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Monnaie

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Université Mohamed V Rabat

Faculté des sciences juridiques, économiques et


sociales Souissi

LES THEORIES MONETAIRES ET DES TAUX


D’INTERETS

Pr Hicham SADOK

LICENCE ECONOMIE GESTION

Année universitaire 2017-2018

1
2

Chapitre : Théories monétaires et taux d’intérêts


La plupart des manuels et des ouvrages d’économie sur la monnaie relatent qu’il existe deux
conceptions théoriques de la monnaie. Ce n’est pas tout à fait exact. Le débat théorique entre les
économistes ne se résume pas qu’à cela. Il est beaucoup plus riche et beaucoup plus complexe.
Les théories de la monnaie les plus connues ont mis l’accent sur le caractère transactionnel de la
monnaie. La monnaie n’est pas détenue pour elle-même mais parce qu’elle est utile pour effectuer
des transactions (théorie quantitative de la monnaie portée par l’Ecole de Cambridge). L’une des
composantes essentielles de la révolution keynésienne aura été de montrer que toute l’épargne
n’est pas nécessairement placée sous une forme rémunérée et de faire émerger l’importance de la
demande de monnaie. Les analyses postérieures qu’elle soit monétariste avec Milton Friedman ou
keynésienne avec Tobin mettent l’accent sur l’intégration de la monnaie comme demande
d’encaisse, au comportement de diversification de la demande d’actifs financiers, composante
d’une diversification du patrimoine.
Toutefois, il est d’autant plus intéressant dans la théorie monétaire de connaître l’ensemble de ces
conceptions que celles qui sont le plus souvent délaissées par les économistes sont, peut-être,
celles qui sont le plus utile d’une part pour analyser et critiquer le système économique qui a érigé
l’argent en valeur suprême, et d’autre part pour montrer que l’économie s’insère dans une
organisation sociale et qu’il n’y a aucune loi économique exhaustive et naturelle. Cette démarche
théorique permet de justifier la nécessité de maîtrise de la monnaie par la société, c’est-à-dire la
maîtrise sociétale des questions monétaires et financières que l’on ne peut laisser dans les mains
du marché ou le politique sous peine de voir la marchandisation du monde s’achever.
On peut classer les conceptions théoriques de la monnaie en quatre catégories. Les deux premières
sont celles qui sont habituellement présentées : il s’agit de la conception commune aux classiques
et néoclassiques et de la conception keynésienne. Les deux autres sont plus rarement évoquées : il
s’agit de la conception marxienne et de la conception que l’on va appeler anthropologique, faute
de mieux et parce qu’on ne peut la rattacher à un auteur unique.
Le chapitre en question aborde ces questions en réexaminant d’abord les conceptions théoriques
de la monnaie et les principaux cadres de référence utilisés dans la littérature pour apprécier
l’importance des mécanismes en cause pour le fonctionnement de la monnaie, ainsi que pour la
formation des taux d’intérêt. Les banques centrales qui pilotent au jour le jour la politique de la
monnaie par le biais des taux courts exercent sur les taux d’intérêts longs une influence
déterminante, d’où l’intérêt de traiter les théories de la monnaie et de l’intérêt ensemble et dans
une interdépendance.

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1. Les conceptions théoriques de la monnaie chez les classiques et néoclassiques


De façon générale, la théorie classique et la théorie néoclassique sont à distinguer, mais sur la
monnaie, elles ont une position commune. Cette première conception est structurée autour de
quatre idées :
a) Premièrement, la monnaie est un instrument qui évite les inconvénients du troc lorsque les
échanges se développent et se complexifient. Parce qu’elle est unité de compte, la monnaie sert
d’intermédiaire des échanges. Simple intermédiaire, elle n’a d’intérêt que parce qu’elle facilite les
échanges de marchandises. Mieux, ce sont les marchandises qui s’échangent entre elles. L’idée
que la monnaie est en quelque sorte un voile dissimulant cet échange va être le fil conducteur de la
conception classique et néoclassique ;
b) La deuxième idée porte un nom : c’est la théorie quantitative de la monnaie. Esquissée par Jean
Bodin (1568) qui remarqua la corrélation entre l’arrivée massive de métaux précieux en Europe et
la flambée des prix, puis formulée par John Locke (1690), David Hume (1752) et Richard
Cantillon (1757) et mise sous forme d’équation par Irving Fisher (1911), elle a donné naissance à
une branche particulière de la théorie néoclassique : le monétarisme. Pour un volume de
transactions (T) donné et une vitesse de la circulation (V) constante, toute variation de la quantité
de monnaie en circulation (M) entraîne une variation proportionnelle des prix (P). La vitesse de
circulation est supposée constante à court terme car les habitudes de paiement n’évoluent que
lentement. Le volume de transactions est lui aussi supposé constant car l’équilibre des marchés
assure le plein emploi de toutes les capacités de production. La théorie quantitative de la monnaie
s’intègre donc dans le modèle d’équilibre général de Walras. La théorie quantitative de la monnaie
formulée par I. Fisher repose sur une identité comptable. Toute transaction mettant en relation un
acheteur et un vendeur, à chaque vente correspond un achat et le montant des ventes est égal au
montant des achats pour l’ensemble de l’économie. Sachant que le montant des ventes est égal au
nombre des transactions réalisées (T) multiplié par le prix moyen de celles-ci (P), et que le
montant des achats est égal à la quantité de monnaie en circulation (M) multipliée par le nombre
de fois que celle-ci change de main au cours d’une même période, l’identité comptable prend la
forme suivante :
M Vt = P T (1)
Ou si l’on appelle M, la monnaie fiduciaire (billets) et M’, la monnaie scripturale, V et V’,
représentant leur vitesse de circulation respective :

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M Vt + M’ Vt ‘ = PT (2)

Cette équation des échanges n’est pas une véritable fonction de demande. Elle ne traduit pas une
encaisse monétaire désirée, mais une encaisse nécessaire pour effectuer les transactions. Dans une
économie, la monnaie qui circule (MV + M’V’) est nécessairement égale à la monnaie que
réclament les agents économiques en contrepartie de la valeur de leurs transactions économiques
(P T).
Par un exposé méthodique et une série d’hypothèses, ci-dessous, Fisher va tenter d’expliquer
pourquoi une hausse de la quantité de monnaie ne peut se traduire, à long terme, que par une
hausse proportionnelle des prix1.

Trois hypothèses sont généralement émises :


 La vitesse de circulation est constante à court terme (elle dépend en fait de la technologie
des transactions : cartes de crédit, virements, prélèvements…) ;
 Le produit réel (Y)2 rattaché au nombre de transactions (T) est constant à court terme (le
niveau de transaction est exogène car fixé dans la sphère réelle ;
 Les autorités monétaires maîtrisant parfaitement la masse monétaire par le contrôle de la
base monétaire, l’offre de monnaie est totalement exogène dans la stricte application du
principe du multiplicateur. En vertu de cette dernière hypothèse, l’équation comptable
devient une relation de causalité. Pour V et T (Y) donnés, et sachant que M est
entièrement contrôlée par les autorités monétaires, la causalité va bien de la variation de la
masse monétaire (M) vers celle des prix (P), et non vers Y (ou T).

En s’intéressant surtout à l’aspect institutionnel de la vitesse de circulation de la monnaie,


l’analyse de Fisher est essentiellement macroéconomique. Elle cherche à déterminer la quantité de
monnaie nécessaire à l’économie pour effectuer un volume donné de transactions (et non la
quantité de monnaie désirée par les agents). L’accent est mis sur la nécessité et non la volonté de
détenir de la monnaie. Telle est la différence fondamentale entre la théorie quantitative de la
monnaie (TQM) de Fisher et l’équation monétaire de Cambridge.
C’est avec l’Ecole de Cambridge (A. Marshall, A.C Pigou) qu’apparaît pour la première fois la
notion de demande de monnaie. Selon les tenants de cette école, les agents expriment une

1 Fisher reconnaît l’existence, à court terme, d’effets transitoires (constituant les cycles de prospérité et de dépression
et pouvant durer 8 ans environ) de M (et M’) sur les variables V (V’) et T. Cependant, tôt ou tard, Fisher considère
que le seul effet définitif d’une variation de M (et M’) est une variation strictement proportionnelle des prix P.
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On introduit la vitesse-revenu, c’est à dire le nombre de fois que l’unité monétaire moyenne est la contrepartie de
transactions commerciales génératrices de revenus pendant l’unité de temps.

