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Reponses Theologiques A Quelques Questions D Actualite

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R. P.

Edouard H U G O N
Dfcs 1KLHE> PIIH U E L R 8
MAI! l i t EN SU.RÉE THÉOLÛblK

Réponses théologiques
A QUELQUES QUESTIONS D'ACTUALITÉ

La Notion de Hiérarchie
dans r Église de J.-C.
L'Analyse de l'Acte de FoL
Foi et Révélation.
Les Concepts dogmatiques»
L'État des Ames séparées.

P. TÉQUI, éditeur
Biblio!èque Saint Libère

http://www.liberius.net
© Bibliothèque Saint Libère 2009.
Toute reproduction à but non lucratif est autorisée.
Réponses théologiques
DU MÊME AUTEUR

Librairie P. Lethielleux

L e s V œ u x d e religion c o n t r e les attaques


actuelles, ln-12 1 50
L a F r a t e r n i t é du s a c e r d o c e et d e l'état religieux.
In-i2 1 50
L e R o s a i r e et la Sainteté. In-iti 1 25
L a L u m i è r e e t la F o i . In-12 2 50
Marie pleine de grâce, 3 50
Cursus P h i l o s o p h i œ Thoni'sticae, a d T h e o l o -
giam Doctoris Angehci propœdeuticus.
6 vol. in-8". — 1. Loyica ; II. Philosophia Naturalis :
1* P . , COSMOLOGIA: III. Philosophia Naturalis : i*P.,
HIOLOGIA et PSYCHOLOGIA ; IV. Metaphysica Psycko-
logica; V et VI. Metaphysica Ontologica.

Librairie P. Téqui

H o r s de l'Eglise p o i n t de Salut. In-12. . . . 3 50


L a Causalité instrumentale en T h é o l o g i e , ln-12. 2 »
APPROBATIONS

Vu et approuvé.

r
Rijckholt, Limbourg hollandais, 1* janvier 1908.

Fr. MARIE-JOSEPH BELON, O . P . ,


Maître en Sacrée Théologie.

F r . BARNABE AUGIER, O . P . ,
Maître en Sacrée Théologie.

PERMIS D'IMPRIMER

Paris, 16 janvier 1908.


H. ODEUN,
v. g.
PRÉFACE

Nous réunissons ici, après les avoir


retouchées et complétées, diverses études
théologiques dont les lecteurs de la Revue
Thomiste ont bien voulu nous signaler
l'opportunité, en nous exprimant le désir
qu'elles fussent publiées en volume.
Chacune d'elles pourrait fournir, à elle
seule, la matière d'un livre ; mais, quoi-
que nous sachions qu'il est, d'ordinaire,
plus facile de développer que de con-
denser, nous avons essayé d'embrasser
chaque sujet en quelques pages rapides.
Les problèmes que nous abordons ont
été discutés dans la presse à maintes
reprises; et cet écrit, sur certains points,
peut servir de commentaire à l'immortelle
encyclique du Souverain Pontife Pie X
sur les doctrines des Modernistes. Nous
n'avions pas à entreprendre l'examen dé­
taillé de chacune de ces erreurs — c'est
déjà fait; — nous avons pensé qu'il serait
plus utile de leur opposer simplement les
conclusions de la vraie théologie. Notre
but n'est pas d'épuiser le débat ni de
dire le dernier mot, nous nous eflorçons,
au contraire, de simplifier les questions;
mais nous avons visé à donner des no­
tions exactes, précises, en un mot, des
réponses théologiques.
En tout cas, ces études sans prétention
auront le mérite de reproduire franche­
ment un enseignement catholique et tho­
miste qui est plein d'actualité.
M JtOTIOfl DE HiÉRAHCHiE

DAJIS L'ÉGLISE DE JÉSUS-CHRIST

1
La Notion de Hiérarchie

dans l'Église de Jésus-Christ

Depuis les débats suscités par la loi de sépa-


ration, que de fois le terme de hiérarchie a
été évoqué par les revues et les journaux et
s'est retrouvé même sous la plume d'incré-
dules qui n'ont jamais rien compris à la divine
constitution de l'Eglise ! Il exprime une grande
réalité, que nous voudrionsmettre en lumière.
Les théories modernistes touchant la hiérar-
chie ont été condamnées par le décret du
1
Saint-Office du 3 juillet 1 9 0 7 et par l'ency-
clique du Souverain Pontife du 8 septem-
bre 1 9 0 7 * . Nous ne prétendons pas résoudre
1
P r o p . 5a e t s s .
3
E d i t . d e s Questions actuelles, p . 3a et s s .
- 4 -

ici des problèmes nouveaux ni revenir sur


les applications actuelles qui ont été signa-
lées depuis longtemps par nos organes catho-
liques; mais il ne sera pas sans intérêt ni
sans utilité d'exposer nettement la notion
théologique de la hiérarchie, de reprendre le
sujet au point de vue des principes et de le
présenter sous son jour dogmatique et doc-
trinal.
On sait que cette expression doit sa célé-
brité aux immortels ouvrages De cwlesti
hierarchia, De ecclesiastica hierarchia, d'un
auteur inconnu, mais, à coup sur, homme de
génie. Ces livres reproduisent si bien la vérité
traditionnelle qu'ils furent regardéslongtemps
comme l'œuvre de Denis l'Aréopagite et
qu'ils jouirent d'une autorité incontestée dans
1
l'Église à partir du sixième siècle .
Hiérarchie, Upà ïçyr^ ou Up<ovà&/7)> le pouvoir
sacré ou le pouvoir des choses sacrées, désigne
une série de personnes sacrées, qui, sous le
gouvernement d'un chef suprême, ont à s'oc-
cuper des choses saintes. Les dépositaires de
1
Sur l'autorité d e ces écrits en théologie, voir le
T. R. P. GARDEIL, Revue Thomiste, t. XJI, pp. 207,
588-589.
ce pouvoir ont plus que la maj esté de l'autori té,
plus que les rayons de la gloire, ils possèdent
une sorte de consécration qui les met en con-
tact avec la divinité elle-même. L'exercice de
ce pouvoir aussi est sacré : c'est une coopération
à l'œuvre divine, une action bienfaisante qui
purifie, illumine, perfectionne, rapproche de
Dieu. La fin, le terme sont sacrés : c'est cette
ressemblance avec le Seigneur, cette trans-
formation totale et suprême de la créa-
ture raisonnable, en sorte qu'elle prend,
pour ainsi dire, les traits et la forme de
1
Dieu .
L'idée de hiérarchie implique des degrés
dans le pouvoir, un ordre et des variétés dans
les dignités et les offices. Nous ne la cherche-
rons donc pas dans la Trinité adorable, car
il n'y a ni inégalité, ni subordination dans les
personnes divines ; mais nous dirons avec les
Docteurs que la Trinité est le terme de toutes
les hiérarchies, puisque l'action de celles-ci
consiste à conduire les êtres libres à la Trinité,
à les transfigurer en elle et à les faire jouir
d'elle. Elle est le type hiérarchique parfait,
1
Cf. Cœlest., Hierarch., c. n i , 7 \ G., III, 164» s s . ;
S. T H O M A S , II Sent., d i s t . 9, a. 1.
— f i -

la beauté consommée qui attire à elle toute


1
beauté .
Dans les anges nous découvrons une série
de personnes sacrées, subordonnées les unes
aux autres, qui exercent ou qui reçoivent une
action sacrée, c'est-à-dire ces échanges spiri-
tuels, ces procédés intellectuels, ces illumi-
nations mentales, qui doivent amener plus
près de Dieu des intelligences faites pour
2
lui . Ce n'est pas ici l'occasion de décrire le
gouvernementdumondeinvisible, oùle champ
du mystérieux et de l'inconnu est si vaste et
sur lequel la révélation n'a jeté qu'une lumière
discrète. On serait mal venu cependant à
prétendre que les hiérarchies et les chœurs
angéliques ne sont qu'une invention des
théologiens. Les enseignements tradition-
nels sur ce point sont assez fondés pour
qu'un concile œcuménique ait cru devoir les
consacrer. « A l'origine, dit le cinquième
concile de Latran, Dieu créa le ciel et la
terre, et le ciel invisible, il le distribua en
trois pouvoirs ou principautés qu'on ap-
pelle hiérarchies, et chacune de celles-ci
1
Cf. Cœlesl. Ilierarch., c. i, P. G., III, 120, ss.
2 a
Cf. S . THOMAS, I P . , q . 108.
1 —

est à son tour divisée en trois chœurs*. »


L'Église de Jésus-Christ nous montre divers
degrés de personnes sacrées dont les unes
administrent et les autres reçoivent les choses
saintes, établissant ainsi ce coûtant surnatu-
rel qui descend de l'éternité et y retourne,
qui porte les dons de Dieu à l'humanité et les
hommages de l'humanité à Dieu. Elle forme
de la sorte une vaste organisation qui embrasse
les gouvernés et les sanctifiés depuis le simple
catéchumène jusqu'au moine, et les gouver-
nants et les sanctificateurs depuis les humbles
2
ministres jusqu'au pontife suprême . Nous
essaierons d'analyser chacun des éléments
qui constituent la notion complète de la hié-
rarchie ecclésiastique.
1
«Cum Dcus inprincipio cœlum et terram creasset,
cœluin ipsum in très principatus quos hiérarchies
vocant, instituit, ac quemlibet principatum in toti-
dem angelorum choros distinxit. » Coxc. LATER., Y ,
sess. 12.
2
Ecclesiast. Hierarch., c. v, P. G. III, ooo, ss.,et
t

c. vi, P. G,, III, 52y, ss.


CHAPITRE PREMIER

L A NOTION D E H I É R A R C H I E SUPPOSE
UNE SOCIÉTÉ INÉGALE

La première idée qu'elle suggère est celle


d'un organisme où il y a multiplicité dans les
membres, variété dansles fonctions, les offices
ou les dignités. On sait avec quelle éloquence
saint Paul a exposé cette comparaison dans
la première épitre aux Corinthiens'.Saint Clé-
ment de Rome la reprend quelques années
plus tard dans sa lettre à cette même Eglise
de Corinthe. « Les grands ne peuvent rien
sans les petits ni les petits sans les grands.
Cette aide réciproque est la condition de l'ac-
tivité et du succès. Prenons comme exemple

1
ICor., xn, la, ss.
— 9—
notre corps. La tête sans les pieds n'est rien,
et les pieds sans la tête ne sont rien. Les
membres les plus humbles sont nécessaires à
tout le corps, tous conspirent et agissent de
concert pour le maintenir sain et sauf. C'est
ainsi que par une mutuelle dépendance des
fidèles se conserve le corps mystique dans le
1
Christ Jésus... »
II y a plus que diversité des membres avec
échange de services; la notion de hiérarchie
suppose une société essentiellement inégale.
Dans nos gouvernements démocratiques, bien
que les diverses charges ne soient pas confiées
à tous, les citoyens restent égaux devant la
loi; l'autorité n'est pas exercée par la multi-
tude, mais celle-ci nomme, au premier ou au
second degré, ses gouvernants : l'élection
suffit pour faire les représentants officiels du
peuple. De nombreux hérétiques se sont cons-
truit une conception analogue de l'Eglise
de Jésus-Christ. Les G nos tiques des premiers
1
S. CLEM. ROM., Epist. 1 Cor., ce. xxxvn et
xxxvin, P. G., I, 284. — Pour saint Clément, comme
pour les autres Pères apostoliques, l'édition à con-
sulter est celle de FUNK, mais, les quelques textes que
nous leur empruntons se trouvant aussi dans MIGNE,
nous donnons les références pour cette édition.
IO

siècles avaient nié la distinction fondamentale


entre les prêtres et les fidèles: et Tertullîen
reproche à certaines sectes de remettre à
des laïcs les fonctions sacerdotales : Hodie
presbyter qui crus laicus, nam et laicis sacer-
dotalia munera injungnntK
Cette théorie fut renouvelée par les Vaudois
et condamnée au quatrième concile de Latran
Marsile de Padoue la reprit et l'érigea en sys-
tème : l'autorité ecclésiastique, au dire de ce
novateur, réside tout entière dans le corps
des fidèles, et ce sont eux qui la délèguent à
leurs élus. L'orgueilleuse Réforme ne manqua
pas de s'approprier ces antiques erreurs.
Dans l'Eglise du Christ, s'écrie Luther, c'est
r égalité absolue : ni clerc ni laïc, ni moine ni
séculier*. La plénitude du pouvoir religieux
est dans le peuple : au peuple revient le droit
d'élire, de nommer les ministres qui rem-
4
plissent en son nom les fonctions du culte .
1
TERTULLÎEN, De Prœscript., 41, P- L., II, 5?.
- Cf. DENZINGER, Enchirid., n. 36o.
3
« Ghristianum populum esse simplicem, in quo
prorsus nulla secta, nulla différer)tia personarum,
nullus clericus, nullus laicus, nullus une tus, nulius
rasus, nullus monachus esse débet. » De Abrogat.
Misa, privât., I P.
4
Edmond RICUER, VAN ESPEX, FEBRONIUS pré-
Le même principe, quoique sous une autre
forme, inspira les législateurs de la Révolution
française qui imposèrent la constitution civile
du clergé, et nos législateurs actuels qui ont
prétendu asservir l'Eglise au régime des
associations cultuelles et ont réservé la juri-
diction dernière sur ces associations à la supré-
1
matie du Conseil d'Etat .
L'enseignement catholique nous oblige à
reconnaître deux catégories de personnes
essentiellementdistinctes:leslaïcsetlesclercs,
le corps des fidèles et le corps des pasteurs.
Le pouvoir sur les choses sacrées et l'autorité
pour gouverner résident uniquement dans le
corps des pasteurs et ne viennent aucune-
ment du peuple. C'est aux Apôtres et à leurs
successeurs, et non point à la multitude que
Notre-Seigneur a dit de lier et de délier sur
la terre avec promesse de ratifier leurs juge-
ments dans le ciel-; qu'il a conféré la mission
tendent que Jésus-Christ a confié l'autorité à toute
VEglise, que les pasteurs sont les délégués de l'Eglise
et qu'ils excercent l'autorité en son nom. C'est, en
définitive, faire dériver de la multitude le pouvoir
spirituel.
1
Cf. les deux encycliques de PIE X , 11 février et
io août 1906.
* MATTH., XVI, l8, 19; XVHI, l 8 ; JOAN., X X , 23.
— ia —
de perpétuer son sacerdoce et son Eucharistie :
Hoc faclte In meam commemorationem, d'en-
seigner et de sanctifier l'humanité jusqu'à la
1
fin des siècles .
Les Apôtres ajoutent à cette doctrine la
confirmation par les faits. Ils déclarent avoir
reçu de Dieu seul, et non point des hommes,
un pouvoir spirituel pour châtier, corriger,
2
gouverner . Les fidèles n'ont qu'à se sou-
mettre à ce que les chefs ont décidé en con-
3
cile . Ceux-ci, pour user de leur puissance,
n'attendent point la délégation ou la ratifica-
tion du peuple; ils établissent, de leur pro-
pre autorité, des pasteurs dans les diverses
églises *.
Les héritiers immédiats des Apôtres rendent
un très explicite témoignage sur l'origine sur-
naturelle de la hiérarchie. « Les Apôtres, dit
saint Clément de Rome, nous ont annoncé
l'Evangile de la part de Notre-Seigneur Jésus-
Christ, et Jésus-Christ de la part de Dieu.
Ainsi, Jésus-Christ est envoyé par Dieu, et les

1
MATTU., XXVIII, 18-20.
2
// Cor., x, 6, xiii, io.
A
Act. xv.
9
4
Act., xiv,22; 1 Tira., 1; Tit. 1,
9 5.
Apôtres par Jésus-Christ. Les Apôtres, à leur
tour, ont choisi les évoques et les diacres des
croyants à venir, et ils ont prescrit que, après
la mort de ces evèques et de ces diacres, des
hommes éprouvés leur succéderaient dans
1
leur charge .» Saint Ignace d'Antioche si-
gnale à maintes reprises la divine autorité du
corps pastoral. « L'évêque est le centre de
l'Eglise; là où il est doit se trouver la com-
munauté chrétienne, comme là où est le Christ
2
se trouve aussi l'Eglise . »
La doctrine est désormais si clairement
établie que saint Cyprien peut écrire : « A
travers les vicissitudes des âges et des évé-
nements, l'économie de Tépiscopat et laçons-
titution de l'Eglise se déroulent de telle sorte
que l'Eglise repose sur les évoques et que
3
toute sa vie active est gouvernée par eux . »
Tous les échos de la Tradition redisent ce
même enseignement, que le concile de Trente
va enfin canoniser et définir. On y déclare
que les fidèles ne sont pas tous égaux entre
1
S . G L E M . ROM., / Cor., XLII, XLIV, P. G., I , 292,
296.
2
S . IGNAT., Smyrn.* vin, P. G., V, 713.
3
S . CYPRIAN., Epist.2j (al. z8)ad lapsos,i, P. L. 9

iv, 298.
- i4 -
eux quant au pouvoir spirituel, que les prê-
tres sont de droit divin supérieurs aux laïcs,
que l'élection humaine ne suffît point pour
établir le sacerdoce, mais qu'il faut un sacre-
1
ment institué par Jésus-Christ lui-même .
Pie X , dans son immortelle encyclique du
i l février ij)o6 au clergé et au peuple fran-
çais, rappelle en termes énergiques ce dogme
capital : « L'Eglise est par essence une société
inégale, c'est-à-dire une société comprenant
deux catégories de personnes, les Pasteurs et
le troupeau, ceux qui occupent un rang dans
les différents degrés de la hiérarchie et la
multitude des fidèles. Et ces catégories sont
tellement distinctes entre elles que dans le
corps pastoral seul résident le droit et l'auto-
rité nécessaire pour promouvoir et diriger
tous les membres vers la fin de la société ;
quant à la multitude, elle n'a pas d'autre de-
voir que celui de se laisser conduire, et, trou-
peau docile, de suivre ses Pasteurs. »
Tel est le premier élément que réclame
l'idée de hiérarchie ecclésiastique:une subor-
dination essentielle des gouvernés aux gou-

1
CONC. TRENT., sess. XXIII, ce. i et 4< et can. i-3.
IO

vernants, du peuple au clergé. Les trois rôles


fondamentaux, sans lesquels il n'y aurait ni
vie ni mouvement dans l'Eglise,c'est-à-dire le
magistère ou la fonction d'enseigner, le mini-
stère ou la façon de sanctifier, enfin le gou-
vernement de Jésus-Christ, appartiennent
exclusivement au corps des pasteurs. Les
laïcs peuvent, sans doute, concourir à la diffu-
sion de la vérité révélée, se faire par la pa-
role et la plume les chevaliers et les cham-
pions de l'Evangile, mais l'Eglise proprement
enseignante est l'Eglise sacerdotale : c'est
aux prêtres qu'est dévolue la prédication ordi-
naire, sacerdotem oportet prœdicare , et aux x

évêques que sont réservées les définitions


solennelles dans les conciles, conciliant épis-
coporum est.
Au sacerdoce seul sont confiés le rôle de
sanctificateur,la puissance de consacrer, d'of-
frir le sacrifice, de remettre les péchés, d'éta-
blir le double courant des choses sacrées, et
celui qui apporte aux hommes les dons de
Dieu et celui qui fait remonter vers Dieu les
hommages de l'humanité*.
1
Pontifie, De Ordinatione presbyteri.
8
Cf. Coxc. TRIDENT., sess. X X I I I , c. 1-4.
— i6 —

L'Eglise dirigeante est encore l'Eglise sa-


cerdotale. Le Saint-Esprit a remis la conduite
des âmes à ceux qui ont reçu la plénitude de
l'Ordre, posait epùscopos regere Ecclesiam
1
Dei : et c'est dans le corps des pasteurs seu-
lement, redirons-nous avec Pie X, que résident
le droit et l'autorité du gouvernement spi-
rituel.

1
Act., X X , 20, 21.
CHAPITRE II

L A H I É R A R C H I E D* O R D R E

Mais nous n'avons pas encore la notion de


la hiérarchie. Elle implique divers degrés de
sanctificateurs et de gouvernants. Il fallait, dit
saint Thomas,qu'ily eût plusieursordresde mi-
nistres sacrés. D'abord, pour honorer la divine
Sagesse, qui se manifeste dans la distinction
. et la variété des êtres, soit dans le monde aa-
turel soit dans le monde spirituel. Ensuite,
' pour secourir l'infirmité humaine. Ce serait
pour un seul une surcharge, un fardeau trop
lourd, d'accomplir par lui-même tout ce qui
regarde les saints mystères. Il y aura donc
des ordres multiples, parce qu'il y a des
offices multiples. Enfin, puisqu'il n'est rien de
plus divin, selon Denis, que d'être le coopé-
R&PuNSb» TIDÉOLOGIQUES 2
— i8

rateur de Dieu par le ministère surnaturel, il


convenait de multiplier les ordres, afin qu'un
plus grand nombre d'hommes fussent asso-
ciés à cette éminente dignité et qu'ainsi la
voie qui conduit à la perfection et rapproche
du Seigneur devint plus spacieuse et plus
1
magnifique .
C'est la série de ces degrés, l'ensemble de
ces coopérateurs de Dieu, de ces sanctifica-
teurs de l'humanité, de ces gouverneurs des
âmes, qui constitue, à proprement parler, la
hiérarchie catholique.
Quels sont-ils? Les saintes Lettres nous
3
signalent des diacres S des presbytres , des
évèques*. D'autres ouvriers évangéliques sont
indiqués avec eux. Saint Paul nomme les
apôtres, les prophètes, les évangélistes,les pas-*
teurs, les docteurs \ La Didachê, ou doctrine
des douze Apôtres (découverte en i883 par le
métropolite grec Philothée Bryennios) énu*
1
Cf. S . THOMAS, Sapplem., q. 3;, a. i.
2
Aet., vi; Philip., i, i ; / Tim. m, 8.
9
3
^lct.,xiv, 23, xx, i;; / Tint., v, 17; 77*., 1, 5;
J A C , v, I > I 6 .
4
Act., x x , 28; Philip., 1 , 1 ; / Tim.y m ; TU., ij
I ; / Pet., 11, 25.
5
Ephes., iv, il.
— 19 —

mère cinq catégories: Yapotre, le prophète,


le docteur, Vévêque et le diacre. Parfois les
textes confondent les évéques et les près-
bytres.
Les études les plus récentes nous per-
mettent de reconstituer l'organisation primi-
tive des Églises. Il faut d'abord distinguer les
ministres extraordinaires de l'Evangile, des-
tinés à disparaître : l'apôtre, missionnaire
ambulant, qui porte partout la bonne nou-
velle ; le prophète, qui parle en esprit ; le
docteur ou didascale, qui instruit les tidèles,
mais sans être inspiré. Puis viennent les mi-
nistres fixes, rattachés à la fonction litur-
gique de l'Eucharistie et au gouvernement
des âmes : les évoques, les presbytres, les
diacres.
A l'origine, le presbytérat était un titre
d'honneur qu'on pouvait donner à ceux qui
n'étaient pas revêtus du caractère sacerdotal.
Mais c'était parmi ces presbytres sans sacer-
doce que l'on choisissait, sinon nécessaire-
ment, au moins de fait, les membres de la
communauté qu'on élevait à la charge de
\hwsYjmy\ \ on eut ainsi les presbytres-évêques,
les presbytres-présidents, les presbytres-pas-
— 20 —

1
teurs . Ce presbytérat primitif était l'enve-
loppe originelle de la hiérarchie ; il disparut
comme une forme simplement préparatoire.
Et le mot seul s'en conserva pour désigner
les prêtres, c'est-à-dire les épiscopes subor-
2
donnés à l'évêque souverain .
Les diacres ont un rôle particulier se rap-
portant à l'Eucharistie, et un rôle extérieur ;
ils sont trésoriers, et parfois le ministère de
la parole leur est confié. Les évêques .exer-
cent une fonction liturgique et une fonction
sociale, de gouvernement et de prédication.
L'épiscopat à l'origine est plural, comme le
diaconat. Mais l'épiscopat plural disparait au
moment où les apôtres disparaissent et se
démembre pour donner naissance à l'épis-
copat souverain de l'évêque et au sacerdoce
3
subordonné des prêtres .

