Fagus - La Danse Macabre - Poème
Fagus - La Danse Macabre - Poème
Fagus - La Danse Macabre - Poème
^
Le Clavecin bien tempr, vers.
t]
Z^-J-J^
Les Eglogues de Virgile, traduites en vers.
Ex PRPARATION :
Lucifer, pome.
Le Massacre des Innocents, pome.
L'Evangile de la Croix, pome.
La Croisade de l'Antchrist, pome.
Racine et Shakespeare, essai.
De l'Amour, essai.
AU LECTEUR
Ce pome fait partie d'un ensemble, qui, sous l'argument
gnral
Stat Crux DUM VOLVITUR Orbis , comporte :
Le Massacre des Innocents (publi partiellement dans le recueil
Jeunes Fleurs : 1906); la Guirlande lpouse (indit);
Lucifer (en prparation) ;
Frre Tranquille (indit, publi
dans la Revue de Hollande : 1918) ;
Ixion (dit en 1903)
;
La Danse Macabre que voici ;
VEvangile de la
Croix et La
Croisade de FAntchrist (en prparation).
Ainsi qu'on s'en apercevra peut-tre, et de mma qu
peu prs tous ceux de l'auteur, il fut crit dans l'arrire
-
pense d'une glose musicale .
Et le serpent dit :
Non, vous ne mourrez point
;
vos yeux
seront ouverts : et vous serez tels qu2 des dieux.
... Et leurs yeux furent ouverts : et ils connurent qu'ils taient
nus.
LA DANSE MACABRE
Les morts, les mauvais morts me gardent sous leur serre.
Je
suis des leurs, ces morts qui sont dans le tourment :
Ils m'habitent ! je suis toujours chez Lucifer,
Remords, frres d'enfer, affreusement vivants.
Ils font du jour divin un louche crpuscule,
Filtrant sous mon crne branlant et dilat :
Je
sens qu'autour de moi et parmi mci circule
Une indistincte et rpulsive humanit.
Soudain l'horreur, la grande horreur m'est apparue !
J'ai vu, mon Dieu, ]'ai vu, sans en mourir d'effroi :
L'arme immonde accourt, tout palpite et remue,
Se multiplie, bondit, m'entoure et vient sur moi.
Procession d'enfei ! des squelettes sans tte,
Des cadavres mi-dvors qui laissent voir
A la place du ventre un grouillement de btes,
A la place du cur un trou saignant et noir,
1 . Prire de se reporter la Variante, in
fine.
il
-
L^ DANSE MACABRE
Des stupres accoupls, des morts qui caracolent,
Des boucs face humaine et des chiens amoureux,
Je
ne sais quels ttards hideux qui sanguinolent.
D'autres la face retourne et prive d'yeux...
(Les ftus expulss des ventres par le crime
!)
Tout cela vire, beugle, hennit, mche le sang
;
Au centre un cul-de-jatte obscne se supprime,
Sautelant sur son membre infme en glapissant :
C'est nous tous qui serons, nous tous, tels que des dieux.
Vous tous : eritis, eritis sicut dit !
Et la horde :
Hourra ! nous tous pareils Dieu :
Similes Altissimo, hurlent-ils ensemble.
Un cho furibond rpond de dessous terre :
Je
suis un. tre absolument semblable Dieu.
Et flagellant la terre et l'air de sa badine,
Le fantoche bat la mesure : ses cts
Se lve une mare de formes fminines.
Et lui se met, troubadour noir, a hoqueter :
Ou le
commencement : l'un l'autre se mle.
Le catchisme en dit tout ce qu'il faut savoir :
-
16
-
LA
DANSE
MACABRE
L'origine,
oui, c'est
Eve,
innombrable,
ternelle,
Toujours
mme en
changeant
toujours, tu
l'as
d>oir,
Et la fin est
Marie,
Notre-Dame
la Vierge,
Mutans
Ev
nomen,
comme
la chanson
dit,
Eternelle
autrement,
pur
centre o tout
converge,
De la
sphre
dont
l'autre est le
fuyant
circuit.
Mais
l'homme
s'vertue
poursuivre
la
sphre
Et du
centre
s'loigne un peu
plus
chaque
tour,
O
l'attend
le repos
dans la calme
lumire
De
l'amour
qui ne
trompe
pas,
l'unique
amour.
Comment
rejoindre
alors, un
centre
qui
recule ?
La
prire
atteint l
comme
une
flche au cur.
Masque
de
carnaval,
plus
d'hymnes
ridicules !
Ridicules
non
pas,
hlas
pour mon
malheur :
Mais
Monsieur ne
croit pas au
Diable ?
il est
logique
Que
Monsieur
ne
croie pas la Vierge
non
plus
;
Moi
j'y crois,
c'est
mon
dsespoir
diabolique.
Eh donc
alors,
priez ?
Prier, je ne
puis plus.
L'orgueil
d'en
bas m'a bu et sa
concupiscence.
Quand
j'ai cri : Je
suis
l'gal de
Dieu,
cri :
L'X DANSE MACABRE
Je
ne servirai pas ! et ma propre clmence
Dans mon intelligence en deuil m'a foudroy.
Oh, rise sombre o vont s'effondre nos rues !
Ma frnsie embrassa le vide bant,
Mes deux bras se sont referms sur des nues,
Ma semence avait ensemenc le nant.
Ridicule vaincu j'ai roul par l'espace,
M accrochant aux nues et passant au travers :
L'Autre entr'ouvrait sa main ! et depuis lors, je passe.
Emport par l'orbe effar des univers.
Et j'agonise et ne peux pas mourir
;
pauvre tre.
Dieu tronqu, dans l'abme atone, fade et noir.
Je
tourne, sans pouvoir m absoudre et disparatre.
Le dernier cercle du suprme dsespoir !
Je
suis fille en dmence
Que tourmente le sang,
Je
suis la mer immense
Sous la Lune dansant...
20
lA DANSE MACABRE
Si tu es rOcane
Qui tourne en divaguant,
Je
me ferai le naute
Que guide l'Orient...
Mater castissima,
Mater inviolata,
Mater intemerata, ora pro nohis !
Si tu te fais le naute
Que guide l'Orient,
Je
me ferai la Lune
Qui fige l'lment...
Mater prudentissima.
Mater veneranda.
Mater prdkand, ora pro nohis !
Si tu te fais la Lune
Qui fige l'lment,
Je
me ferai l'toile
Qui veille au firmament...
Si tu te fais l'toile
Qui tremble au firmament
21
LA DANSE MACABRE
Je
me ferai nue
Qui change tout moment...
Si tu te fais nuage
Qui change avec le vent,
Je
me ferai la brise
Et t'emporte en chantant...
Si tu te fais la brise
Qui s'envole en chantant,
Je
redeviens la femme.
Qui sourit et qui ment...
Si tu te fais la femme
Qui sourit et qui ment,
Je
me ferai le prtre
Et te vais confessant...
