01 Espaces Hilbert
01 Espaces Hilbert
01 Espaces Hilbert
O. Guichard. olivier.guichard@math.unistra.fr
1 Espaces vectoriels normés Définition. Un espace vectoriel normé (E, k·k) est dit com-
plet si la propriété suivante est vérifiée : pour toute suite
Dans tout ce chapitre, le lettre K désigne soit le corps (xn )n∈N de E, si la suite (xn )n∈N est de Cauchy alors elle
des réels R ou le corps des complexes C, le nombre complexe est convergente.
conjugué à z ∈ K est noté z̄ (bien sûr z̄ = z si z est réel).
Exemple. Tout espace vectoriel normé de dimension finie
est complet.
1.1 Norme
Aussi, seule la classe d’équivalence de la norme importe
Définition. Une norme sur un K-espace vectoriel est une
dans cette définition :
application E → R; x 7→ kxk telle que
1. Pour tout x dans E, kxk ≥ 0 et (kxk = 0) ⇔ (x = 0E ). Proposition 3. Soit (E, k·ka ) un espace vectoriel normé
2. Pour tout (x, y) ∈ E × E, kx + yk ≤ kxk + kyk. complet et soit k·kb une norme sur E équivalente à la norme
k·kb . Alors (E, k·kb ) est complet.
3. Pour tout (λ, x) ∈ K × E, kλxk = |λ| kxk.
On dit que (E, k·k) (ou simplement E) est un espace vectoriel Un théorème d’analyse fonctionnelle est : si (E, k·ka ) est com-
normé. plet et si (E, k·kb ) est complet, alors k·ka et k·ka sont équivalentes.
À titre informatif :
Exemple. Soient n ∈ N∗ et p ∈ [1, +∞[, pour x =
Pn p 1/p Lemme 4. Soit E un espace vectoriel normé complet et soit
(x1 , . . . , xn ) ∈ Rn on pose kxkp = ( i=1 |xi | ) , on pose
F un sous-espace vectoriel de E. Si F est fermé, alors F est
kxk∞ = maxi=1,...,n |xi |.
complet.
Définition. Deux normes k·ka et k·kb sur un espace vecto-
Remarque. On dit qu’un sous-ensemble F de E est fermé
riel E sont dites équivalentes s’il existe un nombre réel K tel
si toute suite contenue dans F et convergente dans E a sa
que, pour tout x ∈ E,
limite dans F .
kxka ≤ Kkxkb et kxka ≤ Kkxkb . La norme sur un sous-espace vectoriel sera toujours celle
obtenue par restriction.
La constante K est nécessairement strictement positive.
En dimension finie toutes les normes sont équivalentes. 1.3 Duals, espaces de morphismes
Théorème 1. Soit E un espace vectoriel de dimension finie La dualité va être un concept important tout au long de
et soient k·ka et k·kb deux normes sur E. Alors k·ka et k·kb ce cours. Ici elle va nous servir à donner d’autres exemples
sont équivalentes. d’espaces vectoriels normés complets.
D’abord, rappelons le fait que les applications linéaires
1.2 Complétude et continues entre deux espaces vectoriels normés sont auto-
matiquement lipschitziennes.
Définition. Soit (xn )n∈N une suite d’un K-espace vectoriel
normé (E, k·k). On dit que cette suite converge vers x ∈ E Proposition 5. Soit f : E → F une application linéaire
(ou qu’elle tend vers x, ou qu’elle a pour limite x, etc.) si la entre deux espaces vectoriels normés (E, k·kE ) et (F, k·kF ).
suite réelle (kx−xn k)n∈N tend vers 0, explicitement : ∀ε > 0, Les énoncés suivant sont alors équivalents :
∃n0 ∈ N, ∀n ≥ n0 , kx − xn k ≤ ε. 1. L’application f est continue.
On dit que la suite est de Cauchy si la condition sui-
2. Il existe x ∈ E tel que f est continue en x.
vante est satisfaite : ∀ε > 0, ∃n0 ∈ N, ∀n ≥ n0 , ∀m ≥ n0 ,
kxn − xm k ≤ ε. 3. f est continue en 0E .
