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Numéro 3 — 2023 les cahiers de MUSEOLOGIE ISSN 2406-7202 SOMMAIRE Présentation Manuelina Maria Duarte Cândido 3-6 Articles Réflexions sur les possibilités de réinventer les musées d’ethnographies en Afrique 8-22 orientale : réinterroger la notion d’identité et jeter un regard pluriel et contemporain sur la société Edouard Nzoyihera Exposer l’humanité. Les musées d’archéologie face à la problématique du genre, entre 23-41 surexposition des hommes et sous-exposition des femmes. Réflexions à partir de l’Espagne et de la Belgique. Isabelle Algrain Les recherches participatives en archéologie : pour une réinterprétation du matériel 42-52 archéologique et ethnographique des groupes autochtones Lucille Maugez Musées communautaires et développement touristique au Cameroun. Une valorisation 53-76 du territoire problématique Rachel Marembe & Uriel Ngniguepaha Un musée des ex-voto au Brésil : exposer le miracle 77-98 Lilian Alves Gomes National pedagogical museums in Brazil and France in the 19th century 99-114 Zita Rosane Possamai Open challenges and possible alliances for two fields of knowledge and practice: 115-133 st museology and urban planning in the 21 century Giusy Pappalardo Carnets de visite The Little Museum of Dublin : à la découverte d’un musée de société dublinois Léa Di Francesco 135-143 Les Boîtes à Causeries du Piconrue – Musée de la Grande Ardenne 144-153 Pauline Duret & Le Piconrue Voyage muséologique aux Pays-Bas 154-163 Adèle Even Fake for Real. Une histoire du faux et de la contrefaçon à la Maison de l’histoire 164-172 européenne Floriane Paquay Note de Lecture « L’écomusée singulier et pluriel. Un témoignage sur cinquante ans de muséologie 174-180 communautaire dans le monde » de Hugues de Varine Mégane Fassin Dans la Marge Montréal : terre de muséologie sociale, terreau fertile pour l’Afromusée 182-191 Anna-Lou Galassini Conférence annuelle ICOM CECA 2021. La co-création au sein et au-dehors du musée 192-205 Zélie Blampain, Elina Noris & Chloé Orrico Stéréotypes colonialistes dans les collections d’ethnologie du Musée de Folklore vie 206-217 Frontalière de Mouscron Véronique Van de Voorde Renouer avec la vocation révolutionnaire et pluriverselle du musée. Le musée pluriversel 218-225 – révolution – décolonisation Anne Wetsi Mpoma Muséalisation et patrimoine culturel immatériel face à la problématique actuelle de 226-236 décolonisation Françoise Lempereur Entretien accordé par Fernand Collin, directeur du Préhistomuseum à Ramioul, à Zélie Blampain Zélie Blampain 237-256 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 PRÉSENTATION Le numéro 3 de la revue Les Cahiers de Muséologie, que nous avons la joie de vous présenter, poursuit notre série de publications reprise en 2021. Depuis lors, nous avons régulièrement publié, avec celui-ci, trois numéros de la revue, et deux numéros hors-série : l'un avec les Actes du Colloque « Les musées universitaires et leurs publics » réalisé en 2019 par l’Embarcadère du Savoir, et un autre avec des traductions de textes sur la Muséologie Social. La revue maintient son travail de diffusion des productions réalisées par les étudiants et jeunes diplômés, mais pas uniquement. Elle a reçu des textes de professionnels du secteur muséal et de chercheurs de différents niveaux, y compris plusieurs professeurs docteurs, tout en étant ouverte et en accueillant des propositions de jeunes diplômés et même des étudiants de premier cycle. Le plus intéressant est la demande spontanée que nous avons reçue, même hors des périodes d'appel à contributions. Un fait qui démontre la demande d'espaces pour diffuser la recherche et la visibilité nationale et internationale que notre publication a obtenue. Dans ce sens, une mention toute particulière que nous souhaitons faire concerne le texte d'Andrea Delaplace consacré aux Cahiers de Muséologie et paru dans la revue CAMOC Museums of Cities (CAMOC Review) lors de la 26e Conférence Générale du Conseil International des Musées à Prague en 2022. La place accordée à notre journal dans cette importante plateforme internationale est très encourageante. Notre journal est également répertorié dans la publication Les revues du champ muséal à travers le monde, organisée par François Mairesse et Audrey Doyen en 2022 pour l’Office de coopération et d'information muséales (OCIM). Une fois encore, nous tenons à remercier chaleureusement les auteurs qui nous envoient leurs textes, les membres du Comité international de lecture, qui contribuent généreusement à la qualité de la revue, et au Comité d’édition interne. Les deux comités ont été très sollicités en raison de l'augmentation de demandes de publication dans la revue. Mais nous notons avec une satisfaction particulière la participation encore plus active de plusieurs étudiant.e.s en muséologie de l'Université de Liège dans le processus éditorial de ce numéro. Ce processus de travail collaboratif démontre non seulement leur reconnaissance de la pertinence de la revue mais, pourquoi ne pas le dire, leur appropriation de cet espace. Ce qui est très souhaité pour ainsi mieux assurer la continuité de la publication. Nous espérons que les prochains numéros attirent des textes plus 3 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 représentatifs des recherches menées au niveau du Master et suscitent des réflexions nécessaires et pertinentes (une liste de ces recherches peut être consultée ici http://web.philo.ulg.ac.be/museologie/memoires/). Outre les étudiants qui suivent encore le Master à finalité spécialisée en Muséologie et quelques jeunes diplômés, la préparation de ce numéro a bénéficié de la contribution de Bel Lavratti, Giusy Pappalardo, Anna-Lou Galassini et Alix Nyssen, notamment dans le processus de formatage et d'importation des articles sur la plateforme PoPuPS. Mais cette publication n'aurait pas été possible sans l'immense dévouement et la générosité d'Ana Swartz Paredes, qui a consacré d'innombrables heures de travail à distance au secrétariat et aux différentes étapes du processus éditorial de ce numéro. L'intérêt pour Les Cahiers de Muséologie de l’Université de Liège ne cesse de croître à mesure qu'ils se font connaître. Nos lecteurs et lectrices, principalement originaires des États-Unis, de Belgique, de France, de Suède, d'Irlande, du Brésil et du Canada, ont consulté nos publications plus de 28.000 fois. Avec la récente initiative de création d’un réseau des revues scientifiques belges en open access, nous espérons bénéficier de davantage d’échanges de connaissances pratiques et d’expériences, dans le but d’accroître la visibilité et les critères de qualité de cette revue. Nous maintenons dans ce numéro les quatre sections habituelles : Articles, Carnets de visite, Notes de lecture et Dans la marge. Nous sommes fier.e.s d'ouvrir ce numéro de la revue avec un article d’Édouard Nzoyihera, notre récent docteur dont la thèse a été soutenue en septembre 2022. Dans son travail très original et inspirant, Nzoyihera a fait une proposition singulière pour le système de musées en Afrique Orientale : la création d’Eco-Greniers Culturels. Dans son article pour Les Cahiers, il partage avec nos lecteurs ses Réflexions sur les possibilités de réinventer les musées d’ethnographies en Afrique orientale : réinterroger la notion d’identité et jeter un regard pluriel et contemporain sur la société. Dans notre section principale, nous avons aussi les Articles suivants : Les musées d’archéologie face à la problématique du genre, entre surexposition des hommes et sousexposition des femmes. Réflexions à partir de l’Espagne et de la Belgique (Isabelle Algrain) ; Les recherches participatives en archéologie : pour une réinterprétation du matériel archéologique et ethnographique des groupes autochtones (Lucille Maugez) ; Musées communautaires et développement touristique au Cameroun : une valorisation du territoire problématique (Rachel Mariembe et Uriel Ngniguepaha) ; Un musée des ex-voto au Brésil : exposer le miracle (Lilian Alves Gomes) ; National pedagogical museums in Brazil and France in the 19th century (Zita Rosane Possamai) et Open challenges and possible alliances for two fields of knowledge and practice: museology and urban planning in the 21st century (Giusy Pappalardo). 4 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Les thèmes instigateurs, dont certains s'inscrivent dans la lignée des études décoloniales, la variété des approches disciplinaires toujours autour du phénomène muséal ou de la relation entre la société et son patrimoine, et l'origine géographique diverse des auteurs et des études de cas englobant l'Europe, l'Amérique du Sud et du Nord et l'Afrique, sont des traits qui continuent de caractériser nos publications. Dans la rubrique Note de lecture, Mégane Fassin présente le livre L’écomusée singulier et pluriel. Un témoignage sur cinquante ans de muséologie communautaire dans le monde d’Hugues de Varine, et l'une des références fondamentales de son mémoire défendu en 2022 sur les écomusées de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Dans ce numéro, les Carnets de Visite nous invitent à découvrir les musées aux Pays-Bas, à travers le regard de l'étudiante Adèle Even, l'une des participantes du voyage d'étude que nous avons effectué en avril 2022. Un musée en Irlande est aussi à explorer à travers le texte que Léa di Francesco a écrit après son stage au Little Museum of Dublin. En ce qui concerne les musées belges, l'exposition temporaire Fake for Real, de la Maison de l’histoire européenne est le sujet du texte de Floriane Paquay, tandis que Pauline Duret a rejoint l'équipe de Piconrue - Musée de la Grande Ardenne pour présenter ses Boîtes à causeries, un dispositif de médiation très particulier. La section Dans la marge poursuit son caractère de présentation de points de vue divers et parfois dissidents, dans des textes qui n'ont pas nécessairement des formats académiques classiques, mais qui sont là pour provoquer la réflexion et le dialogue ou pour présenter quelque chose qui semble hors des sentiers battus. Dans ce numéro, Anna-Lou Galassini, doctorante en Muséologie, médiation patrimoine à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), introduit le sujet de la place de la muséologie sociale à Montréal et les défis pour les musées qui lui sont proches, comme l’Afromusée et son parcours pour répondre aux critères de reconnaissance institutionnelle. Nos étudiantes Zélie Blampain, Elina Noris ont fait équipe avec une étudiante de l'école l’École du Louvre en stage en Belgique, Chloé Orrico, pour présenter une synthèse de la Conférence du CECA-ICOM réalisée dans notre pays pendant l’année 2021 et autour du sujet de la co-création. Véronique Van de Voorde, Directrice du Musée de Folklore vie Frontalière de Mouscron, contribue avec une réflexion sur les stéréotypes colonialistes dans les collections de cette institution. Anne Wetsi Mpoma, qui a collaboré avec ce même musée en 2021 pour une conférence sur les stéréotypes racistes représentés dans sa collection, revient sur le thème dans une sorte de carte blanche de notre revue, pour présenter un autre regard sur les relations entre le pouvoir institutionnel des musées, le racisme structurel et les défis pour la mise en pratique de l’inclusion et de la décolonisation des musées. 5 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Ensuite, nous avons un texte qui dialogue, d’une certaine manière, avec l’article d’Alexandre Delarge, intitulé Il ne faut pas collecter le Patrimoine immatériel, paru dans le n° 2 de notre revue. L’auteur y explique notamment le rôle joué par la Convention pour la Sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO (2003) dans le renforcement de l'intérêt des musées pour le patrimoine immatériel. Nous ne pouvons manquer de souligner que quelques années plus tard, lorsque l'ICOM a mis à jour sa définition de musée en 2007, le patrimoine immatériel a commencé à être mentionné, ce qui a été renouvelé dans la nouvelle définition approuvée à Prague en 2022. Delarge ayant abordé la question de la relation entre musée et patrimoine immatériel d’un point de vue muséologique, il nous a paru intéressant de donner aussi la parole à la titulaire des cours de patrimoine culturel immatériel à l’Université de Liège, Françoise Lempereur, auteure de la thèse de doctorat intitulée La transmission du patrimoine culturel immatériel. Réflexion sur l’importance d’une médiation culturelle. Cette thèse, soutenue en 2008, comprenait un chapitre toujours inédit sur la muséalisation. L’autrice a accepté de publier dans notre revue un extrait qui peut, aujourd’hui encore, nourrir les réflexions sur la matière. Enfin, nous avons inclus dans ce numéro un format de texte encore non expérimenté dans notre revue, à savoir l'entretien. Ce format pourrait éventuellement devenir une nouvelle section de la revue, mais pour l'instant nous avons choisi de le publier sous la rubrique Dans la Marge et nous serons heureux.ses de recevoir les réactions des lecteurs et lectrices à son sujet (comme au sujet de la revue, en général) par le biais de notre adresse électronique cahiersdemuseologie@uliege.be. L’intérêt d’ouvrir l’espace aux entretiens réside, à notre avis, dans le fait que certains professionnels des musées, qui sont des références par leurs propositions et pratiques innovantes et provocatrices, méritent que leur travail soit mieux connu. D’autant plus que leur disponibilité pour une écriture d'auteur sous forme de textes plus ou moins académiques n'est pas toujours évidente. L'occasion, par exemple, pour une étudiante encore en bachelier, comme l'était Zélie Blampain lorsqu'elle a réalisé la première étape de l'entretien avec Fernand Collin, directeur du Préhistomuseum, est à la fois formatrice pour elle, et une occasion privilégiée de contact entre le lectorat de notre revue et des professionnels que nous admirons et dont nous avons à cœur de diffuser leur travail. Nous espérons que cet ensemble de textes pourra intéresser un large public, qu'il sera amplement utilisé par les professionnels des musées et les chercheurs en muséologie à différents niveaux, contribuant ainsi à la circulation des connaissances, aux dialogues fructueux entre les différentes générations et disciplines impliquées dans le domaine muséal et à la porosité entre théorie et pratique. Manuelina Maria Duarte Cândido 6 ARTICLES LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 Edouard NZOYIHERA Réflexions sur les possibilités de réinventer les musées d’ethnographies en Afrique orientale : réinterroger la notion d’identité et jeter un regard pluriel et contemporain sur la société Résumé Dans cet article, je propose des pistes par lesquelles les musées Est-Africains peuvent être renouvelés. Il s’agit de réfléchir et de proposer des voies à emprunter pour renforcer l’importance sociale du musée. En considérant la culture « postindépendance » telle qu’elle est mise en scène depuis plus d’une cinquantaine d’années, force est de constater qu’il est indispensable de repenser le discours des musées. Ces musées méritent donc une profonde transformation. Le modèle de musée occidental adopté en bloc doit être soumis à des transformations importantes pour donner naissance à des institutions susceptibles d’assumer leurs raisons d’être. Cet article est donc le résultat de mes lectures variées et de mon analyse sur place des musées du Burundi, du Rwanda, de l’Ouganda et du Kenya. Il ne couvre pas les musées de toute l’Afrique orientale1. Outre que ces musées souffrent de l’emprisonnement spatial, ils mettent en scène une société figée. Mots-clés : musée, territoire, communauté, identité, contemporanéité. Abstract In this article, I present ways in which East African museums can reinvent themselves. The aim here is to reflect on and propose ways to strengthen the social significance of the museum. Considering the "post-independence" culture as it has been staged for more than fifty years, it is clear that it is essential to rethink the discourse of museums. These museums therefore deserve a profound transformation. The Western Museum model adopted en masse must be subjected to important transformations to give birth to institutions likely to assume their raison d'être. This article is therefore the result of Par l’Afrique orientale, il faut entendre la Tanzanie, la Somalie, le Djibouti, l’Érythrée, l’Éthiopie, le Burundi, le Rwanda, l’Ouganda, le Soudan et le Kenya. 1 8 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 different readings and my own on-site analysis of museums in Burundi, Rwanda, Uganda and Kenya. It does not cover museums in the whole of East Africa. Besides the fact that these museums suffer from spatial imprisonment, they present a frozen society. Keywords : museum, territory, community, identity, contemporaneity. 1. Vers une reconsidération disciplinaire, territoriale et identitaire Né en Europe dans un contexte précis, celui de l’affirmation de l’idée nationale pour certains et de la révolution pour d’autres, l’institution musée va s’étendre hors de l’Europe. C’est durant l’époque coloniale que les musées au sens moderne du terme, firent leur apparition en Afrique. La vague d’indépendance des années 1960 ayant poussé les États africains à constituer leurs propres musées nationaux, chaque pays d’Afrique va se doter d’un musée (GAUGUE 1997, p. 7). Les musées créés à l’époque coloniale et récupérés par les nouveaux dirigeants ainsi que d’autres créés après la colonisation n’ont pas continué à développer et à formuler des hypothèses qui répondent davantage aux aspirations et aux besoins de leurs communautés. En Afrique orientale, le territoire utilisé par les musées comme référent scientifique et culturel n’est plus satisfaisant. Les transports, communications, évolutions sociales en renouvellent constamment les contours et la perception. L’un des grands apports des musées concernant leurs territoires de référence, est d’en appréhender la complexité, les restituer dans le temps, comme dans le champ social ou les échanges économiques, dans leur environnement et dans le refus de la permanence (CASTEIGNAU 2002, p. 21). Une recherche d’ouverture oblige à dépasser un échelon local et à s’ouvrir au-delà des frontières attendues (YTHIER 2002, p. 29). Aujourd’hui, le musée est doté d’un grand rôle, celui de bâtir un nouveau pont entre les cultures d’ici et d’ailleurs ; d’hier et d’aujourd’hui et de promouvoir la citoyenneté active (CAPPART 2016, p. 34). Le musée et le territoire sont des lieux indissociables mais qu’il faut, dans le contexte africain 2 , revisiter. Le principe consiste, à cet effet, à rechercher l’ouverture qui dépasse le cadre strictement local, sans remettre fondamentalement en cause la notion de territoire. Rendre intelligible le territoire implique de reconnaître les relations qu’il a entretenues et qu’il perpétue dans tel ou tel domaine, avec d’autres territoires. Il est, en outre, question de manifester une volonté d’ouverture et de diversité sans limites. On interroge ou relativise par-là, le local par l’ailleurs. À cet effet, l’écriture du projet scientifique et culturel 2 Les frontières nationales constituent actuellement le seul territoire de référence. 9 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 constitue un moment privilégié pour la mise en examen du territoire (YTHIER 2002, p. 2728). Dans cette perspective, le projet se fonde sur les brassages de populations. Il en découle qu’un concept muséal établi sur une collection témoin d’un passé mythifié, prend son essor vers un discours plus large. Dans cette vision systémique, Philippe Mairot évoque la place de l’objet ou de la collection : « Si l’objet n’a pas une voie d’accès à la complexité sociale, s’il n’ouvre pas à la totalité économique, religieuse, technique (…) alors il n’est qu’un témoin desséché » (MAIROT 1992 cité par YTHIER 2002, p. 25). En reconsidérant le lien entre le territoire et le musée, le statut et le rôle de l’objet, les musées en Afrique orientale peuvent aussi réinventer le nouveau rapport à l’identité en tenant compte des mutations de sociétés soumises à des évolutions technologiques, démographiques, sociologiques, dans un contexte d’ouverture plus large. Même s’il n’y avait aucun projet de décolonisation chez les anciennes puissances coloniales, les musées africains ne devraient-ils pas s’engager dans une reconversion vers un nouveau paradigme muséal en « se fixant pour mission d’interroger les effets de la mondialisation notamment sur les constructions identitaires » (DE L’ESTOILE cité par WATREMEZ 2013, p. 22) ? Ceci implique aussi un nouveau rapport aux disciplines : ailleurs, la crise de l’ethnologie est souvent avancée comme une cause de la crise générale des musées de société3. Le champ d’étude et de compétence des musées se réclamant de l’ethnologie s’est considérablement élargi en même temps qu’évoluait le champ imparti à la discipline et que se faisait sentir le besoin de recourir à d’autres disciplines. C’est ainsi qu’à partir des années 1980, une des caractéristiques des musées de société va être de croiser l’ethnologie avec d’autres disciplines des sciences humaines (sociologie, histoire orale, histoire des sciences et des techniques, archéologie, écologie, etc.) (DE L’ESTOILE cité par WATREMEZ 2013, p. 22). La montée en puissance de l’interdisciplinarité dans la recherche depuis les années 1960 est étroitement liée à l’intrusion de l’interdisciplinarité au musée. L’interdisciplinarité vise l’interaction des points de vue sur un même objet. Il faut attendre les années 1980, pour que l’on assiste à de réelles tentatives de rapprochement entre disciplines 4 dans les musées et à la promotion de l’interdisciplinarité. Cela a été rendu possible pour les musées de société ou de civilisations par le rapprochement entre musées et laboratoires de recherche ou universités (MAZE 2013, p. 83). Pour le cas de l’Afrique orientale, les 3 Concernant les musées de société, voir DROUGUET, Noémie Le musée de société : de l’exposition de folklore aux enjeux contemporains, Paris, Armand Colin, 2015. 4 Outre la transformation des musées existants, la pluridisciplinarité ou interdisciplinarité intervient pour répondre à plusieurs objectifs : diversifier les publics et les modes d’apprentissage. C’est aussi dans le but de manifester une volonté de démocratiser la culture et d’élargir les publics pour ne pas se contenter de parler toujours aux mêmes. La diversification de l’offre culturelle entre aussi en jeu. 10 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 musées peuvent, pour reprendre l’expression de Camille Maze, marquer une distance avec la discipline « pionnière ». Ceci se traduirait par exemple par une disparition des termes « ethnographie » dans le nom des musées ou dans les projets scientifiques et culturels. Dans cette perspective, « la discipline principale perd le monopole du discours sur les cultures. Sans la mobilisation de plusieurs disciplines pour un même sujet ou le croisement entre spécialistes de plusieurs aires ou époques, on ne peut pas rendre lisible la complexité du monde » (MAZE 2013, p. 83-84). Aujourd’hui et par rapport à cette question de la complexité du monde, l’Afrique peut procéder par une ouverture plus large. Ce faisant, il me semble que la promotion des cultures frontalières5 ferait partie des missions des musées africains. Depuis l’accès des pays africains aux Indépendances, l’Afrique a été traversée par de nombreux conflits frontaliers et guerres inter-étatiques. Dans bien des cas, le tracé des frontières a été une des causes de conflits armés, avec des conséquences incalculables sur le développement économique et humain (CASSIN & WOZNY 2014, p. 78-79). Dans leurs propos, missions, programmations ou activités, il serait nécessaire aux musées africains, de revisiter et de prendre en compte « ces zones qui représentent des marges au sein des espaces africains, depuis la conférence de Berlin (1884) qui consacre le partage du continent, jusqu’aux Indépendances qui ont proclamé l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation » (CASSIN & WOZNY 2014, p. 78-79). Depuis le partage de l’Afrique, « des peuples qui étaient unis sont restés séparés par des frontières artificielles. Des pistes de transhumances ont été rompues, des expressions culturelles jadis florissantes sont murées dans des ghettos dont les limites sont des frontières dites de « souveraineté ». Dans une logique de réinvention du système actuel de musée et d’ouverture plus large, les musées africains pourraient promouvoir ces continuités culturelles et naturelles. Ceci est le meilleur moyen de gommer culturellement les frontières politiques héritées de la colonisation. Les musées africains peuvent ainsi penser et s’engager à la diversité des disciplines à des fins déjà mentionnées. Ils peuvent aussi revoir la question du territoire de référence en passant du territoire aux territoires et en abordant entre autres, les conséquences des processus de la mondialisation, voire de la colonisation et proposer de nouvelles approches de l’identité. Le principe consisterait dans cette perspective, à élargir le champ d’action pour ainsi aborder les cultures du monde (tout en conservant les racines 5 Ce sont les puissances coloniales qui ont tracé les frontières des États en Afrique. 11 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 propres) en portant un regard global sur les cultures des autres6 (WATREMEZ 2013, p. 2627). À cet effet, deux conceptions peuvent s’affronter : d’un côté, un musée s’adressant à l’homme que l’on peut appeler local dans sa singularité ; de l’autre, un musée s’adressant au citoyen dans ce qu’il a de particulier et d’universel, et conçu comme un centre de diffusion culturelle et éducative et d’épanouissement à tous égards (MAZE 2013, p. 81). Si l’on veut que le visiteur pénètre dans la connaissance, la compréhension et le goût pour le monde, la mobilisation des différents outils des sciences humaines et la présentation des multiples regards qu’elles posent sur les sociétés dans les espaces d’expositions (MAZE 2013, p. 193) seraient un moyen par excellence pour réussir cet objectif. La mondialisation à l’œuvre depuis quelques décennies est une problématique que les musées africains ne peuvent ignorer. Les questionnements actuels ne peuvent se comprendre qu’à travers une perspective historique. Dans les pays développés qui ont même introduit le concept de musée en Afrique, « les notions d’échange, de circulation des hommes, des biens et des idées mais aussi des frictions voire des conflits qu’ils suscitent sont au cœur du projet de nouveaux musées rénovés. Pour pouvoir traiter des sujets qui dépassent les ancrages nationaux, ils mettent en œuvre une approche interdisciplinaire 7 » (DROUGUET 2015, p. 145). A ce propos, les collections d’origines différentes permettraient de répondre aux questionnements d’enracinement d’une part, et d’influence d’autres cultures, d’autre part. Ainsi, tout musée qui emprunte cette voie ne s’arrête pas aux seules frontières nationales mais « s’intéresse plutôt à la personne humaine dans une vision universelle et multiculturaliste. Il se donne la possibilité d’explorer des phénomènes qui ne sont pas limités à une période historique donnée ni à un groupe culturel particulier. Parmi d’autres ambitions, la diversité culturelle et les identités plurielles qui parcourent la société mondialisée » (DROUGUET 2015, p. 163) peuvent être quelques-unes des démarches auxquelles les musées Est-Africains peuvent se saisir afin de se réapproprier cet héritage colonial. Ceci leur permettrait de rompre avec « la monotonie » qui introduit actuellement à la visite et d’intégrer la diversité culturelle dans leurs activités et missions. Aussi, la diversité ici n’est pas la segmentation ethnographique mais une approche holistique de l’unité dans la diversité. Cela ne signifie pas qu’il faut se focaliser sur des objets témoins mais sur des aires culturelles à travers des approches thématiques. L’un des objectifs de ce choix, c’est aussi de montrer Étant donné que la majorité des Africains n’ont pas la culture du voyage ni des vacances, ces musées seraient en mesure de contribuer à la connaissance et à la découverte voire à l’éducation. Ils seraient en cela au service de la société. 7 Cette démarche n’est pas le propre de l’occident ou des pays développés. Elle peut, dans une perspective de modernisation, marcher en Afrique. Ceci concerne la réinvention des musées disciplinaires ou ethnographiques créés en Afrique pendant la colonisation. 6 12 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 que « les continuités culturelles sont des réalités rédhibitoires aux frontières politiques héritées de la colonisation » (HAMADY 2018, p. 132). En Afrique orientale, pour rappel, outre le fait que les musées sont créés par discipline, on observe aussi, au sein d’un même espace, une répartition thématique par discipline au point de parler d’un alignement de plusieurs musées. Or, on ne peut pas aujourd’hui, appréhender la réalité ou les phénomènes avec le prisme d’une seule discipline. Il en découle que l’approche interdisciplinaire est l’une des voix pertinentes pour penser, réaliser et réussir la politique de la diversité dans les musées Est-Africains. Formé en Europe, je constate, comme je l’ai déjà dit, que certaines pistes empruntées par les musées occidentaux s’avèrent aussi pertinentes pour l’Afrique. Il s’agit des pistes qui, à ma connaissance, peuvent fonctionner si elles sont adaptées à la situation sociale, culturelle et économique locale. C’est par exemple le passage de l’ethnologie à l’interdisciplinarité par le prisme des autres sciences ou disciplines : la prise en compte de l’art par exemple. Pour ce cas de l’art 8 , certains auteurs éclairent à ce sujet : la rencontre entre les musées et l’art est de plus en plus provoquée. De plus en plus, de musées n’étant pas à l’origine, dédiés à l’art font aujourd’hui des appels à la création artistique contemporaine ou en acquièrent des objets d’art qui disent quelque chose d’une société ou d’une époque. Cela permettrait de renouveler les savoirs, à transformer et à renommer les musées africains dits d’ethnologie ou d’ethnographies en musée des civilisations. En Europe ou ailleurs, notons que les musées qui conservent et exposent les objets d’origine africaine ont opté pour cette démarche artistique. Tel est le cas par exemple, des musées du Quai Branly, du Louvre, de Tervuren et bien d’autres. Concernant la prise en compte de l’art, des plasticiens, photographes, musiciens, vidéastes, acteurs, architectes peuvent être invités à intervenir dans les expositions et autres activités du musées » (MAZE 2013, p. 86). Outre la fonction d’exposition, notons que l’engagement interdisciplinaire d’un musée entraîne des bouleversements ou des réaménagements d’autres activités telles que celle de la recherche, la médiation et la conservation. Pour revenir à la question identitaire, André Gob9 éclaire sur la façon par laquelle un musée peut renouveler ou aborder la question de l’identité : « Le musée présente des apports diversifiés des groupes humains qui composent la société, les vagues 8 L’art peut intervenir à des fins interdisciplinaires. Il peut aussi intervenir à des fins de l’ouverture à la contemporanéité. 9 André Gob aborde la question identitaire dans les musées d’ethnographie régionale en Europe. 13 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 d’immigration successives, la richesse du métissage et son efficacité comme facteur de cohésion. L’identité ne se définit plus alors sur la base d’une ethnie d’un peuple, d’un groupe linguistique, d’une religion mais par rapport à une société qui habite aujourd’hui un lieu, une ville, une région » (GOB 2004, p. 55). Ainsi donc, le musée d’identité actuelle s’attache à prendre en compte la différenciation sociale comme un élément déterminant de la structure d’une société. Par exemple, l’utilisation de la technique du témoignage, dans l’exposition, rendue plus agréable par l’introduction des nouvelles technologies dans le musée, offre un excellent moyen d’approche (GOB 2004, p. 55). Serge Chaumier quant à lui souligne la difficulté pour un musée de dire l’identité ou d’aider à la préserver dès lors que celle-ci n’est plus perçue comme unique et immuable mais comme une figure sujette à élaboration permanente, en proie aux mutations (CHAUMIER 2000, p. 83113). Et pour Krzysztof Pomian de préciser ceci : « […] le musée d’ethnographie ne saurait se limiter à conserver pieusement les traces des différences culturelles en voie de disparition ou disparues déjà à tout jamais. Autant dire que son rôle ne saurait être seulement celui d’un haut lieu de la nostalgie, un temple du souvenir, voire celui d’un cimetière où l’on pleure la diversité perdue. Le musée doit aussi explorer le présent pour y lire les possibilités qu’il contient. Il doit se charger de repérer et d’identifier les différences culturelles en train de poindre. Il doit nous faire prendre conscience à la fois de ce que nous perdons et de ce que nous gagnons. Du vieux et du neuf, du passé et de l’avenir » (POMIAN 1996, p. 37-48). Claire Simard abonde dans le même sens en écrivant ceci10 : « Le musée contribue à construire une identité en devenir. Le musée d’identité ne serait être le reflet de quelque chose de donné, d’acquis. Et par sa capacité d’accueil, il peut servir à faciliter l’intégration des « nouveaux venus » et contribuer ainsi à la transformation permanente de l’identité à laquelle il se réfère. C’est une démarche toute différente de celle qui consiste à l’instrumentaliser au profit de la construction d’une identité projetée. Du musée racine, né de la crainte du cosmopolitisme, du modernisme et de la disparition d’un mode de vie rural « ancestral », au musée de société qui cherche à rencontrer les besoins de communautés davantage urbanisées et en perpétuelles mutations, l’institution muséale explore le champ complexe de l’identité collective. A une approche statique et conservatrice centrée sur l’autochtonie et l’exclusion, le musée tend à substituer aujourd’hui la vision ouverte d’une identité évolutive, marquée par des apports successifs des échanges et des immigrations » (SIMARD cité par GOB 2004, p. 5859). Les musées Est-africains peuvent ainsi prendre en compte d’autres cultures ou civilisations des pays proches ou éloignés car l’identité endogène s’est enrichie 10 Je défends que les pistes évoquées par ces différents auteurs peuvent être adaptées en Afrique. 14 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 d’influences ou des apports successifs 11 . Dans le cas contraire, André Gob, citant Krzysztof Pomian dit ceci : « Il s’agit de forger l’image d’une communauté homogène qui se construit seule contre les autres. Le mot identité implique à la fois unicité et similitude : cette identité-là est unique et les membres qui la composent sont les mêmes, sont identiques » (GOB 2010, p. 133). En Afrique orientale, les musées peuvent donc, pour emprunter l’expression d’André Gob, réactualiser leur propos en « poussant leurs racines aussi loin qu’il le faut dans le passé et surtout en étendant leurs centres d’intérêts jusqu’au contemporain, c’est-à-dire au XXIe siècle. Ceci se ferait par l’actualisation des thématiques12 et la collecte de nouvelles collections » (GOB 2010, p. 6). Autant pour prendre en compte la grande diversité d’origines des Africains d’aujourd’hui que pour mettre en évidences les relations fécondes – actuelles et anciennes – entre les peuples et les régions d’un espace qui déborde largement des frontières nationales, les muséologues et les conservateurs des musées africains peuvent opter pour un élargissement radical de l’envergure géographique des musées qui, aujourd’hui, nécessitent d’être actualisés ainsi que d’autres qui nécessitent d’être créés13. Loin de continuer à imposer un modèle identitaire ou d’expliquer aux visiteurs ce qu’ils doivent être, l’objectif de cette nouvelle approche est, d’une part, de proposer aux visiteurs, et plus largement aux habitants de l’Afrique orientale du XXIe siècle des pistes pour comprendre ce qu’ils sont et le lieu dans lequel ils vivent et d’autre part, d’« inviter les visiteurs à interpréter leur propre identité à partir des identités multiples. Une approche multiculturelle qui met en avant la diversité des cultures et, qui offre une palette riche de traits culturels, permettrait à chaque visiteur de se reconnaître dans son identité multiple » (GOB 2010, p. 152). Parlant de l’Europe, Serge Chaumier dit que la croyance dans l’identité a été le fait du XIXe siècle et qu’il est temps d’en déconstruire la croyance et en dépasser les 11 Avec l’instabilité ou les crises socio-politiques en Afrique, le phénomène migratoire est accentué. En Afrique orientale, les cas les plus récents sont ceux du Rwanda, Ouganda, Kenya, Tanzanie qui ont accueilli des milliers de réfugiés burundais et bien d’autres. Ceux-ci s’ajoutent aux immigrés issus du phénomène migratoire lointain. Pendant la période coloniale, les « Rwando-Urundais », Tanzaniens…partaient en Ouganda, le but étant principalement économique puisqu’ils devaient pouvoir payer l’impôt de capitation. Force est de constater qu’une bonne partie de ceux qui s’y rendaient s’y sont installés définitivement. 12 C’est-à-dire relier les thématiques existantes aux préoccupations actuelles. 13 Dans son ouvrage « Le musée une institution dépassée ? », cet auteur évoque les approches du Musée de Marseille et le Museum Europaischer de Berlin ainsi que la façon de faire de certains musées tels que le Museon Arlaten et le musée de l’Europe qui était projeté à Bruxelles. Les musées en Afrique qui, par ailleurs, portent (certains) encore le nom de « musée d’ethnographie », peuvent procéder de la même manière et faire des adaptions possibles. J’ai dit que certaines pratiques développées dans les pays occidentaux peuvent aussi fonctionner en Afrique. 15 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 enfermements (CHAUMIER 2014, p. 201). Pour le cas de l’Afrique, l’approche identitaire mise en scène par l’« Autre » dans un contexte colonial est à déconstruire en procédant ainsi par exemple : « donner à voir un visage dynamique et en transformation, d’un territoire en mutation et en perpétuel réinvention au lieu de consacrer une vision fixiste, accolée à des collections supposées rendre compte d’une réalité manifeste, et indiscutable pour le public, puisque incarnée dans les collections » (CHEVALLIER & FANLO 2013 cités par CHAUMIER 2001). Aussi, pour être au service de la société et de son développement ou rendre compte de l’évolution de celle-ci, l’application de la démarche suivante serait pertinente : « Insister sur le changement plutôt et non sur le permanent, sur la ressemblance à l’ailleurs et non sur la spécificité locale, montrer les ponts, relativiser l’inscription de chacun dans une identité en dévoilant combien l’individu moderne est inscrit dans une pluralité d’identités fabriquées d’emprunts, de métissages… » (CHEVALLIER & FANLO 2013 cités par CHAUMIER 2001). Si les musées ne prennent pas en compte les phénomènes migratoires, les immigrations, les mariages mixtes, les habitants de passage, etc., il semble légitime de les juger de musées exclusifs. 2. Vers la prise en compte du témoignage et du patrimoine culturel immatériel En prenant conscience de la crise de l’identité culturelle et de la perte de la diversité culturelle, il est nécessaire que les enjeux du patrimoine culturel immatériel soient pris en compte dans la politique culturelle ou du patrimoine. Leur revitalisation est d’une grande importance. Lorsqu’on parle de revitalisation, il ne faut pas seulement entendre le retour à des formes plus anciennes. Dans la perspective d’ouverture à la contemporanéité ou de la voie vers la modernité, l’on ne doit pas considérer le patrimoine culturel immatériel et l’art traditionnel comme « des fossiles devant être récupérés dans le passé. Au contraire, il est possible de leur rendre la vie qui leur donnait force dans le passé et créer de nouvelles formes, car toute culture évolue. Par exemple, l’artisanat évolue en même temps que l’évolution de la société et des besoins de celle-ci, de ses techniques et de ses matériaux » (JEONG-OK 2004, p. 81). Pour me focaliser sur l’Afrique orientale, il est intéressant que les musées de cette partie de l’Afrique s’engagent à la préservation et la valorisation de ce type de patrimoine et ceci en fonction de la politique culturelle développée par chaque pays de l’Afrique orientale. Cette particularité du patrimoine pose problème dans un musée habitué à une vision statique et instantanée des œuvres. Le rôle d’un musée peut être de conserver et de présenter les traces du patrimoine immatériel. Mais il est pertinent que chaque musée explore ses propres stratégies en fonction de ses objectifs, de sa politique patrimoniale voire de ses moyens. Pour le cas de l’Afrique orientale, il revient aux détenteurs de ce patrimoine de canaliser son 16 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 évolution, tout en évitant, dans une perspective de l’ouverture à la contemporanéité, de le figer dans un passé éternel. Les musées peuvent alors inventorier, conserver, exposer, étudier et transmettre le patrimoine culturel oral ou immatériel, au même titre que le patrimoine matériel. Le fait qu’il s’agit d’expressions et de manifestations vivantes, largement ancrées dans le présent, elles contribueraient parfaitement à l’ouverture à la contemporanéité. Les traces à muséaliser peuvent être de différentes natures : objets, témoignages, photographies et enregistrements. Étant donné que l’on peut avoir recours au patrimoine immatériel et aux témoignages selon les objectifs ou intentions de tel ou tel musée, le patrimoine culturel immatériel est convoqué pour « écrire le monde contemporain » (DROUGUET 2017, p. 152). Les musées africains peuvent procéder à la collecte d’objets de la vie courante ou d’aujourd’hui afin de les incorporer dans leurs collections existantes. De ce fait, ils seraient au service de la société actuelle ou de l’homme d’aujourd’hui. Par ailleurs, en s’engageant à l’usage du patrimoine culturel immatériel, ceci leur permettrait de traiter parfaitement les faits de société ou les enjeux actuels tels que les droits de l’homme, les élections, les conflits ethniques, les coups d’État, la mauvaise gouvernance, la diversité culturelle, l’environnement, l’immigration… Le recours au patrimoine immatériel, invite donc à se questionner sur la façon d’aborder le présent et à adopter un regard contemporain. Il faut aussi souligner que les musées africains restent silencieux sur les sujets douloureux tels que la colonisation et l’esclavage. Ces musées peuvent recourir au patrimoine immatériel et aux témoignages pour aborder ces sujets avec un regard actualisé. La colonisation et l’esclavage sont aujourd’hui, des faits historiques ; ils font partie du passé. Mais leurs conséquences sont toujours d’actualité. Ce sont elles que les témoignages peuvent révéler. Ces musées qui sont habitués à aborder des événements ou phénomènes du passé peuvent, dès lors, s’en détacher pour s’engager à traiter des thématiques diversifiées et complexes, sensibles et contemporaines. Pour y parvenir, ils peuvent « donner la parole à ceux qui vivent les différentes manifestations, aux porteurs de traditions, aux détenteurs de savoir-faire » (DROUGUET 2017, p. 152). En principe, l’incorporation aux collections et aux expositions des témoignages qui attestent d’une réalité vécue est l’une des voies parmi d’autres par lesquelles les musées africains peuvent emprunter pour s’ouvrir à la contemporanéité et à la diversité. Dans un musée ou dans une exposition, le patrimoine immatériel et le témoignage peuvent être utilisés à des fins multiples. L’intégration du témoignage dans une 17 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 exposition peut correspondre à une tentative de rendre compte de la complexité à des fins sociales, culturelles et politiques – ou de certaines problématiques (la colonisation, la guerre, esclavage, etc.) – en donnant la parole à des personnes qui ont des points de vue ou des opinions différentes (DROUGUET 2015, p. 171). Il y a lieu aussi d’avoir recours aux témoignages dans le but d’actualiser les thématiques car aux témoignages historiques portant sur les différents sujets, on peut ajouter les témoignages actuels y relatifs. Le témoignage peut aussi être mobilisé pour proposer une représentation de la diversité des cultures et des communautés. A propos de l’engagement à la collecte et à l’exposition des témoignages ou du patrimoine immatériel, le processus doit être dicté par le contexte, les objectifs et la politique de tout musée qui s’y engage. C’est par ailleurs une manière de perpétuer la tradition orale. « L’oralité en tant que véhicule de la transmission de la tradition est porteuse de la totalité des significations propres à une culture orale et joue un rôle social. A travers la parole, une tradition faite des connaissances, des valeurs et des modèles culturels d’un groupe social se transmet d’une génération à une autre. Interrompre la tradition peut provoquer la rupture d’un groupe social ; elle est le ciment qui lie les éléments constitutifs du patrimoine culturel autochtone » (FIORIO 2006, p. 69-70). Outre que la tradition orale produit ou traduit l’identité culturelle, elle peut aussi contribuer à l’actualisation des « choses » du passé. Tout ce que la tradition orale actualise – récits historiques, mythes, contes, poèmes, proverbes, devinettes, énigmes, historiettes, berceuses, chants, formules rituelles, discours coutumiers, récits biographiques, explications techniques, etc. – implique une transmission du passé dans un contexte formel de continuité. L’ensemble des messages qu’un groupe social considère comme significatifs pour sa propre continuité dans le temps confère à la collectivité ses caractéristiques particulières, en lui permettant de se distinguer des autres réalités qui l’entourent. Dans la narration d’un conte par exemple, c’est l’aspect divertissant et pédagogique qui est pris en compte ; dans l’exposé d’un récit, c’est plutôt la sauvegarde du savoir traditionnel qui est mise en œuvre. Le propre du narrateur du récit historique, c’est d’actualiser la parole traditionnelle apprise par l’ancêtre et de la rendre à son tour (FIORIO 2006, p. 64-70). Concernant la transmission de la parole, il faut aussi considérer le contexte dans lequel s’effectue l’échange. La narration en général est réglée par des normes restrictives concernant le temps, le lieu et, dans certains cas, les personnes qui peuvent y assister, ce qui dénote soit l’importance sociale de la tradition orale, soit son rôle dans la vie de la société et dans la transmission de la connaissance. En pays Tupuri (Tchad) par exemple, 18 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 les restrictions sont essentiellement liées au temps de la narration, mais aussi au lieu de la narration et aux intervenants. Reprenons, à titre d’exemple, les narrations d’un conte et d’un récit historique : la narration d’un conte est restreinte aux mois de mars, avril et mai, correspondant à la période très chaude et sèche qui précède la saison des pluies. Tout le monde (femmes, hommes, enfants, jeunes) narre des contes à partir du jour du sacrifice au « génie de l’eau » (barkage) au bord du fleuve Mbarli (FIORIO 2006, p. 65). Le recours au passé en tant que dépositaire d’un savoir ancien hérité des ancêtres, détermine la suite du récit. L’explication des « choses du passé » s’appuie sur l’emploi systématique d’un lexique particulier riche en notions culturelles, témoignage d’un acte de transmission complexe qui doit considérer, soit l’héritage historique, soit l’innovation produite par la modernité. Mais l’aspect le plus innovant de la tradition Tupuri (ici donné comme exemple) se manifeste en particulier par l’acceptation de significations récentes et contextuelles dans un lexique catégorisé. Le dépositaire de la tradition devient alors l’intermédiaire entre les savoirs définis comme traditionnels et ceux plus contemporains. On peut alors considérer que la narration du récit témoigne de la volonté de préserver l’identité culturelle du peuple autant que de l’adapter au changement (FIORIO 2006, p. 65). A la lecture de ce qui précède, les musées Est-Africains peuvent s’engager au patrimoine immatériel non seulement pour le préserver ou transmettre les connaissances, mais aussi pour en faire usage à des fins d’ouverture à la contemporanéité et rendre compte de la société et de son évolution. Je note aussi que l’on peut s’engager à la contemporanéité par l’art contemporain. La combinaison possible de plusieurs collections (art contemporain, objets contemporains, témoignages et patrimoine oral et immatériel, collections historiques ou ethnographiques requalifiées) constitue une stratégie muséographique que les gestionnaires des musées peuvent mettre en place pour transformer les musées ethnographiques afin de mener à bien leurs objectifs institutionnels marqués par un discours multiculturel. Aussi, les aspects ci-haut traités, tels que la reconsidération disciplinaire, identitaire, territoriale, la mobilisation de plusieurs sortes de collections, ne sont que des moyens pour arriver à un objectif : passer du musée ethnologique ou ethnographique 14 au musée de la diversité où la diversité et le multiculturalisme 15 Il faut noter que la déconstruction du musée ethnographique ne doit pas être le seul objectif. Un autre objectif de décolonisation du système occidental de musée qui devrait préoccuper les responsables des musées africains devrait être « la reformulation des récits muséaux ou expositifs à travers les contacts entre les cultures » (VAN GEERT 2020, p. 154). C’est-à-dire que les musées pensés autrement doivent présenter à la fois le monde extérieur et la diversité interne. Étant donné que l’identité se construit tout au long de la vie, ces musées doivent actuellement dépasser l’identification par l’ethnie. Ils devraient être attentifs aux nouveaux éléments d’identifications pour les prendre en compte dans les récits expositifs. L’autre objectif de 14 19 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 introduisent à la visite. Ce sont aussi des moyens ou des pistes pour résoudre une problématique : le fait que les musées d’ethnographie ne sont plus en cohérence avec la société africaine d’aujourd’hui et de l’homme d’aujourd’hui. La nécessité de la transformation des musées Est-Africains se justifie dans ce contexte. Somme toute, cette transformation est liée à l’inefficacité 16 des musées coloniaux devenus musées d’ethnographies nationales après les Indépendances des pays africains. L’engagement dans la diversité et contemporanéité affectera sans doute l’ensemble des sphères politiques, sociales et économiques et muséales, particulièrement quant à l’interprétation et l’exposition des collections ethnographiques voire toutes les activités du musée. En effet, l’approche de la diversité et de la contemporanéité doit constituer la principale cause de profondes transformations institutionnelles mais aussi de nouvelles pratiques muséographiques, tant dans les grands musées nationaux implantés dans les capitales nationales que dans les musées de moyennes et petites villes, ainsi que dans les nouveaux types de musées qui nécessitent d’être créés. L’on peut souligner que la diversité doit d’abord être une volonté ou un projet politique. Dans cette perspective, les musées en Afrique orientale ne feraient qu’accompagner cette volonté. Selon les contextes, les musées joueraient, en effet, un rôle important dans la représentation, au sein des expositions, d’une identité nationale plurielle (KARP & LAVINE cités par VAN GEERT 2020, p. 94) à partir de leurs spécificités d’être des espaces symboliques de représentation de la société, mais aussi des lieux de diffusion de valeurs, civiques et morales (BENNETT cité par VAN GEERT 2020, p. 94). Ces institutions permettraient ensuite d’encourager l’acceptation de la diversité culturelle (MACDONALD & FYFE cités par VAN GEERT 2020, p. 94), devenant de la sorte des acteurs majeurs dans la construction d’une nouvelle société multiculturelle (WATSON cité par VAN GEERT 2020, p. 94) où les gens sont stimulés à devenir des citoyens responsables dans un monde globalisé (GRYSEELS cité par VAN GEERT 2020, p. 94). Cependant, je ne défends pas que les musées de l’Afrique anglophone (musées ougandais et kenyans) et ceux de l’Afrique francophone (musées burundais et rwandais) doivent adopter les mêmes principes ou démarches dans ce projet lié à la notion d’identité et à l’ouverture à la contemporanéité. Les logiques de la mise en application d’un tel projet dépendraient donc des caractéristiques, spécificités et particularités de chaque nation. renouvellement des musées concerne la mise en valeur de la diversité culturelle des êtres humains (une diversité qui n’est pas fondée sur les ethnies). 15 Le multiculturalisme est pris comme un filtre de la diversité (VAN GEERT 2020, op. cit., p. 54). 16 Il s’agit de l’inefficacité par rapport au fait de se positionner comme des musées au service de la société et de son développement. 20 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 Bibliographie CAPPART Kim, Comment la scénographie d’exposition peut aider à sensibiliser les publics sur des problématiques contemporaines dans un musée de société ? Le cas de Mucem, Mémoire de Master, École Supérieure des Arts Saint-Luc Bruxelles, 2016. CASSIN Barbara & WOZNY Danièle (dir.), 2014, Les intraduisibles du patrimoine en Afrique subsaharienne, Paris, Éditions Demopolis. 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Actes du colloque ICOFOM à Krasnoyarsk, ICOFOM staty Series-ISS33, München, p. 51-59. 21 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 HAMADY Bocoum, 2018 : « Les grandes lignes du projet de musée des civilisations noirs à Dakar : nouvelles conceptions muséographiques », In HAMADY Bocoum, CREMIERE Cédric & FEAU Étienne (dir.), Vers le musée africain du XXIe Siècle : ouverture et coopération, MkF éditions, p. 120-135. JEONG-OK Kim, 2004 : « Les problématiques du patrimoine culturel immatériel en Corée », Babel, Le patrimoine culturel immatériel. Les enjeux, les problématiques, les pratiques, International de l’imaginaire, Nouvelle série, n° 17, Maison des cultures du monde, p. 80-82. MAZE Camile, 2013 : « Le musée comme lieu de savoir », In CHEVALLIER Denis et FANLO Aude (dir.), Métamorphoses des musées de société, Paris, La documentation française, p. 77-94. 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Notice biographique Edouard Nzoyihera est Docteur en histoire, histoire de l’art et archéologie, option muséologie (Université de Liège). Il a enseigné à l’Université nationale du Burundi. Ses recherches actuelles portent sur la réinvention des systèmes muséaux et l’expérimentation de nouveaux types de musées. Contact : edynzoyihe18@gmail.com 22 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Isabelle ALGRAIN Exposer l’humanité. Les musées d’archéologie face à la problématique du genre, entre surexposition des hommes et sousexposition des femmes. Réflexions à partir de l’Espagne et de la Belgique. Mots clés : musées d’archéologie, genre, stéréotypes. Keywords : archaeological museums, gender, stereotypes. Introduction La naissance de l’archéologie du genre est liée aux développements théoriques des études féministes et aux mouvements sociaux de la deuxième vague féministe axés sur les luttes pour les droits reproductifs, la sexualité, le travail et la famille (ALGRAIN & MARY, à paraître). Dès les années 1970, et surtout dans les années 1980, on peut progressivement voir cette influence percoler dans le domaine de l’archéologie, en particulier aux ÉtatsUnis et en Norvège. Les premiers articles entremêlant les thèmes de l’archéologie et du féminisme sont surtout des critiques des conditions de travail et de la domination masculine au sein de la profession, des réflexions sur le manque de représentation féminine dans les salles d’exposition des musées et une critique de l’androcentrisme qui imprègne les interprétations du passé dans les publications (SØRENSEN 2000)1. La notion de « genre » fait son entrée dans la théorie archéologique en 1984 avec un article de Margaret W. Conkey et Janet D. Spector (CONKEY & SPECTOR 1984) et montre que cette donnée est non seulement essentielle pour comprendre notre vie sociale et notre identité dans le présent mais également pour analyser et comprendre le passé. Mais qu’est-ce que le genre ? Dans les sociétés occidentales, le système sexe/genre a longtemps et est encore majoritairement envisagé de manière strictement binaire. Le sexe est présenté comme une 1 Les recherches menées sur les questions de genre sont régulièrement épinglées comme étant militantes et non scientifiques. Pour une bibliographie sur l’impossibilité d’une démarche neutre et la subjectivité scientifique, nous renvoyons à ALGRAIN & MARY à paraître. Sur cette question, voir également ELIAS 1993. 23 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 catégorie biologique, immuable et universelle, dans laquelle les individus sont classés en deux groupes (« homme » / « femme »). Le genre est défini comme « un système de bicatégorisation hiérarchisé entre les sexes et entre les valeurs et représentations qui leur sont associées » (BERENI et al. 2020). Quatre dimensions analytiques viennent compléter cette définition. 1) Le genre est une construction sociale qui n’est pas universelle et immuable mais varie selon les époques et les lieux. 2) Le genre est un processus relationnel et son étude nécessite de prendre en compte les relations entre les individus et les groupes d’individus, par exemple entre les femmes et les hommes. 3) Le genre est un rapport de pouvoir et implique l’existence d’une relation asymétrique et hiérarchique entre les femmes et les hommes (HERITIER 1996). 4) Le genre est imbriqué dans d’autres rapports de pouvoir et les catégories « femmes » et « hommes » ne sont pas homogènes. Les rapports de genre vont donc s’imbriquer dans des rapports de classe, de race, d’âge, de sexualité, d’état de santé, d’appartenance religieuse etc. qui vont se conjuguer et produire des rapports de domination spécifiques (intersectionnalité) (CRENSHAW 1989 ; 1991). Dans le domaine de l’archéologie, la question de l’égalité investit aussi dès les années 1980 la thématique des représentations de femmes, que ce soit dans les publications, les outils de vulgarisation scientifique ou plus particulièrement dans les musées d’archéologie. Le Royaume-Uni, les États-Unis, la Norvège, l’Allemagne ou encore l’Espagne sont parmi les premiers pays à s’être lancés dans cette réflexion autour de l’archéologie du genre. À l’heure actuelle, en matière d’intégration du genre dans les musées d’archéologie, l’Espagne domine largement la recherche. Les recherches menées sur ce sujet spécifique se sont attachées aux stéréotypes et aux biais imprégnant les expositions, permanentes ou temporaires, lorsqu’elles abordent le rôle des femmes dans les sociétés anciennes2. Les chercheuses et conservatrices ont également proposé des solutions originales pour pallier ce manque de visibilité des femmes et pour offrir une vision plus nuancée des relations sociales dans les sociétés anciennes. Ces études et ces propositions s’insèrent dans le cadre plus vaste des recherches menées sur le genre en muséologie (par exemple LEVIN 2010 ; ADAIR & LEVIN 2020 ; ASSOCIATION MUSE.E.S 2022). Elles répondent également aux préoccupations de l’ICOM qui a, entre autres, adopté en 2013 la résolution n° 4 intitulée « Musées, intégration des questions d’égalité entre les sexes et inclusion ». Celle-ci recommande aux musées d’analyser « les récits racontés sous l’angle de l’égalité hommefemme », de travailler en concertation avec le public « afin de mettre en place une politique d’égalité entre les sexes » et d’utiliser une perspective intersectionnelle « afin de 2 Les institutions muséales ont pourtant un personnel fortement féminisé, cf. IZQUIERDO PERAILE 2017. 24 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 concrétiser l’approche inclusive dans les musées » (ICOM 2013 ; voir aussi ICOM 2016, résolution n° 2 et SANZ 2017). Dans cet article, nous ferons un bref tour d’horizon des recherches menées sur la question du genre et sur la représentativité des femmes et des groupes minoritaires dans les musées archéologiques, en particulier en Espagne. En utilisant ces questionnements comme point de départ, nous nous pencherons sur une étude de cas, à savoir la représentativité des femmes et des hommes au sein de la Galerie de l’Homme au Muséum des Sciences naturelles de Bruxelles. Nous présenterons enfin quelques-unes des initiatives menées par les chercheuses et conservatrices espagnoles dans le but de construire des musées plus inclusifs. 1. Les musées d’archéologie : une interprétation sexiste du passé ? Au sein d’un musée, la collection archéologique est utilisée pour raconter une histoire. Une histoire qui est le plus souvent fabriquée par la recherche3 – car les objets en euxmêmes sont dénués de signification – et qui est le plus souvent le reflet des normes sociales et de la culture dominantes d’une part, et de l’intérêt des conservateurs pour certains thèmes d’autre part (IZQUIERDO PERAILE 2014, p. 18 ; DIONISIO RECHENA 2016, p. 56). Le conservateur donne un sens aux objets et peut donc conforter le visiteur dans ses stéréotypes ou peut l’amener à les questionner. « Nous considérons que les visiteurs interprètent une exposition muséale avec le cadre mental de référence dont ils disposent, un cadre qui se forme dans le processus de socialisation et d’apprentissage. La plupart des musées confirment ce cadre de référence, contribuant à ratifier les stéréotypes de genre et les préjugés que les visiteurs avaient déjà avant d’entrer en contact avec les expositions. […] Le langage utilisé dans les expositions a le pouvoir de valider les stéréotypes et préjugés actuels à l’égard des femmes 4 » (DIONISIO RECHENA 2016, p. 56-57 ; voir aussi TYBURCZY 2016). Dans le passé, cette subjectivité inhérente aux chercheurs et aux conservateurs a présidé à la constitution des collections muséales et au choix des objets présentés dans les salles d’exposition. L’histoire construite à partir des objets a souvent été une histoire masculine. Longtemps, on a eu une tendance à considérer que la plus grande part de la culture matérielle avait été produite par les hommes et, à partir de cette vision, les visiteurs ont 3 Nous utilisons délibérément le terme « fabrication » en référence au travail de TYBURCZY 2016 qui parle de la fabrication du sens qui se fait au sein des musées à partir des objets (meaning making). 4 Toutes les citations ont été traduites par l’autrice. 25 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 été amenés à déduire la supériorité des hommes sur les femmes et à croire que les hommes ont été les seuls protagonistes et les seuls « moteurs » de l’Histoire. Dans les musées, les hommes, « porteurs » de la narration, sont les acteurs et les sujets principaux de l’histoire tandis que les femmes ont souvent un rôle ornemental et ne sont pas essentielles pour la compréhension du sujet (PRADOS TORREIRA 2016, p. 18-19 ; SANCHEZ ROMERO 2016, p. 28-29 ; SØRENSEN 2000). Cette focalisation sur le rôle et les activités des hommes a non seulement occulté les femmes mais d’autres groupes constitutifs des sociétés anciennes comme les enfants, les jeunes, les personnes âgées, ou encore des groupes qui ont laissé peu de traces archéologiques à l’image des esclaves ou des catégories sociales les plus pauvres. Les raisons qui ont mené à une sous-représentation, voire à une gynopie, c’est-à-dire à une invisibilité des femmes dans les musées d’archéologie, ont depuis longtemps été identifiées et sont multiples (MACEIRA-OCHOA 2017). On a noté l’androcentrisme scientifique qui implique de se concentrer uniquement sur le point de vue des hommes, ou le binarisme créant des oppositions du type féminin/masculin, privé/public et qui préside à la hiérarchisation des sexes. D’autres facteurs ont également joué un rôle comme le sexisme linguistique présent sur les panneaux et les cartels, la résistance au changement de méthodologie produit par l’introduction d’une perspective de genre dans la muséologie, la tendance à oublier que les relations de genre et les rôles de genre ne sont pas immuables, mais changent selon les époques et les régions (DIONISIO RECHENA 2016, p. 58-59). 1.1. Le choix des objets Le choix des objets exposés dans les salles des musées est prépondérant pour construire un discours sur le passé. Certaines activités communément associées aux femmes ont laissé peu de traces archéologiques et sont donc souvent peu présentes dans les vitrines à l’instar de la vannerie ou du travail du textile ou d’autres activités de maintenance. Souvent, c’est également parce que les objets associés à la vie quotidienne et aux activités dites féminines sont moins prestigieux et/ou réalisés dans des matériaux moins précieux. On retrouvera plus aisément dans les vitrines des objets associés à l’univers masculin, comme des armes métalliques et des haches polies, plutôt que de la céramique de cuisine (SØRENSEN 2000, p. 32-34)5. Il est donc primordial de « faire parler » les objets qui sont dans 5 SØRENSEN dans son ouvrage paru en 2000 recense de nombreuses études qui traitent de cette question. Pour des données plus approfondies, je renvoie donc à cet ouvrage. Pour un état des lieux plus récent, voir IZQUIERDO PERAILE 2017. 26 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 les collections muséales à propos des groupes qui sont fréquemment les moins privilégiés à savoir les femmes, les personnes âgées et les enfants (PRADOS TORREIRA 2016, p. 22). En projetant le présent – et ses stéréotypes – sur le passé et en reflétant peu la diversité de nos sociétés, la conséquence est de rendre les femmes, ainsi que les autres groupes minoritaires, invisibles ou d’attribuer peu de valeur aux activités qui leur sont associées. Les objets dans les collections qui sont supposément fabriqués par les hommes sont ainsi exposés de manière répétée sans qu’il y ait la moindre remise en question sur le fait que ces objets ont bien été produits par des hommes. L’exemple du matériel lithique des périodes préhistoriques est en cela intéressant car aucune preuve scientifique ne permet d’identifier le sexe ou l’âge de la personne qui l’a réalisé. Il est « traditionnellement » admis – et cette tradition produit des stéréotypes androcentriques – depuis le XIXe siècle que ces outils sont fabriqués par des hommes alors qu’il est probable que chaque individu devait produire ses propres outils, comme le montrent les exemples ethnographiques (PRADOS TORREIRA 2017, p. 32). D’autres stéréotypes récurrents concernent par exemple l’absence des femmes de thèmes comme la chasse durant la préhistoire alors que l’on sait que la coopération était essentielle pour la survie du groupe, ce qui impliquait notamment un travail collectif lors du dépeçage des animaux6 (PRADOS TORREIRA 2016, p. 18 ; MACEIRAOCHOA 2017, p. 78). Par ailleurs, les espaces dédiés aux femmes dans les musées archéologiques sont souvent limités (SØRENSEN 2000, p. 32-34). Sont mentionnées au travers des objets leur présence dans les espaces domestiques et leurs tâches liées au care et à la subsistance du groupe. Ces « activités de maintenance » regroupant le soin et l’éducation des enfants et des personnes âgées, la fabrication des textiles et la vannerie, la transformation et la préparation de la nourriture, etc., pourtant essentielles, ne sont pas considérées comme ayant de l’importance, ou à tout le moins comme ayant une importance égale aux activités masculines (PRADOS TORREIRA 2016, p. 18). L’insistance sur le modèle de la « femme au foyer », enfermée dans l’espace domestique où elle prend soin des siens, procède d’un phénomène d’iconisation et de stéréotypisation (MACEIRA-OCHOA 2017, p. 83) : le musée renforce auprès du public le stéréotype, créé par les archéologues dès le XIXe siècle, selon lequel la place des femmes a de tous temps été à la maison et qu’elles ne participaient pas avec les hommes aux activités extérieures. 6 Le stéréotype de la chasse préhistorique masculine trouve, notamment, sa source dans le livre de Charles Darwin, La Filiation de l’homme et la Sélection liée au sexe publié en 1871. L’auteur y assène comme une vérité scientifique irréfutable une différence dans les facultés intellectuelles des deux sexes, évidemment à l’avantage de l’homme. La chasse, une activité exclusivement masculine selon Darwin, serait un facteur clé du processus d’hominisation et aurait contribué à l’évolution de la taille du cerveau cf. QUEROL 2017, p. 57. 27 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 À cela s’ajoute la « sur-spécificité », un mécanisme sexiste dans la construction des savoirs qui consiste à présenter des attitudes ou des tâches qui pourraient être à la fois masculines et féminines comme spécifiques à un seul sexe (MACEIRA-OCHOA 2017, p. 80-81). Par exemple, la participation des femmes n’a pendant très longtemps pas été envisagée pour la réalisation des peintures rupestres du Paléolithique en raison d’une tendance à considérer que la plus grande part de la culture matérielle – et en particulier l’art – a été produite par les hommes (PRADOS TORREIRA 2016, p. 18). Mais dans le cas des peintures paléolithiques, cette division entre les associations homme/art et femmes/artisanat est remise en question de manière fréquente depuis le début des années 2010. L’affiche de l’exposition Arte sin artistas. Una mirada al Paleolítico (18 décembre 2012 – 7 avril 2013), au Museo Arqueológico Regional de Madrid, a suscité une vive controverse dans la sphère scientifique car elle montrait une femme du Paléolithique avec deux jeunes enfants en train de peindre le plafond de la grotte d’Altamira7 (ESCOBAR GARCIA & BAQUEDANO PEREZ 2016, p. 136-137). Des critiques non fondées car l’argument selon lequel rien ne prouve que les femmes aient peint les grottes peut être retourné : aucun élément scientifique ne prouve que ce sont exclusivement des hommes qui les ont peintes. Des études récentes sur les empreintes négatives laissées par les individus du Paléolithique indiquent au contraire la participation d’hommes et de femmes dans leur réalisation (SNOW 2013). La présentation binaire des objets féminins vs des objets masculins peut également être questionnée, en particulier pour les sociétés comprenant plus de deux genres. C’est par exemple le cas dans les populations d’Amérique du Nord où l’on retrouve des two-spirit, dans la Chine impériale et pendant l’époque byzantine où les eunuques constituent un troisième genre (ALGRAIN 2021). Luz Maceira-Ochoa signale par exemple que le Museo Nacional de Antropología de México, dans les salles consacrées aux cultures d’Oaxaca, ne mentionne pas l’existence d’un troisième genre pourtant présent dès avant la colonisation et toujours représenté par les muxe chez les Zapotèques (MACEIRA-OCHOA 2017, p. 75-76). La diversité des systèmes sexe/genre et des sexualités nécessite une reconnaissance de la part des musées car l’éducation à l’égalité passe, entre autres, par une reconnaissance du caractère changeant du genre. Les politiques nationales et les attitudes envers le genre, le sexe et la sexualité imprègnent certains musées et peuvent contribuer aux discriminations ou à l’invisibilisation des femmes et des groupes minoritaires, notamment issus de la communauté LGBTQIA+ (TYBURCZY 2016 ; LEVIN 2020). Par exemple, le Museum of Fine Arts de Boston accueille la 7 Le visuel est également utilisé sur la brochure de présentation de l’exposition disponible sur le site du musée : https://tinyurl.com/2p99wfmz. 28 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 plus importante collection de vases grecs décorés de scènes érotiques, réunie par Edward Perry Warren (1860-1928), un riche mécène qui vivait ouvertement son homosexualité et qui les a donnés au musée de son vivant. Ces vases ont été exposés à partir de 1964 sans que l’on note de protestations de la part du public et c’est à cette occasion que les surpeints cachant les sexes en érection des personnages furent enlevés (VERMEULE 1969). Dans la nouvelle muséographie, seul l’un de ces nombreux vases, décoré d’une scène érotique hétérosexuelle, est encore présenté au public. Les autres vases, et notamment les scènes homosexuelles, sont remisés dans les réserves (THOMPSON 2022). On peut se demander si un certain puritanisme, voire une certaine forme de censure, n’a pas présidé au réaménagement des salles présentant les collections de vases grecs du musée, réouvertes au public en décembre 2021. La censure dissimulée (covert censorship selon KATZ 2018) ou censure implicite (implicit censorship selon BUTLER 1997) qualifie le fait de ne pas exposer certains objets ou œuvres d’art, ou d’ajouter au cartel de certaines pièces ou à l’entrée de certaines salles une précision sur le caractère potentiellement « offensant » de celles-ci, car elles ne correspondent tout simplement pas à la culture hétéronormative dominante et renvoient aux sexualités LGBTQIA+ (TYBURCZY 2016, p. 101-124). On rappellera toutefois que « les collections […] doivent faire réfléchir le visiteur, l’aider à formuler de nouvelles questions et participer au processus de connaissance collective. Si ces collections rendent invisible la moitié de la population et ne donnent la parole qu’à des éléments considérés comme masculins et – en général, appartenant à des groupes puissants –, le musée transmettra un discours biaisé et non scientifique. Il ne s’agit donc pas de renoncer à la rigueur archéologique, ni de falsifier ou d’idéaliser le passé […], il s’agit de créer un discours non exclusif qui nous parle d’une réalité plus complexe et moins linéaire, qui permet de rendre les femmes visibles » (PRADOS TORREIRA 2017, p. 31). Cela concerne également les groupes minoritaires et les personnes LGBTQIA+. 