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Les images de la grande guerre à l'épreuve du temps
Les images de la grande guerre à l'épreuve du temps
Les images de la grande guerre à l'épreuve du temps
Livre électronique651 pages3 heures

Les images de la grande guerre à l'épreuve du temps

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À propos de ce livre électronique

S’inscrivant pleinement dans le centenaire de la Grande Guerre, cet ouvrage, recueil des actes du colloque qui s’est tenu à St-Remy-la-Calonne les 15 et 16 mai 2013, a pour objectif de focaliser l’attention sur l’iconographie de la Première Guerre mondiale, qu’elle soit d’époque (œuvres contemporaines) ou plus tardive (photographies de traces). L’analyse de ces images, témoins indirects de ce conflit, reflète une société révélatrice d’émotions, de sentiments ou encore de besoins. Certaines vérités cachées ou méconnues pourront alors être exhumées de la boue figée de tranchées oubliées. L’enjeu consiste ici à éclairer certaines représentations, certaines temporalités sous un jour nouveau. Nous pensons que les images, fragments d’un passé contemporain, indices d’un conflit sanctuarisé, peuvent, sciemment ou inconsciemment, contribuer à restituer ce lien de mémoire avec la réalité brutale, traduire et faire passer l’ineffable, l’indicible à travers le discours du présent.
LangueFrançais
Date de sortie8 avr. 2015
ISBN9782312030937
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    Aperçu du livre

    Les images de la grande guerre à l'épreuve du temps - Nadège Mariotti

    Saint-Remy-la-Calonne

    Les éditions du net

    22 rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes

    Photographie de couverture : Traces aux Éparges 2010 © N. Mariotti, tous droits réservés

    Actes du colloque international, tenu les 15 & 16 mai 2013, à Saint-Remy-la-Calonne.

    Directrices de la publication : Nadège Mariotti, Marie-France Paquin

    Mise en page : Jitka de Préval, Agnès Dorion

    Illustrations © Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, Collection Musée gaumais, collections personnelles : Anna Bohn, Emmanuelle Champomier, Emmanuelle Danchin, Jean-Claude Fombaron, Nadège Mariotti.

    © Les Éditions du Net, 2015

    ISBN : 978-2-312-03093-7

    Remerciements

    Il nous est agréable au terme de ce travail de remercier les personnes qui par leur savoir, leur expérience et leurs travaux, souvent aussi leur amitié et leur disponibilité, nous ont accompagnées tout au long de cette réflexion collective, enrichissant tour à tour cet ouvrage. Que chacun trouve ici l’expression de notre gratitude. En particulier Nicolas Dejardin-Hayart, Léon Goeffroy, Blandine Hombourger-Oswald, Sylvie Guitton, Colette Matilto, Anne-Frédérique Fresneau-Thimm, Denis Morin et les étudiants IUFM de l’atelier de pratique culturelle (2010/2012).

    Nous adressons nos remerciements à la Communauté de Communes de Fresnes-en-Woëvre, représentée par son président M. Jean-Claude Humbert et par l’un de ses administrés M. Daniel Breton pour le suivi et l’encadrement constant dont ils ont fait preuve tout au long de ce cheminement.

    Nos remerciements s’adressent aussi aux personnes engagées, pour leur aide et leur disponibilité, dans l’organisation du colloque et dont la participation en a permis la réalisation. Merci à l’ONF, à nos présidents de séances M. le Colonel Pierson et M. Jacques Grasser, à Mme Chenon pour sa traduction en « direct », à Jean-Luc Péhaut pour son soutien, son inégalable connaissance du terrain, à Dominique Hennequin pour sa présence lors de la projection de son film Fusiller pour l’exemple, à l’association D’Ici et d’ailleurs pour son investissement dans la confection et la distribution des repas et à tous les auditeurs présents.

    Cet ouvrage est enfin l’occasion de remercier Serge Philippe pour la réalisation de l’affiche du colloque et le prêt de son exposition Les peintres de la Grande Guerre. Disparu prématurément, nous lui dédions cette édition.