4. Il existe un nombre réel M tel que, pour tout x ∈ E,
Autrement dit, la suite (xn )n∈N converge vers x si et kf (x)kF ≤ M kxkE .
seulement si, pour tout r > 0, il existe n0 ∈ N tel que l’en-
semble {xn }n≥n0 est contenu dans B(x, r) la boule de centre 5. f est lipschitzienne.
x et de rayon r (B(x, r) = {y ∈ E | kx−yk < r}). Elle est de Démonstration. (1) ⇒ (2) car f est continue en tout point
Cauchy si et seulement si, pour tout r > 0, il existe n0 ∈ N de E.
tel que l’ensemble {xn }n≥n0 est contenu dans une boule de (2) ⇒ (3) Puisque f est continue en x, pour tout ε > 0,
rayon r. En particulier : il existe δ tel que, pour tout y ∈ E, si ky − xkE < δ
Lemme 2. Toute suite de Cauchy est bornée. alors kf (y) − f (x)kF < ε. Ainsi, pour tout h dans E, si
khkE < δ, alors, comme f (h) = f (x + h) − f (x) et que
Toute suite convergente est de Cauchy. Quand la réci- k(x + h) − xkE < δ, la propriété ci-dessus appliquée à
proque de cette affirmation est vérifiée on parle d’espace y = x + h donne kf (h)kF < ε. C’est précisément dire que f
vectoriel normé complet : est continue en 0E .
1
(3) ⇒ (4) Comme f est continue en 0, il existe δ > 0 Définition. L’espace E 0 des formes inéaires continues sur
tel que, pour tout x ∈ E, si kxkE < δ alors kf (x)kE < un espace vectoriel normé E est appelé dual topologique.
1/2. Soit maintenant x dans E non nul, l’élément x0 =
δx / 2kxkE vérifie kx0 kE < δ et donc kf (x0 )kF < 1/2. On utilisera souvent “dual” au lieu de “dual topologique”.
Comme f (x) = f (2kxkE /δ x0 ) = 2kxkE /δ f (x0 ), on trouve Remarque. Le théorème de Hahn-Banach nous montrera que E 0
kf (x)kF < 1/δkxkE . La propriété demandée est alors véri- est “plus gros” que E. Inversement, il existe des espaces vectoriels
fiée avec M = 1/δ. topologiques n’ayant aucune forme linéaire continue non-nulle.
(4) ⇒ (5) En effet, la fonction f est alors M - Remarquons que les applications de K dans E sont tou-
lipschitzienne : pour tout (x, y) ∈ E 2 , kf (x) − f (y)kF = jours continue :
kf (x − y)kF ≤ M kx − ykE .
(5) ⇒ (1) car toute fonction lipschitzienne est conti- Lemme 8. Soit (E, k·k) un K-espace vectoriel normé et soit
nue. x ∈ E. Alors l’application linéaire K → E; λ 7→ λx est conti-
nue.
Cette proposition permet de définir une norme sur l’es-
pace des applications linéaires continues :
2 Espaces préhilbertiens
Définition. Soient E et F deux K-espaces vectoriels normés
et dénotons L(E, F ) l’espace des applications linéaires conti- 2.1 Produit scalaire hermitien
nues de E dans F (c’est, bien sûr, un K-espace vectoriel).
La formule On travaille encore sur des espaces vectoriels sur K = R
ou C.
kf (x)kF
kf k = sup , pour tout f ∈ F,
x∈Er{0E } kxkE Définition. Une forme sesquilinéaire sur un K-espace vec-
toriel E est une application E × E → K; (x, y) 7→ hx|yi telle
définit une norme sur L(E, F ). que
Exercice 1. On a aussi kf k = supx∈E, kxk≤1 kf (x)kF = 1. pour tout (x, y, y 0 ) ∈ E 3 , hx|y + y 0 i = hx|yi + hx|y 0 i et
supx∈E, kxk=1 kf (x)kF . Montrer que L(E, F ) est un espace pour tout (λ, x, y) ∈ K × E 2 , hx|λyi = λhx|yi, et
vectoriel normé. 2. pour tout (x, x0 , y) ∈ E 3 , hx + x0 |yi = hx|yi + hx0 |yi et
On se sert souvent de l’inégalité kf (x)kF ≤ kf k kxkE . pour tout (λ, x, y) ∈ K × E 2 , hλx|yi = λ̄hx|yi.