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demande de monnaie (M) proportionnelle au total des ressources (Y : revenu national réel). Avec
P le niveau des prix, et en appelant k cette proportion, l’équation de Fisher est reformulée de la
manière suivante : M = k. P.Y
La partie droite de l’équation (k.P.Y) représente la demande d’encaisses monétaires dans laquelle
k traduit un véritable désir d’encaisses. L’accent est mis sur la volonté de détenir de la monnaie en
vue d’une transaction.
Contrairement à l’équation de Fisher (de nature macroéconomique), la relation de Cambridge se
place davantage dans une optique individualiste (comportements individuels) en s’interrogeant sur
les raisons qui incitent les agents à détenir des encaisses. Il est possible de justifier la détention
d’encaisses par l’absence de synchronisation entre les recettes et les dépenses, et l’incertitude
concernant certaines dépenses futures imprévues et certaines recettes futures dont la valeur n’est
pas garantie.
Lorsque les agents perçoivent une modification de leurs encaisses réelles (M/P), celle-ci pouvant
provenir d’une hausse de M ou une baisse de P, ils cherchent à en retrouver le niveau requis
(paramètre k) en modifiant leur demande de biens. Ainsi en écrivant M/P = k Y, les tenants de
l’Ecole de Cambridge font de la demande réelle de monnaie une fonction à élasticité-prix
uniforme égale à 1 (ceci revient à considérer que la demande de monnaie varie
proportionnellement aux prix). La fixité de k et de Y permet d’écrire, (M/P) = k Y, quelle que soit
la valeur de M ;
c) La troisième idée découle de la précédente. Si la variation de la quantité de monnaie ne fait
varier que les prix, elle n’a aucune influence sur la production et l’emploi. La monnaie est donc
neutre au regard de l’activité réelle. Une autre manière de dire qu’elle n’est qu’un voile. Cette idée
très ancienne puisqu’elle date au moins de deux siècles et demi a été remise au goût du jour dans
les années 1950 par Milton Friedman qui a étendu le raisonnement du court au long terme. La
neutralité de la monnaie vis-à-vis de l’activité productive est vraie à long terme après que les
entreprises, les travailleurs et les ménages ont réagi rationnellement à un événement non anticipé.
Ainsi, dit Friedman, si le gouvernement décide d’augmenter certaines prestations sociales, les
individus peuvent se croire plus riches et augmenter leurs dépenses s’ils n’anticipent pas qu’un
jour prochain le gouvernement devra augmenter les prélèvements. Les entreprises vont embaucher
pour répondre à cette demande et augmenter les salaires. Les salariés vont croire à une hausse de
leurs salaires réels et se mettent à dépenser et les entreprises embaucher de nouveau, etc. Mais
l’inflation va annuler la hausse des salaires, les entreprises vont réduire l’emploi et le chômage va
retrouver son niveau d’antan. La conclusion politique tirée par les monétaristes est qu’il faut
étroitement surveiller l’émission de monnaie pour qu’elle ne débouche pas sur l’inflation étant

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entendu qu’elle ne peut avoir que cette conséquence et aucune sur la production. La monnaie est
neutre par définition mais il faut, de plus, la neutraliser politiquement car elle est inefficace.
Voilà un premier paradoxe : la monnaie est neutre mais il faut la surveiller comme le lait sur le
feu. En effet, par hypothèse, les classiques et néoclassiques considèrent que le marché assure
l’équilibre de plein emploi et que la production tourne à son maximum, et ils affirment qu’une
politique économique est inefficace pour rétablir le plein emploi. Forcément puisqu’on y est déjà
par hypothèse ;
d) En découvrant le monétarisme, on a fait allusion sans à une quatrième idée contenue
implicitement dans la conception classique et néoclassique. Elle fut formulée anciennement par
Jean-Baptiste Say (1803) et est connue sous le nom de loi des débouchés. Elle fut systématisée par
Léon Walras (1874) dans son modèle d’équilibre général de tous les marchés. Comme les
marchandises s’échangent contre des marchandises (la monnaie n’étant qu’un voile), toute offre
crée sa propre demande. La production permet de distribuer des revenus monétaires d’un montant
équivalent à la valeur de la production. Les revenus sont dépensés en achats de biens de
consommation et en achats de biens d’investissement via l’épargne selon la fameuse formule
d’équilibre macroéconomique P = R = C + S = C + I = D.
Toute surproduction est impossible. Un déséquilibre dans un sens dans un secteur de l’économie
serait immédiatement compensé par un autre en sens inverse. L’équilibre général serait rétabli par
la flexibilité des prix. Cette loi est à première vue imparable. Or, deux failles profondes la
traversent. Mais elles ne peuvent apparaître qu’à la lumière des conceptions suivantes de la
monnaie.

2. La conception Keynésienne de la monnaie


A la vision classique et néo-classique d’une économie coupée en deux, d’un côté la sphère réelle
ou productive, de l’autre la sphère monétaire n’ayant aucune influence sur la première. John
Maynard Keynes va opposer une approche radicalement différente, celle d’une économie
monétaire de production, mettant fin à la dichotomie précédente. Pour comprendre sa démarche
intellectuelle il faut se souvenir qu’il voit dans l’entre deux-guerres et surtout dans les années 1930
le chômage grandir et les préceptes libéraux impuissants à y mettre fin. Il va donc opérer une
rupture intellectuelle par rapport à l’économie classique et néoclassique. Son point de départ est la
prise en compte de l’incertitude qui pèse sur les décisions économiques car il est impossible, d’une
part, de connaître l’avenir par rapport auquel nous sommes réduits à faire des anticipations, et
d’autre part, cet avenir dépend largement des décisions des autres. De ce point de départ découle
une conception de la monnaie qui peut se résumer en quatre idées :

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a) Premièrement, Keynes souligne la fonction de réserve de valeur de la monnaie. Parce que la


monnaie est la forme de richesse la plus liquide qui soit, les individus ont une préférence pour la
liquidité. Si un individu possède un immeuble, un terrain, des machines ou des biens mobiliers ou
encore des titres financiers, il lui faudra du temps pour les liquider, c’est-à-dire les convertir en
monnaie en les vendant. En revanche, la monnaie est liquide par définition. Elle offre à son
détenteur la possibilité la plus étendue de choix ou d’anticipations. De ce fait, la monnaie n’est pas
seulement désirée parce qu’elle permet d’échanger des marchandises, mais elle est désirée pour
elle-même. Elle peut ainsi être thésaurisée, c’est-à-dire conservée de façon passive ;
b) Deuxièmement, la préférence pour la liquidité varie en sens inverse du taux d’intérêt pour deux
raisons. D’abord, plus celui-ci est faible, moins l’on renonce à une rémunération alléchante (coût
d’opportunité faible), et donc plus la préférence pour la liquidité est forte. Inversement, plus le
taux d’intérêt est élevé, plus la préférence pour la liquidité est faible. Ensuite, plus le taux d’intérêt
est bas, plus la probabilité qu’il remonte est grande, et donc il vaut mieux garder des encaisses
monétaires plutôt que de risquer d’enregistrer des moins-values sur le cours des titres et
obligations que l’on achèterait. Supposons une obligation émise et vendue pour 100 rapportant 5%
par an, c’est à-dire 5. L’année suivante, une nouvelle obligation de 100 est émise et rapporte 10%
parce que le taux d’intérêt a monté, soit 10 par an. L’acheteur de la première obligation, s’il veut
la vendre et retrouver sa liquidité, ne pourra trouver preneur que s’il consent à en voir le prix
baisser de telle sorte qu’il soit indifférent aux nouveaux acquéreurs d’obligations d’acheter
l’ancienne ou la nouvelle. Sur le marché des obligations, le prix de la première va baisser jusqu’à
50. Elle rapportera pour son nouvel acheteur toujours 5 par an puisqu’elle est estampillée 100,
c’est-à-dire 10% de 50, proportionnellement autant que s’il avait acheté la nouvelle : 100/0,1 =
x/0,05 ou x = 50.
Le risque de moins-value est énorme et n’est pas compensé par l’intérêt annuel. Sauf si
l’obligataire conserve jusqu’à son terme l’obligation. Mais, dans ce cas, il ne faut pas qu’un
imprévu vienne troubler sa sérénité et l’oblige à liquider son portefeuille. Comme il n’est sûr de
rien, la liquidité est la meilleure garantie et l’intérêt est une prime de renoncement à la liquidité et
non pas à la consommation comme le croient les économistes classiques et néoclassiques. En sens
inverse, quand le taux d’intérêt est élevé, il serait dommage de garder des encaisses oisives,
d’autant que le cours des obligations est au plus bas et a donc toute chance de remonter, laissant
espérer des plus-values. On voit par-là que la caractéristique majeure de la monnaie d’être l’actif
le plus liquide donne à son détenteur la possibilité d’avoir un comportement spéculatif. On peut
même dire que la spéculation est intimement liée à la liquidité. On retrouvera ce thème plusieurs