1.2. Le poids des textes et des images Les appellations du type « l’homme préhistorique », « l’homme de Cro-Magnon », « la galerie de l’Homme », etc. utilisées sur les panneaux et les cartels sont fréquentes dans les musées. Or, l’usage universel du masculin supposé désigner les deux sexes est loin d’être neutre. Au contraire, ces formulations tendent à effacer les femmes de la narration car, pour le public, le sujet de l’action reste masculin (ARGELES, PIQUE & VILA 1991 ; PRADOS TORREIRA 2016, p. 24-25 ; PRADOS TORREIRA 2017, p. 33-34 ; MACEIRA-OCHOA 2017, p. 7880). Ce mécanisme est important car il peut contribuer à renforcer les stéréotypes de genre : « quand l’Histoire se fait au masculin, les femmes du passé deviennent inexistantes 29 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 et l’opposition classique et néfaste entre le masculin visible et actif, et le féminin invisible et passif se renforce » (QUEROL 2017, p. 53-54). L’utilisation d’un langage inclusif est cependant facile à mettre en œuvre et d’autres formules existent pour désigner « l’évolution de l’humanité », « le genre humain », « les populations préhistoriques », etc. Les langues comme le français ou l’espagnol rendent cet exercice un peu plus compliqué qu’en anglais par exemple, car leur grammaire comprend les genres masculin et féminin. Ces deux langues regorgent néanmoins de vocabulaire épicène, ce qui permet de résoudre la question du genre des mots. L’évocation de différents groupes humains s’échelonnant sur plusieurs millions d’années avec les artefacts qui leur sont associés sont la norme dans les musées consacrés à la Préhistoire. Le Musée d’Altamira en Espagne a affiché une politique progressiste face aux questions de genre lors de la rénovation de l’institution au début des années 2000. L’équipe du musée a délibérément choisi d’utiliser, à chaque fois, un homme et une femme dans ses illustrations à taille humaine de quatre représentants du genre humain (Homo habilis, Homo heidelbergensis, Homo neanderthalensis et Homo sapiens). Malgré tout, le nombre de représentations d’hommes reste supérieur à celles des femmes au sein des salles d’exposition du Musée d’Altamira (FATAS MONFORTE & MARTINEZ LLANO 2016). Cette situation est loin d’être inhabituelle. Maria Ángeles Querol Fernández a étudié les illustrations utilisées dans six musées espagnols réaménagés ou créés après 2000, plus précisément les scènes où au moins deux personnages interagissent (que ce soient des dessins, des vidéos, des BD éducatives, etc.). La proportion la plus élevée de représentations féminines est de 33% pour le Musée d’Almeria. Mais, même si de nombreuses femmes sont représentées, seules 50% sont debout et 28% sont à genoux pour effectuer diverses tâches dans ce que Querol Fernández qualifie de « position d’humiliation totale issue de l’idéologie artistique » alors que les hommes représentés dans cette position ne sont que 10% (QUEROL FERNANDEZ 2016, p. 48). Les tâches réalisées par les femmes sur ces images sont peu diversifiées et sont liées à la cuisine et au care mais, de manière paradoxale, peu à l’artisanat (seulement 15%). Un phénomène de sexualisation des personnages féminins peut également apparaître dans les illustrations (PRADOS TORREIRA 2017, p. 35-36). 2. Un exemple belge Concevoir un message cohérent et inclusif, aussi bien dans le texte que dans les illustrations est essentiel. Nous avons analysé la muséographie de la Galerie de l’Homme du Muséum des Sciences naturelles de Bruxelles, dont l’inauguration date de 2015. Il ne 30 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 s’agit pas d’un musée d’archéologie mais une partie de ses collections dédiées à l’évolution humaine trouve des similitudes avec les présentations que l’on retrouve fréquemment dans les musées ou les galeries consacrées à la Préhistoire. « La Galerie de l’Homme » dont le nom est traduit en néerlandais « De Galerij van de mens », en allemand « Die Galerie des Menschen » et en anglais « The Gallery of Humankind » comporte des originaux et des reproductions de squelettes de différentes espèces humaines et préhumaines et quelques artéfacts (pierres taillées). À l’exception du français, toutes les langues utilisées pour nommer cette galerie renvoient à la notion d’humanité, beaucoup plus neutre que le terme « homme ». L’illustration placée à son entrée comprend sept personnages appartenant à différentes espèces humaines, parmi lesquelles quatre femmes (fig. 1). Pour expliquer l’illustration de l’affiche, le site web du musée précise que ce dernier souhaitait « casser les clichés » liés à l’évolution humaine : « Et tant que nous y étions, nous avons choisi de casser un dernier cliché en utilisant aussi des femmes pour illustrer l’évolution de l’Homme8 ! ». L’effort iconographique est louable mais la persistance de l’utilisation du mot « Homme » pour renvoyer à l’ensemble de l’humanité rend celui-ci quelque peu bancal. Figure 1 – Affiche placée à l’entrée de la Galerie de l’Homme, Muséum des Sciences Naturelles à Bruxelles. Photo : Isabelle Algrain, avec l’autorisation du Muséum. 8 NATURAL SCIENCES [en ligne], disponible sur : https://www.naturalsciences.be/fr/museum/exhibitionsview/771/2762/697 (consulté le 9 juillet 2022). 31 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Homme 28 Renvoi au masculin : Homme 8 42,55% Mâle 4 Femme 0 Renvoi au féminin : Femelle 3 3,19% Humain (nom) 20 Neutre : Humain (adjectif) 20 54,26% Préhumain (nom) 11 Figure 2 – Tableau recensant les termes génériques utilisés pour qualifier les êtres humains et préhumains dans les textes muséaux de la Galerie de l’Homme, Muséum des Sciences Naturelles à Bruxelles. De plus, dans les 75 textes muséaux déployés à l’horizontale sur des tables, à côté des vitrines (cartels, textes explicatifs), le nombre d’occurrences des termes génériques utilisés pour qualifier les êtres humains et préhumains est à plus de 54% neutre mais renvoie au masculin dans plus de 42% des cas (fig. 2). La mention spécifique du féminin est limitée à 3%. La plupart des textes sont écrits à la troisième personne du singulier et au masculin, et les femmes ou les mentions du féminin en sont presque absentes. Le résultat n’est pas neutre puisque les termes utilisés pour qualifier les préhumains et humains renvoient à des qualités traditionnellement associées au masculin. Alors qu’un mâle et une femelle de l’espèce Paranthropus boisei sont présentés sous forme de sculptures, le titre d’un des panneaux expliquant les différences de statures entre les sexes s’intitule « Des mâles costauds ». L’Homo erectus est un « explorateur », l’Homo heidelbergensis est un « grand gaillard costaud » (rien n’indique si la femme de cette espèce est elle aussi une grande gaillarde costaude ou une petite créature chétive) et l’Homo sapiens est « conquérant ». L’Australopithecus garhi « aurait-il pu utiliser des outils rudimentaires ? » et l’Homo habilis est-il « le premier artisan ? ». Paradoxalement, alors que les écrans tactiles permettant d’en savoir plus sur chaque espèce montrent sur la page d’accueil l’image d’individu correspondant au squelette exposé, tantôt de sexe féminin, tantôt de sexe masculin, le texte reste au masculin « neutre ». L’écran dévolu à l’Homo floresiensis illustre ainsi une femme, à côté d’une sculpture de femme mais a pour titre « Le plus petit homme ». 32 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Dans les deux salles consacrées à l’évolution des êtres humains et préhumains, quatorz sculptures en pied, grandeur nature, présentent des reconstitutions d’espèces allant de l’australopithèque et l’être humain moderne, et neuf d’entre elles sont des femmes (fig. 3). Visuellement, les femmes sont donc largement présentes à défaut de l’être dans les textes. Deux dioramas accompagnent les expôts. Le premier montre des individus à l’échelle 1/25 très grossièrement représentés, au point qu’il est difficile de savoir si l’on a voulu rendre leur sexe identifiable : deux individus grossièrement représentés, dont l’un pourrait être une femme, dépècent un gros animal, deux autres individus d’apparence masculine fabriquent des outils en pierre, tandis qu’à l’ombre d’un arbre, une femme s’occupe de deux enfants. Dans le second diorama, un homme rôtit de la viande au-dessus d’un feu, un second apporte du bois, une femme allaite un bébé, une autre femme dort et un enfant mange (fig. 4). Dans ces dioramas, certains stéréotypes, généralement associés aux femmes (passivité, prédilection pour les tâches liées au care) sont reproduits, montrant à l’inverse des hommes actifs, en train d’utiliser ou de fabriquer des outils. Le Muséum est loin d’être un exemple isolé. Même dans les musées où la présentation se veut la plus neutre possible en termes de genre, rendre inclusifs les textes et les visuels n’est pas toujours une tâche aisée (par exemple EPPLER 2017 pour le Landesmuseum Württemberg de Stuttgart). Figure 3 – Première salle avec des reproductions à l’échelle 1:1 de différents hominidés, Galerie de l’Homme, Muséum des Sciences Naturelles à Bruxelles. Photo : Isabelle ALGRAIN, avec l’autorisation du Muséum. 33 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Figure 4 – Diorama, Galerie de l’Homme, Muséum des Sciences Naturelles à Bruxelles. Photo : Isabelle ALGRAIN, avec l’autorisation du Muséum. 3. Intégrer le genre dans les salles d’exposition Que ce soit dans le cadre d’expositions temporaires ou dans les salles d’exposition des musées d’archéologie, les équipes de nombreux musées espagnols ont depuis le début des années 2000 amorcé une réflexion sur l’intégration des questions de genre, avec l’idée que « les musées archéologiques peuvent et doivent transmettre une histoire inclusive qui contribue à rendre visibles les groupes traditionnellement marginalisés de la société, afin de contribuer à une éducation à l’égalité » (PRADOS TORREIRA & LOPEZ RUIZ 2017, p. 11). Cette réflexion est loin d’être systématique et ne concerne pas toujours l’ensemble des départements au sein d’une même institution mais les efforts fournis, la pédagogie mise en œuvre et présentée dans les publications montre le dynamisme de cette thématique de recherche dans la péninsule ibérique. Afin d’intégrer la dimension de genre dans les salles d’exposition et afin de garantir une perspective inclusive et non discriminatoire, cette notion doit être présente lors de la conception-même de l’exposition, doit présider à la sélection des objets, à l’élaboration des textes d’accompagnement et à la réalisation de tout matériel visuel (PRADOS TORREIRA 2017). Par exemple, lors de la rénovation des salles d’exposition sur la Grèce antique au Musée archéologique national de Madrid, il a été décidé de procéder à un remaniement complet 34 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 de la présentation de la collection de vases grecs (CABRERA BONET 2016). Plutôt que de présenter ces objets dans leur développement typo-chronologique, l’équipe du musée a choisi de mettre en avant des thématiques permettant au visiteur de comprendre les aspects sociaux, politiques et économiques de la vie quotidienne des anciens Grecs. L’exposition s’articule autour de la phrase de Thalès de Milet, « Je remercie les dieux d’être un homme et non un animal, d’être un homme et non une femme, d’être un Grec et non un barbare » (Diogène Laërce 1,34) et donc autour de l’identité de l’homme grec. Le but est d’expliquer l’exclusion de l’autre, du différent, en opposant l’homme grec, le citoyen, à l’altérité des femmes, des étrangers et des éléments liés à la nature. Deux thèmes parallèles illustrent la séparation de la sphère domestique associée aux femmes, « Oikos. La maison », et de la sphère publique associée aux hommes, « Polis. La ville ». « L’objectif est de montrer la vie quotidienne grecque et de mettre en lumière, dans une perspective de genre, la construction d’un système social et politique qui établit et sanctionne l’inégalité et l’exclusion » (CABRERA BONET 2016, p. 105). En analysant l’organisation sociale et la fabrique des inégalités dans la société grecque, l’équipe du musée évite l’écueil de la naturalisation et de la déshistoricisation puisque, souvent, « il n’y a pas d’effort systématique pour montrer l’organisation, les relations et les pratiques sociales comme le produit de chaque société et de chaque époque […], mais comme si elles avaient eu depuis toujours le même caractère, le même sens, la même organisation, etc., les éternisant, immobilisant le monde social » (MACEIRA-OCHOA 2017, p. 86). Les actions menées par les chercheuses espagnoles ne se limitent pas à l’étude de la muséographie et au réaménagement des salles d’exposition. Partant du constant que le matériel iconographique utilisé à des fins éducatives (manuels scolaires, publications spécialisées et pour le grand public, sites web, images utilisées dans les musées, etc.) est particulièrement limité quant aux représentations des rôles et des activités des femmes des sociétés préhistoriques et antiques, elles ont développé en 2007 le projet PastWomen - historia material de las mujeres (https://www.pastwomen.net). Le projet a pour but d’offrir un répertoire d’images inclusives qui peuvent être utilisées lors de tout type de diffusion des recherches historiques et archéologiques. Les images, les textes et les objets analysés sur le site recouvrent cinq thématiques principales : la prise en charge des personnes, la préparation de la nourriture, la vie en communauté, les espaces de vie et les technologies du quotidien (SANCHEZ ROMERO 2016, p. 32-35). En 2022, une exposition virtuelle, Otras miradas al pasado (https://otrasmiradas.pastwomen.net) propose, pour célébrer les 15 ans du projet, de montrer l’apport de l’archéologie féministe et de genre et de réaffirmer 35 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 le rôle central des femmes et des minorités souvent invisibilisées dans la vie communautaire des sociétés préhistoriques et antiques. L’impact de ses initiatives, que ce soit dans des musées d’archéologie ou d’autres types d’institutions muséales, est réel. L’analyse de cet impact indique que l’intégration d’une perspective de genre contribue « à l’autonomisation et à la participation sociale des femmes, à la prise de conscience sociale concernant certaines questions d’intérêt pour les femmes, ainsi qu’à la promotion de l’égalité des sexes et au changement des modèles sociaux » (MACEIRA-OCHOA 2017, p. 89). Les minorités bénéficient elles aussi d’une approche centrée sur le genre et sur la déconstruction des stéréotypes (CLAYTON & HOSKIN 2020). Conclusion La France, la Belgique et d’autres pays francophones s’intéressent seulement à l’archéologie du genre depuis le début des années 2010 (BELARD 2017 ; TREMEAUD 2018 ; ALGRAIN 2020 ; AUGEREAU 2021 ; sur le retard des pays francophones, voir ALGRAIN, MARY, PASQUINI & VANDEVELDE 2022) et accusent donc plus de trente ans de retard par rapport aux pays comme le Royaume-Uni, les États-Unis, la Norvège, l’Allemagne ou encore l’Espagne, où le sujet fait déjà l’objet de nombreuses études. Ces premières recherches en français analysent les contextes archéologiques par le prisme du genre et ne touchent pas à la question du genre dans les musées archéologiques. Les recherches corollaires, en particulier sur la place des femmes dans les musées et sur l’intégration du genre au sein des salles d’exposition, ne se sont pas développées dans tous ces pays avec la même ampleur et l’Espagne domine largement la recherche sur ces thèmes. Or, la recherche a progressé sur le rôle des femmes dans les sociétés anciennes, sur les relations entre les sexes, sur la participation au pouvoir des femmes dans certaines régions, sur la sexualité, sur les violences de genre, sur la place des femmes dans les activités de production, etc. et nous voyons encore peu le résultat de ces recherches dans les musées francophones9. Le musée n’est pas une institution figée mais active qui doit refléter les avancées de la recherche, loin d’un discours idéaliste sur les conditions de vie des femmes et des groupes dominés dans les sociétés anciennes. Même si toutes les questions ne sont 9 Par exemple, en Belgique, le Musée archéologique de Namur a organisé du 11 juillet 2020 au 25 octobre 2020 une exposition intitulée Pas son genre ! La question du genre en archéologie. Le NMB Nouveau Musée de Bienne en Suisse a présenté l’exposition Moi homme. Toi femme. Des rôles gravés dans la pierre ? du 21 septembre 2019 au 29 mars 2020. L’exposition itinérante Archéo-sexisme, principalement présentée dans les universités, dénonce depuis 2019 le sexisme dans la profession et sur les chantiers archéologiques. 36 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 pas résolues, même s’il reste des données inconnues, ses objectifs devraient être de pousser le public à se questionner sur ses présupposés, de refléter la société dans son ensemble et d’éduquer à l’égalité. « [Les musées] doivent être des espaces qui reflètent la diversité de notre société, des lieux qui abritent l’histoire des différents groupes d’âge et de sexe et qui, en fin de compte, ont la capacité de transmettre la mémoire collective d’une communauté. Dans de tels espaces, aucun individu ne devrait se sentir exclu en raison de son sexe, de son âge, de sa race, de sa religion, de son groupe social, de son orientation sexuelle, etc. En bref, les musées ont l’obligation de jouer un rôle clé dans l’éducation à l’égalité » (PRADOS TORREIRA 2016, p. 18). 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Depuis sa thèse de doctorat, elle s’intéresse également à la question de la représentation et de la construction identitaire des femmes et des hommes dans la Grèce antique. Parmi ses publications, on trouve notamment L’alabastre attique. Origine, forme et usages, Bruxelles, 2014, ouvrage couronné en 2016 du Prix quinquennal Joseph Gantrelle par la Classe des Lettres et des Sciences morales et politiques de l’Académie royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique. Elle a également coordonné l'ouvrage collectif : Archéologie du genre. Construction sociale des identités et culture matérielle, Bruxelles, 2020. Contact : ialgrain@gmail.com 41 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Lucille MAUGEZ Les recherches participatives en archéologie : pour une réinterprétation du matériel archéologique et ethnographique des groupes autochtones Résumé Au cours des dernières décennies, les membres des groupes autochtones se sont vu transformer en agents actifs au cours des recherches archéologiques. La participation de ces nouveaux acteurs a lieu lors des études réalisées au sein des territoires autochtones et, plus récemment, en contexte muséal. De ces travaux découle une réinterprétation du matériel archéologique et des paysages, résultant en la création de discours autoreprésentatifs et polyphoniques apportant de nouveaux regards sur le passé et sur le monde. Mots-clés : archéologie participative, patrimoine archéologique, réinterprétation, autoreprésentation. Abstract In recent decades, members of indigenous groups have seen themselves transformed into active agents during the stages of carrying out archaeological research. The participation of these new agents takes place during studies carried out within indigenous territories and, more recently, in a museum context. From these works stems a resignification of archaeological material and landscapes, resulting in the creation of self-representing and multivocal discourses bringing new perspectives on the past and on the world. Keywords : participative archaeology, archaeological heritage, resignification, selfrepresentation. 42 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Introduction L’archéologie brésilienne, dont il sera question ici, s’est toujours intéressée aux groupes autochtones. Comme le fait notamment remarquer Cristina Barreto (1999/2000), depuis sa création, la discipline s’est tournée vers l’étude de la période pré-coloniale dans la perspective de mettre en évidence les origines des peuples autochtones. Néanmoins, en accord avec Jorge Eremites de Oliveira (2015, p. 361), les archéologues ont opéré une séparation temporelle entre ces groupes et les peuples actuels, niant par conséquent les relations de descendance et les continuités culturelles existantes, point considéré comme la stratégie la plus cruelle du colonialisme par Cristóbal Gnecco et Patrícia Ayala Rocabado (2010). De cette manière, l’archéologie a exercé un monopole sur les interprétations du passé et la représentation de ces groupes. Les images véhiculées ont été - et sont encore dans une certaine mesure - influencées par un déterminisme écologique et les théories évolutionnistes et néo-évolutionnistes dépeignant les communautés autochtones à partir des vestiges découverts comme étant barbares, primitifs et parfois même dégénérés (NOELLI & FERREIRA 2007). Dans ce sens, la discipline archéologique a participé à la justification du processus colonial - passant dans notre cas par une intégration forcée de ces groupes à la société brésilienne et par leur extermination - et à la mise sous silence de ces peuples dans la construction d’une histoire officielle de la Nation. Ces images et ces stratégies n’ont pas seulement été reprises et reproduites au sein des Universités - leur apportant une dimension scientifique - mais également par les institutions muséales en véhiculant les théories de l'anthropologie biologique. Le contrôle exercé par les professionnels de la discipline a donc été idéologique, mais inclut aussi le traitement des vestiges et des sites archéologiques, définissant ce qui devait être ou non conservé et exposé. Cependant, une série de critiques internes et externes formulées à l’encontre de l’archéologie au cours de la seconde moitié du XXe siècle ont impacté la construction de la connaissance archéologique et les pratiques adoptées par les archéologues. Les chercheurs, notamment d’Amérique du Sud, se sont réunis pour trouver de nouvelles manières de faire de l’archéologie qui soient plus inclusives et respectueuses des groupes concernés par leurs recherches, s’intégrant ainsi aux débats portant sur la décolonisation de la discipline. Nous pouvons ainsi observer à partir des années 1980 et 1990, période marquée par l’adoption des idées post-processuelles au Brésil, un rapprochement entre les professionnels de la discipline et les membres des groupes en question. Ces derniers se sont vu transformer en agents actifs au cours des étapes de réalisation des recherches, aussi bien sur le terrain que lors des activités associées et, plus récemment, lors des études effectuées en rapport aux collections muséologiques. En parallèle, les revendications formulées par les mouvements autochtones émergents au long des années 1970 ont également eu une influence sur le regard porté sur le patrimoine archéologique. 43 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Dans cet article, je propose d’explorer les défis et les bénéfices apportés par les recherches archéologiques dites participatives ou collaboratives réalisées dans les villages autochtones et au sein du contexte muséal en me focalisant principalement sur les vestiges archéologiques et ethnographiques. Mon objectif ici est de démontrer que les recherches mentionnées participent à la réinterprétation des objets archéologiques et ethnographiques et contribuent à l’élaboration d’un savoir polyphonique, apportant de nouvelles interprétations du passé et de nouvelles visions du monde. 1. Les recherches archéologiques au sein des terres autochtones La participation des groupes autochtones et traditionnels aux recherches archéologiques est adoptée comme méthodologie par divers courants théorico-méthodologiques à l’instar de l’Ethnoarchéologie, de l’Archéologie Publique et de l’Archéologie Symétrique, entre lesquels il n’existe pas de cohésion. La participation, en tant que pratique qui se veut moins colonialiste, plus ouverte au dialogue et incluant une coproduction des connaissances avec les groupes autochtones, reçoit quant à elle une dénomination différente. Elle est labellisée comme Archéologie Collaborative, Archéologie Participative ou Archéologie en Communautés (CAMPOS 2019, p. 18). L’Archéologie Collaborative qui se développe au Brésil depuis une vingtaine d’années a notamment été impulsée par Fabíola Andréa Silva, chercheuse qui nous donne les fondements basiques de telles études dans un article de 2015. Ainsi, nous observons que les pratiques participatives apparaissent sous une forme plurielle et ne reçoivent pas, par conséquent, une définition unique. La participation effective des communautés au sein de ces divers courants, de ce fait, peut apparaître à différents stades de la recherche et à différents niveaux. Elle peut être élaborée durant une partie des étapes de réalisation de l’étude - et en particulier lors du terrain - ou bien lors de l’ensemble de ces étapes, depuis l’élaboration du projet de recherche jusqu’au processus d’écriture et au-delà. Dans ce cas, les archéologues sont amenés à prendre en considération les intérêts et les besoins des groupes impliqués. Les recherches archéologiques effectuées dans ce contexte ne comportent donc pas uniquement des bénéfices pour la discipline archéologique en particulier, et pour les sciences humaines et sociales en général, mais également, et peut-être surtout, pour les communautés participantes. Les études de cas visibles dans la littérature montrent que nombre de ces recherches, notamment des études ethnoarchéologiques, sont réalisées dans un contexte conflictuel lié à la démarcation des terres autochtones. Dans ces situations, il n’est pas rare que les archéologues prennent position, se plaçant en défenseur des droits des groupes autochtones. En accord avec ces chercheurs, ils se voient transformés en agents politiques. L’archéologie, elle-même, se retrouve engagée socialement et politiquement. 44 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Nous devons également évoquer le fait que chaque participation et chaque collaboration est unique et apporte avec elle ses propres défis. Les professionnels de la discipline doivent par conséquent rester flexibles face à l’adoption des méthodes de collecte de données lesquelles devraient idéalement s’adapter aux modes d’enseignement et d’apprentissage des groupes avec lesquels ils travaillent. Il n’existe par conséquent pas une unique voie méthodologique mais plutôt une mosaïque composée d’outils provenant de l’archéologie et de ceux généralement associés aux recherches de terrain ethnographiques comme l’entretien et les histoires de vie. Comme évoqué par Diane Lyons et Joanna Casey (2016), le temps passé par les chercheurs sur leur terrain est un point pertinent, ces études devant être réalisées sur le long terme afin de permettre la création de relations de confiance avec les personnes des communautés et de se rapprocher et de comprendre la réalité de ces dernières. En ce qui concerne les relations établies entre les groupes actuels et les vestiges présents au sein de leur territoire (actuel ou passé), nous pouvons également affirmer que celles-ci se présentent de manière plurielle. Par exemple, si pour une partie de ces peuples le lien paraît se tisser de façon naturelle, comme dans le cas relaté par Fabíola Andréa Silva (voir notamment SILVA & NOELLI 2015) en relation aux Asurini, d’autres cas sont plus complexes. Cristóbal Gnecco et Carolina Hernández (2008) mettent en évidence que certains groupes, à l’instar des Nasa de Colombie, ont nié pendant longtemps tout type de relation avec les artefacts du passé. Cette situation est attribuée au processus colonial et en particulier à la domination de l’Église catholique ayant diabolisé les ancêtres auxquels ces vestiges sont associés. Au-delà de cela, les auteurs font mention de la peur ressentie par les Nasa face à ces reliques, sentiment provenant de la signification attribuée par les membres du groupe à ces objets. Pour eux, ce ne sont pas de simples matériaux, ils sont au contraire dotés d’une agentivité, c’est-à-dire, selon les termes de l’anthropologue Alfred Gell (1998), d’intentionnalités et de pouvoirs d’action sur le monde et les entités qui le peuplent. Néanmoins, ce groupe s’est rapproché de ces vestiges, les introduisant à leur présent. Nous pouvons ainsi observer une réappropriation et une réinterprétation des vestiges archéologiques par les membres des peuples actuels, que ces artefacts soient directement associés à ces groupes ou non. De ce fait, s’il existe des problèmes liés à la mise en relation entre les vestiges et un groupe particulier, l'intérêt, selon Fabíola Andréa Silva (2002), n’est pas de savoir si les artefacts ont été créés par les ascendants des membres du groupe en question1, mais de porter son attention sur la reconnaissance et l’appropriation faites de ce 1 Cette question a largement été débattue en archéologie. Il ne nous revient pas de reprendre ce débat ici. Nous pouvons néanmoins évoquer le fait que pour Fabíola Andréa Silva (communication personnelle), il est possible dans certains cas d’attribuer des objets aux ancêtres d’un groupe donné. Cette affirmation est justifiée par la présence de continuités observables au sein du matériel produit. Parmi les problèmes rencontrés, nous pouvons citer l’exemple des Xokleng et des Kaingang, deux groupes appartenant à un même groupe linguistique, dont les similitudes culturelles rendent difficile l’association du matériel à l’un ou l’autre de ces groupes (à ce propos, voir MACHADO 2021). 45 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 matériel par ce même groupe. Il est intéressant ici de mentionner un cas spécifique rencontré au cours de mes études. Selon Josué Carvalho (communication personnelle), les Kaingang du Paraná ne reconnaissent pas la pratique de la céramique comme appartenant à leur groupe - elle est associée aux Guarani - au contraire des Kaingang de l’État de São Paulo pour qui la céramique est un élément fondamental dans la définition de leur identité. Outre les éléments évoqués, il me semble important de parler des territoires au sein de cette définition. Les espaces où vivent les groupes autochtones ont une signification particulière, il s’agit de lieux où les membres du groupe peuvent vivre selon leurs modes de vie et ainsi être qui ils veulent être. Les dimensions discutées ici – à la fois le regard de l’archéologie et des groupes sur les vestiges – ne doivent pas être comprises comme des informations qui se contredisent mais comme des éléments complémentaires. L’objectif des recherches collaboratives étant – ou devant être – de mettre en évidence les significations que les vestiges et les sites archéologiques ont pour les groupes participants. De ce fait, et en accord avec Alfredo González-Ruibal (2014, p. 55), le but n’est pas de produire un savoir hybride résultant de la création d’un discours lissé, mais d’établir une conversation entre ces informations diverses en les traitant sur un pied d’égalité. L’écriture se fait ainsi le reflet de ce qui se produit lors du travail de terrain, à savoir un échange de connaissances entre les agents participants à l’étude. La polyphonie, stratégie qui a été adoptée par l’Ethnoarchéologie et l’Archéologie Publique entre autres, apparaît dans ce contexte comme une façon de donner du pouvoir (en portugais une manière d’empoderamento) des groupes impliqués (TRIGGER 2006). Ces discours mettent en évidence la nécessaire redéfinition de certains concepts et notions classiques de notre aire d’étude. Nous pouvons par exemple citer le cas de la notion de site archéologique qui est, jusqu’à nos jours, définie à partir de la présence d’artefacts au sein d’un espace donné. Néanmoins, nous observons à partir de la vision des groupes autochtones que d’autres éléments peuvent et doivent être pris en compte, et parmi eux les éléments du paysage. 2. Les études en contexte muséal : pour une réinterprétation des collections muséalisées De manière similaire à ce qui a été mentionné en relation à l’archéologie, le champ muséologique a été atteint par des critiques à partir des années 1970 qui ont mis en évidence la dimension colonialiste de ces institutions et de la création de leurs collections. Vus comme des espaces déconnectés de la réalité, les musées ont dû se réinventer pour continuer à faire sens dans un monde où les identités régionales et locales s’affirmaient. La notion de musée, ainsi que ses objectifs, ont par conséquent été officiellement redéfinis par la Déclaration de Santiago du Chili de 1972 dans laquelle le rôle social des institutions muséales fut assumé, ainsi que sa propension à l'éducation de ses publics. Auparavant 46 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 isolés, les musées se sont ainsi intégrés à la société et se sont adaptés à l’actualité en prenant en considération les situations contemporaines dans lesquelles les groupes représentés se trouvaient. Dix ans après, la Déclaration du Québec venait souligner le caractère politique de ces institutions, rompant de ce fait avec l’image d’espace neutre qui caractérisait jusqu’alors les musées. En ce qui concerne plus particulièrement les musées archéologiques, il est possible d’observer au cours des dernières décennies un intérêt croissant en relation à l’étude de la création et du développement de ces institutions ainsi que de l’histoire de leurs collections. Ce champ d’étude est connu comme « Muséalisation de l’Archéologie », dimension particulièrement explorée par Maria Cristina Oliveira Bruno (1999, 2021) qui met en évidence l’importance de l’observation de la chaîne opératoire dans sa totalité, comprenant les procédures de sauvegarde (la conservation et la documentation) et la communication (l’exposition et l’action éducative-culturelle) (BARRETO & WICHERS 2021, p. 3). Il s’opère pourtant un rapprochement entre les champs archéologiques et muséologiques. Ces recherches sont aussi intégrées aux débats portant sur la décolonisation des musées et de l’archéologie, sachant qu’elles mettent en évidence la relation entre ces institutions et les collections qu’elles conservent, de même que les pratiques visibles au travers des collections et le processus colonial. Les auteurs soulignent également le fait que les collections archéologiques et ethnographiques sont associées aux notions d’évolution et de progrès. En parallèle à ces changements internes, il y eut, de la part des groupes autochtones, une série de demandes de rapatriement des objets sacrés et des restes humains appartenant à leurs ancêtres, ces derniers composant généralement les collections archéologiques. Selon Lúcio Ferreira (2008, p. 39), ces revendications étaient justifiées par la dimension coloniale entourant les pratiques et le patrimoine archéologique. Comme l’affirme l’auteur, les débats tenus sur la scène internationale par les archéologues, les groupes autochtones intéressés par les questions archéologiques et autres chercheurs des sciences sociales, en particulier lors du Congrès Mondial d’Archéologie (World Archaeological Congress) de 1986, ont été introduits à la sphère politique, conduisant à l’adoption par certains pays de nouvelles politiques publiques de gestion du patrimoine archéologique. Nous pouvons citer le cas emblématique du Native American Graves Protection and Repatriation Act (NAGPRA) établie par les États-Unis en 1990. Cette loi fédérale prend en considération les inquiétudes formulées par les peuples autochtones, doit mener à l’adoption de pratiques plus respectueuses lors des excavations des sites liés à ces derniers et favoriser le rapatriement de leurs objets et des restes funéraires. En parallèle, elle a valorisé la participation des peuples autochtones au cours des études de terrain ainsi qu’aux activités de conservation et d’exposition des collections, soit de manière générale à l’ensemble des missions relevées par les musées. Il est important de noter que la présence dans les réserves - et parfois les expositions - de restes humains est considérée comme un acte de violence par les membres des groupes actuels. Comme l’évoque la chamane (Kuña) Kaingang du village Vanuíre 47 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 (Arco-Íris, São Paulo), Dirce Jorge Lipu Pereira (31 août 2021, IV Forum des Collections Archéologiques), les esprits des personnes qui s’en sont allées demeurent présents aux côtés de leur dépouille. Par conséquent, elles doivent être traitées avec respect, tout comme les objets qui sont considérés comme sacrés par les membres de la communauté. La mise en place de politiques publiques tournées vers les groupes autochtones apparaît comme nécessaire pour l’application de pratiques plus respectueuses et inclusives. Dans le cas du Brésil, de telles politiques font encore défaut, ce qui entrave la systématisation des recherches collaboratives, que ce soit en terres autochtones ou au sein des musées. La participation des groupes autochtones demeure par conséquent tributaire du bon vouloir des chercheurs ainsi que des politiques internes des musées. Nous assistons ainsi à un mouvement d’ouverture des institutions muséales face aux groupes qui ont été placés sous silence et marginalisés. C’est dans ce contexte que les premières expériences collaboratives sont apparues, se présentant comme l’étude conjointe des collections directement liées aux groupes participants et à l’élaboration d’expositions à la première personne du pluriel et du singulier. En accord avec Andrea Roca (2015), nous pouvons localiser ces premières expériences au Canada, aux États-Unis et au Mexique. Au Brésil, de telles expériences ont été mises en place en premier lieu par le Musée de l’Indien de Rio de Janeiro, institution créée par l’anthropologue Darcy Ribeiro en 1953. Les études participatives dans le cadre muséal se sont multipliées à l’échelle nationale à partir des années 2000 et ont impliqué diverses institutions. Les musées classés comme archéologique et ethnographique sont les mieux représentés, ceux-ci étant les principaux gardiens des artefacts des groupes autochtones. Notons que, dans le contexte brésilien, les collaborations se sont majoritairement focalisées sur les collections ethnographiques et ont été effectuées principalement en partenariat avec les professionnels des musées et les anthropologues qui se sont placés comme intermédiaires entre l’équipe de l’institution et les groupes participants (à ce propos, voir RUSSI et ABREU 2019). Une telle affirmation peut également être appliquée au contexte européen. Les collections archéologiques et les archéologues sont quant à eux restés en dehors de ce processus, situation qui tend à changer dernièrement. Un intérêt grandissant de la part des archéologues et des groupes autochtones vis-à-vis des vestiges archéologiques est en effet observable. Ceci peut être associé au développement des partenariats réalisés au sein des territoires autochtones. Dans certains cas, l’archéologie joue un rôle déterminant dans la prise de conscience de la transmission de notions telles que le patrimoine pour les peuples autochtones et traditionnels. Au-delà de ce qui a été évoqué, nous pouvons également noter une tendance à l’étude conjointe des collections archéologiques et ethnologiques pour la construction d’une histoire de longue durée (GASPAR & RODRIGUES 2020). La reconnexion entre les groupes du passé et les peuples actuels justifie encore davantage l’étude conjointe de ces deux ensembles. Néanmoins, ces questions doivent être résolues avec les communautés avec lesquelles nous travaillons. Dans notre cas, les Guarani Nhandewa du village 48 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Nimuendajú (Bauru, São Paulo), l’un des trois groupes avec lesquels nous avons travaillé au cours de notre étude de master, souhaitent analyser uniquement les objets qui ont été collectés au sein de leur territoire actuel. Les Kaingang et les Terena du centre-ouest Paulista, les deux groupes avec lesquels nous travaillons actuellement, veulent quant à eux connaître les artefacts provenant de villages plus anciens, là où leurs ancêtres vivaient. En accord avec les chercheurs, l’étude des collections archéologiques présente certains défis propres. Parmi eux, Helena Pinto Lima et Cristina Barreto (2020, p. 49) soulignent la séparation physique et l’individualisation des artefacts. Selon elles, les objets sont isolés de l’ensemble plus ample auquel ils appartiennent et des sites desquels ils proviennent, se trouvant par conséquent en dehors de tout contexte. Les recherches effectuées permettent alors de reconnecter les objets conservés par les institutions muséales entre eux et avec les sites dont ils sont originaires. Un autre problème visible est lié au manque d’informations portant sur les vestiges. Les études comportent donc une partie importante de documentation de ces objets (voir notamment SALLES MACHADO 2020). La réinterprétation des collections par les musées passe par la reconnaissance et l’intégration des significations évoquées par les groupes auxquels elles appartiennent. Dans ce contexte également, les artefacts sont réintégrés à la ligne de temps de ces peuples et participent au renforcement culturel amorcé par ces derniers. Un autre problème soulevé par les chercheurs de la discipline concerne l’absence des fragments au sein des expositions archéologiques. Les musées privilégient essentiellement les objets entiers et porteurs d’une dimension esthétique. Pourtant, les fragments représentent une part importante du corpus archéologique. Dans ce cas, nous pouvons nous demander si de telles pièces doivent être intégrées à nos recherches, et si oui, s’il existe une dimension minimum. Encore une fois, ces questions doivent trouver leurs réponses auprès de nos partenaires autochtones. Conclusion À partir de la seconde moitié du XXe siècle, les disciplines des sciences humaines et sociales ont été traversées par une série de critiques internes et externes qui ont eu, et continuent d’avoir, un impact sur les formes de construction de connaissance de ces aires ainsi que sur leurs pratiques. Ces critiques ont porté sur la dimension colonialiste de ces champs d’étude - notamment de l’archéologie et de l’anthropologie - et des institutions muséales, en particulier sur la représentation donnée de l’”Autre”. Les chercheurs et les professionnels des musées ont ainsi tenté de déconstruire l’image négative des groupes autochtones pour offrir une nouvelle représentation plus proche de la réalité. La participation de ces groupes aux recherches développées au sein des territoires autochtones et en contexte muséal ont contribué et contribuent à l’élaboration de discours proclamés par les propres membres des communautés impliquées, créant des auto-représentations, c’est-à-dire qu’ils parlent par et pour eux-mêmes. Les discours archéologiques et muséologiques se veulent de leurs 49 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 côtés plus symétriques, prenant en considération les déséquilibres de pouvoir engagés au sein de ces processus. Nous avons vu que les pratiques collaboratives ont un impact sur la construction d’une archéologie plus engagée socialement et politiquement, contribuant en parallèle à la construction d’une pratique plus critique et éthique, processus accompagné de la transformation du lieu occupé par les professionnels de la discipline. Ceux-ci n’apparaissent plus uniquement comme de simples chercheurs, mais comme des agents politiques œuvrant en faveur des droits des communautés avec lesquelles ils travaillent. Évidemment, nous ne pouvons pas généraliser cette affirmation. Comme nous l’avons mentionné, le Brésil se doit encore d’adopter des politiques publiques qui permettront de systématiser la réalisation d’études participatives et collaboratives, autant lors des recherches en terres autochtones qu’au sein des musées. De ce fait, malgré les critiques formulées par certains chercheurs à l’encontre des recherches participatives, nous voyons que ces études ont un impact positif sur notre discipline ainsi que pour les groupes autochtones impliqués. Finalement, nous souhaitons soulever une question qui, selon nous, devrait être formulée par tout chercheur : pourquoi et pour qui faisons-nous de l’archéologie ? Les exemples de cas discutés plus haut ont démontré qu’il est possible de réaliser une archéologie qui ait une signification sociale, en particulier pour les groupes qui ont été placés sous silence et/ou marginalisés. De cette manière, notre discipline ne peut plus être définie comme une science étudiant seulement le passé, celui-ci continuant d’avoir un impact sur le présent. Bibliographie BARRETO Cristina, 1999-2000 : « A construção de um passado pré-colonial: uma breve História da Arqueologia no Brasil », Revista USP, vol. 44, p. 32-51. 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Sa recherche doctorale a pour objectif principal de localiser et de documenter les collections kaingang, guarani nhandewa et terena, en collaboration avec les membres de ces groupes. Ce projet d’étude se place dans la continuité de son travail de Master en Anthropologie Sociale et Culturelle (20162019) consacré à l’observation du déroulement du projet collaboratif mis en place entre ces trois peuples et le MAE-USP. Contact : lucille.maugez@gmail.com 52 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 Rachel MARIEMBE & Uriel NGNIGUEPAHA Musées communautaires et développement touristique au Cameroun. Une valorisation du territoire problématique Résumé Quand on analyse l’environnement culturel au Cameroun, les musées semblent être les institutions qui connaissent un essor considérable. Un peu de partout, ils s’ouvrent. Cette expansion s’explique par la richesse et la diversification du patrimoine culturel camerounais, le développement d’un fort intérêt en faveur de l’identité culturelle et l’insuffisance de l’exposition des œuvres aux publics locaux, le pays étant régulièrement victime du trafic illicite. Cependant, la perception du terme « musée » reste confuse. Pour certains, il renvoie à collections, galeries, réserves, entrepôts. Pourtant, quelques musées, inégalement répartis entre musées publics et musées privés existent. La nécessité s’impose donc d’examiner l’apport de ces derniers pour le développement du tourisme culturel, qui représente 40% du tourisme mondial, au regard du contexte actuel dominé par la crise sanitaire relative au COVID-19. Il est question de réfléchir sur les voies nouvelles de diffusion, de transmission et de médiation culturelle dans les musées, à l’heure où le réseau mondial de connexions devient chaque jour plus complexe, divers et intégré. Autrement, comment développer un tourisme culturel qui satisfait les besoins actuels de tous les acteurs, en protégeant et en améliorant les perspectives pour l’avenir ? La réponse à ce questionnement se présente comme une sorte d’oxymore éclaté en quatre parties à savoir : cadre conceptuel, théorique et légal des musées au Cameroun ; diagnostic des activités de diffusion et de médiation culturelle dans les musées ; quelles missions, quels programmes pour des musées ethnographiques ; nouvelles voies de médiation numérique. Mots clés : musées, tourisme durable, tourisme culturel, développement. Abstract When we analyze the cultural environment in Cameroon, museums seem to be the institutions that are experiencing a considerable growth. They are opening up everywhere. This expansion can be explained by the richness and diversification of Cameroon's cultural heritage, the development of a strong interest in cultural identity, and the lack of exhibitions of works to local audiences, as the country is regularly victim of illicit trafficking. However, the perception of the term "museum" remains confused. For some, it refers to collections, galleries, storerooms, warehouses. However, a few museums exist, unequally distributed between public and private museums. It is therefore necessary to examine the contribution of the latter to the development of cultural tourism, which represents 40% of world tourism, 53 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 in the current context dominated by the health crisis relating to COVID-19. It is to think about the new ways of diffusion, transmission and cultural mediation in museums, when the world network of connections is becoming more complex, diverse and integrated every day. Otherwise, how to develop a cultural tourism that satisfies the current needs of all actors, protecting and improving the prospects for the future? The answer to this question is presented as a kind of oxymoron broken down into four parts, namely: conceptual, theoretical and legal framework of museums in Cameroon; Diagnosis of dissemination activities and cultural mediation in museums; What missions, what programs for ethnographic museums; New ways of digital mediation. Keywords : museums, sustainable tourism, cultural tourism, development. Introduction Pendant longtemps, les musées avaient pour priorité l’acquisition et la sauvegarde des objets ayant un intérêt pour l’enrichissement de leur collection. Mais, depuis le début du XXIe siècle, avec l’avènement de la nouvelle muséologie comme approche méthodologique, plusieurs musées ont commencé à s’intégrer dans les communautés qu’ils servent tout en restant ouvert aux touristes. Ils vont à la conquête de nouveaux publics, les publics défavorisés, retissant ou plus lointains. Il faut donc trouver des stratégies en adéquation avec l’environnement économique, politique et socioculturel. À cet effet, les institutions muséales « apparaissent ainsi comme des outils à la fois politique et culturel » (NIZÉSÉTÉ 2007, p. 12). Cela offre un éventail d’opportunités pour la promotion du tourisme, notamment la possibilité de développement du principe de tourisme solidaire, de cases d’hôtes, de nouvelles approches de médiation culturelle pour une consommation accrue du produit culturel. Le Cameroun dispose d’un patrimoine culturel riche et varié qui reste encore très sous exploité. Pourtant, ce potentiel culturel peut contribuer significativement à l’augmentation du Produit Intérieur Brut (PIB). Il suffit de mettre sur pied une politique adéquate de développement des Industries Culturelles et Créatives (ICC). La situation actuelle étant alarmante, les salles de cinéma sont fermées, très peu de bibliothèques, de Salles de spectacle et de dépôt des fonds d’archives sont fonctionnelles. Cela semble, malgré les efforts du gouvernement à mettre sur pied une politique de développement des arts et de la culture, se justifier par la faible structuration du secteur, le manque des capacités techniques et financières, un déficit d’appui. D’un autre côté, les entreprises culturelles opérationnelles sont peu nombreuses. On relève tout de même qu’un intérêt sans cesse croissant est accordé aux musées. Ce qui fait constater Heumen (2017, p. 418) que « probablement près de 80% des musées du Cameroun ont été créés dans les années 2000 ». Ce qui montre à suffisance que c’est un secteur prometteur dans l’univers culturel 54 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 de l’Afrique en miniature. Or, dans l’imaginaire populaire, le concept de musée à l’occidental rentre dans ce qu’on pourrait qualifier des intraduisibles si on reprend les mots de Wozny et Cassin (2014). Cependant, malgré le potentiel touristique riche et diversifié, il est triste de remarquer que les musées, premiers pôles d’attraction, dans leurs fonctionnements, ne contribuent presque pas à la valorisation des autres ressources culturelles de leur territoire. Plus encore, la population locale qui n’a pas la culture de musée pour des raisons socio-culturelles, ne consomme pas cet outil considéré élitiste, à sa juste valeur. Face à cette situation, la question fondamentale à se poser est celle de savoir : quels mécanismes peuvent être mis sur pied par les musées au Cameroun pour un développement touristique local ? Cette question, inscrite dans le cadre méthodologique des Sciences de l’Information et de la Communication, et les Sciences du Patrimoine, sera analysée à la lumière de l’état des lieux des musées au Cameroun, du difficile développement du tourisme local par les Musées Communautaires, et la proposition d’une politique d’amplification touristique adaptée. 1. État des lieux des musées au Cameroun L’univers muséal au Cameroun est caractérisé par une prolifération et une dominance des musées communautaires. Les musées publics se comptent au bout des doigts. Selon les statuts, la première catégorie de nature ethnographique appartient à des particuliers, des communautés et la deuxième du domaine de l’État dont les employés sont nommés par le Ministère en charge de la culture. Comprendre l’impact de ces institutions sur le développement du tourisme local revient à questionner leur acception, leur mode de fonctionnement, le personnel et les activités mises en place pour conquérir les publics. 1.1. Acception de musée Si le musée traditionnellement va à la conquête des biens anciens, c’est un établissement qui reste ouvert à la dynamique contemporaine. Il doit rester « un laboratoire, un conservatoire, une école, un lieu de participation, de notre temps » (RIVIÈRE 1989, p. 47). Il ne plonge pas dans un statisme sclérosant, mais au contraire, s’invente et se réinvente quotidiennement tout en s’adaptant aux nouvelles réalités de son environnement. Ce dynamisme dévolu à l’institution muséale ressort parfaitement dans la définition proposée par l’ICOM-Canada (2019, p. 3) selon laquelle le paradigme muséal doit favoriser la coopération et les échanges interculturels et permettre de bien comprendre l’interdépendance entre les personnes et leur environnement. Au Cameroun, l’acception officielle du musée n’est pas très éloignée de celle de l’ICOM. Elle est statuée à l’article 2 de la loi n° 2013/003 du 13 Avril 2013 régissant le patrimoine 55 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 culturel au Cameroun. Mais, au regard de l’idée que se fait l’opinion populaire du musée, il y’a un grand décalage. Sa perception reste confuse. Pour le citoyen lambda, il renvoie à collection, galerie, réserve, entrepôt ou alors à un « lieu où l’on conserve les objets anciens ». Cette vision réductrice dans une approche critique présente l’institution muséale comme un établissement renfermé et tourné vers le passé. La dominance des musées ethnographiques peu ouverts sur la contemporanéité justifie cette considération. Seuls, deux musées se démarquent : le Musée Maritime de Douala (musée d’Entreprise) et Bandjoun Station (musée d’art contemporain). L’absence de la diversification typologique continue à entretenir ce flou conceptuel dans les esprits. Par ailleurs, l’ICOM1 qui est le régulateur international de la norme déontologique vient d’approuver une nouvelle définition : « un musée institution permanente, à but non lucratif et au service de la société, qui se consacre à la recherche, la collecte, la conservation, l’interprétation et l’exposition du patrimoine matériel et immatériel. Ouvert au public, accessible et inclusif, il encourage la diversité et la durabilité. Les musées opèrent et communiquent de manière éthique et professionnelle, avec la participation de diverses communautés. Ils offrent à leurs publics des expériences variées d’éducation, de divertissement, de réflexion et de partage de connaissances. » Cette définition qui a connu la participation des professionnels de 126 comités nationaux ressort à suffisance son rôle participatif et inclusif dans la société contemporaine. Loin d’être un simple lieu de conservation et de rangement de bien culturel, il se positionne comme un partenaire culturel actif, qui, au quotidien, s’intègre dans la vie culturelle. Cette acception se rapproche de l’imaginaire populaire au Cameroun. Tout en mettant en avant ces cinq actions importantes se déclinent clairement de sa nature à savoir l’acquisition, la conservation, l’étude, la transmission et l’exposition du patrimoine, il faut une sensibilisation accrue des populations. 1. 2. Législations muséales au Cameroun La création des premiers musées au Cameroun remonte à 1930 avec l’ouverture du musée des arts et traditions Bamoun. De cette période à nos jours, le cadre légal de fonctionnement d’un musée se limite à l’autorisation d’ouverture signée du ministre des 1 ICOM, 2022 : L’ICOM approuve une nouvelle définition des musées. Disponible sur : https://icom.museum/fr/news/licom-approuve-une-nouvelle-definition-demusee/#:~:text=R%C3%A9seauL'ICOM%20approuve%20une%20nouvelle%20d%C3%A9finition%20de%20m us%C3%A9e&text=Le%20nouveau%20texte%20se%20lit,du%20patrimoine%20mat%C3%A9riel%20et%20im mat%C3%A9riel (consulté le 30 janvier 2023). 56 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 Arts et de la Culture sur présentation, pour certains, du Projet Scientifique et Culturel. Aussi, conformément au Décret de 2011 portant réorganisation du ministère des Arts et de la Culture, le service des musées est chargé : - du suivi de la politique du gouvernement en matière de patrimoine muséographique ; - de la préparation et suivi de l’application du cadre législatif et règlementaire en matière du patrimoine muséographique ; - de la définition des normes techniques applicables aux musées ; - de l’enrichissement des collections publiques ; - de l’étude et du développement de la recherche en matière de patrimoine muséographique ; - du suivi et de la gestion du Musée National ; - du suivi de la coopération internationale dans tous les domaines concernant l’activité des musées ; - du développement de la formation en matière de muséologie ; - de l’appui à la conservation et à la valorisation des collections communautaires ; - de l’appui à la création des musées. Si certaines de ces missions sont progressivement mises en application, on déplore un vide juridique ou l’absence d’un cadre réglementaire général de gestion et de fonctionnement des musées au Cameroun. Peu de décideurs politiques ont travaillé en faveur de la promulgation d’une loi régissant le fonctionnement des musées à l’échelle nationale. Or, aujourd’hui les lois apparaissent pour beaucoup de pays et institutions muséales comme étant : « un combat pour que le culturel cesse d'être à la remorque de l‘économique, que la culture ne demeure pas immuablement ce parent pauvre auquel on fait appel pour les basses besognes, cet incorrigible réactionnaire qui parle de valeurs humanitaires alors qu'on cause profit » (AITHNARD 1976, p. 183). Tous les pays où les musées connaissent une certaine aisance professionnelle, une politique est établie pour aider à agir avec beaucoup d’efficacité dans la légalité. Par ailleurs, à travers deux décrets, on peut appréhender la vision déontologique du Cameroun en matière de musée. Ceux-ci semblent poser une probable et future politique muséale. Il s’agit spécifiquement du décret n° 2014/0881/PM du 30 avril 2014 portant organisation et fonctionnement du Musée National et du décret n° 2015/1372/PM du 8 Juin 2015 fixant les modalités d’exercice de certaines compétences transférées aux communes en matière de réhabilitation et de promotion des musées locaux. Le décret du 30 avril 2014 permet de mieux cerner l’esprit du gouvernement dans l’élaboration d’une éventuelle politique muséale, pour le moment, quasi inexistante. Cette règlementation telle qu’elle est conçue considère le musée comme un établissement 57 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 d’administration et non comme une industrie de développement culturel qui se veut plus impulsive, innovante. Certes, il est prévu le recrutement d’un Directeur et éventuellement assisté d’un adjoint tel que stipulé par l’article 14. Il n’existe toutefois pas de texte précisant le profil de ces derniers. Dès lors, les fonctions traditionnelles de recherches, de conservation et d’exposition auront des difficultés pour être remplies par l’édifice. Le constat est que les autorités ne tiennent pas compte dans une large mesure de la déontologie, mais ont plutôt une vision du musée nourrie par une volonté « de garder une emprise sur le champ culturel, voir le politiser » (NDOBO 1999, p. 794). Il est sans doute évident qu’une vision subjective de la politique du musée constitue un frein véritable à son insertion dans la vie culturelle des citoyens et la contribution au développement durable. Le décret n° 2015/1372/PM du 8 juin 2015 fixant les modalités d’exercice de certaines compétences transférées aux communes en matière de réhabilitation et de promotion des musées locaux est une avancée louable pour la valorisation du patrimoine culturel au niveau local. La disposition de ce décret comme le montre l’article 8 est que les communes prennent des « mesures visant à faciliter la création de musée au niveau local, l'octroi des aides financières en vue de la constitution des collections muséales ; l’équipement, en matière, adéquat pour le bon fonctionnement des musées ». Même si cela peine à être mis en œuvre, cette compétence transmise par le gouvernement aux Collectivités Territoriales Décentralisées apparait comme la pierre angulaire d’une véritable politique muséale nourrie par une ambition de se faire une identité nationale. Identité qui est « complémentaire de la reconnaissance des identités régionales. […] qui se développent dans les lieux culturels de rayonnement local et régional et promouvoir, dès lors, les musées régionaux ». (NDOBO 1999, p. 805). Pourtant plusieurs responsables de musée affirment ne pas percevoir de l’aide de la part de la collectivité. 1.3. Gestion et fonctionnement des musées À l’heure où le monde est porté vers le numérique, le cadre théorique ne peut être conçu que d’un point de vue communicationnel (DAVALLON 2004, p. 34-35). Situés dans des contextes culturels et institutionnels particuliers, les stratégies de conservation et de diffusion des musées sont en corrélation avec les acteurs, les politiques de médiation culturelle et, diffèrent selon le statut juridique de la structure. La démarcation se matérialise ou réside dans les dispositifs organisationnels, sociotechniques et communicationnels. Des thématiques diversifiées et hétérogènes englobent des politiques, des pratiques, des logiques d’acteurs et des technologies propres aux réalités locales (JUANALS & MINEL 2020). Au Cameroun, on va distinguer trois catégories de musées : les musées publics, les musées privés et les musées communautaires. 58 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 1.3.1. Des Musées Communautaires/Cases Patrimoniales Bien que de statut privé, les Musées Communautaires ou des Cases Patrimoniales sont des institutions portées par des communautés, des Associations, des particuliers, des Entreprises. Ils sont pour l’essentiel des musées des chefferies et des associations ethniques dont le but est le développement local (HEUMEN 2020, p. 358). On en dénombre trente-sept inégalement répartis sur toute l’étendue du territoire (ABBA OUSMAN 2018, p. 40-42). Parmi eux, le Musée Maritime de Douala, seul Musée d’Entreprise, il appartient au Conseil National des Chargeurs du Cameroun (CNCC) dont le Directeur Général, Auguste MBAPE PENDA, amoureux de la culture et de l’art, a décidé de marquer d’une tache indélébile son passage à la tête de cette Société parapublique. Au-delà de son exposition permanente portant principalement sur les activités maritimes, la Case des tempêtes qui est un simulateur des tempêtes alliant la technologie 3D à une scénographie contextuelle, attire beaucoup de curiosité, faisant de l’institution, un pôle d’attractivité pour le public environnant. Son positionnement au cœur de la ville de Douala est un atout pour le développement d’un tourisme local. Le personnel vient pour la plupart du CNCC et bénéficie dans ce cadre des formations pour pouvoir animer la structure. Il est promu et géré par le CNCC via son Conseil d’Administration. Toutefois, il y a une vingtaine d’année Ndobo (1999, p. 791) relevait déjà que les musées privés étaient majoritaires. Pour elle, « l’important de l’existant dans ce domaine est constitué en grande partie par les musées privés qui représentent plus de la moitié du réseau. Ils appartiennent surtout aux pouvoirs traditionnels, (Chefferies et Royaumes, notamment Bamiléké, et Bamoun, dans la partie Ouest du Cameroun), aux organisations religieuses (missionnaires catholiques) et aux particuliers. » Ce constat est toujours vérifiable jusqu’aujourd’hui. L’initiative privée en matière d’ouverture de musées est très poussée selon Abba Ousman (2018). C’est une sorte de maladie contagieuse que l’on peut qualifier de « muséomania en vogue » (HEUMEN 2017, p. 418). Les chefferies des Grassfields2 sont celles qui ont ouvert l’essentiel des musées existants au Cameroun. C’est désormais un luxe pour chaque communauté de posséder un musée, même si ce dernier va rester fermer comme ce fût le cas de la case Patrimoniale de la chefferie Bafou ayant fonctionnée la semaine du Festival culturel lemou dont la clôture a été couronnée par son inauguration, au mois de Décembre 2017. Il n’a été de nouveau 2 Le Programme Route des Chefferies sous la houlette de son Coordinateur Général Sylvain Nzache depuis 2009 contribue efficacement à l’ouverture de la quasi-totalité des musées dans le Grassland. 59 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 ouvert au public qu’en juillet 2021 avec l’arrivée de la Gestionnaire affectée par la Route Des Chefferies (RDC). Cependant, ce suivisme ou cette muséomania ne semble pas favoriser le développement d’un tourisme durable. L’écriture et l’exploitation d’une exposition, impliquent des choix conceptuels qui nécessitent des compétences pluridisciplinaires, notamment en conservation, en développement culturel, en informatique et même en communication. On ne peut que le relever pour le déplorer, ces structures sont pour la majorité gérées par des personnes qui n’ont aucune formation en gestion et conservation du patrimoine, les programmes d’activités pédagogiques sont inexistants, aucune communication. En dehors des visites guidées, lorsqu’elles sont sollicitées, ces institutions participent aux événements organisés au sein de leurs communautés (concert, atelier artistique, funérailles et toute activité pouvant susciter la présence d’un grand public). Aussi longtemps que les musées continueront à être des lieux de conservation d’objets anciens, ils ne pourront remplir leurs fonctions régaliennes et participeront efficacement au développement du tourisme. Les Cases Patrimoniales, sont le label de la RDC, programme de valorisation du patrimoine culturel. Ce label est obtenu après la signature de la charte du territoire pour devenir partenaire au programme et militer activement à l’Association des Chefs traditionnels de l’Ouest Cameroun pour les chefs de l’aire culturelle Grassfields. D’autres projets de Routes Patrimoniales notamment, la Route des Seigneurs de la Forêt, la Route des Peuples du Sahel et la route des Peuples de l’Eau sont en cours d’implémentation, afin d’aider les communautés en fonction de leur spécificités anthropologiques, culturelles, sociologiques à penser leur développement culturel territorial. Ces Cases Patrimoniales, nouveau paradigme muséal camerounais « sont des musées vivants » au sein des chefferies, d’où émergent, à l’occasion de certaines cérémonies et rituels, des objets avec une charge symbolique manifeste, support de l’identité du groupe ou de la chefferie ». Elles sont au nombre de douze. Il s’agit des Musées Communautaires créés avec l’expertise de la RDC à la demande d’un chef. Les thématiques abordées par chacune de ces cases sont originales et propres à la vie culturelle et naturelle de chaque chefferie. Ce sont des projets fédérateurs qui voient la participation des chefs, des élites et de la communauté qui, la plupart de temps, mettent ensemble les moyens financiers, techniques et humains pour se réapproprier leur identité culturelle. Elles traduisent une rupture avec le modèle occidental du musée qui représente les biens du patrimoine sous un angle esthétique pour désormais mettre en avant leur valeur fonctionnelle et culturelle. Cela a fait émerger ces dernières années le concept d’Objets Vivants.3 3 Il s’agit d’une expression consacrée des chefferies Grassfields pour parler des objets faisant partie des collections de musée et qui sont toujours utilisées par les entités traditionnelles qui les détiennent pour diverses pratiques. 60 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 La gestion qui est faite d’une institution est la clé fondamentale de sa réussite et de son bon fonctionnement. En ce qui concerne les musées communautaires pour la grande majorité, il y’a un flou managérial. Cette gestion arbitraire constitue en soi un handicap au bon fonctionnement de ces établissements. Quelques-uns ont une certaine visibilité comme le Musée Royal de Batoufam placé sous la tutelle administrative de l’Association Batoufam Tourisme et Loisirs dont le chef est le Président, et la Case Patrimoniale de Bapa placée sous l’administration d’un Comité de Gestion. Ces organismes œuvrent pour le développement communautaire en fonction des missions qui leur sont assignées. Pour d’autres, on va relever la mainmise de certains chefs sur le management et la gestion des ressources. Parfois, ce sont les reines qui n’ont aucune formation qui font office de Responsables de la structure, aucun moyen financier n’est mis à disposition pour soutenir les activités ou bien le salaire est payé au gré du bon vouloir de l’autorité de tutelle. Quand bien même le personnel est qualifié, issu des Écoles des Beaux-Arts, ces employés ont des salaires dérisoires qui, en plus, ne sont pas payés régulièrement. À Bamendjou, le musée est constamment fermé. Cette situation est due aux désaccords entre le chef et la RDC, pour ce qui est de l’affectation d’un gestionnaire. L’autre cas de figure est l’abandon du musée au gestionnaire qui le dispose à sa guise, avec des moyens financiers et matériels insuffisants, tel est le cas de Bafou où la gestionnaire n’a aucune hiérarchie avec laquelle discuter des orientations à donner à la structure. Ce gros handicap ne milite pas en faveur d’un développement d’une consommation locale de la culture. Par ailleurs, les populations profitent des cérémonies ou des festivals pour entrer gratuitement au musée. Il leur est difficile de débourser l’équivalent d’un euro pour visiter une exposition. Au-delà des expositions permanentes, les Musées Communautaires offrent une gamme variée de prestations aux publics. On peut relever les activités pédagogiques à destination des publics scolaires, le concept de « vacances utiles » comme à la Case Patrimoniale de Bamendjinda. En fonction des événements communautaires, ces institutions, en dehors du guidage, planifient des activités temporaires comme c’était le cas avec la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) où l’esplanade des musées étaient devenus « des Fan zone » avec des projections. Cependant, les Gestionnaires des musées ont dû faire du porte à porte pour sensibiliser les parents pour qu’ils laissent leurs enfants participer aux activités. Un autre cas a été celui du Musée de l’eau à Bonjo, sur les berges du fleuve Nkam. Le promoteur a mis les moyens de transport à la disposition des établissements scolaires environnants pour assurer le déplacement des élèves vers le musée. Les Enseignants lui ont demandé le perdiem pour assurer l’encadrement des élèves, pourtant, ces activités entrent dans le cadre des activités post et péri scolaires. Tous ces éléments ne sont pas de nature à faciliter un développement touristique local. Mais les structures restent résilientes. 