1
« L'autorité se concentrait dans le corps des
prêtres-évêques ; l'un d'entre eux l'incarnait plus
spécialement et l'administrait. Entre ce président
et l'évêque unique des siècles suivants il n'y a pas
de diversité spécifique. » MGR DUCHESNE, Histoire
ancienne de VEglise, t. I , p. 90.
2
MGR BATIFOL, Etudes ^histoire et de théologie
positive, I, p. a65.
3
MGR BATIFOL, op. ci*., p. 266. — Voir, au sujet
de l'épiscopat collégial et de l'épiscopat unitaire,
La hiérarchie s'organise donc définitive-
ment avec ses trois termes : évèques, prêtres,
diacres. Nous les trouvons déjà tous les trois
dans Tépitre de saint Clément. L'auteur men-
tionne les évêques et les diacres qui furent
institués par les Apôtres, et il proclame
bienheureux les prêtres qui, après avoir
fourni leur course, sont arrivés à une fin
1
fructueuse et parfaite . Saint Ignace d'An-
tioche a mis en complet relief cette trinité
hiérarchique: évêque, presbyterium, diacres.
L'évêque a la suprématie : un seul évêque
commande à tout le corps des prêtres et aux
diacres-. Tout le monde est tenu de lui
obéir, même les prêtres: ils doivent lui rester
3
attachés comme les cordes à la lyre . A leur
tour, les prêtres sont supérieurs aux diacres ;
ceux-ci sont toujours nommés en troisième
lieu *. L'évêque tient la place du Père, les
prêtres celle du sénat apostolique, les diacres

MGR DUCUESNE, Histoire ancienne de VEglise, t. I ,


c . VII.
1
S . CLKM., I Cor. XLII, XLIV, P. G., l, 29a, 3oo.
3
S . IGNAT., Philadelph., iv, P. G., V , joo.
3
S . IGNAT., Ephes., iv, P. G., V , 648.
4
S . IGNAT., Magnes., I I , V I ; Philadelph., I V , P . G . ,
V , 664, 668, ?oo.
22

la place de Jésus-Christ considéré comme


ministre du Père, car ils exercent ladiaconie,
le ministère du Christ, comme le Christ
1
exerce la diaconie, le ministère du Père .
Saint Polycarpe nous montre établie à
Smyrne la même institution. L'évêque et
ses prêtres saluent l'Eglise de Philippes ;
on recommande aux fidèles d'obéir aux
prêtres et aux diacres comme à Dieu et au
Christ \
Tertullîen a parlé plus d'une fois des dia-
cres, des prêtres, des évoques, qui sont les
3
dépositaires de l'autorité spirituelle . Saint
Cyprien salue les diacres et les prêtres, qui
4
doivent respect à l'évêque .
Avec le temps, l'Eglise dut multiplier ce
qui était uni: aux diacres s'ajoutèrent les
ministres inférieurs : le sous-diaconat, du
reste, et les quatre ordres mineurs étaient
renfermés dans le diaconat, comme les mon-

1
S. IGNAT., Magnes., vi, P. G., V, 668.
- S. POLYCARP., Philippe subscript., et v, P. G.,
V, iooo, 1009.
3
TERTULL., De Baptismo, c. 17, P. Z., I , 1218;
De fuga in persecutione, c. 1 1 , P. Z., II, n 3 .
* S. CYPRIAN., Epist. 9, P . L., IV, a5o; Epist. 1 1 ,
P. L., IV, 257.
— 23 —

naies divisionnaires sont contenues dans la


pièce d'or *.
Le concile de Trente, après avoir constaté
la trace de ces divers ordres à l'origine de
l'Eglise*, proclame définitivement le dogme
de la hiérarchie. Il est de foi qu'il existe dans
l'Eglise catholique, outre le sacerdoce, d'au-
tres ordres, majeurs ou mineurs, comme des
degrés qui préparent au sacerdoce ; il est de
foi que l'Eglise catholique possède une hié-
rarchie de droit divin composée des évoques.,
des prêtres et des ministres : et que les évo-
ques sont supérieurs aux prêtres *.
Mais en quoi consiste le pouvoir de ces
personnes sacrées? C'est plus qu'une auréole,
plus que la dignité des rois, laquelle est une
simple autorité morale ; c'est une qualité
physique et divine, produite par cette mysté-
rieuse puissance qui s'appelle un sacrement.
Il faut, pour établir la hiérarchie, un rite

1
« Nihilominus erant omnes prœdictae potestates,
sed implicite, in una diaconi potestate. Sed postea
ampli a tu s est cultus divinus, et Ecclesia quod im-
plicite habebat in uno ordine, explicite tradidit in
diversis. » S. THOMAS, Supplem., q. 3?, a. a, ad a.
2
CONC. TRIDENT., sess. X X I I I , c. a.
3
Sess. X X I I I , can. a, 3, 6,7.
- 2 4 -
surnaturel, imprimant dans l'âme le sceau
éternel que rien ne pourra effacer ni souiller,
ni la persécution des tyrans ni même l'apos-
tasie de ceux qui le portent.
Quoiqu'il en soit du sous-diaconat et des
ordres mineurs *, il est certain que le diaconat
est un sacrement et imprime le caractère.
S'il est vrai que l'évêque ne dit pas en vain :
5
« Recevezle Saint-Esprit », on doit conclure
que le diacre, auquel ces paroles sont adres-
sées, reçoit, avec l'investiture du céleste
Paraclet, la grâce sanctifiante et la marque
indélébile, effet propre de l'ordination. II est
de foi que le sacerdoce est un sacrement.
C'est ici, pour le moins, que doit se vérifier
la définition du concile de Trente : L'ordre
ou l'ordination est un sacrement institué par
Jésus-Christ et qui donne la puissance de
consacrer, d'offrir le Corps et le Sang du
3
Seigneur et de remettre les péchés .
Quanta l'épiscopat, confère-t-il un carac-
tère entièrement nouveau, ou bien est-il sim-
1
Pour saint THOMAS ce sont de vrais sacrements,
puisqu'ils sont des parties authentiques détachées
du diaconat.
2
CONC. TRIDENT., sess X X I I I , can. 4-
* laid., can. i et 3.
plement l'extension et l'ascension du carac-
tère sacerdotal ? L'Église a laissé ce point à
1
la libre discussion des théologiens ; mais il
est admis par tous que c'est un sacrement,
qu'il donne la grâce et ajoute au caractère
une telle excellence que c'est désormais la
plénitude de l'ordre. En vertu de son sacre,
l'évêque devient hiérarque parfait, de droit
divin supérieur aux prêtres, qu'il surpasse
par son triple pouvoir de consacrer, de con-
firmer, d'ordonner *. Comme il possède la vie
sacerdotale au suprême degré, il peut la
transmettre à d'autres, et il acquiert ainsi le
titre glorieux de générateur du sacerdoce \
Tous les membres de la hiérarchie, minis-
tres, prêtres et évêques sont donc les christs
du Seigneur; ils ont reçu pour le temps et
pour l'éternité cette onction d'allégresse qui
les rend coopérateurs de Dieu et leur com-
munique, en quelque sorte, les traits et la
figure de Jésus-Christ : Per characterem ipsi
Christo CONFIGURAMUR La puissance des
1
Cf. S. THOMAS,Supplem., q. 4<>, a. 5 ; BENOITXIV,
Conslit. In Supremo, 20 octob. 1706, n. 17.
2
GONG. TRIDENT., sess. X X I I I , can. 7.
3
Cf. P . MONSABRÉ, 8 3 conférence.
E

* S. THOMAS, Supplem., q. 40, a. 5 , ad a.


— 26 —
ministres de la loi nouvelle n'est point tem-
poraire ; une fois ordonnés, ils restent mar-
qués pour toujours, ils ne pourront jamais
redescendre à la condition des laïques *.
Le caractère de l'ordre est indépendant de
toute puissance créée : les hommes d'Etat ne
peuvent rien contre lui, l'Eglise ne saurait y
toucher, le Seigneur lui-môme s'est engagé à
le respecter. Les sacrilèges peuvent se servir
de leur terrible pouvoir pour outrager Dieu :
Dieu ne le retire pas, il honore le signe qu'il
a gravé lui-même dans l'âme. On pourra
manier le glaive de la consécration contre
Jésus-Christ, Jésus-Christ se laissera frapper,
il obéira à la puissance du caractère ! L'apos-
tat aura beau essayer de se profaner, de
se laïciser, de s'avilir, il ne pourra se défaire
du sceau divin dont il est tout pénétré ; c'est
la relique sacrée qu'il devra garder sur lui
ici-bas, même dans les repaires de l'infamie,
dans l'au-delà pour les siècles des siècles,
tandis que pour les ministres fidèles elle bril-
lera comme une gloire dans la bienheureuse
éternité.

1
GONC. TRIDENT., sess. X X I I I , cap. 4.
CHAPITRE III

L A H I E R A R C H I E D E JURIDICTION

Nous avons trouvé, dans la notion de hié-


rarchie, une série de personnes sacrées, avec
un pouvoir divin et inamissible. Est-ce tout?
Sur cette puissance spirituelle et physique
doit se greil'er une puissance spirituelle et
morale, la juridiction. Elle est distincte et
séparable de Tordre. Celui-ci est invariable,
éternel ; la prêtrise est la même dans tous
les prêtres, et l'épiscopat n'a pas plus d'in-
tensité dans le pape que dans le pontife
missionnaire. La juridiction peut subir des
fluctuations, tantôt plus vaste, tantôt res-
treinte, tantôt ordinaire, tantôt déléguée : elle
peut même cesser entièrement ou être confiée
à quelqu'un qui n'est point encore revêtu du
— a8 —

caractère. Dans le plan de Jésus-Christ cepen-


dant la juridiction est faite pour Tordre et
repose sur lui. Notre-Seigneur, en instituant
le sacerdoce pour sanctifier, lui a commu-
niqué son autorité sur les âmes ; c'est aux
mêmes personnes qu'il a remis le magis-
tère, le ministère, le gouvernement. Il y a
donc une hiérarchie de juridiction qui est
de droit divin, comme l'ordre, dont elle
doit aider l'exercice. Le pouvoir de régir
l'Eglise ne peut venir que d'en haut, de celui
qui est le Fondateur de la société surnatu-
relle. La juridiction sera distribuée à divers
degrés, comme l'ordre, aux ministres, aux
prêtres, aux évoques. Mais ici il faut ajouter
un autre élément, la subordination de tous
les ministres, de tous les prêtres, de tous
les évêques, à un monarque suprême,
le Pontife romain. Inutile d'insister sur
ce dogme de la primauté de Pierre. Les
agneaux et les brebis, les peuples et les
pasteurs, doivent au Pape une obéissance
entière. Comme la solidité de l'édifice dépend
de sa base, et le mouvement des membres
de l'impression communiquée par la tète,
toute l'autorité du gouvernement spirituel
— 2 9 —

dépend du Souverain Pontife, fondement et


chef de toute l'Église*
Ce fut jadis le sujet d'une controverse
célèbre de savoir si les évoques tiennent leur
juridiction immédiatement de Jésus-Christ,
ou s'ils la reçoivent directement du Pape,
f
opinion qui tend à devenir commune . Théo-
logiens et canonistes conviennent du moins
qu'il n'y a point de juridiction épiscopale
sans la volonté du Pape, que les paroles pon-
tificales, au consistoire, sont le vivant et
efficace instrument qui confère ce pouvoir,
et que le monarque de l'Eglise peut, pour des
raisons majeures, dépouiller tels et tels évé-
s
ques de leur charge .
La hiérarchie de juridiction réclame donc
que toutes les autorités ecclésiastiques relè-
vent du pontificat romain. Mais la subordi-
nation suppose la pluralité, et l'idée même de
hiérarchie demande que la juridiction soit
exercée par plusieurs personnes et à divers
1
La question fut vivement débattue au concile
de Trente, mais non point résolue. Voir à ce sujet
BENOIT XIV, De Synod. diœc, lib. 1, c. 4; Bouix,
De Epi&copO) t. I, pp. 55, ss.
3
On sait que P I E VII, en 1801, usa de ce pouvoir,
en exigeant la démission des évêques de France*
— 3o —

degrés. Si le successeur de Pierre réunit en


lui toute la plénitude de la juridiction qui soit
dans l'Église, il n'est pas le seul à la possé-
der. Il ne pourrait réduire les évèques au rôle
de simples délégués. Les évèques, au point
de vue du gouvernement, sont des princes
nécessaires, qui dépendent du monarque,
mais qui ne peuvent être tous destitués. Le
Pape peut supprimer tel diocèse, même les
diocèses d'une région déterminée, il ne pour-
rait les supprimer dans le monde entier ni
changer tous les évoques en vicaires aposto-
liques. La constitution de l'Eglise, qui veut
un roi et des gouverneurs, requiert cette su-
bordination, cette pluralité, ces degrés
Ces degrés ont leur économie. Dans les mi-
nistres ou dans les simples prétrefe la juridic-
tion n'est pas plénière; ils ne sont point des
pasteurs au sens complet, mais plutôt des
instruments de l'évèque : leur charge est par-
tielle, c'est comme une portion de l'office
1
Ce fut une des erreurs de MARC ANTOINE D E
DOMINIS de prétendre que les évèques ne sont que
les vicaires du Souverain Pontife. Les théologiens et
les canonistes même les plus ultramontains fucent
toujours unanimes à repousser de telles exagéra-
tions.
— 3i —

épiscopal. Dans l'évêque la juridiction est


pleine, car il l'exerce comme prince, et elle
s'étend à l'administration de tous les sacre-
ments et au gouvernement de tout le dio-
cèse. Cependant elle n'est point univer-
selle; n'étant point donnée pour toute
l'Eglise, elle n'est pas absolument indé-
pendante, puisqu'elle est soumise à celle du
monarque *.
Dans le Pape elle est plénière, univer-
selle, souveraine, et elle se confond avec
la puissance de l'Eglise elle-même. Si Notre-
Seigneur était resté visiblement parmi nous
jusqu'à la fin des siècles, il n'aurait pas
exercé une juridiction plus vaste que celle
qu'il confie à son vicaire. Sans doute, sa
divine puissance dépasse à l'infini celle
de Pierre et il reste maitre de modifier de
fond en comble la constitution de son Eglise ;
mais, en fait, il ne se serait pas servi d'un
pouvoir plus étendu. Il a donné à la société
qu'il a fondée assez de perfection intrin-
sèque pour qu'elle puisse, avec son propre
organisme et sans intervention nouvelle de
1
Cf. S. BEKNARD, De Considérât.,L I I , c.vm,n. 10»
16, P. L. CLXXXI1, 701, ;5a.
t
— 32 —
Dieu, évoluer vers son terme définitif. Le
Pape est bien dans le sens complet le
vicaire qui tient sa place et exerce son
autorité.
Nous avons désormais les éléments com-
plexes qui entrent dans la notion de la hié-
rarchie ecclésiastique. Elle implique d'abord,
avec l'idée d'organisme, celle d'une société
inégale dans laquelle il y a des gouvernés et
des gouvernants et où le corps des pasteurs est
de droit divin supérieur à la multitude. Elle
requiert ensuite divers degrés de personnes
sacrées : c'est la hiérarchie d'ordre établie par
Jésus-Christ lui-même et qui est composée des
évêques, des prêtres et des ministres. Ces
personnes sont revêtues d'une puissance sur-
naturelle, physique, invariable, indélébile,
éternelle. Ce pouvoir est complété par une
autre puissance, morale mais surnaturelle et
divine elle aussi. C'est alors la hiérarchie de
juridiction, qui requiert plusieurs degrés dans
le gouvernement et exige en même temps la
subordination des ministres, des prêtres, des
évêques au Pontife romain. Cette puissance
n'est que partielle dans les rangs inférieurs,
elle est plénière dans l'évêque, elle est à la
— 33 —

fois plénière, universelle, souveraine, dans


f
le Pape .

1
Bouix {De principiis juris canonici, p. 5i4)citeet
approuve cette définition des Conférences d'Angers :
a La hiérarchie est une principauté ou magistrature
spirituelle, composée de divers ordres de ministres
subordonnés les uns aux autres, que Jésus-Christ a
institués pour le gouvernement et le service de son
Eglise, et qu'il a revêtus d'une autorité correspon-
dante au rang qu'ils y tiennent, avec promesse des
secours nécessaires pour bien remplir l'office qu'il
leur a coniié, et conduire les fidèles dans les voies
du salut. » — La délinition est exacte, mais elle n'a
pu signaler en détail tous les éléments qui entrent
dans la notion de la hiérarchie.

RÉPONSES THÉULiH.lyL't» 3
CHAPITRE IV

L A NOTION D E L ' E G L I S E E T L A H I E R A R C H I E

Une conclusion déjà se dégage que nous


tenons à faire ressortir encore et à mettre en
plein relief : il résulte de notre exposé que
l'Eglise, telle que Ta voulue Jésus-Christ, avec
un organisme extérieur, ne se conçoit pas sans
la hiérarchie. Si elle n'était que la société in-
visible des saints, comme Pont rêvée tant de
pseudo-réformateurs, elle n'aurait pas besoin
d'une institution permanente de sanctifica-
teurs et de gouvernants : Jésus-Christ, qui
agit si efficacement dans l'intime des âmes,
resterait l'unique prêtre et l'unique directeur.
Mais l'Eglise est un corps à travers lequel
rayonne une àme divine. Trois éléments
constituent cet organisme surnaturel : un
— 35 —

magistère visible et la profession d'une même


foi par tous les fidèles; un ministère visible
et la communion de tous les membres au
même culte: un gouvernement visible et
l'obéissance de tous les sujets aux mêmes pas-
teurs. Ce triple fonctionnement est-il possible
en dehors de la hiérarchie? Evidemment non.
Nous n'examinerons pas si des croyances
religieuses pourraient se conserver indépen-
damment du magistère officiel; on a cité des
chrétientés qui. privées de leurs prêtres et
par la simple voie de la tradition, avaient
gardé pendant bien longtemps la foi chré-
tienne dans son intégrité. Mais il est mani-
feste qu'il faut une autorité extérieure pour
maintenir les âmes dans les pâturages de la
saine doctrine, assurer l'unité visible de
la croyance, réprimer les négations auda-
cieuses, dissiper les doutes, dirimer les
débats: sans quoi « les controverses devien-
draient interminables, comme elles le sont
1
dans le Protestantisme ». Notre-Seigneur a
donc institué un magistère externe, et nous
avons déjà remarqué que l'Eglise enseignante

1
GROTIUS, Via ad pacem Ecclesiœ, tit. V I I .
— 36 —

est aussi l'Église sacerdotale, partant, la hié-


rarchie.
Nous reconnaissons que certains hommes
peuvent appartenir en secret à l'âme de
l'Église, se sauver par leurs actes de foi et de
contrition, recevoir ainsi la grâce sans le mi-
nistère des prêtres. Il reste vrai néanmoins
que, dans le corps visible, la sanctification
s'accomplit par la hiérarchie d'ordre. Sans
elle plus de sacrifice, plus d'Eucharistie, plus
de sacrements. C'en est donc fait de cette
communion sensible et universelle qui est la
manifestation de la charité et dont les rites
sacrés sont les signes et les liens! Elle
échouera fatalement toute tentative d'organi-
ser le culte en dehors du clergé : le peuple ne
s'y trompe pas, il comprend, comme d'ins-
tinct, que le plus grand malheur dont Dieu
pourrait le punir serait de lui retirer ses prê-
tres, car ce serait lui retirer du coup les bien-
faits de son Eucharistie, de sa messe, de son
banquet d'amour, de tous ces sacrements qui
consolent et la vie et la mort...
Quant à la juridiction, il n'est pas moins
manifeste qu'elle est inséparable du corps des
pasteurs. S'il est possible qu'elle soit transi-
- 3 7 -
toirement déléguée à un laïc pour des raisons
particulières et à un degré inférieur, il faut
toujours une dispense du Souverain Pontife ;
même dans ces cas exceptionnels elle descend
de la hiérarchie et elle remonte vers elle.
D'ailleurs, les trois fonctions du magistère,
du ministère, de la juridiction sont contenues
dans un seul pouvoir, qui est le gouverne-
ment spirituel. En effet, gouverner les âmes,
ce n'est pas seulement les conduire d'après
un code, avec tout l'appareil de la puissance
législative, judiciaire, coercitive, c'est encore
les nourrir de la vérité et de la grâce. La
même autorité sera donc chargée de régir, de
sanctifier, d'enseigner, les mêmes hommes
seront à la fois pasteurs, prêtres et docteurs.
Sans doute, l'ordre et la juridiction étant
distincts, les deux hiérarchies le sont égale-
ment; mais aucune d'elles prise séparément
ne peut suffire : elles doivent vivre ensemble,
s'unir, se fondre, pour ainsi dire, en un seul
tout qui sera la hiérarchie complète C'est

1
Des canonistes se sont demandé si la hiérarchie
dans l'Eglise était une ou multiple. Cf. PHILIPS,
Droit ecclésiast., x x x n , xxxvi, LXXVII. — Nous
n'avons pas à entrer dans ces détails. En reconnais-
— 38 —

dans ce sens plénier qu'il faut surtout la con­


sidérer : elle désigne ainsi l'institution défi­
nitive, le pouvoir parfait qui inclut à la fois
l'ordre et la juridiction etqui purifie, illumine,
vivifie, conduit l'Eglise immortelle de Jésus-
Christ.
Il nous reste à tirer de ces principes quel­
ques applications touchant les rapports de la
multitude avec les chefs, soit au sujet de la
nomination des membres de la hiérarchie,
soit au sujet du fonctionnement intérieur de
la société spirituelle.

sant la pluralité, nous n'enseignons pas la sépara­


tion : les deux hiérarchies, faites Tune pour l'autre,
se rejoignent dans la pratique, forment un tout har­
monieux et unique, qui est la hiérarchie tout court.
CHAPITRE V

L E S R A P P O R T S DU P E U P L E AVEC L A H I E R A R C H I E
A U S U J E T D E S ELECTIONS E T DU GOUVERNE-
MENT D E L ' É G L I S E .