22
LA DANSE MACABRE
Si tu te fais le prtre
Qui va les fronts courbant,
Je
me ferai le Diable
Pour te rendre mchant...
Si tu te fais le Diable
Pour me rendre mchant,
Je
me ferai Archange,
Archange foudroyant...
Si tu te fais Archange,
Archange foudroyant,
Je
me fais Notre-Dame :
Tu seras mon servant...
Si tu te fais la Vierge,
D'Eve le nom changeant,
Je
serai tel que Christ,
Et te couronnerai !
23
LA DANSE MACABRE
Mon beau Seigneur j'ai choisi ma couronne,
Vous ni personne ne l'aurez,
Je
ne reois ni je ne donne,
Tout est promis au Bien-Aim.
Mon bien-aim ne parat pas encore,
Trop longue nuit, dureras-tu toujours }
Tardive aurore,
Hte ton cours,
Rends-moi son cur, ma joie et mes amours !
(Mmute obscure, instant trange :
L'enfant s'apparat femme et s'peure de soi
;
Trouble et dconcertant mlange,
Le corps, le cur, la bte et l'ange,
Tout gronde et fermente la fois)
Plusieurs collgiens, l'allure suffisante
;
Sainte Sion,
ravissante
demeure,
Du
vrai bonheur
dHcieux
sjour,
Quand
viendra
l'heure
De ce beau jour
O je verrai
l'objet de mon amour ?
Une bande de galopins
bat du
tambour :
Mesm'zelles,
ce sont les rats,
Qui sont cause
que vous
n'dorm.ez
pas !
Et la
Cendrillon se
lamente :
Hlas
pendant ce temps,
Dolente
j'attends,
dolente.
Mon doux
prince
Charmant !
Rose comme une fille
apparat
Chrubin,
Au jabot mille fleurs et son cur
la mam
Mon cur
soupire
La nuit, le jour :
Qui peut me dire
Si c'est
d'amour ?
Des
tudiants
vocifrent :
Nous
Tirons dire sa mre
Pourquoi
l'enfant ne dort pas :
-
25
-
LA DANSE MACABRE
Ce sont les rats ma mre ?
Madame c'est le chat !
Et Cendrillon la pauvre fille
A Chrubin fait confidence :
26
-
LA DANSE MACABRE
Oh je souffre, mon Dieu, je soufre,
Dieu, mon Dieu, vais-je donc mourir ?
Chrubm, surpris et choqu dans sa pudeur :
Hlas,
Que le cur hlas me pse !
Une bande de Cancalaises
Passent avec leurs galants :
Au m.eurtre !
horreur !
Le squelette
:
Pas peur, ayez pas peur, mes belles
Car,
qu'est-ce qu'est l ?
C'est
Polichinel
mesm'zelles,
Pan !
qu'est-ce qu'est l ?
C'est
Polichinel que v'ia !
Polichinelle,
Amour : les cornes et les ailes !
Et les jeunes filles en chur,
Entourant le monstre lui crient :
Amour,
amour, flau des curs,
Apporte-nous
vite un mari !
-
32
-
LA
DANSE
MACABRE
Entendez-nous,
filles sages
Qui voulez vous
marier,
Prenez garde ce passage.
On
y
est souvent tromp :
On est li, si bien li
Qu'on ne peut plus se dlier.
Tous ces anges font les sages
Tant que sont marier,
Mais une fois en mnage,
C'est tout diables dchans :
On est li, si bien li,
Qu'on ne peut plus se dlier :
On voit dames aux fentres,
Pleurant le beau temps pass.
Qui disent : Que ne puis-je tre
Fille encore marier 1
33
LA DANSE MACABRE
Je
suis YImpudicit.
Je
suis la Jalousie
Je
suis YInconstance
Je
suis la Discorde
Je
ne veux pas avoir d'enfant,
Je
ne veux pas avoir d'enfant !
37
LA DANSE MACABRE
Infrangiblement enlacs.
Les couples de damns tournoient.
Et les feux des treintes ploient
Les corps que tordent les baisers.
Moi ]e les vois rouler comme a vu le pote
Qui reste mon soutien et mon guide et mon matre.
(L'Amour a dit :
Commencez.)
Hamlet tourne, pressant dans ses bras Ophlie :
Rver ou rver
Je
ne veux rver
Que de mon amie...
Les spectres bruissants tournent, tournent sans trve
Qu'importe la mort ?
Qu'importe la vie ?
L'amour est plus fort.
ma bien-aime.
Vivent nos faiblesses
Et ta force, amour !
Les spectres tournent en volutes magntiques :
-
44
LA DANSE MACABRE
Mercure les pourchasse avec son caduce :
Langoureusement enlacs
Les couples sans rien voir tournoient,
Et la Mort dit : C'est assez.
Eperdment enlacs,
Tournent la Mort et l'Amour.
Un squelette pochard plein de jus de bouteille :
Je
tonne et c'est la voix du matre qui t'appelle.
Tes joies je les martelle et tes deuils sous mes bonds
;
J'avertis les vivants, j'endors les moribonds.
Et j'veille les morts la vie ternelle.
Vincent porte Mireille et l'adjure tout bas :
47
L.\ DANSE MACABRE
Abailard tourne, autoui de lui tourne Hlose :
Je
ne sais qu'une heure,
C'est l'heure d'aimer !
Un flot de tournoyants les spar.' soudain :
Ptrarque entrane Laure^chappante sa main :
LA DANSE MACABRE
Un ange est venu, il ies a nommes :
Innocence, amour, et fidlit.
Est-ce un espoir vam, son essor me leurre ?
Au ciel entr 'ouvert, mystique demeure
Du seul amour vrai, s'envolent nos curs :
Esprance aime, anglique ardeur !
Mercure fait voluer le caduce :
Infrangibement enlacs,
Sans nen entendre, sans rien voir,
Aprement les fantmes tournent
;
Infrangibement enlacs
Tournent la Mort et l'Amour.
On entend supplier d'obscures voix plaintives :
49
4
LA DANSE MACABRE
Est-ce moi peut-tre qu'elle aime.
Qu'elle aime jusqu' en mourir ?
Grotesque et dchirant martyre,
Ne savoir qu'elle est sa pense.
Quel dlire cornu la mne :
Oh Dieu, le sait-elle elle-mme ?
Elle est femme, hlas ! c'est assez !
Un beau squelette obligem.mxnt s'est avanc :
Je
ne suis pas mchante, pargnez-moi ?
50
LA DANSE
MACABRE
J'ai
des yeux pour voir dans tes yeux,
Des lvres pour boire tes lvres.
J'ai
ma caresse pour
surprendre
Ton cur et sa danse
amoureuse,
J'ai
mes pleurs pour te dive.tir,
Mon sang pour te donner boi^,
Et si tu me trompes ce soir,
J'ai
mon couteau pour te punir !