La forme sesquilinéaire est dite
Théorème 6. Soient E et F deux K-espaces vectoriels nor-
més. On suppose que F est complet, alors l’espace vectoriel — symétrique hermitienne si, pour tout (x, y) ∈ E 2 ,
normé L(E, F ) est complet. hy|xi = hx|yi ;
— positive si, pour tout x ∈ E, le nombre hx|xi est réel
Démonstration. Soit (fn )n∈N une suite de Cauchy dans
et positif,
L(E, F ). D’après le lemme 2, il existe un réel M qui ma-
jore les normes des fn , n ∈ N. — définie si, pour tout x ∈ E, la condition (∀y ∈ E,
Pour tout x ∈ E, la suite (fn (x))n∈N dans F est une suite hx|yi = 0) implique x = 0E .
de Cauchy (car, pour tout (m, n) ∈ N2 , kfn (x) − fm (x)kF ≤ Définition. Un produit scalaire hermitien sur un K-espace
kfn − fm k kxkE ) et est bornée : pour tout n, kfn (x)kF ≤ vectoriel E est une forme sesqulinéaire, symétrique hermi-
M kxkE . Comme F est complet, cette suite est convergente. tienne, positive, et définie. On dit alors que E est un espace
Notons f (x) sa limite. On a alors kf (x)kF ≤ M kxkE . préhilbertien.
Pour tout (λ, x) ∈ K × E, les suites (λfn (x))n∈N et
(fn (λx))n∈N sont égales et convergent respectivement vers Lemme 9. Si E 2 → K; (x, y) 7→ hx|yi est une forme ses-
λf (x) et f (λx), d’où λf (x) = f (λx). De même, pour tout quilinéaire, symétrique hermitienne et positive, alors elle est
(x, y) ∈ E ×E, les suites (fn (x)+fn (y))n∈N et (fn (x+y))n∈N définie ⇔ pour tout x ∈ E r {0E }, hx|xi > 0.
sont égales et convergent vers f (x) + f (y) et f (x + y). Il
suit que l’application f : E → F est linéaire. L’inégalité Exemple. Soit E = Kn et (ai,j )1≤i,j≤n ∈ Mn (K), pour
kf (x)kF ≤ M kxkE , valable pour tout x dans E, montre x = (x1 , . . . , xn ) et y = (y1 , . . . , yn ) dans E, la formule
que f est continue. La suite (fn )n∈N converge donc dans X
L(E, F ). ai,j x̄i yj
Toute suite de Cauchy est bien convergente, ceci termine 1≤i,j≤n
2
définit une forme sesquilinéaire sur E. Elle est symétrique Vérifions enfin l’inégalité triangulaire. Soit (x, y) ∈ E 2 et
2
hermitienne si et seulement si p̄ = p (i.e. p̄(x) = p(x) ∀x ∈ I). calculons (kxk + kyk)2 − kx + yk
Elle est positive si et seulement si p ≥ 0 (i.e. p(x) ≥ 0 2 2
∀x ∈ I). Elle est positive si p > 0 (ici, la théorie de la me- = kxk + 2kxkkyk + kyk − hx + y|x + yi
sure permet d’exprimer la condition nécessaire et suffisante). = hx|xi + 2kxkkyk + hy|yi − hx|xi − hx|yi − hy|xi − hy|yi
= 2kxkkyk − hx|yi − hy|xi
2.2 Cauchy, Buniakowsky et Schwartz = 2kxkkyk − hx|yi − hx|yi
C’est l’inégalité dont on se sert tout le temps dans les es- = 2kxkkyk − 2<hx|yi
paces préhilbertiens. Elle est due à Cauchy pour le cas de la ≥ 2kxkkyk − 2|hx|yi|
dimension finie et à Buniakowsky (1859) et Schwartz (1885)
or ce dernier nombre est bien positif d’après l’inégalité de
pour le cas de la forme f¯g.
