Chez les Fous
Par Albert Londres
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À propos de ce livre électronique
Albert Londres
Albert Londres. Journaliste français et grand voyageur (1884-1932) il parcourut la Russie, le Japon, l'Inde et le Proche-Orient. ... Albert Londres, né le 1er novembre 1884 à Vichy et mort le 16 mai 1932 dans l'océan Indien, est un journaliste et écrivain français.
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Aperçu du livre
Chez les Fous - Albert Londres
Disponible
copyright
Copyright © 2016 par FV Éditions
Image utilisée pour la couverture : Pixabay.com
ISBN 9791029902659
Tous droits réservés
Préface
La Folie n'est pas représentée de façon universelle. Sa définition est à la fois culturellement et historiquement relative. Ainsi, un même comportement peut être désigné comme relevant de la folie dans une culture, et ne pas l'être ailleurs. De même, le regard que nous portons sur le sujet et sur les limites qui séparent une personnes jugée folle
d'une autre considérée à l'inverse comme saine d'esprit a considérablement évolué dans le temps. Michel Foucault, dans son Histoire de la Folie à l’âge classique, explique ainsi que les fous n'ont pas toujours été placés au banc de la société, et qu'il faut en particulier attendre le XVIIe siècle pour voir en France le début de ce qu'il appelle le « grand renfermement ». Les fous qui étaient autrefois intégrés dans le corps social qui leur attribuait une fonction, deviennent à cette époque l'objet d'un rejet massif et commencent à être enfermés dans des institutions spécialisées, aux côtés notamment de toutes sortes de déviants, tels que les criminels ou les prostitués. Le thème de l'enfermement, très présent dans l'oeuvre d'Albert Londres, apparaît d'ailleurs dans ce texte comme central. L'auteur y interroge aussi, comme le fit dans d’autres circonstances Michel Foucault, la notion de pouvoir. Car il ne faut pas négliger la force, potentiellement dangereuse, que possèdent celles et ceux que la société a chargé de définir et de mesurer la folie. Le travail d’enquête qui suit est à cet égard exemplaire puisqu’il suscita une polémique telle que le corps médical en fut tout entier révolutionné.
FVE
Chez les Fous
par
Albert Londres
— 1925 —
– Si j’allais au bagne ?
– Allez.
Huit mois plus tard :
– Si je partais pour Biribi ?
– Partez.
Au retour de Biribi :
– Si je faisais les fous ?
– Faites.
Ainsi me répondit Élie-Joseph Bois, grand capitaine des reporters que nous sommes.
Qu’il accepte ici l’hommage de ce livre.
A. L.
I
Où l’on n’a pas voulu de moi
Je ne suis pas fou, du moins visiblement, mais j’ai désiré voir la vie des fous. Et l’administration française ne fut pas contente. Elle me dit : « Loi de 38, secret professionnel, vous ne verrez pas la vie des fous. » Je suis allé trouver des ministres, les ministres n’ont pas voulu m’aider. Cependant, l’un d’eux eut une idée : « Je ferai quelque chose pour vous, si vous faites quelque chose pour moi : soumettez vos articles à la censure. » Je cours encore.
J’allai voir le préfet de la Seine. C’est un homme fort courtois : « Grâce à moi, me dit-il, vous visiterez les cuisines et le garde-manger. »
J’eus peur qu’il me montrât aussi les tuiles du toit, alors je suis parti.
Je me tournai vers les médecins d’asiles.
Ils me foudroyèrent :
– Croyez-vous, me dit l’un d’eux, que nos malades sont des bêtes curieuses ?
Il m’avait pris pour un dompteur. Il suffisait, lui.
Alors, j’ai cru qu’il serait plus commode d’être fou que journaliste. « Je vais aller à l’infirmerie spéciale du dépôt, dis-je, on me gardera sans doute ! »
Je m’amène quai de l’Horloge.
Le local n’était pas engageant. On eût dit la coursive d’un vieux cargo hors de service. Le mal de mer apparaissait déjà à l’horizon. C’était propre et cela sentait le fond de vieille cale. La propreté était ce qu’il y avait de grave. Autrement, on aurait pu supposer qu’une fois balayé c’eût été mieux. Des cellules à hublot donnaient sur ce couloir. Les trois premières étaient occupées, la quatrième semblait vide, j’avais une chance !
Catastrophe ! Je connaissais le docteur : Clerembault ! Nous avions échangé des pensées presque définitives, jadis, ensemble, sur les quais de Salonique, aux temps héroïques.
– Bonjour ! Que vous faut-il ? Vous êtes malade ?
