Les Tribus Previligies en Algerie
Les Tribus Previligies en Algerie
Les Tribus Previligies en Algerie
conomies, Socits,
Civilisations
Les tribus privilgies en Algrie dans la premire moiti du XIXe sicle. In: Annales. conomies, Socits, Civilisations.
21 anne, N. 1, 1966. pp. 44-58.
doi : 10.3406/ahess.1966.421348
http://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1966_num_21_1_421348
Le systme turc.
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1. Le gnral Boyer au Ministre, Oran, 10 janvier 1832, AMG 32, et rapport sur
Mostaganem, AMG, 42.
2. Notes sur la ville de Mazouna, par Saint-Hypolite, Paris, 20 mars 1841,
Ms. AMG, 74.
3. Abdallah Dasboune au Gouverneur gnral, Mostaganem, 28 aot 1836, AMG, 39.
Voir aussi la notice ms. sur El Kalaa dans AGG, n 10 H 53, p. 74 sq. Cf. aussi Mustapha
ben Ismal au Gouverneur gnral, septembre 1836, AGG, n E 98.
4. Le gnral Rapatel au Ministre, Alger, 6 dcembre 1835, AMG, Corr. Alg., 35.
5. Ibid., et AGG 12 X 89.
6. Le sous-intendant Duplantier l'intendant Bondurand, Oran, 18 juin 1834.
7. Journal du capitaine de vaisseau Leps, Bibl. Nat., Ms. Fr. NA, n 9453 ; et
Mmoire sur Alger (en 1833) par le commandant du Gnie militaire, ibid., Ms. Fr. NA,
1273.
8. tat descriptif des tribus qui bordent la plaine de la Mitidja (1832), AGG,
n 12 X 83.
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des Garabas, des Bordias et des Hachems sortent de chez moi et viennent
de m'assurer qu'ils savent que j'attends des troupes, qu'ils sont informs
que j'ai des ordres pour entrer en campagne et m'emparer de Maskara
pour y mettre une garnison franaise. Ils me dclarent qu'ils sont prts
me fournir les chameaux et les mules ncessaires aux transports de
vivres et de munitions. Ils m'offrent, dans le cas o j'effectuerai quelque
projet soit sur Mascara, soit sur Tlemcen, de faire entrer Oran leurs
femmes et leurs enfants pour otages. J'ai appris par eux que Belhammery
est dans l'intention de partir de Mascara, que Mustapha aga, grand cheik
des Douars, dsire vivement qu'il effectue sa retraite le plus tt possible.
Mais les habitants de Mascara s'y opposent... 1. Ils sont presss de se
dbarrasser de l'arme marocaine qui occupe leur pays, mais ils attendent,
pour prendre leur dcision, le retour d'une dlgation qu'ils ont envoy
au Maroc et qu'on pourrait retenir comme otage. Ils restent donc dans
l'expectative. Bien qu'Abd el-Kader se soit pos plutt comme chef des
raas, l'mir n'a pas os se passer de leurs services : en 1835, la plupart
de ses officiers sont encore des Douars et des Smlas 2.
C'est seulement aprs la dfaite d'Abd el-Kader Mascara et la
destruction d'une partie de la ville, que les chefs du maghzen, n'ayant plus
rien perdre, sentent qu'il est de leur intrt de servir la France. Leurs
anciens silos ont t vids, et les nouvelles rcoltes seront dsormais
conserves sur leur propre territoire. Alors ils reprennent les ngociations
avec le Commandement franais Oran et peu peu se rapprochent de
la cte. El Mazni, neveu de Mustapha ben Ismal, se rallie la France
et groupe devant Mostaganem les femmes, les enfants et les troupeaux
de la tribu. D'autres vont camper Misserghin. Abd el-Kader, abandonn
par cette lite guerrire, russit toutefois rallier une partie de la grande
tribu des Borgias et, avec le concours de fidles Hachems et des Garabas,
attaque les Smlas avec 600 cavaliers 3.
Bientt la dmarcation est faite entre les deux camps. En 1835, Trzel
signe un trait d'alliance avec les Douars et les Smlas, qui deviennent
les prcieux auxiliaires des Franais. Le maghzen de Mascara est devenu
un maghzen d'Oran. Il est exempt d'impts et sold en priode
d'oprations.
En 1842, Bugeaud dclare qu'il faut btir Oran une belle maison
pour le grand chef des Douars, Mustapha ben Ismal, porter son
traitement 24 000 francs, auquel il ajoutera 6 000 francs par an sur les fonds
secrets pour rmunrer les fonctions de police permanente qui vont tre
confies ce chef, et douze rations de vivres et de fourrage, les autres
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rattachs l'aga d'Alger, qui ils fournissent des spahis encore une
prcaution, semble-t-il contre les coalitions, dans un pays agit.