R
Cauchy-Schwartz. On en conclut que kx + yk ≤ kxk +
Théorème 10. Soit (E, h·|·i) un espace préhilbertien. Pour kyk. Ceci termine la démonstration que x 7→ kxk est une
tout (x, y) ∈ E 2 norme.
2
En fait, le calcul fait et les cas d’égalité dans l’inégalité de
|hx|yi| ≤ hx|xi hy|yi. Cauchy-Buniakowsky-Schwartz et dans l’inégalité <z ≤ |z|
implique le résultat plus précis suivant :
2
De plus, |hx|yi| = hx|xi hy|yi si et seulement si x et y sont
Théorème 12. Soit (E, h·|·i) un espace préhilbertien et k·k
proportionnels.
la norme associée. Pour tout (x, y) ∈ E 2 on a l’équivalence
Démonstration. Si hx|xi = 0 alors x = 0E et les deux suivante
membres de l’inégalité sont égaux à 0 et x est aussi pro- kx + yk = kxk + kyk ⇔ (x = 0E ou ∃λ ∈ R+ , y = λx)
portionnel à y.
Puisque les espaces préhilbertiens sont aussi des espaces
Supposons maintenant hx|xi =6 0. Pour tout λ ∈ K, l’on
vectoriels normés, on va pouvoir s’intéresser aux applica-
a
tions continues sur ces espaces. Une autre conséquence de
hλx − y|λx − yi = λλ̄hx|xi − λhy|xi − λ̄hx|yi + hy|yi ≥ 0 l’inégalité de Cauchy-Buniakowsky-Schwartz est que le pro-
duit scalaire est continu.
En posant λ = hx|yi/hx|xi = hy|xi/hx|xi on trouve Proposition 13. Soit (E, h·|·i) une espace préhilbertien.
Alors E 2 → R; (x, y) 7→ hx|yi est continue.
hx|yihy|xi hx|yi hy|xi
− hy|xi − hx|yi + hy|yi ≥ 0. Démonstration. Soit (x0 , y0 ) ∈ E 2 et soit ε > 0. Si (h, k) ∈
hx|xi hx|xi hx|xi
E 2 , on a
En multipliant par hx|xi, il vient hx0 + h|y0 + ki − hx0 |y0 i = hh|y0 i + hx0 |ki + hh|ki
et donc y serait proportionnel à x. Réciproquement si x et 2.3 Le cas des espaces vectoriels sur R
y sont proportionnels (toujours avec l’hypothèse x 6= 0E ),
2 La terminologie générale qui a été introduite jusqu’ici
il existe λ ∈ K tel que y = λx et |hx|yi| = λλ̄hx|xi2 =
hx|xihy|yi. est surtout utilisée pour les C-espaces vectoriels. Lorsque
K = R, cette terminologie est un peu différente et il faut
La principale conséquence de l’inégalité de Cauchy- connaitre ces différences.
Buniakowsky-Schwartz (plus connue Pour un R-espace vectoriel, on parle de forme bilinéaire
p sous le nom d’inégalité
de Cauchy-Schwartz) est que x 7→ hx|xi est une norme sur (x, y) 7→ hx|yi, elle est symétrique si, pour tout (x, y),
l’espace préhilbertien. hy|xi = hx|yi. Elle est positive et définie si elle vérifie les
propriétés déjà données plus haut.
Théorème 11. Soit (E, h·|·i) un K-espace préhilbertien. Une forme bilinéaire symétrique, positive et définie est
Alors un produit scalaire (ou un un produit scalaire euclidien si on
veut insister sur le fait que le corps de base est les réels).
p
E → R; x 7→ kxk = hx|xi
Certains résultats de ce cours (séparation des convexes) se-
est une norme sur E. ront exprimés d’abord pour les R-espaces vectoriels. Les énoncés
correspondant pour les C-espaces vectoriels seront un tout petit
Démonstration. Pour tout x ∈ E, l’on a kxk ≥ 0 et (kxk = 0 peu différents.
⇔ x = 0E ) car h·|·i est positif et défini. p On reviendra plus loin sur la relation entre les produits
Pour tout√ (λ, x) ∈ K × E, kλxk = hλx|λxi = scalaires hermitiens et les produits scalaires euclidiens sur
p p
λλ̄hx|xi = λλ̄ hx|xi = |λ| kxk. un C-espace vectoriel.
