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DROIT DES AFFAIRES -

PRATIQUE PROFESSIONNELLE

NUMERO 6 
 
 
 
Janvier 2016   

 

 
DIRECTEUR DE PUBLICATION

 Dr Félix ONANA ETOUNDI, Magistrat, Enseignant-Chercheur HDR,


Directeur Général de l’ERSUMA

COMITE DE REDACTION

 Pr Patrice Samuel A. BADJI, Agrégé des Facultés de droit, Université


Cheick Anta Diop de Dakar, Sénégal
 Dr Karel Osiris Coffi DOGUE, (LL.D. Montréal), Chef des Services
Etudes, Formations et Recherche, ERSUMA
 Dr Amina BALLA KALTO, Assistante à la FSEJ/UAM
 Dr KENGUEP Ebénézer, Chargé de cours à la Faculté des Sciences
Juridiques et Politiques, Université de Douala, Cameroun
 Madeleine LOBE LOBAS, Maître de Conférences en Droit privé, HDR,
Université de Haute-Alsace, Mulhouse, CERDACC, EA n° 3992
 Dr SUNKAM KAMDEM Achille, Chargé de cours, Université de BUEA,
Cameroun.
 Dr DJILA Rose, Chargée de cours FSJP, Université de DSCHANG,
Cameroun
 Dr. Priscille Grâce DJESSI DJEMBA, Assistante à la Faculté des
Sciences Juridiques et Politiques de l’Université de Douala, Cameroun

SECRETARIAT DE LA REVUE :

 Dr Karel Osiris Coffi DOGUE, (LL.D. Montréal), Chef des Services


Etudes, Formations et Recherche, ERSUMA
 Justin MELONG, Juriste traducteur/Interprète, ERSUMA
 Ghislain OLORY-TOGBE, (M.Sc.), Juriste de Recherche, ERSUMA
 Patrice TOSSAVI, Informaticien Webmaster, ERSUMA

SOMMAIRE

Doctrine
1- « Les orientions du législateur OHADA dans l’AUSCGIE révisé » par
Patrice Samuel A. BADJI, Agrégé des Facultés de Droit,
UCAD………………………………………..………………………………
…… 9
2- « La loi camerounaise sur le crédit-bail à l'aune des législations CEMAC
et OHADA » par Yvette Rachel KALIEU ELONGO, Professeur agrégée de
droit privé, Université de Dschang
……………………………………………………………35
3- « Le formalisme de la saisie immobilière en droit OHADA », par Guy
TSESA,

 
Magistrat,………….…………………………………………………………
…… 51
4- « La question de la définition du contrat en droit privé : essai d’une
théorie institutionnelle », par MONEBOULOU MINKADA Hervé Magloire,
Ph./D en droit privé,……………………………………….. 89
5- « La protection des créanciers du vendeur de fonds de commerce dans
l'espace OHADA » par Dr Amina BALLA KALTO, Assistante à la
FSEJ/UAM ……………………………………………………………..…….129
6- « L’infraction d’atteinte au patrimoine des entreprises publiques et
parapubliques dans l’espace OHADA », par Dr. KENGUEP Ebénézer
Chargé de cours à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Université de Douala Et
FOKOU Eric, Doctorant à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques,
Université de Douala ……………………..……..………. 157
7- « Le risque pénal lié à la gestion de la commune au Cameroun. Etude de
droit comparé », Madeleine LOBE LOBAS, Maître de Conférences en
Droit privé, HDR, Université de Haute-Alsace, Mulhouse, CERDACC, EA
n° 3992 …………………….……………………………………………….
175
8- « Reflexions sur l’espace judiciaire ohada », Véronique Carole Ngono,
Assistante à la FSJP de l’université de
douala………………………………………………….197
9- « L’information des associés, une exigence fondamentale du droit des
sociétés ohada ? », Marcel Williams Tsopbeing, Assistant à la faculté des
sciences juridiques et politiques, de l’université de Yaoundé
2 ………………………………………..225
10- « Le cautionnement mutuel et l’inclusion financière en afrique », Willy
Tadjudje, Docteur en droit privé, Chargé de cours associé à l’Université du
Luxembourg …259
11- « La preuve de la loi étrangère en droit ivoirien », Alla Koffi Etienne,
Enseignant-chercheur à l’UFR SJAP de l’Université Félix Houphouët-
Boigny d’Abidjan-Cocody, Côte
d’Ivoire…………………………………………………………………….273

Etudes
1- « Pratique de la conciliation en matière d’injonction de payer OHADA », par
Dr Karel Osiris Coffi DOGUE et Valencia ILOKI……………………… 305

2- « Réflexion sur le système de régulation institutionnelle de l’activité bancaire


dans la CEMAC », par Dr SUNKAM KAMDEM Achille, Chargé de cours,
Université de BUEA…………………………………………..…….. 327
3- « La simplicité et la rapidité du recouvrement des créances sous OHADA :
échec en République Démocratique du Congo », par LEBON KALERA Marcellin,
Assistant à la faculté de droit de l’Université de Goma

 
Avocat au Barreau de Goma ……………………………………………………….…
341

4- « Focus sur la sanction par la jurisprudence camerounaise, des fautes de


gestion des commissaires aux comptes auprès des entreprises du secteur public
et para public », par Dr DJILA Rose, Chargée de cours FSJP, Université de
DSCHANG, Cameroun………………………………………………………… 362

5- « Le devoir d’alerte du commissaire aux comptes dans les sociétés


commerciales de l’espace OHADA », par Dr. Priscille Grâce DJESSI DJEMBA,
Assistante à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université de
Douala, …………………………………………………… 379

6- « Le Ministère Public et la mise en mouvement de l’action civile en droit de la


propriété intellectuelle dans l’espace OHADA », par NGO’O Samuel Emmanuel,
Juge d’Instruction au Tribunal de Première et Grande Instance de Nanga- Eboko et
NGUELE MBALLA Fabrice, Juriste-Consult…..……… 403

7-« Scolie sur quelques points du formalisme de l’exécution des décisions de


justice non répressives en droit OHADA », par Sara Nandjip MONEYANG,
Chargée de Cours, Faculté des sciences juridiques et politiques, Université de
Douala…………………………………………………………………….. 417
8- « Le droit de rétention dans le nouvel Acte uniforme portant organisation des
sûretés : sûreté active ou passive ? », par Docteur NJUTAPVOUI Zakari,
Assistant au Département de Droit Privé Fondamental, Université de Douala,
Cameroun ………………………………………………………… 433
9- « Le régime procédural de l’autorité de la chose jugée en procédure civile
camerounaise : Réflexions sur une évolution jurisprudentielle de la Cour suprême à
partir d’un arrêt de la C.C.J.A. », par Léon HOUNBARA KAOSSIRI, Assistant,
Faculté des Sciences Juridiques et Politiques, Université de Ngaoundéré (Cameroun)
…………………………………………………………………………………….…….
. 449
10 - « La procédure de saisie conservatoire des navires : le chemin de croix des
justiciables camerounais », par Dr. KENGUEP Ebénézer, Chargé de cours à la
Faculté des Sciences Juridiques Et Politiques de l’Université de
Douala……………………… 469
11- « La responsabilité pénale des dirigeants sociaux du fait d’infractions non
intentionnelles », par Docteur DIKOR Alain Michel Ebele, Chargé de cours à la
FSJP, Université de Douala, Cameroun
……………………………………………………………………………… 487
12- « L’assurabilité du risque de développement dans l’espace CIMA », par
BEKADA EBENE Christianne Nicole, Assistante, Faculté des Sciences Juridiques
et Politiques, Université de Douala, (Cameroun) ………………. 503

Pratique Professionnelle

 
1- « Le vœu de pauvreté des religieux en RDC: une embûche à l’exécution des
décisions judiciaires conformément à l’acte uniforme sur les voies
d’exécution ? », par LELO PHUATI Evariste, Assistant à l’Université Président
Joseph Kasa Vubu en R.D. Congo/Boma………………………..…………….. 529

2- « Le Règlement du contentieux communautaire par la Chambre Judiciaire de


la Cour de Justice de la CEMAC » par Georges TATY, Juge à la Cour de Justice de
la CEMAC…………………………………………………. 545

3- « La «disharmonie1» sur la question de la responsabilité des auxiliaires de


transport maritime en Afrique centrale : Un essai d’harmonisation inachevée du
législateur communautaire de 2012 », Par TANKEU Maurice, ATER FSJP-
Université de
Dschang………………………………………………………………………………
…557

4- « Libres propos sur l’indépendance de l’auditeur legal des sociétés anonymes


OHADA », par DIDIER TAKAFO-KENFACK, Docteur en droit- Assistant a
l’universite de Bamenda
(Cameroun),…………………………………………………… … 579

5- « La confidentialité dans la procédure arbitrale dans l’espace OHADA »,


par Cédric Carol. TSAFACK DJOUMESSI, ATER à la Faculté des Sciences
Juridiques et Politiques de l’Université de Dschang,
Cameroun,………………………………………………………..591

6- « Vers la prevalence de l’irresponsabilite arbitrale en droit OHADA ? », Par


MAFO DIFFO Raymond, DOCTORANT A L’UNIVERSITE DE YAOUNDE 2
SOA,……… 599

                                                            
1
Situation caractérisée par une absence d’harmonisation. Peuvent être considérés comme synonyme les
termes tels que disparité, discordance.

 
EDITORIAL

Toujours fidèle à sa vocation et à sa notoriété désormais incontestable, la Revue de


l’ERSUMA n’arrête pas de surprendre avec la qualité et la diversité de ses articles.
Cette sixième parution (numéro 6) en est une fois encore la preuve éclatante.
La cuvée intellectuelle actuelle se laisse déguster toute seule. Le comité de rédaction a
sélectionné pour vous en premier un article qui permet de cerner les grandes
orientations du législateur OHADA dans l’AUSCGIE révisé. Toujours relativement à
ce texte, le rôle étendu du commissaire aux comptes également auditeur légal de la
société, a retenu l’attention de trois contributions portant sur le devoir d’alerte et la
sanction par la jurisprudence des fautes de gestion que ce dernier peut commettre
auprès des entreprises du secteur public et para public.

En restant dans les eaux profondes des matières fondamentales du droit qu’on ne
saurait occulter dans une publication scientifique de l’ordre de cette Revue, nous
assistons à travers un article de ce numéro 6 à une tentative de systématisation d’une
théorie institutionnelle du contrat en droit privé tandis qu’un autre écrit fait des
développements sur la protection des créanciers du vendeur de fonds de commerce
dans l'espace OHADA. Le droit à l’information des associés retient quant à lui
l’attention heureuse d’un autre contributeur.

Toujours pour rendre compte de la richesse scientifique de cette parution, les contrats
spécifiques d’affaires notamment le crédit-bail très peu documenté dans nos
législations nationales et envisagé comme domaine futur d’harmonisation par le
législateur de l’OHADA, a préoccupé une auteure non moins connue du paysage
universitaire africain, avec un focus en droit camerounais.

L’Acte uniforme sur les procédures simplifiées de recouvrement et les voies


d’exécution a également la part belle dans cette parution de la Revue de l’ERSUMA.
En effet, alors que des auteurs s’y intéressent quant à l’effectivité de la simplicité et
de la rapidité du recouvrement des créances OHADA, c’est à un double exercice de
critique doctrinal et jurisprudentiel d’un mode alternatif de règlement des différends
autre que l’arbitrage, que se livre d’autres à propos de la conciliation prévue dans la
procédure d’injonction de payer de l’OHADA. Le formalisme et la complexification
procédurale en général de cet Acte uniforme sur les procédures simplifiées de
recouvrement et les voies d’exécution sont ensuite largement mis à l’honneur à
travers deux contributions relatives l’une à la saisie immobilière et l’autre à
l’exécution des décisions de justice non répressives dans l’espace OHADA. En
marge de cet Acte uniforme majeur, un contributeur a choisi le droit spécial de la
saisie des navires comme champ inusité de sa production intellectuelle.

Au titre des dernières contributions doctrinales, c’est la responsabilité pénale des


dirigeants sociaux pour des fautes non intentionnelles ainsi que le droit des assurances
notamment l’assurabilité du risque de développement qui a occupé deux auteurs
retenus par le comité de rédaction dans cette parution.

 
Pour ce qui est de la pratique professionnelle, le droit bancaire s’invite ensuite au
travers d’une réflexion sur le système de régulation institutionnelle de l’activité
bancaire dans la CEMAC. Et comme des poupées russes, la recherche effrénée du
lucre appelant souvent des infractions, les critiques du système bancaire dépeintes par
l’auteur font place encore à une série d’articles sur le droit pénal des affaires dont le
lecteur se délectera dans cette parution.

La symphonie intellectuelle ne s’arrête pas là puisque qui dit droit bancaire, dit sûreté
et c’est donc tout naturellement que le secretariat scientifique de la Revue a retenu
pour vous des articles sur le droit de rétention comme sûreté nouvelle de l’OHADA.

A la suite de ces matières, de nombreux autres domaines du droit des affaires en


Afrique sont concernés dans cette parution notamment le droit des sociétés
coopératives, le contentieux communautaire, le droit du transport maritime, le droit de
l’arbitrage, etc.

Au regard de ce qui précède, et en notre qualité de Directeur de publication, il ne nous


reste plus qu’à souhaiter, à nos lecteurs de parcourir ce numéro avec autant de plaisir
que nous avons eu d’abnégation à finaliser sa conception et sa publication. Notre
dernier mot cependant en est un de remerciement, à l’endroit de la communauté
scientifique d’Afrique et d’ailleurs, qui continue de faire montre d’un engouement et
d’un intérêt renouvelés pour la Revue de l’ERSUMA : Droit des affaires et pratique
professionnelle au fil des années. C’est elle justement qui nous permet de continuer à
écrire en lettres d’or, et à notre manière l’histoire intellectuelle de l’Afrique !

Le Directeur Général

Félix ONANA ETOUNDI

 
Les orientions du législateur OHADA dans l’AUSCGIE révisé
Patrice Samuel A. BADJI
Agrégé des Facultés de Droit, UCAD.

1. Aucun droit n’évolue en vase clos et ce depuis l’avènement de la mondialisation2 et


de l’influence réciproque des disciplines3, même si également l’unification du droit, et
notamment du droit privé est pour le moment utopique. Cependant, chaque droit subit
l’influence d’autres droits, ce qui peut amener le législateur concerné à orienter son
droit.
Le droit OHADA n’échappe guère à cette influence. En effet, depuis belle lurette, un
important mouvement de réforme du droit des affaires OHADA a vu le jour en vue de
faciliter l’activité juridique et s’adapter à son rythme4. Ces réformes entreprises qui
sont la préoccupation fondamentale des juristes de l’espace OHADA témoignent de
l’adaptation du droit au fait qui se dérobe au fil des années5. On serait tenté de se
poser la question suivante : en reformant son droit des sociétés6, quelles orientations7
le législateur OHADA a-t-il pris ? Celles-ci sont-elles conformes à la marche du
monde ?
2. De façon générale, l’orientation prise par le législateur OHADA est l’attractivité
du droit8, en vue d’attirer les investisseurs. Ainsi, il s’avère nécessaire de livrer aux
lecteurs, sans prétendre à l’exhaustivité, les idées forces des 920 articles de
l’AUSCGIE révisé, de découvrir à travers ces dispositions, le fil conducteur de la
nouvelle législation9.
3. Une fois les orientations du législateur décelées, d’autres questions s’imposent :
n’a-t-on pas ignoré des questions importantes-ce qui est évident vu l’immensité de la
tâche et les dangers de vouloir tout prévoir10-d’où sa probable amélioration. C’est dire
que codifier est un art difficile11 et qu’il n’y a aucun droit des affaires figé.
                                                            
2
V.Zaki Laidi, Mondialisation et droit, D.2007, P.2712.
3
V. L’analyse économique du droit (est-ce que le droit est performant ?), la law and managment ,(les
entreprises peuvent-elles tirer profit du droit ?), law and finance. Un auteur (Pierre de Montalivet, La «
marketisation » du droit , Réflexions sur la concurrence des droits, D.2013. P.2923.) parle également de
marketisation du droit.

4
F. Terre, L’entreprise française de rénovation des codes, RJPIC, n° 1, Janvier-Mars, 1966, P.247.
5
F. Terre, op.cit., p.245.
6
L’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE a été adopté le 30 juin 2014 à
Ouagadougou et publié au Journal officiel de l’OHADA le 04 février 2014.
7
L’orientation est définie comme « l’action de donner une direction déterminée, une tendance » par le
nouveau Petit Robert de la langue française, édition 2007.
8
V. Xavier Lagarde, Brèves réflexions sur l'attractivité économique du droit français des contrats, Recueil
Dalloz 2005 p. 2745 
9
V. Pour une étude comparative, S. Guichard, Réflexions critiques sur les grandes orientations du Code
sénégalais de la famille, Penant, 1978, p.176, n° 1.
10
On peut se remémorer la célèbre formule de Portalis (Discours préliminaire sur le projet de Code civil,
PP.6-8) un code doit se garder de « la dangereuse ambition de vouloir tout régler et tout prévoir... Un code,
quelque complet qu'il puisse paraître, n'est pas plutôt achevé que mille questions inattendues viennent
s'offrir au magistrat : une foule de choses sont donc nécessairement abandonnées à l'empire de l'usage, à la
discussion des hommes instruits, à l'arbitrage des juges... L'office de la loi est de fixer, par de grandes vues,
les maximes générales du droit ; d'établir des principes féconds en conséquences, et non de descendre dans

 
4. Les orientations s’inscrivent dans l’innovation et dans la consolidation12. Il s’agit
également d’une codification à droit constant13, d’une codification d’imitation14.
Ainsi, le mode de financement de la société anonyme a été facilité avec les valeurs
mobilières composées et subordonnées. De même, la nullité a tendance à prendre le
pas sur les clauses réputées non écrites. En effet, une telle manière de procéder
montre bien que, même si la société résulte d’un acte de volonté, la théorie
institutionnelle [révélée du reste par l’article 1832 du code civil] prédomine dans le
droit des sociétés contemporain15. En réalité, la liberté contractuelle est fortement
restreinte par le caractère impératif et détaillé des dispositions légales, au point que,
pour lui redonner vigueur, il a fallu instituer une autre forme de société, la société par
actions simplifiée16
5. En revanche, on peut se poser la question de savoir si le capital social est gage des
créanciers sociaux17 ou si le droit de vote est un attribut des associés, si le tracé des
pouvoirs du Conseil d’administration et du Président directeur général est si clair
qu’on serait porté à le croire18 ?
6. Avec l’AUSCGIE révisé, le législateur OHADA s’est inscrit dans une dynamique
d’ouverture voire de sensibilité aux autres systèmes juridiques certes19, mais sans aller
jusqu’au bout. Ainsi, si l’analyse des nouvelles dispositions permet de comprendre la
direction empruntée par le législateur OHADA (I), des incertitudes demeurent

                                                                                                                                              

le détail des questions qui peuvent naître sur chaque matière... C'est au magistrat et au jurisconsulte,
pénétrés de l'esprit général des lois, d’en diriger l'application... ». Mais les questions sur lesquelles le
législateur OHADA ne s’est pas prononcé ne relèvent guère du détail et sont tellement importantes qu’elles
nécessitent une intervention législative ; ce qui n’exclut pas un interventionnisme judiciaire.
11
V. F. Terré et Anne Outin-Adam, Codifier est un art difficile (A propos d’un… « Code de commerce »),
D.1995. P.99. Pour ces auteurs, élaborer un code, c'est d'abord délimiter les corps de règles destinés à y
figurer, ce qui signifie : inclusions et exclusions.
12
Se contenter de recenser et de mettre en ordre les règles existantes, éparses, sans aucune modification de
fond pour reprendre l’expression de P. Poncera et P. Lacunes, à propos des codes [Reformer le code pénal,
ou est passé l’architecte ?, collection, les voies du droit, PUF 1998, p.23. ces auteurs établissent des
principes de codification : cohérence, complétude, absence de contradiction dans les solutions qu’il
envisage, clarté, maniabilité, publicité.
13
Notamment « réécrire les règles anciennes, utiles et appliquées quand elles sont devenues difficilement
compréhensibles » (V. Marc Suel, Essai sur la codification à droit constant, Précédents, Débats,
Réalisation, 1993, p. 210)
14
V. B. Oppetit, De la codification, D.1996, P.33.
15
B. Bouloc, Remarques sur l’entrée en vigueur du droit nouveau des sociétés, dû à la loi du 15 mai 2001,
Mélanges Y. Guyon, Dalloz, 2003, p.142.
16
P. Bissara, Interdépendance et coopération des organes sociaux de la société anonyme classique,
Mélanges Y. Guyon, p.119.
17
V. B. Lecourt, Avenir du droit français des sociétés et droit européen, Revue des sociétés 2/2004, p.251.
Le législateur OHADA n’a pas permis comme en droit français aux SARL d’émettre des obligations V. Sur
cette question en droit français ; B. Saintourens, L’attractivité renforcée de la SARL après l’ordonnance n°
2004-274 du 25 mars 2004, Revue des sociétés 2/2004, p.207.
18
V. Article 435 et 465 alinéa 3 AUSCGIE. Pour un auteur, [P. Bissara, Interdépendance et coopération
des organes sociaux de la société anonyme classique, Mélanges Y. Guyon, op.cit., p.117], l’imprécision du
vocabulaire renforce bien entendu le flou des frontières de compétences : quelles sont exactement les
différences entre administration, gestion et direction, et a laquelle de ces catégories appartient la notion de
question « intéressant la bonne marche de la société » ?
19
Nous pensons au système de la common law et de la civil law notamment le droit français.
10 

 
néanmoins, d’où par souci de cohérence, inciter le législateur OHADA à achever
l’œuvre entamée (II).

I/ Les orientations affirmées


7. Le législateur OHADA a cherché à associer les travailleurs à la gestion et au
résultat de l’entreprise [A]. De plus, il s’oriente vers l’instauration de plus de
démocratie dans le fonctionnement de la société [B].
A/ Modification de la relation capital- travail dans le fonctionnement de la société
8. « Rendre le prolétariat propriétaire et l'ouvrier boursicoteur, voilà une vieille lune
qui a la vie dure20 ». Voila un bien lointain souhait car les démocraties sont des
régimes égoïstes, qui ne se préoccupent pas de l’intérêt des non-citoyens, hier les
esclaves, aujourd’hui les étrangers21.
Partenaires qui participent étroitement au devenir de l’entreprise, ils se trouvent
pourtant aux marchés de la société qui l’organise. Il s’agit de leur reconnaitre une
vocation à y entrer mais pour réaliser une plus-value22. En effet, l’ouvrier est, par là
même hors de l’entreprise dans laquelle il travaille. Il n’est ni copropriétaire de
l’entreprise ni associé dans l’entreprise. Il ne participe ni à la propriété ni à la gestion
de l’entreprise. Le contrat de travail qui lie le salarié à l’entreprise, est un contrat de
subordination ; ce n’est pas un contrat d’association23. Est-ce la justice ? La dignité du
travailleur est-elle respectée ? L’équilibre entre les éléments qui collaborent à
l’entreprise : capital et travail, est-il réalisé24 ? En effet, dans un monde extrêmement
concurrentiel, dans lequel les capitaux ne sont pas en eux-mêmes créateurs de
richesses, et ou les différentiations concurrentielles entre les entreprises et les
créateurs de valeur dépendent principalement de l’innovation, de la créativité, des
idées et du travail des équipes des entreprises, l’apport du capital humain est
essentiel25.
9. Le législateur OHADA est sensible à la situation des salariés qui concourent au
développement de la société commerciale. Cela s’est manifesté d’abord par la
possibilité pour ces derniers d’être membre du conseil d’administration, ensuite, le
rachat de ses propres actions par la société pour les attribuer aux salariés et enfin avec
la réforme, la possibilité pour les salariés de se voir attribuer de façon gratuite des
actions. Cette démarche est symbolisée par ce que les économistes appellent la

                                                            
20
F. Zénati, RTD civ. 1987. 182, n° 54.
 
21
Y. Guyon, op.cit., p.143, bas de page 28.
22
J.P.Gastaut, L’associé de passage… ou l’intéressement du créateur d’entreprise et des salariés,
Mélanges Honorat, p.267.
23
L.mazeaud, La doctrine sociale de « Mater et Magistra » : droit du travail et droit des sociétés,
Mélanges J. De la Morandiere, Dalloz, 1964, P.387.
24
L. Mazeaud, ibid
25
J. Paillusseau, La logique organisationnelle dans le droit. L’exemple du droit des sociétés, Mélanges J.
Beguin, Droit et actualité, Litec, 2005, P.589, note de bas de page 39.
11 

 
« valeur partenariale » de l’entreprise26. Ce terme élargit les préoccupations des
dirigeants aux autres parties prenantes27.
10. Les salariés attributaires d’actions gratuites acceptent-ils les risques auxquels les
associés sont exposés ? Au regard de l’article 626-1 de l’acte uniforme relatif au droit
des sociétés28, il faut répondre par la négative. En effet, l’attribution gratuite d’actions
est une mesure de fidélisation et d’intéressement des salariés. On cherche à les
impliquer davantage dans la « famille entreprise » à savoir les sociétés anonymes.
Mais la contrepartie c’est la stricte réglementation de la procédure d’attribution
gratuite car le nombre d’actions possédées ne doit être supérieur à 10%. De même, on
ne peut attribuer à un salarié ayant plus de 10% du capital social des actions gratuites.
Plus encore, les actions attribuées ne donnent pas droit aux dividendes.29
11. Si l’attribution gratuite d’actions permet de faire participer les salariés à la gestion
de la société commerciale, elle peut néanmoins susciter des réserves et ce, eu égard à
l’expression « certaines catégories d’entre eux » contenue à l’article 626-1 précité, à
propos des salariés. Sur quel critère se baser pour discriminer certains salariés au
profit d’autres. Cette discrimination si justifiée soit-elle peut elle apaiser le climat
social ? Rien n’est moins sûr.
12. De plus, les salariés n’ont pas le droit, comme en France, à travers le comité
d’entreprise, de demander une expertise de gestion, de déclencher l’alerte, la
désignation d’un mandataire chargée de convoquer une assemblée générale des
actionnaires en cas d’urgence.
13. Ils ne bénéficient pas non plus du wistleblowing ou alerte professionnelle, éthique.
Une doctrine en a proposé la définition suivante : « un dispositif d'alerte
professionnelle est un ensemble de règles organisant la possibilité pour un salarié ou
toute autre personne exerçant une activité dans une entreprise de signaler au chef
d'entreprise ou à d'autres personnes désignées à cet effet :

- des actes contraires à des dispositions législatives ou réglementaires, aux


dispositions des conventions et accords collectifs de travail applicables à l'entreprise
ou à des règles d'origine éthique ou déontologique, qui nuisent gravement au
fonctionnement de l'entreprise ;

- des atteintes aux droits des personnes et aux libertés individuelles qui ne seraient pas
justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnelle au but recherché ;

                                                            
26
B. Marois, P. Bompoint, Gouvernement d’entreprise et communication financière, Economica, 2004,
Collection « connaissance de la gestion », P.87. A côté de la valeur partenariale, il y a celle actionnariale.
27
Il s’agit des fournisseurs qui approvisionnent l’entreprise en matières premières, composants ou
équipements, des clients que la société doit satisfaire si elle souhaite les conserver et des salariés qui
détiennent le savoir et le savoir faire. V. B. Marois, P. Bompoint, ibid.
28
Aux termes de cet article, l’assemblée générale extraordinaire peut, sur le rapport du conseil
d’administration ou de l’administrateur général, autoriser le conseil d’administration à accorder aux salariés
des actions gratuites.
29
Article 640 alinéa 7 AUSCGIE.
12 

 
- des atteintes à la santé physique et mentale des salariés30 ».
14. Quelle est la position de la Cour de cassation française et de la CNIL sur la
question ?
Dans un arrêt rendu le 8 décembre 2009, la Cour de cassation s'est prononcée sur le
contenu de l'un de ces codes élaborés dans la mouvance de la loi américaine
Sarbanes-Oxley, adoptée après les scandales Enron et Worldcom. L'affaire concerne
Dassault Systèmes, une filiale française du groupe Dassault cotée au Nasdaq et qui, en
octobre 2004, a résolu de faire signer à ses salariés un document intitulé Code de
conduite des affaires. Destiné à faciliter le déclenchement d'alertes pour prévenir les
malversations ou des cas de corruption, ce texte soumettait les salariés employés en
France à une obligation de réserve drastique et prévoyait notamment que, au-delà de
l'interdiction classique de divulgation d'informations « confidentielles » (processus,
recherches, contrats en discussion, etc.), un salarié ne pouvait diffuser des «
informations à caractère interne » qu'après « autorisation préalable » de la direction.
Ce même code instaurait un dispositif d'« alerte professionnelle », afin de permettre à
tout salarié de rapporter anonymement, via une plate-forme sur l'Intranet de
l'entreprise, des faits qui, en définitive, pouvaient ne pas se révéler délictueux puisque
le salarié disposait du choix de cocher, sur cette page, une case : « corruption », «
délit d'initié », « malversations »... ou « autres ». « Craignant à la fois le bâillon et la
délation », et estimant qu'un tel document portait atteinte aux libertés fondamentales
des salariés, un syndicat saisit avec succès le tribunal de grande instance (TGI) de
Nanterre d'une demande visant à l'annuler. Censurée par la cour d'appel de Versailles,
la position des premiers juges a cependant été confirmée par la Cour de cassation,
dont la décision conforte, nous semble-t-il, l'opinion selon laquelle - loin d'échapper à
toute analyse juridique -, le concept de responsabilité sociale des entreprises (RSE),
au nom de laquelle sont donc adoptés codes et autres normes, s'exerce aujourd'hui
dans un cadre juridiquement contraignant31.
Pour la CNIL, l’alerte doit remonter jusqu’aux dirigeants et faire intervenir d’autres
organes tels que le commissaire aux comptes et les représentants du personnel. C’est
ainsi que le 26 mai 2005, elle a refusé d’autoriser deux projets de « lignes éthiques »
destinées au signalement par des salariés de comportements fautifs imputables à leurs
collègues de travail au motif que ces projets pourraient conduire à un système
organisé de délation professionnelle32
15. Enfin, l’épargne salariale n’est pas prévue. Celle-ci s’inscrit dans une logique de
participation financière33. Cette notion regroupe l’intéressement des salariés à
l’entreprise, la participation aux résultats de l’entreprise, les plans d’épargne et les
plans d’épargne collectif.
                                                            
30
P.-H. Antonmattei et Ph. Vivien, Chartes d'éthique, alerte professionnelle et droit du travail français :
état des lieux et perspective. Rapport au ministre délégué à l'emploi, Doc. fr., 2007, p. 35.
31
Chambre sociale de la Cour de Cassation du 8 décembre 2009, Droit ouvrier, 2010, note J. Porta, p. 244
citée par I. Desbarats, Alertes, codes et chartes éthiques à l’épreuve du droit français, D.2010, P.548.
32
G. Lhuilier, P. Dalion, Droit des sociétés, 2e édition Catherine Maugé, 2012, collection « Manuel &
Applications », P.592.
33
Jean-Philippe Lieutier, Participation financière, participation à la gestion : philosophies et ambiguïtés de
l'épargne salariale et de l'actionnariat salarié, Droit social 2014, P.500.
13 

 
L’intéressement et la participation ont pour objet d’associer les salariés aux résultats
et performances de la société, tandis que l’épargne salariale est un outil de gestion des
sommes ainsi perçues.
Aux Etats Unis, il existe des fonds de pension qui réunissent les retraites des
entreprises par un système de capitalisation34. L’introduction de ceux-ci s’est posée en
France où le système de retraite comporte deux étages ; notamment celui de la
sécurité sociale et des cotisations des professionnelles gérées par des représentants des
salariés et employeurs35.
16. Le mutisme du législateur OHADA concernant la participation financière des
salariés et les fonds de pension peut s’expliquer en partie par l’absence d’un Acte
uniforme sur le droit du travail36.
Au-delà de l’amoindrissement de la fracture capital et travail, le législateur OHADA
s’est donné pour objectif de promouvoir plus de démocratie dans le fonctionnement
de la société.

B/ La promotion d’un fonctionnement plus démocratique de la société


17. Selon certains auteurs, le pouvoir dans la société n’appartiendrait pas au peuple
des actionnaires réuni en assemblées générales37. En réalité, il serait exercé par les
dirigeants, qui l’ont confisqué, de telle sorte que le fonctionnement de ces sociétés
serait plus technocratique que démocratique38.
Peut-on transposer les techniques de la démocratie aux sociétés commerciales ? Pour
un auteur, cela n’est pas possible d’abord à cause des objectifs poursuivis par la
société39, ensuite à cause de la qualité des personnes en présence à savoir les
actionnaires40 et le vote du budget de la société41. Mais l’auteur précité n’exclut pas
toute idée d’analogie entre la société anonyme et le régime démocratique. A son avis,
si dans les sociétés anonymes, la démocratie n’est pas une fin, elle est le moyen pour
l’actionnaire de s’assurer que la société est administrée et dirigée d’une manière
conforme à ses intérêts42. Les manifestations de la démocratie sont la loi de la
majorité, la séparation des pouvoirs, la protection des minorités, la diversification des

                                                            
34
P.Bezard, La mondialisation, la crise des marchées financiers et l’évolution de la réglementation
applicable aux sociétés, Mélanges Y. Guyon, p.88.
35
Pour un approfondissement de la question, V. C. Quément, Les fonds de pension, RDSS, 1996, P.158.
36
Il y a un Avant-projet d’Acte uniforme relatif au droit du travail. V. Actes uniformes, in Encyclopédie
OHADA, sous la direction de P.G. Pougoué, Lamy, 2011, P.163.
37
V.J. Paillusseau, La modernisation du droit des sociétés commerciales, D.1996.291.
38
Y. Guyon, La société anonyme, une démocratie parfaite !, Mélanges C. Gavalda, Propos impertinents de
droit des affaires, Dalloz, 2001, P.133, n° 1.
39
Y. Guyon, op.cit., p.134, n° 1. Pour l’auteur, l’objectif principal de la société c’est de faire des bénéfices
ou de réaliser des économies. Par conséquent, mieux vaudrait pour l’actionnaire une société dirigée de
manière dictatoriale, mais qui réaliserait des profits, plutôt qu’une société parfaitement démocratique qui ne
générerait que des pertes.
40
Y. Guyon, p.134, n° 2. C’est parce que dans un Etat, on parle de citoyens et dans une société
commerciale d’actionnaires. Il s’agit donc dans celle-ci d’une démocratie des capitaux et non des personnes
physiques
41
Dans une société, les assemblées générales ne votent pas le budget, elles ne font qu’approuver celui-ci,
une fois l’exercice clos.
42
Y. Guyon, op.cit., p.134, n° 3.
14 

 
modes de prises de décisions43, la transparence, le renforcement des règles du
gouvernement d’entreprise, la liberté contractuelle et l’intervention du juge.
1. Renforcement des règles du gouvernement d’entreprise
18. La notion de « gouvernement d’entreprise » désigne les relations entre le conseil
d’administration, les actionnaires et la direction de l’entreprise44. Elle pose avec
acuité la question de la répartition du pouvoir au sein du conseil d’administration45
plus particulièrement et de la société commerciale de façon générale. Il ne faut pas se
méprendre car la notion de pouvoir est multiforme et difficile à cerner. Ce qui a fait
dire à un auteur qu’en droit privé, le terme pouvoir recouvre des sens si variés qu’il
parait vain de prétendre en faire une quelconque théorie générale46.
La démocratie suppose que des contrôles permettent de s’assurer que le pouvoir
s’exerce bien dans l’intérêt de tous47. A titre d’exemples de contrôle, nous pouvons
citer l’expertise de gestion et la présence du commissaire aux comptes.
a. L’abaissement du pourcentage requis pour demander l’expertise de
gestion.
19. L’expertise de gestion est prévue à l’article 159 de l’AUSCGIE modifié. Avant la
révision de l’Acte uniforme, seuls les associés représentants les 1/5 du capital social
pouvaient demander la désignation d’un expert de gestion. Aujourd’hui, ce sont les
associés représentant le 1/10 du capital social qui ont ce privilège. Il s’agit d’une
action attitrée comme prévue à l’article 1-2 du décret 2001-1151 du 31 décembre
2001 modifiant le Code de Procédure civile au Sénégal48. Si en droit français, la mise
en œuvre de l’expertise de gestion n’est envisagée que dans les SARL49 et les sociétés
par actions50, en droit OHADA, l’expertise de gestion est possible dans toutes les
formes de sociétés. Le rapprochement entre le droit OHADA et le droit français que
l’on peut noter au delà de la mise en place de l’institution, c’est la condition de
recevabilité de l’expertise de gestion notamment dans les SARL françaises51.
20. L’information est-elle le seul critère de la demande d’expertise de gestion ?
Un équilibre doit être trouvé à la manière des juges parisiens dans un arrêt du 9
décembre 1994: « si l'absence d'informations suffisantes sur la gestion d'importantes
réserves et la dissolution d'une filiale justifient une demande d'information
complémentaire, l'actionnaire minoritaire ne fournit aucun élément susceptible de
                                                            
43
Le vote par correspondance et le système de visioconférence. A propos de cette dernière, un auteur disait
[C. D. Favard, Grandeur et décadence des assemblées générales d’actionnaires, Mélanges Y. Guyon,
op.cit., p.362] que la visioconférence ne se limite pas à mettre en correspondance ; elle introduit
l’actionnaire éloignée dans le cénacle de l’assemblée. La prise de décisions par visioconférence est prévue à
l’article 535 alinéa 3. Pour le vote par correspondance, voir les dispositions communes à toutes les sociétés
commerciales notamment l’article 133-1 AUSCGIE.
44
B. Marois et P. Bompoint, Gouvernement d’entreprise et communication financière, Economica,
Collection « connaissance de la gestion », 2004, P.105.
45
D. Hurstel, Est-il urgent et indispensable de réformer les droit des sociétés au nom de la ”corporate
governance”?, Revue des sociétés, 1995, P.633.
46
E. Gaillard, Le pouvoir en droit privé, Economica, 1985 collection « Droit civil », P.7. V. J.J.Caussain,
Le gouvernement d’entreprise, Le pouvoir rendu aux actionnaires, Litec, 2005, p.89 et s. 
47
Y. Guyon, p.145, N° 16.
48
J.O. n°6052 du samedi 22 juin 2002.
49
Article L 223-37 du Code de commerce
50
Article L 225-231 du Code de commerce
51
Voir article L223-37 Code de commerce français et 159 AUSCGIE.
15 

 
faire présumer que la gestion était soit irrégulière, soit contraire à l'intérêt social.
Aussi, n'y a-t-il pas lieu d'ordonner l'expertise sollicitée sur ce fondement52 ». Au
regard de cette jurisprudence, il apparait que le juge français fait de l’intérêt social le
critère déterminant de la recevabilité de la demande d’expertise de gestion53. De
même, l’expertise de gestion ne peut être demandée que si elle est utile pour le
demandeur. C’est pourquoi le juge français a estimé que tel n’est pas le cas si le
demandeur est suffisamment informé sur les opérations critiquées54.
21. Un auteur a relevé des ambigüités de l’expertise de gestion 55prévue dans
l’AUSCGIE version ancienne. La dénonciation est loin de connaitre un épilogue étant
entendu que les modes de saisine du juge devant autoriser la mesure ne sont pas
précisés. Ce dernier doit-il être saisi par requête aux fins de désignation d’un expert
de gestion ou une assignation ? En l’absence de précision de la part du législateur
OHADA, doit-on conclure qu’il s’agit d’une assignation en référé en vue d’obtenir
une expertise de minorité comme en droit français vu l’identité des conditions de
mises en œuvre de l’expertise de gestion entre les deux droits ? Le Tribunal Régional
Hors classe estime que son Président ne peut être saisi que par requête ; par
conséquent, la procédure d’expertise de gestion n’est pas en soi une procédure
d’urgence56. Ce faisant, le recours au juge des référés n’est envisageable que
lorsqu’on est en présence d’une urgence57
Ce qui demeure certain c’est l’existence d’une urgence à saisir le juge aux fins de
désignation d’un expert de gestion.
b. La généralisation de la présence du commissaire aux comptes dans les
sociétés commerciales
22. Depuis l’AUSCGIE révisé, la désignation d’un commissaire aux comptes est
envisageable de façon expresse dans des sociétés de personnes. Ainsi, aux termes de
l’article 289-1 de l’AUSCGIE, les sociétés en nom collectif qui remplissent, à la
clôture de l’exercice social, deux des conditions suivantes, sont tenues de désigner au
moins un commissaire aux comptes. Il s’agit du total du bilan supérieur deux cent
cinquante millions (250.000.000), du chiffre d’affaires annuel supérieur à cinq cent
millions (500.000.000) et d’un effectif permanent supérieur à 50 personnes. L’associé
ou les associés représentant un dixième du capital social peuvent également designer
un commissaire aux comptes. Cette règle s’applique également aux sociétés en
                                                            
52
Bull. Joly 1995, § 42, note P. Le Cannu.
53
V. RJDA, février 1995, n°268 et RJDA, juin 1998, n°736.
54
V. Chambre commerciale de la Cour de cassation, 12 février 2008, Comité central d’entreprises de la
Banque des Antilles françaises c/ Banque des Antilles françaises, note sous Adeline Cerati-Gautier, Revue
des sociétés 2008, P.600.
55
S. Sorel Tameghé, Quelques ambiguïtés de l’expertise de gestion dans l’Acte uniforme OHADA relatif au
droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique », Recueil d’études sur l’OHADA
et l’UEMOA, Vol. 1, dir. Jacques Mestre, Presses universitaires d’Aix-Marseille, coll. HJA, Aix-en-
Provence, 2010, pp. 147-178
 
56
Tribunal régional Hors classe de Dakar, Ordonnance de référé n°901 du 9 août 1999, Hassane Yacine c/
Société Nattes industries, Ibrahima Yazback et autres, Ohada.com/Ohadata J-02-198.
57
Cour d’appel de Cotonou, arrêt n°256/2000 du 17/8/2000 RG n°314/2000,affaire Société continentale des
Pétroles et d’Investissements et autres c/ Etat béninois, in OHADA, Jurisprudences nationales, n°1-
Décembre 2004, P.81.
16 

 
commandite eu égard à l’article 293-158. La nature de l’obligation qui pèse sur le
commissaire comptes est déterminée par la doctrine59 ; il s’agit d’une obligation de
moyens60
23. Ces différentes dispositions viennent combler un vide : est-il obligatoire dans les
sociétés de personnes (SNC et SCS) de désigner un commissaire aux comptes ? Le
mutisme du législateur OHADA avant la réforme en la matière a poussé à croire que
la désignation est loin d’être obligatoire sauf clause contraire des statuts. Avec le
nouvel Acte uniforme, si les conditions prévues par la loi sont remplies, la désignation
est obligatoire et aucune clause statutaire ou extrastatutaire ne peut y déroger. On
remarque que le besoin de transparence par le contrôle exercé par le commissaire aux
comptes sur l’exercice du pouvoir n’est pas l’apanage exclusif des sociétés à
responsabilité limitée61, dont d’ailleurs les conditions de désignation d’un
commissaire aux comptes (CAC) ont évolué, et des sociétés par actions62.
c. La transparence concernant les rémunérations
24. L’importance en valeur absolue ou en valeur relative de la rémunération des
dirigeants a, dit-on, pour contrepartie, la précarité du statut des dirigeants des sociétés,
révocables ad nutum dans la société anonyme de type classique63. Les rémunérations
sont nombreuses : jetons de présence64, rémunérations exceptionnelles65, indemnité de
fonction66 remboursement des frais67, le salaire découlant du contrat de travail68.
Le conseil d’administration élit un président et détermine sa rémunération. Or, on
trouve fréquemment la pratique suivante : le conseil délègue au comité de
rémunération tous pouvoirs pour ce qui est de la rémunération du président, aux fins
                                                            
58
Les dispositions relatives aux sociétés en nom collectif sont applicables aux sociétés en commandite
simple, sous réserve des règles prévues au présent livre. Le livre 2 en question intitulé « Société en
commandite simple » est relatif à la définition de la société, aux règles de constitution, de gérance, de prise
de décisions, de contrôle et de dissolution de la SCS.
59
P. Merle, Droit commercial, Soc. Com. Dalloz, 6e éd., n°519.
60
V. Cour d’appel de Bordeaux, 7 mars 1990, Revue de jurisprudence commerciale, 1991, P.215. Pour la
Cour de cassation, Com, 9 février 1988, Revue des sociétés, 1988, P.555.
61
Avant le nouvel Acte uniforme, la désignation d’un commissaire aux comptes n’était obligatoire dans les
SARL qu’aux conditions alternatives suivantes : capital social supérieur à dix millions, chiffre d’affaire
annuel supérieur à 250.000.000 et effectif permanent supérieur à 50 et lorsque un ou plusieurs associés
détenant au moins le dixième du capital social l’exigent. Avec l’acte uniforme révisé, toutes les autres
conditions sont requises sauf celle relative au capital social remplacé par le total du bilan qui doit être
supérieur à 125.000.000.
62
Il s’agit de la société anonyme, de la société à capital variable et de la société par actions simplifiée. A
rappeler que la société à capital variable est soit une société anonyme tenue de désigner un commissaire
aux comptes et un suppléant lorsqu’elle ne fait pas appel public à l’épargne et au moins deux commissaires
aux comptes et deux suppléants dans l’hypothèse contraire au sens de l’article 702 AUSCGIE, soit une
société par actions simplifiée dans laquelle la désignation d’un commissaire aux comptes obéit aux mêmes
conditions que celles des SARL.
63
E. De Pontavice, La fixation de la rémunération des organes de direction et de surveillance de la société
anonyme, Mélanges en l’honneur de Daniel Bastian, Tome 1, p.177. Pourtant, il existe une maxime
d’Auguste Détour selon laquelle les dirigeants n’ont pas droit à la sécurité.
64
Le juge français a estimé que c’est le conseil d’administration et non son Président qui est compétent
pour accorder des jetons de présence, [CA Paris, 28 septembre 1990, D.1990, IR 269].
65
Article 432 AUSCGIE.
66
Article 431 AUSCGIE.
67
Article 432 alinéa 1.
68
V. article 515 AUSCGIE pour l’administrateur général.
17 

 
de fixer cette rémunération69. Au surplus, aucun procès-verbal ultérieur ne porte
approbation formelle du conseil sur le montant de cette rémunération, pas même un
bref compte rendu des accords intervenus. Tant et si bien que le commissaire aux
comptes ne dispose d’aucun élément juridique pour contrôler si les rémunérations
servies sont régulières70.
25. En France, sous l’empire de l’article 40 de la loi de 1867, l’accord sur la
rémunération des dirigeants par le conseil d’administration était une convention
passée entre la société et un administrateur. Mais aujourd’hui, c’est un acte unilatéral
et institutionnel. C’est le cas en droit OHADA71.
26. Les comités peuvent-il fixer la rémunération ? Il est logique que le comité des
rémunérations soit appelé à jouer un rôle important en déterminant la part variable de
la rémunération des mandataires sociaux et en appréciant aussi l’ensemble des
rémunérations et avantages perçus par les dirigeants et éventuellement les avantages
en matière de retraite72. Seulement les avis des comités ne s’imposent pas au conseil
d’administration. Cela est compréhensible, vu que c’est le conseil qui fixe la
composition et les attributions des comités. Ces derniers exercent leur activité sous sa
responsabilité73. La chambre commerciale de la Cour de cassation française a refusé
de valider la procédure suivie qui avait consisté à faire fixer la rémunération par une
Commission ad hoc74. Pour le juge, il appartenait au Conseil d’administration de se
prononcer sur la question
27. Qui doit avoir des informations sur la rémunération des organes de direction ? En
la matière, il y a une constante : les pesanteurs du secret des affaires et des
rémunérations. En effet, le secret est une « liberté » fondamentale, plus que
l’ « obligation » de transparence. Après tout, l’homme n’est transparent que devant
Dieu75. Pourtant, afin de répondre à cette seconde question, il convient d’envisager les
rapports organes de direction et actionnaires et organes de direction et personnel de
l’entreprise.
28. Dans le premier cas, le rapport spécial prévu dans l’AUSCGIE notamment en son
article 432 alinéa 2 est destiné à l’assemblée des associés.
Si l’on devait se limiter à l’article précité, on peut dire que les rémunérations perçues
par les dirigeants ne doivent pas être portées à la connaissance des salariés. De même,
seules les rémunérations exceptionnelles, à l’exclusion de celles liées aux fonctions
d’administrateurs doivent être connues des seuls associés. Mais c’est sans compter
avec l’article 831-3 AUSCGIE qui exige la publicité du rapport rédigé par le président
du conseil d’administration (PCA) contenant la composition du conseil
d’administration, ses conditions de fonctionnement, les dispositions écartées et les

                                                            
69
E. De Pontavice, op.cit., P.197.
70
E. De Pontavice, ibid., p.197.
71
V. Les articles 467 AUSCGIE pour le PDG, 474 AUSCGIE pour le DG adjoint, et 482 pour le PCA, 490
pour le DG.
72
P. Bezard, op.cit., p.101.
73
Article 437 AUSCGIE.
74
V. Chambre commerciale de la Cour de cassation, 4 juillet 1995, de la Fournière c/ Aymard et société
Banque Transatlantique, D. 1996, P.186, note J.-C Hallouin. Cet arrêt rendu le 4 juillet 1995 a été confirmé
par un autre du 13 février 1996 (RJDA, juin 1996, n°801).
75
Parleani, in Rev. Trim.dr.civ. 1996.522.
18 

 
raisons de cette exclusion lorsque la société se réfère volontaire à un code de
gouvernement d’entreprise. C’est ce même rapport qui doit contenir les rémunérations
allouées aux mandataires sociaux. Il s’agit non seulement des golden hello qui ne sont
pas les bienvenus76 en droit français et des parachutes dorés voire des pensions de
retraite.
29. Quelle devrait être la place des actionnaires en matière de rémunérations des
mandataires sociaux : doivent-ils avoir un mot à dire ? C’est le fameux « say on
pay », principe du vote consultatif des actionnaires sur la rémunération individuelle
des dirigeants mandataires sociaux77. Ce principe a été institué afin qu’il y ait une
corrélation entre la rémunération et la performance des entreprises. Les golden hello,
parachutes dorés et pension de retraite prévus à l’article 831-3 AUSCGIE doivent-ils
être soumis à la procédure des conventions réglementées ? En permettant aux
actionnaires d’avoir une voix consultative sur la rémunération des mandataires
sociaux ne modifie-t-on pas le principe de hiérarchie78 ?
L’engagement-pour répondre à la première question-que prend la société au bénéfice
de ses mandataires sociaux est une convention définie comme étant un accord de
volonté destiné à produire un effet de droit quelconque79. En acceptant le versement
d’une prime d’arrivée ou d’un parachute doré, la société cherche quelques fois et
respectivement à attirer les dirigeants compétents, à les motiver et à pallier les
inconvénients de la révocation ad nutum. C’est donc d’accord-parties avec les
dirigeants que ces primes sont versées. Il donc normal que la procédure de la
convention réglementée soit respectée, d’où l’exclusion de toute idée de modification
du principe de hiérarchie. Il faut noter que le législateur OHADA s’est inspiré de la
loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation de l'économie
et les sociétés par actions dite « loi Breton80 » qui, de façon expresse, a consacré la
soumission des rémunérations dues en raison de la cessation ou de la prise de
fonctions accordées aux mandataires sociaux à la procédure des conventions
réglementées. Seulement, le législateur OHADA est resté muet sur la procédure
                                                            
76
V. P. Le Cannu et B. Dondero, La prime d’arrivée n’est pas la bienvenue en droit des sociétés, RTDCom
2010, P.748. La question qui était posée était celle de savoir si un dirigeant en fonction est fondé à
percevoir une somme d’argent, généralement importante, de la société du seul fait de sa prise de décision.
La Cour d’appel de Paris, le 27 février 2009 a déclaré le dirigeant d’une SAS coupable d’abus de biens
sociaux parce qu’il s’est fait verser une prime d’arriver de 785 112, 44 euros. Elle a été suivie par la Cour
de cassation. Il faut également faire remarquer qu’au sein de l’opinion française, la prime d’arrivée n’a pas
bonne presse. C’est ce qu’a pu constater Jean-Louis Porquet, journaliste au canard enchainé (in Que les
gros salaires baissent la tête !, Michalon, 2005, P.81) : « pour souhaiter la bienvenue aux nouveaux
pédégés, les Américains ont coutume de leur offrir une liasse de dollars. Ils appellent ça le golden hello.
Toujours curieux des coutumes étrangères, nos pédégés nationaux-certains d’entre eux, du moins-ont
tellement apprécié ce rite folklorique qu’ils l’ont importé » !
77
Y. Paclot, Gouvernance d'entreprise : la révision du code Afep-Medef préférée à la loi, Bull. Joly 2013.
556.
 
78
Suivant ce principe, au sommet de la société anonyme il y a l’assemblée des associés, puis le conseil
d’administration et enfin les directeurs généraux. V. P. Bissara, Interdépendance et coopération des
organes sociaux dans la société anonyme classique, Mélanges Y. Guyon, Aspects actuels du droit, 2003,
P.118, n°3.
79
Lexique des termes juridiques, 12e édition, 1999 (dir. Raymond Guillien et J. Vincent), P.152.
80
J.O, 27 juillet 2005, P.12160.
19 

 
applicable. Il en est de même de son silence sur le rapport à établir entre la
rémunération perçue et les performances de la société prévu en droit français par la loi
n° 2007-1223 du 21 août 2007 relative au régime des rémunérations, indemnités et
avantages à caractère différé en faveur des dirigeants de sociétés anonymes inscrites
sur un « marché réglementé81 ».
30. En tout état de cause, le besoin de transparence est beaucoup plus pressant à
l’égard des épargnants, c’est-à-dire ceux qui prêtent de l’argent à la société, sans avoir
la qualité d’associés82. Ces épargnants peuvent être qualifiés d’ « investisseurs » si
l’on s’en tient à l’article 832 AUSCGIE.
d. La consécration du principe « appliquer ou expliquer ».
31. Sont concernées les sociétés qui font appel public à l’épargne. Si l’expression
« appel public à l’épargne est supprimée en France, au profit de celle d’ « offre de
titre au public », tel n’est pas le cas en droit OHADA. Les entreprises à la recherche
de financements pour assurer leur développement ou leur permettre de surmonter
leurs difficultés ont la possibilité de s’adresser à des organismes de crédit ou de se
tourner vers les marchés financiers83. Elles s’adressent souvent, pour des raisons de
souplesse et de contraintes moindres, vers les marchés financiers ou elles placent,
selon la politique qu’elles entendent suivre, des titres de capital ou de créances84.
C’est dans ces sociétés où l’existence de transparence est la plus exigée. Ainsi, le
principe comply or explain en droit OHADA est prévu à l’article le 831-2 AUSCGIE
alinéa 2.
32. Deux hypothèses sont prévues. La première est celle où un code existe et la
société décide certes de s’y référer mais en écartant certaines dispositions. La seconde
est celle dans laquelle un code existe certes, mais la société décide de ne pas s’y
référer. Dans le premier cas, la société met en évidence les dispositions exclues et les
raisons de cette exclusion. Dans le second cas, la société indique les règles de
substitution et les raisons de non application d’aucune disposition du code de
gouvernement d’entreprise.
33. Ce principe repose essentiellement sur une démarche volontaire85. Mais comment
concevoir que ces principes soient essentiels et qu'ils puissent dans le même temps,
avec parfois une justification sommaire, être substantiellement écartés86 ? C’est se
demander si ce principe n’est pas un leurre87. Doit-on faire comme en grande
Bretagne à savoir rendre obligatoire la référence à un code de gouvernement
d’entreprise88 ? Ne doivent être concernées par le principe « appliquer ou expliquer »
                                                            
81
V. A. Couret, Rémunérations des dirigeants sociaux : l’introduction partielle du critère de performance
dans la loi, Droit social 2008, P.521.
82
Y. Guyon, Traité des contrats, Avant propos, P.23, N°9.
83
P. Bezard, La mondialisation, la crise des marchés financiers et l’évolution de la réglementation
applicable aux sociétés, Mélanges Yves Guyon, Aspects actuels du droit des affaires, Dalloz, 2003, p.87.
84
P.Bezard, ibid.
85
Catherine Malecki, Régulation financière : les codes d'entreprise feront-ils grise mine ? Recueil Dalloz
2009 p. 1095 
86
Catherine Malecki ; ibid.
87
Magnier, Le principe se conformer ou s'expliquer, une consécration en trompe-l’œil ?, JCP E 2008. Actu.
280
88
V. L’application de la règle « appliquer ou s'expliquer » (comply or explain) au Royaume-Uni, Rev.
Sociétés 2013. 66. 
20 

 
que les sociétés faisant appel public à l’épargne ? Que peut faire le juge en la
matière ? Et la problématique d’actualisation des codes ? Peut-on émettre des avis sur
les explications proposées ? Si oui quel est l’organe habilité à le faire89 ?
Ces différentes questions non abordées par le législateur OHADA relance le débat de
l’opportunité de ce principe en droit des sociétés. Il n’est pas exclu que la pratique
professionnelle, voire le juge trouve des réponses à ces interrogations.
e. Revalorisation du rôle de l’administrateur : le droit individuel à l’information
34. La chambre commerciale de la Cour de cassation a estimé que la Cour d’appel
qui, pour rejeter la demande d’une administratrice d’une société anonyme tendant à
l’annulation de la délibération d’un Conseil d’administration, cette dernière faisait
valoir qu’elle n’avait pas été mise à même d’exercer son mandat d’administrateur
dans des conditions d’information suffisantes, a déclaré qu’aucun texte n’impose au
PCA de joindre à la convocation qu’il adresse aux membres de celui-ci, son projet de
rapport ou des documents économiques et financiers se rapportant à l’ordre du jour.
Pour la Cour de cassation, le juge d’appel n’a pas recherchée si l’administratrice avait
reçu au préalable et dans un délai suffisant l’information à laquelle elle avait droit. Le
problème juridique est celui de savoir si un membre isolé du conseil a droit à
l’information90.
35. Mais si le droit individuel d’information de l’administrateur doit être protégé, une
autre protection est due à la société, notamment contre les demandes de
renseignements irrégulières ou abusives91. De même, pour le juge français, un
administrateur a le devoir, à partir du moment où il accepte d’assumer cette charge, de
réclamer toutes les libertés et moyens de contrôle nécessaires à son accomplissement
éclairé92. Il a donc l’obligation de s’informer.
36. Quelles sanctions découlent du non respect du droit individuel à l’information de
l’administrateur ? Si l’on se réfère à l’article 345 et 525 AUSCGIE, la sanction est la
nullité de la délibération prise en violation de l’obligation de communication des
documents exigés93. Le juge statuant à bref délai peut sous astreinte, obliger la société
à communiquer à l’actionnaire les documents demandés. Il s’agit d’une injonction de
faire94.

f. Amélioration du fonctionnement du conseil d’administration par la création des


comités et administrateurs indépendants
37. Le respect des principes du gouvernement d’entreprise suppose la dynamisation
des conseils d’administration par la création de comités spécialisés et des
                                                            
89
B.François, Rapport parlementaire sur la transparence de la gouvernance des grandes entreprises
Rapport d'information sur la transparence de la gouvernance des grandes entreprises présenté par MM.
les députés J.-M. Clément et Ph. Houillon, Assemblée nationale, 20 févr. 2013, n° 737, www.assemblee-
nationale.fr/14/pdf/rap-info/i0737.pdf, Revue des sociétés, 2003, P.249. 
90
Cass. Com, 2 juillet 1985, Mme Cointreau et autres, c/ SA Rémy Mastin, JCP1985, II, 20518, note
Viandier.
91
Viandier, note sous Cass.com 2 juillet 1985 ; Mme Cointreau et autres c SA Rémy Martin
92
Cour d’appel d’Aix-en Provence, 2e chambre, 3 février 1966 ; JCP 1966.II.14861 ; note R. Perceron.
93
Il s’agit des états financiers de synthèse, du rapport de gestion, du texte des résolutions proposées et le
cas échéant du rapport général et spécial du commissaire aux comptes.
94
V. F. Manin et E. Jeuland, Les incertitudes du référé injonction de faire en droit des sociétés, Revue des
sociétés 2004, P.1.
21 

 
administrateurs indépendants95. En effet, suite aux scandales financiers qui ont eu lieu
dans les pays anglo-saxons, plusieurs conseils d’administration ont été indexés. Il leur
a été reproché leur attitude de faiblesse vis-à-vis des mandataires sociaux qu’ils sont
chargés de contrôler. Afin d’aider les conseils à mieux délibérer, l’idée a été émise de
se faire assister par divers comités et des administrateurs indépendants.
La création des comités est à la fois une faculté96 et une obligation97 en droit
OHADA. Le comité d’audit est composé d’administrateurs indépendants. Un
administrateur est indépendant s’il n’a ni lien de subordination, ni mandat social qui
pourrait le rendre redevable à l’égard de la société. Il doit avoir à la fois une
indépendance d’esprit et une indépendance matérielle98.
2. La liberté contractuelle
38. Les sociétés commerciales doivent-elles être régies par des normes uniformément
définies par le législateur ou bien faut-il laisser aux associés une large liberté
contractuelle pour aménager comme ils l'entendent l'organisation et le fonctionnement
statutaire de leur entreprise99 ?
La liberté en droit des sociétés a existé traditionnellement dans les sociétés en nom
collectif, en commandite simple et le GIE. Dans les SNC, les associés sont libres de
prévoir, pour contourner l’unanimité requise en matière de cession des parts sociales,
une procédure de rachat. En outre, dans les SCS, la liberté des associés est certes
limitée quant à la mise en place des formules de cession, mais pas concernant le
choix.
En effet, l’évolution vers la contractualisation et vers la souplesse des règles s’impose
d’autant plus qu’à une époque ou se développe d’une façon accélérée la
mondialisation des échanges et ou le créateur d’entreprise dispose de la plus grande
liberté pour choisir son lieu d’implantation, il est bien évident que sera prise en
considération l’importance des contraintes applicables au lieu du futur siège social100.
Le droit des sociétés est plus que jamais soumis à deux tendances contradictoires :
d’un coté la prolifération d’une réglementation de plus en plus tatillonne, de l’autre
l’aspiration a davantage de souplesse et de liberté dans l’organisation et le
fonctionnement de ces personnes morales101.
                                                            
95
  Peut-on néanmoins améliorer le fonctionnement du conseil d’administration en y intégrant le sexe
supposé faible ? A cette question le législateur français a répondu par l’affirmative non sans être confronté
à la réticence du juge notamment constitutionnel. Selon une étude du cabinet Ethics et Boards, la part des
femmes dans les conseils d’administrations des sociétés du CAC 40 a atteint au premier juin 2014, 30,3%95
soit une progression de deux points (2) en un an. Aux termes de l’article L225-18-1 du Code de commerce
issu de la loi n°2011-103 du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des
hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance et à l'égalité professionnelle (dite « loi
Copé-Zimmermann »), la proportion des administrateurs de chaque sexe ne peut être inferieure à 40% dans
les sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé. V.B. François,
Femmes administratrices, Etude du cabinet Ethics et Boards, juin 2014, Revue des sociétés 2014, P.466 
96
Aux termes de l’article 437 alinéa 2 le Conseil d’administration peut décider la création de comités
composés d’administrateurs.
97
Article 829 AUSCGIE.
98
V. M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, Droit des sociétés, 25e édition Lexisnexis, 2012, P.308, n°550.
99
Philippe Bissara, L'inadaptation du droit français des sociétés aux besoins des entreprises et les aléas
des solutions, Revue des sociétés, 1990.553.
100
P. Bezard, Le droit français est-il encore exportable?, Mélanges C. Gavalda, P.53.
101
Y. Guyon, Avant-propos, Traite des contrats, Les sociétés, 4e édition, L.G.D.J, 1999, p.7.
22 

 
40. Avec le nouvel Acte uniforme, l’une des manifestations du libéralisme, c’est la
création d’une SAS. Dans ce type de société, il y a des pactes d’associés. Les pactes
d’associés ou d’actionnaires sont des conventions conclues par les associés ou les
actionnaires d’une société ou par certains d’entre eux102.
41. Le droit de retrait était prévu en France dans les sociétés civiles par la loi du 4
janvier 1978 notamment à l’article 1869. Mais dans les sociétés à capital variable
régies par la loi du 24 juillet 1867, ce droit a également existé. Selon le juge français,
les statuts sociaux peuvent limiter l’exercice de ce droit de retrait mais seulement dans
la mesure compatible avec le respect de la liberté individuelle103. Pourquoi le droit de
retrait n’est pas admis dans les sociétés commerciales à capital fixe ? On parle
principalement du caractère institutionnel des sociétés commerciales à capital fixe,
une fois constituées. Permettre à des associés de se retirer librement, et par
conséquent de récupérer leurs apports, ce serait laisser la société vivre ou mourir au
gré des volontés individuelles, alors que le destin de celle-ci ne doit résulter que d’une
volonté collective104.
42. Le législateur OHADA semble être conquis par cet argument vu que la fluctuation
du capital social du fait du retrait ou de la mise par les associés de leurs apports ou de
l’admission de nouveaux associés n’est envisageable que dans les sociétés à capital
variable qui ne peuvent revêtir que la forme de sociétés anonymes ne faisant pas appel
public à l’épargne ou de sociétés par actions simplifiées. Le retrait d’associé peut être
unilatéral ou statutaire105. Qu’en est-il du juge ? L’AUSCGIE ne prévoit pas de façon
expresse la possibilité pour le juge d’exclure un associé106 ; seule la révocation est
admise. En droit français, l’article 1869 du Code civil prévoit la possibilité pour le
juge d’autoriser le retrait de l’associé pour justes motifs dans les sociétés civiles.
C’est le cas en présence d’un conflit entre associés en instance de divorce107.
43. Le libéralisme en droit des sociétés se manifeste par la conclusion de pactes
extrastatutaires qui, il faut le rappeler doivent être inferieurs aux statuts comme le
précise l’article 2-1 AUSCGIE. La Cour de cassation française soutient que viole
l’article R.522-3 du Code rural, la Cour d’appel qui pour apprécier la durée de
l’engagement d’un coopérateur retient celle figurant dans le bulletin d’adhésion et non
celle plus courte fixée par les statuts108.
La consécration des différentes clauses dans les statuts des sociétés anonymes permet
de se rendre compte que l’intuitu personae n’est pas absent dans les sociétés par

                                                            
102
Etude juridique-Société par actions simplifiée- janvier 2002, P.121
103
Cass.civ 1e 27 avril 1978, Rev.soc. 1978, p.772, note Atias.
104
V. Yves Chartier, J. Mestre, Les grandes décisions de la jurisprudence, Les sociétés, P.U.F, 1988, P.74.
105
V. article 269-6 AUSCGIE.
106
Peut-être que le législateur OHADA est influencé par la jurisprudence française [Cass.com du 12 mars
1996, SNC Nollet et compagnie Impression Location Service et autres c/ Salon et autre, D.1997, P.133] qui
précise qu’aucune disposition légale ne donne pouvoir à la juridiction saisie d’obliger l’associé qui
demande la dissolution par application de l’article 1844-7, 5, du Code civil à céder ses parts à cette dernière
et aux autres associés qui offrent de les racheter.
107
Civ.3e , 17 décembre 2008. Dr. sociétés, 2009, comm, n° 48, note R. Mortier.
108
V. Revue des sociétés, 1995, P.75, Cour de cassation, 1e civ, Cave coopérative Hunawihr c/ Mme
Meyer, note Y. Guyon.
23 

 
actions109. Du coup, cette notion n’est plus un critère suffisant pour distinguer les
societes de personnes des sociétés par actions.
3. L’intervention du juge
44. Lorsqu’une société traverse une crise grave, les tribunaux se reconnaissent
compétence pour désigner un administrateur provisoire qui remplace les dirigeants
jusqu’à ce qu’une solution ait pu être trouvée110. La crise doit être temporaire, soluble
et actuelle111. Ainsi, le juge statuant à bref délai112 peut, comme prévu à l’article 160-1
de l’Acte uniforme, désigner un administrateur provisoire. Une jurisprudence
traditionnelle admet qu’en cas de carence d’un organe de société anonyme, un
administrateur provisoire peut être désigné par le juge des référés si cette carence est
préjudiciable aux intérêts sociaux et s’il y a urgence113. Les conditions de désignation
d’un administrateur provisoire sont déterminées par le législateur OHADA. Il s’agit
d’un « fonctionnement normal de la société rendu impossible114 ». Cette expression
est tout sauf claire et va susciter des problèmes d’interprétation. Il appartiendra au
juge, au cas par cas, de dire si le fonctionnement normal de la société est impossible.
Ainsi, au Sénégal, le juge des référés a nommé un administrateur provisoire après
avoir constaté que la mésentente était grave et de nature à porter atteinte gravement
aux intérêts de la société115. Le juge sénégalais a même fait part de la disparition de
l’affectio societatis dans cette affaire.
45. Pour le juge français, c’est à bon droit que, pour désigner un administrateur
provisoire à une société anonyme, le juge des référés se fonde sur l’existence d’une
mésintelligence grave et persistante entre administrateurs et actionnaires ainsi que sur
la précarité des décisions prises à une infime majorité et sur la perte du capital social à
                                                            
109
I. Pascual, La prise en considération de la personne physique dans le droit des sociétés, RTDCom,
1998, P.273. Cette prise en considération se manifeste à travers les clauses d’agrément, d’inaliénabilité.

 
110
Y. guyon, Les missions des administrateurs provisoires de sociétés, Mélanges de D. Bastian, Librairies
techniques, tome 1, p.103
111
Y. Guyon, op.cit., p.106, N° 4.
112
L’expression “juge statuant à bref délai” est une nouveauté introduite par le législateur OHADA. C’est
d’abord dans l’Acte uniforme portant droit commercial général notamment aux articles 106, 107, 111, 117,
120 et 122 qu’elle a fait son apparition. Aujourd’hui, on la retrouve en droit des sociétés. Pour un auteur,
[A.P.Santos, Commentaire de l’Acte uniforme portant droit commercial général, OHADA, Traité et actes
uniformes commentés et annotés, Juriscope, 2012, p.291], le juge statuant à bref délai n’est pas un juge
d’urgence ou de référé ; il s’agit d’une juridiction qui juge au fond mais statue à bref délai. Il y a certes, de
la part de l’auteur une tentative de détermination du juge statuant à bref délai, mais qui n’est pas
satisfaisante car pourquoi le juge doit-il statuer dans un court délai, n’est-ce pas parce qu’il y a urgence ? Il
faut maintenant se demander quel est le domaine d’intervention du juge : est-ce le fond de l’affaire ou pas ?
Répondre par l’affaire signifie exclue la compétence du juge des référés. Il reste donc celle du juge des
requêtes. Le mode de saisine du juge détermine la compétence de ce dernier. Si en droit commercial
général ce mode de saisine n’est pas identifiable, en droit des sociétés, le législateur précise que le juge
statuant à bref délai est saisi à la requête des organes de gestion, de direction ou d’administration ou par un
ou des associés.
113
V. Cour d’appel d’Amiens, 11 février 1964, RTD Com, 1964, p.797, chronique de législation et de
jurisprudence française.
114
Article 160-1 AUSCGIE.
115
T.R.H.C Dakar, ordonnance de référé, n° 939 du 16 septembre 1996, Aduo kouame c/Sadibou Ndiaye es
qualité et société Abdoulahat Shiping company.
24 

 
concurrence de plus des trois quarts116. Faisons remarquer à la suite de cette décision
de justice que la simple mésintelligence n’est pas une cause de nomination d’un
administrateur provisoire. Ce faisant, cette cause doit être rapprochée de celle
concernant la dissolution de la société pour justes motifs117. Le juge français, à travers
la décision précitée met en évidence les critères d’appréciation de l’urgence
notamment l’existence d’une contestation grave [action en dissolution, assemblées
houleuses, accusations portées par certains actionnaires minoritaires]. Pour lui,
l’urgence doit s’apprécier non dans la personne de celui qui agit mais dans celle de la
personne morale en ce sens que celle-ci doit être exposée à un préjudice certain et
imminent118. L’autre critère est d’ordre financier plus particulièrement plus des trois
quarts du capital nominal de 5.500.000 francs119.
46. La nomination d’un administrateur provisoire peut également être motivée par la
cession d’actions aboutissant à une fermeture d’usine. Malgré son importance, la
désignation d’un administrateur provisoire soulève des questionnements. Une
certitude existe quant à la personne de l’administrateur provisoire à savoir qu’il doit
être obligatoirement une personne physique, la durée maximum des fonctions de
l’administrateur provisoire120.
47. D’abord la détermination des pouvoirs de ce dernier. Quels sont les actes que
l’administrateur provisoire est habilité à accomplir : les actes de disposition,
conservatoire ou d’administration ? Dans la jurisprudence française précitée121, les
pouvoirs de l’administrateur provisoire étaient limités aux actes d’administration et de
gestion.
48. Ensuite, l’opposabilité aux tiers des clauses limitant les pouvoirs de
l’administrateur. Etant donné que la désignation de l’administrateur provisoire
dessaisit122 les organes sociaux, on leur appliquera la règle en vigueur. On peut se
servir de la théorie du mandat apparent c’est-à-dire croyance légitime du tiers aux
pouvoirs de l’administrateur provisoire.
49. Si la société est de nouveau gérée par ses dirigeants normaux, quel est le sort des
mesures décidées par l’administrateur ? Il ne fait de doute que les dirigeants revenus
aux affaires respecteront les mesures prises que celles-ci soient favorables ou pas à la
société. C’est une sorte de continuité de l’intérêt de la société.
50. Le juge aussi peut designer un mandataire ad hoc pour représenter la société en
justice en cas de conflits intérêts entre la société et ses dirigeants123 . Ce faisant, avec
                                                            
116
Cour d’appel d’Aix, 6e ch., 14 novembre 1957; Ste immobilière Aix-Termal c. Bigonnet et autres, JCP,
1957,II, 10304.
117
V. Article 200 AUSCGIE.
118
V. également en ce sens, Paris, 28 mai 1947 : JCP.1948, II, 4116, note Bastian.
119
Le bilan du 31 décembre 1956 fait ressortir 2.125.291 francs de pertes pour l’exercice clos et 3.862.233
francs de pertes antérieures rapportées.
120
Elle ne doit pas excéder 6 mois. Donc le juge peut fixer une durée moindre. C’est ainsi que dans l’affaire
Aduo Kouame c/Sadibou Ndiaye précitée, la durée des fonctions d’administration était de deux mois et au
plus à la fin de l’exercice social notamment le 31 décembre 1997. A rappeler que l’ordonnance de
nomination de l’administrateur provisoire a été rendue le 16.09.1996.
121
JCP1957 II 10304.
122
Pour la Cour de cassation française [Cass.com.6 mai 1986 : Bull.civ.IV, n° 77.], l’administrateur
provisoire est investi judiciairement des pouvoirs conférés par la loi à un dirigeant social.
123
Voir article 167 et suivant.
25 

 
le nouvel acte uniforme, les associés ne sont plus les seuls habilités à exercer l’action
ut singuli.
Le mandataire ad hoc peut intervenir en cas d’abus de minorité124 ou d’égalité. Mais
celle-ci ne s’envisage t-elle que lors de l’exercice du droit de vote ? C’est dire que
l’abus dont on parle consiste à s’opposer à ce que des décisions soient prises. Ainsi, il
y a abus en cas de blocage par de minoritaires d’augmentation de capital
indispensables à la société125, de refus systématique et sans motivation valable par un
associé égalitaire d’adopter les résolutions présentées par un coassocié gérant ; privant
la société d’améliorer ses résultats126. De notre point de vue, on peut parler d’abus
d’égalité ou de minorité lorsque les associés concernés ne se présentent pour voter
alors que celle-ci est obligatoire.
51. La sanction prévue en cas d’abus de minorité ou d’égalité est la responsabilité des
associés. Mais elle n’est pas la seule. Ainsi, la présence du mandataire ad hoc
s’apprécie en matière d’abus de minorité ou d’égalité. Le juge peut désigner un
mandataire ad hoc pour représenter à une prochaine assemblée les associés
minoritaires ou égalitaires les associés dont le comportement est jugé abusif127. Ce
faisant, le législateur OHADA fait sienne la jurisprudence Vitama128 et Flandin129.
Le juge peut, à la demande de tout associé, révoquer le gérant pour juste motif. En la
matière, il y a une modification de la nature du motif de révocation. On est passé dune
révocation pour cause légitime à une révocation pour cause légitime. Qu’entendre par
cause légitime ? En l’absence à notre connaissance, de jurisprudence OHADA et
nationale sur la question, nous pouvons nous référer à celle française. Pour le juge
français, la cause légitime renvoie à une faute intentionnelle de particulière gravité,
incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales à intérêt social130.
52. Si l’examen des dispositions de l’AUSCGIE révisé permettent de savoir où va le
législateur OHADA, quelle est sa philosophie en la matière voire quels sont les
principes directeurs du droit des sociétés, il n’est pas inutile de faire remarquer que
sur certaines questions le flou demeure.

                                                            
124
L’abus de minorité a été défini en France dans l’arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de
cassation du 15 juillet 1992, Six c/ Tapisseries de France SA, note sous Ph. Merle, Revue des sociétés,
1993, P.400 ; D.1993, P.279.
125
Lyon 20 décembre 1984 ; Revue de jurisprudence commerciale 1988.89 ; note D. Vidal.
126
Trib.com. Salon 29 juin 1990 ; Bull. Joly 1991.306 ; note D. Bompoint.
127
Article 131 alinéa 3 AUSCGIE.
128
Sarl Vitama c. Tehranchi ; Revue sociétés 1992.44 ; note P. Merle ; « hormis l’allocation d’éventuels
dommages et intérêts ; il existe d’autres solutions permettant la prise en compte de intérêt social ».
129
Cass.com., 9 mars 1993 ; Revue sociétés 1993 ; P.403 ; note Merle. « Le juge ne pouvait se substituer
aux organes sociaux légalement compétents et qu’il lui était possible de désigner un mandataire aux fins de
représenter les associés minoritaires défaillants à une nouvelle assemblée et de voter en leur nom dans le
sens des décisions conformes à l’intérêt social mais ne portant pas atteinte à l’intérêt légitime des
minoritaires ».
130
Cour de cassation ; 3e civ ; 12 mars 2014 ; n°13 14.374 ; Rev soc 2014 ; P.391.
26 

 
II/ Les orientations envisageables
53. Allons-nous nous adonner à l’art de la divination en parlant de la direction que va
emprunter le législateur OHADA dans les réformes qui vont venir ? Il semble que non
pour une raison toute simple : on ne peut parler de gouvernement d’entreprise sans
responsabilité sociale de celle-ci. De même, il ne sert à rien de chercher à rendre
moins précaire le statut des dirigeants et des associés si on ne leur permet pas, lors de
leur exclusion de la société ou de leur révocation, de se défendre.
A/ Vers une prise en compte plus pertinente de la valeur partenariale.
54. L’intitulé de cette sous-partie peut laisser perplexe vu les efforts déployés par le
législateur OHADA pour prendre en compte les intérêts des parties prenantes.
Seulement, il se justifie puisque certains auteurs soutiennent la prise en compte par le
législateur OHADA des questions environnementales à travers la notion d’intérêt
social131, la possibilité pour les dirigeants des sociétés de capitaux d’engager la
société même quand ils dépassent l’objet social132, par les articles 8 alinéa 1 et 2, 29 et
30 de l’Acte uniforme portant organisation et harmonisation des comptabilités des
entreprises. Il faut dire que le législateur OHADA ne doit pas se préoccuper que
d’investissement.
1. De la nécessaire inclusion des éléments non financiers dans l’investissement
55. Tout pays a besoin d’investissement étranger pour financer son économie. En
effet, l’investissement est à la base de toute activité économique. Par l’investissement
privé, l’entreprise prépare son avenir en anticipant un surcroit de consommation, en
constituant des stocks ou en recherchant une plus grande productivité, en développant
ainsi ses activités de recherche. Par l’investissement public, l’Etat ou les collectivités
décentralisées soutiennent la conjoncture, maintiennent en état les infrastructures
publiques, développent l’éducation ou la santé publique133. 56. Les gouvernements
des pays en voie de développement, conscients de l’insuffisance de l’aide publique, se
tournent de plus en plus vers les puissants groupes industriels et financiers
internationaux qui peuvent leur apporter les capitaux nécessaires à leurs
investissements134. Il s’agit le plus souvent des multinationales.
57. La terminologie « multinationale » n’a pas fait l’unanimité au sein des
économistes. Pour les uns une entreprise peut revêtir successivement le caractère
international, multinational, transnational ou même supranational135. Pour les autres, il
y a des firmes ethnocentriques, tournées vers le pays d’origine, les firmes
polycentriques, orientées le ou les pays d’accueil et les firmes géocentriques,
totalement dénationalisées et d’orientation mondiale136d’efforcent de dresser une
typologie des firmes multinationales. D’aucuns définissent les multinationales comme
toute société qui a des activités, autre que la vente, dans plus d’un pays137 ou bien
                                                            
131
V.E.Mauleon, Essai sur le fait juridique de pollution des sols, cité par Y.A.Tairou, Préoccupations
environnementales et droit de l’entreprise dans l’espace OHADA, L’Harmattan, 2013, P.49.
132
Y.A.Tairou, op.cit., P.59. L’auteur soutient qu’il s’agit d’une action en faveur de l’environnement alors
que l’objet social de la société n’y porte guère.
133
Lamy Droit public des affaires, édition 2008, N° 1560.
134
B. Oppetit, Sociétés multinationales et Etats nationaux, Mélanges D. Bastian, op.cit., p.164, N° 5.
135
R. Robinson, International business policy [Rinchart and Winston, 1964].
136
H. Perlmutter, L’entreprise internationale : trois conceptions : Rev. Econ. Et soc. 1965, P.151 et s.
137
B. M.L et Renner, H.L, La stratégie de l’entreprise multinationale, Sirey, 1973.
27 

 
toute firme qui réalise des investissements directs à l’étranger138, d’autres soutiennent
qu’il s’agit de toute entreprise qui accomplit ses principales opérations, de fabrication
ou de fourniture de services, dans au moins deux pays139.
La plupart des pays en voie de développement, demandeurs en capitaux étrangers, ont
promulgué des codes des investissements étrangers subordonnant l’entrée des
capitaux à certaines exigences140. Nous pouvons citer le cas du Sénégal avec la loi n°
74-06 du 22 avril 1974 portant statut de la zone franche industrielle de Dakar141.
58. Les modalités d’entente entre les multinationales et les Etats nationaux sont
variées. Il peut s’agir de la joint-venture ou entreprise commune.
59. Cette formule a reçu tout spécialement des applications en matière pétrolière : en
effet, elle permet à l’Etat producteur, associé à 50% avec le groupe pétrolier dans
l’entreprise commune, de participer lui-même directement à la recherche, à
l’extraction, voire à la commercialisation, des richesses du sous-sol142.
60. Il peut également s’agir d’un partenariat public-privé qui lato sensu est défini
comme toute forme de collaboration entre d’une part, les pouvoirs publics et d’autre
part, les entreprises privées143. Stricto sensu, le partenariat public-privé peut se définir
comme la collaboration, autour de projets, de l’Etat ou de ses démembrements, d’une
part, des entreprises privées, d’autre part144.
61. De nombreuses critiques qui sont adressées aux multinationales. On leur reproche
d’être l’instrument d’exploitation des pays pauvres par les pays riches, d’exporter vers
ces mêmes pays pauvres les rapports de production capitalistes, d’accroitre la
dépendance économique de ces pays en leur imposant une spécialisation étroite dans
le cadre de la division internationale du travail145.
En effet, l’une des difficultés avec les multinationales c’est que les droits et les
obligations émanant du droit international classique s'appliquent aux seuls États - et
aux organisations intergouvernementales créées par eux - et ne concernent pas l'action
des entreprises multinationales146.
Le législateur OHADA n’ignore guère ce fait économique qu’est la multinationale.
On peut le constater à travers la notion de groupe de sociétés147.
                                                            
138
Dunning, J.H., International production and multinational enterprise, Allen and Unwin, London, 1981.
139
B. M.L et Renner, op.cit.
140
PH. Kahn, Problèmes juridiques de l’investissement dans les pays de l’ancienne Afrique française ;
Clunet 1965, pp.338 et s.
141
J.O.R.S du 18 mai 1974. L’article premier de cette dispose que le but assigné à cette zone est de
constituer un cadre d’accueil attractif pour inciter les investisseurs étrangers à venir y implanter des
entreprises industrielles.
142
Sociétés multinationales et états nationaux, op.cit., p.171, N° 19.
143
P. Lignieres, Partenariats public-privé, 2e édition, Litec, 2005, P.2, n° 5.
144
P. Lignieres, ibid.
145
V. J. P. Anastassopoulos, G. Blanc et P. Dussauge, Les multinationales publiques, PUF, 1985, collection
de l’institut de recherche et d’information sur les multinationales, P.55.
146
G. Spyropoulos, Les relations professionnelles dans le tourbillon de la mondialisation, Droit social
1999, P.230.
147
Le régime des groupes de sociétés est prévu par les articles 173 à 175 AUSCGIE. Quant aux articles 179
et 180, ils donnent la définition de la filiale, de la société-mère et de la filiale commune. En général, les
entreprises multinationales revêtent ces structures juridiques ; V. C. Leben, Entreprises multinationales et
droit international économique, RSC 2005, P.777 et s. Pour cet auteur, On appelle entreprise multinationale
(EMN) ou société transnationale (appellation la plus courante dans les publications des Nations Unies), un
28 

 
Comment lutter contre les abus des multinationales ? On peut utiliser des « armes du
droit des sociétés » OHADA comme aller au delà.
2/ Les modalités d’inclusion des éléments en question
62. Ces modalités peuvent être tirées du droit des sociétés ou du droit des Etats
parties.
63. Dans la première occurrence, on peut citer la jurisprudence Fruehauf148 qui peut
servir de prétexte à la résistance contre les multinationales, la doctrine Maison rouge
selon laquelle la firme doit se « comporter dans chaque pays comme un bon
citoyen149 ».
64. On peut lutter contre les multinationales, en intégrant dans la législation OHADA,
le concept de responsabilité sociale de l’entreprise150, d’investissement socialement
responsable. Il faut souligner d’emblée qu’il y a une difficulté à dissocier ces deux
notions, même si un auteur affirme qu’il y a eu un passage de la responsabilité
sociétale des entreprises à l’investissement socialement responsable151 ou qu’il existe
des dynamiques de promotion de l’investissement socialement responsable internes
aux marchés financiers notamment la gouvernance d‘entreprise, le capital immatériel
[marques, image, réputation, brevets, systèmes d’information], les fonds éthiques
[fonds socialement responsables, fonds de développement durable, fonds d’exclusion]
et des dynamiques externes de la promotion de l’investissement socialement
responsable aux marchés financiers à savoir le développement durable, le
management de la qualité et la responsabilité sociale de l’entreprise152. Si nous
partons de cette dernière conception, nous pouvons affirmer que l’investissement
socialement responsable englobe la responsabilité sociale de l’entreprise.
65. Fondamentalement, le concept de « responsabilité sociale de l'entreprise » est une
coquille vide permettant aux entreprises de signifier aux États et aux organisations
internationales qu'elles sont de bonne volonté et qu'il n'est nul besoin de règles
hétéronomes, de contrôle juridictionnel et administratif153. La responsabilité sociale
de l’entreprise traduit très exactement l'idée d'entreprise citoyenne, d'une entreprise
dont l'activité, au-delà des contraintes légales, peut et doit intégrer une dimension
morale, une dimension éthique dans les domaines sociaux et environnementaux154.
Elle a plusieurs dimensions : environnementale, sociale notamment le respect des
                                                                                                                                              

groupe multinational de sociétés, c'est-à-dire un ensemble de sociétés réparties dans des Etats différents et
obéissant à une stratégie commune définie par une ou plusieurs sociétés-mères.
148
Cour d’appel de Paris, 22 mai 1965, J.C.P. 1965. 14274 bis, Conclusions Nepveu ; D.1968, P.147, note
R. Contin.
149
J. Maison rouge, Problèmes posés par les affaires multinationales [humanisme et entreprise, avril 1968].
150
Sur la dimension interne de la RSE à savoir les actionnaires, les salariés et la dimension externe
notamment la protection de l’environnement, relations avec les fournisseurs, sous-traitants, associations,
ONG, riverains et autorités publiques, V. M. P. Blin-Franchomme, Entreprise et développement durable,
Approche juridique pour l’acteur économique du XXIe siècle, Lamy, 2011, collection « Axe droit »P.21, n°
6.
151
F. Dejean, L’investissement socialement responsable, étude du cas français, Vuibert, 1991, Collection
FNEGE, P.12.
152
V. C. De Brito et alii, L’investissement socialement responsabilité, Economica, 2005, Collection
Gestion, série Politique générale, finance et Marketing, P.15-48.
153
Isabelle Meyrat, Le droit du travail à l’épreuve de l’ « éthique des affaires », Rev. Travail, 2010, P.572.
154
F. G.Trebulle, Responsabilité sociale des entreprises [entreprise et éthique environnementale] N 9,
Répertoire de droit des sociétés, mars 2003, dernière mise à jour, janvier 2014. 
29 

 
conditions de travail, droits fondamentaux notamment la prise en compte des droits de
l’homme.
Si le droit des affaires englobe des questions qui relèvent, en principe, d’autres
branches du droit, il semblait jusqu'à une période récente indifférent au droit de
l’environnement155. Ce que l’on constate, c’est un mutisme du droit OHADA sur les
questions environnementales au point que l’on soit tenté de se poser la question de
savoir si le droit de l’environnement fait partie du droit des affaires. Si l’on se réfère
à l’article 2 du traité de l’OHADA, il faut exclure toute idée d’inclusion du droit de
l’environnement dans le droit des affaires156, à moins que le Conseil des Ministres en
décide autrement.
66. Dans la seconde occurrence, il y a l’article 13 du décret n° 2004-627 du 7 mai
2004, décret d’application du code des investissements au Sénégal qui impose aux
entreprises éligibles au Code des investissements de se conformer aux exigences
environnementales. Il en est de même de l’article de la loi n° 98-05 portant code
pétrolier au Sénégal157, qui dispose que les opérations pétrolières doivent être
conduites de manière à assurer la conservation des ressources nationales et à protéger
l’environnement158.
En droit français, la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) ne se résume plus en
une démarche volontaire de l’entreprise159. Cet exemple démontre que la RSE ne
résulte pas exclusivement de la soft law et qu'elle peut puiser son fondement dans une
règle de droit à valeur contraignante, la hard law160. Ils témoignent corrélativement de
la vocation des valeurs ou principes éthiques à accéder à la juridicité161.

Pour faire respecter l’environnement, il faut que les consommateurs, les actionnaires
réagissent162 [questions écrites aux dirigeants], les entreprises peuvent également
signer des codes de bonne conduite163. De même, on peut faire jouer le capital
« réputation » et consacrer la responsabilité pénale des personnes morales164
                                                            
155
F. G. Trebulle, L’environnement en droit des affaires, Mélanges Y. Guyon, Aspects actuels du droit,
Dalloz, 2003, P. 1035.
156
Pourtant, l’exploitation industrielle des mines, carrières et de tout gisement de ressources naturelles
constitue un acte de commerce par nature au sens de l’article 3 de l’Acte uniforme portant sur le droit
commercial général.
157
J.O.R.S, n° 5786 du 21 février 1998.
158
V. Egalement l’exposé des motifs de la loi 98-32 du 14 avril 1998 portant code de la pêche maritime,
JORS 24 avril 1998.
 
159
Voir article L225-102-1 alinéa 5 du code de commerce.
160
Roxana Family, La responsabilité sociale de l’entreprise, Du concept à la norme, Recueil Dalloz, 2013,
P.1558 et s.
161
F.G.Trebulle, Responsabilité sociale des entreprises, op.cit, n° 28 et s.
162
Ils vont peut-être verser dans l’activisme actionnarial qui se traduit par la pression que les actionnaires
exercent sur les entreprises afin de modifier leur comportement, en les orientant sur des principes de
conduite conformes aux valeurs qu’ils défendent. V.F. Dejean, L’investissement socialement responsable,
op.cit., PP.28-29 qui a cité le cas du révérend Léon Sullivan, administrateur de général Motors qui a édicté
un code de conduite à l’intention des sociétés intervenant en Afrique du Sud, afin de lutter contre la
discrimination sur les lieux de travail.
163
Un auteur (C. Neau-Leduc, Les accords sur la responsabilité sociale de l’entreprise, Droit social, 2008,
P.75) a fait remarquer l’existence d’accords sur la responsabilité sociale de l’entreprise. Les accords
30 

 
67. L’investissement socialement responsable est apparu aux États-Unis et s'est
développé en Europe depuis quelques années. Il traduit une démarche
d'investissement qui repose sur des critères négatifs : pas d'entreprises polluantes ou
faisant travailler des enfants ; ou positifs : seulement des entreprises qui manifestent
leur prise en compte de l'environnement, des droits fondamentaux. Se développe de la
sorte un actionnariat spécifiquement responsable composé de fonds communs de
placements qui revendiquent cette particularité165.
68. Le législateur OHADA a cherché à protéger les dirigeants notamment ceux des
sociétés anonymes avec conseil d’administration en consacrant une révocation à tout
moment mais pour justes motifs. Seulement, pour l’instant, la procédure de la
révocation n’est pas élucidée. Ce qui peut-être ne saurait tarder vu le mouvement de
fondamentalisation du droit qui règne depuis un certain temps.

B/ Une probable intégration des principes juridiques processuels en droit des


sociétés
69. La distinction droits matériels et droits processuels est toujours d’actualité. Parmi
les droits matériels de l’associé, il y a le droit à la transparence, à l’information, aux
dividendes, aux réserves et au boni de liquidation. Mais, l’associé ou le dirigeant jouit
ou doit jouir de droits processuels. En effet, les droits fondamentaux ont envahi tous
les droits et le droit des sociétés n’a pas échappé à cette règle. Cette influence peut
s’apprécier en matière de révocation des dirigeants sociaux surtout dans les sociétés
de capitaux notamment la société anonyme car dans la société en nom collectif, la
société à responsabilité limitée et la société en commandite simple, les dirigeants sont
révocables pour justes motifs. Ce statut est plus confortable car la référence à de
justes motifs de révocation signifie que la décision de révoquer n’est pas
discrétionnaire et que les associés doivent être en mesure de formuler des griefs à
l’encontre du dirigeant, justifiant qu’il soit mis fin à ses fonctions166. Le juste motif
peut consister en une mésentente entre cogérant qui compromet l’intérêt social ou le
fonctionnement de la société167, une perte de confiance168.
                                                                                                                                              

internationaux relatifs à la responsabilité sociale de l'entreprise sont volontairement négociés et conclus


entre une entreprise multinationale et une fédération internationale, représentant les salariés provenant
d'une même industrie ou exerçant un métier identique. Ces accords ont pour objet de définir les droits
sociaux des salariés des filiales du groupe mondial implantées dans différents pays, voire ceux des sous-
traitants et de fixer les engagements sociétaux et environnementaux auxquels l'entreprise entend se
conformer.
164
V.B. Bouloc, Le domaine de la responsabilité des personnes morales, Revue des sociétés 1993.P.291.
En l’état actuel du droit OHADA, seuls les actes des personnes physiques sont saisis par le droit pénal.
Cette situation est loin d’être encourageante en raison non seulement du souci d’indemnisation des victimes
des actes délictueux, mais également du risque de manque d’attractivité du droit OHADA qui donneraient
carte blanche aux entreprises notamment les multinationales de fonctionner en marge de la légalité sans être
inquiétées.
165
F. G. Trebulle, Responsabilité sociale des entreprises, op.cit., n° 27.
166
F.X. Lucas, Le principe du contradictoire en droit des sociétés, in Libertés et droits fondamentaux,
CRFPA, sous la direction de R. Cabrillac, 2013, P.838, n° 1123.
167
Cass. Com. 4 mai 1999, Société Natacha c/ Vessat, Bull.civ. IV, n° 94 ; D.2000. Somm.236, Obs. J.-C.
Hallouin. Sur la distinction révocation abusive et irrégulière, V. P.Reigne, Révocation ad nutum des
mandataires sociaux et faute de la société, Rev.soc, 1991. P.499. Si dans la première, on s’intéresse aux
motifs, dans la seconde, c’est la forme qui retient l’attention.
31 

 
Avec l’exigence du respect du contradictoire dans la révocation du dirigeant, il se
pose de plus en plus la question de la pertinence de la distinction révocation pour
justes motifs et révocation ad nutum169.
70. Dans une décision, le juge a précisé que la révocation du directeur général d’une
société anonyme est abusive si l’intéressé n’a pas été en mesure de présenter
préalablement ses observations170.
Ainsi, non seulement lors de la révocation il faut se garder de commettre des fautes,
mais également la révocation du dirigeant par l’assemblée ne doit pas se faire dans la
précipitation sans audition préalable de l’intéressé171. Faisons remarquer que de plus
en plus, la révocation est négociée, encore faudrait-il qu’elle ne soit pas préjudiciable
à la société172.
71. Concernant l’exclusion de l’associé, la jurisprudence considère qu’il doit être
convoqué par l’organe habilité à l’exclure, être mis en demeure de préparer sa
défense173. Viole la loi du 1er juillet 1901 et le principe du respect des droits de la
défense une cour d’appel qui tient pour régulière l’exclusion d’un sociétaire au vu
d’une lettre le convoquant pour qu’il soit statué sur son exclusion, alors que cette
lettre ne faisait pas apparaitre les griefs précis formulés à son encontre, condition
nécessaire pour lui permettre de présenter utilement sa défense devant l’organe
disciplinaire de l’association174. Malgré les arguments invoqués au soutien de
l’application du principe du contradictoire en droit des sociétés, notamment la
légitimation de la décision de révoquer ou d’exclure et le souci d’équité, un auteur a
relevé l’incohérente application de ce principe en droit des sociétés. Pour lui, il y a
une transposition des exigences du procès équitable à une pièce qui n’est pas un
procès et qui n’a pas à être équitable175. Les raisons, loi de la majorité, absence de
motivation, le dirigeant ou l’associé ne comparaisse pas devant un tribunal. Ces
raisons invoquées sont loin d’être satisfaisantes d’abord parce le contradictoire n’est
pas exigé que dans les tribunaux ; ensuite la loi de la majorité n’est pas exclusive du
respect du contradictoire.

                                                                                                                                              
168
V. A. Albarian, La révocation des mandataires sociaux pour perte de confiance, RTD com, 2012, P.1.
169
V. L’arrêt précurseur en France de l’exigence du respect du contradictoire, Com.26 avril 1994, Pesnelle
c/ Ste Autoliv Klippan, Bull.civ. IV, n° 158 ; Rev. Sociétés 1994.725, note D. Cohen. Et pourtant, la Cour
de cassation française [Chambre commerciale, 2 juin 1992, Fournier c. Mesly d’Arloz, Revue des sociétés,
1992, P.750], a décidé que ne donne pas de base légale à sa décision, la Cour d’appel qui accueille une
demande d’indemnité présentée par un directeur général révoqué, sans rechercher si la convention, qui
prévoyait le versement de cette indemnité, n’avait pas pour objet ou pour effet de restreindre ou d’entraver
la révocation ad nutum de l’intéressé.
170
Cass. Com.26 avril 1994, Pesnelle c/Ste Autoliv Klippan, Bull.civ.IV, n° 158.
171
V. La contradiction précédant une révocation : recadrage utile – Paul Le Cannu – Bruno Dondero –
RTD com. 2007. 773. En l’espèce, le dirigeant révoqué était en arrêt maladie et l’assemblée s’est prononcé
sur son sort sans sa présence.
172
V. Thomas, L’aménagement contractuel de la révocation du dirigeant, note sous Cour de cassation,
chambre commerciale du 26 novembre 2013, S. c/ Société de financement du développement de la
Polynésie française (SOFIDEP)
173
Cass. Civ. 1e , 3 décembre 1996 et 22 avril 1997, Rev. Sociétés 1997.552, note Y. Guyon.
174
V. Y. chartier, Exclusion d’une association et droits de la défense, note sous Cour de cassation [1e civ],
19 mars 2002, M. Abihssira c/ Association des centres distributeurs Edouard Leclerc et autres, Rev. Soc[4]
oct-déc. 2002, p.736 et s.
175
F.X.Lucas, op.cit., P.847, n° 1134.
32 

 
Conclusion
72. Parmi les orientations du législateur OHADA à travers l’AUSCGIE révisé, il y a
la facilitation de la création d’entreprise notamment de la SARL par la possibilité
accordée aux Etats partie de déroger au capital social minimum176, l’admission des
apports en industrie. Mais cela ne manquera pas de soulever des difficultés177. Le
législateur OHADA à travers la reforme a réconcilié le capital et le travail. Nous
sommes dans ce que le Doyen Ripert a appelé « l’entreprise post capitaliste178 ». En
effet, le but poursuivi par l’actionnariat salarié est de substituer au « face à face », le
« cote à cote », d’améliorer le climat social au sein de l’entreprise, d’y encourager le
dialogue, d’y intéresser, mieux, d’y intégrer les salariés179
73. Seulement, le droit OHADA, à l’instar de toute règle, doit certes être attractif,
mais sans pour autant être instrumentalisé au service du marché180. Osons le dire, le
droit OHADA doit gérer le conflit de préférence entre la préférence commerciale et la
préférence environnementale181 car la responsabilité sociale est plus que jamais une
réalité juridique182. Prendre en compte l’environnement, c’est faire mentir le Doyen
Ripert qui soutenait que « ces personnes, dites morales, n'ont pas de vie morale183 ».
Le droit fait l’objet de plusieurs analyses et une nouvelle analyse semble faire son
apparition. C’est l'analyse écologique du droit qui peut être définie comme l'étude de
l'efficacité de la règle de droit au regard de l'impératif de limiter l'impact de l'activité
humaine sur l'environnement184. Le législateur OHADA est mieux imprégné de
l’analyse économique qu’écologique du droit. Il en est de même de l’ignorance du

                                                            
176
Ainsi, certains pays tels que le Sénégal, la Cote d’ivoire (J.O du 18 avril 2014, P.92) ont pris des lois en
ce sens. Pour le cas du Sénégal, on peut faire cas de l’institution du Bureau d’appui à la création des
entreprises. Ce faisant, il est désormais possible de mettre sur pied une société commerciale en 48 heures.
Le BCE (Bureau de création des entreprises) regroupe les services fiscaux (DGID), le greffe pour
l’immatriculation, l’agence nationale de la statistique et de la démographie pour le NINEA et l’inspection
du travail pour les déclarations d’établissements.
177
V. Rapport Marini, Sénat, 2001, n° 5, à propos de l'art. 68 bis : « Une telle disposition apparaît
démagogique et ne répond pas à la nécessité de lutter contre la sous-capitalisation, qui conduit des sociétés
à démarrer avec des aides publiques, sans fonds propres suffisants, et à disparaître au bout d'une ou de deux
années. Elle est en outre illusoire, car le recours nécessaire au crédit bancaire se traduira nécessairement par
la prise de garanties sur les biens propres du chef d'entreprise, avec toutes les conséquences dramatiques
inévitablement provoquées par l'insuccès de la création... »
 
178
V. Georges RIPERT, Aspects juridiques du capitalisme moderne – Jean-Pascal Chazal – RTD civ. 2013.
712

179
M. Vasseur, La loi du 24 octobre 1980 créant une distribution d’actions en faveur des salariés des
entreprises et les principes du droit français, D.1981, P.63.
180
V. M.D. Marty, Mondialisation du droit, chances et risque, D.1999, P.
181
Zaki, Mondialisation et droit, op.cit, PP.2712.
182
V. Christine Neau-Leduc, Les accords sur la responsabilité sociale de l’entreprise, Droit social 2008,
P.75.
e
183
V. P. Le TOURNEAU, L'éthique des affaires et du management au XXI siècle, 2000, Dalloz, p. 67,
V. not. J.-L. DHERSE et Dom H. MINGUET, L'Éthique ou le Chaos ?, 1998, Presses de la Renaissance). 
184
G. Henry, L’analyse écologique du droit : un nouveau champ de recherche pour les juristes, RTDCom ;
2014.289.
33 

 
devoir de loyauté du dirigeant185. Au vu et au su de tous, le législateur OHADA
reforme constamment son droit ; la question est arrêtera t-il un jour ? Il est néanmoins
possible de méditer sur cette opinion : « l’avenir du capitalisme passe par la
restauration de la « société de confiance » c’est-à-dire de cet ensemble d’institutions,
de règles normatives ou étatiques, de contrats, sans lesquels la recherche du profit
légitimé par tous n’aboutit qu’à l’enrichissement sans cause de quelques uns186 ».

                                                            
185
V. M. Charlotte Piniot, La corporate governance à l’épreuve de la jurisprudence de la chambre
commerciale de la Cour de cassation, Mélanges AEDBF-France, II, sous la direction de J.P. Mattout et
Hubert de Vauplane, 1999.
186
Institut Montaigne, Mieux gouverner l’entreprise, Mars 2003, P.11.
34 

 
La loi camerounaise du 10 décembre 2010 sur le crédit-bail à l’aune
des législations OHADA et CEMAC

La pratique a précédé la loi. C'est ce que l'on peut dire du crédit-bail qui est
réglementé au Cameroun depuis cinq ans à peine, plus précisément depuis décembre
2010, alors qu'il y était déjà pratiqué depuis plusieurs années187. Il est vrai que cette
pratique restait assez timide188 et que l'expansion véritable du crédit-bail se heurtait à
divers obstacles dont un obstacle psychologique189. L'absence d'un régime complet du
crédit-bail sans être un obstacle dirimant pouvait, à certains égards, être considérée
aussi comme un frein. La loi camerounaise du 10 décembre 2010 peut, dès lors, être
considérée comme une avancée considérable.
Le crédit-bail ou leasing en anglais, est une opération qui permet à une
personne appelée crédit-bailleur d’acquérir des biens qu’elle loue à un locataire
appelé crédit-preneur avec possibilité pour ce dernier d’acquérir la propriété du bien à
la fin de la période de location. Le mécanisme habituellement utilisé se présente
comme suit. Une entreprise - généralement commerciale ou industrielle - désire
acquérir du matériel professionnel. Elle ne dispose pas de moyens financiers pour
l’acheter au comptant et elle ne souhaite pas obtenir un crédit classique pour
l’acquérir. Elle contacte un établissement de crédit-bail - généralement un
établissement de crédit- qui acquiert le matériel auprès d’un fournisseur selon les
spécifications du futur locataire et le met à sa disposition. L’établissement de crédit
est le crédit-bailleur ou bailleur et l’entreprise qui acquiert le matériel est le locataire
ou crédit- preneur. Cette dernière paiera un loyer en contrepartie de la mise à
disposition du matériel et bénéficiera de la possibilité de devenir propriétaire à l’issue
de la période de location.
Si son utilité est certaine190, le crédit-bail se caractérise pourtant par sa nature

                                                            
187
En 1986-1987, on dénombrait déjà au moins deux établissements de crédit-bail au Cameroun.
188
Jusque-là, la contribution du crédit-bail au financement de l'économie camerounaise est restée
relativement faible. Au 31 décembre 2012, le marché du crédit-bail au Cameroun était seulement de 70
milliards de francs CFA soit 5% du volume des crédits bancaires ( source: Cameroon Tribune, lundi 29
juillet 2013, p.16). Dans le même sens pour ce qui est du Sénégal, voir SAMB (M.), Le droit du crédit-bail
dans l'espace CEMAC: étude comparée des lois camerounaise et sénégalaise, Revue de l'ERSUMA, n°1,
juin 2012, p. 359.
189
Comme l’observait il y a quelques années un auteur, dans la plupart des pays africains, « la dissociation
entre propriété légale et usage économique du bien telle qu’elle est pratiquée par le crédit-bail est souvent
mal comprise ». AURILLAC (E.), Le crédit-bail en Afrique, Marchés tropicaux, 2 janvier 1987, p.9. Voir
aussi, KALIEU (Y. ), Réflexions sur les nouveaux attributs de la propriété: à propos de la propriété utilisée
aux fins de garantie des crédits, Annales de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques, Université de
Dschang, 1997, T1, V.1, p. 193 et sv.
190
Le crédit-bail peut permettre de financer l’acquisition de différents biens tels que les véhicules
automobiles, les tracteurs, le matériel médical, le matériel industriel, le matériel informatique, etc. Dans le
même sens: JIOGUE (G.), Le crédit-bail in Les pratiques contractuelles d'affaires et les processus
d'harmonisation dans les espaces régionaux, Actes du colloque International de Libreville organisé par
l'ERSUMA, 26 au 28 octobre 2011 à Libreville ( GABON), publication de l'ERSUMA, juin 2012, p. 92 et
sv.
35 

 
hybride. Il est à la fois une technique de financement191 et un mécanisme de garantie.
Le crédit-bail est d’abord une technique de financement. En cela, il constitue
une opération de crédit et précisément un crédit à moyen ou long terme. L’achat de
matériels par l’établissement de crédit-bail représente une forme de prêt accordé à
l’entreprise. Pour le locataire, cette forme de crédit est plus avantageuse que d'autres
pour plusieurs raisons : absence de lourdeur des formalités, non limitation du montant
du crédit, non exigence d’un apport personnel de fonds propres.
Le crédit-bail est ensuite un mécanisme de garantie. La propriété conservée
garantit le bailleur contre le non remboursement éventuel des différentes mensualités
de loyers. Mais, s'il est admis comme technique de garantie, le crédit-bail n'est
pourtant pas une sûreté192.
Cette nature hybride ajoutée à la spécificité du mécanisme193 justifie la
soumission du crédit-bail à diverses règles principalement celles du droit bancaire, du
droit commercial général et du droit des procédures collectives. Partant, il relève aussi
bien du droit communautaire de la CEMAC que du droit uniforme de l'OHADA.
Le crédit-bail n’est pas inconnu de la législation bancaire CEMAC. Il y est
réglementé en tant qu'opération de crédit194. L’article 3 du Règlement COBAC R-
2009/02 du 1er avril 2009 portant fixation des catégories des établissements de crédit,
de leur forme juridique et des activités autorisées, après avoir défini l’opération de
crédit195, dispose in fine que « Sont assimilés à des opérations de crédit, le crédit-bail
et de manière générale, toute opération de location assortie d’une option d’achat »196.
Le crédit-bail est également réglementé par l'article 10 du Règlement
n°01/02/CEMAC/ UMAC/ COBAC du 26 janvier 2002 relatif aux conditions
d’exercice et de contrôle de l’activité de microfinance dans la Communauté

                                                            
191
Dans le même sens, PIETTE (G.), Droit des sûretés, 5ème éd., Gualiano Lextenso , 2011, p. 196 et sv.
Egalement, MINKOA SHE (A.), Droit des sûretés et garanties dans l'espace OHADA, T. 2, Les sûretés
réelles, Ed. Danoîa, 2010, p. 208 et sv. qui, en plus, donne les éléments de comparaison entre le crédit-bail
et d'autres techniques comme la location simple et la location-vente.
192
Sur le crédit-bail utilisé comme garantie, lire : KALIEU (Y.), Réflexions sur les nouveaux attributs du
droit de propriété : A propos de la propriété utilisée aux fins de garantie des crédits, précité; MINKOA SHE
(A.), précité, p. 216, n°827. Le droit OHADA ne consacre pas le crédit-bail comme sûreté malgré la
réforme récente qui a introduit les sûretés-propriétés en droit OHADA. En ce sens, KALIEU ELONGO
(Y.), Propriété retenue ou cédée à titre de garantie, Encyclopédie du droit OHADA, sous la direction de
POUGOUE (P.G.), Editions Lamy, 2011, p.1443 et sv.
193
Le crédit-bail réunit trois types de contrats : achat, location et promesse de vente ce qui en fait une
opération complexe. Sur cette complexité de l'opération, lire : SAMB (M.), Le droit du crédit-bail dans
l'espace OHADA, précité.
194
Voir dans le même sens l'article 6 de la Loi-cadre portant réglementation bancaire de l'UEMOA ou
encore l'article 7 de la loi du 2 février 2002 relative à l'activité et au contrôle des établissements de crédit en
République Démocratique du Congo.
195
Aux termes de cette disposition : « Constitue une opération de crédit pour l’application du présent texte
tout acte par lequel une personne agissant à titre onéreux met ou promet de mettre des fonds à la disposition
d’une autre personne ou prend, dans l’intérêt de celle-ci un engagement par signature tel qu’un aval, un
cautionnement, ou une garantie …".
196
En cela, le Règlement reprend l'article 6 de l'Annexe à la Convention du 17 janvier 1992 portant
Harmonisation de la Réglementation Bancaire dans les Etats de l’Afrique Centrale. Sur ce Règlement en
général, lire: KALIEU ELONGO (Y. R.), Un pas de plus vers l'uniformisation de la législation bancaire
CEMAC, Annales de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques, Université de Dschang, T.13, 2009,
p.5 et sv.
36 

 
Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale qui dispose que « Les opérations
autorisées à titre accessoire comprennent (…) les opérations de crédit-bail ».
La législation OHADA pour sa part, traite du crédit-bail dans l’AUPCAP197
et l’AUDCG198. L’AUDCG en ses articles 34 et 35 prévoit l'inscription des contrats
de crédit-bail au RCCM. L’inscription est prise par le crédit-bailleur ou par le crédit-
preneur auprès du greffe de la juridiction compétente du lieu d’immatriculation, du
lieu de déclaration ou du domicile du crédit-preneur ou encore, en application de
l’article 70 auprès du greffe de la juridiction spécialement désignée à cet effet.
L’AUPCAP pour sa part, envisage le crédit-bail aux articles 101 et suivants qui
traitent de la revendication du bien par le crédit-bailleur en cas d'ouverture d'une
procédure de redressement judiciaire ou de liquidation des biens contre le crédit-
preneur199.
Toutefois, qu’il s’agisse du droit bancaire CEMAC ou des actes uniformes
OHADA, aucune de ces législations n'a organisé complètement le crédit-bail, ce qui
n'était pas, du reste, leur objectif200. Aucun des textes cités ne définit la notion de
crédit-bail ni n'en fixe le régime. Les dispositions qu'ils contiennent sont donc
manifestement insuffisantes pour réguler cette opération.
La législation camerounaise sur le crédit-bail201 se veut donc une législation
générale qui appréhende l’opération dans tous ses aspects202 203. A l'observation, il
apparaît que cette loi comble certaines lacunes des textes existants en ce qu’elle

                                                            
197
Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d'apurement du passif adopté en 1998 et
entré en vigueur le 1er janvier 1999.
198
Acte uniforme portant droit commercial général adopté en 1997 et révisé en décembre 2010.
199
Sur les conditions de la revendication, voir plus loin. Voir aussi SOUPGUI ( E.), Les sûretés
conventionnelles à l'épreuve des procédures collectives dans l'espace OHADA, Thèse de doctorat/PhD,
Université de Yaoundé II, 2008.
200
L'idée d'une réglementation du crédit-bail en droit OHADA est de plus en plus évoquée. Le crédit-bail a
fait d'ailleurs l'objet des matières examinées lors de la réunion du comité des experts de l'OHADA en juin
2014. Le but de cette rencontre qui s'est tenue à Douala les 11, 12 et 13 juin 2014 était d'étudier la
faisabilité et l’opportunité de l'extension du droit des affaires OHADA à diverses matières ( affacturage,
crédit-bail, médiation commerciale, franchise, sous-traitance, coentreprise ou joint venture, contrats de
partenariat public-privé entre autres).
201
Elle constitue avec la loi sénégalaise de décembre 2011 les seules législations nationales régissant
actuellement le crédit-bail dans l'espace OHADA. Pour une étude comparée de ces législations, voir :
SAMB (M.), Le droit du crédit-bail dans l'espace CEMAC: étude comparée des lois camerounaise et
sénégalaise, précité, p. 359 et sv.
202
Les seules dispositions jusque-là applicables étaient celles prévues à l'article 236 du Code général des
Impôts et celles qui étaient prévues par le Décret du 3 juillet 1974 portant réglementation des
établissements financiers.
203
Son adoption a été précédée de la création en 2009 de la CAMLEASE ( association camerounaise de
leasing) qui regroupe un certain nombre d’établissements financiers pratiquant le crédit-bail au Cameroun
ainsi qu'un certain nombre d'organismes financiers tels que les sociétés d'assurance. La CAMLEASE
entend promouvoir le recours au crédit-bail surtout auprès des PME et contribuer à l’élaboration du cadre
d’exercice de l’activité de crédit-bail au Cameroun sur les plan juridique, fiscal et comptable en particulier.
En mai 2010, le Cameroun a reçu le 13ème congrès africain de leasing. L’objectif de ce congrès était,
entre autres, de vulgariser le crédit-bail et inciter d’autres établissements financiers à développer le leasing
parmi les formes de financement offerts à leur clientèle.
37 

 
élabore un régime quasi-complet du crédit-bail204 (I). Pourtant, il faut également
admettre qu'elle loi laisse persister certains vides (II).

I. Les lacunes comblées par la loi : l'élaboration d'un régime quasi-complet


du crédit-bail
A travers ses diverses dispositions, la nouvelle loi comble naturellement les
insuffisances du droit antérieur. Non seulement elle encadre véritablement l'opération
de crédit-bail (A), mais également elle détermine de manière quasi-exhaustive les
droits et obligations des parties (B).
A- L'encadrement de l'opération de crédit-bail
Cet encadrement passe tant par une définition du crédit-bail qui jusque-là
n'existait pas (1) que par les précisions apportées relativement à la mise en œuvre de
l'opération (2).

1. Par la définition du crédit-bail


Désormais, le crédit-bail fait l'objet d'une définition légale en droit
camerounais. Celle-ci est contenue dans l’article 3 de la loi de 2010 qui dispose: « Le
crédit-bail est une opération de crédit destinée au financement de l’acquisition ou de
l’utilisation des biens meubles ou immeubles à usage professionnel. Il consiste en la
location des biens d’équipement, de matériel, d’outillage ou de biens immobiliers à
usage professionnel, spécialement achetés ou construits, en vue de cette location, par
des entreprises qui en demeurent propriétaires. Ces opérations de location, quelle que
soit leur dénomination, donnent au locataire la faculté d’acquérir, tout ou partie des
biens loués, moyennant un prix convenu, tenant compte, au moins pour partie, des
versements effectués à titre de loyers ».
Il ressort de cette définition que le crédit-bail est une opération de crédit. Par
conséquent, il est soumis, sauf dérogation, aux règles applicables aux opérations de
crédit205 qui sont, pour l'essentiel, issues de la législation bancaire CEMAC
précédemment rappelée. Cette définition précise aussi le domaine du crédit-bail qui
peut être mobilier206 ou immobilier207. La nature mobilière ou immobilière de
l'opération emporte des conséquences sur les mesures de publicité et les règles de
transfert de propriété. Cette disposition rappelle par ailleurs que le crédit-bail ne peut
être utilisé que dans le cadre des activités professionnelles du crédit-preneur, ce qui

                                                            
204
La loi va plus loin encore parce qu'elle comporte des dispositions d'ordre procédural ( articles 56, 57
et 58 ) qui ne seront cependant pas abordées dans le cadre de cet article.
205
Dans le même sens: STOUFFLET (J.) et GAVALDA (C.), Droit bancaire, Litec, 4ème éd., 1999, p. 245
qui précisent que le crédit-bail est pratiqué " par des sociétés qui ont le statut de banque ou de société
financière".
206
Il s'agit bien évidemment de meubles corporels puisque la loi parle de bien d'équipement, de matériel et
d'outillage. Comp. en droit français où le crédit-bail, limité à l'origine aux meubles corporels, a été entendu
aux meubles incorporels en particulier aux actions et au fonds de commerce. En ce sens, STOUFFLET (J.)
et GAVALDA (C.), Droit bancaire, précité, p. 245; BRANLARD (J.P.), L'essentiel du droit des garanties
de paiement, Gualiano éditeur, 2ème éd., 2007, p. 125 et sv. La loi sénégalaise du 3 janvier 2012 ( article
2) étend elle aussi expressément le crédit-bail aux meubles incorporels.
207
Il y a là une véritable innovation puisque le crédit-bail n'était pratiqué jusque-là au Cameroun qu'en
matière mobilière.
38 

 
rejoint l'idée qu'il est une technique de financement des entreprises208. On pourrait
ajouter que le crédit-bail y est caractérisé par deux éléments que sont la location et
l'option d'achat offerte au crédit-preneur.
Au-delà des clarifications qu'elle apporte, cette définition pourra servir de
référence pour l'application des autres règles relatives au crédit-bail spécialement
celles contenues dans les actes uniformes ou dans la législation CEMAC.
La loi ne définit pas seulement l’opération de crédit-bail, elle définit aussi,
de manière assez inattendue, le contrat de crédit-bail lui-même. C'est une «
convention dans laquelle le crédit-bailleur donne en location pour une durée ferme et
moyennant paiement de loyers au crédit-preneur, des biens acquis par le crédit-
bailleur sous indication du crédit-preneur. A cet effet, il est laissé à ce dernier la
possibilité d’acquérir à la fin de la convention tout ou partie des biens loués à un prix
convenu, tenant compte, au moins pour partie, des versements effectués à titre de
loyers ». Cette définition fait, à notre avis, double emploi avec la définition
précédente puisqu'il est évident que l'opération de crédit-bail ne peut résulter que
d'une convention entre deux parties que sont le crédit-preneur et le crédit-bailleur.
La loi va encore plus loin en définissant les parties à l’opération que sont le
crédit-bailleur et le crédit-preneur. En précisant que le crédit-bailleur est tout
établissement de crédit ou de micro-finance qui finance les opérations de crédit-bail,
cette loi se conforme aux règlements CEMAC précités qui autorisent l’exercice de
l’activité aussi bien par les établissements de crédit que par les EMF209. Le crédit-
preneur, quant à lui, est toute personne physique ou morale qui utilise les biens loués
pour les besoins de son activité professionnelle. Le crédit-bail est donc réservé au
financement des activités professionnelles210. Peu importe que l'activité soit
commerciale, industrielle ou libérale, qu'elle soit exercée à titre individuel ou
sociétaire.
Après avoir défini le crédit-bail, c'est tout logiquement que la loi précise les
règles de mise en œuvre de l'opération.

2. Par les précisions relatives à la mise en œuvre du crédit-bail


La nouvelle loi contribue à coup sûr à la détermination des règles de
formation et de dénouement du crédit-bail.
S'agissant de la formation, l'article 4 précise d'abord que le crédit-bail est
nécessairement un contrat écrit qui peut être sous seing privé ou notarié. La forme
                                                            
208
La notion d'entreprise doit être entendue dans un sens large car, peuvent y recourir, non seulement les
entreprises commerciales mais également les administrations publiques et les membres de professions
libérales . La loi, dans ses dispositions finales ( article 62) envisage toutefois la possibilité d'un crédit-bail
pour les particuliers qui ferait l'objet d'une réglementation spécifique. A titre de droit comparé, il faut
relever que le droit français organise le crédit-bail de type professionnel lorsque les biens sont à usage
professionnel et le crédit-bail non professionnel lorsque les biens ne sont pas des biens professionnels.
Dans le second cas, les dispositions du code monétaire et financier ne sont pas applicables et les
consommateurs bénéficient des dispositions spéciales protectrices contenues dans le code de la
consommation. En ce sens : BRANLARD (J.P.), L'essentiel du droit des garanties de paiement, précité, p.
125 et sv.
209
Même s'il est vrai que l'exercice de l'activité par les EMF peut donner lieu à quelques difficultés comme
on le verra plus loin.
210
Sous réserve du cas du crédit-bail aux particuliers dont il a été fait mention précédemment.
39 

 
notariée s'impose pour le crédit-bail immobilier. L'écrit doit obligatoirement
comporter, à peine de nullité, certaines mentions que sont la durée du crédit-bail, le
montant et le nombre des loyers, l’échéancier de paiement des loyers, l’option d’achat
offerte au crédit-preneur en fin de contrat, le prix de levée d’option d’achat du bien
loué. En plus de ces mentions obligatoires, le contrat peut contenir diverses autres
clauses facultatives211. Le contrat doit ensuite être publié par son inscription au
RCCM pour le crédit-bail mobilier ou au livre foncier du lieu de situation de
l'immeuble pour le crédit-bail immobilier. L'accomplissement de cette formalité qui
incombe au crédit-bailleur ou au crédit-preneur se fait conformément aux dispositions
de l'AUDCG auxquelles la loi fait expressément renvoi. Le contrat régulièrement
inscrit est opposable aux tiers à compter de la date d’inscription pour toute la durée du
contrat.
Même si la loi de 2010 ne le précise pas expressément, l'inscription permet
également, en cas d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire ou de
liquidation des biens, que le bailleur puisse être personnellement invité, en qualité de
créancier inscrit, à produire sa créance ( article 79 AUPCAP). Par ailleurs, son
accomplissement n’exonère pas les parties des obligations de publicité propres à toute
opération portant sur les biens objet du crédit-bail. En plus des mesures de publicité,
l'article 29 al.2 reconnaît aussi au crédit-bailleur le droit de sécuriser le matériel
pendant la durée du contrat par l’apposition d’un cachet spécial sur le certificat de
propriété du bien loué.
Pour ce qui est du dénouement du crédit-bail, il peut intervenir avec ou sans
incident.
Il est sans incident lorsqu'à l'arrivée du terme convenu et conformément à
l'article 52, le crédit-preneur opte pour l'une des possibilités qui lui sont offertes212. En
effet, à l’arrivée du terme de location, le preneur peut soit renouveler le contrat, soit
restituer le matériel213 soit décider d’en devenir propriétaire en levant l’option d’achat.
Dans ce dernier cas, il doit payer un prix résiduel car les loyers payés sont pris en
compte dans la détermination du prix de la chose.
Le dénouement comporte des incidents s'il y a défaillance du preneur avant
l’arrivée du terme de location. La loi a consacré à cette hypothèse quelques
dispositions qu'il faut combiner avec les règles de droit commun. En cas de
survenance d'une procédure collective, le crédit-bail, en tant que contrat en cours, ne
peut être résolu de plein droit par le crédit-bailleur. L'article 54 (1) dispose d'ailleurs
clairement qu' "Une procédure collective engagée contre le crédit-preneur n’entraîne

                                                            
211
Portant par exemple sur le régime de responsabilité du crédit-bailleur, les garanties et sûretés offertes par
le crédit-preneur, les clauses compromissoires ou attributives de compétence, l'obligation de réparation ou
d'assurance du bien par le crédit-preneur.
212
Le contrat de crédit-bail peut également prendre fin conformément au droit commun en cas
d’impossibilité matérielle de poursuivre l’exécution du contrat notamment, en cas de perte ou destruction
totale du bien loué, d’insolvabilité avérée du crédit-preneur, de cas fortuit et de force majeure simplement
d’un commun accord ( article 53 de la loi de 2010). 
213
L'article 55 précise à cet effet que " Les parties doivent obligatoirement mentionner dans le contrat de
crédit-bail qu’à l’arrivée du terme ou à l’extinction du crédit-bail, à défaut de lever l’option d’achat, la
restitution du bien se fait au crédit-bailleur à l’amiable par exécution spontanée du crédit -preneur à la
demande du crédit-bailleur ou à défaut, conformément aux article 21 et 22 de la présente loi". 
40 

 
pas d’office la rupture du contrat de crédit-bail". Seul le syndic décidera ou non de la
continuation du contrat. En cas de continuation, le crédit-bailleur sera à la fois
créancier antérieur et créancier postérieur et bénéficiera des protections accordées aux
différentes catégories de créanciers. L'article 54 en ses alinéas 2 et 3 semble pourtant
prévoir des dispositions dérogatoires à ces règles de droit commun en disposant que :
" ( (2) Dans cette hypothèse), le crédit-preneur a la possibilité de poursuivre
l’exécution de ses obligations conformément aux termes du contrat, étant entendu que
tous les loyers dus au titre du contrat de crédit-bail à la date d’ouverture d’une
procédure collective du crédit-preneur, échus ou à échoir, sont payables selon leurs
montants et leurs dates d’exigibilité conformément aux conditions générales et
particulières du contrat de crédit-bail. (3) Si le crédit-preneur soumis à la procédure
collective ne peut continuer à honorer ses engagements, le crédit-bailleur a la faculté
d’user de tous les recours prévus dans le contrat de crédit-bail et dans la présente loi".
L'encadrement de l'opération de crédit-bail est complété par la détermination
des droits et obligations des parties.

B- La détermination des droits et obligations des parties au contrat


de crédit-bail
Reprenant la pratique en la matière tout en s'inspirant du droit étranger, la loi
de 2010 détermine de façon quasi-complète les droits et obligations du crédit-bailleur
et du crédit-preneur. Elle n'ignore pas toutefois le caractère triangulaire de l'opération
de crédit-bail qui fait intervenir le fournisseur auprès duquel le crédit-bailleur acquiert
le bien objet du contrat214. C'est la raison pour laquelle quelques dispositions sont
consacrées au fournisseur dans ses relations avec les autres parties215. Si l'importance
de ces relations ne peut être ignorée, elle occupe cependant une place moindre. C'est
ce qui justifie que la loi ait consacré plus de dispositions à la définition des droits et
obligations du crédit-bailleur (1) et du crédit-preneur (2).

1. La systématisation des droits et obligations du crédit-bailleur


La législation camerounaise sur le crédit-bail reconnaît de nombreux droits,
garanties et privilèges au crédit-bailleur.
Le crédit-bailleur a d'abord tous les droits tenant à sa qualité de propriétaire.
Il conserve la propriété du bien pendant toute la durée du crédit-bail et même après
son extinction à moins que le preneur ne lève l’option d’achat216. C'est pourquoi le

                                                            
214
Il convient d'ailleurs de préciser que la relation entre le fournisseur et le crédit-preneur précède parfois
celle entre celui-ci et le crédit-bailleur. Dans tous les cas, la conclusion et même l'exécution du contrat de
vente précèdent la conclusion du contrat de crédit-bail proprement dit. Dans le même sens: JIOGUE (G.),
Le crédit-bail in Les pratiques contractuelles d'affaires et les processus d'harmonisation dans les espaces
régionaux, Actes du colloque International de Libreville, précité, p. 92 et sv. Voir aussi MINKOA SHE
(A.), précité, p. 210 qui qualifie les contrats entre le fournisseur et le bailleur de " contrats préparatoires".
215
Les articles 41 à 43 précisent les droits et obligations du fournisseur.
216
Article 11 de la loi de 2010. C'est pourquoi en cas de défaillance du crédit-preneur, il peut récupérer le
bien en évitant le concours des autres créanciers. Dans le même sens, PIETTE (G.), Droit des sûretés,
précité, p. 197. Egalement: ALBIGES (C.) et DUMOND - LEFRAND ( M.P.), Droit des sûretés, Dalloz,
Paris, Collection Hypercours, 2007, n°650. Le crédit-bailleur ne subit pas l'arrêt des poursuites
individuelles et son action n'est enfermée dans aucun délai.
41 

 
crédit-bail est proche de la clause de réserve de propriété217. En effet, "la garantie
principale du crédit-bailleur repose sur le droit de propriété"218. Et parce qu'il est
propriétaire, le crédit-bailleur jouit pendant la durée du crédit-bail de tous les droits
légaux attachés au droit de propriété219 sans en supporter toutefois toutes les
obligations220.
Le crédit-bailleur bénéficie aussi d'autres droits de moindre importance
comme le droit de visite, le droit de céder tout ou partie des privilèges, droits et
obligations issus du contrat sans le consentement du crédit-preneur, à charge pour lui
de l’en informer par tout moyen ou encore le droit aux indemnités d’assurance prévu
par l'article 28221.
Le contrat de crédit-bail peut, en plus des droits légaux, conférer d'autres
droits au crédit-bailleur. Celui-ci bénéficie même d'un privilège légal222 dont l'utilité
peut être discutée si ce n'est qu''il confère une protection excessive au crédit-bailleur
qui se trouve déjà très souvent en position économique de domination par rapport au
preneur. Les contrats de crédit-bail sont en plus des contrats pré rédigés par les
établissements de crédit-bail et proposés aux clients c'est-à-dire en fait des contrats
d'adhésion.
A ces droits, s'ajoutent les garanties et privilèges reconnus au crédit-bailleur
et qui ont pour but de lui assurer le recouvrement de sa créance ou de son bien en cas
de défaillance du crédit-preneur.

                                                            
217
Désormais considéré en droit OHADA comme une sûreté régie par les articles 72 et sv. de l'AUS.
218
STOUFFLET (J.) et GAVALDA (C.), Droit bancaire, précité, p. 248, n°514. Dans le même sens:
MINKOA SHE (A.), Droit des sûretés et garanties dans l'espace OHADA, T. 2, précité, p. 209 qui affirme
avec force que " ... au lieu d'apparaître simplement comme un créancier titulaire de sûretés plus ou moins
efficaces, cet établissement ( de crédit) a la qualité juridique de propriétaire, ce qui lui assure, en cas de non
paiement, des loyers par l'utilisateur, une garantie très forte: il pourra reprendre son bien sans entrer en
concours avec les autres créanciers".
219
L'article 13 ajoute que " le droit de propriété du crédit-bailleur sur le bien loué ne souffre d’aucune
restriction, ni limitation d’aucune sorte par le fait que le bien est utilisé par le crédit-preneur ou par le fait
que le contrat permet au crédit-preneur d’agir comme mandataire du propriétaire dans les opérations
juridiques ou commerciales avec les tiers connexes à l’opération de crédit-bail". Cette disposition peut
paraître surabondante à notre sens. 
220
C'est le crédit-preneur qui supporte toutes les obligations légales mises à la charge du propriétaire, dans
les conditions et limites fixées au contrat de crédit-bail ( article 12). C'est l'une des conséquences de la
dissociation de la propriété juridique et de la propriété économique du bien objet du crédit-bail. 
221
Cet article dispose :" En cas de perte partielle ou totale du bien loué, le crédit-bailleur a seul vocation à
recevoir les indemnités d’assurance portant sur le bien loué nonobstant la prise en charge par le crédit-
preneur des primes d’assurances souscrites et sans qu’il soit besoin d’une délégation spéciale offerte à cet
effet".
222
Se fondant sur l'article 179 AUS qui prévoit la possibilité de création de nouveaux privilèges, le
législateur camerounais a institué le privilège du crédit-bailleur qui passe après tous les privilèges de
l'ancien article 107 ( devenu article 180 AUS) puisque le crédit-bailleur ne sera payé qu'en 7ème position.
L'article 25 de la loi précise les conditions d'exercice de ce privilège qui doit être inscrit dans les six (06)
mois suivants la fin du contrat au RCCM ou au livret foncier lorsqu'il s'agit du crédit-bail immobilier. Cette
inscription conserve le privilège pendant trois (03) ans à compter du jour où elle a été prise. Son effet cesse,
sauf renouvellement demandé, avant l’expiration de ce délai.
42 

 
En premier lieu et s'inspirant de l'AUPSRVE223, la loi accorde au crédit-
bailleur le droit à l'exécution forcée en cas de défaillance du crédit-preneur ainsi que
le droit de recourir à l'injonction de restituer pour rentrer en possession de son bien ou
de prendre des mesures conservatoires de saisie sur les biens meubles ou immeubles
du crédit-preneur224. En second lieu, le crédit-bailleur bénéficie des garanties qui
découlent du droit des procédures collectives. L'article 21 rappelle à juste titre le droit
de revendication du crédit-bailleur en disposant que "lorsque le crédit-preneur, qui
n’a pas payé un ou plusieurs termes des loyers fait l’objet d’une procédure collective
judiciaire, le crédit-bailleur ne peut revendiquer le bien loué que dans les conditions
prévues par les articles 101 et suivants de l’acte uniforme OHADA portant
organisation des procédures collectives d’apurement du passif"225. L'exercice du droit
de revendication fondé sur le droit de propriété du crédit-bailleur est bien sûr exclusif
de toute autre poursuite exercée sur le bien226. Mais, l'exercice de la revendication
suppose au préalable la production de la créance conformément aux articles 78 et sv.
AUPCAP227. Cette production porte sur le montant des loyers échus et non réglés au
moment de l’ouverture de la procédure. Lorsque la sûreté aura été inscrite comme
cela est d'ailleurs exigé, les créanciers seront personnellement invités à produire leurs
créances conformément à l'article 88 AUPCAP.

En contrepartie de ses droits, seules quelques obligations sont mises à la


charge du crédit-bailleur228.
Il est essentiellement tenu à l'égard du crédit-preneur229 de garantir une
jouissance paisible du bien loué. C'est la garantie d'éviction qui ne couvre cependant

                                                            
223
Acte uniforme OHADA portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et voies
d'exécution.
224
L'article 26 de la loi de 2010 dispose: "Le crédit-bailleur peut, pour la sauvegarde de sa créance sur le
crédit-preneur, prendre toute mesure conservatoire de saisie sur les biens meubles ou immeubles du crédit-
preneur".
225
Comparer en droit français où l'action en revendication a été supprimée. Le crédit-bailleur doit
seulement demander la restitution de la chose objet du contrat - tout au moins dans le cas du crédit-bail
portant sur un bien professionnel ( en ce sens: BRANLARD (J.P.), L'essentiel du droit des garanties de
paiement, précité, p. 129).
226
De sorte que le rappel fait par l'article 20 en ce sens est tout à fait inutile. Cet article dispose : "En cas de
procédure engagée par les tiers contre le crédit-preneur, notamment la dissolution amiable ou judiciaire ou
l’une des procédures collectives prévues par la législation, le bien loué échappe à toutes poursuites des
créanciers de celui-ci, chirographaires ou privilégiés, quels que soient leur statut juridique et leur rang, et
considérés individuellement ou constitués en masse dans le cadre d’une procédure collective judiciaire". Il
ne faut cependant pas exclure totalement les hypothèses où certains créanciers pourraient, à divers titres,
exercer des droits sur le bien objet du crédit-bail. 
227
Un auteur estime que cette procédure ne serait pas suffisamment protectrice des droits des bailleurs et
propose une procédure simplifiée. En ce sens : JIOGUE (G.), Le crédit-bail in Les pratiques contractuelles
d'affaires et les processus d'harmonisation dans les espaces régionaux, précité, p. 92 et sv.). Cette
proposition est selon nous injustifiée et elle entraînerait une rupture d'égalité entre les créanciers
revendiquants dont les crédits-bailleurs ne sont qu'une catégorie.
228
C'est peut-être parce que, comme le dit un auteur : " le crédit-bailleur n'entend pas jouer de rôle
commercial dans l'opération et son souci est de limiter son intervention à un rôle financier" (MINKOA
SHE, précité, p. 212, n°820).
229
A l'égard du fournisseur, il est tenu, conformément à l'article 17, de payer le prix convenu pour
l’acquisition du bien.
43 

 
que les troubles de jouissance survenus de son fait, du fait de ses ayants droit ou de
ses préposés. Malgré sa qualité de propriétaire du bien, le crédit-bailleur n’est tenu ni
de la garantie des vices cachés ni de l’obligation d’entretien de la chose louée. En cas
de non respect de ses obligations, le crédit-bailleur engage uniquement sa
responsabilité contractuelle à l'égard du crédit-preneur230.

2. L'énumération des droits et obligations du crédit-preneur


Comme pour le crédit-bailleur, la loi a précisé aussi bien les droits que les
obligations du crédit-preneur.
Le législateur rappelle d'abord les droits essentiels du crédit-preneur. Celui-
ci dispose, à titre principal, d'un droit d'option. Prévu par l'article 52231, c'est le droit
pour lui de devenir propriétaire de la chose à l'issue de la période de location en levant
l'option d'achat soit sous la forme prévue au contrat soit par lettre recommandée
adressée au crédit-bailleur quinze jours au moins avant la date d’expiration du contrat
soit par le paiement de la valeur résiduelle du bien au crédit-bailleur avant l’extinction
de la période de location. Le crédit-preneur acquiert de plein droit la propriété du bien
loué dès la date où intervient la levée d'option sauf clause contractuelle contraire. Le
transfert de propriété quant à lui s’effectue dans les conditions de droit commun en
fonction de la nature du bien. A ce droit fondamental, s'ajoutent d'autres droits tels
que le droit d'usage et de jouissance à compter de la date de livraison du bien et
pendant toute la durée de la location, le droit de céder tout ou partie des droits issus
du contrat s'il a préalablement obtenu le consentement écrit du crédit-bailleur ou
encore le droit d'agir en réparation contre le bailleur en cas de défaillance de celui-ci
dans l’accomplissement de ses obligations légales ou contractuelles.
Ensuite, la loi énumère les obligations du preneur qui sont plus lourdes que
celles du bailleur. La principale est celle de payer les loyers qui représentent la
contrepartie du droit d'usage et de jouissance. En cas de défaut de paiement, le crédit-
bailleur dispose de plusieurs options légales: il peut laisser le bien au crédit-preneur
et exiger le paiement des loyers échus et le paiement anticipé des loyers à échoir ainsi
que le prix de la valeur résiduelle du bien au terme de la période ferme de location; il
peut récupérer le bien, ce qui vaut résiliation du contrat et éventuellement exiger du
preneur, des pénalités prévues dans le contrat ou, à défaut, des dommages-intérêts
fixés par la juridiction compétente. Toutes ces mesures doivent néanmoins être
précédées d'une mise en demeure préalable dans les conditions de droit commun.
D'autres obligations se greffent à cette obligation principale comme les obligations
d'entretien232, de conservation et de restitution du bien. Le crédit-preneur doit
exploiter le bien loué en bon père de famille en veillant à sa bonne conservation et en
l'exploitant dans les conditions normales. Il doit aussi le maintenir dans l’état où il a
été livré, compte tenu de l’usure consécutive à l'usage normal. La conservation du
                                                            
230
L'article 19 apporte toutefois quelques restrictions à la responsabilité du crédit-bailleur.
231
Aux termes de cet article, le crédit-preneur peut, à l’expiration de la durée ferme de location : lever
l’option en achetant le bien loué pour sa valeur d’option telle que fixée au contrat ; renouveler la location
pour une période et moyennant un loyer à convenir entre les parties ; restituer le bien loué au crédit-bailleur
dans l’état où il a été loué en tenant compte de l’usure consécutive à un usage normal. 
232
En général, la distinction n'est pas faite selon qu'il s'agit de charges locatives ou non. Contrairement aux
règles de droit commun, toutes ces charges sont mises entièrement à la charge du locataire.
44 

 
bien peut nécessiter qu'il soit spécialement entretenu conformément aux dispositions
contractuelles ou suivant les exigences du fabricant. L'obligation de restitution
intervient au terme de la période de location lorsque le crédit-preneur n'a pas levé
l'option d'achat ou n'a pas renouvelé le contrat de location. Si le crédit-bailleur estime
que le bien a fait l’objet d’un mauvais usage ou d’un mauvais entretien au regard de
son état, il le reçoit en émettant des réserves qu’il communique de suite au crédit-
preneur qui dispose d’un délai bref de trois jours ouvrables pour donner suite aux
dites réserves. Le crédit-bailleur peut refuser de recevoir le bien et saisir le cas
échéant la juridiction compétente afin d’engager la responsabilité contractuelle du
crédit-preneur qui est par ailleurs responsable de la perte, du vol et de la détérioration
du bien. Il répond aussi des dommages causés aux tiers du fait de la possession ou du
fonctionnement du bien loué233 et peut couvrir sa responsabilité par une police
d’assurance contractée auprès d’une société agréée par le crédit-bailleur. S'il détourne
le bien ou refuse de le restituer ou de le représenter, il s’expose aux sanctions prévues
par l’article 318 du code pénal234.
Toutes les lacunes comblées par la loi sont quelque peu ternies par les
confusions dont certaines de ses dispositions sont à l'origine.

                                                            
233
Cette responsabilité ne s'étend pas toutefois aux dommages causés par les vices qui engagent la
responsabilité du fournisseur ou du fabricant.
 
234
Il s'agit ici de la sanction prévue pour l'abus de confiance et qui correspond à une peine
d'emprisonnement de 5 à 10 ans et une amende de 100 000 à 1 000 000 fcfa ( art. 318 du code pénal).
45 

 
46 

 
II. Les vides laissés par la loi : la clarification insuffisante du statut des
établissements de crédit-bail
S'il y a une insuffisance que l'on peut relever dans la nouvelle législation
camerounaise, c'est bien le statut des établissements de crédit-bail. Ce statut aurait
certainement mérité, au regard de son intérêt, plus d'attention: une uniformisation ou,
à tout le moins, plus de clarification.
Les particularités que comporte indéniablement le crédit-bail justifient que
son exercice soit réservé à certains acteurs uniquement. C'est pourquoi, allant dans le
même sens que les législateurs étrangers, le législateur camerounais limite l'exercice
de l'activité de crédit-bail à des établissements spécialisés. Mais, contrairement à
d'autres pays, où le crédit-bail est pratiqué uniquement par les établissements de
crédit, la loi camerounaise prévoit que le crédit-bail peut être pratiqué aussi bien par
les établissements de crédit que par les établissements de microfinance (EMF). Si
l'extension de l'activité de crédit-bail aux EMF s'imposait pratiquement au législateur
camerounais (A), on peut regretter que la nouvelle loi ne contienne pas suffisamment
d'éléments d'élaboration d'un statut unificateur des différents établissements de
crédit-bail (B).

A- La disparité de statut des établissements de crédit-bail, conséquence de


l'extension du crédit-bail aux établissements de microfinance
Tel qu'organisé par la loi camerounaise, le crédit-bail peut être pratiqué tant
par les établissements de crédit que par les EMF235. Ce faisant, la loi camerounaise
n'a pas véritablement innové. Elle s'est simplement conformée à la législation
bancaire CEMAC et en particulier au Règlement du 1er avril 2009 relatif aux formes
juridiques des établissements de crédit et des activités autorisées et au Règlement du
26 janvier 2002 relatif aux conditions d’exercice et de contrôle de l’activité de
microfinance dans la CEMAC. L'article 10 de ce second Règlement dispose : « Les
opérations autorisées à titre accessoire comprennent : (…) les opérations de crédit-
bail ». Les établissements de crédit et de microfinance sont donc légalement autorisés
à exercer des activités de crédit-bail.
S'agissant des établissements de crédit, seule une catégorie peut pratiquer le
crédit-bail. Il s'agit des établissements financiers236 qui se distinguent des autres
établissements de crédit en ce qu'ils ne peuvent pas recevoir de fonds du public à vue
ou à moins de deux ans de terme237. Habituellement, leurs sources de financement
sont constituées des fonds propres et des emprunts auprès d'autres établissements ou
de la banque centrale. Ils peuvent également faire appel public à l'épargne s'ils sont
côtés en bourse. Ces établissements se caractérisent aussi par leur capital social

                                                            
235
Le monopole est donc accordé de fait à ces deux catégories d'acteurs à l'exclusion de tout autre.
236
Aux termes de l'article 8 du Règlement: "Les établissements de crédit sont agréés en qualité de banques
universelles, banques spécialisées, établissements financiers ou sociétés financières". 
237
Sur la classification des établissements de crédit, voir : KALIEU ELONGO (Y.), Un pas de plus vers
l'uniformisation de la législation bancaire dans la CEMAC, précité, p. 5 et sv.
47 

 
minimum238. En général, il s'agit de filiales d'établissements bancaires spécialisés
dans le crédit-bail239.
Pour ce qui est des EMF, rien ne s'oppose, sur le principe, à l'exercice de
l'activité de crédit-bail par ces établissements dès lors qu'ils y sont autorités par la
COBAC. Toutefois, l'extension du crédit-bail à cette catégorie d'acteurs bancaires
peut donner lieu à quelques difficultés. La première vient de ce que l'activité de
crédit-bail ne peut être exercée par les EMF qu'à titre accessoire alors que pour les
établissements de crédit, elle constitue une activité principale. La seconde, et la plus
importante, résulte de ce qu'il existe plusieurs catégories d'EMF qui répondent à des
critères différents de classification en fonction de leur forme sociale ou de leur
capital social minimum par exemple240.

Dès lors, autoriser l'exercice de l'activité de crédit-bail par les EMF sans
précision, amène à se poser immédiatement la question de savoir quelles sont les
catégories d'EMF habilitées à exercer l'activité autrement dit tous les EMF sans
distinction de catégorie peuvent-ils accomplir les opérations de crédit-bail? Notre avis
est que, au-delà de l'autorisation préalable de l'autorité communautaire de contrôle
qui peut être moyen de contrôler l'exercice de cette activité fut-elle accessoire,
l'activité de crédit-bail devrait être exercée uniquement par les EMF de 2ème
catégorie. La raison en est que l'exercice de cette activité nécessite des moyens
financiers importants. L'établissement de crédit-bail doit en effet avoir les moyens
d'acquérir les biens objet du contrat de crédit-bail. De plus, il s'agit très souvent d'une
opération de crédit, à moyen ou long terme. Or, seuls les EMF de 2ème catégorie du
fait de leur forme sociale et de leur capital social minimum peuvent mobiliser de tels
moyens241. Il convient de rappeler que les établissements financiers, seule catégorie
d'établissements de crédit autorisée à pratiquer le crédit-bail ne sont pas autorisés à
collecter l'épargne et ne fonctionnement qu'avec leurs capitaux propres ou des fonds
provenant des emprunts. De plus, la gestion " au quotidien" des opérations de crédit-
bail nécessite des moyens matériels et humains suffisamment importants.
Faute de limiter l'activité de crédit-bail aux seuls établissements de crédit ou
uniquement à certaines catégories d'EMF, ce qui aurait été contraire à la législation

                                                            
238
Ce montant minimum est de 2 milliards de francs Cfa..
239
Selon l'importance de l'activité, ils pourraient être spécialisés par exemple pour le crédit-bail immobilier
ou le crédit-bail mobilier uniquement.
240
Les EMF sont classés en trois catégories: les EMF de première catégorie procèdent à la collecte de
l'épargne de leurs membres qu'ils emploient en opérations de crédit exclusivement au profit de ceux-ci; il
ne leur est pas imposé de capital social minimum. Les établissements de microfinance de deuxième
catégorie pour leur part, collectent l'épargne et accordent le crédit aux tiers; ils doivent avoir un capital
social minimum de 50 millions de F Cfa et être constitués en SA. Quant aux EMF de troisième catégorie,
ils accordent des crédits sans exercer l'activité de collecte et d'épargne; ils travaillent avec leurs ressources
propres. En cela, ils se rapprochent des établissements financiers. Leur capital social minimum est de 25
millions de F Cfa sauf pour les projets.
241
Par contre, les EMF de 1ère catégorie devraient en être exclus au regard de l'absence de capital social
minimum imposé et en raison de ce qu'ils ne peuvent traiter qu'avec les membres. Il en est de même des
EMF de 3ème catégorie qui doivent être également exclus du fait de leur capital social relativement faible -
voire inexistant pour ce qui est des projets - lorsqu'on le compare au capital social minimum des
établissements financiers.
48 

 
CEMAC, les rédacteurs de la loi de 2010 auraient pu saisir l'occasion de ce texte
pour élaborer un statut commun à tous les établissements pratiquant le crédit-bail. Il
se serait agi par exemple de poser des exigences supplémentaires aux EMF souhaitant
exercer cette activité242.

B - La solution possible : l'élaboration d'un statut commun aux établissements


de crédit-bail
La nécessité d'un statut commun des établissements de crédit-bail - compte
non tenu de leur qualité d'établissement de crédit ou de microfinance - n'a pas
totalement échappé au législateur camerounais. Mais, pour l'instant, il ne l'a envisagé
que sur les plans fiscal et comptable.
S'agissant des règles comptables, l'article 59 de la nouvelle loi prévoit que "
Les règles comptables applicables aux contrats de crédit-bail sont celles du plan
comptable des Etablissements de crédit arrêté par la Commission bancaire de
l’Afrique Centrale et les textes modificatifs subséquents"243. On déduit de cette
disposition dont la clarté ne fait pas de doute que les établissements de microfinance
qui pratiquent le crédit-bail sont soumis de facto aux normes comptables applicables
aux établissements de crédit et non aux règles comptables propres aux établissements
de microfinance244. Ces règles étant plus rigoureuses, elles permettront indirectement
de contrôler l'activité des EMF pratiquant cette activité.
Sur le plan fiscal et aux termes de l'article 60, la nouvelle loi prévoit que "
Les dispositions fiscales applicables au crédit-bail sont régies par les dispositions du
Code général des Impôts applicables en la matière". Le législateur a opté ici
également pour l'uniformisation du régime fiscal des établissements de crédit-bail
compte non tenu de leur qualité d'établissement de crédit ou de microfinance. Il est
vrai que le souci, à travers un régime fiscal propre, est surtout celui de rendre plus
attractive l'activité de crédit-bail pour les entreprises qui le pratiquent 245.
Le législateur aurait pu cependant aller plus loin dans la recherche d'un statut
commun aux établissements de crédit-bail en envisageant par exemple une forme
sociale unique pour les établissements de crédit-bail246, un capital social minimum
commun ou en élaborant des normes prudentielles et de gestion propres à ces
établissements.

                                                            
242
Il est vrai que par le biais de l'agrément ou de l'autorisation préalable, la COBAC pourrait en fait limiter
l'accès à cette activité aux EMF présentant certaines garanties.
243
Ces normes sont celles contenues dans différents Règlements dont le principal est le Règlement COBAC
R-98 /01 du 15 février 1998 relatif au plan comptable des établissements de crédit tel que modifié par
l'Instruction COBAC I-2002/01 du 20 mars 2002 ( Voir Recueil de textes relatifs aux établissements de
crédit et aux établissements de microfinance, Jurisafrica, éd. 2012, p. 517 et sv.).
244
Ces règles font l'objet de règlements communautaires spécifiques. Voir Recueil de textes relatifs aux
établissements de crédit et aux établissements de microfinance, Jurisafrica, éd. 2012, p. 631et sv.
245
Concrètement, ce régime fiscal consiste en des avantages fiscaux accordés à ces établissements. Voir
en ce sens, MINKOA SHE (A.), Droit des sûretés et garanties dans l'espace OHADA, précité, p. 209.
Egalement: AURILLAC (E.), Le crédit-bail en Afrique, précité, p. 9 et sv.
246
Alors que les établissements financiers sont nécessairement des SA, les EMF peuvent prendre diverses
formes (associations, mutuelles, sociétés coopératives, etc.). Seuls les EMF de 2è catégorie ont l'obligation
de se constituer sous forme de SA.
49 

 
En attendant cette harmonisation éventuelle du statut des établissements qui
pratiquent le crédit-bail au Cameroun, il faut conclure en disant que, malgré les
insuffisances que comporte la loi de 2010, elle constitue désormais une législation
propre au crédit-bail. Cette législation était sinon attendue du moins souhaitée. Reste
maintenant à espérer que ce cadre juridique, inspire d'autres législateurs nationaux et
surtout contribue à rassurer tous les opérateurs économiques qui souhaiteraient
recourir au crédit-bail pour améliorer leur activité. Ainsi, comme sous d'autres cieux,
le crédit-bail pourra contribuer effectivement à la croissance des entreprises et
particulièrement des PME maillon essentiel de notre tissu économique.

Yvette Rachel
KALIEU ELONGO
Professeur agrégée de droit privé
Université de Dschang

50 

 
LE FORMALISME DE LA SAISIE IMMOBILIERE EN DROIT OHADA
Par
Guy Saturnin TSETSA
Magistrat,
Juge au Tribunal de Grande Instance d’Owando, R. Congo
E-mail : guytsetsa@gmail.com

INTRODUCTION
La saisie immobilière est une procédure permettant à un créancier muni d’un titre
exécutoire247 de poursuivre la vente d’un bien immobilier appartenant à son débiteur
afin de se faire payer sur le prix de vente. Elle constitue l’ultime recours248 du
créancier souvent excédé par la défaillance de son débiteur249, lorsque ce n’est pas le
caractère récalcitrant de ce dernier qui le contraint à s’y résoudre pour obtenir, enfin,
le paiement de sa créance250.
Pourtant, la mise en œuvre de cette procédure n’est pas toujours aisée, la saisie
immobilière est une procédure très formaliste, complexe, onéreuse et longue dont le
succès est tributaire de la maitrise des arcanes de la procédure, mais aussi de la
dextérité de l’huissier instrumentaire.
La saisie immobilière exige du poursuivant le respect d’un formalisme assez
rigoureux dont l’inobservation devra anéantir la procédure ainsi entreprise. Ce
formalisme se déduit aisément de l’article 246 de l’Acte Uniforme portant
Organisation des Procédures Simplifiées de Recouvrement et des Voies d’Exécution
(AUVE) aux termes duquel « le créancier ne peut faire vendre les immeubles
appartenant à son débiteur qu’en respectant les formalités prescrites par les
dispositions qui suivent. Toute convention contraire est nulle». Ce texte doit être
perçu comme une injonction faite au poursuivant de respecter les formalités exigées
dans la mise en œuvre de cette procédure. En dépit de cette obligation, il sied de
noter que toutes les formalités ne seront pas accomplies uniquement par le
poursuivant, d’autres doivent être remplies par le saisi, le tiers détenteur,
l’adjudicataire, le surenchérisseur, le greffier, voire le conservateur des hypothèques.

Pour prétendre satisfaire aux exigences de ce formalisme, le poursuivant doit établir


un calendrier des diligences à accomplir dès le déclenchement de la procédure.
                                                            
247
Certes, l’art.247 al.2 de l’AUVE permet de pratiquer une saisie immobilière sur le fondement d’un titre
exécutoire par provision, ou pour une créance non encore liquidée, cependant l’adjudication ne peut être
effectuée qu’en vertu d’un titre définitivement exécutoire et après la liquidation.
248
S’agissant du créancier chirographaire, l’art.28 AUVE lui fait obligation de procéder d’abord à la saisie
des biens meubles du débiteur ; et ce n’est qu’en cas d’insuffisance de ceux-ci qu’il est autorisé à pratiquer
une saisie immobilière. Toutefois, cette restriction ne s’applique pas au créancier hypothécaire ou
privilégié.
249
Il a été décidé que faute pour le créancier chirographaire d’avoir d’abord procédé à la saisie des biens
meubles du débiteur dont l’existence est prouvée par un procès verbal qui en fait l’inventaire, la saisie
immobilière pratiquée doit être déclarée nulle cf.TGI, Moungo, jugement N°15/CIV du 07 décembre 2006,
Aff. Maitre LANKEUH Senghor, Mme LANKEUH née KOUAGANG Margueritte, C/ Sieur NGAMOU
Théophane, Ohadata J-09-251.
250
En principe cette créance est incontestable pour la simple raison qu’elle a été, au préalable, consacrée
par un titre exécutoire bien avant le déclenchement de la procédure.
51 

 
Chaque formalité doit être accomplie dans un délai précis, dont l’inobservation sera
sanctionnée par la déchéance. Le poursuivant doit se livrer à ce qu’il convient
d’appeler « une course contre la montre » pour tenir les délais étant entendu que le
non respect de délai dans l’accomplissement d’un seul acte peut avoir des
conséquences désastreuses pour la suite de la procédure. C’est ce que souligne la
doctrine en ces termes : « un des inconvénients de cette procédure (saisie
immobilière) résulte de ces délais en cascade : l’inobservation de l’un d’eux emporte
déchéance de l’acte et l’irrégularité se reporte sur les actes suivants et affecte de
nullité toute la procédure251».
Le respect des délais participe du renforcement du formalisme de cette voie
d’exécution spécifique. D’ailleurs, l’on ne peut dissocier le respect des délais du
formalisme de la procédure, les deux concepts étant de notions limitrophes aux
frontières mouvantes, se confondant par moment, et donnant à la saisie immobilière in
fine, le visage bicéphale de Janus.
La saisie immobilière exige d’observer le formalisme qui jalonne chaque étape de la
procédure, des incidents soulevés à la distribution du prix de l’immeuble (II), la même
obligation pèse au demeurant sur chaque partie pouvant avoir des prétentions à faire
valoir dans la procédure. L’étendue de cette exigence ne devra être comprise qu’au
regard des formalités à accomplir (I)

I. De la saisie à la vente de l’immeuble : les formalités à remplir

La saisie immobilière exige du poursuivant l’accomplissement des formalités


prescrites, à peine de nullité. Le poursuivant se doit d’accomplir toute les formalités
dans l’ordre établi. En dépit du fait que la CCJA ait raté l’opportunité de se prononcer
sur la question pour prescrire au poursuivant un calendrier à suivre dans
l’accomplissement des actes252, il va de soi que dans l’accomplissement de ces
différentes formalités, le poursuivant doit observer une certaine chronologie, dictée,
elle-même, par la nature intrinsèque des actes à accomplir dans la structuration
globale de la procédure. Ce sera en effet, une curiosité procédurale que d’admettre
qu’un acte soit accompli avant un autre alors que la validité du second acte est
tributaire de la régularité premier.

A- les formalités relatives à la saisie de l’immeuble

Certaines formalités doivent être accomplies avant la tenue de l’audience éventuelle,


d’autres le seront postérieurement à celle-ci. Néanmoins, certains préalables sont
obligatoires pour le déclenchement de la procédure.
1) Les formalités préalables au déclenchement de la procédure

                                                            
251
S. GUICHARD, T. MOUSSA (dir), Droit et pratiques des voies d’exécution, Dalloz Action, 2010-2011,
p.1327
252
CCJA, Arrêt n°25 du 15 Juillet 2004, Aff. Dame M c/ Société Commerciale de Banque Crédit Lyonnais
dite SGB-CL.
52 

 
Au nombre des formalités à accomplir avant le déclenchement de la procédure
figurent l’immatriculation préalable de l’immeuble et la délivrance d’un pouvoir
spécial à l’huissier de justice instrumentaire.
a)- l’immatriculation préalable de l’immeuble à exproprier
D’emblée il importe de noter que seuls les immeubles immatriculés peuvent faire
l’objet d’une saisie immobilière. De ce fait, lorsque l’immeuble à exproprier n’est
pas immatriculé, le poursuivant doit requérir l’immatriculation préalable
conformément aux dispositions de l’article 253 de l’AUVE. Aux termes de cette
disposition « si les immeubles devant faire l’objet de la poursuite ne sont pas
immatriculés et si la législation nationale prévoit une telle immatriculation, le
créancier est tenu de requérir l’immatriculation à la conservation foncière après y
avoir été autorisé par décision du président de la juridiction compétente de la
situation des biens, rendue sur requête et non susceptible de recours ». Le second
alinéa ajoute, «qu’à peine de nullité, le commandement visé à l’article 254 ci-après ne
peut être signifié qu’après le dépôt de la réquisition d’immatriculation et la vente ne
peut avoir lieu qu’après la délivrance du titre foncier ».
Pour ce faire, le poursuivant doit solliciter et obtenir du président du Tribunal de
Grande Instance du lieu de la situation de l’immeuble une ordonnance aux fins
d’immatriculation forcée de l’immeuble à exproprier. Cette ordonnance, dit l’article
253 AUVE, est « insusceptible de recours ».
Le poursuivant doit solliciter l’immatriculation de l’immeuble non pas à son nom,
mais au nom du débiteur conformément à la législation nationale sur
l’immatriculation foncière. En droit positif congolais, l’immatriculation est régie par
la loi de Finance n°17/2000 du 30 décembre 2000 portant Régime de la Propriété
Foncière au Congo. Selon l’article 48 de ce texte, « en matière de saisie, la
réquisition d’immatriculation est établie au nom du débiteur par le créancier
saisissant ou son représentant qui y joint la copie certifiée conforme du
commandement aux fins de saisie immobilière. Il y joint également tous les titres de
propriétés, contrats, actes publics ou privés, documents quelconques de nature à faire
connaitre les droits réels existants sur l’immeuble et qui pourraient se trouver entre
ses mains ».
La lecture combinée des dispositions des articles 253 de l’AUVE et 48 de loi précitée
appelle quelques observations. Alors que l’AUVE indique que le commandement ne
peut être signifié qu’après le dépôt de la réquisition, la loi congolaise sur la propriété
foncière fait obligation au poursuivant de joindre la copie certifiée conforme du
commandement à la réquisition d’immatriculation, ce qui, a priori, parait
contradictoire. Pourtant, la contradiction n’est qu’apparente, et pour cause, l’Acte
Uniforme ne sanctionne le commandement de nullité que s’il est signifié avant le
dépôt de la réquisition.

b)- la délivrance du pouvoir spécial aux fins de saisie immobilière

L’autre formalité à accomplir avant le déclenchement de la procédure proprement


dite, est la délivrance du pouvoir spécial aux fins de saisie immobilière à l’huissier de

53 

 
justice instrumentaire253. La saisie immobilière étant une mesure lourde de
conséquence, la doctrine estime qu’il n’est pas admis de présumer le pouvoir donné à
l’huissier de justice sans la présentation d’un acte matériel qui lui confère le pouvoir
de saisir. C’est donc ce pouvoir qui autorise l’Huissier de saisir la propriété
immobilière de son débiteur, au nom et pour le compte du saisissant. Le défaut de ce
pouvoir est sanctionné par la nullité de la procédure (Art. 254).
Ce pouvoir doit être signé de la main du créancier poursuivant ou de son mandataire,
l’avocat poursuivant n’étant pas habilité à le délivrer. S’agissant d’une saisie
diligentée par une personne morale, il appartient à son représentant légal de le
délivrer. A ce sujet, il a été décidé qu’à défaut d’avoir la qualité de directeur d’une
société conformément aux dispositions des articles 414 et suivants de l’AUSCGIE et
faute de justifier d’un pouvoir spécial pour agir au nom de cette société comme le
prévoit l’article 254 AUVE, une personne ne peut délivrer un pouvoir aux fins de
saisie immobilière au nom d’une société commerciale254. Le pouvoir spécial peut être
sous seing privé ou sous la forme d’un acte authentique255.
Le pouvoir spécial doit être délivré uniquement qu’à l’huissier de justice
instrumentaire. Il sera déclaré nul s’il a été libellé au nom d’un huissier autre que
l’huissier de justice instrumentaire256, à condition bien entendu de justifier d’un
préjudice. Ainsi dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 9 mars 2006, pour rejeter
le pourvoi régularisé par le débiteur, la CCJA a décidé entre autres que « les
requérants ne justifiant pas de préjudice par eux subis du fait de la désignation d’un
autre huissier pour procéder à la saisie, ne peuvent demander l’annulation du
commandement »257. C’est dire que même lorsque l’irrégularité est avérée,
conformément à l’article 297 de l’AUVE, le plaideur qui entend obtenir l’annulation
de l’acte de ce chef, doit justifier le préjudice que lui aurait causé ladite irrégularité.
2)-le déclenchement de la procédure

La saisie immobilière débute par la signification du commandement de saisie, suivie


du dépôt de cahier des charges au greffe du tribunal.
a)- Le commandement aux fins de saisie immobilière
Le commandement aux fins de saisie immobilière est un acte dressé par un huissier
de justice. A cet effet, il est soumis aux dispositions régissant les actes d’huissier. Il
doit contenir l’entête de l’huissier instrumentaire, être daté, signé et contenir toutes les
autres mentions utiles pour la validité de l’acte, ajoutées à cela les mentions
obligatoires propres à la saisie immobilière258. Il doit également être enregistré

                                                            
253
P-G. POUGOUE, F. TEPPI KOLLOKO, La saisie immobilière dans l’espace OHADA, éd. PUA, Coll.
Vade-mecum, 2005, p.21.
254
TGI du Moungo, Jugement N°36/Civ du 20 avril 2006, Aff. Tchamda Frida c/ La Société CICAM-
SOLICAM et La Société Générale des Banques au Cameroun dite SGBC, ohadata J-07-150.
255
S. GUICHARD, T. MOUSSA (dir), op.cit p.1321.
256
T.civ. Bergerac, 11 févr.1959, IV, 3389.
257
CCJA, 2ème chambre, arrêt n°2 du 9 mars 2006, Aff. Monsieur L.E. Société Camerounaise de
transformation dite SOCATRAF c/ Caisse Commune d’Epargne et d’Investissement, dite CCEI-Bank S.A.
devenue Afriland First Bank S.A., Le Juris-ohada n°3/2006, P.5. Ohadata J-07-09, recueil de jurisprudence
CCJA, n°7 p.20.
258
N. FRICERO, Procédures Civiles d’Exécution, gualino, lextenso éditions, 2e éd.2010, p.163.
54 

 
conformément aux dispositions des articles 61 et 100 du Code Général des Impôts, à
peine de nullité.

Si le commandement aux fins de saisie est considéré comme un acte déclencheur des
poursuites, c’est à cause des effets qu’il produit dès sa publication. A la vérité, le
commandement non encore publié ne constitue qu’un acte préalable à la saisie qui
peut être assimilé à une mise en demeure de payer les sommes réclamées dans un
délai de vingt (20) jours. Dépassé ce délai, ledit commandement sera publié à la
Conservation des Hypothèques et de la Propriété foncière et vaudra, à dater de cette
publication, saisie réelle du bien immobilier du débiteur. Il sera précisé que si par
extraordinaire, le débiteur qui a reçu signification du commandement s’avise à payer
sa dette, les poursuites s’arrêtent.
L’huissier de justice, personnage central dans la mise en œuvre de la saisie, doit
accorder une attention soutenue à la rédaction du commandement, tant il est vrai
qu’une négligence avérée de sa part peut être constitutive d’une faute susceptible
d’engager sa responsabilité259
Le commandement aux fins de saisie immobilière est signifié au débiteur saisi ou au
tiers détenteur, le cas échéant, dans les conditions fixées par les articles 254 et 255 de
l’AUVE. Conformément aux dispositions de l’article 254, toute poursuite en vente
forcée doit être précédée d’un commandement aux fins de saisie lequel doit contenir
à peine de nullité :
1) La reproduction ou la copie du titre exécutoire et le montant de la dette ainsi que
les noms, prénoms et adresses du créancier et du débiteur et, s’il s’agit d’une
personne morale, ses forme, dénomination et siège social ;
2) La copie du pouvoir spécial de saisir donné à l’huissier ou à l’agent d’exécution
par le créancier poursuivant, à moins que le commandement ne contienne, sur
l’original et la copie, le bon pour pouvoir signé de ce dernier ;
3) L’avertissement que, faute de payer dans les vingt (20) jours, le commandement
pourra être transcrit à la conservation foncière et vaudra saisie à partir de sa
publication ;
4) L’indication de la juridiction où l’expropriation sera poursuivie ;
5) le numéro du titre foncier et l’indication de la situation précise des immeubles
faisant l’objet de la poursuite ; s’il s’agit d’un immeuble non encore immatriculé, le
numéro de la réquisition d’immatriculation ; et, s’il s’agit d’impenses réalisées par
le débiteur sur un terrain dont il n’est pas propriétaire, mais qui lui a été affecté par
une décision d’une autorité administrative, sa désignation précise ainsi que la
référence de la décision d’affectation ;
6) La constitution de l’avocat chez lequel le créancier poursuivant élit domicile et où
devront être notifiés les actes d’opposition au commandement, offres réelles et toutes
significations relatives à la saisie ».
Lorsque les poursuites sont déclenchées contre un tiers détenteur, l’article 255 précise
qu’à peine de nullité, le commandement est signifié le cas échéant au tiers détenteur
avec sommation, soit de payer l’intégralité de la dette en principal et intérêts, soit

                                                            
259
Cass. 1er Civ. 11 oct. 1994, Bull.civ. n°284 D.1994.inf. rap. P.243.
55 

 
enfin de subir la procédure d’expropriation. Le délaissement se fait au greffe de la
juridiction compétente de la situation des biens, il en est donné acte par celle-ci.
La signification à tiers détenteur vise à informer le tiers de la mesure de saisie en
cours en vue de susciter les contestations éventuelles, bien entendu, lorsque le tiers
détenteur a des prétentions à faire valoir.
1) -La publication du commandement

Peu après la signification du commandement, le poursuivant doit procéder à la


formalité de la publication. Celle-ci s’effectue par le dépôt du commandement auprès
du conservateur des hypothèques lequel vise l’original du commandement et à qui
copie est remise pour la publication. Si le conservateur ou l’autorité administrative
concernée ne peut procéder à l’inscription du commandement à l’instant, il fait
mention sur l’original qui lui est laissé de la date et de l’heure du dépôt(Art259);
Le conservateur procède à la formalité de publication conformément à l’article 71 de
la loi sur la propriété foncière précitée. A partir de cette date, aucune inscription
nouvelle ne peut être prise sur l’immeuble pendant que la procédure suit son cours. En
vertu de l’article 260 AUVE, les commandements présentés postérieurement à la
publication ne peuvent plus faire l’objet d’une publication, ils seront simplement
mentionnés en marge de celui déjà publié dans l'ordre de présentation avec les nom,
prénoms, domicile du nouveau poursuivant et l’indication de l’avocat constitué. Le
Conservateur des Hypothèques constate également, en marge et à la suite du
commandement présenté, son refus de transcription et il mentionne chacun des
commandements entièrement transcrits ou mentionnés avec les indications qui y sont
portées et celle de la juridiction où la saisie est faite.
Il importe de relever que si aux termes de l’article 257 AUVE, lorsque la saisie porte
sur plusieurs immeubles simultanément, un seul commandement peut être établi pour
tous les immeubles, l’on peut utilement s’interroger sur le mutisme du législateur
OHADA s’agissant de la publication simultanée de plusieurs commandements
portant sur le même immeuble. Cette préoccupation a retenu l’attention du législateur
français lequel a préconisé à l’article 20 du décret du 27 juillet 2006260 que « si la
publication de plusieurs commandements valant saisie du même immeuble est requise
simultanément, seul est publié le commandement qui mentionne le titre exécutoire
portant la date la plus ancienne. Lorsque des titres portent la même date, seul le
commandement le plus ancien est publié ; si les commandements sont de la même
date, seul est publié celui dont la créance en principal est la plus élevée.» Avant la
reforme intervenue en 2006, l’article 679 de l’ancien code de procédure civile avait
retenu une solution différente261.
Après la publication du commandement, le débiteur ne peut aliéner l’immeuble, ni le
grever d’un droit réel ou des charges. En vertu de l’article 263 de l’Acte Uniforme, les

                                                            
260
Il s’agit du décret d’application de l’ordonnance N°2006-461 du 21 avril 2006 portant reforme de la
saisie immobilière, (JO 22 avr. 2006, p.6068).
261
Ce texte disposait que si la publication de plusieurs commandements est requise simultanément, seul
peut être publié le commandement qui mentionne le titre exécutoire portant la date la plus ancienne ; si les
titres portent la même date, le commandement le premier en date et si les commandements portent la même
date, celui dont la publicité est requise à la diligence de l’avocat le plus ancien.
56 

 
fruits naturels ou industriels, les loyers et fermages recueillis postérieurement au
dépôt du commandement ou le prix qui en provient sont, sauf l’effet d’une saisie
antérieure, immobilisés pour être distribués avec le prix de l’immeuble. Ils sont
déposés, soit à la caisse des dépôts et consignations, soit entre les mains d’un
séquestre désigné par le président du tribunal compétent.
Le législateur OHADA fait remonter l’effet de l’indisponibilité des biens attachés à
la saisie non pas à la date de la publication effective du commandement, mais à la
date du dépôt du commandement. Or, le dépôt du commandement à la conservation
foncière n’implique pas nécessairement sa publication, le conservateur des
hypothèques étant investi du pouvoir de rejeter cette publication dès lors que les
conditions requises par la loi ne sont plus réunies. Une difficulté peut alors surgir
lorsque le poursuivant qui a obtenu la mise sous séquestre des loyers générés par
l’immeuble à saisir après le dépôt du commandement à la conservation, a vu sa
demande de publication rejetée par le conservateur dont la décision est par la suite
confirmée par une décision de justice. Dans ces conditions, le débiteur peut utilement
solliciter la mainlevée de la mesure de séquestre en tirant argument de la décision
intervenue. Le législateur a voulu faciliter la mise sous main de justice des fruits
générés par l’immeuble à saisir pour éviter que ceux-ci soient distraits par le saisi
alors que la procédure est en cours.
Nonobstant cette indisponibilité de principe, force est de constater, en pratique, que le
débiteur continue de percevoir les loyers et autres revenus générés par l’immeuble
saisi. Cela est dû au fait que le poursuivant ne sollicite pas cette mesure. Il appartient
donc au poursuivant de saisir le président du Tribunal de Grande Instance compétent
d’une requête juste après le dépôt du commandement à la conservation sans attendre
la publication effective de celui-ci.

2)-Le délai de la publication

Le commandement doit être publié dans un délai de trois mois pour dater de la
signification. Selon les dispositions de l’article 259 alinéa 3 de l’AUVE, si un
commandement n’a pas été déposé au bureau de la conservation foncière ou à
l’autorité administrative concernée dans les trois mois de la signification, puis
effectivement publié, le créancier ne peut reprendre les poursuites qu’en les réitérant.
Cette disposition imparti un délai maximum de trois mois au poursuivant pour
procéder à la publication du commandement, faute de quoi, il devra réitérer son
commandement, c’est –à-dire, le renouveler. Il s’agit ici d’une hypothèse classique de
la péremption du commandement connue en jurisprudence. En droit français, l’article
674 de l’ancien code de procédure civile qui avait inspiré le législateur OHADA
fixait ce délai à quatre-vingt –dix (90) jours. Depuis la reforme introduite par
l’ordonnance du 21 avril 2006262 portant reforme de la saisie immobilière, ce délai a
été ramené à deux mois. En dernière analyse, il importe d’indiquer que l’article 259
AUVE ne fixe qu’une date butoir au delà de laquelle le commandement encourt la

                                                            
262
Art.18 du décret du 27 juillet 2006 suscité.
57 

 
péremption. De ce fait, théoriquement, le poursuivant a toute latitude pour faire
publier son commandement sans délais après la signification.
Par ailleurs, La lecture de l’article 254 alinéa 3 de l’AUVE selon lequel le
commandement contient à peine de nullité « l'avertissement que, faute de payer dans
les vingt (20) jours, le commandement pourra être transcrit à la conservation foncière
et vaudra saisie à partir de sa publication» peut laisser supposer que le législateur
OHADA accorde un délai de vingt (20) jours au poursuivant pour procéder à la
publication du commandement. Le délai de vingt (20) jours indiqué par ce texte n’est
pas un délai d’attente imposé au poursuivant avant la publication du commandement,
il s’agit plutôt d’un délai imparti au débiteur pour honorer sa dette263. Le saisissant
peut procéder à la publication du commandement sans devoir attendre l’expiration
dudit délai. Il peut même procéder à cette formalité le lendemain de la signification
du commandement. Cependant, si le débiteur venait à honorer sa dette dans ce délai,
le poursuivant qui aurait fait publier le commandement devra supporter les frais pour
obtenir sa radiation. Aussi est-il conseillé d’attendre l’expiration de ce délai avant de
procéder à la publication.

b)- La rédaction du cahier des charges

L’article 266 de l’AUVE définit le cahier des charges comme un document rédigé et
signé par l’avocat du créancier poursuivant qui précise les conditions et modalités de
la vente de l’immeuble saisi. Il est déposé au greffe du Tribunal de Grande Instance
dans le ressort duquel se trouve l’immeuble dans un délai maximum de cinquante (50)
jours à compter de la publication du commandement à peine de déchéance. A peine de
nullité, le cahier des charges contient les mentions suivantes :
1) l'intitulé de l'acte ;
2) l'énonciation du titre exécutoire en vertu duquel les poursuites sont exercées contre
le débiteur et du commandement avec la mention de sa publication ainsi que des
autres actes et décisions judiciaires intervenus postérieurement au commandement et
qui ont été notifiés au créancier poursuivant ;
3) l'indication de la juridiction ou du notaire convenu entre le poursuivant et le saisi
devant qui l'adjudication est poursuivie ;
4) l'indication du lieu où se tiendra l'audience éventuelle prévue par l'article 270 ci
après;
5) les nom, prénoms, profession, nationalité, date de naissance et domicile du
créancier poursuivant;
6) les nom, qualité et adresse de l'avocat poursuivant ;
7) la désignation de l'immeuble saisi contenue dans le commandement ou le procès
verbal de description dressé par l'huissier ou l'agent d'exécution ;
8) les conditions de la vente et, notamment, les droits et obligations des vendeurs et
adjudicataires, le rappel des frais de poursuite et toute condition particulière ;
9) le lotissement s'il y a lieu ;

                                                            
263
Tribunal régional hors classe de Dakar, audience éventuelle, jugement du 2 novembre 1999, Société
Générale de Banque au Sénégal dite SGBS c/ Ady NIANG, Ohadata j-03-268.
58 

 
10) la mise à prix fixée par le poursuivant, laquelle ne peut être inférieure au quart de
la valeur vénale de l'immeuble. La valeur de l'immeuble doit être appréciée, soit au
regard de l'évaluation faite par les parties lors de la conclusion de l'hypothèque
conventionnelle, soit, à défaut, par comparaison avec les transactions portant sur des
immeubles de nature et de situations semblables.
Au cahier des charges, est annexé l'état des droits réels inscrits sur l'immeuble
concerné délivré par la conservation foncière à la date du commandement.
Les formalités édictées par cette disposition étant prescrites à peine de nullité, la
rédaction du cahier des charges doit mobiliser l’attention de l’avocat poursuivant,
l’omission de certaines mentions devra donner lieu à des contestations. Néanmoins,
même en présence d’une irrégularité avérée, le contestataire devra justifier d’un grief
afin d’obtenir la nullité du cahier des charges de ce chef, puisqu’en vertu de l’article
297 alinéa 2, les formalités prescrites par ce texte (Art.266) ne sont sanctionnées par
la nullité que si l'irrégularité a eu pour effet de causer un préjudice aux intérêts de
celui qui l'invoque.

Il est permis de relever que le fait pour le poursuivant de ne pas avoir annexé l’état
des droits réels inscrits sur l’immeuble saisi délivré par la conservation foncière à la
date de l’inscription du commandement n’emporte pas nullité du cahier des charges.
En réalité, la sanction de la nullité prévue par cette disposition ne concerne que les dix
premiers points du premier alinéa, cette position a été rappelée par la CCJA264 dans un
arrêt d’une grande portée jurisprudentielle. Malgré cette jurisprudence, la question
continue de nourrir les débats dans les prétoires des tribunaux. Ainsi dans une
affaire soumise à l’appréciation du Tribunal de Grande Instance (TGI) de Brazzaville,
la débitrice saisie soulevait la nullité du cahier des charges, motif pris de ce que le
poursuivant avait omis d’annexer audit cahier, l’état des droits réels inscrits sur
l’immeuble saisi délivré par la conservation foncière à la date de la publication du
commandement. Sur le fondement de l’article 266 de l’AUVE, ce tribunal a décidé
que « l’omission de l’annexion au cahier des charges, de l’état des droits réels
inscrits sur les immeubles saisis délivré par la conservation foncière à la date de la
publication du commandement n’emporte pas nullité du cahier des charges »265.

Si l’Acte Uniforme définit le cahier des charges comme un document précisant les
conditions et modalités de la vente de l’immeuble saisi, sa nature juridique est une
question âprement débattue par la doctrine avant que la jurisprudence y apporte une
réponse. Alors que certains considèrent le cahier des charges comme un simple
projet contenant les clauses et conditions de la vente projetée266, d’autres par contre
estiment qu’il constituait une convention ayant force exécutoire entre le saisissant, les
                                                            
264
CCJA, arrêt N° 033/2007 du 22 nov 2007, Aff. Compagnie des Transport commerciaux dite
COTRACOM C/ La Banque Internationale de l’Afrique de l’Ouest (recueil de jurisprudence N°10 juil.-
Déc. P.23, Ohadata J-08-243.
265
TGI, Brazzaville, audience éventuelle, jugement du 05 oct.2012, rôle civil N°359, Aff. La Banque
congolaise de l’Habitat dite BCH c/ La Société Hyper Impex.
266
G. COUCHEZ, Voies d’exécution, 10e éd. 2010, Sirey, pp.234, selon l’auteur, le cahier des charges
n’est à l’origine n’est qu’un projet dans la mesure où, en conséquence du règlement des éventuelles
contestations dont il peut faire l’objet, il est susceptible de modification.  
59 

 
créanciers, le saisi et l’adjudicataire267. Cette dernière conception a été approuvée par
la Deuxième chambre de la Cour de Cassation268. Pour respectable qu’elle soit, cette
conception est incomplète à notre avis. En effet, avant la tenue de l’audience
éventuelle, le cahier des charges qui n’est qu’un document précisant les conditions et
modalités de la vente de l’immeuble saisi, ne peut avoir un caractère obligatoire pour
les parties pour qu’il puisse être assimilé à une convention ayant force exécutoire dès
lors que certaines de ses clauses ont vocation à être modifiées ou supprimées par un
dire ou par le tribunal dans l’exercice de son pouvoir de contrôle sur les conditions de
la vente projetée. De sorte que le cahier des charges n’acquiert véritablement le
caractère conventionnel qu’après l’audience éventuelle269, la solution apportée aux
contestations ainsi soulevées pouvant bouleverser substantiellement les conditions de
la vente270.
Cinquante (50) jours au plus tard après la publication du commandement, le
poursuivant est tenu de déposer le cahier des charges au greffe du Tribunal de Grande
Instance du lieu de la situation de l’immeuble. Ce délai est prescrit à peine de
déchéance (art.266 AUVE).
Contrairement à une certaine pratique qui consiste à déposer le cahier des charges au
greffe après le dépôt du commandement à la conservation foncière sans devoir
attendre la publication effective, en se complaisant de la seule mention « arrivée le 18
novembre 2013» par exemple, apposée sur l’original du commandement, l’article 266
de l’AUVE fait remonter le dies a quo pour la computation des délais de cinquante
(50) jours à la date de publication effective du commandement. En clair, c’est la date
de l’inscription du commandement au registre foncier qui marque le premier jour dans
la computation des délais. Or, en déposant le cahier des charges au greffe au vu de la
date du dépôt du commandement à la conservation, le saisi pourra soulever
l’irrégularité de la procédure si l’inscription du commandement intervient
postérieurement à la date du dépôt du cahier des charges. C’est le sens du pourvoi
régularisé par devant la CCJA dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 15 juillet
2004 précité271. Dans cette procédure le commandement avait été déposé à la
conservation foncière le 14 septembre 2000, celui-ci sera effectivement publié le 12
octobre 2000 alors que le cahier des charges avait été déposé le 27 septembre 2000.
Le demandeur au pourvoi s’estimait donc fondé de solliciter la nullité des poursuites
engagées aux motifs entre autres, que le cahier des charges avait été déposé au greffe
du tribunal antérieurement à la publication du commandement à la conservation
foncière. Répondant à ce moyen, la CCJA a décidé dans un attendu aussi limpide que
contestable, que « l’article 262, en son alinéa 1er aux termes duquel en cas de non
paiement, le commandement vaut saisie à compter de son inscription n’a pas pour
objet de déterminer l’ordre de l’accomplissement des formalités de la saisie
                                                            
267
H. CROZE, C.LAPORTE, Guide Pratique de la Saisie Immobilière, LexisNexis, Litec, 2e éd. 2010, coll.
Litecprofessionnels, p.71.  
268
Cass. 2è civ. 1er déc.1976 N°74-14.584, Bull.civ II, N°323 ; Jcp 1981 II, 19561 ; Cass. 2è civ. 14
janv.1981 ;Bull. civ II, N°3 ; Cass. 2è civ. 2 juill. 1986 : Bull. civ II, N° 102 ; D.1987, p.110, note J.
Prévaut. 
269
Civ.2e, 2 juill. 1986, n°85-12.884, Bull. civ.II, n°102. 
270
L’exemple le plus éloquent est celui de la modification de la mise à prix.
271
Affaire Dame M c/ Société Commerciale de Banque Crédit Lyonnais dite SGB-CL (précitée).
60 

 
immobilière, mais de préciser le point de départ des effets du commandement à
l’égard du débiteur saisi et de certains tiers qu’il situe au jour où celui-ci est
publié ». Certains auteurs272 ont souligné pertinemment que la CCJA n’avait pas bien
compris la préoccupation du demandeur au pourvoi puisqu’il ne s’agissait pas des
formalités au sens de l’article 297 alinéa 2, mais plutôt des délais dont la sanction est
la déchéance. Il va de soi que le saisissant doit respecter une certaine chronologie
dans l’accomplissement des formalités.

c)- La sommation de prendre communication du cahier des charges

Le cahier des charges déposé au greffe, le poursuivant doit sommer le saisi et les
créanciers inscrits, le cas échéant, d’en prendre communication et d’y insérer leurs
dires. Cette sommation doit être faite à personne ou à domicile s’agissant du débiteur
saisi, à domicile élu en ce qui concerne les créanciers inscrits (Art.269).
Il s’agit d’une obligation légale à laquelle le poursuivant ne doit se soustraire sous
aucun prétexte. Cette exigence s’inscrit dans le souci de toucher les personnes
intéressées par la saisie afin qu’elles puissent faire valoir leurs moyens de défenses
dans la mesure où l’exercice de leur action peut être de nature à anéantir la procédure
en cours273, mais aussi d’éviter des éventuelles contestations tirées du caractère non
contradictoire de la procédure; encore faut-il que l’huissier instrumentaire puisse
servir ladite sommation à personne, à domicile ou à domicile élu. Car il est déjà arrivé
que l’huissier instrumentaire puisse servir la sommation de prendre communication
du cahier des charges à parquet ou à Mairie, en faisant sans doute un rapprochement
insolite avec la citation à parquet ou à mairie. Le poursuivant, auteur de cette bourde
peut toujours justifier son impéritie par le fait qu’il est sans nouvelles de son débiteur
dont il ignore d’ailleurs le domicile, le saisi ayant déménagé de son précédent
domicile à la cloche de bois soit. Cependant en dépit de ces arguments, le législateur
OHADA fait obligation au poursuivant de faire les diligences nécessaires pour servir
la sommation à personne ou à domicile et cette disposition ne doit souffrir d’aucune
entorse. Aussi a t-il été décidé que la sommation de prendre communication du cahier
des charges doit être déclaré nulle dès lors que sa signification n’a pas été faite en la
personne du débiteur, mais plutôt à parquet, en la personne du Substitut du Procureur
de la République au mépris des prescriptions de l’article 269 alinéa 2 de l’AUVE274.

                                                            
272
P-G. POUGOUE, F. TEPPI KOLLOKO, op.cit. p.39 Voir aussi B. DIALLO, La saisie immobilière en
droit OHADA vue par le juge suprême, commentaire de l’arrêt CCJA n°25 du 15 Juillet 2004 Affaire Dame
M c/ Société Commerciale de Banque Crédit Lyonnais dite SGB-CL. Jurifis, édition spéciale N°12,
Octobre 2012, p.44, ohata D-13-16, l’analyse faite par ces auteurs est de plus pertinente et mérite d’être
saluée.

273
P-G. POUGOUE, F. TEPPI KOLLOKO, op.cit p.43, ces auteurs citent l’exemple du vendeur impayé
dont l’exercice de l’action en résolution de ladite vente aura pour conséquence la sortie de l’immeuble du
patrimoine du saisi, rendant ainsi la procédure de saisie immobilière entreprise sans objet.
274
CCJA, 1ère chambre, arrêt N° 060 du 30 décembre 2008, Aff. Banque Internationale de l’Afrique de
l’Ouest dite BIAO-CI c/ 1- Monsieur S. 2-Madame C. Juris Ohada N)1/2009, Janvier- mars p.39 ; Ohadata
J-09-269.
61 

 
Il est aussi arrivé que le poursuivant fasse fi de l’obligation à lui faite de servir
sommation au débiteur et se limite de déposer le cahier des charges au greffe, le saisi
n’apprenant l’existence de la procédure que par le biais du greffe lequel lui a notifié
un avis d’audience à laquelle était jointe le cahier des charges!

La sommation de prendre communication du cahier des charges doit contenir


certaines mentions. Aux termes de l’article 270 de l’AUVE, Cette sommation
indique, à peine de nullité :
1) les jour et heure d'une audience dite éventuelle au cours de laquelle il sera statué
sur les dires et observations qui auraient été formulés, cette audience ne pouvant avoir
lieu moins de trente (30) jours après la dernière sommation ;
2) les jour et heure prévus pour l'adjudication qui doit avoir lieu entre le trentième et
le soixantième jour après l'audience éventuelle ;
3) que les dires et observations seront reçus, à peine de déchéance jusqu'au cinquième
jour précédant l'audience éventuelle et qu'à défaut de former et de faire mentionner à
la suite du cahier des charges, dans ce même délai, la demande en résolution d'une
vente antérieure ou la poursuite de folle enchère d'une réalisation forcée antérieure, ils
seront déchus à l'égard de l'adjudicataire de leur droit d'exercer ces actions.

Dans les huit (08) jours, au plus tard, après le dépôt du cahier des charges, le
poursuivant doit servir au saisi et aux créanciers inscrits, sommation de prendre
communication, au greffe, du cahier des charges et d'y faire insérer leurs dires
(art.269). Ce délai aussi bref soit-il doit être respecté par le poursuivant étant entendu
que sa violation est sanctionnée par la déchéance (art.297 al.1). Le poursuivant doit
faire toutes les diligences pour servir cette sommation au saisi dans les délais
prescrits même lorsque ce dernier est domicilié hors du ressort du tribunal devant
lequel le cahier des charges a été déposé. La question reste posée dans l’hypothèse où
celui-ci est domicilié à l’étranger, les dispositions de l’article 39 du Code de
procédure Civile, Commerciale, Administrative et Financière ne pouvant s’appliquer
en cette matière et l’Acte Uniforme n’ayant pas prévu de prorogation des délais en
raison des distances. Dans cette optique, le poursuivant devra faire preuve
d’ingéniosité afin de toucher le débiteur. Nous osons espérer que le législateur
OHADA prendra en compte cette préoccupation lors de la révision de l’Acte
Uniforme à venir.

d)-Le dépôt des dires et observations

Le saisi qui a pris connaissance de la teneur du cahier des charges doit faire valoir ses
prétentions au moyen des écritures intitulées « dires et observations ». L’article 270
AUVE lui impartit un délai assez bref, jusqu’au cinquième jour précédent l’audience
éventuelle pour déposer ses dires. Le saisi ne doit pas attendre la tenue de l’audience
éventuelle afin de déposer ses dires et observations. Ceux-ci doivent être déposés
impérativement au greffe juste après avoir pris connaissance de la teneur du cahier
des charges. Il s’agit d’une date butoir à laquelle il ne peut être dérogé. En cas
d’inobservation, la déchéance sera encourue.

62 

 
B - De l’audience éventuelle à l’adjudication de l’immeuble

Avant de poursuivre la vente par l’adjudication de l’immeuble, le tribunal doit, s’il ya


lieu, trancher les contestations soulevées lors d’une audience dite éventuelle.

1)- La tenue de l’audience éventuelle

D’emblée, il faut indiquer que la tenue de l’audience éventuelle n’est pas une
obligation pour le tribunal mais une éventualité, elle ne se tient « qu’éventuellement »
lorsque que les dires et observations275 ont été déposés. En application de l’article 268
de l’AUVE, la tenue de cette audience doit être fixée quarante cinq (45) jours au plus
tôt après le dépôt du cahier des charges et quatre vingt dix (90) jours au plus tard
après le dépôt. Cette date est fixée dans la sommation de prendre communication du
cahier de charges dans les conditions prévues à l’article 270 de l’Acte Uniforme.
Quoiqu’il en soit, la tenue de l’audience éventuelle est fonction de l’absence ou du
dépôt des dires et observations.

a) En l’absence des dires et observations

A défaut des dires et observations, la tenue de l’audience éventuelle est non avenue.
Il sera procédé à l’accomplissement des formalités de publicité en vue de la vente de
l’immeuble, le tribunal prendra acte de l’absence des dires et observations pour
renvoyer l’affaire à l’audience d’adjudication dont il fixera la date, lorsque la
première date n’a pu être tenue. Néanmoins, même en l’absence des dires, cette
audience peut être tenue en application des dispositions de l’article 275 AUVE. Il en
est ainsi lorsque le tribunal exerce d’office son contrôle276 sur le cahier des charges
afin de s’assurer que celui-ci est conforme aux prescriptions légales. A cet effet, à
l’audience éventuelle, il peut modifier le montant de la mise à prix si celle-ci n’a pas
été fixée conformément aux dispositions de l’article 267-10 tout comme il peut
ordonner la distraction de certains biens saisis toutes les fois que leur valeur globale
apparait disproportionnée par rapport au montant des créances à récupérer.

b) En présence des dires et observations

Lorsque les dires et observations sont déposés, l’audience éventuelle doit être tenue
afin qu’il soit statué sur leurs mérites. En vertu de l’article 272 de l’Acte Uniforme,
ces dires et observations doivent être jugés après échange de conclusions motivées
des parties, qui doit être effectué dans le respect du principe du contradictoire. Cela
revient à dire que le tribunal ne peut statuer sur ces dires qu’à l’issue d’un débat
contradictoire.

                                                            
275
Dakar, Arrêt N°50 du 23 janv.2003, Aff. Paul FAYE et Véronique SARR C / BICIS, ohadata J.05.32,
également cité par P-G. POUGOUE, F. TEPPI KOLLOKO, op.cit. p.51.
276
TGI, Brazzaville, audience éventuelle, jugement du 02 décembre 2011, rôle civil N°890, Répertoire
N°730, Aff. Collectifs des clients de MIDEC Congo c/ Conseil Supérieur Islamique du Congo.
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Parmi les points qui font habituellement l’objet des contestations figure la mise à prix.
Il faut rappeler que le poursuivant peut être déclaré adjudicataire de l’immeuble en
l’absence d’adjudicataire (Art.283 al.5). C’est la raison pour laquelle le poursuivant
est tenté de minorer la valeur vénale de l’immeuble en fixant une mise à prix en deçà
de la valeur réelle277 du bien étant entendu qu’il se retrouve paradoxalement dans une
situation où l’acquéreur fixe le prix de vente!

Les dires et observations sont le procédé idoine pour contester la mise à prix ainsi
fixé, pour en modifier le quantum en proposant une nouvelle mise en adéquation
avec la valeur vénale de l’immeuble et les conditions du marché. Cependant le saisi
qui espère obtenir le versement du solde après avoir désintéressé ses créanciers est
tout aussi tenté de surestimer la valeur de son bien en fixant une mise à prix sans
rapport avec la valeur vénale de l’immeuble. Au regard de ces intérêts antagonistes,
l’article 272 suscité apporte une solution adéquate en disposant que « lorsque le
montant de la mise à prix est contesté, il appartient à celui qui formule cette
contestation de rapporter la preuve du bien fondé de celle-ci. Il peut demander au
président de la juridiction compétente la désignation d'un expert à ses frais avancés».
La désignation d’un expert chargé d’évaluer, en toute objectivité, la valeur vénale de
l’immeuble permet de concilier les intérêts divergents des deux parties. Encore faut-il
que le débiteur contestataire puisse avancer les frais de l’expertise, ce qui n’est pas
évident. La saisie immobilière étant l’ultime mesure d’exécution à laquelle le
créancier a recours278, le débiteur saisi se trouvant souvent dans un état
d’impécuniosité assez prononcé.

b-1) La date de l’audience

L’audience doit être tenue à la date fixée dans la sommation. Cette audience ne peut
avoir lieu moins de trente (30) jours après la dernière sommation279. Ce qui revient à
dire qu’entre la date de la dernière sommation et celle de la tenue de l’audience
éventuelle, il doit s’écouler au minimum trente (30) jours, la jurisprudence rappelle
que cette date ne peut être fixée avant l’épuisement de ce délai280.
Une fois fixée, la date de l’audience éventuelle ne doit pas faire l’objet de report. Ce
principe consacré à l’article 273 de l’AUVE doit être observé par les tribunaux qui ne
devraient y déroger que dans le respect des conditions prévues par le même article
aux termes duquel « Une remise de l'audience éventuelle ne peut avoir lieu que pour

                                                            
277
Dans une procédure de saisie immobilière opposant la BDEAC, ECOBANK CONGO, ECOBANK
CAMEROUN et la Banque Congolaise de l’Habitat, à la société civile immobilière YOKA Bernard les
poursuivants fixaient la mise à prix à la somme de 9.500.000.000 FCFA, alors que le débiteur saisi
estimait son bien à la somme de 18.000.000.000 FCFA, estimation confirmée par la suite par une expertise
(18.372.842.600 CFCA).
278
H. CROZE, C.LAPORTE, Guide Pratique de la Saisie Immobilière, LexisNexis, Litec, 2e éd. 2010, coll.
Litecprofessionnels, P.16.
279
Art.270 AUVE.
280
Civ.2e, 16 mai 1990, n°88-10.663, Bull. civ. II, n° 108 ; D. 1990, Somm. 349, obs. julien ; Gaz. Pal.
1990, somm. 628, obs. Véron.
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des causes graves et dûment justifiées, ou bien lorsque la juridiction compétente
exerce d'office son contrôle sur le cahier des charges ainsi qu'il est dit à l'article 275
ci-après ». Selon l’article 275 « La juridiction compétente peut, d'office, à l'audience
éventuelle, et si nécessaire, après consultation par écrit d'un expert, recueillie sans
délai :
1) ordonner la distraction de certains biens saisis toutes les fois que leur valeur
globale apparaît disproportionnée par rapport au montant des créances à récupérer;
2) modifier le montant de la mise à prix si celle-ci n'a pas été fixée conformément aux
dispositions de l'article 267-10 ci-dessus.
Dans ce cas, la juridiction compétente informe les parties de son intention de
modifier le cahier des charges et les invite à présenter leurs observations dans un
délai maximum de cinq (05) jours; elle leur indique, si besoin est, les jour et heure de
l'audience si l'affaire n'a pu être jugée à la date initialement prévue ».
Hormis ces hypothèses de dérogations légales, la doctrine et la jurisprudence
s’accordent pour dire que l’audience éventuelle ne peut faire l’objet d’un report,
certains auteurs évoquant même le principe de « l’immutabilité de la date de
l’audience éventuelle 281». Ainsi pour casser une décision ayant accordé un report de
l’audience éventuelle, la Cour de Cassation a jugé « qu’il n’est au pouvoir ni des
parties ni du tribunal de modifier la date de l’audience éventuelle fixée dans la
sommation282».
En dépit de cette exigence de célérité, dictée par le souci de vaincre le dilatoire dans
les procédures de saisie immobilière283, force est de constater qu’en pratique, le
principe de « l’immutabilité de la date de l’audience éventuelle » a été élevé au rang
d’exception et l’exception de report érigée en principe de sorte que la tenue de
l’audience éventuelle à la date fixée dans la sommation est devenue exceptionnelle.
Parmi les causes qui contribuent au report de l’audience éventuelle, on peut citer
l’obligation faite à la juridiction des respecter le principe du contradictoire. L’avocat
du saisi ne produisant ses dires que séance tenante à l’audience, le poursuivant va
devoir solliciter un renvoi que le tribunal ne peut que lui concéder. Advenue la
prochaine audience, le poursuivant qui reçoit communication des écritures du saisi va
solliciter à son tour, un renvoi pour y répondre, puis s’instaure le jeu des renvois
pouvant durer plusieurs mois. Ainsi «chaque juridiction s’accommode d’entorses au
principe, soit en renvoyant purement et simplement l’audience, soit en mettant en
continuation, lorsqu’un incident est soulevé284».
Le débiteur qui veut faire échec à l’expropriation forcée de son immeuble ou à tout
le moins, à faire perdurer la procédure, saisira cette opportunité pour multiplier les
manœuvres dilatoires et Dieu seul sait, jusqu’où peut aller l’imagination fertile d’un
avocat qui entend mettre son talon au service du dilatoire: il peut solliciter le
rabattement du délibéré pour la production d’une pièce, semble t-il, essentielle, inciter
à la constitution d’un confrère pendant que l’affaire est remise en délibéré, lequel
confrère va, pour sa part, solliciter le rabattement pour produire ses écritures etc. Des
                                                            
281
P-G. POUGOUE, F. TEPPI KOLLOKO, op.cit. p.107.
282
Civ.2e, 27 mai 2004, n°02-26.626, Bull. civ. II, n°257.
283
P-G. POUGOUE, F. TEPPI KOLLOKO, op. cit p.45.
284
S. GUICHARD, T. MOUSSA (dir) op. cit, p.1355.
65 

 
raisons indépendantes à la volonté des parties peuvent également contribuer au report
de la date d’audience. Ce peut être le cas des perturbations constatées à l’occasion
des vacances judiciaires, ou d’une grève des avocats ou encore celle des greffiers.
Dans l’affaire ayant donné lieu au jugement du 05 octobre 2012285 rendu par le
Tribunal de Grande Instance de Brazzaville, alors que la tenue de l’audience
éventuelle était fixée à la date du 30 mars 2012, celle-ci n’a eu lieu que le 05 octobre
2012, soit six mois plus tard. Dans une autre affaire286 vidée le même jour par ce
tribunal, la tenue de l’audience éventuelle était fixée initialement le 30 mars 2012.

Cette pratique déplorable contribue à faire perdurer la procédure. Elle est tout autant
contraire aux objectifs de l’OHADA tels définis par le préambule du traité de Port-
Louis de 1993 modifié à Québec le 17 octobre 2008 dans la mesure où elle risque de
dissuader les banques à soutenir le développement des entreprises, d’où l’impérieuse
nécessité pour le législateur OHADA d’encadrer cette pratique en limitant, par
exemple, le nombre de renvois.

b- 2) La transcription du jugement sur le cahier des charges

Aux termes les dispositions de l’article 274 de l’AUVE, « La décision judiciaire


rendue à l'occasion de l'audience éventuelle est transcrite sur le cahier des charges
par le greffier; elle est levée et signifiée à la demande de la partie la plus diligente ».
La transcription de ce jugement sur le cahier des charges permet de fixer les parties
sur les conditions définitives de vente de l’immeuble. Il faut rappeler qu’une partie a
pu élever des contestations lesquelles ont été tranchées à l’audience éventuelle. Ce
faisant, le tribunal a dû trancher la contestation en apportant une réponse qui a pu
bouleverser l’économie des clauses contenues dans le cahier des charges. Il en est
ainsi lorsque le tribunal a fait droit à un dire tendant à la modification de la mise à
prix fixée par le poursuivant. De ce fait, relativement à ce chef de demande, ce
jugement devient partie intégrante du cahier des charges, qui s’impose aussi bien au
poursuivant, au créancier inscrit qu’au saisi. Pourtant, force est de constater que cette
formalité n’est jamais accomplie par le greffe, lequel se limite à matérialiser la
décision rendue sans la transcrire sur le cahier des charges. Le Président du tribunal
peut utilement instruire le greffe à propos. Le législateur OHADA n’a pas prescrit de
délai pour l’accomplissement de cette transcription. Il convient d’indiquer que cette
formalité doit être accomplie sans délai, après la signature de la minute.
En outre, ce jugement doit être levée et signifiée à la demande de la partie la plus
diligente. Cette formalité qui a l’avantage de porter la décision à la partie qui aurait
abandonnée la procédure doit être accomplie faute de quoi la suite de la procédure

                                                            
285
TGI, Brazzaville, audience éventuelle, jugement du 05 oct.2012, rôle civil N°359, Aff. La Banque
congolaise de l’Habitat dite BCH c/ La Société Hyper Impex, précité.
286
TGI, Brazzaville, audience éventuelle, jugement du 05 oct.2012, rôle civil N°358, Aff. La banque
Congolaise de l’Habitat dite BCH c/ LEKON Ernest.
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sera invalidée. Il a été décidé que, lorsque le jugement rendu à l’audience éventuelle
n’a pas été signifié au débiteur, l’adjudication intervenue doit être annulée287.

b-3)- La publicité en vue de la vente

Les formalités de publicité doivent être accomplies trente (30) jours au plus tôt et
quinze (15) jours au plus tard avant l'adjudication. Il s’agit « d’un délai à rebours »288
qui se calcule en remontant le temps en partant de la date de l’adjudication pour
déterminer le point de départ. Ainsi pour une audience d’adjudication fixée au 31
mars, la publicité doit être accomplie au plus tôt le 1er mars et au plus tard le 16 mars.
Ce délai est largement tributaire de la tenue ou non de l’audience éventuelle. Si
l’audience éventuelle a été reportée, la publicité sera accomplie en tenant compte de
la nouvelle date d’adjudication fixée par le tribunal.
La publicité s’effectue par l’avocat poursuivant, lequel doit publier, sous sa signature,
un extrait du cahier des charges, par insertion dans un journal d'annonces légales et
par apposition de placards à la porte du domicile du saisi, du tribunal devant lequel
aura lieu l’adjudication ou du notaire convenu ainsi que dans les lieux officiels
d'affichage de la commune de la situation des biens289.
En vertu de l’article 277 AUVE, L'extrait contient à peine de nullité :
1) les noms, prénoms, professions, domiciles ou demeures des parties et de leurs
avocats ;
2) la désignation des immeubles saisis telle qu'elle est insérée dans le cahier des
charges ;
3) la mise à prix ;
4) l'indication des jour, lieu et heure de l'adjudication, de la juridiction compétente ou
du notaire convenu devant qui elle se fera.
L’accomplissement de cette formalité ne va pas sans difficulté, certains auteurs font
remarquer que le saisi a la fâcheuse habitude d’arracher systématiquement les
placards apposés à la porte de son domicile. Cela ne devrait aucunement inciter le
poursuivant à se soustraire à l’accomplissement de cette formalité substantielle. Il
pourra simplement solliciter le ministère d’un huissier de justice qui dressera procès
verbal de toutes ces diligences.
Pour justifier l’accomplissement de la publicité, l’article 278 indique que le
poursuivant doit produire un exemplaire du journal, signé de l'imprimeur, et de
l'affichage par un procès-verbal de l'huissier ou de l'agent d'exécution, rédigé sur un
exemplaire du placard.
En outre, eu égard à la nature du bien, l’article 279 de l’Acte Uniforme donne la
possibilité au Président du tribunal de restreindre ou d’accroître la publicité légale par
décision non susceptible de recours, rendue sur requête,

2)-L’adjudication de l’immeuble
                                                            
287
TGI du Moungo, Jugement n°13/Civ. du 21 Février 2008, Aff. SAMBALIS Dimitris et SAMBALIS
Alexandre C/ La Compagnie Financière de l’Estuaire dite COFINEST, Ohadata J- 09-236,
288
L’expression est du professeur Anne LEBORGNE
289
Art.276 de l’AUVE
67 

 
La vente est poursuivie devant la juridiction ayant plénitude de juridiction dans le
ressort où se trouve l’immeuble. Dans l’organisation judiciaire du Congo (Congo-
Brazzaville) ou du Niger, la juridiction ayant plénitude de juridiction est le Tribunal
de Grande Instance. S’agissant de la Côte d’Ivoire, du Bénin ou du Gabon, le tribunal
compétent dont il s’agit est le Tribunal de Première Instance (TPI).
La vente forcée des immeubles dépendant d'une même exploitation et situés dans le
ressort de plusieurs juridictions se poursuit devant l'une quelconque de celles-ci
(Art.247 AUVE). Il faut préciser que la vente peut également être poursuivie en
l'étude du notaire convenu entre les parties. Néanmoins, même lorsque les parties ont
convenu de poursuivre la vente devant notaire, en cas de contestations, c’est le
Tribunal de Grande Instance qui devra trancher. Une difficulté peut cependant surgir
lorsque le saisi conteste le notaire choisi par le poursuivant. En réalité, quoique
l’article 288 AUVE emploi l’expression du «notaire convenu », en pratique le notaire
est souvent choisi par le poursuivant sans l’avis du saisi290. L’Acte Uniforme n’a pas
directement abordé la question, mais cette préoccupation trouve sa réponse dans les
dispositions de l’article 298 de l’AUVE. Etant entendu qu’il s’agit d’une contestation
formulée postérieurement à la signification du commandement, le contestataire doit
saisir le tribunal, lequel devra décider du lieu de l’adjudication. Aussi a t-il été jugé
que le tribunal dispose d’un pouvoir souverain pour décider si la vente se fera à la
barre ou devant notaire291.
L’Acte Uniforme n’a pas règlementé l’adjudication poursuivie devant notaire pour
des raisons évidentes, il a cependant règlementé le déroulement de celle se dévant le
tribunal.

a) Le déroulement de l’audience d’adjudication

L’audience d’adjudication obéit à un rituel assez particulier. A l’ouverture de


l’audience, il est procédé à la vente sur la réquisition, même verbale, de l'avocat du
poursuivant ou de tout créancier inscrit292. Celui-ci indique publiquement le montant
des frais de poursuite préalablement taxés par le président du tribunal293. Cette
réquisition, souvent verbale, donne l’occasion à l’avocat poursuivant de rappeler,
sommairement, les faits de la cause, les diligences accomplies avant de requérir la
vente de l’immeuble. Rappelons que la loi fait obligation à l’avocat du poursuivant ou
à celui du créancier inscrit de requérir la vente afin que le président puisse annoncer
l’ouverture des enchères. A ce sujet, le Professeur Anne LEBORGNE estime que «
c’est là encore une particularité de la procédure de saisie immobilière : la vente,
                                                            
290
Cependant lorsqu’il s’agit d’une réalisation d’hypothèque, au moment de la conclusion du contrat, les
parties conviennent du notaire devant lequel sera réalisée l’hypothèque en cas de défaillance du débiteur.
291
Civ. 2e, 17 déc.1957, JCP N 1958, II, 10004, obs. Blin ; Civ. 1er, 19 févr. 1958, Bull. civ. I, n° 106.
292
Art.280 AUVE
293
En pratique le poursuivant ne saisi pas le président en amont pour que celui-ci fixe les frais des
poursuites quoique l’article 280 le recommande. C’est donc lors de sa réquisition que l’avocat poursuivant
annonce publiquement les frais qu’il fixe lui-même en l’absence de toute décision préalable du juge sur ce
sujet. Cette démarche audacieuse peut susciter des contestations des autres créanciers ou du saisi, lorsque
les frais taxés paraissent exagérés, dans ce cas le tribunal devra souverainement fixer le quantum.
68 

 
audiencée, n’est pas ordonnée d’office par le tribunal294 » il faut donc qu’elle soit
requise.
Avant l'ouverture des enchères, il est préparé trois bougies de manière que chacune
d'elles ait une durée d'environ une minute. Aussitôt les enchères ouvertes295 et faisant
droit à la réquisition de l’avocat poursuivant, le président annonce l’ouverture des
enchères ; Il est allumé une bougie et le montant de la mise à prix est annoncé. Les
enchères sont portées par ministère d'avocat ou par les enchérisseurs eux-mêmes
conformément aux dispositions de l’article 282 AUVE.
Selon l’article 283, si pendant la durée d'une bougie, il survient une enchère, celle-ci
ne devient définitive et n'entraîne l'adjudication que s'il n'en survient pas une nouvelle
avant l'extinction de deux bougies. L'enchérisseur cesse d'être obligé si son enchère
est couverte par une autre, alors même que l'enchère nouvelle serait déclarée nulle.
S'il ne survient pas d'enchère après que l'on ait allumé successivement trois bougies,
le poursuivant est déclaré adjudicataire pour la mise à prix à moins qu'il ne demande
la remise de l'adjudication à une autre audience sur une nouvelle mise à prix conforme
aux dispositions de l'article 267-10 ci-dessus. La remise de l'adjudication est de droit;
les formalités de publicité doivent être réitérées.
En cas de remise, si aucune enchère n'est portée lors de la nouvelle adjudication le
poursuivant est déclaré adjudicataire pour la première mise à prix. Cette disposition
appelle quelques précisions : rappelons que lors de l’audience éventuelle, le tribunal
a pu réévaluer la mise à prix de l’immeuble suite à un dire formulé par le saisi dans ce
sens. Dans ce cas, la vente est poursuivie non pas sur la mise à prix fixée par le
poursuivant mais sur celle fixée à l’audience éventuelle. En application de l’article
283, le poursuivant devra être déclaré adjudicataire sur cette mise à prix qu’il peut
estimer exagérée à raison ou par pure mauvaise foi. Ne pouvant se porter
adjudicataire pour une mise à prix qu’il n’a pas approuvé, il est en droit de solliciter
une remise de la vente. Après quoi le poursuivant doit réitérer les formalités de
publicité. Advenue cette audience, s’il n’y a pas d’enchérisseurs, le poursuivant sera
déclaré adjudicataire, mais pour la première mise à prix, c’est – à dire celle par lui
initialement fixée. Evidemment, prise au pied de la lettre, cette disposition peut
donner lieu à beaucoup d’abus de la part du poursuivant. D’où la nécessité pour le
saisi de veiller à la mise en œuvre des formalités de publicités afin d’intéresser un
nombre considérable d’adjudicataires potentiels.
L’enchérisseur n’est pas tenu d’être présent à la vente. Il peut se faire représenter par
son avocat296 ou par un mandataire. Contrairement, au Conseil National des
Barreaux(CNB) de France dont le règlement intérieur national fait interdiction à un
avocat de porter plusieurs enchères pour plusieurs clients297, l’article 282 AUVE

                                                            
294
A. LEBORGNE, « Audience d’adjudication », in S. GUICHARD, T. MOUSSA (dir), Droit et Pratique
des Voies d’exécution, op.cit, p.1386.
295
L’article 282 définit les enchères comme étant les offres successives et de plus en plus élevées
présentées par des personnes qui désirent acquérir l'immeuble.
296
CCJA, arrêt N° 028/2009 du 30 avril 2009, Aff. Société ROMEO INTERNATIONAL c/ MEROUEH et
autres, Recueil Jurisprudence N°13, Janvier-Juin 2009 P.85 ; ohadata J-10-72
297
Aux termes des dispositions de l’article 12.2 du règlement intérieur national de la profession d’avocat
(CNB, décision à caractère normatif, 24 avr.2009 : JO 12 mai 2009) « L’avocat doit s’assurer de l’identité
69 

 
autorise un avocat de représenter plusieurs enchérisseurs lorsque ceux-ci désirent se
porter Co-adjudicataires. Il s’infère que lorsque lesdits enchérisseurs entendent se
porter adjudicataires, chacun en toute propriété, ils ne peuvent être représentés par le
même avocat.

L’article 281 de l’Acte Uniforme autorise la remise de l'adjudication pour causes


graves et légitimes par décision judiciaire motivée rendue sur requête déposée cinq
(05) jours au moins avant le jour fixé pour la vente. En cas de remise, la décision
judiciaire fixe, de nouveau, le jour de l'adjudication qui ne peut être éloigné de plus de
soixante (60) jours. Le créancier poursuivant doit procéder à une nouvelle publicité.

b) Les formalités postérieures à l’adjudication


Si l’adjudication peut être considérée comme la fin de la procédure judiciaire lorsque
l’expropriation s’est déroulée sans incident, elle constitue le point de départ pour
l’accomplissement de certaines formalités consécutives à celle-ci.
1)-La déclaration d’adjudicataire

L’article 286 alinéas 1 de l’AUVE impose à l'avocat, dernier enchérisseur de déclarer


l'adjudicataire et de fournir son acceptation ou de représenter son pouvoir, lequel
demeure annexé à la minute de la déclaration judiciaire ou notariée, sinon il est réputé
adjudicataire en son nom. Il est tenu de faire cette déclaration dans les trois (03) jours
de l’adjudication. La brièveté de ce délai s’inscrit dans le souci de révéler l’identité de
l’adjudicataire aux créanciers, lesquels peuvent soulever des contestations au cas où le
preneur était interdit de se porter adjudicataire en vertu de l’article 284. L’avocat qui
ne représente que son client pendant l’audience, les parties ignorent pour qui l’avocat
s’est porté acquéreur.

2)-La déclaration de commande

L’obligation faite à l’avocat de révéler l’identité de l’adjudicataire s’impose


également à l’adjudicataire qui s’est porté acquéreur pour un tiers, de faire connaître,
par une déclaration dite « de commande » que ce n'est pas pour son compte qu'il s'est
rendu acquéreur, mais pour une autre personne dont il révèle alors le nom. Cette
déclaration doit être faite dans les vingt quatre heures, (Art.286 al.2). Ce délai (24
heures) est assez bref en comparaison à celui imparti à l’avocat dernier enchérisseur
(72 heures).
                                                                                                                                              

de son client, de sa situation juridique, et s’il s’agit d’une personne morale, de la réalité de son existence, de
l’étendue de son objet social et des pouvoirs de son représentant.
L’avocat ne peut porter d’enchères pour des personnes qui sont en conflit d’intérêts.
L’avocat ne peut porter d’enchères pour un même bien pour le compte de plusieurs mandants.
Lorsqu’un avocat s’est rendu adjudicataire pour le compte d’une personne, il ne peut accepter de former
une surenchère au nom d’une autre personne sur cette adjudication, à défaut d’accord écrit de
l’adjudicataire initial.
En cas d’adjudicataire d’un lot copropriété, il appartient à l’avocat poursuivant de notifier au syndic de
copropriété ».
70 

 
3)- la transcription de l’acte d’adjudication sur le cahier des charges

En application des dispositions de l’article 290, après la vente, la décision judiciaire


ou le procès verbal d'adjudication du notaire doit être porté en minute à la suite du
cahier des charges. Une expédition en est délivrée, selon le cas, par le greffier ou le
notaire, à l'adjudicataire après paiement des frais de poursuite et du prix
d'adjudication et après l'accomplissement des conditions du cahier des charges qui
doivent être exécutées dans les vingt (20) jours de l'adjudication. Toutefois, si
l'adjudicataire est seul créancier inscrit ou privilégié du saisi, il n'est tenu de payer,
outre les frais, que le montant du prix d'adjudication excédant sa créance. La quittance
et les pièces justificatives sont annexées à la minute de la décision judiciaire ou du
procès-verbal d'adjudication établi par le notaire et reproduites à la suite de
l'expédition. L'adjudicataire qui n'apporte pas ces justifications dans les vingt (20)
jours de l'adjudication peut être poursuivi par la voie de la folle enchère sans
préjudice des autres voies de droit.
Si l'adjudication comprend plusieurs lots, expédition de la décision judiciaire ou du
procès-verbal d'adjudication établi par le notaire en la forme exécutoire est délivrée à
chacun des adjudicataires

4)- La publication de l’acte d’adjudication

Selon les dispositions de l’article 294 de l’AUVE, lorsque l'adjudication est devenue
définitive, une expédition de la décision judiciaire ou du procès-verbal d'adjudication
établi par le notaire est déposée à la conservation foncière aux fins d'inscription. Le
conservateur procède à la mention de cette publication en marge de la copie du
commandement publié.
S’agissant de la saisie réalisée sur les impenses, l’article 295 dispose que lorsque la
saisie immobilière porte sur des impenses réalisées par le débiteur sur un terrain dont
il n'est pas propriétaire mais qui lui a été affecté par une décision d'une autorité
administrative et que l'adjudication est devenue définitive, une expédition de la
décision judiciaire ou du procès-verbal notarié d'adjudication est déposée auprès de
cette autorité administrative aux fins de mention en marge de la décision d'affectation.
La publication de l’acte d'adjudicataire doit être effectuée dans un délai de deux
mois sous peine de revente sur folle enchère conformément à l’article 294 de
l’AUVE. L’on peut remarquer que l’article 295 n’impartit aucun délai s’agissant de la
saisie réalisée sur les impenses. Dans le silence de la loi, le délai prescrit à l’article
294 peut valablement être appliqué à la publication du jugement consécutif à une
vente des impenses.
5)-La purge des garanties et radiation des inscriptions

La purge des garanties et la radiation des inscriptions sont la conséquence logique de


l’adjudication. En effet, après avoir procédé à la mention de la publication de l’acte
d’adjudication en marge de la copie du commandement publié, le conservateur
procède également à la radiation de tous les privilèges et hypothèques inscrits qui se
trouvent purgés par la vente, même de ceux inscrits postérieurement à la délivrance

71 

 
des états d'inscription. Les créanciers n'ont, alors, plus d'actions que sur le prix
(art.294 alinéa 3). De même, s’agissant des impenses visées à l’article 295 alinéa 1,
l'autorité administrative procède à la radiation de toutes les mentions opérées en
marge de la décision d'affectation initiale et transfère l'affectation au profit de
l'adjudicataire. Les créanciers n'ont plus d'actions que sur le prix.
Toutefois, il est permis de relativiser la portée de ces dispositions étant entendu que
selon les dispositions de l’article 296, « L'adjudication, même publiée au bureau de la
conservation foncière, ne transmet à l'adjudicataire d'autres droits réels que ceux
appartenant au saisi », de sorte que la purge des garanties ne se produit pour autant
que le saisi ait été le véritable propriétaire, les garanties constituées par le véritable
propriétaire subsisteront298.

Le tiers propriétaire qui n’aurait pas eu connaissance de la procédure de saisie pour


formuler une demande en distraction dans les délais peut valablement initier une
action en revendication contre l’adjudicataire299 sans que ne lui soit opposé la
déchéance de son action sur le fondement de l’article 299 alinéa 2 de l’AUVE. Dans
l’affaire opposant la Société TAMOIL BURKINA S.A c/ SAWADOGO Pelga dit
BOUKARY devant la Cour d’Appel de OUAGADOUGOU (arrêt N°20 du 18 février
2005), le sieur BOUKARY ignorant l’existence d’une procédure d’expropriation
entreprise sur son immeuble adjugé par la Société TAMOIL BURKINA au détriment
de la société TANGUI, BOUKARY a obtenu l’expulsion de l’adjudicataire. Sur
pourvoi formulé par la Société TAMOIL, la CCJA a jugé « qu’il est de règle que
dans la procédure de saisie immobilière entre les parties, le transfert de propriété se
réalise dès le prononcé du jugement d’adjudication, que toutefois, l’adjudication ne
transmettant à l’adjudicataire d’autres droits de propriété que ceux appartenant au
saisi, si celui-ci n’était pas le véritable propriétaire de l’immeuble adjugé, ce dernier
pourrait légitimement exercer contre l’adjudicataire une action en revendication, dès
lors que le revendiquant se fonde sur un droit réel incontestable qui, en raison de son
caractère absolu, emporte droit de suite et droit de préférence300».
En droit positif congolais, la mise en œuvre d’une action en revendication
postérieurement à l’adjudication n’augure pas des perspectives reluisantes pour le
revendiquant eu égard aux dispositions de la loi N° 17/2000 du 30 décembre 2000
précitée. En effet, en toute hypothèse, avant l’adjudication, l’immeuble à exproprier
est immatriculé au nom du débiteur saisi, or, dit l’article 12 de cette loi,
« l’immatriculation annule tous titres et purge tous droits antérieurs (des potentiels
revendiquants) dès lors que ceux –ci ne sont pas mentionnés dans le registre de la
propriété foncière ».
Dans une affaire soumise au Tribunal de Grande Instance de Brazzaville, le sieur
MOMPELET créancier poursuivant avait requis l’immatriculation de l’immeuble de
son débiteur le sieur NGAIBILI, avant de déclencher une procédure de saisie

                                                            
298
A. LEBORGNE, « vente judiciaire », in S. GUICHARD, T. MOUSSA (dir), Droit et Pratique des Voies
d’exécution, op.cit, p.1649
299
N. FRICERO, Procédures Civiles d’exécution, op.cit, p.193
300
CCJA, Arrêt N° 011/2009 du 26 février 2009, Aff. Société TAMOIL BURKINA S.A C / SAWADOGO
Pelga dit BOUKARY, Recueil de Jurisprudence n°13, Janvier-Juin 2009, P.121 ; Ohadata J-10-82.
72 

 
immobilière. Parallèlement, son débiteur, le sieur NGAIBILI qui était également
débiteur de Sieur ITOUA va céder sa propriété à ce dernier à la suite d’une
transaction et à l’insu du sieur MOMPELET. Alors que le sieur ITOUA se disant
propriétaire avait réalisé d’importants travaux de réfection, il sera surpris de constater
que son ex- débiteur, était également débiteur d’un autre créancier, lequel venait
d’initier une procédure de saisie immobilière sur la propriété en cause, sieur ITOUA
va solliciter la distraction dudit bien en articulant que l’immeuble dont s’agit était
devenu sa propriété. Pour rejeter cette demande, le tribunal a décidé que l’action en
distraction, doit, pour aboutir, établir de manière incontestable le droit de propriété du
tiers revendiquant sur l’immeuble en cause, qu’en application de l’article 12 (loi N°
17/2000 du 30 décembre 2000 suscité) l’immatriculation de la parcelle objet des
poursuites au nom du sieur NGAIBILI, débiteur saisi, a purgé tous les droits
antérieurs dont pouvaient se prévaloir le sieur ITOUA, tiers revendiquant, sur la
propriété disputée301.

3)-L’éventualité d’une surenchère

La saisie immobilière peut faire l’objet d’une surenchère. Celle-ci s’entend d’un acte
par lequel l’adjudication est remise en cause, entraînant par la même occasion une
nouvelle mise aux enchères302. La surenchère est faite au greffe du tribunal qui a
ordonné la vente ou devant le notaire convenu, par le surenchérisseur lui-même ou par
ministère d’avocat, qui se constitue pour le surenchérisseur. Elle est mentionnée, sans
délai, au cahier des charges. La surenchère est soumise aux conditions, tenant à la
fois, à la personne du surenchérisseur et au délai.

a) Les conditions tenant au surenchérisseur

L’article 287 donne la possibilité à toute personne de faire une surenchère pourvu
qu'elle soit du dixième au moins du prix principal de la vente. Cette disposition, doit
être mise en relief avec l’article 284 de l’AUVE qui pose des restrictions à la liberté
des enchères et écarte de celles-ci certaines personnes en raison soit de leurs
fonctions, de leur implication dans la procédure ou de leur réputation. Ainsi les
avocats qui sont interdits d’enchérir pour les membres du tribunal devant lequel
l’adjudication a eu lieu ou de l'office notarial devant lequel se poursuit la vente, pour
le saisi ni pour les personnes notoirement insolvables, ne peuvent davantage
surenchérir pour les mêmes personnes. L'avocat poursuivant qui ne peut se rendre
personnellement adjudicataire ne peut se porter surenchérisseur à peine de nullité de
la surenchère et de dommages-intérêts envers toutes les parties. Mais cette restriction
ne concerne nullement le créancier poursuivant qui entend faire une surenchère. C’est
du moins ce que précise la CCJA lorsqu’elle a décidé que « la faculté de
surenchérir au moins au dixième du prix initial (…) n’interdit pas au créancier

                                                            
301
TGI, Brazzaville, audience éventuelle, jugement, rôle civil n°1654, répertoire n°09 du 08 février 2013,
Aff. MOMPELET Roger C/ NGAIBILI Albert.
302
G. COUCHEZ, Voies d’exécution, Op. cit, p.254.
73 

 
poursuivant de faire une surenchère au cours d’une procédure de vente forcée d’un
immeuble303 ».

b)- Le délai pour surenchérir

Selon l’article 287 de l’AUVE, dans les dix (10) jours qui suivent l'adjudication, toute
personne peut faire une surenchère pourvu qu'elle soit du dixième au moins du prix
principal de la vente. Le délai de surenchère emporte forclusion. Le délai prévu par
cet article se calcule conformément aux dispositions de l’article 335 de l’AUVE.
Ainsi le jour de l’adjudication ne sera pas pris en compte pour la computation des
délais, outre les hypothèses déjà évoquées lorsque le dernier jour est non ouvrable ou
chômé. Dans ce cas, il ya une prorogation des délais jusqu’au premier jour ouvrable.
Ceci étant, après avoir fait sa déclaration de surenchère, l’article 288 impartit au
surenchérisseur un délai de cinq (05) jours pour la dénoncer à l'adjudicataire, au
poursuivant et à la partie saisie. Mention de cette dénonciation est faite sur le cahier
des charges dans un délai de cinq (05) jours. La même disposition ajoute que faute de
dénonciation ou de mention de cette dénonciation dans lesdits délais par le
surenchérisseur, le poursuivant, le saisi ou tout créancier inscrit ou sommé peuvent
faire la dénonciation et sa mention dans les cinq (05) jours qui suivent; les frais seront
supportés par le surenchérisseur négligent.
De ce fait, l’article 288 accorde la possibilité au poursuivant, créanciers inscrits ou
sommés et au débiteur saisi de suppléer à la carence du surenchérisseur dans
l’accomplissement de la formalité de la dénonciation ou celle relative à la mention
de la déclaration de surenchère dans le cahier des charges au cas où celui-ci aurait
négligé d’accomplir cette formalité.
Le délai de cinq (05) jours imparti au poursuivant, créancier inscrit et au saisi
commence à courir à l’expiration du dernier délai de cinq (05) jours imparti au
surenchérisseur pour la dénonciation.
Selon les dispositions de l’article 288 al.5 et 6, la dénonciation de surenchère doit
indiquer la date de l'audience éventuelle au cours de laquelle seront jugées les
contestations de la validité de la surenchère. Cette audience ne peut être fixée avant
l'expiration d'un délai de vingt (20) jours à compter de la dénonciation. Elle fixe
également la date de la nouvelle adjudication, laquelle ne peut avoir lieu plus de trente
(30) jours après celle de l'audience éventuelle. Il en résulte qu’entre la dénonciation
de surenchère et la date de l’audience éventuelle, il doit s’écouler un délai minimum
de vingt (20) jours. L’audience ne pouvant être fixée qu’après l’expiration de ce délai.
En outre, l’Acte Uniforme fixe une date butoir de trente (30) jours, après l’audience
éventuelle, date au-delà de laquelle l’audience d’adjudication ne pourra être fixée. En
clair, entre l’audience éventuelle et l’adjudication, il ne peut s’écouler plus de trente
(30) jours. Cette disposition n’est pas sans rappeler l’article 270 al. 2 qui prescrivait
déjà la tenue de l’audience d’adjudication entre le trentième et le soixantième jour
après l’audience éventuelle.

                                                            
303
CCJA 1ère Chambre, arrêt N°002 du 05 février 2009, Aff. Héritiers de feu D c/ N AFRILAND FIRST
BANK, Juris Ohada N°2/2009, avril-juin p.4.
74 

 
Le poursuivant, les créanciers inscrits ou sommés, le débiteur saisi qui entend
contester la validité de la surenchère doit le faire dans un délai de cinq (05) jours au
moins avant l’audience éventuelle (Art.289 al.1). Après avoir reçu dénonciation de la
surenchère, il peut sans délai en contester la validité et ce, jusqu’au cinquième jour
précédant ladite audience. Il s’agit ici encore d’un « délai à rebours » selon la
formule du professeur Anne LEBORGNE304.
Par ailleurs, si la surenchère n'est pas contestée ou si elle est validée, la nouvelle
adjudication doit être précédée de l'apposition de placards, huit (08) jours au moins
avant la vente, conformément aux dispositions des articles 276 à 279 ci-dessus (Art.
289).
L’adjudication sur surenchère ne devient une adjudication définitive que pour autant
que le surenchérisseur ait satisfait aux conditions exigées par l’article 289 de l’AUVE.
L'adjudicataire qui n'apporte pas ces justifications dans les vingt (20) jours de
l'adjudication peut être poursuivi par la voie de la folle enchère sans préjudice des
autres voies de droit.

II. Des incidents de la saisie immobilière à la distribution du prix

La saisie immobilière fait souvent l’objet des incidents (A) soulevés tant par le saisi
que les créanciers inscrits voire des tiers. Mais lorsque ceux-ci ont été élagués et
l’adjudication poursuivie jusqu'à son terme, les créanciers doivent encore procéder à
la distribution du produit de la vente (B).

A- Les incidents de la saisie immobilière

De prime abord, il importe de présenter la procédure avant d’examiner les différents


incidents de la saisie immobilière

1)-la procédure

Si le législateur OHADA a défini le cahier des charges, il n’a pas définit ce qu’il
entendait par incident de la saisie immobilière. C’est la jurisprudence qui s’est
chargée de définir cette notion. Celle-ci considère comme incident de la saisie
immobilière, « toute contestation née de la procédure de saisie ou qui s’y réfère
directement et qui est de nature à exercer une influence immédiate et directe sur cette
procédure »305. Cette conception restrictive a depuis évolué puisqu’elle admet comme
incident de la saisie immobilière toute contestation même si elle porte sur le fond du
droit306. En effet, la saisie immobilière fait souvent l’objet de contestations de la part
des parties à l’instance, mais aussi des autres créanciers inscrits et parfois des tiers

                                                            
304
A. LEBORGNE, « Surenchère », in S. GUICHARD et T. MOUSSA (dir), Droit et Pratique des Voies
d’exécution, op.cit, p.1454.
305
Civ. 2e, 3 déc. 1980, n°79-10.285, Bull. Civ. II, n° 253 ; Gaz. Pal. 1980, 1, 317, obs. Viatte ; RTD civ.
1981, 909, obs. Perrot.
306
Civ. 2e, 18 déc. 1996, n°94-22.035, Bull. Civ. II, n° 309
75 

 
qui peuvent formuler des griefs contre la procédure initiée par le poursuivant. A cet
effet, l’Acte Uniforme donne la possibilité à toute personne qui entend contester
l’expropriation entreprise de soulever un incident en respectant les conditions de
forme et de délai selon l’objet et l’époque où la contestation est soulevée.

a)-L’acte de contestation

Selon les dispositions de l’article 298 de l’AUVE, toute contestation ou demande


incidente relative à une poursuite de saisie immobilière formulée postérieurement à la
signification du commandement est formée par simple acte d'avocat contenant les
moyens et conclusions. Elle est formée, contre toute partie n'ayant pas constitué
d'avocat, par requête avec assignation. Cette disposition semble avoir posé une règle
générale pour présenter toutes contestations par simple acte d’avocat. Mais en
pratique, comme l’ont déjà souligné le Professeur Paul Gérard POUGOUE et Maître
Fidèle TEPPI KOLLOKO, la partie constituée avocat va élever la contestation par un
dire. Par ailleurs, la lecture de cette disposition a conduit d’autres plaideurs à
régulariser leurs contestations aux moyens des conclusions en dépit du fait que
l’article 270 n’envisage que les dires et observations. Dans cette optique, un tiers à la
procédure peut régulariser une requête aux fins d’intervention volontaire pour
solliciter la distraction de son bien dès lors qu’il justifie d’un intérêt dans le litige.

b)-Le moment de la contestation

Le délai imparti au contestataire est lié à l’objet de l’incident. En vertu de l’article 299
alinéa 1, toutes les contestations doivent être soulevées avant l'audience éventuelle et
ce à peine de déchéance. Il sera rappelé que cette audience est consacrée à statuer sur
les contestations qui peuvent surgir à l’occasion de la procédure de la saisie. De sorte
que, toutes les contestations, portant tant sur la régularité de la procédure suivie que
sur les moyens de fond doivent être soulevés avant cette audience.
Selon le second alinéa du même article, les demandes fondées sur un fait ou un acte
survenu ou révélé postérieurement à cette audience et celles tendant à faire prononcer
la distraction de tout ou partie des biens saisis, la nullité de tout ou partie de la
procédure suivie à l'audience éventuelle ou la radiation de la saisie, peuvent encore
être présentées après l'audience éventuelle, mais seulement, à peine de déchéance,
jusqu'au huitième jour avant l'adjudication.

2)- Les principaux incidents

L’Acte Uniforme distingue quatre types d’incidents à savoir les incidents nés de la
pluralité de saisie, les demandes en distraction, les demandes en annulation de la
saisie et la folle enchère

76 

 
a) Les incidents nés de la pluralité des saisies

Lorsqu’un débiteur fait l’objet de plusieurs procédures de saisies initiées par divers
poursuivants, l’Acte Uniforme envisage deux hypothèses. Dans un premier temps, les
poursuites doivent être continuées par un seul poursuivant. En cas de défaillance de
sa part, il sera subrogé dans les poursuites par un autre poursuivant.

1) La poursuite de la procédure par le premier poursuivant

Selon l’article 302 de l’AUVE, Si deux ou plusieurs saisissants ont fait publier des
commandements relatifs à des immeubles différents appartenant au même débiteur et
dont la saisie est poursuivie devant la même juridiction, les poursuites sont réunies à
la requête de la partie la plus diligente et continuées par le premier saisissant. Si les
commandements ont été publiés le même jour, la poursuite appartient au créancier
dont le commandement est le premier en date et, si les commandements sont de même
jour, au créancier le plus ancien. La question reste cependant posée s’agissant des
poursuites engagées par plusieurs créanciers sur le même immeuble du débiteur, le
texte suscité n’envisageant que l’hypothèse d’une saisie pratiquée sur les immeubles
différents appartenant au même débiteur et dont la saisie est poursuivie devant le
même tribunal. Nous osons espérer que cette omission sera compléter lors de la
reforme de l’Acte Uniforme.

2) La subrogation

La subrogation sanctionne la défaillance du premier poursuivant. Aux termes des


dispositions de l’article 304 de l’AUVE, faute pour le premier saisissant d'avoir
poursuivi sur la seconde saisie à lui dénoncée, le second saisissant peut, par un acte
écrit adressé au conservateur de la propriété foncière, demander la subrogation.
La subrogation ne sanctionne pas toujours la défaillance du poursuivant, puisque
l’article 305 indique que la subrogation peut être également demandée s'il y a
collusion, fraude, négligence ou autre cause de retard imputable au saisissant, sans
préjudice de dommages-intérêts envers qui il appartiendra. La subrogation permet de
veiller à l’aboutissement de la procédure initiée par le premier saisissant en donnant
les moyens de pression au second créancier.

En vertu de l’article 305 précité, un créancier ne peut demander la subrogation que


huit (08) jours après une sommation restée infructueuse de continuer les poursuites,
faite par acte d'avocat à avocat, aux créanciers dont les commandements ont été
antérieurement mentionnés au bureau de la conservation foncière. Le saisi n'est pas
mis en cause. Il s’en déduit que la subrogation ne s’opère pas de plein droit, il faut
au préalable que le second saisissant qui entend subroger le premier poursuivant
somme ce dernier de continuer les poursuites, faute de quoi, il sera subrogé dans les
poursuites. A l’expiration de ce délai, le second saisissant, doit par un acte adressé au
conservateur de la propriété foncière, demander la subrogation pour continuer les
poursuites à la place du premier saisissant défaillant.

77 

 
La partie qui succombe sur la contestation relative à la subrogation est condamnée
personnellement aux dépens. Le poursuivant contre lequel la subrogation a été
prononcée est tenu de remettre, contre récépissé, les pièces de la poursuite au subrogé
qui poursuit la procédure à ses risques et périls. Par la seule remise des pièces, le
poursuivant subrogé est déchargé de toutes ses obligations; il n'est payé de ses frais de
poursuite qu'après l'adjudication, soit sur le prix, soit par l'adjudicataire (art.306)

b) La distraction de l’immeuble saisi

L’article 308 de l’Acte Uniforme donne la possibilité au tiers qui se prétend


propriétaire d'un immeuble saisi et qui n'est tenu ni personnellement de la dette, ni
réellement sur l'immeuble, de le soustraire à la saisie, en formant une demande en
distraction avant l'adjudication. L’action en distraction est un incident permettant à
un tiers propriétaire, copropriétaire, usufruitier ou à toute personne ayant un droit réel
sur l’ immeuble saisi, de le soustraire de l’assiette de la saisie ; avec cette précision
que le demandeur à la distraction doit être un tiers à la procédure de saisie307. Il ne
peut être partie à la procédure, même en qualité de tiers détenteur, ni être tenu
personnellement de la dette cause de la saisie, en qualité de la caution308. Bien sûr, le
saisi peut toujours soutenir que l’immeuble saisi n’est plus sa propriété puisqu’ayant
fait l’objet d’une vente postérieurement au déclenchement des poursuites309. Il
conviendra, dans cette hypothèse, de parler plutôt d’une demande en nullité, et non
d’une demande en distraction.
En pratique, le tiers qui ne dépose pas toujours des dires et observations introduit une
requête en intervention volontaire pour solliciter la distraction de son bien en
application des dispositions combinées des articles 267 et 269 du Code de Procédure
Civile, Commerciale, Administrative et Financière dite CPCCAF et 298 de l’AUVE.
L’action en distraction des biens peut encore être présentée après l’audience
éventuelle mais seulement, à peine de déchéance, jusqu’au huitième jour avant
l’adjudication310.

c)-Les demandes en annulation

Les demandes en annulation ont pour but de faire sanctionner un acte irrégulier ou
l’omission d’une formalité prescrite à peine de nullité. Etant donné que nombreuses
sont des formalités prescrites à peine de nullité, ce genre d’incidents sont de loin les
plus fréquents et les plus nombreux. Ils couvrent aussi bien les nullités pour vice de
forme que les irrégularités de fond. Les demandes en nullité doivent être soulevées
par un dire annexé au cahier des charges.
L’article 313 permet de soulever la nullité du jugement d’adjudication ou du procès
verbal notarié d’adjudication. En effet, aux termes des dispositions dudit article, « La

                                                            
307
G. COUCHEZ, Voies d’exécution, op.cit, p.268.
308
P-G. POUGOUE, F. TEPPI KOLLOKO, op.cit. p.87.
309
TGI, Brazzaville, audience éventuelle, jugement, rôle civil n°1654, répertoire n°09 du 08 février 2013
précité.
310
Art.299 alinéa 2 de l’AUVE.
78 

 
nullité de la décision judiciaire ou du procès-verbal notarié d'adjudication ne peut
être demandée par voie d'action principale en annulation portée devant la juridiction
compétente dans le ressort de laquelle l'adjudication a été faite que dans un délai de
quinze (15) jours suivant l'adjudication. Elle ne peut être demandée que pour des
causes concomitantes ou postérieures à l'audience éventuelle, par tout intéressé, à
l'exception de l'adjudicataire. L'annulation a pour effet d'invalider la procédure à
partir de l'audience éventuelle ou postérieurement à celle-ci selon les causes de
l'annulation ».
A priori, l’on peut noter que le législateur OHADA met le jugement d’adjudication et
le procès verbal d’adjudication au même diapason alors que les deux actes
n’émanent pas du même organe. La raison de cet agencement ne tient pas tant à la
nature de l’organe dont émane l’acte d’adjudication qu’aux effets liés audit acte : le
jugement d’adjudication, tout comme le procès verbal d’adjudication sont
insusceptibles de recours. Ils ne peuvent faire l’objet d’opposition, ni d’appel ni, a
fortiori, de pourvoi en cassation. Ils ne peuvent que faire l’objet d’une action en
nullité par voie d’action principale ou d’exception devant le même Tribunal de
Grande Instance ayant prononcé l’adjudication ou dans le ressort du tribunal
l’adjudication a été faite.

Il faut distinguer selon que la demande en nullité porte sur un acte ou sur la
procédure suivie avant l’audience éventuelle, après cette audience ou encore sur la
décision rendue à l’audience d’adjudication ou sur le procès verbal notarié
d’adjudication puisque les délais varient selon l’objet de la demande. En principe, en
vertu de l’article 311 les moyens de nullité, tant en la forme qu'au fond, doivent être
soulevés, cinq (05) jours avant la tenue de l’audience éventuelle, et ce, à peine de
déchéance. Toutefois dit l’article 299, lorsque la demande en nullité est fondée sur
un fait ou un acte survenu ou révélé postérieurement à cette audience ou lorsque le
demandeur sollicite la nullité de tout ou partie de la procédure suivie à l'audience
éventuelle, la demande peut encore être présentée jusqu'au huitième jour avant
l’adjudication.
S’agissant de la demande en nullité portant sur le jugement d’adjudication ou le
procès verbal notarié d’adjudication, celle-ci doit être présentée dans un délai de
quinze (15) jours suivant l’adjudication à peine de déchéance.

d) La folle enchère

La folle enchère est un incident de la saisie immobilière tendant à mettre à néant


l'adjudication en raison du manquement de l'adjudicataire à ses obligations afin de
provoquer une nouvelle vente aux enchères de l'immeuble. Deux conditions, au
demeurant non cumulatives, peuvent justifier l’ouverture d’une folle enchère.
Selon l’article 314 de l’AUVE, « La folle enchère est ouverte lorsque l'adjudicataire
:
1) ne justifie pas, dans les vingt (20) jours suivant l'adjudication, qu'il a payé le prix,
les frais et satisfait aux conditions du cahier des charges ;

79 

 
2) ne fait pas publier la décision judiciaire ou le procès-verbal notarié d'adjudication
à la conservation foncière dans le délai prévu à l'article 294 ci-dessus »311. Il en
découle que lorsque le prix et les frais taxés ne sont pas payés dans le délai prescrit ou
s’il n’a pas fait publier l’acte d’adjudication dans les deux mois suivant l’adjudication,
le saisi, le créancier poursuivant et les créanciers inscrits et chirographaires peuvent
intenter une folle enchère. Toutefois la folle enchère peut ne plus être intentée
lorsque l’adjudicataire s’exécute in extremis et que les causes d’ouverture de cette
action ont disparu ainsi qu’il est dit à l’article 315 de l’AUVE.
Pour faire la preuve de la défaillance de l’adjudicataire, l’article 316 fait obligation au
fol enchérisseur de se faire délivrer, par le greffier ou par le notaire, un certificat
attestant que l'adjudicataire n'a pas justifié l'exécution des clauses et conditions du
cahier des charges, lequel certificat doit être signifié à l’adjudicataire. L’article 316
indique que « s'il y a opposition de la part de l'adjudicataire à la délivrance de ce
certificat, il sera statué, à la requête de la partie la plus diligente, par le président de
la juridiction compétente et sans recours ». Le président de la juridiction compétente
dont il est question ici est le président du Tribunal de Grande Instance compétent
rationae loci.
Dans les cinq (05) jours de cette signification, il est procédé à la publicité en vue de la
nouvelle adjudication. Les affiches et insertions indiquent les nom, prénoms, domicile
ou demeure du fol enchérisseur, le montant de l'adjudication, une mise à prix fixée par
le poursuivant, et le jour auquel aura lieu, sur l'ancien cahier des charges, la nouvelle
adjudication. Le délai entre la nouvelle publicité et la vente est de quinze (15) jours au
moins et de trente (30) jours au plus (art.317). Ainsi quinze (15) jours au moins avant
l'adjudication, signification est faite à l'adjudicataire, au saisi, au saisissant et aux
créanciers, des jours, heure et lieu de l'adjudication. Cette signification est faite par
acte d'avocat à avocat et, à défaut d'avocat, par exploit d'huissier ou d'agent
d'exécution.
Dans l’hypothèse ou le titre d’adjudication a été délivré, l’article 319 indique que le
poursuivant à la folle enchère signifie à l'adjudicataire, avec commandement, une
copie de la décision judiciaire ou un procès-verbal notarié d'adjudication. Cinq (05)
jours après cette signification, il peut procéder à la publicité de la nouvelle vente
comme prévu à l'article 317 ci-dessus.
Il est dit à l’article 321 que les formalités et délais prévus par les articles 316 à 319
suscités sont observés à peine de nullité. Les moyens de nullité doivent être formulés
cinq (05) jours avant l'adjudication prévue à l'article 317 ci-dessus. On peut noter une
différence s’agissant des sanctions attachées à l’inobservation des délais. Alors que
l’article 297 alinéa 1 sanctionne l’inobservation des délais par la déchéance, l’article
321 sanctionne de nullité le non respect des délais.
S’agissant de la vente, l’article 322 dispose que s'il n'est pas porté d'enchère, la mise à
prix peut être diminuée, dans la limite fixée par l'article 267-10 ci-dessus, par décision
du président de la juridiction compétente. Si malgré cette diminution de la mise à
prix, aucune enchère n'est portée, le poursuivant est déclaré adjudicataire pour la

                                                            
311
Le délai prévu à l’article 294 est de deux mois.
80 

 
première mise à prix. Le fol enchérisseur ne peut enchérir sur la nouvelle
adjudication.
Par ailleurs l’article 323 fait peser un certain nombre d’obligations sur le fol
enchérisseur puisque aux termes de cette disposition, celui-ci est tenu des intérêts de
son prix jusqu'au jour de la seconde vente et de la différence de son prix et de celui de
la deuxième adjudication lorsque celui-ci est plus faible. En outre l’alinéa 2 du même
article précise que si le deuxième prix est plus élevé que le premier, la différence en
plus ne lui profite pas. Il ne peut obtenir le remboursement des frais de procédure et
de greffe ni les droits d'enregistrement qu'il a payés.

