INTRODUCTION
Quand la chaire Jean Bastaire a choisi comme thème la fraternité entre
les créatures, son équipe était loin de réaliser à quel point il serait d’actualité
au moment de préparer les actes du colloque des 26-28 novembre 2019. La
crise sanitaire de la Covid-19 a joué le rôle de caisse de résonance de certaines de revendications de beaucoup en ce qui concerne l’avènement d’un
monde plus fraternel pour faire face aux enjeux d’une crise aux multiples
facettes dont celles de l’écologie. Dans le sillage de l’encyclique Laudato si’1
la chaire Jean Bastaire s’était donné comme objectif d’approfondir le rapport
entre le thème de la création et l’éthique de l’écologie dans la perspective de
l’écologie intégrale et en 2015, il nous avait semblé assez évident que ce lien
pouvait être le mieux appréhendé et étudié par la médiation du thème franciscain de la fraternité avec toutes les créatures. La manière de considérer
la création et les créatures selon des liens de fraternité, implique un certain
type de mise en relation et de comportement nécessairement plus respectueux que ceux d’une Modernité comprenant le monde naturel comme un
espace de ressources à asservir et à exploiter selon les seuls critères de l’utilité
humaine.
La perspective académique qui est la nôtre appelle à explorer les différentes manières d’interpréter la fraternité cosmique, c’est-à-dire à l’échelle
de la création toute entière et tout ce qu’elle contient. Cette perspective
nécessite un préalable d’identification du contexte pour bien placer la problématique ainsi que les différentes manières de la traiter. C’est pourquoi
dans un propos introductif vous est présenter quelques éléments généraux
sur le thème de la fraternité universelle et cosmique, à travers les origines de
ce thème en théologie chrétienne, l’apport incontournable de l’encyclique
Fratelli Tutti2 qui est paru entre le colloque et le moment de la rédaction de
cette introduction, puis deux figures de sainteté qui inspirent aujourd’hui
1. Pape François, Loué sois-tu, mon Seigneur, 24 mai 2015, Lettre encyclique Laudato
si’ du Pape François sur la sauvegarde de la maison commune, D.C. 2519, juillet 2015 (LS),
p. 5-71.
2. Pape François, Lettre Encyclique Fratelli Tutti sur la fraternité sociale, 3 octobre 2020,
Paris, Bayard, Cerf, Mame, 2020.
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cette posture de fraternité universelle et cosmique, que sont les saints
Charles de Foucauld et François d’Assise. Ils sont traités dans cet ordre car
il existe en fait une distinction à bien noter entre les deux vocables : « fraternité universelle » et « fraternité cosmique ». Même si les adjectifs viennent
du latin pour l’un et le grec pour l’autre, ils désignent a priori le même objet :
l’univers. Mais leur étude montre que la fraternité universelle est en fait
tournée vers les humains comme la figure de Charles de Foucauld l’indique.
La fraternité cosmique quant à elle d’origine franciscaine s’applique véritablement à toutes les créatures, « celles du ciel et celles de la terre », selon
l’expression paulinienne1.
La fraternité universelle et cosmique en question
Les sources de la théologie de la fraternité
Quelles sont les principales références en ce qui concerne la théologie
de la fraternité ? Michel Dujarier nous les indique dans son œuvre monumentale sur le thème de l’Église-fraternité. Jusqu’à la trilogie2 de Dujarier
il y avait en langue française : l’article « Fraternité » de L. de Candido dans
le, Dictionnaire de la vie spirituelle3, et en langue allemande, c’est Joseph
Ratzinger qui fait référence4 avec son ouvrage de 1960 traduit en français en
1962 : Frères dans le Christ5. Autrement, il apparaît que peu d’études ont été
réalisées probablement à cause de la trop grande possibilité d’interprétation
de ce thème en régime chrétien6.
La thèse de Dujarier est la suivante : dès les premiers moments de l’Église
et les siècles qui suivirent, le mot « fraternité » désigne l’Église « en tant que
communauté de frères et de sœurs baptisés7 ». Son idée pour aujourd’hui
1. Ep 1, 9 par exemple.
2. Saluons ici le monumental travail de Michel Dujarier qui reste inachevé à ce jour après
la publication de trois volumes sur les quatre depuis 1991. M. Dujarier, L’Église fraternité,
Paris, Cerf, 1991, coll. « Théologies » ; Eglise-fraternité, L’ecclésiologie du Christ-Frère aux huit
premiers siècles, * L’Église s’appelle « Fraternité » Ier-IIIe siècle, Paris, Cerf, 2013, coll. « Patrimoines
christianisme » ; Église-fraternité, L’ecclésiologie du Christ-Frère aux huit premiers siècles,
** L’Église est « Fraternité en Christ » IVer-Ve siècle, Paris, Cerf, 2016, coll. « Patrimoines » ;
Église-fraternité, L’ecclésiologie du Christ-Frère aux huit premiers siècles, *** Vers le réveil de la
« sainte Fraternité » VIe-VIIIe siècle, Paris, Cerf, à paraître.
3. L. de Candido, « Fraternité », Dictionnaire de la vie spirituelle, Paris, Cerf, 1983,
p. 448-457.
4. M. Dujarier, L’Église fraternité, Paris, Cerf, 1991, coll. « Théologies », p. 15.
5. J. Ratzinger, Die Christliche Brüderlichkeit, Munich, Kösel-Verlag, 1960, traduit en
1962 par Frères dans le Christ, Paris, Cerf, 1962.
6. M. Dujarier, Église-fraternité, * L’Église s’appelle « Fraternité », p. 20.
7. M. Dujarier, L’Église fraternité, 1991, p. 15-16.
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INTRODUCTION | 9
est que ce vocable devrait par conséquent être le plus désigné pour parler de
l’Église dans sa pastorale et également structurer l’ecclésiologie. Il montre
ensuite que cette approche s’est diversifiée dans des sens et des directions
différentes :
Ce mot, tout en continuant d’être utilisé dans cette signification première
et fondamentales, s’élargira, de 300 à 600, dans cinq autres directions pour
exprimer aussi bien la vertu chrétienne de fraternité que la fraternité humaine
universelle, ou les communautés monastiques, ou le lien qui nous uni au Christ,
avant de devenir aussi, mais plus tardivement, un titre de politesse1.
Il montre notamment que l’antiquité pré-chrétienne ne connaît pas le
mot « fraternité » (« adelphotès ») et qu’il semble donc être une invention
proprement chrétienne2.
Giuseppe Ruggieri indique dans un article de la revue Concilium les
trois différents sens du mot « fraternité » au Concile de Vatican II. Le plus
souvent il exprime l’« idéal de la convivance humaine en tant que telle, en
dehors de toute spécification ecclésiale3 », c’est ce qui se rapproche le plus
du sens utilisé par le pape François dans Fratelli Tutti comme nous allons
le voir plus loin. Un deuxième sens est celui de « la nature du lien qui unit
les chrétiens entre eux4 », et un troisième est celui qui désigne la communauté ecclésiale. La première occurrence de cette dernière idée apparaît
d’ailleurs en 1 Pierre 2, 17 et 5, 9 bien que traduit par la « communauté de
frères5 ».
Les recherches récentes sur le sens du mot fraternité en théologie sont
détaillées par Dujarier dans la « présentation générale » de sa trilogie6
encore inachevée, mais comme elles divergent de la perspective du projet
de la chaire car concentrée sur la fraternité universelle (entre les humains),
nous décidons de renvoyer le lecteur à ces travaux. En effet force est de
constater que dans ces approches, l’inclusion du cosmos n’est jamais envisagée en termes de fraternité. Il faut attendre saint François d’assise pour
ouvrir l’expression dans ce sens au xiiie siècle et les études franciscaines
contemporaines liées à l’écologie pour le voir se développer. Mais avant d’en
rendre compte, arrêtons-nous un instant sur le texte du pape François sur
la fraternité universelle dans l’encyclique Fratelli Tutti afin d’envisager ses
1. Ibid. p. 16.
2. M. Dujarier, Église-fraternité, * L’Église s’appelle « Fraternité », p. 85-86.
3. G. Ruggieri, « L’Église refait sienne la fraternité évangélique », Concilium 166, 1981,
p. 42.
4. Id.
5. Voir par exemple la Bible de Jérusalem et la Traduction Liturgique de la bible.
6. M. Dujarier, « Présentation générale », Église-fraternité, * L’Église s’appelle « Fraternité »,
p. 19-74.
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articulations avec le projet de l’écologie intégrale et évaluer son apport par
rapport aux enjeux du colloque de la Chaire Jean Bastaire.
Une encyclique sur la fraternité Fratelli Tutti
L’encyclique Fratelli Tutti du Pape François, signée le 3 octobre 2020,
est un texte qui se situe dans la perspective pastorale générale du Saint-Père.
Cela est bien visible dans les références en notes qui citent abondamment
Evangelii Gaudium1 et Laudato si’ comme il le fait déjà dans l’exhortation
apostolique postsynodale Querida Amazonia2. Dans le concert des commentaires qui ne manque pas de s’organiser dans les médias, je voudrais mettre
en valeur en quoi ce texte s’inscrit bien dans le programme de l’écologie
intégrale.
