William James est un des principaux représentants du pragmatisme, courant philosophique qui définit la vérité par ses conséquences. Centré sur la notion d’expérience, il réclamait de la philosophie moins de spéculation et davantage...
moreWilliam James est un des principaux représentants du pragmatisme, courant philosophique qui définit la vérité par ses conséquences. Centré sur la notion d’expérience, il réclamait de la philosophie moins de spéculation et davantage d'action et proposa, a cet égard, un guide de pensée permettant la coexistence de points de vue contradictoires. Philosophe génial, James, le psychologue, fut également un des chefs de file du fonctionnalisme. Proposant une nouvelle synthèse des théories classiques, ses idées ouvertes et éclectiques sont empruntées de l'esprit américain.
Ce livre a été écrit pour le grand public. Cependant, les philosophes habitués aux expositions décontextualisées de la pensée y trouveront quelque chose de différent. Il est difficile aujourd’hui de lutter contre les misères de l'anti-historicisme, mais il n’est pas impossible d’y résister. Beaucoup de chercheurs lisent James de plus en plus aseptiquement et analytiquement. Néanmoins, j’ai préféré parcourir l'histoire, même si pour cela je dois saisir un radeau de plastique. Le fait que James soit un historiciste ne signifie pas que ce qui m’importe le plus est d'expliquer le mécanisme discursif si puissant que James a su développer. Bien que cette collection de livres omette les détails de référence des fragments mentionnés ci-dessus, les lecteurs disposent d'informations suffisantes pour atteindre les textes originaux, qui sont à lire.
Dans ce livre, James apparaît plus proche de Bergson qu’il n’y paraît à première vue. Les contraintes d'espace ne m’ont pas permis de mettre davantage l'accent sur la relation entre James et son collègue et cher ami français. Il aurait aussi été intéressant de davantage expliquer sa relation avec Théodore Flourney. Les années passant, plus je lis ce qu'il a écrit à propos de James, plus je pense que ce que disait mon collègue et ami, Sonu Shamdasani, est vrai: Flourney est l'auteur qui a le mieux compris James. J’ajouterai seulement quelque chose à ce que disait Sonu: l’un des meilleurs lecteurs de James en France était Jan Wahl. Peu mentionné mais fascinant, son livre Les Philosophies pluralistes d'Angleterre et d'Amérique (1920), devrait être lu par tous ceux qui veulent en savoir plus sur James.
Les lecteurs qui connaissent mon travail, "James et le malaise de la culture", savent déjà que j’ai toujours placé James aux côtés de Nietzsche. Mais j’ai mes raisons. Une lecture attentive de Varieties révèle que James a pris très au sérieux La généalogie de la morale de Nietzsche. Cependant, proposer ce type de comparaison suppose un anathème pour tous ceux qui considèrent James comme une sorte de flamboyant puritain, bien que pieux. Cela déplaît beaucoup à ces apôtres protestants qui sont prisonniers de la rectitude politique et de la philosophie édifiante, mais aussi au nouveau catholicisme européen, qui reprend James pour se revêtir avec des autres costumes. Mais il n’y a pas de quoi s’inquiéter ; il faut rester tranquille. James n’était pas aussi naïf que certains le voudraient, mais il n’était pas aussi dangereux que Nietzsche. Dans le livre, j’explique le genre de tensions qui l’habitaient et comment il a limité ses guerriers emportements.
James n’était pas un pessimiste, mais il n’était pas non plus ce genre d’optimiste que certains s’imaginaient. Pas besoin de beaucoup creuser pour découvrir leurs diatribes chauffées contre les idéalisations, les utopies et les paradis, célestes ou terrestres. De plus, je n’exagère pas quand je dis qu’il est mal à l'aise avec certains idéaux pacifistes. Le débat est très complexe, mais le livre fournit des arguments suffisants pour penser que l'éthique de James était beaucoup plus provocatrice que beaucoup de ses fidèles le souhaitaient. Je ne dis pas que leur éthique est une éthique belligérante, mais je nie qu'elle soit une éthique de la réconciliation. Je suppose que ma tendance à jouer les trouble-fête s’explique par le fait que je m’entends à la fois avec des jungiens que des freudiens. On dit que les jamesiens s’entendent mieux avec les jungiens qu’avec les freudiens mais je pense que dans le livre, l'ombre de Freud y est plus développée. James ne s’est pas entendu ni avec les idées de Freud ni avec son caractère. Comme il le dit dans une lettre à Flournoy: "Le symbolisme est une méthode dangereuse" (John Kerr a utilisé cette phrase dans son livre, A Dangerous Method, et elle a été, à son tour, à l’origine du film homonyme de David Cronenberg). J'ai l'impression que James n’aurait pas sympathisé non plus avec les théories de Jung: l'attitude de James autour de la religion me semble peu liée à la jungienne, surtout parce qu’elle va à l’encontre de l'utilisation de symboles. James était surtout intéressé par la religion vécue sans médiation, sans rites, sans symboles ou images. Cependant, Jung a déploré l'appauvrissement des symboles dans la culture moderne. En utilisant ces mots au sujet de la Réforme chez Archetypes of the Collective Unconscious (1934), on dirait que, tout comme le vœu chrétien de la pauvreté a tenté de séparer les hommes des fausses richesses du monde, le vote jamesien de «pauvreté spirituelle» était destiné à abandonner les fausses richesses de l'esprit. (Rappelez-vous d'ailleurs que James a comparé son pragmatisme avec une Deuxième Réforme).
Malgré tout, je pense que j'ai appris de certains chercheurs de Jung (Sonu Shamdasani) ainsi que des chercheurs de Freud (Peter Gay). Ainsi, en plaçant James dans son contexte, ma sympathie irrépressible de l'athéisme freudien ne m'a pas empêché d'avoir à l’esprit l'autre aspect de la psychologie du XXe siècle.