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fois par la suite : la monnaie est ambivalente car elle est à la fois instrument de réduction de
l’incertitude des transactions et facteur de spéculation, donc source d’instabilité et d’incertitude.
L’apport de Keynes fut de montrer qu’un agent économique prend deux décisions successives
quant à l’utilisation de son revenu. D’abord, la part du revenu qui sera consommée (propension à
consommer) dont découlera par soustraction la part épargnée. Ensuite, la forme qu’il donnera à
son épargne : thésaurisée ou placée. Si le taux d’intérêt baisse, la proportion d’agents pariant qu’il
va remonter (et donc que les cours vont baisser) augmente, et la demande de monnaie dite de
spéculation (qui est la somme de toutes les préférences individuelles pour la liquidité) va
augmenter aussi. Plus le taux descend vers le bas, plus les anticipations sont unanimes : la
demande de spéculation devient très grande car plus personne ne place son épargne. Le
raisonnement de Keynes jusqu’ici semble basé sur un mouvement de volatilité du taux d’intérêt
qui varie en fonction des mouvements que donne l’autorité monétaire à la masse monétaire et qui
constitue l’offre de monnaie ;
c) La troisième idée qui complète la conception keynésienne de la monnaie est que celle-ci est
active, c’est-à-dire elle joue un rôle au niveau de la production et de l’emploi contrairement à
l’affirmation de neutralité des classiques et néoclassiques. La démonstration de ce principe actif
part d’une réfutation de la théorie quantitative de la monnaie. « L’accroissement de la quantité de
monnaie ne produit absolument aucun effet sur les prix tant qu’il reste du chômage »3 . La théorie
quantitative de la monnaie n’est vérifiée que lorsque tous les facteurs de production sont employés
et qu’il n’est donc plus possible d’augmenter la production. Lorsque ce n’est pas le cas et que
l’économie souffre de sous-emploi, les autorités monétaires peuvent accroître la quantité de
monnaie en circulation. La baisse du taux d’intérêt qui en résultera (soit directement, soit
indirectement) aura un double effet. Elle satisfera la préférence pour la liquidité des agents et
abaissera le coût de l’emprunt et rendra rentables des projets d’investissement qui n’auraient pu
l’être en l’absence de baisse du taux d’intérêt.
Par un effet multiplicateur, ces investissements accroissent le revenu global de la société. Grâce à
une politique monétaire active complétée par une politique budgétaire, l’intervention de l’Etat est
ainsi justifiée dès lors que la récession menace. Entre l’inflation qui n’a que des conséquences sur
les prix et la déflation qui a des conséquences désastreuses sur les prix, la production et l’emploi,
Keynes fait un choix opposé aux néoclassiques ;
d) Un quatrième point vient parachever la conception keynésienne de la monnaie. Si l’incertitude
régnant ne débouche pas sur le chaos généralisé, c’est qu’existent des mécanismes de stabilisation.
Non pas des mécanismes de marché par le jeu de la flexibilité des prix comme le disent les

3
J.M. Keynes, Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, Paris, Payot, 1969, p. 299.

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classiques et néoclassiques. Mais des mécanismes conventionnels. En l’occurrence, chaque agent


économique adopte l’attitude du plus grand nombre. Ce phénomène de mimétisme conduit à
l’émergence d’un « jugement conventionnel », c’est-à-dire qui n’a pas d’autre raison de
correspondre à la réalité que le fait qu’il la fait advenir. Ainsi la spéculation à la hausse d’un titre
financier qui peut ne pas être rationnelle d’un point de vue individuel car aucun indice
économique ne la laisse prévoir, devient collectivement rationnelle si tous spéculent. Mais,
pourrait-on dire, une convention unanime dans un sens ou dans l’autre conduit immanquablement
au krach. Il faut donc, pour que la stabilité l’emporte, que des conventions en sens inverse jouent
en permanence. Comme, par exemple, le désir de détenir de la monnaie est une raison inverse de
la confiance qu’on a de l’avenir. Les capitalistes acceptent d’investir à long terme parce qu’ils
savent qu’ils peuvent récupérer à court terme leur liquidité sur le marché financier à condition de
trouver un acheteur de titres acceptant de porter l’investissement, sauf que la liquidité ne peut être
vraie pour tous simultanément. Ainsi, le marché financier facilite l’investissement parce qu’il est «
l’institutionnalisation de l’illusion »4 de la liquidité parfaite mais il est en même temps le foyer de
la spéculation. Selon Keynes, l’action de l’Etat d’un côté et la détention de la monnaie de l’autre
sont des digues qui protègent de l’incertitude radicale sans toutefois l’éliminer.

3. La conception marxienne

Le point de départ de Marx est l’analyse de la marchandise qui dans la société capitaliste se
dédouble en valeur d’usage et en valeur d’échange5. Ce qui intéresse le capitalisme, ce n’est pas
l’utilité qui peut être retirée de tel ou tel produit, c’est qu’il porte en lui une fraction du travail
réalisé dans la société et qui fait qu’il est un porte-valeur ; valeur susceptible de grossir le capital
une fois la marchandise vendue. La monnaie est donc liée à la marchandise. Elle est elle-même
une marchandise acceptée comme équivalent-général de toutes les autres. Ce premier point est à la
fois original et banal. Original car il relie la monnaie à la valeur dont l’origine se situe dans le
travail. Banal car l’équivalent général de Marx est une manière de redire le rôle d’instrument
d’échange rempli par la monnaie, rôle qu’avaient déjà mentionné les classiques. Marx ne fait
aucune relation entre la monnaie et l’incertitude que la liquidité vise à tempérer.
L’apport le plus novateur et fécond de Marx se situe ailleurs. Il fut le premier et il reste le seul à
montrer le rôle de la monnaie dans l’accumulation du capital. La monnaie n’a pas la même
signification quand elle est utilisée pour acheter du pain ou de la force de travail. Dans le premier
cas, elle est un droit de consommation et elle s’échange contre des biens de valeur équivalente : on

4
J.P. Dupuy, Introduction aux sciences sociales, Logique des phénomènes collectifs, Paris, Ellipses, 1992, p. 186.
5
Pour plus de détails, voir K. Marx, Le capital, Livre I, 1867, Paris, Gallimard, La Pléiade, tome 1, 1965.