Le peuple n'est pas un étranger dans


l'Église, il est de la famille, il prend part à
sa vie intime. Puisqu'il doit rester en perpé-
tuel contact avec ses pasteurs, il lui importe
de les connaître à l'avance, afin de leur
vouer plus d'estime et plus d'affection. Leur
élection l'intéresse au premier chef. On
comprend que l'Eglise ait voulu tenir compte
de l'appréciation populaire, consulter les
fidèles sur le choix des prêtres et des évêques,
ne pas imposer ceux que l'opinion univer-
selle rejetterait comme incapables, nommer
de préférence ceux auxquels la multitude a
- 4 o -
rendu un témoignage plus éclatant. De là
cette coutume, rappelée par saint Cyprien, de
faire les élections devant le peuple, sous les
yeux de tous. Le clergé élit, comme les
Apôtres élurent les diacres, mais le peuple
est consulté et rend témoignage : Sacerdos
plèbe prœsente sub omnium oculis deligatur
et dignus atque idoneus publico judicio ac
testimonio comprobeturK Les évoques de la
province choisissent révoque, mais ils s'in-
forment auprès du peuple, qui connaît
parfaitement la vie de chacun et prévoit
par la conduite passée ce que le candidat
sera dans l'avenir : Episcopi ejusdem provin-
ciœ proximi quique concernant et episcopus
eligatur plèbe prœsente quœ singulorum
vitam plenissime novit et uniuscujusque
l
actum de ejus conversatione perspexit .
Cet usage devint comme une maxime de
sagesse pratique, que saint Léon le Grand
a préconisée dans cette phrase célèbre :
Celui qui doit commander à tous doit être
élu par tous; qui prœjutiirus est omnibus

1
Epist. synod. ad clerum et plebem
S . CYPRIAN.,
Hispaniariun* iv, P. L., III, 1020.
3
IDEM, P. L. t I I I , 1027.
- 4i -
m

ab omnibus L'Eglise veut nous


eligatur . 1

faire souvenir encore de cette règle antique,


et, au moment solennel de l'ordination
sacerdotale, elle s'adresse au peuple et
semble lui demander son avis au sujet des
futurs prêtres*.
L'épiscopat surtout ayant un rôle social et
son action devant se heurter fréquemment
avec le»pouvoir civil, il n'est point étonnant
que l'Etat se soit toujours préoccupé de la
1
nomination des évêques . L'intervention
laïque dans les élections épiscopales ou pa-
pales dégénéra souvent en abus ou en tyran-
nie: mais l'Eglise a compris qu'un accord des
deux pouvoirs avait sa raison d'être; elle a
consenti, soit dans son ancienne législation
soit dans les modernes concordats, à faire à
1
S . L É O . , P . Z , . , L I V , 628.
2
« Sed, ne unum fortasse vel paucos aut decipiat
assensio vel fallat alïectio, sententia est expetenda
multoram... Siquis igiturhabet aliquid contra illos,
pro Deo et propter Deum exeat et dicat : veruinta-
mem memor sit conditionis sua?. » Pontifie., De
Ordinat. Presbj'teri.
3
Cf. VACANDARD, Études de Critique et d'Histoire:
Les élections épiscopales sous les Mérovingiens (Le-
coiFre); Lucius LECTOR, UElection papale > Le Con-
clave (Lethielleux). — Voir aussi, au sujet des élec-
tions papales, Y Ami du Clergê 20 sept. 1906. )
l'Etat une part dans la nomination aux évè-
chés.
Cette consultation populaire, cette présen-
tation du candidat faite par la multitude ou
par l'autorité civile, n'ont jamais été regar-
dées comme la vraie nomination. Celle-ci
venait du sommet de la hiérarchie. Les Apô-
tres instituent eux-mêmes les presbytres et
les évêques. Nous avons entendu saint
Cyprien nous dire que, si le peuple est inter-
rogé, ce sont les évêques qui font l'élection.
Dès que les empiétements de l'Etat deviennent
oppressifs, les conciles se hâtent de protes-
ter. « Toute élection d'un évêque, d'un prêtre
ou d'un diacre, qui est faite parles magistrats
civils, est nulle de plein droit, déclare le
second concile de Nicée... C'est aux évêques
à élire celui qui doit être promu à l'épisco-
1
pat . » Le quatrième concile de Constanti-
nople répète que ni les princes, ni les gou-
verneurs, ni aucun autre personnage laïque
n'ont le droit d'intervenir dans l'élection d'un
patriarche, d'un métropolitain ou de n'im-
porte quel évêque. Analhème à quiconque

1
CONC. NIC<EN. I I I , can. 3; DKNZINGER, 2^6.
-43 -
violera cette loi sainte des élections ecclésias-
1
tiques .
L'Église fut obligée de renouveler et
d'aggraver ces peines à l'époque néfaste des
investitures, et notamment au concile' de
Latran en iia3. A paftir de Clément V, les
nominations sont réservées au Souverai n
Pontife, sans exclure cependant la présenta-
2
tion par le pouvoir civil . On sait comment,
de nos jours, à propos du Nobis nominavit, le
Saint-Siège a dû rappeler le principe théolo-
gique que, si le gouvernement séculier désigne
et présente le candidat, le Pape seul peut le
3
nommer .
Pour nommer, au sens rigoureux du mot,
un membre de la hiérarchie, il faut pouvoir
lui conférer la puissance d'ordre ou la puis-
sance de juridiction, ou du moins pouvoir
juger de ses aptitudes canoniques. Quel
homme d'État soutiendra que l'ordre sacré ou
l'autorité spirituelle puissent jamais dériver
ou dépendre de son consentement? De
même, « qui osera dire que le gouvernement
1
CONC. ŒCUMEN., V I I I , can. 22; DENZIXGER, 278.
2
Cf. Extrav. Ad regimen, eod. tit.
8
Cf. Livre blanc du Saint-Siège, ce. vi et vu.
- 44 -
est compétent pour décider de l'orthodoxie
de la foi, de la doctrine théologique et cano-
nique, du zèle, de l'intégrité, des mœurs et
de la piété telles qu'elles sont requises dans
un évêque ' ? » La hiérarchie seule a qualité
pour instituer ses membres et les faire coopé-
rateurs de Dieu.
Quant au fonctionnement intérieur de
l'Eglise, le peuple n'a qu'un devoir, obéir
avec docilité : Multitudinis officium sit gu-
bernari se pati et rectorum sequi ductiim
obedienter*. La hiérarchie, établie parfaite
par Jésus-Christ, a toute puissance pour
enseigner, sanctifier et régir. Ce pouvoir,
étant de droit divin supérieur à celui des
gouvernements humains, en reste toujours
indépendant : les lois de l'Eglise, les consti-
tutions, les décrets apostoliques, obligent
tous les chrétiens, et les individus et les
sociétés, lors même que l'Etat s'opposerait à
l
leur promulgation . Les anathèmes les plus
graves frappent quiconque essaiera d'usurper
ce domaine du spirituel ou qui troublera
1
Livre blanc du Saint-Siège, c. v u .
- PIE X, Encyclique du n février 190G.
A
PIE IX, Encyclique Quanta cura, 8 déc. 1864.
45
directement ou indirectement l'exercice de
la juridiction ecclésiastique. La malédiction
divine pèsera sur les législateurs, les magis-
trats complices et tous les autres sectaires
1
qui violent les droits de l'Epouse du Christ .
Les Papes condamneront inexorablement
toute loi civile, toute prescription, tout règle-
ment, qui soumettraient à un Conseil d'Etat
ou les questions de doctrine, ou les choses
du culte, ou même seulement les affaires de
discipline et d'administration. Société par-
faite par la volonté de Jésus-Christ, l'Eglise
doit posséder librement tout ce qui est néces-
saire à sa dignité, à sa sécurité même exté-
rieure, tout ce dont elle a besoin pour assu-
rer sou existence temporelle et la célébration
publique du service divin. Elle pourra donc
avoir ses richesses à elle; ses droits sur les
édifices sacrés resteront imprescriptibles.
Excommunié quiconque porte la main sur les
2
propriétés ecclésiastiques . Pie X a tenu à
1
Cf. Constitut. Apostolicœ Sedis, excommunie.
6, 7, 8 de la série spécialement réservée au Souve-
rain Pontife.
2
11 y a ici trois sortes d'excommunications : i°Une
excommunication spécialement réservée au Souve-
rain Pontife contre ceux qui osent usurper ou sé-
- 4 0 -
affirmer nettement ce droit de la hiérarchie
sur les biens ecclésiastiques, particulièrement
1
sur les édifices sacrés .
Indépendance absolue de la hiérarchie à
l'égard des pouvoirs humains pour tout ce qui
est de l'ordre spirituel, obéissance complète
des fidèles aux évèques et à l'évéque des
évoques : voilà l'économie de l'Eglise.
On est trop porté à oublier, même dans
certains milieux catholiques, que la société
spirituelle repose tout entière sur l'épiscopat.
Il faut que les fidèles et les prêtres restent
attachés à leurs évèques comme les cordes à la
lyre, selon la belle expression de saintlgnace
d'An tioche. Dieu ne bénira pas les œuvres
questrer les biens et les revenus qui appartiennent
aux personnes ecclésiastiques à raison de leurs
églises ou de leurs bénéfices. Constit. Apostoîicœ
Se dis, première série, n° 11. — a° Une excommuni-
cation spécialement réservée au Souverain Pontife
contre ceux qui envahissent, usurpent, détiennent
les biens de l'Eglise romaine. Même Constitution,
même série, n° 12. — 3° L'excommunication du con-
cile de Trente contre les violateurs de tous autres
biens ecclésiastiques, de quelque nature que soient
ces biens. Même Constitution, seconde série, n" 19.
1
Encyclique du 10 août 1906. — Voir, au sujet des
biens ecclésiastiques, l'instruction du Saint-Siège du
21 septembre 1907, avec la lettre du cardinal Merry
del Val du 24 septembre 1907.
-47 -
qui seraient tentées en dehors des règles de la
hiérarchie. Voilà pourquoi « la démocratie
chrétienne a l'obligation très étroite de
1
dépendre de l'autorité ecclésiastique ». Une
entreprise qui est soustraite aux influences
de la hiérarchie ne sera pas utile à l'Eglise :
c'est pourquoi « il est préférable qu'une
œuvre ne se fasse pas que de se faire en
2
dehors ou contre la volonté de l'évêque ».
Si la hiérarchie est aimée et écoutée, si les
catholiques marchent au combat sous sa direc-
tion, ils peuvent, en dépit de toutes les
menaces et malgré toutes les puissances de
l'enfer, compter encore sur des victoires... Ils
réaliseront, en tout cas, la fin suprême qu'à
voulue Jésus-Christ en instituant la hiérar-
chie, c'est-à-dire consammatlo sanctorum,
deiformitas; la sanctification de leurs âmes,
la ressemblance avec Dieu, dont ils revêti-
ront même dès ici-bas la forme et la perfec-
l
'ion .
1
PIE X, Motu proprio du 18 décembre 1903.
* Lettre du Cardinal secrétaire d'Etat, 28 juill. 1904*
3
Au sujet de la hiérarchie on peut consulter le
livre du P . SEMEKÏA, barnabite, Dogme, hiérarchie
et culte dans VEglise primitive, traduit de l'italien
par l'abbé RICHERMOZ. (Librairie Lethielleux.)
It'AJÏAItYSE DE It'ACTE DE fOI

IlCl'ltN-fc.*. IHÉOLOUiJl E *
4
L'Analyse de l'flete de Foi

La foi est une vertu surnaturelle de connais­


sance, greffée sur notre puissance naturelle
de connaître, sur notre faculté du vrai, sur
notre capacité d'atteindre Dieu : elle nous
fait donner une adhésion inébranlable à des
objets que nous ne voyons pas, mais que nous
croyons vrais, à cause de l'autorité de Dieu
révélateur qui ne peut ni se tromper ni nous
tromper.
1
L'acte de foi est d'abord un acte humain
procédant des deux facultés maîtresses qui
font l'excellence de l'homme, l'intelligence et
1
Sur les rapports de l'acte de foi avec la théorie
générale des actes humains voir, le T. R. P. GAR-
DEIL, La Crédibilité, c. i, Paris, Lecoilre.
— S a -
la volonté, et, donc, acte raisonnable et acte
libre. Il est ensuite surnaturel ; il requiert
l'illumination et l'inspiration du Saint-Esprit.
C'est la part de ces trois facteurs, intelligence,
volonté, grâce, que notre analyse essaiera de
démêler et de faire ressortir. Ce sera notre
manière de réfuter les erreurs modernistes
au sujet de la foi
1
Ces erreurs sont exposées dans l'encyclique du
8 septembre 1907. Edit. des Queutions actuelles,
p. 10 et ss.
CHAPITRE PREMIER

LES D I V E R S E S É T A P E S QUI MENENT


A L'ACTE D E FOI

Bien que l'acte de foi porte sur l'invisible,


il est essentiellement raisonnable. Pour que
ma foi soit prudente, j e dois être certain que
je fais bien de donner mon assentiment; pour
qu'elle soit obligatoire, il doit être évident
pour moi que je suis dans la vérité en croyant
et que je serais dans l'erreur en refusant de
croire.
Nous pouvons résumer ainsi le procédé
intellectuel de l'acte de foi : Bien que j e ne
voie pas ce que je crois, j e crois seulement
après avoir vu qu'il faut croire. J e vois qu'il
faut croire, parce que je constate avec évi-
- 54 -

dence que Dieu a parlé. J e sais que Dieu a


parlé pour telles et telles raisons.
J e me fie donc à Dieu en croyant, et ce qui
emporte définitivement mon adhésion, c'est
l'autorité de ce Dieu révélateur. Mais l'auto-
rité dans toutes les questions c}e témoignage
suppose deux conditions : que le témoin ne
se trompe pas — et donc connaissance com-
pétente — et qu'il ne trompe pas — et donc
véracité. Ainsi le motif de ma foi, c'est la
sagesse infinie qui se connaît et qui connaît
tout, et son amour infini de la vérité qui
l'incline à dire toujours vrai. Ce que j e con-
sidère immédiatement, c'est la véracité
divine, en tant qu'elle inclut la science infail-
lible. Les Thomistes, à la suite du Maître,
avaient bien dit : Le motif de la foi, c'est la
Vérité première qui ne trompe jamais, pri-
ma Veritas in dicendo. avec la Vérité
première qui ne se trompe jamais, prima
Veritas in cognoscendo *. Le Concile du Vati-
can a confirmé cet enseignement : Nous
croyons à cause de l'autorité de Dieu révéla-
teur, qui ne peut ni se tromper ni nous trom-
1 ae
Cf. S. THOMAS, II* ll , q. i, et ses commenta-
teurs.
per : Propter auctoritatem Dei revelantis,
l
qui nec falli nec fallere potest .
Mais la vérité en elle-même ne nous ébranle
pas ; il faut qu'elle vienne à nous, qu'elle nous
soit annoncée et proposée : Objectum fidei
non est Veritas prima secundum quod est in
re existens, sed secundum quod est nobis
divinitus annuntiataNous devons donc
faire entrer comme motif partiel dans l'ana-
lyse de la foi le fait de la révélation. J e ne
crois que la vérité divine qui m'a été annon-
cée et révélée. La foi est subjective, la révé-
lation en est le motif et l'objet*. Le Concile
du Vatican, en signalant l'autorité de Dieu
révélateur, laisse à entendre que cette révéla-
tion est un motif partiel de la foi. C'est ainsi
d'ailleurs que le comprend la piété catho-
que lorsqu'elle énonce en ces termes l'acte de
foi : Mon Dieu, je crois parce que vous F avez
dit et révélé.

1
Cap. 3, de Fide.
2
S. THOMAS, I I I , Dis t., q. i, a. 2 , ad i.
3
Nous n'avons pas à expliquer ici comment se lait
Ja révélation ni comment elle se distingue de la toi.
Voir à ce propos le remarquable article du T. R. P.
GARDEIL, Revue Thomiste, mars-avril 1904, et notre
étude suivante : Foi et révélation.
— 56 —

Comment savons-nous que Dieu a révélé,


qu'il a la science et la véracité? La raison,
d'une part, nous le prouve; il est évident que
l'Être infini sait tout, et l'histoire établit qu'il
a parlé à l'humanité. D'autre pari Dieu lui-
même nous l'atteste : J e suis l'infaillible, et
j'ai autorité pour vous parler. Sans doute, si
Dieu proclame son autorité, je dois la recon-
naître, mais est-ce là le termedéfinitif de mon
analyse? Faudra-t-il dire : J e crois l'objet
révélé à cause de l'autorité de Dieu, et j'ad-
mets l'autorité de Dieu parce que lui-même
me la révèle et me l'affirme? Certains théolo-
1 2
giens, comme Suarez , Mazella , semblent se
contenter de cette réponse. Les Thomistes
sont plus exigeants : la foi, qui est un acte
essentiellement raisonnable, est avide de
clarté, et doit s'appuyer sur des prélimi-
naires rationnels: il faut que le dernier mot
de son analyse soit la lumière. J'admets l'au-
torité de Dieu parce que l'évidence me la
démontre. Nousne voulons pas tourner dans
un cercle vicieux, croire à la révélation à
cause de l'autorité divine, et à l'autorité
1
Cf. SUAHEZ, disp. ii, sect. IV.
2
De virtutibus injusis, de Fide.
- 5 7 -

divine à cause de la révélation. Nous recou-


rons à d'autresprincipes, nousremontonsplus
haut, et notre enquête se résume en ceci : La
raison me montre péremptoirement que Dieu
a autorité pour parler et qu'il a parlé. —
Oubliez-vous donc, va-t-on nous objecter,
que la foi est toute surnaturelle? —N'em-
pêche qu'elle requiert des conditions et des
fondements de Tordre naturel. De même que
la nature est nécessaire comme préliminaire
et support de la grâce, de même faut-il que
l'évidence précède comme préambule et sou-
tien de la croyance. Ceci n'est point du ratio-
nalisme; le surnaturel ne s'implante pas
naturellement, mais il est bien clair que
la nature s'impose comme soutien du sur-
naturel. Mon esprit ne s'arrêtera dans la
sérénité qu'après s'être dit : Il est naturel-
lement évident que Dieu a autorité pour
parler.
Je sais que Dieu a parlé pour telles et telles
raisons. Ces motifs de croire sont nombreux
et complexes : voies extraordinaires de
l'Esprit-Saint, preuves objectives ou preuves
subjectives, raisons de cœur ou raisons d'in-
telligence. Nous avons signalé les principales
— 58 —

dans La Lumière et la Foi Cette étude peut


être bien longue; elle est parfois tout un
drame qui suppose de douloureux combats*
Ce n'est pas d'un seul coup que la place est
conquise, mais par étapes successives que
s'accomplit ce grand travail; d'abord, une
adhésion plus ou moins flottante : Je vois que
c'est croyable; puis, un assentiment catégo-
rique et bien convaincu, mais purement spé-
culatif : Je vois qu'il faut croire ; ensuite, un
jugement catégorique et décisif: En fait et
tout considéré, je dois croire, accompagné du
commandement intérieur : Crois donc! Puis,
l'assentiment final, qui est la foi proprement
dite : J e crois.

