1996 EUI WP JeanMonnet 037
1996 EUI WP JeanMonnet 037
1996 EUI WP JeanMonnet 037
EUR
lz
Wf-1 vi .0
fhe R obert S chum an C e n tre
P ierre R o s a n v a l l o n
État-providence et
citoyenneté sociale
U ROPEAN UNIVERSITY INSTITUTE
37
The Jean Monnet Chair was created in 1988 by decision of the Academic
Council of the European University Institute, with the financial support of
the European Community. The aim of this initiative was to promote studies
and discussion on the problems, internal and external, of European Union
following the Single European Act, by associating renowned academics and
personalities from the political and economic world to the teaching and
research activities of the Institute in Florence.
WP
3£0
EUR
>8LC Te° * ‘
1996
citoyenneté sociale
État-providence et
P ierre R osanvallon
© Pierre Rosanvallon
Printed in Italy in September 1996
European University Institute
Badia Fiesolana
1-50016 San Domenico (FI)
Italy
Digitised version produced by the EUI Library in 2020. Available Open Access on Cadmus, European University Institute Research Repository.
Table des matières
Introduction p. 7
La citoyenneté sociale p. 8
Refaire nation p. 21
Biographie p. 27
© The Author(s). European University Institute.
Digitised version produced by the EUI Library in 2020. Available Open Access on Cadmus, European University Institute Research Repository.
Digitised version produced by the EUI Library in 2020. Available Open Access on Cadmus, European University Institute Research Repository.
Introduction
La citoyenneté sociale
4 Intervention à l’Assemblée nationale constituante, le 6 août 1946. Voir sur ce point les
nombreux textes de cette tonalité cités dans Alain Barjot (éd.), La Sécurité sociale. Son
histoire à travers les textes, L III 1945-1981, Paris, Association pour l’étude de l’histoi
re de la Sécurité sociale, 1988.
5 Article “Économie politique” de l’Encyclopédie de Diderot et d’AlemberL
6 Cf. Mona Ozouf, La Fête révolutionnaire, 1789-1799, Paris, Gallimard, 1976.
7 Cf. les décrets des 26 novembre 1792 et mai 1793. Voir sur ce point les travaux pion
niers de Guy Thuillier, et en particulier son article “Les secours aux parents indigents
des défenseurs de la patrie de 1794 à 1796”, Bulletin d ’histoire de la Sécurité sociale,
n° 17, janvier 1988.
Digitised version produced by the EUI Library in 2020. Available Open Access on Cadmus, European University Institute Research Repository.
10
secours de toute espèce sont encore offerts à eux et à leurs parents. Cette partie
du code est celle dont les dispositions sont les plus étendues”8. Pendant toute la
période du Directoire, ces formes d ’assistance patriotique restent très actives,
finissant par former à la veille du 18 Brumaire un vaste dispositif.
8 Projet reproduit par Guy Thuillier dans le Bulletin d ’histoire de la Sécurité sociale, n°
17, janvier 1988, p. 90.
9 Theda Skocpol, Protecting Soldiers and Mothers: The Political Origins o f Social Policy
in the United States, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1992.
10 Cf. ci-dessus.
Digitised version produced by the EUI Library in 2020. Available Open Access on Cadmus, European University Institute Research Repository.
11
Prenons un exemple simple, celui des retraites. On sait maintenant avec pré
cision quelles sont les espérances de vie et donc les durées de la retraite des
diverses catégories socio-professionnelles. On peut ainsi calculer les différents
“délais de récupération” des cotisations, c’est-à-dire le nombre d’années de re
traite nécessaires pour obtenir un “remboursement virtuel” des contributions
versées11. Les inégalités constatées dans ce cadre sont très nettes: la durée de
perception de la retraite du cadre supérieur est en moyenne de 17 ans, contre
moins de 15 ans pour l’employé. On comprend du même coup la relative perte
de confiance des Français dans leurs retraites: beaucoup craignent de “ne pas en
11 Cf. Sophie Porthieux, Assurance-vieillesse: un essai de mesure des écarts entre catégo
ries de salariés, Paris, Documents du CERC, janvier 1992.
Digitised version produced by the EUI Library in 2020. Available Open Access on Cadmus, European University Institute Research Repository.