61 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 1.3.2. Des musées publics Le fonctionnement des musées publics dépend largement de la volonté de l’État par le canal du Ministère de Arts et la Culture (MINAC). Le pôle central est le Musée National de Yaoundé, rouvert au public le 16 janvier 2015, autour duquel gravitent sept autres musées répartis sur le territoire national. Il s’agit de : - Musée Multiculturel des Baka de Mayos, (l’Est) ouvert en 2007 ; - Musée d’art local de Maroua (Extrême-nord) ouvert depuis 1955 ; - Musée d’art local de Mokolo (Extrême nord) date d’ouverture inconnue ; - Musée public de Bamenda (Nord-Ouest) ouvert en 1959 ; - Musée des Arts et Traditions Bamoun (Ouest) ouvert en 1930 ; - Musée de la délégation départementale de la Menoua (Ouest), ouvert en 1983 ; - Musée de la délégation régionale des Arts et de la Culture (sud-Ouest), ouvert en 2012. Ces musées sont placés sous la responsabilité des chefs services ou des délégués départementaux et ne sont ouverts qu’à la demande des visiteurs. On note une absence de politique de développement culturel, bien que selon les textes règlementaires, les missions à eux assignées soient les suivantes (PHILÉMON 2014, article 3) : - acquérir, rassembler, classer, conserver et présenter au public des collections d’œuvres présentant un intérêt historique, scientifique, technique et artistique ; - favoriser la connaissance de ses collections en développant la fréquentation du musée et en assurant le suivi scientifique de ses collections ; - concourir à l’éducation, la formation et la recherche dans les domaines de l’histoire de l’art, de l’archéologie et de la muséographie. Ces missions fort appréciables sont mises en pratique de façon automatique par le Musée National de Yaoundé, au travers de la notoriété dont il jouit dans l’histoire du Cameroun, « Premier Palais Présidentiel » ! Tout camerounais, par altruisme ou chauvinisme voudrait s’y rendre, faisant de cette institution culturelle, un pôle d’attractivité touristique. Il participe à une meilleure connaissance du Cameroun tant sur les plans culturel qu’historique. L’attractivité des musées mesurée par le nombre de visiteurs enregistrés, diffère d’une structure à l’autre. Si le musée national fait un grand nombre avec ses concepts d’abonnement annuel limité aux publics scolaires et universitaires, les musées communautaires quant à eux peinent à faire foule. 1.4. De la résilience des Musées Communautaires 62 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 En 2018, les musées de la ville de Yaoundé, en dehors du Musée National avec plus de 1.000 visiteurs, les autres étaient en deçà de 200 (MEKOU et al. 2018, p. 289). Sur la base des informations obtenues auprès des Responsables des musées pour l’année 2019, le nombre de visites des Musées privées et Communautaires de la Région de l’Ouest, à l’instar du Musée du Palais des Rois Bamoun avec un peu plus de 5.000 visiteurs comme le Musée des Civilisations à Dschang avec 5.666 visiteurs, le Musée de Bapa 1.339 visiteurs, le Musée de Baham 658 visiteurs, les autres oscillaient entre 150 et 1.000 visiteurs par an. Le Musée National de Yaoundé a obtenu 5.793 visiteurs. Ces nombres incluent les publics scolaires, universitaires, nationaux et étrangers, avec une légère prédominance des publics scolaires dans le cadre des activités pédagogiques. Au cours de l’année 2020, le Ministère du Tourisme et des Loisirs (2020, p. 40) du Cameroun a procédé à une analyse des motifs de visite touristique. Les loisirs, la détente et vacances prennent la tête de liste avec les activités telles que les visites de sites, participations à des manifestations sportives et culturelles, activités culturelles, etc. Bien que frappé par la COVID-19, ayant en cette période limitée le déplacement de biens et personnes, la consommation de l’offre culturelle est restée un atout majeur pour l’émergence du tourisme au Cameroun. L’ampleur insoupçonnée de cette crise sanitaire a entrainé des réponses organisationnelles nouvelles et adaptées dans plusieurs musées. Il y a des musées qui ont vu le nombre de leur personnel réduit, d’autres ont carrément fermé limitant leurs activités au dépoussiérage des collections. La visite guidée est restée la seule activité que les Cases Patrimoniales ont privilégié en cette période. Elle a été fondamentale à la survie de ces établissements en période COVID-19 et l’est demeurée jusqu’à présent. Le personnel de ces structures a dû se résilier pour continuer de prendre soins du patrimoine qui est sous leur responsabilité. Les Cases Patrimoniales sont restées ouvertes au public la plupart de temps, sans politique marketing pour faire venir un max de visiteurs présent sur le territoire chaque weekend pour les festivités diverses. Avec le flux de personnes qui se déplace chaque fin de semaine pour les enterrements mortuaires, elles devraient capitaliser pour en faire une foule, car « l’originalité du tourisme de mémoire réside justement dans le fait qu’il s’agit d’un processus de coproduction tripartite qui nécessite la participation d’un tiers supplémentaire, à savoir : le gardien de la tradition (musée) » (TEMGOUA 2019, p. 4). La situation semble statique au regard du taux de fréquentation des musées pendant et après le COVID -19. Bien que les frontières soient ouvertes, le problème reste le même. Ces structures peinent à faire décoller le tourisme local. Les statistiques de visites annuelles de 2020 et 2021 font état de 3.397 visiteurs par an pour huit Cases Patrimoniales en 2020, 5.808 en 2021. Jusqu’au mois de juillet 2022, on a dénombré 5.864 visiteurs pour dix 63 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 musées avec 2.931 visiteurs pour le Musée des Civilisations à Dschang. Les tableaux ciaprès (fig. 1 et 2) présentent des détails sur le nombre de visiteurs par structure. Figure 1 – Statistique de visite des Cases Patrimoniales 2020. Photo : Office Régional de Tourisme de l’Ouest –Cameroun, septembre 2022. Figure 2 – Statistique de visite des Cases Patrimoniales 2021. Photo : Office Régional de Tourisme de l’Ouest –Cameroun, septembre 2022. Force est de constater que la résilience des musées, de façon générale au Cameroun, relève moins de la crise sanitaire que de l’absence de stratégies locales de développement du tourisme locale. Conscients du fait que les populations appréhendent les Cases Patrimoniales comme des lieux où sont présentés des objets sacrés pour certains, pour d’autres, plus conservateurs, les biens culturels ne doivent pas être exposés, les Gestionnaires devraient mettre l’accent sur les activités hors les murs du musée pour faciliter leur sensibilisation et la réappropriation de leur patrimoine. Ce qui permettrait de développer le territoire en mettant en valeur d’autres attractions touristiques avec le musée comme le centre. 2. Embarras des musées au Cameroun à promouvoir le tourisme local « Le tourisme comprend les activités déployées par les personnes au cours de leurs voyages et de leurs séjours dans les lieux situés en dehors de leur environnement habituel pour une période consécutive qui ne dépasse pas une année, à des fins de loisirs, pour affaires et autres motifs non liés à l'exercice d'une activité rémunérée dans le lieu visité. » (OMT 2000, p. 7). 64 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 Comme le souligne la définition susmentionnée, le tourisme dépend clairement d’un déploiement d’activités qui permettent à des personnes en déplacement de s’amuser, de se divertir tout en profitant d’expériences nouvelles. Sa bonne marche dans une localité est tributaire ou consécutive à la présence d’une attraction principale (musée, monument, chutes, etc.) et des attractions secondaires qui viennent enrichir l’expérience. Ainsi, qu’est ce qui justifie le fait que les musées au Cameroun ne contribuent pas efficacement à la mise en valeur touristique de leur localité ? l’état des lieux, une analyse ou le diagnostic des activités de diffusion et de médiation proposé par les musées au Cameroun apportera un éclairci à cette question. 2.1. Absence de personnel qualifié Malgré la présence sur l’étendue du territoire national des écoles de formations en muséologie et métier de musée, la pratique déontologique reste encore précaire. Le personnel des musées communautaires fait une gestion approximative, ce qui constitue un véritable frein au développement des activités muséales. Le manque d’expérience réduit l’activité du musée à la collecte et exposition d’objets ainsi que la visite guidée. Table rase est faite sur les activités d’animations à fort attrait touristique. Le bilan de la qualification du personnel de ces musées est mitigé, d’un côté, l’on parle d’incompétence pour ceux ayant reçus une formation et de l’autre, d’ignorance pour les praticiens néophytes. 2.2. Indifférence du public La perception que l’opinion populaire à du musée comme la maison des fétiches ou encore l’affaire des blancs, fait grandir la distance entre cet établissement et son public proche. D’ailleurs, « On observe, chez les camerounais, une certaine distance à l’égard des musées, qui laisserait penser à un manque d’intérêt de leur part. Nombre d’eux n’ont aucune idée d’un musée, et d’autres n’en perçoivent pas l’importance au point d’assimiler sa fréquentation à une perte d’argent et surtout de temps. » (MAKOU et al. 2018, p. 279). La position des cases patrimoniales à l’intérieur des chefferies augmente cet éloignement du public, la chefferie étant un milieu clos. À cela, vient se greffer le caractère passéiste des expositions permanente qui ne présente aucun lien avec le vécu quotidien actuel. 2.3. Nature conservatoire du musée Les musées ont longtemps été considérés uniquement comme de lieu de conservation, fonction toujours inhérente à leur fonctionnement, car essentielle à la préservation et la transmission du patrimoine culturel aux générations futures. Le problème des musées au Cameroun est qu’ils ressemblent plus à des magasins de stockage et de rangement des objets anciens. Ils restent fermés dans le passé sans aucune démarche de contextualisation 65 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 des objets qu’ils possèdent. Avec des collections constituées des masques, des statues et bien d’autres objets ethnographiques, ces derniers restent dans un paradigme colonial de la connaissance de l’autre (DE L’ESTOILE 2009), avec pour visiteurs principaux les expatriés. Au regard du contexte culturel et de l’appréhension ou le ressenti des populations devant les biens culturels, qui sont parfois contre leur présentation à un public tout azimut, les musées apparaissent pour elles comme des maisons de fétiches. Cette attitude simpliste et dépassée pour les sociétés modernes fait à ce que pris sur trois angles particulièrement, ces musées ne font pas de leur collection un attrait touristique. Sur un plan environnemental, ils ne contribuent pas à la promotion des spécificités et des diversités culturelles et naturelles de leur territoire. C’est une vision très étriquée qui est donnée à ces biens. Or, la conservation doit favoriser la connaissance, la sauvegarde, la transmission et la mise en valeur des cultures au sein de communautés et en dehors. Cette situation s’explique par le manque de moyens tant financiers, matériels qu’humains. L’absence d’une politique générale de développement de territoire impulsée par les Collectivités Territoriales Décentralisées ou même de l’instance dirigeante du musée est un grand handicap. On fait face à la négligence et la non prise en charge salariale du personnel quand bien même celui est formé. Sur un plan économique, cette manie à laquelle ils sont restés attacher ne vise pas à générer de l’emploi, de produits, de services novateurs en tant qu’acteurs du tourisme culturel. À titre d’exemple, aucun musée au Cameroun ne possède un espace de promotion des techniques traditionnelles de conservations et des savoirs faire endogènes. Or cela peut améliorer le niveau de vie des détenteurs du savoir par la génération des revenus liés à l’attrait touristique. Sur un plan social, la gestion qui est faite des biens culturels ne favorise pas leur accessibilité et l’épanouissement culturel des collectivités, ne stimule pas l’échange interculturel et intergénérationnel, n’améliore pas la qualité culturelle des cadres de vie et ne contribue pas à l’éducation de divers publics, à la préservation et à la valorisation des identités locales, régionales et nationales. Pourtant, si ces actions sont positivées, l’image plurielle de la localité sera particularisée. 2.4. Absence de communication Dans le monde technoscientifique d’aujourd’hui où la concurrence est presque inévitable, plusieurs structures, quelle que soit leur taille, ont compris que pour fonctionner de manière permanente, elles doivent faire de la communication un atout majeur. Mais les musées camerounais n’ont pas encore épousé cette tendance par l’appropriation des outils de communication qui vont du physique au numérique. La mass média et multimédia de 66 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 communication est presqu’inexistante ou mal utilisée. Les pages Facebook pour ceux qui en ont sont rarement animées. Les pages Web inexistantes pour certains et peu fournis et renseignées pour d’autres. Loin de là même, sur un plan informel, beaucoup de musées sont étrangers dans leur propre environnement. Très peu de personnes peuvent se renseigner sur leurs activités. La définition d’une stratégie avec des objectifs précis est un défi majeur pour les musées qui veulent garantir et affirmer leur présence en participant à l’intégration et le développement du tourisme. C’est vraiment triste de voir, avec les multitudes d’évènements qui sont organisés au sein des communautés camerounaises, un manque de communication de la part des musées. La Région de l’Ouest qui regorge l’essentiel du réseau muséal fonctionnel, regroupe des festivals et cérémonies organisés à des périodes régulières, dont ces établissements n’en profitent pas pleinement. 2.5. Position géographique Il n’est pas aisé de nos jours de faire des dépenses sans toutefois statuer sur le cadre géographique, l’accessibilité, la logistique et apprécier la qualité mais aussi la quantité de ce pourquoi on le fait. Cette logique nourrie anime l’état d’esprit de nombreux consommateurs, que ce soit pour la satisfaction des besoins primaire, secondaire ou tertiaire. Le ratio moyen/service est très déterminant pour le déplacement des hommes dans une localité. Les attractions principales que sont les musées dans leur localité ne suffisent pas à attirer les touristes. Situés pour la plupart dans des territoires ruraux, l’accès pour certains n’est pas très aisé, les musées au Cameroun ne proposent pas d’attractions secondaires devant contribuer à l’attrait du territoire. 2.6. Insuffisance des capitaux Évoluant dans un contexte où les pouvoirs publics disposent de peu de moyen pour soutenir les projets culturels et muséologique en particulier, les musées peinent à fonctionner et à supporter les charges qui sont leurs. Dans ce contexte d’insuffisances de capitaux, il n’est pas facile pour les musées, même si la volonté y est, de mener à bien les activités planifiées. Monter un programme d’action ou animation culturelle nécessite un fond d’investissement avant de s’attendre à un retour sur investissement. Que ce soit pour un inventaire du patrimoine ou l’organisation d’évènements, tout cela requiert des moyens dont la plupart des musées ne disposent pas. Les musées au Cameroun ne participent pas suffisamment au développement et au renouvellement d’expériences exceptionnelles devant attirer de nombreux visiteurs. 67 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 Nonobstant ces manquements relevés dans le fonctionnement des musées communautaire au Cameroun, il est important de noter qu’ils se trouvent entourer de richesses patrimoniales utiles. Richesses qui peuvent être utilisées à leur compte au titre de Capitale social, environnemental et économique pour impulser le développement touristique. 3. Des Musées Communautaires au cœur du tourisme local au Cameroun 3.1. De nouvelles missions pour les Musées Communautaires Avec l’essor considérable que connait de nos jours le tourisme de masse, pour ne pas être dépourvus, les musées communautaires au Cameroun doivent se positionner sur le marché du tourisme en se fixant de nouvelles missions. Jusqu’ici dirigés par la vision occidentaliste, c’est à dire essentiellement tournée vers les touristes étrangers venus connaitre les peuples autochtones, il est temps de casser les codes, d’adapter, d’ancrer les musées dans leur environnement socioculturel propre, de créer le modèle adéquat afin d’africaniser le tourisme. Il s’agit de : - développer les activités culturelles associant le musée et la communauté ; - contribuer à la création de nouvelles richesses patrimoniales ; - être acteur du tourisme solidaire ; - utiliser le numérique pour accroitre l’activité touristique. 3.2. Des initiatives adaptées pour l’essor du tourisme Longtemps considérés comme un enjeu du tourisme, les musées au Cameroun désormais résultent d’une réflexion profonde, qui, dès l’initiation du projet, les place au centre du développement endogène. La population locale qui est productrice de la culture, doit en être la première consommatrice. Cela passe par un véritable mécanisme d’attirance massive des personnes. À l’ère de la mondialisation des activités touristiques, Brianso (2017, p. 154) soutient l’idée de la participation du musée au développement touristique en ces termes : « établissement patrimonial réputé à cause de son architecture, de son histoire et de la richesse de ses collections. Il bénéficie d’une notoriété artistique quasi universelle au point d’être recommandé, autant par les ouvrages et revues spécialisés, que par les guides touristiques classiques et en ligne ». Dans cette logique, nous proposons ici un essai méthodologique pour le développement du tourisme par les musées camerounais. 68 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 Figure 3 – Essai méthodologique pour le développement du tourisme par les musées camerounais. La conception architecturale L’architecture du musée aujourd’hui ne vise plus à faire un bâtiment devant simplement accueillir une collection et des expositions. Elle relève d’une actualité brulante qui prône « une forte identité à l’édifice ». Le musée doit être « un monument » qui donne « un sentiment de fierté » (DONADA 2004). Cette satisfaction découle du fait que sa construction fait ressortir une originalité révélatrice par sa forme. L’unicité et l’originalité sont en soi des facteurs de curiosité et d’attraction touristique, le musée devenant une icône dans son environnement. Le cas du Musée Guggenheim de Bilbao en est très illustratif, conçu dans les années 1990 par les autorités basques, il a été un facteur déterminant pour la régénération urbaine, mais aussi pour façonner une image positive de la ville qualifiée de ville noire. La présence de musée avec une architecture singulière a participé au développement touristique dans la région. Il apparait donc clair avec le cas du Louvre d’Abu-Dhabi qu’une conception bien pensée du musée participe à une logique de marketing urbain ou rural. De nombreux promoteurs de musée au Cameroun comprennent déjà la nécessité de construire des musées qui épousent les réalités locales avec une originalité, chargée de nombreuses symboliques. Leur architecture est une marque référentielle, un identifiant unique de la localité à l’échelle nationale. À titre d’exemple, un visiteur du Musée Des Civilisations à Dschang vivant au Maroc a affirmé avoir vu la photo du bâtiment sur internet, surpris que cela soit au Cameroun, il a pris la résolution de le visiter une fois de retour au 69 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 pays natal4. Ainsi, l’on rencontre sur l’étendue du territoire d’autres musées dont l’architecture est un véritable outil marketing du territoire. C’est le cas du Musée des Rois Bamoun à Foumban (2018), du Musée Case Patrimoniale de Bapa (2018), du Musée Maritime de Douala (2013), etc. (fig. 4-6). Figure 4 – Musée des Rois à Foumban. Photo : Kom Dimitri, 2021. Figure 5 – Musée Case Patrimoniale de Bapa. Photo : Rachel Ngniguepaha Uriel, 2021. Figure 6 – Case patrimoniale de Bafou. Photo : Ngniguepaha Uriel, 2022. Cette logique qui doit s’harmoniser à l’échelle nationale, pour la mise sur pied des musées porteurs d’une identité visuelle marquante. Cela demande une réflexion approfondie sur le lien entre le bâtiment et le concept développé, et le lien avec la culture (l’environnement) du musée. La priorité doit tant bien que mal être donnée aux musées construits qu’aux réaffectations pour une contribution efficace à l’essor du tourisme. 4 Scène vécue par Ngniguepaha pendant un Stage académique en avril 2018 70 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 Devenir des centres de recherches La connaissance aujourd’hui est facteur de déplacement pour des personnes qui sont en quête du savoir. Ce qui est l’occasion pour les musées au Cameroun de donner leur caution pour un accès mondial à la connaissance du patrimoine dont ils ont la charge. D’où l’urgence, pour eux de cesser d’être des conservateurs, mais devenir des lieux qui promeuvent la recherche. L’actualité est de documenter la culture, la mémoire collective et diverses expressions matérielles et immatérielles de l’homme à travers les âges. Événementiel Les musées doivent être fortement impliqués dans les évènements festifs qui ont lieu dans leur environnement. Ils peuvent à cet effet être des participants ou des initiateurs. Des occasions connues du grand public sur le territoire national sont à exploiter par ces derniers. À ce titre, la fête de la jeunesse (11 février), la Journée Internationale de la Femme (8 mars), la fête du Travail (1 mai), la fête de la nativité (24-25 décembre), la saison des funérailles, les programmes vacances utiles sont à capitaliser. Ce sont autant d’occasions pour les institutions muséales d’établir des liens avec leur thématique pour offrir de véritable spectacle vivant au public. Il s’agit pour elles de faire une veille stratégique pour qu’à chaque évènement stable, ils puissent développer des activités touristiques et montrer un nouveau visage au public. Par ailleurs, les musées peuvent faire preuves d’audace en matière d’évènements, en étant eux-mêmes initiateurs et acteurs. Ils sont capables de créer dans leur environnement des moments de loisirs, de pouvoir joindre l’utile à l’agréable. Un musée sans évènement apparait comme une belle fleur sans véritable parfum d’agréable odeur. Or, ces institutions qui semblent avoir de plus en plus du succès auprès de la population camerounaise doivent pouvoir se montrer apte à initier l’organisation des concerts de musique, de spectacles théâtraux, à s’impliquer dans l’organisation des festivals, des soirées géantes, des performances artistiques… La démarche du Musée Des Civilisations à Dschang est très illustrative dans cette logique. Avec le soutien de la Route Des Chefferies5, il a organisé du 26 au 27 mai 2012 le « weekend des mécènes » qui a favorisé le déplacement massif de plusieurs partenaires et mécènes pour la ville de Dschang. Ce fut un weekend riche en couleur avec l’organisation de concert de musique, de la visite de quelques sites touristiques du département de la Ménoua ainsi que des échanges dinatoires. Cependant, cette activité est restée isolée. À dire qu’il faut pousser les Responsables à la rendre cette démarche régulière. 5 La Route des Chefferies est une Organisation Non Gouvernementale (ONG) qui œuvre à la valorisation du Patrimoine culturel et naturel dans la région de l’Ouest Cameroun. 71 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 Création d’une identité culturelle Il est certes vrai que la mission traditionnelle des musées est de conserver le patrimoine culturel et naturel. Avec la tendance qui promeut aujourd’hui l’attractivité des territoires, les musées camerounais peuvent se servir de l’outil marketing qu’est le patrimoine et toutes ses composantes pour créer la marque du territoire dont ils sont au service. Ceci passe par la combinaison active de quatre actions : identifier, inventorier, documenter et communiquer autour du patrimoine, afin de favoriser les réactions positives de la part de potentiel touriste. L’identification et l’inventaire consistent à mettre à jour les différents éléments patrimoniaux significatifs faisant la particularité du territoire. Cela permettra au musée de mettre sur pied des circuits appropriés pour une consommation optimale et efficiente du patrimoine par le visiteur. La documentation et la communication supposent la production des contenus logiques autour du patrimoine. Au travers de différentes approches et moyens médiatiques des mécanismes peuvent être mis sur pied pour faciliter leur accès au grand public. Il s’agit des médias et réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram, etc.) ; la télévision (documentaire, publicité, etc.) ; impression des tracts et prospectus. B. Nizésété, (2007, p.13) préconisait que les musées aujourd’hui mettent à leur profit les moyens nouveaux qu’offrent les Technologies de l’Information et de la Communication, afin d’attirer un maximum de visiteur dans leur territoire. Combiner ces actions contribue à définir une approche marketing qui va mettre sur pied une véritable marque culturelle du territoire et attirer de nombreux touristes. Actions d’éducation culturelle Les musées, plus que jamais, doivent se positionner comme des lieux d’accueil tout azimut des personnes venant s’instruire ou pour partager des connaissances particulières. L’accent ici peut être centré vers des forums de discussions patrimoniales par catégories socioprofessionnelles, développer des activités qui favoriseront leur déplacement en fonction de leur intérêt. À ce titre, des colloque, conférence, table ronde, excursion, etc. peuvent être organisés. Les musées camerounais disposent d’une source inépuisable de sujets propres à leur environnement. Ils peuvent donc mobiliser, à des intervalles de temps réguliers, des experts pour des échanges, lesquels sont un appel à l’innovation dans les manières d’agir et de concevoir les choses, mais aussi un excellent moyen de déplacer les personnes qui vont séjourner dans la localité en tant que touristes. 72 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 Colonie de vacances Dans le déploiement des activités culturelles de grandes portées, les musées en collaboration avec la population et les autorités locales, sont appelés à initier l’accueil des colonies de vacances. Il s’agit pour ces derniers de créer dans les limites de leur territoire un cadre propice pour l’accueil et le logement des personnes venues participer à des activités spécifiques organisées. Il faut disposer des centres d’hébergement décent6 et des activités spécifiques déclinées sur une période bien déterminée. L’animation, les ateliers d’éducation culturelle, le sport et autres activités de détente ingénieuse propre à chaque territoire meublent le quotidien. C’est un excellent moyen pour les musées camerounais de donner leur caution pour l’essor du tourisme solidaire. Au-delà de l’idée simpliste de la détente, les activités proposées doivent participer au développement humain à travers l’enrichissement des expériences personnelles, l’autonomisation de la personne, le développement de l’esprit critique et d’autres aptitudes nouvelles. Mais aussi, au vivre ensemble qui passe par le respect des valeurs propres à l’autre et l’ouverture culturelle des participants. Les volets économiques et environnementaux n’en sont pas en reste. 4. Politique des musées d’ethnographie au Cameroun pour le développement touristique Les défis majeurs de notre temps se présentent davantage dans l’utilisation du numérique. Aucun secteur ne peut aujourd’hui se soustraire à cette mouvance alimentée par les avancées technologiques. Avec la tendance actuelle, les musées doivent avoir une politique tournée vers le numérique pour participer à un tourisme planétaire avec la pratique de l’hyper connectivité. Cette approche permettra de toucher non seulement les nationaux mais les internationaux et le musée devenant « un media » (DAVALLON 1992). L’un des aspects de cet iconoclasme passe par la disponibilité des contenus numériques multilingues (Anglais/Français). En plus du fait que ce soit les langues officielles du Cameroun, il est important de noter que l’Anglais est la langue mondiale des échanges quelle que soit leur nature. Certes une majorité des musées a des panneaux bilingues, mais l’heure étant à une convention, transfert de l’analogique vers le numérique, ces établissements doivent se doter des compétences humaines capables de rendre leur contenu aisément accessible sur le web. Par ailleurs, le déploiement de nouveaux services numériques est aussi un moyen d’accroitre l’activité touristique. Cela comprend des supports d’aide à la visite (Audioguide bilingue) ; de valorisation du patrimoine (Cyber musée, musée numérique, portail de collection, etc.) ; technologiques pour la facilitation de service (billetterie numérique, 6 Dans la plupart des communautés, l’on retrouve des villas appartenant à des élites vivantes dans les centres urbains. Ces derniers peuvent à titre d’exemple être sollicitées pour l’hébergement. 73 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 conception d’applications, site internet, Community manager). Le projet de mise sur pied de la billetterie centralisée pour les musées de la Route Des Chefferies est une initiative louable dans ce domaine. Elle veut donner la possibilité à un touriste de visiter sans exception tous les musées du réseau en se procurant le billet en un seul point, qui de manière automatique relaie l’information aux autres. Aussi, les Musées Communautaires au Cameroun exposent leur patrimoine, mais doivent s’exposer avec leur territoire au travers des innovations technologiques. Pour cela, il est important qu’ils soient introduits dans le plan guide Cameroun et ils apparaitront facilement dans les recherches sur les attractions touristiques nationales. Conclusion Au regard de l’environnement muséal camerounais actuel, les musées ne jouent pas encore le rôle qui est le leur dans l’essor du tourisme. Il s’agit là d’une situation qui découle de la vision théorique et conceptuelle nationale qui leur donne peu de pouvoir et les réduits à des établissements dont la conservation et la présentation au public des collections restent les activités du quotidien. Ces musées minimisent l’atout majeur qu’ils ont en tant qu’attraction touristique principal pour participer activement au marketing de leur territoire. Il est donc indéniable et impératif pour eux de mettre sur pied des actions culturelles inédites devant favoriser un déplacement de personnes et par conséquent développer le tourisme local voire national. Au-delà de l’insuffisance des ressources matérielles, financières, le personnel à force de faire le guidage acquiert par reflexe les compétences pour développer localement des activités touristiques. Il est impératif de travailler avec les Associations des Parents d’Élèves ‘APE), les milieux associatifs, les Collectivités Territoriales Décentralisées (CTD), la diaspora pour développer le tourisme en adéquation avec l’environnement socioculturel dans une démarche territoriale. Bibliographie ABBA OUSMAN Mahamat, 2018 : les musées au Cameroun : état des lieux et besoin en formation, UNESCO. BRIANSO Isabelle, 2017 : « Le musée à l’ère du tourisme de masse », in MAIRESSE François, Définir le musée du XXIe siècle. Matériaux pour une discussion, Paris, ICOFOM, p. 152-155. DAVALLON Jean, 1992 : « Le musée est-il vraiment un média ? », Publics et Musées, n° 2, p. 99-123. NIZÉSÉTÉ Bienvenu, 2007 : « Musées et Développement : réflexion sur les enjeux et défis des musées camerounais pour la valorisation du patrimoine culturel », Annales de la faculté des arts, lettres et sciences humaines, Université de Ngaoundéré, vol. 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Disponible sur : https://www.icomcanada.org/wp-content/uploads/2019/04/ICOM-Canada_ProposedDefinition_FR.pdf (consulté le 20 décembre 2019). JUANALS Brigitte & MINEL Jean-Luc, 2020 : « Musées et monde numérique. Stratégies éditoriales des musées. Une approche de la médiation par l’accès ouvert aux données numérisées », Culture et Musées, n° 35, p. 49-75. KOKOU AITHNARD Mathem, 1976 : « Le musée et le développement socio-économique en Afrique », Museum (Le musée africain à la recherche de son avenir), vol. XXVIII, n° 4, p. 184-191. MAKOU Laurentine et al., 2018 : « Les musées à l’épreuve de la promotion du tourisme au Cameroun : l’exemple des musées de Yaoundé », Revue ivoirienne de Géographie des savanes, n° 4, p. 278-295. MINISTERE DU TOURISME ET DES LOISIRS, 2020 : Annuaire des statistiques du tourisme et des loisirs. NDOBO Madeleine, 1999 : « Les musées publics et privés au Cameroun », Cahiers d'études africaines, vol. 39, p. 789-814. ORGANISATION MONDIALE DU TOURISME, 2000 : Recommandation sur les statistiques du tourisme, Études statistiques, Série M nº 83 (Rev-1.0), New York. TEMGOUA Bertrand Dongmo, 2019 : « Quelles ressources humaines pour le tourisme de mémoire ? Le profil des agents prestataires de services lors des funérailles bamilékés du Cameroun », Mondes du Tourisme [en ligne], n° 16. Disponible sur : https://doi.org/10.4000/tourisme.2462 (consulté le 7 avril 2020). 75 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 WOZNY Danièle & CASSIN Barbara, 2014 : Les intraduisibles du patrimoine en Afrique Subsaharienne, Paris, Démopolis. Notices biographiques Rachel Mariembe Rachel Mariembe, archéologue, conservateur et muséographe, est titulaire d’un Ph.D en Sciences du Patrimoine. Chef de Département Patrimoine et Muséologie à l’Institut des Beaux-Arts de l’Université de Douala à Nkongsamba, elle a participé à la réalisation de 7 Musées Communautaires au Cameroun ainsi qu’à l’exposition « Sur la Route des Chefferie du Cameroun : Du visible à l’invisible » au Musée du Quai Branly Jacques Chirac en tant que Commissaire Associée. Le développement des Industries Culturelles et Créatives par les éléments culturels immatériels du patrimoine au Cameroun et la conservation préventive à travers l’analyse des symboles, des interdits sociaux sont ses principaux centres de recherche. Contact : rmariembe@yahoo.fr ou mariembe.prdc@yahoo.fr Uriel Ngniguepaha Uriel Ngniguepaha, chercheur en patrimoine et muséologie, est titulaire de deux Masters, l’un en Gestion et Conservation du Patrimoine Culturel et l’autre en Civilisations, Cultures et Développement obtenus à l’Université de Douala respectivement en 2020 et 2022. Passionné du numérique il est membre fondateur de l’Association ACT Découverte qui travaille à la decouvrabilité de l’art, de la culture et du tourisme notamment par le biais de la virtualisation 3D. Actuellement, il occupe le poste d’Assistant Gestionnaire au Musée Case Patrimoniale de Bapa et celui de Responsable du développement culturel au sein de l’association ACT. Entrepreneur culturel, il est à la tête du projet du Musée Virtuel de l’Intemporel. Contact : gnuriel9@gmail.com 76 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Lilian ALVES GOMES Un musée des ex-voto au Brésil : exposer le miracle Résumé À travers l'analyse d'une exposition d'ex-voto, l'article explore les problématiques de la sélection des œuvres et des modalités de mise en scène des « miracles ». Dans ce but, l'interlocution avec un collectionneur d'art ainsi que les expériences et impressions suscitées par certains dispositifs de présentation de l'exposition Casa dos Milagres Santos e Ex-votos na Coleção de Antônio Marques, organisé dans dans la ville de Natal, l'état de Rio Grande do Norte, au Brésil, sont thématisés suivant une perspective ethnographique. Les principaux débats développés explorent les caractéristiques des espaces où les ex-voto sont exposés en contexte dévotionnel; les inflexions de la vie rituelle des ex-voto; le potentiel de l’exposition d’activer les pouvoirs des objets et, enfin, sur l' exposition comme un rituel. Mots-clés : ex-voto, collection privée, exposition. Abstract From the analysis of an exposition of ex-votos, I investigate the issues regarding the selection of works and the displays of the so-called "miracles". For this purpose, the interaction with a Brazilian art collector is discussed in ethnographic perspective, in addition to the experiences engendered by the exhibition Casa dos Milagres – Santos e Ex-Votos na Coleção de Antônio Marques, held in the city of Natal, state of Rio Grande do Norte, Brazil. The main debates developed explore the characteristics of the spaces where the ex-votos are exhibited in a devotional context; the inflections of the ritual life of these objects; the potential of exhibition to activate the powers of objects and, finally, about exhibition as a rite. Keywords : votive objects, private collection, exhibition. 77 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 1. Quelques mots préliminaires sur les ex-voto et les salles des miracles Au Brésil, les ex-voto, aussi appelés milagres (miracles), sont offerts aux saints dans les églises catholiques et autres lieux de culte, comme au pied des croix et dans les cimetières. Dans les églises et les sanctuaires, il est courant que de tels objets soient exposés dans des espaces adjacents, appelés « Sala dos Milagres » (Salle des Miracles)1. Les définitions les plus connues de l'ex-voto le qualifient de paiement aux saints en échange de faveurs. Une telle lecture d'inspiration mercantile méconnaît que l'établissement d'un lien avec un saint n'est pas toujours équivalent à un engagement à court terme et qui est finalisé après la liquidation de dette (GOMES 2013)2. C'est-à-dire, les salles des miracles sont pleines d’objets qui échappent à la définition d’ex-voto présent dans les dictionnaires (généralement basées sur la locution latine ex-voto suscepto qui signifie « en raison d’un vœu fait »). Les objets choisis par les dévots pour montrer la puissance des saints dans leur vie sont très éclectiques. Ils peuvent s'agir d'objets ordinaires transformés en offrandes, par exemple, des clés pour rendre visible l'acquisition d’une maison ou des lunettes en allusion à guérison d’un problème ophtalmologique. Les dévots peuvent aussi acheter des objets fabriqués à des fins votives, résultants de procédés techniques mis en œuvre pour générer une représentation plastique. Il ne s'agit pas de l'utilisation de quelque chose qui existe déjà, mais de la manipulation de matières premières pour créer un objet destiné à être offert au saint. Il est assez courant que cet objet ait la forme de parties du corps humain, telles que les pieds, les mains, les bras, le cœur, la tête, etc. Ce sont des exvoto « anatomiques », souvent réalisés en cire, en plâtre ou sculptés dans le bois. Comme le propose Heinich (2009), les collections d'ex-voto réalisés en série, sans qualité artistique ni ancienneté particulière, posent des défis particuliers à la logique patrimoniale, construite autour des notions d'unicité, de beauté et de singularité. Pour Didi-Huberman (2007) « les images votives sont organiques, vulgaires, aussi désagréables à contempler qu'abondantes et diffuses. Banales pour l'ethnologue, les images votives semblent tout simplement inexistantes pour l'historien de l'art » (p. 7). Selon l’auteur, les ex-voto causent de l’inconfort parce qu'ils ne correspondent pas aux modèles esthétiques, D'autres dénominations similaires, tels que « Quarto das Promessas » (Chambre des Promesses), « Casa dos Milagres » (Maison des Miracles), « Museu do Ex-voto » (Musée d’ex-voto) sont aussi utilisées. Par convention, tout au long de la discussion je nommerai les espaces d'exposition organisés dans un contexte dévotionnel comme « salle des miracles ». 2 À travers des objets, les dévots remercient non seulement pour les miracles, mais aussi pour les « grâces ». Un miracle se réfère généralement à quelque chose d'extraordinaire (la guérison d'une maladie grave, par exemple), tandis que la grâce se réfère à l'intercession du saint dans des événements plus quotidiens (comme être appelé pour un travail ou acheter une propriété). Cette distinction a des frontières fluides pour les fidèles et plutôt rigides pour l'Église catholique, qui a des procédures spécifiques pour enquêter et juger des événements potentiellement miraculeux (BACCETTO 2021). De plus, les objets sont offerts pour montrer l’existence de l’attachement au saint indépendamment de la réalisation d'une demande ou d'une promesse. 1 78 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 ni aux visions positivistes de l'histoire comme chaîne narrative continue, compte tenu qu'ils contribuent à réduire les clivages entre paganisme et christianisme. Comme nous pouvons le constater, les salles de miracles sont des espaces d’exposition assez provocateurs. Outre le caractère hétéroclite des collections, il n'y a souvent pas de distance entre les œuvres, ni de disposition uniquement à la hauteur du regard du visiteur. La description de ces milieux comme denses et tendus - car en plus d'être saturés d'objets, dans différents états de conservation, les ex-voto concernent une multitude de pathologies et autres situations complexes de la vie des fidèles - contrastent avec l'émerveillement des dévots devant les collections formées en raison de la dévotion aux saints (GOMES 2013). Dans les prochaines sections du texte, j'aborde l'exposition Casa dos Milagres – Santos e Ex-Votos na Coleção de Antônio Marques, tenue en 2013, dans la ville de Natal, dans l'État de Rio Grande do Norte, au Brésil. L'organisation d'une exposition d'art à partir d'objets religieux connus pour être traditionnellement exposés dans des lieux perçus comme marqués par un manque d'ordonnance et d'attractivité esthétique est opportune pour l’articulation d’une série des questions. Les ex-voto brésiliens sculptés étaient et sont socialement classés comme artistiques, bien qu'ils soient aussi considérés comme primitifs, artisanaux, folkloriques, populaires, naïfs et ainsi de suite. Au-delà des classifications, il est important de réfléchir sur le transit des ex-voto pour les collections et les expositions à partir des potentialités et des limites d'un type d'objet qui présente déjà une fonctionnalité esthétique et d’exposition dans les lieux où il est offert dans le cadre des pratiques religieuses. 2. La conception du Musée d’Ex-voto / Exposition Casa dos Milagres – Santos e ExVotos na Coleção de Antônio Marques Entre 2012 et 2013, dans le cadre de ma recherche doctorale (GOMES 2017), j'ai suivi les pratiques de recherche, de commercialisation, de collecte et d'exposition d'objets d’un collectionneur d'œuvres d'art. Il s’agit d’Antônio Marques de Carvalho Junior, qui vit à Natal, dans l’État du Rio Grande do Norte, situé au Nordeste du Brésil, région de production et circulation des miracles sculptés en bois. La production de données ethnographiques a été rendue possible par la participation à différentes situations : voyages à la recherche d'objets dans des sanctuaires, des antiquaires et des fermes ; rencontres avec l'organisme public responsable de la culture du Rio Grande do Norte ; visites d'ateliers d'artistes, d'espaces de collections et de foires d'art et d'artisanat. Les réflexions ci-dessous sont issues d’une ethnographie basée dans le processus de dialogue et d'interlocution que j'ai établi avec lui dans la conception de l'exposition. 79 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Antonio Marques a travaillé pendant de nombreuses années en tant que professeur et est réputé comme un spécialiste de l'art, y compris ses dimensions liturgiques et socioanthropologiques3. Cette position unique en tant que collègue prédécesseur et enseignant a faite de moi, dans plusieurs situations de terrain, une apprentie. Dans d'autres, j'étais une interlocutrice, puisque le collectionneur accueillait avec attention mes suggestions de textes, des recherches sur les espaces d'exposition et autres questions d'intérêt commun. Antonio Marques a idéalisé un musée pour abriter les ex-voto de sa collection, ainsi que quelques images de saints. La Casa dos Milagres (Maison des Miracles) a été conçue comme l’exposition inaugurale et permanente du Museu do Ex-voto (Musée d’Ex-voto). Pendant la période où j'étais sur le terrain, Antônio Marques a décidé de sortir le musée de l'état de projet et en faire une réalité. Par conséquent, nos débats se sont principalement concentrés sur les possibilités d'exposition des miracles. Mes expériences de recherches précédentes concernaient le contexte où les objets ne suscitaient pas l'intérêt des collectionneurs, puisqu'ils étaient majoritairement industrialisés (GOMES 2013). L'administration de la salle des miracles en question a déclaré que tout devait être exposé, car, pour le dévot, aucun miracle n'est plus important que l'autre. Cependant, cette option d'agrégation continue – et pratiquement illimitée – d'objets n'est pas généralisable à toutes les salles des miracles. Dans la littérature sur les sanctuaires à grande échelle, on trouve des références à des cas où les objets sont explicitement triés avant d'être exposés (SOUZA 2012 ; PERRÉE 2017). Lygia Segala (1999) signale qu'à Aparecida, dans le plus grand sanctuaire marial du monde4, « il y a une équipe formée qui sélectionne, organise, classe les pièces votives par sujet et matière et expose les offrandes. [...] Les miracles sont purifiés, en choisissant, dans l'ordre d’exposition, les expressions appropriées de reconnaissance » (p. 17)5. Et quelles seraient les expressions votives choisies par un collectionneur d'art – pour Sa formation vient d'un Baccalauréat en Arts et d'un Master en Sciences Religieuses et Sociologie de la Culture de l'Université de Louvain, en Belgique, où il est allé en tant que séminariste. Néanmoins, à son retour au Brésil, dans les années 1970, il a choisi de ne pas exercer le rôle de prêtre et a commencé à travailler comme professeur d'université dans des cours de Sciences Sociales et d'Arts, rôle qu'il a occupé jusqu'à sa retraite. 4 Le sanctuaire de Nossa Senhora da Conceição Aparecida, patronne du Brésil, est situé au Vale do Paraíba, sur l'axe Rio-São Paulo et, selon les données disponibles sur le site Internet de l'institution, reçoit 12 millions de pèlerins chaque année. La « Salle des Promesses » est située au sous-sol de la basilique et est le deuxième lieu le plus visité du sanctuaire. L'espace d'exposition reçoit environ 19.000 ex-voto par mois et au mois d'octobre, lorsque la fête de Nossa Senhora Aparecida est célébrée, ce nombre atteint 30.000. Il est possible d'effectuer une visite virtuelle de la salle des promesses via le site internet de l'institution : https://www.a12.com/santuario/localis-turisticos/sala-das-promessas (consulté le 12 octobre 2022). 5 En portugais dans le texte original. 3 80 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 montrer la Casa dos Milagres ? Qu'est-ce qui a justifié le transfert de la collection privée vers une exposition publique ? Dans le projet de création de la Casa dos Milagres (CARVALHO Jr., s/d ), qui a été présenté à l'organisme publique responsable de la culture du Rio Grande do Norte, Antônio Marques a abordé la « réserve »6 de « l'Église officielle » en ce qui concerne les ex-voto, qui n'encourage pas la pratique, mais la relègue à un espace « annexe » au temple officiel. Une autre pratique de l'Église catholique servant de justification à la création du musée était la destruction des miracles, qui a lieu de manière récurrente dans de nombreux sanctuaires. J'aborderai la destruction en question plus tard. Le besoin de « préservation » des ex-voto a été abordé dans les années 1970 par Luis Saia, qui a « découvert » les ex-voto quelques décennies plus tôt et est devenu l’auteur de la première mention aux ex-voto sculptés en bois dans la littérature sur l'art brésilien7. La Casa dos Milagres a également été proposée en raison d’un autre besoin soulevé par Saia : celui d’avoir quelqu’un qui choisisse correctement « sous les montagnes des miracles », de façon périodique, et qui, pour cela, soit connaisseur des lieux où se produit le phénomène votif. Tandis que Saia rencontrait les ex-voto en tant que voyageur pressé ; Antônio Marques vit à proximité des lieux où ils affluent et cultive une collection avec des objets « bien choisis » depuis des années. Alors, il a proposé d'en transférer une partie – sous forme de prêt – pour les exposer dans le musée public qui serait créé et géré par une association qu’il présiderait8. La constitution de partenariats avec l’Église se ferait en vue de constituer la collection propre du musée, qui deviendrait progressivement moins dépendante des pièces du collectionneur, puis curateur. Cette collection graduellement constituée appartiendrait à l’État, contrairement aux œuvres de sa collection privée, qui resteraient sa propriété. En portugais dans le texte original, ainsi que toutes les citations de l'auteur du projet sur les pages suivantes. Alors qu'il était encore étudiant en architecture, Saia a été formée à la réalisation de collectes ethnographiques en 1936 par Dina Dreyfus, responsable du cours « Instructions pratiques pour la recherche en anthropologie physique et culturelle », basé sur des modèles scientifiques de l'époque et en lien avec des institutions françaises telles que le Musée du Trocadéro et le Musée des Arts et des Traditions Populaires. La formation fut une initiative du Département de la Culture de la Municipalité de São Paulo, alors dirigé par Mario de Andrade, qui deviendra la principale figure du modernisme brésilien. Ce mouvement important dans l'histoire de l'art brésilien a réuni avant-garde et tradition en la recherche d'une identité culturelle et esthétique propre du pays - ladite « brésilianité » . Pour une analyse plus approfondie de la relation entre exvoto et intellectuels modernistes, voir Gomes (2022). 8 Ce mode de gestion s'inspire du statut du Musée Afro Brasil, situé à São Paulo et fondé par l'artiste plasticien, collectionneur et commissaire d’expositions Emanoel Araújo. L'Association Museu Afro Brasil a été créée en 2005 et est devenue en 2009 une « entité privée de caractère public », liée au Secrétariat d'État à la Culture. Cette constitution a permis de recevoir des fonds du gouvernement de l'État de São Paulo et a impliqué le don d'œuvres à l'État fait par le fondateur, en plus du don d'œuvres de l'Associação Museu Afro Brasil. Emanoel Araujo a été directeur et commissaire de l'institution jusqu'à sa mort le 7 septembre 2022. Source : www.museuafrobrasil.org.br (consulté le 12 octobre 2022). 6 7 81 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 L'installation de la Casa dos Milagres a été prévue pour un espace spécifique, situé dans un Centre de Tourisme, placé dans le centre historique de Natal. Le Centre de Tourisme fonctionne depuis 1976 dans un bâtiment du XIXe siècle et il est formé d'un ensemble de magasins destinés aux touristes, tels que des commerçants de produits régionaux et artisanaux, ainsi que des souvenirs9. Antônio Marques avait un magasin d'antiquités et d'art populaire dans ce centre commercial, mais a décidé de fermer les activités de l'établissement pour les orienter vers un autre espace du Centre de Tourisme, l’ancienne chapelle. Le collectionneur a pris conscience de l'espace en question en le fréquentant à des réunions liées à l'administration du centre. L’ancienne chapelle avait déjà été utilisée pour organiser des célébrations catholiques pour les prisonniers (lorsque le bâtiment était utilisé comme prison publique). Son intérieur a été dépersonnalisé lors de la rénovation du Centre de Tourisme, entre 1975 et 1976. Depuis, selon le collectionneur, la chapelle est restée « fermée et sous-utilisée ». L'implantation du musée impliquerait « de profiter des possibilités architecturales existantes, y compris les détails », comme les « arcades latérales », dans lesquelles « des répliques stylisées des principaux sanctuaires religieux du Rio Grande do Norte seront installés » (CARVALHO Jr., s/d). Et quels objets choisir pour produire « des répliques stylisées des sanctuaires » ? Malgré le rôle d'Antonio Marques dans l'enseignement des sciences sociales, sa collection privée n'était pas constituée, a priori, comme ethnographique, mais comme un ensemble d'œuvres d'art. Sa recherche d'objets reposait avant tout sur les aspects stylistiques des objets, comme nous le comprendrons mieux par la suite. La migration des miracles esthétiquement significatifs dans les collections implique souvent de les détacher d'autres ex-voto qui peuvent être assez banals, comme cela a été suggéré, aussi bien que dégoûtant10. Voyant mes photos d'ex-voto beaucoup plus variées (en termes de matériel, de facture, etc.) que celles que j'imaginais à la Casa dos Milagres, Antônio Marques a suggéré qu'il serait intéressant d'en avoir quelques-unes dans l'exposition. Les pièces en question - par exemple, des photographies – n'avaient pas leur place dans sa collection, mais le collectionneur a affirmé qu'un musée « plus anthropologique » pourrait avoir des objets comme ceux-là. J'ai alors réalisé que comment mon interlocuteur concevait le musée 9 Natal est une ville touristique connue pour ses plages et son climat favorable pour en profiter tout au long de l'année. 10 Les salles des miracles abritent ainsi des objets qui se trouvaient autrefois dans le corps des fidèles - des nombrils de bébé, des tumeurs enlevées lors de biopsies, des objets avalés ou aspirés par accident, des calculs rénaux, des dents, des ongles et des touffes de cheveux, par exemple. En raison de ce type d'ex-voto, la susmentionnée Salle des Promesses à Aparecida dispose de bombes à incinération pour les éliminer dès leur arrivée dans l'espace d'exposition (SOUZA 2012). 82 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 comme un espace qui abriterait des pièces qui auparavant n'auraient pas de place dans sa collection. En d'autres termes, l'exposition présenterait des objets votifs de la vie quotidienne dans les salles des miracles, mais qui ne sont pas toujours requalifiés en œuvres d'art par les collectionneurs. Antônio Marques a toujours indiqué qu'il était important pour moi de connaître les sanctuaires qui seraient stylisés dans la Casa dos Milagres. Compte tenu qu’il a conçu le musée de manière directement inspirée par la vie religieuse de l'intérieur du Nord-est brésilien, il faudrait que je connaisse personnellement certains lieux pour comprendre la complexité des phénomènes qui seraient abordés dans l'exposition. Et outre le but de constituer l'exposition, en tant que chercheuse intéressée par les ex-voto, je devrais visiter les sanctuaires vers lesquels ils affluent, afin de pouvoir parler correctement de ces objets. Et en particulier ceux sculptés dans le bois, avec lesquels je n'étais pas familier ni aux manières de les fabriquer, ni à celles de les exposer au public. En janvier 2013, partiellement soutenus par l’organisme publique responsable de la culture du Rio Grande do Norte, nous nous sommes mis en route vers différents lieux de culte : Covinhas (« les petites tombes »), dans la ville de Rodolfo Fernandes ; Sanctuaire de Lima, à Patu; Monte do Galo (« Mont du Coq »), à Carnaúba dos Dantas; Monte das Graças (« Mont des Grâces »), à Florânia; Sanctuaire de Santa Rita, à Santa Cruz. L'itinéraire de voyage a été conçu en vue de contempler les sanctuaires de l’état avec la plus grande présence de pèlerins et, par conséquent, un plus grand flux d'ex-voto. Tous les emplacements étaient déjà connus d’Antonio Marques11 et son ex-associé dans le magasin d'antiquités, Francisco Francinildo, qui est aussi collectionneur et qui nous accompagnaient également. Il faut cependant tenir compte du fait que les espaces d'exposition des sanctuaires sont assez dynamiques, ils cherchaient donc à se mettre à jour sur les salles miracles qu'ils avaient déjà visitées à la recherche d'objets pour leurs collections privées. Il a été possible d'observer différentes manières d'exposer les ex-voto et les divers gestes de collecte (BONDAZ 2014) qui permettent la constitution d'une collection de miracles. Il importe, avant tout, de connaître la dynamique des espaces de dévotion. Qui les administre ? Quelles sont les politiques d’élimination ? Quels sont les moments de plus grand afflux d'objets ? Quelle est la prédominance de l'offre dans chaque lieu ? Quelle serait cette prédominance ? Comme évoqué ci-dessus, des objets de nature très variée peuvent être offerts en ex-voto. Les salles des miracles peuvent néanmoins concentrer des ex-voto qui font allusion à la « spécialité » de leurs saints. Un exemple : au 11 Une exception à ce critère fut la visite à les Covinhas, qu'Antonio Marques a voulu connaître après avoir lu une étude sur cette dévotion. 83 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Brésil, Sainte Lucie est vénérée comme protectrice de la vision. C'est pourquoi de nombreux ex-voto en forme d'yeux sont amenés dans des lieux de dévotion à ce saint. Ainsi, on peut penser à une conception des espaces d'exposition d'ex-voto dans leurs lieux rituels, en vue de la concentration d'objets résultant d'un pouvoir de guérison ou d'action qui se distingue parmi ceux attribués à une divinité. De plus, il faut considérer que les réaménagements par les responsables de la gestion des espaces d'exposition sont fréquents. Certains objets, comme ceux en forme d'organes génitaux, ont tendance à être cachés, tandis que d'autres ont tendance à être mis en valeur, comme les offrandes faites par des dévots célèbres. Malgré les nombreuses différences entre les espaces d'exposition, il est courant que les objets soient regroupés par similarité formelle. Ainsi, des têtes sont réunies sur une même étagère, des jambes sur une autre, des lettres et des photos sur les murs, etc. Les expositions de miracles en tant que processus de sélection et d'exposition impliquent des agences imbriquées. Le choix des objets par les personnes qui s'occupent des lieux de dévotion est un aspect indiscutable des caractéristiques des espaces d'exposition, mais il faut tenir compte du fait qu'un tel choix se fait à partir d'ex-voto qui concernent l'agence d'autres sujets, comme les dévots, les artistes et les saints. L'exposition est donc un acte créatif composite. 3. Exposition et interaction Face à l'impossibilité de structurer le Musée de l'Ex-voto dans les termes prévus, tels que la constitution et régularisation d'une association ; l’appel d'offres public, le catalogage de la collection dans son intégralité et l’élaboration d'un plan muséologique, une exposition a été inaugurée en août 2013 comme une sorte d'avant-première de la Casa dos Milagres, occupant l'espace pour lequel l'initiative a été conçue. De la porte au fond de la salle qui accueillait l'exposition Casa dos Milagres – Santos et Ex-votos da Coleção de Antônio Marques, il y avait un tapis rouge qui culminait dans l'autel de la chapelle. La couleur forte du tapis au sol, le positionnement face à la porte d'entrée et l'élévation de la structure se sont conjugués pour attirer l'attention du visiteur. La nef centrale de la chapelle était ornée d'une image du Christ crucifié et juste en dessous, sur l'autel principal, était placée une Notre Dame de l’Annonciation (Sainte Patronne de la ville de Natal), flanquée de vases et de candélabres. 84 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Figure 1 – De l’entrée de l’exposition à l’autel. Photo : Edilson Pereira, 2014. Le visiteur qui regardait l'image de la sainte, placée un peu au-dessus du niveau des yeux, voyait le Christ au-dessus d'elle. S'il continuait à diriger ses yeux vers le haut, il trouverait le toit de la chapelle inondé de drapeaux en papier bleu. Ce « ciel » se déplaçait avec le vent de Natal pratiquement continu et typique qui entrait par la porte et les fenêtres latérales. L'équipe organisatrice de l'exposition envisageait de suspendre les ex-voto au toit, comme c'est très courant dans les salles des miracles des sanctuaires, mais ils pouvaient tomber sur la tête des visiteurs. Par conséquent, l'occupation de la structure a été pensée en raison de la fragilité du toit de la chapelle, qui ne pouvait pas supporter le poids des miracles en suspens. Dans les images suivantes, nous avons des exemples de salles des miracles dans lesquelles l'espace du toit est utilisé dans le but d’exposer des exvoto anatomiques. 85 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Figure 2 – Salle des miracles du Sanctuaire de Nossa Senhora dos Impossíveis, situé à Patu - RN. Photo : Lilian Alves Gomes, 2013 Figure 3 – Salle des miracles de l'église Nossa Senhora do Carmo, situé à São Cristóvão - SE. Photo : Lilian Alves Gomes, 2012. Revenant à l'exposition organisée à Natal, des « Portraits de la foi » ont été placés dans des cadres et fixés à l'une des structures de l'exposition. Les photographies recueillies dans les salles des miracles font référence à différentes scènes de la vie des dévots, telles que les rites de passage (diplômes, mariages, baptêmes, etc.) et aussi les moments 86 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 critiques de la maladie (personnes alitées ; blessées, avec des parties du corps mobilisées ; photos de membres blessés ou d'autres maladies, etc.). Comme indiqué dans le projet du Musée d’Ex-voto, les sanctuaires ont été « stylisés » à l'intérieur des arcades de l'ancienne chapelle. La proposition d'occuper l’espace en profitant des possibilités architecturales existantes était importante pour que la mise en œuvre de la Casa dos Milagres ne soit pas considérée comme une menace d'une nouvelle dé-caractérisation de l'ambiance. L'utilisation passée comme lieu de cérémonies religieuses a imposée certaines configurations, comme l'emplacement du maître-autel. Mais pourquoi Antônio Marques a-t-il imaginé des sanctuaires à l'intérieur des arcades ? Figure 4 - Vue de l’exposition avec les arcades et sanctuaires « stylisés » à gauche. Photo : Giovanni Sérgio, 2013. Dans ses réflexions sur la fonction sociologique de la porte, Roger Bastide (2006) explique l'existence de « […] dans la pensée mystique des foules, la porte est un des éléments essentiels du cérémonial et […] ajoute grandeur et noblesse au geste de l'homme qui marche, qui franchit le seuil de tout un monde. [...] Seule l'église conserve la porte comme un spectacle artistique, comme un cadre dans lequel la toile peinte est remplacée par une peinture toujours changeante - celle des individus qui entrent et sortent et à qui l'escalier, par la discipline qu'il impose aux muscles, il donne momentanément un air de danse ou de procession rituelle. » (BASTIDE 2006, p. 130-13212) Dans le sillage des propos de Bastide, les arcades de l'ancienne chapelle servent de cadre aux œuvres exposées à l’intérieur. Plus que d'attirer l'attention sur un cadre précis, ils favorisaient une certaine « magie de l'ouverture » , faisant de l'acte de les franchir une forme de bénédiction. En ce sens, l'accès aux sanctuaires était, dans la manière et selon 12 En portugais dans la version du texte consultée. 87 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 les possibilités de l'espace et du collectionneur, solennisé. Figure 5 – Détail du contenu d’une arcade. Photo : Giovanni Sérgio, 2013. Les sanctuaires stylisés étaient composés à la fois d'images commandées à des artistes spécialement pour figurer à la Casa dos Milagres, et de pièces ayant déjà appartenu à la collection du collectionneur, comme c'est le cas de la plupart des miracles proches des saints, remplissant les murs. La plupart de ces ex-voto accrochés aux murs étaient constitués de bras, de mains, de jambes et de pieds. Les membres inférieurs étaient concentrés en dessous et dans la séquence au-dessus d'eux, les membres supérieurs, peu après, des représentations du corps entier et, dans la partie la plus haute, touchant presque le toit, une étagère sur laquelle étaient disposées des têtes. Paulina Fagundes a réalisé des analyses techniques, thématiques et stylistiques de la collection d’Antonio Marques pour obtenir son diplôme universitaire en Arts Visuels. L’expérience de la chercheuse avec la collection a été enrichie par son rôle de médiatrice de l'exposition analysée. Selon son récit13, quelques visiteurs ont identifié la dynamique de la Casa dos Milagres avec celle des sanctuaires ou des objets sont offerts aux saints. Ainsi, en entrant dans l'espace d'exposition, ils s'adressent directement aux autels pour 13 Je remercie énormément Raquel Santos Souza Lima pour la réalisation, sur ma sollicitation, de l’entretien avec Paulina Fagundes à la Casa dos Milagres le 8 août 2014. Je suis reconnaissant aussi à Edilson Pereira pour les photos de l’exposition produites dans la même occasion. 88 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 prier devant les images. D'après la médiatrice de l'exposition, il était courant que les gens entrent dans la chapelle à genoux, enlevant leur chapeau et faisant le signe de la croix. Il est à noter que le désir de toucher les œuvres, récurrent dans les récits de diverses expositions, a été motivé par l'expérience dévotionnelle dans le cas de la Casa dos Milagres. La référence à des gestes variés montre comment l’expérience de la visite de l’exposition organise un parcours corporel et des sens, en allant au-delà de la vision. Au lieu de contempler uniquement, le dévot entre en interaction avec l'espace et, principalement, avec l'image de saint dont le pouvoir est matérialisé par les ex-voto exposés autour de lui. Le personnel du musée a également été surpris par l'interprétation de certains visiteurs, selon laquelle le lieu, ainsi que les salles des miracles, seraient un espace d'accueil permanent d'ex-voto. Aux yeux de ces personnes, la composition de l'exposition reposerait donc sur une agrégation continue de miracles. L'exposition s'est enrichie de nouvelles pièces prises par le public. Dans son récit des jours qui ont suivi l'ouverture de l'exposition, Antonio Marques14 a souligné le cas d'une dame qui a demandé à son fils de laisser une main sculptée dans le bois sur l'autel de Notre Dame de l'Impossible. La dévote a fait une telle demande après avoir vu la nouvelle de l'ouverture de la Casa dos Milagres à la télévision et avoir faite une promesse qui devrait être tenue lors de l'exposition. Cette visite a alors été motivée par la rencontre avec une sainte, rendue possible par les objets exposés à la Casa dos Milagres. De l'argent et des billets adressés aux saints et laissés au pied des images ont également été mentionnés comme des offrandes significatives de la part des visiteurs partis à la recherche des saints exposés, car ce type d'offrandes est très courant dans les lieux de dévotion. Paulina Fagundes a, de plus, raconté des situations dans lesquelles les gens ont immédiatement réalisé que l’espace « était un musée ». La médiatrice a identifié ces visiteurs parce qu’ils se sont concentrés principalement sur le contenu des vitrines et au lieu de se diriger directement vers les autels. Les travaux ont suscité différentes réactions : « Les [visiteurs] qui savent déjà ce que c'est, ils expliquent déjà aux autres qu'ils ne savent pas. Les enfants demandent beaucoup à leurs parents : Qu'est-ce que c'est ? Ensuite, ils expliquent que ce sont les gens qui font 14 Compte tenu que je n'effectuais plus de terrain à Natal lors de l'ouverture de l'exposition au public, j'ai enregistré les premières impressions de mon interlocuteur à partir d'échange d'e-mails (beaucoup d'entre eux avec du matériel publié par la presse de Natal), de contacts téléphoniques et lors d'une visite, il s'est rendu à Rio de Janeiro fin 2013. En 2015, j'ai visité l'exposition, qui à l'époque n'était ouverte qu'aux groupes et sur rendez-vous. Cela dit, les analyses de cette partie du texte concernant le fonctionnement de la Casa dos Milagres ont été produites à partir de témoignages de personnes ayant reçu des visiteurs dans l'espace d'exposition. 89 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 des promesses et autres. Alors, je me rends déjà compte qu'ils connaissent la tradition. Mais ils trouvent souvent le matériel étrange. La plupart des touristes qui arrivent ici connaissent la cire, là ils trouvent différent d'être en bois, chaque pièce est unique, il y a une pièce très naturaliste, certains sont surpris par la représentation de la plaie ou de la maladie en elle-même. Il y a des gens qui se sentent bien, qui se sentent en paix. Il y en a d'autres qui ne se sentent pas si bien, ils partent, les photos sont impressionnantes. Mais la grande majorité aime ça. Je suis là tous les jours, je pense que s'ils transmettent une énergie, c'est de la positivité, c'est un remerciement, c'était une guérison. »15 Antônio Marques a rapporté avoir entendu des critiques pour la création d’une exposition aimable à partir de pièces qui, dans leurs contextes « d'origine », sont en rapport avec la souffrance des gens. Gardant à l'esprit que dans les salles des miracles, la plupart des exvoto concernent des maladies et d'autres événements critiques dans la vie des dévots, la Casa dos Milagres a été qualifiée de « trop joyeuse » par un visiteur. Une exposition inspirée des « vraies salles des miracles » ne pouvait avoir un caractère aussi festif. Selon le collectionneur, cependant, « - La Casa dos Milagres est précisément une maison de fête ! ». Ce qu'il fallait solenniser, de ce point de vue, ce n'est pas la douleur, mais la relation entre les fidèles et les saintes, et principalement, les objets que produit cette relation. Toujours selon Antonio Marques, le secrétaire du Tourisme du Rio Grande do Norte de l'époque, tellement enthousiasmé de l'exposition et de ses effets sur les visiteurs, a même suggéré que la chapelle de la Casa dos Milagres soit à nouveau consacrée par l'Église, afin que l'espace soit considéré comme un lieu de messes et de prières. Certains organisateurs de circuits de pèlerinage ont commencé à utiliser l'exposition comme une première étape du voyage rituel qui commençait vers l'un des nombreux sanctuaires du Rio Grande do Norte. En racontant l'un de ces épisodes, Antônio Marques affirmait : « – C'est le musée de l'ambiguïté ! ». Une telle ambiguïté est renforcée par la configuration de l'exposition en dialogue avec les structures architecturales de la chapelle et ses vocations religieuses. La nef centrale, présidée par l'image du Christ et un autel avec la sainte patronne, avait peu d'éléments par rapport aux nombreux et hétéroclites objets présents dans les sanctuaires stylisés. Cette partie de l'expographie faisait donc référence à la position mise en scène des images trouvées dans la plupart des temples catholiques, respectant l'orientation postconcile du Vatican II16 qui recommande l'exposition, de préférence, de seulement trois 15 16 En portugais dans l’entretien. Le Concile Vatican II (11 octobre 1962 au 8 décembre 1965) a été marqué par renouvellement de la liturgie. 