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Introduction

2021, in, Exprimer la fraternité cosmique et spirituelle. Vivre la communauté avec toutes les créatures dans la perspective de l’Écologie Intégrale, Paris, Cerf-Patrimoine, p. 7-35

INTRODUCTION Quand la chaire Jean Bastaire a choisi comme thème la fraternité entre les créatures, son équipe était loin de réaliser à quel point il serait d’actualité au moment de préparer les actes du colloque des 26-28 novembre 2019. La crise sanitaire de la Covid-19 a joué le rôle de caisse de résonance de certaines de revendications de beaucoup en ce qui concerne l’avènement d’un monde plus fraternel pour faire face aux enjeux d’une crise aux multiples facettes dont celles de l’écologie. Dans le sillage de l’encyclique Laudato si’1 la chaire Jean Bastaire s’était donné comme objectif d’approfondir le rapport entre le thème de la création et l’éthique de l’écologie dans la perspective de l’écologie intégrale et en 2015, il nous avait semblé assez évident que ce lien pouvait être le mieux appréhendé et étudié par la médiation du thème franciscain de la fraternité avec toutes les créatures. La manière de considérer la création et les créatures selon des liens de fraternité, implique un certain type de mise en relation et de comportement nécessairement plus respectueux que ceux d’une Modernité comprenant le monde naturel comme un espace de ressources à asservir et à exploiter selon les seuls critères de l’utilité humaine. La perspective académique qui est la nôtre appelle à explorer les différentes manières d’interpréter la fraternité cosmique, c’est-à-dire à l’échelle de la création toute entière et tout ce qu’elle contient. Cette perspective nécessite un préalable d’identification du contexte pour bien placer la problématique ainsi que les différentes manières de la traiter. C’est pourquoi dans un propos introductif vous est présenter quelques éléments généraux sur le thème de la fraternité universelle et cosmique, à travers les origines de ce thème en théologie chrétienne, l’apport incontournable de l’encyclique Fratelli Tutti2 qui est paru entre le colloque et le moment de la rédaction de cette introduction, puis deux figures de sainteté qui inspirent aujourd’hui 1. Pape François, Loué sois-tu, mon Seigneur, 24 mai 2015, Lettre encyclique Laudato si’ du Pape François sur la sauvegarde de la maison commune, D.C. 2519, juillet 2015 (LS), p. 5-71. 2. Pape François, Lettre Encyclique Fratelli Tutti sur la fraternité sociale, 3 octobre 2020, Paris, Bayard, Cerf, Mame, 2020. 3-1_revol_exprimer la fraternite cosmique copie.indd 7 30/08/2021 09:55 8 | EXPRIMER LA FRATERNITÉ COSMIQUE ET SPIRITUELLE cette posture de fraternité universelle et cosmique, que sont les saints Charles de Foucauld et François d’Assise. Ils sont traités dans cet ordre car il existe en fait une distinction à bien noter entre les deux vocables : « fraternité universelle » et « fraternité cosmique ». Même si les adjectifs viennent du latin pour l’un et le grec pour l’autre, ils désignent a priori le même objet : l’univers. Mais leur étude montre que la fraternité universelle est en fait tournée vers les humains comme la figure de Charles de Foucauld l’indique. La fraternité cosmique quant à elle d’origine franciscaine s’applique véritablement à toutes les créatures, « celles du ciel et celles de la terre », selon l’expression paulinienne1. La fraternité universelle et cosmique en question Les sources de la théologie de la fraternité Quelles sont les principales références en ce qui concerne la théologie de la fraternité ? Michel Dujarier nous les indique dans son œuvre monumentale sur le thème de l’Église-fraternité. Jusqu’à la trilogie2 de Dujarier il y avait en langue française : l’article « Fraternité » de L. de Candido dans le, Dictionnaire de la vie spirituelle3, et en langue allemande, c’est Joseph Ratzinger qui fait référence4 avec son ouvrage de 1960 traduit en français en 1962 : Frères dans le Christ5. Autrement, il apparaît que peu d’études ont été réalisées probablement à cause de la trop grande possibilité d’interprétation de ce thème en régime chrétien6. La thèse de Dujarier est la suivante : dès les premiers moments de l’Église et les siècles qui suivirent, le mot « fraternité » désigne l’Église « en tant que communauté de frères et de sœurs baptisés7 ». Son idée pour aujourd’hui 1. Ep 1, 9 par exemple. 2. Saluons ici le monumental travail de Michel Dujarier qui reste inachevé à ce jour après la publication de trois volumes sur les quatre depuis 1991. M. Dujarier, L’Église fraternité, Paris, Cerf, 1991, coll. « Théologies » ; Eglise-fraternité, L’ecclésiologie du Christ-Frère aux huit premiers siècles, * L’Église s’appelle « Fraternité » Ier-IIIe siècle, Paris, Cerf, 2013, coll. « Patrimoines christianisme » ; Église-fraternité, L’ecclésiologie du Christ-Frère aux huit premiers siècles, ** L’Église est « Fraternité en Christ » IVer-Ve siècle, Paris, Cerf, 2016, coll. « Patrimoines » ; Église-fraternité, L’ecclésiologie du Christ-Frère aux huit premiers siècles, *** Vers le réveil de la « sainte Fraternité » VIe-VIIIe siècle, Paris, Cerf, à paraître. 3. L. de Candido, « Fraternité », Dictionnaire de la vie spirituelle, Paris, Cerf, 1983, p. 448-457. 4. M. Dujarier, L’Église fraternité, Paris, Cerf, 1991, coll. « Théologies », p. 15. 5. J. Ratzinger, Die Christliche Brüderlichkeit, Munich, Kösel-Verlag, 1960, traduit en 1962 par Frères dans le Christ, Paris, Cerf, 1962. 6. M. Dujarier, Église-fraternité, * L’Église s’appelle « Fraternité », p. 20. 7. M. Dujarier, L’Église fraternité, 1991, p. 15-16. 3-1_revol_exprimer la fraternite cosmique copie.indd 8 30/08/2021 09:55 INTRODUCTION | 9 est que ce vocable devrait par conséquent être le plus désigné pour parler de l’Église dans sa pastorale et également structurer l’ecclésiologie. Il montre ensuite que cette approche s’est diversifiée dans des sens et des directions différentes : Ce mot, tout en continuant d’être utilisé dans cette signification première et fondamentales, s’élargira, de 300 à 600, dans cinq autres directions pour exprimer aussi bien la vertu chrétienne de fraternité que la fraternité humaine universelle, ou les communautés monastiques, ou le lien qui nous uni au Christ, avant de devenir aussi, mais plus tardivement, un titre de politesse1. Il montre notamment que l’antiquité pré-chrétienne ne connaît pas le mot « fraternité » (« adelphotès ») et qu’il semble donc être une invention proprement chrétienne2. Giuseppe Ruggieri indique dans un article de la revue Concilium les trois différents sens du mot « fraternité » au Concile de Vatican II. Le plus souvent il exprime l’« idéal de la convivance humaine en tant que telle, en dehors de toute spécification ecclésiale3 », c’est ce qui se rapproche le plus du sens utilisé par le pape François dans Fratelli Tutti comme nous allons le voir plus loin. Un deuxième sens est celui de « la nature du lien qui unit les chrétiens entre eux4 », et un troisième est celui qui désigne la communauté ecclésiale. La première occurrence de cette dernière idée apparaît d’ailleurs en 1 Pierre 2, 17 et 5, 9 bien que traduit par la « communauté de frères5 ». Les recherches récentes sur le sens du mot fraternité en théologie sont détaillées par Dujarier dans la « présentation générale » de sa trilogie6 encore inachevée, mais comme elles divergent de la perspective du projet de la chaire car concentrée sur la fraternité universelle (entre les humains), nous décidons de renvoyer le lecteur à ces travaux. En effet force est de constater que dans ces approches, l’inclusion du cosmos n’est jamais envisagée en termes de fraternité. Il faut attendre saint François d’assise pour ouvrir l’expression dans ce sens au xiiie siècle et les études franciscaines contemporaines liées à l’écologie pour le voir se développer. Mais avant d’en rendre compte, arrêtons-nous un instant sur le texte du pape François sur la fraternité universelle dans l’encyclique Fratelli Tutti afin d’envisager ses 1. Ibid. p. 16. 2. M. Dujarier, Église-fraternité, * L’Église s’appelle « Fraternité », p. 85-86. 3. G. Ruggieri, « L’Église refait sienne la fraternité évangélique », Concilium 166, 1981, p. 42. 4. Id. 5. Voir par exemple la Bible de Jérusalem et la Traduction Liturgique de la bible. 6. M. Dujarier, « Présentation générale », Église-fraternité, * L’Église s’appelle « Fraternité », p. 19-74. 3-1_revol_exprimer la fraternite cosmique copie.indd 9 30/08/2021 09:55 10 | EXPRIMER LA FRATERNITÉ COSMIQUE ET SPIRITUELLE articulations avec le projet de l’écologie intégrale et évaluer son apport par rapport aux enjeux du colloque de la Chaire Jean Bastaire. Une encyclique sur la fraternité Fratelli Tutti L’encyclique Fratelli Tutti du Pape François, signée le 3 octobre 2020, est un texte qui se situe dans la perspective pastorale générale du Saint-Père. Cela est bien visible dans les références en notes qui citent abondamment Evangelii Gaudium1 et Laudato si’ comme il le fait déjà dans l’exhortation apostolique postsynodale Querida Amazonia2. Dans le concert des commentaires qui ne manque pas de s’organiser dans les médias, je voudrais mettre en valeur en quoi ce texte s’inscrit bien dans le programme de l’écologie intégrale. D’abord François prend soin de préciser que Fratelli Tutti est une encyclique sociale3. Elle s’inscrit donc après Laudato si’ dans la tradition de la doctrine sociale de l’Église. Ensuite, il dévoile que le thème de la fraternité universelle est pour lui d’abord d’inspiration franciscaine4. De ce fait il prolonge l’appel du pape François à recevoir saint François d’Assise comme modèle pour l’écologie intégrale5. Ensuite l’écologie intégrale est, je le rappelle6, la vision anthropologique qui pense l’habitation de la planète Terre comprise comme maison commune selon les quatre relations fondamentales que sont le rapport à Dieu, à soi, aux autres et à toutes les créatures7. Ici toujours franciscaine, la perspective est claire et explicite, c’est une encyclique consacrée au rapport aux autres : Ce Saint de l’amour fraternel, de la simplicité et de la joie, qui m’a inspiré l’écriture de l’encyclique Laudato si’, me pousse cette fois-ci à consacrer la présente nouvelle encyclique à la fraternité et à l’amitié sociale. En effet, saint François, qui se sentait frère du soleil, de la mer et du vent, se savait encore davantage uni à ceux qui étaient de sa propre chair. Il a semé la paix partout et côtoyé les pauvres, les abandonnés, les malades, les marginalisés, les derniers8. 