Volume !
La revue des musiques populaires
12 : 2 | 2016
Special Beatles studies
Hey Maths ! Modèles formels et computationnels au
service des Beatles
Hey Maths! Formal and Computational Models in the Service of the Beatles
Moreno Andreatta, Mattia G. Bergomi et Franco Fabbri
Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/volume/4723
DOI : 10.4000/volume.4723
ISSN : 1950-568X
Éditeur
Association Mélanie Seteun
Édition imprimée
Date de publication : 22 mars 2016
Pagination : 161-179
ISBN : 978-2-913169-40-1
ISSN : 1634-5495
Référence électronique
Moreno Andreatta, Mattia G. Bergomi et Franco Fabbri, « Hey Maths ! Modèles formels et
computationnels au service des Beatles », Volume ! [En ligne], 12 : 2 | 2016, mis en ligne le 22 mars
2018, consulté le 13 novembre 2021. URL : http://journals.openedition.org/volume/4723 ; DOI :
https://doi.org/10.4000/volume.4723
L'auteur & les Éd. Mélanie Seteun
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Hey Maths !
Modèles formels et computationnels
au service des Beatles
par
Moreno Andreatta (Ircam-CNRS-UPMC)
Mattia G. Bergomi (LIM-Milan/Ircam-UPMC)
Franco Fabbri (Université de Milan / conservatoire de Parme)
Abstract: This article proposes some thoughts on
formal and computational models in and for popular music by focusing on Beatles songs. After a
brief presentation of some systematic approaches
in the analysis of musical form and of some theoretical tools used in the geometric representation of
musical structures and processes (the Tonnetz and
other Neo-Riemannian constructions), the authors
deal with the questions raised by the analysis of a
collection of Beatles songs once they are studied
either from a formal or a computational viewpoint.
Even though the form and the structure of Beatles
songs can be studied without using mathematical
tools, the computer-aided modelling of the segmentation process of a musical piece, as well as the techniques belonging to the field of Music Information
Retrieval, allow to give a quantitative, computational-oriented interpretation of Pop songs. At the same
time, this approach opens the question of the singularity of this repertoire with respect to other popular
music pieces.
Mots-clés : forme – Tonnetz – analyse transformationnelle – modèle système-contraste – dendrogramme
– traitement de l’ information musicale – Math’n Pop
Keywords: form – Tonnetz – transformational analysis – system-contrast model – dendrogram – Music
Information Retrieval – Math’n Pop
Volume ! n° 12-2
modèles formels et computationnels dans et pour les
musiques populaires tout en mettant l’accent sur les
chansons des Beatles. Après une présentation rapide
des approches systématiques dans l’analyse de la
forme, mais aussi des outils théoriques à la base de la
représentation géométrique des structures et des processus musicaux (Tonnetz, constructions issues de la
tradition analytique néo-riemannienne), les auteurs
évoquent les questions que soulève l’analyse d’une
collection de chansons des Beatles dès lors qu’on les
envisage d’un point de vue formel et computationnel.
En effet, si la forme et la structure des chansons des
Beatles peuvent être étudiées sans recourir à des outils
mathématiques, la modélisation informatique du processus de segmentation d’une pièce de musique, ainsi
que les techniques issues du Music Information Retrieval, permettent d’approcher ces chansons d’un point
de vue computationnel tout en posant la question de
leur singularité par rapport à d’autres musiques elles
aussi qualifiées de « populaires ».
