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Ephemerides Theologicae Lovanienses 94/4 (2018) 705-713. doi: 10.2143/ETL.94.4.3285535 © 2018 by Ephemerides Theologicae Lovanienses. All rights reserved. Cyrille d’Alexandrie cité et citant Sur un prétendu fragment de son In epistulam ad Corinthios* Dimitrios ZAGANAS KU Leuven Dans un article paru en 2017 aux Ephemerides Theologicae Lovanienses1, Konrad F. Zawadzki a édité et étudié un fragment syriaque de Cyrille d’Alexandrie, conservé dans le codex British Library Add. 14529 (VIIe ou VIIIe s.), en raison de son origine «énigmatique»: selon le compilateur anonyme du florilège antijulianiste où il apparaît, il s’agit d’un passage extrait «du cinquième livre (sc. du commentaire cyrillien) sur l’épître aux Corinthiens», mais le même texte se trouve mot à mot dans son Apologia XII capitulorum contra Orientales2. Cyrille s’est-il «plagié» luimême? C’est la question principale3 que se posa K. Zawadzki dont l’analyse du fragment et sa comparaison avec l’Apologia, en grec comme en traduction syriaque, l’amena à supposer que Cyrille aurait lui-même tacitement copié ce passage de son In epistulam II ad Corinthios. Or une telle hypothèse est invraisemblable et doit être écartée, parce qu’elle risque d’attribuer à l’auteur ce qui revient à un compilateur, voire à un plagiaire. Pour ce faire, nous allons 1) replacer le fragment en question dans la littérature anthologique (chaînes exégétiques, florilèges doctrinaux etc.), 2) préciser la manière dont Cyrille insère des citations dans l’Apologia, 3) montrer que Cyrille peut bien se répéter, mais non pas se plagier. * Cette recherche a été effectuée grâce à une bourse postdoctorale de la KU Leuven. Je remercie le rapporteur anonyme de la revue pour ses remarques. 1. K.F. ZAWADZKI, Hat Cyrill von Alexandrien sich selbst „plagiiert“? Ein neues, rätselhaftes syrisches Fragment aus dem Codex British Library Add. 14529, in ETL 93 (2017) 343-360. 2. CYRILLE D’ALEXANDRIE, Apologia XII capitulorum contra Orientales, ACO I, 1, 7, pp. 33-65, ici p. 55.11-16 et 17-22. Elle date de la première moitié de l’année 431. La défense des chapitres II, V et VI ne nous est pas parvenue. 3. Nous ne traiterons pas de la première question – d’importance secondaire – posée par ZAWADZKI (Hat Cyrill [n. 1], pp. 347-350) de savoir si le fragment syriaque avait été tiré de l’In epistulam I ou II ad Corinthios de Cyrille. Outre que cette question repose sur une confiance absolue dans le témoignage du compilateur, les arguments en faveur de la seconde solution sont loin d’être probants. De fait, rien ne confirme le lien supposé entre Is 28,19 et 2 Cor 6,11-15 dans le commentaire perdu, étant donné que 2 Cor 6,11-15 n’est pas cité dans le fragment syriaque, ni dans l’Apologia contra Orientales, ni dans l’In Isaiam 28,19 de Cyrille. 