Ethnie Et Conscience Politique 8 Cartes
Ethnie Et Conscience Politique 8 Cartes
Ethnie Et Conscience Politique 8 Cartes
Bogumil JEWSIEWICKI, Les pratiques et l'idologie de l'ethnicit au Zare; quelques rflexions historiques,
dans B. JEWSIEWICKI (dir.), Etat Indpendant du Congo, Congo-Belge, Rpublique Dmocratique du
Congo, Rpublique du Zare ? Qubec, 1984, p. 103.
l'usage d'un dialecte particulier, une langue n'est qu'un conglomrat de dialectes(2).
Dans ce domaine aussi, le dcoupage est donc pour une part un problme d'autorit. Au Kasa,
l'unit de la congrgation vanglisatrice l'poque coloniale a favoris l'mergence d'un
tshiluba standard, tandis que dans la zone kongo, le Mayumbe vanglis par les Pres
Scheutistes, le diocse de Matadi confi aux Pres Rdemptoristes et celui de Kisantu initi par
les Pres Jsuites ont dvelopp chacun leur traduction de la Bible et des textes liturgiques
propres, pour ne pas mentionner les protestants, qui ont aussi dvelopp leurs particularits
linguistiques.
Tous les auteurs qui ont essay d'tablir la carte ethnique du Congo ont abouti la
conclusion qu'aucune dfinition ne permet de classer de faon univoque toutes les populations
du pays. Les noms ethniques ont des provenances extrmement variables. Le plus souvent, il
s'agit d'une dnomination donne un groupe par ses voisins plutt que d'un terme exprimant sa
conscience particulire. Il y a ainsi beaucoup de Bena, c'est--dire de "gens de", ou de Bakwa,
c'est--dire de "gens de chez", auxquelles correspondent diverses expressions dans d'autres
langues pour dsigner des populations par rfrence un nom de chef ou de lieu. Ces
dnominations sont parfois anciennes, mais il s'en est cr toutes les poques et il s'en cre
encore. On en verra des exemples. Une invasion, un changement de domination, un vnement
anecdotique et tous les conflits de pouvoir ou les jeux d'intrts sont autant d'occasions o se
crent de nouvelles tribus. Tous les groupes qui veulent se constituer en units indpendantes
ou qu'on a voulu sparer d'une unit ethnique antrieure ont ainsi reu un nom propre, de mme
que les membres d'une communaut tenue l'cart des autres habitants d'une rgion, notamment
des familles de forgerons ou des groupes de commerants(3).
Pour constituer le groupe, on s'efforce de lui donner un contenu culturel qui permette de
l'intrioriser et de le rendre indpendant des volonts individuelles. Le langage le plus frquent
est celui de la parent historique. Tous les membres d'une tribu sont ainsi en gnral supposs
descendre d'un anctre commun, au moins symboliquement. Un exemple prcis de ce
mcanisme symbolique est l'assemble dite dans la Bible "amphictyonie de Sichem", dans
laquelle tous les participants se reconnurent "fils d'Abraham" et conclurent avec Dieu une
alliance qui fit d'eux le "peuple de Yahweh" (Jos 24). Trs souvent, ethnie, langue et pays ne
concident pas(4). Plusieurs tribus peuvent parler la mme langue et une tribu peut tre rpartie
sur plusieurs domaines linguistiques. Il y a des ethnies qui ne possdent pas de terres l o elles
vivent et il y en a qui dominent dans des rgions o elles ne sont pas majoritaires.
Une part considrable des recherches ethnographiques est ainsi remise en question. La
dfinition des tribus par un anctre commun amenait en effet rechercher les voies de leurs
migrations jusqu'au territoire qu'elles occupent actuellement. Cette dmarche perd son sens s'il
n'y a pas d'anctre commun. La plupart des traditions de migrations ne concernent en fait que la
ou les familles rgnantes, la plupart des tribus tant constitues de multiples lments
d'anciennet et de provenances diverses. La remise en question est mme plus profonde, dans la
mesure o la migration n'est plus considre comme le seul, ni mme le principal mcanisme de
diffusion et de diversification des langues(5).
A la question qu'est-ce qu'une ethnie, il nous semble ds lors qu'il faut oser rpondre que
c'est une construction, sur des bases diverses mais non systmatiques. Les identits ethniques
2
Honor VINCK, Dialectologie mongo: Etat de la question, dans Annales Aequatoria 5 (1984), p. 61. La
phrase cite continue par la proposition suivante: en lomongo, le Pre Hulstaert en a identifi 281.
3
Les Minungu au Kwango et au Katanga sont un groupe d'anciens forgerons.
4
Expression reprise LOBHO Lwa Djugudjugu, Socit et politique en Afrique traditionnelle. Bahema et
Walendu du Zare, Kinshasa, 1979, p. 42.
5
Cfr J. VANSINA, New linguistic Evidence and the Bantu Expansion, dansThe Journal of African History 36
(1995), p. 173-195.
sont au moins autant des faits idologiques que des ralits objectives ; elles sont des stratgies
sociales, qui dfinissent des zones de solidarit et de conflit. Mais elles ne sont pas une simple
traduction du prsent. Elles sont des constructions historiques, que chaque gnration contribue
dfinir sans pouvoir les rinventer totalement(6).
Le simple fait de parler d'ethnies n'est pas innocent. Etymologiquement, le mot vient du
grec et signifie peuple. Mais il a pris une rsonance particulire l'poque coloniale. L'ethnologie
a alors t la science des peuples dits primitifs, par opposition ceux qui s'taient levs au rang
de nations. C'tait une classification par laquelle la violence de la colonisation tentait de se
lgitimer.
Au nom des tudes ethnologiques, l'Afrique tait ainsi considre comme un continent
cloisonn, de groupes humains referms sur eux-mmes, o l'tranger, le voisin, est l'ennemi(7).
Les ethnies taient tudies en omettant de les situer au sein des units sociales plus vastes
dans lesquelles elles vivaient cependant. En outre, leur dfinition par les autorits coloniales
tait un instrument de domination. Jan Vansina nous semble avoir trouv une formule heureuse
pour exprimer les transformations imposes par la colonisation une ralit plus ancienne: Le
tribalisme est l'invention d'une nouvelle ethnicit l'poque coloniale(8). Nous y reviendrons.
II. L'existence de grandes units ethniques
En opposition cette vision du "Diviser pour rgner", un premier effort se dploya la fin
de la priode coloniale et au lendemain de l'indpendance pour montrer que le Congo n'tait pas
un miettement de 450 tribus. D'une part, un certain accord s'tablit alors pour affirmer
qu'elles taient seulement environ 250 et nos cartes s'appuieront largement sur la lecture de la
ralit qui conduisit cet accord(9). D'autre part, les tudes de Malcolm G u t h r i e sur les
familles linguistiques ont conduit un regroupement de toutes les langues bantoues du Congo
en huit familles dsignes par des lettres(10). C'est dans ce cadre qu'a t tablie par une quipe
de linguistes congolais bien forms la Carte linguistique du Zare publie en 1983 dans l'Atlas
linguistique de l'Afrique Centrale ALAC. Bien des classifications restent cependant contestes
et l'unit de la zone D est incertaine. Ce travail distingue seulement 212 langues en Rpublique
Dmocratique du Congo, dont 34 non bantoues, oubanguiennes ou nilo-sahariennes. Nous la
reproduisons sous forme simplifie, car elle corrige heureusement le caractre abusivement
fragment de la plupart des discours ethniques. Nous en proposons ci-dessous une version
simplifie, dans laquelle nous indiquons par des flches les mouvements de population en
cours au moment de l'occupation europenne(11).
Un autre effort pour intgrer dans le discours ethnographique les dimensions plus larges de
la ralit sociale fut celui de Jan Vansina dans l'Introduction l'ethnographie du Congo qu'il
publia en 1966 et qui eut un norme succs. Il prsentait les ethnies en 15 aires culturelles.