3
2.4 L’identité du parallélogramme 2. Il suffit d’appliquer l’égalité précédente à y = 0E en
observant que h0E |zi = 0.
Elle est parfois appelée “identité de la médiane” bien que,
3. En appliquant d’abord 1 puis 2 à x + y
dans certains textes, l’identité de la médiane est une relation
un peu différente (mais équivalente). Cette identité est sou- Dx + y E
hx|zi + hy|zi = 2 z = hx + y|zi.
vent utilisée pour estimer la distance entre deux éléments 2
d’un espace préhilbertien.
4. Par une récurrence simple, on montre que, pour tout
Théorème 14. Soit (E, h·|·i) un espace préhilbertien. Alors, n ∈ N∗ , pour tout (x, y) ∈ E 2 , hnx|yi = nhx|yi. On obtient
pour tout (x, y) ∈ E 2 aussi h n1 x|yi = n1 hx|yi. Ainsi, pour tout α = p/q ∈ Q+ et
tout (x, y) ∈ E 2 , hαx|yi = ph 1q x|yi = pq hx|yi. Comme aussi
2 2 2 2
kx + yk + kx − yk = 2kxk + 2kyk . h−x|yi = −hx|yi, la propriété voulue tient pour tout α ∈ Q.
5. La fonction R → R; α 7→ hαx|yi − αhx|yi est continue
La démonstration suit d’un calcul direct. On utilisera (car le produit scalaire est continu et R → E; α 7→ αx est
cette égalité souvent sous la forme : continue) et s’annule sur Q. Elle s’annule donc sur R.
2 2 2 2
6. L’application E 2 → R; (x, y) 7→ hx|yi est symétrique,
kx − yk = 2kxk + 2kyk − kx + yk . les points 3 et 5 montrent qu’elle est aussi bilinéaire. Comme,
2 2 2
pour tout x ∈ E, hx|xi = 41 (kx+xk −kx−xk ) = k2xk /4 =
Donnons une réciproque pour les espaces euclidiens. 2
kxk , on conclut aussi qu’elle est positive et définie car k·k
Théorème 15. Soit (E, k·k) un R-espace vectoriel normé. est une norme, et que la norme associée est k·k.
Supposons que, pour tout (x, y) ∈ E 2 ,
2 2 2 2
2.5 De R à C ou de C à R
kx + yk + kx − yk = 2kxk + 2kyk .
Sur un C-espace vectoriel, il y a une correspondance entre
Alors la formule, pour tout (x, y) ∈ E 2 les produits scalaires hermitiens et (certains) produits sca-
laires eudlidiens. C’est ce que nous allons préciser dans les
1 2 2 deux résultats qui suivent.
hx|yi = (kx + yk − kx − yk )
4
Proposition 16. Soit (E, h·|·i) un C-espace préhilbertien.
définit un produit scalaire euclidien sur E dont la norme Alors
associée est k·k.
E2 → R
Démonstration. Nous allons démontrer successivement
(x, y) 7→ hx|yiR = <hx|yi
1. pour tout (x, y, z) ∈ E 3 , hx|zi + hy|zi = 2h x+y
2 |zi.
2. pour tout (x, z) ∈ E 2 , hx|zi = 2h x2 |zi est un produit scalaire euclidien. Il vérifie de plus, pour tout
(x, y) ∈ E 2 , hix|iyiR = hx|yiR .
3. pour tout (x, y, z) ∈ E 3 , hx|zi + hy|zi = hx + y|zi.
4. pour tout (x, y) ∈ E 2 et tout α ∈ Q, hαx|yi = αhx|yi Démonstration. Toutes les propriétés à vérifier suivent de
celles de h·|·i.