706 D. ZAGANAS 1. Cyrille d’Alexandrie et ses excerpteurs Aussi précise qu’elle puisse paraître, l’information sur l’origine des extraits patristiques (auteur, texte, passage) doit être utilisée avec la plus grande prudence, surtout quand il s’agit d’un texte perdu en tradition directe comme l’est l’In epistulam I et II ad Corinthios de Cyrille d’Alexandrie (CPG 5209.2). C’est le cas aussi pour les extraits eux-mêmes, car leur contenu est souvent modifié, abrégé ou récrit par rapport au textesource. En ce qui concerne les fragments attribués et attribuables à Cyrille, il arrive en fait 1) que des fragments insérés dans les chaînes soient tirés, non pas de ses commentaires correspondants sur la Bible, mais de ses écrits polémiques et doctrinaux, 2) que les excerpteurs modifient la forme du texte original à leur guise. Prenons-en trois exemples: • Le soi-disant «fragment» de l’In Lucam 1,32 de Cyrille a été en majeure partie extrait du livre X de son Contra Julianum, que le caténiste a abrégé (phrases barrées ci-dessous) et réagencé sur un point (marqué entre crochets)4. In Luc. 1,32, PG 72, 476B: Ἰσοκλεὴς γὰρ τῷ φύσαντι, κατὰ πᾶν ὁτιοῦν ἰσομέτρως ἔχων ὁ ἐξ αὐτοῦ πεφηνὼς Υἱὸς νοοῖτ’ ἂν εἰκότως. Οὐ γὰρ ὅτι γέγονεν ἄνθρωπος οἰκονομικῶς, μειονεκτεῖτο κατά τι γοῦν ὅλως αὐτοῦ· οὐδὲν γὰρ εἰς ἰδίαν ἠδικήθη φύσιν, ἀπό γε τῶν καθ’ ἡμᾶς γενέσθαι δι’ ἡμᾶς· ἐπειδὴ ἄτρεπτος κατὰ φύσιν ὁ τοῦ Θεοῦ Λόγος· ... C. Jul. X, 5, GCS NF 21 (= PG 76, 1009B): Ἰσοκλεὴς γὰρ τῷ φύσαντι καὶ κατὰ πᾶν ὁτιοῦν ἰσομέτρως ἔχων ὁ ἐξ αὐτοῦ πεφηνὼς υἱὸς νοοῖτ’ ἂν εἰκότως. Οὐ γάρ, ὅτι γέγονεν ἄνθρωπος οἰκονομικῶς, μειονεκτοῖτο ἂν κατά τι γοῦν ὅλως αὐτοῦ, ἀλλ’ ὁ μὲν τῆς οἰκονομίας τρόπος ἐν ἰδίοις ἔσται λόγοις. Ἐπεὶ δὲ ἀπαράλλακτός τε καὶ ἄτρεπτος κατὰ φύσιν ἐστὶν ὁ ἐκ τοῦ θεοῦ πατρὸς λόγος, [οὐδὲν εἰς ἰδίαν ἠδικήθη φύσιν ἀπό γε τοῦ καθ’ ἡμᾶς γενέσθαι δι’ ἡμᾶς], ... • Le chapitre XI du De dogmatum solutione de Cyrille a été transformé en «commentaire» In Lucam 1,37, par un simple ajout de formules d’introduction et de transition (de la question à la solution): «Ἀποροῦσι δὲ πάλιν τινὲς (...) Πρὸς οὓς ἐροῦμεν, ὅτι...»5. 4. Sur la transmission fragmentaire de l’In Lucam de Cyrille en grec, sur son édition défectueuse par A. Mai (reprise dans PG 72) et sur le fait que les caténistes ont compilé et combiné des fragments de l’In Lucam avec ceux d’autres écrits cyrilliens, voir J. REUSS (éd.), Lukas-Kommentare aus der griechischen Kirche (TU, 130), Berlin, Akademie-Verlag, 1984, pp. XXV-XXIX. 5. CYRILLE D’ALEXANDRIE, De dogmatum solutione XI, éd. L.R. WICKHAM, Cyril of Alexandria, Select Letters, Oxford, Oxford University Press, 1983, pp. 210-212, à comparer avec le «fragment» de l’In Lucam 1,37, PG 72, 476C-477B. CYRILLE D’ALEXANDRIE CITÉ ET CITANT 707 • Les deux «fragments» de l’In epist. ad Romanos 10,4 ont été constitués respectivement d’un extrait et de l’amalgame de deux autres extraits du Contra Julianum (livres IX et X). Comme il ressort de la confrontation des textes cités ci-dessous, l’excerpteur s’est contenté d’adapter l’incipit des deux «fragments» à son propos et de supprimer la citation (superflue) de Mt 5,18 du