On entend supplier
d'obscures
voix plaintives :
Oh !
qu'ternellement se fltrissent mes yeux !
Un squelette le force danser avec lui :
Si vraiment l'amour
Est rve et folie,
Est rve d'un jour...
53
LA DANSE MACABRE
Auprs de sa mie,
Qu'il fait bon dormir !
)
Qu'importe l'amour.
Et la vie qu'importe :
La Mort est plus forte !
Qu'importent beaut
Et vie infidle,
La Mort est plus belle !
Je
ne veux plus aimer que ma mre Marie !
Dans le cur d'une valle
-
55
-
LA DANSE MACABRE
D'un fleuve de pleurs noye
J'ai de mes mains criminelles
Ptri un sublime autel :
Ave Maria !
Un cur
y
pantle et tremble.
Baign des humbles ardeurs
De maint cierge et mainte fleur
,*
L'autel c'est moi tout ensemble r
Ave Maria !
Sur l'autel, d'amour nim.be,
S'illumine la Madone
Toute aimable et toute aime
Devant qui ce cur roula :
Ave Maria !
Tartufe, difi :
Bon cela, bon cela !
Don Juan :
La cloche dit :
Chrubin :
Qu'elle est belle en son habit de nonne !
Soyons pervers et grce au Ciel sduisons-la :
terrestre madone
A toi mon cur se donne,
Accueille-moi
;
D'une ardente couronne
Que ta main me fleuronne,
Exauce-moi !
Ou billerais, probablement.
il bleu qui te
meurs de te souvenir,
En son
honneur sans
fin tu
fleuriras
;
Crotre
pourras-tu,
fleur, tout
loisir :
Ta sve est mon sang, tu
l'puiseras,
Tout loisir, tout
loisir !
Quand
toute
force la fin
m'ayant fui,
L'auguste
Mort
viendra
cueillir mes yeux,
Vergiss-mein-nicht,
tu fleuriras pour lui
-
61
-
LA DANSE MACABRE
Sur mon cur noir, pour son cur oublieux.
Rien que pour lui, rien que pour lui !
Le docteur Faust la voit et frissonne sa vue :
Et je te vis,
Et je fus perdu !
Une folie
Emporta mes sens
;
Muse, rapprends-moi les purs chants du Mnale !
Mais Chrubin, reparaissant :
Petite htare
Qu'un soir je cueillis.
Quels mots sauront dire
Quel bien tu me fis ?
Ta caresse trange
Fait crier : Assez !
Coqume, cher ange,
Tu m'as terrass !...
-
62
-
LA DANSE MACABRE
Devant le prodige
De tant de vertu,
Quel ge as-tu, fis-je ?
Dix-sept ans, dis-tu :
Sur ton fruit d'enfance
Es-je mis quinze ans ?
Et par ta science
Tu en montres cent !...
65
LA DANSE MACABRE
Fainantes,
consolez-donc ce cher petit !
L'amour
peut-il donc choir de ses apothoses
A ce mange dgotant ?
Mercure rit
:
Si vraim.ent l'amour
Est rve et folie,
Est rve d'un jour,
Qu'importe la vie ?
La mort est plus belle,.
Le ciel est au bout :
Eployon3 nos ailes
Et renvolons-nous !
68
LA DANSE MACABRE
Mis mort avant de natre, .
Bnissons notre bonheur
;
Vers l'autei du Divin Matre
Retournons avec nos fleurs,
Nous aurons eu connatre
Ni la vie ni ses horreurs.
La ronde semble suspendue comxme en attente.
I
69
LA DANSE MACABRE
La ronde semble suspendue comme en attente.
Une forme voile approche, grave et lente,
A la rencontre de trois sublimes passants :
Don Juan,
don Quichotte, et, le troisime, Dante,
Et marche au chevalier tout en se dvoilant :
Je
suis Monna Lisa qu'on nomme la Joconde
;
Nulle femme ne fut aussi belle que moi
;
Suspends, vieux paladin, tes courses par le monde :
Celle que tu cherchais vient se donner toi.
Don Quichotte s'tonne et lentement dploie.
Un grand vlin sur quoi nul dessin n*est port
;
Il le contemple avec amoureuse joie,
Puis, sur un long salut plein de solennit :
Monsieur,
Remarquez-vous ? cete impudique fille d'Eve
A la poitrine maigre et louche des deux yeux.
La dame vient Dante avec un lent sourire
;
Mais lui :
Je
connais bien ce sourire et ta voix
;
A travers eux j'observe un squelette reluire...
Puis il chante en faisant un grand signe de croix :
connatre ma dame :
Ses traits rels au cur de mon cur sont cachs
Ainsi que la lumire au germe de la flamme
;
L'autre est un innocent prestige corporel
Qui prte l'alimxnt mon spectre charnel.
Il s'loigne. La femme nouveau s'est voile
;
Don
Juan court sur elle, il la poursuit, l'atteint,
La presse dans ses bras.,, elle s'est envole,
Lui jetant dans un rire :
Epouse ton destin !
La cloche tinte :
Attends ton heure, attends ton heure !
En voil une,
La jolie une,
Une s'en va : hardi l !
Deux revient : a va bien !
Et l'arme immense
Des spectres en chur
Sur place qui danse,
Chante avec fureur :
76
LA DANSE MACABRE
Et des femmes descendent en immense file,
On n'en voit pas la fin
;
elles se mettent nues
;
Les croque-morts les ont saisies, leurs doigts agiles
A mesure dans les Imceus les ont cousues
;
*
Dans les cercueils bants une une ils les couchent
;
Les fossoyeurs infatigables s empressant
Glissent les cercueils dans les fosses qu'ils rebouchent,
Et vont plus loin en creuser d'aulres en chantant :
En voil une,
La jolie une,
Une s'en va : hardi l !
Deux revient : a va bien !
Et les femmes sans fin, toujours dansant, s'lancent
Vers les croque-morts noirs dont s'allongent les bras,
Et sans fin la besogne trange recommence.
A.rlequin :
Et ce bras le premier
l'engourdit, le balance
<'
Et lui donne un dsir d'amour et d'indolence.
<
Troubl dans l'action, troubl dans le dessein,
78
LA DANSE MACABRE
Don Juan
s'emporte vers une et la capture :
Tourne, tourne !
Et le Juif Errant fait bondir son noir archet
En glapissant toujours :
Eritis ! eritis !
Les croque-morts s'emparent de la femme nue
;
Elle rit, d'une main preste ils l'ensevelissent,
La passent aux zls fossoyeurs qui saluent :
En voil une,
La jolie une,
Une s'en va, hardi l !
Deux revient, a va bien !
Don
Juan se ruant vers une autre danseuse
L'enlace, la dvoile et la rejette au loin,
Et sans fin se rpand le fleuve d'amoureuses,
Et les spectres autour vocifrent sans fin :
79
-
LA DANSE MACABRE
Six masques ont paru : avec Arlequin, sept.