90 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 images dans les temples : le Christ (le seul requis), la Vierge Marie et le patron de l'église ou de la dévotion communautaire. L'ordre d'exposition doit correspondre à la juste hiérarchie de la dévotion, en donnant toujours la priorité au Christ. Dans la Casa dos Milagres, les images qui pourraient être considérées comme « excessives » selon les directives susmentionnées, n'étaient pas situées sur l'autel principal, mais dans les représentations des sanctuaires organisées dans les arcades de l'un des murs latéraux. Les années de séminariste du collectionneur et sa longue expérience de visite des sanctuaires à la recherche d'objets lui ont donné une grande connaissance des pratiques liturgiques recommandées et de celles qu'il ne faut pas encourager. Cela dit, il nous invite à réfléchir sur les actes de dévotion observés dans un milieu où, au départ, l'appréciation de la « dimension esthétique de la religiosité populaire » (CARVALHO JR. 2013) ne seraient pas uniquement due à ce qu'un regard non méfiant pourrait prendre pour une incompréhension des visiteurs/dévots. Même si cela n'est pas ouvertement déclaré, il semble que de tels gestes étaient attendus et actualisés dans les récits, car ils accroissent le discours sur la complexité des pratiques du catholicisme populaire. Ainsi, le collectionneur évoquait l’expérience de la religion qui implique des pratiques spirituelles vécues en famille et en communauté en rattachant les dévots directement à la divinité, sans obligatoirement passer par la présence du prêtre / l’appareil officiel de l’Église.17 Après tout, c’est le regard attentif, porté au fil des années sur les supports matériels de telles pratiques, comme les ex-voto, qui a permis leur accumulation et, par conséquent, cette exposition. Ainsi, on constate que les objets ont également été réunis dans l'exposition afin d'exalter les pratiques du catholicisme populaire. La performance muséale de la Casa dos Milagres, comme nous l'avons vu plus haut, ne comprend pas seulement la reproduction des environnements des salles des miracles, mais aussi l'agencement créatif de la collection dans certaines structures d'exposition. En ce sens, les objets ne sont pas que scénographiques, car, dans leur mise en scène, ils ont agi et permis la (ré)activation de la force rituelle d'un espace. Ainsi, l'association des saints, des ex-voto, des fleurs et des autels relativise le caractère latéral du mur qui abrite les sanctuaires stylisés. Les aménagements sous les arcades sont puissants au point d'être vus comme des demeures de divinités et ce sans avoir à passer par des consécrations officielles. L'Église devient officiellement plus christocentrique et dissuasive en rapport les édifices remplis d'images, comme c'était très courant dans le catholicisme brésilien d'héritage portugais, très attaché au culte des saints. 17 « Beaucoup de saints, très peu de prêtres ; beaucoup de prières, très peu de messes (muito santo pouco padre/muita reza pouca missa) » est une expression populaire qui synthétise cette caractéristique historique du catholicisme brésilien. 91 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 4. Sauvez et exposez les miracles La nef principale et les sanctuaires stylisés dans des arcades latérales de l'ancienne chapelle sont des structures fondamentales pour comprendre la dynamique de visite de l'exposition en question. Cependant, d'autres configurations ont joué un rôle prépondérant dans la construction de la représentation de soi que le collectionneur cherchait à mettre en valeur. Sur les côtés du tapis rouge qui parcourait le centre de l'exposition, des vitrines étaient disposées. L'un d'eux était consacré aux « Ex-voto exhumés ». Les objets de cette vitrine revêtent une importance particulière pour le collectionneur et nous orientent vers la question de la destruction des objets rituels. Dans les sanctuaires, l'élimination a généralement lieu avant les pèlerinages, car il est nécessaire de faire de la place pour de nouveaux objets. Les façons de se débarrasser des ex-voto sont variées. Ils peuvent être brûlés, enterrés ou jetés directement à la poubelle. Le fait que cette dernière solution ne soit pas l'option la plus fréquente n'est pas fortuit. Comme le rappelle Corbey (2003), il est important de considérer que la destruction ou « profanation » peut être une partie essentielle du cycle de vie des objets rituels. De tels actes neutralisent le pouvoir des choses, potentiellement nuisibles lorsqu'elles circulent dans des espaces imprévus ou tombent entre de mauvaises mains. Dans cette clé de lecture, l'ex-voto hors du lieu sacré est dangereux et menaçant pour un ordre. La destruction apparaît alors comme un acte de précaution, car elle exclut la possibilité d'une circulation indue. D'un point de vue plus institutionnel, les récits de destruction d'ex-voto renvoient à la lutte contre la superstition et les pratiques païennes qui ont toujours imprégné le catholicisme. Les ex-voto exhumés présentés dans l'exposition ont été déterrés par Antônio Marques et un collègue, également collectionneur. Ils ont découvert que plusieurs miracles avaient été enterrés au pied d'une croix. Selon Antônio Marques, l'inhumation a été réalisée sur les ordres d'un missionnaire qui est passé par le site, au motif que les ex-voto « seraient une chose du diable ». L'indignation face à l'outrage a conduit les collectionneurs aux autorités ecclésiastiques locales, qui ont autorisé l'exhumation. Comme le montre l'épisode, la posture de l'Église n'est pas proprement iconoclaste ; elle est ambivalente, puisqu'elle implique à la fois la destruction et l'autorisation du « sauvetage » des ex-voto. Les ambiguïtés et les hésitations qui imprègnent la destination des ex-voto concernent toujours la réflexion sur la propriété de ces pièces. À qui appartiendraient-ils ? Aux fidèles qui les ont offerts ? Aux administrateurs des sanctuaires où ils ont été laissés ? Aux saints ? À l’Église ? Ce n’est pas un problème pour Antônio Marques, puisque, selon lui, ils 92 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 auraient la destruction comme destination certaine. Entre les possibilités de destruction et de conservation, la transformation en marchandise peut être observée dans le cadre de certains sanctuaires. Les acheteurs sont des dévots, mais ils peuvent aussi être des collectionneurs et des marchands d’art. Comme le précise Caroline Perrée (2017), les attitudes des autorités ecclésiastiques à l’égard de ces objets oscillent entre concession, souvent pragmatique, puisque les ex-voto peuvent être économiquement exploités, et intégration, parce qu'ils propagent les pouvoirs des saints. À la Casa dos Milagres, le pouvoir de persuasion des ex-voto était dirigé vers un autre but. Les miracles exhumés ont été placés dans une « vitrine spéciale » : « Après cette exposition, le brûlage ou la destruction des objets votifs ne peuvent plus être tolérés. Pour illustrer ce qu’il ne faut pas en faire, des dizaines de pièces sont exposées dans une vitrine spéciale de la nef centrale de la chapelle. C'est des ex-voto d’aspect calciné, du fait qu’ils ont été enterrés, [...]. Dans ce même ensemble, il y a deux têtes, en parfait état, car elles ont été recueillies au même endroit – Cruz da Prêta – bien avant l’action iconoclaste et le non-respect de la culture populaire. » (CARVALHO JR. 2013, p. 21.) Comme on peut le voir, le collectionneur juxtapose des ex-voto dans différents états de conservation pour montrer « ce qu'il ne faut pas en faire ». Dans ce contexte, l'accent mis sur les miracles déterrés non seulement éclaire l'inflexion dans la vie rituelle de ces objets, mais met également en évidence comment ils, lorsqu'ils sont transportés dans un environnement muséal, deviennent les défenses incontestées d'un discours de « sauvetage ». Une tête déterrée était juxtaposée à deux autres attribuées par le collectionneur a un artiste populaire appelé Salomão Fontes Rangel18. En démontrant que les ex-voto sont aussi des créations de sculpteurs d'images de saints, Antônio Marques s'oppose à l'association fréquente entre les miracles et la sculpture afro-noire. Le collectionneur montre de plus qu'il est possible d'aborder l’attribution d’auteur-e des ex-voto, habituellement traités de mystérieux. Confrontant la conception courante selon laquelle les sculpteurs n'aiment pas associer leur nom à la production d'ex-voto, le collectionneur expose des miracles sur lesquels les noms des sculpteurs étaient imprimés par les artistes eux-mêmes, en guise de signature. De cette façon, en plus des offres faites par les fidèles, la collection exposée s'est aussi développée grâce au don de pièces faites par des artistes 18 Salomão Fontes Rangel (1892 – 1975), connu aussi sous le nom de « Santeiro de Tenório » en référence à la ville où il est né. 93 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 qui, ainsi, ont commencé à affirmer avec Antônio Marques que la présence du nom de l’auteur dans les représentations du corps des fidèles n'implique pas de tabou. Figure 6 – Ex-voto juxtaposés dans la vitrine spéciale. Photo : Giovanni Sérgio, 2013. Dans le processus de faire connaître une partie de sa collection privée, le collectionneur appose en quelque sorte sa signature sur les objets, afin de rappeler qu'ils ne sont là que parce qu'ils ont été sélectionnés, collectés, sauvegardés, traités, conservés et, enfin, correctement exposés. Dans l'exposition, l'ambiguïté objet votif/œuvre d'art était réitérée pour célébrer à la fois l'exubérance matérielle d'une pratique et la spécialité du regard qui la capte à travers la collection d'objets. Comme l’a montré Notteghem (2012), la réflexion sur le réemploi des objets de culte catholiques et leurs transformations ontologiques est un espace privilégié pour vérifier la pertinence de la notion de « biographie d'objet » inaugurée par Arjun Appadurai en 1986. Mais c'est aussi l'occasion de percevoir cette notion comme indissociable des celle des personnes. Donc, non seulement les objets sont convertis, mais aussi ceux qui s'engagent avec les choses et même les institutions où ils se déplacent : « les objets sont le lieu de mobilisation des individus pour redéfinir leur rapport à la religion, aussi bien ceux qui veulent s’en défaire que ceux qui la vivent au quotidien, et pour repenser le religieux dans la société » (idem, p. 48). La proposition de l'auteure est particulièrement féconde pour le contexte que j'ai recherché, dans lequel un ancien séminariste devient collectionneur, enseignant, marchand, conservateur... et, significativement, « prêtre des arts », comme il apparaît occasionnellement dans des reportages sur sa collection. Dans l’imaginaire que l’humanité a conçu sur la magie, les manipulations de choses potentiellement malveillantes ont tendance à nuire (MAUSS & HUBERT 2003). Dans cet imaginaire, la magie, au contraire de la religion, opère secrètement. Évidemment, déterrer 94 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 des ex-voto est une action suspicieuse, car elle suppose le contact avec des choses imprégnées de forces. Cependant, en exposant les ex-voto aux regards, Antonio Marques cherche à se démarquer des images subversives telles que le profanateur et le sorcier. Alors, la Casa dos Milagres est l'offre instructive du collectionneur pour diffuser sa vision. Après tout, la bonne magie ouvre des mystères à tout le monde, et la mauvaise en cache et en mystifie. Au moins depuis Van Gennep (1978), les rites de passage sont investis de la fonction de réduire les effets néfastes caractéristiques des processus de changement d'état des personnes et des choses. Dans cette perspective, je souligne la pertinence de « ritualiser » les processus impliqués dans le transit d'objets qui ont déjà été impliqués dans des relations dévotionnelles, ce qui permet la compréhension de l'exposition examinée comme un rite de montrer. La théorisation de Carol Duncan (1995) a déjà exploré le musée d'art en tant que site rituel et a démontré comment une institution d'élite moderne, post-Lumières, est scénarisée comme un rite de citoyenneté. Dans cette perspective, le musée instaure un espace-temps liminaire qui engendre des performances des visiteurs. Ce que j'ai essayé de mettre en évidence, cependant, c'était la performance du curateur / collectionneur, au cœur de la conception et de la réalisation de l’exposition. L'achèvement prévu du musée de l’Ex-voto est devenu irréalisable, en raison du manque de soutien du gouvernement pour la continuité des activités. En 2017, craignant que les images, têtes et œuvres apparentées exposées à la Casa dos Milagres ne deviennent de la « nourriture pour termites », Antônio Marques démonte l'exposition et rentre chez lui avec les œuvres. Le sauvetage de la destruction semble toujours provisoire… 5. Considérations finales En vue de mettre en évidence les actions, agents et situations qui instituent de nouveaux statuts pour les objets, l'approche ethnographique a privilégié les processus (collecte, exposition, etc.) plutôt que les états reconnus des objets (chef-d'œuvre, artefact, œuvre d'art, collection, etc.). Dans cette perspective, la réalisation de l'exposition/futur musée s'est imposée comme une occasion opportune d'observer comment les usages rituels ne s'effacent pas complètement dans l'espace configuré pour l'appréciation esthétique et qu'au contraire, de tels usages peuvent même être favorisés à partir de certains dispositifs de présentation. Nous avons vu que les opérations de présentation d’ex-voto en tant qu'œuvre d’art sont complexes et ne sont pas réductibles à une nouvelle sorte de sacralisation ou encore à une sacralisation laïque. Pendant les dernières années, les objets et les collections apparaissent de plus en plus comme des problèmes et pas seulement comme des données secondaires ou illustratives 95 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 dans la recherche anthropologique (GOMES 2013). La réalisation d'ethnographie des processus d'exposition met en évidence la fécondité de la réflexion anthropologique sur des musées et au-delà de la problématique autours des peuples traditionnellement étudiés par la discipline, dits « non occidentaux ». Ainsi, outre le public, mais évidemment sans négliger de le considérer dans les processus étudiés, il faut garder à l'esprit que les actions des collectionneurs, curateurs, gestionnaires et autres sujets peuvent également faire l'objet de réflexion. En supposant que la production de connaissances à partir de collections et d'expositions basées sur celles-ci doit nécessairement être interdisciplinaire, on attend que cette analyse ait permis d'articuler les questions anthropologiques autour des ex-voto et les enjeux propres à la muséologie, tels que les modalités de mise en scène des objets, questions de conservation et gestion du patrimoine, les discours des curateurs et les expériences suscitées par l'exposition. 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AN GENNEP Arnold, 1978 : Os Ritos de Passagem, Petrópolis, Vozes. Notice biographique Lilian Alves Gomes est docteure en Anthropologie Sociale – Musée National/UFRJ (Brésil), avec stage à l'École Pratique des Hautes Études. Chercheuse et Enseignante au Programme de Sociologie Politique – IUPERJ/Université Cândido Mendes. Sa thèse A peregrinação das coisas : imagens de santos, ex-votos e outros objetos de devoção sera publiée en livre en 2022, avec le soutien de la Fondation de promotion de la recherche de Rio de Janeiro. Ses recherches actuelles s’inscrivent dans le champ de l’anthropologie des objets (musées, collections, exhibitions, espace public) et du patrimoine culturel. 97 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Contact : lilian.gomes@candidomendes.edu.br 98 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Zita Rosane POSSAMAI National pedagogical museums in Brazil and France in the 19th century Abstract This article analyzes the creation and the first years of the Pedagogical Museum in France and the Pedagogium of Brazil. Both experiences took part in the international foundation movement of national pedagogical museums which were conceived as a tool to improve public schools at the end of the 19th century. A transnational approach of this museum project and the Brazilian and French practices allowed to analyze similarities and differences of both institutions. One of their main goals was to collect national and foreign materials in a library and in a permanent exhibition to present what was expected to improve teachers’ and the government personnel’s work. Keywords: pedagogical museum of France, Brazilian pedagogium, transnational history, republic, exhibition. Résumé Cet article analyse la création et les premières années du Musée Pédagogique de France et du Pedagogium du Brésil. Les deux expériences ont participé au mouvement international de fondation des musées pédagogiques nationaux qui ont été conçus comme un outil pour améliorer les écoles publiques à la fin du XIXe siècle. Une approche transnationale du projet muséal et des pratiques brésiliennes et françaises a permis d'analyser les similitudes et les différences des deux institutions. L'un de leurs principaux objectifs était de rassembler des documents nationaux et étrangers dans une bibliothèque et dans une exposition permanente afin d’améliorer le travail des enseignants et du personnel gouvernemental. Mots-clés : musée pédagogique de France, pedagogium du Brésil, histoire transnationale, république, expositions. 99 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Introduction From the second half of the 19th century, several countries implemented their public education systems, aiming at pedagogical modernization, which included the adoption of new ideas and new teaching methods, as well as the training of teachers for public schools. The agents involved in this process, especially managers of public education bodies and institutions, have implemented a sociability network (SIRINELLI 2003), and World Fairs (BARBUY 1996, PESAVENTO 1997, KUHLMANN JÚNIOR 2001, DITTRICH 2013) were events where the international dissemination and exchange of knowledge, practices and materials on education could take place. Within this context, a worldwide movement for the implementation of national pedagogical museums was established these museums being conceived as an instrument to develop education (BERRIO 2000), either because they gathered and exhibited collections of books and school materials or because they provided means for the training of teachers needed for primary education. Brazil, in conjunction with several other countries, implemented its pedagogical museum in the 19th century and shared this network of exchanges between agents at the head of public education bodies. For this reason, historiography (BASTOS 2013) has raised and discussed the inspirations originating from other national experiences for the establishment of a Brazilian Pedagogium, which include the Pedagogical Museum of France. On one hand, the Brazilian experience was perceived by its contemporaries as an "exotic flower" in lands where it is unable to blossom and thrive. On the other hand, there is an indication of a diffuse influence, related to many countries, originating from the intellectual movement of circulation of civilizing models in force in the 19th century (KUHLMANN JÚNIOR 2001). The transnational approach (PATEL 2015, MATASCI 2016, DITTRICH 2013) of the Brazilian and French practices and museum project (MAIRESSE 2002) in their early years of implementation allows us to analyze similarities and discrepancies between the two institutions, thus placing them within the context of a broader international movement of reciprocal influences among nations at a time when knowing more, comparing and learning from the practices developed in other areas was part of the agenda. Although the preliminary ideas behind the creation of both museums had existed for a long time, the proclamation of the Republic (in Brazil) and the beginning of the Third Republic (in France) were the events that enabled the materialization and implementation of these two projects. In this sense, pedagogical museums were seen as a primary condition for the progress of public education, as well as a symbol of republican pedagogical modernity, especially in the case of Brazil. Therefore, they may be seen as part of a broader movement of imagination of nationality, in which both public education and national museums played a relevant and important role. 100 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 This article1 review the political development and the people that created and made possible the respective museums. It also considers it opportune to cross the experience of the national pedagogical museums of Brazil and France, especially for the French inspirations present in Brazilian education, considered by the historiography (BASTOS 2000). In addition, it is fundamental to reflect upon the importance of these practices for the history of museums, for the history of education and for Museum Studies today. For this we have analyzed documents related to the Pedagogical Museum of France found at the French National Archives, as well as the bibliographic references in connection with this institution (MAJAULT 1978, FONTAINE & MATASCI 2015, POUCET 1995, GUILLEMOTEAU 1979, POSSAMAI 2015), For the Brazilian Pedagogium, we used the contents of the Revista Pedagógica2 journal available at the Brazilian National Library's website, as well as bibliographic references in connection with this museum (BASTOS 2002). 2. A pedagogical museum for France and the Brazilian Pedagogium The preliminary ideas behind the creation of a pedagogical museum for France did not make any mention of the term "museum". Initially, professor Pompée, at the opening of the pedagogical conferences at the International Exposition of 1867, advocated for the establishment of an international and permanent exhibition (MAJAULT 1978). A few years later, in 1871, an act by Jules Simon, French Minister of Public Education, allowed for the creation of a collection of books, paintings and school materials from schools in France and abroad. This collection was available for visitation once a week e was located in the ministry. In 1873, Agénor Bardoux, appointed Minister of Public Education, dedicated some of the Ministry’s budget to the creation of an institution that would later become the foundation of the future Pedagogical Museum, implemented thanks to Ferdinand Buisson (1841-1932)3, his ideas and actions, during the Third Republic (1870-1940), when the implementation of free, secular and mandatory education was implemented under the auspices of Jules Ferry (1832-1893) (OZOUF 2014). Buisson, as the person in charge of the Primary Education and Statistics Department of the Ministry of Education, drew up the Implementation Project of a Pedagogical Museum, his main argument being to demonstrate that France was the only 1 This article was published in portuguese at Museologia & Interdisciplinaridade. The Revista Pedagógica journal was published by the Pedagogium from 1890 to 1896 and featured official news on public education, on the museum and on education in other countries (GONDRA 1997). 3 Ferdinand Buisson was born on December 20, 1841, in Paris and died on February 16, 1932, in Thieuloy-SaintAntoine. He had a degree in Language and Literature and worked as an associate Philosophy professor, having worked at the Neuchâtel Academy from 1866 to 1870. The Minister of Public Education named appointed him inspector of primary education in Seine in 1872, charged him with organizing the French section related to primary education for the 1873 Vienna World's Fair. In 1876, Buisson headed the French mission sent to the Centennial International Exhibition in Philadelphia, United States, and in that same year he started writing his most important work, the Dictionnaire de Pedagogie et d'Instruction Primaire. Informations about Ferdinand Buisson’s biography, to see BUISSON 1879, BASTOS 2000 and POSSAMAI 2019. 2 101 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 country that did not have an institution similar to a Pedagogical Museum and that the main difficulties faced by England, Italy, Canada, Russia, the United States, Austria, the Netherlands, Belgium, Hungary and Germany did not prevent the implementation of successful experiences in these countries (BUISSON 1878, POSSAMAI 2019). In a context that comparison between the nations was important to create public politicals, the reference to foreign experiences was the strongest argument used by Buisson, especially the ones he saw first-hand in the United States4 and in the England. Although Ferdinand Buisson particularly admired the US experience who knew the occasion of the Universal Exposition of Philadelphia (1876), his project for a museum included aspects that were shared by several institutions and spaces in the countries he mentioned, which corroborates the transnational circulation of ideas and practices on pedagogical museums within the context of this study. Thus, he idealized a single space, comprising a pedagogical museum, school records and a central education information office. Jules Ferry's rise to power as the head of the new Ministry of Public Education allowed Buisson's museum project to acquire institutional overtones, as French republicans were already receiving at home the same praise they had acquired abroad, which gave them the opportunity to organize education according to their principles (DUBOIS 2000). In this new scenario, a report forwarded by Jules Ferry to the President of the Republic, requested the creation of the museum by decree. Therefore, the decree date May 13, 1879, signed by Jules Ferry on behalf of President Jules Grévy (1807-1891), created within the Ministry of Public Education a Pedagogical Museum and a central library for primary education, comprising collections of various school materials, historical and statistical documents, and schoolbooks from France and abroad. In 1881, the institution’s board of administration passed regulations for the Museum, which provided for the organization and establishment of four sections: school materials, teaching tools, a central library and documents related to the history of education. In 1882, the itinerant library was added to the institution’s main structure, aiming at loaning books to people applying for teaching exams, and the first issue of the Pedagogical Magazine was published. In 1896, a specific service aimed at providing assistance in the use of luminous images and photographic pictures was created. Headquartered at rue Gay-Laussac (Paris), and at 29 rue d’Ulm from 1932, the Pedagogical Museum was created "to serve public education", as engraved on the facade of its second building (CROS 1952). As expected, 4 Buisson visited the Washington office during the French mission he had coordinated on the occasion of the Philadelphia Exhibition in 1876. Furthermore, in the 1870s, France and the US had established a network of agents involved in the development of primary education (DITTRICH 2013). 102 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 after its foundation the museum also inspired the creation of several pedagogical museums in other countries, such as the Pedagogium in Brazil, the history of which features many aspects that are similar in both experiences. In Brazil, still during the Brazilian Empire (1822-1889), ideas regarding the creation of school and pedagogical museums circulated throughout the country (VIDAL 1999), especially after coming into contact with other countries through fairs. Starting with its participation in the International Exposition of 1867, in Paris, the country started to align itself with other nations in the advocating of improvements in education, which was seen as a symbol of modern civilization. In 1883, Rui Barbosa (1849-1923), based on a report by the president of the Saint Petersburg Museum presented at the International Congress in Brussels (1880), proposed the creation of school collections, school museums and a National Pedagogical Museum (VIDAL 1999, BASTOS 2002). Unlike France, with regard to its preliminary ideas, the Brazilian project proposed by Rui Barbosa already included the term "museum". In fact, an initial effort resulted in the organization of a collection comprising materials coming from abroad and exhibited at the 1883 Pedagogical Exhibition in Rio de Janeiro, held at the halls of the National Press and visited by over two thousand people. After the end of the exhibition, in July 1883, deputy Franklin Dória submitted to the Chamber of Deputies the bill for the creation of a National School Museum; however, this bill was heavily criticized by other deputies and did not move forward. However, with the end of the Pedagogical Exhibition on September 30, 1883, the organizing committee of the event decided to create the Supporting Entity of the National School Museum, the goal of which was to create and maintain a pedagogical museum in Rio de Janeiro. The Imperial Government authorized the museum to be housed at the unoccupied halls of the National Press, also donating the foreign materials displayed at the exhibition (FRANCO 1885). Opened on December 2, 1883, the purposes of this first museum were very similar to the ones of the French museum, with emphasis on the presence of a permanent exhibition of school items and a library. It was supported by members of the royal family, such as Luís Filipe Maria Fernando Gastão de Orléans Gaston (1842-1922), Count of Eu, and even by the Imperial Government in matters related to the donation of materials displayed at the Pedagogical Exhibition and the concession of the space where it was held. In the new republican political system established in November 1889, the outlines of an institution created within the governmental sphere and called Pedagogium were more precisely defined. Hence, Public Education Minister Benjamim Constant (1836-1891) and 103 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Marshal Deodoro da Fonseca (1827-1892), Head of the Provisional Republican Government, signed Decree No. 667, dated August 16, 1890, which created "a professional education institution called Pedagogium"5 and approved the regulations of this new entity. Decree No. 980, dated November 8, 1890, established new regulations for the Pedagogium, which reaffirmed its main purpose and detailed aspects of its organization, staff, collections, its permanent collection and pedagogical museum, its labs and office spaces, its model school and envisaged activities, such as contests for the preparation of teaching materials, annual school exhibitions, manual labor workshops, publications of the Revista Pedagógica magazine, among others6. Joaquim José Menezes Vieira7 was chosen by Benjamin Constant to take over as director of the Pedagogium, carrying out actions directed at the "nationalization of works by foreign authors and at the import and adoption of pedagogical and teaching materials of various origins" (BASTOS 2013). After Benjamin Constant’s death in January 1891 and the extinction of the Ministry of Public Education, Post Office and Telegraphs in 1892, the local administration took over the responsibility for education in the Federal District. That same year, the extinction of the Pedagogium was approved; however, it was only remodelled, and a new regulation was approved, which presented few modifications when compared to the one issued in 1890. In 1894, Menezes Vieira stepped down as director for health-related reasons, being replaced by Felisberto de Carvalho (1850-1898). In 1895, Menezes Vieira resumed his position. In January 1897, despite Menezes Vieira’s opinion that the Pedagogium was a matter of national concern, the institution was placed under the Federal District’s jurisdiction8. After that, he stepped down as head of the Pedagogium, which became extinct in 1898 and then recreated that same year. Finally, in 1919, the Pedagogium was definitely closed. 5 Brazil (United States of), 1890a: Decree No. 667, dated August 16, 189, creates a professional education institution under the name Pedagogium, Rio de Janeiro. Available on: https://www2.camara.leg.br/legin/fed/decret/1824-1899/decreto-667-16-agosto-1890-552093publicacaooriginal-69096-pe.html (accessed 14 september 2022). 6 Brazil (United States of), 1890b: Decree 980, dated November 8, 1890, provides new regulation to the Pedagogium of the Federal Capital, Rio de Janeiro. Available on: https://www2.camara.leg.br/legin/fed/decret/1824-1899/decreto-980-8-novembro-1890-518331publicacaooriginal-1-pe.html (accessed 14 september 2022). 7 Menezes Vieira was a professor at the Institute for Deaf-Mutes (1872-1887) and director of Colégio Menezes Vieira (1875-1887), having worked as director of the Pedagogium from 1890 to 1897. For more information see BASTOS (2013). 8 The Federal District is equivalent to Brazilian states in terms of administrative status and corresponds to the territorial unit in which the federal capital is located. 104 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 The Brazilian Pedagogium was defined by Luís Reis in 1914 as "an exotic flower" (BASTOS 2002, p. 273) within the social context in which its implementation was intended. However, some museums were created in Brazil during the 19th century and in the beginning of the 20th century, several of which, despite facing many difficulties, were able to showcase their importance to scientific and educational developments in the country, like as National Museum, in Rio de Janeiro, and Paraense Museum, in Belém, North of Brazil. This means that museum institutions were not unfamiliar to the Brazilian people, especially people living in cities such as Rio de Janeiro, São Paulo, Belém, Curitiba or Porto Alegre, even if these institutions were not visited by many people. On the other hand, the Pedagogium was seen as "the symbol of modern education, for the ruling republican group" (BASTOS 2002, p. 252), who was concerned with the development of public education, as this was in alignment with a widespread international movement of modernization, according to which pedagogical museums were important instruments in order to achieve progress. The difficulties to implement the Brazilian Pedagogium were similar to those faced by museums in other countries, as seen in the case of the Pedagogical Museum in Paris in its early years. However, unlike the French museum, whose lifespan exceeds 140 years, the Brazilian institution, even after its inauguration and operation, was under threat of extinction until it was definitely shut down. 3. Two related experiences The transnational circulation and exchange of information involving several countries in connection with the creation of national pedagogical museums led to the appearance of similar characteristics among these institutions in terms of their organization, collections and activities. According to this perspective, two aspects are emphasized: the collections displayed at permanent exhibitions and the pedagogical libraries of the museums under study. As seen previously, the first ideas in France for the creation of a pedagogical museum included the establishment of a permanent exhibition featuring items available to agents responsible for teaching - that is, teachers - followed by the establishment of a collection of books, paintings and school materials from schools in France and abroad. According to his museum project, Ferdinand Buisson intended to take advantage of the donation, made by several countries, of the materials displayed at the International Exposition, having authorized to keep them until the museum was officially founded in 1879. The creation decree mentions "several collections of school materials, historical and statistical 105 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 documents, school books from France and from abroad".9 As soon as it was set in Palais Bourbon, the museum’s first collections, which included the objects obtained from the 1878 International Exposition, were classified and divided into three sections. The First Section comprised the library, books and methods; the Second Section included tools and collections. This second section was further divided into two sub-sections: 1st sub-section: tools and devices used to teach sciences; 2nd sub-section: natural history collections. The Third Section included school furniture and teaching materials, having also been further divided into three sub-sections: 1st sub-section: school buildings; 2nd sub-section: classroom furniture; 3rd sub-section: teaching materials and office furniture.10 The regulations, passed in 1881, provided for the organization of the museum in four segments: school materials, which included blueprints of school buildings and furniture used in classrooms; teaching tools, which included boards, models and geographic, scientific and technology collections; a central library with books for teachers and students, popular libraries and school libraries; and documents related to the history of education. For 1884, the document11 provides that the limited space of the provisional building where it is housed does not allow for the proper display of the collected items in a comfortable way for visitors, also stating that expansions by way of acquisitions or exchanges were not possible. The museum did not have large halls or conference rooms. The building had three halls on the ground floor, five on the first floor and three on the second floor. Even without conditions deemed appropriate, with poorly-ventilated and poorly -lit areas, the exhibitions displayed at the museum attracted approximately 40 to 50 visitors per year when it was housed at the old Rollin school building, located at 42, Llomond Street, Paris. Most visitors were from Paris, but there were also visitors from other French regions. In addition to school personnel, visitors included mayors and councilmen and architects, as well as school material and furniture suppliers. Many foreigners visited the museum, such as visitors from England, the United States, Belgium, Italy, Portugal, Brazil and other countries. The museum was also visited by official French committees, such as the school furniture and pedagogical libraries committees; also, the museum was the home of the committees in charge of preparing professional exams for primary education teachers12. We can observe the use of the museum not only by school teachers and students, but also by people responsible for public education management, both in France and in other 9 France, 1879 : Décret - 13 Mai 1879, créé au Ministère de l'instruction publique un Musée pédagogique et une Bibliothèque centrale de l'enseignement primaire, Paris. 10 France, 1884, Le Musée Pédagogique, son origine, son organisation, son objet d’aprés les documents officiels, Paris. 11 France, 1884. 12 France, 1884. 106 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 countries. Thus, the museum’s collections could be analysed based on three distinct typologies and purposes, all of which were associated with education. First of all, there were the pedagogical materials directly used by teachers in the classroom, which mainly included school items and printed materials for teaching sciences according to an intuitive perspective. A second ensemble included the library, studies of French and foreign legislation, to be used in the development of teaching professionals or candidates applying to teaching positions, in addition to being used by executive education agencies. Lastly, there was the ensemble that included everything associated to physical school spaces, from school buildings to classroom furniture, which drew the attention of architects, mayors and government agents. A permanent exhibition at Rio de Janeiro was also included in the first regulations13 (1890) of the Brazilian Pedagogium. Chapter 2 of these regulations provided that such exhibition would comprise a library; national and foreign administrative, legislative and statistical documents on primary and secondary education, works written by teachers and students; drawing, geographic, physical science and natural history materials; technology collections, school museums, models, building projects and blueprints, furniture items, utensils, instruments and school devices. These materials are not very dissimilar to the materials found in the French Pedagogical Museum, since these are, in both cases, directly associated with administrative activities or teaching practices. When taking up office, on August 23, 1890, Pedagogium director Menezes Vieira carried out the inventory of the collections received from the Supporting Entity. He accounted for 4.147 works, most of which was not recommended to education, because they were nondidactic materials and outdated according to concrete teaching, then in vogue. The furniture items were limited to two bookshelves, eight showcase cabinets, a table and shelves. Once the inventory was finished, the materials were organized and displayed in four halls. The conditions of that building were deemed unsuitable by the director, who requested that the museum should be moved to a new building. According to the director, "each one of the displayed objects attests and explains the progress we very much admire seen in the United States, in the Argentine Confederation, in France, in Belgium, in Germany and in Italy"14 The Pedagogium had 938 visitors between August and December 1891.15 There were 2.000 visitors between August 1890 and February 1892, and 5.185 visitors between 13 Brazil (United States of), 1890b: Décret 980, dated November 8, 1890, Provides new regulation to the Pedagogium of the Federal Capital, Rio de Janeiro. 14 Revista Pedagógica, 1892a, p. 325. 15 Revista Pedagógica, 1891, p. 148. 107 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 1890 and 1894.16 These numbers demonstrate that the institution was fully operational and open to visitors during its first five years. Finally, in 1895, the Pedagogium was moved to 66 Rua do Passeio, where the museum was able to put together drawing rooms and manual labor workshops, the temporary exhibition of national and foreign materials, the Physics and Chemistry labs, and the permanent exhibition of furniture, maps, paintings, devices, school building blueprints, among other spaces. In the Revista Pedagógica magazine, there were reports on the acquisition of pedagogical materials and books, such as the "the collection of books, writing materials, drawing models, geographic globes and maps, as well as physics and chemistry instruments provided by Mr. Charles Vautelet, representative of the French teaching material and furniture union."17 The Chemistry lab was also put together based on the plan devised by professor Boudreaux similar to that of the Normal School in Fontenay-aux-Roses, Paris. Stuffed animals and aspects of the human body had been provided by the French naturalist Emile Deyrolle (1838-1917). Devices and instruments used to teach mechanics had been manufactured by Ch. Noé and A. Picart, suppliers of French high schools and normal schools. School museums by Saffray, Dorangeon, Deyrolle and Paravia were among the museum’s collections. A collection of books organized as a library is found in both cases under study. In the French museum, a central primary school library associated with the pedagogical museum is found in the Decree that made official the creation of the institution.18 The relevance of this library is corroborated, in 1880, by the first investment made to the Pedagogical Museum for the acquisition of a collection owned by J. Rapet, inspector-general of primary education, made up by works on education from several countries. The museum’s Regulations, passed in 188119, mentioned the library as one of the four sections of the museum, and included books for teachers and for students; a school library as well as a popular library. On the days it was open, from Thursday to Sunday, the library received a great number of visitors, who shared two large tables reserved for reading at the museum’s main building on rue Lhomond. On the other days, only people with a work card issued by the Ministry of Public Education could access the library. Access in order to consult and check out the library's books has been on the agenda since the first collection project for the French institution. At that time, it was defined that books 16 Revista Pedagógica, 1894, p. 135-136. Revista Pedagógica, 1890, p. 193. 18 France, Décret, May 13, 1879. 19 France, 1881, Règlement Intérieur du Musée Pédagogique et de la Bibliothèque centrale de l’enseignement primaire, Paris. 17 108 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 could be consulted by teachers. With the museum in operation and with the concern to train teachers required for the implementation of the new education legislation of the Third Republic, the Ministry of Public Education announced in February 1882 the creation, within the structure of the Pedagogical Museum, of an itinerant library in order to assist candidates for teaching in normal schools and nursery schools, and for teaching inspection. A catalog20 attached to the public announcement informed that the library comprised 230 works, divided into three sections: Language and Literature section, Science section and Pedagogy section. Most certainly, these were the subjects addressed in the exams that teacher candidates would have to take, and it was essential to allow interested parties to check out books from the library. Furthermore, the Pedagogical Museum would send these library catalogs to people requesting them by a letter issued by the director of the institution. For candidates residing outside Paris, the museum still provided a service to send people books on demand (POSSAMAI 2019). From March 1880 to 1884, 2,000 books were checked out of the library. In the Brazilian case, a pedagogical library, with an itinerant section and a school library, was mentioned as an important part of the pedagogical museum’s permanent exhibition.21 The library included purchased or donated books from Brazilian and foreign authors, the subjects of which were associated with education and teaching. Among foreign books, we can highlight works from countries such as France, Italy and the United States. The itinerant library would have a special catalog, which was to be sent to all public school teachers in the Capital, with the purpose of facilitating the temporary and free check-out process. The similarity between both museums in this regard are unmistakable since both institutions sought to maintain a library with updated pedagogical works. Given the proportions, the library of the French museum and that of the Brazilian Pedagogium have been boosted by resources for the acquisition of important collections, works and materials at that time. From the initial project of the Pedagogical Museum of France, new services and new functions were gradually added, such as an information and study office; a viewing service, a film library, a photo library and audiovisual services, as well as editing/publishing services and a teaching material purchase and distribution center (CROS 1952). During its existence, the Brazilian Pedagogium, on the other hand, struggled with institutional instability and setbacks, leading to its disarticulation. Its reference pedagogical library was shut down, losing its role as a driving force for reforms and as a training institution for primary education 20 France, 1882, Circulaire relative à l’admission d’ouvrages et d’objets d’enseignement au musée pédagogique. Extrait du Bulletin Administratif, Paris. 21 Brazil, 1890b. 109 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 teachers. Without the teachers who gave it reason to exist, it subsisted as a museum in the strict sense of a place to where collections are kept. Final Considerations With a long history, the Pedagogical Museum of France faced several reconfigurations throughout its existence. Finally, in 1980, the museum underwent its most major restructuring. Thus, the National Museum of Education was established with the transfer of documents of a museum nature, such as notebooks, iconography and artifacts, to Rouen. The documents relating to the historical collection were kept in Paris, in the National Archives, while the documents of the National Center for Pedagogical Documentation (CNDP) were transferred to Lyon. The Brazilian Pedagogium, on the other hand, only existed for a short period of time and, during its existence, it struggled with institutional instability issued, which resulted in its definitive extinction. However, despite lasting only for a few years, its museum project was in alignment with the projects for pedagogical museums in many other countries, several of which were also extinct. Nevertheless, the indications taken from its short existence allowed us to identify ideas and practices for the development of education at the end of the 19th century and in the beginning of the 20th century. Both museums were conceived as institutions capable of contributing to the establishment of a positive science of education by gathering in a single place a museum and a library, as well as a study and dissemination center. They were conceived and designed especially in order to assist in the training and qualification of teachers, either by assisting them in their classroom activities by offering courses and organizing conferences, or by lending books and pedagogical materials. Thus, the Pedagogium was not an "exotic flower" in its time, but was in alignment with the educational ideals of many countries and many Brazilians. The Pedagogium project was very ambitious, in a context where many goals had to be achieved in the field of public education. In the case of the French museum, the dismemberment of the Pedagogical Museum’s collections resulted in the new National Museum of Education, which was, this time, performing broad contemporary museum roles and focusing on aspects of the memory of education, this being an institution that remains an international reference in terms of History of Education. In Brazil, there is still no national museum of this kind and size, and material traces of this educational heritage are found in the collections kept by national, regional or local museums. 110 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Finally, we deem necessary to reflect upon the importance of these practices for the history of museums, for the history of education and for Museum Studies today. In the 21st century, pedagogical museums have a dual role. Regarding History, they represent the heritage and memory of education, preserving objects, various writings and images, as well as precious documents for future studies. And regarding Museum Studies, their importance is reflected in the need to know more about alien objects, the appropriation of museum representations and practices in the service of education; as an active museum, they seek not only to keep, preserve and display collections, but to place themselves at the service of the public and educational development, an aspect held in high regard by today’s museums and museum studies. Acknowledgements: This study was financially supported by the National Board for Scientific and Technological Development (CNPQ); Brazil; the Coordination for the Improvement of Higher Education Personnel (CAPES) - Finance Code 001, Brazil. Bibliography BARBUY Helena, 1996: « O Brasil vai a Paris em 1889: um lugar na Exposição Universal »,’ Anais do Museu Paulista, nº 4, p. 211-261. BASTOS Maria Helena C., 2000: « Ferdinand Buisson no Brasil: pistas, vestígios e sinais de suas ideias pedagógicas (1870-1900) », História da Educação, nº 8, p. 79-109. 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Biographical note Ph.D. in History, with a post graduate at the Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle, working in the course of Museology, postgraduate in Education and postgraduate in Museology and Heritage at Universidade Federal do Rio Grande do Sul - UFRGS. Member of the International Council of Museums and the Brazilian Association of History. Author of several articles and book chapters on museums, museology, heritage, and memory. Contact : zitapossamai@gmail.com 114 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Giusy PAPPALARDO Open challenges and possible alliances for two fields of knowledge and practice: museology and urban planning in the 21st century Abstract This article presents some preliminary notes elaborated within a research project that explores the question of democratizing the approaches for taking care of territorial heritage and marginal landscapes from a community based-perspective, moving from a critique to the mainstream debate on the Anthropocene. The author discusses the need to cross spheres of knowledge, action, and context, arguing the necessity to consider various forms of community-based perspectives. The article provides some notes for a possible joint research program in museology and urban planning. Keywords: ecomuseums, nouvelle muséologie, community-based planning. Résumé Cet article présente quelques notes préliminaires élaborées dans le cadre d'un projet de recherche qui explore la question de la démocratisation des approches pour prendre soin du patrimoine territorial et des paysages marginaux dans une perspective communautaire, passant d'une critique au débat dominant sur l'Anthropocène. L'auteur discute de la nécessité de traverser les sphères de connaissance, d'action et de contextes, en argumentant la nécessité de considérer diverses formes de perspectives communautaires. L'article fournit quelques notes pour un possible programme conjoint de recherche en muséologie et aménagement du territoire. Mots-clés : écomusées, nouvelle muséologie, planification communautaire. LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Introduction This article presents some preliminary reflections elaborated in the framework of a research project1 concerned with the possibilities of democratizing the approaches for taking care of territorial heritage (MAGNAGHI 2021) and marginal landscapes, from a community-based planning perspective (SAIJA et al. 2017; PAPPALARDO 2017). This research project is developed at the University of Catania, Department of Civil Engineering and Architecture, Laboratory for the Environmental and Ecological Planning and Design of the Territory (LabPEAT)2. Here, we have been long concerned with the problem of "democratizing technical knowledge(s)" (GRAVAGNO 2011) as an opportunity for "democratizing democracy" (DE SOUSA SANTOS 2002), with a practical focus on Sicily, a region that can be considered a southern context in relation with the so-called Global North3. Being graduated as an engineer, I have a technical background. However, I am among those scholars who have directly experienced the limitations, pitfalls, and burdens of technocratic approaches (FISCHER 2000), as well as the use of technical knowledge and technologies for imposing unbalanced power structures and perpetrating an undesirable status quo. As such, in this paper, I will not discuss innovative technological approaches at the center of expert-driven debates. Rather, from my situated knowledge (HARAWAY 2020), I will discuss some ideas concerning an ontological and epistemological turn in the 21st century, through a possible alliance between two fields of knowledge and practice – museology on 1 Funded through the Italian PON AIM program (European Social Fund and European Regional Development Fund). Attraction and International Mobility of Researchers, CUP: E66C8001380007). The PON AIM’s scope is fostering networking activities at the international level between researchers and their institutions. Specifically, it targets researchers based in European Regions where local development is “lagging behind”, such as Sicily (IT). For some quantitative data about GDP and HDI in Sicily, please visit: https://ec.europa.eu/eurostat/web/products-eurostat-news/-/ddn-20210303-1 and https://hdr.undp.org/en/countries/profiles/ITA (last access: May 30th, 2022). 2 Within this research project, I have also came across several institutions over three years, from North to South Europe2: from Norway, Belgium, to Spain, and Portugal. Specifically, I have conducted my research project in the PON AIM framework in four Universities in a year and a half. First, I have spent three months “virtually” at the University of Liège, Service of Museology, Research Unit of Art, Archaeology and Heritage, during the Covid-19 global pandemic crisis, exploring the practice and concept of insurgent museologies (DUARTE CÂNDIDO ET AL. 2019) and their possible transdisciplinary intersections with urban planning (PAPPALARDO 2021; DUARTE CÂNDIDO & PAPPALARDO, forthcoming). Then, I have spent three months in smart-working and one month in presence, at the Norwegian University of Science and Technology, Department of Architecture and Planning, exploring the concept of co-production. Two months have been dedicated to dig into the intersections between urban planning, and environmental history at the University of Santiago, Spain. Finally, while I write this article, I am at Universidade Lusófona de Humanidades e Tecnologias conducting a residency in Sociomuseology, still exploring possible intersections with urban planning. 3 Although the dichotomy between Global North and South can be discussed, here I refer to Global North as an area of economic privileges comparing with other contexts of the world. For a problematization of the concept of Global North, see for example MUKHOPADHYAY ET AL. 2021, accessible here : https://eprints.aesopplanning.eu/index.php/ae/preprint/view/11 (last access: May 30th, 2022). 116 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 one side, urban planning on the other –, to critically tackle the challenges of the Anthropocene, in its various nuances. Specifically, within the field of museology, I refer to social museology in terms of all those practices aimed at raising awareness about the past, producing social change in the present, and valuing the agency of social movements (CHAGAS ET AL. 2014). Such practices are part of a broader framework known as Nouvelle Muséologie (DESVALLÉES 1992) that emerged after the seminal Roundtable of Santiago of Chile in 1972. On that occasion, not only museologists but also other professionals, including urban planners, met and put the basis for a new idea of museums "in the service of societies." The focus of my research project is to explore such practices that surge spontaneously from the ground (DUARTE CÂNDIDO 2020), yet have the potential to generate an impact at the policy level, innovating spatial settings and institutional arrangements. Recalling the approach of emancipation and liberation for the most oppressed communities practiced by Paulo Freire (1967), and today widespread as his legacy, I investigate how the such approach could be mirrored both in museology – more precisely, in what Moutinho & Primo (2020) define sociomuseology –, and those forms of community-based planning that are concerned with emancipation and liberation for the most oppressed social groups (FORESTER 1999, 2017; REARDON 2000). An interesting joining link between these fields of knowledge and practice – museology and planning – could be identified in ecomuseums (DE VARINE 2017): they arose within the framework of Nouvelle Muséologie, and have been translated, especially in Italy, as tools for community-based landscape planning using community mapping (MAGNAGHI 2010), as practices of participatory inventories linked with space. These intersections have suggested that social museology and community-based planning already have a lot in common, yet more could be further explored and systematized in the international debate. In an attempt to do so, this article explores some of these intersections. As such, it aims to propose a first set of reflections on the significance of crossing spheres of knowledge, action, and contexts in light of the challenges posed by the Anthropocene, as it is critically discussed in various streams of literature. The scope of this article is to open ontological and epistemological questions that involve both the sphere of museology and urban planning, drawing on an extensive literature review that also incorporates those authors whose perspective is less represented in the anglophone, north-western literature. 117 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 The methodology of the research project conducted at large – which this paper discusses as a part of the theoretical framework – is based on trans-disciplinary intersections between streams of knowledge, as well as between academia and the world outside it (HADORN ET AL. 2008). Specifically, on one side, there are the museums and the museology with their "great potential to raise public awareness of the value of cultural and natural heritage and the responsibility of all citizens to contribute to their care and transmission"4. On the other side, there are plans, urban planning, and public policies to organize the future for hope (FORESTER 2017), especially within the most challenging contexts. Together, they could constitute a suitable alliance for tracing possible future trajectories rooted in a critical awareness of the past. Thus, this article proposes some reflections for contributing to the critical debate concerned with the way "we" inhabit the world, considering "we" as an inclusive subject made of various human and non-human communities, in the light of the recent international interest around the concept of the Anthropocene and its various interpretative nuances. The following paragraphs dig into such nuances, trying to answer the question: why (ontologies), and how (epistemologies), is it urgent to intersect museology and urban planning, looking from the perspective of pushing for socio-ecological justice (SCHLOSBERG 2004)? An attempt to answer this question is given in the second and third paragraphs: the second paragraph is concerned with the why, while the third paragraph tries to tackle the how, moving to some preliminary results of the research process that informed this paper. The discussion and conclusion propose some reflections for opening a line of investigation based on intersecting social museology and urban planning in light of the challenges that the Anthropocene – with its various nuances – poses. 1. Beyond the Anthropocene. First notes for a critical review This paragraph aims to give a broad framework for the urgency of an alliance between disciplines: in this case, between social museology and urban planning. Above all, it sheds some light on the necessity of a broader alliance between various forms of knowledge, disciplines and practices, sights and perspectives, people of the Earth, humans, and nonhumans, in the era of a long-lasting global crisis such as the Anthropocene is. 4 See https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000246331 (last access: May 30th, 2022). 118 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 The term Anthropocene gained popularity some decades ago thanks to the work of the biologist Eugene F. Stoermer, and it has been formalized by the Nobel Prize in Chemistry Paul Crutzen (2006). It indicates the current geological period during which huge transformations occurred because of anthropic action; such transformations have produced a variety of effects that strongly altered the Earth system. The urgent call for fighting climate change has been expressed by several movements worldwide, such as the recent action of the youngest generations of Fridays for Future, the movements for climate justice, the long-lasting battles of indigenous populations in many southern contexts of the Globe, etc. Although the definition of Anthropocene is now well established, and climate change is on the agenda of policymakers in the international arena, more profound efforts are required to reach the goal of the Paris Agreement – adopted at the climate conference (COP21) in December 2015 – to limit global warming to below 2 (preferably to 1.5 degrees Celsius) compared to pre-industrial levels. However, it is not only a matter of lowering temperatures through technical measures; it is, above all, a political and ethical issue: it is a matter of changing behaviors and reframing the socio-economic dynamics, both at the individual and the macro level. Moreover, the current and long-lasting unbalances amongst various communities that inhabit the world in different socio-economic and cultural environments should be considered while pursuing such a goal”. In other words, it is important to note that the socalled ecological transition should not be conducted at the expense of the most for the benefit of the few; rather, it should take into account the necessities of social-ecological justice (SCHLOSBERG 2004). Considering these concerns, the same concept of Anthropocene appears to be a limited framework of interpretation. In his groundbreaking book – Anthropocene or Capitalocene? Nature, History, and the Crisis of Capitalism – Jason Moore (2016) pointed out that in the Anthropocene, not all the Anthropos have the same responsibilities for the amount of damage provoked to the planet. Specifically, he discusses how the ways of producing, consuming, and exchanging commodities embedded in the capitalist socio-economics dynamics are at the root of the crisis of the current era. Haraway (2016) – in her framework of Chthulucene – adds the gender and interspecies perspectives to find new ways of inhabiting the world: she points out the necessity of making kins and building alliances amongst human and non-human beings, breaking the dichotomies of nature/culture relations. 119 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 In the same critical line, the recent work of Armiero (2021) stresses the idea that the Capitalocene could also be considered the age of waste (Wasteocene), not only in terms of wasted objects but, above all, in terms of wasted relations. This body of literature – that has been produced and circulated into the international (mainly anglophone) scientific circle – is trying to break the consolidated mainstream approaches to Anthropocene that do not explicitly incorporate strong critical views of the dominant socio-economic model and power structures embedded in the so-called Global North. In other words, such a body of literature – using an explicitly critical approach – questions the effects of the capitalistic model of society on nature/culture relations. However, beyond the anglophone literature, it is important to note that there are wide streams of knowledge rooted in the cosmologies of indigenous populations in the so-called global south, providing insightful reflections concerned with human/nature relations. Their thoughts radically reverse the mainstream approach concerned with the Anthropocene. For example, Viveiros De Castro (2013) – moving from what he learned from his ethnography of indigenous populations in Brazil – questions the way the so-called humans and non-humans see each other, recalling the concept of perspectivismo (perspectivism) as central to understanding the diverse views toward reality, as a central matter for reframing the humans-non humans' interactions. "Perspectivismo is a term I borrowed from modern philosophical vocabulary to describe a very characteristic aspect of several, if not all, Amerindian cosmologies. It is the notion, first, that the world is populated by many species of beings (in addition to humans) endowed with consciousness and culture, and, second, that each of these species sees itself and the other species in a rather unique way: each one sees itself as human, seeing the others as non-human, as species of animals or spirits. Thus, for example, jaguars see themselves as humans, thus seeing the elements of their universe as if they were cultural objects: for example, the blood of the animals they kill is seen by jaguars as cassava beer, etc. In contrast, jaguars do not see us humans (naturally self-perceived as humans by ourselves), as humans, but as prey animals: wild boars, for example. That is why jaguars attack and devour us. As for wild boars (that is, those beings we see as boars), they also see themselves as humans, seeing, for example, the wild fruits they eat as if they were cultivated plants, but they 120 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 see us humans as if we were cannibal spirits (as we hunt them and eat them)." (VIVEIROS DE CASTRO 2013, p. 36-37)5 In De Castro's words, the sight of a jaguar looks at humans from another perspective that should be considered equally dignified in understanding and reflecting upon the diverse beings that inhabit the world and the possibilities to survive the extractive models embedded in current forms of economic growth. Perspectivism is, in fact, a philosophical approach that considers the centrality of assuming multiple points of observation as crucial for understanding the complexity of reality. It is of relevance both for reflecting upon social museology, urban planning, and their intersections, as it stresses the concept that there are not monolithic ways to interpret and transform reality, but a multiplicity of sights must be considered equally beyond the dominant narratives. Moving from perspectivism, it is possible to criticize the anthropic focus of the Anthropocene in the sense of questioning whether the solutions that the privileged Anthropos is looking for – to overcome the current global crisis – would consider or not (and how) the perspectives of other beings that populate the world. Moreover, perspectivism gives a framework to reflect upon the way of looking at others' views and consider each sight's dignity as a part of a constellation of ontological and epistemic forms. This framework offers an opportunity for reverting the ways of framing the current mainstream definition of the Anthropocene, critically engaging with the same use of the prefix Anthropos-. In this constellation of critical position toward the Anthropocene, Kopenawa & Albert (2010) points out the significance of indigenous thinking (in this case, Yanomami's thinking) in contrast with the mainstream discourse, showing the limitations embedded in it. As such, the book A queda do céu6 (KOPENAWA & ALBERT 2010) offers an autobiographical narration of the shaman Davi Kopenawa, in conversation with the ethnologist Bruce Albert, focused on the tragedy and reaction to the destruction of the Amazon rainforest, as a responsibility of the exploitative forms of progress and development. New alliances are thus needed: "I wish white people would stop thinking that our forest is dead and that it was put there for nothing. […] I also want their sons and daughters to understand our words and become friends with ours so that they do not grow up in ignorance. Because if the forest is completely devastated, another one will never be born." (KOPENAWA & ALBERT 2010, p. 65)7 5 Translated in English for the use of this article by the same article’s author. The fall of the sky. 7 See footnote 4. 6 121 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Through Kopenawa & Albert, the inexorable trajectory of forests' destruction is not only a metaphor, rather it is one of the tangible outcomes of the dominant approach to the exploitation of resources. This is relevant again both for social museology and urban planning when considering these issues as at the core of the most pressing challenges of our times to be addressed at multiple scales, with a variety of tools aimed at increasing awareness and finding practical approaches to reverse such destructive trajectory. In the same line, the indigenous leader Ailton Krenak – in Ideias para adiar o fim do mundo (2019)8 – points out the necessity of questioning the current understanding of humanity's relationship with the Earth. "Meanwhile, humanity is being taken off in such an of this organism that is the earth. The only groups that still consider that they need to stay stuck in this land are those who stayed half-forgotten on the edges of the planet, on the banks of rivers, on the banks of the oceans, Africa, Asia, or Latin America. They are caiçaras, Indians, quilombolas, aborigine sub-humanity. Because there is –let's say – smart humanity, and a sub-humanity, the latter a rougher, more rustic, organic layer of humanity who is stuck in the Earth." (KRENAK 2019, p. 11-12)9 Krenak invites to reflect on the gap between the mainstream discourse concerned with the Anthropocene and other perspectives: "We are today living the disaster of our time, which some selected people call Anthropocene. The vast majority are calling it social chaos, general mismanagement, loss of quality in daily life, in relationships, and we are all thrown into that abyss" (Ibid., p. 34). Krenak warns us about the leftover, waste, and wasting relations (see also ARMIERO 2021) produced in our current times. His words add a contribution grounded in the earth, as in the everyday life of the many people who are "half-forgotten on the edge of the planet" and seek diverse narratives and new opportunities toward which both social museology and urban planning are called to take position and responsibility. Toward this end, new alliances between various forms of knowledge, disciplines and practices, sights and perspectives, people of the Earth, humans, and non-humans, could be a way out. Still with Krenak: "to quote Boaventura de Sousa Santos, the ecology of knowledge should integrate our everyday experience, inspire our choices about where we want to live, our experience as a community" (Ibid., p. 12). 8 9 Ideas for postponing the end of the world. See footnote 4. 