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a 10 qu’on échange contre un bien qui vaut justement 10. Dans le second, elle est un droit
d’appropriation sur la capacité de créer une valeur supérieure à elle-même : Un 10 qu’on verse à
un salarié qui créera une valeur plus élevée. La monnaie a fonctionné comme capital qui grossit le
portefeuille chaque fois que qu’on se livre à cette opération miraculeuse. En cela, elle dissimule le
rapport social d’exploitation et d’aliénation du travail car, d’une part, elle représente du travail
mais dont le fruit a été approprié, le profit perçu semble naître du capital alors qu’il provient du
travail d’un autre, d’autre part, en matérialisant la valeur créée par le travail, elle réduit celui-ci à
un acte vénal, le vidant de son caractère créatif. En outre, comme les 10 versés au salarié lui
suffisent à peine pour vivre, il est obligé le lendemain de revenir travailler pour le capitaliste et
donc l’enrichir. Ainsi, la détention de plus ou moins de monnaie maintient la distance sociale : elle
distingue, comme dit Pierre Bourdieu6, le pauvre bougre, le prolétaire, qui n’a que sa force de
travail physique et intellectuelle de celui qui a des avoirs. Le capital suit donc un cycle en passant
d’une forme argent (A) à une forme marchandise (M) et enfin à une forme argent (A’ supérieur à
A). Au cours de ce cycle, la force de travail mise en œuvre a valorisé le capital parce que celui-ci
s’est approprié une part de la valeur créée. Part que Marx a appelée plus-value car elle représente
un surtravail non payé et vient grossir le capital.
La plus-value est la source de toutes les sortes de profits, industriels, commerciaux, bancaires,
financiers que perçoivent les entreprises, actionnaires et prêteurs. Et la source de toutes les plus-
values selon Marx n’est pas le travail qui intéresse le capitaliste, le surtravail du seigneur qui exige
la corvée de ses serfs, ni même les marchandises produites pendant ce temps, mais leur valeur
monétaire. La monnaie est nécessaire pour que la plus-value se transforme en profit monétaire lors
de la vente.
Le processus de marchandisation du monde n’est donc pas le résultat de la propension naturelle
des hommes à l’échange, il est le produit de la généralisation planétaire des rapports sociaux
capitalistes, processus que l’on affuble de l’euphémisme « mondialisation ». Ce processus de
marchandisation fut analysé pour la première fois par Marx dans des termes parfaitement actuels,
à la fois au niveau des causes et des conséquences.
Parmi ces conséquences, la réduction de tous les actes humains à un acte de monétisation contient
en germe la réduction de toutes les valeurs humaines à une valeur marchande. Pis encore, l’être
humain est réduit à l’état de monétisation dont l’utilisation doit produire toujours plus de profit et
donc de capital. Et pour couronner le tout, les richesses naturelles (l’eau, bientôt l’air), le génome

6 Pierre Bourdieu, (1930 - 2002) est considéré comme l'un des sociologues les plus importants de la seconde moitié
du XXe siècle. Son œuvre sociologique est dominée par une analyse des mécanismes
de reproduction des hiérarchies sociales en insistant sur l’importance des facteurs culturels et symboliques dans cette
reproduction.

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des espèces vivantes, le savoir, sans parler de la santé ou de l’éducation, sont convoités avec
gourmandise et qualifiés de capital immatériel7, thématique de plus en plus convoquée et sans
cesse actualisée. Selon le rapport de Bank AlMaghrib, fait en collaboration avec le Conseil
économique social et environnemental (CESE) et publié en septembre 2017, le capital immatériel
au Maroc contribue à hauteur de 60% la richesse globale du Maroc, estimé à 11680 milliards de
dirhams !

L’analyse précédente de Marx permet d’éclairer ce que taisent les économistes libéraux, et ce que
ne veulent pas voir nombre d’économistes qui parfois s’insurgent, de bonne foi, contre les dégâts
de la finance, c’est que derrière la spéculation financière, il y a toujours l’exploitation capitaliste
de la monnaie. Cette alerte, on la doit à Marx et elle reste irremplaçable et toujours d’actualité.
Concernant ce rôle de la monnaie dans l’économie capitaliste, il faut mentionner un dernier point
qui, cette fois-ci, rapproche considérablement Marx et Keynes puisqu’ils l’expriment dans des
termes quasiment identiques. Mais dont la paternité en revient à Marx. Le capitalisme est une
économie monétaire de production. D’un point de vue macroéconomique, sans création monétaire,
l’accumulation serait impossible car, au cours d’une période, le capital ne pourrait récupérer en
vendant les marchandises produites que les avances faites sous forme de salaires et d’outils de
production. A l’échelle globale, point de profit dans ce cas.
Macroéconomiquement, pour qu’un profit accumulable puisse être réalisé, il faut que soit mise en
circulation une quantité de monnaie supérieure à celle correspondant aux avances précédentes.
Sans création monétaire, les propriétaires des moyens de production ne pourraient transformer en
profit la plus-value produite par le travail et donc accroître leur capital. Par le crédit, le système
bancaire anticipe le profit monétaire représentant le travail vivant approprié par le capital. Il
prévalide le travail qui sera reconnu comme socialement utile par le marché. Le capitalisme ne
peut donc se passer de financement et de création monétaire pour accumuler la richesse.
Grâce à Marx et Keynes, on dispose maintenant des outils pour réfuter la loi des débouchés de
Say. Celle-ci semble dépassée pour deux raisons, préalablement soulevées, qui tiennent au fait que
nous sommes dans une économie monétaire et non pas de troc. Premièrement, la production crée
des revenus monétaires qui lui sont équivalents (P = R), et les revenus sont consommés ou
épargnés. Si toute l’épargne était placée pour être réinvestie, la demande de consommation ajoutée
à celle d’investissement serait égale aux revenus (R = C + I) et toute la production offerte serait
écoulée (P = R = D). Mais si une part de l’épargne est thésaurisée, alors la demande globale

7
Sur la captation de valeur, voir J.M. Harribey, « L’entreprises sans usines ou la captation de valeur », Le Monde, 3
juillet 2010 ; et pour un approfondissement : J.M. Harribey, « La financiarisation du capitalisme et la captation de
valeur », dans J.C. Delaunay, Le capitalisme contemporain : questions de fond, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 67-111

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n’égale pas l’offre. Deuxièmement, une partie des revenus monétaires sont distribués avant la
vente et peuvent donc immédiatement constituer du pouvoir d’achat : c’est le cas des salaires et
des intérêts. Mais une autre partie des revenus ne peut être distribuée qu’après la vente : c’est le
cas des profits industriels et des dividendes. Ces revenus ne peuvent donc se porter en demande de
marchandises qui supposent d’avoir été déjà vendues grâce à des revenus qui supposent eux-
mêmes que les marchandises soient vendues, etc. Contradiction insoluble.

Après l’examen des trois premières conceptions théoriques de la monnaie, un premier bilan
s’impose. En considérant l’apport de Marx et celui de Keynes comme complémentaires, la
monnaie n’est plus simplement un instrument d’échange. Elle est au cœur du fonctionnement, du
développement et des contradictions du capitalisme dont les crises périodiques sont les
symptômes. Cependant une question reste malgré tout dans l’ombre : la monnaie serait-elle
seulement liée à une société économique et capitaliste ?

4. La conception anthropologique de la monnaie


Depuis les travaux de Marcel Mauss8 dans l’entre-deux-guerres et ceux un peu plus tard de Karl
Polanyi9, les anthropologues et les historiens nous ont appris que même les sociétés que nous
qualifions de primitives connaissaient la monnaie dont la fonction n’était pas économique mais
était d’assurer le lien social.
Avant d’être un outil du marché, la monnaie est un outil de communication sociale. Pour reprendre
l’expression de Marcel Mauss, elle est un « fait social total » dont on peut souligner l’idée
centrale : Non seulement la monnaie est le reflet des antagonismes sociaux et des rapports de
pouvoir (c’est l’interprétation de Marx), mais une interprétation de type freudien peut lui être
donnée. Elle exprime la tentative désespérée de l’homme de fuir sa condition ou de lui trouver un
exutoire : l’angoisse de la mort, le spectre de celle-ci, sont éloignés, exorcisés par la passion de la
richesse que permet d’assouvir l’argent. En accumulant biens matériels et symboles que la
monnaie permet d’acquérir, on conjure le sort funeste qui nous est promis. La monnaie est alors un
moyen de canaliser la violence à l’intérieur des sociétés vers cette soif de richesse, exutoire à

8
Marcel Mauss (1872 - 1950) est considéré comme le père de l'anthropologie. Il tenta d’appréhender l'être
humain dans sa réalité concrète : physiologique, psychologique et sociologique. Il esquissera ainsi le concept
« d'homme total » qui nourrira notamment Pierre Bourdieu dans ses analyses du comportement humain en termes
« d'habitus ».
9
Karl Polanyi (1886 - 1964) est un économiste hongrois, spécialiste d'histoire et d'anthropologie économiques. Son
livre majeur, « La Grande Transformation », souligne l'absence de naturalité et d'universalité de concepts comme
l'« Homo œconomicus » et « le marché », souvent présentés comme évidents ou ayant une valeur et une signification
uniques ou intemporelles. Vision erronée et utopique qui résulte selon lui du « désencastrement » de l'économie opéré
et réussi par le libéralisme (théorisé dans les années 90 par Francis Fukuyama par « la fin de l’histoire »).