Scaramouche, tout noir, sourcilleux, solennel,
C'est Jupiter, une aile d'aigle au serre-tte
;
Pierrot, blanc comme la Lune
;
Poichmel,
Rougeoyant, avin, sanglant, farouche trogne.
Bossu, ventru, tout cuirass, donne le bras
Avec des airs pms la mre Gigogne :
Qui, chauve com.me un crne humain en falbalas,
Se mire, mamelue et telle une truie pleine,
Dans l'auguste miroir de Vnus ou Cypris
;
Cassandre, vieux, hideux, ratatin, se trane,
Ficel dans sa houppelande vert-de-gris,
Constell de boutons de plomb
;
le beau Landre
En perruque de Roi-Soieil, est cousu d or
,*
Autour d'eux Arlequin, face couleur de cendre,
Frtille et rit dans son maillot multicolor :
Lui c'est le prince du vif-argent, c'est Mercure
;
Son bicorne chapeau sur l'oreille plant
Au Diable fait penser, et il bat la mesure
Avec sa batte en qui renat le caduce.
masques recouvrant eux aussi des squelettes,
Sont-ils les Pchs capitaux en carnaval
Ou dmons tourmentant du fond des sept plantes
Nos tristes curs humains crouis par le Mal ?
Et les femmes toujours descendent, qu'on enterre
Sitt que don Juan
les a mises nu,
-
80
-
LA
DANSE
MACABRE
Et les
masques lui rient au nez, crient, vocifrent,
Lardant les
femmes de sarcasmes incongrus,
D'odes
ferventes, de
madrigaux
libertins,
Et Arlequin tout
dclamant mne le branle :
Gais volcans,
sources
fraches, seins,
Gorges,
ventres,
blancheurs, au vent.
Hors la
chemiserie sournoise.
Gorges,
gorges,
gorges, pointant,
Battant,
sautant, se cherchant noise !
Gorges,
gorges,
gorges, gorges,
Sucres d or^^e,
soufflets de forge.
Roi Printemps
parmi tes bourgeons
Fais-les
sourdre et germer,
gorges,
Tandis que nous autres songeons
A de
jusques-o-donc
plongeons !
Gorges,
gorges, et le complment
De ces
cyniques
oiseaux roses.
Batifolages
triomphants !
Sous les
prisons plus ou moins closes
Notre
il filtre,
apprcie les choses,...
Hlas o sont nos beaux vingt ans ?...
81
-
LA DANSE MACABRE
Vous brandir tous, droits et hautains,
Au vent qui vous caresse et passe !
Et nous, chantons vos litanies !
Et tous alors tandis que don Juan gmit :
Gorgettes douillettes,
Des filles honntes !
Gorges dsutes.
Lamentable lard !
Gorges ravines !
Gorges calmes !
Gorges malmenes
Par les jeux d'amour
Gorges surmenes !
Gorges surannes !
Gorges basanes
Comme un vieux tambour !
Gorges en dlire !
Et les morts :
La chemise glisse,
Un sein a jailli :
-83
LA DANSE MACABRE
L'autre se hrisse
A demi retient
Le lin suspendu...
Un sein a jailli
Comme une fleur s^ouvre.
Comme clate un fruit
C'est rien qu'un clair
L'autre sein jaillit...
Jusque sur la croupe
La chemise glisse,
Un moment hsite
Au-dessus des cuisses
Et puis se rpand :
Angoisse et dlice,
Le fruit a jailli !...
Les masques, tous :
Ahi, ahi !
Et don Juan
:
Une autre, une autre, mon caeur brle !
Gorges minuscules
O font les veinules
Des brumes hlas...
Gorges de matrulles !
Gorges de nourrices
-84
-
LA DANSE MACABRE
Gorges sans malice,
Litire dlices
Des enfants de Mars !
Gvorges majuscules !
Et don Juan
:
Une autre, une autre, une autre encor !
83
-
LA DANSE MACABRE
Et tous en chur :
Gorges violentes,
Gorges cahotes
Qui font plouf plouf plouf !
Gorges effrontes !
Gorges provocantes,
Gorges capricantes !
Gorges dcadentes
S'aggravant de poufs !
Gorges moribondes !
Don Juan :
Une, enfin, que jamais je n'ai vue !
Gorges ithyphalles,
Couples de cavales
Bondissant de rut !
Gorges infernales !
Gorges ceurrouces
Aux pointes dresses !
Gorges retrousses
Qui rpondent : Zut !
Gorges insenses !
Et don Juan
:
Une autre 1 eh quoi n'en est-il plus ?
Gorges de ribaudes !
-
88
-
LA DANSE MACABRE
Gorges de malades,
Gorges pommades
Et potions fades,
Oh lala, lala !
Gorges puises !
Don
Juan :
Une encore ! une qui me contente !
LA DANSE MACABRE
ventre souriant,
Inoue vastltude,
Elastique blancheur,
Solitude blouie !
Astre en notre orient,
Magie de clair de lune,
Srnit qui tremble,
Ciel d'blouissements !
Un va-et-vient de chair,
De sang et de viscres
Sans arrt sous ce dme
Fermente, qu'il distend
;
Tout orgueil et misre
En tel seuil se confondent :
Ce globe qui digre
Est grand comme le monde.
Tous :
Gorges libertines
Qui font les mutines,
Quand l'amant s'obstine
Et devient pressant !
Gorges dpraves !
Don
Juan :
Il s'ouvre, il se referme,
Ce miraculeux ventre
;
Toute ordure
y
fermente.
Toute semence
y
germe
;
cloaque et matrice,
Gsine et pourriture
;
Insondable orifice.
Tout s'y fait nourriture.
Et, nature complice.
Au fond de son conduit
Nos destins s'accomplissent
Et se couve la vie !
91
LA
DANSE MACABRE
Gorges dcouvertes.
Gorge tous offertes...
Gorges en parade !
Gorges de tnbades
Que rendent malades
Leurs amusements !
Gorges rabougries !
Gorge de Faustine,
Gorge de Fantine,
Gorge de Las
Gorge de Justine !
De la Melpomne,
De Diane, Hlne,
Et de toi, leur reine,
Vnus Victrix !
Gorges immortelles !.
-
93
-
L^ DANSE MACABRE
Chastes ou ftides.
Roses ou livides.
Gorges pleines, vides,
Trop ou pas du tout.
Rien n'gale celles
Des vertes pucelles.
Nulles tant n'excellent
Pour affrioler
Quand l't les dresse.
Les gonfle et caresse,
Fiers fruits d'allgresse
Bons dvorer !
Don Juan
:
Dieu du ciel, si je pouvais pleurer !
Mais Pierrot s'est dress comme en apothose :
Mre de misricorde,
Ma vie et mon espoir, salut !