D’abord François prend soin de préciser que Fratelli Tutti est une encyclique sociale3. Elle s’inscrit donc après Laudato si’ dans la tradition de la
doctrine sociale de l’Église. Ensuite, il dévoile que le thème de la fraternité
universelle est pour lui d’abord d’inspiration franciscaine4. De ce fait il prolonge l’appel du pape François à recevoir saint François d’Assise comme
modèle pour l’écologie intégrale5. Ensuite l’écologie intégrale est, je le rappelle6, la vision anthropologique qui pense l’habitation de la planète Terre
comprise comme maison commune selon les quatre relations fondamentales
que sont le rapport à Dieu, à soi, aux autres et à toutes les créatures7. Ici toujours franciscaine, la perspective est claire et explicite, c’est une encyclique
consacrée au rapport aux autres :
Ce Saint de l’amour fraternel, de la simplicité et de la joie, qui m’a inspiré
l’écriture de l’encyclique Laudato si’, me pousse cette fois-ci à consacrer la
présente nouvelle encyclique à la fraternité et à l’amitié sociale. En effet, saint
François, qui se sentait frère du soleil, de la mer et du vent, se savait encore
davantage uni à ceux qui étaient de sa propre chair. Il a semé la paix partout et
côtoyé les pauvres, les abandonnés, les malades, les marginalisés, les derniers8.
1. Pape François, La joie de l’évangile, 24 novembre 2013 ? exhortation apostolique
Evangelii Gaudium, D.C. 2515, janvier 2014 (EG), p. 6-83.
2. Pape François, Exhortation apostolique post-synodale Les quatre rêves du pape
François sur l’Amazonie, 12 février 2020, D.C., 2538, avril 2020 (QA), p. 33-59.
3. FT 6.
4. FT 1-4.
5. F. Revol, A. Ricaud, Une encyclique pour une insurrection écologique des consciences, Paris,
Paroles et Silence, 2015, p. 65 ss.
6. F. Revol, « L’interaction d’interdépendance aux fondements philosophiques du
concept d’écologie intégrale », Interdépendance et écologie intégrale, La revue de l’Université
Catholique de Lyon, 36, déc. 2019, p. 22-23.
7. LS 10, 75, voir F. Revol, A. Ricaud, p. -.
8. FT 2, voir aussi FT 286.
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INTRODUCTION | 11
Ce paragraphe situe le propos par rapport au contexte général. Comme
dans Laudato si’ au chapitre 3, le pape se livre à un essai de critique des
fondements historiques d’une situation dans laquelle la fraternité interhumaine est mise en péril. On y retrouve les mêmes élans que dans le
chapitre 3 de Laudato si’ dans lequel il critiquait les causes humaines de
la crise écologique : la critique de la raison instrumentale et des représentations de l’humanité et de la société issue de la Modernité. En d’autres
termes, le principal adversaire du pape François est bien l’individualisme :
« Plus que jamais nous nous trouvons seuls dans ce monde de masse qui fait
prévaloir les intérêts individuels et affaiblit la dimension communautaire de
l’existence. Il y a plutôt des marchés où les personnes jouent des rôles de
consommateurs ou de spectateurs1. »
Le pape François met en pratique certains des principes élaborés dans
Evangelii Gaudium et dans Laudato si’ comme par exemple le principe
« tout est lié2 » issu de la pensée écologique scientifique quand il dit :
« Protéger le monde qui nous entoure et nous contient, c’est prendre
soin de nous-mêmes. Mais il nous faut constituer un “nous” qui habite
la Maison commune3. » Il convoque même le thème de la protection de
la planète en dénonçant les sophismes libéraux qui visent à détourner
l’attention : « Bien souvent, les voix qui s’élèvent en faveur de la défense
de l’environnement sont réduites au silence ou ridiculisées, tandis qu’est
déguisé en rationalité ce qui ne représente que des intérêts particuliers4. »
Ce faisant le pape montre que l’écologie est bien un enjeu de fraternité
humaine. François précise que l’encyclique a été rédigée avant la crise
sanitaire mais il a quand même réussi à introduire quelques réflexions à
son sujet et il a pu constater qu’elle a été source de prises de conscience de
la nécessité d’une solidarité renouvelée dans laquelle le principe du tout
est lié est bien présent : « La douleur, l’incertitude, la peur et la conscience
des limites de chacun, que la pandémie a suscitées, appellent à repenser
nos modes de vie, nos relations, l’organisation de nos sociétés et surtout le
sens de notre existence5. »
Parmi les thématiques qui reviennent et que le pape reprend pour les
préciser en fonction du thème de l’encyclique, se trouve le développement
intégral de la personne humaine. Nous découvrons ainsi que la fraternité est
à la fois moyen et fin de ce développement comme composante intégrale de
notre humanité. C’est pourquoi il critique vivement un progrès qui n’aurait
1. FT 12.
2. LS 16.
3. FT 17.
4. Id.
5. FT 33.
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pas pour objet de faire grandir les qualités morales et spirituelles de la personne humaine1.
La fraternité en contexte s’applique pour François tout d’abord à nos
frères et sœurs les migrants, comme problématique constitutive de l’écologie intégrale. La fraternité pousse à l’accueil inconditionnel, mais cet accueil
n’est ni béat ni inconsidéré pour autant. François manifeste une lucidité
intéressante sur la reconnaissance des réactions basiques de l’être humain
dans la peur de l’autre : « Je comprends que certaines personnes aient des
doutes et éprouvent de la peur. Je considère que cela fait partie de l’instinct
naturel de légitime défense. […] Ainsi la peur nous prive du désir et de la
capacité de rencontrer l’autre2. » Il en va de même dans la réaction à la crise
écologique. François reconnaît la légitimité de la peur et de l’anxiété comme
des composantes de notre humanité ; mais elles sont appelées à être dépassées par l’espérance qui naît de la foi. Cela dit François exprime la même
confiance que dans Laudato si’ dans les capacités de l’humain à faire face :
« En effet Dieu continue de répandre des semences de bien dans l’humanité3 ». De même dans Laudato si’ il répète sa confiance dans les capacités
humaines à trouver des solutions bonnes et justes contre la crise écologique4.
Dans Frattelli Tutti, il est de nouveau question de réagir à une ou des
clameurs. Mais qu’est-ce que cela signifie que de réagir à la clameur des
pauvres et de la terre – qui fait partie des pauvres ? François nous l’indique :
« Cela devrait nous indigner au point de nous faire perdre la sérénité, parce
que nous aurions été perturbés par la souffrance humaine. C’est cela la
dignité5 ! » Il s’agit ici de la dignité de celui qui vient porter réponse à la
clameur, pas de celle des pauvres et des souffrants. Dans la continuité et
malgré cette dignité, le pape a conscience de ce que ce n’est pas parce qu’on
a la foi qu’on est meilleurs que les autres : « Une personne de foi peut ne pas
être fidèle à tout ce que cette foi exige d’elle, et pourtant elle peut se sentir
proche de Dieu et avoir plus de dignité que les autres6. ». L’option préférentielle pour les pauvres, que ce pauvre soit humain ou la planète, est une
conséquence de notre rencontre du Christ7. L’enjeu éthique est un enjeu
théologique donné dans Evangelii Gaudium : nous devons configurer nos
comportements à partir de la Révélation correctement reçue et comprise8.
Les conséquences de cette posture sont visibles dans Laudato si’ en ce qui
1. FT 29.
2. FT 41.
3. FT 54.
4. LS 71.
5. FT 68.
6. FT 73.
7. LS 217.
8. EG 41.
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INTRODUCTION | 13
concerne l’écologie intégrale en général ainsi que dans Querida Amazonia, et
dans Frattelli Tutti en ce qui concerne la fraternité humaine.
François continue de décliner les principes de l’écologie intégrale et
notamment : « Le tout est supérieur à la partie1 ». Pour lui un peuple est
plus qu’une société, laquelle n’est que l’agrégation des individualités2. C’est
pourquoi il est important pour quelqu’un d’appartenir à un peuple. C’est
structurant de la personne que de vivre cette appartenance car nous recevons
une part d’humanisation dans l’inscription de la personne dans les réseaux
d’interdépendance d’une communauté. D’après la théologie du peuple qui
sous-tend la réflexion de François3 depuis Evangelii Gaudium en passant par
Laudato si’ et Querida Amazonia, précisions que la culture et les aspirations
populaires sont des expressions d’une parole de Dieu présente par création,
mais aussi par l’inspiration de l’Esprit Saint. Il apparaît ainsi une dimension
intéressante mais paradoxale chez le pape François : c’est cette tension entre
faire peuple localement, et adopter une posture de fraternité universelle
sans frontière. Encore une fois l’un est indissociable de l’autre : « L’amour
qui s’étend au-delà des frontières a pour fondement ce que nous appelons
“l’amitié sociale” dans chaque ville ou dans chaque pays4. » Pas d’amour universel s’il n’y a pas d’amour enraciné dans sa communauté locale. Il rappelle
ici le sens du Bien commun qui est à distinguer de l’intérêt général comme
la somme des intérêts individuels5. Le Bien commun ne peut se construire
sans cette tension entre fraternité universelle et enracinement local. De
même, sur la destination universelle des biens, le pape reprend ce qu’il disait
dans Laudato si’ 6. Il cite l’adage de Grégoire le Grand7 : « Quand nous donnons aux pauvres les choses qui leur sont nécessaires, nous ne leur donnons
pas tant ce qui est à nous, que nous leur rendons ce qui est à eux. » Cela l’invite à répéter comme dans Evangelii Gaudium le fait que la propriété privée
n’est pas un absolu mais doit être subordonnée à la destination universelle
des biens et à la construction du Bien commun, en vue du Développement
intégral de la personne humaine8.