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13

l’angoisse morbide le plus accessible, et passion susceptible de dégénérer de façon un peu moins
violente que la passion du pouvoir ou le fanatisme idéologique.
A partir de là, cette conception anthropologique de la monnaie connaît deux variantes
contemporaines. L’une, qui est bien représentée par une partie de l’école des conventions rejointe
par une partie de l’ex-école de la régulation10, considère que la monnaie est l’acte fondateur de la
société11. Elle se démarque donc de la théorie classique qui situait cet acte fondateur dans le seul
échange entre individus autonomes hors de tout environnement social et dans le contrat qu’ils
nouent. Elle avance l’idée que la monnaie est une institution sociale qui, de gré ou de force, unifie
autour d’elle une communauté dans laquelle s’effectuent les échanges tant économiques que
sociaux. Comme cette institution est le fait d’une puissance publique, elle s’impose aux individus,
d’où l’idée de la « violence de la monnaie » : la monnaie homogénéise les travaux et les
réalisations et elle s’impose à tous dans un espace donné12. Cette première variante bannit toute
théorie objective de la valeur. L’autre variante, que l’on peut rattacher à la problématique
marxienne continue d’adosser la théorie de la monnaie à la théorie de la valeur parce que le travail
est l’acte par lequel les hommes vont nouer des rapports sociaux dans lesquels la monnaie joue
son rôle.
Le point commun entre ces deux variantes est que la monnaie est à la fois un bien privé et un bien
public, c’est-à-dire elle n’existe que par la société qui édicte règles, conventions réglementant son
usage ambivalent : instrument de lien social et instrument d’exploitation et d’aliénation ;
instrument canalisant la violence et l’instituant. Leur différence est que dans la première, la
monnaie figure comme une institution sociale traduisant la violence qui s’exerce sur les individus
rattachés à une même communauté, mais sans que cette violence soit rattachée aux rapports
sociaux d’exploitation et d’aliénation comme le fait la seconde variante.
Les conceptions keynésienne, marxienne et anthropologique de la monnaie sont ignorées par la
pensée libérale dominante parce qu’elles mettent en relief sa nature sociale faite de contradictions
et non pas d’harmonie universelle. Il n’y a pas de biens privés échangés non médiatisés par le bien
public qu’est la monnaie et les individus ne sont pas des individus isolés mais ils sont insérés dans
des relations sociales. Pour l’orthodoxie économique, la monnaie est neutre : elle n’affecte pas le
niveau de la production, elle a seulement un effet sur les prix si elle est trop abondante, et, surtout,

10
L'économie des conventions est, avec la théorie de la régulation, l'une des deux principales approches hétérodoxes
de l'économie. Le point de départ de la théorie des conventions consiste à comprendre comment les individus
parviennent à mettre en place des règles de coopération et de comportements dans des situations d’incertitude avec
pour hypothèse centrale que les individus ont une rationalité limitée.
11 M. Aglietta, A. Orléan, La violence de la monnaie, Paris, PUF, 1982 ; La monnaie souveraine, Paris, O. Jacob,

1998.
12
A. Lipietz, Le monde enchanté, De la valeur à l’envol inflationniste, Paris, La Découverte/Maspéro,

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14

tous les individus sont égaux devant la monnaie. Mais comme l’évidence s’impose même aux
libéraux les plus obstinés, la monnaie ne peut être coupée de la société, alors il faut la neutraliser
politiquement, ou plus exactement neutraliser la politique monétaire. Le projet libéral, d’ailleurs,
est d’enlever à la puissance publique le pouvoir d’émettre de la monnaie et de confier ce soin à
une banque centrale qui n’est soumise à aucun contrôle, qui n’a de comptes à rendre qu’aux
détenteurs de capitaux soucieux de ne pas voir leur rente érodée par l’inflation.

En transformant la monnaie en capital, puis en réduisant tout à une valeur marchande, tout est
potentiellement considéré comme du capital. Les ressources naturelles sont du capital, le savoir et
le savoir-faire humains sont du capital humain. Tout est instrumentalisé, tout doit être rentabilisé.
Donc, tout doit être soumis à la loi capitaliste de l’intérêt et de la rentabilité. Il parait donc
conforme que le niveau des taux d’intérêt réels soit considéré comme une variable déterminante de
la politique monétaire. Or comment sont déterminés les taux d’intérêt réels ? Et si les banques
centrales qui pilotent au jour le jour les taux courts n’exercent elles pas aussi sur les taux longs
réels une influence déterminante sur la sphère réelle de l’économie?

5. La relation entre le taux d’intérêt et la monnaie


Le taux d’intérêt est l’une des variables macroéconomiques qui préoccupent le plus les
économistes, aussi bien que les gestionnaires au sein des entreprises, les banques et les
administrations, en raison principalement de son lien avec la monnaie, le prix des actifs financiers
et les taux de change. Il est Aussi un élément très important dans la détermination du coût des
crédits et par conséquent sur la rentabilité des investissements. Cependant, il n’existe pas un, mais
une multitude de taux d’intérêt.

5.1. Typologie des taux d’intérêts

Etymologiquement, l'intérêt est ce qui est utile et profitable à quelqu'un. C'est aussi une attention
bienveillante manifestée envers quelqu'un ou une attention, ainsi qu'une curiosité portée à quelque
chose. En finance, un intérêt est la somme que doit verser, sous forme de revenus, un emprunteur à
celui qui lui a prêté de l'argent pour pouvoir en faire usage.
Le taux d'intérêt est le pourcentage de ce revenu par rapport à la somme prêtée 13 . Pour
l'emprunteur ou débiteur, le taux d'intérêt est le prix qu'il faut payer pour emprunter de l'argent.
Pour le prêteur ou créancier, c'est la rémunération pour le service qu'il rend à l'emprunteur ainsi
que pour le risque qu'il encourt de ne pas être remboursé.

13
On distingue le taux d’intérêt du taux de l'usure qui désigne l'intérêt d'un prêt au taux abusif : Le taux à partir duquel
les intérêts deviennent usuraires est défini par l'État ou bien fixé par la coutume. Au Maroc, Bank Al Maghrib fixe le
taux de l’usure (taux maximum du taux d’intérêt conventionnel) à 14.14%.

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15

Il existe, toutefois, une appellation légion pour les taux d’intérêt : taux nominaux ou réels, à court
ou à long terme, qui diffèrent selon les catégories d’emprunteurs (publics ou privés, grandes
entreprises, PME ou ménages), selon le canal utilisé (finance directe ou intermédiaire) et selon les
devises de libellé. Ce taux est le plus souvent fixé librement par la banque, et généralement lié au
taux de marché, c’est-à-dire au taux auquel la banque doit-elle même emprunté, augmenté d’une
marge qui intègre de nombreux paramètres (risques de non remboursement, politique
commerciale, etc.).
Pour les économistes néoclassiques (école qui rassemble plusieurs courants économiques étudiant
la formation des prix, de la production et de la distribution des revenus à travers le mécanisme
d'offre et de demande sur un marché), le taux d'intérêt est la rémunération de l'abstinence à une
consommation immédiate de la part de celui qui épargne pour prêter. Le taux d'intérêt est en
quelque sorte le prix du temps, la récompense de l'attente pour épargner. Pour Keynes, le taux
d'intérêt est la récompense de la renonciation à la liquidité. Il mesure la répugnance des détenteurs
de monnaie à aliéner leur droit d'en disposer à tout moment. Le taux d'intérêt permet aux agents
économiques d'arbitrer entre actifs liquides ou actifs placés contre rémunération.
Il existe, cependant, de nombreux types de taux d’intérêts. On les classe selon la durée des
emprunts/prêts (on parle de taux à court, à moyen ou à long terme), selon leurs fonctions (taux
directeur de la banque centrale, taux de base bancaire…), selon leurs modes de calculs (taux
proportionnel, taux actuariel, taux effectif global) selon que l’on prend en compte ou non
l’inflation (taux réel ou nominal), d’où on peut distinguer :