B -La distribution du prix de vente de l’immeuble

La distribution du prix de vente de l’immeuble constitue l’ultime phase de la


procédure de saisie immobilière. L’ordre de la distribution du prix est organisé par
les dispositions de l’article 225 de l’Acte Uniforme portant Organisation des Sûretés.
Selon ce texte, « Les deniers provenant de la réalisation des immeubles sont
distribués dans l'ordre suivant :
1°) aux créanciers des frais de justice engagés pour parvenir à la réalisation du bien
vendu et à la distribution elle-même du prix ;
2°) aux créanciers de salaires super privilégiés ;
3°) aux créanciers titulaires d'une hypothèque conventionnelle ou forcée et aux
créanciers séparatistes inscrits dans le délai légal, chacun selon le rang de son
inscription au registre de la publicité immobilière ;
4°) aux créanciers munis d'un privilège général soumis à publicité chacun selon le
rang de son inscription au Registre du Commerce et du Crédit Mobilier ;
5°) aux créanciers munis d'un privilège général non soumis à publicité selon l'ordre
établi par l'article 180 du présent Acte Uniforme ;
6°) aux créanciers chirographaires munis d'un titre exécutoire lorsqu'ils sont
intervenus par voie de saisie ou d'opposition à la procédure.
En cas d'insuffisance de deniers pour désintéresser les créanciers désignés aux 1°),
2°), 5°) et 6°) du présent article venant à rang égal, ceux-ci concourent à la
distribution dans la proportion de leurs créances totales, au marc le franc.

L’Acte Uniforme a privilégié une distribution amiable du produit de la vente afin de


ne pas obérer davantage les frais de poursuite avec l’introduction d’une action en
distribution du prix. Encore faut-il que les créanciers parviennent à un accord; la
divergence des intérêts des uns et l’intransigeance des autres pouvant ruiner les
chances de parvenir à l’accord.
La recherche préalable d’un accord n’est pas une obligation, un créancier pouvant
saisir le juge de la distribution. Il a été décidé que le fait pour un créancier de saisir
directement le juge de la distribution sans rechercher au préalable un accord pour
parvenir à une répartition amiable ne peut être sanctionné par l’irrecevabilité de

81 

 
l’action; la seule obligation qui pèse sur le demandeur à la distribution est de respecter
le délai d’un mois avant la saisine du juge312.

1)-La distribution amiable

La distribution amiable du produit de la vente peut être facilitée selon que l’on se
trouve en présence d’un créancier unique ou de plusieurs créanciers.

a)Le créancier unique

En présence d’un seul créancier le juge n’intervient pas313 et la répartition est plus
aisée. Le produit de la vente est remis à celui-ci jusqu'à concurrence du montant de sa
créance, en principal, intérêts et frais, dans un délai de quinze (15) jours, au plus tard,
à compter du versement du prix de la vente. Dans le même délai, le solde est remis au
débiteur. A l'expiration de ce délai, les sommes qui sont dues produisent intérêt au
taux légal (art.324)

b) La pluralité des créanciers

En vertu des dispositions de l’article 325 de l’AUVE, s'il y a plusieurs créanciers


inscrits ou privilégiés, ceux-ci peuvent s'entendre sur une répartition consensuelle du
prix de la vente. Dans ce cas, ils adressent leur convention sous seing privé ou sous
forme authentique au greffe ou à l'auxiliaire de justice qui détient les fonds. Le
règlement des créanciers doit être effectué dans le délai de quinze (15) jours à
compter de la réception de l'accord. Dans le même délai, le solde est remis au
débiteur. A l'expiration de ce délai, les sommes qui sont dues produisent intérêt au
taux légal.

2)-La distribution judiciaire

Elle n’intervient que si, dans le délai d'un mois qui suit le versement du prix de la
vente, les créanciers ne sont pas parvenus à un accord. Dans ce cas le plus diligent
d'entre eux saisit le président du Tribunal de Grande Instance du lieu de la vente ou le
magistrat délégué par lui afin de l'entendre statuer sur la répartition du prix (art.326).
L’article 327 ne précise pas le mode de saisine314 du juge compétent et la question
n’est pas dénuée d’intérêt lorsque l’on sait l’importance que l’Acte Uniforme attache
au respect du formalisme dans la procédure de la saisie immobilière. Mais à la lecture
de l’article 327, il est permis de dire que c’est par voie d’assignation que le juge sera
saisi puisque selon ce texte, « Cet acte de saisine indique la date de l'audience et fait
sommation aux créanciers de produire, c'est-à-dire d'indiquer ce qui leur est dû, le

                                                            
312
Tribunal régional Hors classe de Dakar, jugement n°319 du 15 mars 2001, distribution du prix
d’adjudication du TF n° 9795/DG saisi sur LOBATH FALL par la S.G.B.S, ohadata J-05-44.
313
I.SAMBE, Distribution du prix dans l‘acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de
recouvrement et voies d’exécution, ohadata-D-05-11.  
314
I. SAMBE, op.cit, p.3.
82 

 
rang auquel ils entendent être colloqués et de communiquer toutes pièces
justificatives. La sommation reproduit les dispositions de l'article 330 ci-après ».
L’exploit d’assignation doit également être signifié au saisi315, ce dernier ayant
intérêt à assister à la distribution du produit de la vente afin de voir ses créanciers être
désintéressés.
L’audience ne peut avoir lieu moins de quarante (40) jours après la dernière
signification.
Apres avoir été sommés, les créanciers sont tenus de produire leur déclaration de
créance au greffe. En effet, aux termes des dispositions de l’article 330, « dans les
vingt (20) jours de la sommation, les créanciers effectuent leur production au greffe
de la juridiction compétente. L'expiration de ce délai emporte de plein droit
déchéance contre les créanciers non produisants». Il en résulte que le créancier qui
n’a pas produit sa déclaration de créances ou qui l’a effectué tardivement est déchu de
plein droit316. Ce faisant, il perd tout privilège ou tout droit de préférence par rapport
aux créanciers produisants317 et ne pourra plus faire valoir ses privilèges afin qu’il soit
colloqué par préférence.

De ce fait, lorsque le produit de la vente est insuffisant pour désintéresser le créancier


produisant, la totalité de la somme lui sera versée alors qu’autrement, une distribution
au marc le franc serait envisagé en tenant compte du rang des privilèges des
créanciers318. Précisons toutefois que cette déchéance n’est attachée qu’au bénéfice de
la sureté dans le cadre de la distribution du produit de la vente de l’immeuble, la
conséquence est que le créancier perd son rang dans la hiérarchie de créanciers à
désintéresser en priorité. C’est dire que même déchu pour production tardive, « celui
qui a omis de produire peut se prévaloir, à l’encontre des créanciers chirographaires
de son hypothèque, et se faire payer avant eux sur le reliquat restant à repartir », la
déchéance ne pouvant purger sa créance. Ainsi lorsqu’il n’y a pas de solde restant, le
créancier déchu peut utilement recourir à d’autres moyens pour recouvrer le paiement
de sa créance319.

La partie qui entend soulever des contestations doit le faire au moyen des dires qui
doivent être déposés, au plus tard, cinq (05) jours avant l'audience. Ils doivent être
communiqués aux autres parties (art.331). Au vu des productions, dires et
explications des parties, le juge de la distribution procède à la répartition du prix de la
vente. Il peut, pour causes graves et dûment justifiées, accorder une remise de la
répartition, et fixer le jour de la nouvelle audience. Signalons que la décision
judiciaire accordant ou refusant une remise n'est susceptible d'aucun recours (art.332).
                                                            
315
Art.328 AUVE.
316
Dakar, Arrêt n°77 du 08 février 2001, Aff. La SGBS C/ La SNR, J-06-62.
317
F-J. PANSIER, « Ordre judiciaire », in S. GUICHARD, T. MOUSSA (dir), Droit et Pratique des voies
d’exécution, op. cit. p.1793.
318
Cf. Aff. La SGBS C/ La SNR, précitée.
319
En droit français, l’article 113 du décret du 27 juillet 2006 indique à propos que « Nonobstant la
déchéance qu’ils encourent dans la procédure de distribution en application de l’article 2215 du code civil,
les créanciers sommés de déclarer leur créance et qui ont omis de le faire peuvent y procéder dans les
formes prévues par l’alinéa ci-dessus aux fins de se voir répartir le solde éventuel ».
83 

 
A contrario, en vertu de l’article 333, la décision judiciaire rendue sur le fond est
susceptible d'appel dans les quinze (15) jours de sa signification. L'appel n'est
recevable que si le montant de la somme contestée est supérieur au taux des décisions
judiciaires rendues en dernier ressort.
Enfin, si l'adjudication ou folle enchère intervient au cours de la procédure ou même
après le règlement définitif, la juridiction compétente modifie l'état de collocation
suivant les résultats de l’adjudication (art.335).

C -Les voies de recours

Comme toutes décisions de justice, les décisions rendues en matière d’expropriation


forcée peuvent faire l’objet des vois de recours. Cependant en cette matière, l’exercice
des les voies de recours obéit à des conditions particulières en raison bien entendu de
la nature de la décision à attaquer.

1) L’appel

Selon l’article 300 AUVE « les décisions judiciaires rendues en matière de saisie
immobilière ne sont pas susceptibles d'opposition. Elles ne peuvent être frappées
d'appel que lorsqu'elles statuent sur le principe même de la créance ou sur des
moyens de fond tirés de l'incapacité d'une des parties, de la propriété, de
l'insaisissabilité ou de l'inaliénabilité des biens saisis. Les décisions de la juridiction
d'appel ne sont pas susceptibles d'opposition. Les voies de recours sont exercées dans
les conditions de droit commun ». Ce texte ferme la voie de l’appel à la plupart des
décisions rendues en matière de saisie immobilière ou, à tout le moins, le réduit à sa
portion congrue en n’autorisant le recours à l’appel que dans les conditions
limitativement énumérées, de sorte que le plaideur qui interjette appel d’une décision
n’ayant pas statué sur le principe de la créance, l'incapacité d'une des parties, de la
propriété du bien, de l’insaisissabilité ou de l’inaliénabilité des biens saisis sera
déclaré irrecevable. C’est ce que rappelle la CCJA. Dans l’affaire ayant donné lieu à
l’arrêt n°2 du 09 mars 2006320, au visa de l’article 300 AUVE, pour rejeter le pourvoi
formé contre le jugement n°353 rendu par le Tribunal de Grande Instance du Wouri à
Douala, la Haute Juridiction a décidé que le « jugement attaqué rendu en matière de
saisie immobilière, lequel ne statue ni sur le principe même de la créance, ni sur des
moyens de fonds tirés de l’incapacité d’une des parties, ni sur la propriété ou
l’insaisissabilité ou l’aliénabilité des biens saisis, n’est pas susceptible d’appel ». Qui
plus est, lorsque le tribunal n’a statué que sur l’annulation des actes de procédure,
l’appel régularisé contre un tel jugement est irrecevable321.

                                                            
320
CCJA, 2ème chambre, arrêt n°2 du 9 mars 2006, Aff. Monsieur L.E. Société Camerounaise de
transformation dite SOCATRAF c/ Caisse Commune d’Epargne et d’Investissement, dite CCEI-Bank S.A.
devenue Afriland First Bank S.A, précité.
321
Dakar, 10 juillet 2003, arrêt N°373, Aff. Alassane SECK c/ Thiédjiguène MBAYE épouse SOW, Yaya
GUEYE, Ousseynou GUEYE, Abdoulaye GUEYE c/ La C.B.A.O, Ohadata J-05-36.
84 

 
Selon l’alinéa 4 de l’article 300 les voies de recours sont exercées dans les conditions
de droit commun. Cette disposition a suscité une vive controverse doctrinale
alimentée par une jurisprudence souvent contradictoire, certaines juridictions
considérant que les conditions de droit commun dont s’agit renvoient aux conditions
d’exercice d’appel régies par le droit national de chaque Etat alors que d’autres
estimant qu’il s’agit d’un renvoi à l’Acte Uniforme. Ainsi selon la Cour d’Appel du
Littoral au Cameroun, le législateur OHADA n’ayant pas prévu de délai d’appel
contre les décisions rendues en matière de saisie immobilière, c’est le délai de droit
commun prévu par le législateur national qui doit être appliqué322. A contrario la
Cour d’Appel d’Abidjan estimant pour sa part, qu’il résulte de la combinaison des
articles 300 et 313 de l’AUVE que le délai de droit commun pour interjeter appel en
matière de saisie immobilière est de quinze (15) jours à compter du prononcé de la
décision323.
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 18 avril 2002, la CCJA a décidé que
l’article 300 qui prescrit que les décisions rendues en matière de saisie immobilière ne
peuvent être frappées d’appel que dans certains cas ne précise pas le délai d’appel ni
son point de départ, indiquant simplement que les voies d’appel sont exercées dans les
conditions de droit commun, qu’en l’absence de dispositions particulières, le délai
d’appel pour tout litige relatif à une mesure d’exécution est celui prévu à l’article 49
des dispositions générales de l’Acte Uniforme suscité qui précise que la décision
rendue par la juridiction compétente pour statuer sur tout litige relatif à une mesure
d’exécution est susceptible d’appel dans un délai de quinze (15) jours à compter de
son prononcé324, cette jurisprudence devenue constante est toujours rappelée par la
haute juridiction325.

Conformément aux dispositions de l’article301 AUVE, l'appel est notifié à toutes les
parties en cause à leur domicile réel ou élu y compris à l’adjudicataire, celui-ci est
particulièrement intéressé par un appel dont l’issue peut remettre en cause son droit de
propriété, de sorte que les conséquences tirées d’un appel qui ne lui a pas été notifié
conformément à l’article 301 ne peuvent lui être opposables326. L'acte est également
notifié, dans le délai d'appel, au greffier en chef du Tribunal de Grande Instance, visé
et mentionné par lui au cahier des charges. L'acte d'appel contient l'exposé des
moyens de l'appelant à peine de nullité. Le fait pour l’appelant de ne pas avoir exposé

                                                            
322
Littoral, arrêt n°019/C du 18 avril 2008, Aff. La Société NGUESSI Avenue Hôtel Sarl c/ BICEC SA, J-
10-266.
323
Abidjan, 1ère chambre, arrêt N°205 du 06 février 2004, Aff. Mme A EPSE B c/ SGBCI, le juris Ohada
2 :2005, p.35, Ohadata J-05-365.
324
CCJA, arrêt n°13/2002 du 18 avril 2002, Aff. Banque Internationale pour le Commerce et l’Industrie de
Cote d’Ivoire dite BICICI c / Dioum Mbandy et Boucherie Moderne de Cote d’Ivoire dite Boucherie
Dioum Mbandy et Fils. Rec. CCJA, n° Spécial, janvier 2003, p.58, Juriscop.org, Ohada.com/Ohadata J-02-
06, Obs. Issa-Sayegh.
325
CCJA, 2ème chambre, arrêt n°6 du 02 février 2012, Aff. Société SSI c/ SANY, Juris Ohada, n°4, Octobre-
décembre P.25, ohadata J-13-60.
326
OUAGADOUGOU, arrêt n°61 du 07 juin 2002, Société TAMOIL BURKINA c/ Société de Pétrole
TAGUI SA.
85 

 
ses moyens dans l’acte d’appel entraine la nullité dudit acte327.La Cour d’Appel statue
sous quinzaine.

2)-La cassation
Il convient de rappeler que les décisions rendues par les juridictions d’appel en
matière de saisie immobilière font l’objet d’un recours en cassation devant la CCJA.
Ceci étant, s’il est entendu que les décisions rendues en matière de saisie
immobilière ne peuvent être frappées d’appel que dans les conditions limitativement
énumérées à l’article 300 de l’AUVE, la restriction du droit d’appel a pour
conséquence d’ouvrir la voie de la cassation devant la CCJA aux plaideurs qui n’ont
pas pu contester le jugement critiqué devant la Cour d’Appel lorsque ledit jugement
est insusceptible d’appel. Toutefois, le pourvoi en cassation sera déclaré irrecevable
dès lors que le jugement déféré à la censure de la haute juridiction a statué sur le
principe de la propriété de l’immeuble puisqu’il est de ce fait, susceptible d’appel328.
Il en sera de même lorsque ledit jugement a statué sur l’existence de la créance329, sur
des moyens de fond tirés de l'incapacité d'une des parties, ou sur l’existence de la
personne débitrice330, de l'insaisissabilité ou de l'inaliénabilité des biens saisis.

Cependant, nombreux sont des défendeurs au pourvoi qui soulèvent, in limine litis,
l’irrecevabilité du pourvoi en cassation ainsi régularisé devant la CCJA par leurs
colitigants pour violation des dispositions de l’article 14 du traité institutif de
l’OHADA au motif qu’un jugement rendu par un tribunal n’étant ni une décision
rendue par une juridictions d’appel, ni une décision non susceptible d’appel ne peut
faire l’objet d’un pourvoi en cassation. Ce moyen est régulièrement rejeté par la haute
cour puisqu’il découle d’une lecture biaisée de l’article 14 du traité. En effet, l’article
14 alinéa 4 du traité OHADA dispose que la CCJA se prononce dans les mêmes
conditions sur les décisions non susceptibles d’appel rendues par toute juridiction des
Etats Parties dans les mêmes contentieux. Or, en matière de saisie immobilière, les
jugements rendus par les tribunaux sont insusceptibles d’appel lorsqu'ils n’ont pas
statué sur le principe même de la créance ou sur des moyens de fond tirés de
l'incapacité d'une des parties, de la propriété, de l'insaisissabilité ou de l'inaliénabilité
des biens saisis, de sorte que l’unique voie de recours ouverte au plaideur reste le
pourvoi en cassation.

                                                            
327
BOBO-DIOULASSO, Chambre Civile, arrêt n°053/08 du 21 Juillet 2008, BALIMA Lamoussa c/ BOA,
Ohadata J-10-122.
328
CCJA, 2ème chambre, arrêt n°6 du 02 février 2012, Aff. Société SSI c/ SANY, précité.
329
Civ. 2e, 4 mai 1988, n°87-12.016, Bull. civ.II, n°104. D.1988, IR 143.
330
Civ. 1re, 12 juin 2001, n°99-13.316, Bull. civ. I, n°173 ; Procédures 2001, n°233, obs. Junillon.
86 

 
CONCLUSION

Il ressort de cette réflexion sur le formalisme de la saisie immobilière en droit


OHADA, que le législateur OHADA accorde une importance particulière au respect
du formalisme dans la mise en œuvre de la saisie immobilière ; ce formalise se
décline en deux angles: l’observation des mentions prescrites à peine de nullité et le
respect de délais assorti de déchéance dans l’accomplissement des actes.

Pour mener à bien une saisie immobilière<<, il est impérieux de maitriser les
subtilités de la procédure, mais aussi de faire preuve d’une dextérité remarquable dans
l’accomplissement des actes. Contrairement au régime de nullité de plein droit ou
nullité automatique331régissant les autres mesure d’exécution institué par l’Acte
Uniforme portant Organisation des Procédures Simplifiées de Recouvrement et des
Voies d’Exécution, en matière de saisie immobilière, l’Acte Uniforme consacre le
régime des nullités avec grief, de sorte que le moyen tiré de nullité articulé contre un
acte vicié ne peut être accueilli que lorsque l’irrégularité a eu pour effet de causer un
préjudice aux intérêts de celui qui l’invoque. L’exigence d’un grief permet d’atténuer
les effets fâcheux d’un régime de nullité assez rigide pouvant permettre au débiteur
de mauvaise foi d’échapper aux poursuites.
Cette exigence s’estompe lorsqu’un plaideur poursuit la déchéance d’un acte pour
inobservation de délai, la déchéance étant acquise de plein droit à l’expiration du délai
fixé sans que le plaideur qui l’invoque ne puisse justifier l’existence d’un préjudice.

La saisie immobilière exige une attention soutenue, la moindre inattention peut ruiner
toute la procédure et avec elle, parfois, l’espoir de recouvrer une créance si essentielle
pour l’entreprise. En dépit de la volonté affichée par le législateur OHADA de limiter
les manœuvres dilatoires, l’accélération du temps du procès de la saisie immobilière,
en vue de favoriser la célérité de l’instance judiciaire332 se fait toujours attendre. Le
contentieux de la saisie immobilière n’a pas échappé à la lenteur de la justice, hélas !

En définitive, le législateur OHADA devra profiter du chantier de la reforme de


l’Acte Uniforme portant Organisation des Procédures Simplifiées de Recouvrement et
des Voies d’Exécution pour reformer en profondeur la procédure de la saisie
immobilière en tenant compte des difficultés liées à la pratique pour limiter, les
manœuvres dilatoires du débiteur, mais aussi pour toiletter certaines dispositions et
contribuer, in fine, à l’efficacité de cette mesure d’exécution si indispensable pour la
sécurisation de l’investissement.

                                                            
331
M. ADJAKA, réflexion sur le régime des nullités consacré par l’Acte Uniforme de l’OHADA portant
Organisation des Procédures Simplifiées de Recouvrement et des Voies d’Exécution, Ohadata D-11-25.
332
P. A. TOURE, le nouveau visage de l’action en résiliation du bail à usage professionnel dans l’acte
uniforme portant sur le droit commercial général adopté le 15 décembre 2010, in revue de l’ERSUMA
N°1, Juin 2012 p.357.
 
87 

 
88 

 
LA QUESTION DE LA DEFINITION DU CONTRAT EN DROIT PRIVE :
ESSAI D’UNE THEORIE INSTITUTIONNELLE
Par Docteur MONEBOULOU MINKADA Hervé Magloire, Ph./D en droit privé,
Chargé de cours à la Faculté des Sciences juridiques et politiques à l’Université de
Douala,

Résumé
Le thème intitulé : «La question de la définition du contrat en droit privé :
essai d’une théorie institutionnelle » offre une grille de lecture iconoclaste de la
notion de contrat. Si classiquement la matrice du contrat est l’accord de volontés, on
propose que juridiquement l’accord de volontés ne génère qu’un projet de contrat. Ce
projet ne deviendra contrat qu’en se conformant à la Loi. Cette Loi canalise l’accord
de volontés ou impose aux parties des clauses. Au-delà de la définition du contrat, on
trouve dans la logique institutionnelle souple un champ intégrateur des composantes
des différentes doctrines sur la notion de contrat. Qui plus est, une théorie
institutionnelle souple du contrat a le mérite de s’adapter aux fluctuations de la
conjoncture économique, relativisant ainsi la crise du contrat.

Abstract
Classicaly, the root of the contract is the agreement of the contracting parties.
That is why, sometimes people consider the contract as the agreement of the
contracting parties. However, the agreement is not the contract. Both are different. In
fact, if for the contracting parties there is a contract after an agreement, for the law
there is a contract when the agreement of the contracting parties respects the frame
previewed by the law. That is why the contract must be an institution. This view of
the contract enables to have another meaning and to gather the keys ideas of the
different opinions on the meaning of the contract. Thanks to the contract as an
institution, we can no longer be afraid of the crisis of the contract.

Sommaire

I–UNE DIFFICILE STABILISATION DOCTRINALE DE LA DEFINITION


DU CONTRAT EN DROIT PRIVE

A–Une partielle conceptualisation de la notion de contrat sous l’empire de


l’autonomie de la volonté
1–L’exposé de la doctrine autonomiste de la volonté
a-Le contenu de la théorie de l’autonomie de la volonté
b-Les corollaires juridiques de la théorie de l’autonomie de la volonté en matière
contractuelle
2–Une définition volontariste lacunaire du contrat
a-La définition volontariste du contrat
b-Les lacunes de la définition volontariste du contrat
B–Une insuffisante définition du contrat par les critiques de l’autonomie de la volonté
1–Une définition dirigiste critiquable du contrat

89 

 
a-L’essentiel de la doctrine dirigiste du contrat
b-La critique de la définition dirigiste du contrat
2–Une définition solidariste insatisfaisante du contrat
a-La quintessence du solidarisme contractuel
b-La critique de la théorie solidariste du contrat

II–UNE POSSIBLE STABILISATION DE LA DEFINITIONDU CONTRAT


SOUS LE PRISME INSTITUTIONNEL EN DROIT PRIVE

A–Le caractère matriciel de l’institutionnel dans le contrat


1–Le visage caché de l’institutionnel dans la définition du contrat
a-Un faisceau de règles préétablies : un garde-fou canalisant la volonté des parties
b-Un accord de volontés assujetti aux règles préétablies
2–La face cachée de l’institutionnel dans la force obligatoire du contrat
a-Le fondement institutionnel de la force obligatoire du contrat
b-La validité institutionnelle de la force obligatoire du contrat
c-La matérialisation de l’institutionnel par un ordre public contractuel
B–L’encadrement de la logomachie doctrinale dans la logique institutionnelle du
contrat
1–le contrat-institution : un instrumentum de fédération doctrinale adaptable
a– La contribution éclectique de la doctrine à l’édification d’une logique
institutionnelle du contrat
b–L’adaptation du contrat-institution aux fluctuations de la conjoncture
2–Le particularisme de la logique institutionnelle souple à l’aune des approches
classiques du contrat
a-La théorie autonomiste du contrat et la théorie institutionnelle souple du contrat
b-Le dirigisme contractuel et la théorie institutionnelle souple du contrat
c-Le solidarisme contractuel et la théorie institutionnelle souple du contrat

Introduction

1–Il est certainement téméraire et risqué de chercher une nouvelle grille de


lecture du contrat après autant de controverses doctrinales333. Une opinion majoritaire
de la doctrine sacralise l’omnipotence de l’accord de volontés dans la définition du
contrat334. Si on respecte cette opinion, on s’en désolidarise en relativisant
l’omnipotence de l’accord de volontés dans la genèse juridique du contrat en droit
privé. Cette ambition a pour socle la logique institutionnelle du contrat. Pour y
parvenir, il est apodictique de préciser la terminologie du contrat et celle de
l’institution dans leur appréhension classique.

                                                            
333
La notion de contrat a connu plusieurs grilles de lecture selon que l’on s’inscrit dans le courant du
libéralisme économique, de l’interventionnisme étatique, enfin du solidarisme contractuel. Les détails sur
ces doctrines seront exposés dans les développements ultérieurs.
334
On reviendra largement sur les auteurs qui sacralisent et articulent la définition du contrat autour de
l’accord de volontés. Toutefois, on peut citer à titre indicatif : Beaumanoir, Domat, Pothier,…
90 

 
2–Le mot contrat vient du latin contractus, dérivé de contrahere, et signifie
rassembler, réunir, conclure. Pourpréciser l’origine sémantique du mot contrat, on se
réfère à la convention. Le mot convention vient du latin conventio, dérivé de
convenire qui signifie venir ensemble, d’où être d’accord. Conclure un contrat c’est se
mettre d’accord sur quelque chose.La convention désigne tout accord de volonté entre
deux ou plusieurs personnes destiné à produire un effet de droit quelconque : créer
une obligation, transférer la propriété, transmettre ou éteindre une obligation335.Il est
établi que la convention est un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes
en vue de produire des effets de droit336. C’est aussi un acte juridique conventionnel
générateur d’obligations et permettant le transfert des droits réels337. En réalité, le
contrat est une variété d’une catégorie plus large qui serait la convention. Le contrat
se distingue de la convention, terme plus génériquedésignant tout accord produisant
des effets de droit. Si tout contrat est une convention, l’inverse n’est pas vrai ; car il
existe des conventions qui ne créent pas d’obligations, mais les transfèrent ou les
éteignent338. Cependant en pratique, on parle souvent indifféremment de contrat ou de
convention339. C’est ainsi que l’article 1101 du code civil définit le contrat comme
une, « convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou
plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose 340». Cette
définition fait du contrat une convention génératrice d’obligations341.
3–Il importe de ne pas confondre le contrat avec les accords volontaires non
obligatoires. Ne constituent pas des contrats, les accords de volontés qui font naître
les obligations sociales342 ou morales. Ne produisent pas des effets de droit : l’entraide
familiale ou amicale, les relations mondaines343, l’engagement d’honneur344. On ne
saurait citer la lettre d’intention parce qu’elle constitue, selon les circonstances de
l’espèce, un simple engagement moral ou un véritable contrat pouvant obliger le
débiteur d’assurer le résultat345. En bref, la qualification de contrat devrait être écartée
« lorsque l’accord des volontés n’a pas donné naissance à des effets pourvus d’une
force juridique obligatoire346 ». De tels accords, dépourvus de sanction juridique,
appartiennent au non-droit347.

                                                            
335
Comité de rédaction, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, 1e éd., sous la dir. de Gérard
Cornu, PUF, Paris, 1987, p. 266.
336
J. Ghestin, « la notion de contrat », Recueil Dalloz, 1990, p, 147.
337
Ph. Malinvaud et D. Fenouillet, Droit des obligations, 11e éd., Litec, Paris, 2010, p. 45.
338
A. Bénabent, Droit civil, Les obligations, 11e éd., Montchrestien, LGDJ, Paris, 2007, p. 12.
339
R. Cabrillac, Droit des obligations, 9eed, Dalloz, Paris, 2010, p.16. ; Comp. avec la notion d’accord : v.
Guenzoui, La notion d’accord en droit privé, L.G.D.J, Bibl.dr.privé, 2009, t. 502, pref.C.Hanoun.
340
Cette définition a été reprise par J. Gatsi, Nouveau Dictionnaire juridique, 2e édition, PUL, AVUDRA,
Douala, 2010, p. 88.
341
B. Fages, Droit des obligations, L.G.D.J, EJA, Paris, 2007, p. 17.
342
Ex : l’acceptation d’une invitation à dîner, la promesse de rendre service.
343
Soc.31 jan.2007, RDC 2007.1085, obs. J. Rochfeld : Le PARE, plan d’aide au retour à l’emploi, qui
contente de rappeler des engagements déjà existants en vertu de la loi, n’est pas un contrat.
344
Cf.B. Oppetit, « L’engagement d’honneur », D. 1979. 111.
345
M. Cabrillac, C. Mouly, P. Petel et S. Cabrillac, Les sûretés, 8e éd., Litec, 2007, n°s 478 et s. et les
décisions citées.
346
J. Ghestin, « La notion de contrat », in Revue Droits n° 12, 1990, p. 19.
347
J. Carbonnier, Flexible droit, 7e édition, L.G.D.J., 1992, p. 7 et s.
91 

 
4–Cet exposé classique sur la notion de contrat constitue l’objet de
l’analyse, dont il convient de mettre en relief avec le concept : « institutionnel ».
L’adjectif « institutionnel »dérive du substantif :« institution », qui a la valeur (la
pérennité) d’une institution ;qui échappe aux volontés particulières348. Pour cerner
l’adjectif institutionnel, il faut se référer au substantif : institution.
Sous le prisme juridique, l’institution n’était qu’une des espèces du genre
personnes juridiques, qu’on opposait aux corporations. Seule la théorie de la
personnalité morale a recouru à ce concept.Cette théorie s’est développée d’abord et
principalement en droit privé.L’idée d’institution est demeurée stérile en droit
public349. La doctrine germanique l’a mise à profit afin d’élucider la notion de
personne juridique. En droit administratif allemand s’est dessinée la figure de l’office
public (Anstall), qui ne serait pas une personne juridique, mais une unité composée
d’un ensemble de moyens matériels ou personnels réunis dans les mains d’un sujet de
droit relevant de l’administration publique, pour le service permanent d’un intérêt
public déterminé : l’armée, une école, un observatoire, une académie, les postes,etc350.
En France, Maurice Hauriou estimait que l’institution constitue une catégorie
générale apte à expliquer bon nombre de principes et à recevoir d’importantes
applications. C’est une organisation sociale351.Pour Maurice Hauriou352, l’institution
se veut une réalité qui constitue, soit un organisme existant353, soit lorsque s’y
dégagent la conscience d’une mission et la volonté de la remplir354, etc. Dans un sens
large, l’institution renvoie à un ensemble d’éléments constituant la structure juridique
de la réalité sociale ; ensemble des mécanismes et structures juridiques encadrant les
conduites au sein d’une collectivité355. Selon Santi Romano356, l’institution désigne
tout être357 ou corps social358. Pour Rawls, une institution renvoie à un système public
de règles qui définit des fonctions et des positions avec leurs droits et leurs devoirs,
leurs pouvoirs et leurs immunités et ainsi de suite. D’après ces règles, certaines
formes d’action sont autorisées, d’autres sont interdites ; en cas d’infractions, elles
prévoient des peines, des mesures de protection et ainsi de suite359.

                                                            
348
Comité de rédaction, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, 1e éd., sous la dir. de Gérard
Cornu, Paris, 1987, p. 500.
349
S. Romano, L’ordre juridique, 2e éd., Dalloz, Paris, 2002, p. 20.
350
V. principalement O. Mayer, Deutsches Verwaltungsrecht, II, § 51 ; Fleiner, Institutionen des D.
Verwaltungsrechts, 3eed., Tübingen, 1913, § 18.
351
« Tout arrangement permanent par lequel, à l’intérieur d’un groupement social déterminé, des organes
disposant d’un pouvoir de domination sont mis au service des buts intéressant le groupe, par une activité
coordonnée à celle de l’ensemble du groupe ».
352
M. Hauriou, « La théorie de l’institution et de la fondation », in Les Cahiers de la nouvelle journée,
1925, IV ;Principes de droit public, Sirey 1910 et 1916 ; Précis de droit constitutionnel, Sirey, 2e éd., 1929,
pp. 71 et s.
353
Exemple : un établissement administratif
354
Comité de rédaction, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, op.cit., p.499.
355
Ibid.
356
S. Romano, op.cit., p. 25.
357
L’être dont nous parlons doit avoir une existence objective et concrète.
358
L’institution est un être ou un corps social en ce sens qu’elle est une manifestation de la nature sociale et
non purement individuelle.
359
J. Rawls, Théorie de la justice, Editions du Seuil, Paris, 1987, p. 86.
92 

 
Toute institution juridique se caractérise par les trois traits positifs
suivants360 : l’idée361, le pouvoir organique362 et la communauté de sentiments363. Elle
débouche sur une totalité organique364. L’institution se singularise ainsi par sa durée
et sa construction organisée365. Cette analyse s’attachera particulièrement à la
définition de l’institution comme une unité stable et permanente, qui ne perd donc pas
nécessairement son identité à la suite de mutations intervenues dans certains de ses
éléments constitutifs : les personnes qui en font partie, son patrimoine, ses moyens,
ses intérêts, ses bénéficiaires, ses règles, etc. Elle peut se renouveler tout en
conservant inchangée son individualité propre366. On distingue les institutions-
personnes, les institutions-organes et les institutions-mécanismes. On s’attardera sur
les institutions-mécanismes. Elles s’entendent des faisceaux de règles régissant une
certaine institution-organe ou une situation juridique donnée, tels que le droit de
dissolution, le mariage ou la responsabilité civile367. Ces règles peuvent être formelles
ou non écrites.
5–Au terme de l’exposé terminologique sur ces notions, on peut mieux
cerner le libellé de la thématique : « La question de la définition du contrat en droit
privé368 : essai d’une théorie institutionnelle ». Cette analyse n’est pas dénuée
d’intérêts.
6–Le premier intérêt est cognitif. La notion de « contrat institutionnel » a
déjà été évoquée en droit public369. Elle traduit le souci de pérennisation du contrat
au-delà des vicissitudes affectant le sort des parties. S’il est d’usage de reconnaitre le
caractère institutionnel du contrat en droit public, l’affirmation n’est pas d’usage en
droit privé370. En effet, l’approche institutionnelle souple du contrat devrait donner
une autre grille de lecture, se désolidarisant des classiques tout en s’y inspirant. On
aura ainsi une proposition de définition du contrat. Le deuxième intérêt réside dans le
décryptage des éléments constitutifs de la notion de contrat. La prétention n’est pas de
créer ce qui n’existe pas, mais de rechercher parmi les composantes du contrat, celle
qui garantit réellement la force exécutoire. En d’autres termes, la contrainte étatique
garantit-elle l’exécution du contrat au titre de l’accord des volontés ou plutôt de

                                                            
360
G. Marty, « La théorie de l’institution », Annales de la Faculté de droit de Toulouse, 1968, p.39.
361
L’institution est un instrument de réalisation de l’idée que poursuit le groupe social qui a créé
l’institution ; elle en est la mise en œuvre concrète.
362
L’institution dispose d’un pouvoir organique afin d’édifier l’œuvre incarnant cette idée et d’en assurer la
réalisation la plus complète possible.
363
L’institution est le lieu et le moyen par lequel le groupe exprime la communauté de sentiments au
service de l’idée et de sa réalisation plénière.
364
J. C. Ricci, Introduction à l’étude du droit, 3e éd., Hachette, Paris, 2012, p.107.
365
Ibid.
366
S. Romano, op.cit., p. 28.
367
R. Guillien et J. Vincent, Lexiques des termes juridiques, 14e éd., Dalloz, Paris, 2003, p. 323.
368
L’ensemble des règles de Droit qui gouvernent les rapports des particuliers entre eux : droit civil,
commercial, droit social (en partie), etc. v. Comité de rédaction, Vocabulaire juridique, Association Henri
Capitant, op.cit., p.723.
369
M. Hauriou, Principes de droit public, 2e éd., 1916, p. 199 et s.,p. 206 et s.
370
En fait le courant fondateur du code civil est le libéralisme économique et la théorie autonomiste de la
volonté. Ces courants de pensée encadrent l’individualisme et la liberté contractuelle. Ce qui est
antinomique d’une contrainte institutionnelle a priori.
93 

 
l’assujettissement de l’accord aux règles préétablies parla Loi371 ? Il s’agit d’apporter
une réponse à la question : que reste-t-il de l’accord de volontés comme fondement de
la force obligatoire du contrat ? La réponse à ces questions nécessite le décryptage de
la notion d’institution. Un autre intérêt réside dans l’appréhension qu’on donne au
concept « institution ». En effet, un distinguo peut s’établir entre institution rigide372
et institution souple373. On optera pour une lecture souple374 de l’institution pour avoir
une définition du contrat adaptable aux secousses et crises des doctrines sur le contrat.
Ce résultat ne sera possible qu’en recourant à la méthode exégétique375, syncrétiste376
et éclectique377. Par ailleurs, moins à créer une notion institutionnelle du contrat, qui
est une arlésienne en droit privé, il est plus question de voir dans la lecture
institutionnelle une zone d’osmose faisant place à toutes les tendances doctrinales sur
la notion de contrat, sans en être prisonnière. Le but est de relativiser la crise du
contrat378. Elle renvoie à un renforcement de la réglementation de certains contrats,
les apparentant aux statuts. Plus que la crise du contrat, certains ont prédit la mort de
celui-ci379.Une lecture institutionnelle souple du contrat permet de tempérer la frayeur
de cette tendance380.Sur le volet pratique, la définition institutionnelle du contrat en

                                                            
371
Cette loi est extérieure à celle que crée l’accord des volontés.
372
Une institution rigide est celle qui ne permet pas de modification ultérieure.
373
Une institution souple est celle qui permet des ajustements ultérieurs.
374
L’idée de souplesse n’est pas nouvelle en droit privé. Une illustration a été faite avec le contrat-cadre. En
effet, le contrat-cadre est un contrat souple répondant aux situations contractuelles complexes. Le contrat-
cadre apparaitrait alors comme un contrat qui fixe les grandes lignes de la volonté des contractants, en
laissant à des contrats d’application le soin de les préciser et de les appliquer. La souplesse consiste pour
les partenaires à créer un véritable cadre pour les relations futures, afin de répondre à tous les objectifs (J.
Gatsi, Le contrat-cadre, L. G. D. J, EJA, Bibliothèque de droit privé, tome 273, Paris, 1996, pp.3 et 10). La
souplesse est perceptible aussi par le dynamisme de l’accord de volontés : « Le contrat-cadre peut en effet
être modifié par un nouvel accord de volontés » (J. Gatsi, op. cit, p. 114.). Cet accord de volontés est
exprimé par un contrat d’application, qui peut ou ne peut pas être l’exécution du contrat-cadre (les
contractants peuvent au moment de la conclusion d’un contrat d’application, exclure une clause du contrat-
cadre par un contrat d’application particulier. Cette exclusion correspond à la liberté contractuelle et à la
flexibilité du contrat cadre ; v. J. Gatsi, op.cit., p. 298.). Cette appréhension de la souplesse intéresse la
présente analyse parce qu’elle rend compte de l’adaptabilité du contrat. Seulement, si le Pr J. Gatsi analyse
le contrat-cadre comme un contrat de prévision pour la conclusion des contrats futurs (contrats
d’application) ; notre intérêt se limite à la définition du contrat classique en vue d’y rechercher les
éléments institutionnels et leur statut dans la genèse juridique du contrat. Au-delà de cette divergence
d’objets, l’idée de « souplesse », « d’adaptation »ou de « flexibilité » reste le nœud gordien entre ces deux
analyses.
375
L’exégèse renvoie à l’interprétation d’un texte (Le petit Larousse : Grand format, Paris, 1999, p. 410).
Nous allons interpréter les doctrines et les dispositions légales.
376
Le syncrétisme est un courant philosophique qui tend à fusionner plusieurs doctrines différentes (Le petit
Larousse : Grand format, Paris, 1999, p. 982). Nous allons fusionner la théorie de l’autonomie de la
volonté, le dirigisme contractuel et le solidarisme contractuel. Seulement, cette fusion se veut éclectique.
377
L’éclectisme est une méthode qui consiste à choisir dans differents systèmes, ce qui paraît meilleur pour
en faire un nouveau système (Le petit Larousse : Grand format, Paris, 1999, p. 359). Nous choisissons
dans : la théorie de l’autonomie de la volonté, le dirigisme contractuel et le solidarisme contractuel, ce qui
permet de construire la théorie institutionnelle souple du contrat en droit privé.
378
H. Batiffol, La crise du contrat et sa portée, Archives de philosophie du droit, t. XIII, 1968,p. 13.
379
K. Stoyanovitch, La théorie du contrat selon E. B. Pachoukanis, Archives de philosophie du droit, t.
XIII, 1968, p. 89.
380
Les partisans de la crise du contrat réduisent le contrat à l’accord de volontés, alors que le contrat
comporte d’autres composantes parfois plus décisives que l’accord des volontés. Il s’agit des éléments
94 

 
droit privé invite les usagers des contrats à plus de vigilance dans le respect des
conditions de validité. Il est particulièrement décevant pour une partie de découvrir
tardivement devant le juge, que l’accord qui a sous-tendu les transactions entre elles,
n’a jamais été un contrat. La conséquence est la perte des effets de droit et de la
protection non seulement du juge381, mais aussi de la Loi382.
7–Au-delà des intérêts de la présente analyse, il convient de préciser la
question centrale et le nœud gordien de cette étude. Elle se libelle de la manière
suivante : au regard de la polémique doctrinale sur la notion de contrat, peut-on
concevoir une définition stable et constante du contrat en droit privé sous le prisme
institutionnel ? La réponse à cette question est affirmative et exige d’établir en amont
une difficile stabilisation doctrinale de la définition du contrat en droit privé (I). Au
terme de cette entreprise, on pourra en aval proposer une possible stabilisation de la
définition du contrat sous le prisme institutionnel en droit privé (II).

                                                                                                                                              

institutionnels du contrat. La réglementation du volet institutionnel du contrat n’annihile pas la liberté


d’une ou de deux volontés de s’engager ou pas dans le contrat.
381
Les contractants disposent d’une véritable activité normative. Mais, ils doivent respecter les normes qui
leur sont supérieures, afin que la validité de leurs engagements ne puisse pas être mise en doute par le juge
(J. Gatsi, op. cit., p. 113). En clair, la phrase : « les normes qui leur sont supérieures », renvoie à la Loi.
382
L’utilisation de la majuscule dans le terme « Loi » renvoie à la loi comme un acte extérieur de la volonté
des parties et qui s’impose à elle.
95 

 
I–UNE DIFFICILE STABILISATION DOCTRINALE DE LA DEFINITION
DU CONTRAT EN DROIT PRIVE
Si la définition du contrat donnée par l’article 1101 du Code civil arrange le
législateur, elle laisse la doctrine divisée. En effet, on assiste en doctrine à une réelle
logomachie383 entre les courants de pensée sur la notion de contrat. On distingue selon
les chapelles de pensée : la théorie de l’autonomie de la volonté, celle de
l’interventionnisme étatique et celle du solidarisme contractuel. La similitude entre
toutes ces doctrines est une approche partielle (A) et insuffisante (B) de la notion de
contrat.
A–Une partielle conceptualisation de la notion de contrat sous l’empire de
l’autonomie de la volonté
Avant de conclure sur une définition volontariste lacunaire du contrat (2), il
est logique d’exposer préalablement la doctrine y relative (1).

1–L’exposé de la doctrine autonomiste de la volonté


L’exposé de la doctrine autonomiste de la volonté s’articule autour de son
contenu (a) et de ses corollaires (b).
a–Le contenu de la théorie de l’autonomie de la volonté
8–La théorie de l’autonomie de la volonté est l’œuvre d’une partie de la
doctrine de la fin du XIXe et du début du XXe siècle384. Sur le plan philosophique,
elle est fortement imprégnée des idées du contrat social de Jean Jacques Rousseau.
Selon les idées rousseauistes, « l’état de liberté est l’état naturel de l’homme. Cette
idée qui rappelle inconsciemment l’état de nature de Rousseau et place comme idéal
que chacun en société soit aussi libre qu’auparavant dans le prétendu état de
nature385… ». En fait, l’autonomie de la volonté est un résultat de la philosophie
individualiste et du libéralisme économique. Elle a fortement influencé le Code civil
de 1810, en France.
Les auteurs qui inspirèrent le Code civil, comme Domat et Pothier386, ses
rédacteurs et surtout les interprètes du XIXe siècle fondaient le contrat sur la théorie
de l’autonomie de la volonté : le contrat repose sur la volonté de ceux qui s’y
engagent387. Cette théorie s’inspirait des doctrines philosophiques et économiques
variées.
L’origine philosophique de la théorie de l’autonomie de la volonté est à
chercher chez les canonistes. Le contractant qui a donné sa parole est lié, s’il ne veut
pas mentir, commettre un péché : « Pacta sunt servanda ». Une autre source de

                                                            
383
Discussion sur les mots, ou discussion dans laquelle les interlocuteurs emploient les mêmes mots dans
les sens différents. ; voir, Le petit Larousse : Grand format ; Paris, 1999, p. 604.
384
Sur cette question, v. V. Ranouil, L’autonomie de la volonté : naissance et évolution d’un concept, Trav.
Univ. Paris II, 1980 ;rappr. G. Rouchette, « La force obligatoire du contrat », in Le contrat aujourd’hui,
comparaison franco-anglaise, LGDJ, 1987.
385
C. Jamin, « Plaidoyer pour le solidarisme contractuel », in Mélanges offerts à Jacques Ghestin, LGDJ.
2001, note de bas de page 31.
386
Jean Domat, Les loix civiles dans leur ordre naturel (1eed., 1689, réédité tout au long du XVIIIe siècle)
et Robert. Joseph Pothier, Traité des obligations, 1761), Ad. : J-L. Gazzaniga, Domat et Pothier, Le contrat
à la fin de l’Ancien Régime, Droits, 1990, n°12, p. 37s.
387
V. Ranouil, op.cit.
96 

 
l’autonomie de la volonté est dans le droit naturel laïc et la philosophie du siècle des
Lumières : « L’homme est libre et ne peut être lié que parce qu’il a voulu, dans la
mesure de ce qu’il a voulu ». Selon la lecture rousseauiste, le contrat social librement
accepté par les citoyens est le fondement de toute société388.
Sous le prisme économique, l’autonomie de la volonté est le substrat du
libéralisme. La loi du marché repose sur l’idée d’échange. Son meilleur instrument est
le contrat dont la conclusion et le contenu sont abandonnés à la libre négociation des
individus. Selon Kant, la volonté source unique de toute obligation juridique est
également seule source de justice : « Quand quelqu’un décide quelque chose à l’égard
d’un autre, dit-il, il est toujours possible qu’il lui fasse quelque injustice ; mais toute
injustice est impossible dans ce qu’il décide pour lui-même389 ». Dans une formule
célèbre, Fouillée, disciple de Kant, affirmait que « Toute justice est contractuelle ; qui
dit contractuel dit juste390 », que l’on pourrait compléter par « Qui dit contractuel dit
efficace391 ». Chaque individu étant le meilleur juge de ses intérêts, on peut présumer
que ceux-ci sont parfaitement respectés par les engagements qu’il a volontairement
souscrits392.Cette lecture de la théorie de l’autonomie de la volonté a des corollaires
juridiques en matière contractuelle.
b-Les corollaires juridiques de la théorie de l’autonomie de la volonté en matière
contractuelle
9–Sous l’angle juridique, la théorie de l’autonomie de la volonté conduit à la
proclamation de certains principes. Il s’agit du principe de la liberté contractuelle :
les parties sont libres de contracter ou de ne pas contracter393. De même, elles sont
libres de conclure un contrat et d’en fixer le contenu394. De l’accord de volontés, se
déduit le principe du consensualisme. Il signifie que la volonté d’une personne suffit à
l’engager. Le contrat est valable du fait de l’échange des consentements, sans
qu’aucune condition de forme ne soit exigée395. C’est ce que traduit la célèbre
maxime de Loysel : « On lie les bœufs par les cornes et les hommes par les paroles ».
Ensuite, l’autonomie de la volonté a également pour corollaire : le principe de la force
obligatoire du contrat. En substance, un individu qui s’est librement lié, ne peut se
délier de cet engagement : « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à

                                                            
388
R. Cabrillac, op.cit.,p.18.
389
E. Kant, Doctrine du droit, trad. Barni, p. 169.
390
Cette citation de Fouillée a été détournée de son contexte d’origine solidariste pour servir la vision
autonomiste de la volonté. Selon A. Fouillée « Nous sommes frères parce que nous acceptons
volontairement un même idéal en entrant dans la société et que nous nous obligeons à former une même
famille ; nous sommes frères aussi parceque nous sommes naturellement membre d’un même organisme,
parceque nous ne pouvons vivre, ou nous développer les uns sans les autres, parce que notre moralité même
est liée à l’état social et à la moralité de l’ensemble. En définitive, l’idée d’un organisme contractuel est
identique à celle d’une fraternité réglée par la justice, car qui dit organisme dit fraternité et qui dit
contractuel dit juste ». Voir, A. Fouillée, La science sociale nouvelle, 2e éd., Hachette et Cie, 1885, p.
410.
391
E. Putman, « Kant et la théorie du contrat », RRJ, 1996.685 s.
392
D. Terré-Fornacciari, « L’autonomie de la volonté », Rev. Sc. Morales et politiques, 1995, 255, sp.p.
264.
393
F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil : Les obligations, 9e éd., Dalloz, Paris, 2005, p. 31.
394
Article 1/1 Acte Uniforme OHADA sur le droit des contrats (Avant-projet).
395
R. Cabrillac, op.cit., p.19.
97 

 
ceux qui les ont faites »396. « Le contrat valablement formé lie ceux qui l’ont conclu.
Les parties ne peuvent le modifier ou y mettre fin que selon ses dispositions, d’un
commun accord ou encore pour les causes énoncées par le présent Acte Uniforme »
pour reprendre l’article 1/4 de l’Acte Uniforme OHADA sur le droit des contrats
(Avant-projet).Enfin, le principe de l’effet relatif du contrat : sont seules tenues les
personnes qui ont entendu se lier ou « les conventions n’ont d’effet qu’entre les
parties contractantes397 ».
Ces corollaires juridiques de la théorie de l’autonomie de la volonté
dévoilent la philosophie de la liberté contractuelle. Selon cette philosophie, le droit
des contrats se révèle comme une matière ouverte à l’imagination des particuliers, et
des entreprises, qui ont toute latitude pour façonner selon leurs besoins propres, les
arrangements qui leur conviennent. Ils ne sont pas tenus de se couler dans l’un ou
l’autre moule préfabriqué, que la loi met à leur disposition. Telle est, dans toute sa
force, la liberté contractuelle. Lorsqu’on évoque celle-ci dans la théorie générale des
obligations, c’est avant tout pour dire que les individus ont le droit, à condition de
respecter l’ordre public, de déroger aux règles des contrats398. C’est dire si la notion
« d’ordre public » qu’on évoque ici, n’est que décorative. La sacralité de l’accord des
volontés range au second plan l’ordre public, et donc la Loi.
A ce stade de l’analyse, la doctrine de l’autonomie de la volonté propose le
schéma suivant : l’accord de volontés est la locomotive + le législateur est un
wagon=le tout formant le contrat (un train). Le particularisme de cette équation est de
mettre la Loi au service de l’accord de volontés. Il en ressort une sorte de suprématie
de l’accord de volontés sur la Loi. Cette approche volontariste du contrat aboutit à une
définition lacunaire.

2–Une définition volontariste lacunaire du contrat


La démarche consistera en première amorce à présenter la définition
volontariste du contrat (a). En seconde approche, on établira ses lacunes (b).
a–La définition volontariste du contrat
10–L’évolution s’est faite sous l’ancien droit, grâce à l’influence des
canonistes qui ont promu le respect de la parole donnée : pacta sunt servanda399.
Déjà Beaumanoir disait : « Toutes convenances sont à tenir400 ». Domat et Pothier,
inspirateurs directs du code civil, adoptèrent définitivement des définitions
consensualistes du contrat401.Au XVIIe siècle, Domat introduit la première partie de
son ouvrage sur les : Loix civiles dans l’ordre naturel, par ces mots :« les conventions
sont les engagements qui se forment par le consentement mutuel de deux ou de
plusieurs personnes, qui se font entre elles une loi d’exécuter ce qu’elles

                                                            
396
Article 1134 du code civil camerounais ; « Solus consensus obligat »
397
Article 1165 du code civil camerounais.
398
J. Huet, Traité de droit civil : Les principaux contrats spéciaux, 2e éd, (dir) J. Ghestin, L.G.D.J., Paris,
2001, p. 19.
399
V. Gazzaniga, n° 85 et 146, et 154, selon lequel « au XVIe siècle, malgré quelques résistances, le
principe solus consensus obligat apparaît absolu », n° 146.
400
Coutumes de Beauvaisis, 1283, n° 999.
401
J-L. Gazzaniga, Domat et Pothier, op.cit., n12 et 37.
98 

 
promettent402 ». Et, au XVIIIe siècle, Pothier peut écrire que « toute convention, par
laquelle les parties, ou l’une d’elles, promet à l’autre de lui donner, ou de faire
ou ne pas faire quelque chose (est) selon la simplicité de notre droit, un vrai
contrat403 ». Ainsi pour Pothier, la convention est « le consentement de deux ou
plusieurs personnes pour former entre elles quelque engagement ou pour en résoudre
un précédent ou le modifier », tandis que le contrat est « l’espèce de convention qui
a pour objet de former un engagement ». De même pour Domat, « toutes les
conventions nommées ou innommées ont toujours leur effet et elles obligent à ce qui
est convenu »404. Cette approche volontariste du contrat souffre de certaines lacunes.
b-Les lacunes de la définition volontariste du contrat
11–La définition volontariste du contrat cristallise l’importance sur le
consentement des parties ou l’accord des volontés, l’égalité des parties et leur liberté.
Toutefois, cette liberté et cette égalité sont théoriques. Dans les faits, l’inégalité entre
les parties n’est pas nouvelle. La société de l’Ancien Régime était fondamentalement
inégalitaire. En fait dans l’échange, la partie, qui doit satisfaire un besoin vital, est
désavantagée. De même le vendeur, parce qu’il connait mieux l’objet vendu, est
avantagé par rapport à l’acheteur405. Qu’il s’agisse des relations entre professionnels
ou entre profanes et professionnels, cette inégalité est aggravée par la pratique des
contrats d’adhésion. En effet, dans certains contrats la position des parties est telle
que l’un des contractants est obligé de traiter aux conditions qui lui sont par l’autre à
la fois offertes et imposées. On a donné à ces contrats le nom de contrats
d’adhésion406. Ce sont de véritable réglementation unilatérale du contrat, que l’une
des parties présente à l’adhésion de l’autre ; et que cette dernière ne peut guère en fait
refuser, parce qu’elle est le plus souvent commune à toute une profession407. C’est
l’hypothèse des contrats d’adhésion inventés par Saleilles en 1901, ou les contrats
sources d’autorité légale décrits par Demogue en 1911, et que Christophe Jamin
appelle les contrats de sujétion. Ils ont la particularité de s’inscrire dans la durée et de
ne pas être seulement le support d’un échange. Parce qu’ils mettent aux prises des
parties de force inégale, ces contrats peuvent réserver à l’une d’entre elles le droit de
fixer les règles du jeu au cours de leur exécution. On peut illustrer avec les contrats de
travail, les contrats hybrides des économistes (sous-traitance, franchise, concession,
etc.) ou encore les contrats de la vie courante, tels que ces contrats d’abonnement
conclus dans les multiples secteurs (téléphonie mobile, internet, crédit, etc.) qui
réservent conventionnellement au professionnel le droit de modifier des clauses
importantes du contrat au cours de son exécution, en laissant au consommateur la
possibilité de le résilier, si cette modification ne lui convient pas. Ces contrats ont la
particularité de faire de l’un des contractants le sujet de l’autre408.
                                                            
402
Jean Domat, Les loix civiles dans leur ordre naturel, op.cit.
403
Pothier s’exprime ainsi à propos du précaire, Traité du prêt à usage et du précaire, n° 89.
404
M. Fabre-Magnan, Les obligations, 1eéd.,Thémis, PUF, Paris, 2004, p. 42.
405
J. Ghestin, « L’utile et le juste dans les contrats », Chronique, Recueil Dalloz, Sirey, 1982, p. 2.
406
G. Ripert, La règle morale dans les obligations civiles, 4e édition, L.G.D.J., Paris, 1949, p. 97.
407
J. Ghestin, « L’utile et le juste dans les contrats », op.cit., p. 2.
408
C. Jamin, « Le procès du solidarisme contractuel : brève réplique », in Comité de rédaction, Le
solidarisme contractuel, Colloque, sous la direction de Luc Grynbaum et Marc Nicod, Economica, Paris,
2004, p. 165.
99 

 
Les contractants n’ont pas la même force économique et le plus puissant peut
dicter sa loi au plus faible409. A la formule de Fouillée « Qui dit contractuel dit juste »
répond celle de Lacordaire « Entre le fort et le faible, c’est la liberté qui asservit, la loi
qui affranchit410 ». L’illustration du déséquilibre entre les contractants est manifeste
dans les relations de travail, dans le droit de la consommation, nécessitant la
réglementation du contrat entre consommateur et professionnel, qui influence la
théorie des contrats411. Au postulat qui voulait que le libre jeu des volontés
individuelles conduise aux rapports socialement les plus utiles, on a objecté que les
hommes s’orientent naturellement vers les activités les plus rentables, lesquelles ne
sont pas nécessairement les plus utiles412. Bien plus, l’autonomie de la volonté peut
être conforme à l’intérêt des contractants,mais heurter l’intérêt général413.
Au regard des lacunes de la définition volontariste du contrat, d’autres
courants sur la notion de contrat se sont développés. Il s’est agi du dirigisme
contractuel et du solidarisme contractuel. A l’observation de ces deux doctrines, il
ressort une conceptualisation du contrat qui est tout aussi insuffisante.
B–Une insuffisante définition du contrat par les critiques de l’autonomie de la
volonté
La définition du contrat proposée par la théorie de l’autonomie de la volonté
a été critiquée par le dirigisme contractuel (1) et le solidarisme contractuel (2). Ces
courants de pensée aboutissent elles aussi à des définitions tout aussi critiquables.
1–Une définition dirigiste critiquable du contrat
Pour critiquer la définition dirigiste du contrat (b), il importe préalablement
de la présenter (a).
a–L’essentiel de la doctrine dirigiste du contrat
12–L’inégalité a naturellement engendré l’injustice. Elle a aussi permis aux
plus forts d’imposer leur loi ; qui visait à protéger leurs intérêts particuliers, sans se
soucier de l’intérêt général, de l’utilité publique. Sous l’influence des doctrines
socialistes et sociales chrétiennes, et sous la pression des syndicats, et plus récemment
des associations de consommateurs, l’Etat est intervenu414. L’interventionnisme
étatique a été systématisé par la doctrine dirigiste.
La doctrine dirigiste du contrat promeut l’interventionnisme de l’Etat par le
truchement du législateur pour canaliser l’activité contractuelle, au nom de l’intérêt
général. En effet, le grand mouvement interventionniste de la seconde moitié du XIXe
siècle a demandé avec insistance l’action du législateur pour repousser les abus du
contrat et dénoncé notamment le contrat de travail « l’exploitation de l’homme par
l’homme »415. C’est ainsi que pour éviter que le fort n’exploite le faible, le législateur
règlemente impérativement le contenu des contrats passés entre des parties qui sont
dans une situation d’inégalité structurelle : employeur et salarié, transporteur et

                                                            
409
R. Cabrillac, op.cit., p.19.
410
F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, op.cit., p. 38.
411
Cf. J. Carbonnier, Droit et passion du droit sous la Ve République, Flammarion, 1996, p. 182.
412
F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, op.cit., p. 38.
413
R. Cabrillac, op.cit., p. 21.
414
J. Ghestin, op. Cit. p. 2.
415
Comp. Meynial, Revue trimestrielle, 1902, p. 545.
100 

 
transporté, assureur et assuré, bailleur et locataire416etc. De même, pour lutter contre
l’inflation, le gouvernement peut pratiquer une politique de taxation, c’est-à-dire qu’il
fixera le prix des biens et des services417.
L’interventionnisme étatique va parfois jusqu’à remettre en cause la liberté
de conclure le contrat ou de choisir son cocontractant. On est en présence d’un contrat
imposé418. En guise d’illustration, tout propriétaire exploitant d’un véhicule est obligé
de conclure un contrat d’assurance. Et au Cameroun tout fonctionnaire, qui perçoit un
salaire supérieur à cent milles (100 000) FCFA, est obligé d’ouvrir un compte
bancaire. En bref, l’idée est que dans une situation d’interventionnisme étatique, « le
sujet a voulu contracter et c’est tout » ; « les effets de droit sont du domaine objectif
et sont produits par le droit objectif sans que la volonté y ait un rôle quelconque419 ».
Cette doctrine dirigiste du contrat aboutit à une définition critiquable.
b-La critique de la définition dirigiste du contrat
13–Selon la doctrine dirigiste, l’acte de contracter se réduit pour les parties à
se placer sous l’empire d’un statut légal impératif. Aussi a-t-on pu parler à ce propos
des rapports légaux d’origine contractuelle et voir dans le contrat un acte-condition,
c’est-à-dire un acte qui n’a pas pour but de modeler des droits et des obligations,
mais d’appliquer à la personne les droits et les obligations résultant d’un statut
réglementaire420.
Sous le prisme dirigiste, le contrat est un statut réglementaire de droits et
d’obligations déclenché par l’accord de volontés. Cette définition neutralise la
capacité des contractants à créer des droits et obligations. Seul le législateur ou le
gouvernement dans un acte réglementaire peut créer des droits et des obligations. En
effet, cette lecture est critiquable ; car si la loi ou le règlement fixe le régime des
contrats nommés421, les contrats innommés sont le fruit de l’accord des volontés et
relèvent du droit commun des contrats422. Si pour des raisons d’intérêt général et de
protection de la partie économiquement faible, le législateur ou le gouvernement
réglemente certains contrats ; on ne saurait généraliser cette règlementation à tous les
contrats, paralysant ainsi le génie créateur de la volonté des parties. Il survit en
conséquence la liberté de contracter, celle de choisir un domaine pas encore élaboré
par le Code civil ou un autre texte, tant que l’accord des parties est conforme aux
conditions de validité des contrats. Mieux encore, les parties sont libres de
concevoir des projets de contrat en définissant des droits et des obligations ; c’est une
possibilité aménagée par les contrats innommés du Code civil.

                                                            
416
F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, op.cit., p. 39.
417
Op.cit., p. 40.
418
R. Morel, Le contrat imposé, Etudes Ripert, 1950, t.II, 116 ; Josserand, Le contrat forcé et le contrat
légal, DH.1940, J. P. Durand, « La contrainte légale dans la formation du rapport contractuel », RTD civ.
1944. 73.
419
H., L. J. Mazeaud, F. Chabas, Leçons de droit civil, Obligations, théorie générale, Montchrestien, 9e éd.,
1998, n° 116.
420
L. Duguit, Les transformations générales du droit privé depuis le code Napoléon, 1920, rééd.1999,
p.114 et s.
421
F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, op.cit., p. 71.
422
D. Grillet. Ponton, Essai sur le contrat innommé, thèse ronéot. Lyon. III, n°400, p. 465 ; J. Rochfeld,
Cause et type de contrat, thèse, Paris I, éd, 1999,n° 46 et s.
101 

 
Après l’éviction de la notion dirigiste du contrat, il convient d’examiner
l’approche solidariste du contrat. Elle aboutit aussi à une définition insatisfaisante du
contrat.
2–Une définition solidariste insatisfaisante du contrat
Pour démontrer l’insatisfaction de la définition solidariste du contrat (b), il
est logique de rappeler la quintessence de cette doctrine (a).
a–La quintessence du solidarisme contractuel
14–Il convient de résumer la philosophie qui innerve le solidarisme
contractuel. C’est avant tout à un renversement radical de la philosophie rousseauiste
du contrat social, censée avoir gouverné la Révolution française, auquel procède le
solidarisme. Celui-ci substitue au mythe fondateur d’un contrat librement conclu entre
des individus, celui d’une société déjà constituée à laquelle ces derniers s’agrègent.
Le fait social l’emporte, mais il n’écrase pas l’individu, qui est censé donner
implicitement et en quelque sorte rétroactivement son accord à cette agrégation par le
biais d’un contrat d’adhésion. L’individu s’agrège à la société, il est en outre le
débiteur des autres membres qui la composent, qu’ils soient ses prédécesseurs ou ses
contemporains. Chacun de nous (…) est nécessairement le débiteur de tous423. C’est
ainsi que l’état naturel en société est la solidarité.La liberté peut simplement être
considérée comme souhaitable dans une certaine mesure. Elle n’est plus placée au
pinacle dans les rapports individuels424.
L’exposé de la genèse du solidarisme est une entreprise quantitative
considérable425. Toutefois, il convient de convoquer certaines figures comme Pierre
Leroux426, Léon Bourgeois427, F. Buisson428, C. Gide429, C Bouglé430(…) pour donner
quelques précisions sur l’évolution du solidarisme431. A défaut de refaire l’histoire, on
peuts’en tenir en droit privé à la perception de René Demogue. Dès l’entre-deux
guerres, René Demogueavait pris appui sur l’article 1134 al 3 du Code civil432 pour
développer une autre conception du contrat. Selon lui, le contrat serait, non le
résultat d’une tension entre des intérêts antagonistes, mais « une petite société où
chacun doit travailler dans un but commun qui est la somme des buts individuels
poursuivis (par les contractants), absolument comme la société civile ou
commerciale433 ».Pour Demogue, « l’opposition entre l’intérêt du créancier et

                                                            
423
C. Jamin, « Plaidoyer pour le solidarisme contractuel », in Mélanges offerts à Jacques Ghestin, LGDJ.
2001, note de bas de page 24.
424
R. Demogue, Traité des obligations en général, Rousseau et Cie, t. 1, 1923, n° 10, p. 19.
425
Comité de rédaction, Le solidarisme contractuel, Colloque, sous la direction de Luc Grynbaum et Marc
Nicod, Economica, Paris, 2004.
426
De l’humanité, Paris, Perrotin, éditeur-libraire à Paris, 1840. L’ouvrage a été réédité, notamment chez
Fayard, en 1985.
427
Solidarité, Paris, Armand Colin, 1896. Cet ouvrage a fait l’objet de rééditions, notamment en 1912.
428
La solidarité à l’école, publié chez Alcan en 1902.
429
L’idée de solidarité en tant que programme économique, Conférence de 1893, Paris.
430
Le solidarisme, publié chez Alcan en 1907.
431
Sur la question, il convient de lire : Ph. Rémy, « La genèse du solidarisme », in colloque sur Le
solidarisme contractuel, (dir) de Luc Grynbaum et Marc Nicod, op.cit., p. 3 et s ; P. Mazet, « Le courant
solidariste », in colloque sur Le solidarisme contractuel, op.cit., p.13 et s.
432
« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ».
433
R. Demogue, Traité des obligations en général, t. 6, 1931, n° 3.
102 

 
l’intérêt du débiteur tend à se substituer une certaine union », qu’il pèse sur le
créancier non seulement une obligation de « coopérer à l’exécution » et « de faciliter
au débiteur l’exécution du contrat » ; mais aussi, ce qui est généralement moins noté,
une obligation de minimiser son dommage ou ses pertes434.Ce sont là des
conséquences neuves à tirer de l’idée de bonne foi435.Seréclamant du « solidarisme
contractuel436 », tout un courant de pensée contemporain437 soutient que le contrat
« devient un haut lieu de sociabilité et d’amitié où chacune des parties tâche de rendre
toute justice à l’autre438 ». « Loyauté, solidarité, fraternité », telle serait la « nouvelle
devise contractuelle439 ». En vertu de celle-ci, on assisterait au « dépassement d’une
conception(…) individualiste et antagoniste du contrat où chacun veillait à la défense
de ses propres intérêts440 ».Il est question de se soucier de l’autre et de ses intérêts, à
mettre ses forces en commun au service du contrat, en une exigence d’une sorte de
solidarité, voire de fraternité contractuelle. Le souci n’est plus seulement d’être juste ;
il est aussi d’être altruiste441. Chaque contractant devrait non seulement considérer
mais aussi privilégier les intérêts de son partenaire, puisque la bonne foi
                                                            
434
L’obligation de minimiser son dommage ou ses pertes signifie que le contractant doit prendre toutes les
mesures raisonnables pour limiter le préjudice qu’il subit du fait de l’inexécution partielle ou totale du
contrat. Cette obligation participe de l’esprit de collaboration dans les relations contractuelles et la prise en
compte des attentes légitimes du cocontractant. C’est ainsi que la victime ne peut assister passivement au
déclenchement des diverses conséquences de la faute, mais doit réagir de toute sa vigueur d’homme contre
ses conséquences dans la mesure où elles aggraveraient le dommage (A. Tunc, « Les récents
développements des droits anglais et américains sur la relation de causalité entre la faute et le dommage
dont on doit réparation », R.I.D.C., p. 29 ; Y. Derains, « L’obligation de minimiser le dommage dans la
jurisprudence arbitrale », R.D.A.I. 1987, p. 375 et s). En droit du commerce international, article 80 de la
Convention de Viennes sur la vente internationale des marchandises « oblige chaque partie à agir pour le
compte de l’autre » ; et l’article 77 dispose que « le créancier doit minimiser le dommage qu’il a subi à la
suite du manquement de son cocontractant ». La même idée ressort dans l’article 266 de l’AUDCG « La
partie qui invoque un manquement essentiel au contrat doit prendre toute mesure raisonnable eu égard aux
circonstances, pour limiter sa perte, y compris le gain manqué résultant de ce manquement. Si elle néglige
de le faire, la partie en défaut peut demander une réduction des dommages et intérêts égale au montant de la
perte qui aurait pu être évitée » ; de l’article 7/26 du projet d’Acte uniforme sur le droit des contrats « le
débiteur ne répond pas du préjudice dans la mesure où le créancier aurait pu l’atténuer par des mesures
raisonnables ». Lire sur la question, A. Akam Akam, « Le comportement de la victime et la responsabilité
civile », Cahiers juridiques et politiques, Revue de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques, n°1,
Université de Ngaoundéré, 2008, pp. 1 à 30. L’Avant-projet d’Acte uniforme sur le droit des contrats
OHADA reprend cette obligation de minimiser le dommage en son article 7/26 (Atténuation du préjudice).
Il dispose : « 1) Le débiteur ne répond pas du préjudice dans la mesure où le créancier aurait pu l’atténuer
par des moyens raisonnables. ».
435
Ph. Rémy, « La genèse du solidarisme », op.cit., p. 9.
436
Sur celui-ci, v. Le solidarisme contractuel (sous la direction de L. Grynbaum et M. Nicod), 2004 ; La
nouvelle crise du contrat (sous la direction de C. Jamin et D. Mazeaud), 2003.
437
La paternité de l’expression a été attribuée par Yves Lequette à celui qui a été son chef de file entre 1995
et 2005 environ : Christophe Jamin, « Plaidoyer pour le solidarisme contractuel », Mélanges J. Ghestin,
LGDJ, 2002, p. 441 et s. Mais d’autres contemporains sont associés à ce courant dont : Denis Mazeaud,
Catherine Thibierge, Jacques Mestre, Bertrand Fages…
438
A. Seriaux, Droit des obligations, n° 55 in finé ; rappr. Ph. Le Tourneau, Encycl. Dalloz droit civil, v°
Bonne foi, n° 44.
439
D. Mazeaud, « Loyauté, solidarité, fraternité : la nouvelle dévise contractuelle ? »,in L’avenir du droit,
Mélanges en hommage à François Terré, PUF, 1999, p. 603.
440
C. ThiebiergeGuelfucci, « Libres propos sur la transformation du droit des contrats », RTD civ, 1997, p.
357 et s.,sp. p. 384.
441
C. ThiebiergeGuelfucci, op.cit., p. 376.
103 

 
commanderait « d’aimer (son contractant) comme un frère442 ». Il s’agirait d’une
troisième voie « à mis chemin entre une conception dirigiste et une vision purement
libérale du contrat443 ».
Le solidarisme contractuel n’a pas pour objectif de placer les deux
contractants sur le même plan pour les rendre solidaires l’un de l’autre, mais de faire
en sorte que le plus puissant d’entre eux ne puisse priver l’autre de ses droits issus du
contrat. C’est bien à un travail de rééquilibrage que se livre le courant solidarisme444.
Ce travail est confié au juge. Pour le courant solidariste, la voie de la révision du
contrat pour imprévision est sans doute maintenant dégagée. Pourtant en matière
civile, il n’estpas encore établi la désuétude de la jurisprudence De Gallifet c/
Commune dePelissanne ou affaire Canal de Craponne445en France446.
15–En fait, le solidarisme n’épargne pas le volontarisme de toute critique.
C’est d’abord le dogme de l’autonomie de la volonté qui est susceptible d’être remis
en cause447. La volonté individuelle ne peut plus être une pure puissance créatrice, pas
plus qu’elle n’est en mesure de modeler seule les effets de droit qu’elle engendre. Le
principe de liberté primordiale de l’individu, qui fonde cette conception du contrat, est
désormais contesté au nom de la primauté du social. Ainsi que l’exprime très
clairement Durkheim en 1893, ce n’est plus la volonté qui fonde la force obligatoire
du contrat, mais la règlementation du contrat qui est d’origine sociale448. Il est
question d’en finir avec la liberté contractuelle en déniant tout rôle à la volonté
individuelle ; il s’agit simplement de contester son autonomie en la soumettant à
certaines exigences sociales censées lui être supérieures. Ces exigences tiennent le
plus souvent à l’existence d’un lien de solidarité qui unit les individus449.
Ainsi, le solidarisme rompt avec une conception purement volontariste du
contrat, c’est-à-dire avec le contractualisme, mais non point avec la
contractualisation450. En effet, le contratest en définitive perçu comme un instrument
de solidarité où l’échange des services doit l’emporter sur l’opposition des intérêts,
                                                            
442
A. Seriaux, op.cit., n°55.
443
C. Jamin, Révision et intangibilité du contrat ou la double philosophie de l’article 1134 du code civil,
Droit et patrimoine, mars 1998, p. 46 et s. sp. p.56 ; v. aussi du même auteur, Mélanges F. Terré, 1999,
p.125 et s.,sp. p.135 et s.
444
C.Jamin, « Le procès du solidarisme contractuel : brève réplique », in colloque sur Le solidarisme
contractuel, (dir) de Luc Grynbaum et Marc Nicod, op.cit., p. 162.
445
Civ., 6 mars 1876, De Galliffet c/ Commune de Pelissanne.
446
La précision est fondée parceque les autres pays de l’union européenne opèrent une décisive évolution
sur la question. En effet, la Grande Bretagne, l’Allemagne, l’Espagne et la Suisse sont favorables à la
révision judiciaire du contrat en cours d’exécution. De même, l’Italie, la Grèce, le Portugal sont favorables
à la révision législative du contrat en cours d’exécution. La France admet la révision du contrat par les
clauses prévues par les parties. Le juge administratif français a effectué une rupture en admettant la révision
pour imprévision du contrat administratif (C.E., 30 mars 1916, arrêt Gaz de Bordeaux). Voir l’affaire De
Gallifet c/ Commune de Pelissanne, Civ. 6 mars 1876, note Giboulot, D. 76. 1. 193.
447
Voir de manière générale, L. Dikoff, « L’évolution de la notion de contrat », dans Etudes de droit civil à
la mémoire de Henri Capitant, Dalloz, 1938, p. 201 et s., spéc. III.
448
De la division du travail social, Félix Alcan, 1893, réédité par les PUF, coll, Quadrige (11e éd., 1986), p.
193 : « en résumé donc le contrat ne suffit pas à lui-même, mais il n’est possible que grâce à une
réglementation du contrat qui est d’origine sociale ».
449
C. Jamin, « Plaidoyer pour le solidarisme contractuel », op. cit., après note de bas de page 31.
450
Pour reprendre les mots d’Alain Supiot : « La fonction anthropologique du droit », Esprit, jan, mars,
2001, p. 155.
104 

 
afin de conjurer le risque d’anomie, et plus largement de crise politique auquel aurait
conduit le volontarisme individualiste du XIXe siècle451. Selon la définition
solidariste, « …le contrat est une union d’intérêts équilibrés, instrument de
coopération loyale, œuvre de mutuelle confiance, sous l’égide d’un juge qui sait
être, quand il le faut, juge d’équité452… ».Le solidarisme permet aux radicaux
d’offrir une voie médiane à l’alternative libéralisme/socialisme en préservant un
ordre économique et social bourgeois rendu plus humain. Il apparaît ainsi, comme
l’ont montré Nicole et André-Jean Arnaud, comme « une doctrine de l’Etat
tranquillisante453 ». Toutefois bien que séduisante, l’approche solidariste du contrat
n’a pas échappé à la critique.

b-La critique de la théorie solidariste du contrat


16–Une des études critiques du solidarisme contractuel a été effectuée par
Laurent Leveneur454. Il démontre que ce courant n’a pas d’assise dans la réalité
contractuelle d’une part et que le mythe du solidarisme contractuel est dangereux
d’autre part.
Le solidarisme n’a pas d’assise dans la réalité contractuelle, parce que la
fraternité contractuelle est une vue de l’esprit.Contracter, ce n’est pas entrer en
religion, ni même communier dans l’amour de l’humanité, c’est essayer de « faire ses
affaires ». La critique est parfaitement ciselée par la plume de Philippe Delebecque,
quand il affirme que : le contrat « n’est pas et ne doit pas être une œuvre de charité. Il
repose avant tout, comme l’a écrit et dit le doyen Carbonnier, sur un antagonisme
d’intérêts et doit permettre tout simplement de faire de bonnes affaires. S’il faut
réprimer les manœuvres déloyales, il n’est pas nécessaire d’encourager le
sentimentalisme455 ».
En voulant que tous les contrats soient traités sur le modèle du contrat de
société, Demogue confondait contrat-échange456 et contrat-organisation457. Dans le
contrat-échange, les intérêts des contractants sont divergents ; alors que dans le
contrat-organisation, les intérêts des contractants sont convergents, malgré des
situations de divergences entre minoritaires et majoritaires458. Obéissant à des
logiques différentes, ces deux catégories de contrats ne sauraient relever de la même

                                                            
451
C. Jamin, « Quelle nouvelle crise du contrat ? Quelques mots en guise d’introduction », in Colloque, La
nouvelle crise du contrat, dir. C. Jamin, D. Mazeaud, Dalloz, Paris, 2003, p. 13.
452
Ph. Rémy, « Droit des contrats : questions, positions, propositions », in Le droit contemporain des
contrats, Economica, 1987, sp. N°30.
453
N. et A. J. Arnaud, « Une doctrine de l’état tranquillisante : le solidarisme juridique », APD, 1976, p.
150.
454
« Le solidarisme contractuel : un mythe »,in colloque sur Le solidarisme contractuel, (dir) de Luc
Grynbaum et Marc Nicod, op.cit., p. 174 et s
455
Rép Defrénois, 1996, p. 1374.
456
Les contrats-échange ont pour objet une permutation au terme de laquelle le bien de A se trouve entre les
mains de B et le bien de B entre les mains de A ; v.F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, op.cit., p. 39.
457
Les contrats-organisation instituent une coopération entre A et B lesquelles mettent en commun des
choses qui leur étaient propres et les emploient à une activité conjointe ; v. F. Terré, Ph. Simler et Y.
Lequette, op.cit., p. 39.
458
P. Didier, Brèves notes sur le contrat-organisation, Mélanges F. Terré, 1999, p. 636.
105 

 
philosophie459. M. Malaurie, derechef, a entrepris de « dissiper quelques idées fausses
contemporaines » : « il faut, disent (des auteurs) que les contractants s’aiment comme
des frères, ou qu’ils s’aident les uns les autres ». « Cette vision du contrat relève du
mythe », répond-t-il : c’est une vision sentimentale et irréaliste du droit des contrats.
Dans les actes commutatifs…, il n’y a pas de jus fraternitatis. Aimez-vous les uns les
autres, aidez-vous les uns les autres sont d’admirables règles évangéliques. Elles ne
relèvent pas du droit460».
Plutôt que de tabler sur une hypothétique solidarité humaine, il convient de
conserver le fait que les hommes portent plus d’attention à leurs propres intérêts qu’à
ceux d’autrui. La solidarité et la fraternité qui uniraient naturellement tous les
membres du genre humain ne témoignent pas d’une connaissance approfondie des
ressorts de l’âme humaine. Le droit des contrats doit être conçu en fonction de
l’homme tel qu’il est et non tel qu’on voudrait qu’il fût461.
17–Le mythe du solidarisme contractuel est dangereux à raison de
l’insécurité et l’imprévisibilité juridiques d’une part et le risque de recul de la
protection de la partie faible d’autre part.
S’agissant de l’insécurité et l’imprévisibilité juridiques, on ne peut faire du
droit sûr avec des concepts mous. La bonne foi est source d’insécurité et
d’imprévisibilité. Comme le reconnaît D. Mazeaud, les trois éléments de la devise
solidariste : « loyauté, solidarité, fraternité ») sont d’une « très faible charge
normative462 ». Accepter la mise en œuvre de cette doctrine, c’est donc
nécessairement livrer le contrat au juge, avec un fort risque d’arbitraire. Des auteurs
l’ont bien vu : « les principes d’égalité et de fraternité constituent, par hypothèse, des
directives vagues dont la mise en œuvre ne peut qu’être abandonnée au juge et dont le
contenu concret ne se révélera donc qu’après coup, non sans risque d’arbitraire et au
détriment de la sécurité des contractants463. Ainsi, un simple défaut d’équivalence des
obligations au prétexte que l’une des parties ne se serait pas montrée assez dévouée
envers son partenaire menacerait gravement la sécurité des transactions464 ». Cela
conduit à privilégier l’équilibre des volontés par une certaine justice contractuelle. On
retrouve un dirigisme non plus du législateur mais du juge465.Qui sait mieux que les
parties, ce qui est bon pour elles466.
Concernant le risque paradoxal de recul de la protection de la partie faible, il
ressort à deux stades. En premier, si l’on considère la démarche solidariste, on peut
faire confiance aux parties parce qu’elles se protègent mutuellement les intérêts. On a
vu plus haut que l’homme est naturellement porté vers la protection de ses intérêts et
ceux de l’autre en second plan. Cette donnée ontologique ne peut être abolie par le

                                                            
459
F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, op.cit., p. 44.
460
F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil.Les obligations, 7e édition, Dalloz, Paris, 1999, p. 217.
461
F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, op. Cit. N° 40-1.
462
D. Mazeaud, « Loyauté, solidarité, fraternité, la nouvelle crise contractuelle ? »,op.cit., p. 604.
463
J. Flour, J. L. Aubert et E. Savaux, Les obligations, tome 1, 10e édition, n° 67.
464
Bakouche, L’excès en droit civil, th. Paris II, 2001, n° 373.
465
« …le juge devenait partie au contrat », v. L. Cadiet, « Les jeux du contrat et du procès : esquisse » ,
Mélanges G. Farjat, 1999, p. 23, sp. p. 42, v. aussi du même auteur, Une justice contractuelle, l’autre,
Mélanges Ghestin, 2001, p. 177.
466
F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, op.cit., p. 46.
106 

 
solidarisme. En second lieu, le solidarisme contractuel a pour but de permettre un
rééquilibrage du contrat467. Or, selon Ripert « la liberté contractuelle n’est reconnue
que parce que l’échange des produits et des services nous apparaît comme la plus
juste et la plus facile organisation des rapports sociaux. Si, dans certains cas, cette
liberté aboutit à l’exploitation injuste des faibles par les forts, il faut la
briser468 ».Mais, s’il faut empêcher les abus de la puissance économique, ce n’est pas
par la voie judiciaire, dans laquelle « on ne peut aller bien loin (…) sous peine
d’établir un redoutable arbitraire », qu’il faut le faire : « C’est au législateur,
puissance politique, qu’il appartient d’empêcher les abus de la puissance
économique469 ».
18–On reproche au solidarisme contractuel de reposer sur une appréhension
angélique et irénique du contrat470, imprégnée de solidarité et de fraternité, et sur une
vision de l’homme idéalisée et régénérée. Cette doctrine livrerait le contrat pieds et
poings liés au juge, investi du pouvoir d’imposer sa vision personnelle de l’équilibre
et du contrat471. Au-delà du feu des critiques, le solidarisme contractuel a pu renaître
des cendres et brûle par ses braises le droit positif de lege lata et de lege ferenda472. Il
s’est autonomisé en ciblant les contrats répondant aux trois critères suivants : la durée,
l’intérêt communet la dépendance d’un contractant vis-à-vis de l’autre. On peut citer
les contrats de sujétion473, les contrats de distribution474.L’esprit du solidarisme est
perceptible sur les lois protégeant les consommateurs profanes ou professionnels.
Dans son article : « Loyauté, solidarité, fraternité : la nouvelle devise contractuelle »,
Denis Mazeaud va au-delà des critiques pour restaurer le réalisme du solidarisme
contractuel et son pragmatisme au quotidien. Dans cette veine, la Cour de cassation a
rigoureusement balisé le domaine du pouvoir de révision judiciaire, en le limitant aux
seules clauses méritant le label de clause pénale, et en a strictement canalisé le
régime475. La loyauté contractuelle interdit qu’un contractant puisse réclamer
l’application des clauses clandestines, illisibles ou inintelligibles476. Dans le même
sillage, l’article 1134 alinéa 1er du code civil ne peut constituer l’alibi permettant à un
contractant de confisquer le contrat à son seul profit, au point de sacrifier les intérêts
                                                            
467
C. Jamin, « Le procès du solidarisme contractuel : brève réplique »,»,in Colloque sur Le solidarisme
contractuel, (dir) de Luc Grynbaum et Marc Nicod, op.cit., p. 163.
468
G. Ripert, La règle morale dans les obligations civiles, 4e édition, LGDJ, 1949, n° 59.
469
Ibid.
470
J. Carbonnier, Droit civil, Les obligations, tome 4, PUF, 2000, n° 114.
471
D. Mazeaud, « La bataille du solidarisme contractuel : du feu, des cendres, des braises… », n° 8.
472
D. Mazeaud, op. cit.
473
Christophe Jamin a identifié les contrats de sujétion comme ceux qui ont la particularité de faire de l’un
des contractants le sujet de l’autre, sans que le droit civil, ni d’ailleurs le droit de la consommation soit
toujours en mesure de prendre en charge cette situation.
474
Pour Yves Lequette, le solidarisme contractuel se trouve dans les contrats de distribution qui s’inscrivent
dans la durée, qui sont sous-tendus par un projet commun et qui se traduisent par la dépendance, qui sont
marquées par une inégalité des parties lors de leur formation et de leur exécution, ainsi que le révèle le
pouvoir accordé au contractant dominant de fixer unilatéralement le contenu du contrat, qui s’inscrivent
dans la durée, qui se caractérisent souvent par une communauté de clientèle et qui se cristallisent dans une
clause d’exclusivité.
475
Sur ces différents points, v. D. Mazeaud, La réduction des obligations contractuelles, Droits et
patrimoine, mars 1998, p. 58 et s., spéc. P. 63 et s.
476
Cass. civ. 1er, 27 février 1996 : Contrats, conc., consomm., 1996, comm. n° 94, obs, J. Mestre.
107 

 
de son partenaire ; l’article 1134, alinéa 3, au nom de l’idée de bonne foi, s’y
oppose477. Pour synthétiser sa pensée, Dénis Mazeaud conclut : « …plaider pour la
bonne foi dans les contrats ne revient pas nécessairement à prêcher pour un contrat
sans foi, ni loi478… »
En guise de synthèse, on observe une lecture variable du contrat selon qu’on
est en présence soit du volontarisme, soit du dirigisme, soit enfin du solidarisme
contractuel. Il en ressort une réelle difficulté à cerner une définition constante, stable
et fédératrice de ces courants de pensée sur la notion de contrat. Faut-il pour cette
raison abdiquer à l’instar de l’épreuve de Penelope479 ? On pense qu’il est possible de
stabiliser la notion du contrat en droit privé, par une lecture institutionnelle souple.

                                                            
477
D. Mazeaud, « Loyauté, solidarité, fraternité : la nouvelle devise contractuelle », op. cit., n° 30.
478
D. Mazeaud, op.cit., n° 33.
479
Dans la mythologie grecque, Penelope fut une héroïne de l’Odyssée, femme d’Ulysse et mère de
Télémaque. Pendant les vingt ans d’absence d’Ulysse, elle résista, en usant de ruse, aux demandes en
mariage des prétendants, remettant sa réponse au jour où elle aurait terminé la toile qu’elle tissait : chaque
nuit, elle défaisait le travail de la veille. Elle est le symbole de la fidélité conjugale. ; voir, Le petit
Larousse, op.cit., p. 1586.
108 

 
II–UNE POSSIBLE STABILISATION DE LA DEFINITIONDU CONTRAT
SOUS LE PRISME INSTITUTIONNEL EN DROIT PRIVE

On ne crée rien en affirmant que le contrat est une institution. On en veut


pour preuve l’illustration du concept « institution » par le contrat dans les lexiques
juridiques480. La doctrine a même affirmé que « le contrat est devenu un paradigme,
comme l’est l’institution481 ». Ce qui intéresse la présente analyse est de contribuer à
une définition institutionnelle souple du contrat en droit privé. Lapremière approche
est consécutive à la difficile définition doctrinale illustrée en première partie. En
seconde analyse, on prône une approche institutionnelle souple de la notion de
contrat, parce que l’institutionnel est le visage caché du contrat (A) et le meilleur
moyen de fédérer la logomachie sur la notion de contrat (B).

A–Le caractère matriciel de l’institutionnel dans le contrat


Par institutionnel ou institution, on entend un faisceau de règles préétablies
dont le non-respect entraine la sanction par les autorités482. L’institution se
particularise par sa posture démarquée des acteurs qui doivent s’y conformer. A la
lecture de l’article 1101 du Code civil et de multiples essais sur la définition du
contrat, il ressort en premier : « l’accord de volontés ». Ilest la partie visible de
l’iceberg, qui masque la partie invisible,mais plus décisive : « l’institutionnel ». Il est
le visage caché de la définition du contrat (1) et sa force obligatoire (2).

1–Le visage caché de l’institutionnel dans la définition du contrat


19–L’article 1101 du Code civil définit le contrat comme « une convention
par laquelle une ou plusieurs personnes s’obligent, envers une ou plusieurs autres, à
donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose ». Une convention est un accord de
volontés, entre deux ou plusieurs personnes en vue de produire un effet de droit
quelconque483. De même aux Etats-Unis, le Restatement (Second) of the Law of
Contracts définit le contrat comme « a promise or a set of promises for the breach of
which the law gives a remedy, or the performance of which the law in some way
recognizes as a duty ». Sur le plandoctrinal, Ghestin entend par contrat, un accord de
volontés, qui sont exprimées en vue de produire des effets de droits et auxquels le
droit objectif fait produire de tels effets484.L’accord des volontés ne produit des effets
de droit que parce que le droit objectif lui reconnaît un tel pouvoir et dans les limites
définies par celui-ci485.Dans cette veine, Dutilleul définit le contrat comme un accord
de volontés que la loi et/ou le juge reconnaissent autoritairement comme tel et qu’ils

                                                            
480
Comité de rédaction, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, op.cit., p.499.
481
F. Collart Dutilleul, « Quelle place pour le contrat dans l’ordonnancement juridique ? », in colloque, La
nouvelle crise du contrat, op.cit., p. 227.
482
Cette définition s’inspire de l’institution-mécanisme, v. R. Guillien et J. Vincent, op.cit., p. 323.
483
R. Guillien et J. Vincent, op.cit., p. 166 ; Comité de rédaction, Vocabulaire juridique, Association Henri
Capitant, op.cit., p. 238.
484
J. Ghestin, « La notion de contrat », op.cit., p. 260.
485
V. J. Ghestin, op. cit., n° 156 s.
109 

 
soumettent au droit des contrats486. Pour Jestaz, le contrat est un système normateur à
courte portée, qui régit deux personnes (ou parfois davantage), et dont les assujettis
ont eux-mêmes l’initiative de déclencher la mise en jeu. Son contenu normatif est
d’abord fixé d’autorité par la loi et/ou par le juge, puis dans la mesure où la loi le
permet, par une réglementation privée qui passe par l’œuvre commune des parties
même quand elle émane d’une seule d’entre elles487. Ces multiples définitionsdu
contrat, en général, celle de Jestaz avec l’expression « …dans la mesure où la loi le
permet… » en particulier, permettent d’affirmer que si le contrat produit des effets, ce
n’est pas tellement en raison de l’accord des volontés (b), mais surtout parce que cet
accord est en phase avec un faisceau de règles préétablies (a). La dynamique
institutionnelle commande ainsi de primer la conformité aux règles préétablies sur
l’accord des volontés.
a-Un faisceau de règles préétablies : un garde-fou canalisant la volonté des
parties
20–Le contrat est souvent évoqué comme exemple d’acte juridique par
excellence. En instituant l’acte juridique comme fait créateur de droit, l’ordre
juridique habilite les sujets de droit à régler leurs relations réciproques, dans le cadre
des normes juridiques générales créées par la législation ou par la coutume. Ces
normes créées par acte juridique ne sont pas des normes juridiques autonomes, se
suffisant à elles-mêmes ; elles ne statuent pas sur des sanctions, mais seulement sur
une conduite dont le contraire est la condition d’une sanction, qu’établissent les
normes juridiques générales. Elles ne sont autonomes ou complètes, que si on les
combine avec les normes juridiques générales qui prévoient les sanctions488.
A la suite de Kelsen, la volonté a été considérée comme un pouvoir délégué
et encadré par la loi, ou comme un simple élément subjectif dont le droit tient compte.
Si la volonté était l’égale de la loi, les contractants seraient eux-mêmes leur propre
législateur. Mais, la situation de la loi à la fois au-dessus et dans le contrat conduit à
un « changement d’état » de la volonté489. Ainsi avant que les parties n’envisagent
accorder leurs volontés, il existe déjà une règlementation qui trace le permis et
l’interdit. Ce faisceau de règles concerne aussi bien les contrats nommés que les
contrats innommés490. En quoi consistent ces règlespréétablies ? Elles consistent
notamment en des lois, des usages…
S’agissant de la loi, on peut citer de lege lata, les règles préétablies par le
Code civil491 ou de lege ferenda l’Acte Uniforme sur le droit des contrats (Avant-
                                                            
486
F. Collart Dutilleul, « Quelle place pour le contrat dans l’ordonnancement juridique ? », in colloque, La
nouvelle crise du contrat, op.cit., p. 230.
487
Ph. Jestaz, « Rapport de synthèse : Quel contrat pour demain ? », in colloque, La nouvelle crise du
contrat, op.cit., p. 258.
488
H. Kelsen, Théorie pure du droit, Dalloz, Paris, 1962, p. 343.
489
F. Collart Dutilleul, « Quelle place pour le contrat dans l’ordonnancement juridique ? », in colloque, La
nouvelle crise du contrat, op.cit., p. 233.
490
Cette distinction est simplement évoquée par l’article 1107 du code civil. Le contrat nommé est celui qui
est qualifié et réglementé par la loi (exemple : vente, bail, travail…) ; le contrat innommé ne fait l’objet
d’aucun régime légal spécifique (exemple : abonnement). La distinction n’emporte pas de grandes
conséquences pratiques, les deux catégories étant soumises au droit commun des contrats. V. R. Cabrillac,
9e éd., op.cit., p.35.
491
Il s’agit du Code civil en vigueur au Cameroun.
110 

 
projet), avant que les parties n’accordent leurs volontés. C’est ainsi que les conditions
de formation du contrat492, les effets du contrat493, les sanctions des conditions de
formation494 et l’inexécution du contrat495 sont préétablies dans le code civil en
général. Bien plus, le Code civil préétablit l’encadrement juridique de contrats
nommés à l’instar : du contrat de mariage496, du contrat de vente497, du contrat
d’échange498, du contrat de louage499, du contrat de société500, du contrat de prêt501, du
contrat de dépôt et du séquestre502, du contrat de mandat503, du cautionnement504, du
nantissement505, etc.
Concernant les usages en droit du commerce international, ce sont des
pratiques préétablies qui encadrent les transactions commerciales internationales. On
parle de Lex mercatoria506. Il convient de distinguer les usages du commerce
international, des usages conventionnels507. Si les usages conventionnels sont
envisagés sous l’angle des relations d’affaires entre les parties et sont donc assez
relatifs ; les usages du commerce international ont une portée vaste qui dépasse
largement le seul cadre des contractants et correspondent à une répétition de pratiques
dans un milieu professionnel particulier. On peut alors parler « d’usage-règle » dans
la mesure où ils ont une aptitude à la généralisation. De tels usages peuvent être
relatifs à une branche ou un secteur d’activités. Par conséquent, le seul fait d’en faire
partie a pour effet que l’on est obligé de les respecter508.
Ce corps de règles préétablies n’est pas le contrat mais un élément décisif
pour valider ou invalider le projet de contrat des parties. C’est pourquoi l’accord de
volontés doit être conforme au système normatif.

                                                            
492
Articles 1108 à 1133 du code civil.
493
Articles 1134 à 1145 et 1165 du code civil.
494
Il s’agit du régime des nullités : absolue et relative.
495
Articles 1146 à 1155 du code civil.
496
Articles 1387 à 1581 du code civil.
497
Articles 1582 à 1701 du code civil. Il convient d’ajouter les textes suivants : Acte uniforme OHADA du
17 avril 1997 relatif au droit commercial général, tel que révisé le 15 décembre 2010 ; Loi n°90/031 du 10
août 1990 régissant l’activité commerciale au Cameroun.
498
Articles 1702 à 1707 du code civil.
499
Articles 1708 à 1799 du code civil.
500
Acte uniforme OHADA du 17 avril 1997 relatif au droit des sociétés commerciales et groupement
d’intérêt économique.
501
Articles 1874 à 1914 du code civil.
502
Articles 1915 à 1963 du code civil.
503
Articles 1984 à 2010 du code civil.
504
Acte uniforme OHADA du 17 avril 1997 portant organisation des sûretés, tel que révisé le 15 décembre
2010.
505
Articles 2071 à 2072 du code civil, et l’Acte uniforme OHADA portant organisation des sûretés.
506
C’est le Droit élaboré par les milieux professionnels du commerce international ou spontanément suivi
par ces milieux indépendamment de tout Droit étatique et dont l’application échapperait, pour cette raison,
à la méthode du conflit de lois. Ex : usage du commerce international, coutume marchande. V. Comité de
rédaction, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, op.cit., p.546.
507
Article 1/8 (Usages et pratiques) « 1) Les parties sont liées par les usages auxquels elles ont consenti,
ainsi que par les pratiques qu’elles ont établies entre elles. 2) Elles sont liées par tout usage qui est
largement connu et régulièrement observé par les parties à des contrats de même nature, à moins que son
application ne soit déraisonnable. » Acte Uniforme OHADA sur le droit des contrats (Avant-projet).
508
H. Kenfack, Droit du commerce international, Mémentos, 4e édition, Dalloz, Paris, 2012, pp. 10-11.
111 

 
b-Un accord de volontés assujetti aux règles préétablies
21–À l’opposé du consensualisme où le contrat est formé par la seule
rencontre des volontés, on partage la lecture romaine où le contrat n’acquiert de
valeur juridique que s’il se moule dans un rituel et dans les formalités précises509.
Mais, il convient de partir du formalisme pour aboutir à l’institutionnel.Au regard des
approches qui sacralisent l’accord de volontés comme créateur des effets de droit, il
n’est pas aisé de rendre compte de la dynamique institutionnelle. C’est illusoire de
donner à l’accord de volontés une importance qu’il n’a pas. En effet cet accord,
nonobstant toute la considération du consensualisme, se résume à un déclencheur510
des règlespréétablies. C’est pourquoi un contrat511 qui ne remplit pas les conditions
établies par la loi à sa reconnaissance est inefficace.Au sens le plus large, il ne
produit pas l’effet juridique voulu par les parties512. Ainsila volonté ne produit
d’effets juridiques, que si elle se manifeste dans les conditions et formes prévues par
la loi513.
On se rapproche de l’invalidité du contrat. C’est l’hypothèse dans laquelle
nonobstant l’accord de volontés, le projet de contrat n’est pas valable, parce qu’il ne
remplit pas toutes les exigences légales. Les parties ne sont pas en principe liées514.La
sanction prévue par la loi dans cette hypothèse est la nullité. Elle concerne le cas où
un accord est pourtant conclu, mais qui ne remplit pas les exigences légales.En dépit
de l’accord, il n y a pas de contrat515.
On ne saurait confondre cette hypothèse d’invalidité de l’accord a priori
avec l’invalidité du contrat a posteriori. Lorsque le contrat est invalidé a posteriori, la
sanction consiste dans la résolution516 ou la résiliation517. En fait, l’accord des parties
était conforme au faisceau de règles préétablies, d’où un contrat valide ; mais des
difficultés sont apparues au stade de l’exécution.
A ce stade de l’analyse, il ressort une information sur les composantes du
contrat. Ce dernier comprend : un accord de volontés + un faisceau de
règlespréétablies=contrat. Le +renvoie à la conformité. L’inverse est possible. Sous
cet angle, le contrat= un faisceau de règlespréétablies + accord de volontés. Le +
signifie : déclencher par. Cette lecture du contrat permet de mieux cerner la face
cachée de l’institutionnel dans la force obligatoire du contrat.

                                                            
509
M. Fabre-Magnan, Les obligations, PUF, Paris, 2004, p. 34.
510
Le mot déclencheur ne doit pas être compris dans un sens automatique. Il signifie être à la recherche
de…ainsi, lorsque l’accord de volontés est consommé, il doit rechercher sa légitimité et sa juridicité dans sa
conformité avec le droit positif.
511
On préfère : un accord de volontés.
512
P. Tercier, Le droit des obligations, 3e éd., Schulthess, 2004, p. 99.
513
G. Ripert, op.cit., p. 370.
514
P. Tercier, op.cit., p. 100.
515
Op.cit., pp. 100-101.
516
C’est la sanction consistant dans l’effacement rétroactif des obligations nées d’un contrat
synallagmatique, lorsque l’une des parties n’exécute pas ses prestations. V. R. Guillien et J. Vincent,
op.cit., p. 508.
517
C’est la suppression pour l’avenir d’un contrat successif, en raison de l’inexécution par l’une des parties
de ses obligations ; v. R. Guillien et J. Vincent, op.cit., p. 508.
112 

 
2–La face cachée de l’institutionnel dans la force obligatoire du contrat
Pour appréhender la face cachée de l’institutionnel dans la force obligatoire
du contrat, il convient d’établir le fondement institutionnel de la force obligatoire du
contrat(a), la validité institutionnelle de la force obligatoire du contrat (b) et la
matérialisation de l’institutionnel par un ordre public contractuel (c).

a- Le fondement institutionnel de la force obligatoire du contrat

22–Déterminer le fondement d’une règle, c’est rechercher la raison qui la


justifie. Le fondement d’une norme juridique doit être recherché en dehors du droit,
dans un principe métajuridique. La raison est que l’on ne peut songer trouver le
fondement d’une norme établie par le droit dans le droit lui-même. En effet, une
norme juridique ne peut jamais permettre de justifier une autre norme juridique, c’est-
à-dire d’affirmer qu’une telle norme est juste (ou injuste). Elle peut seulement
permettre d’en juger, d’apprécier la validité. Autrement dit, le fondement de la norme
juridique doit être recherché dans une règlesupra-juridique, c’est-à-dire l’ordre
moral518. A partir de cette approche globale, on peut mieux s’appesantir sur le
particularisme du fondement de la force obligatoire du contrat. Qu’est ce qui fonde la
force obligatoire du contrat ? Quelles sont les raisons qui ont amené le législateur à
instituer la convention comme étant un fait créateur de droit ? C’est la recherche par
le droit objectif de l’utile et du juste, qui justifie la force obligatoire du contrat519.
Cette réponse ne constitue pas le but de l’analyse ; car l’enjeu est d’exposer le visage
de l’institutionnel dans l’utilité et la justice contractuelles.

23–Peut-on illustrer l’institutionnel dans l’utilité du contrat ? Il faut partir du


postulat suivant lequel : « le contrat est obligatoire parce qu’il est utile520 ». Toutefois,
on ne saurait confondre l’utilité particulière avec l’utilité publique. L’utilité
particulière du contrat apprécie la capacité ou les pouvoirs de l’une des parties. Il ne
semble pas que l’utilité particulière du contrat pour chacune des parties soit une
condition nécessaire de sa validité521. C’est ainsi que la jurisprudence admet la
validité d’un contrat qui ne présente aucune utilité pour l’une des parties, parce qu’il
fait double emploi avec un autre522. Si l’utilité particulière renseigne peu sur le
caractère institutionnel, l’utilité publique consolide le volet institutionnel de la force
obligatoire du contrat. En effet, le contrat est sanctionné par le droit objectif en raison
de son utilité sociale. Le contrat est un instrument que le droit sanctionne parce qu’il
permet des opérations socialement utiles. Ces opérations ou échanges doivent être

                                                            
518
L. Bach, « Réflexions sur le problème du fondement de la responsabilité en droit civil français », R.
T.D.Civ, 1977. N° 3 et 4.
519
J. Ghestin, « L’utile et le juste dans les contrats », op. cit. p. 3.
520
Ibid.
521
J. Ghestin, op. cit., p. 4.
522
Pour la 1re Chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 29 juin 1959, un cultivateur qui avait
contracté deux assurances couvrant de façon illimitée sa responsabilité civile pour les accidents nés de son
exploitation agricole n’a pu obtenir l’annulation de la seconde police faisant double emploi avec la
première, et par là inutile.
113 

 
conformes à l’utilité publique, c’est-à-dire à l’intérêt général523.Ce n’est donc plus le
jeu pur et simple des intérêts privés et des caprices individuels qui dicte la convention,
c’est une nécessité première d’organisation d’un service524. Toutefois, L’utilité sociale
ou publique du contrat n’est pas exclusive des volontés individuelles. En fait, elle les
encadre. On parle de « l’utilité économique du contrat qui est un acte de prévision525 »
et de prise de possession de l’avenir526. C’est surtout dans sa fonction principale
d’échange qu’apparaît cette utilité du contrat. Comme l’écrivait Gounot, « les
hommes sentent le besoin d’embrasser l’avenir dans un acte de prévision
et…d’obtenir contre des services actuels des avantages futurs, ou contre des
avantages futurs des services actuels527 ».Or, une telle opération à terme, dont l’utilité
est certaine, est inconcevable sans la force obligatoire du contrat. Celle-ci dépend du
droit objectif et, concrètement, de la volonté du législateur. Cette volonté n’est pas
arbitraire. Sur le plan strict de l’utilité publique, il est opportun de laisser aux
individus un pouvoir d’initiative dont ils recueilleront les fruits sous forme
d’avantages personnels. C’est un moyen de les faire collaborer volontairement à la
recherche du bien commun. Appliquée au contrat, lorsque l’engagement a été
librement assumé, l’obligation de l’exécuter est ressentie par le débiteur comme un
devoir de conscience, qui justifie à ses yeux la force obligatoire du contrat et renforce
la contrainte étatique. La règle morale du respect de la parole donnée peut être ainsi
justifiée par son utilité sociale528. Le plus important dans cette analyse est le rôle que
joue le législateur dans la détermination de l’utilité publique ou de l’intérêt général.
Ce législateur est une institution étrangère aux parties contractantes. C’est ce qui
garantit le caractère institutionnel dans l’utilité du contrat. La force obligatoire du
contrat vient aussi de ce qu’il est juste.

24–Peut-on ressortir le volet institutionnel dans la justice contractuelle ? Il


convient au préalable de définir le juste. Dans un premier sens, le juste peut être
défini comme ce qui est conforme au droit. Les positivistes ajouteront que c’est ce qui
est conforme au droit positif. Pour Saint Thomas d’Aquin, la loi humaine doit être
juste, c’est-à-dire orientée vers le bien commun du peuple auquel il est orienté529. On
distingue la justice distributive et la justice commutative ou corrective, dont la justice
contractuelle n’est qu’une application particulière. La justice contractuelle conduit à
exiger que le contrat ne remette pas en cause l’équilibre qui existait antérieurement
entre les patrimoines. C’est ainsi que considéré dans sa fonction principale
d'instrument des échanges de biens et de services, le contrat est, comme les
obligations en général, soumis au principe de justice commutative. Il ne faut pas qu'il
compromette l'équilibre qui existait antérieurement entre les patrimoines ; ce qui

                                                            
523
J. Ghestin, op. cit., p. 4.
524
G. Ripert, La règle morale dans les obligations civiles, op. cit., p. 102.
525
G. Ripert et J. Boulanger, Droit civil, t.2, 1957, n° 14.
526
G. Ripert, La règle morale dans les obligations civiles, op. cit., p. 123.
527
E. Gounot, Le principe de l’autonomie de la volonté en droit privé : Contribution à l’étude critique de
l’individualisme juridique, thèse Dijon, 1912, n° 6, p. 354.
528
J. Ghestin, op. cit., p. 5.
529
Ibid.
114 

 
implique que chacune des parties reçoive l'équivalent de ce qu'elle donne530. Il y a lieu
pour cela de présumer que le contrat, conclu par des individus libres et responsables,
est de ce fait conforme à la justice. Mais, il ne s'agit que d'une simple présomption531.
La constatation d'un déséquilibre excessif entre les prestations, ou la preuve que l'une
des parties n'a pas été en situation d'apprécier ou de défendre normalement ses intérêts
justifie l'intervention des pouvoirs publics532.Par pouvoirs publics in abstracto, il faut
entendre le juge in concreto.Le législateur prévoit l’intervention du juge dans le
contrat en organisant le droit de la résolution de l’article 1184 du Code civil533. La
résolution, dit la Cour de cassation, est la « consécration de cette règle d’équité qui ne
permet pas de laisser un des contractants dans le lien du contrat dont l’autre partie ne
lui fournit pas l’équivalent »534. Le juge apprécie le degré de l’inexécution et essaye
en un mot de sauver le contrat535. Il peut même modifier le droit du créancier en
retardant les poursuites536.
Le juge est une institution extérieure aux parties. Il ne peut être saisi que par
une des parties, pour qu’il se prononce sur la validité de la force obligatoire du
contrat et les questions d’ordre public contractuel.

b-La validité institutionnelle de la force obligatoire du contrat


25–Le contrat a force obligatoire, c’est dire que les parties sont tenues
d’exécuter les obligations découlant du contrat. Pour Marty et Raynaud, « pourvu que
le contrat soit formé, il s’impose aux parties : le créancier peut exiger l’exécution de
l’obligation convenue »537. Pour MM Malaurie et Aynès, « le contrat a pour effet de
faire naître des obligations ; en d’autres termes, il a une force obligatoire »538. De
façon plus précise, Flour et Aubert pensent que la force obligatoire « ne signifie pas
seulement que le débiteur est tenu d’exécuter ses obligations et qu’il y sera
éventuellement contraint par l’autorité publique, qui veille au respect des contrats
comme à l’observation de la loi. Elle signifie, en outre, que les obligations qui doivent
être ainsi exécutées sont, en principe, toutes celles, mais celles seulement qu’ont
voulues les parties539 ».
                                                            
530
V. J. Ghestin, Traité de droit civil, Introduction générale, par J. Ghestin et G. Goubeaux, n° 192 et 193. -
Cf. E. Gounot, Le principe de l'autonomie de la volonté, thèse 1912, p. 358-359 : « Chacun cède ou promet
pour obtenir lui-même. Un bien ne sort de mon patrimoine, mon activité ne se met au service d'autrui, je
n'assume une obligation quelconque que parce qu'une valeur correspondante m'est actuellement fournie ou,
ce qui revient au même, m'est promise, et qu'ainsi un dédommagement vient rétablir l'intégrité première de
mon patrimoine. En sorte que si (...) nous pénétrons à l'intérieur du contrat (...) c'est un principe de justice
commutative que, dès l'abord, nous rencontrons ». - Cf. N. M. K. Gomaa, Théorie des sources de
l'obligation, thèse Paris, 1968, LGDJ, préface J. Carbonnier, p. 236 à 241 et p. 249.
531
V. E. Gounot, Le principe de l'autonomie de la volonté, p. 387-388.
532
J. Ghestin, « La notion de contrat », op. cit., p. 5.
533
Article 1184 alinéa 3 « la résolution doit être demandée en justice… ».
534
Cass., 29 novembre 1865, D. 66, I, 27, S. 66,I, 21.
535
G. Ripert, op.cit., p. 134.
536
L’article 1244 du Code civil permet au juge d’accorder les délais de paiement et surseoir à l’exécution
des poursuites. L’article 1184 du Code civil dispose « la résolution doit être demandée en justice, et il peut
être accordé au défendeur un délai selon les circonstances».
537
G. Marty et P. Raynaud, Droit civil, Les obligations, 2e éd., t.1, Les sources, Sirey, 1987, n°246.
538
Malaurie et Aynès, Droit civil, Obligations, 9e éd., 1998-1999 par L. Aynès, p.337.
539
J. Flour et J. L. Aubert, Droit civil, Les obligations, t.1, L’acte juridique, 8e éd., 1998, n° 385.
115 

 
Derrière cette explication, il importe de cerner la validité de cette force
obligatoire : d’où le contrat tire-t-il cette force ? Une lecture médiane contourne la
question en affirmant que : le contrat tire sa force obligatoire non pas de la seule
volonté des parties, mais aussi du droit objectif qui la lui confère540. Une distinction
entre « l’accord de volontés » et « le droit objectif ou la Loi » s’impose pour apprécier
la place de l’institutionnel dans la validité de la force obligatoire du contrat. Le
contrat la tire-t-il de l’accord de volontés ? Si la réponse est affirmative, on retrouve
la philosophie du consensualisme. Or,celle-ci affirme que si l’homme est lié, c’est
parce qu’il a voulu. Toutefois, tout accord de volontés est-il légal ou juridique ? Est-
ce que tout ce que les parties veulent, oblige l’autorité publiqueàen garantir le
respect ? La réponse est négative, parce que seul l’accord de volontés conforme à une
Loi devient la loi des parties. Il y a donc emprunt de la légalité à la Loi541. Le contrat
tire ainsi sa légalité du fait que l’accord des parties est conforme à un faisceau de
règles préétablies par la loi. On retrouve dans cette démarche l’approche kelsenienne.
En effet, inscrivant le contrat dans son univers normativiste, Kelsen le définit
comme une procédure créant une norme. Cette norme est située à l’étage inférieur de
la pyramide et elle tient sa valeur de la norme supérieure qui autorise les contractants
à la créer542. Une norme donnée est une norme juridique tant qu’elle appartient à un
ordre juridique ; et elle fait partie d’un ordre juridique déterminé si sa validité repose
sur la norme fondamentale de cet ordre543. En effet, le contrat tire sa force
obligatoire, non de lui-même, mais d’une norme qui lui est extérieure. Le pouvoir
reconnu aux volontés individuelles n’est pas originaire, mais dérivé. La force
obligatoire du contrat n’est pas une réalité qui existerait et s’imposerait
indépendamment de l’ordre juridique544. Dans cette veine, contracter, ce n’est pas
seulement vouloir, c’est aussi employer un instrument forgé par le droit545.
26–La validité institutionnelle de la force obligatoire du contrat vient de sa
conformité à la loi ou aux règles préétablies par la loi sur les contrats ou les usages.
Ces règles existent indépendamment de la volonté des contractants. Toutefois, on ne
conteste pas l’approche subjectiviste du contrat comme le pur produit des volontés
des parties, soit de manière radicale546, soit de manière nuancée547. Il est nécessaire de
préciser que le contrat reste l’affaire des parties548 tant que l’accord de volontés est
conforme aux règles préétablies par la loi ou les usages. C’est dans ce sens qu’il faut

                                                            
540
J. Ghestin, « La notion de contrat », op. cit., p. 148. Et dans le même sens, H. Kenfack, « La consécration
de la confiance en droit privé des contrats », Colloque organisé par le Laboratoire DANTE de l’Université
de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, Palais de Justice de Versailles, 22 juin 2007, inédit.
541
L’accord des parties emprunte sa légalité à une Loi neutre, mais garantie par l’autorité publique.
542
H. Kelsen, Théorie pure du droit, Dalloz, Paris, 1962, p. 170 à 194.
543
Op.cit., p. 43.
544
F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, op.cit., p. 33.
545
Ancel et Lequette, Grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé, 4e éd., 2001,
p.203 s.
546
M. Rouhette, Contribution à l’étude critique de la notion de contrat, thèse, Paris, 1965, M. Rouhette
définit le contrat comme « un acte productif de normes bilatérales, c’est-à-dire liant deux centres d’intérêts
»
547
J. Ghestin, Traité de droit civil, La formation du contrat, 3e éd., 1993, n° 172 et s.
548
B. Fages, « Nouveaux pouvoirs : le contrat est-il encore la « chose » des parties ? », in colloque, La
nouvelle crise du contrat, op.cit., p. 153.
116 

 
comprendre les dispositions de l’article 1134 du code civil « les conventions
légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être
révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise ».
On peut reformuler en affirmant que « les conventions (accord de volontés)
légalement formées (formées dans le strict respect de la Loi préétablie) deviennent la
petite loi des contractants ». Cette Loi préétablie comprend les règles législatives et
coutumières règlementant ce que doit être un contrat. La Loi préétablie se veut
impersonnelle, générale et neutre par rapport aux sujets qui veulent convertir leur
accord en contrat. On retrouve la caractéristique de l’institution, qui renvoie à la
dépersonnalisation.
Ayant cerné le caractère institutionnel dans la validité de la force obligatoire
du contrat, on peut mieux rendre compte de l’ordre public contractuel comme une
conséquence de l’institutionnel.

b-La matérialisation de l’institutionnel par un ordre public contractuel


27–Chère au publiciste549, la notion d’ordre public ne laisse pas les
privatistes indifférents550. Selon le Vocabulaire juridique de Capitant, l’ordre public
est défini comme l’ « ensemble de principes, écrits ou non, qui sont, au moment
même où l’on raisonne, considérés, dans un ordre juridique, comme fondamentaux et
qui, pour cette raison, imposent d’écarter l’effet, dans cet ordre juridique, non
seulement de la volonté privée, mais aussi des lois étrangères… »551. Le privatiste y
voit le caractère des règles juridiques qui s’imposent pour des raisons de moralité ou
de sécurité impératives dans les rapports sociaux. Les parties ne peuvent déroger aux
dispositions d’ordre public552. L’ordre public désigne en d’autres mots l’ensemble des
règles obligatoires qui touchent à l’organisation de la Nation, à l’économie, à la
morale, à la santé, à la sécurité, à la paix publique, aux droits et aux libertés
essentielles de chaque individu. Traditionnellement, l’ordre public se décompose
entre la tranquillité, la sécurité et la salubrité publique. C’est une limite de la liberté
contractuelle553.Appliquée au champ du contrat, on a le concept d’ordre public
contractuel. Seule la logique institutionnelle permet de comprendre l’imposition d’un
ordre public dans le contrat. C’est ainsi que les contractants n’ont le pouvoir de créer
des normes que parce que, et dans la mesure où l’Etat le leur reconnaît. Cette
subordination permet d’expliquer que le contenu de la norme contractuelle échappe
dans une large mesure à la volonté des parties : soit que le droit étatique impose tel ou
tel contenu au contrat par des lois impératives, soit que dans le silence de la loi, il

                                                            
549
Lire sur la question, Comité de rédaction, L’ordre public, dir. Raymond Polin, PUF, Paris, 1996 ; E.
Picard, « Introduction générale : la fonction de l’ordre public dans l’ordre juridique », in L’ordre public :
ordre public ou ordres publics ?, Actes du colloque de Caen jeudi 11 et vendredi 12 mai 2000, (dir) M. J.
Rédor, Bruylant, Bruxelles, 2001.
550
B. Beignier, A. Bénabent, M.C. Boutard Labarde, J. Carbonnier, S. Cimamonti, R. Libchaber, Ph.
Malaurie, J. Mestre, T. Revêt, et F. Terré, L’ordre public à la fin du XXe siècle, Dalloz, Sirey, 1996 ; J.
Ghestin, « L’ordre public, notion à contenu variable, en droit privé français », Exposé fait au C.N.R.L., le
12 mai 1982.
551
F. Terré, « Rapport introductif », in L’ordre public à la fin du XXe siècle, Dalloz, Sirey, 1996, p. 3.
552
R. Guillien et J. Vincent, op.cit., p. 408.
553
J. Gatsi, Nouveau Dictionnaire juridique, op.cit., p. 229.
117 

 
prescrive au juge d’intégrer dans la norme contractuelle le contenu des lois
supplétives et/ou de les compléter par le recours aux usages ou à l’équité selon la
formule de l’article 1135554 du Code civil555.
28–Selon les articles 6556du Code civil et l’article 3/1557de l’Acte Uniforme
OHADA sur le droit des contrats (Avant-projet), la référence à l’ordre public et aux
bonnes mœurs permettait au juge de sanctionner les contrats qui heurteraient les
valeurs essentielles de la société. Sont, par conséquent illicites, les contrats qui
contreviennent aux règles d’organisation de l’Etat ou de la famille, à la morale
sexuelle ou atteignent la dignité de la personne humaine558, etc. En matière
commerciale, « Sont d'ordre public les dispositions des articles 101559, 102560, 103561,
107562, 110563, 111564, 117565, 123566, 124567, 125568, 126569, 127570, 130571 et 133572 du

                                                            
554
« Les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les autres que
l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature ».
555
P. Ancel, Force obligatoire et contenu obligationnel du contrat, RTD civ, 1999, p. 775.
556
« On ne peut déroger par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les
bonnes mœurs ».
557
« Sont nuls tout contrat ou toute clause : a) contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs ; b)
contraires aux dispositions impératives de la loi, sauf si la loi en dispose autrement ».
558
R. Cabrillac, Droit des obligations, 9e éd., op.cit., p. 21.
559
Article 101-« Les dispositions du présent titre sont applicables à tous les baux portant sur des immeubles
rentrant dans les catégories suivantes : 1°) locaux ou immeubles à usage commercial, industriel, artisanal
ou à tout autre usage professionnel ; 2°) locaux accessoires dépendant d'un local ou d'un immeuble à usage
commercial, industriel, artisanal ou à tout autre usage professionnel, à la condition, si ces locaux
accessoires appartiennent à des propriétaires différents, que cette location ait été faite en vue de l'utilisation
jointe que leur destinait le preneur, et que cette destination ait été connue du bailleur au moment de la
conclusion du bail ; 3°) terrains nus sur lesquels ont été édifiées, avant ou après la conclusion du bail, des
constructions à usage industriel, commercial, artisanal ou à tout autre usage professionnel, si ces
constructions ont été élevées ou exploitées avec le consentement exprès du propriétaire ou portées à sa
connaissance et expressément agréées par lui. ».
560
Article 102- « Les dispositions du présent Titre sont également applicables aux personnes morales de
droit public à caractère industriel ou commercial, et aux sociétés à capitaux publics, qu'elles agissent en
qualité de bailleur ou de preneur ».
561
Article 103- « Est réputé bail à usage professionnel toute convention, écrite ou non, entre une personne
investie par la loi ou une convention du droit de donner en location tout ou partie d’un immeuble compris
dans le champ d’application du présent Titre, et une autre personne physique ou morale, permettant à celle-
ci, le preneur, d’exercer dans les lieux avec l’accord de celle-là, le bailleur, une activité commerciale,
industrielle, artisanale ou toute autre activité professionnelle. ».
562
Article 107-« Lorsque le bailleur refuse d’assumer les grosses réparations qui lui incombent, le preneur
peut se faire autoriser par la juridiction compétente, statuant à bref délai, à les exécuter conformément aux
règles de l'art, pour le compte du bailleur. Dans ce cas, la juridiction compétente, statuant à bref délai, fixe
le montant de ces réparations et les modalités de leur remboursement. »
563
Article 110- « Le bail ne prend pas fin par la cessation des droits du bailleur sur les locaux donnés à bail.
Dans ce cas, le nouveau bailleur est substitué de plein droit dans les obligations de l’ancien bailleur et doit
poursuivre l’exécution du bail. »
564
Article 111- « Le bail ne prend pas fin par le décès de l'une ou l'autre des parties. En cas de décès du
preneur, personne physique, le bail se poursuit avec les conjoints, ascendants ou descendants en ligne
directe, qui en ont fait la demande au bailleur par signification d’huissier de justice ou notification par tout
moyen permettant d’établir la réception effective par le destinataire, dans un délai de trois mois à compter
du décès. En cas de pluralité de demandes, le bailleur peut saisir la juridiction compétente, statuant à bref
délai, afin de voir désigner le successeur dans le bail. En l'absence de toute demande dans ce délai de trois
mois, le bail est résilié de plein droit. La dissolution de la personne morale preneuse n’entraîne pas, de plein
droit, la résiliation du bail des immeubles affectés à l’activité du preneur. Le liquidateur est tenu d’exécuter
118 

 
                                                                                                                                              

les obligations du preneur, dans les conditions fixées par les parties. Le bail est résilié de plein droit après
une mise en demeure adressée au liquidateur, restée plus de soixante (60) jours sans effet. »
565
Article 117- « A défaut d'accord écrit entre les parties sur le nouveau montant du loyer, la juridiction
compétente, statuant à bref délai, est saisie par la partie la plus diligente. Pour fixer le nouveau montant du
loyer, la juridiction compétente tient notamment compte des éléments suivants : - la situation des locaux ; -
leur superficie ; - l'état de vétusté ; - le prix des loyers commerciaux couramment pratiqués dans le
voisinage pour des locaux similaires. »
566
Article 123- « Le droit au renouvellement du bail à durée déterminée ou indéterminée est acquis au
preneur qui justifie avoir exploité, conformément aux stipulations du bail, l'activité prévue à celui-ci,
pendant une durée minimale de deux ans. Aucune stipulation du contrat ne peut faire échec au droit au
renouvellement. En cas de renouvellement exprès ou tacite, le bail est conclu pour une durée minimale de
trois ans. En cas de renouvellement pour une durée indéterminée les parties doivent prévoir la durée du
préavis de congé qui ne peut être inférieure à six mois. »
567
Article 124- « Dans le cas du bail à durée déterminée, le preneur qui a droit au renouvellement de son
bail en vertu de l'article 123 ci-dessus peut demander le renouvelle- ment de celui-ci, par signification
d'huissier de justice ou notification par tout moyen per- mettant d'établir la réception effective par le
destinataire, au plus tard trois mois avant la date d'expiration du bail. Le preneur qui n'a pas formé sa
demande de renouvellement dans ce délai est déchu du droit au renouvellement du bail. Le bailleur qui n'a
pas fait connaître sa réponse à la demande de renouvellement au plus tard un mois avant l'expiration du bail
est réputé avoir accepté le principe du renouvellement de ce bail. »
568
Article 125- Dans le cas d'un bail à durée indéterminée, toute partie qui entend le résilier doit donner
congé par signification d'huissier de justice ou notification par tout moyen permettant d'établir la réception
effective par le destinataire au moins six mois à l'avance. Le preneur, bénéficiaire du droit au
renouvellement en vertu de l'article 123 ci-dessus peut s'opposer à ce congé, au plus tard à la date d'effet de
celui-ci, en notifiant au bailleur par signification d'huissier de justice ou notification par tout moyen
permettant d'établir la réception effective par le destinataire sa contestation de congé. Faute de contestation
dans ce délai, le bail à durée indéterminée cesse à la date fixée par le congé.
569
Article 126- « Le bailleur peut s'opposer au droit au renouvellement du bail à durée déterminée ou
indéterminée en réglant au locataire une indemnité d'éviction. A défaut d'accord sur le montant de cette
indemnité, celle-ci est fixée par la juridiction compétente en tenant compte notamment du montant du
chiffre d'affaires, des investissements réalisés par le preneur, de la situation géographique du local et des
frais de déménagement imposés par le défaut de renouvellement. »
570
Article 127- « Le bailleur peut s'opposer au droit au renouvellement du bail à durée déterminée ou
indéterminée, sans avoir à régler d'indemnité d'éviction, dans les cas suivants : 1°) s'il justifie d'un motif
grave et légitime à l'encontre du preneur sortant. Ce motif doit consister soit dans l'inexécution par le
locataire d'une obligation substantielle du bail, soit encore dans la cessation de l'exploitation de l’activité ;
Ce motif ne peut être invoqué que si les faits se sont poursuivis ou renouvelés plus de deux mois après une
mise en demeure du bailleur, par signification d'huissier de justice ou notification par tout moyen
permettant d'établir la réception effective par le destina- taire, d'avoir à les faire cesser. 2°) s'il envisage de
démolir l'immeuble comprenant les lieux loués, et de le reconstruire. Le bailleur doit dans ce cas justifier de
la nature et de la description des travaux projetés. Le preneur a le droit de rester dans les lieux jusqu'au
commencement des travaux de démolition, et il bénéficie d'un droit de priorité pour se voir attribuer un
nouveau bail dans l'immeuble reconstruit. Si les locaux reconstruits ont une destination différente de celle
des locaux objet du bail, ou s'il n'est pas offert au preneur un bail dans les nouveaux locaux, le bailleur doit
verser au preneur l'indemnité d'éviction prévue à l'article 126 ci-dessus. »
571
Article 130- « Le sous-locataire peut demander le renouvellement de son bail au locataire principal dans
la mesure des droits que celui-ci tient de la personne investie par la loi ou une convention du droit de
donner en location. Ce droit est soumis aux dispositions des articles 118 à 122 du présent Acte uniforme. »
572
Article 133-« Le preneur et le bailleur sont tenus chacun en ce qui le concerne au respect de chacune des
clauses et conditions du bail sous peine de résiliation. La demande en justice aux fins de résiliation du bail
doit être précédée d’une mise en demeure d’avoir à respecter la ou les clauses ou conditions violées. La
mise en demeure est faite par acte d’huissier ou notifiée par tout moyen permettant d’établir sa réception
effective par le destinataire. A peine de nullité, la mise en demeure doit indiquer la ou les clauses et
conditions du bail non respectées et informer le destinataire qu’à défaut de s’exécuter dans un délai d’un
mois à compter de sa réception, la juridiction compétente statuant à bref délai est saisie aux fins de
119 

 
présent Acte uniforme », dispose l’article 134 de l’Acte uniforme portant sur le Droit
commercial général, adopté le 15 décembre 2010 à Lomé.
La notion d’ordre public a connu un développement remarquable
correspondant à l’intervention croissante de l’Etat dans le domaine économique573. De
nos jours, on distingue un ordre public de direction574 et un ordre public de
protection575. Dans le prolongement de l’ordre public, le développement des droits
fondamentaux contribue à limiter le rôle de la volonté des contractants576. Une clause
qui porterait une atteinte injustifiée à l’un de ces droits pourrait être neutralisée par les
juges. Ainsi la Cour de cassation a considéré comme contraire à l’article 8 de la
CEDH–proclamant le droit au respect de la vie privée et familiale–, la clause d’un
contrat de bail qui interdit au locataire d’héberger ses proches577. C’est dans la même
lancée qu’il importe d’inscrire les lois de police en droit du commerce international.
Frances cakis les définit comme des lois « dont l’observation est nécessaire pour la
sauvegarde de l’organisation politique, sociale ou économique du pays578 ». Il s’agit
des lois substantielles internes que le juge doit appliquer en principe immédiatement,
avant tout raisonnement conflictuel. Le Règlement de Rome I dispose désormais à son
article 9 « une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé
crucial par un pays pour la sauvegarde de son organisation politique, sociale ou
économique, au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son
champ d’application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d’après le
présent règlement ». Que les parties aient ou non choisi la loi applicable à leur contrat,

                                                                                                                                              

résiliation du bail et d’expulsion, le cas échéant, du preneur et de tout occupant de son chef. Le contrat de
bail peut prévoir une clause résolutoire de plein droit. La juridiction compétente statuant à bref délai
constate la résiliation du bail et prononce, le cas échéant, l’expulsion du preneur et de tout occupant de son
chef, en cas d’inexécution d’une clause ou d’une condition du bail après la mise en demeure visée aux
alinéas précédents. La partie qui entend poursuivre la résiliation du bail doit notifier aux créanciers inscrits
une copie de l’acte introductif d’instance. La décision prononçant ou constatant la résiliation du bail ne peut
intervenir qu’après l’expiration d’un délai d’un mois suivant la notification de la demande aux créanciers
inscrits. »
573
P. Malaurie, L’ordre public et le contrat, thèse, Paris, 1953 ; G. Farjat, L’ordre public économique,
L.G.D.J, 1963, t.37, pref. B. Goldman ; L’ordre public à la fin du XXe siècle ; sous la direction de T. Revet,
Dalloz, 1996 ; P. Catala, « A propos de l’ordre public », Etudes P. DRAI, Dalloz, 1999, p. 511s.
574
L’ordre public de direction se traduit par des règles étatiques impératives qui expriment une certaine
politique économique, financière, monétaire de l’Etat. On parle aussi d’ordre étatique impératif. Il renvoie à
un ensemble de règles qui se superposent au contenu de l’accord des parties, viennent vraiment d’en haut,
poursuivent une politique nationale que l’Etat impose aux parties en marge de leur propre accord. Voir. J.
Mestre, « L’ordre public dans les relations économiques », in L’ordre public à la fin du XXe siècle, op.cit.,
34.
575
L’ordre public de protection exprime les règles impératives que le législateur adopte dans le souci de
protéger une partie qu’il estime en situation de faiblesse dans une relation contractuelle. On parle d’ordre
privé impératif. Voir. J. Mestre, « L’ordre public dans les relations économiques », in L’ordre public à la
fin du XXe siècle, op.cit., 34.
576
Cf. S. Chassagnard-Pinet, « Les droits fondamentaux à l’épreuve du lien contractuel. Contrat et
convention européenne des droits de l’homme », in Mélanges Ph. Le Tourneau, Dalloz, 2008, p. 225 ; C.
Jamin, « Le droit des contrats saisi par les droits fondamentaux », in Repenser le contrat, (dir. G.
Lewkowicz et M. Xifaras), Dalloz, 2009, p. 177et s.
577
Civ. 3e, 6 mars 1996, RTD civ, 1996, 897, obs. J. Mestre. Cette clause est aujourd’hui réputée non écrite
par le législateur, art. 4 de la loi du 06 juillet 1989, issu d’une loi du 05 mars 2007.
578
P. Francescakis, Trav. com. fr., DIP 1966-1969, p. 144.
120 

 
ce dernier reste soumis à la contrainte des lois de police579. Les lois de police ont pour
domaine de prédilection le droit de la consommation580, le droit des assurances581, le
droit du travail582, etc. C’est à juste titre que l’article 3 du code civil dispose : « Les
lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent le territoire ».
29–La notion d’ordre public contractuel invisible583 est récurrente en droit du
commerce international. Les contractants doivent se soumettre non pas à des règles
écrites, mais aux usages. On en veut pour preuve l’applicabilité des usages du
commerce international. S’agissant de l’applicabilité des usages du commerce
international, les parties sont tenues au respect desdits usages. C’est ce qui ressort de
l’article 1135 du code civil584, article 9 de la Convention de la Haye du 1er juillet
1964585, article 9 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980586 et l’article 7 de la
Convention sur l’arbitrage commercial international du 21 avril 1961587. En synthèse,
les usages du commerce international ont une valeur supérieure aux stipulations
contractuelles588.
En bref, le champ contractuel comporte ainsi un ordre public = faisceau de
règles préétablies. Lorsque les parties accordent leurs volontés, elles doivent suivre la
discipline prévue par les textes sous la vigilance du juge589. On retrouve le schéma de
l’institutionnel, c’est-à-dire un faisceau de règles préétablies sanctionnées par une
autorité (le juge). Ce schéma institutionnel permet de cerner le fondement de la force
obligatoire du contrat. Dans l’ensemble, la logique institutionnelle souple du contrat
encadre ou fédère la logomachie doctrinale sur la définition du contrat.

B–L’encadrement de la logomachie doctrinale dans la logique institutionnelle du


contrat
On part du constat que le mot contrat en doctrine a plusieurs sens
difficilement conciliables, pour conclure à une logomachie. Faut-il y voir une
cacophonie inconciliable ? On pense qu’il faut positiver cette diversité et l’encadrer ;

                                                            
579
H. Kenfack, op. cit., p. 32.
580
Loi-cadre n° 2011/012 du 06 mai 2011 portant protection du consommateur au Cameroun.
581
Le code CIMA (Conférences Interafricaines des Marchés d’Assurances) en son article 8 précise les
mentions du contrat d’assurance. Celles-ci sont d’ordre public.
582
Au Cameroun, le code de travail de 1992 est toujours en vigueur à titre de droit positif de lege lata. Mais
un Avant-projet d’Acte uniforme sur le droit du travail en conçu comme droit de lege feranda.
583
On entend par ordre public contractuel invisible les règles non écrites et impératives, qui canalisent la
volonté des contractants et s’imposent à eux. C’est nous qui soulignons.
584
Article 1135 : « les conventions obligent, non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les
suites que l’équité, l’usage et la loi donnent à l’obligation d’après sa nature ».
585
Article 9 : « les parties sont liées par les usages auxquels elles se sont référées expressément ou
tacitement et par les habitudes qui se sont établies entre elles ; elles sont également par les usages que des
personnes raisonnables de même qualité, placées dans leur situation, considèrent comme normalement
applicables à leur contrat ».
586
Article 9 : « les parties sont liées par les usages auxquels elles ont consenti et par les habitudes qui se
sont établies entre elles… »
587
Article 7 : « les arbitres tiendront compte des stipulations du contrat et des usages du commerce ».
588
H. Kenfack, op. cit., p. 12.
589
La vigilance du juge est requise en cas de litige à lui présenter, lorsqu’une partie demande qu’on dise le
droit. Il devra qualifier l’accord qui lui est présenté comme contrat, et si possible accorder la sanction
prévue par la loi.
121 

 
le contrat-institution souple est un instrumentum de fédération doctrinale adaptable
(1). Bien plus, il importe de ressortir le particularisme de la logique institutionnelle
souple du contrat à l’aune des autres approches classiques (2).

1–Le contrat-institution : un instrumentum de fédération doctrinale adaptable


La lecture du contrat sous le prisme d’une institution souple procède de
l’éclectisme des différentes doctrines classiques. Chacune de ces doctrines dans une
autre lecture offre un outil apodictique à l’édification d’une définition institutionnelle
souple du contrat (a). La souplesse du contrat-institution est illustrée par son
adaptation aux fluctuations de la conjoncture (b).

a–La contribution éclectique de la doctrine à l’édification d’une logique


institutionnelle du contrat
28–Loin de demeurer un champ conflictuel, les différentes lectures
doctrinales participent en fait à l’édification de la logique institutionnelle du contrat.
Pour s’en convaincre, scrutons l’apport de chaque doctrine dans le contrat institution.
29–La doctrine de l’autonomie de la volonté assimile le contrat àl’accord de
volontés. Ce qui débouche au consensualisme. En effet, c’est par la rencontre des
volontés qui consentent à quelque chose, qu’on aura l’opportunité d’arriver au contrat.
Il est vrai l’accord des volontés n’est pas le contrat ; mais pour arriver au contrat il
faut que les volontés s’accordent. Il en découle une réciprocité existentielle entre
l’accord de volontés et le contrat ; sans toutefois fertiliser la confusion ou
l’assimilation des deux notions. Vu sous l’angle institutionnel, un accord permet de
déclencher un système normatif encadrant le contrat. On peut en conséquence retenir
de la théorie de l’autonomie de la volonté : l’importance de l’accord de volontés dans
le déclenchement des mécanismes institutionnels conditionnant la genèse juridique du
contrat.
30–S’agissant du dirigisme contractuel, il permet de comprendre le rôle que
joue l’Etat par le truchement de la loi pour discipliner les volontés accordées. Cette
doctrine soutient que l’Etat met en place un système de normes préétablies pour
encadrer les volontés accordées. En fait, le dirigisme contractuel permet de cerner les
constituants de ce qu’on désigne par « faisceau de règles préétablies ». C’est tout ce
qui gouverne le contrat à l’exclusion de la volonté des parties. Il peut s’agir : d’une
décision gouvernementale, de la loi, des usages et du juge. Le gouvernement peut
imposer des clauses abusives. La loi, à l’instar du code civil, définit à l’avance le
contrat, son contenu, le permis et l’interdit, les sanctions…Les usages dans le
commerce international fixe les pratiques en vigueur et qui s’imposent aux parties. Le
juge sanctionne le non-respect de ce cadre préétabli en cas de contestation d’un
contractant. Il ressort un apport décisif du dirigisme contractuel dans la logique
institutionnelle du contrat. Mais la confusion des deux n’est pas plausible. Si le
dirigisme contractuel neutralise le dynamisme créateur des volontés individuelles, la
logique institutionnelle a contrario n’impacte pas sur l’initiative créatrice du projet de
contrat par les parties. Elle assujettit la conversion de ce projet de contrat en contrat
au respect d’un système normateur préétabli. Cette logique institutionnelle intègre la
contribution solidariste.

122 

 
31–Quant au solidarisme contractuel, il justifie et amplifie l’intervention du
juge dans le contrat pour garantir les normes préétablies ou forcer le contrat. Le juge
force le contrat590 en interprétant activement le contenu. En conséquence, il va
imposer les comportements loyaux, coopératifs, voire solidaires591. Bien plus, le juge
peut réputer non écrite une clause abusive à condition que celle-ci crée un
déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des contractants. Il ne peut
réviser une clause pénale qu’à condition que celle-ci soit manifestement excessive. Il
peut aussi sanctionner le contractant qui a fixé un prix déséquilibré. Le prix peut être
considéré comme n’étant pas abusif, alors qu’il est déséquilibré592. Cet activisme du
juge dans le contrat est extérieur à l’accord des parties et s’impose à elles en cas de
litige. C’est cette extériorité de l’office du juge qui conforte l’apport du solidarisme
dans la logique institutionnelle. Le juge devient ainsi l’autorité ou l’organe de
l’institution contractuelle.
En synthèse, l’accord de volontés, les règles préétablies par la loi ou les
usages et l’intervention du juge constituent la contribution de la doctrine à
l’élaboration d’une définition institutionnelle du contrat. Sur la base de ces éléments,
on peut définir le contrat comme un accord de volontés593 assujetti aux règles
préétablies594 pour pouvoir produire des effets de droit. On parle de contrat-
institution. Ce dernier doit s’adapter aux fluctuations de la conjoncture par sa
souplesse.

b–L’adaptation du contrat-institution aux fluctuations de la conjoncture


32–Les fluctuations de la conjoncture renvoient aux changements qui
peuvent s’effectuer dans l’environnement socio-économique. Le droit, qui régule
aussi l’activité économique, doit prévoir des outils susceptibles de s’y adapter. L’outil
juridique présentement analysé est le contrat-institution. Pour que le contrat-
institution s’ajusteaux fluctuations de la conjoncture, il faut que l’institution soit
souple. C’est aussi reconnaitre au sein de l’institution un noyau-dur dont les éléments
sont inamovibles au péril de ruiner l’institution. Au tour de ce noyau gravitent des
atomes amovibles au gré de la conjoncture. Parmi les éléments inamovibles du

                                                            
590
L. Leveneur, « Le forçage du contrat », in Que reste-t-il de l’intangibilité du contrat ?, Dr. patr.1998, n°
98, p. 69 et s.
591
Ch. Jamin, Plaidoyer pour le solidarisme contractuel, Etudes offertes à Jacques Ghestin, op.cit., adde D.
Mazeaud, « Loyauté, solidarité, fraternité : La nouvelle devise contractuelle ? », in Mélanges en
hommages à François Terré, L’avenir du droit, PUF, Dalloz, Juris-Classeur, 1999, p. 617 et s.
592
En ce sens, Th. Revet, «Les apports au droit des relations de dépendance » in La détermination du prix :
nouveaux enjeux, Dalloz, 1997, p. 37 et s. ; « La détermination unilatérale de l’objet dans le contrat » in
Ch. Jamin et D. Mazeaud (dir), L’unilatéralisme et le droit des obligations, Economica, 1999, p.31 et s.
593
Il faut entendre par « accord des volontés » accord des consentements ou accord des parties ; car la
volonté (phénomène psychologique) précède le consentement (phénomène juridique). Le consentement est
la matérialisation de la volonté. C’est dans ce sillage que Cyril Grimaldi définit l’acte juridique comme
l’engagement, c’est-à-dire le consentement à une promesse. V, C. Grimaldi, « La distinction entre l’acte et
le fait juridique », RDA, n° 7, fevr.2013, p. 50.
594
Dans le vocable : « règles préétablies », on pense aux règles prévoyant les normes applicables au contrat
et les règles organisant l’office du juge dans le contrat. Ces règles sont préétablies dans le cadre d’une Loi à
laquelle les parties (particuliers) sont étrangères. La Loi ici est une institution-mécanisme qui règlemente et
canalise les aspirations des individus.
123 

 
contrat-institution, on peut énumérer: l’article 6 du Code civil595, les conditions de
validité de l’article 1108 du Code civil : le consentement, la capacité, la cause et
l’objet ; l’article 3 du Code civil portant sur les lois de police et de sûreté ; et l’article
1135 du Code civil596. On peut assimiler cette énumération à des lois ou normes
impératives. Parmi les éléments amovibles du contrat-institution figurent : le rôle du
gouvernement ou de l’Etat et du juge. Il s’agit des entités alternatives, dont le recours
est justifié par des circonstances particulièrement définies.
33–L’illustration de la fluctuation est la suivante : lorsqu’on veut promouvoir
l’initiative privée (le libéralismeéconomique), on fait reculer l’interventionnisme
étatique et du juge. Lorsqu’on veut protéger les parties faibles, l’Etat peut prévoir des
clauses abusives sanctionnées par l’office du juge. Lorsque le contrat présente un
déséquilibre manifeste dans les prestations, le juge peut intervenir pour les équilibrer,
nonobstant le refus catégorique institué par l’arrêt du Canal de Craponneen France.
Il s’agit en fait d’une construction théorique pour illustrer l’adaptabilité du contrat-
institution selon les contraintes du moment. Bien plus, que le contrat soit de gré à gré
ou d’adhésion, il reste qu’on est libre de s’engager ou de ne pas s’engager selon qu’on
veut obtenir ou non les effets juridiques d’une institution contractuelle donnée. C’est
ce qui relativise les inquiétudes sur la crise du contrat.
En synthèse partielle, empruntant à chaque doctrine classique sur le contrat,
on réussit par le truchement de l’exégèse institutionnelle à construire une définition
institutionnelle souple du contrat en droit privé. Cette construction théorique est
suivie d’une illustration empirique. Mais, une question demeure : en quoi cette
définition institutionnelle souple du contrat se démarque des définitions doctrinales
classiques ? La réponse est nécessaire à l’admission ou non de cette possible doctrine.
2–Le particularisme de la logique institutionnelle souple à l’aune des approches
classiques du contrat
A ce stade de l’analyse, il est question d’exploiter les données déjà acquises
pour ressortir, à chaque articulation, la distinction et la spécificité des doctrines avec
la logique institutionnelle. C’est ce qui affermira son particularisme.

a-La théorie autonomiste du contrat et la théorie institutionnelle souple du


contrat
34–Le point commun entre ces deux théories est la reconnaissance de
l’accord de volontés comme élément basique du processus contractuel. Celui-ci
permet aux parties soit de créer leur projet de contrat (hypothèse des contrats
innommés), soit de s’engager pour un contrat nommé. Toutefois, si dans la théorie
autonomiste du contrat, l’accord des volontés suffit à créer le contrat ; dans la théorie
institutionnelle, la genèse juridique du contrat est assujettie au respect des conditions
ou règles préétablies tributaires de la validité du contrat. En fait, l’accord de volontés
n’est pas le contrat ; il peut selon l’hypothèse, créer un projet de contrat que les
parties veulent convertir en contrat. Pour ce faire, l’accord des parties doit être
                                                            
595
« On ne peut déroger par des conventions particulières aux lois qui intéressent l’ordre public et les
bonnes mœurs ».
596
« Les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les autres que
l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature ».
124 

 
conforme à la loi pour devenir un contrat. Il se dégage une exigence de validation
d’un accord privé en amont pour pouvoir devenir le contrat en aval. Le filtre est
constitué des composantes institutionnelles du contrat. Il s’agit des règles ou normes
écrites ou non écrites. Ainsi dans la dynamique institutionnelle, « la volonté entre
(dans l’acte juridique) par son pouvoir d’initiative », puisque « la liberté reste
toujours la racine subjective du contrat597 ». La théorie institutionnelle souple du
contrat n’est non plus à assimiler avec le dirigisme contractuel.

b–Le dirigisme contractuel et la théorie institutionnelle souple du contrat


35–La confusion est possible entre les deux théories au regard de la marge
importante occupée par les composantes institutionnelles. Dans le dirigisme
contractuel, l’Etat règlemente le contenu du contrat ; qui s’apparente à un statut. Et ce
statut ne peut être modifié par les contractants ; au risque que le plus fort s’impose au
plus faible. On retrouve la marque des institutions rigides, qui ne laissent pas de
marge de manœuvre aux utilisateurs. Cette dimension institutionnelle est prise en
compte dans les éléments institutionnels de la théorie souple du contrat. Il s’agit des
articles 6, 1108 et 1135 du code civil, des usages, des lois de police, etc. Ce sont les
éléments inamovibles de l’institution contractuelle. A contrario, le dirigisme
contractuel exclut la capacité créatrice des droits et des obligations par l’accord de
volontés ; car le contrat ici est un acte-condition. Le contenu est règlementé et les
parties doivent accepter ou refuser. Tel n’est pas le cas avec la théorie institutionnelle
souple, qui reconnait la liberté aux parties de créer des projets de contrat. Mais, ces
projets de contrat n’ont pas d’existence juridique tant qu’ils ne sont pas conformes
aux composantes institutionnelles. Derechef, la théorie institutionnelle souple admet
dans l’ensemble « institutionnel » : des composantes inamovibles et celles amovibles.
A l’inverse, le dirigisme contractuel n’est constitué que d’un corpus institutionnel
inamovible. Il impose systématiquement le contenu du contrat, en annihilant la
capacité des parties à concevoir un projet de contrat (de droits et d’obligations).
L’intérêt de cette distinction concerne aussi le solidarisme contractuel.

c–Le solidarisme contractuel et la théorie institutionnelle souple du contrat


36–Le rapprochement entre ces deux doctrines est considérable pour
certaines raisons. Sur le plan philosophique, le solidarisme se veut la médiane entre le
libéralisme et le socialisme. Ce qui suppose la reconnaissance de la marge de
manœuvre des parties et le respect de l’intérêtgénéral. La théorie institutionnelle
souple du contrat combine aussi ces deux finalités : liberté des parties de concevoir
leur projet d’une part et le strict respect de l’intérêt social incarné par la loi d’autre
part. Bien plus l’intervention du juge dans le contrat pour le rééquilibrer, est
commune aux deux théories.
37–Au départ, en cas de changement de circonstances provoquant un
bouleversement des prévisions contractuelles initiales, la Cour de cassation avait
édicté dans les arrêts rendus en 1992 et 1998 : le devoir de renégocier dans tous les

                                                            
597
J. Hébraud, « Rôle respectif de la volonté et des éléments objectifs dans les actes juridiques », Mélanges
offerts à J. Maury, t.2, p. 425.
125 

 
projets598. Les avant-projets « Gouvernemental » et « Terré » admettent
exceptionnellement soit la résiliation, soit la révision judiciaire pour imprévision.
L’avancée est de taille car, comme chacun le sait, le juge judiciaire ne peut pas réviser
un contrat en dépit du profond bouleversement que son économie interne a subi en
cours d’exécution à la suite d’un changement imprévu des circonstances qui avaient
présidé à sa conclusion. Les raisons étaient les suivantes : la révision judiciaire pour
imprévision entraîne l’ingérence du juge dans le contrat, cause d’instabilité
économique et d’insécurité contractuelle. Une autre raison : les contractants sont « des
individus libres et responsables, capables de prévoyance(…). L’absence de révision
judiciaire est préférable, en ce qu’elle est une puissante incitation à l’adoption par les
parties de clauses qui apportent une réponse sur mesure aux difficultés nées de
l’instabilité économique ou monétaire599 ».
38–La consolidation de la révision judiciaire est sous tendue par une
surestimation de la rationalité des contractants en pensant : qu’ils soient des individus
libres et responsables, ils sont capables au jour de la conclusion du contrat d’anticiper
et de gérer le risque de changement de circonstances via des clauses appropriées. En
réponse à cette naïveté juridique, l’ « Avant-projet Terré600 » admetqu’en cas d’échec
de la renégociation conventionnelle du contrat devenu profondément déséquilibré à la
suite d’un changement imprévisible de circonstances (pendant l’exécution), que « le
juge peut adapter le contrat en considération des attentes légitimes des
parties(…)601 ». C’est dans le même sens que s’oriente l’Avant-projet d’Acte
uniforme sur le droit des contrats dans l’espace OHADA. Son article 6/24
dispose : « 1) En cas de bouleversement des circonstances, la partie lésée peut
demander l’ouverture de renégociations. La demande doit être faite sans retard indu et
être motivée. 2) La demande ne donne pas par elle-même à la partie lésée le droit de
suspendre l’exécution de ses obligations. 3) Faute d’accord entre les parties dans un
délai raisonnable, l’une ou l’autre peut saisir le tribunal. 4) Le tribunal qui conclut à
l’existence d’un cas de bouleversement des circonstances peut, s’il l’estime
raisonnable: a) mettre fin au contrat à la date et aux conditions qu’il fixe; ou b)
adapter le contrat en vue de rétablir l’équilibre des prestations. »
La nature de l’interventionnisme du juge rapproche aussi ces deux théories.
En effet, le juge intervient à titre exceptionnel. C’est pourquoi les solidaristes
réclament un rôle accru du juge pour tempérer les abus et les excès engendrés par la
liberté unilatérale dans certaines relations contractuelles échappant à la théorie
générale des contrats, et pour résoudre les crises contractuellesexceptionnelles602. Cet
interventionnisme exceptionnel du juge est l’une des caractéristiques de la théorie
institutionnelle souple du contrat. Il rentre dans les éléments amovibles du contrat-
institution.
                                                            
598
Cass. com., 3 novembre 1992 : RTDciv. 1993, 124, obs, J. Mestre ; 24 novembre 1998 : Defrénois, 1999,
371, obs. D. Mazeaud ; JCP 1999. II. 12210, obs. Y. Picod ; RTDciv. 1999, 98, obs. J. Mestre et 646, obs.
P. Y. Gautier.
599
Y. Lequette, cité par D. Mazeaud, « La bataille du solidarisme contractuel : du feu, des cendres, des
braises », op. cit., n° 24.
600
Comme l’ont toujours proposé les solidaristes.
601
Article 92, al. 3.
602
D. Mazeaud, op.cit., n° 12.
126 

 
39–Toutefois, la théorie institutionnelle souple du contrat s’éloigne du
solidarisme contractuel par son domaine. Sous le prisme institutionnel souple, on
éprouve le contrat dans sa généralité. On se situe au niveau de la théoriegénérale du
contrat sans s’appesantir sur les spécialités. On n’opère pas une distinction sur une
typologie de contrat. A l’inverse, le solidarisme contractuel se veut limitatif à certains
contrats : contrats de sujétion, contrats de distribution.C’est une conséquence tirée des
trois critères d’éligibilité des contrats d’obédience solidariste : la durée, l’intérêt
commun et la dépendance d’un contractant vis-à-vis de l’autre. Il ressort que par sa
généralité, la théorie institutionnelle souple intègre le solidarisme contractuel.
Toutefois, l’inverse n’est pas possible.
40–Un autre critère est fondamental dans la distinction du solidarisme
contractuel d’avec la théorie institutionnelle souple du contrat : il s’agit de la nature
des rapports entre les éléments constitutifs du contrat. Dans le solidarisme contractuel,
on cherche à concilier les libertés et les exigences de la collectivité : le libéralisme et
le socialisme. Cependant, la théorie institutionnelle souple du contrat assujettit les
libertés au respect des exigences de la collectivité : le libéralisme est assujettit au
socialisme. Ainsi, le solidarisme contractuel plaide la collaboration entre le
libéralisme et le socialisme ; alors que la théorie institutionnelle souple du contrat
propose l’emprise du socialisme sur le libéralisme.

Conclusion
41–En conclusion, la thématique s’intitule : « la question de la définition du contrat
en droit prive : essai d’une théorie institutionnelle ». Les développements se sont
structurés autour de la question suivante : peut-on concevoir une définition stable et
constante du contrat en droit privé sous le prisme institutionnel ? A partir du constat
d’une difficile stabilisation doctrinale de la définition du contrat en droit privé, on a
abouti à une possible stabilisation par une définition institutionnelle souple du contrat
en droit privé. Les enjeux de cette analyse sont de deux ordres. L’enjeu mineur a
consisté en la proposition d’une définition institutionnelle du contrat. A ce titre, on a
défini le contrat comme un accord de volonté assujetti aux règles préétablies
pour pouvoir produire des effets de droit. L’enjeu majeur est dans l’élaboration de
la théorie institutionnelle souple du contrat en droit privé. Elle se nourrit des théories
classiques pour briller par son particularisme et son réalisme. Il est à espérer que cette
grille de lecture résistera aux secousses futures sur la notion de contrat.

127 

 
128 

 
"La protection des créanciers du vendeur de fonds de commerce dans l'espace
OHADA".
Par
Amina BALLA KALTO, Assistante à la FSEJ/UAM

Résumé : La protection des créanciers du vendeur de fonds de commerce s’inscrit


dans un contexte global de la garantie de sécurité juridique et judiciaire que le
législateur tente d’offrir aux investisseurs dans l'espace OHADA. Il vise à réaliser cet
objectif par l’élaboration d’une règlementation appropriée en instituant des mesures
de publicité ou d’exécution forcée de leurs droits de créance que le juge OHADA
(gardien de la légalité et garant de la protection des droits individuels des justiciables)
tente d’appliquer de manière effective.

Mots clés : protection des droits des créanciers du vendeur de fonds de commerce,
sécurité juridique et judiciaire, publicité, Journal d’annonces légales, opposition au
paiement du prix par le vendeur, droit de surenchère, créancier chirographaire,
créancier privilégié, créancier nanti, déchéance du terme, action paulienne, mesures
d’urgence, mesures d’exécution forcée, saisie-conservatoire, saisie-attribution, saisie-
appréhension, saisie-vente, etc.

Abstract : Business vendor’s creditor’s protection is in line with the general pattern
of legal and judicial security guarantee that the legislator tries to offer to the investors
in OHADA’s legislation space. To achieve its aim, the legislator draws up investors
’protection centered on regulation by taking steps consisting of advertisement
measures or forced execution of investors’claims and entrusts the guardian of legality
and guarantor of justiciables’ individual rights protection, OHADA’s judge with the
mission to check if these protective norms are efficient.
Keywords : business, vendor, protection, common OHADA legislation, measures,
legal and judicial security, advertising, Magazine of legal announcements, opposition
to the payment of the price by the seller, right of one-upmanship, creditor unsecured,
creditor privileged, wealthy creditor, Paulian action, emergency measures,
implementing forced Conservatory attachment, seizure-award, seizure-apprehension,
seizure and sale, etc.
 

129 

 
SOMMAIRE

I - Les prérogatives accordées aux créanciers du vendeur de fonds de commerce.


A- Dans une vente régulièrement publiée.
B - Dans une vente non publiée.
II – Les garanties de paiement instituées au profit des créanciers du vendeur de
fonds de commerce.
A - L'adoption des mesures conservatoires.
B) – Le recouvrement de la créance.

130 

 
Introduction.
Pour atteindre l’objectif de sécurité juridique et judiciaire dans l’espace
OHADA, le législateur communautaire a élaboré une réglementation de la vente du
fonds de commerce qui produit un effet direct dans les législations des Etats-Parties.
L’avantage d’une telle réglementation réside surtout dans la nécessité de protéger les
créanciers qui ont accepté de faire crédit au vendeur sur la base du nantissement du
fonds de commerce (ou de ses éléments cessibles) ou même ceux qui ont accepté de
lui faire crédit sans garantie, c’est-à-dire, ceux qui n'ont qu'un droit de gage général et
qui risquent de voir échapper cet élément important du patrimoine de leur débiteur.
Comment le législateur communautaire organise-t-il cette protection ? A l'instar du
législateur français, il impose à l'acquéreur l'obligation de publier la vente pour leur
permettre d'exercer leur droit d'opposition au paiement du prix entre les mains du
vendeur et leur droit de surenchère contre toute vente portant sur un prix dérisoire afin
de concourir au paiement du prix dans la mesure où, tous ont droit au paiement de
leur créance à l'échéance (603).
A cette obligation préalable d'information des créanciers du vendeur de fonds
de commerce, s’ajoutent d'autres mentions obligatoires prévues à l'article 150 de
l'AUDCG aux fins de l'accomplissement des formalités d'immatriculation et de
publicité. Avant toute formalité de publicité, l'acte de vente passé sous une forme
écrite (604), doit conformément à l'article 152 de l'AUDCG, sous peine de la nullité,
être enregistré (605) à la diligence de l'acheteur ou du vendeur au Registre du
Commerce et du Crédit Mobilier (RCCM). Puis, chacune des parties doit procéder en
ce qui la concerne, à l'insertion dans le RCCM recueillant son immatriculation de
toutes les modifications intervenues par le changement de la propriété (606). Ce n’est
qu’après l'accomplissement de l'enregistrement, que l'article 153 de l'AUDCG fait
obligation à l'acquéreur de publier la vente.
Quel est alors l’intérêt de cette publicité qu’impose le législateur OHADA à
l’acquéreur du fonds de commerce ? Si la publicité de la vente du fonds de commerce
permet aux créanciers du vendeur de fonds de commerce, d’exercer les
                                                            
603
S’inspirant de la réglementation française de la vente du fonds de commerce, le législateur OHADA
soumet la vente à l’application des règles de droit commun des obligations tout en dérogeant à certains
principes (figurant aux articles 149 et 150 de l'Acte Uniforme portant Droit Commercial Général
A.U.D.C.G.). Cf. Mamadou Koné, Le nouveau droit commercial des pays de la zone OHADA :
comparaisons avec la droit français, LGDJ, Paris, 2003, page 211.
604
Outre les conditions de validité de contrat de droit commun relatives à la capacité et au consentement des
parties exigées par l’article 1108 du Code Civil, l'article 150 de l'AUDCG soumet la vente du fonds de
commerce à un formalisme contraignant faisant obligation aux parties d’énumérer dans l’acte, certaines
mentions et les différents éléments qui composent le fonds vendu (incorporels, corporels et les
marchandises). La vente doit être passée par écrit, par acte sous seing privé ou par acte authentique. Elle
peut porter sur le fonds entier mais aussi sur les autres éléments cités par l'article 136 de l'AUDCG, à
condition qu'elle soit simultanément faite au sens de l’article 162 de l'AUS avec la clientèle (la clientèle est
l’élément essentiel qui confère au fonds sa véritable nature d'élément incorporel), et/ou le nom commercial
et l'enseigne.
605
L'enregistrement permet d'informer l'Etat de la vente du fonds pour qu'il puisse exercer son droit de
préemption. En raison de la stabilité du fonds de commerce (attaché à un local), le fisc lui applique des
droits de mutation qui sont exigés en matière immobilière.
606
En application des articles 52 et 60 de l'AUS, l'acheteur procède à une inscription initiale et le vendeur à
une inscription modificative.
131 

 
prérogatives d'opposition et de surenchère, qu'en est-il alors, lorsqu’ils n’ont pas
exercé ces prérogatives : disposent-ils encore d'autres moyens pour faire valoir leurs
droits ? Si dans cette hypothèse, ils n’ont ni le droit de critiquer le paiement fait par
l’acheteur au vendeur, ni celui d’invoquer le bénéfice de la surenchère, ils peuvent
néanmoins recourir à des actions de droit commun nécessaires au recouvrement de
leur créance en application des dispositions de l’AUPSRVE (Acte Uniforme Portant
Organisation des Procédures Simplifiées de Recouvrement et des Voies d’Exécution).
A cette fin, le législateur a aménagé des procédures tendant à assurer la sauvegarde de
leurs droits et intérêts, d’abord en instituant des garanties à leur profit et ensuite en
leur reconnaissant le droit de recourir au recouvrement forcé de leurs créances. Si tous
les créanciers connus (du fait de l’inscription de leur créance sur le fonds de
commerce), qu’ils soient nantis (607) ou privilégiés (608), peuvent facilement recourir
aux dispositions des Actes Uniformes qui leur accordent certains privilèges, les
créanciers non-inscrits (à l’instar des créanciers chirographaires), doivent eux
s'adresser au juge des référés pour obtenir un titre exécutoire leur permettant d’agir.
Toutes les mesures protectrices de leurs droits peuvent être décelées dans
divers Actes Uniformes (AUDCG, AUPSRVE, AUS "Acte Uniforme portant Droit
des Sûretés", etc.) et dans les dispositions du Code civil, mais aussi, en raison de son
caractère supranational (609), le droit OHADA renvoie-il aux législations nationales
pour garantir de manière complémentaire une plus grande sécurité juridique aux
créanciers du vendeur de fonds de commerce (610). Dans le prolongement de la
protection légale, le juge OHADA (611) intervient aussi pour assurer la sauvegarde des
droits des créanciers du vendeur de fonds de commerce à travers l’application des
normes communautaires protectrices, dans la mesure où, selon le Professeur
Barthélemy MERCADAL, le droit OHADA "reçoit des applications qui révèlent, en
effet, que ses juges sont aptes à le saisir et à le faire vivre" (612). Le rôle de
l’application des normes légales est dévolu aux juridictions nationales qui connaissent
du contentieux en première instance et en appel et à la Cour Commune de Justice et
d’Arbitrage (à ses articles 13 et 14 du Traité) qui statue en cassation (613) afin de
                                                            
607
Les créanciers ayant inscrit leur nantissement, ont en application de l'article 178 de l'AUS un droit de
suite, un droit de préférence et un droit de réalisation. Ceux qui n’ont aucune sureté peuvent recourir à des
mesures conservatoires ou à des voies d’exécution leur permettant de sauvegarder leurs créances.
608
Le créancier est privilégié lorsqu’il bénéficie, de par la loi (le fisc, les salariés, les bailleurs d'immeuble
ou le vendeur impayé du prix du fonds de commerce) ou par la convention, d'une préférence de paiement
de sa créance avant d'autres créanciers y compris hypothécaires. Le vendeur impayé du prix de vente du
fonds ne peut exercer son privilège et l'action résolutoire qu’à condition de les inscrire et de notifier sa
décision d’exercer l’action au créancier nanti (article 167 de l'AUS).
609
Selon auteurs à l’instar de Djibril ABARCHI, in « La Supranationalité de l’Organisation pour
l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique (OHADA », Ohadata J-02-02, page 17.
610
Cf. Paul-Gérard POUGOUE, "Doctrine OHADA et Théorie Juridique", in Revue de l'ERSUMA, N°
Spécial, novembre-décembre 2011, page 14.
611
Le Traité et les Actes Uniformes constituent le droit primaire alors que les règlements du Conseil des
ministres et la jurisprudence de la CCJA et des juridictions de fond des Etats membres résultant de
l’application du droit OHADA en constitue le droit dérivé.
612
Barthélemy Mercadal, "La valeur du droit de l’OHADA", http://www.ohada.com.
613
La Cour commune de justice se penche sur l’examen des moyens de droit soulevés par le pourvoi faisant
grief à la décision attaquée d'avoir méconnu ou mal interprété une règle de droit communautaire. A
l’occasion du contrôle de légalité qu’elle exerce sur la décision attaquée, la CCJA censure la décision
132 

 
veiller à l’interprétation et l’application communes du Traité. Pour concilier sa
mission de gardienne des lois et de garant des droits individuels, la Cour s’évertue à
assurer la protection des créanciers du vendeur de fonds de commerce, tout en veillant
à concilier l’équilibre des intérêts contradictoires en des parties présence (614).
Il ressort de tout ce qui précède que le législateur OHADA a aménagé des
modalités de protection des créanciers du vendeur de fonds de commerce à travers
d’une part, les prérogatives tendant à préserver leurs droits et intérêts (I) et d’autre
part, les garanties de paiement qu’il institue en leur faveur pour le recouvrement de
leur créance (II).

                                                                                                                                              

d’Appel si elle estime que le juge national a mal appliqué la loi ou n’a pas suffisamment motivé sa décision
en cassant et annulant l’arrêt (pour soit renvoyer l’Affaire devant une autre juridiction, soit l’évoquer afin
de statuer en fait et en droit). En matière de rejet où, elle statue uniquement en droit si elle constate que le
juge national a fait une exacte application de la règle de droit et qu’il n'a pas dénaturé les faits de la cause,
elle confirme sa décision en rejetant le pourvoi.
614
A l'exemple du droit français qui tend à concilier les intérêts contradictoires du créancier et du débiteur.
133 

 
134 

 
I – Les prérogatives accordées aux créanciers du vendeur de fonds de
commerce.

En organisant la procédure de publicité destinée à informer les tiers et plus


particulièrement les créanciers du vendeur (notamment ceux qui sont inscrits sur
fonds de commerce) de la cession du fonds de commerce, le législateur OHADA
entend assurer la protection de leurs droits et la sauvegarde de leurs intérêts. C’est une
mesure de précaution instituée à leur profit, qu'ils soient d’ailleurs créanciers
chirographaires ou créanciers privilégiés, ils sont indirectement concernés par cette
vente et ont intérêt à la surveiller pour qu'elle n'intervienne en fraude de leurs droits.
Si leurs droits sont sauvegardés par la formalité de la publicité, qu'en est-il alors de la
vente non publiée ou de celle qui est intervenue en fraude de leurs droits ? Le
législateur OHADA étant resté muet sur la question, il importe de combler le vide
juridique en recourant à d'autres dispositions légales qui concourent à la sauvegarde
des droits et intérêts des créanciers du vendeur de fonds de commerce.
Il convient d’examiner les prérogatives que la loi accorde aux créanciers du
vendeur de fonds de commerce dans une vente régulièrement publiée et dans celle qui
ne l’est pas.

A- Dans une vente régulièrement publiée.


Pour protéger les créanciers du vendeur de fonds de commerce, le législateur
OHADA soumet à publicité toute vente de fonds de commerce, y compris celle
intervenue sous forme d'apport d'un fonds de commerce à une société (615). A cet effet,
l'article 153 de l'AUDCG impose à l'acheteur, l'obligation de publier la vente, sous
forme d'avis, dans un journal habilité à publier des annonces légales et paraissant dans
le lieu où le vendeur est inscrit au RCCM. L'Acte uniforme ne donnant pas de
définition, se contente seulement d'indiquer que cette insertion doit être faite dans un
Journal d'Annonces Légales (616). L'avantage de la publicité est de porter la vente à la
connaissance du public pour permettre aux créanciers du vendeur de fonds de
commerce de faire opposition au paiement du prix ou d’exercer leur droit de
surenchère. La publicité constitue une condition d'opposabilité aux tiers du paiement
du prix de la vente du fonds de commerce et non de la vente elle-même.
Avertis de la vente par le biais de la publicité (617), les créanciers du vendeur
disposent de deux principaux moyens de protection que sont l’opposition et la
surenchère.
1 - Le droit d'opposition des créanciers.

                                                            
615
L'acte d'apport du fonds de commerce en société étant assimilé à la vente est soumis aux mêmes
formalités. Cf. Jean GATSI et Martin KAMAKO, L'approche du fonds de commerce dans l'espace
OHADA, Presses Universitaires Libres, Douala, 2006, page 64.
616
A l'exception de la Côte d'Ivoire qui possède un Journal d'Annonces Légales et Judiciaires (le JALO), la
publicité de la vente de fonds de commerce est faite dans la plupart des pays membres de l'OHADA, dans
les Journaux d'Annonces Légales (à l’exemple de ceux définis à l'article 257 du Code de commerce
sénégalais).
617
La publicité de la vente du fonds vise à les protéger contre les mutations clandestines, voire frauduleuses
pour les droits des créanciers pour éviter que le débiteur n’organise volontairement ou involontairement par
négligence son insolvabilité.
135 

 
L'opposition est une prérogative reconnue à tous les créanciers du vendeur de
fonds de commerce, titulaires d'une créance civile ou commerciale, peu importe
qu'elle soit exigible ou conditionnelle, pourvu qu'elle soit certaine. Cette prérogative
leur permet d'interdire à l'acquéreur de payer le prix directement entre les mains du
vendeur. Informés de cette vente, ils ne peuvent plus s'opposer au paiement du prix,
dès lors que le délai légal de la publicité est expiré. Cette mesure est une condition
préalable au déclenchement de la procédure de surenchère, dans la mesure où, tout
créancier chirographaire qui n'a pas fait opposition dans le délai requis perd les droits
de contester le paiement du prix au vendeur.
Pour que l’opposition puisse produire des effets, le créancier du vendeur de
fonds de commerce doit respecter les conditions nécessaires à l’exercice de cette
prérogative.
a) - Les conditions de l'opposition.
Pour faciliter aux créanciers du vendeur de fonds de commerce l’exercice de
cette prérogative, le législateur OHADA impose certaines conditions préalables à
l’acquéreur du fonds de commerce. Après avoir effectué les formalités de publicité
destinée à informer les créanciers, l'article 157 de l'AUDCG fait obligation à
l'acheteur de payer le prix, aux jours et lieu fixés dans l'acte de vente, entre les mains
du notaire ou de tout établissement bancaire désigné en qualité de séquestre d'un
commun accord entre les parties. Le notaire ou l'établissement bancaire devra
conserver les fonds pendant le délai de 30 jours (618).
Le créancier doit former opposition au paiement du prix de vente dans ce
délai, à compter de la publication de la vente dans un Journal d'Annonces Légales.
L'acte d'opposition doit à peine de nullité, énoncer outre les mentions d’identification
du créancier opposant, le montant et les causes de la créance et contenir élection de
domicile dans le ressort de la juridiction où est tenu le Registre du Commerce et du
Crédit Mobilier (RCCM). C’est à cette condition d’accomplissement des formalités et
sous réserve de l’apport de la preuve de l’existence de la créance qu’une juridiction
nationale a, conformément aux dispositions des articles 128 et 129 de l'A.U.D.C.G.
(ancienne version) reconnu le droit à l’opposition à un créancier du vendeur de fonds
de commerce (619). L'article 159 de l'AUDCG impose au créancier opposant sous peine
de nullité, l'obligation de formuler l'opposition par acte extrajudiciaire (620) signifiée à
l'acquéreur et de notifier au notaire ou à l'établissement bancaire désigné en qualité de
séquestre et au greffe de la juridiction ou à l’organe compétent dans l’État Partie qui
tient le RCCM sur lequel est inscrit le vendeur, à charge pour le greffier ou l’organe
compétent dans l’Etat Partie de procéder à l'inscription de cette opposition sur le
RCCM.
L’opposition régulièrement effectuée, est susceptible de produire des effets
juridiques.
b) - Les effets de l'opposition.
                                                            
618
Il engage sa responsabilité s'il procède à un paiement avant l'expiration de ce délai de 30 jours. Passé ce
délai, le créancier ne peut seulement que recourir aux voies d'exécution de droit commun.
619
Cour d’Appel de Yaoundé, Arrêt n° 46 et 48/Civ, du 07 novembre 2003 Affaires n° 728 et 729/RG/02-
03 du 07 Juillet 2003, Ohadata J-06-105 et J-06-88. 
620
Par acte d'huissier ou par tout moyen permettant d'en établir la réception effective.
136 

 
L'article 160 de l'AUDCG déclare que l'opposition régulièrement formée
produit un effet conservatoire. Elle rend le prix de vente indisponible, qui reste bloqué
entre les mains du séquestre, jusqu'à l'expiration du délai des oppositions ou jusqu'au
règlement s'il y a des oppositions. L'opposition a également pour effet d'empêcher le
vendeur de consentir une réduction de prix et ou de modifier le montant du prix pour
permettre au créancier opposant de surenchérir : le vendeur ne peut plus, dès lors qu'il
y a opposition, disposer de sa créance sur l'acheteur. Elle a aussi pour effet de fixer la
créance à l'égard des créanciers, le créancier opposant doit, sous peine de forclusion,
saisir la juridiction compétente pour constater la créance et en réclamer le montant
dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'opposition (621). L'opposition
n'engendre au profit des créanciers ni un transfert du prix ni un privilège mais
empêche simplement le paiement du prix. Si elle est justifiée, l'acheteur est alors tenu
de verser le prix entre les mains des créanciers opposants. Considérée comme une
mesure conservatoire et non un acte de saisie, l'opposition place tous les créanciers
sur un même pied d'égalité en permettant à d'autres de se joindre à la procédure tant
que le délai requis n'est pas expiré. Par conséquent, l'opposant même inscrit sera en
concours avec d'autres créanciers opposants qui peuvent se joindre à la procédure
(article 130 de l’AUPSRVE).
L'opposition régulière ouvre aux créanciers le droit de surenchérir du sixième
du prix et de se faire payer sur le supplément résultant de la surenchère. Tout
paiement effectué par l'acheteur au mépris des oppositions ou sans avoir publié la
vente, ou sans avoir attendu l'expiration du délai donné aux créanciers du vendeur
pour faire opposition, est inopposable aux opposants, à hauteur du montant des
oppositions. L'article 162 de l'AUDCG rend nulle, toute opposition qui, dans le mois
de sa notification, n’est pas levée amiablement ou ne donne pas lieu à la saisine du
juge. Toute personne intéressée peut saisir le juge statuant à bref délai qui constate
cette nullité et ordonne la mainlevée de l’opposition, sans préjudice de l’action en
dommages-intérêts pour opposition abusive.
L’opposition faite à la légère, c’est-à-dire ne se fondant ni sur un titre ni sur
une cause réelle, serait nulle en la forme faute d’avoir respecté les exigences légales,
le vendeur peut demander et obtenir de la juridiction compétente statuant à bref délai,
la mainlevée de l’opposition et le versement des fonds entre ses mains, en contrepartie
d’un cautionnement, ou d’une garantie équivalente au montant de la créance objet de
l’opposition. Le créancier opposant peut décider d’une mainlevée amiable qu’il
notifie au vendeur dans les formes identiques de l'opposition. Le prix de vente du
fonds sera ainsi réparti entre les créanciers par le séquestre selon le mode de
répartition déterminé dans l’acte d’opposition ou à défaut de répartition amiable, par
une procédure simplifiée de distribution par le juge compétent saisi. Le prix ne sera
réparti qu'après règlement des créanciers privilégiés, entre tous les créanciers,
opposants ou non, à proportion de leur créance. La répartition pourra être retardée si
l'un des créanciers inscrits ou opposants du vendeur prend l'initiative d'une
surenchère, puisque le prix définitif à répartir ne pourra alors être connu qu'à l'issue
de cette procédure.

                                                            
621
OHADA, Traités et actes uniformes commentés et annotés, Juriscope 2012, page 319.
137 

 
Après l'opposition, les créanciers sont autorisés à exercer leur droit de
surenchère.
2 - Le droit de surenchère.
L’article 1583 du code civil subordonne la validité de la vente au transfert de
la propriété du fonds et au versement d’un "prix réel, sérieux et sincère". La vente
portant sur le prix dérisoire ou fictif qu’évoque l’article 1591 du Code civil est
sanctionnée par l'article 158 de l'AUDCG qui déclare "nulle et de nul effet toute
contre-lettre ou convention ayant pour objet ou pour effet de dissimuler tout ou partie
du prix de cession du fonds de commerce"(622). Complétant l'article 177 de l'Acte
Uniforme portant Suretés (AUS), l'article 163 de l'AUDCG autorise les créanciers
inscrits à exercer un droit de surenchère au même titre que les créanciers qui ont
régulièrement fait opposition. La surenchère est une procédure destinée à protéger les
créanciers du vendeur contre toute vente du fonds faite à un prix dérisoire ou à un prix
dissimulé. Elle doit être effectuée dans le délai d'un mois qui suit la publication de la
vente et n’est admise que si le prix proposé par l’acquéreur est insuffisant pour
désintéresser les créanciers inscrits ou opposants. Toutefois, qu’ils soient nantis ou
opposants, les créanciers inscrits bénéficient du même droit de surenchère qui s'exerce
dans le même délai d’un mois à compter ou après adjudication (623).
Tout comme en matière d’opposition, la surenchère est soumise à conditions
d'exercice et produit des effets.
a) - Les conditions de la surenchère.
L'article 162 fixe les conditions de surenchère qui prévoit qu’elle doit être
introduite par assignation au greffe de la juridiction compétente. La surenchère
permet aux créanciers du cédant non satisfaits du prix d'acquisition proposé, d'exiger
que le fonds soit vendu aux enchères publiques à un prix supérieur d'un sixième du
prix des éléments incorporels du fonds tel qu'il est porté dans l'acte de cession initiale,
à l'exception du matériel et des marchandises. Sont ainsi admis à surenchérir les
créanciers privilégiés et nantis ainsi que ceux qui ont fait l'opposition dans le délai
légal. Aux termes de l'article 163, alinéa 3 de l'AUDCG, le créancier surenchérisseur
doit consigner dans le même délai d'un mois, au greffe de la juridiction compétente, le
montant du prix augmenté du sixième. Il s'engage, dans le cas où il n'y aurait pas
d'offre supérieure, à se porter acquéreur du fonds pour un prix égal au prix
initialement convenu avec l'acquéreur majoré du sixième.
Le tribunal saisi de l'assignation de surenchère examine si la notification
satisfait aux conditions de fond et de forme prescrites par la loi avant de valider la
surenchère et d'ordonner la vente publique du fonds de commerce. Dans son
jugement, il fixe la mise à prix, détermine les conditions principales de la vente et
commet un officier ministériel pour y procéder et pour dresser un cahier des charges
(624)
. Dans les 15 jours francs de la surenchère, le surenchérisseur publie à ses frais
                                                            
622
Un prix dérisoire ou fictif dissimule une atteinte aux droits des créanciers ou une fraude fiscale que
prohibe le droit fiscal des Etats membres que l’article 504- 1) du Code Général des Impôts du Niger
réprime.
623
Cour d’Appel de Dakar, chambre civile et commerciale 1, Arrêt n° 237 du 13/04/2001 Civil, Référé,
Samba BA c/ La S.G.B.S, Ohadata J-06-86 et n° 142, 3 avril 1971, COCC, annoté, EDJA, 1991, p. 183. 
624
Le cahier des charges, établi antérieurement à la vente en justice à la diligence du surenchérisseur,
reproduit intégralement l’acte de cession ayant donné lieu à surenchère en mentionnant les nantissements
138 

 
avancés, dans un journal habilité à publier des annonces légales et paraissant dans le
lieu où le vendeur est inscrit au RCCM, un avis comportant l’indication du lieu et de
la date de la vente en justice ainsi que des modalités de consultation du cahier des
charges. Passé ce délai, la surenchère est nulle de plein droit et les frais en sont
définitivement supportés par le seul surenchérisseur (625). Aucune nouvelle opposition
ne peut être formée pendant la procédure de surenchère.
Lorsque la surenchère est régulièrement formée, elle produit des effets
juridiques.
b) - Les effets de la surenchère.
La surenchère a pour effet de provoquer la vente aux enchères publiques du
fonds de commerce qui se fait à la barre de la juridiction compétente, sous la forme
des criées. Le fonds mis aux enchères est adjugé au plus fort enchérisseur.
L'adjudication est constatée par un procès-verbal dressé par l'officier ministériel
chargé de la vente. L'adjudication consécutive à la surenchère du sixième, entraîne la
résolution de la vente initiale. Lorsqu'une surenchère aura été notifiée, chacun des
créanciers inscrits ou opposants aura le droit de se faire subroger à la poursuite, si le
surenchérisseur ne donne pas suite à l'action dans le mois de la surenchère. Si aucun
enchérisseur ne se porte acquéreur au prix proposé, c'est le créancier surenchérisseur
du sixième qui est déclaré acquéreur ; il doit donc payer le prix nouveau, le précédent
acquéreur est alors déchargé. Aussi, afin d'éviter la surenchère, le vendeur peut, pour
désintéresser les créanciers opposants, faire des offres réelles de paiement qui doivent
être consignées et validées par un jugement et à défaut, le tribunal peut décider la
mise aux enchères publiques du fonds. Aussi, en garantie du paiement de leurs
créances, l'acquéreur du fonds de commerce peut initier la procédure de purge
permettant de désintéresser tous les créanciers inscrits en réglant directement le prix,
en partie ou en totalité, entre leurs mains, en contrepartie de la radiation de leur
inscription (article 64 de l'AUS). La répartition du prix de vente du fonds de
commerce entre les créanciers surenchérisseurs se fait selon qu’il y ait un ou plusieurs
créanciers conformément aux dispositions de l'AUPSRVE.
Si les créanciers du vendeur de fonds de commerce peuvent exercer les
prérogatives légales qui leur sont reconnues dans le cas d’une vente régulièrement
publiée, qu'en est-il alors de la vente non publiée ?
B - Dans une vente non publiée.
L’acquéreur qui n’effectue pas la formalité de publicité de la vente ou qui
procède à une publicité irrégulière s’expose en application de l'article 1242 du code
civil à payer une seconde fois le prix entre les mains des créanciers du vendeur. Pour
leur garantir la sécurité juridique, le législateur OHADA a institué au profit des
créanciers du vendeur du fonds de commerce, des mesures spéciales de protection
portant sur la déchéance du terme et l’exercice de l’action paulienne. Ces mesures
permettent à un créancier, victime d’une fraude portant sur le fonds de commerce de
solliciter du juge le paiement anticipé de sa créance par la déchéance du terme ou
l’exercice de l’action paulienne. Il peut également recourir au privilège de l'action
                                                                                                                                              

antérieurs inscrits ainsi que les oppositions régulièrement notifiées à la suite de la publication de la vente du
fonds.
625
Sans préjudice des dommages-intérêts dus pour surenchère abusive au sens de l'article 164 de l'AUDCG.
139 

 
pénale pour délit d'organisation volontaire d'insolvabilité en application des
législations nationales (626).
1°) – La déchéance du terme.
La déchéance du terme désigne la perte pour le bénéficiaire d’un contrat à
échéance, de la faculté de payer sa dette selon l’échéancier prévu. La déchéance du
terme qui rend la dette immédiatement exigible, peut être demandée sous certaines
conditions par les créanciers chirographaires et ceux qui sont inscrits sur le fonds de
commerce. La déchéance du terme qui résulte de l’insolvabilité du débiteur n’est pas
encourue de plein droit, mais doit être demandée en justice. Ainsi, en cas de vente ou
de réalisation du fonds, l’article 174 de l’AUS autorise les créanciers chirographaires
à demander en justice la déchéance du terme de leurs créances pour concourir à la
distribution du prix. Aussi, le législateur assure une protection spéciale aux créanciers
nantis qui ont régulièrement inscrit leur garantie en leur accordant le droit de
provoquer la déchéance du terme, notamment lorsque le propriétaire du fonds, sur qui
pèse l’obligation de notifier dans le délai de quinze au moins à l’avance, le
déplacement du fonds de commerce en indiquant le nouvel emplacement qu’il entend
lui fixer, opère ce déplacement sans une notification régulière (article 175, alinéa 2).
Cette information doit être réalisée par acte extrajudiciaire (c’est-à-dire par exploit
d’huissier). Dans l’hypothèse où cette signification n’est pas réalisée, la créance est
exigible de plein droit. Le créancier inscrit qui refuse de consentir au déplacement
peut, dans les quinze jours suivant la notification, demander la déchéance du terme s'il
y a diminution de sa sûreté. Le créancier inscrit qui a consenti au déplacement
conserve sa sûreté s'il fait mentionner son accord, dans le même délai, en marge de
l'inscription initiale. Si le fonds est transféré dans un autre Etat Partie, l'inscription
initiale, à la demande du créancier inscrit, est reportée sur le Registre du Commerce et
du Crédit Mobilier où est transféré le fonds.
Outre la déchéance du terme, les droits et intérêts des créanciers sont
préservés contre toute tentative de fraude par la faculté qui leur est reconnue de
procéder à l’exercice de l’action paulienne.
2°) – L’action paulienne.
L’action paulienne est prévue par l’article 1167 du code civil qui accorde le
droit aux créanciers, d’attaquer en leur nom personnel, les actes faits par leur débiteur
en fraude de leurs droits. Etant en proie à d’éventuelles contestations et ordres de
priorité de paiement, les créanciers chirographaires n’ont aucune garantie particulière
puisque le législateur OHADA se contente d’un simple renvoi aux dispositions des
articles 2092 et 2093 du Code civil (C. civ.) (627). Ces textes leur reconnaissent un
droit de gage général sur le patrimoine de leur débiteur, qui constitue une garantie
précaire. Mais comme, ils ont à craindre que leur débiteur ne compromette ce gage en
négligeant leurs droits, ou en dissimulant ses biens ou en les faisant sortir
                                                            
626
L’article 994 du Code général des Impôts du Niger, punit cette fraude d’une peine d’emprisonnement de
trois (3) mois à deux (2) ans et d’une amende de 20 000 à 200 000 francs CFA. L'article 106 de loi n° 004-
2010/AN du Burkina-Faso punit d’une peine d’amende de cinq cent mille (500 000) à cinq millions
(5 000 000) de francs CFA et d’un emprisonnement de six mois à deux ans ou de l’une de ces deux peines
seulement.
627
"Quiconque s’est obligé personnellement est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers
et immobiliers, présent et à venir. Les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers…. ".
140 

 
frauduleusement de son patrimoine, ils auront à recourir à l’exercice de l’action
paulienne décrite par l’article 1167 du C. civ. Reconnue à tous les créanciers, l’action
paulienne ou action révocatoire est l’action par laquelle le créancier demande la
révocation des actes d’appauvrissement accomplis par le débiteur en fraude de ses
droits. La condition nécessaire à la mise en œuvre de l’action paulienne qui doit être
dirigée non pas seulement contre le débiteur mais essentiellement contre le tiers
acquéreur, est « l’insolvabilité du débiteur ». L’acte d’appauvrissement peut découler
d’un contrat à titre onéreux ou d’un contrat à titre gratuit. Mais, l’action paulienne a
surtout pour intérêt de rendre l’acte frauduleux inopposable au créancier agissant.
L'exercice de l'action paulienne est soumis à des conditions et produit des
effets.
a) - Les conditions de l'action Paulienne.
L’action paulienne n'est recevable que lorsque le créancier justifie de
l'existence d'une créance et d'un préjudice que lui aurait fait subir le débiteur avec la
complicité des tiers acquéreurs du fonds de commerce. La créance dont il peut se
prévaloir, doit être une créance certaine en son principe « même si elle n’est pas
encore liquide et même si elle n’est pas déjà définitivement fixée, elle doit être
antérieure à l’acte frauduleux » (628). Pour que le juge déclare l’action recevable, il
doit se placer à la date de l’acte par lequel le débiteur s’est dépouillé de ses biens pour
apprécier s’il y a fraude ou non (629). La fraude est caractérisée par un élément matériel
et un élément moral qui doivent être prouvés par tous moyens par le créancier qui a
un intérêt à agir. L’élément matériel de la fraude qui cause un préjudice au créancier
s’entend de tout acte qui a rendu le débiteur insolvable ou a aggravé son insolvabilité.
Cette situation a généralement pour origine un acte d'appauvrissement, faisant sortir
une valeur du patrimoine de l'intéressé. En plus de l'élément matériel, le créancier doit
établir l'existence d'un élément moral, qui n'implique pas forcément une intention de
nuire, mais peut résulter de la seule connaissance que le débiteur a, du préjudice causé
à son créancier (630). Il peut établir la complicité du tiers acquéreur à l’acte frauduleux
réalisé par le débiteur en démontrant sa participation consciente au préjudice ou du
moins la connaissance de l'existence ou de l'aggravation de l'insolvabilité du débiteur
avec lequel il a traité.
Toutes ces conditions étant réunies, l'action paulienne produit des effets de
droit.
b) - Les effets de l'action paulienne.
L'action paulienne a pour effet principal de révoquer rétroactivement l'acte
frauduleux afin de permettre le retour du bien altéré dans le patrimoine du débiteur.
Elle facilite éventuellement, la saisie entre les mains du tiers acquéreur, du fonds
acquis au moyen de l'acte frauduleux. A l’égard du créancier exerçant l’action, tout
comme à l’égard des autres créanciers, l’acte reste valable. Le débiteur dispose d’un

                                                            
628
Cf. Civ., 3è, 23 Avril 1971, Bull., n° 70-1091.
629
La fraude qui suppose une manifestation de volonté ne se conçoit que lorsqu'il s'agit d'un acte juridique et
non un fait juridique.
630
Il suffit de prouver que le débiteur savait, en procédant à l’acte litigieux, qu’il causerait au créancier, un
préjudice même futur, en se rendant insolvable ou en aggravant son insolvabilité. Civ, 1ère, 21 novembre
2006, pourvoi n° 04-20731.
141 

 
moyen d’éviter la restitution en désintéressant le créancier pour ensuite se retourner
contre le vendeur par l’exercice de l’action en garantie contre l’éviction. L'action
paulienne est dirigée contre le débiteur fautif en mettant en cause le tiers acquéreur et
le créancier l’exerce en vertu d'un droit personnel. En vertu de son effet purement
relatif, l’action qui ne profite dans la limite de la créance réclamée, qu'à celui qui l'a
intentée, permet de rendre l'acte litigieux inopposable au seul créancier poursuivant
(qui n’aura pas à craindre le concours des autres créanciers, s'ils ne sont pas
intervenus dans le procès). Le créancier saisira éventuellement le fonds entre les
mains du tiers acquéreur ou poursuivre sa vente forcée lorsqu'il est réintégré dans le
patrimoine du débiteur. Lorsqu’il ne peut pas saisir le fonds entre les mains du tiers, il
est fondé à demander la réparation du préjudice qui lui sera accordée sous forme d'une
indemnité à verser par le tiers acquéreur. S'il reste un excédent de valeur après le
désintéressement du créancier, cet excédent doit rester au tiers acquéreur. Ce dernier a
en outre, une action récursoire contre le débiteur afin de se faire indemniser des
valeurs dont il a été privé.
Outre ces prérogatives, la loi a également institué des garanties au profit des
créanciers impayés du vendeur de fonds de commerce leur permettant d’obtenir le
paiement de leur créance.

142 

 
II - Les garanties de paiement instituées au profit des créanciers du
vendeur du fonds de commerce.
La loi accorde la faculté à tout créancier impayé de recourir à l'exercice des
voies d'exécution (631) prévues aux articles 28 et suivants de l’AUPSRVE. Cette
garantie appartient sans distinction à "tout créancier chirographaire ou privilégié"
dans les conditions définies par l'article 31 de l'Acte Uniforme qui déclare que
"l'exécution forcée n'est offerte qu'au créancier justifiant d'une créance certaine,
liquide et exigible sous réserve des dispositions relatives à l'appréhension et à la
revendication des meubles". Le juge OHADA concourt également à la sécurisation
des créanciers du vendeur de fonds de commerce en veillant à l'application effective
des normes légales dans la mesure où, c’est à lui que le législateur a confié ce rôle en
aménageant son pouvoir d’intervention en matière de recouvrement des créances (632).
Pour cela, les créanciers du vendeur de fonds de commerce, auront à choisir parmi un
large éventail de mesures légales (633) que lui offre le législateur OHADA dont la mise
en œuvre nécessite le concours des personnes habilitées (huissiers de justice ou agents
d'exécution). Ainsi, à défaut d'un règlement à l'amiable, dès lors qu’il est saisi par
voie contentieuse, le juge statue en appliquant les normes OHADA en raison de leur
supranationalité (conformément à l'article 10 du Traité) ou renvoie aux règles
nationales supplétives.
Parmi les panoplies de mesures d’exécution existantes décrites (634), ils auront
à choisir celles qui s’adaptent à leur cas d'espèce, en optant soit pour les mesures
conservatoires, soit en faveur des mesures d’exécution forcée.
A – Les mesures conservatoires.
Avant d’entreprendre toute exécution forcée de leurs créances, l’article 54 de
l’AUPSRVE autorise tout créancier à pratiquer une mesure conservatoire pour assurer
la sauvegarde de ses droits et intérêts (dissimulation ou disparition par le débiteur des
biens, objet d’un droit de gage général pour le créancier, ou encore par négligence).
Ce texte déclare qu’à défaut d’exécution volontaire, toute personne dont la créance
parait fondée en son principe, peut par requête, solliciter de la juridiction compétente
(635)
du domicile ou du lieu ou demeure le débiteur, une autorisation de pratiquer une
mesure conservatoire sur les biens mobiliers corporels ou incorporels de son débiteur,
sans commandement préalable pour faire jouer l'effet de surprise, si elle justifie de

                                                            
631
Cf. Diouf N’DIAW et Anne-Marie ASSI-ESSO, OHADA, Recouvrement des Créances, Collection
Droit Uniforme africain, Bruylant, Bruxelles, 2002, page 2.
632
Ne serait-ce que de manière supplétive en raison de la revalorisation du titre exécutoire par la réforme
OHADA, le juge de l’exécution n’intervenant qu’en cas d’incident, conduisant ASSONTSA Robert à parler
de la «déjudiciarisation des procédures civiles d'exécution » », in Le juge et les voies d'exécution depuis
la réforme OHADA, Faculté de Droit, de Sciences Politiques et de Gestion, de l'Université de Strasbourg,
2009, page 32.
633
Ces mesures se rapportent aux procédures de saisie-conservatoire, de saisie-rémunération, de saisie-
vente, de saisie-attribution des créances, de saisie-appréhension et de saisie-revendication des meubles
corporels, etc.
634
ONANA ETOUNDI Félix, "La Pratique des voies d'exécution dans l'Acte Uniforme OHADA", Alliance
Juris, page 32.
635
A cet effet, l’article 49 al. 1er AUPSRVE dispose que : « La juridiction compétente pour statuer sur tout
litige ou toute demande relative à une mesure d’exécution forcée ou à une saisie conservatoire est le
président de la juridiction statuant en matière d’urgence ou le magistrat délégué par lui ».
143 

 
circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement. Cette autorisation préalable
pour pratiquer valablement une saisie conservatoire n'est pas requise lorsque le
créancier est muni d'un titre exécutoire (636). Par cet assouplissement, il s'est agi pour
lui de permettre au créancier de conserver toute chance d'obtenir l'exécution de ce qui
lui est dû. En outre, à la différence de la saisie-vente, le commandement préalable
n'est pas exigé. Les mesures conservatoires ont pour effet de rendre indisponibles les
biens saisis. Lorsqu’elles ont été obtenues et pratiquées sans titre exécutoire, le
créancier doit, dans le mois qui suit l'exécution de la mesure, à peine de caducité,
introduire une procédure aux fins d'obtenir un titre exécutoire.
Les mesures conservatoires sont constituées d’une part, des sûretés
judiciaires et d’autre part des saisies conservatoires.
1° - Les sûretés judiciaires.
Les sûretés judiciaires (637) sont des procédures instituées par la loi
permettant au créancier de demander au juge compétent de lui accorder une
hypothèque forcée judiciaire ou une inscription provisoire de nantissement sur le
fonds de commerce ou sur des parts sociales ou sur des valeurs mobilières en garantie
de l’exécution de ses obligations conformément aux dispositions des articles 142 et
164 de l’AUS. L’article 198 de l’AUS révisé autorise tout créancier impayé (y
compris le créancier du vendeur de fonds de commerce) à demander à la juridiction
compétente qu’une l’hypothèque forcée judiciaire lui soit accordée, en précisant que
l’immeuble de son débiteur lui demeure en paiement. Cette faculté n’est ouverte au
créancier qu’à la condition que le juge désigne un expert chargé de déterminer la
valeur de l’immeuble : « si la valeur de l’immeuble excède le montant de la garantie
du créancier hypothécaire, celui-ci doit au constituant une somme égale à la
différence et s’il existe d’autres créanciers hypothécaires (638), ce montant sera
consigné par le créancier » (639) et de vérifier l’existence et l’exigibilité de la créance
(640)
. La juridiction compétente saisie accordera l’inscription provisoire en fixant un
délai (article 213 de l’AUS) au-delà duquel, le créancier doit, à peine de caducité de
l'autorisation (641), former devant la juridiction compétente l'action en validité

                                                            
636
L'article 33 considère comme titres exécutoires : les décisions juridictionnelles revêtues de la formule
exécutoire et celles qui sont exécutoires sur minute passées en force de chose jugée, les actes et décisions
juridictionnels étrangers ainsi que les sentences arbitrales déclarées, les procès-verbaux de conciliation
signés par le juge et les parties et enfin les actes notariés revêtus de la formule exécutoire.
637
La sûreté judiciaire n’est pas une saisie, c’est une demande adressée au juge compétent qui apprécie
l’opportunité de l’accorder ou non.
638
En présence de plusieurs créanciers hypothécaires, le rang de chaque créancier est fixé en référence à la
date de l’inscription de sa garantie au bureau de la conservation foncière et non en référence à la date de
constitution de l’hypothèque.
639
Pierre CROCQ (s.), Le nouvel acte uniforme portant organisation des suretés : la réforme du Droit
des Sûretés de l’OHDA, Editions Lamy, Paris, 2012, page 295.
640
La créance doit être certaine, liquide et exigible et que l’immeuble ne doit pas être la résidence principale
du débiteur.
641
Le but de cette mesure est de prévenir les risques d’organisation d’insolvabilité du débiteur. Cf. Tribunal
de Première Instance de Nkongsamba, Ordonnance N° /REF du 18 mars 2009, Affaire FENGYEP René
contre la Société commerciale de Banque du Cameroun (SCB SA), Ohadata J-10-136.
144 

 
d'hypothèque conservatoire ou la demande au fond (642), même présentée sous forme
de requête à fin d'injonction de payer, faute de quoi, le débiteur peut demander au
juge la mainlevée de l’inscription provisoire (643). Le créancier peut aussi demander au
juge compétent l’autorisation d’une inscription provisoire de nantissement sur le
fonds de commerce ou sur les parts sociales et les valeurs mobilières du débiteur en
garantie de l’exécution de ses obligations conformément aux dispositions des articles
142 et 164 de l’AUS. Si le juge accorde le nantissement sur le fonds de commerce sa
mise en œuvre obéit aux dispositions relatives à la saisie conservatoire des droits
d’associés et des valeurs mobilières des articles 85 à 90 de l’AUPSRVE.
Pour sauvegarder ses droits, le créancier peut juger utile de recourir
également aux saisies conservatoires.
2°) – Les saisies conservatoires
Les saisies conservatoires sont des saisies qui ont pour objectif immédiat de
prévenir l'insolvabilité du débiteur en l'empêchant de disposer de certains biens et
donc de les dilapider ou d'en diminuer la valeur afin de les préserver au profit du
créancier. Les saisies conservatoires sont des saisies à caractère provisoire portant sur
les biens mobiliers corporels ou incorporels appartenant au débiteur (créances,
comptes, etc.) appartenant au débiteur. Elle apporte une garantie au créancier avant
que ne soit prononcé le jugement condamnant son débiteur à payer sa créance.
Lorsqu’elles portent sur une créance ayant pour objet une somme d'argent, l'acte de
saisie la rend indisponible à concurrence du montant autorisé par la juridiction
compétente. Le législateur OHADA offre le choix au créancier qui remplit
conformément aux dispositions de l’article 54 de l’AUPSRVE, les conditions
générales de saisir à titre conservatoire les biens meubles corporels ou incorporels de
son débiteur.
S’agissant alors de créanciers, victimes d’une vente clandestine du fonds de
commerce par le vendeur, ils auront deux principaux moyens à leur portée : soit
procéder à une saisie conservatoire de la créance du vendeur détenue par un tiers
(acquéreur ou séquestre), soit pour appréhender le bien (le fonds de commerce vendu
frauduleusement) qui se trouve entre les mains de l’acquéreur).
a)– Les saisies de créance du débiteur.
Lorsque le créancier du vendeur opte pour la saisie conservatoire de créance,
autrefois qualifiée de saisie-arrêt, il doit se conformer aux prescriptions des articles 77
à 84 de l'AUPSRVE. Il peut s'adresser directement à l'huissier de justice pour recourir
à la saisie conservatoire s'ils disposent d’un titre exécutoire, d’une décision de justice
non encore exécutoire, d’une lettre de change acceptée, d’un billet à ordre ou d’un
chèque ou loyer impayé. Le créancier procède à la saisie au moyen d’un acte
d’huissier ou d’agent d’exécution signifié au tiers en respectant les formalités
imposées par les articles 54 et 55 de l'AUPSRVE. S’il ne dispose pas d'un des titres
ci-dessus, il doit saisir par requête, à défaut d’accord à l’amiable, le juge de

                                                            
642
Cf. Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou, (Burkina-Faso), Jugement N° 70/08 du 19 avril, 2008,
Banque Internationale pour le Commerce, l’Industrie et l’Agriculture du Burkina BICIAB) c/ Bally Baba
SEID et PLAST AFRIC, Ohadata J-09-377.
643
Tribunal de commerce de Pointe-Noire, Ordonnance du 19/03/2008, Ordonnance de Référé n° 030,
Société Sac c/ Société SDV-Congo, Ohadata J-13-118.
145 

 
l'exécution d'une demande de saisie conservatoire, pour que les sommes saisies soient
consignées entre les mains d’un séquestre désigné par la juridiction du domicile ou du
lieu où demeure le débiteur. Dans un délai de huit jours, à peine de caducité, la loi fait
l’obligation au créancier, à l’article 79 de porter la saisie conservatoire à la
connaissance du débiteur par acte d’huissier ou d’agent d’exécution. De même, elle
oblige aussi le tiers (article 80) à fournir à l’huissier ou à l’agent d’exécution les
renseignements prévus à l’article 156 ci-après et de lui remettre copie de toutes pièces
justificatives. Les renseignements sont mentionnés dans le procès-verbal.
Le tiers saisi qui, sans motif légitime, ne fournit pas les renseignements
prévus, s’expose à devoir payer les sommes pour lesquelles la saisie a été pratiquée si
celle-ci est convertie en saisie attribution sauf son recours contre le débiteur. Il peut
aussi être condamné à des dommages intérêts en cas de négligence fautive ou de
déclaration inexacte ou mensongère. A défaut de contestation des déclarations du tiers
avant l’acte de conversion, celles-ci sont réputées exactes pour les seuls besoins de la
saisie. Les créances saisies sont ainsi bloquées entre ses mains jusqu'à la conversion
de la mesure en saisie-attribution. Cette conversion est prévue par l’article 82 de
l'AUPSRVE qui précise que muni d’un titre exécutoire constatant l’existence de sa
créance, le créancier signifie au tiers saisi un acte de conversion qui contient, sous
peine de nullité toutes mentions relatives aux saisi et au saisissant, la référence au
procès-verbal de saisie conservatoire, la copie du titre exécutoire sauf si celui-ci a
déjà été communiqué lors de la signification du procès-verbal de saisie, le décompte
distinct des sommes dues en principal, frais et intérêts échus ainsi que l’indication du
taux des intérêts et une demande de paiement des sommes précédemment indiquées à
concurrence de celles dont le tiers s’est reconnu ou a été déclaré débiteur. L’acte
informe le tiers que, dans cette limite, la demande entraîne attribution immédiate de la
créance saisie au profit du créancier.
Outre la saisie conservatoire de créances, le créancier du vendeur de fonds de
commerce dispose d’une action encore plus significative, celle portant sur le fonds de
commerce.
b) – Les saisies-appréhension du fonds de commerce.
Les créanciers peuvent pratiquer une saisie-appréhension sur le fonds de
commerce conformément aux articles 218 à 226 de l'AUPSRVE qui autorisent cette
forme de saisie sur les biens meubles du débiteur. C’est une procédure qui permet de
faire appréhender, par ministère d'huissier, un meuble corporel entre les mains de
celui qui est tenu de le restituer au créancier. Les mécanismes diffèrent lorsqu'il s'agit
de saisir entre les mains du débiteur où entre les mains du tiers acquéreur. La saisie
appréhension entre les mains du débiteur de l'obligation comporte deux actes : le
commandement de délivrer ou de restituer le bien et l'acte de constatation de la remise
volontaire ou de l'appréhension du bien. Le commandement de délivrer ou de restituer
est signifié au débiteur qui doit s’offrir à effectuer le transfert du bien à ses propres
frais dans un délai de huit jours.
Le bien peut aussi être appréhendé immédiatement, sans commandement
préalable et sur la seule présentation du titre exécutoire, si le débiteur présent refuse
l'appréhension du bien, objet de la saisie (article 220 AUPSRVE). A cet effet, l'acte
d'appréhension doit préciser que les contestations pourront être portées devant la
juridiction du lieu où demeure celui auquel le bien est retiré. L'huissier dressera un

146 

 
acte constatant soit la remise volontaire, soit l'appréhension du bien, avec description
détaillée et, si besoin, la photographie. Si la saisie appréhension est effectuée entre les
mains d'un tiers, une sommation de remettre est directement signifiée à ce tiers
(article 224). S'il refuse, le créancier ou le tiers lui-même peut saisir la juridiction
compétente dans un délai d'un mois à compter de la sommation, faute de quoi la
sommation et toutes mesures conservatoires qui auraient pu être prises sont caduques
(article 225). Si le juge ordonne la saisie du bien, celui-ci peut être appréhendé
immédiatement sur présentation de la décision judiciaire (article 226 AUPSRVE). La
saisie-appréhension conduit le plus souvent, à une saisie-vente, c’est à dire à une
vente des biens mobiliers afin de rembourser les créanciers.
B – Le recouvrement de la créance.
Les créanciers du vendeur de fonds de commerce qui ont épuisé toutes les
autres voies de recours tendant à un règlement amiable de leurs créanciers ou à la
conservation de leur droit de créance, peuvent solliciter un recouvrement forcé de
leurs créances. L'exécution forcée se concrétise par la voie de la saisie et de la vente
des biens du débiteur. A défaut d'exécution volontaire, l’article article 28 de l'acte
uniforme sur le recouvrement simplifié et voies d'exécution autorise tout créancier
disposant d’une créance certaine, liquide et exigible, quelle que soit sa nature, à saisir
et à vendre les biens de son débiteur. Les saisies sont des moyens destinés à
contraindre le débiteur défaillant à exécuter ses obligations, elles mettent en scène
plusieurs acteurs : à savoir les parties à l'exécution, l'huissier de justice et le juge en sa
qualité d'autorité de surveillance. Toutes les saisies aux fins d'exécution sont
conditionnées par l'existence d'un titre exécutoire qui, en pratique est la décision de
justice revêtue de la formule exécutoire.
L'acte uniforme sur les voies d'exécution, donne attribution au greffier de
constater l'inaction du débiteur lorsque celui-ci n'a pas expressément déclaré contester
la procédure de saisie, constat qui permet le paiement de la créance poursuivie.
Lorsque le créancier ne dispose pas d’un titre exécutoire, il doit s’adresser au juge,
pour obtenir l’autorisation de saisir les biens du débiteur défaillant pour ensuite
procéder à leur vente. Le juge doit apprécier le bien-fondé de la demande en vérifiant
si celle-ci réunit les conditions exigées par l’AUPVSRE comme l’a toujours fait le
juge communautaire (644). Mais quelle que soit les acteurs intervenant dans la
procédure de saisie, le rôle de la justice est prééminent en matière de recouvrement
forcé de créances, pour lequel le débiteur ne s’exécute que sous la pression : qu’il
s’agisse de saisie-attribution, de saisie-vente ou même de vente forcée d’un bien
meuble ou immeuble du débiteur, l’intervention de la justice est nécessaire.
Parmi toutes les mesures d’exécution forcée, les créanciers vendeurs de
fonds de commerce peuvent recourir entre autres, à la saisie-attribution des créances
pour réclamer le paiement du prix de vente du fonds de commerce (se trouvant encore
en possession d’un détenteur : l’acquéreur ou le séquestre) où à l’exécution forcée de
la créance.
1°) – La saisie attribution du prix de vente du fonds de commerce.

                                                            
644
Cf. CCJA, 1ère Chambre, Arrêt n° 016 du 25 mars 2010, Le JURIS OHADA, n° 3/2010, page 1,
commentaire, Professeur Moussa SAMB.
147 

 
Tout créancier qui ne peut ni exiger le paiement de sa créance, ni bénéficier
du privilège grevant le fonds de commerce, peut recourir à la procédure de saisie-
attribution pour réclamer le paiement du prix non encore versé qui se trouve entre les
mains d’un tiers détenteur (de l’acquéreur ou du séquestre). La saisie-attribution
comme toute saisie est un moyen très efficace de recouvrement de créance, organisé
par les articles 153 à 172 de l'AUPSRVE en application desquels, tout créancier
titulaire d'une créance liquide et exigible constatée par un titre exécutoire peut saisir la
créance de son débiteur détenue par un tiers. Le tiers détenteur peut être l'acquéreur
du fonds de commerce, mais également une personne entre les mains de laquelle, les
sommes sont consignées tel que l'huissier ou de l'agent d'exécution, le greffe, le
notaire, la banque ou l'établissement financier désigné comme séquestre au choix du
créancier saisissant. L'acte de saisie rend indisponibles les biens ou les sommes
d'argent qui en sont l'objet. Le débiteur saisi ou le tiers détenteur entre les mains de
qui la saisie a été effectuée est réputé gardien des objets saisis sous peine de sanctions
pénales organisées par les législations nationales. Cette voie d’exécution permet de
bloquer immédiatement les sommes dues au débiteur poursuivi, à hauteur du montant
des causes de la saisie et de ses accessoires, et notamment celles pouvant figurer sur
les comptes bancaires dont il est titulaire (645). L'article 157 de l’AUPSRVE indique
que le créancier qui procède à la saisie par acte d'huissier ou d'agent d'exécution doit
signifier la saisie au tiers et dans un délai de huit jours, à peine de nullité, la dénoncer
au débiteur (646). Cet acte (647) doit contenir l'indication que le débiteur peut soulever
des contestations dans le délai d'un mois de la dénonciation. Il doit enfin contenir la
défense faite au tiers débiteur de disposer des sommes réclamées et l'obligation de
déclarer l'étendue de ses obligations envers le débiteur ainsi que les modalités qui
pourraient les affecter (article 154 de l’AUPSRVE).
Le tiers saisi doit fournir à l'huissier ou à l'agent d'exécution les
renseignements utiles qui selon l’article 156, seront mentionnés sur l'acte de saisie. En
cas de négligence fautive ou de déclaration inexacte, il pourrait être condamné à des
dommages intérêts (648). En cas de pluralité de saisies-attributions de créances portant
sur le montant d’un compte chèque insuffisant pour désintéresser tous les créanciers,
le juge a décidé que les premiers saisissants sont seuls attributaires du montant, en
application de l’article 155 alinéa 2 de l’Acte uniforme susvisé qui dispose en
substance que « la signification ultérieure d’autres saisies ou de toute autre mesure
de prélèvement, même émanant de créanciers privilégiés, ne remettent pas en cause
cette attribution… » (649). En outre, elle a annulé la décision d’une juridiction d’Appel

                                                            
645
Elle s’apparente à l’ATD (Avis à Tiers Détenteurs) pratiqué pour le recouvrement de l’impôt.
646
Cf. OHADA, Traités et Actes Uniformes commentés et annotés, Juriscope, 2012, page 1065.
647
Doit contenir sous peine de nullité l'indication des mentions relatives aux parties en cause, au titre ou à
l'autorisation judiciaire en vertu de laquelle la saisie est effectuée, le décompte des sommes pour lesquelles
elle est pratiquée.
648
Pour déclarations tardives, cf. Tribunal de commerce Kinshasha Gombé Ordonnance du juin 2013,
Société Standard Bank RDC SARL c/ CELTEL CONGO SARL, Observations Joseph KAMGA, Ohadata
J-14-25.
649
CCJA, Arrêt n° 001, 8-1-2004 : SGBC c/ HOLLYWOOD HOTEL, Le JURIS OHADA, n° 1/2004,
Janvier-mars 2004, p. 2, note Brou Kouakou Mathurin et Arrêt n° 032/2005 du 26 mai 2005, Affaire
BAKOU GONAHO François c/ DEBENEST.
148 

 
qui a ordonné, en méconnaissance des dispositions de l’article 144 de l’AUPSRVE,
l’annulation de la saisie et la restitution des biens saisis après la distribution du prix de
vente des véhicules qui ont fait l’objet d’une saisie-vente régulière (650). Le tiers saisi
procède au paiement des sommes saisies sur présentation d'un certificat de greffe
attestant qu'aucune contestation n'a été formée dans le mois suivant la dénonciation de
la saisie ou sur présentation de la décision exécutoire de la juridiction rejetant la
contestation (651).
Le paiement peut également avoir lieu avant l'expiration du délai de
contestation si le débiteur a déclaré par écrit ne pas contester la saisie (article 164 de
l'AUPSRVE). Le paiement est effectué contre quittance entre les mains du créancier
saisissant ou de son mandataire justifiant d'un pouvoir spécial qui en informe
immédiatement son mandant. En conséquence, l’attribution ne peut dépasser le
montant de la dette du tiers saisi envers le débiteur saisi et dans la limite des sommes
versées, ce paiement éteint l'obligation du débiteur et celle du tiers saisi. En cas de
contestation, toute partie peut demander à la juridiction compétente, sur requête, la
désignation d'une séquestre, à qui le tiers saisi versera les sommes saisies. En cas de
refus de paiement par le tiers saisi des sommes qu'il a reconnu devoir ou dont il a été
jugé débiteur, la contestation est portée devant la juridiction compétente (par voie
d'assignation, dans le délai d'un mois à compter de la dénonciation de la saisie au
débiteur) qui peut délivrer un titre exécutoire contre le tiers saisi. Le débiteur saisi qui
n'aurait pas élevé de contestation dans le délai prescrit peut agir en répétition de l'indu
devant la juridiction du fond compétente selon les règles applicables à cette action. La
décision de la juridiction tranchant la contestation est susceptible d'appel dans les
quinze jours de sa notification.
En plus de la saisie-attribution, le créancier du vendeur de fonds de
commerce a la faculté d’exiger du débiteur le paiement de sa créance.
2°) – L’exécution forcée.
L’exécution forcée de la créance consiste pour le créancier impayé du
vendeur de fonds de commerce de s’adresser à la juridiction compétente pour obtenir
la condamnation du débiteur au paiement de sa dette. Le législateur OHADA a
organisé des procédures qui lui permettent d’obtenir un règlement rapide et imminent
de ses créances, à travers la procédure de l’injonction de payer ou celle de la saisie
des biens mobiliers (ou immobiliers) qui sera transformée en une vente forcée du
fonds de commerce.
a) - L’injonction de payer.
Les créanciers du vendeur de fonds de commerce qui souhaitent obtenir un
paiement rapide de leurs créances peuvent au préalable opter pour l’application des
                                                            
650
CCJA, 1ère Chambre, Arrêt n° 04 du 12 novembre 2009, Affaire MTN-CI anciennement LOTENY
TELECOM CI SOCIETE de TRANSPORT ABIDJANAIS, dite SOTRA.SA, Ohadata J-10-304 et Arrêt
n° 019/2011 du 06 décembre 2011, Affaire CHEM IVOIRE c/ ADAM MAHAMAN, Ohadata J-13-163.
651
Si le tiers est un établissement bancaire ou un établissement financier assimilé, l’AUPSRVE lui impose
l'obligation de déclarer dans le délai de 15 jours qui suit la saisie, l’état du compte bancaire du débiteur et
les soldes du jour de la saisie à cette date. Ce qu’avait retenu la Cour communautaire qui a déclaré valable
le paiement fait par ECOBANK MALI en application des articles 161, alinéa 1er et 162, des causes de la
saisie entre les mains de l’huissier poursuivant. CCJA, 1ère Chambre, Arrêt n° 008/2011 du 25 août 2011,
Affaire ECOBANK-MALI contre KEMPINSKI EL FAROUK, Ohadata J-13-160.
149 

 
dispositions des articles 1 à 18 relatives à la procédure d’injonction de payer. Aux
termes de l’article 1er de l’AUPSRVE, « le recouvrement d’une créance certaine,
liquide et exigible peut être demandé suivant la procédure d’injonction de payer ».
L’injonction de payer est une procédure judiciaire rapide et peu onéreuse qui permet à
un créancier de contraindre son débiteur à honorer ses engagements. La première
phase de cette procédure n'est pas soumise au principe du contradictoire, puisque le
créancier peut obtenir l'ordonnance d'injonction de payer alors que le débiteur n'est
pas avisé de la procédure. La procédure d’injonction de payer est adressée au moyen
d’une simple requête (652), à la juridiction compétente du domicile ou du lieu où
demeure effectivement le débiteur ou l'un d'eux en cas de pluralité de débiteurs. La
requête doit contenir à peine d'irrecevabilité des indications relatives à l'identité, à la
profession et au domicile des parties ou pour les personnes morales, leurs formes,
dénomination et siège social, l’indication précise du montant de la somme réclamée
avec le décompte des différents éléments de la créance ainsi que le fondement de
celles-ci.
L’article 2 de l’AUPSRVE indique que la procédure d’injonction de payer ne
peut être introduite lorsque la créance a une cause contractuelle ou lorsqu’elle résulte
de l’émission ou de l’acceptation de tout effet de commerce ou d’un chèque dont la
provision s’est révélée inexistante ou insuffisante. La demande ainsi que les pièces
justificatives qui l’accompagnent sont soumises à l’examen du Président de la
juridiction compétente, qui, au vu des documents produits, lorsque la demande lui
paraît fondée en tout ou partie, rendra une ordonnance portant injonction de payer
pour la somme retenue, par laquelle il adjoindra au débiteur de s'acquitter de sa dette
dans un délai déterminé. S’il rejette en tout ou en partie la requête, sa décision est
sans recours pour le créancier, sauf à celui-ci de procéder selon les voies de droit
commun. La décision portant injonction de payer ainsi qu’une copie certifiée
conforme de la requête doivent être notifiées au débiteur par acte extrajudiciaire dans
un délai maximal de trois mois à compter de sa date sous peine de caducité. A la
réception de l’ordonnance, le débiteur peut contester l'ordonnance d'injonction, par
voie d'opposition, auprès du tribunal qui l'a rendue (653).
Mais comme cette mesure urgente n’aboutit pas souvent à un règlement
définitif de la créance, on constate que les créanciers du vendeur de fonds de
commerce tentent de recourir à d’autres procédures légales de recouvrement de leur
créance, notamment à la vente sur saisie du fonds de commerce.
b) - La vente sur saisie du fonds de commerce.
Les créanciers du vendeur de fonds de commerce peuvent décider de la vente
judiciaire du fonds de commerce, en adressant une demande au tribunal de commerce
dans le ressort duquel s'exploite ledit fonds. Cette vente judiciaire du fonds intervient
sous forme de conversion de saisie-exécution d'éléments isolés du fonds de commerce

                                                            
652
CA Niamey, n° 141 du 28-11-2002, Abdoulaye Baby Bouya c/ SONIBANK, Ohadata J-03-258, obs.
Joseph ISSA SAYEGH.
653
L’opposition selon l’article 10, alinéa 1er doit être formée dans les quinze jours qui suivent la
signification de la décision portant injonction de payer. Ce délai est augmenté, éventuellement des délais de
distance. Cf. Cour d’Appel de Zinder, Chambre judiciaire, Arrêt n° 27 du 27 avril 2006, Affaire SSC c/
Elhadji A.A. à Agadez, Ohadata, J-10-290.
150 

 
dans la mesure où, le fonds de commerce est un bien insaisissable (en raison de son
utilité pour le débiteur). Les créanciers qui ont régulièrement pratiqué la saisie-vente
sur des éléments corporels du fonds de commerce appartenant à leur débiteur, peuvent
demander à la juridiction compétente, l’autorisation de procéder à la vente forcée du
fonds. Cette opération qui résulte de la procédure organisée par les articles 91 et
suivants de l'Acte uniforme (654), a vocation à s'appliquer à tous les biens meubles
corporels du débiteur, peu importe qu'ils soient en sa possession ou détenus par un
tiers (655). A l'issue de la procédure qui débute par un commandement de payer, le
débiteur en cas de non-paiement procède lui-même à la vente amiable de ses biens
saisis. Il doit notifier sa décision aux créanciers qui disposent d’un délai de quinze
jours pour prendre le parti d’accepter la vente amiable, de la refuser ou de se porter
acquéreurs. En l’absence de réponse, ils sont réputés avoir accepté. A l'expiration du
délai d'un mois prévu à cet effet, le créancier est autorisé à procéder à leur vente
forcée. Tout créancier réunissant les conditions prévues par l’article 91 peut se joindre
à une saisie déjà pratiquée sur les biens du débiteur, par le moyen d’une opposition,
en procédant, au besoin, à une saisie complémentaire. Aucune opposition ne peut être
reçue après la vérification des biens (article 130). La vente sur saisie est une
procédure offerte à tous les créanciers, y compris au Trésor Public (656), tant que les
objets saisis ne sont pas vendus qui leur permet de demander au tribunal de commerce
dans le ressort duquel le fonds est exploité, la vente du fonds du débiteur saisi avec le
matériel et les marchandises qui en dépendent. Cette forme de vente forcée du fonds
sur saisie très usitée en droit français (657) est rarement pratiquée en droit OHADA.
Cette procédure qui a pour effet d'immobiliser les biens en vue de leur vente, aura
pour avantage de faciliter le paiement du créancier sur le prix de la vente des biens
saisis et du fonds de commerce.
Aussi, le législateur OHADA a aussi aménagé une procédure particulière
applicable aux créanciers du vendeur de fonds de commerce disposant d’une sûreté
sur cet élément important du patrimoine du débiteur leur permettant de réaliser leur
nantissement.
2) - La réalisation du nantissement sur fonds de commerce.
Le nantissement du fonds de commerce est l’acte de disposition par lequel le
propriétaire d’un fonds de commerce affecte celui-ci à titre de garantie au paiement
d’une dette. Il est constitué au profit de tout créancier par le propriétaire du fonds de
commerce qui reste en possession de son bien, malgré la constitution de cette sûreté
(658)
. A l’instar de toute sûreté réelle, le nantissement du fonds de commerce est
l’accessoire d’une créance, qu’elle soit liée ou non à l’exploitation du fonds de
commerce (la créance peut être présente ou future, à condition qu’elle soit
                                                            
654
TGI Hors Classe de Niamey, Ordonnance de Référé n° 35 du 10/02/2009, Juricaf.
655
Sous la seule réserve qu'ils ne soient pas déclarés insaisissables (à l’exemple du fonds de commerce
considéré comme un bien insaisissable du fait qu’il est affecté à l’exploitation d’une activité commerciale).
656
Pour l'exécution de sa créance fiscale, l'article 1135 du Code général des Impôts du Niger, impose au
Receveur des Impôts, l'obligation de pratiquer la saisie des éléments corporels du fonds de commerce avant
de procéder à la vente globale du fonds de commerce.
657
Réglementée aux Articles L 143-3 et suivants du Code de commerce français.
658
Le fonds de commerce est un instrument de travail essentiel dont le débiteur ne peut se priver, sa
localisation dans l’espace rend inutile la dépossession.
151 

 
déterminable). D’ailleurs, tout comme le nantissement judiciaire, le nantissement
conventionnel (659) doit être constaté sous peine de nullité, dans un écrit comportant
certaines mentions obligatoires décrites par l’article 163 de l’AUS (660). Il n’est
opposable aux tiers que s’il est inscrit au Registre du Commerce et de Crédit Mobilier
dans les conditions prévues par les articles 51 à 56 de l’AUS.
Ainsi, le juge OHADA exige toujours des créanciers en plus de la
justification d’un nantissement régulier établi dans le respect des formalités prescrites
par les articles 55 à 56 et 163 de l'AUS, un écrit et une inscription de leur sûreté, au
titre des conditions essentielles de validité entre les parties et, d'opposabilité aux tiers
(661)
. Il s'oppose à la réalisation du nantissement, lorsque le créancier n'arrive pas à
apporter la preuve d'une créance, certaine, liquide et exigible en application de
l'article 1er de l'AUPSRVE ou à démontrer que le fonds de commerce en cause a fait
l’objet d’un nantissement à son profit ou que le débiteur est propriétaire du fonds
nantis (662). Pour la réalisation de leur créance, tous les créanciers (qu’ils soient
inscrits ou non) ont les mêmes droits, la distinction n’intervient seulement qu’au
moment de la distribution du prix de vente, pour laquelle, les créanciers inscrits
disposent d'une priorité de paiement sur les créanciers chirographaires. Ces derniers
ne seront payés que proportionnellement au montant de leurs créances, au marc le
franc, après avoir désintéressé les premiers. En plus, le créancier nanti bénéficie
comme les autres créanciers inscrits, d’un droit de suite, d’un droit de préférence et
d’un droit de réalisation qu’il exerce conformément aux dispositions de l’AUS.
Dès lors qu’il est régulièrement constitué, le nantissement confère à son
titulaire des privilèges et un droit de réalisation.
a) - Les privilèges du créancier nanti.
A l’instar de tous les autres créanciers inscrits, les créanciers nantis dispose
d’un droit de suite et d’un droit de préférence qu’ils exercent conformément aux
dispositions des articles 97, alinéa 2 et 226 de l’AUS. Le droit de suite va permettre
au créancier nanti de faire saisir le fonds de commerce tout entier et non de certains

                                                            
659
Aux termes de l’article 162 « Le nantissement du fonds de commerce est la convention par laquelle le
constituant affecte en garantie d'une obligation, les éléments incorporels constitutifs du fonds de commerce
à savoir la clientèle et l'enseigne ou le nom commercial. Le nantissement peut aussi porter sur les autres
éléments incorporels du fonds de commerce tels que le droit au bail commercial, les licences d'exploitation,
les brevets d'invention, marques de fabrique et de commerce, dessins et modèles et autres droits de la
propriété intellectuelle. Il peut également être étendu au matériel professionnel., etc… ».
660
Aux termes de l’article 163 de l’AUS, «… :
1°) la désignation du créancier, du débiteur et du constituant du nantissement si celui-ci n’est pas le
débiteur ;
2°) la désignation précise et le siège du fonds et, s’il y a lieu de ses succursales ;
3°) les éléments du fonds nanti ;
4°) les éléments permettant l’individualisation de la créance garantie tels que son montant ou son
évaluation, sa durée et son échéance.
661
Cf. Tribunal Régional Hors Classe de Dakar, jugement civil n° 1999 du 3 décembre 2003, la SFE ex
SOGECA c/BARA DIOP, Ohadata J-04-276 ou encore, Tribunal de Première Instance de Daloa,
ordonnance de référé n° 28 du 07 septembre 2005, affaire EDK c/ M I, Ohadata, J-07-34.
662
Cf. Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou, Jugement n° 437 du 2 octobre 2005, Société
GS/Banque X, Jurismania et dans le même sens, Tribunal de première instance de Daloa, Jugement n° 29
du 7 septembre 2005, Affaire H.A.T c/ M.I, Ohadata J-07-19.
152 

 
de ses éléments (663), entre les mains de quelque personne que ce soit, y compris un
acquéreur de bonne foi. Le créancier nanti va primer les bénéficiaires inscrits après la
cession, en garantie des dettes de l’acquéreur. Il importe aussi de souligner que « le
droit de suite pourra être exercé par le créancier nanti, sans que ce dernier ait besoin
de faire opposition au paiement du prix de cession de fonds ou même de déclarer sa
créance en cas de redressement judiciaire de l’acquéreur » (664). Le droit de
préférence du créancier nanti s’exerce conformément à l’ordre de paiement organisé
par l’article 226 de l’AUS. Dans l’hypothèse d’une pluralité de créanciers nantis ou
bénéficiant du privilège du vendeur d’immeuble, celui qui dispose de l’inscription la
plus ancienne sera désintéressé en priorité à hauteur de l’intégralité de sa créance.
Contrairement au droit français, le droit de préférence va s’exercer par déduction de
l’article 150 de l’AUDCG (665) sur le prix de de revente de manière indistincte.
En plus de ces privilèges, le créancier nanti dispose d’un droit de réalisation
de sa créance.
b) – Le droit de réalisation de la créance nantie.
Pour la réalisation de sa créance conformément aux dispositions de l'article
104 de l'AUS, le créancier nanti ne peut demander l’attribution judiciaire du fonds de
commerce en raison de sa nature particulière, mais peut seulement recourir à la vente
forcée du fonds de commerce en application des dispositions de l’AUPSRVE (666).
Aux termes l’article 120 de l’AUPSRVE, la vente forcée est effectuée aux enchères
publiques, par un auxiliaire de justice habilité par la loi nationale de chaque État
partie, soit au lieu où se trouvent les objets saisis, etc. C’est ainsi qu’un juge national
a cautionné une vente forcée aux enchères publiques pratiquée à la suite de la saisie-
vente sur les matériels et outillages d'une station essence comme constituant une
cession de fonds de commerce (667). La procédure de la vente forcée est soumise à la
publicité qui est effectuée par affiches indiquant les lieu, jour et heure de celle-ci et la
nature des biens saisis. L’adjudication est faite au plus offrant après trois criées. Le
prix est payable comptant, faute de quoi, l’objet est revendu à la folle enchère de
l’adjudicataire. La vente est arrêtée lorsque le prix des biens vendus assure le
paiement du montant des causes de la saisie et des oppositions, en principal, intérêts
et frais. Le créancier sera alors désintéressé de sa créance sur le prix de la vente forcée
du fonds de commerce. Néanmoins, la distribution du prix de vente obéit à la
procédure prévue par l'AUPSRVE qui organise la répartition selon qu'il y ait un ou

                                                            
663
Dans ce cas, il peut seulement y avoir déchéance du terme.
664
Pierre CROCQ (s.), Le nouvel acte uniforme portant organisation des suretés : la réforme du Droit
des Sûretés de l’OHDA, op. cit. page 260.
665
Qui prévoit que l’acte constatant la cession de fonds de commerce doit préciser le prix convenu, sans
qu’il ne soit fait de distinctions.
666
Le droit français organise à l’article L.143-13 du Code de commerce, une procédure de surenchère du
1/10è au profit des créanciers nantis qui ne pouvant s’opposer à la vente du fonds de commerce dans son
entier, peuvent déclencher une vente aux enchères publiques dans laquelle, ils vont pour former une
surenchère au 1/10ème du prix global figurant dans l’acte de vente. Ils seront les premiers enchérisseurs
pour un montant égal au prix de vente plus le dixième.
667
TGI Banfora, n°17, 4-4-2003 : Dame KONE née OUEDRAOGO Azéta c/ Sté S.K.I, Ohadata J-04-60.
153 

 
plusieurs créanciers (668). Le règlement des créanciers doit être effectué dans le délai
de quinze jours à compter de la réception de l’accord.
Dans le même délai, le solde est remis au débiteur. Lorsque les créanciers
n’ont pas pu s’entendre sur une répartition consensuelle dans le délai d’un mois qui
suit le versement du prix de vente par l’adjudicataire, le créancier le plus diligent peut
provoquer une répartition judiciaire du prix, en saisissant le juge compétent. C’est
donc à bon droit qu’une action initiée dans ce sens a été déclarée recevable pour avoir
été formée dans les conditions fixées par l'article 325 de l'AUPSRVE (669). La décision
de répartition est susceptible d’appel dans les quinze jours de sa signification et selon
les conditions prévues à l’article 333.

                                                            
668
A cet effet, l’article 324 précise que : «En présence d’un créancier unique, le produit de la vente lui est
remis à concurrence de la somme à recouvrer et le solde éventuel est versé au débiteur). Dans l’hypothèse
d'une pluralité de créanciers inscrits ou privilégiés, ceux-ci peuvent s’entendre sur une répartition
consensuelle du prix de la vente. Dans ce cas, ils adressent leur convention sous seing privé ou sous forme
authentique au greffe ou à l’auxiliaire de justice qui détient les fonds ».
669
TRHC Dakar, n° 319, 15-3-2001 : Distribution du prix d’adjudication du TF n° 9795/DG saisi sur
LOBATH FALL par la S.G.B.S, Ohada.com/Ohadata J-05-44.
154 

 
Conclusion :
Pour atteindre l’objectif de la garantie de la sécurité juridique et judiciaire
accordée aux investisseurs dans l'espace OHADA, le législateur s’est efforcé
d’élaborer une réglementation de la vente du fonds de commerce en imposant à
l’acquéreur dans l’AUDCG, l’obligation de publier la vente du fonds de commerce,
pour leur permettre d’exercer les prérogatives d’opposition et de surenchère. Cette
réglementation qui constitue le fondement juridique de la protection des créanciers du
vendeur de fonds de commerce même renforcée par des garanties instituées dans
l’Acte Uniforme portant Sûreté (AUS) facilitant la constitution des sûretés sur le
fonds de commerce est insuffisante. Certes, pour obtenir plus facilement du crédit, le
débiteur propriétaire du fonds de commerce, va consentir un nantissement sur celui-ci,
lui permettant de poursuivre l’exploitation du fonds de commerce nanti, malgré la
constitution de la garantie. En dépit de cette volonté du législateur communautaire de
garantir la sécurité juridique et judicaire aux investisseurs nécessaires au
développement du crédit dans l’espace OHADA, les créanciers du vendeur de fonds
de commerce ne bénéficient pas de la plénitude d’une protection somme toute limitée,
tant du point de vue légale que judicaire.
Certes d’un point de vue formel, le législateur OHADA a élaboré des règles
qui consacrent l’institution des prérogatives qui permettent aux créanciers de se
prémunir contre la mauvaise foi du vendeur de fonds de commerce, mais ces
prescriptions légales n’assurent pas une entière sécurité juridique aux créanciers du
vendeur de fonds de commerce qui sont souvent exposés à des risques d’insécurité
auxquels les exposent leur débiteur qui n’hésitent pas à recourir la fraude de leurs
droits. Pour combler une telle lacune juridique, le législateur renvoie aux actions de
droit commun dites actions de protection du patrimoine (actions paulienne, en
déclaration de simulation, déchéance de terme, action directe, etc.). Mais ces actions
qui relèvent du droit commun des obligations n’assurent une garantie efficace que
lorsqu’elles sont complétées par des procédures de droit commun des voies
d’exécution –AUPRSVE) qui permettent aux créanciers de se prémunir contre la
mauvaise foi du vendeur de fonds de commerce. Or, le recours aux procédures
d’exécution, à l’exception de la vente forcée du fonds de commerce, ne tend qu'à la
conservation des droits des créanciers dans le patrimoine du débiteur et non à
l’exécution forcée de leur créance.
D’ailleurs, les voies d'exécution ne comportent pas de procédure qui
autoriserait directement la saisie d'un fonds de commerce, les créanciers ne peuvent
que procéder à saisie de certains éléments du fonds aux fins de conversion en vente
forcée du fonds de commerce. Quoi qu’il en soit, l’apport limité du droit primaire
OHADA en matière de sécurisation juridique des créanciers du vendeur a un impact
certain sur le droit dérivé jurisprudentiel. En effet, la finalité du droit OHADA est de
parvenir à l’institution d’un système juridique constitué de normes directement
applicables et obligatoires dont l’unification est assurée par la CCJA. Mais comment
garantir la sécurité juridique et judiciaire en présence d’une réglementation inachevée
? La Cour n’assumera complètement sa mission de garante de la sécurité judiciaire
des justiciables dans l’espace OHADA que lorsque le législateur opère une refonte
des textes en prenant en compte dans sa réglementation tous les abus susceptibles
d’affecter les droits de créance.

155 

 
PLAN

I – Les prérogatives légales accordées aux créanciers du vendeur de fonds de


commerce
A - Dans une vente régulièrement publiée.
1 - Le droit d'opposition des créanciers.
a) - Les conditions de l'opposition.
b) - Les effets de l'opposition.
2 - Le droit de surenchère.
a) - Les conditions de la surenchère.
b) - Les effets de la surenchère.
B - Dans une vente non publiée.
1) – La déchéance du terme.
2) – L’action paulienne.
a) – Conditions.
b) Effets.
II - Les garanties de paiement instituées au profit des créanciers du vendeur du
fonds.
A – L’adoption des mesures conservatoires.
1°) – Les sûretés judiciaires.
2°) – Les saisies conservatoires.
a) – Les saisies de créance du débiteur.
b) – Les saisies-appréhension du fonds de commerce.
B – Le recouvrement de la créance.
1. – L’exécution forcée en vue du recouvrement de la créance.
a) – La saisie attribution du prix de vente du fonds de commerce.
b) - La vente sur saisie du fonds de commerce.
3) - La réalisation du nantissement sur fonds de commerce.
a) – Les privilèges des créanciers nantis.
b) Le droit de réalisation de la créance nantie.

156 

 
L’INFRACTION D’ATTEINTE AU PATRIMOINE DES ENTREPRISES
PUBLIQUES ET PARAPUBLIQUES DANS L’ESPACE OHADA
Par
Dr. KENGUEP Ebénézer
Chargé de cours à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Université de Douala et
FOKOU Eric
Doctorant Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Université de Douala

Le droit pénal des affaires reste encore, en dépit des prémices d’une
construction législative, largement embryonnaire dans l’espace OHADA670. Cette
construction inachevée rend encore plus complexe la mise en œuvre de la lutte contre
la délinquance en col blanc, entrave considérable à la promotion d’une éthique des
affaires, idéal de plus en plus recherché dans l’assainissement du climat sans cesse
vicieux des affaires au sein de l’espace communautaire. Cette difficulté voire ce défi
sécuritaire est d’autant plus rédhibitoire que le processus d’incrimination ainsi que de
la répression reste déjà assez complexifié par la décomposition de l’élément légal des
infractions, embrigadé entre le droit communautaire et le droit pénal national. En
effet, tandis que l’incrimination relève de la compétence du législateur
communautaire, la sanction quant à elle reste l’apanage du législateur de chaque Etat
membre avec toutes les subséquences671 et contingences socio-politico-économiques
que cela engendre. Cet état de fait et de droit somme toute lacunaire a donc fait naître
indirectement une désuniformisation voire une inefficacité de la politique pénale672
                                                            
670
Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires créée à par un Traité signé à Port-
Louis (Ile Maurice) le 17 octobre 1993 et entré en vigueur le 18 septembre 1995. Institution d’intégration
juridique à vocation économique, elle regroupe à ce jour 17 Etats dont le Benin, le Burkina Faso, le
Cameroun, le Congo (Brazzaville), la Côte d’ivoire, le Gabon, la Guinée, la Guinée Bissau, la Guinée
équatoriale, le Mali, le Niger, La République centrafricaine, la République Démocratique du Congo, le
Sénégal, le Tchad, le Togo, l’Union des Comores. Elle reste par ailleurs ouverte à l’adhésion de tous les
pays membres de l’Union Africaine et même non membres (sous réserve d’un commun accord des Etats
signataires) en vertu de l’article 53 du Traité. Sur la genèse de l’OHADA, V. AKOUETE-AKUE (M),
« Histoire de l’OHADA », « Communication au Colloque OHADA et lutte contre la corruption », Bâle, 29
Février 2008 et THERA (F), La reforme de l’AUPCAP, Thèse soutenue à l’Université Jean Moulin Lyon 3
le 6 Décembre 2010, Introduction p.1 s.

671
Le partage de la compétence pénale entre le législateur communautaire et les législateurs nationaux
conduit aussi à un éclatement du contentieux entre les juridictions nationales, compétentes pour le
contentieux de la sanction et la CCJA, compétente pour le contentieux de l’incrimination. Un contentieux
difficile donc à mettre en œuvre. V. KITIO (E), « Le contentieux du droit pénal des affaires devant les
hautes juridictions nationales et devant la CCJA », in Revue de l’ERSUMA n° 2 mars 2003 p. 309 s et
FOMETEU (J), « Le clair-obscur de la répartition des compétences entre la cour commune de justice et
d’arbitrage de l’OHADA et les juridictions nationales de cassation » in JuridisPériodique n°73, janv.-févr.-
mars 2008, p. 95 s.
672
L’inefficacité de la politique pénale OHADA est en partie due à nombre d’entraves intrinsèques dont la
relative insuffisance d’incriminations, les incriminations fleuves et évasives, l’imprécision de la
qualification, l’immunité pénale de fait des personnes morales, l’indétermination de la juridiction
compétente et/ou de la loi applicable, la disparité de sanctions à l’échelle communautaire, le silence
répressif de certains Etats parties et un corps judiciaire pas toujours probe et compétent.
157 

 
loin de l’uniformité et de la sécurité juridiques souscrites et escomptées par les Etats
membres au traité fondateur673. La disparité des sanctions voire le presque silence
répressif de certains législateurs nationaux674 restant comme une épée de Damoclès
qui laisse directement planer le risque d’une balkanisation de la politique répressive
dont les épines tentaculaires laissent poindre à l’horizon des pays refuges mieux des
paradis pénaux et inversement des enfers pénaux à l’échelon communautaire.
L’infraction d’atteinte au patrimoine des sociétés commerciales d’Etat675
constitue sans conteste un paradoxe révélateur du conflit sans doute délétère de
qualification voire de loi pouvant ainsi naître aussi bien à la constatation qu’à la
répression de celle-ci. Comme en témoigne le droit camerounais, les poursuites
engagées depuis plus d’une décennie dans l’espace OHADA contre les dirigeants des
sociétés commerciales d’Etat ont donné lieu à une acerbe polémique autour de la
véritable qualification de cette infraction et surtout du droit pénal applicable. En effet,
ayant pris acte de ce que l’assainissement de l’environnement des affaires doit
transiter par une lutte effrénée et drastique contre toute forme de prévarication dans
tous les secteurs de l’économie, les législateurs nationaux et communautaire ont
aussitôt pris, chacun à sa mesure, le taureau par les cornes. Ce qui s’est traduit
notamment au Cameroun et dans la quasi-totalité des Etats membres de l’OHADA à
travers le renforcement sous le couvert de la protection des biens et des deniers
publics du dispositif répressif de l’infraction d’atteinte au patrimoine des entreprises
publiques et parapubliques676. Au niveau régional, le législateur communautaire a

                                                                                                                                              

673
V. Préambule du Traité de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires signé à
Port-Louis (Ile Maurice) le 17 octobre 1993 et révisé au Québec (Canada) le 17 Octobre 2008 où les Etats
signataires se déclarent « persuadés que la réalisation de ces objectifs supposent la mise en place dans leurs
Etats d’un droit des affaires harmonisé, simple, moderne et adapté afin de faciliter l’activité des
entreprises ; conscients qu’il est essentiel que ce droit soit appliqué avec diligence, dans les conditions
propres à garantir la sécurité juridique des activités économiques, afin de favoriser l’essor de celles-ci et
d’encourager l’investissement » ; AKOUETE-AKUE (M), « Communication au Colloque OHADA et
lutte contre la corruption », Bâle, 29 février 2008.

