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+ Models ANTHRO-2662; No. of Pages 23 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com ScienceDirect L’anthropologie xxx (2018) xxx–xxx www.em-consulte.com Article original Les statuettes en ivoire gravettiennes d’Europe occidentale The Gravettian ivory statuettes from Western Europe Catherine Schwab a,*, Carole Vercoutère b a Collections paléolithiques et mésolithiques, Musée d’Archéologie nationale et Domaine national de Saint-Germainen-Laye, Château, Place Charles-de-Gaulle, 78100 Saint-Germain-en-Laye, France b Département Homme et Environnement du Muséum national d’Histoire naturelle, CNRS UMR 7194–HNHP, Musée de l’Homme, 17, Place du Trocadéro, 75016 Paris, France Résumé Cet article présente les résultats d’une analyse archéozoologique et taphonomique des statuettes en ivoire de mammouth provenant des niveaux gravettiens de la grotte du Pape à Brassempouy (Landes). # 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Taphonomie ; Archéozoologie ; Ivoire de mammouth ; Statuettes ; Grotte du Pape ; Brassempouy (Landes) Abstract The results of an archeozoological and taphonomical analysis of mammoth ivory statuettes from gravettian levels of the grotte du Pape at Brassempouy (Landes) are presented in this article. # 2017 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Taphonomy; Archeozoology; Mammoth ivory; Statuettes; Grotte du Pape; Brassempouy (Landes) * Auteur correspondant. Adresse e-mail : catherine.schwab@culture.gouv.fr (C. Schwab). https://doi.org/10.1016/j.anthro.2017.11.005 0003-5521/# 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Pour citer cet article : Schwab, C., Vercoutère, C., Les statuettes en ivoire gravettiennes d’Europe occidentale. L’Anthropologie (2018), https://doi.org/10.1016/j.anthro.2017.11.005 + Models ANTHRO-2662; No. of Pages 23 2 C. Schwab, C. Vercoutère / L’anthropologie xxx (2018) xxx–xxx 1. Introduction Les statuettes féminines ou « Vénus » attribuées au Gravettien, culture qui s’étend de 34 000 à 25 000 ans cal. B.P., ont été découvertes dans toute l’Europe, des Pyrénées à la Sibérie, à l’exception de la péninsule ibérique. Les « Vénus » témoignent d’une grande uniformité stylistique et probablement symbolique. Elles représentent des femmes nues, le plus souvent debout, dont les caractères sexuels et maternels, tels que la poitrine, les cuisses, le ventre, les fesses ou la vulve, sont accentués au détriment des bras, des jambes et de la tête qui sont atrophiés voire absents. Certaines statuettes représentent clairement des femmes enceintes ou parturientes, c’est-à-dire en train d’accoucher. Plus que des figurations de femmes, il semble que ce soient des représentations de la féminité et de la maternité, de la fécondité et de la prospérité. Nombreuses, ces statuettes font appel à des techniques et à des matières très diverses : la gravure, la sculpture en relief et la sculpture en ronde-bosse sur des pierres allant du calcaire blanc à la stéatite brune ou verte ou encore sur de l’os, du bois de renne, de l’ivoire de mammouth (Goudet-Ducellier et Porte, 2005). Quelques rares figurines moraves ont même été modelées dans de l’argile avant d’être cuites (Vandiver et al., 1989 ; Bougard, 2011). Dans le cadre de cet article, nous allons nous intéresser aux « Vénus » gravettiennes d’Europe occidentale qui ont été façonnées dans de l’ivoire de mammouth. Elles sont plus d’une centaine à travers le continent européen, mais elles sont beaucoup plus nombreuses en Europe centrale et orientale (cf. Khlopachev et al., ce volume) que dans les régions occidentales. En effet, les groupes rhéno-danubien, russe et sibérien — pour reprendre la répartition géographique réalisée par Henri Delporte (Delporte, 1993) — en comptent une centaine tandis que les groupes méditerranéen et pyrénéo-aquitain en recensent dix fois moins. Il faut ajouter qu’en Europe occidentale, si l’on excepte la célèbre « Vénus » de Lespugue, en Haute-Garonne (de Saint-Périer, 1924), toutes les statuettes façonnées dans de l’ivoire ne proviennent que d’un seul et unique gisement : la grotte du Pape à Brassempouy, dans les Landes. Nous avons donc décidé d’étudier cette série, conservée au musée d’Archéologie nationale à Saint-Germain-en-Laye. Les figurines de Brassempouy ayant déjà fait l’objet de nombreuses publications depuis leur découverte, il ne s’agissait pas pour nous d’ajouter une description technique ou stylistique à celles qui ont déjà été données (Thiault, 2001 ; White, 2006), mais de nous concentrer sur les approches plus inédites de l’archéozoologie, du traitement de l’ivoire et de la taphonomie. 2. Les statuettes de la grotte du Pape 2.1. Stratigraphie et topographie La grotte du Pape à Brassempouy, dans les Landes, a donc livré, parmi de nombreux objets en ivoire de mammouth, dix pièces considérées comme des statuettes par Édouard Piette et présentées comme telles dans la salle Piette (Fig. 1). Les circonstances de leur découverte ont été fort différentes les unes des autres. En effet, deux statuettes, dites la « Poire » (MAN 47 333) et « l’Ébauche » (MAN 47 022), ainsi qu’un fragment sculpté (MAN 47 339) ont été exhumés le 19 septembre 1892, lors d’une excursion de fouilles collectives organisée par le congrès de l’Association française pour l’avancement des sciences — qui se transforma en une véritable séance de destruction archéologique ! Pour citer cet article : Schwab, C., Vercoutère, C., Les statuettes en ivoire gravettiennes d’Europe occidentale. L’Anthropologie (2018), https://doi.org/10.1016/j.anthro.2017.11.005 + Models [(Fig._1)TD$IG] ANTHRO-2662; No. of Pages 23 C. Schwab, C. Vercoutère / L’anthropologie xxx (2018) xxx–xxx 3 Fig. 1. Vue de la vitrine des « Vénus » dans la salle Piette, avec sept des dix statuettes de Brassempouy (Landes) exposées. Cliché musée d’Archéologie nationale, Loïc Hamon. « Vénus » showcase partial view in the Piette room, with seven of the ten exhibited statuettes from Brassempouy (Landes). Photo musée d’Archéologie nationale, Loïc