Exégèse et herméneutique chez les Pères
Par Collectif
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À propos de ce livre électronique
Il leur a, tout d’abord, fallu établir le texte de la Bible et faire ainsi oeuvre quasi scientifique d’exégètes, comme Origène et Jérôme, puis ils ont dû commenter l’Ecriture et développer alors toute une herméneutique. Parfois, ils y ont été contraints pour mettre en échec les hérésies, tel Irénée de Lyon que présente Agnès Bastit-Kalinowska, et ont cherché à mettre en évidence l’apport spécifique de l’Ecriture.
Dans un contexte plus serein, ils ont également proposé des méthodes d’exégèse de la Bible. Souvent, on oppose l’école d’Alexandrie avec l’exégèse allégorique et l’école d’Antioche avec l’exégèse littérale. Daniel Vigne, qui reprend la genèse et la réception de l’école d’Alexandrie et Jean-Noël Guinot qui s’attache à l’école d’Antioche avec Théodoret de Cyr soulignent que les questions sont plus complexes, ce qui amène Jean-Noël Guinot à conclure que « l’exégèse antiochienne se caractérise avant tout par l’attention portée à la dimension historique du texte biblique, par sa défiance à l’égard de l’allégorie d’Origène, et par le rejet de ce mode d’interprétation au profit d’un moyen moins subjectif, ou si l’on veut plus rationnel, de dépasser la lettre, puisqu’il repose sur l’examen objectif des faits : l’explication typologique » (p. 59).
La lecture que les Pères ont faite de l’Ecriture, si elle peut nous dérouter sur certains points, est en fait un lieu de ressourcement qui, aujourd’hui encore, nous aide à découvrir la profondeur du texte biblique et à trouver le trésor qui est caché dans son champ et qui n’est autre que le Christ, comme l’expliquait Origène.
Marie-Anne VANNIER
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Exégèse et herméneutique chez les Pères - Collectif
Éditorial
Les Pères ont été avant tout des hommes de la Bible. Toute leur théologie en est tirée, comme en témoignent non seulement Origène et Augustin, mais aussi l’ensemble des Pères de l’Église. Ils ont été de véritables pionniers dans l’interprétation de l’Écriture. Sans doute ont-ils repris des méthodes d’exégèse juive, comme les règles de Hillel, ou les Règles de Tyconius, ainsi que le montre Jean-Marc Vercruysse, maître d’œuvre de ce numéro de Connaissance des Pères de l’Église, que nous remercions, mais ils ont également apporté leur contribution propre, comme l’explique Isabelle Bochet à propos du De doctrina christiana d’Augustin.
Il leur a, tout d’abord, fallu établir le texte de la Bible et faire ainsi œuvre quasi scientifique d’exégètes, comme Origène et Jérôme, puis ils ont dû commenter l’Écriture et développer alors toute une herméneutique. Parfois, ils y ont été contraints pour mettre en échec les hérésies, tel Irénée de Lyon que présente Agnès Bastit-Kalinowska, et ont cherché à mettre en évidence l’apport spécifique de l’Écriture.
Dans un contexte plus serein, ils ont également proposé des méthodes d’exégèse de la Bible. Souvent, on oppose l’école d’Alexandrie avec l’exégèse allégorique et l’école d’Antioche avec l’exégèse littérale. Daniel Vigne, qui reprend la genèse et la réception de l’école d’Alexandrie, et Jean-Noël Guinot, qui s’attache à l’école d’Antioche avec Théodoret de Cyr, soulignent que les questions sont plus complexes, ce qui amène Jean-Noël Guinot à conclure que « l’exégèse antiochienne se caractérise avant tout par l’attention portée à la dimension historique du texte biblique, par sa défiance à l’égard de l’allégorie d’Origène, et par le rejet de ce mode d’interprétation au profit d’un moyen moins subjectif, ou si l’on veut plus rationnel, de dépasser la lettre, puisqu’il repose sur l’examen objectif des faits : l’explication typologique » (p. 59).
La lecture que les Pères ont faite de l’Écriture, si elle peut nous dérouter sur certains points, est, en fait, un lieu de ressourcement qui, aujourd’hui encore, nous aide à découvrir la profondeur du texte biblique et à trouver le trésor qui est caché dans son champ et qui n’est autre que le Christ, comme l’expliquait Origène.