674
A titre de rappel, seuls les législateurs sénégalais à travers la loi n° 98-22 du 26 mars 1998, camerounais
à travers la loi n° 2003/008 du 10 juillet 2003portant répression des infractions contenues dans certains
Actes Uniformes OHADA et centrafricain par la loi n° 10.001 du 06 janvier 2010 portant Code pénal
centrafricain ont déjà rendu effectif même si de façon polémique leur système de sanction des infractions
relatives au droit communautaire conformément à l’article 5 alinéa 2 du Traité de Port-Louis.

675
L’appellation sociétés commerciales d’Etat est entendue ici lato sensu comme englobant aussi bien les
entreprises publiques que parapubliques. Les sociétés publiques sont des entreprises commerciales dans
lesquelles l’Etat est unique actionnaire contrairement aux sociétés parapubliques autrement appelées
sociétés d’économie mixte où l’Etat concourt avec les particuliers, personnes physiques ou morales à
l’actionnariat. L’Etat étant ici conçu lato sensu comme intégrant toutes les personnes morales de droit
public (administration centrale, collectivités territoriales et décentralisées, établissements publics
administratifs, commerciaux et industriels).
676
Au Cameroun notamment sous la pression irrésistible des bailleurs de fonds et des organisations non
gouvernementales, une vaste campagne de lutte contre la délinquance en col blanc a donné lieu à la
fameuse « opération épervier », initiative conjointement entreprise par le gouvernement central et le
pouvoir judiciaire sous l’égide des organismes aussi caricaturaux, fantomatiques et superfétatoires que
l’Agence Nationale d’Investigation Financière, la Commission Nationale Anti Corruption, le Conseil de
158 

 
quant à lui et comme par conventionnalisme incriminé tout acte constitutif d’abus de
biens et du crédit d’une société commerciale sous la bannière de l’article 891 de
l’Acte Uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt
économique (AUDSCGIE) dont les dispositions rappellent à maints égards l’esprit du
droit commercial français677. Ce faisant, l’incertitude restait vivement entière quant à
la soumission des entreprises commerciales d’Etat au régime des sociétés
commerciales678 tel que configuré par l’AUDSCGIE sans égard aux dispositions
législatives et réglementaires antérieures ou postérieures leur conférant un statut
particulier679. Une incertitude qui se pose donc tout singulièrement quant à
l’inculpation des auteurs d’atteinte au patrimoine desdites entreprises notamment pour
ce qui est de la qualification de cette infraction. Au fait quel est le droit pénal
applicable en cas d’atteinte par un dirigeant social au patrimoine d’une entreprise
publique ou parapublique ? S’agit-il d’un détournement de biens publics ou d’un abus
de biens sociaux ? Des questionnements qui conduisent logiquement à s’intéresser à
l’épineux écueil du régime juridique des sociétés commerciales d’Etat quant à savoir
si elles sont assujetties ou non à l’AUDSCGIE ou si elles ne le sont pour le moins
qu’en partie. Car bien qu’étant des entreprises commerciales devant être soumises aux
dispositions de cet AUDSCGIE au sens de son article 1er, il n’en demeure pas moins
vrai que ces sociétés commerciales d’Etat demeurent sous l’égide des dispositions
législatives et réglementaires auxquelles elles étaient assujetties aux termes de
l’article 916 du même Acte Uniforme. Deux tendances s’affrontant non sans raison à
ce sujet.
                                                                                                                                              

Discipline Budgétaire et Financière, le Contrôle Supérieur de l’Etat, la Chambre des Comptes de la Cour
Suprême et tout récemment le Tribunal Criminel Spécial, censée de façon transparente traduire du plus haut
sommet de l’Etat aux tréfonds de la fonction publique et des entreprises publiques et parapubliques les
prédateurs des deniers publics en justice afin de réintégrer l’Etat dans ses droits mais s’apparentant
dorénavant à un véritable processus d’élimination politique ou s’entremêlent rivalités politico-tribales et
incompétence judiciaire et où la corruption, la concussion, la prévarication et la violation de la présomption
d’innocence atteignent leur plus haut paroxysme sous le sceau d’un théâtralisme judiciaire sans précédent.
Pour nombre d’observateurs avertis, si l’échec ou l’inefficacité de la lutte contre le détournement des
deniers publics au Cameroun relève absolument d’une erreur de diagnostic et de thérapie, la sans cesse
politisation de « l’opération épervier » place sans nul doute la justice entre le marteau et l’enclume. Quel
objectivisme judiciaire peut-on en réalité attendre d’un subjectivisme politique ? Sur les échos de
« l’opération épervier », cf. spéc. Jeune Afrique Economie n° 388, Eté 2012, « BIYA laisse la justice
trancher », 95 pages d’enquête exclusive de JAE p. 8-113.

677
Le législateur communautaire reprend ici mutatis mutandis la formule des dispositions des articles 425
et 437 de la loi française n° 66/537 du 24 juillet 1966.

678
R. SOCKENG a pu s’interroger à juste titre qu’ : « On peut se demander si l’article 891 est applicable
aux sociétés d’Etat commerciales ? », SOCKENG (R), Droit pénal des affaires OHADA, 1re édition
UNIDA mars 2007 p. 96.

679
Les dispositions de l’alinéa 3 de l’article 1er ayant tempéré sur la soumission des sociétés commerciales
aux dispositions de l’AUDSCGIE qui demeurent néanmoins assujetties aux lois nationales qui ne lui sont
pas contraires. Doit-on pour autant de façon incidente considérer que les dispositions du droit pénal de
chaque Etat partie qualifiant de détournement des biens publics les atteintes au patrimoine des sociétés
commerciales d’Etat sont conformes voire conciliables aux dispositions de l’AUDSCGIE notamment de
l’article 891 ?
159 

 
La première, dite nationaliste plaide pour l’application du droit pénal national et
la seconde, dite communautariste milite en faveur de l’application du droit pénal
OHADA tel que issu notamment de l’article 891 de l’AUDSCGIE (I). La solution de
cette controverse à enjeu répressif considérable doit cependant passer par un
compromis entre le droit pénal national et le droit pénal communautaire. L’infraction
de détournement des biens publics pouvant être punie des peines criminelles alors que
celle d’abus des biens sociaux n’est punie que de simples peines délictuelles (II).

I- L’INELUCTABLE CONTROVERSE AUTOUR DE LA


QUALIFICATION PENALE
La controverse autour de la qualification de l’infraction d’atteinte au patrimoine
des entreprises publiques et parapubliques est sans nul doute accentuée en droit
camerounais par les dispositions de l’alinéa 1 de l’article 108 de la loi n° 99/016 du
22 décembre 1999 portant statut général des établissements publics et des entreprises
du secteur public et parapublic qui reprend en substance les dispositions de l’article
891 de l’AUDSCGIE mais en la soumettant étonnement plutôt aux sanctions de
l’article 184 du Code pénal sans considération aucune du critère de minorité ou de
majorité au capital social de l’Etat680. Ainsi, pour la tendance nationaliste, les auteurs
d’une telle infraction doivent être poursuivis pour détournement des biens publics
(A). Ce qui n’est pas de l’avis des communautaristes pour qui cette infraction doit
être qualifiée d’abus des biens sociaux (B).

A- La qualification de détournements des biens publics


L’Etat reste une entité souveraine. De l’avis des partisans de l’application du
droit pénal national, il a le droit et le devoir de protéger vigoureusement son
patrimoine, où qu’il se trouve et en quelque proportion qu’il soit (2). De la sorte, toute
atteinte au patrimoine d’une société dans laquelle il serait actionnaire demeure
constitutive d’un détournement des biens publics (1).
1- Les éléments constitutifs du détournement des biens publics
L’infraction de détournement des biens publics suppose pour sa constitution
quelques conditions préalables. Lesquelles sont relatives notamment à la nature des
biens en cause et leur appartenance à l’Etat entendu au sens large. Ainsi, si le
détournement peut porter autant sur les biens mobiliers qu’immobiliers681, corporels
ou incorporels au sens de l’article 184 du Code pénal camerounais, ils doivent

                                                            
680
« Est puni des peines prévues à l’article 184 du code pénal, tout dirigeant d’une entreprise qui : …a fait
de ses pouvoirs, des biens ou du crédit de l’entreprise, un usage contraire à l’intérêt de celle-ci dans un but
personnel ou pour favoriser une autre société ou affaire dans laquelle il détient directement ou
indirectement des intérêts ». Les dispositions de l’article 108 alinéa 1 de cette loi n° 99/016 pourtant
adoptée 6 ans après le Traité OHADA en contrariété de ses articles 5 (alinéa 1 et 2) et 10 et 2 ans après
l’AUDSCGIE, en totale contradiction de ses articles 1 et 891 semblaient donc en apparente conformité avec
l’article 916 de l’AUDSCGIE. Preuve que ce conflit de qualification n’est guère récent. Un conflit qui se
pose également pour la répartition des dividendes fictifs ou la publication de bilan inexact dans les
entreprises publiques et parapubliques puisque ces 2 infractions sont visées au même alinéa.
681
En droit pénal français, l’infraction de détournement des biens publics ne porte exclusivement que sur
les choses mobilières représentant notamment les deniers.
160 

 
impérativement relever du patrimoine de l’Etat en vertu d’un droit ou d’un titre. Ils
peuvent aussi bien relever du domaine public que du domine privé de l’Etat. Il n’est
donc pas nécessaire que l’Etat soit le véritable propriétaire, la simple détention ou
possession suffit. Il peut même arriver que lesdits biens lui soient destinés ou tout
simplement promis. C’est le cas par exemple des biens privés devenus publics par
affectation à l’utilité publique ou des biens futurs devant intégrer le patrimoine de
l’Etat. Sont en revanche exclus du champ des biens publics les choses res nullius682
ou encore res derelictae683.
En droit pénal camerounais, le détournement des biens publics constitue une
infraction intentionnelle requérant les conditions de l’article 74 alinéa 2 du Code
pénal aux termes duquel « Est pénalement responsable celui qui volontairement
commet les faits caractérisant les éléments constitutifs d’une infraction avec
l’intention que ces faits aient pour conséquence la réalisation de l’infraction ». Mais
pendant longtemps, l’intention était présumée notamment dès lors que la mise en
demeure du dirigeant social de restituer les biens détournés demeurait infructueuse.
Dans cette optique de présomption irréfragable de détournement, la jurisprudence
rejetait systématiquement tous les moyens de défense tels le vol avec ou sans
effraction, force majeure ou déficit de caisse etc. Cependant, la Cour suprême dans un
arrêt de principe du 15 avril 1976 est venue remettre en cause cette posture jugée trop
rigide lorsqu’il précise les éléments constitutifs du détournement des biens publics en
martelant sans équivoque que : « L’intention criminelle constitue l’un des éléments
constitutifs de l’infraction qualifiée crime ou délit de détournement ». Ce qui signifie
a contrario qu’en l’absence d’intention, il s’agit tout simplement d’un déficit de
caisse.
Pour ce qui est des actes matériels du détournement des biens publics, aux
termes de l’article 184 du Code pénal camerounais, ils résident aussi bien dans le fait
d’obtenir que de retenir frauduleusement tout bien mobilier appartenant ou destiné à
l’Etat, à une coopérative, à une collectivité locale ou établissement administratif,
industriel ou commercial sous tutelle administrative de celui-ci et où il détient
directement ou indirectement la majorité du capital social. Pour la doctrine, les
dispositions de cet article semblent incomplètes car il faudrait inclure comme pour
l’article 318 relatif au vol simple la soustraction. En réalité, les techniques fomentées
par les fonctionnaires et certains particuliers pour porter atteinte aux biens publics
sont d’inspiration diverse et multidimensionnelle. Il s’agit entre autres, de l’usage de
fausses quittances, de fausses factures, de faux états de salaires et des sociétés écrans,
le détournement de mandats publics, la surfacturation des biens et services livrés à
l’Etat, les dons fictifs et abusifs, renouvellement des contrats administratifs sans appel
d’offre, attribution des marchés publics fictifs, fractionnement des marchés publics,
organisation systématique des déficits de caisse. Comme on peut le constater, les
méthodes de détournement des biens publics constitutifs de l’élément matériel de
cette infraction rappellent à quelques égards celles de l’abus des biens sociaux surtout
si les biens détournés relèvent du patrimoine d’une société commerciale d’Etat. Ce
                                                            
682
Est res nullius tout bien qui n’a jamais fait l’objet d’un droit de propriété.
683
Est res derelictae tout bien qui bien qu’ayant auparavant fait l’objet d’un droit de propriété a été
abandonné par son propriétaire.
161 

 
que défendent énergiquement les partisans de l’application du droit pénal national
lorsqu’une telle infraction est consommée par un dirigeant social.
2- L’argumentaire nationaliste
L’un des risques que fait courir la décomposition mieux l’éclatement de
l’élément légal des infractions d’affaires aux Etats membres reste l’effacement de la
souveraineté nationale au profit d’un droit supranational ne garantissant pas
vigoureusement ou forcément le respect ni des principes fondamentaux684 ni des
fonctions primaires du droit pénal national685 ou encore moins des prérogatives de
puissance publique traditionnellement reconnues aux personnes morales de droit
public. L’Etat étant naturellement très jaloux de sa souveraineté et de son patrimoine,
il serait difficilement acceptable à l’aune de ses pouvoirs exorbitants de droit commun
de soumettre celui-ci au même régime de protection que celui des entreprises privées
détenues par les particuliers. Ainsi, pour les défenseurs de la cause nationaliste que
l’on pourrait autrement qualifier de souverainistes, le droit pénal national demeure le
seul applicable en présence d’une atteinte aux biens d’une entreprise publique ou
d’économie mixte soit-il par un mandataire social. Ceci pour au moins trois raisons.
De prime abord, la nature même des biens des entreprises publiques et
parapubliques constitue à suffisance un justificatif pour que soit appliquée au
dirigeant social coupable d’une telle infraction la qualification de détournement des
biens publics. L’Etat étant ici l’actionnaire unique notamment pour ce qui est des
sociétés publiques et donc le propriétaire des biens en cause, ou encore un
copropriétaire en ce qui concerne les sociétés d’économie mixte. Le critère de la
minorité ou de la majorité au capital social étant subsidiaire dans ce dernier cas et
l’impératif catégorique étant par-dessus et avant tout une protection effective et
entière du patrimoine de l’Etat dans toutes ses composantes indépendamment de la
proportion et où qu’il se trouve. Bref, la préservation de l’intérêt public doit primer
sur toute autre considération juridique.
Ensuite, l’article 8 de la loi camerounaise n° 99/016 du 22 décembre 1999
portant statut général des établissements publics et des entreprises du secteur public et
parapublic dispose en son alinéa 1 que « Le suivi de la gestion et des performances
des établissements publics administratifs et les entreprises du secteur public et
parapublic est assuré par le Ministère chargé des finances » et le ministre des
finances peut aux termes de l’article 9 demander un audit externe de toute entreprise
du secteur public et même parapublic notamment lorsque l’Etat détient ici au moins
25 % du capital social.
En outre, les dispositions de l’article 916 de l’AUDSCGIE aux termes duquel
« le présent Acte Uniforme s’applique aux sociétés soumises à un régime particulier
sous réserves des dispositions législatives ou réglementaires auxquelles elles sont
                                                            
684
Pour une certaine doctrine, le droit pénal OHADA entérine quelque peu un effritement du principe de la
légalité des délits et des peines en érigeant dans une visée finaliste voire arriviste des incriminations assez
larges et imprécises. Le but législatif étant ici d’embrasser autant de comportements délictueux possibles.
V. SOCKENG (R), Droit pénal des affaires OHADA, op. cit. p. 28.

685
Les fonctions classiques et primaires reconnues au droit pénal sont la protection de l’intégrité des
personnes et des biens, l’intimidation ou la dissuasion des délinquants, la prévention des infractions, la
rééducation et la réinsertion sociale des délinquants.
162 

 
assujetties » constitue indéniablement une dérogation à l’article 1er du même Acte
Uniforme ainsi qu’une démarcation d’avec l’article 10 du Traité OHADA même s’il
faut reconnaitre que sa portée dérogatoire a été quelque peu diluée avec la récente
reforme de cet Acte Uniforme686.
Enfin, aux dires des souverainistes, l’Etat accorde habituellement des
subventions aux sociétés commerciales d’Etat, ce qui par apriorisme confère aux
biens desdites entreprises une nature quasiment sinon purement publique. L’infraction
de détournement des biens publics doit donc être retenue à chaque fois que les biens
en cause appartiennent en tout ou en partie à une personne publique détenant
directement ou indirectement des actions ou des parts sociales dans une entreprise
commerciale recevant des subventions à caractère public.
L’argumentaire nationaliste ne doit cependant pas occulter la posture des
communautaristes plus défendable pour qui une telle infraction doit être qualifiée
d’abus des biens sociaux.
B- La qualification d’abus des biens sociaux
L’examen de la thèse communautariste (1) conditionne d’analyser les
éléments constitutifs de l’infraction d’abus des biens sociaux (2).
1- L’argumentaire communautariste
Pour la tendance communautariste, seul le droit pénal OHADA reste applicable
aux dirigeants des sociétés commerciales d’Etat ayant porté atteinte au crédit et aux
biens sociaux. Au soutien de cette thèse, plusieurs arguments sont présentés.
Tout d’abord, l’article 1er de l’AUDSCGIE dispose formellement que : « Toute
société commerciale, y compris celle dans laquelle un Etat ou une personne morale
de droit public est associé, dont le siège social est situé sur le territoire de l’un des
Etats parties au Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique est
soumise aux dispositions du présent Acte uniforme ». Ainsi, point n’est besoin de
s’interroger sur le régime mieux le droit, soit-il pénal, applicable aux sociétés
publiques et parapubliques du moment où celles-ci sont des entreprises commerciales
domiciliées dans l’espace OHADA. Elles sont de ce fait, naturellement assujetties au
droit des sociétés commerciales tel que paramétré par l’AUDSCGIE. L’infraction
d’atteinte au patrimoine des sociétés commerciales d’Etat devrait donc en principe
être qualifiée d’abus des biens sociaux conformément aux dispositions de l’article 891
de l’Acte Uniforme susvisé.
Ensuite, l’article 10 du traité OHADA dispose que « Les Actes uniformes sont
directement applicables et obligatoires dans les Etats parties nonobstant toute
disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure ». C’est donc
observer que l’application du droit pénal OHADA des affaires doit primer sur toute
disposition de droit interne et donc du Code pénal du fait non seulement du caractère
obligatoire et supranational des Actes Uniformes mais surtout de la portée abrogatoire
de ceux-ci dont les dispositions de l’article 10 précité constitue le socle. Forts de ces
arguments non moins poignants, les défenseurs de la tendance communautariste
postulent non sans raison que les dirigeants des sociétés commerciales d’Etat
coupables d’atteinte au patrimoine social devraient être poursuivis pour abus de biens

                                                            
686
L’AUDSCGIE révisé a été adopté le 30 janvier 2014 à Ouagadougou au Burkina Faso.
163 

 
sociaux et non pour détournement des biens publics comme le professe la thèse
nationaliste. Cette argumentation au fondement juridique certain conditionne de
s’appesantir un temps soit peu sur les éléments constitutifs de cette infraction
communautaire.
2- Les éléments constitutifs de l’abus des biens sociaux
L’infraction d’abus des biens sociaux anciennement qualifiée d’abus de
confiance requiert pour sa consommation la réunion d’un élément moral et d’un
élément matériel dont le contenu est circonscrit en substance par les dispositions de
l’article 891 de l’AUDSCGIE aux termes duquel « Encourent une sanction pénale le
gérant de la société à responsabilité limitée, les administrateurs, le président
directeur général, le directeur général, le directeur général adjoint, le président de la
société par actions simplifiée, l’administrateur général ou l’administrateur général
adjoint qui, de mauvaise foi, font des biens ou du crédit de la société, un usage qu’ils
savent contraire à l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles, matérielles ou
morales, ou pour favoriser une autre personne morale dans laquelle ils sont
intéressés, directement ou indirectement ».
Au sens des dispositions de l’article 891 précité, l’élément moral de l’abus des
biens sociaux est double. Elles font justement référence à la mauvaise foi de l’auteur
qui a agi contrairement à l’intérêt social ou conformément à son intérêt personnel
selon qu’il s’agisse d’un dol général ou d’un dol spécial. La mauvaise foi désigne ici
l’intention frauduleuse ou les manœuvres et réticences dolosives même
indéterminées687 orchestrées par le dirigeant social avec la conscience et la
connaissance du caractère préjudiciable à la société de l’acte ou de l’omission qu’il
commet. Elle doit s’apprécier au jour de la commission de l’acte ou de l’omission.
L’acte de commission ou d’omission doit ainsi de surcroit avoir profité de quelque
façon que ce soit au dirigeant social dont l’intérêt personnel est expressément visé.
Cet intérêt personnel peut être dual, direct et indirect. L’article 891 précité vise en
effet autant un usage à des fins personnelles que du favoritisme à l’endroit d’une
personne physique ou morale débouchant sur la réalisation ou la perspective indue de
profit pécuniaire ou d’avantages d’ordre professionnel. L’intérêt personnel est direct
lorsque le dirigeant bénéficie notamment au détriment de la société d’avantages
matériels particuliers à quelques titres que ce soit. Il est indirect lorsque le
bénéficiaire des agissements répréhensibles a des intérêts économiques communs
voire familiers avec l’auteur de l’infraction.
Quant à l’élément matériel de l’infraction d’abus des biens sociaux, les
agissements incriminés par le législateur sont tous caractérisés par un usage des biens
et du crédit contraire à l’intérêt social. Tout comme pour le détournement des biens
publics, les biens visés peuvent être mobiliers, immobiliers, corporels ou incorporels,
dûment inventoriés et constatés par les documents comptables ou non, à condition
qu’ils soient destinés ou affectés à l’intérêt social. En ce qui concerne le crédit social,

                                                            
687
Il y a dol indéterminé lorsque l’auteur a agi avec une intention coupable sans toutefois prédéterminer un
résultat. Il doit en tout état de cause répondre du résultat effectivement atteint car l’intention est toujours
présumée conforme au résultat infractionnel atteint. On dit que, même indéterminée dans son principe,
l’intention reste déterminée par la réalisation de l’infraction d’où « Dollus indeterminatus determinatur
eventu ».
164 

 
il se définit par la surface financière qui se rattache à la société eu égard à son capital,
sa solvabilité, sa crédibilité, sa notoriété financières voire sa capacité à mobiliser des
financements et à constituer des sûretés réelles ou personnelles à l’instar des gages,
nantissements, hypothèques, des cautionnements, des garanties à premier ordre et des
lettres d’intention. Toujours est-il que l’usage fait par le dirigeant doit être contraire à
l’intérêt social.
Par usage des biens et du crédit, il faut entendre toute utilisation qui en est faite
ou l’accomplissement par le dirigeant ou le mandataire social au nom de la société
d’actes d’administration ou de gestion688 (crédit, avance, bail, location, acquisition,
fusion etc.) et d’actes de disposition689 (aliénation, scission, cession, donation,
emprunt, gage, nantissement, cautionnement etc.). Grosso modo, l’usage ici consiste
aussi bien en des actes de commission que d’omission ou d’abstention. La
jurisprudence notamment française considère en effet comme faits délictueux une
abstention volontaire d’accomplir un acte normal de gestion en sanctionnant par
exemple un dirigeant qui s’est abstenu de réclamer le paiement des fournitures livrés à
une société dans laquelle, il est directement intéressé690.
Quoiqu’il en soit, l’usage incriminé doit être contraire à l’intérêt social. Il n’est
donc répréhensible que lorsqu’il est ou devient effectivement préjudiciable à la
société. L’appréhension de la notion d’intérêt social n’est cependant pas toujours
aisée et recèle parfois une part d’incertitude du fait de son élasticité. Ainsi doit-on
toujours considérer une faute de gestion comme contraire à l’intérêt social ? Il semble
plus judicieux de répondre par la négative car tout acte de gestion même normal
comporte des risques voire une dose d’incertitude dans ses résultats et ce serait
récriminer voire réprimer tout esprit d’initiative et d’entrepreneuriat devant habiter
tout chef d’entreprise que de répondre par l’affirmative. En revanche, doit être
considéré comme contraire à l’intérêt social tout engagement souscrit par un
mandataire social exposant la société à un risque anormalement élevé sans perspective
de contrepartie ou de profit économique aucune.691 Les caractères injustifié, anormal,
déraisonnable, abusif, illicite692 et non-lucratif de l’acte de gestion considération faite
du contexte économique doivent donc présider à la caractérisation de l’infraction.
Toutefois, il reste notoire que l’intérêt social demeure distinct de l’intérêt des associés
et surtout que l’assentiment des associés, du conseil d’administration ou plus

                                                            
688
Acte normal de gestion dont le but est soit de conserver, soit de fructifier la valeur du patrimoine ou de
l’actif social.
689
Acte juridique entrainant une transmission d’un droit réel mobilier ou immobilier ou une souscription
d’un engagement juridique majeur dont l’effet consiste en principe en une diminution de la valeur du
patrimoine ou un accroissement du passif social.
690
Crim. 15 mars 1972, Revue des sociétés, 1973, p. 357 note Boulac.
691
Crim. 24 mars 1969, Bull. crim. n° 130.
692
Cass. 22 avril 1992, Bull. n° 169, Revue des Sociétés 1993, p. 124 note Boulac, où il a notamment été
considéré à propos d’une tentative de corruption des dirigeants sociaux dans l’optique de gagner un marché
public que « l’usage des biens d’une société est nécessairement abusif lorsqu’il est fait dans un but
illicite ». Ce qui contraste quelque peu avec le corps de l’infraction puisque l’abus des biens sociaux
suppose pour sa constitution l’intérêt personnel du dirigeant social. Encore qu’on pourrait arguer qu’en
l’espèce ces derniers ont quelque part agi dans l’intérêt social. La cour de cassation a donc voulu trancher
dans l’intérêt de la loi en sanctionnant indirectement l’infraction de corruption. V. aussi Crim. 15 sept.
1999, RSC 2000 p. 413, obs. Renucci.
165 

 
généralement de l’assemblée générale n’occulte pas ou encore moins n’efface en rien
le caractère délictueux des actes abusifs des biens sociaux et n’endigue pas
subséquemment les poursuites pénales contre leurs auteurs. De même, une fois
consommée, la restitution des fonds ou le règlement du prix des biens ne déteint pas
sur le délit après la mise en mouvement de l’action publique.
Comme on peut le constater, l’argumentaire nationaliste ou communautariste ne
manque pas de poids relativement à l’application du droit pénal national ou du droit
pénal communautaire mieux l’inculpation pour détournement des biens publics ou
pour abus des biens sociaux des dirigeants ayant porté atteinte au patrimoine des
entreprises publiques ou parapubliques au sein de l’espace OHADA. L’enjeu étant
considérable du point de vue de la répression de l’infraction.

166 

 
II- ENJEU REPRESSIF ET SOLUTION AU CONFLIT DE
QUALIFICATION
Si la controverse autour de la qualification pénale de l’infraction d’atteinte au
patrimoine des sociétés commerciales d’Etat trouve son leitmotiv dans la disparité et
le déséquilibre des peines applicables à l’échelon national et communautaire au
détournement des biens publics et à l’abus des biens sociaux (A), sa solution reste tout
de même possible et convenable par le truchement d’une appréciation conciliatoire et
non conflictuelle de critères économiques objectifs de qualification (B).
A- L’enjeu répressif de la qualification pénale
A l’analyse, les sanctions consacrées pour l’infraction communautaire d’abus
des biens sociaux restent nettement souples (1) à l’opposé de celles prévues pour le
détournement des biens publics manifestement plus drastiques (2).
1- La souplesse des sanctions de l’abus des biens sociaux
Au commencement et à la motivation première de la thèse communautariste,
l’abus des biens sociaux ne constitue qu’une infraction punie des peines délictuelles.
Ce qui explique aisément la protestation énergique de ses partisans généralement issus
de la défense (avocats, prévenus, coauteurs, complices et leurs proches) compte tenu
non seulement de la souplesse des peines encourues à ce titre mais aussi de façon non
négligeable de la grille limitative de personnes punissables.
En effet, aux termes de l’article 9 de la loi n° 2003/008 du 10 juillet 2003
portant répression des infractions contenues dans certains Actes Uniformes OHADA,
encourt une peine d’emprisonnement de 1 à 5 ans ainsi qu’une amende de 2 000 000 à
20 000 000 de F CFA tout dirigeant qui se rend coupable du délit d’abus des biens et
du crédit de la société693. A ces sanctions pénales, s’ajoutent traditionnellement les
sanctions civiles dérivées de l’action civile dont le fondement réside dans l’article
1382 du Code civil. Cette action peut être exercée à l’exclusion des tiers et des
créanciers sociaux694 à titre principal par la société695 et accessoirement par un ou
plusieurs associés696 lésés par les faits délictueux à la condition d’établir un
dommage, un lien de causalité et surtout un intérêt direct. S’agissant de la
prescription, conformément aux principes généraux du droit pénal, l’infraction d’abus
des biens sociaux se prescrit par 3 ans. La computation des délais de la prescription de
l’action publique commence au jour où l’abus a été commis s’agissant d’une
                                                            
693
La disparité des sanctions à l’échelon communautaire tantôt décriée supra est moins radicale s’agissant
de la répression de l’infraction d’abus des biens et du crédit de la société. A titre d’illustration, l’article 6 de
la loi sénégalaise n° 98/22 du 26 mars 1998 prévoit quant à lui une peine d’emprisonnement de 1 à 5 ans et
une amende de 100 000 à 5 000 000 F CFA tandis que la loi centrafricaine n° 10.001 du 6 janvier 2010 en
son article 215 prescrit un emprisonnement de 1 à 5 ans et/ou une amende de 1 000 000 à 5 000 000 F CFA.
Comme on le voit, l’uniformité est préservée au niveau de la peine d’emprisonnement et la disparité
notable au niveau de l’amende avec toutefois un possible alternatif entre l’emprisonnement et l’amende
pour la Centrafrique.
694
Crim. 27 juin 1995, Revue sociale 1995, p. 746 note Boulac.

695
Action sociale pouvant être enclenchée notamment par le représentant légal de la société, Ass. Plén. 12
janv. 1979, JCP 1980. II. 19335 note Cartier ou ut-universi par les associés.

696
Action individuelle ou ut-singuli.

167 

 
infraction instantanée. Mais rien ne fait obstacle à la jurisprudence considération faite
de la nature spécifique de l’infraction, des manœuvres dissimulatrices et dilatoires du
délinquant de fixer le point de départ au jour de la découverte de l’abus ou à celui où
les associés ou en général les contrôleurs de la gestion sociale étaient en mesure de le
connaitre697. L’action publique peut alors être engagée par le ministère public ou toute
personne ayant un intérêt légitime.
Relativement aux personnes punissables, sont visées, les auteurs principaux
ainsi que les coauteurs et les complices. Sont ainsi la cible des sanctions à titre
principal, le gérant de la SARL, les administrateurs, le président directeur général, le
directeur général, le président de la SA simplifiée, l’administrateur général de la SA
ainsi que leurs adjoints. Pour la doctrine majoritaire, cette énumération n’est
aucunement exhaustive698. Car il est fort regrettable que les dispositions de l’article
891 AUDSCGIE n’aient pas visé les dirigeants de fait encore appelés dirigeants sans
titre légal à l’instar des associés qui dans les faits exercent officieusement et
effectivement un véritable pouvoir de direction sur l’activité sociale et les dirigeants
sociaux en vertu de leur mandat économique. Le législateur français ayant au
contraire visé expressément ceux-ci aux termes de l’article L 431 de la loi n° 66/537
du 24 juillet 1966. Aussi, devraient entrer dans la ligne de mire du législateur pénal
communautaire tout dépositaire d’un mandat social, soit-il apparent sans
considération de la détention d’un véritable pouvoir de direction ou d’administration.
Il serait donc de l’intérêt supérieur de la société de cibler comme éventuels et
potentiels auteurs principaux tout mandataire social même de fait à l’instar des
dirigeants proprement dits, des salariés, des commissaires aux comptes, des associés,
des administrateurs etc.
Cependant, en attendant une telle réforme législative, peuvent être poursuivi à
titre de complicité ou de coaction tout commissaire aux comptes ou salarié699 ayant
                                                            
697
Crim. 27 juin 2001, Arrêt n° 4783, Répertoire de jurisprudence, I, 3 nov. 2003.

698
Il est quelque peu étonnant voire aberrant que le législateur communautaire n’ait pas aussi visé les
dirigeants des sociétés de personnes encore moins ceux des sociétés en participation, des sociétés de fait ou
créées de fait. Si la confusion ou l’unicité du patrimoine social et celui des associés peut justifier à
suffisance l’exclusion des dirigeants des sociétés de personnes, il semble en revanche incontinent de
trouver une justification nécessaire à l’exclusion de ceux des autres types précités encore qu’il urge d’aller
au-delà de la récente réforme assez minimaliste de l’Acte Uniforme relatif au droit commercial général sur
le statut de l’entreprenant et viser plus généralement la régularisation de toutes les entreprises commerciales
clandestines soit-elles individuelles ou sociétales. Le passage de l’informel au formel doit aussi transiter
sinon absolument par une certaine soumission de ces entreprises et de leur dirigeants au droit pénal
communautaire des affaires.
699
Il demeure cependant un débat sur l’inculpation d’un salarié, auteur principal d’un abus des sociaux, cf.
SOCKENG (R), Droit pénal des affaires OHADA op. cit. p. 103. A savoir s’il doit effectivement être
poursuivi pour abus des biens sociaux ou pour abus de confiance aggravé, infraction ciblant tout employé
qui détourne tout bien au préjudice de son employeur au sens des dispositions conjointes des articles 318
alinéa 1 b et 321 b du Code pénal, v. TPI de Douala-Bonanjo ord. du 13 juin 2006, Aff. ANGOUAND
Suzie c/ DOUMBE KINGUE Auguste. Les dispositions de l’article 891 AUDSCGIE ne ciblant que « les
dirigeants sociaux » et la jurisprudence ne visant le salarié qu’à titre de complice ou de coauteur d’abus des
biens sociaux. En réalité, il s’agit d’un débat virtuel. A notre avis, les deux infractions sont quasi-similaires
et ces deux qualifications sont conciliables voire fusionnelles. La qualification d’abus des biens sociaux
devrait ainsi logiquement l’emporter notamment si la jurisprudence prend en compte la notion extensive de
« tout mandataire social ».
168 

 
participé ou concouru à la réalisation de l’infraction tels le chef comptable, le
directeur administratif et financier, le directeur commercial etc. A titre de rappel, la
cessation de fonctions d’un dirigeant ne le met pas à l’abri de poursuites pénales sauf
prescription extinctive.
Comme il est loisible de le noter, les peines délictuelles réprimant l’abus des
biens sociaux sont plus clémentes et la grille des personnes pouvant faire l’objet de
poursuites est relativement limitée aux mandataires sociaux contrairement à
l’infraction de détournement des biens publics dont la peine maximale peut être
criminelle et qui vise indifféremment toute personne indépendamment de sa qualité.
2- La sévérité de la répression du détournement des biens publics
Le détournement des biens publics est une infraction pouvant être qualifiée de
délit ou de crime selon la fourchette de la valeur des biens objet du détournement.
C’est sans nul doute cette nature criminelle qui explique à suffisance la réaction
virulente des nationalistes qui plaident en faveur la rétention d’une telle qualification
et donc de la sévérité pénale eu égard surtout aux sommes faramineuses souvent
l’objet d’abus dans les sociétés commerciales d’Etat. Cette lourdeur des peines
réprimant une telle infraction reste ainsi tributaire de la qualification délictuelle ou
criminelle des faits répréhensibles et demeure aussi visible quant à la panoplie des
personnes punissables.
En effet, il ressort en substance des dispositions de l’article 184 alinéa 1 du
Code pénal camerounais cette distinction criminelle et délictuelle de l’infraction de
détournement des biens publics. Aux termes de l’alinéa 1 a de cet article, l’infraction
est criminelle au cas où la valeur des biens détournés excède 500 000 F CFA et le
criminel encourt ipso facto une peine d’emprisonnement à vie. Il en est de même
lorsque cette valeur est supérieure à 100 000 F CFA et inférieure ou égale à 500 000 F
CFA en conséquence de quoi le criminel encourt cette fois un emprisonnement de 15
à 20 ans. Par contre, l’infraction est simplement délictuelle lorsque la valeur des biens
détournés est égale ou inférieure à 100 000 F CFA et le délinquant est puni d’une
peine d’emprisonnement de 5 à 10 ans. Comme pour accentuer la rigidité pénale tant
clamée, l’alinéa 2 de l’article 184 susmentionné prescrit impétueusement que « Les
peines édictées ci-dessus ne peuvent être réduites par admission de circonstances
atténuantes respectivement au-dessous de 10 ans, 5 ou de deux ans et le sursis ne peut
en aucun cas être accordé », respectivement pour les deux premières variantes de
l’infraction qualifiées de crime et la troisième qualifiée de délit. Dans la même
optique, l’alinéa 3 fixe également les minima légaux à 5, 2 et 1 an d’emprisonnement
en cas de cumul d’excuses atténuantes ou d’excuses atténuantes et de circonstances
atténuantes conformément à l’article 87 alinéa 2, le sursis ne pouvant être accordé
qu’en cas de minorité. En outre, les peines accessoires doivent être prononcées telles
la confiscation obligatoire du corpus delicti de l’article 35 du Code pénal700, les
                                                            
700
L’article 184 alinéa 4 du Code pénal camerounais intime l’ordre au juge de prononcer obligatoirement la
confiscation. Ce qui s’affirme aux antipodes de l’article 35 qui laisse une certaine faculté à celui-ci en
disposant que la cour ou le tribunal peut ordonner la confiscation. Elle doit porter autant sur les biens
mobiliers et immobiliers du condamné notamment lorsque ceux-ci ont servi d’instrument à la commission
de l’infraction ou en sont le produit ou le fruit. Ce qui signifie a priori que la confiscation doit être
précédée d’une commission rogatoire préalable en vue d’établir les liens entre l’infraction et les biens à
confisquer. La justice camerounaise pour ne pas dire africaine agissant le plus souvent par approximation, il
169 

 
déchéances quinquennales au minimum et décennales au maximum de l’article 30701
ainsi que la publication obligatoire du jugement aux termes de l’alinéa 5 de l’article
184 susvisé.
Quant aux personnes punissables, l’article 184 précité fait usage du terme
générique « quiconque ». La répression vise ainsi toute personne s’étant rendu
coupable de détournement des biens publics sans distinction de sa qualité ni de sa
nationalité.
Dissuasives et intimidatrices à première vue, les sanctions assez hargneuses du
détournement des biens publics qui ciblent indifféremment l’ensemble du corps social
tout azimuts à l’inverse de la répression de l’abus des biens sociaux paraissent a
posteriori très inefficaces voire contreproductives, l’amplification mieux
l’hypertrophie du fléau de détournement des biens publics dans les entreprises
publiques et parapubliques restant amèrement inquiétante au Cameroun702 et par
extrapolation en Afrique. Preuve qu’à l’époque moderne la dissuasion et
l’intimidation ne suffisent pas toujours à prévenir la criminalité encore moins à
éradiquer la délinquance en col blanc. Les prédateurs des biens publics ou sociaux
attendant souvent impatiemment la fin de leur séjour carcéral pour profiter de leur
butin entre temps géré par des proches, des complices embusqués ou tout simplement
des prête-noms. Le droit pénal moderne notamment des affaires devant repenser et
révolutionner sans cesse sa fonction prophylactico-rééducatrice compte tenu de la
concoction par les délinquants d’affaires des supercheries et stratégies criminelles de
plus en plus offensives, complexes, subtiles et téméraires.
Si les peines encourues constituent le principal motif de la controverse autour
de la qualification ou encore du droit pénal applicable au prévenu d’atteinte au
patrimoine des entreprises commerciales d’Etat au sein de l’espace communautaire, sa
résolution ne relève pas pour autant d’une chimère.
B- Solution au conflit
Pour solutionner de façon crédible ce potentiel conflit de qualification voire de
loi, il convient de distinguer les entreprises publiques (1) des entreprises
parapubliques (2).

                                                                                                                                              

arrive assez souvent en pratique qu’elle confisque de façon discutable même les biens acquis longtemps
avant la commission de l’infraction.

701
Ces déchéances consistent entre autres dans la destitution et exclusion de toutes fonctions, emplois ou
offices publics, l’impossibilité d’être juré, assesseur, expert, juré-expert, l’interdiction d’être tuteur,
curateur, subrogé tuteur, membre d’un conseil de famille ou conseil judiciaire sauf pour ses propres enfants,
l’interdiction de porter toute décoration, de servir dans les forces armées, de tenir une école, d’enseigner ou
généralement d’occuper des fonctions se rapportant à l’éducation ou à la garde des enfants.

702
A titre illustratif, cf. YAWAGA (S), « Avancées et reculades dans la répression des infractions de
détournements des deniers publics au Cameroun : Regard critique sur la loi n° 2011/028 du 11 décembre
2011 portant création d’un tribunal criminel spécial » in Juridis Périodique n° 90 avril-mai-juin 2012 p. 43
ou spéc. Le Journal Cameroun Tribune dans sa parution du 9 mai 2012 p. 9 où un dossier spécial y est
dévoué à la pléthore d’affaires de détournement des deniers dans les entreprises publiques et parapubliques
camerounaises et Jeune Afrique Economie n° 388, Eté 2012, « BIYA laisse la justice trancher », 95 pages
d’enquête exclusive de JAE p. 8-113.
170 

 
1- Pour les entreprises publiques
L’unanimité doctrinale ne s’est jamais faite autour de la définition de la notion
d’entreprise publique. La doctrine notamment française dans ses conceptions reste
partagée entre économisme et étatisme. Dans cette logique définitionnelle plurielle,
une plume contemporaine a accusé, à juste titre, le législateur camerounais
d’entretenir la confusion autour de la définition et de la circonscription de l’entreprise
publique703. En droit camerounais cependant, il existe globalement deux types
d’entreprises publiques stricto sensu, à côté de la société d’économie mixte.
Premièrement, les sociétés à capital public704 qui sont constituées essentiellement des
services publics à caractère industriel et commercial (SPIC) à l’instar des ports
autonomes et des aéroports. Deuxièmement les établissements publics administratifs
(EPA)705 encore appelées services publics administratifs (SPA) à l’exemple des
Universités et des Grandes Ecoles (Ecoles Normales Supérieures, Ecole Nationale de
l’Administration et de la Magistrature, Institut des Relations Internationales etc).
Pour ces deux types de sociétés publiques, en cas d’atteinte à leur patrimoine,
seul l’article 184 du Code pénal camerounais est applicable et l’infraction de
détournement des biens publics doit ipso facto être retenue sans aucune forme de
procès. La raison en est simple et multiple. En effet, les SPIC et les SPA sont soumis
à la tutelle administrative, technique et financière706 de l’Etat conformément aux
dispositions de l’article 184 alinéa 1 susmentionné. Ils sont assujettis aux règles de la
comptabilité publique et les SPA sont surtout soumis au régime du droit public. De
surcroît, les dirigeants des entreprises publiques sont désignés discrétionnairement par
les autorités étatiques qui peuvent les révoquer ad nutum. Enfin, ces entreprises sont
gérées et administrées directement avec l’entier contrôle et le quitus total du pouvoir
politique. Ce qui n’est nullement de même pour les sociétés d’économie mixte.

                                                            
703
Claude MOMO postule en effet que « Le problème de définition de l’entreprise publique n’avait pas
reçu en droit camerounais de solution satisfaisante car l’entreprise publique apparaît bien comme un
héritage complexe et mal maîtrisé. La complexité initiale de l’entreprise publique se double au Cameroun
d’un certain désordre dû, d’une part, à une absence de maîtrise des concepts juridiques, et d’autre part, à un
amalgame, à une incertitude dans le texte de 1999. », « La réforme de l’entreprise publique au Cameroun »,
in JuridisPériodique n° 74 avril-mai-juin 2008 p. 26 s.
704
L’ alinéa 5 de l’article 2 de la loi camerounaise n° 99/016 du 22 décembre 1999 portant statut général
des établissements publics et des entreprises du secteur public et parapublic entend par société à capital
public une « personne morale de droit privé, dotée de l’autonomie financière et d’un capital-actions
intégralement détenu par l’Etat, un ou plusieurs collectivités territoriales décentralisées ou une ou plusieurs
autres sociétés à capital public, en vue de l’exécution dans l’intérêt général, d’activités présentant un
caractère industriel, commercial et financier ».
705
L’alinéa 3 de l’article 2 de la loi n° 99/016 susvisée définit un EPA comme une « personne morale de
droit public, dotée de l’autonomie financière et de la personnalité juridique ayant reçu de l’Etat ou d’une
collectivité territoriale décentralisée un patrimoine d’affectation, en vue de réaliser une mission d’intérêt
général ou d’assurer une obligation de service public ».
706
Au sens de l’alinéa 8 de l’article 2 de la loi n° 99/016 susvisée la tutelle désigne le « pouvoir dont
dispose l’Etat pour définir et orienter la politique du gouvernement dans le secteur ou évolue
l’établissement public administratif ou l’entreprise du secteur public ou parapublic en vue de la sauvegarde
de l’intérêt général ».

171 

 
2- Pour les sociétés parapubliques
A l’égard de tout observateur averti du droit pénal national et communautaire,
seul les parts sociales doivent être prises en compte pour déterminer l’infraction
applicable aux auteurs d’atteinte au patrimoine des sociétés d’économie mixtes707
selon que l’Etat est minoritaire ou majoritaire au capital social708.
Ainsi, lorsque l’Etat détient la minorité du capital social, le droit pénal OHADA
demeure le seul applicable et la qualification d’abus des biens sociaux doit être
retenue parallèlement aux dispositions de l’article 891 de l’AUDSCGIE. Ce qui
s’explique notamment par la grande emprise économique des particuliers dans la
gestion courante et l’administration desdites entreprises ou ceux-ci pèsent sur et
infléchissent énormément les décisions des conseils d’administrations ou des
assemblées générales.
En revanche, lorsque l’Etat détient directement ou indirectement la majorité des
parts sociales, il semble judicieux de faire application de l’article 184 du Code pénal
aux dirigeants poursuivis pour atteinte au patrimoine social et donc de qualifier
l’infraction de détournement des biens publics. Quelques arguments peuvent être
apportés au soutien de cette posture. En matière de voies d’exécution, l’article 30 de
l’Acte Uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et
des voies d’exécution dispose que les biens des entreprises publiques sont
insaisissables. En réalité, la notion « entreprises publiques » est comprise ici dans son
sens extensif et il faudrait en entendre toutes les entreprises commerciales dans
lesquelles l’Etat est au moins majoritaire au capital. Il convient donc de reconnaître
par ricochet et à titre principal la nature publique desdits biens conférant à ces
entreprises l’immunité d’exécution. De plus, en droit camerounais, les sociétés
d’économie mixte dans lesquelles l’Etat détient la majorité du capital social sont
soumises au contrôle du Contrôle Supérieur de l’Etat et à celui de la Chambre des
Comptes de la Cour Suprême. Ce qui n’est pas le cas des autres sociétés
commerciales qui sont classiquement soumises au contrôle du Commissaire aux
comptes. Enfin, du fait de la détention de la majorité du capital social par l’Etat, les
dirigeants des sociétés parapubliques sont très souvent désignés avec l’onction ou par
cooptation du pouvoir exécutif qui se réserve aussi par coutume leur destitution.

                                                            
707
L’alinéa 6 de l’article 2 de la loi n° 99/016 définit une société d’économie mixte comme une « une
personne morale de droit privé, dotée de l’autonomie financière et d’un capital-actions détenu partiellement
d’une part, par l’Etat, les collectivités territoriales décentralisées, ou les sociétés à capital public et d’autre
part, par les personnes morales ou physiques de droit privé ».

708
Une posture d’ailleurs partagée par la jurisprudence française qui met en avant la notion de contrôle du
capital et de gestion ; CE 10 juillet 1972 Air Inter, CE Ass. 24 novembre 1978 Syndicat national du
personnel de l’énergie atomique (COGEMA) et CE Ass. 24 novembre 1978, Schwartz.
172 

 
Conclusion

En définitive et sans prétention aucune à l’exhaustivité et à la polémologie


juridique, l’infraction d’atteinte au patrimoine des entreprises publiques et
parapubliques suscite depuis longtemps au sein de l’espace communautaire
notoirement en droit pénal camerounais une virulente controverse autour de
l’étiquette juridique à lui coller mieux du droit pénal applicable quant à
l’incrimination de ses auteurs. La faute étant au déséquilibre criard des peines
sanctionnant respectivement le délit d’abus des biens sociaux et du détournement
des biens publics dans les entreprises publiques et parapubliques voire des
concessions faites au droit national par l’AUDSCGIE relativement au régime des
sociétés commerciales en général et en particulier aux sociétés commerciales
d’Etat dont le statut particulier, l’exiguïté et la porosité des frontières d’avec
celles-ci ne pouvaient aller sans germer un tel conflit de qualification et/ou de loi.
Mais soutenir au nom de la supranationalité ou de la primauté du droit
communautaire qu’une atteinte au patrimoine de toutes sociétés commerciales y
compris celles dans lesquelles l’Etat est actionnaire majoritaire relèverait d’un
communautarisme juridique excessif et dangereux. Ce serait surtout ironiquement
abracadabrantesque que de mettre l’intérêt public et l’intérêt privé au même
diapason en soumettant indifféremment la protection des biens publics et donc du
patrimoine de l’Etat au régime pénal peu dissuasif et moins sanctionnateur de la
propriété privée au grand dam de la souveraineté nationale et des prérogatives de
puissance publique. Fort heureusement, un examen objectif des paramètres
économiques montre pour autant qu’une solution compromissoire et conciliatoire
du droit pénal national et communautaire reste possible avec en prime une
certaine préservation de l’intérêt public. Encore que la mollesse et la souplesse
des sanctions consacrées par les législateurs des Etats parties à la répression de
l’infraction communautaire d’abus des biens sociaux laisse trop souvent
prospérer ou du moins augurer une terre promise et propice à la poussée de la
délinquance d’affaires que le droit pénal national et communautaire vise pourtant
à endiguer et à éradiquer.

173 

 
174 

 
Le risque pénal lié à la gestion de la commune au Cameroun. Etude de
droit comparé
Madeleine LOBE LOBAS
Maître de Conférences en Droit privé, HDR
Université de Haute-Alsace, Mulhouse
CERDACC, EA n° 3992

La décentralisation est le transfert de certaines compétences de l’Etat vers les


collectivités territoriales, notamment les communes. Elle représente un véritable
enjeu pour le développement des populations à condition toutefois que les moyens qui
sont octroyés aux entités décentralisées soient gérés avec diligence par leurs organes
ou représentants. Dès lors se pose la question du risque pénal encouru par les
autorités locales et éventuellement, l’entité communale elle-même, en cas de
mauvaise gestion. Une étude de droit comparé s’impose afin de mieux cerner le
régime d’une telle responsabilité, la législation camerounaise étant soit insuffisante,
soit muette à ce sujet.

Mots clé
Décentralisation – Responsabilité pénale – Faute de gestion – Autorité
locale - Commune

La loi n° 2004/01 du 22 juillet 2004 dite d’orientation de la décentralisation


définit la décentralisation comme le transfert par l’Etat aux collectivités territoriales
de certaines de compétences709. Si on distingue les régions710 des communes, ce sera
surtout au niveau communal, en raison de la proximité de cette entité avec les
populations et la participation de celle-ci à l’élection des autorités locales qu’il faudra
vérifier l’effectivité et la réalité du système.
Les compétences dévolues aux communes couvrent l’organisation et la gestion
des services publics locaux dans des domaines divers et variés touchant à l’économie,
l’environnement, le développement sanitaire et social, le développement éducatif,
sportif et culturel, etc.711. Les communes doivent, dans l’accomplissement de leurs
missions, veiller à la répartition équitable des richesses au sein de leur territoire.
Le transfert de compétence implique nécessairement une mise à disposition de
moyens et de pouvoirs nécessaires. À cette fin, les entités territoriales sont dotées de
la personnalité juridique et jouissent de l’autonomie administrative et financière pour
                                                            
709
La loi n °96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la constitution camerounaise du 02 Juin 1972 a
posé le principe d’une répartition de compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales, personnes
morales de droit public. A titre de rappel, les premières communes de Douala et Yaoundé ont été créés en
1941 bien avant l’indépendance. Depuis cette période, la décentralisation a évolué avec la Constitution du 2
juin 1972 et diverses lois antérieures.
710
Le décret n° 2008/376 du 11/12/2008 a transformé les provinces en régions qui sont beaucoup plus
considérées comme des circonscriptions administratives déconcentrées plutôt que des collectivités
territoriales décentralisées, dirigées par des gouverneurs de région nommés par le Président de la
République.
711
Ces compétences ne sont cependant pas exclusives, l’Etat pouvant exercer une compétence concurrente
dans les cas prévus par la loi. Voir la loi n° 2004/018 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux
communes.
175 

 
la gestion des intérêts locaux. Elles sont librement administrées par des organes
communaux, distincts de ceux de l’Etat, en principe indépendants quant à la prise de
décision, la conduite des affaires locales et l’exercice de leurs activités712.
Les pouvoirs et moyens alloués aux collectivités doivent être gérés avec
diligence. Les organes locaux ont l’obligation d’agir dans l’intérêt de la commune et
pour l’amélioration du cadre de vie des populations, dans le respect des lois de la
République. La décentralisation appelle ainsi à une responsabilisation des autorités
locales qui, au-delà des avantages et privilèges découlant de leur statut ou leur
position sociale, doivent avoir conscience, non seulement de représenter et de
défendre les intérêts d’une population, mais aussi d’assurer une mission de service
public. Il faut veiller à ce que l’intérêt général prime sur les intérêts particuliers en
instituant un contrôle sur la gestion de la commune713, et au besoin en envisageant une
éventuelle mise en cause pénale en cas de défaillance.
L’entité décentralisée et/ou les autorités locales peuvent en effet avoir à
répondre pénalement de leurs actes ou activités. Il sera ainsi lorsque des actes
manifestement contraires aux missions d’intérêt général sont commis, par exemple en
cas de corruption. Il en sera de même lorsque surviennent des accidents, des sinistres
ou autres catastrophes causant des dommages divers et variés aux populations, tels
que l’incendie d’un marché, l’effondrement d’un bâtiment en construction ou d’une
école, liés à la mauvaise gestion, l’imprudence, la négligence ou l’inertie des autorités
locales. Si les élus locaux peuvent invoquer la fatalité, l’imprévisibilité, les risques
inhérents à toute activité humaine714 ou rejeter la faute sur les populations en mettant
en avant leur incivisme, ces justifications ne sont plus suffisantes dès lors que leur
mission consiste à prévoir et à prévenir les risques.
Les différentes lois sur la décentralisation sont muettes quant au risque pénal
lié à la gestion communale. Il convient donc de s’appuyer sur le droit commun. Il
apparaît ainsi que la responsabilité pénale des autorités locales peut toujours engagée,
même s’il est évident qu’il faut en améliorer le dispositif (I). En revanche, s’agissant
de la commune en tant que personne morale, un tel dispositif reste imprévu (II).

                                                            
712
M. VERPEAUX, « Décentralisation », in Dictionnaire de la politique et de l’administration, dir. G.
BERNARD, J. P. DESCHODT, M. VERPEAUX, 2011 ; V. également, la loi n° 2009/011 du 11 juillet
2009 portant réforme des collectivités territoriales décentralisées.
713
Selon l’art. 66 de la Constitution camerounaise, l’Etat assure la tutelle sur les collectivités territoriales.
Ces pouvoirs sont exercés sous l’autorité du Président de la République, par le Ministre chargé des
collectivités territoriales et par le représentant de l’Etat dans collectivité territoriale. Le préfet assure la
tutelle de l’état sur la commune. Il peut annuler les actes des collectivités territoriales manifestement
illégaux (art. 74 Const.). Ce système de tutelle peut avoir un effet pervers et traduire en réalité une
mainmise du pouvoir central sur les affaires. Il est également possible de saisir le juge administratif.
714
Rapport Sénat sur la proposition de de la loi Fauchon relative à la définition des délits non intentionnels,
20 janv. 2000
176 

 
I. Un dispositif pénal à parfaire quant à la responsabilité pénale des
autorités locales
Si la décentralisation est le transfert de compétences étatiques vers les
collectivités territoriales, il revient surtout aux élus locaux d’en assurer la gestion
d’une manière diligente. A défaut, leur responsabilité pénale pourrait être
recherchée715.
La responsabilité pénale des élus locaux peut être engagée sur le fondement
des dispositions pénales applicables à l’ensemble des justiciables. Il en sera ainsi
lorsque que l’infraction est commise dans un cadre strictement privé ou détachable du
service. Pour les infractions commises dans le cadre de leur mandat, la qualité de
personne exerçant une fonction publique entraîne l’application de règles spécifiques
(A). Il faut en outre envisager la situation délicate des élus locaux en matière
d’infraction non intentionnelle (B).
A – La mise en cause de l’élu local en qualité de fonctionnaire
La qualité de personne exerçant une fonction publique peut être prise en
compte dans la définition de l’infraction (1) ou la détermination du régime de la
sanction (2). L’article 131 du code pénal camerounais ne définit pas la qualité de
fonctionnaire ou d’agent public. Il énumère les personnes concernées, les
fonctionnaires de par leur statut (magistrat, militaire, préposé ou commis de l’Etat,
etc.), mais aussi les personnes qui le deviennent dès lors qu’elles sont chargées, même
occasionnellement, d’un service, d’une mission ou d’un mandat publics. La qualité de
fonctionnaire ou agent public s’applique par conséquent aux élus locaux. Il faut
toutefois que l’infraction soit commise dans l’exercice ou l’occasion de l’exercice des
fonctions, de la mission ou mandat ou liée aux fonctions antérieurement exercées. La
qualité s’étend aux personnes ayant reçu une délégation de pouvoir valable.
1 – La prise en compte de la qualité d’agent public dans la qualification des
infractions
Les délits de fonction supposent que la personne poursuivie ait la qualité
requise par le texte d’incrimination. A défaut, aucune répression n’est possible. Il est
ainsi lorsque la loi exige que l’auteur de l’infraction soit un fonctionnaire ou un agent
public716.
Au premier rang des comportements reprochés à l’élu local figurent les
manquements au devoir de probité procurant un avantage illégitime à l’élu local717.
S’agissant de la corruption qui sanctionne le fait pour tout un agent public de
s’abstenir de faire ou d’ajourner un acte de sa fonction ou facilité par sa fonction en
contrepartie d’offres ou de promesses qu’il sollicite ou agrée, le corrompu doit avoir

                                                            
715
En droit français, le principe de la responsabilité pénale d’un maire a été posé dans la décision du
Tribunal des conflits du 14 janv. 1935, Thépaz GAJA n° 48, 15è éd. 2005. Contrairement aux ministres de
la République qui sont attraits devant la Cour de justice de la République, les élus sont soumis au régime
procédural de droit commun, le privilège de juridiction mis en place pour ces agents lorsqu’ils étaient mis
en cause dans une affaire pénale a été supprimé par la loi n° 93-2 du 4 janv. 1993 portant réforme de la
procédure pénale, J.O 5 janv. 1993. Les élus locaux peuvent cependant demander le dépaysement ou la
délocalisation de l’affaire.
716
A. FITTE-DUVAL, « Fonctionnaire et agent public », Rép. pén. Dalloz
717
R. SALOMON, La rigueur du droit pénal de la probité publique, Dr. pénal. 2012, p. 11.
177 

 
la qualité d’agent public (art. 134 et 134 bis CP cam., 432-11 al 1 et 433-1 CP fr.)718.
Doit être déclaré coupable le maire d'une commune avait réclamé une somme d'argent
à une personne pour lui délivrer un permis de construire719 ou qui entreprend de
solliciter les entreprises travaillant pour la mairie en situation de dépendance
économique à son égard720.
L’intérêt dans un acte et la participation dans une affaire ou la prise illégale
d’intérêts consistent pour l’agent public, à prendre, directement ou indirectement, un
intérêt quelconque ou une participation dans une entreprise ou dans une opération
dont il a, au moment de l’acte, en tout en partie, la charge d’assurer la surveillance,
l’administration, la liquidation ou le paiement (art. 135 et 136 CP cam., 432-12 et
432-13 CP fr.)721.
Le trafic d’influence est commis par une personne dépositaire de l’autorité
publique qui abuse du crédit réel ou supposé que lui donne son mandat pour faire
obtenir un avantage quelconque d’une autorité publique ou d’une administration (art.
161 CP cam., 432-11 CP fr.)722. Le délit est constitué lorsqu'un adjoint au maire
délégué à la commission des travaux publics perçoit des fonds pour user de son
influence afin de faire attribuer à une entreprise l'adjudication d'un marché public723.
La concussion punit le fait pour le fonctionnaire, soit d’exiger des droits, taxes,
redevances, impôts ou contributions qui ne sont pas dus ou des avantages matériels
sans en payer le juste prix, soit d’accorder sous une forme quelconque et pour quelque
motif que ce soit, une exonération ou franchise des droits, contributions, impôts ou
taxes publics en violation des textes légaux ou réglementaires (art. 137 et 142 CP
cam., 432-10 CP fr). Est justifiée la condamnation du maire qui, pour continuer à
percevoir la partie de ses indemnités de fonction, frappée par la réglementation sur le
cumul des mandats, la délègue fictivement à un adjoint et se la fait reverser par ce
dernier se rend coupable de concussion, ces indemnités étant constitutives de droits724.
De même, caractérise une exonération illégale de droits le fait, pour un maire, d'avoir
octroyé gratuitement à l'entraîneur du club de football local la jouissance d'un
logement de la commune sans délibération préalable du conseil municipal,
                                                            
718
Crim. 25 janvier 2012, pourvoi n° 11-82130 ; Trib. cor. Paris, 5 déc. 2013, http://www.transparency-
france.org.
719
Crim. 20 mai 2009, pourvoi n° 08-83789.
720
Crim. 30 juin 1999, pourvoi n° 96-81242.
721
Crim. 11 mars 2014, pourvoi n° 12-88312 ; 29 juin 2011 pourvoi n° 10-87498 ; C. SOULARD, « La
prise illégale d’intérêts des élus et fonctionnaires des collectivités territoriales », in Responsabilité pénale et
activités des collectivités territoriales, op. cit., p. 95 ; L'article 432-12 CP fr. prévoit une dérogation au
profit des élus des communes de moins de 3 500 habitants pour passer des contrats avec la commune à leur
profit en ce qui concerne le transfert des biens mobiliers ou immobiliers ou pour la fourniture des services
dans la limite d'un montant annuel fixé à 16 000 € ou l’acquisition d’un lot communal pour y édifier leur
habitation personnelle ou conclure des baux d'habitation avec la commune pour y édifier leur propre
logement. Ils peuvent acquérir un bien au profit de la commune pour la création ou le développement de
leur activité professionnelle. Les actes doivent être autorisés par une délibération du conseil municipal, lors
d'une séance publique à laquelle ne peut participer l'élu bénéficiaire. Les biens doivent avoir été évalués par
le service des domaines.
722
Crim. 12 juin 2014, pourvoi n° 13-81449.
723
Crim. 8 janv. 1998, Dr. pénal 1998. comm. 98, obs. M. Véron.
724
Crim. 14 févr. 1995, pourvoi n° 94-80797 ; Crim. 10 oct. 2012, pourvoi no 11-85914 : qualifie l’acte de
de concussion le fait pour le maire d’autoriser l’occupation à titre gratuit d'un terrain communal.
178 

 
conformément aux dispositions des articles L. 2121-29 et L. 2122-21 du code général
des collectivités territoriales725.
Le délit de favoritisme est le fait pour un élu de procurer ou de tenter de
procurer à autrui un avantage injustifié (art. 143 CP cam., art. 432-14 CP fr.)
notamment dans l’attribution des marchés publics726.
Contrairement au droit français (art. 432-15 et 432-16 CP fr.), le détournement
de biens publics n’implique pas la qualité d’agent public puisqu’il est défini comme le
fait pour quiconque d’obtenir ou de retenir frauduleusement un bien appartement à
l’Etat, une collectivité, un établissement publics ou soumis à la tutelle administrative
de l’Etat ou dont l’Etat détient directement ou indirectement une partie du capital (art.
184 CP cam.)727. Est coupable de détournement de fonds publics le maire qui organise
une fête pour son anniversaire, réunissant le personnel communal, avec l'argent de la
commune ou qui, pendant de longs mois et gratuitement, met à la disposition d'un de
ses amis un photocopieur loué et payé par la commune728.
Les atteintes à l’autorité de l’Etat concernent l’abus d’autorité envers
l’administration ou les particuliers.
L’abus d’autorité peut être commis envers l’administration. Est ainsi
sanctionné le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique, agissant dans
l'exercice de ses fonctions, de prendre des mesures destinées à faire échec à
l'exécution de la loi (art. 432-1 CP). Le délit d’abus d’autorité est constitué lorsque le
maire d'une commune intervient auprès des policiers municipaux placés sous son
autorité afin de les empêcher de rendre compte à l'officier de police judiciaire
territorialement compétent de plusieurs contraventions commises par le directeur des
services techniques de la ville, lequel venait d'être interpellé dans une commune
voisine729. On peut également signaler le délit de déficit non signalé défini comme le
fait pour un fonctionnaire ayant connaissance d’un déficit de caisse ou d’un déficit
comptable dans la gestion d’un agent placé sous ses ordres ou sous sa surveillance de
ne pas le dénoncer à l’autorité judiciaire la plus proche (art. 138 CP cam.).
Est sanctionné le fait pour une personne dépositaire de l'autorité publique ou
chargée d'une mission de service public, ou pour une personne investie d'un mandat
électif public, ayant été officiellement informée de la décision ou de la circonstance
mettant fin à ses fonctions, de continuer à les exercer (art. 432-3 CP fr.). C’est le cas
du pour un maire qui préside une séance du conseil municipal après sa révocation730.
L’article 124 du code pénal camerounais réprime la coalition qui est une
concertation ou une délibération entre les personnes dépositaires de quelque partie de
l’autorité publique portant sur des mesures contraires aux lois ou des mesures, y

                                                            
725
Crim. 31 janv. 2007, pourvoi n° 06-81273 : caractérise une exonération illégale de droits le fait, pour un
maire, d'avoir octroyé gratuitement à l'entraîneur du club de football local la jouissance d'un logement de la
commune sans délibération préalable du conseil municipal, conformément aux dispositions des articles
L. 2121-29 et L. 2122-21 du code général des collectivités territoriales.
726
Crim. 22 janv. 2014, pourvoi n° 13-80759 ; Crim. 15 sept. 1999, pourvoi n° 98-87588.
727
Crim. 14 févr. 2007, pourvoi n° 06-81107.
728
Crim. 20 mai 2009, no 08-87354.
729
Crim. 5 févr. 2013, pourvoi n° 12-80081, Dalloz actualité, 6 mars 2013, obs. Bombled
730
Crim. 30 oct. 1886, Bull. crim. no 364.
179 

 
compris, des démissions collectives ou forfaiture ayant pour objet principal
d'empêcher ou de suspendre l'exécution d'un service public.
Les abus d’autorité contre les particuliers concernent les atteinte aux droits ou
intérêts privés (art. 140 CP cam.) ou atteintes à la liberté individuelle (art. 432-4 CP
fr.)731, les discriminations732 (art. 432-8 CP fr.), les atteintes à l'inviolabilité du
domicile (art. 432-7 CP fr) et les atteintes au secret des correspondances (art. 432-9
CP fr.).
La responsabilité pénale des élus locaux peut aussi tenir à leur qualité
d’officier d’état civil, en ce qui concerne la tenue des registres d’état civil (art. 150 CP
cam.) ou l’établissement des actes de mariages (art. 149 CP cam.). Il est de même
pour leur rôle en matière électorale. Des poursuites peuvent être exercées en cas de
falsifications des listes électorales ou en cas d’atteinte à la sincérité du scrutin (art.
122 CP cam., L88 et L113 C. élect. fr.) Il est de même lorsque l’élu local empêche un
citoyen d’exercer ses droits électoraux (art. 141 CP cam.).
Le maire peut être poursuivi dans tous les cas où il est établi qu’il n’a pas
respecté intentionnellement la législation applicable dans le cadre de son activité. Est
déclaré coupable le maire qui exécute des travaux de réalisation d’une aire de sports
sans autorisation733. Il en est de même lorsqu’il n’exerce pas ses pouvoirs alors qu’il a
le devoir et la possibilité de le faire. Le fait de tolérer un attroupement ou des
violences contre les personnes ou des actes attentatoires aux libertés et droits
individuels est ainsi réprimé (art. 145 et 146 CP cam.).
La plupart de ces infractions sont intentionnelles. La preuve de la faute de la
faute doit être établie par le ministère public. Mais le juge français se montre sévère,
déduisant l’intention des circonstances de commission des faits. Ainsi, en cas de
corruption, l’intention résulte de la violation délibérée par l’agent du devoir de probité
et de sa parfaite connaissance de sa situation, et des sollicitations effectuées auprès
contre rémunérations734. De même, le prévenu peut difficilement invoquer l’erreur de
droit. Ainsi un maire en fonction depuis plus de deux ans ne peut se réfugier derrière
une prétendue méconnaissance de la procédure d’appel d’offres735.
2 – La prise en compte de la qualité de fonctionnaire dans la détermination de
la peine
La qualité d’agent public constitue une circonstance aggravante lorsque la loi
le prévoit. L’élu local encourt alors être des peines plus sévères que celles
normalement prévues. Les sanctions sont aggravées en cas de violences contre autrui
commises par un fonctionnaire (art. 132 (1) CP cam., 222-8 CP fr.) ou de faux ou
                                                            
731
Cette infraction peut être commise par un maire décidant arbitrairement du placement d'office d'une
personne dans un établissement spécialisé
732
Crim. 1er sept. 2010, pourvoi n° 10-80.584, AJ pénal 2010. 506, obs. Royer ; AJCT 2010. 125, note
Fitte-Duval : le fait, pour le maire d'une commune, de priver une élue municipale de son droit à l'expression
en raison du port, par celle-ci, d'une croix symbolisant son appartenance à la religion chrétienne est bien
constitutif du délit de discrimination par une personne dépositaire de l'autorité publique à raison de
l'appartenance religieuse ; CA Paris 11e ch., 1er juin 1989, Juris-Data no 024476 : un maire qui refuse pour
des raisons de sécurité, et non en raison de leur origine, l'occupation d'un foyer d'hébergement par des
ouvriers étrangers n'est pas coupable du délit de discrimination.
733
Crim. 8 déc. 1993, pourvoi n° 93-80887
734
Crim. 19 mars 2003, pourvoi n° 02-80374.
735
Crim. 15 sept. 1999, Juris-Data n°003934.
180 

 
d’usage de faux (art. 144 CP cam., 441-2, 441-3, 441-4, 444-1 CP fr). Les sanctions
sont doublées en cas de violation de domicile, de violation de correspondance, de
violation de secret professionnel, de copie de documents administratifs (art. 132 (2) C.
cam.). Selon l’article 89 du code pénal camerounais, la qualité d’agent public est une
circonstance aggravante de la responsabilité pénale en dehors des cas où la loi règle
spécialement les peines encourues pour les crimes et les délits par commis par ceux
qui se sont rendus coupables d’autres crimes ou délits qu’ils étaient chargés de
prévenir.
Lorsque l’élu local est condamné pour une infraction commise dans l’exercice
de ses fonctions ou dans le cas spécifique de l’article 89 du code pénal camerounais,
des déchéances peuvent être prononcées (art. 133 CP cam.). Le juge peut ordonner la
destitution et l’exclusion de toutes les fonctions, l’interdiction de porter toute
décoration, l’interdiction d’être juré, l’interdiction d’être tuteur, curateur, subrogé
tuteur ou conseil judiciaire si ce n’est de ses propres enfants, l’interdiction de servir
dans les armées ou l’interdiction de tenir une école ou même d’enseigner (art. 30 CP
cam., art. 432-17 CP fr.). Ces peines s’appliquent obligatoirement en cas
condamnation pour corruption active ou passive d’un agent public, intérêt dans un
acte, participation dans une affaire ou trafic d’influence (art. 133 (1) al. 2 CP cam.).
La juridiction est également tenue de prononcer la peine de confiscation et la
publication de la décision par voie de presse écrite, de radio ou de télévision (art. 133
(2) CP cam.). En droit français, ces peines ne sont plus automatiques et ne peuvent
être appliquées que si elles ont été prononcées par la juridiction (art. 132-17 CPF). Il
en est de même pour l’inéligibilité (art. 7 C. élect. F)736.

B – La responsabilité de l’élu local pour faute non intentionnelle commise


dans le cadre de sa mission
La faute non intentionnelle ne concerne pas les crimes qui sont toujours
intentionnels. Elle constitue une exception légale au principe selon lequel les délits
nécessitent une intention. Elle ne peut être établie en matière délictuelle que dans les
cas prévus par la loi (art 74 (4) CP cam., 121-3 al. 2, 3, 4 CP fr.). Elle traduit la
volonté de violer la loi pénale sans pour autant rechercher la production d’un résultat
dommageable pour autrui.
Pour le juge pénal français, la responsabilité des autorités locales pour faute
non intentionnelle commise dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de sa
mission est fondée sur le fait qu’elles ont le devoir de prendre les règlements
nécessaires pour prévenir les risques, d’assurer l’exécution des mesures prescrites par
les lois et règlements et d’informer les populations des risques737. L’élu local n’a pas
pu ou su prévenir le dommage alors qu’il s’est vu confier par la loi le pouvoir et le
devoir de le faire : soit il dispose de pouvoir qu’il exerce seul, sans avoir besoin
                                                            
736
C. const, 11 juin 2010, QPC n° 010-6/7, JO 12 juin 2010 ; Rec. p. 111
737
A ce titre, la responsabilité des maires peut se rapprocher de celles des chefs d’entreprise. TGI Rennes, 9
février 1994 cité par P. BLUTEAU, Le Courrier des maires n° 251, novembre 2011 : à l'égard des activités
exercées par une personne morale, le respect des réglementations générales édictées dans un intérêt de
salubrité ou de sécurité publique est personnellement imposé à l'organe exécutif. La police municipale
comprend en vertu, de l’article L.2212-2 du CGCT (anc. L131-2 C. communes) le soin de prévenir, par des
précautions convenables les pollutions de toute nature.
181 

 
d’aucune délibération du conseil municipal et il ne l’a pas exercé, soit il ne peut agir
sans l’intervention du conseil municipal et il s’est abstenu de le faire, ou a laissé
s’écouler un temps trop long avant de le faire738.
Il importe de préciser quel est le domaine de cette faute non intentionnelle
commise dans le cadre de l’activité communale (1) et analyser la nature de cette faute
selon que le maire est auteur direct ou indirect (2).
1 – Le domaine de la faute non intentionnelle commise par l’élu local
L’application de la faute non intentionnelle est assez large et peut couvrir tous
les domaines dans lesquels le maire peut exercer des pouvoirs ou des missions. Il
s’agira le plus souvent de délits liés à un manque de précautions (maladresse,
imprudence, négligence) ou à l’inobservation de la réglementation.
La responsabilité pénale du maire résulte de l’exercice des compétences en
matière de police générale et spéciale, le maire étant le premier garant de la
tranquillité, la sécurité et la salubrité publique sur le territoire de la commune. Le rejet
par une station d'épuration, établissement communal exploité en régie, d'effluents
nocifs pour la vie et la nutrition des poissons engage la responsabilité pénale du maire
dans la mesure où l'article L2212 du code général des collectivités territoriales (anc.
L. 131-2 C. communes) lui confie le soin de prévenir et de faire cesser les accidents et
les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de tout nature, de pourvoir d'urgence à
toutes les mesures d'assistance et de secours et s'il y a lieu, de provoquer l'intervention
de l'administration supérieure739. Est responsable pénalement le maire qui n’a pas pris
les mesures suffisantes pour éviter les nuisances sonores en provenance d’une salle
polyvalente municipale740 ou pour assurer la protection d’un puits communal741. La
même solution s’applique en matière d’urbanisme742, de circulation routière743,
d’environnement ou encore d’hygiène et de santé.
La responsabilité peut aussi recherchée à l’occasion des pouvoirs de gestion et
des activités de services publics, la surveillance ou le contrôle des installations. Est
déclaré coupable le maire qui n’a pas vérifié le respect des prescriptions de la
commission de sécurité d’une maison de retraite744. Constitue une méconnaissance de
ses obligations légales, le fait pour un maire de ne pas assurer l’exécution de la
réglementation sur la protection des risques d’incendie745. Il en est de même si, le
                                                            
738
Crim. 3 avril 1996, n° 95-80062 ; TGI Chaumont, 17 mai 1994, Juris-Data n° 1994-603242 : les
pouvoirs propres de police du maire lui donnent la possibilité de réglementer ou d’interdire l’écoulement du
purin et qu’en s’abstenant d’utiliser ses pouvoirs, il a fait preuve de négligence et a laissé se produire les
écoulements polluants.
739
TGI Rennes, 9 février 1994, op. cit.
740
CA Bordeaux, 10 oct. 1991, Jurisdata n° 049095.
741
Crim. 18 juil. 1995, Dr. pénal 1995, obs. J.-H Robert : pollution d’eau à la suite de l’absence d’exercice
par le maire de ses pouvoirs de police pour interdire le déversement de purin
742
C. DE BERNARDINIS, « Collectivités territoriales et droit pénal de l’urbanisme », in Responsabilité
pénale et activités des collectivités territoriales, op. cit. p. 145.
743
Crim., 4 juin 2013, pourvoi n° 12-86389 : qu'en statuant ainsi, sans rechercher si, comme elle y était
invitée, le maire , à raison notamment de la dangerosité des lieux et de l'inadaptation du tracé de la route au
volume et à la longueur des cars scolaires, avait effectué toutes les diligences normales au regard du risque
d'accident prévisible, compte tenu de ses pouvoirs en matière de circulation.
744
Crim. 9 nov. 1999, D. 2000, IR 59
745
P. Soler Couteaux, « La responsabilité pénale du maire en matière d’établissement recevant du public »,
Maires de France, juin-juil-août 1997
182 

 
maire informé de la dangerosité d’une installation, ne prend pas les mesures
nécessaires par inaction ou négligence afin de faire cesser le péril746. En sa qualité
d’autorité chargée de l’exécution d’un permis de construire délivré par l’autorité
préfectorale et en sa qualité d’autorité chargée d’assurer la protection contre les
risques d’incendie dans les établissements recevant du public, est jugé responsable
pénalement le maire qui ne s’est fait remettre ni déclaration d’ouverture, ni
déclaration d’achèvement des travaux et n’a pas organisé la visite des lieux pour
assurer la préservation des règles de sécurité et de prescription du permis de
construire747.
Est justifiée la condamnation d’un maire pour homicide involontaire à la suite
du décès par électrocution d’un usager d’une voie communale dû à la défectuosité
d’un lampadaire748 ou qui n’a pas procédé à la mise en conformité exigée par la
réglementation d'une installation défectueuse d'un chauffe-eau ayant provoqué
l'intoxication de deux occupants d'un logement appartenant à la commune749.
Les responsables locaux doivent désigner les personnes chargées de veiller à la
mise en œuvre des règles et de sécurité et leur donner les moyens de la mission qui
leur est confiée. En cas d’accident, leur culpabilité peut être établie, faute de ne pas
s’être inquiétés de cette situation et de ne pas avoir pris les mesures adéquates750.
2 – La participation de l’élu local à l’infraction
La répression des délits non intentionnels implique généralement la survenance
d’un dommage751 dont la gravité permet moduler la sanction. Lorsque le dommage est
constaté, il faut établir un lien de causalité entre la faute et le résultat. Le
comportement imprudent doit avoir été à l’origine du dommage.
La théorie de l’équivalence des conditions, généralement utilisée pour
apprécier le lien de causalité, permet de retenir toutes les fautes ayant contribué à la
réalisation du dommage et ne nécessite pas, pour que la responsabilité soit retenue, un
lien direct, ni une faute exclusive752. Il suffit que le lien soit certain. Toute faute,
même la poussière de faute traduisant une défaillance quelle qu’elle soit et entraînant
un dommage, peut alors être retenue.
Cette théorie est préjudiciable aux élus locaux. Ils ne disposent pas toujours de
moyens suffisants leur permettant d’agir efficacement et ne décident pas du montant
                                                            
746
Crim. 2 déc. 2003, Bull. crim. n° 231, op. cit. ; Crim. 18 mars 2003, pourvoi n° 02-85523, op. cit. ;
Crim. 4 juin 2002, Bull. crim. n° 127, op. cit. ; CA Grenoble 5 août 1992, JCP G, n.21-959.
747
Crim. 14 mars 1974, Bull. crim. n° 115
748
Crim. 21 févr. 1990, pourvoi n° 89.85117.
749
Crim. 18 juillet 1984, pourvoi n° 83-95016.
750
E. DUPIC, « Le risque pénal des collectivités territoriales », in Responsabilité pénale et activité des
collectivités territoriales, op. cit., p.179 ; M.-F STEINLE-FEUERBACH, « La responsabilité des maires en
cas de catastrophe (au regard des procès de Bruz et de Barbotan) ou la fausse nouveauté de la loi n° 93-393
du 13 mai 1996 », JCP G, n° 43, 1997, p. 435 : après l’incendie des thermes de Barbotan le 27 juin 1991
(20 morts, 11 blessés) et de l’hôpital psychiatrique de Bruz les 24 et 25 juin 1995 (20 morts, 1 blessé), les
maires ont été condamnés pour ne pas avoir provoqué la visite de la commission de sécurité compétente.
751
En principe, en l’absence de dommage, une telle imprudence est sanctionnée au titre d’une
contravention, sauf lorsque la loi incrimine le délit de risques causés à autrui constitué par la faute de mise
en danger délibérée.
752
Crim. 28 mars 1973, Bull. crim. n° 157 : la responsabilité est engagée dès lors que les fautes commises
par le prévenu, sans lesquelles l’accident mortel ne serait pas produit, sont à l’origine de celui-ci en ayant
créé les conditions qui l’ont rendu possible.
183 

 
des moyens qui leur sont alloués. Ils ne sont pas toujours préparés à la gestion de la
chose publique et n’envisagent pas nécessairement l’étendue de leur mission, car ils
ne suivent pas de formation spécifique, et ne sont investis de leurs pouvoirs, de leurs
fonctions et de leurs missions que par la loi et le règlement. Enfin, leur responsabilité
peut être engagée alors qu’ils ne sont pas directement impliqués dans la survenance
du dommage.
En France, cette situation a suscité une réelle l’inquiétude surtout chez les élus
des petites communes qui voyaient fréquemment leur responsabilité engagée pour des
accidents survenus à leurs administrés dans le cadre des équipements collectifs. Elle a
également engendré une diminution de candidatures aux fonctions municipales et des
risques de démission collective. Le législateur français a dû intervenir, avec la loi du
10 juillet 2000 tendant à la définition de délits non-intentionnels753 en introduisant une
distinction selon que la causalité est directe ou indirecte754. Le régime ne s’applique
cependant pas de manière spécifique aux élus locaux puisqu’il bénéficie à toutes les
personnes, à l’exclusion des personnes morales pour lesquelles la question de la
causalité ne se pose guère.
a- L’élu local, auteur direct du dommage
La causalité est directe lorsque la personne a, soit elle-même frappé ou heurté
la victime, soit initié ou contrôlé le mouvement d’un objet qui aura heurté ou frappé la
victime. Toutefois, pour la jurisprudence, la causalité directe n’implique cependant
pas qu’il faille retenir le dernier événement survenu dans le processus causal. On peut
retenir le facteur déterminant et appliquer la causalité adéquate755.
Lorsque l’activité de l’élu local est la cause directe du dommage, sa
responsabilité est engagée quelle que soit la gravité de sa faute. Il suffit alors d’établir
même une simple faute d’imprudence (art. 121-3 al. 3 CP fr.)
La faute simple ou ordinaire correspond à celle prévue par le droit
camerounais. Elle est constituée par la maladresse, la négligence, l’imprudence,
l’inattention ou l’inobservation des règlements756 (art. 289 CP cam.). La loi
camerounaise ne précise pas si l’appréciation du lien de causalité par le juge doit se
faire in abstracto en fonction du comportement adopté par un individu abstrait
normalement prudent et diligent ou in concreto en tenant compte des capacités ou de

                                                            
753
Loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000, dite Loi Fauchon, JO 11 juillet ; Y. MAYAUD, « Retour sur la
culpabilité non intentionnelle en droit pénal », D. 2000. chron. 603.
754
C. HUGLO, « Les délits liés au manque de précaution : risques et environnement », LPA, n° 20, 25 févr.
1995, p. 22 ; S. PETIT, « La responsabilité pénale des auteurs indirects des contraventions d’imprudence »,
Gaz. Pal. 26-27 janv. 2001, p. 7 ; J.-M PONTIER, « La responsabilité pénale des élus locaux », Rev. adm.
n° 293, 1996, p. 551 ; S. JACOPIN, « Mise au point sur la responsabilité pénale des élus et des agents
publics : limitation ou élargissement des responsabilités », D. 2002, p. 507.
755
Crim. 23 oct. 2003, Bull. crim. n° 217 : il y a un lien direct entre les fautes commises par le médecin qui
avait procédé à un accouchement en utilisant des forceps, provoquant l’enfoncement de la voûte crânienne
de l’enfant ainsi qu’une fracture hémorragique et le décès de l’enfant même si le décès résulte de la
décision des parents de stopper la réanimation.
756
Le code pénal français parle de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la
loi ou le règlement. Le mot règlement est compris dans son administratif et ne couvre que les décrets et
arrêtés, à l’exclusion des règles professionnelles ou déontologiques, les circulaires, les instructions
ministérielles ou même les stipulations contractuelles dont la violation peut être sanctionnée au titre de
l’imprudence ou de la négligence. En revanche, il peut s’agir d’un règlement européen.
184 

 
la situation personnelle du prévenu. Le code pénal français dispose que la faute
d’imprudence ne peut être retenue que s’il est établi que le prévenu n’a pas accompli
les diligences normales, compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou
ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait
(art. 121-3 al. 3CP fr.). Lorsqu’il s’agit des maires, il faut aussi tenir compte des
difficultés propres aux missions qui leur sont confiées par la loi doivent également
être prises en compte (art. L2123-34 CGCT). Le juge pénal doit apprécier les mesures
de prudence normalement exigées dans l’activité exercée par le prévenu, des moyens
à sa disposition ainsi que des contraintes financières et/ou techniques auxquelles est
confronté le maire757.
b. L’élu local, auteur indirect du dommage
Il faut distinguer deux hypothèses de causalité indirecte qui suppose la
survenance d’un événement entre le fait du prévenu et le dommage (art. 121-3 al 4 CP
fr.). Il peut s’agit de l'action ou l'omission d'un tiers, voire de la victime elle-même ou
un évènement n’ayant pas le caractère de force majeure. La première correspond à la
situation des personnes qui, sans avoir directement causé le dommage, ont créé ou
contribué à créer la situation qui a permis sa réalisation. Il peut ainsi y avoir plusieurs
auteurs indirects dont les fautes en concours sont susceptibles d’engager leur
responsabilité pénale. La seconde hypothèse concerne les personnes qui n’ont pas pris
les mesures permettant d’éviter le dommage qu’elles n’ont pas réalisé elles-mêmes.
Telle est la situation du maire qui ne s’est pas assuré de la stabilité d’une buse qui, en
se déplaçant, a écrasé un enfant dans une aire communale758 ou encore celui qui ne
s’est pas assuré de la stabilité d’une cage de buts mobiles dont la barre transversale a
blessé un enfant759 ou qui n’a pas pris les mesures de sécurité nécessaires lors du
défilé d’une fanfare municipale760.
Depuis la réforme française de la faute non intentionnelle, le maire est
généralement poursuivi en tant qu’auteur indirect. Il faut démontrer qu’il a commis
une faute qualifiée, soit une faute de mise en danger délibérée, soit une faute
caractérisée, c’est-à-dire des fautes d’imprudence graves.
La faute de mise en danger est la violation manifestement délibérée d’une
obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le
règlement761. Elle caractérise une imprudence consciente, l’agent adoptant
volontairement un comportement contraire à celui qui lui est imposé par la loi dans le
cadre d’une activité déterminée, sans pour autant rechercher un résultat. Elle implique
une obligation précise imposant un comportement circonstancié dans une activité

                                                            
757
CA Lyon, 6 juillet 1995, Juris-Data n°1995-047688
758
Crim. 20 mars 2001, Bull. crim. n° 75.
759
Crim. 4 juin 2002, Bull. crim. n° 127.
760
Crim. 18 juin 2002, Bull. crim. n° 138.
761
En l’absence de dommage, cette faute constitue le délit de risques causés à autrui (art. 223-1 CP fr.). M.
LOBE LOBAS, « Définition de l’élément matériel du délit de risques causés à autrui en matière
d’installations classées », Dr. envir. 2008, n° 157, p. 20 ; M. PUECH, « De la mise en danger d’autrui », D.
1994, p. 154. En cas de survenance du dommage, elle peut être retenue comme une circonstance aggravante
pour les infractions non intentionnelles notamment en matière d’homicide ou de blessures involontaires.
185 

 
donnée. Cette faute est difficile à retenir lorsque le maire agit dans le cadre de sa
mission de police générale762.
La faute caractérisée est celle qui, en l’absence d’une prescription légale ou
réglementaire édictant une obligation de sécurité expose autrui à un risque d’une
particulière gravité que l’auteur de la faute ne pouvait ignorer. C’est une faute
d’imprudence d’une exceptionnelle gravité et intensité, excluant les fautes légères763.
La gravité de la faute dépend de la nature du risque764 et de son degré de probabilité
élevé. L’auteur devait avoir connaissance du risque et cette connaissance est
appréciée en fonction de ses activités et fonctions. Commet un faute caractérisée le
maire qui, personnellement informé de la dangerosité de l’aire de jeux, installés
préalablement à son élection mais connue de lui, omet d’accomplir les diligences qui
s’imposaient alors qu’il avait les compétences, les moyens et l’autorité nécessaire
pour prévenir le dommage en faisant enlever la buse, le cas échéant, de la faire fixer
ou stabiliser765. En revanche, est justifiée la relaxe d'un maire poursuivi pour
homicide involontaire à la suite de la chute, sur un enfant, de la barre d'une cage de
gardien de but, dès lors que, si le prévenu était informé, notamment par des circulaires
préfectorales, de la dangerosité des cages mobiles, il n'était pas démontré qu'il avait
eu connaissance de la présence sur le terrain communal, équipé de cages fixes, de
cages mobiles en surnombre acquises par le club de football766.
La faute caractérisée est facilement retenue en cas de violation d’une obligation
de sécurité, même si elle n’est pas particulière767. Ainsi, commet une faute
caractérisée le maire qui ne se préoccupe de la conformité des installations électriques
aux normes de sécurité et des prescriptions à observer lors des manifestations et qui
s’abstient de vérifier ou de faire vérifier les règles de sécurité768.
En tout état de cause, le maire de la commune peut voir sa responsabilité
engagée pour la plupart des actes contraires à l’intérêt communal769. Il est cependant
                                                            
762
Crim. 25 juin 1996, Bull. crim. n° 274, RSC 1997, p. 106, obs. Y. Mayaud : ne constitue pas une
obligation particulière le décret du 13 mai 1974 relatif à la surveillance de la qualité de l’air dans
l’agglomération qui laisse au maire et au préfet la liberté d’appréciation dans la mise en œuvre des
procédures d’alerte à la pollution.
763
M.-F. STEINLE-FEUERBACH, Le procès de l’incendie du tunnel du Mont-Blanc : justice et pédagogie,
JAC n° 68 ; M. LOBE LOBAS, Accident mortel consécutif à une fête d’année scolaire : faute caractérisée
d’un enseignant, JAC n° 102 ; QPC : Refus de transmission au Conseil constitutionnel de la QPC relative à
la définition de la faute caractérisée, ss Crim, QPC 24 septembre 2013, pourvoi n°12-87-059, JAC n° 137.
764
Il peut s’agir d’un risque de mort, de blessures graves ou même d’une pollution importante : Crim. 19
oct. 2004, Bull. crim. n° 247.
765
Crim. 2 déc. 2003, Bull. crim. n° 233.
766
Crim. 4 juin 2002, op. cit.
767
Crim. 11 juin 2003, Bull. crim. n° 121, LPA 19 févr. 2004, p. 12, note M.-F STEINLE-FEUERBACH.
768
Crim. 18 juin 2002, Bull. crim. n° 138, op. cit. ; Crim. 18 mars 2003 : commet une faute caractérisée le
maire qui, connaissant la configuration des lieux, ne réglemente pas la circulation des dameuses en dehors
des pistes de ski alpin et qui a ainsi contribué à créer la situation à l'origine du décès d'un enfant déchiqueté
par l'un de ces engins qui traversait une piste de luge
769
Selon l’art. L2123-34 CGCT, la commune doit assumer les frais pour la procédure judiciaire. Elle doit
accorder sa protection au maire, à l’élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation ou à l’un de ces
élus ayant cessé ses fonctions lorsque celui-ci fait l’objet de poursuites pénales à l’occasion de faits qui
n’ont pas le caractère de faute détachable de l’exercice de ses fonctions. Si la faute commise est une faute
détachable du service, la collectivité peut demander à l’élu le remboursement des dépenses engagées. V. N.
ACH, « Responsabilité des collectivités territoriales et responsabilité personnelle des agents de
186 

 
nécessaire de moduler la répression afin de permettre le développement de la
démocratie locale et de ne pas perturber la prise de décision. La responsabilité de l’élu
local ne devra alors être recherchée que pour les faits intentionnels qui traduisent une
véritable volonté porter atteinte à l’intérêt général et pour les fautes non
intentionnelles graves reflétant d’une certaine manière, la conscience du risque ou du
dommage. Encore faudrait-il que les justiciables pensent à mettre en cause
pénalement les élus locaux lorsque les faits sont avérés.

II – Un dispositif imprévu quant à la responsabilité pénale des communes


Les communes sont des personnes morales disposant d’une autonomie
juridique et d’une capacité financière. Admettre leur responsabilité pénale en droit
camerounais implique d’abord de revenir sur le principe de l’irresponsabilité pénale
des personnes morales (A), option qui relève du législateur dans le cadre de sa
politique criminelle (B).
A – La question de la responsabilité pénale des personnes morales
Si le code pénal camerounais n’énonce que le principe de la responsabilité des
personnes physiques (1), la mise en cause de la personne morale fait toutefois l’objet
d’une timide affirmation dans des lois spéciales (2).
1. Le principe de l’irresponsabilité des personnes morales en droit camerounais
Le législateur camerounais fait toujours sienne la doctrine selon laquelle les
personnes morales ne peuvent être poursuivies ni punies pour une infraction pénale770.
L’article 74 alinéa 1 du code pénal camerounais dispose qu’aucune peine ne peut être
prononcée qu’à l’encontre d’une personne pénalement responsable et l’alinéa 2
énonce qu’est également pénalement responsable celui qui volontairement commet les
faits caractérisant les éléments constitutifs d’une infraction avec l’intention que ces
faits aient pour conséquence la réalisation de l’infraction. Ces dispositions sont
interprétées comme étant applicables aux seules personnes physiques771.
Brièvement évoquées, les raisons mises en avant pour justifier
l’irresponsabilité des personnes morales tiennent au fait que ces entités qui n’ont ni
existence réelle, ni une volonté propre et dont l’objet social n’est pas la commission
d’une infraction ne peuvent être des sujets pénaux. En outre, les peines privatives de
liberté ne sont applicables qu’aux personnes physiques et le prononcé des peines
pécuniaires porterait atteinte au principe de la personnalité des peines dans la mesure
où elles atteindraient les membres du groupe.
Ces divers arguments ne résistent pas à la critique. La personne morale a une
volonté propre, distincte de celle de ses membres, exprimée par ses organes. Il est
possible de prévoir des peines d’amende, de fermeture d’établissement ou de
dissolution applicables aux personnes morales. Toutes ces peines qui atteindront sans
aucun doute les membres du groupement comme l’est la famille d’une personne
                                                                                                                                              

l’administration », in Responsabilité pénale et activité des collectivités territoriales, Evolutions et


interactions, dir. H. RABAULT et P. TIFINE, L’Harmattan, 2011, p. 51.
770
G. STEFANI, G. LEVASSEUR, B. BOULOC, Droit pénal général, Dalloz ; H. RENOUT, Droit pénal
général, Paradigme, 2009, p. 176 ; F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica,
2009, 15è éd., n° 571.
771
Voir C. ASSIRA ENGOUTE, « Procédure pénale camerounaise et pratique des juridictions
camerounaises », Editions Clé, 2011.
187 

 
physique condamnée pénalement touchent en premier lieu les droits et le patrimoine
de la personne morale772. Quant à l’objet social qui serait incompatible avec la
commission d’une infraction, le constat est fait que diverses infractions sont liées de
manière directe ou indirecte à l’objet ou l’activité de la personne morale. A titre
d’exemple, on peut citer le cas de la Société camerounaise des dépôts pétroliers dans
le drame qui a causé la mort et les blessures à plusieurs victimes à la suite d’une
explosion de wagons-citernes contenant un liquide inflammable probablement en
dépit des règles élémentaires de prudence et de sécurité. Il en est de même des
agences de voyage dont la responsabilité pourrait être recherchée à la suite de divers
accidents de la circulation dus à la fois au mauvais état des routes dont l’entretien
incombe aux collectivités locales et au non-respect des règles de la circulation
routière ou au mauvais entretien des véhicules. Les personnes morales, par l’ampleur
des moyens dont elles disposent, peuvent être à l’origine d’atteintes graves à la santé
publique ou à l’environnement773 et sont souvent impliquées dans des opérations
complexes de corruption, de blanchiment d’argent ou de terrorisme774 par la création
de sociétés-écran. Dans ces situations, le responsable de l’entreprise peut être
poursuivi ou remplacé sans que la société elle-même ne soit inquiétée.
L’irresponsabilité des personnes morales a également comme inconvénient de
consacrer l’impunité des sociétés de nationalité étrangère qui commettraient des
infractions sur le territoire camerounais et qui ne pourraient être poursuivies ni sur le
territoire camerounais, ni au lieu de leur siège775. En raison du principe de la double
incrimination, pour qu’une personne morale française soit poursuivie sur le territoire
français, il faudrait que le droit camerounais incrimine les actes commis par les
personnes morales et détermine les règles procédurales applicables.
En sanctionnant la personne morale, il ne s’agit pas de faire jouer la fonction
rétributive de la peine. Il faut tenir compte du fait que les dirigeants sociaux
recherchent une certaine efficacité économique. La sanction doit pouvoir jouer un rôle
dissuasif et utilitaire lié au fait que la condamnation pénale peut être préjudiciable au
groupement qui, afin d’éviter la publicité et les effets qui en découleraient, prendrait
l’initiative de respecter la réglementation. Il en est de même du montant des amendes
dont le taux peut être élevé par rapport à l’amende encourue par les personnes
physiques. Il ne s’agit cependant pas de déresponsabiliser la personne physique dont
les poursuites peuvent être cumulées avec celles intentées contre la personne morale.
                                                            
772
Certaines peines à caractère réel comme la fermeture d’établissement concernent non seulement le
condamné et sa famille, mais aussi le titulaire du droit réel sur l’immeuble tel qu’un propriétaire ou un
usufruitier, personne physique ou morale, alors même qu’il est étranger à la commission de l’infraction. Il
suffit que l’établissement concerné par la mesure ait servi de lieu de commission de l’infraction.
773
R. BADINTER, « Présentation du projet du nouveau code pénal », D. 1998, p. 16 ; J. MOULY,
« Responsabilité des personnes morales et le droit du travail », LPA 1993, n° 120, p. 33 ; O. SAUTEL, « La
mise en oeuvre de la responsabilité des personnes morales », D. 2002, 1147
774
Directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005 relative à la prévention
de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme.
775
L’action publique exercée en France par les victimes camerounaises et l’association Sherpa contre la
société Rougier dont la responsabilité était recherchée pour complicité de corruption commise au
Cameroun a été jugée irrecevable au motif qu’il était impossible d’obtenir une condamnation de l’auteur
principal par les juridictions camerounaises in Association Le Sherpa, Les entreprises transnationales et
leur responsabilité- sociétale – Fiches pédagogiques, p. 82
188 

 
2. Les dérogations à l’irresponsabilité des personnes morales en droit
camerounais
Par dérogation au principe général posé par l’article 74 du code pénal
camerounais, divers textes spéciaux envisagent de manière explicite, mais avec des
portées différentes, la mise en cause pénale des personnes morales.
La loi n° 94/01 du 20 janvier 1994 portant régime des forêts, de la faune et de
la pêche prévoit que toute personne, physique ou morale, qui contrevient à ses
dispositions, est responsable et passible des peines prévues à cet effet (art. 150 de la
loi). La loi n° 2005/015 du 29 décembre 2005 relative à la lutte contre le trafic et la
traite des enfants en son article 7 prévoit même le cumul de responsabilités des
personnes physiques et morales.
D’autres textes en revanche ne prévoient qu’une responsabilité pécuniaire de la
personne morale. La responsabilité pécuniaire n’implique pas une déclaration de
culpabilité à l’encontre de la personne morale qui est seulement tenu de payer les
amendes prononcées. La loi n° 90/031 du 10 août 1990 régissant l’activité
commerciale précise que l’entreprise peut répondre solidairement du montant des
amendes ou des frais prononcés contre la personne physique, auteur des infractions
incriminées (art. 40 de la loi). L’article 78 de la loi n° 92/12 du 5 août 1996 relative à
la gestion de l’environnement dispose que lorsque les éléments constitutifs de
l’infraction proviennent d’un établissement industriel, commercial, artisanal ou
agricole, le propriétaire, l’exploitant, le directeur, ou selon le cas, le gérant peut être
déclaré responsable du paiement des amende et frais de justice dus par les auteurs de
l’infraction, et civilement responsable de la remise en l’état des sites. En l’absence de
précision, on peut penser que cette disposition s’applique également au propriétaire
ou à l’exploitant personne morale.
Sur le plan communautaire, le règlement 01/03-CEMAC-CM du 4 avril 2003
portant prévention et répression du blanchiment des capitaux et du financement du
terrorisme en Afrique centrale précise en son article 46 prévoit que les personnes
morales autres que l’Etat, pour le compte ou au bénéfice desquelles le blanchiment
des capitaux a été commis par l’un des organes ou représentants sont punies sans
préjudice de la condamnation de ces derniers comme auteurs ou complices de
l’infraction. En excluant l’Etat de son domaine d’application, on peut en déduire que
les autres personnes morales, de droit privé ou de droit public, pourraient être
poursuivies pénalement776.
Ces textes sont insuffisants pour poser de manière générale la responsabilité
des personnes morales et ne permettent pas d’avoir des indications en ce qui concerne
les collectivités territoriales. Ils consacrent le principe de la spécialité de la
responsabilité des personnes morales car la mise en cause pénale n’est envisagée que
des infractions précises. Ils ne précisent pas toujours les modalités de mise en œuvre
de cette responsabilité777.

                                                            
776
A. RABANI, Pour une responsabilité des personnes morales en droit OHADA, Ersuma mars 2013, n° 2,
p. 43.
777
Le nouveau code de procédure pénale camerounais est resté muet sur cet aspect, notamment quant de
savoir qui représente la personne morale devant la justice ou la possibilité d’invoquer des faits justificatifs,
si la personne morale est considérée comme auteur de l’infraction
189 

 
B - La question de la responsabilité des personnes morales : un choix de
politique criminelle
La question de la responsabilité des personnes morales est un choix de
politique criminelle qui dépend de chaque législation. Lorsqu’on analyse des systèmes
européens, deux grands systèmes apparaissent. Dans un des systèmes,
l’irresponsabilité pénale des personnes morales est la règle, mais des sanctions
administratives peuvent être prononcées même en cas de commission d’une infraction
pénale (1). Dans l’autre, la personne morale est responsable dans les conditions
prévues par la loi (2).
1 - Le recours à des sanctions administratives palliant l’irresponsabilité pénale
des personnes morales
A l’instar du droit camerounais, d’autres législations n’envisagent pas la
responsabilité pénale des personnes morales. Ces entités morales ne bénéficient
cependant pas d’une totale impunité.
Le droit allemand ne reconnaît pas la responsabilité pénale des personnes
morales. Le maire, représentant légal de la commune, peut voir sa propre
responsabilité pénale mise en cause lorsque la commune commet une infraction.
Selon l’article 14 du code pénal allemand, lorsqu’une personne physique agit comme
représentant légal d'un personne morale, une loi qui justifie une sanction pénale est
applicable au représentant si les éléments constitutifs de l'infraction, bien qu'absents
de sa propre personne, sont réalisés chez la personne représentée.
L’irresponsabilité pénale des entités morales n’aboutit cependant pas à une
irresponsabilité totale en cas de commission d’une infraction. En effet, le droit
allemand prévoit un système de responsabilité administrative qui constitue une sorte
de droit para-pénal778. A côté des crimes et des délits, le droit pénal allemand
incrimine une autre catégorie d’infractions, les infractions administratives
(Ordnungswidrigkeiten), dépourvues de tout caractère pénal779 et sanctionnées d’une
amende dont le montant varie en fonction du caractère intentionnel ou non
intentionnel de l’acte (section 30, loi allemande sur les infractions administratives).
La responsabilité administrative peut aussi jouer en présence d’une infraction pénale
commise pour le compte de la société ou par laquelle la personne morale tire ou est
censée tirer un profit. L’amende administrative peut alors être prononcée contre la
personne morale au cours de poursuites pénales engagées à l’encontre de personnes
physiques. Ces règles s’appliquent aux personnes morales de droit public à
l’exception de l’Etat (Bund et Länders)780.
En droit italien, l’article 27 de la Constitution pose de manière formelle le
principe selon lequel la responsabilité pénale est personnelle. Elle n’est envisagée
qu’à l’encontre des personnes physiques. La responsabilité des personnes morales ne
                                                            
778
J. RIFFAULT-TRECA, « La répression administrative », RSC 1996, p. 262.
779
Mais la Cour européenne des droits de l’homme qualifie ces sanctions de matière pénale dès lors
qu’elles ont un caractère punitif et exige l’application de principes de droit pénal général tels que le
principe de la légalité ou le principe de proportionnalité des peines : Cour EDH, 8 juin 1995, Jamil c/
France, JCP 1996, II, 22677 ; Cour EDH, 21 févr. 1984, Östurk c/ RFA, Req. n° 8544/79
780
J. WALTHER, « Le contrôle par le droit pénal de l’activité des personnes morales de droit public en
Allemagne. Perspectives comparées », in Responsabilité pénale et activités des collectivités territoriales,
op. cit. p. 111
190 

 
peut être établie que sur le plan administratif. L’article 5 du décret-loi 231/2001 du 19
juin 2001781 prévoit, en matière de fraude, concussion, corruption, faux, délits
sociétaires et terrorisme international, la responsabilité des personnes morales pour
des infractions commises par une personne agissant à titre de représentant,
d’administrateur ou de dirigeant, une personne exerçant des pouvoirs de gestion et de
contrôle ou une personne soumise à la direction ou contrôle de l’une des deux
premières catégories. L’infraction doit être commise à l’avantage ou à l’intérêt de
l’entité. La personne morale peut être responsable même si le contrevenant principal
ne peut faire l’objet de poursuites. Le montant de la sanction pécuniaire est déterminé
en fonction de la gravité des infractions. Il peut en outre être prononcé des sanctions
complémentaires telles que la fermeture temporaire ou définitive de l’établissement
ou du siège social ou l’interdiction de se livrer à son activité ou de traiter avec
l’administration publique. Le juge pénal est compétent et le code de procédure pénale
est applicable pour la mise en œuvre de la responsabilité administrative.
2 - Les systèmes admettant la responsabilité pénale des personnes morales
Diverses législations européennes énoncent le principe de la responsabilité des
personnes morales. Celle-ci est apparue pour la première fois en Angleterre d’abord
comme une solution jurisprudentielle en 1842 qui a par la suite été consacrée par le
législateur en 1889782. Le mouvement s’est par la suite largement répandu en
Europe783. Toutefois, les différents Etats qui prônent le principe de la responsabilité
des personnes ne la prévoient pas nécessairement lorsqu’il s’agit des personnes
morales de droit public.
a. Le principe de la responsabilité pénale des personnes morales
En droit belge, toute personne morale est pénalement responsable des
infractions qui sont intrinsèquement liées à la réalisation de son objet ou à la défense
des ses intérêts ou celles dont les faits concrets démontrent qu’elles ont été commises
pour son compte (art. 5 CP belge). La responsabilité de la personne morale est exclue
si les personnes physiques profitent du cadre juridique et matériel du groupement
pour commettre des infractions dans leur propre intérêt ou pour leur propre compte. Il
n’est cependant pas nécessaire de prouver la commission d’une infraction par une
                                                            
781
Ayant pour objet la discipline de la responsabilité administrative des personnes morales et des
associations même sans personnalité juridique
782
S. GEEROMs, « La responsabilité pénale de la personne morale : une étude comparative », RIDC 1996,
p. 565 ; V. WESTER-OUISSE, « Responsabilité des personnes morales et dérives anthropomorphiques »,
Rev. pénit. 2009, n° 1, p. 69, J.-H ROBERT, « La responsabilité pénale des personnes morales en droit
anglais » Dr. pén. 1999, chron. N° 30, A.E VERVAELE, « La responsabilité pénale de et au sein de la
personne morale au Pays-Bas. Historique et développement récents » RPDP 2002, p. 469 ; Voir art. 51 CP
hollandais, art. 25 CP danois, art. 48-a et 48-B CP norvégien, art. 121-2 CP, art. 5 CP belge.
783
Le mouvement est appelé à s’accentuer puisque le Comité des ministres du Conseil de l’Europe est en
faveur d’une telle responsabilité dans la Recommandation R.88-18 relative à la responsabilité des
entreprises personnes morales pour les infractions commises dans leurs activités, même si elle n’est pas
contraignante. D’autres textes comme la décision-cadre du 22 juillet 2003 relative à la lutte contre la
corruption dans le secteur privée, celle du 19 juillet 2002 relative à la lutte contre la traite des êtres humains
ou la convention du 16 mai 2005 relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation et au
financement du terrorisme prévoient également un tel régime responsabilité. Sur le plan international, on
peut citer la convention des Nations-Unies du 15 novembre 2000 contre la criminalité organisée ; Lire
également, les différents rapports de l’Organisation de coopération et de développement économique sur la
convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions internationales.
191 

 
personne physique individualisée au sein de la personne morale pour le comportement
lui soit imputable. La réalisation de l’infraction résulte d’une décision intentionnelle
prise au sein de la personne morale ou d’une négligence. Le cumul des poursuites est
possible lorsque la personne physique a commis la faute sciemment et
volontairement.
En droit français, la consécration de la responsabilité pénale des personnes a
été l’une des principales réformes du nouveau code pénal entré en vigueur le 1er mars
1994784. L’article 121-2 du code pénal dispose que les personnes morales sont
pénalement785 responsables des infractions786 commises pour leur compte787 par leur
organes ou représentants. Il s’agit d’une responsabilité indirecte, l’infraction devant
être caractérisée en tous ses éléments sur la tête de l’organe ou représentant, personne
physique. L’organe ou le représentant doit être identifié788, sauf lorsque l’infraction
résulte d’une délibération collective789. Peu importe que l’élu y soit impliqué dès lors
que l’infraction se rattache à ses missions790. Mais il n’est pas nécessaire que la
personne physique, auteur de l’infraction, soit poursuivie ou condamnée791. Il s’agit
également d’une responsabilité par représentation, la personne morale étant
représentée pendant la procédure une personne physique. La mise en cause pénale des
personnes morales ne fait cependant pas obstacle à ce que les personnes physiques
soient également poursuivies pénalement à titre d’auteur ou complice des mêmes
faits792.
S’agissant des peines applicables aux personnes morales, l’amende dont le
taux est le quintuple de celui prévu pour les personnes publiques est toujours
encourue, quelque soit la nature de l’infraction (art. 131-37 CP fr.). Les autres peines

                                                            
784
J. LASSERRE-CAPDEVILLE, « La responsabilité pénale des collectivités territoriales », AJCT 2013, p.
138
785
J.-C PLANQUE, La détermination de la personne morale pénalement responsable, éd. L’harmattan,
2003 ; C. Puech, Droit pénal général, Litec 1988 ; J.-H ROBERT, Droit pénal général, Thémis, 7 éd. 1999,
n° 364 ; N. RONTCHEEVSK, M. COMPORTI, « Responsabilité pénale des personnes morales : la notion
d’entité personnifiée », LPA 1996, n° 149, n° spéc. P. 7 ; A. Coeuret, « La responsabilité en droit pénal du
travail : continuité et rupture », RSC 1992, p. 481.
786
La responsabilité pénale des personnes morales a d’abord été envisagée comme une responsabilité
spéciale. Elle ne pouvait être recherchée que dans les cas prévus par la loi. Chaque texte d’incrimination
devait préciser si elle s’appliquait aux personnes morales. Mais la loi n° 2004 -204 du 9 mars 2004 portant
adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité l’a étendue à toutes les infractions. Cette disposition
s’applique depuis le 1er décembre 2005.
787
Crim. 18 janv. 2000, Bull. crim. n° 28.
788
Crim. 1er avr. 2014, pourvoi n° 12-86501 ; M. LOBE LOBAS, « Subdélégation des pouvoirs et
responsabilité pénale de la personne morale », ss Crim., 25 mars 2014, n° 13-80376, JAC n° 143.
789
Crim. 1er déc. 1998, Bull. crim. n° 325 ; 21 juin 2000, Dr. pén. 2000, n° 13 ; G. Roujou de Boubée, « La
responsabilité des personnes morales », RJC nov. 2001, p. 14.
790
Crim. 14 déc. 2010, pourvoi n° 10-89591 : la responsabilité d’une collectivité peut être engagée
territoriale pour homicide involontaire peut être engagée, alors qu’aucun élu n’est impliqué dans l’accident,
dès lors que cet accident a été rendu possible par la vétusté de l’ouvrage et que les élus, bien informés de
cette situation n’ont pris aucune mesure pour remédier.
791
En matière d’infraction non intentionnelle par exemple, la personne physique est l’auteur indirect du
dommage, elle ne peut être jugée responsable si elle a commis une faute simple alors qu’une telle faute peut
entraîner la condamnation de la personne morale
792
En cas de cumul des poursuites, un mandataire est désigné pour représenter les intérêts de la personne
morale (art. 706-43 CP FR.).
192 

 
criminelles ou correctionnelles sont l’interdiction une activité professionnelle ou
sociale, la fermeture d’établissement, l’exclusion des marchés publics, l’affichage ou
la diffusion de la décision (art. 131-39 CP fr.). La dissolution793, le placement sous
surveillance judiciaire ou l’interdiction de faire appel public à l’épargne ne
s’appliquent pas à l’encontre des personnes morales de droit public794. En matière de
police, le juge peut prononcer l’interdiction d’émettre des chèques ou d’utiliser des
cartes de paiement, de la confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à
commettre l’infraction ou de la chose qui en est le produit (art. 131-40 CP fr.).
L’application de ces peines peut toutefois porter atteinte au principe de continuité du
service public ou sont parfois incompatibles avec le fonctionnement de la
commune795.
b. La situation des personnes morales de droit public
Alors que les personnes morales de droit privé peuvent sans exception faire
l’objet de poursuites pénales, l’admission de la responsabilité pénale des personnes
morales ne va toujours pas de pair avec celle des personnes morales de droit public796.
L
Certaines législations excluent de manière expresse une telle responsabilité.
En droit belge, ne peuvent être considérées comme des personnes morales l’Etat
fédéral, les régions, les communautés, les provinces, l’agglomération bruxelloise, les
communes, les organes territoriaux intracommunaux, la commission communautaire
française, la commission communautaire flamande, la commission communautaire et
les centres publics d’aide sociale. Dans ce cas, seules les personnes physiques sont
poursuivies.
D’autres législations prévoient la responsabilité des personnes morales de droit
public. La responsabilité pénale de l’Etat est généralement exclue (art. 121-2 al 2 CP
fr.)797, exclusion justifiée par le monopole de répression que détient l’Etat et sur la
séparation des autorités798. S’agissant des collectivités territoriales, le risque pénal est
limité afin d’assurer la continuité du service public.
Le droit luxembourgeois vise aussi bien les personnes morales de droit privé, à
but lucratif ou non, que les personnes morales de droit public investies d’une mission
d’intérêt général dès lors que l’infraction est commises au nom et dans l’intérêt du
groupement par un des ses organes légaux ou représentants. Une commune peut voir
sa responsabilité pénale engagée en cas d’infraction lorsqu’elle exerce une activité
commerciale, une telle activité pouvant être définie comme celle qu’une entreprise
privée pourrait effectuer à la place de la commune799.
                                                            
793
La dissolution est possible si la personne morale a été créée dans le but de commettre des infractions
794
Les deux premières peines ne s’appliquent pas aux partis politiques ni aux syndicats professionnels.
795
Voir J.-C BONICHOT, « La responsabilité pénale des personnes morales de droit public », Gaz. Pal.
1999 , p. 772.
796
E. PICARD, « La responsabilité pénale des personnes morales de droit public : fondements et champ
d’application », Rev. sociétés 1993, p. 261.
797
F. MEYER, « Responsabilité pénale des personnes morales de droit public et applications
jurisprudentielles », RFDA 1999, p. 520, E. Picard, « La responsabilité pénale des personnes morales de
droit public en droit français : fondements et champ d’application », Rev. sociétés 1993, p. 261
798
F. DESPORTES, F. Le Gunehec, Droit pénal général, op. cit., n° 583.
799
N. THIELTGEN, « La responsabilité des personnes morales en droit luxembourgeois, loi du 3 mars
2010 applicable dès le 15 mars 2010 », Droit belge.net.
193 

 
En droit français, les groupements d’intérêt public, les sociétés d’économie
mixte, les entreprises nationalisés, les établissements publics sont responsables
pénalement800. Les collectivités territoriales ne le sont que pour les infractions
commises dans l’exercice des activités susceptibles de faire l’objet d’une délégation
de service public à condition qu’elles les gèrent elles-mêmes en régie801. La
délégation peut être prévue par un texte comme en matière de gestion de
crématoriums (art. L2223-40 CGCT), des services extérieurs de pompes funèbres (art.
L2223-19 CGCT) ou de gestion des plages (art. L2213-23 CGPPP). La circulaire
d’application du nouveau code pénal du 14 mai 1993 et divers réponses
ministérielles802 donnent aussi diverses indications quant aux activités délégables. Il
en est ainsi du ramassage des ordures ménagères, des transports en communs ou de
distribution de l’eau, de la gestion des infrastructures aéroportuaires, de la gestion des
fourrières, de la gestion de place sur les marchés, de la gestion des maisons de
retraite. Le juge pénal considère que peut être déléguée l’exploitation ou la gestion
d’un abattoir803, d’un parc804, d’un théâtre municipal805, d’une station de traitement de
résidus urbains806. Si ces activités sont déléguées ou concédées, le concessionnaire ou
le gérant est pénalement responsable807.
La responsabilité de la collectivité ou du groupement de collectivités ne peut
être recherchée dans le cadre des activités non délégables qui sont exercées au nom et
pour le compte de l’Etat (état civil, délivrance des permis de construire). Il est de
même pour celles qui sont spécialement confiées à une collectivité déterminée, telle
que l’organisation des transports scolaires (art. L213-11 C. éduc.)808 ou celles qui ne
peuvent faire l’objet de délégation par nature comme l’organisation de l’enseignement

                                                            
800
R. MERLE, A. VITU, Traité de droit criminel, Cujas, Tome I, 7è éd. 1997, n° 642.
801
B. WERTENSCHLAG, “Mise en cause de la responsabilité pénale des collectivités territoriales et
délégations du droit administratif », JCP E 1994, I, 465 ; M.-F STEINLE FEUERBACH, « Infractions non
intentionnelles et responsabilités pénales des collectivités territoriales : entre singularité et pragmatisme »,
JCP G 2007, I, 174 ; Crim. 2 avr. 2002, Bull. crim. n° 265; 12 déc. 2000, Bull. crim. n° 371; 11 déc. 2001,
Bull. crim. n° 265.
802
Rép. min. n° 32824, JOAN Q 4 mars 1996, p. 1194 ; Rép. min. n° 3814, JOAN Q. 15 juil. 1996, p.
3861 ; Rép. min. n° 342, JOAN Q 2 sept. 2002, p. 2994
803
Crim. 23 mai 2000, pourvoi n° 99-80008 ; Crim. 10 déc. 2010, pourvoi n° 10-80591
804
Crim., 7 sept. 2010, pourvoi n° 10-82119.
805
Crim., 3 avr. 2002, pourvoi n° 01-83160 : est susceptible de faire l'objet d'une convention de délégation
de service public toute activité ayant pour objet la gestion d'un tel service lorsque, au regard de la nature de
celui-ci et en l'absence de dispositions légales ou réglementaires contraires, elle peut être confiée, par la
collectivité territoriale, à un délégataire public ou privé rémunéré, pour une part substantielle, en fonction
des résultats de l'exploitation ; que, tel est le cas de l'activité ayant pour objet l'exploitation d'un théâtre.
806
CA Montpellier, 22 oct. 2002, n° 32/0046
807
Crim. 14 mars 2002, Bull. crim. n° 14 ; 23 mai 2002, Bull. crim. n° 200.
808
Crim ; 6 avr. 2004, pourvoi n° 03-82394 ; Crim. 11 déc. 2001, pourvoi n° 00-87705 : L'obligation
incombant à la région en vertu des articles L. 214-6 du Code de l'éducation et L. 231-1 du Code du travail
de mettre les machines affectées à l'enseignement en conformité avec les prescriptions légales et
réglementaires relatives à la sécurité des équipements de travail, participe du service de l'enseignement
public et n'est pas, dès lors, en raison de sa nature même, susceptible de faire l'objet de conventions de
délégation de service public. La responsabilité pénale de la région ne peut, en conséquence, être recherchée
à la suite de l'accident dont a été victime l'élève d'un lycée technique blessé par une machine non équipée
du dispositif de protection imposé par la réglementation relative à la sécurité du travail.
194 

 
public809. Ne peuvent non plus faire l’objet de délégations les activités qui supposent
l’exercice des prérogatives de puissance publique (police administrative, constatation
des infractions)810. Toutefois, la jurisprudence française distingue l’exploitation d’un
service public du transport scolaire qui est délégable de son organisation qui ne l’est
pas811.
Pour que la collectivité locale soit mise en cause pénalement, il faut que
l’infraction soit commise par un organe ou un représentant, à savoir le maire, le
conseil municipal ou l’élu local titulaire d’une délégation de pouvoir et qui a la
capacité d’engager la commune pour les infractions commises dans le cadre de cette
délégation.
De ce qui précède, il en résulte qu’il est tout à fait possible d’envisager une
responsabilité des personnes morales pour des infractions pénales. Elle n’est pas
nécessairement pénale. Elle peut être de nature para-répressive. Mais il s’agit d’une
nécessité aux fins d’une tentative d’assainissement de la gestion des affaires
publiques.

                                                            
809
Crim. 12 déc. 2000, pourvoi n° 98-83969.
810
CE 29 juil. 1983, dame Baffroy-Laffite, Gaz.Pal 1984, 1, p. 133 ; TA Versailles 17 janv. 1986,
Commissaire de la République, Rec. p. 303.
811
Crim. 6 avr. 2004, pourvoi n° 03-82394 : si l'exploitation du service des transports scolaires est
susceptible de faire l'objet d'une convention de délégation de service public, il n'en va pas de même de son
organisation, qui est confiée au département en application de l'article 29 de la loi du 22 juillet 1983,
devenu l'article L. 213-11 du Code de l'éducation, et qui comprend notamment la détermination des
itinéraires à suivre et des points d'arrêt à desservir
195 

 
196 

 
  REFLEXIONS SUR L’ESPACE JUDICIAIRE OHADA 
 Mme Véronique Carole NGONO 
                                     (Assistante à la FSJP de l’université de Douala) 
 
INTRODUCTION 
1‐ Afin de ne pas rester en marge de la mondialisation, les Etats africains face 
à  la  tendance  au  regroupement  des  systèmes  juridiques,  cherchent  à  réaliser 
l’intégration812.  C’est  ce  qui  explique  la  poussée  d’organismes  d’intégration,  aussi 
bien en Afrique Centrale qu’en Afrique de l’Ouest813. Les Etats ne se contentant pas 
de  simples  unions  douanières  instituées  à  partir  d’engagements  réciproques  pris 
dans le cadre de simples Traités de commerce814, cherchent de manière substantielle 
à intégrer les économies nationales au sein d’un marché unique. 
L’OHADA,  organisation  pour  l’harmonisation  en  Afrique  du  droit  des  affaires,  n’est 
pas  éloignée  de  ces  préoccupations  intégrationnistes.  Partant  du  constat  du 
caractère disparate, diversifié et vétuste815 du droit des affaires applicable dans les 
anciennes  colonies  françaises,  l’idée  d’une  harmonisation  couplée  d’une 
modernisation du droit des affaires en Afrique est née. C’est ainsi que l’OHADA a vu 
le jour le 17 octobre 1993 à Port‐Louis en île Maurice.  
2‐ Les objectifs de l’OHADA apparaissent très vite dès le préambule du Traité 
de  1993  ainsi  que  du  Traité  révisé  en  2008  au  Québec.  Il  s’agit  d’unifier,  tout  en 

                                                            
812
L’intégration selon P.F. GONIDEC, est « un processus et une situation qui, à partir d’une société
internationale morcelée en unités indépendantes les unes des autres, tendent à leur substituer de nouvelles
unités plus ou moins vastes, dotées au minimum du pouvoir de décision soit dans un ou plusieurs domaines,
soit dans l’ensemble des domaines relevant de la compétence des unités intégrées … » in, Les
organisations internationales africaines, L’harmattan, Paris 1987, p. 54 ;V° également. A. DIOUF, Propos
introductifs lors de la troisième rencontre inter-juridictionnelle des cours communautaires de l’UEMOA, la
CEMAC, la CEDEAO et l’OHADA, Dakar 4,5,6 mai 2010.
813
A cet effet, on a d’abord assisté à la mise en place d’ensembles régionaux africains dits « de première
génération » caractérisés par une certaine inefficacité, créés avec des structures souples destinées à servir
principalement de groupes de pressions diplomatique ou idéologique, parce qu’étant pour la plupart le fruit
des sollicitations des partenaires politiques et financiers extérieurs, c’est le cas par exemple de la CEEAC
ou encore de la CEDEAO, de l’UMA. Lire à cet effet, F. WODIE, Les institutions régionales en Afrique
occidentale et centrale, préface de P.F. Gonidec, Paris, Bibliothèque africaine et malgache, t.IX LGDJ, pp.
6-12 ;E.CEREXHE et H. de BEAULIEU, « Introduction à l’union économique ouest africaine », Publ.
C.E.E.I., éd. de Boeck, 1997, pp. 28-32 ; J. MOUANGUE KOBILA, « Les nouvelles dynamiques de
l’intégration en afrique », www.ohada.com, Ohadata-D-11-15, p. 12. Par la suite, une prise de conscience a
amené les Etats à mettre en place de véritables communautés économiques notamment, la CEMAC en
Afrique centrale, l’UEMOA en Afrique de l’Ouest. L’article 1 du traité instituant l’union économique et
monétaire de l’Afrique est à cet effet assez révélateur, « La mission essentielle de la communauté est de
promouvoir un développement harmonieux des Etats memmbres dans le cadre de l’institution de deux
unions : une Union Economique et une Union Monétaire. Dans chacun de ces deux domaines, les Etats
membres entzndent passer d’une situation de coopération, qui existe déjà entre eux à une situation
d’union… »
814
Comme dans le cas de la CEEAC, L’UDEAC ou de la CEDEAO.
815
Sur l’état du droit en Afrique noire francophone avant l’OHADA, voir K. MBAYE, « L’histoire et les
objectifs de l’OHADA », Petites Affiches n° 205, 2004, p. 4 ; P.-G. POUGOUE, préface à l’ouvrage de
Mme Angeline F. NGOMO, Guide pratique du droit des sociétés commerciales au Cameroun, Yaoundé,
1èrePUA, 1996.
197 

 
modernisant la législation des pays de la zone franc816 dans le domaine du droit des 
affaires, afin de créer un climat de confiance en faveur des économies. La finalité de 
l’OHADA  est  l’unification  du  droit  pour  « faire  de  l’Afrique  un  pôle  de 
développement »817 . Ainsi, la sécurité juridique et judiciaire est l’objectif immédiat, 
tandis  que  le  développement  économique  de  l’Afrique  est  l’objectif  à  long 
terme.Toutefois,  il  faut  relever  que  l’OHADA  n’est  pas  la  seule,  ni  la  première 
entreprise  d’élaboration  d’un  ordre  juridique  communautaire  en  Afrique,  on  peut 
citer  l’OAPI818,  le  CIPRES,  la  CIMA819.  Mais  la  spécificité  de  l’OHADA  vient  de  son 
champ spatial et matériel 
3‐ Sur  le  plan  spatial,  l’OHADA  englobe  les  pays  d’anciennes  colonies 
françaises, espagnoles et belges de l’Afrique noire, aussi bien en Afrique de l’Ouest 
qu’en Afrique centrale. Il compte actuellement 17 pays avec  l’adhésion récente du 
Congo820. Sur le plan matériel, l’OHADA vise à uniformiser le droit des affaires dans 
l’ensemble  de  ces  pays.    Les  contours  de  ce  droit  des  affaires  ayant  fait  l’objet  de 
plusieurs  tergiversations  restent  encore  à  définir,  l’OHADA  ayant  une  conception 
large du droit des affaires821. 
4‐ Sa  spécificité  résulte  également  de  ce  que  l’accent  a  été  mis  sur  la 
supranationalité,  qui  permet  d’introduire  directement  les  normes  dans  l’ordre 
juridique  interne  des  Etats‐parties  sous  la  forme  d’Actes  uniformes.  Les  Actes 
uniformes sont directement applicables dans les Etats et abrogent toute disposition 
antérieure  ou  postérieure  contraire822.  A  ce  jour,  neuf  Actes  uniformes  ont  été 
élaborés et d’autres sont en voie de préparation. Le dispositif mis en place permet 
de renforcer la sécurité juridique. 
5‐ En  effet,  Le  modèle  d’intégration  choisi  par  l’OHADA  est  radical,  il  s’agit 
d’uniformisation  et  non  d’harmonisation823.  L’adoption  des  Actes  uniformes  dans 
                                                            
816
A l’origine, mais actuellement l’OHADA est ouvert aux pays de la Common Law.
817
Préambule du Traité OHADA révisé.
818
Organisation africaine de la propriété intellectuelle.
819
V. A. AKAM AKAM, « L’OHADA et l’intégration juridique en Afrique », in Les mutations juridique
dans le système OHADA, L’harmattan, Yaoundé, 2009, pp.11 et ss.
820
Ces dix-sept pays sont : le Cameroun, la République centrafricaine, le Gabon, le Congo, la Guinée-
équatoriale, la Guinée Bissau, le Tchad, le Niger, le Sénégal, le Mali, la Côte-d’Ivoire, le Togo, le Bénin, la
République islamique des Comores, le Burkina-Faso, la République démocratique du Congo, la Guinée.
821
Voir article 2 ancien et nouveau du Traité OHADA. Qui dispose que le droit des affaires inclurait
« …toute autre matière que le Conseil des Ministres déciderait à l’unanimité d’y inclure… ».
822
Selon l’article 10 du Traité OHADA, « les Actes uniformes sont directement applicables et obligatoires
dans les Etats-parties nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieur ou postérieur ».La
rédaction ambiguë de cet article, a conduit l’Etat de la Côte d’Ivoire à demander à la CCJA un avis sur le
sens à accorder à l’article 10 du Traité ainsi qu’à d’autres dispositions similaires contenues dans les
différents actes uniformes, le 30 avril 2001, la CCJA a rendu un avis sur le sens à donner à ces dispositions.
En vertu de cet avis, en plus de la supranationalité, l’article 10 contient une règle relative à l’abrogation des
dispositions du droit interne ayant le même objet que le droit uniforme et contraires à celui-ci. V°
également, F. ONANA ETOUNDI, « Grandes tendances jurisprudentielles ( de la Cour commune de
justice et d’arbitrage en matière d’interprétation et d’application du droit OHADA 1997-2010) »,
Collection pratique et contentieux de droit des affaires, éd. Spéciale, octobre 2011, p. 258.
823
Dans le même sens, J. ISSA SAYEGH, « Quelques aspects techniques de l’intégration juridique :
l’exemple des actes uniformes de l’OHADA », Revue de droit uniforme, 1999, p. 6 ; J. PAILLUSSEAU,
198 

 
l’espace OHADA, est l’œuvre d’une institution, le conseil des ministres de la justice 
et des finances824. Un auteur a affirmé qu’elle est placée sous le signe « du réalisme, 
du  gradualisme  et  de  la  concertation »825 .  Selon  l’article  6  du  traité  OHADA :  « les 
Actes uniformes sont préparés par le secrétariat permanent en concertation avec les 
gouvernements  des  Etats‐parties.  Ils  sont  délibérés  et  adoptés  par  le  conseil  des 
ministres  après  avis  de  la  Cour  Commune  de  Justice  et  d’Arbitrage ».  L’initiative  de 
l’Acte  uniforme  relève  en  réalité  du  secrétariat  permanent.  Dans  la  pratique,  les 
commissions nationales ont été créées pour examiner les avant‐projets. Dès lors que 
les Actes uniformes sont adoptés par le conseil des ministres, ils entrent en vigueur 
dans les 90 jours, sauf modalités particulières prévues par l’Acte uniforme lui‐même. 
Ils  sont  opposables  trente  jours  francs  après  leur  publication  au  journal  officiel  de 
l’OHADA826. Ils sont immédiatement applicables dans les Etats‐membres, sans autre 
procédure. Quid de la recherche de la sécurité judiciaire ? 
6‐ L’OHADA  a  aussi  entendu  mettre  un  terme  à  l’insécurité  judiciaire,  en 
fiabilisant le système judiciaire.  Etant donné qu’un environnement légal structuré ne 
permettrait pas à lui tout seul d’attirer les investisseurs827, il fallait aussi  penser au 
volet judiciaire de la sécurité. Il l’a fait en instituant une Cour Commune de Justice et 
d’Arbitrage  (CCJA).  La  CCJA  est  l’interprète  et  le  garant  du  droit  OHADA.  Les 
juridictions  de  fond  sont  au  premier  chef  en  charge  de  l’application  du  droit 
OHADA828.  Néanmoins,  le  contrôle  ultime  de  l’interprétation  et  de  l’application  du 
droit revient à la CCJA, qui joue le rôle d’une juridiction de cassation à l’exclusion des 
cours suprêmes nationales  dans le domaine du droit uniformisé829.  l’OHADA a  ainsi 
institué  son  ordre  judiciaire.    Selon  M.  Cabrillac,  l’ordre  judiciaire  est,  « l’ensemble 
des juridictions, placées sous le contrôle de la Cour de cassation et compétents pour 
connaître des litiges entre personnes privées, ainsi que du contentieux répressif »830. 
Dans  l’espace  OHADA,  cet  ordre  judiciaire  est  constitué  par  l’ensemble  des 

                                                                                                                                              

« Le droit de l’OHADA, un droit important et original », ohadata D-12-64 et Y.GUYON, « Conclusion


journée OHADA de l’association Henri Capitant du 22 novembre 2002 », Petites Affiches, n° 205, p. 61.
Penchent plutôt pour l’unification ; toutefois l’harmonisation n’est pas exclue des techniques d’intégration
juridique, en ce sens V° M. GRIMALDI, « L’acte uniforme portant organisation des sûretés », les Petites
Affiches, n° 205, 13 octobre 2004, p. 30.
824
Il est composé des ministres chargés de la justice et des finances des Etats membres, cf. articles 8, 27 et
ss du Traité de l’OHADA.
825
J. LOHOUES - OBLE, « L’apparition d’un droit international des affaires en Afrique », R.I.D.C 3, 1999,
pp. 543 et ss. ; une autre partie de la doctrine pense cependant que puisque les parlements ont été mis de
côté dans l’élaboration du droit uniforme, « Le législateur OHADA est un homme pressé »,
V°.P.BOUREL, « A propos de l’OHADA, libres propos sur l’harmonisation du droit des affaires en
Afrique », Rec. Dalloz, 2007, n°4 p. 970.
826
V° article 9 du Traité OHADA.
827
B. COUSIN ; A. M. CARTRON, « La fiabilisation des systèmes judiciaires nationaux : un effet
secondaire méconnu à l’OHADA », www.ohada-com; Ohadata D-07-30.
828
Cela est une résultante de l’applicabilité immédiate et de l’effet direct du droit communautaire, V° A.
PECHEUL, Droit communautaire général, Paris, Ellipses ; 2002, pp.122-123.
829
Article 14 et 15 du Traité OHADA révisé.
830
R. CABRILLAC (dir.), Dictionnaire du Vocabulaire juridique, LexisNexis 2011, p. 351.
199 

 
juridictions  de  fond  placées  sous  le  contrôle  de  la  CCJA  et  compétentes  pour 
connaître des litiges portant sur le droit des affaires entre les personnes privées. 
La CCJA n’est pas seulement une juridiction supranationale ; elle est aussi un centre 
d’arbitrage.  En  effet,  un arbitrage  institutionnel  a  été  créé  sous  son  égide,  avec   la 
particularité qu’elle même contrôle  les sentences arbitrales  qui y sont rendues831. 
L’OHADA  a  également  uniformisé  les  procédures  toujours  dans  le  cadre  de  la 
sécurisation de l’environnement judiciaire. C’est ainsi qu’un Acte uniforme relatif à 
l’arbitrage,  ainsi  qu’aux  voies  d’exécutions  et  aux  procédures  collectives  ont  été 
adoptés832. 
7‐ Ces  différents  textes  relatifs  aux  procédures  dans  l’espace  conduit  à  se 
poser  des  questions  sur  l’existence  d’un  espace  judiciaire  OHADA.  En  fait,  le 
législateur  OHADA  a  sans  le  vouloir  a  créé  un  véritable  ordre  juridique  propre833. 
L’ordre  juridique  peut  d’abord  être  entendu  comme  les  relations 
d’interdépendances  qui  existent  entre  les  normes  juridiques  et  les  constituent  en 
système834.  On  pourrait  ensuite  ajouter  à  cette  définition  partant  de  l’analyse  de 
Santi ROMANO, « Les rapports d’autorité et de forcequi créent, modifient, appliquent 
les normes, sans s’identifier à elles »835. Dans ce sens, l’ordre juridique englobe non 
seulementles  normes  et  leurs  rapports,  mais  la  totalité  du  champ  spatial  ou  se 
déploie le doit836. L’ordre juridique se déploie donc nécessairement dans un espace 
juridique, l’aspect judiciaire n’en constituant qu’une partie. 
8‐  La  question  que  l’on  peut  dès  lors  se  poser,  est  celle  de  savoir  si  en 
recherchant  l’instauration  de  la  sécurité  juridique  et  judiciaire,  l’OHADA  a  mis  sur 
pied  un  espace  judiciaire  OHADA ?  Autrement  dit,  l’uniformisation  de  certaines 
procédures  et  l’institution  d’une  Cour  suprême  supranationale  sont‐  ils  constitutifs 
d’un espace judiciaire OHADA ? Pour répondre à cette question il faudrait définir la 
notion d’espace.Cela  conduit à  apporter certaines précisions sur la notion d’espace. 
Le mot  « espace », désigne « une aire géographique interétatique au sein de laquelle 
se développe sous certains rapports une collaboration des autorités inspirée par une 
politique commune »837. L’OHADA constitue de ce point de vue un espace, parce qu’il 
existe une aire géographique,l’ensemble des pays membres de l’OHADA, dans lequel 

                                                            
831
Cette double fonction administrative et juridictionnelle a été décriée par les auteurs notamment, P.
LEBOULANGER qui affirme que les fonctions administratives et juridictionnelles soient séparées, P.-G.
POUGOUE va dans le même sens, seul M. BOURDIN pense que cette double fonction a des avantages
incontestables ; V°. R. BOURDIN, « Le règlement d’arbitrage de la CCJA », RCA n° 5, 1999, pp.10 et ss.
832
Respectivement le 11 mars 1999, 10 avril 1998, et le 10 avril 1998.
833
L’ordre juridique est « l’ensemble des règles de droit qui régissent une communauté humaine », cette
définition est de P.-G. POUGOUE, in « Doctrine OHADA et théorie juridique »,op.cit.p. 12
834
Pour H. KELSEN, (Théories pures du droit 1934, Dalloz 1962, (p. 42) pour qui un ordre est un système
de normes.
835
L’ordre juridique, 1946, Dalloz, p. 7.
836
V° J. CARBONNIER, (Sociologie juridique, P.U.F, Coll. Thémis 1978, pp. 203-204) pour qui le
« système juridique » assimilé à « l’espace juridique » est le champ spatial et temporel où se produisent les
phénomènes du droit.
837
G. CORNU, Vocabulaire juridique,op.cit p. 412.
200 

 
il y a une« collaboration des autorités inspirée par une politique commune »838. Cette 
collaboration  est  présente  dans  l’OHADA,  notamment  par  le    biais  du  Conseil  des 
ministres  des  Etats‐parties,  ainsi  que  par  la  récente  création  d’une  Conférence  des 
chefs d’Etats839, et la politique commune est l’uniformisation du droit des affaires en 
vue de la réalisation de la sécurité juridique et judiciaire. L’espace peut être qualifié 
de juridique ? si l’on a en vue le champ de normes applicables, et de judiciaire si l’on 
met en exergue la collaboration entre les autorités judiciaires pour l’application des 
normes. 
9‐   Force  est  de  constater  que  si  sur  le  plan  juridique  l’espace  OHADA  est 
plus  ou  moins  constitué  grâce  à  l’uniformité  des  règles  juridiques  applicables  à 
l’ensemble  des  pays  membres840,  on  peut  douter  de  l’existence  réelle  d’un  espace 
judiciaire  OHADA.  De  nombreuses  lacunes  continuent  d’émailler  ce  qu’on  peut 
qualifier  d’espace  judiciaire  OHADA.  Il  s’agira  donc  tout  au  long  de  l’étude  de 
présenter les acquis de l’espace OHADA sur le plan judiciaire, mais aussi d’analyser 
les  manquements,  afin  que  l’OHADA  puisse  parvenir  à  l’instauration  d’un  véritable 
espace  judiciaire  gage  d’une  sécurité  judiciaire.  En  effet  la  sécurité  judiciaire 
recherchée  par  l’OHADA  ne  saurait  être  atteinte  s’il  n’ya    à  proprement  parler  un 
espace  judiciaire841.  La  sécurité  judiciaire  implique  la  confiance  du  justiciable  en  la 
justice,  la  garantie  de  la  sanction    effective  et  équitable  des  droits  subjectifs842 ; 
tandis  qu’un  espace  judiciaire  suppose  qu’il  y’ait  une  collaboration  entre  les 
différents  systèmes  juridiques.  S’il  est  vrai  qu’un  espace  judiciaire  OHADA  est  
perceptible (I), il n’en demeure pas moins qu’il est encore perfectible(II). 
 
 
I‐ L’EMERGENCE PERCEPTIBLE D’UN ESPACE JUDICIAIRE  
 
10‐ L’espace judiciaire OHADA se présente comme une pyramide. Les juges de 
fond des juridictions nationales sont juges de droit commun du droit communautaire 
OHADA.  Une  juridiction  est  qualifiée  de  droit  commun  lorsqu’elle  « a  vocation  à 
connaître de toutes les affaires à moins qu’elle n’aient été attribuées par la loi   à une 
autre  juridiction »843.  En  d’autres  termes,  comme  le  dit  M.  Roger  PERROT,  les 
juridictions de droit commun sont celles qui « ont une compétence de principe pour 
connaître de tous les litiges, sans qu’il soit besoin d’une loi spéciale pour les investir 
                                                            
838
ibid
839
Cf . le traité révisé OHADA au Québec en 2008.
840
V° l’autre définition de la notion d’espace donnée par J-M TCHAKOUA, in « L’espace dans le système
d’arbitrage de la Cour Commune de justice et d’Arbitrage », penant, janvier-Mars 2005, p. 842 ;
841
La mission confiée au groupe de travail dirigé par M.Keba M’BAYE avait pour fil conducteur la,
« réalisation de la sécurité juridique et judiciaire dans le but de favoriser le developpement de l’esprit
d’entreprise », in K.M’BAYE, « Historique de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du droit des
affaires », Avant-propos de la revue Penant, n° 827, 1998, spécial OHADA, p.126.
842
J.KAMGA, « Réflexions concrètes sur les aspects judiciaires de l’attractivité économique du système
juridique OHADA », D-12-85, p.4.
843
G. CORNU, vocabulaire juridique, Paris, PUF, 9e éd., 2011, p.585.
201 

 
du pouvoir de juger de telle ou de telle affaire »844.  Tandis que,  la Cour Commune de 
Justice  et  d’Arbitrage,  constitue  au  sommet  de  la  pyramide  la  Cour  de  cassation 
supranationale (A), comme conséquence de cela, les décisions de la CCJA bénéficient 
d’une force exécutoire communautaire(B). 
 
A : La structure pyramidale de l’espace judiciaire OHADA 
11‐ Dans  la  structure  de  l’espace  judiciaire  OHADA,  les  juges  nationaux 
constituent au bas de la pyramide ceux qui  sont chargés d’appliquer le droit OHADA. 
Ce sont les juridictions de fond. Le juge national doit se rappeler que ce droit partagé 
par  plusieurs  pays,  poursuit  une  finalité  précise,  celle  de  la  création  d’un  espace 
juridique  intégré.  La  bonne  application  du  droit  OHADA  constitue  donc  une 
obligation  pour  le  juge  national,  même  s’il  apparaît  que  les  juges  nationaux 
développent  beaucoup  de  réticences  à  appliquer  le  droit  communautaire845.  Cette 
application  du  droit  OHADA  reste  néanmoins  une  obligation  pour  le  juge, 
particulièrement les juges de fond (1), cette application est contrôlée par la CCJA(2). 
 
1‐L’application du droit OHADA par les juges de fond 
 
12‐ Les  juges  de fond  des  différents  Etats‐parties  sont  chargés  d’appliquer  le 
droit OHADA, cela relève pour eux d’une obligation. 
13‐ Les  juges de fond nationaux ont  l’obligation d’appliquer le droit OHADA. 
Cette  obligation  trouve  son  fondement  dans  l’applicabilité  immédiate  de  ce  droit, 
qui  présente  les  caractéristiques d’un droit  communautaire.  En  effet,  l’applicabilité 
immédiate implique qu’il intègre de plein droit l’ordre juridique des Etats, sans qu’il 
soit  besoin  de  respecter  au  préalable  une  procédure  spéciale  d’introduction  et  de 
réception846.  En  réalité,  le  droit  communautaire  n’est  pas  un  droit  extérieur  aux 
Etats‐membres  de  la  communauté.  Le  droit  communautaire  selon  M.  Guy  ISAAC 
« postule le monisme et en impose le respect par les Etats‐membres » 
14‐  L’applicabilité immédiate permet de distinguer le droit communautaire du 
droit international ordinaire. En effet, le droit international ne règle pas lui‐même les 
conditions  dans  lesquelles «   les  normes  contenues  dans  les  traités  doivent  être 
intégrées dans l’ordre juridique des Etats… »847. En d’autres termes, l’introduction du 
droit  international  dans  l’ordre  juridique  interne  se  fait  dans  le  respect  de 
l’autonomie  constitutionnelle  des  Etats848,  précisément  selon  leur  adhésion  à  la 
conception  moniste  ou  dualiste  des  rapports  entre  le  droit  interne  et  le  droit 
international. 
                                                            
844
R. PERROT, Institutions judiciaires, Paris Montchrestien, 8e éd., 1998.
845
Sur ce constat, voir O. TOGOLO, « Le juge camerounais et le juge de la CEMAC : un regard
prospectif », Juridis Périodique n° 63, 2005, pp.76-87.
846
D. SIMON, « Les fondements de l’autonomie du droit communautaire », SFDI, colloque de Bordeaux,
droit international et droit communautaire, perspective actuelles, Paris Pédone, 2000, pp. 236-237.
847
Ibid., p.161.
848
Sur ce principe, voir M. KAMTO, « Constitution et principe de l’autonomie constitutionnelle », Rec. des
cours de l’académie internationale de droit constitutionnel, vol. 8, 2000 pp.127 et s.
202 

 
15‐ Au  niveau  de  l’OHADA,  lorsqu’on  évoque  l’applicabilité  immédiate,  on 
pense bien évidemment aux Actes uniformes. L’article 10 du Traité de l’OHADA est à 
cet  égard  fortement  suggestif  lorsqu’il  dispose  que  « les  Actes  uniformes  sont 
directement  applicables  et  obligatoires  dans  les  Etats‐parties… »  La  conséquence 
qu’il faut tirer de l’article 10 est que, les Actes uniformes, une fois qu’ils sont entrés 
en vigueur suite à leur publication au journal officiel de l’OHADA, n’ont plus besoin 
d’être  réceptionnés.  C’est  pourquoi  le  nouvel  article  9  du  Traité  de  l’OHADA  qui 
exige que les Actes uniformes soient publiés au journal officiel des Etats‐parties ou 
par  tout  autre  moyen  approprié  précise  que  cette  formalité  supplémentaire  n’a 
aucune incidence sur l’entrée en vigueur des Actes uniformes. 
Eu égard ce qui précède, il ressort que les juges nationaux n’ont aucune raison de ne 
pas  appliquer  le  droit  OHADA.  Car,  celui‐ci,  parce  qu’il  intègre  directement  l’ordre 
juridique des Etats, doit être appliqué par les juges nationaux au même titre que le 
droit national. Cette obligation s’impose au juge d’autant plus que ce droit est doté 
d’un effet direct. 
16‐ L’effet direct du droit communautaire signifie que ce droit créé des droits 
et des obligations dans le patrimoine des particuliers qui peuvent s’en prévaloir. En 
droit communautaire européen, la CJCE affirmait dans les premières années de son 
existence que « l’objectif du traité CEE qui est d’instituer un marché commun dont le 
fonctionnement  concerne  directement  les  justiciables  de  la  communauté,  implique 
que  ce  traité  constitue  plus  qu’un  accord  qui  ne  créerait  que  des  obligations 
mutuelles  entre  les  Etats  contractants…    que  partout,  le  droit  communautaire, 
indépendant  de  la  législation  des  Etats‐membres,  de  même  qu’il  créé  des  charges 
dans le Chef des particuliers, est aussi destiné à engendrer des droits qui entrent dans 
leur patrimoine juridique »849 
17‐ En d’autres termes, comme le relève M. Armel PECHEUL, l’effet direct du 
droit  communautaire  signifie  que  ce  droit  « complète  directement  le  patrimoine 
juridique  des  particuliers  en  créant  à  leur  égard  des  droits  ou  des  obligations  dans 
leurs  rapports  avec  d’autres  particuliers  ou  dans  leurs  relations  avec  l’Etat  dont  ils 
sont    les  ressortissants »850.  Sans  doute,  l’effet  direct  n’est  pas  inconnu  du  droit 
international ordinaire, mais contrairement au droit communautaire où cet effet est 
la règle dans le droit  international ordinaire,  l’effet direct ne s’analyse que comme 
une  exception ;  car,  les  traités  ordinaires  sont  présumés  n’engendrer  des  droits  et 
des obligations qu’à l’égard des Etats‐parties851. Il est donc acquis que les principaux 
sujets du droit communautaire sont les particuliers.  
Ainsi,  le  juge  national  se  trouve  contraint  d’appliquer  le  droit    OHADA  du  fait  non 
seulement  de  l’application  immédiate  et  de  l’effet  direct  du  droit 
communautaire, mais  aussi  du  fait  de  la  primauté  du  droit  communautaire  sur  les 
législations nationales. 

                                                            
849
CJCE, 5 février 1963.
850
A. PECHEUL, Droit communautaire général, paris, Ellipses, 202, pp.122-123.
851
Ibid., p.124.
203 

 
18‐ La  primauté  du  droit    OHADA  sur  les  législations  nationales  est  affirmée 
par  l’article  10  du  Traité  OHADA  qui  dispose  que  « les  Actes  uniformes  sont 
directement  applicables  et  obligatoires  dans  les  Etats‐parties  nonobstant  toute 
disposition contraire de droit interne antérieure ou postérieure ». Cette primauté tire 
son  fondement  théorique  dans  l’autonomie  du  droit  communautaire852,  et  au  plan 
pratique  par le  souci  d’assurer  l’application  uniforme  et  effective  du  droit 
communautaire dans l’ensemble des Etats‐parties. 
19‐ En  effet,  l’objectif  de  l’OHADA  étant  l’unification  du  droit  des  affaires  de 
ses  Etats‐membres,  celui‐ci  ne  peut  être  atteint  si  ses  dispositions    peuvent  être 
écartées dans certains Etats parce que réputées contraires aux normes nationales853. 
Le  droit  « communautaire »  OHADA,  perdrait  ainsi  de  sa  nature,  tandis  que  sa 
fonction  intégratrice  aux  plans  économiques  et  juridiques  serait  irréalisable,  si  son 
application pouvait varier d’un Etat à un autre, en raison des dispositions nationales 
de  chaque  Etat.  De  plus,  comme  le  relève  Robert  GARRON,  la  primauté  du  droit 
communautaire « constitue la seule garantie pour les Etats‐membres qui ont renoncé 
à  certains  de  leurs  compétences.  Ces  Etats  n’ont  accepté  de  limiter  leur  autonomie 
que pour se soumettre à une règle commune, effectivement appliquée par tous. S’il 
en était autrement, le traité pouvait être valablement dénoncé »854. La primauté du 
droit  communautaire  sur  les  droits  nationaux  relève  par  conséquent  « d’une 
véritable nécessité fonctionnelle » d’une exigence essentielle. 
20‐ La primauté du droit OHADA affirmée dans  son article 10, a été confirmée 
par  la  CCJA  à  l’occasion  d’un  avis  consultatif  qui  lui  avait  été  demandé  par  l’Etat 
ivoirien sur la portée de l’article 10. La CCJA a clairement affirmé que l’article 10 du 
Traité comportait une règle de supranationalité parce qu’instituant une suprématie 
des  Actes  uniformes  sur  les  dispositions  de  droit  interne  antérieur  ou 
postérieur855.La position de la CCJA mérite d’être approuvée dans la mesure où elle 
constitue  une  garantie  de  l’application  effective  et  uniforme  des  Actes  uniformes. 
Toutefois, on peut regretter que la CCJA n’ait pas expressément visé la constitution 
car,  des  juges  pourraient  en  s’appuyant  à  tort  sur  le  fait  que  par  la  suite,  la  cour 
précisant  la  portée  abrogatoire  des  Actes  uniformes,  parle  de  « dispositions  d’un 
texte  législatif  ou  règlementaire  de  droit  interne »,  réduire  la  supériorité  des  Actes 
uniformes  aux  lois  et  règlements.  C’est  ainsi  que  contrairement  à  ses  homologues 
Sénégalais  et  Béninois856,  le  juge  constitutionnel  Congolais  avait  jugé  que  les 
pouvoirs exorbitants de la CCJA sont contraires à la loi fondamentale du 24 octobre 
                                                            
852
Cf. S. P. LEVOA AWONA, Thèse préc., pp. 28-35.
853
J. M. NTOUTOUME, « La force obligatoire des conventions internationales de droit économique et
communautaire », séminaire de sensibilisation, disponible sur www.ahjucaf.org.
854
R. GARRON, « Réflexions sur la primauté du droit communautaire », Revue trimestrielle de droit
européen, n°1, 1969, p.32.
855
Cf. CCJA, avis n° 001/2001/EP du 30 avril 2001.
856
Au Sénégal, le conseil constitutionnel a considéré que même si es articles du traité avaient prescrit un
véritable abandon de souveraineté, ils ne seraient pas inconstitutionnels. Au Bénin, la cour constitutionnelle
avait jugé qu’un abandon partiel de souveraineté dans le cadre du traité ne saurait constituer une violation
de la constitution.
204 

 
1997.  En  effet,  ayant  été  saisie  par  le  ministre  de  la  justice  pour  contrôler  la 
conformité  du  Traité  OHADA  à  la  constitution  congolaise ;  dans  un  avis  du  1er 
octobre 1998, elle avait estimé que « les articles 14 alinéa 3, 4 et 5 ;  16 ; 18 ; 20 ; 25 
alinéa  2  du  traité  encourent  le  grief  de  ne  pas  être  conformés  à  la  constitution, 
notamment en ses  articles 71 et 72 »857.     
21‐  On  peut dire que c’est essentiellement par la fonction juridictionnelle que 
le Traité de l’OHADA entend assurer l’efficacité de l’imbrication des ordres juridiques 
OHADA  et  national.  C’est  en  effet  au  juge  que  revient  le  soin  de  garantir  les  deux 
caractéristiques qui gouvernent  l’OHADA  à savoir : d’une part l’application directe 
et  obligatoire  des  Actes  uniformes  dans  les  Etats‐parties,  et  d’autre  part,  leur 
primauté sur les dispositions antérieures ou postérieures. Tant l’effet direct du droit 
OHADA que sa primauté interpelle avant tout le juge interne. C’est lui qui, avant la 
Cour  commune  de  justice  et  d’arbitrage,  garantit  la  primauté  de  la  norme  OHADA 
sur  la  norme  interne  et  constitue  un  pilier  fondamental  dans  la  réalisation  de 
l’espace OHADA.  
22‐ A cause de la place et du rôle des juridictions nationales dans le dispositif 
de l’OHADA, la formation des juges a été une préoccupation majeure des rédacteurs 
du  Traité  qui  ont  institué  à  cet  effet  une  école  régionale  supérieure  de  la 
magistrature  (ERSUMA).  Selon  les  termes  de  l’article  41  du  Traité  OHADA  révisé, 
cette  école  est  un  établissement  « de  formation,  de  perfectionnement    et    de 
recherche en droit des affaires ». Ce nouvel article est venu remplacer l’ancien dont 
la formulation était : « il est institué une école régionale supérieure de magistrature 
qui concourt à la formation et au perfectionnement des magistrats et auxiliaires de 
justice des Etats‐parties ». Cet  article a certainement été modifié pour élargir le rôle 
de  l’ERSUMA,  non  seulement  à  la  formation  des  magistrats  et  des  auxiliaires  de 
justice,  mais  aussi  à  tous  les  autres  personnels  parajudiciaires,  les  personnes  du 
secteur  privé  qui  se  trouvent  confrontés  au  droit  uniforme  des  affaires,  ou  les 
fonctionnaires  chargés  d’œuvrer  dans  ou  avec  des  organisations  internationales. 
Ainsi  le  nouvel  article  41  ne  limite  pas  le  rôle  de  formation de  l’ERSUMA  aux  seuls 
personnels  judiciaires  et  auxiliaires  de  justice,  comme  cela  a  été  proposé  par  la 
doctrine858. En plus, ce nouvel article fait de l’ERSUMA un centre de recherche pour 
les chercheurs des Etats‐parties. 
23‐ Ainsi,  par  la  formation  des  magistrats  et  auxiliaires  de  justice,  l’ERSUMA 
joue  un  rôle  important  dans  la  bonne  application  du  droit  uniformisé  par  les 
juridictions  nationales  du  fond,  car  le  personnel  judiciaire  est  formé  de  la  même 
façon et dans les mêmes conditions quel que soit le pays auquel il appartient.  
L’OHADA  repose  en  grande partie sur  les  juges  nationaux.  Il  serait  donc  préférable 
d’instaurer une formation systématique des juges nationaux à l’ERSUMA. Certes, les 
modalités d’une telle formation devront être examinées par l’ERSUMA, notamment 

                                                            
857
Voir P. MAMOUDOU, note sous cour suprême, 1er octobre 1998, Penant, janvier – mars 2002.
858
V. J. ISSA SAYEGH, P. G. POUGOUE, Communication, “L’OHADA: défis, problèmes et tentatives de
solutions’’, Rev. Dr. Unif. 2008, pp.455 – 476, plus préc. p.461.
205 

 
en  ce  qui  concerne  le  coût  d’une  telle  formation.  A  défaut,  on  peut  déjà  saluer 
l’initiative de l’ERSUMA d’organiser régulièrement des séminaires de formation dans 
les pays. Séminaires qui regroupent les magistrats et autres praticiens des différents 
pays. 
2 : Le contrôle de l’application du droit OHADA par la CCJA  
24‐ L’unification du droit ne peut avoir de réelle efficacité que si elle est suivie 
de l’application uniforme du droit unifié par  les juges. La formule est bien connue : 
« un  droit  uniforme  appelle une  jurisprudence  uniforme »859.  L’application  uniforme 
du  droit  ne  relève  pas  d’une  génération  spontanée,  mais  elle  est  essentiellement 
tributaire  de  paramètres  techniques.  L’OHADA    a  choisi  comme  technique  du 
contrôle  de  l’application  du  droit  uniforme  le  recours  en  cassation.  L’analyse  de 
cette  technique  précèdera  le  débat  sur  l’efficacité  de  cette  technique,  dans 
l’uniformisation du droit uniforme. 
25‐ La  technique  du  recours  en  cassation  est  une  méthode  forte  car,  elle 
postule un abandon de souveraineté au plan judiciaire des Etats parties. De ce fait, la 
CCJA  se  substitue  aux  juridictions  nationales  de  cassation    et  aux  juridictions 
nationales de fond par le pouvoir d’évocation. 
26‐ Afin de bien cerner la substitution de la CCJA aux juridictions de cassation 
nationales,  il  faudrait  d’abord  connaître  l’organisation  judiciaire  des  Etats‐parties. 
Dans les pays membres de l’OHADA, la fonction juridictionnelle qui est un attribut de 
la souveraineté de l’Etat est assumée et exercée par l’ensemble des juridictions qui 
forment dans certains pays le pouvoir judiciaire860. C’est ainsi que l’article 37 alinéa 2 
de  la  constitution  camerounaise  du  18  janvier  1996  dispose  que  « le  pouvoir 
judiciaire  est  exercé  par  la  cour  suprême,  les  cours  d’appels,  les  tribunaux ».  De 
même, la constitution gabonaise du 29 mars 1991 dispose : « la justice est rendue au 
nom  du  peuple  gabonais  par  la  cour  constitutionnelle,  la  cour  judiciaire,  la  cour 
administrative, la cour des comptes, les cours d’appels, les tribunaux, la haute cour 
de justice et les autres juridictions d’exception ». 
Pour éviter les interprétations divergentes d’une même règle de droit dans un même 
Etat, les juridictions nationales sont organisées sur le modèle hiérarchique. Il y a ainsi 
d’un côté les juridictions inférieures qui  jugent en fait et en droit et de l’autre, les 
juridictions  suprêmes,  en  principe  juges  du  droit  qui  sont  chargés  d’unifier 
l’interprétation  de  la  règle  de  droit  par  les  juridictions  inférieures.  Le  rôle 
d’unification du droit a très tôt été reconnu à la cour de cassation861, cela constitue 
sa mission essentielle. Sur un plan symbolique, les juridictions suprêmes nationales 

                                                            
859
TG DE LAFOND, « Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique », gaz. Pal., sept.
1995, p.2., cité par D. ABARCHI, « La supranationalité de l’organisation pour l’organisation en Afrique du
droit des affaires », op.cit., p.16.
860
Exemples : le Cameroun où le titre V de la constitution du 20 janvier 1996 est intitulé « Du pouvoir
judiciaire » ; la république du Congo où le titre VIII de la constitution du 20 janvier 2002 est intitulé « du
pouvoir judiciaire » ; le Sénégal où le titre VIII de la constitution est intitulé « du pouvoir judiciaire ».
861
J.CHEVREAU, « La cour de cassation gardienne de l’unité du droit », in L’image doctrinale de la cour
de cassation, paris, la documentation française, 1994, p85-90, plus spéc. p.85.
206 

 
sont  ainsi  l’incarnation  la  plus  solennelle  de  la  souveraineté  des  Etats  en  matière 
judiciaire. 
27‐ L’avènement  de  l’OHADA  est  venu  modifier  ce  schéma  traditionnel. 
D’abord les juridictions nationales de fond sont devenues les juges de droit commun 
dans  les  litiges  relatifs  à  l’application  et  à  l’interprétation  des  Actes  uniformes862. 
Ensuite,  lorsqu’elles  appliquent  le  droit  OHADA,  au  lieu  d’être  placées  sous  le 
contrôle  normatif  des  juridictions  nationales  de  cassation,  les  juridictions  de  fond 
sont  placées  sous  le  contrôle  normatif  de  la  CCJA863.  Ceci  alors  que  dans  plusieurs 
constitutions des pays de l’OHADA, il est prévu une juridiction nationale suprême en 
matière  judiciaire.  C’est  ainsi  que  l’article  147  de  la  constitution  du  Tchad  dispose 
que  « il  est  institué  un  seul  ordre  de  juridiction  dont  la  cour  suprême  est  l’instance 
suprême ». 
28‐ Cela nous amène à constater que les juridictions suprêmes nationales en 
matière  judiciaire  ont  été  dépouillées  de  leur  pouvoir  de  dire  le  droit  lorsque 
l’application  des  Actes  uniformes  est  en  cause.  Ainsi,  les  dispositions  nationales 
constitutionnelles  qui  instituent  une  juridiction  suprême  nationale  en  matière 
judiciaire doivent être modifiées pour mentionner l’exception qui existe en matière 
de contentieux des Actes uniformes.  
            En  effet,  l’article  20  in  fine  du  Traité  OHADA  doit  être  compris  comme 
accordant une compétence exclusive  à la CCJA en qualité de juridiction suprême du 
contentieux des Actes uniformes. A cet effet, elle rend des décisions qui s’imposent 
à toutes les juridictions nationales inférieures, et aux cours suprêmes nationales. Les 
décisions  de  la  CCJA  qui  seraient  rendues  en  dehors  des  limites  de  sa  compétence 
matérielle  devraient  par  conséquent  être  dépourvues  de  tout  effet  contraignant. 
Ajouté  à  cela  le  fait  que  la  CCJA,  elle‐même  ne  se  reconnaît  pas  compétente  pour 
connaître  des  recours  en  cassation  formés  contre  les  décisions  des  juridictions 
suprêmes  nationales864.  On  ne  voit  pas  pourquoi  on  soutiendrait  la  thèse  de la 
supériorité de la CCJA sur les juridictions suprêmes nationales. La CCJA coexiste avec 
les  juridictions  de  cassation  nationales  et  ne  peut  en  aucun  cas  être  considérée 
comme  supérieure  à  celle‐ci  étant  donné  que  leurs  domaines  d’interventions  sont 
délimités.  
29‐  Par  ailleurs,  la  CCJA  s’est  substitué    aux  juridictions  nationales  de  fond. 
Celle‐ci  se manifeste dans le pouvoir d’évocation de la CCJA. Au départ, le pouvoir 
d’évocation  était  reconnu  uniquement  aux  juridictions  d’appel.  Mais,  depuis 
quelques  années,  on  observe  une  tendance  des  pays  de  l’OHADA  à  étendre 
l’évocation aux juridictions de cassation. Devant les juridictions d’appel, l’évocation 
se  définit  comme  « une  faculté  qui  appartient  au  juge  du  deuxième  degré,  saisi  de 
l’appel de certains jugements de première instance, de s’emparer de toute l’affaire et 
                                                            
862
B. BOUMAKANI, « Le juge interne et le droit OHADA », Penant, n° 839, 2002, pp.133-152.
863
Article 14 et s. du Traité OHADA révisé.
864
V. CCJA, arrêt n° 005/2003 du 24 avril 2003, caisse d’assistance médicale en Côte d’Ivoire dite CAMCI
C/ Assistance médicale et sociale de Côte d’Ivoire dite AMSI, in ONANA ETOUNDI et JM MBOCK
BIULA, pp.70-74.
207 

 
de statuer sur le tout, c'est‐à‐dire sur l’appel et sur le fond du procès, par une seule et 
même décision »865. L’évocation a ses origines en droit français. Dans les réformes de 
1972, la doctrine fondait le pouvoir d’évocation des juridictions du deuxième degré 
sur l’idée de suspicion envers les juges du premier degré. C’est pourquoi l’évocation 
était  subordonnée  à  l’infirmation  de  la  décision  des  juges  du  premier  degré.  Il  se 
peut  que  les  juges  du  premier  degré  soient  mécontents  de  l’infirmation  de  leur 
décision par les juridictions d’appel. Si par la suite, la même affaire était renvoyée à 
ces  juges,  il  y  avait  un  risque  de  voir  ces  derniers  refuser  de  s’incliner  devant  la 
solution des juges d’appel866.    
C’est certainement cette suspicion qui a conduit le législateur OHADA à consacrer le 
pouvoir  d’évocation  à  l’égard  des  décisions  rendes  en  dernier  ressort  par  les 
juridictions nationales de fond. En effet, le législateur craignait certainement qu’en 
cas  de  cassation  d’une  décision  rendue  en  dernier  ressort  par  une  juridiction 
nationale, on ne sache véritablement pas vers quelle juridiction nationale renvoyer 
l’affaire. Devant la juridiction qui a rendu la décision ? Avec le risque  qu’elle ne suive 
pas  les  directives  de  la  CCJA,  ou  devant  une  autre  juridiction  située  dans  le  même 
pays867 ?  Devant  ce  dilemme,  le  législateur  a  préféré  opter  pour  l’évocation  de  la 
CCJA.   
30‐ Aux termes de l’article 14 alinéa 5 du Traité de l’OHADA, lorsque la CCJA 
casse un jugement ou un arrêt des juridictions nationales de fond, elle doit évoquer 
et statuer sur le fond. Ainsi, à la substitution de la CCJA aux juridictions nationales de 
cassation,  s’ajoute  la  substitution  de  la  Cour  Communautaire  aux  juridictions 
nationales de fond. Le pouvoir d’évocation de la CCJA constitue ainsi pour la doctrine 
« l’acte  caractéristique  de  l’abandon  de  souveraineté  des  juridictions  nationales  du 
fond »868 . Il est une attribution  que possède une juridiction dans tous les cas où elle 
est  saisie,  d’examiner  complètement  le  dossier  d’une  affaire,  de  le  réformer,  de 
corriger les erreurs de qualification des juges primitivement saisis, de relever toutes 
les  circonstances    légales  qui  accompagnent  les  faits869.  Comme  l’observe  M. 
GUYENOT,  la  juridiction  qui  évoque :  « se  trouve  dans  la  situation  du  maître  ou  du 
père  de  famille  qui,  mécontent  du  travail  de  l’élève  prend  sa  place  pour  le  refaire 
entièrement, ou l’achever avec plus de savoir ou d’autorité. Il évoque pour terminer 
l’affaire et rendre lui‐même la décision qui s’impose870 .» 
31‐ L’évocation  apparaît  donc  comme  un  moyen  efficace  dont  dispose  la 
juridiction  supranationale  pour  élargir  sa  saisine  et  accéder  à  une  plénitude  de 
juridiction  sur  l’affaire.  Elle  occupe  la  même  situation  que  si  elle  avait  été  saisie 
directement et entièrement de l’affaire par voie de transmission de pièces.   
                                                            
865
J. VINCENT et S. GUINCHARD, Procédure civile, paris Dalloz, 27e éd., 2003, n° 1439.
866
J. VINCENT et S. GUINCHARD, op.cit., 20e éd. n° 966.
867
Pour ces questions, voir B. DIALLO, « Réflexions sur le pouvoir d’évocation de la CCJA dans le cadre
du traité de l’OHADA », www.ohada.com, ohadata-D-07-23.
868
Ibid.
869
Cependant, on doit distinguer l’évocation de notions voisines telle que la dévolution.
870
J.GUYENOT, « Le pouvoir de révision et le droit d’évocation de la chambre d’accusation », Revue de
sciences criminelles et de droit pénal comparé, n°3-1964, p561 et s.
208 

 
 
32‐ Cependant,  plusieurs  critiques  ont  été  faites  à  l’endroit  du  pouvoir 
d’évocation tel qu’organisé par l’OHADA .On lui a par exemple reproché de  sacrifier 
les droits des plaideurs. La raison en est que lorsqu’elle évoque et statue sur le fond, 
elle  a  moins  de  pouvoirs  qu’une  juridiction  de  renvoi.  Car  la  cassation  implique 
l’obligation  pour  le  juge  suprême  de  renvoyer  le  litige  aux  juridictions  de  fond.  La 
juridiction de renvoi peut être soit la juridiction qui a rendu la décision cassée, mais 
composée d’autres magistrats, soit une autre juridiction de même ordre, de même 
degré  ou  de  même  nature  que  celle  qui  avait  rendu  la  décision  cassée.  Dans  les 
droits  processuels  nationaux,  la  cassation  a  pour  conséquence  de  replacer  les 
plaideurs  dans  la  situation  qui  était  la  leur  avant  l’arrêt  de  cassation.  Devant  la 
juridiction  de  renvoi,  l’instance  est  reprise  au  stade  de  la  procédure  qui  n’est  pas 
atteint par la cassation. En fait, comme en droit la juridiction de renvoi jouit d’une 
grande liberté. 
33‐ Or,  la  CCJA  lorsqu’elle  évoque  ne  jouit  pas  de  la  totalité  des  pouvoirs 
reconnus à la juridiction de renvoi. Ainsi, les plaideurs sont privés devant la CCJA de 
la  faculté  d’émettre  de  nouvelles  prétentions  ou  de  développer  de  nouveaux 
moyens.    C’est  pour  toutes  ces  raisons  que  des  propositions  ont  été  faites  par  la 
doctrine pour réformer le pouvoir d’évocation871.  
34‐  Sans  revenir  sur  la  pertinence  des  solutions  proposées872,  l’on  constate 
que le choix de la méthode du recours en cassation a suscité beaucoup de remous 
en  doctrine  et  même  en  jurisprudence,  c’est  pourquoi  la  technique  du  renvoi 
préjudiciel  a  été  proposée  par  M.  MEYER873.  Orle  renvoi  préjudiciel,  pourrait 
présenter plus d’inconvénients que d’avantages. La véritable difficulté que suscite le 
recours en cassation est, le cas des recours soulevant à la fois des questions relevant 
du  droit  OHADA  et  du  droit  interne.  A  ce  problème  la  doctrine  s’est  attelée  à 
proposer diverses solutions874. 
 
B‐ Le rayonnement  des décisions de la CCJA 
35‐ La force exécutoire des arrêts de la CCJA se manifeste à deux niveaux : les 
arrêts  de  la  CCJA  sont  dispensés  de  l’exequatur  pour  être  exécutés ce qui donne  à 
leur  exécution  un  caractère  transfrontalier  (1),  tandis  que  les  sentences  arbitrales 
rendues sous son égide bénéficient d’un exequatur communautaire (2) 
 
                                                            
871
Pour la synthèse des solutions proposées V° F.ONANA ETOUNDI, Grandes tendances
jurisprudentielles ( de la cour commune de justice et d’arbitrage en matière d’interprétation et
d’application du droit OHADA 1997-2010), collection « pratique et contentieux de droit des affaires », éd.
spéciale, octobre 2011, p. 25.
872
Pour l’analyse et la critique de ces solutions, voir S. P. LEVOA AWONA, La répartition des
compétences, dans l’espace OHADA et l’espace CEMAC, Thèse, préc..pp . 95 et s.
873
P. MEYER, art préc.
874
A cet effet lire, B.BAYO BYBI, Le rôle de la cour commune de justice et d’arbitrage, dans la
sécurisation de l’espace OHADA,Thèse, Caen, 2009, p.142 et s ; S.P.LEVOA AWONA, Thèse préc n°.419
et s ;A.F.TJOUEN, Thèse préc.n°338 et ss.
209 

 
1‐ L’exécution transfrontalière des arrêts de la CCJA 
36‐ L’article 20 du Traité OHADA dispose que, « les arrêts de la cour commune 
de  justice  et  d’arbitrage  ont  l’autorité  de  la  chose  jugée  et  la  force  exécutoire.  Ils 
reçoivent sur le territoire de chacun des Etats parties une exécution forcée dans les 
mêmes  conditions  que  les  décisions  juridiques  nationales ».  Cet  article  est  la 
manifestation  même  des  effets  reconnus  aux  arrêts  de  la  CCJA  .En  réalité  ces 
derniers  sont  assimilés  aux  décisions  juridiques  nationales  et  le  législateur  leur  a 
octroyé des attributs reconnus aux décisions internes875.  Tant que leur régularité n’a 
pas  été  contrôlée,  les  jugements  étrangers  ne  bénéficient  en  réalité  d’aucune 
autorité de  la chose jugée876 pas plus que de la force exécutoire. 
37‐ Mais  qu’est  ‐ce  que  l’autorité  de  la  chose  jugée ?  La  définition  de  cette 
notion  a  créé  beaucoup  de  remous  en  doctrine,  plusieurs  travaux  lui  ont  été 
consacré877,  mais  un  accord  n’a  pas  encore  été  trouvé  ni  sur  sa  nature  ni  sur  sa 
définition. 
38‐ En ce qui concerne la nature de l’autorité de chose jugée, les auteurs de 
plus en plus nombreux la considèrent comme un attribut et non comme un effet du 
jugement. Pour M. pierre MAYER par exemple, « l’autorité de chose jugée qu’elle soit  
ou  négative  ou  positive  n’est  qu’un  attribut  du  jugement :  l’impossibilité  de  le 
remettre en cause… »878. L’argument avancé par les partisans de cette thèse est que 
l’autorité de  la chose jugée et la force exécutoire sont directement attribués par le 
droit  objectif  alors  que  les  effets  du  jugement  résultent  du  travail  du  juge  et  est 
l’effet de sa volonté. Corinne BLERY affirme dans ce sens que l’attribut se distingue 
de  l’effet  par  son  extériorité  et  son  automaticité879.  Ce  que  nous  pouvons  dire  à 
propos  de  cette  distinction  entre  effets  et  attributs  du  jugement,  est  qu’elle  ne 
permet  pas  de  maintenir  la  distinction  nette  en  Droit  International  Privé  entre    la 
reconnaissance  et  l’exécution  du  jugement.  La  reconnaissance  englobe  aussi  bien 
l’autorité  de  la  chose  jugée  et  ce  qu’on  qualifie« d’efficacité  substantielle »  ou «  
d’effet  essentiel  du  jugement »880 ,  et  est  bien  distincte  de  la  force  exécutoire  qui 
                                                            
875
H-J LUCAS, « L’efficacité juridictionnelle des décisions étrangères » mélanges pierre Hébraud, p. 528.
876
Ibid.
877
J.FOYER, De l’autorité de la chose jugée en matière civile, Essai d’une définition, Thèse paris dactyl
1975 ; M.TOMASIN, Essai sur l’autorité de chose jugée en matière civile, LGDJ 1975, J.HERON
« Localisation de l’autorité de chose jugée ou rejet de l’autorité positive de la chose jugée »,in mélanges
Perrot, Dalloz 1996 p.131 ;G.WIEDERKHER, « Sens, signifiance et signification de l’autorité de chose
jugée »,études offertes à J. NORMAND, Jurisclasseur 2003 pp. 507 et s ;C. BLERY, « qu’est-ce que
l’autorité de chose jugée ? Une question d’école ? » coll.caen « regards croisés sur l’autorité de chose
jugée », Procédures 2007,pp.5 et ss.
878
P.MAYER, « les méthodes de reconnaissance en droit international privé » in mélanges Paul
LAGARDE, Dalloz 2005, p. 547 et s plus spéc. p.551, dans le même sens T. LEBARS, Droit judiciaire
privé, 3e éd Montchrestien 2006 p.262 :H. PEROZ, La réception des jugements dans l’ordre juridique
français LGDJ 2005
879
C.BLERY, L’efficacité substantielle des jugements civils LGDJ 2000 n°210.
880
L’efficacité substantielle consiste en la modification de la situation juridique des parties par le jugement,
ou l’effet par lequel le doit subjectif du demandeur se trouve concrétisé ;c’est la concrétisation du
demandeur qui s’accompagne d’une concrétisation de la norme appliquée par le juge. V° C.BLERY, Thèse
préc, n°216
210 

 
selon  ces  auteurs  est  également  un  attribut  du  jugement.  C’est  la  raison  pour 
laquelle  nous  avons  préféré  maintenir  la  qualification  d’effets  du  jugement  pour 
l’autorité de la chose jugée et la force exécutoire.  
39‐ La  principale  caractéristique  de  l’acte  juridictionnel  est  de  posséder  une 
autorité  que  n’ont  pas  les  actes  d’un  administrateur  ordinaire.  contrairement  à  ce 
qui  a été souvent dit881, elle ne saurait être rapprochée de la présomption de vérité 
posée par l’article 1351 du code civil. En effet, même un jugement erroné a autorité 
de la chose jugée882 ; non pas parce qu’il est présumé vrai,  selon l’adage res judicata 
pro veritatae accipitur883 , mais parce que le juge est investi du pouvoir de trancher 
les litiges. Mme Marie ‐ Anne FRISON ROCHE défini dans sa thèse l’autorité, comme 
« le  mécanisme qui interdit aux parties ayant participé à une instance ayant abouti à 
une décision de saisir de nouveau les tribunaux pour obtenir une autre autre solution 
sur la même question884 . Le défaut de cette définition comme toutes celles qui vont 
dans  ce  sens  est  de  définir  l’autorité  de  la chose  jugée par  l’un de  ses  effets,  celui 
d’être une « fin de non recevoir »885 . Elle présente l’autorité comme une interdiction 
alors même qu’elle semble renvoyer à une valeur positive du jugement.  
40‐ C’est  pourquoi  nous  nous  rangeons  derrière  la  définition  donnée  par  M 
Georges WIEDERKHER pour qui l’autorité de la chose jugée est la force reconnue à la 
solution  du  juge  en  vertu  du  pouvoir  qu’il  a    de  dire  le  droit  et  de  trancher  les 
litiges886. Dire donc des arrêts de la CCJA qu’ils ont l’autorité de la chose jugée, c’est 
affirmer que les solutions retenues par les juges de la cour dans les litiges s’imposent 
dans tous les Etats parties et que concernant la même affaire, aucune autre décision 
prise par un juge d’un Etat partie ne trouvera à s’exécuter887. 
41‐ Quant  à  la  force  exécutoire, elle  est  la  force  conférée  à  un  jugement qui 
permet au bénéficiaire de requérir les agents de la force publique lorsque la partie 
contre laquelle a été rendue la décision refuse d’exécuter la décision. Elle est acquise 
en droit interne après apposition de la formule exécutoire dès lors que la décision a 
acquis force de chose jugée888. La force exécutoire des arrêts de la CCJA est acquise 
dès leur prononcé mais l’apposition de la formule exécutoire reste nationale.La force 
exécutoire quant à elle doit être distinguée de la force obligatoire car, cette dernière 
signifie  que  les  parties  sont  juridiquement  liées  par  ce  qui  a  été  décidé,  et  sont 
obligés d’exécuter les condamnations prononcées à leur encontre. 
                                                            
881
G. COUCHEZ, Procédure civile,14e éd. DALLOZ, 2006, n°13 ; l’auteur affirme que, « A l’acte
juridictionnel est attaché l’autorité de la chose jugée, c'est-à-dire la force de vérité légale ».
882
G.WIEDERKHER, « Sens, signifiance, et signification de l’autorité de la chose jugée », op.cit. p.510.
883
H.ROLAND et L.BOYER, Adages du droit français, 4e éd. Litec, 1999 n°936.
884
M.A FRISON-ROCHE, Généralités sur le principe du contradictoire, Thèse DACTYL Paris 1998, p.
100.
885
Une fin de non - recevoir est un mécanisme procédural obligeant au juge saisi d’une demande de ne
l’examiner dans le fond par conséquent de la déclarer irrecevable.
886
G. WIEDERKHER, art. préc. p.514.
887
Cf. article 20 du Traité in fine.
888
Selon l’article 510 du nouveau code de procédure civil français, est passé en force de chose jugée le
jugement qui n’est susceptible d’aucun recours suspensif ou qui ayant été susceptible d’un tel recours a
cessé de l’être à l’expiration du délai pour exercer ce recours.
211 

 
 
2‐L’exequatur communautaire des sentences arbitrales CCJA 
42‐ L’OHADA a institué un système d’arbitrage dans lequel la CCJA joue le rôle 
à la fois de centre d’arbitrage et de juge chargé de contrôler les sentences rendues 
sous son égide. Elle cumule donc des fonctions administratives et juridictionnelles889. 
Ce  qui  signifie  qu’elle  nomme  ou  confirme  les  arbitres,  veille  au  déroulement  de 
l’instance,  examine  les  projets  de  ses  sentences.  Elle    se  prononce    aussi  sur 
l’exequatur de  ses sentences, lorsque celui‐ci est demandé par l’une des parties. Ce 
système  a  été  qualifié  d’original890  par  la  majorité  de  la  doctrine.  L’originalité 
viendrait de l’efficacité des sentences arbitrales. 
43‐ En  effet,  selon  l’article  25,  alinéa  2  du  Traité  OHADA,  les  sentences 
arbitrales  du  système  d’arbitrage  de  la  CCJA  ont  « l’autorité  définitive  de  la  chose 
jugée  sur  le  territoire  de  chaque  Etat‐partie… ».  En  outre,  l’article  25  ajoute : 
« qu’elles  peuvent  faire  l’objet  d’une  exécution  forcée  en  vertu  d’une  décision 
d’exequatur.  La  cour  commune  de  justice  et  d’arbitrage  a  seule  compétence  pour 
rendre  une  telle  décision »891.Un  auteur  a  relevé  qu’«en  donnant  à  la  haute 
juridiction  communautaire  compétence  exclusive  pour  délivrer  l’exequatur,  le  traité 
indique  implicitement  que  cet  exequatur  va  permettre  de  poursuivre  l’exécution 
forcée sur l’ensemble des territoires des Etats‐parties au Traité »892. L’exequatur est 
donc communautaire. Ce qui signifie qu’une fois que la cour délivre l’exequatur à la 
sentence arbitrale, celle‐ci a force exécutoire dans l’ensemble des Etats‐parties, sous 
réserve  de  l’opposition  ultérieure  de  la  formule  exécutoire  par  les  Etats‐parties  où 
l’exécution est sollicitée893.  
44‐ Cette  option  du  législateur  OHADA894  a  été  triplement  justifiée895.  Il  a 
d’abord  été  avancé  un argument d’économie  de  temps et  de procédure  pour celui 
qui voudrait poursuivre l’exécution forcée dans l’ensemble des Etats. Mais, ce souci 
d’économie  est  largement  remis  en  cause  par  la  nécessité  de  solliciter  autant  de 
formules  exécutoires  qu’il  y  a  d’Etat‐partie.  Il  a  ensuite  été  argué  que  la 
centralisation  du  contrôle  satisfaisait  à  l’objectif  premier  de  l’organisation  qui  est 
l’unification.  
  Le  risque  de  divergences  de  solutions  serait  grand,  s’il  eût  fallu  que  la 
sentence  arbitrale  fasse  l’objet  de  plusieurs  contrôles  dans  plusieurs  Etats.  Risque 
qui  est  tout  de  même  réduit,  il    faut  le  dire  par  l’unification  des  conditions 
                                                            
889
Cf. art.2 du règlement d’arbitrage de la cour commune de justice et d’arbitrage.
890
J. P. ANCEL, « Le contrôle de la sentence », op.cit., p. 196 ; Ph. LEBOULANGER « La reconnaissance
et l’exécution des sentences arbitrales dans le système OHADA », op.cit., p.168 ; P. G. POUGOUE, « Le
système d’arbitrage de la CCJA », in l’OHADA et les perspectives de l’arbitrage en Afrique, op.cit., p.130.
891
P.G. POUGOUE, art. préc., p.135.
892
Ibid
893
Article 46 du règlement de procédure de la CCJA ; J.-M. TCHAKOUA, « L’exécution des sentences
arbitrales dans l’espace OHADA : regard d’une construction inachevée à partir du cadre
camerounais »,RASJ, vol .5 n°1 2009 p.1 et s.
894
Elle est inspirée de la convention de Washington de 1965 qui dispense de solliciter l’exequatur devant
les autorités nationales.
895
P.G. POUGOUE, op.cit., p.134.
212 

 
d’exequatur.  Quant  au  troisième  argument,  il  est  purement  économique  et  extra 
juridique. Le souci du législateur OHADA était d’attirer les utilisateurs de l’arbitrage 
vers la CCJA au détriment des autres centres d’arbitrage, endémarquant celui‐ci des 
autres centres existants par l’exequatur communautaire. Bien que l’espace judiciaire 
soit perceptible, de nombreuses lacunes continuent de subsister. 
 
  II: LE CARACTERE PERFECTIBLE DE L’ESPACE JUDICIAIRE OHADA 
45‐ L’espace judiciaire OHADA est perceptible, mais est très loin d’être réalisé. 
On note encore beaucoup de lacunes au sein de cet espace judiciaire en gestation. 
D’une part, L’absence d’une circulation  de la totalité des titres exécutoires constitue 
une lacune de l’espace judiciaire OHADA(A). D’autre part,  l’absence d’harmonisation 
de la carte judiciaire et l’absence de coopération entre les juges de l’espace OHADA 
constitutifs  du  cloisonnement  des  systèmes  judiciaires  des  Etats  de  l’OHADA 
contribuent à obstruer l’instauration d’un véritable espace judiciaire OHADA(B). 
 
  A‐ Le cloisonnement des systèmes judiciaires des Etats‐parties à l’OHADA 
46‐ Ce cloisonnement se manifeste par l’absence d’harmonisation de la carte 
judiciaire des Etats membres(1), et par l’absence de coopération entre les juges (2). 
 
 1  :  L’absence  d’harmonisation  de  la  carte    et  des  procédures  judiciaires  
OHADA 
47‐ L’idée  d’une  harmonisation  de  la  carte  judiciaire  a  été  émise  par  le 
professeur Paul Gérard POUGOUE et Yvette ELONGO KALIEU, dans leur ouvrage896.  
Un  auteur  a  également  soutenu  que  la  question  de  l’harmonisation  de  la  carte 
judiciaire et des institutions judiciaires « …est la suite logique et nécessaire du choix 
initial de priver les juridictions suprêmes internes de la connaissance du contentieux 
commercial en dernier ressort, la CCJA venant en quelque sorte couronner en matière 
commerciale  l’édifice  judiciaire  de  chaque  Etat‐partie »897.  Mais  l’idée  d’une 
harmonisation de la carte judiciaire rencontre de sérieuses difficultés, toutefois, cela 
n’exclut  pas  le  fait  qu’elle  soit  nécessaire  pour  la  réalisation  de  l’espace  judiciaire 
OHADA. 
48‐ Poser  la  question  de  savoir  si  le  législateur  OHADA  pourrait  envisager 
l’harmonisation de la carte judiciaire revient  à poser la question de l’intégration de 
l’organisation  judiciaire  des Etats‐membres  dans  le  domaine  du  droit  à  harmoniser 
par l’OHADA ; et c’est là que se situe la première difficulté. En effet, l’OHADA a pour 
objet  l’uniformisation  du  droit  des  affaires,  dans  ce  cas,  il  est  difficile  de  faire  un 
rapprochement  entre  l’organisation  judiciaire  interne  des  Etats  et  le  droit  des 
affaires.  C’est  l’idée  que  défend  une  partie  de  la  doctrine  ainsi,  que  la  cour 
communautaire. 

                                                            
896
P. G. POUGOUE, Y. ELONGO KALIEU, ouvrage préc., p.164.
897
L. BENKEMOUN, « sécurité juridique et investissements internationaux », Penant, n° 855, p.194.
213 

 
49‐ S’agissant  de  la  doctrine,  elle  s’oppose  majoritairement  à  l’idée  de 
l’intervention du législateur OHADA dans les institutions et les procédures judiciaires 
internes des Etats‐parties, c’est au moins ce qu’affirment les auteurs J. ISSA SAYEGH 
et Jacqueline LOHOUES‐OBLE, « il semble acquis que dans le sens strict du domaine 
judiciaire  défini,  l’OHADA  doit  s’abstenir  de  toucher  à  l’organisation  judiciaire  des 
Etats‐parties ou à l’organisation administrative des Etats‐parties »898. Dans le même 
ordre d’idées, les avocats français dans leur ouvrage collectif écrivent que : « les AU 
n’ont pas cherché à harmoniser l’organisation administrative et judiciaire des Etats‐
membres »899,  par  conséquent,  ils  emploient  des  termes  génériques  pour  faire 
référence à diverses autorités, c’est ainsi qu’on retrouve les expressions telles que, 
« les  tribunaux  compétents  en  matière  commerciale »,  de  « juge  compétent »,  ou 
encore « la juridiction de l’urgence ». Il ressort de tous ces propos de la doctrine que 
l’OHADA n’avait pas pour ambition de modifier l’organisation judiciaire interne des 
Etats‐membres.  C’est  certainement  pour  éviter  la  situation  dans  laquelle  « toute 
matière  pouvait  faire  partie  du  droit  des  affaires  ou  du  droit  économique  (et 
pourtant),  l’OHADA  n’a  de  sens  que  si  l’on  a  une  conception  stricte  du  droit  des 
affaires.  C’est  l’esprit  du  législateur  OHADA,  sinon  c’est  tout  le  droit  qui  sera 
uniformisé »900. 
50‐ Bien plus, la Cour Communautaire semble adopter une position similaire à 
celle  de  la  doctrine.  En  effet,  l’analyse  de  la  jurisprudence  de  la  CCJA  révèle  sa 
position  à  savoir,  qu’il  faut  reconnaître  la  compétence  des  Etats‐membres  de 
l’OHADA vis‐à‐vis de leur organisation judiciaire telle qu’organisée par chaque Etat‐
membre  de  l’OHADA.  Ainsi,  en  matière  de  voies  d’exécution,  la  CCJA  affirme  dans 
l’un  de  ses  arrêts  que  le  critère  d’identification  de  la  juridiction  compétente  en 
matière de saisies conservatoires et des difficultés d’exécution est  la juridiction des 
urgences  telle que déterminée  par  l’organisation  judiciaire  interne de chaque  Etat‐
membre de l’OHADA. 
51‐ L’autre difficulté soulevée par l’harmonisation de la carte judiciaire est la 
détermination  de  ce  qu’il  faudra  harmoniser.  Faudra‐t‐il  harmoniser  l’organisation 
des  juridictions  ainsi  que  leur  fonctionnement 901?  Il  est  évident  qu’on  ne  pourrait 
harmoniser  toute  l’organisation  judiciaire  interne  des  Etats‐parties  sur  le  plan 
organique. Il faudra sélectionner les juridictions à harmoniser. La même difficulté se 
posera sur le plan fonctionnel, va‐t‐il falloir les règles de compétence des juridictions 
et  les  procédures ?  Dans  ce  cas,  il  faudrait  examiner  tous  les  codes  de  procédure 
civiles  et  commerciales  des  Etats‐parties  afin  de  déterminer  l’ensemble  des  ordres 
de  juridictions  présents  des  Etats‐parties  ainsi  que  leur  organisation,  leur 
                                                            
898
J. ISSA SAYEGH ; J. LOHOUES-OBLE, OHADA, Harmonisation du droit des affaires, Bruylant,
2002, n° 265
899
B. MARTOR, N. PILKILGTON, D. SELLERS, S. THOUNEVOT, Droit uniforme africain des affaires
issues de l’OHADA, Lexinexis, 2004, n° 98, p.125.
900
P.-G. POUGOUE, « L’avant projet d’AU sur le droit des contrats : les tribulations d’un universitaire »,
www.ohada.com, ohadata D-07-41.
901
P. DJONGA, L’organisation judiciaire interne des Etats-membres à l’épreuve du droit OHADA,
mémoire de DEA, université de Ngaoundéré, 2008, p.78.
214 

 
compétence  et  leurs  modalités  de  saisine,  etc…  Ce  qui  serait  un  travail  très 
fastidieux.  
52‐ Mais,  la  véritable  difficulté,  nous  le  pensons,  est  que  l’organisation 
judiciaire est un domaine qui touche directement la souveraineté de l’Etat. L’Etat est 
en  effet  souverain  dans  la  mission  d’organisation  de  la  justice902.  Les  règles  de 
procédure  relèveraient  selon  les  arguments  de  nature  politique  de  la  seule 
compétence  du  souverain903.  Il  serait  dans  ce  cas  difficile  de  convaincre  les  Etats‐
parties  à  l’OHADA  de  procéder  à  une  telle  harmonisation.  Quand  bien  même  ils 
l’auraient accepté, il faudrait ensuite sélectionner les règles qui devront faire l’objet 
d’harmonisation, car un texte  d’intégration  juridique,  si exhaustif  et  si  précis  soit‐il 
ne peut régler l’intégralité des détails de son application dans l’ensemble des Etats‐
membres. 
53‐  Il  est  évident  que  l’harmonisation  de  la  carte  judiciaire  OHADA  ne  peut 
être  que  parcellaire  et  ne  saurait  toucher  à  tous  les  ordres  juridictionnels,  la 
compétence  et  l’ossature  statique  des  institutions  organiques  judiciaires.  Dans  ces 
domaines,  les  Etats‐membres  devraient  conserver  leur  autonomie.  C’est  une 
prérogative  qui  revient  aux  Etats.  Ainsi,  par  exemple,  l’article  67  de  la  constitution 
sénégalaise révisée le 1er janvier 2001 et l’article 71 alinéas 4 et 5 de la constitution 
ivoirienne  modifiée  le  23  juillet  2000  disposent  respectivement  que,  sont  du 
domaine  de  la  loi :  « la  création  des  ordres  de  juridiction »,  « l’organisation  des 
tribunaux  judiciaires  et  administrative  de  la  procédure  suivie  devant  ces 
juridictions ».  L’article  26  de  la  constitution  camerounaise  dispose  que :  « sont  du 
domaine  de  la  loi…l’organisation  judiciaire  et  la  création  des  ordres  de 
juridiction… »904. Ainsi, la proposition de M. Laurent BENKEMOUN d’adopter un acte 
uniforme portant réforme de la carte judiciaire, de la juridiction commerciale et de la 
procédure  commerciale  est  assez  osée  car,  il  faudrait  d’abord  procéder  à  la 
modification des constitutions des différents Etats‐parties.  
54‐ Malgré les difficultés que pose L’harmonisation de la carte judiciaire  elle 
est  tout  de  même  nécessaire.  L’une  des  faiblesses  du  droit  OHADA  réside  dans  la 
disparité des formes de juridictions et des procédures. Le justiciable de l’OHADA est 
« perdu »905  quand il doit subir ou conduire un procès hors de chez lui. Il risque des 
erreurs  aux  conséquences  irréparables  pour  peu  que  des  règles  aussi  élémentaires 
que  celles  qui  touchent  aux  délais  ou  aux  nullités  soient  conçues  sur  des  bases  et 
selon  des  techniques  différentes  des  siennes.  On  comprend  donc  que  par  souci 

                                                            
902
L. CADIET, J. NORMAND et S. AMRANI-MEKKI, Théorie générale du procès, Paris, PUF, 2010,
p.262.
903
Ibid.
904
Art. 26 de la constitution du 18 janv. 1996 portant révision de la constitution du 2 juin 1972. et modifiée
par la loi n° 2008/001 du 14 avril 2008.
905
L’expression est de J. NORMAND, « préface » in, M - L STORME, éd., approximation of judiciary law
in the european – union – rapprochement du droit judiciaire de l’union européenne, KLUVER et Martinus
NJIHOFF, 1994, PUF, cité par Joseph KAMGA, « Réflexions concrètes sur les aspects judiciaires de
l’attractivité économique du système juridique OHADA », www.ohada.com, ohadata-D-12-85.
215 

 
d’efficacité  et  d’attractivité  économique  de  la  justice,  il  convient  de  rapprocher 
utilement et efficacement les systèmes de justice de l’espace OHADA.  
55‐ En  effet,  en  parcourant  l’organisation  judiciaire  des  Etats‐parties,  on 
constate  qu’il  y  a  des  divergences  au  niveau  de  l’ordre  judiciaire  étant  donné  que 
c’est  celui‐ci  qui  nous  intéresse.  Comme  on  le  sait,  le  contentieux  relatif  à 
l’application des Actes uniformes est réglé en première instance et en appel par les 
Etats‐parties906.  Les  juges  nationaux  sont  donc  les  juges  de  droit  commun  du  droit 
OHADA. Mais, ni l’organisation de l’ordre judiciaire, ni des procédures suivies devant 
celui‐ci  ne  sont  régies  par  le  droit  uniforme.  Chaque  Etats  a  donc  organisé  l’ordre 
judiciaire  à  sa  guise.  En  ce  qui  concerne  les  litiges  relevant  des  Actes  uniformes 
OHADA, on constate qu’il y a trois différentes organisations des tribunaux chargés de 
régler  les  litiges  commerciaux  dans  l’espace  OHADA.  Certains  Etats  ont  créé  des 
juridictions  commerciales,  c’est  le  cas  du  Tchad907,  de  la  République 
Centrafricaine908, du Mali909, de la République Démocratique du Congo910, ainsi que 
les  Comores911.  Dans  la  majeure  partie  des  cas,  la  compétence  de  ces  juridictions 
recouvre l’ensemble des litiges pouvant naître de l’application des actes uniformes, 
mais  dans  certains  cas,  l’énumération  législative  est  limitée,  comme  dans  la 
République Islamique des Comores. 
56‐ D’autres  Etats  n’ont  pas  créé  des  juridictions  commerciales,  mais  plutôt 
des chambres commerciales au sein des tribunaux de première instance. C’est le cas 
du  Niger912,  du  Sénégal913.  Ces  chambres  commerciales  connaissent  des  litiges 
rattachés  aux  actes  uniformes  OHADA.  Au  Togo914,  il  existe  une  chambre 
commerciale,  mais  elle  est  rattachée  à  la  chambre  civile  de  sorte  qu’il  existe  une 
confusion entre elles. 
57‐   D’autres  Etats  enfin  n’ont  ni  créé  des  juridictions  commerciales,  encore 
moins instauré des chambres commerciales au sein des tribunaux. Les tribunaux de 
premier  degré  sont  compétents  pour  connaître  de  toutes  les  matières  civiles, 
sociales  et  commerciales.  Ce  qui  signifie que  les   mêmes  juges tranchent  les  litiges 
civils,  sociaux  et  commerciaux.    C’est  le  cas  du  Cameroun915,  du  Bénin916,  du 
Gabon917, de la Guinée Equatoriale918, de la Côte d’Ivoire919. Dans ces Etats, il n’y a 

                                                            
906
Article 13 du Traité OHADA.
907
J. MADJENOUN , « organisation judiciaire du Tchad », www.ohada.com, p.12.
908
A. SENDE, « organisation judiciaire de la RCA », www.ohada.com, p.15.
909
SECK FATOU, « organisation judiciaire du Mal »i, ibid., p.9.
910
R. MASAMBA, « organisation judiciaire de la RDC », ibid., p.6.
911
M. ABDOULBASTOI, Ibid., p.8, il faut préciser que ces tribunaux ne sont pas encore fonctionnels.
912
B. TALFI, ibid., p.9.
913
JANDJO et KOÏTA, A. N’DIAYE, « organisation judiciaire du Sénégal », p.10.
914
A. M. AKOUETE AKUE, ibid. P. 4, le tribunal est divisé en deux chambres, la chambre civile et
commerciale et la chambre correctionnelle.
915
R. Y. KALIEU ELONGO, « organisation judiciaire du Cameroun », www.ohada.com, p.5 et 7.
916
C. KOUPAKI AYOWLA, ibid., p.19.
917
A. NKOROUNA, Ibid., p.11.
918
S. ESSONO ABESOTONO, ibid., p.18
919
F. KOMOIN, Ibid., p.33 et s.
216 

 
pas  de  spécialisation  des  juges  en  matière  de  litiges  commerciaux  englobant 
l’application  des  Actes  uniformes.  Ces  divergences  au  sein  des  organisations 
judiciaires  ne  sont  pas  attractives  pour  les  investisseurs  et  ne  garantissent  pas  la 
sécurité  judiciaire.  La  CCJA  venant  couronner  l’édifice  judiciaire  de  chaque  Etat‐
partie  en  matière  du  droit des  affaires,  il  serait  souhaitable  qu’on  puisse  avoir  une 
lisibilité dans tous les Etats‐parties des tribunaux chargés de connaître de ces litiges 
au premier degré. 
58‐  Nous  pensons  donc  que  la  solution  la  plus  avantageuse  serait  d’amener 
les  Etats  qui  n’ont  pas  de  chambre  commerciale  au  sein  des  juridictions  de  droit 
commun à en créer. La solution consistera donc à créer des chambres commerciales 
au sein des juridictions de premier degré. Cela conduira également à la spécialisation 
du personnel et permettrait d’avoir une lisibilité des juridictions de fond chargées de 
trancher  les  litiges.    Ces  chambres  commerciales  devront  aussi  exister  au  sein  des 
cours d’appel, comme déjà dans la majorité des Etats‐parties. En plus d’instituer des 
chambres  commerciales,  il  faudra  également  harmoniser  les  procédures 
commerciales.  Jean  MONNET  avait  affirmé  que  « rien  n’est  possible  sans  les 
hommes, rien n’est durable sans les institutions »920 . Cette prédiction s’illustre bien 
dans l’OHADA sous l’angle substantiel, mais fait encore défaut sur le plan processuel. 
Il ne suffit pas que la loi soit claire et accessible pour que ses impératifs soient suivis 
volontiers  par  ses  destinataires,  il  faudrait  que  des  procédures  appropriées  soient 
mises sur pied pour rendre possible l’effectivité de ce droit921. 
59‐ A  cet  effet,  s’il  semble  inapproprié  au  regard  du  droit  positif  des  Etats‐
parties d’unifier toutes les règles de procédure juridictionnelle, il serait opportun de 
dégager des principes directeurs communs de procédures applicables devant toutes 
les juridictions appelées à appliquer le droit uniforme.  Le régime pourrait porter sur 
l’accès  au  juge,  sur  la  durée  du  procès  raisonnable,  sur  le  régime  d’administration 
judiciaire  de  la  preuve,  sur  le  mode  d’introduction  d’instance,  sur  les  notifications. 
Cette  harmonisation  des  principes  directeurs  du  procès  dans  l’espace  OHADA 
permettrait  aux  services  juridiques  et  aux  conseils  juridiques  habituels  des 
investisseurs d’avoir une visibilité procédurale922. Les avantages d’une harmonisation 
renforcée des règles de procédure dans un espace juridique intégré tel que l’OHADA 
ne  sont  plus  à  démontrer.  Les  jugements  circuleront  d’autant  mieux  d’un  pays  à 
l’autre  qu’ils  auront  été  prononcés  à  l’issue  d’une  procédure  obéissant  à  des 
standards communs à tous les systèmes juridictionnels. 
60‐ Mais,  selon  qu’elle  méthode ?  Faudrait‐il  procéder  à  l’uniformisation 
comme  cela  a  été  le  cas  pour  les  autres  matières ?  Nous  pensons  que  dans  un 
domaine aussi sensible que le domaine procédural, il serait préférable de procéder à 
                                                            
920
J. MONNET, mémoires, paris, Fayard, 1976, p.412.
921
Dans le même sens, B. DIALLO, « Le principe de l’autonomie institutionnelle et procédurale des Etats-
parties face à l’application des Actes uniformes du droit OHADA », Juris Info, éd. spéciale, n°12 octobre
2012, p. 16 et s.
922
J. KAMGA, « Réflexions « concrètes » sur les aspects judiciaires de l’attractivité économique du
système juridique de l’OHADA », op.cit., p.31.
217 

 
une harmonisation qui lierait les Etats sur les résultats à atteindre. Quoi qu’il en soit, 
l’intérêt doit être accordé à l’exigence de cohérence interne des procédures dans les 
systèmes  judiciaires  OHADA.  On  pourrait  par  exemple  adopter  une  charte  de 
procédure OHADA, en laissant le choix des moyens pour en transposer le contenu en 
droit processuel interne. 
 
2‐: l’absence de coopération entre les juges de l’espace OHADA. 
61‐ Le terme « coopération » appelle d’emblée quelques précisions. Il ne s’agit 
pas  de  la  coopération  verticale  pouvant  exister  entre  la  CCJA  et  les  cours  de 
cassation  nationales.  Le  législateur  OHADA  ayant  opté  pour  des  rapports  de 
supériorité ou de supranationalité en privilégiant la méthode du recours en cassation 
plutôt que celle du renvoi préjudiciel, la coopération entre ces juridictions est assez 
faible.  Ce n’est  pas de cette  coopération dont nous parlerons  ici,  mais plutôt de  la 
coopération horizontale entre les juges nationaux de l’espace OHADA. 
62‐ On  peut  affirmer  qu’il  n’existe  pas  d’instrument  juridique  pouvant 
favoriser  la  coopération  entre  les  juges  nationaux  des  Etats‐parties.  Il  n’existe 
notamment  pas  de  convention  d’entraide  judiciaire923.  Celle  qui  est  actuellement 
appliquée  dans  certains  Etats  a  été  signée  à  Tananarive  en  1961  entre  les  pays  de 
l’ex‐OCAM, elle regroupe une bonne partie des Etats‐Parties à l’OHADA924. Certains 
Etats signataires de la convention générale de coopération en matière de justice ne 
sont pas membres de l’OHADA, et certains Etats‐membres de l’OHADA n’y sont pas 
parties. Elle est donc inadaptée aux relations entre Etats‐parties à l’OHADA925. Cela a 
donc  pour  conséquence  que  les  juges  nationaux  des  Etats‐parties    à  l’OHADA 
évoluent en vase clos. Il n’y a donc pas véritablement d’espace judiciaire OHADA. Les 
juges  n’échangent  aucune  information  entre  eux,  il  n’est  même  pas  organisé  des 
rencontres  pour  qu’ils  puissent  échanger  leurs  expériences  dans  l’application  du 
droit OHADA et les difficultés auxquelles ils sont confrontés.  Les seules rencontres 
juridictionnelles  qui  sont  organisées  ne  concernent  que  les  cours  communautaires 
des différentes organisations communautaires926. Dans un tel contexte, on ne peut 
véritablement parler d’un espace judiciaire OHADA.  
63‐ Dans  le  cadre  européen  en  revanche,  de  nombreux  instruments  existent 
pour favoriser la coopération judiciaire civile. La convention de Bruxelles adoptée en 
1968, fixait les règles en matière de compétence, de reconnaissance et d’exécution 
des  jugements  en  matière  civile  et  commerciale,  la  convention  relative  aux 
procédures  d’insolvabilité,  à  la  compétence,  la  reconnaissance,  l’exécution  des 
jugements  en  matière  matrimoniale  (convention  dite  Bruxelles  II)  et  une  autre 

                                                            
923
Voir à cet effet, OHADA : trois questions à Renaud BEAUCHARD, www.ihej.org. Consulté le 19 mars
2013
924
Neuf pays au total.
925
V. C.V. NGONO, L’exécution des décisions étrangères au Cameroun, mémoire de DEA, Université de
Ngaoundéré, 2008, p.27.
926
La 3e rencontre inter-juridictionnelle entre les cours communautaires de l’UEMOA, de la CEMAC, la
CEDEAO et de l’OHADA s’est tenue les 4,5,6 Mai 2010
218 

 
convention  relative  à  la  notification  des  actes.  Depuis  le  Traité  d’Amsterdam,  ces 
conventions  ont  été  transformées  en  règlement927.  Plusieurs  de  ces  instruments 
comportent un caractère novateur par rapport à l’entraide civile traditionnelle. 
64‐ C’est  le  cas  de  la  coopération  judiciaire  dans  l’obtention  des  preuves 
civiles.  Dans  les  relations  communautaires,  depuis  le  règlement  du  28  mai  2001 
entré  en  vigueur  le  1er  juillet  2004,  lorsqu’un  litige  porté  devant  les  tribunaux 
nécessite la collecte d’un élément de preuve sur le territoire d’un autre Etat membre 
de  l’union,  le  juge  saisi  peut  s’adresser  directement  au  juge  du  lieu  où  se  trouve 
l’élément  recherché  afin  que  ce  dernier  effectue  la  mesure  d’instruction. En  outre, 
pour déterminer  la  compétence  judiciaire, un nouveau  mode  de  coopération  a  été 
créé,  notamment  dans  le  règlement  Bruxelles  II  bis,  le  juge  peut  décliner  sa 
compétence et renvoyer à une juridiction mieux placée pour connaître de l’affaire928. 
C’est  la  théorie  du  « forum  non  conveniens ».  Enfin,  l’obtention  de  titres 
immédiatement  exécutoires  pousse  jusqu’au  bout  le  principe  de  reconnaissance 
mutuelle  au  point  de  considérer  que  la  décision  prise  par  le  juge  d’origine  est 
équivalente dans tous les autres Etats membres à une décision nationale. 
65‐   Il serait opportun d’instaurer des rencontres entre les acteurs judiciaires, 
les juges, les huissiers de justice  les notaires et les avocats de l’espace OHADA, et 
instituer  un  instrument  qui  permettrait  de  faciliter  la  circulation  des  titres 
exécutoires  délivrés  dans  les  Etats‐parties.  Autrement  dit,  adopter  des  textes  qui 
permettront  aux  décisions  judiciaires  et  actes  authentiques    délivrés  dans  un  Etat‐
partie de pouvoir aisément être exécutés dans les autres Etats‐parties. La confiance 
dans  les  juges  et  en  la  justice  n’en  ressortirait  que  renforcée,  ce  qui  serait  un  pas 
vers la réalisation de la sécurité judiciaire. L’absence de spécialisation des juges dans 
certains Etats‐parties en matière du contentieux commercial peut être un handicap 
dans  la  bonne  interprétation  et  application  des  dispositions  du  droit  OHADA.  M. 
Renaud BEAUCHARD  a  affirmé  que  pour beaucoup de   fonctionnaires,  comptables, 
officiers  publics  et  magistrats,  l’OHADA  demeure  théorique  malgré  les  nombreux 
séminaires  auxquels  ils  ont  assisté929.  Il  faudrait  donc  qu’en  plus  des  dispositions 
théoriques  des  mesures  concrètes  soient  mises  pour  garantir  l’effectivité  du  droit 
OHADA et son application uniforme dans tout l’espace. Cela ne peut se réaliser que 
si les juges nationaux coopèrent entre eux. 
 
B‐ L’inorganisation de la circulation des décisions judiciaires nationales  
66‐ Dans  le  Traité  relatif  à  l’harmonisation  du  droit  des  affaires,  aucune 
disposition n’est consacrée à la circulation des décisions judicaires nationales et des 
actes  authentiques  lorsqu’ils  ont  appliqué  le  droit  OHADA.  Cette  difficulté  et 
l’insécurité juridique qu’elles engendrent sont irritantes lorsqu’elles persistent dans 

                                                            
927
G. CANIVET, La construction de l’espace judiciaire européen, communication à l’école nationale des
greffes de Dijon, le 03 octobre 2006, p.6.
928
Ibid., p.7.
929
OHADA : trois questions à Renaud BEAUCHARD, entretien, 12 février 2012, www.ijeh.org
219 

 
un  espace  dont  l’objectif  affiché  est  l’intégration  régionale930.  Il  faudra  donc  se 
référer aux législations nationales pour connaître le régime juridique de circulation 
des  jugements  (1)  alors  que  pour  l’instauration  d’un  véritable  espace  judiciaire,  il 
faut  nécessairement que l’OHADA organise la circulation des décisions de justice (2). 
 
1‐La domestication  de la circulation des décisions judiciaires nationales dans 
l’espace OHADA 
67‐ L’intention du législateur OHADA de ne pas légiférer sur la circulation des 
jugements nationaux, peut‐être lue dans l’Acte uniforme OHADA relatif au transport 
de  marchandises  par  route. En  effet  l’article  27  alinéa  3 de cet  acte  énonce  que  «  
lorsqu’un jugement rendu par une juridiction d’un Etat‐partie est devenu exécutoire 
dans  cet  Etat‐partie,  il  devient  également  exécutoire  dans  chacun  des  autres  pays 
membres aussitôt, après accomplissement des formalités prescrites à cet effet dans 
l’Etat intéressé ». Ce qui signifie que la procédure d’exequatur des décisions relatives 
au  transport  de  marchandises  par  route  est  laissée  aux  législations  nationales.  La 
seule  indication  que  le  législateur  donne  est  que  les  formalités  requises  «   …  ne 
peuvent  comporter  aucune  révision  de  l’affaire ».  Cette  domestication  de  la 
circulation  des  jugements  entraine  une  diversité  de  régimes  applicables  à  la 
circulation des jugements définitifs et une insécurité juridique quant à la circulation 
des jugements provisoires. 
68‐ Le  fait  que  l’OHADA  ait  laissé  le  soin  aux  législateurs  nationaux  de 
règlementer les procédures de reconnaissance et d’exécution des jugements a pour 
conséquence  de  créer  une  diversité  de  régime  de  circulation,  parce  que  les 
législations nationales ne sont pas identiques. Certaines sont souples, parce que ne 
posant  pas  de  conditions  excessives  pour  la  reconnaissance  et  l’exécution,  tandis 
que d’autres posent des conditions plus sévères. S’agissant des législations les plus 
souples, on peut noter celles de la Guinée931, du Cameroun932. En revanche, celles du 
Gabon933, du Mali934, du Sénégal935, de la Côte d’Ivoire936, et du Burkina‐Faso937 sont 
assez rigides et retiennent sensiblement les mêmes conditions. 
              Les conditions retenues par la législation la plus souple sont sensiblement au 
nombre de deux.  L’une relative aux conflits de procédures et de décisions et l’autre 
relative  à  la  contrariété  à  l’ordre  public.  Les  autres  conditions  prévues  dans  les 
législations rigides sont : la compétence internationale du juge, le respect des droits 

                                                            
930
P. MEYER, « La circulation des jugements en Afrique de l’Ouest francophone », www.ohada.com,
ohadaha D-05-53.
931
Article 585 et s du Code de procédure, civile, économique et administrative.
932
Loi N° 2007/001 du 19 avril 2007 instituant le juge du contentieux de l’exécution et fixant les conditions
de l’exécution au Cameroun des décisions judiciaires et actes publics étrangers ainsi que les sentences
arbitrales étrangères
933
Code civil Gabonais, art. 71 et s.
934
Art. 517 du code de procédure civile commerciale et sociale.
935
Art. 787 du code de procédure civile.
936
Art. 345 et s du code de procédure civile, commerciale et administrative.
937
Art. 953 et s du code des personnes et de la famille et art. 668 et s du CPC.
220 

 
de  la  défense,  le  caractère  exécutoire  de  la  décision  dans  son  pays  d’origine.  Ces 
législations  ont  été  adoptées  à  une  période  pendant  laquelle,  le  libéralisme  des 
conditions d’exéquatur n’étaient pas encore répandu, par conséquent elles ne sont 
plus adaptées à l’espace OHADA.      
69‐  Certains  Etats  ne  possèdent  même  pas  de  législation  sur  la 
reconnaissance et exequatur des jugements ou préfèrent tout simplement appliquer 
les conventions de coopérations judiciaires. La Convention la plus englobante938 est 
celle    qui  a  été  signé  à  Tananarive  entre  les  pays  de  l’ex‐OCAM  en  1961.  Or,  les 
conditions posées dans  cette convention sont rigides et inappropriées à un espace 
où  les  règles    substantielles  ont  été  unifiées.  C’est  ainsi  qu’à  une  ordonnance 
d’injonction  de  payer  rendue  au  Cameroun  et  soumise  au  juge  Gabonais  pour 
exequatur939,  ce  dernier  au  lieu  d’appliquer  la  législation  gabonaise  a  appliqué  les 
dispositions de la convention de Tananarive de 1961, dont les conditions sont toutes 
aussi  rigides  que  certaines  des  législations  nationales.  Tout  cela  nous  amène  à 
affirmer  qu’il  faille  nécessairement  que  l’OHADA  organise  la  libre  circulation  des 
décisions de justice. 
 
2‐ plaidoyer pour l’instauration d’une libre circulation des décisions de justice 
70‐ La  libre  circulation  des  décisions  de  justice  n’est  pas  une  chimère,  sa 
réalisation est tout à fait possible. Nous entendons par libre circulation la possibilité 
pour chaque titre de circuler ou mieux de produire des effets dans les Etats requis 
sans  procédures  intermédiaires,  entendus  ici  comme  des  procédures  de 
reconnaissance ou d’exécution940. L’espace judiciaire européen va nous inspirer pour 
l’élaboration et l’instauration dans l’espace OHADA, d’une libre circulation des titres, 
à  l’exception  des  sentences  arbitrales  qui  comme  nous  l’avons  vu,  ne  sauraient 
s’affranchir totalement du contrôle étatique.  
71‐ L’instauration de  cette  libre circulation  s’appuie  sur  la  notion  d’«espace» 
qui a remplacé celle de territoire et postule qu’entre les Etats‐parties à l’OHADA, Il 
n’existe  plus  de  frontières  juridiques  en  matière  du  droit  des  affaires.  Dans  un  tel 
espace, les décisions rendues dans un Etat doivent automatiquement produire leurs 
effets  dans  les  autres  Etats‐parties.  La  libre  circulation  des  titres  exécutoires  peut 
devenir une réalité dans l’espace OHADA. 
 
72‐ L’instauration  de  cette  libre  circulation  peut  se  faire  en  deux  volets.Il  ya 
d’abord  le  cas  des  ordonnances  rendues  à  l’issue  des  procédures  simplifiées  de 
recouvrement  des  créances.  Les  procédures  simplifiées  de  recouvrement  des 
créances à savoir : les procédures d’injonction de payer, de délivrer ou de restituer, 
lorsqu’elles  ont  abouti  à  la  délivrance  d’une  injonction  à  l’égard  du  débiteur, 

                                                            
938
Celle qui regroupe le plus grand nombre d’Etats parties à l’OHADA.
939
TPI de Port-Gentil, ordonnance de référé du 28 déc. 2001, Lexinter.net, Jurafrique.
940
G. MECARELLI, N. FRICERO, chron. Droit et procédures, www.lex-act.fr, septembre 2010.

221 

 
peuvent  donner  naissance  à  des  titres  directement  exécutoires  sur  l’ensemble  des 
Etats‐parties à l’OHADA. 
73‐ La  première  raison  qui  peut  justifier  la  suppression  d’une  procédure 
d’exequatur  pour  les  décisions  rendues  à  l’issue  des  procédures  simplifiées  de 
recouvrement  est  le  caractère  certain  de  la  créance941.  A  la  lecture  de  l’Acte 
uniforme  portant  procédure  simplifiée  de  recouvrement  et  voies  d’exécution 
(AUPRSVE).  La  forte  présomption,  ou  mieux  la  certitude  de  la  créance  de  somme 
d’argent  ou  d’objet  meuble  corporel,  est  à  la  base  des  procédures  simplifiées  de 
recouvrement.  
74‐ En effet, les articles 1 et 19 énoncent que toute personne qui se prétend 
titulaire d’une créance certaine, liquide et exigible ou d’une obligation de délivrance 
ou de restitution d’un bien meuble corporel peut intenter une procédure simplifiée 
de recouvrement. Si à la vue des documents produits, la demande lui paraît fondée, 
le  président  de  la  juridiction  compétente  peut  rendre  soit  une  décision  portant 
injonction  de  payer,  soit  ordonner  la  délivrance  ou  la  restitution  du  bien  meuble 
corporel.  C’est  donc  dire  que  l’utilisation  de  la  procédure  dépend  de  la  forte 
présomption d’existence de la créance. 
75‐ La  procédure  pourrait  se  dérouler  comme  suit,  après  que  la  décision 
portant injonction de payer ou de délivrer ait été signifiée au débiteur, s’il ne forme 
pas opposition dans les 15 jours à compter de la date de la signification à personne, 
augmenté des délais de distance, la décision d’injonction de payer, de délivrer ou de 
restituer se transforme automatiquement en titre exécutoire, dont l’exécution peut 
être poursuivie dans tous les Etats‐parties de l’OHADA.  
76‐ Si  le  débiteur  forme  opposition,  la  décision  d’injonction  de  payer,  de 
délivrer  ou  de  restituer  rendue  à  l’issue  de  l’opposition,  deviendra  un  titre 
exécutoire OHADA, après l’expiration des trente jours réservés à l’appel, à compter 
de la date de la décision. Si dans le délai de trente jours, le défendeur fait appel, la 
décision survenue à l’issue de l’appel devient immédiatement exécutoire dans tous 
les Etats‐parties à l’OHADA sans exequatur942. 
77‐ Ensuite,  Lorsque  le  jugement  a  été  rendu  sur  la  base  de  débats 
contradictoires, et que le droit OHADA a été appliqué, la décision peut être revêtue 
automatiquement de l’autorité de la chose et de la force exécutoire dès lors qu’elle 
est passée en force de chose jugée. Cela peut‐être appliqué, lorsque les délais pour 
l’exercice  des  voies  de  recours  ordinaires  sont  épuisés  sans  que  le  défendeur  ait 
exercé  un  recours,  ou  alors  lorsqu’une  décision  est  survenue  à  l’issue  de  l’exercice 
des voies de recours. La raison de la suppression de l’exequatur de ces jugements est 
que :  premièrement,  l’exequatur  n’a  pas  pour  objectif  de  réviser  le  jugement  au 
fond943.  C'est‐à‐dire  que  l’office  du  juge  de  l’exequatur  depuis  l’arrêt  Munzer  ainsi 
que  les  évolutions  constatéesen  France  et  dans  certaines  législations  nationales 
                                                            
941
Voir Art. 1, 2 ; 5 et 19, 23 de l’AUPRSVE
942
Cette proposition résulte de l’analyse des art. 7, 9 10, 14, 15, 23 et 25 de l’AUPRSVE.
943
Art. 27 (3) de l’acte uniforme relatif au transport de marchandises par route ; Art. 30 de la convention de
Tananarive de 1961, p. MAYER, V. HEUZE, Droit international privé, op.cit, n° 304 et S., pp. 261 - 264.
222 

 
africaines, n’est pas de vérifier si le juge d’origine a bien tranché le litige, s’il a bien 
apprécié  les  faits  et  appliqué  la  bonne  règle  de  droit.L’office  du  juge  est  limité  à 
l’examen  de  certaines  conditions  qui  tournent  autour  du  respect  des  droits  de  la 
défense,  de  l’ordre  public  communautaire,  et  de  l’existence  de  décisions 
inconciliables avec la décision dont l’exequatur est demandé944. 
78‐ Le demandeur d’exequatur devra produire à l’huissier ou à l’agent chargé 
de l’exécution dans l’Etat requis une copie certifiée conforme ou l’original de l’acte 
d’assignation à comparaître et de  la notification945 de la décision au défendeur, et le 
cas  échéant,  un  certificat  de  non  appel,  ou  tout  autre  document  attestant  que  le 
défendeur n’a pas exercé de voies de recours dans le pays d’origine. Un document 
attestant  que  la  décision  est  exécutoire  dans  son  pays  d’origine.  Ces  documents 
devront être annexés au procès‐verbal de saisie sous peine de nullité de la saisie. La 
procédure  sera  donc  inversée  et  il  appartiendra  à  la  partie  qui  conteste  la  force 
exécutoire  de  la  décision  de  saisir  le  juge  de  l’exécution  pour  demander  une 
mainlevée de la saisie. 
 
 
   

                                                            
944
Cass. Civ 1ère, 20 février 2007, affaire Cornelissen c. Avianca Inc. c.a, note L. D’AVOUT et S.
BOLLEE, D. 2007, p. 1175 ; B.ANCEL, H.MUIR WATT, RCDIP 2007, p. 420.
945
La notification est la formalité par laquelle on porte un acte à la connaissance d’une personne, une
assignation ou un jugement par exemple. v°S.GUINCHARD, C.CHAINAIS, F.FERRAND, op. cit n°887,
p. 624 ;
223 

 
CONCLUSION 
79‐ En  définitive,  on  peut  affirmer  que  l’espace  judiciaire  OHADA  est  à  un 
stade  embryonnaire.  L’OHADA  n’est  pas  qu’un  simple  outil  technique  de  sécrétion 
du  droit.  Par  l’institution  d’une  cour  régionale  de  cassation  supranationale,  et  par 
l’uniformisation  de  certaines  procédures,  l’OHADA  a  amorcé  la  mise  sur  pied  d’un 
espace judiciaire946. 
 
80‐ Il  y  a  premièrement  la  CCJA,  a  qui  l’OHADA  a  conféré  d’importants 
pouvoirs  en  matière  d’interprétation  et  d’application  des  Actes  uniformes.  En  la 
matière, elle se substitue non seulement aux juridictions suprêmes nationales par la 
voie du recours en cassation, mais aussi aux juridictions nationales de fond à travers 
le pouvoir d’évocation dont elle dispose. Toutes ces attributions ont été contestées 
par  la  doctrine  parce  que  favorisant  des  rapports  conflictuels  entre  la  CCJA  et  les 
juridictions  nationales947.  Toujours  est‐il  que  cette  hiérarchisation  introduisant  une 
structure  pyramidale  au  sommet  de  laquelle  se  trouve  la  CCJA,  et  à  la  base  les 
juridictions  nationales  de  fond,  contribue  à  l’émergence  d’un  espace  judiciaire 
OHADA.    Il  ya  aussi  l’uniformisation  des  voies  d’exécution  qui  permet  la  pratique 
uniforme  des  procédures  d’exécution  sur  l’ensemble  de  l’espace  géographique 
OHADA, ainsi que la force des arrêts de la CCJA dans tout l’espace OHADA.  
81‐ Toutefois, l’espace judiciaire OHADA est loin d’être achevé de nombreuses 
lacunes entravent la réalisation de cet espace. C’est notamment le cas de l’absence 
d’harmonisation de la carte judiciaire des Etats‐parties et l’absence de coopération 
entre  les  juges  des  Etats‐parties  à  l’OHADA.  Cette  absence  de  coopération  conduit 
les  juges  nationaux  des  Etat‐parties  à  évoluer  en  vase  clos.  Ce  qui  a  des 
conséquences néfastes sur la circulation des décisions. 
          Néanmoins,  l’embryon  d’espace  judiciaire  qui  existe  pourrait  conduire  le 
législateur OHADA à légiférer sur la circulation des décisions de justice. 
 
 
 
 
 
 

                                                            
946
Lire P.-G. POUGOUE, « Doctrine OHADA et théorie juridique » op.cit ,p. 12.
947
Voir supra n° 25 et s.
224 

 
L’information des associés, une exigence fondamentale du droit des sociétés 
ohada ? 
 
Marcel Williams TSOPBEING 
Assistant à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques 
de l’Université de Yaoundé II. 
 
Résumé 
  L’information des associés ne figure pas parmi les droits attachés aux titres 
sociaux (parts sociales, actions). Elle n’est non plus affirmée de manière expresse par 
aucune  disposition  générale  de  l’Acte  uniforme  relatif  au  droit  des  sociétés 
commerciales et du GIE. Cela est a priori de nature à jeter un doute sur le caractère 
d’ordre public de cette exigence. Pourtant, un examen attentif des textes permet de 
se  rendre  compte  que  l’information  des  associés  est  une  exigence  reconnue  et 
garantie,  ou  tout  simplement,  une  exigence  fondamentale  du  droit  des  sociétés 
commerciales OHADA communes à toutes les formes de sociétés commerciales. 
  Mots clés : Information – associés – exigence fondamentale – ordre public. 
 
Abstract 
The information of the partners does not appear among the rights attached 
to the company shares (stocks, shares). It is not also directly affirmed by any general 
provision  of  the  uniform  act  relating  to  commercial  companies  and  EIG.  That  is  a 
priori  likely  to  throw  doubt  about  the  nature  of  public  order  of  this  requirement. 
However,  a  careful  examination  of  the  texts  shows  that  the  information  of  the 
partners  is  a  recognized  and  guaranteed  requirement  or  simply,  a  fundamental 
requirement  of  the  OHADA  commercial  companies  Law  common  to  all  forms  of 
commercial companies. 
Key  words :  Information  –  partners  –  fundamental  requirement  –  public 
order. 
 