Par dcret du 2 mai 1910. Cfr Bulletin Officiel du Congo Belge (1910), p. 456-471.
Cfr ARCHIVES DU CONGO BELGE, Documents pour servir la connaissance des populations du Congo Belge, 2,
p. 29, CONGO BELGE, CONSEIL DE GOUVERNE-MENT 1947, Dis-cours du Vice-Gouverneur Gnral L
Ptition, Statistiques, s.l., s.d., p. 104, et CONGO BELGE, Statistiques relatives l'anne 1959, s.l., s.d., p. 5. En
1959, la presque totalit des chefferies se trouve l'est du
Etat commun. Les socits perdirent la plupart de leurs fonctions de dfense, de justice, et une
bonne partie de leurs fonctions ducatives ... (p. 12). Et l'importance en est explicite : le
consensus d'une communaut et de ses voisins change avec le temps et les peuples s'tendent
et se contractent, naissent et meurent non pas tellement par des mouvements
dmographiques et migratoires, mais par des changements dans le consensus de ce qui
constitue une nation (p. 9). Dans ses mmoires, il ajoute ces facteurs la rorganisation des
voies de communication et du systme conomique. Il m'a fallu quinze ans, dit-il, (aprs son
sjour chez les Kuba de 1953 1956) pour raliser pleinement que la fiction du prsent
ethnographique m'avait empch de voir bien des effets de la situation coloniale. J'ignorais
notamment que le sculpteur de masques qui m'initiait leur langage tait aussi un collecteur
d'impts(14).
Le travail ralis pour la dfinition des aires culturelles n'en a pas moins conduit une
meilleure connaissance de la ralit sociale du Congo, dont il a mis en lumire les grandes
dimensions trop longtemps ignores.
III. L'affaiblissement des liens ethniques
Si les ethnies sont une ralit qu'on ne peut ignorer dans un effort de comprhension de la
socit en Afrique, on ne peut oublier qu'une part croissante de la population vit dans les villes,
qui sont toutes interethniques.
Nous estimons qu'il y a aujourd'hui une vingtaine de villes de plus de 100.000 habitants en
RDC et au moins 45 autres de 25 100.000 habitants. Elles regroupent un peu plus de 25 % de
la population du pays(15). Nous observons en outre que beaucoup et spcialement les jeunes
souhaitent chapper l'emprise des coutumes et des ans de leur tribu. En 1967, 10,9 % des
mnages congolais de Kinshasa taient constitus de conjoints de tribus diffrentes(16). En
1975, ce pourcentage tait pass 16,0 %(17). Dans une enqute de 1998 ralise dans une
commune modeste de la ville, 65,7 % des personnes interroges ont estim que c'tait un
avantage de se marier avec quelqu'un d'une autre rgion que soi(18).
IV. Prsentation de la carte ethnique par rgion
La carte suivante indique le dcoupage selon lequel nous prsenterons la carte ethnique des
diffrentes rgions. Nous prsenterons successivement celles du Bas-Congo, du Kwango-Kasai,
de la Cuvette centrale et de l'Ubangi, c'est--dire celles de l'ouest du Congo, puis celles de l'UeleIturi, du Kivu-Maniema, du Nord- et du Sud-Katanga, c'est--dire celles de l'est du pays. Ces huit
cartes sont tablies au 1/5.000.000 (1 cm = 50 km). Les noms des ethnies et tribus y sont indiqus
en caractres approximativement proportionnels la dimension de l'espace qu'elles occupent et
les frontires des plus tendues sont indiques en traits gras. Les zones occupes simultanment
par plusieurs tribus sont identifies par un numro qui renvoie l'indication en note de leur
composition ethnique. Les groupes pygmes, renseigns dans la liste des ethnies et tribus ne
figurent pas sur les cartes.
Depuis 1933, l'Institut International Africain recommande de dsigner les ethnies par leur
radical. De nombreux travaux se sont conforms cette nonne, qui se comprend, car les
prfixes utiliser diffrent au singulier et au pluriel et selon les langues. Barega et Warega
14
dsignent la mme population en lingala et en swahili. D'autres langues ont d'autres prfixes. La
population africaine, dont l'opinion doit aujourd'hui servir de norme pour les travaux qui la
concernent, n'a cependant suivi que trs partiellement cette rgle. Nous n'avons ds lors suivi la
rgle du radical que pour les ethnies les plus connues ou, en gnral, pour celles commenant par
le prfixe Banque chacun peut aisment restituer, et nous indiquons pour les autres le nom
complet au pluriel : Ekonda, Bosaka, Popoi, etc.(19)
Les sources utilises sont essentiellement pour la partie situe au sud du quatrime parallle
sud les deux livres d'Olga Boone, Carte ethnique du Congo. Quart Sud-Est, Tervuren, 1961, et
Carte ethnique de la Rpublique du Zaire. Quart Sud-Ouest, Tervuren, 1973. L'auteur y
indique que la plus grande partie de sa documentation est constitue de rapports et tudes
labors au niveau de la circonscription, chefferie ou secteur, qui est la plus petite unit
administrative au Congo. Les limites de ses cartes, ajoute-t-elle, sont celles de 1949, o le
dcoupage des circonscriptions tait plus dtaill qu'aujourd'hui, mais peut correspondre des
groupements actuels.
Pour le nord du pays, nous avons dispos du jeu complet des cartes de territoire au
1/1.000.000 sur lesquelles la mme auteur avait indiqu avec l'aide des administrateurs les
limites des circonscriptions, leur nom, leur population et les tribus qu'on y trouve. Ces
indications sont cependant sommaires et non critiques. En outre, les chiffres de population et les
indications ethniques manquent sur huit cartes de l'Equateur et sur huit autres de la Province
Orientale.
Une autre difficult concerne l'orthographe adopter. Une rfrence utile est le livre de G. VAN BULCK,
Orthographe des noms ethniques au Congo Belge, suivie de la nomenclature des principales tribus et langues du
Congo Belge, Bruxelles, 1954, mais il n'a pas t suivi dans toutes ses propositions dans les publications
ultrieures de ce qui est devenu l'Acadmie Royale des Sciences dOutre-Mer ou du Muse de Tervuren.
Pour la Cuvette centrale, les travaux de base sont ceux des Pres Hulstaert et De Rop,
complts et valoriss par le Pre Honor Vinck du Centre Aequatoria de BamanyaMbandaka(20). Nous avons en outre dispos d'une carte de 1956 des circonscriptions indignes
recueillie jadis par le Professeur Jewsiewicki.
Pour une partie de la Province Orientale, il existe d'excellentes monographies de H. Van
Geluwe publies par le Muse de Tervuren et l'Institut International Africain de Londres, sur les
Bali, les Bira, les Mamvu-Mangbutu, les Balese-Mvuba et les peuplades apparentes. Pour
l'Ubangi, l'tude de H. Burssens dans la mme collection sur les Ngbandi, les Ngbaka, les
Mbandja, les Gombe et les Gens d'eau n'indique que des localisations trs gnrales. Pour
l'Ituri, la thse de Lobho Lwa Djugudjugu fournit des indications prcises sur les Bahema et les
Walendu(21).
Lgende des cartes
On trouve en bleu sur toutes les cartes ethniques : le trac et le nom des
cours d'eau et des lacs, ainsi que les parcs nationaux, l o ils existent.
On trouve en gris : en traits gras interrompus de points, les limites des
provinces, et, en tirets continus, les limites de districts. Leurs noms ne sont
pas indiqus pour viter la surcharge. On a, par contre, inscrit en grandes
majuscules grasses les noms Kongo et Mongo, en superposition aux
diffrentes tribus composant ces ethnies.