La rgion du Djebel Dira, au sud du camp de Sour Ghozlan (appel
plus tard Aumale) tait particulirement instable. L'ancien maghzen
turc des Arib, form d'Arabes turbulents, ayant sem la haine chez ses
voisins, perdit ses privilges. Les tergiversations de ces Arib ont plus
tard lass Abd el-Kader et ils ont fini par se rallier aux Franais.
Quant aux plaines dsertiques du Sud, elles sont surveilles par un
maghzen de nomades compos des Ouled Abdallah et des Ouled Ali
ben Daoud. En ralit, c'est une noblesse militaire, qui se contente
d'envoyer un cheval par an Alger et qui fait ce qu'elle veut 1.
Du ct de Boghari, le pouvoir des Turcs est aussi peu respect.
Comptent comme maghzen les Ouled Ahmed ben Saad et les Aziz. Ces
derniers, qui dpendent de l'aga d'Alger, lui envoient de bons cavaliers.
La province d'Alger avait une organisation particulire. Les Turcs y
avaient organis une administration directe, dont le chef tait l'aga des
Arabes. Ils avaient de petites garnisons dans les cinq villes : Alger, Blida,
Cola, Cherchell et Dellys. Leurs moyens de dfense taient disposs le
long de la cte : la place d'Alger et les forts voisins protgeaient le pays
contre les attaques venues de la mer ; mais l'intrieur, il n'y avait
qu'une petite redoute, Douera.
Le territoire tait partag en onze divisions administratives, appeles
outhans, chacun sous le commandement d'un caid turc et comprenant
des subdivisions confies des cheiks. Parfois plusieurs de ces subdivisions
taient groupes en canton confi un cheik des cheiks servant
d'intermdiaire entre les cheiks ordinaires et le caid. Il n'y avait donc pas de
tribus proprement parler dans ce territoire, suffisamment surveill
par de grands personnages turcs, rsidant d'ordinaire Alger et
propritaires de haouchs, vastes domaines bien exploits, tandis que le reste de
la population de la Mitidja et du Sahel cultivait, suivant un systme de
proprit indivise, les terres des djemmaa .
Dans l'ouest de la plaine, les Hadjoutes taient tablis sur des azels
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Province de Constantine.
Le mme systme a exist dans la province de Constantine, mais il
est tomb peu peu en dsutude. Quelques annes avant 1830 le
bey Ahmet l'a presque compltement aboli. En effet, dans cette
Province de l'Est, l'tat disposait de terres trs tendues et fertiles, qui
taient affermes des familles arabes moyennant redevances et service
militaire titre individuel. D'autre part, les revenus du bey taient assez
importants pour qu'il pt se constituer une arme de mercenaires kabyles.
Enfin il existait sur le pourtour de la province de vritables grands fiefs
que les chefs traditionnels graient leur guise et qui fournissaient des
contingents en temps de guerre. Le bey tait li par des liens
matrimoniaux plusieurs de ces grandes familles et dtenait en fait des otages.
S'il existe un maghzen, il ne joue qu'un rle trs rduit. Les Bab
Trouch, les Bni Hamidou, les Karkara fournissent des spahis, mais aussi
un impt assez lourd. Seuls les Zmoul, au sud de Constantine, sur la route
de Batna, peuvent tre considrs comme tribu maghzen, depuis que le bey
Helcim Kassein, au dbut du xvine sicle, a pris ces Sahariens son
service. Camps sur des terres de l'tat et exempts d'impts, ils jouent
un rle analogue celui des Douairs d'Oran, mais beaucoup plus modeste 2.
1. AGG, 21 H 18.
2. AGG, 10 H 10.
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des Turcs, gouvernait Oran, en 1831. Nous sommes en paix avec nos
dehors par une bonne raison, crivait-il. J'ai fait natre la guerre parmi
les Arabes entre eux. C'est un rsultat qui obligera ceux qui vivent dans
notre voisinage se mettre dans nos intrts et dpendance... 1
A Alger, on avait t un peu plus long adopter la mthode, parce
qu'on crut d'abord pouvoir dominer en embauchant des mercenaires du
pays. Mais zouaves et spahis recruts tant bien que mal, formrent au
dbut des units peu sres, et Rovigo, en 1832, proposait dj de les
supprimer. Ce bataillon auxiliaire d'Afrique ne peut jamais tre compt
comme une troupe. C'est un dpt de vagabonds qui vendent leurs effets
mesure qu'on les leur donne et auxquels n a renonc en donner
davantage. Ils vendraient leurs fusils sans les prcautions que l'on prend
pour ne pas les laisser dans leurs mains... 2
Force tait donc de revenir au systme des tribus maghzen, avec des
Arabes fortement incrusts au sol, capables de surveiller en permanence
une rgion dtermine. Outre les goums fournis par les caids infods
la France, Bugeaud fut vite enclin utiliser des tribus auxquelles il
rendrait ou confrerait des privilges pour prix de leur fidlit. Il veilla ce
qu'elles fussent judicieusement choisies pour dominer des parties
importantes de l'Algrie.