* *

Le premier assentiment est arraché à beau-


coup d'esprits. Quiconque voudra réfléchir
sur la vie, le témoignage, les miracles de
Jésus-Christ, la manière dont l'Eglise s'est pro-
pagée et se conserve toujours vivante malgré
les persécutions, l'héroïsme des martyrs, la

1
Chez Lethielleux, Paris.
09 —

sainteté du catholicisme, etc., arrivera facile-


ment à s'avouer : Les causes humaines ne
peuvent expliquer ces effets, le résultat est
trop au-dessus des moyens; le doigt de Dieu
doit être là. Le christianisme se présente à
nous avec des titres sérieux de créance ; cette
religion est très croyable.
On rencontre de ces penseurs libéraux.
L'Eglise leur est sympathique : ce sont déjà
des auxiliaires, presque des amis. Volontiers,
dans leurs écrits et leurs discours, ils célé-
breront le rôle bienfaisant, la nécessité même
du catholicisme; ils approuvent les croyants,
semblent envier quelque peu le don de la
foi \ et ils en restent là ; leur esprit ne par-
vient pas à se fixer, parce qu'ils ne veulent
pas se donner la peine d'étudier à fond le
problème, et ils renvoient à plus tard une
solution dont dépend pourtant leur éternelle
destinée.
Ils arrivent à formuler le jugement spécula-
tif : La religion est croyable, nous voyons
1
« Je voudrais avoir les vertus et la foi de nia
mère. Raisonner c'est douter, et douter c'est souf-
frir. La foi est une espèce de miracle. Lorsqu'elle est
vraie, qu'elle donne de bonheur! s> SANTA ROSA,
Lettre à Cousin.
— 6o —

qu'il serait raisonnable de croire, sans se


préoccuper de la conclusion pratique : il faut
croire. Ils se sont fait une opinion, ils ne pos-
sèdent pas encore la conviction: il leur reste
à humilier l'orgueil de leur esprit, à réformer
leur cœur, à prier et à chercher encore.
Voici un groupe plus avancé. Une étude
approfondie a mis devant leurs yeux les
nombreuses raisons de croire; ces motifs
accumulés apparaissent pressants, irrésis-
tibles, et produisent un effet d'ensemble
auquel il est difficile d'échapper. Les objec-
tions, il est vrai, ne cessent pas de harceler
l'esprit, mais on voit bien qu'il faut les mépri-
ser; des do a tes peuvent encore surgir, mais
on se rend compte qu'ils ne sont pas fondés,
qu'il serait imprudent et téméraire de les
admettre. Il semble donc que tout est dit et
que tout est fait, que la place est prise, que
l'homme vase donner. Hélas! on n'est encore
que dans l'ordre théorique. L'esprit, poussé
jusque dans le dernier refuge où il s'était
retranché, n'a plus de réplique; on avoue
qu'il ne reste plus d'objection vraiment
sérieuse, on voit qu'il faudrait croire; on ne
dit pas : Je dois croire, j e croirai. Pourquoi
6i —

cet arrêt? Qu'est-ce donc qui empêche le


jugement pratique et le commandement effi-
cace? Ce n'est plus la raison, mais la volonté;
ce n'est pas un défaut de lumière, mais un
défaut d'énergie et de générosité; ce ne sont
plus les motifs de la connaissance, mais les
habitudes et les conditions de la vie. Si j e
crois, j e dois changer mon existence, renoncer
aux honneurs que m'assure la libre-pensée ou
aux avantages de ma position sociale, réfor-
mer toute ma conduite, rompre tout pacte avec
mes passions. Tout cela m'épouvante, c'est
au-dessus de mes forces : j e ne croirai pas.
Il nous est arrivé plus d'une fois, après une
discussion prolongée sur la nécessité de croire,
d'entendre cette réponse : J e n'ai rien à répli-
quer, vous avez raison, et je reconnais que mes
hésitations ne sont pas excusables; mais que
voulez-vous? J'ai une idole que je n'ose pas
briser ; j e vois qu'il faudrait croire, et je ne
suis pas assez fort pour me dire : il faut croire.
L'idole, plutôt que le manque d'évidence,
n'est-ce pas l'explication la plus commune?
Oh! sans doute, ce n'est pas toujours une
idole de chair; il se peut que des mœurs
pures ne soient pas uniquement le partage
62 —

des croyants. Mais il est tant d'autres idoles


que la pauvre humanité se fabrique si vite et
adore avec tant d'opiniâtreté. L'idole, quand
ce n'est pas la concupiscence de la chair,
c'est la concupiscence des yeux ou l'orgueil
de la vie: c'est le désir des honneurs ou celui
d'une position lucrative, l'ambition, l'entête-
ment, l'amour-propre, l'égoïsme, la crainte
d'une raillerie, l'appréhension de passer pour
un esprit faible, l'horreur qu'on éprouve à
incliner la raison superbe sous le joug d'une
autorité.
C'est bien dans le cas présent que se vérifie
la parole d'Ovide :
... Video meliora.proboque,
Détériora sequor...

Je vois le devoir, j e ne le fais pas; je vois


que je suis tenu de croire, et j e ne sais pas me
dire : C'est fait ! je croirai. J'ai beau chercher
à m'illusionner, ce n'est pas ma raison qui
me retient; j e suis assez éclairé, j e ne suis pas
assez généreux, j e ne suis pas assez fort. »
« C'est le cœur, a dit Vauvenargues, c'est le
cœur qui doute dans la plupart des gens du
monde; quand le cœur se convertit, tout est
— 03 —

fait, il les entraine. » Un illustre converti, qui


désormais réjouit l'Eglise de Dieu, François
Coppée, a dit de même : « C'est par le cœur
que Dieu m'a reconquis, » S'il y a des ténè-
bres dans l'intelligence, elles y viennent du
cœur ; de là cette parole très profonde de
Byron, qui nous dépeint «un exilé volontaire
fuyant les ténèbres de son propre cœur ». 1

Nous savons qu'il faut des trésors d'indul-


gence pour ces pauvres égarés qui retusent de
croire, mais ce n'est pas les calomnier que
de signaler l'obstacle : ce qui les retient défi-
nitivement, ce n'est pas le conflit de la raison
avec la foi, c'est le cœur.
Pour se convaincre que ce n'est pas un
défaut de lumière, il suffit de considérer les
diverses catégories d'incroyants. Il y a les
ennemis de profession, les acharnés, qui com-
battent la religion par toutes les armes et tous
les moyens. On peut les ranger en deux
classes. D'abord, ceux qui ont vu la vérité et
qui en restent convaincus, mais qui l'ont tra-
hie, qui l'attaquent par intérêt, par ambition,
par rancune, par esprit de vengeance et de

1
ChiltT Rarold, c. m, st. 'i.
- 6 4 -
haine : ceux-là ont eu la lumière et ils luttent
1
ouvertement contre elle . Puis, les vrais incré-
dules, qui n'ont jamais essayé une étude loyale
des dogmes : ils n'ont pas l'évidence, ils sont
réellement dans les ténèbres, mais parce
qu'ils ne veulent pas chercher la lumière et
qu'ils se complaisent puissamment dans la
nuit : Dilexerunt tenebras magis quant lu-
â
cem .
Il y aies indifférents, qui reposent molle-
ment sur l'oreiller du doute : ces question ne
les intéressent point, ils ne se les posent
même pas, absorbés qu'ils sont par les
affaires et les plaisirs. Ils restent dans les ténè-
bres, non pas qu'ils détestent la lumière, mais
parce qu'ils ne s'en soucient point.
Ensuite» les sympathiques dontnous avons
parlé, qui ont fait des efforts, essayé des
recherches, qui sont déjà impressionnés par
l'ensemble imposant des motifs de crédibilité,
mais non encore convaincus et subjugués. Ils
1
C'est à ces esprits qu'on peut prêter sans calom-
nie la parole prononcée, dit-on, par Benjamin Cons-
tant : « J'avais réuni pour prouver ma thèse plus de
quatre mille faits : quand j'ai changé d'avis, ils ont
tous fait volte-face à mon commandement. »
A
J O A N . , I I I , 19.
avouent : C'est croyable; ils ne confessent
pas : C'est certain, nous voyons qu'il faut
croire.
Un examen plus approfondi leur parait
superflu, d'autres études les captivent, les
distractions mondaines en traînent ailleurs leur
activité, et ils continuent à flotter à tout vent
de doctrine. S'il y avait encore un chemin de
Damas, ils iraient, disent-ils, se promener sur
ce chemin. En attendant, ils se jugent dispen-
sés d'aller plus loin, et ils prétendent avoir
fait beaucoup parce qu'ils se sont montrés
sympathiques au christianisme. Il ne tient
qu'à eux d'être entièrement éclairés, et, s'ils
n'arrivent pas au plein jour, c'est pour n'avoir
pas assez ardemment désiré et cherché la
lumière. Dieu ne la refuse pas à qui la
demande.
Devant eux marche le groupe que nous
avons déjà étudié. Ils ont considéré les
diverses faces du problème, ils connaissent la
solution, la lumière est faite ; ils voient qu'il
faut croire. Ce qui les arrête, c'est l'idole ; ce
qui leur manque, c'est la force. Ceux-là,
comme d'ailleurs tous ceux qui doutent, sont
des tourmentés, car c'est une vraie torture
— 66 —

que de rester sans lumière ou de résister à la


1
lumière . On a beau essayer de fermer les
yeux, on n'arrive pas à se tranquilliser et à
se dire : J'ai raison de ne pas croire.
Enfin, les généreux. L'esprit est éclairé ;
une volonté énergique, aidée par la grâce,
ébranle efficacement l'intelligence, et lui fait
prononcer le dernier jugement pratique : Il
faut croire, hic et nunc est credendum. L'en-
tendement écoute le commandement suprême
qui lui est intimé : Crois donc ! et aussitôt,
infailliblement, se produit l'acte définitif : Je
crois. « Mon ami, disait Frédéric Bastiat peu
de temps avant sa mort, j'ai pris la chose par
le bon bout, par l'humilité. J'ai remarqué,
après tout, que la meilleure portion des
hommes se trouve parmi les croyants : j'ai
fait comme eux. » Puis, mourant, les yeux
dessillés par la grâce et la Vérité même
incarnée, il expira en s'écriant : « La vérité !
s
oh ! je vois enfin la vérité ! »
L'assentiment vague et flottant : J e vois

1
« Le doute et l'incertitude sont le plus grand
tourment de l'esprit humain, le vrai poison de la
vie. » MAINE DE BIRAN, Pensées, p. 333.
2
AUGUSTE NICOLAS, L'Art de croire, t. H, p. 9.
_ 6 7 _

que c'est croyable ; l'acte même très précis :


J e vois théoriquement qu'il faut croire, peu-
vent rester et restent souvent sans conclu-
sion : mais le jugement pratique : J e dois
croire, hic et nunc est credendam, est toujours
efficace. C'est là une vérité de psychologie,
qui, pour être quelque peu subtile, ne laisse
pas d'être manifeste. Le jugement définitif ne
se produit que sous l'influence et l'application
de la volonté : puisque celle-ci s'est déjà
déterminée en imposant l'assentiment pra-
tique, il est clair qu'elle est désormais con-
quise et que l'acte sera infailliblement exé-
cuté. Il faut croire, crois donc, je crois : voilà
trois actes qui s'enchaînent sans pouvoir se
séparer et qui constituent l'heureux dénoue-
ment du drame intérieur.
La psychologie de ces actes est fort inté-
ressante. Jugement pratique et comman-
dement sont tous les deux des produits de
l'intelligence sous l'impulsion de la volonté.
C'est la raison qui conclut : En fait il faut
croire: c'est elle qui compare, qui dispose,
qui ordonne, qui parle, qui intime l'arrêt :
Crois donc ! Mais, pour passer à l'exécution, il
faut, dans les deux cas, l'ébranlement de la
— 68 —

faculté maîtresse qui gouverne et qui appli-


que, la volonté.
Le jugement pratique exprime ce qui est
convenable, ce qui est à faire, et il se traduit
par la forme indicative : Credendum est, j e
dois croire ; le commandement signifie une
intimation et il la prononce par le mode im-
pératif : Crede, crois donc ! La vérité ou la
fausseté accompagne le jugement pratique. A
la conclusion : Il faut faire ceci, on peut eu
opposer une autre : Il ne faut pas le faire, et
ces assertions sont nécessairement vraies ou
fausses. A Tordre : Fais ceci ! on peut répon-
dre : J e veux ou je ne veux pas, mais il n'est
pas question ici de vérité ou d'erreur.
Le commandement est plus efficace que le
jugement pratique : celui-ci indique bien que
l'intention et l'affection du sujet se sont déjà
déterminées à poser un acte, mais c'est le
commandement qui fait passer cette inten-
tion à l'exécution.
On peut distinguer deux sortes de com-
1
mandements : l'un impose le choix définitif:
Prends ce parti ! hoc elige, et celui-ci précède

am
1
Cf. MEDINA, Comm. in l II", q. 17, a. 3.
- 6 9 -

et cause l'élection ; c'est en vertu de cet


ordre énergique que je me décide à croire.
L'autre prescrit d'appliquer les facultés à
l'œuvre, il est une conséquence de l'élection;
puisque j'ai pris ce parti, il faut que mon
intelligence s exécute. Ce dernier commande-
ment posé, l'intelligence est appliquée effica-
cement et aussitôt se produit librement, mais
infailliblement, l'acte définitif : J e crois.
CHAPITRE II

L A C R É D I B I L I T É , L A CRËDEND1TÉ, L ' A C T E D E F O I

On saisit maintenant la différence entre la


crédibilité : J e vois que c'est croyable, je vois
théoriquement qu'il faut croire ; la créden-
1
dite : Tout considéré, tout pesé, hic et nunc,
il faut croire, crois donc ! et la croyance ou
créance, qui est l'acte de foi proprement dit :
Je crois.
La crédibilité ne désigne pas que le juge-
ment probable : Je vois que c'est croyable ;
elle embrasse, en outre, le jugement certain,
mais purement spéculatif : J e vois théori-

1
Nous employons ce mot (crédendité de creden-
dum, comme crédibilité de credibilé), parce qu'il
commence à devenir usuel et qu'il exprime très
exactement la réalité théologique.
quement qu'il faut croire. La crédendité
implique le jugement certain, définitif et
pratique : Tout pesé, il fautcroire, hic et nunc
est credendum, et le commandement efficace :
Crois donc !
Le jugement de crédibilité est d'ordre
naturel, peut être le résultat d'un raisonne-
ment, syllogisme ou induction, et être imposé
par l'évidence. La grâce peut bien aider
l'intelligence à le produire, et nous admet-
tons que, en fait, le secours divin ne man-
quera pas, bien qu'il ne soit pas absolument
nécessaire; mais ce précieux appoint n'est
pas un élément nouveau de certitude, les
motifs ont l'évidence par eux-mêmes, et il est
naturellement évident qu'il faut croire. Tout
le monde n'arrive pas à cette évidence, car
celle-ci ne nécessite pas l'esprit à la manière
d'une vérité de géométrie : mais, bien qu'elle
soit de l'ordre moral, elle a de quoi ravir un
assentiment infaillible. De là ces assertions
des théologiens, Gonet, Billuart, etc. : Mjs-
teria fidei sunt E V I D E N T E R credibilia. Nous
avons expliqué tout cela dans un autre tra-
vail. La foi, qui est immuable, ne peut
reposer sur une base mouvante ; elle ne sera
ni vraiment prudente ni vraiment certaine si
les raisons de croire ne sont que de très fortes
probabilités. Voilà pourquoi le concile du
1
Vatican appelle ces motifs des signes très
certains de la révélation, dwinœ revelationis
2
signa GERTISSJMA, et Léon X I I I , des argu-
ments certains d'une vérité certaine, tanquam
C E R T I S CERT-Œ veritatis argumentis. Le décret
du Saint-Office, 3 juillet 1907, condamne celte
proposition : « L'assentiment de foi se fonde
en définitive sur une accumulation de pro-
3
babilités . » Gomme cette certitude est anté-
rieure à la foi, elle ne peut venir que de
l'évidence.
L'assentiment de crédendité est un acte
libre, imposé par la volonté qui se détermine
elle-même, qui applique l'intelligence, qui
fait dire : Il faut croire, crois donc ! Nous
avons montré, en effet, que ce qui retient tant
d'hommes sur les hauteurs spéculatives de la
simple crédibilité, c'est la volonté, le cœur;
ce qui les fait descendre à la conclusion pra-
tique, c'est une volonté généreuse. Gomme
1
Const. Dei Filius, cap. 3.
2
Const. Mterni Patris.
3
Propos. a5.
-73

le jugement de crédendité entraîne infailli-


blement l'adhésion de la foi : J e crois, nous
estimons qu'il est de Tordre surnaturel
comme la foi et qu'il requiert une double
grâce : illumination pour éclairer l'intelli-
gence, inspiration pour ébranler la volonté.
Le concile d'Orange a défini que le désir de
croire, ipsumque credulitatis affectum, est
l'oeuvre de TEsprit-Saint, qui corrige la
volonté de l'infidélité à la fidélité, de l'im-
piété à la piété Or ce désir et cette volonté
ne sont-ils pas inclus dans le jugement de
crédendité? C'est d'ailleurs la doctrine à peu
près commune des théologiens que la pieuse
affection pour la foi et le jugement qui Tac-
compagne sont surnaturels et requièrent une
2
grâce . Cette affection salutaire nous semble

1
« Si quis, sicut augmentum, ita etiam initium
fldei, ipsumque credulitatis affectum, quo in eu ni
credimus qui justiiicat impium et ad regeneratio-
nem sacri baptismatis pervenimus, non per gratia?
donum, id est, per inspirationem Spiritus Sancti
corrigentem voluntatem nostrani ab inlîdelitate ad
fidelitatem, ab impietate ad pietatem, sed naturali-
ter nobis inesse dicit, apostolicis dogmatibus adver-
sarius comprobatur. » CONC. A R A U S I C , 11, can. 5.
8
Cf. JOAN. A S. THOMA, Cursus theologicus, édit.
Vives, tom. V I , p. 562-763.
- -A-
inséparable du jugement de crédendité. C'est
déjà aimer la foi, c'est avoir le commence-
ment du salut que de se commander prati-
quement : C'est fait, je suis décidé, il faut
croire, hic et nunc est credendum ; crois
donc! La nature est incapable de donner cet
élan et ces bonnes dispositions ; le Saint-
Esprit est donc miséricordieusement venu à
notre aide.
Quant à la foi ou créance, il est absolu-
ment certain que cet acte est libre et surna-
turel. L'objet révélé restant toujours obscur,
rien ne peut ravir l'assentiment de l'esprit, si
la volonté ne vient pas faire intimer ses
ordres et imposer une adhésion inébranlable.
D'autre part, cet acte, qui est la base et l'ori-
gine du salut, est intrinsèquement surnaturel,
et il doit être le fruit de la grâce : c'est ici
surtout qu'interviennent l'illumination et
l'inspiration dont nous avons parlé.
x
Le concile du Vatican à la suite du second
s

2 3
concile d'Orange et du concile de Trente ,
a défini ces deux points : et que l'assenti-

* De Fide, can. 5.
2
Can. 6.
3
Sess. VI, can. 3 .
ment de la foi est libre, et que la grâce
est nécessaire pour tout acte de foi, même
quand la foi n'est pas accompagnée de la
charité.
Saint Thomas n'a pas ignoré la différence
qui sépare les actes de crédibilité des actes de
crédendité. « Celui qui croit a des motifs
suffisants pour croire : il y est engagé par
l'autorité divine confirmée par les miracles. »
Voilà bien la crédibilité. L'on est convaincu
spéculativementque, non seulement les mys-
tères sont croyables, mais qu'on doit les
croire, qu'en agissant ainsi on fera acte de
prudence : non leviter crédit. « A ces
lumières de la révélation externe s'ajoutent
les secours de la grâce intérieure, l'invitation
de Dieu. » Mais tout cela, pour saint Thomas,
n'est pas encore capable d'arracher l'assenti-
ment : non habet sufflciens induetimm.
Même quand l'intelligence, aidée surnaturel-
lement par Dieu, voit qu'il faut croire, même
après qu'on a reconnu l'invitation divine, le
dernier mot n'est pas dit. On est toujours
dans la théorie. Saint Thomas insinue qu'il
faut encore d'autres actes, qui dépendent
d'une volonté libre et généreuse et dans les-
quels se trouve le mérite Ces actes consti-
tuent la crédendité. Ce sont et le jugement
pratique : En tait et tout pesé, il faut croire,
et le commandement efficace : Crois donc!
lequel est suivi infailliblement de l'acte de foi
lui-même.