Notre-Dame Marie, accorde
Ton aide moi qui tends les bras !
La cloche tinte avec toujours plus de douceur :
97
-
LA DANSE MACABRE
99
LA DANSE
MACABRE
Sois
fconde, reste belle
Et ne te mle de rien :
Autant
pse ta cervelle
Que la fente de ton engin !
101
-
LA DANSE MACABRE
102
-
LA
DANSE
MACABRE
L'nigme qui fait ton supplice
Et ta dlice avec, hlas !
Matrise des deux mains la rvolte des cuisses.
Plonge ton sceptre d'homme en ce ventre tendu
Qui remue ainsi qu'une vague,
drisoire
souverain :
Cherche le cur et cherche en vain !
Vide-toi tout
entier comme un dieu frntique
Dans le calice qui dborde et veut encore.
Tu sentiras sous la dlice
Qui te survit comme un remords.
Sourdre le spasme de la mort !
Jamais,
jamais, oh
jamais
plus !
Pleurez
Phallus,
Phallus est
mort
;
Attis est mort,
pleurez
Attis
;
Pleurez
le grand
Pan qui est mort,
Et
Adonis, et
Adonis,
Phallus,
Phallus,
hlas !
Pleurez
: Adonis,
Attis-Adonis
Saigne
sur la
mousse :
Linus !
Le sang
clabousse
Son
pur
ventre
rose
Et
souille
ses
cuisses :
Linus !
-
106
-
LA DANSE MACABRE
L'ineffable sexe.
Lacr, s'puise,
Cherche la Desse :
Linus !
Tournez en gmissant et vous battant les seins
Autour du corps sans sexe du fils de Vnus
;
Tournez en gmissant et secouant les sistres
Autour du corps martyr de l'poux de Vnus
;
Tournez en gmissant et repoussant les hommes
Autour du corps sans sexe du fils de Vnus
,*
Tournez en gmissant et baisez sur ses plaies
Le corps dsexu de l'poux de Vnus,
Linus !
L'amour est mort, l'amour est mort, l'amour est mort !
La Dame aux Camlias qui se meurt et qui brave :
Je
me vide comme un cadavre,
Je
vieillis par jour de dix ans.
Je
m'alimente de la bave
Que me dchargent mes amants :
Bah,
Encore un poumon a cracher !
Je
hais les femmes et les hommes
Je
hais jusqu'aux petits enfants,
-
107
-
LA DANSE MACABRE
Mol qui n'en aurai point, moi femme
Dont l'amour calcina les flancs
;
Mon corps diligemment laboure
Pour avancer l'ouvrage aux vers
;
Je
suis pour corrompre et dissoudre
;
Je
voudrais pourrir 1 univers.
(Encore un poumon cracher
!)
J'en
ai verdi dj des hommes,
Et des femmes, et combien encor !
J'en
nettoierai d'autres, Mesdames,
Et puis
j
en nettoierai encor !
Pourtant je n'tais pas mchante,
J'ai
tourn mal et voil tout :
Mais comment regravir ta pente.
Chemin de larmes et de boues ?
(Encore un poumon cracher)
Ah malgr tout, ah quelle vie.
Et par ma faute il est certain :
Notre-Dame Vierge Marie,
Pourquoi me suis-]e fait putain ?
Priez pour moi, Vierge si bonne,
Pour que je me rachte un jour.
Votre Fils le Sauveur des hommes
Pour qui vous etes tant d'amour :
-
108
-
LA
DANSE
MACABRE
Et
comme
Marie
-Madeleine
Qui
pcha comme moi et plus,
Qu'au ciel pour prix de tant de peines,
J'entre un
jour, aprs les lus !
Les
pleureuses
:
Alfred de Musset,
l'il vitreux,
rauque de voix,
Ange dsagrg
par les
toxiques
bus :
Je
passais ce soir-l
dans une rue
filles :
Une d'elles vint donc se frotter contre moi
Et me dit : Beau
garon veux-tu
monter chez moi ?
Je
suis belle, sais-tu,
amoureuse et
gentille.
De notre peau
saurons-nous
t'arracher,
guenille.
Lpre au cur,
cancer de tout le reste
la fois ?
Secou
par l'lan de la bte en moi.
J'ai
fait oui de la tte
et j'ai suivi. La fille...
(Paix, hlas, au
prlude !)
elle se
dshabille.
Et
dnudant ce corps
pollu tant de fois,
Jsus
! avec des peurs et des pleurs plein sa voix :
Prends
garde, ne
m'afflige pas de tout ton poids...
Et, livrant son ventre
arrondi comme une bille :
C'est
que je suis, vois-tu,
enceinte de cinq mois !
pauvre,
pauvre
chair des femmes !
109
-
LA DANSE MACABRE
Ophlie passe, des fleurs dans ses cheveux blancs :
110
LA
DANSE
MACABRE
Hamlet,
que la cirrhose et 1 alclisme
guettent
Quinze
ans, Romo, l'ge de Juliette !
Baudelaire,
dit-on
vierge, coup sr martyr :
.
Pauvres, pauvres
chairs de femm.es,
Pour vous l'amour n'est pas plaisir,
La volupt
n'est pas
plaisir.
Et le plaisir n'est pas plaisir !
Le vers vous ronge et vous afFame
De sa faim vorace ;
il rclame
Du
mle, du
mle
Et du mle : il faut l'assouvir !
Quand vous
bramez entre nos bras,
Pauvres
surs, que vos corps se tordent
(Spasmes
funbres
!)
que nous mordent
Vos
baisers
chaleureux et gras,
C'est le glas, le glas.
C'est le tocsin du
trpas.
Quand nous
emmlons dans l'alcve
Nos os
pour la chaude
oraison,
Vous
suez le fumet du fauve,
lamentables
venaisons.
Oh
hallali, hallali,
La bte
chauffe et meurtrie !
111
-
L\ DANSE MACABRE
Sous l'amoureuse exhalaison
Du bas-ventre de l'amoureuse
En amoureuse pmoison.
Amant oii prends-tu ton courage
Pour conclure sans renier
L'amour ton amoureux ouvrage,
Tant du corps chri se dgage
L'exacte haleine du charnier !
Et direz-vous qae je difame,
O surs, mes dplorables surs ?
O pauvres, pauvres chairs de femmes,
Soyez vnres en nos curs,
Vous imprativement tendres
Voix de l'inluctable sort,
Qui murmure qui sait entendre :
Prpare-toi, frre, la mort !
Oh, ma superbe
pouse la vaste
poitrine
Que deux
bossoirs tendus
lanaient
en avant,
113
-
LA DANSE MACABRE
Et son fier ventre blanc gnreux aux gsines,
Et son grand cur qui fit de l'poux triomphant
Le plus cher de ses douze enfants !
-
114
LA DANSE MACABRE
(
On est li, si bien li
Qu'on ne peut plus se dlier
!)
Je
voudrais tre femme et m'avoir pour amant.