À travers la relation à l’autre se trouve l’argument fondateur de l’éthique
chrétienne qu’est la dignité de la personne humaine. Dans ce domaine le
pape fait preuve d’une fidélité tant au fond qu’à la forme de la tradition
1. LS 141.
2. FT 78.
3. J. C. Scannone, La théologie du people, Racines théologiques du pape François, Namur,
Lessius, 2017, coll. « Donner Raison » 60.
4. FT 99.
5. FT 105.
6. LS 93 ss.
7. FT 119.
8. FT 120-124, voir EG 189.
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14 | EXPRIMER LA FRATERNITÉ COSMIQUE ET SPIRITUELLE
catholique ainsi qu’à ses prédécesseurs. Il en rappelle le fondement : être
créé à l’image de Dieu.
S’il faut respecter en toute situation la dignité d’autrui, ce n’est pas parce que
nous inventons ou supposons la dignité des autres, mais parce qu’il y a effectivement en eux une valeur qui dépasse les choses matérielles et les circonstances, et
qui exige qu’on les traite autrement. Que tout être humain possède une dignité
inaliénable est une vérité qui correspond à la nature humaine indépendamment
de tout changement culturel. C’est pourquoi l’être humain a la même dignité
inviolable en toute époque de l’histoire et personne ne peut se sentir autorisé
par les circonstances à nier cette conviction ou à ne pas agir en conséquence.
L’intelligence peut donc scruter la réalité des choses, à travers la réflexion, l’expérience et le dialogue, pour reconnaître, dans cette réalité qui la transcende, le
fondement de certaines exigences morales universelles1.
C’est également ce qui fonde l’écologie humaine2 dans Laudato si’, dans
la suite de saint Jean-Paul II et de Benoît XVI. Cela implique de considérer
tout être humain comme frère ou sœur. Il met en application ce principe
dans son attention portée aux réseaux sociaux et en particulier aux appels à
la haine qui s’y déploient envers des personnes stigmatisées3. Cela se déploie
ensuite dans le domaine de l’économie4. La finalité de l’organisation économique est le service de la dignité de la personne humaine et non pas le
système économique en lui-même.
De même pour construire ce monde plus fraternel, le pape n’a pas peur
d’avoir recours aux outils du progrès technologique, dans la mesure où
sa finalité est bien la dignité de la personne humaine et non pas un progrès indéfini qui serait sa propre fin5. Respecter la dignité de la personne
humaine, c’est donner à chacun un travail décent comme selon la plus pure
tradition de la Doctrine Sociale de l’Église. Il ne revient cependant pas sur
l’idée que certains métiers pourraient être néfastes à la création comme ils
pourraient l’être à la fraternité selon ce qu’il en dit dans un discours6 de
2013. Il affirme : « Les mécanismes de production ont beau changer, la
politique ne peut pas renoncer à l’objectif de faire en sorte que l’organisation
d’une société assure à chacun quelque moyen d’apporter sa contribution et
ses efforts7. » La dignité ici est donc cette capacité de contribuer au bien
commun.
1. FT 213.
2. LS 155.
3. FT 124.
4. FT169.
5. FT 135.
6. Pape François, « L’idolâtrie du dieu argent nous vole la dignité », 22 septembre, 2013,
discours au monde du travail à Gagliari (Italie), D.C. 2513, janvier 2014, p. 115-118.
7. FT 162.
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INTRODUCTION | 15
Le thème suivant est celui de la figure du polyèdre1. Il en rappelle la
définition qu’il avait déjà présenté en Evangelii Gaudium2 : « Le polyèdre
représente une société où les différences coexistent en se complétant, en
s’enrichissant et en s’éclairant réciproquement, même si cela implique des
discussions et de la méfiance3. » Ce polyèdre cherche à signifier à la fois
unité du tout dans le respect de l’affirmation de l’identité de chacune des
facettes qui compose la figure. C’est dans ce contexte que le pape réintroduit la quatrième des lois de l’écologie intégrale : « l’unité est supérieure
au conflit » en invitant à créer une éducation basée sur le dialogue, dans le
cadre d’une culture de la rencontre qu’il appelle de ses vœux. Il en rappelle la
définition4 : « Il ne s’agit pas de viser au syncrétisme ni à l’absorption de l’un
dans l’autre, mais à la résolution à un plan supérieur qui conserve en soi les
précieuses potentialités des polarités en opposition5. » Le pape complète en
disant que dans une société, les tensions entre les différents pôles d’identité
doivent exister et elles ne sont pas mauvaise en elles-mêmes. Fidèle à son
approche de Laudato si’, François ne dit pas qu’il faut éviter le conflit ou le
nier6 car il reconnaît qu’il est souvent « inéluctable7 ». Il affirme face à cela la
force du message chrétien qui doit mettre en avant le pardon.
Dans Frattelli Tutti, le pape François propose de nombreux paragraphes
sur le thème du conflit et de la réconciliation pour mettre en application
cette quatrième loi de l’écologie intégrale. Dans la fidélité au message de
Paul VI dans Populorum Progressio, il rappelle que le développement intégral
doit amener à la paix8. « Ceux qui cherchent à pacifier la société ne doivent
pas oublier que l’iniquité et le manque de développement humain intégral
ne permettent pas de promouvoir la paix9. » Cette réflexion sur la paix
l’amène à tenir des propos fermes et engageant sur la pratique de la guerre
qui doit être évitée à tout prix :
Nous ne pouvons donc plus penser à la guerre comme une solution, du fait
que les risques seront probablement toujours plus grands que l’utilité hypothétique qu’on lui attribue. Face à cette réalité, il est très difficile aujourd’hui de
défendre les critères rationnels, mûris en d’autres temps, pour parler d’une possible « guerre juste ». Jamais plus la guerre10 !
1. FT 144, 190.
2. EG 236.
3. FT 215.
4. EG 228…
5. …Citée en FT 245.
6. FT 215.
7. FT 240.
8. PP 5.
9. FT 235.
10. FT 258.
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16 | EXPRIMER LA FRATERNITÉ COSMIQUE ET SPIRITUELLE
Il rajoute en note de bas de page qu’il ne soutient plus le concept de
guerre juste proposé par Saint Augustin1. Dans la même perspective, le
pape François condamne la pratique de la peine de mort. François estime
que le coût de la guerre est disproportionné par rapport aux bénéfices attendus en termes de paix, et il inclut dans ce calcul des conséquences celles
qui retombent sur la création et les écosystèmes. Dans cette œuvre à mener
pour la paix, le pape n’hésite pas à dire que les religions ont un rôle à jouer.
Pour répondre à ceux qui pensent le contraire il affirme avec force : « La
vérité, c’est que la violence ne trouve pas de fondement dans les convictions
religieuses fondamentales, mais dans leurs déformations2. » La finalité de
cette paix pensée dans des relations fraternelles à l’échelle de la planète est
la même que celle exprimée en Laudato si’ : former une communion universelle3, une communion plus qu’une société4. Il faut donc par la fraternité
former une communion de pays. Il utilise également l’expression « famille
des nations5 » pour reprendre une formule de Benoît XVI dans Caritas in
Veritate6. Le moyen pour y arriver, dans la perspective d’Evangelii Gaudium7,
est de mettre en œuvre la charité sociale comme moteur de l’engagement et
de la vie politique.
François distingue l’amour « élicite » (envers des personnes particulières) de l’amour « impéré » : « des actes d’amour qui poussent à créer
des institutions plus saines, des réglementations plus justes des structures
plus solidaires8 ». Il oppose ce modèle à ce que le pape appelle la culture
du déchet9, concept proposé en Evangelii Gaudium10, c’est-à-dire une
société qui produit tant de l’exclusion sociale que de la pollution écologique. Cette charité sociale doit utiliser les outils du dialogue comme dans
Laudato si’ : le dialogue science et foi, et le dialogue des cultures11, etc. Ici
il s’agit du dialogue des différences parce que comme il le dit dans le film
Le Pape François, un homme de parole ; les différences sont créatrices, elles
créent des tensions et dans la résolution d’une tension se trouve le progrès
1. Note 242.
2. FT 282.
3. LS 76, 89 ss, 220.
4. FT 149.
5. FT 173.
6. Benoît XVI, Caritas in Veritate, Lettre encyclique sur le développement humain
intégral dans la charité et dans la vérité, 29 juin 2009, D.C. 2429, août 2009, (CiV) 67,
p. 753-793.
7. EG 180.
8. FT 186.
9. FT 188.
10. EG 53.
11. Voir tous les titres des sections du chap. 5 de LS.
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INTRODUCTION | 17
de l’humanité1 ». Le pape évoque également le dialogue des disciplines du
savoir – l’interdisciplinarité – qui est l’application de l’écologie intégrale
dans le champ de la connaissance.
La deuxième loi de l’écologie intégrale est aussi bien présente dans
Frattelli Tutti : « Le temps est supérieur à l’espace2 » François affirme : « Il y
a une grande noblesse dans le fait d’être capable d’initier des processus dont
les fruits seront recueillis par d’autres en mettant son espérance dans les
forces secrètes du bien qui est semé3. » Il s’agit ici de lutter contre l’esprit du
courtermisme de la politique actuelle. Cela est particulièrement vrai en ce
qui concerne la mise en œuvre des processus de paix4.