dernier extrait. In Rom. 10,4, Pusey III, p. 235.11-31: Προεισκεκόμισται τοίνυν ὁ νόμος, ἐσόμενος τοῖς ἀρχαίοις παιδαγωγὸς (...) διάνοιαν. Μετερρυηκότων λοιπὸν εἰς ἀλήθειαν (...) Χριστός. τέλος γὰρ νόμου (...) ἀλήθειαν. C. Jul. IX, 40, GCS NF 21 (= PG 76, 993B): ... προεισκεκομίσθαι (sc. τὸν νόμον) δὲ μᾶλλον ἐσόμενον τοῖς ἀρχαιοτέροις παιδαγωγὸν (...) διάνοιαν. C. Jul. IX, 31, GCS NF 21 (= PG 76, 981C): Μετερρυηκότων δὴ οὖν εἰς ἀλήθειαν (...) Χριστός. C. Jul. X, 35, GCS NF 21 (= PG 76, 1048B): ‘Τέλος γὰρ νόμου’ (...) Καὶ πάλιν· «Λέγω ὑμῖν· Ἰῶτα ἓν ἢ μία κεραία οὐ μὴ παρέλθῃ ἀπὸ τοῦ νόμου ἕως ἂν πάντα γένηται.» (...) ἀλήθειαν, ... Et l’on pourrait multiplier les exemples. Qu’en est-il maintenant du fragment syriaque récemment édité et de son rapport avec l’Apologia contra Orientales de Cyrille? Comme K. Zawadzki l’a judicieusement remarqué6, l’ensemble de l’extrait syriaque se retrouve dans l’Apologia du dixième anathématisme, conservée en grec, à peu de différences près: 1) les phrases (barrées ci-dessous) «εἰς τὸ παρόν» et «οὐ τροπὴν (...) γέγονε δὲ σάρξ» sont absentes du fragment; 2) le traducteur syriaque a par erreur (?) rapproché τὸν θεμέλιον de τῆς οἰκονομίας (phrases soulignées), au lieu de τοῦ μυστηρίου; 3) la traduction «promesse» (šūḏāyā) – s’il n’y a pas eu confusion, ajouterais-je, avec le mot «début» (šūrāyā) – n’a curieusement rien à voir avec le terme grec (souligné) ἀρχάς. Apologia XII capitulorum contra Orientales ACO I, 1, 7, p. 55.11-22 ... πρὸς δέ γε τοὺς φιλαιτίους εἰς τὸ παρὸν ἐκεῖνο φαμέν· μάθετε ἀκούειν στενοχωρούμενοι (cf. Is 28,19-20)· καταδέξασθε τοῦ κατὰ Χριστὸν μυστηρίου τὸν θεμέλιον, τῆς οἰκονομίας τὰς πρώτας ἀρχὰς καὶ αὐτήν, ἵν’ οὕτως εἴπω, τὴν εἰσβολήν· πιστεύσατε μεθ’ ἡμῶν, μᾶλλον δὲ τοῖς ἱεροῖς γράμμασιν· δότε δὴ δότε τῆς ἀληθείας τὴν ψῆφον, ὁμολογοῦντες ὅτι αὐτὸς ὁ μονογενὴς τοῦ θεοῦ λόγος 6. ZAWADZKI, Hat Cyrill (n. 1), pp. 351-353. 708 D. ZAGANAS ὁ ἐν κόλποις ὢν τοῦ πατρός (cf. Jn 1,18), ὁ δι’ οὗ τὰ πάντα καὶ ἐν ᾧ τὰ πάντα (cf. He 2,10), γέγονε σάρξ, οὐ τροπὴν ἢ φυρμὸν ὑπομείνας, ἀλλ’ ὢν ἀεὶ τοῦτο κατὰ φύσιν ὅπερ ἦν τε καὶ ἔστι καὶ ἔσται· γέγονε δὲ σάρξ, γέννησιν ὑπομείνας ἐκ τῆς ἁγίας παρθένου, τὴν κατὰ σάρκα φημί, καὶ κεχρημάτικεν υἱὸς ἀνθρώπου καὶ παραπλησίως ἡμῖν μετέσχεν αἵματος καὶ σαρκός (cf. He 2,14). οὕτω διατεθειμένοις καὶ τὴν οὕτω σεπτὴν καὶ ἀληθεστάτην πίστιν εἰσδεξαμένοις πάντα φανεῖται τὰ ἐφεξῆς βάσιμά τε καὶ ἱππήλατα καὶ οὐδὲν ἄναντες ἢ τραχύ· γέγραπται γὰρ ὅτι «πάντα ἐνώπια τοῖς συνιοῦσιν καὶ ὀρθὰ τοῖς εὑρίσκουσι γνῶσιν» (Pr 8,9). Sans conteste, nous avons affaire ici à un seul et même texte, mais dont la version syriaque un peu plus courte dans le British Library Add. 14529 rappelle très nettement la manière dont les excerpteurs retouchaient (et réutilisaient), nous l’avons vu, les passages de Cyrille. En l’occurrence, l’absence du syntagme «εἰς τὸ παρόν» du début de l’extrait syriaque pourrait bien s’expliquer par la volonté du compilateur de donner une portée plus générale au