122 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 In this sense, it is necessary to move from the specificities of each experience in a variety of contexts of the world, bearing in mind the necessity for a common path to find ways to exit the current global crisis. With these reflections in mind, the next paragraph proposes one of the possible forms of alliances that could contribute to a collective effort to postpone the end of the world, at the intersection between the act of critically reflecting upon the past, its signs, and narratives (museology), and the act of organizing spaces, communities, and policies, for building up a diverse future (planning). 2. Possible alliances between museology and urban planning. Defining the core of disciplines and their intersection The previous paragraph has offered an overview of the debate about the Anthropocene, in an attempt to go beyond the mainstream literature and incorporate a variety of critical accounts that question the dominant discourse. This paragraph offers some reflections for tracing a path out of the so-called Anthropocene and its nuances through possible alliances between disciplines, practices, and policies. First (3.1), the legacy of the Santiago of Chile's Round Table (Mesa Redonda) is here briefly recalled as a paradigm shift in museology that has generated lessons of interest for scholars, professionals, and activists who are concerned with pressing social and ecological issues, including a reflection on the relations between museums and urbanization (Hardoy, 1972). Then, community-based planning is briefly presented (3.2) as a specular approach with some contact points with the legacy of the Mesa Redonda. Finally (3.3), socially-oriented museums, ecomuseums, and other forms of communitybased initiatives are proposed as possible areas of overlaps between the aforementioned forms of museology and planning, to tackle the urgent contemporary challenges that the Anthropocene – with its various nuances – is posing today. 2.1. The legacy of the Mesa Redonda, Santiago de Chile In 2022, the celebration of the 50 years of the Round Table on the role of museums in Latin America – held in Santiago (Chile) in May 1972 – has been vibrant beyond Latin America itself. Several initiatives10 have been organized to reflect on the document's legacy 10 See for example https://www.museoschile.gob.cl/mesa-redonda-de-santiago/noticias/inauguracion-de-laconmemoracion-de-la-mesa-redonda-de-santiago, or https://www.minom-portugal.org/xxiv-jornadas-sobre-afuncao-social-do-museu-peniche/ (last access: June 13, 2022). 123 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 produced by museum directors and specialists from different areas in the field of development – including urban planners – together with UNESCO and ICOM representatives11, gathered at that time to debate the emerging issues for museology. In 1972, after about ten days of intense work, the Santiago resolution 12 identified challenges and perspectives for the evolution of museums and museology processes in relation to the evolution of societies. Organized when Salvador Allende governed Chile, the Round Table of Santiago produced a document that was silenced after the coup. However, it has flourished later: today, its legacy has an impact in the international context. It generates new reflections, especially within the Movement for Nouvelle Muséologie that was born some years later (MINOM13). Although 50 years have passed, the key points discussed during the round table still teach important lessons to scholars and practitioners, including those acting in the framework of urban planning. It is worthwhile to recall some of them as a base for the argument of this paper, i.e.: the plea for building alliances between disciplines, contexts, practices, and policies to tackle pressing issues of contemporary societies, with a focus on the challenges and legacy of urbanization (HARDOY 1972). In this respect, the Santiago resolution confirms the following statements : (1) The need for crossing the boundaries of disciplines. As reported in the preamble of the resolution, "the problems involved in the progress of societies in the contemporary world call for an overall view and integrated treatment of their various aspects; that the solution is not confined to a single science or discipline anymore, then the decision concerning the best solutions and the way of implementing them is not made by a single social group, but rather requires the full, conscious and committed participation of all sections of society (see p. 255 of the resolution, English version). (2) The focus is on the development of both rural and urban contexts. The resolution engages with local development issues, identifying museums as opportunities for generating awareness concerning specific territorial challenges. This part is of particular interest for those who work with planning, policy-making, and 11 The list of participants, their texts and the set of documents produced during the Round Table is published at http://www.ibermuseos.org/en/resources/publications/mesa-redonda-de-santiago-de-chile-1972-vol-2/ (last access: June, 13th, 2022). 12 In continuity with other reflections produced in those years, such as the International Symposium on Museums in the Contemporary World (held at UNESCO Headquarters in Paris in 1969), recalled in the same Santiago’s final report. 13 http://www.minom-icom.net (last access: June 13, 2022). 124 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 correlated disciplines, as it creates a direct nexus between museal processes (as processes for raising awareness), and territorial challenges. (3) The pivotal role of lifelong education as a matter of emancipation. In this sense, it is possible to trace a direct link with the Freirean approach, which was developed in the same years by the well-known Brazilian thinker (FREIRE 1967), who is also one of the most pivotal references for those planners who work with a communitybased approach to empower the most marginalized groups. It is thus evident how these points – which emerged within the field of museology – are of particular significance for planners as well. To date, in the same years of the Santiago's round table, planners themselves started reflecting upon their role concerning the pressing issues of society, as briefly recalled in the next paragraph. 2.2. Community-based planning As Leavitt (1982) reports, after the social mobilizations of the 60s and the 70s, emerging criticisms about mainstream planning and dominant discourses led to the formation of a generation of urban planners that explicitly positioned themselves in an attempt to counteract the unbalances and injustices of societies. Specifically, "at a meeting held from 8-10 May 1981 in Washington, DC, 150 progressives in planning and allied fields founded the Planners Network. The consensus was reached on a statement of principles, and programs from eight workshop agendas approved or modified (health and human services, community-labor coalitions and local planning, community economic development, housing and neighborhoods, affirmative action, reindustrialization, and urban policy, environmental and growth control, and planning education with subcommittees for students and educators) […] The Planners Network is an 'association', seeking 'fundamental change in our political and economic system', using planning as a 'tool' for redistribution of wealth and power" (LEAVITT 1982, p. 268-271) The experience of Planners Network is only one example that clarifies, in the field of planning, the same tension and ethos that animated the Mesa Redonda in the field of museology. The arguments in support of community-based approaches to planning arose in the 1960s in an attempt to propose alternatives to authoritarian and top-down planning, far from the needs of people, especially the most marginalized ones. These approaches have their roots in social movements. They have been translated into various forms, such as advocacy 125 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 planning aimed at supporting disadvantaged communities (DAVIDOFF 1965), resistance against authorities (GOODMAN 1971), fostering citizens' participation in the decision-making sphere (ARNSTEIN 1969), equity planning (KRUMHOLZ & FORESTER 1990), promoting community organizing (RATHKE 2018) as an opportunity for empowering the most marginalized groups in the planning process (REARDON & FORESTER 2016), etc. In the Italian context, the echoes of this debate translate into a variety of approaches aimed at opening up the city hall to citizens and tackling territorial challenges with a communitybased perspective. One of these approaches emerged as territorialism in the same years of the World Social Forum held in Porto Alegre (Brazil), that in Italy influenced the elaboration of Carta del Nuovo Municipio14 (MAGNAGHI ET AL. 2002). This document invites local public bodies to build new alliances with citizens to escape the exogenous control of the global and financial market over local socio-economic relations, finding new ways for acting democracy, in a perspective of solidarity amongst people and territories. In this stream of thought and practice that emerged in the Italian context, the search for organizational devices able to link the community-based perspective with institutional planning and policymaking opened the way to the rise and development of a variety of instruments and tools based on cooperation amongst local actors. In the bucket of such tools, from the 90s, ecomuseums started spreading in Italy after having been experimented in various international contexts since the 70s as part of the legacy of Santiago's Mesa Redonda. As recalled sever times, Ecomuseums (DE VARINE 2017) are both the new forms of museologies inspired by the same principle of Mesa Redonda and Nouvelle Muséologie, as well as one of the attempts for translating community-based initiatives into strategies for local development. The following paragraph offers insights on ecomuseums as practical areas of overlaps between museology and planning. 2.3. Ecomuseums and other forms of community-based initiatives as possible areas of overlap between museology and planning. In the recent Italian debate on public policies and planning strategies, several scholars highlight the need to overcome sectorial approaches and the importance of integrating thematic areas as well as fostering the proactive role of local communities as agents of change (GISOTTI & ROSSI 2020). Ecomuseums are among those tools. Over the years, they have emerged as forms of territorial governance constructed with a community-based 14 Chart of the New City Hall. 126 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 approach: multi-actor organizational structures aimed at taking care of territorial heritage and landscapes, with various examples in the most marginal contexts15. In some cases, they can be considered bottom-up, spontaneous, and insurgent practices, not necessarily linked with institutional dynamics. In other cases, they live in constant tension and conflict between insurgency and institutionalization. Still, in other cases, they have been promoted as institutional initiatives. As such, the spread of ecomuseums16 in Italy (BORRELLI ET AL. 2008; BARATTI 2012; MURTAS 2013; REINA 2014; D’AMIA 2017, DAL SANTO ET AL. 2017, RIVA 2020, etc.) occurred in different forms and modalities depending on the specificities of the involved contexts and actors. In terms of relationships with public policies and planning, most of the Italian Regions17 have issued a Law that specifies the relations between ecomuseums, institutional bodies, processes, networks, and funds. In some cases, like in Apulia, ecomuseums have been well integrated into institutional landscape and heritage planning processes (BARATTI 2020). In other cases, like Sicily, there is a gap between the regional institutional process and the dynamism that emerges within territories (PAPPALARDO 2020). Ecomuseums could be considered as interesting areas of overlap between: • the field of museology, having arisen as practices that introduce elements of novelty in the debate concerned with the manifestation, use, narrative, and care of various signs of the past, including territorial heritage; • the field of planning and public policies, having evolved as areas of experimentation for multi-actor forms of territorial governance constructed with a community-based approach, at least in Italy. In addition, looking at other contexts in Europe, it is interesting to note that there are also many other initiatives concerned with taking care of the various forms of heritage, valuing the action of the same people living within that heritage. Even if they are not called ecomuseums, they incorporate a similar tension and share similar characteristics in terms of the involvement of people on the ground. Such initiatives could be considered as other pieces of the puzzle in the wide discourse of alliances between disciplines and practices, with the broad aim of fostering a community-based approach to the care of heritage, in its various manifestations. It is the case, for example, of the experience of intentional 15 In Italy, several ecomuseums emerged in the rural and internal areas, that suffers the effects of depopulation, but also in urban peripheries or low-income neighbourhoods. 16 Beyond the academic article, see also the websites of the networks that have been created along the years. For example: https://sites.google.com/view/drops-platform/home; https://www.mondilocali.it; https://sites.google.com/view/ecomuseiitaliani/home (last access: June 13, 2022). 17 To date, 16 Regions and Autonomous Provinces out of 22 have approved or are in the process of approving a Law that recognizes Ecomuseums, while there is not a National Law. 127 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 communities in Norway (SAGER 2018), or eco-social laboratories18 for managing the commons in Galizia, Spain (FONTÁN BESTILLEIRO ET AL. 2021), that have been detected19 as other ways for taking care of various forms of heritage, may they be in urban or rural areas. It is important to note that the forms of heritage recalled here could be very diverse (from working-class houses in urban areas to forests or wetlands in rural areas), as well as the ways to take care of them. However, at the baseline, there is the necessity for valuing what matters from the past, fostering an ethos of socio-ecological justice for the future. The implications of this argument for the broad question that this paper has tried to investigate – why and how, is it urgent to intersect (eco)socially-oriented museology and planning – are discussed in the following paragraph. 3. Discussion: notes for a joint research program The journey across ecomuseums and other initiatives in Europe – in dialogue with some lessons that come from Latin America (Santiago's Mesa Redonda and its legacy) and North America (the experience of Planners Network) – has been here just briefly reported in the forms of the first set of notes that need to be further systematized. However, some preliminary reflections can be discussed regarding ontologies, epistemologies, methodologies, and policy recommendations. In terms of ontologies, before entering the specific debate concerned with heritage, I urged to clarify the various nuances of the discussion regarding the Anthropocene (CRUTZEN 2006), considering not only the mainstream debate but also the critical accounts (MOORE 2016; HARAWAY 2016; ARMIERO 2021, etc.), that explicitly emphasize the critics to the dominant socio-economic capitalistic model. Above all, this article refers to the ones that come from indigenous ontologies (VIVEIROS DE CASTRO 2013; KOPENAWA & ALBERT 2010; KRENAK 2019, etc.), that are not diffusely recalled in the anglophone literature. Such critical debate opens a reflection in terms of the broad question concerned with the way "we" inhabit the world, considering "we" as an inclusive and polyhedric subject, posing questions of justice, wasting relations, humans and non-humans' perspectives, as other ways for reframing the mainstream discourse on the Anthropocene, and finding viable alternatives to it. These challenges require looking for reframed ways of producing knowledge and actions that cannot be caged inside the 20th century's ways of doing disciplinary science only within the privileged circle of academia. The challenges of the current times require other epistemologies and methodologies, intersecting disciplines, opening them to the variety of knowledge and actions that are 18 19 Laboratorio Ecosocial do Barbanza. These cases have observed and investigated within the PON AIM research process (see footnotes 1 and 2). 128 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 incorporated into various practices on the ground. The tension of working with a community-based and integrated perspective has already emerged in multiple fields, including some approaches to museology and planning recalled in paragraph 3. The discourses and practices around ecomuseums (DE VARINE 2017) are examples of such tension. The emerging practices of ecomuseums – here explored with a focus on the Italian context – have been used as an example for pointing out the already existing overlaps between disciplines, as well as between academia and the world outside it. In addition, it has been pointed out that there is more beyond the same label of ecomuseums, if ones consider the various forms of relations (and actions) between people and the variegated manifestations of heritage (in urban and rural environments), as stated with the final cited examples (SAGER 2018; FONTÁN BESTILLEIRO ET AL. 2021), that are not called ecomuseums but share a tension of socio-ecological justice (SCHLOSBERG 2004). What has been discussed so far has implications in terms of policy recommendations. This article calls for an integration of policies able to go beyond the sectorial understanding and the current organizational structure of public offices. Considering what has been discussed so far, a static and monolithic division between spheres of knowledge is not helpful in grasping and – above all – nurturing the various acts of care that come from the ground. In this sense, further exploration is needed to find a structured way of integrating issues and actions, not only in the academic debate but also in practice and the policy arena. Conclusion This article has presented some preliminary notes elaborated within a research project that moved from the question of democratizing the approaches for taking care of territorial heritage and marginal landscapes from a community-based perspective. It has explored the potential of working at the frontier between museology and urban planning, while questioning the mainstream approaches to the Anthropocene, proposing ontological and epistemological alternatives. Based on an extensive literature review in both fields of knowledge and action, the need to open the disciplinary boundaries and work for intersections emerges. As discussed so far, it is necessary to start from the possible forms of community-based actions for taking care of heritage and propose a revised research program in terms of reframed ontologies and epistemologies (DE CASTRO 2013; KOPENAWA & ALBERT 2010; KRENAK 2019) aiming at producing policy recommendations based on integrated and critical perspectives. 129 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Such intersections represent a possible trajectory and research program for exiting the current injustices of the Anthropocene in its various nuances (MOORE 2016; HARAWAY 2016; ARMIERO 2021). Ecomuseums (DE VARINE 2017) are examples that show some practical attempts at intersections in the purse of a new alliance between community-based museology and urban planning that could open out new windows of opportunities for the urgent challenges of the 21st century. Bibliography ARMIERO Marco, 2021: Wasteocene: Stories from the Global Dump, Cambridge, UK, Cambridge University Press. ARNSTEIN Sherry, 1969: « A ladder of citizen participation », in Journal of the American Institute of planners, vol. 35, n° 4, p. 216-224. BARATTI Francesco, 2012: Ecomusei, paesaggi e comunità, Milano, FrancoAngeli. BARATTI Francesco, 2020: « Coscienza di luogo e comunità patrimoniali: alcune esperienze in Puglia », Scienze del Territorio, n° 8, p. 110-120. BORRELLI Nunzia, CORSANE G., DAVIS P., & MAGGI M., 2008: Valutare un ecomuseo: come e perché: Il metodo MACDAB, Torino, Ires. 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She is developing an interest in the intersections between museology and planning. She has been a visiting researcher at the University of Liège, Service of Museology – Research Unit of Art, Archaeology, and Heritage, contributing to the research project Les muséologies insurgées: échanges transnationaux. She is currently visiting researcher at Universidade Lusófona de Humanidades e Tecnologias, Department of Museology, and UNESCO Chair Educação, Cidadania e Diversidade Cultural. Contact : giusy.pappalardo@unict.it 133 CARNETS DE VISITE LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Léa DI FRANCESCO The Little Museum of Dublin : à la découverte d’un musée de société dublinois Mots-clés : musée de société, médiation culturelle, collecte d’objets, Histoire, Dublin. Keywords : society museum, cultural mediation, donated artefacts, history, Dublin. 1. Par Dublin, pour tous Le Little Museum of Dublin (LMoD) est situé dans le centre-ville de Dublin, juste en face du parc Saint Stephen’s Green, l’un des parcs les plus connus de la capitale. Ce musée fut fondé en 2011, par le Dublinois Trevor White, dans une magnifique maison georgienne datant du XVIIIᵉ siècle. Les visiteurs sont invités à parcourir trois étages exposant la collection permanente et terminent leur visite par une salle consacrée aux expositions temporaires. Ce « petit musée » a vu le jour grâce aux dons généreux des Dublinois. Il s’adresse tout aussi bien aux Irlandais connaisseurs et nostalgiques qu’aux touristes qui souhaitent découvrir l’histoire de Dublin à travers des anecdotes. Figure 1 – L’entrée du LMoD (2021). Photo : Léa Di Francesco. 135 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 2. Entre reconstitution d’intérieur du passé et salle d’exposition du présent Cette maison géorgienne est chaleureuse et accueillante. À travers les salles d’expositions permanentes, les visiteurs ont la sensation d’être dans une véritable maison : ils sont accueillis à l’entrée, ils parcourent des pièces conviviales embellies de cheminées d’époque, de bougies, de fleurs et sont invités à s’asseoir sur des fauteuils. Cette invitation est essentielle, car elle permet véritablement de transformer le musée en lieu de vie (CHAUMIER & MAIRESSE 2017, p. 51). Plus encore, il devient un lieu habitable pour les visiteurs et non plus uniquement habité d’objets (WINKIN 2020, p. 46). C’est dans cette optique que le musée peut proposer de vivre une expérience par cette invitation et par le rapport personnel qui se développe avec les objets exposés (WINKIN 2020, p. 87). Ce musée convie le public comme un invité et non un simple visiteur. L’équipe du musée désigne d’ailleurs le public comme « guest », cela crée véritablement une complicité et s’éloigne du musée froid et non accessible. Figure 2 – Première salle maîtresse du LMoD (2021). Photo : Léa Di Francesco. Ainsi, ce sentiment du « comme à la maison » est fort présent et est renforcé par des reconstitutions d’intérieur. Afin d’exposer le folklore dublinois, l’histoire de la capitale et donc l’immatériel, il est intéressant de proposer ces reconstitutions d’intérieur permettant au musée de s’adresser aux visiteurs nostalgiques et de s’ouvrir à un public plus large qui découvre de façon singulière le passé (DROUGUET 2015, p. 56). Fréquemment, le temps semble s’être arrêté dans un musée de société et les choix de structuration des expositions sont thématiques et chronologiques (GOB & DROUGUET 2003, p. 99). 136 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Figure 3 – Reconstitutions d’intérieur (2021). Photos : Léa Di Francesco. Les deux salles maîtresses du musée rappellent scénographiquement les cabinets de curiosité d’autrefois. D’objets anodins, comme des lunettes d’un médecin, à la toute dernière clé permettant l’accès unique aux bourgeois du Saint Stephen’s Green, au décret original signé de la main d’Eamon De Valera visant l’indépendance de l’Irlande dans les années 1920, les visiteurs s’émerveillent devant cette panoplie d’objets exposés. Figure 4 – Deuxième salle maîtresse du LMoD (2021). Photo : Léa Di Francesco. En tant que musée de société, ce musée intègre quotidiennement la population dans sa démarche de recherche en collectant des objets parfois considérés comme banals et d’usage courant. Ces objets sont des témoins d’histoires et d’expériences et ils renvoient à la réalité (DROUGUET 2015, p. 185). Entre photographies et expôts de tout genre, les visiteurs admireront la beauté de certains objets et la générosité des donateurs. Un des dons le plus généreux et surprenant est sans nul doute celui de John Hughes qui choisit le LMoD comme lieu d’exposition et de transmission de son histoire surprenante avec Samuel Beckett : à l’école, il devait écrire une 137 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 lettre à la personne qui avait occupé sa maison avant sa famille. Il s’agissait du dramaturge et nobéliste Samuel Beckett, qui a répondu au petit garçon en terminant sa lettre comme suit : « Si un jour tu vois mon fantôme dans la maison ou dans le jardin, fais lui part de mes salutations » (LMOD s. d.). Figure 5 – Exemple d’un don exposé au LMoD (2021). Photo : Léa Di Francesco. Au dernier étage, une salle est dédiée aux expositions temporaires traitant de sujets variés et complexes. L’une d’entre elles, « You Say You Love Me But You Don’t Even Know Me » est conçue en collaboration avec les National Museums Northern Ireland. Elle expose 35 objets, sélectionnés (parfois personnellement) par les équipes en Irlande du Nord, afin de traiter des sujets importants de l’histoire tels que « les Troubles » à Belfast. À la fin des années 1960, les Troubles éclatent en Irlande du Nord opposant les protestants aux catholiques et marquant à tout jamais les rues de Belfast. Après 30 ans d’attentats et de fusillades meurtrières, l’Irlande du Nord et l’Angleterre signent les « Accords du Vendredi Saint » annonçant la fin de ces événements tragiques (LMOD s. d.). Comme l’explique William Blair, commissaire de l’exposition, « A museum is a safe place for challenging conversation » (LMOD s. d.). Cette exposition réactive la mémoire collective des Irlandais du Nord. Les expositions temporaires, particulièrement celles d’un musée de société, ont le devoir d’évoluer comme la société et la discipline ethnographique elles-mêmes (DROUGUET 2015, p. 92). Afin de s’interroger sur le futur, ce musée collecte et conserve la mémoire collective du passé avec parfois des sujets très difficiles comme celui de cette exposition temporaire (DROUGUET 2015, p. 23). Par l’entremise de la collecte d’objets, le passé complexe de l’Irlande du Nord va « rester agissant dans le présent » (DROUGUET 2015, p. 27) 138 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Figure 6 – Exposition temporaire « You Say You Love Me But You Don’t Even Know Me » (2022). Photo : Léa Di Francesco. 3. La médiation culturelle aux multiples facettes Le rapport personnel aux objets évoqué précédemment est à son apogée lors des visites guidées. Le LMoD accueille les visiteurs en proposant toute la journée des visites avec des guides tantôt comédiens, tantôt passionnés d’histoires. Ces visites se déroulent dans les deux salles maîtresses du musée et se basent sur les divers objets et les anecdotes surprenantes. Entre humour irlandais et spontanéité, les « guests » découvrent l’histoire complexe de la capitale, notamment au travers d'anecdotes divertissantes communiquées par les guides. Il est important d’associer le matériel (les objets collectés) à l’immatériel (l’histoire ou le savoir-faire) afin de transmettre la mémoire collective la plus complète possible de Dublin (DROUGUET 2015, p. 193). Au sein d’un musée de société, l’objet est considéré comme un objet-témoin du passé qu’il faut interroger (DROUGUET 2015, p. 184). Lors de sa visite guidée, au-delà de l’interrogation de cet objet-témoin, le guide s’intéresse également aux donateurs, eux aussi témoins (GELLEREAU 2017, p. 29). Par leur don, ils racontent une histoire qui n’est pas fossilisée dans le passé, mais qui parle et évolue bien grâce au musée, aux guides et aux interactions avec les visiteurs du monde entier. 139 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Figure 7 – Visite guidée du LMoD (2021). Photo : Léa Di Francesco. Scénographiquement, les dispositifs de médiation et multimédia sont présents au fil des salles d’exposition. Les visiteurs sont invités à visionner des films courts racontant l’histoire de Dublin de façon humoristique ou encore des interviews liées aux diverses expositions. Des dispositifs sonores de toutes sortes viennent également animer les salles d’exposition. L’exemple le plus éloquent est la salle consacrée à U2 qui diffuse les chansons du groupe de musique rock et qui, scénographiquement, ressemble à une discothèque. L’agencement des salles d’exposition permet également de proposer aux visiteurs de se photographier s’ils le souhaitent. Depuis quelques années, de plus en plus de visiteurs souhaitent partager leur expérience via les réseaux sociaux avec des photographies et des vidéos. Nombreux sont les musées qui souhaitent se diversifier en proposant des espaces esthétiques, « instagrammables » et originaux. En effet, les réseaux sociaux peuvent encourager de « nouvelles dynamiques entre les institutions et leurs publics » (MAGRO 2015, p. 3). Le musée partage les publications des visiteurs (de type éphémère comme les stories sur Instagram ou des publications permanentes comme des rubriques) afin, d’une part, de favoriser une complicité ou un prolongement de la visite au musée et, d’autre part, d’utiliser les réseaux sociaux comme un outil pour valoriser et transmettre le patrimoine de ce musée dublinois. Dans cette optique, le Little Museum mobilise les réseaux sociaux afin de renforcer l’inclusion des publics dans sa démarche muséale (PROVENCHER 2015, p. 37). 140 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Figure 8 – Salle de U2 (2021). Photo : LmoD. Le musée tente également d’intégrer le public en l’invitant à manipuler des dispositifs de médiation simples, à essayer d’anciens jeux et à partir avec des souvenirs tels que des feuilles reproduisant une page du journal Irish Times à tamponner sur le bureau du rédacteur en chef. Figure 9 – Dispositifs et jeux à manipuler (2021). Photos : Léa Di Francesco. Cette maison géorgienne, abritant des objets insolites et essentiels à la compréhension du passé, du présent et du futur de Dublin, accueille chaque jour des visiteurs du monde entier. Il règne une ambiance joviale dès que l’on passe la porte d’entrée de ce musée. À travers les visites guidées, le public s’approprie plus aisément l’immatériel derrière le matériel. Il est invité à manipuler des dispositifs et à se photographier avec des reconstitutions d’intérieur chaleureux. 141 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Finalement, le Petit Musée de Dublin propose une médiation culturelle intimiste, spontanée et intrigante. Un musée de société atypique qui est à visiter en gardant en tête une phrase importante : « Cead mile failte » (« make yourself at home »). Figure 10 – Don exposé au LMoD (2021). Photo : Léa Di Francesco. Bibliographie CHAUMIER Serge & MAIRESSE François, 2017 : La médiation culturelle, Paris, Armand Colin, 2e édition. DROUGUET Noémie, 2015 : Le Musée de société : De l’exposition de folklore aux enjeux contemporains, Paris, Armand Colin. GELLEREAU Michèle (dir.), 2017 : Témoignages & médiations des objets de guerre en musée, Villeneuve-d'Ascq, Presses Universitaires du Septentrion. GOB André & DROUGUET Noémie, 2003 : La muséologie : Histoire, développements, enjeux actuels, Paris, Armand Colin. LITTLE MUSEUM OF DUBLIN, s. d. : « Document de travail pour les guides », 20 pages. LITTLE MUSEUM OF DUBLIN. Disponible en ligne sur : https://www.littlemuseum.ie/you-say-you-love-me (consulté le 10 janvier 2023). MAGRO Sébastien, 2015 : « De l’usage des réseaux socio-numériques comme supports d’une médiation culturelle en ligne », La Lettre de l’OCIM, n° 162. Disponible en ligne sur : http ://journals.openedition.org/ocim/1593 (consulté le 10 janvier 2023). 142 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 PROVENCHER ST-PIERRE Laurence, 2015 : « Le contemporain : objet de collection et de réflexion dans les musées de société », Muséologies, vol. 7, n° 2. Disponible en ligne sur : https ://doi.org/10.7202/1030248ar (consulté le 10 janvier 2023). WINKIN Yves, 2020 : Réinventer les musées, Paris, MKF Editions. Notice biographique Léa Di Francesco est diplômée à l’Université de Liège. Son mémoire de fin d’études était une étude de cas des pratiques de médiation culturelle au sein du Musée de la Vie wallonne pendant la crise sanitaire du Covid-19. Elle a étudié la Communication en Bachelier et s’est spécialisée en Médiation culturelle et relations aux publics. Elle réalise ses deux stages universitaires au Musée des Transports en Commun de Wallonie et au Musée de la Vie wallonne. En octobre 2021, elle a travaillé au Little Museum of Dublin afin de découvrir de nouveaux horizons, d’entrer dans la vie professionnelle et de perfectionner son anglais. Actuellement, elle continue de travailler dans le secteur culturel. Contact : leadifrancesco3@gmail.com 143 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Pauline DURET & LE PICONRUE Les Boîtes à Causeries du Piconrue – Musée de la Grande Ardenne Mots-clés : sensorialité, inclusion, Alzheimer, mallettes pédagogiques, collections. Keywords : sensoriality, inclusion, Alzheimer, pedagogical kits, collections. En tant que musée d'ethnologie, le Piconrue – Musée de la Grande Ardenne de Bastogne accorde une place centrale à l'Homme, ses croyances, ses mécaniques culturelles ou encore son fonctionnement quotidien. Le Musée que le visiteur connaît aujourd’hui a été le fruit d’une évolution constante, depuis sa fondation. En 1984, l’asbl « Musée en Piconrue. Arts religieux et croyances populaires en Ardenne et Luxembourg » voit le jour, avec pour objectif premier la sauvegarde du patrimoine religieux. Le Musée est alors un lieu de conservation, un centre d’étude et de mise en valeur de ce patrimoine. Au fil du temps, le patrimoine conservé par le Musée s’est agrandi, ne concernant plus exclusivement des pièces religieuses. À l’image de ses collections, le Musée a glissé vers un champ d’étude plus large, celui de l’Ardenne. C’est ainsi qu’en 2019 « Piconrue – Musée de la Grande Ardenne » a officiellement remplacé « Musée en Piconrue ». En quarante ans d’existence, le Piconrue – Musée de la Grande Ardenne a vu ses méthodes et objectifs changer. D’un lieu de conservation consacré au patrimoine religieux, le Musée est aujourd’hui une institution en perpétuelle évolution, pluridisciplinaire et ouverte sur l’extérieur. Ainsi, la conception des expositions se fait au moyen de la co-construction avec le citoyen, ses outils de médiation se veulent plus participatifs et le contenu présenté veut amener le visiteur à se questionner. Actuellement, le parcours de référence est « Les Âges de la Vie », en place depuis 2015. Ce parcours aborde la question de la vie en Ardenne, depuis la naissance jusqu’à la mort, avec les croyances, peurs et quotidien des ardennais, ce qui fait de l’exposition un véritable moteur à échanges et souvenirs1. Dans le parcours des Âges de la Vie, les visiteurs sont par exemple invités à s’installer sur des Bancs des âges. Ces espaces sont conçus comme des lieux de partage où les visiteurs échangent sur le thème de la salle dans laquelle ils se trouvent, aidés par des questions types proposées par le Musée. 1 144 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Cette démarche prend en compte une interaction de type head-on et heart-on. En effet, les approches que l’on qualifie de heart-on font rentrer nos sentiments et nos conceptions identitaires dans la construction de l’expérience de visite. Par cette approche, les souvenirs perdurent dans la mémoire. S’il vous est demandé de vous rappeler d’une expérience du musée, il y a de fortes probabilités que cette expérience fasse intervenir vos émotions (ŽIZANOVIC Senka, 2020, p. 75-76). Figure 1 – Boîte à Causeries, 2019. Photo : Piconrue – Musée de la Grande Ardenne. En 2017, le Musée entre en contact avec la Ligue Alzheimer asbl en vue d’un partenariat autour de la création d’un projet commun, dans le but de travailler avec un public fragilisé, jusqu’alors peu intégré à la médiation du Musée. En effet, la maladie d’Alzheimer est une maladie neurodégénérative détruisant les cellules cérébrales. Fréquente chez les personnes âgées, elle est irréversible et progresse lentement. Une telle collaboration se justifie par les objectifs communs aux deux institutions, en particulier la valorisation des échanges et des souvenirs. Si le Piconrue – Musée de la Grande Ardenne travaille constamment cet axe dans ses visites, la Ligue Alzheimer a, quant à elle, mis en place les « Alzheimer Cafés ». Ceux-ci sont organisés dans les provinces de Wallonie et en Région bruxelloise. Ils sont ouverts à toute personne ressentant le besoin d’être écoutée, aidée et donc principalement aux personnes malades et leurs proches. Ces lieux de rencontre misent sur la convivialité en proposant aux participants de se réunir autour d’une boisson, d’un goûter ou de chocolats pour discuter et poser des questions sur la vie avec la maladie (LIGUE ALZHEIMER, « Alzheimer café », [en ligne]). Si la vieillesse est la cause principale de la maladie, des traumatismes, l’alimentation et d’autres maladies sont également des causes courantes (LIGUE ALZHEIMER, « La maladie 145 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 d’Alzheimer », [en ligne]). Dans le cas de cette maladie, les facultés cognitives et mémorielles sont altérées. L’approche sensorielle a pour objectif de diminuer les troubles comportementaux (ROUX 2020, p.18). Pour le Musée, deux expériences ont renforcé la volonté de mettre au point cette collaboration. Tout d’abord, dans le cadre de l’accueil des groupes de séniors, les médiatrices du Musée ont constaté combien le parcours de référence Les Âges de la Vie ravive nombre de souvenirs, que ces visiteurs se plaisent à leur partager, comme en témoigne l’expérience évoquée par une famille : « Le papa de ma compagne était « sur le déclin » et nous sommes venus visiter le Musée avec lui, ses enfants et ses petits-enfants. Nous avons visité Les Âges de la Vie et ce fut l’occasion de le mettre à l’honneur, de l’écouter. Ce fut un moment de transmission absolument magique, le dernier « beau moment » que nous ayons vécu ensemble car après cela, très rapidement, les mots se sont perdus… ». Ce témoignage illustre l’importance du lien entre les générations et valorise le Musée comme lieu de transmission et d’échange, loin de l’image stricte que les institutions pouvaient avoir auparavant2. La collection joue ici le rôle du relai entre les publics eux-mêmes. C’est pourquoi cette réciprocité rappelle plus la manière dont François Mairesse définit la communication. La collection est alors un dispositif communicationnel, un média (DELOCHE 2011, p. 71-72). Ensuite, la deuxième expérience est liée aux médiations scolaires durant lesquelles la manipulation d’objets issus des collections est autorisée et encadrée. L’enfant peut toucher, sentir, observer de près, éventuellement écouter le son produit par l’objet, etc. En résulte une réelle connexion car durant ces manipulations, l’enfant est centré, concentré sur l’objet. La collection du Musée est alors au centre, non pas comme objet, mais comme outil pour l’appréhension du public. La manipulation fait partie de cette compréhension par une pédagogie active. Ce qui est aujourd’hui considéré comme interdit était encouragé par le passé. Au XVIIIe siècle, manipuler les objets du musée était favorisé pour comprendre l’œuvre (FONDATION DU TOUCHER 2020, [En ligne]). Ces pratiques existent encore, mais concernent un éventail plus restreint du public, notamment le public déficient visuel. Sans parler des bénéfices de la manipulation dans le cadre d’une conception universelle, d’autres publics jouiraient d’une expérience plus immersive avec le toucher. Dans le monde médical, le toucher possède de grandes vertus thérapeutiques puisqu’il est considéré comme primordial dans les interactions sociales. En effet, le contact fait office de pont entre le monde physique et psychique du patient (ROUX 2020, p.15). 2 Pour plus d’information : MAIRESSE François, 2014 : Le culte des musées, Bruxelles, Académie royale de Belgique. 146 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 C’est ainsi que les Boîtes à Causeries ont vu le jour. Ces dernières sont destinées aux animateurs des Alzheimer Cafés, mais aussi au personnel des maisons de repos. Leur but est d’emprunter un objet ou un ensemble d’objets issus des collections du Musée et de les utiliser comme outil d’animation avec leur groupe. Le Musée a ainsi imaginé pouvoir toucher ces publics et leur être utile en sortant des objets de ses réserves et de ses murs. Figure 2 – Utilisation d’une Boîte à Causeries, 2018. Photo : Piconrue – Musée de la Grande Ardenne. Si l’utilisation des Boîtes à Causeries se fait hors des murs du Musée, le changement de cadre modifie la diffusion et la réception du message. De tels outils de communication extérieurs au Musée permettent d’aller chercher le public et de le renouveler. Il existe des formes variées d’activités comme les balades urbaines, les dispositifs itinérants, les mallettes pédagogiques, etc. Ce type d’actions visant à familiariser le non-public est également encouragé dans le domaine de la santé et des personnes en situation de handicap, comme en témoignent les conventions « culture-santé », « culture-justice » et « culture-handicap » (EXPOSCOPE 2022, [En ligne]). Les Boîtes à Causeries se basent sur le principe de réminiscence, ces souvenirs imprécis dans lesquels domine la tonalité affective. Ils deviennent une base de discussion grâce au potentiel de souvenirs ou d’émotions dont ils sont chargés et sont donc sélectionnés soigneusement dans cette optique. L’objectif des Boîtes à Causeries est simple : vivre un moment de partage convivial et léger autour de l’objet. Lors des Alzheimer Cafés mettant en pratique les Boîtes à Causeries, la sensorialité est omniprésente grâce à l’objet. Cette 147 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 méthode, combinée à l’approche cognitive, offre une expérience de réminiscence aux participants (LEROY 2018, p. 86-89). Figure 3 – Manipulation d’une bouillotte, 2019. Photo : Piconrue – Musée de la Grande Ardenne. Une fiche technique accompagne chaque Boîte à Causeries et offre un panel de propositions pour explorer l’objet et tout ce qu’il peut évoquer. Ces pistes peuvent être suivies ou non par l’animateur en fonction de ses besoins et envies. L’Alzheimer Café de Bastogne a servi de laboratoire tout au long de l’élaboration du projet afin que les Boîtes à Causeries correspondent au mieux aux besoins du terrain. La présence d’un médiateur du Musée a notamment été écartée car cela mettait l’accent sur l’objet et non sur ce qu’il évoquait aux participants, car ces derniers en profitaient pour poser énormément de questions au sujet de la pièce. Le temps accordé à cette animation au cours d’un Alzheimer Café a également été analysé. Tout au long de la conception, les participants se sont accordés à dire que la Boîte à Causeries avait apporté un bol d’air frais durant la séance. La séance est introduite par un animateur de la Ligue Alzheimer qui présente l’activité. Les objets sont manipulés et questionnés sur leur odeur, leur texture, leur poids, leur utilité, etc. Les souvenirs remontent chez les personnes atteintes de démence et la conversation s’éloigne souvent de l’objet pour découler vers d’autres sujets. Par exemple, une séance sur le biberon a permis d’évoquer l’enfance, les amis, l’école, etc. Ils ne se cantonnent pas à l’utilité première de l’objet (HERTAY 2022, [entretien]). Outre cette expérimentation à l’Alzheimer Café de Bastogne, l’avis de référents démence de maisons de repos, 148 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 d’animateurs des Alzheimer Cafés de la province de Luxembourg et d’agents proximitédémence3 a également été sollicité lors d’un workshop organisé au Musée le 29 novembre 2018. À cette occasion, ces professionnels ont découvert les Boîtes à Causeries et ont discuté avec les porteurs du projet de sujets comme le transport, les modalités de prêt et l’utilisation de l’outil. Cela a permis de revoir certains aspects de l’outil avant son lancement officiel. Depuis mai 2019, six Boîtes à Causeries sont empruntables gratuitement, moyennant une caution, au Musée. Les boîtes contiennent une paire de chaussures d’enfant, une boîte d’amidon Rémy, un cartable, une dinette, un jeu de Meccano® ou encore une bouillotte. Un seul objet ou ensemble d’objets est présent par boîte pour permettre au groupe d’être centré autour d’un même point de départ. La manipulation des objets proposés pose la question de la conservation, car il y a un risque d’altération possible. Or, dans sa définition du musée, l’ICOM souligne le fait que la conservation fait partir du code de déontologie de cette institution (ICOM 2007, [en ligne] ; ICOM 2017, [en ligne]). La notion de préservation doit alors être habilement conciliée avec la nécessité de manipuler l’objet pour l’activité. En ce qui concerne la conservation, les boîtes ont été réalisées en interne par le régisseur du Musée. Ce dernier, formé au conditionnement optimal des objets a conçu des boîtes qui répondent au mieux aux normes de conservation. Cet équilibre délicat entre conservation des objets et mise à disposition pour manipulation montre la volonté du Musée à s’investir dans des projets sociaux, tout en respectant les directives de préservation du patrimoine. À noter que les objets choisis pour les Boîtes à Causeries l’ont été car ils n’étaient ni trop fragiles ni rares en termes de collection. La forme des Boîtes à Causeries a été imaginée pour faciliter leur transport et également pour que ses utilisateurs pensent au Musée en la voyant. Étant donné qu’un objet des collections sort de l’institution et est manipulé sans la présence de personnel du Musée, un tel conditionnement induit aux publics l’idée d’une manipulation précautionneuse et d’une attention particulière à son égard. 3 Agents communaux formés à l’accompagnement des personnes concernées par la démence. 149 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Figure 4 – Boîte à Causeries, 2019. Photo : Piconrue – Musée de la Grande Ardenne. Les Boîtes à Causeries proposent de mettre entre parenthèses, pour un instant, la maladie, de créer du lien et de partager un moment léger ensemble. Elles permettent de vivre le Musée dans un autre contexte : la culture et le patrimoine ne sont plus seulement loisirs ou biais d’éducation, mais aussi des facilitateurs d’expression. Ce sont des objectifs similaires qui sont visés par le Musée des Beaux-Arts et le Musée de la Photographie de Charleroi dans leurs visites inoubliables destinées aux personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer : l’art sert de prétexte « à la conversation, aux anecdotes, à l’évocation du quotidien, à raconter un bout de son histoire personnelle » (EN MARCHE 2018, [en ligne]). Les visites se terminent par moment convivial partagé ensemble (MUSEE DE LA PHOTOGRAPHIE, Visite guidée « inoubliable » [en ligne]). Cette formule existe plus largement en Europe et notamment au Musée d’Art et d’Histoire de Genève dans lequel une visite conçue en partenariat avec une art-thérapeute propose de créer du lien entre les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, les proches aidants, et le musée. (MUSEE D’ART ET D'HISTOIRE, « Maladie d’Alzheimer », [en ligne]). Au Canada, en 2018, le Musée des Beaux-Arts de Montréal et l’Association des Médecins francophones du Canada ont mis au point des prescriptions muséales (MUSEE DES BEAUXARTS DE MONTREAL 2018, [en ligne]). Des visites au musée, au même titre que le sport ou des médicaments, peuvent être proposées pour leurs bienfaits sur le mental et la santé. Ce projet s’est exporté à l’international : à Bruxelles, le CHU Brugmann propose de telles prescriptions depuis 2021 (RTBF 2021, [en ligne]). 150 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Tous ces projets montrent que les musées se veulent de plus en plus inclusifs. Ces derniers essaient de porter une attention particulière à leurs différents publics en leur proposant des expériences à vivre à l’intérieur ou à l’extérieur de leurs murs. Gageons qu’à l’avenir de plus en plus de projets de ce type verront le jour. Bibliographie CHAUMIER Serge, 2011 : « Education », in DESVALLEES André & MAIRESSE François (dir.), Dictionnaire encyclopédique de muséologie, Paris, Armand Collin, p. 87-120. DELOCHE Bernard, 2011 : « Communication » in DESVALLEES André & MAIRESSE François (dir.), Dictionnaire encyclopédique de muséologie, Paris, Armand Collin, 71-85. EN MARCHE, « Les visites inoubliables », En marche [en ligne]. Disponible sur : https://www.enmarche.be/societe/vivre-ensemble-et-citoyennete/les-visites-inoubliables.htm (consulté le 21 mai 2022). EXPOSCOPE, 2022 : « La médiation hors les murs : aller vers les publics », Exoscope [en ligne]. Disponible sur : https://exposcope.wordpress.com/2022/03/01/le-hors-les-murs-1/ (consulté le 17 mai 2022). EXPOSCOPE, 2020 : « La médiation hors les murs : créer, évaluer », Exoscope [en ligne]. Disponible sur : https://exposcope.wordpress.com/2022/03/22/le-hors-les-murs-2-lucie-m/ (consulté le 17 mai 2022). FONDATION DU TOUCHER, 2020 : « Prière de toucher : retour aux sources du débat », Fondation du toucher [en ligne]. Disponible sur : http://fondationdutoucher.org/priere-de-toucher-i-retour-auxsources-du-debat/ (consulté le 17 mai 2022). HERTAY Aurélie (Département Psycho-Social Ligue Alzheimer asbl), avril 2022 : échange de mail mené par DURET Pauline. LEROY Margaux, 2018 : « La boîte à causeries », Revue trimestrielle du Piconrue - Musée de la grande Ardenne, n° 132, vol. 4, p. 86-89. LIGUE ALZHEIMER, s. d. : « Alzheimer café », Alzheimer [en ligne]. Disponible sur : https://alzheimer.be/nos-activites/alzheimer- cafe/ (consulté le 17 mai 2022). LIGUE ALZHEIMER, s. d. : « La maladie d’Alzheimer », Alzheimer [en ligne]. Disponible sur : https://alzheimer.be/la-maladie-dalzheimer/ (consulté le 10 mai 2021). MAIRESSE François, 2014 : Le culte des musées, Bruxelles, Académie royale de Belgique. 151 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 MUSEE D’ART sur : ET D’HISTOIRE, « Maladie d’Alzheimer », Musée d’art et d'histoire [en ligne]. Disponible http://institutions.ville-geneve.ch/fr/mah/publics/publics-en-situation-de-handicap/maladie- dalzheimer/ (consulté le 21 mai 2022). MUSEE DE LA PHOTOGRAPHIE, Disponible « Visite guidée inoubliable », Musée de la photographie [en ligne]. sur : https://www.museephoto.be/news/43/44/Visite-guid%C3%A9e- inoubliable/d,Planifier-Activite-D%C3%A9tail.html (consulté le 21 mai 2022). MUSEE DES BEAUX-ARTS DE MONTREAL, 2018 : « Prescriptions muséales MBAM-MFDC : des visites au musée prescrites par des médecins à leurs patients », Musée Des Beaux-Arts De Montréal [en ligne]. Disponible sur : https://www.mbam.qc.ca/fr/actualites/prescriptions-museales/ (consulté le 21 mai 2022). POMIAN Krzysztof, 1988 : « Musée archéologique : art, nature, histoire », Le Débat, vol. 49, n° 2, p. 57-68. ROUX Camille, 2020 : La sensorialité dans l’accompagnement des personnes âgées démentes : intérêt de la prise en charge psychomotrice des troubles psycho-comportementaux. Mémoire psychomotricité, Institut de Formation en Psychomotricité. RTBF, 2021 : « Santé mentale : des prescriptions "muséales" pour soigner les patients bruxellois » , Rtbf [en ligne]. Disponible sur : https://www.rtbf.be/article/sante-mentale-des-prescriptionsmuseales-pour-soigner-les-patients-bruxellois-10835528 (consulté le 17 mai 2022). ŽIZANOVIC Senka, 2020 : « “Head, Heart and Hands Learning” - A challenge for contemporary education », Journal of Education Culture and Society, vol. 4, p. 71-82. Notices biographiques Le Piconrue – Musée de la Grande Ardenne Situé à Bastogne, il a ouvert ses portes en 1984. L’institution était à l’origine un lieu de protection du patrimoine religieux des églises de la région. Avec les années, le Piconrue est devenu le Musée que l’on connaît aujourd’hui. Depuis 15 ans maintenant, le service des publics est actif pour des visites guidées et la création d’activités pédagogiques, pour le public de tout âge. Contact : publics@piconrue.be 152 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Pauline Duret Titulaire d’un master en Histoire de l'art et archéologie, orientation générale, à finalité muséologie depuis 2022, Pauline Duret poursuit sa formation par un master Histoire de l'art et archéologie, orientation générale, à finalité didactique. L’expérience acquise par les rencontres professionnelles montre un intérêt grandissant pour l’inclusion en rendant les visiteurs acteurs de leur visite. Les questions relatives à la ludopédagogie et la stimulation sensorielle et émotionnelle restent ses domaines d’intérêt principaux. Contact : paulineduret.98@gmail.com 153 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Adèle EVEN Voyage muséologique aux Pays-Bas Mots-clés : muséologie, voyage d’études, Pays-Bas. Keywords : museum studies, study tour, Netherlands. Dans le cadre du cours de Muséographie donné par Madame Manuelina Maria Cândido Duarte à l’Université de Liège, nous avons eu le plaisir de visiter plusieurs musées aux PaysBas, plus précisément à Amsterdam, Leyde et Rotterdam. Ce voyage débute à Amsterdam par la Reinwardt Academy. Nous avons été reçues par les étudiantes du « Master en muséologie appliquée et étude du patrimoine » qui nous ont présenté leurs travaux de mémoire. Leur formation n’est pas basée sur l’histoire mais plutôt sur la pratique de la muséologie en elle-même. Cette rencontre nous a permis d’échanger avec des étudiants d’autres pays mais également de voir leurs façons de concevoir une exposition. Leurs présentations portaient sur une future exposition « If these walls could talk ». Celle-ci donne une voix au personnel de maison noble, à qui l’on ne pense pas toujours quand on visite une ancienne bâtisse. Son objectif est d’inclure les visiteurs en son sein afin qu’ils fassent partie du personnel. L’enseignement de la Reinwardt Academy offre une approche plus « pratique » de la muséologie. Cela permet de s’ouvrir à d’autres facettes méconnues de ce domaine. Hester Dibbits1 nous a présenté son projet « Emotion Networking » créé en partenariat avec Marlous Willemsen2 (fig. 1). Dans les conversations sur le patrimoine, les émotions peuvent être vives, il est donc intéressant de comprendre l’interaction des intérêts et des émotions qui entourent ce dernier. Le fait de mettre en exergue les sentiments que l’on ressent lorsqu’on parle du passé permet de les apprivoiser et nous aide à gérer ce bagage émotionnel dans le présent. Cela permet d’avoir une certaine sagesse patrimoniale, d’avoir un rapport critique sur le passé. Le concept de « sagesse patrimoniale » désigne les compétences nécessaires pour établir un lien entre le patrimoine et sa propre position visà-vis de celui-ci dans le but de faire face au passé souvent chargé en émotions. Les réseaux 1 Maître de conférence en patrimoine culturel à la Reinwardt Academy et professeur à l’Université Erasmus de Rotterdam. 2 Directrice du projet Imagine I.C. 154 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 d’émotions proposent des webinaires et des ateliers afin de comprendre le sujet et en apprendre davantage. Cette façon d’accorder de l’attention au passé pour pouvoir survivre au présent permet d’aider les personnes qui en ont besoin, telles que les personnes en difficultés qui ont parfois vécu des évènements traumatisants. C’est d’ailleurs une idée qui devrait se développer dans d’autres pays et qui n’est pas seulement liée aux Pays-Bas. Nous vivrons la seconde partie de cette expérience plus tard, lors de notre visite du Projet Imagine I.C. Figure 1 – Réseaux d'émotions, Reinwardt Academy, 4 avril 2022. Photo : Adèle Even. Le mardi 5 avril, nous avons rejoint Rotterdam afin de visiter le Dépôt Boijmans Van Beuningen. Le musée est actuellement en travaux et devrait rouvrir ses portes en 2029, c’est pourquoi nous n’avons pu accéder qu’à la réserve visitable du musée. L’ensemble des réserves est trié par matériaux en fonction des moyens de conservation différents de chaque objets. Dans le hall, les objets dans les box en plexiglas sont changés tous les 6 mois (Fig. 2). Durant le mois d’avril, le dépôt proposait des visites plus poussées que celle à laquelle nous avons eu droit en accédant à certains endroits du musée comme la zone d’emballage et de déballage, le tout accompagné d’un guide3. Tout muséologue est muséographe. De ce fait, la formation de muséologie ne comprend pas simplement la gestion administrative d’un musée mais englobe la conservation des collections, la gestion des publics, le volet éducatif, l’organisation des expositions et la scénographie, etc.4 Le fait de visiter les réserves d’un musée est gratifiant pour notre formation en muséologie car cela nous permet d’apprendre et de comprendre le métier de 3 MUSEUM BOIJMANS VAN BEUNINGEN [en ligne], disponible sur : https://www.boijmans.nl/ (consulté le 13 août 2022). 4 Notes du cours « Conception des expositions » donné par Madame Manuelina Maria Duarte Cândido, 2021. 155 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 muséologue ainsi que le fonctionnement de la face cachée d’un musée. La faiblesse du Dépôt serait son aspect « lèche-vitrines ». En effet, les espaces de restauration sont protégés d’une grande baie vitrée permettant au visiteur de regarder le travail des restaurateurs (fig. 3). Cet effet donne un air relativement faux aux réserves. Figure 2 – Hall d'entrée, Dépôt Boijmans van Beuningen, 5 avril 2022. Photo : Adèle Even. Figure 3 – Salle de restauration, Dépôt Boijmans van Beuningen, 5 avril 2022. Photo : Adèle Even. Le mercredi 6 avril, nous avons pu participer à la suite du projet sur les réseaux d’émotions en participant à « Imagine I.C. » présenté par Jules Rijssen et Éline Minnaar-Kuiper. Imagine I.C. a débuté il y a 23 ans à Amsterdam et le projet est actuellement implanté dans le quartier du Zuidoost, au sud-est d’Amsterdam qui apparaît en 1969. Ce quartier se voulait utopique, les créateurs avaient une vision de paradis et voulaient offrir un meilleur avenir avec plus de modernité, plus d’espaces verts et attirer la classe moyenne mais cela n’a pas fonctionné. Les appartements restaient vides et le quartier était mal fréquenté. Le but du nouveau projet est de faire revenir la population, de redorer l’image du quartier. Ils aident également la population car quiconque a une idée ou souhaite avancer dans un projet peut utiliser Imagine I.C.. Ce n’est pas juste un « Neighbourhood museum » car ils travaillent avec et pour le voisinage qui sont des acteurs du quartier. Les vitrines du musée ne présentent pas seulement l’histoire du Bijlmer5 mais affichent une sélection de tous les objets prêtés par la population et réunis entre 2014 et 2019 autour de thèmes tels que la foi, la résistance, etc. (fig. 4) L’exposition, qui dure entre six et huit mois, veut donner un sentiment de chez-soi. À la fin de celle-ci, ces objets sont rendus au propriétaire car il n’y a pas assez d’espace pour tout stocker. Créer ces expositions n'est pas le but premier du musée mais il est utilisé comme un tremplin vers le réel but qui est de parler avec les gens, le voisinage et les personnes concernées. Concernant les réseaux d’émotions, nous nous sommes rassemblés 5 Quartier résidentiel d’Amsterdam dans le district d’Amsterdam-Zuidoost. 156 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 en cercle et avons échangé sur nos sentiments par rapport à la catastrophe qui est survenue dans le quartier du Bijlmer où un avion s’était écrasé le 4 octobre 1992 faisant 43 victimes. Figure 4 – Exposition Imagine I.C., 6 avril 2022. Photo : Adèle Even. Imagine I.C. est donc un projet de recherche de mémoire collective. C’est un mélange d’archives et de musées au cœur du Bijlmer. Ils font des nouvelles acquisitions pour la collection d’Amsterdam en collaboration avec le quartier. La méthode de collecte et d’acquisition est donc participative en étant basée sur les expériences de chacun. Ils optent pour la démocratie patrimoniale où tout le monde devrait avoir une voix. Ils font des collaborations avec plusieurs institutions comme la Reinwardt Academy ou le Tropenmuseum avec l’exposition « Saya et Koto : couches de tissu et de temps »6. Imagine I.C. se déplace dans les écoles primaires et secondaires des alentours mais également chez les personnes qui veulent apprendre ce qu’est le véritable héritage et ce qu’ils peuvent en faire. Le jeudi 7 avril, la journée fut consacrée au Tropenmuseum. Nous avons débuté notre visite du musée par le 1er étage dans une exposition temporaire sur les cadeaux (fig. 5). L’exposition reprend en long et en large le thème des présents à offrir, des cadeaux d’anniversaire tout comme funéraires. L’étage se termine par une autre exposition temporaire sur les pouvoirs de guérison à travers différents moyens comme la sorcellerie, la psychologie, la nature, les animaux, la drogue ou même le spirituel. Au rez-dechaussée, « Things That Matter » est l’exposition permanente sur les choses importantes et l’importance des choses : des objets d’une grande signification personnelle qui sont liés 6 IMAGINE I.C. [en ligne], disponible sur : https://imagineic.nl/ (consulté le 13 août 2022). 157 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 aux problèmes d’aujourd’hui à travers dix thèmes sociaux. Certains objets de la collection du musée sont accompagnés d’un témoignage. Par exemple, « When is culture yours » nous fait réfléchir sur l’appropriation culturelle. Autre exemple, l’activiste Kathy Jetnil-kijner exprime ses inquiétudes concernant l’élévation du niveau de la mer et ses effets sur sa culture7. C’est un musée que l’on pourrait qualifier de musée de société. Il axe son exposition sur les problèmes sociaux actuels et offre parfois une façon de les résoudre8. Figure 5 – Exposition temporaire sur les cadeaux, Tropenmuseum, 7 avril 2022. Photo : Adèle Even. Le vendredi 8 avril, nous nous sommes déplacés à Leyde afin de visiter le Naturalis, l’institut de recherche et musée d’histoire naturelle. Nous avons débuté l’exposition par une salle immergée dans le noir, seuls les animaux marins y sont éclairés afin de donner un effet plus impressionnant. Le musée reste dans le spectaculaire avec les salles suivantes qui présentent les animaux marins et terrestres (fig. 6), le tout dans une atmosphère mystérieuse, sombre et magique. Le visiteur est complètement immergé dans ces salles grâce à différents sons : une musique, une imitation d’orage, de pluie et de vents. Le point décevant de cette salle est le manque d’explications (hormis les noms d’espèces) et le manque de contexte car les animaux sont simplement les uns à côté des autres. Ce manque d’information est comblé avec la salle suivante qui nous présente quatre phénomènes naturels dans quatre pays : le Brésil, le Japon, l’Islande et l’archipel d’Hawaï. La scénographie est intéressante car elle donne l’impression d’être à l’intérieur d’un diorama. On peut rentrer dans un van en Islande (fig. 7) ou visiter un temple du Japon. On se retrouve ensuite dans une grande salle consacrée aux dinosaures. Le numérique y est présent avec des projections de vidéos sur de grandes toiles. Le reste de la scénographie est quant à elle 7 TROPENMUSEUM [en ligne], disponible sur : https://www.tropenmuseum.nl/nl (consulté le 13 août 2022). Notes du cours « Musées d’histoire et de société » donné par Madame Noémie Drouguet et Madame MariePaule Jungblut, 2021. 8 158 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 plus classique. À l’étage supérieur se trouve une salle consacrée à l’ère glaciaire. Au milieu se trouve une grande plaine et, de chaque côté, des jumelles permettent de voir de petites vidéos d’animaux se battant et jouant dans la plaine (fig. 8). Contre les murs se trouvent des étagères ressemblant à celles des premiers musées ainsi qu’aux cabinets de curiosités contenant des restes d’os. Ensuite, nous nous dirigeons vers une salle explicative sur Eugène Dubois, découvreur de l’homo erectus. Il fut le premier à rechercher des formes intermédiaires fossiles entre l’homme et le singe. Au dernier étage, on rentre dans une salle consacrée à la séduction qui ressemble à une maison de poupée en style art nouveau (fig. 9). Et enfin, une salle sur le thème de la mort termine l’exposition. L’espace est complètement dans le noir afin de probablement instaurer un effet de peur, de mystère. Ces différentes salles nous montrent que l’immersion du visiteur fait partie intégrante de la gestion des expositions. Figure 6 – Première salle d'exposition, Naturalis, 8 avril 2022. Photo : Adèle Even. Figure 7 – Seconde salle d'exposition, Naturalis, 8 avril 2022. Photo : Adèle Even. Mettre en éveil les différents sens et créer des émotions chez le visiteur sont des éléments primordiaux pour le Naturalis. L’immersion dans les musées de sciences est de plus en plus courante, comme le dit Alessandra Mariani9 : « Au cours des quinze dernières années, les expériences concluantes des musées de sciences ont permis de plonger le visiteur dans un environnement donné, dans le but de favoriser la compréhension de phénomènes ou de mécanismes scientifiques, et ont ainsi ouvert la voie à l’évolution de ces techniques de « mise en situation » pour les adapter ultérieurement à d’autres environnements muséaux. » (MARIANI 2007). Même si ce stratagème permet en effet de marquer l’enfant, il faut admettre qu’il peut très souvent esquiver le savoir au profit de l’effet scénographique. Cela pourrait être perçu comme une volonté commerciale car un enfant impressionné aura probablement envie de revenir. Il ne faudrait donc pas que cet aspect dépasse le but premier qui est l’éducation. 9 Candidate au doctorat en histoire de l’art à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). 159 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 L’ensemble du musée est consacré aux enfants mais la visite n’en est pas moins intéressante pour les adultes. Durant tout le long de cette dernière, des bancs sont installés de part et d’autre de chaque salle pour compenser la fatigue muséale. Des guides sont également disponibles dans les différentes salles afin de compléter les informations. Par exemple, dans la première salle, un guide décrit les différentes peaux que les animaux peuvent avoir avec la possibilité de toucher et manipuler les différents objets. Autre exemple, dans la salle sur les dinosaures, un guide nous fait faire un jeu de devinettes. Le but est que ces médiateurs soient accessibles pour que le visiteur vienne de lui-même leur poser des questions. Figure 8 – Salle sur l'ère glaciaire, Naturalis, 8 avril 2022. Photo : Adèle Even. Figure 9 – Salle sur la séduction, Naturalis, 8 avril 2022. Photo : Adèle Even. À l’entrée du musée se trouve le « live science » où des chercheurs et scientifiques travaillent et répondent à nos questions sur leurs métiers et leurs recherches (fig. 10). Une application est disponible pour encore plus d’interactivités avec des informations supplémentaires sur leur collection. Dans la nouvelle visite interactive du musée, ils montrent à quel point la biodiversité est vulnérable et résiliente en étudiant la relation entre l’homme et la nature. C’est un point positif à mettre en exergue car peu de musées font attention aux problèmes socio-climatiques que notre monde connaît à l’heure actuelle. De plus, étant un musée consacré aux enfants, il est primordial de les éduquer sur des thèmes comme le réchauffement climatique, la pollution, etc. Après la visite du musée nous avons pu visiter les réserves, accompagné d’une guide. Beaucoup de budgets ont été alloués à cet espace qui a été complètement remis à neuf. Malheureusement, les employés qui travaillent dans les réserves n’ont pas beaucoup de contacts avec le musée et les autres départements. Or pour une gestion muséale habile, il faut que la communication soit effective entre tous les départements. 160 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Figure 10 – « Live science », Naturalis, 8 avril 2022. Photo : Adèle Even. Durant le dernier jour du voyage, nous avons visité le Rijksmuseum, musée national néerlandais abrité dans un magnifique bâtiment datant de 1876. L’exposition est divisée par étages et chaque étage comporte une période de temps. Par exemple, la visite commence par l’étage 0 et la collection datant de 1100 et 1600 ainsi que la collection spéciale. Le 1er étage comporte les objets de 1700-1800 et 1800-1900, et ainsi de suite jusqu’à l’époque contemporaine au dernier étage. Le Rijksmuseum est divisé en trois départements : le département des Beaux-Arts, le Cabinet national des estampes et le département sur l’histoire néerlandaise. Le département des Beaux-Arts, lui-même divisé en trois sections : peinture, sculpture et arts décoratifs/asiatiques donne un aperçu de l’art néerlandais du XVe au XXe siècle. Pour l’illustrer, la collection présente des œuvres de grands artistes, notamment celle de Johannes Vermeer, Rembrandt ou encore Frans Hals. Les deux autres sections ont un caractère plus international. Toute l’exposition fait un parallèle avec l’esclavage, sur 140 œuvres au total. L’exposition « Slavernij » revient sur le passé sombre des Pays-Bas et évoque les exactions commises durant l’époque coloniale. On retrouve ainsi quelques cartels expliquant le rapport de l’œuvre ou de son artiste avec l’esclave à travers l’histoire de dix personnages réels. Même si c’est une grande institution de renommée nationale, le Rijksmuseum retourne vers un passé peu glorieux et rappelle les atrocités exécutées principalement par la Compagnie des Indes néerlandaise. Sans qualifier le musée de musée de société, l’exposition permet de « présenter une histoire plus complète du passé national néerlandais auquel l’esclavage reste inextricablement lié aujourd’hui » (LESAUVAGE 2021). Si l’on suit l’idée d’un musée en accord avec sa société décrite par Duncan Cameron10 : « Comme temple, le musée est détruit, sa crédibilité et son autorité sont perdues lorsqu’il est incompatible avec les valeurs de la société qu’il dessert » (CAMERON 1994), le Rijksmuseum rentre dans ces critères de 10 Directeur du Glenbow-Alberta Institute et premier président canadien de l’Association des musées du Commonwealth. 161 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 vérité en rajoutant l’exposition sur l’esclavage et en enlevant le voile du mensonge sur l’Âge d’Or des Pays-Bas. Nous pouvons comparer cette exposition avec la réouverture du Musée de Tervuren en 2018 qui offre une auto réflexion critique sur le passé lié au colonialisme belge (LORENTE 2022). Cela permet de changer l’ancien message que le musée voulait faire passer vers un message plus ouvert et autocritique envers son pays, ce qui semble être tourné vers l’évolution. Le point négatif du musée est justement son impressionnante collection. La visite est fatigante car trop longue et le message est incompréhensible pour le visiteur à cause du nombre d’œuvres accumulées. Alors pourquoi ne pas filtrer les œuvres ? Rendre l’exposition plus légère et plus fluide, permettrait une meilleure éducation du visiteur. Je pense qu’ils ne voudraient pas le faire parce que cela amoindrirait la collection, or ils veulent garder ce surplus d’objets et donner la possibilité aux visiteurs de voir « de tout ». Je trouve cela dommage car pour mieux contextualiser un discours il faut moins d’objets et plus d’espace, il faut que l’œuvre accompagne ce message et non pas qu’elle le surpasse11. De plus, l’organisation du musée est tournée vers la collection et vers les bénéfices. Une organisation comme l’a auparavant fait Nina Simon au Musée d’art et d’histoire de Santa Cruz pourrait faire changer cela. Le musée serait davantage tourné vers le public et travaillerait dans le but d’améliorer les relations entre lui et le musée12. Pour conclure, les Pays-Bas regorgent de nombreux musées aussi intéressants les uns que les autres et nous apportent beaucoup d’informations nécessaires à l’apprentissage dans le milieu de la muséologie. Que ce soit en remarquant les points positifs de certains musées ou en arborant les points négatifs pour d’autres, c’est en analysant les défauts que l’on peut prendre conscience et faire évoluer la gestion administrative, la gestion des collections ou encore la gestion des publics. Bibliographie CAMERON Duncan, 1994 : « Les parquets de marbre sont trop froids pour les petits pieds nus », in DE BARY Marie-Odile & DESVALLÉES André & WASSERMAN Françoise, Vagues : une anthologie de la nouvelle muséologie, vol. 2, éd. W-MNES, p. 55. IMAGINE I.C. [en ligne], disponible sur : https://imagineic.nl/ (consulté le 13 août 2022). 