Sommaire 
 
Introduction 
I‐Une exigence reconnue 
A‐Le cadre de l’information 
  1‐Le droit de tous les associés à l’information 
  2‐L’objet de l’information 
B‐Les procédés d’information 
  1‐Les procédés d’information en période normale 
  2‐Les procédés d’information en période de crise 
II‐Une exigence garantie 
A‐Le caractère d’ordre public des dispositions relatives à l’information des associés 
B‐L’encadrement temporel et qualitatif de l’information 

225 

 
1‐L’encadrement  temporel :  la  fixation  de  délais  et  de  la  périodicité  de 
l’information 
2‐L’encadrement  qualitatif :  le  contrôle  de  l’information  donnée  aux 
associés par des  spécialistes 
C‐Les sanctions en cas de violation ou de non respect du droit  à l’information  des 
associés 
1‐Les sanctions judiciaires 
2‐Les sanctions administratives 
Introduction 
Depuis  quelques  années  le  législateur  OHADA948  a  initié  un  vaste 
mouvement de reformes des textes. Ainsi, le Traité signé à Port‐Louis (Ile Maurice) le 
17 Octobre 1993 a été révisé en 2008 à Québec au Canada à sa date anniversaire. De 
même,  les  Actes  uniformes  relatifs  au  Droit  du  commerce  général  et  au  Droit  des 
sûretés ont été réformés le 15 Décembre 2010, tandis que l’Acte uniforme relatif au 
Droit des sociétés commerciales (AUSC) a été révisé le 30 janvier 2014. La révision de 
l’AUSC  a  touché  de  nombreux  aspects  du  droit  des  sociétés  commerciales, 
notamment celui de l’information des associés qui en sort renforcé949. C’est dans ce 
contexte  qu’il  convient  de  s’interroger  sur  la  valeur  réservée  à  l’information  des 
associés aussi bien dans l’ancien AUSC que dans celui issu de la révision. 
                                                            
948
L’OHADA, Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires est une organisation
internationale instituée par le traité signé à Port-Louis (île Maurice) le 17 octobre 1993. Elle a pour objectif,
au plan économique, le développement et l’intégration régional, ainsi que la sécurité juridique et judiciaire
notamment par l’unification du droit des affaires des Etats membres. Elle compte actuellement 17 Etats
membres : le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, le Congo (Brazzaville), la Côte d’Ivoire, le Gabon, la
Guinée, la Guinée Bissau, la Guinée Equatoriale, le Mali, le Niger, la République centrafricaine, la
République Démocratique du Congo (RDC), le Sénégal, le Tchad, le Togo et l’Union des Comores.
949
Le renforcement du droit à l’information des associés par l’AUSC révisé concerne les procédés et le
contenu de l’information, ainsi que les sanctions en cas de non respect des dispositions relatives à
l’information des associés. Premièrement en ce qui concerne le renforcement des procédés d’information,
on peut relever l’introduction des Technologies de l’Informations et de la Communication. Désormais il est
possible pour un associé de se faire informer de la tenue d’une réunion par courrier électronique (art. 286,
303 al. 2 et 3, 338 al. 1, 518 al. 3 de l’AUSC). Pour les sociétés faisant appel public à l’épargne, il est admis
de diffuser le document d’information du public en le mettant en ligne sur le site internet de l’émetteur, des
intermédiaires financiers, de la bourse des valeurs ou de l’autorité compétente de l’Etat partie du siège de
l’émetteur (art. 93, 3.), 4.) 5.) de l’AUSC). Il est également possible de participer une assemblée à distance
par visioconférence ou d’autres moyens de communication permettant l’identification du concerné (art.
133-2 de l’AUSC), cela permettant à un associé éloigné d’accéder en temps réel à certaines informations
qui sont communiquées aux associés lors des leurs assemblées générales. Deuxièmement en ce qui
concerne le contenu de l’information, le législateur a procédé à son extension notamment dans les sociétés
faisant appel public à l’épargne pour se conformer aux exigences de la corporate governance. Les
actionnaires doivent être informés sur le code de gouvernement d’entreprise auquel se réfère leur société
(art. 831-2 al. 2), sur le montant des rémunérations et avantages de toute nature versés aux mandataires
sociaux (art. 831-3). Troisièmement le renforcement de sanctions s’observe par de nouveaux cas de nullité
(art. 440 al. 7, 525 al. 4, 622 al. 3, 626-1-1-1, 630 de l’AUSC) et de nouvelles infractions (art. 890-1de
l’AUSC). Il saluer enfin la généralisation du commissariat aux comptes dans toutes les formes de sociétés.
Le commissaire aux comptes joue un rôle non négligeable en matière d’information des associés, à travers
ses rapports et la mission qui lui revient de contrôler la fiabilité de l’information donnée aux associés. De
même l’institution de l’administration provisoire s’est accompagné des précisions sur l’information des
associés pendant cette période.
226 

 
  L’information  occupe  une  place  majeure  dans  notre  société  en  raison  de 
l’impact qu’elle produit sur le comportement des individus. Elle est requise dans de 
nombreux domaines d’activités, notamment en matière contractuelle et sociétaire.  
La  multiplication  des  travaux  de  recherche  relativement  à  l’information  dans  les 
contrats en général950 et spécifiquement à l’information des associés951 dans le cadre 
des  sociétés  commerciales  traduit  la  vitalité  et  l’importance  de  la  place  qu’occupe 
l’information  dans  ces  domaines.  En  droit  des  sociétés,  l’information  oriente 
notamment les associés dans l’exercice de leur droit de vote et dans le contrôle de la 
gestion  de  leur  société.  C’est  une  « source  de  contre‐pouvoir »  selon  un  auteur952. 
Cependant pour que l’information puisse jouer pleinement le rôle qui lui est assigné, 
il faut qu’elle soit une donnée reconnue et protégée par le législateur. En l’absence 
de garantie, l’information des associés pourrait en effet subir des atteintes émanant 
notamment des associés eux‐mêmes953 et des mandataires sociaux. Cette inquiétude 
conduit  à  s’interroger  sur  la  valeur  attribuée  à  l’information  des  associés  par  le 
législateur  OHADA.  Autrement  dit  l’information  des  associés  constitue‐t‐elle  une 
exigence  reconnue  et  protégée  par  le  législateur  OHADA?  S’agit‐il  d’une  exigence 
d’ordre public ?                  
  Qu’il  s’agisse  de  l’AUSC  entré  en  vigueur  le  1er  janvier  1998  ou  de  l’AUSC 
révisé,  aucune  disposition  générale  ne  consacre  de  manière  expresse  le  droit  à 
l’information des associés954, contrairement aux autres droits des associés qui sont 
énoncés  clairement  par  une  disposition  générale  de  l’AUSC955.  Le  droit  à 
l’information  des  associés  ne  figure  pas  non  plus  parmi  les  droits  des  associés 
affirmés par la jurisprudence et érigés en principes956. A ce stade, on est en mesure 
de douter du caractère fondamental de ce droit. Cependant une lecture attentive de 

                                                            
950
FABRE‐MAGNAN M., De l’obligation d’information dans les contrats. Essai d’une théorie, Paris, L.G.D.J., 
1992 ; DE JUGLART M., « L’obligation de renseignements dans les contrats », RTD Civ., 1945, p. 1.  
951
MUKA  TSHIBENDE  L.‐D.,  L'information  des  actionnaires,  source  d'un  contre‐pouvoir  dans  les  sociétés 
anonymes de droit français et du périmètre O.H.A.D.A, Préface de Jacques Mestre, P.U.A.M., 2009 ; GATSI 
J.,  «  L’information  dans  les  sociétés  commerciales  de  droit  OHADA  »,  RTD  act.,  n°  17,  janv.‐févr.‐mars 
2011,  pp.  3‐26 ;  VOUDWE  BAKREO,  L'exigence  de  transparence  des  sociétés  commerciales  dans  l'espace 
OHADA,  thèse,  Université  de  Ngaoundéré  –  Cameroun,  2013  ;  URBAIN‐PARLEANI  I.  et  BOIZARD  M., 
« L’objectif d’information dans la loi du 24 juillet 1966 », Rev. Sociétés (3) juill‐sept 1966. 
952
MUKA TSHIBENDE L.-D., L'information des actionnaires, source d'un contre-pouvoir dans les
sociétés anonymes de droit français et du périmètre O.H.A.D.A, op. cit.
953
Ils pourraient, aux cas ou les dispositions relatives à l’information seraient supplétives, restreindre ou
supprimer le droit à l’information de certains associés à travers les clauses statutaires.
954
Seul l’article 344 relatif à la SARL affirme clairement le droit à l’information des porteurs de parts :
« les associés ont un droit d’information permanent sur les affaires sociales … ».
955
L’article 53 de l’AUSC énonce les droits attachés au titre parmi lesquels le droit sur les bénéfices
réalisés par la société, le droit de participer aux votes des décisions collectives… V. de manière spécifique
les articles 751 et suivants pour les droits attachés aux actions.
956
 De nombreux principes non écrits relatifs aux droits des associés ont été dégagés par la jurisprudence : 
le principe d’égalité entre associés, le principe de la liberté de vote, le droit reconnu à chaque associé de 
rester dans la société. Sur ce point voir notamment, MONSALLIER M.‐Ch., L’aménagement contractuel du 
fonctionnement de la société anonyme, Paris, LGDJ, Bibl. de droit privé, T. 303,  p. 362 et s., n° 881 et s.   
227 

 
l’AUSC957  révèle  que  le  nombre  de  dispositions  générales  et  spéciales  consacrées, 
même de manière indirecte, à l’information des associés est important. Ces normes 
de  l’AUSC  traitant  de  l’information  des  associés  doivent  être  complétées  par  de 
nombreuses autres règles émanant des textes auxquels sont assujetties les sociétés 
soumises  à  un  régime  particulier958.  L’examen  de  tous  ces  textes  révèle  que 
l’information  des  associés  est  requise  dans  toutes  les  formes  de  sociétés959  et  à 
différentes étapes de la vie sociale. Le législateur a pris soin de définir le contenu et 
les différents procédés d’information, les sanctions en cas de leur violation, ainsi que 
les  débiteurs  de  l’information960.  C’est  fort  de  tout  ce  qui  précède  qu’il  est 
intéressant de penser que l’information des associés constitue désormais, à l’instar 
du  droit  de  vote,  une  exigence  fondamentale  du  droit  des  sociétés  commune  à 
toutes  les  formes  de  sociétés  commerciales.  En  effet,  comme  toute  exigence 
fondamentale, l’information des associés est une donnée reconnue (I) et garantie (II) 
par le législateur.  
I – Une exigence reconnue 
  L’information des associés telle qu’une exigence reconnue par le législateur 
est marquée par la mise en place d’un cadre de l’information (A), accompagné des 
procédés y afférents (B).   
                                                            
957
Et même de l’Acte uniforme relatif à la comptabilité des entreprises (v. par exemple articles 1, 3, 9, 14 et
111).
958
En plus de l’AUSC, le droit à l’information des associés peut découler de textes spéciaux auxquels sont
assujetties les sociétés soumises à un régime particulier. Pour les sociétés faisant appel public à l’épargne,
on peut citer la loi n°99/015 du 22 décembre 1999 portant création et organisation d’un marché financier
(notamment les articles 12, 32, 35, 38), la Décision n°02/002 du 03 décembre 2002 portant Règlement
général de la commission des marchés financiers (notamment les articles 3, 6, 8, 15), le décret n°2001/213
du 13 juillet 2001 précisant l’organisation et le fonctionnement de la Commission des Marchés Financiers
(notamment l’article 2), le Règlement général de la Commission de Surveillance du Marché Financier de
l’Afrique Centrale du 15 janvier 2009 (notamment articles 3, 24, 25, 36, 67, 68, 390, 400), le Règlement n°
06/03- CEMAC-UMAC du 12 novembre 2003 portant organisation, fonctionnement et surveillance du
Marché Financier de l’Afrique Centrale (notamment articles 60 (iii), 64 (ii)), le Règlement général du
Conseil Régional de l’Epargne Publique et des Marchés Financiers (CREPMF) de 1996 (notamment les
articles 131, 132). Pour les entreprises d’assurance, v. notamment les articles 330-18, 330-21, 330-22, 330-
45 du code CIMA.
959
Le droit à l’information des associés n’a pas cependant la même intensité en fonction de la forme
sociale. Il est plus accentué dans les SA que dans les sociétés par intérêts.
960
  En  ce  qui  concerne  les  débiteurs  de  l’information,  il  faut  dire  que  le  devoir  d’informer  les  associés 
repose  sur  les  dirigeants  sociaux  (gérant,  directeur  général,  président  directeur  général,  administrateur 
général, président du conseil d’administration). Il peut même s’agir de dirigeant de société en crise tel que 
l’administrateur  provisoire  (v.  par  exemple  l’article  160‐6  de  l’AUSC)  ou  le  liquidateur  (v.  par  exemple 
l’article 217 de l’AUSC). Le commissaire aux comptes a également la charge d’informer les associés (v. par 
exemple l’article 716 al. 1. Le plus souvent l’information est fournie aux associés à travers ses différents 
rapports (voir par exemple les articles 440 al. 3, 442, 503 al. 2, 156 al. 1). Dans certains cas, il a l’obligation 
de  provoquer  l’information  des  associés  en  demandant  au  gérant  de  communiquer  son  rapport  aux 
associés  (art.  152  al.  2  et  3)).  Dans  les  sociétés  faisant  appel  public  à  l’épargne,  les  débiteurs  de 
l’information  sont  plus  nombreux  (L’obligation  d’information  repos  non  seulement  sur  la  société 
émettrice  (débitrice  principale  de  l’obligation  d’information),  mais  aussi  sur  de  nombreuses  autres 
personnes telles que les prestataires des services d’investissement, l’entreprise de marché, les auxiliaires 
du  marché  financier  etc.  Dans  le  cadre  de  cette  étude,  nous  nous  limiterons  cependant  à  l’obligation 
d’information qui repose sur la société émettrice ainsi que les procédés d’information qu’elle utilise).   
228 

 
  A‐Le cadre de l’information 
  La mise en place d’un cadre précis d’information des associés se matérialise 
par  la  reconnaissance  d’un  droit  de  tous  les  associés  à  l’information  (1)  et  par  la 
fixation de l’objet de l’information (2).          
  1‐Le droit de tous les associés à  l’information 
  Les associés ‐ qui ne sont pas les seuls créanciers de l’information au sein de 
la société commerciale961 ‐ ont tous droit à l’information quelle que soit la forme de 
la société dont ils sont membres (a). Ils ont un égal accès à l’information (b). 
a) L’accès  de  tous  les  associés  à  l’information  dans  toutes  les  formes  de 
sociétés 
  La  question  peut  se  poser  de  savoir  si  tous  les  associés  ont  droit  à 
l’information  quelle  que  soit  la  forme  de  leur  société.  Autrement    dit,  le  droit  à 
l’information  des  associés  constitue‐t‐il  une  exigence  d’ordre  public  commune  à 
toutes  les  formes  de  société  y  compris  la  SAS ?  La  question  est  intéressante  en  ce 
sens  que  malgré  la    liberté  contractuelle  qui  règne  dans  la  SAS  permettant  aux 
associés  de  prévoir  par  les  statuts  l’organisation  et  le  fonctionnement  de  leur 
société, il a été admis que cette liberté ne peut conduire les associés à remettre en 
cause,  par  des  stipulations  contractuelles,  certaines  exigences  fondamentales  du 
droit des sociétés à l’instar du droit de vote962. Le droit à l’information des associés 
                                                            
961
  L’information  est  également  due  à  de  nombreux  autres  personnes  ou  organes.  Il  s’agit  des 
administrateurs  (le  droit  à  l’information  des  administrateurs  a  été  affirmé  par  la  Cour  de  cassation 
française dans l’arrêt Cointreau du 02 juillet 1985 (Cass. Com. 02 juillet 1985, Cointreau, D. 1986, jurispr., 
p.351, note Loussouann ; JCP (éd. G) 1985, II, n°20518, note Viandier ; Rev. Sociétés 1986, p.231, note Le 
Cannu) et confirmé par l’AUSC révisé (v. par exemple les articles 435 al. 3, 465 al. 3 et 480 al. 3 de l’AUSC 
révisé)) ;  des  créanciers  sociaux  (la    publicité  de  certaines  opérations  est  sans  doute  destinée  à  leur 
information. V. par exemple les articles 194, 202, 264, 266, 631, 633 de l’AUSC) ; des obligataires (v. par 
exemple  les  articles  678,  686  de  l’AUSC.  Cependant  l’obligataire  ne  peut,  individuellement,  obtenir  la 
communication  des  documents  sociaux  (article  813  al.  1).  Seuls  les  représentants  des  groupements 
d’obligataires disposent de cette prérogative (article 791 AUSC)) ; du président du conseil d’administration 
(v. article 480 al. 3 de l’AUSC) ; des commissaires aux comptes (v. par exemple articles 150, 153, 157 al 2, 
158  al  2,  160,  440  al  2,  503  al  1) ;  des  autorités  administratives  indépendantes (pour  la  COBAC,  v.  par 
exemple  l’article  36  de  l’Annexe  à  la  Convention  portant  harmonisation  de  la  règlementation  bancaire 
dans  les  Etats  de  l’Afrique  Centrale  du  17  janvier  1992  (v.  l’article  31  du  même  texte  qui  envisage 
l’information au profit des Conseils Nationaux du Crédit) ; pour la Commission Régionale de Contrôle des 
Assurances,  v.  par  exemple  l’article  310  al.  2  et  3  du  code  CIMA ;  pour  les  autorités  de  régulation 
financière, v. par exemple l’article 90 de l’AUSC) ; du juge (v. par exemple les  articles 152 al 1 et 4, 156 al. 
3, 160‐5, 716 al 2) ; et même des salariés (même si le législateur ne l’a pas clairement prévu, les auteurs 
soulignent l’intérêt de la reconnaissance d’un droit à l’information au profit des salariés (v. sur ce point, 
VOUDWE  BAKREO,  op.  cit.,  p.  217  et  s.,  n°  329  et   s.). En  France  les  salariés  disposent  d’un  droit  à 
l’information reconnu par le législateur (v. GODON L., « Des actionnaires, des dirigeants et des salariés de 
sociétés anonymes », in Aspects actuels de droit des affaires, Mélanges en l’honneur de Yves Guyon, Dalloz 
2013, p. 447 et s., n°19 et s)) 
962
Sur ce point, Cass. Com. 23 octobre 2007, D. 2007, AJ, p. 2726 Obs. Lienhard, idem 2008, p. 47, note
Paclot ; JCP (éd. E) 2007, p. 2433, note Viandier ; Dr. Sociétés 2007, n° 219, note Hovasse ; RTD fin.
2007, p. 115, obs. Poracchia ; Rev sociétés 2007, p. 814, note Le Cannu ; RTD com. 2007. 791 obs. Le
Cannu et Dondero ; Bull. Joly 2008, p. 101, note Schmidt ; RJ com. 2008, p. 37, obs. Monserie-Bon ;
Defrenois 2008, p. 674, note Gibirila. Dans cet arrêt, la Chambre commerciale de la Cour de cassation au
visa des articles 1844, alinéa premier du code civil et L. 227-16 du code de commerce énonce qu’« il
229 

 
pourrait  être  rangé parmi  les  exigences  d’ordre  public  du  droit  des  sociétés  s’il  est 
établi  qu’il  conserve  une  certaine  vigueur  même  dans  la  SAS.  S’il  est  vrai  que 
certaines  règles  relatives  à  l’information  des  associés  peuvent  être  aménagées  par 
les  statuts  dans  la  SAS  en  raison  de  la  liberté  contractuelle  qui  règne  dans  cette 
forme de société, cet aménagement ne semble possible que dans les cas prévus par 
la  loi  et  ne  peut  conduire  à  la  suppression  totale  du  droit  à  l’information  des 
associés.  
  Deux  arguments  peuvent  être  invoqués  pour  soutenir  cette  idée :  tout 
d’abord  de  nombreuses  dispositions  de  l’AUSC  communes  à  toutes  les  formes  de 
sociétés  qui  traitent  de  l’information  des  associés  s’imposent  aux  SAS.  On  peut 
évoquer notamment les dispositions relatives à l’expertise de gestion963, à l’alerte964 
ou  des  dispositions  qui  mettent  le  devoir  d’information  à  la  charge  de  certains 
organes tel que l’administrateur provisoire965. L’aménagement semble ne concerner 
en grande partie que les règles spéciales. Ensuite le droit à l’information conditionne 
l’exercice  du  droit  de  vote,  droit  fondamental  de  l’associé.  Méconnaître  le  droit  à 
l’information de l’associé serait l’empêcher d’exercer efficacement son droit de vote.  
Ces droits de l’associé sont donc intimement liés.  
  Fort  de  ce  qui  précède,  il  est  possible  d’affirmer  qu’il  existe  un  droit  à 
l’information des associés irréductible dans la SAS. Tous les associés ont donc droit à 
l’information, quelle que soit la forme de la société à laquelle ils appartiennent. On 
peut en conclure qu’il s’agit d’une exigence fondamentale. 
b) L’égal accès des associés à l’information  
  Le principe d’égalité entre associés966 constitue l’un des grands principes du 
droit des sociétés bien que son contenu semble relatif967. L’égalité d’information en 

                                                                                                                                              

résulte du premier de ces textes que tout associé a le droit de participer aux décisions collectives et de voter
et que les statuts ne peuvent déroger à ces dispositions que dans les cas prévus par la loi ». V. également
PAILLUSSEAU J., « La liberté contractuelle dans la société par actions simplifiée et le droit de vote », D.
2008, n°23, p. 1563 et s.
963
Article 159 de l’AUSC.
964
D’après l’article 158-1 de l’AUSC, les dispositions de l’article 158 relatif à l’alerte dans les SA
s’appliquent aux SAS.
965
V. article 160-6 de l’AUSC.
966
AFANA BINDOUGA M., L’égalité des associés dans l’Acte uniforme de l’OHADA relatif au droit des
sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique, thèse de doctorat université de Yaoundé II –
Université de Nantes, 2010 ; TOZWEM TEUNKWA R. Fl., Le principe d’égalité entre associés en droit
des sociétés OHADA, mémoire de DEA en droit communautaire et comparé CEMAC, Faculté des sciences
juridiques et politiques de l’université de Dschang, 2004 ; FAYE A., « L’égalité entre associés (Acte
uniforme sur le droit des sociétés et du GIE) », in www.ohada.com/ohadata D-04-10; MOULIN J.-M., Le
principe d’égalité dans les sociétés anonymes, Th. dactyl., Paris V, 1999 ; GERMAIN M. « Les moyens de
l’égalité des associés dans les sociétés par actions non cotées », in Mélanges offerts à Paul DIDIER, Etudes
de Droit Privé, Paris, Economica, 2008, p. 189, n°1 ; MESTRE J., « L’égalité en droit des sociétés (aspects
de droit privé) », Rev. Sociétés 1989, p. 399.
967
FAYE A., « L’égalité entre associés (Acte uniforme sur le droit des sociétés et du GIE) », op. cit., p. 2,
l’auteur affirmant que l’AUSC détermine le contenu de l’égalité mais « les associés peuvent [aussi] décider
du contenu qu’ils vont donner à la règle de l’égalité ». Sur le contenu du principe d’égalité en droit des
sociétés, v. DIDIER P., « Rapport », in L’égalité des actionnaires, Mythe ou réalité ? Entretien de
NANTERRE, JCP (éd. E), 1994, Cah. dr. entr. n° 5, p. 20.
230 

 
constitue l’un des éléments. En droit des sociétés, « l’information est organisée dans 
le respect du sacro‐saint principe d’égalité 968 ». L’information des associés ne saurait 
en  effet  être  effective  s’il  est  établi  des  discriminations  au  niveau  de  l’accès  à 
l’information.  C’est  fort  de  ce  constat  que  le  législateur  OHADA  a  établi  un  accès 
égalitaire des associés à l’information.  
  Tous  les  associés  ont  droit  à  l’information  peu  importe  le  nombre  ou  la 
valeur  des  parts  qu’ils  détiennent  dans  la  société.  Il  s’agit  donc  d’une  égalité 
arithmétique969  contrairement  à  l’égalité  proportionnelle  qui  s’observe  dans  la 
jouissance des autres droits d’associés, notamment le droit de vote970. Dans les cas 
prévus  par  l’AUSC,  tout  associé,  même  minoritaire,  peut  poser  des  questions  aux 
dirigeants  sociaux  sur  des  faits  de  nature  à  compromettre  la  continuité  de 
l’information,  consulter  les  documents  sociaux  etc971.  La  loi  n’exige  pas  dans  la 
majeure  partie  des  cas,  la  détention  d’un  certain  montant  du  capital  social  pour 
prétendre  à  l’information ;  et  même  dans  les  cas  où  la  loi  impose 
exceptionnellement  la  détention  d’un  certain  nombre  de  parts  sociales,  plusieurs 
associés  minoritaires  peuvent  s’associer  pour  atteindre  le  nombre de parts  exigées 
pour solliciter l’information972. 
  On  peut  cependant  s’interroger  sur  l’étendue  du  droit  à  l’information  des 
titulaires  d’actions  de  préférence973  sans  droit  de  vote,  étant  donné  que 
l’information  donnée  aux  associés  vise  notamment  à  leur  permettre  d’émettre  un 
vote  éclairé.  N’ayant  pas  de  droit  de  vote974,  devraient‐ils  disposer  d’un  droit  à 
l’information équivalent à celui des autres associés titulaires du droit de vote ? Face 
au  silence  de  l’AUSC,  on  peut  estimer  que  si  ces  associés  ne  peuvent  voter,  ils 
                                                            
968
URBAIN-PARLEANI I. et BOIZARD M., « L’objectif d’information dans la loi du 24 juillet 1966 »,
Rev. Sociétés (3) juil.-sept 1966, p. 455, n° 20.
969
Cette égalité arithmétique observée au niveau du droit à l’information des associés traduit, selon un
auteur, la survivance d’une véritable égalité, cf. RUFIN C.-M., L’égalité dans les sociétés par action,
thèse, Nancy II, 1981, n° 52.
970
L’alinéa 1 de l’article 54 envisage en effet une égalité proportionnelle pour la répartition des droits et
obligations des associés prévus à l’article 53 en ces termes : « sauf clause contraire des statuts ou
dispositions contraires du présent Acte uniforme, les droits et l'obligation de chaque associé, visés à l'article
53 ci-dessus, sont proportionnels à ses apports, qu'ils soient faits lors de la constitution de la société ou au
cours de la vie sociale ». V. également les articles 129, 543 al. 1, 751, 853-12 de l’AUSC.
971
Sur ce point, FENEON A., « Les droits des actionnaires minoritaires dans les sociétés commerciales de
l’espace OHADA », in Penant, n° 839, 2002, p. 155, l’auteur indiquant que « le principe d’égalité des
droits entre associés, qui existe en vertu de l’affectio societatis, confère à chacun d’entre eux des droits
d’information totalement équivalents » ; v. également, POISSON M.-D., La protection des actionnaires
minoritaires dans les sociétés de capitaux, en droit français et en droit anglais comparés, Thèse, Université
de Clermont 1, 1984, p. 5 et s., n° 3 et s.
972
V. par exemple l’article 159 relatif à l’expertise de gestion qui prévoit que un ou plusieurs associés
représentant au moins le dixième du capital social peuvent, soit individuellement, soit en se groupant
solliciter expertise de gestion.
973
Sur les actions de préférence, v. les articles 778-1 et s. de l’AUSC ; v. également NJEUFACK
TEMGWA R., « Les titres sociaux assortis de droits particuliers en droit OHADA », Juridique Périodique
n° 77, jan.-févr.-mars 2009, p. 83 et s.
974
Encore faut-il savoir si le défaut de droit de vote entraine l’impossibilité de participer aux assemblées
générales, ou seul est supprimé le droit de vote, le titulaire d’actions de préférence sans droit de vote
conservant la possibilité de participer aux assemblées.
231 

 
conservent néanmoins certains de leurs droits, notamment les droits pécuniaires et 
doivent bénéficier des informations relatives à cette catégorie de leurs droits. Dans 
tous  les  cas  si  une  restriction  du  droit  à  l’information  des  titulaires  d’actions  de 
préférence sans droit de vote est admise en raison de la nature de leurs actions, elle 
instaurerait pour cette catégorie d’associés, un droit à l’information proportionnelle 
à la valeur des droits attachés aux titres sociaux. 
  D’après  l’article  527  de  l’AUSC,  le  droit  de  communication  des  documents 
sociaux  appartient  à  chacun  des  copropriétaires  d’actions  indivises,  au  nu‐
propriétaire et à l’usufruitier d’actions975. En ce qui concerne le droit à l’information 
attaché à une part sociale nantie, on peut estimer qu’il appartient au propriétaire, le 
créancier  nanti  devant  attendre  la  réalisation  de  sa  sûreté  pour  prétendre  à  des 
droits à l’égard de la société.  
  De  nombreux  mécanismes  ont  été  mis  en  place  par  le  législateur  OHADA 
pour assurer l’égalité de l’information : d’abord, lorsqu’une question est posée à la 
veille  d’une  assemblée  générale,  le  dirigeant  répond  à  cette  question  au  cours  de 
l’assemblée  générale,  ce  qui  permet  à  tous  les  associés  d’accéder  à  l’information. 
Ensuite,  il  existe  des  sanctions  contre  des  comportements  de  nature  à  porter 
atteinte  à  l’égalité  d’information  des  associés976.  Enfin,  contrairement  aux  autres 
droits  des  associés  ‐  à  l’instar  du  droit  de  vote  ‐  qui  peuvent  faire  l’objet 
d’aménagements  ou  de  suppression977  susceptibles  d’affecter  le  principe  d’égalité 
entre associés, l’égalité d’information des associés subira difficilement des atteintes 
étant donné que les aménagements de nature à restreindre le droit à l’information 
de l’associé semblent rarement admis.   
  2 – L’objet de l’information  
  Sur  quoi  porte  l’information  due  aux  associés ?  Le  législateur  OHADA  a 
spécifié l’objet de l’information978 dont l’étendue varie en fonction de la forme de la 
société979.  La  définition  du  contenu  de  l’information  est  nécessaire  dans  la  mesure 
où il faut des informations à la fois suffisantes, complètes et circonscrites. En effet, si 
le  maintien  dans  le  secret  de  certaines  informations  peut  limiter  la  marge  d’action 
des  associés,  il  est  aussi  admis  que  « trop  d’information  génère  la  surinformation, 

                                                            
975
L’accès du nu-propriétaire et de l’usufruitier d’actions à l’information se justifie par le fait que la qualité
d’associé est reconnue à tous les deux, v. MPONDO MBOKA G. R., « La nue-propriété des titres
sociaux », Revue africaine des sciences juridiques, vol. 8, n° 1, 2011, p. 119 et s.
976
Nullité de délibération prise en violation des dispositions de l’AUSC relatives à l’information des
associés (voir notamment articles 345 al. 5, 440 al. 7, 525 al. 4 de l’AUSC), responsabilité civile ou pénale
de ceux qui portent atteinte à l’égalité de l’information des associés (v. par exemple article 891-3 de
l’AUSC), etc.
977
KONGATOUA KOSSONZO A., « Le droit de vote dans les sociétés commerciales tel que prévu par
l’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du G.I.E », in Penant n°873, p .468 et s.
978
Mais dans les sociétés faisant appel à l’épargne, les autorités de régulation financière ont également
compétence pour préciser le contenu de l’information (v. par exemple l’article 88 de l’AUSC). Dans
certains cas, il revient au dirigeant social ou au commissaire aux comptes d’apprécier l’opportunité de
divulguer une information sensible.
979
Le contenu de l’information est plus étendu dans les S. A. et les S. A. faisant appel public à l’épargne
que dans les sociétés par intérêts.
232 

 
puis  la  désinformation,  enfin  le  rejet  de  l’information980  ».  Par  ailleurs,  il  faut 
informer  les  associés  tout  en  se  gardant  de  révéler  certaines  informations  qui 
doivent  rester  dans  le  secret  pour  protéger  la  société  contre  la  concurrence981. 
L’information  porte  sur  de  nombreuses  questions.  Elle  porte  principalement  sur  la 
gestion  et  la  situation  financières  de  l’entreprise  (a).  D’autres  informations  qu’on 
pourrait qualifier de complémentaires ou d’accessoires sont également requises (b). 
  a)  l’objet  principal :  l’exigence  d’informer  sur  la  gestion  et  la  situation 
financières de l’entreprise. 
  Les documents sociaux contenant des informations relatives à la gestion et 
à la situation financière de l’entreprise doivent être mis à la disposition des associés. 
Il  s’agit  d’une  part  des  documents  comptables constitués  des  états  financiers  de 
synthèse de l’exercice982 ‐ auxquels sont annexés un état des cautionnements, avals 
et  garanties  et  un  état  de  sûretés  réelles  consentis  par  la  société983‐  et  de 
l’inventaire984. Il s’agit d’autre part des différents rapports, notamment les rapports 
de gestion, les rapports du commissaire aux comptes etc. Dans le rapport de gestion, 
le gérant, le conseil d'administration ou l'administrateur général, selon le cas, expose 
la  situation  de  la  société  durant  l'exercice  écoulé,  son  évolution  prévisible,  les 
événements importants survenus entre la date de clôture de l'exercice et la date à 
laquelle il est établi et, en particulier, les perspectives de continuation de l'activité, 

                                                            
980
SCHMIDT D., « Transparence et marchés financiers et boursiers » in Revue de Jurisprudence
Commerciale (RJC), 11/1993, numéro spécial sur la transparence, colloque de Deauville organisé les 19-20
juin 1993 par l’Association Droit et commerce, p. 169.
981
 VIRASSAMY G. J., « Les limites à l’information sur les affaires d’une entreprises », RTD Com., n° 2, avr.‐
juin  1988,  p.  179  à  217,  spéc.  p.  183,  n°  4,  l’auteur  indiquant  que  pour  nécessaire  qu’il  soit  pour  la 
protection de l’intérêt privé (celui des associés, des salariés et des divers interlocuteurs de l’entreprise) ou 
de l’intérêt général, le droit à l’information « ne peut être absolu et sans limite. Il doit tenir compte d’un 
intérêt tout aussi respectable voire vital : celui qu’à l’entreprise de mener ses activités dans la discrétion, 
c’est‐à‐dire dans le respect du secret de ses affaires. Ce secret peut avoir un objet multiple. Il peut aussi 
bien  s’agir  de  ses  procédés  de  fabrication,  que  de  ses  simples  secrets  de  commerce  (techniques  de 
distribution,  fichier  de  clientèle,  relations  avec  ses  fournisseurs,  projets  et  thème  publicitaires,  projets 
d’implantation…).  Une  transparence  totale  constituerait  un  grand  danger » ;  BERLIOZ  P.,  « Quelle 
protection pour les informations économiques secrètes de l'entreprise ? », RTD Com., n° 2, 2012,  p. 263 
et  s.  ;  NGOMO  A‐Fl.,  « Le  commissaire  aux  comptes  entre  les  obligations  de  faire  et  de  ne  pas  faire 
pénalement sanctionnées dans l’espace OHADA », Revue Africaine des Sciences Juridiques n°2/2014, p. 59 
et s., spéc. p. 86 et s. ; NGO NDJIGUI Y.‐.R., Le secret des affaires dans le droit des pays de l’espace OHADA 
et en droit français, thèse, Evry‐Val‐d’Essonne, 2005. 
982
Aux  termes  de  l’article  137  de  l’AUSC,  « A  la  clôture  de  chaque  exercice,  le  gérant  ou  le  conseil 
d'administration ou l'administrateur général, selon le cas, établit et arrête les états financiers de synthèse 
conformément  aux  dispositions  de  l'Acte  uniforme  portant  organisation  et  harmonisation  des 
comptabilités  des  entreprises ».  Ils  sont  constitués  pour  l’essentiel  du  bilan,  du  compte  de  résultat,  du 
tableau des ressources et des emplois, de même que l’état annexé.  
983
Article 139 de l’AUSC.
984
 L’inventaire est l’état descriptif du patrimoine de la société, v. VIANDIER A. et  LAUZAINGHEIN C., Droit 
comptable,  Précis  Dalloz,  1993,  n°  342  ;  COSSON  G.,  «  L’information  des  actionnaires  par  l’inventaire  », 
Rev.  Fr.  Compt.,  1977,  pp.  237  et  s. ;  GORE  F.  et  DUPOUY  G.,  Comptabilité  générale  et  entreprise,  éd. 
Montchrestien,  1975,  p.  32  ;  BOURGAUX  Ch.,  La  publicité  des  informations  concernant  les  sociétés 
anonymes, thèse, thèse, Nancy, 1976, p. 325.   
233 

 
l'évolution de la situation de trésorerie et le plan de financement985. Le paiement des 
dividendes doit être porté à la connaissance des associés. 
  Les associés ont également droit aux informations relatives aux conventions 
ou engagements pris au nom ou pour le compte de leur société. Ainsi doivent‐ils être 
informés  sur  les  actes  pris  pour  le  compte  de  la  société  en  formation  avant  sa 
constitution986. Ces actes sont décrits dans un document intitulé « état des actes et 
engagements accomplis pour le compte de la société en formation » et portés à la 
connaissance  des  associés  afin  de  leur  permettre  de  mieux  apprécier  l’opportunité 
de  la  reprise  de  ces  actes  par  la  société  constituée.  En  cours  de  vie  sociale,  les 
conventions règlementées sont portées à la connaissance des associés987. 
  Enfin,  dans  les  sociétés  cotées  le  contenu  de  l’information  est  plus 
988
étendu .  L’AUSC  révisé  a  procédé  à  une  extension  du  contenu  de  l’information 
dans les sociétés faisant appel public à l’épargne pour se conformer aux exigences de 
la corporate governance.  Au cas où la société se réfère volontairement à un code de 
gouvernement  d’entreprise,  les  actionnaires  doivent  être  informés  des dispositions 
de ce code qui ont été écartées, les raisons pour lesquelles elles l’ont été et sur le 
lieu  où  ce  code  peut  être  consulté989.  L’information  peut  aussi  porter  sur  les 
rémunérations  et  avantages  de  toutes  natures  versés  aux  mandataires  sociaux990, 
l’émission d’actions991. Il serait fastidieux de vouloir présenter de manière exhaustive 
tout  ce  qui  rentre  dans  l’objet  de  l’information  des  actionnaires  dans  les  sociétés 
cotées992. 
  b) l’objet accessoire : les informations à caractères non financiers.  
  Il  s’agit  de  l’information  relative  à  la  tenue  des  assemblées.  Les  associés 
doivent être informés sur la tenue des assemblées ainsi que la nature des résolutions 
qui y seront prises. Ainsi, doit‐il être porté à leur connaissance, les dates, les lieux et 
l’ordre  du  jour  des    réunions993.  De  même  les  textes  de  résolutions  proposées 
doivent être mis à leur disposition. 
                                                            
985
Article 138 de l’AUSC.
986
V. articles 106 et s. de l’AUSC ; GIBIRILA D., « Le sort des actes accomplis au nom d’une société en
formation », Revue Lamy Droit des affaires, n° 6, oct. 2006, p. 10 et s.
987
Articles 440 al. 3 et 4, 503 al. 2 et 3, 853-14 al. 1.
988
Mais une grande partie de l’information, contenue dans les documents d’information est destinée aux
investisseurs. Sur ce point, v. NGNIJIO TSAPI M., L’information de l’acquéreur des titres sociaux dans
les sociétés anonymes, mémoire de DEA, Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université de
Dschang, 2009. Sur les informations contenues dans les documents d’information du public, voir article 86
de l’AUSC.
989
Article 831-2 al. 2.
990
 Article 831‐3. Sur la publicité de la rémunération des mandataires sociaux, v. CHAMPAUD C. et DANET 
D., « Rémunération des dirigeants (L. NRE du 15 mai 2001, art. 116) », RTD Com. 2002 p. 97 ; CHAMPAUD 
C. et DANET D., « Contrôle de la rémunération des dirigeants. Loi pour la confiance et la modernisation de 
l'économie. Information sur les rémunérations des administrateurs », RTD Com. 2005 p. 749.   
991
V. notamment articles 827, 832 de l’AUSC, article 67 du Règlement général de la COSUMAF du 15
janvier 2009.
992
V. également l’article 86 de l’AUSC, articles 67 à 78 du règlement général de la COSUMAF du 15
janvier 2009.
993
V. notamment articles 286, 303, 338, 404, 518, 831 de l’AUSC.
234 

 
  B– Les procédés d’information des associés 
  Divers  procédés  servent  à  informer  les  associés  dans  les  sociétés 
commerciales. Il faut préciser que l’AUSC révisé a diversifié d’avantage ces procédés 
d’information  avec  l’introduction  des  Technologies  de  l’Informations  et  de  la 
Communication. Désormais, un associé peut être informé de la tenue d’une réunion 
par courrier électronique994. Il est également possible de participer une assemblée à 
distance  par  visioconférence  ou  d’autres  moyens  de  communication  permettant 
l’identification  du  concerné995.  La  visioconférence  peut  permettre  à  un  associé 
éloigné  d’accéder  en  temps  réel  à  certaines  informations  qui  sont  communiquées 
aux associés lors des assemblées générales d’associés. Elle devrait redonner vie aux 
assemblées générales d’actionnaires qui ont souvent été affaiblies par l’absentéisme 
de leurs membres996. En ce qui concerne les sociétés faisant appel public à l’épargne, 
l’AUSC  révisé  leur  permet  de  diffuser  le  document  d’information  du  public  en  le 
mettant en ligne sur le site internet de l’émetteur, des intermédiaires financiers, de 
la  bourse  des  valeurs  ou  de  l’autorité  compétente  de  l’Etat  partie  du  siège  de 
l’émetteur997.  
   Les  procédés  d’information  varient  suivant  que  l’information  est  due  aux 
associés  de  manière  permanente,  occasionnelle  ou  périodique.  Mais  étant  donné 
que  certains  moyens  d’information  (à  l’instar  des  questions  écrites  posées  aux 
dirigeants ou des consultations des documents sociaux) sont usités à la fois dans le 
cadre de l’information permanente et de l’information périodique des associés998, il 
convient  de  regrouper  les  procédés  d’information  en  distinguant  selon  qu’ils 
concourent à l’information en période normale (1) ou en période de crise (2).  
  1‐Les procédés d’information en période normale 
  Il  faut  distinguer  les  procédés  d’information  communs  à  toutes  les  formes 
de sociétés (a) des procédés spécifiques aux sociétés faisant appel public à l’épargne 
(b). 
a) les procédés d’information communs à toutes les formes de sociétés 
  Ils sont constitués des documents sociaux (α), des questions écrites (β), des 
lettres télécopies, courriers électroniques et avis (y).  
  α ‐L’information par les documents sociaux 
  Divers  documents  servent  à  l’information  des  associés.  Ces  documents 
peuvent soit être communiqués ou présentés aux associés, soit être consultés par les 
associés, avec possibilité d’en obtenir une copie. 
                                                            
994
Articles 286, 303 al. 2 et 3, 338 al. 1, 518 al. 3 de l’AUSC.
995
 Article 133‐2 de l’AUSC. Lire CHAMPAUD C. et DANET D., « Assemblées générales. Visioconférence (L. 
NRE du 15 mai 2001, art. 115) », RTD Com. 2002 p. 94. 
996
Sur ce point, v. DUCOULOUX-FAVARD C., « Grandeur et décadence des assemblées générales
d’actionnaires », in Aspects actuels du droit des affaires, Mélanges en l’honneur de Yves Guyon, Dalloz
2013, p. 359 et s.
997
Article 93, 3°), 4°) 5°) de l’AUSC.
998
Les associés peuvent poser des questions aux dirigeants sociaux non seulement de manière permanente
(à tout moment de l’année, deux fois par exercice), mais aussi de manière périodique, à la veille des
assemblées générales.
235 

 
*Les  communications  et  présentations  de  documents.  La  loi  impose  aux  dirigeants 
sociaux de communiquer aux associés (et parfois aux commissaires aux comptes999)  
avant la tenue des assemblées, des documents visant à les imprégner de certaines 
informations nécessaires pour prendre des résolutions en connaissance de cause1000. 
Cette  communication  demeure  nécessaire  quand  bien  même  les  associés  auraient 
choisi  d’adopter  les  décisions  collectives  par  voie  de  consultations  écrites1001.  La 
communication de documents est un procédé qui rend l’information portable et non 
quérable, ce qui assure un accès facile à l’information. Lorsque l’associé est en effet 
appelé à se déplacer pour consulter le document mis à sa disposition au siège social, 
la distance et le temps peuvent le décourager à exercer ce droit. La communication 
de  documents  est  un  procédé  auquel  le  recours  est  organisé  par  le  législateur  de 
façon  à  limiter  le  cout  de  l’information1002.  Elle  semble  difficile  à  réaliser  dans  les 
sociétés  cotées,  constituées  généralement  d’un  nombre  d’actionnaires  très  élevés. 
L’AUSC  ne  précise  pas  toute  fois  le  moyen  de  communication  de  documents.  On 
peut  penser  que  la  communication  pourrait  se  faire  par  voie  postale  ou  par  voie 
électronique. 
  Dans  certains  cas,  un  rapport  doit  être  présenté  par  les  mandataires 
sociaux1003  et/ou  les  commissaires  aux  comptes1004  aux  associés.  Ces  rapports 
contiennent  les  opinions  ou  les  observations  de  leurs  auteurs  relativement  à  une 
situation  donnée  ou  à  un  projet  de  résolution.  La  présentation  du  rapport  du 
mandataire  social  et  le  cas  échéant  le  rapport  du  commissaire  aux  comptes 
(commissaires  aux  apports  dans  certains  cas)  est  envisagée  dans  de  nombreuses 
hypothèses1005.  Dans  tous  les  cas,  la  nature  des  documents  à  communiquer  ou  à 
                                                            
999
Dans les SA, SAS et le cas échéant les SARL, les états financiers de synthèse annuels et le rapport de
gestion sont adressés au commissaire aux comptes 45 jours au moins avant la date de l’assemblée générale
ordinaire (article 340 al. 1 de l’AUSC).
1000
V. articles 344, 345, 152 al 2 et 3, 160, 288 al. 1 et 2, 360 al. 1 et 2, 160-6 al. 4, 340, 350 al. 2.
L’intensité de cette obligation varie en fonction des sociétés. Il est évident que la communication des
documents aux associés serait difficile et peu envisageable dans les grandes sociétés et les sociétés faisant
appel public à l’épargne au regard du nombre d’associés et du cout.
1001
V. article 340 de l’AUSC. Excepté le cas de l’assemblée générale annuelle (article 333 al. 2 de
l’AUSC), les décisions collectives peuvent être prises en assemblée générale ou par consultation écrite des
associés (voir articles 133, 333 al. 2 de l’AUSC). Dans les S. A. les décisions collectives sont
exclusivement prises en assemblée générale.
1002
Il s’agit d’un procédé prévu pour les petites sociétés. Dans les grandes sociétés, notamment les S.A
faisant appel public à l’épargne, les documents sont en général mis à la disposition des associés au siège
social.
1003
Articles 350 al. 2, 502 al. 1, 564, 570, 588. Cette obligation repose également sur les dirigeants sociaux
en période de crise comme le liquidateur (article 228) ou l’administrateur provisoire (article 160-6) de
l’AUSC
1004
V. notamment articles 350 al. 2, 711, 713 al. 2 de l’AUSC.
1005
En vue de permettre aux associés de se prononcer sur les conventions règlementées (articles 350 al 2,
440 al 3 et 4, 502 al. 1, 503 al. 2 et 3, 853-14 al. 1,), sur l’évaluation des biens en nature et/ou d’avantages
particuliers faite par le commissaire aux comptes ou le commissaire aux apports (articles 363, 401 al. 1, 403
al. 1, 408 al. 2 et 547 al. 1), d’apprécier l’opportunité d’une augmentation du capital social (Articles 564,
570), la fixation du prix d’émission des actions nouvelles (article 588), la réduction du capital social (article
630), l’attribution d’actions gratuites (article 626-1 al. 1, 626-4), l’émission de valeurs mobilières
composées (article 822-5), l’émission d’actions de préférence (Article 778-2, 788-3, 778-4, 778-7, 788-8),
236 

 
présenter varie suivant que les communications ou présentations sont faites en vue 
de  la  tenue  de  l’assemblée  générale  annuelle  ou  en  vue  de  la  tenue  d’assemblées 
autres. 
  En  prélude  à  la  tenue  de  l’assemblée  générale  annuelle1006,  et  afin  de 
fournir  certaines  informations  nécessaires  à  la  prise  des  résolutions1007,  certains 
documents doivent être communiqués aux associés 15 jours au moins avant la tenue 
de  l’assemblée1008.  Il  s’agit  en  général  du  rapport  de  gestion,  de  l’inventaire,  des 
états  financiers  de  synthèse  de  l’exercice,  du  texte  de  résolutions  proposées  ainsi 
que le cas échéant du rapport du commissaire aux comptes.  
  En  ce  qui  concerne  les  assemblées  autres  que  l’assemblée  annuelle1009,  le 
droit  de  communication  porte  en  général  sur  le  texte  de  résolutions  proposées,  le 
rapport  des  mandataires  sociaux  et,  le  cas échéant,  le  rapport du  commissaire  aux 
comptes…1010.  
*La  possibilité  de  consulter  les  documents sociaux  et/ou d’en prendre copie.  Cette 
possibilité  est  prévue  par  certaines  dispositions  de  l’AUSC  spécifiques  à  certaines 
sociétés. Les associés peuvent y recourir tantôt de manière permanente, tantôt de 
manière périodique. 
  De  manière  permanente,  l’article  289  al.  1  prévoit,  en  ce  qui  concerne  la 
SNC1011 que les associés non gérants ont le droit de consulter à tout moment, deux 
fois par an au siège social, les documents sociaux. Ils ont le droit d’en prendre copie 
à  leur  frais1012.  Cette  possibilité  semble  également  réservée  aux  associés  de  la 
SARL1013  et  de  la  SA1014.  Dans  la  SAS  ce  procédé  est  laissé  à  la  discrétion  des 
statuts1015. 

                                                                                                                                              

la transformation, fusion et scission de la SA (articles 691, 671 al. 4 et 5, 674, 684), le déroulement des
opérations de liquidation (article 228), la reprise des actes accomplis pour le compte de la société en
formation, avant sa constitution (ces actes décrits dans un document intitulé « état des actes accomplis pour
le compte de la société en formation » doivent être portés à la connaissance des associés (articles 106, 107
et 108)), le respect par la société de droits particuliers attachés aux actions de préférence (article 778-15).
1006
L’article 307 de l’AUSC permet cependant aux associés commanditaires et aux associés commandités
non gérants d’obtenir communication des livres et documents sociaux, deux fois par an, c’est-à-dire de
manière permanente.
1007
L’assemblée ordinaire annuelle a notamment pour objet de statuer sur les états financiers de synthèse de
l’exercice, de décider de l’affectation des résultats…
1008
Articles 288 al. 1 et 2, 306 al. 1 et 2, 345 al. 1 et 2, 525 al. 1.
1009
En fonction de la nature de la résolution à adopter, il peut s’agir d’assemblées générales ordinaires (v.
les attributions aux articles 347 et 546 de l’AUSC) ou extraordinaires (v. les attributions aux articles 357 et
551 de l’AUSC).
1010
V. article 345 al. 4 de l’AUSC pour la SARL et 525 al. 3 pour le SA.
1011
Et la SCS également en vertu de l’article 293-1 de l’AUSC qui permet l’application des dispositions de
la SNC à la SCS.
1012
Ils doivent avertir le gérant de leur intention d’exercer ce droit au moins quinze jour à l’avance. Ils ont
le droit de se faire assister par un expert comptable ou un commissaire aux comptes à leur frais.
1013
L’article 345 al 6 de l’AUSC prévoit que l’associé peut à toute époque, obtenir copie des documents
sociaux. On peut présumer que l’associé avant de demander copie peut au préalable consulter le document.
1014
L’article 526 al. 1 de l’AUSC énonce que tout actionnaire peut à toute époque, prendre connaissance et
copie des documents sociaux.
1015
L’article 853-3 ne rend pas l’application de l’article 526 al. 1 obligatoire dans la SAS.
237 

 
  De  manière  périodique  dans  les  SA,  à  la  veille  des  assemblées  générales 
d’actionnaires1016, l’article 525 al. 1 et 3 de l’AUSC prévoit que tout actionnaire a le 
droit  par  lui‐même  ou  par  le  mandataire  qu’il  a  nommément  désigné  pour  le 
représenter  à  l’assemblée  générale,  de  prendre  connaissance  des  documents 
sociaux  au  siège  social1017.  Sauf  en  ce  qui  concerne  l’inventaire,  le  droit  pour 
l’actionnaire de prendre connaissance emporte celui de prendre copie à ses frais1018. 
Le  droit  de prendre  connaissance  s’exerce  durant  les  quinze jours  qui précèdent  la 
tenue  de  l’assemblée  générale1019.  Les  dispositions  propres  aux  autres  formes  de 
sociétés n’envisagent pas expressément la possibilité pour les associés de consulter 
les  documents  sociaux  à  l’approche  des  assemblées  ou  d’en  prendre  copie.  
Cependant,  étant  donné  que  dans  la  plupart  de  sociétés  l’AUSC1020  reconnaît  aux 
associés  la  possibilité  de  consulter  à  toute  époque,  deux  fois  par  exercice  les 
documents  sociaux  et  d’en  prendre  copie,  on  pourrait  admettre  qu’ils  puissent 
exercer ce prérogative à l’approche d’une assemblée.  
β –l’information par le mécanisme des questions écrites 
  Les    associés  peuvent  s’informer  aux  moyens  des  questions  écrites,  aussi 
bien de manière périodique que de manière permanente. 
  De manière périodique, en prélude à la tenue d’une assemblée générale et 
à compter de la communication des documents1021, tout associé a le droit de poser 
par  écrit,  des  questions  auxquelles  le  dirigeant  est  tenu  de  répondre  au  cours  de 
l’assemblée.  En  réalité  seul  l’alinéa  3  de  l’article  345  relatif  à  la  SARL  évoque  la 
possibilité  pour  les  associés  de  poser  des  questions  à  la  veille  des  assemblées 
d’associés. S’agit‐il d’un moyen d’information réservé exclusivement aux associés de 
la SARL ? Étant donné que dans les autres formes de sociétés le législateur, bien que 
n’ayant pas expressément prévu la possibilité de poser des questions à la veille des 
assemblées reconnaît néanmoins aux associés la possibilité de poser des questions 
par  écrit,  deux  fois  par  exercice  aux  dirigeants  sociaux1022,  rien  n’empêche  à  un 
associé d’exercer ce droit à l’approche d’une assemblée. Par ailleurs, en l’absence de 

                                                            
1016
Cette faculté est ouverte à l’actionnaire non seulement à l’approche de l’assemblée générale annuelle,
mais aussi en ce qui concerne les autres assemblées, notamment les assemblées appelées à se prononcer sur
le projet de fusion (article 674 al. 1 et 2 de l’AUSC), sur le respect par la société des droits particuliers
attachés aux actions de préférence (article 778-15).
1017
Parmi les documents pouvant être consultés ou dont les associés peuvent en prendre copie, on peut citer
notamment l’inventaire, les états financiers de synthèse, les procès verbaux des délibérations et décisions
collectives, les rapports du commissaire aux comptes etc. (articles 289 al. 1, 525 al.1 et 3, 526 al. 1, 674 al.
1)
1018
Article 525 al. 2.
1019
Article 525 al. 2.
1020
V. par exemple l’article 289 relatif à la SNC et à la SCS (d’après l’article 293-1, les règles de la SNC
sont applicables à la SCS).
1021
La communication des documents doit être faite 15 jours au moins avant la tenue de l’assemblée
générale (articles 288 al. 2, 306 al. 2, 345 al. 2 et 778-15 al. 3).
1022
V. de manière générale l’article 157 pour les sociétés autres que les sociétés par actions et l’article 158
pour les sociétés par actions, et de manière spécifique, l’article 307 pour la SCS et 526 al. 2 pour la SA.
238 

 
précision suffisante de l’AUSC, toute possibilité pour les associés ou les actionnaires 
de poser des questions pendant la tenue de l’assemblée n’est pas exclue1023.    
  De  manière  permanente,  tout  associé  (non  gérant)  peut,  deux  fois  par 
exercice, à tout moment de l’année, poser par écrit des questions au gérant sur tout 
fait de nature à compromettre la continuité de l’exploitation1024. Le dirigeant répond 
par écrit dans le délai de  quinze  jours aux questions  posées. Dans le même délai, il 
adresse une copie de la question et de la réponse au commissaire aux comptes s’il 
en existe un dans la société. Bien qu’aucune disposition de l’AUSC spéciale à la SNC 
n’ait prévue cette possibilité, elle peut néanmoins y être reconnue aux associés en 
vertu de l’article 157 de l’AUSC qui reconnaît de manière générale à tout associé non 
gérant dans les sociétés autre que les sociétés par actions, la possibilité de poser des 
questions au gérant deux fois par exercice, sur tout fait de nature à compromettre la 
continuité  de  l’exploitation. De  même,  bien  que  l’alinéa 2  de  article 526  de  l’AUSC 
qui  permet  aux  actionnaires  de  poser  des  questions  écrites  aux  dirigeants  sociaux, 
deux fois par exercice, ne figure pas parmi les dispositions de la SA applicables à la 
SAS1025, il n’en demeure pas moins que les actionnaires de la SAS peuvent poser des 
questions aux mandataires sociaux deux fois par exercice en vertu de l’article 158‐1 
qui permet l’application de l’article 158 de l’AUSC à la SAS. Cette dernière disposition 
reconnaît  en  effet  aux  actionnaires  de  la  S.A.  la  possibilité  de  poser  des  questions 
aux mandataires sociaux deux fois par exercice.  
  En  définitive,  la  possibilité  de  poser  des  questions  écrites,  à  la  veille  des 
assemblées  ou  de  manière  permanente  à  tout  moment  de  la  vie  sociale,  semble 
commune à toutes les formes de société. L’Acte uniforme indique que les questions 
doivent  être  posées  par  écrit  sans  indiquer  la  forme.  On  peut  penser  qu’elles 
pourraient être posées sous forme papier ou par voie électronique. 
  y‐L’information par des lettres, télécopies, courriers électroniques ou avis  
  Il  faut  distinguer  l’information  par  des  lettres,  télécopies  et  courriers 
électroniques  qui  sont  des  procédés  communs  à  toutes  les  formes  de  sociétés,  de 
l’information par des avis, spécifique aux SA.  
  De  nombreuses  informations  sont  portées  à  la  connaissance  des  associés 
par  des  lettres,  télécopies  ou  courriers  électroniques1026.  Ces  procédés  servent 
principalement à convoquer ou à informer les associés de la tenue des assemblées. 
Les convocations sont adressées aux associés au moins quinze jours avant la tenue 
de l’assemblée, par lettre au porteur contre récépissé, par lettre recommandée avec 
demande  d’avis  de  réception,  télécopie  et  courrier  électronique1027.  Toute  fois  les 
convocations par télécopie et courrier électronique ne sont valables que si l’associé 
                                                            
1023
VOUDWE BAKREO, op. cit., n° 63.
1024
Articles 307 (pour la SCS), 345 al. 6 (pour la SARL), 526 al. 2 (pour la SA).
1025
V. article 853-3 de l’AUSC.
1026
L’AUSC révisé admet en effet que les associés puissent être informés par courrier électronique (v.
articles 286, 303 al. 2 et 3, 338 al. 1, 518 al. 3 de l’AUSC).
1027
V. articles 286 al. 1 (pour la SNC), 303 al. 1 (pour la SCS), 338 al. 1 (pour la SARL) et 518 al. 3 (pour
la SA). Les convocations doivent indiquer la date, le lieu de la réunion et l’ordre du jour de l’assemblée
(articles 286 al. 2, 303 al. 3, 338 al. 2, 404 al. 2, 518 al. 4, 827-6 al. 3 de l’AUSC).
239 

 
a préalablement donné son accord écrit et communiqué sont numéro de télécopie 
ou  son  adresse  électrique  selon  le  cas1028.  Il peut  à  tout  moment demander que  le 
moyen  de  communication  susmentionné  soit  remplacé  à  l’avenir  par  envoi  postal. 
Certains auteurs soutiennent que l’on puisse admettre en fonction de la nature de la 
société, que les convocations des associés se fassent verbalement, dès lors qu’il est 
certain  qu’ils  seront  tous  présents  ou  représentés1029.  Dans  les  SAS,  les  règles 
relatives aux convocations des assemblées sont fixées par les statuts, les dispositions 
de  la  SA  sur  la  question  ne  s’imposent  pas  à  la  SAS1030.  Mais  rien  n’empêche  les 
statuts  de  la  SAS  de  prévoir  que  la  convocation  des  assemblées  se  fera  par  des 
lettres, télécopies ou courriers électroniques. 
Les lettres, télécopies, courriers électroniques permettent toute
fois de véhiculer des informations autres que celles relatives à la tenue des
assemblées. Dans la SA par exemple, en cas d’émission d’actions nouvelles,
les actionnaires (et les investisseurs) sont informés par lettre au porteur
contre récépissé ou par lettre recommandée avec demande d'avis de
réception, six jours au moins avant la date d'ouverture de la souscription1031.
La société est également tenu d’informer l’actionnaire qui n’a pas libéré les
actions, par lettre au porteur contre récépissé ou par lettre recommandée
avec demande d'avis de réception, lorsqu’elle décide de vendre les dites
actions1032.
  L’avis  est  une  annonce,  un  avertissement  ou  une  déclaration1033.  Dans  les 
SA, les informations peuvent être portées à la connaissance des associés par des avis 
insérés dans des journaux habilités à recevoir les annonces légales. Le recours à ce 
procédé d’information peut se justifier notamment par la forme des actions. Ainsi, la 
convocation  des  assemblées  y  est  faite  par  un  avis  de  convocation  inséré  dans  un 
journal  habilité  à  recevoir  les  annonces  légales1034.  Mais  si  toutes  les  actions  sont 
nominatives, cette insertion peut être remplacée par une convocation faite aux frais 
de la société, par lettre au porteur contre récépissé ou par lettre recommandée avec 
demande d’avis de réception, télécopie ou courrier électronique1035. 
  De  nombreuses  autres  informations  sont  portées  à  la  connaissance  des 
associés  par  des  avis.  Lorsque  la  SA  décide  de  procéder  à  l’achat  de  ses  propres 
actions  en  vue  de  les  annuler  et  de  réduire  son  capital,  elle  présente  cette  offre  à 
tous  les  actionnaires  en  insérant  un  avis  à  cet  effet  dans  un  journal  habilité  à 

                                                            
1028
Articles 286 al. 1, 303 al. 2, 338 al. 1, 518 al. 3 de l’AUSC.
1029
GIBIRILA D., « Nom collectif (Société en) », Rep. Sociétés, 2003, mise à jour 2010, n°216.
1030
V. article 853-3 de l’AUSC qui exclut l’application de l’article 518 du même Acte uniforme à la SAS.
1031
Article 599 de l’AUSC
1032
Articles 775 et 776 de l’AUSC.
1033
CORNU G., op cit., p. 112 et s.
1034
Article 518 al. 2 de l’AUSC.
1035
Article 518 al. 3 de l’AUSC. L’avis de convocation doit parvenir ou être porté à la connaissance des
actionnaires quinze jours au moins avant la date de l’assemblée sur première convocation et, le cas échéant,
six jours au moins pour les convocations suivantes (article 518 al. 5 de l’AUSC). Lorsque l’assemblée est
convoquée par un mandataire ad hoc le juge peut fixer un délai différent (article 518 al. 6)
240 

 
recevoir  les  annonces  légales  du  lieu  du  siège  social1036.  Les  actionnaires  (et  les 
investisseurs) sont également informés par avis et/ou par lettre  notamment en cas 
d’émission d’actions nouvelles1037.   
b) les procédés d’information spécifiques aux sociétés faisant  appel public à 
l’épargne1038  
  Dans  les  sociétés  faisant  appel  public  à  l’épargne,  en  raison  du  volume  de 
l’information  et  de  la  diversité  des  destinataires1039,  de  nombreux  procédés 
d’information  ont  été  prévus  aussi  bien  par  l’AUSC  que  par  de  nombreux  autres 
textes  auxquels  sont  assujetties  les  sociétés  faisant  appel  public  à  l’épargne1040. 
L’information  est  en  général  publiée.  Les  procédés  d’informations  varient  en 
fonction de l’objet de l’information et surtout de l’époque de son intervention. 
  α ‐les mécanismes d’information antérieurs à la souscription des actions 
  Les informations à porter à la connaissance du public1041 avant le début des 
opérations de souscription des actions (dont le contenu est fixé par le législateur et 
l’organisme  de  contrôle  de  la  bourse1042)  sont  contenues  dans  un  document 
d’information qui est diffusé sur support papier ou électronique par divers moyens: 
diffusion  dans  les  journaux  habilités  à  recevoir  les  annonces  légales,  mise  à  la 
disposition d’une brochure accessible pour consultation à toute personne qui en fait 
la demande au siège social de l’émetteur et auprès des organismes chargés d’assurer 
le  service  financier  des  valeurs  mobilières,  mise  en  ligne  sur  le  site  internet  de 
l’émetteur ou, le cas échéant sur celui des intermédiaires financiers qui placent ou 
vendent  les  valeurs  mobilières  concernées  etc1043.  Le  document  d’information  du 
public doit être mise à jour dans les cas prévus par la loi1044. D’autres informations 

                                                            
1036
Articles 643 et 644 de l’AUSC.
1037
Articles 598 et 599, voir aussi article 832 de l’AUSC.
1038
  Les  procédés  d’information    spécifiques  ne  sont  pas  l’apanage  des  sociétés  faisant    appel  public  à 
l’épargne. En ce qui concerne les établissements de crédit, l’article 37 de l’Annexe à la Convention portant 
harmonisation  de  la  règlementation  bancaire  dans  les  Etats  de  l’Afrique  Centrale  du  17  janvier  1992 
énonce  que  « tout  établissement  de  crédit  doit  publier  ses  comptes  dans  les  conditions  fixées  par 
l’Autorité Monétaire après avis du Conseil National du Crédit ». 
1039
  A  côté  des  actionnaires  déjà  bien  nombreux,  les  investisseurs  et  le  public  doivent  accéder  à 
l’information.  
1040
Sur ces différents textes, v. supra, note de bas de page n° 11.
1041
Le terme public peut englober les associés. Ces derniers doivent être informés en cas d’émissions de
nouvelles actions par leur société.
1042
Le législateur détermine le contenu du document d’information. Cependant l’organisme de contrôle de
la bourse des valeurs de l’Etat partie du siège social peut dispenser d’inclure dans le document
d’information certaines informations pour des raisons prévues à l’article 88 de l’AUSC. Par ailleurs la loi a
prévu des hypothèses dans lesquelles l’émetteur n’est pas tenu de publier un document d’information (v.
articles 95 et 95-1 de l’AUSC, 26 et s. de la Décision n°02/002 du 03 décembre 2002 portant Règlement
général de la commission des marchés financiers (v. article 35 du même texte pour les dispenses partielles
d’établir un document d’information), 49 et 50 du Règlement général de la COSUMAF du 15 janvier
2009).
1043
V. article 93, 825 de l’AUSC ; article 53 du Règlement général de la COSUMAF signé le 15 janvier
2009.
1044
V. article 92 de l’AUSC, articles 38 et 40 du Règlement général COSUMAF précité, article 128 du
Règlement général du CREPMF précité.
241 

 
sont  contenues  dans  une  notice  publiée  dans  les  journaux  d’annonces  légales1045. 
Pour  renforcer  la  diffusion  de  l’information,  les  circulaires,  les  affiches  et  les 
annonces  dans  les  journaux  destinés  à  l’information  du  public  sur  l’émission 
d’actions  projetée,  reproduisent  les  énonciations  de  la  notice  d’information  avec 
indication  du  numéro  des  journaux  habilités  à  recevoir  les  annonces  légales  dans 
lesquels elle a été publié1046. 
  β ‐les mécanismes d’information postérieurs à la souscription des actions 
  Après  la  souscription  des  actions,  des  informations  sont  dues  aux 
actionnaires de manière permanente ou occasionnelle, ou de manière périodique. 
  En  ce  qui  concerne  les  informations  dues  aux  actionnaires  de  manière 
permanente ou occasionnelle1047, elles sont portées à leur connaissance selon divers 
procédés :  publication  d’un  avis  contenant  certaines  mentions  dans  les  journaux 
habilités à recevoir les annonces légales pour informer les actionnaires de la tenue 
des  assemblées  générales1048,  information  des  actionnaires    soit  par  insertion  d’un 
avis dans une notice publiée dans les journaux d’annonces légales, soit par lettre au 
porteur  contre  récépissé  ou  par  lettre  recommandée  avec  demande  d’avis  de 
réception  (si  les  titres  sont  nominatifs)  en  cas  d’émission  de  nouvelles  actions1049, 
diffusion d’un communiqué de presse dans un journal ou sur tout autre support en 
cas de survenance d’un changement important susceptible d’exercer une influence 
sur le cours ou la valeur des titres1050.  
  Quant aux informations dues aux actionnaires de manière périodique1051, à 
la  fin  du  premier  semestre  ou  à  la  fin  de  l’exercice,  elles  sont  portées  à  leur 
                                                            
1045
Article 825 et 826 de l’AUSC.
1046
Article 827 de l’AUSC.
1047
L’émetteur faisant appel public à l’épargne est tenu notamment d’informer les actionnaires de la tenue
des assemblées générales, du paiement des dividendes, des opérations d’émission d’actions nouvelles, de
tout fait nouveau important survenu dans son secteur d’activité et de nature à affecter son activité de façon
significative (v. notamment articles 67 à 73 du Règlement général de la COSUMAF signé le 15 janvier
2009, articles 16 et s de la Décision n°02/002 du 03 décembre 2002 portant Règlement général de la CMF,
article 132 du Règlement général de la CREPMF relatif à l’organisation, au fonctionnement et au contrôle
du marché financier régional de l’UEMOA, les dispositions de l’AUSC, qu’elles soient générales à toutes
les sociétés ou spéciales aux sociétés faisant appel public à l’épargne, notamment 831 & s.). L’information
est également due aux actionnaires en cas de franchissement de seuils (articles 22 et s. de la décision
n°02/002 du 03 décembre 2002 portant Règlement général de la CMF, 75 et s. du Règlement général de la
COSUMAF, 164 et s. du Règlement général de la CREPMF).
1048
Article 831 de l’AUSC. Un rapport du président du conseil d’administration joint au rapport mentionné
aux articles 525 2e) et 547-1 est tenu à la disposition des actionnaires (v. articles 831-2 al. 2, 831-3 de
l’AUSC).
1049
Article 832 et S. de l’AUSC. La diffusion de cette information est renforcée par les circulaires, les
annonces et les affiches dans les journaux (article 835 AUSC).
1050
V. article 68 du règlement COSUMAF précité, voir aussi article 132 du règlement général du
CREPMF.
1051
Les sociétés faisant appel public à l’épargne doivent publier à la clôture de l’exercice, en prélude à
l’assemblée générale annuelle, les états financiers de synthèse (bilan, compte de résultats, tableau financier
des ressources et emplois et état annexé), le projet d’affectation des résultats. Après l’assemblée générale
ordinaire ils doivent publier les états financiers de synthèse approuvés, la décision d’affectation des
résultats etc. D’autres informations doivent être publiées à la fin du premier semestre (v. notamment
articles 847 à 853 de l’AUSC, article 74 du Règlement général COSUMAF précité, article 127 du
242 

 
connaissance en générale par des publications dans les journaux habilités à recevoir 
les annonces légales1052.  
2‐Les procédés d’information en période de crise 
  La  notion  de  crise  employée  ici  peut  revêtir  plusieurs  sens.  Elle  peut 
renvoyer tantôt à une crise de confiance, tantôt à la crise économique1053. Certains 
procédés  d’information  sont  destinées  à  prévenir  la  crise  (a)  alors  que  d’autres 
interviennent pendant le déroulement de la procédure collective (b). 
a) les procédés d’information destinées à prévenir la crise   
  Il  s’agit  de  l’expertise  de  gestion  et  l’expertise  préventive  (α),  ainsi  que 
l’alerte (β).   
  α ‐l’expertise de gestion et l’expertise préventive  
  Lorsque  des  suspicions  de  mauvaise  gestion  de  la  société  pèsent  sur  les 
mandataires sociaux, la mise de certaines informations à la disposition des associés 
peut contribuer à apaiser les tensions. C’est fort de cela que le législateur OHADA a 
institué  l’expertise  de  gestion.  Bien  que  l’AUSC  ne  l’ait  pas  prévu,  la  possibilité  de 
recourir également à une expertise préventive ne semble pas exclue.  
  L’expertise de gestion est l’une des innovations apportées par l’OHADA au 
droit  des  sociétés  en  Afrique1054.  Elle  vise  à  garantir  une  information  fiable  des 
associés minoritaires et à assurer de manière générale une participation efficace des 
associés dans la gestion de leurs affaires1055. L’expertise de gestion consiste en « une 
évaluation qualitative de la gestion sociale puisqu’elle permet l’obtention de rapport 
sur  des  opérations  de  gestion  susceptibles  de  porter  atteinte  aux  intérêts  des 
associés  et  à  ceux  de  la  société 1056».  L’article  159  de  l’AUSC  permet  en  effet  aux 
associés  minoritaires  de  demander  qu’un  expert  soit  désigné  si  une  opération  de 
gestion parait critiquable ou contestable, aux fins de présenter un rapport sur la dite 
opération  de  gestion.  Le  rapport  de  l’expert  est  adressé  au  demandeur  et  aux 
organes  de  gestion,  de  direction  ou  d'administration  ainsi  qu'au  commissaire  aux 
comptes.  L’expertise  de  gestion  est  une  technique  d’information  générale  à  toutes 
les formes de sociétés.   
  L’expertise  préventive  ou  expertise  in  futurum  est  une  procédure 
d’instruction  destinée  à  obtenir  des  preuves  en  vue  d’une  éventuelle  action  en 
                                                                                                                                              

Règlement général de la CREPMF précité, article 15 de la Décision n°02/002 du 03 décembre 2002 portant
Règlement général de la CMF).
1052
V. articles 847 à 853 de l’AUSC.
1053
En ce sens, VOUDWE BAKREO, op. cit., n° 102 et s.
1054
Sur l’expertise de gestion en droit OHADA, v. FOKO A., « L’essor de l’expertise de gestion dans
l’espace OHADA », in AKAM AKAM A. (dir.), Les mutations juridiques dans le système OHADA,
L’Harmattan, 2009, p. 141 à 180 ; MEUKE B., « De l’expertise en droit des sociétés OHADA », in Jurifis
Info, n° 4 juillet/aout 2009, p. 10 et s. Pour des études sur la notion en droit français, v. GUYON Y., « Les
nouveaux aspects de l’expertise de gestion », JCP (éd E), 1985, n° 14593 ; LE CANNU P., « Eléments de
réflexion sur la nature de l’expertise judiciaire de gestion », Bull. Joly 1988, p. 553 et s. ; MAIGRET-
MATHIOT A.-S., L’expertise dans les sociétés commerciales, thèse, Rennes, 2003 ; TOUYERAS-
PAULZE D’IVOY B., L’expertise en droit des sociétés, Thèse, Lille, 1993.
1055
VOUDWE BAKREO, op. cit, n° 105.
1056
 MEUKE B., « De l’expertise en droit des sociétés OHADA », op. cit., p. 11.  
243 

 
justice1057.  Elle  consiste  pour  une  personne  de  se  prémunir  des  preuves  qu’elle 
pourra utiliser lors d’un procès éventuel1058. Il s’agit donc d’un procédé permettant à 
son demandeur d’obtenir certaines informations des dirigeants sociaux en prélude à 
un procès. En droit OHADA, l’expertise in futurum n’est pas prévue par l’AUSC, mais 
découle  implicitement  des  dispositions  du droit  interne  de  certains  pays  membres. 
Au  Cameroun  par  exemple,  elle  est  déduite  de  l’article  116  du  Code  de  procédure 
civile et commerciale qui énonce « qu’un ou plusieurs experts peuvent être désignés 
avant  le  cours  d’une  contestation  afin  d’établir  la  preuve  de  certains  faits  et  actes 
1059
 ».  Elle  peut  être  exercée  dans  toutes  les  formes  de  sociétés  et  par  tout 
intéressé1060. L’expertise préventive complète l’expertise de gestion en ce sens qu’à 
défaut de remplir les conditions de la mise en œuvre d’une expertise de gestion, les 
associés  ne  détenant  pas  le  dixième  du  capital  pourront  recourir  à  l’expertise 
préventive1061. 
  β ‐l’alerte 
  L’alerte  est  une  procédure  destinée  à  attirer  l’attention  sur  des  faits  de 
nature à compromettre la continuité de l’exploitation de la société1062. Elle peut être 
déclenchée par les commissaires aux comptes ou par les associés. 
  Le commissaire aux comptes qui constate les mauvais résultats persistants 
ou tout fait de nature à compromettre la continuité de l’exploitation relevés lors de 
l’examen  des  documents  qui  lui  sont  communiqué  ou  dont  il  a  connaissance  à 
l’occasion de l’exercice de sa fonction, doit demander des explications au dirigeant 
social qui est tenu de répondre. A la suite de la réponse du dirigeant, le commissaire 
aux  comptes  peut  établir  un  rapport  destiné  à  l’information  des  associés  sur  la 
situation. 
  Contrairement au commissaire aux comptes pour qui le déclenchement de 
l’alerte  est  un  devoir,  l’alerte  est  une  faculté  pour  les  associés.  Elle  consiste  pour 
tout associé non gérant ou pour tout actionnaire, deux fois par exercice, à poser par 
écrit des questions au dirigeant social sur les actes de gestion. Le dirigeant répond 
par écrit dans un délai de quinze jours aux questions posées. Dans le même délai, il 
adresse une copie de la question et de la réponse au commissaire aux comptes s’il y 
en a un dans la société1063.   
b) Procédés  d’information  pendant  le  déroulement  de  la  procédure 
collective 
  Les associés ont droit à l’information pendant les périodes d’administration 
provisoire (α) ou de la liquidation (β) de leur société.     
  α‐ Procédés d’information pendant la période d’administration provisoire  
                                                            
1057
VOUDWE BAKREO, op. cit, n° 122 ; MEUKE B., op. cit., p. 16.
1058
VOUDWE BAKREO, op. cit, n° 122.
1059
V. également l’article 167 du Code de procédure civile, commerciale et sociale du Mali. En France,
cette procédure découle de l’article 145 du Nouveau Code de procédure civile.
1060
VOUDWE BAKREO, op. cit, n° 225.
1061
Ibid., n° 226.
1062
V. articles 150 et s. de l’AUSC.
1063
V. articles 157, 158 et 158-1 de l’AUSC.
244 

 
L’administration  provisoire  est  une  pure  construction  de  la  jurisprudence 
française1064  dont  les  origines  remontent  en  milieu  du  XIXe  siècle1065.  Elle  s’est 
progressivement  étendue  à  d’autres  systèmes  juridiques.  Dans  l’espace  OHADA  la 
technique de l’administration provisoire a intégré le droit des Etats membres1066 où 
elle  est  mise  en  œuvre  par  les  tribunaux1067  et  d’autres  organes  compétents1068. 
L’administration  provisoire  est  restée  réglementer  dans  l’espace  OHADA  par  de 
nombreuses  lois  spéciales1069,  dont  le  caractère  spécial  et  superficiel  ne permettait 
pas de dégager « une théorie d’ensemble en la matière1070 ». C’est fort de cela que 
l’AUSC  révisé  en  ses  articles  160‐1  et  suivants  a  aménagé  la  technique  de 
l’administration  provisoire.  C’est  une  technique  qui  consiste,  en  cas  de  difficulté 
graves  entrainant  un  dysfonctionnement  de  la  société,  à  faire  désigner  par  la 
juridiction  compétente,  un  administrateur  provisoire  chargé  d’assurer 
momentanément la gestion sociale1071.    
L’aménagement de l’administration provisoire s’est accompagnée
d’un renforcement de l’information des associés pendant cette période1072.

                                                            
1064
V. notamment Arrêt FRUEHAUF, C. A. de Paris, 22 mai 1965, Rev. trim. dr. com.1965. 619, obs.
Rodière.
1065
LAPP (Ch.), « La nomination judiciaire des administrateurs de sociétés », Rev. trim. dr. com 1952, p.
769 ; CHASSAGNON (A.), L’administrateur provisoire des sociétés commis par justice, thèse dactyl.,
Paris, 1954, p.2. CONTIN (R.), « L’arrêt Fruehauf et l’évolution du droit des sociétés », D. 1968, chr. p. 45
et s.
1066
NGUIHE KANTE P., Les techniques de sauvetage des entreprises en difficultés en droit camerounais,
thèse, Yaoundé, 1999, p. 83 et s., NYAMA J. M., Stratégie et perspectives du droit de la faillite au
Cameroun, thèse, Paris, 1980, p. 48 et s.
1067
KALIEU Y. R., « Note sur arrêt n° 38/REF du 10 févr. 1999, affaire REEMTSMA et autres C/
SITABAC et autres, Cour d’appel du Littoral (Cameroun) », Juridis Périodique n° 42 avril - Mai - Juin
2000. p. 45 à 54 ; Cour d’appel d’Abidjan, arrêt n° 258 du 25 févr. 2000, Bulletin Juris Ohada, n°1/2002,
jan.-mars 2002, p. 42, note anonyme ; ohadata J-02-132, Répertoire quinquennal OHADA 2000-2005, p.
648, n° 38.
1068
Certains organes notamment, les commissions bancaires, la commission régionale de contrôle des
assurances, les conseils des ministres et les ministres sont également compétents pour désigner
l’administrateur provisoire qui est qualifié en ce moment d’ « administrateur provisoire non judiciaire », cf.
NJOYA NKAMGA B., L’administrateur provisoire dans l’espace OHADA, 1ère éd., édition Viritas, 2012,
p. 18, n°6.
1069
Il s’agit des lois concernant des sociétés soumises à un régime particulier à l’instar des établissements
de crédit, les sociétés à capitaux publics, les sociétés d’assurance. On peut citer notamment l’Annexe de la
Convention portant création de la commission bancaire de l’Afrique Centrale du 16 octobre 1990 (article
16), l’Annexe de la Convention portant harmonisation de la règlementation bancaire dans les Etats de
l’Afrique Centrale du 17 Janvier 1992 (article 39), la Convention régissant la commission bancaire de
l’union Monétaire Ouest Africaine (article 26), le Code CIMA (article 321), le Règlement
n°1/02/CEMAC/UMAC du 26 Janvier 2002 relatif aux conditions d’exercice de l’activité de micro-finance
dans la CEMAC (article 63), la loi camerounaise n°99/016 du 22 décembre 1999 portant statut général des
établissements publics et des entreprises du secteur public et parapublic (article 23), le projet de Règlement
relatif au traitement des établissements de crédit en difficulté (article 29 à 56).
1070
L’expression est empruntée LAPP Ch., op. cit., p.769.
1071
V. article 160-1 de l’AUSC révisé.
1072
 Les associés n’étaient pas bien traités pendant cette période, v. VOUDWE BAKREO, op. cit, n° 234, qui 
observait  avant  la  révision  de  l’AUSC  que  « leur  traitement  est  abandonné  au  bon  vouloir  de 
l’administrateur ; ce dernier ayant la faculté de s’entretenir avec toute personne susceptible de l’informer 
sur la situation et les perspectives de redressement de l’entreprise ». 
245 

 
Aux termes de l’article 160-6 de l’AUSC révisé, lorsqu’il dispose de tous les
pouvoirs d’administration au sein de la société, l'administrateur provisoire,
dans les quatre mois de la clôture de l'exercice, établit les états financiers
de synthèse annuels au vu de l'inventaire qu'il a dressé des divers éléments
de l'actif et du passif existant à cette date et un rapport écrit par lequel il
rend compte des opérations de l'administration provisoire au cours de
l'exercice écoulé. Ces documents sont portés à la connaissance des associés
lors de la tenue de l’assemblée des associés. Les associés peuvent
également prendre communication des documents sociaux en période
d’administration provisoire.
β‐ procédés d’information pendant la période de liquidation 
La  liquidation  est  l’opération  qui  consiste,  en  cas  de  dissolution  de  la 
société, à réaliser l’actif et à apurer le passif social. Le législateur OHADA a aménagé 
l’information  des  associés  pendant  cette  période.  Ces  derniers  sont  informés  tout 
d’abord  au  début  de  la  procédure1073.  Ensuite,  pendant  le  déroulement  de  la 
procédure,  le  liquidateur  doit  convoquer,  au  moins  une  fois  par  an  et  dans  les  six 
mois  de  la  clôture  de  l’exercice  (sauf  dispense  accordé  par  la  juridiction 
compétente), l'assemblée des associés qui statue notamment, sur les états financiers 
de  synthèse  annuels1074.  Les  associés  peuvent  également  prendre  communication 
des  documents  sociaux1075.  Enfin,  à  la  fin  de  la  liquidation,  les  associés  sont 
convoqués  pour  statuer  sur  les  comptes  définitifs,  sur  le  quitus  de  la  gestion  du 
liquidateur  et  la  décharge  de  son  mandat  et  pour  constater  la  clôture  de  la 
liquidation1076.  
  En définitive, l’information des associés est une exigence reconnue en droit 
OHADA. Le législateur, tout en prescrivant l’égal accès des associés à l’information, 
en  a  défini  le  contenu  et  les  procédés.  L’exigence  d’information  ne  peut  toute  fois 
être respectée et produire tout l’effet recherché que si elle est garantie 
 
II – Une exigence garantie 
  L’information  des  associés  a  une  fonction  essentielle  dans  les  sociétés 
commerciales.  Premièrement,  elle  permet  aux  associés  d’avoir  une  meilleure 
connaissance  de  la  situation  financière  de  l’entreprise  et  de  la  gestion  sociale. 
Deuxièmement,  elle  permet  aux  associés  de  contrôler  leur  société1077. 
Troisièmement, l’information permet aux associés d’exercer efficacement leur droit 

                                                            
1073
L’article 228 AUSC dispose en effet que « dans les six mois de sa nomination, le liquidateur convoque
l'assemblée des associés à laquelle il fait rapport sur la situation active et passive de la société, sur la
poursuite des opérations de la liquidation, le délai nécessaire pour les terminer et demande, le cas échéant,
toutes autorisations qui pourraient être nécessaires ».
1074
Article 233 de l’AUSC.
1075
Article 234 de l’AUSC.
1076
Article 217 de l’AUSC.
1077
Les articles 289 et suivants de l’AUSC relatifs à l’information des associés dans les SNC sont d’ailleurs
intitulés « contrôle des associés ». Les associés qui ont le droit de contrôler leur société ne peuvent
cependant bien exercer cette prérogative que s’ils disposent des informations nécessaires et fiables.
246 

 
de  vote.  Elle  conditionne  d’ailleurs  le  bon  exercice  du  droit  de  vote1078.. 
L’information  des  associés  joue  de  nombreuses  autres  fonctions1079.  Elle  constitue 
une  boussole  qui  oriente  les  associés  dans  l’exercice  de  leur  pouvoir  décisionnel, 
« une donnée incontournable dans la gestion des relations sociales1080 ». 
  Conscient  du  rôle  que  joue  l’information  des  associés  dans  la  vie  des 
sociétés  commerciales,  le  législateur  OHADA  a  aménagé  d’importantes  garanties 
pour la rendre effective1081. Ces garanties se matérialisent par la reconnaissance d’un 
caractère  d’ordre  public  aux  dispositions  relatives  à  l’information  des  associés  (A), 
l’encadrement temporel et qualitatif de l’information (B) et l’édiction d’une diversité 
de sanctions pour des cas de violation ou de non respect du droit à l’information des 
associés (C). 
  A‐Le  caractère  d’ordre  public  des  dispositions  relatives  à  l’information  des 
associés 
  Les dispositions relatives à l’information des associés, qu’elles émanent de 
l’AUSC ou  des textes qui le complètent sont pour la plupart d’ordre public. Il ne peut 
y être dérogé sauf dans les cas prévus par la loi. En réalité l’analyse des dispositions 
de l’AUSC révèle qu’en matière d’information des associés, les dérogations admises 
devraient  se  faire  suivant  la  méthode  de  l’ « ordre  public  relatif1082 »  observée  en 
droit  du  travail1083.  Il  s’agit  de  dérogations  qui  ne  sont  admises  que  si  elle  confère 
plus  de  protection  à  la  partie  dont  la  règle  d’ordre  public  a  été  instituée  pour 
protéger.  Les  auteurs  soulignent  d’ailleurs  l’existence  de  cette  méthode  ‐  qualifiée 

                                                            
1078
Ainsi la Chambre commerciale de la Cour de cassation française a-telle refusé de qualifier d’abusif le
vote d’un minoritaire rejetant une augmentation de capital destinée à éviter la dissolution de la société au
motif que les actionnaires devant se prononcer sur une telle augmentation « doivent disposer des
informations leur permettant de se prononcer en connaissance de cause sur les motifs , l’importance et
l’utilité de cette opération au regard des perspectives d’avenir de la société et qu’en l’absence d’une telle
information, ils ne commettent pas d’abus en refusant d’adopter la résolution proposée » (Cass. Com. 20
mars 2007, D. 2007, AJ, p. 952, obs. Lienhard ; Id. 2008, Pan., p. 384, obs. Hallouin et Lamzerolles ; Dr.
sociétés 2007, n° 87, note Lécuyer ; Bull. Joly 2007, p. 745, note Schmidt ; JCP (éd. E) 2007, p. 1755, note
Viandier ; Id., p. 1877, n° 3, obs. Caussain, Deboissy et Wicker ; Id. 2008, p. 1721, note Monsallier-Saint-
Mleux ; RJ com. 2007. 216, obs. Monsèrie-Bon ; RTD fin. 2007, n° 2, p. 88, obs. Poracchia ; Rev. Sociétés
2007, p. 806, note Champetier de Ribes-Justeau ; RTD com. 2007, p. 744, obs. Champaud et Danet).
1079
L’information communiquée au public ou aux investisseurs avant le début des opérations de
souscription des actions par les sociétés qui se constituent par appel public à l’épargne leur permet de
mieux apprécier les opportunités d’investissement dans cette société…
1080
NJEUFACK TEMGWA R., « La règle de la majorité dans le droit des sociétés commerciales
OHADA », in Annales de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques, T. 10, PUA, 2006, p. 84.
1081
LE CANNU P., « Effectivité et ineffectivité du droit des sociétés », in Mélanges en l’honneur de
Dominique Schmidt, Liber amicorum, Paris, éditions Joly 2005, p. 337 et s.
1082
En réalité une distinction est faite entre les règles d’ordre public pouvant faire l’objet de dérogation et
celles ne pouvant pas faire l’objet de dérogation. Les premières font partie d’un « ordre public social » ou
plutôt d’un « ordre public relatif » et les secondes d’un « ordre public absolu».
1083
Sur ce point, CANUT Fl., L’ordre public en droit du travail, Paris, LGDJ, Bibl. de l’institut André
Tunc, T. 14, 2007, p.151, n° 135 ; COUTURIER G., « Ordre public de protection, heurs et malheurs d’une
vieille notion neuve », in Etudes Flour, Défrénois, 1979, p. 111, n°5, indiquant qu’en droit du travail les
règles d’ordre public font l’objet d’une « indérogabilité relative».
247 

 
aussi  de  « principe  de  faveur 1084 »  ‐  en  droit  des  sociétés1085.  La  présence  de  la 
locution  adverbiale  « au  moins »  dans  de  nombreuses  dispositions  de  l’AUSC 
relatives  à  l’information  des  associés  atteste  certainement  de  la  présence  en  la 
matière  du  « principe  de  faveur »1086.  A  titre  d’exemple,  lorsque  l’alinéa  1er  de 
l’article  548  de  l’AUSC  prévoit  que  « l'assemblée  générale  ordinaire  est  réunie  au 
moins  une  (1)  fois  par  an,  dans  les  six  (6)  mois  de  la  clôture  de  l'exercice,… »,  il 
permet  des  dérogations,  mais  dans  le  sens  de  l’amélioration  de  l’information  des 
associés.  En  effet,  les  clauses  des  statuts  qui  mettraient  sur  pied  une  périodicité 
moins importante de tenue de l’assemblée générale seraient réputées non écrites. Il 
en est de même de celles qui réduiraient les délais de convocation aux assemblées 
ou  de  communication  des  documents.  A  l’inverse,  on  pourrait  admettre  que  les 
associés puissent augmenter leur prérogative dans ce domaine, en augmentant par 
exemple  la  périodicité  de  tenue  des  assemblées  ou  le  délai  de  convocation  aux 
assemblées d’associés. 
  Le  non  respect  des  dispositions  relatives  à  l’information  des  associés  ‐  qui 
peut  se  manifester  par  un  défaut  d’information,  une  mauvaise  information  ou  une 
information  insuffisante  ‐  peut  être  sanctionné.  Les  dispositions  d’ordre  public 
concourent à l’encadrement temporel et qualitatif de l’information.  
  B – L’encadrement temporel et qualitatif de l’information 
  Elle  est  marquée  par  la  fixation  des  délais  et  de  la  périodicité  de 
l’information (1), ainsi le contrôle de sa fiabilité (2).  
  1‐L’encadrement  temporel :  la  fixation  des  délais  et  de  la  périodicité  de 
l’information 
  Pour garantir l’information des associés, le législateur n’a pas laissé le choix 
au  débiteur  de  l’information  de  décider  du  moment  où  de  la  périodicité  de 
l’information.  Il  a  fixé  de  manière  impérative  la  périodicité  (a)  et  les  délais  (b)  de 
l’information. 
a) La périodicité de l’information  
  Le  législateur  a  fixé  la  périodicité  de  tenue  des  assemblées  annuelles 
d’associés. Il s’agit des assemblées aux cours desquelles les associés sont informées 
notamment  des  comptes  de  l’exercice  écoulé  à  travers  notamment  le  rapport  de 
gestion,  l’inventaire,  les  états  financiers  de  synthèse.  Ces  assemblées  doivent 

                                                            
1084
JEAMMAUD A., « Le principe de faveur. Enquête sur une règle émergente », Dr. soc. 1999, p.115 ; V.
également CHALARON Y., « L’application de la disposition la plus favorable », in Les transformations du
droit du travail : études offertes à Gérard Lyon-Caen, Paris, Dalloz, 1989, p. 243, qui estime que le
principe de faveur constitue « l’âme du droit du travail » ; SCHRYVE L., L’ordre public et le droit des
sociétés, thèse dactyl., Université de Lille 2, 2009, p. 563 et s.
1085
LEGROS J.-P., « La nullité des décisions de sociétés », Rev. Sociétés 1991, p. 290, n° 35, indiquant que
« l’ordre public de protection en matière de société présente une particularité semblable à celle que
comporte l’ordre public en droit social». L’auteur ajoute que « la protection des minoritaires peut être
renforcée, mais elle ne saurait être amoindrie » ; SCHRYVE L. op. cit., p. 563 et s.
1086
Notamment, articles 338 al. 1, 548 al. 1de l’AUSC.
248 

 
impérativement  se  tenir  dans  les  six  mois  de  la  clôture  de  chaque  exercice1087.  Il 
s’agit  d’une  exigence  impérative  à  laquelle  les  dirigeants  sociaux  ne  peuvent  se 
soustraire. Ils ne peuvent choisir une autre périodicité, car les associés doivent être 
régulièrement  informés  de  la  gestion  de  leur  société.  D’ailleurs  si  l’assemblée  des 
associés  n’a  pas  été  réunie  dans  ce  délai,  le  ministère  public  ou  tout  associé  peut 
saisir la juridiction compétente statuant à bref délai afin d’enjoindre, le cas échéant 
sous astreinte, aux dirigeants sociaux de convoquer cette assemblée ou désigner un 
mandataire ad hoc pour y procéder1088. 
b) Les délais de l’information  
  Les associés ne peuvent exploiter l’information à des fins utiles que si celle‐
ci leur parvient dans des délais raisonnables. A quoi servirait‐il de communiquer des 
documents aux associés dans un délai aussi court qu’ils ne puissent pas les exploiter 
à  temps  pour  préparer  l’assemblée  générale  en  vue ?  Serait‐il  utile  d’adresser  une 
convocation en vue d’une assemblée dans un délai tellement proche que les associés 
ne puissent pas ménager du temps et la réflexion pour y prendre part et émettre un 
vote  éclairé ?  C’est  pour  conférer  une  certaine  valeur  à  l’information  donnée  aux 
associés  que  le  législateur  a  fixé  des  délais  aussi  bien  pour  la  communication  de 
certains  documents  aux  associés  que  pour  leur  convocation  aux  assemblées 
générales. Les documents sociaux (notamment le rapport de gestion, l’inventaire, les 
états  financiers  de  synthèse)  doivent  être  communiqués  ou  pouvoir  être  consultés 
au siège social par les associés au moins 15 jours avant la tenue de l’assemblée1089. 
Cette  exigence  s’impose  même  en  cas  de  consultations  écrites1090.  En  ce  qui 
concerne  les  convocations  pour  les  assemblées  d’associés,  elles  doivent  selon  les 
cas, être adressées aux associés ou publiées dans les journaux habilités à recevoir les 
annonces légales dans l’Etat partie du siège social au moins 15 jours avant la tenue 
de  l’assemblée1091.  Il  s’agit  d’une  exigence  d’ordre  public  à  laquelle  il  ne  peut  être 
dérogé. Ainsi a été annulée une assemblée convoquée quatorze et non quinze jours 
à  l’avance1092.  Les  clauses  de  statuts  qui  stipuleraient  un  délai  plus  court  devraient 
être considérées comme nulles. En revanche on pourrait admettre que les associés 
puissent  prévoir  un  délai  plus  long.  Par  ailleurs  toute  assemblée  irrégulièrement 
convoquée peut être annulée1093. 
  2‐L’encadrement  qualitatif :  le  contrôle  de  l’information  donnée  aux 
associés par  des spécialistes 

                                                            
1087
Articles 140 al. 2, 306 al. 1, 288 al. 1, 348 al. 1 et 548 de l’AUSC. Il est vrai que la loi envisage dans
certains cas, la possibilité pour le dirigeant social de demander la prorogation de ce délai de six mois à la
juridiction compétente (article 348 al. 1 de l’AUSC).
1088
V. par exemple articles 348 al. 2 et 548 de l’AUSC.
1089
Articles 306 al. 2, 288 al. 2, 345 al. 2, 778-15 al. 3 de l’AUSC.
1090
Article 340 de l’AUSC.
1091
Articles 286 al. 1, 338, al. 1, 303 al. 1, 404 al. 3, 518 al. 5, 6, 827-6 al. 3 et 4 de l’AUSC.
1092
Cass. Com., 6 juillet 1983, Rev. Sociétés, 1984, 76, note Guyon Y. ; D. 1985, IR, 135, note Bousquet J.
C.
1093
Articles 303 al. 4, 286 al. 3, 339. Mais l’action en nullité n’est pas recevable lorsque tous les associés
étaient présents ou représentés.
249 

 
  L’information  des  associés  est  effective  ces  derniers  ont  accès  dans  les 
délais  ou  aux  périodes  prévues  par  la  loi,  à  des  informations  utiles,  intelligibles  et 
exactes.  On  ne  saurait  donc  parler  d’une  information  effective  des  associés  si  les 
informations  portées  à  leur  connaissance  ne  sont  pas  fiables.  Ce  n’est  que  lorsque 
l’information  est  exacte  qu’elle  peut  être  exploitée  à  des  fins  utiles.  Une  mauvaise 
information  ne  permet  pas  aux  associés  d’exercer  efficacement  leur  pouvoir  de 
décision.  Certes  le  législateur  impose  aux  dirigeants  sociaux  de  respecter  les 
principes comptables, ce qui est de nature à donner une image fidèle à leur gestion 
et  à  garantir  la  qualité  de  l’information1094.  Mais  il  demeure  possible  que  les 
informations  données  aux  associés  soient  faussées.  Les  associés  ne  disposent 
pourtant  pas  toujours  de  compétences  pouvant  leur  permettre  d’apprécier  la 
fiabilité de toutes les informations qui sont mises à leur disposition. C’est conscient 
de  tout  cela  que  le  législateur  a  prévu  des  mécanismes  de  contrôle  par  des 
spécialistes,  de  l’information  destinée  aux  associés.  L’information  est  en  général 
contrôlée  par le  commissaire  aux  comptes  (a). Mais  dans  les  sociétés  faisant  appel 
public à l’épargne, l’autorité de régulation financière intervient aussi pour contrôler 
l’information destinée aux associés (b). 
a) Le  contrôle  de  la  fiabilité  de  l’information  par  le  commissaire  aux 
comptes 
  Le  rôle  du  commissaire  aux  comptes  dans  les  sociétés  commerciales  n’est 
plus  à  démontrer.  Il  a  notamment  pour  mission  de  contrôler  les  comptes  de  la 
société1095  et  de  prévenir  ainsi  les  difficultés  d’entreprise1096,  de  s’assurer  que 
l’égalité  est  respectée  entre  les  associés1097,  de  déclencher  l’alerte  etc1098.  C’est 
pourquoi  il  faut  saluer  les  innovations  apportées  par  la  récente  révision  de  l’AUSC 
dans  le  sens  de  la  généralisation  du  commissariat  aux  comptes  dans  toutes  les 
sociétés  commerciales1099.  Il  est  évident  que  pour  mieux  exercer  ces  missions,  le 
commissaire  aux  comptes  doit  jouir  d’une  certaine  indépendance  par  rapport  aux 
dirigeants sociaux1100. 
                                                            
1094
V. articles 3, 9 et 14 de l’Acte uniforme OHADA portant organisation et harmonisation des
comptabilités des entreprises.
1095
V. articles 710 et s. de l’AUSC.
1096
ALGADI A. S., « Commissaire aux comptes et prévention des difficultés des entreprises dans l’espace
OHADA », in Penant n° 870, p. 5 et s.
1097
Article 714 de l’AUSC.
1098
V. AFECAC, synthèse des travaux du séminaire international sur « le rôle du commissaire aux comptes
dans la gouvernance de l’entreprise dans l’espace OHADA », in www.ohada.com.
1099
Alors que le commissariat aux comptes n’était prévu dès le départ que pour les sociétés à risque limité
(SA, SARL) désormais, il est possible de disposer d’un commissariat aux comptes dans les sociétés à risque
illimité, à savoir les SNC (v. article 289-1) et les SCS (l’article 293-1 permet l’application des règles de la
SNC à la SCS). Dans la SAS, les associés peuvent nommer un ou plusieurs commissaires aux comptes (v.
articles 853-13 et s.)
1100
Pour garantir cette indépendance, l’AUSC a défini les incompatibilités (voir articles 378, 687 à 701 de
l’AUSC). Sur la question de l’indépendance du commissaire aux comptes, lire ALGADI A. S.,
« Commissaire aux comptes et prévention des difficultés des entreprises dans l’espace OHADA », op. cit.,
p. 5 et s., spéc. p. 6 et s. ; VIDAL D., « Libres propos sur l’indépendance du commissaire aux comptes
après la LSF » in Mélanges D. SCHMIDT, éd. Joly 2005, p. 475 et s. ; BARBIERI J. F., « Code de
250 

 
  Dans  le  cadre  de  sa  mission  de  protection  des  intérêts  des  associés,  il 
revient au commissaire aux comptes de contrôler la fiabilité de l’information donnée 
aux  associés.  Il  exerce  cette  mission  à  de  nombreuses  occasions :  D’abord,  lorsque 
les associés décident d’exercer la prérogative que la loi leur reconnaît de poser des 
questions aux dirigeants sociaux (ce qui peut conduire à l’alerte), ce dernier répond 
par  écrit  et  adresse  toujours  une  copie  de  la  question  et  de  la  réponse  au 
commissaire aux comptes1101. Ensuite, dans le cadre de l’exercice de la prérogative 
que  la  loi  leur  reconnaît  de  consulter  au  siège  social,  deux  fois  par  exercice  les 
documents et pièces comptables, ainsi que les procès‐verbaux des délibérations, les 
associés non gérants ont le droit de se faire assister par un expert comptable ou un 
commissaire  aux  comptes  à  leur  frais1102.  Enfin,  à  la  clôture  de  l’exercice,  les  états 
financiers  de  synthèse  annuels  et  le  rapport  de  gestion  sont  adressés  aux 
commissaires  aux  comptes  quarante‐cinq  jours  avant  la  date  de  l’assemblée 
générale ordinaire (dans les SA, SAS et SARL)1103. La communication des documents 
aux  commissaires  aux  comptes  vise  de  manière  générale  à  lui  donner  des  outils 
nécessaires pour exercer son contrôle sur la société. Elle vise de manière spécifique 
à mettre à sa charge, l’obligation de vérifier la fiabilité des informations contenues 
dans lesdits documents1104.  
  Dans  tous  les  cas  l’obligation  de  communiquer  une  copie  des  documents 
destinés aux associés au commissaire aux comptes a aussi un rôle dissuasif à l’égard 
des  dirigeants  sociaux.  Le  simple  fait  de  savoir  que  les  informations  destinées  aux 
associés  sont  vérifiées  par  le  commissaire  aux  comptes  pourrait  leur  contraindre  à 
fournir  des  informations  fiables.  Le  législateur  a  fait  de  la  communication  des 
documents au commissaire aux comptes une exigence d’ordre public qui ne saurait 
connaître des dérogations ou des restrictions sous peine d’un rappel à l’ordre par le 
juge1105. 
  Dans  les  sociétés  faisant  appel  public  à  l’épargne,  le  rôle  du  commissaire 
aux comptes dans le contrôle de la fiabilité de l’information destinée aux associés est 
plus étendu. D’après l’article 42 du Règlement général de la COSUMAF du 15 janvier 
2009,  « les  commissaires  aux  comptes  apportent  leur  contribution  au  bon 
fonctionnement  du  marché  en  assurant  la  fiabilité  des  informations  financières  et 
comptables  contenues  dans  le  document  d’information  et  des  documents 

                                                                                                                                              

déontologie et indépendance des commissaires aux comptes », Bull. Joly sociétés 2006, n° 3, p. 409 ;
GUYON Y., « L’indépendance des commissaires aux comptes » JCP 1977, I., 2831.
1101
V. articles 157, 158, 345 de l’AUSC.
1102
Article 289 de l’AUSC.
1103
Article 140 al. 1 de l’AUSC.
1104
D’après l’article 713 de l’AUSC, « le commissaire aux comptes vérifie la sincérité et la concordance
avec les états financiers de synthèse, des informations données dans le rapport de gestion du conseil
d’administration ou de l’administrateur général, selon le cas et dans les documents sur la situation
financière et les états financiers de synthèse de la société adressés aux actionnaires ».
1105
Le juge français a eu à sanctionner le refus de communication de documents au commissaire aux
comptes (C. A. Paris, 9ème Ch, Section A, Corr. 24 septembre 2008) ; MERLE Ph., « Entrave aux fonctions
du commissaire aux comptes », Bull. commissaire aux comptes, 2008, n °152, 670.
251 

 
comptables et financiers établis par les émetteurs, les organismes et intermédiaires 
du marché ». 
  A  la  suite  du  contrôle  de  l’information,  le  commissaire  aux  comptes,  dans 
les cas prévus par la loi, fait état de ses observations dans un rapport qu’il présente 
aux associés lors de leur assemblée générale1106. Sont nulles les délibérations prises 
sans  que  les  rapports  devant  être  établis  par  le  commissaire  aux  comptes 
conformément à l’AUSC aient été soumis à l’assemblée générale1107. 
b) Le  contrôle  de  la  fiabilité  de  l’information  par  l’autorité  de  régulation 
financière1108 
  Dans les sociétés cotées, en plus du commissaire aux comptes, l’autorité  de 
régulation  financière1109  intervient  pour  contrôler  la  fiabilité  de  l’information 
destinée  aux  associés  ou  aux  futurs  associés  (investisseurs)1110.  L’information 
diffusée dans le public par les personnes ou entités faisant appel public à l’épargne 
doit  en  effet  être  exacte,  précise  et  sincère1111.  Le  contrôle  intervient  à  diverses 
étapes de la vie sociale et porte sur diverses informations ou documents. De manière 
générale,  le  contrôle  porte  sur  les  informations  diffusées  préalablement  à  l’appel 
public à l’épargne ou après. 
  Lorsque  la  société  fait  appel  public  à  l’épargne,  le  projet  de  document 
destiné à l’information du public est soumis au contrôle de l’autorité de régulation 
de  la  bourse  des  valeurs  mobilières.  Ce  n’est  qu’à  la  suite  de  ce  contrôle  que 
l’autorité  peut  accorder  son  visa1112.  Ce  contrôle  s’étend  au  supplément  au 
document  d’information  que  doit  établir  l’émetteur  en  cas  de  changement 
important survenu après l’obtention du visa1113. Si le document d’information n’est 
pas  conforme  aux  dispositions  légales,  l’autorité  de  contrôle  de  la  bourse  peut 
refuser  son  visa1114.  Le  refus  de  visa  entraîne  l’interdiction  de  solliciter  l’épargne 

                                                            
1106
V. notamment articles 711, 713 al. 2.
1107
Article 717-1 al. 1.
1108
Dans le secteur bancaire, les Autorités de tutelle que sont l’Autorité Monétaire, la Banque Centrale et
la COBAC s’assurent de la fiabilité des informations destinées au public et peuvent ordonner aux
établissements concernés de publier des rectificatifs dans le cas où des inexactitudes ou omissions altérant
la sincérité des informations en cause auraient été relevées (V. article 37 de l’Annexe à la Convention du 17
janvier 1992 portant harmonisation de la réglementation bancaire dans les Etats de l’Afrique centrale).
1109
En l’absence de cet organisme, c’est le Ministre chargé des finances de l’Etat partie du siège social de
l’émetteur et, le cas échéant, des autres Etats parties dont le public est sollicité (article 90 al. 1 de l’AUSC).
1110
D’après l’article 3 du Règlement général de la COSUMAF du 15 janvier 2009, la COSUMAF a pour
mission de veiller notamment à l’information des investisseurs.
1111
V. article 24 du Règlement général de la COSUMAF précité.
1112
D’après l’article 26 du Règlement de la COSUMAF, le visa ne porte pas sur l’opportunité de
l’opération envisagée, mais sur la pertinence et la cohérence de l’information publiée (v. aussi article 3 al. 2
Règlement CMF).
1113
Article 92 de l’AUSC, 38 du Règlement général de la COSUMAF.
1114
Article 33 Règlement COSUMAF.
252 

 
publique pour l’opération envisagée1115. Il y a cependant dispense de l’obligation de 
publier un document d’information ou d’obtenir un visa dans certains cas1116.  
  Au  cours  du  fonctionnement  de  la  société,  de  nombreuses  informations 
diffusées au public sont soumises au contrôle préalable de l’autorité de contrôle de 
la bourse. L’autorité contrôle tout projet d’émission de nouvelles valeurs mobilières 
par un émetteur dont les titres sont déjà cotés à la bourse1117. De même les copies 
d’encarts ou d’annonces publicitaires destinées à la presse écrite ainsi que les textes 
d’annonces  radio  diffusées  ou  télévisées  sont  soumis  au  contrôle  de  l’autorité  de 
régulation1118.  Le non  respect  des  règles  relatives  à  l’information  des  associés  peut 
être sanctionné. 
  C‐Les  sanctions  en  cas  de  violation  ou  de  non  respect  du  droit  à 
l’information des associés 
  De  nombreuses  sanctions  sont  prévues  par  l’AUSC,  d’autres  Actes 
uniformes, ainsi que  les textes spéciaux auxquels sont assujetties les sociétés faisant 
appel  public  à  l’épargne,  pour  des  cas  de  non  respect  du  droit  à  l’information  des 
associés.  Ces  sanctions  sont  en  général  prononcées  par  les  tribunaux  (1).  D’autres 
sanctions spécifiques aux sociétés faisant appel public à l’épargne sont prononcées 
par les autorités de régulation financière (2). Il convient de préciser que les associés 
peuvent également sanctionner les dirigeants fautifs, notamment par la révocation. 
  1‐Les sanctions judiciaires 
  En  cas  de  méconnaissance  du  droit  à  l’information  des  associés,  les 
tribunaux peuvent prononcer des sanctions civiles ou pénales. 
a) les sanctions civiles 
  Elles sont constituées : 
  D’abord,  de  l’exécution  forcée  en  nature1119.  L’exécution  forcée  fait  partir 
des  sanctions  applicables  aux  cas  d’inexécution  des  obligations  mis  à  la  charge  de 
                                                            
1115
Article 34 Règlement COSUMAF. D’après l’article 115 du Règlement général du CREPMF, « la non
obtention du visa préalable par le Conseil Régional entraine, tant à l’égard du postulant que du public
sollicité, la nullité de l’opération ».
1116
V. articles 95 et s. de l’AUSC, articles 26 et s. de la Décision du 03 décembre 2002 portant Règlement
général de la CMF.
1117
V. article 21 Règlement général CREPMF.
1118
Articles 21 Décision du 3 décembre 2002 portant Règlement général de la CMF, 73 du Règlement
général de la COSUMAF.
1119
  Sur  la  distinction  entre  exécution  forcée  et  exécution  en  nature,  v.  LONIS‐APOKOURASTOS  V.,  La 
primauté contemporaine du droit à l’exécution en nature, PUAM, 2003, préf. MESTRE J., n° 11, p. 26‐27 : « 
Certains  auteurs  considèrent  que  l’expression  exécution  forcée  est  synonyme  d’exécution  en  nature  de 
l’obligation. Selon d’autres, l’exécution en nature étant l’un des modes d’exécution forcée des obligations » 
;  LAITHIER  Y.‐M.,  Etude  comparative  des  sanctions  de  l’inexécution  du  contrat,  LGDJ,  2004,  préf.  MUIR 
WATT H., n° 15, p. 37 : l’exécution forcée s’oppose à l’exécution volontaire : « L’exécution de l’obligation 
contractuelle  est  forcée  lorsqu’elle  est  ordonnée  par  le  juge…  L’exécution  forcée  a  lieu  en  nature  si  le 
débiteur est condamné à fournir l’objet précis de la prestation convenue ; elle a lieu par équivalent si elle 
vise à octroyer au créancier des dommages‐intérêts évalués de façon à replacer dans la situation qui aurait 
été la sienne si le contrat avait été ponctuellement et complètement exécuté » ; Contra : LE GAC‐PECH S., « 
Vers  un  droit  des  remèdes  »,  LPA,  4  décembre  2007,  n°  242,  p.  7,  spéc.  p.  14‐15  :  «  Il  faut  tenir  pour 
synonyme  l’exécution  forcée  ou  en  nature,  car  l’exécution  sous  contrainte  est  toujours  une  exécution  en 
253 

 
certaines  personnes  en  droit  des  sociétés1120.  Lorsqu’il  y  a  méconnaissance  de 
l’obligation d’information des associés, le juge peut prononcer à l’égard du débiteur 
une  obligation  d’exécuter  l’obligation  en  question.  Il  peut  s’agir  d’une  part  de 
l’exécution forcée en nature de l’obligation de communiquer les documents sociaux 
aux  associés.  L’alinéa  2  de  l’article  528  de  l’AUSC  prévoit  par  exemple  que  « le 
président de la juridiction compétente peut ordonner à la société, sous astreinte, de 
communiquer les documents à l’actionnaire… »1121.  
  Il peut s’agir d’autre part de l’exécution forcée en nature de l’obligation de 
convoquer une assemblée. En principe l’assemblée des associés doit être convoquée 
par  les  organes  sociaux  que  sont  les  gérants,  conseil  d’administration  ou 
administrateur  général,  selon  le  cas1122.  A  défaut,  elle  peut  être  convoquée  par  le 
commissaire  aux  comptes1123  et,  en  période  de  crise,  par  l’administrateur 
provisoire1124  ou  le  liquidateur1125  selon  le  cas.  En  cas  de  non  convocation 
d’assemblée par les dirigeants sociaux, l’AUSC entré en vigueur en 1998 ne prévoyait 
qu’une  possibilité  d’exécution  forcée  en  nature  par  un  tiers :  l’associé  peut 
demander  en  justice1126  la  désignation  d’un  mandataire  chargé  de  convoquer 
l’assemblée  et  de  fixer  son  ordre  du  jour1127.  L’AUSC  révisé  a  étendu  le champ  des 
personnes  appelées  à  exécuter  de  manière  forcée  l’obligation  de  convoquer 
l’assemblée d’associés, en prévoyant désormais la possibilité d’une exécution forcée 
en nature par les dirigeants sociaux. D’après l’article 548 (nouveau) de l’AUSC, « … si 
l’assemblée générale ordinaire n’a pas été réunie dans ce délai, le ministère public 
ou  tout  actionnaire  peut  saisir  la  juridiction  compétente  statuant  à  bref  délai  afin 

                                                                                                                                              

nature consistant à contraindre le débiteur à ce à quoi il s’était obligé. On ne doit parler d’équivalence qu’à 
propos de la réparation, car la réparation est toujours un équivalent… Les termes de réparation en nature 
et  d’exécution  par  équivalent  ne  sont  que  de  faux  concepts  »  ;  en  ce  sens,  v.    MOLFESSIS  N.,  «  Force 
obligatoire et exécution : un droit à l’exécution en nature ? », in Exécution du contrat en nature ou par 
équivalent, RDC 2005, p. 37, spéc. p. 46. 
1120
 V. MIGNON‐COLOMBET A., L’exécution forcée en droit des sociétés, Economica, 2004, préf. Y. GUYON.  
1121
En cas de refus de communiquer à l’actionnaire les documents requis, celui-ci peut saisir le juge de
référé qui peut ordonner à la société, le cas échéant sous astreinte, la communication des documents. Il
pourra même ordonner le cas échéant la suspension de la tenue de l’assemblée jusqu’à l’accomplissement
de cette formalité. (TPI Yaoundé, Ord. Réf. n°494/0 du 6 février 2001, NDJEUDJUI Thaddée c/
Continental Business Machines S.A., inédit).
1122
V. articles 286 al. 1, 337 al. 1 et 516 al. 1 de l’AUSC.
1123
Articles 337 al. 3, 516 al. 2 (1°) de l’AUSC.
1124
V. article 160-6 al. 3 de l’AUSC.
1125
V. article 516 al. 2 (3°) de l’AUSC.
1126
Le juge des référés a compétence pour désigner le mandataire en question : Tribunal régional hors
classe de Dakar – audience du 28 octobre 2002 – jugement n°1364, Papa Balle Diouf c/ Mamadou SY,
ohada.com, Ohadata J-05-39. Sur les différents cas d’intervention du juge des référés en droit des sociétés
v. LEFEUVRE C., Le référé en droit des sociétés, PUAM, 2006.
1127
 Article 337 al. 1, 516 al. 2 (2°) de l’AUSC. Si dans la SARL tout associé peut introduire cette demande, 
peu importe le nombre de parts sociales qu’il détient, dans la SA la demande doit être introduite soit par 
tout intéressé en cas d’urgence, soit par un ou de plusieurs actionnaires représentant au moins le dixième 
du capital social s'il s'agit d'une assemblée générale ou le dixième des actions de la catégorie intéressée 
s'il s'agit d'une assemblée spéciale.  
254 

 
d’enjoindre,  le  cas  échéant,  sous  astreinte,  aux  dirigeants  de  convoquer  cette 
assemblée ou de désigner un mandataire pour y procéder1128 ».  
  Ensuite, de la nullité1129. Dans de nombreux cas, la méconnaissance du droit 
à l’information des associés est sanctionnée par la nullité. Il peut s’agir de la nullité 
d’une  assemblée  irrégulièrement  convoquée1130,  de  la  nullité  d’une  délibération 
prise en violation des dispositions de l’AUSC relatives à l’information des associés1131 
ou de la nullité de certaines opérations1132. En général la nullité encourue lorsqu’une 
assemblée  a  été  irrégulièrement  convoquée  est  une  nullité  facultative1133.  L’AUSC 
prévoit en effet que l’action en nullité n’est pas recevable lorsque tous les associés 
étaient présents ou représentés1134. La jurisprudence se conforme à cette exigence 
légale1135.  
  Enfin,  des  dommages‐intérêts.  Les  débiteurs  de  l’obligation  d’information 
des associés peuvent voir leur responsabilité civile être engagée suite au non respect 
ou  à  la  mauvaise  exécution  de  ladite  obligation.  En  ce  qui  concerne  les  dirigeants 
sociaux,  leur  responsabilité  civile1136  est  organisée  par  le  livre  3  de  l’AUSC.  D’après 
l’article 161de cet Acte uniforme, « sans préjudice de la responsabilité éventuelle de 
la société, chaque dirigeant social est responsable individuellement envers les tiers 
                                                            
1128
V. aussi l’article 348 al. 2 de l’AUSC.
1129
KASSIA B. O., « Le recul de la nullité dans l’Acte uniforme sur les sociétés commerciales et le
groupement d’intérêt économique » in Penant n° 848, p. 352 et s.
1130
V. articles 286 al. 3, 303 al. 4, 339, 519 al.4, 674 al. 3, 684, 827-11 de l’AUSC. La CCJA a rendu un
arret remarqué relatif à la nullité d’assemblée irrégulièrement convoquée (CCJA, arret n°034/2008/PC, 3
juillet 2008, Bassirou Ka c/ Abdoulaye Cisse, Mohamed El Béchir Sissoko et Djibril Cisse, note
NJEUFACK TEMGWA R., in POUGOUE P. G. et KUATE TAMEGHE S. S. (dir.), Les grandes décisions
de la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA, L’Harmattan, 2010, p. 121-128). Le
déplacement du lieu de la reunion sans informer tous les associés consiste en un defaut de convocation
(Tribunal Régional hors classe, de Dakar, jugement n°2301 du 27 octobre 2004, Bara Tall c/ Chaeikh
Oumar Dioum et Youssou Ndour, in www.ohada.com, Ohadata J-05-103).
1131
V. articles 345 al. 5, 440 al. 7, 525 al. 4, 547 al. 4, 622 al. 3, 626-1-1-1, 630, 778-14, 822-5 al 5, 853-14
al. 5 de l’AUSC. Il a été décidé que le juge des référés est incompétent pour annuler les délibérations d’une
assemblée générale d’associés (Cour d’appel d’Abidjan, 5ème Chambre Civile et Commerciale, Arret n°32
du 13 janvier 2004, T.W et autres c/ K.B et K.A.L, Le Juris Ohada, n°4/2004, oct.-déc. 2004, p. 59;
Ohadata J-05-180; Repertoire quinquenanal OHADA 2000-2005, p. 651, n° 50).
1132
V. par exemple article 646- de l’AUSC qui prévoit la nullité des opérations de rachat réalisées en
violation de certaines règles relatives à l’information des associés.
1133
Sur ce point, NJEUFACK TEMGWA R., « Assemblées de sociétés et décisions collectives », in
POUGOUE P. G. (dir.), Encyclopédie du droit OHADA, Lamy, 2011, p. 330 et s., n° 34 ; GUYON Y.,
« Caractère facultatif de la nullité d’une assemblée générale d’actionnaires pour irrégularité de la
convocation », Rev. Sociétés, 2002, p. 716.
1134
Articles 286 al. 3, 303 al. 4, 339, 519 al. 4 de l’AUSC.
1135
Trib. 1ère instance Abidjan, jugement n° 1245 du 21 juin 2001, Michel Jacob et autres c/ Sté Scierie
Bandama-Etablissements Jacob et autres, Ecodroit n°1, juillet-aout 2001, p. 49, ohada.com, Ohadata J-02-
19 ; Cour d’appel d’Abidjan, Arret n° 1121 du 8 aout 2003, La Société Ash International Disposal et Autres
c/ Zokora Simplice, in www.ohada.com, Ohadata J-04-99.
1136
Sur la responsabilité civile des dirigeants sociaux, v. AKAM AKAM A., « La responsabilité civile des
dirigeants sociaux en droit OHADA », Revue Internationale de Droit Economique, 2007, pp. 211-243 ;
KOM J., « La responsabilité des dirigeants sociaux dans les cas de défaillances d’entreprises à la lumière
du droit OHADA et des dispositions de droit interne camerounais », Revue africaine des sciences juridique,
vol. 8, n°1, 2011 ; NJEUFACK TEMGWA R., La responsabilité des dirigeants des sociétés commerciales
OHADA, Mémoire de DEA, Université de Dschang, 1999, 71 p.
255 

 
des fautes qu’il commet dans l’exercice de ses fonctions ». Les associés victimes d’un 
préjudice suite notamment, à un défaut d’information ou à mauvaise information du 
dirigeant social peuvent engager la responsabilité civile de ce dernier au moyen de 
l’action individuelle1137. Quant au commissaire aux comptes, il ressort de l’article 725 
de l’AUSC qu’il est civilement responsable, tant à l’égard de la société que des tiers, 
des  conséquences  dommageables,  des  fautes  et  négligences  qu’il  commet  dans 
l’exercice  de  ses  fonctions.  Ainsi,  sa  responsabilité  civile1138  pourrait  par  exemple 
être engagée s’il omet par myopie ou par complaisance, de déclencher la procédure 
d’alerte1139. L’action en responsabilité civile conduit à la condamnation du fautif au 
versement des dommages‐intérêts aux personnes ayant subi un préjudice.  
b) les sanctions pénales 
  La  responsabilité  pénale  du  débiteur  de  l’information  peut  être  engagée 
lorsque  les  faits  reprochés  sont  constitutifs  d’une  infraction  pénale.  De  nombreux 
comportements  sont  incriminés  par  l’AUSC1140,  d’autres  Actes  uniformes1141,  ainsi 
que  certains  textes  spéciaux  aux  sociétés  faisant  appel  public  à  l’épargne1142.  Tous 
les débiteurs de l’information, dirigeants sociaux1143, commissaires aux comptes1144… 
peuvent voir leur responsabilité pénale être engagée. En dehors de la loi n°99/015 
du 22 décembre 1999 portant création et organisation d’un marché financier1145 qui 
incrimine des comportements et prévoit directement des sanctions, les autres textes 

                                                            
1137
Article 162 de l’AUSC. D’après l’article 164 al. 2 de l’AUSC, « l’action individuelle se prescrit par
trois ans à compter du fait dommageable ou, s’il a été dissimulé, de sa révélation. L’action individuelle se
prescrit par dix ans pour les crimes ».
1138
Sur la responsabilité civile du commissaire aux comptes, v. NEMEDEU R., « La responsabilité du
commissaire aux comptes en droit OHADA : un enjeu plus théorique que pratique », Revue africaine des
sciences juridiques, vol. 8, n° 2, 2011, p. 1 et s.
1139
POUGOUE P. G., « L’impact de l’Acte Uniforme de l’OHADA relatif au droit des sociétés
commerciales et du GIE sur le contrôle et le développement des entreprises locales », Juridis Périodique n°
66, avr.-mai-juin 2006, p. 107 et s., spéc., p. 115.
1140
V. articles 887 4°), 890, 890-1, 891-3, 893 2°), 894 2°), 895, 896 2°), 899, 901, 902, 903 1°) 2°) 3°) 4°),
905 de l’AUSC.
1141
Il s’agit de l’Acte uniforme sur la comptabilité (article 111), l’Acte uniforme portant organisation des
procédures collectives d’apurement du passif, qui sanctionne certaines règles de droit comptable sous la
qualification de banqueroute (articles 228 4e, 231 5e).
1142
Loi n°99/015 du 22 décembre 1999 portant création et organisation d’un marché financier (notamment
articles 37 et 38) ; Règlement n°06/03-CEMAC-UMAC du 12 novembre 2003 portant organisation,
fonctionnement et surveillance du Marché Financier de l’Afrique Centrale (notamment articles 63 et 64) ;
Règlement général de la COSUMAF du 15 novembre 2009 (notamment articles 383, 384, 389, 390, 400) ;
Annexe à la Convention du 3 juillet 1996 portant composition, organisation, fonctionnement et attributions
du Conseil Régional de l’Epargne Publique et des Marchés Financiers (article 36).
1143
V. NDOKO N. C. et YAWAGA S., « Infractions relatives à la gestion des sociétés », in POUGOUE P.-
G. (dir.), Encyclopédie du droit OHADA, Paris, Lamy, 2011, p. 957 et s. ; MASCALA C., « La
responsabilité pénale du chef d’entreprise », Petites Affiches 19 juillet 1996, n° 87, pp. 16-22.
1144
Sur la responsabilité pénale du commissaire aux comptes, v. NEMEDEU R., article précité, p. 5 et s. ;
YAWAGA S., « Infractions relatives au contrôle de gestion », in POUGOUE P.-G. (dir.), Encyclopédie du
droit OHADA, op. cit., p. 991 et s. ; NGOMO A-Fl., « Le commissaire aux comptes entre les obligations de
faire et de ne pas faire pénalement sanctionnées dans l’espace OHADA », Revue Africaine des Sciences
Juridiques n°2/2014, p. 59 et s.
1145
V. articles 35 à 39.
256 

 
renvoient  aux  législations  nationales  pour  la  détermination  des  sanctions  pénales 
encourues1146.  
  2‐Les sanctions administratives  
  Dans  les  sociétés  cotées  le  non  respect  de  l’obligation  d’information  est 
également  sanctionné  par  les  autorités  de  régulation  financière1147.  Il  convient  de 
rappeler  que  l’obligation  d’information  pèse  ici  non  seulement  sur  la  société 
émettrice  (principale  débitrice  de  l’information)  mais  aussi  sur  de  nombreuses 
autres  personnes,  notamment  les  prestataires  de  service  d’investissement, 
l’entreprise  de  marché,  les  auxiliaires  du  marché  financier.  Nous  nous  limiterons 
cependant aux sanctions infligées à la société émettrice. Les autorités de régulations 
peuvent infliger des sanctions pécuniaires1148, des sanctions administratives (mise en 
garde,  injonction,  publication  de  la  décision  de  sanction)1149,  des  sanctions 
disciplinaires  (avertissement,  blâme,  suspension  de  dirigeant…)1150.  Elles  ne 
prononcent  pas  des  sanctions  pénales  qui  sont  de  la  compétence  des  tribunaux.  Il 
faut préciser que les décisions des autorités de régulations peuvent faire l’objet de 
recours1151.  
   
   
 
                                                            
1146
Les sanctions relatives aux comportements incriminés par les Actes uniformes sont déterminées par les
législateurs nationaux en vertu de l’article 5 du traité de l’OHADA. Certains pays membres ont adopté des
lois pénales spéciales à cet effet (loi n°2003/008 du 10 juillet 2003 relative à la répression des infractions
contenues dans certains actes uniformes OHADA pour le Cameroun, loi n°98-22 du 26 mars 1998 relative
aux sanctions pénales applicables aux infractions contenues dans l’AUSC pour le Sénégal). Pour les Etats
n’ayant pas encore adopté une loi spéciale, il faut rechercher dans la loi pénale nationale, les sanctions qui
répriment les comportements incriminés. Cela est de nature à générer d’énormes difficultés notamment, la
disparité des sanctions en fonction des pays et l’absence de sanction de certains pays.
1147
Il s’agit de la CMF pour la Douala stock Exchange, la COSUMAF pour la bourse des valeurs
mobilières de l’Afrique centrale, du CREPMF pour la bourse régionale des valeurs mobilières de
l’UEMOA.
1148
V. Règlement général COSUMAF (notamment articles 383, 384, 390, 400, 405, 406), Règlement
n°06/03-CEMAC-UMAC du 12 novembre 2003 portant organisation, fonctionnement et surveillance du
Marché Financier de l’Afrique Centrale (notamment articles 61 et 64), Annexe à la convention du 3 juillet
1996 portant composition, organisation, fonctionnement et attribution du CREPMF (notamment articles 30,
31, 32, 33).
1149
V. notamment article 384 Règlement COSUMAF, article 20 de la Décision n°02/002 du 3 décembre
2002 portant Règlement général de la CMF, article 34 de l’Annexe à la Convention du 3 juillet 1996
précité.
1150
V. notamment article 35 de l’Annexe à la convention du 3 juillet précité, 168 du Règlement général du
CREPMF, 115 de la Décision n°02/002 du 03 décembre 2002 portant Règlement général de la CMF.
1151
Les recours contre les actes du CREPMF ayant un caractère règlementaire sont soumis à la Cour de
justice de l’UEMOA alors que les recours contre les autres actes du CREPMF relèvent de la compétence
des tribunaux judiciaires des Etats (article 49 de l’Annexe à la convention du 3 juillet 1996 précité). Cette
distinction ne semble pas observée ailleurs : les décisions de la CMF sont susceptibles de recours devant la
Chambre administrative de la Cour suprême du Cameroun (article 32 al. 4 de la loi de 1999 portant création
d’un marché financier) ; les recours contre les décisions de la COSUMAF sont portés devant la Cour de
justice communautaire de la CEMAC (article 65 du Règlement n°06/03-CEMAC-UMAC du 12 novembre
2003 portant organisation, fonctionnement et surveillance du Marché Financier de l’Afrique Centrale,
articles 15 et 419 du Règlement général de la COSUMAF).
257 

 
Conclusion 
  En  définitive,  bien  que  ne  figurant  pas  parmi  les  droits  attachés  aux 
titres1152, l’information des associés est une exigence reconnue et protégée en droit 
OHADA  à  travers  de  nombreuses  dispositions  ‐  impératives  pour  la  plupart  ‐  de 
l’AUSC  et  d’autres  textes  spécifiques.  Il  s’agit  d’une  exigence  qui  présente  un 
caractère irréductible dans toutes les sociétés commerciales, y compris dans la SAS 
marquée  par  la  liberté  contractuelle.  Le  législateur  OHADA  devrait  peut‐être,  pour 
une  vision  générale,  affirmer  le  droit  à  l’information  des  associés  à  travers  une 
disposition générale de l’AUSC ou le faire figurer parmi les droits attachés aux titres. 
L’information des associés est requise à toutes les étapes de la vie sociale. S’agissant 
de  sa  fonction,  l’information  est  cette  lumière  qui  éclaire  le  jugement  des  associés 
afin de leur permettre d’exercer efficacement leur pouvoir décisionnel. Que serait en 
effet une société dans laquelle les associés ne pourraient exercer valablement leur 
pouvoir  de  décision  en  raison  d’un  défaut  d’information  ou  d’une  mauvaise 
information ? Fort de l’étendue de son domaine, de l’importance de sa fonction, de 
la  protection  à  elle  réservée  et  du  renforcement  qu’elle  a  connu  à  la  faveur  de  la 
dernière  révision  de  l’AUSC1153,    ne  peut‐on  pas  affirmer  comme  un  auteur  que 
l’information  semble  constituer  « le  nouveau  droit  fondamental  de 
l’actionnaire1154 » ? 

                                                            
1152
Les articles 53, 751 à 758 de l’AUSC qui énumèrent respectivement les droits attachés aux titres et les
droits attachés aux actions n’évoquent pas le droit à l’information de l’associé.
1153
Sur l’étendue de ce renforcement, v. note de bas de page n° 2.
1154
MONSALLIER-SAINT-MLEUX M. Ch., « Un actionnaire minoritaire mal informé, avant de voter
une augmentation du capital, ne peut se voir opposer un abus de minorité », note sous Cass. Com. 20 mars
2007, JCP (éd. E) 2008, p. 1721.
258 

 
Le cautionnement mutuel et l’inclusion financière en Afrique
Willy TADJUDJE, Docteur en Droit privé, Chargé de Cours Associé à l’Université
du Luxembourg

Résumé :
Dans la plupart des pays d’Afrique, il est paradoxal de relever que les banques et
établissements financiers sont en état de surliquidité, tandis que les micro-
entrepreneurs n’ont pas accès au crédit. Cela s’explique principalement par la
difficulté de ces derniers à fournir des garanties. Le cautionnement mutuel constitue
un moyen efficace et durable, dans la mesure où il permet à des personnes de se réunir
dans le cadre d’une société, afin de se fournir mutuellement une caution, à l’occasion
de demandes de crédit. Toutefois, jusqu’ici, le cautionnement mutuel n’a pas été
réglementé en Afrique, que ce soit en droit interne ou en droit communautaire, alors
qu’il constitue une technique efficace pour l’inclusion financière. L’objectif de cette
recherche est de présenter le potentiel du cautionnement mutuel comme instrument
d’inclusion financière, ainsi que les stratégies de construction de son cadre juridique
dans l’espace OHADA.
Mots-clés : cautionnement mutuel, inclusion financière, entreprenariat.

Abstract:
In most African countries, it is contradictory to note that banks and financial
establishments are in a state of excess liquidity, while micro-entrepreneurs do not
have access to credit. This is mainly due to the difficulty of micro-entrepreneurs to
provide collaterals. Mutual guarantee is an effective and sustainable way, insofar as it
allows people to come together in the context of a society to provide each other with
sponsorship, on the occasion of credit applications. However, so far, the mutual
guarantee has not been regulated in Africa, either in domestic law or Community law,
even though it is an effective technique for financial inclusion. The objective of this
research is to present the potential of mutual guarantee as a tool for financial
inclusion, as well as strategies to build its legal framework in the OHADA zone.
Keywords: mutual guarantee, financial inclusion, entrepreneurship.

259 

 
Introduction
L’inclusion financière (ou finance inclusive) désigne l’offre de services financiers et
bancaires de base à faible coût pour des consommateurs en difficultés et exclus des
services traditionnels. Ces personnes rencontrent des difficultés pour accéder à des
services et produits financiers proposés par les prestataires classiques notamment les
banques. En effet, ces services et produits ne sont pas habituellement adaptés à leurs
capacités financières1155.
Au XXIe siècle, tous les individus ont besoin d’accéder à des services bancaires, étant
donné qu’ils sont indispensables pour leur intégration dans la société.
Malheureusement, plusieurs rapports révèlent que le niveau d’exclusion financière est
encore important. D’après le dernier rapport de la Banque mondiale par exemple, plus
de 2,5 milliards de personnes à travers le monde n’ont pas accès à des services
bancaires et près de 90% d’entre elles vivent en Afrique, en Asie et en Amérique
latine. Plus concrètement, près de 75 % des adultes gagnant moins de deux dollars par
jour n'ont pas de compte en banque. De même, plus 50% de la population vivant dans
les pays en développement n'ont pas de compte en banque, contre 10 % dans les pays
riches et développés. Enfin, parmi les personnes ayant un compte, seul 43 % l'utilisent
pour épargner (World Bank, 2014).
L’accès aux services financiers est compromis, entre autres, en raison de l’incapacité
des individus à fournir une garantie en contrepartie de l’obtention d’un crédit, que ce
soit auprès des banques classiques ou auprès des établissements de microfinance
(HUGON Ph., 2007; LABIE M. et al., 2004), alors que toutes ces institutions financières
sont déclarées être en état de surliquidité (DOUMBIA S., 2011 ; FOUDA OWOUNDI J.-P.,
2009).
Or l’importance du crédit, notamment pour les investissements n’est plus à démontrer,
surtout pour un continent comme l’Afrique où beaucoup reste à faire en matière de
développement économique et social (DIAKITE B.S., 2009 ; LELOUP F. et al., 2003).
Dans la plupart des cas, face à l’impossibilité d’accéder au crédit dans des
établissements financiers, ou par le biais des finances traditionnelle et informelle, les
micro-entrepreneurs ont tendance à recourir aux usuriers1156, ce qui peut s’avérer
très néfaste pour la survie de leur activité, au vu des taux d’intérêt pratiqués.
Compte tenu de l’importance du crédit dans la stratégie du développement, il devient
crucial d’organiser des mécanismes destinés à faciliter son accessibilité,
particulièrement aux petits entrepreneurs. Le cautionnement mutuel, organisé dans le
cadre d’une société, semble être un créneau porteur, au vu des preuves qu’il a faites
dans d’autres régions du monde.
Les sociétés de cautionnement mutuel sont des associations à but non lucratif
consistant à offrir aux établissements financiers une garantie afin que des personnes
sollicitant un crédit puissent l’obtenir dans des conditions favorables. A cet effet, le
cautionnement mutuel est une technique de mutualisation des risques qui permet de

                                                            

1155 L'exclusion financière ne constitue qu'une facette de l'exclusion sociale, phénomène plus large et
affectant des groupes de personnes n'ayant pas accès à des services essentiels de qualité comme le logement,
l'éducation ou les soins de santé (BAYOT B., JERUSALMY O., 2011).
1156 L’usure est une pratique illégale de l’activité de crédit consistant à dépasser les taux d’intérêt fixés
légalement (PIEDELIEVRE, 2012 ; FIDI F., DE GOBBI S., 2003).
260 

 
favoriser l’accès au crédit des petits entrepreneurs et même des particuliers, par un
accompagnement spécifique d’une société (de cautionnement mutuel). Elle a pour
objet de permettre l’octroi de crédit par un partenaire financier dans des conditions
satisfaisantes, même lorsque les garanties offertes par l’emprunteur sont jugées
insuffisantes (LEGRAND V., 2011).
Ainsi, le cautionnement mutuel consiste à « (...) substituer au débiteur isolé une
collectivité formée par l’ensemble des débiteurs. Il a pour but d’apporter (…) une
garantie collective à l’occasion d’opérations traitées par un sociétaire avec des tiers »
(WAMPFLER B., 2012). Le crédit contracté au bénéfice d’un membre se
désindividualise pour se communautariser. Le cautionnement mutuel constitue un
mécanisme de garantie qui vise à responsabiliser l’ensemble des acteurs impliqués
pour le remboursement du crédit.
Le cautionnement mutuel se présente en Afrique comme une garantie d’accès au
crédit accessible à toutes les couches de la population. Mais son régime juridique n’a
pas été défini. Dans une approche essentiellement juridique, les analyses porteront sur
la zone OHADA (Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des
Affaires)1157.
Au sein de l’espace OHADA cohabitent deux organisations
d’intégration économique : la CEMAC (Communauté économique et monétaire des
Etats de l’Afrique centrale) et l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest
africaine). Nous invoquerons également le droit dérivé produit par ces deux
organisations1158, ainsi que le droit de la CIMA (Conférence interafricaine des
marchés de l’assurance).

                                                            
1157 Cette organisation a pour objectif d’uniformiser le droit des affaires (actuellement dans 17 Etats), à travers
la production d’actes uniformes (9 en 2015) dont les dispositions sont directement applicables dans les Etats.
(MARTOR B., PILKINGTON N., SELLERS D., THOUVENOT S., 2009).
1158 La CEMAC regroupe six Etats (Cameroun, Congo, République centrafricaine, Guinée équatoriale,
Gabon et Tchad) et l’UEMOA huit (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal
et Togo). Des dix-sept Etats parties au Traité instituant l’OHADA, trois ne sont ni membres de la CEMAC, ni
membres de l’UEMOA. Il s’agit de la Guinée, de l’Union des Comores et de la République démocratique du
Congo (SARR A.Y., 2008).
261 

 
I- Le cautionnement mutuel, une sûreté

Le cautionnement mutuel est une sûreté particulière et accessible à tous.

A- Une sûreté particulière


Le cautionnement mutuel est avant tout une sûreté. D’après l’article 1er de l’acte
uniforme de l’OHADA relatif au droit des sûretés, une sûreté est l’affectation au
bénéfice d’un créancier d’un bien, d’un ensemble de biens ou d’un patrimoine afin de
garantir l’exécution d’une obligation ou d’un ensemble d’obligations, quelle que soit
la nature juridique de celles-ci. Dans le cadre d’une société de cautionnement mutuel,
les associés réunissent des fonds pour garantir le prêt bancaire d’un des leurs, et il
s’agit effectivement d’une sûreté. Entre autres classifications, les sûretés peuvent être
personnelles ou réelles.
Les sûretés réelles portent sur des biens offerts au banquier prêtant les fonds, ce qui
n’est pas le cas pour le cautionnement mutuel qui se présente plutôt comme une sûreté
personnelle. Une sûreté personnelle est une garantie de paiement offerte au créancier,
lui permettant d'aller demander le paiement de sa créance, sous certaines conditions,
dans le patrimoine d'une autre personne que son débiteur1159. Un exemple classique
de sûreté personnelle c’est le cautionnement. D’après l’article 13 de l’acte uniforme
de l’OHADA portant organisation des sûretés, « le cautionnement est un contrat par
lequel la caution s’engage, envers le créancier qui accepte, à exécuter une obligation
présente ou future contractée par le débiteur, si celui-ci n’y satisfait pas lui-même ».
Certes, le cautionnement mutuel n’a pas été mentionné par l’acte uniforme, mais au
vu de sa définition, il en découle qu’il s’agit d’une forme particulière de
cautionnement.
Le cautionnement peut être simple ou solidaire. En cas de cautionnement simple, le
créancier ne peut poursuivre la caution que lorsque le débiteur principal est
définitivement défaillant et que les recours utilisables contre lui ont été épuisés. En
cas de cautionnement solidaire, la caution peut être appelée à payer à la place de
l'emprunteur dès que ce dernier est défaillant. De plus, lorsque plusieurs personnes
sont cautions solidaires, elles garantissent ensemble le créancier et chacune d'entre
elles est engagée pour le tout, sous réserve de pouvoir exercer, ultérieurement, à
l’encontre de ses codébiteurs, une action récursoire (BROU KOUAKOU M., 2006).
Comme le cautionnement simple ou solidaire, le cautionnement mutuel met en
relation un demandeur de crédit et une ou plusieurs personnes se portant garantes de
son prêt (ROUTIER R., 2011; WAMPFLER B., 2002). Toutefois, le cautionnement
mutuel se distingue du cautionnement simple et du cautionnement solidaire par deux
principales caractéristiques.
D’abord la mutualité. « La principale caractéristique des sociétés de cautionnement
mutuel est la mutualité, un principe de solidarité qui unit des petits entrepreneurs (...),
économiquement faibles, et leur permet de s’apporter une aide réciproque grâce aux

                                                            
1159 Une catégorie mixte c’est le cautionnement réel. Il caractérise un cautionnement où la caution affecte en
garantie un bien déterminé (immeuble, valeurs mobilières, etc.) qui va venir en sûreté de l’engagement qui a été
pris par le débiteur à l’égard d’un ou de plusieurs créanciers (ATANGANA MALONGUE Th., 2010).
262 

 
garanties constituées par les versements des différents adhérents (...) » (FIDI F., DE
GOBBI S., 2003).
En effet, dans le cautionnement mutuel, les associés collectent les fonds (assiette du
cautionnement) au préalable, ce qui constitue une garantie de plus pour le créancier.
Or en cas de cautionnement solidaire (même porté par plusieurs personnes), certes le
créancier peut poursuivre n’importe quelle caution, mais il court toujours le risque de
lenteur d’exécution et même d’inexécution de l’obligation de remboursement. De
plus, chaque associé, sachant qu’il bénéficiera du support du groupe à son tour,
s’engage à respecter ses obligations, ce qui donne plus de crédibilité au
cautionnement mutuel. A cet effet, le cautionnement mutuel « conjugue les principes
classiques du mutualisme (épargne préalable) avec l’approche de la caution
solidaire » (WAMPFLER B., 2012).
Ensuite le caractère institutionnel du cautionnement mutuel. En effet, le
cautionnement mutuel est pratiqué dans le cadre d’un établissement de crédit, la
société de cautionnement mutuel, ce qui n’est pas forcément le cas pour le
cautionnement, simple ou solidaire (HUGON Ph., 2007).

B- Une sûreté accessible à tous

Comme le notent des auteurs, l’exclusion financière prend de l’ampleur et la


microfinance classique peine à réduire sa progression. Face à cette exclusion
financière, les populations ont souvent recours à leurs relations sociales (KEMAYOU
R.L. et al., 2011).
Ces pratiques financières qualifiées de « finance informelle » (DIAKITE B.S., 2009;
FERRATON C., VALLAT D., 2011) puisent dans les valeurs sociales, coutumières et
ethniques des populations et traduisent ce que l’on pourrait qualifier de permanence
des valeurs traditionnelles aux côtés de la finance moderne (LELART M., 2002). Ces
pratiques se présentent sous plusieurs formes, notamment celle des tontines. Ce qui
caractérise ces pratiques informelles c’est qu’elles reposent sur des relations
personnelles (lien de parenté, lien social, etc.).
Dans la plupart des cas, non seulement les personnes dans ces relations financières se
connaissent, mais aussi les opérations qu’elles effectuent ensemble ne sont pas
forcément liées à leur activité économique, mais sont encastrées dans leurs relations
sociales. « La finance informelle présente de ce point de vue un avantage comparatif
intéressant par rapport à la microfinance dans son contexte de commercialisation »
(SOME Y., 2010).
Le cautionnement mutuel est accessible à tous dans la mesure où il repose sur un
fonctionnement proche de celui des tontines.
La définition de la tontine n’est pas aisée (SERVET J.-M., 1990 ; NZEMEN M., 1988).
En Afrique, la tontine se présente sous de très nombreuses facettes, rendant difficile
toute activité destinée à les cataloguer. Néanmoins, d’après la plupart des auteurs, une
tontine est une association de personnes qui, unies par des liens familiaux, d'amitié, de
profession, de clan ou de région, se retrouvent à des périodes d'intervalles plus ou
moins variables afin de mettre en commun leur épargne, ou d’organiser la distribution

263 

 
du crédit, en vue de solutionner les problèmes particuliers ou collectifs des membres
(LOWE R., 2005; KOUNKOU D., 2008 ; MOURGUES N., 1990).
Dans les sociétés de cautionnement mutuel, il s’agit pour tous les membres de réunir
de l’argent pour constituer un fonds de garantie pouvant servir de sûreté à tous. Cette
garantie sera déposée auprès d’un établissement financier dans le cadre d’une
demande d’obtention d’un crédit au bénéfice d’un des membres (FIDI F., DE GOBBI S.,
2003).
Dans la tontine comme dans la société de cautionnement mutuel, les membres
réunissent de l’argent devant servir, à un moment donné, à résoudre les problèmes
financiers d’un des leurs, soit parce que les fonds lui seront remis (tontine), soit parce
que les fonds serviront de garantie pour son prêt (société de cautionnement mutuel).
De ce point de vue, l’on se rend compte que la dynamique est similaire dans les
tontines et dans les sociétés de cautionnement mutuel.
Dans le même ordre d’idées, la principale caractéristique des sociétés de
cautionnement mutuel, comme des tontines d’ailleurs, est la mutualité (EUZEN S.,
1998) ; laquelle n’est qu’un système organisé de solidarité et de réciprocité.
Dans un entendement général, la réciprocité suppose l’existence entre deux ou
plusieurs personnes, d’obligations de même nature qui les lient les uns envers les
autres, lorsque chacune est tenu envers les autres d’un devoir ayant le même objet
(SERVET J.-M., 2007).
Dans les sociétés de cautionnement mutuel, chaque membre est tenu de maintenir ses
fonds à la disposition du groupe afin qu’ils servent de garantie aux autres sur une
certaine durée, y compris celle au cours de laquelle il bénéficiera de la garantie. Le
mécanisme est similaire dans les tontines. Chaque membre reçoit la somme des
cotisations de tout le groupe à son tour et est par conséquent obligé de cotiser à
chaque session pour permettre à tous les autres membres de bénéficier de la cagnotte
de la même façon que lui (SERVET J.-M., 1990).
Dans l’un et l’autre cas, on assiste à un entremêlement et une interconnexion
d’activités d’épargne et de crédit. Une telle réciprocité n’existe pas forcément dans les
banques et les établissements de microfinance au sein desquelles les activités
d’épargne et de crédit peuvent être parfaitement détachées.

II- Le cautionnement mutuel, une sûreté non réglementée

Les sociétés de cautionnement mutuel dans leur conception moderne sont d’origine
occidentale. Elles existent dans plusieurs pays d’Europe depuis longtemps. Leur
introduction en Afrique est très récente et ne repose, jusqu’ici, sur aucune base
législative (WAMPFLER B., 2002). En droit français par exemple, c’est une loi du
13 mars 1917 qui a donné une existence légale aux sociétés de cautionnement mutuel.
Le texte de la loi de 1917 a été codifié aux articles L. 515-4 et suivants du code
monétaire et financier (MOUSERIE-BEN M.-H., 2005).
Pour envisager l’intégration des sociétés de cautionnement mutuel en droit OHADA,
une question principale se pose : de quelle manière le législateur OHADA peut-il
élaborer les règles destinées à régir ces sociétés ?

264 

 
Plusieurs possibilités se présentent : la conception d’une loi nationale comme en
France ou le développement de règles dans le cadre du droit uniforme OHADA ou
communautaire. Il nous semble que la deuxième option devrait être privilégiée étant
donné que le cautionnement mutuel constitue un élément important du droit des
affaires que l’OHADA s’est donnée pour mission d’uniformiser.
A cet effet, trois branches du droit pourront être concernées pour le développement du
droit régissant le cautionnement mutuel : le droit des sociétés, le droit des sûretés et le
droit de la microfinance.

A- Des contributions transversales : droit des sûretés et droit de la


microfinance

Les articles 13 à 38 de l’acte uniforme de l’OHADA relatif au droit des sûretés


régissent le cautionnement dans toutes ses étapes, de la formation à l’extinction. Il
n’est nullement fait mention du cautionnement mutuel, alors même qu’il constitue une
sûreté particulièrement efficace et accessible à tous.
Parce qu’il constitue un moyen de promotion de l’inclusion financière, le
cautionnement mutuel aurait dû être considéré par le législateur OHADA du droit des
sûretés. A tout le moins, il aurait pu définir la relation contractuelle entre l’institution
prêteuse des deniers et la société de cautionnement mutuel qui se porte garante pour le
demandeur de crédit.
Comme on le verra plus loin, le cautionnement mutuel fonctionne dans le cadre d’une
société et cette dernière est un établissement de crédit (de microfinance) devant être
agréé. A cet effet, la société de cautionnement mutuel doit être reconnue comme
établissement de microfinance. Le droit de la microfinance n’a pas été réglementé par
l’OHADA, mais par les sous-régions UEMOA et CEMAC1160.
En droit CEMAC, elle devrait appartenir à la première et/ou à la troisième catégorie.
D’après le règlement EMF/21 du 15 avril 2002, sont classés en première
catégorie les établissements qui procèdent à la collecte de l’épargne de leurs
membres qu’ils emploient en opérations de crédit, exclusivement au profit de
ceux-ci. Il s’agit notamment des associations, des coopératives et des mutuelles.
La deuxième ne s’ouvre qu’aux sociétés pouvant collecter l’épargne des
membres et accorder du crédit à des tiers (sociétés anonymes). La troisième
catégorie concerne les établissements qui accordent du crédit sans collecter
l’épargne et peut être mise en œuvre sous n’importe quelle forme juridique
(société anonyme, coopérative, mutuelle, association)
En droit UEMOA de la microfinance, il n’existe pas de catégories comme en
droit CEMAC. L’article 15 de la réglementation UEMOA de 2007 relative aux
Systèmes financiers décentralisés (SFD) précise les formes juridiques que
peuvent adopter les SFD. D’après cette disposition, les SFD doivent être
constitués sous forme de société anonyme, de société à responsabilité limitée, de
société coopérative ou mutualiste ou d’association.
                                                            
1160 Pour les trois pays membres ni de la CEMAC ni de l’UEMOA, la réglementation de la microfinance est
nationale, et nous n’en parlerons pas. Pour plus de détails sur le cadre du droit de la microfinance dans
l’ensemble des pays membres de lOHADA, voir TADJUDJE W., 2013a.
265 

 
Que ce soit en droit CEMAC ou en droit UEMOA, les législateurs devront
définir les règles prudentielles, ainsi que les conditions d’agrément des sociétés
de cautionnement mutuel. Ils devront également convenir de la forme juridique
appropriée pour le cautionnement mutuel (en liaison avec le législateur du droit
des sociétés), et nous verrons plus loin que la forme mutualiste semble être la
plus indiquée.
À côté du droit des sûretés et du droit de la microfinance, l’essentiel des règles
régissant le cautionnement mutuel devra être précisé par le droit des sociétés. Il
va s’agir de réglementer le droit des sociétés de cautionnement mutuel en
relation avec les règles déjà fixées en droit des sûretés et en droit de la
microfinance. Une concertation entre les trois législateurs est nécessaire pour
parvenir à un droit homogène et efficacement applicable. Des renvois nécessaires
d’un droit à un autre, pourraient permettre d’alléger le cadre juridique
applicable.

B- L’intervention du droit des sociétés

Si l’on prend en considération la définition de la société de cautionnement présentée


ci-dessus, ainsi que les évolutions en droit français1161, il est évident qu’il ne peut
pas s’agir d’une forme de société commerciale. Etant donné que la société de
cautionnement mutuel est, par principe à but non lucratif (FIDI F., DE GOBBI S., 2003),
notre regard se tourne forcément du côté des coopératives et des mutuelles (voire des
associations). Egalement, étant donné, que l’activité que mènent les sociétés de
cautionnement mutuel est une activité de microfinance (crédit), le choix se fera
finalement entre la coopérative d’épargne et de crédit (COOPEC) et la mutuelle
d’épargne et de crédit (MEC).
Dans la plupart des pays occidentaux, les sociétés de cautionnement mutuel sont
constituées sous la forme juridique des coopératives de crédit (MOUSERIE-BEN M.-H.,
2005). Toutefois, dans le contexte de l’OHADA, nous proposons que le législateur
intègre les sociétés de cautionnement mutuel dans son droit en tant que MEC. Il ne
s’agirait pas d’une volonté de l’OHADA de simplement se distinguer des autres. Une
telle attitude peut se justifier.
Dans certains pays (notamment ceux de l’UEMOA), on a pu remarquer que les
COOPEC sont assimilées aux MEC et inversement, et que l’on confond abusivement
ces deux appellations (TADJUDJE W., 2013b). La raison proviendrait du fait qu’il
n’existe pas encore de statut propre aux MEC, alors que les droits UEMOA et
CEMAC les autorisent à exercer l’activité de microfinance. Or la définition de ce
statut s’avère importante, car la coopérative ne saurait continuer à être considérée
comme une mutuelle et vice versa1162.

                                                            
1161 En principe, la loi française de 1917 précitée « n'a pas institué un type nouveau de sociétés, mais
seulement une nouvelle catégorie de société coopérative, comme l'a précisé ensuite la loi no 53-1336 du
31 décembre 1953 (MOUSERIE-BEN M.-H., 2005 ; CREDOT F.-J., 2012).
1162 En droit français les termes « mutuelles » ou « mutualistes » sont utilisés pour qualifier les banques
coopératives. A cet effet, SAINT-JOURS Y. souligne que « on utilise parfois le vocable de mutuelle bancaire, mais
266 

 
Aucun législateur africain n’ayant encore développé des règles propres aux MEC, il
conviendrait que le législateur OHADA se penche sur son opportunité, dans l’intérêt
de la clarification des concepts juridiques qu’il peut être appelé à utiliser.
Définir la MEC stricto sensu est une entreprise délicate. Une telle forme juridique
d’entreprise n’existe nulle part, à proprement parler, puisqu’elles sont généralement
assimilées ou confondues aux COOPEC. Etant donné que les MEC actuelles sont
gérées comme des COOPEC, pour projeter la construction de leur statut juridique, il
conviendrait de procéder à une minutieuse étude socio-anthropologique destinée à
identifier les pratiques sociales pouvant se mouler sous cette forme juridique, ou alors
les activités de microfinance particulières, délaissées par les COOPEC, que les MEC
pourraient porter afin de contribuer, dans une perspective complémentaire avec les
COOPEC, au développement économique et social des populations. Dans un tel
contexte, l’idéal serait que les règles développées soient fonctionnelles et qu’il ne
s’agisse pas simplement d’une forme juridique d’entreprise de plus, venant
surabonder le paysage du droit des organisations.
En l’absence de tout encadrement conceptuel concret de la MEC jusqu’ici, nous
essayerons d’en proposer un. La définition sera élaborée sur la base de celle de la
mutuelle sociale. Cette dernière se définit comme un groupement qui, au moyen des
cotisations des membres se propose de mener, dans l’intérêt de ceux-ci et de leurs
ayants droit, une action de prévoyance, d’entraide et de solidarité visant la prévention
des risques sociaux liés à la personne et la réparation de leurs conséquences (article
1er du Règlement UEMOA relatif à la mutualité sociale ; TADJUDJE W., 2013b).
De cette définition, l’on peut déduire que la MEC peut s’entendre comme un
groupement autonome de personnes qui, au moyen de l’épargne des membres ou
d’autres ressources, se propose d’accorder à ces derniers, des crédits et des assistances
diverses, dans un esprit d’entraide et de solidarité visant à vaincre l’exclusion
économique et financière.
Si telle peut être la définition de la MEC, d’autre part, il convient d’essayer de
distinguer les caractéristiques de la MEC de celles de la COOPEC puisque
fondamentalement, chacune des deux aurait pour mission d’accorder des services
financiers à des personnes exclues des systèmes bancaires classiques à travers la mise
en œuvre non pas de l’activité bancaire, mais de celle de microfinance (SOME Y.,
2010).
A première vue, l’on ne peut souligner qu’une différence entre la COOPEC et MEC.
Cette différence concerne l’absence de capital social dans les mutuelles sociales, ce
que l’on pourrait généraliser à toutes les formes de mutuelles, en conservant cette
carence comme trait caractéristique de leur spécificité (TADJUDJE W. 2015). L’on
                                                                                                                                              
il s’agit de coopératives qui pratiquent les dépôts et crédits bancaires : banque populaire, crédit agricole, crédit
mutuel, etc.» (SAINT-JOURS Y., DREYFUS M, DURAND D., 1990. Dans le même sens, MALHERBE D., 2008).
Une auteure fournit une explication à cet emprunt terminologique : « les banques dites coopératives, mutuelles
ou mutualistes ont en fait toutes le statut juridique de coopératives ; en droit français, une mutuelle est une
forme juridique sans capital social, ce qui est considéré en France comme incompatible avec l’activité
d’établissement de crédit » (RICHEZ-BATTESTI N., 2008). Finalement, le mutualisme dans le contexte français
semble être plus un état d’esprit (valeurs humanistes, mode particulier de fonctionnement) qu’un statut
juridique propre. Quoi qu’il en soit, la confusion terminologique reste, nécessitant un changement dans la
sémantique (VAUGIER E., 2009). 
267 

 
aurait pu également pointer du doigt le principe d’exclusivité qui connait des
tempéraments dans les coopératives et qui garde toute sa fermeté dans les mutuelles.
Néanmoins, dans le cadre de l’exercice d’activités de microfinance, le droit de la
microfinance exige des coopératives et des mutuelles qu’elles n’engagent de services
qu’avec leurs membres, en exclusion des tiers. Cela suppose qu’exceptionnellement,
la COOPEC et contrairement aux autres formes de coopératives, ne peut pas admettre
en son sein des associés non coopérateurs (TADJUDJE W. 2013b).
En dehors de la différence reposant sur l’absence de capital social dans les mutuelles
et de leur présence dans les coopératives, il serait plus difficile de relever d’autres
différences entre les coopératives et les mutuelles financières.
Toutefois, la différence entre les coopératives et les mutuelles financières pourrait
reposer, à certains égards, sur les activités. La microassurance (dans le cadre du droit
de la CIMA) est réservée aux mutuelles et aux sociétés anonymes, et les coopératives
en sont exclues. Les coopératives sont autorisées à exercer toute autre activité. Le
droit de la microfinance reconnaît les mutuelles comme institution pouvant mettre en
œuvre cette activité, sans qu’il ne puisse s’agir de la mutuelle sociale, ou de la
mutuelle d’assurance ou de microassurance, de façon plus générale. De ce point de
vue, la MEC pourrait exercer l’activité de microfinance au cas où son statut serait
développé par le législateur (TADJUDJE W., 2013c).
Afin d’éviter d’éventuelles concurrences entre les COOPEC et les MEC sur le
terrain de la microfinance exercée par les organisations de l’économie sociale et
solidaire, le législateur devrait préciser leurs domaines d’intervention respectifs,
lesquels pourraient faire naître des partenariats du fait de la complémentarité entre les
activités particulières des deux formes juridiques d’organisation. Cette précision
participerait de l’attitude du législateur visant à distinguer les coopératives des
mutuelles par les activités.
Ainsi, le législateur pourrait confier aux MEC des activités de microfinance d’un
genre particulier. Il s’agirait notamment d’activités non encore prises en compte par
les COOPEC telles que le cautionnement mutuel ou l’activité des tontines. La
mutuelle présenterait ainsi l’avantage d’être conçue sur la base des règles
traditionnelles régissant la finance informelle.
Plus techniquement, il se pose la question de savoir si les sociétés de cautionnement
mutuel doivent être dotées d’un capital social ou d’un simple fonds d’établissement à
côté du fonds de garantie. La question revêt une certaine importance car,
habituellement, l’absence de capital social est généralisée comme marque de la
particularité des mutuelles (TADJUDJE W., 2013a). Or si la société de cautionnement
mutuel peut disposer d’un capital social, notre proposition ne vaut plus. Pour répondre
à la question, il convient au préalable de faire la différence entre le capital social et les
fonds d’établissement.
Les fonctions des fonds d’établissement sont équivalentes à celles du capital social et
les mutuelles de microassurance disposent toutes de fonds d’établissement (TADJUDJE
W., 2015). Pour garder la même cohérence, le législateur pourrait concevoir le
fonctionnement des sociétés de cautionnement mutuel sur la base des fonds
d’établissement.

268 

 
Si les sociétés de cautionnement mutuel peuvent ainsi être intégrées en droit OHADA
sous la forme juridique des MEC, des partenariats peuvent être envisagés entre ces
sociétés et des COOPEC dans le cadre de l’obtention du crédit.
En effet, comme le note un auteur, « si les sociétés de cautionnement mutuel
prenaient la forme d’organisations à but non lucratif, il est très probable qu’elles ne
seraient pas prises au sérieux par les banques » (BALKENHOL B., 1990). Cette
affirmation peut se justifier car, dans la plupart des cas, les sociétés commerciales
connaissent mal le potentiel des organisations à but non lucratif.
Même si l’affirmation se vérifiait, les sociétés de cautionnement mutuel pourraient
orienter leurs demandes de crédit vers les COOPEC qui sont de la même famille
qu’elles. Dans ce contexte naîtrait une nouvelle forme de partenariat entre les
coopératives et les mutuelles, justifiant la nécessité de la construction d’un acte
uniforme relatif au droit des sociétés coopératives et mutualistes sous l’égide de
l’OHADA (TADJUDJE W., 2015).

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272 

 
La preuve de la loi étrangère en droit ivoirien

ALLA Koffi Etienne, Enseignant-chercheur à l’UFR SJAP de l’Université Félix


Houphouët-Boigny d’Abidjan-Cocody, Côte d’Ivoire.

Plan
I- L’exigence générale en droit ivoirien de la preuve de la loi étrangère par les
plaideurs
A- Une exigence imposée par l’office légal du juge ivoirien
B- Une exigence matérialisée par l’éminence du rôle des parties dans la production
de la loi étrangère comme pièce aux dossiers
II- De l’opportunité de la recherche d’une collaboration proactive des acteurs du
procès
A- La prise en compte des considérations de justice de droit international privé
B- La recherche d’accommodements entre intérêts privés et intérêt sociétal

1. « Les problèmes posés par l’application d’un droit étranger par le juge interne,
dont la portée pratique ne cesse pas d’augmenter en fonction de l’intensification des
rapports internationaux, semblent jouir en même temps d’une actualité scientifique
considérable (…) »1163. Cette citation de I. ZAYTAY rappelle combien toutes les
questions relatives aux difficultés liées à l’application de la loi étrangère suscitent
toujours intérêts et méritent que des analyses s’y attardent.

L’on est, en effet, sans ignorer que l’application bilatérale ou savignienne de la règle
de conflit du for peut déboucher sur la désignation de la loi étrangère comme
applicable et ce, « parce qu’elle est considérée comme plus appropriée à un
règlement satisfaisant du rapport international en cause que la loi de l’autorité
saisie »1164. Mais, des difficultés liées à l’application de la loi étrangère peuvent
subvenir, difficultés découlant notamment de la connaissance de la teneur même de ce
droit étranger, quand il s’agira de son insertion dans l’ordre juridique du for.

2. Ainsi, à l’instar de l’application de la loi étrangère, la preuve de la loi étrangère ne


finit pas de dévoiler ses charmes, des charmes qui sont « largement tributaires de la
part de mystère qu’ils persistent à entretenir en dépit d’importants efforts de
clarification »1165.
                                                            
1163
I. ZAYTAY, dans sa présentation bibliographique de C. DAVID, La loi étrangère devant le juge du
fond, Librairie Dalloz, 1965, XI et 337 pages, in Revue internationale de droit comparé, vol. 17, n° 1,
janvier-mars 1965, pp. 250-254, consultable sur
hhtp://www.persee.fr/web/revue/home/prescript/article/ridc_0035-3337_1965_num_17_1_14145.
1164
B. AUDIT, Droit international privé, 3ème édition, Ed. ECONOMICA, Paris, 2000, p. 226, n° 251.
1165
D. BUREAU, note sous Cass. 1ère ch. civ. 5 octobre 1994, Société Demart, Rev. crit. DIP 1995, p. 61,
qui fait un renvoi aux notes de J. LEMONTEY et J.-P. REMERY, « La loi étrangère dans la jurisprudence
actuelle de la Cour de cassation », in « Rapport de la Cour de cassation 1993 », La Documentation
273 

 
La détermination du contenu de la loi applicable peut, en effet, s’avérer difficile
lorsqu’il s’agit d’un droit d’un pays « éloigné » dont l’accès aux sources est
« compliqué ». Bien plus, parce que « tandis que la loi du for est couverte par une
présomption de connaissance de la part du juge du for, tel n’est pas le cas de la loi
étrangère (…) qu’il y a lieu d’établir »1166, il se pose du coup, en droit international
privé, la question désignée sous l’appellation de « preuve du droit étranger ou de la loi
étrangère ». On comprend alors qu’envisager cette question en droit ivoirien donne à
réfléchir sur « la preuve de la loi étrangère en droit ivoirien ». Tel est l’objet de cette
étude.

3. De prime abord, il faut rappeler que la preuve n’a lieu qu’en cas de doute ou
d’ignorance, et « consiste alors dans une démonstration destinée à emporter la
conviction de ses destinataires »1167. S’agissant tout particulièrement de la preuve de
la loi étrangère, le constat est que cette question peut être mise en œuvre dans un
cadre juridictionnel (ou contentieuse) ou dans un cadre non juridictionnel (ou non
contentieuse).

4. Ainsi, en dehors du cadre contentieux, il faut arriver à démontrer notamment que


selon les règles juridiques du pays étranger, le document ou l’acte qu’on tient en main
ou qu’on présente à l’autorité du for1168, a la même valeur juridique dans l’Etat du for.
Par exemple, devant un officier de l’état civil ivoirien, la loi étrangère peut être
invoquée pour contracter mariage dans les conditions différentes de celles prévues par
la loi ivoirienne sur le mariage, lorsqu’un étranger veut contracter mariage en Côte
d’Ivoire sur la base d’une demande d’annulation. Par exemple encore, la force
probante des actes dressés à l’étranger peut être invoquée en Côte d’Ivoire,
notamment, en vue d’une transcription sur les registres ivoiriens d’une mention en
marge ou d’une rectification d’un acte de l’état civil ivoirien. Il est évident que, dans
de telles circonstances, la force probante est appréciée selon la loi du for, selon le
droit ivoirien en l’espèce.

Au demeurant, la preuve n’a pas toujours un caractère judiciaire ou juridictionnel.


Mais, « toute difficulté relative à l’application des lois étrangères ayant vocation à
être portée devant les tribunaux »1169, c’est son application judicaire qui sera
envisagée à l’occasion de cette étude.

5. Cette précision faite, on peut se rappeler que, dans la lignée romano-germanique


dans laquelle s’inscrit le droit ivoirien, l’action en justice vise à convaincre le juge,

                                                                                                                                              

française 1994, p. 81.


1166
B. AUDIT, op. cit., p. 237, n° 261.
1167
J.-P. GRIDEL, Notions fondamentales de droit et de droit français : Introduction, méthodologie,
synthèses, Editions Dalloz, 1992, p. 542.
1168
Il peut s’agir soit d’un extrait de naissance, soit d’un certificat du chef coutumier ou du chef de village,
etc.
1169
B. AUDIT, op. cit., p. 226, n° 252.
274 

 
afin qu’il impose la reconnaissance de ce qui est dû à chacun. La procédure est là pour
faire triompher le suum cuique tribuere (donner à chacun ce qui doit lui revenir). Et
alors, comme l’a dit J.-P. GRIDEL, « pragmatiquement, le succès du droit repose sur
l’administration effective et efficace de la preuve »1170. La preuve s’appréhende, pour
ainsi dire, comme le « moyen de démontrer un fait, ou tout au moins d’en persuader
le juge »1171, le « moyen permettant d’établir la véracité d’un fait », le moyen
« d’emporter la conviction du juge sur la survenance de certains faits »1172, « ce qui
persuade l’esprit d’une vérité »1173, « ce qui montre la vérité d’une proposition, la
réalité d’un fait »1174, « ce qui démontre, établit la vérité d’une chose »1175.

6. A ce titre, il est très souvent avancer que la preuve à apporter en justice se


réduirait en principe à celle du fait, par distinction d’avec celle du droit applicable
même si « la solution juridique que la décision juridictionnelle reconnaît ou protège,
rétablit ou sanctionne, résulte d’une articulation entre les faits et l’application de
telle règle de droit conçue pour eux. Il faut donc que les deux éléments soient
établis »1176.

Il est en effet courant, et conseillé, que les parties indiquent et développent, dans
l’acte introductif d’instance ou dans leurs conclusions en demande ou défense, les
moyens de droit par lesquels elles considèrent que seuls leurs intérêts sont
juridiquement fondés. Mais, en théorie, l’on estime qu’il n’y aurait là aucune
obligation : si le demandeur ne précise pas les fondements juridiques de sa prétention,
le juge qui « tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont
applicables », aurait alors le devoir de les rechercher lui-même1177.

7. Le contenu du droit positif n’aurait donc pas à être spécialement prouvé par telle
ou telle partie au procès : parce que « la Cour connaît le droit » (Jura novit curia)1178,
on ne devrait pas prouver l’existence d’une règle de droit. Le plaideur n’aurait d’autre
preuve à établir que celle des faits auxquels le juge a mission d’appliquer la règle que
leur destine le droit objectif.

8. A ces égards, il est toutefois essentiel pour le juge de savoir où passe la frontière,
et donc de discriminer ce qui, d’après les textes et la jurisprudence, appartient aux

                                                            
1170
J.-P. GRIDEL, op. cit., p. 543.
1171
Dictionnaire de la culture juridique, Sous la direction de D. ALLAND et S. RIALS, Quadrige/Lamy-
PUF, Paris, 1ère édition, octobre 2003, 4ème tirage, décembre 2012, V° Preuve, p. 1195.
1172
P. MAYER et V. HEUZE, Droit international privé, 7ème édition, Editions Montchrestien, Paris, 2001,
p. 333, n° 500.
1173
J. DOMAT, Lois civiles, 1ère partie, Livre III, Tome 6, édition Rémy, II, p. 137.
1174
Littré, V° Preuve.
1175
Le Petit Larousse illustré, V° Preuve.
1176
J.-P. GRIDEL, op. cit., p. 544.
1177
Sauf quand le juge statue sur une voie de recours.
1178
Cet adage a fait l’objet d’une thèse qui retrace son évolution et ses modifications modelées par le temps.
V. L. PENNEC, L’adage jura novit curia dans le procès civil – Emergence et évolution contemporaine en
droit comparé, direction J.-J. PARDINI, thèse, Toulon, décembre 2010.
275 

 
éléments de fait ou, à l’inverse, relève des éléments de droit.

Ainsi, il a pu être considéré que sont des éléments de fait, notamment, non seulement
les faits juridiques, mais aussi les volontés privées génératrices d’effets de droit
(exemple des contrats et des testaments), les situations établies en droit ou en fait
(exemple de l’état du mariage). Au contraire, doivent être appréhendées comme des
éléments de droit toutes les dispositions du jus scriptum1179 ivoirien qui part de la
Constitution ivoirienne en passant par les Traités régulièrement ratifiés jusqu’au plus
modeste arrêté, les jurisprudences – interprétatives de ces textes, ou prétoriennes, ou
consacrant la valeur positive d’un principe général du droit –, les règles et principes
qui, en cas de conflits de lois, désignent le droit matériel applicable.

9. Mais en ce qui concerne la loi étrangère, la question de sa nature juridique a


toujours fait l’objet de vives controverses doctrinales en droit comparé et est
appréhendée différemment selon les systèmes juridiques de sorte qu’envisagée en
référence au système juridique ivoirien, la question se pose en ces termes : Comment
la loi étrangère est-elle réellement traitée ou appréhendée dans le giron procédural
ivoirien ? En d’autres termes, comment la question de la preuve du droit étranger est-
elle appréhendée en droit ivoirien ?

10. Telle est la problématique majeure de cette réflexion. Elle pourrait paraître, peut-
être, d’un intérêt négligeable au regard des pays dotés d’une codification spécifique
en la matière ou dans lesquels l’œuvre jurisprudentielle est d’une fécondité certaine.
Mais, replacée dans le cadre du droit international privé comparé1180, et
particulièrement du droit international ivoirien où les difficultés de codification
spécifique auxquelles l’on se heurte, difficultés doublées de la rareté des décisions de
jurisprudence, surtout en l’absence quasi-générale de publication de ces dernières
dans des revues spécialisées, une étude autour de cette problématique pourrait se
révéler tel un fil d’Ariane de la question en droit ivoirien, pourrait paraître une
bouffée d’oxygène pour des sauriens recherchant en vain les traces d’un serpent sur le
rocher.

Le contexte historique des pays africains au Sud du Sahara était, en effet, marqué par
« l’absence de législations nationales de droit international privé, systématique ou
partielles »1181. Mais, cette situation de pénurie relative de réglementation nouvelle
des problèmes de droit international privé a notablement évolué dans ces pays. Car,
même si cette codification a plus emprunté la voie de la codification partielle portant
sur certaines matières qu’une codification générale, il est constaté dans notamment les

                                                            
1179
Le « droit écrit » qu’on distingue du « droit rationnel » (jus non scriptum).
1180
Et même dans des Etats comme la France où l’œuvre jurisprudentielle sur la question est immense, la
question de la preuve du droit étranger demeure toujours d’actualité, vu l’évolution toujours constante de la
jurisprudence française sur la question.
1181
A. BOYE, « Le statut personnel dans le droit international privé des pays africains au Sud du Sahara.
Conceptions et solutions des conflits de lois. Le poids de la tradition négro-africaine personnaliste »,
Recueil des cours de l’Académie de la Haye, Tome 238, 1993, I, p. 257.
276 

 
pays d’Afrique noire d’expression française « un vaste mouvement de codification des
règles de droit international privé en matière de conflits de lois et de
juridictions »1182. L’effet de cette codification est justement d’apporter des réponses
possibles et souhaitables aux problèmes de droit international privé en relation avec
leur programme de développement économique et social. Malheureusement, une telle
œuvre de codification traîne encore le pas dans certains pays comme la Côte-
d’Ivoire1183 au regard d’autres comme le Burkina Faso1184 et le Sénégal1185 qui
disposent de Code de la famille laissant entrevoir la place considérable accordée au
droit étranger devant les juridictions du Burkina Faso et du Sénégal.

11. Pour dire que s’il est vrai que, pour des raisons liées à la disponibilité de
matériaux notamment jurisprudentiels suffisants et réactualisés autorisant des prises
de positions solides en ce qui concerne les pays étrangers à la Côte-d’Ivoire, cette
étude portera pour l’essentiel sur la législation et la jurisprudence ivoiriennes, elle ne
saurait, par contre, se passer d’une incursion, même rapide, dans le droit comparé.

12. Justement, ce regard croisé permet très vite de se rendre compte qu’en droit
ivoirien, sans que l’on ne soit en théorie fixé la nature de la loi étrangère, des raisons
de justice équitable et d’ordre pratique conduisent nécessairement à établir une
différence entre la connaissance de la loi étrangère par le juge et sa production par les
plaideurs comme pièce aux dossiers du procès. Ainsi, en droit ivoirien, l’on constate
une exigence générale de la preuve de la loi étrangère par les plaideurs (I). Tirant les
conséquences de cet état de fait, et parce qu’un procès ne saurait être appréhendé
comme le cadre de positions étanches et conflictuelles, surtout en tenant compte des
considérations de justice de droit international privé, la recherche d’une collaboration
proactive des acteurs du procès s’avère somme toute opportune (II).

I- L’exigence générale en droit ivoirien de la preuve de la loi étrangère par les


plaideurs

13. On le sait, à l’occasion d’une contestation, le juge peut être amené à faire
application d’une loi étrangère en vertu des règles de conflit de lois. Il se pose alors la
question de savoir si cette loi étrangère compétente doit faire l’objet d’une preuve par
                                                            
1182
A. BOYE, op. cit., p. 257.
1183
En Côte d’Ivoire, il y a une absence de théorie générale du droit international privé : outre « la faiblesse
des textes internes [qui] n’est pas suppléée par un réseau très dense de conventions internationales… La
Côte d’Ivoire n’est pas partie à aucune grande convention en matière de conflits de lois », « l’examen de
(…) décisions ivoiriennes connues en matière de conflit de lois ne permet pas de conclure à l’existence
d’une théorie générale du droit international privé » (V. L. IDOT, « Eléments d’un droit international privé
africain : l’exemple de la Côte-d’Ivoire », Revue juridique africaine, n° 1, 1990, p. 7 ss. spéc. p. 10 et 11,
n° 5, 6 et 7). Ainsi, en matière de conflits de lois, quelques dispositions éparses dans les lois civiles de 1964
peuvent être citées : il s’agit par exemple des articles 29 et 30 de la loi relative au mariage sur la forme du
mariage, l’article 4 de la loi relative aux successions, l’article 99 de la loi relative à l’état civil, de l’article
61 de la loi relative aux libéralités sur la possibilité de tester en la forme olographe même à l’étranger, ect.
1184
Zatu an VII du 16 novembre 1989 portant institution et application d’un code des personnes et de la
famille au Burkina Faso.
1185
La Loi n° 72-61 du 12 juin 1972 portant Code de la famille au Sénégal.
277 

 
les plaideurs ou si elle est censée ou supposée être connue par le juge de sorte qu’il lui
appartient d’en déterminer le contenu sans recours a priori aux plaideurs.

14. En droit comparé, la réponse à cette question a fait – et continue de faire – couler
beaucoup d’encre, et montre que l’évolution contemporaine au regard des différents
systèmes juridiques sur la question n’est pas univoque1186.

15. Pour le moins qu’on puisse, de prime abord, dire c’est que cette question attrait
bien évidemment à l’office du juge et, corrélativement, au rôle laissé aux plaideurs
dans un contentieux affecté d’un conflit de lois de droit international privé.

16. Cette question qui ne finit pas de dévoiler ces charmes car « largement tributaire
de la part de mystère qu’ils persistent à entretenir en dépit d’importants efforts de
clarification »1187 et qui conduit même à se demander si « l’office du juge accéderait
(…) à une (…) stabilité »1188, semble avoir trouvé une réponse « stable » notamment
en droit ivoirien. La position adoptée par le droit ivoirien sur la question amène à
établir une nuance : il appartient certes au juge ivoirien de connaître la loi étrangère
applicable mais il ne lui appartient pas de la produire comme pièce au dossier,
obligation qui incombe aux plaideurs. En d’autres termes, l’office légal du juge
ivoirien impose aux plaideurs de faire la preuve de la loi étrangère (A) à travers sa
production comme pièce aux dossiers (B).

A- Une exigence imposée par l’office légal du juge ivoirien

17. La fonction spécifique de la règle de conflit dont la bilatéralité met en évidence


l’égalité de vocation des normes du for et des normes étrangères n’empêche pas le
conflit de lois de basculer dans le domaine de l’office du juge1189. Or justement, une
réflexion sur l’office du juge et son périmètre d’intervention est tellement vaste
qu’elle appelle qu’on le précise d’emblée ou que l’on le réduise dans le cadre d’un
article modeste.

18. A ce sujet, il faut, de prime abord, souligner que l’office du juge a certes des
                                                            
1186
Dans certains systèmes juridiques, la loi étrangère est appréhendée comme un élément de fait soumis à
la preuve par les parties (il en est ainsi du droit sénégalais où l’article 850 alinéa 2 du Code de la famille qui
permet au juge sénégalais « de faire de sa connaissance personnelle de la loi étrangère considérée comme
un fait général accessible à tous », apporte une réponse à la question en considérant la loi étrangère comme
un élément de fait et non une règle de droit. Dans d’autres systèmes juridiques, elle est plutôt qualifiée de
droit et il est fait obligation au juge qui est censé connaître le droit, de la prouver, au besoin avec l’aide des
parties (Ainsi en est-il en droit burkinabé où selon l’article 1008 du Code des personnes et de la famille, la
loi étrangère est une règle de droit dont « le contenu (…) est établi d’office » par le juge). En France, la
question a subi plusieurs évolutions qui tendent actuellement vers la preuve de la loi étrangère par le juge
français.
1187
D. Bureau, note sous Civ. 1ère, 5 oct. 1994, Société Démart, RCDIP 1995, p. 61.
1188
H. MUIR WATT, note sous Cass. civ. 1ère, 5 nov. et 10 déc. 1991 (2 arrêts), RCDIP 1992, p. 317.
1189
Pour paraphraser H. MUIR WATT, note sous Cass. 1ère ch. civ., 5 novembre 1991, Masson , et 10 déc.
1991, Sarkis, Rev. crit. DIP 1992.314 et s., spéc. 321.
278 

 
finalités extra-juridiques, « à savoir la protection des libertés, la punition ou la
vérité »1190 mais c’est sous l’angle de son rapport au droit qu’il sera abordé dans cette
analyse.

19. Cela étant, le terme « office du juge » qui se rencontre souvent dans la littérature
juridique n’est généralement pas précisément défini. Tout au plus sait-on que
« l’office du juge ne se confond ni avec son statut, ni avec sa légitimité, ni avec son
rôle dans le procès, ni avec son périmètre d’action [même s’il en découle], ni avec
l’acte de juger, ni enfin avec les différentes fonctions spécialisées [qui se sont
multipliées ces dernières années] (…). L’office est tout cela mais aussi plus que cela :
il est le foyer de sens de la fonction de juger »1191.

20. Mais, sur la voie d’une étiologie de l’office du juge, un passage en revue des
définitions classiques de l’office du juge permet d’identifier plusieurs types d’office
du juge1192 parmi lesquels l’office légal, c’est-à-dire l’office dans lequel le juge est
guidé par la loi.

Pour la doctrine, l’office du juge se confond, en effet, surtout avec l’acte


juridictionnel qui « traduit la fonction judiciaire dans son essence »1193 et le distingue
de tout acte public, notamment administratif. En ce sens, les critères substantiels1194
de l’office du juge sont essentiellement la disputatio et la jurisdictio : avec le premier
critère substantiel, « ce qui distingue la fonction de juger, c’est la mission de trancher
un litige, c’est-à-dire de décider entre des prétentions contraires juridiquement
argumentées »1195. Ainsi, un acte juridictionnel a pour mission de « trancher les
litiges, en se fondant sur des considérations juridiques, avec force de vérité
légale »1196. Avec le second critère qui insiste davantage sur le monopole de dire le
dire, « la fonction juridiction se borne au dire (jurisdictio) obligatoire (imperium) du
                                                            
1190
V. A. GARAPON, S. PERDRIOLLE, B. BERNABE et C. KADRI, « L’office du juge, une question
refoulée », in Rapport de l’IHEJ « La prudence et l’autorité. L’office du juge au XXIè siècle », mai 2013, p.
16, consultable sur www.ihej.org.
1191
V. A. GARAPON, S. PERDRIOLLE, B. BERNABE et C. KADRI, op. cit., p. 15.
1192
Une classification de l’office du juge peut se faire suivant notamment sa source, son objet et son
intensité. V. à ce sujet, A. GARAPON, S. PERDRIOLLE, B. BERNABE et C. KADRI, « L’office du juge,
une question refoulée », in Rapport de l’IHEJ précité, p. 18.
1193
V. L. CADIET et E. JEULAND, Droit judiciaire privé, Paris, LGDJ, 6è éd., 2009, n° 75 et suiv.
1194
L’acte juridictionnel peut être défini soit de manière formelle par la méthode propre suivie par l’acte de
juger, soit de manière substantielle par sa fonction. D’un point de vue formel, l’office du juge repose sur
trois critères : l’organe, la procédure et l’indépendance du juge. E est alors juridictionnel l’acte émanant
d’un juge étatique statuant au terme d’une procédure contradictoire. Ainsi qu’a pu l’affirmer Carré de
MALBERG, le critère n’est pas à chercher « dans le contenu matériel de l’acte mais [dans] sa forme. Le
signe distinctif auquel se reconnaît l’acte juridictionnel, c’est d’une part, son origine, en tant qu’il est
l’œuvre d’une autorité organisée spécialement pour l’exercice de la juridiction, et d’autre part, sa
procédure, en tant qu’il a été accompli selon les règles propres à la fonction qui consiste à juger. […] La
notion de juridiction a, en droit, un fonctionnement purement formel et pas matériel » (R. Carré de
MALBERG, Contribution à une théorie générale de l’Etat, n° 266, Paris, CNRS Editions, 1985.
1195
V. A. GARAPON, S. PERDRIOLLE, B. BERNABE et C. KADRI, op. cit., p. 16.
1196
V. P. DELVOLVE, « Le juge et la vérité, aspects de droit public », Annales de la faculté de droit de
Toulouse, t. XXVI, 1978, p. 339-367.
279 

 
droit »1197. La jurisdictio se décompose ainsi en une opération de constatation initiale
d’un droit subjectif ou d’une violation de la loi, d’où découle logiquement la décision
qui s’y attache1198.

21. Comme l’on peut le voir, les différentes écoles de pensées sur la doctrine de
l’office du juge se concentrent davantage sur son rapport au droit. S’il en est ainsi,
c’est bien parce que la « loi » est la borne principale1199 de l’office du juge. En effet,
aux termes de l’article 103 de la Constitution ivoirienne du 1er août 2000, « Les
magistrats ne sont soumis, dans l’exercice de leurs fonctions, qu’à l’autorité de la
loi. » Ainsi, toute l’activité juridictionnelle du juge est-elle placée d’une manière
impérative sous l’emprise de la loi et exige-t-elle alors de la part de ce magistrat, sous
peine de sanction, le respect et l’application de la loi. Une telle « déférence du juge à
la loi »1200 ou une telle « emprise du juridique »1201 sur le juge s’explique d’abord par
ce que « nul n’est censé ignorer la loi » mais ensuite, et surtout, par ce que « la Cour
[le juge] connaît le droit », traduction de l’adage latin « Jura novit curia », « un
principe qui constitue la pierre angulaire du procès civil »1202 notamment.

22. La règle « jura novit curia » énonce une présomption spéciale de qualification :
toute juridiction saisie d’un litige est présumée avoir la pleine connaissance de la
règle de droit applicable à la cause. Elle traduit bien le sens de l’office du juge pris
dans son sens latin strict comme « devoir » d’appliquer le droit1203. Elle oblige le juge

                                                            
1197
V. S. RIALS, « Ouverture. L’office du juge », Droit. Revue française de théorie juridique, n° 9 ; La
fonction de juger, Paris, PUF, 1989, p. 6.
1198
V. notamment L. DUGUIT, pour qui ces deux éléments – la constatation et la décision qui en découle –
sont indissociables, et leur union forme le propre de la fonction juridictionnelle. Ainsi, dit-il « ce qui fait
que l’acte juridictionnel a un caractère spécifique (…), c’est l’union indissociable et logique qui existe
entre la constatation et la décision qui s’y attache. (…) » (L. DUGUIT, « L’acte administratif et l’acte
juridictionnel », RDP, 1906, p. 413-471, cité in A. GARAPON, S. PERDRIOLLE, B. BERNABE et C.
KADRI, op. cit., p. 16.
1199
Si en Côte d’Ivoire, la loi semble être, aux termes de la Constitution, la seule borne de l’office du juge,
il est reconnu qu’en plus de la loi, on pourrait citer la conscience comme autre borne de l’office du juge. Et
certaines Constitutions ont reconnu cette règle. Ainsi, aux termes de l’article 37 alinéa 2 de la Constitution
de la République du Cameroun, « Les magistrats du siège ne relèvent dans leurs fonctions juridictionnelles
que de la loi et de leur conscience ». Ainsi, dans l’exercice de la fonction de juger, le magistrat est soumis,
« tant à la loi qui est une donnée objective en ce qu’elle est une norme extérieure aux parties et au juge lui-
même, qu’à sa propre conscience, c’est-à-dire à une donnée de nature subjective en ce qu’elle procède de
son for intérieur ! » (A. AKAM AKAM, « LA LOI ET LA CONSCIENCE DANS L’OFFICE DU JUGE »,
Revue de l’ERSUMA : Droit des affaires – Pratique professionnelle, n° 1 – juin 2012, Pratique
professionnelle, n° 1, p. 1).
1200
V. A. AKAM AKAM, « LA LOI ET LA CONSCIENCE DANS L’OFFICE DU JUGE », Revue de
l’ERSUMA : Droit des affaires – Pratique professionnelle, n° 1 – juin 2012, Pratique professionnelle, n° 8,
p. 4.
1201
Ibid.
1202
V. A. OUATTARA, « La fonction de juger entre surprise et méprise ? Elucubrations ingénues sur la
fonction de juger, à partir du jugement n° 458/2013 du 31 mai 2013 rendu par le tribunal de commerce
d’Abidjan », in Actualités juridiques (revue ivoirienne d’informations juridiques et judiciaires), n° 80 /
2014, p. 287-290 précisément p. 288.
1203
La fonction du juge, chargé par l’Etat de trancher les litiges en appliquant le droit, implique qu’il arbitre
entre des prétentions divergentes et qu’il statue conformément à la loi qu’il doit connaître.
280 

 
à avoir une connaissance parfaite (et non totale)1204 du droit positif, ce d’autant plus
qu’il ne peut dire le droit que dans la mesure où il le sait. Elle pose, pour ainsi dire, un
devoir général et absolu pour le juge d’appliquer d’office la règle de droit applicable
au litige dont il est saisi.

23. Il se pose alors la question de l’étendue de cette « légalité », de l’étendue de la


connaissance du droit ou de la consistance du droit censé connu par le juge. Plus
particulièrement, il s’agit de savoir si la loi étrangère fait partie de ce « droit », de la
« loi » que le juge ivoirien est censé connaître. Car, s’il n’est pas contesté que le juge
est censé connaître un droit « composite, divers et épars »1205 qui comprend la
Constitution qui en est la faitière en droit ivoirien, la loi sous toutes ces formes1206, les
règlements1207, les accords et traités internationaux régulièrement approuvés ou
ratifiés1208, auxquels on peut ajouter les principes généraux et les maximes
juridiques1209, au sujet de la connaissance de la loi étrangère le flou demeure en Côte
d’Ivoire.

24. Au demeurant, relativement à la question du statut juridique de la loi


étrangère1210, question qui, sous d’autres cieux1211, a fait couler beaucoup d’encre ou
qui a trouvé prise de position franche de la part de certains législateurs comme les
législateurs burkinabé et sénégalais1212, en droit ivoirien il règne encore une certaine
incertitude au regard du mutisme des dispositions législatives relatives au droit
international privé. Tout au plus, peut-on jeter un regard sur la jurisprudence
ivoirienne – du moins une seule décision de justice – qui n’aborde malheureusement
pas la question d’une façon heureuse et exempte de tout reproche : dans un jugement
rendu par le tribunal de commerce d’Abidjan, le juge ivoirien estime que la loi

                                                            
1204
Comme le dit le professeur A. AKAM AKAM, le juge connaît les lois qu’il a apprises et qu’il pratique,
comme tout technicien, mais l’interprétation de la loi impose une connaissance du droit, fondement même
de la décision du juge. A ce titre, le juge est censé connaître les lois existant au moment où il est saisi d’une
situation litigieuse. Mais, « il va de soi que l’on ne demande pas au juge d’avoir connaissance totale du
droit positif. Cela est au-dessus et de ses forces, et de ses capacités. Ce qui lui est exigé, c’est par contre
d’avoir un certain savoir juridique nécessaire à l’exercice de sa mission » (V. A. AKAM AKAM, op. cit.,
n° 10, p. 4).
1205
V. A. AKAM AKAM, op. cit., n° 11, p. 4.
1206
Il s’agit à la fois de la loi émanant du législateur que des ordonnances prises par le Président de la
République dans les domaines relevant du domaine de la loi (V. article 71 et articles 75 et suiv. de la
Constitution ivoirienne du 1er août 2000).
1207
Il s’agit des décrets et arrêtés pris par les autorités investies du pouvoir réglementaire.
1208
V. article 87 de la Constitution ivoirienne de 2000.
1209
Ces règles de droit seraient une composante des coutumes pris dans un sens large.
1210
La question se pose de savoir si la loi étrangère a la nature de règle de droit ou alors s’il s’agit d’un
simple fait.
1211
Il en est ainsi en droit français et en droit belge.
1212
En droit burkinabé, selon l’article 1008 du Code des personnes et de la famille, la loi étrangère est une
règle de droit dont « le contenu (…) est établi d’office » par le juge. En droit sénégalais, l’article 850 alinéa
2 du Code de la famille qui permet au juge sénégalais « de faire de sa connaissance personnelle de la loi
étrangère considérée comme un fait général accessible à tous », apporte une réponse à la question en
considérant la loi étrangère comme un élément de fait et non une règle de droit.
281 

 
étrangère est « considérée en droit international privé comme un fait »1213. Mais ce
que ce tribunal ne dit pas, c’est sur le fondement de quelle disposition légale il a pu
donner la nature de fait à la loi étrangère ! Serait-ce certainement en se référant à la
jurisprudence française « à titre de raison écrite » ?1214 Et même si c’est à ce titre, la
jurisprudence française ne permet plus de tenir un tel point de vue ce d’autant plus
qu’avec l’arrêt Coucke du 13 janvier 1993, la Cour de cassation française a levé tout
équivoque sur la question en affirmant que « malgré l’absence de contrôle par la
Cour de cassation, [la loi étrangère] est une règle de droit »1215.

25. La seule certitude est que, loin de ce mutisme législatif et de ce flou


jurisprudentiel et certainement doctrinal, le juge civil ivoirien ne statue que sur
pièces1216, lesquels pièces doivent lui être fournies par les plaideurs, sans
considérations aucune notamment de la nature de droit disponibles ou indisponibles.
Et donc, même s’il a connaissance de la loi étrangère, il ne revient pas au juge de la
produire au dossier, œuvre qui incombe éminemment aux parties.

B- Une exigence matérialisée par l’éminence du rôle des parties dans la


production de la loi étrangère comme pièce aux dossiers

26. Loin des atermoiements doctrinaux et jurisprudentiels au sujet de la nature de la


loi étrangère, et même s’ils ne peuvent être cités comme faisant partie d’une théorie
générale du droit international privé ivoirien, les articles 135 et suivants et les articles
54 et suivants du Code de procédure civile ivoirien imposent aux plaideurs, au cours
d’un procès civil, de produire toutes les pièces du dossier sur lequel le juge statue. Il
en serait autrement concernant la loi étrangère qu’ils ont l’obligation de produire
comme pièce au dossier.

27. Cette posture du droit ivoirien qui s’exprime dans ces textes ci-devant cités,
s’explique par une combinaison de l’un des principes directeurs du procès civil – le
principe dispositif – et le modèle de procédure en vigueur au cours du procès civil –

                                                            
1213
V. Tribunal de commerce d’Abidjan, jugement n° 004/2012 du 22 novembre 2012, Société FPL c/
Sociéte AMI et Autres, in Actualités juridiques, n° 80/2014, p. 303. L’attendu principal est ainsi libellé :
« Le contenu de cette loi étrangère, considérée en droit international privé comme un fait, doit être prouvé
par la partie qui s’en prévaut. A cet égard, le demandeur produit un certificat de coutume établi le 03
janvier 2012. Il est vrai que le certificat de coutume, attestation émise par une autorité locale ou un
particulier à la demande d’une partie sur la teneur de la loi étrangère et la règle de conflit, admise comme
l’un des moyens de preuve de la loi étrangère ne lie pas le juge. Toutefois, celui-ci peut en tenir compte
lorsque les circonstances de son établissement le rendent crédible. En l’espèce, le certificat de coutume a
été établi par un avocat dont les déclarations ont été consignées dans un acte notarié ; ce qui lui confère de
la crédibilité, autorisant le Tribunal de céans à y adosser sa décision (…) ».
1214
La Cour suprême de Côte d’Ivoire (C.S.C.I) a admis que l’on peut utilement faire recours aux exemples
étrangers pertinents, qu’il est pleinement autorisé les arguments de droit comparé (Voir C.S.C.I., formation
plénière et solennelle, 4 avril 1989, affaire Omaïs c/ Tallal, in Revue Ivoirienne de Droit Economique et
Comptable (RIDEC), n° 7, juillet 1989.
1215
Cass. civ. 1ère, 13 janvier 1993, Rev. crit. 1994, 78, note Ancel.
1216
V. notamment article 140 du Code de procédure civile ivoirien et article 26 de la loi n° 97-243 du 25
avril 1997 relative à l’organisation, composition et fonctionnement de la Cour suprême de Côte d’Ivoire.
282 

 
procédure essentiellement accusatoire.

28. L’on le sait, le principe dispositif répond à la question suivante : « Qui dispose du
procès ? » « Qui, du juge ou des plaideurs, influence le cours de l’instance ? ». En
réponse à cette question, le principe dispositif donne de savoir que, de façon
classique, ce sont les plaideurs qui disposent du procès, qui sont « maîtres du procès »
car « selon la théorie de l’autonomie de la volonté, chacun est le mieux à même
d’apprécier et de défendre ses propres intérêts, et doit, en conséquence, avoir la
liberté de faire à sa guise – dans les limites d’un formalisme qui assure la régularité
des échanges »1217. Mais cet état de fait est d’autant plus affirmé que la procédure a
un caractère accusatoire1218 – ou du moins essentiellement accusatoire1219 –,
procédure dans le cadre de laquelle « le juge n’a ni l’initiative ni la direction du
procès et le droit d’action n’est qu’une modalité du droit lui-même »1220. Ce système
suppose, pour ainsi dire, un rôle « passif » du juge et sa neutralité sous peine de
récusation1221 : « Il ne doit intervenir dans le débat, ni aider une partie en lui
procurant une preuve, ni présenter d’office un argument de droit »1222. En d’autres
termes, le juge se comporte comme un arbitre qui « assiste à l’échange des
prétentions entre les parties et sert éventuellement de garant de la loyauté des
débats »1223.

29. C’est justement ainsi que le juge ivoirien est invité à se comporter dans un procès
civil, lui dont le rôle à l’audience est d’« ouvrir, de diriger et de déclarer clos les
débats lorsqu’il s’estime suffisamment éclairé par les parties qui lui auront présenté
tous éclaircissements utiles »1224.

30. Pour dire qu’en droit ivoirien, la procédure civile (et commerciale) –

                                                            
1217
V. G. WIEDERKEHR, « Le principe du contradictoire », in Dalloz 1974, chron., p. 95.
1218
On oppose à la procédure accusatoire la procédure inquisitoire à laquelle on attribue des caractéristiques
essentielles symétriquement opposées de la procédure accusatoire. Ainsi, quand la procédure accusatoire
est présentée comme une procédure orale, publique et contradictoire, on estime que la procédure
inquisitoire est plutôt écrite, secrète et non contradictoire. Quant à leur influence sur l’office du juge, dans
une procédure accusatoire, le juge ne joue que le rôle d’un arbitre alors qu’il joue un rôle très actif dans la
procédure inquisitoire.
1219
Aucune procédure n’est, de nos jours, exclusivement accusatoire ou inquisitoire. On rencontre plus des
procédures mixtes. Mais, le mélange de procédures est dominé par l’une des procédures sur l’autre. Ainsi,
aura-t-on une procédure essentiellement accusatoire ou une procédure essentiellement inquisitoire. Dans
cette optique, le procès civil en droit ivoirien est essentiellement accusatoire car « la chose des parties »
mais même ainsi le juge peut y jouer un rôle actif en les enjoignant à accélérer le rythme, notamment par le
dépôt des conclusions.
1220
V. P. VAN OMMESLAGHE, Droit des obligations, Tome 3, « Régime général de l’obligation, théorie
des preuves », Groupe de Boeck, Bruxelles, 2010, n° 1642, p. 2244.
1221
V. articles 128 à 132 du Code de procédure civile ivoirien.
1222
V. H.CROZE, C. MOREL et O. FRADIN, Procédure civile, « objectif droit », Litec, 2001, n° 467, cité
in B. ROLLAND, Procédure civile, 30 fiches de synthèse…, collection « Panorama du droit », Studyrama,
2005, fiche 5 « Le principe du dispositif », p. 72-82, précisément p. 76.
1223
B. ROLLAND, Procédure civile, 30 fiches de synthèse…, op. cit., p. 75.
1224
Ainsi, pourrait-on résumer les articles 136 et 137 du code de procédure civile ivoirien.
283 

 
contrairement à la procédure pénale1225 – est essentiellement1226 accusatoire et en tant
que telle, cela se traduit dans le processus de recherche des preuves : La charge de
l’allégation et la charge de la preuve pèsent sur les plaideurs qui disposent seuls de
l’action1227 ; et alors « celui qui allègue, doit prouver ! ».

31. Or, justement, le juge n’allègue rien. Il tranche la contestation que les plaideurs lui
soumettent telle que ceux-ci la portent devant lui, telle que ceux-ci l’exposent dans
leurs conclusions. La saisine du juge est, en effet, encadrée par l’assignation et par les
conclusions additives et surtout par les dernières conclusions qui vont fixer sa
compétence. Et parce que le juge ivoirien statue sur pièces1228, l’article 54 du Code de
procédure civile ivoirien fait obligation aux parties de produire les pièces du dossier
« dans un délai fixé dans la décision qui l’ordonne et pendant lequel les parties
doivent, si les pièces sont en leur possession, les déposer au dossier ou si elles ne les
détiennent pas elles-mêmes faire diligence pour qu’elles y soient versées ». Par
principe donc, la production des pièces au dossier est à la charge des parties. Ce n’est
que de façon exceptionnelle, « lorsque les pièces dont la production est ordonnée font
partie d’un dossier pénal ou si elles sont détenues par une administration
publique »1229 que la décision est portée à la connaissance du Ministère public qui est
chargé de son exécution.

32. Se trouve donc proclamée l’éminence du rôle des parties dans la production de la
loi étrangère comme pièce du dossier du procès. La Cour suprême de Côte d’Ivoire a
eu à réaffirmer cette position du droit ivoirien en plusieurs arrêts. Ainsi, dans un arrêt
en date du 14 mars 2001, la juridiction suprême ivoirienne a affirmé : « (…) c’est en
vain que le requérant soutient que seule la loi française est applicable à la procédure
en divorce d’avec son épouse quand on sait qu’en toute lucidité, les époux n’ont point
exigé devant le tribunal et la Cour d’appel l’application de leur loi personnelle dont
ils n’ont point jugé utile de produire une copie (…) »1230.

                                                            
1225
En matière pénale, où les plaideurs ne rapportent que les faits, la loi est préétablie et il revient
principalement au Parquet de démontrer que la loi pénale a été violée de telle ou telle manière des éléments
constitutifs et, invoquant la loi pénale particulièrement violée, il demande au juge de constater et de
sanctionner.
1226
La procédure civile est non exclusivement accusatoire mais elle n’est qu’essentiellement accusation.
Car, elle est devenue de nos jours une procédure mixte.
1227
L’action est « un attribut du droit matériel auquel (les parties) prétendent et dont elles réclament la
consécration » (Lire E. KRINGS, « L’office du juge dans la direction du procès », JT, 1983, 513, cité par P.
VAN OMMESLAGHE, Droit des obligations, op. cit..
1228
D’où la référence dans les décisions de justice ivoiriennes des expressions comme « Vu les pièces du
dossier », « Vu les pièces du procès », « Vu le mémoire produit », « Il résulte des productions… », « Il
résulte des productions et des écritures », « Il n’est pas établi au regard des pièces du dossier de la
procédure… » (V., par exemple, C.S.C.I. arrêt n° 506 du 13 juin 2002, affaire Pohu Philippe, inédit ; Cour
d’appel d’Abidjan, arrêt n° 1341 du 27 décembre 2002, Jacqueline Jah Jah épouse Sabbagué c/ Sabbagué
Chantal Charbel, inédit ; Cour d’appel d’Abidjan, ch. civ. et comm., 25 janvier 1974, RID 1976, 1-2, p. 36-
38).
1229
V. article 55 du Code de procédure civile ivoirien.
1230
Cour suprême de Côte d’Ivoire (C.S.C.I.), ch. jud., arrêt n° 229/01, 14 mars 2001, Hocguet Christian /
Hocguet Zohair Sonia Youssef Kamal, arrêt inédit. N.B. : C’est nous qui avons souligné !
284 

 
33. A ce titre, il revient aux parties de verser la teneur de la loi étrangère au dossier du
procès. Il en est ainsi, tout d’abord, si les parties estiment que c’est la loi étrangère qui
doit s’appliquer. Il en est ainsi, ensuite, même si c’est le juge lui-même qui d’office se
rend compte que c’est la loi étrangère qui doit s’appliquer ; il a le devoir ou la
loyauté, en cette occurrence, d’en informer les parties et de renvoyer le procès aux
fins de production de ladite loi étrangère. Ainsi aux termes de l’article 52 alinéa 4 du
Code de procédure civile ivoirien, « le tribunal pourra (…) inviter oralement ou par
écrit, les parties à fournir, dans un délai fixé, les explications de droit ou de fait,
nécessaires à la solution du litige (…) »1231. Bien plus, le juge ivoirien ne peut
examiner aucun moyen, même d’ordre public, non soulevé par les parties, sans que
celles-ci aient été appelées par le juge à présenter leurs observations à cet égard1232.

Dans cette logique, le juge peut personnellement connaître la teneur de cette loi
étrangère, mais si elle n’est pas au dossier, il ne doit s’y prononcer (il ne lui revient
pas de la produire au dossier, sinon il deviendrait juge et partie)1233. En clair, il revient
au juge ivoirien, dans son office légal, de connaître le droit applicable, de savoir le
droit applicable au litige, en l’occurrence la loi étrangère applicable, mais il ne lui
revient pas d’administrer cette preuve dans le dossier, de la produire.

34. En pratique, si le juge sait ou estime que c’est une loi étrangère qui est applicable,
et si les parties ne l’ont pas relevé, il les en informe à l’occasion de l’avant-clôture de
la procédure (avant de mettre l’affaire en délibéré) et leur demande de produire cette
loi étrangère dans le dossier1234. Ainsi, si les dernières conclusions ne permettent pas
au juge d’avoir le contenu de la loi étrangère, et donc de répondre à la question
essentielle soulevée par le litige, il ira dans le sens d’un débouté : il peut alors déclarer
la demande recevable mais mal fondée puisque le fondement juridique n’en est pas
donné.

35. Cet état de fait conduirait certainement – au sujet de la nature juridique de la loi
étrangère – à « déduire de la preuve par les parties que la loi étrangère apparaît au
juge comme un élément de fait »1235. Cette posture, une telle thèse, pourrait
notamment s’expliquer sur le fondement de la maxime « Da mihi factum, dabo tibi
jus » (« Donne-moi le fait, je te donnerai le droit »), maxime qui repose sur une
distinction entre le fait et le droit. De ce fait, elle procède à une répartition des rôles
entre le juge et les plaideurs dans la détermination des éléments de l’instance (faits,
preuve, le droit). Au sens de cette règle, les plaideurs sont dispensés, dans le cadre de
                                                            
1231
V. article 52 alinéa 4 du Code de procédure civile ivoirien qui donne la possibilité au juge ivoirien
d’obliger les parties à fournir les explications de droit nécessaires au litige. V. également article 24 alinéa 2
et suiv. de la loi de 1997 sur la Cour suprême de Côte d’Ivoire.
1232
V. article 52 alinéa 4 in fine du Code de procédure civile ivoirien.
1233
Le juge ne peut produire une pièce au dossier. S’il le fait, il est partie au procès. Et alors, il s’expose à
des poursuites devant le Conseil de discipline, il peut même être radié à cette fin pour s’être comporté en
juge et partie.
1234
Au besoin, le juge peut demander de faire traduire, en français par interprète assermenté, agréé par la
Cour d’appel, la teneur de la loi étrangère qu’ils doivent produire.
1235
V. H. BATIFFOL, Traité de Droit international privé, 2ème édition, LGDJ, 1955, n° 332.
285 

 
la procédure, d’apporter la preuve de la règle de droit qu’ils invoquent à l’appui de
leurs prétentions.

Ainsi, suivant cet adage qui pose le principe que le droit ne nécessite pas de preuve
dès lors que le juge est censé connaître la loi, dès lors que le juge est présumé être
« maître du droit », les seules obligations incombant aux plaideurs sont les suivantes :
- soumettre au juge leurs prétentions ; - exposer et prouver les éléments de fait au
soutien de leurs prétentions. A l’inverse, l’impérativité dans l’office du juge conduit à
mettre à sa charge le devoir de connaître ou de s’informer lui-même de la teneur de la
loi1236, le devoir « d’apporter » le droit nécessaire à la solution du litige : aux faits
présentés par les plaideurs, il doit d’abord donner la qualification juridique qu’ils
requièrent, leur appliquer ensuite la règle de droit qui sied.

36. Au demeurant, cette maxime ne signifie aucunement que jamais les parties ne
plaident le droit : « elles présentent généralement au juge un habillage juridique
favorable à leur thèse en lui suggérant de l’adopter »1237. Elles proposent donc déjà
du droit au juge. Mais, le juge n’en est pas tenu, n’est pas lié par les dispositions de
loi que les plaideurs invoquent au soutien de leurs prétentions1238 ; ces dispositions
légales visées par les plaideurs n’en seraient que purement indicatives. Il a le pouvoir
de vérifier le sens et la portée de la loi, en l’occurrence de la loi étrangère. Il peut, au
vu des documents produits, redresser l’interprétation qui est donnée des textes et des
décisions1239.

37. Ainsi, dans la logique de cette règle, dès lors qu’en législation, le devoir de
s’informer ou de prouver la loi étrangère incombe non pas au juge mais plutôt aux
plaideurs, alors une qualification factuelle de la loi étrangère devrait logiquement
s’imposer. De façon particulière, ce point de vue signifie que dès lors qu’en droit
                                                            
1236
Cette obligation expose, par ailleurs, en cas d’erreur sur l’état ou le sens du droit positif, à la censure de
la Cour suprême.
1237
D. MOUGENOT, Droit des obligations : la preuve, Larcier, Bruxelles, 2002, n° 19, p. 84.
1238
Il en est ainsi quand même les parties au procès serait assistées par des professionnels du droit.
1239
Dans un arrêt (Cour d’appel d’Abidjan, 1er août 1969, arrêt n° 323, Dame Boudet c/ Fernangu, in Revue
ivoirienne de droit (R.I.D.) 1970, n° 4, p. 33) alors que l’appelante (dame Boudet) qui se fondait
notamment sur l’article 358 du Code civil français avait estimé que d’après ce texte « dans le cas d’une
adoption plénière, ‘‘ l’adopté a dans la famille de l’adoptant les mêmes droits et les mêmes obligations
qu’un enfant légitime’’, la Cour d’appel d’Abidjan a jugé que « Mais considérant que c’est à tort que dame
Boudet se prévaut de l’article 358 du code civil français, tel qu’il est cité ci-dessus ; Considérant en effet
que dame Boudet cite cet article dans les termes que lui a donné la loi du 11 juillet 1966 instituant
l’adoption plénière ; Considérant que cette loi, postérieure au décès de Fernangu, n’est pas applicable à
l’espèce ; Considérant que la situation familiale de dame Boudet est régie par le décret-loi du 29 juillet
1939 et la loi du 8 août 1941 qui ont modifié les articles 368 à 370 du code civil en instituant la
légitimation adoptive ; Considérant que l’article 370 du code civil français ainsi modifié dispose que
‘‘l’enfant qui fait l’objet d’une légitimation adoptive… a les mêmes droits et les mêmes obligations que s’il
était né du mariage. Toutefois si un ou plusieurs des ascendants des auteurs de la légitimation adoptive
n’ont pas donné leur adhésion à celle-ci dans un acte authentique, l’enfant et ces ascendants ne se devront
pas d’aliments et n’auront pas la qualité d’héritiers réservataires dans leurs successions réciproques
(…) ». Cet arrêt de la cour d’appel a fait l’objet d’un pourvoi en cassation (V. C.S.C.I., arrêt n° 36 du 21
avril 1972, inédit).
286 

 
ivoirien la loi étrangère doit être produite, prouvée par les parties, la conséquence
apparemment logique serait que la loi étrangère s’apparenterait à un fait.

38. Mais, ne serait-il excessif de l’affirmer sans ambages que dès lors qu’il incombe
aux parties de prouver la loi étrangère, elle doit être prise pour un fait ? L’on ne peut
occulter qu’il est des cas dans lesquels même le droit peut faire l’objet de preuve par
les parties sans que ce droit soit disqualifier en fait. Il en est ainsi, par exemple, de la
coutume « dont l’absence de support écrit complet et officiel enraye (certes) la
mécanique normativiste »1240 mais dont nul ne peut soutenir qu’il s’agisse d’un simple
fait. Il en est ainsi encore, notamment en droit administratif, en cas de recours pour
excès de pouvoir : Le requérant doit justifier que l’exécution de la décision qu’il
soumet au juge de l’excès de pouvoir porte atteinte à ses intérêts. Pour ce faire, il doit
joindre l’acte querellé, l’acte qui porte grief comme le rappelle justement la loi
ivoirienne sur la Cour suprême de Côte d’Ivoire : « Toute requête en annulation pour
excès de pouvoir doit contenir les nom, prénoms, profession et domicile du requérant,
l’objet de sa demande, l’exposé sommaire des moyens qu’il invoque, l’énonciation
des pièces dont il entend se servir et préciser aussi exactement que possible la
décision entreprise. La signature de la requête par un avocat vaut constitution et
élection de domicile en son étude. La partie non représentée par un avocat doit,
lorsqu’elle n’est pas domiciliée à Abidjan, faire élection de domicile en cette ville. La
requête doit s’accompagner : a) de la pièce justifiant du dépôt du recours
administratif, hiérarchique ou gracieux ; (…) »1241. Il en est ainsi également en
matière de voies d’exécution où il est fait obligation au créancier, par l’entremise de
l’huissier de justice ou de l’agent d’exécution, de reproduire certaines dispositions
légales (le droit) dans l’acte de saisie, à peine de nullité1242.

39. Avec ces cas de preuve du droit au cours d’un procès, aux tenants de la thèse de la
nature factuelle de la loi étrangère parce que prouvée au cours du procès, l’on pourrait
ainsi opposer plusieurs objections qui pourraient se résumer en ce que ce n’est pas
parce que les parties sont amenées à faire la preuve de la loi étrangère que cela
signifie automatiquement que la loi étrangère serait un élément de fait. Le droit aussi
peut être prouvé et d’ailleurs se prouve. En outre, pourquoi la loi étrangère qui est du
droit dans le système étranger devrait-il, tout de go, changer de nature en entrant dans
le système du for ?

40. A la vérité, dès lors qu’on allègue, il faut prouver ! Dès lors qu’un plaideur allègue
une loi étrangère, il doit la prouver, ce d’autant plus que « par une induction
                                                            
1240
Cité par A. KOUASSI, « Question controversée : la loi étrangère saisie dans le giron procédural du for
doit-elle être considérée comme un fait ou doit-elle revêtir de façon pérenne la qualification de règle de
droit ? », note sous Tribunal de commerce d’Abidjan, jugement n° 004/2012 du 22 novembre 2012, Société
FPL c/ Société AMI et Autres, in Actualités juridiques, n° 80/2014, p. 307.
1241
V. article 61 nouveau de la Loi n° 97-243 du 25 avril 1997 modifiant et complétant la loi n° 94-440 du
16 août 1994 déterminant la composition, l’organisation, les attributions et le fonctionnement de la Cour
suprême de Côte d’Ivoire.
1242
V. notamment article 100-10) et 100-11) de l’Acte uniforme OHADA portant organisation des
procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution.
287 

 
amplifiante, l’article 1315 du Code civil a été sacralisé comme le pilier d’un principe
général : actori incumbit probatio »1243 et alors « c’est au demandeur de prouver ce
qu’il allègue ».

41. A l’analyse, l’office du juge ivoirien doit s’entendre dans le sens d’une obligation
pour le juge de rendre une décision de justice conforme au droit dès lors que les
parties lui « apporté » la loi étrangère. En réalité, les plaideurs étant chargés de
motiver en droit leur demande et défense, étant chargés particulièrement alors de
produire la loi étrangère au cours du procès, il est évident qu’il ne faut pas sous-
estimer le rôle des plaideurs même en matière de droit, là où le juge a un rôle
principal de trancher le litige et de dire le droit1244. Les plaideurs ne sauraient, pour
ainsi dire, « s’en tenir à un silence respectueux »1245 sur les points de droit ; bien au
contraire doivent-ils fournir, au soutien des faits susceptibles de fonder leur
prétention, « les explications de droit (…) nécessaires à la solution du litige »1246.

42. Ainsi, s’il est constamment avancé que le juge étant censé connaître le droit et
qu’à ce titre les parties ne sont pas obligées de préciser le fondement juridique des
faits qu’elles invoquent à l’appui de leurs prétentions, en réalité cette assertion ne vaut
pas pour les instances introduites par voie d’assignation : dès lors qu’un plaideur
introduit l’instance par la voie d’assignation, il est obligé de fournir un exposé des
motifs en fait et en droit, de préciser donc dès le départ le fondement juridique sur
lequel il se base. Bien évidemment, il reviendra au juge en dernier ressort de vérifier
que la règle de droit invoquée par ce plaideur s’applique effectivement aux faits à lui
soumis et que les conditions d’application de cette règle de droit sont bien remplies.

43. Au demeurant, toutes les prises de position relatives à la nature de la loi étrangère
pourraient se justifier par des argumentations les plus pertinentes les unes les autres.
Mais, la principale question qu’il convient de se poser lorsque le conflit de lois
présente un élément d’extranéité est de savoir « à quoi bon rechercher la
méthodologie idoine ainsi que les rattachements les plus aptes à prendre en charge
ces derniers (…) si le régime procédural applicable devant le juge du for le dispense
                                                            
1243
M. MEKKI, Le risque de la preuve, in Droit et économie du procès, LGDJ, 2010, p. 195 et s., spéc.
195-199 qui fait un renvoi, concernant cette induction, à J. GHESTIN et G. GOUBEAUX, Introduction
générale, LGDJ, 3è éd., 1990, n° 582 et 583, p. 539 et s.
1244
Car, « il n’est pas exact de considérer que les faits allégués et prouvés par [les plaideurs] ne sont que
des faits bruts, dépourvus de toute connotation juridique » (V. A. SERIAUX, Le Droit, une introduction,
Ellipses, 1997, n° 187).
1245
V. A. SERIAUX, op. cit.
1246
V. article 52 alinéa 4 du Code de procédure civile ivoirien. Cet état de fait se traduit d’ailleurs, de façon
pratique, dans la décision du juge qui comporte deux parties : - Dans la première partie, l’on y retrouve les
faits, les moyens (L’article 33 du Code de procédure civile dispose que « (…) l’assignation introductive
d’instance doit contenir : - l’objet de la demande et l’exposé sommaire des moyens ; (…) »), les prétentions
et arguments des plaideurs. Justement dans les moyens des plaideurs, on trouvera les moyens de droit en
bonne place dans la partie de la décision appelée dans le jargon « les qualités d’une décision » (C’est la
partie de la décision rédigée par le greffier supervisé par le juge et qui présente l’historique de la saisine du
juge jusqu’au jour du délibéré). ; - Dans la seconde partie, l’on y retrouve les motifs, partie dans laquelle le
juge tient ses arguments en fait et en droit.
288 

 
de mettre en œuvre le droit international privé, de sorte que les règles de conflit
n’apparaitraient en fin de compte que comme facultative »1247. Il faut alors faire en
sorte que la loi étrangère elle-même ne soit pas un simple fait à la disposition des
parties. Ainsi, s’il est imposé aux plaideurs la charge de produire la loi étrangère
comme pièce au dossier, l’office légal du juge ivoirien l’obligeant, bien qu’il soit
censé connaître le droit applicable au litige, à se comporter tel un arbitre en les
parties, certaines directives comportementales s’imposent aux différents acteurs du
procès : ces directives pourraient se résumer en l’opportunité de la recherche d’une
collaboration proactive de leur part en vue de la preuve de la loi étrangère en vue
d’une décision juste et équitable.

II- De l’opportunité de la recherche d’une collaboration proactive des acteurs du


procès

44. L’on le sait, la justice est en soi une idée assez abstraite dont chacun en a une
vision différente. Aussi, une meilleure administration de cette justice nécessite-t-elle
entre autres de se mettre d’accord sur les règles applicables à un litige, de surcroit
lorsque ce litige recèle un élément d’extranéité car « si les voies d’accès aux droits
étrangers se multiplient aujourd’hui avec la coopération judiciaire et les progrès
techniques, il n’en reste pas moins que l’extranéité du droit applicable rend aléatoire
son interprétation judiciaire, et met en cause la légitimité de toute tentative
d’extrapolation du sens originaire »1248.

45. Et, d’une part, parce qu’un procès équitable signifie que chacun est à même de
présenter au mieux tous les arguments qui pourraient amener un jugement en sa
faveur et, d’autre part, parce que la loi est très souvent complexe, chacun des
plaideurs et le juge sont tenus d’apporter leur concours à la justice en vue de la
manifestation de la vérité1249 surtout au regard même de cette fatalité qu’est le
« risque de la preuve »1250.

46. Le « risque de la preuve », c’est-à-dire la question de savoir « à qui le juge devra-


t-il donner satisfaction lorsque la lumière ne sera pas faite », en d’autres termes une
question qui renvoie aux aléas probatoires du procès, oblige en effet à une nécessité
d’amélioration de la gestion du procès : la recherche d’une collaboration proactive des
acteurs du procès, c’est-à-dire un management du procès allant dans le sens « d’un
dialogue entre le juge et chacune des parties »1251. Ainsi, tandis que les plaideurs
                                                            
1247
V. T. DE BOER, « Facultative Choice of Law : The Procedural Status of Choice-of-Law Rules and
Foreign Law », Rec. cours de La Haye, t. 257, 1996, p. 223, cité par V. H. MUIR WATT, « Loi
étrangère », Répertoire international Dalloz, janvier 2009, n° 2, p. 3.
1248
V. H. MUIR WATT, « Loi étrangère », Répertoire international Dalloz, janvier 2009, n° 2, p. 3.
1249
Pour paraphraser A. - L. SIBONY et E. BARBIER DE LA SERRE, « Charge de la preuve et théorie du
contrôle en droit commercial de la concurrence : pour un changement de perspectives », RTD eur. 2007, p.
205 et s.
1250
M. MEKKI, Le risque de la preuve, in Droit et économie du procès, LGDJ, 2010, p. 195 et s., spéc.
195-199.
1251
L. CADIET et E. JEULAND, Droit judiciaire privé, Litec, 5è éd., 2006, n° 516, p. 328.
289 

 
doivent fournir un effort probatoire afin de convaincre le juge du bien-fondé de leurs
prétentions, réciproquement, le juge doit les convaincre ainsi que les tiers, de la
légitimité de sa décision au moyen, notamment, d’une motivation suffisante1252. Une
telle posture ou démarche applicable à la question de la preuve de la loi étrangère
suppose inexorablement notamment la prise en compte des considérations de justice
de droit international privé (A) qui devrait, à l’évidence, se traduire par la recherche
d’accommodements entre intérêts privés et intérêt sociétal (B).

A- La prise en compte des considérations de justice de droit international privé

47. L’objectif général du droit international privé « conçu de telle manière qu’il ne
néglige ni la singularité des relations privées internationales, ni le pluralisme des
ordres juridiques étatiques »1253, réside dans la coordination des systèmes juridiques,
car l’universalisme de la pensée juridique se ramène à trois idées : « Le juste, le
rationnel et l’utile ». Ainsi, NIBOYET a pu dire à son sujet que le but du droit
international privé est de « rendre possible la vie juridique dans les rapports
internationaux »1254.

48. Cette finalité du droit international privé implique qu’un procès à propos d’un
litige international soit inéluctablement animé par la prise en compte des
considérations de justice de droit international privé. Cette connaissance profonde se
traduit davantage par l’idée que le traitement procédural de toutes questions relatives
au droit international privé – en l’occurrence celle de la preuve de la loi étrangère -
doit être mis « en balance avec des considérations éminemment pragmatiques »1255
surtout au regard de l’application des principes directeurs du procès. Tant le juge que
les parties doivent faire leur cette exigence que les principes directeurs régissant en
l’espèce la preuve de la loi étrangère devraient avoir une « teneur [dérogeant] en cas
de besoin aux principes directeurs du procès interne »1256 ce d’autant plus que « (…)
les ordres juridiques, quoique non cloisonnés et communicants, demeurent cependant
distincts et peuvent relever chacun de principes spécifiques »1257.

49. Il est vrai qu’une controverse théorique de grande ampleur1258 - somme toute

                                                            
1252
Pour paraphraser M. MEKKI, Le risque de la preuve, op. cit.
1253
F. MARCHADIER, Les objectifs généraux du droit international privé à l’épreuve de la CEDH, thèse,
Université de Limoges, 21 novembre 2005, p. 25-26.
1254
J.-P. NIBOYET, Cours de droit international privé à l’usage des étudiants de licence et doctorat,
Librairie du recueil Sirey, 1946, p. 1, n° 1.
1255
V. H. MUIR WATT, op. cit..
1256
V. H. MUIR WATT, op. cit., n° 3, p. 3.
1257
P. GANNAGE, « La réception des principes du droit international privé dans les systèmes juridiques
proche-orientaux, in Actes du colloque de Beyrouth, Editions Bruylant (Bruxelles), 2005, p. 1, n° 1
consultable sur www.cedroma.usj.edu.lb/pdf/dencom/gannage.pdf. Il fait observer que dans le domaine du
droit, les principes constituent le fondement des différents ordres juridiques à qui ils confèrent leur
cohérence et leur finalité.
1258
Controverse dont « l’essentiel repose sur les pouvoirs qu’exercerait le juge à leur propos » (V. D.
BUREAU, note sous Cass. 1ère ch. civ. 5 octobre 1994, Société Demart, Rev. crit. DIP 1995, p. 62).
290 

 
incontournable - existe au sujet des principes du droit1259, notamment au sujet des
principes du droit international privé, mais il faille faire le choix, à l’occasion d’une
analyse à l’ampleur modeste, de ne pas s’y attarder et même d’aller dans le sens de
cette acception qui prône de « dépasser la conception largement dominante du
positivisme légaliste, pour admettre qu’il peut exister d’autre droit que celui posé par
l’Etat »1260. On peut alors affirmer que le « véritable visage des principes (de
droit) »1261 dont on découvre l’expression tangible dans la jurisprudence française
transposable, le cas échéant, en droit ivoirien en vertu de l’article 133 de la
Constitution du 1er août 20001262 et quelquefois à « titre de raison écrite »1263 , est
qu’ils constituent une « source autonome du droit que le juge interprète pour en
déduire telle ou telle solution au litige qu’il a pour mission de trancher »1264.

50. Partant de cette connaissance profonde, des définitions mettant l’accent sur les
valeurs que le principe du droit incarne, sur le modèle de références qu’il constitue,
sur les objectifs qu’il peut indiquer, permettent d’appréhender les principes du droit
comme des « règles d’action s’appuyant sur un jugement de valeur et constituant un
modèle, une règle ou un but »1265 ou comme des « propositions juridiques non écrites
dont la généralité permet de soutenir une large série de solutions positives »1266.

51. Cependant, une distinction doit être faite entre les principes du droit : certains
d’entre eux sont propres à l’ordre juridique international, d’autres aux ordres
                                                            
1259
A titre de rappel, selon une partie de la doctrine, le juge ne ferait que découvrir ces principes, qui se
présenteraient à lui comme une réalité préexistante qu’il ne ferait que révéler (Pour un essai de
démonstration, v. D. BUREAU, Les sources informelles du droit dans les relations privées internationales,
thèse, Paris II, 1992, qui affirme qu’« on peut estimer concevable d’admettre, d’un point de vue théorique,
que les principes sont seulement révélés par le juge ») ; selon l’autre partie, au contraire, le juge serait leur
véritable créateur (Pour un essai de démonstration, v. P. HAMMJE, La contribution des principes généraux
du droit à la formation du droit international privé, thèse, Paris I, 1994).
1260
D. BUREAU, op. cit..
1261
Ibid.
1262
La République de Côte d’Ivoire a décidé, dès son accession à l’indépendance en 1960, à l’instar
d’ailleurs de la plupart des Etats d’Afrique noire francophone, de reconduire la législation coloniale en
vigueur sur son territoire lorsqu’elle ne e reproduit pas à travers les reformes entreprises. Cette continuité
législative a eu pour fondement l’article 76 de la défunte Constitution du 30 novembre 1960 - JORCI 1960,
p. 1271- : « La législation actuellement en vigueur en Côte d’Ivoire reste applicable sauf intervention de
textes nouveaux en ce qu’elle n’a rien de contraire à la présente Constitution. »). Cette disposition est
actuellement reprise par l’article 133 de la Constitution du 1er août 2000 selon lequel « La législation
actuellement en vigueur en Côte d’Ivoire reste applicable, sauf l’intervention de textes nouveaux, en ce
qu’elle n’a rien de contraire à la présente Constitution. » Ainsi, « sont considérés comme d’application
directe (…) la jurisprudence, l’ensemble des principes généraux du droit (…) » (V. C. E. 11 avril 1919,
Rec., p. 370, cité par Thiam Cheikh Tidiane, Décolonisation et succession d’Etats en Afrique –
Contribution à l’étude de la succession à l’ordre juridique, thèse d’Etat en Droit, université de Paris 1 –
Panthéon-Sorbonne, juin 1989, p. 75. –V. aussi René DEGNI-SEGUI, La succession d’Etat en Côte
d’Ivoire, thèse d’Etat, Université de droit, d’économie et de sciences d’Aix Marseilles, 20 janvier 1979, p.
52 et suiv.).
1263
V. Cour Suprême de Côte d’Ivoire, formation plénière et solennelle, 4 avril 1989, affaire Omaïs c/
Tallal, op. cit.
1264
D. BUREAU, op. cit.
1265
V. Dictionnaire Le Petit Robert, 2013, p. 2024.
1266
D. BUREAU, op. cit..
291 

 
juridiques nationaux et d’autres enfin à la fois à l’ordre juridique international et à
l’ensemble des ordres juridiques nationaux. A l’évidence, on comprend aisément que
les principes du droit qui participent en priorité de la prise en compte des
considérations de justice de droit international privé et que l’on pourrait qualifier de
principes de droit international privé devraient s’entendre de ceux propres à l’ordre
juridique international et de ceux communs à la fois à l’ordre juridique international et
à l’ensemble des ordres juridiques nationaux1267 – même s’il n’est pas exclu qu’il
demeure possible que les principes internes soient transposés aux contentieux
internationaux -.

Ces principes de droit international privé ont pour objectifs notamment l’harmonie
internationale, l’harmonie matérielle1268 et l’ordre public international. Et alors, « les
juges doivent réaliser la difficile conciliation [de ces objectifs] en donnant, dans
chaque espèce, la priorité à celui qui semble le plus impérieux »1269. A cette fin, en
plus de l’appréhension de son office légal dans le sens de ce que devrait être la
justice, le juge doit également l’appréhender dans le sens de ce qu’est la justice.
L’intérêt de cette posture est, en pénétrant le cœur de l’élaboration de la décision
judiciaire, de reconnaître la dimension pratique, pragmatique, de l’office du juge. Est
mise ainsi en avant la réalité de l’exercice de leur office légal par les juges.

52. A cet effet, si l’on peut se permettre – une fois n’est pas coutume - une question
personnelle adressée à un magistrat à propos du rapport du magistrat à la loi a permis
d’avoir de sa part une réponse sans ambages et avec insistance en ces termes : « Ne
sais-tu pas que nous sommes au-dessus de la loi ? » Cette réponse, prima facie, fait
sourire ! Mais avec du recul et sans préjugé, car une telle posture permet d’entrer dans
la sphère de la réflexion objective, l’on se rend compte que cette affirmation de ce
magistrat participe non seulement de la controverse relative au rôle de la
jurisprudence dans l’élaboration de la loi, mais surtout permet de comprendre que
l’office du juge a également un aspect pratique qui semble prendre le pas sur son
aspect théorique.

Ce faisant, même si l’on ne partage pas ce point de vue, il faut tout de même lui
reconnaître le mérite de mettre en lumière que l’office du juge doit être, dans ces
                                                            
1267
Les principes du droit qui appartiennent à la fois à l’ordre juridique international et à l’ensemble des
ordres juridiques nationaux « résultent d’un processus de généralisation et d’abstraction très poussé (et
alors) dépouillent les droits internes de leurs particularismes pour mettre en lumière leurs aspects
universalisables » (V. P. GANNAGE, op. cit., qui fait un renvoi à des observations de P. WEIL, Principes
généraux du droit et contrats d’Etat, Etudes offertes à Berthold Goldman, pp. 387 à 414, Litec Paris, 1982 ;
et Ecrits de droit international, PUF 2000, pp. 379 et s.).
1268
Le principe de l’harmonie matérielle des solutions est qualifié encore de principe de respect des
ensembles législatifs ou de l’unité du droit applicable. Ce principe « vise à assumer l’unité du régime des
situations juridiques dans les relations internationales, d’empêcher que les divers éléments de ces
situations ne soient régis par des lois différentes. Le morcellement, ou le dépeçage peuvent en effet
consacrer des résultats incohérents, surtout lorsque les systèmes juridiques qu’on veut associer relèvent de
civilisations éloignées. Il convient donc, autant qu’il se peut, d’appliquer un droit unique aux éléments
d’une même situation » (V. P. GANNAGE, op. cit., p. 5, n° 6).
1269
P. GANNAGE, op. cit., p. 4, n° 4 faisant allusion à H. Battifol.
292 

 
circonstances, appréhendé sous un aspect de philosophie politique que sous un aspect
seulement juridique. En postulant que la loi est la référence ultime et qu’elle est
stable, « la doctrine semble en effet bridée par le légicentrisme positiviste »1270. Et
pourtant, « les juges font l’expérience inverse : ils doivent de plus en plus appliquer
des principes (…) ou des notions très générales (…) »1271. Or cette dernière vision
s’inscrit dans une doctrine qui est en réalité plus « une philosophie politique qu’une
théorie juridique » : « il n’est pas possible de penser l’office du juge sans revenir au
modèle politique tout entier dont il n’est qu’une pièce. Et c’est précisément cette part
politique de l’activité du juge que la pensée positiviste ne veut pas considérer
(…) »1272.

53. La réalité de l’office du juge invite – pour ne pas dire « oblige » - à s’interroger :
Doit-on penser la justice comme elle devrait être ou doit-on la penser comme elle est,
et alors s’intéresser aux interrogations et aspirations des juges qui la rendent
quotidiennement ? Le juge doit-il être tenu rien que par des règles de droit plutôt que
davantage par des valeurs contenues dans la loi ?

Les réponses à ces questions ne peuvent exclusivement aller dans le sens d’un
positivisme légaliste car la réalité de l’office du juge permet de se rendre à l’évidence
que « le procès ne peut prétendre à une quelconque efficacité sociale que grâce à la
concaténation de (…) différentes réalités. Le procès ne tire pas sa force du seul droit
mais de la convergence de toutes ces réalités dans un social total. L’efficacité sociale
de la justice vient de sa force centripète qui allie ces diverses dimensions sociale,
juridique, rhétorique, politique et subjective »1273. A l’analyse, comme l’a dit, à
propos, Julien F.1274, « en bref, toujours la pratique trahirait un tant soit peu la
théorie. Et le modèle reste à l’horizon du regard. Retiré dans son ciel, l’idéal est
inaccessible »1275.

54. Cela étant, la procédure civile qui doit s’orienter davantage vers une meilleure
administration du procès civil, oblige les plaideurs et le juge, en cas de recours aux
principes internationaux, ou même de transposition au contentieux internationaux des
principes directeurs applicables au contentieux interne, à toujours mettre sur un
piédestal les considérations, pour l’essentiel, tout pragmatiques qu’appellent les
considérations de justice de droit international privé.

55. Pour ainsi dire, juridiquement, le découpage entre procès accusatoire et


                                                            
1270
V. A. GARAPON, S. PERDRIOLLE, B. BERNABE et C. KADRI, op. cit., p. 16.
1271
Ibid.
1272
Ibid.
1273
V. A. GARAPON, S. PERDRIOLLE, B. BERNABE et C. KADRI, op. cit., p. 67.
1274
F. Julien, Traité de l’efficacité, Paris, Grasset, 1996, p. 14.
1275
D’ailleurs, il ne serait pas prétentieux de soutenir que « le droit se construit au XXIè siècle plus par les
juges que par le législateur. Cela libère le juge en un certain sens mais lui impose aussi de nouvelles
obligations, à commencer par celle de se montrer à la hauteur de la manière à laquelle il prétend imposer
son autorité (…). Le juge doit toujours se mettre à la hauteur de ceux qu’il juge (…) » (V. A. GARAPON,
S. PERDRIOLLE, B. BERNABE et C. KADRI, op. cit., p. 55).
293 

 
inquisitoire « ne sied plus réellement au procès (…) »1276, la procédure civile n’est
plus aussi tranchée qu’autrefois entre procédure accusatoire et procédure inquisitoire :
« Les évolutions de l’office processuel, quoique multiples, vont dans le sens d’un
travail moins solitaire, plus coordonné. Plus que la tendance vers l’accusatoire ou
l’inquisitoire, ce qui semble se dessiner avec encore plus de force, c’est le principe
d’une coopération renforcée (…) »1277. Car, il est certes vrai que les fonctions du juge
qui exigent un grand investissement intellectuel, peuvent être facilitées par
notamment les moteurs de recherche à travers internet et les diverses publications
doctrinales et jurisprudentielles ; mais à l’évidence, « il n’est pas besoin de s’étendre :
il n’est pratiquement plus possible à un juge – même parmi les plus chevronnés – de
prétendre connaître toute la loi (…) tant celle-ci est devenue complexe, illisible en
raison des multiples renvois et de l’éparpillement des dispositions (…) »1278. L’on est
en effet sans ignorer que « lorsqu’il doit composer avec une demande de justice
foisonnante et de plus en plus diverse, le juge se voit acculé à accommoder des
prétentions opposées, sous la contrainte de la règle et sous l’horizon de l’équité et la
justice »1279.

Cet état de fait entraîne que dans la justice dans les sociétés démocratiques, la
tendance penche vers une « déconflictualisation » du procès, et alors « une culture
oppositionnelle cède la place à une action stratégique qui doit passer par la
coopération »1280. Le corollaire en est un changement de comportement des acteurs du
procès qui va de pair avec une responsabilisation généralisée de leur part. Ce qui est
donc en vogue dans les procès actuellement, en tenant compte de l’histoire et du droit
comparé, et qui va dans le sens de la recherche d’équilibre entre les intérêts en jeu,
c’est l’instauration idéale de la « justice collaborative » ou la « procédure
participative » ou encore la « collaboration resserrée »1281.

Et justement, « cette tendance est renforcée [notamment] par l’importance des


principes de loyauté et de dialogue mis au service d’un principe plus général de
‘‘coopération’’ »1282. En d’autres termes, le « principe de coopération »1283 traduit le

                                                            
1276
C. AMBROISE-CASTEROT, Dictionnaire de la justice, PUF, V° Procédure accusatoire/Procédure
inquisitoire, p. 1058 et s. qui évoque l’émergence de « procédure(s) mixte(s) » et met donc en relief la
relativité du principe même de distinction entre procédure accusatoire et procédure inquisitoire.
1277
V. A. GARAPON, S. PERDRIOLLE, B. BERNABE et C. KADRI, op. cit., p. 71.
1278
V. A. GARAPON, S. PERDRIOLLE, B. BERNABE et C. KADRI, op. cit., p. 50.
1279
V. A. GARAPON, S. PERDRIOLLE, B. BERNABE et C. KADRI, op. cit., p. 18 qui expose d’ailleurs
que le rôle consiste alors à comprendre une situation, dans le sens étymologique de la lire au regard de
principes, en poursuivant une finalité assignée par la loi. Chaque décision de justice est le règne d’une
réflexion sur ce que veut dire aujourd’hui une « société juste ». Le juge poursuit moins des objectifs
d’action que des horizons de justice concrets qu’il propose à la société au moyen de ses jugements –
jugements par lesquels le juge s’expose aussi bien à la critique qu’à l’approbation. Et ses choix cessent
d’être discrétionnaires à partir du moment où ils sont assumés, exposés et argumentés.
1280
V. A. GARAPON, S. PERDRIOLLE, B. BERNABE et C. KADRI, op. cit., p. 71.
1281
Ibid. Ainsi, « depuis la collaboration avec d’autres systèmes de justice, qui reste exceptionnelle, ou des
rapports entre le juge et les parties, qui sont quotidiens, tout y ramène ».
1282
Voir M. MEKKI, op. cit., citant S. GUINCHARD, « Les métamorphoses de la procédure à l’aube du
troisième millénaire », in Clés pour le siècle, Droit et science politique, information et communication,
294 

 
rôle conjoint des acteurs du procès dans le déroulement de l’instance. Pour dire que la
coopération des acteurs du procès civil s’avère alors plus que nécessaire et se présente
même comme une obligation, car « la coopération est une contrainte que l’on
s’impose à soi-même : elle est l’exact opposé d’un ordre »1284.

56. En définitive, un système fondé sur le principe de coopération entre juge et parties
est un « système, équilibré et cohérent, [dosant] admirablement les prérogatives et
responsabilités revenant respectivement aux juges et aux parties », un système qui
« institue, entre ces protagonistes, une synergie au vu de laquelle les tâches de
chacun sont certes polarisées, mais non étanches pour autant »1285, un système qui
remette indubitablement en cause la position cristallisée dans les marbres d’un « jura
novit curia » intangible. Autrement dit, les nécessités pratiques ou la politique de la
justice justifient une compréhension différente de l’office du juge.

Ainsi quelles que soient les convictions relatives à la nature du droit étranger, et
partant de ce qu’« on ne voit pas, quel que soit le parti dogmatique auquel on se
range relativement à la nature du droit étranger, quelles autres solutions pourraient
supplanter avantageusement celles que la pratique judiciaire a élaborées »1286, la
collaboration proactive des acteurs du procès induit un assouplissement de la règle
« jura novit curia ». Il importe alors peu – si ne sont notamment que pour des
considérations d’ordre théorique - que l’accomplissement de la charge de la preuve de
la loi étrangère relève du juge ou des parties : « L’essentiel est que le sens
qu’attribuera le juge à l’ensemble des matériaux ainsi réunis reflète un respect
rigoureux de l’intégrité de l’ordre juridique compétent »1287. Somme toute, les acteurs
du procès - surtout le juge - doivent « prendre en compte les circonstances et les aléas
du procès »1288 et alors évincer une vision statique de ce dernier qui voudrait que les
rôles soient attribués dès le départ et qu’il faille s’en tenir à un respect strict. En
d’autres termes, il faille cesser – sauf certainement pour des considérations d’ordre
purement théorique - de penser l’œuvre juridictionnelle sur un mode binaire où
l’interdiction est la seule alternative offerte aux acteurs du procès.

57. La logique de cette analyse qui précède et qui devrait assurer que les conflits de
lois de droit international privé soient non seulement plus tranchés par le juge ivoirien
                                                                                                                                              

sciences économiques et de gestion, Université Panthéon-Assas (Paris II), Dalloz, 2002, n° 1236 et s., p.
1135 et s., spéc. n° 1290, p. 1189 (sur le principe du dialogue) et n° 1184, p. 1287 (sur le principe de
loyauté). Adde, M. – E. BOURSIER, Le principe de loyauté en droit processuel, Préf. S. GUINCHARD,
Dalloz, Nouvelle bibliothèque des Thèses, vol. 23, 2003 ; et L. CADIET et E. JEULAND, op. cit., spéc. sur
la preuve, n° 535 et s., p. 342 et s. (sur le principe général de coopération).
1283
L. CADIET, Droit judiciaire privé, Litec, 3è éd., n° 676.
1284
V. A. GARAPON, S. PERDRIOLLE, B. BERNABE et C. KADRI, op. cit., p. 54.
1285
G. DE LEVAL et F. GEORGES, « Le droit judiciaire en mutation… », CUP, Anthemis, volume 95,
septembre 2007, p. 256.
1286
B. ANCEL, note sous Cass. civ. 1ère, 2 février 1988, Defontaine et 21 juin 1988, Soc. Balenciaga, Rev.
crit. DIP 1989.55, spéc. p. 61.
1287
F. MARCHADIER, Les objectifs généraux du droit international privé à l’épreuve de la CEDH, thèse,
Université de Limoges, 21 novembre 2005, p. 394.
1288
M. MEKKI, Le risque de la preuve, op. cit., p. 3.
295 

 
mais bien plus sereinement même quand il s’agira de fonder la décision sur une loi
étrangère, devra se refléter dans la recherche d’accommodements entre intérêts privés
et intérêt social aux fins de produire la loi étrangère compétente.

B- La recherche d’accommodements entre intérêts privés et intérêt sociétal

58. L’on le sait, la saisine du juge est encadrée par l’assignation et par les conclusions
additives, surtout les dernières conclusions qui vont fixer la compétence du juge. Si
les dernières conclusions ne permettent pas au juge d’avoir le contenu de la loi
étrangère et donc de répondre à la question essentielle qui lui est posée, alors que
pourrait-il faire si ce n’est d’avoir ce réflexe naturel d’aller dans le sens d’un débouté
pour absence de base légale ?

59. Fort heureusement, en pratique et d’ailleurs selon les exigences légales, le débouté
n’intervient pas aussi automatiquement de la part du juge ivoirien. A la date
d’audience fixée par l’assignation, si le juge ivoirien se rend compte que les plaideurs
n’ont pas pu déposer toutes les pièces nécessaires au prononcé de sa décision, il
renvoie l’affaire à l’audience prochaine pour observation sur l’absence de telle ou
telle pièce au dossier1289. Après plusieurs relances pour défaut de pièces se soldant par
une inobservation du dépôt de la pièce attendue, c’est-à-dire en cas non production de
ladite pièce, le juge met alors l’affaire en délibéré. Il pourra subséquemment déclarer
la demande recevable mais mal fondée puisque le fondement juridique n’est pas
donné.

60. Une telle posture finale du juge ivoirien, si elle est envisageable pour des litiges
internes, ne devrait pas être celle qu’il devrait adopter pour les litiges à caractère
international. Bien au contraire, si dans le cadre d’un litige interne, certains
arrangements s’observent entre le juge et les plaideurs afin de permettre au premier de
rendre plus sereinement sa décision, s’agissant d’un litige à caractère international,
ces arrangements devraient davantage permettre d’éviter in fine le prononcé d’un
débouté pour absence de production de la loi étrangère compétente. En d’autres
termes, lorsque la règle de conflit aura désigné comme applicable une loi étrangère,
des accommodements entre le juge ivoirien et les plaideurs doivent être recherchés en
cas de nécessité, lesquels sont destinés en l’occurrence à assurer, lorsque cela se
révélera vraiment possible, que la loi étrangère désignée par la règle de conflit du for -
la règle de conflit ivoirienne - soit effectivement appliquée si tant est qu’elle est
conforme à l’ordre public en matière international du for.

61. Mais, il est évident que tels arrangements doivent s’inscrire dans le respect des
règles de droit et des principes de droit applicables au procès et vont dépendre surtout
des intérêts en jeu.

62. L’on le sait, déclarer la loi étrangère applicable, et l’appliquer effectivement, sont

                                                            
1289
V. article 47 alinéa 1er-2° et suiv. du Code de procédure civile ivoirien.
296 

 
deux choses différentes1290. Ainsi, afin d’aider le juge à ne pas rester de marbre face
l’application effective de la loi étrangère pour quelque impossibilité, lorsque seuls des
intérêts privés sont en jeu dans le procès, comme l’a si bien proposé MOTULSKY,
« une large place [doit être] faite à la régulation naturelle de la preuve de la loi
étrangère par des parties à collaborer à cet égard avec le juge »1291 sans toutefois
que l’opportunité d’un tel système ne déclasse la loi étrangère en une simple chose
des parties.

Les plaideurs pourront donc se fonder notamment sur des certificats de coutume1292
fournissant des justifications positives, c’est-à-dire des attestations établies à leur
demande par des autorités publiques ou consulaires qui ont en l’occurrence pour objet
la teneur de loi étrangère. Ils pourront également produire au juge des versions
certifiées de textes de lois ou de décisions de justice étrangères et même des extraits
d’ouvrages doctrinaux étrangers1293.

63. Quant à l’attribution entre les plaideurs eux-mêmes de la charge de la preuve de la


loi étrangère, la jurisprudence Lautour-Thinet1294 selon laquelle la charge de la preuve
pèse sur la partie dont la prétention est soumise à la loi étrangère (et non sur celle qui
l’invoque), a droit d’être citée, qui plus est applicable en droit ivoirien en vertu du
principe de la continuité législative. Cette solution est « manifestement plus apte à
favoriser la recherche loyale du contenu [de la loi étrangère] »1295.

64. Cependant, il faut le souligner, si l’intérêt privé des plaideurs constituera en ce


domaine le régulateur suffisant, il faut prendre garde des risques que peut comporter
le système, car « mûe par cet intérêt, l’une ou l’autre des parties [pourrait ne
rapporter] la preuve de la loi étrangère [que] si elle consacre une solution qui lui est
plus favorable que celle de la loi [ivoirienne] »1296. C’est alors à ce niveau que doit se
mettre en branle l’un des devoirs du juge en l’occurrence le devoir de vigilance du
juge.
                                                            
1290
Selon P. Mayer, « Le juge [pourrait même] être tenu de déclarer d’office applicable la loi étrangère,
tout en étant dispensé de l’appliquer si son contenu lui reste inconnu » (P. Mayer, « Le juge et la loi
étrangère », Rev. suisse de dr. int. et europ., 1991.481 et spéc. p. 486-484, cité par D. BUREAU, op. cit., p.
65).
1291
V. MOTULSKY, Ecrits, p. 135 et s. cité par H. MUIR WATT, note sous Cass. 1ère ch. civ., 5 novembre
1991, Masson, et 10 déc. 1991, Sarkis, Rev. crit. DIP 1992.314, spéc. 325.
1292
Le certificat de coutume participe de la nature à la fois de l’expertise et du témoignage. En Côte
d’Ivoire, on peut citer comme fondement de cette possibilité offerte aux plaideurs par exemple l’article 38
de l’Accord de l’Accord de coopération en matière de justice du 24 avril 1961 entre la République française
et la République ivoirienne. Mais, plus généralement, sur l’origine des certificats de coutume, v. C. David,
La loi étrangère devant le juge du fond. Etude comparative, Dalloz, 1964, préf. H. BATIFFOL, n° 298.
1293
Cela ne pourrait être envisagé qu’« en cas d’insuffisance, dans un pays de droit écrit, de textes codifiés
ou, dans un système où la jurisprudence est source de droit, en l’absence de précédent de portée
indiscutable » (H. MUIR WATT, op. cit., n° 101 et suiv., p. 23 et suiv.).
1294
V. Cass. civ. 25 mai 1948, Rev. crit. DIP 1949.89, note Batiffol ; Grands arrêts, n° 17 et n° 58.
1295
V. H. MUIR WATT, note sous Cass. 1ère ch. civ., 5 novembre 1991, Masson , et 10 déc. 1991, Sarkis,
Rev. crit. DIP 1992.314, spéc. 326.
1296
Pour paraphraser V. H. MUIR WATT, note sous Cass. 1ère ch. civ., 5 novembre 1991, Masson , et 10
déc. 1991, Sarkis, Rev. crit. DIP 1992.314, spéc. 325.
297 

 
65. Etant le garant d’un intérêt juridique dépassant celui des plaideurs, le juge ivoirien
devra non seulement veiller au respect des règles de droit et des principes de droit
applicables au procès mais devrait également s’imposer le devoir d’aider à rechercher
le contenu de la loi étrangère, même si – on le sait – l’obligation ne lui incombe pas
de « produire » le droit, la loi étrangère au cours du procès. Le juge ivoirien est dès
lors encouragé à prendre des initiatives personnelles allant notamment dans le sens de
l’utilisation de tous les moyens qui se révéleraient nécessaires, opportuns et cohérents,
à aider les plaideurs à prouver le contenu de la loi étrangère. Il pourrait à ce titre
prendre toutes ordonnances appropriées1297, recourir à la coopération judiciaire
internationale1298, et même recourir à un amicus curiae1299, etc.

66. Si le juge ivoirien doit ainsi agir concernant les litiges mettant simplement en
présence des intérêts privés, encore plus devrait-il le faire surtout lorsque le conflit de
lois de droit international privé porte sur un intérêt sociétal1300, un intérêt d’ordre
public. En effet, lorsque les intérêts sociétaux sont impliqués dans le litige, cela
justifie non seulement sans ambages l’impérativité du conflit de lois à l’égard du juge
qui serait enclin à ignorer l’élément d’extranéité figurant dans le dossier dès lors que
les plaideurs ne l’ont pas expressément invoqué, mais cela justifie aussi qu’il ne
puisse point se contenter que d’apprécier la preuve de la loi étrangère apportée par les
plaideurs. Les intérêts sociétaux exigent forcément que le conflit de lois soit
« soustrait des mains des seuls plaideurs » et imposent corrélativement que le juge
ivoirien soit plus proactif, prenne même des initiatives pouvant, peut-être, laisser
croire qu’il assumerait une obligation de recherche de la loi étrangère, encore qu’il ne
peut que rester neutre et loyal. De ce fait, dans les hypothèses d’ordre public, lorsque
des intérêts sociétaux sont en jeu, certaines initiatives proactives pouvant contribuer à
la preuve de la teneur de la loi étrangère peuvent provenir du juge même s’il ne peut
agir de la sorte que dans le respect du principe du contradictoire1301. Il doit alors
                                                            
1297
V. articles 48 et suiv. du Code de procédure civile ivoirien.
1298
V. notamment Accord de l’Accord de coopération en matière de justice du 24 avril 1961 entre la
République française et la République ivoirienne.
1299
L’expression amicus curiae (amici curiae, au pluriel) vient du latin et signifie littéralement « ami de la
cour ». L’amicus curiae est une « notion de droit interne anglo-américain désignant la faculté attribuée à
une personnalité ou à un organe non-partie à une procédure judiciaire de donner des informations de
nature à éclairer le tribunal sur des questions de fait ou de droit » (J. SALMON (dir.), Dictionnaire de
droit international public, Bruxelles, Bruylant, AUF, 2001, pp. 62-63). Il s’agit donc d’une personnalité ou
d’un organisme, non directement lié à une affaire, qui se porte volontaire pour offrir des informations et
assister une juridiction dans le but de trancher l’affaire portée devant elle, qui aide la juridiction par une
exposition de la loi impartialement. L’information fournie peut être une opinion juridique sous la forme
d’un mémoire (qui est appelé un amicus lorsqu’il est offert par un amicus curiae). C’est un témoignage qui
n’a pas été sollicité par une des parties, ou un document qui traite d’un sujet sur lequel porte le cas. La
décision sur l’opportunité d’admettre les informations est à la discrétion de la juridiction. Plus
généralement, l’amicus curiae est devenu une possibilité de règlement des différends au sein de certaines
instances internationales, telles que l’Organisation mondiale du commerce.
1300
On pourrait citer, en se basant sur l’article 106 du Code de procédure civile ivoirien concernant les
affaires communicables, au titre des affaires qui concerne les intérêts sociaux ou d’ordre public, celles qui
concernent l’état des personnes ou la nationalité.
1301
V. article 52 in fine du Code de procédure civile ivoirien.
298 

 
provoquer l’avis des plaideurs sur ses initiatives personnelles et les « contraindre »
ainsi à produire la teneur de la loi étrangère1302.

En sus, une fois les pièces du dossier en la possession du juge, si ces pièces présentent
des caractéristiques particulières, la législation ivoirienne permet au juge ivoirien de
nommer un expert en tous genres, d’ordonner une mise en état à l’effet de vérifier des
points de vue1303 : Il pourra alors nommer un expert, par exemple, en droit comparé à
l’effet de fixer la teneur de la loi étrangère. Il pourra même demander à un expert de
traduire tel ou texte de loi étrangère à lui produit par les parties1304.

67. A l’analyse, si ce sont les parties qui estiment que c’est la loi étrangère qui doit
s’appliquer, celle dont la prétention est soumise à cette loi étrangère doit produire la
teneur de cette loi étrangère dans les pièces du dossier. Si, par contre, c’est le juge
ivoirien lui-même qui d’office se rend compte que c’est la loi étrangère qui doit
s’appliquer – notamment dans les matières d’ordre public -, il a le devoir de loyauté
d’en informer les parties à l’occasion de l’avant-clôture de la procédure, c’est-à-dire
avant de mettre l’affaire en délibéré, et de renvoyer alors le procès à cette fin pour
production au dossier de ladite loi étrangère1305.

Et, s’il y a pour la partie qui doit produire la teneur de la loi étrangère une
impossibilité temporaire de le faire – surtout quand elle est de bonne foi -, alors il
reviendra au juge de continuer à renvoyer l’affaire ; dans ce cas il procédera à une
mise en état dont le délai est de trois (3) mois renouvelables1306. Ainsi, le débouté ne
serait donc envisageable que lorsque le juge aura clôturé le débat sans que la pièce ne
soit produite, et donc après la mise en délibéré.

68. Cependant, pour des raisons pratiques, les plaideurs - même aidés en cela par le
juge - peuvent en l’occurrence se retrouver dans l’impossibilité définitive d’avoir la
quintessence de la loi étrangère. Que faire alors pour éviter un non liquet1307 lié au
                                                            
1302
Bien plus, et à titre de rappel, en de telles circonstances, « lorsque les pièces dont la production est
ordonnée font partie d’un dossier pénal ou si elles sont détenues par une administration publique », il
reviendra non pas aux parties de les produire mais plutôt au procureur de la République de s’en charger (V.
article 55 du Code de procédure civile ivoirien).
1303
V. articles 65 à 76 du Code de procédure civile ivoirien. Cette expertise ne sert qu’à titre de simples
renseignements. Et on peut alors aller en expertise et contre-expertise jusqu’à ce que le juge et les parties se
mettent d’accord sur le contenu de la loi étrangère.
1304
En réalité, le juge serait vraiment aller trop loin, aller au-delà de ce que la loi lui impose !
1305
Au besoin, cette loi étrangère produite doit être traduite par un interprète assermenté, agréé par la Cour
d’appel.
1306
V. article 50 alinéa 3 du Code de procédure civile ivoirien. En pratique, c’est la technique du « renvoi
ferme à telle date pour tel motif (par exemple pour ‘‘défaut de telle pièce ou preuve’’) » qui est appliquée
obligeant les plaideurs à être diligents de sorte que la seule décision administrative du juge qui suit le
renvoi ferme est le délibéré.
1307
La notion de non liquet est définie comme « l’impossibilité pour le juge ou l’arbitre de statuer sur le
fond de l’affaire à cause d’une insuffisance d’informations sur les faits ou faute de base suffisante relative
au droit en vigueur entre les parties pour les parties pour prendre une décision ou encore parce que ce qui
lui est demandé lui semble dépasser sa fonction judiciaire » (Voir J. SALMON (éd.), Dictionnaire de droit
international public, Bruxelles, 2001, p. 747.
299 

 
droit applicable parce que la preuve de la loi étrangère n’a pas été rapportée par les
plaideurs devant le juge ivoirien ?

Les objectifs et principes applicables en droit international privé impliquent alors que
le juge ivoirien puisse suppléer la défaillance de la loi étrangère par application de la
loi ivoirienne, loi du for, en raison de la vocation subsidiaire.

69. Le principe d’un recours à la vocation générale subsidiaire de la lex fori dont
l’unanimité chez les auteurs dispense de longues justifications, peut en effet
s’expliquer et se résumer en ces termes : « Tenu de statuer, car l’ignorance du droit
étranger n’est pas cause d’irrecevabilité, mais empêché d’appliquer des règles dont
la teneur lui échappe, le juge sagement revient vers un outillage familier, la lex fori ;
cette attitude promet en la circonstance la meilleure justice matérielle possible. C’est
précisément cet objectif que la situation impose de servir »1308.

70. Le juge ivoirien ne saurait dès lors rejeter une demande (prononcer un débouté) au
motif qu’il n’est pas parvenu à connaître la teneur de la loi étrangère applicable que la
partie intéressée avait l’obligation de produire. Au contraire, s’il ne parvient pas à
prendre connaissance du contenu de cette loi étrangère, il lui revient d’examiner le
litige au regard du droit ivoirien, loi du for, qui a, dans un tel cas, selon l’expression
consacrée en droit international privé, une vocation subsidiaire à s’appliquer.

71. Cependant, il est vrai qu’en cas de défaillance de la preuve de la loi étrangère, le
principe d’un recours à la vocation générale subsidiaire de la lex fori permet au juge
de substituer la loi du for à la loi étrangère, mais le juge ivoirien devra tenir compte
du comportement de l’auteur de la prétention soumise à la loi étrangère : à quoi bon
appeler ou prôner de tout cœur, dans l’intérêt du droit international privé,
l’application de la règle de conflit de lois « si la passivité des parties doit conduire de
toute façon, en aval, à l’application de la loi [ivoirienne] ? »1309. Il peut en effet
refuser de mauvaise foi de fournir au juge les éléments de droit étranger nécessaires à
                                                            
1308
V. B. ANCEL, note sous Cass. civ. 1ère, 2 février et 21 juin 1988, op. cit.. Il estime que « selon la
méthode traditionnelle de solution des conflits, le choix d’une loi étrangère se fonde sur le fait que celle-ci
entretient avec le rapport à traiter les liens les plus significatifs, les ‘‘relations les plus réelles’’ (Batiffol et
Lagarde, n° 266, p. 315). Un tel fondement veut garantir au premier chef que l’application des préceptes de
loi désignée ne sera pas attentatoire aux intérêts de sécurité et de prévisibilité, aux ‘‘légitimes expectatives’’
des sujets de la situation. Il arrive toutefois que l’instrument de cette justice ‘‘conflictuelle’’ ou de droit
international privé, qu’est la règle de conflit, tourne à vide en raison (…) de l’ignorance dans laquelle la
teneur de la loi désignée reste enfermée. Dans cette éventualité, l’effectivité des règles du droit étranger,
leur empreinte sur le rapport envisagé, sont plus que douteuses ; elles sont en tout cas contredites par
l’impossibilité où l’on est devant le juge de représenter les solutions en considération desquelles on est
réputé avoir pu et dû régler sa propre conduite. Dans ces conditions, étant admis qu’aucune prévision
sérieuse ne s’est appuyée sur la loi étrangère désignée, aucune raison ne contraint d’appliquer celle-ci.
L’objectif de justice conflictuelle reste hors de cause. Il suffit aux intérêts privés impliqués que le juge
recherche la justice matérielle ; or sur ce plan, à ses yeux, la meilleure loi est et ne peut que la lex fori.
Celle-ci lui procure la règle de jugement, norma decidendi, la plus juste là où il n’y a pas à considérer la
règle de conduite, norma agendi, demeure inconnue ».
1309
V. H. MUIR WATT, note sous Cass. 1ère ch. civ., 5 novembre 1991, Masson , et 10 déc. 1991, Sarkis,
Rev. crit. DIP 1992.314 et s., spéc. 321-322.
300 

 
l’appréciation de sa prétention. Il ne serait donc pas injuste d’en tirer toute
conséquence à son détriment, c’est-à-dire un débouté ou le rejet de la prétention tirée
de la loi étrangère. Mais, à l’évidence, le juge ne peut naturellement arriver à cette
sanction sévère qu’en cas de carence délibérée, c’est-à-dire que s’il est établi que
« l’inertie du plaideur résulte de sa mauvaise foi »1310, qu’il entendait « se soustraire
alors aux exigences de la justice conflictuelle, échapper à la loi [étrangère]
applicable – attitude aujourd’hui moins que jamais admissible pour le juge »1311. Or,
précisément la bonne foi est toujours présumée. D’où l’intérêt de n’aboutir à cette
sanction extrême que si le juge est réellement convaincu de la mauvaise foi du
plaideur qui a voulu ainsi abuser sa religion.