Hamon. Les sept autres statuettes ont été mises au jour par Édouard Piette et Joseph de Laporterie lors des campagnes qu’ils ont menées de 1894 à 1897. Cinq ont été recueillies en 1894 : le « Manche de poignard » (MAN 47 260), la « Figurine à la ceinture » (MAN 47 077), la « Figurine à la pèlerine » (MAN 47 136), la « Poupée » (MAN 47 335) et, surtout, la célèbre « Dame à la capuche » (MAN 47 019) et une sixième en 1896 : le « Torse » (MAN 47 334). L’on ignore quand a été trouvée la septième, « l’Ébauche de poupée » (MAN 47 335 bis). Il faut également mentionner, en plus des dix statuettes reconnues comme telles par Édouard Piette, un grand fragment d’ivoire considéré par différents auteurs comme dégrossi et, de ce fait, comme une possible ébauche de statuette (MAN 56 424). Ce dernier a été découvert par Félix Mascaraux, qui a fouillé à Brassempouy avant le congrès de 1892, peut-être en compagnie de Joseph de Laporterie et Albert Léon-Dufour (Piette, 1892, p. 274). Les trois pièces malheureusement prélevées par les congressistes de l’AFAS furent mutilées et, bien sûr, privées de tout contexte archéologique. En revanche, Édouard Piette et Joseph de Laporterie se préoccupèrent, lors de leurs campagnes de fouilles, des questions de topographie et de stratigraphie, comme en témoignent leurs nombreuses publications. Mais les appellations des couches sont très variables d’une année à l’autre et souvent trop vagues. Le niveau ayant livré les statuettes est ainsi dénommé « assise de la sculpture » ou « assise éburnéenne » en référence à l’ivoire de mammouth, ou encore « assise papalienne » pour évoquer le nom de la grotte du Pape (Piette, 1907).Édouard Piette décrit la couche dans laquelle il a découvert les statuettes (Piette, Pour citer cet article : Schwab, C., Vercoutère, C., Les statuettes en ivoire gravettiennes d’Europe occidentale. L’Anthropologie (2018), https://doi.org/10.1016/j.anthro.2017.11.005 + Models ANTHRO-2662; No. of Pages 23 4 C. Schwab, C. Vercoutère / L’anthropologie xxx (2018) xxx–xxx 1895, p. 139) : « Quoique la formation éburnéenne soit à peu près homogène dans toute son épaisseur, nous y avons établi trois subdivisions, parce que les statuettes d’ivoire ne gisaient que dans une couche E qui a 40 centimètres d’épaisseur. » L’on sait aujourd’hui que le niveau E contenait une industrie attribuable au Gravettien, caractérisée notamment par les pointes à dos abattus que sont les pointes de la Gravette — Édouard Piette en avait d’ailleurs donné la première définition (Piette, 1895). Comme le souligne Aurélien Simonet (Simonet, 2012, p. 27), « Ironiquement, à l’orée du XXe siècle, le site de Brassempouy avait livré simultanément les premières descriptions des deux pièces les plus caractéristiques du phénomène gravettien : les statuettes féminines et les pointes à dos. » Cependant, Édouard Piette s’évertue à faire entrer les statuettes et leur couche archéologique dans les périodes solutréenne et magdalénienne de sa classification (Piette, 1907). Henri Breuil l’explique dans son article consacré aux œuvres d’art de Laugerie-Basse (Dordogne), édité en 1907 dans le tome XVIII de la revue L’Anthropologie (Cartailhac et Breuil, 1907, p. 12–13) : « On sait que M. Piette a créé un étage de la sculpture en ronde-bosse, antérieur à ceux du bas-relief et de la gravure découpée, puis simple ; il avait trouvé à Brassempouy des figurines d’ivoire remontant à la plus ancienne phase de l’âge du renne, et cette trouvaille a peutêtre un peu trop influencé l’interprétation qu’il a faite de ses autres fouilles ; il tendait à paralléliser les sculptures découvertes au Mas d’Azil, à Arudy, à Lourdes, avec les vieilles figurines de la grotte du Pape. [. . .] Toutefois, il reconnaissait volontiers, et il me l’a même écrit un jour, qu’une bonne partie, la plus grande partie même, des sculptures en ronde-bosse de ces cavernes étaient d’une phase beaucoup plus avancée que celles de Brassempouy, et qu’il les avait rencontrées dans l’assise où abondaient les figures en contours découpés et où déjà apparaissaient des gravures simples. » Outre ces indications stratigraphiques pertinentes, malheureusement mal interprétées, Édouard Piette réalise également des observations topographiques intéressantes. En effet, la plupart des statuettes et des parures en ivoire de mammouth ont été mises au jour à l’entrée de la grotte. Le fond de la cavité n’a, en revanche, livré que peu de pièces façonnées dans cette matière première. Nous verrons que ces remarques sont importantes. Elles peuvent, de plus, être corrélées aux conclusions des études de l’industrie lithique des assemblages gravettiens issus des différents secteurs fouillés au sein et en avant de la grotte, qu’il s’agisse des fouilles anciennes ou des fouilles récentes. Ce rapprochement plaide en faveur de l’appartenance des pièces en ivoire au Gravettien moyen à burins de Noailles, daté entre 32 000 et 30 500 cal. B.P., plutôt qu’aux phases anciennes, récentes et finales du Gravettien, ou, moins encore, aux périodes aurignacienne ou magdalénienne, également attestées (Simonet, 2012). Faut-il voir dans les observations topographiques d’Édouard Piette, comme le suggère Aurélien Simonet (Simonet, 2012, p. 37), une répartition sectorielle des différents types de vestiges ? D’une part, à l’entrée de la grotte, dont le sol était jonché de nombreux foyers, les produits laminaires, les pointes à dos, les éléments de parure et les statuettes en ivoire. D’autre part, dans la partie la plus profonde de la cavité, les armatures de projectiles telles que les pointes à cran, les pointes des Vachons, mais aussi quelques pointes en ivoire. Il est nécessaire de rappeler ici que si la conservation de l’ivoire était assurée à l’entrée de la grotte, elle ne l’était pas au fond. En effet, Édouard Piette et Joseph de Laporterie mentionnent que l’humidité était extrêmement élevée dans cette partie de la cavité et que l’ivoire en était très affecté : « Ses foyers sont formés d’argile durcie contenant du charbon et beaucoup d’ivoire en décomposition. Cet