Il est utile d'insister sur ce point de l'ensei-


gnement catholique. La foi, même en l'ab-
sence de la grâce sanctifiante, suppose une
intelligence convaincue, attachée immuable-
ment à la révélation. Qu'est-ce donc qui a pu
la river ainsi au vrai? Ce n'est point la force
de l'objet, mais un commandement intrépide
delà volonté. D'une part cette intervention
est nécessaire, parce que des doutes inconsi-
dérés peuvent surgir, soit à cause des objec-
tions critiques, morales, etc., soit à cause des
1
« Ille qui crédit habet sufliciens inductivum ad
credendura : inducitur enim auctoritate divinse doc-
trinal miraculis confirmatœ, et, quod plus est, inte-
riori instinctuDei invitantis; unde non leviter crédit.
Tamen non habet sufticiens inductivum ad sciendum
(al. credendum); et ideo non tollitur ratio merili. »
II* II", q. 2, a. 9. ad 3. — V. aussi Quod Itb. 2, a. 6,
et le commentaire du P. G A R D E I L , La Crédibilité,
ch. 11, § 2.
— 1 1 —

difficultés in trinsèques du mystère. Pour


e r
admettre l'existence de Napoléon I ou l'exis-
tence de Rome par ouï-dire, pas n'est besoin
d'une impulsion spéciale de la volonté, parce
qu'ici les effets sont trop manifestes et douter
serait nier implicitement le principe de cau-
salité; ce sont là des inductions historiques
ou des raisonnements évidents fondés sur le
témoignage. Mais les vérités de la foi n'ex-
cluent pas la possibilité du doute imprudent,
et la volonté doit obliger l'intelligence à cons-
tater que ces appréhensions sont vaines et à
donner son adhésion. D'autre part, cette
intervention est légitime et peut commander
un assentiment ferme et inébranlable, parce
qu'il est prouvé que les doutes ne sont pas
fondés. Or, pour que la volonté impose cet
acte dont les conséquences si graves l'inté-
ressent elle-même au premier chef, il faut
qu'elle soit bien disposée, qu'elle soit déjà
corrigée, selon l'expression du concile
d'Orange, qu'elle sente des attraits pour la
vérité divine. Ce n'est pas dans une nature
viciée, inclinée vers le mal, détournée de
Dieu, qu'elle puisera ces énergies : c'est d'en
haut uniquement qu'elle doit attendre cette
- 7 8 -

impulsion. Mais il est dans Tordre d'une


Providence toute suave que la volonté soit
ébranlée après seulement que Tesprit a été
éclairé; l'affection suit la connaissance, et
Dieu se fait une loi d'agir sur l'entendement
chaque fois qu'il veut toucher le cœur; c'est
après avoir illuminé l'intelligence qu'il ins-
pire la volonté. De là cette expression, créée
par le second concile d'Orange et désormais
immortelle, qu'il est impossible d'arriver à
la foi sans Y illumination et Vinspiration du
1
Saint-Esprit .
De plus, Tac te de foi, même quand il n'est
pas vivifié par la charité, tend vers la fin der-
nière ; il a Dieu pour objet, et, s'il n'est pas
encore le salut, il en est le germe, la prépara-
tion, le commencement. Or, le principe du
surnaturel doit être surnaturel; l'origine du
salut, comme le progrès dans cette voie sainte,
est l'œuvre de la grâce : Sicut augmentum,
1
ita etiam initium ftdeL..,per gratiœdonum .
1
« Si quis... evangelicœ prœdicationi consentîre
posse confirmât absque illuminaiione et inspiratione
Spiritus Sancti, qui dat omnibus suavitatem in
consentiendo et credendo veritati, haeretico fallitur
spiritu. » Canon 7.
2
CONC. ARAUSICANUM, H , can. 5.
— 7!) —

On le voit, les définitions de l'Eglise contre


les Semi-Pélagiens regardent l'acte surnaturel
de la foi; mais on peut les appliquer par
extension au jugement de crédendité. La vo-
lonté est intéressée aussi dans cet acte, qui
est définitif et qui entraine tant de consé-
quences de Tordre pratique. Si elle est assez
forte pour imposer cette adhésion, elle est
déjà corrigée : donc elle a senti la touche de
TEsprit-Saint, elle a été inspirée. Et, puisque
c'est une loi que l'intelligence soit éclairée
avant que la volonté soit ébranlée, nous
devons admettre ici une illumination surna-
turelle.
Enfin, par l'acte de crédendité l'homme est
déjà orienté vers sa destinée suprême, il
éprouve des attraits pour la Vérité première,
il commence à goûter Dieu. N'est-ce pas déjà
l'origine du surnaturel, le germe du salut, cet
initium fidei qui requiert le don de la
grâce?
Tels sont ces assentiments qu'il importe
de bien distinguer : crédibilité, crédendité,
créance ou acte de foi: la crédibilité est
d'ordre naturel, la crédendité nous semble
surnaturelle, la créance, ou acte de foi, est
— 8o —

certainement de Tordre surnaturel. Ces expli-


cations auront fait comprendre aussi, nous
l'espérons, comment la foi est affaire de
volonté, de raison, de lumière. On peut dire
en un certain sens que nous croyons par le
cœur, puisque Thomme ne se rend que si la
partie affective est déjà conquise; et par la
volonté, car c'est celle-ci qui impose les actes
de crédendité : Il faut croire; crois donc!
et l'adhésion définitive de l'intelligence : J e
crois: et par la grâce, car Taffection pieuse,
l'illumination et l'inspiration nécessaires pour
emporter l'assentiment surnaturel sont l'œu-
vre du Saint-Esprit. Mais c'est l'intelligence
qui croit. L'objet de la croyance étant le vrai,
la foi appartient nécessairement à la faculté
qui a pour domaine le vrai. La volonté, même
aidée par le secours divin, ne saurait rempla-
cer les raisons de croire ni créer toute seule
la lumière que lui demande l'esprit; elle peut
bien obliger Tenlendement à chasser les
doutes, mais à la condition que l'entendement
ait déjà vu que ces doutes ne sont pas fondés.
J e ne crois que si j e le veux, mais aussi j e ne
crois qu'après avoir vu bien clairement que j e
dois croire.
8i —

Personne, par contre, ne peut répliquer :


Si j e ne crois pas, c'est que ma raison me
démontre avec évidence que je dois ne pas
croire. Vous pouvez, il est vrai, conclure : En
fait, je juge bon de ne pas croire, comme le
pécheur avoue en pratique : Tout considéré,
je me décide à mettre ma lin dernière dans
les créatures; mais, pas plus que le pécheur
ne peut se convaincre et se dire : J e vois et je
suis certain que je fais bien en me séparant de
Dieu, vous ne vous persuaderez pas : Il est
évident et j e suis certain que j e fais bien en
refusant de croire à l'Evangile. Si vous dou-
tez, c'est que vous n'avez pas assez cherché
ou que vous avez peur devoir. L'énergie vous
manque, non les motifs de croire ; l'idole vous
arrête, non le conflit réel de votre raison avec
la révélation. Ce n'est jamais la lumière qui
vous fera dire : J e dois refuser de croire.
Il reste établi que le croyant est celui qui
a vu. Oh! sans doute, je ne vois pas ce que
je crois, mais j e serais bien mal venu à former
un tel désir. Lorsqu'un témoin m'apporte une
nouvelle, je ne me demande pas si j'ai vu ce
qu'il m'apprend, mais s'il est véridique et bien
renseigné: de même je n'ai pas à chercher si
K&PO>4E« THÉOI.OulUUES 0
— 8a —

je vois le mystère de la Trinité, mais seule-


ment si j e vois que Dieu Ta révélé, et qu'en
le révélant il n'a pu ni se tromper ni me
tromper. J'ai constaté tout cela, j'ai l'évidence
sur ce point, et alorsje puis affirmer bien haut
que le premier et le dernier mot de ma foi
c'est la lumière.
Si la lumière nous conduit à la foi, il est plus
manifeste encore que ce n'est paselle qui nous
persuadera d'abandonner notre croyance ou
d'en suspendre l'assentiment. Dieu nous
assure toujours de sa grâce, il n e se retire pas
le premier; et jamais un catholique ne peut
avoir une cause légitime de changer sa foi ou
!
de la révoquer en doute .
1
V. notre ouvrage : Hors de r Église point de
e
salut, II partie, c. v.
CHAPITRE III

COMPLÉMENT E T CONCLUSION

L'analyse a signalé des opérations multi-


ples de l'intelligence qui font cortège à la foi,
la justifient, la préparent, la protègent.
L'adhésion définitive est-elle pour cela un
acte discursif? Non, répondrons-nous avec la
plupart des théologiens, quoique Scot, Vas-
1
quez, Lugo, soient d'un avis contraire . La
série des inductions et des déductions qui ont
à décider l'esprit n'est qu'une condition: le
raisonnement doit sans doute précéder pour
établir que Dieu a parlé, que tel mystère est
révélé, que tel objet appartient au domaine
de la foi, mais tout cela est le préambule, non
1
Cf. JOAN. A S . THOMA, t. VII, p. 18 et ss. ;
STJAREZ, disput. VI.
- 8 4 -

le terme, ou le motif de ma croyance. Quand


tous ces préliminaires sont posés, quand la
raison a vu qu'il faut croire, quand la volonté
a imposé le dernier jugement pratique avec
le commandement efficace, l'esprit adhère
à l'objet par un assentiment simple et im-
muable. Ce n'est plus le mouvement, ce n'est
plus l'enquête, ce n'est plus l'argumentation,
mais l'adhésion tranquille, le repos dans la
sérénité. Après la marche tourmentée ou
pacifique, mais toujours longue et compli-
quée, l'intelligence goûte enfin la suavité; un
regard désormais lui suffit, et, l'œil fixé sur
l'objet et tourné vers le ciel, elle dit comme
Frédéric Bastiat : « La vérité, oh! j e vois
enfin la vérité ! » ou comme Pascal : « Certi-
tude, certitude, sentiment, joie, paix! »
Lumière et repos, voilà ce qui caractérise
l'assentiment définitif, et tout cela provient
de ce que Dieu, source de paix et de clarté,
est le motif et le terme de la foi.
N'aurions-nous pas oublié un autre motif,
l'autorité de l'Église? L'autorité de Dieu révé-
lateur est un élément qui doit intervenir tou-
jours, même dans la foi des anges durant la
période de leur voie, même dans la foi des
— 85 —

prophètes et celle de la bienheureuse Vierge


Marie; l'objet de toute croyance surnaturelle
est nécessairement la Vérité première. Il n'est
pas indispensable que l'objet révélé soit pré-
senté et proposé par un magistère extérieur.
Les anges n'ont pas besoin de ce guide ; les
hommes qui reçurent directement la connais-
sance des mystères surnaturels et furent
chargés de les communiquer au monde avaient
l'obligation de croire; les saints qui ont des
révélations privées sont tenus de croire à la
parole qu'ils savent divine, et cependant
aucune autorité publique ne leur a imposé la
vérité surnaturelle. La proposition faite par
l'Eglise n'est donc ni le motif de la foi ni la
voie nécessaire pour y arriver; il peut y avoir
une croyance vraiment divine qui ne sera pas
une foi catholique.
Ce magistère cependant, quand il s'agit de
l'humanité présente, est le moyen ordinaire
et la règle commune. Pour que les hommes
soient préservés efficacement des illusions de
l'esprit propre et ne s'exposent point à
prendre pour une manifestation de Dieu les
suggestions du démon ouïes inventions d'une
imagination trop féconde, il faut qu'une auto-
— 86 —

rite infaillible soit là pour les guider et leur


dire : Voilà ce que Dieu a révélé et que vous
devez croire. Dieu a naiséricordieusement
pourvu à ce besoin en instituant l'Eglise
infaillible et immortelle. De là cette parole
célèbre de saint Augustin : « J e ne croirais
pas à l'Évangile si je n'y étais poussé par
l'autorité de l'Eglise catholique : enlevez
cette autorité, je n'ai plus de règle certaine
pour croire à l'Évangile *. » Un protestant bien
connu a fait ce solennel aveu : « S'il n'y avait
pas une primauté dans l'Eglise, les contro-
verses seraient interminables, comme elles le
sont dans le protestantisme-. » L'assentiment
donné à ces vérités proposées et définies par
le magistère de l'Eglise s'appelle la foi catho-
lique. Nous n'entrerons pas dans d'autres
développements, notre but étant seulement
d'analyser l'acte de foi.
Tel est le résumé de cette analyse : On voit
d'abord que la révélation se présente à l'es-
prit avec des titres sérieux de créance, qu'elle
est vraiment croyable; puis on arrive à se
1
Contra epistolam Fundamenti,c. v., P. Z,, XLII,

- GROTIUS, Via ad pacem Eccles., tit. V I L


- 8 ? -

convaincre spéculativement qu'il faul croire :


c'est l'assentiment de simple crédibilité. On
sort de l'ordre théorique, on passe à la déter-
mination pratique : il faut croire, hic et nunc
est credendum; le commandement intérieur
est intimé : Crois donc ! Ce sont les actes de
crédendité. Alors, la volonté applique l'intel-
ligence, et celle-ci fait l'acte libre de la foi :
J e crois. La grâce du Saint-Esprit intervient
dans ces diverses opérations, pour illuminer
l'intelligence, inspirer la partie affective;
quoiqu'elle ne soit pas absolument requise
pour la simple crédibilité, elle apporte sou-
vent son concours: elle est nécessaire pour
l'assentiment de crédendité, et surtout pour
l
l'adhésion finale : J e crois .
Des actes nombreux précèdent et prépa-
rent la foi, mais l'acte même de foi est
simple ; c'est un repos de l'esprit. Le motif de
la foi, c'est l'autorité de Dieu révélateur; le

1
Nous signalerons un excellent article de Y Ami
du Clergé sur le jugement de crédendité, 7 juil-
let 1904. Voir aussi dans la Revue du Clergéfrançais
une discussion au sujet de la foi, entre M. Dubois et
er ER
M. Auffret, i5juin, i5août, i septembre, I novem-
bre 1904. Lire surtout l'élude magistrale du P . GAR-
DEIL, La Crédibilité. Paris, Lecoffre, 1907.
— 88 —

moyen ordinaire et la règle commune, c'est


r autorité de l'Église.
Ceux qui connaissent le bonheur de croire,
dont l'intelligence se repose dans la sérénité,
prieront pour tant d'infortunés qui sentent la
torture du doute et se complaisent pourtant
dans leurs ténèbres: ils remercieront l'auteur
et le consommateur delà foi, Jésus, qui les a
transportés dans son admirable lumière.
FOI ET HÉVÉItATIOp
Foi et Kétfélatioû

Ces deux termes expriment-ils des concepts


tellements voisins et ressemblants qu'on
puisse impunément les confondre? ou bien
faut-il les séparer à ce point que la foi se
puisse passer de la révélation? Les méprises
étaient faciles : elles se sont produites.
M. Loisy semble identifier la révélation et la
foi; par contre, M. Gutberlet, en Allemagne,
soutient qu'il peut exister, au moins excep-
tionnellement, une foi surnaturelle et suffi-
sante pour le salut sans s'appuyer sur la révé-
lation divine. Les théories du premier ont été
1
exposées et réfutées par le T. R. P. Gardeil
* Cf. Revue Thomiste, mars-avril 1904, pp. 5a et
suiv.
— 92 —

avec cette maîtrise qui caractérise le savant


rédacteur de la Revue Thomiste ; celles du
second, dans la remarquable étude du R. Père
Martin, O. P., De necessitate credendietcre-
1
dendorum . Nous essaierons aussi, pour notre
modeste part, de contribuer à la précision des
idées théologiques, en consacrant quelques
pages aux rapports de la révélation avec la
foi. L'encyclique du 8 septembre 1907 nous
2
montre quelle est l'actualité du sujet .
1
Libr. UYSTPRUYST-DIEUDONNÉ, Louvain, 1906.
3
Cf. Edit. des Questions actuelles, p. 10 et ss.

1
CHAPITRE PREMIER

JïOTION DE LA REVELATION DIVINE. —COMMENT


E L L E SE DISTINGUE DE L'iLLUMINATlON SUR-
NATURELLE ET DE LA FOI.

Tout le monde entend par révélation une


manifestation de Dieu. La cause infinie
se manifeste en premier lieu par voie de
création. Elle nous donne à la fois et la
faculté qui lira son nom avec ses perfections
éternelles, et le livre dans lequel nous ferons
cette lecture. La faculté d'abord, car, en for-
mant notre intelligence, le Créateur dépose
en nous comme une image de lui-même. Voilà
cette révélation naturelle célébrée par l'apolo-
giste saint Justin : « Tout ce que les sages
antiques ont pensé de vrai, tout ce qui s'est
dit de juste et de bon dans l'humanité vient
-94 -
l
du Christ . » C'est-à-dire que Jésus-Christ, en
tant que Dieu créateur, a infusé aux philo-
sophes la raison, participation et image du
Verbe, avec laquelle ils ont connu le vrai et
le bien. L'intelligence, le génie, ne sont
point l'œuvre de l'homme, mais le don du
Verbe : tout ce qui procède de l'esprit humain
est une aumône du Logos éternel. Saint
Thomas redira à sa manière cette magnifique
doctrine : Le Verbe illumine tout homme en
allumant au sommet de son âme le flambeau
de la raison -.
Dieu nous donne aussi le livre où nous
lisons : la nature. Nos idées sont puisées
dans les réalités qui forment notre univers,
et celles-ci dépendent des idées divines, dans
lesquelles elles étaient contenues et portées
avant tous les siècles. De la sorte, l'archétype
1
Cf. S. JUSTIN, Apol. I, P. G., VI, fâ), 466,
- « Omnes homines venientes in hune mundum sen-
sibilem illuminantur lumine naturalis cognitionis ex
participatione hujus vera* lucis a qua dérivâtur quid-
quid de lumine naturalis cognitionis participatur ab
hominibus. »S. THOMAS, in Joan., lect. IV. — Quoi-
que le v. de saint Jean : Illuminai omnem homînem
doive s'entendre de l'illumination surnaturelle de la
grâce, la pensée de saint Thomas reste cependant
très vraie et très belle.
- 9 5 -

éternel produit la vérité des choses et la


vérité des choses engendre la vérité de nos
conceptions; notre langage est vrai parce
qu'il est conforme à notre pensée, notre pen-
sée est vraie parce qu'elle est l'image des réa-
lités, les réalités sont vraies parce qu'elles
reflètent les idées divines *.
Avait-il en vue cette haute philosophie,
l'élégant écrivain qui a dit ; « Plus une
parole ressemble à une pensée, plus une
pensée ressemble à une âme, plus une âme
ressemble à Dieu, plus tout cela est beau »?
Le Créateur fait davantage : il intervient
chaque fois, par son concours immédiat, pour
éclairer notre esprit, lui donner cette perfec-
tions définitive et suprême qui est l'opération.
Gomme rien ne peut par soi-même passer de
l'état purement statique à l'activité réelle,
tout produit de notre intelligence est un bien-
fait divin, toute connaissance est une illumi-
nation, une manifestation, que nous devons
à la cause première
Ainsi dans l'ordre naturel Dieu est révéla-
1
Cf. S . THOMAS, I P., q. 16, a. i, et q. i de Vevi*
tate.
4 ae
* Cf. I P., q. io5, a. 3, l ll , q. 109, a. 1.
- 9 6 -

teur, il est le maître principal qui enseigne


au dehors et au dedans et dont les autres ne
sont que les instruments, les ministres, les
auxiliaires : Solus Deus est qui interius et
principaliterdocet, sicutnatura interiusetiam
principaliter sanat *.
Il peut se faire l'instituteur de l'humanité,
non plus au simple titre de Créateur, mais
d'une manière plus intime, plus magnifique,
plus généreuse, entièrement gratuite: ce sera
la révélation surnaturelle. On peut appeler
ainsi toute manifestation qui est au-dessus des
droits, des exigences et des mérites de la créa-
ture. Chaque fois que Dieu élève l'intelligence
humaine par la touche de sa grâce, on peut
dire, en un sens, qu'il y a révélation.
C'est d'abord le cas de l'inspiration scrip-
turaire. Même quand l'auteur sacré raconte ce
qu'il sait de lui-même, ce dont il a été le
témoin ou qu'il a connu par sa propre
enquête, il est éclairé et assisté pour émettre
le jugement définitif qui décidera ce qu'il faut
écrire et qui exprimera la pensée de l'homme.
Cette lumière lui communique quelque chose

1
S . THOMAS, QQ. Dispp. de Magistro, a. i.
— 97 —

de l'infaillibilité divine; c'est une sorte de


manifestation surnaturelle, de révélation si
1
l'on veut .
Pareillement, quand nous répétons les
actes de foi, notre esprit est sillonné par les
éclairs de la grâce : le rayon d'en haut a brillé
3
chaque fois que nous avons dit: J e crois .
Cependant, pour éviter toute équivoque et
garder à chaque terme une signification bien
tranchée, nous distinguerons soigneusement
Villumination et la révélation.
Toutes les deux sont surnaturelles, gra
tuites, viennent de Dieu, nous font partici-
pera son immuable certitude, mais elles se
différencient par des caractères irréductibles.
La première, tout en éclairant l'esprit, en le
fortifiant, en lui infusant des énergies qui
l'ennoblissent, ne lui dévoile pas l'inconnu :
la seconde est, à proprement parler, la mani-
festation de ce qui était caché ou, du moins,
inaperçu; elle apporte toujours une donnée
nouvelle.

