TC Blanco 1873
TC Blanco 1873
TC Blanco 1873
Droit Administratif
Une enfant, Agnès Blanco, a été renversée et blessée par une wagonnet d'une manufacture de tabacs exploitée par l'Etat.
La jeune fille a du subir une amputation. Son père a décidé de saisir les tribunaux judiciaires d'une action en dommages
et intérêts contre l'Etat. Il considère que ce dernier est civilement responsable des fautes commises par les ouvriers de la
manufacture.
Problème juridique.
Le conflit ayant été élevé par le Préfet de la Gironde, représentant de l'Etat, le Tribunal des Conflits devait résoudre la
question de savoir : quelle est des deux autorités, judiciaire et administrative, qui a compétence générale pour connaître
des actions en dommages-intérêts contre l'Etat ?
Solution du juge.
Considérant que la responsabilité, qui peut incomber à l'Etat pour les dommages causés aux particuliers par le fait des
personnes qu'il emploie dans le service public, ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le Code Civil,
pour les rapports de particulier à particulier. Que cette responsabilité n'est ni générale, ni absolue, qu'elle a ses règles
spéciales qui varient suivant les besoins du service et le nécessité de concilier les droits de l'Etat avec les droits privés.
Que, dès lors, l'autorité administrative est seule compétente pour en connaître (Arrêté de conflit confirmé).
Portée de l'arrêt.
Pendant longtemps, cet arrêt a été considéré comme la pierre angulaire du droit administratif tout entier.
L'arrêt Blanco consacre tout d'abord l'abandon définitif du critère de délimitation des compétences fondé sur les
textes en vertu desquels il n'appartiendrait qu'aux tribunaux administratifs de déclarer l'Etat débiteur. Seule subsiste
désormais la référence aux lois des 16-24 aout 1790 et 16 fructidor An III, qui interdisent aux tribunaux judiciaires
de « troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs » et de « connaître des actes
d'administrations, de quelque espèce qu'ils soient ». Ainsi, le service public apparaît comme le critère de la
compétence administrative.
L'arrêt et les conclusions consacrent la compétence administrative comme exclusive de toute gestion privée. C'est
l'exclusion de la compétence judiciaire et du droit civil. L'arrêt va bien au delà de la question de la responsabilité de
l'Etat. D'une part, ses considérants écartent les principes établis par le Code Civil et d'autre part, ils affirment le
caractère spéciale des règles applicables aux services publics. La caractère spécial des règles applicables aux
services comportent deux aspects :
• L'autonomie du droit administratif, tenant non seulement à ce qu'il déroge au droit civil.
• Il constitue un système propre, avec sa logique et ses solutions justifiées par les besoins du service.
Le service public est même temps le fondement du droit administratif. La considération du service public et de ses
besoins entrainent le Tribunal à déclarer que la responsabilité de l'Etat n'est ni générale, ni absolue. De plus, la
liaison de la compétence et du fond est affirmé : l'arrêt établie un lien direct et réciproque entre l'application de règles
autonomes, exorbitantes du droit privé, et la compétence de la juridiction administrative.
L'arrêt présente des limites. Le critère de service public n'est pas absolu. La jurisprudence n'exclut pas d'autres
critères pour justifier la compétence du juge administratif. En particulier, l'exercice de la puissance publique suffit à
entrainer cette compétence y compris en matière de responsabilité. Inversement, le service public ne suffit pas
toujours à lui seul à entrainer la compétence du juge administratif. Il peut être en cause dans un litige sans pour
autant qu'il relève du juge administratif.
C'est le cas pour la gestion privée d'un service public (CE SGP des Vosges 1912). Cette hypothèse a été développée dans
le contentieux de la responsabilité extra-contractuelle, notamment pour les services publics industriels et commerciaux
dont les litiges relèves en principe du juge judiciaire.
La gestion privée de services publics peut tenir non seulement à leur objet mais aussi à leur attribution. La présence
d'un service public ne suffit pas à déterminer la compétence administrative pour connaître de leur contentieux
extra-contractuel ou contractuel. Le juge administratif n'est compétent pour statuer sur la réparation de dommages
causés par ces personnes que s'ils résultent à la fois de l'accomplissement du service public et aussi de l'exercice
d'une prérogative de puissance publique.
Le législateur a lui-même dérogé aux règles de compétentes dégagées par l'arrêt. En effet, suite à la loi du
31/12/1957, il n'est guère douteux que le contentieux du dommage causé à la jeune Blanco par un wagonnet relèverait
du juge judiciaire.
En ce qui concerne le fond du droit, l'autonomie du droit administratif par rapport au droit civil n'est pas aussi
marquée que l'arrêt le fait penser. Tout d'abord, il arrive aux juridictions administratives de faire expressément
application des articles du Code Civil, comme par exemple avec les articles 894 et 953 au sujet des donations. Mais,
dans tous les cas, c'est le juge administratif qui décide s'il y a matière à appliquer le Code Civil ou ses principes. Il
fait également application du droit pénal, du droit de concurrence, de la consommation.
Les jurisprudences administrative et judiciaire ont connu un rapprochement sur certains aspects du droit de la
responsabilité. Mais, l'autonomie de la responsabilité administrative subsiste et ce avec un sens nouveau. En effet, elle
entrainer la reconnaissance de la responsabilité de l'administration dans des situations où le droit civil n'aurait pas donné
satisfaction à la victime (CE 13/12/1957 Trottier). Les conditions ont été aménagées de telle sorte que les administrés
trouvent dans la responsabilité administrative une protection efficace contre l'administration et ses agents.
La liaison de la compétence et du fond n'est pas absolue. La dissociation de la compétence et du fond peut se réaliser.
Ainsi, les tribunaux judiciaires, compétents pour connaître des actions mettant en cause le service public
judiciaire, leur appliquent le droit administratif (CE 23/11/1956 Trésor Public contre Giry). Finalement les principes
posés par l'arrêt Blanco sont à nuancer mais sont encore repris le cas échéant.