Je
voudrais tre femme et m'avoir pour matresse
Je
m'puise rver d'affreux raffinements,
Je
choie mon vice et je dguste ma bassesse...
Je
voudrais souffrir et faire souffrir... souffrir,
Subir ! me sentir dchir comme la terre
Par le soc dvorant d'un autre homme... sentir
Une chair en ardeur carteler mes chairs !
Je
voudrais dchirer de la chair ! Oh, le sang,
Oh, le lait, oh tout ce qui jaillit des mamelles
Martyres... oh, souffrir, faire souffrir, le sang,
-
113
-
LA DANSE MACABRE
Le lait, les cris, le renversement des prunelles.
Les hurlements,
le sang, le sang, le sang, le sang !
Je
l'ai vue, je l'ai prise,
Je
m'en veux maintenant.
Mais le dsir nous grise.
Et le bonheur n'a qu'un instant.
Dans ma fureur aveugle.
Je
ne savais plus ce que je faisais
^
;
Elle tait blanche, elle tait jeune,
C'tait tout ce que je voyais.
On m'a coup la tte.
C'est bien ce qu'on a fait de mieux
;
Mon forfait je le regrette.
J'en
demande pardon Dieu :
Notre Pre qui tes aux cieux,
Pardonnez-moi et la petite.
Notre Pre qui tes aux cieux,
Laissez-moi lui dire adieu !
1 . Ces six premiers vers sont de Mnesclou lui-mme.
-
116
-
LA DANSE MACABRE
Madame Membre, proxnte passions :
117
-
LA DANSE MACABRE
119
LA DANSE MACABRE
Un tremblotant dandie au triomphal sourire r
Bonsoir !
120
-
LA DANSE MACABRE
Un chur cjniquement amer de carabins :
121
-
LA DANSE MACABRE
Je
suis une marraine autrement redoute
Que tout l'obscur troupeau de vaines dits
Qu'a suppli jamais la morne humanit
;
Je
courbe sous ma loi de reine inconteste
Un milliards de sujets et n'ai pas un athe.
Qu'ils passent, les vainqueurs ! qu'ils croulent, les autels !
Que s'effacent les noms des tables et des stles,
Que s'eface l'amour enfin, je reste et telle,
Moi seule, et vois leur mort, tous ces immortels !
Je
rgne par l'horreur
;
les cheveux se hrissent :
J'ai
souffl
;
je me nomme et les faces blmissent
Et tremblent les humains ainsi qu'au vent des lys,
A mon nom doux comme l'amour : La Syphilis !
Des voix tournent dans l'air :
Attis ! Attis ! Attis !
Aphrodite ,Aphrodit !
Adonis, Adonis, o es-tu ?
Phallus, Phallus, hlas !
-
122
-
LA DANSE MACABRE
Le cul-de-jatte bondit, hurlant :
Me voici !
Et si vlocement sur son membre lastique
Qu'il semble tre a mme honteusement grossi :
123
-
LA DANSE MACABRE
Mne-nous tous dansants jusqu' l'ternel goufre
O nous pourrons crier : Enfin !
Les chats :
Je
t'gorge si tu l'emmnes !...
Lycaon pourchasse Daphnis :
124
-
LA DANSE MACABRE
Crie une autre voix eiare :
Eurydice, par un reptile
Monstrueux et divin force
;
Orphe et sa plainte inutile
Ameute l'assaut furibond
Des Mnades namoures,
Dont ne laisse la draison
Qu'un amas de chairs mutiles.
Les humains crient :
Tu dis ?
Et le sage :
127
LA DANSE MACABRE
Comble d'horreur ! le monstre accroupi se vidange
Sans arrt comme il mange et dcharge l'amour,
Laisse chapper sous lui le fruit de ce qu'il mange,
Fleuve d'immonde fange, et, prodige en retour.
Le purulent amas aussitt ressuscite,
Engendre d'autres corps, d'o monte l'unisson
Le cri : Merci Seigneur ! et tous se prcipitent
Vers l'arrosage infme et le croc du dmon.
Et le plus effrayant est la tristesse affreuse
De l'tre gigantesque accroupi dans le noir.
De la face de qui, morne et silencieuse,
Ruisselle comme une sueur de dsespoir.
Autour c'est un vertige tel qui tourbillonne
Que rien ne se discerne des individus
;
Un hourvan assourdissant et monotone
Roule en son ouragan tous les cris confondus.
Je
titube en l'infme ocan dont les lames.
Oscillant enchevtrement de volupts,
Grappes brlantes de corps d'hommes et de femmes,
Battent ma chair sous un roulis de nudits
;
-
128
-
LA DANSE MACABRE
Lvres sans nombre, mains, muqueuses, pidermes,
Seins brandis, sems tordus, vrilles de leurs ttins,
Membres, limes, prisons qui s'ouvrent, se referment,
Et ventres sur mon ventre crasant leurs satins.
Des escadrons de doigts exasprs me fouillent,
Les ongles dans la chair m'entrent avec fureur,
Tous les suintements, tous les baisers me souillent.
Crinires et toisons me cardent jusqu'au cur.
Et partout o mes yeux multiplis se plongent.
Se multiplie l'invraisemblable emmlement
De corps et de vapeurs qui se tordent, s'allongent,
Se pntrent, se nouent, sanglants, suants, fumants
;
Et l'affreux hourvan de clameurs insenses,
Rires o l'hystrie et ses sanglots fls
Tintent, sanglots, jurons, voix chantant, voix brises,
Hurlem.ents, gloussements, cris d'tres viols,
Pesant ondulement de senteurs amoureuses.
Sueurs, pets et hoquets, curantes fadeurs,
Relents de fauves, exhalaisons butyreuses.
Tout ce que laisse aller l'tre humain en chaleur.
Et ma raison hennit aprs la bacchanale,
Je
me dbats contre moi-mme en implorant
129
9
LA DANSE MACABRE
L'amour tyran des dieux et des hommes, je rle.
Le dsir m'cartle et danse dans mon sang
;
Il me saisit vivant, m aveugle et me terrasse.
Il me tord comme un ver lanc dans un bcher
;
Des touffeurs, des froideurs circulent sur ma face,
Ma chair brame vers la torride chevauche.
Moi, moi, est-ce moi qui me rvais un ange ?
S appelle-t-elle amour, cette fivre sans nom ?
Je
me dbats en vain contre ma propre fange :
Je
suis un tre absolument semblable Dieu.
Et le brouillard s'est rsolu
;
Des chaleurs montent, m'touffant,
Un carrefour immense et nu
S'illimite lugubrement.
Un astre qui n'est pas du ciel
Dverse flots silencieux
Sa lumire torrentielle
Calcinant sourdement les yeux
;
Seuil d'une usihe monstrueuse,
Enfer au centre de l'enfer,
O la transe la plus affreuse
Est un silence de dsert
;
-
131
L.\ DANSE MACABRE
L'air rutile et l'ombre flamboie,
Plus brlante que la lumire
;
La salive est comme la poix,
La bouche ahane aprs les flasques bouffes d'air.
