par exemple la politique de la ville. Pourquoi alors ne pas désigner la commune chef de file en ce domaine ? D’autre part, la fonction de chef de file, du fait de l’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre, ne peut être regardée comme servant uniquement les collectivités englobantes. Les collectivités plus petites peuvent elles aussi bénéficier de ce rôle et l’exercer à l’égard des niveaux de collectivités qui les englobent. La fonction de chef de file est définie comme « celle qui va rythmer la cadence d’une partition locale choisie de manière concertée par les collectivités engagées ainsi que leurs groupements ».681 Il n’y a dans cette définition aucune limitation de la fonction à un quelconque niveau de collectivité. 279. Quelles sont alors les collectivités territoriales qui bénéficient, d’après la loi du 13 août 2004, de la fonction de chef de file ? Quelles sont les conséquences de cette désignation ? Comment se manifeste la mise en œuvre de cette nouvelle fonction ? Comme nous l’avons déjà relevé, deux collectivités ont bénéficié rapidement de cette fonction. Le département tout d’abord en matière d’action sociale. Mais il est nécessaire de remarquer qu’il ne s’agit là que de la continuité de ce qui se faisait déjà avant et que la loi du 13 août 2004 n’est qu’une étape puisque d’autres textes ultérieurs sont venus conforter ce rôle. La région a également bénéficié de la fonction de chef de file, en matière d’action économique, même si, nous le verrons, cette consécration peut être critiquée ; ensuite la région en bénéficie également en matière de formation professionnelle. 679 Loi n°2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, JORF, 7 mars 2007, p.4297. Infra §495. 681 CHICOT Pierre-Yves, « La régionalisation des politiques sanitaires et sociales : l’émergence du départementrégion providence ? », Dr. Adm., 2006, n°12, p.6. 680 - 238 - Il sera alors nécessaire d’analyser la consécration du département en tant que chef de file en matière d’action sociale (Chapitre 1er), puis d’étudier les cas d’accession de la région à la fonction de chef de file (Chapitre 2). - 239 - - 240 - Chapitre 1er Le département, un chef de file confirmé en matière d’action sociale 280. Le département est, depuis l’Acte I de la décentralisation, une figure incontournable dans le domaine de l’action sociale, à tel point que Gérard Marcou évoque la « vocation sociale du département ».682 L’action sociale était déjà depuis 1983 largement dévolue au département. C’est pour confirmer ce rôle prépondérant, c’est pour conforter cette position que la loi du 13 août 2004 érige le département comme chef de file de l’action sanitaire et sociale. La décentralisation de l’action sociale « participe d’un souci d’efficacité et de meilleure adéquation aux besoins associé à des considérations financières. L’idée est qu’en confiant l’action sociale au département la réponse à un certain nombre de besoins sociaux sera davantage adaptée aux réalités de terrain ». 683 281. Mais la loi libertés et responsabilités locales ne fait pas que confirmer ce qui existait déjà. En effet, elle ne se contente pas d’un simple transfert de compétence en la matière, elle érige le conseil général au rang de chef de file de l’action sociale. « Sans aller jusqu’à un basculement total de l’action sociale dans le giron départemental, le texte du 13 août 2004 a franchi indubitablement un palier ».684 Désormais, non seulement le département se voit confier un nombre important de missions sanitaires et sociales comme en 1982, mais il bénéficie d’une place à part. Le rôle primordial du département est reconnu et celui-ci dispose d’outils juridiques pour l’assumer. Les instruments dont bénéficie désormais le département sont de deux types. D’une part, le département peut désormais arrêter seul son schéma d’organisation sociale et médico-sociale et, d’autre part, il peut assurer la mise en œuvre de ce schéma par voie de convention. L’objectif de ces nouvelles ressources dont dispose le département est d’assurer une plus grande coordination des différents intervenants dans un domaine d’action. 682 MARCOU Gérard, « Avant-propos », in RIHAL Hervé, LONG Martine (dir.), La décentralisation du revenu minimum d’insertion, Paris, La documentation française, Les travaux du centre d’étude et de prospective, 2007, p.7 ; V. également LONG Martine, RIHAL Hervé, « La vocation sociale du département », AJDA, 2011, p.18351841. 683 LONG Martine, « Le département, chef de file de l’action sociale : vers de nouveaux espaces de solidarité ? », in BRISSON Jean-François, Les transferts de compétences de l’État aux collectivités locales, op. cit., p.411. 684 LAFORE Robert, « L’acte II de la décentralisation et l’action sociale », RDSS, 2005, n°1, p.7. - 241 - 282. L’analyse du rôle de chef de file du département en matière d’action sanitaire et sociale ne peut cependant s’arrêter à la seule étude de la loi du 13 août 2004. En effet, les transferts de compétences dans ce domaine se sont poursuivis après ce texte. C’est notamment le cas avec la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.685 Cette loi innove en proposant la création d’une maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Cette personne morale nouvelle a pour objectif de servir de guichet unique, d’interlocuteur unique pour les usagers mais aussi d’assurer la coordination entre les différentes instances intervenant en matière de handicap. Ainsi, la loi du 11 février 2005 « sans faire du département le chef de file de l’action publique dans ce domaine, lui confère des compétences significatives, à travers notamment un groupement d’intérêt public, très original dont il a la maîtrise : la maison départementale des personnes handicapées ».686 Si le texte ne consacre pas explicitement la notion de chef de file, la MDPH assure un rôle de coordination non négligeable. Or la mission d’un chef de file n’est-elle pas justement de coordonner l’action commune ? La formule de groupement d’intérêt public (GIP) peut alors apparaître comme un moyen de mise en œuvre de la fonction de chef de file. Il convient alors de s’interroger sur l’extension possible d’un tel système à d’autres cas de chef de file. Il s’agira donc d’analyser dans un premier temps la mise en œuvre de ce rôle de chef de file par le département en matière d’action sociale (Section 1), pour s’intéresser ensuite plus précisément à cette formule singulière qu’est la MDPH (Section 2). 685 Loi n°2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, précit. 686 RIHAL Hervé, « Chronique de l’administration », RFAP, 2006, n°117, p.195. - 242 - Section 1. Le département, un chef de file classique aux pouvoirs limités 283. Les dépenses d’action sociale représentent dans la très grande majorité des départements le poste budgétaire le plus important.687 Ainsi, « les dépenses d’aide sociale constituent 63% des dépenses de fonctionnement. Elles progressent en 2010, à la fois pour des raisons conjoncturelles liées à la crise et pour des raisons structurelles liées au développement de nouvelles prestations ».688 Avant même leur désignation comme chefs de file en la matière, les départements étaient donc déjà un acteur majeur, même incontournable, de l’action sociale. « S’appuyant donc sur un ensemble d’attributions très larges, gérant le service social départemental, principal employeur de travailleurs sociaux et consacrant les deux tiers de leurs dépenses au social, les départements étaient déjà l’acteur dominant dans ce champ de l’action publique ».689 Il apparaît alors nécessaire de s’interroger sur la place du département dans le domaine de l’action sociale. Quelles sont les compétences dont il disposait déjà avant la loi du 13 août 2004 ? Quels changements la désignation du département en tant que chef de file implique-telle ? Quels sont les nouveaux pouvoirs ou du moins les nouveaux moyens d’action mis à disposition du chef de file pour assurer son rôle ? 284. Il convient ici d’apporter une précision en terme de vocabulaire. Il est nécessaire de distinguer deux notions. En effet, aide sociale et action sociale ne sont pas la même chose. L’aide sociale correspond aux aides décidées par la loi pour lesquelles la collectivité départementale n’a aucune capacité à intervenir pour les faire varier. Les bénéficiaires sont déterminés par la loi et le département est obligé d’accorder l’aide aux personnes correspondant aux critères définis dans la loi. Cette limite se matérialise d’ailleurs à l’article L.111-1 du CASF qui dispose que « toute personne résidant en France bénéficie, si elle remplit les conditions légales d’attribution, des formes de l’aide sociale telles qu’elle sont définies dans le présent code ». Au contraire, l’action sociale est facultative, chaque département peut décider ou non de la mettre en œuvre, en fonction de conditions qu’il peut déterminer lui-même. L’article L.111-4 du CASF illustre cette différence. Celui-ci dispose que « l’admission à une prestation d’aide sociale est prononcée au vu des conditions d’attribution telles qu’elles résultent des dispositions législatives ou réglementaires et, pour les prestations légales relevant de la compétence du département ou pour les prestations que 687 BORGETTO Michel, LAFORE Robert, Droit de l’aide et de l’action sociales, Paris, Montchrestien, coll. Domat droit public, 7e ed., 2009, p.134. 688 Observatoire des finances locales, Les finances des collectivités locales en 2011, op. cit., p.48. 689 LAFORE Robert, « L’acte II de la décentralisation et l’action sociale », art. cit., p.6. - 243 - le département crée de sa propre initiative, au vu des conditions d’attribution telles qu’elles résultent des dispositions du règlement départemental d’aide sociale ». Les départements bénéficient donc d’une liberté d’action plus importante en matière d’action sociale. Ils peuvent déterminer les conditions qu’ils souhaitent pour accéder à ces aides. Si, d’une certaine manière, cela peut donner l’impression de rompre l’égalité des droits sur le territoire, l’action sociale permet aussi à chaque département d’exercer sa libre administration et donc son autonomie. « L’action sociale implique […] une approche volontariste et collective ».690 L’action sociale permet finalement dans une certaine mesure de venir compléter l’aide sociale. En effet puisque chaque département peut décider librement des publics visés par son action sociale, celle-ci sera plus ajustée aux réels besoins du territoire. Or, « aujourd’hui les cartes tendent à se brouiller et l’expression action sociale tend à intégrer l’aide légale et à dépasser son cadre traditionnel ».691 Nous évoquerons dans le cadre de notre étude avant tout de l’action sociale et médico-sociale, l’aide sociale sera également utilisée pour démontrer l’enchevêtrement des compétences. Il faut cependant noter que le rôle de chef de file du département intervient en matière d’action sociale. En effet, l’article L.121-1 du CASF, qui consacre le département comme chef de file, ne fait référence qu’à l’action sociale. C’est d’ailleurs dans ce domaine que le rôle de coordination des différentes actions est le plus important, puisque ces actions sont nécessairement spontanées et non encadrées par le législateur. Le rôle du chef de file est alors de s’assurer de la cohérence de ces différentes interventions afin d’éviter que ces actions ne puissent se contredire. Le département doit assurer son rôle de chef de file, sans pour autant limiter l’action des autres collectivités sur le fondement de leur clause générale de compétence, au risque d’instaurer une tutelle qui est interdite. 285. Le département est depuis longtemps le grand « bénéficiaire » des transferts de compétence en matière d’action sociale. 692 « Les évolutions en cours qui tendent à faire du département le véritable pilote des politiques sociales au niveau local, consacrent donc bien le maintient des principes directeurs qui ont été à l’œuvre il y a une vingtaine d’années : aujourd’hui comme hier, c’est sans conteste cette collectivité qui est la plus grande gagnante 690 LONG Martine, « les attributions des collectivités locales en matière d’action sociale et sanitaire », in DOUENCE Jean-Claude, BÉNOIT Jean (dir.), Encyclopédie Dalloz des collectivités territoriales, fasc. 4110, p.7. 691 Idem. 692 Où la victime selon le point de vue plus ou moins optimiste que l’on adopte. - 244 - du processus de décentralisation ».693 Sa promotion au rang de chef de file n’est pas sans conséquences. Il devra désormais s’assurer de la coordination des actions sociales sur son territoire. Pour ce faire le législateur ne l’a toutefois pas laissé sans moyens juridiques. Le département dispose, en effet, d’un certain nombre d’outils pour remplir son rôle. Il conviendra donc d’étudier les raisons du choix du département (§1) pour ensuite analyser les outils dont dispose le conseil général pour assurer sa nouvelle fonction (§2). §1. Le choix du département, l’aboutissement de 20 ans de décentralisation 286. Consécration du rôle de « pivot, [d]’homme orchestre »694 du département en matière d’action sociale, sa désignation en tant que chef de file s’inscrit en fait dans une longue histoire de transfert de compétences aux départements en matière sociale. Sans prétendre à une présentation entièrement exhaustive de la matière, il est nécessaire selon nous de revenir dans un premier temps sur l’importance croissante du rôle du département en matière d’action sociale depuis l’Acte I de la décentralisation (A). Cette présentation permettra de mieux comprendre quels sont les enjeux et les conséquences pour le département à se voir désigner comme chef de file (B). A. L’accroissement constant des compétences sociales du département 287. Les premières grandes lois de décentralisation, dans les années 1980, ont essayé de transférer des blocs de compétences aux différentes collectivités qui venaient d’obtenir leur autonomie. L’idée était de transmettre un ensemble de compétences appartenant à un même domaine à une seule et même collectivité territoriale. Il y avait là un objectif clairement louable de rationalisation. On sait depuis que cette politique des blocs de compétences a été un échec.695 C’est d’ailleurs en partie pour répondre à cet échec, et au développement de compétences partagées qui s’en est suivi, que la fonction de chef de file a été mise en place. 288. En 1982, lorsque le législateur a déterminé ces blocs de compétences, le département s’est vu confier le bloc action sociale. Les lois de 1983 relatives à la répartition de 693 BORGETTO Michel, « Les transferts de compétences en matière d’aide et d’action sociales : entre changement et continuité », Annuaire des collectivités locales, 2004, p.116. 694 RIHAL Hervé, « Les transferts de compétences, solidarité et santé », AJDA, 2004, p.1978. 695 C’est un « mythe », « une référence à la fois obligée et vaine », FAURE Bertrand, Droits des collectivités territoriales, op. cit., p.479. - 245 - compétences696 ont transféré la compétence de droit commun en matière d’action sociale au département. « En matière d’aide et d’action sociales, les effets de la première décentralisation ont été très importants : en prétendant appliquer la logique dite des blocs de compétences et en voulant prendre en compte les impératifs de la solidarité de proximité, le département s’est vu reconnaître une compétence de principe : il a reçu la charge de toutes les prestations légales et réglementaires d’aide sociale ».697 Ainsi après l’Acte I de la décentralisation, de façon assez massive dans les années 1990 et encore récemment, le département s’est vu confier un nombre importants de pans de l’aide et de l’action sociales. Il convient donc d’étudier les domaines qui ont été effectivement transférées aux départements (1) afin d’en analyser les conséquences, notamment sur les finances de ces collectivités territoriales (2). 1. Les compétences d’aide et d’action sociales transférées au département Il n’est pas question ici de présenter l’ensemble des politiques sociales assumées par le département. Cette présentation serait beaucoup trop longue et fastidieuse. Par contre, il est possible de présenter deux domaines plutôt symptomatiques de ce transfert de compétence de l’État vers les départements dans le domaine social, mais qui conduisent également à la mise en œuvre d’une action partagée. Il convient alors de présenter rapidement les politiques de l’enfance (a) et les politiques liées à l’insertion (b) qui sont les plus diversifiées. 696 Loi n°83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l’État, précit. ; Loi n°83-663 du 22 juillet 1983 complétant la loi n°83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l’État, JORF, 23 juillet 1983, p.2286. Spec. l’article 37 du second texte. 697 BORGETTO Michel, « Qui gouverne l’aide et l’action sociales ? La distribution et le jeu complexe des acteurs », in BORGETTO Michel, CHAUVIÈRE Michel (dir.), Qui gouverne le social ?, Paris, Dalloz, 2008, p.15. - 246 - a. Les politiques de l’enfance du département 289. La protection maternelle et infantile (PMI) et l’aide sociale à l’enfance (ASE) sont deux services non personnalisés du département, c'est-à-dire que les départements sont obligés de créer de tels services.698 Tout deux relèvent de l’aide sociale. Ces deux services sont placés sous la responsabilité du président du conseil général. Le premier avait pour objectif initial de lutter contre la mortalité infantile, puis plus généralement d’assurer un suivi et une protection des femmes enceintes et des jeunes enfants. A ce titre, la PMI peut assurer le suivi des grossesses et déceler au plus tôt un handicap ou un risque social pour l’enfant et ainsi aider les parents à prévenir ces risques ou à adapter leur cadre de vie. L’ASE intervient, quant à elle, lorsqu’il y a un risque de mise en danger de l’enfant, lorsqu’il faut répondre aux besoins des mineurs en cas de carence, voire de démission de l’autorité parentale. L’article L.221-1 du CASF énumère les missions de l’ASE. Sa mission première est d’ « apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique tant aux mineurs et à leur famille ou à tout détenteur de l’autorité parentale, confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social, qu’aux mineurs émancipés et majeurs de moins de vingt et un ans confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre ». L’aide sociale à l’enfance a donc un rôle de prévention des risques de troubles pour le développement des enfants ou des jeunes majeurs. Pour assurer cette mission, le département pourra s’appuyer sur les services d’autres collectivités territoriales ou personnes publiques qu’il faudra alors nécessairement coordonner. De même, si jamais le trouble auquel était exposé le mineur survient, le juge des enfants peut intervenir, mais sa décision doit nécessairement être prise en coordination avec les services de l’ASE qui continueront de s’occuper du mineur. La loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, ainsi que la loi du 5 mars 2007699 ont fait du département le véritable pilote des politiques liées à la protection de l’enfance. Il s’agit donc pour le département de coordonner l’action de ses services et de ceux de l’État, mais aussi ceux d’autres collectivités territoriales qui souhaiteraient intervenir en ce domaine. 698 699 Art. L.123-1 du CASF. Loi n°2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, JORF, 6 mars 2007, p.4215. - 247 - L’action sociale conduit le département à suivre l’usager dès sa naissance, à travers la PMI et l’ASE, jusqu’à son entrée dans la vie active. Le département peut même soutenir le citoyen lorsque sa vie active connaît des soubresauts. C’est à cet effet que le département met en œuvre des politiques d’insertion. b. Les politiques d’insertion 290. Lors de sa création700, le revenu minimum d’insertion (RMI) était cogéré par l’État et le département. Celui-ci n’intervenait que pour une part de son financement, part correspondant au volet insertion de cette allocation. Cette cogestion donnait lieu à de nombreuses décisions conjointes. Le président du conseil général était amené à coprésider certaines instances avec des représentants de l’État, tel que le conseil départemental d’insertion. Il était donc nécessaire de rationaliser cette action. De plus, la part consacrée à l’insertion à démontré ses limites. En effet, le dispositif ne fonctionnait pas correctement. La mission d’insertion et de construction d’un projet professionnel pour l’allocataire n’était pas pleinement concrétisée. Le RMI s’apparentait alors plus à « une prestation sociale universelle sans contrepartie »,701 ce qui n’était pas l’objectif du dispositif. Dès lors la loi du 18 décembre 2003702 a totalement décentralisé la gestion du RMI aux conseils généraux. L’objectif est alors de rationaliser la gestion de cette allocation, en la confiant à un seul acteur. Pour autant, le département ne supporte pas seul le coût du RMI et de sa gestion puisque les services de l’État sont toujours présents « et parmi les acteurs à coordonner se trouvent les CAF, pour la gestion déléguée du RMI ».703 Le RMI a par la suite été remplacé par le RSA à compter du 1er juin 2009704, sans que cela ne modifie la compétence du président du conseil général pour l’attribuer. 291. Pour organiser et coordonner l’action départementale en matière d’insertion, le législateur a confié deux instruments complémentaires au conseil général. Il s’agit du 700 Loi n°88-1088 du 1er décembre 1988 relative au revenu minimum d’insertion, JORF, 3 décembre 1988, p.15119. 701 GRILHOT Marie-Odile, Cadre juridique de l’aide et de l’action sociales décentralisées, Paris, Librairie Vuibert, coll. Social en pratiques, 2007, p.161. 702 Loi n°2003-1200 du 18 décembre 2003 portant décentralisation en matière de revenu minimum d’insertion et créant un revenu minimum d’activité, JORF, 19 décembre 2003, p.21670 703 DAMON Julien, « Qui gouverne le RMI ? », in BORGETTO Michel, CHAUVIÈRE Michel (dir.), Qui gouverne le social ?, op. cit., p.95. 704 Loi n°2008-1249 du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d’insertion, JORF, 3 décembre 2008, p.18424. - 248 - programme départemental d’insertion (PDI)705 et du pacte territorial pour l’insertion (PTI).706 Le premier « définit la politique départementale d’accompagnement social et professionnel, recense les besoins d’insertion et d’offre locale d’insertion et planifie les actions d’insertion correspondantes ». Il s’agit donc d’un document a vocation programmatique, qui n’est pas sans rappeler le rôle des schémas d’orientation au profit de la collectivité chef de file, tel que nous avons pu l’évoquer précédemment. Le département est au travers de cette disposition libre d’organiser la politique d’insertion sur son territoire comme il l’entend. Il y a donc une double consécration, du département d’abord comme grand ordonnateur des politiques d’insertion, mais également de la libre administration, au sens libre choix de ses propres politiques au profit du conseil général. Cette disposition « ayant fait du département l’instance en charge de définir une politique d’insertion qui lui est propre et lui ayant ainsi confié un leadership total en la matière, la loi lui donne un nouvel instrument pour mettre en œuvre sa politique : le pacte territorial pour l’insertion ».707 Le domaine de l’insertion étant le terreau favorable d’une action commune, le législateur impose au département pour la mise en œuvre de son PDI d’avoir recours au pacte territorial pour l’insertion. Ce pacte est passé entre le département et l’ensemble des acteurs intervenant dans le domaine de l’insertion (État, pôle emploi, CAF, organisations syndicales, collectivités territoriales…). On peut considérer que « le département a une véritable politique d’insertion sociale et professionnelle grâce au différents partenariats qu’il noue concernant le revenu de solidarité active ».708 Le PTI a pour objectif de lier l’ensemble de ces acteurs dans la conduite de leurs politiques respectives. Ainsi, l’ensemble des acteurs devrait conduire une politique coordonnée en matière d’insertion sous l’impulsion du département. De plus le code précise bien que cette action de coordination se fait en faveur d’une meilleure insertion du bénéficiaire du RSA. « Les politiques d’insertion sont donc renvoyées d’une part, aux capacités d’initiative et d’impulsion du département et d’autre part, à ses possibilités de mobiliser la pluralité des acteurs locaux, notamment le service public de l’emploi, pour construire des actions cohérentes et efficaces d’accompagnement des personnes à insérer ».709 L’objectif est donc bien d’assurer une action commune cohérente afin d’atteindre le but commun à l’ensemble des acteurs : la lutte contre l’exclusion. Il y a donc une mise en 705 Art. L.263-1 du CASF. Art. L.263-2 du CASF. 707 CASF, ed. Dalloz, 2011, commentaire sous l’article L.263-2. 708 RIHAL Hervé, « Le revenu de solidarité active, une compétence résolument tournée vers l’insertion professionnelle », in DONIER Virginie (dir.), Quelle place pour les collectivités territoriales dans la politique de l’emploi ?, Paris, L’Harmatta, 2012, p.107 709 BORGETTO Michel, LAFORE Robert, Droit de l’aide et de l’action sociales, op. cit., p.589. 706 - 249 - œuvre partenariale d’une politique décidée par un acteur consacré comme central, indispensable, c’est là l’exemple même de ce que la mise en œuvre de la fonction de chef de file devrait être dans tous les domaines impliquant une action commune. 292. Dans un objectif de lutte contre toutes les formes d’exclusions, le département dispose d’autres attributions spécifiques, tels que le fonds d’aide aux jeunes (FAJ)710 ou encore le fonds de solidarité logement (FSL).711 La gestion du FAJ relève entièrement du département qui fixe lui-même les conditions d’accession à cette aide. Il vise des situations d’urgence des jeunes adultes – non bénéficiaires du RMI ou RSA – afin de les aider à s’insérer. Le FSL, dispositif auparavant cogéré par le département et l’État, est désormais de la seule compétence du conseil général. Cette aide vise à maintenir les personnes dans leur logement lorsqu’elles éprouvent des difficultés à se maintenir ou à accéder à un logement. A la suite de ces quelques observations, un constat s’impose le conseil général a été « érigé par ajouts successifs en grand ordonnateur de la politique d’action sociale dont il maîtrise des pans entiers ».712 Ce constat conduit à faire jouer au département un rôle spécifique en matière de coordination de cette action sociale. Il est un acteur incontournable en terme de compétences sociales. Il est également un acteur incontournable en termes de moyens mis en œuvre. 2. Un financement largement départementalisé 293. Comme nous l’avons déjà relevé, les dépenses en matière d’action sociale sont le premier poste budgétaire dans la plupart des départements et il faut constater que « le département a vu ses dépenses d’aide sociale augmenter de façon considérable ».713 Les dépenses d’action sociale s’élèvent ainsi pour les départements métropolitains pour l’année 2010 à 30,3 milliards d’euros.714 Cela correspond, d’après les chiffres de l’ODAS, à un quasi doublement des dépenses pour les départements au cours des dix dernières années. La majeure partie de cette hausse est d’ailleurs imputable à la création de nouvelles allocations mises à la charge du département, comme l’APA ou encore le RSA. Or ces hausses de 710 Art. L.263-3 du CASF. Loi n°90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement, JORF, 2 juin 1990, p.6551. 712 BORGETTO Michel, LAFORE Robert, Droit de l’aide et de l’action sociales, op. cit., p.137. 713 AUBIN Emmanuel, Droit de l’aide et de l’action sociales, Paris, Lextenso, 3e ed., 2011, p.136. 714 Lettre de l’observatoire national de l’action sociale décentralisé (ODAS), « Dépenses départementales d’action sociale 2010 : le tournant de la rigueur », mai 2011, p.1. Disponible sur le site Internet de l’ODAS. http://www.odas.net/spip.php?article416. 711 - 250 - charges n’ont pas été entièrement compensées par les transferts financiers nécessaires. Les départements à mesure que les dépenses d’aide sociale augmentent, voient leur marge de manœuvre et donc leur capacité à financer l’action sociale diminuer. Ils se retrouvent pris dans un effet ciseau face auquel ils doivent nécessairement rendre des arbitrages. Le problème est que ceux-ci sont souvent arrêtés « en faveur des dépenses de prise en charge immédiate au détriment des dépenses soutenant des efforts de prévention ».715 294. Ces limitations de moyens financiers imposent deux attitudes à la collectivité départementale. Elle peut, soit, conserver un niveau équivalent d’intervention sociale, mais dans ce cas elle doit trouver des moyens supplémentaires, ce qui passe nécessairement par l’augmentation des taux d’imposition qu’elle maîtrise. Le problème de ce type de mesure est qu’elles sont en général impopulaires et donc risquées à adopter pour une majorité en place. La seconde option que le département peut adopter est de limiter ses dépenses d’action sociale mais aussi de fonctionnement de ses services gérant ces compétences. Là aussi cette solution n’est pas sans risque. D’une part, en renonçant à une part de l’action sociale, le département renonce en même temps à ce qui fait sa spécificité en tant que collectivité, c'est-à-dire sa capacité à agir, à se saisir d’une question, à innover en dehors des prescriptions étatiques. Ce cruel manque de moyens porte atteinte par ricochet à la libre administration de la collectivité départementale. D’autre part, en faisant des économies sur le fonctionnement de ses services, le département risque de compromettre l’efficacité du service rendu aux usagers. Or il s’agit là aussi d’une option politiquement risquée à adopter pour une majorité départementale. L’écueil à plus long terme est de voir alors le département se transformer en guichet de distribution d’allocations. Il ne serait plus une collectivité territoriale, mais un simple établissement public de l’État. En effet, c’est là que se matérialise le risque de l’effet ciseau dénoncé précédemment. Plus les moyens des collectivités diminuent, plus leur capacité d’action diminue elle aussi. Dès lors, c’est le principe même de libre administration des collectivités territoriales – principe constitutionnel716 – qui est menacé. Or si une collectivité en vient à ne plus disposer de sa libre administration, elle se retrouve menacée dans sa définition même de collectivité territoriale. Les modalités de financement de l’action sociale méritent donc d’être au cœur des préoccupations puisque de leur avenir dépend, peut-être, l’existence du département. 715 716 Ibid., p.2. Art. 72, al. 3 « Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s’administrent librement… » - 251 - Le département a donc incontestablement une place à part dans le domaine de l’action sociale. Le législateur en 2004 n’a donc fait que consacrer cet état de fait en promouvant le département au rôle de chef de file de l’action sociale. « Au résultat de tout cela, et du fait donc de l’accumulation dans le giron de la collectivité départementale d’un ensemble d’attributions et de missions nouvelles, le département est consacré et renforcé dans le rôle qui lui avait été dévolu par le premier train de décentralisation : il devient l’acteur central de l’action sociale, en charge d’un vaste domaine ».717 Il convient désormais de déterminer quel est ce domaine, mais aussi de présenter les conséquences pour le département de ce choix. B. La loi du 13 août 2004, tournant ou confirmation ? 295. L’article 49 de la loi du 13 août 2004, codifié à l’article L.121-1 du CASF, dispose que « le département définit et met en œuvre la politique d’action sociale, en tenant compte des compétences confiées par la loi à l’État, aux autres collectivités territoriales ainsi qu’aux organismes de sécurité sociale. Il coordonne les actions menées sur son territoire qui y concourent ». L’innovation de cet article est double et ces deux éléments participent à la réalisation de la fonction de chef de file. D’une part, le département définit désormais seul, et non plus en concertation avec le représentant de l’État, la politique d’action sociale sur son territoire. D’autre part, le conseil général doit assurer la coordination des actions menées sur le département par les autres collectivités territoriales dans ce domaine. « On retrouve ici l’idée de donner au département un rôle d’impulsion et de rationalisation des actions ».718 Il y a donc un double objet dans la fonction de chef de file : d’abord un rôle premier de décision, pour fixer les orientations, puis un rôle de coordination afin de s’assurer que toutes les actions permettent bien de réaliser les objectifs fixés au départ. En plus de cette habilitation générale en matière d’action sociale, le département bénéficie également d’une habilitation similaire en matière de politique gérontologique.719 De la même manière, le département a un rôle de détermination de l’action et de coordination des interventions des différents acteurs. 717 LAFORE Robert, « La décentralisation de l’action sociale. L’irrésistible ascension du département providence », Revue française des affaires sociales, 2004, n°4, p.21. 718 LONG Martine, « Les attributions des collectivités locales en matière sociale et sanitaire », in DOUENCE Jean-Claude, BÉNOIT Jean (dir.), Encyclopédie Dalloz des collectivités locales, op. cit., p.12. 719 Art. L.113-2 du CASF. - 252 - 296. Le département a donc désormais pour rôle de s’assurer que l’action sociale sur son territoire fait preuve d’une certaine cohérence. Il doit ainsi organiser l’action sociale de manière à ce que toutes les interventions soient le plus efficaces possibles. L’action sociale est une compétence partagée, puisque toutes les collectivités territoriales peuvent agir en ce domaine et sont intéressées pour le faire. Le rôle du département chef de file est de s’assurer que toutes ces interventions ne viennent pas se contredire, agissent là où les besoins existent réellement. L’adoption de son propre schéma d’organisation sociale et médico-sociale permet au département de définir en amont ces besoins et donc de faciliter son rôle de coordination. « Cette novation constitue la solution pour résoudre la tension inéluctable entre le maintien de l’interdiction de tutelles entre collectivités et la nécessité de mettre en cohérence les inévitables compétences partagées ».720 La désignation du département comme chef de file de l’action sociale apparaît ainsi non seulement comme la continuité de l’Acte I de la décentralisation de 1982, mais aussi comme une réponse à ses disfonctionnements. L’échec des blocs de compétence a conduit à l’exercice de compétences partagées, lequel à pour solution la désignation d’une collectivité chef de file. 297. Ainsi la question a été posée pour la formation des personnels médico-sociaux. En effet, la formation professionnelle relève en principe de la région, alors que la compétence en matière sociale appartient au département. Dans un tel exemple nous avons d’un côté un niveau de collectivité qui s’occupe de mettre en place la formation, tandis que, de l’autre côté, le département connaît les besoins locaux en termes de personnel. Comment assurer dès lors la coordination entre ces deux niveaux de collectivité ? Le CASF exige une action concertée entre les différents acteurs. Ainsi la région recense les besoins « en association avec les départements ».721 Ce recensement permet ensuite à la région de définir un schéma régional de formations sociales. Ainsi dans cet exemple deux chefs de file sont associés pour une même action commune. 298. Un autre exemple, que nous avons d’ailleurs déjà évoqué précédemment, est l’ouverture d’une maison de retraite par une commune.722 Celle-ci dispose de la compétence pour le faire, mais le département qui assure la cohérence de l’action gérontologique doit nécessairement intervenir pour éviter que la création d’un tel établissement ne se fasse dans une zone déjà suffisamment pourvue. « Autrement dit, sans qu’il y ait ni une exclusivité de compétences, ni une supériorité hiérarchique du département, ce dernier se voit attribuer la 720 LAFORE Robert, « La décentralisation de l’action sociale. L’irrésistible ascension du département providence », art. cit., p.23. 721 Art. L.451-2 du CASF. 722 Supra §214. - 253 - place du primus inter pares correspondant à une mission de conception de l’ensemble de l’action et de mise en œuvre des interventions ».723 299. Une autre remarque qui peut être faite est qu’en désignant le département comme chef de file, le législateur a également pérennisé son existence. En effet, au moment de l’adoption de l’Acte II de la décentralisation de nombreux parlementaires724 et observateurs725 craignaient sinon la disparition, du moins la lente mise à l’écart du département. Alors que l’Acte II de la décentralisation était annoncé comme une étape largement favorable à la collectivité régionale, c’est finalement le département qui semble sortir renforcé de cette évolution. Robert Lafore s’interroge d’ailleurs sur le choix de la collectivité départementale pour piloter ces politiques. Il s’étonne, en effet en partie, de la désignation du conseil général comme organisateur de l’action commune, alors même qu’il s’agit d’un échelon territorial situé entre la région, qui bénéficie d’un important développement économique, et la commune qui est « l’espace de vie concrète ».726 La question se pose avec d’autant plus d’acuité aujourd’hui que depuis l’adoption de la loi du 16 décembre 2010, le rapprochement du département et de la région semble s’être accéléré. Nous reviendrons toutefois ultérieurement sur les possibles conséquences de l’application de ce texte.727 Le département a donc été désigné comme chef de file de manière assez traditionnelle au vu du nombre important de compétences dont il disposait déjà en matière d’action sanitaire et sociale. Ce n’est donc pas une révolution sur ce point que provoque la loi du 13 août 2004. Ce texte apporte tout de même une innovation en faisant du département un acteur incontournable en ce domaine, incontournable dans le sens où les autres collectivités territoriales ne devraient désormais pouvoir intervenir en matière d’action sociale que si elles agissent dans le sens indiqué par le département dans son schéma d’action sociale. Il convient alors de voir quels sont ces outils de coordination dont dispose le département pour remplir sa fonction de chef de file. 723 LAFORE Robert, « L’acte II de la décentralisation et l’action sociale », art. cit., p.8. « Je ne peux que me féliciter de voir le rôle et la place des départements confortés : que n’a-t-on entendu sur l’inutilité et l’archaïsme de ceux-ci, sur la prétendue nécessité de les faire disparaître et de rassembler toutes les compétences au niveau régional », BIWER Claude, Sénat, JORF Débats, 30 octobre 2003, p.7226. 725 « Et, il est vrai que dans le vieux débat qui oppose des régionalistes et les départementalistes, les seconds ont tout à redouter de la réforme qui s’amorce sous leurs yeux », PERRIN Bernard, « Décentralisation acte II. Le rideau se lève », RA, 2002, n°329, p.513. 726 LAFORE Robert, « L’acte II de la décentralisation et l’action sociale », art. cit., p.13. 727 Infra §423. 724 - 254 - §2. Les moyens de coordination du département chef de file 300. La révision constitutionnelle du 28 mars 2003 en introduisant la fonction de collectivité chef de file dans la Constitution demeure très vague quant aux moyens d’action accordés à cette collectivité. Le seul indice qui nous est donné par le constituant se trouve dans le premier membre de phrase de l’article 72, alinéa 5, et ce n’est même pas un moyen d’action à proprement parler, mais une limite à l’action du chef de file, puisqu’il s’agit du rappel de l’interdiction de la tutelle. Aucune loi organique n’est venue compléter cette disposition. On pouvait alors attendre de plus amples développements du fait du législateur ordinaire. Or force est de constater que celui-ci dans la loi du 13 août 2004 et dans les textes ultérieurs n’apporte guère de précisions. L’article L.121-1 du CASF indique simplement que le département coordonne l’action sociale. Il s’agit alors de s’interroger sur le besoin de coordination de ce domaine d’action. Quelles sont les manifestations de l’action commune en matière d’action sociale ? Autrement dit, quels sont les besoins en matière de coordination de l’action sociale ? Comment la capacité d’action du département chef de file de l’action sociale se manifeste-t-elle ? Avant d’analyser ces outils à proprement parler (B), il convient de faire état des nécessités de coordination qu’implique effectivement l’action sociale (A). A. La nécessaire coordination de l’action sociale L’action sociale est un champ d’action commune entre l’État et les collectivités territoriales, mais aussi entre les collectivités territoriales. Dès lors les risques de saupoudrage de crédits, d’actions qui se contredisent, voire même de publics laissés pour compte sont importants. C’est à ce titre que la coordination des actions est nécessaire. (1). L’évocation de quelques exemples d’action commune contribuera à plaider en faveur de la désignation d’un chef de file (2). 1. La rationalisation par l’action commune 301. L’action sociale est un champ de compétence par définition partagé. Chaque niveau de collectivité territoriale, en se fondant sur le principe de libre administration, a un intérêt à agir en faveur de ses administrés. La logique des blocs de compétence se heurte en effet au principe de libre administration, et notamment à la clause générale de compétence, qui - 255 - autorise chaque collectivité qui a un intérêt à agir, à intervenir dans un domaine. « Ces efforts laissent clairement entrevoir que les titulaires d’un champ de compétences ne peuvent en réalité y agir qu’en y impliquant les autres acteurs, notamment publics : ce qui atténue fortement les principes consacrés dans la loi, lesquels inciteraient à croire que chacun est maître chez lui ».728 Reste qu’il est ensuite nécessaire d’organiser toutes ces interventions. Cette coordination doit notamment avoir pour objet d’assurer un meilleur suivi des usagers, mais aussi d’éviter que certaines populations ne soient pas prises en compte. C’est ce rôle de coordination qui doit, selon nous, être le minimum de l’action du chef de file. En effet, le chef de file, en l’occurrence le département, doit s’assurer de la cohérence de l’ensemble des actions entreprises par les acteurs du champ social. Le rôle du département en tant que chef de file est de s’assurer que les administrés ont une réponse globale et appropriée à leurs besoins. Le conseil général doit veiller à ce que l’articulation entre les différents services et collectivités territoriales se fasse sans incident. L’enchevêtrement des compétences induit des risques pour l’usager en ce que les différentes interventions peuvent ne pas s’articuler correctement. Ainsi la transmission de son dossier – s’il n’y a pas de coordination – d’un service à l’autre peut engendrer des coupures dans son suivi. Pour l’usager, la recherche du service adéquat, les nombreux dossiers à remplir, ne facilitent pas la compréhension du système administratif. 302. L’argument économique peut se révéler être un argument majeur qui plaide en faveur de la désignation de chefs de file. Le constat est d’ailleurs opéré par les acteurs eux-mêmes. Ainsi peut-on lire dans le schéma d’organisation sociale et médico-sociale de la Mayenne que « les réunions de travail ont abouti à la conclusion que les mêmes problématiques se posent très souvent en différents territoires ; de ce fait, les mêmes réflexions sont conduites à plusieurs reprises, aboutissant généralement aux mêmes conclusions. Certes, de telles démarches facilitent l’appropriation, mais elles impliquent beaucoup d’énergie et de temps ».729 La coordination des actions par un chef de file permet d’éviter ces cas de « doublons ». Il y a donc un double avantage, d’une action non seulement mieux orientée, mais aussi moins coûteuse. En effet, plutôt que chaque collectivité réfléchisse seule à une solution à adopter, le rôle du chef de file est justement d’unifier cette réflexion et d’assurer ainsi un gain de temps et de moyens dans la prise de décision puis ensuite dans leur mise en 728 BORGETTO Michel, « Qui gouverne l’aide et l’action sociales ? La distribution et le jeu complexe des acteurs », in BORGETTO Michel, CHAUVIÈRE Michel (dir.), Qui gouverne le social ?, op. cit., p.22. 729 Schéma départemental de l’organisation sociale et médico-sociale, personnes âgées, Années 2008-2012, Conseil général de la Mayenne, p.24. - 256 - œuvre. « Cette démarche multipartenariale emporte pour conséquence de permettre à la politique publique locale, en l’occurrence l’action sanitaire et sociale d’irriguer plusieurs espaces territoriaux : communes, départements, régions, intercommunalités ».730 Il y a avec la nomination d’une collectivité chef de file l’idée que l’action partenariale est plus efficace en matière de réponse aux besoins des usagers que l’action individuelle, voire isolée. Dans une logique managériale de bonne gestion de l’action locale, la désignation d’un chef de file permettrait d’assurer l’application du « principe des 3 E » : économie, efficience et efficacité. La réalisation de ce principe veut que l’action administrative se fasse au moindre coût (économie), avec le meilleur rapport entre ce coût et le résultat de la politique (efficience) et que ces résultats soient réellement en adéquation avec les objectifs fixés au départ (efficacité). Si la transposition de règles à caractère managérial à l’activité administrative n’est pas toujours bien comprise, et pas nécessairement adaptée, la désignation d’une collectivité chef de file peut être un moyen d’en appliquer certaines, tout en limitant les résistances de l’administration. 303. Ainsi, la désignation d’un chef de file, et la constitution par celui-ci d’un guichet unique, peut répondre à ce triple souci. En effet, l’avantage d’un guichet unique est que l’usager n’a à remplir qu’un seul dossier puisque toutes les informations sont ensuite centralisées, ce qui est un avantage incontestable en terme d’économie, mais qui participe aussi de l’efficience de la politique. De même, comme le chef de file peut fixer les objectifs à atteindre dans le cadre de l’action commune grâce aux différents schémas qu’il peut adopter, il reste le mieux à même ensuite de pouvoir corriger l’action pour atteindre ces buts. La recherche de l’efficacité est donc facilitée par la nomination d’une collectivité chef de file. L’intérêt de désigner un chef de file pour coordonner l’action commune est donc de rationaliser cette action. Il s’agit de la rationaliser du point de vue de deux éléments nous l’avons vu, d’abord la rendre plus efficace dans les réponses qu’elle apporte aux usagers, ensuite la rendre moins coûteuse. Si l’action sociale mérite d’être coordonnée, rationalisée, c’est qu’en l’état actuel de la législation elle est un domaine d’importants enchevêtrements de compétences. Or ceux-ci sont sources de nuisances quant à l’efficacité et à la lisibilité de l’action locale. 730 CHICOT Pierre-Yves, « La régionalisation des politiques sanitaires et sociales : l’émergence du départementrégion providence ? », art. cit., p.7. - 257 - 2. L’action sociale, domaine d’enchevêtrement des compétences 304. Quelques cas très simples permettent d’illustrer ce risque. Le suivi médical des enfants se fait dans un premier temps par les services du département, notamment à travers la PMI. Or après six ans, le relais est passé à la médecine scolaire. Il est donc nécessaire de s’assurer que le suivi du dossier est correctement réalisé, qu’il y a un minimum de coordination entre ces différents services afin que la protection de l’enfant soit la plus effective possible. De même, si la majorité est fixée à 18 ans, les services de psychiatrie pour enfant cessent en général leur activité dès que la personne suivie a atteint 16 ans, alors que certaines structures du secteur médico-social assurent elles un suivi jusqu’à 20 ans. Ces disparités emportent des différences de traitement, mais aussi de suivi. Dès lors, c’est la cohérence de l’action conduite auprès de l’usager qui pourrait être remise en cause. « Il importe que les collectivités puissent s’entendre sur les articulations à mettre en œuvre pour éviter les failles qui verraient tel ou tel public oublié par les instances politiques chargées de prendre en compte leurs problématiques ».731 Une part du rôle de chef de file, en tant que coordinateur de l’action commune, pourrait alors être d’anticiper ces possibles failles et apporter des réponses aux usagers pour les éviter. Ce rôle pourrait notamment trouver un soutien approprié dans la création de guichets uniques, dont nous aborderons l’important développement ultérieurement.732 305. Un autre exemple peut être évoqué qui impose lui aussi une coordination, un lien entre différents services de différentes collectivités. Il s’agit du cas où un enfant handicapé est scolarisé à l’école publique et qu’il bénéficie d’un auxiliaire de vie scolaire (AVS). La décision d’accorder l’aide d’un auxiliaire de vie scolaire à un enfant relève de la compétence de la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH)733. Qui doit assumer le coût de cet auxiliaire de vie scolaire et dans quelles conditions ? Est-ce l’éducation nationale, en charge de l’enseignement et donc de la scolarisation de l’enfant ? Est-ce la commune chargée de l’école ? Est-ce le département chef de file en matière d’action sanitaire et sociale ? Ces questions se posent avec d’autant plus d’acuité à certains moments de la journée : sur le temps du déjeuner le midi, si l’enfant va à la cantine ou encore à l’étude le soir, ces services, qui relèvent de la commune, sont des temps de sociabilisation et 731 Conseil général de Loire-Atlantique, Schéma départemental, Plan d’action enfance, famille, jeunes, mars 2005, p27. Disponible en téléchargement sur le site Internet du Conseil général de Loire-Atlantique. 732 Infra §312. 733 Art. L.351-3 du Code de l’éducation et L.146-9 du CASF. - 258 - d’apprentissage, mais ce ne sont pas des activités scolaires pour autant. L’enfant handicapé doit-il alors être abandonné à lui-même, ne pourrait-il pas continuer à bénéficier d’un AVS pendant ces activités ? L’AVS peut tout à fait continuer d’intervenir dans le cadre d’activités périscolaires. Mais la question se pose alors de savoir sous la responsabilité et aux frais de quelle administration. D’après le Code de l’éducation, c’est l’État734 – plus précisément le recteur d’académie735 – qui assure le recrutement des auxiliaires de vie scolaire pour les enfants handicapés, toutefois, le code précise également, en son article L.916-2 que « les assistants d’éducation peuvent être mis à disposition des collectivités territoriales pour participer aux activités complémentaires […] ou aux activités organisées en dehors du temps scolaire dans les écoles ». Cet exemple démontre parfaitement ce que peut être une action commune et le besoin qui existe de coordonner l’action des différents intervenants. Ainsi, la décision relève d’une instance départementale, sa mise en œuvre relève des services de l’éducation nationale, mais les collectivités territoriales peuvent également en bénéficier dans certaines conditions. Il sera donc nécessaire de réaliser une coordination de tous ces intervenants. Face à cet enchevêtrement des compétences, il est donc nécessaire de se doter des moyens de rationaliser ces interventions et donc d’aboutir à une action commune coordonnée. Il nous semble qu’un tel cas impose la contractualisation des relations. En effet, comme nous l’avons déjà étudié précédemment736, le contrat est outil de coordination de l’action commune au service du chef de file. La coordination de l’action en faveur des personnes handicapées ayant été accordée à la MDPH, structure relevant du département, c’est en principe à elle que revient le rôle de coordonner les acteurs de la scolarisation des enfants et jeunes handicapés. C’est donc sous l’égide de la MDPH, nous semble-t-il, que les conventions devront être signées entre les différents partenaires afin de coordonner leurs actions. 306. Le domaine de l’action sociale permet d’illustrer de manière variée la notion d’action commune, mais aussi les risques qu’elle induit si la coordination n’est pas correctement assurée. Le risque principal est l’absence d’un suivi cohérent du dossier de l’usager. La désignation d’une collectivité chef de file permet d’assurer un meilleur suivi des dossiers grâce à la centralisation des informations – tant pour l’usager que pour les démarches à faire – par une seule et même personne. Il ne s’agit pas pour autant de demander au département 734 Art. L.916-1 al.5 du Code de l’éducation. Art. 1er du décret n°2003-484 du 6 juin 2003 fixant les conditions de recrutement et d’emploi des assistants d’éducation, JORF, 7 juin 2003, p.9714. 736 Supra §255. 735 - 259 - d’assurer l’ensemble de ces compétences, mais d’être un interlocuteur unique pour l’ensemble des partenaires. « Dans toute la matière de l’action sociale, le département ne dispose donc pas d’une autonomie décisionnelle intégrale, mais il doit assurer un rôle important de coordination ».737 Afin d’assurer au mieux cette mission de coordination de l’action sociale, le département dispose d’un certain nombre d’outils. Ceux-ci ne sont pas nécessairement pleinement satisfaisants, mais ils sont un premier pas vers une coordination organisée de l’action commune. B. Les outils de coordination du département Le département, chef de file de l’action sociale, bénéficie des modes d’action que nous avons déjà évoqués dans la première partie, modes d’action traditionnels de l’administration (1). La coordination de l’action gérontologique a vu la création d’une institution spécialisée, les centre locaux d’information et de coordination gérontologique (CLIC), relais locaux de l’action départementale (2). 1. Le schéma départemental d’organisation sociale et médico-sociale et ses conventions de mise en œuvre 307. La lecture conjuguée des articles L.312-4 et L.312-5 du CASF autorise le département à adopter un schéma départemental d’organisation sociale et médico-sociale, schéma élaboré en amont par le président du conseil général. Ce schéma est un outil de prévision des actions à mener à moyen terme sur un territoire, en fonction des besoins. Il « constitue l’outil adapté pour permettre au département d’assurer sa fonction de chef de file ».738 Le schéma permet d’arrêter les orientations de l’action politique sur un territoire pour le futur. En effet, l’article L.312-4 dispose que les schémas départementaux d’organisation sociale et médico-sociale « apprécient la nature, le niveau et l’évolution des besoins », « dressent le bilan quantitatif et qualitatif de l’offre » et « déterminent les perspectives et objectifs de développement de l’offre ». Ce sont donc bien des documents qui non seulement dressent un constat, mais arrêtent des objectifs de politique publique en corrélation avec ce constat. De plus, et c’est là un avantage non négligeable quand on pense à l’interdiction de la tutelle, le schéma 737 DAMON Julien, « Qui gouverne le RMI ? », in BORGETTO Michel, CHAUVIÈRE Michel (dir.), Qui gouverne le social ?, op. cit., p.95. 738 LAFORE Robert, « L’acte II de la décentralisation et l’action sociale », art. cit., p.8. - 260 - d’organisation est en général lui-même issu d’une discussion, d’un compromis partenarial.739 Cela limite donc les risques que les collectivités, à qui il sera opposé, invoquent l’interdiction de la tutelle pour s’en défaire. Ainsi, le schéma d’organisation permet d’orienter au mieux l’action publique. Outre cela, comme nous l’avons évoqué précédemment,740 ces documents sont désormais opposables, ce qui permet à la collectivité qui l’a adopté de pouvoir autoriser ou refuser certaines actions de ses partenaires. Ainsi « l’autorisation de construction ou de transformation d’équipements sociaux ne peut être délivrée si elle n’est pas compatible avec eux, on comprend l’importance de la traduction complète du rôle de chef de file du département en matière de planification sociale ».741 Cette idée de planification corrobore le fait que le rôle du chef de file doit être de coordonner. Tout comme le chef d’orchestre qui dispose de la partition de l’orchestre entier devant lui et indique à chaque instrument quand intervenir, le chef de file dispose d’un schéma d’organisation à partir duquel il indique à chacun de ses partenaires quand ceux-ci peuvent agir. 308. Le second moyen d’action au service du département est la convention. Celle-ci permet de manière classique de coordonner l’action commune. Les différentes collectivités partenaires négocient alors librement le contenu de la convention et décident des actions à mener par chacun, sans risque de tutelle. La loi elle-même prévoit le recours à des conventions pour coordonner l’action commune. Ainsi, l’article L.113-2, alinéa 4 du CASF, dispose que « le département peut signer des conventions avec l’État, les organismes de sécurité sociale ou tout autre intervenant en faveur des personnes âgées pour assurer la coordination de l’action gérontologique ». De même, l’article L.312-6 du CASF fait référence à la mise en œuvre du schéma départemental d’organisation sociale par voie de « convention pluriannuelle conclue entre les autorités compétentes, au titre desquelles figurent les centres communaux d’action sociale et les centres intercommunaux gestionnaires d’établissements sociaux ou médico-sociaux ». Le législateur reconnaît donc que la convention peut être un outil de coordination. D’ailleurs, lors des débats parlementaires relatifs à la loi du 13 août 2004, la sénatrice Annick Bocandé, rapporteur du texte pour la commission des affaires sociales, soulignait que « la coordination […] doit, pour être 739 Supra §195. Supra §214. 741 RIHAL Hervé, « Les transferts de compétences, solidarité et santé », op. cit., p.1979. 740 - 261 - efficace, être mise en œuvre par voie de contractualisation ».742 Elle permet, comme nous l’avons déjà évoqué, de s’assurer de l’accord, de la volonté de travailler ensemble de chacun des partenaires. L’action sociale semble être un cadre idéal pour voir se développer la contractualisation. « La dépendance mutuelle qui lie les acteurs locaux de l’action sociale est en premier lieu à mettre au compte de la multiplication des dispositifs qui, par voie législative ou réglementaire, leur imposent de coordonner leurs interventions, l’engagement à coopérer se manifeste par l’adoption de procédures contractuelles sanctionnées par la signature de convention entre les partenaires ».743 La convention est donc un outil privilégié pour permettre la coordination de l’action sociale. 309. Il est également nécessaire d’évoquer le recours à la technique des appels à projets pour la réalisation des services ou établissements sociaux et médico-sociaux. Cette procédure a été intégrée à l’article L.313-1-1 du CASF par la loi du 21 juillet 2009, dite loi HPST.744 Elle a été complétée sur ce point particulier par un décret du 26 juillet 2010.745 Lorsqu’un conseil général décide désormais de la création d’un établissement social ou médico-social sur son territoire, il doit avoir recours à cette procédure. Une fois l’appel à projet lancé, les candidats, qu’ils soient publics ou privés, à but lucratif ou non, ont entre 60 et 90 jours pour déposer un dossier en réponse à l’appel à projet. Les différents dossiers sont ensuite étudiés par une commission de sélection avant que l’administration départementale ne prenne sa décision finale. « C’est bien un procédé d’appel à la concurrence qui est mis en œuvre par l’administration dans ce secteur qui y était fort peu habitué ».746 Un tel système permet d’assurer une plus grande transparence quant à la sélection des gestionnaires des établissements sociaux et médico-sociaux. Surtout, dans l’ancien système où les candidats présentaient au département leur projet d’établissement celui-ci pouvait se retrouver face à des conflits d’intérêt et ainsi valider des projets qui n’étaient pas forcément prioritaires au vu de son schéma d’organisation sociale. La procédure de l’appel à projet permet au contraire aux conseils généraux « d’imposer leurs choix stratégiques et d’orienter les créations en fonction des priorités de l’administration ».747 L’appel à projet permet donc réellement au 742 BOCANDÉ Annick, Sénat, JORF Débats, 6 novembre 2003, p.7565. FRIGOLI Gilles « Lorsque gérer l’action sociale devient affaire d’action collective. Une contribution à l’analyse des partenariats dans l’action sociale territorialisée. Le cas de la lutte contre l’exclusion », RFAS, 2004, n°4, p.88. 744 Loi n°2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, JORF, 22 juillet 2009, p.12184. 745 Décret n°2010-870 du 26 juillet 2010 relatif à la procédure d’appel à projet et d’autorisation mentionnée à l’article L.313-1-1 du code de l’action sociale et des familles, précit. 746 RIHAL Hervé, « Les services sociaux dans tous leurs états », Actualité de la commande et des contrats publics, 2010, n°103, p.21. 747 Idem. 743 - 262 - département, chef de file, de maîtriser la programmation de l’action sociale et sa réalisation sur son territoire. Cependant à côté de ces moyens traditionnels d’action de l’administration, que nous avions déjà évoqués auparavant, la désignation du département comme chef de file de l’action sociale s’est accompagnée de la mise en place d’institutions nouvelles. Il en est ainsi notamment pour la gestion de la politique gérontologique, où le département peut recourir aux centres locaux d’information et de coordination gérontologique. 2. Les CLIC, relais locaux de l’administration départementale Il convient ici d’analyser la genèse et le rôle des CLIC (a) avant de comprendre que ces institutions participent d’un mouvement plus large de multiplication des guichets uniques (b). a. Genèse et rôle des CLIC 310. En matière d’action sociale et plus particulièrement en matière d’action gérontologique, le département bénéficie d’un outil supplémentaire pour coordonner l’action locale, ce sont les centres locaux d’information et de coordination gérontologique. Les CLIC préexistaient à la loi libertés et responsabilités locales. En effet, ils ont été institués par une circulaire du 6 juin 2000748 et ils recevront une consécration législative avec la loi de 2001 relative à la prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées et à l’allocation personnalisée d’autonomie.749 La loi du 13 août 2004 place les CLIC au cœur de l’action gérontologique, comme soutient du département chef de file.750 C’est sur l’initiative du Sénat en première lecture que les CLIC ont été placés sous la responsabilité du conseil général pour le seconder dans sa mission de coordination de l’action gérontologique.751 L’action en faveur des personnes âgées ne peut qu’être partenariale. L’action gérontologique appelle l’intervention de nombreuses personnes ; des acteurs publics tels que les établissements sanitaires et sociaux, les services des CCAS, les services du conseil général, mais aussi des 748 Circulaire n°2000/310 du 6 juin 2000 relative aux centres locaux d’information et de coordination, texte non paru au JORF. 749 Loi n°2001-647 du 20 juillet 2001 relative à la prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées et à l’allocation personnalisée d’autonomie, JORF, 21 juillet 2001, p.11737. 750 Art. L.113-2 du CASF. 751 Amendement n°437, Sénat, JORF Débats, 6 novembre 2003, p.7564. - 263 - acteurs privés, tels que des médecins, des infirmiers ou encore des associations. Il est alors nécessaire d’organiser, de coordonner les interventions de tous ces acteurs, mais aussi d’améliorer la lisibilité de toutes ces interventions pour les usagers. « La coordination est au service de l’usager ».752 C’est la mission qui est assignée au département en tant que chef de file, avec l’aide des CLIC pour assurer un maillage territorial au plus près des usagers. 311. Les CLIC ont différents rôles qui permettent d’assurer une cohérence de l’action de tous les acteurs de la politique gérontologique au plus près du territoire. « Les CLIC visent à garantir la continuité, la cohérence et l’ancrage territorial des politiques publiques en direction des personnes âgées dans une triple logique de proximité, d’accès facilité aux droits et de réseaux entre professionnels et acteurs locaux ».753 Ils sont ainsi un centre de ressource au profit du public mais aussi des professionnels. Tous peuvent y trouver, réuni en un seul lieu, l’ensemble des informations nécessaires pour savoir à qui s’adresser. En tant que guichet unique, le CLIC peut également assurer le traitement des demandes d’aides déposées par les usagers, ainsi que dans certains cas la mise en place des réponses à ces demandes. A cet égard, une seconde circulaire de mai 2001754 a institué un système de labellisation des centres locaux de coordination gérontologique. Il faut alors distinguer trois niveaux de CLIC, chaque niveau correspondant à un niveau de capacité d’action du centre. Ces labels vont du niveau 1, où le CLIC ne peut « que » réaliser des missions d’accueil, d’information et de conseil aux familles, jusqu’au niveau 3 où à ces missions s’ajoutent la mise en œuvre, le suivi et l’adaptation du plan d’aide personnalisée, en passant par le niveau 2 où le CLIC peut établir un diagnostic en vue de la mise en œuvre du plan d’aide personnalisée, sans pouvoir le mettre en œuvre. Les CLIC sont donc un lieu qui permet d’apporter une réponse unique pour un ensemble de démarches. Ils facilitent l’accès des usagers à l’administration. Ils participent ainsi d’un certain foisonnement de ce type de structures, regroupées sous le vocable de guichet unique. 752 BUSSIÈRE Caroline, « Les centres locaux d’information et de coordination. Genèse et objectifs », Gérontologie et société, 2002, n°100, p.76. 753 LONG Martine, « Les centres locaux d’information et de coordination gérontologiques : un nouveau mode d’action sociale », Politiques et management public, 2003, n°3, p.123. 754 Circulaire n°2001/224 du 18 mai 2001 relative aux centres locaux d’information et de coordination, texte non paru au JORF. - 264 - b. La multiplication des guichets uniques 312. L’intérêt du guichet unique est de permettre au citoyen d’effectuer toutes ses démarches dans un lieu unique. C’est là une manière de simplifier les démarches de l’usager auprès de l’administration. Ce type de réponse à la complexité administrative se développe assez largement de nos jours, notamment à travers ce qu’on appelle les « maisons », dont nous évoquerons un exemple ultérieurement au travers de la maison départementale des personnes handicapées. On peut également se référer au label « Relais Services Publics ». Ces relais doivent permettre aux usagers d’obtenir des informations ou encore d’effectuer des démarches relevant de plusieurs administrations en un seul et même lieu. Ils peuvent se tenir dans des mairies, des intercommunalités, un service de l’État ou même encore dans une association. Ils représentent un lieu unique pour apporter des réponses à des questions diverses. En effet, au sein de ces lieux labellisés relais de services publics, les citoyens peuvent trouver des informations concernant les services de l’État ou des collectivités territoriales, mais aussi d’autres opérateurs publics, comme le Pôle emploi, la CAF ou encore la Chambre de commerce et d’industrie. L’objet du relais de services publics n’est pas bien entendu d’agir à la place de ces opérateurs, mais d’être une interface, un point d’information au plus près des citoyens. Les administrés sont d’ailleurs demandeurs de ce type d’organisation, qui peut leur éviter d’avoir à faire face à la jungle administrative. Le guichet unique « correspond à un double besoin de proximité humaine et de service de qualité pour les usagers ».755 313. Ainsi, « les CLIC se présentent comme un mode d’action publique en voie de généralisation. Par leur mode d’action globale ils répondent certainement à un besoin des usagers et des professionnels d’accès à des informations qui concernent l’ensemble des prestations et possibilités d’interventions sur un territoire donné ».756 Il y a là un élément de réflexion intéressant dans le cadre de la désignation d’une collectivité chef de file. En effet, une fois la coordination de l’action assurée, la continuité de l’action du chef de file exige qu’il organise une réponse aussi unifiée que possible dans le champ de compétence où il a été désigné. L’instauration d’un guichet unique, sous la responsabilité et l’autorité de la collectivité chef de file, pourrait ainsi être un moyen d’organiser l’action commune de 755 BLOT Yvan, FROMION Jean-Michel, Rapport sur les relais de services publics en milieu rural, rapport présenté au Ministère de l’intérieur et de l’aménagement du territoire, Paris, La documentation française, 2006, p.4. 756 LONG Martine, « Les centres locaux d’information et de coordination gérontologiques : un nouveau mode d’action sociale », art. cit., p.130. - 265 - manière rationalisée sans pour autant imposer une quelconque tutelle d’une collectivité sur une autre. 314. Le département a donc été désigné comme chef de file en matière d’action sociale de manière assez traditionnelle puisqu’il disposait déjà depuis l’acte I de la décentralisation de nombreuses compétences en ce domaine. Ainsi, la désignation du département en tant que chef de file apparaît comme la confirmation de son rôle de « primus inter pares »757 dans ce champ de compétence. Les réelles innovations se situent plutôt dans les moyens d’action qui sont désormais accordés au département pour remplir sa fonction. Dorénavant le conseil général arrêtera seul son schéma d’organisation sociale et médico-sociale et il sera autorisé à signer toutes les conventions nécessaires à sa mise en œuvre avec les différents acteurs locaux publics et privés. Afin d’assurer ce rôle de coordination, le législateur a autorisé le département à s’appuyer sur un guichet unique, relais territorial de son action, le centre local d’information et de coordination gérontologique. La loi de 2005 relative au handicap a poursuivi ce mouvement en confirmant le rôle de chef de file du département, tout en l’associant à une forme de guichet unique inédit. 757 LAFORE Robert, « L’acte II de la décentralisation et l’action sociale », art. cit., p.8. - 266 - Section 2. Le groupement d’intérêt public, outil d’action limité du chef de file 315. La loi du 11 février 2005 relative au handicap innove en instituant la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Ce texte a été précisé par une loi ultérieure de 2011.758 Ce groupement d’intérêt public (GIP) a pour objectif de jouer le rôle de guichet unique en faveur des personnes handicapées et de leur famille. Ces guichets uniques, qu’ils soient qualifiés de maisons ou de relais, visent tous un même objectif : faciliter les démarches des administrés. L’administration peut également y trouver un intérêt non négligeable en concentrant en un seul et même lieu différents services, il est possible de réaliser des économies d’échelle. Les maisons et relais « rassemblent d’abord sur un même lieu différentes administrations, sur la base de conventions devant les inciter à coopérer, accompagnées le plus souvent de la création d’une personne morale, de droit public ou de droit privé, qui institutionnalise cette coopération. [Ce site] devient alors pour partie le lieu d’une action commune et le lieu d’une régulation de cette action ».759 Ces structures sont également l’occasion de rapprocher les administrations de territoires parfois désertés, tels que les quartiers sensibles ou encore les zones rurales. Si le recours à la formule GIP peut sembler séduisant pour organiser les modalités de l’action commune, nous verrons qu’en réalité la MDPH est un GIP peu orthodoxe ce qui semble contredire les possibilités d’extension à d’autres cas de chefs de file de cette formule. Il s’agit dès lors de présenter un cas particulier d’adaptation de l’une de ces maisons au chef de file, à savoir la maison départementale des personnes handicapées (§1), puis de s’interroger sur la possibilité d’étendre le recours au groupement d’intérêt public pour d’autres domaines où seront désignées des collectivités chefs de file (§2). 758 Loi n°2011-901 du 28 juillet 2011 tendant à améliorer le fonctionnement des maisons départementales des personnes handicapées et portant diverses dispositions relatives à la politique du handicap, JORF, 30 juillet 2011, p.12996. 759 BRIANT Vincent de, L’action commune en droit des collectivités territoriales. Contribution à l’étude des compétences exercées en commun par l’État et les collectivités territoriales, op. cit., p.468. - 267 - §1. La maison départementale des personnes handicapées, moyen d’exercice du rôle de chef de file La MDPH a pour rôle d’accueillir, d’informer et de conseiller les personnes handicapées ainsi que leurs familles. La MDPH a pour objectif de centraliser toutes les démarches concernant le handicap. C’est un guichet unique, c'est-à-dire un interlocuteur unique pour l’usager dans le cadre de ses démarches avec l’ensemble des administrations. Il convient dans un premier temps d’étudier l’institution de la MDPH, et notamment son statut de GIP (A), pour analyser dans un second temps son rôle (B). A. Le groupement d’intérêt public, une formule atypique pour la MDPH La MDPH « n’est pas un simple lieu, elle a la personnalité morale et comporte une véritable organisation ».760 En effet, la maison départementale des personnes handicapées dispose d’une personnalité juridique propre puisqu’elle est créé sous la forme de GIP (1), groupement qui, en l’espèce, a la particularité d’être sous la tutelle du conseil général (2). 1. La MDPH, une « association de droit public »761 316. Le groupement d’intérêt public est une structure souple dont l’intérêt est de pouvoir regrouper, dans une même entité, aussi bien des acteurs publics que privés. Il est toutefois nécessaire qu’au moins une personne publique soit présente dans sa composition. C’est pour cette souplesse d’organisation que la MDPH a été instituée sous la forme d’un groupement d’intérêt public. « Cette solution écarte en fait deux autres possibilités envisageables : soit l’intégration dans les services du conseil général, qui avait été demandé par certains présidents de conseils généraux, soit la création d’un établissement public administratif ».762 L’existence de la MDPH est attestée par une convention constitutive qui doit être approuvée par arrêté du président du conseil général.763 C’est du fait du recours à cette convention constitutive que Fabrice Melleray a pu qualifier les GIP d’association de droit public. En effet, si l’on se reporte à l’article 1er de la loi de 1901 celui-ci dispose que « l’association est 760 RIHAL Hervé, « Chroniques de l’administration », RFAP, 2005, n°113, p.166. MELLERAY Fabrice, « Une nouvelle crise de la notion d’établissement public. La reconnaissance d’autres personnes publiques spécialisées », AJDA, 2003, p.717. 762 GUETTIER Christophe, « Amélioration du fonctionnement des maisons départementales des personnes handicapées », RLCT, 2011, n°73, p.42. 763 Art. R.146-16 du CASF. 761 - 268 - la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d’une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices ».764 Dans les deux cas, nous sommes donc en présence de personnes qui se regroupent autour d’un contrat pour mettre en commun leurs compétences. 317. Dès publication de ces documents au recueil départemental des actes administratifs, la MDPH jouit de la personnalité morale. Toute modification de la convention constitutive doit être réalisée dans les mêmes formes. Cette convention doit obligatoirement contenir un certain nombre de stipulations, parmi lesquelles les conditions d’adhésion et de retrait du groupement ainsi que la nature et le montant des concours des membres de la MDPH à son fonctionnement.765 Depuis la loi de 2011, les concours financiers des membres de la MDPH font même l’objet d’un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM) annexé à la convention constitutive. Les CPOM ont ainsi pour objectif de clarifier les relations financières entre la MDPH et tous ses membres. En effet, la MDPH doit rester un groupement ouvert, c'est-à-dire qu’il ne peut se limiter aux seuls membres de droit prévus par la loi. De même l’objectif de cette structure est, entre autres, de mutualiser les moyens des acteurs de la politique du handicap sur le territoire départemental. Ainsi, l’État a mis à disposition des MDPH le personnel autrefois employé dans la commission départementale de l’éducation spéciale (CDES) et la commission technique d’orientation et de reclassement professionnel (COTOREP), ainsi que les moyens matériels dont ces commissions disposaient. Toutefois, le constat de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur le fonctionnement des MDPH est sans appel, l’État n’a pas mis à disposition le personnel nécessaire et suffisant pour faire face aux missions des MDPH.766 318. L’intérêt du recours à ce type d’organisation est de créer un véritable partenariat entre les différents acteurs et donc de concentrer les financements. La maison départementale des personnes handicapées « est en effet la formule la mieux à même de fédérer les moyens financiers nécessaires à la compensation du handicap et d’éviter une fuite des financements extralégaux qui apportent aujourd’hui un appoint non négligeable à la compensation du 764 Art. 1er, Loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, JORF, 2 juillet 1901, p.4025. Art. L.146-4 du CASF. Il existe un modèle de convention annexé au décret n°2006-130 du 8 février 2006 relatif à la convention de base constitutive de la maison départementale des personnes handicapées, JORF, 9 février 2006, p.2080. 