Résumé : Cet article livre quelques réflexions sur les
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Moreno Andreatta, Mattia G. Bergomi & Franco Fabbri
Volume ! n° 12-2
Beatles représente
La musique des
un cas intéressant non
seulement pour le musicologue computationnel, mais encore, plus généralement, pour l’analyste s’intéressant aux articulations entre musique
savante et musique populaire 1. En effet, longtemps avant de devenir un objet d’étude pour les
chercheurs travaillant dans ce qu’on appelle traditionnellement la Music Information Retrieval,
cette musique a fasciné les compositeurs issus de
la tradition savante. Il suffit, pour s’en convaincre,
de songer aux arrangements pour voix soliste et
ensemble (jusqu’à neuf instruments) de Louis
Andriessen et Luciano Berio 2 ou aux transcriptions pour guitare de quatre chansons des Beatles
par Tōru Takemitsu 3. Comme l’a récemment
montré un colloque organisé sous l’égide de la
Société Française d’Analyse Musicale 4, on pourrait même ajouter à ces quelques exemples les
nombreuses autres formes d’articulation entre
démarche savante et pratiques compositionnelles
caractéristiques du répertoire populaire (dont les
Beatles sont l’un des représentants). Parallèlement
à une typologie basée sur le « triangle axiomatique » de Tagg, dans lequel la popular music est,
avec la musique folklorique (ou traditionnelle) et la
musique classique (ou savante), l’un des trois types
(kinds) de musique (Tagg, 1982), il est intéressant
d’aborder la notion complexe de genre en considérant les objets musicaux comme des « faits » et des
« événements ». Ces derniers sont caractérisés par
un ensemble de propriétés que l’on peut regrouper
dans des familles d’ordre supérieur appelées des
« types » (Fabbri, 2007 ; 2014). Dans le cas des
chansons des Beatles, une approche par « types »
conduit, en premier lieu, à s’intéresser au problème
de la modélisation de la forme comme l’a initialement envisagé Fabbri (1996 ; 2012a). Un rappel
de la terminologie qui sera utilisée dans ces pages
peut s’avérer utile.
• Refrain : section d’une chanson dans laquelle
la musique et les paroles sont répétées à l’identique tout au long de la pièce, les paroles faisant apparaître le titre de la chanson ;
• Chorus : section d’une chanson dans laquelle
la musique est répétée à l’identique tandis que
les paroles varient. Certaines lignes du texte
(dont le titre de la chanson) sont, cependant,
elles aussi répétées ;
• Verse : section d’une chanson dans laquelle
la musique est répétée à l’identique tandis que
l’ensemble des paroles varie ;
• Bridge : section d’une chanson qui se positionne après les chorus et dont elle diffère par
le caractère harmonique et mélodique.
Une analyse systématique des chansons des Beatles
révèle que la majorité d’entre elles utilise la forme
AABA (ou chorus-bridge 5). C’est par exemple le
cas de « From Me to You », dont le schéma formel
est donné dans la figure 1 6 .
On retrouve le même schéma, quoique légèrement étiré dans le temps, dans « A Hard Day’s
Night » (figure 2).
Ce type formel s’oppose à la forme verse-refrain ou
verse-chorus 7, que l’on trouve dans d’autres chansons, comme « Penny Lane » (figure 3) ou « Let It
Be » (figure 4).
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Hey Maths !
From Me To You
Figure 1 : Schéma de la chanson « From Me to You ».
A Hard Day’s Night
Volume ! n° 12-2
Figure 2 : Schéma de la chanson « A Hard Day’s Night ».
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Moreno Andreatta, Mattia G. Bergomi & Franco Fabbri
Penny Lane
Figure 3 : Schéma de la chanson « Penny Lane ».
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Let It Be
Figure 4 : Schéma de la chanson « Let It Be ».
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Hey Maths !
Selon Fabbri (1996), les types AABA et verse-refrain
(ou verse-chorus) représentent deux modèles antagonistes en termes de stratégie rhétorique. Dans le cas
d’une forme AABA (ou chorus-bridge), on a affaire
à un modèle soustractif, qui possède un caractère non-téléologique. À l’inverse, dans une forme
verse-refrain (ou couplet-refrain), le caractère narratif et directionnel est typique, par exemple, de la
« chanson à texte ». Dans le premier cas, le caractère
exclamatif découle du fait que le centre d’intérêt (le
hook) se trouve en début de section, alors que dans le
second, la narration impose un aspect additif (d’où
le positionnement du hook en fin de section 8).
L’approche formelle évoquée ci-dessus repose sur
des segmentations qui dépendent de connaissances musicologiques préalables. Autrement dit,
c’est au musicologue et à l’analyste qu’il appartient
de repérer, dans un flux audio, les segments qui
correspondent aux parties codifiées dans la structure des chansons – refrain, verse, chorus, bridge.
Cela étant, il est aussi envisageable de réaliser une
analyse plus fine en segmentant le signal sonore en
blocs plus petits dont l’assemblage permet ensuite
de retrouver les parties plus traditionnelles de la
chanson. Le modèle « système-contraste », développé par Frédéric Bimbot et son équipe à l’IRISA
de Rennes (Bimbot et al., 2012), peut s’avérer ici
d’une grande utilité. Inspiré de la linguistique,
ce modèle permet d’annoter des fichiers sonores
avec une granulosité plus ou moins importante.