5. pour tout (x, y) ∈ E 2 et tout α ∈ R, hαx|yi = αhx|yi
6. h·|·i est un produit scalaire, k·k est la norme associée. Réciproquement :
Pour tout (v, w) ∈ E 2 , soit x = (v+w)/2 et y = (v−w)/2 Proposition 17. Soient E un C-espace vectoriel et E 2 →
de sorte que x + y = v et x − y = w. L’identité du parallé- R; (x, y) 7→ hx|yiR un produit scalaire euclidien sur E vé-
logramme donne alors rifiant, pour tout (x, y) ∈ E 2 , hix|iyiR = hx|yiR . Il existe
v + w
v − w
alors un unique produit sclaire hermitien h·|·i sur E tel que
2 2
kvk + kwk = 2
+ 2
(1) hx|yiR = <hx|yi pour tout (x, y) ∈ E 2 . Il est donné par la
2 2
formule, pour tout (x, y) ∈ E 2
1. Soit (x, y, z) ∈ E 3 , alors
hx|yi = hx|yiR + ihix|yiR .
hx|zi + hy|zi
Démonstration. L’hypothèse sur h·|·iR peut se réécrire, pour
1 2 2 2 2 tout (x, y) ∈ E 2 , hix|yiR = −hx|iyiR . De là suit que h·|·i est
= kx + zk − kx − zk + ky + zk − ky − zk
4 symétrique hermitien. Il est facile de vérifier que h·|·i est R-
1
x − y
x + y
= 2
+ z
+ 2
bilinéaire. Pour vérifier la sesquilinéarité, il suffit maintenant
4 2 2
de démontrer que hx|iyi = ihx|yi pour tout (x, y) ∈ E 2 . Or
2 2
− kx − zk − ky − zk ,
hx|iyi = hx|iyiR + ihix|iyiR
en appliquant l’égalité (1) à v = x + z et w = y + z = −hix|yiR + ihx|yiR ,
1
x + y
x + y
et
= 2
+ z
− 2
− z
,
4 2 2
ihx|yi = ihx|yiR − hix|yiR ,
en appliquant l’égalité (1) à v = x − z et w = y − z
d’où l’égalité demandée. Enfin, pour tout x ∈ E, comme
Dx + y E
hix|xiR = −hx|ixiR = −hix|xiR , on a hix|xiR = 0 et donc
=2 z .
2 hx|xi = hx|xiR . Ceci montre que h·|·i est positif et défini.
4
Ceci montre l’existence d’un produit scalaire hermitien Définition. Soit P un espace préhilbertien et P 0 son dual
dont la partie réelle est le produit scalaire euclidien h·|·iR . topologique. Pour tout x ∈ P , on note
Montrons maintenant l’unicité : soit h·|·i un produit sca-
j(x) : P → K; y 7→ j(x) · y = hx|yi.
laire hermitien dont la partie réelle est h·|·iR . Pour tout
(x, y) ∈ E 2 , on a Théorème 19. Avec les notations ci-dessus, pour tout x ∈
P , j(x) ∈ P 0 . L’application j : P → P 0 est une isométrie
=hx|yi = <(−ihx|yi) semilinéaire, l’image j(P ) est dense dans P 0 .
= <hix|yi = hix|yiR . Remarque. Une isométrie entre deux espaces vectoriels normés
est toujours injective mais pas nécessairement surjective. Une
Ce calcul impose que h·|·i est donné par la formule de application φ entre deux K-espaces vectoriels E et F est dite
l’énoncé. semilinéaire si, pour tout x, y ∈ E, φ(x + y) = φ(x) + φ(y) et si,
pour tout λ ∈ K, x ∈ E, φ(λx) = λ̄φ(x). cette définition est surtout
De là on tire l’équivalent du théorème 15 pour les C- utile si K = C...
espaces vectoriels normés.
Démonstration. Soit x ∈ P . La linéarité à droite du produit
Théorème 18. Soit (E, k·k) un C-espace vectoriel normé. scalaire implique que j(x) : P → K est linéare. L’inégalité
Supposons que, pour tout (x, y) ∈ E 2 , de Cuchy-Buniakowsky-Schwartz dit que, pour tout y ∈ P ,
2 2 2 2
|j(x) · y| = |hx|yi| ≤ kxkkyk. Il s’ensuit que j(x) est une
kx + yk + kx − yk = 2kxk + 2kyk . forme linéaire continue de norme ≤ kxk : j(x) ∈ P 0 . Aussi
2
comme j(x) · x = hx|xi = kxk , on a aussi kj(x)k ≥ kxk et
Alors la formule, pour tout (x, y) ∈ E 2
donc kj(x)k = kxk.