11 Notes du cours « Musées d’histoire et de société » donné par Mme Noémie Drouguet et Mme Marie-Paule Jungblut, 2021. 12 Notes du cours « Actions éducatives et culturelles dans les musées » donné par Mme Manuelina Maria Duarte Cândido, 2022. 162 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 LESAUVAGE Magalie, 2021 : « Esclavage : les Pays-Bas confrontés à leur passé », Le quotidien de l’art [en ligne], n° 2216. Disponible sur : https://www.lequotidiendelart.com (consulté le 16 août 2022). LORENTE Jesus Pedro, 2022 : « La (méta)muséologie critique, au musée et au-delà », Les Cahiers de Muséologie [en ligne], n° 2. Disponible sur : https://popups.uliege.be (consulté le 16 août 2022). MARIANI Alessandra, 2007 : « L’immersion sensible : une autre façon de transmettre les contenus ? », Muséologies, Les cahiers d’études supérieures [en ligne], éd. Association Québécoise de Promotion des Recherches Étudiantes en Muséologie (AQPREM), vol. 2, n° 1. Disponible sur : https://id.erudit.org/iderudit/1033597ar (consulté le 16 août 2022). MUSEUM BOIJMANS VAN BEUNINGEN [en ligne], disponible sur : https://www.boijmans.nl/ (consulté le 13 août 2022). Notes du cours « Actions éducatives et culturelles dans les musées » donné par Manuelina Maria Duarte Cândido, 2022. Notes du cours « Conception des expositions » donné par Manuelina Maria Duarte Cândido, 2021. Notes du cours « Musées d’histoire et de société » donné par Noémie Drouguet et Marie-Paule Jungblut, 2021. TROPENMUSEUM [en ligne], disponible sur : https://www.tropenmuseum.nl/nl (consulté le 13 août 2022). Notice biographique Adèle Even commence ses études en Histoire de l’art et archéologie en 2016 et les poursuit avec un master de muséologie toujours en cours. Pour compléter son cursus, elle effectue un stage au Musée Gaspar, à Arlon. Celui-ci porte sur la vie de Jean et Charles Gaspar, deux frères, l’un sculpteur, l’autre photographe et mécène, vivants au XIXe siècle. En plus du stage, elle se perfectionne en travaillant pour le musée en tant qu’étudiante. Pour terminer ses études, Adèle réalise un mémoire en lien avec les musées dans le processus de transformation numérique et le potentiel des médias sociaux pour le travail muséal. Contact : adeleeven@outlook.fr 163 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 Floriane PAQUAY Fake for Real. Une histoire du faux et de la contrefaçon à la Maison de l’histoire européenne Mots-clés : Maison de l'histoire européenne, fake news, numérique. Keywords : House of European History, fake news, digital technology. Introduction Ouverte à partir du 24 octobre 2020 pour une durée d’un an prolongée jusqu’au 30 janvier 2022 (EURONEWS 2021), l’exposition Fake for Real, dont l’objectif est de montrer que la falsification n’est pas un phénomène contemporain, retrace son histoire et la contextualise (MAISON DE L’HISTOIRE EUROPEENNE, 2020b). Ses curatrices, Simina Bădică 1 et Joanna 2 Urbanek , ont constaté que, dans notre société où la crédibilité et la confiance continuent d’être des valeurs très importantes, la nouvelle révolution de l’information nous interroge sur l’ère de post-confiance (MAISON DE L’HISTOIRE EUROPEENNE 2020b). Ainsi, en traversant les époques de l’Antiquité à nos jours et située sur le continent européen, l’exposition invite les visiteurs à réfléchir et à développer leur esprit critique sur leur perception et attitude face aux vrais et aux faux dans le monde du mensonge, de la non-vérité et de la contrefaçon. Elle interroge sur la manière dont sont construites ces falsifications et leur but à atteindre. Il s’agit d’une exposition à message (DUARTE CANDIDO 2021). Les curatrices, en évoquant une question de société, transmettent un propos aux visiteurs et provoquent le débat. Cette approche est définie comme communicationnelle par Noémie Drouguet (2021). Par ailleurs, leur volonté d’exprimer une interprétation singulière rejoint la formulation d’exposition d’idées de Davallon (CHAUMIER 2012, p. 42). 1 Simina Bădică est une conservatrice de la Maison de l’histoire européenne à Bruxelles. Elle a été chercheuse, conservatrice et la directrice des Archives ethnologiques au Romanian Peasant Museum de Bucarest entre 2006 et 2017. Elle a défendu sa thèse en Histoire à l’Université d’Europe centrale de Budapest sur les pratiques de commissariat communiste. Elle enseigne la Muséologie à l’Ecole nationale pour les études politiques et administratives à Bucarest (BADICA s. d.) 2 Joanna Urbanek est conservatrice à la Maison de l’histoire européenne. Elle est la gestionnaire du projet de l’exposition (MAISON DE L’HISTOIRE EUROPÉENNE, s. d.). 164 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 Afin de rendre leur discours (CHAUMIER 2012, p. 30) compréhensible de tous, l’exposition apparait comme une synthèse. L’objectif a été d’examiner, pour chaque époque, quelle était la méthode de falsification la plus utilisée (RTBF 2021). L’exposition met en scène 200 pièces de différentes époques en provenance d’Europe (EURONEWS 2021). Les objets se sont avérés l’outil principal pour contextualiser le programme muséographique (MAISON DE L’HISTOIRE EUROPÉENNE 2021a). Néanmoins, de nombreux substituts sont également présents tout au long de l’exposition. Le choix scénographique s’est manifesté par une métaphore du mythe du fil d’Ariane par la création d’un labyrinthe (MAISON DE L’HISTOIRE EUROPEENNE 2020b). Ce parcours linéaire se situe sur deux niveaux non homogènes et est structuré à l’aide d’un système de miroirs associé à des vitrines de forme quadrilatère changeante. L’articulation des miroirs renvoie le visiteur à son propre reflet. Il est lui aussi victime de la falsification. Chaumier nous apprend que cet agencement ne permet pas au visiteur de s’écarter de ce qui est attendu de lui (CHAUMIER 2012, p. 28). Le mélange entre le black box (Idem, p. 91) et le reflexion box occasionne une ambiance sombre. Les salles, ne disposant pas de fenêtre, sont équipées d’un éclairage artificiel et fonctionnel. Les objets sont quant à eux mis en valeur dans les vitrines par un éclairage directionnel (DUARTE CANDIDO 2021). Figure 1 – Photographie présentant la séquence Régner et Prier de l’exposition Fake for Real. Photo : Floriane Paquay, 29 novembre 2021. 165 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 1. Contenu et organisation L’exposition est divisée en six sections thématiques se référant à des grands changements rencontrés par la falsification dans l’histoire européenne (MAISON DE L’HISTOIRE EUROPEENNE 2020b). Ces thèmes suivent une structure chronologique avec des sous-structures thématiques (DROUGUET 2021). Chaque section est divisée en plusieurs sous-évènements et se clôture par une vitrine comprenant un objet d’époque contemporaine encadré par des pointillés et accompagné d’un trombone. Le visiteur se déplace, selon l’idée de Serge Chaumier, de séquence en séquence (CHAUMIER 2012, p. 37). Elles sont indiquées par un fléchage signalétique et didactique comprenant un pictogramme et le titre de la section. Ainsi, les contenus sont hiérarchisés à l’aide de titres, sous-titres, textes explicatifs, citations et légendes. Ils sont écrits en quatre langues – Anglais, français, néerlandais, allemand – et apparaissent de manière dense et éparpillées ainsi qu’en caractères de petite taille. Le chapitre premier, intitulé Régner et prier, s’insère dans les périodes historiques antique et médiévale. Dans cette section, le visiteur est questionné sur la possibilité d’effacer quelqu’un de la mémoire publique. Des objets et des substituts sont présentés. Cette pratique qui se répète tout au long de l’exposition se réfère à l’exposition d’idées dans laquelle les objets et d’autres supports permettent de communiquer des contenus informatifs (CHAUMIER 2012, p. 42). Le second chapitre, Comprendre le monde, aborde plusieurs sous-thèmes. Tout d’abord, la question des pays inventés et des fausses créatures (MAISON DE L’HISTOIRE EUROPÉENNE 2021a). Ensuite, la censure et les périls de la parole libre suite à l’invention de l’imprimerie sont évoqués à l’aide d’un écran tactile par lequel le visiteur est soumis à un sondage sur les pamphlets. En finalité de cette expérience, il découvre une statistique en lien avec ce que le public a répondu lui permettant de nourrir son esprit critique. Dernièrement, la falsification scientifique au XIXe siècle (MAISON DE L’HISTOIRE EUROPEENNE 2020b) est retracée à l’aide d’une ligne du temps mais aussi d’objets à manipuler tel qu’un crâne. Troisièmement, la séquence Unir et diviser présente le sujet des faux patriotiques utilisés lors de la formation des États-nations au XIXe siècle. Il est le seul thème de l’exposition non soutenu par des « vraies choses ». En effet, les curatrices nous expliquent que seuls des livres pouvaient nous éclairer sur ces questions puisqu’il s’agit essentiellement de faux médiévaux. Par ailleurs, afin d’approcher l’origine d’une des théories conspirationnistes les plus fortes, les Protocoles des Elders de Zion (Ibid.), l’équipe scénographique a conçu un mur constitué de caissons. Ce système image la multiplication des théories mais aussi la 166 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 frustration des experts qui essaient d’écarter ces-dernières (MAISON DE L’HISTOIRE EUROPÉENNE 2021b). Finalement, appuyé par l’affaire Dreyfus, les conservatrices interrogent sur l’utilisation de fausses preuves pour convaincre des personnes innocentes. Cette séquence peut être directement mise en lien avec une autre section de l’exposition dédiée aux procès médiatiques dans le bloc soviétique (MAISON DE L’HISTOIRE EUROPÉENNE 2021a). La quatrième section, Faire la guerre, dédiée au XXe siècle et plus particulièrement à la Seconde Guerre mondiale nous force à nuancer notre jugement sur les faux. En effet, à cette époque, ils ont permis de sauver des vies (MAISON DE L’HISTOIRE EUROPEENNE 2020b). Une vidéo retrace un témoignage grâce à un support animé. En effet, le patrimoine immatériel est aussi engagé dans l’exposition. Le second sous-thème est consacré au déni de crime et au massacre qui a eu lieu dans la ville de Katyń au début de la Seconde Guerre mondiale. Le cinquième thème, Gloire et fortune, fait découvrir aux visiteurs le faux dans l’art, les fausses marques que nous craignons et désirons ainsi que la contrefaçon de l’argent (Ibid.). Enfin, la dernière section questionne L’ère de la post-vérité. Elle est essentiellement conçue sur des outils multimédias pour comprendre les problèmes des fake news menant à la désinformation. Pour les curatrices, aujourd’hui, le faux ne se situe plus dans les objets mais dans nos interactions avec les autres (MAISON DE L’HISTOIRE EUROPÉENNE 2021b). Par ailleurs, une vidéo présente l’analyse d’un spécialiste sur la désinformation durant l’épidémie de COVID-19. L’exposition s’est aussi intéressée à collecter le contemporain. 167 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 Figure 2 – Photographie de l’outil numérique Dans notre bulle présent dans la séquence L’ère de la post-vérité ? de l’exposition Fake for Real. Photo : Floriane Paquay, 29 novembre 2021. 2. L’exposition hors des murs L’exposition Fake for Real, dont la date d’ouverture était fixée en juin 2020, a finalement ouvert en octobre avant de devoir fermer ses portes en raison de la crise sanitaire (MAISON DE L’HISTOIRE EUROPEENNE 2020b). Il a été nécessaire d’adapter le rapport au public. Ainsi, différentes médiations ont été proposées sur les réseaux sociaux – Facebook, Instagram, Twitter et YouTube – et sur le site internet du musée. Repenser leurs stratégies de communication, comme nous l’explique Estelle Poirier-Vannier, a permis de maintenir le lien et le dialogue avec leurs publics (2020, p. 5) mais aussi d’entrer en contact avec de nouveaux publics (Idem, p. 15). Dès lors, il existe un déploiement de l’espace de communication des musées au-delà de son enceinte physique qui est conceptualisé par Nancy Proctor par le beyond museums walls (JUANALS & MINEL 2016, p. 164). Une visite guidée réalisée par les curatrices en sept épisodes présente les différentes salles en réalisant des raccourcis dans les siècles et dans les sections de l’exposition (MAISON DE L’HISTOIRE EUROPEENNE 2020b). Deux épisodes ont été ajoutés dans le contexte de la journée des droits de l’homme (MAISON DE L’HISTOIRE EUROPÉENNE 2020a). À cela se joint, en ligne sur le site internet, une brève présentation écrite de chaque section soutenue par deux objets. Ces initiatives remettent en question le rapport à l’objet et le rôle attribué au 168 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 visiteur (POIRIER-VANNIER 2020, p. 5). La dématérialisation de l’espace physique rend l’accès possible à l’exposition dans une autre dimension temporelle et physique. L’expérience est plus intimiste (Idem, p. 24). Les évènements Facebook live tels que The Flamboyant Fake Series3, Fake for real movie series4, FakeForReal interviews & speeches (MAISON DE L’HISTOIRE EUROPÉENNE, 2020d) et le discours d’ouverture de Klára Dobrev (MAISON DE L’HISTOIRE EUROPÉENNE, 2020c), aujourd’hui accessible en ligne sur YouTube, ont permis d’atteindre un objectif dans les missions du musée qui est la création d’une conversation et d’un échange (MAISON DE L’HISTOIRE EUROPÉENNE 2021c). Le jeu Fake Friday proposé sur Facebook, Instagram et Twitter invite le visiteur à poser un regard aiguisé sur l’exposition pendant une heure afin de trouver les faux. Ce mode de diffusion est utilisé pour mettre en avant l’interaction, plutôt que la narration. Le visiteur devient acteur et établit un dialogue moins institutionnel et plus participatif (POIRIER-VANNIER 2020, p. 15). Le musée rencontre sa mission sociale (Idem, p. 19). Sur Spotify, des podcasts sur la conception de l’exposition permettent aux visiteurs d’approcher l’envers du décor, le choix des objets, la scénographie, la conservation et la médiation. L’appel à la métamuséologie démystifie le fonctionnement de musée (Idem, p. 28). Cette pratique intègre mieux le visiteur dans la réflexion en lien avec la conception de l’exposition concédant une distanciation avec ce qui lui est présenté (SCHÄRER 2018, p. 13). Conclusion L’exposition nous apprend qu’il est préférable de chercher les faits à la vérité (RTBF 2021). Ce discours est souligné dans le cartel Épilogue. Elle interroge aussi le visiteur sur les fake news et les discours de haine sur Internet et sur les réseaux sociaux. Elle pose des questions tels que « La liberté d’écrire et de publication est-elle un droit absolu ou devraitil exister des limites ? », « Certains textes sont-ils purement destructeurs ou la liberté d’expression est toujours mauvaise ? ». Pour aider le visiteur à construire sa pensée pour le futur, elle apprend par l’histoire européenne l’impact qu’ont pu produire les faux, leurs intentions de tromper par l’action simple de falsifier des documents ou par des stratégies The Flamboyant Fake Series est une série de conférences animée par des spécialistes (historiens, linguistes, neuropsychologues, politologues, spécialistes de la communication, etc.) sur des questions relatives à la falsification (MAISON DE L’HISTOIRE EUROPEENNE 2021d). 4 Fake for real movie series interroge le cinéma de différent genres, périodes et pays qui joue avec la vérité et l’authenticité, la déception et la manipulation (MAISON DE L’HISTOIRE EUROPÉENNE 2020e). 3 169 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 développées par les états. Elle questionne sur l'impact engendré par la falsification (MAISON DE L’HISTOIRE EUROPÉENNE 2021a). Comme le dit Jacques Hainard, l’exposition sert à déranger le visiteur, susciter des émotions, construire un discours spécifique à l’aide d’objets mais surtout à lutter contre les idées reçues (DUARTE CANDIDO 2021). Pour attirer l’intérêt, les expôts doivent bénéficier d’un rendu visuel en provoquant l’émerveillement (MAISON DE L’HISTOIRE EUROPÉENNE 2021a). L’altérité des contenus modifie l’esprit de l’exposition (MAISON DE L’HISTOIRE EUROPÉENNE 2021b). Des solutions scénographiques intéressantes sont développées ainsi que l’appel aux sens. Le dispositif numérique est au cœur de la visite permettant au public d’être actif. Le design inclusif permet à des personnes de différents horizons de penser ces perspectives (MAISON DE L’HISTOIRE EUROPÉENNE L’HISTOIRE EUROPÉENNE 2021a) par l’utilisation d’une langue universelle (MAISON DE 2021b). Ainsi, nous pouvons déclarer que l’exposition Fake for Real utilise une approche communicationnelle (DROUGUET 2021). Quand bien même le labyrinthe sert de guide et les contenus semblent denses, leur diversité défère la possibilité de choix au visiteur. Ce dernier devient acteur de sa visite. Cependant, malgré l’effort de vulgarisation et d’inclusion, la visite apparait surtout accessible à un public de jeunes adultes et d’adultes en raison des nombreux textes. Bibliographie BADICA Simina, s. d. : « Biography », Academia.edu [en ligne] : Disponible sur : https://ceu.academia.edu/SiminaBadica (consulté le 25 décembre 2021). CHAUMIER Serge, 2012 : Traité d’expologie. Les écritures de l’exposition, Paris, La documentation Française. DROUGUET Noémie, 2021 : « Les approches muséographiques, un outil d’analyse et d’exposition », communication orale dans le cadre du cours de Conception des expositions, ESA Saint-Luc Liège. DUARTE CANDIDO Manuelina Maria, 2021-2022 : Conception des expositions, notes de cours, Université de Liège, Histoire de l’art et archéologie. EURONEWS, 2021 : « Bruxelles : une exposition relate des siècles de fausses informations et de falsifications » [en ligne]. Disponible sur : https://fr.euronews.com/2020/10/23/bruxelles-une- 170 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 exposition-relate-des-siecles-de-fausses-informations-et-de-falsifications (consulté le 2 novembre 2021). JUANALS Brigitte & MINEL Jean-Luc, 2016 : « Stratégies de communication et dispositifs de médiation à l’ère numérique : vers des “musées ouverts” ? », in MAIRESSE François (dir.), Nouvelles tendances de la muséologie, Paris, La documentation Française. POIRIER-VANNIER Estelle, 2020 : Ressources virtuelles développées par les musées pendant la pandémie de COVID-19, Rapport de recherche préparé par les Programmes d’études supérieures en muséologie, Université du Québec. MAISON DE L’HISTOIRE EUROPÉENNE, 2020a : « Fake for Real et les droits de l’homme – Visite des conservateurs » [en ligne]. 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The Objects and Stories left behind », Soundcloud [en ligne]. Disponible sur : https://soundcloud.com/houseeuropeanhistory/curatorscut-the-objects-stories-left-behind (consulté le 23 décembre 2021). MAISON DE L’HISTOIRE EUROPÉENNE, Research and Design », 2021b : « From visualisation to realisation The marriage of Soundcloud [en ligne]. Disponible sur : https://soundcloud.com/houseeuropeanhistory/from-visualisation-to-realisation-the-marriage-ofresearch-design (consulté le 23 décembre 2021). 171 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 MAISON DE L’HISTOIRE EUROPÉENNE, 2021c : « Learning through Experiences bringing an exhibition to life through a events & learning programme », Spotify [en ligne]. Disponible sur : https://open.spotify.com/episode/4y2W4EDgTrefixsROXX0lb (consulté le 24 décembre 2021). MAISON DE L’HISTOIRE EUROPEENNE, Disponible sur : 2021d : « The Flamboyant Fake Series », Youtube [en ligne]. https://youtube.com/playlist?list=PLfFmlaaSoqz7kqRQxoWJzf7boXMKsfI1Z (consulté le 21 décembre 2021). MAISON DE L’HISTOIRE EUROPÉENNE, s. d. : « L’équipe de projet de la maison de l’histoire européenne » [en ligne]. Disponible sur : https://historia-europa.ep.eu/fr/lequipe-de-projet-de-la-maison-delhistoire-europeenne (consulté le 28 décembre 2021). RTBF, 2021 : « A découvrir : L’histoire du faux et de la contrefaçon » [en ligne]. Disponible sur : https://www.rtbf.be/lapremiere/emissions/detail_le-mug/accueil/article_a-decouvrir-l-histoire-dufaux-et-de-la-contrefacon?id=10677983&programId=14712 (consulté le 2 novembre 2021). SCHÄRER Martin, 2018 : Exposer la muséologie, Paris, ICOFOM. Notice biographique Floriane Paquay est étudiante en deuxième année de master en histoire de l’art et archéologie, orientation générale, à finalité spécialisée en muséologie à l’Université de Liège. Ses intérêts portent sur la participation muséale. Elle est aussi activement impliquée dans le comité d’édition de la revue Les Cahiers de Muséologie. Contact : florianepaquay@gmail.com 172 NOTE DE LECTURE LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 Mégane FASSIN « L’écomusée singulier et pluriel. Un témoignage sur cinquante ans de muséologie communautaire dans le monde » de Hugues de Varine Référence : DE VARINE Hugues, L’écomusée singulier et pluriel. Un témoignage sur cinquante ans de muséologie communautaire dans le monde, Paris, L’Harmattan, 2017, 296 p. Mots-clés : Hugues de Varine, nouvelle muséologie, l’écomuséologie. Keywords : Hugues de Varine, new museology, ecomuseology. Hugues de Varine (Metz, 1935) est un historien et muséologue français. En 1962, il devient sous-directeur du Conseil international des musées (ICOM). Lorsque GeorgesHenri Rivière (Paris, 1897- Louveciennes, 1985)1 quitte son poste de directeur de l’ICOM, Hugues de Varine est, alors, nommé à la direction du comité. Il en fut le directeur de 1965 à 1974. Durant les années 1970, le monde muséal est en crise : la muséologie doit repenser ses buts ainsi que la relation entre les musées et le public, autrement dit : entre les musées et la société. Ce contexte particulier voit arriver la « nouvelle muséologie ». Hugues de Varine devient, en partie malgré lui, l’un des pères fondateurs de cette tendance ainsi que du tout nouveau concept d’écomusée. Hugues de Varine est connu pour plusieurs publications : il a écrit trois livres2 entre 1976 et 2002 ainsi que divers articles3 entre 1979 et 2000. La dernière en date, L’écomusée Georges Henri Rivière était un muséologue français, il est le fondateur du Musée national des arts et traditions populaires à Paris en 1937. Il a joué un rôle considérable dans le développement de la nouvelle muséologie et dans le développement des musées d’ethnographie. Il fut également professeur de muséologie à l’université de Paris IV de 1970 à 1982. 2 DE VARINE Hugues, La culture des autres, Paris, Seuil, 1976 – DE VARINE Hugues, L’initiative communautaire : recherche et expérimentation, Mâcon, Éditions W/MNES, 1991 – DE VARINE Hugues, Les Racines du Futur. Le patrimoine au service du développement, Lusigny-sur-Ouche, Édition Asdic, 2002. 3 Nous pouvons citer comme exemples d’articles : DE VARINE Hugues, 1979 : « L’exposition itinérante : moyen 1 174 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 singulier et pluriel, dresse un panorama de l’histoire des écomusées. En effet, le premier chapitre (Avant l’écomusée, p. 15-35) place la muséologie des années 1960-1970 dans son contexte géopolitique, son contexte muséal et dans le contexte de la mondialisation. C’est dans ces contextes bien particuliers, marqués par le développement local, la décolonisation, l’éducation pour tous, etc. que naît le concept de l’écomusée. Deux évènements majeurs vont nourrir les débats, alors naissants, sur le rôle social du musée ainsi que sur sa place dans la société. Il s’agit, premièrement, en 1971, de la IXe Conférence Générale du Conseil International des Musées à Grenoble. Elle a pour thème : « Le Musée au service des Hommes, aujourd’hui et demain ». Hugues de Varine, souhaitant amorcer une nouvelle réflexion et remettre les musées de sciences naturelles au premier plan, consulte l’un des conseillers de Robert Poujade, alors ministre de l’Environnement en France (1971-2001). Le muséologue demande à ce dernier de faire le lien entre les musées de sciences naturelles et la nouvelle préoccupation mondiale à propos de l’environnement dans le discours qu’il doit prononcer lors de la Conférence. Poujade, qui trouve les musées ennuyants, refuse de les évoquer dans son discours. Après plusieurs tentatives, Hugues de Varine finit par forger le terme « écomusée » pour nommer ce nouveau concept unissant musées et environnement. D’un point de vue international, cette conférence a aidé à la reconnaissance du rôle social du musée, menant peu à peu à la reconnaissance de la nouvelle muséologie. Néanmoins, l’invention du mot « écomusée » n’a pas de conséquences immédiates. L’écomusée est, au départ, associé aux Parcs Naturels Régionaux (PNR) en France. L’une des premières définitions du mot est réalisée sous la supervision d’Hugues de Varine, en collaboration avec des experts : ils décrivent l’écomusée comme un musée spécifique de l’environnement. Cette définition, bien que correspondant à l’intention originelle de l’ICOM, est rarement utilisée et mentionnée. De son côté, Georges Henri Rivière réalise sa définition : l’écomusée est le lien entre une communauté et son territoire ; il explique, raconte, décrit l’histoire des relations entre la population et son lieu de vie. Cette seconde définition est plus souvent reprise que celle de l’ICOM. de communication, d’information, d’éducation », Revue archéologique de l’Oise, vol. 15 n° 2. - DE VARINE Hugues, 1979 : « Le musée peut tuer ou … faire vivre », Technique et architecture, n° 326, septembre, p. 8283. - DE VARINE Hugues, 2000 : « Autour de la table ronde de Santiago », Publics et Musées, vol. 17 n° 1, p. 180-183. - DE VARINE Hugues & DEBARY Octave, 2000 : « Un entretien avec Hugues de Varine », Publics et Musées, n° 17-18, p. 203-210. 175 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 Le second évènement primordial est la Table Ronde de Santiago au Chili, en 1972. L’UNESCO avait alors demandé de l’aide à l’ICOM pour organiser une table ronde, à Santiago du Chili, à propos du rôle des musées dans la société contemporaine. Hugues de Varine, alors directeur de l’ICOM, et Raymonde Frin, qui travaillait pour l’UNESCO, ont décidé de faire appel à des intervenants latino-américains, des spécialistes de la question de l’éducation, de l’environnement, de l’agriculture en Amérique latine. La Table Ronde de Santiago au Chili a remis en cause les pratiques traditionnelles : elles favorisaient l’exportation de la muséologie européenne dans le reste du monde. Ils y ont rédigé la déclaration de Santiago qui revient sur la fonction sociale dans les musées. Après avoir posé les bases du concept écomuséal, Hugues de Varine s’attarde sur l’application pratique de l’écomusée dans divers pays, comme la France (L’écomusée à la française, p. 69-82), notamment, avec l’Écomusée du Creusot-Monceau, ou comme l’Italie (Voyages dans les écomusée italiens, p. 115-140) qui adopte, en 1990, l’écomusée comme modèle de gestion participative du patrimoine local. Hugues de Varine décrit dans son dernier livre l’utilisation des mappa di communità (carte du patrimoine communautaire). L’écomusée singulier et pluriel nous emmène faire un tour du monde des pratiques écomuséales. La notion d’écomusée est entièrement décortiquée dans le chapitre 8 (Ce qui fait l’écomusée, p. 173-221). L’auteur y réalise une synthèse issue de son expérience de terrain, néanmoins, il nous avertit que chacun peut inventer sa propre conception de l’écomusée ainsi que les moyens pour le mettre en œuvre. Il ne souhaite pas rendre ce chapitre scientifique ou, selon ses termes, universitaire. Cette section se donne l’opportunité de revenir sur les trois piliers communs à tout écomusée : le territoire, la communauté et le patrimoine. Elle amorce également la réflexion à propos de la différence entre la muséologie et l’écomuséologie, ainsi qu’entre la muséographie et l’écomuséographie. Hugues de Varine clôture son ouvrage par une réflexion sur l’avenir de l’écomusée (Quel avenir pour les écomusées ?, p. 239-269) : il y aborde les risques comme le risque économique, qui plane toujours au-dessus de ces institutions majoritairement tenues par des volontaires, militants et associations. Le muséologue nous évoque ensuite les tendances et les défis que rencontreront les écomusées. Nous pouvons citer pour exemple la tendance aux stratégies de réseaux et le défi que représente l’évaluation de l’utilité sociale de l’écomusée. 176 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 En annexes de son livre, l’auteur nous offre une « bibliothèque écomuséale ». Il nous y propose les livres de sa propre bibliothèque, des lectures qui lui semblent pertinentes, même si elles ne se rapportent pas toutes directement aux écomusées. Hugues de Varine nous joint également, en annexes, le document stratégique des écomusées italiens. L’écomusée singulier et pluriel offre une vue d’ensemble de la notion d’écomusée, depuis les origines du terme jusqu’à son possible avenir, en passant par les éléments clés du concept. Néanmoins, l’ouvrage ne répond pas aux critères d’un véritable travail de recherches sur le sujet. Cette caractéristique est assumée par l’auteur : il accepte et revendique que son œuvre n’est ni scientifique, ni universitaire. Le recueil repose entièrement sur ses expériences personnelles. Dès lors, nous regrettons le manque de sources et travaux qui pourraient appuyer les propos d’Hugues de Varine. Il nous faut aussi rester vigilant à propos de la subjectivité de son témoignage. Nous constatons également les nombreuses répétitions au sein de l’ouvrage. Ces répétitions, Hugues de Varine affirme les avoir voulues afin de faciliter la lecture et, ainsi, éviter les retours en arrière. De plus, il apporte, sans prétention, une pédagogie à son livre en multipliant les exemples et les biographies de personnages clés. L’écomusée singulier et pluriel n’est pas un ouvrage scientifique comme on s’y attend habituellement. Néanmoins, l’expérience et les connaissances du muséologue sur le sujet sont importantes et légitimes. Cet ouvrage est un excellent résumé de l’aventure de l’écomusée. Hugues de Varine nous emporte avec lui dans les coulisses de cette expérience de nouvelle muséologie. Si vous êtes désireux d’en lire un peu plus à propos des écomusées, nous vous recommandons également la lecture de l’ouvrage Des musées en quête d’identité. Écomusée versus technomusée (CHAUMIER 2003). En effet, nous avons successivement lu les ouvrages d’Hugues de Varine et de Serge Chaumier4 : le second ouvrage nous a apporté du recul pour mieux aborder l’ouvrage d’Hugues de Varine. Dans son livre, Serge Chaumier aborde la théorie de l’écomuséologie d’un point de vue 4 Serge Chaumier est un sociologue français, spécialisé en muséologie. Il est professeur et chercheur à l’Université d’Artois à Arras. Il est également directeur du MEM (Master Expo-Muséographie) : il s’agit d’une formation pour les étudiants à propos de la muséologie et de la muséographie. Serge Chaumier est l’auteur de plusieurs publications dans le domaine culturel comme CHAUMIER Serge & KURZAWA Marie (dir.), 2019 : Le musée hors les murs, s. l., Les dossiers de l’Ocim. 177 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 critique. Il revient sur différents concepts propres à l’écomusée comme l’initiative locale, le reflet du territoire, les ambitions du communautarisme ou encore la place des experts du musée dans ces institutions proches de la communauté. Sans véritable tabou, il cite ce qui est, selon lui, le bon, mais aussi le moins bon de l’écomusée. En plus de la théorie et des explications de Hugues de Varine, l’auteur traite également de celles de GeorgesHenri Rivière : les deux muséologues ont donné deux définitions légèrement différentes sur le sujet (cf. supra). Toujours à propos des écomusées, Serge Chaumier est l’auteur de l’article suivant : « Les ambivalences du devenir d’un écomusée : entre repli identitaire et dépossession » (2000). Dans cet écrit, Serge Chaumier a pour but de montrer comment la professionnalisation et l’institutionnalisation des structures contraignent à repenser, redéfinir ou envisager l’abandon du concept d’écomusée. En effet, la rencontre et les échanges entre les bénévoles fondateurs et les professionnels du musée amènent souvent des incompréhensions et des tensions. Pour illustrer son article, Serge Chaumier se base sur un exemple concret : un site qu’il choisit de laisser anonyme. Ainsi, il peut exposer et décortiquer les divers points de vue et mécanismes. Entre autres choses, l’auteur nous rappelle, comme le fait Hugues de Varine dans le présent ouvrage, qu’il y a eu beaucoup d’utilisations abusives ou de glissements de sens à propos de l’écomusée. Certaines institutions en portent le nom sans incarner ses valeurs initiales : c’est le cas des écomusées du miel, des abeilles, etc. Ces établissements ne sont pas écomusée au sens originel du terme, ils ne sont pas des miroirs de la communauté locale. D’autres musées ne portent pas ce nom alors qu’ils sont proches des missions incarnées par l’écomusée. Il s’agit d’une remarque essentielle à prendre en compte lorsqu’on s’intéresse à l’écomusée. À nouveau, nous recommandons également la lecture de l’article de Serge Chaumier afin de pousser plus loin vos recherches et connaissances à propos de la théorie écomuséale. 178 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 Bibliographie CHAUMIER Serge, 2000 : « Les ambivalences du devenir d’un écomusée : entre repli identitaire et dépossession », Publics & Musées, n° 17-18, janvier-juin/ juillet-décembre, p. 83-113. CHAUMIER Serge, 2003 : Des musées en quête d’identité. Écomusée versus technomusée, Paris, L’Harmattan. CHAUMIER Serge & KURZAWA Marie (dir.), 2019 : Le musée hors les murs, s. l., Les dossiers de l’Ocim. DE VARINE Hugues, DE 1976 : La culture des autres, Paris, Seuil. VARINE Hugues, 1979 : « Le musée peut tuer ou … faire vivre », Technique et architecture, n° 326, septembre, p. 82-83. DE VARINE Hugues, 1979 : « L’exposition itinérante : moyen de communication, d’information, d’éducation », Revue archéologique de l’Oise, vol. 15 n° 2. DE VARINE Hugues, 1991 : L’initiative communautaire : recherche et expérimentation, Mâcon, Éditions W/MNES, 1991. DE VARINE Hugues, 2000 : « Autour de la table ronde de Santiago », Publics et Musées, vol. 17 n° 1, p. 180-183. DE VARINE Hugues & DEBARY Octave, 2000 : « Un entretien avec Hugues de Varine », Publics et Musées, n° 17-18, p. 203-210. DE VARINE Hugues, 2002 : Les Racines du Futur. Le patrimoine au service du développement, Lusigny-sur-Ouche, Édition Asdic. DE VARINE Hugues, 2017 : L’écomusée singulier et pluriel. Un témoignage sur cinquante ans de muséologie communautaire dans le monde, Paris, L’Harmattan, 296 p. Notice biographique Mégane Fassin est titulaire d’un bachelier en Histoire de l’époque moderne. Elle a finalisé son parcours universitaire par un master en Histoire de l’art et archéologie, à finalité spécialisée en Muséologie. Au cours de celui-ci, elle s’est consacrée à l’étude de la 179 LES CAHIERS DE MUSEOLOGIE – n° 3, 2023 nouvelle muséologie, notamment, par la réalisation d’un mémoire sur la représentation du concept d’écomusée en Wallonie. Contact : meganefassin@yahoo.fr 180 DANS LA MARGE LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Anna-Lou GALASSINI Montréal : terre de muséologie sociale, terreau fertile pour l’Afromusée Mots clés : muséologie, muséologie sociale, gouvernance. Keywords : museology, social museology, governance. Introduction Étudiante au Doctorat en Muséologie, médiation patrimoine à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et m’intéressant aux structures internes de gouvernance des institutions muséales, il me semblait important de me forger une solide expérience de terrain. Ayant apprécié écrire mon mémoire de maîtrise en muséologie, également effectué à Montréal, en me concentrant sur le ressenti des employés de musées dans l’exercice de leurs fonctions par le biais des théories en justice sociale (GALASSANI 2019), j’ai décidé de poursuivre un doctorat. Je souhaitais initialement approfondir ce thème par une théorisation plus solide et en élargissant mon panel de professionnels participants à l’étude. Cependant, la controverse provoquée par la proposition de nouvelle définition proposée par le Conseil International des Musées (ICOM 2019) a réorienté ma réflexion. Aujourd’hui ma thèse ne questionne plus le sentiment d’injustice sociale perçu par les employés du monde muséal, mais s’intéresse à l’impact des tendances en muséologie et la pratique professionnelle, les tendances entrainant des modifications. Mon sujet prend alors une autre tournure en mettant de nouvelles théories au centre de ma réflexion notamment au prisme de la muséologie sociale. En parallèle de ces réorientations, à l’automne 2020, le centre de recherche : Cultures, Arts, Sociétés (CELAT) auquel je suis affiliée, publie une offre de stage à l’Afromusée pour y établir une politique de collectionnement. Nous sommes alors au moment où la pandémie entraîne avec elle son lot de règles sanitaires contraignant la vie sociale ; la perspective de nouveaux défis à relever depuis chez moi me séduisit. L’Afromusée, nouvelle institution sur la scène muséale montréalaise, créé à l’initiative de Mushagalusa Chigoho, directeur de l’ancienne galerie d’art africain, l’Espace Mushagalusa. 182 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 D’origine congolaise, il est établi à Montréal depuis plus de 20 ans. Impliqué activement dans la communauté noire et afro-descendante, il constate qu’elle est peu représentée dans les discours portés par les nombreux musées de la métropole, il décide alors d’y fonder un lieu lui étant consacré. En février 2022, l’Afromusée ouvre ses portes au public après un long processus de réflexion sur la transformation du lieu, aussi bien en termes d’agencement d’espace, qu’en termes de définition de ses missions et structure de gouvernance. Compte tenu de mes affinités de recherche, comprendre par une expérience pratique l’implantation de valeurs issues de la muséologie sociale est une véritable plus-value. Je me suis donc initialement impliquée en tant que stagiaire, puis aujourd’hui à titre de muséologue. Nous entendons par valeurs issues de la muséologie sociale, un travail actif avec les communautés, ses acteurs dans la réalisation de tous les projets menés par le musée. J’ai la profonde conviction que le domaine de la recherche en muséologie aurait aujourd’hui besoin de témoignages d’institutions encore à leurs balbutiements, afin de mettre en avant non seulement leurs nombreuses réussites, mais démontrer aussi la réalité des défis à relever. La naissance d’un musée à vocation sociale tel que l’Afromusée permet une connaissance et une reconnaissance des communautés culturelles en marge des institutions muséales classiques. L’Afromusée à une identité singulière, non seulement par ses missions, mais aussi par son insertion toute particulière au sein de l’écosystème muséal montréalais. Pour ce faire, je questionnerai d’abord la place de muséologie sociale à Montréal (acteurs, genèse et développement). Dans une seconde partie, j’aborderai la singularité de l’Afromusée en proposant une réflexion critique sur ses missions et ses projets d’exposition. 1. Montréal, une culture de la muséologie sociale D’origine française et découvrant depuis maintenant six ans la culture des musées à Montréal au gré de mes visites et lectures, il m’apparaît important d’en faire ressortir deux aspects singuliers. Montréal s’est démarquée par des innovations et des prises de position en termes de muséologie sociale. La scène muséale montréalaise s’impose aujourd’hui comme incontournable au regard de sa vision théorique avant-gardiste concernant des pratiques professionnelles muséales. 183 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 1.1. Figures de la muséologie sociale montréalaise Montréal est riche en personnalités ayant marqué le paysage des musées ainsi que la muséologie sociale grâce à ses nombreuses universités et institutions muséales. Il est donc proposé de donner brièvement un aperçu des acteurs incontournables de cette mouvance montréalaise qui ont préparé le terrain favorisant aujourd’hui l’apparition d’institutions se détournant du modèle muséal classique de gardien de trésors (POMIAN 2020). Raymond Montpetit Raymond Montpetit, ancien professeur et chercheur en Muséologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), fut notamment le fondateur du programme de maîtrise conjoint entre l’Université de Montréal (UdeM) et l’Université du Québec à Montréal (UQAM) en 1987. Par la suite, il s’impliqua dans la création du doctorat, qui vu le jour en 2005. Il signe de nombreux articles sur les expériences de visite, mettant l’accent sur l’Amérique du Nord. Connaissant bien le contexte montréalais (BERGERON & LOGER 2021, p. 119), il explique qu’en terme de muséologie, la métropole fut premièrement marquée par l’Exposition universelle « Expo 67, Terre des Hommes » où l’on note un accroissement de l’équipement et de l’offre muséale. Il s’agit d’un moment important pour le Québec qui s’ouvre peu à peu sur l’international. Raymond Montpetit voit les institutions muséales comme d’importants lieux de transmission de savoirs aux publics (BERGERON & LOGER 2021, p. 137). Selon lui le visiteur serait tiraillé entre le désir et le savoir (BERGERON & LOGER 2021, p. 144). Il observe alors que le « centre de gravité » des institutions muséales est déplacé. Elles opèrent un transfert d’intérêt de la collection vers le(s) public(s) (BERGERON & LOGER 2021, p. 144). Ceux-ci ne seraient alors plus seulement constitués de spécialistes, mais aussi de curieux, et d’un public non averti. Pour éclairer sa pensée, il prend l’exemple du Biodôme (BERGERON & LOGER, 2021, p. 157) de Montréal. En recréant des écosystèmes entiers, l’institution pense une expérience de visite spécifique mettant au centre le « visiteur ordinaire », celui possédant des connaissances limitées. Ses recherches démontrent alors non seulement l’importance de la place de la médiation culturelle, mais aussi, la manière dont elle s’est imposée comme une pratique incontournable du travail muséal. Ainsi, à l’Afromusée, l’exposition et la médiation qui en découlent s’attachent à rendre intelligible le propos à tous les publics. Différents niveaux de lecture et d’explication sont alors proposés. 184 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Pierre Mayrand Pierre Mayrand, également professeur de Muséologie à l’Université du Québec à Montréal et spécialiste de la muséologie sociale, se définissait d’ailleurs lui-même comme un altermuséologue. Ses intérêts de recherche l’ont amené à s’impliquer dans la création de plusieurs institutions muséales à visée sociale. Citons, à titre d’exemple, le Musée de la HauteBeauce et l’Écomusée du Fier-Monde, deux institutions ayant marqué le paysage muséal. Du point de vue théorique, il s’est impliqué dans la création du MINOM (Mouvement international pour une nouvelle Muséologie), organisation affiliée au Conseil International des Musées. Ce militantisme en faveur des mouvements de muséologie sociale l’a conduit à rédiger de nombreux articles et essais sur la question. À l’instar de Raymond Montpetit qui observe un déplacement d’intérêt des institutions muséales depuis les objets vers les publics, Mayrand constate une mutation dans les sujets abordés. Dans une perspective de muséologie sociale, les grands sujets universels sont délaissés au profit de sujets d’intérêt local, propices au dialogue. « considérer l’espace muséal , quelle que soit l’option choisie comme une agora, au cœur duquel s’installe le dialogue des citoyens locaux et mondiaux regroupés autour de l’exposition prétexte » (MAYRAND 2009) Lors de visites guidées de l’exposition « Dorothy Williams Actrice de Changements » à l’Afromusée, des personnes issues du quartier de la Petite Bourgogne1 reconnaissaient certains artefacts ayant marqué leur quotidien. Il s’agissait de journaux produits par des centres communautaires contenant aussi bien des billets d’humeurs, des nouvelles importantes sur des évènements se tenant prochainement, que des recettes de cuisine. L’ouverture du dialogue par le biais de ces objets démontre la force des expositions prétextes. 1 La Petite Bourgogne est un quartier du Sud-Est de Montréal qui jusque dans les années 1980 abritait en son sein une communauté afro descendante. Le quartier s’étant depuis gentrifié, cette communauté s’est depuis relocalisée au Nord de la métropole montréalaise. 185 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 1.2. La muséologie sociale au sein des musées montréalais Le domaine de la théorie en muséologie ne fut pas le seul à s’être développé; on observe également des mutations dans les pratiques professionnelles au sein d’institutions Montréalaises. Le Centre d’histoire de Montréal Le Centre d’histoire de Montréal, aujourd’hui le MEM – Centre des mémoires montréalaises, a été créé en 1983 en ayant à cœur de mettre en valeur « l’humain » (LEFEBVRE 2020). Ainsi, il implique les communautés dans tous les projets qu’il mène dont plusieurs portent sur les communautés immigrantes au Québec. Par une « clinique de la mémoire » mise en place dès 2003, l’ancien CHM a collecté d’importantes histoires de vie, données par les Montréalais. Cette pratique innovante devient une véritable plus-value et une ressource pour une institution possédant des moyens limités en termes de conservation de ses collections. Écomusée du fier monde L’Écomusée du fier monde développé au sein de Centre-Sud, quartier ouvrier à Montréal, est un incontournable de la muséologie sociale. René Binette, ancien directeur, explique qu’il a été mis en place avec le muséologue Pierre Mayrand. L’Écomusée du fier monde a pour mission de valoriser le patrimoine ouvrier, autrefois proéminent dans le quartier où il est situé. Afin de comprendre la pérennisation du musée dans son environnement, René Binette (BINETTE, PERRAULT & GALASSINI 2021) explique les rouages de la gouvernance de cette institution qui a marqué la muséologie au-delà des frontières du Canada. Pour ce faire, l’Écomusée du fier monde a bénéficié pendant de nombreuses années d’une direction bicéphale, une personne pour le volet administratif, l’autre pour le contenu permettant la construction d’un lien fort avec la communauté de proximité. Le Centre d’histoire de Montréal et l’Écomusée du fier monde ont développé des protocoles pour rejoindre les communautés activement impliquées dans les projets. Cette volonté de proximité est une dynamique qui est reprise de manière plus systématique au sein de la communauté muséale, notamment depuis la proposition de nouvelle définition au Conseil International des Musées (ICOM 2019). Cette dernière, encore largement débattue, incite les 186 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 musées à prendre activement part aux débats sociaux2. Cette volonté d’inclusivité produit un terreau fertile pour la naissance de projets d’institutions comme celui de l’Afromusée. 2. La spécificité de l’Afromusée L’idée de l’Afromusée naquit en 2017, forte des expériences et des changements dans la culture des musées ayant permis de nouvelles initiatives sur la scène muséale. À l’instar de l’Écomusée du Fier-Monde, il est le fruit des apports théoriques et développements de pratiques mentionnés plus haut. L’Afromusée entend bien trouver sa place au sein du paysage muséal montréalais. Là où il se distingue, c’est par les liens étroits entretenus avec la communauté. Avant de devenir l’Afromusée, le local accueillait l’ancienne galerie d’art « Espace Mushagalusa », lieu de rassemblement. Par sa programmation éclectique allant du spectacle d’humour à la location de l’espace pour des mariages en passant par des sessions de peinture en direct, la galerie était un incontournable pour la communauté. Nombreux aficionados disaient s’y rendre, car c’est un lieu où il est possible de vivre l’Africanité dans toutes ses facettes. C’est cet esprit de convivialité, de bien-être et de confiance que l’Espace Mushagalusa souhaite insuffler à l’Afromusée afin que Montréal soit doté d’un lieu reconnu démontrant la présence afrodescendante sur le territoire. Toutefois, bien qu’étant un lieu important de rencontres, passer du modèle de galerie marchande à celui de musée impose de nombreux défis. En février 2022, l’Afromusée présente sa première exposition temporaire sur Mme Dorothy W. Williams, chercheuse en histoire de l’université Concordia, ayant dédié sa carrière à l’histoire des afrodescendants au Canada et ancienne résidente de la Petite Bourgogne. 2.1. Un modèle muséal dans les tendances Montréal recense des institutions muséales impliquées dans un travail de fonds avec des communautés culturelles ainsi que des institutions de proximité. Dans un tel contexte, l’avènement de l’Afromusée se situe dans la continuité d’un sillon culturel amorcé depuis de nombreuses années. Au vu des présentes discussions à l’ICOM autour de la possibilité de l’adoption d’une nouvelle définition, la présence d’un tel musée souligne un besoin urgent de modification. 2 Un nouveau vote de la définition s’est déroulé lors de l’assemblée générale d’ICOM à Prague du 20 au 28 août 2022. Une nouvelle mouture produite à l’issue d’un processus de consultation a été adoptée. 187 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Loin du musée temple comme réceptacle de trésors, l’Afromusée répond davantage à des critères de la muséologie sociale et de la Nouvelle Muséologie. À titre de rappel, la Conférence de Santiago, s’étant tenue au Chili en 1972 (Mesa de Santiago, 1972), avait défini ce courant comme l’application du musée intégré (museo integral) qui est la compréhension d’une communauté à tous les niveaux : technique, social, économique et politique. Cette vision s’illustre dans de multiples aspects de la gestion de l’institution, mettant de l’avant de lien social avec la communauté dans toutes ses prises de position. Pour ce faire, l’Afromusée a mis en place divers protocoles axés autour du partage des savoirs. 2.2. La gestion des collections et des expositions L’Afromusée a souhaité une politique de gestion de ses collections répondant aux divers enjeux et besoins auxquels elle est confrontée. Ses collections se divisent en cinq catégories: objets, témoignages, collection créée in situ, collection répertoire et collection éducative. Chacune permet au musée de mener à bien ses missions et sa pluralité démontre aussi que le musée essaie de nouvelles stratégies et s’aligne dans une tendance en muséologie sociale. Le classement et la dénomination de ces collections ont été élaborés pour répondre au mieux aux projets que mène le musée. La collection éducative répond au fait que le musée ait hérité des collections de l’Espace Mushagalusa, qui par leurs conditions d’entreposage et de conservation pourraient être plus facilement manipulées que des objets à valeur strictement patrimoniale. La collection d’objets à valeur patrimoniale est constituée d’objets uniques représentant non seulement des styles spécifiques, mais les histoires de vie des donateurs. Le volet collection citoyenne, valorisant la création in situ permet à l’institution de laisser une place importante à la communauté, dynamique transmise par l’Espace Mushagalusa. Afin d’être réaliste quant à ses capacités en termes de conservation préventive, l’Afromusée s’est doté d’une politique d’aliénation. Cette dernière permet de se départir de certains artefacts physiques afin de ne pas encombrer la réserve et mettre en danger certains objets. L’alternative trouvée de choix est la numérisation et la collecte de témoignages concernant les objets permettant ainsi de garder une trace du passage au sein de l’Afromusée. 2.3. Méthodes de recherche et la mission éducative En plus de développer des politiques innovantes de gestion des collections, l’Afromusée propose des politiques de recherches et d’éducation incluant au mieux la communauté. Afin de garder le duo objet matériel et signification immatérielle, il a été convenu que ces derniers 188 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 allaient être documentés dans une perspective de partage des savoirs. Ainsi, tout artefact rentrant dans les collections du musée est accompagné d’une description effectuée par une personne-ressource issue de la communauté. Cette marche à suivre permet de transmettre la fonction originelle de l’objet et de consigner les renseignements le plus rigoureusement possible. Il ne faut pas oublier que l’Afromusée est une jeune institution dont les ressources humaines sont limitées. Fonctionner par le biais d’entrevues avec la communauté permet alors à l’institution d’aller puiser des informations plus spécifiques. Protocole en matière de recherche : Méthodologie de documentation des collections 1- Recherches préliminaires à l’interne 2- Élaboration d’un canevas de questions 3- Prospection des personnes ressources 4- Contact avec les personnes ressources 5- Récolte des informations 6- Mise en forme des informations collectées L’Afromusée se veut un lieu d’éducation avant tout populaire et multigénérationnelle. Les projets touchent les néophytes de la culture afrodescendantes, mais aussi les personnes impliquées depuis longtemps au sein de la communauté. Il est un lieu de sensibilisation aux expériences afrodescendantes contribuant à la déconstruction de préjugés. L’Afromusée offre également une programmation tournée vers le grand public proposant des projections, soirées dansantes, mais aussi des spectacles de danse et d’humour. L’aspect social des rencontres est un héritage de l’Espace Mushagalusa qui contribue à sa renommée au sein de la communauté. Quant aux espaces, l’Afromusée est constituée d’une seule salle qui agit à titre de salle d’exposition et de lieu pour les évènements. Cette dimension permet de connecter le musée avec un public qui ne serait pas autrement amené à consommer de la culture muséale. 2.4. Projets d’expositions inclusifs La première exposition de l’Afromusée : Dorothy William actrice de changement entre dans le cadre du large projet « L’Afrique Montréalaise ». L’Afromusée va proposer des focus sur des 189 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 personnes identifiées comme « guides », qui ont un impact durable au sein de la communauté africaine et afrodescendante. La première personne choisie était alors la chercheuse Dorothy William. Durant l’entièreté du processus, l’Afromusée a inclus Mme William qui est venue présenter ses archives à l’équipe. Le choix des artefacts a été effectué en sa présence pour être certain qu’ils correspondent bien aux propos que nous voulions véhiculer. De plus, Mme William a pris une part active dans la relecture des textes d’exposition et a proposé des ajouts. Cette dynamique collaborative est un protocole que l’Afromusée maintiendra lors de ses prochaines expositions. Conclusion : Des défis pour l’avenir L’Afromusée est une institution qui, à elle seule, illustre la réalité, les défis et les enjeux éprouvés actuellement par la scène muséale montréalaise. Montréal, terre fertile d’expérimentation muséale est le lieu par excellence où cette institution peut se développer. Malgré la volonté d’implantation de protocoles précis englobant les fonctions muséales classiques, il ne faut pas nier les difficultés de leur mise en place. L’Afromusée affronte divers défis liés à ses ressources limitées. Le paradoxe d’une institution souhaitant déconstruire les codes traditionnels du musée s’accompagne de la difficulté d’être reconnu par les cadres institutionnels de financement. Ainsi, l’Afromusée doit se plier à des exigences et normes3 impliquant des coûts conséquents en termes d’investissements infrastructurels, mais aussi humains. Ainsi, insuffler des valeurs de muséologie sociale et d’éducation populaire est un véritable défi. Il faut donc trouver de nombreux compromis, notamment un équilibre entre l’organisation d’évènements qui génèrent des fonds autonomes et la programmation culturelle et scientifique, qui elle, ne permet pas une survie sur le long terme en terme financier. 3 L’Afromusée est en ce moment même dans un processus d’agrément des institutions muséales au niveau du gouvernement du Québec. Ce dernier est extrêmement strict requérant l’excellence de l’institution à tous les niveaux afin d’obtenir ce précieux sceau. 190 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Bibliographie BERGERON Yves & LOGET Violette, 2021 : Du sens et du plaisir Une muséologie pour les visiteurs. Musées et exposition selon Raymond Montpetit, Paris, L’Harmattan. BINETTE René, LEMAY-PERREAULT Rébéca & GALASSINI Anna-Lou (à paraître) : « Entretien avec René Binette, muséologue », Revue Muséologie. GALASSINI Anna-Lou, 2019 : « Sentiment d’injustice sociale dans le milieu muséal : Étude comparative sur le statut du personnel au Québec et en France », Montréal, Chaire de recherche sur la gouvernance des musées et le droit de la culture. Disponible sur : https://chairegouvernancemusees.uqam.ca/wpcontent/uploads/2019/05/Cahier1_VF-COMPLET2-1.pdf (consulté le 28 janvier 2023). INSTITUTO BRASILEIRO DE MUSEUS, 2012 : Mesa Redonda sobre la Importancia y el Desarrollo de los Museos en el Mundo Contemporáneo, Instituto Brasileiro de Museus, Brasília, p. 176. LEFEBVRE Josée, 2020 : « Mémoires partagées au cœur des actions du Centre d’Histoire de Montréal », Des Musées inclusifs : engagements, démarches, réfléxions », Les Dossiers de l’OCIM, p. 215- 231. MAYRAND Pierre, 2009 : « Parole de Jonas : essais de terminologie de la muséologie sociale. Augmentés des chroniques d’un altermuséologue 2008-2009 », Cadernos de sociomuseologia, n° 31. POMIAN Krzysztof, 2020 : Le musée, une histoire mondiale I. Du trésor au Musée, Paris, Gallimard. Notice biographique Anna-Lou Galassini est candidate au doctorat en Muséologie, médiation, patrimoine sous la direction d’Yves Bergeron et chargée de cours à l’Université du Québec à Montréal. Elle est détentrice d’un baccalauréat en Médiation-Culturelle de l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris3 et d’une maitrise en Médiation Culturelle de l’Université de Montréal. Ses recherches se concentrent sur les Nouvelles Muséologies, les tendances ainsi que sur les dynamiques professionnelles au sein des institutions muséales. Contact : annalougalassini@hotmail.com 191 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Zélie BLAMPAIN, Elina NORIS & Chloé ORRICO Conférence annuelle ICOM CECA 2021. La co-création au sein et au-dehors du musée1 Mots-clés : Comité international pour l’Éducation et l’Action culturelle du Conseil international des musées (ICOM - CECA), conférence internationale, co-création, pratiques participatives. Keywords : International Council of Museums Committee for Education and Cultural Action (ICOM - CECA), international conference, co-creation, participatory practices. La conférence internationale ICOM CECA (Comité pour l’Éducation et l’Action culturelle du Conseil international des musées) a réuni du 25 au 29 octobre 2021 des participants autour de la co-création, à l’intérieur et à l’extérieur du musée. Son objectif était de rendre compte de la diversité des pratiques co-créatives à travers le monde. Les intervenants ont été sélectionnés selon des critères qui veillaient à la diversité de leurs approches. Si la conférence a été en partie hybride en raison de la pandémie de coronavirus, des journées d’ateliers à Louvain et à Bruxelles et des visites muséales à Gand et à Anvers ont pu avoir lieu2. Pendant les conférences en ligne, une cinquantaine de participants sont intervenus, avec Pat Villeneuve3 et Nina Simon4 comme keynote speakers. Leurs pays d’origine sont détaillés ci-après (fig. 1). Force est de constater qu’une majorité des intervenants étaient belges, c’est pourquoi de nombreux exemples cités dans cet article le sont aussi. Ce dernier vise à mettre en exergue un état actuel de la participation dans les musées sur base d’une analyse des interventions en ligne de la conférence. Si l’exhaustivité n’est pas possible, nous souhaitons faire émerger les grandes tendances des pratiques participatives. Nous tenterons alors de répondre à diverses questions. Qu’est-ce que la co-création et en quoi se différencie-t-elle de la participation ? Quels sont les objectifs et les publics visés par les pratiques participatives ? Comment se traduit la participation ? Enfin, quel est son impact sur les institutions muséales et ses professionnels ? 1 Nous tenons à remercier grandement Nicole Gesché-Koning, Sofie Vermeiren et Stéphanie Masuy (ICOM CECA Belgique) pour leurs nombreux conseils bienveillants et leurs relectures de l’article. 2 Le programme incluait aussi des visites à Liège et à Mons, mais faute d’inscrits, celles-ci furent annulées. 3 Peter Carpreau, « Keynote speaker Pat Villeneuve – Art/museum education and supported interpretation (visitor-centered exhibitions) », Pat Villeneuve over museumeducatie en edu-curation | ICOM CECA-conferentie 2021, https://www.youtube.com/watch?v=PhefdFVzGOc. 4 Lode Vermeersch, « Keynote speaker Nina Simon – The participatory museum », Nina Simon over 'The participatory museum' | ICOM CECA-conferentie 2021, https://www.youtube.com/watch?v=vmWar0HpjD4. 192 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Figure 1 – Pays participants à la conférence internationale ICOM CECA (en pourcentage). 1. Participation ou co-création ? Une question d’échelle Co-création et participation ont été les maîtres-mots de la conférence, or une certaine confusion règne entre les deux. Les intervenants l’ont prouvé : chacun semblait avoir sa propre définition. C’est pourquoi il est important de différencier ces deux termes. Ainsi, si la participation dans le champ muséal est née au début des années septante avec les écomusées, mouvement mené par Georges Henri Rivière et Hugues de Varine5, la cocréation est un terme plus récent. Issu du champ de l’éducation, il a atteint les institutions muséales, en particulier les départements d’éducation et d’action culturelle (SIMON 2010, p. 274). Dans le milieu des musées, la participation peut se définir comme la simple implication des visiteurs. Pour certains, elle se manifeste dès qu’un visiteur se rend à une exposition. Dans cet article, elle est entendue comme un dispositif qui permet au public d’avoir un autre rôle que celui de visiteur. Différents degrés de participation existent alors, selon le pouvoir accordé aux participants par l’institution et la prise en compte de leur parole. Ainsi, le partage du pouvoir est un facteur décisif de la co-création. Dans les statuts de l’association de l’Écomusée Creusot Montceau (ratifiés le 7 janvier 1974), il est explicité qu’il s’agira de « faire participer » la population aux missions de l’association, c’est-à-dire d’« inventorier, étudier, protéger et utiliser l’ensemble du patrimoine naturel et culturel de la Communauté et des organisations associées » (DELARGE 2018). 5 193 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Nina Simon distingue trois niveaux d’intensité de participation : dans l’ordre croissant, la contribution, la collaboration et enfin la co-création. Cette classification n’est pas sans rappeler l’échelle de participation citoyenne proposée par Sherry Arnstein en 1969 (fig. 2). Figure 2 – Sherry Arnstein, « A ladder of citizen participation », Journal of the American Planning Association, n° 35, 216–224. Prenant en compte ces deux échelles, plusieurs niveaux de participation émergent : 1. La non-participation pensée par certains musées comme de la participation, qui vise davantage à amener le public à penser de la même manière que l’institution. 2. La consultation où il est demandé aux citoyens de fournir des idées, actions, ou objets limités et spécifiques, telles que les enquêtes de public. Le projet The Finest Hundred au Musée royal des Beaux-Arts d'Anvers6 (Belgique) demandait ainsi à des Anversois de diverses catégories sociales d’apporter un retour sur le projet de rénovation du musée pour correspondre aux expériences de visite souhaitées. 3. La collaboration, dans laquelle les citoyens deviennent des partenaires actifs dans la création d’un projet, qui reste organisé et contrôlé par l’institution, comme 6 Ine Van de Velde, Musée royal des Beaux-Arts d'Anvers (Belgique), « The Finest Hundred ». 194 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 l’exposition Sikhs in Singapore de l’India Heritage Center7 (Singapour), pour laquelle des membres de la communauté sikh avaient été recrutés comme consultants et avaient prêté des effets personnels à exposer. 4. La co-création où les participants et les institutions sont co-décisionnaires, le schème du pouvoir devenant horizontal. Un bon exemple est celui de l’exposition Instinct, produite par le MAS, à Anvers (Belgique). Ce dernier a donné le rôle de conservateurs à des jeunes bénévoles dotés ainsi des pleins pouvoirs, du choix des objets à la scénographie, en passant par la rédaction des textes. 5. La prise d’initiative (DE VARINE 2018, p. 159), que Nina Simon dénomme hosted project (2011, p. 187), dans laquelle le projet est lancé par la communauté. L’institution met alors à disposition une partie de ses ressources, afin de créer une exposition basée à la fois sur les intérêts de la communauté et ses collections. Ainsi, co-création et participation sont bien deux notions différentes, la co-création appartenant à un processus participatif plus général. Si ce classement permet d’évaluer la place donnée au citoyen lors d’un projet de participation, aucun modèle participatif n’est meilleur que l’autre. Ils sont à envisager comme une manière de progresser vers une participation globale (SIMON 2011, p. 188). 2. Les objectifs assignés à la co-création Si l’un des enjeux centraux des projets participatifs est leur impact sur les différentes parties en jeu (musées, professionnels et publics), il n’a été que très peu abordé par les intervenants de la conférence, davantage focalisés sur les objectifs et le processus. Aujourd’hui encore, les projets participatifs relèvent de l’expérimentation et les professionnels semblent peu outillés pour en étudier les résultats (GUIOT-CORTVEILLE 2018, p. 127). Comme l’indiquent Jean-François Leclerc et Héloïse de Costa, la demande d’évaluation est forte, la réponse faible8. Or, selon Nina Simon (2011, p. 301), ces évaluations sont nécessaires pour contribuer à l’intégration de projets participatifs dans les musées. Concernant ces objectifs, il est difficile de les identifier car la pluralité des pratiques en implique inévitablement une multitude. Prenant en compte les diverses interventions, les objectifs sont doubles. Ils incluent les souhaits de l’institution, pour elle-même et pour les publics impliqués. 2.1. Pour les institutions muséales 7 Malvika Agarawal, India Heritage Center (Singapour), « Cocréer avec la communauté – Exposition The Sikhs in Singapore, à l’Indian Heritage Centre, Singapour ». 8 Heloisa da Costa, Université fédérale Santa Maria (Brésil) et Jean-François Leclerc, Université fédérale Santa Maria (Brésil) et Museum Expert (Canada), « Une année d’échanges du GIS. Recherches autour de la réception par les publics des programmes éducatifs ». 195 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Si les musées se lancent dans des projets participatifs, c’est surtout pour s’ouvrir sur la société, en se recentrant particulièrement sur les publics. Ils souhaitent devenir des espaces fédérateurs et polyphoniques. Ce faisant, le musée réinvente sa relation au public et renforce son inscription dans l’espace social (GRENIER 2013, p. 16). Comme l’explique Hildegarde Van Genechten de l’association flamande du patrimoine culturel (FARO), le centre de gravité du musée s’est déplacé progressivement de la collection vers le public, et à présent vers la société9. Ainsi, les musées ne sont plus simplement des lieux d’apprentissage ou d’expérience individuels mais aussi des lieux d’apprentissage social. Le projet de l’ICOM Russie baptisé Migrations : Revealing the Personal est un bon exemple10. En impliquant des personnes issues de l’immigration, il souhaite lutter contre la discrimination. Cela amène les musées à sortir du schéma directionnel vertical. Ainsi, profitant de sa fermeture, le Musée d’Ixelles (Belgique) a mené une consultation auprès de ses publics intitulée Dites-nous tout !, cherchant à réfléchir à leurs attentes et à les impliquer dans le musée de demain11. Les musées souhaitent également qu’un nouveau regard se pose sur leurs collections. Au Bonnefanten Museum (Maastricht, Pays-Bas), l’inclusion de jeunes par le Young Office entraîne l’institution à regarder ses collections sous le prisme des intérêts des jeunes, à la fois politiques et sociaux12. Nouvelles visions et conceptions se confrontent alors et remettent en question le canon institutionnel à partir de perspectives actuelles. 2.2. Pour les publics On souhaite tout d'abord le développement des compétences des participants. Le musée a donc un rôle de soutien, comme dans le projet The Young Choose à la galerie Matica Srpska à Novi Sad (Serbie)13. Il s’agit d’une collaboration avec des élèves de l’enseignement secondaire, invités à suivre une formation professionnalisante pour créer leur propre exposition (choix des œuvres, communication, organisation des événements). Les jeunes sont encouragés dans leurs propositions par le musée, qui veille à assurer la cohérence avec les missions muséales. De plus, même dans un projet participatif, le rôle du musée reste lié à ses propres collections. Les projets se présentent alors comme un espace de dialogue entre le public 9 Hildegarde Van Genechten, FARO (Belgique), « Co-creation : creating opportunities for individual and social learning ». 10 Dinara Khalikova et Olga Sinitsyna, ICOM Russia, « La cocréation dans les musées dans le contexte des histoires personnelles de migration ». 11 Stéphanie Masuy, Musée d’Ixelles (Belgique), « Campagne de consultation des publics "Dites-nous tout !" ». 12 Thi Ho Mai Lambrechts, Bonnefanten Museum (Pays-Bas), « Recherche sur l’impact du YOUNG OFFICE, le service jeunesse du musée Bonnefanten ». 13 Snežana Misic and Jelena Ognjanović, Galerie Matica Srpska (Serbie), « The Young Choose ». 196 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 et celles-ci, voire une appropriation des collections par le participant. Lorsque l’AfricaMuseum a invité l’artiste Freddy Tsimba et l’écrivain In Koli Jean Bofane à créer une exposition, ceux-ci se sont réappropriés ses collections pour proposer un nouveau discours autour14. S’ajoute au projet une dimension dé-coloniale, les deux étant d’origine congolaise. 3. Les publics : à qui s’adressent les projets de co-création ? 3.1. Une question de communautés Lors de son intervention, Nina Simon est revenue sur sa définition de communauté, vue comme un groupe de personnes qui partagent une caractéristique commune, qui peut relever de la géographie, de l’identité, ou encore de l’affiliation (par exemple, les supporters d’une certaine équipe sportive)15. Pour créer un bon rapport avec toutes ces communautés, Simon propose une question toute simple, à ne pas oublier lorsque l’on travaille dans une institution culturelle : « Quelle(s) communauté(s) notre institution sert-elle bien maintenant ? ». Y répondre permet d’identifier les structures de pouvoir en jeu. Les communautés qui ne se sont jamais senties ni accueillies, ni en sécurité au musée, doivent être priorisées autant que possible lors de la création d’expositions participatives. C’est dans cette optique que nous avons tenté de recueillir les « profils types » des publics visés par les actions présentées lors de la conférence. En effet, plusieurs catégories sociales étaient fréquemment citées. Ainsi, la participation semble souvent relever d’un « groupe structuré autour d’une identité, quelle qu’elle soit, comme si la participation ne pouvait se pratiquer qu’avec des groupes bien identifiés et circonscrits. » (DELARGE, 2018, p. 161). Pour de nombreuses institutions, limiter la participation à un groupe défini est un point de départ idéal pour l’engagement collaboratif. 