766 IGAS, Bilan du fonctionnement et du rôle des Maisons départementales des personnes handicapées, Novembre 2010, 57p. 765 - 269 - handicap ».767 L’un des objectifs du chef de file est, en effet, de mutualiser les efforts financiers et humains de chacun des partenaires pour permette la réalisation d’un même objectif. Lorsqu’il n’y a pas de chef de file, le risque de saupoudrage des crédits est important, à savoir que chaque collectivité finance un petit peu plusieurs projets. Au contraire, le rôle du chef de file est de s’assurer que l’ensemble des financements apportés par les partenaires soient dirigés vers les projets les plus importants, les plus urgents, ceux qui auront été déterminés en amont dans des documents d’orientation, tels que le schéma d’organisation sociale et médico-sociale. 2. La composition multipartenariale de la MDPH 319. La maison départementale des personnes handicapées est composée du département, de l’État, des caisses locales d’assurance maladie et d’allocation familiale du régime général et du directeur de l’ARS.768 Cependant, la liste des membres de la MDPH n’est pas circonscrite. En sus des membres de droit, « d’autres personnes morales peuvent demander à en être membres, notamment les personnes morales représentant les organismes gestionnaires d’établissements ou de services destinés aux personnes handicapées, celles assurant une mission de coordination en leur faveur et les autres personnes morales participant au financement du fonds départemental de compensation »769 du handicap. L’objectif de la MDPH est donc de rassembler en son sein tous les acteurs de la politique du handicap, que ces acteurs soient publics ou privés. D’ailleurs le statut du personnel de la MDPH reflète cette souplesse de la composition du groupement. En effet, la MDPH peut avoir recours à des fonctionnaires relevant de l’un des trois statuts de la fonction publique mis en détachement par leur administration d’origine, mais elle peut aussi engager des contractuels de droit public ou de droit privé. La loi de 2011 cherche d’ailleurs à clarifier quelque peu l’organisation du personnel des MDPH, notamment en favorisant la mise à disposition des fonctionnaires au profit de la MDPH plutôt que leur détachement.770 320. Le statut de la MDPH comporte une innovation. En effet, c’est le président du conseil général qui la préside, « positionnant ainsi, pour la première fois, un chef de l’exécutif 767 BLANC Paul, Rapport sur le projet de loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, Sénat, n°210, 2004, p.52. 768 Art. L.146-4, al. 2 du CASF. 769 Ibid., al. 3. 770 Art. L.146-4-1 du CASF. - 270 - départemental à la tête d’un GIP ».771 Le département est clairement placé comme le dirigeant de cette nouvelle personne morale puisque le conseil général dispose d’une majorité des voix au sein de la commission exécutive qui gère la MDPH. Le code de l’action sociale et des familles précise même, en son article L.146-4 que « le département assure la tutelle administrative et financière » du groupement. Ainsi, à travers sa place importante dans le contrôle de la MDPH, le département s’affirme comme un véritable chef de file dans l’action relative au handicap. La MDPH est le relais du département pour agir en matière de handicap. Elle est la baguette avec laquelle le chef d’orchestre donne ses ordres aux musiciens qui sont devant lui. 321. Cette nouveauté « constitue l’une des pierres angulaires institutionnelle de la réforme »772 relative au handicap. Force est cependant de constater que « la mise en place des MDPH s’est avérée problématique dans un grand nombre de départements ».773 Le Médiateur de la République relevait également la difficile mise en œuvre de cette réforme imputable selon lui, d’une part, à ses enjeux financiers et, d’autre part, à la complexité des dispositions.774 Ainsi certaines critiques peuvent être soulevées à l’encontre des MDPH. En effet, il s’agit tout d’abord d’une organisation innovante et les services de l’État doivent s’adapter à cette formule. Or ce n’est pas forcément une chose aisée et la crainte de nombreuses associations est alors de voir l’État se désengager progressivement des politiques du handicap.775 Un autre problème est le risque de voir se transformer la MDPH, guichet unique, en lieu unique d’aide aux personnes handicapées. Il existe un risque – non négligeable – que la Maison départementale se situe au chef lieu du département et soit ainsi difficilement accessible pour les personnes handicapées vivant en d’autres points du département776, s’il est nécessaire d’unifier les services pour rationaliser leur action, il ne faut pas pour autant « centraliser » la MDPH. Afin de palier à ce risque, la loi de 2005 a d’ailleurs prévu que la 771 PELCRAN Anne, « Les maisons départementales des personnes handicapées, 5 ans après la loi du 11 février 2005. Entretien avec Christine Dupré, directrice de la MDPH77 », JCP-A, 2010, n°8, p.16. 772 GOHET Patrick, Rapport sur le bilan de la loi du 11 février 2005 et de la mise en place des Maisons départementales des personnes handicapées, Rapport remis à Xavier Bertrand, ministre du Travail, Paris La documentation française, 2007, p.7. 773 RIHAL Hervé (dir.), Rapport de recherche : État des lieux et recommandations sur l’exercice des compétences en matière de solidarité du conseil général de Gironde, Angers, Centre Jean Bodin, rapport dactylographié, 2009, p.178. 774 Médiateur de la République, Rapport Annuel, Paris, La Documentation française, 2007, p.11. 775 GOHET Patrick, Rapport sur le bilan de la loi du 11 février 2005 et de la mise en place des Maisons départementales des personnes handicapées, op. cit., p.42. 776 TRIOMPHE Annie, « La compensation du handicap dans la loi du 11 février 2005 : du mythe à la réalité », RDSS, 2005, n°3, p.379. - 271 - MDPH pouvait s’appuyer sur les CCAS777 ou encore les CLIC.778 Ces organismes pourront servir de relais locaux pour assurer l’accueil et l’information des usagers au plus près de leurs besoins, de leurs lieux de vie. Il s’agit pour la MDPH de « se décentralise[r] à l’intérieur même du département ».779 Il ne faut pas oublier que la MDPH s’adresse à un public déjà fragilisé et donc l’accès aux services qu’elle propose doit pouvoir être simplifié. D’ailleurs, un rapport du Sénat relève que certaines MDPH ont fait en sorte de rapprocher leurs services, de manière physique, au plus près des usagers. « Une part important des MDPH a, par ailleurs, souhaité améliorer la qualité de service en déployant des lieux d’accueil secondaire sur le territoire départemental, parfois dans les centres communaux d’action sociale ou les centres locaux d’information et de coordination, plus souvent dans les caisses d’allocation familiales ou dans les unités territoriales d’action sociale ».780 L’organisation de la MDPH se veut donc une organisation souple afin de permettre à un maximum de partenaires d’y adhérer, qu’ils soient des personnes publiques ou des personnes privées. Si la structure est dirigée par le département, elle évite tout risque de tutelle puisque l’adhésion est volontaire. Il est nécessaire ensuite d’analyser le rôle de la MDPH. B. La MDPH, un guichet unique au service des personnes handicapées La Maison départementale des personnes handicapées, nous l’avons déjà évoqué, a un titre trompeur. Elle ne doit pas être réduite à un simple lieu physique. Elle dispose de compétences (1) et de moyens humains pour réaliser ces missions (2). 777 Art. L.146-3 du CASF. Art. L.146-6 du CASF. 779 LÉPICIER Maxime, La Maison départementale des personnes handicapées de Maine-et-Loire, Mémoire Master 2, Dactylographié, Angers, 2009, p.21. 780 CAMPION Claire-Lise, DEBRÉ Isabelle, Rapport d’information sur l’application de la loi n°2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, Sénat, n°635, 2012, p.18. 778 - 272 - 1. Les missions variées de la MDPH 322. L’objectif de la MDPH est de proposer un guichet unique pour toutes les démarches et toutes les interrogations des citoyens concernant le handicap. Il s’agit ainsi de « mettre fin au parcours du combattant auquel sont astreintes les personnes handicapées ».781 Le rôle de la MDPH est celui d’un chef de file puisqu’elle doit organiser « des actions de coordination avec les autres dispositifs sanitaires et médico-sociaux concernant les personnes handicapées ».782 La coordination de l’action commune est le rôle « minimum » du chef de file. Il s’agit de s’assurer que tous les acteurs publics d’un même domaine de compétence agissent bien de concert. 323. La MDPH a une mission première d’accueil, d’information et de conseil des personnes handicapées. « Sa mission est ainsi très large puisqu’elle doit même s’occuper de l’accompagnement nécessaire après l’annonce à la personne ou à la famille d’un handicap ».783 Elle doit également assurer une mission de sensibilisation relative aux différents types de handicap auprès de la population. En tant que guichet unique, la MDPH assure le relais pour tous les dossiers à remplir par la personne handicapée et sa famille et permet ainsi d’adopter une réponse globale aux besoins des usagers. Elle doit enfin gérer les fonds de compensation du handicap. Ce fonds a été institué par la loi du 11 février 2005 à l’article L.146-5 du CASF. Il correspond aux « aides financières destinées à permettre aux personnes handicapées de faire face aux frais de compensation restant à leur charge après déduction de la prestation de compensation ».784 Il y a, en matière de compensation du handicap, une double nouveauté introduite par la loi du 11 février 2005. D’une part, la prestation de compensation du handicap s’est substituée à l’ancienne allocation compensatrice tierce personne. Mais surtout le fonds départemental de compensation du handicap unifie le régime de la kyrielle d’aides supplémentaires qui étaient auparavant gérées par différents organismes. Cette nouveauté permet ainsi de mutualiser tout un ensemble de moyens au service des personnes handicapées, tout en limitant par là même occasion les coûts de gestion de ces aides complémentaires. En effet, désormais la personne qui voudra bénéficier de cette aide n’aura qu’un seul dossier à remplir et une seule commission l’examinera, ce qui induira des économies en termes de temps et de moyens pour l’instruction du dossier. De plus, 781 MILANO Serge, « La loi du 11 février 2005 : pourquoi avoir réformé la loi de 1975 ? », RDSS, 2005, n°3, p.369. 782 Article L.146-3, al. 4 du CASF. 783 RIHAL Hervé, « Chronique de l’administration », art. cit., 2005, p.166. 784 Art. L.146-5 du CASF. - 273 - l’adoption d’un tel système permet d’unifier sur le territoire départemental les critères d’accession à cette aide. « La création d’un guichet unique, issue du regroupement d’administrations aux histoires et cultures différentes, est sans précédent en France. Certes, cette opération ne s’est pas faite sans heurts, mais elle témoigne d’une réelle volonté de rationalisation des procédures administratives afin de rendre un meilleur service aux personnes handicapées et à leur famille ».785 Cette unification conduit à une clarification de l’action pour l’usager. Il n’a plus qu’un seul dossier à faire pour que sa demande d’aide soit traitée, par une seule commission. Il nous semble d’autant plus important de rationaliser l’action administrative qu’elle s’adresse dans ce domaine particulier à un public qui peut se trouver en difficulté sociale. Il ne faut pas oublier qu’au delà de ses conséquences sur l’action administrative l’enchevêtrement des compétences rejaillit sur l’administré et sur sa capacité à accéder facilement ou non aux services publics dont il a besoin. Le guichet unique est donc un moyen de rationaliser l’action administrative et la rendre à la fois plus économique, efficiente et efficace. « Le concept de maison départementale s’est traduit par des avancées concrètes : progrès de l’accueil et de l’instruction, meilleure continuité de la prise en charge à tous les âges et atténuation des effets de rupture entre régimes enfants et adultes ».786 La MDPH a donc une importante mission d’accompagnement de la personne handicapée. Elle est son interlocuteur privilégié dans le cadre de l’ensemble de ses démarches. La création de la MDPH permet de rationaliser la politique du handicap. Il convient cependant ensuite de s’intéresser aux moyens dont dispose la MDPH pour mettre en œuvre ses compétences. 2. La rationalisation des moyens d’action au profit des usagers 324. Afin d’assurer ses missions, la MDPH rassemble en son sein une équipe pluridisciplinaire qui est chargée d’évaluer les besoins de la personne handicapée. Elle comprend également, et c’est là une « innovation importante »,787 la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) qui remplace la commission départementale de l’éducation spécialisée (CDES) et la commission technique d’orientation et 785 CAMPION Claire-Lise, DEBRÉ Isabelle, Rapport d’information sur l’application de la loi n°2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, op. cit., p.19. 786 IGAS, Bilan du fonctionnement et du rôle des Maisons départementales des personnes handicapées, op. cit. p.3. 787 BORGETTO Michel, LAFORE Robert, Droit de l’aide et de l’action sociales, op. cit., p.418. - 274 - de reclassement professionnel (COTOREP). L’équipe pluridisciplinaire et la CDAPH ont pour objectif d’assurer une meilleure prise en charge et un meilleur suivi des usagers. On retrouve ainsi l’application de l’idée évoquée précédemment. Le suivi de la personne handicapée ne se fait plus par différentes commissions – au risque d’avoir des périodes où l’usager n’est plus suivi – mais par une seule commission qui, connaissant le dossier, le suivra tout au long de son parcours, de sa vie dans le département. Il y a ainsi une rationalisation de l’action en faveur des personnes handicapées et cela évitera tout risque d’absence de suivi de l’usager dans le passage d’une commission à l’autre.788 325. La MDPH comporte en son sein une équipe pluridisciplinaire dont les membres sont nommés par le directeur du groupement. Au sein de chaque équipe, le directeur désigne un coordonnateur chargé d’assurer le fonctionnement de l’équipe. Sa composition peut varier en fonction des situations de handicap à prendre en compte. Le CASF dans sa partie réglementaire indique simplement qu’elle regroupe « des professionnels ayant des compétences médicales ou paramédicales, des compétences dans le domaine de la psychologie, du travail social, de la formation scolaire et universitaire, de l’emploi et de la formation professionnelle ».789 Le caractère pluridisciplinaire de l’équipe est lié à la définition du handicap retenue dans la loi du 11 février 2005. En effet, l’article 2 de cette loi définit le handicap comme « toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiatriques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant ». Cette définition donnée du handicap est importante car elle ne cantonne pas le handicap à une situation médicale,790 mais elle insiste sur « l’interaction »791 de cette situation avec l’inadaptation de l’environnement social au handicap. C’est en raison de ce caractère multidimensionnel du handicap que sa détermination « ne peut pas relever d’un seul médecin ».792 L’équipe pluridisciplinaire de la MDPH assure ainsi cette vision multidimensionnelle de la définition du handicap. L’équipe pluridisciplinaire assure l’accueil de la personne handicapée et de sa famille. L’article L.146-8 du CASF lui donne pour mission d’évaluer les besoins de compensation de la personne handicapée ainsi que son incapacité 788 ALFANDARI Élie, TOURETTE Florence, Action et aide sociales, Paris, Dalloz, coll. Précis, 5e ed., 2011, p.622, note 1. 789 Art. R.146-27 du CASF. 790 MILANO Serge, « La loi du 11 février 2005 : pourquoi avoir réformé la loi de 1975 ? », art. cit., p.362. 791 GOHET Patrick, Rapport sur le bilan de la loi du 11 février 2005 et de la mise en place des Maisons départementales des personnes handicapées, op. cit., p.5. 792 BOUGRAB Jeannette, BROCA Arnaud de (dir.), Code du Handicap 2011, Paris, Dalloz, 2e ed., p.9. - 275 - permanente. Cette évaluation doit permettre à l’équipe pluridisciplinaire de proposer à la personne handicapée un plan de compensation du handicap sur la base de son projet de vie. Le plan de compensation personnalisé comprend des propositions de mesures destinées à permettre à la personne handicapée, au regard de son projet de vie, d’obtenir les aides et les actions nécessaires à la compensation de son handicap. La personne handicapée a le droit d’être entendue par l’équipe pluridisciplinaire avant que celle-ci ne fasse des propositions qui seront ensuite soumises à la CDAPH.793 326. La composition de la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées est précisée à l’article L.241-5 du CASF. Elle comporte des représentants de l’ensemble des acteurs de la MDPH, mais aussi des représentants « des organisations syndicales, des associations de parents d’élèves et, pour au moins un tiers de ses membres, des représentants des personnes handicapées et de leurs familles désignés par les associations représentatives, et un membre du conseil départemental consultatif des personnes handicapées ». La présence, obligatoire, de représentants des personnes handicapées et de leur famille au sein de cette commission permet de s’assurer de l’adéquation des réponses apportées par rapport au handicap de l’usager. Cette présence permet une meilleure prise en compte de la réalité du handicap et des moyens de le compenser. D’ailleurs, la personne handicapée ou son représentant doit nécessairement être entendu par la CDAPH pour toute décision la concernant. C’est cette commission qui doit statuer, notamment, sur l’orientation de la personne handicapée. Elle peut désigner l’établissement d’accueil ou d’hébergement pour la personne handicapée ou encore décider de l’attribution d’aides financières.794 Les décisions sont motivées et adoptées au nom de la MDPH. Les décisions adoptées par la CDAPH ne sont pas définitives, elles doivent être régulièrement révisées. En effet, la personne handicapée ou sa famille peuvent à tout moment demander la révision des décisions prises à son égard en raison d’une évolution de son handicap. De plus un recours est toujours possible contre les décisions de la CDAPH devant le juge administratif, action considérée comme un recours de plein contentieux.795 793 TA de Cergy Pontoise, 29 novembre 2007, M. Di Luca c. M. Le président de la MDPH du Val-d’Oise, n°0701719 ; PARIS Timothée, « Le droit de la personne handicapée à être entendue », concl., AJDA, 2008, p.649-653. V. également JOUNO Thurian, « Le contentieux de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, un plein contentieux. Oui, mais lequel ? », AJDA, 2011, p.206-208. 794 Art. L.241-6 du CASF. 795 CE, 6 avril 2007, M. Douwens Prats, Rec., p.153 ; note, RIHAL Hervé, « La triple malchance d’une personne handicapée, victime d’une loi sur l’égalité des chances », AJDA, 2007, p.2049-2052. - 276 - La Maison départementale des personnes handicapées, même si elle mérite encore des améliorations, est donc un bon exemple d’exercice du rôle du chef de file par le département en matière sociale. La question qui se pose alors inévitablement est de savoir si la formule du groupement d’intérêt public peut être étendue à d’autres cas. §2. La MDPH, un groupement d’intérêt public hors du droit commun Le groupement d’intérêt public est indéniablement une « forme originale de personne morale ».796 Il conviendra tout d’abord d’analyser les origines du recours au groupement d’intérêt public (A) puis d’en étudier les limites, qui nous semblent contredire la possibilité d’extension des GIP à d’autres secteurs d’action commune (B). A. Le modèle des groupements d’intérêt public Les groupements d’intérêt public sont apparus dans les années 1980 afin de favoriser la coopération entre personnes publiques et personnes privées, notamment dans le domaine de la recherche (1). Cependant, à partir des années 1990, la formule a connu un véritable succès, voyant le nombre de cas de recours au GIP augmenter considérablement (2). 1. La naissance des groupements d’intérêt public 327. Les premiers GIP ont été créés par la loi du 15 juillet 1982 d’orientation et de programmation pour la recherche et le développement technologique de la France.797 L’article 21, alinéa 1er, de la loi de 1982 disposait que « des groupements d’intérêt public dotés de la personnalité morale et de l’autonomie financière peuvent être constitués entre des établissements publics ayant une activité de recherche et de développement technologique, entre l’un ou plusieurs d’entre eux et une ou plusieurs personnes morales de droit public ou de droit privé pour exercer ensemble, pour une durée déterminée, des activités de recherche ou de développements technologiques ou gérer des équipements d’intérêt commun nécessaires à ces activités ». Cette disposition nous informe déjà sur un nombre important de caractéristiques du GIP. 796 Conseil d'État, Sct. du rapport et des études, Les groupements d’intérêt public, Paris, La Documentation française, 1997, p.7. 797 Loi n°82-610 du 15 juillet 1982 d’orientation et de programmation pour la recherche et le développement technologique de la France, JORF, 16 juillet 1982, p.2270, spec. Art. 21. - 277 - 328. Le groupement a, tout d’abord, la personnalité morale, reste ensuite à déterminer s’il s’agit d’une personne publique ou d’une personne privée. On a cru la réponse à cette question apportée en deux temps, d’abord dans un avis du Conseil d'État798, puis dans une décision du Tribunal des conflits.799 Les deux juridictions ont indiqué qu’il s’agissait d’une personne publique. Le Tribunal des conflits précise même que le GIP est une personne publique sui generis. Toutefois, la question ne s’est pas retrouvée pour autant totalement réglée. En effet, si le Tribunal des conflits a réitéré sa position dans une décision de 2003800, la Cour de cassation, à propos du GIP « Service national d’accueil téléphonique pour l’enfance maltraitée », a jugé qu’il ne s’agissait pas en l’espèce d’une personne publique.801 Pour justifier sa décision, la Cour de cassation indique que non seulement la loi n’avait pas expressément qualifié le SNATEM de personne publique, mais qu’en plus, ce groupement était « né de statuts contractuels organisant la collaboration des personnes morales de droit public et de droit privé qui le composaient, constitué pour une durée limitée dans le temps, et dépourvu de prérogatives de puissance publique ». On pouvait alors considérer qu’il fallait distinguer les GIP selon qu’ils disposaient ou non de prérogatives de puissance publique, dans ce cas ils devaient être considérés comme des personnes publiques ; dans le cas contraire ils pouvaient être assimilés à des personnes privées. C’est finalement le législateur qui tranchera la difficulté en 2011, prévoyant que le GIP est une personne morale de droit public.802 329. L’alinéa 1er de cette disposition nous renseigne ensuite sur la composition du groupement. Celle-ci est ouverte puisque le groupement peut comprendre des établissements publics, des personnes morales de droit public ou de droit privé. Toutefois, la présence d’au moins une personne publique est exigée. Cela permet donc d’associer très largement l’ensemble des acteurs, publics ou privés, intéressés par l’objet du groupement. L’objet du groupement est également déterminé par la loi et il est limité. Le groupement doit ainsi se limiter à assurer « des activités de recherche ou de développement technologique ou gérer des équipements d’intérêt commun nécessaires à ces activités ». 798 CE, avis, Sct de l’intérieur, 15 octobre 1985, les groupements d’intérêt public, n°338385. Disponible sur le site Internet du Conseil d'État. www.conseil-etat.fr/media/document//avis/338385.pdf. 799 TC, 14 février 2000, GIP Habitat et interventions sociales pour les mal-logés et sans-abris, Rec. p.748 ; GUYOMAR, COLLIN, AJDA, 2000, p.410-419. 800 TC, 15 décembre 2003, Préfet du Val-d’Oise et Fossard c. Mission intercommunale jeunesse, Tables rec., 2003, p.713. 801 Cass., 1er civ., 2 mars 2004, SNATEM c. URSSAF de Paris ; RENARD PAYEN, JCP-A, 2004, n°14, p.474475. 802 Art. 99 de la loi n°2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, JORF, 18 mai 2011, p.8537. - 278 - L’objet du GIP est donc circonscrit. Un autre élément du groupement est également circonscrit, c’est sa durée. Aucune limite rigoureuse n’est fixée, mais le législateur a indiqué que le groupement a une durée de vie déterminée à l’avance. Il s’agit donc d’une structure qui n’a pas vocation à devenir pérenne. « Ce caractère temporaire a pour avantage indéniable de soumettre à examen régulier la pertinence du groupement et d’inciter la structure à éventuellement s’adapter à l’évolution de l’objectif poursuivi ».803 330. Les autres alinéas de l’article 21 nous fournissent également quelques renseignements sur le fonctionnement du GIP. Ainsi, la majorité des voix au sein de l’assemblée du groupement doit nécessairement appartenir à des personnes publiques ou à des personnes gérant un service public. Cela indique que le groupement a une vocation à œuvrer pour l’intérêt général.804 L’alinéa 2 de l’article 21 confirme d’ailleurs cette analyse puisqu’il dispose que le groupement « ne donne pas lieu à la réalisation ni au partage des bénéfices ». L’article 21 nous indique également que le directeur du groupement est désigné par le conseil d’administration, à la différence du directeur de la MDPH, qui selon la loi, est désigné par le président du conseil général. 2. Le développement du recours au GIP 331. La formule s’est ensuite développée dans de nombreuses lois ultérieures, au point de devenir pour certains auteurs « la bonne à tout faire du droit des institutions administratives françaises ».805 Il y a en effet un développement tous azimuts, « un succès spectaculaire »806 du recours au GIP. Ainsi, voit-on apparaître des GIP en matière de sport807, de mise en valeur de la montagne808, de mécénat809, relatif à la formation continue810, à la gestion des déchets 803 TINIÈRE Romain, « Eléments de définition d’un standard commun aux groupements d’intérêt public », AJDA, 2007, p.844. 804 JANICOT Laetitia, « La rationalisation manquée des groupements d’intérêt public », AJDA, 2011, p.1198. 805 MOREAU Jacques, « Avant propos », in MUZELLEC Raymond, NGUYEN QUOC Vinh, Les groupements d’intérêt public, Paris, Economica, 1993, p.V. 806 MELLERAY Fabrice, « Une nouvelle crise de la notion d’établissement public. La reconnaissance d’autres personnes publiques spécialisées », art. cit., p.714. 807 Loi n°84-610 du 16 juillet 1984 relative à l’organisation et à la promotion des activités physiques et sportives, JORF, 17 juillet 1984, p.2288. Spec. art. 50 abrogé depuis. 808 Loi n°85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne, JORF, 10 janvier 1985, p.320. Spec. art. 12, abrogé depuis. 809 Loi n°87-571 du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat, JORF, 24 juillet 1987, p.8255. Spec. art. 22, abrogé depuis. 810 Loi n°89-486 du 10 juillet 1989 d’orientation sur l’éducation, JORF, 14 juillet 1989, p.8860. Spec. art. 19, abrogé depuis. - 279 - industriels ou radioactifs811 ou encore en matière de développement du tourisme812, enfin plus récemment pour la création des maisons de services publics.813 L’ensemble de ces dispositions peut apparaître disparate, toutefois elles ont toutes un point commun : la référence à l’article 21 de la loi de 1982. En effet, tous ces textes ou leurs décrets d’application renvoient à cette disposition « qui, en ses huit alinéas, fait ainsi fonction de statut général commun des GIP ».814 332. On observe ainsi une sorte de développement exponentiel du recours au GIP. Ce développement est largement lié à un changement de mentalité, à savoir la fin de l’opposition systématique entre intérêts privés et intérêts publics. Les GIP sont ainsi apparus comme un « échelon intermédiaire entre privatisation absolue et publicisation excessive ».815 L’objectif du GIP est de permettre la coopération entre une multitude de partenaires, qu’il s’agisse de l’État, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics respectifs ou encore de personnes privées. Le GIP permet « l’institutionnalisation d’une coopération momentanée entre personnes publiques ou entre personnes publiques et personnes privées ».816 Le groupement d’intérêt public permet d’éviter la privatisation totale de certains projets qui ont un intérêt public mais que la personne publique ne pourrait financer à elle seule. « C’est en effet vers la formule du groupement d’intérêt public que le législateur se tourne systématiquement dès lors qu’il s’agit pour lui de mettre en place une structure souple destinée à prendre en charge une activité qu’il ne souhaite pas voir accaparée par une personne morale de droit privé, ce qui la ferait sortir de son cadre administratif ».817 L’intérêt du GIP est d’offrir une plus grande souplesse de gestion que l’établissement public. D’ailleurs, l’instauration d’un GIP illustre en partie cette souplesse, puisqu’il suffit d’une convention constitutive comme pour une association. Toutefois, cette convention doit être approuvée par arrêté. « Le GIP offre la synthèse entre les garanties de l’existence d’une 811 Loi n°91-1381 du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs, JORF, 1er janvier 1992, p.10. Spec. art. 12, abrogé depuis. 812 Loi n°92-645 du 13 juillet 1992 fixant les conditions d’exercices des activités relatives à l’organisation et à la vente de voyages ou de séjours, JORF, 14 juillet 1992, p.9457. Spec. art. 30. 813 Loi n°2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, JORF, 13 avril 2000, p.5646. Spec. art, 29. 814 CHAPUS René, Droit administratif, T.1, op. cit., p.353. 815 MUZELLEC Raymond, NGUYEN QUOC Vinh, Les groupements d’intérêt public, op. cit., p.11. 816 ROHMER-BENOIT Florence, « Les groupements d’intérêt public. Une nouvelle catégorie de personnes publiques », AJDA, 1986, p.664. 817 BENOIT-ROHMER Florence, « L’avenir des groupements d’intérêt public. Invitation à une réforme législative », AJDA, 1992, p.99. - 280 - institution et les avantages du cadre conventionnel ».818 Dans les différents cas de création d’un groupement d’intérêt public le législateur a institué le moins de contraintes possibles et a très largement laissé le soin aux membres du GIP de définir leurs relations dans la convention constitutive. Le recours au groupement d’intérêt public s’est donc largement répandu, comme moyen d’action pour l’administration. Il s’est répandu au point d’être utilisé dans le cadre de la désignation d’une collectivité chef de file, au travers de la MDPH. Reste à savoir cependant, si cette formule peut connaître une extension à d’autres cas de collectivité chef de file. B. L’obligation d’écarter la MDPH du modèle des GIP La MDPH est pour l’instant un cas isolé d’utilisation d’un groupement d’intérêt public dans le cadre de la désignation d’une collectivité chef de file. Si la formule peut, a priori, paraître attrayante, il nous semble que certains obstacles s’élèvent toutefois contre la généralisation de ce système. En effet, d’une part, la législation relative aux GIP est aujourd’hui très complexe et il n’est pas sûr que le chef de file y trouve une place appropriée (1). D’autre part, la coordination de l’action commune exige une pérennité dont ne dispose pas en principe le groupement d’intérêt public (2). 1. Le statut juridique incertain des groupements d’intérêt public Le statut juridique des groupements est incertain car jusqu’à peu, il n’existait pas de texte général sur les groupements. En effet, la question s’est longtemps posée de savoir si un tel statut général était nécessaire ou non (a) et il n’est pas certain que le législateur ait finalement apporté une réponse satisfaisante (b). 818 AUTIN Jean-Louis, RIBOT Catherine, Droit administratif général, Paris, Litec, 5e ed., 2007, p.93. - 281 - a. Le débat récurrent sur la nécessité d’un statut général 333. Les avis sont nettement partagés en ce domaine sur la nécessité ou non d’un texte de loi général sur les GIP. Ainsi, Florence Benoit-Rohmer estimait, dans un premier temps en 1986, que « si les groupements d’intérêt public peuvent prétendre à un avenir, ce n’est vraisemblablement qu’au prix de l’intervention d’une nouvelle loi plus générale dans ses ambitions et plus novatrice dans ses solutions ».819 Cependant, en 1992, le même auteur considère qu’« il ne faut pas se dissimuler les difficultés auxquelles se heurterait une telle entreprise appelée à régir de manière générale une matière devenue aussi proliférante que délicate ».820 Raymond Muzellec et Vinh Nguyen Quoc, dans leur ouvrage sur les groupements d’intérêt public, s’opposent eux aussi à l’adoption d’une loi qui instituerait un statut général du GIP. Pour eux, « une loi unique ferait disparaître la souplesse actuelle et génèrerait de véritables blocages en cas d’incompatibilité entre telle ou telle disposition et telle ou telle condition nécessaire de fonctionnement ».821 Reste à savoir de quel côté doit peser la balance, rationalité d’un côté ou souplesse de l’autre. Le Conseil d'État dans son rapport de 1997 sur les GIP a penché du côté de la rationalité et a proposé un avant projet de loi relatif à ces groupements.822 Cependant cette idée ne sera pas suivie. Les GIP ont donc continué à se développer en dehors de tout statut général commun, mais par référence récurrente à la loi de 1982 sur la recherche. Cette référence récurrente conduit alors à considérer le texte de 1982 comme un « standard ».823 Les interrogations continuent aujourd’hui d’exister. Ainsi, un auteur a pu commencer sa réflexion en considérant qu’« un statut, guidant le législateur et s’imposant au pouvoir réglementaire dans le but de maintenir une certaine cohésion au sein de cette nouvelle catégorie, paraît indispensable ».824 Il va cependant conclure que « le standard commun aux GIP permet l’expression d’une véritable diversité, à la mesure de la variété des domaines d’intervention des missions confiées aux groupements, démontrant alors l’inutilité de l’adoption d’un statut général qui risquerait de faire perdre à cette structure son principal avantage : la souplesse ».825 819 ROHMER-BENOIT Florence, « Les groupements d’intérêt public. Une nouvelle catégorie de personnes publiques », art. cit., p.676. 820 BENOIT-ROHMER Florence, « L’avenir des groupements d’intérêt public. Invitation à une réforme législative », art. cit., p.107. 821 MUZELLEC Raymond, NGUYEN QUOC Vinh, Les groupements d’intérêt public, op. cit., p.35. 822 Conseil d'État, Sct du rapport et des études, Les groupements d’intérêt public, op. cit., p.61 et s. 823 MUZELLEC Raymond, NGUYEN QUOC Vinh, Les groupements d’intérêt public, op. cit., p.38. 824 TINIÈRE Romain, « Eléments de définition d’un standard commun aux groupements d’intérêt public », art. cit., p.840. 825 Ibid., p.844. - 282 - Prenant l’occasion d’une loi de simplification du droit, le législateur a créé un statut juridique général de référence pour les groupements d’intérêt public. Seulement, malgré le titre évocateur de la loi, il n’est pas certain que le législateur ait simplifié les choses. b. L’exclusion de la MDPH de l’unification du statut des GIP 334. La loi de simplification du droit du 17 mai 2011826 a tenté de créer un statut général des GIP, mais le succès de ces dispositions semble d’ores et déjà compromis. En effet, « l’analyse de la loi révèle […] les limites de l’ambition législative ».827 Ce texte consacre son chapitre II au groupement d’intérêt public, mais si la clarification du statut des GIP semble bien être au rendez-vous dans les premières dispositions, l’analyse des dispositions transitoires et notamment de l’articulation entre ce texte et les anciennes dispositions relatives aux GIP particuliers s’avère plus compliquée. 335. En effet, la loi du 17 mai 2011 effectue plusieurs distinctions entre les GIP déjà existants. Ainsi, l’article 118 de la loi supprime tout simplement plusieurs dispositions législatives antérieures, notamment celles relatives au GIP recherche ou encore au GIP sport. En supprimant le fondement textuel originel de ces groupements, la loi du 17 mai 2011 devient à leur égard non seulement leur fondement textuel, mais précise également leur régime juridique. Pour d’autres GIP déjà existant, la loi se contente de supprimer la référence que leur fondement textuel faisait à la loi de 1982 pour y substituer les dispositions qu’elle met en place (art. 119, notamment I, II, III…). A l’égard de ces groupements, la loi du 17 mai 2011 ne modifie donc pas leur fondement textuel et se présente uniquement comme leur régime juridique. Pour d’autres catégories de GIP, la loi s’applique sous réserve des dispositions antérieurement adoptées par le législateur et particulières à chaque groupement (art. 119, notamment VI, VII). Enfin, certains groupements d’intérêt public sont tout simplement exclus de l’application de ce texte, tel est le cas notamment de la MDPH (art. 121), tout en conservant leur appellation de GIP. Cette exclusion des MDPH du droit commun des GIP était prévu dès la proposition de loi déposée par Jean-Luc Warsmann. 828 Cette question ne soulèvera aucun débat particulier. Le législateur de 2011 semble n’avoir pas tenu compte des recommandation du Conseil d'État pour qui « il semble indispensable de limiter 826 Loi n°2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, JORF, 18 mai 2011, p.8537. 827 JANICOT Laetitia, « La rationalisation manquée des groupements d’intérêt public », art. cit., p.1194. 828 Art. 81, Proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, Assemblée nationale, n°1890, 2009. - 283 - l’appellation groupement d’intérêt public aux groupements qui seront soumis aux dispositions de la loi ».829 La loi de simplification du droit de mai 2011, malgré son titre, semble ne pas avoir réussi à rationaliser cette catégorie de GIP. Elle ne fait finalement qu’ajouter de la confusion à un domaine qui en connaissait déjà assez. « Les règles applicables aux GIP apparaissent ainsi, après la loi n°2011-525, tout aussi multiples qu’auparavant, si ce n’est d’avantage ».830 336. De plus, en arrêtant un certain nombre de règles concernant les GIP, le législateur limite d’autant la liberté contractuelle des partenaires membres du groupement. Nous l’avons déjà évoqué, l’un des intérêts du recours au GIP est la souplesse de ce type d’organisation, souplesse liée à la nature contractuelle du groupement. En instituant un régime juridique défini et très encadré par la loi, le législateur a diminué d’autant cette souplesse. Ce texte ne fait finalement qu’ajouter un peu plus au « désordre »831 de la catégorie GIP. 337. Dès lors, il paraît compliqué d’étendre de manière totalement abstraite le recours à ce type d’organisation dans le cadre de la désignation d’une collectivité chef de file. La MDPH ne représente qu’un exemple ponctuel, dont la généralisation n’est pas nécessairement souhaitable en l’état actuel de la législation. D’ailleurs, il est intéressant de relever que, malgré son appellation de GIP dans le CASF832, la MDPH ne remplit pas l’ensemble des critères d’identification mis au jour par le Conseil d'État dans son rapport de 1997. Le Conseil d'État indique notamment que l’un des principes qui régit la composition d’un groupement est le principe de liberté.833 Les membres d’un GIP doivent décider d’y participer librement et volontairement, cette liberté se manifeste au travers de la convention de création du groupement dont le contenu est librement discuté. Or, pour la MDPH, ce principe de volontariat n’existe pas puisque certaines personnes publiques en sont membres de droit, elles sont donc obligées de faire partie du groupement. « Il n’y a en effet dans ces groupements aucun affectio societatis ».834 La coordination de l’action commune ne semble donc pas être l’objet premier pour lequel un GIP doit être créé. Cette conclusion est renforcée par le fait que le GIP n’est pas en principe une structure pérenne, alors que le chef de file a besoin d’une grande stabilité. 829 Conseil d'État, Section du rapport et des études, Les groupements d’intérêt public, op. cit., p.54. JANICOT Laetitia, « La rationalisation manquée des groupements d’intérêt public », art. cit., p.1196. 831 Ibid., p.1200. 832 Art. L.146-4, al. 1er du CASF. 833 Conseil d'État, Sct du rapport et des études, Les groupements d’intérêt public, op. cit., p.32. 834 JANICOT Laetitia, « La rationalisation manquée des groupements d’intérêt public », art. cit., p.1196. 830 - 284 - 2. L’impossible coordination par une structure temporaire 338. Le GIP est en principe prévu pour avoir une durée de vie limitée. En effet, les premiers textes instituant des GIP indiquent tous clairement que la structure doit avoir un caractère temporaire. Peu à peu cette référence a disparu d’un certain nombre de dispositions instituant des groupements. « En réalité, les GIP ont tendance à s’intégrer de plus en plus durablement dans le paysage administratif français et ils sont dotés de compétences qui supposent une certaine permanence ».835 La création de la MDPH par la loi de 2005 abonde dans le sens de cette analyse puisque cette structure semble avoir un caractère pérenne. D’ailleurs, la coordination de l’action commune suppose une structure stable et pérenne. On peut à cet effet citer l’État qui coordonne ses propres politiques sociales territoriales au moyen d’un établissement public, l’agence régionale de santé. Or le GIP n’était pas au départ pensé comme une institution pérenne. « Lorsque le caractère d’une coopération entre collectivités publiques, son mode de financement, exigent la création d’une personne morale autonome, le choix de la structure de groupement d’intérêt public devrait donc être subsidiaire par rapport aux autres structures de droit public ».836 Ainsi, le recours au groupement d’intérêt public peut être le support d’une action commune, mais non pour l’exercice d’une compétence, seulement pour la conduite d’un projet. « Le caractère limité de la durée est très lié à la vocation du groupements d’intérêt public : celui-ci est conçu pour regrouper des structures existantes qui veulent accomplir ensemble un projet, mettre leurs moyens en commun, non pas pour l’éternité, mais dans un but défini et lui-même délimité dans le temps ».837 La loi de mai 2011 va à l’encontre de cette lecture. Elle dispose, en son article 99, que la convention de constitution du groupement précise « la durée, déterminée ou indéterminée » d’existence du groupement. Le député Etienne Blanc s’est toutefois interrogé dans son rapport sur ce caractère pérenne de certains GIP, parmi lesquels la MDPH.838 Il a estimé nécessaire qu’une autre réflexion soit « menée pour unifier également les statuts des groupements pérennes ».839 L’analyse du Conseil d'État n’a donc pas été retenue, le GIP peut être institué de façon pérenne. Il n’est pas certain qu’il faille y voir une avancée. En effet, le recours au groupement d’intérêt public devrait rester quelque chose de temporaire au risque de ne devenir qu’une forme supplémentaire d’établissement public. 835 AUTIN Jean-Louis, RIBOT Catherine, Droit administratif général, op. cit., p.94. Conseil d'État, Sct du rapport et des études, Les groupements d’intérêt public, op. cit., p.31. 837 Ibid., p.35. 838 La loi de 2011 sur les MDPH a d’ailleurs confirmé le caractère pérenne de ce groupement particulier. 839 BLANC Etienne, Rapport sur la proposition de loi de M. Jean-Luc Warsmann de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, Assemblée nationale, n°2095-I, 2009, p.251 836 - 285 - Enfin, le recours à un groupement d’intérêt public nous paraît à contre-courant de la volonté actuelle de rationaliser les structures administratives. Le GIP n’est pas un nouveau niveau de collectivité locale, mais il est une structure supplémentaire qui se surajoute au « millefeuille administratif ». D’ailleurs, les évolutions introduites par la loi de mai 2011 de simplification du droit conduisent sur certains aspects à gommer la différence entre le GIP, structure souple et temporaire, et l’établissement public structure définitive et beaucoup plus lourde à organiser. - 286 - Conclusion Chapitre 1er 339. Depuis les premières lois de décentralisation, le département est le « grand gagnant » des transferts de compétences en matière d’action sociale. A l’État-providence succède peu à peu un département-providence, dont le rôle devient ainsi essentiel dans le maintien de la cohésion sociale. Reste enfin que l’ensemble de ces transferts de compétences, s’ils sont observés a contrario, peuvent apparaître comme un important retour en arrière. En effet, il y a un risque non négligeable que ces transferts de compétences ne masquent un désengagement progressif de l’État, face à un domaine d’action qui a un coût important. « Le transfert du RMI aux départements, l’invention du RMA et la désignation des présidents de conseils généraux comme chefs de file de l’action sociale ne sont pas de simple mesures techniques. Elles signent la fin d’une ardente obligation de solidarité nationale, dont l’État restait constitutionnellement le garant ».840 Les transferts de compétences en matière d’action sociale au département illustrent parfaitement l’ambiguïté portée par la décentralisation. Celle-ci doit nécessairement être questionnée en permanence pour savoir si l’affichage d’une plus grande liberté, d’une plus grande autonomie des collectivités territoriales ne cache pas dans les faits simplement un désengagement de l’État, une méthode pour réaliser des économies. Le professeur Lafore résume cette situation de manière encore plus lapidaire : « Au national, la protection des personnes insérées, au local les inadaptés et les exclus ».841 Cela induit deux risques, d’une part pour les usagers, la fin d’un traitement égal sur l’ensemble du territoire, d’autre part pour les conseil généraux, une gestion financière de cette action très lourde. Or force est de constater que la crise économique, par un effet domino pervers, conduit le nombre de bénéficiaires de l’aide et de l’action sociales à augmenter, tandis que les recettes du département pour assurer ces compétences diminuent. Il n’est donc pas certain que la désignation du département comme chef de file de l’action sociale soit finalement à l’avantage des conseils généraux. Il est nécessaire toutefois de relever l’ambivalence de l’État. S’il décentralise une part importante de l’action sociale, il renforce ses interventions dans le domaine médico-social au travers de l’ARS. Cette coexistence de plusieurs administrations sur des domaines de compétences proches est d’autant plus dangereuse que ces politiques publiques s’adressent à 840 CHAUVIÈRE Michel, « Une administration pour l’action sociale : de l’émancipation au dépérissement », in BORGETTO Michel, CHAUVIÈRE Michel (dir.), Qui gouverne le social ?, op. cit., p.67. 841 LAFORE Robert, « L’acte II de la décentralisation et l’action sociale », art. cit., p.16. - 287 - des publics fragiles. Les bénéficiaires des politiques sociales sont déjà dans une forme de fracture avec le reste de la société – fracture économique, fracture intellectuelle, fracture culturelle. Or les confronter à des adminsitrations elles-mêmes dispersées ne peut que conduire selon nous à agrandir la fracture dont ils sont déjà victimes. Dès lors, le retour de l’État dans la politique sociale, au travers d’un certain nombre de schémas, ne nous semble pas une bonne chose, d’autant plus que le cadre territorial de l’action sociale étatique est la région, alors que l’action sociale décentralisée est assurée par le département. L’accès à l’administration sociale par un public déjà fragilisé socialement nous semble donc très compliqué. Toute évolution de ces administrations devrait être guidée par cet objectif d’accessibilité – dans tous les sens du terme – de leurs usagers. La compréhension de l’action locale par le citoyen devrait être une ligne de conduite pour les collectivités territoriales lorsqu’elles mettent en œuvre une action partagée. Cette idée est d’ailleurs confirmée lorsque l’on analyse les cas où l’action commune est organisée par la collectivité régionale. - 288 - Chapitre 2 La région, un chef de file contrarié 340. La région est la plus « jeune » de nos collectivités territoriales. D’abord créée sous la forme d’un établissement public en 1972842, l’Acte I de la décentralisation l’a transformée en collectivité territoriale de plein exercice. Puis la révision constitutionnelle de mars 2003 a consacré son existence aux côtés des autres collectivités territoriales dans notre norme fondamentale. Les compétences de la collectivité régionale n’ont cessé de s’accroître depuis les années 1980. Parallèlement à ces compétences, c’est la place de la région dans l’architecture décentralisée française qui a évolué. « La région s’est affirmée au sein de la pyramide administrative, elle est devenue un interlocuteur incontournable ».843 341. Ainsi, il pourrait sembler naturel de désigner la région comme chef de file. Son positionnement en fait la collectivité la mieux à même d’avoir suffisamment de recul pour pouvoir coordonner, harmoniser les actions locales. En effet, la région en tant que superstructure placée au dessus des autres collectivités territoriales pourrait avoir vocation à devenir une sorte de chef de file universel. « De façon générale, parce qu’elle intègre toutes les autres collectivités sur son territoire, elle est naturellement désignée comme lieu de mise en cohérence de l’ensemble des politiques ».844 Cependant, la Constitution interdit la tutelle d’une collectivité sur une autre et la fonction de chef de file n’est prévue que pour « l’exercice d’une compétence ». Dès lors, le législateur n’a pu consacrer la région comme chef de file qu’à l’égard de certaines matières. Dans les faits, il s’agit de l’action économique, d’une part, et de la formation professionnelle, d’autre part. Ce sont là deux domaines d’action dans lesquels la région disposait déjà d’importants pouvoirs, avant même la loi du 13 août 2004. Comme pour le département en matière d’action sociale, le choix de la région comme chef de file semble relever d’un accord largement partagé. En effet, ces domaines d’action sont « leurs fonctions traditionnelles ».845 342. Plutôt que de présenter chaque domaine de compétence de la région chef de file séparément, il semble plus intéressant d’en faire une présentation parallèle. Il apparaît, en 842 Loi n°72-619 du 5 juillet 1972 portant création et organisation des régions, JORF, 9 juillet 1972, p.7176. BECET Jean-Marie, « Collectivité régionale et aménagement du littoral (Recherche sur la nature des compétences régionales) », in Les collectivités locales. Mélanges en l’honneur de Jacques Moreau, Paris, Economica, 2003, p.14. 844 FAURE Bertrand, Droit des collectivités territoriales, op. cit., p.519. 845 BOUZOU Nicolas, « Renforçons le rôle économique des régions. La décentralisation est un gage d’efficacité », Le Monde, 25 février 2010, p.18. 843 - 289 - effet, que les mêmes raisons ont conduit à désigner la région comme chef de file en ces domaines. Elle dispose d’ailleurs du même type de pouvoirs en apparence dans les deux cas. Dans les faits, il y a une distinction à faire entre ses pouvoirs en matière économique et ses pouvoirs en matière de formation professionnelle. Il nous semble important également de présenter les limites que rencontre la région dans l’exercice de son rôle de chef de file. En effet la région, malgré sa vocation à être chef de file, est freinée dans sa capacité à le devenir, dans ses mises en œuvre. « Ainsi si la qualité de chef de file semble échoir « naturellement » à la région au regard de son rôle prépondérant en matière d’aménagement et d’intervention économique, le législateur fait en sorte que cette fonction soit partagée entre les différentes catégories de collectivités selon les circonstances ».846 En matière d’action économique, il est ainsi difficile d’imposer la prééminence de la région sur les autres collectivités territoriales. Ce foisonnement d’acteurs existe, également, dans le domaine de la formation professionnelle, ce qui rend la tâche du chef de file plus ardue. Ces limites sont liées à un même ensemble de considérations qui conduit à craindre la montée en puissance de la région. Il s’agira donc d’analyser dans un premier temps la désignation de la région comme chef de file (Section 1), pour aborder ensuite les limites de l’action régionale (Section 2). 846 TESOKA Laurent, Les rapports entre catégories de collectivités territoriales, op. cit., p.396. - 290 - Section 1. Un chef de file aux pouvoirs limités 343. La région dispose d’une place spécifique dans l’architecture décentralisée française. Elle est l’étage administratif intermédiaire entre la gestion locale assurée par les départements et les communes et la gestion nationale. « Agissant à une échelle plus réduite, les régions peuvent mieux que les entités nationales plus étendues coordonner leurs efforts de planification et faire preuve de flexibilité, afin d’apporter des solutions nouvelles aux problèmes quotidiens ».847 Ce positionnement lui permet également de considérer les problèmes locaux avec une approche plus globale. L’existence de cet échelon intermédiaire est un moyen de favoriser le principe de subsidiarité : tous les problèmes locaux qui ne peuvent être résolus par la commune ou le département, ne doivent pas pour autant être confiés à l’État central. Dans le domaine de l’action économique comme dans le domaine de la formation professionnelle, la collectivité régionale est, depuis les premières grandes lois de décentralisation des années 1980, un acteur majeur. Elle « constitue l’institution-pivot dans la mise en œuvre de la décentralisation »848 de ces matières. C’est en se référant à ce rôle clef de la région en ces domaines depuis de nombreuses années, que le législateur a consacré la région comme chef de file (§1). Pour l’exercice de ces missions de chef de file, la loi confie à la région de nouveaux pouvoirs. Ces nouveaux pouvoirs doivent permettre à la région d’assumer au mieux son rôle de chef de file. Ils ressemblent largement à ceux que la loi a accordés aux départements pour l’exercice de leur rôle de chef de file. Toutefois, ces pouvoirs semblent moins affirmés s’agissant de la région (§2). §1. Le classicisme du législateur dans la désignation de la région comme chef de file Le développement économique et la formation professionnelle font partie des compétences historiques de la région. Elles ont été largement décentralisées au profit de la région dans les années 1980, même avant pour la compétence économique dans le cadre de l’établissement public régional. Ce n’est donc pas le fruit du hasard si le législateur en 2004 a confié à la région le rôle de chef de file en ces domaines. En matière de formation 847 CEDEFOP (Centre Européen pour le Développement de la Formation Professionnelle), La région apprenante, Luxembourg, Office des publications officielles des Communautés européennes, 2003, p.1. 848 MAGGI-GERMAIN Nicole, « La territorialisation du droit : l’exemple des politiques de l’emploi et de la formation professionnelle continue », Droit et Société, 2008, n°69-70, p.459. - 291 - professionnelle, la région avait déjà peu à peu acquis la maîtrise de l’ensemble de la compétence (A). S’agissant du développement économique, la compétence semble être l’une des raisons de l’existence de la région. D’ailleurs cette collectivité était déjà désignée comme chef de file de cette compétence avant même la loi relative aux libertés et responsabilités locales (B). A. La formation professionnelle, d’une compétence sectorielle à une maîtrise totale du champ d’action 344. La compétence du cadre régional en matière de formation professionnelle est en réalité à chercher bien avant la décentralisation. En effet l’État avait déjà transféré des pouvoirs en matière de formation à la circonscription régionale dans le cadre de ses politiques de déconcentration.849 La loi de répartition de compétences de 1983 a en partie transféré cette politique à la région, nouvellement consacrée comme collectivité territoriale. La loi de 1993 relative au travail, à l’emploi et à la formation professionnelle a fait de la région un acteur réellement majeur de ce domaine de compétence. Enfin, la loi de 2004 vient parachever cette évolution. « La légitimité de l’espace régional comme territoire de référence pour la mise en place des actions de formation apparaît se renforcer sans cesse ».850 La compétence relative à la formation professionnelle a ainsi été confiée à la région peu à peu (1). Cependant, l’acte II de la décentralisation a été une véritable évolution puisque la région est devenue pleinement compétente en matière de formation professionnelle (2). 1. La décentralisation progressive de la formation professionnelle Lors de l’Acte I de la décentralisation, le législateur a attribué à la région une compétence en matière de formation professionnelle. Seulement cette compétence s’arrête en 1983 à la mise en œuvre des actions de formation professionnelle (a). En 1993, la région obtient un peu plus de pouvoirs, puisque lui sont confiées la définition et la mise en œuvre de la politique de formation professionnelle des jeunes de moins de 26 ans (b). 849 Pour un historique plus complet sur l’action déconcentrée en matière de formation professionnelle, v. VINET Louis, La politique de formation professionnelle et de l’apprentissage et la région : Exemple des Pays de la Loire, Mémoire Maîtrise dactylographié, Angers, 2003, p.25. 850 BERTHET Thierry, BARBOSA Célia, « Espace régional et territorialisation des politiques de formation » in BERTHET Thierry (dir.), Les régions et la formation professionnelle, Paris, LGDJ, coll. Décentralisation et développement local, 1999, p.133. - 292 - a. La formation professionnelle dans l’Acte I de la décentralisation 345. La loi du 7 janvier 1983 de répartition de compétences851 accorde à la région une compétence de droit commun en matière de formation professionnelle. Cette matière est d’ailleurs pour beaucoup d’auteurs le seul véritable transfert de compétence de l’État à une collectivité territoriale de cette loi, avec les transferts aux départements de l’action sociale, des collèges et des transports scolaires. L’article 82 du texte disposait en effet que « la région assure la mise en œuvre des actions d’apprentissage et de formation professionnelle continue ». La région n’est donc compétente que pour les actions de formation vers les publics déjà entrés dans la vie active, et non pour la formation professionnelle initiale. Surtout, la région ne dispose ici que d’une compétence pour mettre en œuvre et non pour décider elle-même de la politique de formation professionnelle continue. La décentralisation de cette compétence peut se justifier notamment par le fait qu’elle a un lien très fort avec le développement économique du territoire, compétence elle aussi transférée à la région par les lois de l’Acte I de la décentralisation. Toutefois l’État continuait de bénéficier de certaines compétences en matière de formation professionnelle énumérées dans le reste de l’article 82. Ainsi, l’État demeurait compétent, après avis de la région, pour les formations organisées par des organismes de formations intervenant sur plusieurs régions ou alors pour les formations destinées à des personnes provenant de diverses régions. « La volonté et le style du législateur »852 de 1983 laissaient présager un véritable redéploiement de la compétence formation professionnelle au profit de la région. 346. Il est même possible de considérer que le législateur de 1983 faisait office de précurseur. En effet, l’article 84 de la loi Defferre dispose que « chaque région arrête annuellement un programme régional d’apprentissage et de formation professionnelle continue ». Ce plan régional de développement des formations professionnelles (PRDF) n’est pas sans rappeler ce que nous avons évoqué précédemment concernant les schémas de coordination et leur rôle dans la mise en œuvre de la fonction de chef de file. Ainsi, on ne peut qu’être d’accord avec Didier Gelot lorsqu’il avance que « le PRDF, tel que dessiné à 851 Loi n°83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l’État, précit. Spec. art. 82 à 86. 852 RÉMOND Bruno, BLANC Jacques, Les collectivités locales, Paris, Presses de la fondation nationale des sciences politiques et Dalloz, 2e ed., 1992, p.169 - 293 - l’époque, anticipe sur un positionnement plus affirmé du conseil régional comme acteur pivot de la mise en œuvre de la formation professionnelle ».853 347. Le système inauguré par la loi du 7 janvier 1983 conduit nécessairement à des interventions multiples. « La loi institue donc en réalité un régime de compétences parallèles entre l’État et la région ».854 En effet, malgré la décentralisation d’une partie de la formation professionnelle, l’État demeure encore compétent sur certains éléments, notamment la formation professionnelle initiale. De plus, la région n’est pas totalement libre puisque son plan de développement des formations professionnelles doit être conforme aux orientations fixées dans le plan de la nation.855 « La coordination est à l’évidence nécessaire. Dès lors qu’un domaine d’activité fait l’objet d’une répartition de compétences entre deux autorités, il existe un risque de désaccord, voire d’opposition, entre les politiques de ces autorités ».856 348. La loi de 1983 institue des organismes pour veiller à la cohérence de l’action régionale et de l’action nationale. Il s’agit, d’une part, du comité régional de la formation professionnelle, évoqué à l’article 84 de la loi, et qui donne son avis sur le programme régional de formation professionnelle. En réalité, ces comités régionaux préexistaient, mais la loi de 1983 renforce leurs attributions puisqu’ils sont désormais saisis de toutes les orientations décidées par des personnes publiques en matière d’apprentissage et de formation professionnelle sur le territoire régional. D’autre part, cette même disposition, institue un comité de coordination des programmes régionaux d’apprentissage et de formation professionnelle. Ce comité est placé auprès du Premier ministre. Il est composé pour un tiers de représentants de l’État, pour un tiers de représentants élus des conseils régionaux et enfin pour un tiers des représentants des organisations syndicales et professionnelles. Le conseil régional n’est donc pas totalement libre de sa politique, puisque c’est un organe centralisé qui est chargé d’assurer la cohérence entre les différentes politiques locales et nationales. Le rôle du comité national de coordination est notamment de veiller « à assurer une égalité de chances d’accès à l’apprentissage et à la formation professionnelle continue pour tous les intéressés quelle que soit la région considérée ».857 Dans la tradition centralisatrice française, ce comité de coordination effectue une action descendante, à savoir qu’il s’assure de la 853 GELOT Didier, « 1983-2003 : 20 ans de décentralisation de la formation professionnelle continue. Quel bilan au seuil d’une nouvelle réforme ? », Droit social, 2004, n°2, p.187. 854 DOUENCE Jean-Claude, « La décentralisation du système éducatif », in MODERNE Franck (dir.), Les nouvelles compétences locales, Paris, Economica, coll. collectivités territoriales, 1985, p.211. 855 Art. 84 de la loi n°83-8 du 7 janvier 1983 : « Ce programme est établi dans le respect des normes et des critères fixés par la loi portant approbation du plan de la nation ». 856 PONTIER Jean-Marie, La région, Paris, Dalloz, coll. Extrait de collectivités locales, 2e ed., 1998, p.234. 857 Art. 84, Loi n°83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l’État, précit. - 294 - cohérence des différents programmes régionaux avec le programme national. A aucun moment à travers cette disposition, les conseils régionaux n’ont la capacité d’influencer, de faire modifier les actions définies par le gouvernement. « N’organisant pas la participation des régions à l’élaboration de la politique gouvernementale, la loi instaure plutôt une hiérarchisation souple qu’une concertation égalitaire ».858 Il n’est donc pas possible de considérer que le conseil régional est un chef de file sur la 349. compétence formation professionnelle dès 1983, puisque l’État dispose encore d’importants pouvoirs. Ainsi, pour le professeur Douence, « le bilan a été décevant. La compétence générale des régions proclamée en 1983 a été très vite battue en brèche par un retour en force de l’État. Il s’agit sans doute du seul secteur dans lequel on constate un recul effectif des collectivités territoriales quelques années après le transfert de compétences ». 859 L’enchevêtrement des compétences est en matière de formation professionnelle particulièrement sensible. En effet, si la compétence a été en partie décentralisée, l’État a conservé pour sa part la compétence de la définition des politiques de l’emploi. Or les deux sont nécessairement liées, d’autant plus en des périodes où l’une des préoccupations premières des acteurs publics est la lutte contre le chômage. Si l’Acte I de la décentralisation fait de la région un intervenant important en matière de formation professionnelle, sa compétence est encore limitée car elle ne procède pas à la définition de sa propre politique. La loi Quinquennale de 1993 a permis à la région, au contraire, de développer sa propre politique, mais pour un public limité. b. La décentralisation de la formation professionnelle continue des jeunes des moins de vingt-six ans par la loi Quinquennale de 1993 Les pouvoirs de la région sont renforcés par la loi quinquennale du 20 décembre 350. 860 1993. Ce texte dispose que « la région reçoit compétence pour organiser les actions de formation professionnelle continue financées antérieurement par l’État au titre des orientations prioritaires de l’article L.910-2 du code du travail lorsque ces actions sont 858 DOUENCE Jean-Claude, « La décentralisation du système éducatif », in MODERNE Franck (dir.), Les nouvelles compétences locales, op. cit., p.214. 859 DOUENCE Jean-Claude, « Les transferts de compétences en matière de formation professionnelle », Annuaire des collectivités locales, 2004, p.119. 860 Loi n°93-1313 du 20 décembre 1993 quinquennale relative au travail, à l’emploi et à la formation professionnelle, JORF, 21 décembre 1993, p.17769. - 295 - destinées aux jeunes de moins de vingt-six ans en vue de leur permettre d’acquérir une qualification ».861 Cette compétence sera élargie à l’issue d’un délai de 5 ans à l’ensemble de la formation professionnelle continue en faveur des jeunes de moins de 26 ans.862 Ce transfert se réalise de manière progressive. La région devient ainsi compétente en matière de formation professionnelle pour tous les jeunes de moins de 26 ans. Ce texte précise également le contenu du plan régional de développement des formations professionnelles des jeunes. L’article 52 de la loi dispose que « ce plan a pour objet la programmation à moyen terme des réponses aux besoins de formation, permettant un développement cohérent de l’ensemble des filières de formation et prenant en compte les réalités économiques régionales et les besoins des jeunes, de manière à leur assurer les meilleures chances d’accès à l’emploi ». Le champ d’action de la région est donc élargi. Elle dispose désormais d’une véritable compétence pour arrêter sa propre politique de la formation professionnelle en faveur des jeunes. A travers l’objectif de programmation du plan régional, la région apparaît comme bénéficiant d’une compétence de coordination de l’action en matière de formation professionnelle pour les jeunes. En effet, le texte précise que le plan régional de développement des formations professionnelles des jeunes a pour objectif de permettre un développement cohérent de l’offre de formation en faveur des jeunes. Or, pour assurer cette cohérence, il est nécessaire que la région puisse coordonner les actions des différents intervenants. « La région, en tant qu’institution publique disposant d’un conseil régional élu, s’est vu reconnaître la fonction de coordination des interventions en matière de formation professionnelle initiale et continue, sans pour autant que son pouvoir s’étende à l’ensemble des dispositifs de formation. La région joue un rôle d’animation et de coordination visant à donner plus de cohérence aux interventions publiques ».863 Sans être clairement désignée comme chef de file de la formation professionnelle continue en faveur des jeunes, la région est mise en position de pouvoir coordonner les interventions publiques dans ce domaine de compétence. 351. L’importance de la région, si elle se fait grandissante, demeure toutefois limitée par le rôle conservé par l’État. Ainsi, la gestion de la formation professionnelle n’est pas un bloc de compétence au profit de la région. L’État bénéficie encore d’importantes attributions en 861 Art. 49 – B, Loi n°93-1313 du 20 décembre 1993 quinquennale relative au travail, à l’emploi et à la formation professionnelle, précit. 862 Idem. 863 RICHARD Antoine, « Avantages et inconvénients de l’approche région apprenante », in CEDEFOP, La région apprenante, op. cit., p.35. - 296 - matière de formation professionnelle. L’État bénéficie encore en 1993 de la compétence relative à la formation professionnelle pour les adultes, compétence qu’il exerce au travers de l’association pour la formation professionnelle des adultes (AFPA). « Mais surtout, il conserve le pouvoir de définition du cadre juridique des formations, du contenu pédagogique, de la définition des relations entre partenaires sociaux, et du contrôle de la formation ».864 De même, la part financière de la région dans les actions de formation professionnelle a fortement augmenté au cours de la décennie 1983-1993. La région est ainsi devenue le troisième bailleur de fonds de la formation professionnelle. Ces financements restent cependant loin derrière ceux de l’État.865 Cela illustre parfaitement, nous semble-t-il, la place que conservent les services centraux. La formation professionnelle et l’apprentissage représentent tout de même aujourd’hui le troisième poste de dépenses des régions qui y consacrent 18,5% de leur budget.866 352. La loi Quinquennale de 1993 n’est finalement qu’une étape transitoire, la région n’est pas encore le chef de file que l’on connaît aujourd’hui. De plus, l’importance des pouvoirs conservés par l’État dans ce domaine conduit à nuancer finalement le rôle de la région. A tel point que pour certains auteurs « la réaffirmation périodique du principe n’ajoute rien à l’état du droit, sauf à souligner que le principe est resté jusqu’à présent plus virtuel qu’effectif ».867 La décentralisation de la compétence en matière de formation professionnelle est de nouveau affirmée au début des années 2000. Le législateur avançant toujours par touches successives a d’abord confié la responsabilité de la formation professionnelle dans son ensemble à la région, puis en a fait le chef de file. 864 GELOT Didier, « 1983-2003 : 20 ans de décentralisation de la formation professionnelle continue. Quel bilan au seuil d’une nouvelle réforme ? », art. cit., p.188. 865 « La croissance des moyens financiers de l’État en ce domaine a été supérieure […], à celle de ceux affectés par les régions au financement de la formation professionnelle : en conséquences, alors que les dépenses des régions (3,1 milliards de francs) représentaient 25% des crédits de l’État (12,6 milliards de francs) en 1984, elles plafonnaient à 15% en 1993 (7,6 milliards de francs par rapport à 49,8 milliards de francs pour l’État) ». RÉMOND Bruno, La région : Une unité politique d’avenir, Paris, Montchrestien, 2e ed., 1995, p.126. « La traduction financière de cette implication étatique est révélatrice, puisqu’en 2002 l’État continuait de gérer les quatre cinquièmes des crédits publics de formation professionnelle ». TULARD Marie-José, La région, op. cit., p.85. 866 Observatoire des finances locales, Les finances des collectivités locales en 2011, op. cit., p.80 867 DOUENCE Jean-Claude, « Les transferts de compétence en matière de formation professionnelle », art. cit., p.120. - 297 - 2. La décentralisation de l’ensemble de la formation professionnelle 353. Il faudra attendre pratiquement dix ans et la loi de 2002 relative à la démocratie de proximité868 pour que la région se voie confier l’ensemble de la formation professionnelle, pour les jeunes et pour les adultes. L’article 108 du texte étend, en effet, le plan régional de développement des formations professionnelles « en matière de formation professionnelle des jeunes et des adultes ». Le plan est élaboré par le conseil régional, en concertation avec l’État. Son adoption est également de la compétence du conseil régional après consultation des personnes et organismes intéressés sur le territoire régional, parmi lesquels les conseils généraux. Il est toutefois nécessaire de relever ici que la loi relative à la démocratie de proximité ne contenait pas dans le projet initial de transfert de compétences. C’est le débat parlementaire qui a ajouté un chapitre dans le titre III de cette loi relatif aux compétences locales dans lequel un certain nombre de transferts de compétences est effectué. C’est le gouvernement lui-même qui est à l’origine de cette modification présentée devant la commission des lois de l’Assemblée nationale, par Daniel Vaillant alors ministre de l’Intérieur. La disposition relative au plan régional de développement des formations professionnelles fut adjointe au texte au moment de l’étude du projet de loi par la commission. C’est d’ailleurs le gouvernement lui-même qui a présenté cet amendement, « qui s’inspire d’une mesure analogue figurant dans le projet de loi relatif à la Corse ».869 354. Enfin, la dernière étape est marquée par la loi du 13 août 2004 qui consacre la région véritablement comme chef de file, « comme la maître des horloges »870 en matière d’apprentissage et de formation professionnelle. L’article 8 de la loi dispose, en effet, que « la région définit et met en œuvre la politique régionale d’apprentissage et de formation professionnelle des jeunes et des adultes à la recherche d’un emploi ou d’une nouvelle orientation professionnelle ». La loi libertés et responsabilités locales fait donc de la région la pièce maîtresse de la formation professionnelle dans son ensemble. L’exposé des motifs du projet de loi indique que « cette clarification des compétences [doit] contribuer à renforcer la cohérence de l’action publique et à améliorer la collaboration au niveau régional entre l’État et la région, chargés chacun pour son domaine de compétences respectif d’assurer une 868 Loi n°2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, précit. DEROSIER Bernard, Rapport sur le projet de loi relatif à la démocratie de proximité, Assemblée nationale, n°3113, 2001, p.177. 870 FRIER Pierre-Laurent, « Les transferts de compétences dans les secteurs de la formation professionnelle, de l’éducation et de la culture », AJDA, 2004, p.1987. 869 - 298 - meilleure relation entre l’emploi et la formation ». L’État ne conserve pour sa part que la formation des publics dits spécifiques (détenus, demandeurs d’asile, Français établis hors de France). La loi relative aux libertés et responsabilités locales propose donc une clarification du champ de compétence de la formation professionnelle, la région étant désormais seule habilitée à définir la politique d’apprentissage et de formation professionnelle sur son territoire, les interventions que l’État continuait parallèlement d’entreprendre en ce domaine devraient être limitées, voire même inexistantes. 355. Afin d’assurer l’effectivité de cette nouvelle charge, la région se voit confier les moyens financiers qui étaient auparavant consacrés par l’État à l’AFPA. En effet, l’État en s’appuyant sur l’AFPA développait ses propres offres de formations en faveur des demandeurs d’emploi. L’ensemble de la formation professionnelle des personnes « à la recherche d’un emploi ou d’une nouvelle orientation professionnelle » est désormais de la compétence de la région. L’État doit donc transférer, à la région, les crédits qu’il destinait auparavant à ses propres actions. L’association nationale pour la formation professionnelle des adultes demeure, cependant, une personne morale indépendante. Elle n’est pas mise sous la tutelle ou dans le giron de la région du fait de la décentralisation. La question avait été soulevée lors des débats, mais les parlementaires s’étaient opposés au morcellement de l’AFPA dans les régions. « Il convient d’insister sur le fait que sont transférés les crédits de la commande publique à l’AFPA, et non l’AFPA elle-même. [Depuis 2008], les régions [peuvent] utiliser ces crédits pour toute commande de formation auprès de l’organisme public ou privé de leur choix. Il ne s’agit pas d’une régionalisation de l’AFPA ».871 Le conseil régional, en tant que responsable de la formation professionnelle, devient en réalité le nouveau bailleur de fonds de l’AFPA en lieu et place de l’État. Ce transfert de compétence avait d’ailleurs à l’époque beaucoup inquiété les personnels de l’AFPA qui craignaient que les régions utilisent les crédits transférés avec d’autres organismes de formation. En effet, le domaine de la formation professionnelle est un domaine concurrentiel. L’AFPA n’est pas le seul organisme à proposer une offre de formation professionnelle. Dès lors, lorsque la région en accord avec son plan de développement des formations professionnelle décide d’élaborer une formation, elle organise un appel d’offre. Cet appel d’offre l’AFPA n’est pas sûre de l’emporter puisque d’autres associations ou entreprises privées peuvent également soumissionner. Cette modalité d’organisation a nécessairement réduit les cas d’intervention de l’Association pour la formation professionnelle des adultes et donc, mécaniquement, ses 871 KAROUTCHI Roger, Rapport d’information sur la décentralisation de la formation professionnelle et de l’apprentissage, Sénat, n°455, 2005, p.28. - 299 - financements. « Les performances de l’AFPA étant inégales d’une région à l’autre, l’AFPA devra relever un défi redoutable, à savoir la survie de certains de ses centres, qui auront beaucoup de mal à fonctionner convenablement sans subvention garantie ».872 Comme nous l’avions déjà vu précédemment pour le département, le choix de la région comme chef de file en matière de formation professionnelle n’est nullement lié au hasard. Si le législateur a désigné la région en ce domaine, c’est qu’elle disposait déjà d’un positionnement clef en la matière. La place prépondérante de la région depuis la première grande vague de décentralisation dans les années 1980 en a « naturellement » fait le chef de file de la formation professionnelle. En matière de développement économique, la présentation se révèle similaire. B. Le développement économique, une compétence phare de la région 356. La région bénéficie depuis qu’elle existe d’un rôle incontournable en matière de développement économique de son territoire. « Il est incontestable que la région joue, en matière d’aménagement du territoire, un rôle de chef de file depuis plusieurs années ».873Ainsi, avant même la consécration de la fonction de chef de file dans la Constitution en 2003, il est possible de considérer que la région avait déjà un rôle de coordination en matière de développement économique. Il convient ainsi d’étudier l’émergence de la compétence économique comme l’action phare de la région (1). Puis nous analyserons comment l’Acte II de la décentralisation a finalement opéré une forme de retour en arrière sur cette compétence (2). 