1 2 2 2 2
Puisque, pour tout x ∈ P , kj(x)k = kxk, j est une iso-
hx|yi = (kx + yk + ikix + yk − k−x + yk − ik−ix + yk ) métrie. Comme le produit scalaire est semilinéaire à gauche,
4
l’application j est semilinéaire.
définit un produit scalaire hermitien sur E dont la norme Montrons enfin que j(P ) = P 0 . Soit φ ∈ P 0 . Si φ = 0P 0
associée est k·k. est l’application linéaire nulle, alors φ = j(0P ) ∈ j(P ) ∈
j(P ). Si φ 6= 0P 0 , quitte à multiplier φ par une constante
Remarque. Il peut être utile de connaître l’identité de
6= 0, on peut supposer que kφk = 1.
l’énoncé qui exprime un produict scalaire hermitien en fonc-
Comme kφk = supx∈P,kxk=1 |φ(x)|. Il existe une suite
tion de la norme associée.
(xn )n∈N dans P telle que, pour tout n ∈ N, kxn k = 1 et
Démonstration. En effet d’après le théorème 15, hx|yiR = telle que limn |φ(xn )| = kφk = 1. Pour tout n ∈ N, il existe
1 2 2 un élément un ∈ K tel que un φ(xn ) = |φ(xn )|. Posons, pour
4 (kx + yk − k−x + yk ) est un produit scalaire euclidien
sur E. Comme E est un C-espace vectoriel normé, on ob- tout n ∈ N, yn = un xn . On a alors, pour tout n ∈ N,
tient facilement l’égalité, pour tout (x, y) ∈ E 2 , hix|iyiR = kyn k = 1 et limn φ(yn ) = 1.
hx|yiR . Le résultat suit alors de l’application de la proposi- Montrons que la suite (j(yn ))n∈N converge vers φ dans
tion 17. P 0 . Posons, pour tout n ∈ N, tn = φ(yn ), comme la suite (tn )
tend vers 1, il suffira de montrer que la suite (j(yn )−tn φ)n∈N
converge vers 0P 0 . Montrons plus précisément, l’estimée sui-
3 Espace hilbertien vante :
p
pour tout n ∈ N, kj(yn ) − tn φk ≤ 1 − t2n .
3.1 Espace hilbertien
Soit donc n ∈ N. Soit y ∈ P , pour tout λ ∈ K, on a
Définition. Un espace hilbertien ou un espace de Hilbert est 2 2
un K-espace préhilbertien, complet. |φ(y + λyn )| ≤ ky + λyn k
5
En appliquant ce résultat, plusieurs conséquences 3.4 Espaces `2 , théorie de la mesure
suivent.
Lorsque que l’espace mesuré est un ensemble I muni de
Corollaire 20. Il existe sur P 0 un unique produit scalaire la tribu P(I) et de la mesure de comptage, la seule fonc-
hermitien h·|·i tel que, pour tout x, y ∈ P , hj(x)|j(y)i = tion nulle presque partout est le fonction nulle et il n’est
hy|xi. La norme associée à ce produit scalaire est la norme pas besoin de considérer le quotient comme au paragraphe
d’opérateurs sur P 0 . En particulier P 0 est un espace hilber- précédent.
tien. Il est d’usage de noter cet espace de Hilbert `2K (I).
Démonstration. La formule donnée par l’enoncé définit un
produit scalaire hermitien sur le sous-espace j(P ). Comme 3.5 Espace L2 , par complétion
ce produit scalaire est (uniformément) continu (voir propo- En appliquant le processus décrit dans le §3.2, on peut
sition ), il se prolonge par continuité à P 0 = j(P ). Ce prolon- proposer une construction alternative de L2K (X, µ) lorsque
gement, noté h·|·i, est un produit scalaire hermitien sur P 0 . X est un ouvert de Rd et µ la mesure de Lebesgue.