12
Nous entrons pour cette raison dans un âge post-rawlsien de la réflexion sur
le social. Avec sa Théorie de la justice fondée sur la définition d’un principe de
justice formulé sous voile de l’ignorance, Rawls a en fait théorisé le type d’État-
providence qui est en train de s’effacer actuellement. Ce dont nous avons besoin
aujourd’hui, c’est d ’une approche de la justice “sous le soleil de la connaissan
ce” des différences entre les hommes.
La règle politique se donne comme règle de droit car elle entend instituer une
norme universelle. Les lois sont faites à distance des individus concrets, elles
entendent saisir l’homme dans sa généralité; et elles fondent leur acceptabilité
sur cette caractéristique. Mais les choses fonctionnent de moins en moins de
cette manière dans les faits. On doit maintenant faire des réglementations politi
ques dont on sait qui elles concernent. Cela conduit à confondre de plus en plus
l’exercice de la politique avec celui de la recherche de la justice, à distance plus
grande d’une simple gestion passive de la règle de droit. D’où les conflits nou
veaux qui structurent en retour notre société. Ce ne sont plus seulement des
conflits de répartition, dans une optique traditionnelle de lutte des classes: ce
sont de plus en plus des conflits d'interprétation sur le sens de la justice15.
C’est une leçon que l’on peut tirer de nombreux conflits sociaux de ces dix
dernières années: la notion de justice ou d’équité prend le pas sur celle de défen
se des intérêts dans la logique revendicative. Ce n’est pas pure rhétorique, façon
15 Rappelons que pour Aristote, la justice désigne un problème qui se caractérise par le
fait qu’il n’a pas de solution théorique possible (le juste n’est pas définissable a priori):
sa solution est toujours pratique, liée à l’expérience. La justice, en d’autres termes, est
toujours une convention. En économie, on retrouve l’équivalent de cette réflexion à tra
vers toutes les théories sur les fondements de la valeur. Cf. sur ce point les remarques
stimulantes de Cornélius Castoriadis, “Valeur, égalité, justice, politique: de Marx à
Aristote et d’Aristote à nous”. Textures, n° 12-13, 1975.
Digitised version produced by the EUI Library in 2020. Available Open Access on Cadmus, European University Institute Research Repository.
16
de dissimuler un intérêt égoïste derrière une noble valeur. Cela va plus loin.
C’est aussi le signe de l’entrée dans un nouvel âge du social, où l’impératif indi
vidualiste de l’égalité devant le droit tend à prendre le pas sur la notion de
défense des intérêts collectifs. Cela donne une importance nouvelle à la délibé
ration sociale et politique. La gestion des conflits devient désormais inséparable
d’un effort pour trouver un consensus sur les catégories du juste et de l’injuste.
Pour prendre un exemple, c’est quelque chose qui était très perceptible dans le
grand conflit des routiers en 1992. Le mouvement était fondé sur la dénoncia
tion de l’injustice qu’il y avait à doter du même nombre de points sur leur
permis de conduire des professionnels qui roulaient 100.000 kilomètres par an
et des conducteurs occasionnels. C’est le principe rawlsien d’une égalité dans la
distribution des biens primaires qui était refusé dans ce cas. L’enjeu du conflit
certains pays d’Europe du Nord. Cf. sur ce point les analyses d’ Jain Bergounioux
Bernard Manin, Le Régime social-démocrate, Paris, PUF, 1989.
Digitised version produced by the EUI Library in 2020. Available Open Access on Cadmus, European University Institute Research Repository.
18
Ce n’est pas en tant que membres de la cité, et ayant à ce titre des droits so
ciaux, que les minorités cherchent aujourd’hui à bénéficier de transferts publics
aux États-Unis: c’est en mettant en avant leur statut de victimes. Victimes d’un
dommage actuel, mais aussi victimes d’une injustice passée. C’est ce qui expli
Les minorités et les groupes défavorisés réclament aux États-Unis des aides
publiques à titre de compensation d’un dommage subi et non pas comme déri
vant d’un droit à une certaine part du gâteau national. Les luttes sociales tradi
tionnelles pour la répartition cèdent dans ce mouvement la place à un nouveau
type de conflictualité fondé sur l ’interprétation des catégories juridiques. C’est
devant la Cour suprême et non pas sur le terrain de la lutte des classes que se
joue désormais la question de la justice sociale aux États-Unis.