* *
*
72. En guise de conclusion, l’on peut dire qu’en droit ivoirien, la production de la loi
étrangère compétente est une obligation des plaideurs, l’office légal du juge
l’obligeant certes connaître cette loi étrangère et non à la produire. Mais cette
connaissance profonde que « la jurisprudence c’est l’art de rechercher ce qui est bon
pour le cas soumis au juge et ce qui est bon pour le système juridique en général, et
notamment la sécurité juridique »1312, fait reposer entre les mains du juge ivoirien la
responsabilité de transformer le procès en un cadre de coopération qui fera jaillir la
lumière de la vérité et de la justice et surtout qui placera, en cette occurrence, sur un
piédestal les objectifs du droit international privé. S’il en est ainsi c’est bien parce que
« nécessaire créateur de droit dans l’exercice de son pouvoir interprétatif, le juge
corrige ou rectifie les situations inéquitables1313 et protège des déséquilibres »1314.
 

                                                            
1310
V. B. Ancel, note sous Cass. civ. 1ère, 2 février et 21 juin 1988, op. cit.., p. 62.
1311
Ibid.
1312
V. A. GARAPON, S. PERDRIOLLE, B. BERNABE et C. KADRI, op. cit., p. 50, paraphrasant
Aristote.
1313
Au sens de « justice corrective » (V. Aristote dans L’Ethique à Nicomaque).
1314
V. A. GARAPON, S. PERDRIOLLE, B. BERNABE et C. KADRI, op. cit., p. 36.
301 

 
302 

 
ETUDES

303 

 
304 

 
PRATIQUE DE LA CONCILIATION EN MATIERE D’INJONCTION DE PAYER OHADA

Par

Dr Karel Osiris Coffi DOGUE, (LL.D Montréal)


Et
Valencia ILOKI ENGAMBA1315

Résumé :

L’article 12 de l’AUPSRVE pose le principe de l’obligation préalable de tenter une


conciliation en matière d’injonction de payer OHADA. Son analyse à laquelle
procède cette recherche se décline en diverses interrogations au nombre desquelles on
peut retenir : quels sont les attributs, les caractéristiques, que le législateur entendait
conférer à cette conciliation pour la rendre opérationnelle et capable de se fondre
adéquatement dans une procédure accélérée de recouvrement de créances telle que
celle de l’injonction de payer ? Le législateur de l’OHADA encadre-t-il comme cela
se doit cette double fonction du juge qui consiste à concilier et à juger ? En effet, les
attributions du juge-conciliateur, les qualifications et obligations d’un éventuel
conciliateur de justice, les obligations à imposer aux parties litigantes, le délai (légal
ou raisonnable) dans lequel doit être éventuellement enfermée cette phase de
conciliation ou son déclenchement, les sanctions liées à son inobservation, sont autant
de questions laissées en suspens par le législateur de l’OHADA et que cet écrit
recense et traite en profondeur.
Notre contribution se veut utile pour le praticien en ce qu’elle revient toujours sur la
position de la CCJA de l’OHADA, véritable boussole en matière d’interprétation et
d’application communes du Traité et des Actes uniformes OHADA, ainsi que sur les
grandes tendances jurisprudentielles des cours et tribunaux nationaux sur la question.
La recherche se veut également force de propositions puisqu’à travers les caractères
de cette conciliation, ses modalités et ses effets, c’est à un diagnostic à double
incidence législative et jurisprudentielle que l’auteur se livre de par cette recherche. Il
fait ainsi des propositions au législateur de l’OHADA en même temps qu’il invite la
CCJA à une révision profonde de sa position qui, en cette matière précise, a raté le
                                                            
1315
Avec la collaboration de Madame Valencia ILOKI ENGAMBA, Auditeur de justice ayant effectué son
mémoire de fin de formation professionnelle à l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature du
Bénin sur le thème : « La mise en œuvre des dispositions légales relatives à la tentative de conciliation en
procédure d’injonction de payer », 2014.
305 

 
rendez-vous de l’effectivité de l’un des modes alternatifs de règlement des différends
qu’est la conciliation.

Sommaire :

Virgule introductive

I- Les caractères de la conciliation de l’article 12 de l’AUPSRVE


A- Le caractère obligatoire de la conciliation de l’article 12
1- Une obligation légale implicite, confirmée par la jurisprudence
2- Une obligation légale non assortie de sanction
B- Le caractère préalable de la conciliation de l’article 12

II- La mise en œuvre de la conciliation de l’article 12 de l’AUPSRVE


A- Les modalités concrètes de la conciliation de l’article 12
1- L’identification et le statut du conciliateur de l’article 12
2- Les règles procédurales de la conciliation de l’article 12
B- Les effets de la conciliation de l’article 12
1- Les effets de la réussite de la conciliation
2- Les effets de l’échec de la conciliation

Point conclusif

306 

 
Virgule introductive

L’article 12 de l’Acte Uniforme OHADA portant organisation des Procédures


Simplifiées de Recouvrement et des Voies d’Exécution (ci-après AUPSRVE1316) pose
le principe de l’obligation préalable de tentative de conciliation en matière
d’injonction de payer. Il s’énonce tel qu’il suit :
« La juridiction saisie sur opposition procède à une
tentative de conciliation. Si celle-ci aboutit, le président
dresse un procès-verbal de conciliation signé par les
parties, dont une expédition est revêtue de la formule
exécutoire.
Si la tentative de conciliation échoue, la juridiction statue
immédiatement sur la demande en recouvrement, même
en l’absence du débiteur ayant formé opposition, par une
décision qui aura les effets d’une décision
contradictoire. ».
Rappelons que l’injonction de payer est, dans l’espace de l’OHADA, la procédure
simplifiée de recouvrement d’une créance1317 qui doit revêtir les caractères
cumulatifs1318 de certitude1319, de liquidité1320 et d’exigibilité1321. Cette créance doit
être soit de cause contractuelle, soit être une créance dont l’engagement résulte de
l’émission ou de l’acceptation de tout effet de commerce…1322. Du latin concilio, la
conciliation quant à elle est un mode alternatif de règlement des différends1323 que

                                                            
1316
Acte uniforme du 10 avril 1998 publié au Journal Officiel de l’OHADA N°6, du 01/06/98, p. 1 et s.
1317
Article 1er de l’AUPSRVE qui est inclus dans le Titre 1er : Injonction de payer, sous le Livre 1 :
Procédures simplifiées de recouvrement.
1318
CCJA, 2ième ch., N°06 du 25-08-2011, Aff. Burkina & Shell SA c. Les Syndics liquidateurs de Tagui
SA, OHADATA J-12-150.
1319
CCJA N°22/2009 du 16 avril 2009, BIAO-CI SA c. Société IGG SARL, OHADATA J-10-69.
1320
CCJA N°21 du 17-06-2004, SDV Cote d’Ivoire c. Sté RIAL Trading, OHADATA J-04-382.
1321
CCJA N°018/2006 du 26-10-2006, SAFCA c. 1- Sté CTS SARL ; 2- M. M. R. A. ; 3- P. M. L. N. D.
OHADATA J-08-93.
1322
Article 2 AUPSRVE.
1323
Terme provenant d’une traduction de son équivalent Anglosaxon ‘‘Alternative Dispute Resolution’’
(ADR) et qui regroupe l’arbitrage, la médiation, la conciliation, et autres procédés amiables de transaction
de même que les diverses combinaisons de ces modes que l’on retrouve dans certains pays. C’est le cas de
l’arb-med pendant lequel une médiation est mise en place au cours d’une procédure d’arbitrage. On a aussi
la medaloa ou mediation and lost offer arbitration qui permet à chaque partie de soumettre sa proposition
de solution à un tiers qui choisira. On peut y classer également l’early neutral evaluation par lequel les
parties demandent à un spécialiste, son avis sur le litige les opposant avant la mise en branle de toute
procédure contentieuse, etc. V. Yves CHAPUT, Chapitre 5 : « Médiation et contentieux des affaires », in
Loïc CADIET (Dir.), Thomas CLAY et Emmanuel JEULAND, Médiation et arbitrage. Alternative Dispute
Resolution. Alternative à la justice ou justice alternative ? Perspectives comparatives, LexisNexis, Litec,
Collection Pratique professionnelle, 2005, n° 125 -126 et s.
307 

 
certains auteurs1324 et institutions1325 identifient à tort avec la médiation1326. La
conciliation peut être définie comme la recherche d’un règlement amiable d’un
différend, conduite soit par un juge, soit par un conciliateur de justice, soit par un
particulier1327. La conciliation peut donc être judiciaire ou ad hoc. Dans notre cas, le
législateur de l’OHADA n’a pas été précis dans la qualification de cette
conciliation1328. Vu l’environnement procédural dans lequel il est enclenché, on
pourrait penser d’emblée à une conciliation judiciaire, conduite par un juge1329 ou un
conciliateur de justice nommé par ce dernier ; nous y reviendrons au titre des
problèmes de cet article 12 AUPSRVE relatifs à ses modalités de mise en œuvre.
Aussi, comme problème majeur, est-ce en vain que l’on recherche dans les Actes
uniformes, la sanction applicable au défaut de respect de cette exigence légale1330 qui,
au demeurant, n’est pas commune comme règle dans de nombreux Etats1331.
Cette recherche revient également sur d’autres problèmes juridiques relatifs à
l’encadrement théorique lacunaire et aux modalités pratiques déficientes de cette
tentative de conciliation légale prévue dans le cadre de l’injonction de payer OHADA.
En effet, cette tentative de conciliation présente un certain nombre d’obstacles qui
rendent difficiles l’atteinte des objectifs que s’est fixé le législateur de l’OHADA à
son propos. Nous tenterons dans cet article de relever ces obstacles, mais aussi et

                                                            
1324
V. Charles JARROSSON, Chapitre 2 : « Médiation et droit des contrats », in Loïc CADIET (Dir.),
Thomas CLAY et Emmanuel JEULAND, Médiation et arbitrage. Alternative Dispute Resolution.
Alternative à la justice ou justice alternative ? Perspectives comparatives, LexisNexis, Litec, Collection
Pratique professionnelle, 2005, n° 20 et s.
1325
C’est le cas de la CNUDCI qui dans sa Loi-type sur la conciliation internationale du 24 juin 2002 a
considéré médiation et conciliation comme synonymes.
1326
Pour une différenciation des deux, V. Charles JARROSSON, « Médiation et conciliation : définition et
statut juridique », Gaz. Pal. 1996, 2, Doctr., p. 951.
1327
Remi CABRILLAC, Dictionnaire du vocabulaire juridique, 2ième éd., Jurisclasseur, LexisNexis, Litec,
2004.
1328
Le législateur béninois par exemple, à l’article 253 de la Loi 98-004 du 27 janvier 1998 portant Code du
Travail en République du Bénin, prévoit une conciliation préalable et obligatoire . Il en est de même à
l’article 231 al. 1er et 239 al. 1er et 2 du Code interafricain des marchés d’assurances (CIMA) qui prévoit
aussi le préalable de conciliation.
1329
Cette option de confier la conciliation au même juge de l’injonction de payer semble être celle à
prioriser au titre de l’intention du législateur, sachant que la finalité était la célérité et le règlement accéléré
du contentieux des parties. Cette interprétation part cependant du postulat que le choix d’un tiers-
conciliateur sera long et ralentira la procédure ce qui n’est pas forcément vérifié en l’absence de données
statistiques probantes quant à l’impact du choix consensuel par les parties de leur conciliateur.
1330
 Il est permis de penser à la suite des professeurs Gérard LYON‐CAEN et Jean PELISSIER que la tentative 
de la conciliation préalable est une formalité substantielle qui devrait être sanctionnée par la nullité de la 
procédure mais le droit OHADA ne suit pas cette tendance encore moins sa jurisprudence, qui confirme 
l’impunité consécutive à l’inobservation de cette édiction légale en matière d’injonction de payer. 
1331
Apollinaire A. de SABA, La protection du créancier dans la procédure simplifiée de recouvrement des
créances civiles et commerciales. Droit de l’OHADA et pratiques européennes, 2ème édition, 2011 cite la
Belgique, l’Allemagne, l’Espagne le Luxembourg, le Portugal, l’Autriche, la Suède, la Finlande et le Chili
comme n’acceptant pas cette règle de conciliation préalable, p. 138 à 139.
308 

 
surtout de proposer des pistes de solutions aux praticiens pour rendre plus efficiente et
effective cette conciliation légale de l’article 12 de l’AUPSRVE.
La problématique que pose cet article 12 AUPSRVE se décline en diverses
interrogations au nombre desquelles nous pouvons retenir les suivantes :
- Quelle sont les caractéristiques fondamentales de cette conciliation de
l’article 12 ? Autrement, quels sont les attributs que le législateur entendait
conférer à cette conciliation pour la rendre opérationnelle et capable de se
fondre adéquatement dans une procédure accélérée de recouvrement de
créances telle que celle de l’injonction de payer OHADA?
- Le législateur de l’OHADA encadre-t-il comme cela se doit cette double
fonction du juge qui consiste à concilier et à juger ? En effet, les attributions
du juge-conciliateur, les qualifications et obligations d’un éventuel
conciliateur de justice, les obligations à imposer aux parties litigantes, le
délai dans lequel doit être éventuellement enfermée cette phase de
conciliation ou son déclenchement, les sanctions liées à son inobservation,
sont autant de questions laissées en suspens par le législateur de l’OHADA
et que nous aborderons.
L’analyse du texte permet de constater quelques précisions relatives aux effets1332 de
cette conciliation. Cependant, le silence du législateur de l’OHADA sur d’autres
points permet de soutenir qu’il a voulu confier la tâche à la jurisprudence de combler
les vides juridiques laissés dans la charpente juridique de la conciliation de l’article 12
AUPSRVE ou même de bâtir intégralement ce régime juridique. C’est donc dans la
jurisprudence des 17 Etats membres que nous irons chercher à tirer les pistes de
solution. Dans ce prolongement, l’analyse de la jurisprudence pertinente permet de se
rendre compte de la non perception de l’intérêt effectif de la conciliation dans la
procédure d’injonction de payer par les acteurs incluant les juges eux-mêmes et les
avocats.

Notre article reviendra bien évidemment sur la position de la Cour Commune de


Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’OHADA, véritable boussole en matière
d’interprétation et d’application communes du Traité, de ses règlements d’application,
des Actes uniformes OHADA et des décisions, ainsi que les grandes tendances
jurisprudentielles des cours et tribunaux nationaux sur la question.
Pour y arriver nous analyserons d’abord les caractères (I-) de la conciliation de
l’article 12 de l’AUPSRVE et ensuite les modalités et effets (II-) de cette conciliation.

                                                            
1332
Seconde phrase de l’alinéa 1er de l’article qui prévoit l’hypothèse des conséquences de la conciliation
réussie. Alinéa 2 qui règle les suites de l’échec de la procédure de conciliation de l’art. 12 AUPSRVE.
309 

 
I- Les caractères de la conciliation de l’article 12 de l’AUPSRVE
Nous relevons deux catégories de caractères qui viennent avec un régime juridique
imprécis, qu’heureusement la jurisprudence vient clarifier un tant soit peu. Il s’agit du
caractère obligatoire (A-) et du caractère préalable (B-) de la phase de conciliation
prévue par l’article 12 de l’AUPSRVE.

A- Le caractère obligatoire de la conciliation de l’article 12 de


l’AUPSRVE
Le caractère obligatoire découle de la lettre de l’article 12 AUPSRVE et est confirmé
par la jurisprudence (1-). Malgré cela, on note tout de même qu’il n’est assorti
d’aucune sanction (2-) comme si le législateur n’avait pas pris toute la mesure de son
édiction.

1- Une obligation légale implicite, confirmée par la jurisprudence


La lettre de l’article 12 AUPSRVE ne laisse aucun doute quant au caractère
obligatoire de la conciliation. En effet, le présent indicatif utilisé dans le libellé de
l’article 12 AUPSRVE « La juridiction saisie sur opposition procède à une tentative
de conciliation. » (nos soulignements), renvoie à une injonction d’avoir à procéder,
dès qu’on est saisi sur opposition, à une tentative de conciliation. Cette obligation en
principe s’impose d’abord au juge mais aussi aux parties. Le juge doit donc ordonner
impérativement une tentative de conciliation entre les parties à la procédure et les
parties elles-mêmes doivent, à notre avis, obligatoirement réclamer cette tentative de
conciliation avant d’aller de l’avant avec l’injonction de payer. Il ne semble pas du
tout exagéré d’affirmer que même les avocats des parties doivent tenter de rapprocher
les intérêts opposés de leurs clients en éclairant leur avis pour conclure une entente et
éviter ainsi un affrontement long et ultimement douloureux à travers le procès. Ce
rôle de l’avocat est très mal perçu.
Une innovation du législateur de l’OHADA est assez notoire ici car en droit français
par exemple et dans de nombreux droits continentaux, la procédure de tentative de
conciliation en matière civile, commerciale et sociale n’est pas obligatoire sauf
exception légale1333. De plus, toujours en France, il a été institué pour accompagner
cette conciliation lorsque proposée, le recours aux partenaires externes dits
‘‘conciliateurs de justice’’. Ces derniers exercent leur mission sous le contrôle de la
juridiction les ayant désigné qui en fixe la durée. L’OHADA ne dit rien à ce propos et
n’ayant pas légiféré en matière de médiation ou de conciliation, il est encore plus
notoire de souligner que le législateur de l’OHADA a plutôt pris le contre pied de ses
homologues continentaux notamment français en érigeant l’obligation de tenter la
conciliation comme principe légal. C’est ce qu’a su bien confirmer une série de
décisions concordantes du Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou qui retient

                                                            
1333
Comme exception on peut citer : Conseils des prud’hommes ; tribunal paritaire des baux ruraux. Voir
art. 21 et arts. 127 à 131 NCPC français.
310 

 
que la tentative de conciliation prévue à l’article 12 AUPSRVE est une phase
obligatoire (nos soulignements) dans la procédure d’opposition à injonction de
payer1334.
La surprise est donc à son paroxysme lorsqu’à la suite d’une édiction aussi ferme, on
se rend compte que le législateur de l’OHADA n’a prévu aucune sanction consécutive
au non respect de cette obligation légale.

2- Une obligation légale non assortie de sanction

La lecture complète de l’AUPSRVE ne laisse entrevoir nulle part une sanction


expresse consécutive au défaut d’ordonner ou de réclamer cette tentative de
conciliation obligatoire. On s’attendrait donc à ce que la logique du texte soit
respectée par la jurisprudence lorsque saisie. Et pourtant, la Cour d’appel d’Abidjan a
pu, sans coup férir, juger que la tentative de conciliation préalable n’est pas prescrite à
peine de nullité. La violation de l’obligation pour la juridiction saisie de l’opposition,
de procéder à une tentative de conciliation, n’est donc pas sanctionnée par la nullité
du jugement lorsque le juge ne l’exige pas1335.
Il ne s’agit là que de la position d’une Cour d’appel nationale, pourrait-on penser.
L’analyse de la jurisprudence de la CCJA révèle une position à la fois sans équivoque
et tranchée. En effet, dans un attendu lapidaire, la CCJA1336 a récemment encore,
confirmé la position de la Cour d’appel ivoirienne précitée.
« […] Attendu en effet que l’article 12 de l’Acte uniforme, tout en
rendant obligatoire la tentative de conciliation, n’a cependant
prévu aucune sanction quant à son omission ;[…] » ; il y a lieu
de rejeter le pourvoi.
Ce fut aussi la même position1337 que la CCJA tint quand elle affirma en 2012 que
l’article 12 « prescrit la procédure préalable de tentative de conciliation en cas
d’opposition d’une ordonnance d’injonction de payer, mais ne sanctionne cependant
pas l’absence de l’exercice de cette obligation ».
Il est donc surprenant mais constant dans plusieurs arrêts1338 de la CCJA que,
l’omission de la tentative de conciliation ne saurait donc entraîner la nullité du
                                                            
1334
TGI Ouagadougou, n° 74, 19-2-2003 : KIEMTORE T Hervé c/ L’Entreprise A.P.G., www.ohada.com,
Ohadata J-04-248 ; TGI Ouagadougou, n° 193, 23-4-2003 : SAWADOGO Saïdou c/ Caisse Populaire de
Dapoya, www.ohada.com, Ohadata J-04-316 ; TGI Ouagadougou, n° 196, 23-4-2003 : ETE/OA c/
NIKIEMA K. Pascal, www.ohada.com, Ohadata J-04-317.
1335
CA Abidjan, n° 865, 5-7-2002 : SIDAM c/ CISSE Drissa, www.ohada.com, Ohadata J-03-23, obs.
Joseph Issa-Sayegh.
1336
CCJA, Arrêt n° 013/2013 du 07 mars 2013, Affaire Société Africaine de crédit automobile dite
SAFCAR contre Société DISTRIVOIRE SA et Gaoussou Touré, JURIDATA N° JO13-03/2013.
1337
CCJA, Arrêt n°096/2012 du 20 décembre 2012, Affaire M. KENGNE POKAM Emmanuel contre M.
TAMEGHI Robert, JURIDATA N° J096-12/2012.
1338
CCJA, Arrêt n° 104/2013 du 30 décembre 2013, Affaire ABAKAR GAZAMBLE contre ABAKAR
IBI, JURIDATA N° J104-12/2013 ; ou encore Arrêt n°021/2009 du 16 avril 2009. Affaire Société
Africaine pour le développement de l’économie, l’habitat et le Commerce, dite Groupe (SADAM SA),
311 

 
jugement rendu sur opposition, faute de texte prévoyant ladite nullité, bien que cette
formalité soit obligatoire.
Tout en sachant que la position de la CCJA s’impose à tous, et en respectant l’autorité
de ladite Cour, il faille tout de même qu’elle révise cette position directement
attentatoire à la lettre de l’AUPSRVE et à l’intention du législateur. On ne saurait
édicter une obligation dont la violation serait permissive : il y va de l’autorité de
l’AUPSRVE, de la crédibilité de la CCJA et partant, de la sécurité juridique et
judiciaire du droit OHADA.
Une autre justification de notre position peut être tirée du Nouveau Règlement de
procédure de la CCJA 20141339. Ce règlement de procédure nouveau1340, modifiant et
complétant celui du 18 avril 1996 prévoit à son article 28 bis (nouveau), de nouveaux
motifs de recours en cassation1341. Au nombre de ces motifs de cassation se trouvent
en premier lieu, la « violation de la loi ». Par quelle alchimie juridique, pourrait-on ne
pas traiter le défaut de satisfaire cette exigence légale de tenter une conciliation
préalable comme une violation de l’article 12 et donc de la loi ? Nous ne voyons
aucun moyen licite de se dérober à cette analyse. Si l’interprétation de ce défaut de
tenter une conciliation est donc bel et bien une violation de la loi, alors toutes les
décisions sur opposition à injonction de payer, qui font l’impasse sur l’obligation de
tentative de conciliation de l’art. 12 étudié devraient être cassées pour violation de la
loi, dès qu’un pourvoi est élevé contre elles. On reste donc perplexe, face au refus de
sanctionner cette violation de l’article 12 de l’AUPSRVE que prône la CCJA dans sa
jurisprudence malgré plusieurs saisines de justiciables. Vivement que le Nouveau
règlement de procédure soit invoqué et donne une autre base légale à la cassation des
décisions concernées.
Une dichotomie similaire s’observe également à propos de la seconde caractéristique
de cette tentative de conciliation qui est son caractère préalable.

B- Le caractère préalable de la conciliation de l’article 12 de


l’AUPSRVE
En liminaire, il faut préciser comment cette phase de tentative de conciliation est
« préalable » dans l’article 12 AUPSRVE. Le caractère préalable ne signifie pas que
la phase de la tentative de conciliation est une obligation préalable à la saisine du juge

                                                                                                                                              

JURIDATA J021-04/229 sous art. 1er AUPSRVE ; ou encore Arrêt N° 058/2005 du 22 décembre 2005,
Affaire Société UNITED PLASTIC SERVICES dite UPS SA contre Société de transformation des
Plastiques Cameroun dite STPC SARL, JURIDATA N° J058-12/2005 sous l’article 11 AUPSRVE.
1339
Révisé par le Conseil des Ministres de l’OHADA le 30 janvier 2014, il est entré en vigueur le 05 mai
2014 après publication au Journal Officiel de l’OHADA le 05 février 2014.
1340
V. Karel Osiris C. DOGUE, « L’avocat et le nouveau règlement de procédure 2014 de la CCJA-
OHADA », Bulletin béninois d’information juridique, N°15, Octobre 2014, page 2 et s. qui présente les
aspects de cette réforme ayant trait aux avocats et à leur ministère devant la CCJA.
1341
Les voies de recours en cassation sont prévues entre autres aux alinéas 2 et 3 de l’article 14 du Traité
constitutif de l’OHADA.
312 

 
qui a rendu l’ordonnance portant injonction de payer1342. Le caractère préalable
s’applique d’une part, après l’ordonnance d’injonction de payer et d’autre part, après
l’opposition formée contre elle, mais avant toute décision rendue sur opposition,
décision qui elle, est susceptible d’appel dans les conditions du droit national de
chaque Etat partie1343.
Il faut aussi distinguer la phase préalable de conciliation qui est antérieure à tout débat
au fond sur l’opposition, d’un éventuel désistement d’action1344 pour règlement à
l’amiable ultérieur qui peut intervenir à toute étape de la procédure. Dans ce dernier
cas, le juge devrait rendre un véritable jugement de désistement d’action1345 et non
donner acte aux parties du contenu de leur procès-verbal de conciliation qu’il signe.

Ensuite, selon la lettre de l’article 12 AUPSRVE, la demande de tentative de


conciliation devrait être faite d’office par le juge saisi de l’opposition. Il ne s’agit pas
de la saisine individuelle du juge même ayant rendu l’ordonnance portant injonction
de payer mais bien « de la juridiction compétente dont le président a rendu la décision
d’injonction de payer »1346. La précision est utile puisqu’elle a fait l’objet d’un
contentieux tranché par le Tribunal de Grande Instance (TGI) de la Menoua qui a été
conduit à affirmer clairement que :

« La tentative de conciliation prévue par l’article 12 de


l’AUPSRVE relève de la compétence du tribunal dont le
président a rendu l’ordonnance d’injonction de payer et non
uniquement de celle de son président »1347.

C’est donc ici la juridiction qui est visée et non la personne du Président. C’est la
juridiction qui a l’obligation préalable de déclencher la tentative de conciliation. On
comprend sûrement que dans la pratique c’est pour éviter que des exceptions
d’irrecevabilité soient soulevées par des plaideurs indélicats prétextant que c’est le
même juge ayant rendu l’ordonnance d’injonction de payer qui doit connaitre de
l’opposition et de facto initier la conciliation préalable. Cette question est évidemment
tranchée par combinaison des articles 9 et 12 de l’AUPSRVE.

                                                            
1342
Voir TGI Ouagadougou, n° 207, 17-4-2003 : Fédération Wend-Yam de Kulkinka c/ TAPSOBA Michel,
www.ohada.com, Ohadata J-04-334.
1343
Art. 15 AUPSRVE.
1344
TGI Ouagadougou, Jugement n°405/2005 du 31 août 2005, Société Trans-Cordec c./ Manufactureers
and Trader Trust Company Bank, www.ohada.com, J-07-108.
1345
TGI Ouagadougou, Jugement n°396/2003 du 22 octobre 2003, Kabre Hubert Léandre c./ SAWADOGO
Arouna, www.ohada.com, J-04-251 ; commentaire tiré de Michel ADJAKA, La pratique des procédures
simplifiées de recouvrement de créances dans l’espace OHADA, 1ère éd. Ets SOUKOU, p. 96, note 221.
1346
Art. 9 AUPSRVE qui précise la juridiction compétente en matière d’opposition, qui est la seule voie de
recours ordinaire contre la décision d’injonction de payer.
1347
TGI Menoua, n° 46/CIV/TGI, 12-7-2004 : Dongmo Etienne c/ Azangue Bernard, PDG de la Sté E.P.A,
www.ohada.com, Ohadata J-07-44 ; Ohadata J-05-106.
313 

 
Il peut arriver que le juge, ou plutôt la juridiction, ne déclenche pas cette tentative
préalable et obligatoire. En pareille circonstance, il nous semble que si une partie
diligente, soulève in limine litis1348 ce préalable, alors le juge doit y faire droit et
procéder à la tentative de conciliation obligatoire. C’est à bon droit, ce qu’a retenu le
TGI de la Mifi1349 dont la décision retient que « la tentative de conciliation prévue par
l’article 12 AUPSRVE doit se faire in limine litis ». La même décision permet de
repousser tout risque de dilatoire que tenterait une partie qui, prétextant de l’omission
de cette tentative par le juge, longtemps après le début de la procédure d’opposition,
la soulève tardivement. Le juge du TGI de la Mifi va ainsi plus loin pour retenir que
« la demande du demandeur à l’opposition à une ordonnance d’injonction de payer
n’est pas recevable et doit être considérée comme un moyen dilatoire si elle est
formulée six mois après l’ouverture de l’instance »1350.

La question qui survient ici également à la lecture de cette analyse est, de suite, quelle
est donc la sanction de cette omission de procéder à une tentative de conciliation
préalable et obligatoire ? Il y a effectivement un risque que le juge ne soulève pas
d’office ; une possibilité qu’une partie ne soulève pas in limine litis et une probabilité
qu’elle veuille plus tard s’en prévaloir sans idée de dilatoire. Comme nous l’avons
déjà vu, le législateur de l’OHADA reste muet et la CCJA, dans une jurisprudence
constante1351, n’a pas jugé cette omission susceptible d’entraîner la nullité du
jugement rendu. Il y a donc un droit processuel exprès des parties à la conciliation
préalable et obligatoire mais le manquement à ce droit n’est pas, chose curieuse,
assorti de sanction textuelle de la part du législateur et pire, est royalement ignoré par
la CCJA.

On peut être d’autant plus surpris que l’on sait que même si le principe du régime des
nullités des actes de procédure1352 en droit OHADA est : pas de nullité sans texte »1353

                                                            
1348
Au tout début de l’instance ; au seuil de la procédure ; avant tout débat au fond.
1349
TGI de la MIFI, n° 32/civ., 2-4-2002 : CHEMBO NDENKO Nadine c/ SIMO Henri Bernard,
www.ohada.com, Ohadata J-04-230.
1350
Idem.
1351
CCJA, Arrêt n° 104/2013 du 30 décembre 2013, précité ; ou Arrêt CCJA n°021/2009 du 16 avril 2009
déjà cité ; ou encore Arrêt N° 058/2005 du 22 décembre 2005, précité.
1352
V. Félix ONANA ETOUNDI, Le régime juridique des nullités des actes de procédure dans l’Acte
Uniforme de l’OHADA portant Organisation des Procédures Simplifiées de Recouvrement et des Voies
d’Exécution », disponible à www.institut-idef.org/le-regime-juridique-des-nullites.html, dernière
consultation le 1er décembre 2014 ou encore Michel ADJAKA, « Réflexion sur le régime des nullités
consacré par l’Acte Uniforme de l’OHADA portant Organisation des Procédures Simplifiées de
Recouvrement et des Voies d’Exécution », disponible sur www.ohada.com, Ohadata D-11-25.
1353
Le principe de la nullité textuelle ou nullité de plein droit est retenu par le droit OHADA qui distingue à
son propos entre formalités substantielles et formalités accessoires.
314 

 
et secondairement « pas de nullité sans grief »1354, la CCJA a déjà pu prononcer des
nullités sans grief1355. Pourquoi ne pas l’avoir fait ici ? Une première explication est
que l’article 12 n’affirme pas expressément le groupe de mots « à peine de nullité »
qui est la formule magique OHADA des nullités textuelles. Une seconde explication
serait que rien ne permet de qualifier la phase de conciliation de l’article 12 comme
étant d’ordre public. Une troisième explication résiderait dans l’analyse du contexte
de la tentative de conciliation préalable et obligatoire qui s’inscrit dans une procédure
simplifiée de recouvrement qui est censée être brève et conduire à une injonction de
payer efficace : rendre cette étape d’ordre public serait contre-productif au regard du
contentieux que cela générerait avec des conséquences très fâcheuses. Mais si la
troisième explication est la bonne, alors le législateur a mal pensé l’insertion de ladite
procédure de conciliation et de lege feranda, il devrait revoir l’article 12 et son régime
juridique dans le cadre de la révision en cours de l’AUPSRVE.

Mais de lege lata, il faut trouver une solution au justiciable éventuellement lésé. Faut-
il alors renvoyer simplement au droit commun de la responsabilité civile pour essayer
de trouver une solution. A ce niveau, on se heurte à la réalité que la tentative de
conciliation demeure une simple tentative sans issue certaine pour l’une comme
l’autre des parties, ce qui rend l’appréciation des dommages et intérêts hypothétique
et illusoire en cas de demande, surtout quant à la preuve du préjudice subi qui, lui
aussi, reste très hypothétique. C’est d’ailleurs ce que rappelle dans un premier temps,
et ce à quoi dans un second temps, la CCJA renvoie le plaignant dans son arrêt
n°096/2012 du 20 décembre 20121356 où elle affirme que l’article 12 de l’AUPSRVE :
« [...] ne subordonne nullement la validité du jugement à
intervenir après opposition à la procédure de tentative de
conciliation qui peut aboutir ou qui peut être soldé par un
échec, […] ; que sauf si Monsieur KENGNE POKAM
Emmanuel démontre que l’absence de conciliation lui a
causé un préjudice, la Cour ne peut sanctionner la nullité du
jugement. » (nos soulignements).
Le régime de cet article 12 est donc celui d’une nullité non seulement virtuelle mais
qui exige un grief pour prospérer ! Nous le déplorons tout de même. Il ne reste plus
qu’à appeler en pareille occurrence à la rescousse, la jurisprudence étrangère relative
                                                            
1354
L’exception en droit OHADA est la nullité virtuelle ou nullité avec grief retenu secondairement par le
droit OHADA qui distingue à ce niveau selon que l’irrégularité est de forme et peut facilement être
couverte ou qu’elle est de fond ou substantielle et appelle une nullité d’ordre public c’est-à-dire invocable
même sans grief directement.
1355
Sa position de principe à ce sujet est d’ailleurs claire dans le premier avis qu’elle a donné : CCJA Avis
N) 001/99/JN/ du 17 juillet 1999, publié au RJCCJA N° spécial, p. 70 où la Cour retient en substance que
« hormis des cas limitativement énumérés, où le grief est exigé, le juge prononce la nullité sans qu’il ne soit
besoin de rechercher la preuve d’un quelconque préjudice ».
1356
CCJA, Arrêt n°096/2012 du 20 décembre 2012, Affaire M. KENGNE POKAM Emmanuel contre M.
TAMEGHI Robert, JURIDATA N° J096-12/2012.
315 

 
à la perte d’une chance1357, qui seule, peut aider un tant soit peu le justiciable qui se
sent lésé.

Nos critiques sont encore plus acerbes quant à l’organisation des détails de la
procédure de tentative de conciliation préalable et obligatoire et leurs conséquences.

II- La mise en œuvre de la conciliation de l’article 12 de l’AUPSRVE


La mise en œuvre de la tentative de conciliation n’est pas du tout détaillée par le
législateur de l’OHADA. En effet, il est resté quasiment muet sur les modalités (A-)
de cette phase préalable et obligatoire de l’injonction de payer, pour subitement
s’étendre en partie sur ses effets (B-).

A- Les modalités concrètes de la conciliation de l’article 12 de


l’AUPSRVE
Plusieurs questions restent en suspens quand on s’intéresse au déroulement exact de la
phase de conciliation de l’article 12. Certaines ont trait à l’identification et au statut
du conciliateur et d’autres à la procédure de conciliation elle-même.

1- L’identification et le statut du conciliateur


a. La personne du conciliateur
La procédure de conciliation légale OHADA étant au cœur d’une procédure judiciaire
d’injonction de payer est-il obligatoire de laisser la direction de cette conciliation au
même juge ou bien serait- il possible de choisir un tiers ? Qui devrait être ce tiers le
cas échéant ? En l’absence de précision du législateur de l’OHADA dans l’article 12
de l’AUPSRVE ici analysé, et face à l’inexistence d’un Acte uniforme sur la
médiation1358 ou la conciliation OHADA, il est permis de penser que le champ des
possibles quant à la personne du conciliateur est vaste. En effet, il peut s’agir du juge
                                                            
1357
La Cour de cassation française exige pour l’indemnisation d’une perte de chance que le préjudice soit
certain et direct et résulte d’une perte de chance raisonnable. Cass. 1ère civ. 30 avril 2014 qui adopte une
conception restrictive de l’indemnisation de la perte de chance. Ce n’était pas le cas avant cette récente
décision puisqu’en 2013 encore, la même Cour de cassation française est allée jusqu’à indemniser une perte
de chance « même faible » dès lors qu’elle était réelle et sérieuse, Cass 1ère civ., 16 janvier 2013. V. Cyril
Sintez, « La perte de chance : une notion en quête d’unité », Les Petites Affiches, N° 218, 31 octobre 2013,
pp. 9-14. Et aussi Maurice Nussenbaum et Claire Karsenti, « Le préjudice de perte de chance en droit
français : un préjudice hors norme ? », disponible sur
www.sorgemval.com/IMG/pdf/le_prej._de_perte_de_chance_opti_droit_des_affaire_oct_12_.pdf, dernière
consultation le 30 novembre 2014.
1358
  Ce  domaine  fait  partie  des  axes  envisagés  par  l’OHADA  pour  faire  l’objet  d’un  Acte  uniforme  et  qui 
actuellement  sont  soumis  à  des  études  de  faisabilité  par  le  secrétariat  permanent  de  l’OHADA.  Voir  la 
communication  de  Monsieur  Alexis  NDZUENKEU  lors  du  29ième  Congrès  de  la  Conférence  Internationale 
des  Barreaux  de  tradition  juridique  commune  (CIB)  :  «  Quel  droit  au  service  du  développement 
économique  de  l'Afrique  ?  »  à  Dakar  (SENEGAL)  du  3  au  7  décembre  2014  et  ayant  porté  sur  « Les 
nouveaux chantiers OHADA ». 
316 

 
lui-même c'est-à-dire du président de la juridiction saisie après opposition1359 et qui a
l’obligation de procéder à la conciliation préalable et obligatoire. C’est l’analyse
également tirée des travaux préparatoires de l’AUPSRVE et confortée par le besoin
de simplification mais surtout de célérité de la procédure d’injonction de payer. Rien
n’interdist cependant qu’il puisse s’agir aussi d’un conciliateur de justice1360 nommé
par le même juge précité. Enfin il pourrait s’agir d’une tierce personne choisie par le
juge ou même par les parties si le juge les y autorise.
En fait, pour trancher le débat, la lecture combinée des articles 12 et 33 traitant des
titres exécutoires dans l’espace OHADA nous conduit à confirmer que le législateur
de l’OHADA pensait à priori uniquement au juge comme conciliateur puisqu’il ne
reconnaît comme titre exécutoire qu’un procès-verbal signé par le juge et les parties.
On aurait donc pas tord de dire, en plus des arguments énoncés précédemment, et vu
que sa signature est forcément requise pour donner autorité de décision judiciaire à
l’entente de conciliation consignée dans un procès-verbal, qu’à priori, le législateur
n’entendait attribuer cette faculté de conciliation qu’au juge, président de la
juridiction compétente.
Au demeurant, à notre humble avis, rien ne devrait s’opposer à ce que le juge valide
une tierce personne proposée de commun accord par les parties si tant est que le but
de cette procédure est d’arriver le plus vite possible à un règlement amiable et
définitif du litige sur la base du procès-verbal de conciliation à homologuer plus tard
par le juge qui y apposerait sa signature. Si l’autonomie de la volonté des parties,
substrat de tout procédé de règlement amiable de différend, peut mieux aider à
atteindre cette réalité, alors ce serait à encourager et l’article 33 ne devrait pas être lu
dans le sens de limiter la conduite de la conciliation par le juge seul.
A contre-courant du recours à des tiers que nous proposons ainsi, il faut relever pour
le déplorer, qu’on observe malheureusement l’inexistence d’une professionnalisation
en corporation de la fonction de conciliateur dans l’espace de l’OHADA1361. En effet,
l’accès à la mission de conciliateur n’est pas réglementé et est entièrement libre en
Afrique. Il n’existe pas à notre connaissance un processus particulier
d’habilitation avec des exigences et des qualifications précises pour être conciliateur.
                                                            
1359
Il ne s’agit pas de la saisine individuelle ou gracieuse du juge même ayant rendu l’ordonnance portant
injonction de payer mais bien « de la juridiction compétente dont le président a rendu la décision
d’injonction de payer ». Voir TGI Menoua, n° 46/CIV/TGI, 12-7-2004 : Dongmo Etienne c/ Azangue
Bernard, PDG de la Sté E.P.A, www.ohada.com, Ohadata J-07-44 ; Ohadata J-05-106.
1360
Conciliateur de justice : « C’est une personne privée qui a pour mission, soit de faciliter, en dehors de
toute procédure judiciaire, le règlement amiable des différends portant sur des droits dont les intéressés ont
la libre disposition, soit de procéder aux tentatives préalables de conciliation prescrites par la loi (sauf en
matière de divorce ou de séparation de corps), sur désignation du juge et moyennant accord des parties. »,
in Raymond GUILLIEN et Jean VINCENT (Dir.), Serges GUINCHARD et Gabriel MONTAGNIER,
Lexique des termes juridiques, 14ième éd., 2003.
1361
Même s’il faut noter que certains Centres de médiation et d’arbitrage de la place africaine font des
efforts dans le sens de la sélection et de la professionnalisation de leurs listes d’arbitres, de médiateurs et
parfois de conciliateurs ; les arbitres siégeant en général sous les trois manteaux dans distinction claire ni
habilitation particulière.
317 

 
En tout état de cause, qu’il soit juge ou tiers prévu par la réglementation applicable,
désigné derechef ou sur consensus des parties, la personnalité du conciliateur est
essentielle. Il devrait être à la fois expert du domaine sur lequel porte le différend,
diplomate, juriste, andragogue1362 averti, psychologue et même psychanalyste1363
parfois ! Il doit pouvoir saisir aisément les pratiques, usages et mode de raisonnement
des acteurs en présence pour s’en tenir au peu.
Au-delà des éléments de la personnalité du conciliateur, il y a forcément des critères
tenant à son statut.
b. Le statut du conciliateur
Au regard de la liberté observée dans l’encadrement institutionnel de la conciliation et
même de la médiation professionnelle en Afrique, il faille tout de même que le
législateur de l’OHADA revoit et fixe certaines obligations déontologiques qui
constituerait le statut du conciliateur et s’imposeraient à lui.
 Quant aux pouvoirs et attributions du conciliateur de l’article 12 de
l’AUPSRVE
Le conciliateur a-t-il pour attributions de vérifier l’étendue des pouvoirs des
représentants en cas de mandat de représentation car les parties à ce stade se font
souvent représenter par des personnes qui n’ont en réalité aucune marge de
manœuvre. Ces personnes sont là comme des moutons de panurge et se contentent
d’objecter aux prétentions de l’autre partie sans pouvoir concéder quoi que soit. Dans
cette occurrence, le législateur ne devrait-il pas faire observer une obligation de
présence effective des parties demanderesse et défenderesse ? Et si par extraordinaire
une des parties devrait se faire représenter, qu’elle le fasse par une personne habilitée
à « négocier » au vrai sens du terme. Cela nous semble le minimum si on veut
conférer à cette phase de conciliation son plein potentiel dans la résolution du conflit.
Le conciliateur devrait donc à notre avis, avoir le pouvoir de refuser une
représentation si elle n’est pas bien libellée à l’effet général d’autoriser le mandataire
pendant la procédure de conciliation à prendre toute mesure susceptible de concilier
les intérêts en présence. Cette exigence pourrait découler de cette obligation implicite
des parties prenantes à la conciliation de tenter la conciliation de bonne foi.
 Quant aux obligations du conciliateur de l’article 12 de l’AUPSRVE
o Respect du caractère public de la procédure d’injonction de payer et
obligation de confidentialité imposée au conciliateur
Cette exigence de respect du caractère public de la procédure d’injonction de payer,
appelle de suite l’une des principales obligations du conciliateur qui est celle de
                                                            
1362
L’andragogie est une science et un art. C’est la science de l’éducation focalisée aux personnes adultes.
On peut dire que c’est la science de la pédagogie pour adultes. C’est aussi, à notre avis, l’art de savoir
conduire des adultes dans un apprentissage ; le terme éducation ayant une connotation qui ne va pas
toujours de paire avec le public particulier que constitue les personnes adultes.
1363
Les propos sont de Robert BADINTER in « Conférence sur la médiation. Organisation mondiale de la
propriété intellectuelle », Genève, 29 mars 1996, cité par M. GONDA, « La médiation des litiges en
matière de propriété intellectuelle : l’expérience de l’OMPI », in La médiation en matière commerciale, Ed
du Jeune Barreau de Liège, 2000, p. 53.
318 

 
l’obligation de confidentialité. Sachant les modes alternatifs de règlement des conflits
par nature empreints de confidentialité1364, nous sommes conduits à nous demander si
cette conciliation est obligatoirement publique ou si le juge peut en décider autrement
de son propre chef ou sur demande d’une partie. La pertinence du questionnement
réside dans le caractère par essence contradictoire et public de la procédure
d’injonction de payer au sein de laquelle est introduite la conciliation qui se veut
intrinsèquement confidentielle.
Nous pensons que le silence du législateur de l’OHADA devrait permettre de laisser
place au pouvoir prétorien du juge. En effet, le juge devrait conserver la latitude1365,
s’il est saisi d’une demande motivée visant à requérir la confidentialité ou non de
cette conciliation, d’y faire droit ou de la rejeter selon les arguments avancés et les
intérêts en présence. Cette position qui est la nôtre semble entérinée par les droits
continentaux qui en majorité énoncent le principe général1366 mais permettent les
aménagements conventionnels1367 de cette obligation de confidentialité. S’il est
loisible de déroger conventionnellement à cette obligation de confidentialité, elle n’est
donc a priori pas impérative.
S’il fallait cependant avoir un avis tranché et sans concession possible à l’autonomie
de la volonté, sur la confidentialité, nous nous alignerions sur la tendance actuelle du
législateur de l’OHADA qui, dans la perspective de la réforme de l’Acte uniforme
portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif adopté en 1998
et entré en vigueur en 1999, a prévu l’insertion d’une phase de conciliation
caractérisée par son caractère confidentiel. Le législateur prend donc le parti de
préciser cette modalité de la conciliation spéciale1368 OHADA.
o Obligation d’impartialité du conciliateur de l’article 12 de
l’AUPSRVE

                                                            
1364
C’est une exigence unanime des acteurs des ADR. Elle est notamment consacrée par l’article 6 de la
Directive européenne sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale et à l’article 9 de
la Loi-type de la CNUDCI sur la conciliation internationale du 24 juin 2002.
1365
L’impérium du juge s’étend à notre avis jusque là et rien ne semble s’y opposer puisqu’il doit donner
suite (faire droit ou décliner) à toute requête d’une partie. V.
1366
Une exception est constituée par le système américain qui tend à détailler les diverses facettes de cette
obligation de confidentialité sans trop laisser de choix aux parties. V. Charles JARROSSON, « Médiation
et droit des contrats », Op. cit., n° 36 et s.
1367
Droits canadien et québécois, suisse, allemand et italien pour ne citer que ceux là qui permettent ces
aménagements conventionnels.
1368
Prévue par la réforme de l’AUPCAP dans l’optique d’accroître l’efficacité et l’efficience des
dispositions relatives aux entreprises en difficultés, la conciliation dans cette matière est définie comme
« une procédure destinée à éviter la cessation des paiements de l’entreprise par la conclusion d’un accord
avec ses créanciers et/ou contractants. Elle est ouverte à ceux qui connaissent des difficultés avérées ou
prévisibles mais qui ne sont pas encore en état de cessation de paiements. V. Yvette Rachel KALIEU
ELONGO, « L’état de la perception de la sécurité juridique dans l’espace OHADA. Réflexions à partir du
droit des entreprises en difficulté », in Loïc CADIET (coord.), Droit et attractivité économique : le cas de
l’OHADA, Travaux de l’Association pour l’efficacité du droit et de la justice dans l’espace OHADA, IRJS
Editions, 2013, pp. 87 à 97, spéc. p. 97.
319 

 
Il est de principe qu’un médiateur soit impartial. Comme en matière d’arbitrage, le
médiateur doit donc éviter tout conflit d’intérêts1369 et même toute apparence1370 de
conflit d’intérêts. Il y a donc une double acception de l’impartialité ici. La première,
objective, qui veut qu’on démontre soi-même l’impartialité mais la seconde,
subjective, qui veut qu’on apparaisse comme tel aux yeux des parties et des tiers
c’est-à-dire qu’il n’y a pas de facteurs ou même des indices laissant entrevoir une
apparence de conflit d’intérêts. Le conciliateur ne devrait donc pas accepter de
mandats d’arbitre ou de conseil d’une partie à la conciliation en tout ce qui pourrait
avoir trait au différend qu’il a aidé à concilier.
 Quant à la responsabilité du conciliateur de l’article 12 de l’AUPSRVE
Le conciliateur pourra être tenu d’une série de responsabilités fonctions des actions
qu’il pose et des fautes éventuelles qu’il commet. C’est ainsi qu’il pourra voir sa
responsabilité pénale mise en jeu s’il commet des infractions de droit commun telle
que la violation ou la divulgation du secret professionnel, le délit d’initié, etc. Il
pourra bien entendu être tenu d’une responsabilité délictuelle à l’égard des tiers pour
tout fait préjudiciable à ces derniers et à lui imputable. Les parties ne pourront que
tout naturellement retenir à son encontre une responsabilité de nature contractuelle
sous réserve des stipulations spécifiques du contrat de conciliation s’il y en a un.
Sinon, c’est une obligation de moyen qui s’impose à lui avec toutes ses conséquences
de droit.
Au final, le juge qui siège comme conciliateur, tel que ce peut être le cas pour l’article
12 de l’AUPSRVE encourt le risque de ces responsabilités spécifiques. A ces
dernières s’ajoute une responsabilité professionnelle s’il fait partie d’un corps
professionnel régi par un code d’éthique, un code de déontologie et/ou d’autres règles
corporatives qu’il ne respecte pas.

2- Les règles procédurales de la conciliation de l’article 12


AUPSRVE
Le silence du législateur sur les modalités procédurales de mise en œuvre de l’article
12 AUPSRVE est pathologique à plus d’un titre. Primo, on pourrait s’interroger sur la
pertinence de l’application du principe du contradictoire. En effet, en arbitrage, ce
principe directeur du procès1371 est cardinal mais en médiation, on peut douter de son
efficacité. En conciliation, le partage d’information non stratégique et non
                                                            
1369
Nous avons eu de nombreux dossiers internationaux d’arbitrage à polémique mettant en présence de cas
de conflits ces dernières années : affaire Me Henri C. Alvarez, du nom de cet avocat associé du cabinet
canadien Fasken Martineau Dumoulin ; la saga Tapie dans son volet arbitrage ; Total et l’affaire Etat du
Cameroun c. Garoube : disponible à l’adresse http://www.ohada.com/content/newsletters/1699/Arret-
Affaire-Etat-du-Cam-c.-Garoube.pdf ; dernière consultation le 02 décembre 2014.
1370
V. Barreau du Québec, Guide 2010 sur les conflits d’intérêts, disponible à l’adresse
http://www.barreau.qc.ca/pdf/publications/guide-conflits-interets.pdf , p. 146 et s., dernière consultation le
02 décembre 2014.
1371
Il s’agit souvent des principes du contradictoire, des droits de la défense, du droit à un procès équitable,
de la présomption d’innocence, etc.
320 

 
confidentielle est important mais le médiateur use surtout à notre avis de techniques
de communication et de procédés d’orientation du processus individuel de prise de
décisions. Le principe du contradictoire est donc secondaire. Cependant, le
conciliateur peut, à cet effet, faire des rencontres séparées avec les parties qualifiées
de « caucus »1372. Il peut et devrait utiliser toutes méthodes licites devant permettre de
concilier les parties. Ce faisant, il doit inspirer confiance et faire preuve de loyauté et
de neutralité envers les parties. Sa loyauté implique par exemple qu’il ne livre aucune
information sensible portant sur les secrets d’affaires d’une ou des deux parties même
si ces informations seraient utiles pour sa conciliation.

Secundo, dans quel délai à compter de l’opposition à l’ordonnance d’injonction de


payer le juge doit-il obliger les parties à se concilier ? Le législateur est resté muet là-
dessus. Connaissant l’exigence de célérité propre à l’injonction de payer OHADA,
nous pensons qu’il faille recourir à une mise en œuvre « à bref délai » tel que le
législateur a déjà eu à l’exiger ailleurs dans les Actes uniformes.
Tertio, traitant toujours de délai, on peut se demander si le juge-conciliateur peut
enfermer les parties dans un délai impératif pour s’entendre, faute de quoi il
considérerait la conciliation comme ayant échoué ? Nous restons convaincus que sans
pouvoir limiter techniquement la conciliation a un laps de temps qu’il fixe, le juge
peut octroyer un délai raisonnable1373 aux parties pour s’entendre à l’issu duquel, il
pourrait tirer les conclusions qui s’imposent. L’appréciation du délai raisonnable ici
sera faite au cas par cas en fonction des éléments en présence.

Ainsi se déclinent à notre avis, certaines des précisions lacunaires à faire quant à
l’édiction de cette tentative de conciliation préalable et obligatoire de l’article 12 de
l’AUPSRVE. C’est en principe après avoir énoncé ces détails que le législateur aurait
pu traiter des effets de ladite conciliation.

B- Les effets de la conciliation de l’article 12 AUPSRVE

                                                            
1372
Anglicisme provenant de l’anglais « caucus ». En français, on pourrait écrire «caucusse» ou «caucuse».
Prononcer ‘‘caucuss’’. L’auteur a pu participer et expérimenter cette technique des «caucuses» à de
nombreuses reprises durant les négociations syndicales effectuées d’abord en tant que Chargé des
conventions collectives, puis Président du Syndicat des Etudiants Salariés de l’Université de Montréal
(http://www.sesum.org/code-de-procedures-de-l-afpc.php#!historique/ck4g), de concert avec des
conciliateurs de la Commission des Relations de Travail du Québec, de concert avec l’Alliance de la
Fonction Publique du Canada (http://syndicatafpc.ca/) contre l’Université de Montréal. Cette technique du
«caucus» est très en vogue en matière de négociation, conciliation et médiation dans le milieu des relations
de travail au Québec et au Canada.
1373
V. Eric MONTCHO AGBASSA, Le délai raisonnable, Thèse de doctorat soutenue à l’Université
d’Abomey-Calavi sous la direction du Pr Joseph Djogbénou, 2012, inédit.
321 

 
Ces effets diffèrent selon que la conciliation réussit et aboutit à une entente signée des
parties et du juge conciliateur ou échoue en laissant se poursuivre les suites de la
procédure d’opposition à injonction de payer.

1- Les effets de la réussite de la conciliation de l’article


12
Le libellé du second membre de phrase de l’article 121374 est sans équivoque sur
l’effet d’une conciliation réussie. Celle-ci confère à l’objet de l’entente, après
établissement d’un procès-verbal signé des parties et apposition de la formule
exécutoire1375, les caractères d’un titre exécutoire1376. La juridiction compétente
informée, même par simple déclaration conjointe1377, doit prendre acte de la
conciliation, leur donner acte de leur accord amiable et, par conséquent, ordonner la
radiation du dossier du rôle1378. Il en va de même lorsque les représentants légaux des
parties ont dûment signé un protocole d’accord de remboursement comportant outre
l’entente sur le montant principal, les frais accessoires ainsi que les modalités de
paiement de ladite somme et que ce document porte également la signature du vice-
président du tribunal et du greffier, même s’il n’est pas daté1379. La conséquence
directe de cela étant d’ordonner la main levée de la saisie conservatoire de la créance
pratiquée sur les comptes bancaires du débiteur1380.
Une jurisprudence a même constaté qu’un accord de conciliation selon l’article 12
AUPSRVE, met fin à la procédure d’injonction de payer nonobstant le fait qu’il soit
intervenu au cours de l’instance en appel1381. Il en sera de même si cette conciliation
intervient de même avant l’audience. Une juridiction est allée encore plus loin
lorsqu’elle précise que ‘‘les conventions légalement formées tiennent lieu de la loi à
ceux qui les ont faites et doivent être exécutées de bonne foi’’. Dès lors, est de
mauvaise foi et doit voir son moyen rejeté, un opposant qui soulève une exception de
fin de non recevoir pour défaut de qualité des parties, et refuse de payer alors qu’il a

                                                            
1374
Art. 12/ « […] Si celle-ci aboutit, le président dresse un procès-verbal de conciliation signé par les
parties, dont une expédition est revêtue de la formule exécutoire. ».
1375
Art. 29 AUPSRVE.
1376
Conformément à l’art. 33 de l’AUPSRVE qui définit les actes constituant des titres exécutoires avec en
point 3) les procès verbaux de conciliation signés par le juge et les parties et en prenant soin d’ajouter en
dernier alinéa, les décisions auxquelles la loi nationale de chaque Etat partie attache les effets d’une
décision judiciaire. Il en est exclu par la CCJA les actes des autorités administratives nationales : CCJA N°
009/2008 du 27 mars 2008, Société Côte d’Ivoire Télécom c./ Société Lotery Télécom, GD-CCJA, p. 371,
Obs. R. Nemeudeu.
1377
TGI Ouagadougou, n° 405/2005, 31-8-2005 : Société Trans-Cordec c/ Manufactureers and Trader Trust
Compagny Bank, www.ohada.com, Ohadata J-07-108.
1378
TGI Ouagadougou, n° 398, 22-10-2003 : Société ALPHA DIFFUSION, SARL c/ Société
NOVAVISION, SARL, www.ohada.com, Ohadata J-04-250.
1379
TPI 1ère classe de Lomé, Togo, Ch. Civ. & Com., N° 912/2009, 3-4- 2009 ; Aff. Saint Michel & Co,
SARL c./ SIAB SA, OHADATA J-11-118.
1380
Id.
1381
CA Libreville, Gabon, N° 9/10 du 25-02-2010 ; Aff. Sté SNBG c./ Sté TTCO, OHADATA J-10-241.
322 

 
été mentionné expressément comme étant une des parties signataires dans le protocole
d’accord fixant les modalités de règlement du prix de vente des véhicules […]’’1382.
Les effets d’une conciliation réussie ne sont pas pour autant complexes, comparés aux
suites réservées à une conciliation qui échoue et qui laisse place au déroulement de la
procédure d’opposition.

2- Les effets de l’échec de la conciliation de l’article 12


L’échec de la conciliation est souvent déduit du défaut de présentation d’une des
parties en l’occurrence le débiteur. En effet, la pratique permet de constater que
l’opposant à l’injonction de payer, le débiteur, s’abstient souvent simplement de venir
à la conciliation ou de se faire dûment représenter à celle-ci. Le TGI de Ouagadougou
retient simplement que « l’opposant est censé avoir renoncé à l’instance lorsque, bien
qu’ayant été régulièrement appelé à cette tentative de conciliation, il n’a pas comparu,
ni personne pour lui. Il y a lieu donc de valider l’ordonnance portant injonction de
payer »1383. C’est donc en toute logique qu’au nombre des suites de l’échec de la
conciliation et dès lors que le débiteur ne conteste pas devoir à son créancier le
montant de la créance spécifiée sur l’ordonnance d’injonction de payer, il est tenu au
paiement1384.
Pour ce qui est des droits de la défense, il a été clairement jugé que la partie
demanderesse à l’opposition ne saurait ignorer la phase préalable et obligatoire de
conciliation. En étant défaillante, elle n’a pas entendu valablement se prévaloir de ses
moyens de défense. Il convient dès lors de confirmer l’ordonnance portant injonction
de payer1385. C’est ce qu’a confirmé la même juridiction burkinabè lorsqu’elle
affirmait de manière incisive que la phase préalable de conciliation ne peut avoir pour
effet de priver le plaideur de tout ou partie de ses moyens de défense à la reprise des

                                                            
1382
TGI Ouagadougou, n° 443, 19-11-2003 : COBERA c/ Sté BEXPO, www.ohada.com, Ohadata J-04-
324 ; voir Ohadata J-04-336.
1383
TGI Ouagadougou, n° 74, 19-2-2003 : KIEMTORE T. Hervé c/ L’Entreprise A.P.G., www.ohada.com,
Ohadata J-04-248.
1384
TGI Ouagadougou, n° 333, 2-7-2003 : PERFECTUM Afrique c/ BOA, www.ohada.com, Ohadata J-04-
252.
1385
TGI Ouagadougou, n° 114, 12-3-2003 : Société CIC- Equinoxe Burkina c/ Imprimerie les presses du
Faso, www.ohada.com, Ohadata J-04-319 ; TGI Ouagadougou, n° 117, 12-3-2003 : Auxiliaire d’Entreprise
c/ NIKIEMA K. Pascal, www.ohada.com, Ohadata J-04-331 ; TGI Ouagadougou, n° 193, 23-4-2003 :
SAWADOGO Saïdou c/ Caisse Populaire de Dapoya, www.ohada.com, Ohadata J-04-316 ; TGI
Ouagadougou, n° 195, 23-4-2003 : Agence Internationale de Voyage et de Tourisme EIFFEL-VOYAGE c/
OUEDRAOGO Djakaridja, www.ohada.com, Ohadata J-04-318 ; TGI Ouagadougou, n° 196, 23-4-2003 :
ETE/OA c/ NIKIEMA K. Pascal, www.ohada.com, Ohadata J-04-317 ; TGI Ouagadougou, n° 197, 23-4-
2003 : SANON Lassina c/ B.O.A., www.ohada.com, Ohadata J-04-332 ; TGI Ouagadougou, n° 209, 23-4-
2003 : TANKOANO Daniel Nicaise c/ BCEAO, www.ohada.com, Ohadata J-04-329 ; dans le même sens,
TPI Cotonou, 1ère ch. com., n°020, 15-7-2002 : Mr Gilbert BELBOL c/ ECOBANK BENIN SA.,
www.ohada.com, Ohadata J-04-284 ; TPI Cotonou, n° 019/1ère C.Com, 15-7-2002 : Sté LION D’OR SA C/
ECOBANK Bénin SA, www.ohada.com, Ohadata J-04-397, Ohadata J-04-285. Tiré du site de l’IDEF,
www.idef.org, dernière consultation le 22 octobre 2014.
323 

 
débats après échec de conciliation1386. Elle va plus loin cependant en ajoutant que le
juge ou la juridiction ne retrouve sa fonction de dire le droit qu’une fois que l’échec
de la conciliation est consommé. Dès lors, les plaideurs retrouvent tous leurs moyens
de défense, aussi bien de forme et de procédure, que de fond, en vue du succès de
leurs prétentions conformément à la portée des dispositions prévues à l’alinéa 2 de
l’article 12 AUPSRVE1387.
Cette portée de l’échec de la conciliation sur les pouvoirs prétoriens du juge est
précisée par la CCJA qui prône qu’il est évident qu’en cas d’échec de la conciliation,
le juge reprend son impérium complet sur le litige et son aboutissement.
« qu’ainsi, le juge saisi de l’opposition à injonction de payer
connaît de l’entièreté du litige et rend, en cas d’échec de la
tentative de conciliation des parties, une décision qui se substitue
à l’ordonnance d’injonction de payer en examinant tous les
aspects du litige et, sans méconnaître les caractères de certitude,
de liquidité et d’exigibilité de la créance, peut en arrêter le
montant au regard des pièces et des textes applicables … » 1388.
Bien entendu, l’échec de la conciliation ne saurait empêcher que le juge se prononce
sur l’opposition ayant toujours son objet. On sait que l’opposition remet les parties
dans l’état antérieur et permet d’examiner à nouveau le fond du litige et de vérifier la
régularité de la procédure1389 qui peut aboutir à un rejet ou non.

Point conclusif
La présente étude relève plusieurs tendances pouvant expliquer la pratique déficiente
de la conciliation préalable et obligatoire de l’article 12 de l’AUPSRVE.
La première est une méconnaissance ou une ignorance des caractères obligatoire et
préalable de l’obligation de conciliation surtout par le juge mais aussi par les parties
et leurs conseils au niveau de nos juridictions même si cette ignorance est marginale.
On pourrait penser que les raisons, à priori, de cet état de choses sont à rechercher
dans un conservatisme qui ne dit pas son nom et qui s’expliquerait par la peur du
nouveau ; les doutes quant à la réelle efficacité de la phase de conciliation qu’on
accuse d’allonger au contraire les délais d’une procédure requérant une extrême
célérité ; l’inaptitude du juge aux techniques de conciliation ; la baisse supposée du
chiffre d’affaires des avocats et autres conseils qui tirent avantage de la multiplicité
des contentieux. Mais loin de jeter la pierre aux praticiens, il nous semble que les

                                                            
1386
TGI Ouagadougou, n° 345, 28-3-2001 : Transit R. Gauthier c/ Société CIMEX, www.ohada.com,
Ohadata J-04-02.
1387
Id.
1388
CCJA, Arrêt n° 031/2011 du 06 décembre 2011. Affaire Société TRIGON ENERGIE LTD contre
Banque Commerciale du Sahel (BCS SA), JURIDATA N° J031-12/2011
1389
TRHC Dakar, n°855, 26-04-2000 ; Sté SOCECORM c./ R.A. et le Greffier en chef ; OHADATA J-05-
74.
324 

 
raisons sont ailleurs. On les retrouve dans une seconde hypothèse que cette recherche
jurisprudentielle a confirmé.
La seconde tendance, effective celle-là, est surtout que les acteurs judiciaires
connaissent bien l’existence de la procédure mais, sachant que le défaut de respect de
cette exigence légale est dénué de tout effet coercitif à proprement parler, selon la
jurisprudence constante de la CCJA, ils se contentent de la fouler au pied concluant
très souvent hâtivement, à l’échec de la conciliation alors même qu’ils n’ont pas
invité les parties à ce préalable de conciliation obligatoire en matière d’injonction de
payer OHADA.
Face à ce constat, il est indispensable de souhaiter vivement que la CCJA révise sa
position sur la sanction du défaut de respect des caractères préalable et obligatoire de
la tentative de conciliation en matière d’injonction de payer. Le droit n’est pas la
force, n’est pas synonyme d’office de sanction, mais le droit a besoin de la sanction
pour être respecté !
Une autre alternative, que nous ne recommandons pas du tout, serait que le
législateur, à l’occasion de la réforme en cours de cet Acte uniforme phare de
l’OHADA, portant sur les procédures simplifiées de recouvrement et les voies
d’exécution, pense à revoir le texte de l’article 12 pour rendre cette procédure
clairement facultative1390. La conséquence fâcheuse serait que la conciliation perdrait
ainsi sa place de choix dans l’injonction de payer OHADA mais au moins, on aurait
un texte qui serait respecté et force resterait au droit, à la loi. La sécurité juridique à
travers une meilleure prévisibilité législative et jurisprudentielle s’en trouverait
renforcée à travers les décisions de la Haute Cour supranationale.
Une fois encore, nous ne saurions recommander ce virement législatif d’autant plus
que le législateur communautaire est en train d’insérer une procédure similaire de
conciliation préalable dans le cadre du projet de révision de l’AUPCAP en marge du
règlement préventif1391. Dans le même sens, nous nous opposons à ce revirement
législatif qui serait certes une solution mais la moins indiquée au regard du fait que
l’article 24.1 (nouveau) de l’Acte uniforme portant Organisation des Procédures
Collectives d’Apurement du Passif (AUPCAP), instaure lui aussi, une nouvelle
procédure de liquidation simplifiée qui s’apparente à un mode de règlement allégé et
amiable des difficultés de l’entreprise.

Comme on le constate, la tendance en droit de l’OHADA en est à la confirmation de


l’insertion des autres modes alternatifs de règlement des conflits (MARC) en plus de
l’arbitrage, dans les Actes uniformes. C’est une tendance à encourager et qui devrait

                                                            
1390
L’avantage pourrait être de laisser le choix aux parties à toute étape de la procédure de transiger sans
rendre cette étape obligatoire pour les litiges dont la complexité rend la conciliation laborieuse et contre
productive. Cette faculté est possible en droit canadien et italien qui sont très avancés en termes de mise en
œuvre des MARC. Le nouveau code de procédure civile canadien consacre « une obligation de considérer
les modes privés de règlement des différends » avant tout contentieux.
1391
Article 5 et s. AUPCAP.
325 

 
culminer avec l’adoption prochaine d’un Acte uniforme sur la médiation
commerciale1392 dans l’espace OHADA. Toutefois, cette adoption ne serait salutaire
que si le législateur fait plus attention au régime pratique de ces MARC afin d’en
préciser le contenu et les sanctions le cas échéant. Vivement que ces quelques lignes
aident à une meilleure opérationnalité des MARC déjà prévus ainsi que ceux à venir,
dans le corpus iuris de l’OHADA.

                                                            
1392
V. Moussa SAMB, « A propos de la médiation comme mode alternatif de résolution des conflits en
Afrique », in De l’esprit du droit africain, Mélanges en l’honneur de Paul Gérard Pougoué, Wolters
Kluwer, Credij, 2014, pp. 637 – 650.
326 

 
REFLEXION SUR LE SYSTEME DE REGULATION INSTITUTIONNELLE
DE L’ACTIVITE BANCAIRE DANS LA CEMAC
Par
SUNKAM KAMDEM Achille, Chargé de cours, Université de BUEA

Parfois perçu comme un concept flou1393 voire incertain1394 ou encore comme


un concept valise1395, le mot régulation fait partie de ces concepts qui font l’objet
d’usages multiples dans le domaine juridique. Notion polysémique par excellence1396,
la régulation est susceptible d’acceptions diverses. D’abord, elle s’identifie au droit
lui-même en ce qu’elle apparaît comme l’une de ses fonctions essentielles1397.
Ensuite, la régulation peut être entendue comme une limite imposée dans l’exercice
des pouvoirs et comme rééquilibrage des rapports de force1398. Enfin, la régulation est
un moyen dynamique de maintenir les grands équilibres d’un secteur1399. Ce dernier
sens dont la considération s’avère plus indiquée pour la présente réflexion, permet de
mettre en évidence l’avènement d’un droit de la régulation. Ce droit s’analyse alors
comme le droit qui prend en charge la construction, la surveillance et le maintien de
force des grands équilibres de secteurs qui ne peuvent engendrer leurs équilibres par
eux-mêmes1400. Il en est notamment ainsi des secteurs de l’audiovisuel, des
télécommunications, de l’énergie, des marchés financiers, de la banque etc…

                                                            
1393
V. J. CHEVALIER, « La régulation juridique en question », Droit et société, 49-2001, p. 827.
1394
V. M-A. FRISON-ROCHE, « Définition du droit de la régulation économique », in Droit et économie
de la régulation. Les régulations économiques, légitimité et efficacité, Vol. 1, Presse de science po et
Dalloz 2004, p. 7.
1395
V. J-P. MOUSSY, Des autorités de régulation financières et de concurrence : pourquoi, comment ?,
Rapport du Conseil Economique et Social, n°1 JORF, Jan. 2003, p. 1-4, Cité par Hala DAOUD-RUMEAU
MAILLOT, Les autorités de régulation dans le domaine bancaire et financier. Vers la mise en œuvre d’un
cadre institutionnel européen ?, Thèse, Université Jean Moulin Lyon 3, 2008, p. 19.
1396
« Régulation », in M. NICOLAS et S. RODRIGUES (dir), Dictionnaire économique et juridique des
services publics en Europe, Paris, Isupe, 1998, p. 220 -223, cité par M-A FRISON –ROCHE, op. cit., p. 7.
1397
V. M-A. FRISON-ROCHE, op. cit., p. 8 ; également, J. CHEVALIER, op. cit., p. 830.
1398
V. M-A. FRISON-ROCHE, op. cit., p. 8 ; également, J. CHEVALIER, op. cit., p. 832.
1399
V. M-A. FRISON-ROCHE, « Les différentes définitions de la régulation », in La régulation : monisme
ou pluralisme ? PA, n°82, 10 juillet 1998, p. 5. Dans ce sens, le Vocabulaire juridique de G. CORNU la
définit comme l’ « action économique mi-directive mi-corrective d’orientation, d’adaptation et de contrôle
exercée par des autorités (dites de régulation) sur un marché donné (à considérer par secteur, régulation
financière, boursière, énergétique etc.) qui en corrélation avec le caractère mouvant, divers et complexe de
l’ensemble des activités dont l’équilibre est en cause, se caractérise par sa finalité (le bon fonctionnement
d’un marché ouvert à la concurrence mais non abandonné à elle), la flexibilité de ses mécanismes et sa
position à la jointure de l’économie et du droit en tant qu’action régulatrice elle-même soumise au droit et à
un contrôle juridictionnel ». pour rendre compte de sa fonction équilibrante, le Pr. J. CHEVALIER ajoute
que « la régulation constitue un élément de la théorie des systèmes : tout système organisé formé d’un
ensemble d’éléments interdépendants et interagissants, serait en effet en permanence confronté aux facteurs
de déséquilibre et d’instabilité provenant de son environnement » ; la régulation est selon lui l’ensemble
des processus par lesquels les systèmes cherchent à maintenir leur état stationnaire. V. J. CHEVALIER, op.
cit., p. 828.
1400
V. M-A. FRISON-ROCHE, « Le droit de la régulation », Le Dalloz, 2001, n°7, p. 610.
327 

 
S’identifiant par les secteurs sur lesquels il s’exerce, le droit de la régulation
est « un autre droit »1401, construit sur les cendres de l’Etat providence et qui propose
une alternative au droit réglementaire jugé désincarné. Il se présente d’une part
comme l’expression d’un droit pragmatique associant les destinataires au processus
d’élaboration des normes, et d’autre part comme un droit flexible marqué par un
processus d’adaptation permanente des normes1402. Il se caractérise également par
l’existence d’une autorité de régulation1403, institution nécessaire au maintien de
l’équilibre du système ou du secteur considéré. C’est dire que la notion de régulation
comporte une profonde dimension institutionnelle1404.
L’activité bancaire dans la CEMAC (qui est l’un des secteurs principaux sur
lesquels s’exerce la régulation) n’échappe donc pas aux règles ou principes qui la
gouvernent. Etant donné que l’objet spécifique de la régulation bancaire est d’assurer
la solidité du système bancaire1405, le rôle des institutions chargées de l’assurer est
fondamental. Vu la place centrale qu’occupe le système bancaire dans le financement
des économies des Etats membres de la CEMAC, une réflexion sur le système de
régulation institutionnelle de l’activité bancaire dans la CEMAC s’avère d’une
importance incontestable.
La question se pose dès lors de savoir quelle appréciation peut être apportée
sur le mode de régulation institutionnelle de l’activité bancaire dans la CEMAC.
Une telle réflexion comporte un double intérêt théorique et pratique.
Sur le plan théorique, elle permet d’évaluer le degré d’application du droit de
la régulation au système bancaire de la CEMAC de manière à dégager le
particularisme de la zone CEMAC.
Sur le plan pratique, elle permet de souligner les insuffisances de la
régulation institutionnelle telle que mise en œuvre afin d’y remédier de telle sorte que
la stabilité et l’équilibre du système bancaire de la CEMAC ne soient pas menacés.
Au regard du fonctionnement actuel du système bancaire de la CEMAC, il
apparaît que les autorités de cette sous région de l’Afrique centrale ont légitimement

                                                            
1401
V. G. TIMSIT, « Les deux corps du droit : essai sur la notion de régulation », Revue française
d’administration publique, 78, 1996, p. 375 et suiv, cité par J. CHEVALIER, op. cit., p. 833.
1402
V. J. CHEVALIER, op. cit., p. 834.
1403
V. M-A. FRISON-ROCHE, op. cit., p.614. Au Cameroun, c’est le Conseil National de la
Communication (CNC) créé par la loi n°90/052 du 19 décembre 1990 relative à la liberté de
communication sociale qui fut la première institution de régulation. La fin des années 1990 a été marquée
par la création de bien d’autres autorités de régulation marquant la ferme volonté de l’Etat camerounais de
se désengager de la gestion des secteurs stratégiques. Il en est ainsi de l’Agence de Régulation des
Télécommunications, de l’Agence de Régulation du secteur de l’Electricité créées en 1998. V. G.
PEKASSA NDAM, « Les établissements publics indépendants : une innovation fondamentale du droit
administratif camerounais », RASJ, Vol. 2, n°1, p. 154.
1404
V. Hala DAOUD-RUMEAU MAILLOT, Les autorités de régulation dans le domaine bancaire et
financier. Vers la mise en œuvre d’un cadre institutionnel européen ? Thèse Université Jean Moulin Lyon
3, 2008, p. 16.
1405
V. M-A. FRISON-ROCHE, « Régulation bancaire, régulation financière », Mélanges P. DIDIER,
Economica, 2008, p. 173.
328 

 
opté pour un mode communautaire de régulation institutionnelle de l’activité bancaire
(I). Toutefois telle qu’elle est organisée et mise en œuvre, cette régulation comporte
des ambiguïtés (II).

I- La légitimité du choix d’un système communautaire de régulation


institutionnelle de l’activité bancaire dans la CEMAC
Au regard du dispositif juridique applicable à l’activité bancaire dans la CEMAC,
il est incontestable que les autorités législatives et réglementaires de cette
communauté ont opté pour un mode communautaire de régulation institutionnelle de
l’activité bancaire. Ce choix est légitime eu égard au contexte ayant prévalu lors de
l’adoption des textes consacrant cette régulation communautaire (A). La légitimité de
choix se démontre par l’implémentation de cette régulation communautaire (B).
A- Le contexte du choix d’une régulation communautaire
La décision des autorités de la CEMAC de mettre en place un mode
communautaire de régulation institutionnelle de l’activité bancaire se justifie par un
contexte socio-économique (1) et juridique (2) particuliers.
1- Le contexte socio-économique
Le contexte socio-économique est celui de la crise bancaire de la fin des années
1980 et du début des années 1990 dans les Etats de la sous-région de l’Afrique
centrale avec ses conséquences. En effet, sur les 40 banques que comptait la
CEMAC1406, 9 avaient cessé leurs activités. Sur celles restant en activité, une seule
respectait l’ensemble des normes réglementaires en vigueur, 14 avaient des équilibres
précaires et 16 étaient totalement insolvables1407. Ce tableau peu reluisant du paysage
bancaire de la zone CEMAC en cette période montre que le système bancaire de cet
espace sous-régional manquait manifestement de solidité et de stabilité.
La crise bancaire de la fin des années 1980 et du début des années 1990 trouve
son explication ou son origine dans les principales raisons suivantes1408 : l’insuffisante
couverture du risque de défaillance par les fonds propres et l’exposition des banques
au risque de leur activité1409, les carences de gestion qui peuvent consister soit en de
simples erreurs de gestion1410 soit en une intention malveillante de dissimuler une
gestion peu saine et approximative masquée par une comptabilisation fallacieuse des
                                                            
1406
Il convient de souligner que la CEMAC n’avait pas encore été créée, l’organisation sous-régionale
d’Afrique centrale de cette époque était l’Union Douanière d’Afrique Centrale (UDEAC) qui rassemblait
les mêmes Etats que ceux qui composent aujourd’hui la CEMAC. Celle-ci est née sur les vestiges de
l’UDEAC par la signature d’un traité le 16 mars 1994.
1407
V. ADAM MADJI, « Stabilité financière et contrôle prudentiel », Communication au Colloque
organisé à l’occasion du 30e anniversaire de la Banque des Etats de l’Afrique Centrale, in COBAC,
Rapport d’activité 2002, p. 65.
1408
Sur les origines de la crise, notamment au Cameroun, lire I. TAMBA et L. TCHAMANBE NJINE,
« De la crise à la réforme des institutions bancaires africaines : l’expérience du Cameroun », Tiers monde,
1995, Tome 36, p. 813-835.
1409
L. TCHAMANBE NJINE, Les faillites bancaires en Afrique subsaharienne, L’Harmattan, 2009, p. 15.
1410
V. B. NJOYA NKAMGA, « La COBAC dans le système bancaire de la CEMAC », Annales de la
FSJP, Université de Dschang, T. 13, 2009, p. 86, note 3.
329 

 
résultats1411, les défaillances observées dans le dispositif de surveillance ou de
contrôle du système bancaire. Il convient d’ajouter s’agissant de ce dernier point que,
dans les Etats de la zone BEAC, le contrôle de l’activité bancaire était exercé par les
autorités nationales1412 : autorité monétaire, conseil national du crédit, commission
nationale de contrôle des banques, qui proposaient et prononçaient des sanctions.
Mais la mise en œuvre de ces sanctions restait limitée car les autorités compétentes
répugnaient à destituer les dirigeants indélicats, à prendre des mesures de
redressement ou à procéder à la fermeture des établissements qui méritaient de
l’être1413.
Au-delà des causes, les conséquences de la crise bancaire sur le plan socio-
économique se sont avérées dramatiques non seulement pour le financement de
l’économie des Etats membres de la CEMAC mais aussi pour les ménages qui ont
perdu leur épargne, ce qui a rejailli sur leur bien-être social.
Au regard de ce qui précède, il apparaît que la régulation de l’activité bancaire de
la fin des années 1980 était défaillante. Pour y remédier et permettre au système
bancaire de fonctionner désormais de manière plus saine et plus optimale, les Etats
membres de la CEMAC ont légitimement opté pour un mode communautaire de
régulation institutionnelle de l’activité bancaire. La rupture avec le système antérieur
de régulation nationale est réelle. C’est à la COBAC que la mission de surveillance du
système bancaire a désormais été confiée.
Au contexte socio-économique légitimant le choix d’une régulation par une
institution communautaire, s’ajoute le contexte juridique.
2- Le contexte juridique
Avant la crise de la fin des années 1980, le droit bancaire applicable dans les
Etats de la sous région de l’Afrique centrale était essentiellement national, chaque
Etat disposant d’un corps de règles législatives et réglementaires applicables sur son
territoire. Au Cameroun notamment, c’est l’ordonnance du 31 août 1985 relative à
l’activité des établissements de crédit qui pouvait être considérée comme le texte de
base applicable à l’activité bancaire1414. Dans la plupart des Etats de cet espace
                                                            
1411
L. TCHAMANBE NJINE, op. cit., p. 15.
1412
V. KERFALLA YANSANE, Le contrôle de l’activité bancaire dans la zone franc, LGDJ/NEA, 1984 et
NDJOKOU MONDJELI, Economie et droit bancaires, BEAC 1983, cités par Y. KALIEU, « Le contrôle
bancaire dans la zone de l’UMAC », Penant 841, 2002, p. 446. Pour le cas du Cameroun, voir l’ordonnance
n°85/002 du 31 août 1985 relative à l’exercice de l’activité des établissements de crédit en ses articles 29
pour l’Autorité monétaire, 31 et 32 pour le Conseil National du Crédit, 34 à 42 pour la Commission de
contrôle.
1413
V. Y. KALIEU, op. cit., p.446-447.
1414
A côté de cette ordonnance on peut citer parmi les textes camerounais, l’ordonnance n°90/006 du 26
octobre 1990 modifiant et complétant les dispositions de l’ordonnance n°85/002 du 31 août 1985, le décret
n°96/198 du 24 juin 1996 portant organisation et fonctionnement du Conseil National du Crédit. De
nombreux arrêtés ont également été pris dans le domaine bancaire. Il en est ainsi de l’arrêté
n°244/MINEFI/DCE du 5 août 1989 portant conditions de banque modifié et complété par l’arrêté
n°00001/MINFI/CSB/REP du 4 janvier 1995, de l’arrêté n°000005/MINFI du 13 janvier 2011 portant
institution du service bancaire minimum garanti, etc.
330 

 
géographique, certains de ces textes étaient hérités de la colonisation et ne
correspondaient plus aux réalités du monde moderne1415. Par ailleurs, les objectifs de
développement intégré des économies des Etats d’une même sous région partageant
une communauté de monnaie rendaient nécessaire l’adoption des textes
communautaires applicables à l’activité bancaire1416.
Ainsi, ont été adoptés entre autres textes, la convention du 17 janvier 1992
portant harmonisation de la réglementation bancaire dans les Etats de l’Afrique
centrale et son annexe, le règlement du 15 février 1998 relatif au plan comptable des
établissements de crédit, les règlements relatifs aux normes de gestion des
établissements de crédit (fonds propres, liquidité, couverture des risques, division des
risques, couverture des immobilisations etc.), le règlement relatif au contrôle interne
dans les établissements de crédit, le règlement du 04 avril 2003 portant prévention et
répression du blanchiment des capitaux et du financement du terrorisme en Afrique
centrale, le règlement du 04 avril 2003 relatif aux systèmes, moyens et incidents de
paiement, etc.
Le contexte est donc celui d’une communautarisation du droit bancaire dans la
CEMAC. Vu les défaillances observées dans le système de régulation jadis applicable
avant la crise, les Etats membres de la CEMAC ont opportunément et expressément
confié l’application de toutes ces normes à un organe communautaire indépendant : la
Commission Bancaire de l’Afrique Centrale (COBAC). Il eût d’ailleurs été incohérent
et inefficace de procéder autrement.
Il apparaît dès lors que c’est dans un contexte particulièrement mouvant que
s’opère le choix légitime d’un système communautaire de régulation institutionnelle
de l’activité bancaire dans la CEMAC dont l’implémentation mérite d’être présentée.
B- L’implémentation de la régulation communautaire
Dans la CEMAC, l’implémentation de la régulation de l’activité bancaire est
confiée à une autorité communautaire qu’il convient d’identifier (1) avant de
présenter l’opérationnalisation de son rôle (2).
1- Identification de l’autorité de régulation
La dénomination d’autorité de régulation n’apparaît pas toujours de manière
expresse dans les textes1417. Toutefois, il se dégage de la doctrine quelques indices
                                                            
1415
V. notamment le décret du 30/10/1935 unifiant le droit en matière de chèques.
1416
V. le préambule du Traité de la CEMAC.
1417
Les formes de désignation des autorités de régulation peuvent d’ailleurs varier d’un pays à un autre ou
d’une époque à une autre sans que cela n’influence le débat. En France par exemple l’ancêtre de l’autorité
de régulation est l’autorité administrative indépendante, appellation qui n’a pas complètement disparu.
Aux USA, on les désigne sous le vocable de regulatory agencies (V. J. FEREJOHN, « The authority of
regulation and the control of regulators », in Les régulations économiques : légitimité et efficacité, Dalloz,
2004, p. 35). En Angleterre on les dénomme Independant regulators. Au Cameroun, l’expression utilisée
pour les désigner est celle d’agence ou d’autorité de régulation. A titre d’exemple, on peut citer, l’Agence
de Régulation des Télécommunication (ART), l’Agence de Régulation du Secteur de l’Electricité
(ARSEL), l’Agence de Régulation des Marchés Publics (ARMP), etc.. V. A. F. LELE, Les agences de
régulation au Cameroun, Mémoire de Master en administration publique des fonctionnaires internationaux,
ENA, 2004-2005, p. 10. Egalement, G. PEKASSA NDAM, op. cit., p. 155.
331 

 
d’identification des autorités en charge de la régulation d’un secteur d’activité donné.
Ceux-ci reposent sur le repérage d’un organisme indépendant en charge de l’équilibre
d’un secteur particulier1418. Il en découle que les missions ou le champ d’intervention
du régulateur, son indépendance ainsi que ses pouvoirs constituent les principaux
indices d’identification1419. Considérant ces critères, il ressort de la réglementation
bancaire de la CEMAC que l’autorité de régulation du secteur bancaire est la
COBAC.
S’agissant du champ d’intervention, l’autorité de régulation a globalement la
charge d’instaurer ou de maintenir les grands équilibres de secteurs qui ne peuvent par
leur seule force les créer ou les maintenir1420. Ce faisant, elles doivent « encadrer le
développement d’un secteur dont elles ont la charge en fixant les règles du jeu et en
arbitrant entre les intérêts en présence »1421. De manière plus spécifique, la régulation
bancaire a pour objet d’assurer la solidité du système bancaire. Dans le système
bancaire de la CEMAC, la COBAC est l’autorité qui correspond à cette description du
rôle du régulateur. En effet, l’article 1 alinéa 2 de l’Annexe à la Convention du 16
octobre 1990 portant création de la COBAC prévoit notamment que la COBAC veille
à la qualité de la situation financière des établissements de crédit ainsi qu’à l’intégrité
du système bancaire et financier. L’article 9 du même texte ajoute que la COBAC fixe
les règles destinées à assurer et à contrôler la liquidité et la solvabilité des
établissements de crédit à l’égard des tiers, et plus généralement l’équilibre de leur
structure financière.
En ce qui concerne l’indépendance du régulateur, c’est l’un des critères les
plus centraux de la caractérisation d’un régulateur. Elle reflète une conception
nouvelle de l’Etat1422 postulant un « nouveau style d’action publique »1423. Dans les
sociétés contemporaines en effet, on observe le recul d’une conception qui érigeait
l’Etat en agent de modernité chargé de la gestion des secteurs clés de l’économie.
L’Etat devient un arbitre du jeu social renonçant à imposer ses vues, négociant en
permanence avec les partenaires sociaux pour construire les compromis nécessaires.
Cela s’accompagne de la prolifération en marge des structures administratives
classiques, d’organismes dotés d’une capacité d’action autonome. L’indépendance
des autorités de régulation apparaît alors comme un critère nécessaire à l’efficacité de
leur rôle consistant à organiser les conditions d’un juste équilibre entre les intérêts

                                                            
1418
V. M-A. FRISON-ROCHE, « Le droit de la régulation », Le Dalloz, 2001, n°7, p. 615.
1419
V. Hala DAOUD-RUMEAU MAILLOT, op. cit., p. 21-22 ; J. CHEVALIER, op. cit., p. 840 ; A. F.
LELE, op. cit., p.10.
1420
V. M-A. FRISON-ROCHE, « Le juge et la régulation économique », Annonces de la Seine n° 36, 22
mai 2000, p. 2 cité par Hala DAOUD-RUMEAU MAILLOT, op. cit., p. 19.
1421
J. CHEVALIER, op. cit., p. 840.
1422
J. CHEVALIER, op. cit., p. 829.
1423
V. J. COMAILLE et B. JOBERT (sous la dir.), Les métamorphoses de régulation politique, Paris,
LGDJ, 1998, cité par J. CHEVALIER, op. cit., p. 829.
332 

 
sociaux de toute nature. Cette indépendance est à la fois juridique et financière1424 car
leurs règles de fonctionnement les excluent du principe de subordination et leur
accordent une autonomie de gestion financière à l’égard de l’Etat1425. Dans cet ordre
d’idées, la COBAC est véritablement indépendante des Etats de la CEMAC
puisqu’elle est un organe communautaire institué par l’UMAC1426 et dont les
compétences et les pouvoirs se situent au-dessus des considérations ou des contraintes
purement étatiques.
S’agissant des pouvoirs, les autorités de régulation sont dotées d’un pouvoir
de décision, de contrôle de la norme qu’ils édictent et d’un pouvoir de sanction1427,
toutes prérogatives dont l’absence vouerait leur tâche à l’échec. C’est ainsi que
lorsque l’article 1 de l’annexe à la Convention du 16 octobre 1990 précité dispose
que « Il est institué une Commission Bancaire de l’Afrique Centrale ci-après
dénommée ‘’la Commission Bancaire’’ et en abrégé ‘’COBAC’’, chargée de veiller
au respect par les établissements de crédit des dispositions législatives et
réglementaires édictées par les Autorités nationales, par le Comité ministériel de
l’UMAC, par la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC) ou par elle-même et
qui leur sont applicables, et de sanctionner les manquements constatés », c’est
incontestablement la plénitude des pouvoirs dévolus à un régulateur qui lui sont ainsi
confiés. Ces pouvoirs sont d’ailleurs renforcés par l’article 71428 du même texte et
précisés par les articles 1 alinéa 21429, 141430 et 151431.
Il apparaît clairement et indéniablement au bout de cette analyse que les autorités
législatives et réglementaires de la CEMAC ont confié la régulation de l’activité
bancaire à la COBAC, organe communautaire dont l’opérationnalisation concrète du
rôle mérite attention.
2- L’opérationnalisation du rôle de la COBAC en tant qu’autorité de régulation

                                                            
1424
V. R. CARANTA, « Les conditions et modalités juridiques de l’indépendance du régulateur », in Les
régulations économiques : légitimité et efficacité, op. cit., p. 72 et suiv ; O. STORCH, « Les conditions et
modalités budgétaires de l’indépendance du régulateur », in Les régulations économiques : légitimité et
efficacité, op. cit., p. 65 et suiv.
1425
V. A. F. LELE, op. cit., p. 10.
1426
V. les art 9 et 31 de la convention régissant l’UMAC.
1427
V. A. F. LELE, op. cit., p. 10.
1428
Cet article énonce que : « Dans le cadre de la mission, qui lui est impartie, la Commission Bancaire a
autorité sur le territoire des Etats membres de la BEAC pour l’exercice des attributions énumérées ci-après.
Ses décisions sont exécutoires de plein droit dès leur notification aux Autorités Monétaires Nationales et
aux établissements concernés ».
1429
Aux termes de cet article « En particulier, la Commission Bancaire contrôle les conditions
d’exploitation des Etablissements de crédit, veille à la qualité de leur situation financière ainsi qu’à
l’intégrité du système bancaire et financier et assure le respect des règles déontologiques de la profession ».
1430
« en cas de manquement d’un établissement de crédit aux règles de bonne conduite de la profession, la
Commission Bancaire peut, après avoir mis en demeure ses dirigeants de s’expliquer, leur adresser une
mise en garde ».
1431
Cet article détermine la grille des sanctions pouvant être prononcées par la COBAC à l’encontre d’un
établissement de crédit ayant enfreint la réglementation.
333 

 
La présentation de l’opérationnalisation concrète du rôle de la COBAC peut être
réalisée autour des principales missions qui lui sont assignées par la Convention du 16
octobre 1990.
Ainsi, en tant que régulateur en charge de l’édiction des normes adaptées à la
spécificité bancaire de la CEMAC et en accord avec les standards normatifs
internationaux, la COBAC a depuis sa création adopté de nombreux règlements dont
l’application par les établissements de crédit contribue à la stabilité du système
bancaire1432. Il en est notamment ainsi dans le domaine des normes prudentielles de
gestion1433. Son intervention y est sans cesse renouvelée pour tenir compte de
l’évolution de la matière et des réalités du moment. A titre d’illustration, et pour ne
citer que quelques unes des interventions les plus récentes, au cours de l’année 2010,
la COBAC a procédé à une importante réforme de 3 normes réglementaires : la norme
de couverture des risques, la norme de division des risques et la norme relative à la
comptabilisation et au traitement prudentiel des opérations sur titres effectuées par les
établissements de crédit1434. Elle a également, en 2009, adopté le Règlement COBAC
R-2009/03 relatif à l’organisation et au fonctionnement du Fonds de Garantie des
Dépôts de l’Afrique Centrale dont le règlement intérieur a été fixé par Décision
n°01/11-FGD-CD du 21 février 2011. Il convient de souligner que l’adoption par la
COBAC des textes applicables fait très souvent suite à la consultation de toutes les
parties prenantes pour recueillir leurs observations : Association Professionnelle des
Etablissements de crédit de la CEMAC, Autorités monétaires et judiciaires, Secrétaire
Permanent de l’OHADA1435 ; ce qui correspond à l’idée que la doctrine se fait d’un
régulateur efficace et légitime1436.
Relativement au contrôle, l’action concrète de la COBAC en vue du maintien de
la stabilité du système bancaire de la COBAC est indéniable. Cette action peut
prendre la forme d’un contrôle sur pièces ou d’un contrôle sur place. Dans le premier
cas, il s’agit de contrôler l’activité et la gestion des établissements de crédit à travers

                                                            
1432
V. Le rapport de la 12e Assemblée annuelle du Comité des Superviseurs de Banque de l’Afrique de
l’Ouest et du Centre tenue du 25 au 27 octobre 2006 sur le thème « Situation du système bancaire et
évolution du dispositif de supervision dans la CEMAC, p. 6.
1433
V. notamment, le Règlement COBAC R-93/02 relatif aux fonds propres nets des établissements de
crédit modifié parle Règlement COBAC R-2001/01. Egalement, le Règlement COBAC R-2001/02 relatif à
la couverture des risque des établissements de crédit abrogeant le Règlement COBAC R-93/03 et modifié
par le Règlement COBAC R-2003/06. V. aussi le Règlement COBAC R-2001/03 relatif à la division des
risques des établissements de crédit, abrogeant le Règlement COBAC R-93/04 et modifié par le Règlement
COBAC R-2003/07.
1434
Les textes issus de la révision de ces normes portent les références ci-après :
‐ Règlement COBAC R-2010/01 relatif à la couverture des risques des établissements de crédit ;
‐ Règlement COBAC R-2010/02 relatif à la division des risques des établissements de crédit ;
‐ Règlement COBAC R-2010/03 modifiant le Règlement COBAC R-2003/03 relatif à la
comptabilisation et au traitement prudentiel des opérations sur titres effectués par les
établissements de crédit.
1435
V. Le Rapport annuel COBAC 2010, p. 61.
1436
V. J. CHEVALIER, op. cit., p. 837.
334 

 
des documents, informations et renseignements dont la COBAC aura préalablement
demandé et reçu communication1437. Dans le second cas, le contrôle se fait dans les
locaux de l’établissement bancaire c'est-à-dire au siège social, dans les agences ou
succursales et peut être étendu aux filiales1438. Ainsi, en tant qu’organe de régulation
de l’activité bancaire dans la CEMAC, la COBAC dispose d’un pouvoir étendu de
contrôle qui englobe le contrôle de l’accès à la profession et le contrôle de l’exercice
de l’activité bancaire. Il s’agit là d’un pouvoir de surveillance des établissements de
crédit complété par des outils juridiques destinés à inciter les établissements de crédit
à se conformer à la réglementation bancaire : la mise en garde et l’injonction
auxquelles s’ajoute la mise sous astreinte. La COBAC n’hésite pas à s’en servir
lorsque cela est nécessaire. Ainsi, en 2010, 18 injonctions ont été adressées aux
établissements de crédit aux fins de les amener à respecter la réglementation1439. En
2011 elle en a donné 161440.
En ce qui concerne la sanction, expression ultime du pouvoir disciplinaire de la
COBAC, l’année 2011 a par exemple été marquée par la démission d’office d’un
dirigeant d’une banque1441 prononcée sur le fondement de l’article 15 de l’annexe à la
convention de 1990. La COBAC a également exercé son pouvoir disciplinaire à
l’occasion du retrait d’agrément de la BMBC1442 et de l’IBAC1443. L’exercice de son
pouvoir disciplinaire par la COBAC la met définitivement au cœur de la régulation de
l’activité bancaire puisqu’elle a ainsi la possibilité d’assainir le système bancaire par
une action corrective destinée à en éviter le déséquilibre. Le système bancaire de la
CEMAC s’en trouve stabilisé, légitimant l’option pour un système communautaire de
régulation institutionnelle. Pourtant, des ambigüités subsistent et nécessitent d’être
corrigées afin que soit amélioré le fonctionnement du système bancaire.

II- Les ambiguïtés du choix d’un système communautaire de régulation


institutionnelle de l’activité bancaire dans la CEMAC
La légitimité du choix d’un modèle communautaire de régulation institutionnelle
de l’activité bancaire ne fait pourtant pas de ce modèle tel qu’il est organisé, un
exemple de perfection. Des ambiguïtés existent et sont susceptibles de plomber
l’efficacité du rôle de la COBAC (A), de même qu’elles laissent interrogateur sur
l’étendue de la responsabilité de la COBAC (B).
A- La question de l’efficacité de la COBAC

                                                            
1437
V. Y. KALIEU, op. cit., p. 454.
1438
V. Y. KALIEU, op. cit., p. 453.
1439
V. Rapport annuel COBAC 2010, p. 60.
1440
V. Rapport annuel COBAC 2011, p. 61.
1441
V. Rapport annuel COBAC 2011, p. 63.
1442
V. Arrêté n°0491/96/MINEFI/BAB du 09 août 1996 portant retrait d’agrément de la BMBC (Banque
Méridien BIAO Cameroun) en qualité d’établissement de crédit. Cité par Y. KALIEU, op. cit., p. 460.
1443
International Bank of Africa Cameroon dont le retrait d’agrément est intervenu le 03 juillet 1994. V. Y.
KALIEU, op. cit., p. 460.
335 

 
Une lecture plus approfondie de certaines dispositions de la Convention du 16
octobre 1990 et de son annexe montre que l’indépendance de la COBAC est relative.
Ce qui est de nature à compromettre l’efficacité de la COBAC dans sa mission de
régulateur de l’activité bancaire (1). Cette efficacité est également susceptible d’être
remise en cause par l’insuffisance des moyens en personnel de la COBAC (2).
1- La relativité de l’indépendance de la COBAC
L’un des critères d’identification d’une autorité de régulation, et partant de
l’efficacité de son action est son indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif. De ce
point de vue, l’indépendance de la COBAC ne fait l’objet d’aucun doute comme cela
a été relavé. Toutefois, cette indépendance demeure sujette à caution. En effet,
l’article 5 de l’Annexe à la Convention du 16 octobre 1990 portant création de la
COBAC énonce : « La BEAC assure, sur son budget et avec le concours de son
personnel, le fonctionnement de la Commission ». De toute évidence, c’est la
dépendance de la COBAC à l’égard de la BEAC qui est ainsi textuellement
consacrée. Pourtant l’indépendance financière du régulateur a entre autres avantages
de faire de lui un arbitre direct des moyens qu’il alloue à ses activités, ce qui, peut-on
le supposer, est un facteur d’optimisation de la dépense, d’amélioration de la qualité
et de réduction des procédures bureaucratiques1444. Elle lui permet également
d’échapper à l’autorité ou aux orientations techniques d’un tiers. La position de la
COBAC est donc pour le moins ambiguë, ce qui peut rejaillir sur l’efficacité de ses
interventions en tant que régulateur. Pour éviter cette dépendance vis-à-vis de la
BEAC, le financement de la COBAC aurait pu être construit sur la base d’un
financement quasi exclusif sur ressources propres essentiellement générées par des
prélèvements sur les acteurs du système bancaire, à savoir les établissements de crédit
et les établissements de microfinance. Il conviendrait pour cela, que les niveaux de
taux et d’assiette soient directement subordonnés à la décision des autorités
législatives de la CEMAC, ceci afin d’éviter le risque de capture du régulateur par les
régulés.
Au-delà de la dépendance financière, la COBAC se greffe une dépendance
structurelle relative notamment à sa composition. En effet, cette institution comporte
en son sein un représentant de la Commission bancaire française1445. Cette présence
d’un représentant du régulateur de l’activité bancaire en France au sein de l’autorité
de régulation dans la zone CEMAC laisse songeur puisqu’elle amène à s’interroger
sur son opportunité. A qui profite-t-elle ? Au régulateur français, à l’Etat français ou
au régulateur communautaire de la CEMAC ? Elle semble visiblement destinée à
assurer les intérêts français dans le secteur bancaire de la CEMAC et semble se
justifier par la garantie de convertibilité que l’Etat français accorde au Franc CFA,
monnaie ayant cours dans la CEMAC. Dans ces conditions, la COBAC est-elle

                                                            
1444
V. O. STORCH, « Les conditions et modalités budgétaires de l’indépendance du régulateur », in Les
régulations économiques : légitimité et efficacité, op. cit., p. 68.
1445
Article 3 de l’Annexe à la Convention du 16 octobre 1990.
336 

 
encore complètement indépendante de toute influence extérieure dont les intérêts
pourraient ne pas concorder avec ceux des Etats membres ? Nous ne le pensons pas.
La relative indépendance de la COBAC est donc susceptible de compromettre
l’efficacité de son action. Il en est de même de l’insuffisance de ses moyens en
personnel vu le volume de son portefeuille de contrôle.
2- L’insuffisance des ressources humaines
L’efficacité de l’intervention de la COBAC dépend également du personnel dont
elle dispose au regard de la mission qui est la sienne. En effet, vu le volume du
portefeuille de surveillance dont elle a la charge, on peut douter qu’elle dispose d’un
personnel quantitativement et qualitativement suffisant.
D’abord, sur le plan quantitatif, si la BEAC assure sur son personnel le
fonctionnement de la COBAC, cela revient à dire que le personnel de cette dernière
est emprunté à la première, qui elle-même a des missions à remplir1446. Pourtant, le
champ de compétence de la COBAC est particulièrement large. Elle est non
seulement l’autorité de régulation du secteur bancaire mais également du secteur de la
microfinance. Au 31 décembre 2011, le système bancaire de la CEMAC comptait 45
banques en activité. Le nombre d’établissements de microfinance ayant reçu avis
conforme s’élevait à 778 à la même date. Le volume de travail de l’autorité de
régulation est par conséquent particulièrement élevé. Ainsi l’exécution du programme
de contrôle sur place de l’année 2011 n’a pu être réalisée qu’à hauteur de 21,5% faute
d’effectifs1447.
La surveillance du secteur de la microfinance est tout aussi insuffisante. La
COBAC avait décidé d’étendre ses contrôles sur place à tous les établissements de
micofinance agréés au Cameroun, notamment en matière de suivi de la mise en œuvre
des recommandations des missions d’évaluation effectuées au cours de l’année 2010.
Faute d’effectifs, ces missions n’ont pas pu être réalisées1448.
Ensuite, qualitativement, l’intérêt de la COBAC pour la relation banque-client est
relativement récent dans l’exercice du contrôle, notamment s’agissant de l’affichage
des conditions de banque. Traditionnellement, l’essentiel de ses contrôles étaient
prudentiels, laissant ainsi de côté un pan important de sa mission à savoir, veiller au
respect par les établissements de crédit de la réglementation bancaire dans son
ensemble. Cette tendance qui pouvait poser le problème de la compétence des agents
de la COBAC semble s’inverser aujourd’hui. Néanmoins, l’étendue de la
responsabilité de la COBAC dans sa mission de régulation reste encore
problématique.
B- La problématique de la responsabilité de la COBAC
Le régime de responsabilité du régulateur de l’activité bancaire dans la CEMAC
se présente en clair-obscur (1). Les aspects ambigus doivent être clarifiés afin que la

                                                            
1446
V. article 1e des Statuts de la BEAC
1447
V. Rapport annuel de la COBAC, 2011, p. 65.
1448
V. Rapport annuel de la COBAC, 2011, p. 67.
337 

 
confiance des acteurs du système bancaire, et partant, son équilibre, soient préservés
(2).
1- Le clair-obscur de la responsabilité de la COBAC
Il convient d’abord de souligner que la COBAC est un régulateur contrôlé1449.
Elle est donc soumise au droit communautaire et la régularité de ses actes peut être
contestée devant la Cour de Justice de la CEMAC agissant comme juridiction d’appel
et en dernier ressort. L’article 4 alinéa 3 de la convention régissant la Cour de Justice
de la CEMAC énonce que la Cour « est juge en appel et en dernier ressort des litiges
qui opposent la COBAC aux établissements de crédit assujettis ». L’article 2 (a) de
l’Annexe à la convention de 1990 est dans le même sens lorsqu’il dispose : « les
sanctions prises en vertu de l’article 15 (…) sont susceptibles de recours devant la
Cour de Justice de la CEMAC, seule habilitée à en connaître en dernier ressort ».
Ainsi, sur le plan disciplinaire, la COBAC, organe de régulation, est soumise au
contrôle juridictionnel de ses actes par une juridiction communautaire d’appel.
Toutefois, la COBAC est elle-même également considérée en jurisprudence
comme une juridiction lorsqu’elle se prononce en matière disciplinaire1450. Par
conséquent, sa responsabilité ne saurait être engagée en tant que défenderesse devant
une autre juridiction pour les faits qu’elle a commis. Mais il convient de relever avec
un auteur que « le statut de la COBAC reste particulier car si elle est bien une
juridiction de premier ressort dont les décisions sont susceptibles d’appel, elle n’est
une juridiction de droit commun car elle ne statue que sur les matières où sa
compétence est reconnue par le droit communautaire, ni une juridiction interne. Tout
au plus pourrait-on dire (…) qu’elle est une juridiction de premier degré de l’ordre
communautaire »1451.
S’il est vrai que la portée de la responsabilité de la COBAC lorsqu’elle agit dans
le cadre de ses compétences disciplinaires fait l’objet d’une certaine clarté, il demeure
que son régime de responsabilité pour ses actes préjudiciables autres que
disciplinaires ou encore pour les actes dépassant ses pouvoirs reste bien flou.
En effet, dans l’affaire Tasha Lawrence du 03 juillet 2003, la Cour a affirmé
que : « la COBAC qui n’a pas compétence pour nommer ou agréer le Président du
Conseil d’Administration d’un établissement de crédit ne peut davantage le démettre
valablement »1452. Elle ajoute que « le fait pour la COBAC de statuer dans un
domaine ne relevant pas de ses attributions constitue ainsi une faute suffisamment

                                                            
1449
V. B. NJOYA NKAMGA, « La COBAC dans le système bancaire de la CEMAC », Annales de la
FSJP, Université de Dschang, T. 13, 2009, p. 94.
1450
V. B. NJOYA NKAMGA, op. cit., p. 95.
1451
V. Y. KALIEU ELONGO, Notes sous Cour de Justice de la CEMAC, arrêts n°003 du 16 mai 2002 et
n°003 du 03 juillet 2003, COBAC/Tasha L. Lawrence, Revue Trimestrielle de droit africain, Penant, n°854,
janvier-mars 2006, p.127, cité par B. NJOYA NKAMGA, op. cit., p. 96.
1452
Cour de justice de la CEMAC, Arrêt n°003/CJ/CEMAC/CJ/03 du 03 juillet, Affaire Tasha Loweh
Lawrence c/ Décision COBAC D-2000/22 et Amity Bank Cameroon PLC, Sanda Oumarou, Anomah Ngu
Victor, Juridis Périodique n°69, janvier-Février-Mars 2007
338 

 
caractérisée »1453. Mais la question peut bien se poser de savoir quelle pourrait être la
conséquence de la faute de la COBAC ainsi caractérisée sur le plan civil en cas de
préjudice. Il est vrai que le chef de demande de M. Tasha étant limité à l’annulation
de la décision de la COBAC D-2000/22 l’ayant démis d’office de ses fonctions de
Directeur Général et de Président du Conseil d’Administration de Amity Bank, la
Cour n’a pas pu se prononcer sur l’hypothèse d’une réparation par la COBAC du
préjudice subi par M. Tasha. Mais la question mérite d’être posée étant donné que le
droit communautaire de la CEMAC ne comporte pas un corps de règles harmonieux
et explicite relatif à la responsabilité de la COBAC. Ce n’est donc que de manière
indirecte, dans l’arrêt n°001/CJ/CEMAC/05 du 07 /04/2005 que l’idée d’une telle
réparation a pu être admise car pour débouter le sieur Tasha de sa demande en
réparation, la Cour a estimé que la faute commise par la COBAC n’était pas à
l’origine du préjudice allégué.
Cette question mérite également d’être posée lorsque la COBAC n’a pas
utilisé ses pouvoirs lorsqu’il en fallait faire usage. Cette hypothèse éminemment
intéressante du point de vue de la fonction d’un régulateur, à savoir l’action de mettre
au point, de maintenir en équilibre et d’assurer le fonctionnement correct d’un
processus, a été éprouvée en France dans l’Affaire Maljournal. Dans cette affaire, il
avait été reproché à la Commission Bancaire française qui avait eu connaissance à la
suite d’une très brève enquête sur place, d’irrégularités graves dépassant la norme des
infractions banales à la réglementation, de s’être contentée d’adresser aux dirigeants
une simple mise en garde et, de n’avoir pas fait procéder à une nouvelle enquête
approfondie avant la mise en faillite survenue treize mois plus tard1454. Dans le
contexte qui est le nôtre, on assiste à la faillite de bon nombre d’établissements de
microfinance, la question peut bien se poser de savoir si en plus de la mauvaise
gestion, ces multiples faillites ne cachent pas en réalité une défaillance du régulateur
susceptible de susciter la mise en jeu de sa responsabilité civile pour faute d’omission
ou de négligence.
L’admission de la responsabilité civile de la COBAC en application du droit
commun ne pourrait prospérer qu’en cas de reconnaissance à la COBAC de la
personnalité morale. Ce qui est loin d’être clair au regard des textes. D’où la nécessité
de clarification.
2- La nécessité de clarifier la situation juridique de la COBAC
Le succès de la mise en jeu de la responsabilité civile de la COBAC nécessite que
soit précisé son statut juridique. Est-elle une personne au sens du droit ? En d’autres
termes, dispose-t-elle de la personnalité juridique ?
Ni la convention du 05 juillet 1996 régissant l’UMAC, ni la convention du 16
octobre 1990 et son annexe portant création de la COBAC qui instituent et organisent
cette entité de régulation de l’activité bancaire ne lui reconnaissent expressément la

                                                            
1453
V. B. NJOYA NKAMGA, op. cit., p. 98.
1454
Idem. P.99
339 

 
personnalité juridique. Cette personnalité juridique n’est reconnue qu’à la CEMAC
par l’article 35 de l’additif au Traité de la CEMAC relatif au système institutionnel et
juridique de la CEMAC ; et à la BEAC par l’article 5 des Statuts de la BEAC.
L’absence de reconnaissance de la personnalité juridique à la COBAC est de nature à
influencer voire à compliquer le régime de sa responsabilité civile. En effet, dans ces
conditions, la possibilité pour un justiciable d’obtenir réparation à la suite d’une
action en responsabilité civile est hypothétique puisque, ne disposant pas de
personnalité juridique, elle n’a pas de patrimoine propre qui pourrait alors constituer
le gage général d’éventuelles victimes de dommages.
Cette situation doit être clarifiée afin que puisse être précisée la portée de la
responsabilité civile de la COBAC agissant comme régulateur. Les Etats membres de
la CEMAC pourraient par un règlement lui reconnaître la personnalité juridique, ce
qui aurait l’avantage de renforcer son indépendance et de responsabiliser ses
dirigeants. Ils s’inspireraient alors du modèle européen où les agences européennes de
régulation disposent d’une personnalité juridique1455. Cela faciliterait l’imputabilité vu
les pouvoirs importants de décision dont elle dispose1456.

CONCLUSION

L’analyse de la réglementation bancaire actuelle de la CEMAC est


indissociable du contexte qui lui a donné naissance et de celui qui a influencé son
évolution. Il est donc normal que les organes législatifs et réglementaires de la
CEMAC aient opté pour un système communautaire de régulation institutionnelle de
l’activité bancaire dans cet espace sous régional. Ce système a contribué à assainir et
à stabiliser le secteur bancaire de la CEMAC. Toutefois de nombreuses ambiguïtés
constituent des pesanteurs de sa pleine efficacité. Il suffit d’évoquer la dépendance de
la COBAC vis-à-vis de la BEAC pour s’en convaincre. Cela amène d’ailleurs à se
demander qui est finalement le véritable régulateur. N’y aurait-il pas un régulateur de
droit et un régulateur en fait ?
                                                            
1455
V. A. BOUVERESSE, « Droit communautaire et responsabilité extracontractuelle des autorités de
régulation », in La responsabilité des autorités de régulation, Revue de droit bancaire et financier, n°2,
Mars 2009, étude 17
1456
Il convient de souligner ici que la jurisprudence n’est pas particulièrement foisonnante sur le régime de
responsabilité appliqué à un régulateur communautaire européen. Toutefois, procédant par analogie au
mode de mise en jeu de la responsabilité extracontractuelle de la Commission européenne agissant en tant
que régulateur, un auteur a pu affirmer que les conditions de mise en jeu de la responsabilité civile non
contractuelle de la Communauté sont celles du droit commun de la responsabilité : un comportement fautif,
un dommage et l’existence d’un lien de causalité. Toutefois, si l’agence de régulation commet une
illégalité, il faudrait au préalable déterminer si elle dispose dans le cadre de sa mission, d’un pouvoir
d’appréciation important, à défaut, sa responsabilité pourrait être engagée en raison d’une simple violation.
En revanche, si l’agence dispose d’une marge d’appréciation importante, au vu, notamment de la difficulté
d’accomplir sa mission, alors seule une violation manifeste du droit communautaire sera susceptible
d’engager la responsabilité de la communauté. V. A. BOUVERESSE, op. cit., n°22.
340 

 
La simplicité et la rapidité du recouvrement des créances sous OHADA : échec en
République Démocratique du Congo
Par LEBON KALERA Marcellin
Assistant à la faculté de droit de l’Université de Goma
Avocat au Barreau de Goma

Introduction.
Le droit congolais de recouvrement des créances n’a pas connu, avant de lui associer
les règles communautaires contenues dans l’Acte uniforme organisant les procédures
de recouvrement et voies d’exécution du traité OHADA, les procédures de
recouvrement desquelles on attend la simplicité et la rapidité. La République
Démocratique du Congo n’avait pas connu des procédures spéciales et simplifiées de
recouvrement des créances avant l’avènement du droit OHADA1457. A la différence
du droit OHADA, le droit congolais n’a pas consacré des mécanismes spécifiques de
recouvrement de créance, alors qu’il a mis en place des voies d’exécution1458. La
procédure classique constituée principalement par la mise en demeure1459 suivie de
l’ajournement fait à l’initiative du greffier au bénéfice du créancier et invitant le
débiteur à venir présenter ses moyens de défense… serait devenue tellement
classique, lourde et complexe que l’autorité congolaise se serait trouvée dans
l’obligation de lui ajouter1460 d’autres procédures simplifiées, rapides et rigoureuses.
Comme on a pu le constater, le dispositif de droit commun sur le recouvrement et les
voies d’exécution relève beaucoup de faiblesses qui le rendent inadapté aux besoins
actuels du commerce et de l’industrie, hormis dans certains secteurs spécifiques,
comme celui de mine où le législateur s’est montré beaucoup plus innovant en
admettant notamment la possibilité pour le créancier de se substituer au débiteur
défaillant et de requérir ainsi la mutation partielle ou totale du droit minier ou de
carrière à son propre nom1461. Devant de telles difficultés, la préoccupation majeure
de l’Etat congolais était de se doter, en date du 12 septembre 2012, d’outils
performants et diversifiés en matière de procédures de recouvrement de créances et
voies d’exécution. Il s’agit des procédures d’injonction de payer , d’injonction de
délivrer ou de restituer prévues respectivement en ces termes par les articles 1 et 19 de
l’AUPSRVE : « le recouvrement d’une créance certaine, liquide et exigible peut être
demandé suivant la procédure d’injonction de payer » ; « celui qui se prétend
                                                            
1457
MASSAMBA R., Procédure de recouvrement et voies d’exécution, article, p.1, inédit.  
1458
BAKANDEJA G., ANGELET N., DAL M. et alii, le droit de l’OHADA: son insertion en République
Démocratique du Congo, Bruylant, p.284.
1459
Aucune forme légale n’est prescrite à peine de nullité pour la régularité de la mise en demeure.
1460
Bien qu’étant classique et nonobstant le caractère abrogatoire du traité OHADA, cette procédure est
restée maintenue par le législateur communautaire la qualifiant de droit commun.
1461
BAKANDEJA G., droit minier et des hydrocarbures en Afrique centrale : pour une gestion rationnelle,
prévoyante et formalisée des ressources naturelles, Larcier, Bruxelles, 2009, p.140, cité par BAKANDEJA
G., ANGELET N., DAL M. et alii, op. cit., p.287.

341 

 
créancier d’une obligation de délivrance ou de restitution d’un bien meuble corporel
déterminé, peut demander au Président de la juridiction compétente d’ordonner cette
délivrance ou cette restitution ». Relevons que le recours à ces dernières procédures
par le créancier est facultatif et lorsque le créancier se résout d’y recourir, le
législateur OHADA entend lui garantir non seulement la simplicité mais aussi la
célérité dans l’obtention d’un titre exécutoire.
L’intégration économique régionale nécessite la création d’un espace économique
moderne impulsé par le crédit, bien que cette dernière ne soit l’objectif ultime du
traité OHADA1462. L’espace OHADA entend alors disposer des mécanismes de
règlement des créances et de règles juridiques effectives pour assurer de manière
prévisible, transparente et peu coûteuse, le recouvrement par toute personne en besoin
des créances qui lui sont dues. De cette manière, les entreprises pourront surmonter
les difficultés de trésorerie provenant des problèmes de recouvrement des créances,
causes fréquentes de leur insolvabilité. Ce qui mettrait fin à l’insécurité juridique et
judiciaire née de l’anarchaisme et de la disparité des textes applicables. En effet, les
procédures de recouvrement des créances existantes, empruntées aux vieilles règles
des droits civils français et belge, étaient complexes et dépassées ; les contentieux de
recouvrement pouvant se dérouler sur plusieurs années. En RDC, avant l’avènement
OHADA1463, il n’existait pas un vide juridique relatif aux procédures de recouvrement
des créances. Ainsi, en vue de voir leurs obligations être payées, les intéressés dont
les créances étaient certaines, exigibles et liquides ne pouvaient que recourir à la mise
en demeure d’un débiteur en retard ou en défaut de payement de ses obligations (qui
peut être une simple lettre, une sommation courtoise ou judiciaire) suivie, à défaut de
choisir la voie arbitrale1464, par la voie d’ajournement.
Les volontés respectives du législateur communautaire et des acteurs qui ont conduit
la RDC à adopter et à appliquer les règles du traité OHADA en leur entièreté
entendent privilégier les procédures de recouvrement des créanciers contenues dans
l’Acte uniforme à celles, un peu éparses, qui étaient en vigueur en RDC. Toutefois, on
se rend évidemment compte que, très souvent, les règles édictées dans l’Acte
uniforme ne peuvent accéder à une vie juridique autonome ; leur articulation avec la
loi nationale des Etats parties est inévitable compte tenu des innombrables renvois qui
sont tantôt explicites, tantôt implicites1465. Aussi, dans la plupart des règles contenues
dans l’Acte uniforme, le législateur communautaire utilise des formules ou des
institutions qui font comprendre qu’il s’appuie sur les codes d’organisation et de
compétences judiciaire soit sur un de ses aspects en faisant par exemple allusion à la
                                                            
1462
SAWADOGO Filiga M., introduction générale au droit OHADA : aspects institutionnels et matériels,
séminaire de formation des Enseignants de la République Démocratique du Congo au droit OHADA,
ERSUMA, Porto Novo, du 03 au 14 juin 2013.
1463
Les règles découlant du traité, des actes uniformes, des règlements, des décisions et des avis OHADA
sont devenus opposables à la République Démocratique du Congo depuis le 12 septembre 2012.
1464
Consacrées par les articles 159 à 194 du code de procédure civile congolais.
1465
Ndiaw DIOUF, commentaires AUPSRVE, OHADA in traité et actes uniformes commentés et annotés
(dit code vert), Juriscope, 2012, p. 981.
342 

 
juridiction compétente, soit sur tous leurs contours (le contenu des dispositions de
l’article 5 de l’Acte uniforme prévoient la possibilité pour le créancier qui, après rejet
de sa requête par le Président de la juridiction compétente1466, de procéder selon les
voies de droit commun s’il tient à recouvrer son dû.) Les procédures congolaises de
recouvrement de créance, bien que non unifiées et disséminées dans l’arsenal
juridique civil congolais, peuvent aussi, jusqu’à ce jour, obtenir application par les
juridictions congolaises. Cependant, elles seraient complexes, lourdes, voire
inadaptées à la situation économique actuelle de la RDC à tel point qu’il serait rare
d’y faire recours par les personnes en besoin de voir leurs créances être recouvrées
dans un laps de temps. D’ailleurs, tel a été le souci majeur du législateur OHADA,
qui, pour pallier à ces inconvénients, a mis en place l’Acte uniforme portant
organisation des procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution à
travers lequel il a consacré le droit à l’exécution forcée, reconnu au créancier, par les
nombreuses procédures qui lui sont proposées pour assurer le recouvrement de sa
créance. A ces procédures, le législateur a voulu imprimer une certaine célérité en
rendant plus souples les conditions de saisine de la juridiction et plus rapide le
recouvrement1467. On conclut finalement à l’existence ce jour, en droit positif
congolais des procédures simplifiées de recouvrement des créances tirées du traité
OHADA et la procédure ordinaire d’assignation. Le créancier en besoin a alors la
faculté d’opter pour l’une ou l’autre procédure lorsque les conditions légales qu’elles
imposent sont remplies.
Est-il ainsi réellement vrai qu’en adhérant aux procédures d’injonction de payer ou de
restituer, le requérant congolais opte ipso facto pour la simplicité et la célérité dans
l’initiation de son action, et pour la rapidité dans le recouvrement de sa créance ?
Le silence du Législateur communautaire sur certaines questions d’ordre procédural
vaut-il vide juridique et/ou judiciaire dès lors que les multiples renvois aux ordres
juridiques et judiciaires internes auxquels l’Acte uniforme fait expressément allusion
concernent l’organisation et la compétence judiciaire des Etats signataires du Traité
OHADA ?
Après avoir examiné les délais de procédures de recouvrement des créances
consacrées par le droit commun congolais et ceux issus de l’Acte uniforme portant sur
les procédures simplifiées de recouvrement de créance et voies d’exécution (A), des
analyses critiques montreront que la simplicité et la rapidité imprimées à ces
procédures par le Législateur communautaire OHADA sont loin d’être atteintes en
pratique (B) ; aussi, on enregistre, parmi les imperfections de l’Acte uniforme
organisant les procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution, des
renvois de certaines questions liées à l’organisation et à la compétence judiciaire aux
ordres judiciaires nationaux heurtant aussi la rapidité et la simplicité attendues.
                                                            
1466
En République Démocratique du Congo, le Président du Tribunal de commerce.
1467
Moussa SAMB, Etude sur les difficultés de recouvrement des créances dans l’espace UEMOA, cas du
Bénin, Burkina-Faso, Mali et Sénégal, Revue de l’ERSUMA : Droit des affaires - Pratique
Professionnelle, N° 1 - Juin 2012, Dossier : Le Recouvrement des Créances.
343 

 
Malheureusement, ces renvois ne concernent pas sticto sensu l’organisation et la
compétence judiciaires et concernent aussi certaines questions de procédure(C).

A. Les délais de procédures de recouvrement des créances en vigueur en


droit positif congolais
Le droit congolais de recouvrement des créances est constitué ce jour par la procédure
ordinaire (de droit commun) et par certaines procédures particulières.

1. La procédure ordinaire
Le droit congolais impose au créancier, avant le recouvrement de sa créance, de
mettre en demeure son débiteur non seulement lui rappelant qu’il commence à
connaitre un retard dans l’exécution de son obligation mais aussi le sommant à payer
endéans un temps bien déterminé si celui-là entend que ce retard soit payé par son
auteur. A l’expiration de l’échéance donnée au débiteur dans l’acte de mise en
demeure, le créancier dispose alors du droit de poursuivre judiciairement son débiteur
par voie d’assignation.
Toutefois, dans certaines matières ne concernant pas exclusivement le recouvrement
des créances, le droit congolais impose au requérant la tentative de conciliation avant
toute poursuite judiciaire à l’égard de son débiteur.
a) La mise en demeure
Il s’agit d’une sommation notifiée par le créancier au débiteur d’avoir à exécuter son
obligation1468. Le débiteur est alors constitué en demeure, soit par une sommation, soit
par un autre acte équivalent, soit par l’effet de la convention, lorsqu’elle porte que,
sans qu’il soit besoin d’acte et par la seule échéance du terme, le débiteur sera en
demeure1469.
C’est donc un avertissement final, une dernière chance que le créancier laisse au
débiteur avant de lui imposer une solution. Le créancier est-il alors dans l’obligation
de faire recours à une mise en demeure chaque fois qu’il veut recouvrer son droit
auprès de son débiteur ?
La mise en demeure n’est pas dans tous les cas nécessaire ; elle le devient soit si telle
a été la volonté des parties dans leur contrat, soit si le créancier entend de son débiteur
la réparation du préjudice par lui causé du fait de son retard dans l’exécution de ses
obligations1470.
Ainsi, un débiteur ne peut se voir être condamné au payement des dommages et
intérêts moratoires s’il n’a pas été au préalable mis en demeure par son créancier.
La mise en demeure n’est soumise à aucune règle de forme en droit congolais ;
l’essentiel pour le créancier est de s’aménager une preuve.

                                                            
1468
LUZOLO BAMBI MESSA E.J., cours de procédure civile, éd. Issablaise Multimédia, Kin., 1999, p. 12.
1469
Article 38 du code de procédure civile.
1470
Article 44 du code civil congolais livre III.
344 

 
Le créancier peut alors choisir de poursuivre judiciairement un débiteur qui, en dépit
de la sommation à payer lui envoyée1471, ne s’exécute pas. Toutefois, le droit
congolais veut que dans certaines matières qui ne concernent pas nécessairement le
recouvrement des créances, une procédure de conciliation préalable soit observée par
les parties avant de soumettre leur différend au juge pour une solution qui s’impose. Il
s’agit des matières sociales1472, de divorce1473, de la dot, si elle est refusée par ceux
qui, selon la coutume, doivent la recevoir1474, etc. Et pour saisir le juge de son action
en recouvrement de sa créance, le créancier doit faire recours à l’assignation civile ou
commerciale selon que l’objet de la demande est civil ou commercial.
b) L’assignation civile ou commerciale
En droit congolais, la demande introductive d’instance peut prendre trois formes
différentes : l’assignation, la comparution volontaire et la requête1475. La demande de
recouvrement des créances est plus introduite par assignation1476, exclue celle qui tend
à recouvrer les créances salariales en matière sociale qui est introduite depuis 2002
par une requête. Nos développements ici vont plus s’orienter sur l’assignation parce
qu’elle constitue le mode commun d’introduction des demandes de recouvrement en
justice.
Après avoir passé en revue les notions générales essentielles à l’appréhension de
l’acte d’assignation, le code de procédure civile congolais exige l’observation de
certains délais.
 Notions générales
L’assignation est un exploit de l’huissier ou du greffier par lequel ce fonctionnaire
porte à la connaissance d’une personne l’action en justice formée contre elle par une
autre personne et la somme de se présenter devant le juge après un délai certain
déterminé ; il est donc un acte de procédure qui introduit l’instance judiciaire1477.
C’est aussi un acte de procédure dressé par le demandeur au défendeur par
l’intermédiaire d’un huissier de justice pour l’inviter à comparaitre devant une
juridiction de l’ordre judiciaire et valant, devant le TGI, conclusions pour le
demandeur1478. Il faut noter qu’en matière civile et plus particulièrement en matière de
recouvrement des créances, on emploie plus volontiers l’expression « assignation » ou
« ajournement », le mot citation étant réservé à l’acte qui saisit les tribunaux
répressifs de l’action publique.

                                                            
1471
Soit par une sommation civile à l’initiative de l’huissier de justice, soit par une lettre recommandée à
l’initiative du créancier lui-même ou son Avocat.
1472
Le cas de recouvrement des créances salariales par un travailleur nous intéresse.
1473
Article 559 du code congolais de la famille.
1474
Article 367 du code congolais de la famille.
1475
MUKADI BONYI et KATUALA KABA KASHALA, procédure civile, Editions Batena Ntambua,
Kin. 1999, p.39
1476
La créance commerciale peut aussi être recouvrée par requête verbale ou écrite devant le Tribunal de
commerce.
1477
MUKADI BONYI et KATUALA KABA KASHALA, op. cit. 39.
1478
HILARIOM BITSAMANA A. Dictionnaire du Droit OHADA, 1ère éd. Ohadata D-05-33…. 
345 

 
Du premier au huitième article du code de procédure civile congolais, on trouve
successivement la rédaction, le contenu de l’assignation et la manière dont sont
assignées certaines personnes morales (la République démocratique du Congo, les
administrations et établissements qui jouissent de la personnalité civile, les sociétés et
les faillis). Nous ne trouvons pas opportun, car tel n’est pas l’objet de ces pauvres
écrits, de faire des développements de ces dernières notions. Le lecteur en besoin peut
se référer au code susmentionné.
Rappelons néanmoins que cette étude tend à démontrer que la simplicité et la célérité
accordées aux procédures de recouvrement des créances par le législateur OHADA
sont mises en néant en RDC. Pour ce faire, la mise en exergue des délais légaux à
observer en même temps par le juge et les parties depuis l’introduction de la demande
jusqu’au prononcé de la décision par le juge s’avère indispensable.
 Les délais de procédure
Certaines formalités de la vie juridique, les actes et formalités de procédure doivent
normalement être accomplis dans le cadre de certains délais. L’inobservation de ces
délais entraine des conséquences de gravité variable : prescription, forclusion,
déchéance, caducité1479. Le délai en droit se comprend comme un espace de temps à
l’écoulement duquel s’attache un effet de droit ; c’est plus généralement un laps de
temps fixé par la loi, le juge ou la convention soit pour interdire, soit pour imposer
d’agir avant l’expiration de ce temps. Le délai de procédure est donc d’attente ou
d’action pour les actes de procédure.
Ainsi, certains délais peuvent être imposés avant l’introduction de la demande en
justice, d’autres en cours d’instruction ou d’examen de celle-ci ; d’autres encore après
sa prise en délibéré par le juge pour une décision à intervenir.
 Avant la demande introductive d’instance
Nous avons dit précédemment que le créancier qui entend faire valoir la réparation du
préjudice subi du fait du retard dans l’exécution de l’obligation de son débiteur doit
préalablement mettre en demeure celui-ci en le sommant de payer endéans un laps de
temps déterminé. Le créancier qui constate que l’échéance de payement de sa créance
est arrivée à terme ou est déjà dépassée peut rappeler son débiteur ce retard en lui
disant de s’acquitter en un certain délai lui imparti ; il sera dans l’obligation de
recourir au juge pour le lui contraindre, cette fois-là, en tenant compte de toutes les
conséquences de droit qui s’imposeront1480. La pratique fait régulièrement recours au
délai de 48 heures que doit donner courtoisement le créancier à son débiteur. Aussi,
comme, il n’est pas toujours évident qu’à l’écoulement de ce délai, le débiteur
s’exécute volontairement, un autre délai de 48 peut lui être accordé, cette fois-ci, par
l’intermédiaire d’un huissier de justice. Déjà, à l’expiration de la première
sommation, son auteur a le droit de saisir le juge. Nombreux créanciers recourent à la

                                                            
1479
Raymond Guillien et Jean Vincent, Lexique des termes juridiques, 14ème éd., 2003, Dalloz, p. 343.
En plus du payement de l’obligation initiale par le débiteur, il sera aussi contraint d’allouer des
1480

dommages et intérêts moratoires au créancier. 


346 

 
seconde dans le souci d’éviter la voie judiciaire avec toutes les conséquences
financières et temporelles néfastes qui l’entourent.
 En cours de procédure devant une juridiction
Après échec de la mise en demeure adressée régulièrement au débiteur en vue de
payement de son obligation, le créancier peut faire recours à une instance judiciaire.
Ce dernier est alors dans l’obligation d’appeler, par une assignation ou par une
requête (lorsque les créances qu’il veut recouvrer sont salariales), le débiteur à venir
présenter ses moyens de défense devant le Juge. Cependant, la loi lui impose de
donner au débiteur au moins huit jours francs en vue de préparer sa défense1481.
Toutefois, lorsqu’il justifie d’une certaine célérité, le créancier peut être autorisé par
une ordonnance du Président de la juridiction compétente, d’abréger ce dernier délai.
La juridiction compétente, si elle parvenait à être saisie de l’action du créancier et à
l’égard de toutes les parties, pourrait, au jour même du premier appel1482 de l’affaire,
procéder à son instruction, aux plaidoiries des parties1483. Cependant, pour un juste
motif, l’affaire peut être renvoyée pour le prononcé ultérieur de la décision à
intervenir.
Bien que le principe soit la connaissance par le Juge de l’affaire au premier jour où il
se déclare saisi à l’égard des parties, l’article 28 de l’arrêté d’organisation judiciaire
n°299/79 du 20 août 1979 portant règlement intérieur des cours, tribunaux et parquets
donne la possibilité limitée (car les parties ne peuvent pas aller au-delà de trois
remises) aux parties de lui demander que leur affaire soit remise à une date ultérieure.
Ainsi, la pratique des cours et tribunaux congolais, à la première audience, revoie
l’affaire à un mois au maximum en vue de permettre aux parties de préparer et de se
communiquer leurs dossiers. A l’expiration de ce mois, si la cause n’est pas en état
d’être plaidée, les parties peuvent encore obtenir exceptionnellement du Juge une
seconde remise limitée à quinze jours laquelle ne pourra plus être renouvelée que par
une autorisation du Chef de Juridiction. Cette dernière remise ne peut dépasser trois
semaines.
Ainsi, la procédure d’une affaire peut être mise en harmonie en un minimum de deux
mois avant que le Juge la prenne en délibéré si l’avis du ministère public est donné
sur le banc dans les matières non communicables. Malheureusement, même dans ces
matières, des demandes de communication de dossiers deviennent de plus en plus
fréquentes qu’en plus de ce délai de deux mois endéans lequel le Tribunal doit
strictement rendre sa décision, un délai de trente jours est accordé au Ministère public
pour son avis écrit dans les matières obligatoirement communicables1484.
 Après la prise en délibéré

                                                            
1481
Article 9 du décret du 7 mars 1960 portant code de procédure civil congolais.
1482
La date de l’audience déterminée dans l’exploit introductif d’instance.
1483
Article 27 de l’arrêté d’organisation judiciaire n°299/79 du 20 août 1979 portant règlement intérieur des
cours, tribunaux et parquets.
1484
Article 69 de la loi organique n°13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et
compétence des juridictions de l’ordre judiciaire.
347 

 
A ce niveau de procédure, un délai de trente jours au plus tard est donné au Juge pour
rendre sa décision1485.
2. Les procédures particulières
Le créancier dont la créance est non seulement certaine, liquide et exigible (article 1er
AUPSRVE) mais aussi dont la cause est contractuelle ou cambiaire (article 2
AUPSRVE) peut faire recours aux procédures particulières pour la recouvrer. Il s’agit
des procédures d’injonction de payer et d’injonction de délivrer ou de restituer.
- La procédure d’injonction de payer
Le créancier en besoin de recouvrement de sa créance, sans mettre son débiteur en
demeure, peut adresser une requête, accompagnée des documents justificatifs
originaux ou certifiés conformes aux originaux, au Président du Tribunal de
commerce1486 pour entendre de lui une ordonnance d’injonction de payer (article 5
AUPSRVE). Après examen de la requête, le Président du Tribunal de commerce peut
rendre l’ordonnance portant injonction de payer ou rejeter, s’il l’estime non fondée, la
requête du créancier. Cette dernière décision est sans appel. Le créancier pourra alors
poursuivre le recouvrement de sa créance en recourant à la procédure de droit
commun sus examinée (article 5 al. 2 AUPSRVE). Le débiteur, totalement absent lors
de l’introduction et de l’examen de la requête par le créancier, peut alors exercer un
contredit (opposition) devant le Tribunal de commerce. La procédure d’introduction
et d’examen de l’opposition est presqu’ordinaire à quelques différences près que nous
découvrons dans les lignes qui suivent en mettant surtout en évidence le temps
matériel nécessaire lui réservé réellement par le Législateur OHADA ; ceci nous
permettra, in fine, de faire une appréciation et une critique objectives de la célérité et
de la rapidité que celui-ci tend à imprimer aux procédures simplifiées de de
recouvrement OHADA par rapport à la procédure congolaise de recouvrement de
créance.
 D’abord pour l’obtention d’une ordonnance d’injonction de payer
Il convient de souligner que l’Acte uniforme reste silencieux sur les délais d’examen
et du prononcé d’une ordonnance d’injonction de payer ou de rejet de la requête. Le
créancier alors désireux de faire valoir sa diligence est dépourvue de toute force vis-à-
vis du Président du Tribunal. Celui-ci dispose des pouvoirs si exorbitants que
l’examen et le prononcé d’une ordonnance d’injonction de payer dépendent
temporellement de son vouloir et ce, au préjudice du créancier requérant.
L’Acte uniforme organisant les procédures simplifiées de recouvrement et voies
d’exécution, non seulement met le créancier (souvent commerçant pour qui la rapidité
des affaires constitue l’idéal) dans une situation permanente d’incertitude relative à
l’attente de la décision à intervenir du Président du Tribunal de commerce qui est
totalement liée à la volonté de celui-ci et non à celle du législateur mais aussi, et
comme si ceci ne suffisait pas, donne la possibilité au débiteur d’exercer un contredit

                                                            
1485
Article 43, idem.
1486
La juridiction compétente en République Démocratique du Congo.
348 

 
à l’ordonnance du Président une fois rendue contre son gré. Le président du Tribunal
n’a donc aucun délai d’action1487.
 Ensuite pour exercer et examiner une opposition du débiteur
Le débiteur contre qui une ordonnance d’injonction de payer est rendue par le
Président du Tribunal de commerce peut s’y opposer par acte extrajudiciaire devant
cette même juridiction dont le Président vient de rendre l’ordonnance (article 9
AUPSRVE). Il s’ensuit qu’en saisissant le Président et non le Tribunal de l’opposition
à l’ordonnance, le requérant n’a pas respecté les dispositions légales et son opposition
doit être déclarée irrecevable1488. Le créancier dont la décision d’injonction de payer
est profitable dispose d’un délai de trois mois pour initier sa signification faute de
quoi la décision sera non avenue (article 7 AUPSRVE). Si endéans ce délai, l’acte
extrajudiciaire est signifié au débiteur, celui-ci, dans un délai de quinze jours, peut
exercer son opposition. Ainsi, dans un acte unique et à peine de déchéance, l’opposant
est tenu de signifier son recours à toutes les parties et au greffe du tribunal de
commerce et à servir assignation à comparaitre devant ce même tribunal à une date
fixe qui ne saurait excéder le délai de trente jours (article 11 AUPSRVE). Ici, le
législateur OHADA met un frein à toute intention du débiteur de vouloir abuser de
son droit d’opposition. En effet, toute action en opposition dont l’initiateur n’a pas
observé le délai de trente jours entre l’opposition et la date de comparution doit être
déclarée irrecevable. Telle a été aussi la position du Tribunal de Grande Instance de
Ouagadougou lorsqu’il déclara, en date du 28 mars 2001, l’opposition de la société
Transit. R. Gauthier qui n’a observé que trente-deux jours entre son opposition et la
date de comparution en s’exprimant en ces termes : « …attendu que l’acte opposition
assignation du 14 juillet 2000 a prévu la comparution des parties devant le Tribunal
de céans à l’audience du 16 août 2000 ; qu’ainsi, entre la date du 14 juillet 2000 et du
16 août 2000, plus de trente jours se sont écoulés en l’espèce trente-deux jours »1489.
Le Tribunal de commerce, s’il est saisi valablement de l’action en opposition du
débiteur, sans donner aux parties la possibilité de soulever les différentes questions
préalables liées à la forme, procède obligatoirement à une tentative de conciliation. Si
celle-ci aboutit, le tribunal prend acte de l’accord des parties et radie la cause du rôle.
Le Président de la chambre siégeant dresse alors un procès-verbal revêtu de la
formule exécutoire, le tribunal se trouvant ainsi entièrement dessaisi. Il faut d’emblée
                                                            
1487
Nous estimons que ceci constitue une des lacunes majeures de l’Acte uniforme organisant les
procédures simplifiées de recouvrement dans la mesure où, devant les cours et tribunaux congolais, il est
rare de trouver des juges dont les consciences appellent, sans exigence légale et réglementaire aucunes, une
célérité spontanée dans leurs fonctions de dire le droit. Même devant certains délais d’action puisés dans
l’arsenal juridique congolais comme le délai de prononcé des jugements ou arrêts, les Juges congolais s’y
conforment difficilement ; comment le créancier requérant peut-il avoir de ceux-ci une ordonnance portant
injonction de payer en l’absence d’une certaine contrainte légale ?
1488
TPI de Menoua de Dschang, jugement n°46/ Civ. Du 12 juil. 2004, Dougmo Etienne c/ Azangue
Bernard, in Ohada.com/Ohadata J-05-106. 
1489
Cour d’appel de Ouagadougou, arrêt n°18 du 1 mars 2002 confirmant le jugement n°345 du 28 mars
2001, TGI Ouaga, jug.n°276 du 3 avril 2002. 
349 

 
souligner qu’il est extrêmement rare en pratique qu’une conciliation entre parties
intervienne à ce niveau1490.
Par ailleurs, on imagine difficilement un débiteur en pleine instance de contredit,
n’ayant pas accepté que les effets d’une ordonnance d’injonction de payer rendue
contre lui, puisse à l’issue de l’instance de conciliation, accepter ses obligations ; à
moins que, étant donné que l’examen de la requête a été fait par le Président du
Tribunal de commerce à l’insu et en l’absence du débiteur, celui-ci, trouvant
l’occasion de contredire les allégations de son créancier en instance de conciliation
parvient à démontrer le contraire suivi d’acquiescement du créancier. Si par contre la
tentative de conciliation échoue, le Tribunal statue sur la demande en recouvrement,
même en l’absence du débiteur qui a formé opposition et la décision sera réputée
contradictoire. On peut se demander si le même jour de la saisie du tribunal, le Juge
est dans l’obligation de procéder à la conciliation des parties. Nous pensons que
l’Acte Uniforme le dit expressément lorsqu’il s’exprime en ces termes : « la
juridiction saisie de l’opposition procède à une tentative de conciliation… » (article
12 AUPSRVE). Tel n’est pas toujours le cas en pratique, les possibilités de remise en
faveur et à la demande des parties subsistent. En effet, il est vraiment regrettable de
voir des juridictions qui pensent que c’est le procès-verbal de non conciliation et non
l’acte unique d’assignation-opposition que les saisissent (jurisprudence). Nous
estimons humblement que dès lors que le Législateur s’exprime clairement de la
manière susmentionnée à l’article AUPSRVE, seul l’acte d’opposition (assignation en
opposition) doit saisir le Tribunal appelé à statuer sur l’opposition, le procès-verbal de
conciliation ou de non conciliation n’étant qu’un acte postérieur sanctionnant la
procédure de conciliation. Aussi, subsidiairement à cette dernière violation grave,
peut-on chercher à savoir à quel moment de procédure intervient la tentative de
conciliation. Ici aussi des dérapages procéduraux graves sont fréquents en pratique
malgré l’expression claire de la volonté du législateur à l’article 12 précité. On assiste
fréquemment à l’organisation par le Président1491 du Tribunal d’une chambre de
conseil en vue d’une conciliation et, ceci en violation de la volonté du législateur qui
entend que le Tribunal compétent (en RDC, c’est le Tribunal de commerce) et non
son Président, après s’être déclaré saisi sur base de l’assignation-opposition, procède à
une tentative de conciliation. C’est au début même de d’audience et rien qu’en celle-
ci que le Tribunal doit procéder à la conciliation avant d’examiner le fond de
l’opposition s’il en arrivait là1492. Tel est le vœu du Législateur OHADA. Cette
violation de la loi paraît être justifiée dès lors que le Tribunal, appelé à connaitre de
plusieurs affaires, ne pourra en même temps et dans chaque affaire relative au
contredit et dont l’examen est prévu au cours d’une même audience, faire ceci et
                                                            
1490
BONZI Birika J C, les principales questions soulevées par l’application de l’AUPSRVE, séminaire de
formation des enseignants de la RDC, ERSUMA, 2013, p.8.
1491
Dont la fonction principale est d’examiner la requête en vue d’une ordonnance à soumettre devant le
Tribunal en cas de contredit. 
1492
BONZI Birika J C, op. cit., p.8.
350 

 
tenter à la conciliation ; il est sûr que le temps matériel ne le lui permettra pas.
Malheureusement cette situation telle que présentée supra est non seulement contraire
à la loi et rend inopportun le recours aux procédures simplifiées de recouvrement des
créances et voies d’exécution dont l’unique avantage serait la simplicité dans
l’initiation d’une requête et la rapidité dans le recouvrement.
Par ailleurs, en cas d’échec de la procédure de conciliation, le Tribunal saisi statue
immédiatement sur la demande de recouvrement, même en l’absence du débiteur
ayant formé opposition, et la décision à intervenir sera réputée contradictoire (article
12 alinéa 2 AUPSRVE). Le jugement sur opposition, que celle-ci soit fondée ou non,
est un jugement contentieux qui se substitue à l’ordonnance (article 14 AUPSRVE).
Toutefois, les juridictions ne semblent pas avoir pris la pleine mesure de cette règle ;
elles continuent à donner en effet plein et entier effet à l’ordonnance comme si c’est
l’ordonnance qui a à la fois force exécutoire et autorité de la chose jugée1493. Par
ailleurs, il est regrettable que les tribunaux congolais continuent à renvoyer des causes
pour communication des pièces et moyens entre parties à la place de procéder,
aussitôt leur saisine, à la tentative de conciliation comme s’ils demeuraient encore
sous le régime commun de recouvrement des créances1494.
- Les procédures d’injonction de restituer ou de délivrer un bien
meuble corporel
Le créancier d’une obligation de donner peut solliciter du Président du Tribunal de
Commerce une décision ordonnant à son débiteur la restitution ou la délivrance de son
bien meuble corporel (article 19 de l’AUPSRVE). Les procédures d’injonction de
restitution ou de délivrance demeurent les mêmes que celle d’injonction de payer.
Toutefois, elles ne sont pas applicables lorsqu’il s’agit de réclamation portant sur une
somme d’argent. Ainsi, doit être déclarée irrecevable la demande tendant à obtenir la
restitution d’une somme d’argent déposée dans un compte et fondée sur l’article
191495. Aussi, les délais à observer dans le déroulement de ces procédures sont les
mêmes que ceux réservés à la procédure d’injonction de payer. Nous estimons que les
mêmes développements relatifs à la procédure d’injonction de payer conviennent
mutatis mutandis aux procédures d’injonction de restituer et de délivrer.
Nous pouvons cependant et dans le point qui suit scruter le réalisme de la volonté du
législateur OHADA qui entend qu’un créancier de l’obligation de payer, de restituer
ou de délivrer qui recourt aux procédures consacrées par l’Acte uniforme organisant
les procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution obtienne plus
rapidement et de manière simplifiée un titre exécutoire que lorsqu’il choisit la
procédure ordinaire d’assignation encore en vigueur en droit congolais ?

                                                            
1493
CCJA, arrêt n°26 du 15 juillet 2004, société Djaman et Compagnie c/ Entreprise Nationale de
Télécommunication dite ENATELCOM, Juriscope.org, Ohada.com/Ohadata J-05-169.
1494
Cfr procès-verbal de non conciliation du 06 août 2014 établi par le Président du TGI Goma in RC
17 633 opposant Monsieur KATOTO KWELI à Monsieur MIHIGO KALONDWA.
1495
Daloa, ch. Civ. et com. n° 112 du 07 avril 2003, le Fond local d’Epargne et de Crédit dit FLEC c/ la
Coopérative COPAVA, juriscope. org.
351 

 
B. La simplicité et la rapidité des procédures d’injonction de payer et
d’injonction de restituer ou de délivrer cèdent aux lourdeur et lenteur
des procédures ordinaires de recouvrement de créance du droit
congolais
Le législateur OHADA, s’il a mis à la disposition des Etats signataires du traité
OHADA des procédures particulières d’injonction de payer, de restituer ou de
délivrer, c’est parce, en dehors du soucis de mettre fin à l’insécurité juridique qui
l’animait, il voulait procurer à ces Etats un droit simple et rapide pour recouvrer leurs
créances, en plus de la procédure ordinaire d’assignation qui était à leur portée.
Cependant, la volonté du législateur OHADA n’est jamais respectée en droit
congolais. En effet, le créancier en quête d’une décision du Président du Tribunal de
Commerce ordonnant ou rejetant l’injonction de payer ou de délivrer ou encore de
restituer, ne l’obtient pas toujours dans un délai raisonnable (a) ; les juges ont toujours
tendance, lorsqu’un contredit est formulé contre une ordonnance d’injonction de
payer, de restituer ou de délivrer, à lui transposer les règles ordinaires de
recouvrement des créances à tel enseigne qu’un créancier usant des procédés de
célérité (assignation à bref délai et sommation à conclure et à plaider) prévue en droit
congolais peut obtenir son titre exécutoire plus rapidement que celui dont
l’ordonnance est frappée d’une opposition (b).
a) Le Président du Tribunal de Commerce ne rend pas toujours son
ordonnance dans un bref délai
Les procédures d’injonction de payer et d’injonction de restituer ou de délivrer, sont
introduites, nous l’avons dit, par une requête dont les mentions constituent le contenu
des prescrits de l’article 4 de l’Acte Uniforme organisant les procédures simplifiées
de recouvrement et voies d’exécution. Le fondement de la requête doit être examiné
par le Président du Tribunal de Commerce avant de rendre soit une ordonnance
d’injonction de payer ou de restituer ou encore de délivrer selon les cas, soit une
ordonnance sans recours de rejet. Le Président du Tribunal de Commerce doit alors se
mettre dans la peau du législateur OHADA qui veut que cette procédure soit non
seulement simple mais aussi rapide en faveur du créancier qui a besoin que son
obligation soit payée dans un bref délai possible. Toutefois, cette volonté du
législateur OHADA n’a pas été expressément soulignée. En effet, aucun délai n’a été
donné au Chef de la juridiction compétente pour rendre soit l’ordonnance d’injonction
de payer ou de restituer ou encore de délivrance, soit l’ordonnance de rejet de la
requête. Ainsi, en s’exprimant de la manière ci-dessous à l’article 5 AUPSRVE « si,
au vu des documents produits, la demande lui parait fondée en tout ou en partie, le
Président de la Juridiction compétente rend une décision portant injonction de payer
pour la somme qu’il fixe… », le législateur OHADA est resté silencieux sur le délai
endéans lequel le Président de la juridiction compétente doit rendre son ordonnance,
lui donnant par conséquent un pouvoir discrétionnaire dont il abuse fréquemment au
préjudice du créancier et s’écarte ainsi de la leitmotiv de la mise en œuvre des
procédures simplifiées de recouvrement dans l’espace OHADA. Le silence du
législateur OHADA sur le délai de prononcé des ordonnances d’injonction de payer et

352 

 
d’injonction de délivrer ou encore de restituer constitue un tremplin pour les
Présidents des tribunaux de commerce vers l’arbitraire en cette matière. Aussi,
s’ajoute le manque de volonté de ces autorités de ne pas emboiter les pas des vœux du
législateur OHADA dans l’institution dans l’ordonnancement juridique de l’espace
OHADA, une procédure simple, rapide et moderne. Aussi encore, ces autorités
restent-elles ancrées dans un système où elles estiment qu’elles ne peuvent rien pour
rien1496. Ainsi, certains créanciers dont les créances sont certaines, liquides et
exigibles et dont les causes sont contractuelles ou résultent de l’émission ou de
l’acceptation de tout effet de commerce, qui introduisent en bonne et due forme leurs
requêtes tendant à obtenir ordonnance d’injonction de payer voient l’intervention de
cette dernière ordonnance être soumis par son auteur au payement de certaines
sommes d’argent difficilement justifiées. Ce qui fait qu’une requête, pour examen,
puisse passer des mois et des mois dans le cabinet du Juge.
Le requérant créancier se trouve alors victime des retards injustifiés de prononcé de
l’ordonnance du Juge. Ces retards deviennent amplifiés si son débiteur, ce qui est
vraiment fréquent, exerce une opposition contre l’ordonnance le condamnant au
payement d’une certaine somme d’argent, à la restitution ou à la délivrance d’un bien
meuble corporel.
b) Le contredit OHADA face au recourt aux procédés de célérité et de
rapidité prévus en droit congolais
Le créancier dont l’ordonnance d’injonction de payer ou d’injonction de délivrer ou
de restituer est frappée d’une opposition n’obtient pas son jugement, se substituant à
cette ordonnance, plus rapidement et simplement que le créancier qui a choisi la voie
ordinaire d’assignation de recouvrement de créance en usant les procédés de célérité
que le législateur congolais a mis à sa disposition. En effet, l’examen du contredit
(opposition) du débiteur par le Tribunal de Commerce(1) peut plus durer que celui du
fondement d’une action en recouvrement de créance introduite par voie d’assignation
devant le Tribunal de Grande Instance et assortie des garanties des articles 10 et 19 du
code congolais de procédure civile (2).
1) Examen de l’opposition du débiteur
Le débiteur qui conteste la décision d’injonction de payer ne peut que l’attaquer par
une opposition devant le Tribunal du Commerce. L’opposition est formée par acte
extrajudiciaire1497 dans 15(quinze) jours qui suivent la signification de la décision
portant injonction de payer. Ainsi, le Débiteur saisit le Tribunal qui, lorsqu’il se
déclare saisi conformément à l’organisation, le fonctionnement et la compétence
judiciaires nationaux, doit procéder par une tentative de conciliation des parties au
terme de laquelle soit le Président dresse un procès-verbal de conciliation signé
régulièrement par les parties au cas où cette dernière aboutit, soit la juridiction statue
                                                            
1496
Nous savons bien que l’Etat congolais s’investit pour rémunérer les services des Magistrats.
1497
On peut se demander pourquoi le Législateur OHADA a voulu ainsi dès lors que l’assignation à
comparaitre et l’acte d’opposition sont des actes judiciaires par excellence. Toutefois, lorsqu’ils sont
contenus dans un acte unique, le caractère judiciaire de celui-ci peut être difficilement envisageable.
353 

 
immédiatement sur la demande en recouvrement si la tentative de conciliation échoue.
L’Acte uniforme portant sur les procédures simplifiées de recouvrement et voies
d’exécution reste silencieux sur le délai de tentative de conciliation ; On peut penser
qu’il impose à la juridiction de procéder et terminer à cette première audience même
l’instance de conciliation, ce qui nous parait non seulement irréaliste mais aussi
contraire à la philosophie accordée fréquemment à la conciliation. En effet, le
Tribunal conciliateur, usant de son pouvoir et n’ayant aucune contrainte légale
expresse, pourra, en vue d’un arrangement, donner la chance et un temps suffisant aux
parties.
L’article 12 susmentionné fait obligation au Tribunal de commerce, après échec de
conciliation des parties de procéder immédiatement à l’examen de l’action en
recouvrement. A ce niveau, nous estimons que le législateur OHADA, bien qu’animé
par un soucis majeur de célérité dans les procédures s’est tellement écarté d’un
réalisme que nous imaginons difficilement ce juge congolais qui, appelé à dire le droit
dans un important nombre d’affaires, saura, dans une ou plusieurs d’elles, procéder au
cours d’une audience à la tentative et à l’examen de l’opposition sans pour autant
déranger le déroulement habituel de l’audience car, on le sait, sont rares les tentatives
de conciliations qui aboutissent. La nécessité de remise est encore prononcée. Nous
pouvons toutefois comprendre le législateur OHADA car il a laissé à l’appréciation et
à la compétence de ces Etats toutes les questions relatives à l’organisation et
fonctionnement judiciaires et certains questions relatives à la procédure bien qu’il
n’ait pas la garantie que cette dernière soit aussi simplifiée et rapide que ce qu’il
entend des procédures OHADA. En effet, il se constate que le Juge congolais
continue, après échec de l’instance de conciliation des parties, à observer les
différentes règles de remise des affaires que le règlement d’ordre intérieur des cours,
tribunaux et parquets congolais a mises à sa disposition1498. Ainsi, à la première
audience d’examen de l’opposition du débiteur après échec de l’instance de
conciliation, le Juge et les parties oublient la célérité que le Législateur OHADA des
procédures simplifiées de recouvrement attend d’eux au détriment des renvois
successifs des affaires prévus et organisés par ce dernier arrêté. Ces derniers, parce
que l’Acte Uniforme ne leur a pas au préalable imposé expressément un temps
matériel endéans lequel ils doivent agir, se retrouvent alors guidés par les règles
disponibles dans l’arrêté susvisé et ce, au préjudice du créancier qui veut voir sa
créance être payée dans un délai raisonnable. Ainsi par exemple un créancier qui a
introduit sa requête aux fins d’obtenir injonction de payer, peut, pour avoir un titre
exécutoire si son débiteur s’oppose à la décision portant injonction de payer, endéans
un minimum de quatre mois, être en possession d’un titre exécutoire1499. En effet,
dans cette affaire après que le Créancier a introduit sa requête en date du 5 mai

                                                            
1498
Articles 27 et 28 de l’arrêté d’organisation judiciaire du 20 août 1979 portant règlement intérieur des
cours, tribunaux et parquets.
1499
TRICOM, 13 août 2014, ville de Goma, Raw Bank sarl c/ MUHINDO KIHONGYA, inédit, 2014
354 

 
20131500, celle-ci pourra être examinée endéans un mois minimum ; ce qui fait qu’une
décision de rejet ou portant injonction de payer pourra intervenir au plus tard le 5 juin
2013. Le créancier diligent pourra, en cette dernière date, faire signifier cette dernière
au débiteur si le Juge a rencontré sa volonté en adjoignant au débiteur de payer. Le
débiteur, s’il conteste cette dernière décision, doit former son opposition dans un bref
délai de 15 jours, c’est-à-dire en la période allant du 5 juin au 20 juin 2013. Le
débiteur pourra alors, dans un acte unique, envoyer au créancier l’acte d’opposition et
une assignation à comparaitre au créancier dans un délai qui ne pourra excéder 30
jours ; c'est-à-dire qu’au plus tard le 30 juillet 2013, l’audience d’examen des
prétentions respectives des parties aura lieu devant, cette fois, le Tribunal de
Commerce. A cette audience, le Tribunal, une fois saisi régulièrement, doit procéder à
une tentative de conciliation des parties à l’issu de laquelle, soit le Juge doit dresser
un procès-verbal de conciliation soit la juridiction saisie doit statuer immédiatement
sur la demande en recouvrement selon que la conciliation a abouti ou pas. A
l’audience du 30 juillet 2013 à laquelle le Juge est appelé à concilier les parties, celui-
ci pourra éventuellement, si les pourparlers n’ont pas trouvé leur terme attendu, les
renvoyer à une audience ultérieure. Ainsi, un délai d’une semaine au maximum peut
encore être accordé par le Juge aux parties et cette audience pourra se poursuivre et
éventuellement prendre fin en date du 06 août 2013. L’article 12 susmentionné nous
donne déjà ce que sera l’attitude du Juge à l’issue de cette dernière audience. En effet,
au cas où la tentative de conciliation aboutit, le Juge clôt les débats en dressant un
procès-verbal de conciliation de partie dont l’expédition est revêtue de la formule
exécutoire à la diligence de la partie la plus intéressée, et les parties verront le
différend qui les oppose prendre fin dans un délai plus ou moins raisonnable, c'est-à-
dire, en une période de trois mois (du 5 mai au 6 août 2013). Si par contre la tentative
de conciliation échoue, le Tribunal est invité à statuer sur la demande en
recouvrement. C’est à ce niveau que la procédure effectivement contradictoire
commence. La partie qui estime que la procédure n’a pas été régulière conformément
en même temps au droit congolais et aux prévisions de l’Acte uniforme portant
procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution peut, en termes de
préalables, soulever tout ce qu’elle estime être les violations procédurales. La
tendance des tribunaux congolais ici est d’assimiler la poursuite de l’instruction des
affaires dont la tentative de conciliation des parties a échoué à la procédure qui leur
est familière et ordinaire à savoir, celle de droit commun d’assignation avec toutes les
conséquences temporelles contraires à la célérité qu’attend le Législateur OHADA et
dues aux différentes remises de l’affaire que l’arrêté susvisé organisant les Cours et
Tribunaux congolais autorise dans certaines circonstances bien précises. On
comprend facilement que le comportement de ceux qui sont appelés à utiliser
scrupuleusement la volonté du Législateur de l’Acte uniforme relatif aux procédures
simplifiées et voies d’exécution en République Démocratique du Congo (les juges, les

                                                            
1500
Si la conscience du Juge embrasse la célérité et la simplicité que le Législateur OHADA attend de lui.
355 

 
avocats…) va dans le sens de substituer celle-ci (volonté) au droit judiciaire congolais
qui, on le sait, ne met pas un accent particulier sur la rapidité et le souci dont est
animé un créancier en plein recouvrement de sa créance. En conséquence, le procès
qui au départ – depuis la saisine par une requête du Président du Tribunal de
commerce- avait des assises de ce dernier acte uniforme, se voit être plongé dans
l’arsenal judiciaire congolais et préjudiciant par la suite les intérêts des parties1501. Ce
créancier, après tout le temps passé1502devant le Président du Tribunal de commerce
où il est appelé par le débiteur en vue d’examiner le contredit exercé par celui-ci, se
retrouve, après échec de la tentative de conciliation, emballé dans une procédure telle
que son statut devient vite comparable à celui d’un créancier qui aurait choisi la voie
de droit commun d’assignation. Ce dernier, s’il met à son entier profit les mécanismes
de célérité prévus par le droit congolais, car ils sont expressément définis par des
textes dont l’interprétation est stricte, peut obtenir son titre exécutoire dans un délai
plus bref que le créancier qui a choisi une des procédures simplifiées prévue par l’acte
uniforme y relatif. Avant l’examen de ces mécanismes et de la célérité qu’ils peuvent
procurer à ceux les mettent en profit, intéressons-nous à certaines causes pratiques
susceptibles d’anéantir la rapidité et la célérité des procédures spéciales de
recouvrement des créances OHADA. D’abord, le juge congolais a tendance ralentir la
procédure de conciliation après opposition du débiteur car il espère qu’avec un tel
comportement, il trouvera certes un compromis entre parties1503. Il est ici regrettable
en effet que dans une affaire, le Président d’une juridiction, après avoir rendu une
ordonnance portant injonction de payer et signifiée celle-ci au débiteur, celui-ci, et
non le Tribunal compétent, est allé jusqu’à organiser quatre audiences de
conciliation1504respectivement en date du 19 juillet 2014, du 26 juillet 2014, du 31
juillet 2014 et du 02 août 20141505. On s’imagine difficilement une rapidité lorsque,
pour une tentative de conciliation à laquelle le législateur OHADA n’a réservé qu’une
audience, un chef de juridiction y consacre deux semaines réparties en quatre
audiences. Aussi, il est rare qu’une juridiction saisie d’un acte d’assignation-
opposition, procède au cours d’une mémé audience comme l’entend le Législateur
OHADA à la conciliation et à l’examen de l’opposition. Les tribunaux s’habituent,
après échec de la conciliation des parties, à renvoyer la cause à une audience
prochaine destinée à l’examen de l’opposition du débiteur1506. Ensuite, dans certaines
affaires destinées à la conciliation et à l’examen du fondement de l’opposition du
débiteur, le Tribunal s’est déclaré non saisi sur base de l’assignation-opposition
régulièrement signifiée aux parties et a estimé que le seul le procès-verbal de non
                                                            
1501
Surtout les créanciers dont la créance répond aux exigences posées par les articles 1 et 2 AUPSRVE.
1502
Evalué objectivement à un minimum de trois mois, sans compter le délai de prononcé et si toutes les
parties et le Juge font montre d’une diligence possible pour l’aboutissement de leur différend.
1503
Il le fait comme en matière de divorce en droit congolais où le juge du Tribunal de paix n’est pas
pressée à constater par un rapport la destruction irrémédiable du ménage des époux.
1504
Qu’il a appelait « séances de conciliation ».
1505
TGI Goma, RC 17 633, 16 septembre 2014, inédit.
1506
TRICOM Goma,….
356 

 
conciliation devait le saisir1507. En effet, cette situation, violant manifestement la loi,
peut occasionner deux conséquences néfastes, hormis la mise en néant de la rapidité
de la procédure : la première est que le débiteur risque d’être amené à une forclusion
forcée dans l’exercice de son opposition. L’article …dispose que l’opposition à
l’ordonnance portant injonction de payer doit être exercée dans quinze jours à dater de
la signification de celle-ci. Le débiteur qui a fait opposition dans le délai par une
assignation dépourvue d’effet de saisine du tribunal et sur base de laquelle celui-ci
doit se déclarer saisi, risquera certainement d’être forclos pendant qu’il sera en
instance de conciliation ; il est vrai que, peut-il s’apaisé et comme nous l’avons
souligné supra, c’est le procès-verbal de non conciliation et non son assignation qui
saisira le Tribunal, la juridiction d’appel voire la Cour commune de justice et
d’arbitrage n’hésitera pas d’annuler pour tardiveté toute décision à intervenir ce, au
préjudice de l’opposant débiteur. La deuxième contredit totalement le législateur
lorsqu’il veut, à l’article 12 de l’Acte uniforme portant procédures simplifiées de
recouvrement et voies d’exécution, qu’aussitôt le Tribunal saisi, il procède à la
conciliation. La tentative de conciliation, ici, est postérieure à la saisine du Tribunal
par un acte d’assignation contrairement aux prévisions de cette pratique déplorable
qui rend cette saisine postérieure et conditionnée par un procès-verbal de non
conciliation ; le Tribunal ne peut jamais être saisi par ce dernier acte. Enfin,
l’audience de conciliation a été attribuée expressément au Tribunal et à son chef dont
le pouvoir exclusif se limite à l’examen de la requête. Ce Tribunal est composé
conformément aux règles organisant l’organisation et le fonctionnement du tribunal
de commerce en RDC1508. Cette audience, tenue en chambre de conseil par le chef de
juridiction, perd son caractère public voulu par le législateur diminuant ainsi les
garanties d’un procès équitable.
La procédure ordinaire d’assignation, face à ces difficultés d’application des
procédures spéciales de recouvrement OHADA, paraît plus rapide, surtout lorsqu’elle
est renforcée par des garanties légales de célérité.
2) La voie d’assignation assortie des garanties des articles 10 et 19 du code de
procédure civile congolais
Le droit congolais de procédure civile a mis à la disposition d’un créancier des
possibilités d’obtenir d’une juridiction un titre exécutoire dans des délais abrégés. Ces
possibilités sont envisagées au début et en encours de procédure. Au début, le
créancier peut, dans les cas qui requièrent célérité, assigner à bref délai son débiteur ;
en cours, il peut sommer un débiteur défaillant soit de conclure, soit de se présenter
devant le Tribunal où il est appelé à se défendre.
 L’assignation à bref délai
Le créancier dont la créance découle d’un contrat commercial ou civil peut aussi
choisir, s’il le veut et justifie d’une célérité, la voie de droit commun de
                                                            
1507
TGI Goma, RC17 264, 11 mars 2014, Serge SAMVURA c/ Désiré SEBAJOMBA
1508
Article 3 de la loi n°002/2001 du 03 juillet 2001 portant création, organisation et fonctionnement des
tribunaux de commerce.
357 

 
recouvrement des créances. Ainsi, l’article 10 alinéa premier du code de procédure
congolais dispose « dans les cas qui requièrent célérité, le Président de la juridiction
compétente peut, par ordonnance rendue sur requête, permettre d’assigner à bref
délai ». Pour jouir des garanties des dispositions de cet article, le créancier doit
justifier d’une célérité, or, nous le savons, les opérations commerciales, dans leur
exercice, sont caractérisées par une si grande rapidité qu’il n’est besoin au requérant ,
jouissant régulièrement de la qualité commerciale conformément aux dispositions des
articles 2 et 4 de l’acte uniforme relatif au droit commercial général, de démontrer au
Juge la célérité qui l’anime quotidiennement dans ses opérations.
En effet, le requérant ici sollicite du Président de la juridiction compétente que le
délai ordinaire d’assignation à comparaitre de 8 (huit) jours francs prévu par l’article
9 du code de procédure civil congolais ne lui soit opposable ; il peut alors, après
autorisation de ce dernier, appeler son débiteur à comparaitre et à se défendre dans un
délai bref inférieur à 8 jours francs.
Toutefois, l’assignation à bref délai du débiteur ne suffit pas au créancier pour obtenir
le plus vite possible la position du Tribunal dans son action en recouvrement. Ainsi, il
est fréquemment des débiteurs qui, après avoir comparu, même à bref délai, se font
caractériser par des dilatoires qui influent gravement l’issue de la procédure.
Malheureusement, les prévisions des articles 27 et 28 de l’arrêté susvisé portant
règlement d’ordre intérieur des cours, tribunaux et parquets congolais permet à ce
débiteur d’obtenir du Tribunal des remises pour mise en état de l’affaire. Bien plus, ce
débiteur qui, après avoir bénéficié d’au moins deux remises pour mettre en état
l’affaire (la communication des pièces et moyens) ne parvient pas à pourvoir à ce
devoir lui prescrit par le Tribunal ; ainsi, le créancier peut l’y contraindre.
 La sommation du débiteur de se présenter ou de conclure
Le débiteur en défaut de se présenter devant le Tribunal ou de conclure peut y être
contraint par son créancier conformément aux prescrits de l’article 19 du code de
procédure civile congolais qui dispose que « lorsqu’après avoir comparu, le défendeur
ne se présente plus ou s’abstient de conclure, le demandeur peut poursuivre l’instance
après sommation faite du défendeur. Cette sommation reproduit le présent article.
Après un délai de quinze jours francs à partir de la sommation, le demandeur peut
requérir qu’il soit statuer sur sa demande ; le jugement est réputé contradictoire. » A
cet effet, le créancier qui a assigné à bref délai et qui, à la première audience ne
parvient pas – parce son débiteur ne le lui permet pas – à développer les moyens qui
sous-tendent son action en recouvrement, peut, au plus tard après deux remises
successives de l’affaire de l’ordre de deux semaines chacune pour mise en état et trois
semaines pour sommation de son débiteur soit de se présenter soit de conclure, voir
l’affaire être prise en délibéré par le Tribunal pour une décision à intervenir dans les
30 jours1509.

                                                            
1509
Article 43 de la loi organique n°13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et
compétence des juridictions d’ordre judiciaire.
358 

 
Ainsi, en deux mois sans prendre en considération le délai de prononcé, tout créancier
qui à mis à son entier profit les garanties des articles 10 et 19 du code de procédure
civile pourra voir, en une période maximum d’un mois, une décision intervenir.
Face à la procédure ordinaire et congolaise de recouvrement des créances, les
simplicité et rapidité des procédures de recouvrement des créances OHADA sont
difficilement envisagées bien cela soit contraire à la ratio legis et même aux travaux
préparatoires de ces dernières.
Il convient de noter qu’avant 1998, dans la plupart des Etats africains, les procédures
de recouvrement des créances existantes, empruntées aux vieilles règles du droit civil
français, étaient complexes et dépassées ; les contentieux de recouvrement pouvant se
dérouler sur plusieurs années. Pour pallier à ces inconvénients, dans le cadre de
l’Organisation pour l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique (OHADA), les
Etats-parties au Traité de l’OHADA, dont ceux de l’UEMOA, ont adopté, en 1998,
l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et
voies d’exécution. A travers cet Acte Uniforme, le législateur a consacré le droit à
l’exécution forcée, reconnu au créancier, par les nombreuses procédures qui lui sont
proposées pour assurer le recouvrement de sa créance. Au nombre de celles-ci, les
procédures d’injonction de payer, de délivrer ou de restituer méritent tout
particulièrement d’être relevées. A ces procédures, le législateur a voulu imprimer une
certaine célérité en rendant plus souples les conditions de saisine de la juridiction.
Si ce dispositif simplifié de recouvrement est entré en vigueur dans tous les Etats, y
compris en République Démocratique du Congo depuis le 12 septembre 2012,
l’application effective de l’Acte uniforme se heurte à de nombreux obstacles en raison
des difficultés consubstantielles à la loi elle-même, des divergences d’interprétation et
d’application. Aussi, Les nouvelles dispositions introduites par l’OHADA avaient
pour vocations de simplifier et d’accroître la célérité des procédures de
recouvrements. Elles n’ont pas atteint ce résultat comme il apparait des entretiens que
l’équipe de recherche a eus avec différentes catégories d’acteurs, lesquelles estiment
que les procédures sont devenues plus complexes1510. Le créancier qui opte pour les
procédures de recouvrement prévues par l’acte uniforme peut seulement, dans un
délai raisonnable, obtenir l’ordonnance soit portant injonction de payer ou de délivrer
ou encore de restituer selon l’objet de sa requête et ce, sous réserve que cette autorité
ne tire pas à longueur la procédure découlant non seulement de son pouvoir mais
aussi du fait que, nous l’avons dit, l’acte uniforme ne lui impose expressément un
délai d’action). Dans l’hypothèse où le Président de Tribunal rejette la requête du
créancier, la voie d’assignation est encore à la portée de ce dernier ; dans l’hypothèse
contraire, le créancier, dans un bref délai, pourra, après avoir été autorisé par le Juge
par une ordonnance, obtenir la formule exécutoire. Toutefois, il n’est pas toujours
évident d’aboutir à cette dernière hypothèse d’autant plus que le débiteur non

                                                            
1510
Moussa SAMB, op. cit, Revue de l’ERSUMA : Droit des affaires - Pratique Professionnelle, N° 1 - Juin
2012, Dossier : Le Recouvrement des Créances.
359 

 
seulement n’a pas été appelé par le Président du Tribunal lors de l’examen de la
requête du créancier pour lui présenter ses moyens de défense mais aussi, pourra,
après avoir été signifié de la décision de sa condamnation, s’opposer à celle-ci. Ainsi,
la simplification et la rapidité de la procédure seront envisagées jusqu’à l’apposition
de la formule exécutoire sur l’ordonnance d’injonction de payer ou de délivrer ou
encore de restituer si le débiteur n’exerce pas un contredit contre celle-ci. Et même, à
ce niveau, il arrive qu’un créancier diligent usant de la voie d’assignation obtienne
son titre exécutoire avant celui qui a fait recours aux procédures d’injonction à payer
ou de délivrer ou encore de restituer. Par ailleurs, lorsque cette ordonnance est frappée
d’opposition, il ressort clairement des analyses objectives et pratiques sus faites que
l’aboutissement de la procédure n’est toujours intervenu aussi rapidement possible
que dans le cas d’assignation.
Par ailleurs, le non aboutissement des objectifs du législateur OHADA des procédures
simplifiées de recouvrement de créance est qu’il a laissé beaucoup de questions
relatives à leur application au pouvoir des Etat membres. Dans son souci de respecter
la souveraineté des Etats membres de l’OHADA, il a oublié voire abandonné
certaines questions d’ordre organisationnel et procédural touchant l’ordre interne1511
de ceux-ci. Il a, en effet, brillé dans des renvois souvent implicites.

C. Les multiples renvois aux ordres juridiques nationaux


Lorsqu’on scrute le contenu de l’Acte uniforme organisant les procédures simplifiées
de recouvrement et voies d’exécution, on se rend compte que le Législateur
communautaire y a inclu certaines règles qui ont besoin, pour accéder à une vie
juridique complète, d’être complétées par d’autres puisées dans l’ordonnancement
juridique des Etats membres du traité OHADA. Ainsi, leur articulation avec la loi
nationale de ces Etats est inévitable compte tenu des innombrables renvois qui sont
tantôt explicites, tantôt implicites1512. Le Législateur communautaire utilise, dans son
expression, des formules ou des institutions qui laissent certainement croire qu’il fait
allusion à certaines lois en vigueur dans les Etats parties. On admet généralement que,
dans le souci de respect de la souveraineté des Etats membres, le Traité OHADA, en
général et son Acte uniforme organisant les procédures simplifiées de recouvrement et
voie d’exécution, en particulier se sont réservés de réglementer l’organisation et la
compétence de leurs cours et tribunaux respectifs. A d’autres questions1513 posées par
les procédures de recouvrement de créances, l’Acte uniforme n’a pas expressément
prévu des réponses qu’il convient de les mettre aussi dans le panier des renvois sus
visés. Il s’agit des questions relatives aux procédures. Commentant l’acte uniforme
sur les procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution, le Professeur
Ndiaw DIOUF, voulant donner un sens aux formules et institutions que le Législateur
communautaire utilise dans certains cas en vue d’exprimer des cas des renvois aux
                                                            
1511
Un ordre qui peut, aux yeux de l’esprit et de la lettre du législateur OHADA, paraître un désordre.
1512
Ndiaw DIOUF, op. cit., p.981.
1513
Dont l’objet n’est pas ni la compétence ni l’organisation des cours et tribunaux.
360 

 
lois nationales, enseigne que celui-ci s’appuie sur les codes de procédures ou sur les
lois particulières en vigueur dans les Etats parties1514. C’est le cas notamment de
prévision de beaucoup de délais prescrits à peine de nullité1515 sans en préciser les
modalités de computation. Nous estimons ici, que l’article 9 du code de procédure
civil congolais doit s’appliquer. C’est aussi le cas d’un créancier, d’un débiteur ou du
Tribunal qui, pendant l’examen de l’opposition formée par le débiteur à l’ordonnance
d’injonction de payer rendue en faveur du créancier, de soulever autre forme de
nullité ou d’irrecevabilité de l’action non prévue expressément par l’Acte uniforme
organisant les procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution mais
prévues et organisées par le code de procédure civile congolais. Ainsi, le créancier
peut soulever, après échec de la tentative de conciliation, l’obscurité dans le libellé de
l’assignation-opposition du débiteur, le défaut de qualité, d’intérêt… Bref, les
exceptions déclinatoires, dilatoires et de nullité de procédure ainsi que les fins de non-
recevoir telles que consacrées par les articles 26 et 28 du code de procédure civile
congolais demeurent d’application bien que l’Acte uniforme n’y fait expressément
allusion. Le Tribunal a alors la possibilité, pendant l’examen du contredit, de joindre
les exceptions au fond si elles sont soulevées ; le principe légal selon lequel il n’existe
pas de nullité sans grief peut toujours être invoqué eu égard à certaines formalités que
l’Acte uniforme ne prescrit expressément à peine de nullité, de déchéance ou de
caducité. La conséquence est que la procédure peut être ralentie lorsque l’exception
ou la fin de non-recevoir soulevée par une partie au procès est d’ordre public et
péremptoire étant entendu que le Tribunal peut être amené à la prendre en délibérée
avant tout examen du fond de l’opposition. C’est ainsi que dans une affaire opposant
la Raw Bank SARL1516 à Monsieur MUHINDO KIHONGYA, à l’audience d’examen
de son opposition, celle-là a estimé que les libellés de l’assignation-opposition de
celui-ci étaient obscurs1517Ceci va inévitablement influencer la rapidité recherchée
dans la procédure et les parties, voire le tribunal risquent de porter les lunettes de la
procédure ordinaire d’assignation.
Somme toute, bien que l’acte uniforme portant procédures simplifiées de
recouvrement et voies d’exécution soit entrée en vigueur en République
Démocratique du Congo depuis le 12 septembre 2012 avec comme principal et clair
objectif pour le Législateur de simplifier les procédures afin de faciliter le
recouvrement des créances dans les Etats membres et favoriser ainsi le
développement du crédit, on constate de nombreuses limites dans la mise en œuvre de
ces textes notamment son formalisme très lourd, l'absence de célérité, la complexité
des procédures entraînant les dilatoires de la part des débiteurs indélicats en face des

                                                            
1514
Ndiaw DIOUF, idem, p. 982.
1515
Voir à ce sujet le délai de 15 jours endéans lequel le débiteur doit former son opposition à l’ordonnance
d’injonction de payer
1516
Qui sera certes, avant l’expiration du moratoire de deux ans accordé aux sociétés commerciales
congolaises encore constituées sous l’empire du droit congolais de société, une société anonyme.
1517
TRICOM, 13 août 2014, ville de Goma, Raw Bank sarl c/ MUHINDO KIHONGYA inédit, 2014.
361 

 
créanciers presque désarmés et peu confiants à l'égard du système judiciaire. On
pourrait, à première vue, justifier ces difficultés d’application de ces procédures en
RDC par leur nouveauté (car avant le 12 septembre 2012, la RDC ne les avait déjà
connues) et l’attachement des acteurs judiciaires à la procédure d’assignation.
Cependant, nous n’estimons pas que cela soit la véritable raison dès lors que même
certains pays de l’espace OHADA dans lesquels l’Acte uniforme portant procédures
simplifiées de recouvrement et voies d’exécution est entré en vigueur depuis 1998
connaissent jusqu’à ce jour des difficultés liées à leurs complexité et lourdeur1518.
Bien plus, même si les intervenants dans les différentes procédures simplifiées de
recouvrement des créances se conformaient scrupuleusement à la volonté du
législateur, mis à part certaines des lacunes de AUPSRVE notamment liées à
l’inexistence des délais fixes endéans lesquels le Président du Tribunal de commerce
doit examiner en vue d’une ordonnance, la requête du créancier, au rattachement par
les acteurs judiciaires congolais au système judiciaire, du reste lacunaire et inadapté
au commerce et à l’industrie modernes, aux renvois, par le législateur OHADA, de
certaines questions importantes relatives à l’organisation, à la compétence et à la
procédure judiciaires à l’ordre judiciaire congolais dont la sécurité est mise en cause
ce jour, etc., la procédure de recouvrement des créances telle que prévue par certaines
dispositions tirées du code de procédure civile congolais procurerait vite au créancier
son titre exécutoire. Il convient de signaler que les questions relatives aux procédures
simplifiées de recouvrement ont attiré l’attention de la Cour Commune de Justice et
d’Arbitrage. Ainsi, l’injonction de payer qui a connu un abondant contentieux aussi
bien sur les conditions de recevabilité ou de mise en œuvre de la procédure que sur les
voies de recours exercées contre l’opposition à l’injonction de payer, entrainant que,
presque dans tous les cas l’objectif de simplicité et de rapidité n’est jamais atteint1519.
Les procédures d’injonction de payer, d’injonction de restituer ou de délivrer ne sont
donc plus simplifiées et ne permettent par conséquent l’obtention du titre exécution le
plus rapidement possible que la procédure congolaise d’assignation en recouvrement.

Focus sur la sanction par la jurisprudence camerounaise, des fautes de gestion


des commissaires aux comptes auprès des entreprises du secteur public et para
public

Par Docteur DJILA Rose, Chargée de cours FSJP, Université de DSCHANG,


Cameroun

                                                            
1518
Moussa SAMB, ibidem.
Etoundi Onana F., grandes tendances jurisprudentielles de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage
1519

en matière d’interprétation et d’application du droit OHADA (1997-2010), Collection pratique et


contentieux des affaires, près de 300 décisions et avis annotés et commentés par thème), Edition spéciale
octobre 2011, p.28.
 
362 

 
Introduction

Les entreprises du secteur public et parapublic au Cameroun, sont régies par


l’acte uniforme OHADA relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement
d’intérêt économique1520(AUDSGIE), et la loi n° 99/016 du 22 décembre 1999
portant statut général des Etablissements publics et des Entreprises du secteur public
et para public.1521 Epousant une forme déclarée commerçante par le droit, elles se
déploient généralement comme société anonyme1522, et peuvent avoir l’Etat, une
Collectivité Territoriale Décentralisée, plusieurs partenaires de droit public ou des
personnes morales de droit public, comme actionnaires.
La gestion de ces entreprises relève non seulement du droit privé, mais
également du droit public. En effet, la participation de l’Etat dans le capital social,
leur confère une certaine particularité. A ce titre, elles sont soumises à sa tutelle
administrative et financière,1523 et aux textes législatifs et réglementaires en vigueur
sur les marchés publics. En outre, bien que transférés en propriété et notamment par
apport pour la formation du capital et intégrés de façon définitive dans le patrimoine
de l’entreprise bénéficiaire1524, les biens du domaine privé de l’Etat demeurent des
biens publics.
L’Etat intervenant dans l’économie en créant des entreprises, en y prenant
des parts, ou en assurant la répartition des fonds publics pour l’investissement, il
importe que celles-ci soient bien gérées. Or, elles peuvent être le vecteur de
nombreux agissements fautifs, et l’établissement des comptes, l’occasion de
manœuvres dolosives aux fins de dissimulation des actes malveillants.
La comptabilité des entreprises étant tenue par un professionnel ou un
service ad hoc, il est difficile d’avancer avec certitude que les chiffres qui y sont
portés soient irréprochables tant par rapport à l’application des normes comptables et
fiscales, qu’ à une éventuelle démarche répréhensible des dirigeants, visant par
exemple à sous estimer les résultats dégagés pour payer moins d’impôts , ou exclure
un associé de la répartition des bénéfices, qu’à les doper, en vue d’obtenir un

                                                            

 1520 L’ article 1er  énonce  : «  toute société commerciale , y  compris  celle dans  laquelle  un Etat  ou une 


personne morale  de droit public est associée,  dont le siège social est situé  sur le territoire  de l’un des 
Etats  parties    au  traité  relatif    à  l’harmonisation    du  droit  des  affaires,  est  soumise    aux  dispositions  du 
présent acte» 
1521
L’alinéa  3  de  l’article  4  énonce : « les  sociétés  à  capital  public  et  les  sociétés  d’économie  mixte  sont 
crées  et  exercent  leurs  activités    conformément  aux  lois,  règlements  et  usages    régissant  les  sociétés 
anonymes, sous réserve des dispositions de la présente loi ».  
1522
La société anonyme est le moyen de réunir les capitaux avec d’autres personnes, à la réalisation d’une
activité industrielle et commerciale, sans leur faire courir un risque illimité.
1523
La tutelle est définie par la loi n° 99/016 du 22 /12/1999 portant statut général des Etablissements
Publics et des Entreprises du Secteur Public et Parapublic, comme étant le pouvoir dont dispose l’Etat pour
définir et orienter la politique du Gouvernement dans le secteur où évolue l’entreprise, en vue de la
sauvegarde de l’intérêt Général.
1524
CF article 4 de la loi précitée
363 

 
emprunt, ou intéresser d’éventuels souscripteurs de capital.1525 En effet, malgré
l’existence des organes de représentation intermédiaire, il résulte l’impossibilité pour
les partenaires de participer directement à la vie sociale ; d’où le besoin d’une
information objective, contrebalançant le pouvoir de fait des dirigeants de la société.
Le commissaire aux comptes1526, organe de contrôle externe nommé par
l’organe délibérant de l’entité contrôlée ou l’assemblée générale1527 , vient renforcer
le contrôle des organes internes de ces entreprises. L’objectif de sa mission d’intérêt
public1528est d’obtenir l’assurance raisonnable que les comptes ne comportent pas
d’anomalie significative1529.Par la certification des comptes, les actionnaires, le
banquier, le client, le fournisseur, et toute personne intéressée se trouvent plus
confiants et rassurés.
Y.GUYON a souligné à juste titre l’originalité de ce professionnel, qui «
appartient à la fois à une profession libérale avec tout ce que cela implique
traditionnellement d’indépendance individuelle et collective, et à une sorte de
magistrature du chiffre. Non seulement il juge les comptes, mais il tend à devenir de
plus en plus la conscience morale de la société1530 ».
Les scandales financiers au niveau international, notamment ceux
d’ENRON1531 aux Etats Unis, et PARMALAT1532 en Europe, ont mis à mal la
crédibilité de cette profession, eu égard à son rôle déterminant quant à la confiance
des investisseurs, et des actionnaires dans la sincérité des comptes de la société1533.Au
niveau national, le temps où ce professionnel jouissait du privilège exclusif de
l’homme de l’art dont la compétence pouvait faire l’objet d’un doute exclusivement
cartésien est dépassé. En effet, des commissaires aux comptes officiant auprès des
sociétés d’Etat, ont vu leur responsabilité être mise en cause, tant dans le cadre de
l’opération épervier1534 que devant le Conseil de Discipline Budgétaire et

                                                            

 
 
1526
Y. GUYON et G.COQUEREAU ; le nouveau statut des commissaires aux comptes ; J.C.P ed 1969,
études pratiques, n° 87150.
1527
M. VERON ; droit pénal des affaires ; 4 ème ed coll Armand colin ; P.159
1528
CH.FREYRIA ; le commissariat aux comptes, mission d’intérêt public ; JCPE 1996 I P.516
1529
D. KLING ; le rôle des commissaires aux comptes ; revue d’économie financière, 1997. vol 4 ,p 87 et s
1530
Y.GUYON ; l’indépendance des commissaires aux comptes ; JCP 1997, 1, 2831.
1531
R .NEMEDEU ; les scandales d’Enron et consorts ou le préalable à la compréhension du nouvel essor
de la corporate gouvernance ; RASJ ; Université de Yaoundé 2 .F.S.J.P Vol 5 n°1 ; 2008 P.107 et s ……
1532
S.ROUSSEAU ; la gouvernance d’entreprise à la croisée des chemins : comment restaurer la confiance
des investisseurs, In formation permanente du barreau du Québec, développement récent en droit des
affaires Ed YVON BLAIS 2003 ; P.123.B.LECOURT ; étude sur le système de contrôle et la mise en place
des règles de gouvernement d’entreprise dans l’union européenne ; rev stés 2010, P.127.
1533
Y.GUYON et G.COQUEREAU ; le commissariat aux comptes ; aspects juridiques et techniques. Revue
de la compagnie 1971, P.11
1534
Cf Affaire Ministère Public et SIC contre Gilles Roger Belinga et Consorts, Affaire Ministère Public et
Crédit Foncier contre BOOTO A NGON et consorts…
364 

 
Financière1535, (CDBF), malgré les difficultés liées à l’établissement de la preuve, en
raison de l’obligation de moyens caractérisant la mission d’audit.
Aussi, nous a-t-il semblé utile, en tenant compte du contexte actuel
caractérisé par l’intensification de la lutte contre les atteintes à la fortune publique,
des décisions rendues par les instances sus -citées et ayant fait l’objet de publication
et de commentaire dans les quotidiens camerounais1536, d’analyser le processus de
sanction de ce professionnel, en laissant délibérément certaines questions théoriques
sans application concrète.
Nous nous intéresserons à cet effet, à la nature des entorses à la législation
commises par ce professionnel dans le cadre de ses missions auprès des entreprises
publiques, et qualifiés à juste titre de faute de gestion ou d’infraction(1).Par la suite,
nous nous intéresserons à la sanction qui en est découlé(2).

Ière partie : La Nature des entorses commises par le commissaire aux comptes
auprès des entreprises publiques
Les irrégularités commises par ce professionnel exerçant sa mission auprès
d’une entreprise publique, constituent la faute de gestion, en application de l’alinéa 1
de l’article 3 de la loi n° 74/18 du 5 décembre 1974 relative à la sanction des
ordonnateurs, gestionnaires et gérants de crédits publics et des entreprises d’Etat telle
que modifiée par la loi n° 76/4 du 8 juillet 1976 qui dispose : « ...Est considéré
comme irrégularité, toute faute de gestion préjudiciable à la puissance publique
notamment…».
Tout fait relevant d’une atteinte à la discipline budgétaire et financière,
pouvant avoir une connotation pénale, la définition de la faute de gestion(1),
précèdera la détermination des irrégularités retenues par les instances compétentes(2).

A. La faute de gestion du commissaire aux comptes


Le premier impératif qui s’impose au commissaire aux comptes auprès
d’une entité publique, est le respect de la règle de droit, repérable au niveau des
différents textes régissant l’ordre public financier camerounais.1537 L’ignorance du
cadre juridique d’emploi des fonds publics constitue par conséquent une violation de
la volonté générale, susceptible de sanction.
Les faits qualifiables de faute de gestion, sont des violations des règles
encadrant l’utilisation des crédits publics, et qui constituent la discipline
financière.1538Elles s’expriment non seulement à travers les différents textes régissant
                                                            
1535
Cf affaire SODECOTON, SONARA, MATGENIE
1536
Les décisions du Conseil de Discipline Budgétaire et Financière citées dans cet article ont été rendues
publiques par la CRTV, et reprises par Cameroun tribune, du 9 août 2013.
1537
L’on peut citer entre autres, la loi no 74/18 du 5 décembre 1974 relative au contrôle des ordonnateurs,
gestionnaires et gérants des crédits publics et des entreprises d’Etat modifiée par la loi n° 76/4 du 8 juillet
1976 ; la loi des finances, des différentes circulaires sur l’exécution du budget, du code des marchés
publics, et même des bonnes pratiques
1538
P.LALUMIERE ; les finances publiques ; armand colin, paris 1980, P. 519
365 

 
les finances publiques camerounaises, mais aussi, en ce qui concerne les entreprises
publiques, dans un ensemble de dispositions législatives, réglementaires et statutaires
régissant leurs activités.
Que l’on considère cette faute dans le cadre de l’administration ou des
entreprises publiques et para publiques, le juridique prime l’économique et le
financier. Toute opération conforme à la légalité est par conséquent réputée bonne
gestion. Cependant, toutes les atteintes à la régularité formelle ne sauraient être prises
en considération. En d’autres termes, la faute de gestion de ce professionnel ne peut
être passible de sanction que s’il est démontré l’atteinte matérielle subie par la
puissance publique. L’introduction du critère économique, matérialisée par la notion
du préjudice à la fortune publique constitue dès lors un élément important.
Le champ d’application rationne materiae de la faute de gestion est
déterminé par le procédé de l’énumération formelle1539 à laquelle s’ajoute, à titre
complémentaire, ce que l’on pourrait considérer comme une clause générale, prouvant
à suffisance que les irrégularités énumérées ont simplement une valeur
indicative.1540Globalement, cette faute recouvre tout acte de commission1541 ,
d’omission 1542 ou de négligence ne s’inscrivant pas dans l’intérêt social de
l’entreprise. Son périmètre est par conséquent très large et peut regrouper même la
faute de négligence1543ou d’imprudence1544 du moment où celle-ci est suffisamment
caractérisée.
La faute de gestion peut, dans certains cas, être constitutive d’une infraction
pénale. Certes, le droit pénal a pour objet de lutter contre la malhonnêteté et de
sanctionner les manquements au devoir de probité incombant aux agents publics,
alors que le droit public financier et la discipline budgétaire et financière ont pour
objet de protéger l’argent public, dans un but d’intérêt général. Mais, le régime de
responsabilité financière mis en œuvre par le Conseil de Discipline Budgétaire et
Financière, qui couvre un champ assez vaste, constitue des éléments importants dans
le système global de protection des finances publiques, lequel englobe les infractions
pénales. En effet, l’existence des règles spécifiques constitue un moyen pour éviter en
amont, que des fraudes puissent être commises par le biais des procédures et des
contrôles particuliers. Le fait que le non respect de ces règles soit sanctionné, y
compris dans des cas dans lesquels la juridiction répressive ne peut être saisie,
représente à cet égard une garantie de sécurité supplémentaire.
L’article 3 du code pénal camerounais disposant que nulle contravention,
nul délit, nul crime ne peuvent être punis de peines qui n’étaient pas prononcés par la
loi avant qu’ils fussent commis, les fautes de gestion ayant une connotation pénale

                                                            
1539
Cf articles 3, 6, 7 de la loi de 1974.
1540
Le code des marchés publics, en son article 105 réprime également d’autres fautes de gestion.
1541
Il s’agit des actes de gestion contraires à l’intérêt de la société.
1542
Ex ne pas prévenir les actionnaires de l’existence d’une une situation déficitaire.
1543
Com, 18 Juin 1973, Rev soc 1974, p. 300, note Hémard
1544
Com 4 février 1980 ; bull crim 4 n° 55 p .43 et S……
366 

 
sont prévues dans l’AUSGIE , et réprimées par la loi n° 2003/008 du 10 juillet 2003
portant répression des infractions contenues dans certains actes uniformes OHADA.

B. Les irrégularités retenues à l’encontre des commissaires aux


comptes auprès des sociétés publiques et para publiques, par les
instances compétentes
Rentrent dans cette rubrique la violation des incompatibilités légales(a), la
certification des états financiers mensongers(b), et la non révélation des faits
délictueux (c).

1. La violation des incompatibilités légales


L’inventaire des textes relatifs à cette faute de gestion ou infraction,
précédera ses applications concrètes par les organes chargées de sa sanction
a. La législation relative à la violation des incompatibilités légales
Le Commissaire aux comptes étant au cœur de la sécurisation de
l’information financière, son indépendance est la clé de voûte de son métier1545.Défini
par PRAT dit HAUD comme la capacité de l’auditeur à résister aux pressions
extérieures de toute nature pour assurer aux tiers le respect des normes comptables1546
,cette indépendance est d’autant plus indispensable qu’il est rémunéré pour critiquer
éventuellement ceux qui l’ont désigné.1547Aussi, une attitude de subordination serait-
elle plus dangereuse pour les parties prenantes, que l’absence de tout contrôle.1548
Il peut pourtant arriver que ce professionnel soit sollicité par son client dans
certains domaines. Or, s’il lui vend des missions se rapprochant de sa fonction de
certification, sa notoriété devient un outil de promotion, impliquant de sa part la
nécessité d’éviter des remarques nuisibles. En outre, la relation résultant de
l’exécution de telles missions s’approche d’une relation commerciale qui, par essence,
n’est pas de nature à garantir l’indépendance, le risque étant de passer d’une relation
auditeur- audité, à celle de client- fournisseur. Dans une telle situation, l’opinion est
transgressée, guidée par la volonté du donneur de mandat, généralement le Directeur
Général de la structure, laquelle n’est pas dénuée de toute motivation. Cette double
relation crée également un risque de dépendance financière de la part de ce
professionnel, de telles activités ayant généralement une rentabilité plus forte. Dans
de telles conditions, l’on peut craindre que, pour protéger ces revenus
complémentaires, le commissaire aux comptes ne se soumette aux demandes du

                                                            
1545
P.LOYER ; l’indépendance des auditeurs financiers, une approche des facteurs déterminants. Thèse en
science de gestion université de Lille 1 2006, P.14
1546
Hasnae RAZGANI ; réseaux sociaux et compétence de l’auditeur de terrain ; le cas du cabinet audiet et
cgnie ; université de Paris dauphine, 22 juillet 2011, P. 65 et s…….
1547
E.GARAUD ; jurisclasseur commercial, 1085, commissaire aux comptes, 2002, P. 3, n°1
1548
Y.GUYON ; l’indépendance des commissaires aux comptes ; JCP 1977. I .283 .n° 14
367 

 
client1549, et que son activité principale ne soit considérée comme un produit d’appel
pour vendre les missions connexes 1550, réputées plus juteuses.
En vue de protéger cette indépendance1551 garante d’une bonne certification
et de la qualité de l’audit, 1552 le législateur OHADA a dressé des prohibitions sous
forme d’incompatibilité , à l’article 697 de l’AUSGIE qui énonce : « les fonctions
des commissaires aux comptes sont incompatibles avec tout acte de nature à porter
atteinte à son indépendance …….. ». Cette disposition est reprise par l’article13 de la
loi n° 99-016 du 22 décembre 1999,en ces termes: « les fonctions des Commissaires
aux comptes sont incompatibles d’abord avec toute activité ou tout acte de nature à
porter atteinte à son indépendance, et avec toute autre fonction ou emploi rémunéré,
même ponctuellement au sein de l’entreprise concernée. »
Les articles 29, 30,31 de la loi n° 2011-009- de mai 2011 relative à l’exercice
de la profession comptable libérale et au fonctionnement de l’ordre national des
experts comptables du Cameroun, énumèrent également les activités incompatibles.
b. Les applications concrètes de la violation des incompatibilités légales
i.par le Conseil de Discipline Budgétaire et Financière

Le commissaire aux comptes devant conserver une attitude d’esprit lui


permettant d’effectuer sa mission avec intégrité et objectivité1553, c’est à juste titre
que l’élaboration d’un manuel de procédures au profit du MATGENIE , et l’exercice
de la fonction d’assistant comptable ayant induit un préjudice financier, résultant de
l’exercice d’activités incompatibles , ont été retenues à l’encontre du cabinet WAC
Fiduciaire Comptable, commissaire aux comptes auprès de l’entité sus citée, par le
Conseil de Discipline Budgétaire et Financière1554.
Dans l’affaire SODECOTON, les fautes de gestion retenues à la charge des
cabinets Cameroun audit Conseil (CAC) et Experts Comptables Associés (ECA), au
titre de l’exercice des activités incompatibles par l’instance disciplinaire sus citée1555,
concernaient :
- la signature par le Cabinet CAC d’un contrat d’assistance fiscale avec la
SODECOTON
-l’administration d’une formation en contrôle de gestion par le Cabinet CAC ;

                                                            
1549
J.FORTIN et L.MARTEL ; enjeux éthiques de la réalité environnementale dans un contexte d’audit
financier ; une étude empirique comptabilité6contrôle-audit .T3, vol 12 ; sep 1992. P59-76.
1550
MOMEGOR et GRANIER ; Le commissaire aux comptes ; D 1995 n° 683. P.179
1551
L.MENARD ; indépendance, dictionnaire de la comptabilité et de la gestion financière ; 2ème ed 2004,
P.608
1552
L.RICHARD et R.REIX ; contribution à l’analyse de la qualité du processus de l’audit ; le contrôle de
la relation entre le directeur financier et le commissaire aux comptes ; comptabilité, contrôle, audit ; vol 1 ;
mai 2002, P.151
 
 
1554
CF décision du C.D.B.F. en date du 11 avril 2013
1555
Cf décision du C.D.B.F. en date du 27 mars 2013
368 

 
- l’administration d’une formation en fiscalité et émission d’opinions légales par le
Cabinet ECA.
Cette position du Conseil de Discipline Budgétaire et Financière est
parfaitement justifiée. En effet, lorsque le commissaire aux comptes exerçant comme
personne physique ou morale joue également le rôle d’assistant comptable, chargé
d’établir les états financiers, la mission d’audit devient inefficace, l’intéressé, en
situation de conflits d’intérêt, devenant juge et partie.1556 Dans de telles conditions, le
contrôle exercé ne peut qu’être illusoire.
Si certains cas d’incompatibilité, relevés par l’instance sus- citée sont
avérés, d’autres par contre suscitent des interrogations. En nous appuyant sur les
textes régissant l’exercice de cette profession, comme base d’éléments permettant de
déterminer le caractère compatible ou non des missions exécutées par les sociétés de
commissariat aux comptes, l’on relève l’exclusion de la fonction d’enseignement de
ce champ de compétence1557.Le Conseil de Discipline Budgétaire et Financière, en
l’intégrant parmi les activités interdites, a fait une interprétation excessive de la
notion d’incompatibilité.
Dans les cas d’espèce, les Cabinet CAC et ECA avaient administré des
formations en contrôle de gestion, en fiscalité et émission d’opinions légales, à
certains personnels de la SODECOTON. Une telle extension est difficilement
admissible car, l’accomplissement de cette mission ne remettait nullement en cause
l’indépendance de ces cabinets, dans l’exercice de leur mission légale. En outre, les
travaux ayant été effectivement réalisés, la contrepartie reçue était par conséquent
justifiée.
ii.par le juge repressif
Sur le plan pénal, dans l’affaire Ministère Public et Société Immobilière du
Cameroun(SIC )contre Gilles Roger Belinga et consorts1558, les commissaires aux
comptes qui avaient sollicité et obtenu du Président du Conseil d’Administration de
l’entité par eux contrôlée, qu’il leur soit accordé exceptionnellement les mêmes
avantages que ceux des administrateurs en matière des acquisitions de logement,
avaient été reconnus par le tribunal de Grande Instance du Mfoundi(TGI) statuant en
matière criminelle, coupables d’avoir agi en violation des incompatibilités légales , la
requête ayant abouti aux ventes critiquées.
Le même grief avait été retenu à leur encontre par la juridiction de céans,
s’agissant du détournement de deniers publics de 160.000.000 FCFA, suite à des
attributions frauduleuses de marchés.
Par contre dans l’affaire Ministère public et crédit foncier du Cameroun
contre BOOTO A NGON1559 et autres, la même juridiction , avait déclaré le
                                                            
1556
R.ROULIER ; de nouvelles pistes pour la gouvernance ? Bull joly, juin 2003, para 29, P.611
1557
L’article  697    de  l’acte  uniforme  OHADA,  reconnait  en  effet  comme  compatible  avec  l’exercice  des 
fonctions de commissariat aux comptes, les missions d’enseignement. 
1558
Jugement n° 680/crim du 27 septembre 2007
1559
Jugement n° 270/CRIM du 11 juillet 2008
369 

 
commissaire aux comptes auprès de ladite structure, non coupable de violation des
incompatibilités légales, dans l’accomplissement des travaux complémentaires ,
lesquelles cadraient parfaitement avec les opérations dites compatibles avec
l’exercice de son mandat, en ce qu’il s’agissait d’émission d’avis sur la conformité
avec les lois et règlements ,et sur les modalités de comptabilisation des
opérations.1560
2. la Certification des états financiers mensongers
La mission du commissaire aux comptes est de certifier1561 en justifiant de
leurs appréciations,1562 que les comptes annuels des entités contrôlées sont
réguliers1563, sincères1564, et donnent une image fidèle de la société. Cette mission de
certification est une des diligences traditionnelles de ce professionnel, dont le principe
de la régularité est le fondement intellectuel. La certification des états financiers est
par conséquent l’expression d’une opinion qualifiée .Techniquement, elle est assortie
d’observations qui permettent de suppléer aux insuffisances d’informations du rapport
que les dirigeants font à leurs associés.
Pour former son opinion, le commissaire aux comptes procède à un audit,
avec pour objectif d’obtenir l’assurance raisonnable que les comptes ne comportent
pas d’anomalies significatives. Dans ce processus, il prend en compte la notion de
risque, procède à des analyses juridiques et de conformité avec les principes
comptables. Il s’agit d’un art difficile, compte tenu des exigences du législateur en la
matière.1565A la fin de sa mission, il pourra certifier les comptes sans réserve1566, avec
réserve1567, ou refuser la certification.1568
D’une manière générale, l’irrégularité de gestion résultant de la certification
des états financiers, trouve sa raison d’être dans l’idée que le contrôle serait vidé de
son utilité, si les contrôleurs légaux pouvaient impunément donner des informations
mensongères au regard des connaissances acquises, lors des opérations de contrôle et
de vérification.

                                                            
1560
Ces missions spéciales concernaient l’appui à l’apurement des suspens, la revue des principales
fonctionnalités de l’outil informatique, le suivi du respect de la conformité du plan comptable du crédit
foncier du Cameroun, la revue critique des procédures.
1561
L’article 710 de l’AUSGIE dispose : « le commissaire aux comptes certifie que les états financiers de
synthèse sont réguliers et sincères, et donnent une image fidèle du résultat des opérations de l’exercice
écoulé, ainsi que de la situation financière, et du patrimoine de la société à la fin de cet exercice. »
1562
Colloque CREDA ; au-delà de la certification, quels nouveaux progrès pour le commissariat aux
comptes ; JCPE 1992 II 173.
1563
La régularité signifie la conformité aux lois et aux prescriptions réglementaires applicables en matière
de comptabilité
1564
Il
s’agit de l’expression claire de la situation sociale, sans déguisement ni détours.
1565
D.LANGE, la mission du commissaire aux comptes ; jurisclasseur sociétés ; 2001 ; fascicule 134-20
1566
C’est le cas lorsque les comptes présentés sont conformes à la réalité
1567
Il en sera ainsi lorsque ce professionnel met en avance certains points qu’il juge contraire aux principes
comptables
1568
Dans cette hypothèse, les comptes sont considérés comme non conformes à la réalité
370 

 
C’est la teneur du rapport du commissaire aux comptes qui doit être apprécié
en évaluant la pertinence de la certification accordée , et les observations
éventuellement formulées .Dans un second temps, et si l’information délivrée dans
le rapport apparait fausse ou à tout le moins trompeuse , l’on examine si , sur la
base d’un niveau de diligence conforme à ses obligations professionnelles, il aurait
dû prendre conscience du caractère faux ou trompeur des informations certifiées.
L’irrégularité de gestion retenue à l’encontre du cabinet WAC FIDUCIAIRE
COMPTABLE, commissaire aux comptes auprès du MATGENIE, par le Conseil de
Discipline Budgétaire et Financière, était relative à la certification d’états financiers
erronés de 2007 à 2009, en violation de l’acte uniforme OHADA, à travers entre
autres :
- l’inexistence de documents financiers légaux, la pratique non conforme de
l’amortissement, la non-conformité des comptes intermédiaires de gestion ;
- la non justification de la réévaluation de nombreuses immobilisations, d’un montant
de 9 105 051 568 FCFA ;
-les différences observées entre la valeur des immobilisations contenues dans le bilan
consolidé et celles contenues dans le tableau d’amortissement ;
-la constatation des provisions sans pièces justificatives de créance ;
-la constatation de provision lors de l’exercice 2009 sur les chèques à encaisser sans
la preuve de leur existence réelle en portefeuille ;
-la confection et la reproduction irrégulière d’états financiers par le commissariat aux
comptes.
A l’analyse des griefs relevés, on se rend compte que le dossier d’audit
contenait d’importantes négligences et lacunes, et aurait dû mettre ce professionnel
dans l’impossibilité d’obtenir une opinion significative sur l’authenticité globale des
états financiers. Pour n’avoir pas attiré l’attention des parties prenantes sur lesdites
anomalies, le lien de causalité entre la faute commise et le préjudice subi ne faisait
l’objet d’aucun doute.
3. La non révélation des faits délictueux
Il s’agit d’un des aspects les plus délicats de la mission de commissaire aux
comptes, qui devrait se faire délateur, conformément aux dispositions de l’article 899
de l’AUSGIE. Une telle dénonciation peut paraître choquante car, il peut sembler,
comme le souligne B.BOULOC, anormal qu’une personne qui n’est ni une autorité,
ni un officier public, ni un fonctionnaire, soit tenu de dénoncer des faits délictueux,
sous peine de se rendre coupable d’un délit.1569 Mais, selon Y.GUYON, « bien que
critiquée par certains, l’obligation de dénonciation paraît opportune, du moment
qu’elle est entendue de manière raisonnable, et qu’elle s’accompagne de relations
confiantes entre les commissaires aux comptes et les magistrats de parquet. Elle peut
renforcer notamment l’autorité du commissaire aux comptes à l’égard des dirigeants,

                                                            
1569
B.BOULOC ; la liberté et le droit pénal, in rev des stés ; 1989, P.377 et S ……
371 

 
en faisant prendre au sérieux les observations qu’il formule, au cas où il lui apparait
qu’un délit, sur le point d’être commis, peut encore être évité. »1570
Si l’obligation de dénonciation peut être considéré comme la meilleure
garantie qui puisse être donnée aux actionnaires, du sérieux dans lequel il est procédé
aux opérations de contrôle, il convient de relever cependant que, par sa généralité,
cette formule parait faire du commissaire aux comptes un dénonciateur officiel et
nécessaire de tout ce qui pourrait se commettre de délictueux dans l’entreprise. Elle
est d’autant plus dangereuse qu’elle est vague, et peut, sur le plan pénal, susciter des
interrogations sur la nature des faits à dénoncer, et leur qualification. En tout état de
cause, l’obligation pesant sur ce professionnel n’est pas une obligation de résultat car,
il n’est pas tenu de procéder à une recherche active de l’information, mais de
dénoncer toute infraction en matière du droit des sociétés, du droit comptable, fiscal,
et social1571, que sa situation privilégiée lui permet de découvrir.1572
Dans l’affaire SODECOTON, il était reproché par le Conseil de Discipline
Budgétaire et Financière, aux sociétés de commissariat aux comptes auprès de cette
entité, la non dénonciation de la tenue irrégulière de comptabilité, caractérisée par
la minoration du chiffre d’affaires à travers la dissimulation des recettes provenant
de :
a. la vente de tourteaux ayant causé un préjudice financier évalué à 1360 902 379
FCFA ;
b. la vente d’huile ayant induit un préjudice financier évalué à 1500195782 FCFA ;
c. des ristournes accordées sans l’aval de l’Assemblée Générale ayant généré un
préjudice financier évalué à 1509871966 FCFA.
Les sociétés de commissariat aux comptes, Co commissaires aux comptes
auprès de la Société Nationale de Raffinage (SONARA),1573 s’étaient vus pour leur
part, reprocher l’absence de dénonciation du non-respect des obligations de
performance contenue en annexe C du contrat de contrôle et d’inspection de pétrole
brut liant la SONARA au Contrôleur agrée , la faiblesse du système de contrôle
interne dans le domaine de la production, ayant induit la certification d’états
financiers non sincères ; la violation d’une convention réglementée à travers la
signature ou le renouvellement des contrats des personnels expatriés sans demande
préalable de la SONARA. Dans les deux cas, le préjudice subi par la puissance
publique était avéré.
Il ressort de ces développements que les fautes de gestion retenues à
l’encontre des commissaires aux comptes dans les cas sus cités, qui ne procédaient
pas de simples négligences, devraient amener l’homme du chiffre exerçant auprès
d’une entreprise publique à être désormais plus vigilant, d’autant plus qu’il peut être
sanctionné non seulement sur le plan répressif, mais de la discipline budgétaire et
                                                            
1570
Y.GUYON ; droit des affaires ; T.1, économica, 7èmeed ; paris 1992, P. 393.
1571
M. COZIAN, A.VIANDIER, F.DUBOIS ; droit des sociétés ; n° 841,P.447
1572
M.JEME ; la révélation des faits délictueux par les commissaires aux comptes ; juin 1973, p.27
1573
La décision date du 4 avril 2013
372 

 
financière, pour la même faute. Il convient à présent de s’interroger sur les modalités
de la sanction.

2ème partie : Les modalités de la sanction des fautes commises par les
commissaires aux comptes
Le texte à la base de la sanction sur le plan de la discipline budgétaire et
financière est l’article 1er de la loi n° 74/18 du 5 décembre 1974 relative au contrôle
des Ordonnateurs, gestionnaires et gérants de crédits publics et des entreprises d’Etat
telle que modifiée par la loi n° 76/4 du 8 juillet 1976, qui reconnait à l’instance
suscitée la compétence pour connaitre des irrégularités commises par tout agent
de l’Etat, d’une collectivité publique locale, d’un établissement ou d’un organisme
public ou parapublic ayant la qualité d’administrateur de crédits, tout commissaire
aux comptes, censeur ou commissaire de gouvernement auprès d’une entreprise
d’Etat quel qu’en soit le statut.
Le commissaire aux comptes étant, comme toute personne, sujet de droit, sa
responsabilité pénale peut être engagée à l’occasion des fautes commises dans le
cadre de l’exercice de ses fonctions. Il convient dès lors de s’interroger sur l’étendue
de la responsabilité de ce professionnel, surtout lorsqu’il agit dans le cadre d’une
société de commissariat aux comptes (A), avant de nous appesantir sur la peine
encourue (B).

A. La détermination de la responsabilité des commissaires aux comptes


Le commissaire aux comptes peut choisir d’exercer son activité en tant
qu’entité personne physique ou morale.
Lorsque la fonction est exercée par la personne physique, le problème de
responsabilité personnelle ne se pose pas, l’intéressé étant appelé à répondre des actes
qu’il pose. Lorsqu’elle est exercée en société, la question se pose de savoir qui de la
personne morale ou physique, répondra des faits, sur le plan de la discipline
budgétaire et financière.
Si, d’un point de vue contractuel, il n’est possible d’engager que la
responsabilité de celui avec lequel le contrat a été conclu, l’action contractuelle
restant en effet limitée entre les parties, la situation n’est pas la même, en présence
d’une réglementation explicite, laquelle donne à cette fonction un caractère
institutionnel1574.
1.Les textes applicables en la matière
La loi n° 2011-09 du 6 mai 2011 relative à l’exercice de la profession
comptable libérale précitée dispose en son article 28 : « la responsabilité des sociétés
reconnues par les autorités compétentes, laisse subsister la responsabilité personnelle

                                                            
1574
G.BAUBOIN ; fonctionnement et perception du contrôle par les juges ; la responsabilité du
commissaire aux comptes ; renforcement ou dérive ? Librairie technique 1989, P.413 et s…
373 

 
de chaque membre à l’égard des autorités, à raison des travaux qu’il est amené à
exécuter, pour le compte des sociétés .Ces travaux doivent être assortis de sa signature
ainsi que de sa raison sociale. »
L’article 7 de la même loi précise : « le commissaire aux comptes est
civilement responsable tant à l’égard de la société que des tiers, des conséquences
dommageables des fautes et négligences qu’il commet dans l’exercice de ses
fonctions. » Cette disposition est reprise par les articles 14 et 44 du règlement
CEMAC1575 .
Enfin, la loi n° 74/18 du 5 décembre 1974 relative à la sanction des
ordonnateurs, gestionnaires et gérants de crédits publics et des entreprises d’Etat telle
que modifiée par la loi n° 76/4 du 8 juillet 1976 énonce en son article 1 er : « tout
agent de l’Etat, d’une collectivité publique locale, d’un établissement ou organisme
public ou parapublic ayant la qualité d’administrateur de crédits, tout commissaire
aux comptes, censeur ou commissaire de gouvernement auprès d’une entreprise
d’Etat quel qu’en soit le statut, qui se rend coupable d’une des irrégularités. »
Des deux premiers textes, on peut induire que le commissaire aux comptes
qui exerce ses fonctions au sein d’une société est également responsable des
conséquences dommageables de ses fautes professionnelles.
Le troisième texte quant à lui, reconnait la compétence du Conseil de
Discipline Budgétaire et Financière pour juger exclusivement le commissaire aux
comptes, et non la société de commissariat aux comptes, dûment représentée.
Il apparait donc que la fonction de commissariat aux comptes étant
dominée par la personne physique dont les prestations au sein de la société sont
intellectuelles, et requérant la justification d’une certaine compétence en matière
financière ou comptable1576, le professionnel l’exerçant doit répondre de ses actes.
Sur un autre angle, tout rapport émanant d’une société de commissariat aux
comptes, doit comporter la signature du commissaire ayant participé à son
établissement. Or cette signature, en plus de celle de la société titulaire du mandat,
n’est pas seulement une signature technique à usage professionnel. Enfin, le système
répressif du droit public financier camerounais ayant pour but de sanctionner des
fautes, les principes généraux de droit répressif s’appliquent de façon adaptée à la
nature de la répression spécifique au Conseil de Discipline Budgétaire et Financière,
dont l’objectif est de réprimer un comportement individuel, ce qui explique que ce
soit le commissaire aux comptes , personne physique, et non la personne morale
dûment représentée, qui est justiciable devant l’instance y relative.
Sur la base de ces développements, l’on peut conclure que le législateur a
voulu personnaliser clairement les obligations légales du commissaire aux comptes,
et responsabiliser les signataires des rapports, en permettant qu’ils répondent des
fautes commises. Cette solution est d’autant plus logique que ce professionnel a eu
                                                            
1575
Règlement n0 11/01/UEAC/027/CM/07 portant révision du statut des professionnels libéraux de la
comptabilité
1576
J. GATSI ; commissaires aux apports et commissaires aux comptes ; encyclopédie OHADA, p, 535
374 

 
une connaissance suffisante de la situation de l’entreprise dans le cadre de l’exercice
de sa mission, et a assumé les décisions les plus significatives.
Cette position du législateur camerounais est du reste celle en vigueur en
France, où la Cour de Cassation , dans un arrêt rendu le 11 juillet 2006, affirmait
déjà : « le commissaire aux comptes certifiant les comptes au nom de la société de
commissariat aux comptes dont il est membre, agit en qualité d’associé, d’actionnaire
ou de dirigeant de cette société, non en qualité de salarié de celle-ci, peu important
qu’il soit lié à la société de commissariat aux comptes par un contrat de travail »1577.
Dans une autre décision en date du 23 mars 2010, elle a confirmé sa position
en ces termes : « …..Mais le commissaire aux comptes agissant en qualité d’associé,
d’actionnaire ou de dirigeant d’une société titulaire d’un mandat de commissaire aux
comptes répond personnellement des actes professionnels qu’il accomplit au nom de
cette société, quelle qu’en soit la forme …. »1578

2.La position du Conseil de Discipline Budgétaire et Financière


Malgré la clarté des textes sus évoqués, le Conseil de Discipline Budgétaire
et Financière statuant dans les affaires sus citées, a choisi de ramer à contrecourant.
Prenant acte de ce que « les commissaires personnes physiques n’étaient que les
représentants des personnes morales, agissant sur la base de leur personnalité
juridique propre, distincte de celle des personnes physiques mandatées par elles
respectivement, dans le cadre des affaires relevant de l’exercice de ces fonctions »1579,
cette instance a retenu les fautes de gestion exclusivement à l’encontre des personnes
morales représentées par les personnes physiques.
Dans l’affaire MATGENIE, la décision est ainsi libellée : « le Conseil de
Discipline Budgétaire et Financière a retenu à l’encontre du cabinet WAC
FIDUCIAIRE COMPTABLE, commissaire aux comptes auprès du Mat génie,
représenté par monsieur NKAMEDJO NYA Robert, les fautes de gestion ci-
après………… »
Dans l’affaire SONARA, « le Conseil de Discipline Budgétaire et
Financière a retenu à l’encontre de messieurs René LIBONG et Daniel KAPSSU, Co
commissaires aux comptes auprès de la société de raffinage représentant les cabinets
K.P.M.G et K et cgnie, les fautes de gestion ci-après…. »
La même formulation a été utilisée en ce qui concerne les commissaires aux
comptes impliqués dans l’affaire SODECOTON. 1580
Il ressort de toutes ces décisions que le Conseil de Discipline Budgétaire et
Financière a choisi de mettre en cause tantôt de manière exclusive, tantôt par le

                                                            
1577
Cité par R.AUGUSTIN ; la responsabilité des commissaires aux comptes, éd dalloz Sirey, coll. Dalloz
ref 2008-2009
1578
Rev des sociétés Mai 2010, p.176
1579
Cf toutes les décisions du C.D.B.F relatives aux commissaires aux comptes
1580
Le verdict de l’affaire relative à la gestion de la Société de développement du coton (SODECOTON)
a été rendu le 27 mars 2013 ;
375 

 
biais de ses représentants, la responsabilité de la personne morale, en opérant une
distinction entre le signataire social et le signataire technique du rapport. L’on peut
dès lors en déduire que le mandataire social apposant sa signature au bas du rapport,
accomplit un acte dont il ne doit pas répondre.
Or, S’il n’est pas contesté qu’une société de commissariat aux comptes a une
personnalité juridique 1581, il convient de reconnaitre qu’elle n’accomplit les actes de
la profession que par l’intermédiaire des personnes physiques qui en sont membres, et
qui doivent être des commissaires aux comptes, de sorte que les fautes commises dans
l’exercice des missions confiées à la société, le sont en réalité par ces derniers.
Cette étrange logique de la responsabilité exclusive de la société
commerciale, être totalement désincarné1582, qui trouve en son organe ou en son
représentant l’expression physique et morale dont elle a besoin pour fonctionner,
suscite des interrogations, en ce qu’elle constitue une violation manifeste des textes
aussi clairs et catégoriques. Elle est d’autant plus incompréhensible que la faute de
gestion , dans ce contexte, est un manquement aux obligations professionnelles des
agents, engageant les finances publiques1583 , et cette instance, dans le cadre de ses
attributions, est obligée de rechercher si la personne physique, qui a trébuché sur la
réglementation, n’était pas dans une situation telle que la chute était inévitable. En
attendant la position de la Chambre Administrative de la Cour Suprême, saisie en
appel par les justiciables, cette situation inconfortable, a des conséquences fâcheuses
en termes de protection de la fortune publique.
Sur le plan de la responsabilité pénale, le professionnel agissant pour le
compte de la personne morale, peut être sanctionné, dès lors que les éléments
constitutifs de l’infraction sont réunis.

B. Les différentes sanctions prononcées à l’encontre des commissaires


aux comptes
Lorsqu’à l’issue de l’instruction d’une affaire, la faute de gestion est établie,
la loi n° 74/18 du 5 décembre 1974 relative à la sanction des ordonnateurs,
gestionnaires et gérants de crédits publics et des entreprises d’Etat telle que modifiée
par la loi n° 76/4 du 8 juillet 1976, autorise l’instance compétente à prononcer des
amendes spéciales1584 et des débets1585.
Sur la base de la distinction de la personnalité juridique de la personne
morale et de la personne physique, la réparation du préjudice subi par la puissance
publique évalué par le Conseil de Discipline Budgétaire et Financière, a été, dans les

                                                            
1581
J.J.DAIGRE, Rev. sociétés, mai 2010, P.174 et s.
1582
J.C.Saint Pau ; l’insécurité juridique de la détermination du responsable en droit pénal de l’entreprise ;
Gaz.Pal 9-10 fev 2005 ; p.10
1583
PH. SAUNIER ; la faute de gestion dans la jurisprudence de la cour de discipline budgétaire et
financière ; rev.fr ; de droit administratif ; nov 1992 ; p. 1055 et s.
1584
Le montant de l’amende est compris entre 200 000 et 2.000.000 FCFA
1585
Le débet est mis à la charge de l’agent fautif, pour le montant du préjudice subi.
376 

 
cas sus mentionnés, mis exclusivement à la charge de la personne
morale1586 .Certes, l’on peut comprendre que cette position soit guidée par le fait que
la personne morale est réputée plus solvable. Mais, cette position, outre le fait qu’elle
est en contradiction avec l’article 3 de la loi de 1974 précitée qui tient pour
responsable les personnes physiques, peut prêter à conséquence, dès lors que le
patrimoine de la société, constitué de la somme minimale requise par le législateur
OHADA1587 , s’avère insuffisant pour réparer le préjudice subi.
Sur le plan pénal, l’infraction au devoir de vérité , prévu à l’article 110 de la
loi de 1999, est ainsi libellé : « est punie des peines prévues à l’article 3131588 du code
pénal, le commissaire aux comptes d’une entreprise qui a sciemment donné, certifié
ou confirmé des informations mensongères sur la situation de ladite entreprise, ou
qui n’a pas porté à la connaissance des organes compétents les faits délictueux dont
il a eu connaissance. »
L’infraction suppose donc qu’il y ait la communication d’informations
concernant la société, et que l’information, en rapport avec la mission de commissaire
aux comptes, soit mensongère. En pratique, le rapport de certification constitue le
vecteur privilégié du mensonge1589.
L’action publique se prescrit par trois ans, et le délai commence à courir du
jour où l’information incriminée a été donnée ou confirmée par le commissaire aux
comptes. Le point de départ pour la computation du délai de prescription est fixé au
jour de la commission du fait infractionnel.
Dans l’affaire crédit foncier précitée par exemple, les états financiers de cette
structure dont la sincérité était remise en cause étant ceux des exercices 97-98, 98-99,
99-2000, 2000-2001. Ces faits avaient été découverts et révélés par la mission
conjointe MINEFI /Contrôle supérieur de l’Etat, sur le contrôle général de la gestion
du Crédit Foncier du Cameroun effectué de mai à décembre 2002. L’irrecevabilité de
l’action publique a été admise par la juridiction compétente parce que le début des
poursuites à l’encontre du commissaire aux comptes ayant eu lieu en mars 2006,

                                                            
1586
Le conseil,   a   ainsi décidé  d’infliger une amende spéciale de  2.000.000 FCFA à  chacun des cabinets 
KPMG  et  K  et  cgnie   co  commissaires  aux  comptes  auprès  de  la  SONARA,  pris  individuellement  pour 
l’ensemble  des  fautes  commises  dans  le  cade  de  ladite  affaire  SONARA ,  a    constitué  le    Cabinet    WAC 
FIDUCIAIRE COMPTABLES, débiteur  de la somme de 48.498.250 FCFA représentant le préjudice financier 
subi  par      le  MATGENIE  de  son      fait,  dans  le  cadre    d’une  prestation  de  service ,  a  constitué  débiteur 
envers la  de la SODECOTON  pour un montant de 229 017 500 FCFA, cabinet CAC , et 120000000 FCFA  le 
Cabinet ECA, représentant le préjudice  financier subi par ladite entité ;Une amende de 2 000 000 FCFA a 
été  infligée  à  chacun  des  Cabinets,  pour  l’ensemble  des  fautes  de  gestion  commise  dans  le  cadre  de  la 
présente affaire. 
1587
Ce serait le cas lorsque la personne morale est une S.A.R.L., et même une S.A. constitué avec le
montant minimal requis par l’AUSGIE ;
1588
Au terme des dispositions de l’article 313 du code pénal, cette infraction est punie d’un
emprisonnement de 1 à 5 ans, et d’une amende de 50.000 à 1.000.000 FCFA.
1589
Y.CHAPUS, le commissaire aux comptes, partenaire de l’entreprise ; ed. presse de la fonction nationale
des sciences politiques, 1999, P.111
377 

 
soit quatre années plus tard, la prescription était déjà acquise. La même remarque
avait été faite en ce qui concerne la non révélation des faits délictueux.
En ce qui concerne la violation des incompatibilités légales, l’article 16 de la
loi n° 2003/008 du 10/07/2003 portant répression des infractions contenues
dans certains actes uniformes OHADA, réprime cette infraction d’un emprisonnement
de 2 à 5 ans, et d’une amende de 200.000 à 5.000.00 FCFA , ou de l’une des deux
peines. Dans l’affaire SIC cependant, ces incompatibilités recelant la fraude, ont été
assimilés à des détournements de fonds publics, passible des peines prévues à l’article
184 du code pénal.1590

Conclusion
La judiciarisation du comportement des acteurs de la vie économique dans les
sociétés modernes est une réalité incontournable .A cet égard, les pouvoirs publics et
les individus affichent désormais une propension accrue à rechercher un responsable
face à la survenance d’évènements défavorables. Le commissaire aux comptes
n’échappe pas à cette règle .Exerçant une mission d’intérêt public1591 comparée à
juste titre au contrôle administratif exercé sur les services publics et les établissements
publics par les autorités compétentes1592, la pression exercée sur lui, écartelé entre les
entreprises qu’il contrôle et la justice qui lui demande d’être garant de l’ordre public
économique est justifiée.
Face au risque important que présente l’entreprise publique pour ce
professionnel des chiffres, matérialisé par la possibilité de répondre de ses actions
devant le juge judiciaire et le Conseil de Discipline Budgétaire et Financière, Il
faudrait donc, comme le soulignait René RICOL1593, qu’il prenne la mesure de la
pression qui s’exerce sur lui et en tire les conséquences dans le cadre de l’exercice de
ses fonctions, en termes de manifestation d’indépendance, surtout que, outre le
patrimoine de la personne morale, le sien peut également être engagé pour la
réparation du préjudice subi par la puissance publique.
Il reste à souhaiter que le Conseil de Discipline budgétaire et Financière, dans le
cadre de ses activités, prenne la pleine mesure des textes législatifs en termes de
compétence, de respect des incompatibilités, et de subsistance de la responsabilité
personnelle du commissaire aux comptes exerçant ses fonctions dans le cadre d’une
société, et en tire toutes les conséquences de droit.

                                                            
1590
Ces commissaires aux comptes avaient été reconnus coupables de détournement de deniers publics
chacun à hauteur de 165.251.000 FCFA, pour avoir frauduleusement obtenu les marchés publics, et des
logements K 04 et L04, de SIC MAKEPE à DOUALA ; ils avaient été condamnés à 25 ans
d’emprisonnement ferme.
1591
A.LALA ; le commissaire aux comptes, garant de la transparence financière ou coupable idéal ? Gaz.
Pal 11 aout 2012, P.25.
1592
H.C. FREYRIA ; le commissaire aux comptes ; mission d’intérêt public ? J.C.P.E.1996, P.516 et s…
1593
G.VIAL et V. de SENNEVILLE; l’affaire Enron Anderson bouscule la profession comptable; les
échos n° 18577 du 22 janvier 2002; P. 16
378 

 
LE DEVOIR D’ALERTE DU COMMISSAIRE AUX COMPTES
DANS LES SOCIETES COMMERCIALES DE L’ESPACE OHADA

Par Dr. Priscille Grâce DJESSI DJEMBA, Assistante à la Faculté des Sciences
Juridiques et Politiques de l’Université de Douala, Cameroun.

Résumé

La protection des investissements et de l’environnement économique est une


question, qui revient sans cesse au sein des Etats membres de l’Organisation pour
l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique.
La récente réforme de l’Acte Uniforme relatif au Droit des Sociétés
Commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique témoigne, de l’importance
que le législateur OHADA accorde à la mise en place, d’un cadre juridique favorable
aux investissements, mais aussi à la protection des intérêts des divers acteurs qui
participent au fonctionnement des sociétés commerciales1594.
La procédure d’alerte à l’initiative du commissaire aux comptes figure, en
bonne place parmi le dispositif prévu par le législateur OHADA pour assurer la
sauvegarde des différents intérêts en jeu. On peut cependant s’interroger sur son
efficacité dans les sociétés commerciales dans lesquelles, la présence du commissaire
aux comptes est nécessaire.

Introduction :

L’organisation et le fonctionnement d’une société commerciale reposent sur


un ensemble de règles auxquelles doivent se soumettre les dirigeants sociaux et les
actionnaires ou associés, dans le but d’assurer la bonne marche de celle-ci. En effet,
souligne un auteur, « outre le fait de faciliter l’accumulation des capitaux, la société
est considérée comme étant une technique d’organisation de l’entreprise ou une
technique de gestion pouvant permettre, le cas échéant, la séparation de la propriété
du pouvoir de direction ou de gestion et faciliter, le moment venu, la transmission de
l’entreprise pour cause de mort ou même entre vifs. »1595

                                                            
1594
Voir dans ce sens « Droit des sociétés commerciales OHADA rénové. Un atout pour les investissements
en Afriques » in Droit et Patrimoines, n° 239 – septembre 2014.
1595
Filiga Michel SAWADOGO, L’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE :
formation des formateurs magistrats module 1 et 2 du 22 juillet au 9 août 2002, p. 5,
http://biblio.ohada.org/greenstone/collect/dohada/index/assoc/HASHfe6f.dir/acte-uniforme-relatif-au-droit-
des-societes-commerciales-et-du-gie-formation-des-formateurs-magistrats-module1-2.pdf.
379 

 
Ces règles qui sont notamment précisées par l’Acte Uniforme relatif au Droit
des Sociétés Commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique1596, ont entre
autres pour objectif, l’encadrement des activités de la société, mais aussi celui des
rapports que les dirigeants sociaux entretiennent avec les actionnaires ou associés
d’une part, et les tiers d’autre part.
L’idée d’instituer de telles règles constitue donc une mesure indispensable au
regard, des difficultés auxquelles font face les sociétés et du risque de faillite qu’elles
encourent du fait de la mauvaise gestion des dirigeants sociaux et des conséquences
préjudiciables aux actionnaires ou associés, aux salariés et aux tiers, dont la protection
doit nécessairement être prise en compte. Il ne faut pas oublier la protection de
l’environnement économique qu’offrent ces règles dans le cadre de la mise en place
sur le plan régional, d’une politique tendant à encourager les investissements tant
nationaux qu’internationaux1597.
Parmi les mesures envisagées figure, l’obligation faite aux commissaires aux
comptes de relever et dénoncer les faits qui pourraient entraver la continuité des
activités de la société. Cette obligation énoncée dans les articles 150 à 156-1 de l’Acte
Uniforme relatif au Droit des Sociétés Commerciales et du Groupement d’Intérêt
Economique1598 est l’une des mesures permettant aux actionnaires ou associés de
contrôler indirectement, à travers l’intervention légale d’un tiers, les actions des
dirigeants sociaux relatives à la gestion comptable et financière de la société. Elle est
matérialisée dans le cadre d’une procédure spéciale appelée la procédure d’alerte. Se
présentant comme « un mode de traitement non judiciaire des difficultés des
entreprises »1599, elle a pour principal objectif « d’informer le chef d’entreprise de
tout fait de nature à compromettre « la continuité de l’exploitation »1600, c’est-à-dire
« de neutraliser tout risque sérieux, susceptible d’entrainer la cessation
                                                            
1596
Acte Uniforme relatif au Droit de Sociétés Commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique
adopté le 30/01/2014 à Ouagadougou et entrée en vigueur le 05/05/2014. Voir aussi, OHADA : Droit des
sociétés commerciales et du GIE, commentaires, EDICF/EDITIONS FFA, 1998, 319 p. ; Oumar SAMBE
et Mamadou Ibra DIALLO, GUIDE pratique des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt
économique (GIE) OHADA. Jurisprudence OHADA : schémas didactiques, modèles (statuts, procès-
verbaux et autres formulaires), Editions Comptables et Juridiques 2008.
1597
Voir sur la question, Henri-Désiré MODI KOKO, « La réforme du droit des affaires de l’Ohada au
regard de la mondialisation de l’économie », http://www.institut-idef.org/La-reforme-du-droit-des-
affaires.html.
1598
Il faut préciser qu’en plus de l’Acte Uniforme relatif au Droit des Société Commerciales et du
Groupement d’Intérêt Economique, la profession de commissaire aux comptes est régie dans la sous-région
CEMAC dont fait partie le Cameroun par le Règlement n° 11/01-UEAC-027-CM-07 du 5 décembre 2001,
portant révision du statut des professionnels libéraux de la comptabilité et les normes d’audit externe,
éditées par l’International Federation of Accountants. Voir aussi en ce qui concerne le Cameroun la loi n°
2011/009 du 6 mai 2011 relative à l’exercice de la profession comptable libérale et au fonctionnement de
l’ordre national des experts comptables du Cameroun.
1599
Athanase FOKO, « L’essor de l’expertise de gestion dans l’espace OHADA », in Les mutations
juridiques dans le système OHADA, sous la direction de André AKAM AKAM, Harmattan, 2009, n° 5, p.
144.
1600
Athanase FOKO, idem, p. 144.
380 

 
d’exploitation et donc, de justifier le redressement judiciaire ou la liquidation des
biens de la société concernée. »1601
Si d’un point de vue théorique l’utilité de cette procédure n’est plus à
démontrer, on pourrait légitimement s’interroger sur l’étendue de sa portée par
rapport au résultat escompté. Cette procédure est-elle suffisamment efficace ? En
effet, l’obligation du commissaire aux comptes de relever ces faits de nature à
compromettre la continuité de l’exploitation à travers la procédure d’alerte apparaît,
comme le gage d’une sécurité juridique (I), cependant, elle se présente dans le cadre
des relations que ce dernier entretient avec les dirigeants sociaux comme une trahison
des malversations commises par ceux-ci (II).

I- Une obligation synonyme de sécurité juridique

En prenant le parti d’encadrer dans un texte régional l’organisation et le


fonctionnement des sociétés commerciales, le législateur OHADA manifeste sa
volonté de protéger la vie de la société, mais aussi les intérêts des personnes qui
contribuent à son essor et l’environnement économique d’une manière générale. Il
apparaît assez souvent pour des raisons diverses, que la société connaisse des
difficultés, dont l’ampleur constitue selon les cas, un danger pouvant entrainer sa
faillite ou des mesures de redressement judiciaire difficilement acceptables.
Afin, d’éviter d’en arriver là, le législateur OHADA a prévu en amont de ces
mesures de redressement judiciaire, la possibilité de prévenir les dirigeants sociaux
des dangers que la société encourt du fait de leur mauvaise gestion, notamment
financière. Cela se fait entre autres à travers la procédure d’alerte, qui se présente
comme une mesure protectrice des intérêts aussi bien des actionnaires ou associés, des
salariés et créanciers de l’entreprise, que de cette dernière elle-même (B). Mais la
procédure d’alerte est avant tout une mesure préventive1602 et de contrôle des
dirigeants sociaux (A).

A- La procédure d’alerte par le commissaire aux comptes, une mesure


préventive et de contrôle des dirigeants sociaux

Le fonctionnement de la société repose en grande partie sur les choix opérés


par les dirigeants sociaux. Ces choix sont issus de l’association de considérations
objectives, mais parfois aussi subjectives, qui ne cadrent pas toujours avec l’intérêt
social. C’est pourquoi, le législateur a institué un contrôle effectué par le commissaire
                                                            
1601
Athanase FOKO, idem, p. 144. ; voir également Oumar SAMBE et Mamadou Ibra DIALLO, op. cit., p.
3.
1602
Filiga Michel. SAWADOGO, OHADA-Droit des entreprises en difficultés, Coll. Droit Uniforme, Ed.
Bruylant, Bruxelles, 2002 ; Euloge Mesmin KOUMBA, Droit de l’OHADA : prévenir les difficultés des
entreprises, Ed. L’Harmattan, 2013, n° 10, p. 21.
381 

 
aux comptes, à travers la procédure d’alerte. Son déroulement (2) repose sur des
motifs déterminés par l’Acte Uniforme relatif au Droit des Sociétés Commerciales et
du Groupement d’Intérêt Economique (1).

1- Les motifs du déclenchement de la procédure d’alerte par le commissaire aux


comptes

La procédure d’alerte telle qu’elle est prévue par le législateur OHADA


apparaît comme une mesure préventive des difficultés1603 qui peuvent constituer un
danger pour la continuité des activités de la société. Les motifs justifiant son
déclenchement par le commissaire aux comptes sont clairement définis par l’Acte
Uniforme relatif au Droit des Sociétés Commerciales et du Groupement d’Intérêt
Economique.
En effet, qu’il s’agisse des sociétés par actions (société anonyme ou société
par actions simplifiées) ou des sociétés autres que les sociétés par actions (société en
nom collectif, société en commandite simple, la société à responsabilité limité…), les
motifs de déclenchement de la procédure d’alerte par le commissaire aux comptes
sont les mêmes1604. Aux termes de l’article 150 de l’Acte Uniforme relatif au Droit
des Sociétés Commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique, « Le
commissaire aux comptes, dans les sociétés autres que les sociétés anonymes,
demande par lettre au porteur contre récépissé ou par lettre recommandée avec
demande d’avis de réception des explications au gérant qui est tenu de répondre, dans
les conditions et délais fixés aux articles suivants, sur tout fait de nature à
compromettre la continuité de l’exploitation qu’il a relevé lors de l’examen des
documents qui lui sont communiqués ou dont il a connaissance à l’occasion de
l’exercice de sa mission. » Ce texte est repris, à l’article 153 de l’Acte Uniforme
relatif au Droit des Sociétés Commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique
selon les mêmes termes en ce qui concerne les sociétés par actions.
Ainsi, d’après ces textes, la procédure d’alerte est engagée lorsque le
commissaire aux comptes constate, au regard de l’examen des documents qui lui
sont communiqués par les dirigeants sociaux ou dont il a connaissance à l’occasion de
l’exercice de sa mission, qu’il existe des faits de nature à compromettre la continuité

                                                            
1603
Michel LECERF, « OHADA, la procédure d’alerte : un nouveau moyen de prévention des difficultés
des entreprises », in Afrique, Harmonisation du droit des affaires OHADA : CJFE/CFCE, 1998, n° 2, p.
325 et s.
1604
Il faut noter que dans les sociétés coopératives, bien que la procédure d’alerte ait été prévue, elle n’est
pas effectuée par le commissaire aux comptes. Le contrôle préventif est assuré par un conseil ou une
commission de surveillance selon le type de société coopérative concernée. Voir Art. 119 de l’Acte
Uniforme relatif au Droit des Sociétés Coopératives adopté le 15 décembre 2010 à Lomé. Aux termes de
l’article 4 dudit Acte, « La société coopérative est un groupement autonome de personnes volontairement
réunies pour satisfaire leurs aspirations et besoin économiques, sociaux et culturels communs, au moyen
d’une entreprise dont la propriété et la gestion sont collectives et où le pouvoir est exercé
démocratiquement et selon les principes coopératifs. »
382 

 
de l’exploitation. Deux conditions sont donc nécessaires au déclenchement de la
procédure d’alerte. Il faut tout d’abord l’existence d’un fait. Il faut ensuite que ce fait
constitue un danger pour la société, c’est-à-dire qu’il soit de nature à compromettre la
continuité de l’exploitation.