1
Cf. P. ZANECCHIA, O. P., Inspiratio sacrarum
Scripturarum, n. 8 8 .
2
Cf. CONC. ARAUSIC. I I , can. 7, DENZINGER, n. i5o;
Coxc. TRIDENT., sess. V I , can. 3, DENZINGER, n. 695.
RÉPONSES THÉOLOMUL'ES 7
- 9 8 -

L'objet qu'elle nous découvre peut être


transcendant, si haut placé que ni les progrès
des sciences ni les inventions du génie ne
pourront jamais y atteindre : tels sont les
secrets de la vie intime de Dieu, les mys-
tères proprement dits. Il faut qu'ils soient
mis à notre portée par celui-là même qui
scrute les profondeurs divines. Nous n'aurions
pu soupçonner ces sublimités, mais le Fils,
qui est dans le sein du Père, qui est l'éternité
elle-même, est venu nous raconter les nou-
velles de l'éternité
D'autres fois, l'objet ne dépasse pasle rayon
de notre esprit, mais il reste caché, ignoré;
si Dieu lève ce voile, il nous apprend vérita-
blement du nouveau, c'est une révélation.
Il faut attribuer à cette intervention gra-
tuite, enseigne le concile du Vatican, et les
vérités religieuses ou morales de l'ordre
naturel, accessibles, en soi, à notre raison,
mais que Dieu a jugé bon de nous manifester,
vu la condition présente de notre humanité
déchue> afin qu'elles soient connues de tout

* « Deum nemo vidit unquam : Unigenitus Filius,


qui est in sinu Patris, ipse enarravit. » Evang.JoAN.,
î, 18.
— 99 —
le monde, avec facilité, d'une certitude iné-
branlable, et sans mélange d'erreurs; — et
les réalités absolument surnaturelles que
l'œil de l'homme n'a point vues, que son cœur
n'a point pressenties et qui, même proposées
à nous par le magistère divin, restent tou-
jours enveloppées de saintes ténèbres, en
sorte que la raison humaine, quoique éclairée
par la foi, ne parviendra jamais à les démon-
trer >.
Dans les deux hypothèses, que la vérité
soit transcendante ou non, nous apprenons
du nouveau, puisque l'objet ne nous est connu
que parce que Dieu nous le présente et nous
l'atteste. Ce n'est plus la simple intervention
qui illumine surnaturellement notre esprit
sur ce qu'il sait déjà, c'est la manifestation
qui introduit d'autres notions dans l'intelli-
gence.
Est-ce à dire que le concept vienne tout
entier d'en haut, que limage soit surnatu-
relle et infuse? Dieu pourrait, sans doute,
parler à l'homme par des visions intellec-
tuelles, imprimer directement dans l'âme la
1
GONC. VATICAN., cap. n, de Revelatione, cap. iv,
de Fide et Ratione, DENZINGEK, I 6 3 5 , I 6 4 4 -
— 100

représentation spirituelle; mais il s'adresse,


d'ordinaire, à l'humanité par l'intermédiaire
des sens et selon le procédé normal de la
connaissance : il dispose notre esprit à se
former, par le travail de l'abstraction et de
l'analogie, les concepts qui exprimeront
l'objet révélé. Il peut même se servir de nos
idées acquises, mais en les pénétrant de sa
lumière, enles modifiant de telle sorte qu'elles
traduisent la réalité transcendante, comme
l'influx prophétique utilise les connaissances
antérieures du voyant pour leur faire repré-
senter l'avenir *.
Le concept était bien notre produit, mais,
grâce aujoursurnaturel qui est tombé sur lui,
il a été transformé, il s'est rempli d'autres
réalités, et l'esprit qui lit en lui y aperçoit des
vérités jusqu'alors ignorées.
Telle est la différence profonde entre l'illu-
mination et la révélation. L'illumination
n'implique pas de l'inédit : l'idée est éclairée,
irradiée, elle ne porte aucune notion nou-
velle ; dans la révélation, au contraire, ou bien
Dieu infuse ou nous fait engendrer à nous-
1
Voir l'étude suivante : Les Concepts dogma-
tiques.
— 101 —

mêmes d'autres idées, ou bien, s'il s'empare de


nos données acquises, il les modifie et les
élève, y introduit d'autres horizons, y ajoute
d'autres données, en sorte que c'est toujours
la manifestation de l'inconnu : manifestatio
veritatis ignotœ.
Voilà ce qu'elle est du côté de Dieu. Du
côté de l'homme, c'est la perception, la cons-
cience de cette manifestation gratuite. Nous
aurons à expliquer plus bas comment Dieu
accorde cette connaissance à tous les hommes
de bonne volonté; mais ce que nous venons
de dire suffit déjà à nous faire comprendre
que la révélation ne peut s'identifier avec la
foi.
La révélation est surtout objective; la foi
est subjective ; la foi est un assentiment sur-
naturel, la révélation en est la cause, l'objet
et le motif. La foi est un hommage de notre
intelligence à la vérité proposée par Dieu; la
révélation, même passive, c'est-à-dire la per-
ception du fait divin, n'est pas nécessaire-
ment une adhésion. Le voyant lui-même,
entièrement convaincu que l'Esprit-Saint lui
a parlé, peut, à la rigueur, refuser d'admettre
la vérité qui lui est attestée et qu'il ne voit
102

pas. L'assentiment qui lui est arraché d'emblée


et auquel il ne peut se soustraire est celui-
ci : « J e sais que Dieu me parle » : mais c'est
là de l'évidence, et ce jugement est un acte
de science et de vision. La même clarté sura-
bondante peut amener l'esprit à conclure
spéculatwemenl : « J e dois croire ce que Dieu
m'annonce »; mais, puisque ce que Dieu
annonce est obscur et invisible, le dernier
acte : « Je crois » n'arrive pas infailliblement.
Au dire de saint Thomas, le témoin qui voit
un prophète ressusciter un mort pour prou-
ver la vérité d'une prédiction est convaincu
que le thaumaturge dit vrai, et cependant il
demeure libre de croire, parce que l'événe-
ment futur est inévident : c'est pourquoi la
1
foi garde ici tout son mérite . De même, le
voyant est absolument certain que Dieu lui
1
« Intellectus convincitur ad hoc quod judicet esse
credendum his quae dicuntur, licet non convincatur
per evidentiam rei. Sicut si aliquis propheta pr;e-
nuntiaret in sermone Domini alîquid futurum, et
adhiberet signuin, mortuum suscitando, ex ho c
signo convinceretur intellectus videntis ut cognos-
ceret manifeste hoc dici a Deo, qui non mentitur ;
licet illud futurum quod pradicitnr in se evidens
non esset. Unde per hoc ratio lidei non tolleretur. »
a a e
I I I , q. 5, a. 2.
— io3 —

dit vrai, et, malgré cette évidence éclatante de


la crédibilité, il peut suspendre son assenti-
ment, puisqu'il ne voil pas l'objet que le révé-
lateur lui atteste. D'ordinaire, sans doute, il
sera le premier à croire, mais il reste que sa
certitude du fait divin peut n'être pas suivie
de l'acte de foi.
Ceci est plus remarquable encore pour
ceux qui reçoivent la révélation d'un témoi-
gnage étranger. Persuadés théoriquement que
Dieu s'est manifesté à l'humanité, beaucoup,
hélas! hésitent pratiquement à se rendre.
L'existence delà révélation peut devenirévi-
dente, la foi restera toujours obscure et mysté-
rieuse. G'estbienparune intervention surnatu-
relle que l'invisible nous a été annoncé, mais
cette prédication est tellement publique et
éclatante que le monde entier en est informé.
La connaissance de la révélation n'exige donc
pas nécessairement une grâce intérieure.
Toute adhésion de foi requiert un secours
surnaturel, et pour l'intelligence et pour la
volonté, ainsi que l'affirment les conciles
d'Orange, de Trente, du Vatican*.

1
Cf. DENZINGEU, I5O, 6Û5, 1661.
Nous expliquions tout à l'heure que l'illu-
mination n'est pas la révélation proprement
dite; il nous faut observer maintenant que
l'illumination de la foi doit s'ajouter à la
révélation. Voici un prophète qui lit claire-
ment dans l'avenir; il a conscience que Dieu
lui parle, il est inondé de sa lumière : ce n'est
pas encore la foi. Il faut qu'une nouvelle
touche agisse sur son intelligence, qu'une
nouvelle grâce ébranle sa volonté. Pour
nous aussi, même après la perception très
nette de la révélation, rien n'est encore fait,
nous pourrions rester incrédules : Dieu doit
intervenir pour nous aider à former le der-
nier jugement efficace, emporter la détermi-
nation définitive, suivie de l'acte salutaire : J e
crois.
Ainsi, l'illumination surnaturelle, selon les
divers points de vue, est moins et plus que la
révélation. Elle est moins dans ce sens qu'elle
peut se produire et se répéter sans apprendre
du nouveau, éclairer nos données acquises
sans introduire d'autres notions; elle est
plus dans un autre sens, puisque, même
quand la révélation nous a appris l'inconnu,
l'extraordinaire, le divin, l'esprit n'est pas
— io5 —

infailliblement conquis; l'illumination, au


contraire, accompagnée de l'inspiration as-
sure cette conquête
La révélation est un phénomène de l'ordre
psychologique et intellectuel qui intéresse nos
facultés de connaissance; il suffit, pour l'ex-
pliquer, de faire appel aux procédés multiples
dont Dieu peut manifester le vrai : visions
corporelles ou imaginaires, idées infuses, etc.
La foi, bien qu'elle repose dans l'intelligence,
requiert une foule de conditions de l'ordre
moral qui atteignent le sujet tout entier, avec
toute sa vitalité, son cœur, sa volonté, ses
affections ; la genèse de l'acte de foi peut être
tragique et mouvementée, une sorte de drame
intérieur dont Dieu seul connaît toutes les
phases *.
Mais, si la foi se distingue de la révélation,
peut-elle vivre sans elle? C'est notre seconde
question, que nous allons exposer à grands
traits.
1
« Est quaedam vis aut impressio a Deo, illumi-
nans et tangens corda, » S. THOMAS in I Cor., xiv,
3a, lect. 6.
1
Nous avons indiqué les principales étapes qui
conduisent à la foi, dans notre étude précédente :
Analyse de l'acte de foi.
CHAPITRE II

P A S D E F O I SANS KEVELATION

Déjà quelques théologiens, aux seizième et


dix-septième siècles, avaient prétendu que la
foi nécessaire au salut pourrait être la foi au
sens large, c'est-à-dire celle qui s'appuie sur
le témoignage des créatures, une croyance en
Dieu tirée du spectacle de cet univers visible
dans lequel la cause première a écrit et parlé
1
ses perfections . M. Gutberlet, tout en pro-
clamant la nécessité d'une foi théologale
fondée sur la révélation, soutient que, dans
certains cas exceptionnels, par exemple pour

2
Voir, pour l'opinion cVANDRÉ VÉGA, son ouvrage
De Justijicatione, t. XV, 1. 7; pour celle de RIPALDA,
son traité De ente supernaturali, disp. X X et
disp. LXIII.
— io7 —

un païen qui n'a jamais entendu parler de


l'Évangile, il suffira de connaître Dieu parles
lumières de la raison. Cette adhésion sera
surnaturelle, non pas que le motif en soit
surnaturel lui-même, mais parce que Dieu
sollicitera, aidera, éclairera l'esprit par sa
grâce actuelle. C'est déclarer que, s'il n'y
a point de foi sans illumination divine, il
petit y avoir foi sans révélation proprement
dite.
Nous ne discuterons pas en détail une thèse
que P. Raymond Martin a exposée avec am-
1
pleur et réfutée victorieusement ; conten-
tons-nous d'examiner rapidement le sujet en
lui-même.
Quelle est la croyance que réclame saint
Paul, qui est absolument indispensable, sans
laquelle il est impossible de plaire à Dieu?
Ce n'est pas une connaissance quelconque,
c'est la foi intrinsèquement surnaturelle, fon-
dement immuable de nos immuables espéran-
ces, de ces réalités invisibles que la révélation
seule peut découvrir, sperandarum substan-
tiel rerum; celle par laquelle Abraham et les
1
Cf. De necessitate credendi et credendorum,
pp. 5? et ss.
— io8 —

patriarches ont obéi au Maître qui leur par-


lait; celle qui a enfanté les miracles, poussé
les martyrs à subir les supplices et la mort
en vue de cette patrie meilleure que le spec-
tacle de la nature ne fait pas soupçonner, mais
dont Dieu lui-même nous atteste l'exis-
1
tence .
La foi n'est point une lecture de l'univers,
mais une parole que nous apprenons de Dieu :
Verbum auditusDei*; un enseignement d'en
haut qui réclame de nous l'obéissance du dis-
ciple, ad obediendum fidei*.
De même, pour saint Jean, avoir la foi sur-
naturelle c'est croire au témoignage de Dieu . v

Les Pères n'ont pas connu d'autre foi que


celle qui a pour objet l'invisible (partant, ce
qui nous est manifesté par la révélation), et
pour motif l'autorité du révélateur. c< La foi,
dit saint Jean Chrysostome, consistée croire
ce qu'on ne voit pas, à se fier à Yautorilé de
5
celui qui nous a fait la promesse . » — « Croire,
1
Heb., xi.
2
1 Thessalon., N , i3.
3
Rom., i , 5 .
* I JOAN., v, 5-IO.
5
S. CHRYSOST. in Gènes., c. xv, homil. xxxvt,
p. g., U N , 339.
— I O G —

ajoute saint Jean Oamascène, c'est accorder à


Y invisible une adhésion plus certaine encore
que celle que nous arrache l'évidence : sans
cela il ne peut y avoir de foi » Saint Augus-
tin résume ses enseignements en ces mots
décisifs : « Croire, c'est admettre ce qu'on ne
2
voit pas . » Saint Gégoire le Grand répète
avec la même énergie : « On croit dans le
vrai sens du terme, lorsqu'on ne voit pas; Une
peut y avoir de foi là où il y a vision *\ »
Or, les réalités que nous atteste le specta-
cle de l'univers ne sont point l'invisible: du
fait que notre esprit les a découvertes, il les
admet au nom de l'évidence. Jamais aux
yeux des Pères une adhésion de ce genre ne
sera la foi qui fait vivre le juste.
L'Eglise, non seulement ignore une foi
salutaire qui s'appuierait sur la raison seule,
mais elle l'exclut expressément. Innocent XI,
le 2 mars 1679, a condamné cette proposi-
1
S. JOAN D A M A S C , iu cap. xi, epist. ad Hebr.,
P. G., XCV, 9 8 0 .
2
c. 1, n. 1, P. Z,., XXXVIII,
S . AUGUSTIN.,serin.4'3,
254 : « Est autem fides credere quod nondum vides. »
3
S. GHEGOR. MAGN., IV Bialog., c. vi, P. L. 9

LXXVII, 3ag : « Hoc veraciter dicitur credi quod


non valet videri. Nam credi janx non potest quod
videri potest. »
— 1X0 —

tion : « La foi au sens large, tirée du témoi-


gnagne des créatures ou de tout autre motif
semblable, suffit pour la justification »
La thèse est déclarée fausse non point parce
qu'on a omis de signaler l'intervention d'une
grâce actuelle qui éclairerait l'esprit, mais
parce que le motif de cet assentiment n'est
point surnaturel : ex testimonio creaturarum
similive MOTIYO. Donc, quand bien même l'illu-
mination gratuite interviendrait, on n'aura
point la foi requise pour la justification, si le
motif n'en est pas Dieu.
Voyons comment le concile du Vatican
conçoit, décrit, définit la foi : « C'est une
vertu surnaturelle par laquelle, sous l'inspi-
ration et avec l'aide de la grâce, nous croyons
vraies les réalités que Dieu nous révèle, non
pas à cause de leur évidence intrinsèque,
mais à cause de l'autorité même de Dieu révé-
lateur qui ne peut ni se tromper ni nous
tromper » Ainsi, la révélation entre dans
l'analyse de la foi et comme objet et comme
motif : ce que nous croyons ce sont les vérités
révélées et ce pourquoi nous croyons c'est
1
DENZINGER, IO4O.
* Gap. 3, de Fide, DENZINGER, I638.
l'autorité de Dieu révélateur. La foi néces-
saire au salut est donc surnaturelle à un triple
titre : le principe qui sollicite et emporte notre
adhésion est surnaturel, c'est la grâce ac-
tuelle; Yobjet est surnaturel, c'est la vérité
révélée; le motif est surnaturel, c'est l'auto-
rité de Dieu révélateur.
La doctrine est ensuite résumée et conden-
sée dans cette définition : « Si quelqu'un
prétend qu'il n'est pas requis pour la foi
divine que la vérité révélée soit crue à cause
de l'autorité de Dieu révélateur, qu'il soit
1
anathème . »
On objecterait vainement que le concile
n'entendait pas exclure toute exception; les
termes sont choisis comme à dessein pour ne
laisser aucune échappatoire. La foi qui est ici
décrite est l'unique base du salut, humanœ
salatis iniiium , et sans elle personne, J A M A I S
s

PERSONNE, n'a été justifié : NEMINI UNQUAM sine

Ma contigit justificatio \
Saint Thomas avait déjà établi ces principes
et tiré ces conclusions : « Le moyen en vertu
1
De Fide, can. a, DENZINGER, I658.
S
DENZINGER, I638.
8
Ibid. 164a.
%
duquel la foi adhère aux divers articles est
unique : on croit à cause de la Vérité pre-
mière proposée à nous dans la sainte Écriture
selon la doctrine de l'Eglise. Quiconque
manque de ce motif est absolument incapable
d'avoir la foi. Et ideoqui ab hoc medio decidit
totaliter fide caret . » La Vérité ainsi propo-
1

sée ne se conçoit pas sans la révélation. Aussi


bien le saint Docteur déclare-t-il : a La foi ne
peut donner son assentiment qu'à ce qui est
révélé par Dieu. C'est pourquoi la vérité
divine est le moyen, le motif sur lequel la foi
3
doit s'appuyer . » Donc, pour saint Thomas,
manquer du motif de la révélation, c'est man-
quer totalement de foi.
Pour peu qu'on presse les notions et le sens
des formules, on ne tarde pas à se convaincre
qu'une adhésion non basée sur la révélation
ne saurait être ni la foi divine ni la foi surna-
turelle, et qu'elle ne mériterait même pas le
nom de foi.
Une vertu ne sera théologale que dans la
mesure où elle atteint Dieu lui-même : ce qui
la spécifie, ce quila faitdivine, c'est queDieu
* I P I I " , q. 5, a. 3, ad. a.
2 ae
I I * I l , q . i, a. i.
en est l'objet et le motif. La foi, facullé infuse
de connaissance, greffée sur notre faculté
naturelleduvrai, doit viser la vérité première
manifestée à notre intelligence, mise à notre
portée, cequi évidemment requiert une révé-
lation: et, puisqu'elle adhère à l'invisible,
elle doit s'appuyer sur cette Autorité première
qui pourra attester l'invisible parce qu'elle
sait tout et ne trompe jamais. La foi théolo-
gale aura donc pour objet Dieu révélé à nous,
et pour motif l'autorité de Dieu révélateur.
Retranchez la révélation, la foi divine s'est
évanouie : plus de base, plus d'objet, plus de
motif. Non enim fidesdequa loquimur assen-
tit alicuinisi 1
QUIA EST A DEO B E V E L A T U M .
Elle ne serait pas non plus surnaturelle au
sens complet du mot. Une adhésion qui est
produite sous l'influence de la grâce, avec
l'illumination et l'inspiration du Saint-Esprit,
a déjà quelque chose d'excellent, mais c'est
un axiome incontesté que la connaissance et
l'objet doivent se mesurer, s'adapter, s'ajus-
ter, se trouver dans le même ordre. Ce qui
donne à l'acte son espèce, sa qualité, sa per-

1
S . THOMAS, loc. cit.
R E P O S E S THEni.Or.lQUES *
- II4 -

fection essentielle, c'est son double objet : la


vérité proposée à l'espritet le moyen qui nous
la fait connaître et nous y fait adhérer. Con-
naissance de foi surnaturelle exige ainsi et un
objet propojsé surnaturellement, et donc par
révélation, et un moyen surnaturel, c'est-
à-dire l'autorité d'un révélateur transcendant.
Trois conditions donc pour rendre la foi sur-
naturelle, ainsi que nous l'avons remarqué en
expliquant le concile du Vatican : principe,
objet et moyen.
Enfin, une connaissance de Dieu tirée du
spectacle de l'univers ne mérite pas le nom
de foi. Elle est un acte de science, une con-
naissance d'invention personnelle, non point
la croyance, qui se fonde sur les dires d'un
autre ou sur un magistère extérieur. — Dieu,
réplique-t-on, élève et transforme ces données
par sa grâce actuelle. — Soit: cette touche
est l'illumination qui peut perfectionner nos
connaissances naturelles, elle n'est pas l'inter-
vention divine qui produit la foi. Dans l'ins-
piration scripturaire. Dieu illumine l'écrivain
sur ce qu'une enquête scientifique a pu lui
apprendre, il l'aide à formuler le jugement
définitif : cette adhésion est-elle la foi, la
croyance? Nullement. Quand l'auteur du
second livre des Machabées rapporte ce que
lui ont découvert ses longues et laborieuses
recherches, il est éclairé d'en haut, il est aidé
par une grâce d'illumination et d'inspiration,
et cependant ses affirmations restent des
actes de science naturelle. Dieu pourra, de
même, projeter son rayon sur nos connais-
sances, leur prêter un jour nouveau: elles ne
deviendront pas la foi, si elles sont le fruit de
notre invention et si le motif de notre assen-
timent est, non point l'autorité du Maître
divin, mais l'évidence.
Nous avons déclaré, avec le concile du
Vatican, que des vérités de l'ordre naturel
peuvent nous être manifestées par Dieu et
devenir l'objet de la foi; mais, dans ce cas, le
motif qui nous les fait admettre c'est la parole
infaillible du révélateur et non point l'évi-
dence intrinsèque. Les théologiens ont lon-
guement débattu la question si ce qui est l'ob-
jet de la science peut devenir l'objet de la foi,
si notre esprit peut adhérer à ces vérités par
la science en tant qu'elles sont le résultat de
notre étude, la conquête de notre travail, et
par la foi entant qu'elles nous sont proposées
1
par Dieu ; mais les diverses écoles convien-
nent que la vérité ne sera l'objet de la foi que
sous le point de vue où elle est révélée. Une
adhésion même perfectionnée par la grâce
actuelle, mais qui n'a pas d'autre motif que
le témoignage de la création, restera toujours
la connaissance d'invention personnelle, qui
fait le savant, non point le juste.
Donc, sans la révélation pas de foi.
Delà, une conséquence qu'il ne faut pas
perdre de vue quand on essaie d'expliquer le
progrès et l'évolution des dogmes : jamais
une vérité ne pourra être définie comme
objet de foi si elle n'est pas contenue, au
moins implicitement, dans le dépôt de la
révélation*.
Mais, si la foi requiert la conscience d'une
révélation divine, ne devient-elle pas impos-
sible à la plupart des membres de la famille
humaine?

1 a ae
Cf. S. THOMAS, ll Il , q. i, a. 5 : Utrum ea
quœ sunt fidei possint essescita.
2
C'est ce que nous exposons dans l'élude sui-
vante : Les concepts dogmatiques.
CHAPITRE III

COMMENT DIEU ACCORDE A TOUTES LES AMES


DE BONNE VOLONTÉ LA CONNAISSANCE DE LA
RÉVÉLATION SURNATURELLE.

Dieu a parlé à l'humanité en de nombreuses


fois et sous les formes les plus variées : par
les prophètes, par les écrivains inspirés, par
son propre Fils *. Il nous parle aujourd'hui
par l'Eglise infaillible. La prédication est le
moyen ordinaire qui transmet la révélation et
fait naître la foi : Fides ex auditu, auditus
autemper verbum Ghristi*. Pour les hommes
instruits, qui ont mis au service de leurs
croyances les ressources delà philosophie, de
la critique, de l'histoire, la conscience de la
1
Reb.y i , i-a.
* Rom. x , 17.
t
— II8 —

révélation peut s'appuyer sur uneenquête vrai-


ment scientifique ; mais le commun des chré-
tiens sait que Dieu a révélé parce que l'Eglise
l'enseigne. Ce n'est point là du fidéisme. Ils
se rendent aisément compte que l'ensemble
des pasteurs, dont ils apprécient la science et
la probité, ne se trompe pas et ne trompe pas;
d'autre part, ils ont constamment sous les
yeux cette Eglise catholique dont l'existence à
travers les âges estun témoignagne irrécusable
de sadivinité. L'action indéfectible de l'Eglise,
sa vitalité extraordinaire, les œuvres dechari té,
de sainteté, d'héroïsme qu'elle enfante chaque
jour, son unité intangible, qui a brisé les
1
hérésies et les schismes , son triomphe cons-
tant sur toutes les persécutions : voilà des
preuves, nonpasabstraites, mais très vivantes,
que les réalités quotidiennes font entrer dans
5
les esprits bien disposés . Cette sorte de
démonstration personnelle s'ajoute à l'ensei-
gnement des pasteurs; et il résulte un ensem-
ble de motifs évidents qui constituent pour
1
L'Eglise de France écrit en ce moment une page
splendide au livre d'or de l'unité ecclésiastique.
2
« Ecclesia per se ipsa, ob suani nempe admira-
bilem propagationeni, eximiam sanctitatem et
inexhaustam in omnibus bonis fœcunditatem, ob
ces âmes les raisons objectives de la crédibi-
lité. Ces croyants sont convaincus que Dieu
est intervenu dans notre histoire humaine,
que l'Eglise dit vrai quand elle affirme le fait
surnaturel. Ils ont donc conscience d'une
révélation divine.
Ces preuves se combinent avec les multi-
ples arguments de Tordre subjectif. La prédi-
cation ne s'adresse point à une humanité
métaphysique ou idéale; les conditions de la
vie, les harmonies toujours actives qui exis-
tent entre notre âme et le vrai, le bien, le
devoir; le besoin d'un bonheur qui nous
,rassasie entièrement: les aspirations incoer-
cibles de notre être vers ce surnaturel qui
est notre lin unique dans la condition pré-
sente du genre humain; enfin une foule d'au-
tres éléments complexes qui échappent à
l'analyse,: voilà des réalités concrètes qui
jouent leur rôle dans la genèse de la foi,
dans le fonctionnement d'une âme où se
déploient toutes les vitalités de l'action,
catholicam unîtatem inviclamque stabilitatem, ma-
gnum quoddam et perpetuum est motivuni credibi-
litatis et divina? sua; legationis testimonium irréfra-
gable. » GONG. V A T I C , cap. 3 de Fide DENZIN-
y

GER, 1642.
I20

action psychologique, morale, surnaturelle.