D’après le théorème, sur j(P ) la norme associée à ce produit En effet, considérons Ω ⊂ Rd un ouvert et l’espace
scalaire est la norme d’opérateurs de P 0 et, par continuité, préhilbertien C0 (Ω, K) des fonctions continues et à sup-
ceci vaut aussi sur P 0 . Enfin, comme P 0 pour sa norme d’opé- port compact Ω → KK muni du produit scalaire, pour
rateurs est complet, c’est bien un espace hilbertien. f, g ∈ C0 (Ω, K)
Corollaire 21. Tout espace préhilbertien admet un plonge-
Z
ment isométrique et d’image dense dans un espace hilbertien. hf |gi = f¯(x)g(x) dx.
Ω
On dit parfois que l’espace préhilbertien “se complète” en L’espace complété est noté L2K (Ω). (La mesure de Lebesgue
un espace de Hilbert. L’espace de Hilbert obtenu est unique étant sous-entendue).
à isométrie près.
Pour les espaces de Hilbert, les résultats de ce paragraphe
se résument ainsi. 3.6 Espace `2 , par complétion
Théorème 22. Pour tout espace de Hilbert H, l’applica- Soit I un espace et K(I) le K-espace vectoriel de base
tion j : H → H 0 , qui à x ∈ H associe la forme linéaire ei , i ∈ I. Le dual algébrique de K(I) est KI .
(I)
j(x) : H → K; y 7→ hx|yi, est une isométrie semilinéaire P P = K duP
Munissons produit scalaire suivant : pour
bijective. En outre, pour tout φ ∈ H 0 , il existe un unique tout x = i∈I xi ei et y = i∈I yi ei (ces sommes étant fi-
élément x ∈ H tel que φ = j(x). nies) X
hx|yi = x̄i yi .
i∈I
3.3 Espaces L2 , construction par la théorie
L’espace `2K (I)est alors le complété de P . Puisqu’on peut
de la mesure
l’identifier au dual topologique P 0 à un sous-espace du dual
Soit (X, τ, µ) un espace mesuré et notons par L2K (X, µ) algébrique KI , décrivons ce sous-espace et la formule pour
Rl’espace des fonctions mesurables f : X → K telles que le produit scalaire sur ce sous-espace.
2
X
|f | dµ < +∞. La formule, pour f, g ∈ L2K (X, µ)
Lemme 25. On a
Z X 2
hf |gi = f¯gdµ P 0 = {x = (xi )i∈I ∈ KI | |xi | < +∞},
X I
définit une forme sesquilinéaire, symétrique hermitienne et et pour x = (xi )i∈I et y = (yi )i∈I dans P
positive. Elle n’est pas en général définie. Cependant, on X
peut appliquer le principe suivant pour trouver un espace de hx|yi = x̄i yi .
Hilbert. i∈I
Proposition 23. Soient E un K-espace vectoriel et h·|·i : Démonstration. En effet soit x = (xi )i∈I dans KI et suppo-
E 2 → K une forme sesquilinéaire, symétrique hermitienne sons que X X
et positive. Alors le sous-espace P → K; y = yi ei 7→ xi yi
I
N = {x ∈ E | ∀y ∈ E, hx|yi = 0}
soit une forme linéaire continue sur (P, h·|·i). Il existe alors
est aussi égal à {x ∈ E | hx|xi = 0} et est appelé le noyau M ∈ R, tel que, pour tout y ∈ P ,
de h·|·i. La forme sesquilinéaire, déduite par passage au quo- X
tient, sur E/N est un produit scalaire. | xi yi | ≤ M kyk.
P
La démonstration de cette proposition est laissée en exer- Soit J ⊂ I fini et y = i∈J x̄i ei , on a alors
cice. sX
Dans L2K (X, µ), le noyau est précisément le sous-espace
X 2 2
|xi | ≤ M kyk = M |xi | ,
des fonctions nulles µ-presque partout. Le quotient est noté J J
L2K (X, µ).
2
et donc, pour tout J ⊂ I fini, J |xi | ≤ M 2 . Ceci implique
P
Théorème 24. L2K (X, µ) est un espace de Hilbert. P 2
bien que I |xi | ≤ M .
C’est un théorème de théorie de la mesure (ou de la théo- La formule pour le produit scalaire suit alors par den-
rie de l’intégration). sité.