- L’existence d’un fait

Il faut relever à la lecture de ces conditions, que le législateur OHADA


n’apporte pas de précisions claires sur ce qu’il considère comme « fait » de nature à
compromettre la continuité de l’exploitation. S’il est vrai que l’élément déclencheur
de la procédure d’alerte par le commissaire aux comptes peut résulter d’un fait
unique, le législateur OHADA ne le définit pas précisément. On peut toutefois relever
sans avoir la prétention d’être exhaustive, que le ou les faits de nature à compromettre
la continuité de l’exploitation se rapportent soit à l’état financier de la société, soit à
son exploitation. On peut retenir également des éléments tenant compte de
l’environnement socio-économique de la société.
Ainsi, s’agissant de l’état financier de la société, le fait de nature à
compromettre la continuité de l’exploitation peut directement ou indirectement être
lié à la trésorerie et faire ressortir un problème de solvabilité de la société vis-à-vis de
ses créanciers par exemple. On peut par conséquent relever parmi les hypothèses qui
peuvent ternir la situation financière de la société, un état négatif de sa trésorerie
entrainant une incapacité de régler les créanciers à l’échéance, un renouvellement ou
un report d’échéances des dettes. On peut également retenir l’absorption d’une filiale
en difficulté ou encore la décision d’une société mère de supprimer ses aides à sa
filiale. D’autres situations pourraient attirer l’attention du commissaire aux comptes.
Il s’agit entre-autres, de la dégradation du fonds de roulement ou des principaux
équilibres financiers, du déficit des capitaux propres, de l’exigence de sûretés
exorbitantes par les tiers ou encore de l’insolvabilité d’un débiteur très important à la
société.
La liste de ces faits liés à l’état financier de la société n’est pas exhaustive,
cependant elle permet de se rendre compte du champ étendu des faits qui peuvent
provoquer la mise en œuvre de la procédure d’alerte par le commissaire aux comptes.
Ces faits résultent parfois d’un problème lié à l’exploitation de la société. Il peut ainsi
s’agir de la perte de marchés importants, de l’impossibilité de s’autofinancer, de frais
financiers trop élevés, d’une absence d’activité ou sous-activité sur une longue
période. Comme en matière de l’état financier de la société, la liste des faits de nature
à compromettre la continuité de l’exploitation ici n’est pas exhaustive.
Enfin, en ce qui concerne les faits relatifs à l’environnement socio-
économique, il faut noter qu’ils peuvent avoir un impact négatif tant sur l’état
financier de la société que sur son exploitation. C’est précisément le cas lorsque
surviennent des conflits sociaux de longue durée. Il en est de même en cas de
destruction ou de perte de l’outil de production, de catastrophe naturelle empêchant le

383 

 
fonctionnement normal de la société, d’inexécution du contrat par un tiers, de
procédures judiciaires en cours, ou encore d’une législation défavorable.

-L’existence d’un fait constituant un danger pour la continuité de


l’exploitation
Si les différents faits cités ci-haut sont susceptibles d’attirer l’attention du
commissaire aux comptes, il faut également qu’ils soient de nature à compromettre la
continuité de l’exploitation, afin d’activer la procédure d’alerte. Cela suppose donc en
amont une appréciation de ces derniers. Ceci n’est possible que si le commissaire aux
comptes en a connaissance à l’occasion de l’exercice de sa mission ou lors de
l’examen des documents. Il faut noter qu’il n’y a pas une systématisation dans la
recherche des faits susceptibles d’entraver la continuité de l’exploitation. Le
commissaire aux comptes a certes l’obligation de déclencher la procédure d’alerte
lorsque les faits l’imposent, mais il ne procède pas à une chasse aux sorcières contre
les dirigeants sociaux. Son rôle est de contrôler, lors de l’examen des documents
sociaux ou lors de l’exercice de sa mission, la situation comptable de la société et de
prévenir les dirigeants sociaux sur les risques qu’encourt la société et l’incidence de
ceux-ci sur la continuité de l’exploitation.
La continuité de l’exploitation est un élément déterminant dans la vie d’une
société commerciale. Elle se pose comme un principe comptable1605 devant être pris
en compte par les dirigeants sociaux dans le cadre du fonctionnement de la société.
L’article 39 de l’Acte Uniforme portant organisation et harmonisation des
comptabilités des entreprises précise qu’ « En application du principe de continuité
de l’exploitation, l’entreprise est normalement considérée comme étant en activité,
c’est-à-dire comme devant continuer à fonctionner dans un avenir raisonnablement
prévisible. Lorsqu’elle a manifesté l’intention ou quand elle se trouve dans
l’obligation de se mettre en liquidation ou de réduire sensiblement l’étendue de ses
activités, sa continuité n’est plus assurée et l’évaluation de ses biens doit être
reconsidérée. » L’alinéa 2 de cet article souligne qu’ « Il en est de même quand il
s’agit d’un bien – ou d’un ensemble de biens – autonome dont la continuité
d’utilisation est compromise en raison notamment de l’évolution irréversible des
marchés ou de la technique. »
C’est dire que si le fait relevé par le commissaire aux comptes n’entrave pas
la continuité de l’exploitation, ce dernier n’a pas l’obligation de déclencher la
procédure d’alerte. Il faut donc un lien de cause à effet entre le fait relevé et la
continuité de l’exploitation1606. Lorsque cette dernière ne peut plus être assurée
normalement, il est du devoir du commissaire aux comptes de déclencher la procédure
d’alerte en tenant compte de la nature de la société.
2- Le déroulement de la procédure d’alerte
                                                            
1605
Art. 39 de l’Acte Uniforme portant Organisation et Harmonisation des Comptabilités des Entreprises.
1606
Sur l’incertitude dans l’établissement du lien de causalité, voir Christian BYBI, « Statut Professionnel
et Responsabilité du Commissaire aux Comptes au Cameroun. », Editions, Dianoïa, 2013, p. 21 et s.
384 

 
Le déroulement de la procédure d’alerte par le commissaire aux comptes
varie en fonction du type de société. On distingue la procédure d’alerte dans les
sociétés par actions de la procédure effectuée dans les sociétés autres que les sociétés
par actions.

- La mise en œuvre de la procédure d’alerte dans les sociétés par actions

Il s’agit des sociétés anonymes et des sociétés par actions simplifiées. Selon
les termes de l’article 153, lorsque dans le cadre de l’exercice de sa mission ou lors de
l’examen des documents sociaux, le commissaire aux comptes relève un fait de nature
à compromettre la continuité de l’exploitation, il demande des explications, soit au
président du conseil d’administration, soit au président-directeur général ou bien à
l’administrateur général.
La demande d’explications est adressée aux personnes susmentionnées sous
la forme, d’une lettre au porteur contre récépissé ou bien sous la forme d’une lettre
recommandée avec demande d’avis de réception. Un tel dispositif servira en cas de
besoin, de moyen de preuve en cas de conflit entre le commissaire aux comptes et ces
dernières. Suivant la même forme, celles-ci éclaircissent les différents points sur
lesquels le commissaire aux comptes attend des réponses précises. Ces
éclaircissements sont effectués dans un délai de quinze jours, à compter de la date de
réception de la demande d’explication1607. Le législateur OHADA précise que les
explications fournies reposent sur une analyse de la situation et éventuellement sur les
mesures prévues pour endiguer les faits constituant un danger pour la continuité des
activités de la société.
Il est important de souligner que le délai de quinze jours prévu par le
législateur OHADA, afin de permettre au président du conseil d’administration, au
président-directeur général ou à l’administrateur général de répondre à la demande
d’explication du commissaire aux comptes présente l’avantage d’être court, ce qui
permet à ce dernier, lorsqu’il estime que le fait constaté est de nature à compromettre
la continuité de l’exploitation, de prendre les mesures nécessaires tendant à prévenir
les dirigeants sociaux, les actionnaires et le cas échéant la juridiction compétente.
À cet effet, en cas de silence des personnes visées ci-haut, ou lorsque le
commissaire aux comptes estime que les éclaircissements fournis ne sont pas
satisfaisants, il invite sous la même forme prévue à l’article 154 de l’Acte Uniforme
relatif au Droit de Sociétés Commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique, le
président du conseil d’administration ou le président-directeur général à faire
délibérer le conseil d’administration ou encore l’administrateur général ou le
président à se prononcer sur les faits constatés et ceci dans un délai de quinze jours
suivant la réception de la réponse ou la constatation de l’absence de réponse dans le

                                                            
1607
Art. 154 A.U.D.S.G.I.E.
385 

 
délai de 15 jours. La délibération sur les faits s’effectue dans les 15 jours qui suivent
la lettre du commissaire aux comptes en présence de ce dernier.
De manière générale, toutes ces formalités et précautions prises par le
commissaire aux comptes lui permettent, non seulement d’acquérir les informations
nécessaires et précises dont il a besoin1608 pour le bon accomplissement de sa mission,
mais surtout d’informer les dirigeants sociaux et les actionnaires sur l’état de la
société. Une telle démarche a aussi pour but de décharger le commissaire aux comptes
de toute responsabilité si la situation de la société venait à se dégrader.
La présence du commissaire aux comptes à la séance de délibération est
nécessaire, car elle apparaît comme un gage de transparence pour les actionnaires, qui
doivent recevoir une information claire et précise, sur la gestion de la société par les
dirigeants sociaux et surtout sa situation financière. Aussi, à l’issue du conseil, un
extrait du procès-verbal de la délibération lui est-il remis, ainsi qu’à la juridiction
compétente dans le mois qui suit celle-ci. La délibération du conseil d’administration
ou la décision de l’administrateur général ou du président permet donc au
commissaire aux comptes d’avoir de plus amples informations, quant aux faits relevés
qui sont de nature à compromettre la continuité de l’exploitation.
Lorsqu’en dépit des explications données ou en cas de silence des dirigeants,
le commissaire aux comptes réalise que le risque de la compromission de la continuité
de l’exploitation est bien réel, il dresse un rapport spécial, présenté à la prochaine
assemblée générale ou en urgence aux actionnaires lors d’une assemblée générale
qu’il aura convoqué lui-même. Il convient de souligner que le commissaire aux
comptes met tout en œuvre pour attirer l’attention des dirigeants sociaux et des
actionnaires sur les risques qu’encourt la société et ne saisit la juridiction compétente
qu’en dernier ressort qu’il informe de ses actions et lui transmet ses conclusions.
L’intervention de la juridiction compétente est indispensable, car elle permet
en cas de litige entre les dirigeants sociaux et le commissaire aux comptes -
notamment en cas de refus de présentation des documents comptables -, d’obliger
ceux-ci à produire les pièces nécessaires à la vérification des comptes. En effet,
l’entrave à l’activité du commissaire aux comptes est un fait que l’on observe dans les
sociétés commerciales. Un auteur le justifie par le caractère pesant des facteurs socio-
économiques. Aussi selon son point de vue est-il « indispensable de revoir le statut du
commissaire aux comptes et de lui garantir des conditions plus faciles d’exercice de
sa mission. »1609 Le législateur OHADA conscient des difficultés que le commissaire
aux comptes peut rencontrer lors de l’exercice de sa mission a d’ailleurs prévu, des

                                                            
1608
Brigitte SIMONNOT, « Le besoin d’information : principes et compétences ». In Thémat’IC 2006,
« Information : besoins et usages », Strasbourg, 17 mars 2006, p. 2 et s.
http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/documents/1940-le-besoin-d-information-principes-et-
competences.pdf.
1609
Aziber Seïd ALAGADI, « Commissaires aux comptes et prévention des difficultés des entreprises en
droit Ohada », Penant 870, édition Juris Africa, janvier-mars 2010, p. 5 et s.
386 

 
sanctions pénales à l’encontre des dirigeants sociaux ou de toute personne au service
de la société qui auront volontairement empêcher celui-ci d’effectuer sa mission1610.
Enfin, bien qu’il ait l’obligation de mettre en œuvre la procédure d’alerte
lorsque toutes les conditions sont réunies, le commissaire aux comptes peut y mettre
un terme si les données et les explications recueillies permettent de s’assurer que la
continuité de l’exploitation n’est pas remise en cause. Cependant dans un délai de six
mois à compter du déclenchement de la procédure, il peut la reprendre si la nécessité
s’impose. Cette nécessité se justifiant simplement par le constat d’un risque de
compromission de la continuité de l’exploitation et l’urgence de l’adoption de
mesures immédiates1611.

- La mise en œuvre de la procédure d’alerte dans les sociétés autres que


les sociétés par actions

A quelques exceptions près, la procédure d’alerte par le commissaire aux


comptes dans les sociétés autres que les sociétés par actions se déroule suivant les
mêmes formes et étapes.
Elle est prévue aux articles 150 à 152 de l’Acte Uniforme relatif au Droit de
Sociétés Commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique. Aux termes de
l’article 150 de ce texte, « Le commissaire aux comptes, dans les sociétés autres que
les sociétés anonymes, demande par lettre au porteur contre récépissé ou par lettre
recommandée avec demande d’avis de réception des explications au gérant qui est
tenu de répondre, dans les conditions et délais fixés aux articles suivants, sur tout fait
de nature à compromettre la continuité de l’exploitation qu’il a relevé lors de
l’examen des documents qui lui sont communiqués ou dont il a connaissance à
l’occasion de l’exercice de sa mission. »
De même que dans les sociétés par actions, le gérant dispose d’une quinzaine
de jours pour donner au commissaire aux comptes, les explications nécessaires sur la
situation précise de la société et les mesures envisagées pour éviter une cessation de la
continuité de l’exploitation. À la suite de ces explications, ou en cas de silence du
gérant, le commissaire aux comptes informe la juridiction compétente de ses
démarches. Il dresse un rapport spécial s’il constate que les mesures de sauvegarde de
la continuité de l’exploitation ne sont pas efficaces ou lorsque les dispositions prévues
par la loi ne sont pas respectées par le gérant. Ce rapport est communiqué à la
juridiction compétente1612, et aux associés au cours d’une assemblée générale1613, afin
qu’ils soient informés de la situation réelle de la société et des actions du gérant. Ce
dernier doit dans un délai de huit jours suivant la demande du commissaire aux
comptes, communiquer son rapport spécial aux associés.
                                                            
1610
Art. 900 A.U.D.S.G.I.E.
1611
Art. 156 al. 4 A.U.D.S.G.I.E.
1612
Art. 152 al. 1 A.U.D.S.G.I.E.
1613
Art. 152 al. 2 A.U.D.S.G.I.E.
387 

 
Enfin, à l’issue de l’assemblée générale, si le commissaire aux comptes
constate l’inefficacité des décisions prises par le gérant pour assurer la continuité de
l’exploitation, il informe la juridiction compétente de ses démarches et lui
communique ses résultats. Il faut reconnaitre que si la procédure d’alerte permet le
contrôle de la gestion comptable et financière de la société par les dirigeants sociaux,
elle vise également l’information des associés. Elle apparait dès lors comme une
mesure protectrice de leurs intérêts.

B- La procédure d’alerte par le commissaire aux comptes, une mesure


protectrice

Au-delà du fait qu’elle se présente comme une mesure de contrôle des


activités des dirigeants sociaux, la procédure d’alerte initiée par le commissaire aux
comptes est aussi une mesure de protection. Le commissaire aux comptes apparaît dès
lors comme le gendarme de la société qui veille sur les intérêts de tous. Cette
protection vise les intérêts des autres acteurs de la société à savoir les salariés, les
actionnaires ou associés (1). Elle couvre également les intérêts des créanciers de la
société (2), mais aussi ceux de la société elle-même (3).

1- La protection des salariés et actionnaires ou associés de la société

Le rôle que joue le commissaire aux comptes1614 dans les sociétés


commerciales à travers ses diverses missions, est très important pour les autres acteurs
qui participent au fonctionnement de celles-ci, à savoir les salariés et les associés ou
actionnaires.
La société commerciale ne peut pas fonctionner, voire prospérer sans ces
acteurs, car si elle est gérée par des dirigeants sociaux, ces derniers ne peuvent seuls,
assurer ni son fonctionnement, ni son rayonnement sans la participation de ceux-là. Il
est donc nécessaire qu’ils bénéficient de garanties suffisantes, afin que leurs intérêts
soient également protégés. Aussi, à travers la procédure d’alerte du commissaire aux
comptes peut-on dire qu’ils bénéficient d’une certaine protection.
La protection des actionnaires ou associés1615 et des salariés – qui
quelquefois sont aussi actionnaires ou associés de la société -, est effective à travers
l’information qu’ils reçoivent au moment où est mise en œuvre la procédure d’alerte

                                                            
1614
Yves CHAPUT, Le commissaire aux comptes. Partenaire de l’entreprise, Presses de Sciences PO,
CREDA, Coll. La bibliothèque du décideur, 1999, 144 p.
1615
Aude-Marie CARTRON et Boris MARTOR, « L’associé minoritaire dans les sociétés régies par le
droit OHADA », in Cahiers de droit de l’entreprise, n° 1, jan-fev. 2010, p. 21 et s. Les associés ou
actionnaires, qu’ils soient minoritaires ou pas disposent également, d’un droit d’alerte, qui permet
d’interpeller directement les dirigeants sociaux sur les faits de nature à compromettre la continuité de
l’exploitation. Art. 157 et 158 AUDSCGIE.
388 

 
par le commissaire aux comptes. Les actionnaires ou associés et même les salariés de
la société ont un droit d’information auxquels les dirigeants sociaux ne peuvent
déroger. Ce droit d’information permet de mettre en exergue le principe d’égalité
entre les associés ou actionnaires1616, ce d’autant plus qu’on distingue d’un côté les
actionnaires ou associés majoritaires et de l’autre côté les actionnaires ou associés
minoritaires. Il faut donc noter que si les dirigeants sociaux ne mettent pas à leur
disposition les informations relatives à la situation financière et comptable de la
société, il appartient au commissaire aux comptes de veiller à ce que cette information
leur soit transmise, dans le cadre de l’exercice de sa mission de certification des
comptes ou s’il relève un fait de nature à compromettre la continuité de l’exploitation.
Il a cette obligation étant donné qu’il a la charge de s’assurer, notamment que l’égalité
est assurés entre les associés en ce qui concerne les actions d’une même catégorie1617.
C’est dire que le commissaire aux comptes ne se contente pas d’identifier les
anomalies et les risques juridiques, financiers ou fiscaux qui peuvent affecter la
continuité de l’exploitation, il doit pouvoir les soumettre aux dirigeants sociaux, mais
aussi et surtout aux actionnaires ou associés et salariés, afin de leur permettre de
prendre les mesures nécessaires à la protection de leurs intérêts. C’est pourquoi il est
important que dans son rapport spécial, le commissaire aux comptes fasse une
présentation claire et détaillée de l’état financier de la société et de sa viabilité par
rapport au fait de nature à compromettre la continuité de l’exploitation observé. Il
établira ainsi un rapport de confiance avec les actionnaires ou associés et les salariés.
Ce rapport de confiance est également établi entre ceux-ci et les dirigeants sociaux
lorsqu’ils reconnaissent les difficultés auxquelles la société fait face et qui sont
susceptibles d’affecter la continuité de l’exploitation. Dès lors, les mesures pour
rechercher des solutions de sauvegarde de la continuité de l’activité commerciale sont
plus faciles à mettre en place que lorsque les dirigeants sociaux décident de se murer
dans le silence.
Au-delà de la protection que la procédure d’alerte du commissaire aux
comptes offre aux actionnaires ou associés et salariés de la société, il y’a l’assurance
qu’elle apporte aux tiers, notamment les créanciers.

2- La protection des créanciers

Si la procédure d’alerte dans son ensemble permet au commissaire aux


comptes d’attirer l’attention des dirigeants sociaux, des actionnaires ou associés et des
salariés sur tout fait de nature à compromettre la continuité de l’activité commerciale,
elle se présente aussi vis-à-vis des tiers, notamment les créanciers de la société
                                                            
1616
Amadou FAYE, « L’égalité entre associés (Acte uniforme sur le droit des sociétés et du GIE) »,
Ohadata D-04-10, http://www.ohada.com/doctrine/ohadata/D-04-10.html ; Henri-Désiré MODI KOKO,
« La réforme du droit des affaires de l’Ohada au regard de la mondialisation de l’économie », op. cit.,
http://www.institut-idef.org/La-reforme-du-droit-des-affaires.html.
1617
Art. 714 A.U.D.S.C.G.I.E.
389 

 
(fournisseurs, investisseurs et les banquiers), comme un indicateur de l’état général et
de la santé financière de la société commerciale. C’est dire combien il est important
que le commissaire aux comptes accomplisse sa mission au sein de la société
commerciale, avec toute la rigueur nécessaire qui s’impose au regard des enjeux
financiers qu’engendre l’exploitation d’une société commerciale.
Le rôle que jouent les créanciers dans le fonctionnement des sociétés
commerciales justifie bien les mesures mises en place par le législateur OHADA,
pour assurer leur protection1618. Il va s’en dire que le devoir d’alerte du commissaire
aux comptes ne tend pas simplement à prévenir les dirigeants sociaux, les actionnaires
ou associés et les salariés des risques d’une cessation d’activités, mais il permet
également d’attirer l’attention des créanciers sur d’éventuelles pertes auxquelles ils
sont exposés.
Il faut donc voir dans la procédure d’alerte initiée par le commissaire aux
comptes une mesure incitative à la vigilance des créanciers, ce d’autant plus qu’ils
interviennent à des rangs différents au moment du règlement de la dette1619. Le
principe de l’égalité des créanciers, dont le fondement se trouve à l’article 2093 du
Code civil1620 comporte cependant des exceptions. Les créanciers chirographaires
étant généralement les plus lésés, car ne disposant d’aucune garantie particulière face
à ceux qui bénéficient d’un privilège1621 ou d’une hypothèque1622. La mise en œuvre
de la procédure d’alerte par le commissaire aux comptes va donc permettre aux divers
créanciers de la société d’assurer, chacun en fonction des garanties dont il dispose, la
protection de ses intérêts notamment, lorsqu’une procédure collective d’apurement du
passif est engagée. Mais la procédure d’alerte du commissaire aux comptes ne se
limite pas à la protection des créanciers, actionnaires ou associés et des salariés de la
société. Elle vise également la sauvegarde des intérêts de cette dernière.

3- La protection de la société

S’il ne fait aucun doute que le rôle que joue le commissaire aux comptes au
sein de la société commerciale est d’une importance capitale pour les actionnaires ou
                                                            
1618
Henri-Désiré MODI KOKO, « La réforme du droit des affaires de l’Ohada au regard de la
mondialisation de l’économie », op. cit., http://www.institut-idef.org/La-reforme-du-droit-des-affaires.html.
1619
Denis PATART, Le règlement collectif de dettes, Editions Larcier, 2008, 296 p.
1620
Art. 2093 Cciv. « Les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers ; et le prix s’en
distribue entre eux par contribution, à moins qu’il n’y ait entre les créanciers des causes légitimes de
préférence. »
1621
C’est par exemple le cas du privilège des salariés prévu à l’article 95 de l’Acte Uniforme portant
organisation des procédures collectives d’apurement du passif aux termes duquel « les créances résultants
du contrat de travail ou du contrat d’apprentissage sont garanties, en cas de redressement judiciaire ou de
liquidation des biens par le privilège des salaires établi pour les causes et le montant définis par la
législation du travail et les dispositions relatives aux sûretés. »
1622
Philippe DELMOTTE, « L’égalité des créanciers dans les procédures collectives »,
http://www.courdecassation.fr/publications_26/rapport_annuel_36/rapport_2003_37/deuxieme_partie_tude
s_documents_40/tudes_theme_egalite_42/procedures_collectives_6254.html.
390 

 
associés, et les créanciers, il n’y a pas de raison que la procédure d’alerte qu’il
déclenche, lorsqu’il constate tout fait de nature à compromettre la continuité de
l’exploitation, ne bénéficie pas à la société elle-même.
En considérant la mission du commissaire aux comptes dans la société
commerciale, à savoir la vérification et la certification des comptes, il y a lieu
d’admettre qu’au-delà du contrôle sous-jacent des dirigeants sociaux qu’elle implique,
ce sont les intérêts de la société d’une manière générale que le législateur OHADA
essaye de protéger1623. L’idée même du déclenchement de la procédure d’alerte repose
sur la nécessité de préserver l’activité commerciale. C’est pourquoi en faisant reposer
la mise en œuvre de cette procédure sur le risque d’une cessation des activités de la
société, le législateur prévoit en quelque sorte des garde-fous qui permettent aux
dirigeants sociaux, de redresser la société et d’éviter la faillite ou des mesures de
redressement judiciaires aux conséquences lourdes pour les actionnaires ou associés,
les créanciers et la société elle-même.
La procédure d’alerte du commissaire aux comptes va donc inciter les
dirigeants sociaux à mettre en place des mesures nécessaires au redressement de la
société et à la poursuite de l’activité commerciale. Le rôle du commissaire aux
comptes étant centré sur le contrôle des comptes, la protection de la société se fera de
manière à préserver sa situation financière et la continuité de l’exploitation. En effet,
c’est la garantie de la sécurité financière de la société et sa viabilité dans le futur qui
favorisent la confiance des créanciers et des investisseurs. Par conséquent, la finalité
de sa mission « est de contribuer à la fiabilité de l’information financière et par la
même de concourir à la sécurité de la vie économique et sociale, tant pour les besoins
de gestion et d’analyse interne à l’entreprise que pour les besoins de l’ensemble des
partenaires ou les tiers intéressés par celle-ci. »1624 Il est donc nécessaire, lorsque le
commissaire aux comptes tire la sonnette d’alarme, que les dirigeants sociaux
évaluent à juste titre le danger qu’encourt la société et qu’ils prennent les mesures qui
s’imposent, afin d’assurer la continuité de l’exploitation.
En somme, la procédure d’alerte est indispensable à la survie des sociétés
commerciales dans l’espace OHADA. Mais bien plus, le devoir d’alerte du
commissaire aux comptes est une protection de référence des intérêts des actionnaires
ou associés, des salariés et de la société elle-même. Il détient « une place stratégique
dans la prévention des difficultés des entreprises. »1625 Il faut donc saluer l’initiative
du législateur OHADA qui l’a introduit dans l’Acte Uniforme relative au Droit des
Sociétés Commerciales et des Groupements d’Intérêt Economique.
                                                            
1623
Monique-Aimée NJANDEU, « La protection de la société commerciale en droit OHADA », in Les
mutations juridiques dans le système OHADA, sous la direction de André AKAM AKAM, Harmattan,
2009, n° 7, p. 232.
1624
Aziz DIEYE, « La responsabilité des commissaires aux comptes dans les Etats parties au traité de
l’Organisation pour l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afriques (OHADA) »
http://www.lacpa.org.lb/Includes/Images/Docs/TC/newsletter24/12%20Responsabilite%20des%20CC%20
ds%20les%20etats%20parties.pdf.
1625
Aziber Seïd ALGADI, op. cit., p. 5.
391 

 
Toutefois, on peut s’interroger sur la portée réelle de ce devoir d’alerte. Car
si la procédure d’alerte apparaît comme une obligation synonyme de sécurité
juridique, elle est parfois perçue comme une obligation synonyme de trahison des
dirigeants sociaux.

II- Le devoir d’alerte du commissaire aux comptes, une obligation synonyme


de ‘’ trahison des dirigeants sociaux’’

La question du rôle que joue le commissaire aux comptes dans les sociétés
commerciales de l’espace OHADA n’est plus à démontrer1626. C’est un acteur clé de
la vie de la société, dont la participation à travers son action de contrôle et de
certification des comptes assure la protection des actionnaires ou associés, des
créanciers et de la société elle-même. Il participe à la moralisation des affaires1627. La
procédure d’alerte qu’il a l’obligation de déclencher lorsqu’il constate tout fait de
nature à compromettre la continuité de l’exploitation n’apparaît pas simplement,
comme une sorte de sécurité juridique mise à la disposition des actionnaires ou
associés et des tiers qui collaborent avec la société. Mais elle prend toute une autre
forme lorsqu’au cours de sa mission ou à sa demande, il constate des irrégularités et
relève des faits délictueux mettant en danger la survie de la société (A). Dès lors, se
pose le problème de la dénonciation de ces faits délictueux et par ricochet des
dirigeants sociaux. On note une certaine difficulté dans la dénonciation (B) puisqu’il
s’agit en quelque sorte de trahir les fraudes commises par ceux-ci.

A- L’alerte par le commissaire aux comptes, une procédure ouvrant la voie à la


révélation des irrégularités et la dénonciation des faits délictueux commis par les
dirigeants sociaux

La procédure d’alerte du commissaire aux comptes peut aboutir à une


obligation de révélation des irrégularités et des faits délictueux commis par les
dirigeants sociaux. Cette obligation de révélation a un fondement légal (1) et obéit à
un formalisme particulier (2).

1- Le fondement légal de l’obligation de révélation des irrégularités et des faits


délictueux

L’obligation du commissaire aux comptes de révéler les irrégularités et les


faits délictueux qu’il aurait constatés au cours de sa mission est expressément prévue,

                                                            
1626
Rémy Emmanuel NGUE, Mon commissaire aux comptes dans l’espace OHADA, Ed. AFECAC, 2007.
1627
Voir la synthèse des travaux du séminaire international portant sur « Le rôle du commissaire aux
comptes dans la gouvernance de l’entreprise dans l’espace OHADA », Charles ELAD University of
Westminster, UK et Christelle Lydie NTSAMO, University of Westminster, UK.
392 

 
aux articles 715 et suivants de l’Acte Uniforme relatif au Droit des Sociétés
Commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique.
Il faut souligner que le commissaire aux comptes n’a pas le droit de
s’immiscer dans la gestion1628 de la société1629. L’article 712 de l’Acte Uniforme
relatif au Droit des Sociétés Commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique
précise notamment que « Le commissaire aux comptes a pour mission permanente, à
l’exclusion de toute immixtion dans la gestion, de vérifier les valeurs et les documents
comptables de la société et de contrôler la conformité de sa comptabilité aux règles
en vigueur. » Par conséquent, il n’a pas pour mission de rechercher de manière
absolue les fraudes commises par les dirigeants sociaux. Il a selon un auteur, « un
pouvoir permanent de contrôle mais n’est pas chargé d’un contrôle permanent. »1630
Toutefois, dans le cadre de sa mission, il est de son devoir révéler toutes les
irrégularités et les inexactitudes, ainsi que les faits délictueux qu’il aurait constatés en
étudiant les documents comptables et financiers mis à sa disposition1631. Ces faits sont
enregistrés dans un rapport qu’il porte à la connaissance des dirigeants sociaux et du
conseil d’administration pour les sociétés qui en disposent. Cette obligation de
signaler ces faits se justifient dans la mesure où ceux-ci peuvent constituer un risque
tant pour la continuité des activités de la société, mais aussi un danger pour les
actionnaires ou associés qui détiennent des parts et les créanciers qui parfois
investissent des moyens financiers très importants dans la société. C’est donc pour
protéger tous ces intérêts que le législateur OHADA, a jugé nécessaire d’obliger le
commissaire aux comptes de les révéler au risque de voir sa responsabilité engagée.
En outre l’obligation de révéler les faits délictueux, notamment au ministère
public, trouve son fondement à l’article 716 de l’Acte Uniforme relatif au Droit des
Sociétés Commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique. Le commissaire aux
comptes « révèle au ministère public les faits délictueux dont il a eu connaissance
dans l’exercice de sa mission, sans que sa responsabilité puisse être engagée par
cette révélation. » Cette obligation de révélation est facilitée par l’exclusion de sa

                                                            
1628
Commet une faute en s’immisçant dans la gestion, un commissaire aux comptes qui fait échec à
l’autorité du président du conseil d’administration en se disant mandaté par un actionnaire majoritaire, CA
paris, 24 juin 1992, Bull. Joly 1992. 1195, note J-F. BARBIERI.
1629
La doctrine reconnaît cependant que « des problèmes de frontières peuvent parfois se présenter »,
notamment au niveau de « la limite entre le contrôle de légalité et de régularité et l’immixtion dans la
gestion ». En effet, elle admet que « l’extension des missions du commissaire aux comptes ne va pas sans
rendre la frontière entre le contrôle et l’immixtion de plus en plus floue. », Didier PORACCHIA, Laure
MERLAND et Marie LAMOUREUX, « Commissaire aux comptes », in Répertoire de droit des sociétés,
sept. 2008, mis à jour mars 2014, n° 417. Voir aussi, D. VIDAL, « L’intervention du commissaire aux
comptes dans la gestion de l’entreprise sociale qu’il contrôle », in Mélanges Adrienne. HONORAT, éd.
Frison-Roche, 2000, p. 327.
1630
Aziz DIEYE, « La responsabilité des commissaires aux comptes dans les Etats parties au traité de
l’Organisation pour l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique (OHADA). »
http://www.lacpa.org.lb/Includes/Images/Docs/TC/newsletter24/12%20Responsabilite%20des%20CC%20
ds%20les%20etats%20parties.pdf.
1631
Art. 715-3° A.U.D.S.C.G.I.E.
393 

 
responsabilité étant donné qu’il ne s’agit pas d’un cas de violation du secret
professionnel. Par ailleurs, les actionnaires ou associés doivent également être
informés des irrégularités et inexactitudes découvertes à la plus prochaine assemblée
générale1632.
D’une manière générale le commissaire aux comptes ne peut pas déroger à
son obligation légale de révélation des faits délictueux. Et même si la procédure
d’alerte n’entraine pas ipso facto la révélation de ces faits, sa vigilance « doit être
renforcée du seul fait qu’il peut être tentant pour les dirigeants de dissimuler les
difficultés de l’entreprise en ayant recours à des manœuvres frauduleuses. »1633 Le
commissaire aux comptes doit par conséquent être attentif et révéler tous les faits qui
peuvent constituer des cas de fraudes en suivant une procédure bien définie par la loi.

2- La mise en œuvre de l’obligation de révéler les irrégularités et les faits


délictueux

L’obligation du commissaire aux comptes de révéler les irrégularités et les


faits délictueux intervient dans un contexte précis. C’est en effet dans le cadre de sa
mission de contrôle légal que survient la révélation. C’est-à-dire au moment où il
procède à la vérification des états financiers de synthèse et leur concordance avec les
informations fournies par les dirigeants sociaux. Le législateur OHADA évoque les
inexactitudes et irrégularité révélées au cours de « l’accomplissement de sa mission »,
et les faits délictueux dont il a eu connaissance dans « l’exercice de sa mission ». Le
législateur OHADA ne précise la nature des irrégularités ou des faits délictueux.
Cependant, on peut penser qu’il s’agit des irrégularités ou faits susceptibles de
recevoir une qualification pénale ou même présenter simplement un caractère suspect
en considération de la loi pénale. Le fait ou l’irrégularité doit en conséquence être
délibéré et significatif. C’est par exemple le cas de la constatation d’une inégalité
entre actionnaires ou associés, d’un abus de bien sociaux.
La révélation des irrégularités et inexactitudes se fait par écrit. Cet écrit est
matérialisé par le rapport adressé aux dirigeants sociaux, au conseil d’administration,
aux actionnaires ou associés. Les faits délictueux quant à eux sont révélés dans une
lettre avec accusé de réception au ministère public, dans laquelle le commissaire aux
comptes indique les informations relatives aux faits délictueux, sans pour autant les
qualifier, car la qualification pénale ne relève pas de sa compétence. Est joint à cette
lettre le rapport présenté à l’assemblée générale.
L’Acte Uniforme ne prévoit pas expressément un délai en ce qui concerne la
révélation des faits délictueux au ministère public. Elle doit cependant être faite dans
les meilleurs délais. À défaut, une révélation tardive pourrait être considérée comme

                                                            
1632
ART 716 al. 1 A.U.D.S.C.G.I.E.
1633
Alain BURLAUD, « L’auditeur et la question de la continuité de l’exploitation en période de crise
économique », http://hal.archives‐ouvertes.fr/docs/00/41/01/55/PDF/Continuite_de_l_exploitation.pdf. 
394 

 
une absence de révélation et entrainer par conséquent la mise en œuvre de la
responsabilité du commissaire aux comptes.
Quant à la révélation des irrégularités et inexactitudes, l’Acte Uniforme
prévoit qu’elle soit faite « à la plus prochaine assemblée générale »1634. Le
commissaire aux comptes ayant la possibilité de convoquer une assemblée générale
des actionnaires, lors du déclenchement de la procédure d’alerte, il y’a lieu de noter
que la révélation des irrégularités et inexactitudes peut se faire dans un délai
raisonnable, de manière à attirer l’attention des actionnaires sur les dangers
qu’encourt la société et le préjudice qu’ils pourraient subir si les faits constater ne
sont pas rectifiés. Mais il faut admettre que la révélation des faits délictueux au
ministère public est parfois difficile à assumer par le commissaire aux comptes.

B- La difficulté d’assumer la dénonciation des dirigeants


Malgré le devoir d’alerte que lui impose la loi et l’obligation de révéler les
irrégularités, les inexactitudes et les faits délictueux qu’il aurait à l’occasion de sa
mission découverts, on constate que le commissaire aux comptes a parfois du mal à
respecter ces obligations. Plusieurs raisons expliquent cette situation (1). Cependant,
le législateur OHADA est ferme. Il a prévu des sanctions à l’encontre du commissaire
aux comptes défaillant (2).

1- Les raisons justifiant la non révélation des faits délictueux au ministère public

L’exercice des fonctions de commissaire aux comptes au sein de la société


commerciale n’est pas aussi évident que cela semble l’être. Bien qu’ayant l’obligation
de procéder à l’alerte lorsqu’ils constatent des faits de nature à compromettre la
continuité de l’exploitation, et de révéler les irrégularités ou inexactitude lors de
l’exploitation des documents comptables et financiers, ou encore les faits délictueux
qu’ils auront constatés, certains commissaires aux comptes ont du mal, pour des
raisons diverses, à se plier à ces obligations. Parmi ces raisons, on peut retenir la
proximité avec les dirigeants sociaux, mais aussi les conditions de nomination et de
rémunération des commissaires aux comptes dans la société.

- La proximité avec les dirigeants sociaux

En effet, la question de la proximité du commissaire aux comptes avec les


dirigeants sociaux n’est pas une fiction. C’est une réalité qui s’observe dans certaines
sociétés, lorsque les dirigeants sociaux, pour des raisons peu avouables entreprennent
des poser des actes qui ne tiennent pas compte de l’intérêt social. Pour cela, ils ne
manquent pas de solliciter le silence du commissaire aux comptes par des actes de

                                                            
1634
Art. 716 al. 1 A.U.D.S.C.G.I.E.
395 

 
corruption. La tentation est dès lors assez grande et certains commissaires aux
comptes y succombent au regard des avantages proposés et en violation de la
déontologie et des intérêts qu’ils doivent défendre1635. En effet, « La réalité
quotidienne de l’auditeur le place au cœur d’importants conflits d’intérêts pour
lesquels le code de déontologie professionnelle n’offre pas de solutions simples.
L’auditeur se trouve souvent seul avec sa conscience pour résoudre les dilemmes que
lui pose la non-convergence des intérêts de son client et ceux des tiers. »1636
La proximité des commissaires aux comptes vis-à-vis des dirigeants sociaux
est donc révélatrice d’une absence d’indépendance1637 des premiers par rapport aux
seconds. Or, « L’indépendance et la compétence sont les deux conditions de
l’émission d’une opinion de qualité. »1638 On aurait pu croire que le fait que le
commissaire aux comptes soit une personne physique ou morale extérieure à la
société faciliterait l’accomplissement de sa mission. Mais les tentations de céder à la
corruption sont bien souvent trop grandes, ce qui permet de relativiser le principe de
l’indépendance du commissaire aux comptes. Par ailleurs, ses conditions de
nomination et de rémunération le place également dans une situation de dépendance
par rapport aux dirigeants sociaux.

- La dépendance liée aux conditions de nomination et de rémunération

Selon l’Acte Uniforme, « Les fonctions de commissaire aux comptes sont


incompatibles avec toute activité ou tout acte de nature à porter atteinte à son
indépendance. »1639 Le commissaire aux comptes ainsi que son suppléant sont
désignés dans les statuts ou par l’assemblée générale constitutive. Ils peuvent aussi
être désignés en cours de vie sociale par l’assemblée générale ordinaire.
D’une manière générale, la désignation du commissaire aux comptes se fait
sur proposition des dirigeants sociaux. Ceux-ci choisissent souvent des personnes
physiques ou morales avec lesquelles ils ont une certaine affinité. Dans la plupart des
cas, l’assemblée générale se contente d’entériner la proposition de ces derniers. Dès
lors, le problème se pose de savoir si dans ce contexte, le commissaire aux comptes
peut totalement conserver son indépendance vis-à-vis des dirigeants sociaux. C’est
assez difficile à imaginer et on ne peut par conséquent pas parler d’une véritable
neutralité dans la désignation du commissaire aux comptes1640. Aussi, le commissaire
                                                            
1635
Aziber Seïd ALGADI, op. cit., p. 8.
1636
Christian PRAT dit HAURET, « L’indépendance du commissaire aux comptes : une analyse empirique
basée sur des composantes psychologiques du comportement »,
http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/58/45/24/PDF/PRAT.PDF, p. 2.
1637
Patrice S.A. BADJI, « OHADA et bonne gouvernance d’entreprise », http://revue.ersuma.org/no-2-
mars-2013/doctrine-20/Ohada-et-bonne-gouvernance-d.
1638
Christian PRAT dit HAURET, op. cit., p. 1.
1639
Art. 697 A.U.D.S.C.G.I.E.
1640
Aziber Seïd ALGADI, op. cit., p. 7.
396 

 
aux comptes et son suppléant se sentent-ils parfois obliger de couvrir les
indélicatesses des dirigeants sociaux en s’abstenant de déclencher la procédure
d’alerte et en dissimulant les irrégularités et les faits délictueux qu’ils auront
découverts.
En outre, le risque de voir le commissaire aux comptes de ne pas se
soumettre aux obligations que lui impose la loi est encore plus réel quand on sait,
qu’il est rémunéré par la société qu’il audite1641. Il est presque considéré comme un
salarié de la société pendant la période de son mandat. Dès lors, son indépendance
vis-à-vis de la société qui l’emploie est remise en cause. « Engagé dans une relation
client-fournisseur avec la société contrôlée car rémunérée par cette dernière,
l’auditeur peut être confronté à un dilemme éthique s’il doit choisir entre l’émission
d’une opinion sincère et la poursuite de la relation d’affaire »1642 souligne Christian
PRAT. C’est donc une réalité que le commissaire aux comptes peut être exposé du
fait de l’absence d’indépendance.
L’indépendance dont il est question ici d’après le même auteur est « la
capacité réelle de l’auditeur à révéler dans son rapport d’audit, des manipulations ou
erreurs comptables qui auraient une incidence significative sur les comptes. Elle se
mesure par la capacité réelle de l’auditeur à s’assurer du respect des règles afin de
donner une certification de qualité en révélant toute erreur, fraude, manipulation ou
collusion des producteurs de l’information comptable et financière. »1643 Le fait qu’il
soit rémunéré par la société place le commissaire aux comptes dans une situation
délicate. La tentation peut être forte de dissimuler les irrégularités et de ne pas révéler
les faits délictueux, en contrepartie d’un avantage proposé par les dirigeants sociaux
dont il devient le complice.
Fort heureusement, le législateur OHADA a prévu des sanctions visant aussi
bien les dirigeants sociaux que les commissaires aux comptes.

2- Les sanctions encourues en cas de défaillance du commissaire aux comptes

Le rôle que joue le commissaire aux comptes dans les sociétés commerciales
est assez significatif pour être pris à la légère. Le législateur OHADA a donc tenu, à
sanctionner le non-respect des obligations légales qui lui sont imposées.
Ainsi dans le cadre de la procédure d’alerte, le commissaire aux comptes qui
s’abstient de la déclencher alors qu’il existe un fait de nature à compromettre la
continuité de l’exploitation peut voir sa responsabilité engagée sur les plans civil et
pénal1644. Sa responsabilité est également engagée en cas de dissimulation des

                                                            
1641
Art. 723 et s. A.U.D.S.C.G.I.E.
1642
Christian PRAT dit HAURET, op. cit, p. 2.
1643
Christian PRAT dit HAURET, op. cit, p. 1.
1644
Augustin ROBERT, Responsabilité des commissaires aux comptes et des experts-comptables, Dalloz
2011/2012 ; Christian BYBI, « Statut Professionnel et Responsabilité du Commissaire aux Comptes au
Cameroun », op. cit., p. 13 et s.
397 

 
irrégularités ou inexactitudes découvertes, mais aussi en cas de non-révélation des
faits délictueux au ministère public1645.

- La responsabilité du commissaire aux comptes sur le plan civil

Le principe de la responsabilité civile du commissaire au compte est posé


aux articles 381, 725 et suivants de l’Acte Uniforme relatif au Droit des Sociétés
Commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique. Ce principe est plus exposé
dans la partie de l’Acte Uniforme relative aux sociétés anonymes, mais il également
applicable aux autres formes de sociétés. Aux termes de l’article 725 de l’Acte
Uniforme relatif au Droit des Sociétés Commerciales et du Groupement d’Intérêt
Economique, « Le commissaire aux comptes titulaire du mandat est civilement
responsable, tant à l’égard de la société que des tiers, des conséquences
dommageables, des fautes et négligences qu’il commet dans l’exercice de ses
fonctions. »
La responsabilité civile du commissaire aux comptes est donc retenue selon
ce texte sur la base de trois éléments à savoir, les conséquences dommageables, les
fautes et les négligences. En effet, il est clair que le fait de ne pas déclencher la
procédure d’alerte alors que celle-ci est nécessaire constitue une faute, dont les
conséquences sont préjudiciables à l’égard de la société, des associés ou actionnaires
et des tiers. La responsabilité civile du commissaire aux comptes est donc engagée
dès lors qu’il est démontré que par sa faute ou sa négligence, la société, les
actionnaires ou associés et les tiers ont subi un préjudice.
Il faut dire que la faute retenue ici est celle qui découle de l’inexécution des
obligations imposées tant par la loi que par les normes professionnelles1646. Il est
responsable de ses fautes personnelles et non des fautes de gestion des dirigeants
sociaux. Le commissaire aux comptes est tenu d’une obligation de moyens1647. Mais il
peut aussi être tenu d’une obligation de résultat1648 selon les cas. Dès lors, sa

                                                            
1645
Il faut préciser que la responsabilité du commissaire aux comptes défaillant peut également être
engagée sur le plan disciplinaire conformément à la règlementation en vigueur dans les Etats parties
membres de l’OHADA. Voir dans ce sens en ce qui concerne le Cameroun la loi n° 2011/009 du 06 mai
2011 relative à l’exercice de la profession comptable libérale et au fonctionnement de l’ordre national des
experts-comptables du Cameroun.
1646
Sur les différentes fautes engageant la responsabilité civile du commissaire aux comptes, voir Aziz
DIEYE, op. cit.,
http://www.lacpa.org.lb/Includes/Images/Docs/TC/newsletter24/12%20Responsabilite%20des%20CC%20
ds%20les%20etats%20parties.pdf.
1647
L’obligation de moyens est retenue lorsque la mission du commissaire aux comptes cède la place à une
incertitude découlant d’un aléa. Voir en ce sens, CA Rennes, 27 mai 1975, rev. Soc. 1976, p. 210, note Y.
GUYON ; Cas. Com., 9 fev. 1988, rev. Soc. 1988, p. 555, note J. MONEGER (sur la nature de l’obligation
de moyens, de la certification, de la régularité, et de la sincérité des comptes).
1648
C’est le cas par exemple en ce qui concerne l’obligation d’informer les dirigeants sociaux ou organes de
direction des irrégularités et inexactitudes, de révéler au ministère public les faits délictueux. C’est aussi le
cas en ce qui concerne les rapports sur les conventions réglementées entre les dirigeant sociaux et la
398 

 
responsabilité est retenu à partir du moment où le demandeur démontre qu’il a
commis une faute déterminée – déclenchement tardif de la procédure d’alerte ou non
déclenchement de celle-ci, non révélation des irrégularités ou inexactitudes, défaut de
révélation des faits délictueux au ministère public, certification d’un bilan inexact,
certification sans vérification des chiffres présentés par les dirigeants sociaux,
certification sans réserve1649, la non-révélation des faits de nature à compromettre la
continuité de l’exploitation -. Mais la faute seule ne suffit pas à retenir la
responsabilité du commissaire aux comptes. Il faut par ailleurs, selon ce que prévoit le
droit commun de la responsabilité que le demandeur ait subi un préjudice juridique
réparable. Enfin, il est important qu’un lien de causalité soit établi entre la faute
déterminée et le préjudice, car la responsabilité civile du commissaire aux comptes ne
peut être retenue si ce lien n’est pas établi1650.
Outre la mise en œuvre de sa responsabilité civile, le commissaire aux
comptes peut faire l’objet de poursuites pénales.

- La responsabilité pénale du commissaire aux comptes

Conformément à l’article 716 de l’Acte Uniforme relatif au Droit des


Sociétés Commerciales et du Groupement d’intérêt économique, le commissaire aux
comptes est tenu de révéler au ministère public, les faits délictueux dont il a eu
connaissance en effectuant sa mission. Le non-respect de cette obligation de
révélation des faits délictueux au ministère public l’expose à la mise en œuvre de sa
responsabilité pénale.
Le commissaire aux comptes est investi d’une mission de contrôle
permanente de la situation comptable de la société. En s’abstenant de déclencher la
procédure d’alerte ou de révéler les faits délictueux qu’il aurait découverts lors de
l’exercice de sa mission, il engage sa responsabilité de manière directe. En outre, sa
responsabilité pénale peut être retenue indirectement sur le fondement de la
complicité1651 pour des infractions relatives, à la présentation des états financiers de
synthèse ne reflétant pas pour chaque exercice, une image fidèle des opérations de

                                                                                                                                              

société, la certification du montant global des rémunérations attribuées actionnaires ou associés les mieux
payés, le contrôle de la régularité des modifications statutaires, la convocation des organes de direction et
de l’assemblée générale faisant suite au déclenchement de la procédure d’alerte.
1649
« Le commissaire aux comptes qui refuse temporairement de certifier des comptes doit s’assurer,
lorsqu’il change d’avis, que sa décision s’appuie effectivement sur un nouvel élément qui n’existait pas ou
dont il n’avait pas connaissance au moment du refus. » François PASQUALINI et Gaëtan MARAIN,
« Refus de certification et responsabilité du commissaire aux comptes. Note sous Cour de cassation (com.),
18 février 2014, n° 12-29.075 (FS-P+B), Sté Hainaut immobilier c/ Schotte », in Revue des sociétés, 2014,
p. 517 et s., n° 4.
1650
Sur le caractère incertain du lien de causalité et l’évaluation du préjudice, Christian BYBI, « Statut
Professionnel et Responsabilité du Commissaire aux Comptes au Cameroun », op. cit., p. 21 et s.
1651
Nicole STOLOWY, « La responsabilité pénale du commissaire aux comptes », revue des sociétés, juil-
sept. 1998, p. 521.
399 

 
l’exercice1652. Sa complicité peut également être retenue en cas d’abus de bien
sociaux, d’abus de confiance ou d’escroquerie, de présentation de faux bilans, de
fraude fiscale, de recel, de détournement de fonds ou de faux et usage de faux.
Mais de manière générale, on peut retenir deux situations qui peuvent
conduire à la mise en œuvre de la responsabilité pénale du commissaire aux comptes,
conformément à l’article 899 de l’Acte Uniforme relatif au Droit des Sociétés
Commerciales et du Groupement d’intérêt économique. Aux termes de cet article,
« Encourt une sanction pénale, tout commissaire aux comptes qui, soit en son nom
personnel, soit à titre d’associé d’une société de commissaires aux comptes, a
sciemment donné ou confirmé des informations mensongères sur la situations de la
société ou qui n’a pas révélé au ministère public les faits délictueux dont il a eu
connaissance. » L’Acte Uniforme prévoit ainsi des sanctions en ce qui concerne les
informations mensongères, mais également en ce qui concerne la non-révélation des
faits délictueux au ministère public.
S’agissant des informations mensongères, l’élément matériel de l’infraction
ici est double. En effet, on retient d’une part la divulgation d’une information
mensongère liée à la mission qu’effectue le commissaire aux comptes1653. Si la loi ne
précise pas le contenu de l’information mensongère, on peut cependant noter qu’il
pourrait s’agir des informations relatives à l’état financier et comptable de la société,
même s’il est difficile de limiter le contenu de l’information mensongère aux seules
situations financières et comptables1654. D’autre part, il faudrait que cette information
soit intentionnellement1655 communiquée aux associés ou actionnaires et aux tiers
quelle que soit la forme utilisée.
Quant à la non-révélation des faits délictueux, l’élément matériel porte sur
l’absence de dénonciation de faits considérés comme délictueux. Il s’agit notamment
de tous les faits, relatifs aux situations irrégulières que le commissaire aux comptes
aurait découverts dans le cadre de sa mission. Malgré le silence du législateur
OHADA sur le délai de la révélation des faits délictueux, celle-ci doit se faire dans un
délai raisonnable, car une dénonciation tardive pourrait engager la responsabilité du
commissaire aux comptes1656. En outre, il faudrait que ce dernier ait eu connaissance
des faits délictueux, mais aussi qu’il ait décidé sciemment de ne pas les révéler pour
que soit retenu l’élément intentionnel.

                                                            
1652
Art. 890 A.U.D.S.C.G.I.E.
1653
Gradi MONGAY, « La responsabilité pénale des commissaires aux comptes »,
http://www.legavox.fr/blog/gradi‐mongay/responsabilite‐penale‐commissaires‐comptes‐droit‐
12876.htm#.U7‐7tJR_ssY.  
1654
GRUYON et G. COQUEREAU. « Le nouveau statut de Commissaire aux comptes »., JCP n° 1969,
études pratiques n° 87150.
1655
Cass. Crim. 2 Avril 1990 n° 142, Revues des Sociétés 1990, p.461 ; Cass. Crim. , 26 Mai 1986, Bull.
CNCC, Mars 1987, n°65, p.83.
1656
Affaire du Comptoir national du logement, Cass.crim. 8 Févier 1968, Bull. Crim., n° 42, p. 95 ;
Besançon 24 Mai 1984, Bull. CNCC, n° 56, p. 480.
400 

 
En somme, il ne fait pas de doute que le législateur OHADA tient à assurer
la sécurité juridique dans le cadre du fonctionnement des sociétés commerciales, ceci
afin de protéger tant les acteurs internes à celles-ci, que ceux externes face aux
dirigeants sociaux ou aux organes de direction indélicats. La sécurité est donc prise en
compte ici. Elle « suppose avant tout que l’on puisse prévoir la solution des situations
juridiques et compter sur elle grâce à des moyens de contraintes garantissant la
réalisation des droits. Sans prévisibilité donc, il n’y a point de sécurité juridique ».1657
Toutefois, malgré les mesures prises, il existe toujours un risque de
défaillance du commissaire aux comptes, dès lors, les obligations de déclencher la
procédure d’alerte et de révéler au ministère public les faits délictueux sont remises en
cause à partir du moment où le commissaire aux comptes charger d’auditer la société
commerciale prend le parti, de couvrir les agissements illégaux des organes de
direction au détriment de l’intérêt social, des actionnaires ou associés et des tiers.
Il est dont légitime de penser que les sanctions prévues par le législateur
OHADA contre le commissaire aux comptes ne sont pas assez efficaces1658, car elles
n’interviennent que lorsque la société est en difficulté1659. Ainsi s’agissant des
sanctions pénales, un auteur souligne que « L’imprécision qui les caractérise n’est
pas de nature à assurer une quelconque exécution. En effet, faut-il rappeler que
l’Acte Uniforme ne détermine pas les sanctions pénales et renvoie à l’application de
la loi nationale de chaque Etat partie au Traité. Cette situation génère non seulement
un manque d’uniformisation, quant aux sanctions, concernant une même infraction,
selon qu’on se trouve dans un Etat ou dans un autre, mais peut entrainer une quasi-
impunité des actes répréhensibles. Il importe dès lors d’agir en amont pour garantir
une véritable prévention. »1660 Il est clair que des réformes sont nécessaires, afin de
renforcer le contrôle des dirigeants sociaux ou des organes de direction par le
commissaire aux comptes1661, mais surtout afin de renforcer la surveillance même des
activités du commissaire aux comptes au sein des sociétés commerciales et leur
assurer une totale indépendance dans le cadre de l’exercice de leur mission.

                                                            
1657
Paul-Gérard POUGOUE, « Présentation générale du système OHADA », in Les mutations juridiques
dans le système OHADA, sous la direction de André AKAM AKAM, Harmattan, 2009, n° 8, p. 14.
1658
Aziber Seïd ALGADI, op. cit., p. 12.
1659
Aziber Seïd ALGADI, op. cit., p. 13.
1660
Aziber Seïd ALGADI, op. cit., p. 13.
1661
Euloge Mesmin KOUMBA, op. cit., p. 221 et s.
401 

 
402 

 
« Le Ministère Public et la mise en mouvement de l’action civile en droit
de la propriété intellectuelle dans l’espace OHADA »

Par
NGO’O Samuel Emmanuel
Juge d’Instruction au Tribunal de Première et Grande Instance de
Nanga- Eboko, DESS en droit de la propriété intellectuelle
NGUELE MBALLA Fabrice
Juriste-Consult, Cabinet Isis Conseils, Mandataire agrée OAPI,
Doctorant en droit, DESS en droit de la propriété intellectuelle

Résumé
Corps de magistrats établis près les juridictions de l'ordre judiciaire ayant
pour mission de veiller, au nom de la société et dans l'intérêt général, à la bonne
application de la loi et au respect de l'ordre public, le Ministère public ne peut pas en
principe déclencher le procès civil. Il ne peut le faire que dans des cas limitativement
prévus par la loi de façon explicite, le procès civil étant l’affaire des parties, seules
celles-ci ont en règle générale la prérogative du déclenchement de l’action civile.
Seulement fort est de constater qu’en matière de propriété intellectuelle une extension
des cas de mise en mouvement du procès civil par le Ministère public est consacrée
par l’Accord de Bangui Révisé, législation communautaire régissant cette matière
dans tous les Etats membres de l’OHADA. Encore que face aux difficultés de mise en
application pratique de cette extension, quelques solutions sont envisageables.

Plan sommaire
I- La possibilité de mise en mouvement des actions civiles en nullité,
en déchéance et en radiation par le Ministère Public : les mérites de
l’Accord de Bangui Révisé
A- La consécration de l’Accord de Bangui Révisé
1- La formulation de la possibilité de mise en
mouvement des actions civiles en nullité, en radiation
et en déchéance par le Ministère Public
2- Les contours et significations de cette consécration
B- Les mérites de la consécration : la participation à une plus
grande protection des intérêts de l’Etat.
II- Des difficultés d’ordre procédural dans la mise en œuvre de cette
extension
A- De la difficile matérialisation de cette extension
1- La question du mode de saisine du Tribunal civil par le
Ministère Public
2- La question de l’information du Ministère Public
B- Quelques solutions envisageables

403 

 
Conclusion

Introduction
La propriété intellectuelle peut être comprise comme l’appropriation par
l’homme de l’expression de son « génie créateur »1662. Elle s’insère en fait dans un
vaste ensemble dont le socle repose sur le droit de la propriété tel que régi par les
dispositions du code napoléonien. Toutefois, à la différence de la propriété au sens
civiliste du terme qui est centrée sur une appropriation des biens matériels, la
propriété intellectuelle porte sur une autre catégorie de biens axés sur l’appropriation
du savoir dans tous les domaines de l’activité humaine (art, littérature, science,
technologie, commerce, industrie…). On parlera ainsi de propriété industrielle
lorsqu’il s’agira des créations nouvelles1663 ou des signes distinctifs1664, et de propriété
littéraire ou artistique s’agissant des droits d’auteurs et des droits voisins.
Dans l’espace de l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle
(OAPI)1665- espace dans lequel se retrouvent désormais tous les Etats parties au traité
OHADA1666- le dispositif normatif régissant cette matière est constitué entre autre par
l’Accord de Bangui Révisé (ABR)1667 et les législations nationales relatives à la
propriété littéraire et artistique ; cet instrumentum juridique octroi en fait aux
créateurs et autres artistes, une exclusivité d’exploitation de leurs actifs, exclusivité au
demeurant limitée dans le temps et dans l’espace. Néanmoins, l’exercice par ces
derniers des droits exclusifs qui leurs sont ainsi conférés ne se fait bien souvent pas
sans heurt. Des cas de violations des droits de propriété intellectuelle existent
effectivement et donnent lieux à un contentieux notamment judiciaire, au pénal
comme au civil. Le point focal de la présente étude est justement relatif au
contentieux judiciaire civil de la propriété intellectuelle. De fait nous nous attardons
sur l’office du Ministère Public dans la mise en mouvement des actions à fin civile en
matière de propriété intellectuelle.

                                                            
1662
OAPI, Le contentieux de la propriété intellectuelle dans les Etats membres de l’OAPI, Guide du
magistrat et des auxiliaires de justice, 1ere édition, collection OAPI, Yaoundé, 2009, P. 11.
1663
Inventions brevetables, modèle d’utilité, obtentions végétales, topographies des circuits intégrés
1664
Marques, dessins et modèles industriels, noms commerciaux, indications géographiques.
1665
Organisation crée en 1977 et révisée en 1999, constituée du Bénin, du Burkina Faso, du Cameroun, de
République Centrafricaine, du Congo, de la Cote d’ivoire, du Gabon, de la Guinée, de la Guinée
équatoriale, de la Guinée Bissau, du Mali, de la Mauritanie, du Niger, du Sénégal, du Tchad, du Togo et
désormais des iles Comores.
1666
Notamment depuis le 25 mai 2013, avec l’adhésion des iles Comores au traité OAPI.
1667
L’Accord de Bangui du 2 Mars 1977 est issue de la réactualisation de l’Accord de Libreville du 13
septembre 1962 ayant mis en place l’Office Africain et Malgache de la Propriété Intellectuelle (OAMPI) ;
404 

 
L'action civile désigne le moyen par lequel est introduite et partant
déclenchée une instance judicaire civile1668. Par principe général de droit, elle
intervient en dehors de toute infraction pénale. Le Ministère Public ne peut donc
qu’être partie jointe au procès civil qui par conception est l’affaire des parties ; c’est
une suite du principe du dispositif sur lequel s’accorde le droit positif1669. Il ne peut en
règle générale exercer cette action, ni en intenter une autre relativement à elle1670.
Néanmoins une exception est faite à ce précepte. Corps de magistrats établis près les
juridictions de l'ordre judiciaire ayant pour mission de veiller, au nom de la société et
dans l'intérêt général, à la bonne application de la loi et au respect de l'ordre public, le
Ministère public peut intervenir comme partie principale dans des cas limitativement
prévus par la loi de façon explicite. En effet, le droit processuel civil prévoit des cas
dans lesquels le Ministère public peut agir comme partie principale dans un procès
civil et dans ce cadre mettre en mouvement cette action1671. C’est dire qu’en dehors de
ces hypothèses, le Ministère public n’a manifestement aucun rôle à jouer dans le
déclenchement de cette action en vertu des règles traditionnelles qui gouvernent la
procédure civile. Seulement, fort est de constater qu’à la lecture attentive des
dispositions de l’Accord de Bangui Révisé relatives aux actions judiciaires civiles1672,
une extension notable à ce principe est consacrée ici. Sous réserve des
développements à suivre, le Ministère Public loin de n’être qu’une partie jointe au
procès civil, semble même en devenir également une partie principale en matière de
propriété intellectuelle1673.
Ainsi entendu, dans la perspective d’apporter notre modeste pierre à
l'amélioration de l'environnement juridique et judiciaire dans l'ensemble des Etats
parties à l’Ecole Régionale Supérieure de Magistrature (ERSUMA), désormais
rassuré par l’identité du droit matériel de la propriété intellectuelle dans les dits Etats
1674
, et soucieux de participer à la formation et au perfectionnement des magistrats et
                                                            
1668
In www.http://dictionnaire-juridique.jurimodel.com/Action%20civile.html , consulté le 03 juin 2013 à
17h03.
1669
G. Kere Kere, droit civil processuel, la pratique judicaire au Cameroun et devant la Cour
Communautaire de Justice commune et d’arbitrage, 1ère édition, Yaoundé, SOPECAM, 2006, P.106 ; dans
le même sens C. Renaud et V. Mikalef-Toudic, « le ministère public, partie principale dans le procès
civil », article in Revue Internationale de Droit Comparé, vol. 59, n° 3, 2007, pp.723-725 ;
1670
Dictionnaire de droit, Tome I, Paris Dalloz, 2ème édition, 1966, P.47
1671
En droit processuel camerounais il en est ainsi précisément relativement à la protection des absents,
disparus et personnes placées dans un établissement d'aliénés, à la protection des incapables mineurs
et majeurs, relativement à la protection de l'institution du mariage, et à la protection de l’état civil et
de la nationalité. Lire à ce propos M. Njoya Njumou, le rôle du Ministère Public en droit Camerounais,
Mémoire de DEA droit privé fondamental, Université de Yaoundé II, 2006.
1672
Il s’agit notamment de l’article 43 de l’annexe I, de l’article 38 de l’annexe II , des articles 23 et 24 de
l’annexe III, de l’article16 de l’annexe VI, de l’article 14 de l’annexe V et de l’article 40 annexe X.
1673
S.E Ngo’o « le rôle du Ministère Public dans le contentieux judiciaire de la propriété intellectuelle »,
Mémoire de DESS en droit de la propriété intellectuelle, Université de Yaoundé II, 2012, P.46.
1674
Depuis le 25 mai 2013, avec l’intégration des iles Comores dans l’espace OAPI, tous les états
signataires du traité harmonisant le droit des affaires au sein de l’OHADA sont en effet également
signataires du traité de l’OAPI et de ses annexes sur les différents droits de propriété intellectuelle.
405 

 
des auxiliaires de justice de ces Etats en droit des affaires et en droit comparé,
l’intérêt scientifique de notre présente contribution au Numéro 3 de la Revue
scientifique de cette école régionale est à la fois théorique et pratique ; Dans une
perspective théorique, il s’agit de relever pour s’en inspirer les atouts et limites de
notre législation en matière de procédure civile. Toute chose qui sur un terrain
pratique permettra à coup sûr de participer à l’édification et au meilleur outillage des
acteurs du contentieux de la propriété intellectuelle que sont les magistrats
notamment, pour un meilleur rendu de la justice en cette matière.
Au-delà de cet intérêt dual, il est constant que l’on puisse raisonnablement
opposer la question de l’opportunité, sinon de la justesse de l’incorporation de notre
contribution, relevant éminemment du droit de la propriété intellectuelle, dans une
revue scientifique de droit des affaires en l’occurrence celle de l’ERSUMA. Le
fondement de cette interrogation peut pour le moins s’expliquer par le fait qu’il
n’existe jusqu’à ce jour aucun acte uniforme OHADA sur le droit de la propriété
intellectuelle. Pour le reste, la justification de notre contribution à la présente revue
réside entre autre sur le fait d’abord que les acteurs économiques du monde des
affaires sont inévitablement saisis par les questions liées au fonds de commerce1675, à
l’innovation, à la concurrence déloyale, bref à la propriété intellectuelle. Ensuite il
importe de préciser avec les Professeurs Joseph ISSA SAYEGH et Paul-Gérard
POUGOUE1676, que la réforme projetée des missions et du fonctionnement de
l’ERSUMA, recommande un élargissement rationae materiae du champ de formation
au sein de cette école régionale, lequel élargissement est susceptible d’intégrer le droit
de la propriété intellectuelle afin de compléter et de rendre plus cohérent le paysage
juridique uniformisé des Etats membres de l’OHADA dont tous les Etats membres
sont au demeurant désormais également signataires de l’ABR instituant l’OAPI.
Ainsi entendu, c’est par une approche descriptive et analytique, illustrée par
une bibliographie actualisée, que nous examinons les singularités de l’office du
Ministère Public dans le déclenchement de l’action civile en matière de propriété
intellectuelle. Dans ce sens il importe de relever le mérite du législateur de Bangui
dans sa consécration de la possibilité de déclenchement des actions civiles en nullité,
en déchéance et en radiation par le Ministère Public (I), même si un minutieux regard
critique nous impose de regretter des difficultés d’ordre procédural dans la mise en
œuvre de cette extension (II).

                                                            
1675
Celui-ci étant considéré dans ses composantes et actifs corporelles ou incorporelles, matérielles comme
immatérielles ; Cf. article 135 et s. Acte Uniforme sur le Droit Commercial Général.
1676
J. Issa Sayegh et P. G. Pougoué, l’OHADA, défis, problèmes et tentatives de solutions communication
écrite préparée pour les Actes du Colloque sur “l’harmonisation du droit OHADA des contrats” tenu à
Ouagadougou (Burkina Faso) du 15 au 17 novembre 2007, ayant notamment pour objet la discussion de
l’avant-projet d’Acte uniforme OHADA sur le droit des contrats (2005) in Revue de Droit Uniforme, 2008,
P.461.
406 

 
* *

I- La possibilité de mise en mouvement des actions civiles


en nullité, en déchéance et en radiation par le Ministère
Public : les mérites de l’Accord de Bangui Révisé

En effet dans l’esprit de l’Accord de Bangui révisé, la considération des


spécificités inhérentes au droit de la propriété intellectuelle est de nature à motiver
une certaine inflation de l’office du Ministère Public dans cette matière. En fait, le
droit de la propriété intellectuelle se particularise par la constante recherche de
l’équilibre entre d’une part l’intérêt des créateurs et autres innovateurs, dont il importe
d’encourager les créations et autres solutions apportées aux problèmes sociaux par
l’octroi d’exclusivités d’exploitation, et d’autre part l’intérêt général de la société, qui
souffrirait à coup sûr d’une extension abusive de privilèges accordés aux créateurs et
innovateurs1677. Entendu comme le corps de magistrats établi auprès des juridictions
de l'ordre judiciaire, ayant pour mission de veiller, au nom de la société et dans
l'intérêt général, à la bonne application de la loi et au respect de l'ordre public, Il va
sans dire que l'exercice de sa mission par le Ministère Public doive pour le reste tenir
compte des droits et libertés des citoyens et de l’intérêt de la société. C’est dans ce
sens qu’il faut certainement interpréter l’originale extension par l’ABR, de la
possibilité de déclenchement de l’action civile par le Ministère Public. Cette
consécration a été faite notamment en ce qui concerne les actions civiles en nullité, en
radiation et en déchéance des titres de propriété industrielle. Il convient d’examiner
les termes et contours de la consécration de l’ABR (A), afin d’en analyser les mérites
(B).

A- La consécration de l’Accord de Bangui Révisé

En fait, l’Accord de Bangui dans sa dernière révision de 1999, attribut au


Ministère Public le droit d’exercer les actions civiles en nullité, en radiation ou en
déchéance devant les juridictions civiles. Il importe de prime abord de présenter la
terminologie et le cadre de la formulation de cette consécration (1) avant d’en élucider
les contours et significations (2).

                                                            
1677
Cf. S. Ngo Bem, l’intérêt général et la protection des médicaments par le brevet dans les pays en
développement, Mémoire de DESS « Accords et propriété industrielle », Strasbourg, Université Robert
Schuman- 2003, P. 9
407 

 
1- La formulation de la possibilité de mise en mouvement des actions
civiles en nullité, en radiation et en déchéance par le Ministère
Public

Le législateur communautaire formule cette possibilité tantôt implicitement,


par l’emploi d’une terminologie vague et extensive dans la définition des personnes
ayant le droit d’exercer ces actions, tantôt même de manière expresse et explicite dans
l’énumération des titulaires de cette action concernant certains actifs de propriété
intellectuelle.
Implicitement, dans ses dispositions relatives à l’exercice de l’action en
nullité ou en déchéance tout comme dans celles relatives à la radiation, l’ABR parle
de « toute personne intéressée » s’agissant des titulaires de ses actions civiles. Il en
est ainsi notamment s’agissant tant des inventions brevetables1678, des modèles
d’utilité1679, des marques1680 ou des noms commerciaux1681. C’est dire que sont visées
toutes personnes pouvant justifier d’un intérêt à voir les titres en question annulés,
déchus, ou radiés. De jure et de facto, rien n’exclut ainsi que le Ministère Public ne
soit visé par ces articles, considération étant faite de ce que c’est lui qui, par
définition, a la charge de veiller au respect de la loi de l’ordre public et des intérêts de
l’Etat. Telle peut justement être son intérêt dans de telles procédures. A titre
d’illustration, dans l’hypothèse où un signe contraire à l’ordre public parvient à être
enregistré comme marque tout porte à croire, d’après ce qui précède, que le Ministère
Public puisse normalement mettre en mouvement l’action civile en nullité d’une telle
marque ; c’est le sens qu’il faut implicitement donner à ces dispositions de l’Accord
de Bangui Révisé.
De plus et de manière plus explicite et plus expresse, dans certains cas
l’Accord énonce la possibilité pour le Ministère Public d’exercer les actions civiles
susvisées. C’est ainsi que l’article 43 de l’annexe I sur les inventions brevetables,
intitulé exercice de l’action en nullité ou en déchéance, après avoir énoncé en son
alinéa 1 que :
« L’action en nullité et l’action en déchéance peuvent être exercées
par
toute personne y ayant intérêt »,
stipule dans son alinéa 2 que :
« Dans toute instance tendant à faire prononcer la nullité ou la
déchéance d’un brevet, le Ministère Public peut se rendre partie intervenante et
prendre des réquisitions pour faire prononcer la nullité ou la déchéance absolue du
brevet ».
D’ailleurs cet article renchérit d’ailleurs en postulant en son alinéa 3 que :
                                                            
1678
Article 43 alinéa 1 de l’annexe I.
1679
Article 38 alinéa 1 de l’annexe II.
1680
Article 23 et 24 de l’annexe III.
1681
Article 14 de l’annexe V.
408 

 
« Il (le Ministère Public) peut même se pourvoir directement par
action principale pour faire prononcer la nullité, dans les cas prévus par l’article
39.1) b) ».

Telle est formulée la possibilité de l’action même principale du Ministère


Public dans le procès civil en matière de brevet, et précisément quant à la nullité ou la
déchéance d’un titre de propriété intellectuelle.
Cette formulation n’est pas unique pour les inventions brevetables. On la
retrouve en substance dans les dispositions de l’Accord pour ce qui est des autres
catégories de la propriété intellectuelle. Ainsi notamment, l’article 38 de l’annexe II
sur les modèles d’utilité énonce pareillement que :
« 1) L’action en nullité et l’action en déchéance peuvent être exercées par
toute personne y ayant intérêt.
2) Dans toute instance tendant à faire prononcer la nullité ou la déchéance
d’un modèle d’utilité, le Ministère Public peut intervenir et prendre des réquisitions
pour faire prononcer la nullité ou la déchéance absolue du modèle d’utilité.
3) Il peut même se pourvoir directement par action principale pour faire
prononcer la nullité, dans les cas prévus par l’article 34.1(b). »

Il en va de même pour l’article 24 de l’annexe III sur les marques, intitulé


« nullité » qui dispose que :
« 1) L’annulation des effets sur le territoire national de l’enregistrement
d’une marque est prononcée par les tribunaux civils à la requête, soit du Ministère
Public, soit de toute personne ou syndicat professionnel intéressé ».

Similairement en est-il pour ce qui est de la radiation de la marque. L’article


23 de l’annexe 3 intitulé « Radiation » dispose :
« A la requête de tout intéressé, le Tribunal peut ordonner la radiation de
toute marque enregistrée qui, pendant une durée ininterrompue de 5 ans précédant
l’action, n’a pas été utilisée sur le territoire national de l’un des Etats membres pour
autant que son titulaire ne justifie pas d’excuses légitimes ».
On pourrait ainsi poursuivre le même raisonnement relativement aux autres
catégories de propriété intellectuelle1682.
                                                            
1682
Article 14 de l’annexe V pour ce qui est des noms commerciaux : « L'annulation des effets sur le
territoire national de l'un des Etats membres de l'enregistrement d'un nom commercial est prononcée par
les tribunaux civils à la requête, soit du Ministère Public soit de toute personne physique ou morale
intéressée ». Article16 de l’annexe VI pour ce qui est des Indications Géographiques « 1) Toute personne
intéressée ainsi que tout groupement intéressé de producteurs ou de consommateurs peuvent intenter les
actions prévues à l’alinéa 2) contre l’auteur de l’utilisation illicite, au sens de l’article 15.3) et 5) d’une
indication géographique enregistrée et contre les personnes contribuant à cette utilisation. » et article 40
de l’annexe X pour ce qui est des Obtentions Végétales « 1) Toute personne qui justifie d’un intérêt peut
saisir le Directeur Général d’une demande d’annulation. »
 
409 

 
Au total, voilà comment se trouve formulé tant implicitement
qu’explicitement, la consécration de la possibilité de mise en mouvement de l’action
civile par le Ministère public. Il s’agit maintenant de préciser les contours et
significations de cette consécration.

2- Les contours et significations de cette consécration


Les dispositions sus évoquées indiquent singulièrement que dans les
hypothèses de nullité, de déchéance ou de radiation des titres de propriété
intellectuelle, le Ministère public, en l’occurrence les Procureurs Généraux, les
Procureurs de la République ou même leurs auxiliaires - les officiers de polices
judiciaires, peuvent même d’office déclencher l’action civile devant les juridictions
civiles. Il importe de s’arrêter un temps soit peu sur la signification des concept de
nullités, déchéance et radiation en matière de propriété intellectuelle toute chose qui
nous permettra à coup sûr de mieux cerner les contours de la consécration de cette
singulière possibilité pour le Ministère public de déclencher l’action civile devant les
juridictions civiles.
La nullité est la sanction prononcée à l’encontre d’un titre de propriété
intellectuelle en l’occurrence de propriété industrielle, obtenue en ignorance des
conditions de fond ou de forme prévues par l’ABR. D’après la législation
communautaire1683 elle est prononcée à l’issue d’une action civile exercée devant une
juridiction civile. Sont limitativement concernées par l’action en nullité, l’invention
brevetable, le modèle d’utilité, la marque, le nom commercial, l’obtention végétale et
les schémas de configuration encore appelée topographie des circuits intégrés1684.
Ainsi entendu et à titre d’illustration, d’après l’article 24 de l’annexe III de
l’ABR, l'annulation des effets sur le territoire national de l'enregistrement d'une
marque peut être prononcée par les Tribunaux Civils à la requête notamment du
Ministère Public, à l’encontre d’une marque enregistrée en ignorance des
dispositions des articles 2 et 3 de l’annexe III, lesquelles dispositions indiquent les
signes admis en tant que marque, et les marques ne pouvant être valablement
enregistrée. Il en est ainsi par exemple de la marque dépourvue de caractère distinctif
notamment du fait qu'elle est constituée de signes ou d'indication constituant la
désignation nécessaire ou générique du produit ou la composition du produit
marqué1685. Aux termes des articles 24 et suivants susvisés, le Ministère Public peut

                                                            
1683
L’Accord de Bangui révisé..donne compétence aux juridictions civiles des Etats membres en matière de
nullité, de radiation et de déchéance. Le juge civil a par conséquent une compétence de droit commun en la
matière. Les articles 44 de l’annexe I, 39(1) de l’Annexe II, 47(1) de l’Annexe III, et 38(1) de l’Annexe IX
en rendent notamment compte pour ce qui est respectivement des brevets d’invention, des modèles d’utilité,
des marques de produits et de services, et des schémas de configuration.
1684
In S.E Ngo’o, op. cit. P. 49
1685
In F. Nguele Mballa, usage et droit des signes distinctifs dans l’espace OAPI : le cas des marques de
produits et de service, Mémoire de DESS en droit de la propriété intellectuelle, Université de Yaoundé II,
2011, P.28
410 

 
raisonnablement et même expressément déclencher l’action civile visant l’annulation
des effets de l’enregistrement d’un tel signe comme marque.
D’un autre coté, la déchéance se définit substantiellement comme la perte
d’un droit soit à titre de sanction, soit en raison du non – respect des conditions
d’exercice et d’exploitation d’un titre de propriété industrielle.

L’action en déchéance peut être engagée devant les tribunaux civils à l’encon
tre du titulaire d’un brevet, d’une marque
ou d’un modèle d’utilité, qui n’a pas acquitté son annuité à la date
anniversaire du dépôt de la demande, ni dans le délai de grâce de six mois suivant
cette date et qui en outre a laissé passer le délai de restauration1686; elle peut
également être prononcée à l’encontre
du titulaire d’une marque collective dans les cas où ce dernier a cessé d’exister, ou
dans celui où le règlement qui en fixe les conditions d’utilisation est contraire
à l’ordre public ou aux bonnes mœurs.
La radiation quant à elle peut être demandée par le Ministère Public devant
une Juridiction civile pour une marque enregistrée non
exploitée, une indication géographique enregistrée, un schéma de configuration enregi
stré ;
Elle peut également être requise pour la dénomination d’une variété végétale
nouvelle, à la suite d’une décision judiciaire interdisant l’utilisation de la
dénomination en relation avec la variété.
En définitive, telles se présentent les différentes hypothèses pour lesquelles
l’Accord de Bangui Révisé consacre au Ministère Public la prérogative même d’office
de déclencher l’action civile devant les juridictions civiles.
Ainsi entendu il importe de saluer en le fondant le mérite de cette
consécration.

B- Les mérites de la consécration : la participation à une plus grande


protection des intérêts de l’Etat.

En effet, la consécration de l’extension de saisine des juridictions civiles par


le Ministère Public telle que sus-développée et dont on peut louer l’originalité,
exprime pour notre législation communautaire une plus grande implication des
autorités judiciaires dans la protection des intérêts des Etats membres partie à
l’Accord de Bangui Révisé.

                                                            
1686
In OAPI, Le contentieux de la propriété intellectuelle dans les Etats membres de l’OAPI, Guide du
magistrat et des auxiliaires de justice, op. cit. P.92
411 

 
En fait, partant du postulat selon lequel les cas d’intervention à titre principal
du Ministère Public sont prosaïquement et généralement constitués par les
hypothèses de non-respect des dispositions légales visant la protection des intérêts
étatiques, l’on est amené à apprécier cette consécration d’une extension des missions
classiques du Ministère Public. A titre d’illustration, dans le cas des brevets
d’invention, ainsi qu’il a été relevé plus haut, le Ministère Public peut se pourvoir
directement par action principale pour faire prononcer la nullité, dans les cas prévus
par l’article 39.1(b) de l’annexe I de l’ABR; il s’agit précisément des hypothèses
d’inventions non susceptibles d’être brevetées, aux termes de l’article 6 du même
annexe. La lecture de l’alinéa-a de cet article évoque justement :

« L’invention dont l’exploitation est contraire à l’ordre public ou aux


bonnes mœurs ».

On comprend dès lors la justesse de l’office du Ministère Public dans


l’action civile en matière de nullité pour non-conformité à l’ordre public et aux
bonnes mœurs.
Le même raisonnement peut être pareillement effectué dans les autres cas
d’actions principales possibles par le Ministère Public. Evoquons ainsi le cas des
objets non protégeables comme modèles d’utilité (article 4 alinéa 1 annexe II ABR),
ou encore le cas des signes non protégeables comme marques dans le sens des alinéas
c et e de l’article 3 de l’Annexe III ; ces dernières dispositions concernent les cas de
marques contraires à l’ordre public, aux bonnes mœurs ou aux lois et les cas de
marques qui reproduisent, imitent ou contiennent parmi leurs éléments des armoiries,
drapeaux ou autres emblèmes, abréviation ou sigle ou un signe ou poinçon officiel de
contrôle et de garantie d’un Etat ou d’une organisation intergouvernementale créée
par une convention internationale, sauf autorisation de l’autorité compétente de cet
Etat ou de cette Organisation.
Ainsi entendu, s’il faut certes saluer le brio de l’extension originale ainsi
introduite dans l’office du Ministère Public par le législateur de Bangui, il reste que
de farouches difficultés d’ordre procédural enrayent la mise en œuvre de cette
extension.

II- Des difficultés d’ordre procédural dans la mise en


œuvre
de cette extension

Dans une perspective pratique, et nonobstant le mérite à reconnaitre à


l’initiative du législateur OAPI, il importe de remarquer pour le critiquer, la difficulté
de concrétiser l’exception de mise en mouvement de l’action civile par Ministère
Public, en l’état actuel de notre législation. De fait il convient de relever la difficile

412 

 
matérialisation de cette extension afin d’oser quelques propositions pour le
contournement de cette difficulté.

A- De la difficile matérialisation de cette exception


En effet, si la consécration de la faculté du Ministère Public de déclencher
les actions civiles en nullité, en déchéance ou radiation des titres de propriété
industrielle reste méritoire, il demeure concrètement peut évident de concevoir la
réalité de l’exercice de telles actions. L’on se doit en effet de se poser inévitablement
la question de savoir comment et par quel moyen juridique le Procureur de la
République saisira t-il en pratique le Tribunal statuant en matière civile ? De plus et
de manière non limitative l’on peut raisonnablement se demander comment le
Ministère Public sera informé de l’enregistrement d’un titre de propriété industrielle
susceptible de faire l’objet d’une action civile dans le contexte actuel de délivrance de
ces titres par l’Organisation Africaine de Propriété Intellectuelle ?

1- La question du mode de saisine du Tribunal civil par le Ministère


Public
S’agissant du mode de saisine du Tribunal civil par le Ministère Public, la
difficulté émane en effet ici du fait qu’en matière civile, classiquement compris, les
modes de saisine des juridictions civiles généralement prévus par les codes de
procédure civile et commerciale en vigueur dans l’espace OAPI-OHADA sont
ordinairement constitués par l’assignation par voie d’huissier, la requête conjointe au
greffe, la présentation volontaire des parties devant le Juge, et la déclaration au
Greffe. Comme on peut s’en apercevoir ces modes de saisines sont difficilement
envisageables pour le Ministère Public. Ce dernier obéit en fait à une toute autre
typologie de moyens de saisine. Ordinairement en effet, dans son domaine de
compétence par excellence, en l’occurrence la matière pénale, après avoir reçu une
dénonciation, ou une plainte ou même d’office, le Procureur de la République saisit
l’Officier de Police Judiciaire compétent pour enquête à l’issue de laquelle, un procès-
verbal est dressé, lequel détermine l’option d’engagement des poursuites et de mise en
mouvement de l’action publique par voie de citation directe, par voie de flagrant délit,
ou encore par la saisine du juge d’instruction par un réquisitoire introductif
d’instance, en vue de l’ouverture d’une information judiciaire. Aussi, dans le silence
du législateur communautaire sur cet aspect du droit processuel de la propriété
intellectuelle, on voit mal le Procureur de la République en passe de faire une
assignation par voie d’huissier, une requête conjointe au greffe civile, ou même une
déclaration aux dites greffes. Ainsi, en raison de cette inadéquation des moyens
d’actions traditionnelles du Ministère Public avec les modes classiques de saisine du
Tribunal civil, de réelles difficultés d’application de l’extension de compétence à titre
principal du Ministère Public en matière civile sont à relever. Ces difficultés
s’étendent d’ailleurs aux moyens d’information du Ministère Public de l’existence
d’un titre de propriété industriel enregistré qui serait susceptible d’annulation, de
radiation ou de déchéance.

413 

 
La question de l’information du Ministère Public
En fait, il est concrètement nécessaire pour le Ministère Public d’être informé
de ce qu’un titre de propriété industrielle enregistré est susceptible de subir la sanction
de la nullité de la déchéance ou de la radiation, pour qu’il puisse mettre en
mouvement l’action civile dans ces différentes hypothèses. En effet ceci est une des
conditions sine qua non pour que la matérialité ce cette faculté soit réellement
possible. A défaut, un titre susceptible de sanction pourra subsister à l’insu du
Ministère Public, et partant ne pourra pas faire l’objet d’une action civile de sa part.
La pertinence de cette préoccupation s’impose d’autant plus qu’aucune
mesure pratique n’est légalement prévue par le législateur communautaire pour
permettre une prompte information du Ministère Public sur la situation des actifs en
cours d’enregistrement à l’OAPI ; ce qui handicape véritablement la faculté pour ce
dernier de porter un regard critique sur ces actifs et de pouvoir ainsi mettre
éventuellement en mouvement les actions civiles en nullité, déchéance, ou en
radiation ainsi que le prévoit l’ABR. C’est dire que des mesures sont à prendre dans
ce sens également.
Au demeurant, il ne reste qu’à concevoir des solutions originales pour
réaliser cette extension prévue par le législateur communautaire.

B- Quelques solutions envisageables

Dans le silence du texte de l’Accord de Bangui Révisé, il semble essentiel de


concevoir et suggérer, quelques solutions en vue de résorber ce vide juridique, et de
réaliser cette exception prévue par le législateur communautaire. La première issue
envisageable serait pour le législateur OAPI, de définir avec précision le mode de
saisine du Tribunal civil par le Ministère Public. Seulement, en vertu du caractère
éminemment national du droit processuel, cette prérogative semble devoir ressortir
plutôt de la compétence des législations nationales. C’est donc à elles que pourrait
revenir l’office de déterminer les modes de saisine du Tribunal civil par le Ministère
Public dans ces cas.
Du reste, et en pratique, le mode de saisine du Tribunal Civil par le
Ministère Public qui nous parait le plus indiqué semble être la simple requête adressée
au Président du Tribunal concerné.
Ainsi dans le cas notamment du Cameroun la requête pourrait être adressée
au Président du Tribunal de Première Instance, juridiction compétente pour statuer sur
les demandes en nullité, radiation et déchéance.
En outre, relativement au moyen d’information du Ministère Public, c’est le
lieu de susciter une plus grande communication entre les institutions en charge de
l’enregistrement et du maintien en vigueur des titres, et celles en charge de veiller à
leur conformité notamment à l’ordre public et aux intérêts des différents Etats
membres de l’OAPI. Cette collaboration est indispensable pour que l’extension du
déclenchement de l’action civile par le Ministère Public telle que prévue par le
législateur communautaire soit rendue plus évidente.

414 

 
*
* *

Conclusion

En conclusion, la question majeure qui constituait l’essence de notre


problématique était relative à l’office du Ministère Public dans la mise en mouvement
de l’action civile en matière de propriété intellectuelle dans l’espace OHADA. De fait
nous avons été amené à constater que le législateur communautaire, tantôt
implicitement, sinon même explicitement, donne prérogative au Ministère Public de
déclencher les actions civiles en nullité, en déchéance ou en radiation des titres de
propriété intellectuelles. Somme toute, une analyse critique de cette remarquable
originalité, impose de relever le mérite de cette singulière extension relativement à la
plus grande protection des intérêts des Etats, même s’il reste que dans la pratique des
difficultés procédurales, rendent peu évidente la mise en œuvre de cette exception du
droit processuel de la propriété intellectuelle. C’est dire que des mesures sont à
prendre dans ce sens ainsi qu’il a été suggéré plus haut.

415 

 
416 

 
SCOLIE SUR QUELQUES POINTS DU FORMALISME DE L’EXECUTION
DES DECISIONS DE JUSTICE NON REPRESSIVES EN DROIT OHADA
Par Sara Nandjip Moneyang, Chargée de Cours, Département de Droit des Affaires,
Faculté des sciences juridiques et politiques, Université de Douala

Le droit serait purement théorique et donc lettre morte, s’il se limitait


uniquement à la décision de justice rendue par les juridictions. Il faut alors permettre
à la partie gagnante, notamment le créancier, d’obtenir l’exécution de la décision
rendue, sans être obligée de se soumettre à une seconde procédure qui serait aussi
complexe qu’onéreuse. En effet, « l’inexécution d’une décision de justice génère pour
la partie qui l’a emporté, un sentiment d’injustice d’autant plus exacerbée qu’elle
n’aura parfois obtenue cette décision qu’à la suite d’un procès long et onéreux »1687.
L’exécution d’une décision de justice apparaît alors comme une étape importante pour
la partie qui triomphe, et doit dès lors être considéré comme faisant partie intégrante
du procès, comme l’affirme avec force la Convention Européenne des droits de
l’Homme en ces termes : « l’exécution d’un jugement ou d’un arrêt, de quelque
juridiction que ce soit, doit être considérée comme faisant partie intégrante du
procès »1688. C’est dire que le procès est encore inachevé si le vainqueur ne peut
obtenir l’exécution de la décision rendue. C’est fort de cela que le législateur
OHADA met à la disposition du créancier, partie gagnante, divers mécanismes pour
permettre de vaincre la résistance parfois doublée de mauvaise foi du débiteur, partie
perdante. Ces mécanismes sont appelés « voies d’exécution », c’est-à-dire un
ensemble de procédures qui permettent au créancier d’obtenir l’exécution des actes et
jugements qui lui reconnaissent des prérogatives ou des droits.
L’exécution peut se faire de manière volontaire ou forcée. Lorsqu’elle se fait
volontairement, il n’ya pas de problème car la partie qui succombe doit exécuter
spontanément, sans même attendre que la décision soit devenue définitive, ou qu’elle
soit nantie de tout autre titre exécutoire1689. Cette partie c’est le débiteur de
l’obligation qui naît de la décision rendue. Malheureusement, les choses ne se passent
pas aussi simplement, car le débiteur s’exécute rarement de manière volontaire ; il
faut l’y contraindre, au besoin par la force. Il se pose alors la question de savoir si les
mesures de contraintes envisagées par l’Acte Uniforme OHADA portant organisation
des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution (AUVE) pour
permettre au créancier de rentrer dans ses droits ne doivent pas être accompagnées
des dispositions prises par le même législateur pour encadrer le débiteur malheureux ?
L’interrogation est importante car pour la sécurité des transactions et la pérennité des
affaires, un équilibre doit être recherché dans la protection des intérêts tant du
créancier que du débiteur. Le législateur OHADA veille à l’établissement de cet
                                                            
1687
Hugon (C), L’exécution des décisions de justice , in Libertés et droits fondamentaux, 7è éd. Dalloz
2001, No 785, P. 612.
1688
CEDH citée par Vinckel (F), Droit de l’exécution forcée, LGDJ-Montchrestien, 1997, 30.
1689
Cf. Art. 33 AUVE.
417 

 
équilibre, raison pour laquelle, il protège également le débiteur. Au rang de cette
protection, le législateur prévoit que l’exécution forcée ne porte que sur les biens du
débiteur qui ne lui sont pas indispensables à son existence. De même, les actes
ponctuant les saisies doivent comporter de très nombreuses mentions obligatoires
visant à informer le débiteur sur les droits1690 qu’il peut faire valoir et sur les
conditions de saisie de ses biens. Enfin, le débiteur jouit dans certains cas, d’une
immunité d’exécution. Cette amabilité du législateur a suscité un débat doctrine
considérable. Certains praticiens pensent que cette prise en compte de la situation du
débiteur « risque de nuire à la logique »1691, ou encore qu’il s’agit « des techniques
d’équilibrages »1692. D’autres estiment qu’il s’agit d’un « passe-droit de ne pas payer
ses dettes »1693 fait au débiteur. Mais ne s’agit-il pas d’une appréciation trop hâtive de
la pensée du législateur, lorsque l’on sait que le débiteur et le créancier sont très
souvent les acteurs d’une même pièce, de telle sorte que l’élimination de l’un peut
entrainer la chute de l’autre, et que le droit des affaires se construit en réalité autour
de ces deux principaux partenaires? Il est dès lors sage, d’encadrer les droits
processuels du débiteur (I), tout en rendant raisonnable le formalisme de mise œuvre
effective de l’exécution des décisions (II).
I- L’impératif d’encadrement des droits processuels du débiteur
Le législateur a encadré les droits processuels du débiteur par la mise en place de
diverses formalités devant être observées par le créancier ou son représentant lors des
opérations de saisies. Ces formalités qui sont la preuve du souci du législateur de
mettre les parties que sont le débiteur et le créancier, sur un même pied d’égalité, sont
très souvent analysées, à tord ou à raison, comme des mécanismes de protection du
débiteur devant être réaménagés, pour ne constituer en aucun cas, une entrave à la
bonne réalisation des droits du créancier, d’où les limitations juridiques des droits
procéduraux du débiteur. Deux de ces limitations suscitent des interrogations sur leur
opportunité. Il s’agit de celles qui portent sur les moyens de défense du débiteur ayant
trait à ses biens ou à sa personne (A) et de celles qui portent sur les formalismes de
saisie, notamment, le commandement de payer (B).
A- Le nécessaire réaménagement des moyens de défense du débiteur
Dans un souci d’équilibre, le législateur n’a pas laissé le créancier agir à sa guise
envers le débiteur. Mais pour éviter les critiques apportés à la largesse du législateur
à l’égard du débiteur1694, les moyens de défense du débiteur par rapport au droit de

                                                            
1690
Notamment, les voies de droit pratiqué, les délais de recours, le délai de grâce
1691
Me Omam (F), (huissier de justice), Le rôle de l’huissier de justice en matière d’exécution des décisions
de justice depuis l’acte uniforme relatif aux mesures de recouvrement et aux voies d’exécution, RCDA No
4, juillet-Septembre 2000, P 9 et suivants.
1692
Nzuenkeu (A), L’OHADA et la reforme des procédures civiles d’exécution en droit africain, l’exemple
du Cameroun, Juridis Périodique No 50, Avril - Mai – Juin 2002, P. 113 et suivants.
1693
Soh (M), Insaisissabilité et immunité d’exécution dans la législation OHADA ou le passe – droit de ne
pas payer ses dettes, Juridis Périodique No 51, Juillet - Août – Septembre 2002, P. 89.
1694
Voir Me Omam (F), Nzuenkeu (A), Soh (M), Op. Cit.
418 

 
saisie du créancier doivent être reformés. L’on distingue les moyens de défense
empêchant la saisie de ceux visant seulement à la retarder.
1) Les moyens de défense empêchant la saisie
Les empêchements pouvant contrecarrer le droit de saisie du créancier tiennent
tantôt à la nature des biens à saisir, c’est le cas des insaisissabilités, tantôt à la
personnalité du débiteur, c’est l’hypothèse de l’immunité de saisie.
S’agissant des insaisissabilités, elles se justifient par le fait que la vie ne peut être
possible en l’absence de certains biens qualifiés d’indispensables à la survie de l’être
humain. Le débiteur doit conserver ne serait-ce que le minimum vital. Cette idée est
traduite dans l’article 50 de l’AUVE qui dispose que «les saisies peuvent porter sur
tous les biens appartenant au débiteur, alors même qu’ils seraient détenus par des
tiers, sauf s’ils ont été déclarés insaisissables par la loi nationale de chaque Etat
partie… ».Cette règle de l’insaisissabilité entame évidemment l’effectivité de
l’exercice du droit à l’exécution du créancier1695, surtout lorsque le législateur laisse la
détermination des biens et droits insaisissables au pouvoir souverain de chaque Etat
partie. Il ya dès lors lieu de craindre la multiplication infinie des cas
d’insaisissabilités, entraînant alors, comme l’a relevé un auteur, « un original
transfert de la protection sociale des plus démunis à la charge du créancier »1696, qui
serait alors confronté à une impossibilité manifeste de réaliser ses droits. Cependant,
on peut déduire de l’énumération des choses déclarées insaisissables par l’article 315
du Code de Procédure Civile applicable au Cameroun (CPCC), une raisonnable
conception des choses indispensables à l’existence et à la dignité humaine1697. Mais
d’autres textes épars font également allusion aux insaisissabilités et c’est justement
cette dispersion de textes qui peut être source de difficultés, et même de contestation
de la part du créancier qui veut saisir. En effet, lorsque l’inaliénabilité s’applique aux
droits d’usage et d’habitation1698 ou encore à l’usufruit légal des parents sur les biens
de leurs enfants1699, ou encore sur les biens indivis1700, il est à craindre que le
créancier ne se retrouve dans une situation dans laquelle il ne peut saisir aucun bien
du débiteur. Dans ce dernier cas par exemple, ne serait-il pas judicieux de permettre
au créancier de demander la division afin d’exercer son droit ou encore d’obtenir la
résolution des clauses d’inaliénabilité portant sur les donations et les legs ou insérées
dans les contrats de mariage, lorsque que ces clauses ne portent pas sur les biens

                                                            
1695
Leborgne (A), Droit à l’exécution, Recueil Dalloz No 17, Avril 2008, P. 1170.
1696
Soh (M), Op. Cit. , V.aussi, Kuate Tameghe (S), La protection du débiteur dans les procédures civiles
d’exécution, L’Harmattan, 2004, No 6 P. 19 ; No 56 P. 66.
1697
L’art. 315 CPCC dispose que « seront insaisissables : les choses déclarées insaisissables par la loi, les
provisions alimentaires adjugées par justice, les sommes et objets disponibles déclarée insaisissables par le
législateur ou le donateur, les sommes et pensions pour aliment encore que le testament ou l’acte de
donation ne les déclarent pas insaisissables ». L’art. 327 CPCC fournit une liste de ces objets dont fait
référence l’art. 315.
1698
Art. 631 et 634 CPCC.
1699
Art. 384 CPCC.
1700
Art. 249 AUVE.
419 

 
indispensables à la vie du débiteur? En effet, de telles clauses ont généralement pour
seul but de protéger et de pérenniser les biens de famille.
En ce qui concerne l’immunité de saisie, elle est sans contexte, une entrave
de droit à l’exercice des droits du créancier. Elle trouve son fondement dans l’article
30 AUVE, qui prévoit que l’exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont
pas applicables aux personnes qui bénéficient d’une immunité d’exécution.
Cependant, aucune précision n’est faite sur les bénéficiaires d’une telle immunité.
L’alinéa 2 de l’article 30 fait allusion aux personnes morales de droit public quelle
qu’en soit la forme ou la mission et aux entreprises publiques. Cette extension de
l’immunité peut paraître incongrue, lorsque l’on sait que la solvabilité de la personne
morale est plus probable que celle de la personne physique. Cette incongruité est
encore plus choquante lorsque le législateur étend l’immunité aux sociétés d’Etat1701.
Si cette soustraction des personnes morales et entreprises publiques au pouvoir de
saisie du créancier se justifie par les prérogatives de puissance publique et la
prépondérance de l’intérêt général, il est clair que des aberrations risquent d’être
observées, surtout dans les cas de condamnation aux dommages – intérêts. Or, la
personne morale ayant commis une faute au travers de la personne physique, cela peut
bien donner lieu à la mise en jeu de la responsabilité du commettant qui ayant payé,
pourra se retourner contre son préposé fautif1702. Ne pas trouver quelques ébauches de
solutions comme celle-ci revient à jeter le créancier en pâture.
L’AUVE en son article 30 alinéa 2 a cru devoir trouver une solution dans la
compensation, en disposant que « Les dettes certaines, liquides et exigibles des
personnes morales de droit public ou des entreprises publiques, quelles qu’en soient
la forme et la mission, donnent lieu à compensation avec les dettes également
certaines, liquides et exigibles dont quiconque sera tenu envers elles, sous réserve de
réciprocité… ». Cependant la compensation de l’AUVE présente quelques spécificités
par rapport à la compensation de droit commun1703. On peut noter l’absence d’égalité
entre les parties, traduite par la prérogative de puissance publique de la personne de
droit public, et l’exclusion de certains créanciers, car la condition de réciprocité
implique qu’il faut être en même temps créancier et débiteur de la personne morale.
Quid si on est seulement créancier ? Le silence du législateur peut bien être interprété
ici comme une exclusion de cette catégorie de créancier sans réciprocité ; ce qui est
une grosse lacune de cette solution pourtant pratique. Nous suggérons alors d’instituer
comme en Côte d’Ivoire, un médiateur de la république1704, compétent en matière de

                                                            
1701
V. Pougoue (P G), Les sociétés d’Etat à l’épreuve du droit OHADA, Juridis Périodique No 65, Javier –
février – mars 2006, P 101.
1702
Art. 1384 Code Civil applicable au Cameroun.
1703
Terre (F), Simler (P), Lequette(Y), Droit civil : Les obligations, 9è éd. DalloZ 2005. P. 1321-1322.
1704
Le médiateur saisi d’une affaire, fait aux parties des recommandations qui lui paraissent susceptibles de
régler en droit ou en équité l’affaire dont il est saisi. Seulement, il ne peut être saisi directement par les
administrés, mais généralement par le parlement ; il bénéficie de la collaboration des ministres, mais il
exerce ses fonctions en toute indépendance car il ne reçoit des instructions d’aucune autorité et nomme lui-
420 

 
dettes publiques et qui permet de faciliter le paiement de ses dettes par l’Etat, dans
les délais raisonnables. Nous pensons aussi à la reforme de l’alinéa 3 de l’article 30
AUVE, qui consisterait à instaurer une égalité entre les parties comme en matière de
droit commun de la compensation.
Une autre lacune se trouve dans le recouvrement du solde après
compensation, car en effet, l’extinction totale de la dette ne s’opère qu’en cas
d’égalité des montants. C’est donc à juste titre que la doctrine propose d’adopter des
voies d’exécution spécifiques aux personnes morales1705 ou encore la restriction de la
portée de l’immunité d’exécution des personnes morales1706.

2) Les moyens de défense visant à retarder la saisie


Il s’agit des moyens qui retardent la saisie parce qu’en plus de rallonger la
durée d’exécution, elles viennent suspendre dans le temps, le droit à l’exécution
forcée des décisions. Ces moyens consistent en l’octroi d’un délai de grâce ou encore
à l’ouverture d’une procédure collective.
Le délai de grâce est prévu par l’art. 39 AUVE, qui prévoit à son alinéa 2 que
« …Toutefois, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins
du créancier, la juridiction compétente peut, sauf pour les dettes d’aliments et les
dettes cambiaires, reportées ou échelonnées le paiement des sommes dues dans la
limite d’une année. Elle peut également décider que les paiements s’imputeront
d’abord sur le capital… ». Il ya lieu de craindre que dans la pratique, cette disposition
du législateur ne serve en réalité qu’à donner du temps au débiteur pour organiser son
insolvabilité lorsqu’il est de mauvaise foi1707. En plus de prendre en compte la
situation du débiteur, l’exigence qu’il soit de bonne foi est nécessaire. L’article 39
AUVE l’envisage en son alinéa 3 lorsqu’il prescrit au juge de subordonner si
possible, le délai de grâce à l’accomplissement par le débiteur des actes à même de
faciliter ou de garantir le règlement de sa dette. Il faut donc pratiquement surveiller le
débiteur dans l’accomplissement de ces actes ; ce qui n’est pas chose facile. De plus,
cette surveillance revient au créancier, qui dans son comportement, doit faciliter la
tâche au débiteur1708. Il s’agit en réalité de mettre en œuvre le devoir de collaboration
entre le créancier et le débiteur, qui sont des partenaires contractuels, de telle sorte

                                                                                                                                              

même ses collaborateurs. Il n’est pas non plus soumis à un contrôle préalable car disposant du crédit
nécessaire à l’accomplissement de sa mission.
1705
Pougoue (PG), Les sociétés d’Etat à l’épreuve du droit AHADA, Juridis Périodique No 65, Janvier-
Février-Mars 2006, P. 101.
1706
Kenfack Douajni (G), L’immunité d’exécution des personnes morales de droit public, Revue
Camerounaise de l’arbitrage No 18.
1707
V. Essama (J.A), Les délais de grâce avec l’entrée en vigueur de l’acte uniforme portant voies
d’exécution, Revue Africaine des Sciences Juridiques (RASJ) No 3, Mars 2003, P. 154 – 156.
1708
TGI Ouagadougou, Jugement No 002 du 14 janvier 2003, Ouédreogo B. Cyriaque c/ Sté Burkinabé de
financement. Dans cette affaire, des délais avaient été accordés, malgré que l’on soit en matière cambiaire,
sous prétexte que le débiteur pour témoigner de sa bonne foi, a continué malgré ses difficultés, à payer sa
dette, en effectuant des virements partiels acceptés par le créancier.
421 

 
qu’en plus de rechercher la mauvaise foi du débiteur, le juge doit également vérifier la
capacité de collaborer du créancier, qui aurait pu ainsi faciliter l’exécution de
l’obligation, conformément à l’article 1134 du Code Civil qui dispose que « Les
conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites… Elles
doivent être exécutées de bonne foi ». La bonne foi est donc requise aussi bien du côté
du débiteur que du créancier, qui a ainsi un devoir de coopération.
Par ailleurs, le délai de grâce peut être implicite. Ce serait le cas par exemple
lorsque la juridiction compétente estime que la situation de débiteur ne relève
d’aucune procédure collective, et annule la décision de suspension des poursuites, qui
n’aura duré que quelques mois1709. Ce temps peut être considéré comme un délai de
grâce, et accorder encore un délai au débiteur après cette décision serait de trop1710.
L’exécution de la décision devient encore plus critique lorsque le débiteur
subit une procédure collective. Conformément aux articles 9 et 75 de l’Acte Uniforme
relative aux procédures collectives d’apurement du passif (AUPC), l’ouverture d’une
procédure collective à l’égard du débiteur suspend les poursuites engagées envers ce
dernier. Mais il faut relever que la procédure collective entraine aussi dessaisissement
du débiteur sur certains de ces biens. L’article 53 alinéa 2 AUPC dispose que « la
décision qui prononce la liquidation des biens emporte de plein droit à partir de sa
date et jusqu’à la clôture de la procédure, dessaisissement pour le débiteur de
l’administration et de la disposition de ses biens présents et de ceux qu’il peut
acquérir à quelque titre que ce soit… ». Selon cette disposition, le débiteur ainsi
dessaisi, ne peut poursuivre la gestion de ses affaires. C’est à juste titre que le
législateur a prévu ce dessaisissement à la liquidation des biens, pour éviter que le
débiteur qui a mis la clé sous le paillasson ne dilapide le patrimoine qui servirait à
désintéresser les créanciers. Seulement, ce dessaisissement est limité par
l’interférence que peut produire le régime matrimonial du débiteur, marié sous la
communauté des biens. Il en sera par exemple ainsi pour les associés d’une Société en
Nom Collectif (SNC), qui sont tenus solidairement et indéfiniment des dettes sociales,
et qui peuvent se voir saisir pour le paiement entier de la dette sociale par le créancier,
qui ayant vainement mis la société en demeure de payer, exerce son recours contre un
associé capable de payer1711. Pour éviter qu’il n’utilise son régime matrimonial pour
soustraire certains biens de la saisie du créancier, et aussi pour préserver le patrimoine
successoral du débiteur saisi, on pourrait imposer à ce dernier, la dissolution de son
régime matrimonial1712 afin de permettre la saisissabilité des biens lui appartenant, qui
                                                            
1709
Cf. Art. 15 AUPC.
1710
Martor (B), Le Droit Uniforme Africain des Affaires issu de l’OHADA, LITEC, 2004, No 804, P. 164.
1711
Art. 270 AUSGIE : « La société en nom collectif est celle dans laquelle tous les associés sont
commerçants et répondent indéfiniment et solidairement des dettes sociales ».
Art. 271 AUSGIE : « Les créanciers de la société ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales
contre un associé que 60 jours au moins après avoir vainement mis en demeure, la société par acte
extrajudiciaire… ».
1712
De toute façon, la dissolution du régime matrimonial n’entraine pas la dissolution du mariage (c’est la
contraire qui est vrai) ; elle permet seulement de dissocier le patrimoine du débiteur de celui de son conjoint
422 

 
pourraient ainsi être protégés en vue d’une éventuelle saisie par les créanciers. Cette
mesure protège en même temps le débiteur et le créancier.
D’un autre point de vue, le dessaisissement pourrait également s’opérer
même dans le cadre du redressement judiciaire, car dans la pratique, le constat est
celui de la faillite de cette procédure qui se transforme presque toujours en liquidation
des biens. Le dirigeant social qui est maintenu à la tête de l’entreprise ou
l’administrateur provisoire désigné pour redresser, se rend généralement coupable
d’abus de biens sociaux ou du crédit de la société, au point où la société qui pouvait
encore survivre à l’avantage des créanciers, finit par fermer ses portes1713. Il est vrai
que le dessaisissement dans ce cas est difficilement concevable, puisque le débiteur
doit continuer ses activités. On pourrait alors envisager un inventaire des biens lors de
l’homologation du concordat, et faire régulièrement un état des lieux qui permettrait
ainsi de contrôler la gestion en période de crise par le débiteur ou par l’administrateur
provisoire. En réalité, les voies d’exécution mises en place par le législateur OHADA
brillent par leur abondance et non par leur efficacité, ce qui rend difficile l’exécution
des décisions dans la pratique. Il est donc urgent d’accompagner ces mesures d’un
dispositif de contrôle.
B- Les vicissitudes du commandement de payer
Le commandement de payer est un impératif obligatoire dans certaines
saisies1714. Il a pour but de rappeler au débiteur, sa dette et de le mettre en demeure de
la payer. C’est donc un préalable à l’opération de saisie envisagée par le créancier ou
son représentant, en la personne d’un huissier de justice ou d’un agent d’exécution. Si
le commandement de payer peut bien s’analyser comme un acte de justice permettant
d’avertir le débiteur et de lui donner une ultime chance, le commandement de payer
peut paraître comme un danger pour le créancier qui veut faire exécuter sa décision,
car cet exploit d’huissier fait courir un délai qui peut favoriser l’organisation par le
débiteur de son insolvabilité. De plus, il peut s’agir d’un délai de trop, dans
l’hypothèse où le débiteur a déjà eu à obtenir un délai de grâce. Il est dès lors
impératif de reconsidérer le commandement de payer, alors même que la décision est
déjà revêtue de la formule exécutoire1715 ; ce qui suppose que le débiteur a déjà été
                                                                                                                                              

pour lui permettre d’assumer ses obligations, et donc de rendre plus légère la mise en œuvre des voies
d’exécution des décisions.
1713
Dans le cas de la microfinance Compagnie Financière de l’Estuaire (COFINEST), l’un des
administrateurs provisoires avait été démis par la Commission Bancaire de l’Afrique Centrale (COBAC),
pour gestion calamiteuse, marquée par la sortie de près de 4 milliards cfa, pour payer des honoraires
comptables et judiciaires exorbitants et acheter des équipements dont la nécessité ne s’imposait pas, et alors
que les épargnants étaient aux abois. Source : Journal L’info No 103 du 7 mars 2011, « Les missions de
l’administrateur provisoire à COFINEST » P. 6. Et dans le même journal et à la même page « Essimi
Menye bloque une enquête judiciaire et financière à COFINEST ».
1714
Notamment, la saisie –vente des biens meubles corporels, des droits des associés et des valeurs
mobilières (Art. 92 AUVE) et la saisie immobilière (Art. 254 AUVE).
1715
Lire en ce sens, Batoum (F.P.M), La profession d’huissier de justice au Cameroun : contribution à
l’étude de l’administration de justice, thèse de Doctorat 3è cycle en Droit Privé, Université de Yaoundé –II
Soa, 1995-1996, P. 306-307.
423 

 
signifié de la décision qui le condamne ! C’est pourquoi, aussi bien le délai de grâce,
que le commandement de payer peuvent constituer pour le débiteur des armes pour se
tranquilliser psychologiquement, sachant que tout le temps lui est accordé pour
s’exécuter. En combinant les articles 92 et 254 AUVE, le commandement de payer
doit être signifié au débiteur au moins 8 (huit) jours en matière de saisie-vente et au
moins 20 (vingt) jours en matière de saisie immobilière, avant de procéder à toute
opération de saisie des biens du débiteur1716. Ne s’agira-t-il pas d’une signification de
trop, la décision rendue ayant déjà été signifiée au débiteur en temps utiles pour lui
permettre d’exercer les voies de recours qui lui sont ouvertes ? Des précisions sont
dès lors nécessaires : lorsque le débiteur a été régulièrement signifié de la décision qui
le condamne et que dans les délais qui lui sont impartis, il n’a exercé aucune voie de
recours et ne s’est pas exécuté spontanément, le commandement doit être servi pour
marquer le début de l’exécution forcée1717. En revanche, lorsqu’il a encore des
arguments à faire valoir dans le cadre d’un recours qu’il a exercé, le commandement
ne devrait intervenir que si la décision est assortie d’une exécution provisoire. Cette
précaution permettrait de rééquilibrer les droits des parties et de rassurer le créancier.
Cela dit, on peut aussi penser que ces délais paraissent très longs, (surtout lorsqu’ils
sont non avenus). Ils sont d’autant plus longs qu’il ne s’agit pas pour le débiteur
d’avoir le temps de rassembler ses biens pour en faciliter la saisie au créancier ! De
surcroît, le législateur commande le respect scrupuleux de ces délais, et les tribunaux
n’hésitent pas à sanctionner l’inobservation du délai de commandement de payer par
la nullité, comme il ressort d’une décision du tribunal de première instance de
Yaoundé1718. Mais pour ne pas encourager le débiteur à « s’endormir », le législateur
prévoit dans l’article 237 AUVE que « huit jours après un commandement de payer
demeuré infructueux, le créancier peut procéder à la saisie… ».
Ces vissicitudes du commandement de payer ont conduit certains auteurs à
recommander depuis longtemps sa suppression pure et simple1719 ou alors sa
                                                            
1716
Cette disposition a d’ailleurs posé le problème de la nature juridique du commandement de payer : est-
ce un acte de saisie ou un acte de signification du débiteur ? Il est considéré par les tribunaux comme un
acte de signification comme l’affirme le juge du tribunal de première instance de Yaoundé en ces
termes «Toute poursuite d’exécution forcée d’un titre judiciaire doit impérativement être précédée de la
signification au débiteur de la décision de justice dont l’exécution est demandée, avec mise en demeure
d’avoir à s’y conformer sous peine d’y être contraint par les voies de droit (…). L’accomplissement de cette
formalité incompressible participe des exigences de protection du débiteur… ». Ord. No 807/D du 6 Juillet
2000.
1717
Minou (S) (Avocat au barreau du Cameroun), Regard sur l’arrêt Karnib, Revue Camerounaise de Droit
des Affaires. P. 35. Dans l’affaire des « époux Karnib », la CCJA admet que l’exécution forcée a
commencé avec la « signification-commandement » et que le Président de la Cour d’Appel d’Abidjan (Côte
d’ivoire) ne pouvait plus suspendre l’xécution entamée du jugement ainsi porté à la connaissance de la
SGBCI.
1718
TPI Yaoundé, Ord. No 590/D, 22 mai 2003 Veuve Gandji née Messomo Abena Irène Marie c/Me
Pondi Pondi, Me Ngwe Gabriel, www.Ohada.com, Ohadata J-04-436. Lire aussi, Moussa Samb, Etude des
difficultés de recouvrement des créances dans l’espace UEMOA : cas du Bénin, Burkina – Faso, Mali et
Sénégal, Revue de l’ERSUMA No1, 2012.
1719
Lire par exemple Couchez (G), Voies d’exécution, éd. Sirey 1985, P 16.
424 

 
redéfinition1720, tandis que d’autres soutiennent son maintien, pour ne pas porter
atteinte au droit à un procès équitable1721. Ces différents points de vue montrent à
suffisance que cette procédure doit être reformée.

II- L’exigence d’une normalisation du formalisme d’exécution


Les formalités qui entourent l’exécution des décisions de justice ont été
instituées par le législateur OHADA dans l’AUVE ; elles peuvent être regardées
comme permettant d’établir un certain équilibre entre les droits des parties que sont le
créancier et le débiteur. Pour assurer cet équilibre, le législateur met en place des
mécanismes de renforcement de la protection du débiteur, tout en consacrant des
contrepoids aux droits de ce dernier. Toutefois, le formalisme d’exécution nécessite
une rationalisation, qui passe par des précautions à prendre dans certains cas (A) et
par la reforme des sanctions en matière d’exécution des décisions de justice (B).
A- La rigueur dans le formalisme d’exécution
Les mécanismes renforcés de protection du débiteur touche à la personnalité
du débiteur à travers la protection de son domicile, mais aussi à la sauvegarde de ses
droits entant que partie aux procès1722.
1) L’inviolabilité du domicile du débiteur
L’inviolabilité du domicile du débiteur est incontestablement une
« protection importante pour le débiteur »1723, l’agent d’exécution ou l’huissier de
justice, ne pouvant s’introduire dans le domicile du débiteur en l’absence de ce
dernier qu’en présence d’une autorité. Cette inviolabilité du domicile du débiteur
participe du souci de protection de la vie privée de ce dernier. Elle se manifeste par la
réglementation du temps de saisie et les précautions à prendre en matière d’ouverture
forcée des portes du débiteur.
Aux termes de l’article 46 alinéa 1 AUVE, « Aucune mesure d’exécution ne
peut être effectuée un dimanche ou un jour férié… ». Il s’agit de préserver la quiétude
du débiteur saisi en le protégeant contre les intrusions à son domicile pendant les
jours fériés et non ouvrables. Cette défense d’intrusion est d’ailleurs sanctionnée par
l’article 299 alinéa 1 et 2 du Code Pénal Camerounais1724, qui punit l’huissier de
                                                            
1720
Onana Etoundi (F), Droit OHADA et exécution provisoire, UNIDA, 1ère éd. Octobre 2006.
1721
Podio (MD) ép. Tchatchoua et Fandjip (O), Les voies d’exécution en Droit Ohada à l’épreuve des
droits de l’homme : le cas du débiteur, Juridis Périodique No 83, Juillet-Août-Septembre 2010, P. 108.
1722
Art. 41 – 46 AUVE, reprenant ainsi l’article 12 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et
des libertés (DUDH), issue de la CEDH qui dispose que « Nul ne sera l’objet d’immixtion arbitraire dans
sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance ; ni d’atteinte à son honneur et à sa
réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles
atteintes ».
1723
Kitio (E), La situation du débiteur dans l’Acte Uniforme sur les voies d’exécution, Mémoire de DEA,
Université de Douala, 2003 – 2004, P. 37.
1724
Art. 299 al. 1 et 2 CPC : « Est puni d’un emprisonnement de dix jours à un an, et d’une amende de
5.000 à 50.000 francs, ou de l’une de ces deux peines seulement celui qui s’introduit ou se maintient dans
le docicile d’autrui contre son gré. Les peines sont doublées si l’infraction est commise dans la nuit ou à
l’aide de menaces, violences ou voies de fait ».
425 

 
justice qui viole cette interdiction. De plus, cette prohibition est doublée de la
réglementation stricte des heures de saisie : aux termes de l’article 46 alinéa 2 AUVE,
« Aucune mesure d’exécution ne peut être commencée avant huit heures ou après dix
heures… ». Il n’est donc pas possible d’opérer une saisie tard dans la nuit, celle-ci
étant implicitement entendue par l’acte uniforme sur les voies d’exécution comme le
temps qui s’écoule entre dix huit (18) heures du soir et huit (08) heures du lendemain
matin1725. Or, c’est justement la nuit que le débiteur sera enclin à organiser la
distraction de ses biens1726. Les actes ainsi posés en violation de ce temps
réglementaires sont susceptibles de nullité. On peut se demander au nom de quoi la
quiétude du débiteur doit être préservée, alors même qu’il est coupable d’une
inexécution volontaire de son obligation, et que celle-ci doit être éventuellement
obtenue de manière forcée pour satisfaire ses créanciers. Par ailleurs, cette mesure
semble s’appliquer sans distinction du débiteur de bonne ou de mauvaise foi, qui
pourrait bien profiter du ou des jour (s) non ouvrable (s) ou férié (s)1727 pour distraire
certains de ses biens.
Il conviendrait alors, pour un meilleur équilibre des droits des parties, de
poser que, dès que le commandement de payer a été régulièrement servi1728, les biens
du débiteur peuvent être saisis, quel que soit le jour, pourvu que cela se fasse à des
heures raisonnables, dans le respect de l’intégrité physique et morale du débiteur, qui
ne pourrait alors se plaindre de la violation de ses droits qu’en démontrant le caractère
arbitraire de l’opération, constituant une voie de fait. Sous réserve de ce que
l’appréciation de ce caractère arbitraire serait souverainement faite par le juge in
abstracto. Il y va du souci d’une bonne administration de la justice par la prise en
compte de tous les intérêts en présence, qui a échappé au législateur qui, dans l’article
46 alinéa 1 AUVE évoque le « cas de nécessité » comme situation pouvant justifier le
non respect des jours de saisie. Le cas de nécessité peut être considéré comme toute
situation compromettante pour le créancier. Il peut s’agir de l’hypothèse où le
débiteur cherche à distraire ses biens par des donations ou des ventes suspectes1729 ;
mais, il peut aussi s’agir d’un débiteur qui légitimement n’est pas présent à son
domicile aux heures légales à cause de son travail1730, ou qui se trouve hospitalisé
pour une longue durée, ou qui a effectué une longue mission, la décision étant

                                                            
1725
V. Assi-Esso (A.M), Diouf (N), OHADA, Recouvrement des créances, Coll. Droit uniforme africain,
UNIDA, Juriscope, Bruylant, Bruxelles 2002, P. 64.
1726
V. TGI Bobo-Dioulasso, jugement, ord. de référé No 002, Mandé Rasmane et autres c/ Société de
Transport et de Commerce du Burkina (STCB). Ohada.com/Ohadata J-04-48. « …il ya lieu de faire droit à
la demande tendant à obtenir la désignation d’un séquestre lorsque l’exécution forcée entreprise se heurte
à la réticence du débiteur qui avait déjà empêché une première saisie en tractant de nuit ses biens pour
tenter de les dissimuler ». Commentaire sous article 103 AUVE.
1727
Ces jours pouvant durer parfois jusqu’à 4 jours d’affilés. On a pour exemple, le long weekend du 11
février 2014, ou encore celui du 20 mai 2014 !
1728
Ce commandement de payer valant notification.
1729
Kitio (E), Op. Cit. P. 38.
1730
Assi-Esso (A.M), Diouf (N), Op. Cit. P. 64.
426 

 
intervenue pendant son absence. Ces cas de nécessité sont donc des cas de force
majeure qui ne doivent en aucun cas pénaliser le créancier.
Cependant, le juge doit autoriser la saisie dans ce cas. Cette autorisation qui
peut elle-même tomber sous le coup de la lenteur judiciaire, risque de nuire au
créancier et de mettre en mal les bonnes intentions du législateur. On pourrait donc
admettre que l’huissier de justice qui est un auxiliaire de justice assermenté, puisse
constater cet état de nécessité et en faire mention dans son procès-verbal. En effet,
bien que le juge compétent soit conformément à l’article 46 alinéa 1 AUVE, le
président de la juridiction dans le ressort de laquelle se poursuit l’exécution, on peut
douter de la célérité avec laquelle interviendrait l’ordonnance autorisant la saisie.
La même observation peut être faite en ce qui concerne les heures de saisie,
dont le non respect ne peut se justifier que par une autorisation du juge.
Une autre précaution prise par le juge pour encadrer les opérations de saisie
est de rendre les biens concernés par la saisie indisponibles, dès qu’ils ont été
identifiés.

2) L’encadrement de la saisie par la mise en indisponibilité des biens à


saisir
Avant l’acte Uniforme OHADA portant sur les voies d’exécution, la saisie
des biens meubles corporels était généralement suivie d’enlèvement, de telle sorte
que dans l’imagerie populaire, la saisie et l’enlèvement étaient sinon synonymes, du
moins intimement liés1731. L’AUVE prévoit un délai de mise en indisponibilité dans
l’article 36 en ces termes : « Si la saisie porte sur des biens corporels, le débiteur
saisi ou le tiers détenteur entre les mains de qui la saisie a été effectuée, est réputé
gardien des objets saisis sous les sanctions prévues par les dispositions pénales.
L’acte de saisie rend indisponibles les biens qui en sont l’objet… ». C’est là une
mesure de protection du créancier par la mise des biens du débiteur sous séquestre,
et pourquoi pas, de protection du débiteur, qui, perdant toute velléité de distraction
de ses biens, laisse (bon gré, mal gré) se constituer les moyens de se libérer de sa
dette. L’article 64 alinéa 6 AUVE constitue le débiteur, gardien des biens rendus
indisponibles, et exige que la mention de cette indisponibilité soit faite en caractères
très apparents dans le procès-verbal de saisie1732. La garde ainsi attribuée au
débiteur, propriétaire des biens est une mesure dissuasive d’organiser son
insolvabilité1733. Mais, aux termes de l’article 103 AUVE, le débiteur conserve le
droit d’usage sur les biens qui ne sont pas consomptibles, à charge pour lui d’en
                                                            
1731
Me Ipanda (avocat), Observations sous CA Littoral, Arrêt No 77/REF du 9 Juin 1999, Revue
Camerounaise de Droit des Affaires No 2, Janvier-Février-Mars 2000, P. 30-31.
1732
Voir aussi, Art. 100 al. 6 et Art. 36 al. 1 AUVE.
1733
Voir CA Littoral, Arrêt No 372 Civ. du 3 septembre 1999, affaire Dame Batchom c/ Liquidation ex-
TAA, Revue Camerounaise de Droit des Affaires No 4, Juillet-août-septembre 2000, P. 13 et suivants ; 1733
Voir CA Littoral, Arrêt No 85/REF du 14 juillet 1999, affaire Société GEMAT SARL c/ MOBIL OIL
CAMEROUN, Revue Camerounaise de Droit des Affaires No 2, Janvier-février-mars 2000, P. 35 et
suivants.
427 

 
respecter la contre-valeur estimée au moment de la saisie. Il faut espérer que le
débiteur soit de bonne foi, car lorsqu’il est de mauvaise foi, la loi prévoit que « … la
juridiction compétente peut ordonner sur requête, à tout moment, même avant le
début des opérations de saisie et après avoir entendu les parties ou celles-ci dûment
appelées, la remise d’un ou plusieurs objets à un séquestre qu’il désigne. Si parmi
les biens saisis se trouve un véhicule terrestre à moteur, la juridiction compétente
peut…ordonner son immobilisation jusqu’à son enlèvement en vue de la vente par
tout moyen n’entraînant aucune détérioration du véhicule »1734. L’attitude du
débiteur peut donc conduire le juge à nommer une autre personne que le débiteur
pour assurer la garde des biens. C’est ce qui est arrivé dans une série de trois
ordonnances rendues par le Président du TPI de Dschang, en matière de saisie des
produits contrefaits relativement au droit d’auteur et aux droits voisins (piraterie),
conformément à la loi Camerounaise No 2000/011 du 1I décembre 20001735. Dans
cette espèce le juge affirme : « vu la requête qui précède… disons l’huissier ou
l’officier de police judiciaire, gardien des effets saisis »1736.
On peut cependant s’interroger sur la nature de la responsabilité du séquestre.
Est-il responsable des biens sous sa garde, dans le sens de l’article 1384 alinéa 2 du
code civil applicable au Cameroun1737, qui admet son exonération lorsqu’il ne peut
être prouvé qu’il a commis une faute par lui-même ou par les personnes dont il
répond? Si l’on répond par l’affirmative, que devient la protection que le législateur
avait l’intention de procurer au créancier ? Si l’on admet la responsabilité sans faute,
alors on pose que la garde des biens assurée par le séquestre nommé, à savoir
l’huissier de justice ou l’officier de police judiciaire est un risque qu’il prend dans le
cadre de son activité et qu’il doit être prudent et faire toutes les diligences nécessaires
à la préservation des biens à lui confiés, au besoin même, souscrire une assurance ! Il
est dont tenu à la reddition des comptes sur les biens qui sont sous sa garde.
B- La reforme des sanctions en matière d’exécution des décisions de justice
La question de la sanction du non respect des prescriptions relatives à
l’exécution des décisions de justice non répressives a déjà fait l’objet de nombreux

                                                            
1734
Art. 103 al. 2 et 3.
1735
Art. 80 et 85.
1736
TPI de Dschang, Ordonnances No 48/06.07 et No 49/06.07 du 5octobre 2007, affaire SOCADAP et
SCAAP c/ clients divers, et ordonnance No 66/2008 du 24 novembre 2008, affaire SOCAM c/ clients
divers, citée par Podio (MD) ép. Tchatchoua et Fandjip (O), Op. Cit. P. 106. Voir aussi commentaire sous
article 103 AUVE Op. Cit. On a aussi constaté que le déplacement des biens par le débiteur dans le but,
selon lui de mieux les conserver, était en réalité une manœuvre visant à mettre en péril le recouvrement par
le créancier : CA Abidjan, Arrêt No 1111 du 12 décembre 2000, cité par Assi-Esso (AM) et Diouf (N), Op.
Cit. P. 738.
1737
Art. 1384 al. 2 « Toutefois, celui qui détient, à titre quelconque, tout ou partie de l’immeuble ou des
biens mobiliers dans lesquels un incendie a pris naissance ne sera responsable vis-à-vis des tiers, des
dommages causés par cet incendie que s’il est prouvé qu’il doit être attribué à sa faute ou à la faute des
personnes dont on
Il est responsable».
428 

 
débats aussi bien doctrinaux que jurisprudentiels1738, qu’il s’agisse notamment de la
sanction de la violation de l’indisponibilité, ou encore des défenses à exécution, ou
même du formalisme d’exécution.
1) La sanction de la violation de l’indisponibilité
L’acte uniforme est resté muet sur le sort de l’acte posé par le débiteur en
violation de la mesure d’indisponibilité. Faut-il le considérer comme nul ou alors
comme simplement inopposable au créancier saisissant ? L’article 36 prévoit
seulement que le débiteur est gardien des biens saisis sous réserve des « sanctions
prévues par les dispositions légales ». Il en résulte que si le débiteur dispose des biens
saisis ou les déplace frauduleusement, il peut être poursuivi pour détournement des
biens saisis, en application de l’article 190 du Code Pénal Camerounais, qui prévoit
un emprisonnement d’un (01) à cinq (05) ans et d’une amende de cinquante mille
(50 000) à un million (1 000 000) de francs cfa pour celui qui détourne, détruit ou
détériore des biens saisis. Mais cette sanction ne nous paraît pas adéquate car nous
sommes en matière civile. C’est donc fort de cela que certains ont suggéré comme
sanction, de considérer que l’acte posé en violation de l’indisponibilité, soit non pas
nul, mais plutôt inopposable au créancier saisissant1739. Cette solution nous conforte
dans la proposition faite plus haut sur l’étendue de la responsabilité du séquestre
désigné par le juge, à savoir qu’il est garant des droits du créancier dès lors qu’il a la
garde des objets saisis.
2) La compétence en matière de défenses à exécution
Aux termes de l’article 32 AUVE, « A l’exception de l’adjudication des
immeubles, l’exécution forcée peut être poursuivie jusqu’à son terme en vertu d’un
titre exécutoire par provision. L’exécution est alors poursuivie aux risques du
créancier, à charge pour celui-ci, si le titre est ultérieurement modifié, de réparer
intégralement le préjudice causé par cette exécution sans qu’il y ait lieu de relever de
faute de sa part ». Il ressort de cette disposition, l’interdiction faite au débiteur de
solliciter les défenses à exécution en droit OHADA, contrairement à la loi
camerounaise No 92/008 du 14 Août 1992, modifiée par la loi No 97/018 du 07 Août
1997, d’où il ressort de l’article 4 nouveau alinéa 1 que « Lorsque l’exécution
provisoire n’est pas de droit et qu’elle a été prononcée en dehors des cas prévus à

                                                            
1738
Soh (M), La saisie-attribution à l’épreuve de l’exécution provisoire, RCDA no 4, juillet-août-septembre
2000, P. 27 et suivants ; Tankoua (E), Réflexion sur l’application de la loi No 92/008 du 14 Août 1992 sur
l’exécution des décisions de justice, telle que modifié par rapport à l’Acte Uniforme OHADA sur les
Procédures de Recouvrement Simplifiés et les Voies d’Exécution, Juridis Périodique No 50, Avril-Mai-Juin
2002, P. 128-192. ; SGBCF c/ Epoux Karnib, Op. Cit, Juris OHADA No 01/02, P. 24. ; Me Charles Dogue,
Une nouveauté déplorable : prohibition des défenses à exécution provisoire, Actualité Juridique No 28,
Juin 2002 ; Tchantchou (H), Dzuenkeu (A), L’exécution provisoire à l’ère de l’OHADA, Recueil PENANT
No 850 ; Souop (S), L’exécution provisoire encadrée, leurres et lueurs d’un revirement jurisprudentiel,
Juridis Périodique No 58, P. 116 ; Teppi Kolloko (F), La CCJA et l’article 32 de l’Acte Uniforme portant
organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécutions en OHADA ( A la
lumière des arrêts récents de la CCJA), Juridis Périodique No 58, Avril-Mai-Juin 2004, P. 112 et suivants.
1739
Assi-Esso (AM) et Diouf (N), Op. Cit. P. 67.
429 

 
l’article 3 ci-dessus, la Cour d’Appel, sur demande de la partie appelante, ordonne
les défenses d’exécution provisoire ». L’alinéa 2 de ce même article précise que «
Lorsque l’exécution provisoire est de droit ou lorsqu’elle est fondée sur les matières
énumérées à l’article 3 ci-dessus, la Cour d’Appel rejette la demande de défenses à
exécution provisoire de la partie appelante si ladite demande a un caractère
manifestement dilatoire ». La distinction faite ici par le législateur national par les
expressions « lorsque l’exécution provisoire n’est pas de droit » ou « lorsque
l’exécution provisoire est de droit », n’a pas été retenue par le législateur OHADA.
Le législateur national laisse par ces formulations, la latitude au juge d’apprécier
l’opportunité d’accorder les défenses à exécution dans certains cas comme en matière
contractuelle, et d’être lié dans d’autres cas, comme en matière de créances
alimentaire, de préjudice corporel à l’occasion d’un accident de la circulation
etc…1740 Par ailleurs, l’on sait que lorsque la décision rendue est un jugement, il doit
préciser s’il est exécutoire par provision. Mais, lorsqu’il s’agit d’une ordonnance, elle
est automatiquement assortie d’une exécution provisoire ; dans ce dernier cas, doit-on
toujours tenir compte des matières donnant lieu ou pas à exécution provisoire ? Le
problème des défenses à exécution semble être un nœud gordien difficile à résoudre.
Même la CCJA qui a finit par reconnaître l’application éventuelle de la loi nationale
en matière de défense à exécution ne nous convainc pas de la maturité de sa position.
En effet, dans un arrêt rendu le 19 juin 20031741, elle fait aussi une distinction entre
l’ « exécution entamée » qui ne peut admettre une défense à exécution, et
l’« exécution non entamée », qui peut être suspendue. Cette distinction lui permet
alors de déclarer la législation nationale tantôt compétente, tantôt non. Dans l’arrêt
énoncé, le juge de la CCJA l’exprime en ces termes : « l’article 32 de l’acte uniforme
portant voies d’exécution n’est pas applicable, et partant la CCJA doit se déclarer
incompétente, dès lors que la procédure litigieuse n’avait pas pour objet de suspendre
une exécution forcée déjà engagée, mais plutôt d’empêcher qu’une telle décision
puisse être entreprise sur la base d’une décision assortie de l’exécution provisoire et
frappé d’appel. Ainsi, l’affaire ayant donnée lieu à l’arrêt attaqué ne soulevant
aucune question relative à l’application des actes uniformes, les conditions de
compétence de la CCJA ne sont pas réunies ». Les défenses à exécution sont donc
gouvernées par deux régimes juridiques, le droit national interne et l’article 32 de

                                                            
1740
Voir Art. 3 de la loi No 92/008 du 14 Août 1992, modifiée par la loi No 97/018 du 07 Août 1997 fixant
certaines dispositions relatives à l’exécution des décisions de justice.
1741
CCJA, arrêt No 012/2003 du 19 juin 2003, Affaire Société d’Exploitation Hôtelière et Immobilière du
Cameroun (SEHICHOLLYWOOD) c/ Société Générale de Banque au Cameroun (SGBC), Recueil de
jurisprudence de la CCJA No 1, Janvier-Juin 2003, P. 13. Voir aussi, arrêt No 013/2003 du 19 juin 2003,
Affaire SOCOM SARL c/ Société Générale de Banque au Cameroun (SGBC), Recueil de jurisprudence de
la CCJA No 1, Op. Cit P. 16 et aussi, arrêt No 014/2003 du 19 juin 2003, Affaire c/ Société Générale de
Banque au Cameroun (SGBC) et Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC), Recueil de jurisprudence
de la CCJA No 1, Op. Cit P. 19.
430 

 
l’AUVE1742 ! Lorsque l’exécution forcée est déjà entamée, l’article 32 AUVE
s’applique : toute requête aux fins de défense à exécution est irrecevable. Lorsque
l’exécution forcée n’est pas encore engagée, la loi camerounaise de 1992 modifiée
s’applique : le juge apprécie l’opportunité d’accorder ou non la défense à exécution.
N’aurait-il pas été plus simple, comme le propose un auteur dont nous partageons
l’avis, de reconnaître la compétence définitive de la loi nationale1743 pour cette « loi
de procédure » et d’éviter au justiciable ou aux agents d’exécution et huissier de
justice, cette « balade judiciaire », qui ne contribue qu’à allonger et à alourdir
l’exécution des décisions, toute chose contraire à l’esprit du législateur ?
Cependant, cette compétence de la loi nationale ne doit pas se justifier
comme le pense un auteur1744 par le fait que le contentieux d’exécution n’est pas une
matière ressortissant de l’article 2 du traité OHADA, qui détermine le domaine
d’application du traité. Cet article procède à l’énumération de huit matières1745 qui
entrent dans le champ du droit des affaires. Parmi ces matières, figurent bien le
recouvrement des créances et les voies d’exécution, qui englobent évidemment le
régime juridique applicable en la matière. C’est donc à juste titre que l’article 32
AUVE légifère sur les défenses à exécution. La solution qui consiste à laisser la
question à la législation nationale doit se justifier plus par une bonne administration
de la justice, que par toute autre raison, car on pourrait aussi tirer argument de la
primauté de l’acte uniforme sur les voies d’exécution entré en vigueur le 10 Juillet
1998 sur la loi nationale de 1992 modifiée en 1997. Ainsi, si cette question doit être
laissée au droit national des Etats-parties, cette précision doit être faite par le
législateur OHADA comme tel a été le cas pour certaines matières, notamment
lorsqu’il s’est agit de prévoir les sanctions pénales.
Au demeurant, l’exercice des voies d’exécution n’est pas chose aisée. En
effet, toutes les situations sociales ne peuvent être appréhendées par la loi. L’on
constate que malgré les précautions prises par le législateur pour assurer un meilleur
équilibre dans les droits de différents protagonistes, l’usage des outils législatifs
rencontrent d’énormes difficultés dans la pratique. L’acte uniforme sur les voies
d’exécution nécessite aussi une reforme.

                                                            
1742
Lire en ce sens, Teppi Kolloko (F), La CCJA et l’article 32 de l’acte uniforme portant organisation des
procédures simplifiées de recouvrement en OHADA (A la lumière des arrêts No 012/2003, 013/2003,
014/2003 du 19 juin 2003), Juridis Périodique No 58, Avril-mai-juin 2004, P. 115- 116.
1743
Souop (S), Pour qui sonne le glas de l’exécution provisoire, Juridis Périodique No 54, P. 104 et
suivants.
1744
Souop (S), Op. Cit.
1745
Art. 2 du traité OHADA « Pour l’application du présent traité, entrent dans le domaine du droit des
affaires l’ensemble des règles relatives au droit des sociétés et au statut juridique des commerçants, au
recouvrement des créances, aux sûretés et aux voies d’exécution, au régime du redressement des entreprise
et de la liquidation judiciaire, au droit de l’arbitrage, au droit du travail, au droit comptable, au droit de la
vente et des transports, et toute autre matières que le conseil des ministres déciderait, à l’unanimité, d’y
inclure, conformément à l’objet du présent traité et aux dispositions de l’article 8 ci-après »
431 

 
432 

 
LE DROIT DE RETENTION DANS LE NOUVEL ACTE UNIFORME
PORTANT ORGANISATION DES SURETES : SURETE ACTIVE OU
PASSIVE ?

Par NJUTAPVOUI Zakari, Docteur en Droit des Affaires, Assistant au


Département de Droit Privé Fondamental, Université de Douala

INTRODUCTION

« Paye-moi ! Tant que je ne serai pas payé, je garderai la chose »1746. Cette
formule consacre ce qu’il est convenu d’appeler le droit de rétention1747. Ce droit, issu
des articles 67 et suivants du nouvel Acte uniforme portant organisation des sûretés
permet à un créancier de retenir entre ses mains l’objet qu’il doit restituer à son
débiteur tant que celui-ci ne l’a pas lui-même payé1748.
Au sein des sûretés mobilières prévues par l’article 50 de l’Acte uniforme
portant organisation des sûretés1749, le droit de rétention occupe une place
préoccupante1750. Si l’admission de ce droit ne fait l’objet d’aucune controverse1751, sa
nature et sa fonction divisent la doctrine1752. C’est donc sans surprise qu’on peut bien
                                                            
1746
V.K.M. Brou « le droit de rétention en droit ivoirien : conditions d’exercice et prérogatives du
rétenteur : à propos de l’affaire société SATA Mali C/ Société Incart Fiat », Ohadata D-07-10,
OHADA.Com, P.90.
1747
Sur le droit de rétention, lire notamment A. AKRAWATI SHAMSIDINE, « le droit de rétention comme
sûreté en droit uniforme OHADA », Penant, n° 844, Juillet-Septembre 2003, P.279 et s. ; J.C OTOUMOU,
« Le droit de rétention en droit OHADA », Pénant, n°838, Janvier-Mars 2002, P.75 et s. ; A. ZAKEYE,
« Le droit de rétention dans l’Acte Uniforme portant organisation des sûretés de l’OHADA : Etude
comparative », Pénant, n°836, Mai-août 2011, P.125 et s.
1748
Il s’agit donc d’une forme de justice privée reconnue au créancier : puisque son débiteur ne le paye, il
retiendra la chose de celui-ci. L’exemple topique du droit de rétention est celui du garagiste, qui effectue
des réparations sur un véhicule, et refuse de le restituer à son propriétaire, tant que ce dernier n’a pas payé
les réparations. V.G. PIETTE, Droit des sûretés, Sûretés personnelles, Sûretés réelles, Momentos, 2e
édition, Août 2007, P.179 ; V. aussi, J.C OTOUMOU, Op.cit, P.75.
1749
Cet article dispose ainsi qu’i suit : « Les sûretés mobilières sont : le droit de rétention, la propriété
retenue ou cédée à titre de garantie, le gage de meubles corporels, le nantissement de meubles incorporels
et les privilèges ».
1750
Il est difficile de rattacher le droit de rétention à une institution connue. Ce n’est pas une voie
d’exécution car le rétenteur doit rester passif s’il veut conserver son droit. Ce n’est pas véritablement une
sûreté car il ne confère pas un droit d’agir au créancier. Il est assurément parent de l’exception
d’inexécution, mais son domaine est beaucoup plus large, car il ne se limite pas aux rapports
synallagmatiques. V.D. LEGEAIS, Sûretés et garanties du crédit, L.G.D.J, 1996, n°629, P.318.
1751
En effet, tous les créanciers de nos jours tentent de se prévaloir d’un droit de rétention en raison de la
portée qui lui est reconnue V.D. LEGEAIS, Ibidem.
1752
Le droit de rétention serait pour la majorité des auteurs un droit réel (V.F DERRIDA, Encyclopédie
Dalloz, Droit civil, Droit de rétention, 1975, n°139, P.59 ; J. MESTRE, E. PUTMAN, M. BILLIAU, Droit
commun des sûretés réelles, L.G.D.J, 1996, n°56, P.72 et s. ; MAZEAUD, RANOUIL et CHABBAS,
Sûretés Publicité foncière, 6e édition, Montchrestien 1988, n°129) et pour d’autres un droit personnel de
créance de délivrance ou de restitution (V.N. Catala-Franjou, « De la nature juridique du droit de
433 

 
se poser la question de savoir si au regard des nouvelles dispositions de l’Acte
uniforme sur les sûretés, le droit de rétention apparaît comme une sûreté active ou une
sûreté passive.
Sous le régime de l’ancien Acte uniforme portant organisation des sûretés, le
droit de rétention apparaissait comme une sorte de gage légal, qui permettait au
rétenteur de poursuivre la vente forcée du bien retenu, en ayant alors les mêmes droits
que le créancier gagiste1753. Cependant, sous l’empire de la nouvelle législation, le
droit de rétention apparaît comme une prérogative purement passive, qui permet
simplement au rétenteur de s’opposer à la reprise du bien par le débiteur1754. Le
constat qui se dégage au-delà de toute controverse est que l’Acte uniforme rénové a
profondément transformé le régime juridique du droit de rétention1755. Ce constat
justifie de nouvelles analyses juridiques sur le droit de rétention.
Considéré comme une sûreté1756, on peut se demander quelle est
véritablement l’étendue du pouvoir reconnu au rétenteur sur la chose retenue au
regard de l’Acte Uniforme rénové. Autrement dit, quelles sont les prérogatives
susceptibles d’être exercées ou non par le rétenteur sur la chose retenue sous l’empire
de la nouvelle législation de l’OHADA ? Pour assurer à la fois l’efficacité du droit de
rétention si chère à l’esprit du droit OHADA1757 et la sauvegarde des droits du
débiteur sur la chose retenue, le législateur a mis en place dans l’Acte Uniforme
rénové des moyens visant à préserver les intérêts du débiteur sur la chose, objet de la
rétention.
Traditionnellement, l’on sait qu’en cas de défaillance du débiteur dans
l’ancien Acte uniforme portant organisation des sûretés, le créancier rétenteur pouvait
                                                                                                                                              

rétention », RTD Civ. 1967, P.9 et s. ; M. CABRILLAC, Ch. Mouly, Droit des sûretés, 4e édition, Litec
1997, n°539).
1753
L’article 43 de l’ancien Acte Uniforme sur les sûretés disposait à cet effet : « Si le créancier ne reçoit ni
paiement, ni sûreté, il peut, après signification faite au débiteur et au propriétaire de la chose, exercer ses
droits de suite et de préférence comme en matière de gage ».
1754
V.B. MARTOR, N. PILKINGTON, D. SELLERS, S. THOUVENOT, Le droit uniforme africain des
affaires issu de l’OHADA, Litec, Juillet 2004, P.195.
1755
La réglementation du droit de rétention dans le nouvel Acte Uniforme portant organisation de sûretés de
l’OHADA comporte des innovations par rapport au droit antérieur. V.M. SAMB, « Droit de rétention », in
P.G. POUGOUE, Dir, Encyclopédie du droit OHADA, Paris, Lamy 2011, P.716.
1756
Sur les sûretés, Lire notamment F. ANOUKAHA et Al, OHADA, Sûretés, Juriscope, Bruylant,
collection droit uniforme, 2002 ; G. PIETTE, Droit des sûretés, Sûretés personnelles, sûretés réelles, 2e
édition, Momentos, Août 2007 ; D. LEGEAIS, Sûretés et garanties du crédit, L.G.D.J, 1996 ; Y. R.
KALIEU ELONGO, Droits et pratiques de sûretés réelles OHADA, Collection droit uniforme 2010 ; G.
BREMOND SAAR, La sécurité juridique de l’investissement dans l’OHADA : Le droit des sûretés à
l’épreuve du recouvrement des créances, thèse Aix-Marseille 2005 ; A. MINKOA SHE, Droit des sûretés
et des garanties du crédit dans l’espace OHADA, Tome 2, Les garanties réelles, Dianoïa 2010.
1757
Depuis l’adoption du Traité du 17 octobre 1993 relatif à l’harmonisation du droit des affaires en
Afrique, l’idéal de sécurité reste indubitablement l’une des préoccupations constantes des différents Actes
Uniformes déjà entrés en vigueur. V.M.D. PODIO épouse TCHATCHOUA et O. FANDJIP, « Les voies
d’exécution en droit OHADA à l’épreuve des droits de l’homme : Le cas du débiteur », Juridis périodique,
n°83, P.102 : V. aussi R. NJEUFACK TEMGWA, « Réflexion sur les procédés alternatifs de réalisation
des sûretés réelles conventionnelles en droit OHADA », Juridis périodique, n°92, P.107.
434 

 
procéder à la vente aux enchères publiques du bien retenu1758. Cette prérogative
classique a été supprimée dans l’Acte uniforme rénové1759, rompant ainsi avec une
assimilation erronée entre le droit de rétention et le gage1760. Sans vouloir contraindre
le créancier rétenteur à renoncer au bénéfice de son droit de rétention on ne le dira
jamais assez, l’option n’est pas de laisser le débiteur défaillant à la merci de celui-ci.
Ainsi, on peut aisément observer que dans la révision de l’Acte uniforme portant
organisation des sûretés de décembre 2010, le titulaire d’un droit de rétention reste
dans une situation bien meilleure que celle reconnue au créancier titulaire d’une
sûreté traditionnelle1761. Ce droit apparaît ainsi comme une sûreté active quant à sa
portée (I). Néanmoins, avec la suppression de certaines prérogatives dans l’Acte
uniforme rénové, le créancier rétenteur est désormais cantonné dans une position
d’attente en cas de non paiement. Le droit de rétention s’apparente ainsi à une sûreté
passive quant à sa réalisation (II).

I. LE DROIT DE RETENTION, UNE SURETE ACTIVE QUANT A


SA PORTEE.

Le droit de rétention est un moyen de pression légitime conféré au créancier


pour tenter de contraindre son débiteur à exécuter ses obligations envers lui1762. Il
confère à celui-ci d’importantes prérogatives1763 dont-il peut se prévaloir aussi bien
dans ses rapports avec le débiteur (A) que dans ses rapports avec les tiers (B).
A. LES PREROGATIVES DU RETENTEUR DANS SES RAPPORTS AVEC
LE DEBITEUR : LE REFUS DE RESTITUTION DU BIEN RETENU

La principale prérogative que confère le droit de rétention au créancier est la


faculté de ne pas délivrer, de ne pas restituer la chose au propriétaire1764. Toute la
force de cette prérogative s’affirme tant à l’égard du débiteur in bonis (1) qu’à l’égard
du débiteur en difficulté (2).
1. Les refus de restitution du bien retenu d’un débiteur in bonis

                                                            
1758
Cf article 43 AUS (Ancien).
1759
Cf article 226 AUS (Nouveau).
1760
V.M. SAMB, Op.cit., n°39, P.722.
1761
V.D. LEGEAIS, Op.cit., n° 640, P.324.
1762
Le droit de rétention est l’expression d’une règle générale informulée fondée sur l’équité, car il serait
injuste qu’un créancier soit tenu d’exécuter son obligation de délivrance ou de restitution envers son
débiteur alors que celui-ci n’a pas encore exécuté toutes ses obligations envers lui. V.J.C OTOUMOU,
Op.cit., P.75 ; V. également B. MARTOR, N. PILKINGTON, D. SELLERS, S. THOUVENOT, Op.cit., n°
921, P.194.
1763
Sur les prérogatives du créancier rétenteur, lire notamment Y.R. KALIEU ELONGO, Op.cit., P.185 et
s. ; V. aussi G. PIETTE, Op.cit., P.186 ; V. aussi, D. LEGEAIS, Op.cit, n° 631, P.319 et s. ; V. aussi P.M
LE CORRE, Le créancier face au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises, Tome II,
Presses universitaires d’Aix Marseille, 2000, n° 707, P.941.
1764
Cf article 67 (Nouveau).
435 

 
Aux termes de l’article 67 du nouvel Acte uniforme portant organisation des
sûretés, le droit de rétention permet au créancier de retenir la chose aussi longtemps
qu’il n’est pas payé1765. Contrairement à l’ancien Acte uniforme, aucune limite
importante n’est imposée au créancier dans l’exercice de cette prérogative dans l’Acte
uniforme rénové1766.
Le créancier ne peut renoncer à son droit de rétention que s’il a obtenu un
paiement complet1767. La question s’est posée de savoir si le créancier est fondé à
s’opposer à la restitution du bien retenu même après paiement de la majeure partie de
la dette. L’article 67 de l’Acte uniforme (Nouveau) apporte une réponse positive à
cette question. Selon ce texte en effet, le droit de rétention est indivisible. Le créancier
peut alors refuser la restitution de la chose retenue jusqu’au paiement complet, sans
tenir compte des paiements partiels1768. Il en sera ainsi même si la chose, objet de la
rétention est susceptible de division1769. Cette solution est plusieurs fois confirmée par
la jurisprudence1770.
On peut également se demander si l’abus dans l’exercice de cette prérogative
peut donner lieu à la mise en œuvre de la responsabilité du créancier rétenteur. L’on
pourrait penser au cas d’un comptable impayé qui retient des documents devant être
produits à l’administration fiscale. Pour la doctrine, le refus de restitution du bien
retenu relève du pouvoir discrétionnaire du créancier rétenteur. Il peut retenir le bien
alors même qu’il cause un préjudice à son propriétaire1771. La jurisprudence s’est déjà
prononcée en faveur de cette position1772.

                                                            
1765
Les aspects procéduraux du droit de rétention sont particulièrement simples. Il n’est subordonné à
aucun acte de procédure, même de mise en demeure. Ceci s’explique par le fait que par hypothèse, le droit
de rétention ne peut jouer que par voie d’exception. V.G. PIETTE, op.cit., P.186, V. également
Y.R.KALIEU ELONGO, Op.Cit., P.185.
1766
En effet, l’article 42 de l’ancien Acte Uniforme portant organisation des sûretés permettait d’apporter à
cette prérogative une limite importante en imposant au créancier de renoncer à son droit de rétention
lorsque le débiteur lui fournit en échange une sûreté réelle équivalente, qu’elle soit mobilière ou
immobilière, d’une valeur suffisante pour couvrir le montant de la créance. Rien n’empêche par ailleurs le
débiteur de proposer une sûreté personnelle lorsque le créancier est prêt à renoncer à son droit de rétention
en échange. V.B. MARTOR, N. PILKINGTON, D. SELLERS, S. THOUNEVOT, Op.cit., n°923, P.195.
1767
Article 67 AUS (Nouveau).
1768
En cas de division de la dette entre plusieurs débiteurs, le fait que certains se soient acquittés de leurs
parts n’empêche pas le créancier de refuser la restitution de la totalité de la chose. V. Y.R.KALIEU
ELONGO, Op.cit, P.185 ; V. aussi G. PIETTE, Op.cit., P.186 ; V. aussi D. LEGEAIS, Op.cit., n° 640,
P.324 ; V. aussi, M. SAMB, Op.cit, n° 37, P.722.
1769
Cette indivisibilité permet de distinguer le droit de rétention de l’exceptio non adempleti contractus.
Cette dernière doit être invoquée de bonne foi, c'est-à-dire que le contractant qui entend s’en prévaloir ne
peut prétexter une exécution mineure. V.G. PIETTE, Op.cit., P.185.
1770
Cf. cass. Com, 19 novembre 2002, n°00-20.516, Bull civ. n° 172, JCP G. 2003, I, P.124, n°17, obs Ph
DELEBECQUE ; CA Paris, 5 mars 1992, JCP 1992, 2D E.I 189, n°19.
1771
Le créancier rétenteur apparaît ainsi comme un gêneur disposant d’une position privilégiée. V.M.
SAMB, Op.cit., n° 36, P.722 ; V. aussi, G PIETTE, Op.cit., P.186.
1772
Cf. CA d’Abidjan, Arrêt n° 92 du 31 janvier 2003, Dame FADIGA MALICK C/ société Alliance Auto,
Pénant n°872, P.372, Observation de R. ASSONTSA et H.M TCHABO SONTANG, Ohadata J-10-248.
436 

 
On peut enfin se demander s’il doit y avoir proportionnalité entre la valeur de
la chose retenue et le montant de la créance. La question divise la doctrine. Pour le
Professeur KALIEU ELONGO Yvette Rachel, aucune proportionnalité n’est
exigée1773. Ainsi, le créancier peut refuser de restituer un bien d’une valeur sans
commune mesure avec celle de sa créance contre le débiteur. Par contre, pour le
professeur Dominique LEGEAIS, la mise en œuvre de la théorie de l’abus de droit
peut permettre de sanctionner cette attitude du créancier1774. L’article 67 du nouvel
Acte uniforme sur les sûretés n’ayant apporté aucune limite à l’exercice du droit de
rétention, nous pensons que la théorie de l’abus du droit dont parle le Professeur
LEGEAIS ne cadre pas avec les particularités du droit de rétention tel qu’il apparaît
dans l’Acte Uniforme rénové. Ce point de vue cadre d’ailleurs avec la position de la
jurisprudence sur la question1775.

2. Le refus de restitution du bien retenu d’un débiteur en difficulté


Le créancier rétenteur peut-il toujours s’opposer à la restitution du bien d’un
débiteur même dans l’hypothèse où ce dernier fait l’objet d’une procédure collective ?
La question est d’autant plus importante lorsqu’on sait que l’admission du débiteur à
une procédure collective a pour finalité la suspension des poursuites individuelles1776.
Aucune disposition particulière de l’Acte uniforme rénové ne permet d’envisager une
réponse à cette question1777. Néanmoins, la doctrine s’accorde à dire qu’en dépit du
caractère précaire du droit de rétention dans le nouvel Acte uniforme portant
organisation des sûretés, l’invincibilité du procédé s’impose face aux procédures
collectives1778. Ainsi, lorsqu’une procédure collective est ouverte à l’encontre du
débiteur, le créancier rétenteur est dans une position très favorable. Il peut toujours
refuser la restitution du bien, même si celui-ci est indispensable à la continuation de
l’entreprise1779.
Le droit de rétention assure ainsi au créancier une situation d’exclusivité
qu’aucune autre sûreté réelle ne peut procurer en plaçant son bénéficiaire en marge de

                                                            
1773
V.Y.R. KALIEU ELONGO, Op.cit, P.185.
1774
V.D. LEGEAIS, Op.cit., n° 641, P.324.
1775
Cass.com, 15 octobre 1991, JCP 1999, éd. E.I 143, Obs. Ph SIMLER.
1776
Cf. article 2 AUPC.
1777
V.M. SAMB, Op.cit., n°44, P723.
1778
Ce droit place le créancier rétenteur dans une position irréductible et opposable à tous. V.P.M Le
CORRE, « l’invincibilité du droit de rétention dans les procédures collectives », D. 2001, P.2815 ; V. aussi,
J.C. OTOUMOU, Op.cit., P.88 et s., V. aussi, G. PIETTE, Op.cit., P.486 ; V. aussi, P.M LE CORRE, Le
créancier face au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises, Presses universitaires d’Aix
Marseille 2000, P.941 et s. ; Y.R KALIEU ELONGO, Op.cit., P.185 et s.; V. aussi, M. SAMB, Op.cit., n°
44, P.723 ; V. aussi, D. LEGEAIS, Op.cit., n° 639, P.323.
1779
Dans ce cas, le syndic devra payer la créance pour retirer la chose retenue. V.Y.R KALIEU ELONGO,
Op.cit., P.185 ; V. aussi, G- PIETTE, Op.cit., P.187, V. aussi, P. CROQ, La reforme du droit des
procédures collectives et le droit des sûretés, D. 2006, P.1306 et s.
437 

 
tout concours1780. En effet, quelle que soit l’étape de la procédure, le droit de rétention
garde toute son efficacité dans une procédure collective et le créancier peut toujours
faire valoir sa prérogative de refus de restitution du bien retenu. La jurisprudence est
restée ferme sur cette position dans un arrêt rendu en date du 07 janvier 19921781. Si
un plan de continuation de l’entreprise est adopté, le créancier rétenteur peut
continuer d’opposer son refus de restitution au débiteur en difficulté. Si un plan de
cession de l’entreprise est adopté, il pourra opposer son refus de restitution au
cessionnaire. Si la liquidation judiciaire de l’entreprise est prononcée, l’article 149 de
l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du
passif1782 permet au juge commissaire d’autoriser le liquidateur à payer le rétenteur
afin de retirer la chose retenue. Dans le cas contraire, le créancier sera toujours fondé
à s’opposer à la restitution du bien retenu1783.
Malheureusement, saisie de la difficulté, la cour d’appel d’Abidjan n’a pas
pu procéder à une saine appréciation des éléments de la cause1784. Saisie sur la
question de la validité juridique d’un droit de rétention à l’égard d’un débiteur en
difficulté, le juge a vite fait de conclure sur l’inefficacité du droit de rétention face à
une procédure collective1785. Ce faisant, c’est oublier que le droit de rétention est
l’une des sûretés qui échappent aux affres du règlement préventif1786, ce qui est
extrêmement regrettable.

B. LES PREROGATIVES DU RETENTEUR DANS SES RAPPORTS AVEC


LES TIERS : L’OPPOSABILITE DES DROITS DU RETENTEUR SUR
LA CHOSE RETENUE

Une autre prérogative que le droit de rétention confère au créancier est la


faculté d’opposer ses droits à tous1787. Cette opposabilité concerne à la fois les tiers
propriétaires ayant acquis un bien déjà retenu1788 (1) et les créanciers du débiteur (2).
                                                            
1780
V.K. LUCIANO, « Analyse juridique du droit de rétention », Revue des procédures collectives n°4,
juillet 2012, étude 29, P.27 ; V. aussi, D. LEGEAIS, Op.cit., n° 639, P.323.
1781
CASS.CIV. 1ère, 7 janvier 1992, JCP 1992, éd. E.I. 143, n°16, Obs. Ph SIMLER et Ph DELEBECQUE.
1782
Cet article dispose ainsi qu’il suit : « Le syndic, autorisé par le juge commissaire, peut en remboursant
la dette, retirer au profit de la masse le gage ou le nantissement constitué sur un bien du débiteur ».
1783
Sur l’ensemble de la question, lire notamment, G. PIETTE, Op.cit., P.186 et s.
1784
Cf. CA d’Abidjan, Arrêt n° 92 du 31 janvier 2003, Dame GHUSSEIN FADIGA MALICK C/Société
Alliance Auto, Pénant n°872, P.379, Observations de Robert ASSONTSA et Hervé Martial TCHABO
SONTANG, Ohadata J-10-248.
1785
V.R. ASSONTSA et H.M TCHABO SONTANG, « Droit de rétention, condition d’exercice-débiteur
non propriétaire de la chose retenue-débiteur admis au règlement préventif-admission du droit de rétention,
Non », Juridis périodique n°87, juillet-août-septembre 2011, P.31.
1786
V.R. ASSONTSA et H.M. TCHABO SONTANG, Op.cit., P.28 ; Du même avis, Ripert et Roblot
lorsqu’ils affirment : « Les secousses imposées à l’ensemble de sûretés réelles par l’évolution des
procédures collectives n’ébranlent pas la force du droit de rétention », par D. LEGEAIS, Op.cit., n°641,
P.324.
1787
On parle d’opposabilité erga omnes V.K. LUCIANO, Op.cit, n° 17, P.29 ; V. aussi, D. LEGEAIS,
Op.cit, n° 640, P.34, V. aussi, M. SAMB, Op.cit, n° 41, P.722. Cette solution a été plusieurs fois confirmée
438 

 
1. L’opposabilité des droits du rétenteur au tiers acquéreur de la propriété
du bien retenu
L’on peut se demander si le propriétaire d’un bien retenu dispose encore du
droit à la cession sur ledit bien. La question est d’autant plus importante lorsqu’un sait
que le droit de rétention enlève au propriétaire le droit à la libre disposition sur le bien
retenu. En principe, les articles 67 à 70 de l’Acte uniforme rénové qui traitent du droit
de rétention n’enlèvent pas au débiteur son droit de propriété sur la chose retenue.
Celui-ci est alors libre de céder le bien, objet de la rétention à un tiers. Seulement, la
délivrance d’un bien grevé d’un droit de rétention pourra bien être paralysée par le
créancier rétenteur1789. La jurisprudence s’est plusieurs fois prononcée en faveur de
cette paralysie1790.
Il revient donc à l’acquéreur d’exiger que le bien lui soit livré libre de tout
droit de rétention. Dans le cas contraire, il aura l’obligation de désintéresser le
créancier rétenteur avant d’obtenir livraison du bien acquis1791. La question ne
manque pas de surgir sur le fondement de cette opposabilité au tiers acquéreur. Une
bonne partie de la doctrine pense que cette opposabilité se fonde sur un principe
général de droit selon lequel « nul ne saurait transférer plus de droit qu’il n’en a »1792.
A cette justification, l’on pense qu’on peut ajouter l’indisponibilité du bien
acquis1793. En effet, le bien retenu, bien qu’appartenant encore au débiteur ne fait plus
réellement partie de son patrimoine par l’effet du droit de rétention. L’exercice de son
droit de propriété sur ledit bien, pour être efficace est désormais affecté d’une
condition résolutoire1794, notamment, le désintéressement du créancier rétenteur. Le
tiers acquéreur ne peut donc rentrer en possession de la chose acquise grevée d’un
droit de rétention qu’à la condition que le rétenteur soit intégralement payé par le
débiteur ou par lui-même. Cette opposabilité rapproche davantage le droit de rétention

                                                                                                                                              

par la jurisprudence. Cf. cass.civ 1ère, 7 janvier 1992, JCPG, 1992, I, 35 83, n°16 ; Cass-com, 3 mai 2006,
n°04-15-262, JCPG 2006, I, 195.
1788
V.M. SAMB, Op.cit., n° 41, P.722 ; V aussi, D. LEGEAIS, Op.cit., n° 640, P.324.
1789
En effet, il s’agit d’une solution de bon sens. Elle permet de faire obstacle à un débiteur de mauvaise foi
qui serait tenté d’échapper à la rigueur du droit de rétention en cédant le bien, objet de la rétention. V.M.
SAMB, Op.cit., n° 43, P.723.
1790
Cf. cass.com, 31 mai 1994, n°93-16-505, Bull. Civ. IV, n°195 ; Cass.com, 2 mars 1999, n° 97-12-577,
Bull. Civ. 1999, IV, n°52.
1791
V.M. SAMB, Op.cit., n° 43, P723.
1792
V.B. MARTOR, N. PILKINGTON, D. SELLERS, S. THOUNEVOT, Op. cit., n°924, P.195 ; V. aussi
A. AYNES, « La consécration légale des droits de rétention », D, 2006, P.1301; V aussi M. SAMB, Op.cit,
n° 43, P.723 ; V. aussi, G PIETTE, Op.cit, P.186 ; V. aussi, D. LEGEAIS, Op.cit., n° 640, P.324.
1793
Sur cette question, lire notamment J.C OTOUMOU, Op.cit, P.79 et s.
1794
Sur la condition résolutoire, lire F. Terre, Ph SIMLER, Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Dalloz
2006, n° 122, P.1161.
439 

 
à un gage1795. La même solution s’impose à l’ayant cause à titre particulier devenu
propriétaire postérieurement à la rétention1796.

2. L’opposabilité des droits du rétenteur aux créanciers du débiteur


La question peut se poser de savoir si d’autres créanciers du débiteur dont le
bien fait déjà l’objet d’une rétention peuvent encore procéder à la saisie sur le même
bien. La question est d’autant plus importante lorsqu’on sait qu’aux termes de l’article
50 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de
recouvrement et des voies d’exécution1797, la détention du bien du débiteur par un
tiers n’est plus un obstacle aux saisies1798. Certes, le droit de rétention n’empêche pas
les autres créanciers du débiteur de faire valoir leur droit de saisie sur le bien, objet de
la rétention. Cette saisie rendra certainement le bien indisponible, mais sous réserve
des droits et charges qui le grèvent au jour de la saisie, notamment ici les droits du
créancier rétenteur1799. Le créancier rétenteur peut alors normalement opposer son
droit aux autres créanciers du débiteur, qu’ils soient chirographaires ou privilégiés1800.
Il s’en suit que lorsqu’un créancier entend saisir et faire vendre le bien objet de la
rétention, le rétenteur peut s’y opposer. Il reviendra au créancier saisissant de le
désintéresser avant de pouvoir exercer son droit de saisie1801.
Qu’adviendrait-il si le bien objet de la rétention fait ultérieurement l’objet
d’un gage sans dépossession. Le créancier gagiste pourra-t-il faire valoir son droit de
suite sur le bien objet de la rétention ? L’article 107 alinéa 2 du nouvel Acte uniforme
portant organisation des sûretés apporte une réponse clairement négative en ces
termes : « Le droit de rétention du créancier gagiste antérieur est opposable au
créancier postérieur qui ne pourra prétendre exercer ses droits sur le bien, tant que le
créancier antérieur n’aura pas été entièrement payé ». L’invincibilité du droit de
rétention s’affirme encore dans cette hypothèse1802. Il reviendra au créancier gagiste
de désintéresser le créancier rétenteur avant de faire valoir son droit de suite.

                                                            
1795
V.G. PIETTE, Op.cit, P.180, V. aussi, Y.R. KALIEU ELONGO, Op.cit., P.186.
1796
V.Y.R. KALIEU ELONGO, Op.cit., P.185, V. aussi, A. AYNES, « Le droit de rétention, unité ou
pluralité », Economica, P.28 et s. ; V. aussi, D. LEGEAIS, Op.cit., n° 640, P.324.
1797
Cet article dispose ainsi qu’il suit : « Les saisies peuvent porter sur tous les biens appartenant au
débiteur alors même qu’ils seraient détenus par des tiers, sauf s’ils ont été déclarés insaisissables par la loi
nationale de chaque Etat partie ».
1798
V.A.M ASSI-ESSO, OHADA, Traités et Actes Uniformes commentés et annotés, Juriscope, 2002,
P.721.
1799
Peu importe que ces droits ne deviennent exigibles ou exerçables qu’après la saisie, celle-ci devrait
respecter ces droits. V.J.C. OTOUMOU, Op.cit., P.80, V. aussi, A. AYNES, « Le droit de rétention, unité
ou pluralité », Op.cit., P.275 et s.
1800
Cf. Cass. civ., 7 janvier 1992, précité, V.G. PIETTE, Op.cit., P.186.
1801
V.M. SAMB, Op.cit., n° 42, P.722.
1802
V.K. LUCIANO, Op.cit., P.27 ; V. aussi, D. LEGEAIS, Op.cit., n° 640, P.324 ; V. aussi A. AYNES,
« le droit de rétention, unité ou pluralité », Op.cit., P.275 et s., V. aussi, J. KODO, « Le régime juridique du
droit de rétention dans l’OHADA et en droit français », Lamy Droit des sûretés, n°227, Coll. Lamy Droit
civil, 2007, www.institut-idef-org.
440 

 
En est-il de même lorsque le bien objet de la rétention fait l’objet d’un gage
sans dépossession1803 antérieurement. Certes, le droit de suite du créancier gagiste
antérieur est opposable au créancier rétenteur postérieur, mais sous réserve des droits
de ce dernier1804. On peut alors comprendre que le droit de rétention à travers sa force
confère au créancier rétenteur un véritable pouvoir d’action1805. Sur ce point de vue
particulièrement, il peut être assimilé à une sûreté active1806. Cependant, dans la
réalisation de ce droit, le créancier rétenteur devient essentiellement passif1807.

II. LE DROIT DE RETENTION, UNE SURETE PASSIVE QUANT A


SA REALISATION

Il convient d’observer que le droit de rétention tel qu’il est aujourd’hui conçu
par l’Acte uniforme rénové cantonne le créancier rétenteur dans une situation
d’attente en cas de non paiement1808. Contrairement à l’Acte uniforme ancien1809,
l’Acte uniforme rénové ne reconnaît au créancier rétenteur en cas de non paiement, ni
une véritable prérogative classique sur le bien retenu (A), ni une véritable prérogative
supplémentaire sur ledit bien (B).

A. LE REFUS D’UNE VERITABLE PREROGATIVE CLASSIQUE AU


PROFIT DU RETENTEUR SUR LE BIEN RETENU
Dans l’ancien Acte uniforme, l’article 43 disposait que « si le créancier ne
reçoit ni paiement ni sûreté, il peut, après signification faite au débiteur et au

                                                            
1803
Sur le gage sans dépossession, Cf. article 102 et 109 de l’AUS (Nouveau).
1804
Cette solution est une interprétation de l’article 107 alinéa 2 de l’Acte Uniforme portant organisation
des sûretés aux termes duquel : « Lorsqu’un bien donné en gage sans dépossession fait ultérieurement
l’objet d’un gage avec dépossession, le droit de préférence du créancier gagiste antérieur est opposable au
créancier gagiste postérieur lorsqu’il a été régulièrement publié et nonobstant le droit de rétention de ce
dernier ».
1805
V.A. AYNES, « le droit de rétention, unité ou pluralité », Op.cit., P.62 et s. ; V. aussi, J.C OTOUMOU,
Op.cit., P.84.

1806
V.Y.R. KALIEU ELONGO, Op.cit., P.185 et s. ; J.C. OTOUMOU, Op.cit., P.84 et s., V. aussi, D.
LEGEAIS, Op.cit., P.324 ; A. AYNES, « le droit de rétention, unité ou pluralité », Op.cit., P.273 et s.
1807
V.M. SAMB, Op.cit, P.721 et s. ; V.D. LEGEAIS, Op.cit., n° 641, P.324 ; V. aussi, B. MARTOR, N.
PILKINGTON, D. SELLERS, S. THOUVENOT, Op.cit., n° 21, P.195.
1808
En effet, l’Acte Uniforme rénové transforme clairement le régime des sûretés réelles.
Traditionnellement, l’assimilation était faite entre le droit de rétention et le gage. Cependant, dans l’Acte
Uniforme rénové, cette confusion entre le gage et le droit de rétention a cessé d’être entretenue. Dans l’Acte
Uniforme rénové comme en droit français, le droit de rétention apparaît comme une prérogative purement
passive. V.B. MARTOR, N. PILKINGTON, D. SELLERS, S. THOUNEVOT, Op.cit., n°921, P.195 ; V.
aussi, M. SAMB, Op.cit., n°39, P.722 ; V. aussi, R. NJEUFACK TEMGWA, Réflexion sur les procédés
alternatifs de réalisation des sûretés réelles conventionnelles en droit OHADA, Op.cit., P.107.
1809
Dans cet Acte Uniforme où on assistait à l’uniformisation du régime juridique du droit de rétention, la
garantie dont disposait le créancier rétenteur était dotée d’une force telle que la doctrine en faisait la reine
des sûretés ou des garanties. V.J.C. OTOUMOU, Op.cit, P.87.
441 

 
propriétaire de la chose, exercer ses droits de suite et de préférence comme en matière
de gage ». Dans l’Acte uniforme rénové, ces prérogatives ont été supprimées1810. Si le
créancier rétenteur n’obtient pas le paiement malgré la rétention du bien, il n’a ni droit
de suite (1) ni droit de préférence sur le bien retenu (2).
1. L’absence d’un droit de suite sur le bien retenu
Dans l’Acte uniforme rénové, le bénéficiaire d’un droit de rétention ne
dispose pas d’un droit de suite1811. Il ne peut donc se permettre de revendiquer la
restitution du bien s’il passe en d’autres mains. La conséquence logique et directe de
cette absence de droit de suite est que la dépossession du créancier du bien emporte
extinction du droit de rétention. Il est en effet de l’essence même du droit de rétention
que le créancier détient matériellement la chose. Dès lors qu’il s’en dessaisit, il perd
son droit1812. De même, pour la jurisprudence, la détention de la chose par le créancier
est une condition essentielle du droit de rétention. Cette position est confirmée par la
cour de cassation française lorsqu’elle affirme : « Pour retenir, il faut d’abord
tenir »1813. Il n’est cependant pas nécessaire que le créancier détienne personnellement
le bien. Il peut exercer son droit de rétention par l’intermédiaire d’un tiers qui détient
le bien pour son compte (entiercement)1814.
On peut bien s’interroger sur l’opportunité du refus d’un droit de suite au
profit du créancier rétenteur dans l’Acte uniforme rénové. On peut aussi comprendre
que dans l’hypothèse où le dessaisissement du créancier du bien retenu est volontaire,
il peut s’analyser comme une renonciation du droit de rétention de la part de ce
dernier. Par conséquent, il ne peut plus prétendre exercer plus tard un droit de suite
sur ledit bien. C’est le cas d’un créancier qui, sans préalablement avoir reçu paiement
intégral de la dette remet volontairement le bien retenu au débiteur1815.
Qu’adviendrait-il si le dessaisissement intervient de manière involontaire ?
Nous pensons à l’hypothèse où ce dessaisissement intervient à la suite d’un vol ou
d’une perte de la chose. Une partie de la doctrine pense qu’avec la suppression d’un

                                                            
1810
On peut bien s’interroger sur l’opportunité de la suppression de ces prérogatives dans l’Acte Uniforme
rénové. On peut aussi comprendre que dans la pratique, elles faisaient naître une confusion entre le gage et
le droit de rétention. C’est sans doute pour mettre un terme à cette confusion que le législateur a dans l’Acte
Uniforme rénové supprimé ces prérogatives. Désormais, la confusion n’est plus entretenue entre le droit de
rétention et le gage. V.M. SAMB, Op.cit., n°39, P.722.
1811
Il n’est donc en position de force que s’il reste passif et se contente de l’opposer aux débiteurs et aux
autres créanciers. V.D. LEGEAIS, Op.cit., n° 641, P.324 ; V. aussi, M. SAMB, Op.cit., n° 40, P.722.
1812
V. M. SAMB, Op.cit., n° 40, P.722.
1813
Cass.com, 4 janvier 2005, Bull. Civ. IV, n°1
1814
Par ailleurs, la détention peut être fictive. En principe, l’exigibilité d’une détention conduit à refuser aux
créanciers titulaires d’un gage sans dépossession tout droit de rétention. Il en est ainsi, par exemple, du
créancier nanti sur le fond de commerce (cf. Cass.com, 4 mars 2003, Bull. Civ. IV, n°00) ou de celui nanti
sur le matériel et l’outillage (Cass.com, 15 janvier 1957, Bull, Civ. IV, N°1). Néanmoins, la jurisprudence a
reconnu à certains créanciers titulaires de gage sans dépossession un droit de rétention fictif. C’est
notamment le cas du créancier gagiste sur véhicule automobile. Ce créancier se voit reconnaître une
détention fictive. Sur l’ensemble de la question, lire notamment G. PETTE, Op.cit., P. 184 et s.
1815
V.M. SAMB, Op.cit, n°48, P.724 ; V. aussi J.C OTOUMOU, Op.cit, P.84.
442 

 
droit de suite dans l’Acte uniforme rénové, le créancier rétenteur ne peut plus s’en
prévaloir en toute circonstance1816. Cependant, nous pensons que sur le fondement de
l’article 2279 du Code civil qui fait du créancier rétenteur le possesseur de bonne foi,
celui-ci peut toujours revendiquer la restitution du bien lorsqu’il se trouve entre les
mains d’un tiers s’il en a été involontairement dessaisit, notamment en cas de perte ou
de vol1817. Cette solution ne peut s’incliner qu’en cas de destruction matérielle de la
chose, objet du droit de rétention1818.

2. L’absence d’un droit de préférence sur le bien retenu


Il résulte de l’article 70 de l’Acte uniforme rénové1819 que le créancier
rétenteur ne dispose pas d’un droit de préférence sur le bien retenu. Il ne peut donc
pas procéder à la réalisation forcée du bien retenu afin de se payer sur le prix de
vente. S’il ne reçoit pas le paiement malgré la rétention du bien, il doit se contenter de
demeurer dans une position passive et négative, c'est-à-dire de n’engager aucune
procédure de réalisation1820. Il lui sera alors préférable d’attendre que les autres
créanciers se manifestent. En effet, ces derniers voudront certainement réaliser le bien
retenu afin de pouvoir se payer sur le prix de vente. Pour cela, ils devront donc au
préalable désintéresser le créancier rétenteur car, la réalisation du bien retenu entraîne
l’extinction du droit de rétention, le créancier rétenteur ne disposant aucun droit de
préférence sur le prix de vente1821.
Par dérogation à l’article 70 alinéa premier de l’Acte uniforme rénové,
l’alinéa 2 permet au créancier rétenteur de procéder à la réalisation forcée du bien
retenu si l’état ou la nature périssable de ce dernier le justifie ou si les frais
occasionnés par sa garde sont hors de proportion avec sa valeur1822. En disposant que
le droit de rétention se reporte dans ce cas sur le prix de vente qui doit être consigné,
                                                            
1816
V.M. SAMB, Op.cit, n° 39, P.722.
1817
Du même avis, J.C, OTOUMOU, Op.cit, P.84 ; V. aussi Y.R. KALIEU ELONGO, Op.cit, P.186 ; Elle
peut également résulter d’une interprétation de l’article 100 de l’Acte Uniforme rénové qui a prévu cette
solution en matière de gage.
1818
Dans ce cas, le créancier ne peut prétendre s’approprier l’indemnité d’assurance remplaçant le bien
détruit. V.M. SAMB, Op.cit, n° 48, P.724 ; V. aussi Y.R. KALIEU ELONGO, Op.cit, P.186.
1819
Cet article dispose ainsi qu’il suit : « le créancier à l’obligation de conserver le bien retenu en bon
état ».
1820
En cas de réalisation du bien, objet de la rétention, le créancier rétenteur sera alors en concours avec les
autres créanciers et il pourra être primé par les créanciers privilégiés. Cf. article 226 AUS (Nouveau).
1821
Par conséquent, s’il procède à la saisie de la chose pour la faire vendre, il perd sa détention et son droit
de rétention. Pour éviter le concours, il est conseillé au créancier rétenteur de ne jamais saisir la chose pour
la faire vendre, sauf dans l’hypothèse marginale où le débiteur n’a pas d’autres créanciers. V.G. PIETTE,
Op.cit, P.187 et s.
1822
Cet article ayant prévu que le créancier doit pour cela obtenir l’autorisation de la juridiction compétente
statuant à bref délai, on peut comprendre qu’il s’agit du juge de référé, statuant en matière d’urgence. Cf.
article 49 de l’Acte Uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies
d’exécution qui dispose : « la juridiction compétente pour statuer sur tout litige ou toute demande relative à
une mesure d’exécution forcée ou à une saisie conservatoire est le président de la juridiction statuant en
matière d’urgence ou le magistrat délégué par lui… ».
443 

 
cet article laisserait croire que le créancier rétenteur va bénéficier d’un droit de
préférence sur ce prix. Malheureusement, l’article 226 de l’Acte uniforme rénové1823
s’y oppose dans la mesure où il institue un classement entre les créanciers pour la
distribution des deniers provenant de la réalisation du bien. Il résulte de ce classement
que le créancier rétenteur sera primé par des créanciers privilégiés et ne saurait se
prévaloir d’aucun droit de préférence1824.
L’on pourrait s’interroger sur le fondement de ce refus du droit de préférence
sur le prix de vente au créancier rétenteur dans le nouvel Acte uniforme. Une partie de
la doctrine pense que ce refus se justifie par le souci de protéger le débiteur du risque
que le bien retenu ne soit bradé par un créancier animé par le seul souci de se faire
payer1825. A notre humble avis, nous pensons que ce refus se justifie par une idée
simple selon laquelle la réalisation forcée du bien entraîne extinction du droit de
rétention1826.

B. LE REFUS D’UNE VERITABLE PREROGATIVE SUPPLEMENTAIRE


AU PROFIT DU RETENTEUR SUR LE BIEN RETENU

Dans l’Acte uniforme rénové, si le créancier rétenteur n’obtient pas le


paiement malgré la rétention du bien, il n’a pas pour autant le droit de demander
l’attribution judiciaire du bien (1) ou le droit de faire usage du bien retenu (2).
                                                            
1823
Cet article dispose ainsi qu’il suit : « Sans préjudice de l’exercice d’un éventuel droit de rétention ou
d’un droit exclusif au paiement, les deniers provenant de la réalisation des meubles sont distribués dans
l’ordre suivant :
1. Aux créanciers des frais de justice engagés pour parvenir à la réalisation du bien vendu et à la
distribution elle-même du prix ;
2. Aux créanciers de frais engagés pour la conservation du bien du débiteur dans l’intérêt des
créanciers dont le titre est antérieur en date ;
3. Aux créanciers de salaire super-privilégiés ;
4. Aux créanciers garantis par un privilège général soumis à publicité, un gage ou un nantissement,
chacun à la date de son opposabilité aux tiers ;
5. Aux créanciers munis d’un privilège spécial, chacun suivant le meuble sur lequel porte le
privilège ; en cas de conflit entre créances assorties d’un privilège spécial sur le même meuble,
la préférence est donnée au premier saisissant ;
6. Aux créanciers munis d’un privilège général non soumis à publicité selon l’ordre établi par
l’article 180 du présent Acte Uniforme ;
7. Aux créanciers chirographaires munis d’un titre exécutoire lorsqu’ils sont intervenus par voie de
saisie ou d’opposition à la procédure de distribution ;
En cas d’insuffisance des deniers pour désintéresser les créanciers désignés aux 1, 2, 3, 4, 5, 6 et 7 du
présent article venant à rang égal, ceux-ci concourent à la distribution dans la proportion de leurs créances
totales, au marc le franc ».
1824
V.M. SAMB, Op.cit, n° 40, P.722.
1825
V.R. NJEUFACK TEMGWA, Op.cit, P.108 ; V. aussi S.S. KUATE TAMEGHE, « Délicatesse,
convivialité, humanité… et voies d’exécution », Juridis périodique, n° 62, avril-mai-juin 2005, P.50 et s.
1826
Lorsqu’il est procédé à la vente du bien retenu, le créancier rétenteur en perd la détention et par
conséquent, le droit de rétention. V.G. PIETTE, Op.cit, P.187.
444 

 
1. Le refus d’un droit à l’attribution du bien retenu
L’attribution constitue une technique d’éviction du concours pour le
créancier, puisqu’elle est indépendante de l’ordre dans lequel s’exercent les
privilèges1827. Sous l’empire de l’ancienne législation de l’OHADA, la doctrine
s’accordait à affirmer qu’en cas de non paiement, le créancier rétenteur pouvait se
faire attribuer la propriété du bien retenu. Elle tirait argument de l’article 43 de
l’Ancien Acte uniforme1828 qui renvoyait au droit de préférence du créancier
gagiste1829. La jurisprudence s’était toujours prononcée en faveur de cette prérogative
au profit du créancier rétenteur1830.
Dans l’Acte uniforme révisé, cette prérogative a été supprimée. Le créancier
rétenteur n’a plus le droit de solliciter l’attribution du bien retenu. Si cette solution se
justifie amplement en cas de demande d’attribution judiciaire du bien retenu par le
créancier1831, en sera-t-il de même en cas d’attribution conventionnelle. Nous pensons
ici à l’hypothèse dans laquelle le créancier et le débiteur auraient convenu un pacte
commissoire1832. La question est d’autant plus importante lorsqu’on sait que dans
l’Acte uniforme rénové, on assiste à une généralisation de l’attribution en propriété1833
à travers l’admission du pacte commissoire1834 et l’extension de l’attribution
judiciaire1835. Ici encore, le créancier rétenteur ne sera toujours pas autorisé à solliciter
l’attribution du bien en sa possession1836.
L’on pourrait bien s’interroger sur l’opportunité du refus de cette prérogative
d’attribution au profit du créancier rétenteur tant du point de vue judiciaire que du
droit de vue conventionnel. L’on peut comprendre qu’à la lecture des articles 67 à 70
de l’Acte uniforme rénové qui traitent spécialement du droit de rétention, il
n’apparaît nulle part le bénéfice de l’attribution au profit du créancier rétenteur. L’on
                                                            
1827
Pour cet ordre, Cf. article 226 AUS (Nouveau).
1828
Sur le fondement de cet article, le créancier rétenteur pouvait demander l’attribution judiciaire du bien
retenu en cas de non paiement. V. aussi J.C OTOUMOU, Op.cit, P.84.
1829
V.B MARTOR, N. PILKINGTON, D. SELLERS, S. THOUNEVOT, Op.cit, P.196 et s., V. aussi J.C
OTOUMOU, Op.cit, P.84.
1830
La jurisprudence lui accordait cette prérogative sous deux conditions : n’avoir reçu ni paiement, ni
sûreté de substitution d’une part et avoir signifié au débiteur ou au propriétaire du bien son intention de
réaliser le bien à l’expiration d’un délai de huit jours à compter de la réception de la signification. Cf. Cour
d’Appel d’Abidjan, 4e chambre civile et commerciale, Arrêt n° 971 du 18 novembre 2005, Affaire société
SCIMI C/ Société DALYNA TRAVEL AGENCY, Ohadata J-09-362 ; CA Donaï, 16 mars 1995, JCP
1995, éd. E 515, n°16.
1831
Il en est ainsi dans la mesure où dans l’Acte Uniforme rénové, aucune assimilation formelle ne peut
plus être faite entre le gage et le droit de rétention. V.M. SAMB, Op.cit, n°45, P.723.
1832
Le pacte commissoire est une convention par laquelle le créancier se fait consentir le droit de
s’approprier de lui-même la chose objet de la sûreté V.G. CORNU, Vocabulaire juridique, Association
Henri Capitant, 6e édition, PUF 2004, P.639.
1833
V.R. NJEUFACK TEMGWA, Op.cit, P.109 et s.
1834
V.R. NJEUFACK TEMGWA, Ibidem P.110.
1835
V.R. NJEUFACK TEMGWA, Ibidem P.112.
1836
V.D. LEGEAIS, Op.cit, n° 641, P.324.
445 

 
peut également comprendre que l’admission du pacte commissoire prévue dans les
dispositions générales du nouvel Acte Uniforme portant organisation des sûretés ne
peut s’accommoder qu’avec quelques sûretés réelles1837 à l’exclusion des autres,
notamment le droit de rétention1838. Le créancier rétenteur qui n’a pas reçu le
paiement doit alors rester passif et n’a pas le droit de demander l’attribution du bien
retenu1839.

2.Le refus d’un droit à l’usage sur le bien retenu


Aux termes de l’article 70 alinéa 1 de l’Acte uniforme rénové portant
organisation des sûretés, « le créancier a l’obligation de conserver le bien retenu en
bon état ». Il résulte de cet article que le créancier rétenteur doit veiller sur la chose
retenue en bon père de famille1840, toute détérioration totale ou partielle pouvant
engager sa responsabilité1841. Comme principale conséquence de cette obligation, le
créancier rétenteur ne dispose pas d’un droit à l’usage sur le bien retenu. Il n’a droit ni
aux fruits, ni à la jouissance de la chose1842.
Qu’adviendrait-il si le créancier rétenteur au mépris de ce refus viendrait à
percevoir les fruits de la chose objet de la rétention. Aucune disposition particulière
sur le droit de rétention ne permet d’envisager une solution à cette attitude fautive du
créancier. On peut néanmoins faire recours à une disposition générale de l’Acte
uniforme portant organisation des sûretés, notamment l’article 103 qui prévoit que
dans ce cas, le créancier doit imputer les fruits perçus sur ce qui lui est dû en intérêts
ou à défaut sur le capital de la dette1843.

                                                            
1837
En effet, l’admission du pacte commissoire s’accommode avec le gage, le nantissement et
l’hypothèque. V.R. JEUFACK TEMGWA, Op.cit, P. 110 à 112.
1838
V.J.C. OTOUMOU, Op.cit, P. 84.
1839
Cependant, on peut préciser que le risque qui découle de cette situation négative est amoindri dans
l’Acte Uniforme rénové lorsqu’on sait que le créancier rétenteur ne peut se voir imposer une garantie de
substitution pas toujours avantageuse, V.J.C. OTOUMOU, Op.cit, P. 85.
1840
Cf article 108 AUS (Nouveau). Sur cette obligation de conservation de la chose retenue, Lire J.M.
NYAMA, Eléments de droit des affaires, Cameroun-OHADA, CUC, 2002, P.251.
1841
Cf article 109 AUS (Nouveau). En outre, au sens de l’article 1384 alinéa 1er du code civil, le rétenteur
est gardien de la chose retenue. Aussi, est-il responsable si la chose retenue cause des dommages à des
tiers.
1842
Cf. article 103 AUS (Nouveau). Sur la question, Lire notamment G. PIETTE, Op.cit, P. 186 ; V. aussi
Y.R. KALIEU ELONGO, Op.cit, P. 185.
1843
Il s’en suit que si ces fruits perçus peuvent suffire à payer l’intégralité de la dette, le droit de rétention
doit être éteint et par conséquent, le bien retenu doit être restitué au débiteur. En effet, en tant que
mécanisme de garantie, le droit de rétention disparaît par voie accessoire lorsque la créance qu’il garantit
est éteinte. Quelle que soit la cause de l’extinction de la créance (paiement, dation…), elle provoque
l’extinction du droit de rétention. Il est cependant nécessaire que la créance soit éteinte en totalité. V.G.
PIETTE, Op.cit, P.187 ; V. aussi, Y.R. KALIEU ELONGO, Op.cit, P.186 ; V. aussi, M. SAMB, Op.cit,
n°46, P.723.
446 

 
Qu’adviendrait-il également si le créancier rétenteur procède à la jouissance
du bien retenu, violant par là son obligation de conservation1844. A travers l’article
109 de l’Acte uniforme rénové sur le droit des sûretés, on peut déduire que cette
nouvelle attitude fautive du créancier donne au débiteur le droit de réclamer la
restitution du bien retenu1845.
L’on peut s’interroger sur le fondement de ce refus du droit à l’usage au
profit du créancier rétenteur. La doctrine affirme que le droit de rétention confère au
créancier une simple détention de la chose et non une possession1846. Ne pouvant donc
aucunement se comporter comme le véritable propriétaire de la chose, il ne peut pas
l’utiliser puisqu’il détient la chose d’autrui1847

                                                            
1844
Lorsque le créancier rétenteur aurait engagé des frais pour satisfaire à son obligation de conservation du
bien retenu, le débiteur doit lui rembourser toutes les dépenses effectuées à cet effet Cf. article 113 AUS
(Nouveau).
1845
Dans ce cas, le créancier rétenteur ne sera plus fondé à s’opposer à la restitution dans la mesure où
parmi les conditions requises par l’exercice du droit de rétention figure la bonne foi du créancier. Ainsi, un
créancier qui fait usage du bien retenu est de mauvaise foi et par conséquent, il doit perdre son droit de
rétention. La théorie de l’abus du droit peut également permettre de sanctionner cette attitude fautive du
créancier rétenteur. Sur l’ensemble de la question, Lire notamment, D. LEGEAIS, Op.cit, n°637, P.321 et s.
1846
La possession se caractérise par la réunion de deux éléments notamment le corpus qui est l’élément
matériel de la possession, détention ou jouissance d’une chose et l’animus qui est l’élément psychologique
de la possession, volonté d’être propriétaire et de se comporter comme tel. V.G. PETTE, Op.cit, P.184.
1847
V.G. PIETTE, Ibid. V. aussi Y.R KALIEU ELONGO, Op.cit, P.185.
447 

 
CONCLUSION

Avec la révision de l’Acte Uniforme portant organisation des sûretés1848 le 15


décembre 2010, le débat sur la nature juridique du droit de rétention est loin d’être
tranché1849. Traditionnellement envisagé comme une véritable sûreté active sous
l’empire de l’ancienne législation, le droit de rétention apparaît plus avec la révision
comme une sûreté passive. Il s’est vu déposséder de tous les attributs actifs qui en
faisaient la force1850, cantonnant ainsi le rétenteur dans la position d’attente en cas de
non paiement1851. La seule véritable prérogative qui lui est reconnue aujourd’hui
réside dans son refus de restitution1852.
Cependant, le moins que l’on puisse dire au-delà de toute controverse1853,
c’est qu’avec la révision de l’Acte Uniforme portant organisation des sûretés,
l’efficacité du droit de rétention ne s’en est pas trouvée affaiblie. Le débiteur n’a plus
la possibilité de fournir une sûreté réelle équivalente de substitution au créancier
rétenteur afin de l’obliger à renoncer au droit de rétention1854. Désormais, le débiteur
ne peut paralyser le droit de rétention que par le paiement de la créance garantie, ce
qui permet au créancier de rester passif. Néanmoins, cette consécration du droit de
rétention soulève de nouvelles questions dont les réponses ne sont pas toutes
évidentes dans l’Acte uniforme révisé et qui parfois nécessiteront la modification
dudit Acte.

                                                            
1848
Le droit des sûretés fait l’objet de l’un des trois Actes uniformes signés le 17 avril 1997 en application
du Traité du 17 octobre 1993 instituant l’OHADA. V.F. ANOUKAHA, le droit de sûreté dans l’Acte
Uniforme OHADA, PUA 1998, coll. « Droit uniforme », P.164 ; F. ANOUKAHA, YANKHOBA NDIAYE,
A. CISSE NIANG, M. SAMB et J. ISSA-SAYEGH, OHADA : Sûretés, Bruylant, Coll. « Droit uniforme
africain », 2002, P.279 ; G. Bremond SAAR, La sécurité juridique de l’investissement dans l’OHADA : Le
droit des sûretés à l’épreuve du recouvrement des créances, thèse Aix-Marseille 2005 ; A. MINKOA SHE,
Droit des sûretés et des garanties du crédit dans l’espace OHADA, Tome 2, Les garanties réelles,
DIANOÏA 2010 ; Y.R. KALIEU ELONGO, Op.cit, B. MARTOR, N. PILKINGTON, et S. THOUNEVOT,
Op.cit, P.211 et s.
1849
Finalement, la révision de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés ressuscite une question
qu’on croyait avoir résolu ou évité en droit OHADA : Le droit de rétention est-il une véritable sûreté ou
une sûreté imparfaite ? V.F. DERRIDA, « La dématérialisation du droit de rétention », Mel. VOIRIN,
L.G.D.J, Paris 1967, P.177 et s.
1850
Cf. article 43 AUS (Ancien).
1851
Avec cette révision, le droit OHADA cadre désormais avec le droit français, V.B. MARTOR, N.
PILKINGTON, D. SELLERS, S. THOUNEVOT, Op.cit, n°924, P.195.
1852
V.M. SAMB, Op.cit, n°34, P.721 et s.
1853
La controverse n’est-elle pas un ferment nécessaire à l’évolution de la science juridique ? V.H.D.
MODI KOKO BEBEY, Préface de l’ouvrage l’effectivité du droit de l’OHADA, PUA 2006, P.11.
1854
La faculté ainsi conférée au débiteur sous l’empire de l’ancien Acte Uniforme lui donnait le pouvoir
d’imposer au créancier rétenteur une sûreté dont l’équivalence de l’objet ne lui garantissait pas
nécessairement et même pas toujours un rang de priorité ou de préférence à celui que lui conférait son
attitude passive. V.J.C. OTOUMOU, Op.cit, P.81.
448 

 
LE RÉGIME PROCÉDURAL DE L’AUTORITÉ DE LA CHOSE JUGÉE EN
PROCÉDURE CIVILE CAMEROUNAISE :
Réflexions sur une évolution jurisprudentielle de la Cour suprême à partir d’un arrêt
de la C.C.J.A.
Par Léon HOUNBARA KAOSSIRI, Assistant, Faculté des Sciences Juridiques et
Politiques, Université de Ngaoundéré (Cameroun)

Résumé
Le présent article est une contribution à la précision du régime procédural de
l’autorité de la chose jugée en matière civile au Cameroun à la lumière des récentes
évolutions que connait la jurisprudence nationale et communautaire. Il propose
quelques précisions à plusieurs préoccupations auxquelles le droit positif n'apporte
pas de solution satisfaisante. Cette contribution répond à la question de savoir par qui
et à quel moment l’autorité de la chose jugée doit être soulevée. Il ressort que cette
dernière est une fin de non-recevoir, donc un moyen de défense. De ce fait, le
privilège de la soulever revient normalement aux parties, plus précisément le
défendeur. Cependant, compte tenu de ses fonctions, qui s’orientent aussi vers la
protection de l’intérêt de la justice tout entière, l’autorité de la chose jugée peut être
soulevée d’office par le juge lorsqu’il en a connaissance. C’est sur ce même argument
que se fonde cet article pour proposer que l’autorité de la chose jugée soit recevable
en tout état de cause, contrairement à la prescription légale qui exige que les fins de
non-recevoir soient présentées avant toute conclusion au fond. Il faudrait cependant,
pour éviter les abus auxquels peut conduire un tel régime, prévoir de sanctions à
l’encontre du plaideur qui utiliserait cette fin de non-recevoir de manière dilatoire.
Abstract
This article aims to precise the procedural rules governing the principle of
res judicata in Cameroonian civil and commercial procedure. The available law on
this issue does not provide a satisfactory solution to the multiple preoccupations
raised by the implementation of this principle. This paper thus brings to light some
fundamental questions concerning this issue. It answers the question to know how-the
competent person and the precise moment in which res judicata can be raised in a
case. The authority of res judicata is a plea of inadmissibility, consequently a means
of defense in a case. This means that it should be raised primarily by the parties,
specifically the defendant. However, in view of its function which includes the
protection of the interests of the whole court, the authority of res judicata may be
raised by the judge when he becomes aware of its existence. By this same argument,
this article proposes that the authority of res judicata should be admissible at any
moment in the procedure which is contrary to the legal prescription now that requires
that pleas of inadmissibility should be raised before any conclusive background ;
however in order to avoid a party from frustrating the action of the court by raising
the defense abusively, we propose here that the law should provide sanctions against
the litigant who uses this plea of inadmissibility with a dilatory intension.

449 

 
Introduction
Bien que prévue tant en droit interne1855 qu’en droit communautaire1856,
l’autorité de la chose jugée n’est définie par aucun texte applicable en droit
camerounais. En faisant abstraction des multiples controverses dont elle est sujette1857,
on peut l’entendre comme une qualité attribuée aux jugements dont la fonction est
d’empêcher le renouvellement d’un même procès1858. La doctrine contemporaine1859
voit en elle, non une présomption de vérité comme le prétend l’article 1351 du Code
civil camerounais, mais comme un attribut du jugement, voire une fin de non-
recevoir. Ceci se justifie en ce sens que sa proposition au cours d’une instance se
présente comme un obstacle anticipé à l’examen au fond du droit litigieux. Comme
toutes les autres fins de non-recevoir, sa proposition suspend le cours de l’instance et
oblige le juge à rendre une décision antérieure à celle de la demande au fond1860. En
outre, son admission se présente comme un obstacle définitif à l’examen au fond du
litige, ce qui la distingue des exceptions de procédure. Lorsqu’elle est admise, elle
entraine l’irrecevabilité de l’action sans qu’il soit besoin de connaître du fond du
litige.
Dire de l’autorité de la chose jugée qu’elle est une fin de non-recevoir revient
ainsi à la ranger dans la catégorie des moyens de défense. Ainsi analysée, elle peut

                                                            
1855
En droit interne, l’autorité de la chose jugée est prévue tant en matière civile et commerciale (v. art.
1351 du C. civ.) qu’en matière pénale (v. art. 62 du CPP).
1856
V. art. 20 du Traité OHADA : « Les arrêts de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ont l’autorité
de la chose jugée et la force exécutoire... » ; art. 25 : « Les sentences arbitrales rendues conformément aux
stipulations du présent titre ont l’autorité définitive de la chose jugée sur le territoire de chaque Etat Partie
au même titre que les décisions rendues par les juridictions de l’Etat ». V. aussi art. 27 du Règlement
d’arbitrage de la CCJA.
1857
En effet, les auteurs classiques avaient vu en l’autorité de la chose jugée une présomption, donc une
règle de preuve conformément à l’article 1350 du Code civil, lequel range la range parmi les présomptions
légales. V. par exemple : G. JÈZE, « De la force de vérité légale attachée par la loi à l’acte juridictionnel »,
RDP, 1913, p. 437 ; P. HÉBRAUD, « L’exécution des jugements civils », RIDC, 1957, p. 170. Cette
conception est celle des substantialistes. V. J.-L. AUBERT et É. SAVAUX, Introduction au droit et thèmes
fondamentaux du droit civil, Coll. Université, 15ème éd., Sirey, 2014, n°151, p. 154 ; F. TÉRRÉ,
Introduction générale au droit, Coll. : Précis, 9ème éd., Dalloz, 2014, n° 745, p. 600. Elle semble relayée par
une partie des processualistes contemporains. V. par exemple : G. COUCHEZ et X. LAGARDE, Op. cit.,
n° 213, p. 223 ; S. AMRANI-MEKKI et Y. STRICKLER, Procédure civile, Coll. : Thémis Droit, PUF,
2014, n° 482, p. 749 ; L. CADIET et E. JEULAND, Droit judiciaire privé, 5ème éd., Litec, 2006, n°725 et s.,
pp. 462 et s. ; n° 763, p. 482. Pour une critique de cette conception, v. : E. COUTURE, « La chose jugée
comme présomption légale – Critique des articles 1349 à 1350 du Code civil », in RIDC, Vol. 6 n°4,
Octobre-décembre 1954. pp. 681-701 ; J. FOYER, De l’autorité de la chose jugée en matière civile – Essai
d’une définition, Thèse, Paris, 1954 ; D. TOMASIN, op. cit.
1858
G. COUCHEZ et X. LAGARDE, Procédure civile, 17ème éd., Dalloz-Sirey, 2014, n° 213-1, p. 223 ; N.
FRICÉRO, « Le fabuleux destin de l’autorité de la chose jugée », Principes de justice. Mélanges en
l’honneur de J.-François BURGELIN, Dalloz, 2008, p. 199 ; D. TOMASIN, Essai sur l’autorité de la
chose jugée en matière civile, 1975, LGDJ, n°207.
1859
V. notamment : C. LEFORT, Procédure civile, 5ème éd., Dalloz, 2014, n° 573, p. 396 et s ; J. HÉRON et
T. LE BARS, Droit judiciaire privé, 5ème éd., Coll. : Domat Droit privé, Montchrestien, 2010, n° 330, p. 275
et s ; N. FRICÉRO, Procédure civile, Coll. : Mémentos LMD, 11ème éd., Gualino Editeur, 2014, p. 193 ; C.
BLÉRY, L’efficacité substantielle des jugements, Thèse, LGDJ, 2000, n° 168 et s., p. 115 et s.
1860
B. OPPETIT, « Les fins de non-recevoir à l’action en recherche de paternité », RTD Civ., 1967, p. 756,
cité par Y. DESDEVISES, Le contrôle de l’intérêt légitime. Essai sur les limites de la distinction du droit
et de l’action en justice, Thèse, Nantes, 1973, n° 204, p. 324.
450 

 
susciter plusieurs interrogations. L’un problème qu’elle soulève est celui de sa mise
en œuvre ou de son régime procédural.
La question du régime procédural ou, plus globalement, celle du régime
juridique des fins de non-recevoir en général fait l’objet d’une préoccupation de
longue date1861. Malgré cette ancienneté, elle demeure d’actualité1862. La fin de non-
recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée jouit également d’un regain d’intérêt1863.
Elle vient d’être érigée par la CCJA1864 en un principe fondamental de la justice. En
effet, pour annuler la sentence arbitrale d’un tribunal qui s’était prononcé sur une
cause ayant fait l’objet d’un précédent jugement, la haute juridiction communautaire a
rappelé que l’autorité de la chose jugée est un principe fondamental de la justice en ce
qu’elle assure la sécurité juridique et participe de l’ordre public international.
En outre, en droit français, par exemple, l’article 125 du Code procédure
civile qui réglemente les fins de non-recevoir a été tout dernièrement modifié par un
décret survenu en 20041865. Ce Décret a renouvelé le régime procédural de l’autorité
de la chose. La question y semble donc presque tranchée. Cependant, le droit positif
camerounais n’a pas toujours apporté une solution nette à ce problème. Les
dispositions du Code civil camerounais, ni celles du droit OHADA, qui énoncent
l’autorité de la chose jugée ne renseignent pas suffisamment sur les modalités de sa
mise en œuvre. Le Code de procédure civile et commerciale aborde la question de
manière imprécise. Des précisions y relatives s’avèrent donc nécessaires.
Le régime procédural de l’autorité de la chose jugée ne dépend pas
seulement de la nature juridique qu’on lui reconnait, mais aussi des finalités qu’on lui
assigne. Il faut noter que comme toutes les fins de non-recevoir, l’autorité de la chose
jugée a plusieurs fonctions, lesquelles peuvent être analysées tant au regard de la
dimension micro judiciaire que de la dimension macro judiciaire. Alors que la
première dimension amène à l’orienter vers la protection du justiciable ou du juge, la
seconde dimension incite à l’envisager dans le sens de la protection de l’appareil
judiciaire. L’autorité de la chose jugée constitue un instrument de police processuelle,
en ce sens qu’elle sanctionne le défaut d’une condition classique du droit d’action1866.
Elle constitue également un instrument de terminaison du procès, dans la mesure où
elle se présente comme une négation du droit d’action, voire du droit substantiel1867.

                                                            
1861
V. par exemple J.-P.BEGUET, Op. cit., p. 133.
1862
V. S. JAHEL, « Fin de non-recevoir et ordre processuel », in Justices et droit du procès - Du légalisme
procédural à l'humanisme processuel : Mélanges offerts à Serge Guinchard, Dalloz, 2010, p. 723, v.
également J. NORMAND, « Les excroissances des fins de non-recevoir », Op. cit., p. 684 ; B. ODENT, «
Le destin des fins de non-recevoir », in Mélanges offerts à Marcel WALINE, Le juge et le droit public,
LGDJ, Paris, 1974, p. 653.
1863
V. par exemple « Chose jugée : fin de non-recevoir relevée d'office », note sous Civ. 2ème, 15 sept.
2005, RTD Civ. 2005, p. 824.
1864
V. CCJA, Ass. Plén., arrêt n° 03/2011 du 31 janvier 2011, Aff. : Société PLANOR AFRIQUE S.A. C/
Société ATLANTIQUE TELECOM S.A., Le Juris-Ohada n° 2/2011, avril-juin 2011, p. 8 ; Ohadata J-12-
136 ; Juridis Périodique n° 101, janvier-février-mars 2015, p. 53, obs. MOHO FOPA.
1865
Décret n° 2004-836 du 20 août 2004. Ce décret est entré en vigueur le 1er janvier 2005. Sur ce décret, v.
N. FRICÉRO, Dr. et proc., n° 1, 2005, Chron. 1 ; S. AMRANI-MEKKI, JCP 2005, I, 125, n° 6.
1866
V. à cet effet L. CADIET et E. JEULAND, Op. cit., n° 478, p. 291.
1867
Y. DESDEVISES, Th. Op. cit., n° 192, p. 308.
451 

 
Le régime procédural de l’autorité de la chose jugée est également tributaire
de la valeur procédurale qu’on reconnaît à cette fin de non-recevoir. Il faut ainsi
distinguer selon qu’il s’agit d’une simple fin de non-recevoir d’ordre privé ou d’une
fin de non-recevoir d’ordre public. Comme l’a récemment décidé la CCJA1868,
l’autorité de la chose jugée préserve la sécurité juridique et participe de l’ordre public
en ce qu’elle prône la stabilité des situations judiciairement prononcées et affirme
l’incontestabilité des décisions de justice. Elle renforce aussi le crédit de la justice en
interdisant le renouvellement des procès et en prévenant contre la contrariété des
jugements. Il faut noter que cette position semble s’éloigner de la conception
traditionnelle. En effet, le régime procédural de l’autorité de la chose jugée a été,
traditionnellement, calqué à l’image de celui des fins de non-recevoir d’ordre privé.
La Cour suprême du Cameroun affirmait que celle-ci ne pouvait être soulevée que par
les parties1869, qui avaient d’ailleurs la possibilité d’y renoncer1870. En outre, elle était,
comme toutes les autres fins de non-recevoir, soumise au régime de la présentation in
limine litis prescrit par l’article 97 du Code de procédure civile et commerciale.
Cette conception classique semble ne plus retenir l’attention de la
jurisprudence contemporaine qui a tendance à appliquer à l’autorité de la chose jugée
le régime propre aux fins de non-recevoir d’ordre public. Désormais, la Cour suprême
semble reconnaitre d’importants pouvoirs au juge dans sa mise en œuvre. Aussi
décide-t-elle que celle-ci peut être soulevée d’office et en tout état de cause1871. Une
telle évolution jurisprudentielle qui incite à revoir le régime procédural l’autorité de la
chose jugée mérite-t-elle d’être généralisée ?
Pour apporter des éclaircissements sur cette préoccupation, il convient de
répondre à deux questions fondamentales. Il s’agit, d’une part, de déterminer qui peut
soulever le moyen de défense consécutif à l’autorité de la chose jugée et, d’autre part,
de dire à quel moment on doit le présenter. Alors que la première question invite à
identifier le titulaire du droit d’invoquer l’autorité de la chose jugée (I), la deuxième
quant à elle conduit à préciser le moment auquel elle doit être présentée (II).

I – Le titulaire du droit d’invoquer l’autorité de la chose jugée


Les dispositions légales ne répondent pas à la question de savoir qui, du juge
ou des parties, peut soulever, à l’occasion d’une instance, l’autorité de la chose jugée.
Confrontée à cette lacune, la jurisprudence ne fournit pas une solution unanime.
Tantôt, elle accorde exclusivement ce privilège aux parties1872, tantôt, elle reconnaît
un certain pouvoir au juge de la soulever de sa propre initiative1873. Pour répondre à
cette préoccupation, il convient d’examiner les pouvoirs respectifs des parties (A) et
du juge (B) dans la mise en œuvre de l’autorité de la chose jugée.

                                                            
1868
V. CCJA, Ass. Plén., arrêt n° 03/2011 du 31 janvier 2011, Op. cit.
1869
C.S.C.O., arrêt n° 205/P du 2 juin 1970, Bull. n° 22, p. 2664.
1870
C.S.C.O., arrêt n° 45/CC du 18février 1969, Bull. n° 17, p. 2459 ; arrêt n° 173 du 29 juin 1971, Bull. n°
24, p. 3102.
1871
C.S., arrêt n° 121/Civ du 17 décembre 2009, Aff. MADOLA Pierre C/ La S.G.B.C. – S.A., inédit.
1872
V. par exemple : C.S.C.O., arrêt n° 205/P du 2 juin 1970, Bull. n° 22, p. 2664.
1873
V. par exemple : C.S., arrêt n° 121/Civ du 17 décembre 2009, Aff. MADOLE Pierre C/ La S.G.B.C. –
SA, inédit.
452 

 
A – Les pouvoirs des parties dans la mise en œuvre de l’autorité de la
chose jugée
Il faut de partir de l’idée selon laquelle l’autorité de la chose jugée dont il est
ici question constitue un moyen de défense. Ainsi, sa mise en œuvre relèverait du
privilège des parties (1). Il est par conséquent possible de se poser la question de
savoir si ces dernières peuvent avoir la faculté de renoncer à la soulever (2).
1 – Le privilège d’invoquer l’autorité de la chose jugée
Le principe ici est celui de la primauté des parties. En effet, l’initiative du
moyen tiré de l’autorité de la chose jugée doit relever, d’un premier point de vue, du
privilège des parties. Puisque celle-ci est un moyen de défense, il leur appartient de la
soulever. Ce privilège revient normalement au défendeur. Toute partie qui y a intérêt
a normalement qualité pour invoquer un moyen de défense. Cette affirmation vaut
tant pour les exceptions de procédure que pour les défenses au fond ou les fins de
non-recevoir. La protection du défendeur est l’une des fonctions primaires de
l’autorité de la chose jugée. Il est donc normal que celui au profit duquel elle a été
instituée puisse avoir le privilège de la proposer, lorsqu’il en estime l’existence.
La jurisprudence aussi veille à ce que le privilège de soulever l’existence
d’une cause d’irrecevabilité du fait de l’autorité de la chose jugée soit reconnu aux
parties. Elle y veille positivement comme négativement. De manière positive, la Cour
suprême1874 reconnait que l’autorité de la chose jugée est une règle d’intérêt privé
destinée à sauvegarder les droits acquis des parties. Fort de cela, il appartient à celles-
ci de s’en prévaloir. La jurisprudence française1875 abondait également dans ce sens
avant le décret du 20 août 20041876.
En reconnaissant ainsi la primauté des parties dans la mise en œuvre de la fin
de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée, l’on fait d’elle un moyen d’ordre
privé. C’est cette même logique qui semble commander la question du renoncement à
invoquer l’autorité de la chose jugée.
2 – Le renoncement à invoquer l’autorité de la chose jugée
En règle générale, puisque la primauté de présenter les moyens de défense
revient aux parties, il leur est possible d’y renoncer. Cette règle vaut-elle aussi pour
les fins de non-recevoir en général et plus particulièrement, l’autorité de la chose
                                                            
1874
C.S.C.O., arrêt n° 205/P du 2 juin 1970, Bull. n° 22, p. 2664 ; n° 173 du 29 juin 1971, Bull. n° 24, p.
3102.
1875
V. par exemple, Civ. 24 octobre 1951, JCP 1952. II. 6806, note Perrot ; RTD civ. 1952, p. 254, obs. P.
o e
HÉBRAUD ; 18 mai 1955, JCP 1955. IV. 93 ; Com. 29 mars 1965, Bull. civ. III, n 238 ; Civ. 2 , 20 juillet
o o e
1970, Bull. civ. II, n 251 ; 24 novembre 1976, Bull. civ. II, n 315 ; D. 1977. IR 75 ; Civ. 2 , 4 octobre
o o o
1972, Bull. civ. II, n 230 ; 25 octobre 1972, Bull. civ. II, n 254 ; 15 décembre 1980, Bull. civ. II, n 264. -
o re o o
Com. 19 juillet 1983, Bull. civ. IV, n 225 ; Civ. 1 , 16 décembre 1986, n 84-17.076, Bull. civ. I, n 300 ;
e o o e o
Civ. 3 , 20 mai 1992, n 90-13.598, Bull. civ. III, n 159 ; Civ. 2 , 10 avril 1995, n 95-60.550, Bull. civ. II,
o e o o e o
n 121 ; Civ. 2 , 4 décembre 2003, n 02-10.010, Bull. civ. II, n 365 ; Civ. 2 , 4 janvier 1990, n 88-10.406,
o e er o o
Bull. civ. II, n 3 ; Civ. 2 , 1 juillet 1992, n 90-21.659, Bull. civ. II, n 192 ; D. 1993. Somm. 184, obs. P.
JULIEN ; 4 déc. 2003, D. 2004, IR 109 ; JCP 2004, IV, 1198. V. également : D. TOMASIN, Th. Op. cit.,
n° 309 s.
1876
V. Décret n° 2004-836 du 20 août 2004. Comme on le verra plus tard, ce décret a modifié le régime
juridique des fins de non-recevoir tirées du défaut d’intérêt, du défaut de qualité et de l’autorité de la chose
jugée.
453 

 
jugée ? Plus clairement posée, la question revient à savoir si le plaideur qui, à
l’occasion d’une instance, dispose de la possibilité de proposer qu’un débat soit
ouvert sur l’existence de l’autorité de la chose jugée peut se résigner à le faire. La
jurisprudence répondait à cette question par l’affirmative.
La Cour suprême reconnaissait à cet effet que les parties pouvaient renoncer
à invoquer l’autorité de la chose jugée1877. Elle est même arrivée à affirmer, à
l’occasion d’une espèce, que le renoncement pouvait être implicite1878. Dans cette
dernière espèce, le défendeur n’avait pas soulevé la fin de non-recevoir tirée de
l’autorité de la chose jugée devant les juges du fond et s’était permis de la soulever
devant le juge de cassation. Ce dernier a estimé qu’il y avait, sur ce point,
renoncement implicite. Les termes de cet arrêt mérite d’être rappelés : « à partir du
moment où cette renonciation est intervenue, même implicitement, l’exception (de
chose jugée) ne peut plus être invoquée devant la Cour suprême ».
A la suite de cette jurisprudence, il est permis de s’interroger sur le
fondement de cette faculté accordée aux parties de renoncer à soulever le moyen
résultant de l’autorité de la chose jugée. La Cour suprême offre également à ce sujet
une réponse. En effet, elle a pu décider que la chose jugée est une règle d’intérêt privé
destinée à sauvegarder les droits acquis des parties ; il est donc toujours possible à
l’une de celles-ci de renoncer à s’en prévaloir1879. Une telle analyse trouve son
fondement dans les fonctions de l’autorité de la chose jugée, destinée protéger les
intérêts privés.
Cependant, il faut noter que l’autorité de la chose jugée est aussi destinée à
garantir les intérêts qui dépassent les considérations d’ordre privé. Elle est non
seulement au service des justiciables, mais aussi au service de la justice1880. Comme la
procédure, elle est « la garantie de la sécurité et de la sûreté des justiciables » et
« garante de l’ordre public »1881. Cependant, quelles que soient les considérations
sociales qui pourraient justifier l’autorité de la chose jugée, il ne faut pas oublier que
le jugement « réalise » des droits privés1882. C’est donc la nature juridique des droits
mis en cause qui commande une telle solution. C’est cette considération qui justifie
que la proposition de mener le débat sur l’autorité de la chose jugée soit
prioritairement accordée aux parties qui, d’ailleurs, peuvent renoncer à s’en prévaloir.
Cette solution n’exclut pour autant pas que certains pouvoirs soient
exceptionnellement reconnus au juge en la matière.

                                                            
1877
V. par exemple C.S.C.O., arrêt n° 173 du 29 juin 1971, Bull. n° 24, p. 3102.
1878
V. C.S.C.O., arrêt n° 45/CC du 18février 1969, Bull. n° 17, p. 2459.
1879
V. dans ce sens : C.S.C.O., arrêt n° 205/P du 2 juin 1970, Bull. n° 22, p. 2664. V. dans le même sens :
e
Civ. 27 janvier 1857, DP 1857. 1, p. 82 ; Req. 11 décembre 1895, DP 1895. 1, p. 468 ; Civ. 2 , 25 juin
o e o
1959, Bull. civ. II, n 511 ; Civ. 2 , 10 février 1960, Bull. civ. II, n 108.
1880
C. LECOMTE, « Le NCPC : rupture et continuité », in Le nouveau code de procédure civile (1975-
2005), [sous la dir. de] J. FOYER et C. PUIGELIER, Economica, 2006, p. 5.
1881
G. CANIVET, « De l’intelligence en procédure civile », in Le nouveau code de procédure civile (1975-
2005), op. cit., p. XXIII.
1882
V. dans ce sens : J. HÉRON et J. LE BARS, Op. cit., n° 344, p. 290.
454 

 
B – Les pouvoirs du juge dans la mise en œuvre de l’autorité de la chose
jugée
Laisser la possibilité de présenter l’existence de l’autorité de la chose jugée
au pouvoir exclusif des parties et prôner une passivité du juge ne constitue pas
toujours une garantie de bonne justice. Cette solution peut favoriser les manœuvres
dilatoires. Elle peut contribuer à ralentir abusivement le cours de la justice. Plus grave
encore, elle risque de livrer l’un des plaideurs à la discrétion d’un adversaire moins
scrupuleux, ayant pour souci de retarder l’issue du procès1883. Les fonctions qu’assure
l’autorité de la chose jugée amènent à admettre que certains pouvoirs soient reconnus
au juge, dans le sens de lui permettre de proposer qu’un débat soit ouvert sur
l’existence de l’autorité de la chose jugée lorsqu’il en a connaissance. Ces pouvoirs
doivent être exceptionnels, donc encadrés dans certaines limites (2). Avant
d’examiner ces limites, il importe de s’attarder sur l’étendue même de ces pouvoirs
(1).
1 – L’étendue du pouvoir du relevé d’office
Compte tenu des fonctions sociales de l’autorité de la chose jugée, l’on
pourrait être amené à soumettre sa présentation à un régime d’obligation de relevé
d’office. La jurisprudence s’inscrit parfois dans cette lancée. Plus récemment, la Cour
suprême1884, puis la CCJA1885 semblent avoir érigé l’autorité de la chose jugée au rang
d’une fin de non-recevoir d’ordre public. Saisie d’un pourvoi dirigé contre un arrêt
confirmatif qui avait méconnu l’autorité de la chose jugée, le juge suprême a cassé
l’arrêt attaqué estimant que les juges du fond auraient dû relever d’office la fin de
non-recevoir, quand bien même les parties ne l’avaient pas soulevée.
L’obligation de relever d’office l’existence de l’autorité de la chose jugée
met en avant les fonctions sociales de l’autorité de la chose jugée. Elle peut être basée
sur l’idée d’un respect dû aux décisions de justice. Comme le reconnaissent certains
auteurs1886, si on raisonne dans ce sens, la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la
chose jugée sera considérée comme d’ordre public, solution qui obligerait le juge à la
soulever d’office.
L’obligation de relever d’office la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la
chose jugée ne mérite cependant pas d’être généralisée. Il faudra l’admettre dans des
hypothèses exceptionnelles. Il en est ainsi, d’une part, lorsque le jugement qu’on
entend protéger est rendu dans les matières dans lesquelles les parties n'ont pas la
libre disposition de leurs droits. Lorsque les droits, objet de la décision, sont eux-
mêmes d'ordre public, ce caractère doit rejaillir sur la décision. Dans cette hypothèse,
l'autorité pourra alors être d'ordre public1887. Il en va ainsi en matière d’état et de

                                                            
1883
Lire dans le même sens : P. EFTHYMIOS, « Les pouvoirs d'office du juge dans la procédure civile
française et dans la procédure civile grecque », RIDC, Vol. 39 n°3, Juillet-septembre 1987, pp. 705-720,
spéc. p. 705.
1884
V. C.S., arrêt n° 121/Civ du 17 décembre 2009, Aff. MADOLA P. C/ La S.G.B.C. – S.A.
1885
V. CCJA, Ass. Plén., arrêt n° 03/2011 du 31 janvier 2011, op. cit.
1886
J. HÉRON et J. LE BARS, op. cit., n° 344, p. 290.
1887
Dans le même sens, J. HÉRON et J. LE BARS, op. cit., p. 291.
455 

 
capacité des personnes. Une telle solution a été consacrée par la jurisprudence
française en la matière1888.
D’autre part, il est permis d’admettre que lorsque l'autorité de la chose jugée
résulte d'une décision qui fait partie de la même instance que celle où elle pourrait être
appliquée, elle revêt alors un caractère d'ordre public. De ce fait, elle doit être relevée
d'office par le juge1889 et elle peut même être invoquée pour la première fois devant la
Cour de cassation1890. Le but de cette dernière solution est d'éviter les contradictions
de décisions au sein d'une même juridiction1891.
Pour concilier les intérêts des justiciables et ceux de la justice que l’autorité
de la chose jugée se doit de garantir, il serait pertinent de reconnaitre au juge une
simple faculté de relever d’office cette fin de non-recevoir. Cette faculté conférerait
ainsi au juge un certain pouvoir dans la mise en œuvre de l’autorité de la chose jugée,
tout en permettant d’éviter les risques sur lesquels peut déboucher le régime de
l’obligation du relevé d’office.
Le droit comparé corrobore une telle solution. En effet, à la suite d’une
réforme intervenue en France en 20041892, l’article 125 du Code de procédure civile
français énonce désormais en son alinéa 2 que le juge « peut relever d’office la fin de
non-recevoir tirée (...) de la chose jugée »1893. Ceci confirme, selon certains
auteurs1894, que cette fin de non-recevoir n’est pas, normalement d’ordre public. Si tel
est le cas, il convient de rechercher la justification de cette mesure qui permet au juge
de soulever ce moyen malgré le fait qu’il soit d’ordre privé.
Un arrêt de la Cour suprême1895 semble reconnaitre au juge la faculté de
soulever d’office l’existence de l’autorité de la chose jugée. Dans cet arrêt, le juge
suprême s’est reconnu la possibilité de soulever d’office le moyen pris de la violation
de l’article 1351 du Code civil, alors même qu’aucune des parties ne l’avait présenté.
Plusieurs justifications permettent de soutenir le régime de simple faculté de
relever d’office la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée. Cette
                                                            
re o
1888
V. par exemple : Civ. 1 , 19 mai 1976, Bull. civ. I, n 184 ; D. 1976. IR, p. 224 ; RTD civ. 1976, p.820,
obs. Normand.
e o
1889
V. dans sens une abondante jurisprudence française : Civ. 3 , 16 octobre 1970, Bull. civ. III, n 528 ;
o re o
24 février 1976, Bull. civ. III, n 85 ; Civ. 1 , 7 avril 1976, Bull. civ. I, n 113 ; RTD civ. 1976, p. 821 ;
o o re
19 mai 1976, Bull. civ. I, n 184 ; Com. 28 juin 1976, Bull. civ. IV, n 216 ; Civ. 1 , 29 juin 1977, Bull.
o o e re
civ. I, n 304 ; Soc. 20 janvier 1982, Bull. civ. V, n 27 ; Civ. 2 , 22 mars 1982, JCP 1982. IV. 201 ; Civ. 1 ,
o o e o
29 octobre 1990, n 87-16.605, Bull. civ. I, n 225 ; Civ. 2 , 2 décembre 1992, n 91-15.787, RTD civ. 1993,
o
p. 890, obs. Perrot ; 10 mars 1993, D. 1993. IR 90 ; 25 mai 2000, n 97-20.412 ; Soc. 30 janvier 2001,
o o
n 98-43.901 ; 3 mai 2001, n 99-40.945.
e o
1890
Civ. 3 , 6 déc. 1977, Bull. civ. III, n 425.
1891
 V. dans ce sens : C. BOUTY, « Chose jugée », Rép. pr. civ., Dalloz (dernière mise à jour : octobre 2013), 
o
n° 274 ; D. TOMASIN, op. cit., n  315. 
1892
V. art. 3 du Décret n° 2004-836 du 20 août 2004, entré en vigueur le 1er janvier 2005. Sur ce décret,
lire : N. FRICÉRO, « Le décret du 20 août 2004 : une adaptation du procès civil aux exigences modernes
d'une justice de qualité », Op.cit., Chron. 1 ; R. PÉRROT et H. CROZE, Procédures 2004, Etude 13.
1893
Lire article 125 du CPC français in fine.
1894
J. HÉRON et J. LE BARS, op. cit., n° 344, p. 291.
1895
V. C.S., arrêt n° 43/CC du 24 avril 2008, Aff. MBASSA MENICK D. C/ MBASSA née ASSEN Adèle,
inédit.
456 

 
mesure permet de concilier les intérêts des justiciables et de ceux de la justice tout
entière. En effet, avec une telle solution, l’autorité de la chose jugée n’apparaitrait
plus comme un simple moyen de défense dont la mise en œuvre est laissée à l’entière
discrétion des parties, mais comme un instrument procédural entre les mains du juge,
lequel lui permettrait de gérer le fonctionnement de ce qu’un auteur1896 a appelé
d’ordre processuel. La possibilité pour le juge d’initier, lui-même, le débat sur la
recevabilité apparaît ainsi comme une mesure permettant de parer à une éventuelle
utilisation de la fin de non recevoir à des fins dilatoires1897. Comme l’affirme un
auteur1898, le fait que le juge puisse soulever d'office la fin de non-recevoir tirée de
l'autorité de la chose jugée, lorsqu'il a connaissance d'une décision déjà rendue entre
les mêmes parties, constitue alors seulement un progrès permettant de lutter contre
certaines formes d'instrumentalisation du service public de la justice, notamment dans
des contentieux de masse comme celui des affaires familiales, où certains plaideurs,
plutôt que d'exercer les voies de recours appropriées, n'hésitent pas à réitérer les
demandes dont ils ont été déboutés.
La liberté d’agir du juge au niveau du relevé de l’autorité de la chose jugée
pourrait ensuite se justifier par la nécessité de mieux marquer le découpage de la
procédure en deux phases successives, à savoir celle portant sur l’examen de la
recevabilité de l’action et celle portant sur l’examen du bien-fondé des prétentions
qu’elle comporte1899.
Il convient de relever que les pouvoirs du juge dans la mise en œuvre de
l’autorité de la chose jugée méritent d’être encadrés de manière à respecter les
finalités individuelles et sociales de cette fin de non-recevoir. Leur aménagement doit
en outre permettre de conserver le caractère privé de l’autorité de la chose jugée. Ces
pouvoirs méritent aussi d’être limités à certains égards.
2 – Les limites au pouvoir du relevé d’office
La possibilité pour le juge de soulever d’office l’existence de l’autorité de la
chose jugée entraverait certains principes directeurs du procès si elle n’est pas
encadrée dans une certaine limite. L’un des principes particulièrement affecté est
celui du dispositif. Ce principe exprime que, dans le contentieux privé, les parties
restent maîtresses de leurs droits substantiels et, par conséquent, de leur traduction
judiciaire. Selon ce principe, l’initiative, le déroulement et l’extinction de l’instance
appartiennent aux plaideurs1900. Il n’est donc pas judicieux de permettre qu’un tel
principe cardinal soit méconnu sans restriction. Aussi paraît-il nécessaire de limiter

                                                            
1896
V. dans ce sens : S. JAHEL, Op. cit., p. 725.
1897
Idem.
1898
C. BOUTY, « Chose jugée », op.cit., n° 277.
1899
Sur ce découpage, lire : H. MOTULSKY, « Le droit subjectif et l’action en justice », Archives de
philosophie du droit, t. IX, p. 215, reproduit in Motulsky, Ecrits, études et notes de procédure civile, 2ème
éd. (préface de G. Bolard), Dalloz, 2010, p. 85 ; L. CADIET et E. JEULAND, op. cit., n° 324.
1900
H. MOTULSKY parlait de « principe d’initiative », v. dans ce sens : « Prolégomènes pour un futur
code de procédure civil : la consécration des principes directeurs du procès civil par le décret du 9
septembre 1971 », D. 1972, p. 91, reproduit in Motulsky, Ecrits, études et notes de procédure civile, 2ème
éd. (préface de G. Bolard), Dalloz, 2010, p.275. V. aussi G. BOLARD, « Les principes directeurs du procès
civil. Le droit positif depuis Motulsky », JCP G n°30, 1993, I, 3693, p. 329.
457 

 
les pouvoirs du juge par la nécessité pour ce dernier de soumettre l’examen de ce
moyen à un débat contradictoire entre les parties.
Le juge qui soulève de sa propre initiative une fin de non-recevoir du fait de
l’autorité de la chose jugée doit soumettre l’examen de ce moyen au débat
contradictoire entre les parties en cause. Chaque fois que le juge relève d’office une
fin de non-recevoir, il doit au préalable provoquer l’explication des parties1901. Il doit
préalablement les inviter à présenter leurs observations sur ce moyen qu’il envisage
de relever d’office, afin de ménager le principe de la contradiction1902.
À titre de droit comparé, le droit français offre plusieurs exemples de
l’application de l’obligation de faire respecter le contradictoire. En effet, depuis
longtemps, la Cour de cassation française affirme clairement que le juge a le devoir de
provoquer les observations des parties, même lorsque le moyen relevé d'office est
d'ordre public1903. II importe de rechercher les fondements de cette solution qui mérite
d’être retenue.
Le fait qu’un moyen soit d'ordre public n'est pas une raison suffisante pour
permettre au juge de méconnaître le contradictoire. Cette circonstance l’autorise
certes à relever ce moyen d'office, mais il ne lui permet pas pour autant de le faire
échapper à la contradiction des parties. La mise en œuvre de l’autorité de la chose
jugée nécessite d’être conciliée avec le principe du contradictoire1904. En effet, ce
principe a pour objectif de prémunir les parties contre tout effet de surprise, le fait
pour le juge de relever d'office un moyen qui devait être connu d’elles1905.
Le respect du contradictoire permet de rétablir l’égalité entre les plaideurs.
En soulevant d’office un moyen, le juge rompt l’égalité entre ces derniers. Il prend
l’initiative de se substituer à l’une des parties pour suppléer sa carence et se porte

                                                            
1901
V. dans ce sens : P. RAYNAUD, « L’obligation pour le juge de respecter le principe du
contradictoire », in Mélanges offerts à P. HEBRAUD, Université des Sciences Sociales de Toulouse,
Presses de la société d’exploitation de l’imprimerie ESPIC, Toulouse, 1981, pp. 715 ; S. GUINCHARD, C.
CHAINAIS et F. FERRAND, Procédure civile : Droit interne et droit communautaire, Collection : Précis
droit privé, 30ème éd., Dalloz, 2010, n° 341, p. 296.
1902
V. J. HÉRON et J. LE BARS, op. cit., n° 344, p. 291.
1903
V. par exemple Cass., chambre mixte le 10 juillet 1981, D. 1981. p. 637, concl. CABANNES, Gaz. Pal.
1981.2.627, note J. VIATTE ; RTD Civ. 1981, p. 677, obs. J. NORMAND ; RTD Civ. 1981, p. 905, obs. R.
PÉRROT ; A. BÉNABENT, « L’article 16, version 1981 », D. 1982, chron. 55. V. également Civ. 2è, 27
février 1985, Bull. civ. II, n° 47.
1904
V. dans ce sens : R. PÉRROT, « Chose jugée et principe de la contradiction », note sous (deux arrêts)
Civ. 2ème, 2 déc. 1992 et 10 mars 1993, RTD Civ. 1993, p. 890. Lire dans le même sens : J. VIATTE, « Les
moyens de droit relevés d'office et le principe de la contradiction », Gaz. Pal., 1980, I, doct., p. 21 ; E.
BARADUC, « Le juge civil de cassation, le relevé d’office et le principe de la contradiction », Mélanges J.
BUFFET, Petites affiches/LGDJ, 2004, p. 5.
1905
Sur le principe du contradictoire en général, lire : M.-A. FRISON-ROCHE, Généralités sur le principe
du contradictoire (Droit processuel), Thèse Paris II, 1988, 387 p. ; L. ASCENSI, Du principe du
contradictoire, Thèses ; Collection : Bibliothèque de Droit privé, LGDJ, 2006, 519 p. ; L. MINIATO, Le
principe du contradictoire en droit processuel, LGDJ, Bibliothèque de droit privé, Tome 483, Paris, 2008,
456 p. ; « Le principe du contradictoire » : nouveau principe directeur du procès ? », D. 2005, Chron., p.
2537 ; G. WIEDERKEHR, « Le principe du contradictoire », D. 1974, Chron. XIX, p. 95 ; G. CORNU,
« Le principe de la contradiction », J.-cl. proc. civ. 1991, fasc., 114 ; O. SCHRAMECK, « Quelques
observations sur le principe du contradictoire », in Etat de droit. Mélanges en l’honneur de Guy
BRAIBANT, Paris, Dalloz, 1996, p. 629 ; B. BOCCARA, « La procédure dans le désordre : le désordre du
contradictoire », JCP 1989, I, 3004.
458 

 
ainsi à son secours. Il n’est pas normal qu’une telle inégalité existe entre les parties.
Le seul remède à cette rupture d’égalité consiste à permettre à la partie à laquelle est
opposé le moyen soulevé d’office de présenter ses observations1906. Le contradictoire
permet ainsi de restaurer l’égalité des parties devant le juge. Elle leur accorde la
possibilité d’appréhender, dans toute son ampleur, l’ensemble des arguments
susceptibles d’influer sur le cours du procès.
L’obligation de respecter le contradictoire permet enfin de restaurer le
principe du dispositif qui se trouve affecté par le pouvoir reconnu au juge de relever
d’office l’autorité de la chose jugée. En soumettant la fin de non-recevoir soulevée
d’office au débat contradictoire des parties, l’on permet de mettre ces dernières au
centre du procès qui a vocation à protéger leur intérêt personnel, tout en garantissant
les intérêts de la justice. Cette dernière considération permet de justifier, dans
certaines hypothèses, une abstention à faire respecter le contradictoire.
Une certaine doctrine propose lorsque l’autorité de la chose jugée, soulevée
d’office, repose sur l’existence d’un précédent jugement rendu dans une même
instance, le juge peut être amené à s’abstenir à provoquer le débat contradictoire des
parties. Cette solution peut être inspirée de la jurisprudence française. En effet, la
Cour de cassation française autorise qu'il soit passé outre la réouverture des débats
lorsqu'il s'agit de soulever d'office l'autorité de la chose jugée d'une décision rendue
dans la même instance1907. Cette solution se justifie, selon certains auteurs1908, par le
fait que la première décision est déjà dans le débat.
C’est principalement dans la théorie des moyens dans la cause, encore
appelée théorie des moyens ou faits tirés du dossier1909 que cette mesure trouve sa
justification. Selon cette théorie, un moyen serait nécessairement « dans la cause »
lorsque les parties ont indirectement indiqué un fondement juridique à leurs
prétentions1910. La Cour de cassation française considère que, dans ce cas, le juge n’a
pas à respecter la contradiction, considérant que le moyen apparemment relevé
d’office serait puisé dans la cause, et déjà dans le débat : les parties ne sauraient donc
se plaindre de cette initiative solitaire, sans que leurs explications soient
sollicitées1911.
La théorie des « moyens dans la cause ou « moyens dans le débat » sur
laquelle la doctrine fonde l’abstention à faire respecter le contradictoire demeure
cependant critiquable. Il est vrai que la décision protégée par l’autorité de la chose
jugée est par définition connue des parties, si bien que le moyen est déjà dans la
cause. Il n'en demeure pas moins que l'étendue et la portée de ce moyen peuvent être
                                                            
1906
V. dans le même sens : E. BARADUC, Op.cit., p. 7.
re o
1907
V. par exemple : Com., 26 juin 1984, Bull. civ. IV, n° 205 ; Civ. 1 , 29 octobre 1990, n 87-16.605,
o e
Bull. civ. I, n 225 ; Civ. 2 , 10 mars 1993, D. 1993, IR 90 ; RTD civ. 1993, p. 890, obs. R. PÉRROT.
1908
J. HÉRON et J. LE BARS, op. cit., n° 344, p. 291.
1909
Sur cette question, lire : A. BÉNABENT, « Les moyens relevés en secret par le juge », JCP 1977. I.
2849 ; G. BOLARD, « Le principe de contradiction et les faits tirés du dossier », D. 2002, p. 2704 ; « Les
faits tirés du dossier », in Justice et droits fondamentaux. Mélanges en l’honneur de J. NORMAND, Litec,
2003, p. 43 ; R. PÉRROT, « Principe de la contradiction et les faits dans le débat », RTD Civ. 2011, p. 590.
1910
V. dans ce sens : S. GUINCHARD, C. CHAINAIS et F. FERRAND, Op. cit., n° 823, p. 574.
1911
V. par exemple : Com., 17 octobre 1995, Bull.civ., IV, n° 234 ; Civ. 1ère, 4 mai 1999, Bull. civ., I, n°
147 ; Soc., 5 juin 2001,Bull. civ., V, n° 210.
459 

 
source de discussions. La portée d'un jugement, fût-il rendu dans la même cause, n'est
jamais chose évidente et l'on pourrait fort bien imaginer que les parties soient en
désaccord sur l'étendue de ce qui a été jugé et sur les suites qu'il y a lieu d'en tirer1912.
Le moyen dans la cause n'échappe pas à un certain empirisme qu'il est difficile de
maîtriser. Il est donc souhaitable que le contradictoire soit observé en toute hypothèse.
II – Le moment de recevabilité de l’autorité de la chose jugée
Une autre préoccupation suscitée par le régime procédural de l’autorité de la
chose jugée concerne le moment de sa présentation. Cette question mérite une
attention particulière. La présentation des moyens de défense obéit à un certain ordre
chronologique. En effet, le procès civil tend à se diviser en deux phases1913. Au cours
de la première, la juridiction saisie examine les moyens de défense qui ne touchent
pas le fond du droit. Durant la seconde phase, elle examine les moyens de défense au
fond. C’est d’ailleurs dans cette division de l’instance en deux étapes successives que
réside l’intérêt de la distinction entre les différents moyens de défense1914.
Il importe de déterminer le moment à partir duquel on doit présenter la fin de
non-recevoir consécutive à l’existence de l’autorité de la chose jugée. Le législateur
n’a pas donné une réponse à cette question de manière spécifique. Il l’a plutôt traité
de manière critiquable en envisageant le moment de présentation des fins de non-
recevoir en général. L’option choisie par le droit positif présente des limites en ce
sens qu’elle assimile le régime de présentation des fins de non-recevoir à celui des
exceptions de procédure (A). Il importe de réserver aux fins de non-recevoir un
régime propre à elles (B).
A – L’assimilation impropre au régime des exceptions de procédure
L’article 97 du Code de procédure civile et commerciale soumet les fins de
non-recevoir en général au même régime que les exceptions de procédure. Celles-ci
doivent selon cet article être soulevées in limine litis, c'est-à-dire avant tout débat au
fond. Une telle exigence qui présente des limites (2). Il convient cependant d’en
présenter l’économie (1).
1 – L’économie de l’exigence légale d’une présentation in limine litis
L’exigence de la présentation in limine litis découle de l’article 97. Cet
article assimile le régime de présentation des fins de non-recevoir à celui des
exceptions de procédure et des demandes en nullité. Il soumet ces moyens de défense
à une double condition : l’antériorité par rapport aux défenses au fond et la
simultanéité entre eux1915.
Selon la première condition, les fins de non-recevoir en général doivent être
présentées avant les défenses au fond. Ceci résulte des dispositions de l’alinéa 1er de
l’article 97 du Code de procédure civile et commerciale dont les termes nécessitent
d’être rappelés : « toutes les exceptions, demandes en nullités, fins de non-recevoir et
tous les déclinatoires visés aux articles précédents sauf l'exception d'incompétence
                                                            
1912
V. dans ce sens : R. PÉRROT, « Chose jugée et principe de la contradiction », Op. cit., p. 890.
1913
Les principes directeurs d’Unidroit pour les règles transnationales de procédure civile retiennent aussi
ces deux phases, en plus de la phase dite d’introduction de l’instance. V. à cet effet : Principes
ALI/UNIDROIT de procédure civile transnationale, UNIDROIT 2005, Etude LXXVI, doc. 13.
1914
V. dans ce sens : S. GUINCHARD, C. CHAINAIS et F. FERRAND, Op. cit., n° 344, p. 298.
1915
Sur la double règle d’antériorité et de simultanéité, lire : S. GUINCHARD, C. CHAINAIS et F.
FERRAND, Op. cit., n° 321, p. 282.
460 

 
rationae materiae et l'exception de communication de pièces seront déclarés non
recevables s'ils sont présentés après qu'il aura été conclu au fond »1916. Ceci signifie
que tout plaideur qui voudrait amener le juge à se prononcer sur l’irrecevabilité d’une
demande au motif que cette dernière se heurterait à l’autorité d’un précédent jugement
devra proposer ce moyen avant tout débat au fond. Ce qui veut dire concrètement que
le seul fait d’avoir conclu au fond prive le plaideur de la faculté d’opposer une fin de
non-recevoir dont il aurait pu se prévaloir. En proposant en cours d’instance un
moyen de défense répondant à la définition du concept de fin de non-recevoir, un
plaideur peut se voir ainsi objecter une forclusion tirée de ce qu’il n’a pas fait valoir
son moyen in limine litis, c'est-à-dire avant toute conclusion au fond.
Selon la seconde condition, les fins de non-recevoir doivent être présentées
simultanément. L’alinéa 4 de l’article 97 sus-visé dispose que « toutes les autres
exceptions, demandes de nullité, fins de non-recevoir et tous les autres déclinatoires
doivent être proposés simultanément et aucun ne sera plus reçu après un jugement
statuant sur l'un d'eux ». La simultanéité voudrait que tous ces moyens soient
invoqués ensemble1917.
L’exigence de la présentation in limine litis semble avoir retenu l’attention
d’une certaine jurisprudence de la Cour suprême. En effet, dans une série de ses
arrêts, la Cour suprême adopte la position légale. Elle estime que les fins de non
recevoir doivent être présentées avant qu’il n’ait été conclu au fond. C’est dans ce
sens qu’elle semble abonder lorsqu’elle affirme qu’à l’instar des exceptions de nullité
d’exploit ou d’acte de procédure1918, l’autorité de la chose jugée ne peut être présentée
pour la première fois devant la Cour suprême1919. À titre de droit comparé, la
jurisprudence française allait dans le même sens. Il en est ainsi lorsque la Cour de
cassation française décidait que, ne s’agissant pas d’un moyen d’ordre public,
l’autorité de la chose jugée ne pouvait être invoquée pour la première fois devant
elle1920. En effet, les dispositions de l’article 97 du Code de procédure civile et
commerciale tirent leur origine d’un Décret-loi du 30 octobre 1935 qui avait tenté de
dissiper les multiples confusions et controverses jadis alimentées autour de la notion
et du régime des fins de non-recevoir1921.Ce décret a assimilé le régime des fins de
non-recevoir à celui des exceptions. Plusieurs justifications ont été avancées pour
soutenir cette position.
Les considérations historiques permettent de démontrer que les limites n’ont
pas toujours été nettement fixées entre les exceptions et les fins de non-recevoir.
D’ailleurs celles-ci tirent leur origine de celles-là. Les fins de non-recevoir dont il est
                                                            
1916
Lire art. 97 al. 1er du CPCC in extenso.
1917
V. dans ce sens Civ. 2ème, 13 mai 2004, n° 02-10534, Procédures, août-septembre 2004, n° 177, obs. R.
PERROT.
1918
V. par exemple : C.S., arrêt du 4 juin 1977, inédit ; arrêt n° 120/CC du 26 mai 1983, RCD, Série 2, n°
29, p. 199-210 ; arrêt n° 114/CC du 17 mai 1983, RCD n° 29, 1985, pp. 196-210 ; arrêt n° 158/CC, du 15
septembre 1983, RCD, op. cit., pp. 248-256.
1919
V. dans ce sens : C.S.C.O., arrêt n° 173 du 29 juin 1971, Bull. n° 24, p. 3102.
1920
Civ. 2è, 4 octobre 1972, Bull. civ. II, n° 230 ; 25 octobre 1972, Bull. civ. II, n° 254 ; 15 décembre 1980,
Bull. civ. II, n° 264 ; Com. 19 juillet 1983, Bull. civ. IV, n° 225.
1921
V. Sur les controverses, lire : J.-P. BEGUET, Op. cit., p. 133 et s. ; H. MOTULSKY, note sous Civ.
27ème, 6 juin 1962, JCP, 1963, II. 13191 ; J. NORMAND, « Les excroissances des fins de non-recevoir »,
Op. cit., p. 684.
461 

 
question ici tirent leur origine de ce que les romains appelaient plus généralement
« exceptions péremptoires », du latin perimere qui signifie détruire. C’est plus tard
que les auteurs de l’Ancien droit ont scindé la notion en distinguant les exceptions
péremptoires de forme et les exceptions péremptoires de fond. C’est cette dernière
catégorie qui a changé de dénomination pour devenir, de nos jours, fins de non-
recevoir ; la première catégorie concernant ce que l’on appelle actuellement exception
de procédure.
En outre, il est possible de trouver la justification de l’exigence de
simultanéité et d’antériorité dans le souci d’éviter l’instrumentalisation de la justice.
En effet, comme le reconnaissent certains auteurs1922, c’est dans le dessein d’éviter la
chicane que le législateur a soumis les exceptions de procédure à un régime
rigoureux, aménagé dans ses grandes lignes par le Décret de 1935. L’assimilation du
régime de présentation des fins de non-recevoir à celui des exceptions de procédure
fait écho à la division de l’instance en deux phases1923 : la première destinée à régler
tous les moyens de défense qui ne concernent pas le fond du débat et relatif aux
exceptions, aux fins de non-recevoir ; la seconde réservée à l’examen au fond. Par
l’exigence de la simultanéité, le législateur a voulu empêcher qu’un plaideur ait à
soulever l’une après l’autre, les défenses qui n’ont pas trait au fond du litige dont est
saisi le juge. L’exigence de l’antériorité vise quant à elle à respecter l’ordre normal de
déroulement du procès. Les moyens relatifs aux exceptions de procédure et aux fins
de non-recevoir ne concernent pas en réalité le fond du litige. Il est donc normal que
le juge les traite avant l’examen du litige au fond. Cette conception semble ainsi
justifiée à plusieurs égards. Elle présente cependant des limites qu’il faut exposer.
2 – Les limites de l’exigence légale d’une présentation in limine litis
L’assimilation légale du régime de présentation des fins de non-recevoir à
celui des exceptions présente des insuffisances. En soumettant la présentation des fins
de non-recevoir à la règle de l’antériorité et de simultanéité, le législateur a cru leur
appliquer une mesure destinée à hâter la solution des procès. Il faut cependant noter
que cette solution prête à des critiques. En effet, il n’est pas convenable de sacrifier
aveuglement aux nécessités de la célérité des discussions souvent indispensables pour
éviter de graves injustices1924. La position adoptée par l’article 97 du Code de
procédure civile et commerciale présente ainsi des limites. D’une part, la soumission
des fins de non-recevoir au même régime que les exceptions de procédure conduit à
nier la distance qui existe entre ces deux moyens de défense. D’autre part, en
procédant ainsi, la fin de non-recevoir perdrait son autonomie par rapport à ces
dernières.
Les fins de non-recevoir méritent d’être distinguées des exceptions de
procédure. En effet, la différence est nette. Ces deux moyens de défense se
distinguent de par leurs objets et leurs effets. De par leurs objets, alors que les

                                                            
1922
S. GUINCHARD, C. CHAINAIS et F. FERRAND, Op.cit., n° 321, p. 282.
1923
Sur ce découpage lire : H. MOTULSKY, « Le droit subjectif et l’action en justice », Archives de
philosophie du droit, t. IX, p. 215, reproduit in Motulsky, Ecrits, études et notes de procédure civile, 2ème
éd. (préface de G. Bolard), Dalloz, 2010, pp. 85 et s.
1924
V. dans le même sens : H. MOTULSKY, note sous Civ. 2è, 6 juin 1962, Semaine Juridique 1963, II.
13191, reproduit in Motulsky, Ecrits, études et notes de procédure civile, op. cit., pp.354-368, spéc. p.364.
462 

 
exceptions de procédure s’adressent contre l’acte de procédure, les fins de non-
recevoir quant à elles s’attaquent au droit d’agir1925. Elles tendent à nier le droit d’agir
du demandeur, tandis que les exceptions de procédure visent simplement à retarder le
procès pour cause d’irrégularité de l’acte de procédure. Elles ont donc pour objet
l’action en justice, pouvoir légal de s’adresser à la justice pour faire consacrer un droit
ou un intérêt, contrairement aux exceptions qui ont pour objet la demande en justice,
acte de procédure mettant en œuvre la faculté qu’exprime le concept d’action.
Les fins de non-recevoir se distinguent également des exceptions de
procédure de par leurs effets. Certains auteurs1926 reconnaissent par exemple que c’est
beaucoup plus sur le terrain de leurs effets qu’elles se distinguent respectivement. Les
différences portent sur leurs effets spécifiques. Les premières mettent fin au procès,
tandis que les secondes en retardent simplement l’issue.
Soumises au même régime procédural que les exceptions de procédure, les
fins de non-recevoir perdent leur particularité1927. Elles sont pourtant une catégorie
autonome de moyen de défense1928. Elles puisent tant dans les exceptions de
procédure que dans les défenses au fond. Ceci a fait dire à certains auteurs1929 qu’elles
ont un caractère hybride, voire mixte. Malgré cela elles gardent leur spécificité en ce
sens que, contrairement à ces deux types de moyens de défense, elles s’attaquent au
droit d’action. Leur régime procédural mérite ainsi de prendre en compte cette
autonomie par rapport aux autres moyens de défense que sont les exceptions et les
défenses au fond.
La jurisprudence trouve des difficultés à adopter une position unanime sur la
question du moment de présentation du moyen consécutif à l’existence de l’autorité
de la chose jugée. L’analyse des décisions de justice relatives à la question de la
présentation des fins de non-recevoir montre qu’il existe une divergence de position.
Deux positions contradictoires se dégagent de cette analyse. Bien qu’une partie de la
jurisprudence semble partager l’option légale qui assimile le régime procédural des
fins de non-recevoir à celui des exceptions de procédure, la majorité semble plutôt
réticente et opte pour une solution contraire en assignant aux fins de non-recevoir le
même régime que les défenses au fond. Il faut noter que cette dernière option ne
donne pas entière satisfaction. Le régime des fins de non-recevoir ne doit être calqué
ni sur celui des exceptions de procédure, ni sur celui des défenses au fonds. Les fins
de non-recevoir méritent un régime de présentation qui leur est propre.
B – La consécration d’un régime propre à l’autorité de la chose jugée
Compte tenu de la particularité des fins de non-recevoir par rapports aux
autres moyens de défense, il importe de leur reconnaitre un régime juridique
spécifique. Il faudrait, d’une part, les soumettre à un régime de recevabilité en tout
                                                            
1925
V. dans ce sens : J. HÉRON et J. LE BARS, op. cit., n° 138, p. 117.
1926
J. HÉRON et J. LE BARS, op. cit., n° 139, p. 118. Selon ces derniers, « il n’existe pas de différence de
nature entre les deux types de défense procédurale que sont les fins de non-recevoir et les exceptions de
procédure ». Pour une étude critique de la distinction des fins de non-recevoir et des exceptions de
procédure, cf. R. MARTIN, « Un virus dans le système des défenses du nouveau code de procédure civile :
le droit d’action », RGP, no3, juillet – septembre 1998, p. 420.
1927
V. dans ce sens : S. JAHEL, Op. cit., p. 724.
1928
V. dans ce sens : Guy BLOCK, Op.cit., p. 242 et s.
1929
S. GUINCHARD, C. CHAINAIS et F. FERRAND, Op. cit., n° 326, p. 286.
463 

 
état de cause (1). Ce régime libéral peut conduire à des abus intolérable. La sanction
d’une présentation tardive (2) peut pallier ce problème.
1 – La recevabilité en tout état de cause
L’obligation d’invoquer les fins de non-recevoir avant tout débat au fond a
connu une résistance dès sa consécration. Pour éviter que certains moyens de défense
traditionnellement qualifiés de fin de non-recevoir soient prématurément rejetés, les
juges les ont disqualifiés de cette dernière catégorie, les assimilant d’une manière ou
d’une autre à des défenses au fond. La jurisprudence a élaboré une distinction subtile
entre les fins de non-recevoir de procédure soumises au régime de l’antériorité propre
aux exceptions de procédure et les fins de non-recevoir liées au fond qui équivalent à
de véritables défenses au fond. C’est dans ce sens qu’elle tend depuis longtemps à
soustraire de ce régime la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité pour dire
qu’elle peut être présentée en tout état de cause1930. Il en est de même pour celle tirée
de l’autorité de la chose jugée1931.
La solution adoptée par la jurisprudence se justifie par le fait que la catégorie
des fins de non-recevoir englobe souvent plusieurs défenses procédurales qui
constituent en réalité de véritables défenses au fond1932. C’est dans ce sens qu’une
jurisprudence relativement lointaine avait proclamé que la forclusion ne jouait ni pour
la prescription, « moyen de défense au fond »1933, ni pour les fins de non-recevoir
« tirées de l’article 340 du code civil »1934. Ces moyens de défense, au même titre que
les fins de non-recevoir tirées du défaut de qualité et d’intérêt ou de l’existence d’une
chose précédemment jugée sont assimilables aux défenses au fond. Pour cette raison,
la jurisprudence trouve normal de leur appliquer le régime de la présentation en tout
état de cause.
Le droit comparé semble s’affirmer en faveur de la solution selon laquelle les
fins de non-recevoir en général peuvent être invoquées en tout état de cause. Cette
proposition signifie que le plaideur qui entend se prévaloir d’une irrecevabilité pour
cause de l’autorité de la chose jugée peut soulever cette fin de non-recevoir à toute
phase de la procédure. Quelle que soit l’instance en cours, elle peut être invoquée tant
qu’il est possible de conclure. Ainsi, il peut, par exemple, l’opposer pour la première
fois en cause d’appel.
Une telle solution rejoint par exemple la position du droit français. En effet,
après une longue résistance de la jurisprudence, le législateur français a dû revoir le
régime procédural des fins de non-recevoir en général. Sous l’empire du Décret-loi du
30 octobre 1935 réaffirmé par une ordonnance du 23 décembre 1958, l’article 192 de
l’Ancien code de procédure civile français imposait, comme actuellement en vigueur
au Cameroun, que les fins de non-recevoir soient présentées avant tout débat au fond.
                                                            
1930
C.S.C.O., arrêt n° 12 du 23 février 1965, Bull. n° 12, p. 1078.
1931
V. par exemple : Com. 14 juin 1950, D. 1950, p. 534. V. dans le même sens : Civ. 1è, 17 juin 1957, JCP
G 1957, IV, p. 114 ; Civ. 2è, 20 juillet 1957, JCP G 1957, IV, p. 134 ; Soc., 3 juillet 1958, Gaz Pal., 1959,
1, p. 57 ; RTD Civ., 1959, p. 144, obs. P. HEBRAUD ; Civ. 1è, 10 décembre 1958, Bull. civ., n° 551, p. 451.
1932
Sur les situations pouvant être qualifiées de fin de non-recevoir, lire : J. HÉRON et J. LE BARS, op.
cit., n° 140, p. 120 ; S. GUINCHARD, C. CHAINAIS et F. FERRAND, Op. cit., n° 128 et s., pp. 287 et s.
1933
Civ., 23 février 1944, S., 1944, 1, p. 117 ; Civ. 1è, 5 octobre 1953, Bull. civ., n° 260, p. 215 ; Gaz Pal.,
1954, 1, 1, obs. P. HEBRAUD.
1934
Civ., 17 décembre 1941, D.C. 1942, p. 113, note J. CARBONIER.
464 

 
Cette disposition a fait l’objet d’une vive résistance de la jurisprudence. Devant une
telle situation, le législateur français est intervenu pour réformer le régime de
présentation des fins de non-recevoir à travers un Décret du 20 juillet 1972. L’article
61 de ce décret reconnaissait déjà que « les fins de non-recevoir (pouvaient) être
proposées en tout état de cause... »1935. Cette disposition est reprise par l’article 123
du Code de procédure civile actuellement en vigueur en France. Il est souhaitable que
le législateur camerounais emboîte, sur ce point, le pas à son homologue français.
L’on peut trouver plusieurs justifications à l’adoption d’un régime de
présentation de l’autorité de la chose jugée en tout état de cause. Il faut noter que la
nature juridique de cette fin de non-recevoir peut corroborer cette proposition. Les
considérations essentiellement processuelles permettent de dire que cette dernière est
une fin de non-recevoir. Mais, elle n’est pas totalement détachée des questions de
fond. L’effet de l’autorité de la chose jugée est certes toujours de nature processuelle,
mais avec des répercussions importantes sur le droit substantiel, c'est-à-dire le fond du
litige1936. Comme l’affirme Yvon Desdevises1937, elle apparaît comme un moyen de
trancher au fond du litige. Compte tenu de cette réalité, il est normal d’admettre
qu’elle soit, à l’instar des défenses au fond, présentée en tout état de cause.
La présentation des fins de non-recevoir en tout état de cause peut en outre
être justifiée par les considérations de justice. En effet, il serait injuste de laisser
poursuivre un procès alors que celui qui l’a initié n’a pas ou n’a plus le droit d’agir,
au motif que son adversaire n’a pas soulevé cette cause d’irrecevabilité avant
d’entamer le débat au fond. Admettre que le procès puisse continuer son cours en
dépit de l’existence d’une cause d’irrecevabilité, aboutirait par exemple à méconnaitre
l’institution de l’autorité de la chose jugée. Cette solution semble contraire aux
fonctions que remplit l’autorité de la chose jugée. Cette dernière est justifiée par le
respect dû aux décisions de justice et la nécessité sociale d’empêcher le
recommencement infini des procès. En la soumettant à un régime rigide de
présentation in limine litis, elle risque de ne pas être respectée et les décisions de
justice perdraient de leur autorité. Pour éviter une pareille situation, il convient
d’admettre qu’elle soit soulevée en tout état de cause.
L’on peut objecter que cette solution pourrait conduire à méconnaitre, d’une
part, la distinction entre l’examen de la recevabilité et l’examen au fond de la
demande et, d’autre part, la distinction entre fin de non-recevoir et défense au fond. Il
convient de dire à ce propos que c’est plus l’effet des fins de non-recevoir qui
commande une telle solution. Cette solution n’oblitère pas les spécificités des fins de
non-recevoir par rapport aux autres moyens de défense. Cependant, pour éviter les
abus dans la présentation du moyen consécutif à l’autorité de la chose jugée, il
importe de proposer que l’auteur d’une présentation tardive soit sanctionné.
2 – La sanction d’une présentation tardive
La soumission de l’autorité de la chose jugée à un régime de présentation en
tout état de cause peut favoriser des manœuvres dilatoires. Un plaideur peut s’abstenir
par exemple de la soulever au début d’une instance pour retarder l’issue d’un procès
                                                            
1935
Lire article 61 du Décret du 20 juillet 1972 in fine.
1936
V. dans le même sens : H. MOTULSKY, note sous Civ. 2è, 6 juin 1962, op. cit., spéc. p. 362.
1937
Y. DESDEVISES, Thèse, op. cit., n° 192, p. 308.
465 

 
défavorable. Invoquée tardivement, à l’occasion d’une instance, toute fin de non-
recevoir pourrait être intolérable. En effet, comme l’affirme un auteur1938, le débat au
fond pourrait s’avérer coûteux et inutile, alors même que l’action est irrecevable, tant
que la partie intéressée n’a pas soulevé l’existence de la fin de non-recevoir. Il n’est
donc pas normal de laisser impuni celui qui s’évertuerait retarder inutilement le
procès. Cependant, la sanction mérite d’être conditionnée.
Il est souhaitable que le législateur camerounais subordonne, la sanction
d’une présentation tardive à la réunion de certaines conditions. L’on peut s’inspirer du
droit français à cet égard. En effet, l’article 123 du Code de procédure civile français
réserve « la possibilité pour le juge de condamner (...) ceux qui se seraient abstenus,
dans une intention dilatoire »1939, de soulever les fins de non-recevoir. Deux
conditions méritent ainsi d’être observées. Il ne suffit pas que la fin de non-recevoir
soit soulevée tardivement, encore faut-il que le retard soit lié à une intention dilatoire.
En effet, toute présentation tardive d’une fin de non-recevoir n’est pas
préjudiciable1940. La tardiveté pourrait par exemple être liée à la difficulté de
découvrir l’existence de la fin de non-recevoir. Il peut arriver qu’initialement
engagée, l’instance ne puisse faire découvrir l’existence de la cause d’irrecevabilité et
que cette dernière se révèle en cours d’instance. Il ne serait donc pas judicieux de
sanctionner celui qui présente une fin qui se serait révélée alors que les parties
auraient déjà conduit la procédure à un certain niveau.
En plus du caractère tardif, il faut qu’il y ait une intention dilatoire de la part
de celui qui soulève la fin de non-recevoir en question. L’intention dilatoire signifie
une volonté de faire traîner le procès en longueur. Le justiciable cherche par là à
retarder inutilement le cours du procès dans le but de nuire à son adversaire. La cause
de la fin de non-recevoir doit être connue de son auteur et celui-ci doit être en mesure
de la proposer.
La question qui pourrait se poser est celle de savoir à partir de quel moment
peut-on dire qu’une fin de non-recevoir a été soulevée de manière tardive. Mieux
encore, comment déterminer l’intention dilatoire ? Il faut noter à cet égard que la
mesure de la tardiveté ou du dilatoire est une question relative1941. L’on peut trouver
une réponse satisfaisante à cette question dans la jurisprudence française. La
deuxième chambre de la Cour de cassation française a par exemple décidé à deux
reprises1942 qu’il s’agit là d’une question laissée à l’appréciation souveraine des juges
du fond.
Après avoir déterminé les conditions de la sanction du dilatoire, il faudra en
délimiter l’étendue. Plus clairement, il s’agit de déterminer le type de sanction
susceptible d’être prononcée lorsqu’il y a usage du dilatoire dans la présentation de
l’autorité de la chose jugée. Cette question est digne d’intérêt, car le droit en général,
                                                            
1938
S. JAHEL, Op. cit., p. 725.
1939
Lire art. 123 du CPC français, in extenso.
1940
V. dans le même sens : J. HÉRON et J. LE BARS, op. cit., n° 143, p. 123.
1941
V. dans ce sens : J. BEAUCHARD, « La relativité du dilatoire », Mélanges J. HÉRON, LGDJ, 2009, p.
101.
1942
V. Civ. 2è, 1er juillet 1981, Gaz. Pal., 1981,2, p. 751, note J. VIATTE ; 27 février 2003 : Bull. civ. II, n°
44, Procédures 2003, Commentaire 111, note R. PERROT ; JCP 2003. IV. 1728 ; Gaz. Pal., 10-11 octobre
2003, p. 14, note E. Du RUSQUEC.
466 

 
et la procédure civile en particulier, connaît plusieurs types de sanctions1943. Toutes
les sanctions ne sont pas envisageables.
L’on pourrait être tenté d’opposer une irrecevabilité à l’auteur d’une
présentation tardive de l’autorité de la chose jugée. Cependant, cette solution hâtive
ne mérite pas d’être retenue. Compte tenu des fonctions et des finalités sociales
auxquelles est destinée l’autorité de la chose jugée, il ne serait pas judicieux que le
juge écarte une fin de non-recevoir au motif qu’elle a été soulevée tardivement1944. Le
juge devra la retenir, si elle est établie, malgré la tardiveté, tout en envisageant de
sanctions appropriées.
La sanction pécuniaire semble être appropriée à cet effet. La question de
savoir à qui profiterait une telle sanction peut se poser. Pour y répondre, il convient de
dire que la tardiveté peut s’avérer préjudiciable, non seulement pour l’adversaire,
mais aussi pour l’institution judiciaire tout entière. Tout procès nécessite d’importants
moyens financiers. Des mesures d’instructions coûteuses peuvent par exemple avoir
été engagées, alors que le procès était d’emblée voué à l’échec. De ce point de vue, le
créancier des dommages-intérêt pour cause de proposition tardive d’une fin de non-
recevoir serait, non seulement l’adversaire, mais aussi l’institution judiciaire dans son
ensemble.
Le plaideur qui subit, de la part de son adversaire, un préjudice du fait d’une
proposition tardive d’une fin de non-recevoir peut se voir allouer des dommages-
intérêts. D’ailleurs, c’est dans ce sens qu’abonde le législateur français. En effet,
l’article 123 du Code de procédure civile français1945 prévoit la possibilité de
condamner l’auteur d’une proposition tardive d’une fin de non-recevoir à des
dommages-intérêts.
En plus de la condamnation à des dommages-intérêts, celui qui se prévaut
tardivement d’une fin de non-recevoir à des fins dilatoires peut être condamné à une
amende civile. Le droit français offre également à ce propos une voie qu’il est
possible d’emprunter. Un décret français intervenu en 20051946 a modifié l’article 32
du Code de procédure civile en prévoyant une condamnation à une amende civile
contre celui qui agit de manière dilatoire ou abusive. Cette amende civile se justifie
par le fait que le dilatoire peut faire subir des préjudices à l’État qui organise le
service public de la justice. L’organisation de ce service de la justice a un coût. Il
n’est pas normal qu’un plaideur fasse supporter à l’Etat des dépenses du fait de son
initiative dilatoire.