1. La région, un acteur historique du développement économique territorial 357. La plupart des projets relatifs au développement de l’entité régionale ont fait référence à l’action économique. Ainsi, le général De Gaulle dans un discours de 1968 où il présente sa réforme régionale dit que « ce sont les activités régionales qui apparaissent comme le ressort 872 Ibid., p.29 SOUSSE Marcel, « L’interventionnisme économique dans la loi relative aux libertés et responsabilités locales », art. cit., p.4. 873 - 300 - de [la] puissance économique de demain »874 de la France. S’il semble ici être hors de propos de revenir sur tous les projets de réforme concernant la collectivité régionale qui ont fait florès tout au long du XXe siècle, il est nécessaire de constater que beaucoup de ces projets faisaient de la région un instrument clef en matière de développement économique. Ces orientations ont été concrétisées en 1972 lorsque la région est instituée en tant qu’établissement public.875 En tant que tel, la région ne pouvait bénéficier que de compétences d’attribution. La loi portant création des régions disposait en son article 4 que « l’établissement public a pour mission, dans le respect des attributions des départements et des communes, de contribuer au développement économique et social de la région ». La région bénéficie donc d’une importante expérience en la matière. Son histoire, son développement sont liés à cette compétence économique de l’espace régional. « De son passé d’établissement public, la région en préserve une spécialité en rapport étroit avec les besoins de son développement économique ».876 En transformant la région d’établissement public en collectivité territoriale, le législateur a cherché à lui attribuer des compétences spécifiques. C’est la logique dite des blocs de compétences. Nous analyserons qu’en matière de compétence économique, les blocs de compétences ont été un échec (a). Face à cet enchevêtrement, le législateur avait déjà en 2002 confié à la région un rôle de chef de file en matière d’attribution des aides aux entreprises (b). a. L’absence de clarification dans l’Acte I de la décentralisation 358. En faisant de la région une collectivité territoriale de plein exercice, l’Acte I de la décentralisation continue de donner un rôle central à la région en matière de développement économique. La loi de 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions877 dispose dans son article 59 que le conseil régional « a compétence pour promouvoir le développement économique, social, sanitaire, culturel et scientifique de la région et l’aménagement de son territoire ». En faisant de la région une collectivité territoriale de plein exercice, le législateur a cependant pris le soin de réaffirmer son rôle 874 Charles De Gaulle, discours sur la réforme régionale, prononcé à Lyon, le 24 mars 1968. Texte intégral du discours disponible sur Internet. http://www.charles-de-gaulle.org/pages/l-homme/accueil/discours/le-presidentde-la-cinquieme-republique-1958-1969/discours-sur-la-reforme-regionale-lyon-24-mars-1968.php. 875 Loi n°72-619 du 5 juillet 1972 portant création et organisation des régions, précit. 876 FAURE Bertrand, Droit des collectivités territoriales, op. cit., p.519. 877 Loi n°82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, précit. - 301 - crucial en matière de développement économique de son territoire. La lecture de cet article 59 donne d’ailleurs une impression plutôt étrange de la volonté du législateur. En effet, l’alinéa 2 de cet article dispose que « le conseil régional règle par ses délibérations les affaires de la région ». Autrement dit le conseil régional dispose de la clause de compétence générale. L’alinéa 3, que nous avons cité précédemment, donne, au contraire, l’impression que la région ne bénéficie que d’une compétence d’attribution. Tout porte à croire que l’héritage d’établissement public de la région implique pour celle-ci une forte spécialisation dans certains domaines, parmi lesquels le développement économique. Ainsi dès 1982 – alors même qu’elle n’est pas encore réellement une collectivité territoriale puisque les premiers conseils régionaux seront élus en 1986 – la région devient compétente pour attribuer les aides économiques, qualifiées de directes, aux entreprises.878 La loi du 7 janvier 1982 approuvant le plan intérimaire 1982-1983 effectue une distinction entre les aides directes qui ne peuvent être attribuées que par la région et les aides indirectes qui peuvent être librement accordées par les collectivités territoriales. Les aides directes étaient énumérées dans la loi. Les aides directes aux entreprises étaient les primes régionales à la création d’entreprises, les primes régionales à l’emploi, les bonifications d’intérêt ou les prêts et avances à des conditions plus favorables que celles du taux moyen des obligations. 879 « L’aide directe s’analys[ait] donc comme l’aide financière qui s’inscrit directement dans les comptes de résultat de l’entreprise ».880 La région disposait en cette matière d’une compétence d’exception, puisque les aides qu’elle pouvait accorder aux entreprises étaient limitativement déterminées dans la loi et que les conditions d’octroi et de plafond de ces aides n’étaient pas libres mais déterminés par décret en Conseil d'État. Les départements et communes pouvaient intervenir en matière d’aides aux entreprises de deux manières, soit elles complétaient les aides accordées par la région si le montant de celles-ci n’avait pas atteint le plafond fixé par décret, soit elles accordaient d’autres types d’aides, dites indirectes, de façon libre. Il n’y avait donc aucune liste d’établie pour les aides de la compétences du département ou de la commune. L’accord d’aides indirectes aux entreprises était libre. 359. Le système instauré par la première grande vague de décentralisation est donc un système complexe « en raison des lacunes ou des incertitudes du régime des aides directes, 878 Loi n°82-6 du 7 janvier 1982 approuvant le Plan intérimaire 1982-1983, précit. Loi n°82-6 du 7 janvier 1982 approuvant le Plan intérimaire 1982-1983, spec. art. 4. 880 CASTELNEAU Régis de, FAŸ Pauline de, « Le nouveau régime des interventions économiques des collectivités territoriales », AJDA, 2005, p.122. 879 - 302 - ouvrant assez largement les possibilités d’autres formes d’assistance aux entreprises ». 881 Malgré donc la volonté de confier à la collectivité régionale dès 1982 un rôle central, un « rôle de pilote »,882 dans le développement économique de son territoire, la partition entre aides directes et aides indirectes a brouillé la cohérence du système. Du fait du caractère très précis des aides pouvant être attribuées par la région de manière exclusive et, finalement, du caractère très large des possibilités d’interventions secondaires des communes et des départements, la région n’a pas pu assurer une véritable coordination de l’action économique sur son territoire. La situation après la vague de décentralisation des années 1980 en matière d’aides économiques aux entreprises illustre parfaitement selon nous l’enchevêtrement des compétences. Alors que le législateur voulait accorder une compétence de principe exclusive à la région, la définition qu’il a adoptée des aides régionales est tellement contraignante que ce sont les communes et les départements qui apparaissent comme disposant d’une plus grande liberté. Ceci est paradoxal puisque la compétence principale étant accordée à la région, les collectivités infrarégionales n’auraient dû disposer que d’un pouvoir secondaire, subsidiaire. L’enchevêtrement des compétences était donc total en la matière, il était nécessaire de mettre en place une véritable action commune. Or, il faudra attendre vingt ans pour que cette situation évolue significativement. b. La reconnaissance du chef de file régional dès 2002 360. La loi de février 2002 relative à la démocratie de proximité883 réalise une évolution d’ampleur en matière de compétences économiques des collectivités territoriales. A cet égard, il faut d’ailleurs remarquer que « l’évocation du thème de l’interventionnisme économique dans une loi relative à la démocratie de proximité, peut a priori surprendre ».884 Ce texte a, en effet, « officialisé le rôle de chef de file »885 de la région. Il est donc intéressant de relever que, avant même la consécration constitutionnelle de la fonction de chef de file, le législateur pouvait avoir recours à ce mécanisme. Cela confirme également la lecture, d’une partie de la 881 BRIANT Vincent de, L’action commune en droit des collectivités territoriales. Contribution à l’étude des compétences exercées en commun par l’État et les collectivités territoriales, op. cit., p.338. 882 GROUD Hervé, « Réflexions sur le nouveau droit de l’interventionnisme économique local et régional », RDP, 2005, p.1256. 883 Loi n°2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, précit. 884 SOUSSE Marcel, « Les aides des collectivités locales aux entreprises dans la loi relative à la démocratie de proximité », art. cit., p.4. 885 COLSON Jean-Philippe, IDOUX Pascale, Droit public économique, Paris, LGDJ, 4e ed., p.2008, p.679. - 303 - doctrine886, de la décision du Conseil constitutionnel sur la loi Pasqua de 1995.887 A l’époque, le Conseil constitutionnel n’a donc pas censuré le dispositif du chef de file, mais c’est bien le renvoi à la désignation du chef de file par convention, et non par le législateur, qui était en cause. 361. L’article 102 de ce texte de loi, inséré dans un chapitre relatif aux transferts de compétences aux collectivités locales, dispose que « les aides directes revêtent la forme de subventions, de bonifications d’intérêt ou de prêts et avances remboursables, à taux nul ou à des conditions plus favorables que celles du taux moyen des obligations. Elles sont attribuées par la région et leur régime est déterminé par délibération en conseil régional. Les départements, les communes ou leurs groupements peuvent participer au financement de ces aides directes dans le cadre d’une convention passée avec la région ». Cet article consacre le rôle prépondérant, central, de la région en matière d’action économique. Il réaffirme la compétence de la région pour accorder les aides directes aux entreprises. Cependant, les conditions d’octroi de ces aides sont désormais fixées par le conseil régional lui-même et non plus par décret en Conseil d'État. Les pouvoirs de la région sont donc accrus. A partir de 2002, le conseil régional peut déterminer seul les conditions dans lesquelles les aides directes aux entreprises sont versées. Cela lui accorde également plus de pouvoirs vis-à-vis des départements et des communes qui voudraient compléter ces aides. En effet, ces collectivités sont obligées de se conformer aux conditions d’octroi des aides définies par la région. D’ailleurs, le texte précise que le financement de ces aides directes par les départements et les communes est soumis à une convention de ces collectivités avec la région. Auparavant, ces collectivités pouvaient intervenir librement tant que l’intervention régionale n’avait pas atteint un seuil fixé par décret en Conseil d'État. « La compétence réglementaire en la matière relève bien ainsi de la seule région au niveau local, mais aussi d’une action commune de second rang facultative pour les communes et les départements, mais nécessitant pour être mise en œuvre l’accord de la région ».888 Le système de 2002 fait de la région l’organisateur, le coordonnateur des aides publiques locales directes aux entreprises. En obligeant les collectivités infrarégionales à contracter avec la région pour pouvoir accorder ces aides, la loi fait de la région un chef de file en matière d’action économique. Ce système met en place une solution selon nous cohérente à l’enchevêtrement des compétences économiques, solution qui 886 V. ROUSSEAU Dominique, « Les principes de libre administration locale et d’égalité à l’épreuve de l’aménagement du territoire », RFDA, 1995, p.876-883. 887 CC, n°94-358 DC du 26 janvier 1995 loi d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire, pécit. 888 BRIANT Vincent de, L’action commune en droit des collectivités territoriales. Contribution à l’étude des compétences exercées en commun par l’État et les collectivités territoriales, op. cit., p.339. - 304 - « ne réside pas sur le fait d’empêcher certaines collectivités d’exercer des compétences économiques, mais dans une meilleure définition des rôles de chacun ».889 Ce texte lui permet de véritablement coordonner l’attribution des aides économiques directes aux entreprises et donc d’assurer une véritable action commune en la matière. Cependant le texte de février 2002 n’est pas encore pleinement satisfaisant puisqu’il continue de faire référence à la distinction entre aides directes et aides indirectes alors que celle-ci n’a aucune existence, « aucune correspondance au niveau communautaire ».890 Voulant aller plus loin, le gouvernement a tenté de profiter de l’Acte II de la décentralisation pour faire de la région non seulement le chef de file, mais le véritable responsable de la politique économique sur son territoire. Cela semblait une évolution naturelle au vu de l’ampleur des pouvoirs acquis par la région en ce domaine. Cependant, le projet gouvernemental a été modifié par les parlementaires. 2. L’Acte II de la décentralisation, la mise en échec du texte gouvernemental 362. La loi relative aux libertés et responsabilités locales891 a voulu consacrer à nouveau la région comme acteur prépondérant en matière d’action économique. Ce texte abolit, notamment, la distinction entre aides directes et aides indirectes et fait également évoluer le rôle de chef de file accordé à la région. Il est nécessaire de remarquer à titre préliminaire que la compétence régionale en matière d’action économique se situe en tête de la loi. Si tant est que l’organisation des différentes dispositions dans une loi contenant autant de dispositions de natures différentes ait une importance, l’inscription de l’action économique en début de texte semble corroborer l’importance de cette compétence. Il est nécessaire de relever, et cela a son importance au vu de notre étude, que le texte adopté, s’agissant de la compétence économique de la région, diffère profondément du projet gouvernemental. En effet, alors que le projet gouvernemental accordait à la région les pouvoirs nécessaires pour l’exercice de son rôle de chef de file, les sénateurs ont remanié le texte, l’ont « détricoté » et bouleversé l’équilibre du projet initial. « Ce renouvellement du cadre légal de l’action économique renforce les 889 SOUSSE Marcel, « Les aides des collectivités locales aux entreprises dans la loi relative à la démocratie de proximité », art. cit., p.4. 890 NICINSKI Sophie, Droit public des affaires, Paris, Montchrestien, coll. Domat droit public, 2e ed., 2010, p.244. 891 Loi n°2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, précit, spec. Art. 1er. - 305 - compétences des collectivités décentralisées. La région obtient en apparence plus de pouvoir ».892 Le qualificatif « en apparence » nous semble parfaitement indiqué dans cette situation. 363. L’article 1er du projet de loi déposé par le gouvernement devant le Sénat à l’automne 2003 disposait que « sans préjudice des missions incombant à l’État, la région exerce, dans son ressort, la responsabilité du développement économique. A cet effet, elle assure la coordination des actions économiques des collectivités territoriales. Elle adopte le schéma régional de développement économique, après concertation avec les autres collectivités territoriales et après avoir recueilli l’avis des chambres consulaires ». Cette version du texte faisait réellement de la région le chef de file de l’action économique. La région devenait pleinement responsable de la définition des aides aux entreprises et de leurs modalités d’octroi au travers du schéma régional de développement économique. Le rôle de coordination des actions économiques sur son territoire découlait de cette possibilité d’adopter un schéma régional d’organisation en matière de développement économique. En effet, cela illustrait ce que nous avons présenté dans les chapitres précédents sur l’usage par le chef de file des schémas d’organisation comme outil de coordination des interventions multiples.893 D’ailleurs, l’exposé des motifs du projet de loi indique clairement que cet article a pour objectif d’améliorer la coordination des interventions des différentes collectivités territoriales. « Le projet de loi attribuait donc à l’échelon régional une compétence économique globale, voire hégémonique ».894 Nous ne partageons toutefois pas pleinement ce qualificatif d’hégémonique. En effet, celui-ci peut être compris de manière négative et donc participer de la confusion qui fait de la collectivité chef de file une collectivité imposant sa tutelle aux autres collectivités parties à l’action commune. 364. Le Sénat, en seconde lecture, a modifié les dispositions du projet initial. En effet, suite à un amendement déposé au Sénat, la région a perdu l’exclusivité de la responsabilité du développement économique. 895 Il ne lui reste alors que la possibilité de coordonner les actions économiques sur son territoire. Le rôle de la région est donc finalement minoré par rapport à ce qui était prévu, dans le but, selon l’auteur de l’amendement d’ « éviter toute 892 JOYE Jean-François, « Le renouveau du cadre juridique de l’action économique locale (2e partie) », BJCL, 2005, n°10, p.674. 893 Supra §199. 894 BENOIT Loïck, « Décentralisation et développement économique : la nouvelle répartition des compétences », AJDA, 2005, p.1879. 895 Amendement n°769 bis, déposé le 29 juin 2004, par MM. Doligé, Leroy, Belot et Fouché. Cet amendement peut être considéré comme une réaction aux élections régionales qui ont eu lieu en mars 2004 et qui ont vu la gauche, alors dans l’opposition au niveau national, emporter la majorité des conseils régionaux. - 306 - tutelle ou chef de filat qui empêcherait quelque collectivité que ce soit […] de faire, à son niveau, de l’économie ».896 L’adoption de cet amendement est, selon nous, le symbole d’un double échec. D’une part, la clarification des compétences espérée à travers ce texte est mise à mal. Le développement économique demeure une compétence largement partagée et donc source d’un important enchevêtrement des compétences. D’autre part, l’adoption de cet amendement, ou en tout cas sa justification par son auteur, semble démontrer l’incompréhension des élus face à la fonction de chef de file. En effet, dans son argumentation, le sénateur Doligé mélange – sciemment ou non ? – la tutelle et le chef de file, comme si les deux aboutissaient au même résultat, ce qui n’est pas le cas. D’ailleurs d’autres sénateurs ne font pas cette confusion,897 mais ils ne seront pas suffisamment nombreux pour s’opposer à l’amendement d’Eric Doligé. « L’ambition affichée au départ est beaucoup plus modérée dans le texte final ».898 365. Une autre modification d’importance a été apportée au texte gouvernemental qui conduit là aussi à minimiser le rôle de la région. En effet, alors que le projet initial prévoyait d’accorder pleine compétence à la région pour adopter son schéma régional de développement économique, le texte de loi final n’en fait plus qu’une expérimentation. Le II de l’article 1er de la loi dispose qu’« à titre expérimental et pour une durée de 5 ans, aux fins de coordination des actions de développement économique définies à l’article L.1511-1 du code général des collectivités territoriales, l’État peut confier à la région le soin d’élaborer un schéma régional de développement économique ». Il s’agit d’un véritable retour en arrière puisque le schéma d’organisation, technique à la disposition du chef de file, n’est plus alors qu’une expérimentation et n’est donc pas assuré de sa survie au-delà du temps imparti pour l’expérimentation. Dans les faits, toutes les régions ont demandé à expérimenter le schéma régional de développement économique. Ceci, d’une part, remet en cause l’intérêt du recours à l’expérimentation puisqu’il n’y a pas de véritable test sur un échantillon. D’autre part, cette volonté de l’ensemble des régions de se lancer dans cette expérimentation démontre qu’il y avait une réelle envie de la part des régions d’exercer cette compétence. Il y a lieu alors de s’interroger sur les raisons de ce changement brutal. L’une des raisons invoquées est le changement de majorité, au profit de la gauche dans la plupart des conseils régionaux, aux 896 DOLIGÉ Eric, Sénat, JORF Débats, 30 juin 2004, p.4750. Tel est le cas not. de Bernard Frimat qui répond que « ce qui est grave, Monsieur Doligé, c’est que votre amendement tend à priver la région de cette responsabilité. Le fait qu’elle ait cette responsabilité ne fait pas obstacle à la coordination du travail de l’ensemble des collectivités, sans qu’il y ait pour autant quelque tutelle que ce soit, conformément d’ailleurs à ce qui est inscrit dans le projet de loi ». Sénat, JORF Débats, 30 juin 2004, p.4752. 898 LONG Martine, « Développement économique et développement local », in La profondeur du droit local. Mélanges en l’honneur de Jean-Claude Douence, op. cit., p.321. 897 - 307 - élections régionales de mars 2004. Ainsi « en seconde lecture, au Sénat – et, il est vrai, après les élections régionales de 2004 – le schéma est devenu non contraignant, et la responsabilité d’ensemble de la région s’est vue réduite à un simple rôle de coordination ».899 Le rôle de la région se trouve donc minoré sans aucune véritable justification. Le choix de ne pas permettre à la région d’exercer pleinement son rôle de chef de file relève de la décision politique, ce qui est contraire à l’objectif initial de clarification. Il semblerait que ces modifications apportées au texte gouvernemental sont également liées à la crainte de la puissance régionale, sur laquelle nous reviendrons ultérieurement.900 Ainsi pour écarter cette crainte, le législateur n’a pas accordé la responsabilité du développement économique à la région, mais un simple rôle de coordination. « Le terme « coordonne » paraît suffisamment large ou peu marqué pour ne pas effaroucher ceux qui, à plusieurs reprises, ont manifesté des craintes quant à la « tutelle » que la région pourrait exercer sur les autres collectivités territoriales ».901 De même l’outil essentiel de cette coordination, qu’est le schéma régional de développement économique, n’est plus une compétence définitivement accordée à la région mais une simple expérimentation. Au final, entre le texte du projet gouvernemental et le texte adopté la région a vu son rôle de chef de file perdre de l’importance. C’est une forme de fonction de chef de file a minima qu’endosse la région. 366. Cette analyse est confirmée selon nous par l’empressement du législateur d’affirmer, toujours dans l’article 1er de la loi du 13 août 2004, aux côtés de la désignation de la région comme chef de file, les moyens de contourner les orientations de la région. Là encore, il est nécessaire de distinguer le projet de loi qui restreignait cette possibilité de passer outre les orientations arrêtées par la région et le texte final qui ouvre cette exception de manière très large. En effet, dans le projet de loi déposé par le gouvernement devant le Sénat, l’article L.1511-5 du CGCT était rédigé comme suit : « lorsque, saisie par une autre collectivité territoriale ou un groupement de collectivités territoriales d’un projet d’aide ou de régime d’aides, la région n’a pas répondu dans un délai de deux mois ou a fait connaître son refus motivé d’intervenir, une convention peut être conclue entre l’État et la collectivité territoriale ou le groupement auteur du projet, pour compléter les aides ou régimes d’aides mentionnées aux articles L.1511-2 et L.1511-3. Le projet de convention est porté à la connaissance du 899 SAVY Robert, « Vingt ans après ou les régions françaises au milieu du gué », in Le droit administratif : permanences et convergences. Mélanges en l’honneur de Jean-François Lachaume, op. cit., p.971. 900 Infra §395. 901 PONTIER Jean-Marie, « Les nouvelles compétences de la région », AJDA, 2004, p.1969. - 308 - conseil régional par le représentant de l’État ». Dès le projet de loi, il était donc possible pour les départements, les communes ou leurs groupements de contourner le chef de file pour accorder des compléments aux aides apportées par la région. Cependant, le texte gouvernemental n’organisait pas cette possibilité comme un contournement du chef de file, mais au contraire comme la réponse à un blocage de la part de celui-ci. En effet, les collectivités infrarégionales aurait dû demander à la région l’autorisation d’accorder une aide supplémentaire et ce n’est qu’en cas de refus du conseil régional qu’une convention pouvait être passée avec l’État pour effectivement accorder cette aide. Cette possibilité empêchait de plus, selon nous, la mise en place d’une tutelle de la région sur les autres collectivités territoriales. Or suite à la discussion parlementaire, le CGCT dispose désormais en son article L.1511-5 qu’« une convention peut être conclue entre l’État et une collectivité territoriale autre que la région ou un groupement pour compléter les aides ou régimes d’aides mentionnées aux articles L.1511-2 et L.1511-3. Une copie de la convention est en ce cas portée à la connaissance du président du conseil régional par le représentant de l’État dans la région ». La rédaction finalement adoptée exclut totalement la région. Celle-ci n’est informée de l’existence d’un régime particulier d’aides aux entreprises qu’une fois la convention signée entre l’État et la collectivité infrarégionale allocatrice. La fonction de chef de file de la région est ici clairement bafouée. La région n’est pas pleinement responsable de son développement économique puisque les autres collectivités territoriales peuvent toujours intervenir sans son accord. Surtout, alors qu’elle est censée coordonner sur son territoire les aides aux entreprises, elle ne peut pas assurer correctement ce rôle à partir du moment où les collectivités infrarégionales peuvent par une simple convention avec l’État accorder leur propre régime d’aide et ensuite placer la région devant le fait accompli en lui notifiant la convention. « Evidemment, les auteurs de la loi du 13 août 2004 attendent de la région qu’elle assure une cohérence de ces régimes d’aides infrarégionaux avec les choix stratégiques qu’elle aura arrêtés. […] En cas d’échec, comme dans le passé, communes et départements pourront passer une convention avec l’État pour définir et appliquer des aides spécifiques. Mais il s’agira d’un échec autant pour les concepteurs de la réforme que pour les régions ».902 Cela illustre parfaitement ce que nous avons évoqué précédemment sur le fait qu’il y a une incompréhension quant au rôle de la collectivité chef de file. Le but de celle-ci n’est pas d’instaurer une tutelle sur les autres collectivités, mais de rationaliser les différentes interventions locales. Cette incompréhension, ajoutée à la peur du fait régional, a fait de la 902 GROUD Hervé, « Réflexions sur le nouveau droit de l’interventionnisme économique local et régional », art. cit., p.1266. - 309 - région « un chef de file en trompe l’œil du développement économique ».903 Nous reviendrons cependant ultérieurement sur ces limites au rôle de chef de file de la région et sur leurs conséquences.904 La loi du 13 août 2004 fait de la région un chef de file plus ou moins affirmé dans deux domaines : l’action économique, d’une part, et la formation professionnelle, d’autre part. Dans les deux cas, il s’agit de la consécration d’un niveau de gestion déjà largement prépondérant dans ces domaines d’action. Toutefois, la désignation de la région n’est pas aussi franche dans les deux cas, ce qui s’explique par une conjonction de phénomènes sur lesquels nous reviendrons. Il convient désormais de s’interroger sur les moyens que le législateur a accordés à la région pour exercer son rôle de chef de file. Nous verrons alors que si ces moyens sont classiques, leur mise en œuvre peut susciter des interrogations. §2. Les moyens de coordination de l’action commune par la région chef de file Dans l’expression chef de file, il y a le mot « chef », c'est-à-dire que la collectivité désignée comme telle doit pouvoir diriger, au minimum organiser ceux qui la suivent dans la file. Cependant, la tutelle d’une collectivité sur une autre est interdite. La région chef de file ne peut donc bénéficier de moyens contraignants à l’égard des autres collectivités dans le cadre de leur action commune. Dès lors, les moyens accordés à la région chef de file sont de deux ordres. Il s’agit, d’une part, des schémas d’organisation (A) et, d’autre part, du partenariat (B). A. La multiplication des schémas d’orientation adoptés par la région 367. La région semble être une échelle adéquate pour avoir une vision prospective des politiques publiques. Elle se situe à un échelon qui lui permet d’avoir une vision globale des problèmes qui se posent sur son territoire. Elle dispose de suffisamment de recul pour assurer une cohérence des différentes interventions sur son territoire. De plus son positionnement lui impose de trouver sa place entre les départements et les communes qui gèrent le local au quotidien et l’État qui gère les politiques nationales. La région s’impose ainsi 903 BENOIT Loïck, « Décentralisation et développement économique : la nouvelle répartition des compétences », art. cit., p.1879. 904 Infra §384. - 310 - progressivement comme un espace de programmation de l’aménagement local à long terme. Dès lors l’adoption de schémas d’orientation peut être la traduction de ce positionnement spécifique de la région. D’ailleurs, le professeur Marcou s’interrogeait déjà sur ce fait dans les années 1990. « Il est remarquable que la région soit chargée d’élaborer et d’adopter un grand nombre de plans à la portée juridique imprécise (plan régional, schéma prévisionnel des formations, plan régional des transports…) alors qu’elle n’exerce aucun pouvoir réglementaire envers les collectivités locales de son territoire ».905 La désignation de la région comme chef de file ne fait qu’accentuer ce mouvement. En effet, le schéma d’orientation est un outil incontournable de coordination de l’action commune. « La coordination est entendue ici comme un ensemble de mécanismes plus ou moins contraignants qui tendent à organiser la convergence des interventions en vue d’objectifs communs ».906 Toutefois, les schémas adoptés par la région en tant que chef de file ne lui permettent pas réellement d’assurer cette coordination. En effet, la coordination en matière de formation professionnelle est compliquée car la région doit adopter son plan de développement des formations en tenant compte des compétences conservées par l’État, mais aussi des revendications des partenaires sociaux (1). En matière de développement économique, nous l’avons déjà évoqué, le schéma n’est adopté par les régions qu’à titre expérimental, ce qui ne peut que nuire à son objectif de coordination (2). 1. L’importante discussion entre partenaires nécessaire à l’adoption du plan régional de développement des formations professionnelles 368. En matière de formation professionnelle, si l’article 8 de la loi du 13 août 2004 fait de la région la responsable des politiques de formation professionnelle, l’article 11 du même texte lui donne compétence pour adopter un plan régional de développement des formations professionnelles. Celui-ci « a pour objet de définir une programmation à moyen terme des actions de formation professionnelle des jeunes et des adultes et de favoriser un développement cohérent de l’ensemble des filières de formation ».907 La région disposait déjà d’une compétence similaire avant la loi relative aux libertés et responsabilités locales. 905 MARCOU Gérard, « L’expérience française de régionalisation (la décentralisation régionale dans l’État unitaire) », in L’État de droit. Mélanges en l’honneur de Guy Braibant, Paris, Dalloz, 1996, p.510. 906 MONTRICHER Nicole de, « La coopération au miroir des représentations : les conditions du partenariat social », in BERTHET Thierry (dir.), Les régions et la formation professionnelle, op. cit., p.83. 907 Art. L.214-13 Code de l’éducation. - 311 - Cependant le schéma qu’elle adoptait n’était pas opposable aux autres collectivités territoriales. Ainsi, un rapport préparatoire à la réforme évoquait le fait que « la réforme n’aura d’effet positif que si elle investit la région d’un responsabilité claire et lisible pour l’opinion, en lui donnant les moyens d’instaurer une cohérence entre les dispositifs de créer une véritable concertation entre tous les acteurs et optimiser l’adéquation entre l’offre et les besoins ».908 Désormais, en tant que chef de file, le plan régional de développement des formations est un document à caractère réglementaire qui contraint les autres acteurs de ce domaine de compétence. Le plan régional de développement des formations professionnelles dispose d’un caractère prescriptif. Cette évolution permet à la collectivité régionale d’impulser les orientations qu’elle considère comme indispensables au développement de l’offre de formation professionnelle sur son territoire. L’exposé des motifs du projet de loi indique d’ailleurs clairement que « la modification proposée a pour objet de mieux affirmer la compétence de la région en matière d’élaboration et de suivi du PRDF ». A la suite de la loi de 2004, la région devient pleinement compétente, responsable tout au long de l’élaboration et de la mise en œuvre du plan régional de formation professionnelle. Elle doit notamment s’assurer de la réalisation de l’ensemble des concertations prévues par la loi. 369. Cette concertation est cruciale pour la réussite de la politique décidée par le chef de file, puisqu’elle permet de s’assurer que cette politique n’est pas décidée unilatéralement, mais qu’elle est bien le fruit d’une œuvre concertée. De la réussite de cette concertation dépend la bonne mise en œuvre du contenu du plan régional de développement des formations professionnelles. En effet, si la concertation se déroule dans de bonnes conditions, les autres collectivités auront plus tendance à assurer la réussite de l’action commune. « Ainsi, les orientation adoptées par les majorités politiques des conseils régionaux ont pu avoir un impact déterminant sur l’attitude des autres intervenants. Si le conseil régional a pris clairement parti pour une forme spécifique de formations professionnelle, par exemple l’apprentissage, les groupes qui n’envisageaient pas cet objectif comme souhaitable ont pu limiter leur participation au strict minimum ».909 Pour éviter ce genre de dérive, le code de l’éducation fait obligation à la région de consulter un certain nombre de personnes lors de l’élaboration du plan régional de développement des formations professionnelles. En effet, la région n’élabore désormais plus ce plan seule.910 Elle dispose du soutien du comité de 908 PÉRISSOL Pierre-André, Régionalisation de la formation professionnelle, Rapport remis au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, 2003, p.2. 909 MONTRICHER Nicole de, « La coopération au miroir des représentations : les conditions du partenariat social », in BERTHET Thierry (dir.), Les régions et la formation professionnelle, op. cit., p.98. 910 Art. L.214-13, I, al.3 du Code de l’éducation. - 312 - coordination régional de l’emploi et de la formation professionnelle. Cette institution multipartenariale911 « a pour mission de favoriser la concertation entre les divers acteurs afin d’assurer une meilleure coordination des politiques de formation professionnelle et d’emploi ».912 Ce comité peut organiser une concertation avec les autres collectivités territoriales intéressées dans le cadre de la préparation du plan régional de développement des formations professionnelles. Pour la mise en œuvre de ce plan, chaque région arrête ensuite annuellement un programme régional d’apprentissage et de formation professionnelle continue. Les départements et les communes peuvent être associés à l’élaboration de ce programme annuel.913 Cela illustre assez bien ce que nous avons déjà présenté auparavant. En effet, les schémas d’organisation, s’ils sont des actes unilatéraux, proviennent d’une discussion préalable. Ils sont donc issus d’une action concertée. Cela permet de faciliter l’acceptation des orientations décidées par la région. « Ainsi la discussion avec les autres acteurs est presque toujours nécessaire dans le champ de la formation professionnelle : les compétences sont partagées et, quand bien même la région à un rôle clair de pilotage, elle ne met pas en œuvre directement ses politiques mais « fait faire » ».914 370. Il est nécessaire ici de relever l’une des spécificités du plan régional de développement des formations professionnelles. En effet, le code de l’éducation prévoit que ce plan est renouvelé à chaque nouvelle élection du conseil régional.915 Le plan régional reflète donc les choix politiques de la majorité régionale. Une majorité régionale qui vient d’être élue n’aura pas ainsi à mettre en œuvre une politique qu’elle n’aurait pas décidée et qui pourrait être contraire à ses orientations. Cependant, en matière de formation professionnelle, ce renouvellement régulier du plan régional peut poser problème. En effet, les politiques de l’emploi et de formation professionnelle agissent plutôt sur le long terme. L’efficacité des politiques en matière de formation professionnelle ne peut se mesurer qu’à longue échéance. L’adéquation entre les besoins en matière d’emploi et l’offre de formation professionnelle ne peut pas se mesurer sur du court terme. La réussite d’une politique de formation se mesure 911 La composition du comité de coordination régional de l’emploi et de la formation professionnelle est fixée à l’article D.6123-21 du Code du travail. Il comprend : le préfet de région, le président du conseil régional, six représentants de l’État, six représentants de la région, sept représentants des organisations d’employeurs, sept représentants des organisations syndicales de salariés et le président du conseil économique, social et environnemental régional. Cette instance est présidée conjointement par le préfet de région et le président du conseil régional (art. D.6123-25 du Code du travail). 912 Art. D.6123-18 du Code du travail. 913 Art. L.214-13, VI du Code de l’éducation. 914 GIUDICELLI Jérôme, « Quelles conséquences d’un pouvoir normatif sur les politiques publiques ? L’exemple du conseil régional Pays de la Loire et de la formation professionnelle », Pouvoirs locaux, 2010, n°86, p.75. 915 Art. L.214-13, I, al. 6 du Code de l’éducation. - 313 - aux possibilités offertes aux stagiaires de retrouver un emploi en lien avec la formation suivie. Or ces éléments de réussite de la politique de la formation professionnelle ne peuvent s’évaluer que sur du long terme. De plus, le choix de ce renouvellement régulier du schéma régional de développement des formations professionnelles peut avoir des incidences sur les orientations budgétaires. En effet, visant une échéance à court terme une région peut par exemple décider de privilégier dans le budget du plan l’indemnisation des stagiaires – plus intéressant politiquement parlant – plutôt que des investissements en matériels et en structures qui nécessitent une vision à plus long terme. Le choix d’une temporalité politique pour l’adoption du plan régional de développement des formations professionnelles n’est pas forcément le choix le plus opportun. Il est cependant nécessaire de relever qu’un suivi et une évaluation du plan régional sont prévus. Ceux-ci sont assurés par le comité de coordination régional de l’emploi et de la formation professionnelle. Les évolutions successives, et surtout la désignation comme chef de file par la loi du 13 août 2004, ont permis à la région de faire de son plan régional de développement des formations professionnelles un véritable outil stratégique. En ayant la responsabilité de définir et d’adopter son schéma qu’elle pourra ensuite opposer aux autres acteurs de la formation professionnelle, la région est consacrée comme collectivité chef de file. En matière de développement économique, la situation est tout à fait différente du fait du caractère expérimental du schéma régional de développement économique. 2. L’expérimentation du schéma régional de développement économique 371. S’agissant de la coordination de l’action économique sur son territoire, nous l’avons déjà évoqué, la région est un chef de file sans réels pouvoirs. En effet, le Sénat a, en seconde lecture, modifié le projet gouvernemental pour faire de l’adoption du schéma régional de développement économique une simple expérimentation. Le projet gouvernemental prévoyait de transférer de façon totale à la région le soin d’adopter le schéma régional de développement économique. Le Sénat a finalement décidé d’en faire une simple compétence expérimentale, ce qui change considérablement le pouvoir qui s’attache à cette compétence pour la région. « La région fait l’objet d’une rétrogradation dans son statut de chef de file car - 314 - la loi du 13 août 2004, loin d’instituer une authentique décentralisation, organise une simple expérimentation dans le développement économique ».916 372. En effet, le schéma d’organisation est un des outils de mise en œuvre de la fonction de chef de file. Il permet de déterminer l’orientation des actions à venir et de coordonner les interventions des différentes collectivités parties à l’action commune. Ainsi, l’article 1er de la loi du 13 août 2004 dispose que « le schéma régional de développement économique définit les orientations stratégiques de la région en matière économique. Il vise à promouvoir le développement économique équilibré de la région, à développer l’attractivité de son territoire et à prévenir les risques d’atteinte à l’équilibre économique de tout ou partie de la région ». Le schéma régional de développement économique est donc un document prospectif qui a pour objectif de permettre un aménagement économique du territoire qui soit harmonieux. Le chef de file peut déterminer à travers cet outil des territoires à développer ou alors des types d’acteurs économiques à favoriser. La région dispose d’une vision globale de son territoire qu’elle peut ainsi projeter dans son schéma de développement économique pour assurer une organisation économique cohérente. Or en matière économique, ce pouvoir n’est pas définitivement attribué à la région puisqu’il ne s’agit que d’une expérimentation. Cela limite les pouvoirs qui sont attachés au chef de file puisqu’il ne peut faire usage de son outil principal que pour une période temporaire, en espérant par la suite que l’expérimentation sera généralisée. Cela peut également induire un risque à l’égard des autres collectivités parties à l’action commune qui pourraient ne pas se sentir liées par les dispositions d’un document simplement expérimental. « Les caractères facultatif et expérimental du schéma n’en font a priori pas un outil très incitatif ».917 L’expérimentation prévue pour durer 5 ans a débuté au 1er janvier 2005. Le II de l’article 1er de la loi libertés et responsabilités locales dispose qu’« à titre expérimental et pour une durée de cinq ans, aux fins de coordination des actions de développement économique définies à l’article L.1511-1 du code général des collectivités territoriales, l’État peut confier à la région le soin d’élaborer un schéma régional de développement économique ». Comme nous l’avons relevé, toutes les régions se sont lancées dans cette expérimentation. Celle-ci est également l’occasion pour les régions de pouvoir accorder certaines aides d’État aux entreprises. Cet élément ne facilite pas la lecture de la fonction de chef de file de la région, puisqu’il mélange au rôle de coordination qui s’attache au schéma un transfert de compétence de la part de l’État, lui aussi à titre expérimental. 916 BENOIT Loïck, « Décentralisation et développement économique : la nouvelle répartition des compétences », art. cit., p.1881. 917 CASTRIC Olivier, « Les évolutions récentes du droit des interventions économiques des collectivités territoriales », LPA, 2005, n°137, p.5. - 315 - S’agissant de l’expérimentation sur l’accord de certaines aides d’État aux entreprises, dans les faits seules trois régions ont participé à cette expérimentation.918 De plus, les régions ne sont pas totalement libres quant à l’adoption du schéma. En effet, la loi précise que la région doit concerter les départements, les communes et leurs groupements ainsi que les chambres consulaires. Nous l’avons déjà évoqué, les schémas sont en général issus d’une réflexion commune à toutes les collectivités intéressées. Toutefois ces concertations ont la particularité d’être en l’espèce contraignantes pour la région. En effet, le II de l’article 1er de la loi du 13 août 2004 dispose que le schéma régional de développement économique « prend en compte les orientations stratégiques découlant des conventions passées entre la région, les collectivités territoriales ou leurs groupements et les autres acteurs économiques et sociaux du territoire concerné ». Le législateur insiste donc sur le caractère concerté du contenu du schéma régional de développement économique. L’impression qui se dégage de ce texte est que le schéma doit nécessairement être l’objet d’une concertation afin de limiter les capacités de la région à imprimer ses propres orientations dans son contenu. Ce rappel dans la loi semble indiquer que « le législateur prend de multiples précautions pour éviter que la région n’impose quoi que ce soit aux autres collectivités territoriales ».919 Dans une circulaire d’application de 2005, le gouvernement précisait que « ce processus de concertation doit permettre de constater la qualité du consensus qui s’est dégagé et le respect du principe de non tutelle d’une collectivité sur une autre ».920 Si le consensus est une notion centrale en matière d’action commune, il ne peut cependant pas être décrété. Ainsi, comme nous l’avons montré le consensus repose avant tout sur la construction d’une discussion, d’un rapport humain. Or le gouvernement dans sa circulaire semble imposer le consensus comme une obligation. Le consensus doit effectivement être recherché, favorisé et même promu, il ne peut cependant nullement être obligé, imposé ni même commandé. 373. Le dernier alinéa du II de l’article 1er de la loi libertés et responsabilités locales prévoyait qu’un bilan devait être fait à l’issue de cette expérimentation puis adressé au préfet de région. L’objectif de ce bilan est de faire une synthèse des différentes expérimentations pour permettre au Parlement d’étendre ou non la mesure en toute connaissance de cause, ce 918 D’ailleurs, face à l’« échec » de cette expérimentation, le législateur a décidé très rapidement de rendre obligatoire ce transfert de compétence dès lors que les régions avaient adopté un SRDE. Art. 130 loi n°20051720 du 30 décembre 2005 de finances rectificatives pour 2005, JORF, 31 décembre 2005, p.20654. 919 PONTIER Jean-Marie, « Le schéma régional de développement économique », RLCT, 2005, n°5, p.49. 920 Circulaire NOR LBLB0510029C du 25 mars 2005 relative à la mise en œuvre des dispositions de l’article 1er de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, concernant le schéma régional de développement économique, p.3. Disponible sur le site de la DGCL. http://www.dgcl.interieur.gouv.fr/sections/les_collectivites_te/interventions_econom/droit/schemas_regionaux_d e/. - 316 - bilan devant « contribuer à la réflexion et aux échanges qui interviendront sur le projet de loi sur les compétences des régions et des départements annoncé par le Gouvernement ».921 Les préfets de régions étaient chargés de collecter les bilans réalisés dans chaque région pour ensuite les transmettre au gouvernement. Ce bilan, dont les formes et la présentation sont précisées par la circulaire de 2010, permet de procéder à l’évaluation de l’expérimentation. L’association des régions de France (ARF) tire, quant à elle, un bilan plutôt positif de l’expérimentation sur les schémas régionaux de développement économique. Pour l’ARF, le schéma régional de développement économique « a permis de symboliser et d’asseoir le rôle de la région en tant que chef de file pour un développement économique durable, combinant performance économique, sociale et environnementale ».922 L’ARF indique également dans cette note que malgré l’absence de généralisation du schéma régional de développement économique par la loi, les régions comptent poursuivre leur action en signant des contrats de développement économique avec leurs différents partenaires. Dans le cadre de sa participation aux Etats généraux de la démocratie territoriale, l’ARF a émis le souhait que le SRDE et le plan régional de développement des formations professionnelles « soient prescriptifs, sous la responsabilité entière des Régions ».923 374. Il est toutefois nécessaire de souligner qu’en l’absence de véritable base légale la poursuite de la planification de l’action économique par la région pourrait se révéler problématique. En effet, en l’absence d’autorisation législative pour adopter un schéma régional de développement économique, la sécurité juridique d’un tel acte peut être remise en question plus facilement. Reste alors la voie contractuelle signalée par l’ARF. Là aussi, les négociations pourraient se révéler plus compliquées, la région ne disposant plus du SRDE pour encadrer, pour délimiter les interventions économiques des différents acteurs. Le rôle de chef de file de la région en matière de développement économique est remis en cause dès lors que la collectivité régionale ne dispose plus de la compétence pour adopter un schéma d’organisation, outil prépondérant dans la conduite du rôle de chef de file. Il nous semble 921 Circulaire N°IOC B 1003503C du 26 mars 2010 relative à la mise en œuvre de l’article 1er de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales : bilan quinquennal de mise en œuvre des schémas régionaux de développement économique et rapport annuel sur les dépenses consacrées aux aides d’État en 2009 par les collectivités territoriales et leurs groupements, p.2. Disponible sur le site de la DGCL dans la rubrique relative aux interventions séconomiques. http://www.dgcl.interieur.gouv.fr/sections/les_collectivites_te/interventions_econom/droit/schemas_regionaux_d e/. 922 Lettre ARF, Le bilan des schémas régionaux de développement économique, 5 juillet 2010, p.2. 923 ARF, Contribution aux Etats généraux de la démocratie territoriale, janvier 2012, p.3. Disponible sur le site www.democratie-territoriale.fr. - 317 - donc urgent que le Parlement intervienne pour combler ce vide juridique et sécurise d’un point de vue juridique la coordination régionale. Les schémas d’organisation que la région peut adopter en tant que chef de file connaissent donc des succès différents. Toutefois, il ne faut pas oublier que l’action du chef de file ne se fait pas seulement à travers ces schémas d’organisation. En effet, pour mettre en œuvre ces documents, il est nécessaire d’avoir recours à la contractualisation. B. Une contractualisation nécessaire 375. La contractualisation et plus largement le partenariat sont des instruments nécessaires à la réussite de la mise en œuvre de la fonction de chef de file. Le législateur renvoie à plusieurs reprises, en matière d’action économique et de formation professionnelle, à des conventions passées entre la région et l’État ou les autres collectivités territoriales pour assurer la coordination de leurs actions. Comme nous l’avons déjà évoqué « la décentralisation, en favorisant l’émergence d’une scène locale, a mis en avant le partenariat comme mode d’action légitime et a permis une territorialisation du partenariat ».924 376. S’agissant de la formation professionnelle, le recours à la contractualisation est notamment rendu nécessaire par la multitude d’acteurs qu’il faut coordonner. Ainsi, la région est chef de file de la compétence formation professionnelle, mais elle doit coordonner les interventions d’acteurs publics et privés dans ce domaine. Ainsi, l’État continue d’intervenir dans ce domaine au travers de la politique de l’emploi et du fait qu’il reste le seul compétent pour définir les programmes nationaux, l’organisation et le contenu des enseignements, ainsi que de la délivrance des diplômes nationaux.925 La région doit également compter avec les départements et les communes qui peuvent également intervenir en ce domaine. En effet, il est toujours intéressant pour une commune de chercher, par exemple, à financer la création d’un centre de formation des apprentis (CFA) sur son territoire. Enfin, les régions doivent également coordonner leurs interventions avec les souhaits, les intentions des acteurs privés du domaine qui recouvrent aussi bien des organismes de formation, que les demandeurs de formations comme les entreprises ou les salariés. Les attentes de ces différents acteurs ne sont 924 BERTHET Thierry, BARBOSA Célia, « Espace régional et territorialisation des politiques de formation », in BERTHET Thierry (dir.), Les régions et la formation professionnelle, op. cit., p.139. 925 Art. L.211-1 du Code de l’éducation. - 318 - pas nécessairement toujours les mêmes. Le rôle de la région, en tant que chef de file, est alors d’assurer la coordination de leurs différentes interventions. La contractualisation permet d’assurer cette coordination, sans mettre en place une quelconque forme de tutelle. Elle permet de réaliser un consensus. « La mise en œuvre des politiques dans les territoires nécessite une forte coopération entre les décideurs, les professionnels de la formation, de l’accueil et de l’insertion, et les acteurs économiques et sociaux. Dans plusieurs régions, se sont développées des structures de coordination et de concertation entre les acteurs locaux, qui peuvent prendre la forme d’instances de négociation tripartites État, conseil régional, professionnels. Ces instances s’avérant assez lourdes à gérer, certains conseils régionaux mettent en place des structures plus légères, qui se veulent plus opérationnelles et finalisées, en permettant aux acteurs locaux de peser sur les choix de formation ».926 La contractualisation, et donc la recherche de consensus qui l’accompagne, permettent à la région de réunir tous les acteurs de la formation professionnelle sur son territoire afin de décider d’une mise en œuvre de cette politique la plus harmonieuse possible. 377. En matière de développement économique, l’outil contractuel est également central. « La coopération harmonieuse et les conventions entre tous les acteurs sont une condition essentielle du développement économique des régions ».927 Cependant, le législateur en fait un outil à double tranchant. En effet, les collectivités infrarégionales peuvent avoir recours au contrat pour coordonner leurs actions avec celles du chef de file régional, mais aussi pour contourner une décision du chef de file. En effet, la loi du 13 août 2004 prévoit au moins trois situations, en matière d’aides aux entreprises, dans lesquelles il y a un recours à la contractualisation, mais dont les conséquences diffèrent. Tout d’abord, les départements, les communes ou leurs groupements peuvent contracter avec la région afin d’aider celle-ci à financer ses propres régimes d’aides. La deuxième possibilité est pour la collectivité infrarégionale de passer une convention avec la région pour que celle-ci lui donne son accord pour créer et mettre en œuvre son propre projet d’aide. Ces deux premières possibilités sont prévues à l’article L.1511-2 du CGCT. La troisième possibilité, offerte par l’article L.1511-5, conduit cette fois les collectivités infrarégionales à contractualiser directement avec l’État pour mettre en œuvre leur propre régime d’aide, en contournant ainsi la région. « Ce dispositif permet à une collectivité territoriale autre que la région de contourner la primauté de celle-ci 926 GÉHIN Jean-Paul, « A la recherche de modalités locales de régulation », in BEL Maïten, MÉHAUT Philippe, MERIAUX Olivier (dir.), La décentralisation de la formation professionnelle. Quels changements dans la conduite de l’action publique ?, Paris, L’Harmattan, coll. Logiques politiques, 2004, p.32. 927 ROHAN Josselin de, Sénat, JORF Débats, 29 octobre 2003, p.7201. - 319 - en matière d’aides de l’article L.1511-2 en ayant recours au soutien de l’État ».928 La contractualisation joue donc un double rôle en matière d’aides économiques. Elle permet de coordonner les interventions des différentes collectivités locales, ce qui est conforme alors au rôle de la contractualisation dans la mise en œuvre de la fonction de chef de file. Cependant, la contractualisation permet, dans ce domaine de compétence, de contourner le chef de file régional. Elle est alors un outil contraire à l’objectif du chef de file. 378. S’il nous a été ici possible de présenter le fonctionnement du partenariat de manière théorique dans cette étude, il est nécessaire de relever que la réussite de ce système ne peut être assurée par une telle approche. En effet, comme nous l’avons déjà relevé la réussite d’une politique contractualisée repose sur la capacité de l’ensemble des acteurs à trouver un consensus. Or celui-ci ne peut être déterminé qu’au cas par cas. « Les partenariats réussis reflètent les conditions locales, ne sont pas imposés et ne suivent pas un modèle standard ».929 Cela impose donc au chef de file un véritable travail de concertation avec l’ensemble des acteurs parties à l’action commune. Cette concertation nécessite l’existence d’un véritable leadership de la part de la région pour assurer sa réussite. Or pour l’instant, ce leadership est refusé à la région. 928 929 NICINSKI Sophie, Droit public des affaires, op. cit., p.246. CEDEFOP, La région apprenante, op. cit., p.2. - 320 - Section 2. L’impossible leadership régional 379. La désignation du département comme chef de file de l’action sociale était le résultat d’un consensus très important autour du rôle prépondérant de la collectivité en ce domaine. La désignation de la région comme chef de file s’est également effectuée dans des domaines de compétences traditionnels de cette collectivité. L’enchevêtrement des compétences semble cependant encore de mise dans ces domaines. En effet, ses pouvoirs ne reflètent pas ce que devrait être le véritable rôle de la région chef de file. Les débats parlementaires ont été marqués par une importante opposition entre les régionalistes et les départementalistes. Les seconds craignant pour l’avenir de la collectivité départementale ont tout fait pour limiter l’importance de la région. Il s’agira ici d’analyser les limites propres à l’exercice par la région de sa fonction de chef de file (§1) puis d’étudier le fait que ces limites semblent liées à un mouvement plus général de peur du fait régional (§2). §1. Les limites rencontrées par la région dans l’exercice de son rôle de chef de file 380. La région ne peut exercer correctement son rôle de chef de file en matière de formation professionnelle et en matière de développement économique. Les raisons sont variées dans les deux cas, mais elles conduisent au même résultat à savoir empêcher la région d’être un véritable chef de file. Dans le domaine de la formation, la région doit coordonner l’action de nombreux acteurs sans pour autant que cette fonction lui soit reconnue, notamment par les usagers du service public. La formation professionnelle est un domaine de compétence complexe (A). En matière d’action économique, nous l’avons déjà esquissé, la région ne dispose pas des pouvoirs nécessaires pour assumer pleinement son rôle de chef de file (B). - 321 - A. Le chef de file de la formation professionnelle, un domaine d’action complexe 381. La fonction de chef de file de la région dans le domaine de la formation professionnelle rencontre des difficultés dans sa mise en œuvre à différents égards. Tout d’abord, la compétence de la région en la matière semble peut être encore un peu méconnue du grand public, à l’image des compétences régionales dans leur ensemble.930 « Pour le grand public, la région peine à s’incarner, sa face la plus visible se résumant aux lycées, aux TER et… à une occasion électorale de sanctionner un gouvernement qui déplaît ».931 Cette méconnaissance par les citoyens de cette compétence régionale peut être un frein au véritable développement de son rôle de chef de file. En effet, nous l’avons déjà évoqué le rôle du chef de file n’est pas seulement de coordonner les interventions des acteurs publics. Il doit pouvoir être un interlocuteur unique pour les citoyens. Or pour pouvoir correctement assurer ce rôle de guichet unique, il est nécessaire que le citoyen sache qu’il faut s’adresser aux services de la région, ce qui a priori n’est pas le cas. 382. Cela est notamment lié à la complexité de ce domaine de compétences. En effet, il est aisé d’observer dans un premier temps que les dispositions relatives à l’intervention de la région en matière de formation professionnelle sont réparties dans trois codes différents. La loi du 13 août 2004 apporte des modifications à trois codes en matière de formation professionnelle. Ils s’agit du Code général des collectivités territoriales, du Code du travail et du Code de l’éducation. Ainsi, les dispositions relatives au financement de cette compétence se trouvent dans le CGCT à l’article L.4332-1. Cet article crée dans chaque région un fonds régional de l’apprentissage et de la formation professionnelle qui a pour objectif de financer cette compétence. Le fonds est abondé par des transferts de crédits de la part de l’État, par une dotation régionale ainsi que par une contribution au développement de l’apprentissage qui est due par les entreprises.932 Le Code du travail contient également des dispositions puisque 930 V. par ex. RÉMOND Bruno, « Régions : une révolution inachevée », Le Figaro, tribune, 13 janvier 2010, Disponible depuis le site Internet du CEVIPOF ; MUXEL Anne, « Régionales 2010. La question du jour : pourquoi s’attend-on à une forte abstention aux élections régionales ? », La Croix, 2 mars 2010. Les deux auteurs sont chercheurs en science politique et membres du CEVIPOF, le centre de recherches politiques de Science Po Paris. Dans ces deux articles, les auteurs mettent en lumière le fait que la plupart des citoyens connaissaient mal les compétences régionales à la veille des élections régionales de 2010. 931 FABER Dominique (pseudonyme d’un haut fonctionnaire tenu au devoir de réserve), « Pour un État des territoires », Pouvoirs locaux, 2006, n°70, p.95. 932 Le CGCT effectue ici un renvoi à l’article 1599 quinquies A du Code Général des Impôts pour la définition de ce fonds, ainsi que la définition des entreprises assujetties à cette contribution. - 322 - c’est en son sein que sont définis les principes généraux de la formation professionnelle. Parmi ces dispositions, le Code du travail affirme la compétence de la région en matière d’apprentissage et de formation professionnelle des jeunes et des adultes.933 La partie réglementaire du Code du travail renferme également des éléments, puisqu’elle contient, notamment, les règles relatives au comité de coordination régional de l’emploi et de la formation professionnelle934 qui intervient dans la réalisation du plan régional de développement de la formation professionnelle et de l’apprentissage. Ce plan est quant à lui prévu à l’article L.214-12 du Code de l’éducation. « La présentation du texte est particulièrement complexe parce que le siège principal de la matière se trouve dans le Code du travail alors que l’énoncé des compétences régionales figure dans le Code de l’éducation (pour ne pas être séparées des compétences locales en matière d’enseignement) ».935 La concordance entre les différents textes se fait par un système de renvoi entre les codes. Toutefois, il est aisé de comprendre que cela ne facilite pas la lecture et la compréhension de la mise en œuvre du chef de file régional dans ce domaine d’action. Ainsi, c’est l’accessibilité même au service public, accessibilité au sens intellectuel, qui est ici remise en cause au travers de l’enchevêtrement des compétences. 383. A cette complexité des textes s’ajoute le fait que la formation professionnelle implique un nombre important d’acteurs qui sont à la fois des acteurs publics, centraux et décentralisés, mais aussi des acteurs privés. Le professeur Douence parle à ce propos de « caractère spécifique du secteur ».936 En effet, la formation professionnelle – contrairement au système scolaire – fait intervenir une multitude d’acteurs et surtout les régions interviennent dans un domaine d’action où il n’y a pas de monopole étatique, mais un marché concurrentiel. L’offre de formation est très varié et provient aussi bien de structures publiques, lycées professionnels, Centres de formation des apprentis (CFA), que de structures privées, associations ou entreprises. A cette offre importante, répond cependant également une importante demande qui comprend aussi bien les entreprises elles-mêmes, que les actifs ou des personnes en recherche d’emploi. La coordination de l’ensemble de ces intervenants par la région n’est pas une chose aisée. D’autant plus, que l’État n’est pas nécessairement pour la région un soutien en la matière. D’une part, les transferts de moyens financiers notamment de 933 Art. L.6121-1 du Code du travail Art. D.6123-18 du Code du travail. 935 DOUENCE Jean-Claude, « Les transferts de compétences en matière de formation professionnelle », art. cit., p.119. 936 Ibid., p.120. 934 - 323 - l’État vers la région pour assurer la gestion de cette compétence n’ont pas nécessairement eu lieu. D’autre part, « l’expérience a révélé que cette compétence est demeurée largement virtuelle, notamment au regard des interventions de l’État qui se sont multipliées au titre de sa politique de l’emploi ».937 Pour tenter de remédier à la complexité de ce domaine d’action, un récent rapport d’information du Sénat propose de reconnaître un véritable rôle en matière d’emploi aux collectivités territoriales.938 Le constat de l’auteure du rapport est que l’emploi est au cœur des préoccupations des collectivités territoriales, mais que les compétences qui s’y rattachent sont atomisées entre les différents niveaux. Dès lors, le rapport propose de créer un véritable triptique orientation-formation-insertion au service de l’emploi et qui serait une compétence des collectivités territoriales. Allant plus loin, le rapport considère qu’il serait nécessaire d’avoir un pilotage de cette compétence par la région ou par les intercommunalités dépassant un certain seuil.939 « Cette coordination pourrait être adossée à un document cadre qui répartirait les rôles entre les acteurs, après un diagnostic des forces en présence. Se poserait la question de son caractère prescriptif ».940 L’ARF s’est également positionnée en faveur d’une grande compétence emploi au bénéfice de la région, qui couvrirait l’ensemble des politiques relatives à la formation initiale, à la recherche, à l’orientation ou encore au développement d’entreprise.941 Nous ne pouvons que relever que ce document cadre existe déjà, du moins pour la compétence formation professionnelle, et est adopté par la région. Il suffirait donc d’élagir l’objet de ce schéma pour l’adapter à cette nouvelle compétence en faveur de l’emploi. La question de la portée juridique du schéma se pose et nous sommes favorables au caractère contraignant d’un tel document. Dans le cas où la région pourrait bénéficier d’une véritable capacité juridique pour assurer son rôle de chef de file l’extension de la compétence formation professionnelle à l’ensemble de la chaine de l’emploi ne peut que recueillir notre assentiment. Les difficultés rencontrées par la région dans son rôle de chef de file dans le domaine de la formation professionnelle sont donc liées à la multiplication des acteurs intervenant dans ce domaine. En matière d’action économique, la problématique n’est pas tout à fait la même 937 FAURE Bertrand, Droit des collectivités territoriales, op. cit., p.521. SCHILLINGER Patricia, Rapport d’information sur les collectivités territoriales et l’emploi, Sénat, n°625, 2012, 78p. 939 Ibid., p.60. 940 Ibid., p.62. 941 ARF, Les Régions au cœur du nouvel acte de la décentralisation, 2012, p.6. 938 - 324 - car s’il existe là aussi de nombreux acteurs, l’échec du chef de file de la région tient surtout à son absence de pouvoirs. B. L’impossible réussite du chef de file régional en matière économique En matière de développement économique, la loi du 13 août 2004 « a mis au monde juridique une notion mort-née ».942 Si l’image est forte, elle s’approche très nettement de la réalité. En effet, les différents alinéas de l’article 1er de la loi libertés et responsabilités locales instaurent un système très complexe, au fil duquel les pouvoirs de la région s’étiolent peu à peu. 1. La région, un chef de file sans aucune capacité 384. La complexité du régime se perçoit dès la lecture de l’article L.1511-1 du CGCT. En effet, la région devait disposer selon le projet gouvernemental de la responsabilité du développement économique de son territoire. Or cette compétence a finalement été supprimée. La région se retrouve donc dans une position où elle doit coordonner les interventions économiques des collectivités territoriales sur son territoire, sans pour autant avoir clairement la responsabilité du développement économique. La loi ne met donc pas la région en position d’être clairement un chef de file de l’action économique, mais simplement une collectivité en charge de la coordination des interventions. Conformément au texte de la Constitution et à son interprétation par les Sages de la rue Montpensier, le rôle du chef de file est uniquement de coordonner l’action commune. Cependant, nous l’avons déjà évoqué ce n’est là, selon nous, qu’un rôle a minima pour le chef de file. Pour réellement réussir à organiser l’action commune, le chef de file doit être reconnu par les autres collectivités comme un leader en la matière. Or, l’article 1er du projet de loi a été modifié par le Sénat justement pour empêcher ce leadership de la région en lui refusant la responsabilité du développement économique sur son territoire. « L’échelon régional n’a pas l’envergure d’un leader économique car, faute d’autorité sur les autres collectivités, il risque d’être cantonné dans une simple fonction de coadministration ou de régulation inapte à impulser le développement économique ».943 Il faut ajouter à cela que le schéma régional de 942 BENOIT Loïck, « Décentralisation et développement économique : la nouvelle répartition des compétences », art. cit., p.1879 943 Ibid., p.1881. - 325 - développement économique n’est pas une compétence pleinement accordée à la région, mais simplement une expérimentation. C’est clairement la peur, infondée, que la région exerce une forme de tutelle sur les autres collectivités qui a fait modifier le projet. En effet, les débats entre départementalistes et régionalistes ont été importants au cours des travaux parlementaires sur le projet de loi libertés et responsabilités locales. Certains sénateurs ont pu exprimer leur crainte selon laquelle l’article 1er de la loi tel que proposé dans le projet de loi « établiss[ait] ainsi, malgré l’article 72 de la Constitution, une tutelle de la région sur les autres collectivités territoriales en matière de politique économique et que cet article [était] profondément inconstitutionnel ».944 Selon nous, cette analyse n’est pas correcte. En confiant à la région la responsabilité du développement économique de son territoire, le projet de loi ne faisait que mettre le conseil régional dans les conditions nécessaires pour l’exercice de son rôle de chef de file. En ne reconnaissant pas à la région un rôle prépondérant en matière de développement économique, la loi du 13 août 2004 a fait de la région un acteur du développement économique similaire à la commune ou au département. Alors qu’elle se retrouve sur un pied d’égalité avec les autres collectivités, la région est toutefois censée coordonner leur différentes actions. La région se retrouve ainsi chef de file de l’action économique dans une position où elle n’est pas assurée d’être considérée comme un chef par les autres collectivités. La région chef de file du développement économique de son territoire s’est donc retrouvée entre le projet gouvernemental et le texte adopté entièrement dépouillée des pouvoirs nécessaires à l’exercice réel de sa fonction. « Il en résulte une certaine complexité d’ensemble de ces dispositions et la difficulté à définir quel sera le rôle exact des régions ».945 La région ne dispose donc pas des capacités juridiques nécessaires pour exercer son rôle de chef de file. Les parlementaires ont refusé d’accorder trop de pouvoirs à la région craignant qu’elle mette en place une tutelle sur les autres collectivités territoriales. Finalement en refusant de clarifier réellement les compétences en matière d’action économique, le législateur a placé la région en position de se retrouver elle-même sous tutelle. 944 COLLOMB Gérard, Sénat, JORF Débats, 31 octobre 2003, p.7305. LONG Martine, « Développement économique et développement local », in La profondeur du droit local. Mélanges en l’honneur de Jean-Claude Douence, op. cit., p.325. 945 - 326 - 2. La possible mise sous tutelle de la région Le législateur a organisé le contournement du chef de file régional par les communes et les départements par simple convention avec l’État. La région ne peut alors pas s’opposer aux aides ainsi accordées et son rôle de coordonnateur de l’action économique est donc bafoué. En effet, face aux protestations des collectivités infrarégionales (b), le législateur a maintenu leur compétence en matière économique (a). a. La survie de la compétence économique pour les collectivités infrarégionales 385. La complexité du texte se poursuit lorsqu’on analyse les différents types d’aides que les collectivités territoriales peuvent mettre en place à destination des entreprises sur leur territoire. La lecture combinée des articles L.1511-2 et L.1511-5 fait apparaître que trois types d’aides peuvent être accordées. Tout d’abord, les aides dont le régime et le montant sont fixés par la région, ces aides peuvent être complétées par les collectivités infrarégionales. Il existe un deuxième type d’aides dont le régime est fixé par les départements, les communes ou leurs groupements après accord de la région. Enfin, un troisième régime d’aides peut être déterminé par les collectivités infrarégionales en contractant directement avec l’État. Ce troisième type d’aides conduit à totalement annuler la prééminence dont devrait bénéficier la région en tant que chef de file. Le projet gouvernemental ne prévoyait cette possibilité que pour palier l’inaction de la région. En effet, les collectivités infrarégionales ne pouvaient intervenir, en contractant avec l’État, que si elles avaient déjà effectuée une demande de régime dérogatoire d’aide à la région, mais que celle-ci n’avait pas répondu ou alors avait refusé. « Cette disposition avait ainsi pour objet de tirer toutes les conséquences du rôle du chef de file dévolu à la région en matière de développement économique ».946 Le texte final diffère assez largement. En effet, il n’y a plus de référence à l’inaction de la région. Les collectivités infrarégionales peuvent instituer leur propre régime d’aide par contrat avec l’État, sans que la région ne puisse s’y opposer. « L’alliance entre l’État et une collectivité infrarégionale fera échec »947 à la politique régionale. L’écriture de cette disposition est également la conséquence du refus d’accorder à la région la responsabilité du développement économique. 946 CASTELNEAU Régis de, FAŸ Pauline de, « Le nouveau régime des interventions économiques des collectivités territoriales », art. cit., p.123. 