Il fautajouter encore, et surtout, l'influence
du secours divin: lalumière delà foi, les grâces
actuelles, projettent leurs clartés sur les motifs
de croire, lescorroborent là où ils paraîtraient
débiles, complètent la valeur des preuves
rationnelles, achèvent l'œuvre de la démons-
tration évangélique.
Telles sont ces suppléances subjectives,
qu'il nous suffit de signaler en passant,
après l'étude si remarquable que leur a con-
sacrée un maître de l'école thomiste
Mais là où la prédication chrétienne n'a
pas encore pénétré, la connaissance de la
révélation est-elle si difficile? Dieu se sert-il,
pour la procurer, du ministère des anges?
Aux yeux de certains esprits, même parmi
les croyants, faire appel à Faction des anges
c'est recourir au mythe ou à la légende. On
oublie qu'ils sont, par nature, messagers entre
le ciel et nous, et qu'ils ont un apostolat à
remplir dans l'économie du salut. L'Écriture
signale, presque à chaque page, leur inter-
2
vention , et saint Paul pouvait rappeler aux
1
Ï.R.P.GARDEiL,Za Crédibilité, liv. III, c, i\\
- « Esse namque angelos et archangelos et pene
— 121 —

Juifs comme une vérité courante admise sans


conteste, au sujet de laquelle aucune contra-
dition n'était possible, ce ministère angélique
en faveur de ceux que Dieu appelle à l'héri-
tage éternel : Nonne omnes sant administra-
torii spiritus, in ministerium missi propter
1
eos qui hœreditatem copient salutis ? La vie
des saints, l'histoire entière de l'Eglise, les
témoignages officiels de la liturgie nous redi-
sent constamment que les anges sont, auprès
des hommes, les ministres du surnaturel.
Est-il, dès lors, incroyable que la Provi-
dence enseigne par ce moyen les âmes déshé-
ritées, soustraites sans leur faute à la prédi-
cation des missionnaires? Les Docteurs qui
ont créé la théologie angélique, et qui ont
autorité pour nous parler ici au nom de
l'Eglise, n'ont pas craint de recourir à cette
hypothèse. Les célèbres écrits attribués
jadis à Denis l'Aréopagite assurent que les
anges ont été les messagers dont Dieu s'est
servi pour instruire les hommes, les retirer
de leurs voies profanes et les amener à la

omnes sacri eloquii paginée testantur. » S . GRKGOR.


MAGW., Homil. 34 in Evang., P . L. LXXVI, 1249.
f
1
Heb., 1,
— 1122 —

1
vérité . Saint Thomas croit aussi que, dans
l'ancienne loi, des révélations furent ména-
gées aux Gentils par l'intermédiaire des
anges*. Pourquoi ce ministère aurait-il cessé à
l'égard des païens actuels, dont le nombre
est, hélas! si considérable? SaintThomas sera
bien loin de le nier, puisque, selon lui, Fac-
tion des anges sur l'intelligence humaine
rentre dans le plan de la Providence et con-
3
court à l'exécution du gouvernement divin .
Nous ne prétendons pas que ces interven-
tions soient très fréquentes; mais un théolo-
gien a le droitde les prévoiret de les signaler,
et on serait mal venu à leur opposer une fin
absolue de non-recevoir. Elles sont d'autant
plus vraisemblables que chaque homme,
même parmi les infidèles, est confié par Dieu
à un ange gardien
Le moyen le plus efficace, qui peut rem-
placer tous les autres, c'est l'action souve-
raine de la Providence, qui atteint le plus
1
Cœlest. Hierarch., c. iv, P. G., 111,180.
- III Sent., dist. 20 q. 2, a. 2. sol. 2.
3
C'est, en effet, dans le traité De Gubernatione
rerum que saint Thomas examine iitrum angélus
possit illuminare hominem. 1P., q. m , a. 1.
* Cf. S . THOM-, I P . , q. n 3 , a. 4.
123 —

intime de l'intelligence et de la volonté,' et


dont le magistère secret peut enseigner si
vite la voie du salut. Saint Thoma; observe
que les hommes peuvent être amenés à la foi
par la touche intérieure de Dieu, par lu pré-
1
dication extérieure, parles miracles visibles .
Si les miracles et la prédication viennent à
manquer, la vertu delà véritépremïèrcu:!!>a
toute seule pour illuminer l'homme et l'ins-
2
truire intérieurement . Le Docteur Angélique
revient à maintes reprises sur ce sujet. Deux
manières pour l'homme de connaître la révé-
lation : ou l'inspiration intérieure de Dieu,
ou la prédication du missionnaire : Ei Deus
VEL per 1NTERNAM INSPIRATIONEM REVELA-
RET..., V E L aliquem Jidei prœdicatorem ad
eum dirigerez. — L a prédication extérieure
peut faire défaut; l'action intérieure de Dieu
nemanquera jamais si l'homme n'y met point
obstacle : Et si aliquis instructorem non
haberet, DEUS EI REVELARET, nisi ex sua
1
Quodlib. n, q. 4> a. 6.
2
« Interior instinctus quo Christus poterat se
manifestare sine miracuiis exterioribus perlinet ad
virtutem prima; Veritatis, quœ INTEÏUTJS HOMINEM
ILLUMINAT ET DOCET. » Ibïd., ad 3 .
3
Q. 14 de Veritate, a. n, adi.
— ia4 —
ailpa remaneret . Et cette intervention n'est
1

point un miracle, elle est dans Tordre du


gouvernement divin, qui doit pourvoir à
chaque homme suivant sa condition.
Ainsi, pour saint Thomas, la révélation est
absolument nécessaire au saluî: mais elle
n'est refusée à aucune âme de bonne volonté.
La vérité première, dont l'efficacité est
infinie, peut agir sur l'imagination et sur
l'entendement, infuser des idées, ou amener
l'esprit à se former lui-même, avec le secours
divin, les concepts du surnaturel. Elle pour-
rait même utiliser, en les corrigeant, les con-
naissances religieuses du païen. On a pu
découvrir chez un grand nombre de peuples,
enveloppées d'erreurs, défigurées par les
superstitions, des croyances qui ne sont pas
sans quelque analogie avec nos dogmes.
L'humanité, qui souffre partout, éprouve par-
tout le besoin d'un réparateur et d'un rédemp-
teur; et elle a fréquemment imaginé des
incarnations de la divinité. Tout cela, sans
doute, est bien loin de notre auguste mystère
de l'Incarnation, de même que les trilogies

1
Sent., dist. a5, q. 2, a. a, sol. 2.
des divers cultes ne peuvent être comparées
à l'adorable Trinité; mais il y a là des élé-
ments que la vertu révélatrice peut élever et
transformer, et dont elle peut se servir pour
produire dans ces intelligences grossières
l'idée et la notion des célestes réalités.
Cette solution devient encore plus vrai-
semblable dans la théorie que soutiennent
M. Vacant et surtout M. F . Schmid : ils
pensent que certains restes de la révélation
primitive persistent toujours dans la plupart
des religions et que c'est la voie ordinaire
dont Dieu se sert, dans les contrées idolâtres,
pour amener tes âmes à la foi surnaturelle.
Que resle-t-il, en fait, de la révélation
divine dans ces religions multiples, il est bien
1
difficile de le démêler ; mais, quoi qu'il en
soit de l'origine de certaines croyances, nous
comprenons qu'il puisse y avoir là des données
utilisables, que la lumière céleste corrigera
et transformera et qui aideront à la concep-
tion des vérités surnaturelles nécessaires au
salut.
1
Cf. P . LAGRANGE, Religions sémitiques, Intro-
duction; P . PRAT, La Science de la religion et la
Science du langage.
Ce qui est certain, c'est que Dieu, dont la
miséricorde et les ressources sont inépui-
sables, ne refusera jamais sa grâce à quicon-
que ne s'en rend pas indigne.
Il semble que c'est surtout à l'heure de la
mort que le Rédempteur se présente et frappe
à la porte des âmes, et leur offre sa lumière
pour la dernière fois. L'esprit alors est plus
apte à saisir la clarté divine, parce qu'il est
plus abstrait, plus indépendant du corps:
préludant, en quelque sorte, à l'existence de
l'au-delà, il peut plonger dans les secrets du
ciel un regard plus épuré et plus libre. C'est
la remarque qu'avaient faite saint Grégoire le
1
Grand et saint Thomas . Nous aimons à pen-
ser que beaucoup de mourants ouvrent avec
joie ces yeux de l'âme et les fixent avec per-
sistance dans cette lumière qui les inonde;
que beaucoup répondent aux sollicitudes de
la Bonté infinie, qui leur dit : Voulez-vous
1
« Aliquando autem exiturae de corpore anima;
per revelationem ventura cognoscunt. Aliquando
vero, dum jam juxta sit ut corpus deserant, divini-
tus afflatœ in sécréta cœlestia incorporeum mentis
oculum mittunt... Vis anima? aliquando suhtilitate
sua ea quœ sunt ventura cognoscit. » S . GREG. MAGN.,
IVDialog., c. xxvi, P.L., LXXV1I,35;. — Cf. S.THO-
a ac
MAS, I l l l , q. 179, a. i, ad 1.
de moi? et terminent leur vie dans un acte
de foi et de charité.
Remarquons, en effet, que les actes d'in-
telligence et de volonté, surtout dans l'état
d'abstraction où nous supposons l'âme hu-
maine qui est sur le point de quitter ce
monde,ne sont pas longs à se produire ; plus
rapides encore que la vision du regard, ils
peuvent s'accomplir en un instant: Subito
enim et in instanti perficitur operatio intel-
lectus et voluntatis, multo magis quant visio
corporalis, eo quod intelligere, celle et sen-
tire, non est motus imperfecti, quod succes-
sive perficitur, sed est actus jam perfecti*.
Si cette suprême illumination peut sauver
le païen, nous comprenons mieux encore
qu'elle puisse réveiller et ressusciter dans les
chrétiens apostats les croyances premières
depuis longtemps éteintes, assoupies ou frap-
pées de mort.
Voilà la consolante perspective que notre
théologie ouvre sur l'au-delà... Cette doctrine
jette un jour très pur sur le mystère de l'ago-
nie: elle nous donne une idée de cette misé-

1
S. THOMAS, III P., q. 34, a. 2.
— 138 —

ricorde ineffable qui dépasse nos conceptions:


Misericors et multum misericors.

Il reste donc établi que la foi se distingue


essentiellement de la révélation, mais qu'elle
ne peut vivre sans elle. Toutes les deux sont
le don inappréciable du Dieu Rédempteur,
qui est notre Docteur et notre Maître, en
même temps que notre fin dernière. Nous
devons les garder inviolablement durant la
vie pour qu elles nous éclairent et nous con-
solent; les posséder surtout à l'heure su-
prême, complétées par la grâce et la charité,
pour qu'elles nous bercent dans la mort
et nous préparent au réveil qui sera la
vision...
LES CONCEPTS DOGMATIQUES

R É P O \ < F S THÉoi.nf.HJUE*'
Les Concepts dogmatiques

On connaît les discussions retentissantes


qui se sont produites autour du problème
posé par M. Edouard Le Roy, dans la Quin-
zaine du 16 avril 1900 : Qu'est-ce qu'un
dogme? La. question provoqua de nombreuses
réponses, dans la Quinzaine , la RevueBiblU
1

que i
les Etudes fondées par les Pères Jésui-
1

3
tes , la Revue Thomiste etc.
%
9

Mgr Turinaz crut devoir intervenir par la


publication d'une brochure : Une très grave
question doctrinale : Qu'est-ce qu'un dogme*?
Entin l'encyclique du 8 septembre 1907 a
donné la réponse du magistère suprême.
1 e r e r
Cf. Quinzaine, 16 mai, r juin, 16 juin, I juillet,
16 juillet 1905.
2
J . W E H R L É , Revue Riblique, juillet ioo5.
3
£ . PORT A LIÉ, Etudes, 20 juillet, 5 août igo5.
* Th. PÈGUES, Revue Thomiste, septembre 1905.
5
Chez Roger et Chernoviz, et Retaux, Paris, 1905.
l3'2 —

Notre intention n'est pas de reprendre le


sujet ni de rouvrir le débat : mais nous
croyons faire œuvre d'actualité en exposant,
tout simplement et sans polémique, une
page de psychologie thomiste, sur les con-
cepts dogmatiques, c'est-à-dire les concepts
des vérités surnaturelles.
Nos conceptions du monde divin se basent
sur les lois fondamentales de l'entendement
humain. La révélation ne nous arrive point
au hasard, violemment et par des procédés
purement extrinsèques; parce qu'il y a entre
elle et nous de vivantes harmonies, elle doit
s'implanter en nous par le fécond travail de
notre esprit.
Demandons-nous donc, d'abord, comment
nous atteignons les réalités ordinaires. Cet
aperçu nous aidera à saisir comment nous
concevons les vérités surnaturelles. En pour-
suivant toujours l'analyse de ces concepts
dogmatiques, nous verrons que, s'ils sont
imparfaits et inadéquats, ils ne sont ni infi-
dèles ni mensongers; qu'ils ne sont point
instables ni caducs, bien qu'ils admettent ce
développement et ce progrès qui sont le
caractère et le signe de la vie.
CHAPITRE PREMIER

COMMENT SE FORMENT NOS CONCEPTS


1
DES VÉRITÉS NATURELLES

La vérité est bien la manne qui doit nous


rassasier, mais elle n'est pas tombée directe­
ment dans, notre intelligence ; d'autre part,
elle est avant nous, elle nous domine, il ne
nous appartient pas de la créer: nous devons
la cueillir par un pénible labeur sur le vaste
champ de la création. Nous la tirons du
monde sensible, et elle passe par nos sens
avant de s'introduire dans notre esprit. L'ex­
périence ici nous renseignera ; c'est elle
qu'avaient consultée les scolastiques pour
1
Nous opposons cette doctrine à la psychologie
moderniste qui a. pour ba.se Yagnosticisme. Cf. l'Ency­
clique, édit. des Questions actuelles, pp. 6 et ss.
- i34—
construire leur théorie de la connaissance.
« Chaque fois que nous voulons nous rendre
compte d'une vérité, dit saint Thomas, nous
commençons par nous former des images par
manière d'exemples où nous puissions, pour
ainsi dire, contempler ce que nous essayons
de comprendre. Et de même, quand nous
voulons faire saisir quelque chose à quel-
qu'un, nous lui proposons des exemples dont
il pourra tirer des images qui l'aideront à
1
comprendre . »
Le phénomène empirique est à la base de
nos connaissances les plus intellectuelles,
« De là vient la nécessité où se trouve l'es-
prit de faire appel à des images, pour se re-
présenter les idées les plus épurées. L'image
doit toujours être posée en soutien derrière
l'objet que vise l'intelligence. Concept et
image forment un couple lié. Sans image pas
de concept, c'est la loi de la connaissance
humaine. Loi bien naturelle, puisque le
contenu du concept est un abstrait de
l'expérience, et, dès lors, s'il s'oppose à
l'expérience en tant qu'abstrait, ne cesse

1
S . THOM., I P., q. 84, a.
— i35 —
1
d'avoir recours à elle pour se justifier . »
L'objet de notre esprit c'est donc l'idéal»
mais tiré du réel; c'est l'intelligible, l'imma-
tériel, le nécessaire, mais exploré dans le con-
tingent et le sensible; c'est l'abstrait, mais
regardé dans le concret et justifié dans l'expé-
rience. Il y a ainsi une sorte de proportion et
d'égalité entre l'Ame humaine et l'objet pro-
pre de noire entendement. Notre âme n'est
ni une substance matérielle ni un pur esprit;
c'est un esprit dans la matière, sans les con-
ditions de la matière, car elle les domine et
les dépasse comme à l'infini. De même, l'ob-
jet de notre intelligence n'est point le maté-
riel ou le sensible pur, ni l'immatériel absolu;
c'est le spirituel puisé dans la matière, mais
sans les conditions de la matière; l'idée tirée'
du phénomène empirique est au-dessus de
toute la portée du sensible, car elle repré-
sente le nécessaire, l'universel.
On voit par là la différence entre l'enten-
dement humain et l'entendement angélique.
L'ange est une nature entièrement affranchie
des sens, qui doit exister sans le corps, réa-

1
T. R. P. G A R D E I L , Revue Thomiste, t. XI, p. 646.
— i36 —

User en soi et sans aucun commerce avec ia


matière, toute sa perfection. L'objet de sa
connaissance sera du même ordre, l'intelli-
gible pur, qui ne vient point d'en bas, mais
d'en haut, qui n'est point recueilli sur le
miroir des créatures, mais dérivé de l'essence
infinie. Les idées des anges sont donc infuses,
intuitives, descendues de Dieu; pour eux, la
manne est tombée tout droit dans l'intelli-
1
gence .
L'âme humaine, au contraire, n'acquiert sa
perfection totale que par son hymen avec le
corps, et elle ne déploie complètement ses
facultés et son activité que par la commu-
nion avec le monde sensible. Dès lors, elle
doit, dans son opération propre et pour sa
connaissance même intellectuelle, utiliser le
concours de l'instrument qui lui est uni, les
ressources de l'imagination et des sens. Son
objet sera spirituel comme elle, mais servi,
comme elle, par les choses sensibles et maté-
rielles : quiditas rei materialis a conditioni-
bus individuantibus abstracta. Une théorie
qui nous montre de telles harmonies entre

1
Cf. S. THOM., 1 P., q. 55, a. 2 .
- i3 7 -

l'âme et son objet ne peut manquer ni de


1
grandeur ni de vérité .
Toutes nos connaissances devront se ressen-
tir de ces conditions, porter, pour ainsi dire,
leur marque d'origine; même quand nous
essaierons de viser les êtres les plus épurés
et les plus abstraits, nous devrons nous tour-
ner, pour les fixer, vers le miroir des phéno-
mènes empiriques. De là cet axiome de
l'Ecole : Nous comprenons toutes choses à la
manière des réalités sensibles : ou par voie
de comparaison, en transportant dans l'ordre
supérieur et à un degré plus parfait ce que
nous avons vu dans notre horizon humain:
ou par voie de négation et d'élimination, en
excluant du monde intellectuel ce que nous
avons découvert dans le nôtre.
Comment, par exemple, arriverai-jeau con-
cept de science et au concept d'ange? J e ne
suis pas obligé, pour concevoir la science, de
me représenter la vierge fière sous les traits
de laquelle le peintre l'exprimera sur la toile:
je n'ai pas besoin, pour penser à l'ange, de
me figurer la vision ailée que reproduit le

1
Cf. 1 P., q. 84, a. ;
— i38

pinceau de nos artistes; mais dans les deux


cas ma conception s'est inspirée des choses
sensibles.
Nous appelons science la connaissance des
réalités par leurs causes. La notion des réali-
tés, je la puise dans le monde concret qui
m'environne. La notion de connaissance
m'est suggérée par l'activité de mes sens, et
surtout par celui de la vue, dans lequel la
connaissance est plus manifeste et-fJlus évi-
dente: j'arrive ensuite à l'analyse de la con-
naissance intellectuelle et abstraite. Les
notions de cause et d'effet me sont fournies
par l'expérience de chaque jour. J e vois, soit
en moi soit autour de moi, que certaines réa-
lités commencent et quelles ont besoin
d'autres réalités pour commencer. Celles qui
commencent portent en elles-mêmes quelque
chose de précaire, de contingent, puisqu'elles
dépendent de celles qui les aident à commen-
cer ou qui les font commencer : c'est la
notion d'effet; les autres ont sur elles une
véritable influence et une réelle priorité,
puisqu'elles les font commencer : me voici
arrivé au concept de causalité. J'unis ces
divers éléments, je synthétise les multiples
— i3y —
détails de mon enquête et je construis enfin
la définition de la science : Cognitio rerum
per causas.
Dans l'idée d'ange, substance incorporelle,
j'ai d'abord notion de corps et négation de
corps; deux premières étapes dans ma con-
naissance. Il m'est aisé de tirer de l'expé-
rience le concept de corps; puis, mon esprit,
par son pouvoir d'abstraction, écarte celte
donnée imparfaite et se transporte dans une
sphère supérieure. J e connais l'incorporel.
J'ajoute ensuite à ces éléments celui de fini,
que j'ai acquis aussi par l'expérience; et, en
combinant mes résultats, je forme l'idée d'un
être distinct de la matière, distinct de l'âme,
distinct de Dieu et que j'appelle un ange.
Voilà comment nous atteignons les choses
spirituelles de l'ordre naturel. Le double
procédé de comparaison et d'élimination ne
nous donne point le concept intuitif; notre
idée n'est point la photographie de la réalité,
elle ne l'épuisé pas, elle ne l'égale pas. Mais
les nombreuses notions qui sont la conquête
de notre laborieuse étude décrivent suffi-
samment l'objet, le représentent sous ses
divers aspects, l'embrassent dans ses mul-
— i/Jo —

tiples contours, et nous fournissent ainsi une


définition qui, sans être complète, est cepen-
dant exacte, qui convient réellement à cet
objet et nullement à d'autres.
Nous n'avons point l'intuition des réalités
intellectuelles, mais nous en acquérons une
science qui en est la représentation et l'expli-
cation satisfaisante.
CHAPITRE II