La figure 5 fournit un exemple de ce qu’il donne
appliqué à la chanson « Come Together ».
Come Together
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Figure 5 : Segmentation de « Come Together » avec indexation des différentes parties selon les
conventions utilisées pas les auteurs du modèle « système-contraste ».
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Moreno Andreatta, Mattia G. Bergomi & Franco Fabbri
Comme nous allons le voir, cette façon d’annoter
les segments d’une pièce constitue, lorsqu’elle est
combinée avec des techniques d’alignement des
séquences de symboles, une nouvelle approche
dans l’analyse des bases de données et dans la
classification stylistique automatique. Avant de
présenter les résultats de cette approche computationnelle, commençons toutefois par évoquer
un modèle géométrique qui permet d’ajouter à
l’information formelle une information harmonique, condition nécessaire pour raffiner les techniques de recherche de similarité entre les pièces
d’un même auteur (dans le cas présent, le corpus
de chansons des Beatles qui figurent dans la base
de données Quaero 9), mais aussi entre les pièces
de deux groupes appartenant à des répertoires stylistiques différents (en l’occurrence, les Beatles et
Buena Vista Social Club).
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Un outil conceptuel pour l’analyse
musicale : le Tonnetz
L’utilisation de l’informatique pour analyser les
musiques actuelles est étroitement liée à la question de la représentation symbolique des structures et des processus musicaux (Lalitte, 2014).
Le Tonnetz (ou « réseau tonal »), représentation à
la fois mathématique et musicale, est à la base de
l’analyse néo-riemannienne – une branche formelle de la musicologie dont le domaine d’application a largement dépassé le cadre initial de la
musique savante pour inclure, de plus en plus, le
rock, le jazz et la musique pop (Capuzzo, 2004 ;
Hascher, 2007 ; Briginshaw, 2012 10). À la différence de la plupart des musicologues qui se sont
déjà penchés sur le sujet, nous aimerions insister
ici sur le potentiel computationnel du Tonnetz,
c’est-à-dire sur sa capacité à être utilisé dans le
cadre d’une analyse musicale assistée par ordinateur (Bigo & Andreatta, 2014 ; 2015). Le Tonnetz
peut être défini comme un espace géométrique
engendré par des transformations musicales
qui s’appliquent à des accords consonants
(majeurs et mineurs). Chaque accord du Tonnetz est représenté sous la forme d’un triangle,
lequel est entouré par trois autres triangles
qui correspondent aux accords avec lesquels il
entretient une relation de « parallèle » (via l’opérateur indiqué par la lettre P, qui transforme par
exemple un accord de do majeur en un accord de
do mineur), de « relatif » (via l’opérateur indiqué
par la lettre R, qui transforme par exemple un
accord de do majeur en un accord de la mineur),
ou de « leading tone », soit de « sensible » (via
l’opérateur indiqué par la lettre L, qui transforme par exemple un accord de do majeur en un
accord de mi mineur). Ces trois opérations sont
les seules opérations qui permettent de passer
d’un accord parfait majeur à un accord parfait
mineur ayant deux notes en commun avec lui
(figure 6).
Prenons l’exemple du refrain de la chanson « Shake
the Disease » du groupe Depeche Mode (figure 7).
Ce refrain est constitué de quatre accords qui se
répètent de façon cyclique en déployant de multiples symétries (Capuzzo, 2004). Une première
transformation, indiquée par la flèche ascendante,
relie les accords de ré mineur et de fa mineur, qui
ont la note fa en commun. Cette transformation n’appartient pas à la famille des transforma-
Hey Maths !
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Figure 6 : Le Tonnetz engendré par les deux axes correspondant aux intervalles de
tierce majeure et de tierce mineure ainsi qu’à l’aide des trois transformations néoriemanniennes (P, R, L 11).
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Figure 7 : Représentation géométrique de l’enchaînement harmonique à la base du refrain de « Shake
the Disease » (Depeche Mode) à l’aide du Tonnetz.
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Moreno Andreatta, Mattia G. Bergomi & Franco Fabbri
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tions élémentaires néo-riemanniennes que nous
venons d’évoquer, mais elle peut être interprétée
comme la combinaison d’une transformation R
(de ré mineur à fa majeur) et d’une transformation P (de fa majeur à fa mineur), d’où l’indication
« RP ». Une transformation similaire relie les deux
accords suivants (réb majeur et sib majeur), qui ont
eux aussi la note fa (F) en commun. La transformation indiquée à l’aide d’une double flèche (entre
le deuxième et troisième accord) est quant à elle
une transformation élémentaire, puisqu’elle correspond à l’opérateur L. À noter qu’elle permet en
outre de revenir à l’accord de départ, ce qui contribue à la nature cyclique du refrain.
