Productivit et rentabilit de la betterave

sucre
irrigue au goutte goutte dans les sols
sableux de Larache

Introduction
Dans les formations sableuses ctires de Larache, irrigues par aspersion, la betterave a t
dfinitivement abandonne au profit de la canne sucre en raison, semble-t-il, d'une productivit
faible et d'une rentabilit dcevante. Seules quelques proprits situes sur des taches noirtres de
bas-fonds, riches en humus, mais d'importance limite, continuent encore de pratiquer cette
culture.
En 2007, la Socit Mazaria a men sur ces sables une premire exprience de production de la
betterave sur 115 ha, en utilisant le goutte goutte comme systme d'irrigation.
Au terme de cette exprience, des rsultats trs prometteurs ont t obtenus, remettant
totalement en cause l'ide ancre dans le primtre, que les textures sableuses ne conviennent pas
la betterave sucre.
Le but de ce bulletin est de prsenter au lecteur intress par la culture dans ce genre de situation,
le paquet technique de conduite de la betterave sucre en sols sableux et les conditions dans
lesquelles ces performances ont t ralises.

Conditions pdoclimatiques
L'exprience a t mene dans la ferme de Bargha sise dans la rgion de Laouamra, 25 km au
sud de Larache (nord du Maroc). Le climat de la rgion est de type ctier (hygromtrie leve;
Tmin-Tmax = 16-26 C en sept-oct, 10-20 C en nov-dc, 11-22C en mars-avril et 18-29C en
juin-juillet) avec une pluviomtrie annuelle moyenne de 750 mm. Les terrains sont assez profonds,
plats lgrement vallonns (pente 2-4 %), de texture trs sableuse (taux d'argile autour de 3
%, taux de sables autour de 90 %), non calcaires et de pH neutre alcalin (6,8 8,4).

Installation de la culture
Les varits polygermes utilises, toutes de type E, sont Desprez (40 ha), Heros (24 ha), Aupoly
(21 ha), Lados (15 ha) et essais divers (10 ha). Les semis taient des semis groups entre le 15 et
22 novembre. Ils ont t raliss mcaniquement en lignes jumeles, au moyen d'un semoir de
prcision Gaspardo avec un cartement entre les doubles lignes de 95 cm, un cartement entre
lignes de 45 cm et un espacement sur la ligne (e) de 6 cm, transform au moment du dmariage
en (e') = 18 cm, en enlevant 2 plantes sur 3, afin d'obtenir une population d'environ 82.000
racines/ha.
Le prcdent cultural a t un mas irrigu de cycle court. La squence de prparation du sol a t
soit la charrue socs soit le chisel, suivi d'un passage de vibroculteur ou d'un passage de
covercrop.

Entretien
Comme pour les autres rgions du Maroc, les insectes du sol au moment de la leve tel que le fil de
fer, la casside, les mauvaises herbes, en plus de la cercosporiose et de la pourriture molle pour
certaines rgions, sont les principaux ennemis de la betterave.

Quoi que les dgts observs sur les plantules au moment de la leve soient limits, la culture a
fait en partie l'objet d'une application de Lorsban sous forme de granul au sol.
La liste d'adventices annuelles et vivaces prsentes dans les sables de Larache est assez longue.
Des plus importantes, il faut citer Chenopodium spp., Chamaemelum mixtum., Polygonum
convolvolus L., Lolium rigidum Lam., Rumex pulcher L.
L'essai d'herbicides effectu sur une vingtaine d'ha dbut janvier, la plante tant encore au stade
''petite rosette'', en utilisant Agil et Goltix, n'a pas t trs efficace. Pour la population hivernale,
qui reste la menace la plus importante, le dsherbage a t effectu manuellement sur la double
ligne (en mme temps que le dmariage) et de faon mcanique entre les doubles lignes, entre le
60me et le 90me jour. Un second passage lger a t ralis afin de contrler la population
printanire et maintenir la culture propre jusqu' la rcolte.
Trois problmes phytosanitaires ont t rencontrs sur la betterave Mazaria en 2007, mme s'ils
n'ont pas caus beaucoup de dgts sur la culture: les attaques de nmatodes en dbut de culture,
les attaques de casside partir de mai/juin et la pourriture molle des racines au moment de la
rcolte.

