Le rapport entre texte et image est sans cesse réactivé par la recherche actuelle, car ce sont par les textes que l’on peut appréhender quelles étaient les manières de voir, de comprendre et d’utiliser l’image au moyen-âge. Les relations...
moreLe rapport entre texte et image est sans cesse réactivé par la recherche actuelle, car ce sont par les textes que l’on peut appréhender quelles étaient les manières de voir, de comprendre et d’utiliser l’image au moyen-âge. Les relations intellectuelles qu’entretiennent avec l’image, artisans et spectateurs ne peuvent qu’être perçues à travers la compréhension des représentations dont les écrits témoignent. Une double médiation, images, et images décrites ou évoquées par les textes, implique un double encodage, un double décodage, de multiples auteurs et de multiples narrataires. Autant de complexité a de quoi perdre l’historien de l’art.
Et pourtant, les deux moyens d’expression ont cela en commun qu’ils poursuivent inévitablement un but premier : la pertinence afin d’être compris. C’est la base de la communication. Ce sont les buts secondaires inhérents à chaque texte et chaque image qui, souvent, égarent le chercheur. Si l’on considère l’image, ainsi que le texte comme véhicules de significations propres, ils nécessitent obligatoirement d’être conçus en regard de codes préexistants. Que ces codes partagés soient basiques (parler la même langue) ou complexes (interprétatifs), ils supposent que le récepteur, le spectateur visé puisse en comprendre les significations.
La grande part d’inconnu est contenue dans l’implicite qui se transmet, entre l’objet et la signification qui lui est donnée au moyen-âge. Implicite qui n’est évidemment pas mentionné dans les écrits. Il peut être de plusieurs ordres, typologique par exemple, il est normal qu’un médiéval instruit comprenne le sens d’une mention vétéro-testamentaire, (Epouse du Cantique des Cantiques) reliée à une représentation néo-testamentaire (Vierge Marie) . Le résultat en fait une figure de l’Ecclesia. L’implicite relève d’une compréhension commune et sans équivoque d’un même paradigme de pensée, si bien ancré qu’il est inutile de l’énoncer. Le problème que soulève cette question de l’implicite appartient à la problématique de la réception. Or on ne peut admettre que les images étaient comprises uniformément par le fait qu’il n’y ait pas de textes qui témoignent d’une réception . Il est seulement possible, parfois, de dégager plusieurs niveaux de compréhension, selon le public, laïcs, clercs, moines, et selon le lieu des images, portails, chœurs, manuscrits... Et cela se complexifie, grâce à une polysémie, une superposition de couches herméneutiques organisée en concordance. Cette attitude globale face au sens semble relativement bien ancrée dans la pensée médiévale.
Que penser des descriptions d’œuvres d’art au moyen-âge ? Les monuments fictifs ou réels, décrits dans la littérature médiévale ne sont pas forcément dessinables sur papier. La description d’œuvres, en tant que produit textuel, ne saurait être comprise directement comme élément informatif de l’aspect de l’œuvre. La représentation, tout comme la description, obéissent à des règles, des conventions. C’est un exercice périlleux que de tenter de transformer une description en image. Une telle tentative peut se lire, à propos des encensoirs tels qu’ils sont décris dans le Schedula diversarium artium de Théophile . L’auteur de l’article propose un dessin des deux encensoirs selon les explications de Théophile, mais reconnaît que la démarche pose un problème . Néanmoins, ce que confirme cette tentative de la recherche, c’est qu’il semble relativement difficile de se représenter l’objet par sa seule description textuelle.