ivoire, même lorsqu’il n’a pas été atteint par le feu, est tellement ramolli qu’il a perdu ses contours primitifs et forme parfois des concrétions mamelonnées. Dans les endroits Pour citer cet article : Schwab, C., Vercoutère, C., Les statuettes en ivoire gravettiennes d’Europe occidentale. L’Anthropologie (2018), https://doi.org/10.1016/j.anthro.2017.11.005 + Models ANTHRO-2662; No. of Pages 23 C. Schwab, C. Vercoutère / L’anthropologie xxx (2018) xxx–xxx 5 où les habitants de la grotte ont fait des amas de défenses de mammouths en fragments, on peut le relever à la pelle. Il ressemble alors à de la chaux éteinte, d’où s’échappe un liquide blanc, ayant la consistance de celui qui s’écoule du fromage de Brie. » (Piette et de Laporterie, 1897, p. 167). L’état de conservation de la statuette — le « Torse » (MAN 47 334) — découverte en 1896 au fond de la grotte du Pape est d’ailleurs éclairé par ces indications. 2.2. Analyse stylistique Il convient de décrire tout d’abord la très célèbre « Dame à la capuche » (MAN 47 019). Cette statuette nous donne une image étonnamment vivante et émouvante de la femme paléolithique, sans pour autant parler de portrait. La tête triangulaire, avec son front large et son menton pointu, est posée sur un cou long et gracieux. La coiffure quadrillée, interprétée tantôt comme une chevelure tressée tantôt comme une capuche, est présente sur d’autres figurations humaines gravettiennes, dans toute l’Europe (Goudet-Ducellier et Porte, 2005). Les traits du visage sont simplifiés et élégamment stylisés : les yeux ou, du moins, les arcades sourcilières, le nez et le menton. Cette petite tête avait-elle appartenu à une statuette entière ? Il semble que non puisque la tête est pratiquement intacte : il ne lui manque, en effet, qu’un petit éclat sur le côté droit du cou et en bas des cheveux (Fig. 2). Les trois statuettes les plus complètes, la « Poire » (MAN 47 333), le Manche de Poignard (MAN 47 260) et le « Torse » (MAN 47 334) peuvent être rapprochées les unes des autres. La « Poire » doit son surnom à la forme de sa cuisse, extrêmement forte. Il ne subsiste d’ailleurs que la cuisse droite, le ventre et la hanche droite de la statuette, qui a été fracturée pendant la fouille, par les ouvriers utilisant la pelle et la pioche. Avec ses hanches et ses cuisses développées, et, plus encore, son ventre volumineux, la « Poire » évoque la maternité et la fécondité, comme la plupart des « Vénus » gravettiennes. Il est difficile de dire à quoi correspondent les rangées de petites lignes gravées sur son ventre : s’agit-il de poils, de bijoux ou de détails de vêtements ? De plus, le ventre avec le nombril a été replacé trop à droite par une restauration ancienne, et ne se retrouve donc pas dans l’axe de la vulve (Fig. 3). La statuette dite le « Manche de Poignard » est également très incomplète. Une première fracture, au niveau du cou et des épaules, a emporté la tête et les bras. Une seconde fracture, sous le ventre, l’a privée de ses jambes. L’on peut cependant remarquer que les caractères sexuels et maternels sont, ici aussi, marqués voire amplifiés : les seins volumineux, le ventre bombé, les hanches et les fesses développées (Fig. 4). Un peu plus complète que les deux premières figurines, le « Torse » possède encore sa cuisse gauche et l’amorce de sa cuisse droite, même si l’enlèvement d’un large éclat a endommagé son ventre. Les cuisses ne sont pas très volumineuses, mais les seins, le ventre et les hanches, généreux sans être exagérés, évoquent une fois encore la maternité. En revanche, le dos et les fesses, suffisamment conservés, sont superbement modelés (Fig. 5). L’ivoire ayant souffert de l’humidité de la grotte, la statuette montre une surface très altérée, surtout dans la partie dorsale. Édouard Piette a d’ailleurs mentionné qu’au moment de sa découverte, « toute pénétrée d’humidité elle poissait aux doigts » (Piette et de Laporterie, 1897, p. 168). Deux statuettes pourraient être des figurations masculines, ce qui est plutôt rare parmi les statuettes gravettiennes (Duhard, 1993) : « l’Ébauche » (MAN 47 022) et la « Figurine à la ceinture » (MAN 47 077). La première, surnommée « l’Ébauche », ne paraît, en effet, pas terminée. Des traces de façonnage subsistent, en l’absence de polissage, notamment dans le creux des genoux. Une fracture au niveau du ventre n’a laissé que les membres inférieurs : cuisses, jambes et pieds, Pour citer cet article : Schwab, C., Vercoutère, C., Les statuettes en ivoire gravettiennes d’Europe occidentale. L’Anthropologie (2018), https://doi.org/10.1016/j.anthro.2017.11.005 + Models ANTHRO-2662; No. of Pages 23 [(Fig._2)TD$IG]6 C. Schwab, C. Vercoutère / L’anthropologie xxx (2018) xxx–xxx Fig. 2. Tête féminine dite « la Dame à la capuche », MAN 47 019, Ivoire de mammouth, Dimensions = 3,6  2,0  2,2 cm, Grotte du Pape à Brassempouy (Landes), Gravettien (vers 34 000/ 25 000 ans cal. B.P.), Fouilles Édouard Piette et Joseph de Laporterie, 1894. Cliché musée d’Archéologie nationale, Loïc Hamon. Female head so-called « the Lady with hood », MAN 47 019, Mammoth ivory, Dimensions = 3.6  2.0  2.2 cm, Grotte du Pape at Brassempouy (Landes), Gravettian (around 34,000/ 25,000 years cal. B.P.), Édouard Piette and Joseph de Laporterie excavations, 1894. Photo musée d’Archéologie nationale, Loïc Hamon. tandis qu’un gros éclat a emporté une grande partie de la cuisse gauche. Les jambes sont correctement proportionnées, accolées mais clairement délimitées. Avec le creux marqué à l’arrière, les genoux sont très bien modelés. Les jambes sont fléchies — la droite un peu plus que la gauche, ce qui donne une allure quelque peu déhanchée. La masse des pieds est réservée mais les pieds ne sont pas dégagés. Il semble que la nodosité située entre les cuisses soit la représentation d’un sexe masculin (Fig. 6). La seconde statuette, dite « Figurine à la Ceinture », est également incomplète. Seuls le bassin et les jambes sont conservés. Le dos est bien modelé, avec la ligne marquant la colonne vertébrale, mais les fesses