Un enchaînement harmonique plus complexe est
utilisé par Frank Zappa dans la partie instrumentale
d’« Easy Meat » (voir Capuzzo, 2004). Cet enchaînement peut être décomposé en quatre cellules de
quatre accords, pour un total de seize accords. Chacune de ces cellules reproduit la cellule précédente
à la tierce mineure inférieure (T-3), déployant ainsi
la même succession de transformations néo-riemanniennes : P, R et L (les quatre parcours correspondants sont représentés dans le Tonnetz en figure 8).
Figure 8 : Représentation d’un enchaînement harmonique engendré par la « translation spatiale » (ou
transposition) d’une même cellule de quatre accords à l’aide du Tonnetz.
169
Hey Maths !
Une technique compositionnelle similaire est
à la base de la chanson « Madeleine » de Paolo
Conte où, cette fois, une même cellule de quatre
accords est transposée à la tierce mineure supérieure (figure 9).
La figure 10 offre un dernier exemple d’utilisation des techniques d’analyse néo-riemanniennes
appliquées à la chanson française. L’impression de
symétrie que l’on peut ressentir entre les accords
qui composent les quinzième et seizième mesures
des couplets des « Filles de l’Aurore » de William
Sheller se voit confirmée par la représentation
géométrique de l’enchaînement harmonique correspondant – il va sans dire qu’une analyse fonctionnelle classique aurait été incapable de rendre
compte de la logique musicale éminemment « spatiale » d’un tel enchaînement.
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Figure 9 : Représentation de l’enchaînement harmonique à la base de la pièce « Madeleine »
(Paolo Conte) à l’aide du Tonnetz.
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Moreno Andreatta, Mattia G. Bergomi & Franco Fabbri
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Figure 10 : Représentation de l’enchaînement harmonique des mesures 15 et 16 des couplets des
« Filles de l’Aurore » (William Sheller) à l’aide du Tonnetz.
Outils informatiques pour l’analyse
des chansons des Beatles
À l’aide des informations harmoniques fournies
par le Tonnetz (ou d’autres modèles du même type,
comme le Spiral Array 12), il est possible d’affiner la
technique d’alignement « par paires » des séquences
symboliques utilisée par l’un des auteurs dans l’analyse de corpus musicaux (Bergomi & Esling, 2014).
On peut ainsi parvenir à un nouveau système de
classification automatique des styles musicaux,
l’analyse de bases de données et le tri automatique
de chansons en fonction de leurs auteurs intéressant les musicologues computationnels au plus haut
point.
Pour en revenir à la base Quaero (et plus particulièrement aux chansons des Beatles qui figurent
dans cette base), la technique d’alignement des
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Hey Maths !
séquences symboliques dérivées des segmentations
issues du modèle « système-contraste » permet,
lorsqu’elle est appliquée à un tel répertoire, d’obtenir les dendrogrammes circulaires représentés dans
les figures 11 et 12.
Représentation arborescente de type circulaire, le
dendrogramme est basé sur la prise en compte des
accords qui, dans une chanson donnée, peuvent
être interprétés comme les degrés d’une même
tonalité. Les séquences de symboles correspondant
à chaque chanson sont ensuite alignées comme
des séquences génétiques, la distance entre deux
séquences étant proportionnelle à la qualité de leur
« alignement » (la longueur des segments reliant
deux chansons entre elles est, quant à elle, équivalente à leur distance en termes d’alignement). Le
dendrogramme de la figure 12 démontre ainsi que
les chansons des Beatles sont « structurellement »
différentes de celles de Buena Vista Social Club 13.