Ce n’est qu’au no 286 de Frattelli Tutti que le Saint-Père dévoile ses
sources d’inspiration. En plus de saint François d’Assise dont la figure était
introduite dès le début de l’encyclique, il convoque Martin Luther King,
Desmond Tutu, Mahatma Mohandas Gandhi. Mais ce n’est qu’à la toute
fin qu’il parle d’un autre grand personnage qui se présente comme frère
universel : « je voudrais terminer en rappelant une autre personne à la foi
profonde qui, grâce à son expérience intense de Dieu, a fait un cheminement de transformation jusqu’à se sentir le frère de tous les hommes et
femmes. Il s’agit du bienheureux Charles de Foucauld5. »
Saint Charles de Foucauld le frère universel
Ainsi François nous donne-t-il de bien précieuses informations qui nous
permettent d’aller droit au but pour évoquer brièvement cette figure, car de
fait, la fraternité universelle du saint n’est ouverte qu’au frère humain et à lui
seul :
Il a orienté le désir du don total de sa personne à Dieu vers l’identification
avec les derniers, les abandonnés, au fond du désert africain. Il exprimait dans ce
contexte son aspiration de sentir tout être humain comme un frère ou une sœur, et
il demandait à un ami : « Priez Dieu pour que je sois vraiment le frère de toutes les
âmes […] ». Il voulait en définitive être « le frère universel ». Mais c’est seulement
en s’identifiant avec les derniers qu’il est parvenu à devenir le frère de tous6.
1. Cité en FT 203.
2. LS 178.
3. FT 196.
4. FT 226.
5. FT 286.
6. FT 287. Voici les sources auxquelles il fait référence dans ce paragraphe : C. de
Foucauld, Le Pater médité par le Père de Foucauld (23 janvier 1897), Clamart, Éditions
Foucauld l’Africain, 1946, p. 2. ; « Lettre à Henry de Castries » (29 novembre 1901), in
Lettres à Henry de Castries, Paris, Grasset, 1938, p. 113 ; Lettre à Madame de Bondy (7 janvier
1902) dont la référence est fausse voir note 1 p. 7. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 12.
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18 | EXPRIMER LA FRATERNITÉ COSMIQUE ET SPIRITUELLE
Dans la méditation sur le Notre Père, saint Charles de Foucauld situe
sa vocation et les relations de fraternité sous l’angle de la paternité divine
telle que décrite dans la prière du Seigneur. « Puisque Vous voulez être mon
Père, mon Dieu et celui de tous les hommes, combien je dois avoir pour
tout homme quel qu’il soit, quelque mauvais qu’il soit, les sentiments d’un
tendre frère1 ! » Dans sa lettre à son ami Henry de Castries, le P. de Foucauld
exprime le désire d’être le frère de toutes les personnes qui vivent dans le
village fortifié où il se trouve en 1901. Il a d’ailleurs nommé l’ensemble
des bâtiments qu’il habite du nom de « Khaoua » qui signifie fraternité en
Arabe2 dans un esprit d’accueil fraternel.
Malheureusement la dernière référence du Saint Père est manifestement
une erreur de citation de deuxième, voire troisième main puisque Charles
de Foucauld n’écrit pas dans la lettre à Mme de Bondy datée du 7 janvier
1902, l’expression : « le frère universel3 ».
La mention de ce frère universel dans Populorum Progressio sert à illustrer la charité désintéressée de l’évangélisateur dont la mission d’annonce
passe par l’exemple d’une vie de service. Notons que saint Paul VI utilise l’expression « être appelé4 », à cause de la charité, là où Charles de
Foucauld se présente lui-même comme frère universel, comme on l’a vu à
cause de la paternité de Dieu. Cette fraternité est donnée en modèle pour
la construction du développement humain intégral que promeut, pour
la première fois un pape catholique5, thème qui fut ensuite repris par
Benoît XVI dans Caritas in Veritate6 et aussi par François7 dans Laudato
si’. Dans cette dernière, le modèle n’est plus Charles de Foucauld pour
penser ce développement fondé sur la fraternité, mais bien saint François
d’Assise8.
1. C. de Foucauld, Le Pater médité par le Père de Foucauld, p. 2.
2. C. de Foucauld, « Lettre à Henry de Castries » (29 novembre 1901), loc. cit. p. 113.
3. Après vérification dans les différentes versions de Fratelli Tutti ; c’est dans le texte
italien que l’on comprend cela : « Lettera a Madame de Bondy (7 gennaio 1902) : cit. in
P. Sourisseau, Charles de Foucauld 1858-1916. Biografia, trad. a cura delle Discepole del
Vangelo e A. Mandonico, Effatà, Cantalupa (TO), 359. Le pape cite une citation qui
doit donc être fausse. Je n’ai pas retrouvé d’équivalent dans le livre de référence : Charles de
Foucauld, Lettres à Madame de Bondy, de la Trappe à Tamanraset, Paris, DDB, 1966.
4. Saint Paul VI, Lettre encyclique Populorum progressio sur le développement des peuples,
(26 mars 1967), D.C. 1492, avril 1967, (PP) 12.
5. PP 5.
6. CiV 11.
7. LS 50.
8. LS 10-12.
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INTRODUCTION | 19
Saint François d’Assise le frère universel, pour une fraternité cosmique
Le pape François appelle nos contemporains à embrasser le projet d’une
fraternité universelle. Cette dernière inclut les ennemis, ainsi que « le vent,
le soleil ou les nuages1 ». Cela nous place effectivement dans la perspective franciscaine. Notons que le Saint-Père n’emploie pas l’expression de
« fraternité cosmique ». Il emploie le même terme d’universel pour parler
de la fraternité entre tous les hommes et la fraternité entre les hommes et
les créatures autres qu’humaines. À la suite de la sœur franciscaine américaine Ilia Delio, relevons les aspects les plus importants de cette approche
de la fraternité avec les créatures. Ilia Delio commence par rappeler que le
sentiment que François avait envers toute créature put être identifié par la
notion de « cortesia », « courtoisie », cela définit une forme de déférence que
François avait pour toute créature2. Dans un premier temps, cette attitude
du cœur s’enracine dans une posture fondamentalement théologique et spirituelle issue de la rencontre de François avec le Christ, le Verbe incarné.
L’union avec le Christ, le sens de l’Incarnation, ont fait prendre conscience
à François à quel point il était substantiellement lié à tout ce à quoi le Christ
était substantiellement relié par cette même Incarnation : c’est-à-dire
quand Dieu se fait homme, il assume le moindre détail matériel de toute
la création. Pour S. Bonaventure, cette attitude du cœur en rapport avec
les créatures un des fruits de la piété. Cela entraîne François à reconnaître
une fraternité pour toute créature, et voir en chacune d’elles un signe du
Christ. En d’autres termes, la piété envers le Christ incarné pousse le pauvre
d’Assise à avoir grande révérence et grand respect pour toute créature, en
particulier les animaux3.
Dans un deuxième temps, parce que l’expérience christique est première
et fondatrice, la fraternité entre les créatures découle de la communauté
de Principe des créatures. Michel Hubaut l’affirme : « En contemplant
le Christ, le Fils, François a compris que toute la création était promise
à la filiation divine4. » Saint Bonaventure précise effectivement dans sa
Legenda Maior : « Considérant que toutes les choses ont une origine commune, il se sentait rempli d’une tendresse encore plus grande et il appelait
les créatures, aussi petites soient-elles, du nom de frère ou de sœur5 ».
1. LS 228.
2. I. Delio, « Part 2 Francis of Assisi : Creation as Brother/Sister », dans A Franciscan
View of Creation : Learning to Live in a Sacramental World, The Franciscan Heritage Series 2,
2003, p. 13.
3. Id., p. 13.
4. M. Hubaut, J. Bastaire, Approche franciscaine de l’écologie, Paris, éditions Franciscaines,
2007, coll. « Découvrir », p. 36.
5. Saint Bonaventure, Vie de saint François d’Assise, traduction, introduction et notes
D. Vorreux, dans Saint François d’Assise, Documents écrits et premières biographies, deuxième
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20 | EXPRIMER LA FRATERNITÉ COSMIQUE ET SPIRITUELLE
François réalise que son identité personnelle est en effet reliée par l’Origine créatrice à l’identité de toute créature. Cette expérience du lien au
créateur est une expérience de la paternité de Dieu, le Père tout-puissant
et créateur du ciel et de la terre comme l’expriment les credo. François
d’assise comprend que Dieu en tant qu’il est créateur est aussi père de ses
créatures1. Cette conviction découle de son interprétation d’Ep 4, 5-6 :
« Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu
et Père de tous, au-dessus de tous, par tous, et en tous. » Notons que le
français a traduit le neutre pluriel du grec « ta panta » par « tous », laissant
à interpréter « toute personne humaine ». Or François avait accès au latin
de la vulgate de son époque : « unus Dominus una fides unum baptisma unus
Deus et Pater omnium qui super omnes et per omnia et in omnibus nobis ».
Le mot « omnia » traduit fidèlement le neutre pluriel du grec et signifie
comme lui « toute chose », expression d’ailleurs communément employée
par saint Paul dans ses épîtres pour parler de toute la création avec la précision : « toutes choses, celles du ciel et celles de la terre2. » Saint François
lisait donc : « Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un
seul Dieu et Père de toutes choses, au-dessus de toutes choses, par toutes
choses, et en toutes choses. » Cette interprétation est assez unique et
pourtant elle répond aux aspirations écologiques de notre temps et le pape
François l’accueil sans réserve.
À trois reprises cet argument théologique est repris par l’auteur de
Laudato si’ :
« Tout est à toi, Maître, ami de la vie » (Sg 11, 26). D’où la conviction que,
créés par le même Père, nous et tous les êtres de l’univers, sommes unis par des
liens invisibles, et formons une sorte de famille universelle, une communion
sublime qui nous pousse à un respect sacré, tendre et humble3.