Fertilisation
Le tableau 1 (voir fichier PDF) donne quelques indications sur la fertilit chimique des sols
concerns par la prsente exprience. D'une manire gnrale, il s'agit de sols sableux non sals,
pauvres en azote minral, en K, plutt bien pourvus en P, trs riches en Ca et en Mg, de teneurs
globalement moyennes leves en Fe et dans l'ensemble pauvres en Mn et en Cu et trs pauvres
en Zn.
Au total, la culture a reu 246 U/ha d'azote, 78 U/ha de phosphore et 280 U/ha de potasse.
Les engrais utiliss sont l'ammonitrate 33,5 %, le DAP 18-46-0 et un mlange binaire entre sulfate
et chlorure de potasse dans la proportion 1/4 -3/4.
Un apport de 42 U d'azote, 68 U de phosphore et 60 U de potasse a t effectu au semis puis 40
U de N et 51 U de K2O au dmariage la fin du mois de fvrier. Le reste de l'engrais a t apport
par injection dans l'eau d'irrigation entre mi-mars et la fin du cycle.
En plus de l'apport du NPK, la culture a fait l'objet de 2 3 applications foliaires de Solubor C et de
sulfate de manganse entre fin fvrier et fin mai (respectivement 2 kg et 500 gr/ha dans 300 L
d'eau) et de deux applications de nitrate de potasse le mois de mai une dose de 1,5 kg/ha.
Les remarques importantes retenir propos du comportement de la betterave cultive sur les
sables de Larache vis--vis de la nutrition minrale concernent surtout:
L'apparition prcoce de taches jaune citron caractristiques, sur le feuillage des plantes, avec un
port dress et des ptioles trs allongs et verticaux, faisant penser une carence en manganse
typique;
La persistance de la carence en bore, en particulier dans les bouts de lignes de goutte goutte,
en dpit des applications foliaires de bore.
Par ailleurs, dans les sables de Larache, il ne semble pas que l'approche qui consiste arrter tt
les apports d'azote sur la culture pour ne pas en affecter la qualit, soit la meilleure procdure (par
exemple avant le 120me jour).
D'aprs cette premire exprience, on a l'impression qu'il faut traiter les sables de Larache comme
on traite les substrats inertes de l'hors sol, telle une pouzzolane ou une perlite. La culture s'est
avre en particulier d'une extrme sensibilit l'arrt prcoce de l'apport azot. La raction
l'arrt des injections de N (tout comme la reprise des injections) est immdiate et se traduit par
des signes gnraux de jaunissement de la plante et de snescence du feuillage basal.

Irrigation
Pour des impratifs de cot d'quipement, rappelons que la culture est conduite en lignes jumeles
o chaque ligne de goutteurs irrigue deux lignes de betterave. Le goutteur utilis est de type
intgr autorgulant de faible dbit (1,2 L/h) mont avec un espacement sur la ligne de 40 cm.
L'eau utilise (Tableau 2) (voir fichier PDF) est une eau de surface de bonne qualit chimique pour
l'irrigation dans le contexte marocain.
En principe, Larache est une zone bien arrose, avec une pluviomtrie normale proche de 750
mm/an. Mais 2007 a t plutt une anne trs sche (P = 289 mm), ce qui nous a amens
continuellement irriguer la culture. L'irrigation est quotidienne et pilote vue, autour de valeurs
de restitution d'environ 1,5 2,5 mm/j de novembre fvrier, 3 mm pour mars/avril et mai et 4
mm/j pour juin et juillet. Au total, la consommation a t de 667 mm pour un cycle moyen de 210
j.
D'une manire gnrale, hormis un dficit passager d'eau en juin /juillet, du aux perturbations sur
le rseau gnral d'irrigation de l'Office Rgional, la culture n'a souffert d'aucun manque d'eau
flagrant et a gard un feuillage vert, voire mme un excs de vigueur jusqu' la veille des
arrachages.