- Taux d’intérêt directeur : Ce sont des taux gérés par les Banques Centrales qui prêtent, en cas de
besoin de liquidités, aux banques commerciales (type BP, BMCE, Société Générale). Les taux
directeurs mesurent donc le coût de refinancement pour les banques commerciales. Le but d'une
hausse des taux est bien souvent de freiner la distribution de crédits par les banques commerciales
en alourdissant leur charge de refinancement. En tant que véritable régulateur du prix du crédit, la
hausse ou la baisse de ces taux va avoir des impacts conséquents (notre modèle économique est
aujourd'hui basé sur le crédit et par conséquent sur la consommation). Ces impacts vont se
transmettre à l'économie et aux marchés financiers à travers plusieurs canaux de transmission :
 Canal des ménages et des entreprises : En ce qui concerne les ménages, avec des taux
d'intérêts élevés, la tendance va se diriger vers l'épargne. Des taux attractifs, plus
rémunérateurs, vont prendre le dessus sur la consommation. Du côté des entreprises, la hausse
des taux va avoir des effets négatifs sur l'investissement. Une hausse des taux directeurs
signifie que le crédit est plus cher. Les entreprises, comme les ménages, préféreront placer leur

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16

argent que d'emprunter pour investir. A travers ce canal, l'investissement des entreprises va se
réduire, tout comme la consommation des ménages. Or, ces deux notions sont deux
composantes de la croissance économique ;
 Canal des taux de change : Une hausse des taux directeur va attirer des capitaux étrangers,
puisque les placements seront plus rémunérateurs. L'arrivée massive de capitaux étrangers
dans le circuit national va avoir pour conséquence d'élever le taux de change de la monnaie
nationale. Celle-ci est plus recherchée, plus sollicitée. Cette demande forte va augmenter la
valeur de la monnaie. De ce fait, les exportations vont automatiquement se réduire, or
l’exportation est également une composante forte de la croissance économique.
 Canal des cours d'actions : En règle générale, une hausse des taux est mal appréciée par les
marchés financiers. La liquidité étant plus difficile à obtenir (crédit plus cher), les porteurs
d'actions vont avoir le réflexe de vendre leurs actions. Ces ventes vont peser sur les cours et
vont les faire chuter (loi de l'offre et la demande). De plus, des taux plus élevés sont des
charges financières plus contraignantes pour les entreprises. Ce contexte ne favorise pas la
confiance des investisseurs, ce qui les contraint à la vente et par conséquent la baisse des cours.
Or, la baisse des cours est néfaste pour l’investissement et de ce fait sur l’emploi et la création
de richesse.
La hausse des taux directeur est très souvent utilisée pour calmer une activité en surchauffe,
susceptible de créer de l'inflation. En calmant l'activité des ménages et des entreprises, les
Banques Centrales souhaitent calmer la demande et ainsi calmer les prix. Une hausse des taux
d'intérêts directeurs est donc un acte principalement anti-inflationniste ;

- Taux de base bancaire (TBB) qui est le taux d'intérêt annuel fixé par une banque et qui sert de
base au calcul du prix des crédits qu'elle consent à certains de ses clients (TPE et PME
notamment). Ainsi, le coût d'une ligne d'escompte sera décomposé de la façon suivante : taux de
base de la banque + 2 % pour le risque, les frais de structure et la marge par exemple, soit un taux
annuel de 5 % (dans l'hypothèse d'un taux de base de 3 %). Le taux de base bancaire est en théorie
fixé en fonction du taux du marché monétaire (TMM), qui dépend lui-même des conditions du
marché (loi de l'offre et de la demande). Chaque banque fixe en principe librement son taux de
base. Toutefois, de nombreux concours bancaires accordés aux entreprises sont aujourd'hui
octroyés et négociés sur la base de taux indexés sur le taux du marché monétaire.

- Taux Actuariel : Très utilisé en finance, le taux actuariel désigne le taux de rendement véritable
d'un placement ou, formulé autrement, du taux d'intérêt réellement perçu par un investisseur. Le
taux actuariel s'applique principalement aux rendements associés aux produits de placement, aux

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17

crédits ou bien encore aux émissions d'emprunt. Le taux d'actualisation peut être calculé comme le
coût moyen pondéré du capital (CMPC). Il représente la moyenne pondérée des retours sur
investissements des bailleurs de fonds de l'entreprise, d'une part les actionnaires (taux ) et
d'autre part les créanciers (taux ).

: Représente la valeur des capitaux propres (la valeur des titres, donc en général ce que l'on
recherche pour valoriser une action ou une part de capital)
: Représente la valeur de l'endettement financier net
IS : Est le taux d'imposition des sociétés (on déduit du taux des dettes financières le taux d'IS, afin
de prendre en compte la réduction d'impôts liée à la déduction des frais financiers du résultat.
: Le taux de rendement attendu par les actionnaires est souvent calculé avec le ß, facteur de
risque de la société :
é
i : taux sans risque, on prend souvent OAT 10 ans (OAT=Les Obligations Assimilables du
Trésor).
ẞ : bêta de la société, c'est le facteur de risque de la société par rapport au marché boursier
On observe, toutefois, que le taux d'actualisation, qui sert à valoriser les capitaux propres se
calcule à partir de la valeur des capitaux propres. Il s'agit donc d'un processus itératif ; au départ,
on prend la valeur des fonds propres comme valeur des capitaux propres. Ensuite, on modifie la
valeur des capitaux propres et on réitère l'opération.
- Taux réel et taux nominal : Les économistes appellent taux d'intérêt nominal le taux que paient
les banques et taux d'intérêt réel l'accroissement des pouvoirs d'achat induit par la possession d'un
compte en banque. Il en découle la relation suivante : – où le taux d'intérêt réel ;
le taux d'intérêt nominal et le taux d'inflation.

Le taux d'intérêt réel est la différence entre le taux d'intérêt nominal et le taux d'inflation. En
reformulant les termes de l'équation du taux d'intérêt réel, on peut écrire le taux d'intérêt nominal
en tant que somme du taux d'intérêt réel et du taux d'inflation :

C'est l'équation de Fisher qui soulève que les deux causes de variations possibles des taux d'intérêt
nominal sont la variation du taux d'intérêt réel et la variation du taux d'inflation. La distinction
entre ces deux éléments au sein du taux d'intérêt nominal permet d'utiliser l'équation pour élaborer
une théorie du taux d'intérêt nominal. Selon l'hypothèse de Fisher, le taux d'intérêt réel s'ajuste en

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18

vue d'équilibrer l'épargne et l'investissement. La théorie quantitative de la monnaie montre que le


taux de croissance monétaire détermine le taux d'inflation. En fait, l'équation de Fisher stipule que
le taux d'intérêt réel et le taux d'inflation déterminent conjointement le taux d'intérêt nominal.

Réunies, la théorie quantitative de la monnaie et l'équation de Fisher montrent comment la


croissance monétaire affecte le taux d'intérêt nominal. Selon la théorie quantitative, un
accroissement de 1% du taux de croissance monétaire provoque une hausse de 1% du taux
d'inflation. Selon l'équation de Fisher, cette hausse de 1% du taux d'inflation provoque à son tour
un relèvement de 1% du taux d'intérêt nominal.
La corrélation historique entre taux d’intérêt et l’inflation peut être mis en évidence, à titre
d’exemple, dans le graphique ci-dessous :

Source : FMI, Statistiques financières internationales.


- Taux à court et à long termes : La distinction entre les taux d’intérêt assortis d’échéances
diverses est également cruciale. Il est courant de parler de taux à court terme et à long terme. En
réalité, il existe à un moment donné une multitude de taux applicables à des actifs présentant un
large éventail d’échéances. Ils vont du taux du marché monétaire au jour le jour aux taux des
valeurs mobilières à trente ans. Les taux du marché monétaire au jour le jour sont les taux de prêt
appliqués par la banque centrale d’un pays à des banques ou intermédiaires financiers sélectionnés
(on parle aussi de taux d’escompte d’une banque centrale – voir la politique monétaire) et les taux
du marché interbancaire (encore appelés taux au jour le jour). Le qualificatif même de ce taux, «au
jour le jour », montre à l’évidence qu’ils concernent des transactions à un jour ou dont l’échéance
n’excède pas une semaine.