Marie-Anne VANNIER
L’exégèse des Pères
À considérer l’ensemble des écrits patristiques, force est de constater que les commentaires de l’Écriture y tiennent la plus grande place. Les raisons en sont diverses : tout d’abord, les Écritures sont l’expression de la présence de Dieu au milieu de son peuple, elles expriment l’alliance avec Dieu, ce qui a amené les Pères à développer la notion d’économie du salut, à préciser le rôle de l’Esprit Saint qui est à l’œuvre dans l’Écriture, à approfondir la relation de l’homme à Dieu, et plus largement l’anthropologie. Pour les Juifs, les Écritures étaient la Torah vivante (comme le montre Néhémie 8). L’explication qui en était donnée en même temps – la Loi orale (Torah she-be’al peh), qui s’est développée dans la Mishna (la législation issue de la Torah) et dans le Talmud, qui la commente – était également révélée. Pour les chrétiens, il en va différemment : le Christ est la Parole faite chair (Jn 6). Toute la Bible nous dit que « Dieu a parlé ». La Parole – Dhavar – traverse toute l’Écriture. Mais, cette Parole n’est plus seulement pour nous celle que Dieu adressait à son peuple par l’intermédiaire des prophètes, ou même celle qui était manifestée comme Torah métaphysique dans le Pentateuque. Cette Parole s’est incarnée dans notre nature, elle est devenue un homme (Jn 1, 14). C’est là une révolution sans précédent. Dieu s’abaisse, comme l’explique l’hymne aux Philippiens, pour venir nous rejoindre dans notre humanité et c’est là qu’il nous donne de le connaître. Désormais, tout ce qui est humain passe en Dieu et réciproquement.
Aussi, à la suite de S. Jérôme, les Pères rappellent-ils qu’« ignorer les Écritures, c’est ignorer le Christ », d’où l’importance qu’ils leur accordent, d’où l’unité qu’ils soulignent entre les deux Testaments et la relecture de l’Ancien Testament à la lumière du Nouveau.
Même si l’Incarnation a une place centrale, l’Écriture a également une place fondamentale dans le christianisme. C’est pourquoi les Pères ont été immédiatement confrontés à une double tâche d’exégèse et d’herméneutique, d’interprétation de l’Écriture, aussi bien dans leurs homélies, dont le genre littéraire est d’ailleurs marqué par la liturgie de la Synagogue, que dans leurs explications catéchétiques… Il leur a donc fallu commenter constamment l’Écriture, cette Parole reçue, proclamée dans la liturgie, transmise dans la catéchèse… C’est une lecture croyante et le plus souvent ecclésiale et théologique des Écritures, assez différente de l’exégèse, essentiellement scientifique, que nous connaissons actuellement, qu’ils ont proposée. Ils ont illustré le sens étymologique du terme « exégèse » qui est tiré du grec exègeomai, « expliquer, aller vers », comme on le voit en Jn 1 où Jean nous conduit vers le Verbe et le Verbe nous amène, à son tour, vers le Père. Ils ont suivi le Christ qui est lui-même « l’exégète du Père » et l’exégète de toute l’Écriture, comme il le manifeste aux disciples d’Emmaüs (Lc 24, 25-27). Comme le disait Origène, « les divines paroles disent que les divines Écritures sont fermées à clef et scellées ; fermées par la clef de David » et ouvertes, accomplies par le Christ. Pour le manifester, les icônes présentent le Christ portant fermé le livre des Écritures, ce qui fait comprendre que lui seul l’ouvre, car il est la Parole vivante.
À la suite des apôtres, « c’est par le cœur et l’intelligence éclairés par la foi et le respect devant le mystère de Dieu » que les Pères entrent, pour ainsi dire, dans les Écritures. Pour reprendre une heureuse formule de Marie-Joseph Le Guillou, « l’Église des Pères n’a pas le charisme d’inspiration, elle a cependant le charisme de l’interprétation de l’Esprit du Christ, et, à ce titre, elle a pour nous une signification particulièrement importante[1] ».