En noir, les traits correspondent au dcoupage ethnique et isolent les
villes. Leur paisseur n'a d'autre signification que de mettre en relief les
tribus ou ethnies qui occupent les territoires les plus vastes. La dimension
des caractres utiliss pour les noms ethniques n'a galement pas de
signification spcifique : elle est essentiellement fonction de l'espace
disponible pour son inscription. Un mme nom peut se trouver en grand et
en petit pour des espaces de dimension diffrente occups par un mme
groupe ethnique. Les numros correspondent des espaces de cohabitation
dont la composition ethnique est indique en note pour chaque carte.
Le CEMUBAC, Centre Scientifique et Mdical de l'Universit Libre de Bruxelles pour ses
Activits de Coopration, a publi des cartes au 1.000.000, bases sur les cartes de territoire au
1/200.000, qui indiquent les limites des groupements, qui subdivisent les circonscriptions, pour
le Bas-Congo, Kinshasa, le Bandundu, la Province Orientale et le Katanga la veille de
l'indpendance. Ces cartes correspondent encore largement la situation actuelle. Nous avons
en outre reu du Professeur R.-E. De Smet le jeu des cartes au 1/200.000 sur lesquelles avaient
t portes les indications prparatoires une publication semblable pour les deux provinces du
Kasa Occidental et du Kasa Oriental. Nous lui en exprimons notre gratitude. Une carte des
20
21
Cfr notamment Gustave HULSTAERT, Les Mongo. Aperu gnral, Tervuren 1961, et Honor VINCK,
Dialectologie Mongo: Etat de la question, dans Annales Aequatoria 5 (1984), p. 161-172.
Cfr H. VAN GELUWE, Les Bira et les peuplades limitrophes (Monographies ethnographiques 2), Tervuren,
1956 ; Mamvu-Mangutu et Balese-Mvuba (Monographies ethnographiques 3), Tervuren, 1957; Les Bali et
les peuplades apparentes (Ndaka-Mbo-Beke-Lika-Budu-Nyari) (Monographies ethnographiques 5),
Tervuren, 1960. H. BURSSENS, Les peuplades de l'entre Congo-Ubangi (Ngbandi, Ngbaka, Mbanja,
Ngombe et Gens d'eau) (Monographies ethnographiques 4), Tervuren, 1958. LOBHO Lwa Djugudjugu,
Socit et politique en Afrique traditionnelle. Bakema et Walendu du Zare, Kinshasa, 1979.
circonscriptions de l'Equateur existe aussi, mais elle est antrieure la grande rvision de leur
organisation en 1957 et son utilisation est ds lors parfois difficile(22).
Comme on l'a dj signal, les rapports utiliss pour la description des ethnies et tribus ne
sont pas de simples tmoins. Ils ont contribu construire la ralit. La dtermination de la limite
de certaines ethnies sur le 5e parallle sud rsulte de la dfinition de la limite nord du Katanga
par cette ligne depuis 1891. C'est galement la pratique administrative qui a oppos des
populations parentes de l'Ubangi et de l'Uele ainsi que les Kusu et les Tetela. Le fait que le
Lomami constitue depuis quatre-vingts ans une limite administrative, pas seulement de
circonscription, de territoire ou de district, mais de province, a eu pour consquence que les
missionnaires et fonctionnaires, qui nous sommes redevables d'un certain nombre d'tudes
concernant les populations vivant de part et d'autre de cette rivire, se sont tout naturellement
limits aux populations de leur ressort(23).
A la suite des cartes, deux annexes donnent la liste des ethnies et tribus par territoire
(p.623) et la liste alphabtique des collectivits (p.626) pour l'ensemble du pays, avec
indication du territoire et de la province o elles se trouvent(24).
1. Carte ethnique du Bas-Congo
L'ensemble du Bas-Congo est occup par l'ethnie Kongo, jadis relativement runie dans
le royaume du mme nom. Un Mukongo interrog sur sa tribu se dsignera cependant toujours
par un terme plus spcifique. La carte y indique 16 noms de tribus, sans compter les Vungana, les
Bwende, les Lula et les Humbu qui ne se rencontrent que mls d'autres populations(25).
Nous n'y indiquons pas les Besi Ngombe ni les Balemfu, que les autorits politiques et les
ethnologues ont en gnral refus de reconnatre, avec comme argument qu'aucun anctre
commun ne peut leur tre assign et qu'ils n'ont pas d'identit culturelle qui les distingue de la
population environnante, les Ndibu et les Manianga en l'occurrence. Mais l'enjeu est
prcisment pour ceux qui se disent de ces tribus la reconnaissance d'une autonomie. D'aprs des
informations reues de M. Augustin Mfueni, les Besi Ngombe ont commenc exister la fin
des annes 1920, lorsque le chef Mfumu Lutunu, dont l'levage prosprait, y fut reconnu comme
22
autorit propre dans la rgion de Gombe Matadi. Dans les enqutes dmographiques effectues
Kinshasa, 15.829 personnes se sont dites Besi Ngombe en 1955, 37.000 en 1967 et 60.620 en
1975 et, aux mmes dates, 5.701, 18.500 et 25.000 se sont dclares Balemfu.
Il ressort de la carte (Fig.3) que le Bas-Congo est une rgion de brassage de populations.
On le comprendra aisment si on considre la carte actuelle des villes et centres. Le Bas-Congo
assure depuis des sicles la liaison entre l'ocan Atlantique et le rseau fluvial du Congo. Il est
heureux que ses habitants aient depuis longtemps appris cohabiter pacifiquement dans cette
fonction, mme si des conflits opposent invitablement les prtendants aux divers postes
d'autorit locale.
La cohabitation est aussi la situation gnrale dans le sud de la rgion Teke, o certains
distinguent spcifiquement les Mfinu et o les Teke cohabitent avec les Humbu et d'autres
groupes Kongo(26). Ce qui concerne la rgion Yaka sera prsent avec la carte suivante.
26
Linguistiquement le brassage des Humbu et des Teke est tel que la langue des premiers est aujourd'hui classe
dans le mme groupe B que celle des seconds. Mais historiquement les Humbu situent leurs origines dans le
Kongo di Ntotila, alors que les Teke ont leurs racines au nord du Pool, o les anciens chefs de Kinshasa et de
Kintambo se sont retirs en 1891. Cfr L. de SAINT MOULIN, Les anciens villages des environs de Kinshasa,
dans Etudes d'histoire africaine 2 (1971), p. 83-119, et F. BONTINCK, La dernire dcennie de Nshasa
(1881-1991), dans Zare-Afrique(1982 (1982) n 170, p. 619-633.
10
27
11
L'organisation de l'espace de cette rgion est moins nette que celle du Bas Congo. La
frontire tablie en 1891 a interrompu des contacts commerciaux qui s'taient antrieurement
tablis avec l'Angola. Mais des cauris trouvs assez grande profondeur sur les rives du
Kwango par des creuseurs de diamant dmontrent aussi l'existence ancienne de liaisons avec
l'ocan Indien. Les Yaka et les Pende ont en outre un systme politique qui appartient au
systme lunda. L'enchevtrement des populations au Kwilu et l'est du Kwango est par ailleurs
particulier et il existe dans des zones de faible comme de forte densit.
12
3. La Cuvette centrale
La troisime carte (Fig.6) couvre les districts du Mai-Ndombe et de la Tshuapa, ainsi
qu'une bonne partie de celui de l'Equateur et de la rgion Tetela. C'est en partie le mode de
collecte des informations qui fait que peu de zones de cohabitation y figurent. Les observations
ont t menes sur le terrain, sans souci systmatique d'analyser la composition ethnique des
subdivisions administratives. Mais la ralit est aussi que la fort isole. Si l'ethnie Mongo a
une unit linguistique et culturelle inconteste, les subdivisions y sont nombreuses et peuvent
correspondre de relles oppositions. Un Ngando de Djolu nous a affirm que les gens de
chez lui ne voulaient pas de la magnifique traduction de la bible en lomongo, ralise par le Pre
Gustave Hulstaert dans la rgion Nkundo(28).
