Fruits d’une ethnographie de cinq mois réalisée en collaboration avec des organismes inuit et autochtones de la ville d’Ottawa, cette thèse de maîtrise s’attache à analyser la diversité et la complexité des expériences urbaines telles que...
moreFruits d’une ethnographie de cinq mois réalisée en collaboration avec des organismes inuit et autochtones de la ville d’Ottawa, cette thèse de maîtrise s’attache à analyser la diversité et la complexité des expériences urbaines telles que vécues et racontées par dix-neuf jeunes Inuit, âgés de dix-huit à trente-cinq ans, habitant Ottawa. Cette étude révèle que la majorité des jeunes interrogés et côtoyés se positionnent et négocient, de manière transversale à leur parcours urbain, leurs interactions d’après leur relationalité (Wilson 2008), c’est-à-dire selon les relations dans lesquelles ils s’insèrent et qu’ils entretiennent avec différents agents ― humains et non humains ― au sein des mondes réels et spirituels qui sont en présence à Ottawa. En vue de leur maintien et de l’atteinte d’un équilibre, ces relations sont en constante négociation au fil de leurs expériences personnelles et collectives. Cette relationalité influence l’agentivité (Poirier 2008, 2009) de ces jeunes faisant ainsi en sorte qu’ils soient à la fois attentifs à leurs pensées, à leurs attitudes et à leurs actions quotidiennes compte tenu de leurs interconnexions.
Dans cette thèse, plusieurs dimensions de leurs parcours sont abordées et mises en relation. L’aisance des jeunes au sein de la ville est d’abord étudiée. Leurs témoignages soulignent les difficultés expérimentées au plan relationnel au fil de leur parcours à Ottawa ― allant de leur arrivée en ville à leur vie quotidienne, en passant par leur installation ―, et ce selon leurs expériences migratoires, urbaines et nordiques précédentes, de même que les ressources auxquelles ils ont accès. En vue de contrer leurs sentiments de « déconnexion » et de malaise, l’agentivité de ces jeunes est apparue orientée vers la création et l’entretien de relations leur étant significatives. Pour ce faire, les jeunes découvrent leur quartier, construisent des histoires avec de nouveaux espaces, lieux et personnes, se rassemblent avec des personnes partageant leur compréhension du monde et au sein de lieux reflétant cette compréhension. Cela s’effectue plus précisément par l’aménagement de zones de confort mobiles ― des amis inuit et autochtones fournissant à leurs explorations un cadre familier ― et par leur participation à des interactions et activités à l’intérieur d’espaces de convergence inuit et autochtones, leur procurant les bases nécessaires pour s’engager et s’affirmer avec aisance au sein de mondes leur paraissant préalablement étrangers.
Les objectifs associés à leur présence à Ottawa sont ensuite analysés. Ces motifs, enchâssés à des dimensions à la fois personnelles et collectives, guident les jeunes au fil de leur parcours urbain. D’une part, les jeunes interrogés disent profiter de leur présence à Ottawa pour mieux se positionner au sein de mondes inuit en (re)trouvant un certain bien-être personnel, c’est-à-dire qu’une majorité y saisit l’occasion d’affirmer leurs préférences personnelles ou orientations sexuelles, d’abandonner des dépendances, de se renouveler ou encore de se responsabiliser et de gagner en autonomie. D’autre part, se retrouver à Ottawa est aussi pour plusieurs l’opportunité d’acquérir, autant par l’entremise de centres inuit que d’institutions postsecondaires, des outils et des connaissances qu’ils pourront mettre à profit au sein de leur famille, de leur communauté et de leur peuple dont ils sont mandataires et redevables; que ce soit pour combler des besoins quotidiens ou atteindre des aspirations collectives. Ces démarches aboutissent pour certains en une plus grande cohérence entre leur identité et leur personne grâce à la force de caractère (inuusiqattiarniq) qu’ils y gagnent.
Les relations entretenues par dix-sept de ces jeunes au sein des mondes inuit selon les rôles de leaders qu’ils occupent sont finalement étudiées. D’un côté, on y comprend comment ils sont amenés à devenir des leaders à travers leurs expériences postsecondaires par les critiques sociales et politiques qu’ils y formulent et par l’entremise des réseaux inuit et autochtones militants qu’ils créent et intègrent, ce qui les motive à s’engager, de différentes formes, à Ottawa pour la défense et la résurgence du peuple inuit. D’un autre côté, on saisit comment ces jeunes s’affairent, non sans contradictions ni tensions, à correspondre à l’idéal du leader attendu de leur communauté : être des personnes exemplaires. En ce qui les concerne, il s’agit autant de faire preuve de sobriété et d’avoir des relations saines que de maîtriser leur langue, leur histoire et d’être attentifs aux critiques exprimées à leur égard par des membres de leur collectivité.