1. Pape François, La joie de l’évangile, 24 novembre 2013 ? exhortation apostolique Evangelii Gaudium, D.C. 2515, janvier 2014 (EG), p. 6-83. 2. Pape François, Exhortation apostolique post-synodale Les quatre rêves du pape François sur l’Amazonie, 12 février 2020, D.C., 2538, avril 2020 (QA), p. 33-59. 3. FT 6. 4. FT 1-4. 5. F. Revol, A. Ricaud, Une encyclique pour une insurrection écologique des consciences, Paris, Paroles et Silence, 2015, p. 65 ss. 6. F. Revol, « L’interaction d’interdépendance aux fondements philosophiques du concept d’écologie intégrale », Interdépendance et écologie intégrale, La revue de l’Université Catholique de Lyon, 36, déc. 2019, p. 22-23. 7. LS 10, 75, voir F. Revol, A. Ricaud, p. -. 8. FT 2, voir aussi FT 286. 3-1_revol_exprimer la fraternite cosmique copie.indd 10 30/08/2021 09:55 INTRODUCTION | 11 Ce paragraphe situe le propos par rapport au contexte général. Comme dans Laudato si’ au chapitre 3, le pape se livre à un essai de critique des fondements historiques d’une situation dans laquelle la fraternité interhumaine est mise en péril. On y retrouve les mêmes élans que dans le chapitre 3 de Laudato si’ dans lequel il critiquait les causes humaines de la crise écologique : la critique de la raison instrumentale et des représentations de l’humanité et de la société issue de la Modernité. En d’autres termes, le principal adversaire du pape François est bien l’individualisme : « Plus que jamais nous nous trouvons seuls dans ce monde de masse qui fait prévaloir les intérêts individuels et affaiblit la dimension communautaire de l’existence. Il y a plutôt des marchés où les personnes jouent des rôles de consommateurs ou de spectateurs1. » Le pape François met en pratique certains des principes élaborés dans Evangelii Gaudium et dans Laudato si’ comme par exemple le principe « tout est lié2 » issu de la pensée écologique scientifique quand il dit : « Protéger le monde qui nous entoure et nous contient, c’est prendre soin de nous-mêmes. Mais il nous faut constituer un “nous” qui habite la Maison commune3. » Il convoque même le thème de la protection de la planète en dénonçant les sophismes libéraux qui visent à détourner l’attention : « Bien souvent, les voix qui s’élèvent en faveur de la défense de l’environnement sont réduites au silence ou ridiculisées, tandis qu’est déguisé en rationalité ce qui ne représente que des intérêts particuliers4. » Ce faisant le pape montre que l’écologie est bien un enjeu de fraternité humaine. François précise que l’encyclique a été rédigée avant la crise sanitaire mais il a quand même réussi à introduire quelques réflexions à son sujet et il a pu constater qu’elle a été source de prises de conscience de la nécessité d’une solidarité renouvelée dans laquelle le principe du tout est lié est bien présent : « La douleur, l’incertitude, la peur et la conscience des limites de chacun, que la pandémie a suscitées, appellent à repenser nos modes de vie, nos relations, l’organisation de nos sociétés et surtout le sens de notre existence5. » Parmi les thématiques qui reviennent et que le pape reprend pour les préciser en fonction du thème de l’encyclique, se trouve le développement intégral de la personne humaine. Nous découvrons ainsi que la fraternité est à la fois moyen et fin de ce développement comme composante intégrale de notre humanité. C’est pourquoi il critique vivement un progrès qui n’aurait 1. FT 12. 2. LS 16. 3. FT 17. 4. Id. 5. FT 33. 3-1_revol_exprimer la fraternite cosmique copie.indd 11 30/08/2021 09:55 12 | EXPRIMER LA FRATERNITÉ COSMIQUE ET SPIRITUELLE pas pour objet de faire grandir les qualités morales et spirituelles de la personne humaine1. La fraternité en contexte s’applique pour François tout d’abord à nos frères et sœurs les migrants, comme problématique constitutive de l’écologie intégrale. La fraternité pousse à l’accueil inconditionnel, mais cet accueil n’est ni béat ni inconsidéré pour autant. François manifeste une lucidité intéressante sur la reconnaissance des réactions basiques de l’être humain dans la peur de l’autre : « Je comprends que certaines personnes aient des doutes et éprouvent de la peur. Je considère que cela fait partie de l’instinct naturel de légitime défense. […] Ainsi la peur nous prive du désir et de la capacité de rencontrer l’autre2. » Il en va de même dans la réaction à la crise écologique. François reconnaît la légitimité de la peur et de l’anxiété comme des composantes de notre humanité ; mais elles sont appelées à être dépassées par l’espérance qui naît de la foi. Cela dit François exprime la même confiance que dans Laudato si’ dans les capacités de l’humain à faire face : « En effet Dieu continue de répandre des semences de bien dans l’humanité3 ». De même dans Laudato si’ il répète sa confiance dans les capacités humaines à trouver des solutions bonnes et justes contre la crise écologique4. Dans Frattelli Tutti, il est de nouveau question de réagir à une ou des clameurs. Mais qu’est-ce que cela signifie que de réagir à la clameur des pauvres et de la terre – qui fait partie des pauvres ? François nous l’indique : « Cela devrait nous indigner au point de nous faire perdre la sérénité, parce que nous aurions été perturbés par la souffrance humaine. C’est cela la dignité5 ! » Il s’agit ici de la dignité de celui qui vient porter réponse à la clameur, pas de celle des pauvres et des souffrants. Dans la continuité et malgré cette dignité, le pape a conscience de ce que ce n’est pas parce qu’on a la foi qu’on est meilleurs que les autres : « Une personne de foi peut ne pas être fidèle à tout ce que cette foi exige d’elle, et pourtant elle peut se sentir proche de Dieu et avoir plus de dignité que les autres6. ». L’option préférentielle pour les pauvres, que ce pauvre soit humain ou la planète, est une conséquence de notre rencontre du Christ7. L’enjeu éthique est un enjeu théologique donné dans Evangelii Gaudium : nous devons configurer nos comportements à partir de la Révélation correctement reçue et comprise8. Les conséquences de cette posture sont visibles dans Laudato si’ en ce qui 1. FT 29. 2. FT 41. 3. FT 54. 4. LS 71. 5. FT 68. 6. FT 73. 7. LS 217. 8. EG 41. 3-1_revol_exprimer la fraternite cosmique copie.indd 12 30/08/2021 09:55 INTRODUCTION | 13 concerne l’écologie intégrale en général ainsi que dans Querida Amazonia, et dans Frattelli Tutti en ce qui concerne la fraternité humaine. François continue de décliner les principes de l’écologie intégrale et notamment : « Le tout est supérieur à la partie1 ». Pour lui un peuple est plus qu’une société, laquelle n’est que l’agrégation des individualités2. C’est pourquoi il est important pour quelqu’un d’appartenir à un peuple. C’est structurant de la personne que de vivre cette appartenance car nous recevons une part d’humanisation dans l’inscription de la personne dans les réseaux d’interdépendance d’une communauté. D’après la théologie du peuple qui sous-tend la réflexion de François3 depuis Evangelii Gaudium en passant par Laudato si’ et Querida Amazonia, précisions que la culture et les aspirations populaires sont des expressions d’une parole de Dieu présente par création, mais aussi par l’inspiration de l’Esprit Saint. Il apparaît ainsi une dimension intéressante mais paradoxale chez le pape François : c’est cette tension entre faire peuple localement, et adopter une posture de fraternité universelle sans frontière. Encore une fois l’un est indissociable de l’autre : « L’amour qui s’étend au-delà des frontières a pour fondement ce que nous appelons “l’amitié sociale” dans chaque ville ou dans chaque pays4. » Pas d’amour universel s’il n’y a pas d’amour enraciné dans sa communauté locale. Il rappelle ici le sens du Bien commun qui est à distinguer de l’intérêt général comme la somme des intérêts individuels5. Le Bien commun ne peut se construire sans cette tension entre fraternité universelle et enracinement local. De même, sur la destination universelle des biens, le pape reprend ce qu’il disait dans Laudato si’ 6. Il cite l’adage de Grégoire le Grand7 : « Quand nous donnons aux pauvres les choses qui leur sont nécessaires, nous ne leur donnons pas tant ce qui est à nous, que nous leur rendons ce qui est à eux. » Cela l’invite à répéter comme dans Evangelii Gaudium le fait que la propriété privée n’est pas un absolu mais doit être subordonnée à la destination universelle des biens et à la construction du Bien commun, en vue du Développement intégral de la personne humaine8. À travers la relation à l’autre se trouve l’argument fondateur de l’éthique chrétienne qu’est la dignité de la personne humaine. Dans ce domaine le pape fait preuve d’une fidélité tant au fond qu’à la forme de la tradition 1. LS 141. 2. FT 78. 3. J. C. Scannone, La théologie du people, Racines théologiques du pape François, Namur, Lessius, 2017, coll. « Donner Raison » 60. 4. FT 99. 5. FT 105. 6. LS 93 ss. 7. FT 119. 8. FT 120-124, voir EG 189. 