sont trop petites et à peine séparées. Avec un ventre plat, ainsi que des hanches et des cuisses étroites, la silhouette globalement svelte, évoque un homme plutôt qu’une Pour citer cet article : Schwab, C., Vercoutère, C., Les statuettes en ivoire gravettiennes d’Europe occidentale. L’Anthropologie (2018), https://doi.org/10.1016/j.anthro.2017.11.005 + Models ANTHRO-2662; No. of Pages 23 [(Fig._3)TD$IG] C. Schwab, C. Vercoutère / L’anthropologie xxx (2018) xxx–xxx 7 Fig. 3. Statuette féminine dite « la Poire », MAN 47 033, Ivoire de mammouth, Dimensions = 4,3  2,5  2,6 cm, Grotte du Pape à Brassempouy (Landes), Gravettien (vers 34 000/ 25 000 ans cal. B.P.), Fouilles de l’AFAS, 1892. Cliché musée d’Archéologie nationale, Loïc Hamon. Female statuette so-called ‘‘the Pear’’, MAN 47 033, Mammoth ivory, Dimensions = 4.3  2.5  2.6 cm, Grotte du Pape at Brassempouy (Landes), Gravettian (around 34 000/ 25 000 years cal. B.P.), AFAS excavations, 1892. Photo musée d’Archéologie nationale, Loïc Hamon. femme. D’ailleurs, le relief sous le ventre figure peut-être le sexe masculin. La statuette doit son surnom au bourrelet qui traverse son ventre et qui semble représenter une ceinture (Fig. 7). Deux autres statuettes ou fragments de statuettes sont à mettre en parallèle : la « Figurine à la pèlerine » (MAN 47 136) et le « fragment sculpté » (MAN 47 339). La « Figurine à la pèlerine » est à peine plus explicite que le fragment no 47 339 : l’on ne peut y reconnaître que le haut des jambes et le bas du tronc. Les cuisses sont relativement fines, tandis que le bassin paraît enveloppé dans une sorte de vêtement, dont la forme rappelle une pèlerine (Fig. 8). Sur le fragment no 47 339, un relief bien marqué semble délimiter également le bas d’un tronc et le haut d’une cuisse, plus charnue (Fig. 9). Enfin, la « Poupée » (MAN 47 335) et « l’Ébauche de poupée » (MAN 47 335 bis) sont très semblables. Pour citer cet article : Schwab, C., Vercoutère, C., Les statuettes en ivoire gravettiennes d’Europe occidentale. L’Anthropologie (2018), https://doi.org/10.1016/j.anthro.2017.11.005 + Models ANTHRO-2662; No. of Pages 23 8[(Fig._4)TD$IG] C. Schwab, C. Vercoutère / L’anthropologie xxx (2018) xxx–xxx Fig. 4. Statuette féminine dite « le Manche de poignard », MAN 47 260, Ivoire de mammouth, Dimensions = 5,6  4,1  2,9 cm, Grotte du Pape à Brassempouy (Landes), Gravettien (vers 34 000/ 25 000 ans cal. B.P.), Fouilles Édouard Piette et Joseph de Laporterie, 1894. Cliché musée d’Archéologie nationale, Loïc Hamon. Female statuette so-called ‘‘the Dagger handle’’, MAN 47 260, Mammoth ivory, Dimensions = 5.6  4.1  2.9 cm, Grotte du Pape at Brassempouy (Landes), Gravettian (around 34,000/ 25,000 years cal. B.P.), Édouard Piette and Joseph de Laporterie excavations, 1894. Photo musée d’Archéologie nationale, Loïc Hamon. La « Poupée » n’est que très peu façonnée. À l’extrémité du corps, de forme cylindrique, un rétrécissement marque le cou et dégage la tête. Le visage n’est pas figuré, mais le sexe est indiqué par un triangle et un trait médian. Les jambes sont parfaitement modelées, même si elles ne sont pas séparées. Sur la face postérieure, la cambrure des reins est bien marquée. Très simple et stylisée, cette statuette possède pourtant de justes proportions (Fig. 10). C’est Édouard Piette qui a considéré cette figurine comme un « jouet d’enfant » et qui l’a surnommée « la Fillette » ou « la Poupée » (Piette, 1895). En comparaison, « l’Ébauche de Poupée » possède le même volume et la même silhouette que « la Poupée » mais ne comporte pas du tout les mêmes détails. Elle ne montre que deux nodosités, qui pourraient être l’esquisse de sa tête et de son torse, et l’amorce d’une troisième (Fig. 11). S’agit-il du début du façonnage d’une petite statuette ou du début de la fabrication de perles à partir d’une baguette d’ivoire ? Pour citer cet article : Schwab, C., Vercoutère, C., Les statuettes en ivoire gravettiennes d’Europe occidentale. L’Anthropologie (2018), https://doi.org/10.1016/j.anthro.2017.11.005 + Models [(Fig._5)TD$IG] ANTHRO-2662; No. of Pages 23 C. Schwab, C. Vercoutère / L’anthropologie xxx (2018) xxx–xxx 9 Fig. 5. Statuette féminine dite « le Torse », MAN 47 334, Ivoire de mammouth, Dimensions = 9,4  5,2  4,8 cm, Grotte du Pape à Brassempouy (Landes), Gravettien (vers 34 000/ 25 000 ans cal. B.P.), Fouilles Édouard Piette et Joseph de Laporterie, 1896. Cliché musée d’Archéologie nationale, Loïc Hamon. Female statuette so-called ‘‘the Torso’’, MAN 47 334, Mammoth ivory, Dimensions = 9.4  5.2  4.8 cm, Grotte du Pape at Brassempouy (Landes), Gravettian (around 34,000/ 25,000 years cal. B.P.), Édouard Piette and Joseph de Laporterie excavations, 1896. Photo musée d’Archéologie nationale, Loïc Hamon. Pour finir, le grand fragment d’ivoire (MAN 56 424), considéré par différents auteurs comme une possible ébauche de statuette, n’est pas présenté dans la salle Piette mais conservé en réserve. Les statuettes ou fragments de statuettes de Brassempouy présentent une grande diversité. Des « Vénus » très classiques dans la culture gravettienne, aux possibles représentations masculines, beaucoup plus rares, ou des figurations très schématiques à la petite tête épurée, unique en son genre, la série de Brassempouy (Landes) montre une grande variété thématique et stylistique. Pour citer cet article : Schwab, C., Vercoutère, C., Les statuettes en ivoire gravettiennes d’Europe occidentale. L’Anthropologie (2018), https://doi.org/10.1016/j.anthro.2017.11.005 + Models ANTHRO-2662; No. of Pages 23 [(Fig._6)TD$IG]10 C. Schwab, C. Vercoutère / L’anthropologie xxx (2018) xxx–xxx Fig. 6. Statuette dite « l’Ébauche », MAN 47 022, Ivoire de mammouth, Dimensions = 7,4  3,0  2,1 cm, Grotte du Pape à Brassempouy (Landes), Gravettien (vers 34 000/ 25 000 ans cal. B.P.), Fouilles de l’AFAS, 1892. Cliché musée d’Archéologie nationale, Loïc Hamon. Statuette so-called ‘‘the Rough sketch’’, MAN 47 022, Mammoth ivory, Dimensions = 7.4  3.0  2.1 cm, Grotte du Pape at Brassempouy (Landes), Gravettian (around 34,000/ 