La plupart des travaux portant sur les emprunts au jazz dans la musique savante reposent sur un modèle comparatiste. Ils visent à identifier des points communs et des différences entre les répertoires auxquels les compositeurs choisissent de faire référence – lorsque les sources disponibles permettent de les identifier – et les œuvres analysées. Sont ainsi étudiés les points de départ et d’arrivée d’un processus dont les dynamiques demeurent en revanche un point aveugle.
Or, depuis les années 1980, les travaux de Michel de Certeau puis de Roger Chartier sur la lecture ont mis en évidence sa dimension créative, inventive et productive. La lecture, et plus généralement, la réception des objets culturels, s’est ainsi vue définie comme un « braconnage », plutôt que comme un processus d’assimilation passif.
Cette créativité de la réception fut à l’origine de nouveaux travaux, cette fois dans le domaine de l’histoire de la circulation des biens culturels. La collaboration de deux chercheurs, Michel Espagne et Mickael Werner, a débouché sur l’élaboration d’une méthode, dite des « transferts culturels», qui s’attache à mettre en évidence les changements de signification qui s’opèrent lorsqu’un bien culturel est importé dans un milieu et dans un contexte étrangers.
Appliquées à la musique, et plus précisément aux emprunts effectués par des compositeurs savants au jazz, les approches proposées par l’histoire de la lecture et par celle des transferts culturels incitent à ne pas se limiter à une démarche comparatiste dont la finalité serait d’identifier des répertoires utilisés par les compositeurs ou d’évaluer le degré de fidélité des œuvres savantes qui les convoquent.
Ces différentes approches invitent à envisager l’utilisation du jazz par des compositeurs contemporains comme une appropriation plutôt que comme une tentative d’imitation passive, à travers laquelle ne serait visée qu’une ressemblance, forte ou faible.
Des entretiens avec le compositeur Ofer Pelz (
http://oferpelz.com) et une analyse d’Unisono pour guitare seule (2008) permettront de montrer comment une telle interprétation dépend du genre de jazz dont le compositeur s’inspire, de la manière dont il a pu en prendre connaissance, mais également de ses préoccupations esthétiques ou stylistiques à un moment donné de son propre parcours artistique.