3-1_revol_exprimer la fraternite cosmique copie.indd 13 30/08/2021 09:55 14 | EXPRIMER LA FRATERNITÉ COSMIQUE ET SPIRITUELLE catholique ainsi qu’à ses prédécesseurs. Il en rappelle le fondement : être créé à l’image de Dieu. S’il faut respecter en toute situation la dignité d’autrui, ce n’est pas parce que nous inventons ou supposons la dignité des autres, mais parce qu’il y a effectivement en eux une valeur qui dépasse les choses matérielles et les circonstances, et qui exige qu’on les traite autrement. Que tout être humain possède une dignité inaliénable est une vérité qui correspond à la nature humaine indépendamment de tout changement culturel. C’est pourquoi l’être humain a la même dignité inviolable en toute époque de l’histoire et personne ne peut se sentir autorisé par les circonstances à nier cette conviction ou à ne pas agir en conséquence. L’intelligence peut donc scruter la réalité des choses, à travers la réflexion, l’expérience et le dialogue, pour reconnaître, dans cette réalité qui la transcende, le fondement de certaines exigences morales universelles1. C’est également ce qui fonde l’écologie humaine2 dans Laudato si’, dans la suite de saint Jean-Paul II et de Benoît XVI. Cela implique de considérer tout être humain comme frère ou sœur. Il met en application ce principe dans son attention portée aux réseaux sociaux et en particulier aux appels à la haine qui s’y déploient envers des personnes stigmatisées3. Cela se déploie ensuite dans le domaine de l’économie4. La finalité de l’organisation économique est le service de la dignité de la personne humaine et non pas le système économique en lui-même. De même pour construire ce monde plus fraternel, le pape n’a pas peur d’avoir recours aux outils du progrès technologique, dans la mesure où sa finalité est bien la dignité de la personne humaine et non pas un progrès indéfini qui serait sa propre fin5. Respecter la dignité de la personne humaine, c’est donner à chacun un travail décent comme selon la plus pure tradition de la Doctrine Sociale de l’Église. Il ne revient cependant pas sur l’idée que certains métiers pourraient être néfastes à la création comme ils pourraient l’être à la fraternité selon ce qu’il en dit dans un discours6 de 2013. Il affirme : « Les mécanismes de production ont beau changer, la politique ne peut pas renoncer à l’objectif de faire en sorte que l’organisation d’une société assure à chacun quelque moyen d’apporter sa contribution et ses efforts7. » La dignité ici est donc cette capacité de contribuer au bien commun. 1. FT 213. 2. LS 155. 3. FT 124. 4. FT169. 5. FT 135. 6. Pape François, « L’idolâtrie du dieu argent nous vole la dignité », 22 septembre, 2013, discours au monde du travail à Gagliari (Italie), D.C. 2513, janvier 2014, p. 115-118. 7. FT 162. 3-1_revol_exprimer la fraternite cosmique copie.indd 14 30/08/2021 09:55 INTRODUCTION | 15 Le thème suivant est celui de la figure du polyèdre1. Il en rappelle la définition qu’il avait déjà présenté en Evangelii Gaudium2 : « Le polyèdre représente une société où les différences coexistent en se complétant, en s’enrichissant et en s’éclairant réciproquement, même si cela implique des discussions et de la méfiance3. » Ce polyèdre cherche à signifier à la fois unité du tout dans le respect de l’affirmation de l’identité de chacune des facettes qui compose la figure. C’est dans ce contexte que le pape réintroduit la quatrième des lois de l’écologie intégrale : « l’unité est supérieure au conflit » en invitant à créer une éducation basée sur le dialogue, dans le cadre d’une culture de la rencontre qu’il appelle de ses vœux. Il en rappelle la définition4 : « Il ne s’agit pas de viser au syncrétisme ni à l’absorption de l’un dans l’autre, mais à la résolution à un plan supérieur qui conserve en soi les précieuses potentialités des polarités en opposition5. » Le pape complète en disant que dans une société, les tensions entre les différents pôles d’identité doivent exister et elles ne sont pas mauvaise en elles-mêmes. Fidèle à son approche de Laudato si’, François ne dit pas qu’il faut éviter le conflit ou le nier6 car il reconnaît qu’il est souvent « inéluctable7 ». Il affirme face à cela la force du message chrétien qui doit mettre en avant le pardon. Dans Frattelli Tutti, le pape François propose de nombreux paragraphes sur le thème du conflit et de la réconciliation pour mettre en application cette quatrième loi de l’écologie intégrale. Dans la fidélité au message de Paul VI dans Populorum Progressio, il rappelle que le développement intégral doit amener à la paix8. « Ceux qui cherchent à pacifier la société ne doivent pas oublier que l’iniquité et le manque de développement humain intégral ne permettent pas de promouvoir la paix9. » Cette réflexion sur la paix l’amène à tenir des propos fermes et engageant sur la pratique de la guerre qui doit être évitée à tout prix : Nous ne pouvons donc plus penser à la guerre comme une solution, du fait que les risques seront probablement toujours plus grands que l’utilité hypothétique qu’on lui attribue. Face à cette réalité, il est très difficile aujourd’hui de défendre les critères rationnels, mûris en d’autres temps, pour parler d’une possible « guerre juste ». Jamais plus la guerre10 ! 1. FT 144, 190. 2. EG 236. 3. FT 215. 4. EG 228… 5. …Citée en FT 245. 6. FT 215. 7. FT 240. 8. PP 5. 9. FT 235. 10. FT 258. 3-1_revol_exprimer la fraternite cosmique copie.indd 15 30/08/2021 09:55 16 | EXPRIMER LA FRATERNITÉ COSMIQUE ET SPIRITUELLE Il rajoute en note de bas de page qu’il ne soutient plus le concept de guerre juste proposé par Saint Augustin1. Dans la même perspective, le pape François condamne la pratique de la peine de mort. François estime que le coût de la guerre est disproportionné par rapport aux bénéfices attendus en termes de paix, et il inclut dans ce calcul des conséquences celles qui retombent sur la création et les écosystèmes. Dans cette œuvre à mener pour la paix, le pape n’hésite pas à dire que les religions ont un rôle à jouer. Pour répondre à ceux qui pensent le contraire il affirme avec force : « La vérité, c’est que la violence ne trouve pas de fondement dans les convictions religieuses fondamentales, mais dans leurs déformations2. » La finalité de cette paix pensée dans des relations fraternelles à l’échelle de la planète est la même que celle exprimée en Laudato si’ : former une communion universelle3, une communion plus qu’une société4. Il faut donc par la fraternité former une communion de pays. Il utilise également l’expression « famille des nations5 » pour reprendre une formule de Benoît XVI dans Caritas in Veritate6. Le moyen pour y arriver, dans la perspective d’Evangelii Gaudium7, est de mettre en œuvre la charité sociale comme moteur de l’engagement et de la vie politique. François distingue l’amour « élicite » (envers des personnes particulières) de l’amour « impéré » : « des actes d’amour qui poussent à créer des institutions plus saines, des réglementations plus justes des structures plus solidaires8 ». Il oppose ce modèle à ce que le pape appelle la culture du déchet9, concept proposé en Evangelii Gaudium10, c’est-à-dire une société qui produit tant de l’exclusion sociale que de la pollution écologique. Cette charité sociale doit utiliser les outils du dialogue comme dans Laudato si’ : le dialogue science et foi, et le dialogue des cultures11, etc. Ici il s’agit du dialogue des différences parce que comme il le dit dans le film Le Pape François, un homme de parole ; les différences sont créatrices, elles créent des tensions et dans la résolution d’une tension se trouve le progrès 1. Note 242. 2. FT 282. 3. LS 76, 89 ss, 220. 4. FT 149. 5. FT 173. 6. Benoît XVI, Caritas in Veritate, Lettre encyclique sur le développement humain intégral dans la charité et dans la vérité, 29 juin 2009, D.C. 2429, août 2009, (CiV) 67, p. 753-793. 7. EG 180. 8. FT 186. 9. FT 188. 10. EG 53. 11. Voir tous les titres des sections du chap. 5 de LS. 3-1_revol_exprimer la fraternite cosmique copie.indd 16 30/08/2021 09:55 INTRODUCTION | 17 de l’humanité1 ». Le pape évoque également le dialogue des disciplines du savoir – l’interdisciplinarité – qui est l’application de l’écologie intégrale dans le champ de la connaissance. La deuxième loi de l’écologie intégrale est aussi bien présente dans Frattelli Tutti : « Le temps est supérieur à l’espace2 » François affirme : « Il y a une grande noblesse dans le fait d’être capable d’initier des processus dont les fruits seront recueillis par d’autres en mettant son espérance dans les forces secrètes du bien qui est semé3. » Il s’agit ici de lutter contre l’esprit du courtermisme de la politique actuelle. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne la mise en œuvre des processus de paix4. Ce n’est qu’au no 286 de Frattelli Tutti que le Saint-Père dévoile ses sources d’inspiration. En plus de saint François d’Assise dont la figure était introduite dès le début de l’encyclique, il convoque Martin Luther King, Desmond Tutu, Mahatma Mohandas Gandhi. Mais ce n’est qu’à la toute fin qu’il parle d’un autre grand personnage qui se présente comme frère universel : « je voudrais terminer en rappelant une autre personne à la foi profonde qui, grâce à son expérience intense de Dieu, a fait un cheminement de transformation jusqu’à se sentir le frère de tous les hommes et femmes. Il s’agit du bienheureux Charles de Foucauld5. » Saint Charles de Foucauld le frère universel Ainsi François nous donne-t-il de bien précieuses informations qui nous permettent d’aller droit au but pour évoquer brièvement cette figure, car de fait, la fraternité universelle du saint n’est ouverte qu’au frère humain et à lui seul : Il a orienté le désir du don total de sa personne à Dieu vers l’identification avec les derniers, les abandonnés, au fond du désert africain. Il exprimait dans ce contexte son aspiration de sentir tout être humain comme un frère ou une sœur, et il demandait à un ami : « Priez Dieu pour que je sois vraiment le frère de toutes les âmes […] ». Il voulait en définitive être « le frère universel ». Mais c’est seulement en s’identifiant avec les derniers qu’il est parvenu à devenir le frère de tous6. 1. Cité en FT 203. 2. LS 178. 3. FT 196. 4. FT 226. 5. FT 286. 6. FT 287. Voici les sources auxquelles il fait référence dans ce paragraphe : C. de Foucauld, Le Pater médité par le Père de Foucauld (23 janvier 1897), Clamart, Éditions Foucauld l’Africain, 1946, p. 2. ; « Lettre à Henry de Castries » (29 novembre 1901), in Lettres à Henry de Castries, Paris, Grasset, 1938, p. 113 ; Lettre à Madame de Bondy (7 janvier 1902) dont la référence est fausse voir note 1 p. 7. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 12. 