25,000 years cal. B.P.), AFAS excavations, 1892. Photo musée d’Archéologie nationale, Loïc Hamon. Pour citer cet article : Schwab, C., Vercoutère, C., Les statuettes en ivoire gravettiennes d’Europe occidentale. L’Anthropologie (2018), https://doi.org/10.1016/j.anthro.2017.11.005 + Models [(Fig._7)TD$IG] ANTHRO-2662; No. of Pages 23 C. Schwab, C. Vercoutère / L’anthropologie xxx (2018) xxx–xxx 11 Fig. 7. Statuette dite « la Figurine à la ceinture », MAN 47 077, Ivoire de mammouth, Dimensions = 6,9  2,2  1,4 cm, Grotte du Pape à Brassempouy (Landes), Gravettien (vers 34 000/ 25 000 ans cal. B.P.), Fouilles Édouard Piette et Joseph de Laporterie, 1894. Cliché musée d’Archéologie nationale, Loïc Hamon. Statuette so-called ‘‘the Figurine with belt’’, MAN 47 077, Mammoth ivory, Dimensions = 6.9  2.2  1.4 cm, Grotte du Pape at Brassempouy (Landes), Gravettian (around 34,000/ 25,000 years cal. B.P.), Édouard Piette and Joseph de Laporterie excavations, 1894. Photo musée d’Archéologie nationale, Loïc Hamon. Pour citer cet article : Schwab, C., Vercoutère, C., Les statuettes en ivoire gravettiennes d’Europe occidentale. L’Anthropologie (2018), https://doi.org/10.1016/j.anthro.2017.11.005 + Models ANTHRO-2662; No. of Pages 23 [(Fig._8)TD$IG] 12 C. Schwab, C. Vercoutère / L’anthropologie xxx (2018) xxx–xxx Fig. 8. Fragment de statuette dit « la Figurine à la pèlerine », MAN 47 136, Ivoire de mammouth, Dimensions = 4,6  2,3  1,1 cm, Grotte du Pape à Brassempouy (Landes), Gravettien (vers 34 000/ 25 000 ans cal. B.P.), Fouilles Édouard Piette et Joseph de Laporterie, 1894. Cliché musée d’Archéologie nationale, Loïc Hamon. Statuette fragment so-called ‘‘the Figurine with cape’’, MAN 47 136, Mammoth ivory, Dimensions = 4.6  2.3  1.1 cm, Grotte du Pape at Brassempouy (Landes), Gravettian (around 34,000/ 25,000 years cal. B.P.), Édouard Piette and Joseph de Laporterie excavations, 1894. Photo musée d’Archéologie nationale, Loïc Hamon. 3. Exploitation de l’ivoire de mammouth dans la Grotte du Pape 3.1. Le corpus de la collection Piette Si la collection Piette est célèbre pour ses statuettes féminines, elle comporte également de nombreux fragments d’ivoires, bruts et travaillés, qui attestent l’exploitation de l’ivoire de mammouth au sein de la grotte. Les conditions de collecte des vestiges fauniques lors des anciennes fouilles nous ont empêchés de faire le lien entre cette matière première éburnéenne et la faune chassée. Les modes d’acquisition de l’ivoire (en concomitance avec celle de viande de mammouth ou de blocs d’ivoire collectés et/ou échangés ?) restent donc à définir. Pour citer cet article : Schwab, C., Vercoutère, C., Les statuettes en ivoire gravettiennes d’Europe occidentale. L’Anthropologie (2018), https://doi.org/10.1016/j.anthro.2017.11.005 + Models ANTHRO-2662; No. of Pages 23 [(Fig._9)TD$IG] C. Schwab, C. Vercoutère / L’anthropologie xxx (2018) xxx–xxx 13 Fig. 9. Fragment de statuette, MAN 47 339, Ivoire de mammouth, Dimensions = 4,3  2,4  2,6 cm, Grotte du Pape à Brassempouy (Landes), Gravettien (vers 34 000/ 25 000 ans cal. B.P.), Fouilles de l’AFAS, 1892. Cliché musée d’Archéologie nationale, Loïc Hamon. Statuette fragment, MAN 47 339, Mammoth ivory, Dimensions = 4.3  2.4  2.6 cm, Grotte du Pape at Brassempouy (Landes), Gravettian (around 34,000/ 25,000 years cal. B.P.), AFAS excavations, 1892. Photo musée d’Archéologie nationale, Loïc Hamon. Pour la seule collection Piette conservée au musée d’Archéologie nationale à Saint-Germainen-Laye, nous avons examiné 212 pièces en ivoire de mammouth (statuettes incluses ; Tableau 1). Mis à part les fragments bruts, dont le nombre important est à rapprocher de la nature même de la matière première qui se délite en vieillissant (cf. Heckel, ce volume), les objets en ivoire de cette collection correspondent quasi exclusivement à des pièces à « valeur symbolique » : pièces d’art mobilier et armes de chasse. Même si nous ne pouvons exclure totalement le choix des fouilleurs de ne collecter que les « belles pièces », nous émettons l’hypothèse d’une volonté des Gravettiens de Brassempouy de réserver une matière première rare aux qualités particulières, l’ivoire vrai, à la confection de ces seules pièces. Cette restriction dans l’utilisation de l’ivoire a été relevée pour d’autres sites gravettiens en Europe occidentale et centrale (Goutas, 2013 ; cf. Vercoutère et Wolf, ce volume). Dans notre corpus d’étude, nous avons classé 10 pièces dans la catégorie des statuettes (Tableau 1) ; ce décompte est différent de ceux publiés notamment par M.-H. Thiault (2001 ; Pour citer cet article : Schwab, C., Vercoutère, C., Les statuettes en ivoire gravettiennes d’Europe occidentale. L’Anthropologie (2018), https://doi.org/10.1016/j.anthro.2017.11.005 + Models ANTHRO-2662; No. of Pages 23 [(Fig._10)TD$IG]14 C. Schwab, C. Vercoutère / L’anthropologie xxx (2018) xxx–xxx Fig. 10. Statuette féminine dite « la Poupée », MAN 47 335, Ivoire de mammouth, Dimensions = 4,8  0,8  0,7 cm, Grotte du Pape à Brassempouy (Landes), Gravettien (vers 34 000/ 25 000 ans cal. B.P.), Fouilles Édouard Piette et Joseph de Laporterie, 1894. Cliché musée d’Archéologie nationale, Loïc Hamon. Female statuette so-called ‘‘the Doll’’, MAN 47 335, Mammoth ivory, Dimensions = 4.8  0.8  0.7 cm, Grotte du Pape at Brassempouy (Landes), Gravettian (around 34,000/ 25,000 years cal. B.P.), Édouard Piette and Joseph de Laporterie excavations, 1894. Photo musée d’Archéologie nationale, Loïc Hamon. Pour citer cet article : Schwab, C., Vercoutère, C., Les statuettes en ivoire gravettiennes d’Europe occidentale. L’Anthropologie (2018), https://doi.org/10.1016/j.anthro.2017.11.005 + Models [(Fig._1)TD$IG] ANTHRO-2662; No. of Pages 23 C. Schwab, C. Vercoutère / L’anthropologie xxx (2018) xxx–xxx 15 Fig. 11. Statuette féminine (?) dite « l’Ébauche de Poupée », MAN 47 335 bis, Ivoire de mammouth, Dimensions = 4,6  0,5  0,7 cm, Grotte du Pape à Brassempouy (Landes), Gravettien (vers 34 000/ 25 000 ans cal. B.P.), Fouilles Édouard Piette et Joseph de Laporterie, 