Un difice colossal tel qu'une usine,
Masse imprcise, roc, mtal et ossem.ents,
Montagne qui semble palpiter, se dessine
A travers les fumes en spirales mentant :
Je
crois revoir, agrandies encore, les formes
De l'tre monstrueux ici mme accroupi
;
Sur... est-ce ses genoux ? est-ce une plate-forme ?
Un sphinx vivant, frileux et coquet, se tapit.
C'est un sphinx immobile et vivant, blanc et rose
;
Le fumeux ouragan tourne et s'acharne en vain
Sur son gracile corps de femme, qui n'oppose
Que le double bouton frais de ses petits sems
;
Non plus n'blouit-il l'azur des deux prunelles
Dardant un regard clair et fixe tonnamment
Ni ne gerce la nacre habillant ce corps frle
Qu'on dirait compos de minraux charmants :
132
LA
DANSE
MACABRE
Monstre
joli,
monstre
insolemment
impavide.
Ton
regard
inerte et vide
Qui sourit,
scintille et dort,
Vous
aspire
comme un
goufre...
Une voix
quelque
part ricane :
Amour et mort !
Telle une
flamme de soufre
Quel feu luit sous ta
prunelle
Doucereusement
placide,
Profonde
comme
le vide.
Pesante
comme le monde
Ou
l'effroi
qu'elle recle ?
C'est un feu qui
brle et gle.
Une
flamme au fond d'une
onde...
Amour et mort,
L'explorateur
tmraire
De ton
vertige est sa
proie
;
Goutte goutte le vont
traire
Les
ventouses de
l'effroi
;
La soif morne le dvore :
Te boire, tre bu par toi !
-
133
-
LA DANSE MACABRE
Volupt atroce, il voit
Se vider son flanc, son cur...
Amour et mort.
Paresseusement il meurt,
Sans qu'aient boug tes prunelles,
Et leur ombre avec douceur
L'ensevelit en silence.
Et la grinante voix ricane :
Amour et mort.
J'ai
voulu me voir le vamqueur
De la diablerie apparue
;
Et tels les monstrueux lutteurs
L'un autour de l'autre voluent,
Ruisselants d'huile et de sueur :
La place et la minute ils guettent
Pour l'treinte dont tout dpend
;
Amsi rdais-]e autour de l'tre
Amoureux, funbre et charmant :
Jette
l'nigme si tu l'oses :
Je
devme ou tu me dvores.
Les oreilles pomtues et roses
N'ont pas vibr plus que le corps
;
134
LA DANSE MACABRE
Les lvres obstinment closes
Semblrent plus closes encor.
J'ai rpt :
Monstre stupide
Qui tue sans savoir et sans voir,
Dclos ta bouche rose, avide
Comme un sexe d'pouse en fleur,
Ouvre l'enfer de ta mchoire !
.Mais nulle lvre n'a frmi.
Et je plongeai comme en un rve.
Hors de moi, tremblant, furieux.
Mes regards comme un double glaive
Jusqu'au fond des prunelles bleues :
Dis l'nigme aprs quoi je meurs.
Puis dvore-moi si tu veux !
Les clairs yeux sont rests stupides,
Et j'aperus avec horreur
Que c'tait rien que deux trous vides,
Les trous d'une tte de mort.
Et j'ai fui hagard et livide.
Blasphmant, pleurant tour tour,
Pour n'avoir pu comme mes frres
Expirer d'angoisse et d'amour
Et me laisser tristement traire
Par le gouffre muet et sourd.
-
135
-
LA DANSE MACABRE
Et la grinante voix me poursuit, si connue,
Sortie, glaant mon cur, de l'ombre spulcrale
(Est-ce ricanem.ent d'un noir dmon cornu.
Ou bien piaulement funbre d'un chacal
?)
Et gapit :
Je
danse.
Quand se lvent mes bras s'agite l'univers
Et se figure un mort qui sort de son tombeau
;
Les mondes mon pas s'meuvent en cadence,
Je
vais sans savoir o, et mes deux bras ouverts,
Mon corps ingnument danse, et c'est toujours beau !
Je
suis fille, folle fille
Qui s'avance en sautillant
Dans ses jupes qui frtillent
Au tumulte provocant.
Ma chair blonde est ma cuirasse,
Toute arme et toute nue.
Fleur et braise, neige et glace.
Je
passe, flamme et statue.
Mes talons je les secoue
Comme on lche ses sabots
;
Sur mes deux pointes debout,
Je
danse, et c'est toujours beau.
Plus de pieds et plus de ventre,
Plus de cerveau ni de cur.
Je tourne autour de mon centre,
J'abroge la pesanteur.
137
LA DANSE MACABRE
Je
SUIS une fleur qui danse,
Et de sexe dleste,
Tout ce qui meut les sens.
Je
le transpose en beaut
;
Je
ne touche plus la terre,
Je
suis toile vraiment.
Je
tourne comme les sphres
Suspendues au firmament.
Mes jupes sont aurole,
La pesanteur me soulve,
Je
tourne, vire et m'envole
Comme un rve entrane un rve :
Fleur sans odeur ni semence,
Astre strilement pur.
Il me suffit que je danse
En silence dans l'azur.
Elle chante cela d'une voix inhumaine,
D'une voix qui d'une machine semble issir :
On
y
peroit comme un bruit de roues et de chanes
Par cela mme elle vous trouble et vous attire.
Jamais vit-on merveille, Divine, aussi pure ?
Tu es la Beaut mme et dnude de tout.
Mme d'elle, tu es l'essence et la mesure
Et ta propre gomtrie dresse debout
;
-
138
LA DANSE
MACABRE
Laisse, dt l'univers chavirer, que j'arrte
Ta danse pour la dnombrer, laisse saisir
Ton corps insaisissable !
Hlas, elle rpte :
Je
danse, danse, danse... et s'enfuit dans un rire.
Je
pense l'arrter, je pense l'avoir prise,
La voici dans mes bras, et qui rpte encor :
Je
danse
! Et dans un cri de ressorts qui se brisent,
Je
vois se disloquer
l'imarcessible
corps.
C'est plus rien qu'un chaos de rouages inertes.
Squelette de mtal tincelant,
pendu
Ainsi
qu'une araigne en sa toile dserte.
Au centre d'un toilement de fils tendus.
Eh oui c'est le rseau qui vaguement s'irise
D'une araigne
entre ciel et terre oscillant :
La nuit se dsagrge,
une aigre bue grise
Palpite, telle est l'aube en un frileux printemps.
Ce que j'ai pris pour un froissement mtallique
N'est que le frisselis d'un grillon matinal
;
Au centre de la toile une araigne s'applique
A compliquer le tremblotant et lent ddale
139
LA DANSE MACABRE
De fils s'enchevtrant -comme les destmes.