3-1_revol_exprimer la fraternite cosmique copie.indd 17 30/08/2021 09:55 18 | EXPRIMER LA FRATERNITÉ COSMIQUE ET SPIRITUELLE Dans la méditation sur le Notre Père, saint Charles de Foucauld situe sa vocation et les relations de fraternité sous l’angle de la paternité divine telle que décrite dans la prière du Seigneur. « Puisque Vous voulez être mon Père, mon Dieu et celui de tous les hommes, combien je dois avoir pour tout homme quel qu’il soit, quelque mauvais qu’il soit, les sentiments d’un tendre frère1 ! » Dans sa lettre à son ami Henry de Castries, le P. de Foucauld exprime le désire d’être le frère de toutes les personnes qui vivent dans le village fortifié où il se trouve en 1901. Il a d’ailleurs nommé l’ensemble des bâtiments qu’il habite du nom de « Khaoua » qui signifie fraternité en Arabe2 dans un esprit d’accueil fraternel. Malheureusement la dernière référence du Saint Père est manifestement une erreur de citation de deuxième, voire troisième main puisque Charles de Foucauld n’écrit pas dans la lettre à Mme de Bondy datée du 7 janvier 1902, l’expression : « le frère universel3 ». La mention de ce frère universel dans Populorum Progressio sert à illustrer la charité désintéressée de l’évangélisateur dont la mission d’annonce passe par l’exemple d’une vie de service. Notons que saint Paul VI utilise l’expression « être appelé4 », à cause de la charité, là où Charles de Foucauld se présente lui-même comme frère universel, comme on l’a vu à cause de la paternité de Dieu. Cette fraternité est donnée en modèle pour la construction du développement humain intégral que promeut, pour la première fois un pape catholique5, thème qui fut ensuite repris par Benoît XVI dans Caritas in Veritate6 et aussi par François7 dans Laudato si’. Dans cette dernière, le modèle n’est plus Charles de Foucauld pour penser ce développement fondé sur la fraternité, mais bien saint François d’Assise8. 1. C. de Foucauld, Le Pater médité par le Père de Foucauld, p. 2. 2. C. de Foucauld, « Lettre à Henry de Castries » (29 novembre 1901), loc. cit. p. 113. 3. Après vérification dans les différentes versions de Fratelli Tutti ; c’est dans le texte italien que l’on comprend cela : « Lettera a Madame de Bondy (7 gennaio 1902) : cit. in P. Sourisseau, Charles de Foucauld 1858-1916. Biografia, trad. a cura delle Discepole del Vangelo e A. Mandonico, Effatà, Cantalupa (TO), 359. Le pape cite une citation qui doit donc être fausse. Je n’ai pas retrouvé d’équivalent dans le livre de référence : Charles de Foucauld, Lettres à Madame de Bondy, de la Trappe à Tamanraset, Paris, DDB, 1966. 4. Saint Paul VI, Lettre encyclique Populorum progressio sur le développement des peuples, (26 mars 1967), D.C. 1492, avril 1967, (PP) 12. 5. PP 5. 6. CiV 11. 7. LS 50. 8. LS 10-12. 3-1_revol_exprimer la fraternite cosmique copie.indd 18 30/08/2021 09:55 INTRODUCTION | 19 Saint François d’Assise le frère universel, pour une fraternité cosmique Le pape François appelle nos contemporains à embrasser le projet d’une fraternité universelle. Cette dernière inclut les ennemis, ainsi que « le vent, le soleil ou les nuages1 ». Cela nous place effectivement dans la perspective franciscaine. Notons que le Saint-Père n’emploie pas l’expression de « fraternité cosmique ». Il emploie le même terme d’universel pour parler de la fraternité entre tous les hommes et la fraternité entre les hommes et les créatures autres qu’humaines. À la suite de la sœur franciscaine américaine Ilia Delio, relevons les aspects les plus importants de cette approche de la fraternité avec les créatures. Ilia Delio commence par rappeler que le sentiment que François avait envers toute créature put être identifié par la notion de « cortesia », « courtoisie », cela définit une forme de déférence que François avait pour toute créature2. Dans un premier temps, cette attitude du cœur s’enracine dans une posture fondamentalement théologique et spirituelle issue de la rencontre de François avec le Christ, le Verbe incarné. L’union avec le Christ, le sens de l’Incarnation, ont fait prendre conscience à François à quel point il était substantiellement lié à tout ce à quoi le Christ était substantiellement relié par cette même Incarnation : c’est-à-dire quand Dieu se fait homme, il assume le moindre détail matériel de toute la création. Pour S. Bonaventure, cette attitude du cœur en rapport avec les créatures un des fruits de la piété. Cela entraîne François à reconnaître une fraternité pour toute créature, et voir en chacune d’elles un signe du Christ. En d’autres termes, la piété envers le Christ incarné pousse le pauvre d’Assise à avoir grande révérence et grand respect pour toute créature, en particulier les animaux3. Dans un deuxième temps, parce que l’expérience christique est première et fondatrice, la fraternité entre les créatures découle de la communauté de Principe des créatures. Michel Hubaut l’affirme : « En contemplant le Christ, le Fils, François a compris que toute la création était promise à la filiation divine4. » Saint Bonaventure précise effectivement dans sa Legenda Maior : « Considérant que toutes les choses ont une origine commune, il se sentait rempli d’une tendresse encore plus grande et il appelait les créatures, aussi petites soient-elles, du nom de frère ou de sœur5 ». 1. LS 228. 2. I. Delio, « Part 2 Francis of Assisi : Creation as Brother/Sister », dans A Franciscan View of Creation : Learning to Live in a Sacramental World, The Franciscan Heritage Series 2, 2003, p. 13. 3. Id., p. 13. 4. M. Hubaut, J. Bastaire, Approche franciscaine de l’écologie, Paris, éditions Franciscaines, 2007, coll. « Découvrir », p. 36. 5. Saint Bonaventure, Vie de saint François d’Assise, traduction, introduction et notes D. Vorreux, dans Saint François d’Assise, Documents écrits et premières biographies, deuxième 3-1_revol_exprimer la fraternite cosmique copie.indd 19 30/08/2021 09:55 20 | EXPRIMER LA FRATERNITÉ COSMIQUE ET SPIRITUELLE François réalise que son identité personnelle est en effet reliée par l’Origine créatrice à l’identité de toute créature. Cette expérience du lien au créateur est une expérience de la paternité de Dieu, le Père tout-puissant et créateur du ciel et de la terre comme l’expriment les credo. François d’assise comprend que Dieu en tant qu’il est créateur est aussi père de ses créatures1. Cette conviction découle de son interprétation d’Ep 4, 5-6 : « Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, au-dessus de tous, par tous, et en tous. » Notons que le français a traduit le neutre pluriel du grec « ta panta » par « tous », laissant à interpréter « toute personne humaine ». Or François avait accès au latin de la vulgate de son époque : « unus Dominus una fides unum baptisma unus Deus et Pater omnium qui super omnes et per omnia et in omnibus nobis ». Le mot « omnia » traduit fidèlement le neutre pluriel du grec et signifie comme lui « toute chose », expression d’ailleurs communément employée par saint Paul dans ses épîtres pour parler de toute la création avec la précision : « toutes choses, celles du ciel et celles de la terre2. » Saint François lisait donc : « Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de toutes choses, au-dessus de toutes choses, par toutes choses, et en toutes choses. » Cette interprétation est assez unique et pourtant elle répond aux aspirations écologiques de notre temps et le pape François l’accueil sans réserve. À trois reprises cet argument théologique est repris par l’auteur de Laudato si’ : « Tout est à toi, Maître, ami de la vie » (Sg 11, 26). D’où la conviction que, créés par le même Père, nous et tous les êtres de l’univers, sommes unis par des liens invisibles, et formons une sorte de famille universelle, une communion sublime qui nous pousse à un respect sacré, tendre et humble3. Il faut ici émettre une certaine réserve sur l’enthousiasme théologique du pape qui peut-être un peu plus prudent que celui de saint François. Le pape ne dit pas ici que Dieu est le Père de toutes les créatures. Il dit que parce qu’elles sont créées par un Dieu qui est Père, les créatures sont inscrites dans des relations fraternelles. Pourtant, un peu plus loin le pape laisse échapper ceci : par l’usage des paraboles « Jésus […] invitait à reconnaître la relation paternelle que Dieu a avec toutes ses créatures4 ». Il suit saint François dans son interprétation de Ep 4, 5-6. Pourtant ce n’est pas le tout de cette vision édition revue et augmentée, D. Vorreux, T. Desbonnets (éds.), Éditions Franciscaines, Paris 1968, Legenda Maior, VIII, 6, p. 636. 1. M. Hubaut, J. Bastaire, op. cit., p. 23. 2. Voir les deux occurrences principales : Ep 1,9 et Col 1,6. 3. LS 89. 4. LS 96. 3-1_revol_exprimer la fraternite cosmique copie.indd 20 30/08/2021 09:55 INTRODUCTION | 21 de la fraternité cosmique-universelle chez François qui s’appuie aussi sur la nature de l’amour divin : Jésus nous a rappelé que nous avons Dieu comme Père commun, ce qui fait de nous des frères. L’amour fraternel ne peut être que gratuit […]. Cette même gratuité nous amène à aimer et à accepter le vent, le soleil ou les nuages, bien qu’ils ne se soumettent pas à notre contrôle. Voilà pourquoi nous pouvons parler d’une fraternité universelle1. Un rapport serait à approfondir théologiquement entre la gratuité de l’amour divin et la nature fraternelle des relations que l’être humain doit construire dans le monde. Ces fondements théologiques et spirituels indiquent à François d’Assise des postures éthiques fondatrices de son rapport aux créatures. Le sens de l’Incarnation est d’abord le mouvement de la kénose du Verbe divin. Phi 2 est chez S. François le texte qui lui dicte un élan, celui de l’humilité dans le service2. Cet élan renverse les valeurs habituelles de la hiérarchie. L’échelle des êtres est celle de la descente par solidarité avec toutes les créatures. La fraternité universelle se trouve inscrite ici. François est le frère universel de toute créature, car il se fait le frère dans un mouvement descendant. Il se met à leur niveau comme le Christ est venu se mettre au nôtre. Il peut ainsi faire de la terre une demeure dans laquelle toutes les créatures sont ses frères et sœurs3. En résumé, l’imitation de Jésus passe par un abaissement volontaire qui permet l’accueil des créatures dans des relations de fraternité. Pour saint François, en bon religieux, être frère, implique une action commune de louange et de liturgie. François a écrit des psaumes, et dans ces textes un verset d’invitation de toute la création à la louange revient souvent. Il invite spécialement les animaux à entrer dans cette prière : « Que les cieux se réjouissent et que la terre exulte, que s’agitent la mer et sa plénitude, se réjouiront les champs et tout ce qui est en eux4. » Un tiers des écrits de François d’Assise sont des prières. C’est toute la création qui est convoquée à la louange dans chacune d’elles. François rend gloire à Dieu avec toute la création. Il ne s’attarde cependant pas sur les créatures mais contemple le mystère trinitaire, ou l’histoire du Salut. Cet esprit de louange est récapitulé dans l’Eucharistie : pour le pauvre d’Assise, l’Eucharistie devint la source la plus profonde de son désir de paix et réconciliation cosmique. Deux ans avant sa mort, S. François a 1. LS 228. 