1894–1897. Cliché musée d’Archéologie nationale, Loïc Hamon. Female statuette (?) so-called ‘‘the Doll rough sketch’’, MAN 47 335 bis, Mammoth ivory, Dimensions = 4.6  0.5  0.7 cm, Grotte du Pape at Brassempouy (Landes), Gravettian (around 34,000/ 25,000 years cal. B.P.), Édouard Piette and Joseph de Laporterie excavations, 1894–1897. Photo musée d’Archéologie nationale, Loïc Hamon. Pour citer cet article : Schwab, C., Vercoutère, C., Les statuettes en ivoire gravettiennes d’Europe occidentale. L’Anthropologie (2018), https://doi.org/10.1016/j.anthro.2017.11.005 + Models ANTHRO-2662; No. of Pages 23 16 C. Schwab, C. Vercoutère / L’anthropologie xxx (2018) xxx–xxx Tableau 1 Inventaire des pièces en ivoire de la collection Piette conservée au musée d’Archéologie Nationale à Saint-Germain-enLaye (NR : Nombre de Restes). Listing of the ivory artefacts from the Piette Collection of the National Museum of Archaeology at Saint-Germain-en-Laye (NR: Number of Remains). Catégorie NR Portion de défense Fragment brut Ivoire travaillé Fragment travaillé Déchet Fragment utilisé Baguette Pointe Sagaie Anneau Bouchon d’outre Plaquette gravée Ronde-bosse Statuette Débris Total 3 141 2 36 1 1 11 1 1 1 1 1 1 10 1 212 n = 8) et par R. White (2006, p. 276, Table I ; n = 11). En effet, l’interprétation que nous faisons de trois pièces diffère par rapport aux publications antérieures :  La première pièce, 47 339 (boîte 7, no 80 ; Fig. 12), à notre connaissance inédite, pourrait correspondre à un fragment de statuette supplémentaire (51,11  29,81  15,86 mm). Ce fragment d’ivoire est mal conservé et la moitié sa surface environ est dissoute, d’où un aspect blanchâtre et crayeux. Par contre, même si aucune trace d’origine anthropique n’est clairement visible sur la seconde moitié de la pièce encroûtée de sédiment, celle-ci correspond à une ronde-bosse qui représenterait une paire de jambes ;  La pièce MAN 47 336 a été publiée par M. Chollot (1964, p. 429), comme une pièce « énigmatique » dont on peut supposer qu’elle a servi de bouchon d’outre. Il s’agit d’un fragment d’ivoire entièrement façonné (stries de raclage longitudinal recouvrant toute la surface de la pièce), au profil droit et de section sub-ovale à quadrilobée (64,07  12,39  9,38 mm). De profondes rainures affectent environ le tiers de la longueur de la pièce, lui donnant cette section particulière à 4 lobes. Un net étranglement délimite cette partie, qui se termine en pointe, d’une seconde sans aménagement apparent. La nature finale de la pièce restant énigmatique, nous avons simplement qualifié celle-ci de ronde-bosse ;  La pièce MAN 47 335 bis (Fig. 11) a été publiée par R. White (2006, p. 290, fig. 25) comme « ébauche de poupée » et considérée comme faisant partie du corpus des statuettes. Il s’agit d’une petite baguette d’ivoire de conservation moyenne, avec un profil droit et une section ovoïde à sub-circulaire (46,35  6,85  5,70 mm). Une extrémité est arrondie et l’autre globuleuse. Des incisions transversales individualisent deux segments. Aucun autre aménagement n’est visible. Il nous apparaît donc délicat de rapprocher cette pièce d’une statuette. En outre, sa morphologie est similaire à celle de la baguette encochée MAN 47 072. Il Pour citer cet article : Schwab, C., Vercoutère, C., Les statuettes en ivoire gravettiennes d’Europe occidentale. L’Anthropologie (2018), https://doi.org/10.1016/j.anthro.2017.11.005 + Models ANTHRO-2662; No. of Pages 23 [(Fig._12)TD$IG] C. Schwab, C. Vercoutère / L’anthropologie xxx (2018) xxx–xxx 17 Fig. 12. Fragment de statuette en ivoire de mammouth issu de la grotte du Pape à Brassempouy (Landes) ; a et b : les deux faces (Collection Piette, MAN, numéro d’étude Boîte 7 no 80 ; clichés : # C. Vercoutère). Fragment of an ivory statuette from the Grotte du Pape at Brassempouy (Landes); a and b: the two sides (Collection Piette, MAN, study number Boite 7 no. 80; pictures: # C. Vercoutère). s’agit ici d’un cas limite (Poplin, 2015, Com. pers.) et nous avons préféré l’exclure du décompte des figurines féminines gravettiennes de la grotte du Pape. 3.2. Analyse taphonomique Comme mentionné plus haut, Édouard Piette et Joseph de Laporterie ont fait mention de la très forte humidité des sédiments dans la zone de découverte des statuettes, soulignant les problèmes de conservation de l’ivoire et employant même dans certains cas le terme d’ivoire « liquéfié » (terme relevé sur les étiquettes manuscrites accompagnant les pièces des fouilles Piette). Il n’est alors pas surprenant de constater que les stigmates dus à l’action de l’eau, et en particulier aux oxydes métalliques (coloration noire par imprégnation de manganèse) et aux acides qu’elle contenait (dissolution plus ou moins avancée et corrosion), sont les plus couramment relevés à la surface des pièces d’ivoire de la Grotte du Pape (Tableau 2). Un second type de stigmates touche à l’intégrité physique de la matière et se présente sous forme de desquamations, fissures et délitements, qui se poursuivent actuellement avec le vieillissement naturel de l’ivoire de mammouth. Les stigmates dus à l’action des plantes (vermiculations) ou aux carnivores ( punctures) sont rares. Malgré la forte action de l’eau altérant la lisibilité des surfaces des pièces, des stigmates d’origine anthropiques sont clairement visibles sur celles-ci. Pour citer cet article : Schwab, C., Vercoutère, C., Les statuettes en ivoire gravettiennes d’Europe occidentale. L’Anthropologie (2018), https://doi.org/10.1016/j.anthro.2017.11.005 + Models ANTHRO-2662; No. of Pages 23 18 C. Schwab, C. Vercoutère / L’anthropologie xxx (2018) xxx–xxx Tableau 2 Types de stigmates taphonomiques observés à la surface des pièces en ivoire de la Collection Piette conservée au musée d’Archéologie Nationale à Saint-Germain-en-Laye (NR : Nombre de Restes). Taphonomical stigmata observed on the surface of the ivory pieces from the Piette Collection of the National Museum of Archaeology at Saint-Germain-en-Laye (NR: Number of Remains). Stigmates NR Desquamation Fissuration Délitement Imprégnation oxyde Mn Dissolution Corrosion Vermiculations Punctures Stigmates anthropiques 42 8 5 131 30 24 5 3 58 [(Fig._13)TD$IG] Fig. 13. Fragment de squame issu de la grotte du Pape à Brassempouy (Landes) : à droite – cannelures longitudinales typiques de l’ivoire vrai à la jonction entre deux cône de dentine ; à gauche – stries de raclage longitudinal recouvrant ces caractéristiques naturelles de l’ivoire (Collection Piette, MAN, numéro d’étude Boîte 2 no 22c ; cliché : # C. Vercoutère). Fragment of squame from the Grotte du Pape at Brassempouy (Landes): to the right – longitudinal groove typical of the true ivory at the junction between to cone of dentin; to the left – striae due to longitudinal scraping covering the natural characteristics of ivory (Collection Piette, MAN, study number Boite 2 no. 22c; picture: # C. Vercoutère). 