    Préface

    La Grande Guerre, on le sait, fut par-dessus tout un phénomène de masse. Songeons à cette multitude d’obus alignés à perte de vue dans les usines d’armement et soigneusement polis par les ouvrières, ces colonnes de soldats partant pour le combat ou ces prisonniers hagards serrés les uns contre les autres derrière le barbelé de leur geôle, à la terre retournée, soulevée, perçant l’horizon en de grandes giclées colorées, le fracas insoutenable des tirs de canons … tout cela nous est restitué par les mots surtout, ces milliers de mots écrits chaque jour, les dessins, les gravures, les peintures, les graffitis retrouvés dans les abris et autres cagnas et la photographie. La presse omniprésente se fait l’écho en images de ce chaos sans pour autant narrer cette réalité intangible. Restent, aujourd’hui, les traces de ces terrains bouleversés, de ces ruines de villages rayés de la carte dont encore cent ans après de nombreux photographes captent de bien insolites images. Ces monuments qui, dans chaque commune de France, honorent le sacrifice de trop jeunes gens.

    Ayant œuvré durant près de 30 ans dans les arcanes des collections photographiques du Musée d’Histoire Contemporaine de la BDIC dont j’avais la charge, chaque jour, je fus happée par ces quantités de documents saisis presque sur le vif : la guerre omniprésente a fini par me fasciner. Étrange magnétisme qui pourrait paraitre morbide, mais ma curiosité intellectuelle devait être assouvie. Saisir, comprendre, appréhender cette multitude d’images –avec ses non-dits cachés derrière elles– acquise en héritage et qu’il nous faudra à notre tour transmettre.

    Pourtant, paradoxe de l’étude, plus j’en apprenais, moins j’en savais.

    Les prochaines années verront l’effervescence d’un grand nombre de manifestations commémoratives qui augurent d’une mémoire vivante très prégnante. Ne constate-t-on pas avec surprise cet intérêt manifeste voire cet engouement pour la « grande collecte nationale » de documents à numériser : parfois cinq heures d’attente à la BnF afin de confier pour un temps une partie de ce patrimoine familial, ces chroniques individuelles. On veut préserver et léguer aux générations futures qui d’évidence continueront à s’interroger sur cet épais mystère ! Il est donc certain que ce déluge d’images perdurera dans le temps à la fois comme une cicatrice et comme un témoignage qui ne pourra pas taire l’absurdité de ce conflit. Mais comme dit Georges Brassens : « Le temps ne fait rien à l’affaire » et la suite de l’Histoire nous le dira. Peut-être ?

    Thérèse Blondet-Bisch, décembre 2013

    Peintre, anciennement chargée des collections photographiques de la BDIC

    Avant-propos

    Que n’a-t-on pas écrit sur la Première Guerre mondiale ?

    Durant le conflit, les combattants ont laissé des milliers de traces écrites, graffitis éphémères, paroles en poèmes, lettres à l’arrière ou encore romans, témoignages de l’horreur des tranchées. Après le conflit, certains ont publié leurs mémoires, leurs journaux de guerre.

    Depuis, les historiens ont pris le relais, avant que plus récemment l’archéologie de la Grande Guerre ne devienne un champ d’investigation reconnu.

    Les événements médiatiques et culturels qui s’annoncent dans les perspectives du Centenaire de la Première Guerre mondiale seront l’occasion pour de nombreux champs de bataille d’être à l’honneur. Toutes les villes et villages de France ont eu et ont encore un lien étroit presque indéfectible avec ce conflit qui fut celui de la première véritable guerre industrielle, anthropophage et dévastatrice. D’innombrables thématiques seront abordées à cette occasion.

    Or, depuis peu, en France, les derniers témoins vivants ont disparu. Restent seulement les traces qu’ils nous ont laissées : un héritage multiforme, complexe, difficile à inventorier, à protéger puisqu’en passe de disparition, d’un inexorable effacement.

    Parallèlement, en ce début de XXIe siècle, notre quotidien est fait d’images. Qu’elles soient informatives, communicatives ou ludiques, les images sont partout. Nous sommes confrontés à un phénomène irréversible : celui de l’abondance des images, de leurs nouveaux vecteurs et de leur circulation instantanée.

    S’inscrivant pleinement dans cette évolution technico-sociale, cet ouvrage, recueil des actes du colloque qui s’est tenu à Saint-Remy-la-Calonne les 15 et 16 mai 2013, a justement pour objectif de focaliser l’attention sur l’iconographie de la Première Guerre mondiale, qu’elle soit d’époque (œuvres contemporaines) ou plus tardive (photographies de traces). L’analyse de ces images, témoins indirects de ce conflit, reflète une société révélatrice d’émotions, de sentiments ou encore de besoins. Certaines vérités cachées ou méconnues pourront alors être exhumées de la boue figée de tranchées oubliées. L’enjeu consiste ici à éclairer certaines représentations, certaines temporalités sous un jour nouveau. Nous pensons que les images, fragments d’un passé contemporain, indices d’un conflit sanctuarisé, peuvent, sciemment ou inconsciemment, contribuer à restituer ce lien de mémoire avec la réalité brutale, traduire et faire passer l’ineffable, l’indicible à travers le discours du présent.