C’est encore plus hasardeux d’affirmer que le rédacteur de la description ait bien vu l’image dont il parle . L’un des meilleurs exemples tiré de l’étude de M. Van der Grinten est celui d’un évêque de Ravenne qui avoue ne pas pouvoir dire quelles sont les quelques lignes poétiques sous les images, car il n’arrive pas à les voir clairement. Il a donc bien vu les images dont il parle. En revanche, notre accès à ce témoignage, évidemment textuel, se fait à travers un cadre très défini : Agnellus décrit une iconographie courante, et ajoute une interprétation des détails de représentation, qui ne sont ni visibles sur la représentation, ni familière à la tradition. La différence entre voir et décrire s’illustre assez bien dans cette situation. Mais son témoignage est un cas isolé. La plupart du temps, il est impossible de prouver l’engagement personnel du rédacteur dans l’acte de voir, ce qui peut donc inclure une médiation, voire plusieurs, comme un autre texte que le rédacteur aura copié, un autre témoin oculaire qui le lui aura raconté. A force de rajouter des intermédiaires, que reste-il, si ce n’est de fortes tendances à la conventionnalisation de la description, peut-être au détriment de l’objet qu’elle est supposée décrire ? La description obéit à un code littéraire spécifique propre à l’époque, tout comme la compréhension d’un objet, ou d’un support de représentation répond à des codes préétablis. D’une manière générale, la description en soi ne saurait être objective, parce qu’elle émane d’une volonté de traduire linéairement une donnée visuelle simultanée. En tant qu’écrit, la description est un type explicatif de l’expression écrite, mais sa frontière avec le domaine narratif est indécise de base .
La réutilisation de sources antérieures dans les textes est aussi un phénomène problématique. Lorsqu’un auteur réutilise un élément descriptif, est-ce parce qu’il convient à la chose décrite, ou est-ce pour montrer son érudition ? Où encore, fait-elle partie d’une habitude de travail rédactionnel ? Cette réutilisation, probablement consciente, pourrait provenir de la pratique de la compilation et de l’apprentissage par cœur des textes. Certains topoi ont une très longue survie dans les textes. Ainsi, lorsque Baudri de Bourgueil (1060-1130), dans son poème à la comtesse Adèle , mentionne des fourmis grosses comme des chats vivants dans des sables aurifères, il est tentant de rapporter ces éléments aux Enquêtes d’Hérodote qui rapporte les quatre mêmes éléments, des fourmis, de taille anormale, qui vivent dans le sable et en rapportent de l’or . Les sources réutilisées, transmises par les chemins les plus divers peuvent donc remonter très loin dans le temps, ce qui tendrait à prouver une certaine fixité, mais une très grande richesse, des associations qu’un médiéval peut concevoir.
L’autre problème généré par la description, c’est qu’il n’est pas évident qu’elle serve un but en soi. Décrit-on vraiment au moyen-âge pour informer un lecteur d’un aspect extérieur d’un objet ? La plupart du temps, la description s’inscrit dans une intention. Raoul ne s’attarderait peut-être pas sur l’insigne d’Henri II s’il ne pensait pas matérialiser une certaine vision de cet empereur au moyen de cette description. Et si l’on reprend le texte de Théophile et des encensoirs, Marie-Thérèse Gousset est forcée d’admettre qu’il s’agit d’une description d’un encensoir idéal, car la profusion d’éléments iconographiques ne saurait tenir sur un tel support. Un exemple plus tardif, le Libellus de formatione arche (1128) d’Hugues Saint-Victor, décrit également une représentation idéale de l’arche de Noé . Cerner l’intention des textes proposant une description est donc essentiel avant toute analyse plus profonde des relations complexes que peuvent entretenir textes et images.
Un autre aspect, peut-être moins étudié, est la relation indirecte entre texte et image. Un texte peut se révéler discours imagé, dans le sens qu’il convoque des conceptions figurées, comme l’image du Christ devenant signe céleste chez Adémar de Chabannes . Ces conceptions figurées ont également une valeur en tant qu’images dans un texte, et peuvent être traitées en rapport avec l’évolution des objets concrets. Dans le cas d’Adémar, la convocation de cette image pourrait être interprétée en lien avec le culte grandissant de la croix et le succès de l’objet concret du crucifix au XIème. L’établissement de ce type d’interprétations, croisant plusieurs domaines (texte, art, liturgie) à plusieurs niveaux (vision individuelle, élaboration dans le temps, généralisation sociologique) doit également être soumis à l’examen critique du rapport entre texte et image.
De la même façon, une image peut mettre en scène du texte, que ce soit des tituli, des initiales ornées, ou un incipit encadré. Leur rapport peut être également biaisé par bien des choses, et parfois ce biais est difficilement qualifiable. Dans le cas des chapiteaux de Cluny, deux tituli répètent deux fois le même thème sur deux faces d’un chapiteau . Qu’en conclure ? Une erreur du sculpteur, une ancienne ou nouvelle forme de représentation de cette iconographie ? Les difficultés d’utilisation de la combinaison texte et image sont sans fin.