L'ensemble de la rgion Mongo est ceintur d'un trait gras, selon la dlimitation du Centre
Aequatoria de Bamanya. Les Tetela et les Nkutshu, qui appartiennent la mme famille
linguistique, n'y sont pas inclus et sont considrs comme deux groupes distincts,
conformment l'avis du Pre Honor Vinck, qui se distancie en cela du Pre Gustave
Hulstaert. Au nord, les Mongo ont une histoire de relations conflictuelles avec les Ngombe et les
Doko, qui parlent cependant une langue de la mme famille. Les Mongo se distinguent aussi des
Mbesa, des Lokole et des Topoke, galement du groupe linguistique C.
Les recherches rcentes sur l'arbre gnalogique des langues bantoues en rangent certaines
de la cuvette centrale parmi les plus anciennes de la Rpublique. Les premiers Bantous vivaient
en bordure de forts humides et s'taient adapts au milieu de la savane en s'tendant vers le sud
au Cameroun et au Gabon. Vers 950 avant Jsus-Christ, ils se diversifirent et donnrent
naissance au groupe des langues bantoues du nord du Congo, ayant approximativement pour
limite sud le Kasa et le Sankuru(29). Leur pntration aurait commenc par les rives de la
Ruki. Il faut d'ailleurs noter que jusqu'aujourd'hui, des bras de rivire permettent de relier en
pirogue le Gabon et Mbandaka(30).
Au sud-ouest, la carte indique les groupes de la zone linguistique B, les Teke, auxquels
sont apparents les Ngenge, les Tiene et les Nunu, puis le groupe plus ancien des Mboma et
des Sakata, dont on peut distinguer les Tere, et plus au nord, des populations gaiement
anciennes qui ont russi sauvegarder leur autonomie : les Mpe, les Dza, les Tow et les Bobai.
A l'est, les Tetela sont subdiviss en Tetela proprement dits, Hamba et Watambulu. Les Ionga
appartiennent la mme famille linguistique et culturelle, de mme que les Langa, les Ngengele,
les Mbuli et les Ombo qui apparatront sur la carte du Maniema. Mais ils ont chacun leur
autonomie.
Au nord-ouest, avec les Ngombe et les Doko, on trouve comme tribus non Mongo les
Bobangi, les Eleku, les Mampoko, les Ndobo, les Loi, les Likila, les Ngele, les Bonjo et les
Jamba. Leur miettement est partiellement d aux recherches linguistiques qui auraient conduit
un fractionnement semblable de la rgion Mongo si des tudes culturelles solides n'en avaient
tabli les grands regroupements retenus sur la carte(31).
28
M. Jean-Marie BOLILA Lokumbo, membre du Cercle des Intellectuels de Djolu, le 24 juillet 1998.
D'aprs Jan VANS INA, Sur les sentiers du pass en fort. Les cheminements de la tradition politique ancienne
de l'Afrique quatoriale (Enqutes et Documents d'histoire africaine 9), Louvain-la-Neuve et Mbandaka, 1991,
p. 58-65.
30
Sur l'histoire de la pirogue, cfr. MUMBANZA mwa Bawele, La pirogue dans l'ouest du bassin du Congo au
milieu du 19e sicle. Contribution l'histoire de la navigation en Afrique centrale, dans Annales Aeaquatoria
18 (1997), p. 239-298.
31
Nous avons notamment dispos d'un carte des langues de l'entre Ubangi-Zare ralise par MOTINGEA
Mangulu en 1995, o le Professeur Matumele nous a indiqu que l'existence des Ewaku, dont Boniange n'est
qu'un village.
29
13
Parmi les Mongo, fait remarquer le Pre Hulstaert, il y a de nombreux groupes Ntomba,
Kutu et Nkole. Un autre nom a t utilis pour les dsigner quand il existe. Des changements
importants ont t introduits dans la carte des populations par la cration des deux parcs
nationaux de la Salonga Nord et de la Salonga Sud.
Les tribus indiques sont, en citant d'abord les plus tendues, l'ouest, les Nkundo et les
Ekonda, plus l'est, les Ntomba de l'entre Lopori-Maringa, les Mbole de la Salonga, les
Bosaka, les Ngando, les Boyela et les Mbole du Lomami, et au sud, les Ndengese et les Bokala.
La carte indique en outre, dans le district du Mai-Ndombe les Sengele, les Bolia, les lyembe,
les Nkole, les Mbelo, les Mbiliankamba, les Bokongo, les Ipanga, les Titu et les Ooli, dans le
district de l'Equateur, les Ntomba du lac Tumba, les Mpama, les Lusakanyi et les Baenga plus
au nord, et dans le district de la Tshuapa les Boonde, les Bofonge, les Nsongo, les Ekota, les
Lionje, les Bakutu, les Ikongo et les Imoma-Mpongo, ainsi qu'un autre groupe Ooli.
La fort quatoriale est moins impntrable et beaucoup plus diversifie qu'on ne la
croyait jadis, mais elle isole et la socit y est fortement segmente. Quand un nouveau
groupe s'implante l o existait dj une autre population, il l'a le plus souvent absorbe, il a
parfois t lui-mme intgr par elle. Mais la cohabitation de deux groupes gardant leur
autonomie n'apparat gure sur la, carte.
4. L'Ubangi (Carte 4, Fig.7)
A la frontire nord de la Rpublique Dmocratique du Congo, on se trouve de nouveau en
rgion de savane, o des vastes units socio-politiques s'taient constitues bien avant la
colonisation. On se trouve en outre face des populations de langues non bantoues qui, parla
zone soudanaise, communiquaient jadis assez largement avec toute la zone soudanaise, du lac
Tchad la valle du Nil. Les langues occidentales de cette famille, dite aujourd'hui
oubanguienne(32), s'tendent de l'Ubangi l'ouest jusqu'au parc de la Garamba. Elles se
prolongent plus l'est par celles dites nilo-sahariennes, ou de faon plus spcifique du Soudan
Central. Leur opposition aux langues bantoues ne peut cependant tre force. Elles sont
aujourd'hui considres comme formant avec les langues bantoues le groupe Niger-Congo(33).
Le Professeur Cheikh Anta Diop avait soulign avec raison l'unit de toutes les langues de
l'Afrique Noire si on les compare celles de l'indo-europen.
Ces populations de langues non bantoues se sont implantes par vagues successives et ont
refoul vers le sud les tribus bantoues qui s'y trouvaient auparavant. Ces mouvements ont
affect les Mongo, mais ils ont surtout contribu dfinir entre les Oubanguiens et les Mongo
le groupe complexe qui s'tend de l'Ubangi Kisangani. On y est encore en milieu de fort,
mais la marque imposante du fleuve allonge sur ses rives des populations de pcheurs ou
commerants, les Bobangi, les Ngombe, les Doko, les Mbuja, les Poto et les Lokole,
notamment.
Dans la rgion de la Ngiri, entre l'Ubangi et le Congo, on trouve, outre les groupes dj
cits lors de la prsentation de la carte de la cuvette centrale les Lobala, les Tanda, les Mboli,
les Ngiri, les Ewaku, les Ndolo, les Lobo, les Makanza, les Ndobo, les Mabembe, les Sengo et
les Motembo(34). Entre la Mongala et Itimbiri, qui est approximativement la limite de la
Province Orientale on trouve les Wenza
32
14
A l'est de l'Itimbiri, on trouve les groupes assez tendus des Binja et des Boa au nord, des
Mbesa et des Topoke au sud du fleuve. On trouve en outre au sud les Lokole et les Lokele et au
nord, les Bango, les Hanga, les Benja, les Binza, les Boro, les Angba, les So (Basoko), les
Hanga, les Tungu, les Olombo (Turumbu) et les Mba.
Au niveau des peuples de langues oubanguiennes, les grands groupes sont les Ngbaka,
les Ngbandi et les Zande, parmi lesquels on distingue les Abandiya des Avungara. Le
regroupement des Ngbaka sur le plateau de Gemena aurait t organis par l'administration en
1920(35). Il faut y ajouter les Mbanja, les Banda, les Furu et les Nzakara. Les Ngombe prsents
dans le Nord-Ubangi sont les tmoins d'une occupation antrieure de la rgion par des bantous.