fragment, étant donné que l’expression manquante se réfère à ce que Cyrille vient de dire dans son Apologia, mais qui n’a pas non plus été retenu: «Kαὶ περὶ μὲν τούτων ἤδη φθάσαντες εἴπομεν..., πρὸς δέ γε τοὺς φιλαιτίους εἰς τὸ παρὸν ἐκεῖνο φαμέν...»7. Quant à l’absence de la phrase plus longue «οὐ τροπὴν ἢ φυρμὸν ὑπομείνας, ἀλλ’ ὢν ἀεὶ τοῦτο κατὰ φύσιν ὅπερ ἦν τε καὶ ἔστι καὶ ἔσται, γέγονε δὲ σάρξ», elle pourrait s’expliquer de deux manières: soit il s’agit d’une omission par homéotéleute (saut du γέγονε σάρξ au γέγονε δὲ σάρξ), soit le compilateur du florilège dirigé contre Julien d’Halicarnasse a écarté cette phrase comme superflue ou afin de mettre l’accent plus sur la réalité de la chair assumée par le Verbe de Dieu que sur l’immutabilité de sa nature divine. Quoi qu’il en soit, le fait que le fragment syriaque nous livre une version légèrement abrégée du passage précité de l’Apologia conduit naturellement à penser qu’il a été emprunté à cette œuvre de Cyrille. Mais que faire alors de l’en-tête du fragment selon lequel le fragment a été précisément tiré «du cinquième livre sur l’épître aux Corinthiens»? Peut-être pourrait-on y voir une erreur (ou un accident) de référence, comme le suggèrent indirectement les fragments caténiques de Cyrille que nous avons examinés plus haut? Avant d’y répondre, il est nécessaire de vérifier la vraisemblance de la solution proposée par K. Zawadzki. 2. Les citations dans l’Apologia de Cyrille Pour K. Zawadzki8, le renseignement sur l’origine du fragment syriaque est trop précis pour permettre d’en douter, donc il convient d’écarter 7. CYRILLE D’ALEXANDRIE, Apologia contra Orientales, ACO I, 1, 7, p. 55.9-11. 8. ZAWADZKI, Hat Cyrill (n. 1), p. 352. CYRILLE D’ALEXANDRIE CITÉ ET CITANT 709 l’hypothèse selon laquelle le compilateur du florilège aurait commis «une si grave erreur de confusion». Mais comment expliquer que le même texte figure en grec dans l’Apologia de Cyrille? Une solution s’impose à ses yeux: Cyrille a dû commettre une sorte d’«auto-plagiat» dans l’Apologia contra Orientales, en empruntant tacitement à son In epistulam ad Corinthios – supposé antérieur à l’Apologia – le passage correspondant dans le fragment syriaque. Fondée sur une série de conjectures, cette hypothèse se heurte pourtant à deux objections dirimantes: 1) la manière dont Cyrille d’Alexandrie insère des citations dans son Apologia, 2) celle dont il se répète au long de son œuvre. Dans la préface à son Apologia9, Cyrille avertit son lecteur de la structure de l’œuvre: chacun de ses douze anathématismes est suivi des objections soulevées par les partisans de Nestorius qualifiés d’hérétiques (Μέμψις αἱρετικῶν), i.e. André de Samosate10, et de sa propre réponse (Ἀπολογία ὀρθοδόξου) qui, elle, sollicite l’autorité doctrinale des Pères. La citation joue donc un rôle clé dans la création de cet antirrhétique, et Cyrille, selon les règles de l’art, prend soin d’indiquer l’auteur (toujours), l’ouvrage (parfois), le début (toujours) et la