                                                            
1943
Sur la question, lire : L. CADIET, « La sanction et le procès civil », in Mélange J. HÉRON, LGDJ,
2008, p. 125.
1944
Dans le même sens, lire : J. HÉRON et J. LE BARS, op. cit., n° 143, p. 124.
1945
Lire article art. 123 du CPC français : « Les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de
cause sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages-intérêts ceux qui se seraient abstenus,
dans une intention dilatoire, de les relever plus tôt ». V. Dans le même sens, art. 118, 550, al. 2 du même
code.
1946
V. art. 77 du Décret n° 2005-1678 du 28 décembre 2005 entré en vigueur le 1er mars 2006. Ce décret a
modifié l’article 32. Cet article dispose désormais que « Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou
abusive peut être condamné à une amande civile d’un maximum de 3000 €, sans préjudice des dommages-
intérêts qui seraient réclamés ». Les articles 559, 581 et 628 du même code rappellent ces sanctions en cas
d'exercice dilatoire ou abusif d'une voie de recours.
467 

 
L’on constate ainsi que la sanction du dilatoire est calquée sur celle de l’abus
du droit d’agir en justice1947. Le plaideur qui agit de manière dilatoire ne doit
cependant pas être confondu avec celui qui agit de manière abusive1948. Certes, il
arrive qu’une condamnation pour abus de procédure soit prononcée au motif que le
plaideur ne cherche qu’à obtenir des délais1949. Les manœuvres dilatoires constituent
un concept autonome assorti de sanctions spécifiques. Avec ces manœuvres, c’est
moins le droit d’agir qui est sanctionné que le comportement procédural du plaideur, à
travers l’accomplissement des actes de procédure1950.

Conclusion
En guise de conclusion, il faut noter que l’évolution jurisprudentielle de la
Cour suprême du Cameroun semble réconforter la position de la CCJA, qui affirme le
caractère d’ordre public de l’autorité de la chose jugée. Cependant, il ne faudrait pas
généraliser une telle tendance. Il apparait que l’autorité de la chose jugée est
initialement destinée à protéger les intérêts privés, même si elle constitue également
une arme efficace de police processuelle. Il importe de proposer que toute orientation
du régime procédural de l’autorité de la chose jugée ou des fins de non-recevoir en
général devra prendre en compte les fonctions qu’elles assurent. Il faudrait avoir en
esprit le fait que les fins de non-recevoir, en général, et l’autorité de la chose jugée, en
particulier, assurent non-seulement la protection du défendeur, mais assurent aussi
l’intérêt de tout l’appareil judiciaire. La mise en œuvre de l’autorité de la chose jugée
devra assurer l’équilibre entre ces intérêts en présence. Elle devra, en définitive,
ménager les principes directeurs du procès civil.

                                                            
1947
Sur l’abus du droit d’agir, lire : J. MOREL, Les dommages-intérêts au cas d'exercice abusif des actions
en justice, thèse, Paris, 1910, 111 p. ; J. VIATTE, « L'amende civile pour abus du droit de plaider », Gaz.
Pal. 1978. 1. Doctr. 305 ; Y. DESDEVISES, « L'abus du droit d'agir en justice avec succès », D. 1979,
Chron. 21 ; P. COUVRAT et M. MASSÉ, « L'exercice punissable d'une action en justice », Dr. soc. 1984,
p. 511 ; J.-E. CALLON, « L’abus du droit au juge peut-il être sanctionné ? », LPA, 28 mars 2000, p. 4; M.
BEHAR-TOUCHAIS, « L’amande civile est-elle un substitut satisfaisant à l’absence de dommages-intérêts
punitifs ? », LPA, 20 novembre 2002, p. 36 ; M.-R. RENARD, « L'abus du droit d'agir en justice », Gaz.
Pal. 23-24 mai 2007, p. 6.
1948
V. dans ce sens : L. CADIET, « La sanction et le procès civil », op. cit., p. 134.
1949
V. par exemple : Lyon, 21 avril 1994, Juris-Data n° 046207.
1950
V. E. BLARY-CLÉMENT, « Spécificités et sanctions des manœuvres dilatoires dans le procès civil »,
JCP G 1991, I, 3534.
468 

 
LA PROCEDURE DE SAISIE CONSERVATOIRE DES NAVIRES : LE
CHEMIN DE CROIX DES JUSTICIABLES CAMEROUNAIS
Par Dr. KENGUEP Ebénézer, Chargé de cours à la Faculté des Sciences
Juridiques
Et Politiques de l’Université de Douala

Résumé : La saisie conservatoire des navires est une procédure fréquente et importante qui
garantit le paiement d’une « créance maritime » dont l’existence n’est que probable. Elle vise
à immobiliser un navire appartenant à l’armateur qui, par ce fait, perd l’usage de son outil
principal de production, ce qui traduit ainsi en droit maritime, la notion plus générale
d’indisponibilité visée à l’article 56 de l’acte uniforme de l’OHADA portant organisation
des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, texte applicable à toutes
les saisies conservatoires. Elle est soumise, au Cameroun, à un double régime : un régime
communautaire dicté par le nouveau Code de la marine marchande de la CEMAC, et un
régime international issu de la Convention internationale de Bruxelles du 10 mai 1952 pour
« l’unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer ». Cependant,
bien que reposant sur un droit légal, la saisie conservatoire de navire s’apparente, au
Cameroun, à un chemin de croix parsemé d’embûches compte tenu des contingences liées au
déroulement de la procédure y afférente.

« J’ai l’honneur de vous demander de bien vouloir prendre les dispositions


nécessaires à l’effet de procéder au déménagement de vos services de Douala pour Yaoundé
au plus tard le 15 juillet 2012 »1951. C’est par ces termes simples en apparence et
relativement anodins quant à leurs effets que le Ministre camerounais des
transports a procédé au transfert des services du Directeur des affaires maritimes
et des voies navigables qui exerçait jusque là, dans la ville portuaire, les
prérogatives d’autorité maritime compétente1952. Loin d’être efficace, cette
décision qui apparaît déjà comme un « séisme » dans le contentieux maritime est
aujourd’hui source d’importants désagréments pour les justiciables et leurs
conseils qui sont désormais obligés d’effectuer le trajet périlleux de Douala à
Yaoundé à la recherche du précieux sésame nécessaire à l’autorisation de la saisie
conservatoire des navires qu’est « l’avis de l’autorité maritime ».
En effet, l’abondance des affaires relatives à cette action prouve que la
saisie est une procédure fréquente et importante qui garantit le paiement d’une
« créance maritime » dont l’existence n’est que probable1953. Elle est d’une très
                                                            
1951
Extrait de la correspondance N° 0002397/L/MINT/SG/DAG du Ministre des transports à
monsieur le Directeur des affaires maritimes et des voies navigables datée du 4 juillet 2012.

1952
En vertu de l’article 2 alinéa 11 du nouveau Code de la marine marchande des Etats membres de
CEMAC, adopté le 22 juillet 2012, l’autorité maritime compétente est le Ministre en charge de la
marine marchande ou le Directeur de la marine marchande (ancienne appellation du Directeur des
affaires maritimes et des voies navigables au Cameroun) ou tout autre fonctionnaire auquel le
Ministre a délégué tout ou partie de ses pouvoirs.

1953
Ordonnance n° 1279 du 29 juin 2006 autorisant la saisie conservatoire du navire « EFFICHIA I »
, Affaire Dame KIM épouse Park Hee Fuk c/Sieur Matsamakis Nikos, inédite, suite à la requête
469 

 
grande utilité dans la mesure où le créancier maritime s’expose à voir disparaître
son seul véritable gage si le navire venait à appareiller (ce risque est décuplé
lorsque le navire bat pavillon d’un Etat étranger ou appartient à une « single ship
Company »). En raison des contingences économiques liées à l’exploitation des
ports, le séjour des navires à quai est généralement bref. Pour toutes ces raisons,
l’économie de la saisie conservatoire des navires repose sur l’efficacité et postule
la rapidité1954.
Curieusement, le nouveau Code de la marine marchande de la CEMAC,
qui s’inscrit malheureusement dans la même philosophie que celle des « Règles de
Rotterdam »1955, ne donne aucune définition de la saisie conservatoire. Toutefois,
d’après l’article 1er paragraphe 2 de la Convention internationale pour
l’unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer,
conclue à Bruxelles, le 10 mai 19521956, la saisie signifie « l’immobilisation d’un
navire avec l’autorisation de l’autorité judiciaire compétente pour garantie d’une créance
maritime, mais ne comprend pas la saisie d’un navire pour l’exécution d’un titre ». Cette
orientation est d’ailleurs conforme à celle du législateur de l’OHADA1957, car les
saisies conservatoires sont celles qui tendent uniquement à rendre indisponibles
certains biens mobiliers appartenant au débiteur. Dans le domaine maritime, elles

                                                                                                                                              

aux fins de saisie conservatoire d’un navire datée du 28 juin 2006 ; Dans la même affaire, une
assignation en référé d’heure à heure aux fins de rétractation de l’ordonnance n° 1279 a été introduite.
Elle a fait l’objet d’une Ordonnance de référé n° 483 du 23 août 2006, inédite ; V. églt., Ordonnance
n° 1543 du 30 nov. 2012 autorisant monsieur Matsamakis à faire pratiquer saisie conservatoire sur le
navire « Newport » appartenant à la société Maersk Line Cameroun S.A suite à une requête aux fins
de saisie conservatoire datée du 15 nov 2012 ; Dans la même affaire, Ordonnance n° 1597 du 7 déc.
2012 autorisant la société Maersk, à assigner monsieur Matsamakis devant le juge des référés suivie
d’une assignation devant le juge des référés du 12 déc 2012 qui a donné lieu à une ordonnance de
référé n° 422 du 15 mai 2013 ; V. enfin, Ordonnance n° 1328 du 5 nov 2013 autorisant la société
Quifeurou à pratiquer saisie conservatoire sur le navire « Océan Beauty » ou de tout autre navire
appartenant à l’armement Waves Maritime Company Ltd..

1954
JCL Transports 1128, n° 6 : En contrepartie, l’on souligne que l’atteinte portée aux droits du
débiteur maritime doit être minimale en raison des conséquences économiques liées à
l’immobilisation d’un navire.

1955
E. Kenguep, Les Règles de Rotterdam : dérive et servitude du Législateur maritime de la
CEMAC, Juridis Périodique, n° 97, janv-févr.-mars 2014, p. 99 à 110.

1956
Le Cameroun, le Congo, le Gabon, la RCA et le Tchad, tous pays de la CEMAC, ont adhéré à
cette convention le 23 avril 1958 avec prise d’effet au 23 oct. 1958. Seule la Guinée Equatoriale n’a
pas encore pris position en faveur de la Convention de 1952.
1957
Article 54 de l’acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et
des voies d’exécution : « Toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut, par
requête, solliciter de la juridiction compétente du domicile ou du lieu où demeure le débiteur,
l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur tous les biens mobiliers corporels ou
incorporels de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances de nature à
en menacer le recouvrement ».

470 

 
visent à immobiliser un navire appartenant à l’armateur qui, par ce fait, perd
l’usage de son outil principal de production1958.
En l’état actuel du droit positif, la saisie conservatoire des navires est
soumise, au Cameroun, à un double régime : un régime communautaire dicté par
le nouveau Code de la marine marchande de la CEMAC, en ses articles 144 à
156 et un régime international issu de la Convention internationale de Bruxelles
du 10 mai 1952 pour « l’unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des
navires de mer » amendée sur certains points par la Convention internationale du
12 mars 19991959. L’article 8 de cette dernière prévoit, par exemple, que la
convention s’applique à tout navire relevant de la juridiction d’un Etat signataire.
Par conséquent les navires battant pavillon d’un Etat qui n’a pas ratifié la
Convention de 1999 tel que le Cameroun ou n’importe quel autre pays de la
CEMAC, seront soumis à cette convention lorsqu’ils se trouveront dans les eaux
d’un Etat qui l’a ratifiée.
Cela dit, la notion même de saisie conservatoire de navire mérite
quelques précisions dans le champ du droit maritime. D’après l’article 151 du
Code CEMAC, « la saisie conservatoire empêche le départ du navire. … »1960. L’article
1er paragraphe 2 de la Convention de 1952 à laquelle le Cameroun est partie,
précise quant à la lui que le terme « saisie » signifie « immobilisation » du
navire1961. En accord avec la doctrine, il est évident que ces expressions
traduisent, en droit maritime, la notion plus générale d’indisponibilité visée à
l’article 56 de l’acte uniforme de l’OHADA portant organisation des procédures
simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, texte applicable à toutes les
saisies conservatoires. Selon cette disposition, « la saisie conservatoire peut porter sur
tous les biens mobiliers, corporels ou incorporels appartenant au débiteur. Elle les rend
indisponibles »1962.
                                                            
1958
Selon le vocabulaire juridique de Gérard Cornu, la saisie conservatoire englobe, d’une manière
générale, l’ensemble des saisies dont l’unique objet et l’unique effet sont de frapper d’indisponibilité le
bien saisi, afin d’empêcher le débiteur de soustraire ce bien au gage de son créancier, et de faire
pression sur lui afin qu’il s’exécute ; Voir, C.A. Douai (ch. 8, sec. 3), 18 avril 2014, navire United
Miravalles : DMF n° 761, sept. 2014, note Ph. Delebecque, p. 726 à 732. Un navire saisi n’est pas
juridiquement indisponible : il est simplement immobilisé.

1959
Cette convention est entrée en vigueur le 14 sept. 2011 après avoir été ratifiée par 10 Etats
conformément à son article 14 à savoir : Albanie, Algérie, Bénin, Bulgarie, Equateur, Estonie,
Lettonie, Libéria, Espagne, et Syrie. Le processus de ratification a pris douze ans, reflétant ainsi la
réception relativement peu enthousiaste que ce texte à reçue de la communauté maritime
internationale.

1960
« Lorsqu’elle reçoit notification de la décision autorisant la saisie, l’autorité maritime compétente
émet l’interdiction d’appareiller et en assure l’application » : art. 145 du Code CEMAC ; voir aussi
Annabel Rossi, La saisie conservatoire de navire, PUAM, 2006, n°27 et S.

1961
Dans le même sens, articles 1er paragr. 2 de la Convention de 1999.

1962
Annabel Rossi, préc. n° 27.

471 

 
De ce point de vue, la saisie conservatoire de navires est supposée
accomplir une double fonction, préventive et comminatoire. Puisqu’elle peut être
engagée sans titre exécutoire, la saisie conservatoire empêche, à titre préventif, la
disparition du navire qui aurait pu prendre le large à tout moment alors que le
débiteur ne s’est pas encore acquitté de sa dette vis-à-vis du créancier maritime. Il
s’agit donc d’une simple mesure de sauvegarde, selon les termes de l’acte
uniforme de l’OHADA (article 54), exercée dans l’attente d’un véritable titre
exécutoire1963. En outre, dans la mesure où la saisie conservatoire constitue un
moyen de pression pouvant conduire à un règlement négocié, la saisie
conservatoire apparaît aussi comme ayant une fonction comminatoire car,
lorsqu’elle intervient, le débiteur maritime ne dispose que d’une alternative :
payer la créance maritime qui n’est pourtant qu’hypothétique ou fournir une
garantie afin de libérer son bien.
Toutefois, la saisie conservatoire repose sur un droit : « allégation d’un
droit ou d’une créance » selon l’article 1er paragraphe 1er de la Convention de
19521964 ou « créance maritime paraissant fondée dans son principe » selon l’article 150
alinéa 2 du Code de la marine marchande de la CEMAC. En droit international
comme en droit communautaire, le créancier maritime saisissant n’est pas tenu
d’établir l’existence d’une créance certaine, liquide et exigible1965. Il s’ensuit que
pour la jurisprudence, l’allégation d’une créance maritime suffit, le juge de la
requête n’ayant pas à s’intéresser au fond de la cause1966. Dans tous les cas, « la
saisie peut être pratiquée soit sur le navire auquel la créance se rapporte, soit sur tout autre
navire appartenant à celui qui était, au moment où est née la créance maritime, propriétaire
du navire auquel cette créance se rapporte »1967. Ainsi, le demandeur est habilité à saisir
n’importe quel navire appartenant au débiteur, que ce dernier soit propriétaire ou
seulement affréteur du navire auquel la créance se rapporte1968. Dés lors, une
analyse minutieuse des textes et de la jurisprudence permet d’établir que la
procédure de saisie conservatoire de navires est rigoureusement encadrée tant en
droit international qu’en droit communautaire. Cependant, la simplicité des
                                                            
1963
Les titres exécutoires sont énumérés à l’article 33 de l’acte uniforme et 157 du Code de la marine
marchande de la CEMAC. Les deux listes sont absolument identiques.

1964
L’allégation d’une créance, c’est-à-dire l’affirmation d’une créance signifie que les éléments fournis
par le prétendu créancier doivent la rendre vraisemblable sans qu’elle ait besoin d’être formellement
établie : CA Aix-en-Provence (2e ch),- 3oct. 2014 et 16 oct. 2014, DMF 2015, n° 766, note Sébastien
Lootgieter.

1965
Selon l’article 1er de l’acte uniforme de l’OHADA portant organisation des procédures simplifiées
de recouvrement et des voies d’exécution, « Le recouvrement d’une créance certaine, liquide et
exigible peut être demandé par la procédure d’injonction de payer ». Dans ce cas, l’injonction est
autorisée par ordonnance rendue au bas de la requête du demandeur.
1966
Les créances pouvant donner lieu à la saisie sont limitativement énumérées à l’article 149 du
nouveau Code CEMAC, lettre (a) à (u), et l’article 1er lettre (a) à (q) de la Convention de 1952.

1967
Articles 144 du Code CEMAC et 3 de la Convention de 1952.

1968
C. A Douai, 8 févr. 1990, navire « Gallia » : DMF 1992, p. 359.
472 

 
dispositions y afférentes ne permet pas toujours aux protagonistes d’aboutir à des
solutions idoines. Loin d’être un long fleuve tranquille, le sinueux labyrinthe qui
conduit à la saisie conservatoire des navires s’apparente plutôt à un chemin de
croix parsemé d’embûches eu égard aux fastidieuses pérégrinations du créancier
saisissant devant les autorités compétentes d’une part (I) et aux risques évidents
d’abus d’autorité résultant des nombreuses possibilités offertes au débiteur saisi
d’autre part (II).
I- LE RECOURS EN VUE DE LA SAISIE CONSERVATOIRE
DES NAVIRES, SOURCE DE FASTIDIEUSES
PEREGRINATIONS POUR LE CREANCIER DEVANT LES
AUTORITES COMPETENTES

La saisie conservatoire des navires ne peut être pratiquée sans une


autorisation préalable de l’autorité judiciaire compétente1969. Cette règle, d’ordre
public, est reprise tant par le Code Communautaire de la CEMAC qui précise que
« la saisie conservatoire est autorisée par ordonnance rendue sur requête par l’autorité
judiciaire compétente après avis de l’autorité maritime compétente » (art. 150 al. 1er ), que
par l’article 4 de la Convention de Bruxelles de 1952 qui dispose en des termes
presque identiques qu’ « un navire ne peut être saisie qu’avec l’autorisation d’un tribunal
ou de toute autre autorité judiciaire compétente de l’Etat contractant dans lequel la saisie est
pratiquée »1970. En droit camerounais, l’autorisation de saisie est accordée par le
Président du Tribunal de Première Instance ou le magistrat du siège par lui
désigné, qui est compétent pour « rendre des ordonnances sur requête » en vertu de
l’article 15 paragraphe 2 de la loi du 29 décembre 2006 portant organisation
judiciaire. Autrement dit, l’ordonnance sur requête (A) bien qu’incertaine pour le
créancier, ouvre la voie à la mise en œuvre de l’autorisation de saisie (B).
A- L’ordonnance sur requête : procédure unilatérale et incertaine
La procédure de saisie conservatoire des navires est celle de la requête au
bas de laquelle doit être inscrite l’autorisation qui constitue le titre nécessaire et
suffisant pour pratiquer la saisie.
1- La requête contenant l’avis de l’autorité maritime compétente
La requête aux fins de saisie conservatoire de navires est entièrement
préparée par le créancier saisissant ou, de préférence, par son conseil qui le fera
en respectant les règles de l’art en la matière. Elle doit impérativement indiquer la
créance pour garantie de laquelle la saisie est demandée, étant donné que la liste
                                                            
1969
Dans le cas d’une saisie conservatoire de droit commun, le créancier est dispensé de solliciter une
telle autorisation dés lors qu’il est muni de l’un des titres exécutoires énumérés à l’article 33 de l’acte
uniforme de l’OHADA portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies
d’exécution. Cette dérogation n’est pas permise en matière maritime, la jurisprudence comparée ayant
considéré que toute saisie pratiquée sans ladite autorisation est nulle, même si le créancier détient un
titre exécutoire : Annabel Rossi, op.. cit. n° 257 ; com 1er oct. 1997, navire « Secit Angola », DMF
1998, p. 17 Rapport J. P. Rémery, note Ph. Delecbecque.

1970
L’article 2 paragra. 1 de la nouvelle Convention internationale de 1999 va dans le même sens en
précisant qu « un navire ne peut être saisi, ou libéré de cette saisie, que par décision d’un tribunal de
l’Etat Partie dans lequel la saisie est pratiquée.
473 

 
des créances maritimes est limitativement prévue par les articles 149 du Code
Communautaire de la CEMAC et 1er de la Convention de Bruxelles de 1952. Il
s’ensuit que la question de savoir si une créance est maritime ou non préoccupe
régulièrement les tribunaux.
Dans une espèce relativement récente1971, Dame Kim épouse Park Hee
Suk, agissant sur la base de l’intervention de Monsieur Foyang Etienne, leur
partenaire commun, avait consenti au sieur Matsamakis NIKOS, Armateur
domicilié à Douala - Bonapriso, un prêt de 70.000.000 FCFA (soit environ
107.000 euros) destinés à l’achat du carburant et autres produits pour l’entretien
et l’exploitation des navires appartenant à ce dernier. Pour garantir le
remboursement de ladite somme, Monsieur Matsamakis avait remis à Dame Kim
deux chèques Crédit Lyonnais de 55.000.000 FCFA (84.000 euros) et 15.000.000
FCFA (23.000 euros) tirés respectivement les 28 octobre 2005 et 13 janvier 2006,
lesquels sont retournés impayés faute de provision. La question s’était alors posée
au juge de savoir si le prêt consenti à un armateur pour l’achat du carburant et des
autres produits nécessaires à l’entretien et à l’exploitation du navire pouvait être
considéré comme une créance maritime. S’appuyant sur les dispositions
pertinentes de l’article 119 paragraphe 8 du Code communautaire de la CEMAC
de 2001 applicable en l’espèce, le juge des référés a déclaré qu’était parfaitement
fondée, la saisie conservatoire d’un navire pratiquée par un prêteur de fonds ayant
servi à armer les navires du débiteur stationnés et dépourvus de carburant.
Cette décision est intéressante à un double titre : primo, elle rappelle que
la liste des créances maritimes est limitativement prévue par le Code
communautaire et la Convention internationale, ce qui est conforme à l’esprit des
textes ; secundo, le prêt consenti pour l’armement des navires est une créance
maritime au sens de l’article 149 (K) du nouveau Code de la marine marchande,
ce qui prouve que la position du législateur communautaire n’a pas varié sur la
question.
Pour être efficace, la requête doit indiquer, non seulement les
circonstances qui en menacent le recouvrement mais également le montant des
sommes pour la garantie desquelles la saisie est sollicitée ainsi que la nature des
biens sur lesquels elle porte. Dans l’espèce sus indiquée, le débiteur Matsamakis,
de nationalité étrangère, venait de faire partir du territoire camerounais quatre de
ses navires1972 et l’ultime chance dont disposait le créancier pour obtenir le
paiement de sa créance était de faire pratiquer saisie conservatoire sur le
cinquième et dernier navire appartenant au débiteur. La pertinence des arguments
développés avait alors amené le juge des requêtes à autoriser ladite saisie1973.
                                                            
1971
Ordonnance de référé n° 483 du 23 août 2006 rendue par le Tribunal de Première Instance de
Douala-Bonanjo, dans l’affaire Matsamakis NIKOS c/ Dame KIM épouse Park Hee Suk inédite.

1972
Le Caractère unilatéral de la requête est généralement justifié par le fait que le navire peut
facilement quitter le port, ce qui a permis de mettre fin à l’idée d’imposer, compte tenu de la valeur du
navire, la procédure du référé pour sa saisie : JCL Transport, Fasc. 1128, n° 34.

1973
Ordonnance n° 1279 du 29 juin 2006 rendu par le Président du TPI de Douala – Bonanjo, inédite.
474 

 
Cependant, l’autorisation de saisie conservatoire des navires est
subordonnée, de façon constante, à l’avis de l’autorité maritime compétente qui
est, d’après l’article 2 paragraphe 11 du Code communautaire, « le Ministre chargé
de la marine marchande ou le Directeur de la marine marchande ou tout autre
fonctionnaire auquel le Ministre a délégué tout ou partie de ses pouvoirs ». Cet avis qui n’a
pour but que d’éclairer le juge sur la nature de la créance revêt un caractère
consultatif et ne lie pas ce dernier selon l’article 148 du Code Communautaire1974.
Jusqu’au 15 juillet 2012, l’avis de l’autorité maritime était donné exclusivement
par le Directeur des affaires maritimes et des voies navigables dont les services
étaient installés dans la ville de Douala (Cameroun) et qui avait reçu à cet effet
une délégation permanente de signature. Dans les faits, cette délégation
permettait de respecter la rapidité inhérente à toute mesure conservatoire dont la
condition majeure est constituée par l’existence de circonstances susceptibles de
menacer le recouvrement de la créance. Douala étant jusque là, la principale
porte d’entrée et de sortie par voie maritime, la proximité entre le port et la
Direction des affaires maritimes située à une encablure du Tribunal de Première
Instance de Douala – Bonanjo permettait au créancier d’obtenir en une demi –
journée une décision d’autorisation de saisie de navire dont le séjour est
généralement bref à quai, étant donné que chaque jour passé en ce lieu peut
générer jusqu'à sept millions de francs CFA (soit environ 10.700 euros) de
surestaries pour navire.
Or, depuis le mois de juillet 2012, la situation a considérablement évolué
puisque les services de la Direction des affaires maritimes et des voies navigables
ont été transférés à Yaoundé, ce qui a fait naître deux difficultés majeures. La
première est liée à la distance de deux cent quarante kilomètres qui sépare la ville
de Douala de celle de Yaoundé. Tous les créanciers maritimes devront se plier à
ce supplice d’environ huit heures de voyage, aller et retour, sans compter le temps
du séjour, ce qui constitue un net recul par rapport à la situation antérieure. Il
s’agit d’un effort supplémentaire qui coûte inutilement en temps, en argent (frais
de voyage et de séjour) et en risque. La seconde difficulté est relative à la lenteur
administrative engendrée par le fait qu’en dépit de ses multiples et harassantes
occupations, le Ministre des transports, pour des raisons personnelles et non
avouées, se saisit presque systématiquement, des dossiers relatifs à l’avis de
l’autorité maritime compétente. L’attente est parfois longue pour le créancier et
son conseil sans oublier l’influence diplomatique et politique qui s’exerce parfois
sur le Ministre appelé à gérer les délicats équilibres géopolitiques et
géostratégiques qui n’ont aucun lien direct avec le litige. Dans une affaire récente
ayant fait l’objet d’une requête datée du 22 octobre 2013, le visa de l’autorité
maritime a été donné par le Ministre des transports en personne, ce qui donne
l’impression en l’espèce qu’il s’agissait d’un dossier complexe et délicat compte

                                                                                                                                              

1974
G. Ngamkam, La saisie conservatoire de navires en droit communautaire de l’Afrique Centrale et
en droit béninois, Rev. dr. transp n° 1, janv. 2014, étude 1.
475 

 
tenu des enjeux financiers en présence1975. Dans cette affaire, le visa qui avait été
sollicité le 22 octobre 2013, n’a finalement été donné que le 1er novembre 2013
soit neuf jours de longue et exténuante attente1976.
Dans une autre affaire ayant opposé le sieur Matsamakis à la Société
Maerks et le navire Newport, l’avis sollicité le 15 novembre 2012 a permis
d’obtenir une ordonnance de saisie quinze jours après avis tardif du Ministre des
transports en personne1977. Simple formalité administrative au départ pour le
créancier, l’avis de l’autorité maritime, est finalement devenu un véritable
obstacle à la saisie conservatoire des navires qui dépend, dans tous les cas, de la
décision qui sera rendue par le juge des requêtes.
2- L’ordonnance autorisant la saisie conservatoire de navire

L’autorisation du juge est apposée au bas de la requête. Elle est accordée


dès lors que le créancier justifie d’une créance maritime, le juge des requêtes
devant s’en tenir aux droits apparents1978. Il s’ensuit, qu’habituellement, le
Président de la juridiction compétente doit se contenter des déclarations du
créancier qui est tenu d’être convaincant quant à l’existence probable de ses droits
vis-à-vis du débiteur. Dans tous les cas, sa tâche est largement facilitée par le
caractère unilatéral des procédures d’ordonnance sur requête ainsi que par
l’allégement corrélatif des éléments de preuve à apporter pour caractériser la
créance maritime en droit communautaire CEMAC et surtout en droit
international qui ne retient que la notion d’allégation de créance1979.
Ainsi, en droit communautaire, l’article 150 paragraphe 2 dispose que
l’autorisation de saisie peut être accordée par le juge « dès lors qu’il est justifié d’une
créance maritime paraissant fondée dans son principe », ce qui exclut toute idée de
créance certaine, liquide et exigible. Toutefois, ce principe de créance ne dispense
pas le juge de procéder à une vérification au moins sommaire devant lui
permettre de s’assurer que la créance alléguée a une existence au moins apparente
« sinon une mesure conservatoire n’aurait aucun sens et constituerait une immixtion

                                                            
1975
Cette requête a fait l’objet d’une ordonnance n° 1328 du 05 nov 2013 dans une affaire société
Quifeurou Cameroun c/Armement Waves Maritimes Company Ltd et le navire Ocean Beauty,
inédite.

1976
Dans une autre espèce, en dépit d’une décision d’autorisation de saisie, le navire Newport
appartenant à la société Maerks a été appareillé suite à un fax du Ministre des transports et sur
instructions du commandant du port, ce qui constitue une véritable atteinte aux droits du créancier.

1977
Ordonnance n° 1543 du 30 nov. 2012 du Président du TPI de Douala – Bonanjo inédite.

1978
Dans la Convention de Bruxelles de 1952, le créancier doit seulement pouvoir alléguer d’une
créance maritime.

1979
Annabel Rossi, op, cit, n° 247

476 

 
intolérable dans le patrimoine d’autrui »1980. L’analyse menée par le juge sur la base
des dispositions du Code communautaire doit cependant rester simplifiée1981,
contrairement à celle qui pourrait être faite en droit international qui se contente
d’une simple allégation de créance1982. En droit international, aucune preuve n’est
exigée du créancier sur la réalité de sa créance et aucune vérification ne devrait
corrélativement être effectuée par le juge sur l’existence même apparente de la
créance. La vérification portera le plus souvent sur le caractère maritime ou non
de la créance. A ce stade du raisonnement, le créancier peut se montrer astucieux
et opérer un choix stratégique. S’il ne dispose que d’une créance maritime au sens
de l’article 150 paragraphe 2 du Code communautaire, il optera pour les
dispositions de l’article 1er paragraphe 1er de la Convention de Bruxelles du 10
mai 1952 sous l’empire de laquelle il n’est pas obligé de faire la démonstration de
l’existence apparente de sa créance.
Cela dit, le juge saisi d’une requête aux fins de saisie conservatoire de
navire se bornera à autoriser ou à refuser la saisie. Son rôle n’a jamais été, en
cette matière, de se prononcer sur les droits respectifs des parties. Autrement dit,
il doit certes apprécier les documents qui sont présentés par le créancier saisissant
afin de s’aviser sur le point de savoir s’il doit ou non autoriser la saisie, mais cette
appréciation doit être de moindre importance afin de ne pas préjudicier au fond
de l’affaire auquel il lui est interdit de s’immiscer sous peine d’empiétement
flagrant et intolérable sur les pouvoirs du juge du fond1983. Le juge des requêtes est
donc libre d’autoriser la saisie conservatoire du navire, sur la base d’une créance
paraissant fondée dans sons principe ou, en matière internationale, de sa simple
allégation. Lorsqu’elle est accordée par le Président du Tribunal de Première
Instance, juge des requêtes, l’autorisation de pratiquer saisie conservatoire du
navire justifie l’entrée en scène de nouveaux acteurs pour sa mise en œuvre1984.

                                                            
1980
R. Perrot et Ph. Théry, Procédures civiles d’exécution, Paris Dalloz, 2000, p. 680, n° 759, ouvr. cité
par Annabel Rossi, op. cit.p 191, n° 275.

1981
Il a par exemple été jugé en droit comparé que toute personne « […] justifiant d’une apparence de
créance peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire […] » et que la
Cour d’appel qui « pour rétracter l’ordonnance autorisant l’inscription et ordonner la mainlevée de la
mesure […] retient que pour obtenir une telle autorisation, il est nécessaire de détenir une créance
fondée en son principe […] a violé les textes… » : Cass. 8 juin 2000, JurisData n° 002436.

1982
Art. 1er paragr. 1 de la convention de Bruxelles du 10 mai 1952. En droit international, tout
comme en droit communautaire aucune preuve n’est exigé
1983
Il est donc constant en droit communautaire et en droit international que le juge de la requête aux
fins de saisie conservatoire de navire n’a pas à trancher la contestation à l’origine de la saisie (la
question de l’existence de la créance), car ce problème est de la compétence du juge du fond qui sera
appelé à se prononcer ultérieurement.

1984
JCL Transport, Navire, Saisie conservatoire, Fasc 1128, 2007, n° 35 ; G. Ngamkan, art. précité, n°
13.

477 

 
B- La mise en œuvre de l’autorisation de saisie : immixtions
intempestives de l’autorité maritime

La mise en œuvre de l’autorisation de saisir fait intervenir, à un niveau


élevé, l’huissier de justice, à la demande du créancier et l’autorité maritime
compétente dont le rôle devient plus actif.

1- L’intervention mitigée de l’huissier de justice


A la demande du créancier, la saisie conservatoire est pratiquée entre les
mains du capitaine du navire par un huissier de justice qui en dresse procès –
verbal. En droit communautaire CEMAC, copie du procès – verbal dont le
contenu est précisé à l’article 152 (2) doit être notifiée au commandant du port, à
l’autorité maritime compétente, au consul de l’Etat du pavillon ou, à défaut, au
consignataire du navire (art. 152 paragr. 1). Pour jouer parfaitement son rôle, le
procès – verbal établi par l’huissier doit énoncer tous les éléments prévus aux
paragraphes 2 et 3 de l’article 1521985. Habituellement il est rappelé dans le même
procès – verbal, à l’intention du débiteur saisi et de toute autre personne
intéressée que, conformément à l’article 190 du Code pénal Camerounais, « est
puni d’un emprisonnement de un à cinq ans et d’une amende de 50.000 à 1.000.000 de
francs CFA celui qui détourne, détruit ou dénonce des biens saisis ou placés sous
séquestre ».
Par ailleurs, si le navire saisi bat pavillon d’un Etat membre, le procès –
verbal de saisie est inscrit sur le registre tenu par l’autorité maritime compétente
et sur lequel le navire est immatriculé. Cette inscription est requise dans un délai
de sept jours à compter de la date du procès – verbal. Ce délai est augmenté de
vingt jours si le lieu de la saisie et le lieu où le registre des immatriculations est
tenu ne sont pas situés dans le même Etat de la CEMAC. L’inscription de la
saisie conservatoire du navire n’aurait cependant pas pour effet d’empêcher de
l’hypothéquer ni de le vendre. Elle ne serait donc qu’informative, permettant ainsi
à l’acquéreur éventuel d’être au courant de l’état juridique du bâtiment1986.

                                                            
1985
Voir par exemple le procès-verbal de saisie conservatoire du navire « Cos LUCKY » du 13 juillet
2012 dressé par Me Mbappou Etouké, Huissier de justice prés la Cour d’Appel du Littoral et les
Tribunaux de Douala dans l’affaire opposant la société Quifeurou Cameroun en abrége SOQUICAM
à l’armement COS LUCKY Shipping Maritime inc et le navire « COS LUCKY » ayant fait l’objet
d’une ordonnance d’autorisation de saisie n° 857 du 13 juillet 2012 rendue par Monsieur le Président
du Tribunal de Première Instance de Douala – Bonanjo ; Voir églt le procès – verbal de saisie
conservatoire du navire « Effichiat I » du 3 juillet 2006, dressé par Me Yossa Djomakoua Evelyne
Thérése, Huissier de justice à Douala dans l’affaire apposant Dame Kim épouse Park Hee Suk à
Monsieur Matsamakis NIKOS, armateur domicilié à Douala – Bonapriso et le navire « Effichiat I »
ayant fait l’objet d’une ordonnance d’autorisation de saisie n° 1279 du 29 juin 2006 rendue par
Monsieur le Président du Tribunal de Première Instance de Douala – Bonanjo.

1986
Bien qu’isolé et contesté, un arrêt de la Cour d’appel d’Aix – en – Provence du 25 févr. 1981,
vedette Patrick – Victor : DMF 1982, p. 20, note Rémond – Gouilloud, a statué que « l’absence de
mention de la saisie conservatoire sur la fiche matricule du navire n’est assortie d’aucune sanction,
mais le défaut d’inscription de celle – ci sur le registre des hypothèques comporte une sanction qui est
478 

 
Aucune autre formalité n’est imposée et le procès – verbal n’a pas besoin d’être
notifié à des personnes autres que celles indiquées à l’article 152 paragraphe 1 du
Code communautaire. Toutefois, la notification du procès – verbal de saisie
conservatoire selon les règles de l’art augure d’une suite fortement houleuse de la
procédure en raison du rôle important qu’est appelée à jouer l’autorité maritime
compétente.

2- L’intervention controversée de l’autorité maritime compétente


La mise en œuvre de la saisie conservatoire est surtout l’œuvre de
l’autorité maritime qui est tenue, après avoir reçu notification de la décision
judiciaire d’autorisation, d’émettre l’interdiction d’appareiller et de s’assurer,
auprès de la capitainerie, qu’aucun départ du navire saisi n’a été programme1987.
De même l’avis de l’autorité maritime doit préalablement être requis par le juge
des référés, non seulement lorsqu’il est appelé à autoriser le départ du navire pour
un ou plusieurs voyages à la suite d’une requête du débiteur ayant fourni une
caution suffisante1988, mais également avant de fixer le délai dans lequel le navire
devra regagner le port de la saisie au cas où l’autorisation d’effectuer des voyages
est accordée. En tout état de cause, l’autorité maritime est constituée gardien du
navire saisi et en assume une obligation de moyens conformément aux
dispositions de l’article 154 du Code. Cependant, dans l’affaire opposant le sieur
Matsamakis Nicolas à la société Maersk Cameroun S.A, précitée, bien qu’ayant
fait l’objet d’une saisie conservatoire à la suite de l’ordonnance n° 1543 de
Monsieur le Président du Tribunal de Première Instance de Douala du 30
novembre 2012, le navire M/V Maersk Newport a quitté le port de Douala sans
qu’aucune décision ou autre mesure ordonnant mainlevée n’ait été rendue, mais
simplement sur la base d’une instruction par fax de monsieur le Ministre
camerounais des transports exerçant abusivement ses prérogatives d’autorité
maritime compétente1989. Or, un navire soumis à une procédure de saisie
conservatoire constitue une garantie spécialement réservée aux créanciers
saisissants, et toute manœuvre tendant à le laisser s’échapper doit être pénalement
sanctionnée1990.

                                                                                                                                              

non pas la nullité de la saisie, mais son inopposabilité aux tiers, en particulier à l’acheteur du navire
l’inopposabilité entraînant elle – même la mainlevée de la saisie conservatoire ».

1987
Art. 145 du Code communautaire de la CEMAC . Voir par exemple la Décision n° 06199
D/MINT/SG/DAMVN du 03 juillet 2006 portant interdiction d’appareiller à l’encontre du navire
« EFFICHIA I » appartenant à Monsieur Matsamakis NIKOS, armateur domicilié à Douala –
Bonapriso au lieu dit hydrocarbures, domicile n° 253, notifiée par acte d’huissier daté du même jour.

1988
Art. 146 du Code communautaire de la CEMAC.

1989
Voir le procès – verbal de descente sur les lieux du 03 janv. 2013 ainsi que les réquisitions du
Ministère public dans la même affaire du 25 fevr. 2013.

1990
Il a par exemple été jugé qu’en donnant l’ordre à son employé, qui avait reçu notification de la
décision de saisie conservatoire, de quitter le port alors même qu’il avait eu connaissance de cette
479 

 
Il est évident que cette instruction a été donnée au mépris des
dispositions de l’article 146 du Code communautaire en vertu duquel le juge des
référés est seul habilité à autoriser le départ du navire pour un ou plusieurs
voyages déterminés. Ce faisant, l’autorité maritime a outrepassé ses compétences
qui, en l’espèce devaient se limiter à un avis consultatif. Cette attitude est
d’autant plus blâmable que l’autorisation de voyage ne peut être obtenue que sur
la base d’une garantie suffisante fournie par le débiteur, ce qui n’a pas été le cas
dans cette espèce. De même si les parties intéressées ne parviennent pas à
s’accorder sur l’importance et la forme de la garantie, sa nature et son montant,
qui ne peut excéder la valeur du navire saisi, doivent être déterminés, non par
l’autorité maritime mais par le juge des référés.

II- LA MAINLEVEE, INSTITUTION PRIVILEGIEE DE REMISE


EN CAUSE DE LA SAISIE CONSERVATOIRE DE NAVIRE
PAR LE DEBITEUR
L’ordonnance autorisant la saisie conservatoire de navire n'a jamais
pour fonction de trancher ne serait – que provisoirement les contestations
relatives aux droits des parties1991. L’une des particularités de cet acte
juridictionnel qui empêche le départ du navire est de pouvoir être remis en cause
par le débiteur saisi. Cette possibilité lui est offerte afin qu’il puisse demander la
mainlevée de la saisie conservatoire (A). Celle-ci coexiste avec une autre
institution, parfois appelée «mainlevée provisoire » que le Code de la marine
marchande de la CEMAC désigne de façon plus générale sous le vocable
d’autorisation de voyages du navire saisi (B).

A- La mainlevée « définitive », suite probable et presque inévitable de la


saisie conservatoire de navire
A propos de la mainlevée, Réne Rodiére indiquait qu’ « un armateur
sérieux la demande dès que la saisie conservatoire est exercée ; il n’attend pas que le tribunal
soit saisi au fond »1992. De là, précise-t-on, la pratique de l’autorisation d’assigner
s’est généralisée aussi bien en droit compare1993 qu’en droit camerounais1994 et le
                                                                                                                                              

décision et que l’assignation au fond avait été délivrée la veille et refusée, le prévenu a commis
l’infraction de détournement d’objet saisi sanctionnée par l’article 314-6 du Code pénal : CA Aix-en-
Provence, 5e ch. Corr., 17 févr. 2009, Rev. dr. transp., n° 7, juill. 2009, comm. 152, note M. Ndendé.

1991
La question de l’autorité de chose jugée au principal est donc dépourvue de sens : V. Annabel
Rossi, op. cet. n° 340.

1992
Traité général de droit maritime – Le navire : Dalloz 1980, n° 203.

1993
T. com. Marseille, 16 nov. 1990 : DMF 1992, p. 129, A. Arnaud ; JCL Procédures Formulaires,
Fasc. 10, Navire et bateau – Mesures conservatoires.

1994
T.P.I. Douala – Bonanjo, ordonnance n° 1597 du 07 déc. 2012 autorisant l’Armement Maersk et
le capitaine commandant le navire M/V « Maersk Newport » à assigner devant le juge des référés
d’heure à heure, Monsieur Matsamakis et le Commandant du Port autonome de Douala.
480 

 
ferme rappel que la mainlevée est un droit1995. Prévue par le Code de la CEMAC,
la mainlevée de la saisie conservatoire de navire peut prendre la forme d’une
rétractation ou d’une mainlevée contre la fourniture d’une garantie.

1- La demande de rétractation, recours ordinaire du débiteur contre


l’ordonnance de saisie conservatoire de navire
Elle est prévue par l’article 153 du Code de la marine marchande de la
CEMAC qui dispose que « le propriétaire du navire saisi ou son représentant peut, dès la
notification de la saisie faite au capitaine se pourvoir devant le juge des référés, en
rétractation de l’ordonnance de saisie… ». Puisque la saisie conservatoire a été
accordée par le juge des requêtes sans véritable débat contradictoire, le recours
ainsi exercé par le débiteur permet de mettre en échec une décision exécutoire
unilatérale. Son intervention a alors pour but de convaincre le juge des référés que
l’autorisation de saisie conservatoire de navire mérite d’être retirée, soit en raison
d’une mauvaise application du droit, soit par suite d’une appréciation erronée des
faits.
Dans l’ordonnance N° 1543 rendu le 30 novembre 2012 par le Président
du Tribunal de Première Instance de Douala – Bonanjo, juge des requêtes, que
nous avons citée précédemment sans en décliner les faits, Monsieur Matsamakis
Nicolas a été autorisé à pratiquer une saisie conservatoire sur le navire Newport
appartenant à l’Armement Maerks. Agissant en vertu de l’ordonnance N° 1597
du 07 décembre 2012 et de l’exploit du 12 décembre 2012, l’Armement Maerks et
le Capitaine Commandant le N/V Maerks Newport ont saisi le juge des référés
du Tribunal de Première Instance de Douala – Bonanjo, d’une demande en
rétractation de l’ordonnance N° 1543. Pour ordonner la rétractation de cette
dernière et partant la mainlevée de la saisie conservatoire du navire Newport, le
juge des référées a relevé que l’ordonnance 1543 avait été obtenue par une
personne dépourvue de qualité1996. Pour le juge des référées, la fin de non recevoir
tirée du défaut de qualité est un moyen de défense au fond auquel ne s’applique
pas l’article 97 alinéa 1 du Code de procédure civile et commerciale et qu’à ce
titre, il peut être invoqué à tout stade de la procédure et même pour la première
fois en appel1997. Dés lors, il apparaît clairement que l’ordonnance de saisie
conservatoire avait été accordée sur le fondement d’une mauvaise application du
droit, ce qui justifiait la rétractation pure et simple d’une telle décision.
                                                                                                                                              

1995
Cass. Com. 12 nov. 1996, n° 94-17-036 : JurisData n° 1996-004117 ; JCPG 1997, IV, n° 37, DMF
1997, p. 45, Y. Tassel. Si la mainlevée est refusée par le juge qui a autorisé la saisie, le juge saisi du
fond semble avoir compétence pour ordonner la mainlevée de la saisie à tous les stades de la
procédure : Cass. 2e civ. 18 jan. 2001, p. 50, P. Bonassies,
1996
Ordonnance des référées n° 422 du 15 mai 2013, inédite.

1997
La jurisprudence de la Cour Suprême du Cameroun abonde dans le même sens puisqu’elle déclare
que « le moyen tiré du défaut de qualité est une fin de non recevoir qui est liée au fond et constitue un
moyen de défense. A ce titre, il ne saurait être compris dans l’examen des conditions de forme de
recevabilité de l’action » : Arrêt n° 140 du 4 juin 1968, Bull. n° 18, p. 2078.

481 

 
Par ailleurs, il apparaît aussi que la plupart des rétractions se fondent
tantôt sur le fait que la créance sur laquelle elle a été autorisée n’est pas une
créance maritime au sens des textes1998, tantôt sur le fait que la créance n’apparaît
plus suffisamment fondée en son principe, « la faute alléguée apparaissant douteuse »
1999
. Cependant, bien qu’elle soit susceptible d’être contestée par les voies de
recours ordinaires notamment devant le juge d’appel, la rétractation de
l’ordonnance est lourde de conséquences parfois imparables pour le créancier car,
dès lors que la saisie n’est plus effective (le navire ayant levé l’ancre dès la
rétractation de l’ordonnance), le créancier, même en obtenant l’infirmation de
l’ordonnance de rétractation, ne peut obtenir la constitution d’une garantie2000.
Pour cette raison, la jurisprudence conclut qu’il est juste d’admettre que la
restitution des sommes déposées comme suite de la saisie soit liée à l’instance au
fond2001.

2- La mainlevée contre fourniture d’une garantie, substitut exceptionnel


à la mesure conservatoire
Le principe de la mainlevée de la saisie conservatoire ne pose aucune
difficulté particulière quant à son existence. Il est prévu, aussi bien, par la
Convention de Bruxelles actuellement applicable au Cameroun (articles 5 et 7
paragraphe 2)2002 que par l’acte uniforme de l’OHADA portant organisation des
procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution (article 62 et 63).
D’après l’article 63 de l’acte uniforme susvisé, la demande de mainlevée
est portée devant la juridiction compétente qui a autorisé la mesure. Cette
dernière est alors tenue d’accorder la mainlevée de la saisie lorsqu’une caution ou
une garantie suffisantes auront été fournies, « sauf dans le cas où la saisie est pratiquée
en raison des créances maritimes » relatives à la propriété ou la copropriété contestée
d’un navire ou sa possession ou son exploitation, ou les droits aux produits
d’exploitation d’un navire en copropriété2003. Dans ce cas, le juge peut permettre
l’exploitation du navire par le possesseur, lorsque celui – ci aura fourni des
garanties suffisantes, ou régler la gestion du navire pendant la durée de la saisie.
La mainlevée urgente de la saisie se justifie en pareille circonstance par la gravité

                                                            
1998
CA Rouen 15 avril 1982 : DMF 1982, p. 744.

1999
CA Rennes, 30 juill. 1975 : DMF 1976, p. 225-T. Com. Saint Nazaire, 19 sept. 1978 : DMF 1978,
p. 734.

2000
CA Saint Denis de la Réunion, 29 sept. 1989 : JurisData, n° 1989 – 052530.

2001
Cass. com., 2 mai 1989, n°87 – 14. 516 : JurisData n° 1989-001633; Bull. Civ. IV, n° 139.

2002
La mainlevée de la saisie conservatoire navire est également prévue par l’article 4 alinéa de la
Convention de 1999 sur la saisie conservatoire

2003
Art .1er al. 1 (0) et (p) et 5 de la Convention de 1952.

482 

 
de l’immobilisation du navire et de ses conséquences néfastes sur l’entreprise de
l’armateur2004. Cette gravité permet aussi d’expliquer la jurisprudence selon
laquelle la fourniture d’une caution2005, la constitution d’une consignation2006 ou la
constitution du fonds de limitation2007, à la condition qu’il ait été constitué dans
l’un des ports mentionnés à l’article 13 de la Convention de Londres de 1976 sur
la limitation de la responsabilité en matière de créances maritime, imposent au
juge d’ordonner la mainlevée2008.
Toutefois, la garantie visée par les textes génère quelques questions
délicates relatives à son montant et sa mise en œuvre. Selon l’article 5 de la
Convention de 1952, la mainlevée ne peut être ordonnée que si le débiteur fournit
une « caution ou une garantie suffisante ». Dans une ordonnance de référé n° 299 du
12 avril 2007, inédite, rendue dans l’affaire Salam International Transport and
Trading Co. Ltd contre A/S Dan Bunkering Ltd, navire « Salam 4 », l’on a pu
relever que lors d’une escale du navire Salam 4 au port de Douala (Cameroun) le
16 février 2007, la société A/S Dan a pratiqué une saisie conservatoire sur ce
bâtiment de mer pour sûreté et paiement de la somme de 122 927 660 FCFA (soit
environ 187.530 euros) en règlement d’une créance d’avitaillement (fourniture
d’eau et de soutes). A suite de cette saisie, le Président du tribunal de première
instance de Douala-Bonanjo a été saisi d’une requête en mainlevée de saisie
moyennant fourniture d’une garantie par l’armateur du navire. Après avoir
rappelé, conformément aux dispositions de l’article 5 de la Convention de 1952,
qu’ « il revient au juge d’apprécier la suffisance de la garantie » et constaté que « les causes
de la saisie contenues dans le procès-verbal du 16 février 2007 sont totalement couvertes par
la caution », le juge a ordonné mainlevée de ladite saisie.
Il résulte de ce raisonnement, logiquement approuvé par le
commentateur de cette décision2009, qu’en ce qui concerne le montant la garantie,
la réflexion peut s’appuyer sur deux critères de référence à savoir : la créance et la
chose saisie. D’une part, il est légitime de penser que la garantie ne doit pas être

                                                            
2004
C’est cette perspective qui permet d’expliquer la jurisprudence de la Cour de cassation française
qui a validé une substitution de navire, non demandée par le débiteur, en considérant qu’une telle
mesure, opportune, maintenait intacts les avantages du saisissant (Cass. Com. 2 mai 1989, n° 87-
14.517, Bull. civ. IV, n° 138 ; JCL Transport, Navire et bateau - Mesures conservatoires, mise à jour du 16
sept. 2014, n° 94.

2005
CA Poitiers 23 sept. 1992 : JurisData n° 1992-048820.

2006
T. Com. Nanterre, 9 mai 1994 : JurisData n°1994-043739.

2007
Cass Com. 23 nov. 1993, n° 91-17.258 : JurisData n° 1993-002332; Bull. civ. IV, n° 418; DMF 1994,
p. 36

2008
Cass Com. 5 janv. 1999, n° 93-19.688 : JurisData n° 1999-0000-23; DMF 1999, p. 130, A. Vialard.

2009
G. Ngamkan, Actualité judiciaire : Quelques décisions significatives obtenues par le cabinet
Ngamkan en matière de saisie conservatoire de navire, site internet dudit cabinet.

483 

 
supérieure au montant de la créance. Dans l’affaire du Salam 4, le créancier
saisissant avait modifié ses exigences à la hausse et réclamait, en contrepartie de
la mainlevée de la saisie, la somme de 140 000 000 FCFA (soit environ 213.570
euros) au lieu de 122 927 660 FCFA indiquée dans la requête initiale. Cette
prétention a été, purement et simplement, rejetée par le tribunal qui a néanmoins
accordé la mainlevée de la saisie du navire. D’autre part, limiter le montant de la
garantie à la valeur du bien saisi alors que manifestement la créance est
supérieure à cette valeur « aboutit à priver la saisie de l’efficacité qui constitue sa raison
d’être et à la détourner de son objet qui est de représenter pour le créancier un moyen de
pression au besoin gênant, sur le débiteur défaillant » 2010. Puisque la garantie a pour
objet de se substituer au navire saisi, il est évident que la règle de la
proportionnalité est appelée à jouer un rôle important. Dans tous les cas, faute
d’accord entre les parties sur l’importance de la caution ou de la garantie, la
juridiction compétente en fixe la nature et le montant qui ne peut excéder la
valeur du navire saisi (art. 146) 2011.

B- La mainlevée « provisoire » ou autorisation de voyages, mesure


transitoire tendant à la démobilisation du navire saisi
Souvent appelée «mainlevée provisoire » l’autorisation de voyage est prévue
à l’article 146 du Code de la marine marchande ainsi qu’à l’article 5 de la
Convention de Bruxelles du 10 mai 1952. Ces deux textes prévoient, non
seulement, que le juge peut autoriser le départ du navire pour un ou plusieurs
voyages déterminés, mais également, qu’une sanction exemplaire devrait être
infligée au débiteur indélicat.

1- La procédure de la mainlevée provisoire


L’autorisation de départ doit être demandée au juge des référés, lequel
bénéficie d’une compétence exclusive en la matière. Elle ne peut être accordée
qu’après avis de l’autorité maritime. Cette procédure n’avait curieusement pas été
respectée dans l’affaire du navire Newport appartenant à la société Maersk qui
était sous le coup d’une saisie conservatoire dans les eaux portuaires
Camerounaises (Douala – Cameroun), et qui avait appareillé à la suite d’un fax
du Ministre des transports et sur instructions du Commandant du Port Autonome
de Douala qui avait préalablement été constitué gardien du navire saisi. Ce
dernier ne pouvait malheureusement pas justifier d’une décision du juge des
référés, le fax de l’Autorité maritime ordonnant le départ du navire saisi étant

                                                            
2010
Cette solution a été retenue à l’occasion de la saisie des soutes (valeur 1444123 f) d’un navire dont
l’affréteur, et non le propriétaire, était redevable. La garantie proposée était, quant à elle, d’une valeur
de 2.970.000 F : CA Rouen, 28 jan. 1992 : JurisData n° 1992-040657.

2011
Le lieu du paiement de la garantie ne semble pas poser de difficulté particulière puisqu’en cas de
contestation, il s’agira naturellement et principalement, du lieu de la saisie du navire et
accessoirement, du lieu de l’instance en mainlevée : CA Rouen, 30 juill. 1980 : DMF 198, p. 668 :
article 146 – 2 du Code.

484 

 
intervenu en violation des dispositions de l’article 146 du Code
communautaire2012.
Sous l’empire de la Convention de Bruxelles de 1952, l’autorisation de
voyage remplace la mainlevée de la saisie qui ne peut pas être obtenue lorsque la
saisie est prononcée sur le fondement des créances maritimes des lettres (o) et (p)
de l’article 3 de ladite convention. Quelque soit le régime applicable, le requérant
ne peut obtenir l’autorisation de voyage que s’il fournit une garantie suffisante.
Par ailleurs, les textes précisent qu’aucune demande d’autorisation introduite à
cet effet ne peut être interprétée comme une reconnaissance de responsabilité, ni
comme une renonciation à toute défense ou tout droit de limiter la
responsabilité2013. A la différence de la Convention de Bruxelles de 1952, le Code
de la marine marchande de la CEMAC prévoit que toute personne ayant
constitué une garantie en échange d’une autorisation de voyage peut à tout
moment, demander au tribunal compétent, de « réduire, modifier ou annuler cette
garantie, notamment si elle rapporte la preuve que celle – ci était manifestement excessive
au regard du montant réel de la créance ou n’était pas appropriée, ou était injustifiée parce
que la créance était inexistante en réalité » 2014.

2- La sanction du débiteur indélicat en cas de non retour du navire saisi


Le juge des référés qui accorde l’autorisation d’effectuer des voyages
après avis consultatif de l’autorité maritime compétente, est tenu de fixer le délai
dans lequel le navire devra regagner le port de la saisie. Il peut ultérieurement
modifier ce délai pour tenir compte des circonstances et, le cas échéant, autoriser
le navire à faire de nouveaux voyages. A l’expiration du délai fixé par le juge et
en l’absence de toute demande de prorogation de voyage émanant de l’armateur,
si le navire saisi n’a pas rejoint le port de la saisie, la somme déposée en garantie
est acquise de plein droit aux créanciers, sauf le jeu de l’assurance en cas de
sinistre couverts par la police2015. Dans l’affaire du Salam 4, qui a fait l’objet de
nombreuses passions et de commentaires, la société Salam, créancier saisissant,
muni d’une attestation de non enrôlement délivrée le 17 août 2007 par le greffier
en chef du tribunal de première instance de Douala-Bonanjo statuant en matière
de référé d’heure à heure, a assigné en restitution de la garantie devant cette
dernière qui a ordonné « la restitution immédiate et sans condition » de la somme de
122 927 660 FCFA transférée par l’armateur sur le compte greffe dudit tribunal,
« l’examen des pièces produites établissant la caducité de la saisie ». Pour la

                                                            
2012
TPI Douala –Bonanjo, ordonnance des référés n° 422 du 15 mai 2013, Aff. Armement Maersk et
le capitaine commandant le navire Newport c/ Sieur Matsamakis Nicolas et le commandant du Port
Autonome de Douala, Inédite.
2013
Art. 5 al 3 de la Convention de Bruxelles de 1952; Art. 146 paragr. 3 du Code.

2014
Art. 146 paragr. 4. Cet article reproduit en réalité les dispositions de l’article 4 paragr. 6 de la
Convention de Genève de 1999.
2015
E. du Pontavice, cité par Y. Tassel in JCL Transport, Fasc. 10 : Navire et bateau – Mesures
conservatoires, 16 sept. 2014, n° 101.

485 

 
jurisprudence, tant nationale que comparée, le juge ne dispose d’aucun pouvoir
d’appréciation : une fois la carence du créancier saisissant établie, la mise en
œuvre de la caducité est automatique2016.
Toutefois une question intéressante se pose : qu’adviendrait-il si le navire
saisi revenait après le paiement de la somme au créancier saisissant. Les textes en
vigueur ne fournissent aucune réponse satisfaisante à cette préoccupation. L’on
s’accorde néanmoins à relever que la règle peut reposer sur deux fondements :
simplifier la tâche du créancier ou sanctionner l’attitude du débiteur selon une
justification fournie par Emmanuel du Pontavice pour lequel la sanction « joue à la
manière d’une cause pénale » 2017. La jurisprudence comparée a eu à se prononcer sur
plusieurs points relatifs à la garantie. Elle a par exemple condamné une banque
pour avoir payé trop rapidement par suite d’une erreur commise sur la nature
juridique de la garantie donnée : garantie à première demande ou garantie sous
condition d’un jugement 2018.

                                                            
2016
Douai, 17 sept 1992, navire « Régina », DMF 1993, 358.

2017
E; du Pontavice, cite par Y. Tassel in JCL Transport, Fasc. 10 : Navire et bateau – Mesures
conservatoires, 16 sept. 2014, n° 101.

2018
CA Aix, 17 mai 1984, navire « Eva-Danielsen »: DMF 1986, p. 239. Cette Cour prend également
un très grand soin à distinguer entre l’action aux fins d’obtenir la mainlevée contre consignation et
l’action tendant à obtenir la rétractation pure et simple de l’ordonnance : CA Aix, 10 janv. 1986,
navire « Namrata » : DMF 1987, p. 499. D’autres décisions, plus pointilleuses, distinguent la demande
relative à l’exécution de la caution bancaire et l’appel interjeté contre le jugement qui a accueilli la
demande du saisissant : T. com. Marseille, 23 févr. 1999, navire « May Prince » : Rev. Scapel 1999, p.
82 ; DMF H.S. n° 4, mars 2000, p. 36, obs. P. Bonassies.
486 

 
LA RESPONSABILITE PENALE DES DIRIGEANTS SOCIAUX DU
FAIT D’INFRACTIONS NON INTENTIONNELLES

Par
Alain Michel EBELE DIKOR2019

«Etre responsable
c’est assumer les
conséquences de ses
actes. »,
Jean-Paul
SARTRE, 

Le droit pénal des affaires de l’OHADA2020 est un droit atypique. Au-


delà de son caractère dualiste, c’est également un droit essentiellement
pluraliste. Ce dualisme se manifeste non seulement par le recours aux
dispositions de l’AUDSCGIE pour ce qui est des incriminations, mais
également par le recours aux législations nationales, pour ce qui est de la
détermination des sanctions2021. D’autres Actes uniformes consacrent des
dispositions pénales. Il s’agit de l’Acte uniforme relatif aux procédures
collectives d’apurement du passif (AUPCAP)2022, l’Acte uniforme portant
organisation des sûretés (AUS)2023 et l’Acte uniforme portant droit
commercial général (AUDCG)2024. La méthode du renvoi législatif ainsi
consacrée laisse aux Etats-parties la possibilité de déterminer les peines en

                                                            
2019
L’auteur est Docteur en Droit, actuellement Chargé de cours à la FSJP de l’Université de Douala,
alaindikor@yahoo.fr.  
2020
Il faut entendre par là l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires. Cette
organisation a été créée le 17 octobre 1993 à Port-Louis (Île-Maurice) à la faveur de la signature du traité
l’instituant. Actuellement, l’OHADA compte 7 Etats membres et 9 Actes uniformes. Pour plus de détails
sur l’organisation, voir POUGOUE (P.-G.), Présentation générale et procédure en OHADA, PUA,
Yaoundé, 1998 ; ISSA-SAYEGH (J.), « L’OHADA, instrument d’intégration juridique », Revue de
jurisprudence commerciale, 1999, p. 237 ; « Quelques aspects techniques de l’intégration juridique :
l’exemple des Actes uniformes de l’OHADA », Revue de droit uniforme, UNIDROIT-Rome, 1999-1, p. 5 ;
KIRSCH (M.), « Historique de l’OHADA », Recueil Penant, 1998, p. 129 ; MODI KOKO BEBEY (H.-D.),
« L’harmonisation du droit des affaires en Afriques : regard sous l’angle de la théorie générale du droit,
www.juriscope.org; TIGER (Ph.), Le droit des affaires en Afrique. OHADA, Que sais-je ?, PUF, 1999.
20212021
Certains Etats ont déjà pris des textes spécifiques relatifs aux sanctions pénales. Il s’agit du Sénégal
(loi n° 98-22 du 26 mars 1998 portant sur les sanctions pénales applicables aux infractions contenues dans
l’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique), du
Cameroun (loi n° 2003/008 du 10 juillet 2003 portant répression des infractions contenues dans certains
actes uniformes OHADA) et de la République centrafricaine (loi n° 10.001 du 6 janvier 2010 portant code
pénal centrafricain).
2022
Précisément en sens articles 229 et suivants (Banqueroute) et les infractions connexes telles la
banqueroute simple (art. ) et la banqueroute frauduleuse (art. 233) ; les autres infractions relevant de
l’article 240 et suivants.
2023
Voir l’article 65 AUS. Cette incrimination était précédemment inscrite à l’article 68 de l’AUDCG. Elle
porte sur les inscriptions frauduleuses ou mensongères de sûretés mobilières.
2024
Cf. AUDCG révisé, art. 140, anciennement article 108 ; AUDCG révisé, art. 69, anciennement art. 43.
487 

 
matière pénale par l’entremise des parlements nationaux2025. Ceci a fait dire à
certains auteurs qu’il s’agit d’« une justice à deux vitesses »2026 contraire au
principe de la légalité criminelle2027. Le pluralisme du droit de l’OHADA quant
à lui dérive de sa vocation à embrasser toutes les règles relatives aux
incriminations. Les incriminations prévues en l’état actuel de ce droit sont
contenues dans l’AUDSCGIE, l’AUPCAP, l’AUDS, et l’AUDCG. Nous
limiterons notre démonstration aux incriminations contenues dans
l’AUDSCGIE. Il est certes vrai que certaines infractions économiques telles les
délits d’initiés, les délits boursiers, les délits relatifs aux valeurs mobilières
notamment n’ont pas été pris en compte ; mais, en dehors de ces cas limités,
de nombreuses infractions sont prévues par l’AUDSCGIE2028. Si par ailleurs, à
la différence de certaines législations pénales nationales2029, l’AUDSCGIE n’a
pas malheureusement consacré la responsabilité pénale des personnes
morales, celle des personnes physiques dirigeantes des personnes morales a
bel et bien été admise2030.

L’accent a d’abord été mis sur la question de la responsabilité civile


des dirigeants sociaux2031. Rarement on avait imaginé la mise en œuvre de leur
responsabilité pénale, les dirigeants étant supposés agir au nom, pour le
compte et dans l’intérêt de la société commerciale qu’ils servent, ainsi que
ceux des associés. Le droit des sociétés de l’OHADA, tout comme plusieurs
autres droits nationaux et régionaux, ne s’est pas limité à prévoir des
                                                            
2025
En ce sens, voir MOUKALA-MOUKOKO (C.), Les incriminations pénales définies dans les différents
Actes uniformes, Session de formation des Magistrats et auxiliaires de justice de l’ERSUMA tenue les 24
au 27 juillet 2012.
2026
En ce sens, voir MILINGO ELLONG (J. J.), « Les conflits de normes en matière de droits
fondamentaux : le cas de l’OHADA et de l’Union africaine », (2014) 2 B.D.E., disponible sur le site du
Bulletin de Droit Economique de l’Université de Laval ; MAHOUVE (M.), « Le système pénal OHADA
ou l’uniformisation à mi-chemin », Penant n° 846-2004, p. 87.
2027
MOUKALA-MOUKOKO (C.), loc. cit.
2028
Ces infractions sont prévues dans la Partie III (Dispositions pénales) de l’Acte. Les Etats peuvent soit
maintenir les infractions plus ou moins volontairement omises, soit les créer.
2029
Art. 20 et 205 du Code pénal de la République centrafricaine, notamment.
2030
En ce sens, voir NTONO TSIMI (G.), La responsabilité pénale des personnes morales en droit
camerounais : esquisse d’une théorie générale, mémoire DEA, FSJP-Université de Yaoundé II, octobre
2006. Bien avant cet Acte, d’autres textes tendaient déjà à la responsabilisation des dirigeants sociaux. L’on
cite notamment le Code civil de 1804(art. 1850 et 1856), le Code de commerce de 1807, la loi du 24 juillet
1867, la loi du 7 mars 1925, la loi du 14 août 1992 régissant les sociétés coopératives, la loi du 22
décembre 1992 régissant les sociétés publiques et parapubliques. Voir également Laurent Vovard, « La
responsabilité pénale des personnes morales en matière d’infractions non intentionnelles », www.village-
justice.com/articles/Illustration-mise-oeuvre, 16574.html, consulté le 01/04/2014.
2031
AKAM AKAM (A.), « La responsabilité civile des dirigeants sociaux en droit OHADA », RIDE, vol.
21, 2007, p. 211 ; MESSAI (S.), La responsabilité civile des dirigeants sociaux, thèse Université de Paris I
Panthéon-Sorbonne, 2005, 784p; MEUKE BERENGER (Y.), « Brèves réflexions sur la révocation des
dirigeants sociaux dans l’espace OHADA », Revue juridique tchadienne, n° 12, p.1, Ohadata D-05-51 ;
NEVRY (R.), « La révocation des dirigeants des sociétés commerciales : droit OHADA, droit français »,
Revue de droit international et de droit comparé, vol. 84, 2007, p. 105 ; NGOUE WILLY (J.), « La mise en
œuvre de la responsabilité des dirigeants de sociétés anonymes en droit OHADA », Ohadata D-05-52 ;
COSSI SOSSA (D.), La responsabilité des dirigeants de société et le nouveau droit de l’arbitrage interne
et international, Cotonou, CCIB, 1999.
488 

 
dispositions régissant la responsabilité civile des dirigeants sociaux, il a en
outre fixé celles des règles qui s’appliquent à leur responsabilité pénale, et
plus précisément aux règles tenant à leur incrimination. Elles tiennent aussi
bien à la constitution des sociétés (titre 1, articles 886-888), à la gérance, à
l’administration et à la direction des sociétés (titre 2, art. 889-891), aux
assemblées générales (titre 3, art. 892), aux modifications du capital des
sociétés anonymes (titre 4, art. 893-896), au contrôle des sociétés (titre 5, art.
897-900), à la dissolution des sociétés (titre 6, art. 901), à la liquidation des
sociétés (titre 7, art. 902-904), et en cas d’appel public à l’épargne (titre 8, art.
905).

La présente étude n’a pas vocation à s’étendre à la responsabilité


pénale en cas de commission d’une infraction prévue par les droits nationaux
des Etats membres2032. Elle se limitera aux infractions prévues par le droit des
sociétés de l’OHADA, dans les dispositions précitées. Elle n’a pas non plus
vocation à saisir la responsabilité pénale des dirigeants sociaux pour des faits
personnels en dehors de la qualité de dirigeants sociaux, mais plutôt pour
ceux inhérents à l’exercice de leurs fonctions. Sauf un cas précis
d’exonération, il ne s’agira pas non plus d’examiner les hypothèses très rares
où le dirigeant chef d’entreprise peut engager sa responsabilité du fait des
infractions commises par ses préposés. Ces infractions relatives au droit du
travail et au droit pénal de l’environnement constituent pour l’essentiel des
contraventions, alors que notre démonstration reposera sur les délits et les
crimes commis involontairement par les dirigeants sociaux2033. La
clarification des concepts qui posent le problème en étude constituera un
préalable nécessaire à l’analyse, lequel permettra de circonscrire de manière
précise le domaine de notre démonstration. Que faut-il en l’occurrence
entendre par responsabilité pénale ou par infraction non intentionnelle ?

Sont pénalement responsables ceux qui ont l’obligation de répondre


des infractions commises et de subir une peine correspondante fixée par le
texte qui les réprime. Les dirigeants sociaux, qu’ils soient des dirigeants de

                                                            
2032
 Pour quelques applications de ces infractions, voir notamment TCS, arrêt n° 022/CRIM/TCS du 30 août
2013, aff. MP et Etat du Cameroun (ADC) c. Ntongo Onguene Roger et Monti Ekani Gallus (détournement
des deniers publics) ; TCS, arrêt n° 002/CRIM/TCS du 31 janvier 2013, aff. MP et Etat du Cameroun
(Cameroon Civil Aviation Authority) c. Ntongo Onguene Roger et Fotso Yves Michel (détournement des
deniers publics) ; CA Littoral, arrêt n° 44/CRIM du 18 juillet 2012, aff. MP et CNIC c/ Zacchaeus
MUNGWE FORJINDAM et autres (coaction de détournement de deniers publics, intérêt dans un acte,
complicité) ; CA Littoral, arrêt n° 38/CRIM du 11 juin 2009, aff. MP et PAD c/ Siyam Siewe Alphonse,
Etonde Ekoto Eouard Nathanael, etc… (détournement de deniers publics, coaction de détournement de
deniers publics, intérêt dans un acte, escroquerie foncière et complicité ; CA Littoral, arrêt n° 72/CRIM du
30 nov. 2010, aff. MP et CUD c/ Mbassa Paul Michel, Mayinga Jacques, Etode Ekoto et Djem Jean
(détournement de deniers publics) ; CA Littoral, arrêt n° 18/CRIM du 10 mars 2009, aff. MP et Mairie de
Njombe-Penja c/ Paul Eric Kingue et autres (faux et usage en écriture publique et authentique,
détournement de deiers publics en coaction, concussion, faux dans un acte et complicité). 
2033
Pour plus de développements sur la question, voir les Actes du colloque international ERSUMA/UE
organisé les 19 et 20 mars 2015 à Douala sur La responsabilité du dirigeant social en droit OHADA.
489 

 
droit, des dirigeants de fait, ou des dirigeants apparents ou occultes2034,
n’échappent pas à la règle2035. Les dirigeants de droit, sur lesquels seront axés
nos développements, sont des personnes physiques ou morales, ou encore des
organes régulièrement désignés pour gérer la société et qui, à ce titre,
assument légalement des fonctions de direction ou d’administration en son
sein et l’engagent normalement à l’extérieur. Ont la qualité de dirigeants de
droit : les gérants dans la société de personnes et dans la société à
responsabilité limitée ; le conseil d’administration, le président-directeur
général, le président du conseil d’administration, le directeur général dans la
société anonyme et la société par action simplifiée à conseil d’administration ;
l’administrateur général dans la société anonyme et la société par action
simplifiée sans conseil d’administration.

La responsabilité pénale n’est pas un élément de l’infraction, mais


l’effet de sa conséquence juridique. Plusieurs conditions sont donc requises
pour qu’une personne, fusse t-elle dirigeant social, soit sanctionnée
pénalement. Il faut en effet qu’une infraction soit imputable au dirigeant
social2036 ; que ce dirigeant social ait commis une faute de gestion, de direction
ou d’administration2037 ; et que cette faute résulte d’un acte injustifié2038. Les
incriminations visées par l’AUDSCGIE sont en principe intentionnelles
puisqu’elles supposent la mauvaise foi de l’auteur de l’infraction. Elles
reposent sur la volonté délibérée du dirigeant de société de poser un acte
passible d’une sanction pénale. Le recours constant à l’adverbe « sciemment »
marque l’attachement du législateur régional de l’OHADA au principe
criminel de la nécessité d’une intention coupable. La plupart des infractions
contenues dans l’AUDCG, l’AUS et l’AUPCAP sont intentionnelles, d’où leur
exclusion de notre étude, laquelle ne se limitera qu’aux infractions contenues
dans l’AUDSCGIE.

Epiloguer par conséquent sur les infractions non intentionnelles peut


sembler a priori zélé, et a posteriori manquer d’objectif, l’intention criminelle
étant, à côté des éléments matériels constitutifs de l’infraction, une condition
                                                            
2034
  Au sujet de ces dirigeants, il convient de préciser que l’AUDSCGIE ne vise expressément que les
dirigeants de droit, contrairement à l’Acte uniforme du 10 avril 1998 portant organisation des procédures
collectives d’apurement du passif qui concerne tous les dirigeants, qu’ils soient de droit ou de fait,
apparents ou occultes. 
2035
  Pour plus de détails sur ce phénomène, voir Actes du colloque international ERSUMA/UE précité ;
MILINGO ELLONG (J. J.), « De la responsabilité pénale des dirigeants sociaux dans l’espace
communautaire de l’OHADA », contribution rédigée lors de l'Université d'été 2009 du Club Horizon
OHADA tenu à l'Université d'Orléans, sur La bonne gouvernance, pp. 63-66,
http://www.ohada.com/content/newsletters/643/Dossier-Pedagogique. pdf, MASCALA (C.), « « La
responsabilité pénale des dirigeants sociaux », JCP, La semaine juridique, n°3, 2001, p. 22 ; MARLY (P.),
« La responsabilité pénale des dirigeants sociaux en matière financière », in l'Université d'été 2009 du Club
Horizon OHADA, op. cit. ; NJOYA NKAMGA (B.), Les dirigeants sociaux, thèse, Université de Dschang,
2006-2007, p. 333 et s. 
2036
C’est l’imputabilité.
2037
C’est la culpabilité.
2038
C’est la non-justification.
490 

 
sine qua non de mise en œuvre de la responsabilité pénale. Elle est à
l’infraction ce que la volonté est au contrat, la source des obligations par
excellence. Dès les premières années du XIXe siècle, la Cour de cassation
française avait affirmé et réaffirmé que certaines infractions sont des
infractions matérielles2039 dans la mesure où il « suffit que le fait soit
matériellement constaté » pour que le délinquant soit répréhensible,
indépendamment de la démonstration par le ministère public d’une faute
intentionnelle ou non intentionnelle à la charge de ce délinquant2040. Les
contraventions et les délits-contraventions, c’est-à-dire les délits assimilés aux
contraventions, en sont quelques illustrations patentes. C’est sans doute ce
qu’a voulu reproduire le législateur de l’OHADA en consacrant les infractions
non intentionnelles.

La société commerciale étant une entité indispensable au


développement économique et social d’une société ou d’une communauté
donnée, il est impératif de la protéger contre toutes atteintes plus ou moins
volontaires susceptibles d’impacter sur son crédit, et précisément celles
venant des dirigeants sociaux. Une telle démarche n’est ni impossible, ni
inutile. Si elle participe indubitablement du renforcement de la responsabilité
pénale des dirigeants sociaux, elle aboutira certainement à un assainissement
du monde des affaires ainsi qu’à une démocratisation de la gestion sociale des
entreprises sous le prisme contemporain de l’exigence de la bonne
gouvernance ou de la gouvernance d’entreprise.

Concrètement, les infractions non intentionnelles renvoient aux


infractions survenues du fait de l’imprudence, de la négligence, du défaut
d’adresse et de précaution, de la maladresse ou de l’inattention du dirigeant
pénalement responsable. Elles sont indépendantes de l’intention de l’auteur et
sont réprimées en raison de la seule violation des dispositions textuelles.
L’AUDSCGIE de 1993 en avait dressé une liste allant de la constitution de la
société à sa dissolution, en passant par son organisation et son
fonctionnement. Dans le souci de protéger tous les intérêts en présence,
notamment celui de la société, des associés et des tiers, le nouvel Acte
uniforme révisé le 30 janvier 2014 et entré en vigueur le 5 mai 2014 est venu
renforcer dans certains aspects la responsabilité pénale des dirigeants sociaux
du fait de ces infractions.

L’idéal ne serait donc pas ici de se cantonner à une présentation


schématique des hypothèses de responsabilité pénale des dirigeants sociaux
pour chuter sur sa mise en œuvre et ses effets. Il s’agira plutôt, dans une
perspective constructive et évolutive, de ressortir le dynamisme de la

                                                            
2039
Cf. Crim., 22 février 1844, B., 59 ; Crim., 12 mai 1871, S., 1872.1.48 ; Crim., 16 juillet 1898, S.,
1900.1.109 ; Crim., 22 novembre 1912, B., 570 ; Crim., 7 mars 1918, S., 1921.1.89.
2040
Cf. MERLE (R.) et VITU (A.), Traité de droit criminel. Problèmes généraux de la science criminelle.
Droit pénal général, t.1, Paris, 5e éd. Cujas 1984, ° 555, p.695.
491 

 
responsabilité pénale des dirigeants, afin de proposer des éléments pouvant
permettre à ceux-ci d’échapper à leur mise en œuvre à travers des formules
plus ou moins textuelles. Au regard de l’extension des pouvoirs des dirigeants
sociaux, leur responsabilité mérite également d’être renforcée. C’est
reconnaitre qu’en réalité, la responsabilité pénale des dirigeants sociaux est à
la mesure de leurs pouvoirs2041. La question centrale qui se pose est celle de
l’effectivité de la responsabilité pénale des dirigeants sociaux du fait des
infractions non intentionnelles. En filigrane, quelle serait l’étendue de cette
responsabilité ? Mieux, son régime est-il identique à celui des infractions
intentionnelles ?
Un constat s’impose. L’on observe en effet que si le législateur de
l’OHADA a renforcé la responsabilité pénale des dirigeants sociaux, même en
présence d’infractions non intentionnelles, il est certain que cette
responsabilité demeure restreinte. Cette restriction est observable tant au
niveau de la consécration de cette responsabilité qu’au niveau des hypothèses
d’exonération. Concrètement, la responsabilité pénale des dirigeants sociaux
du fait d’infractions non intentionnelles a été consacrée de façon timorée
d’une part (I.) et, d’autre part, sa mise en œuvre peut toujours être évitée (II.).

I. Une consécration timorée de la responsabilité pénale


des dirigeants sociaux du fait d’infractions non
intentionnelles

Comme la responsabilité civile, la mise en œuvre de la responsabilité


pénale suppose la réunion de plusieurs conditions : la faute, le dommage et le
lien de causalité. Mais, contrairement à la responsabilité civile qui obéit à des
méthodes précises, la responsabilité pénale s’opère de la même manière que le
droit commun de la responsabilité. Lorsqu’une infraction est constatée, elle ne
peut être mise en œuvre qu’au travers d’une action publique ou civile.
L’infraction repose non seulement sur l’incrimination, mais également sur la
sanction. En droit des affaires de l’OHADA, le législateur a non seulement
limité les incriminations résultant d’infractions non intentionnelles (A.), mais
également dispersé les sanctions attachées à ces incriminations (B.).

A. La limitation des incriminations

Incriminer c’est ériger un fait en infraction, c’est-à-dire en crime, en


délit ou en contravention. En vertu de l’article 5 du traité constitutif de
l’OHADA de 1993, « (1) Les actes pris pour l'adoption des règles communes
prévues à l'article premier du présent traité sont qualifiés "actes uniformes".
(2) Les actes uniformes peuvent inclure des dispositions d'incrimination
pénale. (3) Les Etats Parties s'engagent à déterminer les sanctions pénales
encourues. ». La troisième partie de l’AUDSCGIE a inclus de nombreuses
                                                            
2041
Sur ces pouvoirs, voir KUASSI (F.-K.), « Les pouvoirs du dirigeant de société commerciale en droit
uniforme de l’OHADA », Rev. Soc. 2013, p. 467.
492 

 
dispositions d’incriminations concernant des infractions non intentionnelles.
L’on constate à l’observation que leur champ d’application est très limité.

En effet, parmi les vingt et unes dispositions pénales que comptent la


partie 3 de l’AUDSCGIE, seules sept sont consacrées à la responsabilité pénale
des dirigeants sociaux du fait d’infractions non intentionnelles. Bien qu’elles
ne couvrent pas l’ensemble des domaines encadrés par cette partie, les
incriminations prévues touchent tout de même à quatre domaines sensibles
des sociétés commerciales.

La première incrimination est relative à la constitution des sociétés.


Elle est prévue à l’article 886 dudit Acte. En vertu de cette disposition,
« Constitue une infraction pénale, le fait, pour les fondateurs, le président-
directeur général, le directeur général, l'administrateur général ou
l'administrateur général adjoint d'une société anonyme d'émettre des actions
avant l'immatriculation ou à n'importe quelle époque lorsque
l'immatriculation est obtenue par fraude ou que la société est
irrégulièrement constituée. ». Deux hypothèses sont envisageables ici : celle
où l’émission des actions est consécutive à une immatriculation frauduleuse ;
et celle où cette émission intervient lorsque la société est irrégulièrement
constituée. Si la première hypothèse suppose une intention coupable, la
seconde concerne bel et bien une infraction non intentionnelle. L’irrégularité
dans la constitution d’une société commerciale peut être volontaire ou non. Il
s’agit d’un préalable à l’infraction, qui concerne l’inobservation de certaines
règles relatives à la constitution des sociétés anonymes. Le non respect du
nombre minimal d’actionnaires, le défaut de souscription intégrale du capital,
les irrégularités dans la libération d’actions, le défaut de publication de la
notice d’information s’agissant des sociétés anonymes faisant appel public à
l’épargne en constituent quelques exemples.

Le législateur de l’OHADA ne requiert donc pas dans ce cas une


intention frauduleuse, c’est la matérialité de la faute qui est nécessaire bien
qu’elle soit présumée. Il s’agit des délits de fonction car le législateur a
souhaité sanctionner certaines infractions commises par les dirigeants sociaux
dans l’exercice de leurs fonctions. Il les a alors limités à la société anonyme et
à la société par actions simplifiées alors qu’il pouvait l’étendre à toutes les
formes de sociétés2042.

Pour échapper à la mise en œuvre de leur responsabilité pénale du fait


de ces infractions non intentionnelles, il revient aux fondateurs, aux
                                                            
2042
Ce qui ne sous-entend pas une transposition systématique et automatique des infractions non
intentionnelles des sociétés de capitaux aux sociétés des personnes, compte tenu des particularités de
chaque type de société. Dans ce cas, le législateur peut prévoir une disposition suivant laquelle « Constitue
une infraction pénale, le fait, pour les fondateurs ou les gérants d'une société en nom collectif, d’une société
en commandite simple d'émettre des parts avant l'immatriculation ou à n'importe quelle époque lorsque
l'immatriculation est obtenue par fraude ou que la société est irrégulièrement constituée. ».
493 

 
présidents directeurs généraux, aux directeurs généraux, aux administrateurs
généraux ou aux administrateurs généraux des sociétés anonymes de vérifier
la régularité de la constitution de ladite société avant de procéder à l’émission
de titres. L’immatriculation de la société constituant une étape essentielle à la
vie de la société, celle qui lui confère notamment la personnalité juridique, il
va de soi que certaines opérations d’importance telles que l’émission d’actions
ne doivent être effectuées qu’en l’absence d’irrégularités dans sa constitution.

Les deuxièmes, les plus nombreuses, sont inhérentes à l’augmentation


du capital. Elles sont prévues aux articles 893, 893-1 et 894 de l’AUDSCGIE.
D’après l’article 893, encourent des sanctions pénales les dirigeants de SA ou
de SAS qui émettent des actions ou des coupures d’actions avant
l’établissement du certificat du dépositaire, en cas d’irrégularités des
formalités préalables à l’augmentation du capital, la non libération intégrale
du capital antérieurement souscrit ou de la prime d’émission, la non libération
des actions nouvelles d’un quart au moins de leur valeur nominale au moment
de la souscription, le non maintien des actions de numéraire sous forme
nominative jusqu’à leur entière libération. On le voit bien, cette responsabilité
ne concerne que les dirigeants de sociétés de capitaux.

L’article 894 de l’AUDSCGIE est également limitée aux sociétés de


capitaux (SA et SAS)2043. Dans cette disposition, le législateur de l’OHADA
entend protéger non seulement les actionnaires, mais également les
obligataires. L’augmentation de capital peut se traduire par l’entrée de
nouveaux actionnaires dans la société, lesquels viendront inéluctablement
concurrencer les actionnaires anciens. Pour protéger ces derniers, le
législateur de l’OHADA leur a accordé un droit préférentiel de souscription, et
a étendu ce droit à certains obligataires, notamment ceux qui sont titulaires de
bons de souscription.

En matière d’émission de titre avant la reforme, l’AUDSCGIE a laissé


planer le doute sur l’émission irrégulière de parts sociales lors de
l’augmentation du capital. Désormais, le législateur a renforcé la
responsabilité des gérants de SARL2044 en prévoyant à l’article 893-1 dudit
Acte que ceux-ci encourent une responsabilité pénale lorsqu’ils émettent des
parts sans que ces nouvelles parts n’aient été libérées de la moitié au moins de
                                                            
2043
 « Encourent des sanctions pénales, les dirigeants sociaux qui, lors d'une augmentation de capital :
1°) n'auront pas fait bénéficier les actionnaires, proportionnellement au montant de leurs actions, d'un
droit préférentiel de souscription des actions de numéraire lorsque ce droit n'a pas été supprimé par
l'assemblée générale et que les actionnaires n'y ont pas renoncé ;
2°) n'auront pas fait réserver aux actionnaires un délai de vingt jours au moins, à dater de l'ouverture de la
souscription, sauf lorsque ce délai a été clos par anticipation ;
3°) n'auront pas attribué les actions rendues disponibles, faute d'un nombre suffisant de souscription à titre
irréductible, aux actionnaires qui ont souscrit à titre réductible un nombre d'actions supérieur à celui qu'ils
pouvaient souscrire à titre irréductible, proportionnellement aux droits dont ils disposent ;
4°) n'auront pas réservé les droits des titulaires de bons de souscription. ».
2044
C’est-à-dire une société à responsabilité limitée.
494 

 
leur valeur nominale au moment de la souscription. « Cette exigence rappelle
les nouvelles dispositions qui rendent désormais possibles la libération de la
moitié au moins des parts représentant des apports en numéraire pour les
sociétés à responsabilité limité, contre la libération de la totalité avant leur
entrée e vigueur »2045. Comme pour les précédentes infractions, aucune
intention criminelle n’est requise pour que l’infraction soit constituée. Celle-ci
est la résultante de l’émission de parts nouvelles et vise à « protéger les
anciens associés et parer à toute éventualité d’émission irrégulière de parts
sociales »2046.

Les troisièmes tiennent au contrôle des sociétés et sont prévues à


l’article 897 de l’AUDSCGIE. En vertu de cette disposition, « encourent une
sanction pénale, les dirigeants sociaux qui n'ont pas provoqué la désignation
des commissaires aux comptes de la société ou ne les ont pas convoqués aux
assemblées générales. ». Le contrôle des comptes sociaux est une obligation
légale d’ordre public exercé soit par les associés, soit en principe par les
commissaires aux comptes. Il est le gage de la fiabilité de l’information
financière donnée aux différentes parties prenantes. Or, il peut arriver que les
dirigeants sociaux fassent obstacle aux vérifications des commissaires aux
comptes, ou refusent de leur communiquer des documents utiles. La sanction
du défaut de désignation du commissaire aux comptes et ou celui de leur
convocation à l’assemblée générale constitue un moyen nécessaire et efficace
pour parer à cette situation.

Les quatrièmes enfin se rapportent à l’appel public à l’épargne. Elles


sont régies par les articles 905 de l’AUDSCGIE2047. L’émission des valeurs
mobilières doit respecter un certain formalisme, une certaine publicité, à
défaut de quoi les dirigeants sociaux émetteurs peuvent engager leur
responsabilité pénale. L’exigence du respect des règles de publicité
préalablement à l’émission de valeurs mobilières vise à assurer une plus
                                                            
2045
PriceWaterHouseCoopers, OHADA. Principales innovations de l’Acte uniforme révisé du 30 janvier
2014, 2014.
2046
Op. cit.
2047
  « Encourent une sanction pénale, les présidents, les administrateurs ou les directeurs généraux de
société qui ont émis des valeurs mobilières offertes au public :
1°) Sans qu'une notice soit insérée dans un journal habilité à recevoir les annonces légales, préalablement
à toute mesure de publicité ;
2°) Sans que les prospectus et circulaires reproduisent les énonciations de la notice prévue au 1°) du
présent article, et contiennent la mention de l'insertion de cette notice au journal habilité à recevoir les
annonces légales avec référence au numéro dans lequel elle a été publiée ;
3°) Sans que les affiches et les annonces dans les journaux reproduisent les mêmes énonciations, ou tout au
moins un extrait de ces énonciations avec référence à ladite notice, et indications du numéro du journal
habilité à recevoir les annonces légales dans lequel elle a été publiée ;
4°) Sans que les affiches, les prospectus et les circulaires mentionnent la signature de la personne ou du
représentant de la société dont l'offre émane et précisent si les valeurs offertes sont cotées ou non et, dans
l'affirmative, à quelle bourse.
La même sanction pénale sera applicable aux personnes qui auront servi d'intermédiaires à l'occasion de
la cession de valeurs mobilières sans qu'aient été respectées les prescriptions du présent article. ». 
495 

 
complète information des porteurs de valeurs mobilières. Les dirigeants
sociaux doivent en effet assurer une large publicité de la situation de la société
qu’ils dirigent ainsi que les résultats de leur société pour une meilleure
protection des épargnants. La recherche de protection des intérêts des
épargnants et de l’épargne a sans doute été l’élément déclencheur des
poursuites pénales dirigées contre les dirigeants de la Communauté Urbaine
de Douala dans le cadre de l’emprunt obligataire de sept milliards lancé le
mars 2005 au Douala Stock Exchange2048. Une fois de plus, cette exigence se
limite aux sociétés par actions de l’OHADA. Cette limitation révèle la volonté
du législateur de l’OHADA de ne pas étendre hors proportion la responsabilité
des dirigeants sociaux du fait de leurs infractions non intentionnelle.

B. La dispersion des sanctions

La responsabilité pénale des dirigeants des sociétés commerciales de


l’OHADA peut être engagée du fait d’infractions non intentionnelles.
L’AUDSCGIE a prévu de nombreuses incriminations, et les législateurs
nationaux doivent prendre des sanctions y afférentes. A ce jour, seules trois
Etats membres ont pris des textes dans ce sens : le Sénégal à travers la loi n°
98-22 du 26 mars 1998 portant sur les sanctions pénales applicables aux
infractions contenues dans l’acte uniforme relatif au droit des sociétés
commerciales et du groupement d’intérêt économique, le Cameroun par le
biais de loi n° 2003/008 du 10 juillet 2003 portant répression des infractions
contenues dans certains actes uniformes OHADA, et la République
centrafricaine à travers la loi n° 10.001 du 6 janvier 2010 portant code pénal
centrafricain.

Les sanctions découlant des infractions commises non


intentionnellement par les dirigeants sociaux de l’OHADA sont prévues aux
articles 8, 9 et suivants pour ce qui est de la loi sénégalaise, aux articles 11, 12,
15 et 23 en ce qui concerne la loi camerounaise, et aux articles 211, 217, 218,
221 et 229 du code pénal centrafricain. L’observation de ces dispositions
révèle une totale dispersion des sanctions, toutes choses qui cadrent mal avec
les impératifs poursuivis de sécurité, de fiabilité et d’efficacité.

S’agissant en l’occurrence de l’émission d’actions en cas d’irrégularités


à l’occasion de la constitution de la société, prévue à l’article 886 de
l’AUDSCGIE, la disparité des sanctions est patente. Par ordre croissant de
gravité, la loi sénégalaise a retenu comme peine une amende de 100.000 à
1.000.000 FCFA ; la loi camerounaise a prévu une peine allant de 3 mois à 3
ans de prison et une amende de 500.000 à 5.000.000 FCFA ou l’une des deux
peines seulement ; et la loi centrafricaine retient une peine d’emprisonnement
                                                            
2048
En ce sens, voir TGI Wouri, jugement criminel du 12 octobre 2012, aff. MP et CUD Finance c/ Etondè
Ekotto Edouard ; Paul Michel Lamine Mbassa, et autres.
496 

 
de 1 à 5 ans et/ou une amende de 1.000.000 à 5.000.000 FCFA. L’on
comprend que si le Sénégal ne retient qu’une peine d’amende, le Cameroun et
la République centrafricaine sont assez répressifs dans la mesure où en plus
d’une amende 5 fois plus élevée, ils retiennent des peines d’emprisonnement.

La dispersion des sanctions s’observe également au sujet des


infractions inhérentes à l’augmentation du capital. Ces dernières, nous l’avons
dit, sont prévues aux articles 893, 893-1 et 894 de l’AUDSCGIE.

En cas de violation de l’article 893, la sanction varie d’un pays à un


autre. L’on observe alors que si au Sénégal, la sanction retenue est de 100.000
à 1.000.000 FCFA d’amende, et 1 mois à 1 an d’emprisonnement, au
Cameroun cette sanction est plutôt de 3 mois à 3 ans d’emprisonnement et
d’une amende de 100.000 à 1.000.000 FCFA ou l’une des deux peines, tandis
qu’elle qu’en République centrafricaine, elle est d’une peine
d’emprisonnement de 1 à 5 ans, et/ou d’une amende de 1.000.000 à
5.000.000 FCFA.

Pour ce qui est de la violation de l’article 894, la loi sénégalaise prévoit


une amende de 100.000 à 1.000.000 FCFA. Au Cameroun cette sanction est
plutôt de 3 mois à 3 ans d’emprisonnement et d’une amende de 100.000 à
1.000.000 FCFA ou l’une de ces deux peines seulement, tandis qu’elle qu’en
République centrafricaine, elle est d’une peine d’emprisonnement de 1 à 5 ans,
et/ou d’une amende de 1.000.000 à 5.000.000 FCFA.

L’article 893-1 étant nouveau, il conviendra aux Etats membres de


prendre des mesures pour articuler ces lois aux nouvelles dispositions de
l’AUDSCGIE.

La sanction de la violation de l’article 897 de l’AUDSCGIE relatif au


défaut de désignation des commissaires aux comptes et de leur convocation
aux assemblées générales diffère également d’un pays à un autre. Au Sénégal,
la loi prévoit une amende de 100.000 à 1.000.000 FCFA, et 1 mois à 1 an
d’emprisonnement, ou l’une de ces deux peines seulement. Au Cameroun, la
peine retenue est de 2 à 5 ans d’emprisonnement, et une amende de 500.000
à 5.000.000 FCF, ou l’une de ces deux peines. En République centrafricaine
enfin, les dirigeants responsables encourent une peine d’emprisonnement de
6 mois à deux ans et/ou d’une amende de 500.000 à 2.000.000 FCFA.

Cette disparité de la sanction s’observe également en cas de violation


de l’article 905 sur l’émission des valeurs mobilières en méconnaissance des
exigences de publicité. Au Sénégal, la peine retenue est une amende de
200.000 à 2.000.000 FCFA. Au Cameroun, il faut compter 3 mois à 3 ans
d’emprisonnement, et une amende de 100.000 FCFA, ou de l’une de ces deux
peines seulement ; et en République centrafricaine, il s’agit d’une peine
d’emprisonnement de 1 à 5 ans, et/ou d’une amende de 1.000.000 à
5.000.000 FCFA.
497 

 
Une telle disparité appelle nécessairement une harmonisation au
regard des objectifs que s’est assignée l’OHADA. Contrairement aux dires de
certains auteurs, si l’harmonisation du régime de responsabilité des dirigeants
sociaux de l’OHADA porte un sérieux coup au principe de la légalité
criminelle, il est fort contestable – l’OHADA étant l’œuvre des Etats – de
penser, sinon en théorie, que la souveraineté de ces Etats volera en éclat2049. Il
est des domaines où les Etats ont abandonné leurs missions régaliennes entre
les mains des particuliers sans que ces domaines n’affectent la souveraineté. Il
n’est pas impossible, l’OHADA étant une affaire des Etats, que le droit pénal
des affaires soit entièrement confié à l’OHADA, lequel procédera soit de
préférence par l’insertion des sanctions identiques dans l’AUDSCGIE, soit
exceptionnellement par l’adoption d’un Acte uniforme, qu’il faudra revoir
chaque fois qu’un Acte est révisé. Mais, la responsabilité pénale étant sérieuse
pour les dirigeants de sociétés et pour les sociétés elles-mêmes, il convient de
prendre les mesures permettant au mieux de les en exonérer. C’est ce qu’il
convient désormais d’appréhender.

II. L’évitement de la responsabilité pénale des dirigeants


sociaux du fait des infractions non intentionnelles

Le dirigeant social auteur d’une infraction non intentionnelle doit en


assumer les conséquences en versant une amende et/ou en supportant une
peine privative de liberté dont le quantum est prévu par un texte. Il arrive
parfois que ce dirigeant commette des faits qui, matériellement, constituent
une infraction, et qu’il ne tombe pas sous le coup de la loi répressive. C’est
généralement le cas en présence des causes de non-imputabilité2050 ou des
faits justificatifs2051. L’AUDSCGIE n’a pas tenu compte de ces différentes
hypothèses qui ressortissent de la compétence du législateur national.

Il arrive également que, sans qu’il ait l’intention de commettre


l’infraction, le dirigeant social répréhensible s’exonère de sa responsabilité.
Les hypothèses d’évitement de la responsabilité pénale dans ce cas, bien que
peu courantes, n’en sont pas moins présentes. Certaines sont volontaires
parce qu’elles émanent de la volonté des dirigeants sociaux, chefs d’entreprise.
                                                            
2049
En réalité, on ne peut pas reprocher à un législateur national souverain de retenir des sanctions pénales
différentes des autres législateurs nationaux. On ne peut pas non plus systématiquement reprocher à
l’OHADA d’avoir refusé de s’engouffrer dans la détermination des sanctions. Les écarts économiques et
autres entre les économies des Etats membres confortent davantage cette posture dans un souci
d’adaptabilité et d’efficacité. Mais, l’impératif d’intégration économique constitue une raison suffisante
pour pallier ces divergentes inter-étatiques. A défaut d’harmonisation de la législation pénale, le législateur
de l’OHADA aurait tout au moins pu, que de faire preuve de poncepilatisme, prévoir des règles de conflits
de lois au cas où plusieurs textes nationaux applicables seraient en conflit. Dans ce sens, le lieu de la
commission de l’infraction devrait être retenu, et conditionner la sanction applicable.
2050
L’on peut notamment citer : le délabrement mental, la contrainte irrésistible et l’erreur sur le droit.
2051
Il s’agit de l’ordre de la loi, la légitime défense, l’état de nécessité et le consentement de la victime.
498 

 
Elles découlent alors de la délégation du pouvoir patronal (A.). D’autres en
revanche sont involontaires parce qu’elles dérivent de l’écoulement du temps,
qu’ils soient chefs d’entreprise ou organe de la société. La prescription
constitue dans ce cas un exemple de choix (B.).

A. L’évitement de la responsabilité par la délégation de


pouvoir

En matière pénale, la délégation de pouvoir ou de compétence est l’un


des multiples mécanismes exonératoires de responsabilité par lequel un
dirigeant social apporte la preuve qu’il a délégué ses pouvoirs à un préposé
investi par lui et pourvu de la compétence, de l’autorité et des moyens
nécessaires pour veiller à la bonne observation des dispositions en vigueur,
avec pour effet de transférer sa responsabilité au délégataire. Cette longue
définition contient les conditions et les effets du mécanisme de délégation de
pouvoir. En France, la délégation des pouvoirs a été consacrée dès la fin du
XIXe siècle, mais ce n’est que progressivement que la jurisprudence va
dégager les contours de ce mécanisme que le législateur s’était refusé à
consacrer jusqu’à la loi du 13 mai 1996.

En droit pénal de l’espace OHADA, le législateur n’a pas encore


consacré le mécanisme de la délégation du pouvoir. Plusieurs dispositions de
l’AUDSCGIE fixent des règles relatives à l’empêchement des dirigeants
sociaux, qu’il ne faut pas confondre avec le mécanisme de la délégation des
pouvoirs, lequel opère en cas d’empêchement ou non. Limitées aux sociétés
anonymes, alors que la délégation peut jouer dans toute forme de société2052,
ces dispositions prévoient qu’en cas d’empêchement temporaire2053 du
président directeur général (art. 468), du président du conseil
d’administration (art. 491), de l’administrateur général (art. 508)2054, le
conseil d’administration peut déléguer, pendant la durée qu’il fixe, un autre
administrateur ou directeur général dans ces fonctions. En cas
d’empêchement de l’administrateur général, ses fonctions sont exercées par
l’administrateur général adjoint ou par toute personne que l’assemblée
générale ordinaire des actionnaires juge bon de désigner.

La situation est identique s’agissant du juge national ou régional de


l’espace OHADA, qui, malgré la pratique réelle du pouvoir de délégation, n’a
pas à notre connaissance consacré ce mécanisme. C’est l’un des juges du
monde qui recourt très peu à son pouvoir normateur. Pourtant, comme
l’observent Jacques BORRICAND et Anne-Marie SIMON, « le seul mécanisme
exonératoire efficace est la délégation de pouvoir à un subordonné »2055. Il

                                                            
2052
A l’exception bien entendu de celles où le dirigeant social a les moyens de tout contrôler seul.
2053
L’idée d’empêchement définitif étant très éloignée des rives de la délégation des pouvoirs.
2054
L’article 728 fixe les règles similaires en cas d’empêchement du commissaire aux comptes.
2055
Droit pénal. Procédure pénale, éd. Sirey, 1998, p. 130.
499 

 
serait donc intéressant pour ces jurislateurs de s’inspirer des solutions ayant
déjà fait leur preuve sous d’autres cieux, pour les adapter à leur
environnement juridique. Un tel encadrement aura d’ailleurs l’avantage de
l’isoler des mécanismes qui lui ressemblent.

En fait, la délégation suppose pour sa validité un certain nombre de


conditions2056. D’après la jurisprudence française de 1993, le dirigeant social
« a délégué ses pouvoirs à un préposé investi par lui et pourvu de la
compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires pour veiller efficacement
à l’observation des prescriptions réglementaires ». C’est dire premièrement
que le principe de la délégation suppose l’existence d’une subordination
salariale entre le délégant et le délégataire2057. Dans les cas d’empêchement
prévus par le droit OHADA, il ne s’agit pas d’une hypothèse de subordination.
Il faut encore deuxièmement que le délégataire qui accepte la délégation ait
été désigné par le délégant. Or, dans la plupart des cas d’empêchement prévus
par l’OHADA, le dirigeant est désigné par le conseil d’administration, les
statuts ou l’assemblée générale ordinaire. Troisièmement par ailleurs, en
choisissant son délégataire, le délégué doit s’assurer que celui-ci dispose des
compétences techniques requises et de l’autorité suffisante pour remplir une
tâche ou la faire remplir par les employés placés sous son autorité.
Quatrièmement enfin, le délégué doit mettre à la disposition du délégataire les
moyens suffisants à la réalisation de la mission déléguée. Elle n’est pas un
« abandon de pouvoir », c’est la raison pour laquelle il importe de la limiter
temporellement dans un domaine précis. Sa preuve pouvant se faire par tous
moyens, elle incombera à celui qui l’invoque. Une délégation qui ne remplit
pas ces conditions produira difficilement, de manière pleine et entière, toute
son efficacité, celle d’une « mesure de saine gestion de l’entreprise »2058.

L’hypothèse d’une subdélégation de pouvoirs peut être envisagée en


droit de l’OHADA. Mais, en l’état actuel des mentalités, et de la cascade des
responsabilités que ce mécanisme pourrait entraîner, il semble plus sécurisant
de le déconseiller. Encore que la prescription, comme la délégation, constituer
un moyen d’évitement de la responsabilité des dirigeants sociaux.

B. L’évitement de la responsabilité par la prescription


de l’action

                                                            
2056
Les solutions retenues ici sont celles qui ont été retenues par la Cour de cassation françaises dans pas
moins de cinq arrêts rendus le 11 mars 1993.
2057
L’hypothèse de la délégation est néanmoins envisageable dans les sociétés de groupe où le membre de
la société filiale, le délégataire, est placé sous une autorité hiérarchique et non sous une subordination
salariale.
2058
Christophe LANDAT, « La prévention du risque pénal du dirigeant d’entreprise : la délégation de
pouvoirs », www.village-justice.com/articles/prevention-risque-penal-dirigeant,7412.html, consulté le
01/04/2014. Adde Paul BUISSON, « Comment se protéger contre le risque pénal lorsque l’on est dirigeant
d’entreprise ? », www.village-justice.com/articles/protection-risque-pénal,6917.html, consulté le
01/04/2014.
500 

 
Comme le procès, l’action en justice s’inscrit dans le temps. Les
personnes victimes d’une infraction commise plus ou moins
intentionnellement par les dirigeants sociaux doivent agir dans un temps
déterminé2059. Le défaut d’agir au-delà d’un certain temps entraîne l’extinction
de l’action et rend de ce fait toute poursuite impossible. C’est la prescription
de l’action en matière pénale2060.

Contrairement à la prescription de l’action des dirigeants sociaux en


matière civile, qui obéit à un régime de responsabilité abrégé2061, l’action en
responsabilité pénale des dirigeants sociaux semble plus rigoureuse, bien
qu’elle ne s’inscrive pas forcément dans la même logique que le régime de
responsabilité de droit commun. Au Cameroun par exemple, en droit commun
de la responsabilité pénale, l’action publique se prescrit par 10 ans pour les
crimes, 3 ans pour les délits et 1 an pour les contraventions. Les infractions
prévues par le droit OHADA ne sont pas d’ordre contraventionnel. C’est ce qui
justifie aussi l’exclusion des infractions commises non intentionnellement par
les dirigeants sociaux en leur qualité de chef d’entreprise qui pour la plupart
sont des contraventions, et relèvent du domaine du droit du travail ou de
l’environnement. L’action civile en revanche, en ce qu’elle tend à la réparation
du dommage causé par une infraction, se prescrit selon qu’elle est exercée
devant la juridiction répressive ou civile. Lorsqu’elle est exercée devant la
juridiction répression, elle se prescrit selon les règles de l’action publique,
c’est-à-dire 10 ans pour les crimes, 3 ans pour les délits et 1 an pour les
contraventions. Lorsqu’elle en en revanche mise en œuvre devant la
juridiction civile, elle se prescrit selon les règles du Code civil, c’est-à-dire en
principe 30 ans.

Au pénal en effet, il faut se rendre compte pour le regretter, le


législateur « ohadien » n’a malheureusement pas harmonisé le régime de la
prescription des actions en responsabilité pouvant être dirigées contre les
dirigeants sociaux. S’il a en effet prévu les délais de prescription de l’action
lorsque les faits dommageables sont qualifiés de crimes, il est resté silencieux
lorsque ces faits constituent des délits.

Qu’il s’agisse des infractions commises lors de la constitution de la


société, de son fonctionnement et de sa dissolution, l’AUDSCGIE a retenu un
régime unitaire de 10 ans lorsque le fait dommageable est qualifié de crime.
                                                            
2059
Lequel ne doit pas être confondu avec le temps dans lequel s’inscrit le déroulement du procès.
2060
Elle se distingue de la prescription de la peine. Toute peine qui n’a pas été mise à exécution dans le
délai de 20 ans pour les crimes, 5 ans pour les délits, et 3 ans pour les contraventions ne peut plus être
subie.
2061
En effet, pour limiter dans le temps la responsabilité civile qui pèse sur les dirigeants sociaux, le délai
de prescription abrégé de trois ans a été retenu dans tous les (alors qu’il est de 10 ans en droit commun de la
responsabilité), à l’exception de deux hypothèses : 5 ans pour les actions contre les associés non
liquidateurs ou leurs conjoints survivants, héritiers ou ayants-causes ; et de 6 mois pour les actions en
nullité d’une fusion. en ce sens, voir les articles 77, 80, 164, 165, 170, 221, 222,251, 256, 316, 332, 346,
445, 727, 739, 743 de l’AUDSCGIE.
501 

 
C’est notamment le cas de l’action individuelle (art. 164 al. 2), l’action sociale
(art. 170 al. 2), l’action individuelle ou sociale contre le gérant (art. 332),
contre les administrateurs ou l’administrateur général (art. 743)2062.

Dans le silence de l’AUDSCGIE en matière de délits, il est fort


probable que le délai de prescription de l’action de droit commun soit retenu ;
toutes choses qui risquent de créer des disparités dans la mise en œuvre cette
responsabilité. En droit pénal camerounais précisément, ce délai est de 3 ans.

Dans tous les cas, la prescription qu’elle soit de 3 ou de 10 ans court à


compter du jour où le délit ou le crime est apparu, de sa révélation s’il a été
dissimulé, et a pu être constaté dans les conditions permettant l’exercice de
l’action publique ou civile.

Cette harmonisation du régime des actions en responsabilité participe


sinon d’un souci d’efficacité dans leur mise en œuvre, du moins dans la
recherche d’une meilleure sauvegarde des intérêts de toutes les parties en
présence. Une telle démarche mériterait tout de même d’être revisitée,
s’agissant précisément du point de départ du délai de prescription de l’action.
En application de l’AUDSCGIE, le point de départ de ce délai est le fait
dommageable ou sa révélation. Comme dans l’exercice du pouvoir politique en
Afrique, la tendance à la perpétuation des dirigeants sociaux dans la gestion,
la direction et l’administration des affaires sociales est avérée. Cela présente
de retarder ou d’annihiler complètement l’exercice de cette action. En effet, il
y a le risque que par des manœuvres plus ou moins directes, le fait
dommageable ou sa révélation ne se fasse pas, sinon que longtemps après que
le dirigeant social ait quitté la société.

Il convient donc, si tant il est vrai que l’action en responsabilité


permet d’assainir le monde des affaires et que la prescription concourt à la
même finalité en lavant les souffrances endurées, il est tout à fait convenable
de prévoir que cette révélation jouera même si les dirigeants sociaux
pénalement responsables ne sont plus en fonction dans la société. Et ce ne
sera que justice car comme le disait Portalis dans son discours préliminaire du
Code civil, « La lecture des lois pénales d’un peuple peut donner une juste
idée de sa morale publique et de ses mœurs privées ».

                                                            
2062
Sur les d’autres actions en responsabilité, voir les articles 221 (contre le liquidateur), 727 (contre le
commissaire aux comptes).
502 

 
« L’assurabilité du risque de développement dans l’espace CIMA ? »
Par BEKADA EBENE Christiane Nicole
Assistante à la faculté des sciences juridiques et politiques
Université de Douala

Le développement technologique et scientifique du monde contemporain


revêt de plus en plus un caractère progressif considérablement accentué. Cette vitesse
qui s'accroît du jour au jour se voit dans tous les domaines qui touchent la vie du
consommateur. Ainsi le domaine industriel n'a pas fait l'exception, car divers produits
sont fabriqués et mis sur le marché pour être consommés par le public sous la seule
condition d'en payer le prix convenu2063. En effet, la mise en circulation de ces
produits ne va pas sans risques, certains défauts peuvent être découverts plus tard,
surtout lorsque ceux-ci ont été prouvés grâce à un progrès de connaissances très
avancé. Il est alors évident que ces défauts soient la cause, d'une manière ou d'une
autre, d’éventuels. Ce qui implique la nécessité de réparation des dommages subis par
les victimes du fait des produits défectueux. D’ailleurs, dans la plupart des pays
africains en voie de développement, l’on assiste régulièrement au retrait des produits
sur le marché pour des raisons d’insécurité2064.
Par produit défectueux, on entend « tout meuble naturel ou industriel,
brut ou manufacturé, même incorporé dans un autre meuble ou immeuble qui n’offre
pas la sécurité à la quelle on peut légalement s’attendre »2065. Selon l’article 1386 du
code civil français, un produit est défectueux lorsqu’il n’offre pas la sécurité à
laquelle on peut légitimement s’attendre. Pour une certaine doctrine2066, le produit est
défectueux lorsqu’il n’est pas conforme à l’attente légitime de celui auquel il est
fourni en exécution d’un contrat, parce qu’il n’a pas les qualités convenues ou qu’il
n’est pas apte à l’usage auquel on le destine.
De toutes ces définitions, l’on peut retenir qu’un produit défectueux est
celui qui est impropre à la consommation. La défectuosité d’un produit peut être
actuelle ou future. Elle est actuelle lorsqu’il est possible de la déceler dès la
fabrication du produit. Ici, l’origine du défaut se situe toujours en cours d’exploitation
de l’entreprise. Il peut s’agir « d’une erreur, une maladresse ou de la négligence
commise à l’occasion d’une opération intellectuelle ou technique lors de la
conception, de la fabrication, du conditionnement ou de la distribution du produit
»2067. Cette défectuosité peut recouvrir différentes situations, notamment le vice

                                                            
2063
A. M. NGAGI, La protection des intérêts économiques des consommateurs dans le cadre du
libéralisme économique en droit rwandais, UNR, Butare, 2005, p. 277.
2064
Dans le domaine de la santé, l’utilisation de certains médicaments a été proscrite malgré la réticence
des médecins et des patients. C’est le cas du flavoquine, de l’artequin, du quinimax et bien d’autres encore.
En matière d’alimentation, l’on assisté récemment au retrait de certaines pattes alimentaire sur le marché
camerounais. Ces exemples se multiplient au fil du temps.
2065
Article 2.c de la convention de Strasbourg adopté le 27 janvier 1977 par le conseil de l’Europe sur la
responsabilité du fait des produits défectueux en cas de lésion corporelle ou de décès. 
2066
Th. BOURGOGNIE et Aluii, Droit de la consommation en mouvement, Centre de droit de la
consommation, Louvain-la-Neuve, 1998, p. 71.
2067
G. COURTIEUX, RCA, fasc. 581-40, Editions du Juris-Classeur, 25 juillet 2004.
503 

 
propre qui constitue un défaut interne, préexistant à la remise du produit, et le rendant
impropre à l’usage auquel on le destine2068 ; des cas de malfaçon dans l’emballage ou
le mauvais conditionnement2069 ; des mauvaises conditions de stockage2070 ou même
des erreurs d’étiquetage au niveau de la distribution du produit2071.
En revanche, la défectuosité est future lorsqu’elle n’est pas décelable
au moment de la conception ou de la mise en circulation du produit. Celle-ci
correspond exactement à la notion de risque de développement.
Le risque de développement est défini comme l’ensemble des
« dommages qui proviennent d’une cause qui ne pouvait être ni prévue, ni évitée
compte tenu de l’état de la science au moment où il a été mis en circulation »2072. Il
s’agit en réalité du risque de dommage dont la cause résulterait de l'insuffisance du
développement de la science ou de la technique au moment où le produit a été mis en
circulation2073. Il est constitué par l'éventualité de voir sur des dommages causés par
un produit après sa mise en circulation, du fait d'un défaut qui lui est inhérent, et qui,
au moment de sa mise en circulation, était indécelable, insoupçonnable, imprévisible,
voire inévitable, car l'état des connaissances scientifiques et techniques, à ce moment,
ne permettait pas de l'identifier2074. En d’autres termes, ce n’est pas vraiment la
défectuosité qui est future, mais sa découverte. C’est le développement de techniques
nouvelles qui permettra de déceler ce qui, avant elles, était indécelable2075. Ainsi, le
vice que des investigations exceptionnelles auraient permis de découvrir, n’est pas
simplement « indécelable », mais un vice qu’il est matériellement impossible pour le
fabricant de connaitre, car les techniques existantes sont insuffisantes2076. Il pèse donc
sur le producteur le risque d’un développement de l’état des connaissances pouvant
révéler un défaut jusqu’alors ignoré.
En réalité, le risque de développement ne devrait pas être confondu
avec certaines notions voisines, notamment le risque produit. En effet, bien que les
deux notions soient toutes deux des risques de produits, il ya lieu de retenir qu’ avec

                                                            
2068
Il peut s’agir à titre d’exemple d’une erreur de conception. Cependant, cette dernière doit être suivie
d’une réalisation matérielle du produit car dans le cas contraire, elle relèverait de la responsabilité civile
dite professionnelle. Peut également être reconnu comme vice propre une malfaçon, comme par exemple le
mauvais réglage d’une machine qui endommagerait le produit fabriqué, ou encore une insuffisance de
contrôle. 
2069
A titre d’exemple, affaire britannique Donoghue (ou Mc Alister) v Stevenson, All. England report 1,
1932, Court of Appeal 562 : un consommateur avait subit un choc traumatisant en découvrant que sa
bouteille de ginger beer contenait les restes décomposés d’un escargot, conf. H - J - D MUHODARI,
Problématique de risque de développement des produits défectueux en tant que cause d'exonération du
producteur en droit comparé, Mémoire Master II, Université adventiste de Kigali, 2007, p 15.
2070
C’est le cas du non respect des températures, notamment pour les denrées alimentaires.
2071
Sur ce point, voir : F. CHAUMET, Assurance de responsabilité de l’entreprise, 4ème édition, l’Argus
de l’Assurance, 2008, p. 269. 
2072
Rapport explicatif de la convention de Strasbourg.
2073
M. GOYENS, La Directive 85/374/CEE, relative à la responsabilité du fait des produits défectueux :
dix ans après, Centre de droit de la consommation, Louvain-la-Neuve, inédit, 1996, p. 204. 
2074
P. OUDOT, « Le risque de développement - Contribution au maintien du droit à la réparation», éditions
universitaires de Dijon – E. U. D, 2005, p 10.
2075
J – M. LAMERE, « Vers une réforme de l’assurance de responsabilité civile en France », Risques
n°52, déc. 2002, p.1 et s.
2076
Pour l’appréciation de l’état scientifique des connaissances, voir CHAUMET F, op. cit. p. 241.
504 

 
le risque produit, l'état de la science au moment de l'introduction du produit sur le
marché permet d'identifier le vice que ce dernier est susceptible de présenter, et donc,
de mesurer le risque lié à l'utilisation du produit, tandis que, pour le risque de
développement, il est impossible de le prévoir, de le déceler et de le mesurer. Tout
ceci pose un problème sérieux de couverture de ce risque par une assurance, étant
donné qu’un risque assurable est caractérisé par la précision de l'estimation de sa loi
de probabilité, et donc par la possibilité de le traiter comme un coût prévisible
pouvant donner lieu à une mise en réserves financières2077
Par ailleurs, le risque de développement présente plusieurs
caractéristiques. Certaines sont liées au défaut ou à la défectuosité du produit,
d’autres, par contre, se rattachent à son assurabilité2078.
S’agissant des premières, le risque de développement est tout d’abord
un risque résultant d’un défaut inhérent, parce que lié au produit même. Ainsi, il ne
s'agirait pas du risque de développement, si le défaut du produit était postérieur à sa
fabrication ou à sa mise en circulation. Ensuite, ce risque provient d’un défaut
indécelable et insoupçonnable, car le producteur2079 doit se trouver dans
l'impossibilité de découvrir le défaut contenu dans son produit, compte tenu de
l’incapacité des connaissances techniques et scientifiques actuelles à en révéler la
défectuosité. Enfin, c’est un risque pratiquement difficile de prévoir et d'en éviter la
réalisation. En fait, il est impossible de déterminer et de quantifier le défaut lors de la
mise sur le marché d'un produit. Ce qui rend difficile toute évaluation prévisionnelle,
l'assureur n'ayant aucune base statistique lui permettant d'évaluer le coût éventuel d'un
sinistre, surtout s'il s'agit d'un dommage sériel comme l'ont montré les affaires du
sang contaminé, de l'amiante2080, de la vache folle2081, de l'hépatite C2082, pour ne citer
que celles-là.
Concernant les secondes, le risque de développement présente quatre
caractéristiques qui rendent problématique son assurabilité. De prime abord, ce risque

                                                            
2077
S. HUSSON, « La responsabilité du fait du médicament », Juripole, pp 1 et s.
http://ww.juripole.fr/memoires/prive/Sandrine_Husson/index.html, consulté, le 26/04/2015.
2078
H - J - D MUHODARI, op. cit. , p 19.
2079
Selon l’article 1505 de l’avant projet du code civil camerounais, est producteur, toute personne
physique ou morale qui, par son activité, obtient ou fabrique un produit susceptible d’être mis à la
disposition. Défini comme tel, le producteur s’assimile au fabricant.
2080
Le scandale de l’amiante désigne la prise de conscience française dans les années 1970 et 1990 du
problème sanitaire causé par l’amiante. Sur ce point, voir : Collectif syndical, Danger ! Amiante, éd.
Maspero, 1977. ; R. LENGLET, L’affaire de l’amiante, éd. La découverte, 1996.
2081
La crise de la vache folle est une crise sanitaire, puis socio – économique caractérisée par
l’effondrement de la consommation de viande bovine dans les années 1990 quand les consommateurs se
sont inquiétés de la transmission de l’encéphalopathie spongiforme bovine à l’homme via l’ingestion de ce
type de viande. Sur cette affaire, voir : R. MER, « Vache folle : les médias sous pression », Dossier de
l’environnement, INRA, vol. 28, 2004, pp. 111 ; A. SOUSA, « Le problème des farines animales »,
Doctissimo, consulté le 29 mars 2015 ; A. SCHNEIDER, « ESB : « le temps de l’angoisse », Journal des
accidents des catastrophes, vol. 15 ; C. DUCROT, « Epidemiologie de la tremblante et de
l’encéphalopathie spongiforme bovine en France », Productions Animales, INRA, vol. , hors série, 2004,
pp. 67 et s.
2082
D. DIEBOLT, « Médicaments dangereux », M2 Droit des Biotechs/ Santé, 18 novembre 2005,
http://www.webzinemaker.com/admi/m6/page.php3?num-web=41572&rubr=3&id=281445,consulté, le
26/04/2015.
505 

 
concerne essentiellement des atteintes à la santé. Certes, on peut imaginer des
incertitudes de développement à conséquences matérielles, mais le problème du
risque de développement, tel qu'il a été posé par les auteurs de la Convention du
Conseil de l'Europe et de la directive de 1985, réside dans la menace que certains
produits peuvent faire peser sur la vie ou la santé des hommes2083. Ensuite, c’est un
risque de masse qui présente un caractère catastrophique en raison du nombre de
victimes et de la nature des dommages causés2084. Il ne s'agit pas d'un vice atteignant
une série ou un lot, mais d'une conséquence de conception pouvant atteindre des
centaines ou des milliers de personnes.
Par ailleurs, le risque de développement se traduit par un changement
d’évaluation dans le rapport cout/bénéfice d’un produit. Ainsi, la réalisation de ce
risque fait découvrir que les avantages vérifiés sont liés à des désavantages dont on
n'était pas en mesure d'établir l'existence ni l'ampleur, et qui apparaissent comme
supérieurs aux avantages obtenus. Le risque de développement transforme donc
l'évaluation jusqu'alors, faite sur un produit : le bien devient un mal, et le mal trouve
un responsable identifiable2085. Le produit a été mis en circulation en raison des
propriétés positives qu'il présentait, par exemple, le médicament pour ses qualités
préventives ou curatives. Mais son fabricant, au lieu d'en tirer un bénéfice, il en tire
plutôt une perte.
Enfin, le risque de développement apparaît généralement après
plusieurs années2086. Ceci s'explique par le fait qu’il soit détecté grâce à l'évolution
scientifique et technologique, et très souvent ladite évolution ne se fait pas
spontanément, la science évolue au fil des ans, ce qui rend difficile son assurance, car,
on ne sait quand la science sera capable de détecter et découvrir le défaut.
Le risque de développement apparait, au vu de toutes ces
caractéristiques, comme un risque difficilement assurable. Cependant cette difficile
assurabilité ne signifie nullement l’impossibilité d’assurer ce risque. Une partie de la
doctrine en est favorable2087. Certains systèmes juridiques l’ont même déjà intégré
dans la sphère de l’assurable2088. Partant de ce constat, l’on est en droit de se
demander si le marché d’assurance communautaire CIMA peut aussi intégrer le risque

                                                            
2083
D.-DIEBOLT, « Médicaments et produits dangereux pour la santé », op. cit. pp1 et s.
2084
Ce qui s'est produit au Japon en 1970 où 10000 japonais, furent atteints de la maladie
appelée « SMON », lorsque la société suisse CIBA a commercialisé différents médicaments contenant la
substance active dénommée clioquinol. Voir, L. KRÄMER, La CEE et la protection du consommateur,
Bruxelles, Story-Scientia, 1988, p. 273). Il ne s'agit pas d'un vice atteignant une série ou un lot, mais d'une
conséquence de conception pouvant atteindre des certaines ou des milliers de personnes.
2085
S. HUSSON, « La responsabilité du fait du médicament », op. cit. pp. 1 et s.
2086
Partant du cas de la société suisse CIBA, qui, depuis 1900 commercialisait les médicaments mais ce
n'est qu'en 1983 que la presse internationale a signalé que les produits en question devraient être retirés du
marché. Voir, L. KRÄMER, op. cit., p. 273. 
2087
Sur ce point, voir A. BOUIX, Le risque de développement: responsabilité et indemnisation, Presses
Universitaires d’AIX MARSEILLES éd. 1995 p 59 ; C. DELPOUX, « Le risque de développement »,
Risque n°12, octobre – décembre 1992, éd. Cahiers de l’assurance ; F. EWALD, « La véritable nature du
risque de développement et sa garantie », Risques n° 14, avril – juin 1993, innovation, assurance,
responsabilité, éd. Cahiers de l’assurance, p. 9 et s. 
2088
C’est le cas du Luxembourg, de la Finlande et de la Norvège…
506 

 
de développement dans la matière assurable y existante. En d’autres termes, peut-on
assurer le risque de développement dans l’espace CIMA ?
La question trouve tout son intérêt quand on sait que l’espace CIMA est
en majorité composé des pays en voie de développement qui sont généralement des
dépotoirs des produits contrefaits et non contrôlés, exposant régulièrement la santé et
la vie des populations. Cet espace communautaire connait aussi un marché
d’assurance qui souffre de plusieurs maux2089, notamment un champ assez limité de la
matière assurable.
De ce fait la réflexion sur l’assurabilité du risque de développement
serait d’un triple intérêt. Sur le plan juridique, elle attirerait l’attention du législateur
sur la nécessité de légiférer sur le risque de développement qui semble être une notion
encore méconnue dans notre contexte. Sur le plan économique, elle aiderait à élargir
la matière assurable exploitée dans la zone CIMA en suscitant une augmentation des
parts de marché. Sur le plan social, elle susciterait le renforcement de la protection
des consommateurs et une bonne prise en charge des victimes.
A la réflexion, il apparait plausible d’affirmer que le risque de
développement peut être assurable dans l’espace CIMA. Cependant, cette assurabilité
doit observer certaines conditions (I) et surtout justifier des fondements, aussi bien
théoriques, que pratiques (II)

I. LES CONDITIONS D’ASSURABILITE DU RISQUE DE


DEVELOPPEMENT DANS L’ESPACE CIMA
La notion de risque de développement est désormais constante dans l’actualité.
Elle gagne de plus en plus du terrain, tant avec l’émergence forte du droit de la
responsabilité environnementale, qui élargit la question de la réparation corporelle à
la réparation des dommages à l’environnement, qu’avec le déploiement du principe de
précaution dans le droit positif. Cependant, il est à déplorer que la plupart des
systèmes juridiques africains, pourtant fort interpellés par les préoccupations
environnementales, méconnaissent encore le risque de développement. Or, pour que
ce risque soit assurable dans l’espace CIMA, il faut d’abord qu’il soit intégré dans les
différents systèmes juridiques de ladite zone (A) et qu’ensuite, sa nature juridique soit
déterminée (B).

A.
L’intégration du risque de développement dans les systèmes
juridiques de l’espace CIMA
La nécessité d’intégrer le risque de développement dans les législations
révèle l’importance des lieux d’inscriptions du droit. Ceux-ci varient selon les
objectifs poursuivis par les situations juridiques. Ainsi, si la doctrine peut contribuer à
d’importantes réformes, ces reformes ne peuvent être effectives que si la loi les
entérine. Dès lors, il appartient au législateur de veiller à une remise à jour
permanente du corpus règlementaire afin de pallier certains vides juridiques.
L’ensemble des législations de la zone CIMA gagnerait ainsi à légiférer sur la

                                                            
2089
En dehors du nombre réduit des parts de marché, le marché d’assurance de la CIMA connait aussi un
faible taux du chiffre d’affaire, un faible rendement, un rejet de l’assurance par les populations etc.…
507 

 
question du risque de développement aussi bien au niveau des droits nationaux (1),
qu’au sein même du droit CIMA(2).

1) Dans les droits nationaux


La plupart des législations africaines sont aujourd’hui obsolètes. Certaines se
contentent encore de l’héritage législatif colonial2090. D’autres essayent de s’adapter à
l’évolution des sociétés et des instruments juridiques2091. Mais cet effort reste
perfectible dans la mesure où de nombreux domaines sont encore ignorés du droit
local. C’est le cas de la responsabilité du fait des produits défectueux, en général, et
du risque de développement, en particulier. L’urgence d’une législation en la matière
ne fait plus aucun doute, dans un contexte où les mutations de la responsabilité civile
tant dans sa notion2092, que dans son régime2093 appellent à des refontes certaines.
L’Afrique et surtout, les pays de l’espace CIMA ne peuvent plus continuer à nier ce
besoin à l’heure où la majorité d’entre eux aspirent à l’émergence, voire au
développement, et que les questions environnementales interpellent de plus en plus
leurs gouvernements.
En réalité, il est déplorable de constater qu’au moment où la notion de risque
de développement est, soit résolue, soit en débat dans d’autres systèmes juridiques, la
plupart des pays africains méconnaissent encore ladite notion. Or, si le droit est un
instrument de lecture du monde, le souci de modernisation des outils juridiques
devrait être une priorité pour l’Afrique, qui se veut compétitive sur le plan
international. En tout état de cause, il ya un réel besoin à intégrer le risque de
développement dans les droits nationaux africains. Cette intégration pourrait se faire
soit par l’insertion de la notion dans des textes existants, soit par l’édiction de
nouveaux textes.
La première modalité interpelle des systèmes comme le Cameroun,
qui admet déjà la responsabilité du fait des produits défectueux aussi bien
de lege lata, que de lege feranda. Ainsi par exemple, la loi- cadre
n°2011/012 du 06 mai 2011 portant protection du consommateur au
Cameroun pourrait connaitre des amendements en insérant la notion de
risque de développement, soit dans la rubrique de la protection économique
et technologique du consommateur, soit dans celle portant sur la sécurité
physique et la protection de l’environnement. De même, l’avant projet du
code civil camerounais dans ses articles 1502 et suivants, qui fixe les
conditions de la responsabilité du fait des produits défectueux et, qui
consacre notamment la responsabilité de plein droit du producteur et
énumère les cas dans lesquels celui-ci pourrait être exonéré, pourrait
                                                            
2090
C’est le cas par exemple de la cote d’ivoire, du Sénégal et bien d’autres, qui ignore encore la
responsabilité civile du fait des produits défectueux dans leur législation, conf. Code des obligations civiles
sénégalais ; code civil français applicable en cote d’ivoire.
2091
C’est le cas du Cameroun qui de plus en plus légifère sur ce type de responsabilité, tant de lege lata
(conf : common law ; loi de 2006 sur la protection du consommateur), que de lege feranda ( conf. Les art.
1502 et 1517 de l’avant projet du code civil camerounais).
2092
Voir, C. N BEKADA, l’assurance à l’épreuve des mutations de la responsabilité civile, thèse de
doctorat, université de Yaoundé II/Soa, 2015, pp. 17 et s.
2093
Ibidem, pp. 174 et s.
508 

 
intégrer la notion de risque de développement, non pas comme cause
d’exonération, mais plutôt comme une exception aux causes exonératoires
prévues.

La seconde modalité intéresse des pays qui ignorent encore


totalement dans leurs droits locaux, la responsabilité du fait des produits
défectueux. C’est le cas du Sénégal dont le nouveau code des obligations
civiles et commerciales ignore totalement la responsabilité du fait des
produits défectueux et par conséquent la notion du risque de
développement. C’est aussi le cas des pays comme la cote d’ivoire et bien
d’autres encore, qui sur ce plan, se contentent encore de l’héritage
colonial.
Tout compte fait, quelque soit la modalité adoptée, la législation en
la matière est nécessaire, tant sur le plan interne, que sur le plan
communautaire.

2) Dans le droit CIMA


Le risque de développement ne saurait être commercialisé dans l’espace de la
conférence interafricaine du marché des assurances, s’il est méconnu par la législation
de cette zone. Le texte CIMA devrait donc intégrer cette notion, non seulement pour
accroitre les parts de marchés2094, mais encore pour renforcer le domaine de
l’assurance de responsabilité civile dans l’espace CIMA.
S’agissant de la perspective d’accroissement des parts de marchés, le marché
d’assurance CIMA a régulièrement fait face au reproche du nombre très réduit des
produits commercialisés au sein dudit marché2095. Cette étroitesse des parts de
marchés est généralement la cause de plusieurs maux comme, la sous-tarification, la
multiplication des charges de fonctionnement, la délocalisation des grands risques et
bien d’autres encore2096. Ces maux entrainent à leur tour la faiblesse du chiffre
d’affaire, le ralentissement du secteur, voire la régularité des liquidations des
entreprises d’assurance. Cet état de choses appelle depuis longtemps à une extension
du domaine d’assurabilité du marché CIMA. La réglementation sur la micro-
assurance2097 est un début de solutions à ce problème. Mais, elle n’est pas
suffisante2098. Le marché d’assurance devrait davantage aller à la recherche d’autres
                                                            
2094
En économie, la part de marché est un indicateur clé qui permet de préciser l’importance d’un produit,
d’une marque ou d’une société sur son marché pour une période donnée. Elle se calcule par le ratio : ventes
de la marque / ventes totales sur le marché. Les ventes peuvent être exprimées en valeur monétaire ou en
volumes de produits vendus.
2095
Sur ce point, voir C.N. BEKADA EBENE, La liquidation des sociétés d’assurance dans l’espace
CIMA, mémoire de DEA, université de Yaoundé II/ Soa, 2010, pp 20 et s
2096
Adolphe OUEDRAOGO, rapport général du séminaire tenu par la FANAF sur le thème « faiblesses
actuelles des compagnies d’assurances et moyens susceptibles d’être mobilisés pour leur consolidation
pérenne » tenu à Libreville le 19 février 2008. pp. 1 et s.
2097
La pratique des opérations de micro-assurance dans la zone CIMA est désormais réglementée par
l’adoption, le 05 avril 2012 à Paris (République Française), du règlement n° 0003/CIMA/PCMA/PCE/2012
portant organisation des opérations de micro-assurance dans les Etats membres de la CIMA.
2098
En effet, la micro-assurance s’intéresse comme son nom l’indique, aux petits risques et ne saurait
entrainer la couverture des grands risques comme le risque de développement.
509 

 
produits, notamment le risque de développement, qui a l’avantage d’être auréolé, à la
fois des aspects environnementaux et technologiques.
Concernant la perspective de renforcement de l’assurance de responsabilité
civile dans l’espace CIMA, il ya lieu de noter que le marché de l’assurance africaine
connait une certaine aversion de ce type d’assurance, pourtant le domaine des
assurances obligatoires est fortement marqué par l’assurance de responsabilité civile.
Toutefois, il faut reconnaitre que cette aversion est justifiée par le régime de cette
assurance suffisamment influencée par les règles du droit de la responsabilité
civile2099. Ainsi, la réception du risque de développement par le droit CIMA serait une
avancée certaine qui viendrait renforcer l’importance de cette assurance au sein du
marché. Cette réception pourrait être faite soit par un texte additif dans le code
CIMA, notamment dans la rubrique des assurances de responsabilité civile. Pour
permettre une assurabilité efficace de ce produit, le risque de développement devrait
être enregistré parmi les assurances obligatoires. Dès lors, chaque fabriquant ou
chaque producteur devrait obligatoirement souscrire une assurance de responsabilité
pour risque de développement, afin de couvrir les risques susceptibles d’être causés
par des vices cachés et indécelables des produits fabriqués au moment de leur mise en
circulation.
En tout état de cause, l’intégration du risque de développement dans les
systèmes juridiques de l’espace CIMA est, certes incontournable pour son
assurabilité, mais elle en demeure une condition insuffisante, car la détermination de
la nature juridique de ce risque reste également un préalable à son assurabilité dans
l’espace CIMA.

B. La détermination de la nature juridique du risque de


développement
Si l’intégration de la notion du risque de développement dans les systèmes
juridiques de l’espace CIMA est un préalable incontournable pour son assurabilité, la
détermination de sa nature juridique constitue aussi une condition nécessaire pour que
ce risque soit commercialisé au sein du marché des assurances CIMA. A cet effet, le
choix de l’exclusion du risque de développement comme cause d’exonération de
responsabilité civile (1) et son admission comme cause d’engagement de
responsabilité civile (2) poursuivrait mieux ce objectif.

                                                            
2099
L’assurance de responsabilité civile subit de fortes influences du droit de la responsabilité civile, elle
devrait par exemple s’adapter à toutes les mutations de ce droit et à la grande ampleur des indemnisations
découlant du régime du droit de la responsabilité civile.
510 

 
1)
L’exclusion du risque de développement comme cause
d’exonération de responsabilité civile
L'apparition de risques nouveaux, la multiplication des catastrophes amènent
à s'interroger sur des situations où l'événement dommageable a lieu alors même que
tout a été fait pour l'éviter et qu'aucune faute ne peut être reprochée à l'auteur du
dommage en l'état des connaissances scientifiques et techniques. Partant, certains
considèrent le risque de développement comme une cause d’exonération de
responsabilité civile.
L’exclusion de la responsabilité du producteur en cas de risque de
développement repose sur l'argument souvent avancé qu'il est inéquitable de rendre le
producteur responsable lorsque l'état des connaissances scientifiques et techniques au
moment de la mise en circulation du produit, l'empêchait de découvrir l'existence du
défaut2100. Cette exclusion ouvre donc au producteur de larges possibilités d'échapper
à sa responsabilité, dès lors qu'il lui appartient d'établir un fait négatif à savoir : le
défaut indécelable2101. L'exonération pour risque de développement pourrait s'articuler
autour de plusieurs raisons, tant juridiques, qu’économiques.
Sur le plan juridique, l’on pourrait de prime abord fonder cette
exonération sur l’existence d’un vide législatif en la matière2102. De plus, la
jurisprudence a abordé la question indirectement à travers d’autres notions que celles
du risque de développement et y a apporté des réponses divergentes2103. En effet, un
courant majoritaire et constant depuis les années 70 retient la responsabilité du
professionnel pour les défauts de ses produits, alors même qu’il ne peut les déceler,
tant à l’égard de ses contractants, qu’à l’égard des tiers2104. Mais, à l’inverse, la cour
de cassation française2105 considère que le producteur n’est pas responsable lorsque le
dommage est imputable, non à un vice de la chose, mais à un danger que celle-ci
présente et dont il ne pouvait avoir connaissance. La question du risque de
développement n’est donc pas d’ores et déjà touchée en droit interne français2106 et
même dans la plupart des pays membres de la CIMA.
De même, l’on pourrait reprocher à ce régime de responsabilité, le
caractère intenable des obligations qui en découlent. En effet, il serait judicieux que la
                                                            
2100
Voir, L. KRÄMER, op. cit., p. 271.
2101
Ibidem
2102
C’est le cas au Cameroun où la loi‐cadre portant protection du consommateur au Cameroun parle de
la responsabilité du producteur du fait des produits défectueux, mais n’évoque dans aucune disposition le
risque de développement.  
2103
Français Ewald, op.cit., pp. 9 et s
2104
Sur ce point, voir : A. BOUIX, Le risque de développement: responsabilité et indemnisation, Presses
Universitaires d’AIX MARSEILLES éd. 1995 p 59 ; C. DELPOUX, « Le risque de développement »,
Risque n°12, octobre – décembre 1992, éd. Cahiers de l’assurance ; F. EWALD, « La véritable nature du
risque de développement et sa garantie », P. OUDOT, « Le risque de développement - Contribution au
maintien du droit à la réparation», éditions universitaires de Dijon – E. U. D, 2005, p 10.Risques n° 14,
avril – juin 1993, innovation, assurance, responsabilité, éd. Cahiers de l’assurance, p. 9 et s. FEVRAL (I.),
Les limites de la responsabilité environnementale, mémoire, 2009, université de NICE SOPHIA-
ANTIPOLIS, 100 pages, BAGNEKI (E.A.), La responsabilité du fait des produits défectueux en droit
camerounais, mémoire DEA Université de DOUALA année 2003-2004, 70 pages.
2105
Cass. Civ 1ère, 6 avril 1986, Dal 1987, chr. P0.73, obs. Huet.
2106
Car la question reste encore abordée dans le seul cadre communautaire à travers la Directive
européenne 85/374/CEE, relative à la responsabilité du fait des produits défectueux.
511 

 
question du risque de développement, avant d’être posée au niveau du caractère
exonératoire, doive être envisagée à celui du contenu de l’obligation de sécurité -
résultat incombant au producteur ou au fournisseur d’un produit. Le droit ne devrait
donc pas édicter des obligations intenables, en obligeant le producteur à supporter des
risques dont il n’avait pas la moindre possibilité de contrôle et d’action en l’état des
connaissances scientifiques.
Par ailleurs, si le régime de responsabilité sans faute du producteur offre
l'avantage de dispenser la victime d'avoir à rapporter la preuve d'une faute personnelle
du producteur, pour mettre en jeu sa responsabilité en cas de dommage corporel dû à
un défaut de sécurité de son produit, l’octroi de cette prérogative devrait suffir à
protéger les consommateurs, sans pourtant se figer derrière le risque de
développement, qui résulte de l'ignorance du défaut du produit par son fabricant.
De plus, même si la responsabilité pour risque de développement est parfois
justifiée par la théorie du risque - distribution2107, la justification ne devrait pas être la
sanction de l’obligation à l’impossible, mais l’idée d’une possibilité de mutualiser les
risques encourus par les utilisateurs en se servant de la responsabilité. Ce serait donc
détourner la responsabilité de sa finalité essentielle, qui devrait n’être que la sanction
d’une obligation non exécutée ou mal exécutée. Cette conception, affirme une
certaine doctrine n’est pas admissible sur le terrain juridique où les institutions
doivent remplir leurs fonctions et non celles relevant d’autres mécanismes2108. Dès
lors, le producteur ne devrait pas répondre des dommages issus d’un risque de
développement, ce d’autant plus que son exonération trouve des justifications même
sur le plan économique.
Sur le plan économique, deux principales raisons pourraient être avancées.
En premier lieu, on peut mettre à l’actif de l’exonération, la lourde charge
économique qui incomberait au fabriquant en cas de responsabilité. En effet, même si
la possibilité d'inclure le risque de développement parmi les cas de responsabilité du
producteur, offre une protection incontestable à la victime, celle-ci suppose une
lourde charge économique pour le producteur. Fort de ce point, le patronat espagnol
s'est opposé à ce choix, car, les chefs d'entreprise disaient qu'une telle option
supposerait une paralysie de la recherche scientifique et technique concernant la
fabrication de leurs produits2109. Dans la même perspective, la directive française du
25 juillet 1985 préconisait sans l'imposer de retenir cette cause d'exonération, du fait
des incidences économiques, que son exclusion aurait sur les opérateurs économiques
des pays membres de l'Union européenne. La plupart des Etats européens2110 ayant
                                                            
2107
Voir, U. BECK, la société du risque, Munich, 1986, les échos. P. 1 et s ; D. KESSLER, « Ulrich BECK
et la théorie du risque », https : //www.FFSA/ risques.nsf/b724C3eb326a8defc12572290050915b, consulté
le 29 novembre 2015 à 11h58. ; J. V. ANDERSON et D. SORNETTE, « have your cake and eat it too :
increasing returns while lowering larges risk ! », Journal of risk finance, 2(3) 2001, pp. 70 et s ; D.
ZAJDENWEBER, « Economie des extremes », Paris, Flammarion, 2000 ; D. SORNETTE, « complexity,
catastrophes and physics, physics » world 12 (N12), 1999, pp. 57 et s.
2108
C. DELPOUX, « Le risque de développement », Risques n° 12 octobre – décembre 1992, éd. Cahiers de
l’assurance, pp. 5et s.
2109
Loi n° 22/1994 du 6 juillet 1994 sur la responsabilité du fait des produits en droit
espagnol,http://eurlex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:62003J0402:FR:NOT, consulté,
le 02/05/2015
2110
C’est le cas de la France, la Belgique…
512 

 
intégré cette directive ont effectivement admis le risque de développement comme
cause d'exonération, à l'exception du Luxembourg, de la Finlande et de la
Norvège2111.

En second lieu, la responsabilité du fabriquant pour risque de développement


pourrait être un obstacle à la compétitivité et au progrès industriel sur le marché. En
effet, l’admission de cette responsabilité dans les systèmes juridiques des pays
membres de la CIMA pourrait mettre son industrie dans une situation défavorable
par rapport à leurs concurrents des pays, qui ont fait du risque de développement un
cas d’exonération. Cela entraînerait un recul des industries nationales2112et un risque
de délocalisation des entreprises, car il serait particulièrement aisé pour les entreprises
de mettre les produits sur le marché dans les pays à législation plus favorable par
l'intermédiaire de leurs sociétés localement implantées.

De plus l’hypothèse du risque de développement placerait l’innovation sous le


signe de la méfiance et du soupçon, non seulement pour le consommateur, mais aussi
pour l’industrie toujours susceptible de se voir reprocher, après coup, d’avoir mis en
circulation le produit qui s’est révélé défectueux. L’industriel ne prendra donc la
décision d’innover que dans la mesure où il sait pouvoir contracter une assurance
économiquement supportable et qui le garantira contre les conséquences du risque
pris. Or, le risque de développement étant un risque qui demeure difficilement
assurable2113, il met potentiellement toute entreprise innovante en faillite, dans la
mesure où il concentre la responsabilité sur le patrimoine unique de l’industriel.
De ce qui précède, il apparait de façon évidente que la qualification du risque
de développement comme cause de responsabilité est porteuse des germes aussi bien
d’une instabilité économique, que d’une insécurité juridique pour le producteur.
Toutefois, ces arguments évoqués à la faveur de l’exonération du producteur trouvent
leurs limites, tant le besoin social d’admettre ce risque parmi les causes de
responsabilité civile se fait de plus en plus ressentir.

2)
L’admission du risque de développement comme cause
d’engagement de la responsabilité civile
Bien que les raisons avancées pour soutenir l’exonération du fabriquant
du fait du risque de développement soient légitimes, il semble, que la qualification de
ce risque en une cause de responsabilité relève d’une exigence actuelle. En effet,
l’avènement des transformations sociétales exige une refonte du concept de
responsabilité civile qui ne doit plus seulement être appréhendée au passé, mais aussi
au présent et au future. Partant, la considération du risque de développement comme
                                                            
2111
A. M. NGAGI, op.cit., p. 315.
2112
J.-P. PIZZIO, Droit des consommateurs : sécurité, concurrence, publicité droit français et droit
communautaire, éd. Bruylant, Story-Scientia, centre de droit de la consommation, Louvain-la-Neuve, 1987,
p 48.
2113
Car l’opération d’assurance ne doit porter que sur des risques aléatoires, bien déterminés et
statistiquement assurables. Donc, l’assurance responsabilité civile ne peut pas couvrir des dommages,
qu’aucune donnée statistique ne peut évaluer.
513 

 
cause de responsabilité trouve bien des justifications et emporte certaines
conséquences.
  M. FAUCHON, sur la question de risque de développement, a
assimilé l’exonération du producteur à une irresponsabilité2114. Cela signifie a
contrario que ce dernier doive indemniser la victime d’un risque de développement.
Cette affirmation repose sur plusieurs raisons qui semblent toutes aussi logiques que
légitimes.
De prime abord, l’exonération pour risque de développement
réduirait la protection des victimes. Cette situation serait difficilement justifiable,
alors que le développement économique devrait tendre à une meilleure maîtrise des
dangers de tous ordres et a fortiori de ceux qu'il génère2115. En effet, le producteur
doit répondre à tous dommages causés par le défaut de son produit. L'obligation de
sécurité, qui pèse sur tout fabricant ou vendeur d'un produit, apparaît donc tout à fait
essentielle2116. Si le produit ne répond pas à la qualité qu'on peut légitimement
s'attendre, cela devrait engager la responsabilité du producteur, qui a l'obligation de ne
mettre sur le marché que les produits sûrs. L'irresponsabilité du producteur au titre de
risque de développement ferait ainsi jouer aux victimes, une fonction de révélatrices
sans être indemnisées. Une telle solution est moralement inacceptable, voire
scandaleuse2117
L’on peut ensuite avancer l’argument selon lequel l’exonération pour
risque de développement n’est pas conforme au schéma de l’exonération d’une
responsabilité objective2118 pour cause étrangère, extérieure ou présumé du
responsable, car le vice du produit, par sa nature même, n’est pas extérieur au produit,
même lorsque son existence est imprévisible et ses effets, irrésistibles2119.
De plus, la consécration d’une responsabilité pour vice caché, qu’elle qu’en
soit la cause, fait du risque de développement, un élément constitutif de cette
responsabilité. Dès lors, la prise en charge des victimes pour risque de
développement revient à stopper toute évolution de la jurisprudence en la matière et
constitue une régression du droit positif2120. En effet, en tant que responsable des
                                                            
2114
M. FAUCHON, « Responsabilité du fabricant », http://www.fasken.com/fr/products/‐23k, consulté, le
13/05/2015. 
2115
X, « Le risque de développement dans le cadre de la responsabilité du fait des produits défectueux »,
R.G.D.C., Centre de droit de la consommation, Université de Louvain Belgique
http://www.drt.ucl.ac.be/cdc/data/publications/verdure/produits_defectueux.pdf consulté, le 02/05/2015 
2116
Conf. B. FAGES, Droit des obligations, Paris, LGDJ, 4è éd. 2013 ; F. TERRE, ph. SIMLER, Y.
LEQUETTE, droit civil : Les obligations, Paris, Dalloz, 11è éd. 2013 ; C. RENAULT-BRAHINSKY, Droit
des obligations, GUALINO, 11è éd. 2014 ; Assemblée Nationale, « Quelle sécurité pour les
consommateurs européens? » PDF, 2000, http://www.assemblee-
nationale.fr/europe/colloques/consommateurs.pdf, consulté, le 02/05/2015.
2117
F. X. TESTU et J. H. MOITRY, « La responsabilité du fait des produits défectueux », http://www.testu
avocats.com/docs/French%20Product%20Liabi2006A5.pdf, _defectueux.pdf consulté, le 02/05/2015.
2118
Sur les causes d’exonération de responsabilité, voir : P-H. ANTONMATTEI, Contribution à l’étude de
la force majeure, Paris, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit privé, 1992 ; F. LEMAIRE, « La force majeure :
un évènement irrésistible », in Revue de droit public et de la science politique en France et à l’Etranger,
n°6, nov-dec 1999, pp. 1723 et s ; L. BLOCH, « Force majeure : le calme après l’ouragan ? », in
Responsabilité civile et Assurances, n°6, juin 2006, Etude 8.
2119
Yvonne Lambert-Faivre, « Risque et assurances des entreprises », Précis Dalloz 3ème éd 1991.
2120
P. FAUCHON, Sénat 9 décembre 1992 Jo, 10 décembre 1992.
514 

 
produits mis en circulation, le producteur doit s'assurer que ces derniers sont aptes,
non seulement à l'usage pour lequel ils sont destinés, mais également pour la sécurité
qu'ils représentent. Pour l'article 1386.1 du code civil français, le fabricant est tenu
de livrer un produit exempt de tout défaut de nature à créer un danger pour les
personnes ou les biens. De même, l’avant projet du code civil camerounais en son
article 1507 prévoit que « Le producteur est responsable de plein droit du dommage
causé par un défaut de son produit ». Ces dispositions témoignent de ce que le
fabricant n’est tenu de mettre sur le marché que des produits sûrs. Dès lors, sur le
fondement de la garantie des vices cachés, il ne sert à rien que le vendeur
professionnel établisse qu'il pouvait légitimement ignorer le défaut, ou, mieux encore,
qu'il lui fût impossible de le déceler.
Pour la Cour de cassation française, il importe peu que le vendeur ait
invoqué un document de nature à établir sa bonne foi, (...) et que le contrat de vente
n'avait pas mis à sa charge les techniques de contrôle qui avaient été généralement
nécessaires pour déceler le vice2121. Ainsi, le vendeur professionnel, par son
obligation de délivrance, doit livrer un produit exempt de défaut. S'il n'exécute pas
cette obligation, il sera assimilé au vendeur qui connaissait le vice2122. L'obligation de
délivrer un produit dépourvu de défaut contient une obligation de sécurité2123. La
livraison d'un produit défectueux suffit alors à établir la faute du fabricant ou du
distributeur2124.
En outre, la responsabilité du producteur pour risque de développement
pourrait aussi se justifier par la théorie du « risque – distribution ». Selon cette
dernière, le producteur est la personne la plus apte à répartir le risque entre ses
consommateurs, puisqu’il peut incorporer le prix de la sécurité dans le produit. Il
serait alors illogique d'accorder l’exonération au producteur au détriment des
consommateurs, alors qu’il est celui qui, non seulement, détient un pouvoir
économique conséquent par rapport aux consommateurs, pour supporter la charge du
risque de développement, mais aussi, devrait connaître la défectuosité du produit2125
dont il est le responsable. En plus, puisqu’il profite des bénéfices de son produit, il
serait normal qu’il supporte le risque dérivant de celui-ci. Le législateur devrait par
conséquent se soucier des intérêts des consommateurs en leur offrant plus de
protection. C'est d'ailleurs, la raison pour laquelle, la Belgique, le Danemark, la

                                                            
2121
Cass. Com. 27.nov. 1972, Bull. Civ. , IV, n° 266. p. 282.
2122
J. GHESTIN, Conformité et garanties dans la vente, 1983, L.G.D.J, n°258.
2123
C'est-à-dire un produit qui ne présente pas la sécurité à laquelle l'acheteur peut légitimement s'attendre,
compte tenu notamment de sa nature et de son usage normal ou un défaut qui le rend inapte à l'usage pour
lequel il a été vendu et acheté.
2124
G. VINEY, « La responsabilité des fabricants et distributeurs ». Ce qui semble dire a priori que la
France aurait la possibilité de maintenir la responsabilité du producteur même lorsque celui-ci prouve que
l'état des connaissances scientifiques et techniques au moment de la mise en circulation du produit ne
permettait pas de déceler le défaut,
http://www.lexinter.net/JPTXT4/JP2005/responsabilite_du_fabricant_de_medicaments.htm-23k, consulté,
le 13/05/2015.
2125
L.MAYAUX et P. BICHOT, « Les brûlots juridiques de l'assurance », P.D.F,
http://www.amrae.fr/docs/MR/rencotres/Strausbourg‐2003/actes/a11doccummun.pdf, consulté, le
03/05/2015 
515 

 
Grèce, la France, l'Irlande et le Luxembourg, ont opté pour l'exclusion de
l'exonération pour risque de développement2126.
Bien plus, la nécessité de réparer les dommages justifie suffisamment cette
responsabilité. En effet, il semble illogique d'exonérer le responsable du dommage
sous prétexte qu'il est de bonne foi. Ainsi, une personne est responsable des
dommages causés à autrui, non seulement par son fait personnel, mais également par
le fait d'autrui dont elle est responsable ou du fait de la chose dont elle a sous sa
garde2127. Ceci, dans le souci de protéger la victime, afin de lui offrir une réparation
auprès du responsable.
Bien plus encore, la non-exonération est un excellent argument de
promotion commerciale à l’étranger pour la garantie de la sécurité des produits. De ce
fait, elle ne saurait être un frein à l’innovation, car la France qui en a choisi, innove
même plus que certains pays comme l’Angleterre qui ont opté pour l’exonération2128.
Il ne saurait donc y avoir une relation entre la prise en compte du risque de
développement et l’innovation, d’autant plus que l’assurance responsabilité civile qui
peut en être produite, serait capable de couvrir les conséquences du risque de
développement, comme elle l’a démontré jusqu’à présent2129.
En résumé, l’on peut retenir que l’assurabilité du risque de développement
dans l’espace Cima nécessite des préalables. Il faut d’abord que les systèmes
juridiques de cet espace intègrent cette notion et qu’ensuite, qu’ils l’admettent comme
une cause de responsabilité civile. Toutefois, ces conditions, certes indispensables,
n’auraient d’effet que si la possibilité d’assurer le risque de développement dans le
marché de l’assurance africaine entraine des conséquences, surtout positives pour ce
marché.

II.
LES FONDEMENTS DE L’ASSURABILITE DU RISQUE DE
DEVELOPPEMENT DANS L’ESPACE CIMA
La responsabilité du producteur pour risque de développement peut avoir
certaines conséquences négatives. Aussi, peut-elle entrainer une augmentation des
couts de production, dans la mesure où elle impliquerait la mise en œuvre des
moyens supplémentaires dans la fabrication et la distribution des produits. Elle peut
également entrainer un accroissement des charges d’indemnisation des victimes des
dommages résultant des produits atteintes d’une défectuosité à la fois actuelle et
future.
Malgré ces effets gênants, cette responsabilité pourrait consacrer une
amélioration significative du droit objectif, ainsi que des droits subjectifs impliqués.
Elle conduirait alors inéluctablement au renforcement de la prévention dans la
fabrication et la mise sur le marché des produits2130 ; à la consolidation de la
                                                            
2126
Voir, H. J. D. MUHODARI, Problématique de risque de développement des produits défectueux en
tant que cause d'exonération du producteur en droit comparé, Université adventiste de Kigali, 2007.
2127
Conf. Article 1384 alinéat 1er du code civil applicable au Cameroun.
2128
Voir, H. J. D. MUHODARI, Problématique de risque de développement des produits défectueux en
tant que cause d'exonération du producteur en droit comparé, op. cit. pp. 5 et s.
2129
P. FAUCHON, op.cit. pp. 1 et s.
2130
En effet, conscient du fait qu’il pourrait être tenu pour responsable des dommages provenant des
produits défectueux qu’il aura fabriqués et mis sur le marché, alors même que cette défectuosité ne pouvait
516 

 
protection des droits des victimes2131 et ceux des consommateurs2132. En effet,
protéger le consommateur, c’est aussi s'occuper du système commercial interne pour
ce qui concerne son organisation2133. La volonté délibérée d'exporter les produits
défectueux vers les pays du Tiers Monde se justifiant par le fait que les marchés
internes des pays cibles sont réputés être des marchés « libres » sans réglementation
dans le domaine relatif à la protection du consommateur, restreindre la liberté
« excessive » de ces marchés, pourrait être une démarche importante pour la
protection du consommateur dans ces pays. Et cela passe nécessairement par une
législation capable de protéger des droits des consommateurs en renforçant les
obligations des producteurs.
La responsabilité du producteur rendrait surtout possible l’assurance pour
risque de développement. En effet, l’intention de l’assurance implique que l’assureur
doive répondre aux besoins de couverture du producteur contre les risques majeurs,
exceptionnels, ou inconnus2134, comme le risque de développement, qu’il ne peut
assumer qu’à certaines conditions2135. Ainsi la caractéristique de l’assurance est de ne
porter que sur des événements aléatoires, c’est-à-dire dont la survenance n’est pas
certaine. L’assureur n’accepte de souscrire de risque que dans la mesure où il est à
même d’en résorber l’aléa au niveau de la mutualité2136. Une société d’assurance
mutualise les risques que les agents économiques assurés ont voulu transférer sur elle,
moyennant le paiement d’une cotisation.
L’opération d’assurance se caractérise alors par la nécessaire estimation a
priori, au moment de la perception des cotisations, du coût global ultérieur lorsque
les événements aléatoires sur lesquels l’assureur s’est engagé se seront produits. Pour
                                                                                                                                              

être ni connue, ni évitée, le producteur prendrait plus de précaution dans la procédure de création, de
conservation et de distribution desdits produits. Ainsi, le fait que la défectuosité ne puisse pas être révélée
ne devrait pas empêcher que l’on prenne des mesures destinées à prévenir des dommages graves et
irréversibles.
2131
À l’heure où la plupart des systèmes juridiques militent pour une indemnisation sans faille des victimes,
consacrer l’exonération du producteur ramerait forcément à contre courant avec cet impératif qui vise à
protéger des personnes sans défense frappées par le coup du sort. Si les victimes des catastrophes comme
celle de l’amiante, la vache folle, le sang contaminé et bien d’autres ont pu bien être indemnisées en
France, il n’est pas impossible que dans les systèmes juridiques des pays membres de la CIMA, la
responsabilité des fabricants puissent ne pas être reconnue. Ainsi, serait-il mal venu de penser que l’on
puisse ignorer une telle responsabilité dans les pays où les personnes sont plus vulnérables, alors même
qu’elle est maintenue dans les pays plus développés où les individus vivent dans des conditions meilleurs,
comme la France.
2132
En effet, l’exonération pour risque de développement est largement défavorable aux consommateurs.
Elle ne devrait donc pas être privilégiée dans les systèmes juridiques africains marqués par la présence des
industries faibles et la régulière importation des produits défectueux. La réglementation desdits produits
devrait donc être stricte pour donner une protection suffisante aux consommateurs. Ainsi, maintenir la
responsabilité du producteur en cas de risque de développement serait une meilleure solution pour les pays
du Tiers Monde, car les pays qui consacrent l'exonération du producteur, le font pour protéger leurs
industries sur le marché international.
2133
Sh. A. ADJITA, Contribution à la protection juridique du consommateur dans les pays en voie de
développement : cas de l'Afrique, Thèse de doctorat, UACF, inédit, 1996, p. 245
2134
Même si les assureurs tendent de plus en plus, fréquemment à exclure ce type de risque de leur garantie.
Comme ça a été le cas dans l’affaire de sang contaminé.
2135
P. PEUGEOT, « Qu’est ce qu’un dispositif de responsabilité ? », Risques n° 10, avril - juin 1992,
cahiers de l’assurance, p.10 et s.
2136
Coût des risques survenus, réparti et compensé entre tous les autres.
517 

 
effectuer cette estimation, l’assureur détermine, à partir des statistiques des risques
réalisés, une fréquence moyenne et un coût moyen du segment des risques mutualisés.
Ce qui implique une expérience statistique du risque exigeant une prise en compte de
deux phénomènes : l’anti sélection2137 et le hasard moral2138.
Dès lors, le financement du risque par le jeu de la mutualisation est rendu
difficile ou trop risqué d’abord, lorsque le risque est insuffisamment aléatoire ;
ensuite, quand le risque est d’une ampleur catastrophique potentiel, au regard de la
faculté contributive des assurés à la mutualité ; et enfin, lorsqu’il y a maîtrise
insuffisante des risques liés aux nouvelles technologies, faute d’expérience dans
l’analyse du risque et d’outil statistique exploitable.
De ce qui précède, il appert que le risque de développement est aléatoire,
parce que même si la défectuosité, qui en est la cause, existe au moment où le produit
est mis en circulation, l’on ne sait jamais vraiment quand les connaissances
scientifiques et techniques seront assez évoluées pour le détecter. En revanche, ce
risque, non seulement, révèle une ampleur catastrophique, mais aussi, rentre dans la
catégorie des risques insuffisamment maitrisés par les assureurs.
Fort d’une telle réalité la question qui mérite d’être posée est celle de savoir
si l’assureur africain du marché CIMA est capable d’assurer le risque de
développement, lorsqu’on sait que cet espace marchand connait encore beaucoup de
difficultés et redoute encore assez l’assurance de responsabilité civile. Cependant, si
l’histoire2139 a pu montrer que les assureurs ont su prendre des risques difficilement
assurables voire inassurables2140 quand les conditions de mutualisation du risque
étaient restaurées2141, il apparait bien possible que, l’assureur du marché CIMA soit
capable d’assurer le risque de développement.
En tout état de cause, assurer le risque de développement dans la zone
CIMA est bien possible à partir du moment où ce dernier devient une cause de
responsabilité du producteur. Ce d’autant plus que Cette possibilité trouve des
fondements tant sur le plan juridique (A), que sur le plan pratique (B).

A) Les fondements théoriques ou juridiques


Les fondements juridiques de l’assurabilité du risque de développement
relève d’une nécessité théorique de ce phénomène dans le marché de l’assurance
africaine en général et en particulier de l’assurance CIMA. Cette nécessité théorique
est justifiée tant par le souci de consolidation des institutions de responsabilité civile
et d’assurance (1), que par l’ambition d’atteinte des finalités de droit (2).
                                                            
2137
En cas d'anti sélection, la mutualité des assurés est essentiellement constituée par des risques lourds
(sinistralité supérieure à la moyenne), les risques "normaux" n'ayant que peu d'intérêt à s'assurer parce que
leur risque est faible ou bien ils estiment leur cotisation trop élevée du fait de la présence majoritaire de
risques lourds. Le prix de l’assurance devient alors économiquement trop élevé. Le phénomène d'anti
sélection se renforce si bien que seuls les risques lourds restent dans la mutualité, ce qui provoque
mécaniquement une aggravation de la sinistralité.
2138
Le hasard moral est lié au fait qu’un agent économique, une fois assuré, peut modifier son
comportement et ainsi influer négativement sur la mutualité.
2139
C. BELLENGER, Histoire de l’assurance de dommages en France, thèse, Panthéon-Assas, 27 juin
2011.
2140
Notamment, les risques nucléaires, les catastrophes naturelles
2141
Notamment, l’existence de plafonds de garantie ou d’une large assise de la population assurée
518 

 
1)
La consolidation des institutions de responsabilité civile et
d’assurance dans l’espace CIMA.
Comme toute assurance, l’assurance de responsabilité civile après
livraison, couvre nécessairement un risque, qui n’est pas le produit en lui-même, mais
sa défectuosité. En effet, l’assurance responsabilité civile du fait des produits livrés ne
joue que lorsque le produit livré est défectueux. Cependant, lorsque la défectuosité du
produit est prévisible ou connue l’assurabilité du produit est une évidence. Mais,
lorsque la défectuosité n’est ni prévisible, ni connue, comme c’est le cas du risque de
développement, l’assurabilité du produit devient difficile et tout le débat sur la
possibilité d’assurer un tel risque prend son sens.
En réalité, il demeure important de signaler que l’assurabilité du risque
de développement dans l’espace CIMA pourrait s’expliquer par le souci de consolider
les institutions de responsabilité civile et d’assurance. Ainsi, admettre l’inassurabilité
du risque de développement reviendrait à dépouiller la responsabilité civile de tout
son sens. En effet, la responsabilité civile est une obligation légale, qui trouve sa
source dans l’article 1382 du code civil2142 selon lequel : « Tout fait quelconque de
l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est
arrivé, à le réparer ». La lecture de cette disposition laisse paraître clairement que la
fonction principale de la responsabilité civile est la réparation. Or, refuser
l’assurabilité du risque de développement, susceptible d’entrainer des dommages
irréversibles, transfrontaliers et sériels serait admettre que l’on puisse subir un
dommage sans pour autant prétendre à la réparation des conséquences de ce dernier.
La réparation serait quasiment inexistante dans de pareilles circonstances dans la
mesure où les dommages résultant du risque de développement ne sauraient être
efficacement réparés en dehors des mécanismes d’assurance, compte tenu de leur
gravité et de leur ampleur.
A cet effet, Yves JOUHAUD2143 a eu raison d’affirmer qu’ « une
société ne peut vivre et se développer que s’il existe des règles de responsabilité qui
doivent être déterminées et se révéler efficaces et fiables au regard de leur finalité. Et
ces règles ne peuvent être efficaces et fiables que s’il existe une assurance à la clef,
qui est elle-même efficace et fiable ». Responsabilité et assurance sont donc
étroitement imbriquées, elles constituent un couple nécessaire. En effet,
l’indemnisation de la victime serait rarement effective si elle était supportée par le
seul patrimoine du responsable. L’assurance fait ainsi « figure de bonne fée »2144 de la
responsabilité civile et en augmente l’efficacité. Peut-être a-t-elle d’ailleurs donné
l’illusion d’un pouvoir infini, puisqu’il n’est pas, aujourd’hui, de dommages
d’ampleur minime ou dramatique dont on n’attende de réparation par les assureurs de
dommages. Toutes choses qui témoignent de ce que l’inassurabilité du risque de
développement ne saurait être admise car, elle remettrait en cause la fonction de
réparation de la responsabilité et anéantirait son efficacité.

                                                            
2142
Code civil français applicable au Cameroun.
2143
Y. JOUHAUD, op. cit. p. 10.
2144
Voir ibidem, p. 11.
519 

 
Dès lors, l’assurabilité du risque de développement renforcerait
l’assurance de responsabilité civile dans l’espace CIMA, où les assureurs ont encore
une profonde aversion des risques de responsabilité civile. De plus, la nécessité
d’assurer le risque de développement dans l’espace CIMA viserait à atteindre des
finalités de droit.

2) L’atteinte des finalités de droit


L’admission de la couverture assurantielle du risque de développement
aiderait à préserver non seulement l’équité et la justice, mais aussi la stabilité et la
sécurité sociales. En effet, le droit pour être efficace, doit poursuivre cumulativement
diverses finalités. Ces finalités, de façon ramassée sont regroupées en deux
catégories : les finalités idéales développées par les tenants du droit naturel qui
découlent de l’observation de la nature2145 ; et les finalités matérielles qui résultent
majoritairement de la conception positiviste du droit2146. Pour les premières, le droit
doit reposer sur l’idéal de justice, qui permettrait d’aboutir à l’utile, afin de mieux
organiser la société.
Concernant l’idéal de justice, le courant naturaliste2147 pense que la
recherche de la justice doit primer sur le respect de la légalité. Ainsi, le droit ne doit
pas organiser la société à tous les prix, mais il doit le faire en respectant les lois de la
nature. Certains auteurs pensent à cet effet que « La règle de droit positif se confond
avec la règle morale »2148, car comme l’affirme le doyen RIPPERT, « Le droit se
ressource dans la sève morale »2149. Dans le cas d’espèce, la justice voudrait que l’on
favorise la condition des victimes des dommages résultant du risque de
développement, qui le plus souvent, se retrouvent dans un état de vulnérabilité et
d’indignité. Cette action passerait alors par l’admission d’une couverture d’assurance
de ce risque, puisque le producteur ne saurait faire face aux conséquences qui en
résultent avec le seul patrimoine de l’entreprise productrice, au risque de la voir
fermer ses portes. La justice doit donc être considérée comme une des fins premières
du droit. La notion de justice peut refléter le juste, l’équitable et même l’égalité. Elle
implique l’existence d’un ordre supérieur qui assure le triomphe des intérêts les plus
respectables.
Quant à l’utile, il désigne généralement ce qui permet de servir le plus
grand nombre de personnes. C’est dans ce sens qu’un courant philosophique initié par
Jérémy BENTHAM2150 admet que l’utile est le principe de toutes les valeurs dans le
domaine de la connaissance, comme dans celui de l’action. L’assurance doit donc
pouvoir être un outil mis à la disposition de la société pour rendre service à tous les

                                                            
2145
Cette école est l’œuvre des auteurs comme : PLATON, MONTESQUIEU, Saint Augustin, Saint
Thomas DAQUIN, Emmanuel LEVY, Emmanuel KANT, GROTIUS, et bien d’autres.
2146
Cette conception du droit résulte de la pensée des auteurs, notamment : HEGUEL, HANS KELSEN,
Paul AMSELECK et bien d’autres.
2147
Développé par certains auteurs, E. Kant, Fondement de la métaphysique des mœurs, traduction V.
DELBOS, Delagrave, éd. 1983, p. 1 et s.
2148
C’est globalement la pensée des auteurs comme DABIN, ROUBIER et RIPPERT.
2149
G. RIPPERT, La règle morale dans les obligations civiles, Paris, Librairie Générale de Droit et de
Jurisprudence, 1949, pp. 261 et s.
2150
J. BENTHAM., introduction aux principes de la morale et de la législation, 1789, pp. 1 et s..
520 

 
hommes, sans aucune distinction. Dans ce sens, elle constituera un moyen utile et
remplira par conséquent l’une des finalités du droit.
Les finalités matérielles,2151 quant à elles, se résument de manière non
exhaustive en la sécurité des personnes et des biens, la stabilité des situations
juridiques, l’organisation de l’économie, le progrès social, la réalisation d’un système
politique, l’harmonisation de la vie en société. L’inassurabilité du risque de
développement ne saurait donc permettre au droit de la responsabilité civile et au
droit de l’assurance d’intégrer ces finalités, puisqu’elle ne contribue qu’à léser les
intérêts tous aussi légitimes de certaines victimes. Ce qui pourrait alors renforcer
l’insécurité juridique, voire l’instabilité sociale. Le progrès social en prendrait aussi
un coup, car ce refus d’assurer les grands risques, qui pourrait s’assimiler à la
démission des entreprises d’assurance, contribue à maintenir le marché assurantiel
CIMA à la traine, avec ses tares et ses insuffisances.
Il ressort de toutes ces observations que, l’exigence de l’assurabilité du
risque de développement reste incontournable dans le marché assurantiel CIMA, ce
d’autant plus qu’elle trouve des fondements, non pas seulement sur le plan théorique,
mais aussi sur le plan pratique.

B) Les fondements pratiques


Qu’est-ce qui, sur le plan pratique, pourrait justifier l’assurance des
dommages provenant du risque de développement dans l’espace communautaire
CIMA ? La réponse à cette question révèle le rôle important de l’assurance en
Afrique. En effet, le secteur mondial de l’assurance occupe une position clé
permettant d’aider les individus, les communautés et les entreprises à comprendre,
gérer et limiter les risques tout en protégeant leurs actifs. Des marchés florissants
soutiennent des communautés vivantes et inversement. La fourniture de produits, de
services et d’expertise en matière d’assurance est un ingrédient fondamental pour
accompagner le développement économique et la croissance de la société.
Ainsi, à mesure que les défis communs environnementaux,
technologiques et de développement durable se clarifient, le secteur d’assurance
remplit un rôle essentiel, afin d’aider les hommes à mieux appréhender le futur et à
lui faire face avec courage. Ces défis sont notamment, le changement climatique,
l’épuisement des ressources, la dégradation environnementale, la dérive
technologique, et toutes les myriades d’autres problématiques qui menacent
l’humanité. Pour ce faire, il propose une analyse de risque approfondie et un système
de pré-alerte. Il devient ainsi possible de faire des choix mieux informés, de
développer l’activité économique, puis de créer et soutenir des moyens d’existence
durable.
Serait-il alors indiqué de soustraire certains risques du domaine de
l’assurance, juste parce que, ceux-ci ne rempliraient pas les caractères classiques du
risque assurable2152 ? Il en résulte alors une réponse négative. De manière plus
concrète, couvrir le risque de développement serait justifié par la double nécessité de
                                                            
2151
Elles sont soutenues par le courant positiviste.
2152
Ces conditions peuvent être d’ordre légal, moral, économique, statistique, politique, juridique,
technique , conf. J. LANDEL, op. cit. p.55.
521 

 
renforcer le rôle socio-économique de l’assureur africain (1), et d’aider à instaurer
une meilleure prise en charge financière des victimes (2).

1)
Le renforcement des capacités techniques des professionnels
d’assurance en Afrique.
L’un des problèmes majeurs du marché de l’assurance CIMA est
l’étroitesse de la matière assurable. En effet, le marché connait un grand nombre
d’assureurs qui se partagent un nombre réduit des parts de marchés. Cette situation
s’explique d’abord par le fait que certains domaines d’activités restent encore non
légiférés par les systèmes juridiques des pays membres de la CIMA, comme c’est le
cas du risque de développement2153. Elle s’explique ensuite par la relative inertie des
assureurs qui, au lieu d’élargir leur assiette assurable, en créant de nouvelles parts de
marchés, se cantonnent tout simplement à discuter le nombre réduit existant pour
fournir leurs portefeuilles. Cet état de choses conduit à des pratiques vicieuses
comme la sous tarification et débouche même parfois à la liquidation des compagnies
d’assurance2154.
De ce qui précède, l’on peut déduire que l’assurabilité du risque de
développement dans le marché communautaire de l’assurance serait d’une utilité
multiple. D’abord, elle élargirait le domaine de l’assurance, car elle en consisterait
une part de marché qui viendrait s’ajouter à celles déjà existantes. Le rendement serait
positif, le chiffre d’affaire augmenterait et le marché se développerait.
Ensuite, la couverture du risque de développement dans l’espace CIMA
permettrait à l’assureur africain d’assumer sa mission de conseil, car cette couverture
assurantielle pourrait permettre au fabricant de bénéficier de conseils en matière de
prévention. En effet, avant la souscription de la police d’assurance, une évaluation du
risque est réalisée : l’assuré met à la disposition de l’assureur un ensemble
d’informations générales ou spécifiques à travers un questionnaire dûment remplis,
ainsi qu’un certain nombre d’éléments techniques. L’assureur procède alors à
l’analyse de ces informations. Il peut alors formuler des recommandations pour aider
le producteur à mieux prévenir et cerner les risques de dommages liés à son activité
et, par conséquent, l’aider à définir sa politique de prévention en matière de
responsabilité civile.
En outre, assurer le risque de développement dans l’espace CIMA
permettra de définir le niveau de l’implication des assureurs en termes financiers. Ce
qui conduira à un travail d’exploration du risque et de tarification. Ainsi l’on
envisagera la fixation des plafonds de garantie et des limites dans le temps,
notamment en prévoyant les clauses réclamation ou de limite de la constatation du fait
générateur2155. Ces mesures demanderaient donc une bonne étude actuarielle, qui
                                                            
2153
Au Cameroun par exemple, la loi-cadre portant protection du consommateur consacre le principe de
réparation des dommages subis par les consommateurs, mais ne fait référence en aucun cas du risque de
développement.
2154
Voir supra, p. 10.
2155
Ces clauses sont aussi dénommés les « claims made », elles sont des clauses qu’on insère dans les
contrats d’assurance responsabilité civile, et précisent que la garantie déclenchée par la réclamation du
tiers. De ce fait, l’assureur ne couvre pas les réclamations concernant les faits survenus avant la
souscription du contrat, sauf s’il est prévu une clause de reprise du passé inconnu, et celles présentées après
522 

 
exigerait une bonne maitrise de toutes les données nécessaires par les actuaires.
L’exigence d’un tel niveau de maitrise technique ne ferrait que renforcer les capacités
des professionnels d’assurance, car même si l’expertise actuarielle est acquise, il faut
aussi que les producteurs et les distributeurs de l’assurance soient capables de bien
maitriser les conditions générales et spécifiques d’assurabilité du risque de
développement.
Ces conditions devront être définies afin d’éviter que la profession soit
exposée à de nouvelles « crises » de la responsabilité civile. Comme pour tous les
sinistres sériels impliquant des indemnisations de victimes corporelles, la position
défensive de la profession est rapidement battue en brèche par la société civile,
relayée par les pouvoirs publics. L’on considère ainsi les assureurs et les réassureurs
comme des « deep pockets » dans lesquelles les juges et les victimes se sentent
autorisés à puiser. L’histoire récente de la responsabilité civile médicale de certains
systèmes juridiques comme la France a d’ailleurs bien montré l’extrême difficulté
qu’il y a à justifier des provisions importantes pour des sinistres sériels2156, en même
temps que l’appétit des acteurs de la société civile pour la recherche de
responsables2157.
Enfin, l’assureur est généralement considéré comme un partenaire dans
la gestion des sinistres, conformément aux stipulations contractuelles. Dans le cas du
risque de développement, il sera aux côtés du fabricant, dès que ce dernier lui aura
déclaré le sinistre. Ce partenariat est fondamental, notamment dans la phase clef que
représente l’évaluation des dommages et dans la formation des propositions des
mesures de réparation. Ainsi, l’assureur désignera un expert ayant pour mission de
constater, de décrire, d’évaluer les dommages et d’en déterminer les causes.

Toutefois, il ne suffit pas que l’assurabilité soit possible, son effectivité doit
aussi être envisagée. Ce qui convoque alors l’instauration d’une meilleure prise
charge des victimes du risque de développement.

2)
L’instauration d’une meilleure prise en charge financière de
l’indemnisation des victimes.
La question envisagée ici, est celle de savoir comment l’assureur du
marché CIMA qui connait encore beaucoup de difficultés structurelles et
conjoncturelles pourra-t-il indemniser efficacement les victimes du risque de
développement, quand on sait que ce risque relève généralement d’une ampleur
exceptionnelle ? La réponse à cette question vise à déterminer les modalités de la
prise en charge financière de l’indemnisation.
Partant, l’assureur pourra soit garantir un tel risque seul, soit recourir
aux mécanismes alternatifs de financement. En effet, souscrire une garantie
responsabilité civile pour risque de développement permettrait au fabricant, en

                                                                                                                                              

sa résiliation, sauf en cas de souscription d’une garantie subséquente, conf. J.LANDEL, Lexique des termes
d’assurance, 6è éd. L’argus, 2010, p.105.
2156
Voir supra, p. 4.
2157
M. NKOUENDJIN YOTDA, « Un mort qui rapporte 198 millions : les compagnies d’assurances en
péril ? », in Revue Penant, n° 788 - 789 de Juillet à Décembre 1985, pp. 219 et s.
523 

 
qualité d’assuré, de transférer une partie de son nouveau risque entre les mains de
l’assureur. En l’occurrence, ce dernier prendra alors en charge les frais de prévention
et de réparation des dommages incombant au fabricant au titre de sa responsabilité
civile. A cet effet, il pourra être recommandé au producteur de contacter son assureur
dès la mise en œuvre des premières mesures, afin qu’il s’assure auprès de lui que les
premiers frais seront bien couverts. Sous réserve du libellé exact des contrats
d’assurance et de la mise en œuvre correcte et effective des actions de prévention et
ou de réparation, ces frais peuvent couvrir le coût de l’évaluation des dommages, les
mesures de prévention et de réparation, les frais d’étude exposés pour arbitrer entre
différentes options d’actions de réparation des dommages, les frais administratifs,
judiciaires et les frais d’exécution, les coûts de collecte des données, les frais
généraux et les coûts de surveillance et de suivi.
La solution assurantielle permet donc au fabricant de se prémunir
contre les conséquences pécuniaires liées aux opérations de prévention et de
réparation dudit dommage, en transférant une partie de ce risque à l’assureur. Toutes
choses qui seraient impossibles si la couverture assurantielle de ces risques était
refusée au fabricant d’un produit qui doit assumer les conséquences dommageables de
ce dernier. L’activité du producteur pourrait alors être asphyxiée par les charges
résultant du coût de la prévention et ou de la réparation de ces risques. Plus grave
encore, les victimes pourraient se retrouver sans indemnisation, ni réparation,
puisque le seul patrimoine du fabricant ne pourrait pas supporter le coût de toutes ces
charges.
En outre, pour une plus grande efficacité de la prise en charge des
sinistres, l’assureur pourra faire recours aux mécanismes alternatifs de financement,
notamment la coassurance2158 et la réassurance2159. La coassurance désigne une
division horizontale du risque. Elle permet à l’assureur de partager les conséquences
d’un risque qui pourrait s’avérer graves avec d’autres assureurs qui reçoivent aussi
une partie de la prime versée par l’assuré. La réassurance, quant à elle, est une
division verticale du risque. Elle permet à l’assureur de transférer à un autre assureur,
appelé réassureur, tout ou une partie du risque, moyennant paiement d’une prime. Ces
deux mécanismes sont d’autant plus indiqués qu’ils génèrent de plus en plus des
techniques plus performantes et plus efficaces. Ainsi, se développent la coassurance
communautaire2160 qui reste très indiquée pour des dommages de nature
transfrontalières, des mécanismes de titrisation, ainsi que les techniques de

                                                            
2158
J. LANDEL, Lexique des termes d’assurance, l’Argus, 2010, 6è éd., p.110.
2159
Ibidem, p. 437.
2160
En effet, la nécessité de trouver des sociétés d’assurance susceptibles de leur accorder des pleins
d’assurance de plus en plus importants, conduit les entreprises à rechercher des assureurs au-delà de leur
frontière nationale. Ainsi, dans les marchés européens par exemple, les entreprises d’assurance
interviennent pour obtenir une couverture plus complète de leurs risques si le marché national ne suffit pas. 
524 

 
réassurance modernes comme la réassurance financière2161 et la réassurance
captive2162.

Bien plus, la prise en charge financière de l’indemnisation des victimes


du risque de développement serait meilleure si l’on va au-delà de la recherche des
solutions assurantielles, pour se tourner vers d’autres moyens, notamment
l’intervention des pouvoirs publics. En effet il pèse sur l’Etat, une obligation de
sécurité publique. Ainsi, chaque fois que cette sécurité n’est pas garantie, ce dernier
doit en répondre d’une manière ou d’une autre.
Dans, le cas spécifique de la prise en charge des victimes du risque de
développement, qui entrainent généralement des dommages de grande ampleur, les
pouvoirs publics pourraient soit engager le budget de l’Etat2163, soit créer des fonds
d’indemnisation qui faciliteraient une telle indemnisation2164. Ces fonds pourraient
donc être financés, soit par les fabricants, soit par les acteurs de la société civile2165,
soit par les assureurs2166. La seconde démarche serait la plus efficace, car elle
permettrait à tous les acteurs de la chaine de consommation et de production de
s’investir dans la maitrise de la notion assez flou et délicate, qu’est le risque de
développement.

Au terme de cette analyse, il ressort que le discours sur l’inassurabilité du


risque de développement est un discours de faiblesse dans une société où l’aversion
au risque croît. Les barrières qu’il croit ériger sont toujours surmontables, et la lettre
de la loi cède toujours devant les nécessités sociétales. Ainsi, l’exonération du
producteur ne saurait être envisagée ici. Ce serait se détourner de la réalité juridique et

                                                            
2161
La réassurance dite financière ou « finite » désigne une forme de réassurance « en vertu de laquelle la
perte maximale potentielle du réassureur, découlant d’un transfert significatif à la fois des risques liés à la
souscription et des risques liés à l’échéance des paiements, excède à concurrence d’un montant important
mais limité, les primes dues par la cédante sur toute la durée du contrat », conf. J.LANDEL, op. cit.438.
2162
La réassurance captive désigne une société de réassurance qui est créée par un ou plusieurs groupes
industriels ou commerciaux dans le but de couvrir les risques supportés par l’ensemble du groupe et de
récupérer ainsi les produits financiers issus des sommes consacrées à cette couverture. Ainsi, Les sociétés
captives, créées vers 1920 aux Etats-Unis se sont d’abord développées outre atlantique vers les années
1960, puis en Europe vers les années 1970. Il y aurait environ 4000 à 4500 captives dans le monde. En
France, 65% environ des sociétés du CAC, 40 possèdent une structure captive. Sur cette question M.
Charbonier, une nouvelle génération des captive, Trib. ass., juillet – août 2002 – 32, cité par J. LANDEL,
op.cit., pp.87 - 88.
2163
Dans ces cas, les indemnités versées aux victimes seront des montants forfaitaires et seront directement
imputés au budget de l’entité administrative concerné et rattachée principalement à l’Etat, ou plus rarement
à d’autres collectivités territoriales. Ce budget serait financé par la masse fiscale des contribuables, donc
par le corps social tout entier.
2164
Sur la nature plurielle des fonds d’indemnisation créés en France, conf. J. KNETSCH, op.cit. pp. 5 et s.

2165
Notamment, les ONG, l’église, les associations, certains personnalités et le patronnât.
2166
Tel est le cas pour le FGAO (art. L.421 – 4 et R. 421-27, 1 à 3 (Assur.) et le fonds de garantie des
assurés (art. R 423-13 (Assur). Il est également à noter que le fith a été mis en place en 1991 grâce aux 183
millions d’euros versés par les assureurs (cf. FITH, rapport annuel d’activités 2001-2002, p.20).
525 

 
factuelle de l’évolution sociétale. De plus, L’inassurabilité, brandie par la profession,
n’a guère de fondement technique, sinon la difficulté de tarification, qui semble
toujours surmontable, si l’on fait, en cela, confiance à l’efficacité de la science
actuarielle2167.
Dès lors, il faut donc commencer à réfléchir aux « risques inassurables »
dont l’assurabilité, de facto et de jure, devient une exigence du fait de la pression
sociale. En effet, il convient de constater que le risque de développement est l’affaire
des assureurs, des producteurs et des consommateurs. Ce qui implique qu’il ne s’agit
plus d’opposer les intérêts des parties en cause, mais de redéfinir et concilier les droits
et devoirs de chacun. Pour ce faire, l’on convient avec Aurore BOUIX2168que, le
producteur doit rester responsable en cas de risque de développement, car consacrer
son irresponsabilité, contribuerait à enraciner une insécurité à l’égard des
consommateurs et des victimes des produits défectueux. En effet, c’est le producteur
qui est à la source du danger puisqu’il prend la décision de mettre un produit en
circulation. Ainsi, pour réduire au maximum les risques de survenance d’un défaut, il
faut inciter ce dernier à gérer ses risques le plus économiquement possible, à les
minimiser par une forte action de prévention, à en assumer, en propre, une partie non
négligeable2169 et à intervenir le plus tôt possible, une fois le dommage détecté2170.
Toutefois, il faut des limites préétablies à l’indemnisation des victimes
éventuelles. Ces limites pourront être dans le temps2171 et dans le montant2172 de
l’indemnisation, car plus longue est la période demandée aux assureurs, moins
importante est la capacité, qu’ils peuvent proposer. Aussi doit-on créer un fonds
d’indemnisation, afin de parachever la garantie des victimes en cas d’absence
d’assurance du responsable, d’insuffisance de l’indemnité d’assurance, ou en cas de
drame national d’une ampleur imprévisible et touchant l’opinion publique.

Pour que ces solutions n’entrainent pas la déresponsabilisation des


consommateurs qui n’en sont pas moins responsables, parce qu’ils exigent des
produits de plus en plus perfectionnés, mais n’acceptent plus d’envisager d’avoir à
supporter les risques inhérents à ces nouveaux produits, il conviendra au législateur de
fixer, en considération des paramètres en cause, des règles de responsabilité efficaces
et fiables, permettant de réaliser une répartition équitable des risques dans la société
de demain.

 
                                                            
2167
 P. THOUROT, « Le risque de développement », Scor Paper, n°11, p.6. 
2168
A. BOUIX, op.cit. p.15.
2169
Notamment les risques proprement liés à son métier qui sont identifiables, parfaitement maîtrisables par
lui et supportables financièrement.
2170
Notamment par des mesures de retrait de produits de la circulation.
2171
On pourrait par exemple instituer des délais de prescriptions plus courtes. La directive du 25/07/1985
prévoir ainsi un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le plaignant a ou aurait en connaissance du
dommage, du défaut et de l’identité du producteur (art.10).
2172
Notamment grâce à des plafonds d’indemnisation. Art. 16 de la directive du 25/07/1985.
526 

 
PRATIQUE
PROFESSIONNELLE

527 

 
528 

 
Le vœu de pauvreté des religieux en RDC: une embûche à l’exécution des
décisions judiciaires conformément à l’acte uniforme sur les voies d’exécution ?

Par LELO PHUATI Evariste


Assistant à l’Université Président Joseph Kasa Vubu en RD. Congo/Boma
Avocat au Barreau de Matadi et Formateur en Droit OHADA

INTRODUCTION
L’homme dans l’état de nature vivait selon son gré, sans être soumis à une
quelconque règle. La justice était alors une question purement privée : chacun
s’efforçait de se faire justice2173. Mais depuis la création de l’Etat, la société vouée à
l’état de nature a connu une profonde transformation : le monopole de la mission de
rendre justice a été confié exclusivement à l’Etat comme l’un des attributs de sa
souveraineté.
Depuis lors, nul ne peut se rendre justice2174. Toute personne physique ou morale
s’estimant être victime d’un préjudice doit s’adresser aux institutions judiciaires
légalement établies pour chercher à obtenir réparation2175. Celles-ci selon une
procédure appropriée rendent des décisions appelées jugements ou arrêts selon
qu’elles sont rendues par des Tribunaux ou des Cours. Les décisions ainsi rendues
doivent en fin de compte être exécutées.
En effet, l’exécution des décisions judiciaires est même l’essence de l’activité du
juge et gage de l’Etat de droit. En réalité, « la finalité de toute décision judiciaire ou
arbitrale, avant dire droit ou définitive, c’est d’être exécutée par les parties. Sinon, le
recours à la justice étatique ou même arbitrale n’aurait aucun sens si la décision qui
est rendue ne peut être exécutée volontairement ou par force »2176. Joseph
DJOGBENOU abonde dans le même sens lorsqu’il soutient que : « …le droit serait
sans intérêt pratique et son enseignement vain s’il n’est envisagé par la loi les
mécanismes de son appropriation effective, de sa consommation »2177.
Les règles à suivre pour exécuter une décision judiciaire diffèrent selon que la
condamnation prononcée porte sur la personne ou sur les biens du condamné.
Concernant l’exécution sur les biens, l’article 245 de la loi congolaise dite foncière
pose un principe fondamental en ces termes : « Tous les biens du débiteur, présents et

                                                            
2173
A. NTUMBA LUABA, Droit constitutionnel général, Presses Universitaires Africaines, Kinshasa,
2007, p.22.
2174
La légitime défense qui est appliquée en RDC comme principe général du droit permet néanmoins à
toute personne victime d’une agression injuste de se faire justice mais sous certaines conditions.
2175
Le code de procédure civile congolaise prévoit par ailleurs la possibilité pour les parties de se référer à
des arbitres privés pour le règlement de leurs litiges. C’est aussi le cas de l’Acte Uniforme relatif au droit
de l’arbitrage adopté le 11 mars 1999.
2176
KABASELE N. et MUDIANAMBU An., « Désignation des arbitres dans une sentence arbitrale », in
Cahiers Africains des Droits de l’Homme et de la Démocratie, 15ème année N°031VOLI, Janvier-Juin 2011,
p.46.
2177
J. DJOGBENOU, L’exécution forcée. Droit Ohada, 2ème édition, Centre de Recherche et l’Etude en
Droit et Institutions Judiciaires en Afrique, Cotonou, 2011, pp.13-14.
529 

 
à venir sont le gage commun de ses créanciers et le prix s’en distribue entre eux par
contribution, à moins qu’il n’y ait entre les créanciers des causes légales de
préférence ».
En vertu de cette disposition, toute décision judiciaire prononçant une
condamnation pécuniaire crée un droit de créance au profit de son bénéficiaire et doit
en principe être exécutée de gré ou de force sur le patrimoine du condamné2178,
notamment par la saisie de ses biens. C’est donc sur l’actif du patrimoine de toute
personne que s’exécutent les condamnations pécuniaires prononcées à sa charge.
Par ailleurs, l’exécution effective des décisions judiciaires a certes un rôle
important dans la sécurisation juridique et judiciaire des affaires et, par ricochet, dans
l’attraction des investissements dont l’Afrique a besoin pour son développement
durable. En réalité, l’exécution des décisions judiciaires est notamment un facteur de
création d’un climat propice aux affaires. Conscient de cette évidence, les pères
fondateurs de l’OHADA ont prévu un acte uniforme spécifique sur cette question. Il
s’agit précisément de l’Acte uniforme sur les procédures simplifiées de recouvrement
et voies d’exécution du 10 avril 1998. Et, l’article 336 de cet Acte prévoit une
disposition finale rédigée à des termes « sévères2179». Nous y lisons ce qui suit : « Les
présent acte uniforme abroge toutes les dispositions relatives aux matières qu’il
concerne dans les Etats parties ». L’article 28 alinéa 1er du même Acte est on peu
plus explicite sur cette question lorsqu’il dispose qu’ : « A défaut d’exécution
volontaire, tout créancier peut, quelle que soit la nature de sa créance, dans les
conditions prévues par le présent Acte uniforme, contraindre son débiteur défaillant à
exécuter son obligation à son égard ou pratiquer une mesure conservatoire pour
assurer la sauvegarde de ses droits »2180.

                                                            
2178
Une telle décision peut également être exécutée sur le patrimoine des héritiers du défunt s’ils n’ont pas
renoncé à la succession.
2179
Le caractère sévère de cette disposition finale réside dans le fait que « le législateur ohadien » y
soutient que l’acte uniforme n’abroge pas seulement les dispositions internes des Etats membres qui lui
sont contraires ; mais il abroge plutôt toutes les dispositions en vigueur dans les Etats Membres de
l’OHADA qui traitent la question relative aux procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution.
Il va de soi que la formulation de cette disposition finale est fondamentalement différente des dispositions
finales d’autres actes uniformes qui, elles ne prévoient que l’abrogation des dispositions internes contraires.
2180
Nous estimons que c’est avec raison que MASUANGI MBUMBA soutient que même la partie civile
bénéficiaire des dommages et intérêts prononcées par une juridiction répressive en sa faveur doit se
conformer à l’Acte uniforme sur les procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution pour les
recouvrer (Cf. J. MBUANGI MBUMBA, Des questions controversées de procédures civile et pénale
devant les juridictions congolaises de droit commun, Editions Presses de la Funa, Kinshasa, 2014, p.98).
Appolinaire SABA est également du même avis lorsqu’il écrit que : « Cet instrument (l’Acte uniforme du
10 Avril 1998) est désormais utilisé dans tous les Etats signataires du traité de l’OHADA et abroge toutes
les procédures comparables existant dans l’espace OHADA avant son entrée en vigueur (Cf. SABA A., La
protection du créancier dans la procédure simplifiée de recouvrement des créances civiles et
commerciales. Droit de l’OHADA et pratiques européennes, Global Finance Securities, Paris, 2011, p.3.
Joseph DJOGBENOU abonde pratiquement dans le même sens en soutenant que : « Les procédures
d’exécutions en Droit OHADA sont ouvertes « quelle que soit la nature de la créance. Peu importe l’origine
de la créance ou, plutôt sa nature, sociale, commerciale, civile, fiscale etc. ; l’exécution forcée a lieu de
référence et dans les matières visées par le législateur OHADA, conformément aux règles posées par l’Acte
Uniforme » (Cf. J. DJOGBENOU, Op.cit, p. 19). Ces arguments contredisent de manière évidente certains
praticiens du droit en RDC qui estiment à tort que l’Acte uniforme du 10 avril 1998 ne régit que les
créances de nature commerciale.
530 

 
Il est donc clair que les auteurs de cet Acte uniforme ont voulu qu’il soit le seul à
être appliqué dans le domaine des procédures simplifiées de recouvrement et voies
d’exécution dans l’espace OHADA. Telle est également la position de la Cour
Commune et d’Arbitrage qui a arrêté que : « L’Acte uniforme portant organisation
des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution contient aussi
bien des lois de fond que de procédure qui, en la matière ont seules vocation
s’appliquer dans les Etats parties »2181.
Cependant, en dépit de cette évidence, l’efficacité cet Acte uniforme peut être
sujet à caution lorsqu’il doit être appliqué en exécution d’une décision judiciaire ayant
prononcé une condamnation pécuniaire contre un religieux en République
Démocratique du Congo au regard de son vœu de pauvreté.
En effet, l’on sait qu’en faisant le vœu de pauvreté, les religieux renoncent à leurs
biens présents et/ ou à venir (y comprise leur vocation ou aptitude à être propriétaire)
au profit de leurs instituts ou congrégations. Les biens qui peuvent normalement leur
revenir sont acquis de droit par leurs instituts religieux2182. Ils deviennent incapables
de jouir pleinement du droit de propriété selon le droit canonique2183.
Ce qui précède, nous amène légitimement à nous poser la question de savoir
comment peut-on appliquer l’Acte uniforme du 10 avril 1998 contre les religieux en
exécution des condamnations pécuniaires prononcées à leur charge lorsqu’on sait
qu’au regard de leur vœu de pauvreté, ils ne peuvent en principe être propriétaires ?
Telle est la question essentielle autour de laquelle nous allons réfléchir.
Dans notre démarche, nous analyserons le vœu de pauvreté des religieux(I) avant
de parler des condamnations pécuniaires en Droit congolais(II). Nous terminerons par
la problématique de l’application effective de l’Acte uniforme sur les procédures
simplifiées de recouvrement et voies d’exécution contre les religieux en RDC au
regard de leur vœu de pauvreté(III).

I. Le vœu de pauvreté des religieux


Pour mieux comprendre le sens et les effets du vœu de pauvreté selon le droit
canonique, nous commencerons par une brève notion des instituts religieux et des
religieux.
A. Notions sur les Instituts religieux et les religieux
1. Les instituts religieux
L’institut religieux est une société (fondée au sein de l’Eglise catholique
romaine) dans laquelle les membres prononcent, selon le droit propre, des vœux
publics perpétuels ou temporaires à renouveler à leur échéance, et mènent en commun
la vie de fraternité2184.
Il faut relever qu’il existe en République Démocratique du Congo plusieurs
instituts religieux qui sont désignés de diverses manières : Congrégation, Couvent,
Monastère, Communauté, etc. Cependant, de façon globale, il y a une distinction entre
les instituts religieux de droit pontifical et ceux de droit diocésain. Les premiers sont
                                                            
2181
CCJA, arrêt n°012/2002 du 18 avr.2002, Total Fina c/ Société COTRACOM, GD-CCJA, p.588.
2182
Canon 668§1.
2183
Canon 668§5.
2184
Canon 607§2.
531 

 
ceux qui dépendent du Pape. Ce dernier doit en approuver les actes fondateurs. Ces
instituts sont généralement installés dans plusieurs Etats. Les seconds sont ceux qui
dépendent de l’Evêque. Il doit également en approuver les actes fondateurs. Leur
champ de travail se limite au diocèse.
Historiquement, l’initiative de création des instituts religieux a toujours été
l’œuvre des individus (homme et femme) inspirés2185. Lorsqu’ils sont créés, les
instituts religieux ne font pas partie de la hiérarchie de l’Eglise. Ils sont autonomes.
C’est ainsi que sous réserve des dispositions générales prévues dans le code de droit
canonique de 1983, ils sont régis par un droit propre qui tient compte de leur nature
particulière2186. Ce droit est généralement consigné dans un document appelé
Constitution ou Code Fondamental.

2. Les religieux
Nous donnerons une définition sur ce qu’il faille entendre par religieux avant
d’évoquer les conditions requises pour être admis dans un institut religieux.

a) Définition
Les religieux sont des membres d’un institut religieux qui ont émis des vœux
temporaires ou perpétuels selon le droit propre. Ces membres sont communément
appelés frères, sœurs, pères, moines… Ils ne sont pas à confondre avec les clercs.
Selon le droit canonique, les religieux sont des hommes et femmes qui se sont
consacrés à l’Eglise d’une manière particulière2187. SERIAUX ajoute que les religieux
sont des personnes qui ont dédié entièrement leur vie au service de Dieu2188. Pour
cette raison, ils font les vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance.

b) L’admission dans les instituts religieux


L’admission d’un individu dans un institut religieux commence généralement par
le noviciat. Les novices sont soumis à une formation spécifique avant de devenir
religieux et font des vœux temporaires et ensuite des vœux perpétuels.
Selon le canon 641, le pouvoir d’admettre les candidats au noviciat appartient aux
supérieurs compétents selon le droit propre de chaque institut. Toutefois, certaines
conditions sont fixées en se basant notamment sur l’âge, l’état de santé, le
tempérament, les qualités et la maturité.

B. Le vœu de pauvreté : son fondement et ses effets sur le patrimoine du


religieux
Les religieux font le vœu de pauvreté. Ce vœu ne saura manquer d’incidences
sur le patrimoine des religieux.

                                                            
2185
E. LELO PHUATI, Les règles canoniques des successions face au Droit positif congolais, Mémoire de
licence, UKV, 2007-2008. p.48.(inédit)
2186
Comité canonique des religieux, Directoire canonique de vie consacrée et sociétés de vie apostolique,
Cerf, Paris, 1986, p.25.
2187
Canon 587§1.
2188
A. SERIAUX, Le droit canonique, PUF, Paris, 1997, p.399 et ss.
532 

 
Nous analyserons donc le fondement du vœu de pauvreté et ses incidences
sur le patrimoine du religieux.

1. La signification et le fondement du vœu de pauvreté


Le vœu de pauvreté signifie l’acceptation par les religieux d’être pauvres et de
mener une vie de pauvreté. Pour cette raison, ils sont tenus d’intérioriser et
d’exprimer l’esprit de pauvreté. Ils doivent donc dépendre de leurs supérieurs même
pour l’acquisition et l’usage de leurs biens propres2189. Le fondement de ce vœu se
trouve dans le christianisme. En effet, le droit canonique renseigne que les religieux
font le vœu de pauvreté en imitant le Christ qui s’était fait pauvre à cause des
hommes alors qu’il était riche2190.

3. Les effets et les conséquences du vœu de pauvreté sur le patrimoine du


religieux
Nous pouvons dégager trois effets essentiels :

a) La cession de la gestion des biens propres


La cession dont il est question ici ne concerne que les novices admis dans des
instituts religieux où les membres sont autorisés à être propriétaires de leurs biens
acquis avant les vœux perpétuels. Le canon 668 §1 dispose à ce sujet : « Avant leur
première profession, les membres céderont l’administration de leurs biens à qui ils
voudront et, à moins que les constitutions n’en décident autrement, disposeront
librement de l’usage de leurs biens et leur usufruit… ». En effet, les novices avant
d’émettre leurs vœux temporaires sont tenus de céder l’administration de leurs biens
à une personne de leur choix.
Cette cession résulte du vœu de pauvreté. Elle intervient avant même que les
novices ne deviennent des religieux, c’est-à-dire, avant l’émission des vœux. A titre
illustratif, les novices admis dans la congrégation des Frères de Saint Joseph du
Diocèse de Boma2191 procèdent à cette cession (voir article 44 de leurs constitutions).

b) L’incapacité d’acquérir des biens après les vœux perpétuels


Cette incapacité concerne les instituts religieux dans lesquels les membres
sont tenus de renoncer à leurs biens avenir, c’est-à-dire, ceux acquis après les vœux
perpétuels par un travail personnel ou au titre de l’institut et ceux qui leur proviennent
de quelque autre source : pensions, subventions, rentes… Ces biens sont acquis de
droit par l’institut ou la congrégation.
Il se constate dans la pratique que, dans la plupart de cas, ces religieux ne
disposent pas de biens de grande valeur2192. En RDC, cette situation s’explique
                                                            
2189
Concile œcuménique Vatican II, Constitutions, Décrets, Déclarations, Messages, Centurion, Paris, 1967,
p.482.
2190
Concile œcuménique Vatican II, Constitutions, Décrets, Déclarations, Messages, Centurion, Paris, 1967,
p.482.
2191
Boma est une ville située à l’ouest de la République Démocratique du Congo, plus précisément dans la
province du Bas-Congo.
2192
 Nous pouvons dès lors comprendre pourquoi les testaments des religieux membres de ces instituts ne
portent que sur les biens acquis avant les vœux perpétuels si, bien sûr, de tels biens existent. 
533 

 
essentiellement par le fait que l’âge d’admission au noviciat coïncide généralement
avec celui de la fin d’études secondaires (études de baccalauréat dans d’autres pays).
Il y a alors lieu de se demander ce que peut avoir un jeune diplômé congolais comme
biens de grande valeur.
Parmi les instituts religieux qui sont régis par ces règles dans notre pays, nous
pouvons citer les congrégations des Frères de Saint Joseph de Boma, des Sœurs
Servantes de Marie, des Pères Passionnistes.
Après les vœux perpétuels, les religieux de ces instituts renoncent donc à la
capacité d’acquérir. Toutefois, nous précisions que cette incapacité de jouissance
n’est que partielle car les religieux concernés restent tout de même propriétaires des
biens acquis avant les vœux perpétuels au cas où ils existeraient.

c) L’incapacité totale ou la renonciation au droit de propriété


En raison de la nature propre à certains instituts religieux, les religieux qui y
sont membres renoncent totalement au droit de propriété. Cette renonciation s’étend à
leurs biens présents et à venir. En faisant le vœu de pauvreté, ils perdent la capacité
d’acquérir des biens. Autrement dit, ils deviennent incapables de jouir du droit de
propriété au regard du droit canonique.
Le canon 668 §5 déclare à ce sujet : « Le profès (religieux), qui aura, en raison
de la nature de son institut, renoncé totalement à ses biens perd la capacité d’acquérir
et de posséder2193, c’est pourquoi il pose invalidement les actes contraires au vœu de
pauvreté. Les biens qui lui adviennent après cette renonciation reviennent donc à
l’institut selon le droit propre ». Les Sœurs de la congrégation de Saint Vincent de
Paul Servantes des Pauvres, par exemple, procèdent à la renonciation totale. De ce
fait, le droit canonique les considère incapables de jouir du droit de propriété.
Cette précision sur les instituts religieux, les religieux et le vœu de pauvreté
nous permet d’aborder les sortes des condamnations de nature pécuniaire qui peuvent
être prononcée en Droit Congolais tout en se pencher sur la question de leur exécution
au regard du droit OHADA.

II. Les condamnations pécuniaires en Droit congolais et leur exécution


au regard de l’AUPSRVE
Nous donnerons une notion sur les condamnations pécuniaires, leur nature et leur
exécution au regard l’Acte uniforme du 10 avril 1998 portant procédures simplifiées
de recouvrement et voies d’exécution.

A. Notion
Les condamnations pécuniaires sont parmi les mesures auxquelles les
juridictions congolaises peuvent recourir pour sanctionner les violations des lois et
des obligations.
Nous entendons par condamnation pécuniaire, toute condamnation de nature
pécuniaire qu’une juridiction prononce contre une personne à titre de remboursement

                                                            
2193
Ici, par posséder il faut comprendre être propriétaire.
534 

 
ou de réparation d’un préjudice ou encore à titre de frais occasionnés par une instance
judiciaire à laquelle elle a succombé totalement ou partiellement.
B. La nature des condamnations pécuniaires
En Droit congolais, les condamnations pécuniaires peuvent notamment être
prononcées par une juridiction pénale, civile, administrative ou arbitrale.
1. Les condamnations pécuniaires prononcées par les juridictions civiles
Par juridictions civiles, on entend celles qui sont légalement compétentes pour
connaître des affaires de droit privé, c'est-à-dire les affaires où ne se trouvent en jeu
que les intérêts particuliers2194. Nous assimilons par extension les matières du travail
et commerciales aux matières civiles.
A ce niveau, la juridiction civile peut prononcer les condamnations pécuniaires
suivantes :
- le payement d’une créance pure et simple2195 ;
- le payement des dommages et intérêts2196; et
- le payement des frais de justice.
2. Les condamnations pécuniaires prononcées par les juridictions répressives
Par juridictions répressives, il faut entendre celles qui sont légalement
compétentes pour connaître des faits infractionnels et de prononcer les peines prévues
par la loi. La procédure devant ces juridictions est inquisitoriale2197.
Ces juridictions peuvent prononcer les condamnations pécuniaires suivantes :
- payement d’une créance soit à titre de remboursement ou de restitution ;
- le payement des dommages et intérêts. Ces dommages et intérêts peuvent être
prononcés d’office2198 ou à la requête de la victime qui a saisi la juridiction par
citation directe ou qui s’est constituée partie civile2199 ;
- les amendes judiciaires. L’article 5 du Code pénal congolais livre Ier retient la peine
d’amende parmi les peines applicables aux infractions en République Démocratique
du Congo. Il s’agit donc là d’une condamnation pécuniaire. Toutefois, le juge dans sa
décision peut prévoir que la peine d’amende sera remplacée par une peine de
servitude pénale subsidiaire qui ne doit jamais dépasser six mois2200 au cas où elle
(l’amende) n’est pas payée dans le délai ;
- les frais de justice.
3. Les condamnations civiles prononcées par les juridictions administratives
La juridiction administrative est celle qui est compétence pour statuer sur les
matières administratives. Conformément à l’article 1492201 du Code d’Organisation
                                                            
2194
H. LEVY-BRUHL, Sociologie du droit, PUF, Paris, 1964, p.7.
2195
C’est le cas d’une juridiction qui ordonne la restitution ou le remboursement d’une créance principale.
2196
Ils peuvent être compensatoires ou moratoires.
2197
La procédure inquisitoriale se caractérise par le rôle actif joué par le juge dans la recherche de la vérité.
2198
Cf. article 108 de la loi organique portant organisation, fonctionnement et compétences des
juridictions de l’ordre judiciaire.
2199
Article 69 du Code de procédure pénale congolais.
2200
Article 12 et 13 du Code Pénal Congolais Livre premier.
2201
Il faut préciser que cette disposition reste en vigueur en dépit de la promulgation de la loi organique
n°13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de
l'ordre judiciaire. C’est ce qui ressort de l’article 154 de cette loi qui dispose ce qui suit : « En attendant
l'installation des juridictions de l'ordre administratif la Cour ·Suprême de Justice et la Cour d'Appel
exercent les attributions dévolues respectivement au Conseil d'Etat et à la Cour Administrative d'Appel
535 

 
Judiciaire du 31 mars 1982, « l’action en réparation du préjudice causé par un acte, un
règlement ou une décision illégale peut être portée en même temps que la demande en
annulation devant la même Cour (d’appel), lorsque le préjudice subi ne peut être
entièrement réparé par l’acte d’annulation ».
Toutefois, la demande de réparation d’un dommage devant la section
administrative de la C.A. ou de la C.S.J. en attendant l’installation effective des
juridictions de l’ordre administratif n’est recevable que si elle est précédée d’une
réclamation devant l’autorité dont l’acte est fait grief. En vertu de ces dispositions, la
section administrative de la C.A. ou de la C.S.J. peut prononcer des dommages et
intérêts contre l’administration ou un particulier, outre les frais de justice.
C. L’exécution des condamnations pécuniaires en OHADA
Rappelons que la finalité de toute décision judiciaire est d’être exécutée. A ce
niveau, nous allons essentiellement parler de l’exécution des condamnations
pécuniaires. Après avoir donné le principe fondamental sur question d’exécution des
décisions judiciaires en Droit Congolais, nous nous pencherons brièvement sur les
procédés d’exécution des décisions judiciaires en Droit OHADA.
1. Principe fondamental sur l’exécution des jugements au regard du droit
congolais
Comme nous l’avons souligné précédemment, la crédibilité de la justice
s’effondrait certainement si les décisions rendues par les Cours et Tribunaux ne
peuvent être exécutées de gré ou de force. L’exécution des décisions judiciaires est
l’essence de la justice. En République Démocratique du Congo, le Constituant en a
même fait une préoccupation majeure. En effet, l’article 149 alinéa 4 de la
constitution du 18 février 2006 telle que révisée à ce jour dispose que : « Les arrêts et
les jugements ainsi que les ordonnances des Cours et Tribunaux sont exécutés au nom
du Président de la République ». L’article 151 du même texte poursuit : « le pouvoir
exécutif ne peut (…) ni entraver la cours de la justice, ni s’opposer à l’exécution
d’une décision de justice ».
Historiquement, les modalités d’exécution des condamnations pécuniaires à
travers le monde ont connu une longue évolution. En droit romain par exemple, la
personne répondait corporellement de ses engagements2202. Ainsi, le créancier non
payé pouvait s’emparer de son débiteur pour le vendre ou le réduire en esclave2203.
Avec le temps, ce procédé manifestement inhumain fut abandonné2204. Depuis
lors, c’est sur le patrimoine du débiteur que s’exécutent de gré ou de force ses
obligations de nature pécuniaire.
Ce principe fut formellement consacré par les articles 2092 et 2093 du Code
Napoléon.

                                                                                                                                              

prévus par la Constitution et appliquent, chacune, les règles de compétence définies par les articles 146 à
149 de  l'ordonnance loi n°82-020 du 31 mars 1982 portant code de l'organisation et de la compétence
judiciaires ».
 
2202
G. KALAMBAY, Droit civil : Régime des sûretés, VOLIII, PUZ, Kinshasa, 1990, p.13.
2203
Ibidem, p.14. Lire également à ce sujet Joseph DJOGBENOU, Op.cit, p.27.
2204
En République Démocratique du Congo, la Constitution du 18 février 2006 telle que révisée à ce jour
interdit formellement l’emprisonnement pour dettes quelles que soient les circonstances.
536 

 
Nous y lisons respectivement :
- Quiconque s’est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur
tous ses biens mobiliers et immobiliers présents et à venir.
- Les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers et le prix s’en distribue
entre eux par contribution, à moins qu’il n’y ait entre les créanciers des causes
légitimes de préférence.
En République Démocratique du Congo, le principe ainsi consacré par l’article
2093 du Code Napoléon avait été repris textuellement par l’article 245 de la loi
foncière2205.
Par ailleurs, le Droit OHADA ne s’écarte pas de cette logique. C’est dans
cadre que l’Acte uniforme du 10 avril 1998 consacre le principe de recouvrement des
créances sur les biens du créancier et non sur sa personne.
2. Le Droit OHADA et l’exécution des décisions judiciaires
Comme pré rappelé, l’importance qu’il y a à faire exécuter les décisions
judiciaires a amené les Etats Membres de l’OHADA à adopter un Acte uniforme
spécifique en la matière. En effet, nous avons précédemment affirmé que l’exécution
des décisions judiciaires est un facteur non négligeable susceptible d’assurer la
sécurité juridique et judiciaire dont l’Afrique a besoin pour son développement.
Cependant, il convient pour nous de préciser d’ores et déjà que notre
démarche à ce niveau ne consistera pas à faire une étude approfondie sur les
procédures simplifiées de recouvrement et les voies d’exécution organisées par l’Acte
uniforme précité. Cela paraît d’ailleurs quasi impossible dans une réflexion du genre.
Cela étant, nous allons nous limiter à donner quelques notions qui nous
permettront de démontrer de quelle manière le vœu de pauvreté que font les religieux
en République Démocratique du Congo peut constituer une embûche à l’exécution
effective d’une décision judiciaire conformément au Droit OHADA. En effet, l’Acte
uniforme du 10 avril 1998 prévoit deux principales sortes de mesures de
recouvrement. Il s’agit d’une part des procédures simplifiées de recouvrement2206, et
d’autre part les voies d’exécution2207. Les procédures simplifiées sont de deux ordres ;
à savoir l’injonction de payer et l’injonction de délivrer ou de restituer un bien meuble
déterminé. La procédure d’injonction à payer est considérée comme étant la
procédure de droit commun. En ce qui concerne les voies d’exécution, l’Acte
uniforme précité organise les saisies conservatoires, la saisie-vente, la saisie-
                                                            
2205
Nous avons déjà donné le contenu de cette disposition dans la partie introductive de la présente
réflexion.
2206
Les procédures simplifiées de recouvrement des créances dans l’espace OHADA sont réglementées par
les articles 1er à 27 de l’Acte uniforme du 10 avril 1998. Ces procédures, en principe, de nature simple et
rapide ont généralement pour particularité de commencer par une injonction du juge, lequel au vu des
éléments de preuve fournis par le créancier, enjoint au débiteur d’avoir à exécuter son obligation dans un
certain délai. (Cf.H. SOLUS et R. PERROT, Droit judiciaire privé, cité par M. ADJAKA, La pratique
simplifiée de recouvrement des créances dans l’espace OHADA, 1ère édition, Ets SOUKOU, Sans date, ni
lieu, p.6).Le débiteur informé de cette ordonnance prise par le Président du Tribunal sur les seuls
prétentions et moyens du créancier peut former opposition en vue d’un débat contradictoire dans le délai de
15 jours. Ce délai court à partir de la signification faite à personne ou à défaut à partir du premier acte
signifié à personne ou suivant la première mesure d’exécution ayant pour effet de rendre indisponible en
tout ou en partie les biens du débiteur.
2207
Les voies d’exécution par contre sont réglementées par les articles 28 à 338 du même Acte uniforme.
537 

 
attribution des créances, la cession et la saisie des rémunérations, la saisie-
appréhension et la saisie-revendication des biens meubles corporels, la saisie des
droits d’associés et des valeurs mobilières et enfin la saisie immobilière.
Les procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ont un
dénominateur commun en ce sens qu’elles portent sur le patrimoine du débiteur. C’est
ainsi que le vœu de pauvreté des religieux qui porte également sur ce même
patrimoine ne peut manquer d’effets à leur égard.

III. L’exécution des décisions judiciaires contre les religieux en RDC


conformément à l’AUPSRVE au regard de leur vœu de pauvreté

Exécuter les condamnations pécuniaires contre un religieux paraît en tout cas


complexe. En effet, nous avons relevé que c’est sur le patrimoine du religieux ayant
pourtant fait le vœu de pauvreté que doit s’exécuter les condamnations pécuniaires
prononcées contre lui.
A ce niveau, nous allons réfléchir sur cette problématique au regard du Droit
canonique (A) et du Droit OHADA (B).

A. Aperçu sur l’exécution des condamnations pécuniaires contre les


religieux au regard du Droit canonique

Le droit canonique n’aborde pas particulièrement la question de l’exécution des


condamnations pécuniaires contre les religieux. L’article 639 du Code du droit
canonique de 1983 fait plutôt allusion à la personne qui doit répondre des actes posés
par un religieux. Nous y lisons en effet : « Si une personne juridique a contracté des
dettes et obligations, même avec la permission des supérieurs, c’est elle qui est tenue
d’en répondre. Si un membre, avec la permission du supérieur, s’est engagé sur ses
propres biens, il doit en répondre lui-même ; mais s’il a reçu mandat de son supérieur
pour régler une affaire de l’institut, c’est l’institut qui doit en répondre. Si un religieux
a contracté sans aucune permission des Supérieurs, c’est à lui d’en répondre et non la
personne juridique. Il reste cependant entendu qu’une action en justice peut toujours
être intentée contre celui qui a tiré avantage du contrat. Les supérieurs religieux se
garderont bien de permettre de contracter des dettes, à moins qu’il ne soit certain que
les revenus habituels puissent couvrir les intérêts et que, dans un délai qui ne soit trop
long, le capital puisse être remboursé par un amortissement légitime ».
De cette disposition, nous déduisons que le droit canonique prévoit deux
solutions au problème des charges pécuniaires qui peuvent peser sur un religieux :
1° L’institut religieux est responsable des actes que le religieux pose au nom et pour
le compte de l’institut.
2° Le religieux est lui-même responsable des actes qu’il pose en son nom et pour son
propre compte.

B. La question de l’exécution des condamnations pécuniaires contre les religieux


conformément à l’AUPSRVE
Le vœu de pauvreté tel qu’il est prévu en droit canonique a des incidences
certaines sur l’application effective de l’Acte uniforme sur les procédures simplifiées

538 

 
de recouvrement et voix d’exécution surtout lorsqu’il faut pratiquer l’un ou l’autre
type de saisie qui y est prévu .
Mais, avant de poursuivre notre réflexion, nous devons relever que le vœu de
pauvreté ne fait même pas partie du droit positif congolais en ce qu’il n’est une simple
règle interne des instituts religieux, qui eux-mêmes ont la nature juridique des
associations sans but lucratif2208.
Ainsi, il convient à ce niveau d’examiner d’abord la conformité de ce vœu au
droit positif congolais avant de nous pencher sur les incidences qu’il peut avoir sur
l’application effective de l’Acte uniforme sur les procédures simplifiées et
recouvrement et voies d’exécution.
1. La question de la conformité du vœu de pauvreté au Droit positif Congolais
Plusieurs congolais ont choisi l’état de vie religieuse et se soumettent de ce
fait, dans les divers instituts religieux implantés en R.D.C. ou ailleurs, aux différentes
règles canoniques que nous venons d’examiner.
Ils sont alors incapables selon le droit canonique.
Nous pouvons ainsi réfléchir sur la conformité de ces règles (canoniques) au
droit positif congolais.
Nous allons commencer par un examen succinct des dispositions légales
congolaises sur la capacité et l’incapacité avant de nous pencher sur la question.
a) La capacité et l’incapacité en Droit congolais
1°) Notion
Les textes légaux en vigueur en République Démocratique du Congo parlent de la
capacité sans en donner la définition.
Nous pouvons nous référer à la doctrine qui la définit comme étant l’aptitude
d’une personne à faire un acte juridique valable2209. En revanche, l’incapacité est
l’état d’une personne privée par la loi de la jouissance ou de l’exercice de certains
droits2210.
La législation congolaise consacre plusieurs dispositions sur la capacité et sur
l’incapacité :

- l’article 211 du code de la famille dispose que: « sauf les exceptions établies par la
loi, toute personne jouit des droits civils depuis sa conception à condition qu’elle
naisse vivante ».