3.2. Les publics participants 3.2.1. Les jeunes Les jeunes, des enfants jusqu’aux jeunes travailleurs, semblent être une des cibles privilégiées des projets présentés, qui leur donnent souvent le rôle de co-commissaires d’exposition. Ce dispositif se retrouve dans le projet My Museum, à Doha (Qatar), qui a réuni 14 In Koli Jean Bofane, Freddy Tsimba, Christine Bluard, AfricaMuseum (Belgique), « Co-création pour les expositions temporaires - une valeur ajoutée pour le musée et les publics ». 15 Lode Vermeersch, « Keynote speaker Nina Simon – The participatory museum », op. cit. 197 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 des enfants pour créer une exposition, pour former un panel consultatif16. Les musées s’intéressent à la collaboration avec les jeunes dans le but de rafraîchir leur image et d’éveiller l’intérêt de ces publics par une approche dynamique. 3.2.2. Les publics de proximité Autres grands abonnés aux actions participatives, le voisinage du musée intéresse pour la possibilité de son retour fréquent au sein de l’institution. De plus, ce public est particulièrement intéressant pour les musées d’histoire locale. En effet, les habitants deviennent alors les dépositaires de la mémoire des collections muséales. On constate cela au STAM, le musée de la ville de Gand (Belgique)17, dans le cadre du projet Le Kilomètre carré, qui consistait à aller à la rencontre des habitants afin de leur demander de compléter l’Histoire présentée au musée par leurs histoires individuelles, dans toute leur diversité culturelle. Surtout, le lien mis en place par les institutions culturelles avec leur voisinage peut permettre à celles-ci de jouer un rôle déterminant dans leur quartier. Ainsi, dans le cadre de leur Recherche sur la relation entre deux institutions culturelles et leur environnement social dans le quartier d’el Carmen à Murcie (Espagne), pour laquelle ils ont remporté le prix Colette Dufresne-Tassé18, Victoria Osete Villalba et Carlos Egio ont tenté d’identifier le niveau de participation actuel des habitants au centre culturel et au Musée de la Science et de l’Eau. L’un des objectifs de cette étude était d’identifier les problèmes relevés par les habitants afin, à terme, de créer un environnement adapté à la communauté qui y vit. 3.2.3. Les publics éloignés Dans l’optique de faciliter la visite aux individus qui n’ont pas l’habitude ou la possibilité de se rendre au musée, plusieurs projets avaient pour objectif d’attirer les non-visiteurs. Apparaît alors la nécessité de faire « sortir le musée de ses murs ». Par exemple, le Green Laboratory on the Road de la fondation Klassik Stiftung de Weimar (Allemagne)19 a utilisé des vélos cargo pour aller à la rencontre des habitants, afin d’établir une cartographie des publics absents. Alan Kirwan, Butler Gallery (Irlande) et Alexandra Bennet, consultante en apprentissage dans les musées (Écosse), « Finding our voices -le rôle clé des éducateurs dans la réussite de la création de pratiques participatives ». 17 Marieke Vangheluwe et Tine De Gendt, STAM (Belgique), « Negotiating the past ». 18 Ce prix, décerné par le CECA, récompense chaque année un projet de recherche en éducation et/ou en action culturelle dans les musées. 19 Kirsten Munch, Klassik Stiftung de Weimar (Allemagne), « Green Laboratory on the Road ». 16 198 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Plusieurs types de personnes ne se rendent pas au musée, non pas parce qu’ils ne le veulent pas, mais parce qu'ils ne le peuvent pas pour diverses raisons. Ainsi, l’initiative Through Art we Care, mise en place par la VUB (Vrije Universiteit Brussel)20, permet aux usagers de soins palliatifs de participer à des activités artistiques, soit dans des lieux culturels (théâtre ou musée), soit au sein même du centre hospitalier où ils résident. 3.2.4. Les communautés concernées par l’exposition Lorsqu’une communauté en particulier se fait directement le sujet d’une exposition, il est aujourd’hui de plus en plus admis qu’elle doit être impliquée dans sa création. La plupart du temps, ces communautés sont de type ethnique. Par exemple, lorsque la Rembrandthuis d’Amsterdam (Pays-Bas) a monté l’exposition HERE. Black in Rembrandt’s time21, ce musée a intégré plusieurs personnes concernées par l’histoire et l’identité noires, chercheurs ou activistes, dans son comité d’examen. Cependant, des actions similaires peuvent être menées pour de nombreux autres types de communautés. Pour son exposition Rubbish. A history of Europe and waste, la Maison de l’Histoire européenne de Bruxelles a invité la communauté des personnes travaillant autour des déchets22. Ces derniers ne sont pas uniquement des scientifiques ou des historiens, mais aussi des activistes ‘Zéro Déchet’ ou encore des éboueurs, l’objectif étant de partager l’autorité muséale avec des personnes qui n’ont pas l’habitude d’être considérées comme les experts d’un sujet qu’ils connaissent pourtant très bien. 3.2.5. Les visiteurs Si les projets participatifs s’adressent à des groupes circonscrits, ils sont aussi destinés à un dernier public : les visiteurs. Quelle expérience de visite vivent-ils? Est-elle différente d’un projet plus traditionnel? Quels objectifs les institutions muséales veulent-elles atteindre avec ce public? Catégorie pourtant très large, elle n’a pas fait l’objet d’analyse lors de la conférence. 4. Les partenaires Lorsque des actions participatives sont menées dans des institutions muséales, beaucoup sont conduites en partenariat avec des organismes tiers. Les compétences en matière de démarche participative étant encore peu développées chez les professionnels des musées 20 Julie Rodeyns, VUB (Belgique), « Through art we care ». Hesther Huitema, Rembrandthuis (Pays-Bas), « HERE. Black in Rembrandt’s time ». 22 Christine Dupont et Ana Salvador, Maison de l’Histoire européenne (Belgique), « Embarking on a co-creation project: why does it feel so scary? ». 21 199 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 et les services de médiation étant déjà souvent saturés par leurs missions plus traditionnelles, il est essentiel d’externaliser une partie des actions, ou, si possible, de construire un partenariat avec un tiers et devenir ainsi co-décisionnaire (DELARGE 2018, p. 9). Ces diverses collaborations permettent de soulager les services de médiation, où les effectifs sont limités, et de s’ouvrir aux autres pour toucher d’autres publics ou varier les approches. Parmi les nombreuses catégories de partenaires possibles, deux se sont distinguées lors de la conférence : les relais sociaux et les partenaires spécialisés dans le développement de participatif culturel. 4.1. Les partenaires sociaux Les relais sociaux sont capables de toucher des publics éloignés ou empêchés. Ainsi, plusieurs musées belges, comme le M Leuven, le Musée royal des Beaux-Arts d'Anvers, le S.M.A.K. (Gand), le Musée de la Migration (Bruxelles) ou le Musée d’Ypres collaborent avec l’association Rode Antraciet23. Celle-ci met en place des offres culturelles dans les prisons de Flandre et de Bruxelles afin de proposer une interaction entre les prisonniers et le monde extérieur. Au Musée de la Vie wallonne à Liège, c’est avec le planning familial Inforfemmes qu’un partenariat s’est mis en place pour le programme Vivre ensemble24, où des sujets comme le racisme, le sexisme ou l’homophobie sont abordés. Ici, les sujets de société sont approchés avec les mots justes tout en étant enrichi par une perspective historique. 4.2. Les partenaires spécialisés dans le développement de la participation Autre type de partenariat, celui avec des opérateurs spécialisés dans le développement de participatif culturel. Pour son projet Musée comme chez soi, le Musée d’Ixelles s’est associé à l’association Patrimoine à roulettes25. Leur expérience sur le terrain, leur capacité à mobiliser une équipe de médiateurs à des moments ponctuels sont autant d’éléments essentiels que le musée ne pourrait pas mobiliser seul. Aussi, à l’occasion de l’exposition Dalí & Magritte, les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique se sont lancés dans un projet co-créatif pour développer des espaces interactifs au sein de l’exposition temporaire. Pour mener le projet, ils se sont associés à Cuscucian+s, 23 Pierre Muylle, Rode Antraciet (Belgique), « Within each other's walls: on collaboration between museums and prisons in Flanders and Brussels ». Voir : https://www.derodeantraciet.be. 24 Alexandre Lambrette, Musée de la Vie wallonne et Chloé Colette, Planning familial Inforfemmes (Belgique), « Fais entendre ta voix – Co-création au Musée ». 25 Stéphanie Masuy, Musée d’Ixelles (Belgique), « Musée comme chez soi ». 200 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 un opérateur espagnol fondé par Lluís Sabadell Artiga26. Cette collaboration permet ainsi de suivre une méthode de co-création déjà existante, qui a fait ses preuves, et donc de garantir l’avancée du processus vers les objectifs préétablis. Enfin, OF/BY/FOR/ALL, lancé par Nina Simon, est une organisation qui fournit des outils numériques pour aider les institutions publiques à compter davantage pour un plus grand nombre de personnes en devenant plus équitables et inclusives. La Rembrandthuis est l’un des musées qui a rejoint ce mouvement, après une première expérience de co-création lors de l’exposition HERE. Black in Rembrandt’s time. 5. Les impacts de la co-création sur les professionnels de musées Dans son intervention, Hildegarde Van Genechten pointe l’importance de l’apprentissage par la co-création : il faut apprendre avec et des autres27. Les projets participatifs permettent notamment aux institutions muséales de s’ouvrir à d’autres réalités et d’autres savoirs (GIROUX 2018, p. 12). Quels impacts sur ses professionnels peuvent-être décelés ? Si les projets participatifs tendent à changer l’institution muséale en elle-même, ils contribuent également à modifier la position des professionnels qui les encadrent. Dans son intervention, Pat Villeneuve, professeure d’éducation muséale à l’université de Florida State, explique l’évolution de la curation vers l’edu-curation28. Inventée pour refléter une approche mixte et inclusive de la réalisation d’exposition, l’edu-curation souhaite reconceptualiser la hiérarchie entre éducateur et commissaire pour les mettre sur un même pied d’égalité, amenant de nouvelles perspectives. Villeneuve replace également le centre de gravité du musée sur le lien entre objets et visiteurs. Il s’agit de ne pas mettre le point de vue du commissaire en avant, en laissant plutôt le visiteur former ses propres idées. Pour cela, il est essentiel de travailler en équipe, de manière horizontale. Cependant, il est nécessaire que le personnel des musées s'écarte de sa position d’autorité, de détenteur de savoir (GUIOT-CORTVEILLE 2018, p. 127), ce qui entraîne inévitablement un travail réflexif sur sa pratique. Les interventions montrent que le personnel des départements de l’éducation et de la communication se montre spontanément impliqué dans le travail participatif. Le médiateur y joue de plus en plus fréquemment un rôle de facilitateur, pour garantir la cohérence et la 26 Géraldine Barbery, Musées royaux des beaux-Arts de Belgique, Luis Sabadell Artiga, Cuscusian+s (Espagne), « "L’âme des choses et les choses de l’âme", une expérience type de co-création ». Voir : https://sabadellartiga.com. 27 Hildegarde Van Genechten, FARO (Belgique), « Cocréation : des opportunités d’apprentissage individuel et social ». 28 Peter Carpreau, « Keynote speaker Pat Villeneuve – Art/museum education and supported interpretation (visitor-centered exhibitions) », op. cit. 201 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 pertinence des contributions des publics. Ainsi, la hiérarchie verticale semble disparaître au profit d’une gestion transversale, où les pouvoirs se déplacent au gré des projets. Il est un activateur, un développeur (CHAUMIER 2018, p. 43) mais également un : ● Décisionnaire : il discute et prend en compte les opinions de tous les partis pour arriver à une décision juste ; ● Supporter : il encourage les participants et reconnaît les compétences de chacun ; ● Coordinateur : il assure le bon déroulement du projet et sa cohérence avec les missions du musée ; ● Créateur de lien social : il encourage un engagement social et crée une connexion avec le groupe. Les recherches menées par Frederike Van Ouwerkerk (Pays-Bas) résument d’ailleurs bien le rôle crucial de l’éducateur dans les projets participatifs, pour organiser la coopération avec les communautés et visiteurs29. Qui plus est, il possède les connaissances et le savoir-faire requis pour rassembler les diverses histoires, communiquer avec tous les publics, et connecter les points. Il appartient aussi au médiateur d’avoir le rôle de promoteur, pas seulement auprès des publics, mais également auprès de ses collègues et de sa direction. Au Bonnefanten Museum (Pays-Bas) par exemple, l’existence du Young Office n’était pas connue des autres services. La communication entre les différents services est cruciale pour que le projet se déroule au mieux et devienne pérenne. On rejoint alors l’opinion de Ine Van de Velde, du KMSKA (Anvers), qui voit le médiateur comme celui qui peut impliquer l’ensemble des départements d’un musée dans des projets participatifs. C’est également la vision de Colette Dufresne-Tassé, selon laquelle l’éducateur remplit le rôle de conseiller auprès du conservateur et/ou du muséographe30. Si les directeurs des musées ne prennent pas tous forcément part aux projets participatifs avec les publics, ils peuvent s’inspirer des pratiques co-créatives dans leur manière de diriger. C’est le cas de Sandro Debono, ancien directeur du Musée national des Beaux-Arts de Malte, qui voit les directeurs comme des chefs d’orchestre31. Il veille à ce que chaque instrument (personnels et publics) intervienne au bon moment et fasse preuve de diplomatie et d’empathie. Frederike Van Ouwerkerk, Breda University of Applied Sciences (Pays-Bas), « Cocréation : un rôle majeur pour les éducateurs » 30 Colette Dufresne-Tassé, Université de Montréal (Canada), « Une collaboration productive entre éducateur et conservateur. À quel prix ? ». 31 Sandro Debono, Université de Malte, « Quand les commissaires jouent les chefs d’orchestre : une anticipation de l’idée d’un musée anthropocentré » 29 202 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Le travail réflexif sur les pratiques et la position d’autorité mené par les professionnels du patrimoine paraît fructueux. Cette prise de risques des professionnels semble amoindrir les distances sociales et mettre davantage en confiance les usagers, tout particulièrement si toutes les parties du musée, notamment la direction, sont impliquées. Conclusion La co-création est donc bien une catégorie de participation, se définissant par un partage du pouvoir muséal de l’institution au public. Il s’agit du degré le plus fort de participation, qui peut même être cristallisée dans la prise d’initiative, où le public a en mains les clés du projet de sa conception à sa réalisation. Les communautés que les musées visent à toucher par leurs actions participatives sont principalement celles qui ne viennent pas au musée, parce que leurs circonstances les en empêchent ou parce qu’elles ne s’y sentent pas à leur place. Une attention particulière est accordée aux minorités et aux communautés vulnérables. Cette volonté d’inclusion est le futur des actions participatives. Pour cela, le musée fait régulièrement appel à des tiers, les projets demandant du temps et des moyens humains. Cependant, loin d’être toujours un appel au secours du musée, cette collaboration peut aussi venir d’une volonté de l’institution de s’ouvrir à autrui. Enfin, la participation peut offrir aux bénéficiaires une forme de professionnalisation, ainsi qu’un sens de fierté et de valorisation, dérivant de leur inclusion au sein d’une institution culturelle prestigieuse. Pour le musée, elle apporte une multitude de points de vue, permettant un renouvellement de son discours. Dans les deux sens, les projets participatifs renforcent la créativité, le lien social, la compréhension mutuelle et l’empathie. À terme, ces projets peuvent agir comme des transformateurs de l’environnement qui les a vus naître. Les musées qui expérimentent la participation se rapprochent de plus en plus, chacun à leur manière, des nouvelles propositions de définition des musées, qui seront départagées lors de la conférence ICOM Prague en août 2022. Les voici : A. « Le musée est une institution permanente, à but non lucratif, au service de la société et accessible au public. Il mène des recherches, il collecte, conserve, interprète et expose le patrimoine matériel et immatériel, culturel et naturel. Le musée opère d’une manière professionnelle, éthique et durable, à des fins d’éducation, de réflexion et de plaisir. Il agit et communique de façon inclusive, diversifiée et participative avec les publics et différentes communautés. » 203 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 B. « Un musée est une institution permanente, à but non lucratif et au service de la société, qui se consacre à la recherche, la collecte, la conservation, l’interprétation et l’exposition du patrimoine matériel et immatériel. Ouvert au public, accessible et inclusif, il encourage la diversité et la durabilité. Les musées opèrent et communiquent de manière éthique et professionnelle, avec la participation de diverses communautés. Ils offrent à leurs publics des expériences variées d’éducation, de divertissement, de réflexion et de partage de connaissances. » La proposition B affiche plus ouvertement son objectif de participation. Cependant, la volonté actuelle de stimuler les actions participatives dans les musées, visible dans le choix même du thème de la conférence ICOM CECA 2021 Co-création au sein et au dehors du musée, se reflète dans les objectifs socio-centrés de chacune de ces définitions. La participation devient un objectif de première importance du monde muséal. Notre espoir est que les exposés ainsi que les divers exemples concrets de la conférence auront inspiré de nombreux professionnels de musées dans leur propre pratique. Bibliographie CAILLET Élisabeth, 2011 : « Le Rôle social », in FOURÈS Angèle, GRISOT Delphine & LOCHOT Serge (dir.), Le rôle social du musée - Agir ensemble et créer des solidarités, 1ère., Bourgogne, Office de Coopération et d’Information Muséales (OCIM), p. 15-29. CHAUMIER Serge, 2018 : « Musées et patrimoine. Nouvelles formes de médiation, nouveaux projets Serge Chaumier », L'Observatoire, n° 51, p. 40-43. DENOIT Nicole, 2015 : « De la légitimation : une approche des nouveaux circuits de reconnaissance artistique sur le Net. Le cas d’Alain Laboille », XIe colloque EUTIC, « Les écosystèmes numériques et la démocratisation informationnelle : intelligence collective, développement durable, interculturalité, transfert de connaissance », Université des Antilles. DELARGE Alexandre (dir.), 2018 : Le Musée participatif. L’ambition des écomusées, Paris, La Documentation française. GRENIER Catherine, 2013 : La fin des musées ?, Paris, Éditions du Regard. GUIOT-CORTVEILLE Julie, 2018 : « Introduction. Médiation et participation : une évidence et une gageure », in DELARGE Alexandre (dir.), Le Musée participatif. L’ambition des écomusées, Paris, La documentation française, p. 128-132. 204 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 JEANSON Francis, 1970 : « Sur la notion de "non-public" », Les droits culturels en tant que droits de l’homme, Paris, Unesco. SIMON Nina, 2011 : The participatory museum, Santa Cruz, Museum 2.0. ORGANIZING ENGAGEMENT, 2019 : « Ladder of Citizen Participation » [en ligne]. Disponible sur : https://organizingengagement.org/models/ladder-of-citizen-participation/ (consulté le 6 mai 2022). Notices biographiques Zélie Blampain Zélie Blampain est étudiante à l’Université de Liège où, après avoir obtenu son bachelier en histoire de l’art et archéologie, elle poursuit un master spécialisé en muséologie. Elle s’intéresse principalement à la subjectivité de l’expérience muséale, depuis sa création jusqu’à sa réception par les publics. Contact : zelieblampain@gmail.com Elina Noris Venant d’achever un bachelier en histoire de l’art et archéologie, Elina Noris entreprend un master spécialisé en muséologie à l’Université de Liège. Lors de cette formation, elle a entamé un travail de recherche sur la démocratisation et la démocratie culturelle au musée qu’elle souhaite poursuivre en Master. Contact : elinane2001@gmail.com Chloé Orrico À la suite d’une licence en histoire de l'art à l’université Paris I Panthéon Sorbonne, Chloé Orrico poursuit son parcours à l’École du Louvre avec un master en muséologie. Ce cursus lui a notamment permis de découvrir la médiation culturelle, domaine dans lequel elle s’est spécialisé durant sa dernière année d’études supérieures. Par sa formation, elle souhaite mettre en avant la participation des publics dans les musées. Contact : chloe.orrico@gmail.com 205 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Véronique VAN DE VOORDE Stéréotypes colonialistes dans les collections d’ethnologie du Musée de Folklore vie Frontalière de Mouscron Mots clés : ethnologie régionale, stéréotypes colonialistes, médiation, évolution sociétale. Keywords : regional ethnology, colonial stereotypes, mediation, societal evolution. Du folklore aux enjeux de société Les musées d’ethnologie et d’histoire locale sont les plus nombreux en Wallonie. La volonté de conserver des traces d’un passé récent, d’évoquer des modes de vie révolus, de présenter des traditions et savoir-faire disparus, animent les collectionneurs et les pouvoirs locaux à gérer des institutions dites « de folklore ». Le Musée communal de Mouscron est fondé en 1953, à l’initiative de Léon Maes1. D’emblée il recueille un franc succès confirmé par l’afflux de dons. Durant les premières années, les collections s’entassent dans des vitrines, puis s’exposent selon un rangement thématique (éclairage, jouets, tabac, etc.) ou dans des reconstitutions d’intérieur (estaminet, salon, chambre, épicerie, etc.). Un tournant majeur est pris en 2010 lorsque le projet de construction de nouvelles infrastructures est engagé par la Ville, avec le soutien de la Direction des infrastructures culturelles de la Fédération Wallonie Bruxelles2. Il convient de repenser le musée de fond en comble, du contenu au contenant, de dégager de nouveaux potentiels et ambitions. Les échanges nourris tenus avec l’équipe d’auteurs de projet3 traceront la voie d’une scénographie cherchant une juste voie entre monstration et interprétation, science et divertissement, contextualisation et neutralisation, matériel et immatériel, esthétisation et simplicité. Si les collections restent les témoins privilégiés du passé, elles bénéficient 1 Léon Maes (1898-1956), greffier de justice de paix de profession mais aussi grand défenseur de l’histoire, du folklore et activateur de projets culturels pour la ville de Mouscron. Il publie de nombreux ouvrages et la qualité de ses travaux lui permet d’entreprendre des enquêtes pour le Musée de la Vie wallonne de Liège. 2 Grâce au processus de marché de service d’architecture, le MUSEF a reçu en 2020 le Grand prix de la Maîtrise d’Ouvrage Publique, en suite de trois autres distinctions reçues en 2019 : nomination au Mies van der Rohe Award, Grand prix international Ianchelevici pour l’intégration d’œuvre d’art et Grand prix d’architecture de Wallonie, catégorie Reconstruction sur la ville. 3 L’équipe se compose du bureau d’architecture Vers plus de bien-être (V+, Bruxelles), Projectiles (scénographie, Paris), Taktyk (paysage, Paris-Bruxelles), Greisch (stabilité et techniques spéciales, Liège), Daidalos Peutz (acoustique et mesures environnementales, Leuven), Bouwtechniek (coordination, Antwerpen). Simon Boudvin, plasticien (Paris), rejoindra l’équipe pour l’intégration d’œuvre d’art. 206 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 maintenant d’une médiation tournée vers les préoccupations de notre société contemporaine. L’article s’articule sur la question des représentations colonialistes dans les collections d’ethnologie. Les objets, les documents, les traditions, les chansons… sont le reflet de la vie quotidienne d’une époque. De prime abord « usuelles », certaines collections des années 1950 s’entourent aujourd’hui de connotations liées à la propagande coloniale et entretiennent le racisme structurel4. Le carnaval, fête du tout est permis Léon Maes a collaboré avec Maurice Vaisière, enseignant et musicien, pour rassembler plusieurs centaines d’airs, de comptines, de cris de marchands ambulants, populaires dans la région de Mouscron dans la première moitié du XXe siècle. 32 chansons seront chantées par Maes et enregistrées par Roger Pinon en 19525. « Sacrée sale négresse » est collectée comme une chanson de carnaval. Figure 1 – Chanson retranscrite dans MAES Léon & VAISIERE Maurice : Chansons populaires de Flandre Wallonne, Commission royale de Folklore belge, volume 2, 1965. Coll. MUSEF, inv. B_9391. La diffusion de cet air émerge d’un contexte de carnaval, fête calendaire qui offre des moments de liberté et de liesse à la population. Dès le milieu du XIXe siècle, les cabarets mouscronnois hébergent de nombreuses sociétés de loisirs (bourles, pinsons, cartes, fanfares…) qui participent aussi activement à l’organisation de diverses festivités locales et, entre autres, le carnaval. Celui-ci permet de lever certaines interdictions comme camoufler 4 L’article se base sur la communication « Représentations colonialistes du passé, stéréotypes d’aujourd’hui », initiée par le CIEP de Wallonie picarde et donnée au MUSEF par Anne Wetsi Mpoma et Véronique Van de Voorde, le 26 octobre 2021 5 Enregistrements conservés au Musée de la Vie wallonne de Liège, inv. 3000116. 207 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 son identité en se masquant et se déguisant, de composer et de diffuser des chansons à message politique osant décrier les injustices sous le couvert de la caricature et de la dérision. Le carnaval est un moment de subversion où l’on peut rire de tout, du pouvoir, des tensions sociales, de l’actualité, et qui agit alors comme une soupape de sécurité pour éviter la révolution des classes et des genres. Les paroles de « Sacrée sale négresse » ne laissent aucune équivoque sur la visée raciste : la peau noire étant assimilée à la saleté alors que le savon noir est reconnu pour ses propriétés de détacher, exfolier et désinfecter. Martine en voyage Le personnage de Martine est intimement lié à Mouscron puisque son illustrateur, Marcel Marlier, est né à Herseaux en 1930. Sous le couvert des éditions Casterman, une collaboration naît avec Gilbert Delahaye pour les textes et les deux premiers albums voient le jour en 1954. Il s’agit d’un des premiers ouvrages de littérature jeunesse destinée aux enfants en apprentissage de la lecture. Même si l’histoire spécifie que Cacao est une poupée aussi grande que Martine, Marlier la représente telle une petite fille qui marche, danse et parle mais sans connaître son propre nom. Les deux fillettes décident de quitter la maison et de partir en voyage en Afrique. Le livre est truffé de traits caricaturaux sur l’image des filles et de stéréotypes coloniaux dont le plus flagrant est que Cacao porte la valise sur la tête. Figure 2 – Martine, chapeau de paille et ombrelle, Cacao, foulard rouge à pois blancs et valise, ouvrant la voie aux analyses sur les stéréotypes. 208 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Au début des années 1970, en réponse aux interventions de mouvements anticoloniaux, Cacao est rebaptisée Annie. En 2016, les éditions Casterman réalisent diverses modifications sur la collection Martine afin de l’actualiser. Annie (Cacao) est renommée Lucie, n’est plus une poupée mais une copine de classe et la destination du voyage est l’Amérique. L’évolution perçue dans les textes et le vocabulaire ne se reflètent cependant pas dans les dessins, immuables depuis leur version originale : ainsi Lucie porte toujours la valise. Y’a bon Banania… Lors d’une de ses missions de journaliste, Pierre-François Lardet découvre une étonnante boisson au Nicaragua et ramène l’idée de la commercialiser en France en 1912. Elle se compose de farine de banane, de maïs, de cacao et de sucre de canne. Outre ses propriétés nutritives et énergisantes, la boisson s’entoure aussi d’un goût d’exotisme donné par la banane et le chocolat, à l’époque denrées coûteuses et élitistes. La marque BANANIA est déposée le 31 août 1914, soit quelques semaines après la déclaration guerre entre l’Allemagne et la France. Lardet décide d’envoyer plusieurs wagons de poudre chocolatée vers le front, pour donner force et vigueur aux soldats. Des Sénégalais étaient intégrés dans les troupes françaises et la représentation d’un tirailleur issu de leur colonie - dont la loyauté et le courage sont particulièrement appréciés - est choisie en 1915 pour symboliser la marque. Le graphiste, Giacomo de Andreis, s’est-il inspiré de la page de garde du fascicule « Lectures pour tous », éditée par Hachette le 7 novembre 1914 ? 209 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Figure 3 – À gauche : Lectures pour tous, édition Hachette et Cie, 7 novembre 1914 (ce numéro remplace celui du 15 septembre). À droite : L’image du tirailleur sénégalais évolue au fil des années sur les boîtes métalliques BANANIA : d’abord une représentation très réaliste avec culotte de zouave et chéchia, évoluant vers une simplification du graphisme en 1936 où seules apparaissent la tête souriante et la main tenant une cuiller. Coll. MUSEF, inv. 7_12563 Le slogan « Y’ a bon… » (pour « C’est bon ») est ajouté en 1917. L’interjection était utilisée depuis quelques années sur des cartes postales, des articles de presse français, en lien avec des soldats africains. Les stéréotypes apparaissent ici dans le « parler petit nègre » du slogan (abandonné en 1977), le visage éclatant de bonheur et le grand sourire aux dents blanches qui ignorent, comme naïvement, les cruautés de la guerre. La Belgique civilisatrice Le deuxième Roi des Belges, Léopold II, se lance dès 1865 dans l’aventure exploratrice en Afrique centrale alors que la Belgique se construit encore en tant que nouvelle nation indépendante depuis 1830. En 1876, il fonde « L’association internationale africaine » pour la civilisation en Afrique et la suppression de la traite des autochtones. En 1885, par négociations diplomatiques, il se fait nommer souverain de l’état indépendant du Congo et souhaite stopper les trafiquants arabes organisant des marchés d’esclaves. Il lègue la colonie à la Belgique en 1908, quelques mois avant son décès. Les manuels scolaires d’histoire et de géographie vantent le rôle important que la Belgique a joué dans la civilisation au Congo. 210 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Figure 4 – « La Belgique civilisatrice » telle qu’enseignée dans les manuels scolaires vers 1952. Coll. MUSEF inv. 2_12995 Le Roi Léopold II puis la gent politique belge ont été largement soutenus par le pouvoir ecclésiastique dans les visées colonialistes. Les missions catholiques ont pour objectif d’éduquer les populations du Congo, suivant les valeurs de la chrétienté. Les missionnaires évangélisent les adultes, instruisent les enfants (enseignement primaire et professionnel), soignent les malades… En résumé : une volonté de « servir le bien » suivant la vertu théologale de la charité, couplée à la valeur d’altruisme. Pour répandre les actions des missionnaires qui se dévouent et soutenir les œuvres d’apostolat, diverses méthodes voient le jour. D’abord la création de Comités missionnaires dans les doyennés belges qui organisent des expositions, conférences, séances de cinéma, qui déposent des troncs en divers endroits pour la collecte de fonds. Les images publicitaires placées dans les emballages de chocolat, de fromage ou négociées par l’accumulation de points de fidélité, ont aussi contribué à une large forme de marketing colonial. 211 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Figure 5 – Tronc utilisé pour la quête en faveur des missions catholiques en Afrique. Lorsqu’une pièce de monnaie était glissée dans la fente du bénitier, la tête de la figurine oscillait en guise de remerciement. Coll. MUSEF, inv.7_7706 Figure 6 – Chromos publicitaires provenant des emballages de fromage « La vache qui rit » et de chocolat « Jacques » et évoquant les aides apportées par les colons. Coll. MUSEF, inv. 1_ 49125 et 1_49126 212 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Les compagnons d’ombre de saint Nicolas Les légendes entourant saint Nicolas, évêque de Lycie, le qualifient tantôt de patron des écoliers car il a sauvé trois enfants de la mort, ou de patron des jeunes gens à marier car il a évité la prostitution à trois jeunes filles. Au XVIe siècle, lors de la Réforme protestante, apparait un personnage accompagnant le saint, d’une apparence poilue, ressemblant à une bête sauvage ou à un être effrayant dont le visage est recouvert de suie. Son rôle est de faire peur aux enfants : il menace de les fouetter (d’où le nom de père Fouettard) ou de les emporter dans un sac vers la forêt. Zwarte Piet, ou Pierre le Noir, apparaît aux Pays-Bas au milieu du XIXe siècle et s’introduit ensuite en Belgique. La légende raconte que saint Nicolas quitte l’Espagne en compagnie de son valet maure (du grec « mauros » = noir). Pierre arbore les traits d’un Africain aux cheveux crépus. A4 Mouscron et Tournai, le valet est parfois appelé Nicodème, disciple de Jésus qui posait une multitude de questions, d’où l’idée qu’il était niais. Les photographies conservées au Centre de documentation du MUSEF, datant des années 1950, présentent ces différentes figures. Le lien entre les deux personnages se base sur des valeurs opposées et complémentaires : le gentil (qui récompense) et le méchant (qui punit), le saint et l’être diabolique, le blanc et le noir… Le noir qui renvoie aujourd’hui au « blackface » et à la pratique raciste de se grimer en personne à la couleur de peau foncée. Figure 7 - Le « ramoneur », visage sali par la suie et à la pilosité abondante, muni d’un impressionnant martinet. Coll. MUSEF, inv. 3_861 213 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Figure 8 – Le valet maure offrant des bonbons aux enfants sages. Le costume de Zwarte Piet est tout au bénéfice des commerces de location de déguisement. Coll. MUSEF, inv. 1_20206 Nos collections renferment également une boîte de vernis noir pour les poêles et ferronneries de la marque « Zwarte Piet » (Félix noir), un frotteur « Negri » pour étaler la pâte et lustrer la fonte et un album Spirou dont la dernière page donnait la parole à l’élève « Cirage » à la caricature est des plus stéréotypées... Ces derniers exemples prouvent les dérives en cascade alimentées par l’esprit colonialiste. Figure 9 – Pâte à cirer « Zwarte Piet », Coll. MUSEF inv. 7_3733 / frotteur « Negri », Coll. MUSEF inv. 7_8245 / Bande dessinée « Blondin et Cirage ». Coll. MUSEF, inv. 2_10781/12. 214 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Folklore, ethnologie et musée de société : distinguer, comprendre, nuancer Le Musée communal a d’abord développé ses actions comme l’avait décidé son fondateur Léon Maes, autour du folklore, étude vouée aux arts et traditions populaires, en quête de l’âme authentique du peuple et de la sauvegarde des traces du passé. C’était sans présager des dérives du néo-folklore et son tourisme, puis du glissement vers le pittoresque folklorique péjoratif. Dans les années 1980, l’engagement de personnel qualifié a permis à l’institution d’évoluer vers l’ethnologie. La discipline scientifique se fonde sur une étude croisée de toutes les formes d’expressions culturelles, sur base des dimensions historique, sociale et géographique et selon une méthodologie de travail : lister, décrire, analyser et interpréter. Ce procédé a été utilisé pour commenter les exemples de patrimoine mobilier et documentaire présentés dans cet article. Par ailleurs, la chanson de carnaval et la fête de Saint-Nicolas démontrent que le MUSEF intègre aussi le patrimoine culturel immatériel dans son projet scientifique et culturel. Il est souligné que ce patrimoine-là est vivant, récréé en permanence par les détenteurs et praticiens en fonction du milieu, de l’interaction avec l’histoire, des évolutions sociétales. Il est régulé par la Convention de l’UNESCO pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de 2003 qui encourage le respect de la diversité humaine et les échanges multiculturels. Ces principes de valeurs universelles guident l’ensemble des actions du MUSEF qu’elles soient exposition, conférence, visite animée ou événement culturel pluridisciplinaire. La médiation du parcours de référence propose des clés de lecture afin de susciter une réflexion en lien avec certains débats de notre actualité. Les stéréotypes colonialistes ici évoqués ne sont qu’un exemple parmi d’autres ouvertures réflexives qu’offrent les collections exposées, telles les questions de l’immigration, des genres, de la gestion des déchets, du bien-être animal... Ce positionnement opère aussi un changement de vision dans notre collecte patrimoniale, qu’elle soit sous forme d’achat ou de don. Elle ne se limite plus à la sauvegarde de traces du passé, matérielles ou immatérielles, mais s’articule autour du décloisonnement de toutes les missions dévolues à un « musée de société ». 215 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Figure 10 – Salle « Points de vue » du parcours de référence Vie frontalière du MUSEF. Photo : V. Fillon MUSEF Bibliographie ANONYME (illustrations de Marcel Marlier), s.d. : L’histoire de Belgique, Scola, Degré moyen, Namur-Bruxelles, La Procure Casterman. COLLECTIF, 2019 : Faire carnaval, faire politique ? Enjeux sociaux et politiques des folklores, Agir par la culture, n° 60. Disponible sur : https://www.agirparlaculture.be/category/agirpar-la-culture-n60-hiver-2019/ (consulté le 20 septembre 2022). COLLECTIF, 2020 : Machine opérationnelle. Dix ans de Maîtrise d’Ouvrage Publique, Fédération Wallonie-Bruxelles, Cellule architecture. DELAHAYE Gilbert & MARLIER Marcel, 1954 : Martine en voyage, Tournai, Collection Farandole, Casterman. MAES Léon & VAISIERE Maurice, 1965 : Chansons populaires de Flandre Wallonne, Ministère de l’éducation nationale et de la culture, Bruxelles, Commission royale de Folklore belge. MECHIN Colette, 1978 : Saint Nicolas, Fêtes et traditions populaires d’hier et d’aujourd’hui, Paris, Berger-Levrault. MPOMA Anne Wetsi & VAN DE VOORDE Véronique, 2021 « Représentations colonialistes du passé, stéréotypes d’aujourd’hui », communication orale réalisée dans le cadre de la 216 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 campagne de lutte contre le racisme structurel menée par le CIEP Wallonie picarde, Mouscron. UNESCO [en ligne], Ethique et patrimoine culturel immatériel, disponible sur : https://ich.unesco.org/fr/thique-et-pci-00866 (consulté en septembre 2022). BANANIA [en ligne], disponible sur https://www.banania.fr/lhistoire/ et sur https://www.jeuneafrique.com/133426/politique/racisme-tant-de-rires-banania-sur-lesmurs-de-france/ (consultés en septembre 2021). Notice biographique Véronique Van de Voorde est licenciée en Histoire de l’art et archéologie, musicologie (ULB). Elle est au service du Musée communal de Folklore de la ville de Mouscron depuis 1986 ; conservatrice depuis 2004 et référente du projet de construction des nouvelles infrastructures du Musée. Elle est membre, au titre d’experte, de diverses instances d’avis de la Fédération Wallonie-Bruxelles (musées, ethnologie, patrimoine immatériel, Chambre de concertation des patrimoines culturels). Elle est également membre de la Commission belge pour l’UNESCO et chargée de missions pour la sauvegarde du Patrimoine culturel immatériel en Fédération Wallonie-Bruxelles auprès de l’UNESCO / Collaboration pour la rédaction des dossiers de candidature et l’inscription d’éléments sur les listes du Patrimoine de l’Humanité. Contact : v.vdvoorde@gmail.com 217 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Anne Wetsi MPOMA Renouer avec la vocation révolutionnaire et pluriverselle du musée. Le musée pluriversel – révolution – décolonisation Mots-clés : décolonisation, pluralité, racisme, inclusion. Keywords : decolonisation, plurality, racism, inclusion. Introduction Ce texte est une invitation aux institutions muséales à questionner la notion d’universel à laquelle de nombreux auteurs préfèrent aujourd’hui celle de pluriversel, et à ainsi mieux refléter la société actuelle dans toute sa diversité et complexité. En effet, la société belge porte les valeurs que sont le vivre-ensemble et la cohésion sociale. Partant de ce postulat, l’institution muséale publique n’est pas censée être un lieu élitiste ou ségrégationniste mais bien un lieu qui s’adresse à toutes et tous, y compris les Afrodescendant.e.s, Noir.e.s, AfroBelges, etc1. Ces personnes qui font partie des impensés de la société contemporaine (suite à la déshumanisation dont iels ont été l’objet lors de campagnes de propagande coloniale et/ou esclavagiste) - au mieux, impensés en vertu du privilège de l’ignorance d’un monde dominant, au pire, impensés par effacement volontaire, déclassement, croyance en une supériorité d’une prétendue race biologique au profit d’une autre – méritent elles aussi l’attention non seulement des services de médiation des institutions en tant que publics cibles mais aussi des conservateurs et commissaires d’exposition, en tant qu’artistes et curateur.trices invité.e.s. Enfin, il s’agit aussi d’envisager ces publics pour les intégrer à la pluriversalité du personnel des institutions. Agissant ainsi, l’institution muséale et culturelle se réapprorierait sa vocation révolutionnaire en initiant et incarnant un changement de paradigme sociétal. Initiant le changement en agissant sur la cause : la culture2. Incarnant le changement : en se positionnant comme rôle modèle au niveau de la qualité décoloniale et pluriverselle de sa programmation et son personnel. Le musée doit s’atteler à améliorer la vie des personnes d’ascendance africaine en Belgique et pour ce faire, il lui faut considérer ces personnes que Malcolm Ferdinand décrit (en analysant la situation des esclaves coloniaux dont je déduis une analogie avec la situation actuelle des ex peuples 1 De nombreux publics autres publics que les publics afrodescendant.e.s et/ou Africain.e.s échappent au radar de l’universalisme incarné par l’homme blanc sis hétérosexuel et valide. Le parti pris de ce texte est de s’intéresser à l’effacement en vue d’une plus grande inclusion des publics afrodescendants et/ou Africain.e.s. 2 « Le champ le plus important sur lequel le colonialisme jeta son emprise est l’univers mental du colonisé et ce, par le prisme de la culture » (WA THIONG'O 2011). 218 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 colonisés) en ces termes : « réduits à une main-d’œuvre des désirs des autres, les esclaves demeurent étrangers au monde. […] Ni étrangers, ni citoyens, les Nègres esclaves sont alors cantonnés à un espace interstitiel. » (p. 254). L’enjeu du musée actuel consiste donc à médiatiser et favoriser la sortie de cet espace et à faciliter ces groupes à prendre part « au monde refusé aux esclaves » (p. 255). Ce monde qui laisse aujourd’hui une place à « l’étranger-atout » mais qui cantonne encore trop souvent celui qu’il considère comme « étranger-danger » à « l’assignation à n’être rien » et à des métiers subalternes (ethnicisation des métiers). 1. De la violence 1.1. Violence du silence Bien qu’il n’existe pas d’étude approfondie sur la question de la représentativité des artistes et curateurs/trices afrodescendant.e.s dans les musées belges, l’analyse des collections ou des programmes des musées démontre l’absence flagrante d’œuvres d’artistes afrodescendant.e.s de Belgique dans ses collections. Le pourcentage est en dessous des deux pourcents d’œuvres d’artistes Noirs et celui-ci diminue si l’on s’attache à identifier des artistes à la fois noires et féminines ou africain.e.s et formé, socialisé en Belgique. Ces chiffres s’améliorent avec plusieurs expositions solos d’artistes congolaises comme celles de Michèle Magema à la Kunstalle City à Anvers en 2021 ou Hadassa Ngamba invitée au Cultureel Centrum de Strombeek la même année. Et en 2022 à Anvers, le travail de l’artiste congolais Sammy Baloji fut installé dans l’espace public, suite à l’exposition Congoville au Middelheim Museum été 2021 ; et ce dernier a préparé un projet de taille sur les racines coloniales de l’Art Nouveau qui sera montré au Civa en 2023. On peut également citer l’exposition d’Aimé Mpané aux Musées Royaux des Beaux-Arts, elle aussi en 2021 et cette année l’exposition d’Omar Bah, peintre sénégalais installé en Suisse3. Ce que ces projets ont en commun est la volonté de ne pas aborder la question du racisme de manière frontale mais de façon « suffisamment subtile » pour le monde dominant. Les projets adoptant une démarche jugée radicale ont très peu d’opportunités de voir le jour, faute de financements ou tout simplement pour cause de censure4. En fait, bien que le personnel des services de médiations soit le plus souvent très sensible aux questions d’inclusion, ceux-ci sont souvent confrontés à des conservateurs tout puissants et méprisants vis-à-vis de ces considérations5 décoloniales. Ce postulat qui consiste à affirmer la soustraction de catégories entières d’individus des publics légitimes des institutions pour cause d’indifférence ou d’hostilité raciste témoigne d’emblée d’une relation de violence entre ces publics ignorés et les 3 Dans l’essai, « Résister dans les arts et la culture », Being imposed upon (2020), j’énonce une liste de projets pour la période allant d’avant 2015 jusqu’à 2019. 4 Expériences professionnelles personnelles et d’autres artistes afrodescendant.e.s dans le pays. 5 Mon travail de plaidoyer pour plus d’inclusion dans les arts et la culture m’a amené à avoir de nombreux échanges avec ces personnes, particulièrement dans deux institutions muséales fédérales. 219 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 institutions. Violence dont l’expression débute par l’invisibilisation des luttes et résistances décoloniales. Les associations d’Africain.e.s créent des projets pour lutter contre le racisme en Belgique depuis le début du XXe siècle6 mais avant que des recherches réalisées par des universitaires euro-descendants ne « découvrent » le phénomène. Violence parce qu’il y a contrainte par la force. La force du groupe dominant à maintenir des pans entiers de la société dans une zone de non-existence, de non-lieu, et parfois de non-droit ; par la capacité à ne pas en tenir compte, à faire comme s’ils n’existaient pas. Le passage suivant, extrait d’un ouvrage rédigé par une spécialiste de la communication aborde le thème de la façon suivante : « Si la parole peut être violente, le manque de parole l’est plus encore. Combien souffrent de la colère, de la déception, de l’humiliation, sans les mots pour le dire ? Combien ne se sentent pas autorisés à parler ? Combien, parce qu’ils manquent de mots, ces forces visibles, ont l’impression d’être relégués aux marges de la vie ? » (DUCROCQ 2010, p. 157.) C’est la répétition des situations qui font ressentir colère, déception, humiliation sur base de critères non attribuables à un comportement mais à des marqueurs identitaires physiques et/ou culturels et le non-dit qui règne autour de la nature de celles-ci qui rend le sentiment d’injustice encore plus pénible. De nombreux concepts comme celui de la roue de la domination, de l’afrisme (Mireille-Tsheusi Robert) ou de white innocence (Gloria Wekker) abordent cet aspect. A cela s’ajoute le manque de représentation positive dans les médias7 doublés du mépris affiché de certaines « traditions ancestrales » à l’égard d’enfants, futurs adultes, parents et grands-parents de personnes racisées qui continueront à vivre en Europe. Cela amène certains psychologues à aborder la question de la santé mentale des personnes subissant le racisme dans leur vie quotidienne, identifiant des difficultés à se projeter dans l’avenir8 qui favoriserait les états dépressifs, qui eux-mêmes répétés peuvent engendrer le développement de maladies psychotiques. Delphine Martisot dans un article intitulé Le soi en psychologie sociale ainsi qu’une étude réalisée par un sociologue canadien ont aussi montré que les représentations négatives impactaient les jeunes personnes issues de groupes minoritaires de manière différente et plus intensément que les jeunes personnes issues du groupe dominant, précisément à cause de leur position de groupe minoritaire. 6 Union Royale Congolaise fondée par Paul Panda Farnana, mort en 1930. Il existe une étude sur les effets du manque de visibilité des personnes racisées à la télévision (MALONGA 2008) 8 Voir à ce sujet notamment Birsen Taspinar 7 220 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 1.2. Violence de la persistance de l’imaginaire du passé colonial Le constat d’une continuité des imaginaires entre passé colonial et présent postcolonial est à la source des mouvements décoloniaux/postcoloniaux à travers le monde. En Belgique, les discriminations à l’égard des personnes congolaises font l’objet de dénonciations depuis la création de l’Union Congolaise en 1919 par Paul Panda Farnana. Des décennies de militantisme associatif plus tard, des études menées par des académiciens (comme celle de Dr Sarah Demart en 2016) sur la question du racisme structurel font enfin irruption dans le monde mainstream. C’est notamment l’objet d’un chapitre entier dans le rapport du premier groupe d’experts à avoir émis un rapport à l’intention des parlementaires siégeant dans la Commission chargée d’analyser le passé colonial belge9, rédigé par moi en tant qu’experte de la diaspora africaine et congolaise de Belgique. En Belgique, Dr Bambi Ceuppens avait publié Congo Made in Flanders, Koloniale Vlaamse visies op « blank » en « zwart » in Belgisch Congo en 2003, et avant cela en 1991, l’ouvrage collectif, Racisme continent obscur, Clichés, stéréotypes, phantasmes à propos des Noires dans le Royaume de Belgique fait encore référence aujourd’hui10. Joseph Tonda décrit la violence de la persistance de l’imaginaire colonial dans le présent, comme un paradigme fondateur de la société actuelle, qu’il appelle alors « société des éblouissements ». Je le cite : « Ce qui signifie que le présent est colonisé par la violence de l’imaginaire du passé, et les êtres humains vus comme des êtres à l’identité incertaine, entre l’animal et l’humain. » (Joseph Tonda, L’impérialisme postcolonial, Critique de la société des éblouissements, p. 104). Ainsi, l’imaginaire colonial (et esclavagiste aussi par ailleurs) a des conséquences directes sur la perception actuelle de l’identité des personnes issues de ces groupes minoritaires en Occident. Parmi ces conséquences figure ce qu’Achille Mbembe décrit comme « l’assignation à n’être rien ». 9 Voir partie III, point I (Laure UWASE, « Analyse du lien entre le racisme antinoir et le colonialisme », p. 562) et II (Anne Wetsi MPOMA, « Les formes contemporaines du colonialisme ou les liens entre colonialisme et racisme structurel aujourd’hui », p. 639). 10 Une bibliographie plus détaillée sera bientôt publiée sur mon site Internet et pourra être obtenue sur simple demande et/ou consultée à la Wetsi Gallery. Contact : info@wetsi.gallery. 221 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 1.3. Violence de l’assignation « à n’être rien » Le phénomène d’assignation se retrouve notamment dans des mécanismes tels que la féminisation ou l’ethnicisation de certains métiers. Les témoignages (et les rares études sur la question des discriminations à l’emploi en Belgique11) font état d’une part, d’une réelle difficulté d’accéder à des emplois à forte valeur symbolique, comme les métiers de la communication, et lorsque les personnes accèdent à de l’emploi, elles sont le plus souvent surqualifiées pour celui-ci. Ainsi, elles se retrouvent bloquées par un plafond de verre et n’ont pas accès à des promotions ou autres mécanismes de mobilité sociale. Un exemple souvent cité est celui des médecins. S’il existe un certain nombre de docteurs en médecine, combien de professeurs issus de ces groupes dans nos universités ? Et dans nos musées, comment cela se passe-t-il ? Mon expérience en tant qu’usagère dans les musées belges est que la seule « diversité visible » se situe au mieux au niveau du personnel d’accueil où l’on constate péniblement un effort dans certaines institutions, où suite à l’implémentation d’une charte de la diversité, on a pu constater la présence de personnes d’ascendance africaine et/ou portant des signes de religion visibles au sein du personnel d’accueil et de sécurité. Mais absolument aucun changement significatif. En fait, une étude en France a même démontré l’inefficacité des plans d’implémentation de chartes de la diversité à cause « d’une disjonction entre la prise en charge de la lutte contre les discriminations confiée aux acteurs des Ressources Humaines, et celle de la diversité confiée à des missions spécialisées : les catégories visées ne bénéficiant pas de la même présomption de compétence. Il en résulte une dilution de la question du racisme dans une approche globale qui selon nous atteste moins d’un désintérêt que d’un intérêt bien compris » (MONCHATRE 2014, p. 51). 1.4. Présomption d’incompétence et effet pygmalion L’injonction à n’être rien envers les personnes racisées se manifeste donc de manière plus élevée dans les secteurs d’emplois à forte valeur symbolique, par une présomption d’incompétence. Celle-ci ayant des répercussions sur la manière dont ces personnes se perçoivent elles-mêmes par un effet pygmalion et humain qui veut que des personnes stigmatisées dont on attend peu, ont tendance à se conformer aux attentes que l’on a envers elles. Si certaines d’entre elles peuvent bien entendu déjouer ces injonctions, ce sera au prix d’efforts considérables qui à terme auront eux aussi un impact sur leur santé, en termes de charge mentale, de stress et de maladies provoquées par les états de stress chroniques. Transformer cette injonction qui se manifeste par une présomption d’incompétence sur les identités noires en agissant sur les imaginaires tout comme mettre fin aux mécanismes de 11 Rapport réalisé par ENAR (European Network against Racism) en 2012-2019, Étude Actiris 2019. 222 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 reproduction sociale en son sein en créant des espaces d’expression pour des professionnels afrodescendant.e.s et/ou Africain.e.s à des postes à forte valeur symbolique est un enjeu crucial pour le musée. « Société des émerveillements », néolibéralisme et capitalisme obligent, l’intérêt des musées est de s’ouvrir à ces « nouveaux » publics. Sans parler de son potentiel comme lieu de création de cohésion sociale et de nouvelles valeurs communes dans la société de demain. Donc au-delà de l’aspect économique pour ces institutions, un véritable enjeu sociétal et politique à rassembler et mettre en dialogue pour refléter les valeurs de la société de demain, émerge. Ce rôle du musée comme lieu de négociation du pouvoir est tout à fait compris par les activistes du climat qui ont choisi le musée comme lieu de contestation afin de faire prendre des mesures politiques immédiates. 1.5. La reconnaissance par l’amour ou l’absence de sanctions Comprendre la relation des institutions muséales avec les publics racisés, oubliés, invisibilisés passe avant tout par la reconnaissance de la violence décrite ci-dessus. Cette reconnaissance est une condition pour une rencontre authentique, basée sur l’écoute active et le respect. Un enjeu majeur du musée dans sa compréhension classique du terme, à savoir prétendument et très incomplètement universel, est de devenir un lieu de rencontre pluriversel et révolutionnaire. Un lieu où la renégociation du pouvoir est possible et souhaitable, afin de permettre à de nouvelles identités d’émerger. Des identités non réduites à des stigmates coloniaux (ex-colon/ex-colonisé). Et pour que cela soit possible, il est indispensable que les personnes, ici en l’occurrence, les professionnels ou aspirants professionnels afrodescendant.e.s et ou Africain.e.s qui osent brader l’interdit du radicalisme n’aient pas à craindre de sanctions de la part des instances de pouvoir. De la même manière que le conseil international des musées affirme aujourd’hui que les revendications des activistes du climat ont leur place entre leurs murs (ICOM 2022), il faudrait que les revendications décoloniales soient également prises en considération dans ces mêmes institutions, avec le même degré de conviction12 dans les affirmations. Et ce, aux conditions définies par les activistes et non celles définies par les institutions en place13. Le concept d’une nécessaire absence de sanctions m’est inspiré par les recherches en philosophie sociale d’ Axel Honneth dans son article intitulé La lutte pour la reconnaissance (publié dans Passages, collection dirigée par Heinz Wismann en 1992). L’auteur y démontre la nécessité d’aborder l’amour dans la perspective d’une théorie de la reconnaissance et des transformations sociales. Ainsi, notre société serait passée d’un paradigme de reconnaissance juridique ordinaire à un paradigme qui comprendrait une forme de 12 Or, pour le moment, l’Africa Museum continue à se cacher derrière des ambitions soi-disant scientifiques pour ne pas ouvertement s’exprimer sur la question de la décolonisation. 13 Or, la loi sur la restitution des biens spoliés est entièrement le fait de la volonté du gouvernement belge. 223 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 reconnaissance réciproque comparable à l’amour qu’une mère porte à son enfant. Ce qui impliquerait que c’est la connaissance du fait d’être aimé, c’est-à-dire, d’avoir l’assurance que la période de différenciation ne sera pas sanctionnée par l’abandon de la mère (ici de l’État ou des institutions qui le représentent) qui permet le développement d’individus autonomes. Cette autonomie impliquant la possibilité de questionner la relation. Ainsi, l’État et ses institutions devraient se montrer capables de ne pas tenir rigueur aux activistes décoloniaux, et au contraire, les encourager à s’exprimer afin, à terme de faire apparaître une société réellement débarrassée des paradigmes coloniaux. Cela signifierait notamment de mettre fin aux pratiques de censure, de mise au ban et autres sanctions pour desquelles certaines institutions sont passées maîtresses du maniement. Bibliographie DUCROCQ Anne, 2010 : L’art de faire la paix au quotidien, Paris, Marabout. ICOM, 2022 : Activisme climatique dans les musées, 11 novembre. Disponible en ligne sur : https://icom.museum/fr/news/declaration-de-icom-activisme-climatique/ (consulté le 10 janvier 2023). MALONGA Marie-France, 2008 : « La télévision comme lieu de reconnaissance : le cas des minorités noires en France », Hermès, n° 51, p. 161–66. Disponible en ligne sur : https://www.cairn.info/revuehermes-la-revue-2008-2-page-161.htm (consulté le 27 mars 2021). MONCHATRE Sylvie, 2014 : « Petits arrangements avec la diversité. Le recrutement entre le marché et mobilisation salariale », Revue française de sociologie, n° 55, p. 41–72. Disponible en ligne sur : https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-2014-1-page-41.htm (consulté le 30 janvier 2023). NZEBA Joëlle Sambi, et al., 2020 : Being (Imposed Upon), Bruxelles, Publiekeacties. WA THIONG'O Ngugi, 2011 : Décoloniser l’esprit, Paros, La Fabrique. Notice biographique Anne Wetsi Mpoma est historienne de l'art, commissaire d'exposition et auteure. Son travail de curatrice activiste l'a amenée à collaborer avec la Commission fédérale belge du passé colonial et le Musée de l'Afrique à Tervuren. Elle a co-fondé et préside Nouveau Système Artistique (2009), une asbl qui encourage la cohésion sociale par l'art et le plaidoyer antiraciste. Elle contribue activement à la création d’opportunités et à la promotion du 224 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 travail d'artistes afrodescendants et/ou engagés dans les questions post/dé-coloniales à l'espace Wetsi Art Gallery (2019). Contact : info@wetsi.gallery 225 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Françoise LEMPEREUR Muséalisation et patrimoine culturel immatériel face à la problématique actuelle de décolonisation Mots-clés : politique muséale, colonisation, décolonisation. patrimoine culturel immatériel (PCI), médiation, Keywords : museum policy, intangible cultural heritage, mediation, colonization, decolonization. 1. Transmettre des valeurs Le récent retrait de la Ducasse d’Ath1 de la Liste représentative du Patrimoine culturel immatériel de l’Humanité de l’UNESCO interroge le rôle du regard extérieur sur les expressions, les croyances ou les modes de vie de communautés culturelles, pour qui les pratiques, rituels, connaissances ou savoir-faire transmis de générations en générations constituent des éléments patrimoniaux revendiqués et auxquels ces communautés attachent des valeurs qui leur sont propres. Alors que la Convention de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel incite précisément ces communautés à identifier et à actualiser ces éléments pour transmettre aux générations futures un patrimoine vivant, elle les enjoint parallèlement à se conformer « aux instruments internationaux existants relatifs aux droits de l’homme, ainsi qu’à l’exigence du respect mutuel entre communautés, groupes et individus, et d’un développement durable2 ». Comment dès lors permettre aux habitants d’une petite ville de Belgique, attachés de bonne foi à un personnage traditionnel qui, pour eux, ne présente pas de caractère raciste, de transformer celui-ci en une figure non équivoque pour les observateurs externes ? La question ne ferait pas l’objet d’un article dans des Cahiers de Muséologie si elle ne concernait aussi le monde muséal. Nous pensons que l’exposition muséale fait en effet Décidé par le Comité intergouvernemental de la Convention de sauvegarde du PCI, réuni à Rabat le 2 décembre 2022, en raison du caractère jugé raciste de la présence dans cette fête d’un personnage vêtu et maquillé en noir, appelé localement « le Sauvage ». 2 Texte de la Convention pour la sauvegarde du PCI, proposé à tous les États des Nations Unies par l’Assemblée générale de l’UNESCO le 18 octobre 2003. Cette Convention est aujourd’hui (2022) ratifiée par 180 Étatsparties. 1 226 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 partie des médiations possibles dans le processus de transmission du patrimoine immatériel en incitant tant les muséographes et le public que les porteurs du patrimoine exposé, à réfléchir sur les valeurs véhiculées à la fois par le contenu patrimonial exposé et par sa présentation. Certaines expériences muséales semblent aujourd’hui pouvoir relever le défi de la transmission de l’immatériel et proposer pour celui-ci une passerelle entre générations passées et générations futures. Ainsi, la récente exposition Black Indians de la NouvelleOrléans3 plonge non seulement le visiteur dans le monde méconnu de la créativité culturelle et artistique contemporaine des Noirs américains de Louisiane mais aussi dans la réalité tragique de l’esclavage ancien et de ses conséquences sur la situation sociale actuelle des descendants d’esclaves. Durant le cheminement imaginé par les scénographes, le caractère atroce des châtiments corporels, des chaînes et du discours suprémaciste blanc éveille les consciences et, parallèlement, provoque un sentiment d’admiration et d’empathie pour la résilience des acteurs d’un carnaval éblouissant par la richesse de sa musique et de ses costumes rutilants, inspirés par les Amérindiens. Une telle exposition n’a pu être conçue qu’avec la participation des Black Indians eux-mêmes. Pour évaluer les chances de réussite d’une telle politique, il nous a paru utile de retracer l’histoire de la « mise en musée » des contenus patrimoniaux de l’Afrique coloniale, en l’éclairant par une réflexion sur la représentation de la culture et sur le statut de l’objet ethnographique4. 2.1. Les premières représentations de la culture africaine Chronologiquement, les cultures extra-européennes furent les premières à être muséalisées5 en Europe. Héritage de la curiosité scientifique développée par les Encyclopédistes et fruit des théories naturalistes du XVIIIe siècle, cette « mise en musée » répondait surtout aux enjeux politiques et économiques liés à l’idéologie colonialiste. L’étude des sociétés dites « exotiques » était indispensable à l’expansion et à la gestion coloniales et les investissements importants que celles-ci nécessitaient devaient être justifiés, en contrepartie, par une plus-value acceptée par tous. En exposant les objets 3 Du 4 octobre 2022 au 15 janvier 2023, au Musée du Quai Branly – Jacques Chirac, à Paris. Nous n’entendons pas exposer ici les différentes théories élaborées autour de l’objet ethnographique car elles réclament une analyse anthropologique qui dépasse la problématique muséale proprement dite. Une des études pertinentes est le travail de Jean-Claude Dupont intitulé « Le sens de l’objet. Exemple : le tisonnier » (DUPONT 1986). Voir aussi les articles parus dans Culture matérielle et modernité, numéro 1996/1 de la revue ETHNOLOGIE française, et dans DEBARY & TURGEON (dir.), 2007. 5 Au sens propre du terme, à savoir présentées dans des établissements spécialement créés pour leur mise à disposition du regard public. L’intérêt des Européens pour ces cultures est évidemment bien antérieur. On sait par exemple, que, dès le début du XVIe siècle, des objets africains, recueillis à la faveur d’expéditions portugaises, circulaient entre collectionneurs. Voir à ce sujet : FAUVELLE-AYMAR 1999, p. 545. 4 227 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 ramenés par les missionnaires, les militaires et les explorateurs, on montrait, tant aux scientifiques qu’au grand public, l’intérêt et l’urgence d’apporter la « civilisation » aux populations dites « primitives ». Obéissant à la théorie évolutionniste, en vogue vers 1870-1880 surtout, les premiers musées ethnographiques avaient en effet substitué à la notion de « naturels », chère aux philosophes du siècle des Lumières, celle de « primitifs », opposés aux « civilisés ». Dans une communication orale, datée de 1987, Michel Leiris observe d’ailleurs qu’à l’époque coloniale, l’anticolonialisme n’existait pas car les intellectuels occidentaux, conditionnés par l’évolutionnisme, étaient persuadés qu’il fallait faire profiter les peuples « primitifs » des lumières dont ils étaient détenteurs (DUPUIS 1999, p. 511), une position empreinte, selon d’eux, d’humanité et de bon sens. Pour leurs concepteurs, ces premiers musées devaient donc répondre à un double but, didactique et pragmatique : illustrer le « progrès » effectué par l’humanité, assimilée à la civilisation occidentale, et aider ceux qui s’apprêtaient à coloniser les pays lointains en leur faisant mieux comprendre les peuples de ces pays (AKAEVY 1999, p. 572). Cette instrumentalisation nous autorisera donc à parler ici de « muséification », muséification portée à son comble avec l’exposition en vitrine du squelette et du moulage du corps nu d’une jeune fille sud-africaine d’origine Khoisan, arrivée par bateau en 1810 et morte à Paris en 1815. Durant sa courte existence européenne, cette jeune fille n’avait cessé d’être exhibée, tant dans les lieux publics que dans les cabinets des naturalistes, par un « imprésario », heureux d’exploiter ainsi ses différences physiques6. A sa mort, son corps fut moulé dans le plâtre puis disséqué par Cuvier, qui préleva ses organes génitaux et son cerveau pour les placer dans des bocaux de formol. Considérée comme un des chaînons manquants entre l’homme et les espèces inférieures, celle que l’on avait surnommée « la Vénus hottentote », par référence aux « Vénus » callipyges de l’art préhistorique, finit, au XXe siècle, par être exposée dans une vitrine du musée de l’Homme et ce… jusqu’en 19747. Si l’on se rappelle que, parallèlement aux premières muséalisations, les grandes expositions universelles de Londres (1862), Amsterdam (1883), Paris (1889) ou Bruxelles (1897), avaient mis sur pied des reconstitutions de villages africains, où des « indigènes »8 étaient offerts au regard public dans leur « modes de vie authentiques », on peut sans conteste affirmer, avec Jean-Luc Aka-Evy, qu’en cette fin de XIXe siècle, « L’Europe s’invente un théâtre des 6 Hypertrophie des hanches et des fesses, organes génitaux protubérants, conformation du crâne particulière. En 1994, les Khoisan réclamèrent ses restes. L’Etat français refusera, au nom de la science, jusqu’en 2002, année où sa dépouille sera remise à l’Afrique du Sud, qui lui offrira des funérailles décentes, selon le rituel Khoisan. 8 L’exposition de Bruxelles eut lieu dans le parc de Tervuren. Près de trois cents Congolais en « costumes traditionnels » y furent mis en scène dans des « reconstitutions » de villages africains. Sept d’entre eux moururent, victimes des rigueurs climatiques belges. Ils ne reçurent une sépulture individuelle qu’en 1952. 7 228 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 apparences où elle met en scène une représentation fantasmatique de l’Autre, représentation aussi fausse que stéréotypée » (AKA-EVY 1999, p. 564). D’autres motivations, peu avouables, interviennent aussi dans la volonté européenne de s’emparer du patrimoine matériel des communautés « sauvages » d’Afrique. Un inventaire réalisé en 1899 par Théodore Masui, alors conservateur du musée du Congo belge à Tervuren, fait déjà état de 20 300 objets congolais9 entreposés. Pour alimenter ces collections, abritées derrière les murs robustes des grands musées ethnographiques – musées de Dresde (inauguré en 1875), du Trocadéro à Paris (1882), de Londres (1883), de Bruxelles (Tervuren) (1898), etc. –, les Blancs perpétrèrent des pillages en Afrique, pillages sur lesquels Anne-Marie Bouttiaux (BOUTTIAUX 1999, p. 611) porte un regard nouveau. Elle affirme que la valeur vénale des objets enlevés n’en est pas le mobile essentiel mais que celui-ci réside au contraire dans l’importance symbolique de ces objets : « À l’époque, les pièces qui arrivaient au musée n’étaient pas considérées comme des "trésors". Ceux qui prétendent que les administrateurs coloniaux volaient des richesses ou les échangeaient contre de la pacotille font une erreur grossière. S’il est acceptable qu’ils aient sûrement plus souvent pris qu’acheté, ce n’est pas parce qu’ils voulaient s’enrichir illicitement – comme beaucoup le pensent – mais bien parce qu’ils privaient les sociétés de leurs objets de culte et de pouvoir ». Autrement dit : les colonisateurs attribuaient aux objets enlevés en Afrique une réelle importance symbolique mais elle n’était prise en compte que pour sa valeur stratégique. Contrairement aux ethnologues qui y travailleront dans l’Entre-deux-Guerres, les « explorateurs » – administrateurs coloniaux ou militaires pour la plupart – chargés de prospecter et de « pacifier » de nouvelles régions d’Afrique noire dans la seconde moitié du XIXe siècle, achètent ou confisquent en effet des objets usuels ou rituels sans prendre le temps d’étudier le fonctionnement social des « sociétés » qui les produisent et/ou les détiennent. Lorsque ces objets parviennent en Europe, aucune contextualisation n’est possible, même quand les musées héritent, parallèlement, des carnets de notes de ces explorateurs. Leurs 9 Un nombre qui ne cessera de croître jusqu’aux différents mouvements d’indépendance nationale. Aujourd’hui, l’AfricaMuseum de Tervuren possède environ deux cent cinquante mille objets et cent mille photographies de terrain, rien que dans la section d’ethnographie de son département d’anthropologie culturelle. 229 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 récits10 font état de reconnaissances territoriales, d’ « expéditions punitives pour soumettre des villages », de tractations commerciales ou judiciaires, mais ne comportent quasi aucune observation sur les mœurs ou les savoir-faire locaux. À peine y apprend-on que certaines tribus « sont anthropophages », « vivent de la chasse », « travaillent le fer et font la grande lance à deux trous mais ne font pas de couteaux ». Aucune information ne filtre, par contre, sur la fabrication, sur l’usage ou sur les propriétaires de ces armes, ni sur la destination de produits reçus, comme les « pointes d’ivoire » (défenses d’éléphant). Réduits pour la plupart au rang de « fétiches11 », les objets recueillis seront donc muséalisés en fonction de critères européens – leur degré de technicité ou leur savoir-faire artistique – sans tenir compte de leur dimension immatérielle. 