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19

Les taux à court terme sont généralement associés aux bons du Trésor ou à des instruments
comparables qui ont une échéance à trois mois en général. Sur le marché, ils recouvrent cependant
toute une gamme d’instruments : ceux dont l’échéance est à un mois, trois mois, six mois et douze
mois sont en principe classés dans la catégorie des taux à court terme.
Les taux à long terme sont ceux qui sont le plus souvent associés aux obligations à dix ans. Aux
Etats Unis et en Europe, les bons du Trésor à dix ans servent comme référence pour déterminer le
taux d’intérêt à long terme. Néanmoins, les instruments dont l’échéance est à cinq ans ou à trente
ans entrent également dans la catégorie des taux à long terme. En règle générale, il paraîtrait
logique que les taux d’intérêt à long terme soient supérieurs aux taux à court terme. En effet, plus
un investissement porte sur une longue période, plus les risques sont élevés, défaut de paiement de
l’émetteur ou besoin immédiat de liquidités, sauf en cas d’existence d’une hypothèque, garantie ou
nantissement. Dans ce cas la relation entre les deux taux peut s’inverser, les taux les taux d’intérêt
à long terme deviennent inférieur aux taux à court terme (le cas du prêt immobilier par rapport au
crédit consommation pour l’acquisition d’une voiture par exemple).

5.2. Les taux d’intérêt et la politique monétaire

Une fois la question de la diversité des taux d’intérêt développée, autres questionnements
s’invitent pour savoir si le taux d'intérêt est-il une variable endogène ou exogène pour la monnaie
? Autrement dit, est ce que le taux d’intérêt est-il une variable de politique monétaire ou dépend-il
des fondamentaux de l’économie, c’est à dire de données de base de la sphère réelle ?

La réponse à ces interrogations débute d’abord par un constat : Depuis le mois de septembre 2007,
la banque centrale Américaine (désormais FED) s'est efforcée de contenir les répercussions de la
crise des subprimes sur l'activité économique en réduisant plusieurs fois son taux directeur, qui a
ainsi baissé au total d'un point, de 5,25 % à 0,25 %. En revanche, la BCE, si elle a refinancé
massivement les établissements de crédit européens impliqués dans cette crise, a opéré aussi une
baisse générale de son taux directeur, maintenu pour longtemps autour de 0.25%.
Ainsi, la plupart des économistes reconnaissent l’existence d’un lien entre les taux nominaux
courts et longs. Mais pas assez consensuel pour déterminer le degré de cette interdépendance.
Dans une revue des études empiriques consacrées à l’influence de la politique monétaire sur les
taux longs réels aux USA, Akhtar (1994)14 constate que nombre d’entre elles ont mis en évidence
une influence positive et significative comprise à long terme entre 1/3 et 2/3 entre les taux
nominaux courts et longs.

14
AKHTAR, M.A, 1994: Monetary policy effects on long run interest rates: a critical survey of the empirical
literature, document de travail n°9407, Federal Reserve Bank of New-York, août.

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20

Le cadre généralement adopté pour étudier l’interdépendance entre les taux d’intérêts et des
variables économique est celui du modèle de Mundell et Fleming 15 , qui constitue une
généralisation à une économie ouverte du modèle IS-LM de court terme à prix fixes. On se place
dans le cas d’une économie nationale et dont la taille est supposée trop petite pour influencer
l’équilibre mondial. On suppose que l’économie comprend quatre biens : deux biens de
consommation, l’un produit localement, l’autre importé, de la monnaie, et des titres. Les prix et les
salaires sont exogènes et l’économie n’est pas contrainte par l’offre. La demande globale des
agents résidents privés est une fonction croissante du produit national hors taxe et décroissante du
taux d’intérêt. Cette demande se décompose selon des coefficients budgétaires supposés fixes
entre produit national et produit importé. La demande réelle de monnaie est une fonction
croissante du revenu hors taxe et décroissante du taux d’intérêt.
En taux de change fixe16, la variation de l’offre de monnaie résulte du solde de la balance des
paiements, né de la différence entre le supplément d’importation et la réaction spontanée des flux
nets de capitaux étrangers aux variations des taux d’intérêt. Le modèle est résolu en écrivant
l’équilibre sur les marchés des biens et de la monnaie.
En taux de change flexible17, l’offre de monnaie est exogène, ce qui donne une relation d’équilibre
sur le marché des changes. L’équilibre sur le marché des biens permet alors de résoudre le modèle.
Lorsque la mobilité des capitaux est faible, une hausse de la demande intérieure se traduit dans ce
modèle par une hausse des taux d’intérêt et par un déséquilibre potentiel des échanges extérieurs
qui ne sont pas spontanément compensé par des mouvements de capitaux. L’effet de ces
mouvements sur l’activité sera donc maximal en régime de taux de change flexible qui se traduira
par une dépréciation de la monnaie permettant de rééquilibrer les échanges extérieurs et qui
stimulera l’activité.
En régime de taux de change fixe, la banque centrale utilisera ses réserves de change pour
compenser les effets sur la monnaie du déficit extérieur. Il s’en suivra une hausse des taux
d’intérêt qui réduira l’excédent de demande.
Lorsque les capitaux sont parfaitement mobiles, les propriétés du modèle sont inversées, et une
hausse de la demande intérieure a un effet d’entraînement maximal sur l’activité en régime de
change fixe. Dans ce cas, en effet, les agents intérieurs financent intégralement la hausse de leur

15
Le modèle de Mundell-Fleming fut développé au début des années 1960 par les Economistes Robert Mundell et
Marcus Fleming. Il est une extension à une économie ouverte du célèbre modèle d’équilibre macroéconomique
Keynésien sous le schéma IS-LM proposé en 1937 par Richard Hicks et Alvin Hansen. Le modèle de Mundell-
Fleming traite de l’équilibre simultané sur le marché des biens et services et ceux de la monnaie et des changes. Ce
Modèle suppose une parfaite mobilité des capitaux et une anticipation statique du taux de change futur de la part des
investisseurs.
16 Voir chapitre VIII relative au marché des changes.
17 Voir chapitre VIII relative au marché des changes.

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21

demande de biens en cédant des titres sans variation de prix à des étrangers contre des devises. Ils
utilisent une partie de cette manne pour des importations, le reste étant utilisé à acheter des biens
sur le marché intérieur. Les entrées de capitaux étant spontanément supérieures au déficit
commercial, la banque centrale achète des devises en échange de monnaie nationale, assurant,
ainsi, un financement monétaire de l’économie. En situation de taux de change flexible, la banque
centrale n’intervient plus sur le marché des changes. Il s’en suit une appréciation de la monnaie
jusqu’au point où le déficit commercial né de cette appréciation compense le solde des
mouvements de capitaux. Selon ce modèle la demande n’exerce donc aucun effet sur l’activité
économique en cas de taux de change flexible et de parfaite mobilité des capitaux.
Dans la réalité, les banques centrales utilisent largement les manipulations de taux d’intérêt courts
pour stabiliser le taux de change. Lorsque la mobilité des capitaux est faible, une hausse de la
demande interne provoque un déficit commercial que la hausse spontanée des taux d’intérêt ne
suffit pas à financer. Pour que la parité soit maintenue, la banque centrale doit donc soutenir sa
monnaie en vendant des titres ou plus exactement en réduisant ses achats de titres. La hausse des
taux d’intérêt qui en résulte est d’autant plus forte que la mobilité des capitaux est faible. Dans le
cas extrême où la mobilité des capitaux est nulle, la hausse des taux doit être telle qu’elle
décourage les vendeurs, ou qu’elle suscite une contrepartie de demande nationale. La hausse
spontanée de la demande sera totalement annulée par la hausse progressive des taux d’intérêt.
Bien qu’il constitue un cadre de référence très utilisé pour expliquer la relation entre les taux et la
politique monétaire, le modèle de Mundell-Fleming ne prend en compte ni les contraintes de
solvabilité des agents, ni les mouvements de prix, ni les anticipations. Dans le cadre des taux de
changes fixes il suppose que la régulation des changes est obtenue par le biais d’interventions de
la banque centrale et ne s’interroge pas sur le montant des réserves. Il ne permet pas non plus une
analyse fine de la politique monétaire car il ne considère qu’un seul marché de taux. Enfin, les
pays ne sont pas tous petits, ce qui amène à prendre en compte l’influence sur les taux réels
mondiaux des variations de demandes et des politiques monétaires nationales des grands pays et
les réactions éventuelles du reste du monde à ces politiques.
La prise en compte des anticipations de change conduit, toujours dans le cas d’un petit pays, au
modèle dynamique de Dornbusch (1976)18, dont l’équation centrale résulte d’un arbitrage fait par
les marchés financiers entre placements sur différentes monnaies et dont les écarts de taux
d’intérêt reflétant les variations anticipées des taux de change. L’adjonction de l’hypothèse
d’anticipations rationnelles sur les taux d’intérêt et les taux de change permet théoriquement de
résoudre les modèles de façon itérative en calculant le cheminement du taux d’intérêt et du taux de