Tout d'abord la tribu des Garabas vint toffer le grand maghzen
utilis, comme nous l'avons vu plus haut, depuis Trzel. J'ai ordonn
que tous les cavaliers bien monts et bien arms fussent inscrits au
maghzen de Mustapha. Au moyen de ce renfort et de la rentre rcente
des Douairs et des Smlas, dernire fraction de cette tribu, ce chef, qui
nous a montr tant de fidlit et de dvouement, se trouvera la tte
de 1 600 1 800 des meilleurs cavaliers de la province d'Oran. Avec cette
force si mobile, nous tiendrons en respect tout le pays entre l'Habra et la
frontire du Maroc. Le maghzen de Mostaganem, qui sera au moins de
1 200 chevaux, jouera le mme rle dans le gouvernement du bey de
Mostaganem et de Mascara 3.
Lamoricire, qui commande la province, est du mme avis. Il faut
rorganiser le maghzen comme au temps des Turcs. Moustapha fera
payer la dme, le zekat et les autres impts, rendra la justice, imposera
des amendes et surveillera toute la rgion d'Oran avec ses cavaliers. Pour
dominer la rgion de Tlemcen jusqu'au Maroc ( l'exception des Kabyles
chez qui on ne peut rcolter que des horions ) on s'adressera Sidi
Abdallah, chef important 4. Il est fcheux, crit Lamoricire en fvrier
1842, qu'il se soit fait battre par Abd el-Kader et qu'il ait laiss razzier
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les tribus qui ont eu confiance en lui ; mais l'arme franaise l'aidera
rtablir son prestige. Sous sa direction, les Angad reprendront les fonctions
de maghzen qu'ils avaient au temps des Turcs, et les Coulouglis
l'appuieront x.
Un effort du mme genre est tent dans le Centre. Le gnral de Bar
russit embaucher les Abid et les Douars du Titteri, en tout une
centaine de cavaliers, qui il remet des drapeaux 2.
Encourag par ces expriences, Bugeaud dresse un plan gnral
d'organisation du Maghzen. Ces tribus recevront une solde de 1 franc
par jour en priode d'oprations. Tous les combattants musulmans
auront droit aux prises comme les Franais : Ils recevront une prime
pour chaque prisonnier : 10 francs pour un homme, 5 francs pour une
femme, 3 francs pour un enfant de moins de 15 ans ! Il faut donc penser
que ces prisonniers ne sont pas tous des combattants, mais plutt
des paysans arrachs leur village 8. Le revenu principal du maghzen
sera la chasse l'homme.
En 1842 et 1843, Bugeaud a essay de dvelopper ce systme,
suprieur, pense-t-il l'emploi des rgiments indignes, qui sont de mauvaise
volont, s'insurgent, dsertent et cotent cher 4.
C'est ainsi qu'il confie la garde de la Mitidja orientale la tribu des
Aribs. Depuis qu'on l'y avait recase, elle s'occupait de la police de la
rgion et fournissait des moyens de transport. Elle disposait de 150
cavaliers, qui eurent des pertes considrables puisque, en 1846, Bugeaud
indiquait que 52 d'entre eux avaient dj trouv la mort au service de la
France 5. Ils n'avaient pas de point d'appui fortifi et constituaient
essentiellement une cavalerie trs mobile e.
Aux points stratgiques, il tait ncessaire d'tablir des fantassins.
On pouvait compter sur les Coulouglis de l'oued Zeitoun, soustraits la
dure domination de l'mir. Dans l'ouest de la rgion du Chlif, le
commandement franais utilisa les Coulouglis de Mazouna, qui continuaient
de dfendre leur ville 7.
En juillet 1842, pour chasser Abd el-Kader du Sersou, Lamoricire
donna les privilges de tribu maghzen aux Harar. L'mir, aprs la
destruction de Tagdempt, avait transport ses fidles Hachems Gourgilah et
dans le pays des Ouled Krelif. Il avait fait cultiver la plaine et install
des silos dans cette bourgade de Gourgilah, o il avait recueilli ce qu'il
1. Ibid.
2. Le gnral de Bar au Gouverneur gnral, Mda, 19 juillet 1842, AMG, Alg.
Corr., n 84.
3. Projet d'organisarion du maghzen, par Bugeaud, Paris, 16 aot 1842, AMG,
Alg. Cor., n 85.
4. Bugeaud au Ministre de la Guerre, Alger, 1er avril 1843, AMG, Alg., n 88.
5. Bugeaud au Ministre de la Guerre, Alger, 25 fvrier 1846, AMG, Alg., n 111.
6. Bugeaud au Ministre de la Guerre, Alger, 29 octobre 1842, AMG, Alg. Cor., n 86.
7. Bugeaud au Ministre de la Guerre, Alger, 6 mars 1843, AMG, n 88.
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