Rendement et qualit
La productivit d'une betterave est le rsultat de la population finale de racines/ha multiplie par le
poids moyen d'une racine. Dans le cadre de la prsente exprience, l'examen approfondi en
parcelle montre des rsultats de peuplement final variables (67.000 71.000 pieds/ha) malgr le
goutte goutte, contre 82.000 initialement.
Sur les sables de Larache, on obtient une racine de couleur blanche caractristique reconnaissable
distance (mais trs fourchue), de longueur moyenne gale 25 cm, de diamtre gal 10 cm et
de poids moyen gal 1.235 gr. Les plus grosses racines sont celles bnficiant de l'effet de
bordure de bout de ligne de goutteurs ou situes dans des taches de faible densit linaire, et les
plus petites correspondent aux situations mal dmaries par oubli ou par ngligence, avec plus de
deux racines restes enchevtres, ou des taches particulires de terrain mal irrigues ou mal
entretenues.
Il y a une corrlation nette entre le poids de la racine et la richesse en sucre: un poids de 0,9 kg
correspond un taux de sucre de 21 %, un poids de 1,5 kg correspond un taux de 15,1 %, 2,5
kg correspond une richesse voisine de 13,3 %, et un poids exagr de 8,5 kg seulement 10 %.
Sur les 115 ha cultivs en betterave Mazaria, le rendement moyen brut, toutes sources de
variation confondues, est de 69 t/ha et le rendement net, c'est--dire impurets dduites, est de
61 t/ha.
La courbe de la figure 1 prsente l'volution de la teneur en sucre durant toute la priode
d'arrachage qui a dbut le 11 juin et a t achev le 10 aot. L aussi, on retrouve la tendance
classique des courbes de richesse en sucre en fonction du temps, caractristiques de la betterave,
avec des valeurs relativement faibles au dpart (dbut juin/fin juin), une priode optimale
d'arrachage (dbut/mi-juillet), et une fin de priode avec une nouvelle tendance la baisse.
D'aprs cette courbe, il ne semble pas y avoir d'impact flagrant, comme on s'y attendait, des dates
tardives d'arrachage sur la teneur en sucre. Aucune rclamation de la Sucrerie concernant la
qualit globale de la betterave n'a t note non plus. En parcelles, il faut signaler tout de mme
quelques pertes limites cause de la pourriture.
Dans le cadre de cette exprience, rendement et richesse semblent quelque peu lis la varit.
Sur des contrles ponctuels raliss en parcelles, dans un but de comparaison, Desprez a donn 70
t et 17,9 % de richesse, Heros 67 t/ha et 18,3 %, Aupoly 71 t et 18,8 %, et Lados 67,6 t et 18,5
%.

Rcolte
La betterave a t rcolte au moyen d'une arracheuse mcanique lame, puis dcollete et
charge manuellement. D'aprs les observations ralises dans les sables de Larache, la rcolteuse
tracte l'aide d'un pneumatique 4 roues motrices de 90 CV, peut arracher environ 12 ha/j en
travaillant de faon soutenue du matin au soir. Il faut galement 3 4 ouvriers pour dcolleter
l'quivalent d'une remorque de 20 t de racines et 4 ouvriers pour charger le mme tonnage la
tche.
L'irrgularit du transport, et par voie de consquence l'impossibilit de respecter le programme
d'arrachage prvu avec la Sucrerie, a t le problme majeur de gestion des chantiers de rcolte
de la betterave Mazaria en 2007.
Au Maroc, la tarification du transport de la betterave n'est pas indexe sur des critres, pourtant
pertinents, tels que l'tat de la route ou la difficult de circulation en terrain marcageux ou
sableux. Pay la tonne kilomtrique, le transporteur vite de venir charger dans les sables o le
camion a besoin d'tre remorqu aussi bien pour charger la betterave que pour regagner la route
une fois le chargement effectu.
D'une manire gnrale, on ne vient dans les sables que lorsqu'il n'y a rien charger ailleurs.
Souvent, les betteraves devaient sjourner longtemps sur place (perte de poids, noircissement, )
avant d'tre enleves. Finalement, faute de disponibilit de camions de l'Office National des
Transports, la Socit a t dans l'obligation d'interrompre d'autres travaux plus urgents afin de
transporter elle-mme la betterave, en utilisant ses propres remorques.