fin (fréquemment) des textes cités dans ses réponses. En effet, qu’il s’agisse de citer les propos des «bienheureux Pères» (16 extraits)11, ceux de Nestorius (9 extraits), d’André de Samosate (2 extraits), ou ses propres paroles (3 extraits), l’évêque d’Alexandrie rapporte toujours de manière explicite les paroles empruntées à d’autres écrits. Comme le montrent les exemples ci-dessous, Cyrille signale systématiquement à son lecteur le passage à une citation (a), mentionne le nom de l’auteur12 (b) dont il cite l’extrait (c), avant de reprendre la parole (d). • pp. 36.28–37.16: (a) ἑτέρως ἡμᾶς μεμυσταγωγήκασιν οἱ μακάριοι πατέρες. ... μάρτυρας δὲ τῶν εἰρημένων τοὺς αὐτῶν ποιήσομαι λόγους. (b) Πέτρου μάρτυρος ἐπισκόπου Ἀλεξανδρείας (c) «Ὅθεν καὶ ὁ εὐαγγελιστής...» (b) Ἀθανασίου ἐπισκόπου Ἀλεξανδρείας (c) «Ὅθεν καὶ γεννωμένης...» ... (d) Ταύταις ἡμεῖς ταῖς τῶν ἁγίων πατέρων ἑψόμεθα δόξαις. • p. 37.19-24: (a) ...οὐδὲν ἧττον ἡμῖν ἀληθὲς ὑπάρχον ὑποφαίνει τὸ ὑποτεταγμένον ῥητόν, ἔχει δὲ οὕτως (b) Ἰκονίου ἐπισκόπου (c) «Εἰ μὴ γὰρ ἐκεῖνος...» (d) Δηλοῖ δὲ κἀνταῦθα τὸ σαρκικῶς... 9. CYRILLE D’ALEXANDRIE, Apologia contra Orientales, ACO I, 1, 7, p. 34.6-9. 10. Voir P. ÉVIEUX, André de Samosate: Un adversaire de Cyrille d’Alexandrie durant la crise nestorienne, in REB 32 (1974) 253-300, ici pp. 265-266. 11. Pour une liste, voir H. DU MANOIR, L’argumentation patristique dans la controverse nestorienne, in RecSR 25 (1935) 441-461 et 531-559, ici pp. 542-544. Trois extraits y sont toutefois manquants: CYRILLE D’ALEXANDRIE, Apologia contra Orientales, ACO I, 1, 7, p. 45.10-15 (Atticus, inc. Ὁ τῆς φιλανθρωπίας); 48.34-36 (Ps.-Athanase, inc. Ὁ τοίνυν γεννηθείς); 49.1-9 (Ps.-Athanase, inc. Εἰ δέ τις παρά). 12. Seule exception, André de Samosate, le principal adversaire de Cyrille, qui pour des raisons évidentes n’est jamais désigné par son nom dans l’Apologia. 710 D. ZAGANAS • pp. 38.31–39.17: (a-b) ...ὀλίγα δὲ τούτου πεφροντικὼς Νεστόριος τετόλμηκεν εἰπεῖν αὐταῖς λέξεσιν οὕτως (c) «Τοῦτο φρονείσθω...» (a-b) Ἐν ἑτέρᾳ δὲ πάλιν ἐξηγήσει φησίν (c) «Ἵνα ἐν τῷ ὀνόματι...» ... (d) Ὁρᾷς πανταχῇ διορίζοντα (sc. τὸν Νεστόριον)... • p. 42.23-30: (a-b) ὁ χρηστὸς ἡμῖν Νεστόριος ἔφη τι τοιοῦτον ἐπ’ ἐκκλησίας ἐξηγούμενος (c) «Ἵνα δὲ αὐτὸ σαφέστερον...» (d) Τούτων ὡδὶ λελεγμένων... On constate que même lorsqu’il cite plusieurs extraits du même auteur, Cyrille veille à les distinguer, selon qu’il sont tirés du même ou d’un autre écrit, par une expression du type «καὶ (μεθ’ ἕτερα) πάλιν» ou «ἐν ἑτέρᾳ πάλιν ἐξηγήσει». En ce qui concerne maintenant les trois auto-citations de Cyrille, les plus intéressantes pour notre propos, il importe de noter qu’elles lui ont été imposées par les accusations – jugées diffamatoires à son égard – d’André de Samosate, et qu’elles sont tout aussi clairement désignées dans son Apologia: • p. 39.24-34: (a-b) ...