Il faut ici émettre une certaine réserve sur l’enthousiasme théologique du
pape qui peut-être un peu plus prudent que celui de saint François. Le pape
ne dit pas ici que Dieu est le Père de toutes les créatures. Il dit que parce
qu’elles sont créées par un Dieu qui est Père, les créatures sont inscrites dans
des relations fraternelles. Pourtant, un peu plus loin le pape laisse échapper
ceci : par l’usage des paraboles « Jésus […] invitait à reconnaître la relation
paternelle que Dieu a avec toutes ses créatures4 ». Il suit saint François dans
son interprétation de Ep 4, 5-6. Pourtant ce n’est pas le tout de cette vision
édition revue et augmentée, D. Vorreux, T. Desbonnets (éds.), Éditions Franciscaines,
Paris 1968, Legenda Maior, VIII, 6, p. 636.
1. M. Hubaut, J. Bastaire, op. cit., p. 23.
2. Voir les deux occurrences principales : Ep 1,9 et Col 1,6.
3. LS 89.
4. LS 96.
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INTRODUCTION | 21
de la fraternité cosmique-universelle chez François qui s’appuie aussi sur la
nature de l’amour divin :
Jésus nous a rappelé que nous avons Dieu comme Père commun, ce qui fait
de nous des frères. L’amour fraternel ne peut être que gratuit […]. Cette même
gratuité nous amène à aimer et à accepter le vent, le soleil ou les nuages, bien
qu’ils ne se soumettent pas à notre contrôle. Voilà pourquoi nous pouvons parler
d’une fraternité universelle1.
Un rapport serait à approfondir théologiquement entre la gratuité de
l’amour divin et la nature fraternelle des relations que l’être humain doit
construire dans le monde.
Ces fondements théologiques et spirituels indiquent à François d’Assise
des postures éthiques fondatrices de son rapport aux créatures. Le sens de
l’Incarnation est d’abord le mouvement de la kénose du Verbe divin. Phi 2
est chez S. François le texte qui lui dicte un élan, celui de l’humilité dans le
service2. Cet élan renverse les valeurs habituelles de la hiérarchie. L’échelle
des êtres est celle de la descente par solidarité avec toutes les créatures. La
fraternité universelle se trouve inscrite ici. François est le frère universel de
toute créature, car il se fait le frère dans un mouvement descendant. Il se
met à leur niveau comme le Christ est venu se mettre au nôtre. Il peut ainsi
faire de la terre une demeure dans laquelle toutes les créatures sont ses frères
et sœurs3. En résumé, l’imitation de Jésus passe par un abaissement volontaire qui permet l’accueil des créatures dans des relations de fraternité.
Pour saint François, en bon religieux, être frère, implique une action
commune de louange et de liturgie. François a écrit des psaumes, et dans
ces textes un verset d’invitation de toute la création à la louange revient
souvent. Il invite spécialement les animaux à entrer dans cette prière :
« Que les cieux se réjouissent et que la terre exulte, que s’agitent la mer
et sa plénitude, se réjouiront les champs et tout ce qui est en eux4. » Un
tiers des écrits de François d’Assise sont des prières. C’est toute la création qui est convoquée à la louange dans chacune d’elles. François rend
gloire à Dieu avec toute la création. Il ne s’attarde cependant pas sur les
créatures mais contemple le mystère trinitaire, ou l’histoire du Salut.
Cet esprit de louange est récapitulé dans l’Eucharistie : pour le pauvre
d’Assise, l’Eucharistie devint la source la plus profonde de son désir de
paix et réconciliation cosmique. Deux ans avant sa mort, S. François a
1. LS 228.
2. I. Delio, « Part 2 Francis of Assisi : Creation as Brother/Sister », loc. cit., p. 14.
3. Ibid., p. 15.
4. Saint François d’Assise, « Psaumes des mystères du Seigneur, Psaume VII », dans
Écrits, T. Desbonnet, T. Matura, J.-F. Godet, D. Vorreux (éds.) Paris, Cerf, éditions
Franciscaines, 1981, coll. « Sources Chrétiennes », p. 305.
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22 | EXPRIMER LA FRATERNITÉ COSMIQUE ET SPIRITUELLE
dit : « Je vous adjure, par toute la charité dont je suis doté, de manifester votre révérence et honneur au Corps et au sang très saints de Notre
Seigneur Jésus Christ, car (en lui) toute chose, sur la terre comme ciel, ont
été réconciliées et pacifiées avec Dieu tout-Puissant. »
Voici trois pistes de réflexion éthique déclinée de ces postures.
1. Il s’agit premièrement de comprendre le sens du respect dû aux créatures. L’esprit franciscain retourne la tendance moderne de la réification
des créatures pour leur rendre un statut d’être créé ; c’est-à-dire qu’elles
sont dans l’existence par une volonté d’amour et également un projet de
récapitulation en Christ, ce que François a vu et ce qui fonde la fraternité
universelle1. Ce sens a été perçu par saint Jean Paul II dès le début de son
pontificat. Dans sa Lettre apostolique pour le 8e centenaire de la naissance
de François d’Assise du 15 août 1982, il explique que « Frère universel »
signifie qu’il porte un amour égal pour toute créature, qu’elle soit animée ou
non, douée de raison ou non :
L’exemple de François en ce domaine démontre encore ceci avec force : les
créatures et les éléments ne seront protégés de toute violation injuste et nuisible
que dans la mesure où, à la lumière de l’enseignement biblique sur la Création et
la Rédemption, on les considérera comme des êtres à l’égard desquels l’homme
est lié par des devoirs et sur lesquels il ne lui est pas permit d’agir à sa guise,
comme des créatures qui, avec lui attendent et désirent « leur libération de
l’esclavage de la corruption pour avoir part à la liberté glorieuse des enfants de
Dieu2 » (Rm 8,21).
Jean-Paul II convoque un autre argument pour penser la valeur des
créatures aux yeux de Dieu quand il affirme leur destination eschatologique
enseignée par saint Paul dans l’épître aux Romains.
2. Les liens impliqués par la fraternité avec les créatures sont, pour le
Pape François, ceux de la famille dans un sens des plus écologique : « En
effet, toutes les créatures sont liées, chacune doit être valorisée avec affection et admiration, et tous en tant qu’êtres, nous avons besoin les uns des
autres. Chaque territoire a une responsabilité dans la sauvegarde de cette
famille3 ». Un écosystème est ici vu comme une famille. Mais c’est bien de
toute la création dont il s’agit : « nous et tous les êtres de l’univers, sommes
unis par des liens invisibles, et formons une sorte de famille universelle4 ».
1. H. et J. Bastaire, Un nouveau franciscanisme, Les petits frères et les petites sœurs de la
Création, Paris, Parole et Silence, 2005, p. 111.
2. Saint Jean Paul II, Lettre apostolique pour le 8e centenaire de la naissance de François
d’Assise, 15 août 1982, publiée en français par Jean Bastaire, dans Jean Paul II, Les gémissements de la création, vingt textes sur l’écologie, Paris, Parole et Silence, 2006, p. 31-32.
3. LS 42.
4. LS 89.
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INTRODUCTION | 23
3. Ces relations sont concrètes dans le monde et invitent à repenser notre
rapport aux biens matériels. Pour François, comme tout est don de Dieu et
comme il y a une solidarité ontologique des créatures du fait de l’Incarnation,
rien ne peut lui appartenir. La perte du sens de Dieu créateur et des créatures
sanctifiées par l’Incarnation font naître en l’homme l’esprit de possession des
biens de la terre1. La pauvreté franciscaine passe par l’esprit de sobriété. La
sobriété que nous sommes appelés à vivre pour un changement de modèle
de société est une intériorisation de la pauvreté franciscaine2. « Au lieu d’être
prisonnier des biens de ce monde et de ne songer qu’à les accumuler et à les
dilapider, on en devient le maître capable de les orienter vers un plus grand
bien, celui pour lequel ils sont faits : la gloire de Dieu et la communion des
créatures3 » propose Jean Bastaire. Selon cette inspiration le commerce pourrait devenir un instrument de communion entre les créatures.
L’intériorisation de cette approche franciscaine devrait alors passer par
une sorte de vulgarisation, diffusion et généralisation de la pauvreté franciscaine parmi les chrétiens. Toujours d’après Jean Bastaire, la transition
écologique devrait inciter à élargir à tous l’idéal de pauvreté. « Elle s’adresserait à tout fidèle soucieux de vivre un juste rapport avec Dieu et avec la
création4. »
Elle ne se traduirait pas cependant par un comportement de restriction
craintive, de privation morose, de prudence parcimonieuse, repli mesquin
et égoïste tourné de surcroît vers le seul bien-être humain. Sa modération
serait au service de tous et viserait à l’épanouissement de toutes les créatures,
chacune selon son ordre, d’après le dessein que Dieu a chargé l’homme
d’accomplir.
Elle procéderait d’un égal respect pour tout ce qui sort des mains du créateur. Elle ne souffrirait pas de porter atteinte à la dignité d’aucune créature
dans l’usage même que l’homme serait amené à en faire. Elle aurait au plus
haut point le sens du partage et de l’échange avec tout ce qui existe, et même
l’inévitable compétition éliminatrice ne tournerait jamais chez elle en un
dédain meurtrier ou en haine assassine.
Elle remettrait à l’honneur la distinction classique entre le nécessaire et
le superflu, la distinction qui est la bête noire de la société de consommation actuelle. La frontière ne saurait être mieux établie que par la sobriété,
frontière fluctuant selon les époques et les conditions d’existence, mais qui
exprime toujours une attitude de responsabilité et donc la capacité de faire le
tri entre le besoin véritable et la pulsion incontrôlée qui brouille les repères,
valide les caprices et asservit les instincts au lieu de les éduquer.