3.3. Caractères d’identification de la matière première et indices technologiques Pour chacune des pièces de la collection, nous avons recherché les critères macroscopiques inhérents à la matière première afin de confirmer sa nature éburnéenne (cf. Heckel, ce volume). De nombreuses pièces présentent au niveau de l’une de leur face, ou des deux, des cannelures longitudinales typiques de la surface de jonction entre deux cônes de dentine (Fig. 13). Ceci atteste du délitement naturel de l’ivoire. Cependant, nous ne pouvons pas toujours établir si ce délitement a eu lieu anciennement, ce qui pourrait témoigner de l’utilisation par les Gravettiens d’un ivoire déjà relativement altéré, ou s’il est post-dépositionnel, voire relativement récent (les deux possibilités étant attestées à Brassempouy, cf. infra). En outre, des Lignes de Schreger sont nettement visibles aux extrémités de certaines pièces (Fig. 14). Enfin, la disposition concentrique de certaines fissures souligne l’emboîtement des cônes de dentine. Pour citer cet article : Schwab, C., Vercoutère, C., Les statuettes en ivoire gravettiennes d’Europe occidentale. L’Anthropologie (2018), https://doi.org/10.1016/j.anthro.2017.11.005 + Models [(Fig._14)TD$IG] ANTHRO-2662; No. of Pages 23 C. Schwab, C. Vercoutère / L’anthropologie xxx (2018) xxx–xxx 19 Fig. 14. Morceaux d’ivoire débité par entaillage transversal et travaillé, issu de la grotte du Pape à Brassempouy (Landes) : a : face supérieure de la pièce ; b : zoom sur la zone mésiale entaillée ; c : zoom sur les stigmates d’entaillage d’une des extrémités ; d : Lignes de Schreger visibles à cette même extrémité (Collection Piette, MAN, numéro MAN 56 424 ; clichés : # C. Vercoutère). Piece of ivory cut by transverse notching and worked, from the Grotte du Pape at Brassempouy (Landes): a: upper side of the piece; b: focus on the mesial notched zone; c: focus on the notching stigmata at one of the extremities; d: the Schreger Lines visible at this same extremity (Collection Piette, MAN, number MAN 56 424; pictures: # C. Vercoutère). Pour citer cet article : Schwab, C., Vercoutère, C., Les statuettes en ivoire gravettiennes d’Europe occidentale. L’Anthropologie (2018), https://doi.org/10.1016/j.anthro.2017.11.005 + Models ANTHRO-2662; No. of Pages 23 20 C. Schwab, C. Vercoutère / L’anthropologie xxx (2018) xxx–xxx Outre une confirmation de la nature du matériau utilisé, ces caractéristiques typiques de l’ivoire vrai nous ont permis de relocaliser les supports de certaines pièces, et notamment des statuettes, au sein d’une défense de mammouth :  Le grand axe d’allongement des jambes de « L’ébauche » (MAN 47 022) est parallèle à celui de la défense ; le support de la statuette a été prélevé proche du cœur de celle-ci, mais n’est pas centré sur lui ;  Les fentes concentriques visibles sur la « La poire » (MAN 47 333) et sur « Le fragment » (MAN 47 339) attestent d’un support pris au cœur de la défense, sur lequel ces pièces sont centrées ;  Les deux extrémités du « manche de poignard » (MAN 47 260) présentent un petit trou qui correspond au canal pulpaire de la défense. Le positionnement de ce-dernier montre que le grand axe d’allongement de la statuette est parallèle à celui de la défense et que le support de la statuette est centré sur le cœur de celle-ci ;  Pour la « Figurine à la ceinture » (MAN 47 077), nous ne pouvons conclure qu’à un support dont le grand axe d’allongement est parallèle à celui de la défense ;  La convexité des cônes de dentine dont l’emboîtement est visible aux deux extrémités du « torse » (MAN 47 334) permet de localiser le cœur de la défense du côté du ventre de la statuette ; le support de celle-ci n’est donc pas centré sur le cœur de la défense. D’un point de vue technologique, de nombreux stigmates inhérents à l’exploitation sur place de l’ivoire sont clairement visibles sur les différents types de pièces. Ces stigmates ont conduit M.-H. Thiault (2001) à conclure à une extraction de supports plats sur le pourtour de défense, pour la fabrication d’éléments de parure de type bandeau, et à une production de supports en volume issus du cœur de défense, pour la fabrication de statuettes. Cependant, il nous est apparu difficile d’établir un lien technologique clair entre les différentes pièces en ivoire de la collection Piette et de reconstituer des chaînes opératoires précises. En outre, ce corpus n’est peut-être pas à considérer comme un lot homogène d’objets fabriqués par les mêmes artisans. Contrairement à certaines pièces en silex, qui portent des indications au graphite de provenances stratigraphiques et/ou topographiques, les artefacts en ivoire ne sont pas dotés d’inscriptions qui permettraient d’avancer ou d’infirmer cette hypothèse. La variabilité des statuettes ne peut pas non plus être interprétée d’un point de vue chronologique. Les stigmates d’origine anthropiques que nous avons observés sont précieux à double titre. Tout d’abord, ils peuvent dans certains cas nous informer sur l’état de conservation de la matière première utilisée. Deux pièces (lame MAN 48 229B et D [Fig. 15] ; baguette MAN 89 168) portent les stigmates (impact de percussion et pans de fracture) d’un débitage par une technique