2. I. Delio, « Part 2 Francis of Assisi : Creation as Brother/Sister », loc. cit., p. 14. 3. Ibid., p. 15. 4. Saint François d’Assise, « Psaumes des mystères du Seigneur, Psaume VII », dans Écrits, T. Desbonnet, T. Matura, J.-F. Godet, D. Vorreux (éds.) Paris, Cerf, éditions Franciscaines, 1981, coll. « Sources Chrétiennes », p. 305. 3-1_revol_exprimer la fraternite cosmique copie.indd 21 30/08/2021 09:55 22 | EXPRIMER LA FRATERNITÉ COSMIQUE ET SPIRITUELLE dit : « Je vous adjure, par toute la charité dont je suis doté, de manifester votre révérence et honneur au Corps et au sang très saints de Notre Seigneur Jésus Christ, car (en lui) toute chose, sur la terre comme ciel, ont été réconciliées et pacifiées avec Dieu tout-Puissant. » Voici trois pistes de réflexion éthique déclinée de ces postures. 1. Il s’agit premièrement de comprendre le sens du respect dû aux créatures. L’esprit franciscain retourne la tendance moderne de la réification des créatures pour leur rendre un statut d’être créé ; c’est-à-dire qu’elles sont dans l’existence par une volonté d’amour et également un projet de récapitulation en Christ, ce que François a vu et ce qui fonde la fraternité universelle1. Ce sens a été perçu par saint Jean Paul II dès le début de son pontificat. Dans sa Lettre apostolique pour le 8e centenaire de la naissance de François d’Assise du 15 août 1982, il explique que « Frère universel » signifie qu’il porte un amour égal pour toute créature, qu’elle soit animée ou non, douée de raison ou non : L’exemple de François en ce domaine démontre encore ceci avec force : les créatures et les éléments ne seront protégés de toute violation injuste et nuisible que dans la mesure où, à la lumière de l’enseignement biblique sur la Création et la Rédemption, on les considérera comme des êtres à l’égard desquels l’homme est lié par des devoirs et sur lesquels il ne lui est pas permit d’agir à sa guise, comme des créatures qui, avec lui attendent et désirent « leur libération de l’esclavage de la corruption pour avoir part à la liberté glorieuse des enfants de Dieu2 » (Rm 8,21). Jean-Paul II convoque un autre argument pour penser la valeur des créatures aux yeux de Dieu quand il affirme leur destination eschatologique enseignée par saint Paul dans l’épître aux Romains. 2. Les liens impliqués par la fraternité avec les créatures sont, pour le Pape François, ceux de la famille dans un sens des plus écologique : « En effet, toutes les créatures sont liées, chacune doit être valorisée avec affection et admiration, et tous en tant qu’êtres, nous avons besoin les uns des autres. Chaque territoire a une responsabilité dans la sauvegarde de cette famille3 ». Un écosystème est ici vu comme une famille. Mais c’est bien de toute la création dont il s’agit : « nous et tous les êtres de l’univers, sommes unis par des liens invisibles, et formons une sorte de famille universelle4 ». 1. H. et J. Bastaire, Un nouveau franciscanisme, Les petits frères et les petites sœurs de la Création, Paris, Parole et Silence, 2005, p. 111. 2. Saint Jean Paul II, Lettre apostolique pour le 8e centenaire de la naissance de François d’Assise, 15 août 1982, publiée en français par Jean Bastaire, dans Jean Paul II, Les gémissements de la création, vingt textes sur l’écologie, Paris, Parole et Silence, 2006, p. 31-32. 3. LS 42. 4. LS 89. 3-1_revol_exprimer la fraternite cosmique copie.indd 22 30/08/2021 09:55 INTRODUCTION | 23 3. Ces relations sont concrètes dans le monde et invitent à repenser notre rapport aux biens matériels. Pour François, comme tout est don de Dieu et comme il y a une solidarité ontologique des créatures du fait de l’Incarnation, rien ne peut lui appartenir. La perte du sens de Dieu créateur et des créatures sanctifiées par l’Incarnation font naître en l’homme l’esprit de possession des biens de la terre1. La pauvreté franciscaine passe par l’esprit de sobriété. La sobriété que nous sommes appelés à vivre pour un changement de modèle de société est une intériorisation de la pauvreté franciscaine2. « Au lieu d’être prisonnier des biens de ce monde et de ne songer qu’à les accumuler et à les dilapider, on en devient le maître capable de les orienter vers un plus grand bien, celui pour lequel ils sont faits : la gloire de Dieu et la communion des créatures3 » propose Jean Bastaire. Selon cette inspiration le commerce pourrait devenir un instrument de communion entre les créatures. L’intériorisation de cette approche franciscaine devrait alors passer par une sorte de vulgarisation, diffusion et généralisation de la pauvreté franciscaine parmi les chrétiens. Toujours d’après Jean Bastaire, la transition écologique devrait inciter à élargir à tous l’idéal de pauvreté. « Elle s’adresserait à tout fidèle soucieux de vivre un juste rapport avec Dieu et avec la création4. » Elle ne se traduirait pas cependant par un comportement de restriction craintive, de privation morose, de prudence parcimonieuse, repli mesquin et égoïste tourné de surcroît vers le seul bien-être humain. Sa modération serait au service de tous et viserait à l’épanouissement de toutes les créatures, chacune selon son ordre, d’après le dessein que Dieu a chargé l’homme d’accomplir. Elle procéderait d’un égal respect pour tout ce qui sort des mains du créateur. Elle ne souffrirait pas de porter atteinte à la dignité d’aucune créature dans l’usage même que l’homme serait amené à en faire. Elle aurait au plus haut point le sens du partage et de l’échange avec tout ce qui existe, et même l’inévitable compétition éliminatrice ne tournerait jamais chez elle en un dédain meurtrier ou en haine assassine. Elle remettrait à l’honneur la distinction classique entre le nécessaire et le superflu, la distinction qui est la bête noire de la société de consommation actuelle. La frontière ne saurait être mieux établie que par la sobriété, frontière fluctuant selon les époques et les conditions d’existence, mais qui exprime toujours une attitude de responsabilité et donc la capacité de faire le tri entre le besoin véritable et la pulsion incontrôlée qui brouille les repères, valide les caprices et asservit les instincts au lieu de les éduquer. 1. M. Hubaut, J. Bastaire, op. cit., p. 26-27. 2. H. & J. Bastaire, Un nouveau franciscanisme, p. 110. 3. Id. 4. M. Hubaut, J. Bastaire, op. cit., p. 104. 3-1_revol_exprimer la fraternite cosmique copie.indd 23 30/08/2021 09:55 24 | EXPRIMER LA FRATERNITÉ COSMIQUE ET SPIRITUELLE Le refus du gaspillage serait la marque la plus évidente de ce respect qui engendre la sobriété. Au-delà du simple bon sens et du sentiment de l’intérêt bien compris, le souci de reconnaître à chaque chose le droit à une considération même minime l’empêcherait de tomber dans le néant du plus injuste, celui de n’être pas aimé1. Tel est le projet de la mise en œuvre de la fraternité cosmique-universelle envisagé par un Jean Bastaire qui n’eut de cesse que de rappeler les franciscains à la fidélité à leur fondateur2. C’est ce sillon creusé par le pauvre d’Assise que la Chaire Jean Bastaire a voulu approfondir de par les compétences de son équipe. Ainsi, le contexte étant maintenant dressé pour la situation des travaux de ce colloque, nous pouvons entrer dans sa démarche. La problématique du colloque L’argument « Pour le croyant le monde ne se contemple pas de l’extérieur mais de l’intérieur, en reconnaissant les liens par lesquels le Père nous a unis à tous les êtres » (LS 220). La fraternité qui nous unit à tous les êtres demande à être explorée, non seulement dans sa dimension cosmique mais dans ce qu’elle a de plus intime. Cette entreprise de l’écologie intégrale requiert, pour le Pape François, comme il le dit dans Laudato si’, une véritable « conversion écologique3 », un « changement anthropologique ». L’ambition de la Chaire Jean Bastaire est de rechercher les fondements ontologiques, éthiques et spirituels de cette intuition de l’encyclique, et d’explorer différents modèles de représentation de cette fraternité. La première session du colloque dont il est rendu compte dans la première partie de cet ouvrage, met en évidence plusieurs facettes d’une ontologie relationnelle grâce à laquelle cette interdépendance – tout est lié4 – pourrait être pensée sérieusement. Comment faire dialoguer les notions de sollicitude et d’estime de soi avec les théories du process ou encore avec l’élargissement du soi de l’écologie profonde ? Les auteurs mobilisent des ressources variées 1. Ibid., p. 105. 2. Voir sa plainte adressée à saint François devant l’inaction de son ordre par H. & J. Bastaire, Lettre à François d’Assise sur la fraternité cosmique, Paris, Parole et Silence, 2011 ; mais devant son manque de succès et de réactions de l’ordre, il s’est senti poussé à proposer, Un nouveau franciscanisme. 3. LS 217. 4. LS 16. 