947 SAVY Robert, « Vingt ans après ou les régions françaises au milieu du gué », in Le droit administratif : permanences et convergences. Mélanges en l’honneur de Jean-François Lachaume, op. cit., p.972. - 327 - En permettant aux communes et aux départements d’instituer leurs propres régimes d’aides sans concertation préalable avec la région, le législateur semble tout faire pour éviter que la région ne développe une quelconque prééminence dans ce domaine. Cette disposition a été instituée par la peur qu’avaient certains parlementaires de voir la région instituer une forme de tutelle sur les autres collectivités. Or, il semblerait au final que la situation se soit retournée. La région pourrait se retrouver sous la tutelle des autres collectivités territoriales et de l’État en cas de convention entre ceux-ci sur un régime d’aide spécifique. Cette éventualité n’a par contre pas été évoquée dans les débats parlementaires. Tout porte à croire que le législateur a trouvé plus important de sauvegarder la liberté d’intervention des communes et des départements par rapport à la fonction de coordination de la région. Il y a là une forme de contradiction de la part du législateur. La région devrait en principe coordonner les interventions économiques sur son territoire. Or les collectivités infrarégionales peuvent intervenir directement sans concertation avec la région, en contractant simplement avec l’État. Non seulement, la loi n’accorde pas à la région les pouvoirs nécessaires à l’exercice de sa fonction de chef de file, mais en plus elle donne les moyens aux autres collectivités territoriales de ne pas respecter cette fonction. A cet égard, le constat de la Cour des comptes est assez amer. En effet, celle-ci relève que « le dispositif de conventionnement entre la région et d’autres collectivités territoriales, destiné à faciliter le rôle de coordination de la région, n’est pas aussi systématique que la loi l’a envisagé. Certaines collectivités refusent d’ailleurs toute convention avec la région, alors que d’autres préfèrent contractualiser directement avec l’État ».948 386. Cette contradiction, voire même schizophrénie, du législateur peut s’expliquer pour deux raisons selon nous. D’une part, il y a clairement chez les parlementaires une incompréhension sur le rôle de la collectivité chef de file et sur la mise en œuvre de cette fonction. Il est vrai que la rédaction de l’article 72, alinéa 5 de la Constitution ne facilite pas cette compréhension. D’autre part, cette incompréhension de la fonction de chef de file a conduit certains parlementaires à croire qu’il s’agissait là d’un moyen pour la région d’imposer une tutelle sur les départements et les communes. Cette peur de la tutelle de la région sur les autres collectivités était pourtant infondée. En effet, la tutelle est interdite par la Constitution et le projet gouvernemental évitait cet écueil. Ainsi, le sénateur Schosteck dans son rapport sur le projet de loi relative aux libertés et responsabilités locales indiquait que « la compétence des départements et des communes en matière de développement économique ne 948 Cours des comptes, Les aides des collectivités territoriales au développement économique, Rapport public thématique, 2007, p.41. - 328 - serait pas remise en cause ».949 Ce raisonnement n’a pourtant pas été totalement entendu et c’est finalement à un chef de file diminué, quasi inexistant, qu’a abouti la loi du 13 août 2004. 387. Il est même possible de considérer que la région se retrouve finalement sous une double tutelle en matière d’aides économiques. En effet, la réglementation européenne implique de nombreuses contraintes en matière d’aide aux entreprises.950 En premier lieu, les contraintes européennes empêchent les collectivités territoriales d’accorder librement des aides à toutes les entreprises. En effet, les aides publiques ne peuvent pas conduire à fausser la concurrence selon le droit communautaire. Ces contraintes imposent également à l’État de notifier à la Commission européenne les régimes d’aides accordées par les collectivités territoriales.951 Or c’est sur la région que repose la responsabilité de cette collecte d’information. Enfin, en cas de condamnation de l’État par la Cour de justice de l’Union européenne pour une aide injustement versée, c’est à la collectivité territoriale elle-même de procéder à son recouvrement.952 Les pouvoirs de la région chef de file sont donc contraints, limités par le droit communautaire. La limitation du chef de file régional au profit des autres collectivités s’explique notamment par les résistances des départements et des communes à conserver leur compétence. Il s’agit, en effet, d’une compétence cruciale pour beaucoup de collectivités et un important levier en matière électorale pour les élus locaux. b. Le développement économique, une compétence importante pour tous les niveaux de collectivités territoriales 388. Cet échec dans la désignation de la région comme chef de file de l’action économique démontre parfaitement la difficulté à clarifier certains domaines de compétences particulièrement enchevêtrés. Les élus départementaux et communaux ne veulent pas se défaire d’une compétence aussi importante que l’action économique au profit de la région. Il en va pour eux de l’aménagement de leur circonscription, de sa vitalité économique mais aussi en partie de leur réélection. « Il est vrai qu’aucun élu local ne saurait se désintéresser 949 SCHOSTECK Jean-Pierre, Rapport sur le projet de loi relatif aux responsabilités locales, Sénat, n°31, 2003, p.46. 950 Articles 107 à 109 du TFUE. 951 Art. 108 du TFUE. 952 Art. L.1511-1-1 du CGCT. - 329 - des entreprises et des activités économiques présentes sur son territoire ».953 Preuve en est, le maintien dans la plupart des départements d’un comité de développement économique ou comité d’expansion. Ces comités sont placés sous l’égide des conseils généraux et visent à promouvoir le territoire départemental pour y faciliter l’implantation d’entreprises. Les départements usent de ces comités d’expansion pour promouvoir leur territoire à l’étranger. Or les régions disposent également de ce même type de service de promotion du territoire. « Quoi qu’on en dise, régions et départements sont largement concurrentiels en matière de développement économique, d’aménagement du territoire, d’innovation, de tourisme ou de politique environnementale ».954 De même, les établissements publics de coopération intercommunale, de type communauté urbaine ou communauté d’agglomération, ont reçu une compétence en matière de développement économique sur leur territoire. Ainsi les articles L.5215-20 et L.5216-5 du CGCT, relatifs aux compétences des communautés urbaines et des communautés d’agglomérations, font référence aux « actions de développement économique ». Les EPCI sont alors en concurrence avec les services de la région pour la promotion de leur territoire et peuvent même être en concurrence entre eux à l’intérieur d’une même région. Or compte tenu de la crise économique, cette concurrence entre EPCI et région ne produit pas une émulation positive, mais conduit plutôt à une concurrence néfaste. La plupart des communautés ont alors développé d’importants services dédiés à l’action économique, voire même des structures de soutien au développement économique de leur territoire. Ces structures peuvent prendre la forme des sociétés d’économie mixte ou d’établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC), tel est le cas par exemple de la communauté d’agglomération d’Angers qui a créé une agence de développement économique sous la forme d’un EPIC. Ces « agences », pour reprendre la terminologie employée dans l’agglomération angevine, ont pour objectif de promouvoir le territoire intercommunal auprès des entreprises, de réaliser des acquisitions de terrains en vue d’y faciliter l’implantation de nouvelles entreprises ou encore de faciliter les démarches des entreprises qui souhaitent s’installer sur le territoire intercommunal. La Cour des comptes soulevait d’ailleurs ce problème dans son rapport de 2009 relatif à la conduite de la décentralisation par l’État. La Cour constate, en effet, que le rôle de chef de file de la région en matière de développement économique est assez peu connu voire contourné. Elle ajoute à cet égard que « les collectivités territoriales ont créé ou font appel à de nombreux organismes (comité d’expansion économique et agences de développement économique, sociétés 953 954 GRUILLOT Georges, Avis sur le projet de loi relatif aux responsabilités locales, Sénat, n°34, 2003, p.4. PASQUIER Romain, « Collectivités territoriales, la réforme impossible ? », Le Monde, 16 octobre 2008. - 330 - d’économie mixte…) pour mettre en œuvre leur action économique. Les régions qui ne disposent pas toujours de structures administratives et techniques en rapport avec leurs missions, externalisent ainsi fréquemment la gestion et l’instruction de leurs aides économiques, ce qui accroît la complexité du dispositif institutionnel ».955 Or il faut constater que le rôle accordé à ces agences de développement économique se rapproche du rôle que devrait en partie tenir la région en tant que chef de file du développement économique. Dès lors, cela peut conduire à des problèmes de lisibilité de l’action publique pour des entreprises étrangères qui voudraient s’installer sur le territoire français. « Quoi qu’on en dise ces échelons sont largement concurrentiels en matière de développement économique, d’aménagement du territoire, de tourisme, de politique environnementale. S’il est sans doute très difficile de supprimer tel ou tel niveau, il est urgent de remettre un semblant de hiérarchie dans le « fourre-tout » de la décentralisation française ».956 Un premier pas pourrait être dans ce cadre la mise en place d’une mutualisation des moyens alloués par chaque collectivité à sa propre agence. Ainsi, l’objectif serait dans un premier temps de créer un guichet unique vers lequel les acteurs économiques pourraient se tourner pour obtenir toutes les informations sur les aides économiques versées par chaque collectivité. Sans perdre aucun pouvoir propre, chaque collectivité pourrait ainsi faire des économies, notamment en personnel, économies qui pourraient alors servir à financer des aides économiques plus nombreuses. Surtout, pour les usagers, cette mutualisation faciliterait l’accessibilité de l’administration. 389. L’un des objectifs de désigner une collectivité comme chef de file est, selon nous, de faciliter les contacts avec l’administration pour les usagers. La région chef de file est ainsi une forme d’interlocuteur unique pour les entreprises. Désigner un chef de file c’est mettre fin au parcours du combattant que doivent affronter les entreprises qui cherchent des aides publiques pour s’installer. En principe le chef de file a un rôle de guichet unique. Or puisque les départements et les communes peuvent accorder leurs propres aides, selon les régimes qu’ils ont eux-mêmes définis, les entreprises sont toujours contraintes de multiplier les démarches auprès de différentes administrations locales. « Cet épisode montre qu’il sera sans doute assez souvent délicat d’instituer un chef de file, sur des compétences importantes, les représentants des autres collectivités s’évertuant à circonscrire une telle autorité ».957 Cette volonté des 955 Cour des comptes, La conduite par l’État de la décentralisation, Rapport public thématique, 2009, p.73. PASQUIER Romain, « Une régionalisation de la décentralisation est-elle plausible ? », Pouvoirs locaux, 2012, n°92, p.123. 957 GROUD Hervé, « Réflexions sur le nouveau droit de l’interventionnisme économique local et régional », art. cit., p.126. 956 - 331 - collectivités infrarégionales de conserver une certaine maîtrise de l’action économique sur leur territoire, au détriment de la région désignée comme chef de file, renvoie selon nous plus largement à une crainte de l’augmentation des pouvoirs de la région. Cet antagonisme entre les partisans d’une forme de régionalisme à la française et les autres a sous-tendu en réalité une grande part des débats relatifs à la loi libertés et responsabilités locales. §2. La peur du fait régional L’ensemble de la décentralisation française semble traversé par cette crainte. La région est la dernière née des collectivités territoriales et son rôle n’a cessé de s’affirmer depuis les lois de décentralisation des années 1980 (A). Cependant le législateur n’a jamais consacré cette primauté (B). A. La région, une collectivité territoriale stratégique Le fait régional est devenu aujourd’hui une réalité, nous semble-t-il. La région malgré un manque de visibilité à l’égard des citoyens est devenue une collectivité territoriale importante dans le paysage de l’action publique. Cette importance est liée tant à son action dans l’ordre interne (1), qu’à son action dans le cadre de la construction communautaire (2). 1. La lente émergence des régions dans l’ordre interne 390. Il y a indéniablement aujourd’hui un développement important du fait régional, même si l’expression « reflète les incertitudes de la région »958 d’après Gérard Marcou. Le « fait régional » n’est pas une réalité juridique, mais plus un sentiment, une intuition. D’ailleurs la notion même de région recouvre des réalités différentes au niveau européen, mais aussi en fonction des disciplines scientifiques. Pourtant, les pouvoirs des régions françaises n’ont cessé de s’accroître depuis leur création. Les lois de transfert de compétences ont progressivement accordé à la région d’importants domaines d’intervention. « Ainsi, cahin-caha, de demimesures en non-réformes, le poids des régions françaises s’est progressivement accru dans l’action publique territoriale ».959 L’une des spécificités de la région est que son 958 MARCOU Gérard, « Le représentant territorial de l’État et le fait régional dans les Etats européens », RFAP, 2010, n°135, p.568. 959 CERLES Nathalie, « Vers une maturité politique des régions françaises ? », JCP-A, 2004, n°10, p.306. - 332 - positionnement géographique l’éloigne un peu du citoyen, par rapport aux autres collectivités territoriales. Ainsi, les compétences de la région semblent moins fixées dans le quotidien des citoyens, mais dans une action de conception à plus long terme de l’aménagement du territoire, de développement du cadre de vie. Cette lecture est confortée par deux éléments, tout d’abord la loi de 1982 qui donne notamment compétence au conseil régional pour l’aménagement du territoire.960 Ensuite, nous l’avons également évoqué, la région est compétente pour adopter différents schémas d’organisation qui sont autant de visions prospectives de l’aménagement du territoire régional, notamment le schéma régional d’aménagement et de développement durable du territoire (SRADDT), schéma non prescriptif.961 « Il résulte de cette situation bien particulière que la région met en œuvre ses compétences par la combinaison de deux idéaux : celui, d’une part, de l’opérateur direct qui ne se contente pas de produire une politique mais va jusqu’à la réaliser dans ses modalités les plus précises ; celui, d’autre part, du régulateur d’un jeu d’acteurs complexe, qui choisit de « faire faire » plutôt que de faire ».962 La seconde méthode renvoie parfaitement à ce que devrait être selon nous le rôle de chef de file de la région. Il y a dans l’identité même de la collectivité régionale des éléments qui tendent à en faire une forme de chef de file universel. « Alors que communes et départements ont une fonction de gestion dans la proximité, les régions ont en charge la cohérence et le long terme ».963 Sans plaider pour une transformation – pratiquement impossible dans les faits – de la France en État fédéral, il est clair que la régionalisation à la française n’est pas encore achevée. Malgré les craintes régulièrement exprimées par ses opposants, la régionalisation à la française ne relève pour l’instant que du vœu pieu de certains membres de la doctrine964 ou de certains hommes politiques. Il n’existe pas pour le moment de véritable processus de régionalisation. « Celle-ci s’inscrit dans les principes de la continuité de la République unitaire ; à la différence des régionalisations italienne, espagnole ou belge, la régionalisation française ne change pas la nature de l’État, elle représente seulement une extension au niveau régional de la 960 Art. 59 de la loi n°82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, précit. 961 Art. 5 de la loi n°99-533 du 25 juin 1999 d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire et portant modification de la loi n°95-115 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire – dite Loi Voynet, JORF, 29 juin 1999, p.9515. 962 PIERRON Robert, « Le bien-fondé d’un cadre régional : de la pertinence d’un espace socio-économique à l’apprentissage du rôle d’acteur émergent », in BERTHET Thierry (dir.), Les régions et la formation professionnelle, op. cit., p.28. 963 SAVY Robert, « Vingt ans après ou les régions françaises au milieu du gué », in Le droit administratif : permanences et convergences. Mélanges en l’honneur de Jean-François Lachaume, op. cit., p.974. 964 V. not. MERLAND Guillaume, « Quelles réformes constitutionnelles une « régionalisation » de la France implique-t-elle ? », Pouvoirs locaux, 2006, n°70, p.143-150. - 333 - décentralisation territoriale ».965 D’ailleurs le poids économique des régions françaises n’est nullement comparable à celui des régions espagnoles ou encore des Länder allemands. « Le budget des régions françaises est notoirement faible. Le rapprochement de cas à peu près comparables (en termes de population) de Rhône-Alpes, Lombardie, Catalogne et Zurich sont, à cet égard édifiants ».966 Comparativement à leurs homologues européennes, les régions françaises n’ont qu’un faible poids économique. Elles représentent encore une petite part des investissements publics locaux en France.967 La région demeure aujourd’hui une collectivité territoriale comme les autres, elle ne dispose pas de plus de pouvoirs, ni de moins. « La question principale, pour l’avenir, est de savoir si elle peut et doit être différente ».968 391. Dans le cadre de l’administration déconcentrée de l’État, la région est également devenue un cadre territorial très important. L’échelon régional « est aujourd’hui la pièce maîtresse de l’État déconcentré ».969 Allant même plus loin, l’État a concédé une forme de hiérarchisation entre ses autorités déconcentrées régionales et ses autorités déconcentrées départementales. Ainsi, l’article 131 de la loi du 13 août 2004 dispose que le préfet de région « anime et coordonne l’action des préfets de départements de la région ». D’une certaine manière le préfet de région est donc le chef de file des préfets sur son territoire. Tirant toutes les conséquences d’une telle disposition, un décret de 2010970 indique clairement que « les préfets de départements prennent leurs décisions conformément aux instructions que leur adresse le préfet de région ».971 La redistribution des pouvoirs des autorités déconcentrées au profit des préfets de région est le signe incontestable de l’intérêt du niveau territorial régional. L’instauration d’une forme de hiérarchie entre les préfets de région et les préfets de département, ou en tout cas d’une obligation de coordination des actions au profit des premiers devrait inspirer le législateur en matière de décentralisation. Les pouvoirs accordés au préfet de région sont le signe que ce niveau territorial est le mieux à même d’assurer une 965 MARCOU Gérard, « L’expérience française de régionalisation (la décentralisation régionale dans l’État unitaire) », in L’État de droit. Mélanges en l’honneur de Guy Braibant, op. cit., p.506. 966 http://www.geopopulation.com/20100321/europe-comparaison-des-271-regions-europe/. Source journal Les Echos, 9 mars 2010. 967 Ainsi, d’après les chiffres de l’Observatoire des finances locales, en 2010, les dépenses totales (fonctionnement et investissement) des régions s’élevaient à 26,5 milliards d’euros, contre 68,3 milliards d’euros pour les départements et 117,9 milliards d’euros pour le bloc communal. Observatoire des finances locales, Les finances des collectivités locales en 2011, op. cit., p.8. 968 VERPEAUX Michel, La région, Paris, Dalloz, 2005, p.23. 969 CHAUVIN Francis, « L’acte II de la déconcentration », in Etudes à la mémoire du professeur François Burdeau, Paris, Litec, 2008, p.106. 970 Décret n°2010-146 du 16 février 2010 modifiant le décret n°2004-374 du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l’organisation et à l’action des services de l’État dans les régions et les départements, JORF, 17 février 2010, dans sa version numérique, sur legifrance.gouv.fr 971 Art. 2 du décret n°2010-146 du 16 février 2010. - 334 - coordination des actions des échelons « inférieurs ». Le parallèle avec la fonction de chef de file est indéniable. Une question se pose alors, si dans le cadre de l’administration déconcentrée le préfet de région peut disposer d’une forme d’autorité sur les préfets de départements, pourquoi n’en serait-il pas de même en matière de décentralisation ? JeanMarie Pontier parle à cet égard de « tendance à une désynchronisation, ou à une divergence, entre la réforme de l’administration territoriale de l’État et la réforme des collectivités territoriales ».972 En clair, si déconcentration et décentralisation ont souvent évolué de manière parallèle, sur la question de la hiérarchisation les deux politiques sont opposées. En effet, en matière de déconcentration, l’État accepte qu’il puisse exister une forme de différenciation entre les niveaux territoriaux. Au contraire, en matière de décentralisation, le principe d’égalité est de mise et refuse donc toute forme de hiérarchisation et de tutelle entre les collectivités territoriales. Dès lors, si le préfet de région peut être considéré comme un véritable chef de file vis-à-vis de son homologue départemental, la région – collectivité territoriale – ne peut être qu’un chef de file diminué, a minima puisqu’elle ne peut instaurer de tutelle sur les autres collectivités territoriales. La région est dans l’ordre interne une collectivité territoriale en pleine expansion même si son poids économique et les résistances des autres collectivités territoriales sont un frein important. Toutefois, la région dispose d’un allié important dans son développement, il s’agit de l’Europe. 2. La région, relais de l’action de l’Union Européenne 392. La région est également devenue une collectivité incontournable du fait de la construction européenne. Celle-ci a accordé beaucoup d’importance au niveau régional. Si le traité de Rome, constitutif de la Communauté européenne ne fait que peu de référence au niveau régional, les développements successifs de l’espace européen se sont appuyés sur les régions. Deux raisons peuvent expliquer cette référence à la région. Tout d’abord, le niveau régional est apparu comme le niveau le plus adapté pour assurer l’aménagement du territoire. Ensuite, le développement des régions, et donc d’une démocratie locale, est apparu aux promoteurs européens comme un moyen d’assurer la pérennité de la démocratie, mais aussi un moyen de contourner parfois les résistances des administrations centrales des Etats, en 972 PONTIER Jean-Marie, « Le nouveau préfet », AJDA, 2010, p.824 - 335 - s’appuyant sur les collectivités décentralisées.973 La Commission européenne est ainsi devenue « le partenaire décisif des conseils régionaux ».974 Le droit de l’Union Européenne a fait apparaître la région comme un acteur prépondérant entre le niveau étatique et le niveau communal. Les régions sont aujourd’hui des interlocuteurs privilégiés des instances européennes. Des organismes de représentation des régions ont été créés auprès des institutions de l’Union Européenne. Ainsi, le traité de Maastricht institue le Comité des régions, qui est créé en 1994.975 Son travail « consacre à la fois l’importance croissante des régions et leurs aspirations à une existence conforme au poids qui est désormais le leur dans les Etats et la Communauté ».976 D’ailleurs sa composition reflète la réalité des régions ellesmêmes puisque les membres du Comité des régions sont « soit titulaires d’un mandat électoral au sein d’une collectivité régionale ou locale, soit politiquement responsables devant une assemblée élue ».977 Ainsi, si les membres du Comité des régions sont en fait des élus locaux, régionaux et infrarégionaux, le qualificatif de régional dans le titre du Comité et la référence à la région quant au mandat électoral semblent indiquer la volonté des rédacteurs du traité de faire de ce niveau de collectivité un partenaire central. Le traité de Maastricht, qui institue le Comité des régions, fait obligation au Conseil européen, à la Commission européenne et, depuis le traité d’Amsterdam, au Parlement européen de consulter le Comité des régions sur un certain nombre de domaines. Le comité des régions donne ainsi son avis sur une dizaine de matières de la compétence de l’Union Européenne, telles que les transports,978 l’emploi,979 la culture,980 la santé publique981 ou encore l’environnement.982 La création du Comité des régions « marque l’aboutissement d’une longue évolution dans le sens de la prise en compte de la région ou de la dimension régional dans le système institutionnel de l’Union ».983 393. L’action européenne en faveur de l’équilibre des territoires se manifeste à travers différents fonds, dont le FEDER (Fonds européen de développement régional) est 973 DEYON Pierre, Régionalismes et régions dans l’Europe des quinze, Paris, Editions locales de France – Bruylant, 1997, p.123. 974 MARTINAT Patrick, Les régions. Clefs de la décentralisation, Paris, LGDJ, 2010, p.191. 975 Articles 198-A à 198-C du traité de Maastricht, devenus les articles 305 à 307 du TFUE. 976 MARTINAT Patrick, Les régions. Clefs de la décentralisation, op. cit., p.187. 977 Article 300 du TFUE. 978 Art. 91 du TFUE. 979 Art. 148 du TFUE. 980 Art. 167 du TFUE. 981 Art. 168 du TFUE. 982 Art. 192 du TFUE. 983 BLUMANN Claude, DUBOUIS Louis, Droit institutionnel de l’Union Européenne, Paris, Litec, 2010, 4e ed., p.307. - 336 - certainement le plus connu.984 Les financements issus de ce fonds sont versés par l’Union Européenne aux Etats pour permettre « la correction des principaux déséquilibres régionaux ».985 L’objectif de ces différents fonds est d’assurer la cohésion économique et sociale des territoires de L’Union Européenne. Au départ, les Etats membres proposaient euxmêmes à la Commission européenne les actions qu’ils souhaitaient financer au travers de ces fonds. Désormais, la réglementation européenne leur impose une concertation préalable avec les régions bénéficiaires pour déterminer les actions prioritaires. Les régions ne sont donc plus simplement destinataires de ces aides, elles en sont aussi les organisateurs, les codécideurs des orientations relatives à ces aides. Allant même plus loin, la France a proposé une expérimentation dans le cadre de la loi du 13 août 2004 pour transférer entièrement la gestion d’une partie des fonds relatifs à la politique de cohésion économique et sociale de la Communauté européenne.986 « Ce transfert constitue l’une des mesures adoptées par le gouvernement afin d’endiguer la perte des crédits européens dont la France n’aurait pas su profiter ».987 En réalité ce transfert avait déjà été expérimenté dès 2002 avec la région Alsace par convention. L’expérimentation proposée en 2004 ne connaîtra pas le succès puisque aucune région ne s’est portée candidate et seule l’Alsace continue aujourd’hui de gérer de manière décentralisée les fonds européens sur son territoire. Il y a là à nouveau des éléments qui plaident en faveur d’une place spécifique de la région dans la décentralisation à la française. Malgré les élargissements successifs et la réorientation des crédits autrefois consacrés au développement des régions, « l’alliance Europe-région demeure toutefois structurante ».988 394. Même si celui-ci ne fait pas partie de l’Union Européenne, il nous semble intéressant d’évoquer également ici l’action du Conseil de l’Europe. Cette organisation internationale, à côté de son important travail en matière de protection des droits de l’homme, constitue également un lieu de promotion de l’autonomie locale. A cet effet, l’une des institutions du Conseil de l’Europe veille à représenter les entités locales, il s’agit du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe. Il est nécessaire de relever à nouveau la prééminence, ou du moins la mise en avant, du niveau régional. En 1997, le Congrès a déposé un projet de Charte 984 D’autres fonds existent en effet aux côtés du FEDER. On peut ainsi citer le Fonds de cohésion, le FSE (Fonds social européen), le FEOGA (Fonds européen d’orientation et de garantie agricole). 985 Article 160 du TFUE. 986 Art. 44 de la loi n°2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales. 987 COLLIN Mathilde, « L’expérimentation de la gestion des fonds structurels par la région Alsace », RGCT, 2005, n°35, p.272. 988 DEGRON Robin, « L’actuel paraît renouer avec l’ancien », Pouvoirs locaux, 2008, n°79, p.57. - 337 - européenne de l’autonomie régionale.989 Ce texte, basé sur le même modèle que la Charte européenne de l’autonomie locale, visait à promouvoir l’idée de régionalisation dans les Etats membres. Ce texte n’a connu aucun succès, notamment en France, puisque aucun pays ne l’a encore signé à ce jour. Ce projet de Charte instaure, en effet, un régionalisme très fort qui se révèle pour l’instant en contradiction avec la conception française de la décentralisation, certains auteurs allant même jusqu’à considérer que ce texte « est particulièrement révélateur de l’anti-étatisme du Conseil de l’Europe ».990 La région est la collectivité territoriale d’avenir. Son rôle n’a cessé de croître tant au niveau interne qu’au niveau européen, témoignant de la place prépondérante de la région au sein de l’action publique locale. Cependant, la France demeure une République unitaire. Ainsi, la décentralisation, attachée au mythe égalitaire, refuse de reconnaître une quelconque hiérarchisation des collectivités territoriales françaises au profit de la région. B. La volonté politique de maintenir la région dans un rôle secondaire 395. La lecture des débats parlementaires relatifs à l’Acte II de la décentralisation démontre la crainte qu’ont manifestée de nombreux parlementaires de voir la région prendre une place trop importante. « La régionalisation, qui est déjà trop pour ceux qui s’y opposent, reste à parfaire pour ceux qui souhaitent l’approfondir ».991 Cette opposition entre régionalistes et départementalistes a été au centre des débats parlementaires relatifs à la décentralisation en 2003-2004. Certains parlementaires ont même été jusqu’à considérer que la fonction de chef de file relevait d’un « régionalisme exacerbé ».992 Il est vrai que régulièrement, au fil des rapports parlementaires ou de ceux rendus au pouvoir exécutif, l’institution départementale semble mise en danger dans son existence du fait de l’importance de la région. Or le département n’a pas pu être jusqu’ici supprimé et cette option même si elle est souvent envisagée semble difficile à mettre en œuvre. En poussant un peu plus l’analyse, il est même possible de voir qu’« en fait, le département a été, en termes de budgets et de compétences 989 Recommandation 34 (1997) sur le projet de Charte européenne de l’autonomie régionale, texte disponible sur le site Internet du Conseil de l’Europe. https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=845439. 990 LEBRETON Gilles, « Régionalisme européen et décentralisation à la française », in BOUTIN Christophe et ROUVILLOIS Frédéric (dir.), Décentralisation en France. Idéologies, histoire et prospectives, Paris, ed. François-Xavier de Guibert, 2003, p.284. 991 DUMONT Gérard-François, Les régions et la régionalisation en France, Paris, Ellipses, 2004, p.44. 992 PEYRONNET Jean-Claude, Sénat, JORF Débats, 31 octobre 2003, p.7303. - 338 - juridiques, le grand gagnant de la réforme de la décentralisation ».993 Ainsi, il semble que la décentralisation ait plutôt conduit à conforter le département dans son existence et ses compétences et, au contraire, à empêcher le développement de la région en tant que collectivité coordinatrice des actions locales. Toutefois, la région a également pu tirer avantage de cette situation. En effet, profitant de compétences peut-être moins nombreuses, les régions ont pu utiliser leur budget pour subventionner des projets ou des politiques ne relevant pas en principe de leur champ de compétences. Cette méthode, très intéressante électoralement parlant pour les élus locaux, a, par contre, conduit à multiplier les financements croisés que la désignation d’une collectivité chef de file permet en partie de rationaliser. Cette orientation remonte en fait à l’Acte I de la décentralisation. En effet, lorsque le législateur institue les régions comme collectivités territoriales, il ne fait aucune différenciation avec les autres collectivités. La région est une collectivité égale aux autres. Le législateur a refusé d’instituer une quelconque prééminence politique au profit de la région. Se référant à une conception totalement abstraite – pour ne pas dire archaïque – du principe d’égalité, le législateur a refusé, et refuse toujours, d’instituer une hiérarchie entre les collectivités territoriales, au profit de la région. Ainsi, la collectivité régionale française ne peut en aucune manière prétendre devenir l’équivalent en terme d’autonomie des régions espagnoles ou italiennes.994 396. Cette forme d’immobilisme a lieu avec la bienveillance de l’État central. Ainsi, à la lecture des débats parlementaires relatifs à la loi libertés et responsabilités locales, il est aisé de constater que le gouvernement a laissé faire la mise sous tutelle de la région. En effet, lors de la seconde lecture au Sénat, lorsque l’équilibre de l’article 1er fut totalement bouleversé, le gouvernement ne s’est pas opposé à la modification de son texte. Le gouvernement dirigé par Jean-Pierre Raffarin, qui passait plutôt pour un régionaliste995, a laissé les parlementaires modifier son projet, sans s’y opposer. En effet, au moment de défendre ou de combattre l’amendement d’Eric Doligé qui modifiait en profondeur l’article 1er du texte de loi, le gouvernement s’est contenté de s’en remettre à la sagesse du Sénat. Cela pourrait laisser à penser que le gouvernement a joué un double jeu. Celui-ci semblait vouloir privilégier l’échelon régional mais sans conviction, prêt à sacrifier cette volonté face aux exigences des 993 MARCOU Gérard, « L’expérience française de régionalisation (la décentralisation régionale dans l’État unitaire) », in L’État de droit. Mélanges en l’honneur de Guy Braibant, op. cit., p.511. 994 Lors de son discours de clôture des Assises des libertés locales à Rouen, le 28 février 2003, le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin affirmait pourtant : « les régions gagneront en puissance, gagnant ainsi progressivement le niveau de leurs homologues européennes ». Discours disponible dans son intégralité sur le site des archives du Premier ministre. 995 Jean-Pierre Raffarin a été président du conseil régional de Poitou-Charentes de 1988 à 2002. - 339 - départementalistes. « En maintenant régions et départements au rang de pouvoirs secondaires et concurrents, le pouvoir central peut conserver le rôle de chef de file et d’arbitre qu’il a joué jusqu’ici. Mais cette solution – a priori confortable pour les administrations centrales et déconcentrées – ne ferait que retarder la clarification de l’organisation administrative française, que les acteurs et les analystes de l’action publique locale attendent depuis vingt ans ».996 En effet, l’État central trouve certains avantages à maintenir les collectivités territoriales, et notamment la région, sur un pied d’égalité. L’État craint lui aussi la montée en puissance des régions qui pourrait être néfaste pour lui. « Le fait régional procède de l’affirmation d’une légitimité territoriale à une échelle qui n’est pas locale, mais plus vaste, et donc potentiellement concurrente de celle de l’État ».997 La montée en puissance des régions françaises semble donc pour le moment difficile du fait des blocages auxquels elle doit faire face. La région se retrouve en quelque sorte coincée entre l’enclume et le marteau, entre l’État et le département. Son développement semble freiné, empêché par les défenseurs de ces deux niveaux d’acteurs publics. Il y a donc encore un blocage important à la consécration de la région comme collectivité centrale, prépondérante de l’action locale. 996 ROBBE François, « Le rôle de l’État », in CAUDAL Sylvie et ROBBET François (dir.), Les relations entre collectivités territoriales, op. cit., p.200. 997 MARCOU Gérard, « Le représentant territorial de l’État et le fait régional dans les Etats européens », art. cit., p.568. - 340 - Conclusion Chapitre 2 397. Pour dépasser ce blocage et parvenir à des régions de plein exercice, il faudrait accorder un véritable pouvoir normatif aux régions. « On peut imaginer un pouvoir réglementaire régional d’application ou de complément de la loi, dès lors que la matière traitée relève de la collectivité régionale ».998 Accorder un tel pouvoir aux seules régions peut sembler contredire l’interdiction de la tutelle ou le principe d’égalité entre collectivités territoriales, il nous semble cependant qu’une telle évolution ne ferait que prendre acte du rôle spécifique de la région. D’ailleurs le Conseil constitutionnel n’a-t-il pas accepté un tel pouvoir au bénéfice de la Corse ?999 En l’espèce, le texte de loi1000 voté par le Parlement accorde un pouvoir réglementaire à la collectivité territoriale de Corse pour adapter l’application des lois aux spécificités de l’île. Ce pouvoir ne s’applique qu’à l’égard des compétences que la loi attribue à la collectivité territoriale de Corse, il ne s’agit nullement d’un pouvoir réglementaire concurrent de celui du Premier ministre. « Un tel pouvoir n’est ni autonome ni général ».1001 Sous cette réserve, le Conseil constitutionnel autorise la collectivité territoriale à disposer d’un pouvoir réglementaire pour adapter l’application des textes à la Corse. Surtout cette décision consacre l’existence d’un véritable pouvoir réglementaire au profit des collectivités territoriales.1002 Bien sûr ce pouvoir n’est pas le même que celui du Président de la République (article 13 de la Constitution) ou du Premier ministre (article 21 de la Constitution), ce n’est qu’un pouvoir d’adaptation dans les domaines de compétences de la collectivité territoriale et nécessairement prévu par la loi. C’est pour une véritable reconnaissance et une pleine application de cette jurisprudence en faveur de la collectivité régionale que nous plaidons dans cette étude. « La question du pouvoir normatif de la région n’est pas illégitime : le niveau intermédiaire entre le local et l’État est, paradoxalement, celui qui dispose du plus faible pouvoir normatif ».1003 Disposer d’un tel pouvoir permettrait à la région de devenir pleinement un chef de file. En effet, un pouvoir normatif accordé à la région lui permettrait de donner une véritable force juridique aux différents schémas d’organisation 998 FABER Dominique (pseudonyme d’un haut fonctionnaire tenu au devoir de réserve), « Pour un État des territoires », art. cit., p.102. 999 CC, décision n°2001-454 DC du 17 janvier 2002 loi relative à la Corse, précit., spec. cons. 10 à 14 ; SHOETTL, AJDA, 2002, p.100-105. 1000 Loi n°2002-92 du 22 janvier 2002 relative à la Corse, JORF, 23 janvier 2002, p.1503. 1001 SHOETTL Jean-Eric, « Le Conseil constitutionnel et le statut de la Corse », AJDA, 2002, p.103. 1002 « Cette considération générale incite à dépasser le cadre de la seule collectivité territoriale de Corse et à estimer que le pouvoir réglementaire ainsi reconnu est celui des collectivités territoriales, sans distinction ». VERPEAUX Michel, « Une décision inattendue ? », RFDA, mai-juin 2002, p.462. 1003 CHAVRIER Géraldine, « Quel avenir pour la région dans l’organisation territoriale française », AJDA, 2008, p.1658. - 341 - qu’elle adopte.1004 Cette solution aboutirait sans conteste à une forme de hiérarchisation entre les collectivités territoriales, que le pouvoir central, mais aussi les collectivités infrarégionales ne semblent pas pour l’instant prêts à accepter. Il apparaît que la collectivité régionale est un niveau d’administration locale mal aimé. Incontestable collectivité d’avenir,1005 son développement semble freiné par les résistances départementales et étatiques. Géraldine Chavrier résume cette position malaisée de la région en la qualifiant d’ « espace d’action publique supralocale ».1006 D’un point de vue territorial, la région est en effet un échelon territorial supérieur au département ou à la commune, mais cela s’arrête là. La région ne dispose d’aucun pouvoir spécifique par rapport aux autres collectivités. La différenciation entre collectivités n’est pas encore admise en France, du fait du mythe égalitaire. « Le temps est venu de redéfinir la place des collectivités territoriales au sein de la République. A charge du législateur et du constituant de clore le livre de la décentralisation et s’attacher à l’écriture d’une nouvelle œuvre : l’acte I de la régionalisation ».1007 Cependant, la dernière loi portant réforme des collectivités territoriales ne semble pas aller dans ce sens, voire même s’en éloigne fortement. 1004 C’est déjà le cas pour le plan régional de développement des formations professionnelles, le schéma régional de développement économique lui n’est pas directement opposable aux autres collectivités puisqu’il nécessite la conclusion de conventions. Enfin, le schéma régional d’aménagement et de développement durable du territoire n’a quant à lui aucune valeur prescriptive, si c’était le cas il s’imposerait notamment aux communes et aux intercommunalités compétentes en matière d’urbanisme. 1005 Nous évoquerons pour preuve l’important dossier consacré aux régions par l’AJDA en 2008, p.1634 à 1660, ou encore celui de la revue Pouvoirs Locaux, 2006, n°70, p.72 à 150. 1006 CHAVRIER Géraldine, « Quel avenir pour la région dans l’organisation territoriale française », art. cit., p.1658. 1007 MERLAND Guillaume, « Les transferts de compétences », in PAVIA Marie-Luce (dir.), Les transferts de compétences aux collectivités territoriales : aujourd’hui et demain ?, Paris, L’Harmattan, 2010, p.245. - 342 - Conclusion Titre 1er 398. Les développements législatifs de l’Acte II de la décentralisation sont finalement assez décevants en matière de désignation des collectivités chefs de file. Le législateur n’a fait que consacrer des collectivités qui étaient déjà prépondérantes dans leur domaine d’action. La rédaction de l’article 72, alinéa 5 de la Constitution n’offre qu’une faible marge de manœuvre au législateur quant aux pouvoirs qui peuvent s’attacher à la fonction de chef de file. Dès lors le législateur s’est contenté dans la plupart des cas de désigner des chefs de file a minima, disposant de très peu de pouvoirs pour assurer leur rôle. L’enchevêtrement des compétences est encore ainsi de mise dans certains domaines de compétences où le législateur a pourtant désigné une collectivité chef de file. Cette analyse pessimiste de la situation ne doit toutefois pas l’emporter selon nous. En effet, ces premières mises en œuvre de la fonction de chef de file ont exploré différentes voies d’utilisation de cette fonction qu’il convient de développer. Une mise en œuvre généralisée des guichets uniques dans le cadre de l’action commune nous apparaît ainsi comme l’élément de réponse pertinent à l’enchevêtrement des compétences. Sa structure est le support de la fonction de chef de file et pour les usagers le guichet unique favorise considérablement l’accès à l’administration. Economie, efficacité, efficience, la fonction de chef de file lorsqu’elle est soutenue par un guichet unique nous apparaît ainsi comme répondant à cette triple exigence de l’administration moderne. Malgré son introduction dans la partie constitutionnelle de l’Acte II de la décentralisation, le législateur ne semble pas s’être pleinement saisi des possibilités offertes par la fonction de chef de file. La décentralisation trouve un nouveau prolongement dans la loi de réforme des collectivités territoriales de 2010. Révolution ou simple évolution en matière d’action commune, c’est le devenir de la fonction de chef de file qu’il convient désormais d’interroger. - 343 - - 344 - Titre 2 Les interrogations sur le devenir de la fonction de collectivité chef de file 399. Après l’adoption de la loi du 16 décembre 2010 portant réforme des collectivités territoriales1008, il convient de s’interroger sur la place de la fonction de chef de file dans les nouveaux développements du droit des collectivités territoriales. 400. La question se pose d’autant plus que la plupart des rapports, au pouvoir exécutif1009 ou parlementaire1010, dénonce encore l’enchevêtrement des compétences. L’Acte II de la décentralisation et ses développements législatifs ultérieurs n’ont pas réussi à clarifier la répartition des compétences entre collectivités territoriales. « Chaque réforme importante des collectivités territoriales (en 1992, en 1999, 2003-2004) a été l’occasion de dénoncer l’enchevêtrement des compétences et de réclamer une clarification mais jamais la demande n’a abouti ».1011 La désignation d’une collectivité chef de file est l’occasion d’une clarification de l’exercice des compétences, au minimum d’une mise en cohérence de l’action des différents niveaux de collectivités territoriales. Nous avons évoqué notre étonnement face au faible nombre de recours au chef de file dans la loi du 13 août 2004, mise en œuvre législative des nouveautés constitutionnelles de mars 2003. La déception est désormais confirmée à la lecture de la loi de réforme des collectivités territoriales de décembre 2010. En effet, le texte ne fait aucune référence à la fonction de collectivité chef de file, il est même possible de considérer qu’un certain nombre de nouveaux mécanismes insérés par ce texte participent d’une complexification de la répartition des compétences. 401. Toutefois, les premiers rapports qui ont suivi l’adoption de la loi de 2010, les élections présidentielles et les élections législatives de 2012 permettent de considérer que la question de clarification de l’action locale n’est pas encore de mise. Il faut ajouter à cela que les 1008 Loi n°2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, précit. PERETTI Jean-Jacques de, La liberté de s’organiser pour agir, Rapport au Président de la République, juillet 2011, 100p. 1010 LEFÈVRE Antoine, Rapport d’information sur les compétences de collectivités territoriales à la croisée des chemins : quelles pistes pour demain ?, Sénat, n°283, 2011, 44p. Rapport publié dès le 2 février 2011, donc moins de deux moins après la publication de la loi de réforme des collectivités territoriales. 1011 DOUENCE Jean-Claude, « La nouvelle répartition des compétences, gage de clarification », JCP-A, 2011, n°14, p.40. 1009 - 345 - problématiques liées à la situation financière française et mondiale vont très certainement reléguer les questions de répartition des compétences au second plan, face à l’urgence de la crise de la dette. Il est tout de même possible de considérer que de nouveaux développements législatifs feront référence à la collectivité chef de file. Le législateur dispose là d’un outil dont la mise en œuvre serait une solution à la complexification des compétences locales. Allant même plus loin, le développement de la fonction de chef de file pourrait être l’occasion d’introduire une dose de hiérarchisation entre les collectivités territoriales. Il convient donc d’analyser dans un premier temps le contenu de la loi de réforme des collectivités territoriales afin d’en déterminer les échecs, mais aussi les possibles apports en matière d’action commune entre collectivités territoriales (Chapitre 1er). Dans un second temps, il conviendra de proposer une vision prospective de l’article 72, alinéa 5 de la Constitution (Chapitre 2). - 346 - Chapitre 1er La loi du 16 décembre 2010, l’échec de l’approfondissement de la fonction de collectivité chef de file 402. A son arrivée au pouvoir en 2007, le président Nicolas Sarkozy indiquait dans la « feuille de route » transmise à son ministre de l’Intérieur et des collectivités territoriales de l’époque, qu’il était nécessaire de faire une pause dans l’œuvre décentralisatrice et dans les transferts de compétences aux collectivités territoriales. La réflexion en matière de collectivités territoriales devait alors s’orienter sur « les moyens de clarifier les compétences des différents niveaux de collectivités locales en les regroupant par blocs et en supprimant les redondances ».1012 Le Président de la République a finalement convoqué, assez rapidement, la réunion d’un Comité pour réfléchir à l’avenir de la décentralisation.1013 Ce comité, dirigé par l’ancien Premier Ministre Edouard Balladur, a adopté un rapport intitulé « Il est temps de décider ».1014 Le rapport, après avoir établit un état des lieux de la décentralisation, formule vingt propositions, essentiellement de nature institutionnelle visant à répondre aux maux de la décentralisation française. Ainsi, dans une étude publiée peu de temps après la parution du rapport, le professeur Faure estimait que au vu des propositions faites par le Comité « la géographie administrative devrait se trouver un autre visage que le visage actuel que lui avaient façonné le temps et la pratique ».1015 Il y avait alors clairement dans les travaux du Comité Balladur la volonté de proposer un nouveau modèle de décentralisation, rompant ainsi avec les étapes précédentes de la décentralisation faites de « sédiments successifs accumulés en fonction des époques ».1016 Le titre même du rapport, « Il est temps de décider », semble renvoyer à une urgence de la mise en action des propositions. 403. S’appuyant sur ce rapport, le gouvernement a adopté différents projets de lois qu’il a déposés devant le Parlement à l’automne 2009. Toutefois, l’ensemble législatif proposé par le gouvernement ne retenait déjà pas toutes les propositions du rapport Balladur. Cette réforme des collectivités territoriales s’articulait autour de quatre textes de lois. Le premier projet de 1012 Lettre de mission de Nicolas Sarkozy, président de la République, adressée à Michèle Alliot-Marie, ministre de l’Intérieur, de l’Outre-mer et des collectivités territoriales, 30 juillet 2007. BRONDEL Séverine, « Les ambitieuses missions assignées à la ministre de l’Intérieur », AJDA, 2007, p.1556. 1013 Décret n°2008-1078 du 22 octobre 2008 portant création du comité de réforme des collectivités locales, JORF, 24 octobre 2008, p.16202. 1014 Comité pour la réforme des collectivités locales, Il est temps de décider, Rapport au Président de la République, Paris, La documentation française, 2009, 174p. 1015 FAURE Bertrand, « Le rapport du comité Balladur sur la réforme des collectivités territoriales : bonnes raisons, fausses solutions ? », AJDA, 2009, p.859. 1016 Comité pour la réforme des collectivités locales, Il est temps de décider, op. cit., p.5. - 347 - loi portait réforme des collectivités territoriales. Il s’agissait d’un texte de caractère institutionnel très large dont l’objectif était de poser les bases de la future discussion sur les relations entre collectivités territoriales. Ce projet renvoyait d’ailleurs lui-même à une future loi le soin de réfléchir à la répartition des compétences. Le deuxième projet de loi était relatif à l’élection des conseillers territoriaux et visait à arrêter les règles relatives à la désignation de ces nouveaux élus locaux. Le troisième projet portait sur la concomitance du renouvellement des conseillers régionaux et des conseillers généraux, ce texte avait pour objectifs de tirer les conséquences de la création du conseiller territorial et de s’assurer que les mandats des derniers conseillers régionaux et conseillers généraux s’arrêtent en même temps pour pouvoir organiser l’élection du conseiller territorial.1017 Enfin, le quatrième projet de loi portait lui sur les élections des conseillers municipaux et des conseillers communautaires dans le cadre des EPCI. 404. La discussion parlementaire a modifié en profondeur le projet gouvernemental en traitant directement dans la loi de réforme des collectivités territoriales, la question de l’élection des conseillers territoriaux et celle de la répartition des compétences. Non seulement cette solution rend encore plus complexe la compréhension du texte et la future organisation des collectivités territoriales, mais surtout la rédaction finalement adoptée semble enterrer définitivement la fonction de collectivité chef de file. « La loi commentée réforme lourdement sans user d’aucune des ressources juridiques inscrites dans la Constitution depuis 2003, démontrant s’il en était besoin que la page de l’Acte II de la décentralisation était définitivement tournée ».1018 En effet, le projet de loi du gouvernement fixait pour la loi relative aux compétences qui devait être ultérieurement adoptée des consignes, des orientations. Or parmi celles-ci, il y avait une référence à la fonction de chef de file en cas de compétence partagée. Dans le texte finalement adopté, il y a toujours la mention des compétences partagées, mais la référence au chef de file a totalement disparu. Dès lors, il est possible de craindre une nouvelle complexification de l’action locale, d’autant plus que ce texte entérine également le fauxsemblant de la disparition de la clause générale de compétence au bénéfice du département et de la région. 405. Ce texte participe également de la complexification de l’action locale du fait des nouvelles structures locales qui se profilent. Il en est ainsi tout d’abord du conseiller 1017 Loi n°2010-145 du 16 février 2010 organisant la concomitance des renouvellements des conseillers généraux et des conseillers régionaux, JORF, 17 février 2010, p.2914. 1018 BRISSON Jean-François, « La loi du 16 décembre 2010 portant réforme territoriale ou le droit des collectivités territoriales en miettes », Dr. Adm., mars 2011, p.9. - 348 - territorial.1019 Ce nouvel élu local est appelé à remplacer le conseiller général et le conseiller régional pour siéger à leur place dans leurs assemblées respectives. Il est à craindre que cette nouvelle forme de représentation locale ne soit la source d’une complexification encore accrue des compétences locales. Ensuite, le texte consacre la création des métropoles, ces EPCI, sortes de super-communautés urbaines exerceront sur leur territoire certaines compétences appartenant aujourd’hui à la région ou au département. Or parmi ces compétences, il y en a certaines pour lesquelles ces collectivités sont également chef de file. Là encore, la répartition des compétences relève d’une incroyable complexité. « Le législateur est, avant les collectivités territoriales, le premier responsable de l’enchevêtrement ».1020 Toutefois, il nous semble que certaines dispositions contenues dans la loi pourraient, en filigrane, permettre la mise en place de collectivités chefs de file qui ne disent pas leur nom. Il conviendra donc d’analyser dans un premier temps l’absence de référence à la collectivité chef de file dans la loi (Section 1), avant de voir que si le texte reçoit une pleine application, la rationalisation des compétences locales semble difficile (Section 2). 1019 L’avenir de cette nouveauté semble cependant remis en cause, par l’adoption au Sénat, le 16 novembre 2011, d’une proposition de loi portant suppression du conseiller territorial. 1020 PONTIER Jean-Marie, « Requiem pour une clause générale de compétence ? », JCP-A, 2011, n°2, p.52. - 349 - Section 1. La notion de chef de file malmenée par les débats parlementaires 406. La loi du 16 décembre 2010 est décevante en ce qu’elle semble totalement oublier l’existence de l’Acte II de la décentralisation. En effet, aucune des nouveautés constitutionnelles introduites lors de la révision de mars 2003 ne fait son apparition dans le texte de loi. Ainsi, il n’y a aucune référence à la subsidiarité, ni à l’expérimentation.1021 Quant au chef de file, nous allons voir que si le projet du gouvernement y faisait initialement référence, le texte finalement adopté ne l’évoque plus du tout. Tout se passe comme si ce texte de loi procédait à « une recomposition du paysage administratif local où les acquis historiques ne [pèsent] pas lourd face à l’ambition affichée d’une nouvelle rationalité économique et gestionnaire ».1022 A cet égard, il n’est pas anodin d’évoquer le sentiment que provoque ce texte, à savoir la transposition de la révision générale des politiques publiques à la décentralisation.1023 La loi de réforme des collectivités territoriales semble poursuivre l’objectif de réaliser des économies au niveau local – signe d’une forme de recentralisation de la question locale – plutôt que de faire le pari d’une véritable intelligence des territoires favorable à une décentralisation accrue. Il est ainsi nécessaire de considérer, dans l’analyse de ce texte, que le projet de loi faisant référence à la collectivité chef de file renvoyait à un texte ultérieur le soin de régler la question de la répartition des compétences, tout en lui fixant certains objectifs (§1). Cette vision ne sera pas validée par le législateur qui dans son texte final procédera à l’enterrement prématuré des dispositions constitutionnelles de l’Acte II de la décentralisation (§2). §1. Le projet gouvernemental : le renvoi à l’utilisation de la fonction de chef de file dans une loi ultérieure relative aux compétences locales Le projet de loi initialement déposé par le gouvernement devant le parlement était assez court. Ainsi, l’article 35 renvoyait la question de la clarification de la répartition des compétences à une loi ultérieure. Le projet indiquait que ce texte relatif à la répartition des compétences devait être adopté dans l’année suivant l’adoption de la loi de réforme des 1021 Le rapport de Peretti déplore également cet « oubli » des dispositions constitutionnelles de 2003. PERETTI Jean-Jacques de, La liberté de s’organiser pour agir, op. cit., p.35. 1022 FAURE Bertrand, « Les libertés locales à l’épreuve du rapport Balladur sur la réforme des collectivités locales », RGCT, 2010, n°47, p.99. 1023 L’exposé des motifs du projet de loi lui-même évoque ce lien entre les deux chantiers. « Après la réforme de l’État territorial, engagée dès 2007 dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), ce projet de loi de réforme des collectivités territoriales constitue donc la deuxième étape de la modernisation des structures administratives locales de la France ». - 350 - collectivités territoriales (A). Cette disposition fixait toutefois certaines orientations que devrait suivre le futur texte de répartition des compétences (B). A. Le renvoi utopique à une loi ultérieure 407. Il est nécessaire de relever ici ce qui pourrait passer pour de la naïveté de la part du gouvernement ou une volonté d’éluder un débat difficile. On peut s’interroger sur la pertinence du renvoi à une loi ultérieure. On sait que la jurisprudence constitutionnelle refuse toute valeur normative à de telles dispositions. 1024 Le législateur ne peut pas s’obliger luimême pour le futur. Cette jurisprudence est justifiée en ce que les parlementaires ne peuvent pas contraindre le futur législateur. Il s’agit ainsi de respecter le caractère souverain du Parlement. Ce type de dispositions n’est donc qu’un vœu que le législateur futur peut suivre ou non. D’ailleurs, il est à ce titre opportun de faire référence ici à l’article 65 de la loi d’orientation sur l’aménagement du territoire de 1995.1025 En effet, ce texte prévoyait l’intervention d’une loi dans un délai d’un an pour procéder à la clarification des compétences. Or force est de constater que plus de 15 ans après l’adoption de ce texte, la loi de clarification est toujours attendue et cette disposition toujours en vigueur ! 408. On peut alors s’interroger sur cette volonté du gouvernement de ne pas vouloir résoudre cette question de la clarification des compétences immédiatement. Cette décision se comprend dans le cadre fixé au départ par le gouvernement pour sa réforme des collectivités territoriales. Ainsi, l’exposé des motifs du projet de loi indique que la clarification des compétences est un « chantier difficile car la situation actuelle est le résultat de la sédimentation de multiples législations qui sont ajoutées les unes aux autres au fil du temps. Pour aboutir, ce chantier réclame donc la fixation d’un délai, d’une méthode et de principes clairs ». Comme nous l’avons évoqué, le gouvernement souhaitait intervenir par différents textes, chacun portant sur des questions différentes. Il s’agissait de manière tout à fait louable de prendre le temps de la réflexion pour chaque projet et donc pour les objets différents de ces différents textes. La volonté du gouvernement était alors de différencier les questions à résoudre dans le cadre d’une amélioration de la décentralisation. Il s’agissait de traiter ainsi, d’un côté, les questions institutionnelles et, de l’autre, les questions de compétences. De plus, 1024 Jurisprudence développée à partir de : CC, n°82-142 DC du 27 juillet 1982, loi portant réforme de la planification, JORF, 29 juillet 1982, p.2424. Pour un cas se rapprochant de celui soumis à notre analyse : CC, n°94-358 DC du 26 janvier 1995, loi d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire, précit. V. not cons. 56 « ces dispositions qui ne sauraient lier le législateur, sont dépourvues de tout effet juridique et ne peuvent limiter en rien le droit d’initiative du Gouvernement et des membres du Parlement ». 1025 Loi n°95-115 du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire, précit. - 351 - si l’on observe les vagues de décentralisation précédentes, ce schéma est régulièrement suivi. Ainsi, pour l’Acte I de la décentralisation, la première loi de 1982 a d’abord porté sur les libertés locales, prévoyant notamment la suppression de la tutelle, puis les lois de 1983 ont porté sur la répartition de compétences. Il en est de même avec l’Acte II, où la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 a posé les jalons d’une nouvelle méthodologie de l’action locale, puis la loi du 13 août 2004 a procédé aux transferts de compétences. Les questions des modalités d’élections des conseillers territoriaux et de la répartition de compétences entre les collectivités territoriales et l’État nécessitent un temps de réflexion différent de celui accordé aux questions institutionnelles. Il n’était donc pas étrange de la part du gouvernement de vouloir régler ces questions dans des textes différents. Toutefois, le projet de loi contenait des pistes de réflexion pour ces futurs projets de loi et notamment pour celui relatif à la répartition des compétences. B. Les principes de répartition de compétences proposés par le projet de loi 409. Le projet de loi disposait, en son article 35, que « dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, une loi précisera la répartition des compétences des régions et des départements, ainsi que les règles d’encadrement de cofinancements entre les collectivités territoriales, en application des principes suivants : la région et le département exercent, en principe exclusivement, les compétences qui leurs sont attribuées par la loi ; dès lors que la loi a attribué une compétence à l’une de ces collectivités, cette compétence ne peut être exercée par une autre collectivité ; la capacité d’initiative de la région ou du département ne peut s’appliquer qu’à des situations et des demandes non prévues dans le cadre de la législation existante, dès lors qu’elle est justifiée par l’intérêt local ; lorsque, à titre exceptionnel, une compétence est partagée entre plusieurs niveaux de collectivités, la loi peut désigner la collectivité chef de file chargée d’organiser l’exercice coordonné de cette compétence ou donner aux collectivités intéressées la faculté d’y procéder par convention ; la collectivité chef de file organise, par voie de convention avec les autres collectivités intéressées, les modalités de leur action commune et de l’évaluation de celle-ci ; la pratique des financements croisés entre les collectivités territoriales doit être limitée aux projets dont l’envergure le justifie ou répondre à des motifs de solidarité ou d’aménagement du territoire ; le maître d’ouvrage doit assurer une part significative du financement ». Ainsi, l’article 35 du projet de loi prévoyait un certain nombre de principes directeurs pour la future loi de répartition des compétences. Régions et départements - 352 - devraient ainsi exercer des compétences exclusives, attribuées par la loi. Dès lors, aucune autre collectivité ne serait admise à intervenir dans ces domaines exclusivement réservés. Cette idée de fixer des compétences exclusives n’est pas sans rappeler d’une certaine manière l’ancienne idée des blocs de compétences. D’ailleurs, certains auteurs militent toujours en faveur de cette idée estimant que « seule la recomposition de blocs de compétences peut assurer une meilleure lisibilité à la décentralisation et produire des économies d’échelle ».1026 Il s’agit aussi à travers cette disposition de supprimer la clause générale de compétence des départements et des régions. En effet, ceux-ci n’auraient plus que des compétences exclusives. Cette proposition de supprimer la clause générale de compétence pour ces collectivités est une reprise d’une proposition du rapport Balladur.1027 Toutefois, il faut noter que cette proposition ne faisait pas l’unanimité au sein du Comité.1028 Cette idée « dans l’air du temps » vise selon ses promoteurs à mettre fin à la gabegie locale. Nous verrons ultérieurement que cette idée s’est maintenue dans le texte final, mais que cette soidisant suppression de la clause générale de compétence n’est qu’un faux-semblant. D’ailleurs le projet gouvernemental prévoyait lui-même une forme de contournement de cette suppression. En effet, région et département conservaient la capacité d’intervenir dans les cas non prévus par la loi et lorsqu’un intérêt local le justifierait. Nous verrons là aussi que cette idée s’est maintenue dans le texte adopté par le parlement et qu’elle n’est ni plus ni moins que la traduction de l’analyse faite par le juge administratif et la doctrine de la clause générale de compétence. 410. L’un des principes posé par le projet de loi retient quant à lui toute notre attention. En effet, le projet de loi indiquait que le futur texte relatif à la répartition des compétences devrait faire usage de la fonction de chef de file, lorsque à titre exceptionnel une compétence serait partagée entre plusieurs niveaux de collectivités. La loi indiquait que la collectivité chef de file pourrait être désignée soit par la loi, soit par voie de convention entre les collectivités parties à l’action commune et que son rôle serait d’organiser les modalités de l’action commune et de son évaluation, par voie conventionnelle. Le professeur Marcou considère que cette disposition et cette référence au chef de file sont une « fausse bonne idée qui occupe les 1026 PERRIN Bernard, « Réforme des collectivités locales : le souhaitable et le possible », RA, 2009, p.65. Proposition n°11. 1028 V. les observations personnelles situées à la fin du rapport, not. celles de MM Mauroy et Vallini et de Michel Verpeaux. 1027 - 353 - esprits depuis son premier échec à l’occasion de la loi Pasqua du 4 février 1995 ».1029 En effet, pour le professeur Marcou, la fonction de chef de file avait déjà été mise à mal par la censure par le Conseil constitutionnel de la loi Pasqua. La constitutionnalisation de cette fonction n’aurait alors rien changé, le Conseil constitutionnel ayant réitéré son hostilité à l’égard de la fonction dans sa décision relative aux contrats de partenariat.1030 Nous croyons cependant que la loi de 1995, et sa censure par le Conseil constitutionnel, n’est pas l’échec de la collectivité chef de file, mais simplement du mode de désignation alors prévu par le législateur. En effet, si la formulation des deux dispositions est proche, l’analyse du Conseil constitutionnel aurait nécessairement été différente. L’article 35 du projet de loi n’avait pas un caractère normatif contrairement au II de l’article 65 de la loi de 1995 censuré par le Conseil constitutionnel. La disposition de l’article 35 du projet de loi n’aurait pas pu connaître la même censure que la loi de 1995. En effet, comme nous l’avons relevé, cette disposition indiquait simplement une « feuille de route » au futur législateur qu’il n’était même pas obligé de suivre. Le Conseil constitutionnel ne se serait pas intéressé à cette disposition. 411. La fonction de chef de file est une réponse à l’irréalisme des blocs de compétence. L’attribution de compétences exclusives est un serpent de mer depuis la première grande vague de décentralisation des années 1980. Or, « il est parfaitement vain de croire qu’il serait possible de parvenir un jour à une répartition par blocs ».1031 Il est donc nécessaire de réfléchir à des moyens d’harmoniser les interventions locales, afin d’aboutir à une action commune cohérente et lisible pour les administrés. C’est là le rôle de la collectivité chef de file. « La notion de collectivité chef de file est l’une des rares ouvertures dont dispose le législateur pour répondre à la généralité de compétences dont disposent les collectivités territoriales dans leurs interventions ».1032 Il semblait donc intéressant de voir le gouvernement faire usage de cette disposition constitutionnelle pour orienter la future répartition des compétences. De plus, le projet de loi était particulièrement prudent indiquant que la collectivité chef de file ne pourrait disposer que d’une compétence d’organisation de l’action commune, c'est-à-dire que le projet gouvernemental s’en tenait à une lecture très 1029 MARCOU Gérard, « La réforme territoriale. Analyse du nouveau projet de réforme des collectivités territoriales », in NEMERY Jean-Claude (dir)., Quelle nouvelle réforme pour les collectivités territoriales françaises ?, op. cit., p.33. 1030 CC, n°2008-567 DC du 24 juillet 2008, loi relative aux contrats de partenariat, précit. V. MARCOU Gérard, « L’action commune des collectivités territoriales selon le Conseil constitutionnel : organiser n’est pas déterminer », in Terres du droit. Mélanges en l’honneur de Yves Jégouzo, Paris, Dalloz, 2009, p.227-240. 1031 PONTIER Jean-Marie, « L’enchevêtrement des compétences », in NEMERY Jean-Claude (dir)., Quelle nouvelle réforme pour les collectivités territoriales françaises ?, op. cit., p.112. 1032 Ibid., p.117. - 354 - stricte de la fonction. Conformément à la rédaction de l’article 72, alinéa 5 de la Constitution et la jurisprudence constitutionnelle1033, la collectivité chef de file ne peut à aucun moment instaurer une quelconque forme de tutelle sur les autres collectivités parties à l’action commune. Il faut noter de plus que le projet de loi insiste sur le fait que la désignation d’une collectivité chef de file doit rester une exception. En effet, l’article 35 considère que le principe en matière de répartition des compétences doit être l’exercice de compétences exclusives. Dès lors, les compétences partagées, donc les cas de désignation d’une collectivité chef de file doivent être des cas exceptionnels. 412. Or, il est nécessaire de remarquer que l’exercice enchevêtré des compétences n’est pas une exception, de nombreuses compétences locales sont partagées entre différents niveaux de décision. A cet égard aucun consensus ne semble se faire. En effet, si l’on observe l’étude d’impact qui accompagne le projet de loi de réforme des collectivités territoriales, les compétences partagées ne représenteraient qu’une faible part des budgets locaux, moins de 20% des dépenses pour les départements et pour les régions.1034 Toutefois si par rapport au volume des dépenses, les compétences partagées ne semblent pas importantes, le tableau relatif au partage des compétences, proposé par messieurs Mauroy et Vallini dans leurs observations personnelles en marge du rapport Balladur1035, démontre qu’en réalité le partage des compétences touche de nombreux domaines. Ainsi, corrélativement à l’échec des blocs de compétences, il semble possible d’affirmer que l’exercice partagé des compétences devient de plus en plus la règle de répartition, règle introduite par le législateur lui-même qui a créé cet enchevêtrement de compétences au fil des lois de décentralisation des compétences. La désignation d’une collectivité chef de file apparaît alors comme un compromis idéal, comme une première étape avant une refondation plus importante de la décentralisation à la française dans son ensemble qui impliquerait une hiérarchisation des niveaux de collectivités. La nomination d’un chef de file est une première étape intermédiaire, une façon de répondre à l’enchevêtrement des compétences tout en respectant l’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre. Le projet de loi de réforme des collectivités territoriales même s’il faisait une référence à une application limitée de la fonction de chef de file avait au moins le mérite de la mentionner et de prévoir son utilisation. Cependant, le passage de ce texte devant le 1033 CC, n°2008-567 DC du 24 juillet 2008, loi relative aux contrats de partenariat, précit. Projet de loi de réforme des collectivités territoriales, Etude d’impact, p.82-83. 1035 Comité pour la réforme des collectivités locales, Il est temps de décider, op. cit., p.134. 1034 - 355 - Parlement va profondément modifier le projet de loi. Ainsi, il existe d’importantes différences entre l’article 35 du projet de loi et le texte finalement adopté en décembre 2010. §2. L’enterrement prématuré des dispositions constitutionnelles de l’Acte II de la décentralisation Le Parlement a adopté une rédaction différente de celle proposée par le Gouvernement. Toutefois, à l’intérieur même du Parlement, le texte adopté est issu d’une lutte entre le Sénat et l’Assemblée nationale (A). Le consensus finalement arrêté en commission mixte paritaire aboutit à un texte dominé par la complexité (B). A. L’opposition entre le Sénat et l’Assemblée nationale 413. En première lecture, le Sénat avait validé le projet gouvernemental de renvoyer à une loi ultérieure la question de la répartition des compétences. Toutefois, lors du passage devant l’Assemblée nationale, le texte fut totalement modifié, notamment pour donner un caractère normatif à l’article 35 du projet de loi. En effet, le Sénat avait validé en première lecture la volonté initiale de clarté du gouvernement de séparer en différents projets de loi les questions institutionnelles, d’une part, et les questions de compétences, d’autre part. Ainsi, le rapporteur du texte au Sénat estimait-il que le projet de loi du gouvernement mettait en œuvre « une réforme pragmatique, qui tent[ait] de tirer les leçons d’une expérience décentralisatrice de près de trente ans ».1036 A cet égard, la commission des lois du Sénat approuvait l’article 35 du projet de loi en ce qu’il réaffirmait l’objectif de clarification des compétences et qu’il permettait « de prendre date pour la réalisation de cet exercice ».1037 414. Arrivé devant l’Assemblée nationale, le texte a cependant subi de profondes modifications relatives à l’article 35 sur la répartition des compétences. En effet, sur proposition du rapporteur du projet, la Commission des loi a adopté une rédaction différente de l’article 35 pour lui accorder une valeur normative. L’objectif du rapporteur était de clarifier les règles de répartition de compétences immédiatement. Or le Gouvernement a souscrit à cette analyse et s’est rallié à l’amendement proposé. « Plutôt que d’ouvrir en 2011 1036 COURTOIS Patrick, Rapport sur le projet de loi de réforme des collectivités territoriales, Sénat, n°169, 2009, p.21. 1037 Ibid., p.166. - 356 - un long et difficile débat sur la clarification des compétences des collectivités territoriales, le Gouvernement préfère qu’un caractère normatif soit donné immédiatement aux dispositions de l’article 35 ».1038 Il n’est pas question ici de critiquer le fait que la discussion parlementaire puisse être l’occasion de modifier un projet de loi, c’est là le rôle même du parlement. Il est cependant plus critiquable d’avoir fait le choix de régler toutes les questions relatives à la réforme des collectivités territoriales en un seul texte, alors que le Gouvernement voulait prendre le temps de la réflexion à travers l’adoption de différents textes. Ce choix nous semble plus qu’étonnant, allant même plus loin, il serait peut-être même révélateur d’une fore de pusillanimité politique de la part du Gouvernement. Pour forcer le trait, le Gouvernement préfère faire ici vite et mal plutôt que de prendre le temps d’une réflexion plus approfondie aboutissant à un texte clair et correct. Ce changement est, peut-être, le simple révélateur de « la grande difficulté qu’il y avait à séparer, de manière peut-être arbitraire, ce qui constitue un tout, à savoir l’organisation des collectivités territoriales. Les préoccupations politiques l’ont en partie emporté sur le souci de cohérence affiché au départ et sur lequel le Comité Balladur avait insisté ».1039 Il nous semble toutefois que l’attitude du Gouvernement dans ce bouleversement du texte est sujette à critique. En effet, le Gouvernement semble ne pas vouloir s’engager dans un débat de fond sur la répartition des compétences, préférant une solution de compromis acquise dans le cadre du débat sur une loi relative aux institutions locales. Le soutien apporté par le secrétaire d’État aux collectivités territoriales à l’amendement de la commission des lois est d’ailleurs à ce titre révélateur de la faveur du Gouvernement pour un compromis, même bancal, plutôt que pour une véritable réflexion de fond beaucoup plus longue, et sûrement beaucoup plus risquée politiquement. 415. Le Sénat s’est d’ailleurs insurgé contre la méthode employée par le Gouvernement à cet égard et est revenu au texte initial lors de la seconde lecture du texte. L’Assemblée nationale a modifié le texte à nouveau pour lui accorder une valeur normative. L’opposition du Sénat ne sera pas suffisante pour faire barrage au texte en commission mixte paritaire. Dès lors, « la recherche d’accommodements a permis d’aboutir à un texte de compromis au goût d’inachevé ».1040 Il est en effet nécessaire de remarquer que l’article finalement adopté relatif 1038 PERBEN Dominique, Rapport sur le projet de loi adopté par le Sénat de réforme des collectivités territoriales, Assemblée nationale, n°2516, 2010, p.341. 1039 VERPEAUX Michel, « La réforme des collectivités territoriales : la fin – provisoire – du parcours », RLCT, 2011, n°64, p.52. 1040 LAMOUROUX Sophie, « Entre prudence et perplexité : une décision au goût inachevé », Pouvoirs locaux, 2011, n°89, p.133. - 357 - aux compétences, faute d’avoir pris le temps de la réflexion, a un caractère complexe et propose finalement des non-solutions à de faux-problèmes.1041 Le texte finalement adopté est donc issu d’une âpre discussion entre députés et sénateurs. La position adoptée par le Sénat, en cohérence avec le projet initial du gouvernement, avait le mérite de conserver l’architecture originale du texte et sa cohérence. Au contraire, le texte finalement adopté se distingue par la grande complexité de ses dispositions relatives à la répartition des compétences. B. La complexité des dispositions adoptées 416. L’article 73 de la loi de réforme des collectivités territoriales est une disposition qui « laisse perplexe ».1042 Cette disposition a pour objet de modifier en profondeur la clef de répartition des compétences locales. Toutefois, ces nouvelles modalités de décentralisation des compétences n’ont vocation à entrer en vigueur qu’au 1er janvier 2015, c'est-à-dire que leur mise en œuvre est pour le moment conditionnelle. Loin de l’esprit de rupture qui semblait présider dans le texte gouvernemental, la loi adoptée renoue avec des débats déjà largement éculés. Il s’agit, d’une part, de la tentative de supprimer la clause générale de compétence pour certaines catégories de collectivités territoriales (1) et, d’autre part, de réinstaurer les blocs de compétences pour ces mêmes collectivités (2). 