1. M. Hubaut, J. Bastaire, op. cit., p. 26-27.
2. H. & J. Bastaire, Un nouveau franciscanisme, p. 110.
3. Id.
4. M. Hubaut, J. Bastaire, op. cit., p. 104.
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24 | EXPRIMER LA FRATERNITÉ COSMIQUE ET SPIRITUELLE
Le refus du gaspillage serait la marque la plus évidente de ce respect
qui engendre la sobriété. Au-delà du simple bon sens et du sentiment de
l’intérêt bien compris, le souci de reconnaître à chaque chose le droit à une
considération même minime l’empêcherait de tomber dans le néant du plus
injuste, celui de n’être pas aimé1.
Tel est le projet de la mise en œuvre de la fraternité cosmique-universelle
envisagé par un Jean Bastaire qui n’eut de cesse que de rappeler les franciscains à la fidélité à leur fondateur2.
C’est ce sillon creusé par le pauvre d’Assise que la Chaire Jean Bastaire a
voulu approfondir de par les compétences de son équipe. Ainsi, le contexte
étant maintenant dressé pour la situation des travaux de ce colloque, nous
pouvons entrer dans sa démarche.
La problématique du colloque
L’argument
« Pour le croyant le monde ne se contemple pas de l’extérieur mais de
l’intérieur, en reconnaissant les liens par lesquels le Père nous a unis à tous
les êtres » (LS 220).
La fraternité qui nous unit à tous les êtres demande à être explorée, non
seulement dans sa dimension cosmique mais dans ce qu’elle a de plus intime.
Cette entreprise de l’écologie intégrale requiert, pour le Pape François,
comme il le dit dans Laudato si’, une véritable « conversion écologique3 », un
« changement anthropologique ». L’ambition de la Chaire Jean Bastaire est
de rechercher les fondements ontologiques, éthiques et spirituels de cette
intuition de l’encyclique, et d’explorer différents modèles de représentation
de cette fraternité.
La première session du colloque dont il est rendu compte dans la première
partie de cet ouvrage, met en évidence plusieurs facettes d’une ontologie
relationnelle grâce à laquelle cette interdépendance – tout est lié4 – pourrait
être pensée sérieusement. Comment faire dialoguer les notions de sollicitude
et d’estime de soi avec les théories du process ou encore avec l’élargissement
du soi de l’écologie profonde ? Les auteurs mobilisent des ressources variées
1. Ibid., p. 105.
2. Voir sa plainte adressée à saint François devant l’inaction de son ordre par H. &
J. Bastaire, Lettre à François d’Assise sur la fraternité cosmique, Paris, Parole et Silence, 2011 ;
mais devant son manque de succès et de réactions de l’ordre, il s’est senti poussé à proposer,
Un nouveau franciscanisme.
3. LS 217.
4. LS 16.
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INTRODUCTION | 25
pour donner à voir de nouvelles façons « d’être-au-monde » susceptibles
de servir de socle philosophique et anthropologique à une fraternité universelle. Ne peut-on voir entre l’écologie « profonde » d’Arne Naess, et
l’écologie « intégrale », une même exigence de discernement par rapport aux
racines humaines de la crise écologique et une même tentative de décentrer
l’homme dans nos représentations du monde sans pour autant perdre de
vue sa spécificité ? Longtemps décriée, l’écologie profonde mérite-t-elle
d’être relue à l’aune de l’Encyclique Laudato si’ et les révolutions qu’elle a
apportées ? L’apport de Paul Ricœur et son éthique de la sollicitude et de
l’estime de Soi, sera également interrogée pour penser un dépassement du
cadre traditionnel de l’éthique « entre les hommes » vers une ouverture aux
autres êtres vivants. À partir de la notion de vulnérabilité, nous tenterons
de cerner les enjeux et les limites de cette démarche d’élargissement. Enfin,
la dimension relationnelle de la personne sera évoquée à travers un auteur
américain particulièrement fécond pour la thématique de l’interdépendance
cosmique : Alfred N. Whitehead et sa philosophie du process.
La seconde session du colloque valorisée dans la seconde partie cherche à
traduire ces ontologies en termes de communauté élargie à toutes les créatures
à travers les concepts d’hospitalité, de convivialité ou encore de solidarité,
comme expressions de la fraternité universelle-cosmique. La deuxième session
se veut concrète, en explorant de nouveaux visages d’un « faire communauté »
élargi. Comment vivre humainement cette relation qui nous sort de nos zones
de confort ? Trois concepts sont développés pour mettre en scène cette communauté élargie. Véritable pilier de la pensée écologique, la notion de bien
commun mérite aujourd’hui d’être retravaillée pour y intégrer la dimension
expérientielle de « l’hospitalité » entre l’homme et la nature. Comment la
posture d’accueil inhérente à l’hospitalité peut-elle faire écho à une convivialité active, joyeuse et contagieuse qui offre une alternative au catastrophisme
ambiant ? Enfin, en quoi le personnalisme de Jean-Paul II peut-il être convoqué pour jeter un regard profond sur la solidarité entre les créatures ?
La troisième session retranscrite dans la troisième partie s’est engagée à
montrer quels enjeux concrets soulevaient ces représentations dans le monde
contemporain : ce sont des enjeux de société auxquels renvoie la prise en
compte de notre interdépendance avec les autres créatures. Le premier
aspect est celui de notre relation à l’animal. Comment nous construire dans
le cadre de cette communauté élargie en faisant l’expérience d’une véritable
rencontre fraternelle avec les créatures ? le deuxième enjeu pose la question
de penser la possibilité d’un droit des animaux qui fasse droit à leur altérité
sans remettre en cause le propre de l’homme ? sur quelles bases penser un
droit du vivant qui reconnaisse à chaque créature sa « valeur propre1 » et sa
1. Id.
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26 | EXPRIMER LA FRATERNITÉ COSMIQUE ET SPIRITUELLE
dimension sensible. Le troisième enjeu est l’alimentation sur laquelle nous
porterons un regard éclairé par les enseignements de l’encyclique Laudato si’
et les critères de l’écologie intégrale. En quoi nos choix alimentaires constituent-ils un élément-clé pour vivre cette interdépendance tant sur le plan
pratique que spirituel ?
La dernière session traitée par la quatrième partie tente de montrer
en quoi la théologie spirituelle de sainte Hildegarde de Bingen, de saint
Bonaventure et la vision cosmique de Pierre Teilhard de Chardin nous
permettent de relever le défi d’une écologie intégrale dans son ancrage
symbolique et religieux pour penser simultanément le lien cosmique qui
nous unit aux autres créatures et le lien intime que saint François exprime
dans son célèbre “Cantique de Frère Soleil”. Cette dernière session donne
une ouverture plus directement théologique à la réflexion. On cherche à
montrer, à travers ces trois auteurs majeurs comment « le monde ne se
contemple pas seulement de l’extérieur mais aussi de l’intérieur » (LS,
§ 220), selon les termes du Pape François. Alors que l’on tend souvent
à insister sur la dimension cosmique de la fraternité, nous montrerons
l’importance de tenir les deux : élargissement et intériorisation de notre
rapport à la Création. Nous tenterons d’en montrer toute l’actualité dans
le contexte d’aujourd’hui.
C’est à partir de ce double mouvement d’élargissement et d’approfondissement que la réflexion du colloque espère ainsi contribuer à élaborer les
bases de la « conversion écologique ».
Présentation des chapitres
La réflexion menant à fonder la fraternité cosmique ne peut pas se
dispenser du recours au dialogue entre l’écologie et la philosophie. JeanJacques Brun et Isabelle Priaulet relèvent le défi avec la convocation de
l’écologie profonde d’Arne Naesse. Dans le chap. 2, ils rapportent que
l’écologie profonde a longtemps servi de repoussoir pour dénoncer une écologie radicale qui prendrait le parti de la nature contre l’humain. Les auteurs
s’appuient, dans un premier temps, sur la philosophie d’Augustin Berque
pour comprendre la teneur de cette critique longtemps partagée par l’Église
catholique. Ils tentent, dans un second temps, de répondre à ces objections
en montrant la fécondité de l’écologie profonde pour servir de substrat philosophique à cette ontologie relationnelle qu’appelle l’écologie intégrale. Ils
regardent enfin en quoi l’écologie profonde de Naess et l’encyclique Laudato
si’ peuvent dialoguer de façon féconde pour approfondir des notions telles
que la « valeur propre » du vivant ou encore une fraternité élargie à toutes les
créatures. Le moment est-il venu de penser, avec Naess et le pape François,
une véritable théologie de l’écosphère ?
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INTRODUCTION | 27
Au chap. 3 le frère Jean Marie Gueullette o.p. fait un pas de côté pour
chercher des éléments de fondation de la fraternité cosmique dans l’éthique
de Paul Ricœur. Ce dernier a proposé une définition de l’éthique comme
« visée de la vie bonne avec et pour les autres dans des institutions justes. »
Dans l’élaboration de cette conception de l’éthique, il accorde une part
importante à la réciprocité, l’homme agissant et souffrant ne pouvant développer une estime de soi que dans l’interaction avec l’autre, qui le confirme
dans sa capacité à agir bien et le reconnaît dans sa vulnérabilité. L’hypothèse
mise ici au travail est celle des conditions de possibilité d’un élargissement
de cette réciprocité aux entités non-humaines, dans quelles limites, et à
quelles conditions.