D'autres groupes enclavs le long de l'Ubangi ont des origines diverses, d'amont en aval, les
Buraka, les Gbanziri, les Ngbaga et les Monjombo.
5. La Province Orientale
La carte de la Province Orientale (Fig.8) reproduit une part de celle de l'Ubangi (Fig.7) et
souligne ainsi la continuit qui existe entre les deux, malgr leur division administrative
commande par des soucis de scurit frontalire depuis 1888(36). Au nord de l'Uele, les
35
36
15
Ngbandi, les Zande, les Bangba et les Mayogo appartiennent la famille oubanguienne. Plus
au sud, toutes les langues sont de la zone C jusqu'aux Boa et aux Bali au nord du fleuve et aux
Lokele au sud(37).
Nous ne parlerons pas ici des Kumu, dont l'extension apparat mieux sur la carte suivante.
Il importe par contre de souligner l'originalit du Haut-Uele et de l'Ituri.
37
71 Balese + Bira.
16
D'une part, on y trouve deux nouvelles familles linguistiques, celle des langues nilotiques, qui
n'est reprsente en Rpublique Dmocratique du Congo que par les Alur et les Kakwa,
auxquelles Jan Vansina joint cependant les Pajulu, et celle dite nilo-saharienne, qui s'tend
autour d'Isiro et jusqu'aux frontires du Soudan et de l'Uganda, quoique avec des
discontinuits. Elle comprend le sous-groupe Mangbetu, qui englobe, outre les Mangbetu, les
Makere, les Malele, les Popoi et les Medje, le sous-groupe Mangutu-Mamvu-Lese, le sousgroupe Logo-Lugbara-Madi-Bari et le sous-groupe Lendu(38).
Une autre particularit de la rgion est la difficult d'y tablir une classification
satisfaisante des populations. La distinction entre Bantous et non Bantous est une ralit
linguistique. On ne peut dire qu'il y a des Bantous qui parlent une langue non bantoue et il est
difficile d'tablir si une population parlant aujourd'hui une langue non bantoue en a jadis parl
une de la famille bantoue. Les Lese, parlant une langue silo-saharienne, sont associs par Jan
Vansina en une mme aire culturelle avec les Kumu. Sur leur bordure orientale, dans la valle
de l'Ituri, vivent les Nyari, que l'on considre comme le premier peuple bantou de la rgion,
appartient la famille D des langues bantoues, celle dont l'unit est la moins bien tablie. Les
Nyari seraient venus du Bunyoro en Uganda et se seraient heurts, en remontant vers le nord
aprs avoir travers la Semliki, aux Lendu, qui arrivaient eux du nord, c'est--dire de la valle du
Nil. L'intrt de ces considrations est de montrer le caractre de carrefour de l'Ituri et du HautUele(39).
Pour compliquer la question, la lecture de la situation faite depuis l'poque coloniale y a
introduit des lments racistes. Pour expliquer la qualit du systme complexe de l'levage et des
Etats trouvs dans les hautes terres de l'est africain sans mettre en question la supriorit de la
race blanche, les Europens l'attriburent l'intervention de Hamites, supposs non ngres,
d'origine smitique. L'histoire de l'Afrique publie par D. Westermann en 1952, clbre pour la
richesse des traditions africaines qu'elle rapporte, est encore construite dans le cadre de cette
thorie(40). Les travaux publis sur l'histoire du Rwanda, y compris ceux de l'Abb Kagame,
pourtant fonds sur la tradition orale, en sont aussi marqus.
Ces travaux soutiennent que le territoire du Rwanda actuel tait auparavant
peupl par un ensemble disparate de familles et de "clans" bantu, politiquement peu
organiss. Un groupe homogne de pasteurs "tutsi" hamitiques originaires du nord
arriva alors dans la rgion, o il introduisit l'levage, le travail du fer, le concept de
royaut, une hirarchie sociale par castes et diffrentes nouvelles cultures(41).
La parent entre les peuples dits hamites et les pasteurs thiopiens est relle, mais les
langues qu'ils parlent en Afrique centrale sont 100 % bantoues, qu'il s'agisse des Hema, qu'on
trouve au sud des Lendu en Province orientale et qui y sont venus du Bunyoro, ou des Banya
Rwanda, tant Hutu que Tutsi. Des Etats dirigs par un mwami existaient par ailleurs dans l'est
de l'Afrique, les populations y connaissaient la mtallurgie et l'levage y tait pratiqu avant la
38
Le terme lendu provient de la dformation de abandru qui est le pluriel de bale, qui veut dire homme du pays
ou tout simplement autochtone. Cfr LOBHO-Lwa-Djugudjugu, Socit et politique en Afrique traditionnelle.
Bahema et Walendu du Zare, Kinshasa, 1979, p. 8. Le terme Mambisa, qui figure sur certaines cartes
ethniques, est le nom d'une collectivit majorit lendu.
39
Dans son livre Sur les sentiers du pass en fort. Les cheminements de la tradition politique ancienne de
l'Afrique quatoriale, Jan VANSINA parle propos de l'Uele et de l'Ituri d'une rencontre de traditions, dans
Enqutes et documents d'histoire africaine 9 (1991), p. 218.
40
Diedrich WESTERMANN, Geschichte Africas, Staatenbildungen sdlich der Sahara, Klnn, 1952.
41
B.A. OGOT, La rgion des Grands Lacs, dans Histoire gnrale de l'Afrique, t. [V, L'Afrique du Xlle au
XVIe sicle, Paris, UNESCO-NEA, 1985, p. 561.
17
cration des monarchies tutsi(42). En outre, comme le dit Joseph Ki-Zerbo, toute "race ",
conformment l'intuition gniale de Darwin, serait un processus en marche, relevant en
quelque sorte de la dynamique des fluides ; et les peuples seraient tous des mtis accomplis ou
en voie de l'tre. Chaque rencontre de peuples s'analyse en fait comme une migration
gntique et ce flux gntique remet en cause le capital biologique des deux parties en
prsence(43). Ainsi, les peuples dits Hamites ont, comme tous les autres, intgr des lments
des populations locales qui les avaient prcds(44). L o ils sont en opposition d'autres
populations, c'est une construction sociale historique et non une diffrence de races qui est en
jeu.
L'histoire rcente en est une illustration. La tension entre les Hema et les Lendu est
ancienne, mais elle avait t contenue jusqu'il y a peu dans des limites permettant la sauvegarde
de la paix. C'est l'intervention d'intrts extrieurs qui l'a attise en guerre civile et qui y a ml
des groupes qui n'y avaient pas t associs antrieurement.
Au caractre particulirement complexe du Haut-Uele et de l'Ituri, il faut ajouter le
dcoupage ethnique en petites units de la frontire nord-est du pays. On y trouve, outre les
groupes dj cits, les Mundu, les Keliko, les Ndo Vare, les Ndo Okebo et les Mabendi, parlant
tous des langues de la famille nilo-saharienne. Les Lombi, formant un groupe enclav entre les
Bali et les Kumu, appartiennent aussi la famille nilo-saharienne, de mme que les Mvuba, au
sud des Lese.
Parmi les langues bantoues de la famille D, il faut ajouter aux Nyari et aux Hema dj
cits les Budu, les Ndaka, les Mbo, les Bira, les Pere et les Amba. Les Lika semblent par
contre apparents aux Boa et aux Bali de la famille C. Les Mba en territoire de Banalia et les
Dongo en territoire de Faradje sont classs par l'Atlas linguistique du Zare parmi les langues
oubanguiennes.
6. Les deux Kivu et le Maniema
La gographie ethnique du Kivu et du Maniema est plus massive. On y repre au premier
coup d'oeil les Kumu et les Lega, encadrs, au nord-ouest de la carte par d'autres peuples dont
les langues appartiennent la famille D, les Wagenia, les Lengola, les Metoko et les Songola.
