I.S. Revah - Sephardim
I.S. Revah - Sephardim
I.S. Revah - Sephardim
Révah I.-S. Un historien des "Sefardim". In: Bulletin Hispanique, tome 41, n°2, 1939. pp. 181-186;
doi : https://doi.org/10.3406/hispa.1939.2845
https://www.persee.fr/doc/hispa_0007-4640_1939_num_41_2_2845
* *
Au premier plan des ouvrages sur l'ensemble des Juifs de Turquie
vient le recueil des Documents officiels turcs concernant les Juifs de
1. Je ne tiens pas compte, dans cette notice consacrée aux Juifs espagnols des
Balkans, des travaux de M. Galante (rédigés en turc) consacrés aux Codes Hittite,
Assyrien et d'Hamourabi.
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Turquie1. Ces documents, dont le plus ancien date de 1452 et le plus
récent de 1920, sont presque tous inédits. Pour sa publication, M.
Galante n'a pas adopté l'ordre chronologique. Il a préféré, avec raison,
les grouper en titres principaux : grands-rabbins, synagogues, écoles,
hôpitaux, cimetières, revenus communaux, impôts, service militaire,
etc., etc. Sous la sécheresse juridique des documents, il y a là un
tableau nuancé de la vie sociale des Juifs turcs pendant plus de quatre
siècles, tableau dont il est impossible de définir la richesse en quelques
mots. Mais ce n'est pas trop s'avancer que de dire qu'aucun historien
futur des Sefardim ne pourra se passer de cet ouvrage. Un index
alphabétique des mots turcs en facilite, d'ailleurs, grandement l'étude.
Viennent ensuite une série d'ouvrages consacrés plus spécialement
aux rapports des Juifs et des Turcs pendant leur longue coexistence
sur les territoires de l'Empire ottoman2. L'auteur y développe la
thèse, abondamment soutenue par les faits, de l'absolu loyalisme des
Sefardim à l'égard du peuple qui Ie3 avait recueillis avec tant de
générosité alors qu'ils étaient chasbés par presque toutes les nations
chrétiennes d'Europe. Il en profite pour dresser un tableau assez complet
de l'apport spécifique judéo-espagnol à la vie sociale, politique,
artistique et scientifique de l'Empire. Malgré leur perspective spéciale et
leur finalité, ces livres constituent des contributions importantes à
des chapitres essentiels de l'histoire judéo-espagnole. A cet égard, la
brochure sur les médecins est un modèle. L'auteur conclut à
l'inexistence d'une quelconque impossibilité de l'assimilation complète des
Sefardim dans la nation turque et les faits contemporains semblent
lui donner raison. Chemin faisant, il a été amené à développer
certaines considérations sur le conflit au sein des communautés judéo-
espagnoles entre les langues espagnole, turque, grecque, française, etc.,
considérations qui sont du plus grand intérêt pour la dialectologie
judéo-esp agno le .
quie. Souvent, son effort est à l'origine d'études plus poussées parues
récemment.
La première de ces études concerne l'attachante figure de Joseph
Nassy, duc de Naxos1. Ce Marrane, échappé miraculeusement à
l'Inquisition, édifia une grosse fortune et conquit la faveur des sultans.
Cette faveur lui permit de devenir le véritable directeur de la politique
étrangère de l'Empire ottoman. Les recherches particulières de M.
Galante dans les histoires européennes, turques et hébraïques lui
permirent d'ajouter bien de l' inédit à l'histoire de cet intéressant
personnage. L'apport essentiel consiste dans la publication et la traduction
en langue française de douze documents officiels, rédigés en turc et
trouvés dans les archives de la Sublime Porte 2.
M. Galante a également consacré une notice à Esther Kyra, juive
qui joua un rôle important dans l'histoire turque3. Le rôle de cette
femme, qui s'étend sur une longue période, fut surtout grand sous
Mourad III, à l'époque où les femmes du palais s'étaient emparées de
l'administration de l'Empire. La favorite du Sultan lui confia alors
des missions importantes. Le travail de M. Galante retrace, d'après
plusieurs historiens et chroniqueurs turcs, l'assassinat de Kyra, qui
trouva la mort dans une révolte de Sipahis, en 1593. Il donne, en
appendice, le texte turc et la traduction d'un curieux « firman »
impérial concernant Esther Kyra et qui provient du musée russe
d'Odessa.