Au chap. 4 le P. Hyacinthe Kaboré nous emmène dans un troisième univers qui est celui de la philosophie du process afin d’y distinguer des outils
de métaphysique aptes à envisager la fraternité cosmique sur le plan de
l’ontologie. La spécificité de la pensée whiteheadienne réside dans le fait que
pour comprendre ou interpréter le réel, il faut le relier comme élément à un
système spatio-temporel d’autres entités. Cela fait que la méthode de ce
philosophe consiste à étudier le schème des relations des entités d’un point
de vue métaphysique. Cette philosophie pose les bases d’une ontologie relationnelle en vue d’une écologie des relations dans le monde. La nécessité
d’une réflexion sur l’ontologie relationnelle de la philosophie organique de
Whitehead semble pertinente dans l’approche systémique de la personne
humaine et peut orienter vers une définition des fondements philosophiques
de l’écologie intégrale. À partir de cette ontologie relationnelle, il s’agit de
voir comment la personne humaine en tant qu’être relationnel habite le
monde avec les autres entités et de proposer une autre manière ternaire,
d’aborder l’anthropologie aujourd’hui.
Cette ontologie reliée peut apporter plusieurs cadres conceptuels pour
vivre une certaine fraternité. Le premier apporté au chap. 5 par Dominique
Coatanéa est celui du Bien commun. L’auteur vise en effet à reprendre la
question du Bien commun comme visée structurante de l’agir en société
selon la pensée sociale-chrétienne, dans la dynamique de l’encyclique
Laudato si’. Elle propose une reformulation de cette visée comme hospitalité homme-nature qui puisse rendre compte du contexte de transition
écologique qui mobilise nos contemporains, hommes et femmes de bonne
volonté, aux prises avec l’urgence écologique. L’articulation fondamentale
de cette dynamique comme expression des solidarités originaires au sein
d’un monde commun invite à tenter cette reformulation de la genèse d’une
visée du Bien commun à partir de cette vertu sociale qui propose un autre
imaginaire du commun. Devenir fraternels et attentifs aux plus vulnérables des créatures suppose de reprendre, dans l’histoire de notre accueil
de la terre comme don, ce mouvement de l’hospitalité. Il est un appel à se
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recevoir comme hôte et à se comporter comme ayant été reçu au sein d’un
monde commun. Monde qui nous porte et nous habite avant même que
nous puissions, en conscience, choisir de répondre à la responsabilité qui
nous incombe, pour servir le bien de toutes les créatures au sein de cette
fraternité universelle-cosmique.
Au chap. 6 le frère Christophe Boureux o.p. s’intéresse au sens de « vivre
avec » compris par le concept de convivialité. L’histoire de l’humanité nous
montre que les relations de convivialité entre l’homme et les autres entités n’ont jamais été aisées et qu’à certains moments de son histoire et dans
certaines contrées les hommes se sont détruits eux-mêmes en détruisant
leur environnement. Convivere, se traduit par vivre-ensemble et il s’agit
de savoir comment articuler de manière nouvelle la triade millénaire de
l’homme, de l’outil et des entités vivantes et abiotiques à l’époque de la globalisation planétaire encouragée par le règne total de la technique source de
conflits environnementaux sans précédent. En amont de ce vivre-ensemble,
dont l’éthique restera à définir, il faut supposer l’existence de médiateurs ou
ambassadeurs entre les règnes humain, animal et végétal pour permettre à
chacun de préserver son identité dans leur lien mutuel. Cette convivialité
heureuse, dans laquelle on devra prendre en compte la chaîne trophique,
cherche à se dessiner à partir de la forme de vie du Christ Jésus.
Qui dit fraternité, dit certaines relations de solidarité. C’est ce qu’explore
au chap. 7 la sœur Ama Aimée Manzan à la suite de saint Jean Paul II. La
crise écologique nous met face au défi majeur de repenser notre être-aumonde et notre être avec le monde. C’est à ce questionnement que l’auteure
essaie de se confronter à travers une lecture écologique de « l’intégration »
wojtylienne. En effet, Karol Wojtyla définit la personne comme un être
d’intégration, c’est-à-dire un être constitué à la fois de corps et d’esprit. Ce
corps constitue un lien immédiat entre la personne et son agir. Il est son
« espace et milieu de l’expression. » Mais ce corps constitue également un
lien indissociable entre l’homme et la nature de par ses différentes affinités avec elle. Il est alors possible de penser des relations d’interdépendance
favorisant une communauté élargie aux autres êtres : tout être reconnu
pour ce qu’il est en lui-même et pour l’autre. On parle ainsi de liens de
fraternité entre l’homme et les autres êtres non seulement parce qu’ils ont
beaucoup en commun, mais aussi parce qu’ils constituent l’œuvre d’Amour
de Dieu créateur.
Parmi les créatures, il en est avec lesquels nous entretenons des relations plus rapprochées. C’est pourquoi les animaux occupent une place de
choix dans notre réflexion. Le P. Éric Charmetant s.j., fait un point philosophique et théologique sur la question au chap. 8. Un des apports de
l’éthologie contemporaine et de l’écologie est de souligner l’interdépendance
voire l’entrelacement des êtres vivants au sein de la biosphère. De son côté,
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l’encyclique Laudato si’ met en exergue les liens entre les êtres vivants et leur
commune dépendance envers le Dieu créateur pour appeler à la fraternité
envers toutes les créatures. Après une présentation des différents aspects
de cette interdépendance, l’auteur explicite les contours, les limites et les
expériences concrètes de cette fraternité des humains envers les animaux.
Dans quelle mesure cela a-t-il aussi du sens de parler d’une fraternité des
animaux envers les humains ? À quelles conversions sommes-nous appelés
aujourd’hui dans nos relations aux animaux ?
La relation aux animaux passe notamment par l’alimentation. C’est
pourquoi le chap. 9 propose une réflexion sur le sens de cette relation
fondamentale que nous entretenons avec le vivant au regard de l’écologie
intégrale. Benoît-Joseph Pons y rappelle que cette dernière couvre tous les
aspects de l’action humaine. L’alimentation, dans son volet consommation
(que manger et comment nourrir tous les hommes ?) et son volet production (agriculture, industrie alimentaire et distribution) est un élément
essentiel de la vie humaine. Les quatre relations que l’écologue intégrale
définit, relation à Dieu, aux autres hommes, aux créatures non-humaines et
à soi-même, servent de guide pour examiner la question de l’agriculture, de
la place des agriculteurs, de la faim et de la malnutrition, des régimes et de
la sûreté alimentaire.
Les relations interhumaines mais aussi aux êtres naturels sont régies par
le droit. Pour atteindre une fraternité cosmique, faut-il reconnaître aux
animaux et à la terre la qualité de sujet de droit ? Alain Papaux montre
au chap. 10 que la technique juridique le permet. Cette solution est-elle
adéquate, sachant que le nœud du problème est l’homme et sa démesure ?
Avant la Modernité, l’égalité, devant Dieu, de l’homme et du « reste » de la
Création, allait de soi, égalisation de condition (du vivant à tout le moins)
au motif métaphysique principal de la « relation transcendantale » (d’après
saint Thomas d’Aquin) ou unidualité de l’âme et du corps : sous cet angle,
l’homme est un vivant comme les autres. La pensée moderne ayant égaré la
corporéité, partant perdu la communauté « biosphérique », l’exhaussement
de l’animal ou, pis, du fleuve à la qualité juridique de la personne apparaît exorbitant. Or, nous sommes corps, comme le montrent les sciences.
Le refus de cette fraternité cosmique a donc d’autres origines. Serait-ce la
peur d’une trop grande proximité ainsi reconnue avec les autres créatures ?
Serait-ce que l’homme ne se sent pas à la hauteur de la comparaison avec
la bête ? Eu égard à son comportement envers l’animal ou la terre, la qualification d’homo faber le décrit plus fidèlement (H. Bergson), induisant
une fraternité « par le bas » : abaissement de l’homme de sapiens à faber ou
l’homme « animal laborans » (H. Arendt).
Pour le pape François, il est important que l’engagement à l’écologie
intégrale soit nourri par une spiritualité qu’il qualifie d’écologique. C’est
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pourquoi il nous a semblé important d’honorer cet appel en convoquant la
tradition spirituelle chrétienne pour donner des moyens de vivre la fraternité
cosmique-universelle. Au chap. 11 Fabien Revol présente la figure écologiquement populaire de sainte Hildegarde de Bingen. En effet le 7 octobre
2012 le pape Benoît XVI proclama cette sainte docteure de l’Église. Parmi
les raisons qu’il donne à ce décret se trouve l’actualité de sa pensée théologique visionnaire qui peut entrer en dialogue avec les problématiques
écologiques de notre temps. Au-delà de sa popularité contemporaine liée
à sa diététique et sa musique, cette sainte allemande du xiie siècle est donc
donnée à l’Église comme source de sens théologique et spirituel pour aider
les chrétiens d’aujourd’hui aux prises avec la crise écologique. Le contexte
culturel de l’abbesse bénédictine de Bingen est celui de l’époque romane
marquée par une forte influence du néoplatonisme chrétien dans lequel la
théorie des correspondances amène à penser la créature humaine comme
un microcosme dans un macrocosme. Cette inscription de l’humain dans le
cosmos comme lieu de focalisation de la circulation des énergies du monde
(viridité), et dont la forme résume la forme générale de l’univers indique
une sorte d’unité de nature et de dépendance fondamentale entre la créature
à l’image de Dieu et l’ensemble de la création. Cette dépendance permet
de penser une solidarité ontologique que la créature humaine peut prendre
éthiquement en charge du fait de sa nature éthique. L’intégration de cette
représentation de la solidarité humano-cosmique dans la réflexion sur l’écologie intégrale vient enrichir le projet de constitution de belle communion
universelle proposée en Laudato si’ 220 et ouvre la porte à une forme de
pensée de la fraternité cosmique-universelle.