1. La pseudo suppression de la clause générale de compétence 417. Les articles L.3211-1 et L.4221-1 du CGCT relatifs à la compétence du département et de la région voient leur formulation traditionnelle, qui indiquait que leur conseil réglait par ses délibérations les affaires du département ou de la région, complétée par « dans les domaines de compétence que la loi [leur] attribue ». Tout comme l’orientation proposée par le projet de loi au départ, le texte final cherche donc à supprimer la clause générale de compétence tant décriée, en limitant les capacités d’intervention des collectivités régionales et 1041 Qu’il nous soit permis à travers l’usage de cette formule de bien évidemment s’inspirer du titre de l’article de Bertrand FAURE, « Le rapport du comité Balladur sur la réforme des collectivités territoriales : bonnes raison, fausses solutions », art. cit., p.859-865. 1042 JANICOT Laetitia, « La loi de réforme des collectivités territoriales, une loi efficace ? », RLCT, 2011, n°64, p.74. - 358 - départementales aux seules matières qui leur sont attribuées par la loi. « Ces deux collectivités semblent marquées par une infirmité dont on ignore les raisons ».1043 Cependant, cette modification, si elle entre bien en vigueur en 2015, sera immédiatement mise à mal par l’alinéa suivant inséré par le même article 73 de la loi du 16 décembre 2010. Celui-ci dispose en effet qu’« il [le conseil général ou régional] peut en outre, par délibération spécialement motivée, se saisir de tout objet d’intérêt [départemental ou régional] pour lequel la loi n’a donné compétence à aucune autre personne publique ». Cette rédaction revient à consacrer la clause générale de compétence telle qu’elle était entendue par la jurisprudence1044 et la doctrine.1045 Il s’agit en effet de la capacité pour une collectivité territoriale d’agir dans l’intérêt de sa population en cas de carence de l’intervention locale, carence liée au fait que la question n’étant pas prévue par la loi, aucune personne publique n’avait reçu de compétence pour s’en occuper. « Autrement dit, le droit de prendre une décision dans l’intérêt de sa population est ouvert à toute collectivité moyennant le respect des compétences des autres collectivités ».1046 En d’autres termes, la clause générale de compétence ne disparaît pas, elle renaît tel le phénix de ses propres cendres en deux alinéas. Il est possible de considérer que « comme auparavant, une collectivité ne pourra créer un service public local empiétant sur une compétence expressément et exclusivement dévolue à une autre personne publique mais le principe continuera à être appliqué souplement ».1047 Il est en effet fort probable que le juge administratif conserve sa jurisprudence antérieure et valide les interventions locales dès lors qu’elles répondent à ce double critère de l’intérêt local (départemental ou régional) et de l’absence de compétence donnée par la loi à une autre collectivité. Il semble au final qu’à propos de cette disposition, l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin ait bien résumé la situation indiquant que cet article dit « tout et le contraire de tout ».1048 Il nous semble surtout que cette disposition et les débats autour de son adoption démontrent le manque de connaissance des élus nationaux des problèmes locaux et des raisons de l’enchevêtrement des compétences. Le Conseil constitutionnel lui-même semble en difficulté face à cette 1043 DANTONEL-COR Nadine, « La clause générale de compétence depuis la réforme du 16 décembre 2010 : le changement dans la continuité », Dr. Adm., 2011, n°12, p.17 1044 V. par ex. CE, 25 juillet 1986, Rougeaux c. Commune de Saint-Sauveur-sur-École, req. n°56646, inédit au Rec. ; GRAVELEAU, panorama de droit administratif, Gazette du Palais, 1986, p.461. CE, 21 juin 2000, Commune de Charvieux-Chavagneux, Rec., p.856 : incompétence de la commune pour attribuer des logements sociaux en méconnaissance de la compétence réservée aux organismes d’HLM, note M. Verpeaux, RFDA, 2001, p.1082. 1045 V. not. PONTIER Jean-Marie, « Semper manet. Sur une clause générale de compétence », RDP, 1984, p.1443-1472. 1046 FAURE Bertrand, Droit des collectivités territoriales, op. cit, p.529. 1047 DOUENCE Jean-Claude, « La nouvelle répartition des compétences, gage de clarification », art. cit., p.43. 1048 RAFFARIN Jean-Pierre, Sénat, JORF Débats, 5 juillet 2010, p.5848. - 359 - disposition. En effet, dans sa décision n°2010-618 DC portant sur la loi relative à la réforme des collectivités territoriales,1049 il accorde son brevet de constitutionnalité à l’article 73 de la loi, « mais on peut se demander, à lire la décision, si le Conseil a bien compris ce qu’était cette clause ».1050 En effet, suivant l’analyse du professeur Pontier, il est possible de s’étonner que le Conseil constitutionnel ait retenu la loi de 1871 comme fondement de la clause générale de compétence du département et de la région plutôt que la loi de 1884 qui établissait la formulation actuelle de la clause générale de compétence au profit des communes et qui a été étendue par le législateur de 1982 au profit des départements et des régions. « La formule de 1884 était à la fois plus claire et plus porteuse de sens que celle de 1871 ».1051 Le Conseil refuse donc de reconnaître l’existence d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République qui accorderait une clause générale de compétence au département et à la région1052, alors même que « toutes les conditions semblaient pourtant réunies »1053 pour reconnaître un tel principe. Cependant, dans le considérant suivant le Conseil constitutionnel estime que la loi n’a pas porté atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales prévu à l’article 72 de la Constitution, dès lors que les départements et les régions conservent une faculté d’intervention sur tout objet d’intérêt départemental ou régional pour lequel la loi n’aurait pas accordé la compétence à une autre personne publique. Or une lecture a contrario du considérant 55 de la décision du Conseil constitutionnel permet de conclure que serait contraire au principe de libre administration le fait de supprimer pour un niveau de collectivité territoriale sa capacité à intervenir en dehors de ses compétences limitativement énumérées par la loi. En d’autres termes, le maintien de la clause générale de compétence est exigé au risque de méconnaître le principe de libre administration des collectivités territoriales et donc d’être inconstitutionnel. Au final, la lecture de cette décision laisse l’impression que « le Conseil reste au milieu du gué ».1054 418. Ce n’est pas tant la clause générale de compétence qui est à l’origine des financements croisés et des actions multiples, que le législateur lui-même qui prévoit régulièrement des possibilités d’interventions croisées des différents niveaux de collectivités territoriales. « Il existe un enchevêtrement des compétences, une multiplicité des financements croisés, mais ils 1049 CC, n°2010-618 DC du 9 décembre 2010, loi de réforme des collectivités territoriales, précit. ; VERPEAUX, AJDA, 2011, p.99-106. 1050 PONTIER Jean-Marie, « Requiem pour une clause générale de compétence ? », art. cit., p.49. 1051 PONTIER Jean-Marie, « Trente ans de répartition et de redistribution des compétences entre l’État et les collectivités territoriales », BJCL, 2012, n°4, p.277. 1052 V. cons. 54. 1053 VERPEAUX Michel, « Les ambiguïtés entretenues du droit constitutionnel des collectivités territoriales », note, AJDA, 2011, p.105. 1054 Ibid., p.106. - 360 - ne doivent rien à la clause générale de compétence, ils sont dus à une politique de l’État parfaitement indépendante de cette dernière ».1055 C’est en cela que nous considérons que les solutions proposées par la loi du 16 décembre 2010 sont des non-solutions. Si le problème est identifié – l’enchevêtrement des compétences – son origine est en revanche méconnue, et les solutions pour y remédier ne sont pas appropriées. Ainsi, la pseudo suppression de la clause générale de compétence n’aura pas l’effet d’une baguette magique qui mettrait fin à l’enchevêtrement des compétences. La clause générale de compétence étant supprimée pour les départements et les régions, ces collectivités n’ont vocation à ne recevoir que des compétences d’attribution. Dès lors, le législateur semble vouloir réinstaurer les blocs de compétence. 2. Le retour problématique des blocs de compétences 419. La loi du 16 décembre 2010 poursuit dans la lignée des lois précédentes considérant que ce n’est pas le législateur qui est à l’origine d’une grande part de l’enchevêtrement des compétences. Elle ajoute, ainsi, un nouvel alinéa à l’article L.1111-4 du CGCT relatif à la répartition de compétences entre collectivités territoriales disposant que « les compétences attribuées par la loi aux collectivités territoriales le sont à titre exclusif ». Le législateur réitère donc sa volonté de créer des collectivités territoriales spécialisées dans leur compétences. 1056 Il s’agit là d’un serpent de mer de la décentralisation depuis les fameux blocs de compétences des lois de décentralisation des années 1980.1057 Il est en effet à craindre que la disposition introduite par la loi de réforme des collectivités territoriales n’améliore en rien la question de la lisibilité de la répartition des compétences, tant les lois de transferts de compétences, telles que nous les avons connues jusqu’à maintenant, ont l’habitude de fractionner, de fragmenter les compétences pour permettre aux différents niveaux de collectivités territoriales d’intervenir dans un domaine. Un des exemples les plus 1055 PONTIER Jean-Marie, « Mort ou survie de la clause générale de compétence ? », BJCL, 2011, n°1, p.19. Cette volonté de spécialisation des collectivités territoriales introduit également un questionnement sur les critères de distinction entre les établissements publics et les collectivités territoriales. Traditionnellement les premiers ont une compétence limitée, un objet strictement défini tandis que les secondes bénéficient d’une clause générale de compétence. Cette distinction est d’autant plus remise en cause par la loi de réforme des collectivités territoriales, que traditionnellement les modalités de désignation de l’organe délibérant étaient également une méthode de distinction. En effet, les établissements publics ne connaissent pas l’élection au suffrage universel direct de leur conseil contrairement aux collectivités territoriales. Or là aussi la loi du 16 décembre 2010 remet en cause cette distinction en prévoyant l’élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires dans les EPCI. 1057 Art. 3 de la loi n°83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l’État, précit. 1056 - 361 - flagrant à ce titre est selon nous la gestion des lycées par la région et des collèges par les départements. Rien juridiquement ne justifie cette répartition. Celle-ci semble avoir été faite plus pour des raisons politiques, pour permettre à chaque niveau de collectivité d’avoir des compétences à gérer. 420. De plus, la loi du 16 décembre 2010 ne règle pas le problème puisque après avoir affirmé que les compétences des collectivités territoriales sont exercées à titre exclusif, elle ouvre la possibilité de compétences partagées. « La loi peut, à titre exceptionnel, prévoir qu’une compétence est partagée entre plusieurs catégories de collectivités territoriales ».1058 L’exercice partagé des compétences est donc relégué au rang d’exception. Toutefois, nous l’avons déjà évoqué, les compétences partagées sont nombreuses, et l’exception pourrait plutôt tenir lieu de principe. Pour s’en persuader il n’est qu’à observer le tableau relatif à la répartition de compétences entre l’État et les différents niveaux de collectivités territoriales réalisé dans le cadre de la mission sénatoriale relative à la réorganisation territoriale.1059 La lecture de ce tableau atteste à quel point l’exercice d’une compétence par une seule et unique collectivité relève de l’exception. Surtout l’article 73 de la loi de réforme des collectivités territoriales semble marquer un coup d’arrêt – espérons provisoire – de la fonction de chef de file. En effet, si la loi peut prévoir l’exercice partagé d’une compétence, rien n’est dit sur les modalités de l’exercice de cette compétence partagée. Alors que le projet de loi faisait référence au chef de file pour de tels cas, le texte définitivement adopté reste muet sur la possibilité de désigner une collectivité chef de file. Il nous semble qu’il y a là une occasion manquée de consacrer pleinement la fonction de chef de file. En effet, si cette disposition ne signe pas définitivement la mort de la fonction, elle renvoie finalement à chaque texte, qui prévoit des compétences partagées, le choix de décider de recourir ou non à la fonction de chef de file. Au contraire, la référence à la collectivité chef de file dans l’article L.1111-4 du CGCT aurait permis de faire de cette fonction un principe d’organisation au sein de l’exception que seront les compétences partagées. Cette disposition générique relative à la désignation d’un chef de file en cas de compétence partagée aurait conduit à ancrer réellement l’usage de cette fonction dans le cadre de la décentralisation. Au contraire, la solution adoptée dans le texte final renvoie la fonction de chef de file au rang d’une simple possibilité, dans le cas de partage de compétence. La référence dans ce texte à la collectivité chef de file aurait permis de s’assurer que, même si certaines compétences sont partagées, il y aurait 1058 Art. 73 IV de la loi n°2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales. GOURAULT Jacqueline, KRATTINGER Yves, Rapport d’information sur la réorganisation territoriale, Sénat, n°264, 2009, spec. p.32-35. 1059 - 362 - nécessairement eu une coordination des différents niveaux d’action. Au lieu de cela, le texte qui entrera en vigueur en 2015 ouvre la possibilité d’avoir une compétence partagée au sein de laquelle aucune coordination entre les différentes collectivités compétentes ne serait obligatoire. Il faut, en effet, considérer que le législateur conserve sa capacité à désigner ou non un chef de file lorsqu’il est face à une compétence partagée. L’inscription de la référence au chef de file dans le CGCT à l’article L.1111-4 aurait été une incitation pour le législateur à recourir à cette fonction plus régulièrement. Il aurait alors été possible d’observer un véritable développement de cette fonction. « La loi aurait pu placer les collectivités dans un rapport d’autorité de type fédéraliste. Il lui suffisait pour ce faire de tenir une interprétation audacieuse de la notion de collectivité chef de file prévue à l’article 72, alinéa 5 de la Constitution. Le législateur aurait pu considérer qu’elle permettait à un territoire de déterminer les objectifs à atteindre, le choix des moyens d’y parvenir devant seul être réservé aux autres collectivités concernées dans leurs circonscriptions respectives ».1060 En développant le recours à la fonction de chef de file, le législateur aurait placé les collectivités territoriales en mesure de se préparer à une forme de hiérarchisation des différents niveaux. Le développement de la fonction de chef de file aurait permis d’inciter les collectivités territoriales à plus coopérer entre elles, tout en acceptant que le principe d’égalité tel qu’il est formulé à leur égard aujourd’hui n’est pas réaliste. 421. Enfin, alors que cette disposition semblait avoir un caractère générique, que la répartition exacte des compétences semblait être renvoyée à chaque texte spécifique, la fin du nouvel article L.1111-4 du CGCT disposera à partir de 2015 que « les compétences en matière de tourisme, de culture et de sport sont partagées entre les communes, les départements et les régions ». L’ajout de cette précision appelle un certain nombre de remarques. Tout d’abord, on peut s’étonner de la précision apportée sur ces trois domaines de compétences puisque la disposition a plutôt un caractère général. Elle donne des indications quant à la clef de répartition des compétences entre collectivités territoriales. La précision sur trois compétences spécifiques apparaît ainsi un peu incongrue. Elle a été introduite par la commission des lois à l’Assemblée nationale, le rapporteur se contentant de souligner qu’ « une telle disposition devrait permettre d’apaiser beaucoup d’inquiétudes ».1061 Il semble alors que l’inscription de ces trois exceptions relève plutôt d’une forme de lobbying des 1060 BOTTINI Fabien, « Identité constitutionnelle de la France et réforme territoriale », AJDA, 2011, p.1877. PERBEN Dominique, Rapport sur le projet de loi adopté par le Sénat de réforme des collectivités territoriales, op. cit., p.341. 1061 - 363 - représentants des collectivités territoriales et des acteurs du monde de la culture, du tourisme et du sport, plutôt que d’une véritable logique juridique. Nous l’avons déjà évoqué, de nombreuses compétences locales sont en réalité partagées entre les différents niveaux de collectivités territoriales. Pourquoi la loi fait-elle alors spécialement référence à ces trois domaines de compétences ? Il est intéressant pour les collectivités d’intervenir dans ces domaines pour assurer leur développement local, sans que l’on sache réellement ce que recouvrent ces domaines de compétences. Ainsi, la frontière entre la culture et le tourisme, ou le tourisme et le sport n’est pas toujours bien définie. Il est alors aisé d’imaginer les risques d’actions enchevêtrées qui peuvent apparaître sur un même territoire. De plus, un niveau de collectivité territoriale pourra profiter de ces trois domaines pour continuer d’intervenir dans des domaines d’action en principe réservés à d’autres collectivités. En effet, les domaines du sport, de la culture et du tourisme sont tellement vastes que les collectivités territoriales pourront toujours justifier leur décision comme intervenant dans ce domaine de compétence.1062 Il est ainsi aisé d’imaginer que sous couvert de culture, une région ou un département pourra créer un programme d’éducation artistique en faveur d’écoliers habitant dans une commune. Un conseil municipal pourra également faciliter l’implantation d’un collège ou d’un lycée sur son territoire en décidant la construction d’une salle de sport en invoquant sa compétence dans le domaine sportif, alors qu’il s’agit purement d’inciter le département ou la région à exercer leur compétence en matière d’éducation. Que dire enfin de l’aménagement du territoire qui peut influencer de nombreuses politiques, en justifiant cette intervention sur le fondement du sport, de la culture et surtout du tourisme pour permettre le développement local ? Au final, « ces trois domaines apparaissent comme un aveu d’impuissance des pouvoirs publics à cantonner une ou plusieurs catégories de collectivités territoriales dans des domaines déterminés ».1063 422. L’observateur de la vie locale française et de la décentralisation est finalement nécessairement déçu par un texte qui semble vouloir tourner la page de l’Acte II de la décentralisation de 2003-2004. En effet, l’Acte II de la décentralisation avait constitutionnalisé un certain nombre d’innovations, que nous avons déjà évoquées, la fonction de chef de file bien sûr, mais aussi le principe de subsidiarité ou encore l’expérimentation. Or la loi du 16 décembre 2010 ne fait référence à aucune de ces innovations. L’Acte II de la 1062 PONTIER Jean-Marie, « Requiem pour une clause générale de compétence ? », art. cit., p.51-52. PONTIER Jean-Marie, « Trente ans de répartition et de redistribution des compétences entre l’État et les collectivités territoriales », art. cit., p.285. 1063 - 364 - décentralisation avait essentiellement des conséquences sur la répartition des compétences, sur les modalités de mise en œuvre des politiques locales. La loi de réforme des collectivités territoriales tourne le dos à toutes ces questions et comporte essentiellement des effets institutionnels. Considérant que les lois antérieures n’auraient pas remédié à l’enchevêtrement des compétences locales et au mille-feuille administratif, la loi du 16 décembre 2010 tente d’opérer une rupture dans la réponse à apporter aux problèmes locaux. « Rupture surtout avec l’esprit de mars 2003 et avec tout ce que suggérait la réforme constitutionnelle en terme d’autonomie, d’incitation au pluralisme normatif, d’autodétermination des structures territoriales, en un mot d’appel à l’intelligence des territoires ».1064 La loi du 16 décembre 2010 tourne donc une page dans la façon d’apporter une solution aux défaillances du système local. Cependant, il nous semble que les réponses apportées par la loi de réforme des collectivités territoriales, toutes de type institutionnel, ne seront peut-être pas les mieux à même de rationaliser l’exercice des compétences locales. 1064 BRISSON Jean-François, « La loi du 16 décembre 2010 portant réforme territoriale ou le droit des collectivités territoriales en miettes », art. cit., p.8. - 365 - Section 2. Des solutions trop institutionnelles pour une réelle clarification des compétences 423. La grande majorité des dispositions contenues dans la loi de réforme des collectivités territoriales porte sur la création ou la modification des institutions locales. Ceci est en adéquation avec le projet de départ du gouvernement qui entendait régler la question du dysfonctionnement local dans différentes lois, les différents aspects de la décentralisation dans différents textes. Or nous l’avons évoqué précédemment, les parlementaires ont entendu régler les questions institutionnelles et de répartition de compétences dans le même texte. « La loi du 16 décembre 2010 cherche dans la réforme des institutions un remède aux difficultés de la gouvernance territoriale, convaincue que la simplification des compétences ne viendra qu’avec la simplification de l’architecture traditionnelle ».1065 Or le renouvellement de l’architecture locale ressemble plus à une construction par superposition qu’à une simplification. La loi du 16 décembre 2010 ressemble à une architecture baroque.1066 Les évolutions institutionnelles contenues dans le texte, même si elles ne sont pas encore entrées en vigueur ne peuvent qu’effrayer l’observateur, tant leur mise en œuvre risque d’accentuer l’enchevêtrement des compétences (§1). Toutefois, au milieu de cette nouvelle construction, il est également possible de distinguer quelques mesures qui pourraient permettre un retour, détourné certes, de la fonction de collectivité chef de file (§2). §1. Le rapprochement forcé du département et de la région, une fausse clarification En voulant créer un couple « département-région », le législateur s’est fourvoyé. Il n’y a aucun gage de clarification des compétences dans le rapprochement de ces deux collectivités. Le citoyen n’aura pas forcément une meilleure compréhension de l’action locale au vu des outils de ce rapprochement. Il s’agit, d’une part, de l’instauration du conseiller territorial (A) et, d’autre part, du schéma d’organisation des compétences et de mutualisation des moyens (B). 1065 BRISSON Jean-François, « La loi du 16 décembre 2010 portant réforme territoriale ou le droit des collectivités territoriales en miettes », art. cit., p.8. 1066 Le professeur Douence parle « d’édifice baroque » à propos de la métropole et Yves Jegouzo qualifie le conseiller territorial de « construction baroque ». Dès lors, c’est toute la conception de la loi qui semble influencée par ce courant architectural. DOUENCE Jean-Claude, « Les métropoles », RFDA, 2011, n°2, p.261. JEGOUZO Yves, « L’intercommunalité à la peine », AJDA, Tribune, 2011, p.2089. Le dictionnaire Robert indique que ce style architectural est « caractérisé par la liberté des formes et la profusion des ornements ». - 366 - A. Le conseiller territorial, synergie forcée du couple département région 424. La création du conseiller territorial est sûrement « la pièce essentielle »1067 de la réforme des collectivités territoriales, mais aussi peut-être la plus contestée aujourd’hui.1068 Cette nouveauté est d’ailleurs l’objet des premiers articles de la loi. L’idée de cette évolution est de créer un couple1069 département-région. A défaut de pouvoir supprimer définitivement l’un des deux niveaux, du fait de leur égale protection constitutionnelle1070, la loi s’en est remise à une organisation singulière où conseil régional et conseil général disposeront désormais d’élus communs. En effet, le conseiller territorial a vocation à siéger à la fois à l’assemblée départementale du canton dans lequel il a été élu et à l’assemblée régionale correspondante. Il est indéniable qu’une telle évolution cherche à « préparer – au-delà de l’harmonisation immédiate des politiques locales – l’absorption de l’échelon départemental devenu progressivement une simple composante, une sorte de guichet et de relais de la politique régionale ».1071 Une autre raison est de réaliser des économies. Ainsi, aux 6 000 élus régionaux et départementaux succéderont 3 500 conseillers territoriaux. S’il y a une diminution en volume du nombre d’élus locaux, il n’est pas certain que les économies soient réelles. En effet, si les élus seront moins nombreux au niveau du conseil général, l’assemblée régionale réunira désormais plus de personnes, ce qui impliquera notamment des frais puisque les hôtels de région ne sont pas pensés dans la plupart des cas pour accueillir des assemblées aussi nombreuses. De même, le conseiller territorial aura une circonscription plus grande à couvrir puisqu’il sera l’élu d’un département et d’une région à la fois, ce qui implique nécessairement des frais de déplacements plus importants. Ainsi, l’objectif affiché de réaliser des économies au moyen de la création du conseiller territorial ne convainc pas. 1067 FAURE Bertrand, « Le groupement département-région. Remède ou problème ? », AJDA, 2011, p.86. Le Sénat a adopté le 16 novembre 2011 une proposition de loi relative à l’abrogation du conseiller territorial. 1069 L’une des idées directrices de cette réforme est de créer des couples, des duos de collectivités locales. Il en est ainsi du couple département-région ou encore du couple commune-intercommunalité. V. not. l’article au titre évocateur : LANDOT Eric, « Les territoires en rang deux par deux », RLCT, 2011, n°64, p.78-89. 1070 La suppression d’un niveau de collectivité territoriale, qu’il s’agisse du département ou de la région, nécessiterait une révision constitutionnelle du fait de l’énumération de l’article 72 de la Constitution. Or une telle révision n’était pas concevable au moment de la discussion sur la loi de réforme des collectivités territoriales pour au moins deux raisons. D’une part, les résistances locales sont encore beaucoup trop importantes pour accepter une telle suppression. D’autre part, la révision constitutionnelle relative aux institutions de l’été 2008 ayant été adoptée à une seule voix de majorité au Congrès, il était risqué pour le Gouvernement de proposer une nouvelle révision constitutionnelle d’une telle ampleur. 1071 BRISSON Jean-François, « La loi du 16 décembre 2010 portant réforme territoriale ou le droit des collectivités territoriales en miettes », art. cit., p.11. V. également, FLEURY Benoît, « Le conseiller territorial : le nouvel artisan du couple région-département », JCP-A, 2011, n°2, spec. p.44. 1068 - 367 - 425. La doctrine s’est beaucoup interrogée durant la discussion de la loi sur la constitutionnalité du conseiller territorial.1072 En effet, la Constitution protège la libre administration des collectivités territoriales et prévoit à cet égard que les « collectivités s’administrent librement par des conseils élus ». La question ne s’était pas posée jusque là et il semblait aller de soi que chaque niveau de collectivité territoriale dispose de son propre conseil élu. En réalité, l’outre-mer, et notamment la Nouvelle-Calédonie connaissait déjà une situation similaire. Ainsi, la loi sur l’évolution de la Nouvelle-Calédonie de 19851073 prévoyait le découpage de la Nouvelle-Calédonie en quatre régions qui élisaient chacune un conseil de région élu au suffrage universel direct, la réunion des quatre conseils de région formait le Congrès du territoire. Ces deux assemblées bénéficient d’attributions distinctes. Le Conseil constitutionnel a validé, à l’époque, cette construction.1074 Il a en effet considéré qu’« en prévoyant que le territoire dispose d’un conseil élu [la loi] a pu charger ses membres d’une double fonction territoriale et régionale, sans enfreindre aucune règle constitutionnelle ».1075 426. La création du conseiller territorial semble largement inspirée de cette expérience néo- calédonienne. Ainsi, pour reprendre l’expression du juge constitutionnel, le conseiller territorial sera chargé « d’une double fonction » départementale et régionale. Le conseil régional conserve ses compétences régionales et le conseil général conserve ses compétences départementales. Cependant, ce sont les mêmes élus qui siégeront dans les deux assemblées. Une partie de la doctrine a alors considéré qu’ « il y aurait une certaine logique à considérer que, hors statut particulier, conserver formellement deux conseils distincts, mais composés d’élus identiques constitue une sorte de détournement de la Constitution qui ne peut faire illusion : chaque collectivité à un conseil, mais point de conseil propre ».1076 Il était aisé de souscrire à cette analyse qui s’appuyait sur les exemples de regroupement de collectivités déjà mis en œuvre outre-mer et se voulait favorable au principe de libre administration des collectivités territoriales. Le Conseil constitutionnel n’a cependant pas suivi ce raisonnement. En effet saisi de la question du conseiller territorial, élu commun à deux assemblées, les Sages ont considéré que « si le principe selon lequel les collectivités territoriales s’administrent librement par des conseils élus implique que toute collectivité dispose d’une assemblée délibérante élue dotée d’attributions effectives, il n’interdit pas que les élus désignés lors 1072 CHAVRIER Géraldine, « Les conseillers territoriaux : questions sur la constitutionnalité d’une création inspirée par la Nouvelle-Calédonie », AJDA, 2009, p.2380-2384. 1073 Loi n°85-892 du 23 août 1985 sur l’évolution de la Nouvelle-Calédonie, JORF, 24 août 1985, p.9775. 1074 CC, n°85-196 DC du 8 août 1985 loi sur l’évolution de la Nouvelle-Calédonie, JORF, 8 août 1985, p.9125 ; HAMON, AJDA, 1985, p.605-614. 1075 CC, n°85-196 DC du 8 août 1985 loi sur l’évolution de la Nouvelle-Calédonie, cons. 11. 1076 CHAVRIER Géraldine, « Les conseillers territoriaux : questions sur la constitutionnalité d’une création inspirée par la Nouvelle-Calédonie », art. cit., p.2381. - 368 - d’un unique scrutin siègent dans deux assemblées territoriales ».1077 Le Conseil constitutionnel accorde donc son brevet de constitutionnalité à l’institution du conseiller territorial. Si le parallèle avec la décision de 1985 relative à la loi sur l’organisation de la Nouvelle-Calédonie est aisé et donc la solution du Conseil constitutionnel prévisible, il nous semble toutefois que la décision du Conseil constitutionnel aurait dû être différente. En effet, la décision relative à la Nouvelle-Calédonie s’explique par la situation particulière de la Nouvelle-Calédonie, il s’agit d’une collectivité territoriale au statut exceptionnel. Or à travers sa décision de 2010, le Conseil constitutionnel transforme en principe ce partage d’élu, alors qu’il aurait dû continuer à relever de l’exception, selon nous. En effet, il est nécessaire de relever qu’en raison de son mode d’élection (1), mais aussi du rôle que lui assigne la loi (2), le conseiller territorial risque de porter atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales. Il risque donc d’avoir des effets néfastes sur la compréhension de l’action locale. 1. L’institutionnalisation préjudiciable d’un cumul des mandats 427. Les modalités d’élections de conseillers territoriaux risquent de conduire les futurs conseillers territoriaux à n’être que des conseillers généraux siégeant également au conseil régional. Le risque est que la région à terme « ressemblera à un syndicat forcé de départements dont elle ne sera peut-être que l’instance de coordination ».1078 Les futurs conseils régionaux risquent de fort ressembler à un agrégat des élus des départements qui la composent. En effet, il ressort des articles 1er et 3 de la loi du 16 décembre 2010 que les futurs conseillers territoriaux seront élus dans le cadre de la circonscription cantonale lors d’un scrutin majoritaire à deux tours. Un tel scrutin favorisera l’enracinement cantonal de l’élu local. Les questions régionales risquent d’être considérées comme plus lointaines. De plus, un tel mode de scrutin va à l’encontre de la parité exigée lors des élections. En effet en cas de scrutin majoritaire, les candidates sont plus facilement reléguées au rang de suppléantes. « Les infidélités faites à la représentation paritaire des femmes découl[ent] nécessairement du choix fait en faveur du scrutin uninominal et de l’abandon du scrutin proportionnel de liste au niveau régional où la part de 48% des sièges occupés actuellement par elles régressera 1077 CC, décision n°2010-618 DC du 9 décembre 2010 loi de réforme des collectivités territoriales, précit., spec. cons. 23. 1078 FAURE Bertrand, « Ni redoutable, ni souhaitable propos général sur la loi du 16 décembre 2010 », JCP-A, 2011, n°14, p.22. - 369 - certainement ».1079 En guise de rééquilibrage, la loi prévoit tout de même une majoration des sanctions pécuniaires en cas de non respect de la parité. Or « la complexité du mécanisme ne concourt […] pas à sa compréhension ».1080 428. D’autres propositions sur le mode de scrutin avaient été évoquées et qui auraient pu être plus en phase avec l’institution d’un couple département-région. Il aurait été plus judicieux de faire une élection de type scrutin de liste, dans chaque département, avec fléchage des élus qui siégeront également au conseil régional. C’était d’ailleurs l’option retenue dans les propositions du Comité Balladur.1081 Ce type de scrutin n’est pas inconnu puisqu’il s’inspire largement de ce qui est fait pour les conseils municipaux et les conseils d’arrondissements dans les villes de Paris, Lyon et Marseille.1082 Or, il est reconnu que « ce système électoral crée une certaine solidarité entre le conseil municipal et les conseils d’arrondissement ».1083 Un tel mode de scrutin aurait permis de mieux différencier les deux conseils, tous les élus ne siégeant pas nécessairement dans les deux assemblées, tout en assurant la solidarité, la cohérence d’action entre les deux niveaux de collectivités visées par le projet gouvernemental. Ce mode de scrutin aurait également assuré une meilleure identification par les citoyens des élus départementaux et des élus régionaux. Enfin, un scrutin de liste aurait permis de respecter plus facilement la parité. 429. Au lieu de cela, alors que le conseiller territorial est une forme de rupture dans la représentation locale des citoyens, son mode d’élection aboutit au contraire à le maintenir dans les carcans anciens d’une élection dans un cadre cantonal. Le législateur donne l’impression de faire du neuf avec du vieux. Il cherche à opérer une rupture dans la représentation locale mais cette rupture n’est pas totalement assumée et il se raccroche donc à des fondamentaux déjà connus, telle que la circonscription cantonale. Le Comité Balladur considérait d’ailleurs que « les cantons, même redessinés seraient des circonscription électorales inadaptées »1084 dans le cadre du scrutin de liste qu’il proposait. Cette circonscription a été très souvent accusée de favoriser la représentation des campagnes sur celles des villes.1085 En effet, le découpage des cantons conduit à avoir des élus représentants 1079 FAURE Bertrand, « Le regroupement départements-région. Remède ou problème ? », art. cit., p.88 FLEURY Benoît, « Le conseiller territorial : le nouvel artisan du couple région-département », art. cit., p.46. 1081 Proposition n°3. 1082 Art. L.2511-3 et s. du CGCT. C’est un mode de scrutin similaire qui a également été retenu par la loi pour l’élection des conseillers communautaires des EPCI dans les communes procédant à l’élection de leur conseil municipal par un scrutin de liste (art. 8 et 9 de la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales). 1083 FAURE Bertrand, Droit des collectivités territoriales, op. cit., p.322. 1084 Comité pour la réforme des collectivités locales, Il est temps de décider, op. cit., p.121. 1085 Prenant d’ailleurs acte de cette critique, le Gouvernement a annoncé une modification par voie réglementaire des limites des cantons, notamment pour les asseoir sur des bases démographiques plus équilibrées. Annonce 1080 - 370 - des zones rurales faiblement peuplées, alors que dans un même département un autre élu peut relever d’un canton englobant une grande agglomération très peuplée. Celles-ci sont alors « défavorisé[e]s par le principe d’égalité entre les cantons qui veut que chacun d’entre eux assure la désignation d’un conseiller sans donc pouvoir proportionner le nombre d’élu à la population du canton ».1086 La circonscription cantonale est très fortement liée à l’élection des conseillers généraux. Dès lors, il y a un risque de confusion dans l’esprit des citoyens, si la réforme ne leur est pas expliquée correctement. Le maintien du conseiller territorial dans une circonscription d’inspiration plutôt départementaliste est également le signe de cette peur de la région que nous avons relevée précédemment.1087 Ainsi, « comme par le passé, le réformateur étatique semble craindre l’identification entre l’électeur et sa région qu’aurait favorisé l’option en faveur d’une circonscription régionale unique. La région n’aura toujours pas le sacrement démocratique qu’elle mérite : elle n’est pas représentative par elle-même mais à travers les composantes de ses départements ».1088 De par sa circonscription électorale le conseiller territorial sera avant tout un élu départemental qui disposera également d’un siège à l’assemblée régionale. « Le nouveau scrutin pourra […] conduire à un effacement structurel de la région comme objet politique et comme espace public ».1089 Les citoyens doivent être correctement informés du fait qu’au cours de cette élection c’est à la fois un représentant du département et de la région qu’ils désignent. 430. D’une certaine manière, le conseiller territorial institutionnalise également le cumul des mandats. En effet, le conseiller territorial sera à la fois un conseiller général et un conseiller régional. Même s’il n’est élu que pour une seule fonction, celle-ci est en réalité la réunion de deux mandats différents. Dès lors, le législateur autorise désormais l’élu local à cumuler les fonctions de représentant au conseil général et de représentant au conseil régional. Enfin, l’institution du conseiller territorial semble également poser un problème en terme d’effectifs. En effet, si les 3 500 conseillers territoriaux sont appelés à remplacer les 6 000 élus locaux actuels, il est nécessaire de relever que le partage entre les conseillers généraux et les conseillers régionaux n’est pas équilibré. Ainsi, il y a actuellement un peu plus de 4 000 conseillers généraux et un peu moins de 2 000 conseiller régionaux. Il faut donc en conclure que si les nouveaux conseils généraux seront désormais moins nombreux, les conseils faite le 18 décembre 2009, par le Chef de l’État lors d’un déplacement à Darney dans les Vosges. Source : www. gouvernement.fr. 1086 FAURE Bertrand, « Le groupement département-région. Remède ou problème ? », art. cit., p.88. 1087 Supra §395. 1088 FAURE Bertrand, « Le groupement département-région. Remède ou problème ? », art. cit., p.88. 1089 CHABERT Jean-Christophe, « Les régions face à leur avenir. Animation prospective ou gouvernement méso ? », Pouvoirs locaux, 2011, n°91, p.17. - 371 - régionaux eux, au contraire, seront des assemblées pléthoriques par rapport à ce qui a lieu actuellement. Pour les conseils généraux cela posera inévitablement des problèmes en matière de connaissance des dossiers par les élus, problème sur lequel nous reviendrons ultérieurement. Pour les conseils régionaux, nous l’avons déjà évoqué, cela posera des problèmes matériels puisque les hôtels de régions ne pourront pas accueillir des assemblées aussi nombreuses, mais cela posera également des problèmes au niveau des compétences de la région. Celle-ci a un rôle plutôt de programmation, or les discussions sur les orientations à arrêter seront au minimum ralenties par le nombre important des conseillers territoriaux. L’élection du conseiller territorial n’impliquera pas, selon nous, une coordination des décisions automatique, une recherche de consensus améliorée. Il faut d’ailleurs noter que le changement de majorité au Sénat en 2011 a conduit cette assemblée à adopter un texte de suppression du conseiller territorial.1090 L’élection du conseiller territorial telle qu’elle se profile pour 2014 risque indubitablement, selon nous, de produire un recul dans la démocratie locale. Son territoire d’élection le maintien dans un rôle essentiellement de conseiller général et la représentation de la région ne pourra qu’en pâtir. Ces craintes sont confirmées lorsqu’on observe le rôle qui devrait être celui des futurs conseillers territoriaux. 2. Le mandat multiple du conseiller territorial 431. Le rôle du futur conseiller territorial soulève également un certain nombre d’ambiguïtés. Il a « vocation à assurer mécaniquement une coordination des actions »1091 des départements et des régions. L’objectif du conseiller territorial serait donc de permettre la mise en œuvre d’une action cohérente des différents niveaux de collectivités territoriales dans lesquelles celui-ci va siéger. Les conseillers territoriaux n’ayant pas encore été élus, il est trop tôt pour tirer des conclusions sur la méthode. Toutefois, il n’est pas interdit d’émettre un certain nombre de remarques, de doutes voire de réserves quant à la mise en œuvre de cette réforme. 432. Tout d’abord, la composition du conseil régional le transforme en un agrégat des départements composant la région. Or, cela interroge sur les conditions de définition de 1090 Proposition de loi relative à l’abrogation du conseiller territorial, adoptée par le Sénat le 16 novembre 2011. 1091 CHAVRIER Géraldine, « Les relations entre les départements et les régions. Faux problème et vraies menaces », AJDA, 2011, p.1826. - 372 - l’intérêt régional. Celui-ci pourrait dériver en une simple accumulation des différents intérêts départementaux représentés au sein de l’assemblée régionale. Il y a un risque que le conseil régional ne se transforme en une assemblée de discussion des intérêts interdépartementaux plutôt que régionaux. Il y a évidemment un risque qu’un élu porte devant le conseil régional un dossier sur lequel il n’aurait pas obtenu satisfaction au sein du conseil général, ou inversement. Il est ainsi à craindre que, malgré la volonté du législateur, un même dossier, une même question ne soit encore débattue dans les deux assemblées. « Dans les faits, comment exclure totalement que les décisions prises au sein de conseil général ne seront pas dictées par celles prises au sein du conseil régional, et inversement ? »1092 Il est tout à fait possible d’imaginer que le conseiller territorial cherchera à influencer les décisions prises au niveau régional en fonction des intérêts de son propre département, ou des décisions précédemment adoptées dans le cadre de l’assemblée départementale à laquelle il participe. Le conseiller territorial conduit à une forme d’institutionnalisation du conflit d’intérêt.1093 « Dans un système où la représentation régionale ne fait que doubler la représentation départementale qui la compose, l’existence d’intérêts régionaux distincts devient tout à fait illogique ».1094 En effet, il est bien connu que l’intérêt général n’est pas la somme des intérêts particuliers. Or, l’institution du conseiller territorial laisse à craindre que l’intérêt régional ne se transforme en une simple addition des intérêts départementaux en présence. Les deux niveaux de collectivités territoriales répondent en principe à des intérêts différents, ce qui justifie selon nous l’existence de deux catégories d’élus différents. L’institution d’un élu commun laisse donc craindre que l’un des intérêts prendra le pas sur l’autre. 433. Ces remarques nous amènent, naturellement, à exposer une autre crainte induite par l’élection du conseiller territorial. Il s’agit du risque de mise en place d’une tutelle d’un niveau de collectivité sur l’autre. Même si le Conseil constitutionnel a écarté dans sa décision l’existence de ce risque,1095 qu’il nous soit permis au vu de ce qui vient d’être exposé de réitérer cette inquiétude. Il est en effet à craindre qu’en partageant le même élu, l’une des deux collectivités ne mette en place une forme de tutelle sur l’autre. La tutelle ne sera d’ailleurs pas automatiquement de la région sur le département ou inversement, elle dépendra pour beaucoup des rapports de force au sein de chaque assemblée entre majorité et opposition et la reproduction de ce rapport ou son inversion au niveau régional. Il n’est toutefois pas 1092 DONIER Virginie, « Les clairs-obscurs de la nouvelle répartition des compétences », AJDA, 2011, p.94. Il ne faut cependant pas perdre de vue que le cumul des mandats pratiqué dans le système actuel aboutit, lui aussi, à des risques de conflits d’intérêt. 1094 FAURE Bertrand, « Le groupement département-région. Remède ou problème ? », art. cit., p.90. 1095 CC, n°2010-618 DC du 9 décembre 2010 loi de réforme des collectivités territoriales, précit., spec. cons. 22. 1093 - 373 - incongru de penser qu’au vu de leur mode d’élection et de l’attachement à la circonscription cantonale, ce ne soit le niveau départemental qui sera privilégié au profit du niveau régional. Le risque est qu’au sein du conseil régional n’apparaisse une « coalition dominante »1096 de départements, permettant par leur regroupement de bloquer l’issue d’une politique régionale à laquelle ils sont opposés sur leur territoire. Mais d’une certaine manière cet édifice baroque n’a-t-il pas pour objectif, inavoué certes, que de préparer la hiérarchisation des collectivités territoriales, voire même l’absorption de l’un des deux niveaux d’administration locale par l’autre ? 434. L’instauration des conseillers territoriaux interroge également sur la connaissance qu’auront désormais les élus locaux des problèmes de leur circonscription ainsi que de leur investissement dans l’ensemble des obligations induites par leur mandat local. Ainsi le nombre d’élus siégeant dans chaque département étant réduit, le conseiller territorial pourra difficilement se spécialiser sur les questions relatives à un domaine de compétence du département, tel que peuvent le faire les actuels conseillers généraux. « Dans la mesure où dans certains départements le nombre de conseillers territoriaux sera réduit à 15, ces derniers auront un champ de compétence très large ».1097 La question se pose également à l’égard des compétences exercées aujourd’hui par les conseillers régionaux. Ainsi, nous avons déjà évoqué un certain nombre de commissions ou encore d’institutions dans lesquelles doivent siéger des élus locaux. Il est aisé de mentionner, la Maison départementale des personnes handicapées qui est présidée par le président du conseil général et qui comprend des élus locaux dans son conseil d’administration,1098 mais aussi le comité de coordination régional de l’emploi et de la formation professionnelle composé lui aussi d’élus régionaux et coprésidé par le président du conseil régional.1099 En dehors de ces deux exemples, que nous avions déjà évoqués dans les chapitres précédents, les élus régionaux et départementaux sont amenés à siéger dans de nombreuses instances autres que leur conseil, tel que les conseils d’administrations des collèges ou des lycées, 1100 au sein des sociétés d’économie mixte 1096 Ce vocabulaire emprunté à la sociologie exprime assez clairement le fait que le conseiller territorial au sein du conseil régional pourra être soumis à la constitution d’alliance entre élus de divers départements afin d’assurer une domination en faveur ou contre un projet spécifique de la région. Or « cette coalition initiale se [maintiendra] dans le temps car elle assure à ses membres un contrôle sur un nombre maximal de parties impliquées dans la négociation ». BOURQUE Reynald, THUDEROZ Christian, Sociologie de la négociation, Paris, Ed. La découverte, 2002, p.65. 1097 LONG Martine, « Vers un Acte III de la décentralisation ? », RDSS, 2011, n°1, p.22. 1098 Art. L.146-4 du CASF. 1099 Art. D.6123-21 et -25 du Code du travail. 1100 Art. R.421-14 du Code de l’éducation. - 374 - locales,1101 ou encore bien d’autres. En matière d’action sociale la charge de travail est déjà très importante dans les départements, où « on constate à lire les délibérations et arrêtés de nomination qui suivent l’élection du conseil général, que ces missions sont réparties entre peu d’élus, notamment les membres de la commission sociale ou des solidarités, qui doivent s’impliquer dans ces différents organismes pour impulser la politique du département ».1102 Il est à craindre que dans certains départements où les conseillers territoriaux seront réduits à une quinzaine d’élus, le suivi de l’ensemble de ces dossiers en pâtira nécessairement. Ainsi, le futur conseiller territorial ne pourra certainement pas, au vu de sa charge de travail, bénéficier de la même connaissance des dossiers, de la même implication dans l’ensemble de ces réunions. Cela conduira également à nuire à la qualité de l’ancrage local de l’élu. En effet, le temps consacré à la préparation de toutes ces réunions et à y assister, sera du temps en moins pour l’élu pour aller au contact des administrés. « Le cumul obligatoire des deux fonctions de membre du conseil général de leur département et membres du conseil régional pourrait affaiblir leur ancrage local ».1103 Loin d’améliorer la compréhension de l’architecture locale et de favoriser la démocratie locale, l’instauration du conseiller territorial risque d’avoir un effet contreproductif en terme de participation aux élections locales, alors que celles-ci connaissent déjà un fort désintérêt observable au travers du taux d’abstention lors de ces consultations.1104 L’instauration du conseiller territorial risque, selon nous, de nuire à la démocratie. La démocratie locale va se professionnaliser de manière importante avec le conseiller territorial. Au vu des obligations imposées par le mandat de conseiller territorial, les futurs élus devront se consacrer entièrement à leur mandat. Cela imposera de faire d’eux de véritables hommes politiques professionnels, alors que les mandats locaux demeuraient encore accessibles à l’ensemble des citoyens, tout en exerçant une activité professionnelle, sans que l’exercice de ce mandat ne porte atteinte à leur carrière. En effet, la loi de démocratie de proximité de 20021105 avait prévu des règles de protection accrue des salariés exerçant des mandats locaux. Or, au vu du rôle des futurs conseillers territoriaux ceux-ci devront se rendre beaucoup plus disponibles pour assurer leur mandat. Dès lors, il leur sera de plus en plus difficile de concilier leur vie professionnelle avec leur charge d’élu local. Il convient donc de 1101 Art. L.1524-5 du CGCT LONG Martine, RIHAL Hervé, « La vocation sociale du département », art. cit., p.1838. 1103 MARCOU Gérard, « Le département et les communes : complémentarité et concurrence », AJDA, 2011, p.1831. 1104 L’abstention a atteint des taux record de plus de 55% lors des élections cantonales qui se sont tenues en mars 2011. Idem pour les élections régionales de 2010. ROUQUAN Olivier, Culture territoriale, Paris, Gualino, coll. Territoriale, 2011, p.124. 1105 Loi n°2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, précit., not. art. 65 à 67. 1102 - 375 - dénoncer ce risque de naissance d’un personnel politique professionnel au niveau local, d’un basculement d’une véritable démocratie locale vers une forme d’aristocratie des élus locaux. 435. Enfin, il faut relever que l’instauration du conseiller territorial participe selon nous au brouillage de la compréhension de l’action locale par le citoyen. En effet, en instituant un élu qui siège à la fois au conseil général et au conseil régional, l’électeur local aura sûrement plus de difficultés à déterminer quel niveau de collectivité est responsable de quelle action. Ainsi la question du « qui fait quoi » se trouve à nouveau brouillée. La mise en place du conseiller territorial est ainsi selon nous un élément supplémentaire qui vient troubler la réponse à cette question, et ce inutilement. 436. Ces limites risquent de nuire à la fonction de coordination normalement attribuée au futur conseiller territorial. La mise en place d’une coordination efficace implique l’existence d’un véritable temps de rencontre, de discussion entre les élus. Or comme nous l’avons relevé précédemment, les futurs conseillers territoriaux seront très certainement accaparés par leur fonction de représentation de leur collectivité territoriale auprès de différentes institutions. La mise en place d’une véritable action commune n’est donc pas assurée du simple fait de l’existence du conseiller territorial. De plus, les compétences des départements et des régions se voulant désormais exclusives, les conseillers territoriaux ne pourront pas en théorie réutiliser leurs compétences acquises au sein du conseil général pour améliorer le travail au sein du conseil régional ou inversement. Toutefois, le partage des compétences demeurera important dans les faits et on peut effectivement espérer un transport des bonnes idées et des mises en œuvre de politiques réussies d’un conseil à l’autre. Il est aisé à cet égard de penser à la gestion des collèges ou des lycées, qui s’ils dépendent juridiquement chacun d’un niveau de collectivité différent rencontrent dans la réalité les mêmes problématiques. 437. La création du conseiller territorial, et son corollaire le rapprochement du couple département-région, est un non sens, exemple supplémentaire de l’apport de non solutions à de faux problèmes par ce texte. La mise en place du conseiller territorial a un « aspect rudimentaire, arbitraire et pour tout dire anti-scientifique ».1106 D’ailleurs, comme nous l’avons soulevé, le conseiller territorial est déjà remis en cause puisque le Sénat a adopté une proposition de loi tendant à sa suppression.1107 Pour permettre à ce couple département-région d’assurer une gestion plus cohérente des services publics locaux, le législateur a imaginé un outil spécifique à leur disposition. Or 1106 1107 FAURE Bertrand, « Le groupement département-région. Remède ou problème ? », art. cit., p.90. Sénat, 16 novembre 2011, proposition de loi portant l’abrogation du conseiller territorial. - 376 - le schéma d’organisation des compétences et de mutualisation des services pourrait se révéler lui aussi source d’une importante complexification de l’action locale. B. Les schémas d’organisation des compétences et de mutualisation des services, outil du rapprochement département-région 438. L’article 75 de la loi du 16 décembre 2010 introduit dans le CGCT un nouvel article L.1111-9 qui dispose : « afin de faciliter la clarification des interventions publiques sur le territoire de la région et de rationaliser l’organisation des services des départements et des régions, le président du conseil régional et les présidents des conseils généraux des départements de la région peuvent élaborer conjointement, dans les six mois qui suivent l’élection des conseillers territoriaux, un projet de schéma d’organisation des compétences et de mutualisation des services. Chaque métropole constituée sur le territoire de la région est consultée de plein droit à l’occasion de son élaboration, de son suivi et de sa révision ». Cette disposition n’était pas présente dans le projet gouvernemental, elle est un ajout de l’Assemblée nationale à l’initiative de la Commission des lois. Les futurs schémas d’organisation des compétences et de mutualisation des services (SOCMS) seront donc l’occasion pour les conseillers territoriaux de réfléchir à l’agencement des compétences sur leur territoire. Il ne s’agit donc pas seulement de partager un élu commun, mais aussi de proposer un projet commun pour clarifier les interventions de l’échelon régional et de l’échelon départemental sur le territoire. La participation des métropoles à l’élaboration de ces schémas s’entend dès lors que celles-ci ont vocation à exercer des compétences en lieu et place de la région et du département sur leur territoire. Cette disposition n’a vocation à entrer en vigueur qu’une fois les premiers conseillers territoriaux élus.1108 De plus, l’adoption du schéma d’organisation des compétences et de mutualisation des service a un caractère facultatif. Toutefois, les conseillers territoriaux sont fortement incités à adopter un tel schéma puisque, dès lors qu’ils ne l’auront pas arrêté, les conseils généraux et les conseils régionaux ne pourront plus procéder à des cumuls de subventions.1109 439. Ce schéma vise un double objectif, d’une part clarifier l’exercice local des compétences – le qui fait quoi – et, d’autre part, rationaliser les services des départements et 1108 Cependant, certains ont déjà émis des doutes quant à l’adoption des schémas dans le calendrier fixé par la loi, à savoir dans les 9 mois de l’élection des premiers conseillers territoriaux. « Un délai de 9 mois apparaît très insuffisant lorsqu’on considère la difficulté de l’ouvrage ». A cet égard, le rapporteur conseille d’anticiper dans les départements et les régions la discussion des schémas. DE PERETTI Jean-Jacques, La liberté de s’organiser pour agir, op. cit., p.15. 1109 Art. 77 de la loi de réforme des collectivités territoriales, créant un nouvel article L.1611-8 dans le CGCT. - 377 - de la région – mesure de simplification à but économique.1110 A cet effet, le SOCMS fixe les délégations de compétences entre les départements et la région, détermine les modalités d’intervention financière des départements et de la région en faveur d’autres collectivités territoriales ou groupements de collectivités territoriales, fixe les modalités de mutualisation des services. A travers le contenu des schémas d’organisation des compétences et de mutualisation des services, on observe que l’objectif poursuivi est la rationalisation des interventions locales. Il s’agit à la fois d’assurer une plus grande cohérence des politiques locales et de limiter les saupoudrages de crédits, notamment envers les collectivités de moindre importance. L’objectif d’un tel schéma est d’arrêter dans un seul document une feuille de route, un contrat de bonne conduite afin d’assurer la cohérence des actions locales. Ce schéma permet ainsi de déterminer une volonté commune en faveur d’une action locale cohérente. D’une certaine manière, l’adoption de ce schéma permettra de consacrer l’action qui avait déjà été engagée à travers la conférence régionale des exécutifs prévue à l’article L.1111-4, alinéa 2. D’ailleurs cette disposition à vocation à intégrer le futur article L.1111-9 du CGCT. 440. L’actuel article L.1111-4 du CGCT institue la conférence des exécutifs. Celle-ci est composée du président du conseil régional, des présidents des conseils généraux et des présidents de communautés urbaines et communautés d’agglomération. Ils se réunissent afin de discuter de l’organisation des compétences nécessitant une harmonisation des actions entre les deux niveaux de collectivités. Ainsi, sous l’empire de la conférence des exécutifs, il ne s’agissait que d’une discussion qui tout au plus pouvait aboutir à une contractualisation des objectifs arrêtés ou à une déclaration commune. Désormais, le schéma d’organisation des compétences et de mutualisation des service donnera une véritable existence juridique au résultat de cette discussion relative à l’harmonisation des compétences locales. On passe ainsi d’un procédé d’harmonisation très libre sur son contenu, à une procédure beaucoup plus contraignante pour les collectivités territoriales. Les exécutifs de la région et des départements seront désormais contraints d’aboutir à une position commune, à un accord – ce qui devrait être facilité puisque les élus siégeront dans les deux assemblées1111 – position qui les obligera à harmoniser réellement leurs actions. On peut s’interroger alors face à cette nouvelle 1110 « Les doublons administratifs pourront ainsi être limités, et des économies substantielles obtenues dans le fonctionnement des collectivités territoriales intéressées ». PERBEN Dominique, Rapport sur le projet de loi de réforme des collectivités territoriales, op. cit., p.342. 1111 Le rapport à l’Assemblée nationale sur le projet de loi parle de « tirer pleinement profit des synergies institutionnelles créées entre les départements et les régions grâce à la mise en place, en 2014, des conseillers territoriaux ». PERBEN Dominique, Rapport sur le projet de loi de réforme des collectivités territoriales, op. cit., p.342. - 378 - disposition sur la nécessité de maintenir la conférence des exécutifs. On comprend mal quel sera désormais son rôle. Elle aurait dû soit être supprimée, soit être transformée pour devenir le lieu de discussion et de préparation du schéma d’organisation des compétences et de mutualisation des services. Or ce n’est pas le cas. La distinction est faite entre, d’un côté, la réunion du président du conseil régional et des présidents des conseils généraux qui adopte le SOCMS et, de l’autre côté, la conférence des exécutifs qui est maintenue dans sa composition et son rôle. Ce maintien peut se justifier par le fait que, comme nous l’avons déjà relevé, le schéma sera facultatif. Toutefois, au vu des limitations qui résulteront de l’absence d’adoption du schéma, on peut supposer que rares seront les territoires où il ne sera pas adopté. 441. Il faut également relever que le schéma d’organisation des compétences et de mutualisation des services doit porter nécessairement sur un certain nombre de compétences. Ainsi, le schéma traite nécessairement de développement économique, de la formation professionnelle, de la gestion des collèges et des lycées, des transports, des infrastructures, voiries et réseaux, de l’aménagement des territoires ruraux et d’actions environnementales. L’énumération des compétences devant être évoquées dans le cadre du SOCMS appelle deux remarques. Il s’agit, d’une part, de domaines de compétences où les interventions locales sont enchevêtrées. Il en est ainsi en matière de transports ou d’actions environnementales. En effet, dans ces deux domaines les différents niveaux de collectivités ont des compétences, peuvent intervenir. Il est donc nécessaire d’harmoniser les différentes interventions afin d’assurer une certaine cohérence de l’action locale. Dans le domaine des transports, la cohérence est déjà assurée au travers de la notion d’autorité organisatrice.1112 Toutefois, la cohérence de ce domaine est également assurée par le fait que chaque niveau de collectivité dispose d’un domaine de compétence précisément défini. D’autres domaines de compétences, comme la gestion des lycées et des collèges, ne sont pas des compétences enchevêtrées à proprement parler, mais présentent des problématiques similaires pour les collectivités qui les ont en charge et peuvent donc faire l’objet d’une réflexion et d’une action commune. D’autre part, parmi l’énumération des compétences devant faire l’objet d’une discussion dans le schéma d’organisation des compétences et de mutualisation des services, il est possible de s’étonner de trouver les compétences relatives au développement économique et à la formation professionnelle. En effet dans ces domaines de compétences, un chef de file a déjà été désigné : la région. 1112 Notion introduite par la loi n°82-1153 du 30 décembre 1982 d’orientation des transports intérieurs, précit. Précisée par la loi n°2007-1224 du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs, JORF, 22 août 2007, p.13956. - 379 - 442. Le renvoi à l’harmonisation des actions dans ces deux domaines de compétences au travers du schéma d’organisation et de mutualisation intrigue. En effet, l’objectif de la désignation d’un chef de file est déjà d’assurer une coordination de l’action commune. Dès lors le fait que ces deux domaines de compétences doivent faire l’objet d’une réflexion au sein du schéma d’organisation des compétences et de mutualisation des services interroge. Il est possible de considérer deux raisons à ce choix. Il peut s’agir, d’une part, de l’enterrement pur et simple de la fonction de chef de file pour la région dans ces deux domaines de compétences. Les résultats en terme de cohérence de l’action commune n’étant pas ceux escomptés par le législateur, celui-ci met un terme à la région chef de file et renvoie dans ces domaines à une coordination concertée entre les régions et les départements dans le cadre du schéma. Il peut s’agir, d’autre part, d’une manière au contraire de réaffirmer la prééminence de la région en ces domaines de compétences. Il s’agirait alors de rappeler que la coordination de l’action commune en ces matières est nécessaire. Ces deux réponses en réalité ne nous satisfont pas. La première parce qu’elle réserve un sort non mérité à la fonction de chef de file et qu’elle aurait nécessité la modification des dispositions issues de la loi du 13 août 2004, ce qui n’est pas le cas. La deuxième parce qu’elle ne semble pas réellement compatible avec le rôle spécifique accordé à la collectivité chef de file. Dans la réalité, il nous semble plutôt que si l’introduction du schéma d’organisation des compétences et de mutualisation des services, à l’initiative de la Commission des lois de l’Assemblée nationale, est pertinente, la liste des compétences dans lesquelles le schéma doit intervenir démontre au contraire l’absence de maîtrise chez les élus nationaux de la répartition des compétences au niveau local. Ainsi, cette disposition n’est pas réellement l’enterrement pur et simple de la fonction de collectivité chef de file, mais plutôt son oubli. Les pouvoirs accordés à la collectivité chef de file étant finalement assez limités, il est vrai que sa mise en œuvre a peut être manquée de visibilité dans la clarification de l’exercice des compétences. Dès lors, l’intervention des schémas d’organisation des compétences et de mutualisation des services dans les domaines du développement économique et de la formation professionnelle est simplement le signe de la méconnaissance de la fonction de chef de file par les élus nationaux. - 380 - La loi du 16 décembre 2010 procède donc à la création de constructions qui laissent pour le moins perplexe. Alors que la rationalisation des acteurs locaux et de leur action semblait vouloir présider au travail législatif, le Parlement à finalement accouché d’un texte qui multiplie les nouvelles organisations locales et risque de participer encore un peu plus à l’enchevêtrement des compétences locales. Toutefois, certaines dispositions pourraient permettre d’assurer la coordination d’une action commune et donc par là même assurer la survie de la fonction de chef de file. §2. Le possible « retour du refoulé » 443. Il convient de relever que les dispositions à caractère institutionnel occupent la majorité de la loi. Cela est lié au projet d’origine du gouvernement qui était de distinguer justement les questions institutionnelles de la question de l’exercice des compétences. Malgré cela, quelques dispositions dans la loi pourraient permettre de voir resurgir de manière détournée la fonction de collectivité chef de file. Il s’agit, d’une part, de la possibilité offerte aux collectivités territoriales de se déléguer leurs compétences entre elles (A) et, d’autre part, de l’instauration des futures métropoles. (B). A. La délégation de compétences entre collectivités territoriales, la recherche d’une efficacité accrue de l’action locale 444. L’article 73 de la loi du 16 décembre 2010 introduit un nouvel article L.1111-8 au CGCT qui dispose : « une collectivité territoriale peut déléguer à une collectivité territoriale relevant d’une autre catégorie ou à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre une compétence dont elle est attributaire, qu’il s’agisse d’une compétence exclusive ou d’une compétence partagée. Les compétences déléguées […] sont exercées au nom et pour le compte de la collectivité territoriale délégante. Cette délégation est régie par une convention qui fixe la durée et définit les objectifs à atteindre et les modalités du contrôle de l’autorité délégante sur l’autorité délégataire ». Ces dispositions n’entreront en vigueur, comme l’ensemble de l’article 73 de la loi du 16 décembre 2010, qu’à compter du 1er janvier 2015, ce qui signifie que la réalité de leur mise en œuvre est encore conditionnelle. Il y a à travers cette disposition un moyen de reproduire la fonction de chef de file. La délégation de compétences entre collectivités territoriales est déjà largement connue. En effet, - 381 - le législateur avait prévu la possibilité d’opérer de telles délégations dès l’Acte I de la décentralisation. Il s’agissait à l’époque de permettre aux départements de déléguer certaines de leurs compétences aux communes en matière d’action sociale.1113 Cette possibilité de délégation de compétences a été étendue par la loi du 13 août 2004 qui a autorisé les EPCI à fiscalité propre à exercer, par délégation, certaines compétences en lieu et place du département ou de la région.1114 Le législateur de 2010 poursuit donc là simplement un mouvement d’incitation au recours à la délégation de compétences, incitation liée aux recommandations du Comité Balladur, pour qui la délégation de compétences « a été trop peu utilisée à ce jour ».1115 L’objectif de la loi est donc d’étendre le recours à la délégation de compétence. Pour cela, la loi a prévu que la délégation pouvait désormais avoir lieu entre toutes les collectivités et EPCI et qu’elle peut porter sur tous les domaines de compétences. 445. L’objectif de la délégation de compétence est, malgré la volonté de spécialiser les compétences, de permettre une mise en œuvre réaliste des politiques locales en profitant des savoir-faire et de l’expérience de chaque niveau de collectivité territoriale. Ainsi, la délégation de compétence est un moyen pour une collectivité territoriale de pouvoir faire faire, de pouvoir faire mettre en œuvre une de ses compétences par une autre collectivité territoriale qui disposerait des services adéquats, qui aurait déjà l’expérience d’une compétence similaire. La délégation de compétence fait donc partie « des procédés qui permettent de réorganiser les compétences pour en optimiser l’exercice ».1116 La délégation de compétence permet en effet à la collectivité délégataire de profiter de la capacité acquise par une collectivité dans un domaine pour faire mettre en œuvre sa propre politique. Dès lors la délégation de compétence permet d’améliorer l’efficacité de l’action publique locale. Il s’agit à travers ce dispositif d’assurer un premier pas vers la mise en cohérence des politiques publiques, au travers d’une mise en cohérence technique. Ainsi, la délégation de compétence peut permettre à une collectivité territoriale de s’appuyer sur les connaissances et les moyens d’une autre collectivité pour permettre une mise en œuvre réussie de sa compétence. 446. Ce sont les conditions de mise en œuvre de la délégation de compétences qui nous intéressent ici. Tout d’abord la délégation de compétence fait l’objet d’une convention, c'est1113 Art. 33 de la loi n°83-663 du 22 juillet 1983 complétant la loi du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l’État, précit. – Art. L.121-6 du CASF. 1114 Art. 151 de la loi n°2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, précit. – Art. L.5210-4 du CGCT. 1115 Comité pour la réforme des collectivités locales, Il est temps de décider, op. cit., p.90. 1116 LE MOIGNE Marthe, « La défragmentation des compétences des collectivités territoriales en matière de développement économique par la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales », BJCL, 2011, n°1, p.66. - 382 - à-dire que la collectivité délégante et la collectivité délégataire doivent négocier, pour se mettre d’accord sur les modalités d’exercice de la délégation. Le recours à la délégation de compétence nécessite l’implication des territoires, c’est un renvoi à une forme de subsidiarité, la délégation d’une même compétence pouvant avoir lieu avec différentes collectivités selon les besoins locaux. Il n’y a ainsi aucune délégation imposée par le législateur. Chaque délégation est négociée librement et localement selon les nécessités propres à chaque collectivité. Il y a ici un renvoi particulièrement intéressant à l’intelligence des territoires. Le recours à la délégation de compétence est ainsi l’occasion de prendre en compte la réalité locale de l’exercice des compétences. Ainsi, en ouvrant de manière générale la possibilité du recours à la délégation de compétence, le législateur permet aux collectivités territoriales de s’organiser librement, sur chaque territoire, en fonction des besoins de chaque niveau de collectivité et des connaissances de chacun. 447. La compétence déléguée n’est pas exercée librement par la collectivité délégataire. Elle est exercée au nom et pour le compte de la collectivité délégante, selon la disposition issue de la loi du 16 décembre 2010. Les services de la collectivité délégataire mettent en œuvre une politique locale mais sans pouvoir réellement exercer un contrôle sur cette compétence. Ils agissent pour le compte d’une autre collectivité, la collectivité délégante. En cela la délégation de compétence s’approche de ce que le droit administratif appelle la délégation de signature puisque dans ce cas « le délégataire est transparent »1117 alors que dans la conception administrativiste de la délégation de compétence il y a un véritable transfert de la compétence. Or dans la délégation entre collectivités territoriales, la responsabilité de la mise en œuvre de la politique publique demeure à la collectivité délégante. La délégation de compétence se distingue en cela du transfert de compétence. Dans ce second cas, la collectivité qui a transféré une compétences à une autre n’a plus aucun pouvoir, n’a plus aucune prise sur cette compétence. Celle-ci ne lui appartient plus. Au contraire dans le cadre de la délégation, juridiquement, la compétence appartient toujours à la collectivité délégante, ce sont seulement son exercice, sa mise en œuvre qui sont assurés par la collectivité délégataire. Surtout, la convention entre les deux collectivités lie la collectivité délégataire quant à l’exercice de la compétence puisqu’elle prévoit les objectifs à atteindre et les modalités du contrôle de la collectivité délégante sur la collectivité délégataire. Dès lors, la collectivité délégataire n’est pas libre dans l’exercice de cette compétence. Elle est surveillée par la collectivité délégante. Celle-ci est alors clairement dans la situation d’une collectivité 1117 FRIER Pierre-Laurent, PETIT Jacques, Précis de droit administratif, Paris, Montchrestien, 2010, 6e ed., p.306. - 383 - qui fait faire par une autre collectivité la mise en œuvre pratique de l’une de ses compétences. Or il faut relever que malgré ce contrôle de la collectivité délégante sur la collectivité délégataire, il n’y a pas de tutelle d’une collectivité sur une autre.1118 Il y a donc dans cette disposition une forme de tutelle consentie, voire de servitude volontaire.1119 Le système de la délégation de compétence permet à une collectivité de déterminer, en amont, une politique publique pour répondre à un besoin local, politique qu’elle fera mettre en œuvre par une autre collectivité. Il y a donc là un premier pas vers la mise en place d’une action commune. La délégation de compétence permet ainsi, selon nous, d’assurer une mise en cohérence technique des compétences. Dans le cadre d’une compétence partagée, une collectivité peut ainsi adopter sa politique, puis la faire mettre en œuvre par une autre collectivité également compétente mais plus proche du terrain ou bénéficiant de services plus importants pour mettre en œuvre cette politique. La volonté est alors d’organiser les compétences de manière à ce que leur exercice soit le plus efficace possible sur un territoire. A nouveau nous retrouvons ainsi la recherche de ce triptyque : économie, efficience et efficacité. « Sans que l’expression soit employée, l’idée sous-jacente est qu’une collectivité investie d’une certaine compétence puisse jouer un rôle de chef de file en en délégant l’exercice à une autre collectivité ».1120 En effet, la délégation de compétence n’est pas réellement la même chose que la mise en œuvre d’un chef de file. La délégation de compétence a lieu au cas par cas, alors que la désignation d’une collectivité chef de file a lieu de manière générale, pour l’ensemble d’un domaine de compétence. Cependant dans les deux cas, il y a la volonté de mettre en œuvre une compétence de manière plus efficace en distinguant la collectivité qui définit la politique et la collectivité qui la met matériellement en œuvre. Il y a donc à travers la délégation de compétence une forme de chef de file non pas décidé par le législateur mais par les collectivités elles-mêmes. 448. Cependant, cette possibilité de délégation de compétences entre collectivités territoriales pourrait aussi avoir des effets négatifs sur la compréhension de l’action locale par les administrés. La délégation de compétence est une source supplémentaire de brouillage1121 dans l’exercice des compétences pour le citoyen. En effet, celui-ci comprendra-t-il facilement que si ce sont les services d’une collectivité A qui lui fournissent une prestation, c’est en 1118 Les députés et sénateurs, auteurs de la saisine du Conseil constitutionnel, n’ont en tout cas pas relevé ce risque dans leur saisine. Le Conseil constitutionnel lui-même n’a pas soulevé de question à cet égard. 