2.2. L’esthétisation Au début du XXe siècle, en Europe occidentale, la perspective évolutionniste qui fonde ces critères commence à se fissurer, sous l’influence de deux courants nouveaux, l’un culturel, l’autre scientifique : l’esthétisation et l’ethnicisation des témoignages matériels des « civilisations » africaines. À première vue opposés, ils se rejoignent dans l’affirmation d’une valeur intrinsèque de l’objet et dans la prise de conscience de l’existence de cultures non européennes. La vision esthétique attribue un statut d’œuvres d’art à certains objets « primitifs » exposés dans les musées ou disponibles à la vente chez des antiquaires ou des brocanteurs. Elle se manifeste à Paris dès les années 1905-1906 et explose véritablement quand Maurice de Vlaminck, André Derain, et, de façon plus générale, les artistes adeptes du fauvisme et du cubisme, découvrent l’ « art nègre », bientôt source d’un mouvement du même nom, matérialisé par des expositions, des publications et des spectacles, mouvement qui ne prendra fin que vers 193012. L’intérêt pour le patrimoine africain se poursuivra cependant jusqu’à nos jours, notamment à travers les galeries spécialisées dans la vente d’antiquités – vraies ou fausses – en provenance d’Afrique subsaharienne. La naissance de l’esthétisation des objets africains, au début du XXe siècle, répond elle-même à deux mouvements, nés durant les trente ou quarante années précédentes : un intérêt du monde occidental pour l’exotisme ‒ intérêt stimulé par la vogue de l’art asiatique, japonais surtout ‒ et une (re)découverte de l’art populaire et de la caricature. Les artistes, Français pour la plupart, veulent alors abandonner la représentation réaliste pour mettre en valeur tout ce qui avait 10 Pour illustrer le peu d’intérêt que les explorateurs portent aux populations locales et à leur mode de vie, citons le cas du Journal de Charles Lemaire à l’Equateur (1891-1893) (d’où sont extraites les quelques citations ciaprès), conservé à Tervueren (VAN GROENWEGHE 1986). 11 Le mot « fétiche » est utilisé pour désigner un objet « sacré » ou « magique » (ou prétendu tel) par ceux qui n’en connaissent pas la signification symbolique. Chez les actuels collectionneurs d’art africain, il s’applique surtout à la statuaire et aux masques originaires de l’Afrique de l’ouest et de l’Afrique centrale. 12 Pour une analyse anthropologique de la « culture Nègre » des années 1920, voir ROUEFF Olivier, p. 65-85. 230 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 été jusqu’alors rejeté par la bienséance, l’académisme et le respect de l’ordre social. Ils rêvent de recouvrer une spontanéité primitive, dans un « monde empreint de spiritualité barbare13» et une nature « préservée de la civilisation », que Gauguin, parti à Tahiti en 1891, n’a certes pas trouvées en se dépaysant, mais qu’il a néanmoins évoquées dans son œuvre, exposé à Paris après sa mort. Alors qu’ils érigent la « fraîcheur » plastique de la statuaire africaine en « emblème de la modernité » et s’inspirent de cet « art sauvage » pour libérer leurs pulsions et rejeter les conventions, les artistes ne sont pas dupes de la signification de leur démarche : ils restent conscients que leurs œuvres ne participent pas de la même expression culturelle et revendiquent donc une distanciation d’avec les modèles qui inspirent leurs créations. Ce faisant, ils affectent néanmoins, involontairement, le statut des figures africaines : d’objets de curiosité, elles ont devenues sources d’expression et entrent donc « dans une nouvelle catégorie discursive et esthétique : les arts primitifs » (AKA-EVY op. cit.), catégorie pour laquelle elles doivent être dépouillées de leur statut d’« objets de civilisation » (BOAS 1927) pour se muer en « objets d’art ». Dans un premier temps, l’anonymat des pièces, l’incertitude quant à leur âge et le manque de références de qualité permettent cette abstraction. Peu à peu cependant, les intellectuels commencent à s’interroger sur la pertinence de cette désappropriation identitaire. Anne-Marie Bouttiaux observe que, dans sa mutation en œuvre d’art, « c’est l’objet qui a changé de statut et non les populations qui l’ont produit » (BOUTTIAUX p. 613) : on ne peut donc pas parler de réelle valorisation. 2.3. L’ethnicisation L’œuvre d’art est décontextualisée : ne conviendrait-il pas de resituer l’objet dans son environnement socioculturel d’origine ? La vision ethniciste va s’efforcer de répondre à cette question, dès la naissance de l’ethnographie moderne, fondée non plus sur la place de chaque communauté dans l’histoire universelle, mais sur la spécificité des sociétés ou « communautés » étudiées : dans cette optique, les objets devront être rapportés aux structures sociales et donc aux systèmes de représentations symboliques qui leur sont propres. Il importera surtout de les recontextualiser pour en comprendre la signification. Intéressante vue de l’esprit, cette méthodologie échouera largement, victime d’un écueil de taille, que pourtant aucun ethnographe ne reconnaîtra : l’ethnocentrisme des collecteurs. Constatant que les objets africains du British Museum ou du Mankind Museum de Londres sont différents de ceux du Musée du Congo belge de Tervuren, du Museum für Völkerkunde de Berlin-Dahlem ou du Musée de l’Homme de Paris, Annie Dupuis affirme (DUPUIS 1999 préface) que leurs contenus reflètent les schémas culturels des puissances coloniales. Elle pose aussi les questions essentielles à propos des musées créés, en Afrique 13 PELTIER Philippe, Primitivisme et art moderne, cité par AKA-EVY, op. cit., p. 566. 231 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 même14, par ces mêmes puissances, au nom, prétendent-elles, d’une indispensable sauvegarde des richesses locales qui, si elles n’étaient pas ainsi « protégées », seraient condamnées sur place à une inévitable destruction : « Que représentent les musées pour les populations ? Ne disposaient-elles pas, avant l’irruption intempestive des Occidentaux, de formes propres de conservation de leur histoire ? N’étaient-elles pas aptes à en créer d’autres formes qui leur conviennent mieux qu’un modèle étranger ? » (DUPUIS 1999). Jean-Loup Amselle dénonce la « mise sous le boisseau » que constitue l’enfermement de la culture africaine dans ce qu’il qualifie de « cages ». Pour lui, le regard que l’Occidental porte sur l’Afrique ne peut pas s’identifier à une appropriation esthétique, comme l’ont fait les peintres du début du XXe siècle, pas plus qu’à qu’une symbolisation d’un état de nature au sein duquel s’exprimerait une violence originaire et anté-coloniale. Il pense que l’apaisement des passions africaines passe par la libération des cultures de ce continent, c’est-à-dire leur « dé-muséification » (AMSELLE 1999, p. 477). 2.4 Et aujourd’hui ? Les partisans du Musée des arts premiers ou Musée du Quai Branly de Paris invoquent, pour le justifier, le « dialogue des cultures » (LATOUR 2007) qui permet de fonder des valeurs universelles et rétablit l’équilibre entre les peuples. En montrant aux Européens que les Africains ou les Océaniens sont capables de créer des chefs d’œuvre plastiques et en faisant allusion, à travers ces objets, à une organisation sociale complexe, le musée revaloriserait ceux que l’on traitait il n’y a guère de « primitifs ». Leurs adversaires répondent que celui-ci entretient au contraire des stéréotypes, tel le « mythe du bon sauvage », émis par JeanJacques Rousseau au XVIIIe siècle, ou celui, actuel, de l’existence d’un « art premier », art « des origines », venu d’une forêt « vierge », où vivent des populations « traditionnelles », à la fois « authentiques » et « exotiques ». Le problème interroge la nature même de la muséologie, « discipline complexe dotée d’un fort pouvoir de persuasion » qui repose, dans le domaine de l’ethnologie, sur des idéologies et des représentations de soi et de l’autre parfois inconscientes et renvoient à « des regards qui ne sont jamais neutres » (DUPUIS 1999, p. 533). Nous pouvons en effet nous demander en quoi l’actuel Musée du Quai Branly se différencie du Musée d’ethnographie du Trocadéro à Paris, tel que le concevaient Paul Rivet et Georges-Henri Rivière au début des années 1930. Les valeurs d’exposition proposées à cette époque motivent-elles encore les muséographes parisiens actuels ? Oui, pour ce qui est du refus de légitimer le colonialisme culturel en affirmant l’existence d’une création artistique au sein de populations à qui l’on accorde désormais le droit de posséder une culture propre. Oui 14 On comparera cette politique muséale avec celle des « premières nations » au Québec. Voir DUBUC & TURGEON (dir.) 2004. 232 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 aussi pour l’abandon de la conception muséale fondée sur le principe de l’accumulation d’objets. Oui encore, lorsque les muséologues affirment que l’objet ne signifie rien s’il n’est mis en relation avec le milieu social et culturel qui l’a produit, c’est-à-dire que l’objet vise à signifier « les relations des hommes à leur milieu naturel, des hommes entre eux, dans les situations sociales, de travail, d’intimité » (CHAUMIER 2003, p. 75-77). Pour concrétiser cette idée, Paul Rivet et Georges-Henri Rivière illustraient le contexte de l’objet par des reconstitutions de scènes de la vie quotidienne et par des dioramas, alors que les scénographes d’aujourd’hui en appellent davantage au document audio-visuel et à la photographie. Ces anciens muséologues, influencés par le positivisme, croyaient que leur démarche suffirait à objectiver la réalité. Ils oubliaient que l’objet n’est pas signifiant en soi et que les situations ne sont jamais univoques, qu’elles nécessitent des interprétations. En les concrétisant, ils les rendaient accessibles à tout un chacun, mais en occultaient simultanément les dimensions immatérielles − imaginaires, croyances, rapports de pouvoir, etc. En outre, écrit Serge Chaumier, leur démarche rejoignait souvent l’hagiographie, car la société était valorisée et présentée dans ses aspects les plus gratifiants. Peut-on, sur ce point, constater une rupture et affirmer que les concepteurs du Musée du Quai Branly ont adopté une muséologie contemporaine, c’est-à-dire discursive, désacralisant l’objet pour n’en faire qu’un signe qui trouve son sens dans le récit de l’exposition ? Ou une muséologie « de point de vue », basée sur sa relation avec le vécu et le mental du visiteur ? Ils s’inscriraient alors dans la nouvelle voie qu’a adoptée la muséologie depuis une quarantaine d’années, en passant d’une « logique de l’avoir » (posséder, conserver, protéger, présenter les éléments d’une collection) à une « logique de l’être »15, celle-ci permettant enfin d’exposer l’immatériel. La plupart des salles du Musée du Quai Branly16 ne placent pas le visiteur au centre du débat ni ne répondent à l’enjeu d’un musée d’ethnographie17. Pour celui-ci, un tel musée devrait permettre une communication entre le visiteur et un univers qui ne fait pas partie de son quotidien, lui permettant par-là d’identifier en l’objet présenté une signification autre que « celle qu’il met en œuvre spontanément en tant que membre de sa propre culture ». Au Quai Branly, le but est plutôt d’exposer des objets considérés comme des œuvres d’art ou comme des témoins d’une culture lointaine. Ici, le visiteur peut admirer une vitrine avec vingt hottes laotiennes, vietnamiennes ou chinoises, esthétiquement intéressantes, mais la problématique du portage humain n’est pas explicitée18. Autrement dit : appel est fait à un 15 Distinction proposée par Serge CHAUMIER 2003, p. 78. Hormis certaines expositions temporaires et quelques collections particulières. 17 Nous utilisons ce terme, comme le fait Jean Davallon (2007), comme appellation générique de tout musée s’intéressant aux modes de vie et aux pratiques culturelles de communautés, proches ou exotiques. 18 Elle l’est bien plus dans la remarquable exposition itinérante de photographies de Lekha Singh, Les femmes portent le monde (présentée notamment au Musée de l’Homme à Paris en novembre-décembre 2022). 16 233 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 ressenti, à une émotion du spectateur, pas à une volonté de connaissance, de compréhension ou de réflexion. De façon générale, tout musée ou exposition est une prise de position sur le sens de l’objet. Celui-ci peut être source de nostalgie, de plaisir esthétique, référence mémorielle, support de connaissance ou même moteur d’action, il peut être au centre du discours muséal comme il peut même y être nié19. S’il est vrai que l’objet n’a pas de valeur en soi et n’est que le support d’une pratique symbolique, esthétique ou pragmatique, comme l’affirme l’anthropologie contemporaine20, l’« objet de patrimoine » est, écrit Jean Davallon, un véritable médiateur entre un passé et un présent, un ici et un ailleurs. Le musée en fera un usage archéologique pour construire un rapport direct avec le passé, un usage ethnologique ou anthropologique pour construire un regard sur l’autre et l’ailleurs, ou un usage de légitimité sociale, pour construire une identité. Conclusion Le plus important à nos yeux est que l’exposition se solde, pour le public, par une découverte de « l’autre » et surtout que la forme ou l’objet culturel mis en scène corresponde non pas à la vision qu’en a le muséographe mais à celle de son détenteur légitime, puisque cette forme ou cet objet a un sens dans sa vie sociale et individuelle et est le support de son éthique personnelle. Dans la croisade que mènent aujourd’hui les acteurs de la décolonisation, il ne suffit plus d’éviter les propos ou les images susceptibles de heurter. Les porteurs actuels du patrimoine exposé devraient être impliqués dans le processus de muséalisation. De manière réflexive, celle-ci les aidera à prendre conscience de l’évolution de leurs pratiques ancestrales et en assurera la transmission, pour autant qu’on veille à ne pas les figer. Bibliographie AKA-EVY Jean-Luc, 1999 : « De l’art primitif à l’art premier », Cahiers d’Études africaines, tome XXXIX (3-4), n° 155-156, p. 572. 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Notice biographique Linguiste et ethnomusicologue de formation, Françoise Lempereur a travaillé 30 ans comme journaliste culturelle à la RTBF. Parallèlement, elle a mené des recherches scientifiques sur de nombreux aspects du patrimoine : musique et savoir-faire traditionnels, espaces culturels, liaison entre immobilier et immatériel, etc. Depuis 1986, elle est Maître de conférences à l’Université de Liège, où elle est titulaire des cours de Patrimoine culturel immatériel. Elle a soutenu en 2008 une thèse de doctorat en Information et communication sur la transmission du patrimoine culturel immatériel, a participé à une vingtaine de missions d’expertise et de colloques internationaux et a publié plus de cent livres et articles sur le patrimoine, l’histoire et la culture. Contact : francoise.lempereur@uliege.be 236 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Zélie BLAMPAIN & Fernand COLLIN Entretien accordé par Fernand Collin, directeur du Préhistomuseum à Ramioul, à Zélie Blampain Mots-clés : pop-archéologie, réalité augmentée, immatérialité, gestion muséale. Keywords : pop-archeology, augmented reality, immateriality, museum management. Le Préhistomuseum de Ramioul1 est un musée de la Préhistoire en région liégeoise. Il se caractérise par son approche très « vivante », offrant aux visiteurs la possibilité de réaliser eux-mêmes les gestes de la Préhistoire (chasse, taille du silex, etc.). Construit dans un site d’une trentaine d’hectares, il propose des activités en plein air, ainsi que la visite d’une grotte, en plus de celle des collections.2 L’entretien suivant a été réalisé en deux temps. Une première rencontre entre Fernand Collin et Zélie Blampain s’est déroulée le 15 avril 2022. Cet entretien avait été réalisé dans le cadre du travail de fin de bachelier de Zélie Blampain, et portait principalement sur l’exposition Lascaux Expériences, présentée au Préhistomuseum de décembre 2021 à juin 2022. Cette exposition proposait de « visiter » la grotte de Lascaux grâce à la technologie de la réalité augmentée. Cependant, en vue de publier cet entretien, il semblait nécessaire de le compléter et le contextualiser par des informations portant sur le Préhistomuseum de manière plus large. Ainsi, le 26 octobre 2022, une seconde rencontre a eu lieu. Les entretiens ont été légèrement révisés pour plus de concision. Quel a été le processus de conception et de création du musée dans son entièreté ? Il faut se rappeler que la volonté du Préhistomuseum était de reformuler le Préhistosite de Ramioul, qui existait depuis 1994. Donc le processus a commencé par une évaluation des forces et des faiblesses du Préhistosite, tel qu’il était. Et très vite, ce qui caractérisait le Préhistosite, à savoir la pédagogie du geste, faire faire des gestes de Préhistoire pour comprendre par les sensations l’intelligence de ces hommes ou de ces femmes d’autrefois, est apparue comme une évidence, et est toujours une composante forte du 1 PREHISTOMUSEUM [en ligne], disponible sur : https://www.prehisto.museum (consulté le 20 janvier 2023). Pour plus d’informations sur le Préhistomuseum, consulter MEST Océane & DURET Pauline, 2021 : « Le Préhistomuseum : deviens l’Homo Sapiens de ta tribu ! », Les Cahiers de Muséologie, n° 1, p. 151-158. Disponible sur : https://popups.uliege.be/2406-7202/index.php?id=881 (consulté le 10 janvier 2023). 2 237 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Préhistomuseum. Par contre, il manquait beaucoup de dimensions au Préhistosite, qui était un musée de site archéologique (la grotte de Ramioul, ça l’est toujours), avec une dimension de musée de la Préhistoire en Wallonie. Donc on s’est interrogés sur les thèmes que les visiteurs pouvaient aimer trouver dans le futur musée ; sur les expériences que l’on pouvait proposer aux visiteurs, des expériences originales, uniques ; et on s’est dit que le nouveau musée devait offrir une expérience que ni Internet, ni la télévision, ni d’autres médias ne peuvent proposer. On devait trouver des thèmes et des expériences différenciantes, qui permettraient au visiteur de se rapprocher de l’objet authentique, la collection du musée ; et d’autre part des grands thèmes que la Préhistoire nous permet de dégager. Et c’est ainsi que nous avons aussi revisité notre statut de musée. On s’est déclaré, déjà en 2001, musée médiateur, sur l’ensemble de nos fonctions muséales. Et on s’est dit : « Alors tout est de la médiation. » Et tout compte fait, est-ce que la médiation n’est pas un peu comme le journalisme scientifique : créer le lien entre les matières, les connaissances, et les gens, via le journal, le podcast, ou tout ce que tu peux imaginer ? Et ça nous a donné l’idée de créer une salle de rédaction, comme on conçoit un journal. On a invité le rédacteur en chef d’un journal, pour nous raconter comment on concevait un journal, comment l’actualité se construisait. Et on a appris de lui qu’il fallait établir un chemin de fer, comme ils appellent ça dans le jargon journalistique, à savoir une espèce de grille générale qui articule les contenus les uns par rapport aux autres, et qui conçoit la place que chaque contenu va prendre. C’est ainsi qu’on a créé, dans nos locaux transitoires — on avait dû déménager complètement le Préhistosite dans des bâtiments industriels à Seraing, pendant près de deux ans, le temps des travaux — une salle de rédaction, où, avec les collègues du Préhistosite, nous avons commencé à faire le chemin de fer du futur Préhistomuseum. Nous avons conçu notre salle de rédaction en élaborant de grands panneaux, qui devaient accueillir les différents thèmes que le musée allait traiter. On n’était pas encore dans le « comment on allait le traiter », on était d’abord dans le « Qu’est-ce que le musée veut dire, qu’est-ce que le musée veut partager avec ses visiteurs ? » Et sur nos tableaux, qui étaient blancs comme neige, nous avons créé une méthode qui nous est propre, je pense. D’une part, on s’est dit : quelle est l’attitude du musée, en général ? Qu’est-ce qu’on veut que l’expérience soit ? Donc on y a qualifié l’expérience des visiteurs de façon transversale. Et puis, pour chaque tableau, on a créé trois colonnes : qu’est-ce que le musée veut raconter ? Qu’est-ce que les gens se posent comme questions, à propos de la Préhistoire ? Et quelles sont les leitmotivs, les grands thèmes qui vont ressortir de tout ça ? Depuis quelques années, le Préhistosite avait déjà mis en place une approche assez systémique de la Préhistoire, ce qui veut dire qu’on aborde le fait archéologique tant du point de vue sociétal, économique, culturel, environnemental. De ce fait, on a mis sur le côté du tableau des lignes horizontales. On a ensuite placé dans les abscisses Culture, 238 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Société, Environnement, Économie. Et de ce premier tableau initial sont sortis les différents thèmes que nous voulions aborder. Prenons le cas de l’évolution de l’Homme : c’est un grand thème de la Préhistoire, c’est une évidence. Donc nous avons patiemment « brainstormingué » dans notre chemin de fer : que faudrait-il aborder, du point de vue culturel, du point de vue social, du point de vue environnemental ; quelles sont les questions que les visiteurs se posent à propos de l’évolution de l’homme. On n’a pas réussi totalement notre rêve, qui était d’aller faire des micro-trottoirs à Liège pour entendre les gens se poser ces questions-là. En revanche, on a quand même l’expérience d’être des vieux médiateurs au Préhistomuseum, donc on a eu beaucoup de questions de nos visiteurs, ce qui nous a permis de nous mettre un peu à leur place. Et puis, sont sortis évidemment les grands leitmotivs de ce travail de croisement d’intentions. C’est ainsi que sont nés les différents thèmes avec lesquels, aujourd’hui, le Préhistomuseum accueille ses visiteurs. Donc on voulait parler de l’évolution de l’homme. On voulait parler de l’agriculture et de l’élevage, la période néolithique. On voulait parler de la période des chasseurs-cueilleurs nomades, du Paléolithique, etc. Et on s’est juste cantonnés, dans un premier temps, à la question du Quoi et du Pourquoi : qu’est-ce qu’on va raconter, et pourquoi est-ce qu’on le raconte, quelle est l’intention que le musée a derrière. Et puis est arrivée, naturellement, la question du Comment. Et c’est là que, dans le brainstorming, sont arrivées des choses totalement inattendues. Au départ, pour parler de l’évolution, on n’avait jamais envisagé de créer un labyrinthe végétal. Mais on a jugé que c’était un dispositif muséographique intéressant. On a créé donc un jeu, un labyrinthe de sept-cents mètres de long, dans lequel les visiteurs pouvaient entrer en ancêtres du singe et de l’homme, et essayer d’en sortir en hommes. Et de cette façon, ils allaient être confrontés au cul-de-sac de l’évolution et comprendre une des dimensions scientifiques les plus compliquées, c’est que l’évolution est foisonnante. L’évolution n’est pas linéaire comme on le voit sur les T-shirts qu’on arbore régulièrement où l’on fait référence à l’évolution. Donc le labyrinthe est né, et est devenu un dispositif qu’on a trouvé sympa, à la fois ludique et éducatif. Et nous nous sommes mis à étudier, pratiquement, comment mettre en place un labyrinthe végétal pour parler de l’évolution. Pour parler de la révolution néolithique, il est venu comme une évidence qu’on allait faire une ferme pédagogique. Qu’on allait cultiver des plantes rustiques, qui sont encore proches de leurs ancêtres sauvages. Et pourquoi pas élever des animaux ? Cochons, vaches, chèvres, qui sont aussi proches génétiquement. Donc on avait là un dispositif muséographique intéressant, qui allait plaire à nos visiteurs — en particulier, on pensait un 239 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 peu aux familles — et ça nous a permis de tailler le discours et le parcours de cette ferme pédagogique. Pour parler des peuples chasseurs, on sait très bien que les visiteurs au Préhistosite adoraient tirer à l’arc et au propulseur. On s’est dit qu’on allait prendre cette technologie de la chasse, au sens général du terme, et qu’on allait donc amplifier ce qu’on avait déjà créé au Préhistosite, à savoir des parcours de tir à l’arc et de tir au propulseur. Et en même temps, étaient sorties des tableaux croisés de choses très intéressantes, comme pouvoir parler de l’évolution du climat, au travers de l’évolution de la biodiversité, et l’adaptation des technologies à cette diversification. Donc on a créé les deux parcours que tu connais peut-être, où l’on a fait en cibles 3D les animaux du Pléistocène et de l’Holocène. Pour la grotte, on s’est beaucoup interrogés : quelle est la typicité de la grotte ? Quel est son message ? Toujours avec les tableaux croisés, on est tombés comme sur une évidence, qu’il fallait désélectrifier la grotte. Permettre aux gens d’y entrer comme des spéléologues, ou comme des archéologues et y découvrir des messages, des contenus. On a juste gardé un fil de vie, pour qu’il ne fasse pas totalement noir, on ne sait jamais, et on a son casque et sa lampe frontale, et ça marche super bien ! Les gens adorent cette relation à la grotte, qui est le patrimoine authentique. Pour un grand thème, transversal à la Préhistoire, qui est la relation entre l’homme et la nature, là — badaboum — on a inventé le sentier pieds nus. Ce qui n’est absolument pas attendu comme dispositif muséographique, mais qui marche très bien (au sens propre comme au figuré) lorsque l’on veut mettre les gens en condition d’éprouver, de ressentir, et de se questionner eux-mêmes, de s’introspecter, sur leur propre relation avec la nature. On avait déjà un dispositif semblable au Préhistosite,: une pierre de dolmen qu’on faisait rouler. On s’est dit qu’on pourrait rajouter un champ mégalithique, pour tout ce qui est technologie, savoir-faire, technologie du geste, où les gens pourraient lever le menhir, déplacer une pierre ; on a créé tout un dispositif sur la construction des premières maisons préhistoriques, avec tout un chantier participatif que l’on utilise très souvent avec nos visiteurs. Et puis on s’est dit qu’il manquait quelque chose : c’était le côté néolithique, avec les éléments fortifiés. Pour des questions de place, on a créé dans l’exposition de la ferme pédagogique une palissade Michelsberg. Et puisqu’on parlait de l’habitat, on a pris soin de recommencer la reconstitution de tipis pour les chasseurs-cueilleurs, qu’on a répartis ensuite à l’intérieur du Préhistomuseum. On a refait aussi, évidemment, le contenu de l’exposition pivot, l’exposition permanente des collections, qui se trouve à l’intérieur du musée. Elle avait été créée, au Préhistosite, dans les années 2000. On a revu le concept en y ajoutant une couche, je vais dire philosophique, autour de la collection. Cette exposition avait été conçue de manière non-chronologique 240 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 par André Gob 3 et moi dans les années 2000, et puis j’ai repris exactement le même scénario, mais j’ai rajouté une couche de réflexion, puisque le cœur, le sens de cette exposition, était de partir des points communs entre les hommes d’aujourd’hui et les hommes d’hier. À partir de là, on était bel et bien prêts pour ouvrir le champ du musée de société, qui utilise ses collections et ses connaissances pour participer aux débats de notre société actuelle. Et nous avons eu la chance, évidemment, avec ces grands travaux, d’avoir un nouveau Centre de Conservation, d’Étude et de Documentation4, que nous avons géré avec une consultante française extérieure, Celia Ragueneau 5 , pour que la chaîne opératoire soit conforme aux normes attendues en matière de conservation préventive. Mais on s’est dit qu’on allait créer un espace visible, visitable, qui montrerait l’espace professionnel. Alors nous avons créé tout le concept de rencontre avec ceux qui construisent la connaissance, qui y contribuent, savent comment on sait ce que l’on sait. Et on a créé là un espace dans lequel les visiteurs peuvent rencontrer par des vidéos les différents intervenants de l’archéologie. Ce sont les opérateurs de fouille, c’est l’archéologue, c’est l’archiviste, le conservateur, le restaurateur. Cela nous a permis de créer un modèle de présentation des métiers de l’archéologie, autour de la fouille, de la présentation, de l’étude et de la diffusion, et donc de casser certains a priori qu’ont tous nos visiteurs : l’opinion que l’archéologie se réduit à la fouille et à la découverte des objets. Et on a revu aussi nos ateliers de pédagogie du geste ; on a créé toute une série d’ateliers nouveaux. Ce qui nous a permis d’équiper ceux-ci de technothèques, c’est-à-dire d’une série de fac-similés qui permettent au médiateur, avec son groupe dans l’atelier, d’illustrer son propos technologique avec des fac-similés de toutes les époques, mais aussi d’avoir tout le matériel pour faire les gestes de la Préhistoire. C’est ainsi qu’on a élaboré le Préhistomuseum, en créant une série de dispositifs muséographiques. Alors, certaines personnes diront qu’un sentier pieds nus, ou un labyrinthe, ou un parcours de tir à l’arc, ne sont pas une exposition. Pour moi, à titre personnel, ils le sont. De toute façon, quand j’ouvre le Dictionnaire de Muséologie à la page Exposition, je vois bien qu’il y a un partim qui dit que lorsqu’une expérience fait sens pour le visiteur, celle-ci est aussi une exposition (DESVALLEES & MAIRESSE 2011, p. 133-169). Maintenant, dans le quotidien de la relation au visiteur, on parle d’expérience plutôt que d’exposition car dans la tête de tout le monde, une exposition c’est une pièce avec quelque chose accrochée au mur ou exposée dans les vitrines. Ici, évidemment, dans un labyrinthe 3 André Gob est un muséologue belge. Professeur honoraire de muséologie à l’Université de Liège, il a présidé au Conseil des Musées de la Fédération Wallonie-Bruxelles de 2007 à 2019. 4 Abrégé en CCED. Pour en savoir plus, consulter COLLINEAU 2020. 5 Celia Ragueneau est une muséographe et curatrice française. Elle a créé l’organisation M&M (Management & Museology). 241 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 végétal, on n’a pas tout ça. Cela dit, il y a, dans toutes les expositions dont je viens de parler, près de six-cents cartels, écrits à travers les trente hectares du Préhistomuseum. Quand nous avons conçu le Préhistomuseum, on a aussi conçu le musée non plus comme un bâtiment avec ses collections, mais comme un espace de trente hectares où toutes les expériences participent à l’exposé du musée dans ce qu’il veut raconter à ses visiteurs, tout en variant les formes d’expériences, de façon à être concurrentiel par rapport à tous les autres médias qui existent actuellement. Vous avez parlé de l’importance du geste, et donc de l’immatérialité. C’est totalement opposé à la matérialité qu’on retrouve dans la plupart des musées archéologiques. Est-ce que c’est important pour vous qu’il y ait cette complémentarité entre les deux types de musée ? Je ne sais pas si on peut parler, à proprement parler, de deux types de musées. Il y a un musée, qui utilise différentes voies, pour mener à bien son travail de médiation. Et il y a plein d’outils qui peuvent servir à la médiation. Il est clair qu’au Préhistomuseum, on est, depuis le Préhistosite, toujours partis de l’archéologie expérimentale pour aller vers le public en imaginant des expériences. Effectivement, on touche, grâce à l’archéologie expérimentale, à des schémas technologiques qui nous échappent lorsqu’on regarde simplement l’objet, ou qu’on l’imagine. L’archéologie expérimentale s’occupe, elle, d’étudier les objets authentiques et de mettre en place un protocole scientifique pour essayer d’atteindre les côtés matériel et immatériel des choses, c’est-à-dire les savoir-faire, les recettes, les trucs et astuces. Tout ça est évidemment une dimension essentielle, peu traitée par les musées d’archéologie, qui, en termes de médiation, offre une voie royale à la perception que les visiteurs peuvent avoir d’une matière complexe. Je m’explique : je peux expliquer la taille du silex à partir des objets qui sont en vitrine. Mais si je donne à mes visiteurs un bloc de silex, un percuteur, un petit bout de cuir pour ne pas se faire mal lorsqu’ils vont frapper le bloc de silex ; si je leur fais une démonstration pour leur donner une marche à suivre, et qu’ils vont le faire eux-mêmes, on n’a pas besoin d’autres choses pour qu’ils perçoivent la complexité de la taille de silex. C’est quelque part une leçon de modestie que vont vivre les visiteurs d’aujourd’hui, en se disant : « Tiens, je pensais que c’était beaucoup plus simple que ça. » Et quelque part, on charge le visiteur d’une nouvelle image sur la Préhistoire à partir de laquelle on les rend curieux, donc ils sont plus en appétit pour aller voir, dans une exposition plus « classique », des éléments. C’est toute une dialectique qu’on met en place, c’est un subtil mariage, ce n’est pas l’un ou l’autre, c’est une complémentarité des dispositifs qui permet d’avoir une expérience muséale. Donc je n’opposerais pas les types de musées, je dirais qu’au Préhistomuseum, on a vraiment tenu à harmoniser les deux démarches. Et ça me permet de dire que nous avons, dans notre salle de rédaction, beaucoup réfléchi au sens de cette pédagogie du geste. Et on est arrivés à la conclusion que le 242 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Préhistomuseum devait servir à comprendre le comportement humain. On en revient presque dans l’immatérialité des choses. Et pour comprendre le comportement humain, on a cherché une pédagogie pour sous-tendre tout ce que je te raconte. Alors avec l’équipe, on a travaillé sur « Qu’est-ce que nous avons à notre disposition pour faire comprendre le comportement humain ? » Et on en est arrivés sur la main. Si tu as déjà fait la visite du musée avec moi, tu m’as certainement déjà entendu raconter ça, mais je vais le répéter parce que c’est la pierre angulaire, le making of de tout le Préhistomuseum. À savoir que toute action humaine est le résultat simultané des Matières, qui sont disponibles ou non ; des Modèles, chaque société préhistorique a ses modèles d’outillage, ses modèles de maison, ses modèles d’habillage ; et des Manières de mettre en œuvre. Et là, on résume les principes actifs de tout design. Toute la création des objets qui nous entourent. Pour faire un ordinateur, aujourd’hui, ou une moto, ou un marteau, ces trois éléments-là sont bien présents. Puis on y a rajouté les Mots, car toute société préhistorique a des mots qui permettent l’apprentissage, la transmission, la nuance, les récits, les autorités ; et la Métaphysique, enfin, qui conditionne toutes les sociétés préhistoriques par rapport à leurs croyances, et qui autorise ou non certaines choses. La pédagogie des cinq « M » est une pédagogie très forte, qui soutient la relation entre la matérialité dont tu parlais, c’est-à-dire les Matières, et les aspects beaucoup plus immatériels, comme la Métaphysique, mais il ne faut pas les distinguer. Ce sont ensemble que ces cinq « M » interagissent dans les actions humaines. Dans l’exposition, il y a parfois des comparaisons entre des aliments qui auraient pu être consommés à la Préhistoire, à côté de produits de supermarché actuels : on pourrait appeler ça des anachronismes. Est-ce que le but de ces installations est de rendre la Préhistoire plus vivante aux yeux des gens ? Oui, bien sûr. Comme dans tout le Préhistomuseum, on a essayé d’avoir des dispositifs qui rendaient le Préhistomuseum plus accessible pour les gens. L’exemple que tu cites, à l’intérieur de l’exposition des collections, repose sur l’enjeu initial d’établir des points communs entre les hommes de la Préhistoire et nous aujourd’hui, autour du thème de l’alimentation. En y installant la tomate, le vin, le maïs, on savait très bien qu’on allait créer des intrus qui nous permettraient de raconter, tangentiellement, une histoire de l’alimentation, et donc de créer aussi une diversité et une curiosité qui marchent assez bien. Vous parlez parfois de « pop-archéologie ». Est-ce que vous pouvez expliquer cette idée au public qui ne la connait pas ? 243 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 La pop-archéologie, c’est le terme que j’ai choisi pour désigner la démarche du musée, qui est de chercher à comprendre le passé de façon systémique, pour réfléchir à notre présent, et, en fait, au futur de l’humanité. Ça, c’est un peu l’ADN de notre institution. Tout simplement, la pop-archéologie, c’est essayer de faire un musée pour les gens qui n’aiment pas les musées, et pour les gens qui les aiment. C’est peut-être la quadrature du cercle, me diras-tu, mais c’est essayer de permettre au musée d’être très accessible, tout en ne perdant pas sa rigueur scientifique. Et quand j’ai choisi le mot « pop-archéologie », c’était à une période où certains collègues regardaient le projet Préhistomuseum comme un projet presque anormal dans le monde des musées, presque déviant. Ils me disaient : « Mais Fernand, ce n’est peut-être plus un musée, ce que tu fais, mais un parc d’attractions. » Et cela m’a fâché beaucoup, parce que je pense qu’on doit essayer, dans les musées, d’intéresser les visiteurs par différents canaux, d’être multiple, d’être varié. Et en écoutant une émission de radio qui parlait de pop-philosophie, un concept des années soixante qui consiste à prendre un fait de la vie quotidienne à partir duquel faire une réflexion philosophique, un peu comme monsieur Jourdain qui ignorait qu’il faisait de la prose sans en avoir l’air, je me suis dit, tout compte fait, que je fais de la pop-philosophie tous les jours en tant que médiateur au Préhistomuseum. Je fais de la philosophie avec les objets, puisqu’ils servent à nous comprendre nous-mêmes, à comprendre le comportement humain, à réfléchir au présent, dans la dimension de musée de société, à réfléchir l’avenir de l’humanité. Donc en fait, je ne fais pas de la pop-philosophie, je fais de la poparchéologie. Quel est votre modèle de gestion pour le musée ? C’est un modèle de gestion par intelligence collective et par management de projet. On s’inspire d’un modèle économique issu de l’économie circulaire, qu’on appelle l’EFC, Économie de la Fonctionnalité et de la Coopération, qui vise à proposer à ses usagers des valeurs qui s’appuient sur des ressources matérielles et sur des ressources immatérielles du musée. Ça permet d’être très créatif, très proactif dans les différentes choses qu’on entreprend, une exposition temporaire ou un événement, à l’intérieur de la vie du musée, et qui n’oublie pas la question du monétaire. Ce qui est très chouette dans ce modèle de l’EFC, c’est qu’il se définit par une efficience économique à part entière, une efficience monétaire, cela va de soi, mais simultanément une efficience sociale, une efficience environnementale, et une efficience d’usage, c’est-à-dire : est-ce que l’entreprise muséale Préhistomuseum apporte réellement à ses visiteurs des choses qu’ils attendent et qu’ils n’attendaient pas, qui font que nos visiteurs — c’est l’espoir qu’on a — deviennent des Citoyens Réactifs, Curieux, Actifs et Solidaires, ce qu’on appelle des CRACS dans le domaine de l’éducation permanente. 244 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 L’intelligence collective est toujours à la base de l’organisation du Préhistomuseum, mais, si tu me poses la question, c’est que tu as sans doute entendu parler que nous avons eu une phase proche de la sociocratie, qui s’appelle l’holacratie, un système d’organisation managériale totalement innovant. On parle là d’entreprise libérée, horizontale, très peu hiérarchisée. Nous sommes passés par là. Mais nous avons abandonné ce modèle pendant la crise Covid, car on a été forcés de restructurer et de licencier, et ce modèle participatif où chacun avait son rôle à jouer ne permettait pas de gérer une crise aussi importante. Donc pendant la crise Covid, on est revenu à un leadership traditionnel où j’ai, avec le conseil d’administration, pris les décisions qu’il fallait prendre pour permettre au musée de ne pas tomber en faillite et de poursuivre son aventure. Et au sortir de cette crise, il m’a semblé sage de proposer à l’équipe de travailler par management de projet, en intelligence collective, donc essayer de concerner tout un chacun dans les équipes au projet. Ça reste très démocratique, très convivial, tout en réinstallant une certaine hiérarchie autour des managers qui ont pour rôle d’animer leurs équipes, au sens propre et figuré, c’est-à-dire de leur donner l’esprit, de leur donner l’envie, de les concerner, de les inspirer, de les « leader », et de les faire participer concrètement à l’évolution de nos différents métiers, à l’intérieur du musée. Vous avez parlé du fait de rendre le visiteur citoyen. À ce niveau-là, votre musée se positionne-t-il par rapport aux questions de changement climatique, par exemple, ou de l’égalité des sexes, des genres, des ethnies ? Et de quelle manière ? On va dire qu’on essaye de le faire concrètement, par l’action. Pour les questions climatiques, c’est sûr que dans notre médiation quotidienne, c’est une dimension qui est souvent abordée par nos médiateurs. Mais on va le faire prochainement par une exposition temporaire, La Terre en héritage, du Néolithique à nous, qui est une exposition conçue par le Musée des Confluences, et par l’Inrap, en France, et que nous réadaptons. 6 Pour te donner clairement un exemple, au sein de cette exposition, on a complètement refait la conclusion, qui va tourner autour du thème du bonheur. Tout compte fait, qu’est-ce qu’il nous faut pour être heureux ? Pour essayer de sortir des clivages qui opposent beaucoup de gens dans la société, à propos des questions climatiques et environnementales, on essaye de travailler avec un dispositif muséographique de baromètre d’opinion, qui va nous permettre de toucher à la citoyenneté, la question de citoyens du monde. Donc les expositions temporaires sont souvent un bon média, mais dans le quotidien, cet enjeu de citoyenneté est un peu subliminal. Il est un peu partout, à l’intérieur des dispositifs permanents. Après la crise et la restructuration, on a repositionné le Préhistomuseum, et nous venons de réécrire un storytelling de l’expérience du Préhistomuseum, qui est devenu 6 Cette exposition était présentée au Musée des Confluences de Lyon d’avril 2021 à janvier 2022, et le sera au Préhistomuseum de Ramioul de décembre 2022 à août 2023. 245 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 son mantra aujourd’hui : « Venir au Préhistomuseum pour vivre l’extraordinaire aventure d’Homo sapiens, pour inspirer notre futur. » Là tu as carrément l’essence même de l’enjeu de la citoyenneté soutenue par le musée, et sans rien ajouter ni inventer, on a rebaptisé les expériences que le musée propose, sous l’angle que nous sommes tous des Homo sapiens, mais qu’il y a une grande diversité d’expressions culturelles dans le temps et dans l’espace. Il y a donc une vraie dimension citoyenne là aussi, on essaye de valoriser la diversité culturelle. Et donc, on a rebaptisé toutes les expériences, sur le champ du « On va s’amuser pour apprendre que… ». Ainsi l’exposition des collections est devenue Tous Sapiens ; l’exposition avec la ferme pédagogique est devenue Sapiens fermiers ; le sentier pieds nus est devenu Sapiens et la nature ; la grotte est devenue Sapiens nomades ; les parcours de chasse sont devenus Sapiens chasseurs. C’est comme s’il s’agissait d’un grand livre qui nous permet de vivre notre propre aventure, démarrée depuis qu’on est des Homo sapiens — ça fait déjà 300.000 ans — par nos ancêtres. Donc nous sommes toujours actifs et proactifs pour essayer de tisser du lien avec nos visiteurs, ce qui nous permet d’aborder simplement des notions parfois un peu complexes, et de trouver du sens dans chacune des expériences. Donc si tu consultes le nouveau guide d’activités qu’on vient de mettre à disposition de nos visiteurs, tu verras très clairement comment nous avons ré-ancré, réaffirmé l’enjeu de citoyenneté de notre institution. Dans le cadre du master en muséologie, vous donnez un cours à l’Université de Liège, intitulé « le musée entre l’état et le marché », avec Nathalie Nyst7. Dans quelle mesure est-ce que votre cours influence et est influencé par votre travail au musée ? Le cours est organisé autour des métiers du musée, et de l’entreprise muséale. L’objectif du cours est de permettre aux étudiants de mettre un peu les mains dans le cambouis dans les différents métiers du musée, et en particulier dans les métiers qui ne sont pas nécessairement enseignés à l’université. L’enjeu du cours, c’est de permettre aux étudiants, lorsqu’ils seront directeurs de musée — c’est ce que je leur souhaite — d’avoir une bonne vision de l’entreprise muséale, qu’elle soit de nature privée, une ASBL ; ou de nature publique, un musée de ville, d’université ou autre. Avec Nathalie Nyst, on prend bien soin de partir de cas concrets, et on utilise le Préhistomuseum comme un labo, comme un lieu dans lequel on va, sans tabous, ouvrir toutes les portes et les fenêtres du musée pour essayer d’apprendre les spécificités de chaque métier, les difficultés, tout en contextualisant ceux-ci à l’aune de ce que l’on connaît du monde muséal en général. L’enjeu de ce cours est réellement d’utiliser le Préhistomuseum comme un musée expérimental, dans lequel on va pouvoir appeler le comptable, par exemple. Le véritable comptable du musée vient au 7 Spécialisée en gestion culturelle, Nathalie Nyst est responsable de la Direction du Patrimoine culturel du Ministère de la Fédération Wallonie-Bruxelles, et coordonne le Réseau des Musées de l’ULB. 246 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 cours, témoigner, expliquer son métier ; la véritable responsable de la communication vient expliquer comment on gère la communication du musée. D’expérience, je pense que les étudiants apprécient beaucoup ce rapport très concret à la gestion des musées, sous différentes facettes. Tout en prenant soin de nuancer, de contextualiser : le Préhistomuseum n’est pas pris comme modèle, mais comme espace à partir duquel on peut prendre de la hauteur, et avoir une bonne vision de ce qu’est entreprendre un musée aujourd’hui. Mais il est clair que le Préhistomuseum m’a aidé à structurer le cours, et avec Nathalie Nyst, nous sommes tombés assez vite d’accord sur les chapitres que nous allions développer. Et l’examen que nous donnons est un travail que les étudiants réalisent, qui est très « concréto-concret », puisqu’il s’agit d’introduire un dossier de reconnaissance de musée au ministère de la Fédération Wallonie-Bruxelles, ce qui permet aux étudiants, au départ un petit peu estomaqués par le travail, de mettre les mains dans le cambouis et de voir ce que le pouvoir public attend des musées qu’il subsidie. Je pense que c’est très formateur, très créatif, très coopératif pour les étudiants, et que les étudiants sont très contents de ce cours qui leur permet de sortir des sentiers battus. Dans le bâtiment de l’exposition permanente, on voit des fenêtres ouvertes vers la réserve et les laboratoires du musée. Est-ce que c’est important pour vous de présenter un peu les coulisses de la vie du musée au public ? C’est aussi important que de présenter la partie habituelle, pour le public, car il n’y a pas de musée sans collection, sans recherche, sans problématique scientifique, sans réflexion sur pourquoi on fait le métier qu’on fait. Pourquoi est-ce qu’on collecte, pourquoi est-ce qu’on garde ces éléments-là ? Donc donner à voir la pierre angulaire du musée qu’est la collection, c’est permettre au visiteur de s’enrichir de cette question permanente : « Pourquoi collectionnons-nous ? Pourquoi montrons-nous ? », qui est vraiment l’enjeu, ce pourquoi le musée existe. Ce que tu appelles l’envers du décor, ce n’est en fait pas l’envers du décor du tout, c’est la scène principale, où se joue l’action muséale. Lorsque nous faisons une exposition, un événement ou une animation, toujours, on revient vers la collection, un peu comme un réalisateur qui veut faire un beau film, en se disant « Mais qui vais-je appeler au casting ? ». C’est là que la collection prend tout son sens, car tous les objets de la collection sont témoins d’un moment ou d!un aspect de la Préhistoire, et la magie du musée consiste à appeler ces objets dans les boîtes, qui dorment tranquilles, et de les faire monter sur la scène pour qu’ils puissent jouer leur rôle, c’est-à-dire celui de témoin. Et nous, le nôtre, celui de médiateur, qui nous permet, à partir de ce fait préhistorique, d’emmener les visiteurs à changer de paire de lunettes, à regarder, à comprendre. C’est la magie du musée au sens propre, pour moi, ce n’est absolument pas accessoire, mais c’est bel et bien essentiel, même si, statistiquement, je pense que tous les visiteurs du 247 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Préhistomuseum — c’est peut-être 60.000 visiteurs par an — ne visitent pas nécessairement l’espace visitable du CCED. Mais ce n’est pas grave, ce n’est pas pour que tout le monde fasse tout : un musée, c’est comme un village. On ne va pas partout, on ne rentre pas dans toutes les maisons, mais il y a un potentiel partout, et c’est ça qui est, je pense, la dynamique des musées de demain. C’est d’avoir un espace qui permet au visiteur, un peu comme un site web, d’aller et de cliquer où il veut. Et là où ils vont, il faut qu’il y ait du sens. Mais comme, aujourd’hui, on essaye de faire un musée pour ceux qui n’aiment pas les musées comme pour ceux qui les aiment, la dimension ludique est souvent associée à la dimension éducative. Et de toute façon, le jeu est certainement la meilleure surface didactique de toutes les espèces vivantes. Il n’y a qu’à voir les espèces animales, par le jeu, on apprend beaucoup. Je ne suis absolument pas gêné, et au contraire, très fier, d’aller jusqu’au bout du processus pour rendre les choses ludiques. D’ailleurs, la prochaine exposition temporaire, après La Terre en héritage, sera Magic Sapiens. Ce sera une escape room de six-cents mètres carrés, une vraie escape room dans lequel on aura quarante minutes pour sauver les grandes inventions de l’humanité, sans quoi, patatras, il va se passer des choses terribles […]. Ça va être une exposition aux confins de l’expérimentation d’utiliser le jeu comme élément de médiation pertinent pour faire passer des messages scientifiques et culturels. Est-ce que le Préhistomuseum a été actif dans la création de l!exposition Lascaux Expériences ? Il a été actif, effectivement. L!exposition Lascaux Expériences est une reformulation de l!exposition Lascaux III. Pour mémoire, il y a eu Lascaux II, et puis Lascaux IV, qui sont des reconstitutions grandeur nature en Dordogne, pas loin de la grotte de Lascaux, Lascaux I. Et il y a quelques années, le département de la Dordogne a créé une exposition internationale, qui s!appelait Lascaux III, et qui véhiculait de grands fac-similés. C’était dixsept camions, c’était énorme, une exposition de 1.500 à 2.500 m2. Et pendant le Covid, ils ont souhaité se reformuler également, à leur tour, en supprimant les grands fac-similés de Lascaux III et en les remplaçant par une version virtuelle. À partir de ce moment-là, ils ont cherché en Europe, pas trop loin de la Dordogne, des musées qui étaient intéressés par la première expérience de réalité virtuelle qu!ils convoitaient de faire, et c!est dans ce cadrelà qu!on a pris des contacts ensemble et qu’on a commencé une collaboration. L!exposition Lascaux III existait bel et bien. Ils l!ont rétrécie, ils ont gardé une partie de l!exposition physique qui pré-existait. Nous ne sommes pas intervenus sur la partie physique, car c’était carrément du recyclage de l!exposition précédente. En revanche, sur la partie virtuelle, comme c’était une nouveauté, nous sommes intervenus en trois temps. 248 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Le premier, c!est qu!ils nous ont exposé le concept du scénario qu’ils avaient réalisé -donc le stade du synopsis, des intentions de l!expérience virtuelle […]. Puis nous sommes intervenus en allant en Dordogne faire les premiers tests avec l’équipe. Nous étions quatre ou cinq du Préhistomuseum. Nous avons testé et nous avons fait part de nos remarques, sur le champ des fonctionnalités, de l!expérience technique, voir comment ça fonctionnait, et sur le champ de l!adaptation du scénario. Donc le Préhistomuseum a mis un vrai petit grain de sel dans l’élaboration du produit. Enfin, troisième moment : l!ouverture au Préhistomuseum de l!exposition. Là, nous sommes les cobayes, c!est la première fois qu!un musée expérimente à grande échelle cette technologie particulière. Des réalités virtuelles il y en a, au musée, mais ici, elle a la particularité qu!elle utilise des Oculus, ces lunettes qui sont sans fil, autonomes, et qui posent une série de problèmes techniques. Et donc, aujourd!hui, nous collaborons avec l’équipe de Dordogne pour éliminer petit à petit tous les bugs qui arrivent encore. Le challenge qu!ils ont eu était de prendre une technologie domestique, des Oculus que tu peux utiliser chez toi pour faire de la réalité virtuelle, et en faire un usage intensif et professionnel. Et on voit bien que le matériel atteint ses limites. Parce qu!il est autonome, ça veut dire que tous les fichiers de réalité virtuelle sont dans chaque appareil, ce qui est très lourd. […]. Et donc petit à petit, on a vu que ça surchauffait un peu, donc on met en place des procédures pour laisser reposer les processeurs. Donc on collabore à ce niveau-là intensément, parce que ça pose quand même pas mal de problèmes. Et puis ils étaient aussi intéressés par nos développements dans le village des expériences, c!est-à-dire toute la pédagogie active qui accompagne l!exposition. Ça ce n!est pas leur activité principale, et d!ailleurs ils souhaiteraient proposer à d!autres musées des créations, des animations pédagogiques créées par le Préhistomuseum, et nous on s!en réjouit. Voilà un peu les termes de notre collaboration. Justement, le public qui se rend à l!exposition Lascaux Expériences visite-t-il aussi généralement le parcours permanent, ou est-ce vraiment juste pour l!exposition qu!il est là ? 249 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Alors, il faut que je regarde des chiffres de 2022 pour ça, alors je vais le dire plus ou moins. Je pense qu!un peu plus d!un visiteur sur deux vient pour l!expo. Et il le fait parfois avec le combiné, c!est-à-dire avec l!extérieur, mais c!est plus que cinquante pour cent qui viennent pour l!expo, principalement. Et est-ce que vous avez un public cible pour cette exposition, est-ce plutôt les familles comme le reste du musée ? Alors, classiquement, la cible du Préhistomuseum, ce sont les familles, et ici on a ciblé le public culturel. Et on a vu l!accroissement important de la clientèle d!exposition qui ne venait pas au Préhistomuseum. On a vu arriver le vrai public de musée, alors qu!avant, on avait du public des musées, mais aussi le public des centres de nature, des centres de plaisir ou de bien-être, de parcs. Donc notre public s!est vraiment orienté dans la lignée du public culturel, qui représente soixante pourcents de notre public, et quarante pourcents viennent pour le parc. De manière générale, pour l!instant, l!exposition a été un grand succès. C!est un grand succès, mais pas un aussi grand succès que je ne l!espérais, puisqu!on a un peu moins de visiteurs que je ne l!espérais, mais ça va peut-être s!arranger maintenant. Il ne faut pas oublier qu!en décembre, quand on a inauguré, il y avait encore des mesures draconiennes en matière de Covid. Janvier n’était pas joyeux non plus, et donc ça a pondéré les résultats attendus. Janvier et février ont été un peu plus lents à lancer, mais aujourd!hui on tourne à 350 personnes par jour, et c!est merveilleux. Est-ce que vous avez eu des retours du public sur l!exposition ? On n!a pas d’évaluation à proprement parler, donc je n!ai pas d!enquête qui ait été menée auprès du public. Mes sources d!information sont mes collègues de l!accueil, des casques, et de l!animation. Et le public est largement épaté par l!expérience de réalité virtuelle, et conquis. On a vu que pour la majorité du public, c!est leur première expérience de réalité virtuelle. Il y a quelques personnes qui ont déjà joué à ça mais pour la plupart des visiteurs, ce sont des premières visites virtuelles, et donc il y a un double effet magique. Il y a l!expérience de la virtualité, qui est quand même « waouh », et d!un autre côté, Lascaux, qui est quand même extraordinaire. Donc, notre public est très content, et le public qui pratique le village des expériences est toujours ravi de la qualité de l!accueil et de l!animation qu!il reçoit de nos archéologues. 250 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Je n!ai pas entendu de retours de mécontents ; il y a eu des déçus pour des problèmes techniques, certaines familles avec des enfants regrettent que les tout petits ne puissent pas le faire. Cela dit, l’équipe d!accueil a été très proactive, a mis en place un coin « enfants » où ils peuvent attendre papa et maman pendant qu!ils font l!expérience, et utiliser une tablette sur laquelle ils voient quand même Lascaux. Ils ont des animaux avec lesquels ils peuvent jouer. Donc il y a un coin pour les petits, mais l’équipe est arrivée à faire la visite avec des enfants de cinq ans, alors qu!au départ, le projet s!annonçait pour les enfants de douze ans. Or, un enfant de huit ans ça ne pose pas de souci, mais les plus petits, ils ont peur. Ils ont peur parce qu!ils sont tout seuls. Alors l’équipe d!accueil a mis en place un système qui fonctionne assez bien : on propose à Maman ou à Papa de le faire d!abord, et puis l!enfant le fait avec Maman ou Papa, en lui tenant la main. L!enfant a le casque sur la tête, et ça marche assez bien. C!est essentiellement le côté « peur » pour les petits, mais il y a des petits frondeurs : hier j’étais dans la salle d!expo, et un gamin de cinq ans […] était comme un poisson dans l!eau. C!est très variable. Certaines personnes ont eu, pas la nausée, mais un certain malaise, ça bouge quand même un peu. Et le seul souci, mais je gratte vraiment dans les tiroirs pour trouver des mécontentements, on nous dit parfois que ça va un peu vite. […] Le système fonctionne pour les contemplatifs, comme pour ceux qui veulent suivre le guide. Il y a deux types de cerveaux de visiteurs : ceux qui sont un peu plus explorateurs, qui vont se coucher par terre, rentrer la tête dans la maquette, bref oser essayer toutes les fonctionnalités que la réalité virtuelle permet. Et puis il y en a qui sont un peu plus conventionnels, ils suivent la boule consciencieusement. On voit d!ailleurs, quand on a beaucoup de visiteurs, comme c!est le cas aujourd!hui, qu!il y en a qui prennent trois ou quatre minutes de plus que d!autres, parce qu!ils ont pris leur temps, ils ont regardé autrement. Voilà, en gros, le bilan que je peux tirer actuellement. Donc vous n!avez pas eu de critiques de personnes qui pensent que ce n!est pas une expérience muséale, ce genre de projet ? La question ne s!est absolument pas posée à ma connaissance. Que du contraire, on a beaucoup plus de gens qui apprécient que ce type de technologie apparaisse en milieu muséal. Mais attention à cette question : ce n!est pas du tout une attraction, c!est Lascaux, que l!on peut voir autrement. Les qualités, c!est d!abord qu!on est tout seul. Et personne ne peut voir Lascaux tout seul : si tu vas à Lascaux II ou Lascaux IV, ce sera en groupe et en visite guidée. C!est sa première grande qualité. La restitution, en termes de qualité, est fidèle, puisque ce sont les fichiers du scan de Lascaux I, qui ont permis de faire Lascaux IV, qui sont à la base de ce que tu vois dans la réalité virtuelle. C!est un patrimoine virtuel. Le statut même de la virtualité, c!est que c!est une façon de voir de l!authentique de façon 251 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 virtuelle. Et pas comme je l!ai fait à Lady Sapiens8, en réalité virtuelle, où on est carrément dans de la reconstitution, dans une espèce de grand jeu. Ça n!a pas du tout le même statut. Ici, c!est un vrai statut de réalité virtuelle, dans un patrimoine authentique. Du coup la question ne se pose pas, car on donne à voir aux gens des choses qu!ils ne verraient pas autrement. Les gens sont assez contents, je n!ai point du tout entendu des gens remettre en cause la présence d!une telle expérience dans un musée. Évidemment, le Préhistomuseum est déjà un peu un musée particulier, on fait déjà beaucoup de choses que les autres musées ne font pas, donc chez nous, ça dénote encore moins. Pour vous, est-ce que ces nouvelles technologies vont être de plus en plus présentes dans le milieu muséal ? Je pense qu!elles sont bienvenues, dès l!instant qu!elles donnent à voir ce qui n!est pas possible avec l!authentique. Donc, il y a un bel avenir à cela, pour deux raisons. La première, c!est que ça ouvre le champ d!expériences muséales totalement inédites et innovantes, par rapport au patrimoine authentique. Imaginons, dans la peinture de primitifs flamands, tout ce qu!on pourrait faire pour entrer dans la peinture, voir des détails de scènes et autres. Ça permet beaucoup de choses, que ce soit dans la technologie des arts plastiques, ou les technologies préhistoriques. Pour te donner un petit exemple, on vient de faire des tests de démonstration de taille du silex avec une GoPro sur la tête, pour donner à voir sur écran ce que les gens ne voient pas quand ils regardent tailler, puisqu!avec une GoPro, je peux montrer réellement mes gestes et l!intelligence technique. Voilà un exemple de technologie — peut-être pas de la nouvelle technologie, quoique — qui vient en support à l!activité du musée. Il y a beaucoup d!avenir à ce genre de choses. La deuxième raison, c!est que ça va permettre aussi d!améliorer la conservation préventive du patrimoine fragile. Car on peut, virtuellement, donner à manipuler et à voir plein de choses qui ne risquent absolument rien, qui peuvent être soit dans leur réserve, tranquillement, soit dans un site. Donc ça ouvre les chakras pour que les musées puissent expérimenter de nouvelles façons d!entrevoir. La chose que je vois, évidemment, c!est que seul et sans un lien avec l!authentique, ça peut vivre ailleurs que dans les musées, ces technologies-là. Mais avec l!exposition physique complémentaire ou l!accueil des archéologues au Préhistomuseum, c!est une expérience muséale complétée par le virtuel, mais qui est une expérience globale. Sinon, on prend Lascaux, on le télécharge chez soi, et tu visites Lascaux comme tu l!as visité ici. Donc, je crois que l!utilisation des réalités virtuelles et de ces technologies-là en contexte muséal a un bel avenir, et à côté de ça il peut y en 8 Lady Sapiens, L’expérience en réalité virtuelle est une exposition en réalité augmentée, présentée dans le Cabinet de réalité virtuelle du Muséum d’Histoire naturelle de Paris, d’octobre 2021 à juillet 2022. 252 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 avoir un autre, le musée hors les murs, qui peut permettre aussi, chez toi, d!expérimenter certaines choses. Donc pour vous, la partie de l!exposition sans visiocasque est vraiment nécessaire pour justifier cette exposition ? Pas pour la justifier, mais elle permet de contextualiser, de comprendre. Tu as fait le tour, tu as vu aussi la technologie des tables interactives. Ça permet de comprendre des choses que l!on ne peut pas appréhender en ne faisant que la réalité virtuelle. Ou alors il faudrait presque qu!on expérimente la possibilité de mettre un guide humain dans la réalité virtuelle. Je veux dire, il y a du potentiel, on pourrait imaginer qu!au lieu d!avoir l!esprit de la grotte qui fait le job, d!avoir carrément quelqu!un qui est l!esprit de la grotte et qui va, avec son groupe, leur dire « Regardez ici ! » Enfin on pourrait animer en utilisant la virtualité. Tout est possible, parce que les technologies permettent des choses. Pour moi, c!est un haut potentiel de développement pour la médiation dans les musées en général, et la conservation. Justement, avec l!esprit de Lascaux, il y a toute une narration qui est construite dans cette exposition. Est-ce que c!est une façon de parler plus à un côté émotionnel du visiteur ? Ça c!est une longue discussion qu!on a eu avec les collègues français, parce que c!est une collègue française qui a rédigé ce texte. Il y a eu une discussion sur le ton qu!on va utiliser, le niveau de langage. Ça pourrait être tout autre chose, c!est un choix. Et que ce soit en exposition traditionnelle ou en réalité virtuelle, on est toujours confronté à ce choix du niveau de langage et de la cible à laquelle on s!adresse. Ici, le public cible a douze ans et plus. Le niveau de langage est simple, compréhensible par tout le monde, mais néanmoins un peu complexe. Mais ça c!est toujours la même chose, dans toutes les expositions, quand tu fais de la médiation, il y a toujours un réglage à faire. Quand c!est un médiateur qui fait la médiation, il s!adapte instantanément à son public, il règle son niveau de langage ; pourtant il fait la même animation, mais il ne la dit pas de la même manière. Il pourrait y avoir, dans la virtualité, un autre guide pour les enfants, ou pour les spécialistes. Mais je suis assez friand aujourd!hui des expositions qui choisissent un niveau de langage médian, compréhensible par tous, parce que les parents, les grands-parents, même les enfants, vont collaborer — après la réalité virtuelle évidemment, pas pendant. Voilà aussi un axe sur lequel tu me fais réfléchir, c!est qu!on pourrait faire qu!une famille interagisse pendant la visite. On pourrait, mais bon, on a essayé aussi de faire quelque chose de simple, efficace. 253 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Et la volonté de Lascaux, évidemment, c!est d!aller ailleurs dans le monde avec cette exposition-là, puisqu!on faisait la première mondiale chez nous. Après elle part en Italie, à Trento, et encore ailleurs, d!où un produit assez simple, avec une organisation réaliste dans le temps : l!expérience équipée-déséquipée fait vingt minutes. Et puis, il y a la question des jauges aussi. Si tu prends cette exposition-là et que tu vas la taper à Rome, tu ne dépasseras jamais les cinq-cents personnes par jour, pour faire l!expérience. Il y a vingt-cinq casques, c!est septante-cinq casques à l!heure, tu multiplies par le nombre d!heures d!ouverture. Pour l!utilisation individuelle de l!expérience virtuelle, il y a là une limite que des expositions traditionnelles n!ont pas, qui est la gestion des flux. Ici, clairement, on avait calculé ensemble, avec nos amis de Lascaux, le nombre maximum de visiteurs qu!on pouvaient accueillir par jour. Et ça implique que tu es obligé d!avoir une billetterie en ligne, des séances réservées. Par exemple, quand les visiteurs arrivent, on leur donne un bipeur, et on les appelle au moment où l!expérience commence, comme ça ils ont l!occasion de visiter l!expo sans le stress du temps. Il y a toute une réflexion technique et logistique de gestion des flux qui n!est pas simple, vu que tu ne peux pas promettre à mille personnes, sur la journée, de visiter Lascaux ; ce n!est pas possible. Ça c!est le corollaire de ce type d!expériences. Je parlais avec la directrice du Musée de l!Homme : ils ont mis Lady Sapiens quelque part dans le musée, c!est réservé à douze personnes par jour, pour des questions de gestion des flux. C!est comme l!ordinateur, dans une exposition traditionnelle, c!est une personne par ordinateur. Donc quand tu calcules les flux dans une exposition, moins il y a d!ordinateurs, plus c!est facile. Ou tu as les tablettes à embarquer, autre technologie, qui peuvent être là mais qui deviennent des pseudo-panneaux ou cartels. Toutes ces technologies-là, au service de l!exposition, elles sont bien, mais elles ont deux problèmes principaux, c!est la gestion des flux et les pannes techniques. Et le coût : ce"n’est"pas donné à tous les musées de pouvoir investir dans ce genre de technologie. Je ne le ferais pas de façon permanente, tellement c!est lourd en terme de suivi par l!humain pour que ça fonctionne. C!est vraiment très impressionnant comme expérience, on a vraiment l!impression d!y être, et j!imagine que pour beaucoup de monde, ça a dû être une émotion très intense. J!ai vu des gens pleurer. Carrément ? (Rires.) Et est-ce que vous pensez que ce genre de visite émotionnelle s!oppose à la réflexion et à la cognition du public, ou qu!au contraire, les deux sont liés ? 254 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Au contraire, les deux sont liés. Mais tu parles au directeur du Préhistomuseum, il faut savoir que nos objectifs en médiation, que ce soit dans une exposition ou l!accueil des publics, c!est de faire notre métier de médiateur en laissant tous nos cerveaux fonctionner simultanément, dont le cerveau sensoriel. Ressentir simplement les choses sans avoir la moindre explication est le meilleur moteur pour te rendre curieux d!apprendre après. Ce serait pour moi une erreur d!aborder les choses en les opposant ; au contraire, il faut les imbriquer les unes dans les autres. C!est la raison pour laquelle, quand on fait des visites guidées de l!exposition Lascaux, le médiateur intervient sur la partie physique. Il introduit le visiteur pour profiter au maximum de son expérience virtuelle, ou l!inverse : il reprend les visiteurs avec l’émotion brute de l!expérience virtuelle, et il va retisser des liens avec ce qu!on peut apprendre. Donc je n!oppose absolument pas les choses, elles se combinent, et c!est dans la combinaison qu!on est dans le champ de l!innovation. Bibliographie COLLINEAU Estelle, 2020 : La métamuséologie, un outil pour une muséologie évolutive, thèse de master en muséologie, Université de Liège. Disponible sur : https://matheo.uliege.be/handle/2268.2/11006 (consulté le 17 janvier 2023). DESVALLEES André & MAIRESSE François (dir.), 2011 : Dictionnaire encyclopédique de muséologie, Paris, André Collin, p. 133-169. MEST Océane & DURET Pauline, 2021 : « Le Préhistomuseum : deviens l’Homo Sapiens de ta tribu ! », Les Cahiers de Muséologie, n° 1, p. 151-158. Disponible sur : https://popups.uliege.be/24067202/index.php?id=881 (consulté le 10 janvier 2023). PREHISTOMUSEUM [en ligne], disponible sur : https://www.prehisto.museum (consulté le 17 janvier 2023). Notices biographiques Zélie Blampain Zélie Blampain est étudiante à l’Université de Liège où, après avoir obtenu son bachelier en histoire de l’art et archéologie, elle poursuit un master spécialisé en muséologie. Elle s’intéresse principalement à la subjectivité de l’expérience muséale, depuis sa création jusqu’à sa réception par les publics. Contact : zelieblampain@gmail.com 255 LES CAHIERS DE MUSÉOLOGIE – n° 3, 2023 Fernand Collin Fernand Collin, archéologue préhistorien, est directeur du Préhistomuseum et coresponsable du cours « Musée entre l'état et le marché » pour le master à finalité spécialisée en muséologie de l'Université de Liège. 256 ISSN 2406-7202 Coordonnées : Service de Muséologie Université de Liège Quai Roosevelt, 1B 4000 Liège - Belgique Contact : cahiersdemuseologie@uliege.be Éditrice en chef : Manuelina Duarte (mmduartecandido@uliege.be) Secrétaires : Ana Swartz Paredes, Elina Noris et Kim Cappart Assistante d’édition : Alix Nyssen Comité d’édition : Manuelina Duarte, Alix Nyssen, Ana Swartz Paredes, Kim Cappart, Édouard Nzoyihera, Jean-Louis Postula, Noémie Drouguet, André Gob, Mélanie Cornelis, Pierre-Jean Foulon, Thomas Briamont, Sébastien Pierre, Bel Lavratti, Anna-Lou Galassini, Floriane Paquay, Océane Mest, Mégane Fassin, Camille Hoffsummer, Elina Noris, Zélie Blampain et Noah Meunier. Comité de lecture international : Jean Tiago Baptista, Yves Bergeron, Nathalie Bondil, Thierry Bonnot, Isabelle Brianso, Bruno Brulon, Cristina Bruno, Serge Chaumier, Michel Colardelle, Gaëlle Crenn, Jean Davallon, Octave Debary , Michel Draguet, Philippe Englebert, Guido Fackler, Emilie Flon, Melissa Forstrom, Amareswar Galla, Nicole Gesché-Koning, André Gob, Geoffrey Grandjean, Aude Hendrick, Marie-Paule Jungblut, Joëlle le Marec, Anna Leshchenko, François Mairesse, Christian Michel, Raymond Montpetit, Adriana Mortara Almeida, Mário Moutinho, Placide Mumbembele, Nathalie Nyst, Giusy Pappalardo, Dominique Poulot, Mike Robinson, Mélanie Roustan, Martin Schaerer, Philippe Tomsin, Peter Van Mensch, Olga Van Oost, Ximena Varela, Richard Veymiers, Matthieu Viau-Courville, Boris Wastiau. Couverture et logo : Marek Olbinski