Les Langa, les Ngengele et les Tetela, comme on l'a dj signal. Au sud et au sud-est, les Binja,
les Bangubangu, les Boyo, les Bembe et les Nyintu font aussi partie de la famille D(45). Les
Bembe ont intgr une srie de populations, dont les Bwari, bien connus par le nom de la
presqu'le, Ubwari, o les Pres Blancs ouvrirent leur premire mission au Congo en 1880.
42
Ibidem, p. 562-563.
Joseph KI-ZERBO, Thories relatives aux "races" et histoire de l'Afrique, dans Histoire gnrale de l'Afrique,
t. 1, Mthodologie et prhistoire africaine, Paris, 1980, p. 296.
44
Pour le Rwanda, cfr B.A. OGOT, ouvrage cit, p. 5561-564, qui se base sur les travaux de J. VANSINA et
de J.K. RENNIE.
45
Composition ethnique des zones de cohabitation :
71 Balese + Bira
74 Kalanga + Bangubangu
72 Luba Katanga + Bangubangu
75 Boyo + Bangubangu + Kunda
73 Hemba + Kunda
43
18
Cfr Jan VANSINA, Sur les sentiers du pass en fort. Les cheminements de la tradition politique
ancienne de l'Afrique quatoriale, dans Enqutes et documents d'histoire africaine 9 (1991), p. 229-248.
47
BISHIKWABO Chubaka, La politique indigne au Congo Belge et son application au Kivu: de la lgitimit
l'illgitimit (1900-1945), dans Zamani, revue du Dpartement d'Histoire de l'I.S.P./Bukavu 1(1984), p.
38-88, particulirement pour le cas des Shi, p. 72-73 et 78-82.
19
Nyanga, les Hunde, les Havu, les Shi et les Fulero, parmi lesquels se trouvent aussi les Vira et
des Hundi.
Le Bwisha et le Bwito, respectivement l'est et l'ouest du Parc des Virunga dans le
territoire de Rutshuru comportent des populations importantes de langue kinyarwanda. Dans le
Bwisha, ces populations ont t constitues en chefferie autonome, sous l'autorit du Mwami
Ndeze de 1920 sa mort en 1980(48). Ailleurs, ces populations cohabitent avec les Hunde, les
Havu, les Shi, les Fulero, etc. depuis des dates diverses. En 1927, le Gouvernement du Congo
se proposa de crer un mouvement massif de peuplement du Kivu par des Rwandais, mais le
projet n'aboutit qu'en 1936 une action qui transplanta dans le Gishari, entre Sake et les lacs
Mokotos, dans le territoire de Masisi, environ 25.000 personnes(49). L'opration fut suspendue en
juin 1945, le Gishari tant considr comme satur et la chefferie Gishari, qui avait t constitue
en1937 fut supprime en 1956. Une autre opration, ralise sous l'gide de la Mission
d'Immigration des Banyarwanda (M.I.B.), fut organise en direction des Mokotos de 1949
1953. Au Kivu, 2.653 familles Banyaruanda ont immigr dans le courant de l'anne sous revue
[1954], portant le nombre total de Banyaruanda installs dans la Province plus de 170.000.
Certains indignes qui avaient quitt jadis le territoire de Rutshuru pour se fixer en Uganda,
manifestent un dsir de retour dans leur territoire d'origine(50). D'autres mouvements eurent
lieu au moment de l'indpendance du Rwanda et depuis les annes 1970 un glissement gnral
de la population est en cours des hautes terres de l'est vers l'ouest du Kivu(51). Depuis 1994, le
flux des rfugis et les mouvements qui les ont suivis ont particulirement bouscul les
populations du Sud et du Nord-Kivu, sans qu'il soit possible d'en tablir avec prcision les
contours.
Les tensions entre les communauts ethniques ont t avives par l'accroissement
dmographique, qui rend l'accs la terre plus comptitif. Mais la faon dont ce problme a t
trait est un lment cl de la situation actuelle. Le rgime colonial a permis de spolier une part
importante des meilleures terres indignes au profit des colons, principalement par l'entremise
du Comit National du Kivu, cr en novembre 1927. La loi Bakajika de 1966 et la loi foncire
de 1972, sous prtexte de corriger les abus prcdents, ont attribu l'Etat la proprit des terres
rurales et ont, leur tour, exclu les communauts villageoises de la gestion de leur patrimoine
foncier. De nouvelles appropriations prives de terres ont ainsi t rendues possibles, sans que
soit garantie la protection des communauts, assure jadis par les autorits traditionnelles. Lors
de la zarianisation en 1973, les terres que les colons s'taient jadis rserves sont devenues la
proprit d'une minorit sans protection particulire. Il en a rsult une animosit qui a entran
de part et d'autre des intimidations et mme des massacres que le pouvoir n'a pas su contrler.
Au contraire, il a utilis les oppositions, qu'on l'accuse mme d'avoir parfois suscites, pour le
48
Ibidem, p. 55.
De 1926 1931, une mission de recrutement de cinq agents fut en outre organise au Rwanda par l'Union
Minire du Haut-Katanga, une poque o des Rwandais quittaient aussi leur pays pour chercher de
l'embauche en Uganda. Cfr MAYUMA Ayankie, Une socit africaine industrielle: les camps des
travailleurs de I'U.M.H.K. (1928-1941), Mmoire de licence en Histoire, Lubumbashi, 1974, p. 16, et
HAKIBA Buki, Octave, Contribution l'tude historique de l'importation de la main-d'oeuvre du R.U.
I'U.M.H.K. (1925-1973), Mmoire de licence en Histoire, Lubumbashi, 1974, p. 17 et 46.
50
Rapport [aux Chambres belges] sur l'administration du Congo Belge pendant l'anne 1954, Bruxelles, 1955,
p. 67. Cfr R. SPITAELS, Chef de la M.I.B., Transplantation de Banyaruandadans le Kivu-Nord, dans
Problmes d'Afrique Centrale (1953) n 20, p. 110-116, et G. KAJIGA, Cette immigration sculaire des
Ruandais au Congo, dans Bulletin trimestriel du Centre d'Etude des Problmes Sociaux Indignes (1956) n
32, p. 5-64.
51
Cfr L. de SAINT MOULIN, Mouvements rcents de population dans la zone de peuplement dense de l'est
du Kivu, dans Etudes d'Histoire africaine 7 (1975), p. 113-124.
49
20
52
21
7. Le Nord-Katanga
En redescendant au sud du 4e parallle, nous pouvons nouveau nous appuyer sur la
documentation d'Olga Boone, systmatiquement rassemble par circonscription administrative.
C'est un des lments d'explication de la rapparition de multiples zones de cohabitation. Il
n'est cependant pas douteux, comme partout, que la population s'y est forme par vagues
successives qui se sont superposes. Un ouvrage fondamental l'a particulirement dmontr
pour le monde luba(53.
Sur base d'une srie d'indices, les Kete au Kasa et les Kunda au Katanga sont
unanimement considrs comme une des couches les plus anciennes du peuplement. Un de ces
indices est le modle de distribution gographique de ces deux peuples. Sans que cet argument
suffise tablir le fait, il faut en effet supposer en premire hypothse que le groupe 1 est plus
ancien que le groupe 2, lorsqu'il apparat, comme dans les schmas prsents ci-dessous que
le groupe 2 a pntr, perc ou fait clater le groupe 1(54).
Figure 9 bis : Modle de distribution
Les Kete, dont on retrouve des groupes de la rgion Kuba celle des Lwalwa et des
Kanyok, auraient t suivis au Kasai par les Lulua et les Kanyok, puis par les Bakwa Luntu
du territoire de Dimbelenge, dont on retrouve aussi un groupe plus l'ouest, et enfin par les
Luba du Kasai. Tous pro-venaient d'un foyer de population extrmement ancien implant la
rencontre du plateau Samba (de Kamina) et de la dpression de l'Upemba (Kikondja),
actuellement occup par les Luba Katanga.