1119 L’image renvoie bien entendu au « Discours de la servitude volontaire » de Etienne de la Boétie. 1120 PRIET François, « Quelles nouvelles compétences pour les nouveaux territoires locaux », BJCL, 2011, n°1, p.7. 1121 PONTIER Jean-Marie, « Compétences locales et politiques publiques », RFAP, 2012, n°141, p.150. - 384 - réalité une collectivité B qui est responsable de ce service public ? Cela démontre, selon nous, la difficulté à trouver un équilibre entre l’exercice compréhensible par chaque niveau de collectivité de ses compétences, au risque d’un enchevêtrement, et l’exercice de compétences communes plus efficace mais peut-être moins accessible au citoyen. Ainsi, la multiplication des délégations de compétences risque « de conduire à une fragmentation accrue des compétences des collectivités territoriales et de limiter les effets des différentes mesures de défragmentation envisagées ».1122 D’où l’intérêt quand même de la désignation d’une collectivité chef de file qui permet à chaque collectivité de continuer d’assurer la mise en œuvre des politiques publiques par ses propres services, mais en prévoyant une coordination des différentes interventions en amont afin d’assurer une action cohérente. La désignation d’une collectivité chef de file permettrait ainsi de trouver le juste équilibre entre cohérence et efficacité de l’action publique locale. 449. Une question se pose également, le transfert de compétence implique-t-il le transfert de la fonction de chef de file ? Tout d’abord, il semble assez peu probable qu’une collectivité décide de transférer l’exercice d’une compétence dont elle a la responsabilité en tant que chef de file. Si toutefois le cas venait à se présenter, deux options seraient envisageables : un transfert de la compétence et de la fonction de chef de file ou un simple transfert de compétence mais avec alors le risque de mettre en place une tutelle. La possibilité de déléguer des compétences est ouverte par la loi du 16 décembre 2010 à l’ensemble des collectivités territoriales et des EPCI. Toutefois, dans certains cas ces délégations de compétences seront obligatoires, notamment lorsqu’une métropole sera créée. Dès lors plusieurs interrogations apparaissent autour de la coordination de l’action partagée. B. La métropole, un nouveau chef de file ? Un chapitre entier de la loi est consacré aux métropoles. Il s’agit là de l’une des importantes nouveautés de la loi, même si le législateur est resté en deçà des propositions initiales (1). Les futures métropoles pourront exercer certaines compétences en lieu et place des départements et des régions, dès lors leur création présente un risque en matière d’enchevêtrement des compétences (2). 1122 LE MOIGNE Marthe, « La défragmentation des compétences des collectivités territoriales en matière de développement économique par la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales », art. cit., p.66. - 385 - 1. De la proposition du Comité Balladur au texte de loi, le recul sur le statut juridique de la métropole 450. La création des métropoles avait été proposée dans le rapport Balladur de 2009.1123 Le rapport proposait la création par la loi de onze premières métropoles. Il s’agissait des villes de Lyon, Lille, Marseille, Bordeaux, Toulouse, Nantes, Nice, Strasbourg, Rouen, Toulon et Rennes. L’objectif était de créer une dynamique en faveur de cette nouvelle organisation territoriale, comme ce fut le cas avec les premières communautés urbaines qui furent elles aussi créées par la loi en 1966.1124 Suite à ces premières créations par la loi, d’autres collectivités auraient eu vocation à former des métropoles de manière volontaire. L’élément le plus audacieux de cette proposition était sans doute la volonté de faire de ces métropoles de véritables collectivités territoriales et non seulement des établissements publics de coopération intercommunale. En effet, le rapport Balladur incitait le législateur à se saisir du pouvoir qui lui est accordé à l’article 72 de la Constitution l’autorisant à créer de nouvelles collectivités territoriales. Dès lors, les métropoles auraient été instituées sous la forme de collectivités à statut particulier, avec tout ce que le statut de collectivité territoriale implique, à savoir la libre administration, l’élection au suffrage universel direct d’un conseil, l’exercice de compétences effectives. Le rapport Balladur ne réglait toutefois pas la question du sort des communes membres des métropoles. Il ouvrait simplement la réflexion sur deux options : soit, la transformation des communes membres en « villes » personnes morales de droit public sui generis ; soit le maintien des communes membres comme des collectivités territoriales, mais ce qui impliquait une modification de l’article 72, alinéa 5 de la Constitution interdisant la tutelle d’une collectivité sur une autre. 451. Le gouvernement n’a pas osé franchir un tel cap dans la différenciation entre collectivités territoriales. Il conserve l’idée de créer des métropoles considérant qu’il s’agit là de prendre « en compte la montée en puissance du fait urbain »1125 et d’intégrer au mieux les grandes villes françaises dans « la compétition entre les grandes agglomérations, européennes ou internationales ».1126 Toutefois, le gouvernement, face aux craintes et 1123 Proposition n°8. Loi n°66-1069 du 31 décembre 1966 relative aux communautés urbaines, JORF, 4 janvier 1967, p.99. L’article 3 de la loi créait de manière obligatoire quatre communautés urbaines dans les villes de Bordeaux, Lille, Lyon et Strasbourg. 1125 Exposé des motifs du projet de loi. 1126 Idem. 1124 - 386 - résistances que pouvaient susciter les propositions du comité Balladur,1127 a coulé les métropoles dans le moule, déjà connu, de la coopération intercommunale. Ainsi, les futures métropoles ne seront pas des collectivités territoriales, mais de simples établissements publics de coopération intercommunale et leur création ne relève plus de la loi, mais de l’initiative locale. « Au bout du compte, l’innovation est des plus limitées mais elle accroît encore la complexité d’une organisation territoriale que la loi était censée simplifier ».1128 Ce renoncement du gouvernement est préjudiciable au développement de la métropole. Celle-ci n’est finalement qu’une forme de « super communauté urbaine ». Cette création ne fait ainsi que participer à l’empilement des structures tant décrié. L’article L.5217-1 du Code général des collectivités territoriales dispose ainsi que « la métropole est un établissement public de coopération intercommunale regroupant plusieurs communes d’un seul tenant et sans enclave et qui s’associent au sein d’un espace de solidarité pour élaborer et conduire ensemble un projet d’aménagement et de développement économique, écologique, éducatif culturel et social de leur territoire afin d’en améliorer la compétitivité et la cohésion ». Les futures métropoles ont donc un objet plus large que les actuelles communautés urbaines ou communautés d’agglomérations puisque celles-ci n’étaient instituées qu’en vue de « conduire ensemble un projet commun de développement urbain et d’aménagement de leur territoire ».1129 Pour sa création, la loi a fixé le seuil de création à 500 000 habitants, ce seuil différencie la métropole de la communauté urbaine dont le seuil est de 450 000 habitants. Il est remarquable d’ailleurs que lors de la discussion parlementaire, notamment à l’Assemblée nationale, cette question du seuil de création des métropoles a été l’objet d’un long et âpre débat.1130 Cette discussion montre d’ailleurs que la question du seuil n’est pas tant discutée pour savoir quel serait ce seuil pour s’intégrer correctement dans la compétition internationale des grandes métropoles, mais plutôt pour savoir si telle ou telle ville en particulier pourra ou non accéder à ce statut. Il n’y a aucune création de métropole faite par la loi, celle-ci relève comme les autres EPCI de la volonté des communes. Au vu des seuils arrêtés, sept villes semblent aujourd’hui en France en mesure d’accéder au statut de métropole, il s’agit de Lille, Lyon, Marseille, Bordeaux, Toulouse, Nantes et Nice, les quatre autres villes proposées au départ par le comité Balladur étant sous le seuil de 500 000 habitants. La particularité de la 1127 « des motifs politiques : les différents échelons territoriaux, notamment départementaux, redoutent la concurrence des métropoles trop puissantes. Une telle crainte n’apparaît plus fondée à la lecture du présent projet ». PERBEN Dominique, Rapport relatif au projet de loi de réforme des collectivités territoriales, op. cit., p.38. 1128 DOUENCE Jean-Claude, « Les métropoles », art. cit., p.259. 1129 Articles L.5215-1 et L.5216-1 du CGCT. 1130 V. la discussion des députés, Assemblée nationale, JORF Débats, 29 mai 2010, p.3785 - 387 - métropole est toutefois que sa création est soumise à la consultation pour avis des conseils régionaux et généraux dont relèvent les communes membres de la métropole. Il s’agit là d’un simple avis consultatif, qui s’il n’est pas adopté dans les quatre mois de la transmission du projet de création est réputé favorable. Cette consultation n’est pas prévue dans le cadre de la création des communautés urbaines ou des communautés d’agglomération, mais elle s’explique simplement. En effet, les métropoles vont avoir vocation à exercer certaines compétences en lieu et place des régions et des départements. Dès lors que ces collectivités territoriales seront dessaisies d’un certain nombre de leurs compétences du fait de la création des métropoles, il semble normal qu’elles soient consultées sur cette création. La création des métropoles implique ainsi « une redistribution des cartes »1131 en matière de compétences locales, qu’il convient maintenant d’analyser. 2. Les compétences métropolitaines, un échec pour la clarification des compétences locales 452. Les compétences exercées par la métropole en lieu et place des communes n’appellent que peu de remarques. Il s’agit en effet de la même liste que celles des compétences transférées d’une commune vers une communauté urbaine. Toutefois, il faut relever que à la différence de la communauté urbaine, le conseil de la métropole n’a pas à définir l’intérêt communautaire. Par contre les II et III du nouvel article L.5217-4 du CGCT appellent plus de remarques. Ces dispositions prévoient le transfert de plein droit, dans le périmètre de la métropole, de compétences appartenant en principe à la région ou au département. En plus de la liste des compétences transférées de plein droit, la disposition prévoit d’autres compétences qui peuvent également être transférées par voie contractuelle du département ou de la région vers la métropole. 453. La métropole a vocation à exercer à la place des départements, sur son territoire les compétences en matière de transport scolaire, de gestion des routes départementales et les compétences en matière de zones d’activité et de promotion à l’étranger du territoire et de ses activités économiques. En lieu et place de la région, la métropole se voit confier la promotion à l’étranger du territoire et de ses activités économiques. Par voie de convention, la métropole pourra exercer à la place du département la compétence en matière de gestion des collèges, certaines compétences en matière d’action sociale, tout ou partie des compétences du 1131 DONIER Virginie, « Les clairs-obscurs de la nouvelle répartition des compétences », art. cit., p.93. - 388 - département en matière de développement économique et enfin tout ou partie des compétences du département en matière de culture, de tourisme et de sport. La métropole pourra également, par voie de convention, exercer en lieu et place des région la compétence en matière de gestion des lycées, ainsi que tout ou partie des compétences en matière de développement économique. 454. On perçoit la volonté d’accorder un important pôle de compétences économiques à la métropole, alors même que c’est la région qui avait été désignée comme chef de file en matière de développement économique de son territoire, par la loi libertés et responsabilités locales du 13 août 2004. Pour certains auteurs, il s’agit là d’un progrès les métropoles étant ainsi mises à même « de disposer d’un rayonnement et d’un poids plus importants sur le plan international ».1132 Au contraire pour nous, la création d’une métropole disposant d’un important pôle de compétences en matière de développement économique ne pourra que nuire à la compréhension de l’exercice des compétences locales. En effet, nous l’avons déjà analysé précédemment, la région est la collectivité chef de file en matière de développement économique. Or cette fonction est déjà largement contrariée par le système institué par le législateur dans la loi du 13 août 2004. L’architecture qui est proposée dans la loi de réforme des collectivités territoriales, en donnant d’importantes compétences en matière de développement économique à la métropole, ne fait qu’ajouter de la complexité au complexe. Cela signifie que les régions ont compétence sur leur territoire pour harmoniser les actions économiques des départements et des communes, mais que cette action de coordination ne s’étend pas sur le territoire de la métropole. Dès lors, il y a nécessairement des risques que des contradictions existent entre les politiques adoptées sur le territoire régional par le conseil régional et les politiques adoptées par le conseil métropolitain sur son territoire. « Ce cloisonnement risque de susciter des incohérences, des concurrences voire des conflits dans les politiques menées par les acteurs locaux et d’appeler, par voie de conséquence, à une plus forte intervention de l’État ».1133 Ainsi accorder un important pouvoir économique à la métropole au détriment de la région risque de produire un retour en arrière en niant l’existence d’un chef de file. Dès lors l’absence de mise en cohérence des politiques conduites par les différentes collectivités aura pour conséquence d’accentuer l’enchevêtrement des compétences. De plus, un tel cloisonnement ne prend pas en compte la réalité de l’application territoriale d’une politique publique. Il est en effet illusoire de considérer que les effets des 1132 MOZOL Patrick, « Les compétences métropolitaines, une remise en question du rôle joué par les collectivités territoriales dans la conduite de l’action publique locale ? », JCP-A, 2011, n°2, p.40. 1133 DOUENCE Jean-Claude, « Les métropoles », art. cit., p.264. - 389 - décisions adoptées par la métropole ne se feront pas ressentir au-delà des limites géographiques de la métropole et inversement pour les décisions du conseil régional. Il y aura donc nécessairement une concurrence qui va s’instaurer entre la métropole et la région, concurrence qui sera néfaste pour l’administré en matière de compréhension de l’action locale. La même réflexion peut être tenue à l’égard des compétences que pourrait exercer la métropole à la place du département en matière d’action sociale, alors même que celui-ci est chef de file en ce domaine. Ainsi, il y a un risque de voir dans les départements où sera instituée une métropole, le conseil général ne plus être qu’un acteur de la solidarité rurale. Pour les conseillers généraux, et les futurs conseillers territoriaux élus dans une circonscription située sur le territoire de la métropole, leur mandat risque de conduire à une forme de schizophrénie. Ils seront ainsi appelés à adopter des mesures dans le cadre du conseil général qui ne s’appliqueront pas ou que partiellement sur le territoire de leur circonscription. Ils seront simplement associés au vote du transfert de fonds qui aura lieu du département vers la métropole pour permettre à celle-ci d’exercer ses compétences, mais ils n’auront aucune prise sur le contenu des politiques. Les articles L.5217-14 et suivants du CGCT prévoient en effet le transfert des ressources nécessaires des départements et des régions vers les métropoles pour les compétences que celles-ci exerceront à leur place. Or ces transferts constituent une dépense obligatoire pour les régions et les départements, l’évolution de la somme transférée étant indexée à l’évolution de la dotation globale de fonctionnement.1134 Ces collectivités n’auront alors pas d’autre choix que de transférer une part de leurs ressources à la métropole, sans aucun contrôle ni sur l’évolution du montant de ce transfert, ni sur l’utilisation qui pourra en être faite.1135 Cette situation risque très certainement d’entraîner des confusions dans l’esprit des citoyens sur la répartition des compétences et le rôle des différents élus locaux. « Sans même évoquer la complexité de la construction, toutes les conditions sont réunies pour faire du département la colonie de la métropole »1136 et la même réflexion peut être faite à l’égard de la région. La métropole pourrait être amenée à totalement phagocyter le département et la région sur son territoire. On est ainsi loin de l’esprit de symbiose entre collectivités qui semblait présider à la réforme territoriale. Ainsi, dans des départements très urbanisés, la création d’une métropole reviendrait à réduire à une très faible partie du 1134 Art. L.5217-19 du CGCT. En effet, il s’agit bien d’un transfert et non d’une délégation de compétence entre le département ou la région et la métropole. L’EPCI est lui-même compétent. Dès lors, il ne peut y avoir de contrôle de la collectivité qui transfère sa compétence, car cela s’apparenterait à une tutelle. 1136 DOUENCE Jean-Claude, « Les métropoles », art. cit., p.261. 1135 - 390 - territoire départemental la zone d’intervention du conseil général. Celui-ci serait réduit à ses actions en zone rurale. De même, pour la région l’existence d’une métropole sur son territoire risque de concentrer à elle seule l’attractivité de la région. Dès lors, le rôle de la région serait réduit à dynamiser des zones moins attractives, au risque alors de proposer une action qui manquera totalement de cohérence. 455. Il est une question qui ne trouve pas sa réponse dans la loi, le sort du rôle de chef de file du département et de la région lorsqu’une métropole est créée sur leur territoire. En effet, un certain nombre de compétences du département et de la région sont transférées à la métropole, nous les avons évoquées. Or parmi ces compétences transférées, obligatoirement ou volontairement, se trouvent la compétence de promotion économique de la région ou encore la compétence sociale du département. Nous avons analysé précédemment que dans ces domaines de compétences ces collectivités ont été désignées comme chefs de file par la loi du 13 août 2004.1137 Le transfert de la compétence à la métropole peut alors aboutir à deux options : soit il y a un transfert de la fonction de chef de file avec la compétence, soit il n’y a pas transfert de la fonction. Ces deux options connaissent toutefois d’importantes limites. Dans le premier cas, cela aboutirait à l’existence de deux chefs de file pour une même compétence, la métropole pour son unique territoire et le département ou la région pour le reste du territoire – qui dans le cas du département sera parfois très fortement réduit. Nous serions alors en présence de deux chefs de file qui risqueraient de se faire concurrence. Il faudrait également pour que cette solution se mette en œuvre que la métropole soit compétente pour adopter un schéma métropolitain – d’organisation sociale ou de développement économique selon la compétence prise en considération – et qu’elle mette en œuvre les objectifs arrêtés dans ce schéma par voie contractuelle avec les communes membres du groupement. Dans le second cas, celui où seule la compétence serait transférée, la fonction de chef de file demeure au département ou à la région. Cette situation confronterait donc deux collectivités disposant d’exactement la même compétence, des mêmes pouvoirs pour la mettre en œuvre, mais l’une serait chef de file et pas l’autre. Il est à craindre que les représentants des métropoles arguent du risque de mise en place d’une tutelle de la région ou du département sur la métropole. A la création des premières métropoles, la question se posera nécessairement. Il est évident que nous sommes favorables à la seconde solution. Le risque de tutelle dans ce cas n’est pas plus réel que dans les autres cas de relations entre collectivité chef de file et collectivité partie à l’action commune. Pour aller plus loin, nous 1137 Supra §277. - 391 - considérons même que l’instauration des métropoles ne doit pas aboutir à créer des territoires en dehors de toute régulation. La réussite de la fonction de chef de file et de l’action commune impose une certaine mise en cohérence entre les actions des collectivités. S’assurer de cette mise en cohérence, c’est le rôle du chef de file. Or si la métropole peut échapper sur son territoire à cette mise en cohérence, alors cela conduit à anéantir le rôle de chef de file. Nous rejoignons en ce sens la position de l’ARF qui considère que « l’intervention des collectivités infrarégionales, dont la métropole, dans le champ du développement économique dévolu à la région est subordonnée au respect du schéma régional de développement économique et d’innovation et à l’établissement d’une convention – comme cela existe actuellement – avec la Région, en sa qualité de chef de file, et à l’initiative de cette dernière ».1138 Le même type de raisonnement pourrait être adopté à l’égard du rôle des départements en matière d’action sociale. Il pourrait être également possible d’associer la métropole au conseil général ou conseil régional dans leur rôle de chef de file. La métropole, du fait de son positionnement particulier, pourrait ainsi être non pas seulement consultée sur la rédaction des schémas d’organisation mais associée, sous une forme qu’il reste à déterminer, à son adoption. 456. Au final, il « pourrait se produire le risque de voir se développer des actions ou des politiques peu harmonieuses, voire contradictoires, entre une métropole et un département ou une région respectivement compétents pour une même matière sur des territoires différents »1139 mais imbriqués l’un dans l’autre. Le devenir des collectivités chefs de file est alors nécessairement remis en question. Comment assurer correctement la mission de coordination dévolue au chef de file, dès lors qu’une partie du territoire dispose de sa propre liberté d’action, sans aucune soumission, semble-t-il, à une volonté de cohérence sur un territoire plus global ? Tout au plus peut on espérer que département et région, par voie conventionnelle, pourront assurer la coordination de l’action commune avec la métropole, pour les domaines où ils sont désignés comme chef de file. Mais cette voie renvoie à une option contractuelle qui n’est pas certaine d’aboutir et il n’est d’ailleurs pas certain qu’une métropole et un département ou une région, qui seront peut-être dirigés par des majorités opposées, soient décidés à coopérer. 1138 ARF, La Région au cœur du nouvel acte de la décentralisation, op. cit., p.8. MOZOL Patrick, « Les compétences métropolitaines, une remise en question du rôle joué par les collectivités territoriales dans la conduite de l’action publique locale ? », art. cit., p.42. 1139 - 392 - 457. A côté des métropoles, la loi du 16 décembre 2010 institue également les pôles métropolitains. Il s’agit d’établissements publics constitués d’EPCI formant un ensemble de plus de 300 000 habitants, dont l’un compte au moins 150 000 habitants. Ce nouvel établissement public pourra recevoir certaines compétences des EPCI membres par transfert et à condition de justifier d’un intérêt métropolitain.1140 « Le pôle apparaît comme un syndicat mixte multifonction qui définit lui-même son intérêt métropolitain. La technique de la définition d’un intérêt métropolitain est empruntée à la coopération intercommunale et appliquée à ce syndicat mixte ».1141 Il est intéressant de voir que le pôle métropolitain est une solution attrayante car suffisamment souple dans son fonctionnement pour permettre aux EPCI membres de conserver leur liberté d’action, tout en permettant un maillage territorial renforcé, et donc un aménagement territorial plus cohérent. Il faut d’ailleurs constater à cet égard que certains EPCI qui auraient pu accéder au statut de métropole, semblent plutôt s’orienter vers une coopération territoriale beaucoup plus large dans le cadre d’un pôle métropolitain. Il est donc possible d’imaginer que le pôle métropolitain, alors qu’il n’était pas conçu comme l’élément essentiel de la réforme en matière d’intercommunalité, ne devienne une formule particulièrement plébiscitée. Cette nouvelle structure pourra notamment intervenir en matière de développement économique, « ce qui assombrit encore le paysage institutionnel ambiant ».1142 Les pôles métropolitains semblent ainsi se profiler avant tout comme des instances de promotion de leur territoire. Les pôles métropolitains pourraient ainsi se révéler être le lieu d’un marketing territorial visant à assurer la venue sur l’aire du pôle métropolitain de grands projets créateurs de richesses économiques. Cette lecture semble confirmée par le fait que « alors que ces pôles affichent des fonctions qui touchent à des compétences départementales et régionales, la formule juridique qui les unit proscrit la participation des conseils (général et régional) auxquels ces compétences sont attribuées. Il risque d’être ainsi assez difficile d’imaginer que, au-delà du discours de projection, l’action publique se détermine réellement sur cette interterritorialité ».1143 Il y a donc là apparition d’un nouvel acteur qui risque lui aussi d’entretenir l’enchevêtrement des compétences. Il s’agit d’une nouvelle structure dont il faudra là aussi inviter les représentants à la table des négociations de l’action commune. Il faut relever toutefois que le pôle métropolitain pourrait se révéler être un cadre à l’intérieur duquel pourrait se développer une fonction de chef de 1140 Art. L.5731-1 du CGCT. DESCHAMPS Emmanuelle, « Métropole et pôle métropolitain dans la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales », AJDA, 2011, p.1134. 1142 DANTONEL-COR Nadine, « Les paradoxe de la compétence économique locale », JCP-A, 2010, n°44, p.28 1143 NÉGRIER Emmanuel, « Métropolisation et réforme territoriale », RFAP, 2012, n°141, p.85 1141 - 393 - file. Ainsi, « le principe d’absence de tutelle d’un groupement sur un autre, qui ne figure pas dans la loi du 16 décembre 2010, doit être appliqué, avec des aménagements semblables à ceux dont bénéficient les collectivités territoriales, et notamment la faculté de désigner un établissement chef de file ou cœur de pôle, ce qui pourrait permettre d’instituer une coordination effective des actions menées ».1144 Voulant aboutir à une clarification des compétences, le législateur semble avoir accouché d’un système encore plus complexe. La volonté de clarifier les compétences semble ainsi en passe de rester à l’ordre du jour pour les prochains textes intéressant les collectivités territoriales. 1144 DANTONEL-COR Nadine, « La diversification institutionnelle sous le prisme de l’émergence des pôles métropolitains », Pouvoirs locaux, 2012, n°93, p.92. - 394 - Conclusion Chapitre 1er 458. La loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales est un texte complexe et décevant. Complexe, nous venons de le voir au travers des dispositions institutionnelles développées dans la loi. Décevant également, car le texte semble ne pas avoir choisi entre la continuité et la rupture avec les lois précédentes. La loi de réforme des collectivités territoriales n’est pas un Acte III de la décentralisation puisque le Gouvernement l’a clairement voulu en rupture avec les strates précédentes de la décentralisation. D’ailleurs, les innovations constitutionnelles de l’Acte II de la décentralisation ne sont pas présentes dans le texte. Cependant, la loi n’est pas non plus l’An I d’une nouvelle ère de la décentralisation. En effet, aux solutions audacieuses proposées notamment dans le rapport du Comité Balladur, le gouvernement a privilégié un texte consensuel reprenant pour beaucoup des solutions déjà connues. De plus un certain nombre de dispositions ne sont pas entrées en vigueur immédiatement. Ces dispositions au caractère incertain, voire même aléatoire, ajoutent de la complexité à ce texte. Dès lors, il semble important de remettre rapidement sur le métier cette loi. La décentralisation ne peut se satisfaire d’un tel texte qui oublie toute référence à l’intelligence des territoires. La solution passe selon nous, non pas par un Acte III de la décentralisation, mais par une véritable révolution décentralisatrice. Cette révolution impliquerait notamment une révision constitutionnelle afin de supprimer la référence à l’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre. La véritable réussite de la fonction chef de file passe, désormais, par une modification de la Constitution qui autoriserait une forme de hiérarchisation entre les collectivités territoriales. Cette évolution permettrait de dépasser la conception traditionnelle de l’égalité entre les collectivités territoriales et d’infléchir la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur le rôle de chef de file. - 395 - - 396 - Chapitre 2 La nécessaire mise en avant de la fonction de chef de file 459. La répartition des compétences entre collectivités territoriales relève du serpent de mer de la décentralisation. La loi de réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 20101145, nous l’avons étudié, ne remédie pas au problème. L’enchevêtrement des compétences, institutionnalisé par cette loi en matière de culture, de tourisme et de sport, risque de prolonger pour longtemps encore le débat. 460. Il est indéniable dès lors que les mécanismes d’harmonisation de l’action publique, au premier rang desquels la fonction de chef de file, doivent être réactivés. La réussite de l’action commune emporte un triple intérêt : économie, efficacité et efficience. Il en va d’abord d’une plus grande efficacité de l’action publique. En lien avec cet élément, l’action commune permet également une meilleure utilisation des deniers publics. Enfin pour l’administré, la réussite de l’action commune est le gage d’une plus grande lisibilité de l’action locale. La mise en œuvre d’une véritable action commune s’inscrit ainsi dans la recherche d’une plus grande efficience des politiques publiques locales. La question se pose alors de savoir pourquoi la mise en œuvre de la fonction de chef de file n’a pas connu un plus grand succès. En effet, cette recherche d’efficience rejoint pourtant les objectifs poursuivis par la révision générale des politiques publiques (RGPP) menée par l’État au sein de ses propres services. Or c’est bien ce mouvement que le législateur semble vouloir transposer au niveau local, notamment au travers de la loi de réforme des collectivités territoriales de 2010. D’ailleurs, l’organisation du ministère chargé de la décentralisation au sein des premiers gouvernements de Jean-Marc Ayrault en 2012 renforce cette impression puisque Mme Lebranchu a été nommée ministre de la Réforme de l’État, de la Décentralisation et de la Fonction publique.1146 C’est donc bien là le symbole que la réforme de l’État, à laquelle participe la RGPP, impacte nécessairement la décentralisation. 461. La relative pauvreté de référence au chef de file interroge d’autant plus que le vocabulaire semble être désormais bien intégré par les acteurs politiques, qu’il s’agisse des parlementaires, de candidats à l’élection présidentielle de 2012 ou des associations d’élus locaux. L’étude des modalités de l’action locale dans d’autres pays, décentralisateurs ou 1145 Loi n°2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, précit. Décret du 16 mai 2012 relatif à la composition du Gouvernement, JORF, 17 mai 2012, p.9149. Confirmé par le discours de politique générale du Premier Ministre dans lequel il affirmait que « la décentralisation doit aller de pair avec la réforme de l’État », AYRAULT Jean-Marc, Assemblée nationale, JORF Débats, 4 juillet 2012, p.1829. 1146 - 397 - fédéraux, démontre là aussi le recours quasi systématique à des méthodes de concertation, voire de coordination des politiques locales. 462. Le peu d’engouement pour la fonction de chef de file doit être recherché, nous semble- t-il, dans un cadre constitutionnel trop étroit que nous avons mis en évidence dans la première partie de notre travail.1147 Notre analyse ne peut toutefois pas se contenter d’établir un simple constat. Il est nécessaire que notre travail contienne des solutions en faveur d’un plus grand développement de la fonction de chef de file. Il nous semble donc important de faire de cette recherche non seulement un état des lieux de la fonction de chef de file, mais aussi une force de proposition. Il s’agira dès lors d’examiner dans un premier temps les analyses en faveur d’un plus grand développement du chef de file issues de la réflexion politique et du droit comparé (Section 1), avant de présenter nos propres hypothèses (Section 2). 1147 Supra §51. - 398 - Section 1. Le chef de file, une solution largement admise en matière de compétences partagées 463. La loi du 16 décembre 2010 n’a certainement pas réglé la question des compétences partagées. Nous avons fait part de notre déception face à l’abandon dans ce texte des solutions innovantes proposées par le constituant en 2003. Il est donc indéniable que l’enchevêtrement des compétences risque de poser encore de nombreux problèmes. La question continue d’ailleurs de se poser au travers des différentes réflexions menées par les acteurs politiques, qu’il s’agisse des parlementaires, des candidats à l’élection présidentielle ou des associations de collectivités. Ces travaux montrent pour la plupart que, au-delà du simple vocabulaire de chef de file, c’est l’idée d’une nécessaire coordination de l’action commune qui est admise. Il y a là tout un réservoir d’idées qui pourrait assurer un véritable développement de la collectivité chef de file. Une autre source d’inspiration sur les modalités de coordination de l’action commune consiste à examiner ce qui se passe dans d’autres Etats. En effet, la problématique de l’enchevêtrement des compétences n’est pas propre à la décentralisation française et d’autres Etats ont mis en place des systèmes de coordination des décisions. Il est donc nécessaire, selon nous, d’étudier les solutions proposées par ces différentes sources afin d’en extraire ce qui pourrait permettre de relancer la mise en œuvre de la fonction de chef de file. Il s’agira donc d’analyser dans un premier temps les propositions émanant d’horizons divers en faveur de la fonction de chef de file (§1). Il sera ensuite abordé la situation en matière de compétences partagées en dehors de nos frontières (§2). §1. Les propositions en faveur d’un plus grand développement de la fonction de chef de file A la suite de la loi du 16 décembre 2010, deux rapports relatifs à la décentralisation ont été présentés. Le premier est d’origine parlementaire et a été rendu quelques semaines après l’adoption définitive de la loi de réforme des collectivités territoriales. Il s’agit du rapport du sénateur Lefèvre.1148 Le second rapport a été commandé par le Président de la République lui-même pour permettre d’apporter un éclairage sur la mise en œuvre de certaines dispositions de la loi de réforme des collectivités territoriales. Il s’agit du rapport de 1148 LEFÈVRE Antoine, Rapport d’information sur la clarification de la répartition des compétences entre l’État et les collectivités territoriales, op. cit., 44p. - 399 - Peretti.1149 Ces deux analyses contiennent des propositions intéressantes qui pourraient amener à relancer la fonction de chef de file (A). L’année 2012 étant également marquée par la tenue des élections présidentielles et législatives, les principales formations politiques françaises présentèrent dans leur programmes des projets en faveur de la décentralisation. Il n’est donc pas inintéressant d’analyser ces propositions pour savoir si le nouveau législateur sera plus au fait de la fonction de chef de file et de son utilité. Les associations de collectivités sont également dans ce cadre une source de réflexion qu’il ne faut pas négliger. (B). A. Les rapports élaborés à la suite de la loi de réforme des collectivités territoriales La loi du 16 décembre 2010 n’est qu’une étape d’un ouvrage toujours en cours. Elle ne marque nullement l’ouverture d’une nouvelle ère de la décentralisation, ni un point final. Nous en voulons pour preuve, le rapport Lefèvre établi en 2011 par une délégation du Sénat qui, malgré la nouvelle loi, réitère l’épineuse question de la répartition des compétences (1). De même, le rapport commandé par le Président de la République à Jean-Jacques de Peretti sur la mise en œuvre des schémas d’organisation et de mutualisation des services démontre que ce texte de loi laisse persister des zones d’ombre (2). 1. Le rapport Lefèvre, une analyse objective des raisons de l’enchevêtrement des compétences 464. Le rapport Lefèvre a été adopté par la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat au mois de février 2011, c'est-à-dire très rapidement après la fin de la discussion parlementaire sur la loi de réforme des collectivités territoriales. Ce rapport porte sur la clarification de la répartition des compétences entre l’État et les collectivités territoriales. Il part tout d’abord d’un constat peu commun sur la répartition des compétences. En effet, l’analyse du sénateur ne considère pas les blocs de compétences comme irréalisables et n’accuse pas non plus la clause générale de compétence de l’enchevêtrement des compétences. « La démarche de spécialisation s’est, en définitive, superposée à la logique généraliste. Aucune n’a donc véritablement été mise en œuvre, si bien que la preuve de la 1149 PERETTI Jean-Jacques de, La liberté de s’organiser pour agir, op. cit., 100p. - 400 - plus grande efficacité de l’une part rapport à l’autre n’a pu être rapportée de manière pragmatique ».1150 Le rapport ne considère aucune de ces deux solutions comme irréalisables, il part du constat que leur utilisation concomitante depuis les premières lois de décentralisation n’a pas permis de juger correctement de leur efficacité. L’analyse proposée par le rapporteur n’est pas dénuée d’intérêt. D’un point de vue « scientifique », les deux méthodes de répartition des compétences ayant toujours été superposées aucune ne peut donc prétendre réellement à une plus grande efficacité que l’autre. En effet, les collectivités territoriales bénéficient d’une clause générale de compétence que le législateur n’avait pas cherchée à remettre en cause avant la loi de 2010. Or depuis la première vague de décentralisation dans les années 1980, le législateur a très régulièrement transféré des compétences particulières aux collectivités territoriales. Le législateur a ainsi entretenu une forme de mélange permanent entre vocation générale et vocation spécialisée des collectivités territoriales. A ce titre, l’alinéa 2 de l’article L.4221-1 du CGCT nous semble assez représentatif de cette coexistence de deux logiques qui semblent contradictoires. En effet, cet article dispose que le conseil régional « a compétence pour promouvoir le développement économique, social, sanitaire, culturel et scientifique de la région et l’aménagement de son territoire et pour assurer la préservation de son identité, dans le respect de l’intégrité, de l’autonomie et des attributions des départements et des communes. Il peut en outre, par délibération spécialement motivée, se saisir de tout objet d’intérêt régional pour lequel la loi n’a donné compétence à aucune autre personne publique ». Il y a donc cohabitation dans cette disposition de la clause générale de compétence et d’une clause d’attribution.1151 Le rapporteur n’arrête cependant pas sa réflexion à ce niveau. Il considère que la responsabilité de l’enchevêtrement des compétences revient pour partie à la loi. L’enchevêtrement des compétences n’est donc pas le fait des collectivités territoriales qui interviendraient de manière anarchique dans tous les domaines de l’action locale, mais bien le fait du législateur qui a autorisé ces interventions croisées. La spécialisation des compétences des collectivités territoriales ressemble plus souvent à une parcellisation des compétences, ce qui permet au législateur d’accorder un peu de capacité d’intervention dans un domaine à chaque niveau de collectivité. L’exemple le plus frappant à cet égard est bien entendu la gestion des collèges par les départements et la gestion des lycées par les régions. Contrairement au discours assez majoritairement entendu pendant le débat sur la réforme des collectivités territoriales, le 1150 LEFÈVRE Antoine, Rapport d’information sur la clarification de la répartition des compétences entre l’État et les collectivités territoriales, op. cit., p.10. 1151 Clause d’attribution qui semble en l’espèce tellement large qu’elle pourrait pratiquement relever de la clause générale de compétence. - 401 - rapporteur ne considère pas non plus que la suppression de la clause générale de compétence serait la solution à tous les maux. « La suppression de la clause générale serait, en outre, bien difficile à mettre en pratique car elle suppose, ce que les faits démentent tous les jours, que l’on puisse cantonner les collectivités dans des compétences prédéfinies ».1152 Le rapporteur s’inscrit ainsi en faux avec le discours souvent entendu en matière de décentralisation qui consiste à charger la clause générale de compétence des collectivités territoriales de tous les problèmes de la décentralisation, notamment de l’enchevêtrement des compétences. Il apparaît donc que la suppression de l’une ou de l’autre des techniques relève d’un choix cornélien, ce qui est d’ailleurs confirmé par la loi du 16 décembre 2010 qui n’a pas, malgré ce qui a été affiché, supprimé réellement la clause générale de compétence des départements et des régions. 465. Le rapporteur estime que s’agissant de la répartition des compétences, il est nécessaire de faire confiance à l’intelligence des territoires pour répartir au mieux les compétences. Il s’agit ni plus ni moins que de mettre en œuvre le principe de subsidiarité. En effet, en permettant aux collectivités de discuter entre elles, de ne pas nécessairement se plier à une répartition des compétences rigide décidée au niveau central, les propositions du rapporteur permettent de rechercher, dans chaque cas et en fonction des territoires, le niveau de collectivité le mieux à même d’exercer la compétence. Or se retrouve à ce moment là le critère du « mieux » retenu par l’article 72, alinéa 2 de la Constitution, traduction française du principe de subsidiarité. Ainsi, le rapporteur propose la mise en place de compétences obligatoires partageables. « Il est proposé de substituer au dispositif des compétences exclusives pures (ou simplement délégables) un dispositif de compétences obligatoires partageables par accord entre collectivités ».1153 Il s’agit alors pour le législateur de désigner pour ces compétences une collectivité attributaire qui pourra ensuite par discussion avec les autres niveaux de collectivités décider de partager cette compétence ou de la déléguer. Cette modalité de partage des compétences ne peut qu’avoir notre assentiment. En effet, elle assure une véritable mise en œuvre du principe de subsidiarité, en ce qu’elle permet à chaque territoire d’exercer ses compétences en fonction de ses propres besoins, mais aussi en fonction de ses capacités. Le rapport en lui-même ne propose aucune compétence qui pourrait faire l’objet de ce partage. En effet, « le présent rapport, consacré à la problématique générale de la répartition des compétences, n’a pas vocation à entrer dans le détail des attributions de 1152 LEFÈVRE Antoine, Rapport d’information sur la clarification de la répartition des compétences entre l’État et les collectivités territoriales, op. cit., p.14. 1153 Ibid., p.21. - 402 - chaque collectivité, domaine par domaine ».1154 Il est toutefois aisé d’imaginer quelques domaines de compétences qui pourraient faire l’objet de convention de partage entre collectivités. Il en va ainsi tout d’abord de la compétence des départements et des régions en matière de gestion des collèges et des lycées. Il serait ainsi tout à fait possible pour un département qui ne désire pas s’occuper de ses collèges, ou qui n’a pas les moyens financiers nécessaires, de partager cette compétence soit avec la région ou avec une commune. Il en serait de même pour la région à l’égard des lycées. Ce serait ainsi une alternative à la mutualisation des moyens à l’œuvre dans le cadre des cités éducatives. Une autre compétence qui pourrait faire l’objet d’une convention de partage serait la compétence du département relative à l’entretien des routes. Ainsi, il est tout à fait probable que le département puisse décider de transférer la gestion de certaines routes à des communes. A ce titre, certaines rocades urbaines – comme à Angers – sont gérées par le conseil général et pourraient faire l’objet d’un transfert de gestion au bénéfice de la commune ou de l’intercommunalité. 466. La logique contractuelle induite dans le partage des compétences tel que proposée par le rapporteur est le gage d’une cohérence de l’action locale. En effet, la logique contractuelle impose une discussion, une négociation, une recherche de consensus. Dès lors, toute cette procédure d’échange entre les différents acteurs devrait aboutir à une plus grande souplesse, et donc à plus d’efficacité, dans la mise en œuvre des politiques locales. En cas de compétence partagée par la loi – tel est le cas pour le sport, le tourisme et la culture – il est nécessaire d’instituer tout de même un mécanisme permettant d’assurer une cohérence. Or le rapporteur, proposant de faire des évolutions à droit constitutionnel constant, ne retient pas le principe de la désignation d’un chef de file, « qui aurait pu être une solution à condition de renforcer la portée de cette qualité ».1155 Là encore nous ne pouvons qu’être d’accord avec le bilan établit par le rapporteur. Nous avons défendu tout au long de cette étude le fait que la rédaction adoptée pour l’article 72, alinéa 5 lors de la révision constitutionnelle de 2003 était trop timorée. La fonction de chef de file ne dispose pas du cadre constitutionnel nécessaire pour développer pleinement tous les ressorts qu’elle contient. Le rapport propose alors un autre système pour assurer la cohérence des actions en cas de compétence partagée. Il s’agirait d’une transmission des décisions de la collectivité aux autres collectivités compétentes, celles-ci pourraient alors formuler leurs observations sur cette décision. Le rapporteur qualifie ce système de « contrôle de légalité territoriale ».1156 Ces observations ne 1154 Ibid., p.26. Ibid., p.25. 1156 Idem. 1155 - 403 - pourraient porter que sur la légalité et non l’opportunité, ce qui fait dire au rapporteur que ce système serait calqué sur celui du contrôle de légalité opéré par le préfet. Nous pensons qu’un tel système de contrôle pourrait aussi parfaitement s’appliquer en cas de désignation d’un chef de file. Un chef de file disposant d’une véritable capacité de coordination de l’action commune devrait ainsi pouvoir opérer un certain contrôle, tout du moins pouvoir émettre un avis sur les actes des autres collectivités parties à l’action commune. Cette forme de contrôle de légalité de l’action commune opéré par la collectivité chef de file permettrait de l’assurer dans son rôle, de favoriser la discussion et le consensus entre toutes les collectivités parties à l’action commune. Le contrôle de légalité de l’action commune pourrait permettre au chef de file d’assurer une forme de contrôle sur la cohésion des décisions des autres collectivités parties à l’action commune. Ainsi, ce contrôle ajouté à la valeur prescriptive du schéma d’organisation préalablement adopté par le chef de file serait l’occasion d’assurer une véritable cohérence de l’action commune. L’issue de ce contrôle devra le plus possible être une issue consensuelle, négociée, discutée entre les différents niveaux d’action. Il n’est pas tant question ici d’imposer une forme de contrôle quasi hiérarchique entre collectivités, mais plutôt de favoriser les situations de discussion entre elles. Il s’agit à travers un encadrement juridique de créer les conditions optimales pour la négociation entre collectivités territoriales et ainsi aboutir le plus facilement possible à un consensus. S’il n’y a pas de consensus entre les acteurs la question devra nécessairement se régler devant le juge. Or ce serait là le signe de l’échec de la coordination de l’action commune. Le rapporteur fait lui aussi référence au règlement juridictionnel des conflits de compétences entre collectivités. Cependant, il se montre hostile à une telle solution.1157 467. Quel que soit le cadre d’utilisation de ce mécanisme, il faut toutefois relever un risque : celui que la collectivité qui contrôle les décisions des autres ne se prononce pas seulement sur la légalité, mais aussi sur l’opportunité de la décision. Or cet avis doit se prononcer uniquement sur la légalité de la décision examinée. La légalité devrait être appréciée, notamment au regard du schéma d’organisation adopté par le chef de file le cas échéant. Il existe donc là un risque de mise en place d’une tutelle de la collectivité contrôleuse sur la collectivité contrôlée. En effet dès lors qu’une collectivité peut en censurer une autre pour une simple question d’opportunité, il y a tutelle. Si au contraire, le contrôle se fait uniquement sur la légalité et qu’il n’y a pas réellement censure mais remise sur le métier de la décision à prendre, alors il n’y a pas de tutelle selon nous. Il n’y aurait qu’une forme 1157 Idem. - 404 - d’accompagnement des décisions par le chef de file. La proposition du contrôle de légalité territoriale ayant « soulevé des objections au sein même de la délégation, il est peu probable qu’elle soit reprise dans un texte de loi ».1158 Il nous semble pourtant qu’il ne faut pas être aussi défaitiste car cette suggestion contient des virtualités intéressantes. 468. L’intérêt de ce rapport se situe dans le fait qu’il évite les prises de positions manichéennes. Le rapporteur y dresse un état des lieux des raisons de l’enchevêtrement des compétences plutôt objectif. Il met également en lumière le fait que la loi du 16 décembre 2010 ne semble être qu’une étape, qu’elle a un caractère non fini. Les propositions avancées par le rapporteur visent, à droit constitutionnel constant, une action locale plus efficace. Les propositions faites par le rapporteur en matière de cohérence de l’action partagée ne peuvent qu’avoir notre assentiment. Même si elles ne font pas usage de la fonction de chef de file, les propositions – notamment le contrôle de légalité territorial – pourraient parfaitement s’articuler avec la désignation d’une collectivité chef de file. Le caractère complexe de la loi du 16 décembre 2010 est confirmé, selon nous, par le fait que le Président de la République a très rapidement commandé une étude visant à clarifier l’application de certaines dispositions de ce texte. 2. Le rapport de Peretti, un éclairage bienvenu sur les schémas d’organisation et de mutualisation des services 469. Le rapport de Peretti, rendu sur demande du Président de la République, porte sur la mise en œuvre des schémas d’organisation et de mutualisation des services instaurés par la loi du 16 décembre 2010.1159 S’il ne concerne pas directement la fonction de chef de file, certaines propositions contenues dans ce rapport se rapprochent de notre problématique des compétences partagées et explorent des solutions que nous avons également pu évoquer. « Comme si, après le vote de ce texte, qui ne devait pas traiter lui-même de la répartition des compétences, il paraissait utile de s’interroger sur la faisabilité de sa mise en œuvre. La logique aurait sans doute voulu que ces interrogations figurent dans une étude d’impact du 1158 PONTIER Jean-Marie, « Clarification de la répartition des compétences : le rapport Lefèvre », JCP-A, 2011, n°10, p.26. 1159 Articles 75, 76 et 77 de la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, précit. - 405 - texte, ou soient évoquées lors des débats, et non retranscrites dans un rapport rendu officiellement neuf mois après le vote de la loi ».1160 470. Ainsi, le rapport établit que la constitutionnalisation de l’interdiction de la tutelle à l’article 72, alinéa 5 est un problème car il ne permet pas la pleine mise en place de « collectivités pilotes »1161 dans le cadre des compétences partagées. A ce titre, le rapporteur n’évoque pas simplement la fonction de chef de file, mais aussi la notion d’autorité organisatrice qui existe en matière de transports terrestres. Dans les deux cas, il s’agit bien de l’idée de confier à une collectivité, en charge d’un domaine de compétence, un rôle particulier de coordination des intervenants. Au final, le rapporteur constate que ces dispositions n’ont pas connu le succès escompté et qu’il est nécessaire dès lors de « débrider leur utilisation et remédier aux limites fixées par la Constitution ».1162 Nous ne pouvons que rejoindre le constat du rapporteur et nous prononcer en faveur d’une évolution du cadre constitutionnel dans lequel est enfermé la fonction de chef de file. Cette idée de débrider le recours aux modalités de coordination de l’action commune peut revêtir deux options, soit elle impose une modification constitutionnelle, soit elle nécessite une véritable audace de la part du législateur. En effet, si une révision constitutionnelle permettrait d’assurer une véritable utilisation de la fonction de chef de file, le législateur dispose déjà de moyens qui permettraient d’y faire appel de manière plus développée. La suite des propositions du rapport de Peretti se prononce en faveur d’une forme de chef de file, mais que le rapport range sous le vocable d’autorité organisatrice.1163 Il est d’ailleurs assez intéressant de voir que le rapport fait des propositions de domaines de compétences dans lesquelles la région ou le département pourraient être des collectivités organisatrices. Le rapporteur propose ainsi d’accorder un rôle d’autorité organisatrice à la région en matière d’aménagement du territoire, de développement économique, d’enseignement supérieur et de recherche, d’emploi et de formation professionnelle et en matière d’éducation et de culture. Pour les départements, Jean-Jacques de Peretti propose de leur accorder cette fonction en matière d’action sanitaire et sociale, de santé publique, de voirie, de logement et d’habitat, de sport, de tourisme et d’aménagement rural. Or certains de ces domaines de compétences sont justement ceux où ces collectivités sont déjà désignées comme chefs de file. Si l’idée semble intéressante, elle ne nous satisfait 1160 PAULIAT Hélène, « La liberté de s’organiser pour agir ou comment remédier aux imperfections de la loi du 16 décembre 2010 ? Réflexions sur le rapport Peretti », JCP-A, 2011, n°39-40, p.3. 1161 PERETTI Jean-Jacques de, La liberté de s’organiser pour agir, op. cit., p.32. 1162 Ibid., p.35. 1163 Ibid., p.41-42. - 406 - pas entièrement du point de vue du vocabulaire. Pour quelle raison le rapport parle-t-il d’autorité organisatrice plutôt que de chef de file ? L’auteur du rapport explique que la notion d’autorité organisatrice « présente l’avantage de mettre clairement l’accent sur la responsabilité des collectivités dans la définition de ses missions, de ses objectifs, de son organisation et du cahier des charges de chacun des services mis en place ou de ses composantes. Son principal intérêt est de ne pas se confondre avec la notion d’opérateur même s’il n’empêche pas la collectivité d’assurer elle-même en régie une, plusieurs ou la totalité des prestations considérées ».1164 Sur ce point, nous ne pouvons pas partager les considérations du rapporteur. En effet, ce que le rapport présente comme des avantages dans le cadre de la notion d’autorité organisatrice se retrouvent également dans le vocable de chef de file et lors de sa désignation. De plus, la notion d’autorité organisatrice ne nous satisfait pas autant que la fonction de chef de file. En effet, la fonction de chef de file intervient dans le cadre d’une compétence partagée, voire même fragmentée entre tous les acteurs locaux. Dans cette situation, les collectivités territoriales peuvent intervenir de manière redondante. Or la notion d’autorité organisatrice telle qu’elle existe en matière de transport1165 ne fait pas réellement face à une action partagée, mais plutôt à des actions parallèles dans des domaines de compétences similaires. Ainsi, si régions, départements et communes interviennent en matière de transports terrestres chacun à un domaine bien particulier. Les régions s’occupent des réseaux régionaux (les TER), les départements organisent les transports collectifs non urbains sur leur territoire ainsi que les transports scolaires et enfin les communes ou les intercommunalités s’occupent des transports urbains. Dès lors, il n’y a pas réellement de chevauchement de compétence dans ce cadre et le rôle d’autorité organisatrice de la collectivité s’exerce plutôt à l’égard des entreprises de transport qui assurent le service sur délégation du service public. Il peut toutefois y avoir une certaine coordination entre les acteurs pour assurer les connexions entre les différents modes de transport, mais sans qu’il y ait alors un besoin impérieux d’une autorité organisant la coordination. La désignation d’une collectivité chef de file implique au contraire l’existence d’un véritable enchevêtrement de compétence, d’une capacité d’action des différentes collectivités territoriales sur un même domaine. Enfin, nous sommes favorables à la notion de chef de file plutôt qu’à celle d’autorité organisatrice pour une question de vocabulaire. En effet, l’expression chef de file indique plus clairement le rôle qui doit être celui de la collectivité pilote, c'est-à-dire un rôle de leader, de meneur, de responsable de l’action commune. 1164 1165 Ibid., p.41. Loi n°82-1153 du 30 décembre 1982 d’orientation des transports intérieurs, précit. - 407 - 471. L’une des pistes également explorées par le rapport est la généralisation des guichets uniques département/région. Or là aussi, nous avions relevé dans nos propres conclusions précédentes, que l’un des avantages de désigner un chef de file pourrait être la mise en place d’un interlocuteur unique pour les usagers. Il s’agit pour le rapporteur de ne pas « faire supporter la complexité du paysage administratif français à l’usager ».1166 L’utilité des guichets uniques est de rassembler en un seul lieu les démarches à faire par l’usager pour des questions connexes. Le guichet unique a pour rôle d’accueillir, de conseiller, de faire un premier traitement des dossiers puis de les transmettre aux administrations concernées. Il ne doit pas être considéré comme une étape supplémentaire dans le traitement administratif d’une demande. Il est au contraire une simplification de l’action administrative pour l’usager. A terme, l’instauration d’un guichet unique pourrait même permettre d’améliorer l’action administrative, voire la rendre moins coûteuse. En effet, le prétraitement des dossiers assuré par le guichet unique permet de s’assurer que les demandes sont bien complètes et qu’elles seront bien envoyées à la bonne administration. Il y a avec le guichet unique une logique de mutualisation qui est à l’œuvre et qui reçoit pleinement notre assentiment. L’intérêt de ce rapport est de mettre en lumière le fait que même si la loi du 16 décembre 2010 ne fait pas référence à la fonction de chef de file, les dispositions contenues dans le texte peuvent conduire à une remise en œuvre de la fonction de chef de file. Reste désormais au futur législateur de se saisir des virtualités contenues dans ce texte. Les élections présidentielles et législatives de 2012 sont justement l’occasion de sonder les propositions venues des partis politiques mais aussi des associations de collectivités. B. La collectivité chef de file, une notion connue des élus L’année 2012 étant une année électorale, les projets de certaines formations politiques contiennent des propositions en faveur du développement de la décentralisation. Toutes ne semblent cependant pas réalistes (1). Il convient également d’analyser les propositions faites par les associations de collectivités. Celles-ci sont certainement la voix la plus représentative des collectivités et leurs réflexions sur la question ne peuvent être ignorées (2). 1166 PERETTI Jean-Jacques de, La liberté de s’organiser pour agir, op. cit., p.55. - 408 - 1. L’évocation de la fonction de chef de file dans les projets politiques pour les élections de 2012 472. Nous ne nous intéresserons ici qu’aux projets portés par les deux formations politiques dominantes, le Parti Socialiste (PS) et l’Union pour un Mouvement Populaire (UMP). Les programmes des autres formations politiques n’évoquent que très peu le thème de la décentralisation, la crise économique étant, elle, au cœur des préoccupations lors de cette campagne électorale. Célébrant les trente ans de la décentralisation, Yves Jégouzo s’interroge d’ailleurs sur le fait « qu’aucun des grands débats opposant les candidats à la présidence de la République ne porte sur la décentralisation ».1167 473. Le projet socialiste établit que s’agissant de la répartition des compétences locales, il sera institué une conférence régionale des compétences dont le rôle sera de distribuer les compétences, qui ne relèvent pas de l’État, entre les collectivités. Le cas échéant, le projet précise qu’il pourra être désigné des chefs de file, mais sans explication supplémentaire. Le projet expose simplement qu’ « une conférence régionale des compétences sera instituée : elle rassemblera dans chaque région l’ensemble des collectivités territoriales et les services de l’État. Elle répartira entre eux les compétences publiques qui ne sont pas exclusivement exercées par l’État, avec le cas échéant des chefs de file et des expérimentations ».1168 Cette proposition n’est pas sans rappeler la conférence régionale des exécutifs1169 dont nous avons évoqué la faible réussite. La particularité toutefois sur ce projet est d’y associer les services de l’État. L’intérêt également de cette proposition est de prévoir que la répartition des compétences entre les collectivités territoriales se fera finalement au cas par cas en fonction des territoires. Nous ne pouvons qu’être favorables à ce système qui permettrait, semble-t-il, une mise en œuvre du principe de subsidiarité. Pour le reste, le projet manque encore de clarté et c’est seulement le vocable de chef de file qui est évoqué sans qu’on sache avec plus de précision quel est son contenu. Rien n’est précisé sur la manière dont il faut entendre cette notion, est-ce une vision restrictive telle qu’a pu l’avoir le Conseil constitutionnel1170 ou estce au contraire une vision plus audacieuse. La simple lecture du programme du Parti Socialiste ne donne pas la réponse à cette question. Il semble de plus à l’heure actuelle que dans le programme de réformes envisagées par le nouveau Président de la République, François Hollande, la nouvelle étape de la décentralisation ne soit pas prévue immédiatement. 1167 JÉGOUZO Yves, « Les trente ans de la décentralisation », Tribune, AJDA, 2012, p.457. Le Changement – Projet socialiste pour 2012, p.42. 1169 Art. L.1111-9 II du CGCT. 1170 CC, n°2008-567 DC du 24 juillet 2008 loi relative aux contrats de partenariats, précit. 1168 - 409 - 474. Le projet de l’UMP ne contenait quant à lui aucune référence explicite à la fonction de chef de file. Avec une certaine cohérence, le projet du parti – au pouvoir au moment de l’édiction de son programme – prévoyait non pas un bouleversement de la décentralisation, mais la poursuite des évolutions lancées par la loi du 16 décembre 2010. A cet égard, le projet proposait notamment de « fusionner les services des conseils généraux et des conseils régionaux ».1171 Cette proposition se situait ainsi en réalité dans la continuité de la réforme précédente. Ainsi, après avoir adopté la bi-appartenance des élus entre les deux niveaux de collectivités territoriales et les avoir incités à mutualiser leurs moyens, l’étape suivante semblait être assez logiquement la fusion des services. Dans une perspective plus lointaine, il est indéniable que l’ensemble de ces mesures visait à préparer plus spécifiquement la suppression, à terme, de l’un des deux niveaux de collectivité. 475. Dans les projets des autres formations politiques, il faut relever que la question de la décentralisation n’était vraiment pas au cœur des préoccupations, si ce n’est dans le programme d’Europe Ecologie les Verts. Cependant le projet avancé par cette formation – favorable à la transformation de la France en un État fédéral – nous semblait trop en décalage avec l’histoire de la décentralisation telle que nous la connaissons. 2. Les associations de collectivités territoriales, « think tank » au service de la décentralisation 476. Même si elles ne sont pas des partis politiques, les associations de collectivités sont également un important réservoir d’idées pour la réflexion sur la décentralisation. L’assemblée des départements de France (ADF) et l’association des régions de France (ARF) formulent dans les différents documents qu’elles adoptent des vœux en faveur du développement de leur niveau de collectivité. L’ARF lors de son Congrès de 2011 a notamment estimé que ce devait être « désormais aux régions elles-mêmes, dans leurs domaines de responsabilité, de formaliser leurs politiques en concertation étroite, bien entendu, avec les autres collectivités et acteurs concernés sur leurs territoires ».1172 Il est indéniable qu’il y a là un appel à un pouvoir plus important en faveur des régions. Cette volonté pourrait trouver une réponse dans une mise en œuvre plus importante de la fonction de chef de file. Un développement important de la fonction de chef de file pourrait permettre à la région d’assumer ce rôle de responsable, de planificateur des politiques locales, en 1171 1172 Protéger et préparer l’avenir des enfants de France – Projet UMP pour 2012, p.16. ARF, Des régions plus fortes pour une France plus efficace, Actes du 7e Congrès de l’ARF, 2011, p.5. - 410 - concertation avec les collectivités infrarégionales. On retrouve d’ailleurs déjà un débat en ce sens lors du Congrès de l’ARF de 2005, où un participant affirmait qu’ « il conviendrait dès lors de déterminer un véritable chef de file et qui, en fonction de ses ressources, pourrait faire appel à telle ou telle collectivité ».1173 477. De son côté, l’assemblée des départements de France avait, dans une note de 2009, évoqué l’idée de redonner un nouveau souffle à la fonction de chef de file. Cette note portait sur la possible fusion des départements et des régions. L’ADF exposait alors les limites d’une telle politique. C’est pourquoi l’ADF faisait dans ce document un certain nombre de propositions. Elle estimait que « la clarification des blocs de compétences mais aussi des modes de gouvernance territoriale semble se dégager comme de réels vecteurs, non plus de seule optimisation financière, mais d’efficacité et d’efficience ».1174 Afin d’atteindre cet objectif, l’association propose « la mise en œuvre opérationnelle du principe de chef de file qui permettrait à la collectivité de disposer d’une réelle prérogative d’organisation de l’action dans un domaine de compétence donné ».1175 Il est donc intéressant de voir que pour cette association d’élus locaux la fonction de chef de file est un moyen d’assurer une plus grande efficience de l’action administrative, sans aucune crainte d’une quelconque tutelle. Qu’il nous soit alors permis d’en tirer cette conclusion : les élus locaux sont prêts – en tout cas plus que le législateur – à accepter qu’une collectivité puisse disposer d’un certain pouvoir sur les autres dans le cadre de la conduite d’une action commune. 478. Les État généraux de la démocratie territoriale organisés par le Sénat sont également l’occasion pour les associations de collectivités territoriales d’énoncer des avis concernant l’organisation des relations entre collectivités. Or à cet égard, il est intéressant de constater qu’un certain nombre de contributions à ces Etats généraux évoquent la nécessité d’une mise en cohérence des actions locales, notamment à travers la réactivation de la fonction de chef de file. Ainsi, l’Assemblée des Communautés de France (AdCF), alors même qu’aucun cas de chef de file au profit de ces communautés n’existe, est favorable à une mise en œuvre plus importante de cette fonction. « Tout en s’inscrivant dans l’objectif de clarification des rôles, l’AdCF considère que ce dernier ne pourra être atteint par l’attribution de compétences exclusives. L’AdCF souhaite en revanche que soient identifiées des autorités organisatrices des principales politiques publiques. Ces chefs de file doivent être habilités à coordonner 1173 GILBERT Guy, PASQUIER Romain (animateurs de la table ronde), « Autonomie financière et évolution du pouvoir normatif : quelle autonomie réelle pour les régions », RLCT, 2006, n°9, p.60. 1174 ADF, Note KPMG relative aux enjeux financiers d’une éventuelle fusion des Départements-Régions, Mai 2009, p.7. 1175 Idem. - 411 - l’action de leurs partenaires par la voie contractuelle et à déléguer à d’autres assemblées certaines missions de mise en œuvre ».1176 L’association des Maires de France (AMF) engage également le même type de réflexion. « Pour rendre plus efficace cette notion et la traduire, réellement dans notre organisation locale, la collectivité chef de file d’une compétence devrait coordonner les actions, mais aussi générer les crédits correspondants ».1177 De nombreuses idées existent qui pourraient permettre un plus grand développement de la notion de chef de file. C’est désormais au législateur de se saisir de ces idées pour les mettre en œuvre. L’audace des Parlementaires se trouve ainsi au cœur de la problématique d’un plus grand développement de la fonction de chef de file. Pour tenter de convaincre un peu plus le législateur, il n’est qu’à observer en dehors de nos frontières où certaines des solutions proposées sont déjà mises en œuvre. §2. Des comparaisons difficiles mais riches d’enseignement 479. L’observation des pratiques décentralisatrices en dehors de nos frontières permet également de se rendre compte que les problématiques de coordination des compétences partagées ne sont pas propres à la France. Ainsi dans de nombreux États, « les compétences locales, pour peu qu’il existe une clause de compétence générale, sont très largement marquées, soit par la pratique, soit au hasard des lois de compétences sectorielles. Ces lois de compétences sectorielles s’efforcent de déterminer la répartition des pouvoirs pour l’exercice d’une compétence donnée au sens matériel : quelles sont les autorités responsables de la politique de la santé, de l’emploi, de l’éducation… ? L’attention du législateur qu’il soit national ou régional, est, dans cette mesure, beaucoup plus centrée sur la réponse à donner à l’attente du citoyen en général que sur une répartition rationnelle entre les différents niveaux détenteurs d’une parcelle de la légitimité démocratique ».1178 Il est donc indéniable que dans de nombreux Etats le législateur est à l’origine d’enchevêtrement des compétences. En effet, la répartition des compétences relève souvent – et l’exemple français le démontre aussi – d’une part d’opportunisme du législateur. La possibilité d’avoir recours à une expérimentation locale, introduite dans l’Acte II de la décentralisation en 2003, aurait pu être l’occasion 1176 AdCF, Contribution aux Etats généraux de la démocratie territoriale, mars 2012, p.4. Disponible sur le site www.democratie-territoriale.fr. 1177 AMF, Contribution aux Etats généraux de la démocratie territoriale, février 2012, p.2. Disponible sur le site www.democratie-territoriale.fr. 1178 DELCAMP Alain, « A la recherche d’un modèle européen. L’expérience des Etats membres de l’Union Européenne », in LAVROFF Dmitri (dir.), La République décentralisée, op. cit., p.27. - 412 - d’assurer une répartition un peu plus pragmatique des compétences. Or là aussi l’article 72, alinéa 4 de notre Constitution n’a pas connu les résultats escomptés. Il est donc nécessaire d’analyser des méthodes qui permettent d’assurer une cohérence des interventions de différents acteurs sur une même compétence dans d’autres Etats. Il faut toutefois faire une distinction entre ce qui se passe dans les pays qui connaissent une décentralisation à la française, et ceux de type régionaliste voire fédéral. « Comme bien souvent lorsque le regard croise des éléments de droit comparé, […] des systèmes juridiques différents, des sémantiques différentes, des cultures différentes renvoient à des problématiques communes ».1179 480. Dans la catégorisation des formes d’organisation territoriale des Etats, la forme unitaire, comme nous connaissons en France, semble aujourd’hui en net recul. La plupart des Etats connaissent des aménagements visant à accorder plus ou moins d’autonomie aux unités territoriales. Ainsi, il n’est pas possible de trouver un État qui connaisse exactement la même structure territoriale que la France. Nous avons dès lors choisi quatre Etats topiques des principales formes d’organisation des entités locales qui se rencontrent au travers du monde. Ainsi, il sera présenté un État unitaire décentralisé, héritier de sa relation avec la France, il s’agit du Sénégal. Les Etats fédéraux connaissent également des modes de règlement des conflits de compétences entre le niveau fédéral et les entités fédérées. Ce système sera présenté à travers l’exemple du Canada. Le cas du Royaume-Uni est aussi intéressant à mettre en lumière. En effet, il s’agit d’un État unitaire, mais dont la particularité est d’accorder une certaine autonomie, à degré variable, à certaines unités territoriales. Enfin, l’exemple italien permet d’analyser le cas des États régionaux. Longtemps considéré comme une forme transitoire l’État régional a finalement acquis une certaine pérennité dont peuvent être tirés un certain nombre d’enseignements. 481. La décentralisation n’est pas une spécificité française. D’autres États, notamment en Afrique dans les anciennes colonies connaissent un mode de gouvernement local qui s’apparente à notre décentralisation. A ce titre, le cas du Sénégal est particulièrement intéressant. La Constitution sénégalaise consacre dans son article 90 l’existence de différents niveaux de collectivités locales qui disposent de la libre administration. Cependant la Constitution s’arrête là. La répartition des compétences est ensuite le fruit de la loi. Or 1179 LAFAILLE Franck, « La « souveraineté régionale » entre oxymoron et hendiadys constitutionnels. A propos de l’État « régional-fédéraliste » italien et de la sémantique en droit constitutionnel », RIDC, 2009, n°2, p.316. - 413 - l’analyse de la loi de 1996 relative aux transferts de compétences1180 aux collectivités locales au Sénégal démontre un point commun avec notre propre législation. En effet, les compétences locales sont largement partagées, voire même enchevêtrées. Dès lors, il est nécessaire de mettre en place là aussi un système de coordination des décisions locales. Pour le cas particulier du Sénégal « cela signifie que l’organisation générale de compétences doit s’opérer en fonction du principe de la complémentarité entre les planificateurs, aménageurs que sont l’État et les Régions, d’une part, et les gestionnaires locaux que sont les autres collectivités locales, d’autre part ».1181 La région dispose à cet effet d’une « compétence pour promouvoir le développement économique, éducatif, social, sanitaire, culturel et scientifique de la région, pour réaliser des plans régionaux de développement et organiser l’aménagement de son territoire ».1182 Hormis l’évidente proximité avec les dispositions de la loi de décentralisation française de 1982,1183 il faut relever que la région sénégalaise a un rôle spécifique en matière d’aménagement de son territoire. L’idée que la collectivité régionale soit compétente pour « organiser l’aménagement de son territoire » implique que la collectivité régionale dispose d’un pouvoir spécifique en la matière. En effet, la capacité à pouvoir organiser la mise en œuvre d’une compétence sur son territoire implique, selon nous, un pouvoir de mise en cohérence de toutes les actions qui concourent à cette compétence. Or pour ce faire, nous avons déjà mis en lumière que l’outil principal est le plan ou le schéma. Il y a là quelque chose d’assez proche de ce que nous avons pu évoquer à propos de la fonction de chef de file et des schémas d’organisation. Ainsi, dans le cadre d’une compétence partagée, le chef de file n’est pas nécessairement en charge de la mise en œuvre de la politique, mais il a un rôle de définition, de programmation des réponses à apporter dans la matière aux besoins des administrés. La décentralisation sénégalaise a ainsi produit une distinction entre les collectivités chargées de la planification – les régions – et les collectivités chargées de la gestion locale des politiques – les autres collectivités de niveau inférieur. Cette distinction permet en réalité une véritable complémentarité entre les différents niveaux de collectivités 1180 Loi n°96-07 du 22 mars 1996 portant transfert de compétences aux régions, aux communes et aux communautés rurales, modifiée par les lois n°2002-15 du 15 avril 2002 et n°2004-21 du 25 août 2004, JO, n°5689, p.0228. http://www.sendeveloppementlocal.com/LOI-N-96-07-DU-22-MARS-1996-portant-transfertde-competences-aux-regions-aux-communes-et-aux-communautes-rurales_a527.html 1181 DIAGNE Mayacine, « Réflexion sur le droit constitutionnel local en Afrique », Revue de la recherche juridique. Droit prospectif, 2005, n°2, p.1045. 