    Implanter cet évènement à Saint-Remy-la-Calonne, au cœur du champ de bataille des Éparges, ne fut nullement un hasard. La profondeur d’un tel contexte permet d’ancrer les interventions au sein d’une réalité de terrain hors norme.

    Programmer la présentation d’un film documentaire lorrain sur un aspect particulier de la Première Guerre mondiale, les fusillés oubliés de Dominique Hennequin, a permis de poser la pierre fondatrice en ce lieu pétri d’images oubliées, d’autres rencontres filmiques sur la thématique guerrière.

    Inscrire ce moment dans le cadre du 3e festival littéraire du Printemps du Grand Meaulnes, dont la thématique en 2013 a porté sur « Le vécu franco-allemand à travers les auteurs témoins inconnus » a constitué un choix délibéré ; il offre la possibilité de lier les différentes interventions proposées à un événement régional d’envergure : les écrivains de la Grande Guerre.

    Ce premier ouvrage marque le point de départ de la patrimonialisation et de la valorisation affirmée d’un site emblématique où les traces de vie et de mort des combattants, stigmatisant encore le paysage meurtri par les armes, sont désormais livrées à l’épreuve du temps et montrent, s’il en est, les signes de leur inexorable disparition.

    Nadège Mariotti

    LA GRANDE GUERRE FILMÉE

    À la gloire du troupier belge ? Le front de l’Yser en demi-teinte.

    Bénédicte Rochet

    Doctorante à l’Université de Namur, FUNDP

    En 2008, à l’occasion du nonantième anniversaire de la fin de la Première Guerre mondiale, la Cinémathèque Royale de Belgique édite le DVD du film documentaire Met onze jongens aan den Ijzer (Avec nos gars à l’Yser). Ce film a été réalisé en 1928 par Clemens De Landstheer, un réalisateur amateur. Ancien combattant de 14-18, membre fondateur du Frontbeweging¹ (mouvement frontiste), Clemens De Landstheer est également secrétaire du comité du Pèlerinage de l’Yser, un pèlerinage en mémoire des soldats flamands morts sur le front qui se déroule annuellement depuis 1920 à Dixmude. Le propos politique de ce montage documentaire est évident : dénoncer les souffrances des soldats flamands sur le front afin de justifier les revendications linguistiques et nationalistes d’un mouvement flamand qui, en 1928, est en pleine radicalisation. L’édition DVD replace le film dans son contexte historique grâce à des bonus et à un ouvrage annexé qui s’attardent de manière pertinente et critique sur le discours véhiculé par le film, son contexte de production en 1928 et sur l’usage du medium cinéma par la propagande du mouvement flamand tout au long de l’entre-deux-guerres².

    Néanmoins, l’ouvrage et les bonus accordent peu de place à la provenance des images filmées sur le front de l’Yser pendant le conflit et reprises dans le film de 1928. Or, pour mieux comprendre et analyser ces images du front, il importe de retrouver la genèse de ces images et de retracer leur parcours de vie en dissociant, idéalement, le temps de la prise (qui les a filmées ? Quand ? Comment ? Pourquoi ? Pour qui ?), de celui des reprises (combien de fois ces images ont-elles été (re)montées ? Avec quels objectifs ? Pour quelle diffusion ?). C’est à ces différentes questions que je tenterai de répondre dans un premier temps. Dans un second temps, je m’attarderai sur le fil conducteur du colloque de Saint-Remy-la-Calonne : quelle mémoire de la Grande Guerre, ces prises et ces reprises nous proposent-elles aujourd’hui à l’aube du centenaire de la Première Guerre mondiale ?

    De la prise aux reprises : contexte historique de 1916 à 1928

    En 1928, Clemens De Landstheer, à la recherche d’images filmées pour réaliser son documentaire, s’adresse au Service cinématographique de l’armée belge (SCAB) qui a stationné sur le front de l’Yser dès 1916. Le SCAB, à l’époque, peu soucieux de la valeur commerciale des pellicules, vend pour un franc du mètre la majeure partie de ses prises de vues du conflit au réalisateur³.