Au Kasai Oriental, la carte indique, outre les groupes dj cits, le vas-te groupe des
Songye, les Binji, les Mputu et, en cohabitation dans le territoire de Mwene-Ditu, les
Kanincim, qui font partie du monde lunda(55).
53
P. DENOLF, Aan de rand van de Dibese (En bordure de la fort de Dibese), 2 vol., Bruxelles, 1954-1955.
Le titre en nerlandais ne doit pas arrter, car l'ouvrage s'achve par un long rsum en franais.
54
D'aprs Jan VANSINA, dans Art History in Africa. An Introduction to Method, Londres et New York, 1984,
p. 171, o l'hypothse concerne la distribution des formes culturelles en gnral.
55
Composition ethnique des zones de cohabitation :
61 Lulua + Luba
76 Luba Katanga + Kunda 84 Hemba + Boyo
63 Kete + Lulua
77 Hemba + Bangubangu
85 Luba Katanga+Lumbu
66 Luba Katanga + Luba Kasai
78 Bangubangu + Kunda
86 Luba Katanga+Tumbwe
67 Lunda + Kanyok + Kete
79 Tumbwe + Kunda
87 Hemba + Tumbwe
72 Luba Katanga + Bangubangu
80 Tumbwe + Lumbu
88 Tabwa
73 Hemba + Kunda
81 Boyo+Bangubangu+Lumbu+Kunda 89 Tabwa + Tumbwe
74 Kalanga + Bangubangu
82 Luba Katanga + Boyo
90 Bwile + Kunda
75 Boyo + Bangubangu + Kunda 83 Luba Katanga + Songye 91 Hemba + Lumbu
Bwile
73 Hemba + Kunda
22
23
Au Katanga, des groupes importants de Kunda existent tant au nord, dans le territoire de
Kongolo, qu'au sud, dans celui de Kasenga, mais il y en a toute une srie d'autres entre ces deux
extrmes, soit isols, soit associs des Hemba, des Bangubangu, des Boyo, des Luba, des
Lumbu et des Tumbwe. L'hypothse la plus probable est qu'ils ont t parmi les plus anciens
occupants de la rgion et qu'ils ont t submergs par les vagues de migrations ultrieures, dont
les populations les ont, en de nombreux endroits absorbs. La distribution gographique n'est
cependant pas le seul argument invoquer et elle conduirait des erreurs d'interprtation si on
l'invoquait sans discernement.
Sur la carte, l'indication de nombreuses enclaves luba dans le Kasa Occidental correspond
la situation enregistre par Olga Boone la fin de la priode coloniale. Les grandes rpartitions
indiques ont encore valeur indicative, mais elles ne traduisent rien des modifications qui ont
rsult des conflits entre Luba et Lulua au moment de l'indpendance ni des mouvements qu'ont
dclench les conflits ethniques dans le Haut Katanga industriel, notamment durant la
Confrence Nationale Souveraine.
Au Katanga, les Luba Katanga sont le groupe le plus imposant, suivis, en bordure du lac
Tanganyika, par les Tumbwe et les Tabwa, adosss aux Bwile. A l'ouest, les Lunda et les
Kalundwe sont deux autres groupes importants. On trouve en outre dans la partie orientale les
Hemba, clbres pour la qualit de leurs sculptures, quelques groupes Yeke, tmoins de la voie
suivie jadis par ceux qui fondrent l'empire de M'Siri plus au sud, et dans des zones de
cohabitation, les Kalanga.
8. Le Sud-Katanga
L'espace reprsent sur la carte ci-contre (Fig.11) du Sud-Katanga est celui de la zone
cuprifre, dont l'exploitation ancienne est atteste par les croisettes du kisalien (vers l'an 1000)
trouves dans les fouilles de Katoto dans la dpression de l'Upemba (56). Il est aussi celui de
l'extension lunda, qui introduisit le systme de titres de parent positionnelle jusqu'au royaume
de Kazembe, sur la rive droite du Luapula en Zambie, et jusqu'au Kwango vers l'ouest. Les
comptitions pour le contrle de cette zone furent vives, entre Luba et Lunda, entre courants
commerciaux venant de l'Atlantique et d'autres venant de l'Ocan Indien (57). Les Ciokwe
taient, lors de l'arrive des Europens, de grands caravaniers qui reliaient l'Angola au Kasa et
au Katanga. Tippo Tip, lui-mme, fit des incursions dans le Sud-Katanga avant de s'orienter
vers le Maniema et la Province Orientale(58).
La carte indique (voir note 59 supra) comme autres groupes ethniques l'ouest, les
Lwena, les Ndembo et les Minungu. La partie orientale est plus complexe. On y trouve, du
nord au sud, les Zela, les Lomotwa, les Sanga, les Kaonde, les Lemba et les Lamba, comme
groupes les plus tendus, avec en outre les Bemba, les Shila, les Nwenshi, les Lembwe, les
Ngoma, les Seba, les Aushi et les Lala, qui occupent aussi des territoires plus vastes que de
nombreuses tribus dans d'autres provinces.
56
Cfr Joseph CORNET, Autour de l'histoire du Shaba, dans Zare-Afrique (1980) n 150, p. 609-616.
Composition ethnique des zones de cohabitation:
91 Ciokwe+Lunda
95 Luba Katanga+Lunda+Ndembo 99 Kaonde+Lamba+Lemba
92 Luba Katanga+Lunda+Ciokwe 96 Luba Katanga + Lunda
100 Lamba + autres
93 Lunda + Ndembo
97 Kaonde + Lunda
101 Yeke + Kunda
94 Luba Katanga+Ndembo
98 Kaonde + Sanga
102 Bemba+Luba Katanga+Kunda
58
Cfr L. de SAINT MOULIN, L'organisation de. l'espace en Afrique centrale la fin du X/Xe sicle, dans
Cultures et dveloppement 14 (1982), p. 259-296. Cfr aussi Amnagement du territoire et projet de socit
au Zare, dans Zare-Afrique (1985) n 200, p. 583-594.
57
24
Dans la zone minire et particulirement dans les villes de Lubumbashi, Likasi et Kolwezi
et autour d'elles, la situation ethnique est plus complexe. Au nord de la premire, dj en 1960,
l'administration renonait prsenter l'inventaire des peuples de la circonscription (anciennes
chefferies Shindaka et Kibuye).
*
*
P. BOURDIEU, Ce que parler veut dire. L'conomie des changes linguistiques, Paris, 1982,
p. 99-100.
25
France la coupe du monde de football avec une quipe faite de joueurs de provenances diverses
a fait rver d'une communaut nationale ouverte et intgrative. Les fondateurs de la Communaut
Economique Europenne ont voulu que des pays qui pendant plus de mille ans s'taient
considrs comme ennemis se peroivent dsormais comme des partenaires obligs d'un mme
destin. Une identit europenne est en train de natre, par dessus les nationalits qui s'taient
elles-mmes dveloppes au cours des temps modernes. En Afrique, des nations se forgent et
rien n'impose que les rivalits traditionnelles entre certaines ethnies les empche aujourd'hui de
s'allier pour la poursuite d'objectifs communs. Cheikh Anta Diop disait propos de sa propre
ethnie : On devient Wolof tous les jours(60).
Paradoxalement, selon les rflexions de Gramsci dans son journal de prison, Marx luimme a contribu la prise de conscience du rle que jouent les ides et les reprsentations
dans la dynamique sociale(61). Sa dnonciation des idologies comme voiles pour des rapports
de domination tait une reconnaissance de leur force pour gouverner et contrler les peuples.
En se dfinissant comme un groupe ethnique, les membres de ce groupe adoptent une stratgie
mobilisatrice, en vue du contrle d'un territoire ou du pouvoir sur ce territoire. C'est leur droit.