3-1_revol_exprimer la fraternite cosmique copie.indd 24 30/08/2021 09:55 INTRODUCTION | 25 pour donner à voir de nouvelles façons « d’être-au-monde » susceptibles de servir de socle philosophique et anthropologique à une fraternité universelle. Ne peut-on voir entre l’écologie « profonde » d’Arne Naess, et l’écologie « intégrale », une même exigence de discernement par rapport aux racines humaines de la crise écologique et une même tentative de décentrer l’homme dans nos représentations du monde sans pour autant perdre de vue sa spécificité ? Longtemps décriée, l’écologie profonde mérite-t-elle d’être relue à l’aune de l’Encyclique Laudato si’ et les révolutions qu’elle a apportées ? L’apport de Paul Ricœur et son éthique de la sollicitude et de l’estime de Soi, sera également interrogée pour penser un dépassement du cadre traditionnel de l’éthique « entre les hommes » vers une ouverture aux autres êtres vivants. À partir de la notion de vulnérabilité, nous tenterons de cerner les enjeux et les limites de cette démarche d’élargissement. Enfin, la dimension relationnelle de la personne sera évoquée à travers un auteur américain particulièrement fécond pour la thématique de l’interdépendance cosmique : Alfred N. Whitehead et sa philosophie du process. La seconde session du colloque valorisée dans la seconde partie cherche à traduire ces ontologies en termes de communauté élargie à toutes les créatures à travers les concepts d’hospitalité, de convivialité ou encore de solidarité, comme expressions de la fraternité universelle-cosmique. La deuxième session se veut concrète, en explorant de nouveaux visages d’un « faire communauté » élargi. Comment vivre humainement cette relation qui nous sort de nos zones de confort ? Trois concepts sont développés pour mettre en scène cette communauté élargie. Véritable pilier de la pensée écologique, la notion de bien commun mérite aujourd’hui d’être retravaillée pour y intégrer la dimension expérientielle de « l’hospitalité » entre l’homme et la nature. Comment la posture d’accueil inhérente à l’hospitalité peut-elle faire écho à une convivialité active, joyeuse et contagieuse qui offre une alternative au catastrophisme ambiant ? Enfin, en quoi le personnalisme de Jean-Paul II peut-il être convoqué pour jeter un regard profond sur la solidarité entre les créatures ? La troisième session retranscrite dans la troisième partie s’est engagée à montrer quels enjeux concrets soulevaient ces représentations dans le monde contemporain : ce sont des enjeux de société auxquels renvoie la prise en compte de notre interdépendance avec les autres créatures. Le premier aspect est celui de notre relation à l’animal. Comment nous construire dans le cadre de cette communauté élargie en faisant l’expérience d’une véritable rencontre fraternelle avec les créatures ? le deuxième enjeu pose la question de penser la possibilité d’un droit des animaux qui fasse droit à leur altérité sans remettre en cause le propre de l’homme ? sur quelles bases penser un droit du vivant qui reconnaisse à chaque créature sa « valeur propre1 » et sa 1. Id. 3-1_revol_exprimer la fraternite cosmique copie.indd 25 30/08/2021 09:55 26 | EXPRIMER LA FRATERNITÉ COSMIQUE ET SPIRITUELLE dimension sensible. Le troisième enjeu est l’alimentation sur laquelle nous porterons un regard éclairé par les enseignements de l’encyclique Laudato si’ et les critères de l’écologie intégrale. En quoi nos choix alimentaires constituent-ils un élément-clé pour vivre cette interdépendance tant sur le plan pratique que spirituel ? La dernière session traitée par la quatrième partie tente de montrer en quoi la théologie spirituelle de sainte Hildegarde de Bingen, de saint Bonaventure et la vision cosmique de Pierre Teilhard de Chardin nous permettent de relever le défi d’une écologie intégrale dans son ancrage symbolique et religieux pour penser simultanément le lien cosmique qui nous unit aux autres créatures et le lien intime que saint François exprime dans son célèbre “Cantique de Frère Soleil”. Cette dernière session donne une ouverture plus directement théologique à la réflexion. On cherche à montrer, à travers ces trois auteurs majeurs comment « le monde ne se contemple pas seulement de l’extérieur mais aussi de l’intérieur » (LS, § 220), selon les termes du Pape François. Alors que l’on tend souvent à insister sur la dimension cosmique de la fraternité, nous montrerons l’importance de tenir les deux : élargissement et intériorisation de notre rapport à la Création. Nous tenterons d’en montrer toute l’actualité dans le contexte d’aujourd’hui. C’est à partir de ce double mouvement d’élargissement et d’approfondissement que la réflexion du colloque espère ainsi contribuer à élaborer les bases de la « conversion écologique ». Présentation des chapitres La réflexion menant à fonder la fraternité cosmique ne peut pas se dispenser du recours au dialogue entre l’écologie et la philosophie. JeanJacques Brun et Isabelle Priaulet relèvent le défi avec la convocation de l’écologie profonde d’Arne Naesse. Dans le chap. 2, ils rapportent que l’écologie profonde a longtemps servi de repoussoir pour dénoncer une écologie radicale qui prendrait le parti de la nature contre l’humain. Les auteurs s’appuient, dans un premier temps, sur la philosophie d’Augustin Berque pour comprendre la teneur de cette critique longtemps partagée par l’Église catholique. Ils tentent, dans un second temps, de répondre à ces objections en montrant la fécondité de l’écologie profonde pour servir de substrat philosophique à cette ontologie relationnelle qu’appelle l’écologie intégrale. Ils regardent enfin en quoi l’écologie profonde de Naess et l’encyclique Laudato si’ peuvent dialoguer de façon féconde pour approfondir des notions telles que la « valeur propre » du vivant ou encore une fraternité élargie à toutes les créatures. Le moment est-il venu de penser, avec Naess et le pape François, une véritable théologie de l’écosphère ? 3-1_revol_exprimer la fraternite cosmique copie.indd 26 30/08/2021 09:55 INTRODUCTION | 27 Au chap. 3 le frère Jean Marie Gueullette o.p. fait un pas de côté pour chercher des éléments de fondation de la fraternité cosmique dans l’éthique de Paul Ricœur. Ce dernier a proposé une définition de l’éthique comme « visée de la vie bonne avec et pour les autres dans des institutions justes. » Dans l’élaboration de cette conception de l’éthique, il accorde une part importante à la réciprocité, l’homme agissant et souffrant ne pouvant développer une estime de soi que dans l’interaction avec l’autre, qui le confirme dans sa capacité à agir bien et le reconnaît dans sa vulnérabilité. L’hypothèse mise ici au travail est celle des conditions de possibilité d’un élargissement de cette réciprocité aux entités non-humaines, dans quelles limites, et à quelles conditions. Au chap. 4 le P. Hyacinthe Kaboré nous emmène dans un troisième univers qui est celui de la philosophie du process afin d’y distinguer des outils de métaphysique aptes à envisager la fraternité cosmique sur le plan de l’ontologie. La spécificité de la pensée whiteheadienne réside dans le fait que pour comprendre ou interpréter le réel, il faut le relier comme élément à un système spatio-temporel d’autres entités. Cela fait que la méthode de ce philosophe consiste à étudier le schème des relations des entités d’un point de vue métaphysique. Cette philosophie pose les bases d’une ontologie relationnelle en vue d’une écologie des relations dans le monde. La nécessité d’une réflexion sur l’ontologie relationnelle de la philosophie organique de Whitehead semble pertinente dans l’approche systémique de la personne humaine et peut orienter vers une définition des fondements philosophiques de l’écologie intégrale. À partir de cette ontologie relationnelle, il s’agit de voir comment la personne humaine en tant qu’être relationnel habite le monde avec les autres entités et de proposer une autre manière ternaire, d’aborder l’anthropologie aujourd’hui. Cette ontologie reliée peut apporter plusieurs cadres conceptuels pour vivre une certaine fraternité. Le premier apporté au chap. 5 par Dominique Coatanéa est celui du Bien commun. L’auteur vise en effet à reprendre la question du Bien commun comme visée structurante de l’agir en société selon la pensée sociale-chrétienne, dans la dynamique de l’encyclique Laudato si’. Elle propose une reformulation de cette visée comme hospitalité homme-nature qui puisse rendre compte du contexte de transition écologique qui mobilise nos contemporains, hommes et femmes de bonne volonté, aux prises avec l’urgence écologique. L’articulation fondamentale de cette dynamique comme expression des solidarités originaires au sein d’un monde commun invite à tenter cette reformulation de la genèse d’une visée du Bien commun à partir de cette vertu sociale qui propose un autre imaginaire du commun. Devenir fraternels et attentifs aux plus vulnérables des créatures suppose de reprendre, dans l’histoire de notre accueil de la terre comme don, ce mouvement de l’hospitalité. Il est un appel à se 3-1_revol_exprimer la fraternite cosmique copie.indd 27 30/08/2021 09:55 28 | EXPRIMER LA FRATERNITÉ COSMIQUE ET SPIRITUELLE recevoir comme hôte et à se comporter comme ayant été reçu au sein d’un monde commun. Monde qui nous porte et nous habite avant même que nous puissions, en conscience, choisir de répondre à la responsabilité qui nous incombe, pour servir le bien de toutes les créatures au sein de cette fraternité universelle-cosmique. Au chap. 6 le frère Christophe Boureux o.p. s’intéresse au sens de « vivre avec » compris par le concept de convivialité. L’histoire de l’humanité nous montre que les relations de convivialité entre l’homme et les autres entités n’ont jamais été aisées et qu’à certains moments de son histoire et dans certaines contrées les hommes se sont détruits eux-mêmes en détruisant leur environnement. Convivere, se traduit par vivre-ensemble et il s’agit de savoir comment articuler de manière nouvelle la triade millénaire de l’homme, de l’outil et des entités vivantes et abiotiques à l’époque de la globalisation planétaire encouragée par le règne total de la technique source de conflits environnementaux sans précédent. En amont de ce vivre-ensemble, dont l’éthique restera à définir, il faut supposer l’existence de médiateurs ou ambassadeurs entre les