C’est dans le même univers culturel et symbolique que se situe le courant
franciscain de la création. Au chap. 12, Laure Solignac présente son expression dans la pensée bonaventurienne. Saint Bonaventure est connu pour
avoir essayé de traduire l’expérience franciscaine dans la langue théologique
de son temps. Parmi les thèses qu’il a développée en ce sens, figure en bonne
place celle de l’âme comme miroir du monde, dont l’histoire est ancienne.
La métaphore du miroir évoque en effet une possible relation de correspondance entre le monde (macrocosme) et l’âme humaine (microcosme) en son
intimité – et non seulement avec le corps humain. Elle évoque plus encore
la mission qui est celle de l’homme à l’égard du monde : celle d’une prise
en charge intérieure et d’un accueil de son altérité au plus profond de soi.
Mais cette thèse de l’âme-miroir suffit-elle à nourrir un juste rapport au
monde ? Suffit-il de vouloir refléter le monde pour se trouver véritablement
dans une relation fraternelle avec lui ? Aux yeux de Bonaventure, cette relation spéculaire entre le monde et l’âme humaine s’inscrit dans le cadre d’une
métaphysique et d’une théologie du Verbe qui garantissent l’effectivité et la
fécondité de cette relation : le Verbe est en effet la première et la plus fidèle
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expression de toutes ses créatures, et c’est en Lui que le Docteur séraphique
nous invite à l’exprimer à notre tour et à le reconduire en Dieu.
La tradition jésuite vient enfin compléter ce cheminement spirituel sans
pour autant l’épuiser. Le P. François Euvé s.j. focalise le chap. 13 sur le rôle
de l’amour dans la pensée teilhardienne. Pour Pierre Teilhard de Chardin
(1881-1955), l’amour est une « énergie cosmique ». C’est de fait la catégorie
centrale d’une pensée centrée sur l’idée d’« union créatrice » : l’action créatrice de Dieu est dans le même temps une action unificatrice. L’histoire de
l’univers est orientée vers la communion universelle, Dieu « tout en tous »
(1 Co 15, 28). La marche du monde en avant est guidée par une force de
rassemblement qui, dans le cas de l’humanité, s’appelle « socialisation ».
Teilhard présente ce phénomène comme « irrésistible ». Il le voit à l’œuvre
en dépit des forces de dispersion (guerres, divisions). Mais il est conscient
que la « compression » du monde (communications de plus en plus étroites)
ne signifie pas nécessairement qu’il y ait croissance de communion ou de
fraternité. Il tente d’appuyer cela sur ce que l’on peut observer de l’évolution
des espèces qui serait guidée par un processus « orthogénétique ». Déjà à son
époque, cette vision a rencontré des oppositions. On peut se demander en
effet s’il s’agit d’une perspective scientifique ou d’une affirmation de croyant.
Cet ultime chapitre présente les grandes lignes de la pensée de Teilhard sur
ce thème. Elle en discute aussi les prémices et les conséquences.
Introduction du colloque par le Pr. Olivier Artus recteur de l’UCLy
Le colloque qui s’ouvre aujourd’hui est la conclusion d’un projet de
recherche important, mené dans le cadre de la Chaire Jean Bastaire
de l’Université catholique de Lyon. Avec la création de notre nouvelle
unité de recherche et, en particulier, la constitution du pôle de recherche
« Développement intégral, écologie et éthique », cette rencontre se tient à
un moment tout à fait symbolique pour la vie de notre Université, comme le
disait à l’instant le Docteur Fabien Revol.
Cher Docteur Fabien Revol, vous qui avez coordonné la préparation de
ce colloque, vous serez amené dans les prochaines semaines, avec le Docteur
Marie Bui-Leturcq, à inaugurer ce pôle de recherche nouvellement constitué au sein de notre unité de recherche. Nous voici donc dans la continuité
de ce qui fait une part notable de l’identité de notre Université catholique :
la recherche en écologie, en éthique et en anthropologie. Pour l’ensemble
de ces questions, de ces défis du xxie siècle, nous savons que la contribution
du pape François a été et demeure décisive. François nous invite en effet à
penser ces défis, en écologie, en éthique et en anthropologie, de manière
systémique.
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Le point de départ de la réflexion, dont nous recueillons aujourd’hui
les fruits, est évidemment l’encyclique Laudato si’, lettre par laquelle le
pape nous invite à penser, dans un même mouvement, le développement,
l’écologie, l’éducation et le bien commun. En adoptant un regard global
sur l’ensemble de ces questions, il s’agit d’éviter l’écueil qui consisterait à
privilégier une approche strictement technique, limitant par exemple la
question de l’écologie à l’étude physique de l’évolution du climat et de notre
écosystème. L’encyclique Laudato si’, à travers les questions de l’écologie,
nous invite bien au contraire à considérer la manière dont l’homme, dans
sa globalité, se situe dans le monde. C’est-à-dire non seulement dans son
environnement physique, mais également dans son environnement vivant.
D’une part le monde animal et, d’autre part, son environnement humain.
Ainsi, l’écologie inclut une dimension économique et, par là même,
rejoint la question du développement et celle de la dignité. « Le développement humain authentique a un caractère moral et suppose le plein respect
de la personne humaine, mais il doit aussi prêter attention au monde naturel
et “tenir compte de la nature de chaque être et de ses liens mutuels dans un
système ordonné1”. » La seconde phrase de cette citation nous renvoie aux
fondements théologiques de l’affirmation qui est faite. La capacité, propre
à l’être humain, de transformer la réalité doit se développer sur la base du
don des choses faites par Dieu à l’origine. Autrement dit, le fondement du
développement humain authentique suppose une juste compréhension de la
théologie de la création.
Le Cardinal Turkson, bibliste, ne m’en aurait pas voulu de revenir au
texte biblique. Comme nous le savons, les récits de l’origine, dans le livre
de la Genèse, insistent sur la relation qui existe entre l’humanité et le règne
animal. En effet, les auteurs sacerdotaux et les récits des origines – premier
récit des origines plus particulièrement – introduisent un idéal de paix, sous
la forme d’une règle de non-violence entre humains et animaux.
Les règles alimentaires qui en Gn 1 préconisent la non-consommation
de viande animale se retrouvent cependant mise en question par Gn 9.
Mais, de nouveau l’alliance conclue entre Dieu et Noé à l’issue du déluge en
Gn 9, verset 10, insiste sur la coappartenance des humains et des animaux
à un même monde. Nous retiendrons, pour décrire cette coappartenance,
l’expression intéressante « Basar » qui en Hébreu signifie « Toute chair ».
Autrement dit, humains et animaux sont désignés par une expression commune qui qualifie une même appartenance au monde vivant.
Certes, la loi sacerdotale de Gn 1, 29-30, qui prescrit une alimentation
végétalienne, peut paraître utopique, mais elle vient en réalité critiquer les
1. LS 5, citant saint Jean-Paul II, Lettre encyclique Sollicitudo rei socialis, Personne
humaine et développement, 30 décembre 1987, D.C. 1957, mars 1988, (SRS) 34.
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pratiques d’une société marquée par la violence : violence entre les hommes
et violences entre humains et animaux. Ainsi, pourrait-on dire que pour le
livre de la Genèse, la relation humains et animaux constitue le baromètre de
l’état de violence de la société.
En renonçant à la violence sur toutes ces formes, les humains renoncent à
s’approprier le don de Dieu. Ce passage par la Bible n’est certainement pas
un détour, il est en réalité le fondement. Un fondement dont il est de plus en
plus difficile de rendre compte dans un monde sécularisé, dans une société
où la Bible et la Bonne Nouvelle de l’Évangile sont totalement « exculturées ». La question qui se pose à nous est alors la suivante : comment rendre
compte, dans le contexte qui est le nôtre, de cette Bonne Nouvelle consignée dans les Écritures ?
Le colloque qui s’ouvre aujourd’hui est ainsi l’endroit propice et à tous
égards – lieu qui l’accueille, objet – pour s’interroger de la sorte. Notre
Université catholique, carrefour entre l’Église, la théologie, le texte biblique,
les sciences et la société, constitue en effet un point de rencontre privilégié
pour rendre compte de l’Espérance chrétienne, comme nous y invite saint
Pierre dans sa première Lettre (1 P 3, 15).
Ce colloque traite des défis de l’écologie, du développement et de la
question anthropologique qui animent toute la société et toutes les cultures.
Un point commun comme lieu de débat audible pour énoncer la spécificité
chrétienne et proposer une évangélisation de la culture.
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34 | EXPRIMER LA FRATERNITÉ COSMIQUE ET SPIRITUELLE
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à paraître.
–, Église-fraternité, L’ecclésiologie du Christ-Frère aux huit premiers siècles, ** L’Église
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Sourisseau Pierre, Charles de Foucauld 1858-1916. Biografia, trad. a cura delle
Discepole del Vangelo e A. Mandonico, Effatà, Cantalupa (TO), 2018, 768 p.
Vorreux Damien, Théophile Desbonnets (éds.), Saint François d’Assise,
Documents écrits et premières biographies, deuxième édition revue et augmentée,
Éditions Franciscaines, Paris 1968, 1504 p.
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