18
Dornbusch, Rudiger, 1976: « Expectations and exchange rate dynamics », Journal of Political Economy, December.

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22

change en fonction d’un équilibre stationnaire de long terme. Mais dans le modèle de Dornbusch,
le long terme est déterminé par l’offre, qui est exogène. Une hausse de la demande doit à long
terme être satisfaite par une hausse des importations et une baisse des exportations, ce qui suppose
une appréciation du change. Certains auteurs reprochant à ce modèle son incomplétude car il
néglige les paiements d’intérêts. Pour d’autres, cet oubli n’est sans conséquence lorsque le taux
d’intérêt est inférieur au taux de croissance de l’économie : dans ce cas, les dettes publiques et
extérieures se stabilisent en part de PIB à un niveau plus élevé qu’en l’absence d’expansion
budgétaire, ce qui, dans le modèle de Dornbusch, n’a pas d’incidence sur les taux. Mais lorsque le
taux d’intérêt est durablement supérieur au taux de croissance, comme cela a été le cas dans la
plupart des pays, le maintien des dépenses budgétaires supplémentaires suppose une hausse au
moins équivalente des recettes fiscales, et il n’est pas toujours certain que cela soit possible, même
en augmentant les taux d’imposition.
La prise en compte des variations de prix en fonction du taux d’intérêt, du PIB et du taux de
change a été faite par Fitoussi et Phelps (1988)19. En changes flexibles et mobilité parfaite des
capitaux, l’augmentation des dépenses publiques en bien national conduit à court terme à une
appréciation de la monnaie qui entraîne une baisse des prix intérieurs exprimés en monnaie
nationale, ce qui permet de financer l’accroissement de la demande de monnaie. Il subsiste donc
une hausse du PIB.
Dans ces conditions, le taux national à chaque échéance est égal au taux long mondial plus une
prime couvrant le déport 20 de la monnaie nationale contre devise entre aujourd’hui et cette
échéance, tel qu’il est constaté sur le marché à terme, le choix de la monnaie ne devant pas laisser
subsister d’opportunité d’arbitrage sans risque. La prime est donc fonction des anticipations du
marché quant au niveau futur de la demande et à la politique monétaire future de la banque
centrale. Une révision à la baisse des anticipations de demande dans un petit pays, à la suite par
exemple de la publication d’une inflation plus élevée que la cible ou un nombre de chômeurs plus
élevé que prévu, amène les opérateurs à anticiper une baisse prochaine des taux courts, ce qui peut
conduire à une dépréciation immédiate de la monnaie nationale. Si cette baisse des taux courts se
produit, les opérateurs pourront ensuite anticiper une réappréciation de la monnaie, et il n’est donc
pas certain que la dépréciation se traduise par une hausse des taux longs. Si en revanche la banque
centrale tentait de s’opposer à la dépréciation de sa monnaie par la hausse des taux courts, une

19
Fitoussi Jean-Paul, Phelps Edmund, 1988 «The slump in Europe. Reconstructing the open economy theory», Basil
Blackwell.
20
Si le taux d’une monnaie 1est inférieur au taux d’une monnaie 2 (la « courbe » est ascendante) on parle de report.
Inversement, si le taux de la monnaie 1 est supérieur au taux de la monnaie 2 (la « courbe » est descendante) on parle
de déport. Pour plus de détails voir chapitre VIII traitant du marché des changes.

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forte hausse des taux courts et une hausse plus faible des taux longs pourraient être nécessaires
pour couvrir le risque de dépréciation monétaire que provoquerait la remise en question ultérieure
d’une politique jugée peu réaliste. Pourtant, si cette politique ne devait pas être remise en cause, la
hausse des taux courts conduirait à une détérioration des perspectives de demande, dont la prise en
compte devrait se traduire par une baisse des taux longs nominaux. La réaction des marchés
dépend donc de la crédibilité de la banque centrale, c’est-à-dire de la confiance des opérateurs
dans la pérennité de la politique engagée. Si le même choc de d’anticipation de demande se
produit sur un grand pays, comme les USA, les taux longs mondiaux seront affectés.
Un autre courant de recherche permet d’apporter quelques arguments pour étayer ce type
d’hypothèse. Si le niveau des taux d’intérêt reflète pour une large part les anticipations des agents,
et si les agents disposent individuellement d’informations privées plus riches que celles contenues
dans les données macroéconomiques, alors les taux d’intérêt auront une vertu prédictive
particulière sur la situation future de l’économie. Ainsi, la structure par terme des taux d’intérêt est
utilisée par certains économistes comme indicateur avancé de l’activité économique (Stock et
Watson, 1989, 1992)21. D’autres économistes suggèrent que l’écart entre taux courts et taux longs
a un pouvoir prédictif sur l’évolution de l’activité économique, ce que Fayolle et Mathis (1994)
vérifient empiriquement pour les Etats-Unis, l’Allemagne et le Japon et Dubois et Jancy (1994)
pour le cas de la France.
Stephan Gerlach (1995) 22 trouve, quant à lui, que la structure par terme des taux d’intérêt en
Allemagne apporte une information sur l’évolution à venir de l’inflation, mais aucune information
sur l’évolution à venir du taux d’intérêt réel. Ce résultat serait cohérent avec un comportement
économique orthodoxe qui privilégierait de façon exclusive la lutte contre l’inflation.
Au moins deux explications complémentaires peuvent être avancées pour rendre compte de cette
relation entre taux d’intérêt et politique monétaire. Soit les banques centrales utilisent largement
les taux courts comme instrument de régulation de l’activité économique, soit les fluctuations de
l’activité économique proviennent d’arbitrages réalisés par les agents entre titres et biens réels
(moyens de production, logements, biens durables), la banque centrale affectant les taux courts à
un autre objectif (par exemple, le taux de change).
Dès lors que l’arbitrage entre taux courts et taux longs ne passe plus par la saturation éventuelle
des capacités de production, mais, dans le cas d’un petit pays avec mobilité parfaite des capitaux,
directement par les anticipations de change, prévoir les mouvements de taux d’intérêt et de taux de

21
Stock James, Watson Mark: « A procedure for predicting the recessions with leading indicators: Econometric Issues
and Recent Experience », document de travail du NBER n°4014, mars.
22
Gerlach Stephan, 1995: « The information content of the term structure: evidence for Germany », document de
travail du CEPR n°1264

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change suppose de connaître non seulement l’état réel de l’économie, mais aussi l’état des
anticipations des agents, et leur mode de formation. Une baisse non expliquée des taux courts par
rapport au niveau où ils étaient anticipés est interprétée comme un changement de politique
monétaire et provoque des réallocations de portefeuilles ; elle s’accompagne d’une dépréciation de
la monnaie, d’une baisse des taux de change anticipés, et souvent d’une hausse des taux longs.

Ainsi, lorsque la banque centrale d’un petit pays se fixe pour objectif de minimiser les taux longs
nominaux, elle est amenée à maintenir les taux courts à un niveau suffisamment élevé pour ne pas
provoquer immédiatement une dépréciation de sa monnaie, mais suffisamment bas pour que les
opérateurs ne redoutent pas un assouplissement ultérieur.

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