de fracturation. Ceci constitue l’indice du travail d’un ivoire encore relativement homogène (frais). À l’inverse, d’autres fragments présentent des stigmates d’origine anthropique, des stries de raclage longitudinal par exemple, qui recouvrent des cannelures longitudinales, reliefs inhérents à la structure naturelle de l’ivoire altéré (Fig. 13), ce qui atteste d’une action anthropique sur un ivoire déjà altéré (ces cannelures s’observent à la surface de jonction entre deux cônes de dentine qui se délitent). D’autre part, les stigmates d’origine anthropiques informent sur les savoir-faire techniques des artisans gravettiens de Brassempouy et la manière dont ils ont travaillé l’ivoire. Nous avons vu que le débitage de l’ivoire a pu être réalisé par des techniques de fracturation. D’autres pièces portent les traces d’un débitage transversal par entaillage (Fig. 14) ou incision, suivie de flexion (Fig. 16). Le façonnage des pièces en ivoire a été réalisé essentiellement par raclage longitudinal Pour citer cet article : Schwab, C., Vercoutère, C., Les statuettes en ivoire gravettiennes d’Europe occidentale. L’Anthropologie (2018), https://doi.org/10.1016/j.anthro.2017.11.005 + Models ANTHRO-2662; No. of Pages 23 [(Fig._15)TD$IG] C. Schwab, C. Vercoutère / L’anthropologie xxx (2018) xxx–xxx 21 Fig. 15. Lame d’ivoire issue de la grotte du Pape à Brassempouy (Landes) : a : face supérieure de la lame ; b : zoom sur un bord présentant des impacts de percussion (Collection Piette, MAN, numéro MAN 48 229 B et D ; clichés : # C. Vercoutère). Ivory blade from the Grotte du Pape at Brassempouy (Landes): a: upper side of the blade with the natural grooves of ivory; b: focus on a side showing some impacts of percussion (Collection Piette, MAN, number MAN 48 229 B et D; pictures: # [(Fig._16)TD$IG]C. Vercoutère). Fig. 16. Lame d’ivoire issue de la grotte du Pape à Brassempouy (Landes) : a : face inférieure de la plaquette avec les cannelures naturelles de l’ivoire ; b : zoom sur l’une des extrémités présentant des stigmates d’incision transversale recoupant les cannelures (Collection Piette, MAN, numéro MAN 51 608 ; clichés : # C. Vercoutère). Ivory blade from the Grotte du Pape at Brassempouy (Landes): a: lower side of the blade with the natural grooves of ivory; b: focus on one of the extremities showing stigmata of the transverse incision that intersect the natural grooves (Collection Piette, MAN, number MAN 51 608; pictures: # C. Vercoutère). (Fig. 13). Dans le cas des statuettes, l’entaillage transversal, le rainurage longitudinal et le raclage ont également permis la mise en forme des pièces. Les techniques employées dans une phase de finition des objets sont de différentes natures, selon la destination de ces derniers : le rainurage longitudinal a été observé pour réaliser le décor d’une plaquette (MAN 47 137 A ; Fig. 17) ; des incisions ont été pratiquées pour réaliser le décor géométrique de certaines pièces (MAN 48 736 B–baguette 104 ; Fig. 18), ainsi que pour modeler le visage de la « Dame à la capuche » ; de plus, une plaquette a été perforée. Pour citer cet article : Schwab, C., Vercoutère, C., Les statuettes en ivoire gravettiennes d’Europe occidentale. L’Anthropologie (2018), https://doi.org/10.1016/j.anthro.2017.11.005 + Models ANTHRO-2662; No. of Pages 23 [(Fig._17)TD$IG] 22 C. Schwab, C. Vercoutère / L’anthropologie xxx (2018) xxx–xxx Fig. 17. Fragment de plaquette décorée et percée issu de la grotte du Pape Brassempouy (Landes) ; Collection Piette, MAN, numéro MAN 47 137A ; cliché : # C. Vercoutère). Fragment of a decorated and pierced little plate from the Grotte du Pape at Brassempouy, (Landes); Collection Piette, MAN, number MAN 47 137A; picture: # C. Vercoutère). [(Fig._18)TD$IG] Fig. 18. Baguette d’ivoire décorée d’incisions issue de la grotte du Pape à Brassempouy (Landes) ; Collection Piette, MAN, numéro MAN 48 736B ; cliché : # C. Vercoutère). Ivory rod decorated with incisions, from the Grotte du Pape at Brassempouy (Landes); Collection Piette, MAN, number MAN 48 736B; picture: # C. Vercoutère). 4. Discussion Si l’absence de vestiges fauniques, classique lors de fouilles anciennes, nous a empêchés d’appréhender les modes d’acquisition de l’ivoire, il nous a été possible, en revanche, de mener à bien une analyse taphonomique et technologique de nombreuses pièces, notamment des statuettes, et de relocaliser leurs supports au sein d’une défense de mammouth. Peut-on évoquer à propos de la grotte du Pape à Brassempouy l’existence d’un atelier de sculpture sur ivoire de mammouth ? Il nous est évidemment difficile de nous prononcer. Il nous apparaît que les artisans gravettiens de Brassempouy ont su s’adapter à la nature de la matière première, fraîche ou altérée, et en tirer le meilleur parti, grâce à des savoir-faire techniques tout à fait maîtrisés. Cependant, le manque de précision chrono-stratigrahique ne permet pas d’identifier un sol d’habitat unique, comme ce pourrait être le cas avec des fouilles modernes. Les statuettes gravettiennes, pour ne considérer qu’elles, pourraient provenir de différentes occupations, séparées de plusieurs centaines voire de plusieurs milliers d’années. D’après l’étude des séries lihtiques, les pièces en ivoire de la collection Piette peuvent néanmoins être attribuées au Gravettien moyen à burins de Noailles, daté entre 32 000 et 30 500 cal. B.P., plutôt qu’aux phases plus anciennes ou plus récentes du Gravettien. Pour citer cet article : Schwab, C., Vercoutère, C., Les statuettes en ivoire gravettiennes d’Europe occidentale. L’Anthropologie (2018), https://doi.org/10.1016/j.anthro.2017.11.005 + Models ANTHRO-2662; No. of Pages 23 C. Schwab, C. Vercoutère / L’anthropologie xxx (2018) xxx–xxx 23 Références Bougard, E., 2011. Les céramiques gravettiennes de Moravie, derniers apports des recherches actuelles. Anthropologie CXV, 465–504. Cartailhac, É., Breuil, H., 1907. Les œuvres d’art de la collection de Vibraye au Muséum national. Anthropologie XVIII, 1–36. 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