1182 Art. 25 Loi n°96-06 du 22 mars 1996 portant Code des collectivités locales, modifiée et complétée par les lois n°2002-14, n°2002-16 du 15 avril 2002 et n°2006-22 du 11 juillet 2006, JO, n°5689, p.0195. http://www.sendeveloppementlocal.com/LOI-N-96-06-DU-22-MARS-1996-portant-Code-des-collectiviteslocales-modifiee-et-completee-par-les-lois-n-2002-14-n-2002_a526.html 1183 L’article 59, al. 3 de la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions disposait que le conseil régional « a compétence pour promouvoir le développement économique, social, sanitaire, culturel et scientifique de la région et l’aménagement de son territoire ». - 414 - territoriales, sans pour autant mettre en place une quelconque tutelle d’une collectivité sur une autre qui est interdite par la loi.1184 C’est à une telle complémentarité entre les actions locales que peut aboutir une correcte mise en œuvre de la fonction de chef de file en cas de compétence partagée. Ainsi, les actions des différentes collectivités pourraient se compléter pour offrir une réponse aussi complète que possible à la demande des administrés, tout en évitant les saupoudrages de crédits et les actions redondantes. 482. Dans les États fédéraux, la situation est différente. En effet, la plupart du temps, les compétences font l’objet d’une répartition stricte établie par la Constitution, entre les autorités fédérées et fédérales. Cependant, dans beaucoup de cas il existe tout de même des compétences concurrentes ou des cas où la définition malaisée de certains domaines de compétences implique une action partagée. « Il y a donc peu de domaines où les politiques sont conduites par un seul gouvernement. La plupart du temps il existe des ententes, implicites ou explicites, générales ou précises, pour agir de concert ».1185 C’est pour faire face à ce type de situation que s’est développé le fédéralisme coopératif. Il s’agit de mettre en place des ententes, des conférences entre le gouvernement fédéral et les gouvernements fédérés pour discuter de la coopération, de l’exercice en commun des compétences partagées. Ce type d’entente s’est dans la plupart des cas développé totalement en dehors des textes. « Ce développement s’est effectué, le plus souvent, à partir d’institutions et de procédures peu formalisées et il a donné naissance en Europe à un fédéralisme d’imbrication ».1186 On le retrouve également au Canada où on parle alors de conférences intergouvernementales. Celles-ci sont très structurées : réunion entre Premiers Ministres de la fédération et des provinces pour les sujets les plus importants, rencontre entre les différents ministres en fonction de leurs attributions particulières, puis suivi des dossiers par l’intermédiaire de réunions de hauts fonctionnaires.1187 Le Secrétariat des conférences intergouvernementales canadiennes dispose d’ailleurs de sa propre administration1188 qui a pour objectif d’organiser les rencontres entre les gouvernements fédéral et provinciaux. Pour assurer la neutralité de cette organisation son budget est abondé par la fédération et les Etats fédérés. La mise en 1184 Art. 13 Loi n°96-06 du 22 mars 1996 portant Code des collectivités locales, modifiée et complétée par les lois n°2002-14, n°2002-16 du 15 avril 2002 et n°2006-22 du 11 juillet 2006, JO, n°5689, p.0195. http://www.sendeveloppementlocal.com/LOI-N-96-06-DU-22-MARS-1996-portant-Code-des-collectiviteslocales-modifiee-et-completee-par-les-lois-n-2002-14-n-2002_a526.html 1185 CROISAT Maurice, « Le fédéralisme d’aujourd’hui : tendances et controverses », RFDC, 1994, p.460. 1186 Ibid., p.452. 1187 Informations issues du site Internet du Gouvernement du Canada, dans la rubrique du Bureau du Conseil privé, les affaires intergouvernementales. http://www.pco-bcp.gc.ca/aia/index.asp?lang=fra. 1188 www.scics.gc.ca - 415 - œuvre de ces techniques du fédéralisme coopératif implique « l’ensemble des techniques, moyens et instruments, permettant une action concertée sans rompre l’équilibre fédéral et abolir les données constitutionnelles existantes. Pour ne pas rompre cet équilibre, il faut qu’un ordre de gouvernement, en l’occurrence le fédéral, ne puisse pas imposer ses priorités et ses objectifs mais que ceux-ci soient le produit d’une entente, d’une négociation plus ou moins formalisée et étendue entre tous les gouvernements ».1189 On retrouve là une problématique similaire à celle que nous connaissons avec la fonction de chef de file, à savoir l’impossibilité pour un niveau de collectivité d’exercer une tutelle sur un autre. Comme nous l’avions évoqué à propos du chef de file, il est nécessaire d’avoir recours à la négociation, à la discussion, à la recherche du consensus pour assurer la coordination des différents niveaux d’action tout en évitant la mise en place d’une tutelle. Il est donc intéressant de voir que ce sont les mêmes problématiques qui se posent dans les États décentralisés et dans les États fédéraux. Dès lors, les expériences menées dans certains États peuvent être des sources d’enseignement pour les autres. 483. Il est également nécessaire de dire un mot de la situation anglaise. En effet au Royaume-Uni, la dévolution conduit cet État à mi-chemin entre un État décentralisé et un État fédéral, le professeur Alistair Cole qualifie la dévolution de « forme de régionalisation asymétrique de l’État ».1190 Or il apparaît que là aussi des questions de compétences partagées se posent. Pour régler ces questions, les différents niveaux d’administration passent des contrats, qui sont appelés concordats, et qui visent à créer un accord entre les différentes administrations, centrales et locales, sur les modalités d’exercice des compétences partagées. « Les concordats représentent […] des mécanismes permettant la coopération et la coordination entre les différentes niveaux dans la concertation, sinon la coopération ».1191 Il s’agit de contrats purement moraux, puisqu’ils ne peuvent pas être invoqués devant la justice. L’objectif est de promouvoir un règlement des conflits de compétences par le consensus et la discussion. « Les concordats ne sont pas des contrats juridiques. Ils ne créent donc pas d’obligation juridique pour les administrations. Ce sont des accords volontaires entre les administrations qui codifient des principes de bon sens et de bonne conduite dans le contexte de la dévolution. Les difficultés dans leur application sont supposées se régler au niveau 1189 CROISAT Maurice, Le fédéralisme dans les démocraties contemporaines, Paris, Montchrestien, 3e ed., 1999, p.89. 1190 COLE Alistair, « La dévolution » in, PASQUIER Romain, GUIGNER Sébastien, COLE Alistair (dir.), Dictionnaire des politiques territoriales, Paris, Presses de Science Po, 2011, p.184. 1191 ROUX Frédérique, La dévolution en Grande-Bretagne. Contribution à la réflexion sur l’autonomie institutionnelle, Paris, Dalloz, 2009, p.159. - 416 - officiel ou politique ».1192 Or il y a là une technique proche du système du chef de file avec un schéma d’orientation qui est discuté entres les différents acteurs avant d’être arrêté puis mis en œuvre par voie contractuelle, avec à nouveau une discussion au cours de cette mise en œuvre. Cela démontre une nouvelle fois que la réussite de l’action commune repose pour beaucoup sur la volonté des différents acteurs locaux à s’entendre. Cela impose que les acteurs soient prêts à discuter entre eux, à mettre au point en commun une politique et à la mettre en œuvre ensemble. En effet, la réussite du système des concordats en GrandeBretagne repose aussi en pratique sur le pragmatisme anglais. Il s’agit d’assurer un « gentlemen’s agreement »1193 au niveau local. Il y a dans cette expression l’idée que ce n’est pas un contrat qui engage les deux parties mais plutôt l’honneur. « Ce n’est pas une sanction juridique que recherchent les signataires de ce type d’accord, qui a une valeur morale et politique ».1194 484. L’Italie est également dans une situation particulière. Elle connaît une organisation de type régionaliste, c'est-à-dire à mi-chemin entre notre décentralisation et une forme fédérale. D’abord considérée comme une forme transitoire, l’État régional est désormais une forme définitive d’organisation. « Le constitutionnalisme régional s’inscrirait ainsi dans un effort pour trouver une troisième voie entre la décentralisation/fédéralisation et l’indépendance ».1195 On retrouve des traits communs entre l’Italie et la France. Ainsi, la « décentralisation » italienne a d’abord eu lieu par voie législative et ce n’est qu’en 2001 lors d’une révision constitutionnelle que la régionalisation a pris un réel essor. Il est intéressant également de relever que tout comme notre Constitution, depuis la révision de 2003, la loi fondamentale italienne tente de faire cohabiter le caractère unitaire et décentralisateur de l’État. Ainsi, l’article 5 de la Constitution Italienne dispose que « La République, une et indivisible, reconnaît et favorise les autonomies locales ». Contrairement à la France, les régions italiennes disposent d’une compétence législative protégée au niveau constitutionnel. De plus, depuis la révision constitutionnelle de 2001, les régions italiennes disposent même de la compétence de principe en matière législative, alors qu’auparavant elles ne disposaient 1192 Ibid., p.160. Accord entre gentilshommes pourrait-on traduire en Français. Cette notion qui diffère du traditionnel contrat renvoie à l’idée que l’engagement entre les parties est un engagement de type moral et non juridique. 1194 RICHER Laurent, Droits des contrats administratifs, Paris, LGDJ, 7e ed., 2010, p.13. 1195 FOUGEROUSE Jean, « L’émergence aporétique d’un constitutionnalisme régional », Politeia, 2010, n°18, p.261. 1193 - 417 - que d’une compétence d’attribution.1196 Cela différencie l’Italie de notre modèle de décentralisation française. Cependant, l’Italie n’est pas non plus un État fédéral puisque les régions ne bénéficient pas de la même autonomie que peuvent avoir des entités fédérées. De plus, il n’y a pas de représentation spécifique des régions au niveau de l’État central. 485. L’exercice des compétences législatives est donc partagé entre l’État et les Régions, les fonctions administratives étant elles assurées par les collectivités infrarégionales, à savoir les Communes, les Provinces et les Villes Métropolitaines. La Constitution précise même que la répartition des fonctions administratives se fait « sur la base des principes de subsidiarité, de différenciation et d’adéquation ».1197 Une distinction est donc effectuée dans la Constitution italienne entre d’une part les entités décideuses – l’État et les régions – et les collectivités qui mettent en œuvre – les collectivités infrarégionales. « Les questions relatives à l’égalité et à l’absence de tutelle entre collectivités territoriales n’ont pas cours ici. Titulaires de nombreux domaines de compétences délégués par l’État selon le texte de la Constitution, les Régions sont naturellement les chefs de file des politiques sociales, culturelles, économiques, environnementales, éducatives, sanitaires et d’aménagement. La mise en œuvre de ces politiques est confiée aux collectivités de rang inférieur ». 1198 En réalité, comme dans le cadre des États fédéraux, les conflits de compétences en Italie se déroulent essentiellement entre l’État central et les régions, dans les matières relevant de compétences concurrentes. La Constitution a alors consacré une idée qui trouve son origine dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle italienne, celle de coopération loyale. « Le principe de coopération loyale exprime une conduite à tenir sans pour autant déterminer un contenu précis, puisque l’on peut aller de la simple information réciproque à une véritable codécision ».1199 A nouveau, c’est donc une solution avant tout consensuelle qui est recherchée dans le cas italien pour résoudre les conflits de compétences et donc pour harmoniser les politiques locales. 486. Surtout l’organisation italienne nous intéresse car elle a constitutionnalisé, elle aussi, les relations entre les entités infraétatiques. L’article 123 de la Constitution italienne dispose, in fine, que « dans chaque Région, le statut règle le conseil des autonomies locales en tant qu’organe de consultation entre la région et les collectivités locales ». Les statuts de chaque 1196 Art. 117, al. 4 de la Constitution italienne : « Dans toutes les matières qui ne sont pas expressément réservées à la législation de l’État, le pouvoir législatif échoit aux Régions ». 1197 Art. 118, al. 1er de la Constitution italienne. 1198 LE LOUARN Patrick, « L’expérience de l’autonomie locale de part et d’autres des Alpes », in FIALAIRE Jacques (dir.), Subsidiarité infranationale et territorialisation des normes. État des lieux et perspectives en droit interne et en droit comparé, op. cit., p.134. 1199 FOUGEROUSE Jean, « La révision constitutionnelle du 18 octobre 2001 : l’évolution incertaine de l’Italie vers le fédéralisme », RIDC, 2003, n°4, p.959. - 418 - Région prévoient la présence d’un conseil des autonomies locales, auprès des institutions régionales. La composition des conseils des autonomies locales est dans la majorité des cas renvoyée à la compétence de la loi régionale. Toutefois les statuts prévoient pour ceux que nous avons consultés,1200 que la loi doit garantir la représentation des diverses catégories de collectivités locales infrarégionales ainsi que la pluralité des courants politiques. 487. Dans les statuts que nous avons analysés, le rôle des conseils des autonomies locales s’organise autour de trois missions : représentation, consultation et coordination. Ainsi selon le Statut de la Calabre, le conseil des autonomies locales est un « organo reppresentativo degli enti local e di consultazione e cooperazione tra gli stessi gli organi delle regione ». 1201 Le conseil des autonomies locales intervient ainsi sur toutes les questions relatives aux relations entre Régions et entités locales, mais peut aussi être amené à participer au processus législatif régional par le biais d’avis. « L’avis est préalable à l’adoption de la décision régionale et s’insère dans le processus de formation des textes régionaux ».1202 Le conseil de l’autonomie régionale n’est toutefois pas une seconde chambre. « Ma un coinvolgimento degle enti locali nelle produzione legislativa regionale va valutato positivamente, di fronte alla circostanza che molte delle funzioni amministrative esercitate da Comuni et Province trovano la loro disciplina nelle legislazione regionale ».1203 Le conseil régional peut toujours passer outre son avis négatif selon des modalités différentes prévues dans chaque statut, texte adopté à une majorité particulière1204 ou encore texte accompagné d’une motivation spéciale.1205 Le conseil des autonomies locales n’est pas sans rappeler la conférence des exécutifs telle que nous la connaissons en France avec cependant des pouvoirs beaucoup plus développés. 488. Les solutions utilisées en matière de compétences communes dans d’autres Etats mettent l’accent, nous semble-t-il, sur une idée essentielle : celle de discussion, de 1200 La revue de droit public italien sur Internet www.federalismi.it dispose d’une importante base de données en libre accès qui regroupe notamment une section relative aux statuts régionaux. http://www.federalismi.it/focus/statutiregionali/. 1201 Art. 48, 1° du Statut de la Calabre, adopté en 2004. Disponible sur le site : www.federalismi.it. « organe de représentation des collectivités locales, de consultation et de coopération auprès des organes de la région » (traduction personnelle). 1202 BLAIRON Katia, Le régionalisme et le fédéralisme dans les réformes de l’État italien. Contribution à la définition de la forme d’État italienne, Thèse dactylographiée, Université Nancy 2, 2005, p.204. 1203 BARTOLE Sergion, BIN Roberto, FALCON Giandomenico, TOSI Rosanna, Dirito regionale, Bologne, ed. Il Mulino, 2005, 2e ed., p.129. « Mais la participation des entités locales à la production législative régionale est perçue positivement, du fait que de nombreuses fonctions administratives assurées par les communes et les provinces trouvent leur fondement dans la législation régionale » (traduction personnelle). 1204 Art. 23 Statut Emilie-Romagne, adopté en 2005. Disponible sur le site : www.federalismi.it. 1205 Art. 66 Statut Toscane, adopté en 2005. Disponible sur le site : www.federalismi.it. - 419 - négociation. Il nous apparaît, en effet, que dans de nombreux État c’est avant tout par la recherche d’un consensus que sont évités les conflits de compétence. Toutefois, il nous semble que cette place centrale accordée au consensus, à la discussion ne se retrouve pas à la même échelle dans la décentralisation à la française, ce que confirme d’ailleurs l’inscription de l’interdiction de la tutelle dans la Constitution. En effet, cette disposition conduit à rendre difficile les discussions entre différentes collectivités territoriales. Le résultat de cette discussion, même en cas de consensus, peut toujours être discrédité comme étant de la tutelle. D’où la nécessité que nous avons déjà évoqué de modifier l’article 72, alinéa 5 de la Constitution. La solution française du chef de file semble, au vu de ces exemples étrangers, un système plutôt innovant et audacieux. Il ne ressemble à aucun autre système que nous avons pu décrire. Le législateur gagnerait toutefois sûrement à s’inspirer de ces exemples pour débrider pleinement la fonction de chef de file. - 420 - Section 2. Processus pour une véritable reconnaissance de la fonction de chef de file 489. Tout au long de cette étude nous avons forgé notre conviction que le développement de la fonction de chef de file pourrait être une solution adéquate à l’enchevêtrement des compétences. Il nous semble donc nécessaire de faire état de cette conviction, mais aussi de la compléter par un certain nombre de propositions qui pourraient permettre l’utilisation de la fonction de chef de file à plus grande échelle. Ces propositions se partagent en deux catégories, d’une part, celles que le législateur pourrait mettre en œuvre immédiatement (§1) et, d’autre part, celles qui nécessiteraient une révision constitutionnelle (§2). §1. L’apport possible de la loi en faveur de la fonction de chef de file 490. Il nous semble que certaines évolutions en faveur du chef de file sont possibles de la seule audace du législateur. Il s’agit pour le Parlement de dépasser la frilosité à l’égard de cette fonction qui existe depuis la décision du Conseil constitutionnel de 2008 relative aux contrats de partenariats.1206 En effet, le législateur donne l’impression depuis cette décision de s’être complètement désintéressé de la fonction de chef de file. Il est nécessaire de multiplier les désignations de chefs de file pour inciter le Conseil constitutionnel à revenir sur sa propre jurisprudence et ainsi desserrer un peu l’étau de la jurisprudence constitutionnelle. Il s’agira alors d’étudier le fait que la fonction de chef de file pourrait se développer au travers de l’institution de guichets uniques (A). Les communes et les intercommunalités pourraient également bénéficier d’un rôle de chef de file (B). A. Le recours aux guichets uniques 491. Pour permettre un essor de la fonction, l’une des solutions serait de multiplier les systèmes de guichets uniques, sous la responsabilité de la collectivité chef de file, comme avec la MDPH en matière de handicap. Ce type d’institution, même si elle peut donner l’impression d’ajouter une nouvelle strate à la construction administrative, dispose d’au moins deux avantages non négligeables. D’une part, elle permet de s’assurer que l’ensemble des acteurs de l’action commune, y compris les partenaires privés, se mettent autour d’une même table pour décider de la conduite de la politique au niveau local. Ces institutions sont ainsi un 1206 CC, n°2008-567 DC du 24 juillet 2008 loi relative aux contrats de partenariats, précit. - 421 - lieu de discussion et de préparation des politiques communes. Dès lors, elles permettent d’assurer une plus grande cohérence de l’action locale. D’autre part, les guichets uniques permettent de faciliter l’accès à l’administration pour les citoyens. Ils facilitent considérablement leurs démarches. Ils permettent de réunir en un seul lieu l’ensemble des démarches qui auraient autrement dû avoir lieu auprès de chacune des collectivités parties à l’action commune. Nous considérons qu’il n’y a que des avantages à voir se multiplier ce type de structures, que ce soit sous la forme de GIP – même si le législateur semble vouloir réserver ce type de coopération à d’autres cas1207 – ou d’institutions sui generis, dont il serait nécessaire de définir la nature. 492. Il ne s’agit pas en effet de créer un nouvel établissement public local. La formule de l’établissement public nous semble trop rigide. Il est vrai qu’il s’agit là de la forme traditionnelle de gestion des services publics. Or lorsqu’un chef de file est désigné sur une compétence, la gestion du service public n’est pas classique, ne serait-ce que parce que le service public en question verra l’intervention de différents niveaux de collectivités, voire d’acteurs privés, dont il faudra coordonner les interventions. Dès lors, il nous semble nécessaire d’avoir recours à une forme d’organisme de coopération souple se rapprochant du groupement d’intérêt public. « Par sa souplesse d’utilisation, le groupement d’intérêt public constitue une réponse probablement plus adaptée que l’établissement public en matière de coopération entre collectivités territoriales, en ouvrant ainsi la possibilité d’une association fructueuse avec des partenaires privés ».1208 C’est à cette souplesse du GIP qu’il est nécessaire, nous semble-t-il, d’arriver. La structure de l’établissement public est trop rigide pour accueillir le guichet unique dans des conditions qui permettent au chef de file d’assurer la cohérence de l’action. Cette structure pourrait prendre le nom de groupement d’action commune. 493. La structure supportant ces guichets uniques doit être souple pour permettre la participation d’acteurs publics de nature différente, mais aussi privés le cas échéant. Pour pouvoir assurer la cohérence de l’action locale et la mise en œuvre de ses décisions, la structure doit tout de même disposer d’une certaine capacité juridique afin d’adopter des décisions opposables aux parties à l’action commune. La composition de cette institution doit également refléter le rôle du chef de file dans le cadre de la compétence qui est assurée. Ainsi, 1207 Nous l’avons évoqué précédemment. A la suite de la loi de simplification du droit de 2011, le législateur a écarté la MDPH des GIP de droit commun. Est-ce à dire que le guichet unique ne peut être soutenu par une structure de type groupement d’intérêt public ou est-ce limité au cas de la MDPH ? Il nous semble alors nécessaire de réfléchir à une solution alternative au GIP. 1208 GOHIN Olivier, Institutions administratives, Paris, LGDJ, 5 e ed., 2006, p.723. - 422 - il apparaît nécessaire que la collectivité chef de file dispose, au sein des instances décisionnelles de la structure, de la majorité des voix. Tel est le cas notamment dans les MDPH, où le conseil général dispose d’une majorité des voix au sein du conseil d’administration. Le groupement d’action commune doit également être pérenne, c'est-à-dire que comme un établissement public – contrairement à ce qu’il est possible de faire pour les GIP – il doit pouvoir être créé sans limitation de durée. Le groupement, qui serait constitué sous la forme d’une personne publique, serait soumis à un contrôle administratif et financier. Enfin s’agissant du personnel du groupement, nous considérons qu’il devrait pouvoir être composé d’agents de droit public, mais aussi de personnel relevant du droit privé lorsque nécessaire ou lorsque des partenaires privés sont membres du groupement. Il s’agit ainsi de promouvoir une forme de groupement qui permette une souplesse suffisante pour s’adapter à l’action commune. Cette structure doit être le support de cette action commune et ainsi permettre une lecture, une compréhension mais aussi un accès facilité de l’action administrative pour les usagers. 494. Le législateur pourrait très rapidement se saisir de cette nouvelle institution du groupement d’action commune. Il nous semble à ce titre qu’un domaine de l’action commune est particulièrement représentatif de la nécessité d’un guichet unique, il s’agit de l’action économique. En matière d’aides économiques aux entreprises, la mise en place d’un guichet unique serait assurément un avantage pour les acteurs économiques. En effet, comme nous l’avons déjà relevé précédemment, la recherche d’aides économiques par les entreprises peut parfois ressembler au parcours du combattant. Il s’agit le plus souvent pour elles de faire les mêmes demandes auprès de différentes collectivités territoriales, avec à chaque fois des dossiers à remplir avec plus ou moins les mêmes informations, et dans chaque collectivité un service qui instruit la demande avant qu’une décision soit prise. La mise en place d’un guichet unique en matière d’aides aux entreprises pourrait être un moyen de faciliter la vie des entreprises et d’éviter les saupoudrages d’aides économiques. Le groupement d’action commune nous paraît donc parfaitement adapté à cette situation. Il s’agirait, sous l’égide du chef de file, pour les collectivités parties à l’action commune de mettre en commun les fonds alloués aux aides aux entreprises. Le guichet unique serait placé sous la responsabilité de la collectivité chef de file, la région. Celle-ci adopterait un schéma régional de développement économique, après consultation des membres du groupement. Le schéma de développement économique serait dès lors opposable aux membres du groupement qui désireraient mettre en place un système d’aide alternatif. Il - 423 - est nécessaire d’accorder cette valeur prescriptive au SRDE. En effet, les collectivités parties à l’action commune ne pourraient mettre en place des aides qu’à titre de complément des aides régionales ou encore des aides prévues par le schéma de développement économique mais non mises en œuvre sur leur territoire, voire même des aides spécifiques mais qui auraient été autorisées par le chef de file dans le cadre du schéma de développement économique. Il serait nécessaire de supprimer la possibilité actuelle de contournement de la décision du chef de file par le conventionnement avec l’État. En effet, nous l’avons déjà évoqué cette possibilité annihile tout l’intérêt du recours au chef de file. Le groupement d’action commune en matière d’aides économiques aux entreprises serait alors la seule voie possible pour permettre aux collectivités territoriales d’accorder ces aides. Relevons de plus que la mise en place d’un tel guichet unique n’est pas un simple vœux pieux. En effet, la région Poitou-Charentes a déjà testé la mise en place d’un tel système. Dans le cadre de son SRDE, cette région avait institué un système d’accès aux aides régionales aux entreprises mutualisé avec les communes et les intercommunalités. Toutefois, le système a depuis été abandonné pour diverses raisons : manque de connaissances en matière économique sur le terrain de certaines communes, le retrait des départements de l’action économique dans cette région et le fait que pour les conseillers régionaux la véritable concurrence en ce domaine n’a pas lieu avec les collectivités territoriales mais avec l’État.1209 Cet exemple nous paraît toutefois pertinent. En effet, tous les départements n’ont pas abandonné leur volonté d’interventionisme économique, dès lors il peut être intéressant de les associer à l’action commune. De même, le manque de connaissances en matière économique des communes ou des intercommunalités dépend, selon nous, pour beaucoup de leur propre investissement dans ce domaine. Enfin, le rôle de chef de file pourrait intégrer également une part de formation des agents des autres collectivités territoriales qui vont intervenir dans le cadre de la politique commune. L’utilisation du guichet unique nous apparaît ainsi très intéressante pour permettre d’asseoir le rôle du chef de file. Cette évolution présente de plus l’avantage de pouvoir se faire sans aucune modification constitutionnelle. C’est au législateur de se saisir de cette opportunité. Le législateur pourrait également intervenir pour faire de la commune ou des 1209 Ces différents éléments ressortent d’un entretien que nous avons eu avec M Jean-François Macaire, conseiller régional de Poitou-Charentes, président de la commission Croissance verte et Mutation écologique, Sociale et solidaire de l’Economie. - 424 - groupements de communes de véritables chefs de file, ce qui n’est pas pleinement le cas aujourd’hui. B. La consécration d’un véritable rôle de chef de file pour les communes et les intercommunalités Une autre manière de développer encore plus le recours au chef de file, et qui se trouve à la portée du législateur, serait de développer cette fonction à l’égard des communes. En effet, nous avons relevé dans nos développements que les régions et les départements sont chefs de file dans certaines matières. Or qu’en est-il des communes ? Le législateur a déjà en réalité accordé le rôle de chef de file aux communes en matière de prévention de la délinquance, cependant cette expérience n’est pas concluante (1). D’autres domaines de compétences mériteraient de connaître un chef de file communal ou intercommunal, il s’agit notamment de la politique de la ville (2). 1. L’obscurité du rôle du maire en matière de prévention de la délinquance 495. Il existe bien une compétence dans laquelle le législateur a donné un rôle de chef de file aux communes, mais ce rôle n’est pas clair et surtout la confusion avec le rôle du département est grande. L’article L.2211-4 du CGCT dispose que « le maire anime, sur le territoire de la commune la politique de prévention de la délinquance et en coordonne la mise en œuvre ». On retrouve bien à travers les idées d’animation, de coordination, le rôle du chef de file. « Le maire ne peut ni ne doit agir seul. La politique de prévention de la délinquance se construit dans le cadre d’un mouvement fédérateur, d’un réseau de confiance constitué de l’ensemble des partenaires ».1210 Pour appuyer cette mission, il est mis en place dans les communes de plus de 10 000 habitant ou celles comportant une zone urbaine sensible un conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance. Ces conseils « présidés par le maire, constituent l’instance de concertation et de coordination de tous les acteurs concernés par la prévention de la délinquance et la lutte contre l’insécurité : élus, services de l’État, 1210 Secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance, Livret de prévention du Maire, 3e ed., 2011, p.10. Disponible sur : http://www.sgcipd.interieur.gouv.fr/ - 425 - représentants des professions et des associations concernées par la sécurité ».1211 Reste que le rôle du maire se trouve dans ce cas contesté par la fonction de chef de file du département en matière d’action sociale. En effet, la loi relative à la prévention de la délinquance de 20071212 lorsqu’elle a fait du maire le chef de file en la matière lui a également accordé des pouvoirs en matière d’action sociale. Or cela conduit à des confusions préjudiciables entre les rôles de chacun. Les pouvoirs du maire chef de file « vont nécessairement se heurter à ceux du chef de file de l’action sociale, le département ».1213 En effet, le département, chef de file de l’action sociale, est déjà amené à intervenir en faveur des publics en difficulté. La loi de 2007 consacre d’ailleurs l’un de ses chapitres à la prévention de la délinquance par l’action sociale. Ainsi, le maire doit être le chef de file du département sur une partie de la politique sociale – celle en faveur de la prévention de la délinquance – alors même que le département est désigné chef de file pour la politique sociale dans son ensemble. Il y a là selon nous un risque de parcellisation des politiques tout à fait regrettable. Cela implique donc des conventions de coordination entre chefs de file. « Est prévue une convention entre le département et la commune, autrement dit entre le chef de file de l’action sociale et celui de la prévention de la délinquance ».1214 Ce chevauchement des compétences est peut-être lié aux conditions qui ont conduit à l’adoption de la loi de 2007 sur la prévention de la délinquance. Dans les faits, c’est en partie pour des raisons d’opportunités que ces compétences ont été accordées aux maires. En effet, cette loi fait notamment suite aux troubles survenus dans les banlieues à l’automne 2005. Or la fonction des maires des communes de banlieues, où ont éclaté les émeutes, a été centrale. Les plus hautes autorités de l’époque l’ont d’ailleurs reconnu « les maires ont assumé toutes leurs responsabilités. [Leur] légitimité démocratique a permis le rétablissement du calme ».1215 Dès lors en leur accordant ce rôle de pivot dans la prévention de la délinquance, le législateur semble vouloir consacrer le rôle de premier plan qu’ont assumé les maires durant les émeutes. Or si du point de vue de l’action le rôle du maire est effectivement central, la place qui lui a été accordée par le législateur conduit à ce que son rôle se heurte à celui du département en matière d’action sociale, mais aussi à celui de la région en matière de formation professionnelle ou d’action économique. Or toutes ces politiques participent à la prévention de la délinquance. 1211 CHRESTIA Philippe, « Une réponse aux nouvelles formes de délinquance : la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance », JCP-A, 2007, n°25, p.32. 1212 Loi n°2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, précit. 1213 RIHAL Hervé, « L’appel au maire », RDSS, 2007, n°1, p.52. 1214 Ibid., p.53. 1215 VILLEPIN Dominique, Discours lors du 88e Congrès des maires, novembre 2005. http://www.amf.asso.fr/congres/archives.asp?DOC_N_ID=9709&RUBRIQUE=60. - 426 - De plus la lecture de l’article L.2211-4 du CGCT interroge quant à l’étendue de la compétence du maire. En effet, s’il est en charge des politiques de prévention de la délinquance sur le territoire de sa commune, c’est « sous réserve des pouvoirs de l’autorité judiciaire et dans le respect des compétences du représentant de l’État, des compétences d’action sociale confiées au département et des compétences des collectivités publiques, des établissements et des organismes intéressés ». La réserve d’action au pouvoir du maire semble si importante que finalement on peut s’interroger sur la consistance réelle de la compétence du maire. 2. La politique de la ville, un domaine d’action topique de l’enchevêtrement des compétences 496. Les communes ou les intercommunalités pourraient également être désignées comme chefs de file en matière de politique de la ville. Il est en effet indéniable que la politique de la ville est une action partagée. « Par son double caractère interministériel et contractuel, la politique de la ville met en jeu, autour de l’État des acteurs territoriaux, mais aussi nombre d’intervenants ou de partenaires plus périphériques ».1216 Il y a donc là un domaine où la fonction de chef de file pourrait trouver un terreau favorable pour se développer. Actuellement cette mission est parfois assurée par l’État, mais par défaut, faute d’un véritable animateur identifié en la matière. Or « cette politique ne peut être imaginée en dehors d’un cadre de décentralisation ».1217 Ainsi, il nous semble nécessaire au vu de l’importance des compétences décentralisées mises en œuvre dans le cadre des politiques de la ville que ce soit une collectivité territoriale, en l’occurrence les communes ou les intercommunalités, qui puisse organiser cette action commune. « Si en pratique les EPCI agissent parfois comme tel, il serait préférable que ce soit la loi qui procède à la désignation, en tant que chef de file, des communautés urbaines ou des communautés d’agglomération1218 ayant défini un intérêt communautaire dans une proportion à définir ».1219 Il y a ainsi selon nous une incertitude trop forte autour de la question du pilotage de la politique de la ville. Il y a ainsi une forme de « concurrence » néfaste qui peut s’instaurer entre l’État et les EPCI pour le contrôle de la coordination des politiques de la ville. La Cour de comptes relève d’ailleurs dans un rapport 1216 CHALINE Claude, Les politiques de la ville, Paris, PUF, coll. Que-sais je ?, 7e ed., 2011, p.49. CHABROL Raymond, « La politique de la ville : compétence propre ou agencement de compétences », RFAS, 2001, n°3, p.77. 1218 Il serait nécessaire, aujourd’hui, d’ajouter à cette énumération, les métropoles. 1219 CHAVRIER Géraldine, « Intercommunalité et politique de la ville : un cadre juridique à parfaire », AJDA, 2007, p.837. 1217 - 427 - de 2012 à propos de la politique de la ville que « cette action conjointe suppose un pilotage fort, aux niveaux politique, administratif et sur le terrain. Or celui-ci semble globalement insuffisant pour garantir la cohérence de l’effort engagé en faveur des quartiers ».1220 Cette inconstance risque de se concrétiser soit par des saupoudrages de crédits et une action moins efficace, soit par une recentralisation de la politique par les services de l’État. Cette alternative est dans les deux cas contraire à une décentralisation conduite de manière cohérente. Il est donc nécessaire, nous semble-t-il, de désigner un chef de file dans le cadre de la politique de la ville. « La garantie de cohérence globale du projet nécessite l’identification de pilotes locaux reconnus et légitimes ».1221 Reste ensuite à déterminer quel doit être le pilote des politiques de la ville. Pour nous, ce doit être l’intercommunalité. 497. La politique de la ville est une politique protéiforme. « Elle ne constitue pas une compétence mais un plan d’action mis en œuvre par la mobilisation d’une pluralité de compétences juridiques, c'est-à-dire d’attributions conférées à des autorités ».1222 En effet, il n’y a pas un code qui comporte un titre de compétence relatif à la politique de la ville. Il s’agit plutôt de dispositions disséminées dans différents recueils – code de l’urbanisme, code de la construction, code général des collectivités territoriales. Au fil du temps, il est apparu que les politiques de la ville ne pouvaient pas se limiter aux opérations d’urbanisme. Les politiques de la ville comportent nécessairement des interventions en matière sociale, culturelle, éducative ou encore économique. Ainsi « la politique de la ville est […] une tentative d’agencement de compétences sans autorité clairement définie pour répondre de cet objectif tout en s’en portant garant ».1223 La mise en œuvre des politiques de la ville implique donc une multiplicité d’acteurs, qu’il s’agisse des services de l’État, des différents niveaux de collectivités territoriales, mais aussi des acteurs privés qu’ils soient associatifs ou promoteurs immobiliers. « La politique de la ville, dans sa conception comme dans sa mise en œuvre, repose désormais sur l’implication de l’ensemble des ministères et services administratifs, de l’État et des collectivités territoriales ainsi que sur les agences ».1224 Les financements des actions menées dans le cadre des politiques de la ville sont également très variés puisque ce ne sont pas seulement l’État et les collectivités territoriales qui y participent directement, mais 1220 Cour des comptes, La politique de la ville, une décennie de réformes, Rapport public thématique, 2012, p.37. ANDRÉ Pierre, HAMEL Gérard, Une conception rénovée de la politique de la ville : d’une logique de zonage à une logique de contractualisation, Rapport fait à la demande de François Fillon, Premier ministre, Paris, La documentation française, 2009, p.32. 1222 CHAVRIER Géraldine, « Intercommunalité et politique de la ville : un cadre juridique à parfaire », art. cit., p.835. 1223 CHABROL Raymond, « La politique de la ville : compétence propre ou agencement de compétences », art. cit., p.76. 1224 Cour des comptes, La politique de la ville, une décennie de réformes, op. cit., p.37. 1221 - 428 - aussi nombre de leurs établissements publics. La politique de la ville est donc le théâtre d’une « fragmentation interinstitutionnelle […], dans la mesure où l’on observe une pluralité d’institutions s’inscrivant dans des traditions d’action différenciées, agissant en fonction de codes et de références spécifiques, porteuses d’intérêts divergents [et qui] sont amenées à se rencontrer ».1225 Il y a donc une compétence partagée qu’il semble nécessaire de coordonner. « L’implication de diverses institutions enrichit le contrat1226 et constitue une condition indispensable à l’émergence de synergies, puisque la tendance spontanée par ailleurs est plus à la juxtaposition des actions qu’à leur coordination, leur regroupement dans un cadre unique s’avère, selon les cas, difficile ou impossible à gérer ».1227 La désignation d’une collectivité chef de file, telle que la commune ou l’intercommunalité, pour les politiques de la ville permettrait d’assurer une plus grande adéquation des politiques aux besoins locaux, mais aussi d’assurer un suivi des effets des politiques de la ville au plus près de leur mise en œuvre. L’évaluation des résultats de l’action commune fait entièrement partie du rôle de la collectivité chef de file. Or les communes sont, selon nous, dans le cas présent les mieux à même d’assurer ces missions au plus près des citoyens concernés par les politiques de la ville. L’absence de mise en cohérence conduit actuellement à une « fragmentation territoriale […], dans la mesure où le territoire (en l’occurrence le quartier) ne constitue pas véritablement un espace de mise en commun, de redéfinition des identités et des pratiques. Les acteurs territorialisés sont porteurs d’une pluralité de projets financés par les institutions, sans qu’il y ait de véritable concertation ou de dynamique collective. Les quartiers sont marqués par une pluralité de dispositifs enchevêtrés et concurrents ».1228 C’est à cet état de fait qu’il s’agit de mettre fin en désignant les communes ou les intercommunalités comme chefs de file de la politique de la ville. Il s’agit de rendre visible, pour les citoyens et notamment ceux des quartiers qui bénéficient de ces politiques, le responsable de la mise en œuvre de cette action. Il s’agit aussi d’assurer la coordination des nombreuses actions entreprises dans le cadre de la politique de la ville par les différents partenaires publics ou privés. 498. Il est toutefois nécessaire de relever que cette vision ne semble pas partagée. Ainsi, dans leur rapport à François Fillon sur les contrats de mise en œuvre des politiques de la ville, les Parlementaires, Pierre André et Gérard Hamel, se sont prononcés en faveur d’un co1225 MAILLARD Jacques de, Réformer l’action publique. La politique de la ville et les banlieues, Paris, LGDJ, coll. Droit et Société, 2004, p.232. 1226 Il s’agit ici du contrat de ville. Remplacé depuis 2007 par le contrat urbain de cohésion sociale (CUCS). Il faut d’ailleurs remarquer que les politiques de la ville sont très friandes de ces sigles, qui n’améliorent certainement pas la compréhension de l’action locale par les administrés. 1227 SUEUR Jean-Pierre, Demain, la ville, Rapport présenté à Martine Aubry ministre de l’emploi et de la solidarité, Paris, La documentation française, 1998, p.92. 1228 MAILLARD Jacques de, Réformer l’action publique. La politique de la ville et les banlieues, op. cit., p.232. - 429 - pilotage par l’État et les communes. Dans leur rapport, ils soulèvent que l’État est le seul à même d’être le « garant de la neutralité, de la solidarité nationale et de la cohérence de l’intervention de chacun des acteurs ».1229 Cette analyse est dommageable selon nous car elle dénote une forme de méfiance à l’égard des collectivités territoriales. Cela donne l’impression que malgré la suppression de la tutelle de l’État en 1982, les collectivités territoriales sont toujours considérées comme des mineurs dont l’action devrait nécessairement être encadrée. Il y a alors un risque non négligeable de recentralisation de la politique. L’État n’est pas forcément à même de garantir cette neutralité. A ce titre, la circulaire sur les contrats urbains de cohésion sociale n’apporte pas un meilleur éclairage. En effet, elle précise que « la mise en œuvre du contrat s’effectuera sous la responsabilité conjointe du maire et/ou du président de l’EPCI concerné et du préfet, dans le cadre d’un système de pilotage stratégique, associant les divers partenaires et privilégiant le débat stratégique ».1230 La circulaire précise ensuite que l’équipe chargée du pilotage technique du projet est placée à l’échelle communale ou intercommunale. Cette équipe doit être « un relais auprès des habitants et des associations, une interface avec les autres professionnels des différentes institutions et un support technique à la préparation des décisions politiques ».1231 Or si l’instance de coordination technique est placée auprès du maire ou du président de l’EPCI, il semble normal que la coordination politique soit alors confiée à l’une de ces deux collectivités. Tel n’est pas le cas actuellement ce qui incline à penser à nouveau que l’État semble ne pas avoir confiance dans la capacité des collectivités territoriales. Celles-ci ne semblent capable que d’effectuer la mise en œuvre technique des décisions prises, l’État ne les autorisant pas, dans le cas présent, à avoir un rôle de coordonnateur, d’organisateur, de leader qu’elles seraient à même de remplir. 499. L’exemple de la région Pays de la Loire pourrait être favorable au pilotage des politiques de la ville par les intercommunalités. En effet, la région organise depuis plusieurs années une politique de contractualisation avec les collectivités infrarégionales afin de financer certaines de leurs réalisations. Entre 2004 et 2011, cette politique a pris le nom de Contrat territorial unique (CTU) désormais Nouveau contrat régional (NCR). Cette politique peut s’apparenter à une déclinaison au niveau infrarégional des CPER. Il est toutefois intéressant de soulever que cette politique de contractualisation cherche à construire une réponse qui soit la plus proche du terrain et des besoins de la population possible. A cet égard, 1229 ANDRÉ Pierre, HAMEL Gérard, Une conception rénovée de la politique de la ville : d’une logique de zonage à une logique de contractualisation, Rapport fait à la demande de François Fillon, Premier ministre, op. cit., p.32. 1230 Circulaire du 24 mai 2006 relative à l’élaboration des contrats urbains de cohésion sociale, p.7. Disponible sur le site de www.iville.gouv.fr, la base documentaire du secrétariat générale à la ville. 1231 Idem. - 430 - la plaquette de présentation du NCR1232 souligne que « les élus locaux, par leur engagement et leur connaissance des réalités locales, sont des acteurs essentiels pour appréhender la nouvelle demande sociale et construire les réponses à y apporter. L’objet de la nouvelle politique contractuelle est de donner aux contrats encore plus de force et de cohérence, au plus près des préoccupations et des besoins de chacun ». Il y a donc à cet égard clairement un affichage en faveur d’une application du principe de subsidiarité dans le mise en œuvre de cette politique contractuelle. Surtout, il faut relever que la région dans le cadre de cette contractualisation avec les collectivités infrarégionales exige la désignation d’un chef de file. Or celui-ci peut être selon les documents de la région une intercommunalité. Le rôle du chef de file dans ce cadre est de préparer sur chaque territoire une réflexion sur les différents projets qui pourraient être soutenus par la politique régionale. Les documents présentés par la région précisent même que le chef de file dans ce cadre « joue un rôle de fédérateur, de coordonnateur et de mise en cohérence des initiatives locales, mais également d’animation, de mise en réseau et de conseil ».1233 Le rôle de chef de file ainsi défini est, selon nous, beaucoup plus complet que celui adopté par le constituant en 2003. Dès lors, il nous semble possible de transposer cette implication des EPCI en matière de politique de la ville. D’ailleurs, il faut souligner que cette idée est également défendue par le Conseil de développement de la région d’Angers qui considère que les EPCI « devraient être les chefs de file dans les coopérations entre les communes puisque logiquement construites sur les bases d’une cohérence globale économique, géographique, sociale et culturelle ».1234 L’exemple des politiques contractuelles de ville est pertinent, selon nous, car il met en lumière le fait que les acteurs politiques locaux sont prêts à organiser une action commune. Or il est étrange que les parlementaires, qui sont pour certains les mêmes que les élus locaux, ne semblent pas favorables à la généralisation de ces bonnes pratiques de l’action commune. Il y a de ce point de vue clairement un problème de prise de conscience, de mentalité des élus nationaux. Il y a donc à la portée du Parlement un certain nombre d’évolutions législatives en faveur du chef de file qui nous paraissent assez simples à mettre en œuvre. Il n’est qu’à espérer que le législateur dépasse la crainte qu’il a manifesté à l’égard de la fonction depuis la décision du Conseil constitutionnel de 2008. 1232 Disponible sur : http://www.paysdelaloire.fr/politiques-regionales/territoires/. Document de présentation des nouveaux contrats régionaux, Pays de la Loire, p.8. Source : http://www.paysdelaloire.fr/politiques-regionales/territoires/. 1234 Conseil de développement de la région d’Angers, Pour une organisation des territoires du Pays Loire Angers au service des citoyens, Mars 2012, p20. Source : http://conseil-dev-loire.angers.fr/index.php?id=195. 1233 - 431 - Il est toutefois d’autres modifications en faveur de la fonction de chef de file qui pourraient permettre une évolution encore plus importante, mais qui nécessiteraient alors une modification constitutionnelle. §2. Les évolutions nécessitant une modification constitutionnelle Deux modifications constitutionnelles nous semblent urgentes pour favoriser la fonction de chef de file. Il s’agit, d’une part, de l’abandon de l’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre qui impliquera l’abandon du dogme égalitaire entre collectivités territoriales (A). D’autre part, les collectivités territoriales devraient pouvoir disposer d’un pouvoir normatif (B). A. La fiction sur l’égalité des collectivités territoriales, une apostasie nécessaire 500. Cette évolution suppose la suppression du premier membre de phrase de l’article 72, alinéa 5 de la Constitution qui avait été ajouté lors des débats parlementaires de la révision constitutionnelle de 2003. En effet, comme nous l’avons déjà indiqué, cette précision n’était pas prévue dans le projet de révision. Or nous l’avons démontré dans ces lignes son ajout a été néfaste. L’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre a empêché la collectivité chef de file de pouvoir réellement se révéler comme une fonction capable non seulement d’organiser, mais aussi de coordonner l’action commune entre différentes collectivités territoriales. Or si la tutelle est censée avoir disparue depuis 1982, dans les faits de nouvelles formes de tutelle existent. Cependant le juge avait analysé ces nouvelles formes de tutelle de façon réaliste. De plus, nous avons déjà analysé que le Conseil constitutionnel dans sa décision de 2008 a retenu une lecture très stricte de l’articulation entre l’interdiction de la tutelle et la fonction de chef de file. Cette lecture a conduit à pratiquement neutraliser la fonction de chef de file.1235 Dès lors, il est impossible pour une collectivité territoriale de pouvoir s’imposer comme le véritable animateur d’une compétence commune puisqu’elle ne peut rien imposer aux autres collectivités parties à l’action commune. Ainsi, le principe d’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre empêche le plein développement de la fonction de chef de file. « Pour positif qu’il soit, ce principe a pour conséquence négative 1235 MARCOU Gérard, « L’action commune des collectivités territoriales selon le Conseil constitutionnel : organiser n’est pas déterminer », in Terre du Droit. Mélanges en l’honneur de Yves Jégouzo, op. cit., p.227-240. - 432 - de limiter la capacité d’une collectivité pilote à influencer l’exercice d’une compétence partagée ».1236 La collectivité chef de file est finalement contrainte à un simple rôle de préparation de l’action commune. Elle n’a aucun pouvoir de direction. Une fois le processus décisionnel entamé l’interdiction de la tutelle n’autorise pas le chef de file à pouvoir pleinement coordonner l’action commune. La suppression de l’interdiction de la tutelle permettrait alors à la collectivité chef de file de pleinement réaliser sa mission et ainsi d’assurer une véritable cohérence de l’action locale. « La notion de chef de file, en facilitant les actions communes, rend compte d’une hiérarchie normative entre les collectivités territoriales. Elle donne, plus exactement, à la collectivité engagée dans l’opération, pour une ou plusieurs actions précises, des fonctions d’animation et de coordination. De fait, la collectivité chef de file est celle qui doit, en faisant autorité, discipliner les initiatives locales et, en les orientant, rendre effective l’action de l’ensemble des collectivités territoriales concernées par l’exercice d’une même compétence ».1237 Pourrait alors se mettre en place une forme de hiérarchisation des collectivités territoriales qui est jusqu’à maintenant impossible en raison de la survivance du mythe de l’égalité entre les collectivités territoriales. Cette évolution suppose également un changement de paradigme chez les citoyens. Cette transformation était déjà évoquée par Olivier Guichard dans les années 70. Il considérait en effet que « tant que l’on n’aura pas convaincu les français qu’on peut être égal tout en étant différent, les collectivités locales trouveront en face d’elles des hommes et des femmes qui s’estiment en droit d’en appeler à l’État pour être plus assurés de leur identité ».1238 Le constat est toujours partagé aujourd’hui puisque l’on constate toujours que l’attachement des français au principe d’égalité est « une passion anti-décentralisatrice ».1239 Il y a donc un travail d’accompagnement d’une telle réforme pour en expliquer les objectifs aux citoyens. Il ne faut pas en effet qu’une telle évolution aboutisse à une méfiance des citoyens vis-à-vis de la décentralisation. Ceux-ci sont encore très attachés au principe d’égalité. 501. Il ne s’agit donc pas d’imposer une hiérarchisation figée de la région sur le département, puis du département sur la commune. De plus, l’acceptation d’une forme de hiérarchisation entre collectivités territoriales nous paraît plus en adéquation avec la réalité que le mythe de l’égalité entre collectivités territoriales. La fonction de chef de file et une 1236 Institut de la Décentralisation, Contribution aux Etats généraux de la Démocratie territoriale, mars 2012, p.4. Disponible sur le site www.democratie-territoriale.fr 1237 GORGE Anne-Sophie, Le principe d’égalité entre collectivités territoriales, op. cit., p.474. 1238 GUICHARD Olivier (dir.), Vivre ensemble : rapport de la commission de développement des responsabilités locales, op. cit., p.22. 1239 FAURE Bertrand, « La glorieuse trentenaire. A propos du 30e anniversaire de la loi du 2 mars 1982 », art. cit., p.741. - 433 - véritable application de la notion de subsidiarité pourraient tout à fait permettre une hiérarchisation à géométrie variable en fonction de chaque compétence. Ainsi, en matière sociale le département pourrait avoir une autorité hiérarchique sur la région, tandis qu’en matière économique ce serait l’inverse. Il n’est donc pas question de mettre en place une hiérarchisation figée. Il n’est pas question d’instaurer une subordination d’un niveau de collectivité sur un autre. Il s’agit de permettre à une collectivité, désignée comme chef de file, de pouvoir exercer pleinement sa fonction. Il y a donc non pas une hiérarchie, mais simplement un pouvoir spécifique qui est accordé à la collectivité chef de file. Cela permettrait de préserver la spécificité de la décentralisation à la française, tout en assurant une plus grande cohérence des actions communes. Il s’agit de favoriser la discussion et la recherche de consensus autant que possible entre les collectivités territoriales, mais en même temps d’éviter tout risque de blocage. En autorisant une forme de hiérarchisation entre les collectivités territoriales, le chef de file pourrait non seulement exercer un rôle d’animateur, mais aussi de meneur dans la mise en œuvre des actions communes. Ainsi, en tant que véritable leader de l’action commune, la collectivité chef de file pourra dépasser le blocage induit par une collectivité pour permettre la réalisation des politiques locales. Selon nous cette évolution constitutionnelle pourrait accorder véritablement un nouveau souffle à la décentralisation. En effet, celle-ci ne peut plus se contenter aujourd’hui de se limiter à des lois de transferts de compétences ou à des lois créant de nouvelles institutions. Il faut réformer en profondeur le cadre des relations entre collectivités territoriales. L’organisation territoriale même de la France doit être aujourd’hui revue de manière importante et cela ne peut passer que par une révision constitutionnelle qui libérerait les collectivités territoriales du carcan dans lequel elles sont aujourd’hui enfermées. B. La clarification du pouvoir normatif des collectivités territoriales 502. Une seconde évolution constitutionnelle possible en faveur des collectivités territoriales serait de leur accorder un pouvoir normatif. Les collectivités territoriales ne bénéficient pas aujourd’hui de la possibilité d’adapter la réglementation, adoptée le plus souvent au niveau national, aux réalités de leur territoire. Ainsi, il nous semble nécessaire d’engager la France dans un approfondissement de la décentralisation et pourquoi pas dans une voie régionaliste. - 434 - Il y a deux éléments à cet égard. Tout d’abord la question du pouvoir réglementaire d’application des lois (1) et ensuite la question d’un pouvoir normatif autonome au profit des collectivités territoriales ou de certaines d’entre elles seulement (2). 1. La clarification du pouvoir réglementaire d’application des lois 503. L’article 72, alinéa 3 de la Constitution dispose que les collectivités territoriales bénéficient « d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences ». Cette évolution du texte constitutionnel a été apportée lors de la révision du 28 mars 2003. Reste cependant à s’interroger sur le sens et le contenu du pouvoir réglementaire ainsi accordé aux collectivités territoriales. La question qui se pose est de savoir si ce pouvoir réglementaire reconnu aux collectivités territoriales leur accorde un pouvoir réglementaire général en matière de mise en œuvre des lois. Cette évolution constitutionnelle serait-elle la consécration de la thèse de Bertrand Faure ? Selon cet auteur « les collectivités disposent d’une vocation naturelle à exercer le pouvoir réglementaire et les textes spéciaux, aussi nombreux soient-ils, ne représentent que des permissions sectorielles pour agir ».1240 504. La Constitution reconnaît au Premier ministre, à l’article 21, le pouvoir réglementaire de principe en matière d’application des lois. Il est alors nécessaire de s’interroger sur le risque de concurrence entre le pouvoir réglementaire du Premier ministre et celui des collectivités territoriales. En réalité cette concurrence n’existe pas réellement, ou en tout cas se résout, depuis longtemps dans la jurisprudence du Conseil d'État,1241 par une forme d’application du principe de subsidiarité. Ainsi, le législateur aurait la capacité de désigner alternativement, en fonction des cas, des missions visées, l’un ou l’autre des deux pouvoirs réglementaires. « L’intérêt en question, national ou local, le souci d’une meilleure administration et le choix d’une application concrète plus adaptée sont autant de raisons présidant au choix d’une mise en œuvre nationale ou locale ».1242 La question se pose toutefois de savoir si la subsidiarité s’applique ici de manière ascendante – lecture « classique » du principe de subsidiarité – ou si elle s’applique de manière descendante – lecture « française » du principe. Les deux visions semblent s’affronter. Ainsi pour le 1240 FAURE Bertrand, Le pouvoir réglementaire des collectivités locales, Paris, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit public, 1998, p.292. 1241 CE, 13 février 1985, Syndicat communautaire d’aménagement de l’agglomération nouvelle de CergyPontoise, Rec., p.37 ; MOREAU, AJDA, 1985, p.271. 1242 MAGNON Xavier, « Le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales. Nouveau bilan après la décision du Conseil constitutionnel du 17 janvier 2002 sur le Statut de la Corse », Revue de la recherche juridique. Droit prospectif, 2003, n°4, p.2763. - 435 - professeur Frier « le pouvoir réglementaire local ne saurait être concurrent de celui du Premier ministre, car il n’est pas de même nature. La capacité normative des collectivités locales reste donc, au regard de celle du Premier ministre, subsidiaire ».1243 L’auteur adopte ici clairement une lecture descendante du principe de subsidiarité, considérant que l’intervention de principe relève du Premier ministre, mais que celui-ci peut être écarté, dans certains cas, au profit de l’intervention des collectivités territoriales. Cette lecture s’accorde avec l’analyse française du principe de subsidiarité tel qu’il a été constitutionnalisé en 2003. Au contraire, pour le professeur Faure le principe de subsidiarité « consiste à placer les compétences au niveau où elles sont le mieux à même d’être exercées, le gouvernement n’ayant vocation à intervenir qu’à défaut d’une prise en charge correcte des missions ainsi confiées aux institutions secondaires »1244 parmi lesquelles les collectivités territoriales. Cette lecture s’inspire clairement d’une conception ascendante du principe de subsidiarité, le pouvoir réglementaire central n’intervenant que pour palier à l’impossibilité d’agir des pouvoirs locaux. Surtout cette lecture nous paraît plus en adéquation avec la poursuite de la décentralisation et la reconnaissance de la libre administration des collectivités territoriales. 505. La jurisprudence constitutionnelle1245 a toutefois limité les possibilités d’intervention des autorités réglementaires locales. Ainsi, celles-ci ne peuvent porter atteinte aux conditions essentielles d’exercice des libertés publiques qui conduirait alors à des applications variées sur le territoire. « L’autonomie normative locale est ainsi étroitement encadrée. Elle ne peut être conçue comme un pouvoir réglementaire reconnu abstraitement, mais dépend étroitement soit des conditions de l’habilitation législative, soit des circonstances locales, sous le contrôle du juge ».1246 Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs lui-même rappelé ce caractère encadré du pouvoir réglementaire local. Il a ainsi indiqué à propos de la loi relative à la Corse en 2002 que « le pouvoir réglementaire dont dispose une collectivité territoriale dans le respect des lois et des règlements ne peut s’exercer en dehors du cadre des compétences qui lui sont dévolues par la loi ; qu’elles n’ont ni pour objet ni pour effet de mettre en cause le pouvoir réglementaire d’exécution des lois que l’article 21 de la Constitution attribue au Premier ministre ».1247 Cette décision semble plutôt aller dans le sens 1243 FRIER Pierre-Laurent, « Le pouvoir réglementaire local : force de frappe ou puissance symbolique ? », AJDA, 2003, p.561. 1244 FAURE Bertrand, Le pouvoir réglementaire des collectivités locales, op. cit., p.154. 1245 CC, n°84-185 DC du 18 janvier 1985, Loi modifiant et complétant la loi n°83-663 du 22 juillet 1983 et portant dispositions diverses relatives aux rapports entre l’État et les collectivités territoriales, JORF, 20 janvier 1985, p.821, spec. cons. 18 ; HENRY-MEININGER, RFDA, 1985, p.597-603. 1246 MONTAIN-DOMENACH Jacqueline, BRÉMOND Christine, Droit des collectivités territoriales, Grenoble, PUG, 2007, 3e ed., p.110. 1247 CC, n°2001-454 DC du 17 janvier 2002 loi relative à la Corse, précit., spec. cons. 13. - 436 - d’une lecture descendante de la subsidiarité en matière d’intervention du pouvoir réglementaire des collectivités territoriales. Or on retrouve dans cette décision de façon sousjacente la rédaction qui sera adoptée en 2003 pour l’article 72, alinéa 3 de la Constitution. Il faudrait alors en conclure que la modification de cette disposition n’est que formelle ; ce que confirme Pierre-Laurent Frier considérant que l’évolution « a une portée juridique essentiellement symbolique et ne devrait avoir de ce point de vue que des effets marginaux ».1248 506. Dès lors se pose la question de savoir s’il est nécessaire d’aller encore plus loin en matière de pouvoir réglementaire de mise en œuvre de la loi des collectivités territoriales. Deux options se profilent et nécessitent toutes les deux une révision constitutionnelle. Il s’agirait, d’une part, dans la logique du principe de subsidiarité tel que proposé par Bertrand Faure d’accorder un pouvoir d’intervention de principe aux collectivités territoriales en matière de mise en œuvre des lois. Cette évolution impliquerait la modification de l’article 72 de la Constitution pour élargir le champ d’intervention du pouvoir réglementaire des collectivités territoriales et surtout la modification de l’article 21 pour limiter la capacité d’intervention du pouvoir réglementaire du Premier ministre. D’autre part, il serait également possible d’augmenter le pouvoir réglementaire local en lui permettant non seulement de mettre en œuvre les lois, mais aussi d’adapter leur exécution aux circonstances locales. Il s’agirait dans les faits d’étendre la possibilité ouverte aux départements et régions d’outre-mer d’adapter les lois et règlements aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités. Cette possibilité est prévue à l’article 73 de la Constitution. Sans qu’une modification constitutionnelle n’ait été nécessaire, le législateur a également étendu ce pouvoir à la collectivité territoriale de Corse sous certaines conditions.1249 Toutefois, il nous semble que l’élargissement de cette possibilité à l’ensemble des collectivités territoriales nécessiterait une modification de l’article 72 de la Constitution qui autoriserait les collectivités territoriales à adopter des règlements d’application des lois qui puissent adapter les règles aux spécificités de chaque territoire. Bertrand Faure avait envisagé cette hypothèse dans sa thèse et s’y était opposé considérant que « cela reviendrait à traiter deux situations juridiques distinctes de manière identique, à constater une usurpation de qualité de la part des collectivités métropolitaines ».1250 Il faut remarquer en plus que les collectivités territoriales disposent aujourd’hui d’une certaine façon de la possibilité d’adapter les règles 1248 FRIER Pierre-Laurent, « Le pouvoir réglementaire local : force de frappe ou puissance symbolique ? », art. cit., p.563. 1249 Art. L.4422-16 II du CGCT. 1250 FAURE Bertrand, Le pouvoir réglementaire des collectivités locales, op. cit., p.144. - 437 - nationales aux spécificités locales au travers du droit à l’expérimentation normative prévu à l’article 72, alinéa 4 de la Constitution. 507. La première solution consistant en une pleine application du principe de subsidiarité et visant à donner une capacité d’intervention de droit commun en matière réglementaire aux collectivités territoriales nous semble en l’état actuel de la jurisprudence la plus simple à réaliser et peut-être la plus facile à accepter par l’ensemble des acteurs. Même si cette évolution constitutionnelle ne produit pas de changement fondamental dans l’organisation actuelle, il ne faut pas oublier qu’en la matière la Constitution bénéficie d’une force symbolique qu’il ne faut pas négliger. Il nous semble pour autant que la seconde option analysée n’en est finalement qu’une forme de prolongement. La distinction entre les deux possibilités n’est pas aussi importante qu’il y paraît. En effet, dès lors que les collectivités territoriales sont à même d’adopter les règles de mise en œuvre des législations, celles-ci vont nécessairement varier en fonction de chaque territoire. Reste ensuite à déterminer dans quelle mesure cette variété de réglementations est acceptable. Soit cette variété est limitée par des textes de lois très précis, mais alors le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales n’est plus une réalité, soit la variété de réglementation est largement acceptée et cela conduit à un système proche de celui ouvert aux collectivités situées outre-mer. C’est donc la marge de manœuvre que le texte constitutionnel accorderait aux collectivités territoriales en matière de pouvoir réglementaire d’application des lois qu’il est nécessaire de préciser. L’objectif d’une telle révision constitutionnelle serait alors de préciser, à l’article 72, alinéa 3, mais aussi à l’article 21 de notre loi fondamentale que les textes législatifs relatifs aux collectivités territoriales sont en principe mis en œuvre par des actes réglementaires adoptés par les collectivités territoriales concernées. La question du pouvoir réglementaire des collectivités territoriales ne nécessite donc pas de bouleversement fondamental des dispositions constitutionnelles actuelles. D’ailleurs, le professeur Marcou remarque qu’ « il est étonnant que le législateur, composé essentiellement d’élus locaux, ne fasse pas plus souvent usage de cette possibilité. Ceux qui réclament au niveau local de plus larges pouvoirs normatifs renoncent à se les attribuer lorsqu’il votent la loi ».1251 En la matière, c’est donc plus un éclaircissement des rôles de chacune des autorités qui est nécessaire. Il serait toutefois envisageable d’aller encore plus loin en la matière, mais une révision constitutionnelle de plus grande ampleur serait alors nécessaire. 1251 MARCOU Gérard, « Les trente ans de la région : et demain ? », art. cit., p.750. - 438 - 2. La consécration d’un pouvoir normatif autonome : une évolution de la forme de l’État 508. La question que nous entendons poser ici est celle de la consécration d’un véritable pouvoir normatif ab initio au profit des collectivités territoriales. Cette proposition comporte un certain nombre d’interrogations. Ainsi toutes les collectivités doivent-elles bénéficier de ce pouvoir ? Dans quelles conditions un tel pouvoir peut-il s’exercer ? Quels pourraient être les effets d’une telle évolution sur la décentralisation à la française ? Quelle serait la nature – réglementaire ou législative – de ce pouvoir ? 509. La première question est certainement la plus aisée à résoudre. En effet, il nous semble que toutes les collectivités territoriales ne devraient pas pouvoir bénéficier d’un pouvoir normatif autonome. Il apparaît que seul un niveau de collectivité devrait pouvoir en être titulaire, plus précisément la région. Une telle évolution nécessiterait alors obligatoirement une modification constitutionnelle. En effet, « on ne saurait totalement exclure que la Constitution de 1958 puisse tolérer que des autorités non étatiques soient titulaires d’un pouvoir normatif initial. Toutefois, l’interprétation que le Conseil constitutionnel fait du texte de la Vème République – à travers les notions de souveraineté et d’indivisibilité de la République – conduit à écarter cette hypothèse, et à affirmer que la Constitution confère à l’État le monopole du pouvoir normatif initial ».1252 Pour accorder un pouvoir normatif autonome aux régions, il serait donc nécessaire de réviser la Constitution. Une telle évolution impliquerait dès lors une évolution de notre forme même d’État. Il nous semble qu’accorder un pouvoir normatif autonome à une catégorie de collectivités territoriales inscrirait définitivement la France dans une démarche régionaliste. 510. Quelles seraient alors les dispositions constitutionnelles nécessitant une modification ? La question se pose pour l’article 1er de la Constitution qui consacre l’indivisibilité de la République. Cette référence à l’indivisibilité fait-elle obstacle à l’approfondissement de la décentralisation vers une forme de régionalisme ? L’exemple italien que nous avons déjà évoqué précédemment semble indiquer que les deux notions peuvent cohabiter dans une même Constitution et dans une même disposition.1253 Dès lors, l’article 1er ne nécessiterait pas forcément de modification. D’un point de vue symbolique cela faciliterait très certainement l’acceptation d’une telle évolution qui ne donnerait pas ainsi l’impression de toucher aux 1252 JOYAU Marc, De l’autonomie des collectivités territoriales françaises. Essais sur la liberté du pouvoir normatif local, Paris, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit public, 1998, p.116. 1253 Art. 5 de la Constitution italienne. - 439 - fondements mêmes de notre organisation étatique. « De cette manière, si la régionalisation consacre le rôle politique de la région (et en cela se distingue de la décentralisation), elle reste une organisation des pouvoirs qui se combine avec le caractère unitaire de l’État ».1254 Le titre XII de la Constitution, quant à lui, devrait être profondément revu, afin notamment de passer outre la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui refuse de reconnaître tout pouvoir normatif autonome aux collectivités territoriales. La régionalisation de la France nécessiterait de créer une certaine hiérarchie entre les collectivités territoriales. Ceci impliquerait la suppression de la première phrase de l’article 72, alinéa 5 qui interdit la tutelle d’une collectivité sur une autre. Cette évolution impliquerait également une évolution de l’article 34 de la Constitution. En effet, celui-ci dispose notamment que la loi fixe les règles concernant « la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources ». Or accorder un pouvoir normatif initial à la collectivité régionale nécessiterait de fixer la répartition des matières d’intervention entre la région et l’État. Cette liste de domaines d’action normative, car il ne pourrait en être autrement, ne pourrait être laissé au législateur. Il nous semble que cette liste doit au minimum relever de la loi organique, voire de la Constitution elle-même comme dans les « Etats composés »1255, tels que l’Italie ou l’Espagne. On peut ainsi aisément imaginer, comme dans la Constitution italienne, une liste de matières pour lesquelles la compétence normative première appartiendrait à la région. 511. Il serait nécessaire de consacrer pleinement le pouvoir normatif de la région au niveau constitutionnel. C’est à ce niveau qu’il faudrait déterminer la nature du pouvoir normatif : estce un pouvoir réglementaire ou législatif ; ainsi que l’étendue de ce pouvoir, en prévoyant le cas échéant une énumération des matières réservées à la compétence de la région. S’agissant de la nature du pouvoir normatif de la région deux solutions sont envisageables. Soit sur le modèle de l’État régional, il faut considérer que la région disposerait d’un véritable pouvoir législatif. Cela pose toutefois la question du contrôle de ce pouvoir législatif et donc de l’accès des collectivités territoriales au juge constitutionnel. Soit sur le modèle de la Nouvelle-Calédonie, les normes adoptées par les régions demeureraient des actes administratifs bien qu’intervenant dans des domaines qui pourraient relever du législateur. Dès lors le contrôle de ces actes relèverait du juge administratif. Cette seconde solution a le mérite d’emprunter une technique déjà connue des acteurs politiques et du juge administratif. « Disons-le tout net, le cadre unitaire de la République n’est pas un obstacle à une inflexion 1254 MERLAND Guillaume, « Quelles réformes constitutionnelles une « régionalisation » de la France impliquet-elle ? », art. cit., p.144. 1255 MARCOU Gérard, « Les réformes des collectivités territoriales en Europe : problématiques communes et idiosyncrasies », RFAP, 2012, n°141, p.185. - 440 - régionale de la décentralisation. Mieux, la République a su inventer des outils juridiques et institutionnels qui ouvrent le champ des possibles ».1256 Il y aurait alors lieu selon nous de réutiliser les outils institués dans la Constitution à l’égard de l’outre-mer ou du moins de s’en inspirer pour consacrer un pouvoir normatif à l’égard de certaines collectivités territoriales. Il s’agit également de s’interroger sur la répartition des compétences. Il nous semble à cet égard que le modèle de la législation concurrente serait le plus pertinent. Ce système permettrait d’assurer une forme souple de transition en faveur du pouvoir normatif local. En effet, il permet d’accorder un pouvoir normatif à la région tout en assurant tout de même une certaine forme de mise en cohérence ou tout du moins une forme d’assurance que certains principes fondamentaux seront sauvegardés. Ainsi dans le cadre de la législation concurrente, sur les matières déterminées pour ce mode d’action, le législateur adopte seulement les grandes orientations, les principes fondamentaux relatifs à la matière, le reste relevant de la compétence du « législateur secondaire », de la région dans notre proposition. Le pouvoir réglementaire national ne pourrait pas intervenir dans ces domaines de législation concurrente. Cette proposition nous semble rejoindre le point de vue exprimé par l’ARF. Pour l’association, « décentraliser, c’est régionaliser la France, c’est reconnaître la Région comme une collectivité intermédiaire, au statut particulier, ayant une vocation stratégique partagée avec l’État, sur le terrain. L’enjeu est celui de la mise en cohérence des politiques publiques à l’échelle locale, de la conduite de stratégies territoriales de long terme, de l’animation démocratique locale. La notion d’autorité organisatrice régionale, avec pouvoir réglementaire délégué, pourrait être consacrée par la loi ».1257 512. Enfin, il est nécessaire de repréciser qu’une telle évolution constitutionnelle n’est pas insurmontable du point de vue juridique. Elle suppose par contre une évolution dans la mentalité. En effet, le choix d’une révision constitutionnelle qui produirait une forme de hiérarchisation entre collectivités territoriales relève d’un choix politique sur la forme même de l’État. Ainsi, « une révision de la Constitution serait nécessaire, mais encore plus un changement d’état d’esprit de nos ministres comme de nos administrations centrales, qui mesurent de manière quelque peu aberrante leur pouvoir d’influence et d’efficacité de leur action à la longueur des textes qu’ils proposent au législateur ».1258 1256 PASQUIER Romain, « Une régionalisation de la décentralisation est-elle plausible ? », art. cit., p.123. ARF, Les Régions au cœur du nouvel acte de la décentralisation, op. cit., p.4. 