    La prise : les plans du Service cinématographique de l’armée belge

    Depuis le 9 octobre 1914, le gouvernement belge est réfugié à Sainte-Adresse, près du Havre, le Roi Albert a, quant à lui, établi son Quartier Général à La Panne, derrière la ligne du front de l’Yser. Au début du conflit, l’image de la Poor little Belgium et de la vaillance de ses soldats qui ont résisté à l’avancée allemande est un symbole efficace, alimenté essentiellement par les propagandes alliées et par des initiatives belges ponctuelles. Mais en 1916, l’image de l’armée belge souffre et derrière elle, celle de toute une Nation : la propagande belge doit prendre une nouvelle direction et se doter d’instruments de propagande coordonnés et efficients⁴. Dans cette mouvance propagandiste, le département de la Guerre va mettre à profit les nouveaux vecteurs de communication tels que la photographie et le cinématographe. À l’instar d’un développement analogue en France, il crée fin 1916 le Service cinématographique de l’armée belge. Le SCAB s’établit à la Panne, dans la zone du front dite « zone de l’avant » avec des moyens limités. Il reçoit pour mission de filmer l’engagement et la résistance de l’armée belge et de ses soldats, et ce, sous la conduite de leur chef, le Roi Albert. Les prises de vues sont montées, grâce aux laboratoires de la firme française Éclair, et diffusées devant les soldats de la troupe mais également dans les pays alliés ou neutres par l’Office de propagande belge.

    Les reprises

    Après l’armistice de 1918, le SCAB s’installe à Bruxelles. La fin des hostilités ne met pas pour autant un terme à la propagande audiovisuelle. La société belge est fortement affaiblie, elle doit se reconstruire dans un contexte difficile mêlant tensions internes (inégalités politiques et sociales ; répression judiciaire…) et tensions internationales. Le conflit a généré des blessures profondes au sein de la nation belge : le nord et le sud du pays ont pris des voies politiques et des causes idéologiques divergentes. Une césure qui se marque également auprès des anciens combattants divisés entre le nord et le sud du pays mais aussi divisés entre les officiers et la troupe, entre une nation unie symbolisée par le Roi-chevalier et une nation meurtrie qui pleure ses gars sur l’Yser considérés comme les uniques victimes du conflit… L’entre-deux-guerres est marqué par la prolifération de groupements politiques et idéologiques qui tous se démarquent par une culture de guerre qui leur est singulière et qui utilisent le medium cinéma pour diffuser leur propagande et leur mémoire du conflit. Le SCAB reçoit ainsi la tâche d’informer le pays du travail accompli par l’armée belge durant ces quatre années de guerre. Le service, qui a à sa disposition un matériel visuel de guerre inépuisable, va le réutiliser à souhait et multiplier les montages documentaires qui se veulent de véritables fresques de l’armée belge. Le plus évocateur d’entre eux est la réalisation en 1922 de À la gloire du troupier belge. D’une durée de 47 minutes, le film est un montage mêlant images prises durant le conflit et images de reconstitution réalisées en 1922. Cette production cocardière, pétrie de nationalisme et de bons sentiments correspond au climat ambiant de cet immédiat après-guerre. Le film qui, d’après son producteur, « souligne l’activité, l’endurance et les sacrifices de toutes les armes⁵ » connaît un véritable succès auprès du public belge. Cet engouement du public pour des productions nationales et patriotiques est d’ailleurs sans faille : même après les accords de Locarno (1925), qui prônent la démobilisation culturelle et visent à la pacification des esprits, on assiste à une recrudescence de films sur la Première Guerre mondiale en vue des commémorations du dixième anniversaire. L’objectif est atteint : le soldat belge vit, revit au prisme de l’écran au plus grand bonheur des familles. Mais les représentations du soldat belge et de la Nation propagées par ces productions patriotiques ne correspondent pas aux attentes de l’ensemble de la population belge.

    En 1928, suite notamment à la loi d’amnistie des anciens collaborateurs et à la construction de la tour de l’Yser à Dixmude qui rend hommage aux soldats flamands de la Première Guerre et devient un lieu symbolique de rassemblement du mouvement flamand, l’opposition politique entre les deux communautés linguistiques se radicalise. Toutes deux sollicitent la mémoire du conflit et en particulier celle du soldat de 14-18. L’image du troupier belge sert tant le discours antimilitariste et nationaliste du mouvement flamand que le discours unitaire et glorifiant des anciens combattants francophones. Paradoxalement, ces différentes propagandes vont se servir d’un patrimoine audiovisuel commun, celui du SCAB, l’instrumentalisant pour leur propre dessein politique à l’image de l’emblématique Met onze jongens aan de Ijzer de Clemens de Landstheer.