' 8 Voir sur ce point l’ouvrage classique de Shelby Steele, The Content o f our Character. A
New Vision o f Race in America, New-York, St Martin Press, 1990. Steele estime dans
cet ouvrage que l’usage permanent d’une rhétorique de la victimisation pour fonder les
revendications et les droits de la communauté noire a conduit à un affaiblissement de
cette dernière, les individus comptant de plus en plus sur la société et de moins en
moins sur eux-mêmes pour changer les choses.
Digitised version produced by the EUI Library in 2020. Available Open Access on Cadmus, European University Institute Research Repository.
20
Les États-Unis suivent actuellement d’une certaine façon la voie inverse des
pays européens. En Europe, on l’a rappelé, la construction de l’État-providence
s’est historiquement identifiée avec la mise en place d’une société assurancielle
fondée sur le principe de socialisation de la responsabilité (passage de la notion
de faute à celle de risque). Cette société assurancielle n ’a jamais existé aux
États-Unis. Même si le Président Clinton a péché pour son avènement avec son
projet de réforme de la santé, le mouvement de fond des institutions et des
mœurs ne va pas dans ce sens. Même la gauche, ceux qu’on appelle outre-
Atlantique les libéraux, attendent plus dans leur ensemble d ’une extension des
droits civils que d’une affirmation des droits sociaux.
Perceptible depuis les années 1970, cette tendance n’a fait que s’accentuer
avec l’avènement d ’une société multiculturelle. La pensée libérale tend de plus
en plus à mettre l’accent sur l’idée d’autonomie: le principe de base de la vie
sociale devient de donner à chaque individu, et à chaque groupe, la possibilité
de vivre selon les principes et avec le mode de vie qu’il souhaite. Les valeurs
sociales centrales sont la tolérance beaucoup plus que la solidarité et l’impartia
lité beaucoup plus que l’égalité20 La “bonne société” est celle qui permet la
coexistence pacifique des différences; ce n’est plus celle qui assure l’insertion.
Le principe de citoyenneté n’implique plus une exigence de redistribution dans
ce cadre, il se réduit à la confiance commune dans la loi civile organisatrice de
1’ autonomie.
A la limite, la société devient pensée avec les principes anciens du droit des
gens, quand ceux-ci cherchaient à définir au XVIIe siècle les conditions de la
paix entre nations, c ’est-à-dire entre corps politiques séparés. Les États-Unis
tendent du même coup à se tranformer en un assemblage de quasi-nations21 qui
se contentent de mettre en place un simple modus vivendi. C’est donc un modèle
complètement aux antipodes de celui qui fonde le renouveau de l’État-
Refaire nation
20 Cette question de la tolérance est au centre du dernier ouvrage de John Rawls, Political
Liberalism (New-York, Columbia University Press, 1993) qui marque une nette infle
xion par rapport à sa Théorie de la justice. Political Liberalism rend plus manifeste
l’enracinement de la pensée de Rawls dans l’expérience constitutionnelle américaine.
Son interrogation principale concerne dorénavant les conditions de viabilité d’une
société multiculturelle: le problème essentiel à résoudre, explique-t-il, est de “savoir
comment il est possible que puisse exister une société juste et libre, formée de citoyens
égaux, si elle est profondément divisée religieusement, philosophiquement et morale
ment” (p. XXV).
21 On y parle d’ailleurs significativement de “nation noire” ou de “nation indienne”. Cf.
les analyses de Andrew Hacker, Two Nations: Black and White, Separate, Hostile,
Unequal, New-York, Macmillan, 1992 (faisant bien sûr écho à Disraeli, qui considérait
en 1845 dans son roman Sybil or the Two Nations les riches et les pauvres comme for
mant en Angleterre deux nations séparées).
Digitised version produced by the EUI Library in 2020. Available Open Access on Cadmus, European University Institute Research Repository.
22
22 Cf. Alan Caim et Cynthia Williams (ed.) Constitutionnalism, Citizenship and Society in
Canada, 2 vol., University of Toronto Press, 1985.