Mais la communaut plus large dans laquelle ils s'inscrivent a aussi son mot dire dans ce
dbat, car c'est elle qui dfinit le rang social auquel ce groupe sera reconnu. On ne peut en effet
modifier le dcoupage des identits sociales sans une remise en cause de toute la socit. La
revendication des Kurdes constituer une nation en est un exemple manifeste.
La sociologie des conflits a dfinitivement battu en brche la vision de la socit comme
un ensemble monolithique, dont l'autorit pourrait dfinir les normes du fonctionnel et les
limites du marginal. Il faut se faire la complexit de la vie sociale, lie la pluralit des
champs et au pluralisme des solidarits sociales et des systmes de valeurs que chacun porte
en soi. Mais les identits sont toujours sociales et concernent toute la socit. Elles ne se
ralisent qu' travers un projet commun et elles ne peuvent tre lgitimement promues que si ce
projet peut s'intgrer dans celui de la grande socit laquelle chaque groupe appartient. Il faut
donc articuler les identits ethniques avec la conscience nationale.
L'Etat, qui est devenu l'organe de gestion oblig de multiples problmes, a besoin pour
fonctionner de faon participative, d'un tissu serr d'associations diverses, qui constituent la
socit civile. Les ethnies sont une force sociale d'intgration, quand elles invitent leurs
membres s'inscrire dans des actions collectives d'autopromotion, de rflexion critique et de
ngociation. Elles deviennent particularistes et destructrices des efforts nationaux, quand elles
privilgient les solidarits particulires au dtriment des projets qui ne peuvent tre promus qu'
un chelon suprieur, de gestion politique ou d'activit conomique, par exemple. Un des
problmes les plus fondamentaux pour l'articulation des identits ethniques et de la conscience
nationale est celui du dcoupage des units politiques et administratives. Celui-ci exige la
dfinition de subdivisions disposant toutes, un mme niveau, des mmes droits et obligations.
Il doit en outre permettre une insertion suffisamment satisfaisante de tous les habitants d'un
pays.
Or l'examen de la carte ethnique de la Rpublique Dmocratique du Congo a tabli
qu'un dcoupage satisfaisant des units administratives est impossible sur base ethnique. Plus
de la moiti de la population appartient des groupes qui n'ont pas de territoires propres tant
soit peu tendus et toutes les ethnies ont des enclaves et des zones de cohabitation.
60
CHEIKH ANTA DIOP, Etudes linguistiques woloves, dans Prsence Africaine n 5, p. 852. Il ajoutait : Les
Wolof sont issus d'un long mtissage qui se poursuit encore l'heure actuelle sous nos yeux. Cit dans S.
KANDE, L'anthropologie contemporaine et la remise en cause du concept d'ethnie, dans Histoire
dmographique, Concept d'ethnie, Recherches diverses, Groupe "Afrique noire", Cahier n 8, 1985, p. 100.
61
Cfr notamment Jan VANSINA, Living with Africa, Madison, 1994, p. 205.
26
L'administration coloniale qui avait dans les annes 1920 tent la constitution de
circonscriptions et mme de territoires portant le nom d'une tribu y a rapidement renonc
devant les problmes qui en rsultaient(62). L'identit ethnique ne peut ds lors tre prne
comme une nationalit. Ses reprsentants peuvent influencer la gestion de l'Etat en fonction de
son systme de valeurs et de ses intrts, mais ils ne peuvent prtendre imposer seuls les
orientations de l'Etat. L'Etat, plus encore que ses provinces, est aujourd'hui toujours multiethnique.
L'identit ethnique ne peut pas davantage tre une ralit exclusive et c'est sans doute le
domaine o elle doit le plus voluer pour devenir une force du futur. Sous de multiples aspects,
la vie sociale s'est largie. Les autorits ethniques et les ans en gnral ont apprendre
cohabiter dans un monde pluraliste, tablir leur autorit en acceptant de devoir convaincre et
d'tre soumis la critique en fonction d'autres modles culturels et d'autres sources d'information
que leur parole. Ce qui est vrai des autorits religieuses et morales en gnral l'est aussi des
instances lgitimatrices traditionnelles(63).
Bien des indications ont t fournies sur les possibilits de transformation des identits.
On a vu qu'elles sont effectivement des constructions sociales et qu'elles voluent. Les tribus
d'aujourd'hui sont trs diffrentes de ce qu'elles taient avant la colonisation et l'ge industriel.
Les identits voluent par redfinition des champs de leur comptence, par formation de
nouveaux modles de comportements ou appropriation de faons de faire et de penser mises au
point ailleurs. Le systme ducatif et diffrentes clbrations, dont les autorits ethniques n'ont
qu'un contrle limit, y contribuent immanquablement. En termes religieux, les instances
lgitimatrices de chaque ethnie doivent accepter de se convertir si elles veulent continuer
jouer un rle dans un monde qui s'est transform. Essentiellement, elles ont s'inscrire dans un
monde pluraliste et dans des projets plus vastes que ceux qu'elles peuvent promouvoir seules.
Elles ont reconnatre aux autres les avantages qu'elles veulent s'attribuer elles-mmes.
La culture, dit Jean-Paul II, est la grande ducatrice de tout homme. Elle est aussi une
grande incarnation historique et sociale du travail de toutes les gnrations qui nous ont
prcds(64). La culture qui faonne aujourd'hui les faons de penser et d'agir ne peut tre
rduite celle des milieux traditionnels. Pour survivre, les autorits ethniques doivent entrer
dans le mouvement gnral de conscientisation et de participation pluraliste. A ce prix, les
ethnies et les tribus peuvent tre des forces positives dans le tissu de la vie sociale. C'est ce que
nous leur souhaitons.
Ce qui vient d'tre dit des ethnies vaut aussi pour les Etats et les consciences nationales
qui s'y dveloppent(65). Celles-ci ne peuvent en effet se btir sur l'exclusion. Si le projet national
qui mobilise les ethnies est seulement la lutte contre un ennemi extrieur, le danger est grand
qu'une fois le danger tranger cart, la logique de l'exclusion se prolonge dans une sorte de
xnophobie l'chelle ethnique. Une vraie culture de la paix, l'chelle des Etats comme celle
des ethnies, est une culture o les diffrences sont acceptes et respectes, pour la ralisation
d'objectifs communs, ft-ce dans des solidarits seulement partielles. Au plan intrieur, les
responsables d'un pays, pas plus que ceux d'une ethnie, ne peuvent faire le bonheur de leur
peuple sans s'efforcer d'intgrer dans la dfinition et la ralisation des objectifs communs toutes
les composantes de ce peuple. Au plan extrieur, bien des problmes se posent effectivement
aujourd'hui un chelon suprieur celui des Etats. Les Etats europens l'ont senti et
62
Cfr L. de SAINT MOULIN, Histoire de l'organisation administrative du Zare, dans Zare-Afrique (1992), n
261, p. 38 et 50.
63
Cfr Jean REMY, Conflits et dynamique sociale. Interrogations relatives la vie de l'Eglise, dans Lumen Vitae
24 (1969), p. 26-50.
64
JEAN PAUL Il, Laborem exercens, encyclique sur Le travail humain, 1981, n 10.
65
Nous remercions le Pre Gustave Lobunda qui a attir notre attention sur ce point.
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s'emploient construire l'Europe. Les pays du Tiers Monde et ceux de l'Afrique en particulier
ont plus de raisons encore d'unir leurs efforts pour une transformation du systme financier,
conomique et politique mondial dans lequel ils vivent.
Puissent les dirigeants de nos socits poursuivre vraiment le bien de leurs populations
par des actions intelligemment menes aux niveaux respectifs o elles doivent tre organises
pour tre efficaces. Ils mriteront ainsi, eux aussi, la batitude des artisans de paix.
Lon de SAINT MOULIN s.j.
Professeur mrite aux Facults Catholiques de
Kinshasa et Directeur du CEPAS, Centre d'Etudes
pour l'Action Sociale
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