La brochure intitulée Hommes et choses juifs portugais en Orient 4
contient une intéressante miscellanée sur la part spéciale qui revient
au contingent portuguais de l'émigration ibérique en Turquie.
Biographies de personnages célèbres, étude de l'influence portugaise
dans la linguistique, l'onomastique, le folklore judéo-espagnols, avec,
en conclusion, quelques considérations sur l'état actuel des Marranes
au Portugal.
Toujours dans la série des biographies, voici le travail sur Don
Salomón Aben Yaèche, duc de Métellin5. Ici, M. Galante a utilisé avec
profit l'excellente étude de Lucien Wolf intitulée : Jews in Elizabeihan
1. Don Joseph Nassi, duc de Naxos, d'après de nouveaux documents. Constan tinople,
Haïm, 1914, 40 p.
2. La question de Joseph Nassy a été reprise récemment, avec un plus grand luxe
de documents inédits, par M. Jacob Reznik dans sa thèse d'Université : Le duc Joseph
de Naxos. Contribution à l'Histoire juive du xvie siècle. Paris, Lipschutz, 1936,
270 p., 4 planches. —• Malheureusement, le français dans lequel est rédigée cette
thèse et la surabondance vraiment inusitée des fautes d'impression en rendent la
lecture très pénible.
3. Esther Kyra d'après de nouveaux documents (contribution à l'histoire des Juifs
de Turquie). Constantinople, Haïm, 1926. In-8°, 24 p.
4. Constantinople, Haïm, 1927. In-8°, 38 p.
5. Istanbul, Haïm, 1936. In-8°, 24 p.
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England 1. Mais il a dressé sa biographie sous une autre perspective :
celle de l'apport des Sefardim à YHistoire diplomatique de l'Empire
ottoman, à la fin du xvie et au commencement du xvne siècle. La
Turquie ne possédait pas de représentants diplomatiques permanents
en Europe ; sa politique étrangère s'appuyait, de ce fait, sur les
voyageurs et négociants sefardim en tournée dans les pays européens. Le
rôle principal que joua dans cette histoire diplomatique Don Salomón
Aben Yaèche (son nom de Marrane était Alvaro Mendés) fut d'essayer
la création d'une alliance étroite entre la Turquie et l'Angleterre
contre l'Espagne. « S'il ne réussit pas à conclure une alliance armée
entre les deux pays, il contribua, du moins, à entretenir des relations
cordiales entre eux et travailla à immobiliser en Italie et dans la
Méditerranée orientale de grandes forces espagnoles, qui auraient pü
être utilisées contre l'Angleterre. »
Cependant, la plus belle contribution que M. Galante nous ait
donnée dans ce domaine est son excellente monographie sur Sabbetaï
Sévi, ce juif smyrnéen qui se proclama Messie au xvne siècle et
précipita, par l'action néfaste de son mouvement messianique, la
décadence des communautés judéo -espagnoles d'Orient2. Il a découvert
de nombreuses sources, inconnues jusqu'à lui, turques, arméniennes
et grecques modernes, et, en organisant le recoupement de ces sources
d'origines si diverses, il a projeté une plus grande lumière sur
l'histoire du faux Messie. Il a poursuivi cette étude en nous donnant une
histoire détaillée de la vie religieuse, familiale et communale, des
prières, des us et des coutumes des adptes de Sabbetaï Sévi, qui
formèrent en Turquie la secte mystérieuse des deunmés, secte
intermédiaire entre le judaïsme et l'islamisme. Les chapitres vi et vu
contiennent la traduction des documents turcs, arméniens, grecs et judéo-
espagnols qui constituent la documentation originale de la
monographie.
* * *
Le folklore est un aspect de la vie populaire séfardite qui a toujours
intéressé M. Galante depuis l'époque, déjà lointaine, où il apportait
à la Revue hispanique des contributions remarquables sur les proverbes
et les romances3. Les 462 proverbes et les quatorze romances qui
forment le fond de ces publications constituent un des apports les plus
importants dans cet ordre d'idées. Tout au plus faut-il regretter que
M. le professeur Galante, à l'instar des premiers collectionneurs du
folklore judéo-espagnol, ait cru devoir « normaliser » les dialectes
balkaniques sur la base de l'espagnol moderne.