règnes humain, animal et végétal pour permettre à chacun de préserver son identité dans leur lien mutuel. Cette convivialité heureuse, dans laquelle on devra prendre en compte la chaîne trophique, cherche à se dessiner à partir de la forme de vie du Christ Jésus. Qui dit fraternité, dit certaines relations de solidarité. C’est ce qu’explore au chap. 7 la sœur Ama Aimée Manzan à la suite de saint Jean Paul II. La crise écologique nous met face au défi majeur de repenser notre être-aumonde et notre être avec le monde. C’est à ce questionnement que l’auteure essaie de se confronter à travers une lecture écologique de « l’intégration » wojtylienne. En effet, Karol Wojtyla définit la personne comme un être d’intégration, c’est-à-dire un être constitué à la fois de corps et d’esprit. Ce corps constitue un lien immédiat entre la personne et son agir. Il est son « espace et milieu de l’expression. » Mais ce corps constitue également un lien indissociable entre l’homme et la nature de par ses différentes affinités avec elle. Il est alors possible de penser des relations d’interdépendance favorisant une communauté élargie aux autres êtres : tout être reconnu pour ce qu’il est en lui-même et pour l’autre. On parle ainsi de liens de fraternité entre l’homme et les autres êtres non seulement parce qu’ils ont beaucoup en commun, mais aussi parce qu’ils constituent l’œuvre d’Amour de Dieu créateur. Parmi les créatures, il en est avec lesquels nous entretenons des relations plus rapprochées. C’est pourquoi les animaux occupent une place de choix dans notre réflexion. Le P. Éric Charmetant s.j., fait un point philosophique et théologique sur la question au chap. 8. Un des apports de l’éthologie contemporaine et de l’écologie est de souligner l’interdépendance voire l’entrelacement des êtres vivants au sein de la biosphère. De son côté, 3-1_revol_exprimer la fraternite cosmique copie.indd 28 30/08/2021 09:55 INTRODUCTION | 29 l’encyclique Laudato si’ met en exergue les liens entre les êtres vivants et leur commune dépendance envers le Dieu créateur pour appeler à la fraternité envers toutes les créatures. Après une présentation des différents aspects de cette interdépendance, l’auteur explicite les contours, les limites et les expériences concrètes de cette fraternité des humains envers les animaux. Dans quelle mesure cela a-t-il aussi du sens de parler d’une fraternité des animaux envers les humains ? À quelles conversions sommes-nous appelés aujourd’hui dans nos relations aux animaux ? La relation aux animaux passe notamment par l’alimentation. C’est pourquoi le chap. 9 propose une réflexion sur le sens de cette relation fondamentale que nous entretenons avec le vivant au regard de l’écologie intégrale. Benoît-Joseph Pons y rappelle que cette dernière couvre tous les aspects de l’action humaine. L’alimentation, dans son volet consommation (que manger et comment nourrir tous les hommes ?) et son volet production (agriculture, industrie alimentaire et distribution) est un élément essentiel de la vie humaine. Les quatre relations que l’écologue intégrale définit, relation à Dieu, aux autres hommes, aux créatures non-humaines et à soi-même, servent de guide pour examiner la question de l’agriculture, de la place des agriculteurs, de la faim et de la malnutrition, des régimes et de la sûreté alimentaire. Les relations interhumaines mais aussi aux êtres naturels sont régies par le droit. Pour atteindre une fraternité cosmique, faut-il reconnaître aux animaux et à la terre la qualité de sujet de droit ? Alain Papaux montre au chap. 10 que la technique juridique le permet. Cette solution est-elle adéquate, sachant que le nœud du problème est l’homme et sa démesure ? Avant la Modernité, l’égalité, devant Dieu, de l’homme et du « reste » de la Création, allait de soi, égalisation de condition (du vivant à tout le moins) au motif métaphysique principal de la « relation transcendantale » (d’après saint Thomas d’Aquin) ou unidualité de l’âme et du corps : sous cet angle, l’homme est un vivant comme les autres. La pensée moderne ayant égaré la corporéité, partant perdu la communauté « biosphérique », l’exhaussement de l’animal ou, pis, du fleuve à la qualité juridique de la personne apparaît exorbitant. Or, nous sommes corps, comme le montrent les sciences. Le refus de cette fraternité cosmique a donc d’autres origines. Serait-ce la peur d’une trop grande proximité ainsi reconnue avec les autres créatures ? Serait-ce que l’homme ne se sent pas à la hauteur de la comparaison avec la bête ? Eu égard à son comportement envers l’animal ou la terre, la qualification d’homo faber le décrit plus fidèlement (H. Bergson), induisant une fraternité « par le bas » : abaissement de l’homme de sapiens à faber ou l’homme « animal laborans » (H. Arendt). Pour le pape François, il est important que l’engagement à l’écologie intégrale soit nourri par une spiritualité qu’il qualifie d’écologique. C’est 3-1_revol_exprimer la fraternite cosmique copie.indd 29 30/08/2021 09:55 30 | EXPRIMER LA FRATERNITÉ COSMIQUE ET SPIRITUELLE pourquoi il nous a semblé important d’honorer cet appel en convoquant la tradition spirituelle chrétienne pour donner des moyens de vivre la fraternité cosmique-universelle. Au chap. 11 Fabien Revol présente la figure écologiquement populaire de sainte Hildegarde de Bingen. En effet le 7 octobre 2012 le pape Benoît XVI proclama cette sainte docteure de l’Église. Parmi les raisons qu’il donne à ce décret se trouve l’actualité de sa pensée théologique visionnaire qui peut entrer en dialogue avec les problématiques écologiques de notre temps. Au-delà de sa popularité contemporaine liée à sa diététique et sa musique, cette sainte allemande du xiie siècle est donc donnée à l’Église comme source de sens théologique et spirituel pour aider les chrétiens d’aujourd’hui aux prises avec la crise écologique. Le contexte culturel de l’abbesse bénédictine de Bingen est celui de l’époque romane marquée par une forte influence du néoplatonisme chrétien dans lequel la théorie des correspondances amène à penser la créature humaine comme un microcosme dans un macrocosme. Cette inscription de l’humain dans le cosmos comme lieu de focalisation de la circulation des énergies du monde (viridité), et dont la forme résume la forme générale de l’univers indique une sorte d’unité de nature et de dépendance fondamentale entre la créature à l’image de Dieu et l’ensemble de la création. Cette dépendance permet de penser une solidarité ontologique que la créature humaine peut prendre éthiquement en charge du fait de sa nature éthique. L’intégration de cette représentation de la solidarité humano-cosmique dans la réflexion sur l’écologie intégrale vient enrichir le projet de constitution de belle communion universelle proposée en Laudato si’ 220 et ouvre la porte à une forme de pensée de la fraternité cosmique-universelle. C’est dans le même univers culturel et symbolique que se situe le courant franciscain de la création. Au chap. 12, Laure Solignac présente son expression dans la pensée bonaventurienne. Saint Bonaventure est connu pour avoir essayé de traduire l’expérience franciscaine dans la langue théologique de son temps. Parmi les thèses qu’il a développée en ce sens, figure en bonne place celle de l’âme comme miroir du monde, dont l’histoire est ancienne. La métaphore du miroir évoque en effet une possible relation de correspondance entre le monde (macrocosme) et l’âme humaine (microcosme) en son intimité – et non seulement avec le corps humain. Elle évoque plus encore la mission qui est celle de l’homme à l’égard du monde : celle d’une prise en charge intérieure et d’un accueil de son altérité au plus profond de soi. Mais cette thèse de l’âme-miroir suffit-elle à nourrir un juste rapport au monde ? Suffit-il de vouloir refléter le monde pour se trouver véritablement dans une relation fraternelle avec lui ? Aux yeux de Bonaventure, cette relation spéculaire entre le monde et l’âme humaine s’inscrit dans le cadre d’une métaphysique et d’une théologie du Verbe qui garantissent l’effectivité et la fécondité de cette relation : le Verbe est en effet la première et la plus fidèle 3-1_revol_exprimer la fraternite cosmique copie.indd 30 30/08/2021 09:55 INTRODUCTION | 31 expression de toutes ses créatures, et c’est en Lui que le Docteur séraphique nous invite à l’exprimer à notre tour et à le reconduire en Dieu. La tradition jésuite vient enfin compléter ce cheminement spirituel sans pour autant l’épuiser. Le P. François Euvé s.j. focalise le chap. 13 sur le rôle de l’amour dans la pensée teilhardienne. Pour Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955), l’amour est une « énergie cosmique ». C’est de fait la catégorie centrale d’une pensée centrée sur l’idée d’« union créatrice » : l’action créatrice de Dieu est dans le même temps une action unificatrice. L’histoire de l’univers est orientée vers la communion universelle, Dieu « tout en tous » (1 Co 15, 28). La marche du monde en avant est guidée par une force de rassemblement qui, dans le cas de l’humanité, s’appelle « socialisation ». Teilhard présente ce phénomène comme « irrésistible ». Il le voit à l’œuvre en dépit des forces de dispersion (guerres, divisions). Mais il est conscient que la « compression » du monde (communications de plus en plus étroites) ne signifie pas nécessairement qu’il y ait croissance de communion ou de fraternité. Il tente d’appuyer cela sur ce que l’on peut observer de l’évolution des espèces qui serait guidée par un processus « orthogénétique ». Déjà à son époque, cette vision a rencontré des oppositions. On peut se demander en effet s’il s’agit d’une perspective scientifique ou d’une affirmation de croyant. Cet ultime chapitre présente les grandes lignes de la pensée de Teilhard sur ce thème. Elle en discute aussi les prémices et les conséquences. Introduction du colloque par le Pr. Olivier Artus recteur de l’UCLy Le colloque qui s’ouvre aujourd’hui est la conclusion d’un projet de recherche important, mené dans le cadre de la Chaire Jean Bastaire de l’Université catholique de Lyon. Avec la création de notre nouvelle unité de recherche et, en particulier, la constitution du pôle de recherche « Développement intégral, écologie et éthique », cette rencontre se tient à un moment tout à fait symbolique pour la vie de notre Université, comme le disait à l’instant le Docteur Fabien Revol. Cher Docteur Fabien Revol, vous qui avez coordonné la préparation de ce colloque, vous serez amené dans les prochaines semaines, avec le Docteur Marie Bui-Leturcq, à inaugurer ce pôle de recherche nouvellement constitué au sein de notre unité de recherche. Nous voici donc dans la continuité de ce qui fait une part notable de l’identité de notre Université catholique : la recherche en écologie, en éthique et en anthropologie. Pour l’ensemble de ces questions, de ces défis du xxie siècle, nous savons que la contribution du pape François a été et demeure décisive. François nous invite en effet à penser ces défis, en écologie, en éthique et en anthropologie, de manière systémique. 