On comprend pourquoi le concile Vatican II a choisi de parler dans le langage des Pères, et pourquoi la Constitution Dei Verbum, qui met en évidence la place centrale de l’Écriture, invite à tenir davantage compte de l’exégèse des Pères qui représentent la Tradition vivante. Ils présentent, en effet, l’avantage de déployer une exégèse solide qui fait ressortir l’altérité et la transcendance du texte biblique et d’en venir à une intelligence spirituelle qui met en relation avec le Dieu qui parle à travers la parole humaine. En d’autres termes, ils réalisent un travail d’interprètes et actualisent également l’Écriture, en dégagent le sens pour leur époque. Si cela semble aller de soi pour nous, c’est, en fait, le résultat de l’acquis de l’exégèse patristique, puis de toute une évolution qui vient marquer l’invitation à lire la Bible et la reconnaissance de l’exégèse scientifique. C’est là le fruit de toute une évolution, réalisée depuis Léon XIII.
Cependant, les Pères ont immédiatement rencontré une double difficulté : d’une part, ils ne disposaient pas, comme nous, d’une gamme de bibles qui vont du livre de poche à la bible d’autel, mais il leur a fallu attendre le IVe siècle pour avoir un volume regroupant les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament, au lieu des petits rouleaux, des codices des différents livres de l’Écriture, qui pouvaient parfois mesurer plusieurs mètres. D’autre part, à leur époque, le canon des Écritures n’était pas encore fixé et les livres reconnus aujourd’hui comme canoniques coexistaient avec les apocryphes que nous sommes en train de redécouvrir. Il fallut également attendre le IVe siècle pour que le canon des Écritures soit fixé. Dans la XXVIIe Homélie sur les Nombres d’Origène, dans la Lettre festale 39 d’Athanase d’Alexandrie et dans le De doctrina christiana (II, 8, 13) d’Augustin, nous avons la liste des livres l’Ancien et du Nouveau Testament, retenus comme authentiques.
De plus, la traduction de l’Écriture dont les Pères disposaient était plus ou moins valable, ce qui a amené très tôt un véritable travail d’exégèse sur le texte biblique. Le premier à l’avoir réalisé est Origène qui, pour retrouver le texte original hébreu, a mis en parallèle, sous forme de synopse, dans les Hexaples, les six versions de l’Ancien Testament connues à son époque : l’hébreu ; l’hébreu translittéré en grec ; la traduction grecque d’Aquila (Juif de l’époque d’Hadrien : IIe siècle après Jésus-Christ, qui semble présenter le texte le plus juste, dans une traduction littérale de l’hébreu, inspirée de l’exégèse rabbinique palestinienne) ; la traduction de Symmaque (Juif contemporain de Septime-Sévère, traduisant de manière élégante) ; l’édition de la Septante (IIIe-IIe siècles avant Jésus-Christ) ; la révision de Théodotion (Ier-IIe siècles). Pour les Psaumes, Origène a ajouté deux colonnes comprenant deux révisions grecques : la Quinta et la Sexta, découvertes, il y a peu de temps, dans une jarre près de Jéricho. Ensuite, il a composé les Tetraples, une synopse analogue, mais en quatre colonnes : Aquila ; Septante ; Symmaque ; Théodotion, pour se concentrer sur les problèmes de traduction et voir les erreurs qui se sont introduites, tant dans la traduction que dans les copies qui en ont été faites. Plus tard, Jérôme a réalisé un travail analogue pour la version latine de la Bible.
Généralement, les Pères avaient la Septante comme traduction grecque de l’Ancien Testament et différentes versions de la Vetus latina pour ce qui est de la traduction latine. À partir du Ve siècle, la Vulgate s’est diffusée. C’est donc en un effort pour établir le texte biblique, pour étudier ses particularités et développer l’explication linguistique ou historique qu’a, tout d’abord, consisté l’exégèse des Pères de l’Église. Ceux qui sont allés le plus loin dans ce domaine sont : Origène, S. Jérôme et S. Augustin.
I. L’apport d’Origène
Origène, vivant au IIIe siècle à Alexandrie, est, parmi les Pères, l’homme de la Bible. Initié à la lecture de l’Écriture dès son plus jeune âge par son père, il poursuivit cette lecture tout au long de sa vie. Sa lecture, sa méditation de l’Écriture l’ont amené à présenter sa célèbre « théorie » des quatre sens de l’Écriture et à être le premier exégète chrétien. Avant de commencer toute espèce de commentaire de l’Écriture, il voulait s’assurer de l’authenticité du texte, afin d’éviter de s’engager sur une fausse piste en commentant une erreur de copie ou de traduction. Avant