Conclusions et perspectives
Les pages précédentes proposent un rapide
aperçu de ce à quoi permet d’aboutir l’utilisation
de modèles formels et computationnels dans les
musiques populaires en prenant pour exemple les
chansons des Beatles. Ce type de démarche s’inscrit dans l’axe de recherche transversal « Math’n
Pop » de l’équipe Représentations musicales de
l’Ircam, qui fait usage de modèles géométriques
de l’espace d’accords (Tonnetz, Spiral Array), mais
aussi de modèles informatiques issus de la Music
Information Retrieval (comme le modèle « systèmecontraste ») ou de techniques d’apprentissage automatique (alignement multiple ou « par paires » de
séquences symboliques). Une telle approche ouvre
des perspectives nouvelles en matière de classification automatique des styles musicaux. L’une des
pistes les plus prometteuses pour les recherches
futures concerne probablement l’articulation entre
approche symbolique et approche basée sur le
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Considérant que, dans le modèle « systèmecontraste » utilisé pour annoter les fichiers audio
de la base de données Quaero, aucune compétence
musicologique préalable ne permet de définir (et
de repérer) dans le flux sonore des parties comme
le refrain, le verse ou le bridge, quelles conclusions pouvons-nous tirer des lignes précédentes ?
L’analyse automatique de la forme se fait à partir
de petits segments et de leur indexation à l’aide
d’un système de symboles. C’est ce système qui
est ensuite interprété dans une démarche d’alignement de séquences qui fait apparaître ou non les
similarités structurelles entre la famille des chansons des Beatles et d’autres pièces contenues dans
la base de données Quaero (dans le cas présent,
trois chansons du Buena Vista Social Club). Une
analyse plus poussée du dendrogramme précédent
s’avère donc nécessaire pour mettre en lumière
l’existence de deux familles nettement séparées
au sein même des chansons des Beatles contenues
dans la base de données Quaero. Et les résultats
de cette analyse pourraient même être complétés
grâce aux techniques issues de la reconnaissance de
pattern, ces dernières permettant, selon Joe George
et Lior Shamir, d’établir un modèle computationnel capable d’analyser des similarités stylistiques
entre différents albums d’un même groupe et de
les classer par ordre chronologique de façon automatique (George & Shamir, 2014).
Figure 11 : Dendrogramme offrant une première catégorisation stylistique de la base de données Quaero.
Figure 12 : Dendrogramme mettant en évidence la façon dont les chansons des Beatles se séparent automatiquement de trois pièces du Buena Vista Social Club.
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Moreno Andreatta, Mattia G. Bergomi & Franco Fabbri
Volume ! n° 12-2
signal audio, cette question faisant actuellement
l’objet d’une thèse (Bergomi, 2015a). En effet,
plusieurs faiblesses subsistent dans la structure
du Tonnetz « symbolique » que l’on utilise pour
analyser la musique à partir de fichiers MIDI. Au
premier chef, on peut noter son caractère « isotrope », c’est-à-dire le fait que tous ses éléments
(notes, accords, etc.) ont a priori le même poids.
Cette structure géométrique ne permet donc pas,
par exemple, de différencier une gamme de tous
ses modes associés. La prise en compte du caractère consonant/dissonant des différents intervalles, à partir d’études psycho-acoustiques ou de
données issues de la psychologie expérimentale
(Purwins et al., 2007/2008) permet d’obtenir, à
partir du Tonnetz, un espace anisotrope dont les
objets n’ont pas tous le même poids. Un exemple
de Tonnetz « déformé » est donné en figure 13.
Ces nouvelles structures géométriques, plus souples
que les structures traditionnelles, pourraient ainsi
compléter la palette des outils dont dispose l’analyse musicale computationnelle, en particulier
dans l’articulation qu’elle semble de plus en plus
rechercher entre les approches symboliques et les
démarches basées sur l’analyse du signal audio. Les
chansons des Beatles, loin de représenter un simple
cas d’étude, constitueront, à n’en pas douter, un
terrain de recherche particulièrement fertile dans ce
domaine.
Figure 13 : Exemple de Tonnetz « déformé » (à l’aide, dans ce cas particulier, d’une fonction consonance
basée sur l’accord de do majeur).
175
Hey Maths !
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Moreno Andreatta, Mattia G. Bergomi & Franco Fabbri
Notes
1. Tout au long de l’article, nous emploierons le terme de
« musique populaire » au sens de popular music, dont
on peut donner deux définitions complémentaires. En
effet, si certains auteurs (Frith, 1998 ; Julien, 2010)
considèrent cette catégorie comme étroitement liée
à la « tradition phonographique », d’autres auteurs
(Scott, 2009 ; Fabbri, 2012) assimilent la popular
music à un type de musique qui émerge depuis le début
du xixe siècle dans un espace qui échappe à la fois à
la tradition de la musique classique (ou savante) et à
celui de la musique traditionnelle (ou folklorique).