C’était sinistre.
– Je le suis moins, dis-je.
– Le cadre vous déplaît ? Nous avons ici des gens très bien : professeurs, artistes, hommes du monde. Nos clients possèdent souvent de beaux appartements en ville ! Il en est même un qui reçut la Légion d’honneur dans cette cellule. Il avait fait des galipettes, la veille, entre cinq et sept sur la voie publique. Cela ne vous dit rien ?
– Qu’avez-vous à m’offrir comme compagnons aujourd’hui ?
Il n’avait rien de huppé ; des alcooliques hallucinés, un malheureux classique qui voulait voir le nonce afin de lui transmettre une communication urgente du Christ, et puis un véritable père de famille (huit enfants) qui, vexé à juste titre de n’avoir pas reçu un prix Cognacq, était allé dans les magasins dudit M. Cognacq revendiquer un petit manteau, tout au moins, pour son dernier enfant, en bas âge – vu qu’il fait si froid, avait-il ajouté.
– C’est un fou ?
– Pourquoi pas ?
Le docteur me mena dans une cellule capitonnée.
– Ça vous va ?
– Mais ça rend des services !
– Je vais réfléchir.
– Adieu ! fit Clerembault, me remettant mon chapeau, allez vous faire enfermer ailleurs.
Où ?
Qu’ils s’appellent asiles départementaux, asiles privés, faisant fonctions d’asiles publics, asiles autonomes, la France compte quatre-vingts immeubles officiels pour ses fous. De plus, nous avons l’honneur de posséder un établissement national baptisé Saint-Maurice, mais répondant, de préférence, au nom de Charenton. De plus, nous sommes riches de treize quartiers d’hospice, qui ne doivent rien à personne. De plus, toute la gamme des « maisons de santé » accourt à notre secours. Il y a les maisons de santé mixtes, c’est-à-dire celles où dans le pavillon de droite joue la loi de 38, où dans le pavillon de gauche ne joue rien du tout. Vous demandez si cette loi est de 1600, 1700 ou 1838 ? Cela est sans importance. En matière de lois, on n’en est pas à un siècle près chez nous ! Il y a les maisons de santé libres, les villas d’hydrothérapie. Il y a les sanatoria où « ne sont pas admis les placements d’aliénés ». Ce sont les prospectus qui le disent. La chose n’est pas complètement fausse. En effet, quand une personne tombe malade de la mystérieuse maladie, si cette personne n’a pas le sou, elle est folle. Possède-t-elle un honnête avoir ? C’est une malade. Mais si elle a de quoi s’offrir le sanatorium, ce n’est plus qu’une anxieuse.
« Je vais aller à Sainte-Anne, me dis-je. J’ai entendu parler d’un certain service ouvert qui fera mon affaire. »
J’arrive à Sainte-Anne.
« Pavillon de prophylaxie mentale, docteur Toulouse. » J’y suis.
C’est tout de même une belle invention que ce service ouvert. Jadis, les pauvres « dingos » n’avaient pas le choix : ou traîner sans espoir leur « dinguerie » sur la voie publique ou se faire cloîtrer dans un asile. Aujourd’hui, c’est un rêve ! Dès que l’on sent les atteintes de l’araignée, on vient ici. Chauffage central. Infirmières fraîches et bien nourries. On ne s’ennuie pas une seconde.
Au fait, pourquoi ce service dut-il, pour exister, attendre la venue du docteur Toulouse ? Jusqu’ici on avait le droit de souffrir du foie, de la rate et des autres organes supplémentaires ou essentiels. Il était défendu d’avoir mal à l’encéphale. Ou il fallait s’adresser d’abord au commissaire de police. Pour être fou, on avait besoin de certificats ! Aujourd’hui on n’a qu’à pousser une porte. Et l’on vous dit doucement :
– Qu’avez-vous, mon enfant ? Voulez-vous que je vous soigne ?
C’est épatant ! C’est l’administration qui doit trouver cela scandaleux !
Je m’assois. Levé avant le jour, je n’étais arrivé que le cinquième. On trouve toujours plus fou que soi ! Le premier était un monsieur qui regardait avec précision la semelle de son soulier gauche. Un quart d’heure plus tard, il la regardait toujours. C’était une semelle normale pourtant ! Un couple occupait la deuxième et la troisième chaise. L’un des deux venait conduire l’autre ; lequel ? La quatrième était une dame qui pleurait sans bruit et sans mouchoir. Ses larmes s’allongeaient sur ses joues et tombaient abandonnées, sur sa robe noire. Un nouveau couple entra. Il prit place à ma suite. La