1258 ZELLER Adrien (✝), STUSSI Pierre, « La France enfin forte de ses régions », Pouvoirs locaux, 2012, n°92, p.50. Cet article est réalisé à partir d’extraits, toujours d’actualité, d’un ouvrage que les deux auteurs avaient réalisés sous le même titre en 2002. 1257 - 441 - Conclusion Chapitre 2 513. L’arrivée d’un nouveau président de la République et d’une nouvelle majorité présidentielle laisse augurer de nouvelles perspectives pour la décentralisation. Dans la foulée des Etats généraux de la démocratie territoriale organisés par le Sénat, la nouvelle majorité au pouvoir a annoncé qu’une nouvelle étape de la décentralisation serait franchie. Cependant à l’aube de cette nouvelle réforme, il nous semble nécessaire d’émettre quelques vœux et de faire quelques remarques. Tout d’abord, il est à espérer qu’une nouvelle étape de la décentralisation ne cache pas, comme trop souvent depuis trente ans, un simple transfert de charges de l’État vers les collectivités territoriales. Il faut espérer que cette nouvelle étape de la décentralisation soit au contraire l’occasion pour le législateur de donner les moyens juridiques aux collectivités territoriales d’organiser leurs compétences de manière la plus harmonieuse possible. Il est nécessaire de noter également que la nouvelle majorité présidentielle n’est pas suffisante pour permettre une évolution de la Constitution. Parmi les solutions que nous avons préconisées, la suppression de l’interdiction de la tutelle ou encore l’affirmation d’un véritable pouvoir réglementaire au profit des collectivités territoriales ne semblent pas pouvoir être réalisées au cours de la présente législature. En effet, toute modification de la Constitution entraînerait soit l’organisation d’un référendum, soit la convocation du Congrès. S’agissant de la première solution, il n’est pas certain qu’un référendum sur un objet aussi technique, aussi précis passionne les citoyens. Quant à la seconde solution, la majorité obtenue par le parti socialiste et ses alliés, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, ne lui permet pas d’atteindre la majorité des trois cinquièmes nécessaire au Congrès. En effet, avec 279 députés socialistes à l’Assemblée nationale et 129 sénateurs socialistes plus les écologistes et les groupes de la gauche démocrate et républicaine et des radicaux, la majorité de gauche ne compte que 505 parlementaires sur les 925 du Congrès. Dès lors, ce chiffre ne permet pas d’atteindre le seuil des 555 voix nécessaires pour atteindre la majorité des trois cinquièmes. Une évolution profonde du droit des collectivités territoriales nécessitant une évolution de la Constitution ne semble pas possible pour le moment. C’est donc au législateur de faire évoluer la décentralisation. - 442 - Conclusion Titre 2 514. La décentralisation est faite d’un perpétuel mouvement de balancier. Ce mouvement est alimenté par deux forces contradictoires, d’une part, une réelle volonté de décentraliser et d’autonomiser les collectivités territoriales et, d’autre part, une volonté centralisatrice qui reste attachée à une forme d’État jacobin. « Drôle de guerre où l’administration d’État vient toujours replacer ses objectifs, ses méthodes et ses contrôles avec l’impossibilité de sortir du fatigant et monotone balencement entre la toute puissance administrative des ministères et celle politique des élus locaux. L’administration d’État continue de remplir toute la sphère de l’action publique qu’il ne peut se résoudre à laisser vivre ».1259 A n’en pas douter, la loi de réforme des collectivités territoriales de 2010 relève de la force centralisatrice. La construction de cette loi, les nouveautés qu’elle introduit ne sont définitivement pas favorables à la décentralisation. Il n’y a aucune clarification de l’action locale. La compréhension de l’organisation locale est même compliquée pour le citoyen. Dès lors qu’une réforme des collectivités territoriales ne poursuit pas ces objectifs de simplification, de clarification, il est nécessaire d’en déduire qu’elle joue en faveur d’une recentralisation. Plus l’accès aux politiques locales est obscur pour le citoyen, plus la tentation est grande pour celui-ci de se retourner vers l’État pour exiger de sa part ce qui devrait normalement relever du niveau local. En autorisant cette forme insidieuse de recentralisation, le législateur met à mal la notion même de décentralisation et il porte atteinte au principe constitutionnel de subsidiarité. Dès lors, il nous paraît urgent qu’intervienne une nouvelle étape de la décentralisation. Il est temps d’adopter un Acte III de la décentralisation qui soit réellement favorable aux collectivités territoriales. Le mouvement de balancier doit repartir de la tendance recentralisatrice vers une véritable liberté des collectivités territoriales. Cette nouvelle étape doit en outre, pour réussir, appliquer dans sa construction même le principe de subsidiarité, à savoir qu’elle ne doit pas imposer par la seule volonté du législateur les évolutions. A cet égard nous ne pouvons que saluer l’initiative des Etats généraux de la démocratie territoriale organisés par le Sénat. Cette large consultation de l’ensemble des acteurs de la 1259 FAURE Bertrand, « La glorieuse trentenaire. A propos du 30e anniversaire de la loi du 2 mars 1982 », art. cit., p.740. - 443 - décentralisation est l’occasion pour le législateur de connaître leurs doléances. Celui-ci devra ensuite se saisir de ces propositions pour aboutir à une loi qui favorise réellement la décentralisation. - 444 - Conclusion Seconde Partie 515. Les mises en œuvre législatives de la fonction de collectivité chef de file sont donc assez rares. Leur analyse peut conduire l’observateur à la déception. En dehors de la partie législative de l’Acte II de la décentralisation, la collectivité chef de file semble avoir été oubliée par les parlementaires. Toutefois, il apparaît aussi des points positifs dans le bilan de ces mises en œuvre législatives. Malgré le nombre important de textes portant sur les compétences des collectivités territoriales depuis 2004, le département, pour l’action sociale, et la région, pour le développement économique et la formation professionnelle, n’ont pas été remis en cause en tant que chefs de file. Ces collectivités sont considérées dans ces domaines d’action comme des partenaires incontournables pour l’ensemble des acteurs publics comme privés. Avec des degrés de réussite plus ou moins divers, les départements et les régions sont devenus dans leurs domaines respectifs les moteurs d’une discussion, de la recherche d’un consensus pour assurer une action commune. Le bilan mitigé ne doit pas non plus occulter une réalité, celle de l’enchevêtrement des compétences. La répartition des compétences par blocs parfaitement hermétiques est impossible. L’action locale est nécessairement une action partagée. La mise en œuvre des compétences des collectivités territoriales les oblige à coopérer entre elles. Dès lors, la fonction de collectivité chef de file pourrait se révéler être un outil important. La mise en cohérence des actions partagées, la mise en place d’une véritable action commune sont à n’en pas douter les véritables défis qui se posent au législateur en matière de décentralisation. La fonction de collectivité chef de file, jusqu’alors un peu oubliée, pourrait alors devenir un outil essentiel à disposition des parlementaires. - 445 - - 446 - Conclusion générale 516. Au terme de cette étude nous avons acquis une certitude, celle que l’enchevêtrement des compétences des collectivités territoriales est l’un des problèmes majeur auquel sont confrontées les collectivités territoriales. Pourtant les outils de rationalisation de l’action commune sont à la disposition du législateur. Certes ces techniques mériteraient d’être clarifiées, précisées, mais l’enchevêtrement des compétences n’est pas un horizon indépassable. L’action commune entre collectivités territoriales doit pouvoir permettre d’assurer la réalisation des politiques publiques malgré l’enchevêtrement des compétences. Toutes les réalisations des collectivités territoriales nécessitent le concours de plusieurs d’entre elles. Il s’agit donc de permettre aux collectivités porteuses de projets, aux collectivités en charge d’une politique de pouvoir coordonner l’action de l’ensemble de leurs partenaires. Les outils de l’action commune sont là pour permettre de rationaliser cette action. Il nous apparaît donc nécessaire et urgent de permettre à ces outils de se développer, en particulier à la fonction de chef de file. Or il nous semble que les méthodes de l’action commune ne sont pas au cœur des préoccupations. Le législateur semble réticent à un véritable débat de fond sur l’exercice des compétences locales. D’ailleurs la loi de réforme des collectivités territoriales de 2010 a préféré une improbable suppression de la clause générale de compétence des départements et des régions plutôt qu’un travail sûrement plus long et plus difficile de réflexion sur la réalité de la répartition des compétences entre collectivités territoriales. Le droit de la décentralisation semble être accaparé le plus souvent par des questions institutionnelles. Or les solutions de ces problématiques institutionnelles ne font bien souvent qu’ajouter de la complexité, sans pour autant s’attacher à apporter une réponse à la question des relations entre collectivités territoriales. Trois questions sont ainsi récurrentes du débat sur la décentralisation : l’éparpillement communal, la suppression d’un niveau de collectivité intermédiaire et la taille inadaptée des régions. Or dans les faits, ces trois problématiques ont des incidences sur les compétences des collectivités territoriales. Il nous semble donc que c’est en apportant une réponse plus fondamentale au problème des relations entre collectivités territoriales que les solutions idoines seront trouvées. - 447 - 517. L’éparpillement communal français a été beaucoup critiqué.1260 Avec plus de 36 000 communes la France a, il est vrai, un nombre très important de communes comparé à ses voisins européens.1261 Cependant, plus que cet éparpillement, ce qui nous semble critiquable, c’est l’égalité juridique qui existe entre un petit village de quelques âmes et les grands centres urbains très peuplés. L’égalité entre collectivités territoriales, qui entraîne l’exercice des mêmes compétences par des communes de taille, de population et de richesse différentes, est une fiction néfaste. Il apparaît donc nécessaire de permettre aux communes d’agir en commun afin d’assurer une offre de services publics suffisante pour les citoyens. A cet égard, la volonté de la loi du 16 décembre 2010 de couvrir l’ensemble du territoire national par des EPCI est un objectif pertinent. En effet, l’article 35 de la loi, intègre un nouvel article L.5210-1-1 au CGCT disposant que « dans chaque département, il est établi, au vu d’une évaluation de la cohérence des périmètres et de l’exercice des compétences des groupements existants, un schéma départemental de coopération intercommunale prévoyant une couverture intégrale du territoire1262 par des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre et la suppression des enclaves et discontinuités territoriales ». Cette proposition nous semble intéressante dans la mesure où elle permet de rationaliser l’organisation territoriale par l’intermédiaire d’EPCI à fiscalité propre qui disposent aujourd’hui de nombreux transferts de compétences de la part de leurs communes membres, sans toucher à l’existence juridique des communes. En effet, la commune, noyau de la société, semble être trop importante aux yeux des citoyens pour procéder à la suppression de certaines d’entre elles. La commune est la plus ancienne de nos collectivités territoriales et il y a un véritable attachement des citoyens à l’existence des communes.1263 La loi elle-même a rapellé le rôle central du bloc communal et le lien qui l’unit aux citoyens. Ainsi, la loi libertés et responsabilités locales dispose, en son article 145, que « les communes constituent le premier niveau d’administration publique et le premier échelon de proximité. Les communes et leurs groupements ont vocation à assurer, à 1260 V. par ex. ATTALI Jacques (dir), Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française, Paris, La Documentation française, 2008, p.196 ; Comité pour la réforme des collectivités locales, Il est temps de décider, op. cit., p.40. 1261 « Avec 36 683 communes, la France représente 40% du total des communes de l’Union européenne des 27 » Source : http://www.dgcl.interieur.gouv.fr/sections/les_collectivites_te/administration_des_c/territoires/fusion__ _defusion/sections/les_collectivites_te/administration_des_c/territoires/fusion___defusion. 1262 C’est nous qui soulignons 1263 Un sondage a montré que s’il fallait supprimer un échelon de collectivités territoriales et que le choix était laissé aux citoyens, seuls 8% d’entre eux supprimeraient la commune, alors que le département ou la région serait supprimé par plus de 20% des sondés. Sondage TMO-Région pour l’AFCAP. Source : http://www.affairespubliques.com/debats/colloque_07042010.php. - 448 - égalité de droits avec la région et le département, les responsabilités qui sont exercées localement ». La suppression forcée de certaines communes n’est pas une solutions adéquate, elle n’a d’ailleurs jamais fonctionné.1264 Dès lors, l’adhésion obligatoire à un EPCI avec transfert à cette structure d’un nombre important de compétences est une manière pertinente d’assurer l’exercice des compétences locales en mutualisant les moyens. Il s’agirait ainsi de transformer, à terme, certains EPCI en lieu de plein exercice de l’ensemble des compétences des communes membres. Ces dernières pourraient toutefois conserver une existence, au moins symbolique pour leurs habitants.1265 L’élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires1266 est à cet égard un élément positif de cette évolution puisqu’il permet d’accorder une véritable légitimité aux élus siégeant dans les EPCI et donc par là même à leurs décisions. Le niveau intercommunal nous apparaît de toute manière comme le niveau idoine, notamment en milieu rural, pour permettre de conserver une offre de politiques publiques satisfaisantes. Le phénomène de coopération intercommunale, qu’il s’agisse des communautés de communes, des communautés d’agglomérations, des communautés urbaines et désormais des métropoles est particulièrement pertinent en matière d’action commune. La coopération intercommunale est un terrain d’apprentissage de la coopération, de la mutualisation : de l’action commune. La mutualisation des moyens par les communes les plus petites au sein d’EPCI est le moyen de créer une action commune économique, efficace et efficiente. La logique managériale ne doit pas cependant être le seul objectif. Cette mutualisation doit surtout permettre d’assurer l’accès à l’ensemble des citoyens à tous les services publics. 518. La deuxième question régulièrement débattue est la suppression du département. Le rapport Attali pour la relance de la croissance était d’ailleurs favorable à une telle option. Il considérait en effet que les réformes proposées permettraient « de constater à dix ans l’inutilité du département, afin de clarifier les compétences et réduire les coûts de l’administration territoriale ».1267 Qu’il nous soit permis ici deux remarques sur cette proposition. Nous voudrions tout d’abord souligner la violence du vocabulaire choisi. Parler de l’inutilité du département nous semble très dur du point de vue symbolique. Ensuite, 1264 V. not. loi n°71-588 du 16 juillet 1971 sur les fusions et regroupements de communes – dite Loi Marcellin, JORF, 18 juillet 1971, p.7091. 1265 Le Comité Balladur avait d’ailleurs une proposition en ce sens en ce qui concernait les communes membres des futures métropoles. Il proposait de leur accorder la qualité de « « villes », personnes morales de droit public ». Comité pour la réforme des collectivités locales, Il est temps de décider, op. cit., p.123. 1266 Art. L.5211-6 du CGCT. 1267 ATTALI Jacques (dir)., Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française, op. cit., p.197, décision 260. - 449 - analyser une telle réforme uniquement selon une conception économique nous semble être une erreur. La réforme des institutions publiques ne peut se mener avec pour seul horizon un objectif managérial de type économique. « On ne peut certes être hostile a priori à l’amélioration de l’efficacité, à obtenir de meilleurs résultats à moyens constants. Mais les caractéristiques que l’action prend dans la pratique engendrent une série de problèmes. Le risque encouru est d’abandonner toute référence autre que rhétorique, à l’intérêt général, au bien commun et à des objectifs fondamentaux de justice sociale ».1268 Toute réforme implique des coûts sociétaux, tant pour les agents publics que pour les citoyens-usagers. Or trop souvent ceux-ci semblent être oubliés. La suppression pure et simple d’un niveau de collectivité territoriale nécessiterait, de plus, de modifier l’article 72, alinéa 1er de la Constitution. Le rapport Balladur ne proposait pas la suppression du département mais simplement un rapprochement avec la région. Le législateur, à travers la loi du 16 décembre 2010, a repris cette idée en instaurant le partage d’un seul élu par la collectivité régionale et la collectivité départementale. Cette réforme a échoué. D’une part, le mode d’élection retenu pour les conseillers territoriaux favorise en réalité leur implantation départementale plus que régionale. D’autre part, les conseillers territoriaux semblent voués à ne jamais voir le jour.1269 La suppression pure et simple du département ne nous semble pas de toute façon une solution opportune, si ce n’est pour faire quelques économies sur les indemnités des élus. Le département joue un rôle essentiel et reconnu en terme de proximité. Il est un niveau de collectivité essentiel en matière d’aide sociale. La solution ne passe pas ainsi par la suppression de tel ou tel niveau de collectivité territoriale mais plutôt par la création de synergies entre les collectivités territoriales. Il est nécessaire cependant de trouver les bons niveaux de collectivités territoriales à faire coopérer. A cet égard, le législateur a commis une erreur dans la loi du 16 décembre 2010. En effet, les couples que ce texte institue, régiondépartement et intercommunalité-commune, ne sont pas probants. Rien ne semble justifier ces rapprochements. Il nous semblerait beaucoup plus opportun de constituer un couple régionintercommunalité et un couple département-commune. Le premier serait ainsi en charge de la programmation, de la construction d’un projet de territoire ; le second s’occuperait quant à lui des politiques de proximité et de solidarité. Le premier couple aurait ainsi pour mission de planifier l’aménagement du territoire et s’assurer de son développement cohérent. Le second couple devrait quant à lui s’assurer que l’ensemble de la population du territoire bénéficie de 1268 SALAIS Robert, « La donnée n’est pas un donné. Pour une analyse critique de l’évaluation chiffrée dans la performance », RFAP, 2010, n°135, p.506. 1269 Cf. Proposition de loi relative à l’abrogation du conseiller territorial, adoptée par le Sénat le 16 novembre 2011. - 450 - l’accès aux services publics. Cela devrait instaurer une coopération non seulement à l’intérieur de chaque couple mais aussi entre les couples. Ainsi les nécessités en matière de services et de politiques de proximité doivent influencer la programmation de l’aménagement du territoire, mais celui-ci doit également permettre d’assurer une meilleure répartition de ces services sur le territoire afin de répondre aux besoins de toute la population. Ces couples, mieux assortis, permettraient la mise en œuvre d’une véritable action commune. Il y aurait en effet des discussions plus constructives pour aboutir à une véritable coordination des politiques locales puisqu’il y aurait le partage d’un objectif commun à l’intérieur de chaque couple et non une concurrence stérile. Bien évidemment ceci ne fonctionnera qu’à la condition qu’il y ait une véritable volonté politique en faveur d’une telle coopération. Un consensus ne se décrète pas, il se construit peu à peu en accueillant l’ensemble des acteurs autour d’une même table. Le consensus impose aux collectivités territoriales participantes de trouver un terrain d’entente commune. Si la discussion suppose que toutes les collectivités participantes se sentent libres d’intervenir, qu’il y ait donc une forme d’égalité entre les différents participants, la discussion suppose aussi un meneur qui permet d’ordonner et de conduire les débats pour construire le consensus. Cela fait partie du rôle de la collectivité chef de file. 519. La troisième question évoquée en matière de décentralisation est la taille de nos régions.1270 Le débat resurgit régulièrement considérant que les régions françaises sont trop petites, à la fois en taille et en nombre d’habitants, par rapport à leurs homologues européennes. « Le territoire des régions françaises fait depuis longtemps l’objet d’une double critique : le découpage de ces régions serait artificiel, et il serait inadéquat à l’espace européen, pour affronter la concurrence des régions des pays voisins ».1271 Là aussi le débat nous semble hors de propos. Les régions françaises ne sont pas si différentes que cela des autres régions dans les pays voisins. Elles répondent d’ailleurs en tous points aux classifications européennes relatives aux territoires. Ainsi, dans la classification NUTS 21272, les régions françaises côtoient les communautés autonomes espagnoles ou encore les régions italiennes. La critique de la taille des régions relève en fait plus d’une critique de leur 1270 V. par ex TULARD Marie-José, La région, op. cit., p.29. MARCOU Gérard, « Les trente ans de la région : et demain ? », art. cit., p. 746. 1272 Cette classification correspond à la nomenclature commune des unités territoriales statistiques (NUTS). Elle permet de clarifier le traitement des statistiques régionales entre les différents Etats membres de l’UE. Cette classification est découpée en trois ensemble NUTS 1, NUTS 2 et NUTS 3. « Les zones géographiques doivent également être – en terme de population – de taille comparable. Il convient également d’en préciser la situation politique, administrative et institutionnelle ». Source : http://europa.eu/legislation_summaries/regional_policy/management/g24218_fr.htm. 1271 - 451 - découpage qui ne serait pas inscrit dans l’histoire française. Or là aussi, il est nécessaire de relever que cet argument est fallacieux. Remarquons, d’une part, avec le professeur Marcou que le découpage des régions répond à une géographie spécifique, qui n’est pas une géographie historique certes mais une « géographie de l’action ».1273 D’autre part, il nous semble que les régions, après 30 ans d’existence, se sont bâties une identité propre faisant fi justement de ce manque d’unité historique. Les régions ont construit de véritables projets de territoires qui ont permis au fil de ces trois décennies d’acquérir une identité visible. « Les régions ont été les premières collectivités à développer leur image, afin de promouvoir leur existence, qui était fragile du fait de leur jeunesse. […] Telle fut la raison d’être des logos régionaux, des drapeaux et des devises qui accompagnent parfois les régions ».1274 Même si les citoyens ne connaissent pas toutes les compétences de leurs régions, ils savent par contre à quelle région ils appartiennent et comment celle-ci se découpe. Cependant, il est vrai que les régions françaises manquent de moyens à deux égards, moyens financiers tout d’abord pour assurer des politiques régionales efficaces et moyens juridiques ensuite. Au niveau financier nous l’avons déjà évoqué, les investissements publics émanant des régions sont encore faibles par rapport à ceux des départements ou du bloc communal.1275 En matière de pouvoirs juridiques, c’est là aussi un débat récurent. « Renforcer les pouvoirs juridiques des régions accroîtrait leur capacité d’action avec un impact budgétaire limité. La proposition, apparue depuis quelques années, d’attribuer aux régions un pouvoir normatif correspond à cet objectif ».1276 Nous avons exposé à cet égard notre position dans ce travail de recherche, considérant que la collectivité régionale devrait pouvoir bénéficier d’un véritable pouvoir normatif. La région dispose au niveau déconcentré d’un rôle de pilote, de coordination des actions locales de l’État dont devrait pouvoir bénéficier, par une forme de mimétisme, la région en tant que collectivité territoriale. Il semble cependant exister un « obstacle idéologique »1277 à une telle évolution. C’est ce blocage idéologique qu’il convient aujourd’hui de dépasser. Cette évolution n’est envisageable qu’à la condition de trouver une solution à la question des relations entre les différents niveaux de collectivités territoriales. 1273 MARCOU Gérard, « Les trente ans de la région : et demain ? », art. cit., p.747 ? VERPEAUX Michel, La région, op. cit., p.31. 1275 26,5 milliards d’euros dépensés par les régions sur les 212,6 milliards dépensés par l’ensemble des collectivités territoriales. Rapport de l’observatoire des finances locales, Les finances des collectivités locales en 2011, op. cit., p.8. 1276 MARCOU Gérard, « Les trente ans de la région : et demain ? », art. cit., p.749. 1277 CHAVRIER Géraldine, « Quel avenir pour la région dans l’organisation territoriale française ? », art. cit., p.1658. 1274 - 452 - 520. Dès lors, il apparaît important de revenir à une réflexion plus profonde sur le sens même de la décentralisation. Dans un État tel que la France où les collectivités territoriales ont exercé leur autonomie, il semble impossible de revenir en arrière. La recentralisation des politiques, même si c’est parfois ce à quoi on a l’impression d’assister n’est pas une bonne idée. Le retour à une forme d’État jacobin serait ainsi mal perçu non seulement par les collectivités territoriales mais par les citoyens eux-mêmes. Ceux-ci restent malgré tout très attachés à la décentralisation.1278 Le retour à un État centralisé serait donc une erreur d’autant plus qu’il nous mettrait à contre courant des évolutions que connaissent les autres pays européens. Dès lors l’évolution de l’organisation des entités infraétatiques françaises ne peut se faire que dans une voie approfondissant la décentralisation actuelle. De ce point de vue notre conviction est faite et nous avons essayé de l’argumenter au cours de cette étude, la forme de l’État régional à mi-chemin entre la décentralisation et l’État fédéral nous apparaît comme horizon pertinent. L’État régional n’est plus aujourd’hui un modèle de transition, une organisation au milieu du gué. Il est désormais une forme d’État à part entière. L’intérêt est qu’il permet des degrés divers d’autonomie au service des composantes de l’État. Il nous apparaît ainsi comme une réponse pertinente à l’irréalisme de la conception égalitaire des collectivités territoriales dans la décentralisation française. La réalisation de l’État régional dans le cadre français nous apparaît de ce fait opportune car il ne s’agit pas simplement de régionaliser le pays à la manière d’un jardin à la française. Cela permettrait également d’éviter de voir se développer tous azimuts des statuts particuliers pour certaines collectivités territoriales qui eux sont bien plus attentatoires à l’unité de l’État. La notion d’État régional traduit au contraire, selon nous, cette évolution vers une hiérarchisation à géométrie variable. Il n’est ainsi pas question d’ouvrir la porte à une forme de hiérarchisation figée qui conduirait finalement aux mêmes impasses que le modèle actuel de décentralisation. Au contraire, c’est l’exercice des compétences et donc le principe de subsidiarité qui doit dicter la hiérarchisation. Enfin, au fil de cette étude nous avons également pris conscience d’une donnée fondamentale, souvent ignorée semble-t-il, celle de la place du citoyen. Il ne faut pas oublier qu’au-delà de la recherche d’économies, d’efficience et d’efficacité de l’action, les politiques publiques s’adressent aux administrés. Il est alors nécessaire de s’assurer que ces politiques demeurent suffisamment accessibles aux citoyens. La réussite de l’action commune ne peut se 1278 Preuve en est, un sondage indique que les français font plus confiance aux collectivités territoriales qu’à l’État pour intervenir dans des champs politiques importants (emploi, éducation, environnement…) et ce à une très large majorité. Sondage TMO-Région pour l’AFCAP. Source : http://www.affairespubliques.com/debats/colloque_07042010.php. - 453 - mesurer purement en terme d’objectifs économiques. L’évaluation des politiques publiques suppose d’intégrer des indicateurs relatifs à la satisfaction des citoyens par rapport au service public, même si cela suppose d’intégrer des indicateurs qui peuvent apparaître comme subjectifs. Mais les élus locaux sont-ils prêts à accepter de mettre en danger leur mandat en se soumettant à cette évaluation ? - 454 - BIBLIOGRAPHIE MANUELS Manuels de droit des collectivités territoriales AUBY Jean-Bernard, AUBY Jean-François, NOGUELLOU Rozen, Droit des collectivités locales, Paris, PUF, coll. Thémis Droit, 5e ed., 2009, 395p. BARTOLE Sergion, BIN Roberto, FALCON Giandomenico, TOSI Rosanna, Dirito regionale, Bologne, ed. Il Mulino, 2005, 2e ed., 265p. FAURE Bertrand, Droit des collectivités territoriales, Paris, Dalloz, 2e ed., 2011, 686p. GOHIN Olivier (et al.), Droit des collectivités territoriales, Paris, Cujas, 2011, 649p. 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Loi n°2003-1200 du 18 décembre 2003 portant décentralisation en matière de revenu minimum d’insertion et créant un revenu minimum d’activité, JORF, 19 décembre 2003, p.21670. Loi n°2004-626 du 30 juin 2004 relative à la solidarité pour l’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées, JORF, 1er juillet 2004, p.11944. Loi n°2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, JORF, 17 août 2004, p.14545. Loi n°2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, JORF, 12 février 2005, p.2353. Loi n°2005-1720 du 30 décembre 2005 de finances rectificatives pour 2005, JORF, 31 décembre 2005, p.20654. Loi n°2006-823 du 10 juillet 2006 autorisant l’approbation de la Charte européenne de l’autonomie locale adoptée à Strasbourg le 15 octobre 1985, JORF, 11 juillet 2006, p.10335. Loi n°2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques, JORF, 31 décembre 2006, p.20285. Loi n°2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, JORF, 6 mars 2007, p.4215. Loi n°2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, JORF, 7 mars 2007, p.4297. Loi n°2007-1224 du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs, JORF, 22 août 2007, p.13956. Loi n°2008-1249 du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d’insertion, JORF, 3 décembre 2008, p.18424. Loi n°2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, JORF, 22 juillet 2009, p.12184. Loi n°2010-145 du 16 février 2010 organisant la concomitance des renouvellements des conseillers généraux et des conseillers régionaux, JORF, 17 février 2010, p.2914. Loi n°2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris, JORF, 5 juin 2010, p.10339. - 485 - Loi n°2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, JORF, 13 juillet 2010, p.12905. Loi n°2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, JORF, 17 décembre 2010, p.22146. Loi n°2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, JORF, 29 mai 2011, p.8537. Loi n°2011-901 du 28 juillet 2011 tendant à améliorer le fonctionnement des maisons départementales dans personnes handicapées et portant diverses dispositions relatives à la politique du handicap, JORF, 30 juillet 2011, p.12996. PROPOSITIONS DE LOIS Proposition de loi constitutionnelle relative à la libre administration des collectivités territoriales, n°402, Sénat, 2001-2002. Proposition de loi constitutionnelle relative à l’exercice des libertés locales, n°249, Assemblée nationale, 2002. Proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, Assemblée nationale, n°1890, 2009. Proposition de loi relative à l’abrogation du conseiller territorial, n°800, Sénat, 2010-2011. Adoptée en première lecture au Sénat le 16 novembre 2011. LÉGISLATION ÉTRANGÈRE Loi n°96-06 du 22 mars 1996 portant Code des collectivités locales, modifiée et complétée par les lois n°2002-14, n°2002-16 du 15 avril 2002 et n°2006-22 du 11 juillet 2006, JO, n°5689, p.0195. Loi n°96-07 du 22 mars 1996 portant transfert de compétences aux régions, aux communes et aux communautés rurales, modifiée par les loi n°2002-15 du 15 avril 2002 et n°2004-21 du 25 août 2004, JO, n°5689, p.0228. Constitution Italienne. Statuts de la Calabre, 2004. Statuts Emilie-Romagne, 2005. Statuts Toscane, 2005. - 486 - DÉCRETS, ARRÊTÉS, CIRCULAIRES MINISTÉRIELLES Circulaire n°2000/310 du 6 juin 2000 relative aux centres locaux d’information et de coordination, texte non publié au JORF. Circulaire n°2001/224 du 18 mai 2001 relative aux centres locaux d’information et de coordination, texte non publié au JORF. Décret n°2003-484 du 6 juin 2003 fixant les conditions de recrutement et d’emploi des assistants d’éducation, JORF, 7 juin 2003, p.9714. Circulaire NOR LBLB0510029C du 25 mars 2005 relative à la mise en œuvre des dispositions de l’article 1er de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, concernant le schéma régional de développement économique. Consulté sur le site de la DGCL. Circulaire du 17 janvier 2006 relative à la modernisation du contrôle de légalité. Consultée sur le site Internet du Ministère de l’Intérieur. Circulaire du 24 mai 2006, relative à l’élaboration des contrats urbains de cohésion sociale. Décret n°2008-1078 du 22 octobre 2008 portant création du comité de réforme des collectivités locales, JORF, 24 octobre 2008, p.16202. Décret n°2010-146 du 16 février 2010 modifiant le décret n°2004-374 du 20 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l’organisation et à l’action des services de l’État dans les régions et les départements, JORF – en ligne, 17 février 2010. Circulaire N°IOC B 1003503C du 26 mars 2010 relative à la mise en œuvre de l’article 1er de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales : bilan quinquennal de mise en œuvre des schémas régionaux de développement économique et rapport annuel sur les dépenses consacrées aux aides d’État en 2009 par les collectivités territoriales et leurs groupements. Consulté sur le site de la DGCL. Décret n°2010-870 du 26 juillet 2010 relatif à la procédure d’appel à projet et d’autorisation mentionné à l’article L.313-1-1 du code de l’action sociale et des familles, JORF, 27 juillet 2010, p.13846. Circulaire du 25 janvier 2012, Définition nationale des actes prioritaire en matière de contrôle de légalité. Consultée sur le site Internet du Ministère de l’Intérieur. Décret du 16 mai 2012 relatif à la composition du Gouvernement, JORF, 17 mai 2012, p.9149. - 487 - Secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance, Livret de prévention du Maire, 3e ed., 2011, 96p. JURISPRUDENCES CONSEIL CONSTITUTIONNEL CC, n°71-44 DC du 16 juillet 1971, Loi complétant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, JORF, 18 juillet 1971, p.7114. CC, n°74-54 DC du 15 janvier 1975, Loi relative à l’interruption volontaire de grossesse, JORF, 16 janvier 1975, p.671. CC, n°82-142 DC du 27 juillet 1982, Loi portant réforme de la planification, JORF, 29 juillet 1982, p.2424. CC, n°82-146 DC du 18 novembre 1982, Loi modifiant le code électoral et le code des communes et relative à l’élection des conseillers municipaux et aux conditions d’inscription des Français établis hors de France sur les listes électorales, JORF, 19 novembre 1982, p.3475. CC, n°83-160 DC du 19 juillet 1983, Loi portant approbation d’une convention fiscale avec le territoire d’outre-mer de la Nouvelle-Calédonie et dépendances, JORF, 21 juillet 1983, p.2251. CC, n°84-174 DC du 25 juillet 1984, Loi relative aux compétences des régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion, JORF, 28 juillet 1984, p.2493. CC, n°84-185 du 18 janvier 1985, Loi modifiant et complétant la loi n°83-663 du 22 juillet 1983 et portant dispositions diverses relatives aux rapports entre l’État et les collectivités territoriales, JORF, 20 janvier 1985, p.821. CC, n°85-196 DC du 8 août 1985 Loi sur l’évolution de la Nouvelle-Calédonie, JORF, 8 août 1985, p.9125. CC, n°91-290 DC du 9 mai 1991, Loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse, JORF, 14 mai 1991, p.6350. CC, n°94-358 DC du 26 janvier 1995, Loi d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire, JORF, 1er février 1995, p.1706. CC, n°2000-436 DC du 7 décembre 2000, Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, JORF, 14 décembre 2000, p.19840. - 488 - CC, n°2001-454 DC du 17 janvier 2002, Loi relative à la Corse, JORF, 23 janvier 2002, p.1526. CC, n°2004-490 DC du 12 février 2004, Loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française, JORF, 2 mars 2004, p.4220. CC, n°2004-503 DC du 12 août 2004, Loi relative aux libertés et responsabilités locales, JORF, 17 août 2004, p.14648 CC, n°2005-516 DC du 7 juillet 2005 Loi de programme fixant les orientation des la politique énergétique, JORF, p.11589. CC, n°2007-559 DC du 6 décembre 2007, Loi organique n°2007-1719 du 7 décembre 2007 tendant à renforcer la stabilité des institutions et la transparence de la vie politique en Polynésie française, JORF, 8 décembre 2007, p.19905. CC, n°2008-567 DC du 24 juillet 2008, Loi relative aux contrats de partenariat, JORF, 29 juillet 2008, p.12151. CC, n°2010-604 DC du 25 février 2010, Loi n°2010-201 du 2 mars 2010 renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protections des personnes chargées d’une mission de service public, JORF, 3 mars 2010, p.4312. CC, n°2010-12 QPC du 2 juillet 2010, Commune de Dunkerque, JORF, 3 juillet 2010, p.12121. CC, n°2010-29/37 QPC du 22 septembre 2010, Commune de Besançon et autres, JORF, 23 septembre 2010, p.17293. CC, n°2010-56 QPC du 18 octobre 2010, Département du Val-de-Marne, JORF, 19 octobre 2010, p.18696. CC, n°2010-618 DC du 9 décembre 2010 Loi de réforme des collectivités territoriales, JORF, 17 décembre 2010, p.22181. CC, n°2010-109 QPC du 25 mars 2011, Département des Côtes d’Armor, JORF, 26 mars 2011, p.5405. CC, n°2011-146 QPC du 8 juillet 2011, Département des Landes, JORF, 9 juillet 2011, p.11978. CC, n°2011-21 QPC du 13 janvier 2012, M. Ahmed S., JORF, 14 janvier 2012, p.753. TRIBUNAL DES CONFLITS TC, 21 mars 1983, UAP c. Secrétaire d’État aux P et T, Rec., p.537. TC, 14 février 2002, GIP Habitat et interventions sociales pour les mal-logés et sans-abris, Rec. p.748. - 489 - TC, 15 décembre 2003, Préfet du Val-d’Oise et Fossard c. Mission intercommunale jeunesse, mentionné au Rec., p.713. JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES CE, 4 août 1905, Martin, Rec., p.749 ; GAJA, 18e ed., n°15. CE, 17 janvier 1913, Congrégation des sœurs de Saint-Régis à Aubenas, Rec., p.72. CE, 30 mai 1930, Chambre syndicale du commerce de détail de Nevers, Rec. p.583. CE, 28 mai 1971, Ministre de l’équipement et du logement c. Fédération de défense des personnes concernées par le projet actuellement dénommé « Ville Nouvelle Est », Rec. p.409 ; GAJA, 18e ed., n°85. CE, 17 mars 1972, Dame Figaroli, Rec., p.224. CE, 9 mai 1980, Commune de Champagne-de-Blazac, Rec. p.221. CE, 13 février 1985, Syndicat communautaire d’aménagement de l’agglomération nouvelle de Cergy-Pontoise, Rec, p.37. CE, avis, Sct. de l’intérieur, 15 octobre 1985, les groupements d’intérêt public, n°338395. CE, 25 juillet 1986, Rougeaux c. Commune de Saint-Sauveur-sur-Ecole, req. n°56646, inédit au req. CE, 8 janvier 1988, Ministre chargé du plan et de l’aménagement du territoire c. Communauté urbaine de Strasbourg, Rec., p.2. CE, 27 mars 1991, Syndicat départemental des services de santé et des services sociaux CFDT de la Vienne, req. 80442, mentionné aux tables, Rec., p.1111. CE, 13 mai 1992, Commune d’Ivry-sur-Seine, Rec., p.197. CE, avis, 11 juin 1993, Département de Saône-et-Loire, Rec. p.169. CE, 29 décembre 1993, Garcia et autres, Rec. p.376. CE, 29 juillet 1994, Département des Vosges, req. n°129371, inédit au Rec. CE, 10 juillet 1996, Cayzeele, Rec., p.274. CE, 25 octobre 1996, Association Estuaire-Ecologie, Rec., p.415. CE, 21 juin 2001, Commune de Charvieux-Chavagneux, Rec. p.856 CE, 26 octobre 2001, M. et Mme Einsenchteter, Rec., p.495 CE, 12 décembre 2003, Département des Landes, Rec. p.502. CE, 10 janvier 2007, Fédération départementale de l’hôtellerie de plein air de CharentesMaritimes, req. n°269239, mentionné aux Tables, Rec., p.1036. CE, 6 avril 2007, M. Douwens Prats, Rec. p.153. - 490 - CE, 16 juillet 2007, Société Tropic Travaux Signalisation, Rec., p.360 ; GAJA, 18e ed., n°115. CE, 21 décembre 2007, Région du Limousin et autres, Rec., p.534. TA de Cergy Pontoise, 29 novembre 2007, M. Di Luca c. M. Le président de la MDPH du Val-d’Oise, n°0701719. CE, 22 mars 2010, Dallongeville, req. n°328843. CE, 11 avril 2012, Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI) et Fédération des associations pour la promotion et l’insertion par le logement (FAPIL), req. n°322326. JURIDICTIONS EUROPÉENNES ET COMMUNAUTAIRES CJCE, 18 novembre 1999, Teckal Srl c. Commune di Viano, aff. C-107-98. CJCE, 9 juin 2009, Commission c. République fédérale d’Allemagne, aff. C-480-06. COUR DE CASSATION Ccass. Com., 27 mars 2001, Société financière et Immobilière SA c. Crédit Industriel et Commercial de Paris. Ccass, 1ère civ., 2 mars 2004, SNATEM c. URSSAF de Paris. BROCHURES POLITIQUES Le Changement – Projet socialiste pour 2012 Protéger et préparer l’avenir des enfants de France – Projet UMP pour 2012 AdCF, Contribution aux Etats généraux de la démocratie territoriale, mars 2012. ADF, Note KPMG relative aux enjeux financiers d’une éventuelle fusion des Départementsrégions, mai 2009. AMF, Contribution aux Etats généraux de la démocratie territoriale, février 2012. ARF, Le bilan des schémas régionaux de développement économique, 5 juillet 2010. - Des régions plus fortes pour une France plus efficace, 7e Congrès de l’ARF, 2011. - Contribution aux Etats généraux de la démocratie territoriale, janviers 2012. - Les Régions au cœur du nouvel acte de la décentralisation, juillet 2012, 52p. Conseil de développement de la région d’Angers, Pour une organisation des territoires du Pays Loire Angers au service des citoyens, mars 2012, 57p. - 491 - Institut de la décentralisation, Contribution aux Etats généraux de la démocratie territoriale, mars 2012. ODAS, Dépenses départementales d’action sociale 2010 : le tournant de la rigueur, mai 2011. SITES INTERNET http://www.assemblee-nationale.fr/ http://www.arf.asso.fr/ http://www.charles-de-gaulle.org/ http://www.dgcl.interieur.gouv.fr/ http://ip.doctrinalplus.fr/search_mono http://www.elysee.fr/ http://www.federalismi.it/ http://legifrance.gouv.fr/ http://archives.gouvernement.fr/home_ie.htm (pour les archives des discours). http://odas.net/ http://www.persee.fr/web/guest/home http://www.senat.fr - 492 - Index Les chiffres renvoient aux numéros de page. A E acte unilatéral 41, 132, 133, 146, 153, 154, 158, 172, 176, 178, 180, 181, 187, 208, 220, 225. action commune 7, 9, 14, 19, 23, 24, 26, 27, 28, 30, 31, 32, 33, 36, 38, 42, 44, 45, 63, 64, 65, 82, 104, 109, 116, 117, 121, 123, 124, 125, 126, 130, 131, 132, 133, 134, 135, 136, 137, 138, 139, 140, 141, 142, 143, 145, 146, 147, 148, 149, 150, 151, 152, 153, 154, 155, 157, 159, 162, 163, 172, 174, 175, 176, 177, 178, 182, 184, 186, 194, 195, 200, 207, 208, 214, 215, 217, 219, 221, 223, 224, 225, 231, 234, 241, 245, 246, 247, 249, 250, 251, 253, 257, 259, 265, 269, 273, 276, 277, 295, 296, 298, 302, 303, 304, 307, 312, 317, 335, 337, 343, 344, 345, 367, 370, 371, 372, 375, 382, 383, 384, 387, 389, 394, 396, 401, 407, 411, 412, 413, 417, 419, 422, 424. action partagée 13, 19, 23, 36, 238, 395, 397, 405, 417 C consensus 24, 52, 134, 149, 177, 178, 186, 188, 210, 219, 221, 223, 224, 308, 311, 312, 313, 346, 347, 363, 393, 406, 410, 424. contrat 23, 27, 28, 41, 125, 126, 179, 181, 182, 184, 186, 198, 200, 202, 205, 208, 215, 218, 224, 225, 251, 407, 419, 420, 449, 450. 132, 187, 209, 261, 133, 188, 211, 311, 176, 192, 212, 319, 178, 196, 213, 369, D déconcentration 19, 33, 57, 69, 92, 284, 326, 327, 446. enchevêtrement des compétences 8, 9, 10, 12, 13, 14, 16, 17, 19, 20, 32, 34, 35, 38, 39, 40, 41, 42, 72, 132, 146, 153, 248, 250, 251, 287, 295, 296, 299, 313, 315, 335, 336, 345, 346, 350, 351, 352, 356, 357, 372, 376, 380, 384, 387, 389, 390, 395, 402, 411, 417. EPCI II, 105, 106, 141, 142, 143, 144, 145, 164, 166, 184, 185, 189, 190, 192, 193, 194, 197, 198, 199, 215, 339, 340, 352, 361, 373, 376, 378, 381, 384, 417, 420. F financement croisé 198, 204. G GIP 234, 259, 260, 263, 269, 270, 271, 272, 273, 274, 275, 276, 277, 278, 412, 413. groupement d’intérêt public 185, 234, 259, 260, 269, 272, 273, 275, 276, 277, 278, 412. guichet unique 234, 249, 256, 257, 258, 259, 260, 263, 264, 265, 314, 323, 335, 398, 412, 413, 414. I intercommunal 142, 164, 167, 322, 415. intercommunalité 137, 145, 166, 171, 189, 190, 191, 214, 218, 220, 221, 357, 358, 384, 393, 419, 449, 452. J juge administratif 75, 79, 84, 87, 99, 106, 108, 116, 151, 173, 175, 216, 268, 344, 350, 430. délégation de compétence 22, 23, 373, 374, 375, 38. droit communautaire 48, 50, 51, 52, 53, 54, 59, 63, 67, 70, 189, 191, 193, 321, 328. - 493 - juge constitutionnel 33, 61, 62, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 108, 111, 113, 119, 123, 126, 128, 170, 180, 359, 430, 451. M 160, 174, 252, 253. mutualisation 21, 22, 23, 185, 188, 189, 190, 191, 192, 193, 194, 195, 323, 368, 369, 370, 371, 390, 393, 395, 398, 452. N négociation 28, 134, 145, 159, 173, 180, 181, 184, 185, 186, 187, 188, 207, 209, 210, 211, 220, 311, 365, 393, 406, 410, 446. P préfet 69, 77, 84, 86, 93, 95, 99, 107, 137, 138, 151, 162, 305, 308, 326, 327, 394, 420, 452. principe d’égalité 14, 37, 76, 90, 96, 97, 98, 113, 122, 209, 327, 331, 333, 354, 362, 423, 449. S schéma d’organisation 154, 156, 157, 158, 159, 160, 161, 162, 169, 172, 173, 174, 175, 176, 177, 206, 208, 212, 223, 224, 225, 233, 245, 248, 253, 254, 258, 262, 299, 307, 309, 357, 368, 369, 370, 371, 394 schéma départemental d’organisation sociale - 494 - schéma régional de développement économique 160, 162, 298, 299, 300, 306, 307, 308, 309, 318, 334, 413. subsidiarité 41, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 76, 79, 80, 81, 82, 225, 283, 341, 355, 374, 392, 399, 408, 424, 425, 427, 428, 446, 447, 448. T tutelle 36, 37, 41, 44, 45, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 105, 106, 107, 108, 109, 111, 112, 113, 114, 115, 116, 117, 118, 119, 120, 121, 123, 124, 125, 126, 128, 130, 131, 132, 133, 134, 135, 141, 142, 145, 147, 149, 150, 153, 159, 166, 167, 168, 170, 172, 174, 175, 177, 178, 179, 181, 182, 186, 194, 207, 208, 209, 210, 212, 217, 222, 223, 224, 225, 231, 236, 247, 252, 253, 258, 260, 263, 264, 281, 291, 298, 299, 300, 301, 302, 308, 311, 318, 319, 320, 321, 327, 331, 333, 343, 346, 364, 375, 376, 377, 381, 382, 385, 386, 394, 396, 401, 405, 406, 408, 410, 420, 422, 430, 432, 450. Table des matières SIGLES ET ABREVIATIONS .................................................................................................... I SOMMAIRE.........................................................................................................................5 INTRODUCTION GENERALE .........................................................................................7 Section 1. La continuelle recherche d’une solution à l’enchevêtrement des compétences ...............................................................................................................9 §1. L’enchevêtrement des compétences, source de nombreux inconvénients ..........9 §2. La collectivité territoriale chef de file, l’une des solutions possibles à l’enchevêtrement des compétences........................................................................18 Section 2. Le choix législatif puis constitutionnel de la fonction de chef de file comme outil de l’action commune.........................................................................................25 §1. Un emprunt au vocabulaire courant et au droit privé .......................................25 §2. L’apparition récente mais ambiguë de la fonction en droit public ....................30 Section 3. Les axes de la recherche ...........................................................................38 §1. Le cadre de l’étude..........................................................................................38 §2. Le questionnement suivi par l’analyse.............................................................40 PREMIERE PARTIE L’INSERTION DE LA FONCTION DE COLLECTIVITE CHEF DE FILE DANS SON ENVIRONNEMENT NORMATIF ...................................43 TITRE 1ER LE CONCEPT DE COLLECTIVITE CHEF DE FILE FACE AUX AUTRES DISPOSITIONS CONSTITUTIONNELLES. ......................................................................................................47 Chapitre 1er La collectivité chef de file un outil du principe de subsidiarité. .................49 Section 1. Le principe de subsidiarité : une lente émergence. ....................................50 §1. Le principe de subsidiarité, une réception juridique dans le cadre de constructions étatiques particulières ......................................................................51 A. Un principe directeur dans les Etats fédéraux ...............................................51 B. La consécration du principe de subsidiarité en droit communautaire.............53 §2. Une introduction incertaine en droit français ...................................................57 A. Une consécration tardive du principe de subsidiarité.....................................58 1. Les « premiers pas » du principe de subsidiarité dans le système juridique français .........................................................................................................58 2. La décentralisation, domaine de prédilection du développement de la subsidiarité....................................................................................................60 B. Une signification ambiguë du principe de subsidiarité ..................................62 Section 2. La question de la juridicité du principe de subsidiarité..............................65 §1. Une mise en œuvre médiate ............................................................................65 A. Expérimentation et subsidiarité.....................................................................66 B. Collectivité chef de file et subsidiarité ..........................................................67 §2. Le difficile contrôle du juge constitutionnel ....................................................71 A. Le contrôle limité du juge constitutionnel sur le principe de subsidiarité.......72 B. L’accès limité des collectivités territoriales au juge constitutionnel...............77 1. La question prioritaire de constitutionnalité : un accès indirect très limité au juge constitutionnel .......................................................................................78 2. La question prioritaire de constitutionnalité : l’occasion d’un contrôle accru du principe de subsidiarité ? ..........................................................................82 Conclusion Chapitre 1er ................................................................................................84 - 495 - Chapitre 2 La collectivité chef de file, une dérogation limitée au principe d’interdiction de la tutelle...................................................................................................................85 Section 1. Une prohibition législative de la tutelle suffisante.....................................87 §1. Une tutelle sur les actes supprimée depuis l’Acte I de la décentralisation ........88 A. Les éléments constitutifs de la tutelle ...........................................................89 1. Les différentes formes de tutelle en droit des collectivités territoriales.......89 a. La tutelle de l’État sur les collectivités territoriales ................................89 b. La tutelle entre collectivités territoriales ................................................92 2. La distinction de la tutelle et du pouvoir hiérarchique................................95 B. L’inscription dans la loi de l’interdiction de la tutelle ...................................97 1. Les dispositions interdisant la tutelle .........................................................97 2. Les raisons de l’interdiction de la tutelle....................................................99 §2. Une persistance de tutelles fortement encadrées ............................................ 102 A. Des tutelles toujours existantes................................................................... 102 1. Des tutelles organisées par la loi.............................................................. 102 2. Des luttes d’influence nouvelle forme de tutelle ?.................................... 107 B. Un contrôle attentif des juges administratif et constitutionnel ..................... 109 Section 2. Une prohibition constitutionnelle inutile et dangereuse........................... 114 §1. La constitutionnalisation de l’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre ................................................................................................................... 114 A. Une inscription jurisprudentielle satisfaisante............................................. 115 1. Un rappel régulier de l’interdiction de la tutelle....................................... 115 2. Les fondements retenus par le Conseil constitutionnel ............................. 117 B. Une inscription imposée à l’article 72, alinéa 5 de la Constitution............... 118 1. Les raisons de la constitutionnalisation.................................................... 119 2. Les conséquences de cette constitutionnalisation ..................................... 121 §2. L’interdiction de la tutelle et le mécanisme de la collectivité chef de file, une contradiction évidente......................................................................................... 123 A. La conjonction problématique entre les deux éléments de l’article 72, alinéa 5 de la Constitution............................................................................................ 123 B. L’intérêt restreint du recours à une dérogation ............................................ 125 1. Une hiérarchisation impossible entre collectivités territoriales................. 126 2. L’interprétation retenue par le Conseil constitutionnel............................. 128 Conclusion Chapitre 2................................................................................................ 131 CONCLUSION TITRE 1ER ................................................................................................... 133 TITRE 2 LES MOYENS DE REGULATION DE L’ACTION COMMUNE PAR LA COLLECTIVITE CHEF DE FILE ........................................................................................................................... 135 Chapitre 1er Les risques du recours à l’acte unilatéral par la collectivité chef de file.. 137 Section 1. La décision conjointe, outil limité de l’action commune entre collectivités territoriales ............................................................................................................. 139 §1. Le recours à la décision conjointe, manifestation de l’action commune ......... 139 A. Définition de la décision conjointe ............................................................. 139 B. Les cas de recours à la décision conjointe ................................................... 141 1. La décision conjointe entre l’État et les collectivités territoriales ............. 141 a. La compétence conjointe en matière d’action sociale ........................... 141 b. La cohérence des politiques d’habitat .................................................. 144 2. La décision conjointe entre collectivités territoriales................................ 146 a. La décision conjointe, modalité possible de création d’un EPCI........... 146 b. La décision conjointe, recours obligatoire pour certaines compétences des EPCI ....................................................................................................... 147 - 496 - §2. De l’intérêt limité de la décision conjointe pour le chef de file ...................... 150 A. La difficile coordination d’une décision aux auteurs multiples.................... 150 1. L’impossible régulation pendant l’action commune................................. 150 2. La régulation par les seuls actes préparatoires.......................................... 152 B. Les risques de dérives................................................................................. 153 1. Le risque d’une tutelle............................................................................. 153 2. La difficile recherche de la responsabilité................................................ 154 Section 2. Les schémas d’orientation, un outil de coordination privilégié de l’action commune................................................................................................................ 158 §1. Les schémas de coordination, une méthode de régulation largement diffusée 158 A. Un mécanisme d’harmonisation des compétences des collectivités territoriales ....................................................................................................................... 159 1. Le schéma, un outil prévisionnel ............................................................. 159 2. Le schéma, un outil lui-même issu de la codécision................................. 161 B. Les exemples de recours aux schémas d’organisation entre collectivités territoriales...................................................................................................... 164 1. Le recours aux schémas d’organisation par les collectivités chefs de file . 165 2. Les schémas d’organisation comme outil d’aménagement du territoire.... 167 a. Les schémas de cohérence territoriale, outils d’aménagement concerté du territoire intercommunal.......................................................................... 168 b. Le schéma directeur de la région Ile-de-France, un outil particulier pour une région singulière ............................................................................... 171 §2. Le schéma d’orientation, un document au service des collectivités territoriales ........................................................................................................................... 172 A. L’empilement des schémas, structure pyramidale ou château de cartes ....... 172 B. Le caractère contraignant des schémas d’organisation................................. 176 1. Un document non décisionnel.................................................................. 176 2. L’opposabilité des schémas d’orientation ................................................ 177 Conclusion Chapitre 1er .............................................................................................. 181 Chapitre 2 La régulation de l’action commune par la contractualisation.................... 183 Section préliminaire. Le recours, devenu normal, à la contractualisation entre collectivités territoriales.......................................................................................... 185 Section 1. La contractualisation, outil de réalisation de l’action commune .............. 189 §1. Les intérêts du recours à la contractualisation................................................ 189 A. Le développement de la contractualisation à l’initiative des collectivités territoriales...................................................................................................... 190 1. La simplification des relations................................................................. 190 a. La contractualisation, outil de libéralisation ......................................... 191 b. La contractualisation, outil nécessaire pour la négociation ................... 192 2. La mutualisation, un exemple de contractualisation réussie ..................... 194 a. La difficile émergence de la mutualisation........................................... 194 b. La mutualisation au service de la collectivité chef de file..................... 198 B. Le développement de la contractualisation sous l’influence du législateur .. 200 1. L’autorisation législative des transferts de compétences entre collectivités territoriales.................................................................................................. 201 2. La difficile lecture de la clef de répartition des compétences ................... 203 §2. La contractualisation, traduction juridique des décisions politiques ............... 205 A. La mise en œuvre des CPER par l’intermédiaire de contrats ....................... 205 1. L’objectif des CPER................................................................................ 206 a. De la planification nationale aux contrats de projets............................. 206 - 497 - b. L’organisation des cofinancements...................................................... 209 2. Les contrats particuliers........................................................................... 210 B. Le recours à la contractualisation par la collectivité chef de file................. 212 Section 2. Les limites et particularités du recours à la contractualisation. ................ 214 §1. Les interrogations autour des relations contractuelles .................................... 216 A. Les relations des tiers avec la convention ................................................... 216 1. Le principe de l’effet relatif des conventions ........................................... 216 2. Le dépassement de l’effet relatif dans le cadre de la Loi sur le Grand Paris ................................................................................................................... 219 B. L’incertaine nature des relations entre cocontractants ................................. 220 §2. La part de risque contenue dans les conventions............................................ 224 Conclusion Chapitre 2................................................................................................ 228 CONCLUSION TITRE 2 ...................................................................................................... 229 CONCLUSION PREMIERE PARTIE ........................................................................... 231 SECONDE PARTIE LA COLLECTIVITE CHEF DE FILE, UN POTENTIEL A CONFIRMER .................................................................................................................. 233 TITRE 1ER LA MISE EN ŒUVRE DE LA NOTION DE CHEF DE FILE. .......................................... 237 Chapitre 1er Le département, un chef de file confirmé en matière d’action sociale...... 241 Section 1. Le département, un chef de file classique aux pouvoirs limités ............... 243 §1. Le choix du département, l’aboutissement de 20 ans de décentralisation ....... 245 A. L’accroissement constant des compétences sociales du département........... 245 1. Les compétences d’aide et d’action sociales transférées au département .. 246 a. Les politiques de l’enfance du département.......................................... 247 b. Les politiques d’insertion .................................................................... 248 2. Un financement largement départementalisé............................................ 250 B. La loi du 13 août 2004, tournant ou confirmation ?..................................... 252 §2. Les moyens de coordination du département chef de file............................... 255 A. La nécessaire coordination de l’action sociale ............................................ 255 1. La rationalisation par l’action commune.................................................. 255 2. L’action sociale, domaine d’enchevêtrement des compétences ................ 258 B. Les outils de coordination du département .................................................. 260 1. Le schéma départemental d’organisation sociale et médico-sociale et ses conventions de mise en œuvre..................................................................... 260 2. Les CLIC, relais locaux de l’administration départementale .................... 263 a. Genèse et rôle des CLIC ...................................................................... 263 b. La multiplication des guichets uniques ................................................ 265 Section 2. Le groupement d’intérêt public, outil d’action limité du chef de file ....... 267 §1. La maison départementale des personnes handicapées, moyen d’exercice du rôle de chef de file ..................................................................................................... 268 A. Le groupement d’intérêt public, une formule atypique pour la MDPH ........ 268 1. La MDPH, une « association de droit public » ........................................ 268 2. La composition multipartenariale de la MDPH........................................ 270 B. La MDPH, un guichet unique au service des personnes handicapées........... 272 1. Les missions variées de la MDPH ........................................................... 273 2. La rationalisation des moyens d’action au profit des usagers ................... 274 §2. La MDPH, un groupement d’intérêt public hors du droit commun................. 277 A. Le modèle des groupements d’intérêt public............................................... 277 1. La naissance des groupements d’intérêt public ........................................ 277 2. Le développement du recours au GIP ...................................................... 279 - 498 - B. L’obligation d’écarter la MDPH du modèle des GIP................................... 281 1. Le statut juridique incertain des groupements d’intérêt public.................. 281 a. Le débat récurrent sur la nécessité d’un statut général .......................... 282 b. L’exclusion de la MDPH de l’unification du statut des GIP ................. 283 2. L’impossible coordination par une structure temporaire .......................... 285 Conclusion Chapitre 1er .............................................................................................. 287 Chapitre 2 La région, un chef de file contrarié ........................................................... 289 Section 1. Un chef de file aux pouvoirs limités ....................................................... 291 §1. Le classicisme du législateur dans la désignation de la région comme chef de file ...................................................................................................................... 291 A. La formation professionnelle, d’une compétence sectorielle à une maîtrise totale du champ d’action ................................................................................. 292 1. La décentralisation progressive de la formation professionnelle............... 292 a. La formation professionnelle dans l’Acte I de la décentralisation......... 293 b. La décentralisation de la formation professionnelle continue des jeunes des moins de vingt-six ans par la loi Quinquennale de 1993 .................... 295 2. La décentralisation de l’ensemble de la formation professionnelle........... 298 B. Le développement économique, une compétence phare de la région ........... 300 1. La région, un acteur historique du développement économique territorial 300 a. L’absence de clarification dans l’Acte I de la décentralisation.............. 301 b. La reconnaissance du chef de file régional dès 2002 ............................ 303 2. L’Acte II de la décentralisation, la mise en échec du texte gouvernemental ................................................................................................................... 305 §2. Les moyens de coordination de l’action commune par la région chef de file.. 310 A. La multiplication des schémas d’orientation adoptés par la région.............. 310 1. L’importante discussion entre partenaires nécessaire à l’adoption du plan régional de développement des formations professionnelles ........................ 311 2. L’expérimentation du schéma régional de développement économique ... 314 B. Une contractualisation nécessaire ............................................................... 318 Section 2. L’impossible leadership régional ............................................................ 321 §1. Les limites rencontrées par la région dans l’exercice de son rôle de chef de file ........................................................................................................................... 321 A. Le chef de file de la formation professionnelle, un domaine d’action complexe ....................................................................................................................... 322 B. L’impossible réussite du chef de file régional en matière économique ........ 325 1. La région, un chef de file sans aucune capacité........................................ 325 2. La possible mise sous tutelle de la région ................................................ 327 a. La survie de la compétence économique pour les collectivités infrarégionales......................................................................................... 327 b. Le développement économique, une compétence importante pour tous les niveaux de collectivités territoriales......................................................... 329 §2. La peur du fait régional ................................................................................. 332 A. La région, une collectivité territoriale stratégique ....................................... 332 1. La lente émergence des régions dans l’ordre interne ................................ 332 2. La région, relais de l’action de l’Union Européenne ................................ 335 B. La volonté politique de maintenir la région dans un rôle secondaire............ 338 Conclusion Chapitre 2................................................................................................ 341 CONCLUSION TITRE 1ER ................................................................................................... 343 - 499 - TITRE 2 LES INTERROGATIONS SUR LE DEVENIR DE LA FONCTION DE COLLECTIVITE CHEF DE FILE ................................................................................................................................ 345 Chapitre 1er La loi du 16 décembre 2010, l’échec de l’approfondissement de la fonction de collectivité chef de file............................................................................................ 347 Section 1. La notion de chef de file malmenée par les débats parlementaires........... 350 §1. Le projet gouvernemental : le renvoi à l’utilisation de la fonction de chef de file dans une loi ultérieure relative aux compétences locales ..................................... 350 A. Le renvoi utopique à une loi ultérieure ....................................................... 351 B. Les principes de répartition de compétences proposés par le projet de loi ... 352 §2. L’enterrement prématuré des dispositions constitutionnelles de l’Acte II de la décentralisation................................................................................................... 356 A. L’opposition entre le Sénat et l’Assemblée nationale.................................. 356 B. La complexité des dispositions adoptées..................................................... 358 1. La pseudo suppression de la clause générale de compétence.................... 358 2. Le retour problématique des blocs de compétences.................................. 361 Section 2. Des solutions trop institutionnelles pour une réelle clarification des compétences ........................................................................................................... 366 §1. Le rapprochement forcé du département et de la région, une fausse clarification ........................................................................................................................... 366 A. Le conseiller territorial, synergie forcée du couple département région....... 367 1. L’institutionnalisation préjudiciable d’un cumul des mandats .................. 369 2. Le mandat multiple du conseiller territorial ............................................. 372 B. Les schémas d’organisation des compétences et de mutualisation des services, outil du rapprochement département-région .................................................... 377 §2. Le possible « retour du refoulé » ................................................................... 381 A. La délégation de compétences entre collectivités territoriales, la recherche d’une efficacité accrue de l’action locale......................................................... 381 B. La métropole, un nouveau chef de file ?...................................................... 385 1. De la proposition du Comité Balladur au texte de loi, le recul sur le statut juridique de la métropole............................................................................. 386 2. Les compétences métropolitaines, un échec pour la clarification des compétences locales .................................................................................... 388 Conclusion Chapitre 1er .............................................................................................. 395 Chapitre 2 La nécessaire mise en avant de la fonction de chef de file ......................... 397 Section 1. Le chef de file, une solution largement admise en matière de compétences partagées ................................................................................................................ 399 §1. Les propositions en faveur d’un plus grand développement de la fonction de chef de file.......................................................................................................... 399 A. Les rapports élaborés à la suite de la loi de réforme des collectivités territoriales...................................................................................................... 400 1. Le rapport Lefèvre, une analyse objective des raisons de l’enchevêtrement des compétences.......................................................................................... 400 2. Le rapport de Peretti, un éclairage bienvenu sur les schémas d’organisation et de mutualisation des services................................................................... 405 B. La collectivité chef de file, une notion connue des élus............................... 408 1. L’évocation de la fonction de chef de file dans les projets politiques pour les élections de 2012......................................................................................... 409 2. Les associations de collectivités territoriales, « think tank » au service de la décentralisation ........................................................................................... 410 §2. Des comparaisons difficiles mais riches d’enseignement ............................... 412 - 500 - Section 2. Processus pour une véritable reconnaissance de la fonction de chef de file ............................................................................................................................... 421 §1. L’apport possible de la loi en faveur de la fonction de chef de file................. 421 A. Le recours aux guichets uniques ................................................................. 421 B. La consécration d’un véritable rôle de chef de file pour les communes et les intercommunalités........................................................................................... 425 1. L’obscurité du rôle du maire en matière de prévention de la délinquance. 425 2. La politique de la ville, un domaine d’action topique de l’enchevêtrement des compétences.......................................................................................... 427 §2. Les évolutions nécessitant une modification constitutionnelle ....................... 432 A. La fiction sur l’égalité des collectivités territoriales, une apostasie nécessaire ....................................................................................................................... 432 B. La clarification du pouvoir normatif des collectivités territoriales............... 434 1. La clarification du pouvoir réglementaire d’application des lois .............. 435 2. La consécration d’un pouvoir normatif autonome : une évolution de la forme de l’État ...................................................................................................... 439 Conclusion Chapitre 2................................................................................................ 442 CONCLUSION TITRE 2 ...................................................................................................... 443 CONCLUSION SECONDE PARTIE ............................................................................. 445 CONCLUSION GENERALE .......................................................................................... 447 BIBLIOGRAPHIE ......................................................................................................... 455 INDEX ............................................................................................................................. 493 TABLE DES MATIERES ...................................................................................................... 495 - 501 -