Voici lui-mm.e le grillon menu, cornu,
Luisant : son grincement semble me ricaner
Le satanique avis tant de foiS entendu :
Magnificat
! mon me a bni son Seigneur,
Mon tre entier dfaille d'allgresse,
Il est ravi en mon Sauveur.
Et j'entends l'herbe frmissante :
Aux affams
II a dispens abondance
Et Vopulent II la renvoy dmuni :
Saint est le nom de mon Sauveur.
Et j'entends les morts mnombrables
148
LA DANSE MACABRE
Des clameurs prsent sous mes oreilles grondent :
Est-ce l'Enfer qui monte, est-ce le Paradis ?
Et toujours grossissant, l'image se rapproche
De braises que d'immenses bras feraient tourner
Sous l'affolant brouh d'un milliard de cloches :
Est-ce l'Enfer, ses feux, ses roues et ses damns ?
Ou bien s'est-il, ce ciel, transport sur la terre
(Ou cet nfer
?)
est-ce la terre au loin qui luit ?
Quelque affreuse cit flambant comme un cratre ?
O suis-je ? o m'as-tu donc, Dieu tout-puissant, conduit ?
Soudain, la nuit.
J'y
plonge en nageur qui se noie,
D'absurdes bhmoths de mtal anim
Emportent machinalement l'humaine proie
Parmi des tourbillons de flamm.e et de fumie.
Quel cratre mteint m'enferme, humaine pave ?
Un phosphore aux vapeurs blafardes charge l'air
Comme en les nuits d'orage au-dessus des cadavres,
Et tels des chapelets de lampes funraires
Ou de ttes de mort qui seraient translucides,
Des globes suspendus dversent, vertes, bleues
Et violettes, leurs effusions morbides,
Lueurs geles, plus corrosives que le feu.
149
LA DANSE MACABRE
SI c'est une cit c'est la cit des spectres
;
Son noir ciel (est-ce un ciel
?) est dvor d'clairs
O j'ai cru voir, zig-zags d'incandescents salptres,
Les lettres de ce mot sinistre : LuciFER.
C'est la ville diabolique et qui flamboie,
Qui ne connat ni nuit ni jour, qui ne connat
Ni crpuscule ni matin, ni paix ni joie,
La ville hallucine o l'on ne dort jamais.
Si je n'aperois point ses myriades d'tres,
C'est que ce sont des morts frapps d'pilepsie
;
Ils n'ont plus d'me, ils l'ont crache, ils sont des spectres
Faudra-t-il pour les voir que je sois mort aussi ?
Enfer le plus hideux, enfer gomtrique.
Ddale d'avenues, de places, de circuits :
Absurde et maladive, une obscure logique
S'est entte l'enchevtrage inou
De ces rseaux qui s'irradient avec dmence.
Dans tous les sens, se traversant angles droits,
Fuyant on ne sait o, que des cercles immenses
Fauchent, lancs mme, on ignore pourquoi.
Les parois sont fores, taraudes de cellules
Que je devine avec horreur tre habites,
-
150
-
LA DANSE MACABRE
Et je comprends qu'au fond de tout cela pullule
Une indistincte et rpulsive humanit.
C'est croire qu'eux-mmes ces spulcres bougent
Est-elle de caillots de sang et d'ossements,
Leur matire, amalgame non" ou gris et rouge.
Ou de brique, de suie, de pltre, de ciment ?
Et tour tour je m'imagine en un cratre
Prs de s'teindre, et puis dans un cerveau humam
Avec tous ses replis, ou l'horreur d'un ulcre.
Puis dans un ventre dvidant ses mtestms
;
^
Mais l'obsession la plus prcise de toutes
Est d'un cerveau toujours, ou cerveau d'un dment
Ou bien cerveau d'un mort, et dont l'osseuse vote
Figure cet opaque et fumeux firmament
;
Et j'prouve toujours la prsence odieuse
D'un gluant grouillement de larves pourchasses :
Ainsi les flots sans fin d'une mer orageuse
Dans un remous (peut-tre larves de penses
?)
Ou bien ces tourbillons de feuilles automnales
Dont se joue la rafale la tombe du jour...
L'horrible est qu'une fois prisonnier du ddale
Il en faut un un suivre tous les dtours
-
151
LA DANSE MACABRE
Et comme un fou tourner ou comme un somnambule
Dirai-]e jusqu' en mourir ? non : puisqu'ici,
Convulsif ossuaire, uniquement ambulent
Des espces de spectres en pilepsie !
Le long de ces parois courent des critures
Faites de traits de foudre : apparues, disparues.
Rapparues, temps gaux, elles fulgurent,
Lancinantes comme les douleurs des perclus.
Et je lis, mme si je bouche mes paupires :
152
LA DANSE MACABRE
Je
me demande si j'avance ou bien recule
;
Un temps s'coule, un inapprciable temps,
Et la sensation qu'autour de mxOi pullule
Une foule, grandit, cauchemar obsdant.
Soudam, l'horreur, la grande horreur m'est apparue !
J'ai vu, mon Dieu,
]
ai vu, sans en mourir d'effroi :
L'arme immonde accourt, tout palpite et remue.
Se multiplie, bondit, m'entoure et vient sur moi.
Procession d'enfer ! (etc.)
Tout coup je frissonne, un tre est contre mioi,
C'est un squelette, il est vtu, selon la mode.
D'un complet carreaux
;
il grelotte de froid.
Ses pieds boitent dans des escarpins incommodes,
Il fait le beau, fantoche aux airs de petit vieux.
Sa main de blanc gante tourmente une badine.
Deux braises luisent dans les trous que sont ses yeux
Il grince tandis qu'avec grce il se dandine :
Je
suis un tre absolument semblable Dieu.
Je
ne te connais pas et voil que je tremble
De te reconnatre, fantme absurde, voix
153
LA DANSE MACABRE
Charge de sous-entendus lointains : et me semble
Jadis dj t'avoir entendue bien des fois
;
Etait-ce hier encore, tait-ce tout l'heure
Ou tait-ce voici des mille et des mille ans ?
A travers cette voix qui congle le cur,
11 me semble que c'est moi-mme que j'entends !
Je
hausse les paules pourtant :
Je
vous me,
Larves closes dans les bas-fonds du cerveau.
Je
nie mes sens quand ]e les vois pris de folie.
Et jusqu' m.a raison quand elle est en dfaut !
Mais lui (voit-il mon cur contre soi se dbattre
?)
Oh oh, le Diable, oh oh !
155
-
ACHEVE D IMPRIMER
LE 8 NOVEMBRE
1920
PAR
l'imprimerie
FRDRIC
PAILLART
A ABBEVILLE
(sOMME)
M
PQ Faille! , Georges
2611 La danse macabre
A343
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