Rentabilit
Rappelons qu'au Maroc, la recette de la culture est calcule pour une betterave au stade
dcolletage; le transport tant la charge de la sucrerie. La formule utilise pour le paiement est:
Prix (Dh/t) = [ (P-3) x 365)/13,5) + 45]
o P dsigne la polarisation en %. Autrement dit, une polarisation minimale de 11 % correspond
un prix la tonne de 318 Dh, une polarisation respectable de 18 % qui est celle de Mazaria
correspond 450,56 Dh et une polarisation exceptionnelle de 22 % (rarement observe avec les
grands tonnages) correspond 558,70 Dh.
Le tableau 3 (voir fichier PDF) prsente les donnes conomiques sur la culture. La recette totale
est de 27.328 Dh/ha (dont 95 % reprsente celle des racines et 5% celle des collets vendus sur
place), le prix de revient est de 19.463 Dh/ha, et la marge bnficiaire est de 7.865 Dh/ha. A cette
marge, il faut ajouter 3.000 3.500 Dh/ha, en cas de revente de la dotation en pulpe sche
(producteur non leveur).
A Mazaria, cette marge est plus intressante que celle des crales et sensiblement plus faible que
celle du mas ensilage qui reprsente l'activit principale du secteur de grande culture de
l'entreprise. Par contre, on ne peut pas se prononcer sur la comparaison avec d'autres cultures
fortement prsentes dans le primtre, comme la pomme de terre, l'arachide et la tomate, faute
de donnes.
Dans le contexte de l'exprience vcue, la main d'uvre reprsente la dpense la plus importante
de la structure du prix de revient de la betterave avec 40 % (dont l'essentiel correspond la
dpense du dsherbage manuel et aux frais de rcolte), suivie ensuite des frais d'irrigation avec 22
% (dont environ les 2/3 pour l'amortissement du goutte goutte et 1/3 pour payer la facture d'eau
l'Office Rgional), la fertilisation minrale avec 14 %, les carburants et lubrifiants avec 8 %, et le
reste, y compris la valeur locative de la terre (ou la moiti de cette valeur plus exactement) 16 %.

Conclusion

Dans la zone R'mel de Larache, tout le monde semble unanime sur la faible productivit de la
betterave en aspersion, mais en dehors des dclarations verbales, nous ne disposons d'aucune
donne chiffre pour pouvoir oprer une comparaison objective.
Installe la ferme de Bargha, depuis juste deux campagnes, avec des quipements
exclusivement de goutte goutte, la socit Mazaria ne peut se prononcer sur les anciens rsultats
spcifiques l'aspersion, d'autant plus qu'elle n'a pas hrit d'archives techniques de l'exploitant
prcdent. Les recherches menes auprs des Services chargs des exprimentations dans la
rgion, n'ont pas permis non plus de retrouver les comptes rendus des anciens essais dfavorables
la culture dans le secteur. Toujours est-il que, eu gard aux dpenses enregistres dans le goutte
goutte en 2007, il est manifeste que la culture n'est rentable que si la productivit dpasse
largement le seuil limite des 40 t/ha.
Avec le goutte goutte, nous n'avons not aucune mauvaise raction de la betterave parmi celles
couramment cites comme tant responsables de l'chec de la betterave avec l'aspersion. Mis
part quelques poches de pourriture molle des racines, d'importance limite, aucun arrt de
croissance ou de desschement prcoce flagrant de la culture n'a t not. Au contraire, la culture
a conserv un excellent tat vgtatif, voire mme un excs de vigueur jusqu' dbut aot. Tant
qu'on injecte l'eau et l'engrais, le feuillage reste vert et couvre la racine contre le coup de soleil et
les risques de ramollissement.
Les rendements en racines et en sucre obtenus dans les sables de Larache, avec ce nouveau mode
d'irrigation, sont trs prometteurs. Ils permettent une rentabilit qui fait de la betterave une
culture comptitive, du moins l'gard des autres grandes cultures telles que les crales. Ces
rsultats auraient t en outre, nettement meilleurs si ce n'tait quelques petites erreurs
techniques comme celle de la profondeur de semis, qui nous parait avoir sensiblement affect le
poids de la racine et de l le rendement final. Le suivi au champ a montr qu' fin fvrier, une ligne
sur deux prsentait une racine d'une grosseur insuffisante pour une telle date, cause de la
profondeur de semis exagre. La perte de rendement correspondant ce retard de croissance a
t value au moins 5-10 t/ha.
Les terrains tests dans cette exprience sont des sables purs trs pauvres, des progrs
substantiels sont en principe attendus sur ces terrains, condition d'en amliorer le statut
organique et la fertilit chimique. Un supplment de progrs est galement possible avec les
varits monogermes, sous rserve d'une conduite minutieuse de la culture.
At Houssa A.(1), Hsayni M.(1), Benbella M.(2), Maataoui M.(2), El Midaoui M.(2)
(1)MAZARIA Laouamra, Larache
(2)Dpartement d'Agronomie, Ecole Nationale d'Agriculture de Mekns