3-1_revol_exprimer la fraternite cosmique copie.indd 31 30/08/2021 09:55 32 | EXPRIMER LA FRATERNITÉ COSMIQUE ET SPIRITUELLE Le point de départ de la réflexion, dont nous recueillons aujourd’hui les fruits, est évidemment l’encyclique Laudato si’, lettre par laquelle le pape nous invite à penser, dans un même mouvement, le développement, l’écologie, l’éducation et le bien commun. En adoptant un regard global sur l’ensemble de ces questions, il s’agit d’éviter l’écueil qui consisterait à privilégier une approche strictement technique, limitant par exemple la question de l’écologie à l’étude physique de l’évolution du climat et de notre écosystème. L’encyclique Laudato si’, à travers les questions de l’écologie, nous invite bien au contraire à considérer la manière dont l’homme, dans sa globalité, se situe dans le monde. C’est-à-dire non seulement dans son environnement physique, mais également dans son environnement vivant. D’une part le monde animal et, d’autre part, son environnement humain. Ainsi, l’écologie inclut une dimension économique et, par là même, rejoint la question du développement et celle de la dignité. « Le développement humain authentique a un caractère moral et suppose le plein respect de la personne humaine, mais il doit aussi prêter attention au monde naturel et “tenir compte de la nature de chaque être et de ses liens mutuels dans un système ordonné1”. » La seconde phrase de cette citation nous renvoie aux fondements théologiques de l’affirmation qui est faite. La capacité, propre à l’être humain, de transformer la réalité doit se développer sur la base du don des choses faites par Dieu à l’origine. Autrement dit, le fondement du développement humain authentique suppose une juste compréhension de la théologie de la création. Le Cardinal Turkson, bibliste, ne m’en aurait pas voulu de revenir au texte biblique. Comme nous le savons, les récits de l’origine, dans le livre de la Genèse, insistent sur la relation qui existe entre l’humanité et le règne animal. En effet, les auteurs sacerdotaux et les récits des origines – premier récit des origines plus particulièrement – introduisent un idéal de paix, sous la forme d’une règle de non-violence entre humains et animaux. Les règles alimentaires qui en Gn 1 préconisent la non-consommation de viande animale se retrouvent cependant mise en question par Gn 9. Mais, de nouveau l’alliance conclue entre Dieu et Noé à l’issue du déluge en Gn 9, verset 10, insiste sur la coappartenance des humains et des animaux à un même monde. Nous retiendrons, pour décrire cette coappartenance, l’expression intéressante « Basar » qui en Hébreu signifie « Toute chair ». Autrement dit, humains et animaux sont désignés par une expression commune qui qualifie une même appartenance au monde vivant. Certes, la loi sacerdotale de Gn 1, 29-30, qui prescrit une alimentation végétalienne, peut paraître utopique, mais elle vient en réalité critiquer les 1. LS 5, citant saint Jean-Paul II, Lettre encyclique Sollicitudo rei socialis, Personne humaine et développement, 30 décembre 1987, D.C. 1957, mars 1988, (SRS) 34. 3-1_revol_exprimer la fraternite cosmique copie.indd 32 30/08/2021 09:55 INTRODUCTION | 33 pratiques d’une société marquée par la violence : violence entre les hommes et violences entre humains et animaux. Ainsi, pourrait-on dire que pour le livre de la Genèse, la relation humains et animaux constitue le baromètre de l’état de violence de la société. En renonçant à la violence sur toutes ces formes, les humains renoncent à s’approprier le don de Dieu. Ce passage par la Bible n’est certainement pas un détour, il est en réalité le fondement. Un fondement dont il est de plus en plus difficile de rendre compte dans un monde sécularisé, dans une société où la Bible et la Bonne Nouvelle de l’Évangile sont totalement « exculturées ». La question qui se pose à nous est alors la suivante : comment rendre compte, dans le contexte qui est le nôtre, de cette Bonne Nouvelle consignée dans les Écritures ? Le colloque qui s’ouvre aujourd’hui est ainsi l’endroit propice et à tous égards – lieu qui l’accueille, objet – pour s’interroger de la sorte. Notre Université catholique, carrefour entre l’Église, la théologie, le texte biblique, les sciences et la société, constitue en effet un point de rencontre privilégié pour rendre compte de l’Espérance chrétienne, comme nous y invite saint Pierre dans sa première Lettre (1 P 3, 15). Ce colloque traite des défis de l’écologie, du développement et de la question anthropologique qui animent toute la société et toutes les cultures. Un point commun comme lieu de débat audible pour énoncer la spécificité chrétienne et proposer une évangélisation de la culture. Bibliographie Bastaire Hélène et Jean, Un nouveau franciscanisme, Les petits frères et les petites sœurs de la Création, Paris, Parole et Silence, 2005, 134 p. –, Lettre à François d’Assise sur la fraternité cosmique, Paris, Parole et Silence, 2011, 144 p. Benoît XVI, Caritas in Veritate, Lettre encyclique sur le développement humain intégral dans la charité et dans la vérité, 29 juin 2009, D.C., 2009, no 2429, août 2009, p. 753-793. de Candido L., « Fraternité », Dictionnaire de la vie spirituelle, Paris, Cerf, 1983, p. 448-457. de Foucauld Charles, Charles de Foucauld, Lettres à Madame de Bondy, de la Trappe à Tamanraset, Paris, DDB, 1966, 256 p. –, Le Pater médité par le Père de Foucauld (23 janvier 1897), Clamart, Éditions Foucauld l’Africain, 1946, 22 p. –, Lettres à Henry de Castries, Paris, Grasset, 1938, 246 p. Delio Ilia, A Franciscan View of Creation : Learning to Live in a Sacramental World, The Franciscan Heritage Series 2, 2003, 56 p. 3-1_revol_exprimer la fraternite cosmique copie.indd 33 30/08/2021 09:55 34 | EXPRIMER LA FRATERNITÉ COSMIQUE ET SPIRITUELLE Dujarier Michel, Église-fraternité, L’ecclésiologie du Christ-Frère aux huit premiers siècles, *** Vers le réveil de la « sainte Fraternité » VIe-VIIIe siècle, Paris, Cerf, à paraître. –, Église-fraternité, L’ecclésiologie du Christ-Frère aux huit premiers siècles, ** L’Église est « Fraternité en Christ » IVe-Ve siècle, Paris, Cerf, 2016, coll. « Patrimoines », 870 p. –, L’ecclésiologie du Christ-Frère aux huit premiers siècles, * L’Église s’appelle « Fraternité » Ier-IIIe siècle, Paris, Cerf, 2013, coll. « Patrimoines christianisme », 512 p. –, L’Église fraternité, Paris, Cerf, 1991, coll. « Théologies » ; Église-fraternité, 112 p. Hubaut Michel & Jean Bastaire, Approche franciscaine de l’écologie, Paris, éditions Franciscaines, 2007, coll. « Découvrir », 132 p. Pape François, Fratelli Tutti, Lettre Encyclique sur la fraternité sociale, 3 octobre 2020, Paris, Bayard, Cerf, Mame, 2020, 218 p. –, Exhortation apostolique post-synodale. Les quatre rêves du pape François sur l’Amazonie, 12 février 2020, D.C., 2538, avril 2020, p. 33-59. –, Loué sois-tu, mon Seigneur, 24 mai 2015, Lettre encyclique Laudato si’ du Pape François sur la sauvegarde de la maison commune, D.C. 2519, juillet 2015, p. 5-71. –, La joie de l’évangile, 24 novembre 2013 ? exhortation apostolique Evangelii Gaudium, D.C. 2515, janvier 2014, p. 6-83. –, « L’idolâtrie du dieu argent nous vole la dignité », 22 septembre, 2013, discours au monde du travail à Gagliari (Italie), D.C. 2513, janvier 2014, p. 115-118. Saint François d’Assise, « Psaumes des mystères du Seigneur, Psaume VII », dans Écrits, Théophile Desbonnet, Thaddée Matura, Jean-François Godet, Damien Vorreux (éds.) Paris, Cerf, éditions Franciscaines, 1981, coll. « Sources Chrétiennes », 428 p. Saint Jean Paul II, Lettre encyclique Sollicitudo rei socialis, Personne humaine et développement, 30 décembre 1987, D.C. 1957, mars 1988 p. 233-255. –, Lettre apostolique pour le 8e centenaire de la naissance de François d’Assise, 15 août 1982, publiée en français par Jean Bastaire, dans Jean Paul II, Les gémissements de la création, vingt textes sur l’écologie, Paris, Parole et Silence, 2006, p. 31-32. Saint Paul VI, Lettre encyclique Populorum progressio sur le développement des peuples, 26 mars 1967, D.C. 1492, avril 1967, col. 674-704. Ratzinger Joseph, Die Christliche Brüderlichkeit, Munich, Munich, Kösel-Verlag 1960, traduit en 1962 par Frères dans le Christ, Paris, Cerf, 1962, 117 p. Revol Fabien & Alain Ricaud, Une encyclique pour une insurrection écologique des consciences, Paris, Paroles et Silence, 2015, 324 p. Ruggieri Giuseppe, « L’Église refait sienne la fraternité évangélique », Concilium 166, 1981, p. 41-53. Scannone Juan Carlos, La théologie du people, Racines théologiques du pape François, Namur, Lessius, 2017, coll. « Donner Raison 60 », 272 p. 3-1_revol_exprimer la fraternite cosmique copie.indd 34 30/08/2021 09:55 INTRODUCTION | 35 Sourisseau Pierre, Charles de Foucauld 1858-1916. Biografia, trad. a cura delle Discepole del Vangelo e A. Mandonico, Effatà, Cantalupa (TO), 2018, 768 p. Vorreux Damien, Théophile Desbonnets (éds.), Saint François d’Assise, Documents écrits et premières biographies, deuxième édition revue et augmentée, Éditions Franciscaines, Paris 1968, 1504 p. 3-1_revol_exprimer la fraternite cosmique copie.indd 35 30/08/2021 09:55