    Les archives : entre découvertes et désillusions

    Les archives filmiques du SCAB sont aujourd’hui conservées par la Direction Générale « Archives » du ministère de la Défense nationale belge. D’emblée, je sais que le résultat de mes recherches sera peu fructueux car lors des bombardements de mai 1940, une grande partie des pellicules ont été détruites… Le parcours heuristique est d’autant plus périlleux que l’inventaire du service du ministère est un inventaire technique où les informations « historiques » sont lacunaires et souvent erronées. Seule une vérification par un visionnage de chaque bande permet une identification précise des films (sur 80 bandes sélectionnées au départ des informations contenues dans l’inventaire, seules 38 se sont révélées comme étant du SCAB). Certains films, qui sont tous sur un support nitrate, sont facilement visionnables car ils ont été transférés sur un support betacam (magnétique) ou sur une pellicule acétate pour des productions télévisées dans les années 70-80 mais une dizaine d’entre eux sont encore sur un support nitrate et donc, en l’état, non consultables. Très rapidement, je me rends compte que ce qui nous reste à voir aujourd’hui des prises de vues du SCAB sur l’Yser, ce sont essentiellement les montages de l’entre-deux-guerres, tel que À la gloire du troupier belge ou des journaux d’actualités filmées d’une dizaine de minutes montés entre 1918 et 1921⁶ … Les reprises, ces montages de l’entre-deux-guerres par le SCAB ou par des réalisateurs amateurs comme Clemens De Landstheer, prennent alors toute leur importance : si les prises du SCAB sur le front sont, probablement, à jamais perdues, telle une boîte de pandore, ces reprises nous offrent, parmi de nombreuses images de reconstitutions de l’entre-deux-guerres, un aperçu révélateur des images tournées sur le front de l’Yser par les opérateurs du SCAB entre 1916 et 1918...

    À la gloire du troupier belge, Met onze jongens aan de Ijzer peuvent-ils nous

    restituer un lien de mémoire avec le front de l’Yser ?

    Si on exclut de ces productions d’après-guerre les images de pure fiction, clairement identifiables, on est face à un corpus d’images qui a priori sont des plans tournés sur le front de l’Yser par le SCAB. Mais pourtant ces images nous offrent une réalité biaisée du conflit. Comme Laurent Véray l’a démontré pour les images françaises, les insuffisances techniques du matériel de l’époque entravent le travail de l’opérateur sur le champ de bataille. Les prises de vues qu’il parvient à réaliser sont des séquences courtes, limitées à un seul plan, régulièrement suscitées « où l’opérateur dispose d’une grande liberté d’action, il organise son sujet et le met en scène⁷ » (ce qui est le propre de la fiction)… Peu d’événements sont filmés, ces images suggèrent l’événement mais ne le montrent pas. C’est pour ces mêmes carences techniques qu’un sujet prédomine celui du « quotidien de la guerre : une périphérie photographique obsédante⁸ » : la préparation, les manœuvres et défilés, le camouflage, le ravitaillement, la vie dans les tranchées, le matériel, l’artisanat des tranchées… Une thématique prédominante au vu également de la situation géographique du SCAB qui est cantonné à la zone de l’avant⁹. Toutes ces images du quotidien trahissent l’attente et l’ennui du soldat (séquences des soldats jouant aux cartes, fabriquant des chapeaux de papier…) et nous proposent une vision aseptisée du front de l’Yser. Une vision aseptisée mais aussi une vision « commandée » et contrôlée : le SCAB filme sur ordre de mission de l’État-major des armées, la priorité est de filmer l’engagement de l’armée et le Roi Albert. Un Roi qui monopolise l’écran, les autres chefs militaires sont quasi absents tous anéantis par la présence d’un seul : le Roi, toujours solennel, ignorant la caméra et soucieux de son image. Tous les négatifs sont passés au crible de la censure stricte du G.Q.G. qui est attentif « à ne pas fournir à l’ennemi des points de repère que la faible étendue de notre front permettrait d’identifier¹⁰ ». Les négatifs refusés sont tout simplement détruits¹¹… Cette censure

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