Les concepts mêmes de musique « classique » et de
musique « folklorique » sont d’ailleurs apparus au
début du xixe siècle.
Volume ! n° 12-2
2. Ces arrangements, réunis sous le titre Beatles Songs,
ont été réalisés entre 1965 et 1967. Ils comprennent
notamment « Michelle I » (pour mezzo-soprano
et deux flûtes ou flûte – ou hautbois – et clavecin),
« Ticket to Ride » (pour mezzo-soprano et flûte, hautbois, trompette clavecin, violon, alto, violoncelle,
contrebasse), « Yesterday » (pour mezzo-soprano et
flûte, clavecin et violoncelle), « Michelle II » (pour
mezzo-soprano et flûte, clarinette, harpe, violon, alto,
violoncelle, contrebasse) et « Michelle II » (version
transposée pour flûte, clarinette, harpe, violon, alto).
Voir Meehan (2011).
3. Il s’agit des Twelve Songs For Guitar (1974-1977), parmi
lesquelles on trouve des chansons comme « Here, There
and Everywhere », « Michelle », « Hey Jude » ou « Yesterday ».
4. Nous faisons ici référence aux Journées d’Analyse
Musicale consacrées à la question de l’articulation
entre la musique savante et les musiques actuelles
(JAM 2014). Le programme ainsi que les enregistrements vidéos des communications sont accessibles
en ligne à l’adresse suivante : http://repmus.ircam.fr/
jam2014/home.
5. Voir, entre autres, « Love Me Do », « Please Please
Me », « Ask Me Why », « I Saw Her Standing There »,
« Do You Want to Know a Secret », « From Me to
You », « Thank You Girl », « I’ll Get You », « I Want
to Hold Your Hand », « You Can’t Do That », « And I
Love Her », « I Should Have Known Better », « A Hard
Day’s Night », « I’ll Cry Instead », « I’ll Be Back »,
« Any Time at All », « Things We Said Today », « I
Don’t Want to Spoil the Party », « No Reply », « Eight
Days a Week », « I Feel Fine » ou « I’ll Follow the Sun »
(pour ne citer que quelques exemples).
6. Dans ce schéma, comme dans ceux qui suivent, l’axe
des abscisses indique le temps mesuré en secondes.
7. Pour une discussion détaillée de la forme verserefrain ou verse-chorus, se reporter à Covach (2005 ;
2006).
8. D’autres exemples ont été évoqués par Franco Fabbri à
l’occasion de la soirée « Math’n Pop » organisée dans le
cadre des JAM 2014. La vidéo est disponible en ligne
sur le webmagazine de la Bibliothèque publique d’information du Centre Pompidou : http://webtv.bpi.fr/
fr/doc/4101/Math’n+Pop. [01-08-2015].
9. La base Quaero contient 159 morceaux de musique
appartenant au répertoire pop, chaque fichier sonore
ayant été annoté manuellement par l’équipe de
l’IRISA (Bimbot et al. 2012). http://www.quaero.org/
[01-08-2015].
10. L’approche néo-riemannienne n’est évidemment pas
la seule possible dans l’analyse des musiques populaires. En plus de celle-ci, on citera notamment les
démarches formelles basées sur les théories schenkeriennes (Moore, 1995), sur la théorie des vecteurs harmoniques de Nicolas Meeùs (Cathé, 2010) ou encore
sur les théories modales (Biamonte, 2012). Pour une
analyse critique des différentes approches analytiques
de la forme dans la musique rock, se reporter à Nicole
Biamonte (2011).
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Hey Maths !
11. Conformément à la tradition, les noms de notes sont
donnés dans la nomenclature anglo-saxonne. On
gardera la nomenclature francophone pour indiquer
le nom des accords correspondants afin d’éviter une
confusion entre ceux-ci, qui sont représentés par des
triangles dans le Tonnetz, et les sommets des triangles
qui correspondent aux notes.
12. Modèle hélicoïdal conçu par Elaine Chew, Spiral
Array a été particulièrement utile dans le cadre de la
présente étude. Pour une description détaillée de ce
modèle, se reporter à Chew (2014).
13. Pour une interprétation de ces résultats dans le cadre
d’une démarche d’analyse computationnelle de la
musique folk, voir Bergomi & Andreatta (2015).
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