παρακομίζουσι δὲ πρὸς ἀπόδειξιν μέρος τῆς ἐπιστολῆς ἧς γέγραφα πρὸς τοὺς ἁγίους μοναστάς ... παραθεὶς οὖν ἀναγκαίως τὸ τῆς ἐπιστολῆς μέρος, προσεποίσω μετὰ τοῦτο... ἔχει δὲ οὕτως (c) «Οὐκοῦν ὅσον εἰς ἰδίαν φύσιν...»13 (d) Ἐπειδὴ γὰρ τὸν ἐκ θεοῦ... • p. 43.29–44.14: (a-b) ... μεμνήσομαι δὲ τῶν ἐμαυτοῦ ῥημάτων· γέγραφα γὰρ οὕτως ἐν τῇ πρὸς Νεστόριον ἐπιστολῇ (c) «Τὰς δέ γε ἐν τοῖς εὐαγγελίοις...»14 (d) Οὐκοῦν καὶ ὡς ἀπό γε τῶν ἤδη προγεγραμμένων... • p. 44.18-35: (a-b) Ἐπειδὴ δὲ βραχύ τι μέρος λαβόντες ἐξ ἡμετέρας ἐπιστολῆς... φέρε καὶ πρός γε ταυτὶ τὰ εἰκότα λέγωμεν, ὅλον παραθέντες τῆς ἐπιστολῆς τὸ μέρος... ἔχει δὲ οὕτως τὸ εἰρημένον (c) «Κἂν ἀκούσῃς ὅτι προέκοπτεν...»15 (d) Ἀνθ’ ὅτου δὴ οὖν θεοῦ... La comparaison des trois fragments cités par Cyrille avec leur textesource, conservé en tradition directe, montre qu’il rapporte ses propres paroles mot à mot, sans rien ajouter ni retrancher. En bref, les trois autocitations que Cyrille est amené à faire dans son Apologia sont toutes 1) dûment justifiées, 2) explicites, 3) littérales. Or aucune de ces conditions n’est remplie dans l’hypothèse d’un emprunt non avoué à son In epistulam ad Corinthios. D’une part, le fragment syriaque offre, nous l’avons vu, un texte abrégé par rapport au passage correspondant de l’Apologia. D’autre part, rien dans le discours de Cyrille n’indique la présence, ni ne justifie le besoin d’une auto-citation, même implicite. Au contraire, la citation d’Is 7,9 («si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas non 13. CYRILLE D’ALEXANDRIE, Epistula ad monachos, ACO I, 1, 1, p. 17.22-25. 14. CYRILLE D’ALEXANDRIE, Epistula III ad Nestorium, ACO I, 1, 1, p. 38.4-23. 15. CYRILLE D’ALEXANDRIE, Epistula paschalis XVII, 3, PG 77, 780D-781A (= SC 434, p. 278). CYRILLE D’ALEXANDRIE CITÉ ET CITANT 711 plus»), quelques lignes plus haut dans l’Apologia16, s’accorde bien avec les exhortations de Cyrille «apprenez à écouter» et «croyez avec nous», ainsi qu’avec la citation de Pr 8,9 («Tout est clair pour ceux qui comprennent et droit pour ceux qui découvrent la connaissance») à la fin du passage en question. On voit ainsi que l’hypothèse d’un «auto-plagiat» de la part de Cyrille se heurte déjà à plusieurs contradictions qui, ensemble, suffisent à lui ôter toute vraisemblance. 3. Auto-plagiats vs parallèles littéraux Mais il y a plus. Car la justification de cette hypothèse repose, entre autres, sur l’argument selon lequel «les auto-citations cachées ou les parallèles littéraux – même s’ils ne sont généralement pas aussi longs qu’on peut l’observer dans ce cas – ne manquent pas dans l’œuvre de Cyrille»17. Il s’agit cependant d’un argument spécieux, confondant les auto-plagiats avec les parallèles textuels. Auteur à la fois prolifique et prolixe, Cyrille d’Alexandrie a une tendance à se répéter, c’est-à-dire à redire les mêmes choses en les reformulant, à reprendre les mêmes idées ou à utiliser les mêmes expressions dans des contextes différents18. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’il reproduit servilement ses propres paroles sans l’avouer. L’une des idées chères à Cyrille est, par exemple, que le Verbe de Dieu «s’est soumis lui-même à la kénose (volontaire)», paraphrasant Ph 2,7, ce qui fait que la formule stéréotypée «καθῆκε(ν) ou καθεὶς ἑαυτὸν εἰς (ἑκούσιον) κένωσιν» revient environ 80 fois sous sa plume. De même, pour mettre en évidence l’égalité du Fils avec le Père, Cyrille forge l’expression redondante «être égal en toutes choses» (κατὰ πᾶν ὁτιοῦν ἰσομέτρως ἔχειν) que l’on rencontre dans ses différents écrits19. On constate aussi que sa paraphrase de Mt 5,17 («Ne pensez pas que je sois venu pour abolir la Loi ou les Prophètes. Je ne suis pas venu pour abolir, mais pour accomplir») ne diffère pas beaucoup d’un ouvrage à l’autre20; 16. CYRILLE D’ALEXANDRIE, Apologia contra Orientales, ACO I, 1, 7, p. 55.5-6. 17. ZAWADZKI, Hat Cyrill (n. 1), p. 352. 18. Il suffit de se reporter au riche apparat des loci paralleli cyrilliens dans l’édition critique du Contra Julianum (GCS NF 20-21). 19. CYRILLE D’ALEXANDRIE, De sancta Trinitate dialogi II, 423a, SC 231; Quod unus sit Christus, 742a, SC 97; Epistula ad monachos, ACO I, 1, 1, p. 13.29; Apologia adversus Theodoretum, ACO I, 1, 6, p. 129.5; Contra Julianum X, 5, GCS NF 21; In Isaiam, PG 70, 829A. 20. CYRILLE D’ALEXANDRIE, De sancta Trinitate dialogi III, 481d, SC 237: Ἀφῖκται (sc. ὁ Χριστὸς) γὰρ δὴ καταλύσων μὲν οὐδαμῶς τὸν νόμον, ἥκιστα δὲ ἀνατρέψων τὰ προφητῶν, ἀποπερανῶν δὲ μᾶλλον καὶ προφήτας καὶ νόμον; De adoratione, PG 68, 140BC: Ἀφῖχθαι δὴ οὖν εἰ λέγοι, καταλύσων μὲν οὐδαμῶς τὸν νόμον, ἀποπερανῶν δὲ μᾶλλον αὐτὸν...; Contra Julianum IX, 40, GCS NF 21: Ἀφῖκται γὰρ ὁ Χριστὸς οὐ καταλύσων τὸν νόμον ἢ τοὺς προφήτας, ἀποπεραίνων δὲ μᾶλλον, καθά φησιν αὐτός. 712 D. ZAGANAS qu’il lui arrive de répéter exactement quelques mots lorsqu’il utilise la métaphore de la sculpture21 ou lorsqu’il signale la portée messianique de la prophétie22, et ainsi de suite. Mais il faut souligner que toutes les phrases textuellement reprises par Cyrille lui-même sont courtes, faites de peu de mots; elles ne se suffisent pas à elles-mêmes car elles font toujours partie d’une période plus longue qui, pour le reste, diffère d’une occurrence à l’autre. C’est pourquoi il ne convient pas de parler d’«auto-citations cachées» ou d’«auto-plagiats» (avec ou sans guillemets), mais uniquement de parallèles textuels, c’est-à-dire de répétitions et de leitmotivs. De ce point de vue aussi, le soi-disant fragment de l’In epistulam ad Corinthios de Cyrille crée un contraste saisissant: un texte long de 125 mots en grec (10 lignes dans ACO), identique – excepté deux phrases omises – à celui de son Apologia contra Orientales, d’une part; des phrases courtes de 3 à 7 mots, textuellement reprises par Cyrille en divers endroits, de l’autre part. On ne saurait qualifier un texte aussi long de parallèle littéral. On ne saurait notamment le prendre pour une auto-citation cachée, en suspectant (injustement) Cyrille d’auto-plagiat, puisque Cyrille respecte bien, nous l’avons montré, les règles de citation et d’autocitation dans son Apologia. 