- l’article 23 du CCCL III déclare que : « toute personne peut contracter, si elle n’en
est pas déclarée incapable par la loi ».

Ainsi, en R.D.C., le principe fondamental est que toute personne est capable ; ce
n’est qu’à titre exceptionnel que la loi peut déclarer un individu incapable. Nous
dirons alors que « la capacité est la règle ; l’incapacité l’exception ».

                                                            
2208
Cependant, il faut signaler que certains instituts religieux n’ont pas une personnalité juridique autonome
en dehors de celle des diocèses au sein desquels ils évoluent.
2209
NK. BOMPAKA, Droit civil les personnes, cours polycopié, UKV, 2004, p.22.
2210
R. GUILLIEN et J. VINCENT, Lexique des termes juridiques, Dalloz, Paris, 2005, p.297.
539 

 
La doctrine opère une distinction entre la capacité d’exercice et de jouissance
d’une part et, d’autre part l’incapacité d’exercice et de jouissance
GUILLIEN et VINCENT nous apprennent, en effet, que l’incapacité est dite
d’exercice lorsque « la personne qui en est frappée est inapte à mettre en œuvre elle-
même ou à exercer seule certains droits dont elle demeure titulaire. Elle est dite de
jouissance lorsque la personne qui en est frappée est inapte à être titulaire d’un ou de
plusieurs droits ; elle ne peut être générale »2211.
2°) Les incapables en droit congolais
 Enumération légale
L’article 215 du Code (congolais) de la famille énumère les incapables. Il s’agit
de :
1) mineurs ;
2) majeurs aliénés interdits ;
3) majeurs faibles d’esprit, prodigues affaiblis par l’âge ou infirmes placés sous
curatelle.
L’alinéa 2 de cet article ajoute que la capacité de la femme mariée trouve
certaines limitations conformément à ce texte de la loi.
Nous devons vraiment souligner que cette énumération est limitative et est de
stricte interprétation. Une personne qui n’est pas considérée incapable par la loi
(seule) est capable. Cela revient à dire que la volonté d’une personne de se faire
incapable est inopérante.

 Les régimes des incapables


Les régimes que nous allons présenter ont été institués dans l’intérêt des
incapables eux-mêmes, puisqu’ils visent leur protection.2212
Il existe trois régimes en R.D.C. :
- la représentation : elle consiste dans la substitution d’une personne capable dans
l’exercice du droit. L’incapable disparait en quelque sorte de la scène juridique2213.
C’est le cas des mineurs non émancipés et de majeurs aliénés interdits ;
- l’assistance : c’est une mesure de protection de certains incapables majeurs (faibles
d’esprit, prodigues, mineurs émancipés) pour l’accomplissement de certains actes ;
ces dernières personnes sont alors placées sous curatelle. Le curateur, par son
assistance, confère à l’acte sa validité. Toutefois, celui qui assiste ne représente pas.
- l’autorisation : elle vise d’une manière spécifique la femme mariée ; celle-ci doit
obtenir l’autorisation de son mari avant d’accomplir certains actes juridiques2214.

b) La question de la conformité du vœu de pauvreté au Droit positif congolais


Le vœu de pauvreté institue une incapacité de jouissance privant les religieux
de l’aptitude à être titulaires du droit de propriété de leurs biens présents et/ou à
venir ; les religieux renoncent donc au droit de propriété en tant que faculté ou
aptitude.
                                                            
2211
Ibidem, p.298.
2212
NK. BOMPAKA, op.cit, p.23.
2213
Ibidem.
2214
Article 448 du code de la famille.
540 

 
Par rapport au droit congolais, l’incapacité établie en droit canonique à
l’égard des religieux est sans effet juridique et ce, pour deux raisons essentielles :
D’abord, les articles 212, 213 du Code de la famille et 23 du CCCL III
énoncent clairement que l’incapacité ne peut être établie que par la loi. Celle-ci doit
rester de stricte interprétation, comme nous l’avons dit. L’article 215 du Code de la
famille ne retient nullement les religieux parmi les incapables.
Ainsi, au regard de la loi, les religieux ayant la nationalité congolaise ne sont
pas incapables malgré les règles canoniques auxquelles ils se soumettent et malgré
leurs propres vœux.
Ensuite, la loi congolaise (le code de la famille) reconnaît à une personne
physique le droit de renoncer à certains de ses biens ou même de les céder mais à la
limite de la quotité disponible. Mais nul ne peut renoncer au droit de propriété lui-
même en tant qu’aptitude. En effet, les normes internationales ratifiées par la R.D.C.
garantissent ce droit (droit de propriété) et l’article 34 de la constitution déclare par
ailleurs que « la propriété privée est sacrée ».
Le droit de propriété constitue un droit fondamental, une liberté publique ; il est
inaliénable. Aucun individu ne peut le perdre, temporairement ou définitivement,
partiellement ou totalement, volontairement ou de force, parce qu’il est inhérent à la
personnalité humaine même. Son existence ne dépend ni de la volonté de l’Etat, ni de
celle de son titulaire et ni de celle d’une tierce personne.
En plus, l’article 60 de la constitution du 18 février 2006 telle que révisée à
ce jour déclare solennellement que : « Le respect des droits de l’homme et des libertés
fondamentales consacrés dans la constitution s’impose aux pouvoirs publics et à toute
personne ».
Ainsi, la volonté du religieux de renoncer à son droit d’être titulaire du droit
de propriété est inopérante au regard de la législation congolaise.
2. Le vœu de pauvreté et l’exécution des condamnations pécuniaires
contre les religieux conformément à l’AUPSRVE
Il est certes vrai que le vœu de pauvreté n’est pas conforme au Droit positif
congolais. Mais, il faut avouer que dans la pratique le vœu de pauvreté reste
d’application dans pratiquement tous les instituts religieux installés en République
Démocratique du Congo2215 et ce, avec tous ses effets sur le patrimoine des religieux.
Dans ces conditions, il est clair que lorsqu’un religieux est condamné à payer
une somme d’argent, l’exécution de la décision judiciaire le condamnant peut être
problématique étant donné qu’en vertu du vœu de pauvreté le religieux ne peut
pratiquement pas avoir des biens. C’est justement en cela que le vœu peut constituer
une réelle embûche à l’application fructueuse de l’Acte uniforme sur les procédures
simplifiées de recouvrement et voies d’exécution. En effet, il va de soi que l’huissier
exécutant peut être butté devant une situation de carence des biens du religieux
susceptible de faire l’objet de saisie.
Néanmoins, étant donné que le vœu de pauvreté n’est pas conforme au droit
congolais, nous estimons que l’acte uniforme sur les procédures simplifiées de
recouvrement et voies d’exécution pourra tout de même être appliqué si le religieux
                                                            
2215
Nous pensons que cette situation se justifie notamment par l’inattention et même la passivité des
autorités congolaises.
541 

 
concerné dispose des biens identifiés ou identifiable indépendamment de son vœu de
pauvreté. Tel ne sera pas le cas si pareils biens ne sont pas identifiés ou identifiables.
*L’exécution d’une condamnation pécuniaire contre un religieux ayant des
biens identifiés ou identifiables
Lorsque les biens du religieux ou ceux devant lui revenir sont identifiés ou
identifiables, ils devront en tout cas faire l’objet de saisie conformément à l’une des
formes des saisies prévues par l’acte uniforme du 10 avril 1998 portant procédure
simplifiée de recouvrement et voies d’exécution.
Le religieux ne pourra pas se prévaloir avec succès de son vœu de pauvreté qui,
avons-nous dit ne peut produire aucun effet juridique parce que contraire au Droit
congolais.
Toutefois, nous reconnaissons que l’identification des biens religieux peut
paraître difficile dans la pratique. Ce qui sera défavorable à leurs créanciers.
*L’exécution des condamnations pécuniaires contre un religieux n’ayant pas de
biens identifiés ou identifiables
Lorsque le religieux condamné à payer une somme d’argent n’a pas de biens
identifiés ou indentifiables, l’exécution d’une telle décision ne sera pas possible.
L’huissier exécutant ne pourra qu’établir un procès-verbal de carence.
Néanmoins, le bénéficiaire de la décision concernée pourra l’exécuter sur les
héritiers du religieux après la mort de ce dernier, mais seulement si ces héritiers n’ont
pas renoncé à la succession du religieux.
Par ailleurs, l’exécution de la condamnation pécuniaire à charge du religieux
pourra également se faire sur le patrimoine de l’institut religieux ou celui de l’église
catholique2216 si le religieux condamné avait agit au nom et pour le compte de
l’institut. Mais pour cela il faudrait que l’institut religieux ou l’église ait été
préalablement appelée à l’instance comme civilement responsable

CONCLUSION
Notre réflexion a porté sur le problématique de l’exécution des
condamnations pécuniaires contre les religieux en application de l’Acte uniforme du
10 avril 1998 au regard de leur vœu de pauvreté. Il était essentiellement question
pour nous de réfléchir comment on peut exécuter une condamnation pécuniaire contre
un religieux alors que selon le droit canonique les religieux ne peuvent être totalement
ou partiellement propriétaire de leurs biens.
Pour répondre à cette question, nous avons réparti notre étude en trois
parties essentielles. Dans la première, nous avons analysé le vœu de pauvreté : son
fondement et ses effets sur le patrimoine des religieux. Dans la deuxième partie, nous
avons abordé les différentes condamnations pécuniaires qu’une personne peut
encourir en justice selon le droit congolais. A travers la troisième, nous avons apporté
quelques solutions sur la manière dont uns condamnation pécuniaire contre un
religieux peut être exécutée en application de l’AUPSRVE en dépit de son vœu de
pauvreté.
                                                            
2216
C’est l’église qui doit être civilement responsable lorsque l’institut religieux auquel appartient le
religieux n’a pas de personnalité juridique autonome.
542 

 
Ainsi avons-nous estimé que si le religieux ayant fait un vœu de pauvreté a tout de
même des biens identifiés ou identifiables, ceux-ci feront l’objet de saisie
conformément à l’Acte uniforme précité. Dans le cas contraire, le jugement ne
pourra être exécuté ; à moins qu’il ne le soit contre les héritiers du religieux à sa mort.
Le jugement ne peut en principe être exécuté contre l’Institut Religieux en tant que
civilement responsable que si le religieux avait agi pour le compte l’Institut.
En ce qui nous concerne, nous pensons que le vœu de pauvreté peut
constituer une véritable embûche de fait à l’exécution d’une condamnation pécuniaire
contre un religieux conformément à l’AUPSRVE. Il est clair que cette situation ne
protège pas les bénéficiaires des condamnations pécuniaires et peut même devenir un
facteur de discrédit de la justice congolaise. En effet, nous rappelons que l’exécution
des décisions judiciaires est l’essence de l’activité du juge et gage d’un Etat de droit.
Rien ne sert à gagner une décision judiciaire dont l’exécution est impossible ou
incertaine.
En définitive, nous pensons que le vœu de pauvreté des religieux doit être
repensé car il n’est pas conforme au droit positif congolais. La position de l’article 22
de la Constitution congolaise à son alinéa 2 est ferme à ce sujet. Nous y lisons :
« Toute personne a le droit de manifester sa religion ou ses convictions, seule ou en
groupe, tant en public qu'en privé, (…) sous réserve du respect de la loi, de l'ordre
public, des bonnes mœurs et des droits d'autrui ».
L’article 56 de la loi n° 004-2001 du 20 juillet 2001 portant dispositions
générales applicables aux associations sans but lucratif et aux établissements d’utilité
publique à son point 2 ajoute : « Outre les conditions prévues aux articles 4, 6 et 7 de
la présente loi, l’association sans but lucratif confessionnelle doit remplir les
conditions suivantes: « (…) s’interdire d’édicter des règles ni dispenser des
enseignements qui iraient à l’encontre des lois, de bonnes mœurs et de l’ordre
public…».
C’est notamment à cette condition que l’Acte uniforme du 10 avril 1998
pourrait être appliqué avec succès en exécution d’une condition pécuniaire contre un
religieux.

543 

 
544 

 
Le Règlement du contentieux communautaire par la Chambre Judiciaire de la
Cour de Justice de la CEMAC

Par
Georges TATY, Juge à la Cour de Justice de la CEMAC2217.

Propos introductifs

Le règlement du contentieux communautaire figure parmi les thèmes


classiques de la protection juridictionnelle en droit communautaire.
Lorsque des visiteurs rencontrent à NDJAMENA2218 un juge communautaire,
il arrive bien souvent que l’un d’eux pose la question ‘’ à quoi sert la Cour de Justice
de la CEMAC ?’’2219
La présente contribution vise à travers l’étude du système juridictionnel de la
CEMAC à répondre à cette interrogation.
Précisons que pour la clarté de notre exposé, nous avons choisi de concentrer
notre analyse sur la Chambre Judiciaire excluant la Chambre des Comptes2220 qui n’a
pas vocation, malgré son caractère juridictionnel à connaître du contentieux né de
l’interprétation des normes communautaires, compétence réservée exclusivement à la
Chambre judiciaire, qu’elle partage avec les juridictions des Etats membres dans le
cadre de la question préjudicielle2221.

                                                            
2217
Les opinions exprimées dans cette communication n’engagent que l’auteur, indépendamment de sa
qualité de juge communautaire. 
L’auteur peut être contacté à l’adresse taty_georges@yahoo.fr
2218
La Cour de Justice a son siège à NDJAMENA (République du Tchad).
2219
Selon l’article 5 du Traité instituant la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale, la
Cour de Justice actuelle fonctionne comme une Cour Suprême et comporte deux Chambres : une Chambre
Judiciaire et une Chambre des Comptes dont la composition, le fonctionnement et le champ de compétence
de chacune, sont contenus dans la Convention régissant la Cour de Justice.
La révision du traité de la CEMAC du 25 juin 2008 met fin à cette dualité en créant une Cour de Justice et
une Cour des Comptes.
Ces deux juridictions ne seront effectives qu’après la ratification du traité par tous les Etats membres.
2220
La Chambre des Comptes examine la légalité et la régularité des recettes et des dépenses et s’assure de
la bonne gestion financière de la Communauté. Elle attire l’attention des autres institutions et de l’opinion
sur les irrégularités comptables ou les fraudes qu’elle constate à l’occasion des divers rapports destinés au
Parlement communautaire lors de son contrôle de l’exécution du budget par la Commission. Même si les
textes ne le disent pas, la Chambre peut demander à la Commission de poursuivre les responsables
d’irrégularités ou de fautes présumées voire constatées lors de son contrôle.
2221
Les juges nationaux sont devenus eux-mêmes les juges communautaires de droit commun : les
dispositions directement applicables du droit dérivé sont intégrées dans le droit national sans le relais d’une
procédure parlementaire. Ils sont compétents pour connaître tous les litiges relatifs aux normes CEMAC,
dont un texte n’attribue pas la connaissance à la Chambre Judiciaire.
545 

 
Pourquoi une juridiction régionale communautaire ?

La création d’une juridiction régionale communautaire permettant d’assurer


le respect de la légalité est un élément consubstantiel de la ‘’Communauté de
droit’’2222 pour reprendre la formule utilisée en 1959 par Walter Hallstein, Président
de la Commission des Communautés européennes, citée dans le célèbre arrêt ‘’Les
Verts’’ du 23 avril 19862223.
Il est essentiel en effet que les actes des institutions communautaires
susceptibles de produire des effets juridiques et d’affecter directement les droits et
intérêts des différents sujets de droit soient soumis à un contrôle juridictionnel qui soit
apte à vérifier la conformité des actes des institutions au traité.
Cette communauté de droit qu’emprunte à son tour la CEMAC, exige que les
Etats membres respectent leurs obligations découlant du traité. A défaut, une
procédure en manquement pourra être engagée.

Originalité de la juridiction communautaire

L’originalité de la justice communautaire réside dans le fait que la Chambre


Judiciaire est une véritable juridiction indépendante dont l’archétype est la Cour de
Justice de l’Union européenne2224.
Ce modèle est caractérisé par l’institution d’une juridiction obligatoire, alors
que la Cour internationale de Justice (CIJ), organe judiciaire des Nations Unies, n’est
compétente que si les Etats déclarent accepter sa compétence.
Conséquence : Les Etats membres de la CEMAC s’engagent à ne pas
soumettre un différend relatif à l’interprétation ou à l’application du traité à un autre
mode de règlement autre que ceux prévus par celui-ci.
En adhérant au traité, les Etats ont définitivement accepté la compétence de
la Cour et n’ont pas à donner leur consentement chaque fois qu’un recours est formé à
leur encontre.
La Chambre Judiciaire siège de manière permanente à NDJAMENA. Les
décisions qu’elle rend souverainement ne sont elles-mêmes soumises à aucun
contrôle, ni censure des autres institutions, à fortiori des Etats membres.
Elle fonctionne sur la base de quatre textes : le Traité et son additif, la
Convention régissant la Cour de Justice ; l’Acte additionnel n° 006/00/CEMAC-041-
CCE-CJ-02 du 14 décembre 2000 portant statut de la Chambre Judiciaire ; l’Acte
                                                            
2222
En référence à la notion d’Etat de droit qui s’applique aux Etats membres.
L’Etat de droit peut être défini comme impliquant ‘’l’adhésion à un ensemble de principes et de valeurs qui
bénéficient d’une consécration juridique explicite et sont assortis de mécanismes de garantie appropriés’’
(J. Chevallier, l’Etat de droit, Paris Montchrestien 2010, p. 95).
La CEMAC semble répondre à ces exigences même si des progrès restent possibles.
2223
CJCE, 23 avril 1986, Parti écologiste ‘’Les Verts c/ Parlement européen’’, aff. 294/83, Rec., p. 1339.
2224
La volonté de s’inspirer du modèle de la justice communautaire européenne dans certains espaces
régionaux (UEMOA, CEMAC) s’explique par la dynamique d’intégration qu’a pu enclencher la Cour de
Justice de l’Union européenne dont la fonction fondamentale est le développement de l’intégration.
546 

 
additionnel n° 04/00/CEMAC-041-CCE-CJ-02 du 14 décembre 2000 portant
règlement de procédure.

Composition et organisation de la Chambre Judiciaire

La Chambre Judiciaire compte six juges2225, soit un juge par Etat membre,
désignés d’un commun accord par les gouvernements des Etats membres.
Les juges choisis parmi les personnalités offrant toutes les garanties
d’indépendance et de compétences sont nommés pour six ans. Un renouvellement
partiel des juges a lieu tous les trois ans.
Faute de disposer d’un corps d’avocats généraux, tous les juges, à
l’exception du Président, peuvent être appelés à exercer la fonction d’avocat général.
Les juges désignent parmi eux, le Président pour un mandat de trois ans
renouvelable une fois.
Il dirige les travaux ainsi que les services de la Chambre, repartit les affaires
entre les juges, désigne pour chaque affaire le juge rapporteur, détermine les délais de
procédure et la date des audiences, préside la formation de jugement composée de
trois ou cinq juges.
La Chambre ne peut valablement délibérer qu’en nombre impair, le Président
n’ayant pas de voix prépondérante. A défaut de consensus, les décisions sont acquises
par un vote majoritaire.
L’arrêt rendu ne donne aucune indication sur le point de savoir s’il a rallié
l’unanimité ou seulement la majorité des voix et contrairement à ce qui existe dans le
cadre de certains juridictions internationales (Cour internationale de Justice) ou
nationales (Cour suprême américaine), les opinions dissidentes des juges minoritaires
ne sont pas approuvées.
La Chambre Judiciaire dispose d’un greffe qui exerce des fonctions
classiques : réception, transmission des requêtes, mémoires et autres pièces de
procédure adressées par les avocats et agents des parties, assistance aux audiences,
dressage des minutes, arrêts et ordonnances, garde des sceaux et responsabilité des
archives.

Les compétences de la Chambre Judiciaire

En vertu du principe des compétences déléguées, la Chambre Judiciaire n’a


comme les autres institutions de la Communauté, qu’une compétence d’attribution.
L’article 2 de l’additif au Traité instituant la Communauté rappelle ce
principe en ces termes : ‘’les organisations et les institutions agissent dans les limites
des attributions et selon les modalités prévues par le présent additif, par les
conventions de l’UEAC et de l’UMAC et par les statuts respectifs de ces organes ou
institutions’’.
                                                            
2225
Les juges n’exercent en principe leurs fonctions à la Chambre Judiciaire que ‘’tant qu’ils sont en
fonction effective dans leur pays’’.
Ils ne sont pas les représentants de leurs pays mais doivent être attentifs aux intérêts communs de la
Communauté.
547 

 
L’article 2 de la Convention régissant la Cour de Justice énonce quant à lui
que ’’la Cour est chargée de réaliser par ses décisions l’harmonisation des
jurisprudences dans les matières relevant du domaine des traités et de contribuer par
ses avis à celle des législations nationales des Etats membres dans ces matières’’.
Il en résulte que :
‐ toute compétence communautaire doit trouver son fondement dans une
disposition du traité ;
‐ seule une révision du traité peut modifier l’étendue de la compétence
communautaire.
En vertu de ce qui précède, la Chambre Judiciaire ne peut s’immiscer dans
l’application des textes adoptés dans le cadre d’autres organisations
internationales2226.
Il en va de même pour les recours visant à obtenir l’annulation des décisions
purement nationales2227.
Ceci dit, le système juridictionnel communautaire offre une gamme de
compétences à la Chambre Judiciaire. On traitera donc successivement des
compétences contentieuses, arbitrales et consultatives.

Les compétences contentieuses

Le recours en annulation
Il permet à la Chambre Judiciaire de contrôler la légalité des actes
communautaires de droit dérivé (c’est-à-dire adoptés par les autorités
communautaires) destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers2228, à la

                                                            
2226
CJ. UEMOA, Avis consultatif, 2 février 2000 consacré à l’avant projet du Code des investissements de
l’UEMOA. Le juge de l’UEMOA affirmait ‘’d’une part que la CCJA ne peut saisir la Cour de l’UEMOA
en renvoi préjudiciel parce qu’elle n’est pas une juridiction nationale ; et d’autre part que l’interprétation
par la Cour de l’UEMOA des actes uniformes de l’OHADA porterait atteinte à l’exclusivité de la Cour
Commune de justice et d’arbitrage dans l’application et l’interprétation des Actes uniformes’’.
V. aussi la Cour de justice de l’UE (ord. 23 mai 1996, Zanone ; C-9/968, Tribunal) qui se déclarer
incompétente pour contrôler les actes des organisations internationales.
Pour aller plus loin, lire M. AWANA qui consacre d’importants développements dans sa thèse « les
compétences juridictionnelles dans l’espace OHADA et l’espace CEMAC » ; Yaoundé II, SOA, 2009, n°
168, p. 136.
2227
CJ-CEMAC 1/02/2007, affaire Société des Brasseries du Cameroun c/ République du Tchad. Au regard
du droit interne, la Chambre Judiciaire reste une juridiction externe, incompétente pour se prononcer sur la
légalité interne des actes étatiques.
A contrario, le juge national ne peut pas décider de la nullité d’un acte de droit communautaire (arrêt de la
Cour de Justice de l’UE du 22 octobre 1987, Fotofrost, aff 314/85, Rec 1987, p. 4199).
2228
Selon la Cour de Justice de l’Union, un acte produit des effets juridiques s’il affecte la situation légale
d’une personne physique ou morale en modifiant ses droits et obligations (arrêt du 15 mars 1967 dans les
affaires conjointes 8-11/66 société anonyme des Cimenteries CBR Cementsdjriden N V et autres contre
Commission, Rec 1967, p. 75).
En revanche, un acte donnant entièrement satisfaction à une personne n’est pas susceptible de lui faire
grief. Cette dernière ne peut normalement justifier d’un intérêt à en demander l’annulation.
548 

 
demande d’un Etat membre ou d’une institution communautaire, dans les deux mois
qui suivent leur publication ou notification.
L’article 14 de la Convention mentionne quatre vices susceptibles d’affecter
un acte juridique : l’incompétence, la violation des formes substantielles, la violation
du traité ou de toute règle de droit relative à leur application et le détournement de
pouvoir.
Dans le même délai de deux mois, toute personne physique ou morale qui
justifie d’un intérêt légitime peut saisir la Chambre Judiciaire pour contester des
décisions ou règlements communautaires dès lors qu’elle est directement et
individuellement concernée.
Le critère de l’intérêt individuel a été défini par la Cour de Justice de l’Union
européenne dans l’affaire Plauman : Plauman, importateur de clémentines, a attaqué
une décision de la Commission européenne refusant de suspendre partiellement les
droits de douane applicables à ces fruits. Etant donné que la décision de la
Commission n’était pas adressée à cette entreprise, mais à son Etat d’origine
l’Allemagne, l’entreprise devait prouver qu’elle était individuellement concernée par
l’acte contre lequel elle formait le recours, la Cour a admis « que les sujets autres que
les destinataires d’une décision ne sauraient prétendre être concernés
individuellement que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui
leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à
toute autre personne et de ce fait les individualise d’une manière analogue à celle du
destinataire »2229.
Cette position a été vivement critiquée par la doctrine européenne2230. La
critique s’articulait autour du fait que l’approche adoptée par la Cour de Justice de
l’Union européenne conduisait dans le système juridique de l’Union à un défaut de
protection juridictionnelle effective à laquelle les particuliers ont droit.
Or le ‘’droit au juge ‘’ pour reprendre l’expression de l’avocat général Darmon2231
avait été consacré par la Cour comme un principe général du droit de l’Union dès le
milieu des années quatre vingt.
Il se fondait alors sur les traditions constitutionnelles communes des Etats
membres et les articles 6 et 13 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme
(CEDH).
Il en découle, selon la Cour que les particuliers doivent pouvoir bénéficier
d’une protection juridictionnelle effective des droits qu’ils tirent de l’ordre juridique
communautaire2232.

                                                            
2229
Affaire Plauman c/ Commission, 25-62, arrêt du 15 juillet 1963, p. 199.
Dans cette affaire, la Cour a conclu que la décision de la Commission ne concernait l’entreprise Plauman
que généralement, ‘’en tant qu’importateur de clémentines, c’est-à-dire en raison d’une activité
commerciale, qui, à n’importe quel moment, peut être exercée par n’importe quel sujet, et qui n’est donc
pas de nature à le caractériser par rapport à la décision attaquée d’une façon analogue à celle du
destinataire’’.
2230
Voir Van Raepenbusch, Les recours des particuliers devant le juge de l’Union européenne, Bruxelles
2012, p.26.
2231
Voir Conclusions présentées le 28 janvier 1986, dans l’affaire Huston, 222/84, Rec, p. 1654, points 3 et
suivants.
2232
Points 38 et 39 de l’arrêt du 25 juillet 2002, Union de Pequenos agricutures, C-50/00, Rec., PI-6677.
549 

 
La Cour ajoute pour la première fois, à côté des traditions constitutionnelles
communes des Etats membres et les articles 6 et 13 de la CEDH, l’article 47 de la
Charte des droits fondamentaux comme fondement à la protection juridictionnelle
effective2233.

Ceci dit, la rigidité de l’accès des requérants ordinaires au recours en


annulation des actes qui ne leur sont pas adressés individuellement et directement
conduit à privilégier la voie de la contestation incidente qu’est l’exception d’illégalité.
En effet, l’article 14 de la Convention régissant la Cour de Justice prévoit
formellement que nonobstant l’expiration du délai de deux mois, toute partie peut, à
l’occasion d’un litige mettant en cause un acte de portée générale adopté par une
institution, un organe de la Communauté, se prévaloir des moyens énumérés à
l’article 15 (incompétence, violation des formes substantielles, violation du traité,
détournement de pouvoirs) pour invoquer l’inapplicabilité de cet acte.
L’exception d’illégalité vise non pas à faire annuler un acte mais à le déclarer
simplement inapplicable au litige particulier au cours duquel l’exception a été
soulevée2234.
L’acte ne sera pas annulé pour autant et pourra éventuellement continuer à
s’appliquer dans d’autres circonstances notamment si l’on omet alors de soulever
l’exception.
Signalons que dans sa fonction contentieuse, la Chambre connait en appel et
en dernier ressort, des recours formés contre les décisions rendues par les organismes
communautaires à fonction juridictionnelle en matière disciplinaire.
Nous retiendrons la Commission Bancaire de l’Afrique Centrale
(COBAC)2235, la Commission de Surveillance du Marché Financier de l’Afrique
Centrale (COSUMAF) et, en matière de pratiques commerciales anticoncurrentielles,
le Président de la Commission de la CEMAC qu’assiste le Conseil Régionale de la
Concurrence.
Enfin, le contentieux de la fonction publique communautaire relève, en
premier et dernier ressort, du juge communautaire.
Ce contentieux couvre les litiges nés entre la CEMAC, ses institutions,
organes et institutions spécialisées et leurs fonctionnaires ou agents contractuels, à
l’exception de ceux régis par les contrats de droit local.

Le recours en responsabilité

Prévu par l’article 20 de la Convention régissant la Cour de Justice, le


recours en responsabilité permet aux particuliers ou aux autres Etats membres qui ont
                                                            
2233
Point 37 de l’arrêt Pequenos.
2234
L’exception d’illégalité a pour objet de permettre au justiciable qui n’a pu demander directement
l’annulation d’un acte communautaire illégal d’en faire écarter l’application par la juridiction
communautaire à l’occasion d’un recours dirigé contre un acte d’exécution’’ (Simmenthal c/ Commission,
6 mars 1979, 92/78, p. 777 Conclusions Reisch).
2235
Voir CJ/CEMAC arrêts n° 003 ADD du 16 mai 2002 et n° 003 du 3 juillet 2003, rendus successivement
dans l’affaire TASHA Lowens Laurence ; CJ/CEMAC arrêt n° 006/CJ/CEMAC du 2 juillet 2009, aff. Price
Water House c/ Décision COBAC n° 132 et 133 du 21 août 2006.
550 

 
subi un dommage d’obtenir réparation, sous la forme d’indemnité, de la part de
l’institution ou de l’organe de la Communauté qui en est responsable.
Deux types de recours doivent être distingués :
‐ Les recours mettant en cause la responsabilité contractuelle de la
Communauté lorsque celle-ci est partie à un contrat, à la condition qu’une
clause compromissoire prévoit la compétence de la Chambre Judiciaire en
cas de litige (article 49 du statut de la Chambre judiciaire).
Cette clause a pour unique fonction de déroger au principe général de la
compétence selon lequel compétence est donnée aux juridictions nationales pour
connaître des litiges contractuels dans lesquels la Communauté est impliquée.
En d’autres termes, l’absence de pareille clause rend les juridictions nationales
seules compétentes2236.
‐ Les recours mettant en cause la responsabilité extracontractuelle de la
Communauté en raison d’un dommage causé par ses organes ou ses agents
dans l’exercice de leurs fonctions ; ils peuvent être formés par les particuliers
ou les Etats membres.
Trois conditions doivent être réunies pour que la responsabilité de la
Communauté soit reconnue : l’existence d’un dommage subi par le
requérant, un comportement illégal des institutions communautaires ou de
leurs agents au regard du droit CEMAC, et un lien de causalité directe entre
le dommage subi par le requérant et le comportement illégal des institutions
communautaires ou de leurs agents.

Le recours en responsabilité exercé devant la Chambre Judiciaire n’est


possible que pour mettre en cause la responsabilité de la Communauté.
Les recours dirigés contre les Etats membres en cas de dommage causé par
une mauvaise application du droit CEMAC doivent être exercés devant les
juridictions nationales.
Il en est de même des recours dirigés contre la Banque des Etats de l’Afrique
Centrale (BEAC) pour un refus d’application du droit OHADA2237, la Chambre
Judiciaire n’ayant pas vocation à connaître du contentieux né de l’application ou de
l’interprétation des normes adoptées par les autres organisations d’intégration. En
effet, chaque juge communautaire est juge de son traité.

Le recours préjudiciel
Afin de garantir une interprétation uniforme du droit de la CEMAC dans
l’ensemble de la Communauté, une procédure dite de ‘’renvoi préjudiciel’’ a été mise
en place par l’article 17 de la Convention régissant la Cour de Justice.
A la différence des autres procédures juridictionnelles, le renvoi préjudiciel
n’est pas un recours formé contre un acte communautaire ou national.

                                                            
2236
Voir article 35 de l’additif au traité « la responsabilité contractuelle de la Communauté est régie par la
loi applicable au contrat et mise en œuvre devant les juridictions nationales ».
2237
CJ/CEMAC, arrêt du 26 juin 2014, affaire Bayando DJIMASDE et autres c/ BEAC.
551 

 
La Chambre Judiciaire ne peut être saisie que par le juge. Les parties
litigeantes ne peuvent porter directement la question préjudicielle devant la Cour2238.
Il existe deux types de renvoi préjudiciel :

‐ Le renvoi en interprétation de la norme par lequel le juge demande à la


Chambre Judiciaire de préciser un point d’interprétation du droit
communautaire afin de pouvoir l’appliquer correctement ;
‐ Le renvoi en validité de la norme de la CEMAC par lequel le juge national
demande à la Chambre Judiciaire de contrôler la validité d’un acte de droit
CEMAC.
L’article 17 de la Convention précise que les juridictions nationales qui statuent
en dernier ressort, c’est-à-dire dont les décisions ne peuvent faire l’objet d’un recours,
ont l’obligation d’exercer un renvoi préjudiciel si l’une des parties le demande.
L’arrêt de la Chambre Judiciaire est obligatoire non seulement pour la juridiction
nationale à l’initiative du renvoi préjudiciel, mais également pour l’ensemble des
autres juridictions internes comme à l’égard des autorités administratives des Etats
membres. C’est la différence entre l’arrêt préjudiciel de la Chambre Judiciaire et
l’avis consultatif émis par la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA).

Un acte communautaire serait-il déclaré invalide dans le cadre du renvoi


préjudiciel en validité, l’ensemble des actes adoptés sur la base de celui-ci le sont
également. Il appartient alors aux institutions communautaires compétentes d’adopter
un nouvel acte.
Par ailleurs, si à la requête de la Commission, la Chambre Judiciaire constate
dans un Etat membre, que le fonctionnement insuffisant de la procédure de recours
préjudiciel permet la mise en œuvre d’interprétations erronées du traité, des actes pris
par les organes de la Communauté, elle notifie à la juridiction suprême de l’Etat
membre un arrêt établissant les interprétations exactes2239.
La Cour de Justice de l’Union européenne, qui nous sert de modèle, a de façon
éloquente, par un attendu pédagogique traduit le sens de la fonction d’unification du
droit communautaire, à travers la procédure de renvoi préjudiciel.

                                                            
2238
Aff. Milchwerke, aff. Jointes 31 et 32/62, 14 décembre 1962, Rec. VIII, p. 967 ; Hessische
Knappschaft, 44/65, 9 décembre 1965, Rec, XI, p. 1192 et les Conclusions de M. l’Avocat général Gand.
La question préjudicielle a fait l’objet de très nombreux et excellents commentaires, même si la
jurisprudence de la Chambre Judiciaire n’est pas d’une grande richesse.

Pour aller plus loin, lire ‘’la procédure de renvoi préjudiciel en droit communautaire’’, Georges TATY ;
Revue de droit uniforme africain n° 004-2011, p. 28 et ss ; Marie-Colette KAMWE ‘’le renvoi préjudiciel
devant la Cour de Justice de la CEMAC : une étude à la lumière du droit communautaire européen’’,
cahiers juridiques et politiques. Revue de la faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université de
Ngaoundéré 2010, p. 122 et suivants.

2239
L’article 17 permet de maintenir au droit communautaire le caractère de droit commun aux Etats
membres. En effet, la diversité des droits nationaux est de nature à entraîner le juge national dans des
solutions distinctes, nées tant du caractère propre de certains concepts juridiques et économiques que de la
variété de jurisprudences internes.
552 

 
Elle a estimé que ladite procédure constitue « un instrument de coopération entre
la Cour de Justice et les juges nationaux, grâce auquel la première fournit aux
seconds des éléments d’interprétation du droit communautaire qui leur sont
nécessaires pour la solution des litiges qu’ils sont appelés à trancher »2240.

La compétence arbitrale
L’article 22 de la Convention prévoit que la Chambre Judiciaire connaît des
différends entre les Etats membres pouvant surgir à l’occasion de l’interprétation ou
de l’application du traité lorsque ceux-ci lui sont soumis en vertu d’un compromis qui
doit comprendre l’accord des parties, la définition de l’objet du litige et les questions
posées aux juges.
La compétence consultative
La Chambre Judiciaire dispose enfin d’une compétence consultative en vertu de
l’article 6 de la Convention. A ce titre, elle peut être consultée par un Etat membre, ou
une institution sur les projets d’actes communautaires.
Cette compétence a été élargie par la Convention du 30 janvier 2009 régissant la
future Cour de justice aux difficultés rencontrées par les institutions ou organes de la
Communauté dans l’application du droit communautaire et aux accords
internationaux dont la conclusion est envisagée par la Communauté.

De nouvelles compétences
Le traité révisé de Yaoundé2241 de 2008 a institué de nouvelles compétences. Il
s’agit essentiellement :
‐ du recours en manquement qui permet au juge communautaire de contrôler
le respect par les Etats membres des obligations que le droit communautaire
fait peser sur eux. Il est exercé soit par la Commission, soit par un Etat
membre à l’encontre d’un Etat membre, lorsque le premier estime que le
second n’a pas respecté le droit de la CEMAC. Le manquement peut être la
conséquence d’actes ou de faits comme l’adoption d’un texte contraire au
droit de la CEMAC, ou d’omissions et d’abstentions, comme le retard dans
la transposition d’une directive par un Etat membre.

‐ du recours en carence. Il est dirigé contre l’inaction d’une institution, d’un


organe de la Communauté.
Si cette inaction est illégale au regard du droit de la CEMAC, la Cour constate la
carence, et l’institution ou l’organe concerné doit prendre les mesures appropriées.
La carence s’entend de l’absence ou de l’omission d’action de l’institution
concernée alors que le droit de la CEMAC imposait une obligation d’agir.
L’absence ou l’omission a donc un caractère illégal.

Après l’étude des compétences de la Chambre Judiciaire, il convient de


s’intéresser à la procédure, aux voies de recours et à l’exécution des arrêts.
                                                            
2240
CJCE, ord. 26 janvier 1990, Falciola, affaire C-286/88, Rec., p. 191
2241
Ce traité ainsi que les conventions subséquentes n’entreront en vigueur qu’après la ratification par tous
les Etats membres de la CEMAC.
553 

 
La Procédure
La Chambre Judiciaire dispose de son propre règlement de procédure.
Comme tout système contentieux, le règlement de procédure a prévu le mode de
saisine de la Chambre Judiciaire.

L’article 13 dudit règlement distingue :


‐ les requérants privilégiés : les Etats membres, les institutions ou organes de
la Communauté qui peuvent former un recours en annulation devant la
Chambre Judiciaire sans devoir démontrer un intérêt à agir pour autant que
l’acte soit attaquable ;
‐ les requérants non privilégiés : les particuliers qui doivent démontrer un
intérêt à agir pour demander l’annulation d’un acte communautaire, c’est-à-
dire l’acte contesté doit être à destination du requérant ou le concerner
directement et individuellement.
Cela étant, les affaires introduites devant la Chambre Judiciaire suivent toutes la
même procédure sous réserve de quelques particularités propres aux renvois
préjudiciels, et au contentieux de la fonction publique communautaire2242.
La procédure comporte une phase écrite et une phase orale.
Une requête écrite par un avocat ou par un agent et adressé au greffe ouvre la
procédure.
Le greffier signifie la requête à la partie adverse qui dispose d’un délai d’un mois
pour présenter un mémoire en défense.
En principe, la partie requérante a la faculté de présenter une réplique, à laquelle
la partie défenderesse peut répondre par une duplique.
L’instruction de l’affaire fait intervenir un seul acteur, le juge rapporteur désigné
par le Président de Chambre. C’est lui qui suivra l’affaire jusqu’à l’arrêt, présentera le
rapport d’audience, proposera le cas échéant des mesures d’instruction.
Un mois avant l’audience, le greffier envoie aux avocats le rapport d’audience
rédigé par le juge rapporteur.
L’avocat de chaque partie a le droit de vérifier si l’essentiel de son argumentaire
a été correctement résumé et si les points de droit ont été fidèlement reproduits.
La Chambre peut siéger en formation plénière (formation de cinq juges) lorsque
la complexité juridique ou l’importance de l’affaire le justifie. Sinon la Chambre siège
en formation restreinte ou ordinaire (formation de trois juges).
A l’audience qui se déroule publiquement, les Etats membres et les institutions
communautaires sont représentés par un agent nommé pour chaque affaire.

                                                            
2242
La saisine du juge communautaire est subordonnée à la saisine préalable du Comité consultatif de
discipline placé auprès de chaque institution, organe et institution spécialisée. Voir CJ/CEMAC arrêt du 18
mars 2004, aff. Galbert ABESSOLO ETOUA c/ CEMAC ; CJ/CEMAC arrêt du 09 juin 2005, aff.
OKOMBI Gilbert c/ CEMAC.
La réclamation de l’intéressé doit avoir abouti à une décision de rejet partiel ou total, explicite ou implicite
de l’autorité compétente. Voir CJ/CEMAC, arrêt n° 004/2011-12 du 09 février 2012, Mohamoud Ibrahim c/
BEAC.

554 

 
Les autres parties sont représentées obligatoirement par un avocat inscrit au
barreau de l’un des Etats membres.
La Chambre ne peut valablement délibérer qu’en nombre impair sur la base d’un
projet d’arrêt établi par le juge rapporteur.
Chaque juge peut proposer des modifications.
La Chambre ne statue que sur des documents dont les parties ont eu
connaissance.
Sauf en matière consultative, la Chambre statue sous forme d’arrêt, et
contrairement à ce qui existe dans le cadre de certaines juridictions internationales
(Cour internationale de Justice) ou nationales (Cour Suprême américaine), les
opinions dissidentes des juges minoritaires ne sont pas autorisées.

La Chambre Judiciaire peut rendre selon les cas :


‐ soit un arrêt d’irrecevabilité : le juge examine d’office le recours en
annulation en vérifiant par exemple les conditions formelles de présentation
du recours telles que l’obligation de consigner la somme de cent mille francs
au greffe pour couvrir les frais d’instance ; l’obligation faite aux parties
autres que les Etats, Institutions de la Communauté d’être représentées par
un avocat. Ces règles sont d’application stricte.
‐ soit un arrêt d’incompétence : la Chambre Judiciaire ne jouit que des
attributions conférées par le traité et ne peut s’arroger le pouvoir de contrôler
la légalité des décisions ou des mesures prises par les autorités judiciaires et
administratives des Etats membres. Cette règle s’explique par la règle de la
séparation des compétences du juge communautaire et des juges nationaux.
C’est la position adoptée par la Chambre judiciaire dans les arrêts Brasseries du
Cameroun et Syndicats des douaniers centrafricains2243.
‐ soit un arrêt de rejet : c’est l’échec de l’action intentée par le requérant après
examen de ses moyens au fond.
Signalons qu’un recours formé devant la Chambre Judiciaire n’a pas pour effet de
suspendre l’exécution de l’acte attaqué.
La Chambre peut toutefois ordonner le sursis à l’exécution ou prescrire d’autres
mesures provisoires (articles 54 à 59 du règlement de procédure).
Elle statue en référé sur une telle demande par un arrêt motivé.
Des mesures provisoires ne sont accordées que si trois conditions sont réunies :
‐ le recours au fond doit apparaître à première vue fondé ;
‐ le demandeur doit établir l’urgence des mesures sans lesquelles il subirait un
préjudice grave et irréparable.
Les mesures provisoires doivent tenir compte de la mise en balance des intérêts
des parties et de l’intérêt général.

                                                            
2243
La Chambre s’est déclarée incompétente pour connaître d’un arrêté du Ministre des Finances du Tchad
(CJ/CEMAC, arrêt du 1er février 2007, aff. Société des Brasseries du Cameroun c/ République du Tchad).
De même, concernant une demande visant à obtenir le sursis à exécution d’un décret du Chef de l’Etat
centrafricain (CJ/CEMAC, arrêt du 10 mai 2007, aff. USTC et Syndicats des douaniers centrafricains c/
Etat centrafricain).
555 

 
L’arrêt a un caractère provisoire et ne préjuge en rien de la décision de la
Chambre dans l’affaire principale.

Les voies de rétractation


Les arrêts de la Chambre Judiciaire ne peuvent faire l’objet que de voies de
rétractation (articles 94 à 99 du règlement de procédure) : l’opposition, la tierce
opposition, la révision, la rectification d’erreurs matérielles et l’interprétation.

L’exécution des arrêts


Les arrêts de la Chambre Judiciaire ont l’autorité de la chose jugée, et force
exécutoire dans l’ordre juridique des Etats membres (article 5 de la Convention
régissant la Cour de Justice repris par l’article 82 du règlement de procédure).
Ils sont susceptibles d’une exécution forcée conformément aux règles de la
procédure en vigueur, après apposition de la formule exécutoire, ‘’sans aucun contrôle
que celui de la vérification de l’authenticité du titre’’, par l’autorité nationale désignée
à cet effet2244.
Si la Chambre Judiciaire est seule compétente pour suspendre l’exécution forcée,
c’est aux autorités nationales de contrôler la régularité des mesures d’exécution et de
trancher les éventuels incidents.
Elles ne peuvent en aucun cas, discuter du titre revêtu de la formule exécutoire.

                                                            
2244
En Belgique, pour prendre appui sur le droit de l’Union européenne, la question a été réglée par la loi :
le Ministre des affaires étrangères procèdera à la vérification de l’authenticité des décisions ‘’formant titre
exécutoire (loi du 6 août 1967). Ces décisions, une fois l’authenticité attestée, sont transmises à
l’intervention du Ministre de la justice au greffier de la Cour d’Appel de Bruxelles, qui appose la formule
exécutoire.
556 

 
La « disharmonie2245 » sur la question de la responsabilité des auxiliaires de
transport maritime en Afrique centrale : Un essai d’harmonisation inachevée du
législateur communautaire de 2012
Par TANKEU Maurice, ATER FSJP- Université de Dschang

Dans le commerce international, la conclusion d’un contrat de vente entraine


inéluctablement la conclusion d’un second nécessaire à l’accomplissement de
l’obligation de livraison du premier : c’est le contrat de transport. Lorsqu’il est conclu
en vue de l’acheminement de la marchandise par le canal de la mer, c’est le contrat de
transport maritime. L’exécution du contrat de transport de marchandises est
décomposée en plusieurs étapes faisant de ce fait intervenir plusieurs opérateurs tel
que l’a relèvé M. SAUVAGE2246. A cet effet disait M. ABOUSSOROR ABDELLAH,
« plusieurs intervenants et intermédiaires participent au montage de ce puzzle2247 ».
Certains interviennent lors de la phase pré et post-maritime, ce sont des agents
terrestres du transport maritime et plus précisément les auxiliaires de transport
maritime. Les plus importants et d’ailleurs relevés par les code communautaire de la
marine marchande qui a connu récemment une rénovation sont : le commissionnaire
de transport, l’entrepreneur de manutention, le consignataire de navire, le
consignataire de cargaison et le transitaire. Ceux-ci accomplissent des fonctions
complémentaires et nécessaires pour l’exécution du contrat de transport et leur
intervention n’a d’égale que son immense difficulté pour les profanes (manutention,
arrimage, consignation, transit, dépôt, déchargement, etc…). Les auxiliaires de
transport maritime encore pour la plupart appelés « exploitant de terminaux de
transport maritime » selon la terminologie utilisée par la Convention de Bruxelles de
1991 sur la responsabilité des exploitants des terminaux de transport maritime2248 sont
des acteurs à part entière du processus de transport. Ce sont des personnes qui, dans
l’exercice de sa profession, prend en garde des marchandises faisant l’objet d’un
transport international en vue d’exécuter des services relatifs au transport en ce qui
concerne ces marchandises dans la zone placée sous on contrôle ou sur laquelle elle a
un droit d’accès ou d’utilisation2249. Lorsque l’ayant droit à la marchandise subit un
dommage leur responsabilité est mise en œuvre suivant les termes de l’article 546
alinéa 12250. Les auxiliaires de transport agissent aussi bien pour le compte du
transporteur que de l’ayant droit à la marchandise. Bien que le plus souvent
mandataires des parties au contrat de transport, les auxiliaires peuvent intervenir à
                                                            
2245
Situation caractérisée par une absence d’harmonisation. Peuvent être considérés comme synonyme les
termes tels que disparité, discordance.
2246
SAUVAGE (F.), Manuel du transport des marchandises par mer, Paris, 1955, no 15.
2247
ABOUSSOROR (A.), L’exécution du contrat de transport maritime de marchandises en droit marocain
et en droit français, Thèse de doctorat, Nantes, 1999.
2248
Art. 1 a.
2249
Ibid.
2250
Le transporteur est responsable du préjudice résultant des pertes ou dommages subis par les
marchandises, ainsi que du retard à la livraison, si l’événement qui a causé la perte ou le dommage ou le
retard est survenu pendant que les marchandises étaient sous sa garde, à moins qu’il ne prouve que lui-
même, ses préposés ou mandataires ont pris toutes mesures qui pouvaient raisonnablement être exigées
pour éviter l’événement et ses conséquences.
557 

 
titre principal et conclure directement le contrat avec le chargeur, c’est le cas du
commissionnaire de transport. Curieusement, cet opérateur ne figure plus parmi les
auxiliaires de transport du nouveau code CEMAC. Est à dire que le commissionnaire
ne fait plus parties des auxiliaires de transport maritime en Afrique centrale ? Une
réponse affirmative est peu probable. On ne pense pas que le législateur CEMAC ait
exclu cet acteur commercial dont la valeur n’est plus à démontrer et qui est d’ailleurs
consacré par l’Acte Uniforme OHADA relatif au droit commercial général. L’activité
de transport étant par ailleurs une activité commerciale par sa nature même2251. Nous
pensons qu’il s’agit d’un oubli malheureux des rédacteurs du texte actuel. M. Gaston
NGAMKAN pense que le législateur a voulu l’envelopper sous la dénomination
d’entrepreneur de transport multimodal2252. Cependant, contrairement à ce point de
vue, nous ne pensons pas que le législateur ait utilisé le vocable « entrepreneur de
transport multimodal » pour désigner le commissionnaire de transport. Car le
commissionnaire n’exécute pas lui-même le transport comme le fait un entrepreneur
de transport multimodal2253, il se borne tout simplement conclure des actes nécessaires
au transport d’une marchandise en son nom et pour le compte du commettant.
L’entrepreneur de transport multimodal par contre agit en son nom et pour son
compte, en tant qu'entité juridique autonome, et assume la responsabilité de
l'exécution du contrat. La consécration d’un tel acteur n’est pas une nouvelle carapace
du commissionnaire de transport jadis retenu par le code de 20012254, mais une
innovation du texte de 2012.
Si le transporteur répond des dommages survenus à la cargaison transportée,
dans la majorité des cas, c’est le fait d’un auxiliaire qui est à l’origine. A cet effet, la
responsabilité de ces derniers est de plus en plus engagée suivant un régime bien
défini par les textes. S’agit-il d’une responsabilité contractuelle ou délictuelle ? A la
lumière des textes pertinents, il s’agit d’une responsabilité contractuelle sans pour
autant négliger la relative responsabilité délictuelle2255. Le régime de la responsabilité
des professions auxiliaires du transport avait été fixé par les articles 440 à 453 du
code communautaire dans sa version de 2001. Ce texte fut fortement critiqué par la
doctrine comme n’intégrant pas les évolutions intervenues sur le plan international. Il
fallait arrimer le texte communautaire à la nouvelle donne internationale2256

                                                            
2251
Le statut de cet acteur avait été consacré par l’article 453 du Code Révisé de la Marine Marchande de la
CEMAC de 2001 qui lui aussi renvoyait aux dispositions aux dispositions de l’acte n°4/96 UDEAC–
611.CE 31 du 16 juillet 1996 portant Convention Inter-Etats de transport multimodal de marchandises en
UDEAC. Voir aussi l’article 94 du code du commerce
2252
NGAMKAN (G.), « Étude comparée entre le droit maritime français et le droit maritime
communautaire de l’Afrique centrale (CEMAC), (suite) », DMF n°739, Septembre 2012, p. 772
2253
L’entrepreneur de transport multimodal est un opérateur qui réalise un déplacement de marchandises
par au moins deux modes de transport différents sur la base d’un contrat unique constaté par un document
unique, couvrant le transport de bout en bout sous la responsabilité d’un opérateur unique. Il peut exécuter
lui-même le contrat de transport ou le faire exécuter par un autre opérateur, sa responsabilité est engagée
dans l’un ou l’autre cas.
2254
Art. 453.
2255
Voir TANKEU (M.), La pluralité d’acteurs dans le transport maritime de marchandises en zone
CEMAC, incidence sur la responsabilité, thèse de Master, Université de Dschang, 2011, p. 94.
2256
Il s’agissait principalement d’intégrer dans le texte communautaire les nouvelles évolutions apportées
sur le plan international par la Convention des Nations Unies sur le contrat de transport international de
558 

 
s’agissant de l’étendue de la responsabilité du transporteur maritime, introduire le
document électronique de transport et étoffer les dispositions relatives aux assurances
maritimes et éluder certaine équivoque sur la responsabilité de l’acconier, pour ne
citer que ceux ci. La nécessité d’une révision du texte s’est fait ressentir. Cette tâche
est confiée à un groupe de travail ayant à sa tête Gaston NGAMKAN. Le document
proposé par ce groupe de travail au Conseil des Ministres en 2011 est une version du
texte de 2001 profondément touchée. Si le travail du groupe de travail est louable, on
peut toujours déplorer qu’aucune attention particulière n’ait été réservée aux
auxiliaires de transport. Les dispositions des articles relatives aux intermédiaires de
transport n’ayant connu qu’une retouche légère. Même si les législations des pays de
l’Afrique francophone sont le plus souvent une imitation conforme de la législation
française, le législateur de l’Afrique centrale avait bien une véritable occasion de faire
preuve d’innovation dans le sens d’une amélioration. Le constat reste simple. C’est la
disparité qui avait déjà été consacré par l’ancien texte. Le texte adopté par le
Règlement no 08/12-UEAC/088-CM-23 du 22 juillet 2012 portant code de la marine
marchande de la CEMAC aménage un régime disparate en ce qui concerne la
responsabilité des auxiliaires de transport d’où une absence d’harmonisation. Le
législateur communautaire CEMAC a une fois de plus raté l’occasion de parfaire
l’harmonisation du régime de responsabilité des auxiliaires de transport. Ce constat
est frappant dans la mesure qu’on ne voit pas pour quelle raison le législateur créerait
une diversité dans le régime de responsabilité des acteurs qui concourent tous à la
réalisation d’un seul objectif : le transport, la garde et la livraison d’une marchandise.
Cette multiplicité des régimes juridiques des exploitants de terminaux du transport est
sans surprendre, car le législateur a aménagé un régime uniforme pour les
transporteurs2257. A ce point, on est porté à se demander en quoi la réglementation du
transport maritime en zone CEMAC présente un manque d’harmonisation dans le
régime de la responsabilité des auxiliaires de transport ? Cette question revêt un
intérêt certain non seulement en raison de son caractère pratique, mais également en
raison de la complexité de régime de responsabilité dans le transport, rendant
opportun la nécessité de la connaissance du régime de la responsabilité de chaque
acteur afin d’éviter toute marge de confusion. Au regard des dispositions pertinentes
susvisées, il appert de répondre à l’interrogation soulevée en adoptant une approche
relativiste en envisageant d’une part l’absence marquée d’harmonisation sur le
principe de la responsabilité (I) et d’autre part la disparité tempérée dans l’application
                                                                                                                                              

marchandises effectué entièrement ou partiellement par mer signée à Rotterdam en 2008 dite Règles de
Rotterdam.

2257
  Distinction  n’est  plus  faite  entre  transporteur  maritime  et  entrepreneur  de  transport  multimodal 
transmaritime. Dorénavant un seul opérateur s’occupe entièrement du déplacement de la cargaison. Le 
Professeur  Olivier  CACHARD  le  relève  fort  opportunément  lorsqu’il  dit  que  «  la  convention  régit  le 
transport  principalement  maritime,  prolongé  par  un  pré  ou  un  post‐acheminement  terrestre… » 
(CACHARD  (O.),  «  La  convention  des  Nations  Unies  sur  le  contrat  de  transport  international  de 
marchandises  effectué  entièrement  ou  partiellement  par  mer  (RR)  »,  Journal  du  droit  international 
(Clunet) n°2, Avril 2012, doctr. 5, n°14.). Voir  NGUENE NTEPPE (J.), « La nouvelle convention des nations 
unies dite ‘Règles de Rotterdam’ et le défi de la construction d’un nouvel ordre maritime international », 
Ramatrans, Janvier 2011, n°3.  
559 

 
des cas exceptés et du plafonnement de responsabilité (II). Mais, avant ceci, il ne faut
pas oublier de soulever les acquis de l’harmonisation.
Des avancées remarquables avaient déjà été faites aussi bien sur la question
de l’étendue que la prescription de la responsabilité de ces acteurs.
Relativement à l’étendue, celle-ci est aussi matérielle que spatio-temporelle.
Sur la question de l’étendue matérielle, on note que la responsabilité est
définie et étudiée par rapport à son origine qui est le dommage. Au même titre que le
transporteur, tous les auxiliaires de transport maritime sont responsables du préjudice
résultant des pertes ou dommages subis par la marchandise ainsi que du retard à la
livraison2258. Selon le vocabulaire juridique de Gérard CORNU, le dommage a pour
synonyme « préjudice » et revoie à toute atteinte subie par une personne dans son
corps, dans son patrimoine ou dans ses droits extrapatrimoniaux2259. Les auxiliaires de
transport sont responsables des dommages matériels2260 subis par la marchandise en
termes d’avaries et de manquants résultants d’une perte2261.
Sur la question de l’étendue spatio-temporelle de la responsabilité des
auxiliaires de transport maritime, la concordance est acquise car, ceux-ci ne sont
responsables de la marchandise que du moment où celle-ci est sous leur garde c’est-
à-dire à partir de la prise en charge jusqu’à la livraison2262. Cette prescription est
soumise au régime défini aux articles 561 à 563 du code communautaire applicable au
transporteur maritime.
Les actions en responsabilité contre les auxiliaires de transport maritimes se
prescrivent par deux ans2263. Avec le nouveau code, le transitaire qui autrefois était
soumis à la prescription quinquennale de droit commun voit les actions à son encontre
se prescrire par deux ans. Il y’ a donc arrimage de la prescription applicable au
transitaire à celle applicable aux autres auxiliaires de transport maritime. On note ici
une avancée remarquable qui participe à une volonté d’uniformisation.

I – Une absence d’harmonisation marquée : un principe de


responsabilité disparate à plusieurs vitesses

Le principe de responsabilité est la manière par laquelle la responsabilité


d’un sujet de droit est retenue et mise en œuvre. S’il ne fait plus de doute que la
responsabilité des auxiliaires de transport peut être engagée pour des dommages subis
par la marchandise lorsque celle-ci était sous leur garde, le constat criard est de voir
                                                            
2258
NGNINTEDEM (J.-C.), La convention des Nations Unies sur la responsabilité des exploitants de
terminaux de transport ou la pièce manquante à l’édification complète du droit de transport maritime de
marchandises en zone CEMAC, juridis Périodique, Juillet-Août-Septembre 2006, p. 99.
2259
CORNU (G.) vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, PUF, 2001, p. 308
2260
Le dommage matériel « désigne toute lésion d’un droit ayant une valeur pécuniaire », STARCK (B.),
ROLAND (H.) et BOYER (L.), Introduction au Droit, Litec, 1988, p. 39, no 84.
2261
Cf. RODIERE (R.), Droit maritime : affrètement et transport, tome II, Dalloz, 1968, p. 241, no 598.
2262
Cf. REMOND-GOUILLOUD (M.), Droit maritime, Pédone, 1993, no 566 ; RODIERE (R.), Droit
maritime : affrètement et transport, op. cit., tome II, p. 241, no 545 ; Cass.Com. 17 Novembre 1992, BLT,
1993, p. 11.
2263
Articles 621 al. 4 (pour le consignataire), 633 (pour l’entrepreneur de manutention) et 641 (pour le
transitaire) code de la marine marchande.
560 

 
qu’il existe une dissonance sur le principe de responsabilité applicable. Cette
différence caractéristique du principe de la responsabilité des auxiliaires de transport
maritime est matérialisée par un dualisme pour certains (A) et un régime unique pour
les autres (B).
A- Un dualisme du principe de la responsabilité de l’acconier et du
consignataire
Par dualisme de principe de la responsabilité qui caractérise le principe de la
responsabilité des auxiliaires de transport maritime, on entend le double principe
applicable à leur égard. Le caractère dualiste avait été consacré par le code révisé de
la marine marchande de la CEMAC de 2001 et repris par le texte de 2012. Ce
dualisme ressort de l’article 6312264 du Code de la Marine Marchande de la CEMAC
pour l’entrepreneur de manutention (1), caractère applicable aux consignataires (2).
1 - Le principe posé à l’article 631 du code CEMAC pour l’entrepreneur
de manutention : un double principe de responsabilité
L’entrepreneur de manutention comme son nom l’indique s’occupe du
déplacement physique de la marchandise. Il effectue aussi des fonctions juridiques à
savoir la réception, la reconnaissance, la garde et la livraison de celle-ci.
La lecture combinée les articles 627 à 629 du code CEMAC permet de
déceler les opérations juridiques et matérielles qu’accomplissent les acconiers2265et
d’en déduire le principe de responsabilité qui en découle. Le double principe de
responsabilité de l’acconier est tributaire du double type d’opérations accomplies.
Ainsi, ressort-il de l’article 631 du texte communautaire que l’entrepreneur de
manutention est débiteur d’une obligation de moyen pour les opérations matérielles
qu’il accomplit (A) et de résultat pour les opérations juridiques (B).
a) Une obligation de moyen de l’acconier pour les opérations
matérielles
L’entrepreneur de manutention est débiteur d’une obligation de moyen pour
les opérations matérielles, ce qui entraine comme conséquence la responsabilité pour
faute ou pour négligence. Mais en quoi consistent les opérations matérielles
effectuées par l’acconier ?
i) La nature matérielle des opérations d’acconage
Les opérations matérielles d’acconage sont des opérations de manutention
pure2266. Elles concernent les activités de chargement et de déchargement telle qu’il
est prévu à l’article 627 du code communautaire en ces termes : « l’entrepreneur de
manutention est chargé de toutes les opérations de chargement et de déchargement
des marchandises, y compris les opérations de mise et de reprise sous hangar et sur
terre-plein, qui en sont le préalable ou la suite nécessaire ». Les opérations
matérielles sont alors des opérations typiquement physiques relatives à la
manipulation de la marchandise. Celui-ci s’occupe d’amener les marchandises ou les
                                                            
2264
Ce texte est une reprise de l’article 449 du code révisé de la marine marchande de 2001.
2265
A titre de comparaison le statut de l’entrepreneur de manutention est identique en droit français et en
Afrique centrale. En effet, il ressort des articles 50 à 57 de la loi du 18 Juin 1966 précitée que
l’entrepreneur de manutention opère aussi les actes matériels que juridiques pour le compte de celui qui a
requis ses services.
2266
Cf. MARAIS (G.) Les transports internationaux de marchandises par mer, LGDP, Paris, 1949, p. 64 ;
ABOUSSOROR (A.), thèse précitée, p. 63, no 99.
561 

 
conteneurs le long du navire, avant de les charger à bord au moyen des grues, de
portiques ou de mâts de charge. Les opérations de mise à bord et de mise à terre étant
effectuées au moyen d’engins de levage qui sont soit des apparaux du navire, soit des
engins appartenant à l’acconier, soit encore des équipements portuaires.
Les opérations matérielles de l’acconier se terminent lorsque celui-ci a mis
les marchandises à bord ou sur le quai et engendre sa responsabilité si le dommage
que subi l’ayant-droit à la marchandise y trouve son origine.
ii) La responsabilité de l’acconier fondée sur la faute ou la
négligence
Pour les opérations de pure manutention2267, l’acconier est débiteur d’une
obligation de moyen2268 dont le corollaire est la responsabilité pour faute ou
négligence présumée. Il ne répond à cet effet que des dommages qui lui sont
imputables2269. Pour engager sa responsabilité, il faudra établir une faute à l’exemple
d’une erreur de manœuvre, d’une exécution défectueuse des instructions reçues de
son donneur d’ordre2270, d’un emploi de matériel inadapté2271. L’entrepreneur de
manutention est aussi responsable lorsqu’il a failli à leur son devoir de prendre des
précautions courantes, de faire des diligences accoutumées. Cette acception a été
consacrée par la Cour d’Appel de Paris dans un arrêt du 25 Septembre 1993 qui
reprochait à l’acconier un manque de diligence. En effet, « le manutentionnaire avait
manifestement omis d’œuvrer dans les règles de l’art comme doit le faire tout
entrepreneur ».
Malgré la dichotomie sur ce principe de responsabilité : responsabilité pour
faute présumée ou responsabilité pour faute prouvée2272, le Code Communautaire se
bornant simplement d’affirmer qu’ : « il est responsable des dommages causés par
son fait, sa faute ou sa négligence», il faut relever que de plus en plus la jurisprudence
se montre très sévère à leur encontre en faisant peser sur lui une présomption de
faute2273. A notre avis, les juridictions des Etats membres de la CEMAC feraient bien
de retenir une responsabilité pour faute présumée pour une meilleure protection des
droits de l’ayant droit de la marchandise, profane contre le professionnel. La
conséquence fâcheuse de ce principe de responsabilité est qu’en cas de dommages, il
revient à l’ayant-droit à la marchandise de démontrer que ceux-ci sont imputables à
l’acconier2274

                                                            
2267
Article 627 du Code Communautaire de la Marine Marchande.
2268
VIALLARD (A.), Droit maritime, PUF, 1997, p. 431.
2269
A titre de droit comparé, voir l’article 53 de la loi française du 18 juin 1966 qui présente une disposition
identique à celle du texte CEMAC.
2270
C.A. d’Aix-en-Provence, 17 Septembre 1985, BTL, 1986, p. 266.
2271
C.A de Rouen, 12 Novembre 1987, DMF, 1988, p. 759.
2272
Cf. BONNASSIES (P.) et SCAPEL (Ch.), Traité de droit maritime, op.cit., p. 447, no 689. Ces auteurs
indiquent à propos de la formule : « il est responsable des dommages qui lui sont imputables », qu’il faut
entendre par là que celui qui exerce l’action en responsabilité […] doit prouver la faute de l’entrepreneur de
manutention ».
2273
Paris, 24 Juin 1998, Navire « Mahajunga », DMF, 1999, p. 321 ; pour la chute de colis due à « un
arrimage désastreux, contraire aux plus élémentaires règles de l’art » ; Aix-en-Provence, 12 Novembre
1998, BTL, 200, p. 52 ; Versailles, 13 Mai 2004, BTL, 2004, p. 412.
2274
CA Montpellier, 15 Mai 1985, affaire Comptoir Général Maritime Sétois c/ Keller Shippin Lines,
Lamy Transport, 2000.
562 

 
En tout état de cause, quel que soit le principe de responsabilité retenu contre
l’acconier : présomption de faute ou non pour leurs opérations matérielles, celui-ci est
débiteur d’une obligation de résultat pour les opérations juridiques.
b) Une obligation de résultat du manutentionnaire pour les
opérations juridiques
Au-delà des opérations de pure manutention qu’il effectue pour son
cocontractant, l’acconier accomplit des actes juridiques pas pour les moins
importants. L’exploitation du catalogue des actes juridiques à l’actif l’acconier pour le
compte de son mandant (i) permet de déceler le principe de responsabilité qui en
découle (ii).
i) La nature juridique des actes accomplis par l’entrepreneur
de manutention
Elles sont prévues à l’article 628 du Code de la Marine Marchande de la
CEMAC en ces termes : « en dehors des opérations visées à l’article précédent
(opérations matérielles), l’entrepreneur de manutention peut être appelé à accomplir
pour le compte du navire, du chargeur ou du réceptionnaire les opérations suivantes :
La réception, la prise en charge et la reconnaissance à terre des
marchandises à embarquer, ainsi que leur garde jusqu’à leur mise à bord ;
La réception, la prise en charge et la reconnaissance à terre des
marchandises débarquées, ainsi que leur garde et leur livraison ». Les opérations
juridiques d’acconage sont de quatre types que sont : la réception de la marchandise
pour le compte du donneur d’ordre ; la prise en charge de celle-ci qui peut
s’accompagner d’une garde à travers un dépôt dans les magasins de l’acconier jusqu’à
leur mise à bord du navire. Cette opération est encore marquée par la reconnaissance
dont l’entrepreneur est amené à faire pour le compte de son mandant et enfin en cas
de débarquement de livrer la marchandise à l’ayant droit. Les opérations juridiques
d’acconage doivent être effectuées avec la plus grande diligence possible, l’acconier
devra pour se prémunir contre les dommages survenus à la cargaison avant leur prise
en charge prendre des réserves2275. Ne pas le faire signifierait qu’il a reçu la
marchandise dans l’état indiqué au connaissement et la responsabilité qui en découle
est aussi sévère que celle qui pèse sur le transporteur maritime.
ii) Une responsabilité de plein droit de l’acconier tributaire d’une
obligation de résultat
Le régime de responsabilité qui pèse sur l’entrepreneur de manutention pour
les opérations juridiques est identique à celle que supporte le transporteur
maritime2276. Cette règle résulte de l’article 631 du Code Communautaire de la
Marine Marchande qui dispose en son alinéa (2) que : « lorsqu’il accomplit les
opérations visées à l’article 628 ci-dessus, il est présumé avoir reçu la marchandise
telle qu’elle a été déclarée par le déposant et répond dans ce cas des dommages et
pertes subies par la marchandise pendant qu’elle est sous sa garde… ». C’est
indubitablement une obligation de résultat2277. Le texte poursuit par des causes
d’exonération tout en relevant préalablement que l’entrepreneur de manutention
                                                            
2275
Cf. article 629 du code communautaire.
2276
Voir les articles 546 à 559 du code.
2277
C. A. Rouen, (2e Ch.), 10 décembre 2009, Navire Providence, n° 08-05.762.
563 

 
pourra néanmoins décliner sa responsabilité s’il prouve que la cause ou l’une des
causes des pertes ou dommages n’est pas imputable à sa faute ou à la faute de l’un de
ses préposés ou mandataires ou de l’une des personnes dont il utilise les services pour
l’exécution des opérations relatives au transport. Ceci revient à dire que si l’ayant
droit à la marchandise prouve l’origine du dommage se trouve dans le fait de ces
personnes, l’acconier devra automatiquement répondre.
Sur la base de ces dispositions pertinentes du code communautaire précitées,
on peut affirmer que l’entrepreneur de manutention subi une « responsabilité de plein
droit pour ce qui est des opérations juridiques d’acconage »2278. Le texte
communautaire consacre ainsi une responsabilité de l’acconier calquée sur celle du
transporteur à une petite différence prête2279. Comme en droit français, législation
d’inspiration du législateur CEMAC, on observe une nette précision concernant
l’article 631 alinéa 2. Cette précision fait suite aux critiques nourries par M. Gaston
NGAMKAN à propos de l’ambigüité sur la formulation du paragraphe (b) de l’ancien
article 4492280 . De l’avis de ce auteur: « son application […] est indéniablement
teintée de paradoxe, de confusion qui rendent le texte inintelligible et donc difficile à
mettre en œuvre ». Car il ressortait de la lettre (b) de cet article que : « lorsqu’il
accomplit les opérations visées aux articles 446 et 447 ci-dessus, il est présumé avoir
reçu la marchandise telle qu’elle a été déclarée par le déposant ». Or, on savait que
les opérations visées à l’ancien article 446 étaient des opérations matérielles
d’acconage auxquels l’acconier n’était tenu que d’une obligation de moyen et par
conséquent d’une responsabilité fondée sur la faute. Estimant que cette formulation
était une coquille dans le texte communautaire, M. Gaston NGAMKAN avait suggéré
que le législateur devrait l’effacer lors du prochain toilettage du texte. On ne voyait
pas comment pour les mêmes opérations, l’acconier peut être soumis en même temps
à un principe de responsabilité de plein droit et un principe de responsabilité pour
faute2281. Heureusement que cette ambigüité a été levée par les soins de l’auteur de la
critique membre de la commission de révision du code de 2001. Quid au
consignataire
2 - Le double principe de responsabilité des consignataires
Les consignataires agissent pour le compte du navire (consignataire de
navire) ou pour le compte du destinataire (consignataire de cargaison). Ces qualités ne
sont pas incompatibles. C’est ainsi qu’un agent peut intervenir à la fois pour le
                                                            
2278
Voir dans ce sens NGAMKAN (G.), « Etude comparée du statut juridique de l’entrepreneur de
manutention en droit français et en droit communautaire de l’Afrique centrale », Juridis Périodique no 78,
Avril-Mai-Juin 2008, p. 100.
2279
La différence réside sur le fait qu’il existe des causes d’exonération propres au transporteur qui ne
peuvent aucunement être applicable à l’acconier
2280
NGAMKAN (G.), « Etude comparée du statut juridique de l’entrepreneur de manutention en droit
français et en droit communautaire de l’Afrique centrale », Juridis Périodique no 78, Avril-Mai-Juin 2008 p.
100.
2281
NGAMKAN (G.), « Un mimétisme fâcheux en droit maritime de l’Afrique centrale : l’article 382 du
code de la marine marchande de l’UDEAC, plaidoyer pour un carénage du statut juridique de
l’entrepreneur de manutention en Afrique centrale », Juridis Périodique, no 37,Janvier-fevrier-Mars 1999, p.
71. L’auteur avait proposé que la lettre (b) de l’article 449 soit reformulée de la façon suivante : « Lorsqu’il
accomplit les opérations visées à l’article 447 ci-dessus, il est présumé avoir reçu la marchandise telle
qu’elle a été déclarée par le déposant ».
564 

 
compte du navire et pour le compte de la marchandise. Le régime de la responsabilité
retenu est fonction de l’acte qu’il accomplit. Alors que les deux consignataires sont
soumis à un double principe de responsabilité, il importe de les envisager séparément
au vue des spécificités qui les caractérisent.
a) Le double principe de responsabilité applicable au consignataire de
navire
Le consignataire de navire est identifié par le Code de la Marine Marchande
comme «un mandataire salarié de l’armateur »2282. En tant que tel, l’agent
consignataire de navire agit pour le compte de l’armateur qu’il représente et s’efface
devant la personne de celui-ci. Par conséquent, les tiers n’ont à connaitre que le
mandant et ne peuvent mettre en œuvre que la responsabilité de ce mandant lorsque
des dommages sont survenus à l’occasion de l’intervention du consignataire. Il
effectue pour les besoins et compte du navire et de l’expédition les opérations que le
capitaine n’accomplit pas lui-même2283. L’article 624 du code CEMAC lui réserve
deux types de responsabilité.
i) La responsabilité de plein droit du consignataire
Le consignataire du navire ne peut être tenu que de ses actes, il ne saurait en
aucun cas répondre des actes de l’armement dont il est le mandataire, c’est ce qu’a
affirmé la Cour de Cassation dans un arrêt du 2 juillet 1923 lorsqu’en parlant du
consignataire elle énonçait : « qu’il n’a à répondre que de sa propre faute » 2284. Le
consignataire de navire pour des opérations juridiques de réception et de livraison de
la marchandise prévues à l’alinéa 3 de l’article 622 est soumis à un régime de
responsabilité identique à celui de l’entrepreneur de manutention2285. Un régime de
responsabilité analogue à celui du transporteur maritime. Il ressort à cet effet de ce
texte que l’agent consignataire de navire est soumis au même régime de responsabilité
que l’armateur qu’il représente dans les actes de réception et de livraison de la
marchandise à savoir une responsabilité de plein droit en application de l’article 546.
En dehors de l’hypothèse prévue à l’article 624 alinéa 1, la responsabilité du
consignataire est envisagé dans les termes du droit commun.
ii) La responsabilité de droit commun du consignataire de navire

Lorsque le consignataire n’accomplit pas les missions prévues au titre de


l’alinéa 1 de l’article 624 du code communautaire, il est responsable de ses actes dans
les termes de droit commun2286. Il s’agit en effet d’une responsabilité pour faute
notamment lorsqu’il s’est engagé personnellement à coté de l’armateur qu’il
représente ou encore lorsqu’il a donné l’apparence d’agir pour son propre compte.
Dans ce dernier cas, sa responsabilité peut être engagée par les tiers. Dans cette
dernière hypothèse, pour engager la responsabilité du consignataire, il faudra établir
sa faute dans l’exercice du mandat. Le transporteur qu’il représente devra prouver une
                                                            
2282
Article 622.
2283
ibid.
2284
Voir aussi : Cass. Com. 16 Avril 1951, G .P. 1951, 2, 13.
2285
Voir article 624 alinéa 1 qui dispose que: « Pour les pertes et avaries subies par les marchandises au
cours des missions qu’il accomplit au titre du paragraphe 3 de l’article 622 ci-dessus, le consignataire du
navire est responsable dans les conditions et limites prévues par les articles 630 à 633 du présent Code ».
2286
Article 624 alinéa 2.
565 

 
faute commise par son mandataire pour assigner en garantie de la dette de réparation
d’un préjudice subi par l’ayant-droit de la cargaison. Le consignataire est soumis pour
les opérations non prévues à l’article 624 alinéa 2 au principe de responsabilité de
droit commun fondée sur les articles 1382 et 1383 du code civil. Ce principe de
responsabilité est différent de celui applicable au consignataire de cargaison.
b) La responsabilité dualiste du consignataire de cargaison
Ce dualisme découle également de la double mission qu’il est souvent
amené à accomplir : à savoir représentant de l’ayant droit à la marchandise
(mandataire) et de gardien de la marchandise. Pour sa fonction de mandataire, il est
responsable de toute faute commise par lui2287et pour sa fonction de gardien, il répond
d’une responsabilité de plein droit.
i) La responsabilité pour faute du consignataire de cargaison en sa
qualité de mandataire
En tant que mandataire, le consignataire est responsable de toute faute
commise par lui ou toute personne dont il a eu recours pour l’exercice de ses
fonctions. Tel sera le cas lorsqu’en exécutant les instructions de son commettant, il
commet une infraction qui entraine sa condamnation pénale. Il ne saurait de ce fait
réclamer à son mandant des dommages intérêts, le délit ainsi réprimé étant un fait
personnel au consignataire qu’il aurait éviter en faisant preuve de prudence et de
diligence.
ii) La responsabilité de plein droit du consignataire de cargaison
Lorsque le consignataire prend livraison de la marchandise pour le compte
du commettant, il assure la garde jusqu’à sa restitution. En le faisant, il accomplit des
actes juridiques pour le compte du destinataire. Il reçoit la marchandise des mains du
transporteur, fait la reconnaissance et accomplit les suites nécessaires2288. A cet effet,
il devrait prendre la marchandise des mains d’une partie exécutante du transport dans
le même régime que le destinataire. Sa responsabilité pendant cette période est
présumée pour les dommages subis par la marchandise2289.
Au regard de ce qui précède, on note un souci d’harmonisation du législateur
CEMAC, car il a adopté une méthode de renvoi du régime de responsabilité des
consignataires aux règles établies au profit du manutentionnaire. Cette volonté est
d’autant perceptible qu’on sait que la technique de renvoi est la méthode par
excellence de l’harmonisation. Ce souci n’est qu’embryonnaire parce que le
commissionnaire et le transitaire bien que classés parmi les professions auxiliaires de
transport au même titre que l’acconier et les consignataires, sont soumis à des régimes
de responsabilité différents.

                                                            
2287
ABOUSSOROR (A.), thèse précitée, p. 74, no 123.
2288
Le consignataire de la cargaison doit prendre, contre le transporteur ou son représentant, les réserves
que commandent l'état et la quantité de la marchandise dans les conditions et délais prévus par l’article 560
paragraphe 1 du Code de la marine marchande.
2289
En ce sens, M. ABOUSSOROR Abdellah affirme qu’ : « en tant que gardien de la marchandise pour le
compte du destinataire, il répond de plein droit des dommages occasionnés par la garde de la marchandise,
sauf s’il démontre que les dommages proviennent d’un cas exceptionnel prévu par la loi, la force majeure,
par exemple ».
566 

 
B - Le principe unique de la responsabilité du commissionnaire et du
transitaire
Le commissionnaire de transport est un intermédiaire de commerce qui se
charge d’opérer en son propre nom, mais pour le compte du commettant (expéditeur
de la marchandise), le transport de marchandises moyennant une commission. Il se
distingue du transitaire à triple égards. Premièrement le commissionnaire se charge
complètement du transport en l’organisant à sa guise alors que le transitaire intervient
uniquement lors de la rupture de la charge. Deuxièmement, le transitaire est
responsable uniquement de son fait personnel alors que le commissionnaire peut l’être
du fait d’autrui. Troisièmement, le commissionnaire est soumis à la prescription
biennale alors que l’action en responsabilité contre le transitaire est soumise à la
prescription de droit commun (cinq ans entre les commerçants)2290. Malgré la
confusion qui règne dans la pratique entre ces deux auxiliaires et qui est souvent
entretenue par les acteurs eux-mêmes, leurs régimes de responsabilité restent
différents. Pour cette raison, il convient de les étudier séparément.
1 – Une responsabilité du commissionnaire de transport calquée sur
celle d’un transporteur maritime
Selon la Cour de cassation française le contrat de commission de transport
est une « convention par laquelle le commissionnaire s’engage envers le commettant
à accomplir pour le compte de celui-ci les actes juridiques nécessaires au
déplacement de la marchandise d’un lieu à un autre, qui se caractérise par la latitude
laissée au commissionnaire d’organiser librement le transport par les voies et moyens
de son choix, sous son nom et sous sa responsabilité, ainsi que par le fait que cette
convention porte sur le transport de bout en bout »2291. Il y’a à cet effet commission
de transport lorsque pour déplacer la marchandise, un expéditeur sans contracter
directement avec un transporteur s’adresse à un intermédiaire qui se charge
d’organiser le transport pour lui2292. Le commissionnaire s’engage à faire exécuter le
transport d’une marchandise d’un lieu à un autre2293. Il n’est pas un transporteur2294,
c’est un organisateur de transport qui fait exécuter sous sa responsabilité et en son
nom propre le déplacement de la marchandise pour le compte d’un donneur d’ordre
appelé commettant. Il accomplit des actes juridiques nécessaires au déplacement de la
marchandise pour le compte de son client. Il a cet effet une obligation de résultat2295

                                                            
2290
Article 16 de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général.
2291
Cass. Com., 16 février 1988, n° 86-18.309, Bull. civ. IV n° 75 p. 52, BT 1988 p. 491 ; Cass. Com. 6
février 1990, n° 88-15.495.
2292
Cass. Com., 16 Février 1988. Voir aussi GAUTIER (G.), « Aperçus de la responsabilité contractuelle
du fait d’autrui dans les litiges maritimes », Gazette de la Chambre Arbitrale Maritime de Paris, Hiver
2009-2010, no 21, p. 3.
2293
Voir l’article 453 du Code Révisé de la Marine Marchande de la CEMAC de 2001. Cette disposition
n’est plus reprise par le nouveau texte communautaire Voir également LE TOURNEAU (P.) et CADIET
(L.), op.cit. p. 46, no 2360.
2294
AKUETE (P.S.) et YADO TOE (J.), Droit Commercial Général, coll. UNIDA Bruylant - Bruxelles,
2002, p. 276, no 451.
2295
Voir les articles 204 al. 2 et 205 de l’Acte uniforme révisé relatif au droit commercial général qui
soumettent le commissionnaire aux dispositions régissant le contrat de transport.
567 

 
dont le corollaire est la responsabilité de plein droit2296. Le commissionnaire peut
confier l’opération de transport à un mandataire comme il peut le faire lui-même sur
une partie de l’itinéraire2297. Qu’il confie l’exécution totale du transport à un tiers ou
qu’il s’en occupe pour une partie de l’itinéraire, le commissionnaire est responsable à
la fois de son propre fait, mais aussi du fait des personnes qu’il a introduit dans
l’exécution du contrat de transport.

a) La responsabilité du commissionnaire du fait personnel


Elle est calquée sur le droit commun de la responsabilité contractuelle. Son
régime de mise en œuvre obéit aux règles de droit commun de la responsabilité civile
à savoir la preuve de la faute et le dommage subi par le destinataire de la
marchandise. Le commissionnaire est tenu de la bonne exécution totale du transport.
A ce titre, il répond de tout dommage subi par la cargaison ayant pour origine directe,
soit une faute matérielle personnelle, un manquement à un quelconque de ses devoirs
généraux, soit une absence totale de faute, ce qui est le cas par exemple lorsque
l’origine du dommage est inconnue. Le commissionnaire de transport est tenu d’une
véritable obligation de résultat au sens de l’article 1147 du code civil.
Les causes de la mise en jeu de la responsabilité pour fait personnel du
commissionnaire sont multiples.
Premièrement, il doit respecter les instructions fournies par son client. Ainsi,
avait été condamné un commissionnaire de transport qui avait laissé placer la
marchandise en pontée malgré l’interdiction signifiée par son commettant2298.
Deuxièmement, le manquement à son devoir d’information est fautif2299. En
effet, le commissionnaire a un devoir de conseil et d'information à l'égard de ses
clients, qui s'applique avec moins de force vis à vis de ses clients expérimentés mais
qui s'exerce dans les limites de sa compétence spécifique2300.
La troisièmement, une série de causes de responsabilité du commissionnaire
de transport relève d’un contexte purement pratique et concerne les erreurs et les
manquements qu’il est difficile de tolérer venant d’un professionnel : mauvais choix
du transporteur2301, mauvaise rédaction des documents, absence de transmission aux
sous commissionnaires les informations nécessaires à la bonne exécution du

                                                            
2296
Cette obligation avait été relevée à l’article 453 du Code Révisé de la Marine Marchande de la
CEMAC. Elle peut également s’interpréter de l’article 205 de l’Acte Uniforme OHADA relatif au Droit
Commercial Général qui dispose que : « Le commissionnaire expéditeur ou agent de transport répond
notamment de l'arrivée de la marchandise dans les délais fixés, des avaries et des pertes, sauf fait d'un tiers
ou cas de force majeure ». Voir également GATSI (J.), Droit des Affaires, Droit Commercial Général,
Droit des Sociétés Commerciales, UNIDA, PUL 2006, p. 103 ; C.A. d’Aix-en-Provence, 31 Mai 1985,
DMF, 1986, p. 693. Voir également la Cour d’Appel de Rouen, 25 Septembre 1997 ; ABOUSSOROR (A.),
thèse précitée, p. 72, no 119.
2297
C. A. Paris, 17 Mars 1982.
2298
C.A. Paris, 4 Juillet 1990, T, 1990, p. 701.
2299
C.A. Douai, 25 Octobre 2001, BTL, no 2926, p. 94
2300
DUBOIS (E.), « La structure d’un contrat RC couvrant les responsabilités d’un prestataire de
Transport », Cahier Technique et transport - Paroles d’experts : Actualité en matière de transport de
marchandises, Mars 2010, p. 83, (www.amrae.fr).
2301
Cass. Com., 19 Octobre 1993, BTL, 1993, p. 79.
568 

 
transport2302. Tel qu’il répond de ses faits, le commissionnaire est également tenu des
faits des personnes auxquelles il a recours pour l’exécution du transport.

b) La responsabilité du commissionnaire de transport du fait de ses


mandataires
Si la reconnaissance de la responsabilité contractuelle du fait d’autrui a fait
l’objet d’abondantes controverses doctrinales2303, elle est unanimement admise
aujourd’hui2304. Cette responsabilité suppose que soient réunies quatre conditions. il
faut que le débiteur soit personnellement tenu d’une obligation dont il confie en tout
ou partie l’exécution à un tiers sans avoir été déchargé de son obligation par le
créancier et que le fait du tiers réalise l’inexécution de cette obligation2305. Ces
exigences sont réunies dans la commission de transport car, le commissionnaire est
tenu d’une obligation envers le commettant qu’il confie l’exécution à un tiers sans
avoir pour autant été déchargé par le créancier. Le débat sur la nature de l’obligation
du commissionnaire même pour les faits d’autrui est aujourd’hui clos, celui-ci est
débiteur d’une obligation de résultat dont le corollaire est le principe de responsabilité
de plein droit. Cette règle est consacrée par l’article L 132 – 6 du Code de Commerce
français. En effet, il ressort de ce texte que le commissionnaire répond de tous les
prestataires de services auxquels il fait appel et ne peut se dégager de sa responsabilité
sous prétexte qu’il n’a pas personnellement commis une faute2306.
Les prestataires auxquels le Code de Commerce fait référence s’analysent en
toute personne à laquelle le commissionnaire fait appel telle que le transporteur, le
commissionnaire intermédiaire etc. Il faut ainsi comprendre malgré le malencontreux
libellé du texte précité qui dispose que : « le commissionnaire est garant des faits du
commissionnaire intermédiaire auquel il adresse les marchandises ».
En application l’article L 132 – 6 du Code de Commerce, le
commissionnaire est responsable de plein droit des dommages causés à la
marchandise qu’il a confiée à ses substitués sans qu’il y ait lieu de prouver sa faute, ni
celle du substitué. Il suffit pour l’ayant droit à la marchandise de prouver l’existence
du dommage.
En tout état de cause, pour que la responsabilité du commissionnaire du fait
des substitués soit admise il faut la réunion d’une triple conditions.
Primo, la liberté dans le choix de ses substitués.
Secundo, les substitués doivent avoir agi dans l’exercice de leurs missions.

                                                            
2302
Cass. Com., 22 Février 1994, B, IV, no 80 cité par Philipe LE TOURNEAU et Loïc CADIET op.cit., p.
546, no 2359.
2303
En effet, le Doyen RODIERE n’aimait pas beaucoup ce concept. Dans une chronique très ancienne
(Dalloz 1952 – Chronique p. 79 et s. « Y a-t-il une responsabilité contractuelle du fait d’autrui ? »), il
estimait, pour s’en tenir à l’essentiel, que « le débiteur d’une obligation contractuelle inexécutée par le fait
d’un tiers n’est tenu de réparer le dommage que s’il a commis une faute personnelle, sauf convention
contraire ou sauf disposition contraire de la loi ». La responsabilité du débiteur impliquait qu’un texte
spécial l’ait institué garant du fait du tiers.
2304
Voir VINEY (G.) et JOURDAIN (P.), Traité de Droit Civil – « Les Conditions de la Responsabilité »,
LGDJ, 3e édition, n° 818.
2305
Ibid., n° 821.
2306
C.A. Paris 1er Octobre 1986.
569 

 
Tertio, le commissionnaire ne peut être responsable que dans la mesure que
son substitué est tenu pour responsable2307.
Que ce soit pour son fait personnel ou celui de ses substitués, le
commissionnaire de transport est soumis à une responsabilité de plein droit. Tel n’est
pas le cas pour le transitaire.

2 – La responsabilité pour faute du transitaire


Le transitaire est un agent de liaison, un « professionnel de passage »2308qui
intervient à la charnière entre deux modes de transport. C’est un mandataire de l’ayant
droit à la marchandise, agit dans le strict respect des instructions reçues et répond de
ses fautes personnelles2309. Pour qu’une faute engage la responsabilité du transitaire,
elle doit être personnelle2310 et doit être prouvée2311. Le transitaire est débiteur d’une
obligation de moyen et de diligence dont le corollaire est la responsabilité pour faute
prouvée. Sa responsabilité est moins lourde que celle du commissionnaire de transport
ou encore du consignataire à moins qu’il n’agisse en qualité de consignataire de la
cargaison. Auquel cas sa responsabilité sera soumis au régime de responsabilité prévu
par les articles 625 et 626 du Code2312. La responsabilité du transitaire ne peut être
engagée que sur l’établissement par le destinataire d’une faute. Celui-ci doit prouver
qu’il n’a pas déployé une diligence raisonnable alors qu’il en avait les moyens. Cette
diligence est appréciée en fonction des opérations et obligations qui entrent dans le
jargon normal et habituel de ses fonctions. La pratique est une source non négligeable
dans la détermination de l’étendue des obligations du transitaire. Nous pensons que
l’énumération faite aux alinéas 1 et 2 de l’article 638 du code est simplement
indicative. Il commet une faute s’il méconnait les instructions qu’il a reçues de son
mandant. Les juges montrent une sévérité dans l’appréciation de la responsabilité du
transitaire2313.
La responsabilité du transitaire est une responsabilisé de droit commun
pouvant être fondée sur les articles 1382 du Code Civil et mise en œuvre suivant le
régime de la responsabilité civile.

                                                            
2307
Cf. AKUETE (P.S.) et YADO TOE (J.), op. cit. p. 287, no 463. Voir également l’article 172 in fine de
l’Acte Uniforme relatif au Droit Commercial Général.
2308
JULIEN (M.), « Un métier de la chaîne des transports : du transitaire à l’Opérateur de transport
multimodal », Annales IMTM, 1986, p. 133.
2309
Voir article 639 du Code de la Marine Marchande.
2310
Article 452 alinéa 2 du Code Communautaire de la Marine marchande.
2311
BOUBAKARY (N.), Obligations du transitaire, thèse, Aix- en-Provence, 1986, p. 31.
2312
Article 639 alinéa 4.
2313
Dans un arrêt du 9 Février 1988 cité par M. ABOUSSOROR Abdellah, la Cour d’Appel de Casablanca
avait décidé que le transitaire qui n’a fait des réserves auprès du transporteur maritime que postérieurement
à l’expiration du délai de 8 jours, après que les marchandises aient été mises à la disposition du destinataire
n’a pas préservé les droits du propriétaire de la marchandise d’exercer un recours contre l’auteur de
l’avarie. Qu’a cet effet, il avait manqué de son devoir de diligence et devait réparer le préjudice ainsi causé
à son mandant par sa faute. Il en est également lorsque le transitaire n’a pas payé le fret au transporteur
conformément aux instructions du mandant et que de ce fait résulte un dommage.
570 

 
II - Une absence d’harmonisation diluée : l’existence d’un certain tronc
commun dans l’application des causes d’exonération et du plafonnement de
responsabilité
La responsabilité dans le transport est suis generis. A l’exception du
transitaire qui est astreint à une obligation de moyen, les autres acteurs du transport
maritime supportent une obligation de résultat dont le corollaire est la responsabilité
de plein droit. Ce lourd fardeau est tempéré par des causes d’exonération et le
plafonnement de responsabilité diversement appliqués aux acteurs.

A - Un socle (fond) commun à double pédale de l’application des causes


d’exonération aux acteurs intermédiaires de transport maritime
Si l’on doit répondre de ses actes et omissions, il est d’ordre public que le
débiteur d’une obligation a le droit d’invoquer des causes extérieures qui ont
concouru à la réalisation du dommage. Parlant des causes d’exonérations, on relèvera
que le manque d’harmonisation sur la question de la responsabilité des exploitants de
terminaux de transport maritime est dilué dans la mesure qu’il existe un tronc
commun d’application des cas exceptés malgré que le commissionnaire continue de
bénéficier d’un régime de faveur.
1 – Le tronc commun d’invocation des cas exceptés
L’existence de ce tronc commun est matérialisée par la reconnaissance aux
auxiliaires mandataires des causes d’exonération du transporteur malgré que
l’invocation de certain leur est impossible. De plus les auxiliaires de transport peuvent
s’exonérer de la responsabilité dans les termes du droit commun.
a) La reconnaissance aux auxiliaires mandataires du droit
d’invoquer les causes d’exonération applicables au transporteur maritime
Le texte communautaire retient plusieurs cas exceptés pouvant bénéficier au
transporteur2314. Lesquelles causes d’exonérations peuvent être empruntées pour le
compte d’un auxiliaire de transport. A celles-ci peuvent s’ajouter celles expressément
consacrées à leur bénéfice.
i) La cause d’exonération empruntée au transporteur
Il s’agit du cas excepté tiré du transport d’animaux vivants. Il avait été
imaginé pour le particularisme lié à ce type de cargaison. Le transporteur n’étant pas
un professionnel d’entretien des animaux. A cet effet, il était incapable de maitriser
leurs comportements.
Le mandataire du transporteur ou une partie exécutante qui a suivi les
instructions du chargeur et a fait preuve de diligence raisonnable pour une bonne
exécution du transport doit pouvoir invoquer la cause d’exonération. Le dommage
dans ce cas doit être inhérent à la nature de la cargaison. C’est-à-dire qu’il doit avoir
un rapport étroit entre l’origine du dommage et les caractéristiques propres de la
cargaison. Si cette preuve est établie, l’auxiliaire est déclaré irresponsable et sa
responsabilité est dégagée comme pour les cas exceptés consacré à son profit.
ii) Les cas exceptés consacrés témérairement au bénéfice
des auxiliaires de transport

                                                            
2314
Incendie ; sauvetage en mer et transport d’animaux vivants
571 

 
Les auxiliaires de transport dont les services ont été requis par les acteurs
principaux peuvent à leur tour se prévaloir des cas exceptés expressément stipulés à
leur égard par l’article 631 al.2 du code de la marine marchande. C’est une reprise
partielle des causes d’exonération stipulées à l’article 546 al.3 du code. Cette reprise
se justifie d’autant plus qu’on ne pouvait admettre une responsabilité du mandataire
plus lourde que celle du mandant. Il est donc de droit et d’équité que les auxiliaires de
transport bénéficient des cas exceptés tirés de la force majeure2315 ou du cas fortuit ;
de l’incendie ; des faits de guerre, hostilités, conflit armé, piraterie, terrorisme,
émeutes et troubles civils ; des restriction de quarantaine, intervention ou obstacles de
la part d'Etats, d'autorités publiques, de dirigeants ou du peuple, y compris une
immobilisation, un arrêt ou une saisie non imputable à l’auxiliaire ou à ses
mandataires. Il en est également des cas exceptés tenant à la cargaison tels que le vice
propre de la marchandise, du défaut d’emballage ; des cas exceptés tenant aux parties
tels que la grève et le lock-out dans lequel aucune faute ne peut leur être reprochée ou
encore de la faute du chargeur.
S’il est évident et même naturel que les préposés ou mandataires puissent
invoquer les cas exceptés réservés au mandant, il faut du moins souligner que certains
cas exceptés sont à leurs égards inadmissibles.
b) L’inapplicabilité de certains cas exceptés aux auxiliaires de
transport
Il s’agit du cas excepté tiré du sauvetage ; d’assistance en mer ; de la buée de
cale ; du déroutement et du vice caché du navire.
L’inapplicabilité de ces cas exceptés aux auxiliaires maritimes se justifie par
le fait qu’ils n’ont pas été prévus à leur effet et davantage par la nature de leurs
activités. Si les auxiliaires de transport ne sont responsables spatio temporis que du
moment où ils prennent en charge la marchandise jusqu’à l’instant où ils s’en
dessaisissent en les livrant au destinataire ou au transporteur, il est évident que le lieu
d’exercice de leurs activités soit l’enceinte portuaire. Par conséquent, il leur
impossible de se prévaloir des événements qui ne sont susceptibles de se produire
uniquement qu’en mer ou encore des cas exceptés tenant au navire.
c) La preuve de l’absence de faute de l’auxiliaire pour les
dommages dus aux opérations matérielles
Une fois de plus le code de la Marine marchande consacre une responsabilité
dont la mise en œuvre obéit au régime de droit commun pour les opérations de
chargement/déchargement et leurs annexes à l’égard de l’auxiliaire de transport2316.
C’est une responsabilité pour faute. D’après une certaine jurisprudence2317 approuvée
par une partie de la doctrine2318, la faute de l’auxiliaire doit être prouvée. Cette
                                                            
2315
Cour d’appel d’Aix- en- Provence (8e ch. a), 12 avril 2012, DMF no 745, Mars 2013, p. 227, obs. M.
FOLLIN
2316
A titre de droit comparé voir la littérature (a) de la loi française qui précise qu’ :« il est responsable des
dommages qui lui sont imputables ». Voir également les articles 624 alinéa 2 et 631 alinéa 1 du code. Il
existe donc une certaine affinité dans le statut de l’acconier en droit français et en droit CEMAC. Lire à
propos NGAMKAN (G.), « Etude comparée du statut juridique de l’entrepreneur de manutention en droit
français et en droit communautaire de l’Afrique centrale », Juridis Périodique no 78, Avril-mai-Juin 2008.
2317
Rouen, 12 Octobre 2006, BTL, 2007, 149.
2318
BONASSIES (P.) et SCAPEL (Ch.), op cit. p. 447, no 689.
572 

 
solution est pertinemment applicable au transitaire tenu d’une obligation de moyen et
de diligence2319. Ceci est d’autant vrai que le texte communautaire stipule
expressément que « le transitaire n'est responsable que de ses fautes personnelles
prouvées ». Mais un autre courant jurisprudentiel ne l’entend pas de la façon, dans un
but moralisateur, il fait peser sur l’entrepreneur de manutention une présomption de
faute2320. L’acconier tout comme le consignataire pour les opérations matérielles
qu’ils accomplissent, peuvent alléguer l’absence de faute pour s’exonérer2321.
Un arrimage de la responsabilité des autres auxiliaires de transport sur celle
de l’acconier a permis la mise en place d’une homogénéité juridique, un tronc
commun de responsabilité des professions auxiliaires de transport maritime.
Homogénéité fragilisée du fait du statut particulier du commissionnaire de transport.

2 – Le particularisme du commissionnaire de transport : un acteur


privilégié par les cas exceptés
En sa qualité d’organisateur de l’expédition maritime, le commissionnaire
bénéficie d’un statut spécial par rapport aux autres intermédiaires de transport. Ceci
s’explique d’une part parce qu’il ne peut être plus responsable que ses substitués2322.
Il n’est tenu pour responsable que dans la mesure où le transporteur dont il s’est
substitué est lui-même responsable. Le commissionnaire emprunte la situation
juridique de ses substitués ou des sous-substitués. Il est donc évident que si le
transporteur auteur du dommage invoque un cas excepté tel le sauvetage en mer ou
même l’incendie, le commissionnaire garant de ses fautes bénéficiera des mêmes
facteurs d’exonération.
De plus, il est admis que le commissionnaire de transport peut stipuler des
clauses visant à écarter totalement ou partiellement sa responsabilité pour des fautes
commises par ses substitués à condition qu’elles aient été connues et acceptées par le
commettant lors de la conclusion du contrat de commission de transport. Elles ne
peuvent être soulevées lorsque le dommage est le résultat du dol ou d’une faute lourde
du commissionnaire de transport ou du substitué2323. Lorsque l’auxiliaire ne peut pas
se prévaloir des cas exceptés, il bénéficie encore de la limitation de la responsabilité.

B - Application nuancée du plafonnement de responsabilité aux


auxiliaires de transport

                                                            
2319
Exception doit être faite ici des opérations prévues à l’article 638 alinéa 4 pour lesquelles il est assimilé
à un consignataire de cargaison et soumis au régime de responsabilité prévu par les articles 625 et 626 du
code
2320
Paris, 5è Ch. Section A, 24 Juin 1998, Navire « MAHAJUNGA », DMF, 1999, p. 321. Aix-en-
Provence, 12 Novembre 1998, BTL 2000, p. 52 ; Versailles, 13 Mai 2001, BTL 2004, p. 412.
2321
La même interprétation peut être déduite de l’article 5 alinéa 1 de la Convention des Nations Unies sur
la responsabilité des exploitants de terminaux de transport dans le commerce international signée à Vienne
le 19 avril 1991.
2322
Voir GAUTIER (G.) « Aperçus de la responsabilité contractuelle du fait d’autrui dans les litiges
maritimes », Gazette de la Chambre Arbitrale de Paris, no 21, p. 3.
2323
C.A. Versailles, 15 Mai 2003, BTL 2003, p. 403, no 2991.
573 

 
La limitation de responsabilité2324 est une autre contrepartie de la lourde
responsabilité qui pèse sur les acteurs du commerce maritime. Autrement appelé
plafond d’indemnisation2325, il se traduit par un plafonnement du montant des
réparations dues quelle que soit l’importance du dommage.
Le nouveau texte communautaire a remédié au laxisme qui était reproché à
son prédécesseur sur la limitation de responsabilité des auxiliaires de transport. Si
autrefois, cette prérogative n’était expressément stipulée que pour l’entrepreneur de
manutention2326, on note aujourd’hui une extension aux autres auxiliaires de transport
par la technique de renvoi2327. Cette institution est cependant diversement appliquée
aux acteurs, faisant ressortir un fond commun et un particularisme en ce qui concerne
le commissionnaire de transport
1 – Le droit commun de la limitation de responsabilité
applicable aux auxiliaires de transport
Malgré les hostilités animées par la jurisprudence américaine quant à
l’extension de la limitation de la responsabilité aux stevedores au motif qu’une telle
précision n’avait été faite au connaissement, il ne souffre plus d’aucun doute que les
auxiliaires de transport bénéficient de la limitation de responsabilité2328. Ce bénéfice
n’est admis qu’en cas agissement dans les limites de leurs fonctions. Il est refusé dans
le cas contraire.
a) Admission de la limitation en cas d’agissement dans le cadre du
mandat
Parce que la majorité des dommages aux marchandises est le fait des
auxiliaires de transport, il est dont évident que ces dommage soient soumis au même
régime que la responsabilité du transporteur pour le compte de qui ils agissent.
L’assimilation des auxiliaires au transporteur est consacrée aux articles 624 al.1, 626,
632 et 640 ; lesdits articles renvoyant eux aussi aux articles 552 à 554 du code
CEMAC. Ces plafonds d’indemnisation sont les suivants :
- Pour les manquements en terme de perte et avarie, la responsabilité
de l’auxiliaire est plafonnée à 875 droits de tirage spéciaux par colis ou autre unité de
chargement, ou à 3 droits de tirage spéciaux par kilogramme de poids brut des
marchandises objet de la réclamation ou du litige, la limite la plus élevée étant
applicable, sauf lorsque la valeur des marchandises a été déclarée par le chargeur et
figure dans les données du contrat, ou lorsqu'un montant supérieur à la limite de
responsabilité fixée dans le présent article a été convenu entre les parties

                                                            
2324
Pour Jean Claude NGNINTEDEM, l’expression limitation de responsabilité est impropre car ce qui est
limité n’est pas la responsabilité, mais la dette de réparation qui incombe au transporteur par suite de cette
responsabilité, in La responsabilité du transporteur maritime en droit camerounais, thèse, Perpignan, 2004,
p. 275, p. 275.
2325
Idem.
2326
Voir l’article 449 alinéa 3 du code révisé de la marine marchande de la CEMAC de 2001 qui dispose
que : « l’entrepreneur de manutention bénéficie des conditions et limites de responsabilité prévues à
l’article 414 du présent Code ». Cette disposition renvoyait aux Règles de Hambourg articles 6 à 8.
2327
Articles 624 al.1 ; 626 et 633 du code de 2012.
2328
Cass. Com. 14 janvier 2014, Navire CMA-CGM Ivanhoé, obs. P. Delebecque, DMF nº 756 Mars
2014, p. 229.
574 

 
- En cas de retard, la responsabilité de l’auxiliaire est limitée à un
montant équivalent à deux fois et demie le fret payable pour les marchandises ayant
subi le retard. Le montant total payable ne peut pas dépasser la limite qui serait pour
la perte totale des marchandises concernées.
Comme le relève M. NGAMKAN Gaston : « les plafonds ainsi établis
profitent aux préposés et mandataires du transporteur qui prouvent avoir agi dans
l’exercice de leurs fonctions »2329. Cette limitation profite à l’auxiliaire de transport
que l’action soit exercée sur le terrain contractuel ou extracontractuel ou encore que
l’action émane d’une partie au contrat de transport ou d’un tiers2330. Il s’en suit que
lorsque l’auxiliaire de transport a agi dans les limites de ses fonctions, le bénéfice de
la limitation de responsabilité est calqué sur celui du transporteur. Ils sont déchus de
ce droit à la limitation dans les mêmes conditions que le transporteur maritime2331.
b) Refus de plafonnement en cas d’agissement hors de ses fonctions
C’est une sanction contre le mandataire qui a outrepassé les limites de ses
fonctions ou qui a commis une faute dolosive2332. Elle découle expressément de
l’article 555 du code CEMAC. S’il ressort de ce texte que le mandataire peut se
prévaloir de la limitation de responsabilité que le transporteur peut invoquer s’il
prouve avoir agi dans l’exercice de ses fonctions, il est admis à contrario que s’il est
établi que le mandataire est sorti du cadre de ses fonctions ou a commis une faute
dolosive2333, il ne peut plus se prévaloir de la limitation de responsabilité du texte2334.
L’exercice hors du cadre de ses fonctions et la commission d’une faute dolosive sont
deux critères essentiels de l’exclusion au bénéfice de plafonnement de responsabilité
aux auxiliaires de transport maritime2335.

                                                            
2329
NGAMKAN (G.), « L’intégration des règles de Hambourg dans les législations africaines : l’exemple
des pays de l’Afrique Centrale », in Juridis Périodique no 43, Juillet-Août-Septembre 2000, p. 119.
2330
Cass. Com., 5 Mars 2002, Bull. no 49. Faisant une simple application du chapitre IV de la loi du 18 Juin
1966, la Chambre commerciale a soumis l'action délictuelle d'un tiers contre le transporteur maritime aux
mêmes règles et notamment aux mêmes plafonds d'indemnisation que si elle avait été intentée dans le cadre
d'une action contractuelle.
2331
Voir article 555.
2332
RODIERE (R.), Traité, Tome 3, p. 35 ; Bonassies (P.) et SCAPEL (Ch.), op. cit, p. 453; Y. Tassel,
DMF 2007 pp. 35 et ss ; DMF 2005. 247, Obs. Y. Tassel ; DMF Hors Série n° 9 juin 2005, n° 87, 88 P.
Bonassies ; Y. Tassel, obs. sous, Cour de Cassation (Ch. com.) - 5 décembre 2006 , Navire Grace Church
Comet, DMF n° 677, 2007 p. 40 ( dans cette affaire la Cour de Cassation écarte le reproche de la faute
dolosive fait à l’entrepreneur de manutention pour lui reconnaitre le bénéfice du plafonnement de
responsabilité) ; Cour de cassation, Ch. com., 29 avril 1969, DMF 1969, 613, note Lureau ; Cour de
cassation, Ch. réu., 11 mars 1960, D. 1960, 277, note Rodière – Cour de cass., 18 juillet 1984, DMF 1985,
210 ; J. Bonnaud, Actualité du Droit Maritime National in IMTM Annales 2006 ; J. Bonnaud obs. sous
Cour d’Appel d’Aix-en-Provence (2ème Ch.) 29 mars 2007, Navire Blue Sky, DMF n° 682, 2007, p.504.
2333
C’est un acte ou à une omission personnel que celui qui revendique le droit de limiter sa responsabilité
a commis soit dans l'intention de causer ce préjudice, soit témérairement et avec conscience que ce
préjudice en résulterait probablement. Cf. Y. Tassel, obs. sous, Cour de Cassation (Ch. com.) - 7 novembre
2006 - Navire MSC Diego. DMF n° 677, 2007 p. 38.
2334
Voir CA d’Aix-en-Provence (2ème Ch.) – 29 mars 2007 – Navire Blue Sky, obs. BONNAUD (J.),
DMF no 682, 2007, p. 511.
2335
Cf. RODIERE (R.), Traité de Droit Maritime, Tome 3, page 35 ; Vialard, Droit Maritime, PUF 1997 p.
433, n° 505 ; Cour de cassation, Ch. réu., 11 mars 1960, D. 1960, 277, note RODIERE ; Cour de
Cassation., 18 juil. 1984, DMF 1985, 210 ; voir également l’article 21 alinéa 2 de la Convention inter-Etat
de transport multimodal
575 

 
En somme, il échait de retenir que l’application du plafonnement de
responsabilité aux auxiliaires de transport dépend du respect ou non des limites de
leur fonction. La situation est différente dans la commission de transport.

2 – Le cas exceptionnel de la limitation de responsabilité dans la


commission de transport
Le commissionnaire de transport bien qu’il contracte directement avec
l’ayant droit à la marchandise n’emprunte pas pour autant la qualité de transporteur, il
demeure un auxiliaire de transport. C’est à raison que le Code Révisé de la Marine
Marchande de la CEMAC de 2001 l’avait envisagé dans les professions auxiliaires de
transport maritime. Tout comme il emprunte la situation de ses substitués pour les
causes d’exonération, la limitation de responsabilité qui lui est applicable est calquée
sur celle de ceux-ci. De plus, perd ce bénéfice en cas de faute lourde personnelle.
a) Une limitation de responsabilité du commissionnaire calquée
sur celle de son substitué
Le commissionnaire peut se prévaloir de la limitation de responsabilité
applicable au transporteur maritime dont il a eu recours pour l’expédition de la
marchandise2336. L’arrimage de la limitation de la responsabilité du commissionnaire
sur celui du transporteur maritime ou même d’un exploitant de terminal de transport
maritime avait été consacré de l’article 453 du code révisé de la marine marchande de
la CEMAC. Même si cette règle manque de base légale aujourd’hui, elle reste
d’actualité. Le commissionnaire de transport maritime épouse intégralement la
situation de son substitué sans restriction aucune quant aux avantages et
inconvénients. En qualité de « garant », il ne peut être tenu à plus, ni à moins que le
substitué qu’il a désigné2337. Il convient tout de même de souligner que le
commissionnaire ne bénéficie de plein droit que des seules limitations de nature
légale ou réglementaire normalement applicables à ses substitués dans le cadre du
transport en cause2338. Il s’agit là, en effet, de limitations censées connues de tous et
en général d’ordre public sur lesquelles le client aurait inéluctablement buté s’il avait
traité « en direct » avec le substitué. La faute dolosive, la faute inexcusable ou de
témérité pour employer le vocabulaire préconisé par le professeur Bonassies, la lettre
de garantie frauduleuse qui font perdre au transporteur le droit du plafonnement de
responsabilité sont également opposables au commissionnaire de transport qui a
requis leurs services de même la faute personnelle.

                                                            
2336
Cass. com. 5 Décembre 2006, n° 04-19385 ; Lire aussi à cet effet AKUETE (P.S.) et YADO TOE (J.),
op. cit., p. 287, no 463. Voir également DUBOIS (E.), « La structure d’un contrat RC couvrant les
responsabilités d’un prestataire de Transport », Cahier Technique et transport - Paroles d’experts : Actualité
en matière de transport de marchandises, op.cit., p. 84 ; O. Cachard, obs. sous Cour d’Appel de Paris (5ème
Ch. Sec. A), 17 octobre 2007, Navire Alemania, DMF n°690, 2008, p. 250.
2337
Voir Cour d’appel de Paris, affaire « Almania », 17 Octobre 2007, DMF 2008, p. 250, note Professeur
Cachard,
2338
Voir Lamy transport, Tome II, 2013, no 109; voir également CA Aix-en-Provence, 8 déc. 1987, Rev.
Scapel 1988, p. 5 ; CA Douai, 2e ch. 2, 27 mai 2004, no 01/03932, Sagatrans c/ Five Cail Babcock, BTL
2005, p. 116 et 125.
576 

 
b) Une réparation intégrale en cas de faute lourde personnelle
En sa qualité d’organisateur de transport le commissionnaire est débiteur
d’obligations personnelles détachables de celles de ses substitués qui se chargent du
déplacement de la marchandise. Le commissionnaire commet une faute entrainant une
réparation intégrale lorsqu’il ne remplit pas son obligation d’information à l’égard du
commettant. De même lorsqu’il omet de produire à ses substitués certaines
informations relatives au comportement de la cargaison durant le transport. Le
commissionnaire sera tenu d’une réparation intégrale alors que le transporteur ayant
effectué le transport n’est pas tenu à réparation ou dans la limite bénéficiera du
plafonnement de responsabilité établi par la loi. Il s’agit d’une faute personnelle
extérieure de celle que pourrait éventuellement commettre ses substitués. Le
commissionnaire est tenu de respecter les instructions fournies par le commettant.
Ainsi a été déclaré coupable d’une faute lourde un commissionnaire qui avait laissé
placer la marchandise en pontée au mépris de l’interdiction signifiée par son
commettant2339. La faute personnelle du commissionnaire avait également été retenue
en raison du choix d’un navire inapproprié pour transporter un certain type de
marchandise et de surcroit, il lui était reproché de ne pas avoir emballé la marchandise
alors que sa qualité de chargeur avait été établie à l’égard du transporteur2340.
Au demeurant, on souligne que le législateur CEMAC de 2012 n’est pas
resté sourd aux critiques qu’avait nourries la doctrine sur la question de la
responsabilité des auxiliaires de transport. Le défi d’une harmonisation était à l’ordre
du jour et le législateur a vraisemblablement tenu à le relever. Pour y parvenir on a
noté le recours une technique de renvoi qui a permis d’aligner les principes de
responsabilité des consignataires à celui de l’entrepreneur de manutention. Un effort
remarquable a également été fait dans le sens de l’application des causes
d’exonération et du plafonnement de responsabilité. Au final, on dira qu’un travail
d’harmonisation est perceptible, mais reste perfectible.

                                                            
2339
C.A. Paris, 4 Juillet 1990, T, 1990, p. 701.
2340
C.A. Rouen, 20 Décembre 2001, BTL, 2002, no 2926, p. 92.
577 

 
578 

 
LIBRES PROPOS SUR L’INDEPENDANCE DE L’AUDITEUR LEGAL DES
SOCIETES ANONYMES OHADA

Par Didier TAKAFO-KENFACK


Docteur en droit-Assistant à l’Université de Bamenda (Cameroun)

Les crises, au delà des effets néfastes qu’elles produisent, suscitent un éveil
de conscience des Hommes désireux de tirer les leçons du passé pour préparer les
lendemains meilleurs. En confiant aux commissaires aux comptes, le contrôle des
comptes, la majorité des systèmes voulaient éviter la survenance des scandales
financiers. Les résultats sont malencontreusement restés en deçà des attentes.
Les récents scandales financiers ont montré les faiblesses d’un système qui
était censé empêcher leur survenance. Les manipulations comptables ont mis en
doute la fiabilité des informations financières et exacerbé la méfiance à l’égard
des commissaires aux comptes. Il était dès lors nécessaire d’adopter de nouvelles
dispositions légales pour contrer la spirale de tels esclandres, vu l’importance des
sociétés commerciales dans le développement des nations. C’est pourquoi, dans
différents pays, les législateurs sont intervenus pour renforcer l’indépendance des
commissaires aux comptes.
La réaction la plus prompte de ces dernières années provient des États-
Unis, avec l’adoption, en 2002, du Sarbanes-Oxley Act2341. Cette loi prise
d’urgence, à la suite du scandale Enron2342, entend rétablir la confiance des
investisseurs. A cette fin, elle préconise plus de transparence dans l’établissement
des comptes et met en avant l’importance de l’indépendance du contrôleur des
comptes.
La loi française de sécurité financière2343 est venue compléter le dispositif2344.
Elle comporte un titre III « Modernisation du contrôle légal des comptes et
transparence » qui apporte des modifications importantes à l’organisation et au
contrôle de la profession du commissaire aux comptes en vue de restaurer
l’honorabilité de la fonction.
Bien avant ces initiatives, l’Acte uniforme sur les sociétés commerciales de
1998, révisé en 20142345, s’était investi à aménager l’indépendance du contrôleur
externe dans plusieurs de ses dispositions. C’est par le truchement d’une
indépendance adaptée que l’organe de contrôle peut efficacement accomplir ses
missions. L’indépendance suppose l’absence d’assujettissement, la tranquillité
d’esprit qu’on est à l’abri de toute pression extérieure.
L’indépendance d’esprit du contrôleur des comptes suppose que ce dernier
n’est pas soumis à l’autorité du dirigeant, encore moins à celui des apporteurs de
capitaux. Elle passe pour être la première vertu et la pierre angulaire de toute

                                                            
2341 Sarbanes-Oxly Act, 2002, Section 201-209.
2342 FUSARO. (P. C.), MILLER (R. M.), Enron, les vraies raisons de la chute, SB Com, 2003.
2343 Loi n° 2003-706 du 1 août 2003 de sécurité financière.
2344 LAAMARI (I.), La sécurité de l'information financière, Mémoire, IAE, Lyon III, 2007.
2345 Adopté le 30 janvier 2014 à Ouagadougou au Burkina Faso.

579 

 
fonction de contrôle. Conscient de cet objectif, le législateur communautaire a fait de
l’indépendance du contrôleur des comptes, l’une de ses préoccupations essentielles.
Ce qui explique que dans l’acte uniforme, l’indépendance de ce « magistrat des
chiffres » soit fort proclamée (I), bien que certaines situations viennent l’altérer de
sorte qu’elle est aujourd’hui fortement éprouvée (II).

I. L’indépendance théoriquement proclamée


Qualité nécessaire à tout contrôle2346, l’indépendance est un principe
reconduit par l’Acte uniforme pour s’assurer de l’exercice normal du contrôle, à
toutes les étapes de la vie sociale qu’il s’agisse de l’entrée en fonction (A) ou pendant
l’exercice des fonctions (B).

A. Les mesures d’indépendance lors de l’entrée en fonction


La fonction de régularité assurée par le commissaire aux comptes ne doit être
que le fait d’un organe indépendant. L’indépendance est assurée par diverses
incompatibilités (1) assorties de sanctions en cas de violation (2).

1. La diversité des incompatibilités


Si certaines situations empêchent l’exercice de la fonction de contrôleur,
d’autres empêchent que ce dernier exerce auprès d’une société déterminée. D’autres
enfin empêchent l’exercice avant l’écoulement d’un certains temps. Dans le premier
cas, il s’agit des incompatibilités générales (a), dans le second, des incompatibilités
spéciales (b) et enfin, des incompatibilités temporaires (c).

a. Les incompatibilités générales


Réitérant sur ce point la solution introduite par l’article 219-3 al 3 de la loi
du 24 juillet 1966, l’article 697 de l’Acte uniforme sur les sociétés commerciales
dispose que :
« Les fonctions du commissaire aux comptes sont incompatibles :
1° avec toute activité ou tout acte de nature à porter atteinte à son
indépendance ;
2° avec tout emploi salarié. Toutefois, un commissaire aux comptes peut
dispenser un enseignement se rattachant à l’exercice de sa profession ou occuper un
emploi rémunéré chez un commissaire aux comptes ou chez un expert-comptable ;
3° avec toute activité commerciale, qu’elle soit exercée directement ou par
personne interposée ».
Cette dernière incompatibilité fait l’objet de dérogations. Un commissaire
aux comptes peut occuper un emploi salarié rémunéré chez un expert-comptable.
L’emploi doit respecter certaines conditions afin que l’indépendance ne soit pas
altérée. De ce fait, l’expert-comptable qui rémunère le commissaire aux comptes ne
doit pas être le réviseur des comptes de la société contrôlée par ce dernier.

                                                            
2346 VIDAL (D.), Le commissaire aux comptes dans la société anonyme, LGDJ, 1985, n °349, p.270.
580 

 
Ces incompatibilités ont pour but d’éviter que le contrôleur ne soit sur la
dépendance du contrôlé. Par conséquent, ne peuvent être nommés commissaires aux
comptes, les personnes qui reçoivent de la société, une rémunération quelconque ou
qui détiennent un intérêt2347 dans celle-ci. On pourrait craindre que le commissaire
aux comptes qui est salarié de la société exerce son contrôle avec mollesse de peur
que la dénonciation d’une irrégularité n’entraîne son licenciement. L’article 697
apparaît ainsi comme le domaine des incompatibilités générales puisqu’il ne traite
aucunement des incompatibilités spéciales.

b. Les incompatibilités spéciales


Le siège est l’article 698 de l’Acte uniforme. Bien qu’il n’emploie nullement
le terme « incompatibilités », cet article traite des incompatibilités spéciales qui
diffèrent selon qu’il y’a lien de parenté (b. 1) ou conflit d’intérêt (b. 2).

b. 1 - Les incompatibilités résultant des liens de parenté


Le législateur communautaire établit une série d’incompatibilités à l’égard
des commissaires aux comptes, qui ne peuvent pas contrôler une société dans laquelle
ils ont des liens de parenté. Ainsi ne peuvent être commissaires aux comptes les
conjoints des fondateurs, apporteurs, bénéficiaires d’avantages particuliers, dirigeants
sociaux de la société ou de ses filiales ; les parents jusqu’au quatrième degré
inclusivement, des personnes visées ci-dessus. Sont ainsi visés tous les parents en
ligne directe : parents, grands-parents, arrière-grands-parents, enfants, petits-enfants,
arrière-petits-enfants.
En ligne collatérale, l’incompatibilité s’applique aux frères et sœurs, oncles
et tantes, grands-oncles et grands-tantes, neveux et nièces, cousins germains; les
sociétés de commissaires aux comptes dont l’un des dirigeants, soit l’associé ou
l’actionnaire exerçant les fonctions de commissaires aux comptes a son conjoint qui
se trouve dans l’une des situations prévues au paragraphe 5° du présent article. Le
conjoint doit être rémunéré à titre permanent par la société contrôlée.
En principe, le lien de parenté n’est pas en lui-même révélateur d’un défaut
d’indépendance. Mais, parce que dans le monde des affaires, l’harmonie entre
l’affection familiale et l’obligation d’indépendance risque bien souvent de s’établir
aux dépens de cette dernière, l’existence d’un lien de parenté est prise en compte dans
tout son ensemble, ce qui permet d’énumérer tous les cas de figure. Si l’on veut que
l’entreprise soit « une maison de verre »2348, il faut que l’organe de contrôle brille par
sa limpidité. C’est pourquoi, à coté des incompatibilités résultant des liens de parenté,
la loi enjoint celles découlant des conflits d’intérêts.

b. 2 - Les incompatibilités spéciales découlant des conflits d’intérêts


Prenant en compte l’importance des intérêts dans la société anonyme,
l’article 698 précité dispose que :
« Ne peuvent être nommés commissaires aux comptes :

                                                            
2347 GUILLIEN (R.), VINCENT (J.), Le lexique des termes juridiques, Dalloz, 13ème éd, 2001, p. 313.
2348 VIDAL (D.), Le commissaire aux comptes dans la société anonyme, op.cit, n°346, p. 268.
581 

 
1°) les fondateurs, apporteurs, bénéficiaires d’avantages particuliers, dirigeants
sociaux de sociétés ou de ses filiales, ainsi que leur conjoint ». Les paragraphes 3 et
suivant du même article renchérit : « 3°) les dirigeants sociaux de sociétés possédant
le dixième du capital de la société ou dont celle-ci possède le dixième du capital, ainsi
que leur conjoint ; 4°) les personnes qui, directement ou indirectement, ou par
personne interposée, reçoivent, soit des personnes figurant au paragraphe 1°) du
présent article, soit de toute société visée au paragraphe 3°) du présent article, un
salaire ou une rémunération quelconque en raison d’une activité permanente autre
que celle de commissaire aux comptes ; il en est de même pour les conjoints de ces
personnes ; 5°) les sociétés de commissaires aux comptes dont l’un des associés,
actionnaires ou dirigeants se trouve dans l’une des situations visées aux alinéas
précédents ».
L’article 698 est certes riche dans son énumération, mais n’appréhende pas
tous les cas d’incompatibilités découlant des conflits d’intérêts. Ainsi, le texte ne
prévoit pas l’incompatibilité entre la qualité d’actionnaires et la fonction de
commissaires aux comptes alors même qu’à notre sens, il est difficile d’admettre
qu’un associé majoritaire puisse se faire nommer commissaire aux comptes sans
rompre l’égalité entre les actionnaires.
En outre, bien que le paragraphe 4 du même article dispose que la fonction
de commissaire aux comptes est incompatible avec les personnes qui directement ou
par personnes interposées reçoivent de la société une rémunération quelconque à
raison d’une activité autre que celle du commissaire aux comptes, des exceptions
doivent être admises en ce qui concerne les missions particulières de révision
effectuées par le commissaire aux comptes pour le compte de la société2349. Les
commissaires aux comptes peuvent même recevoir des rémunérations de la société
pour les missions temporaires d’objet limité, et entrant dans le cadre de leurs
fonctions, dès lors que ces misions leur sont confiées par la société à la demande
d’une autorité publique2350. Mise à part ces deux exceptions, toute autre situation
contraire à l’esprit de l’article 698 serait constitutive d’incompatibilités spéciales à
moins que l’on se trouve dans le domaine des incompatibilités temporaires.

c. Les incompatibilités temporaires


Toujours motivé par le souci d’améliorer la condition des contrôleurs, le
législateur communautaire est allé au-delà des incompatibilités générales et spéciales
pour consacrer une série d’interdictions à l’article 700 alinéa 1 et suivant de l’Acte
uniforme. Pour éviter les états d’âme ultérieurs, ceux qui ont été « administrateurs
généraux, administrateurs généraux adjoints, directeurs généraux adjoints, gérants ou
salariés d’une société ne peuvent pas être nommés commissaires aux comptes de la
société qu’ils contrôlent moins de cinq ans après la cessation de leurs fonctions dans
ladite société ».
Pendant le même délai, ils ne peuvent être nommés commissaires aux comptes
dans les sociétés possédant 10% du capital de la société dans laquelle elles exerçaient

                                                            
2349 Art 724 al 2. AUSC.
2350 Art 724 al 2. 3°AUSC.
582 

 
leurs fonctions ou dont celles-ci possédaient 10% du capital lors de la cessation de
leurs fonctions.
Inversement, les commissaires aux comptes ne peuvent être administrateurs,
directeurs généraux, directeurs généraux adjoints des sociétés qu’ils contrôlent moins
de cinq ans après la cessation de fonctions. Pendant le même délai, ils ne peuvent
exercer les fonctions dirigeantes dans les sociétés possédant 10% du capital de la
société contrôlée par eux ou dont celle-ci possède 10% du capital lors de la cessation
des fonctions. Rien n’empêche cependant le commissaire aux comptes de devenir
immédiatement salarié à la fin de ses fonctions. L’indépendance du contrôleur dans
l’Acte uniforme trouve, avec les diverses incompatibilités, une véritable application,
parce que pénalement sanctionnées en cas de violation.

b. La sanction de la violation des incompatibilités


Les articles 697 à 700 de l’Acte uniforme exigent avec force, la nécessité
pour le commissaire aux comptes d’exercer ses missions en toute indépendance en
énonçant une série d’incompatibilités, renforcées par des interdictions. Pour assurer la
pleine efficacité des prohibitions, l’article 898 précité dispose : « Encourt une
sanction pénale, toute personne qui, soit en son nom personnel, soit à titre d’associé
d’une société de commissaires aux comptes aura sciemment accepté, exercé ou
conservé les fonctions de commissaires aux comptes nonobstant les incompatibilités
légales. » Puisque le législateur communautaire a renvoyé aux États, le soin d’édicter
les sanctions pénales2351, l’article 16 de la loi camerounaise du 10 Juillet 2003 punit
d’un emprisonnement de 2 (deux) à 5 (cinq) ans et d’un amende de 200.000 à
5 .000.000 Fcfa ou de l’une de ces deux peines seulement, toute personne qui soit en
son nom personnel, soit à titre d’associé d’une société de commissaire aux comptes a
sciemment accepté, exercice ou conservé les fonctions de commissaires aux comptes
nonobstant les incompatibilités.
L’article 898 utilise la formulation neutre « toute personne ». Il s’en suit que
l’infraction peut être cumulée avec celle de l’exerce illégal de la profession. Ce qui
signifie que les dirigeants sociaux qui ont agi sciemment pour faire nommer un
commissaire aux comptes frappé d’une incompatibilité peuvent être condamnés
comme complices.
Matériellement, l’infraction existe dès qu’il y’a eu soit acceptation même sans
exercice concret des fonctions, soit poursuite des fonctions après apparition des
incompatibilités et ce, quelle que soit la durée de cette infraction2352 et/ou de
l’importance de l’activité. L’élément moral de l’infraction est classiquement exigé. Il
faut, prévoit l’article 899 de l’Acte uniforme que le commissaire aux comptes ait agi
« sciemment ». On doit prouver que, non seulement le commissaire aux comptes a agi
volontairement dans l’intention de nuire, mais aussi, qu’il connaissait la situation
d’incompatibilité et n’en a pas tenu compte. En règle générale, il faut que soit établie
la connaissance par le commissaire aux comptes de la situation des incompatibilités
pour être puni. L’indépendance serait incomplète si le législateur s’était limité juste à

                                                            
2351 Art 5 al 2 du Traité OHADA
2352 Trib corr, Lyon, 5 février 1973, Bull. CNCC, 1973, 263, note Du PONTAVICE (E.)
583 

 
l’entrée des fonctions. C’est pour lui donner sa pleine efficacité qu’il l’a étendu à
l’exercice des fonctions.

B. Les garanties en cours de fonction : les conditions de rupture « anticipée » du


mandat
Sous l’empire de la vielle loi de 1867 étendue aux colonies, il n’existait
aucune garantie de stabilité de la fonction des contrôleurs. Ces derniers étaient
révoqués à tout moment par les dirigeants comme ils l’entendaient. L’acte uniforme
s’inscrit contre cette vision en prévoyant une longue durée du mandat et dans
l’hypothèse où elle peut être affectée, la rupture est entourée des règles
d’interprétation stricte. Le principe de la stabilité du contrôle recherché contribue à
définir les conditions de la récusation (1) et de la révocation (2) du commissaire aux
comptes.
1. La récusation des commissaires aux comptes
La récusation consiste à éviter l’entrée en fonction d’un commissaire aux comptes
qui ne présente pas tous les caractères qu’exige le principe d’indépendance. Un
commissaire aux comptes, suspecté de dépendance à l’égard des dirigeants peut faire
l’objet d’une récusation de la part des actionnaires. Mais aussi, peut-on craindre
qu’une majorité d’actionnaires, inquiétée des investigations du commissaire aux
comptes ne profitent pour mettre prématurément fin à ses fonctions. C’est la raison
pour laquelle le législateur l’entoure d’un formalisme de rigueur (a), la procédure (b)
étant essentiellement judiciaire.

a. Le formalisme de la récusation
L’assemblée des actionnaires nomme le commissaire aux comptes, mais n’a plus
en principe le pouvoir de mettre fin à ses fonctions en cours de mandat. Cependant, il
est des circonstances exceptionnelles dans lesquelles il importe d’y mettre fin.
L’article 731 de l’Acte uniforme dispose : « Un ou plusieurs actionnaires
représentant au moins le dixième du capital social de même que le ministère public,
peuvent demander en justice la récusation des commissaires aux comptes nommés par
l’assemblée générale ordinaire ». La demande de récusation doit être fondée sur « un
juste motif » propre à mettre en doute l’honorabilité et l’impartialité du commissaire
aux comptes.
Le législateur n’a pas précisé les motifs de la récusation, le juste motif est de ce
fait laissé à la charge du juge qui apprécie, en s’inspirant du droit commun2353 et de la
pertinence des raisons invoquées à l’appui de la demande. C’est ainsi que dans une
espèce2354, le juge a considéré que les conditions dans lesquelles un commissaire aux
comptes avait exercé des fonctions antérieures de conseiller de la société contrôlée ne
permettaient pas de retenir à son encontre des reproches de partialité ou de
dépendance justifiant sa récusation.
La récusation représente une procédure implicite de vérification, par chacun des
partenaires de l’entreprise sociale, que le commissaire aux comptes désigné présente
toutes les garanties d’indépendance à l’égard des autres partenaires. La récusation de
                                                            
2353 Art 158 CPCC.
2354 CA Colmar, 23 février 1983, Revue des Sociétés, 1983, 583, note GUYENOT (J.).
584 

 
l’article 731 doit donc permettre aux acteurs sociaux de corriger le choix d’un
commissaire aux comptes qui méconnaît les règles de sa profession, au premier rang
desquelles figure le principe d’indépendance. Cependant, l’actionnaire doit respecter
la procédure y afférente.

b. La procédure de la récusation
La récusation est prononcée par le président de la juridiction du lieu de situation
de la société contrôlée. L’action est intentée par un ou plusieurs actionnaires détenant
au moins 10% du capital ainsi que le Ministère public, dans les trente jours de la
désignation du commissaire aux comptes2355.
S’il est fait droit à la demande, un nouveau commissaire est désigné en
justice. Il demeure en fonction jusqu’à l’entrée en fonction du commissaire aux
comptes désigné par l’assemblée générale2356. Doit donc être remplacé, tout
commissaire aux comptes qui ne présente plus les garanties que l’on attend « d’un
organe de régularité »2357. Mais, parce que la mission de contrôle oblige parfois le
commissaire aux comptes à prendre des positions qui déplaisent aux dirigeants
véreux, ces derniers peuvent à tout bout de chemin vouloir le récuser. Au cas où ils
n’auront pas réussi, ils essaieront de faire obstacle à sa réélection ou provoquer sa
révocation.

2. Le régime de la révocation
Permettre aux associés, de mettre fin prématurément, serait-ce par caprice
aux fonctions des commissaires aux comptes compromettrait leur indépendance et
inévitablement l’efficacité du contrôle. Ainsi, l’article 732 de l’Acte uniforme pose le
principe selon lequel la révocation du commissaire aux comptes ne peut être
demandée en justice qu’en cas de faute ou d’empêchement. Parce que la procédure est
essentiellement judiciaire, le juge se livrera à une appréciation de l’empêchement ou
de la faute.
La faute s’entend généralement de l’inexécution ou de la mauvaise exécution
des missions qui incombent au commissaire aux comptes2358. Ainsi, le commissaire
aux comptes qui, ayant découvert les irrégularités et inexactitudes comptables, ne
saisit pas l’assemblée générale en temps utile pour l’informer peut voir sa révocation
justifiée2359. Il en est de même d’un commissaire aux comptes qui dissimule les actes
de nature à porter atteinte à son indépendance. Quant à l’empêchement, il est
constitué de tout fait qui peut obstruer à l’exécution de la mission du commissaire aux
comptes. On peut distinguer l’empêchement interne et l’empêchement externe. Ce
dernier est propre au commissaire aux comptes, indépendamment des conditions
particulières d’un mandat de contrôle. Il s’agit soit d’une absence prolongée ou d’une
maladie. Dans ces cas, la révocation est possible et justifiée en vertu de l’article 731
précité.

                                                            
2355 Art 732 AUSC.
2356 Art 730 al 2 AUSC.
2357 VIDAL (D.), Le commissaire aux comptes dans la société anonyme, op.cit, op.cit, n°340, p. 264.
2358 Cass.com, 22 octobre 1991, Bulletin Joly, 1992, 46, note BARBIERI (J.F.)
2359 Cass.com, 19 février 1963, Revue des Sociétés, 1964, 315, note Du PONTAVICE (E.).

585 

 
L’empêchement interne à la société contrôlée vise le commissaire aux
comptes parfaitement apte physiquement, intellectuellement et matériellement à
l’exercice de ses fonctions, mais qui, se trouve dans des circonstances particulières,
indépendantes de sa volonté, qui l’empêchent d’assumer correctement sa mission. Il
s’agira par exemple d’un bouleversement des structures comptables ou juridiques de
la société contrôlée tels que les moyens des cabinets du commissaire aux comptes
cessent d’être adaptés2360.
La procédure judiciaire de révocation est supposée exclusive de tout abus.
Mais la révocation pour empêchement « interne » n’est-elle pas abusive ? Le
commissaire aux comptes est révoqué pour des raisons indépendantes de sa volonté.
A notre sens, le juge ne devrait admettre une telle révocation, tout au plus, il devrait
même permettre au commissaire aux comptes d’exercer une action en dommage-
intérêts contre la société. Les conditions de mise en œuvre de l’action en révocation
apparaissent très protectrices pour les contrôleurs. L’idée est de parvenir à mettre fin à
« la révocabilité ad nutum », jugée incompatible avec « l’indépendance de celui qui
doit parfois déplaire »2361. La préoccupation du législateur communautaire était donc
d’assurer l’indépendance de la fonction de contrôle2362. Pour atteindre ces objectifs
initiaux, il faudra vaincre les obstacles pratiques qui persistent et contribuent à saper
l’œuvre jusqu’ici entreprise.

II. L’indépendance pratiquement éprouvée


Les insuffisances de l’indépendance des commissaires aux comptes dans l’Acte
uniforme s’expliquent par des atteintes infligées par les dirigeants sociaux (A). Ces
entraves portent un coup dur à la règle d’or de l’indépendance qu’il faut
nécessairement solutionner. Si le législateur veut que l’indépendance du contrôleur
reste la pièce angulaire du contrôle, il serait souhaitable qu’il procède aux utiles et
nécessaires adaptations (B).

A. Les intrusions abusives des dirigeants sociaux


Dans l’Acte uniforme, deux situations permettent de mettre en évidence
l’indépendance factice des commissaires aux comptes. La première hypothèse
intervient lors de leur désignation par l’assemblée générale des actionnaires. À ce
stade, les dirigeants exercent une influence décisive sur ladite assemblée (1). La
seconde hypothèse concerne les négociations d’honoraires des commissaires aux
comptes où ces mêmes dirigeants sont omnipotents (2).

1. L’influence des dirigeants sur l’assemblée désignant les contrôleurs


L’article 703 de l’Acte uniforme dispose que le premier commissaire aux
comptes et son suppléant sont désignés dans les statuts ou par l’assemblée générale
constitutive, en cours de vie sociale par l’assemblée générale ordinaire. Cet article
met en exergue la compétence de principe de l’assemblée des actionnaires dans le
                                                            
2360 VIDAL (D.), Le commissaire aux comptes dans la société anonyme, op.cit, n°354, p.273.
2361 GUYON (Y.), « l’indépendance des commissaires aux comptes », JCP, 1977, I, 2831, n°14.
2362 COURET (A.), « Synthèse de la jurisprudence récente concernant la révocation et la responsabilité civile

des commissaires aux comptes », Les Petites Affiches, n°148, p.7.


586 

 
choix des commissaires aux comptes. Malheureusement, ce procédé n’offre pas une
garantie d’indépendance suffisante puisque l’assemblée est généralement dominée par
les dirigeants sociaux.
Ce sont eux finalement qui proposent la désignation ou le renouvellement du
commissaire aux comptes chargé de les contrôler. De même, bien qu’il est interdit au
directeur général s’il est administrateur de participer au vote du conseil
d’administration proposant à l’assemblée des actionnaires, la désignation des
commissaires aux comptes lorsque la société fait appel public à l’épargne, il pourra
toujours par divers procédés2363, influencer le conseil d’administration ou ladite
assemblée. Finalement, le choix des commissaires aux comptes par l’assemblée n’est
jamais libre, celle-ci devenant une chambre d’enregistrement des volontés des
dirigeants sociaux, chargée d’entériner le choix des commissaires aux comptes à elle
proposée par ces derniers.
Quand les dirigeants proposent à l’assemblée, le choix d’un contrôleur, ledit
choix n’est jamais hasardeux. Ils présentent toujours des contrôleurs avec lesquels
ils ont des liens affinés, sachant que ces derniers ne peuvent exercer leur mission
qu’avec mollesse, en évitant de mettre à mal le réseau de relation. Ils garderont
toujours le silence sur une grande partie des manœuvres frauduleuses des dirigeants
par peur de représailles.
Cette situation s’accompagne pour la société contrôlée, des conséquences
néfastes. Le contrôle opéré par les commissaires aux comptes devient illusoire du fait
du manque d’indépendance à l’égard des « dirigeants malhonnêtes » qu’ils sont
censés pourtant contrôler. Même la publicité de la désignation intervenue plus tard ne
fait pas disparaître le vice. Quand les dirigeants n’auraient pas réussi à corrompre
l’assemblée des actionnaires du choix d’un commissaire aux comptes qui leur est
favorable, ils attendront le moment des négociations des honoraires, pour mettre en
œuvre toute leur omnipotence.

2. L’omnipotence des dirigeants dans la négociation des honoraires


L’article 723 alinéa 1 de l’Acte uniforme pose une règle d’or : « Les
honoraires du commissaire aux comptes sont à la charge de la société ». Il en résulte
une négociation des honoraires entre le commissaire et la société. Mais a-t-on oublié
que la société est une personne morale agissant par le biais de ses représentants, en
l’occurrence les dirigeants sociaux.
En effet, lorsqu’on affirme que la négociation des honoraires se fait d’un
commun accord entre le commissaire aux comptes et la société, c’est à proprement
parler, une négociation entre ce magistrat de chiffre et les dirigeants sociaux qui
président aux destinées de la société. Ce système est critiquable, car tout marchandage
entre le commissaire et le dirigeant est inconvenant, encore qu’il est sans doute très
peu satisfaisant de faire payer le contrôleur par le contrôlé.
Ce dernier peut à l’occasion lui fournir une rémunération mirobolante,
destinée à le détourner du contrôle et le contraindre à garder le silence sur certains de
                                                            
2363 Certains dirigeants sociaux en raison de leur surface financière attendront la veille des élections des

commissaires par le conseil d’administration ou par l’assemblée pour organiser une manifestation et de grands
diners en leur honneur avec pour seule finalité de leur détourner d’un choix objectif.
587 

 
leurs actes fautifs passés au sein de l’entreprise. Décidément, le système de
négociation des honoraires institué entre le dirigeant et le contrôleur n’offre aucune
garantie réelle d’indépendance pour ce dernier. Eu égard à la nature insatiable de
l’homme, tout commissaire aux comptes, aussi diligent soit-il, risque de succomber à
la tentation. En conséquence, les résultats d’un contrôle livré par un contrôleur
« financièrement dépendant » des dirigeants ne pourraient qu’être illusoires. Face à
cette situation scabreuse, il est plus urgent de mettre en œuvre des « solutions à la
fois originales et mieux à adaptées » 2364 pour que le contrôle reste la pièce angulaire
de la transparence dans la gestion des sociétés commerciales.

B. La recherche des garanties d’indépendance mieux adaptées


L’émergence de nouvelles garanties d’indépendances du commissaire aux
comptes a l’avantage de sortir ce dernier, du joug de la domination des dirigeants, lui
permettant par la même occasion d’exercer efficacement ses missions. Elles pourront
consister dans la proclamation d’un ensemble de mesures extrajudiciaires(1) et
judiciaires (2) en leur faveur.

1. Les garanties extrajudiciaires d’indépendance


Les garanties concernent l’interdiction faite aux dirigeants sociaux de
prendre part aux réunions de l’assemblée désignant le commissaire aux comptes (a),
suivie de l’institution d’un système de barème des honoraires de taxation des
honoraires (b).
a. L’interdiction des dirigeants aux réunions de l’assemblée désignant les
contrôleurs
Aucun système a priori n’est prévu par l’Acte uniforme pour vaincre
l’influence des dirigeants sociaux sur l’assemblée des actionnaires, et par voie de
conséquence, pour protéger l’indépendance du commissaire aux comptes au moment
de sa désignation. Fort heureusement, la loi française de sécurité financière proclame
de nouvelles garanties d’indépendance2365 lors de cette désignation en interdisant
formellement au directeur général et le directeur général délégué, s’ils sont
administrateurs, de prendre part aux réunions du conseil d’Administration ou de
l’assemblée des actionnaires désignant le contrôleur lorsque la société fait appel
public à l’épargne.
Dans ces structures, les comités d’audit joueront un rôle très important dans
le choix desdits commissaires en faisant des propositions au conseil d’administration.
Les actionnaires minoritaires peuvent également déposer des projets de résolution
tendant à désigner un ou plusieurs commissaires aux comptes, avec l’interdiction
toujours faite aux dirigeants sociaux d’y prendre part. Ces nouvelles mesures
applicables aux sociétés faisant appel à l’épargne peuvent bien s’appliquer à toutes les
sociétés commerciales.
Le législateur communautaire devrait introduire ces innovations dans son
dispositif afin de renforcer davantage l’indépendance de l’auditeur légal. En présence
d’un conseil ou d’une assemblée d’actionnaires libéré des pressions des dirigeants, le
                                                            
2364 GODON (L.), Les obligations des associés, Economica, 1997, n°141, p. 93.
2365 Art L. 225-228 al 1er Code de commerce.
588 

 
choix des commissaires aux comptes, dont on est sûre de la compétence et de
l’indépendance est possible. Ce qui aura des répercussions très positives sur le
contrôle des sociétés. Mise à part cette mesure, l’indépendance de l’organe de
contrôle au niveau de son élection peut être renforcée à travers l’institution d’un
barème des honoraires.

b. L’institution d’un système de barème des honoraires du commissaire aux


comptes
Il ne servirait à rien de régler avec minutie les conditions de nomination et la
durée du mandat des commissaires aux comptes si l’indépendance financière ainsi
édifiée était menacée par la libre discussion des honoraires entre lui et la société.
Pourtant, le législateur n’a rien prévu pour éviter cette situation.
La doctrine majoritaire2366 souhaitant une atténuation de la dépendance
financière des auditeurs légaux avait proposé un système libéral de négociation des
honoraires entre le commissaire aux comptes et la société sous l’arbitrage de la
chambre de discipline ou d’un juge. Ce système « mi-libéral, mi-interventionniste »
n’est pas très cohérent. Les rapports de travail reposent sur la confiance mutuelle des
parties et l’immixtion d’un tiers dans la fixation des honoraires risquerait non
seulement de remettre en cause cette confiance, mais aussi, rendrait lourde et
onéreuse la procédure de fixation des honoraires.
À notre sens, le renforcement de l’indépendance financière des commissaires
aux comptes pourra passer par l’institution d’un système de barème des honoraires. A
cet effet, les commissaires aux comptes établiront un programme de travail, indiquant
le nombre d’heures nécessaires à l’accomplissement de ses diligences. Ce nombre
d’heures doit se trouver à l’intérieur d’une fourchette fixée légalement en fonction de
la taille de la société.
L’institutionnalisation d’un tel barème serait favorable aussi bien pour les
actionnaires que pour le commissaire aux comptes. Pour ce dernier, il lui permettra de
s’exprimer librement au sein de l’entreprise contrôlée en préservant pleinement son
intégrité et son indépendance. Pour les actionnaires, le barème leur permettra de se
faire une opinion sur l’état du contrôleur qu’ils ont nommé, d’avoir des informations
précises sur le montant de leurs honoraires. Ce qui les rassure que le commissaire aux
comptes ne s’érige pas en protecteur indéfectible des dirigeants.
L’institution du barème des honoraires des commissaires aux comptes est
salutaire à plus d’un titre, raison pour laquelle le législateur communautaire gagnerait
à l’intégrer aussi rapidement dans son espace. Ces mesures sont la bienvenue, mais,
peuvent se révéler inefficaces du fait de la résistance des dirigeants véreux. Pour
renforcer la pleine efficacité de ces garanties, il serait souhaitable de les compléter des
garanties judiciaires.

2. Les garanties judiciaires : le délit d’entrave à la désignation des contrôleurs


Interdire aux dirigeants sociaux de prendre part aux réunions du conseil
d’Administration ou de l’assemblée des actionnaires désignant le commissaire aux

                                                            
2366 MERLE (P.), Sociétés commerciales, 9ème éd, Précis Dalloz, 2003, n°509, p.587.
589 

 
comptes peut être perçu comme une solution inefficace du fait de l’absence de
responsabilité pénale. Pour que l’interdiction garde toute son importance et protège
grandement l’indépendance des contrôleurs, il serait souhaitable pour le législateur,
de reconnaître le délit d’entrave à la désignation des contrôleurs contre les dirigeants
véreux. Cette responsabilité contribuerait à les responsabiliser davantage.
Le délit supposerait l’existence des conditions préalables : la réunion de
l’assemblée des actionnaires et la désignation des commissaires aux comptes.
L’élément matériel du délit pourra consister dans les manœuvres diverses, de nature
quelconque apportées par l’auteur du délit à la désignation des commissaires aux
comptes. Il peut résulter par exemple, dans la promesse faite aux actionnaires en vue
de détourner leur choix, la rencontre avec les actionnaires « juste » avant l’ouverture
de la séance, la non production ou la production partielle des documents, ou de
l’opposition à fournir des moyens matériels pour procéder à des travaux2367
Le délit peut également être retenu du fait de la seule présence des dirigeants à
ladite assemblée à moins que l’auteur prouve qu’il ignorait l’existence d’une telle
assemblée au moment des faits. Les éléments matériels doit être largement entendue
pour réprimer tous les cas desquels2368, il est permis de constater un comportement
fautif des dirigeants exerçant une influence sur l’assemblée des actionnaires.
En plus de l’élément matériel, l’intention sera exigée pour que le délit soit
consommé. L’action en connaissance de cause est nécessaire à l’existence de
l’infraction, Il faudra que les dirigeants aient volontairement fait obstacle à la
désignation des commissaires aux comptes.
La répression du délit suppose donc que le législateur l’incrimine et que chaque
État dans sa législation pénale prévoie des sanctions y afférentes. A notre sens, les
sanctions pourront consister dans les peines de l’article 17 de la loi camerounaise du
10 juillet 2003 traitant du défaut de désignation ou de convocation des commissaires
aux comptes aux assemblées. Il s’agira là d’une peine exemplaire. La menace d’une
sanction pénale aussi forte permettra sans aucun doute de vaincre tous les obstacles à
la règle d’or de l’indépendance des commissaires aux comptes.

L’indépendance du commissaire aux comptes, pour quoi faire ? Faut-il


comprendre que la crédibilité ou la transparence des informations financières et
comptables se lit dans les comptes sociaux. L’impartialité de l’organe est du reste la
clé de voûte de toute fonction de contrôle. Le législateur se doit de la sauvegarder afin
de donner davantage de poids à ce partenaire indétachable de l’entreprise. En
définitive, l’émergence des nouvelles garanties ainsi proposées, permettrait au
commissaire aux comptes d’accomplir ses missions avec plus d’objectivité.

                                                            
2367GAUTHIER (P.), LAURET (B.), Droit pénal des affaires, Economica, Paris, 1990, p. 455.
2368On pourrait prendre en compte le fait pour le dirigeants d’organiser des grandes manifestations à son
domicile à la veille de l’élection des commissaires aux comptes ; le fait de prendre un pot avec la personne
aspirant au poste de commissaire aux comptes ou même avec un actionnaire, ou avec un membre du Conseil
d’Administration. La liste n’est pas limitative. Elle peut s’élargir davantage.
590 

 
La confidentialité dans la procédure arbitrale dans l’espace OHADA
Par Cédric Carol. TSAFACK DJOUMESSI2369, ATER à la Faculté des
Sciences Juridiques et Politiques de l’Université de Dschang

Il est vain d’affirmer l’existence d’un droit au juge si les conditions dans
lesquelles les jugements sont rendus ne satisfont par la valeur de justice. Pour cela, un
certain nombre de principes processuels fondamentaux sont proclamés. On englobe le
plus souvent ces principes dans l’expression « procès équitable »2370.
Déjà, les principes directeurs du procès sont des principes techniques entrant
dans la catégorie plus générale des principes fondamentaux de la procédure qui
constituent des regroupements de règles structurant une procédure et les rapports de
droit procéduraux et constituant par conséquent un ordre public procédural. D’un
nombre fort important, ils sont quasiment communs à toutes les procédures2371 et
consacrés par la quasi-totalité des Etats du monde qu’on en vient à parler de
l’émergence d’un modèle universel de procès. Un auteur remarquable a pu conclure à
cet effet que « l’édification d’un fonds commun procédural conduit à la
mondialisation des procédures, des standards d’une bonne justice2372. Une doctrine
autorisée en a proposé une définition large2373. Dans ce sillage, on peut les classer en
principes tournés vers les parties2374 et en principes tournés vers le juge2375 ou encore
en principes institutionnels et fonctionnels. Á l’intérieur des principes institutionnels,
on peut ranger le droit à un tribunal2376 et le droit à un juge indépendant et
impartial2377. Dans les principes fonctionnels, on a le principe de l’égalité des armes
qui renferme les droits de la défense2378 et le principe du contradictoire2379 ; les

                                                            
2369
Etudiant doctorant en droit privé à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université de
Dschang, il titulaire d’un master en droit communautaire et comparé CEMAC et d’une maîtrise en droit et
carrières judiciaires. E-mail :tsafackcédric@yahoo.fr.
2370
Un procès ne serait pas équitable s’il se déroulait dans les conditions de nature à placer injustement une
partie dans une situation désavantageuse. Lire S. GUINCHARD, Droit et pratique de la procédure civile:
Droit interne – Droit communautaire, op. cit., p. 507.
2371
Procédure civile, pénale et administrative.
2372
S. GUINCHARD, « Vers une démocratie procédurale ? », ce qui a changé dans la justice depuis 20 ans,
justices 1999, nouvelle série. In Droit et pratique de la procédure civile: Droit interne – Droit
communautaire, op. cit., p. 507.
2373
Lire E. VERGES, Les principes directeurs du procès judiciaire, étude d’une catégorie juridique, Thèse
de doctorat, Université de droit, d’économie et des sciences d’Aix-Marseille, Déc. 2000, 523p.
2374
Il s’agit des principes ayant un parfum managérial qui ne se marient pas toujours bien avec les principes
de justice. D’où la préférence du concept principes fonctionnels.
2375
Il s’agit des principes qui tout en bénéficiant aux parties, s’appliquent avant tout à l’organisation
juridictionnelle. D’où l’adéquation de l’expression principes institutionnels.
2376
Ce droit comprend le droit à un juge de premier degré, le droit à une voie de recours et le droit de ne pas
être jugé deux fois.
2377
Sur la question, voir supra, les incidents tenant à la disponibilité de l’arbitre. Voir également E.
JEULAND, Droit processuel général, op. cit. pp. 205-232.
2378
Ce droit qui met l’accent sur la possibilité de se défendre et d’avoir un défenseur, implique le droit à un
avocat, l’accès à un interprète, l’oralité des débats et la motivation des jugements.
2379
Clé de voûte du droit processuel, c’est le fait d’être entendu, de prendre connaissance des observations
ou pièces produites par l’autre ainsi que d’en discuter.
591 

 
principes de loyauté et de l’équilibre des rôles2380. Somme toute, ces principes
constituent une limite légale substantielle à la possibilité offerte aux arbitres de régler
la procédure arbitrale sans être tenus de suivre les règles établies pour les tribunaux.
Ces principes constituent en quelque sorte le droit commun processuel minimum, hors
d’atteinte de la volonté des parties. Ils participent ainsi avec force à la relativisation
du concept de « justice privé » de l’arbitrage2381.
Plusieurs principes sont propres à l’arbitrage et suscitent d’ailleurs son
rayonnement. Il en va ainsi de la célérité, de la loyauté de la confidentialité. Mais
seul le dernier retiendra notre attention.
La confidentialité semble être un principe qui gouverne toute procédure
arbitrale2382 et la distingue de la procédure devant une juridiction étatique où
s’applique à l’inverse la règle de la publicité des débats2383. Traditionnellement, elle
est présentée comme étant l’un des trait marquant, ou encore l’un des avantages de
l’arbitrage2384. D’aucuns soutiennent qu’elle est de l’essence même de l’arbitrage2385
ou encore qu’elle est la sœur jumelle de l’arbitrage2386. En effet, il est souvent
opportun pour une entreprise que ses contentieux commerciaux ne soient pas portés à
la connaissance d’un trop large public, ni même des concurrents, des clients et des
pouvoirs publics2387. L’arbitrage, justice confidentielle, sans publicité des débats ni,
en principe des sentences rendue, semble permettre de préserver le secret des affaires.
Ce faisant, la confidentialité évite de radicaliser le contentieux ; facilitant ainsi les
arrangements entre les parties.
Toutefois, une incertitude règne aujourd’hui sur le statut de la confidentialité
de l’arbitrage. Des discussions existent sur la nature légale ou conventionnelle de
l’obligation de confidentialité, sur sa valeur de principe général de l’arbitrage2388, ou
sur la nécessité qu’elle soit expressément stipulé par les parties.

                                                            
2380
Dans ce principe, on a le principe du dispositif, de l’immutabilité du litige et celui de la direction du
procès par le juge.
2381
O. POMIES, Dictionnaire de l’arbitrage, op. cit., Pp 149-150.
2382
Lire en ce sens A. REMY, « Arbitrage international, entre confidentialité et transparence », Mémoire de
master de droit Européen comparé, 2013, 54 p.
2383
C’est une règle quasi obligatoire en procédure civile car elle viserait à protéger les justiciables contre
une justice sécrète échappant au contrôle public et préserverait la confiance entre les cours et tribunaux.
Toutefois, elle peut toujours être écartée si elle est de nature à porter atteinte à la moralité, l’ordre public et
à la sécurité nationale.
2384
Elle permet d’éviter la publicité potentiellement défavorable ou dommageable engendrée dans un
procès judiciaire.
2385
E. GAILLARD, Ph. FOUCHARD, B. GOLDMAN, J-L DELVOLVE, in Th. CLAY, L’arbitre, op. cit.
p. 595 et 596.
2386
Lire en ce sens, S. LAZAREFF, « Confidentiality and arbitration : Theoritical and philosophical
reflections, ICC, Bull. 2009, spécial supplement, p. 88.
2387
Il s’agit du fisc, des autorités antitrust, boursières et autres…
2388
Certaines juridictions étrangères ont nié l’existence d’un principe général de la confidentialité qui serait
inhérent à la stipulation d’une convention d’arbitrage : Cour suprême de Suède, 27 oct. 2000, Al Trade
Finance Inc., Stocklom Arb Report 2002/2, p. 144 ; Rev. arb. 2001, p. 821, note S. JARVIN et G. REID;
High court d’Australie, 7 avr. 1995, Esso v. Plowman, 128, ALR 391. 1995; Rev. Arb. 1996, p. 539, note D.
KAPELIUK-KLINGER. Alors que d’autres reconnaissent l’existence d’un tel principe : En Angleterre,
Court of appeal, Dolling-Baker c/ Merrer, 1990, 1 WLR 1205 ; Court of appeal Hassneh Insurance Co of
592 

 
Au demeurant, si la confidentialité des audiences paraît être garantie (I), tel
ne semble pas être le cas pour ce qui est des sentences (II).

I : La confidentialité « garantie » des audiences


L’arbitrage est un mode privé de règlement des conflits. Ce caractère privé
signifie que les audiences se déroulent portes closes. En ce sens, une doctrine
recommandée a pu dire que l’arbitrage n’est pas seulement une justice privée mais
une justice rendue en privée2389. Ce qui a, à tord, conduit à l’assimilation du caractère
privé des audiences avec la confidentialité2390. En réalité, l’obligation de
confidentialité dans l’arbitrage semble être garantie à la fois par sa large portée (A) et
les sanctions possibles en cas de violation (B).

A- La large portée de l’obligation de confidentialité des audiences


L’obligation de confidentialité dans l’arbitrage a une triple portée :
matérielle, personnelle et temporelle.
Sur le plan matériel, le paragraphe 1, de l’article 14 du Règlement d’arbitrage
CCJA dispose que : « La procédure arbitrale est confidentielle. Les travaux de la
cour relatifs au déroulement de la procédure arbitrale sont soumis à cette
confidentialité, ainsi que les réunions de la cour pour l’administration de l’arbitrage.
Elle couvre les documents soumis à la cour ou établis par elle à l’occasion des
procédures qu’elle diligente ». De cet article, on note une double composante à
savoir d’une part, la confidentialité des audiences proprement dites qui renferme
plusieurs éléments dont : la confidentialité de l’existence de l’arbitrage, celle de tous
les documents et pièces échangés pendant l’instance, du délibéré. Schématiquement,
la confidentialité des audiences interdit aux intervenants à l’arbitrage de révéler
l’existence de la procédure arbitrale. Il fait aussi obstacle à ce que les parties rendent
publics les documents produits par l’adversaire au cours de l’instance : mémoires,
correspondances, notes écrites ainsi que toutes pièces annexes. Cette confidentialité
est quasi commune à tout type d’arbitrage2391. La seconde composante, est propre aux
arbitrages institutionnels. Elle consiste en la confidentialité des réunions de la Cour
dans le cadre de l’administration de l’arbitrage. Au total, toute information est
confidentielle, sous réserve des stipulations contraires des parties, des obligations
légales et réglementaires. Cette obligation s’impose à des personnes bien précises.
Sur le plan personnel, tous les acteurs de l’arbitrage y sont assujettis. Par
acteurs de l’arbitrage, on entend toute personne ou institution concourant à la
procédure arbitrale telle que les arbitres, les parties, leurs conseils, les secrétaires
administratifs, les témoins, les experts, les centres d’arbitrage, les autorités de
désignation ou encore les tiers financeurs sans que la liste soit limitative. Dans cette
                                                                                                                                              

Israel c/ Mew 1993, 2 Lloyd’s Rep., 2, 243. Cité par Ch. SERAGLINI et J. ORTSCHEIDT, Droit de
l’arbitrage interne et international, op. cit p. 53.
2389
Th. Clay, L’arbitre, op. cit., p. 771.
2390
S. K, confidentiality : is international arbitration is losing of its major benefits ? 22, J. Intl. Arb 2005, p.
125 ; OXFORD SHIPPING Co Ltd V. NIPPON YASEN KAISHA (The Eastern Saga) Queen’s Bench
division (commercial court) QBD june 26, 1984
2391
Excepté dans l’arbitrage investissement où la procédure est transparente au nom de la protection de
l’intérêt public.
593 

 
veine, le paragraphe 2, de l’article 14 du Règlement CCJA souligne que : « sous
réserve d’un accord contraire de toutes les parties, celle-ci, et leurs conseils, les
arbitres, les experts, et toute personne associée à la procédure d’arbitrage, sont tenus
au respect de la confidentialité […] ». Dans le cadre d’un arbitrage institutionnel, le
centre en question rentre dans les intervenants à la procédure arbitrale et par voie de
conséquence, est aussi astreint à cette obligation. Il s’agit en définitive, d’un principe
large dont les contours exacts restent à fixer par la jurisprudence. Toutefois, elle ne
permet pas d’échapper à toutes les obligations légales d’information, notamment
comptables, fiscales et financières, que supportent les intervenants à l’arbitrage2392.
Sur le plan temporel, il convient de relever que la confidentialité s’applique à
chacune des étapes de l’instance arbitrale, de la nomination des arbitres à la signature
de la sentence, et perdure même après son prononcé2393. Á la vérité, à quoi servirait
une confidentialité temporaire ? Tout ce que l’arbitre apprend, à peine est-il approché
par les litigants en vue d’une éventuelle désignation, devra rester secret, qu’il soit
finalement désigné ou non, et le secret devra être préservé au terme de l’instance,
qu’une sentence soit effectivement rendue ou non. Cependant, cette obligation
comporte certaines limites dès lors qu’on met l’arbitre en face de faits illicites, voire
immoraux : Les litigants ne pourront plus exiger de lui qu’il garde le silence sur ces
faits, car cela pourrait faire de lui un complice2394. Bien plus, il en va ainsi lorsqu’une
disposition légale l’oblige à révéler des informations relatives à l’arbitrage ou pour les
besoins de sa défense, en cas d’action en responsabilité engagée à son encontre2395.
L’obligation de confidentialité est donc une obligation permanente qui pèse
à la fois sur l’arbitre, les litigants et tous les acteurs du procès arbitral et dont la
méconnaissance emporte sanction.

B- Les sanctions aux manquements à l’obligation de confidentialité


Le tribunal arbitral, les litigants et tous les intervenants à la procédure
arbitrale sont tenus de ne rien divulguer de l’instance arbitrale. Tout manquement à
cette obligation de confidentialité par l’un quelconque des intervenants est une faute.
En conséquence, la méconnaissance de cette obligation, peut entrainer pour tous les
intervenants à l’exclusion des arbitres, la mise en jeu de leur responsabilité civile si
d’aventure, elle a causé un préjudice au requérant. Ainsi, le Tribunal de commerce de
Paris, a reconnu la confidentialité de l’existence même d’une procédure arbitrale et, a
retenu la responsabilité de la partie qui l’avait révélée dans la presse2396. Relativement
aux membres du tribunal arbitral, leur condition est plus inconfortable. En effet, en
plus de la mise en jeu de leur responsabilité au triple plan contractuelle, délictuelle et
                                                            
2392
Ch. SERAGLINI et J. ORTSCHEIDT, Droit de l’arbitrage interne et international, op. cit p. 349.
2393
Lire en ce sens, A. REDFERA et M. HUNTER, Droit et pratique de l’arbitrage commercial
international, avec la collaboration de M. SMITH et la traduction de E. ROBINE, Paris, LGDG, 2è éd.,
1994, p. 337 ; G KEUTGEN, « Propos sur le statut de l’arbitre », op. cit., spéc. n° 25. Cité par T. CLAY,
L’arbitre, op. cit., p. 597.
2394
Th. CLAY, L’arbitre, op. cit., p. 598.
2395
V. notamment, B. FARGES, « La confidentialité de l’arbitrage à l’épreuve de la transparence
financière », Rev. Arb. 2003, p. 5. Cité par Ch. SERAGLINI et J. ORTSCHEIDT, Droit de l’arbitrage
interne et international, op. cit p. 53.
2396
Trib. com. Paris (Ord. ref.), 22 févr. 1999, et Paris, 17 sept. 1999, Rev. Arb. 2003, p. 189.
594 

 
disciplinaire en fonction de la victime2397, ils s’exposent à leur révocation2398, voire
l’annulation de leur sentence.

II : La confidentialité menacée des sentences


La confidentialité des sentences arbitrales est réel (A) mais se trouve
fragilisée par l’éventualité des recours au juge d’appui (B).

A- La réalité de la confidentialité des sentences arbitrales


Elle passe par la confidentialité du délibéré2399. En effet, l’article 1469 du
Code de procédure civile applicable au Cameroun souligne que : « les délibérations
des arbitres sont secrètes »2400. Le secret du délibéré2401, à la différence de celui des
pièces et des audiences2402, s’exerce vis –à vis des tiers et des litigants. Un auteur
remarquable a pu dire en ce sens que : « le secret impose l’interdiction pour toute
personne, hors les juges d’assister au délibéré, et l’obligation, pour les magistrats
délibérants de ne pas divulguer ultérieurement le contenu de leur délibération »2403.
L’obligation au secret qui vise à assurer l’égalité des litigants, se subdivise en deux :
d’une part, elle doit empêcher tout tiers d’y assister ; d’autre part, elle a l’interdiction
d’en révéler le contenu.
D’emblée, seuls les arbitres peuvent participer aux délibérés, et chacun d’entre eux est
garant du respect de cette règle. Cela implique que toute autre personne en soit
exclue, sauf si les litigants ne l’accordent expressément.
L’interdiction faite aux tiers d’assister aux délibérés vaut naturellement pour
tous les autres intervenants à la procédure arbitrale2404 et même pour le secrétaire du
tribunal arbitral et pour le dactylographe. L’arbitre est obligé par le contrat d’arbitre
d’assurer le huis - clos aux délibérés. Il doit refuser de délibérer tant qu’il ne peut pas
l’obtenir. Ainsi dans une affaire, un arbitre a démissionné en raison des interventions
régulières du responsable du service juridique d’une des deux sociétés litigantes lors
des délibérés2405. Même si cet arbitre a montré son attachement au respect de la
confidentialité dans l’arbitrage, il est sans doute préférable de parvenir à des solutions
moins radicales2406.
Le contenu des délibérés doit ensuite impérativement rester secret. Ainsi,
l’arbitre qui communique le résultat d’un délibéré avant que la sentence soit notifiée,

                                                            
2397
Sur la responsabilité de l’arbitre, lire Ph. FOUCHARD, « Le statut de l’arbitre dans la jurisprudence
française », Rev. Arb. 1996, p. 325 ; B. KUIMO, La responsabilité de l’arbitre en droit OHADA, Thèse de
Master, Université de Dschang, Juin 2011. 
2398
Elle doit résulter du consentement unanime des parties.
2399
Même le juge étatique est soumis à cette obligation.
2400
Il en va de même de l’article 18 de l’AUA.
2401
Il faut relever que le délibéré est inhérent à la notion de collégialité, Lire J-D. BREDIN, « Le secret du
délibéré arbitral » in Etudes offertes à Pierre BELLET Paris Litec 1991, pp. 73-75
2402
Il s’exerce uniquement vis-à-vis des tiers. Th. CLAY, L’arbitre, op. cit. p. 599.
2403
J-D. BREDIN, « Le secret du délibéré arbitral », op. cit.,, p. 75.
2404
Litigants, conseils, avocats, interprètes, experts etc.
2405
1997 ATC CFCO, Rev. Arb. 1998. 131, note D. HASCHER . Cité par Th. CLAY, L’arbitre, op. cit. p.
600.
2406
V. Th. CLAY, L’arbitre, ibid. p. 600.
595 

 
même si elle ne sera pas modifiée, viole son obligation de secret. Il en est de même si
l’arbitre révèle la position qu’il a défendue lors des délibérés. Il y aurait encore
violation de l’obligation de secret si l’arbitre permettait la publication d’une sentence,
sans l’accord des litigants. Ces atteintes caractérisées à la confidentialité ne sont pas
pour autant des cas d’annulation de la sentence2407, malgré leur caractère
« dangereux » pour l’arbitrage. En revanche la responsabilité civile de l’arbitre pourra
être recherchée si la publication a causé un préjudice2408. Ne constituent pas
cependant une violation à l’obligation de confidentialité, l’émission d’une opinion
dissidente, l’absence de signature d’un des arbitre sou même l’indication que la
sentence a été rendue à l’unanimité ou à la majorité2409. Cette confidentialité
apparente dont semble jouir la sentence arbitrale est sérieusement remise en cause par
les recours au juge d’appui.

B- La fragilité de la confidentialité des sentences arbitrales


L’obligation de confidentialité s’efface devant les principes
supérieurs posés tantôt par l’ordre public de fond, tantôt par l’ordre public procédural.
Pour ce qui est de l’ordre public de fond, les obligations légales
peuvent faire sauter le parapluie de la confidentialité. La loi peut en effet, imposer aux
parties des obligations d’information, de révélation, ou de transparence. Ainsi les
droits financier ou boursier peuvent neutraliser l’obligation de confidentialité2410.
Dans ce sillage, les juridictions anglaises et particulièrement La High Court a jugé
qu’une sentence était un document public identifiant les droits et les obligations des
parties et qu’elle pouvait être divulguée s’il paraît raisonnable que sa publication soit
nécessaire afin d’établir ou de sauvegarder les droits d’une partie à l’arbitrage à
l’égard des tiers2411. Il en va de même pour les lois fiscales et pénales2412.
La confidentialité cède le plus souvent devant l’ordre public procédural. En
effet, dès lors que les recours au juge d’appui sont mis en œuvre, le parapluie de la
confidentialité se trouve ôté au profit de la publicité des débats. Malheureusement
aujourd’hui, on ne peut que déplorer le comportement procédurier de certaines
parties, ou de leurs conseils, ainsi que l’usage abusif des tactiques dilatoires2413 que
sont les incidents de procédure et les recours contre la sentence. Si les incidents de
procédure peuvent fragiliser la confidentialité de l’audience arbitrale, les recours
contre la sentence arbitrale quant-à eux, anéantissent la confidentialité de celle-ci. La

                                                            
2407
Paris, 1ère Ch. suppl., 19 mars 1981, Rev. Arb., 1982, p. 84, note J. VIATTE, J-D. BREDIN, « Le secret
du délibéré arbitral », op. cit., p. 76.
2408
Th. CLAY, L’arbitre, op. cit. p. 601.
2409
J-D. BREDIN, « Le secret du délibéré arbitral », op. cit., spéc. n° 9-10. Cité par Th. CLAY, L’arbitre,
ibid, p. 601.
2410
V. B. FAGE, « La confidentialité de l’arbitrage à l’épreuve de la transparence financière », op. cit., p. 5.
2411
HASSUEH INSURANCE, 2 Lloyd’s Report, 243 – sur cette décision V. PAULSSON, RAWDING,
« Les aléas de la confidentialité », Bulletin de la cour de la CCI, mai 1994, p. 49. Cité par E.
LOQUIN, « De l’obligation de concentrer les moyens à celle de concentrer les demandes dans l’arbitrage »,
Revue de l’arbitrage, n° 2, 2010, p. 230.
2412
V. supra pour les développements.
2413
J-J. ARNALDEZ, « L’acte déterminant la mission de l’arbitre », Etudes offertes à Pierre BELLET Paris
Litec 1991, p. 1.
596 

 
confidentialité ne saurait porter atteinte au droit de défendre ses intérêts dont dispose
toute partie en arbitrage. Chacune des parties dispose du droit de contester la sentence
devant le juge étatique compétent ou peut attaquer l’ordonnance d’exéquatur qui
donne à la sentence la force exécutoire. Ce droit heurte de plein fouet l’obligation
faite à chacune des parties de garder l’arbitrage confidentiel : non seulement la
procédure arbitrale est révélée par ses actions, mais également la sentence et parfois
même certains évènements de l’audience arbitrale. Toutefois, l’abus du droit recours
au juge étatique est sanctionné2414. Bien plus, la sentence arbitrale peut être produite
comme moyen de défense2415 ou comme fondement d’une action en justice2416 ;
lesquels usages contribuent fortement à la relativisation de la confidentialité de
l’instance arbitrale. Un auteur a d’ailleurs pu constater que les sentences arbitrales,
sont aujourd’hui largement répandues, qu’il en vient a promouvoir le recours à la
jurisprudence arbitrale2417.

En définitive, la confidentialité de l’instance arbitrale n’est qu’un principe.


Entend que tel, elle n’est garantie qu’en cas de déroulement normal de l’instance. La
présence des incidents de procédure et la mise en jeu des voies de recours sont de
nature à remettre en cause le principe ainsi proclamé. Du coup, on peut à raison, se
demander si la confidentialité est-elle encore un critère du rayonnement de
l’arbitrage ? Pour autant, doit-on reproché au législateur OHADA d’avoir admis ces
éventualités. Á notre sens une réponse négative s’impose. Au total, la préservation de
la confidentialité dépend fortement de la volonté des parties en cause. D’où la
prudence nécessaire de son affirmation catégorique. Ne va-t-il pas de même avec le
principe de célérité ?

                                                            
2414
Paris 18 fév. 1986, Rev. Arb. 1986. 663, note FLECHEUX.
2415
Elle peut servir à soutenir une prétention de compensation, peut être utilisée pour pratiquer une saisie
conservatoire ou comme support à une hypothèque judiciaire sur les immeubles du débiteur.
2416
Elle sera utilisée comme une exception de chose jugée
2417
J-M. JACQUET, «Avons-nous besoin d’une jurisprudence arbitrale ? », Rev. arb n° 3, 2010, pp 445-
466. Contra E. LOQUIN, in « Réflexions sur la jurisprudence arbitrale, sa cohérence et ses divergences »,
souligne que la jurisprudence arbitrale est inconcevable en théorie. Rev. arb., n° 3, 2010, p. 452.
597 

 
598 

 
VERS LA PREVALENCE DE L’IRRESPONSABILITE ARBITRALE
EN DROIT OHADA ?
Par MAFO DIFFO Raymond
Doctorant à la FSJP de L’Université de Yaoundé 2, SOA

Résumé
L’aspect contractuel de l’arbitrage conduit à affirmer que l’arbitre est un
cocontractant ordinaire, qui a des obligations et peut voir sa responsabilité être
engagée dans les conditions du droit commun en cas de manquement à ces
obligations. Ces manquements peuvent être constatés avant ou après la signature du
contrat d’arbitre. Cependant, le pendant juridictionnel de l’arbitrage oblige à
n’engager la responsabilité de l’arbitre que dans des conditions exceptionnelles, car
l’arbitre est un véritable juge. Qui plus est, certains arbitres bénéficient dans l’espace
OHADA de l’immunité diplomatique, contribuant à accentuer davantage leur
irresponsabilité.

Plan de l’article
I : La responsabilité de l’arbitre
A : Les obligations de l’arbitre
1 : Les obligations permanentes de l’arbitre
2 : Les obligations ponctuelles de l’arbitre
B : Les types de responsabilité encourue par l’arbitre
1 : La responsabilité civile de l’arbitre
a : La responsabilité civile contractuelle
b : La responsabilité civile délictuelle
2 : La responsabilité pénale de l’arbitre
II : Le tempérament à la responsabilité des arbitres dans l’espace OHADA
A : Le caractère dual de l’immunité des arbitres dans le droit OHADA.
1 : La reconnaissance potentielle de l’immunité relative de fonction
2 : L’immunité diplomatique liée au statut particulier de l’arbitre
B : Le caractère discriminant de la reconnaissance de l’immunité
diplomatique
1 : L’exclusion des arbitres ne relevant pas de la CCJA
2 : Le vœu d’un rétablissement de l’égalité entre les arbitres dans l’espace
OHADA

L’irresponsabilité semble être le trait commun du statut des acteurs chargés


d’organiser et de conduire l’arbitrage dans l’espace OHADA. Au premier rang de
ces acteurs, on peut citer la CCJA en tant que centre permanent d’arbitrage qui
bénéficie d’une immunité dans l’exercice de ses fonctions. Cependant, c’est par

599 

 
référence à l’immunité conférée à l’OHADA2418, qui est également une immunité
juridictionnelle2419, que la CCJA ne saurait être poursuivie, même si elle commet
une faute dans l’administration de l’arbitrage. De là l’idée de la neutralisation des
liens contractuels qui existeraient entre la CCJA et les parties à l’arbitrage2420.
Dans la même lancée, il a été avancé que le règlement d’arbitrage de la CCJA est la
manifestation de la volonté des États membres de l’organisation, il n’aurait pas
donc une nature privée. C’est cette nature particulière qui interdit de qualifier la
relation entre les parties et la Cour dans le cadre d’un arbitrage, de rapport
contractuel2421. Cela entraine pour conséquence que la responsabilité de la CCJA
ne peut être une responsabilité contractuelle de droit privé, il s’agirait plutôt d’une
responsabilité publique2422.
Rappelons ici tout de même que le caractère privé de l’arbitrage offert par le
centre d’arbitrage de la CCJA ne provient pas de l’origine de son règlement. Même
si ce règlement est la manifestation de la volonté des États membres de l’OHADA,
il n’en demeure pas moins que c’est la volonté des litigants qui est à l’origine de la
mise en œuvre de cet arbitrage.
Bien plus l’existence d’une immunité ne fait pas disparaître la possibilité
pour une institution d’entrer en relation contractuelle. L’article 46 du traité
OHADA le précise d’ailleurs clairement, l’OHADA qui dispose d’une personnalité
juridique internationale, a en particulier la capacité de contracter. Si cela est
possible pour l’OHADA, l’on ne saurait denier cette capacité aux institutions qui la
composent, car c’est à travers ces institutions que l’OHADA se matérialise. L’on
peut objecter de l’inexistence d’une personnalité juridique propre à la CCJA, mais
cela permettrait tout au moins de reconnaître l’existence de liens contractuels entre
les parties à l’arbitrage et l’OHADA.
Enfin, plutôt que de parler d’une responsabilité publique, il faudrait parler
de la responsabilité de la personne publique en charge de ce service, qui somme
toute est une responsabilité civile de nature contractuelle. En l’absence des
dispositions relatives à l’immunité de l’OHADA, cette dernière aurait à réparer le
dommage causé par son fait, ou par le fait des institutions la constituant.
S’il est admissible que l’origine publique du centre permanent d’arbitrage
de la CCJA puisse justifier l’octroi d’une immunité en son encontre, son extension
aux arbitres de la CCJA suscite des interrogations dans la mesure où ces arbitres ne
relèvent pas de son personnel. Face à cette dernière analyse, une réserve peut être
émise. En dehors des fonctionnaires internationaux2423 dont le statut juridique

                                                            
2418
Il ressort des dispositions de l’article 47 du traité OHADA du 13 octobre 1993, modifié par le traité de
Québec du 17 octobre 2008 qu’ : « Afin de pouvoir remplir ses fonctions, l’OHADA jouit sur le territoire de
chaque État Partie des immunités et privilèges prévus au présent titre ».
2419
Art. 48 du traité OHADA.
2420
P.-G. POUGOUE, J.-M. TCHAKOUA, A. FENEON, Droit de l’arbitrage dans l’espace OHADA,
P.U.A, Yaoundé, 2000, n° 283, p. 261.
2421
P. MEYER, OHADA Droit de l’arbitrage, collection Droit uniforme africain, Bruylant, Bruxelles,
2002, n° 283, p. 261.
2422
P. MEYER, OHADA Droit de l’arbitrage, op. cit., n° 107, p. 66.
2423
Ce sont des agents exerçant de façon exclusive et continue, une fonction publique au service d’une
organisation internationale et soumis à un régime juridique d’origine internationale.
600 

 
dérive nécessairement de celui de l’institution internationale à laquelle ils
appartiennent2424, supposant dès lors que l’immunité accordée à l’institution leur
soit reconnue de principe ; les agents qui agissent même de façon temporaire au
nom de l’organisation, ou qui agissent en qualité d’expert désigné par un organe
subsidiaire de l’organisation doivent également bénéficier du même traitement.
C’est ce qu’a décidé la Cour internationale de justice en interprétant la section 22
de l’article 6 de la convention sur les privilèges et immunités des nations unies2425.
L’objet de cette étude n’est pas de s’interroger sur la responsabilité de tous
les acteurs intervenant dans l’organisation et la mise en œuvre de l’arbitrage, il se
limitera uniquement à la responsabilité ou du moins à la supposée irresponsabilité
de l’arbitre en droit de l’arbitrage OHADA. En effet, le contrat qui lie l’arbitre aux
parties crée à sa charge un certain nombre d’obligations, dont l’inobservation est
susceptible d’entrainer l’engagement de sa responsabilité. C’est sans doute la
conscience de l’engagement possible de cette responsabilité qui a justifié
l’instauration à la faveur de certains arbitres d’une immunité diplomatique.
Lors de la réforme récente du traité OHADA, le vœu jadis émis de la
restauration de l’égalité entre les arbitres intervenant dans l’espace OHADA, a plutôt
penché vers l’extension de l’immunité aux arbitres confirmés par la CCJA, immunité
qui n’était attribuée littéralement qu’aux arbitres nommés par la CCJA. Pourtant, l’on
aurait pensé que l’égalité recherchée serait de supprimer cette immunité, établissant
de la sorte un régime similaire de responsabilité entre les arbitres intervenant sous
l’égide de la CCJA et les autres arbitres.
Le choix de cette option dénote donc d’une volonté d’étendre l’immunité
diplomatique reconnue aux arbitres. De là à conclure à une tendance vers la
prévalence de l’irresponsabilité arbitrale dans l’espace OHADA ? L’on pourrait
penser que oui, car la reconnaissance d’une immunité diplomatique se double d’une
potentielle immunité fonctionnelle liée à la mission de juger qu’exerce l’arbitre.
Toutefois, il faut tout de même relever que l’immunité diplomatique n’est pas
reconnue à tous les arbitres intervenant dans l’espace OHADA. En effet, la protection
conférée aux arbitres est sélective (II), alors que les hypothèses dans lesquelles leur
responsabilité est susceptible d’être engagée, sont similaires (I).

I : La responsabilité de l’arbitre
Elle trouve son origine dans la relation qui lie les parties aux arbitres lors de la
mise en œuvre de l’arbitrage. Elle peut se justifier par des obligations tant
précontractuelles, que par celles qui sont issues de la signature du contrat d’arbitre, ou
plus exactement de l’acceptation de la mission à lui confiée par les parties dans la
mise en œuvre de l’arbitrage (A). La responsabilité de l’arbitre est susceptible de se
présenter sous plusieurs formes (B).

                                                            
2424
P.-M. DUPUY, Droit international public, 9è éd., Dalloz, Paris, 2008, n° 187, p. 211.
2425
Avis rendu dans l’affaire Mazihn, le 15 décembre 1989, Rec. 1989, p. 177-199, V. comment. E.
DAVID, AFDI 1989, p. 298 et s. ; cité par P.-M. DUPUY, Droit international public, op. cit., n° 188, pp.
213-214.
601 

 
A : Les obligations de l’arbitre
De façon synthétique, on peut les réunir en quatre grands ensembles :
l’obligation de rendre une sentence juste et fidèle au texte et au contexte du contrat
concerné, l’obligation de respecter l’équité procédurale, l’obligation de rechercher
l’efficacité afin d’administrer une justice optimale et la préoccupation de l’arbitre
de rendre une sentence exécutoire2426. Mais cela n’aurait pas permis de rendre
compte non seulement de la multiplicité des obligations qui pèsent sur l’arbitre,
mais aussi de relever celles qui permettent d’engager sa responsabilité.
Sans toutefois prétendre à l’exhaustivité dans la présentation des obligations
qui peuvent déteindre sur la responsabilité de l’arbitre, nous envisagerons d’une
part celles qui sont permanentes et d’autre part celles qui interviennent à des étapes
précises de l’instance arbitrale.
1 : Les obligations permanentes de l’arbitre
La permanence provient de ce que ces obligations s’imposent à l’arbitre
quelle que soit la phase de l’instance arbitrale dans laquelle l’on se situe. Plusieurs
obligations peuvent être recensées ici : l’obligation d’indépendance et
d’impartialité, l’obligation de confidentialité et l’obligation de révélation.
Nous n’insisterons pas sur les obligations d’indépendance, d’impartialité et
de révélation qui ont déjà été envisagées dans des études précédentes2427. Nous
affirmerons tout simplement qu’elles contribuent à garantir l’éthique dans
l’arbitrage, avec ceci de particulier qu’en plus de permettre d’engager la
responsabilité de l’arbitre à la fin de l’instance, elles peuvent constituer le
fondement d’une sanction préventive qui interviendrait au cours de l’instance
arbitrale.
S’agissant par contre de l’obligation de confidentialité, elle tend à être
considérée comme une composante naturelle de l’arbitrage et l’une des raisons du
choix de ce mode de justice. L'arbitrage est donc une procédure devant se dérouler
dans un cadre privé, sans qu’il soit besoin de stipuler une clause de confidentialité
pour obliger l’arbitre et les parties à ne rien divulguer de l’instance arbitrale2428. De
là, l’on peut donc affirmer que le fait pour l’AUA d’avoir prévu la confidentialité
uniquement pour le délibéré arbitral2429 ne dispense pas pour autant l’arbitre de son
observation durant toute l’instance et même au-delà.
Cependant il aurait été préférable que le droit commun de l’arbitrage le
prévoie expressément. En cela, l’AUA se serait rapproché du règlement d’arbitrage

                                                            
2426
W.W. PARK, « Les devoirs de l’arbitre : ni un pour tous, ni tous pour un », in Cahiers de l’arbitrage,
20 novembre 0101 n°1, p. 13, http://ressources.univ-poitiers.fr:2175/weblextenso/article/print?id=C...
2427
 P. BOUBOU, « La notion de l’indépendance et de l’impartialité de l’arbitrage dans le droit OHADA », 
Ohadata  D‐05‐05,  www.ohada.com  ; F.  ANOUKAHA,  « Les  questions  d’éthique  et  de  responsabilité », 
texte de l’intervention prononcée à l’occasion de la rencontre des arbitres du GICAM du 09 juin 2014 à 
Douala,  dont  le  thème  général  portait  sur  la  « connaissance  et  la  pratique  du  règlement  d’arbitrage  du 
centre d’arbitrage du GICAM ». 
2428
T. CLAY, L’arbitre, Université Panthéon-Assas (Paris II), Nouvelle Bibliothèque de Thèses, Dalloz,
Paris, 2001, n° 771, p. 596.
2429
Art. 18 AUA qui dispose que : « Les délibérations du tribunal arbitral sont secrètes ».
602 

 
de la CCJA qui est très exhaustif sur la matière2430. En effet, il ressort des
dispositions de son article 14 que la confidentialité imposée à l’arbitre ne se limite
pas uniquement à la procédure, mais s’étend également aux informations et
documents produits au cours de ladite procédure. Avant l’avènement du décret
français du 13 janvier 2011 relatif à l’arbitrage qui a étendu l’exigence de
confidentialité à toute la procédure arbitrale2431, la jurisprudence avait déjà adopté
un tel principe2432. Le législateur français n’envisage cette exigence que
relativement à l’arbitrage interne cependant.
Cette limitation remet à l’ordre du jour la question de l’existence d’un
principe général de confidentialité dans l’arbitrage ? Il est vrai que par le passé,
l’on a assisté des fois à la remise en cause de ce principe, avec comme
conséquence l’affirmation selon laquelle le principe de confidentialité n’était pas
un attribut essentiel de l’arbitrage2433, et en l’état actuel de la législation française,
ce principe ne vaudrait que dans l’arbitrage interne. La solution devrait être
différente dans le cadre de l’arbitrage OHADA s’il advenait que ce principe soit
reconnu par la jurisprudence, car il serait dès lors étendu à l’arbitrage autant interne
qu’international.
En somme, bien que l’obligation de confidentialité soit permanente, elle
peut tout de même s’effacer en face des faits illicites, immoraux2434 ou devant des
principes supérieurs posés par l’ordre public, qu’il soit de fond ou procédural2435,
notamment le respect des droits de la défense si une partie veut contester la
sentence devant le juge étatique.
À côté de ces obligations requises en permanence de l’arbitre, figurent
d’autres qui sont propres à certaines étapes de l’instance.
2 : Les obligations ponctuelles de l’arbitre
Il incombe à l’arbitre d’assumer des obligations pendant et au terme de
l’instance arbitrale.
                                                            
2430
Art. 14 RACCJA qui dispose que : « La procédure arbitrale est confidentielle. Les travaux de la Cour
relatifs au déroulement de la procédure arbitrale sont soumis à cette confidentialité, ainsi que les réunions
de la Cour pour l’administration de l’arbitrage. Elle couvre les documents soumis à la Cour ou établis par
elle à l’occasion des procédures qu’elle diligente.
Sous réserve d’un accord contraire de toutes les parties, celles-ci et leurs conseils, les arbitres, les experts,
et toutes les personnes associées à la procédure d’arbitrage, sont tenus au respect de la confidentialité des
informations et documents qui sont produits au cours de cette procédure. La confidentialité s’étend, dans
les mêmes conditions, aux sentences arbitrales ».
2431
Selon l’article 1464, dernier alinéa, « sous réserve des obligations légales et à moins que les parties
n’en disposent autrement, la procédure arbitrale est soumise au principe de confidentialité ».
2432
TGI Paris, 22 févr. 1999, Rev. arb. 2003. 189 ; citée par E. LOQUIN : « La réforme du droit français
interne et international de l’arbitrage » (Commentaire du décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011), RTD
Com., 2011, p. 255. © Editions Dalloz 2011, p. 21.
2433
High Court d’Australie, 7 avr. 1995, ESSO/BHP C/ PLOWMAN, Rev. arb. 1996. 539, note crit. D.
Kapeluk-Klinger; Court of Appeal d’Angleterre, civil division, 19 déc. 1997, ALI Shipping v. Seipyard
Trogir, Rev. arb. 1998. 379, note L. BURGER; cités par T. CLAY, L’arbitre, op. cit., n° 772, pp. 596 à
597. Plus récemment CA Paris, 22 janv. 2004, affaire Nafimco, Rev. arb. 2004. 646, note LOQUIN ; cité
par E. LOQUIN : « La réforme du droit français interne et international de l’arbitrage » (Commentaire du
décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011), RTD Com., 2011, p. 255. © Editions Dalloz 2011, p. 20.
2434
T. CLAY, L’arbitre, op. cit., n° 773, p. 598.
2435
E. LOQUIN, « La réforme du droit français interne et international de l’arbitrage » (Commentaire du
décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011), op. cit., p. 21.
603 

 
Pendant l’instance arbitrale, l’arbitre a tout d’abord l’obligation de
participer à l’instance s’il veut pouvoir accomplir sa mission qui est de trancher le
différend qui oppose les parties. Cela implique qu’il doit siéger dans le tribunal
arbitral, être disponible sans que l’on ne puisse exiger de lui une totale dévotion à
l’égard des parties, et il ne doit pas se déporter2436 sans juste motif. Quant à cette
dernière exigence, l’on veut ainsi éviter une manœuvre dilatoire classique qui
révèle à quel point l’arbitre est dépendant de la partie qui l’a désigné2437.
Ensuite, l’arbitre doit traiter les parties au même pied d’égalité et donner à
chaque partie la possibilité de faire valoir ses droits2438. Il s’agit ici pour l’arbitre de
contrôler le respect des garanties fondamentales de bonne justice.
Enfin, l’arbitre doit être diligent, en instruisant la cause dans les plus brefs
délais par tous les moyens appropriés2439. Cette obligation se traduit par le souci
permanent de ne laisser à aucune étape de l’instance arbitrale plus de temps qu’il
n’est nécessaire. L’arbitre ne doit pas se contenter uniquement de faire observer les
délais fixés pour l’instance arbitrale, car ceux-ci sont parfois trop largement prévus
ou trop facilement repoussés, le délai de l’instance arbitrale devant être
raisonnable2440. Pour illustration, en cas d’absence d’indication par les parties du
délai d’arbitrage, les arbitres ne seraient pas tenus d’épuiser le délai légal de six
mois si la cause peut être tranchée dans une durée relativement courte.
Au terme de l’instance arbitrale, il s’agit principalement de prononcer la
sentence arbitrale, mais ce n’est que l’aboutissement de plusieurs obligations
adjacentes. On peut citer notamment l’obligation de délibérer, de respecter la forme
de la sentence arbitrale et l’obligation de motivation2441.
Pour ce qui est de l’obligation de délibérer, elle commence après
qu’intervienne l’échéance de la date du délibéré fixée par le tribunal arbitral. Cette
date marque la fin de l’instruction de l’affaire, justifiant le fait qu’aucune
observation ne puisse plus être présentée, ni aucune pièce produite si ce n’est à la
demande expresse et par écrit du tribunal arbitral. Le délibéré renvoie à la réflexion
menée par un juge avant de prendre parti, elle intervient dans la phase sécrète du
jugement qui s’intercale entre les débats et le prononcé de la décision2442. L’arbitre
exerçant une fonction juridictionnelle, il est logique de soutenir que le délibéré
arbitral fasse corps avec l’essence de l’arbitrage. Il s’impose même à un arbitre
unique, dans le dialogue intérieur qu’il entretient avec lui-même2443.

                                                            
2436
Art. 4.1, al. 2 du RACCJA qui dispose que : « il (l’arbitre) doit poursuivre sa mission jusqu’au terme
de celle-ci ». L’AUA n’en fait toutefois pas mention.
2437
E. GAILLARD, « Les manœuvres dilatoires des parties et des arbitres dans l’arbitrage commercial
international », Rev. arb. 1990. 759, spéc. p. 784-785 ; cité par T. CLAY, L’arbitre, op. cit., n° 786, p. 607,
spéc. note 3.
2438
Art. 9 AUA.
2439
Art. 19.1, al. 1 du RA de la CCJA.
2440
T. CLAY, L’arbitre, op. cit., n° 795, p. 613.
2441
L’obligation de motivation peut aussi permettre d’engager la responsabilité civile de l’arbitre si son
inexécution est la résultante d’une faute caractérisée de l’arbitre.
2442
G. CORNU, Vocabulaire juridique, PUF, 9è édition mise à jour, 2011, p. 314-315.
2443
M. de BOISSÉSON, Le droit français de l’arbitrage interne et international. Préface de P. BELLET,
GLN Joly, 1990, spéc. n° 781 ; cité par T. CLAY : L’arbitre, op. cit., n° 815, p. 626.
604 

 
La principale difficulté se pose ici en présence d’un tribunal arbitral
collégial si cette obligation n’est pas remplie par l’un des arbitres. L’on peut
s’interroger sur la conséquence d’une telle attitude par rapport à la validité de la
sentence arbitrale ? Mais en vue de favoriser l’efficacité de la sentence arbitrale et
évitant du même coup cette manœuvre dilatoire, il est considéré qu’un arbitre qui a
été mis en mesure de délibérer, et qui s’y est refusé, a valablement délibéré2444. La
sentence ne saurait donc être annulée à ce propos. En cela, l’obligation de délibérer
peut se rapprocher de l’obligation de signer qui elle concerne la forme de la
sentence.
Concernant l’obligation de respecter la forme de la sentence arbitrale, la
forme est en principe convenue par les litigants2445, et en l’absence de leur choix,
aucune forme ne devrait être exigée dans la présentation de la sentence. L’on ne
peut donc exiger aux arbitres de rédiger la sentence à l’instar d’une décision de
justice, avec une disposition précise dans sa structuration. Toutefois, des mentions
précises doivent être contenues dans la sentence2446, de même qu’elle doit être
signée par le ou les arbitres, mais l’absence ou le refus de signature par l’un des
arbitres n’affecte pas la validité de la sentence arbitrale. Il doit tout simplement être
fait mention de cela dans la sentence qui aura dès lors le même effet que si elle
avait été signée par tous les arbitres2447.
En définitive, si le but final du contrat d’arbitre est de régler le litige qui
oppose les litigants, ce contrat produit des effets qui se dessinent dans les rapports
que l’arbitre entretient avec les parties. Par conséquent, l’arbitre a des obligations
envers les parties et doit répondre civilement de ses fautes et de ses erreurs, pas au
motif de ce qu’il aurait mal jugé, mais pour tout ce qui relève de sa personne et de
ses diligences2448.
L’irrespect de ses obligations peut donc servir de fondement à la mise en
œuvre de sa responsabilité pouvant se présenter sous divers aspects.
B : Les types de responsabilité encourue par l’arbitre
La responsabilité de l’arbitre peut être engagée tant sur le plan civil que sur
le plan pénal.
1 : La responsabilité civile de l’arbitre
Le contrat d’arbitre fournissant le cadre général de l’activité de l’arbitre2449,
c’est d’abord sa responsabilité civile contractuelle que nous envisagerons (a).
Cependant, certaines obligations imposées à l’arbitre interviennent en dehors du
contrat d’arbitre, la responsabilité ne pouvant être que délictuelle dans ces
hypothèses (b).

                                                            
2444
Paris, 22 déc. 1978, Industrija Motora Rikovica, Rev. arb. 1979. 266, note J. VIATTE ; et sur pourvoi
rejeté, Cass. 2è civ., 28 janv. 1981, Bull. civ. II, n° 17. Sous d’autres cieux, cette conséquence est envisagée
par la loi (art. 30, al. 1er de la loi suédoise sur l’arbitrage du 4 mars 1999) ou par le règlement d’un centre
privé d’arbitrage (art. 26.2 du règlement LCIA) ; cités par T. CLAY, L’arbitre, op. cit., n° 817, p. 627.
2445
Art. 19, al. 1 AUA.
2446
Art. 20 AUA.
2447
Art. 21 AUA.
2448
P.-Y. GAUTIER, « La responsabilité civile de l’arbitre, au regard du temps qui passe », note sous Cour
de cassation, 1re civ., 06 déc. 2005, n° 03-13.116, Recueil Dalloz 2006, n° 3.
2449
T. CLAY, L’arbitre, op. cit., n° 927, p. 704.
605 

 
a : La responsabilité civile contractuelle
En principe, l’arbitre étant lié aux parties par un contrat, sa responsabilité
devrait être engagée dans les conditions de l’article 1142 du code civil2450. Cette
position avait été très tôt adoptée par la Cour de cassation dans les termes
suivants : « Les arbitres n’étant investis d’aucune fonction publique et ne pouvant,
par suite, engager la responsabilité de l’État énoncée par l’article 505 du Code de
procédure civile […], l’action en dommages-intérêts dirigée contre eux à raison de
l’accomplissement de leur mission ne peut l’être que dans les conditions du droit
commun »2451.
Si le principe était déjà posé, ce n’est que plus tard que l’on retiendra
effectivement la responsabilité contractuelle de l’arbitre. La première décision du
genre est intervenue pour ce qui est de la France en 1993 où l’arbitre a été
condamné à des dommages et intérêts pour inexécution du contrat d’arbitre2452. Par
la suite, en appel dans cette affaire, l’arbitre était assimilé à un contractant
ordinaire2453. De là, on peut penser à l’existence d’une certaine égalité entre les
parties au contrat d’arbitre. Pourtant, il n’y a pas d’égalité des parties dans le
contrat d’arbitre, car l’un des contractants est le juge de l’autre. Le juge n’est pas
l’égal de son justiciable puisqu’il décide du sort de sa prétention2454.
Bien que d’origine contractuelle, la dimension juridictionnelle de l’activité
de l’arbitre empêche de suivre une interprétation exclusivement contractuelle de sa
responsabilité. Par conséquent, l’on ne saurait tenir l’arbitre pour responsable du
fait d’avoir rendu une mauvaise décision de justice, sinon ce serait l’empêcher
d’accomplir sa mission juridictionnelle avec toute la sérénité qu’elle requiert. En
effet, toute mission juridictionnelle, y compris celle de l’arbitre repose pour
beaucoup sur des éléments d’appréciation subjective, sur la conviction de celui qui
l’accomplit.
L’aspect juridictionnel de la mission de l’arbitre doit donc échapper à toute
action en responsabilité de la part des litigants, car dans cette hypothèse, le procès
doit être fait à l’acte juridictionnel et non dirigé à l’encontre de l’arbitre. Il a
d’ailleurs été précisé qu’ « une telle action ne peut être substituée aux voies de
recours ouverts contre la sentence ni conférer indirectement au juge étatique un
pouvoir de révision de la décision arbitrale […], qu’il n’entre donc pas, par
principe, dans les attributions d’un tribunal de grande instance, saisi d’une action

                                                            
2450
Selon les dispositions de cet article, « toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en
dommages et intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur ».
2451
Cass. 2e civ., 29 juin 1960, D., 1960.622 ; RTD civ., 1960.348, obs. P. HEBRAUD. Décision rapportée
par Ph. FOUCHARD, E. GAILLARD, B. GOLDMAN, Traité de l’arbitrage commercial international,
Litec, Paris, 1996, n° 1080, p. 607.
2452
TGI Paris, 12 mai 1993, Raoul Duval, Rev. arb. 1996. 411(2è esp.), obs. Ph. FOUCHARD, p. 325,
spec. n° 19, 31, 73 et s. ; cité par T. CLAY, L’arbitre, op. cit., n° 928, p. 705.
2453
Paris, 12 oct. 1995 où le juge affirme que : « La responsabilité de l’arbitre à l’égard des parties peut
être engagée pour tout manquement à ses obligations » ; cité par T. CLAY, L’arbitre, op. cit., n° 931, p.
707.
2454
T. CLAY, L’arbitre, op. cit., n° 803, p. 618.
606 

 
en justice de droit commun, d’apprécier le bien ou le mal jugé de la décision des
arbitres […] »2455.
Cette position n’est pas toujours retenue sous d’autres cieux, puisqu’il y est
permis de retenir la responsabilité d’un juge dans l’exercice de sa fonction
juridictionnelle. La cour de cassation belge a eu à admettre la responsabilité pour
faute du juge dans l’aspect juridictionnel de son activité, à condition que la
décision juridictionnelle fautive ait été au préalable reformée par l’exercice d’une
voie de recours, que le magistrat ne se soit pas comporté suivant le critère du
magistrat normalement soigneux et prudent, et que le plaideur démontre que le
dommage dont il se plaint n’a pu être réparé par le seul exercice des voies de
recours ayant abouti à l’anéantissement de la décision régulière2456.
Toujours est-il que nous sommes d’avis que ce qui ne relève pas de l’aspect
juridictionnel de la mission de l’arbitre, car n’ayant rien à voir avec la manière dont
il a tranché le litige, doit pouvoir être sanctionné par le biais d’une action en
responsabilité civile contractuelle2457.
L’inquiétude provient de ce qu’il n’est pas évident de dissocier l’aspect
contractuel de l’aspect juridictionnel dans la mission de l’arbitre. En résumé, c’est
en accomplissant plusieurs obligations contractuelles que l’arbitre tranche le litige.
Les deux aspects étant liés, nous pouvons affirmer que l’obligation principale de
l’arbitre est de nature juridictionnelle. L’objectif ici cependant n’est pas d’adopter
une approche purement juridictionnelle avec pour conséquence la consécration
d’une immunité absolue pour l’arbitre. Par conséquent, « le contrat d’arbitre se
situant au confluent du juridictionnel et du contractuel, la responsabilité
contractuelle de l’arbitre doit se chercher au même endroit, compte tenu de la
coloration juridictionnelle de sa mission contractuelle »2458.
Sur cette base, la jurisprudence majoritaire refuse que la responsabilité
contractuelle puisse être engagée autrement que pour un manquement grave2459. La
mise en jeu de la responsabilité contractuelle de l’arbitre ne peut donc être
envisagée que pour des fautes qualifiées de personnelles, qui recouvrent des fautes
équipollentes au dol ou constitutives d’une fraude, d’une concussion, d’une faute
intentionnelle, d’une faute lourde ou d’un déni de justice2460. Il semble donc que
l’assimilation puisse être faite entre la faute personnelle et la faute lourde.

                                                            
2455
TGI Paris, 13 juin 1990, Bompard C/ Consorts Carcassone et autres, Gaz. Pal., 1990.II, somm. p. 417 ;
décision rapportée par Ph. FOUCHARD, E. GAILLARD, B. GOLDMAN, op. cit., n° 1083, p. 608.
2456
Cass. belge, 19 déc. 1991, Rev. crit. jur. belge 1993.285, note RIGAUX et V. COMPERNOLLE ; Cass.
belge, 8 déc. 1994, Journal de Liège, Mons et Bruxelles 1995, n° 10, p. 387, note PHILIPPE, Journal des
tribunaux 1995.497, obs. DALCQ ; décisions citées par S. GUINCHARD, « Responsabilités encourues
pour fonctionnement défectueux du service public de la justice », in Répertoire de procédure civile, Dalloz,
mise à jour oct. 2013, n° 31.
2457
P. MEYER, OHADA Droit de l’arbitrage, op. cit., n° 269, p. 165.
2458
T. CLAY, L’arbitre, op. cit., n° 931, p. 707.
2459
TGI Reims, 27 sept. 1978, J. L. Florange C/ J. Brissart et R. Corgie, inédit ; TGI Paris, 13 juin 1990,
Bompard, Rev. arb., 1996. 476 (1ère esp.), obs. Ph. FOUCHARD, p. 325, spéc. n° 67 et s. et 75 et s. ; cités
par T. CLAY, L’arbitre, op. cit., n° 932, p. 708.
2460
TGI Reims, 27 sept. 1978, op. cit. et plus récemment TGI Paris, 1er mars 2011, RG n° 09/22701, D.
2011. Pan. 3023, obs. T. CLAY, cité par B. MOREAU avec la collaboration d’Andrian BEREGOI, Romy
DESCOURS-FARMITZ et Adrien LELEU, Arbitrage en droit interne, in Répertoire de procédure civile,
607 

 
La faute personnelle est considérée tant par la doctrine que la jurisprudence
comme un cas particulier de la faute lourde2461, or il faut comprendre par faute
personnelle la faute intentionnelle de l’arbitre2462.
La faute lourde a été tout d’abord conçue de manière extensive par la
jurisprudence qui la rattachait à la notion d’erreur grossière du juge ou à son
intention de nuire. C’est ainsi que la Cour de cassation française définissait la faute
lourde comme celle « qui a été commise sous l’influence d’une erreur tellement
grossière qu’un magistrat ou un fonctionnaire de justice, normalement soucieux de
ses devoirs, n’y eût pas été entrainé »2463. Cette position a par la suite été infléchie
en assemblée plénière où la Cour de cassation a décidé que : « constitue une faute
lourde toute défaillance caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant
l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est
investi »2464. Se ramenant aux arbitres, puisqu’ils ne sont pas tributaires d’un
service public de justice, la conception de faute lourde devant être retenue est celle
se ramenant à la faute grossière, le caractère intentionnel renvoyant plutôt à la faute
personnelle. De plus, admettre la nouvelle conception assimilant la faute lourde à
une simple faute serait facilement mettre en cause la responsabilité de l’arbitre,
avec pour conséquence une absence de sérénité dans l’exercice de sa mission.
S’agissant du régime de cette responsabilité, il a été proposé une
systématisation en opérant une distinction entre les obligations de moyens et les
obligations de résultat2465, mais la difficulté se situe au niveau du classement des
différentes obligations de l’arbitre entre ces deux grands groupes. En effet, il peut
arriver qu’une obligation jadis considérée comme de résultat, soit plus tard
qualifiée d’obligation de moyens et inversement, la frontière n’étant pas toujours
aisée à matérialiser entre les deux. Ce constat provient de deux décisions de la
Cour de cassation française.
Dans la première espèce, suite à une annulation de la sentence arbitrale pour
dépassement des délais d’arbitrage, l’une des parties au litige entreprit d’assigner
les arbitres en responsabilité civile, parce que supposés responsables du
dépassement desdits délais. Elle fut déboutée par les juges du fond, à cause de la
nature juridictionnelle de l’obligation des arbitres qui empêchait que leur faute
                                                                                                                                              

Dalloz, mise à jour oct. 2013, n° 225. Voir également P. MEYER, OHADA Droit de l’arbitrage, op. cit.,
ibidem ; T. CLAY, L’arbitre, op. cit., ibidem.
2461
DURRY, note sous Civ. 1re, 5 mars 1980, RTD civ. 1980.772 ; ESTOUP, note sous Versailles, 27 juil.
1989, JCP 1990.II.21450 ; TGI Paris, 22 juil. 1998, D. 1999. IR 214 ; Civ. 1re, 13 oct. 1998, n° 96-13.862,
D. 2000.576, note LEMAIRE ; cités par S. GUINCHARD, « Responsabilités encourues pour
fonctionnement défectueux du service public de la justice », in Répertoire de procédure civile, Dalloz, mise
à jour oct. 2013, n° 64.
2462
S. GUINCHARD la définit comme une faute intentionnelle du juge, celle qui ne sera pas absorbée par
le service, même au titre d’une faute lourde (S. GUINCHARD, « Responsabilités encourues pour
fonctionnement défectueux du service public de la justice », op. cit., ibidem).
2463
Civ. 1re, 13 oct. 1953, Bull. civ. I, n° 224; Civ. 1re, 20 févr. 1996, JCP 1996. I. 3938, n° 1, obs.
CADIET ; décisions citées par S. GUINCHARD, « Responsabilités encourues pour fonctionnement
défectueux du service public de la justice », op. cit., n° 21.
2464
Cass., ass. plén., 23 févr. 2001, n° 99-16.165, Bolle-Laroche, D. 2001.1752, note DEBBASCH ; cité par
S. GUINCHARD, « Responsabilités encourues pour fonctionnement défectueux du service public de la
justice », op. cit., ibidem.
2465
T. CLAY, L’arbitre, op. cit., n° 934 à 937, pp. 708-709.
608 

 
simple, tel le défaut de diligence, suffise à engager leur responsabilité. La Cour de
cassation dans cette affaire a par contre décidé qu’ « en laissant expirer le délai
d’arbitrage sans demander sa prorogation au juge d’appui […] les arbitres, tenus
à cet égard d’une obligation de résultat, ont commis une faute ayant entrainé
l’annulation de la sentence »2466. La Cour de cassation reviendra plus tard sur cette
position, en considérant qu’en matière de respect des délais d’arbitrage, y comprise
notamment l’obligation de demander la prorogation du délai d’arbitrage, ces
obligations s’analysent en des obligations de moyens2467.
Si ce manquement est constaté en dehors du cadre contractuel liant l’arbitre
aux parties, sa responsabilité civile ne pourra être que délictuelle.
b : La responsabilité civile délictuelle
Deux cas de figure peuvent permettre d’engager la responsabilité civile
délictuelle de l’arbitre : soit il n’y a pas de lien contractuel entre les parties en
cause, soit l’arbitre s’est rendu coupable d’une faute précontractuelle.
Dans la première hypothèse, la référence est faite tout d’abord aux tiers à
l’instance arbitrale ayant subi un préjudice imputable à l’arbitre. Ensuite, elle
concerne également les autres intervenants à l’instance arbitrale qui ne sont pas liés
par le contrat violé par l’arbitre. Dans ce dernier cas, l’illustration est faite par la
possibilité pour un arbitre d’être poursuivi par un autre membre du tribunal arbitral
si ce dernier a subi un dommage du fait de son comportement, ou encore, les
parties peuvent subir un dommage né de l’inexécution du contrat de collaboration
liant l’arbitre au centre d’arbitrage, ou enfin la responsabilité de l’arbitre peut être
engagée par le centre d’arbitrage pour inexécution du contrat de collaboration. Ce
ne sont là que des hypothèses d’école qui ne devraient pas se rencontrer dans la
pratique2468.
Le second cas de figure est plus patent, car il concerne la violation d’une
obligation précontractuelle de l’arbitre, notamment celle d’information qui doit
intervenir avant la signature du contrat d’arbitre2469. En effet, cette obligation existe
alors que l’arbitre n’a pas encore endossé cette qualité, même si elle peut être
étendue à l’instance arbitrale, en cas de survenance d’un fait nouveau qui mérite
d’être révélé2470. La recherche d’une faute personnelle ou même simple de l’arbitre
dans le cadre contractuel n’est pas nécessaire dans ce cas de figure, l’arbitre devant

                                                            
2466
Cass., 1re civ., 06 déc. 2005, n° 03-13.116, Recueil Dalloz 2006, p. 274 ; décision rapportée par P.-Y.
GAUTIER, « La responsabilité civile de l’arbitre, au regard du temps qui passe », note sous Cour de
cassation, 1re civ., 06 déc. 2005, n° 03-13. 116, Recueil Dalloz 2006, n° 2.
2467
Civ. 1re, 17 nov. 2010, n° 09-12.352, D. 2010. Pan. 2933, obs. T. CLAY ; cité par B. MOREAU avec la
collaboration d’Andrian BEREGOI, Romy DESCOURS-FARMITZ et Adrien LELEU, Arbitrage en droit
interne, op. cit., n° 229.
2468
T. CLAY, L’arbitre, op. cit., n° 940, p. 711.
2469
Art. 7, al. 2 AUA qui dispose que : « Si l’arbitre suppose en sa personne une cause de récusation, il
doit en informer les parties, et ne peut accepter sa mission qu’avec leur accord unanime et écrit ».
2470
L’AUA n’est pas très explicite sur l’extension de cette obligation à l’instance arbitrale, contrairement à
l’article 4.1, alinéa 5 RACCJA aux termes duquel, « L’arbitre fait connaître immédiatement par écrit au
Secrétaire Général de la Cour et aux parties, les faits et circonstances de même nature (qui pourraient être
de nature à mettre en cause son indépendance dans l’esprit des parties) qui surviendraient entre sa
nomination ou sa confirmation par la Cour et la notification de la sentence finale ».
609 

 
être condamné sur le fondement de l’article 1382 du Code civil2471. L’on pourrait
également envisager l’hypothèse où le contrat d’arbitre est nul dû à l’annulation de
la convention d’arbitrage, qui a pour conséquence de priver le contrat d’arbitre de
sa base juridique.
Que ce soit dans le cadre précontractuel ou contractuel, les manquements de
l’arbitre peuvent être teintés d’une coloration pénale, susceptibles donc d’engager
la responsabilité y afférente.
2 : La responsabilité pénale de l’arbitre
Le droit pénal a vocation à s’appliquer à l’arbitre, que ce soit par l’action en
corruption, escroquerie, recel…
La responsabilité pénale de l’arbitre a été retenue dans l’affaire B.E.L.
Tronics où l’arbitre a été condamné pour escroquerie, tentative d’escroquerie, faux
en écriture privée et usage de ces faux2472.
Plus récemment, l’on peut citer l’arbitrage intervenu entre l’État français (le
Crédit Lyonnais) et Bernard TAPIE, à l’issue duquel un juge arbitre est mis en
examen pour escroquerie en bande organisée, alors que les deux autres juges
arbitres sont placés sous le statut de témoin assisté, statut intermédiaire entre celui
de simple témoin et de mis en examen et leur permettant tout de même d’avoir
accès au dossier2473. Il ne s’agit que d’une étape supplémentaire dans cette
procédure où, l’arbitre Pierre ESTOUP avait déjà été mis en cause pour faux et
usage de faux dans sa déclaration d’indépendance, déclaration dans laquelle il
aurait menti par omission au sujet de ses liens avec les parties à l’arbitrage,
notamment Bernard TAPIE et son conseil Maurice LANTOURNE2474. L’issue de
cette affaire n’est pas encore connue.
Il peut également exister des hypothèses où l’arbitre, sans être coupable de
délits, peut être confronté à des actes pénalement répréhensibles. Par conséquent,
l’arbitre qui permettrait à une opération défectueuse de bénéficier d’un acte doté de
l’autorité de chose jugée, serait complice de l’infraction. Sa responsabilité pénale
pourrait alors être recherchée, car, il ne bénéficie naturellement pas des protections
inhérentes à sa fonction juridictionnelle puisque l’infraction est sans rapport avec
elle2475.
S’il est ainsi évident que la responsabilité de l’arbitre puisse être mise en
cause et ce sur plusieurs plans, encore faudrait-il qu’il ne soit bénéficiaire d’une
immunité quelconque.

                                                            
2471
TGI, Paris, 9 déc. 1992, Sté L’Oréal, Rev. arb. 1996. 483, 3e esp., obs. Ph. FOUCHARD, p. 325, spéc.
n° 11, 13, 35, 36 et 72 et s. ; cité par T. CLAY, L’arbitre, op. cit., n° 941, p. 711.
2472
TGI Strasbourg, 7e ch. Correctionnelle, 6 mars 1990, Sté de droit canadien B.E.L. Tronic’s Int. C/ B.
Ardouin, M. Viandier, M. Vignals et Sté Portex, inédit ; cité par T. CLAY, L’arbitre, op. cit., n° 944, p. 714.
2473
Article de presse publié dans Le Monde du 10 avril 2014, lettre d’information du 11 avril 2014
d’info@ohada.com .
2474
Article de presse publié dans le journal français LE MONDE, du 4 novembre 2013, « Les juges et le
simulacre de l’arbitrage TAPIE » de Gérard DAVET et Fabrice LHOMME, in Lettre d’information du 15
nov. 2013, info@ohada.com.
2475
T. CLAY, L’arbitre, op. cit., n° 944, p. 714.
610 

 
II : Le tempérament à la responsabilité des arbitres dans l’espace
OHADA
La propension des parties à mettre en cause la responsabilité des arbitres est
le pendant du caractère limité des cas d’ouverture des voies de recours contre la
sentence arbitrale, et justifie d’ailleurs l’idée de rejet d’une immunité absolue de
l’arbitre dans l’exercice de sa mission2476. Pourtant, l’absence de toute limitation de
responsabilité personnelle de l’arbitre aura pour conséquence de limiter
l’engouement des personnes privées à accepter la mission d’arbitre, à une époque
où l’expansion continue du commerce international et celle des litiges qu’il suscite
inévitablement, font grandir le besoin d’arbitres qualifiés2477. Pour une mesure
équilibrée, l’on opterait pour une disposition règlementaire qui limiterait, sans
exclure totalement la responsabilité personnelle de l’arbitre, pouvant avoir dans
une certaine mesure un effet psychologique protecteur, tout en décourageant la
partie perdante. Par contre, une immunité absolue pourrait susciter dans l’esprit des
usagers potentiels de l’arbitrage, des doutes sur la valeur du système, au lieu
d’inspirer la confiance indispensable2478.
Pourtant, au-delà de l’immunité liée à la fonction de l’arbitre qui serait de
principe, a été reconnue aux arbitres dans l’espace OHADA une immunité
diplomatique, si bien que l’on se demande s’il n’existerait pas un chevauchement
entre ces deux types d’immunité (A). Il faut toutefois souligner que relativement à
ce dernier type d’immunité, elle n’est pas étendue à tous les arbitres pouvant
exercer dans l’espace OHADA, ou du moins, elle n’est réservée qu’aux arbitres
participant à un arbitrage organisé par la Cour commune de justice et d’arbitrage
(B).

A : Le caractère dual de l’immunité des arbitres dans le droit OHADA.


La nécessité d’octroyer une quelconque immunité supplémentaire à l’arbitre
est sujette à caution dans la mesure où ce dernier bénéficie déjà d’une certaine
immunité relativement à la fonction juridictionnelle qu’il exerce. Il n’empêche tout
de même que deux types d’immunités peuvent être envisagés dans l’espace
OHADA relativement à la personne de l’arbitre. La première est potentielle et
somme toute relative (A), tandis que la seconde est actuelle et présente un caractère
très étendu (B).
1 : La reconnaissance potentielle de l’immunité relative de fonction
L’idée de la reconnaissance d’une immunité fonctionnelle à l’arbitre est
diversement appréciée et la question de son opportunité s’est d’ailleurs souvent
posée. C’est ainsi que dans le rapport du groupe de travail sur le statut de l’arbitre
ayant précédé l’adoption du règlement CCI par son conseil du 27 avril 1997, en
son assemblée de Shanghai, le Pr. FOUCHARD concluait en ce qui concerne son

                                                            
2476
P. LALIVE, « Sur l’irresponsabilité arbitrale », in Études de procédure et d’arbitrage en l’honneur de
J.-F. Poudret, Faculté de droit de l’Université de Lausanne, 1999, pp. 419-435, document sous format PDF
, www.google.fr, p. 16.
2477
P. LALIVE, « Sur l’irresponsabilité arbitrale », op. cit., p. 15.
2478
P. LALIVE, « Sur l’irresponsabilité arbitrale », op. cit., p. 9.
611 

 
article 34 que : « Dès lors, si la clause réserve la responsabilité de l’arbitre pour
de telles fautes (fautes intentionnelles ou inexcusables), elle est inutile et si elle ne
comporte pas une telle exception, elle est sans valeur »2479. L’analyse peut être
faite de ce que l’immunité fonctionnelle liée à la mission de juger de l’arbitre
relève d’un principe général qu’il n’est donc pas nécessaire de rappeler.
L’arbitre accède dès acceptation de sa mission au statut de juge par l’effet
du contrat d’investiture, possédant ainsi les mêmes droits et devant respecter les
mêmes devoirs qu’un juge2480. L’on ne peut donc faire le reproche à l’arbitre
d’avoir mal jugé, sauf à restreindre la sécurité, l’indépendance et l’autorité de
celui-ci dans les limites incompatibles avec la mission de trancher le litige. Sauf
que le statut de l’arbitre, juge privé, ne repose pas sur l’autorité supérieure de
l’État, il semble donc nécessaire que cette immunité fonctionnelle soit reconnue.
C’est dans les pays de Common Law que l’immunité absolue a été reconnue
à l’arbitre, notamment aux États-Unis d’Amérique où plusieurs lois d’États fédérés
et la jurisprudence écartent la responsabilité civile de l’arbitre pour tous les actes
accomplis en cette qualité2481. Il est également admis que le droit anglais accorde
traditionnellement à l’arbitre une immunité de poursuite au civil2482, justifiée par
l’exercice d’une fonction judiciaire que toute personne se trouvant dans cette
hypothèse devrait en jouir pour des raisons d’ordre public2483. On peut penser que
dans ces pays où l’immunité reconnue à l’arbitre semble totale, elle est néanmoins
réservée à l’aspect civil de sa responsabilité. En serait-il de même si c’est sa
responsabilité pénale qui était engagée ?
Par contre dans d’autres pays2484, l’option est en faveur soit d’une immunité
restreinte (Allemagne, Autriche, Norvège), soit de l’admission d’une action en
responsabilité contre l’arbitre (Espagne, Suède, France)2485. Quant à ce dernier
pays en particulier, il faut préciser que la responsabilité de l’arbitre ne peut être
engagée comme celle d’un contractant ordinaire, mais relève d’un régime
particulier, et qui plus est, sa construction est surtout l’œuvre de la
jurisprudence2486.
En droit commun de l’arbitrage OHADA, c’est le silence législatif qui
prévaut, ce qui présage d’une possibilité de choix entre la responsabilité ou
l’irresponsabilité de l’arbitre dans l’exercice de sa mission. En attendant que la
jurisprudence dans l’espace OHADA se prononce sur la matière, l’on peut avancer
que l’immunité fonctionnelle étant de principe, l’arbitre ne devrait pas y voir sa
                                                            
2479
P. LALIVE, « Sur l’irresponsabilité arbitrale », op. cit., p. 5.
2480
Paris, 29 mai 1992, Epoux Rouny C/ Sté Holding, RTD com., 1992.588, obs. DUBARRY et LOQUIN;
cité par Ph. FOUCHARD, E. GAILLARD, B. GOLDMAN, op. cit., n° 1078, p. 606.
2481
 J.‐Y. SORRENTE, La responsabilité de l’arbitre, Thèse de doctorat, Université Jean Moulin de Lyon 3, 9 
avril 2008.op. cit., p. 76, précisément la note 175. 
2482
Sections 29 et 74 de l’English Arbitration Act de 1998.
2483
A. REDFERN, « Le statut de l’arbitre en droit anglais », Annexe III au rapport de la commission de
l’arbitrage international de la CCI, Bulletin de la Cour, mai 1996, p. 44 ; cité par P. LALIVE, « Sur
l’irresponsabilité arbitrale », op. cit., p. 10.
2484
En majorité les pays de tradition civiliste.
2485
J.-Y. SORRENTE, La responsabilité de l’arbitre, op. cit., ibidem.
2486
Le décret français de 2011 portant réforme de l’arbitrage n’a pas envisagé la responsabilité de l’arbitre
ou du tribunal arbitral, ni son immunité d’ailleurs.
612 

 
responsabilité engagée dans les conditions de droit commun de la responsabilité
civile. Cette protection serait accordée par l’autorité publique dans un but d’intérêt
général, à savoir la garantie de la sérénité de la justice arbitrale2487. Cela paraît
justifié, car l’arbitre exerce la même mission que le juge, et devrait au moins
bénéficier d’une certaine protection dans l’aspect juridictionnel de son office. Si
immunité il y a, elle ne devrait être cependant que relative. Cela d’autant plus, qu’il
faut aussi tenir compte du pendant contractuel de l’engagement de l’arbitre, qui
permet de mettre en cause sa responsabilité civile.
D’ailleurs, il lui est reconnu la possibilité d’insérer lors de la conclusion du
contrat d‘arbitre des clauses exonératoires de responsabilité. Bien entendu, leur
efficacité ne serait que partielle, dans la mesure où elles ne pourraient permettre
d’éluder la responsabilité de l’arbitre en cas de faute personnelle ou de faute
lourde.
La situation contraire se présente pourtant s’agissant de l’arbitrage
institutionnel de la CCJA où il est reconnu aux arbitres une immunité totale,
susceptible d’éluder même les fautes intentionnelles ou les fautes lourdes de
l’arbitre.
2 : L’immunité diplomatique liée au statut particulier de l’arbitre
Unique en son genre, le traité OHADA accorde à l’arbitre qui exerce sa
mission sous l’égide de la CCJA le bénéfice d’une immunité diplomatique. En
effet, il ressort de l’article 49 dudit traité révisé le 17 octobre 2008 à Québec, que :
« Dans les conditions déterminées par un règlement, les fonctionnaires et employés
de l’OHADA, les juges de la Cour commune de justice et d’arbitrage ainsi que les
arbitres nommés ou confirmés par cette dernière jouissent dans l’exercice de leurs
fonctions des privilèges et immunités diplomatiques.
Les immunités et privilèges mentionnés ci-dessus peuvent être, selon les
circonstances, levés par le Conseil des Ministres.
En outre, les juges ne peuvent être poursuivis pour des actes accomplis en
dehors de l’exercice de leurs fonctions qu’avec l’autorisation de la Cour ».
Il faut relever que cette disposition a fait l’objet de plusieurs modifications
par rapport à sa rédaction antérieure2488. Parmi elles, soulignons l’extension du
bénéfice des privilèges et immunités diplomatiques aux arbitres confirmés par la
Cour, car jadis ils n’étaient réservés qu’aux arbitres désignés par cette dernière,
créant de la sorte une discrimination entre les arbitres exerçant sous l’égide de la
CCJA. Cette séparation de traitement pouvait s’expliquer, car la désignation des
arbitres par la Cour est sujette à son évaluation préalable2489, alors qu’aucune
disposition du genre n’est prévue pour les arbitres qu’elle confirme seulement.
                                                            
2487
Ph. FOUCHARD, E. GAILLARD, B. GOLDMAN, op. cit., n° 1077, p. 605. Ici l’autorité publique
renvoie soit à la loi, soit à un tribunal étatique.
2488
Dans sa première version issue du traité de l’OHADA du 13 octobre 1993, l’article 49 disposait que :
« Les fonctionnaires et employés du Secrétariat Permanent de l’Ecole régionale supérieure de la
Magistrature et de la Cour commune de justice et d’arbitrage, ainsi que les juges de la Cour et les arbitres
désignés par cette dernière jouissent, dans l’exercice de leurs fonctions, des privilèges et immunités
diplomatiques. Les juges ne peuvent en outre être poursuivis pour des actes accomplis en dehors de
l’exercice de leurs fonctions qu’avec l’autorisation de la Cour ».
2489
Art. 3.3 du RACCJA.
613 

 
Pour autant, cela relève de la logique que la confirmation des arbitres choisis par
les parties passe nécessairement par l’évaluation de ce choix au niveau de la CCJA,
autrement, la confirmation serait sans objet. Il s’avère donc nécessaire de
compléter l’article 3.3 du règlement d’arbitrage de la CCJA en mentionnant les
arbitres confirmés par elle. Cette disposition pourrait alors débuter de la sorte,
« Pour nommer ou confirmer les arbitres, … ».
L’octroi de cette immunité à l’arbitre exerçant sous l’égide de la CCJA est
constamment remis en cause. Pour certains, cette immunité est qualifiée
d’incompréhensible2490, de malencontreuse et choquante2491, parce que limitée à
une catégorie d’arbitres. Pour d’autres, elle n’est tout simplement pas justifiée
parce que les arbitres ne font pas partie du personnel de l’OHADA2492.
L’immunité diplomatique est traditionnellement conçue comme une
protection offerte par tout État aux diplomates qui le représentent à l’étranger, ainsi
qu’à leur famille. L’objectif de cette immunité n’est pas d’avantager des individus,
mais d’assurer l’accomplissement efficace des fonctions des missions
diplomatiques en tant que représentants des États2493.
Se rapportant à une organisation internationale, son objectif serait de
faciliter son fonctionnement en protégeant ses locaux et ses agents contre toute
ingérence ou pression. Il existe une analogie entre les immunités reconnues aux
organisations internationales et celles octroyées aux missions diplomatiques
étrangères établies sur le territoire d’un État. Dans un cas comme dans l’autre, il
s’agit d’assurer à leurs bénéficiaires l’indépendance nécessaire à l’exercice de leurs
fonctions. Il en est de même de celles accordées aux agents de l’institution qui
visent à garantir l’efficacité de leur action en pleine indépendance, afin de
promouvoir les buts internationaux de l’institution2494.
C’est par référence aux dispositions de la convention de Vienne de 1961 sur
les relations diplomatiques que l’on peut définir le contenu des privilèges et
immunités reconnus aux diplomates. On peut les regrouper en trois points2495 :
- L’inviolabilité personnelle qui a pour effet d’interdire la soumission de
l’agent diplomatique à toute forme d’arrestation ou de détention2496 ;
- L’immunité juridictionnelle qui sur le plan pénal est absolue, que
l’agent diplomatique soit ou non dans l’exercice de ses fonctions. Elle s’étend
également au plan civil et administratif, à moins que les actes en cause ne soient
pas accomplis dans l’exercice de leurs fonctions au nom de l’institution qu’il
représente2497 ;
- Les exemptions fiscales et douanières.

                                                            
2490
J. LOHOUES-OBLE, in OHADA, Traité et actes uniformes commentés et annotés, op. cit., p. 62.
2491
Ph. LEBOULANGER, « L’arbitrage et l’harmonisation du droit des affaires en Afrique », Rev. arb.,
1999, p. 578 ; cité par P. MEYER, OHADA Droit de l’arbitrage, op. cit., n° 268, p. 164.
2492
F. ANOUKAHA, « Les questions d’éthique et de responsabilité », op. cit., p. 10.
2493
Préambule de la convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques.
2494
P.-M. DUPUY, Droit international public, op. cit., n° 186 à187, pp. 210-211.
2495
Sur l’ensemble de la question, voir N. QUOC DINH, P. DAILLIER et A. PELLET, Droit international
public, 7è éd. L.G.D.J., Paris, 2002, n° 461, pp. 751-752.
2496
Art. 29 de la convention de Vienne précitée.
2497
Art. 31. 1 de la convention de Vienne précitée.
614 

 
De même, pour ce qui est de la durée de ces privilèges et immunités
diplomatiques, il ressort de l’article 39. 2 de la convention de Vienne précitée
qu’ils cessent à la fin de l’exercice des fonctions de la personne protégée, mais
subsisteront pour les actes accomplis par cette personne dans l’exercice des
fonctions en tant que représentant de l’institution.
Par rapport à la durée de cette immunité, il est évident que ce régime sera
appliqué à l’arbitre exerçant sous l’égide de la CCJA, qui ne pourrait être poursuivi
pour des actes accomplis lors de l’exécution de son contrat d’arbitre et même après
la fin dudit contrat2498. Mais l’octroi des privilèges et immunités tels que prévu par
la convention de Vienne à la personne de l’arbitre CCJA est discutable s’agissant
de leur contenu. En effet, il ressort de l’article 49 nouveau du traité OHADA
précité que les arbitres ne bénéficient des privilèges et immunités diplomatiques
que dans l’exercice de leurs fonctions. Cela suppose que l’inviolabilité personnelle
et même l’immunité de juridiction pénale ne concernent que les actes accomplis
dans le cadre de sa mission d’arbitre. Elles n’ont donc pas de caractère absolu
comparable à celui des diplomates. L’on peut même ajouter s’agissant des
exemptions fiscales et douanières que l’arbitre n’est pas le représentant d’un État,
le paiement d’un impôt ne pouvant dès lors être considéré comme un acte
d’assujettissement ou pouvant remettre en cause son indépendance envers l’État du
lieu où il percevra ses revenus. L’arbitre est un prestataire de service qui agit en
son nom et pour son compte, et doit être considéré comme tel. Si privilèges et
immunités il y a, ils doivent concourir à la facilitation de sa mission2499, or le fait
d’imposer ses revenus se situe à la fin de sa mission. Telles sont les pistes de
solution proposées en attendant que le règlement indiqué à l’article 49 nouveau du
traité OHADA précité ne vienne fixer les conditions dans lesquelles les privilèges
et immunités diplomatiques seront reconnus aux arbitres.
En somme, ces immunités et privilèges permettront à des arbitres nommés
ou confirmés par la CCJA et ayant des comportements répréhensibles d’échapper à
toute sanction judiciaire, sous réserve que ces comportements aient lieu dans
l’exercice de leurs fonctions, excepté les cas où ces privilèges et immunités seront
levés par le Conseil des Ministres2500. Par cette mesure, il n’existerait plus de
discrimination entre les arbitres relevant de la CCJA et les autres arbitres exerçant
dans l’espace OHADA.

B : Le caractère discriminant de la reconnaissance de l’immunité


diplomatique
L’article 49 nouveau du traité OHADA est certes venu rétablir une égalité
entre les arbitres désignés et ceux confirmés par la CCJA, qui tous officient sous
son égide et bénéficient dès lors des privilèges et immunités diplomatiques.
Toutefois, la disparité de traitement n’a pas disparu entre les arbitres, parce que

                                                            
2498
F. ANOUKAHA, « Les questions d’éthique et de responsabilité », op. cit., ibidem.
2499
Il s’agit d’accorder toutes les facilités dans l’exercice de la fonction d’arbitre, comme l’octroi d’un
passeport diplomatique ou la simplification de l’entrée dans le territoire d’un État membre pour ce qui est
du visa, si le siège du tribunal arbitral s’y trouve…
2500
Art. 49, al. 2 du traité modifié de l’OHADA.
615 

 
certains ne bénéficient pas d’une telle protection (1), si bien que l’on penche pour
un rétablissement de l’égalité entre les arbitres en droit OHADA (2).

1 : L’exclusion des arbitres ne relevant pas de la CCJA


Contrairement aux arbitres de la CCJA, les autres ne bénéficient pas des
privilèges et immunités diplomatiques.
Il s’agit tout d’abord des arbitres intervenant dans le cadre de l’arbitrage ad
hoc. Ils sont réputés ne pas être dépendants d’un quelconque organisme
d’arbitrage, et ne voient pas leur sentence faire l’objet d’un examen préalable avant
d’être rendue. Ils ne représentent donc aucune institution, sinon leur propre
personne. Étant des personnes privées, ils agissent pour leurs seuls intérêts privés
et non pour un quelconque intérêt général. C’est donc à juste titre qu’ils ne
sauraient bénéficier des privilèges et immunités diplomatiques.
S’ils doivent être protégés, c’est de leur propre initiative, en prévoyant dans
leur contrat d’arbitre des clauses élusives de responsabilité ou en souscrivant une
assurance contre leur responsabilité civile éventuelle. Dans cette hypothèse, en
rappelant que la clause élusive de responsabilité serait inefficace en cas de dol ou
de faute lourde, il faut aussi indiquer que les fautes intentionnelles ne sont
généralement pas garanties par les assureurs2501. Même s’il appartient à ces
derniers d’établir la preuve du caractère intentionnel de la faute2502, signalons que
cela sera aisé s’agissant des arbitres, parce que faisant suite à une action en
responsabilité des litigants à l’arbitrage fondée sur une faute personnelle de
l’arbitre.
Ensuite, il s’agit des arbitres relevant des institutions privées d’arbitrage se
trouvant dans l’espace OHADA. Cela peut s’expliquer par le fait qu’en tant
qu’institutions privées d’arbitrage, elles ne bénéficient pas de la protection
attribuée au centre d’arbitrage de la CCJA, institution publique faisant partie de
l’OHADA. L’on ne saurait donc étendre aux arbitres une protection qui ne
bénéficie pas aux institutions auxquelles ils sont rattachés. Même si le centre privé
d’arbitrage avait reconnu dans son règlement une telle immunité, elle serait sans
effet, car les centres d’arbitrage n’ont pas un pouvoir législatif analogue à celui des
États, leur force obligatoire ne provenant que du fait de leur incorporation à la
convention d’arbitrage des parties2503. Il a par ailleurs déjà été indiqué que seule
l’autorité publique pouvait conférer l’immunité à des arbitres2504. D’où le constat
de ce que la plupart des institutions privées d’arbitrage se trouvant dans l’espace
OHADA n’aient pas envisagé l’immunité ou l’irresponsabilité de l’arbitre2505.

                                                            
2501
Art. 11, al. 2 du Code CIMA selon les termes duquel, « Toutefois, l’assureur ne répond pas des pertes
et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré ».
2502
Art. 11, al. 3 du Code CIMA.
2503
T. CLAY, L’arbitre, op. cit., n° 723, p. 566.
2504
Ph. FOUCHARD, E. GAILLARD, B. GOLDMAN, op. cit., ibidem. (note de bas de page précédente, n°
1354).
2505
Encore moins sa responsabilité d’ailleurs. On peut citer à ce propos le Règlement d’arbitrage du centre
d’arbitrage du GICAM, le Règlement d’arbitrage du centre d’arbitrage, de médiation et de conciliation de
la chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture de Dakar qui pourtant se prononce s’agissant de la
616 

 
Le raisonnement selon lequel les arbitres doivent eux-mêmes œuvrer à leur
protection, peut donc être étayé s’agissant des arbitres relevant des institutions
privées.
La protection visant la fonction exercée par les arbitres et non leur
personne, il ne devrait pas avoir de disparité dans leur traitement, quel que soit le
statut duquel ils relèvent, qu’ils soient des arbitres relevant de l’arbitrage ad hoc,
des institutions privées d’arbitrage ou du centre d’arbitrage de la CCJA.

2 : Le vœu d’un rétablissement de l’égalité entre les arbitres dans


l’espace OHADA
Plusieurs arguments ont déjà été avancés pour restaurer l’égalité entre tous
les arbitres dans le cadre de la réglementation OHADA. Il a été avancé qu’une
révision du traité constitutif de l’OHADA était nécessaire afin de supprimer
l’immunité et les privilèges diplomatiques conférés aux arbitres2506. Cette
argumentation ne semble pas avoir été suivie, puisque le traité constitutif de
l’OHADA a été modifié, notamment au niveau de l’article 49 conférant cette
protection aux arbitres CCJA, laquelle d’ailleurs au lieu d’être supprimée, a plutôt
été étendue aux arbitres confirmés par la CCJA, laissant toujours persister une
discrimination entre les arbitres officiant sous l’égide de la CCJA et les autres
arbitres.
Il est dès lors justifié que la doctrine persiste dans cette voie, en affirmant
que tous les arbitres ont besoin d’être confortés dans l’exercice de leur fonction
occasionnelle de juger. Mais au lieu d’étendre cette protection diplomatique à tous
les arbitres2507, il aurait fallu conférer à ces derniers une immunité juridictionnelle
en insérant dans l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage des dispositions
conséquentes, qui auraient vocation à s’appliquer à tout arbitrage lorsque le siège
du tribunal arbitral se trouverait dans l’un des États parties2508.
En somme, cet argumentaire doit être suivi, pas parce que les arbitres ne
font pas partie du personnel de l’OHADA, mais pour les motifs suivants.
L’immunité et les privilèges diplomatiques accordés aux représentants des États ou
des organisations internationales, ne visent qu’à garantir l’indépendance nécessaire
à l’exercice de leurs missions de représentation. Ramené aux arbitres désignés ou
confirmés par la CCJA, la question se pose de savoir s’ils sont les représentants de
ladite institution ? En effet, répondre par l’affirmative serait prétendre que ces
arbitres exercent une mission que le centre d’arbitrage de la CCJA devrait en
principe effectuer. Pourtant ils ne sont pas les mandataires de cette institution, car
cette dernière est chargée de la mission d’organiser l’arbitrage et non de celle
trancher le litige qui oppose les parties litigantes. Même s’ils pouvaient bénéficier
                                                                                                                                              

responsabilité du conciliateur (art. 5 du Règlement de conciliation dudit centre), le Règlement d’arbitrage


de la Cour d’arbitrage de Côte d’Ivoire (CACI)…
2506
Ph. LEBOULANGER, « L’arbitrage et l’harmonisation du droit des affaires en Afrique », Rev. Arb.
1999, p. 579 ; cité par P. MEYER, OHADA Droit de l’arbitrage, op. cit., ibidem.
2507
Ce qui serait incompréhensible, car les arbitres relevant de la CCJA ne bénéficient de cette immunité
que par ricochet à celle déjà conférée à cette institution. Sur quel fondement devrait-on conférer une telle
protection aux autres arbitres ?
2508
F. ANOUKAHA, « Les questions d’éthique et de responsabilité », op. cit., ibidem.
617 

 
du statut de protection conférée à l’institution en tant qu’experts désignés par elle,
il faudrait que ce soit dans le cadre de l’accomplissement d’une mission de ladite
institution. Les missions étant différentes, l’on ne saurait donc parler de
représentation entre les arbitres et le centre d’arbitrage de la CCJA.
En attendant qu’une réforme dans ce sens puisse intervenir, une solution
transitoire a été proposée, celle pour la CCJA d’amener les arbitres désignés ou
confirmés par elle, à renoncer à leurs immunité et privilèges diplomatiques2509.
Cette solution serait sans doute possible si elle se présentait comme une condition
préalable pour la signature du contrat de collaboration arbitrale. Cependant,
l’arbitre pour y renoncer devrait déjà en être titulaire, or l’arbitre ne bénéficie de
cette immunité qu’à partir du moment où il est désigné ou confirmé par la CCJA.
La renonciation ne peut intervenir qu’après, au moment où le centre d’arbitrage n’a
plus aucun moyen de pression sur la personne de l’arbitre. Il faut d’ailleurs préciser
que l’arbitre doit demeurer indépendant autant des parties que du centre
d’arbitrage. Étant à l’abri de pression de la part de l’institution, quel intérêt aurait-il
à se priver d’une protection qui lui est destinée ?
Bien plus, il a été avancé la solution extrême d’une levée de l’immunité
unilatéralement par la CCJA2510, position somme toute difficilement acceptable2511,
sauf pour la CCJA à démontrer que l’arbitre indexé a renoncé de manière au moins
tacite à son immunité. En effet, dans l’article 49, alinéa 2 du traité OHADA, il
ressort que le pouvoir de lever l’immunité des arbitres appartient au Conseil des
ministres, organe législatif de l’OHADA. C’est le respect du parallélisme de forme
que c’est celui qui a conféré l’immunité qui doit en principe la lever2512. Il
appartient plutôt à la Cour aux termes de l’alinéa 3 de l’article 49 précité, de
renforcer la protection conférée aux juges et non aux arbitres, qui se trouveraient
dans une situation où ils ne bénéficieraient pas de l’immunité diplomatique. À cette
occasion, la Cour dispose du pouvoir d’autoriser ou non l’exercice des poursuites à
l’encontre des juges qui exercent en son sein.
Quant aux arbitres, la Cour pourrait de sa propre initiative renforcer leur
protection et il serait plutôt préférable pour elle de reconnaître ou de confirmer
l’existence d’une immunité juridictionnelle à tous les arbitres dont le siège du
tribunal arbitral se trouverait dans l’espace OHADA.

                                                            
2509
P. MEYER, OHADA Droit de l’arbitrage, op. cit., ibidem.
2510
P. MEYER, OHADA Droit de l’arbitrage, op. cit., n° 268, p. 165.
2511
La Cour commune ne saurait entrer délibérément en contradiction avec une disposition du traité
OHADA.
2512
En matière des privilèges et immunités des agents diplomatiques, il appartient également à l’État
accréditant de lever l’immunité conférée aux diplomates.
618 

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