Digitised version produced by the EUI Library in 2020. Available Open Access on Cadmus, European University Institute Research Repository.
23
23 Sans être strictement fondé sur la nationalité, le droit à la protection sociale est dérivé
du fait de la vie commune. Un arrêté du Conseil constitutionnel français en date du 13
août 1993 précise que “les étrangers jouissent des droits à la protection sociale, dès lors
qu’ils résident de manière stable et régulière sur le territoire français”. Voir J.J.
Dupeyroux et Xavier Prétot, “Le droit de l’étranger à la protection sociale”. Droit
social, janvier 1994. Mais il faut bien sûr distinguer le droit à la Sécurité sociale, fondé
sur le versement de cotisations, du droit à l'aide sociale.
24 Voir l’article très substantiel de Jean-Michel Carrié, “Les distributions alimentaires
dans les cités de l’empire romain tardif’, Mélanges de / ’École française de Rome
(Antiquité), tome 87, 1975.
Digitised version produced by the EUI Library in 2020. Available Open Access on Cadmus, European University Institute Research Repository.
24
25 William James, “The Moral Equivalent of War”, in The Writings o f William James,
New-York, Modem Library, 1968.
26 Michael Walzer, “Socializing the Welfare State”, in Amy Gutmann (ed.), Democracy
and the Welfare State, Princeton, Princeton University Press, 1988, p. 17.
Digitised version produced by the EUI Library in 2020. Available Open Access on Cadmus, European University Institute Research Repository.
25
s’exprime de façon plus complexe. La sympathie décrite par Adam Smith dans
sa Théorie des sentiments moraux et la dette sociale théorisée par Rousseau ne
peuvent dorénavant plus être séparées. La faveur dont semble jouir l’idée de
service civil témoigne de cette évolution30.
Il faut ainsi se méfier de croire que l’on peut recréer par décret l’équivalent
moral d’une guerre. C ’est par des voies plus ordinaires qu’il faut tâcher
aujourd’hui de refaire nation. Mais on n’évitera pourtant pas la nécessité de
dramatiser le contrat social pour aller de l’avant. Une certaine théâtralisation de
la dette sociale reste en effet toujours une des fonctions essentielles du politique.
La politique a pour tâche de contribuer à mettre en forme le lien social, en le
rendant plus lisible et plus visible*.
30 D’après le sondage cité ci-dessus, 93% des personnes interrogées se disaient favorables
à un service civil (dans la police, l’action sociale, l’environnement, etc.), 80% estiment
en outre qu’il devrait être ouvert aux femmes.
* Ce texte reprend de larges passages de l’ouvrage La Nouvelle Question sociale. Repen
ser l ’Etat-providence. Paris, Éditions du Seuil, 1996.
Digitised version produced by the EUI Library in 2020. Available Open Access on Cadmus, European University Institute Research Repository.
27
Biographie
1. C h r ist o ph B er t r a m /Sir 8. Ro g er G. N o ll
J u l ia n Bu l l a r d / The Economics and Politics of
LORD COCKFIELD/ Sir DAVID Deregulation,
H a n n a y / m ic h a e l P alm er October 1991, pp. 89
Power and Plenty? From the
Internal Market to Political and 9. ROBERT TRIFFIN
Security Cooperation in Europe, IMS International Monetary
April 1991, pp. 73 System - or Scandal?,
March 1992, pp. 49
2. R o b e r t G elpin
31. S a b in o C a s s e s e
The Difficult Profession of
Minister of Public
Administration
December 1995, pp. 31
33. R o d A.w. R h o d e s
Towards a Postmodern Public
Administration: Epoch,
Epistemology or Narrative?
December 1995, pp. 49
34. M a r t in S h a p ir o
Independent Agencies: US and
EU
April 1996, pp. 31
35. SASKIASASSEN
The De-Facto Transnationalizing
of Immigration Policy
April 1996, pp. 36
36. J o s é M a r Ia M a r a v a l l
The Outcomes of Democracy
April 1996, pp. 53
37. P ie r r e R o s a n v a l l o n
État-providence et citoyenneté
sociale
September 1996, pp. 27
.
■