4. Conclusion Si l’on veut enfin rendre à Cyrille ce qui est à Cyrille, et à ses excerpteurs ce qui est à ses excerpteurs, il convient de voir dans le fragment syriaque de Cyrille d’Alexandrie, édité par K. Zawadzki, un extrait emprunté à son Apologia contra Orientales où il se trouve mot à mot; non pas un extrait tiré du livre V de son In epistulam ad Corinthios, selon la référence (erronée) du compilateur, que Cyrille aurait tacitement reproduit dans son Apologia, selon l’hypothèse (invraisemblable) de l’éditeur. Et ce pour trois raisons principales. Premièrement, le fragment offre un texte légèrement abrégé par rapport au passage correspondant de l’Apologia, ce qui renvoie à la manière dont les excerpteurs de Cyrille retouchaient ses extraits. Deuxièmement, qu’il s’agisse de citations ou d’auto-citations, Cyrille, dans son Apologia, rapporte toujours de manière explicite les paroles empruntées, selon le cas, à d’autres auteurs ou à ses propres écrits. Troisièmement, à en juger par leur brièveté et par leur usage varié, il n’y a 21. CYRILLE D’ALEXANDRIE, Contra Julianum IX, 27, GCS NF 21: Ὥσπερ γὰρ οἱ χαλκουργικῆς ἐπιστήμης ἐν καλῷ γεγονότες καὶ οὐκ ἀθαύμαστον ἐπ’ αὐτῇ λαχόντες τὴν δόξαν...; Epistula paschalis XXIX, 2, PG 77, 964B: Ὥσπερ γὰρ οἱ χαλκουργικῆς ἐπιστήμης ἐν καλῷ γενέσθαι σπουδάζοντες, τὴν ἑαυτῶν διαγυμνάζουσι χεῖρα... 22. CYRILLE D’ALEXANDRIE, In Zachariam, éd. P.E. Pusey, t. 2, p. 284.8-10: διαμέμνηται (sc. τῆς προφητείας ὁ λόγος) δὲ πανταχῆ τῆς διὰ Χριστοῦ λυτρώσεως ἐσομένης κατὰ καιροὺς, καὶ τὸ ἐπ’ αὐτῷ μυστήριον...; In Isaiam, PG 70, 13A: Διαμέμνηται δὲ πανταχοῦ τῆς διὰ τοῦ Χριστοῦ λυτρώσεως, καὶ φησὶν ὅτι κατὰ καιροὺς μὲν ἔσται... CYRILLE D’ALEXANDRIE CITÉ ET CITANT 713 pas lieu de traiter d’auto-citations cachées les formules textuellement reprises par Cyrille lui-même d’un ouvrage à l’autre. Faculty of Theology and Religious Studies KU Leuven Sint-Michielsstraat 4 - Box 3101 BE-3000 Leuven dimitrios.zaganas@gmail.com Dimitrios ZAGANAS ABSTRACT. — This article refutes K.F. Zawadzki’s assumption that Cyril of Alexandria would have committed a kind of ‘self-plagiarism’ in his Apologia contra Orientales by tacitly copying a so-called fragment of the fifth book of his (now lost) commentary In epistulam ad Corinthios, preserved in the Syriac ms. British Library Add. 14529. Three main arguments are advanced against such an hypothesis: 1) The abridged version of the fragment strongly recalls the manner in which excerptors reformulated (and reused) texts of Cyril; 2) The plethora of quotations and the few self-quotes that Cyril himself inserts in his Apologia are all explicitly identified as such; 3) The short phrases reproduced verbatim by Cyril in his writings cannot be regarded as hidden self-quotes. Therefore, one should conclude that this is not a case of Cyril plagiarizing himself, but a mere mistake for the aforementioned Syriac fragment is actually just an excerpt from Cyril’s Apologia.