GOMMENT SE FORMENT NOS CONCEPTS


1
DES VÉRITÉS SURNATURELLES

Ces considérations nous amènent à com-


prendre comment nous concevons les vérités
surnaturelles. Nous ne nous attarderons pas
à réfuter ici un traditionalisme qui proclame
l'incapacité fondamentale de l'esprit humain,
ni un rationalisme qui fait table rase de tout
3
dogme . Nous supposons démontrées et la
valeur de la raison et la transcendance des
mystères. Puisque ces mystères dépassent le
1
Au sujet de la formation des concepts dogma-
tiques au sens moderniste, voir l'Encyclique du
8 septembre 1907, édit. des Questions Actuelles, p. 14
et ss.
2
Cf. GONC. VATICAN., 2, de Revelatione; 3, de
Fuie; 4» de Fide et Ratione, DENZINGER, 1653-1666.
rayon etle diamètre de notre intelligence, ils
ne peuvent nous être connus que par révé-
lation. Par quel procédé Dieu révèle-t-il? Il
pourrait manifester le surnaturel par des
idées infuses, comme il le fit pour l'àme de
Jésus-Christ. L'intelligence de Notre-Seigneur
eut, dès le matin de sa création, une science
semblable à celle des anges, mais beaucoup
plus étendue qui lui donna l'intuition com-
1
plète du passé, du présent et de l'avenir .
Dieu aurait pu parler de cette manière à
Adam et aux privilégiés auxquels il dévoila
ses secrets.
Ces représentations, dérivées de l'essence
divine, sont des concepts propres qui per-
mettent de lire au fond de la vérité révélée;
l'esprit, pour les utiliser, n'a pas besoin du
9
concours de l'imagination et des sens . Ce
sont là ces visions intellectuelles qui ne sont
pas un fait absolument inouï dans les annales
de la sainteté. Nous croyons qu'il faut reven-
1
Cf. S . THOM.. III P . , q. 3 , a. 3 , q. n , a. i et 4.
2
I I I . P . , q. 11, a. 2. « Fatentur onines theologi non
implicare contradictionem elevari mentem hominis
in hac vita ad hoc genus contemplationis, in quo
intelligibile contempletur sine ullius sens us coopéra-
tione. » SUAREZ, De Religione, lib. II, c. 14, n. 4.
- »43 -
diquer pour la sainte Vierge Marie une con-
naissance de ce genre qui lui rendît facile
l'usage continuel du libre arbitre, depuis le
premier instant de sa conception jusqu'à sa
1
mort, même pendant le sommeil .
D'ordinaire, Dieu s'adresse à l'humanité
parle moyen des sens extérieurs, visions cor-
porelles, ou des sens internes, visions imagi-
naires. L'esprit exerce sur ces images son
travail naturel d'abstraction ; la lumière infuse
vient aider et fortifier l'intelligence, mais les
idées sont formées par notre procédé normal,
c'est-à-dire l'abstraction et la généralisation.
Bien qu'elles puissent être éclairées, dispo-
sées, arrangées d'une nouvelle manière par
l'influence divine, leur nature ne change pas ;
elles restent le produit de notre activité men-
tale, elles représentent les réalités surnatu-
relles, non point par un concept propre,
mais par voie d'analogie, comme toutes nos
2
connaissances venues du monde sensible .
Tel est le mode habituel de la révélation.

1
Nous avons exposé cette théorie dans notre
livre : La Mère de Grâce, pp. fo-fa, 117-121.
2 a ae
Cf. S . THOM., ll ll , q. 173, a. 2 et 3; et QQ.
Disp, de VeriL, q. 12, a. 7.
Quoi qu'il en soit, d'ailleurs, des premiers
hommes qui furent chargés de communiquer
les mystères à l'humanité, et lors même qu'ils
auraient eu des visions intellectuelles, comme
1
on le pense pour Adam , il est manifeste que
le commun des croyants n'arrive aux vérités
de la foi que par le témoignage extérieur et,
partant, par le ministère des sens. Nous
n'avons de nos dogmes pas d'autres concepts
que ceux que nous formons nous-mêmes
par le procédé de l'abstraction. L'acte d'adhé-
sion que nous accordons à ces vérités est
bien surnaturel, puisqu'il procède de la
grâce et qu'il suppose dans l'intelligence
l'illumination, et dans la volonté l'inspi-
ration du Saint-Esprit-: mais les idées qui
les expriment sont naturelles et acquises.
La lumière divine pénètre au fond de
ces concepts et leur donne de devenir le
principe d'un assentiment surnaturel, sans
1
« Secundum quod intellectus intelligit Deum per
aliquas inlelligibiles iinniissiones, quod est proprie
angelorum; et sic fuit extasis Adœ. » De Verit*,
q. i3, a. 2, ad 9.
-Cf. CONC, ARAUSICAN., H , can.7,DENZINGER, I5O;
CONC. TRIDENT., can. 3, DENZINGER, 696; CONC. V A T I -
CAN., cap. 3, de Fide, DENZINGER, 16^0.
modifier leur mode et leurs conditions.
Quand je fais l'acte de foi : J e crois un seul
Dieu en trois personnes, la notion de Dieu et
la notion de personne ne me sont point infu-
sées, ce sont celles-là mêmes que je me suis
procurées par l'abstraction: seulement la
touche du Saint-Esprit, qui est tombée sur
mon intelligence, descend aussi sur elles
pour leur prêter un jour surnaturel. De même
que dans la prophétie la lumière divine, sans
infuser des représentations nouvelles, utilise
les images des choses que le prophète a déjà
vues, les dispose et les combine de la manière
qui convient pour désigner l'événement fu-
1
tur ; de même, et à plus forte raison, la
lumière de la foi n'introduit en nous aucun
concept particulier, mais elle éclaire les con-
cepts déjà formés, elle fortifie l'esprit pour
qu'il voie, juge, donne son assentiment.
Fécondée par ces idées acquises qui ont été
illuminées ainsi par le Saint-Esprit, ennoblie
elle-même et élevée par celte grâce, notre
1
« Ularum rerum quas propheta vidit non oportet
ut ei denuo species infundantur; sed ex speciebus
reservatis in thesauro virtutis imaginativse ûat
qusedam aggregatio ordinata, conveniens désigna-
tioni rei prophetandse. » Q. 12. de Verit., a. 7, ad i$.
RÉPONSE-^ THhOLOM«jUES lU
i46 —
intelligence fait un acte d'adhésion surnatu-
relle, elle exprime et dit ses conceptions dans
un verbe mental qui est le couronnement du
procédé intellectuel. Ce verbe est sans doute
surnaturel, puisqu'il est le produit et le terme
d'une connaissance surnaturelle, mais il n'est
pas plus intuitif que l'idée tirée du phéno-
mène empirique. L'esprit ne parle ses objets
qu'à la manière dont l'abstraction les lui
représente, c'est-à-dire par la voie de l'ana-
logie, laquelle, avons-nous dit, comporte le
double travail de comparaison et d'élimina-
tion.
CHAPITRE III

L'IMPERFECTION E T L'EXACTITUDE DANS NOS


CONCEPTS D E S V É R I T É S S U R N A T U R E L L E S

Nos idées, no$ concepts du surnaturel, ne


sont donc ni intuitifs ni adéquats; l'expres-
sion verbale ne représente jamais toute la
réalité divine, mais seulement par une sorte
de proportion et de similitude. « Partout où
pénètre un élément proprement divin, l'intel-
ligence doit se mettre à hauteur, par l'inter-
médiaire d'une proportion dont la raison est
le rapport foncier de l'être conditionné,
exprimé dans les concepts dont nous nous
servons, à l'être inconditionné et d'un autre
ordre auquel nous l'appliquons. Quand on
dit, par exemple, que la grâce habituelle est
une qualité créée, il faut sous-entendre men-
— i48
talement : ce que la qualité créée est dans
l'ordre des perfections de la substance créée,
la grâce habituelle l'est dans l'ordre des per-
fectionnements divins dont Dieu enrichit
l'âme humaine. Le mot divin est dans cette
proportion comme un coup d'aile qui nous
transporte dans un autre monde, à une autre
sphère de l'être et de la perfection. Mais ce
n'est pas un coup d'aile démesuré et violent,
occasionnant une rupture dans l'équation. La
relation qui relie le divin au créé, la relation
de cause à effet est une relation rigide,
nécessaire; aucune tension ne saurait sépa-
rer l'effet de la cause, empêcher l'effet de se
relier à la cause. Ne disons donc pas qu'il
est intervenu un coup d'aile : disons plutôt
que la relation fondamentale de toutes les
proportions théologiques est comme une
hausse qui permet à l'esprit de viser Tordre
des choses divines et de le décrire en fonction
des choses humaines. Ne craignons pas de
mettre la proportionnalité partout. On ne l'a
1
pas fait assez . »
Deux conclusions à retenir. Nos concepts
1
T. R. P. GARDEIL, Revue Thomiste, t. Xll,
pp. 05-60.
— i4f) —

du divin ne sont pas intuitifs, c'est établi.


D'autre part, et il faut insister sur cette
remarque, ce ne sont point des symboles ins-
tables d'une vérité transcendante ; ce sont des
représentations analogues, mais fidèles, puis-
que la relation qu'elles expriment est aussi
réelle et nécessaire que le lien qui rattache
l'effet à la cause. Quand nous disons : le
prince est dans l'Etat ce que le pilote est au
navire, nous n'avons pas en vue que des
symboles : il y a bien une intéressante réalité
sous notre comparaison ; le chef de l'Etat
exerce bien dans sa sphère le rôle que joue le
pilote dans la sienne. Pareillement la propor-
tion de l'homme à Dieu est réelle, car notre
être descend tout entier de l'Être divin et se
surbordonne à lui; la ressemblance a son
fondement, la créature est dans son ordre ce
que Dieu est dans le sien : Est SXMILITUDO
inter creaturam et Deum, quia sicut se habet
ad ea quœ ei eompetunt, ita creatura ad sua
propria . Malgré notre ingratitude et notre
1

révolte, nous n'arriverons pas à rompre le


lien qui nous enchaîne au Créateur : il y aura

1
Q. a3. De Verit., a. 7, ad 9
— Ï5O —

toujours entre nous et lui le rapport très fon-


cier et très réel de l'effet véritable à la cause
véritable* de la puissance précaire à l'acte qui
la soutient : Potest esse PROPORTIO creaturœ
ad Deum, in quantum se habet ad ipsum ut
effectus ad causam % et ut potentia ad actumK
Ce n'est pas, évidemment, la proportion de
quantité, car une distance infinie sépare la
créature du Créateur; mais il y a vérita-
blement convenance et similitude dans
l'être.
De même, nos théories de la grâce sont par-
faitement intelligibles. Comme dans notre
ordre à nous la nature est la source des attri-
buts et des opérations, la grâce est dans
l'ordre divin le principe radical et premier
des propriétés et des actes qui nous per-
mettent d'atteindre Dieu en lui-même par la
connaissance et l'amour. En naissant de
l'homme, nous reproduisons la ressemblance
de nos parents, leurs traits et leur visage
et nous devenons leurs héritiers de droit; la
grâce, régénération spirituelle, nous donne
aussi quelque chose de l'image divine, nous

1
1 P., q. 12, a, i, ad 4-
— T O I

fait enfants adoptifs et nous confère des


droits à l'héritage éternel.
Quand quelqu'un porte dans ses veines du
sang de héros, il s'élance d'instinct vers les
grandes actions. Les dons du Saint-Esprit
font cela et plus que cela; ils nous disposent
et nous préparent au sublime, ils sont en nous
comme une semence dont l'héroïsme est la
fleur, ou comme une lyre dont l'héroïsme est
le son.
Ainsi, nos concepts, sans égaler la réalité
divine, la traduisent cependant par des com-
paraisons et des analogies qui sont bien fon-
dées. Il ne nous révèlent pas Dieu dans sa
nature intime, mais ils nous apprennent qu'il
a une nature propre, distincte de toutes les
autres, qu'il est la plénitude de l'être et de la
perfection, la cause première, le premier
moteur, l'auteur de la grâce et de la gloire.
II en est de même des autres dogmes. Les
notions que nous avons de la Trinité, de
l'Incarnation, de l'Eucharistie, nous aident
à décrire exactement chacun de ces mys-
tères; la définition que nous parvenons à
en donner ne convient qu'à eux. Non, ce
ne sont point là des symboles sans réa-
l i t é ' : ce sont des représentations lointaines,
analogues, inadéquates, imparfaites, mais
non point infidèles. Nous comprenons ce que
signifient nos termes, ceux qui les emploient
savent avec précision ce qu'ils affirment et
ce qu'ils nient; nous voyons que nos des-
criptions et nos définitions s'appliquent à
ces objets et ne peuvent d'aucune manière
s'adapter à d'autres.
1
Cf. Encyclique, édit. des Questions Actuelles,
pp. 16, 26.
CHAPITRE IV

LA STABILITE ET LE PROGRES DANS NOS


1
CONCEPTS DES VERITES SURNATURELLES

Si ces représentations ne sont point men-


songères, elles ne sont pas non plus instables
et caduques. Il y a dans le concept analogue
un fond immuable et éternel qui échappe aux
vicissitudes des systèmes philosophiques et
qui doit être retenu par toutes les écoles.
Distinguons ici trois éléments : l'image, le
vêtement sensible dont nous enveloppons
l'objet de nos connaissances même les plus
épurés, phantusma; la manière dont notre
esprit se représente l'immatériel et le divin,
1
Pour ce qui concerne l'évolution des dogmes au
sens moderniste, voir l'Encyclique, édit. des Questions
Actuelles, p. 16, 38 et ss.
— i54 —

par voie de comparaison, d'élimination, de


proportionnalité, modus concipiendi; enfin
la réalité conçue et pensée, l'essence elle-
même, res eoncepta. Les images peuvent se
modifier, acquérir plus de relief et de viva-
cité, et servir ainsi à la formation d'idées plus
expressives, moins inadéquates : on pourra
créer d'autres mots, et l'histoire des dogmes
nous montre avec quels tâtonnements ce tra-
vail s'est accompli, comment aux termes
inexacts ou équivoques on a substitué peu à
peu les formules précises et définies.
Notre mode de concevoir, qui a toujours
quelque chose d'incomplet et de relatif, peut
subir un progrès, comme l'esprit humain.
Mais le fond pensé est absolu : ce n'est pas
lui qui change, c'est plutôt l'intelligence qui
doit, à travers les siècles, évoluer autour de
1
ces réalités .
Le concept cependant n'a point l'immobi-
lité du roc, qui résiste auxattaquesdu temps,
1
Cf. T. R . P . G A R D E I L , De la Relativité des for-
mules dogmatiques, Revue Thomiste, janvier et
mars 190^ ; P . A L L O , Trois conceptions philoso-
phiques du dogme chrétien, Revue Thomiste, juil-
let ioo5; Th. PÈGUES, Qu'est-ce qu'un dogme? Revue
Thomiste, septembre 1905.
mais qui ne gagne rien avec les années; il a
plutôt celle du vivant, qui se défend en se
perfectionnant, qui s'accroît tout en restant
soi-même. Il y a une différence capitale entre
changer et se développer. L'organisme pro-
gresse, il ne change pas : son individualité
s*affirme même plus fortement à mesure qu'il
grandit, comme l'unité de l'arbre est plus
profonde, plus pleine et plus intense que
celle de la graine où il était contenu. Or,
c'est un principe incontesté chez les scolas-
tiques que toute science se développe à la
façon d'un vivant : saint Thomas répète, à
maintes reprises, que les conclusions doivent
éclore des principes comme la plante du
germe, et l'un de ses commentateurs les plus
autorisés explique d'une façon très ingé-
nieuse comment le raisonnement humain
1
peut se comparer à l'organisme animé .
L'idée dogmatique, le dogme tout entier,
ont donc aussi leur vie et sont susceptibles
de développement. Le dix-neuvième siècle a

1
« Est quasi organicum instrumentant quod con-
stat ex parle movente et ex parte niota, sicut in
viventibus una pars movet aliam. » JOANNES A S .
8,
THOMA, Logica, I P . , q. a. 4-
i56 —

eu le mérite de mettre en relief ce fécond


travail de l'évolution pour le dogme et pour
1
la théologie . Mais, si l'on veut en saisir
exactement la portée et ne point l'exagérer,
il faut se rappeler que les vérités, objets des
concepts, ont pu être révélées de trois ma-
nières. Explicitement, tels les mystères de la
Trinité et de l'incarnation. Implicitement,
comme la partie est affirmée dans le tout : en
nous enseignant que le Verbe a pris notre
nature, Dieu nous atteste que Jésus-Christ a
une àme et un corps; en déclarant que le
péché originel atteint tous les hommes, il
nous assure que Pierre et Paul ont péché en
Adam.
On assure enfin qu'une vérité est virtuelle-
ment révélée pour signifier qu'elle n'est point
révélée au sens propre du mot, mais qu'elle
est seulement portée et enveloppée dans les
1
On sait que l'idée et la loi de ce progrès avaient
déjà été formulées par saint VINCENT DE LÉRINS,
Commonitorium primam, XXIII, P. L., L,66*5-669. —
NEWMAN a écrit sur le développement doctrinal des
pages fort originales, fort belles, fort utiles, malgré
quelques expressions obscures ou imprécises qui
ont besoin d'être expliquées. Cf. NEWMAN, Le Déve-
loppement du dogme chrétien, par H. BBEMOND. Col-
lect. Pensée chrétienne.
- r5 7 -

principes de la foi, comme une conclusion


dans ses prémisses. Avec la révélation impli-
cite, il suffit, pour faire jaillir la vérité parti-
culière, d'une explication plus scientifique
des termes, d'un examen attentif qui distin-
gue dans le donné confus, élague les éléments
étrangers et parasites, fixe enfin la formule
pleine qui restera. Dans le cas de la révélation
virtuelle, il faut recourir aux longs procédés
du raisonnement, syllogisme ou induction.
Les vérités ainsi découvertes sont des con-
clusions théologiques, elles ne sont pas et
elles ne deviendront pas un dogme. Elles en-
tourent le dogme,l'enserrent, le protègent;
elles développent et fortifient sa vie, mais,
quoique très certaines, elles ne sont pas sus-
ceptibles d'être définies comme objet de foi
divine, si par ailleurs elles n'ont pas été
1
révélées .
Il se peut que des propositions que la rai-
son toute seule aurait tirées des principes de
la foi soient déjà révélées en elles-mêmes ou

1
C'est, du moins, ce qu'enseignent les Thomistes
avec le plus grand nombre des théologiens. Cf. JEAN
DR S . THOMAS, Cursus Théologiens, q, 1* Primae Par-
tis, disput. II, a. V .
implicitement. Ainsi, supposée l'union hypos-
tatique, nous aurions pu déduire nous-mê-
mes ce que l'Evangile nous apprend, que
Jésus-Christ est plein de grâce et de vérité;
Targumentationaussi aurait pu,endémontrant
que Notre-Seigneur a une volonté et des opé-
rations humaines, établir diverses vérités
qui sont cependant contenues dans la révé-
lation et que l'Eglise a pu définir contre les
monothéliles. Mais, quand la proposition est
une conclusion strictement théologique, et
que le secours du raisonnement est Y unique
moyen de la découvrir, elle n'est pas et ne
peut pas être l'objet de la foi divine; car le
motif qui nous y fait adhérer n'est point l'au-
torité de Dieu révélateur, mais Y évidence du
lien qui rattache le conséquent à l'antécé-
dent.
Même quand l'Eglise donne son approba-
tion aux théories des théologiens, elle ne les
érige pas en dogmes. Parfois, elle les adopte
comme plus probables et plus conformes à la
1
tradition et il est alors manifeste que cespré-
1
« Opinionem quae dicit tara parvulis quani adul-
tis conferri in baptisino informantem gratiain et
virtutes tanquam probabiliorem et dictis sanctorum
— i5o —
férences ne nous imposent pas l'obligation ab-
solue de croire; parfois elle les fait siennes et
lesproclame certaines, attendu que la négation
de cet enseignement aboutirait logiquement à
la négation d'un point défini. Nous croyons ces
vérités d'une foi ecclésiastique, et il y aurait
témérité grave à les révoquer en doute, parce
que nous devons admettre que l'Eglise est
assistée par le Saint-Esprit pour protéger et
défendre toute la doctrine surnaturelle ; mais
ces conclusions ainsi canonisées par le magis-
tère infaillible ne sont point les définitions,
objet de la foi, vertu théologale.
On voit que l'évolution de la théologie est
plus profonde et plus vaste que celle du
dogme. Le progrès théologique comporte
tout un développement doctrinal, qui explore
scientifiquement et en tout sens le contenu
de la révélation, qui, combinant les principes
de la foi avec les vérités naturelles, utilisant
les ressources de l'analyse et de la synthèse,
arrive à des conséquences entièrement nou-
velles, que les premiers siècles n'avaient ni

etdoctorum niodernoruni theologiae magis consonani


et concordera, sacro approbante concilio duximus
eligendam. » COXCIL. VIENN., DENZINGER, 4 H »
— i6o —

proclamées ni entrevues. C'est une construc-


tion gigantesque opérée peu à peu par un
travail intérieur et vivant, c'est la conquête
de la raison aidée et dirigée par la foi: ce
n'est point la vérilé proprement divine et
révélée.
Le dogme, au contraire, désigne une pro-
position définie ou susceptible de l'être. Le
progrès dogmatique consiste donc en ce que
des vérités révélées d'une manière implicite
et obscure sortent peu à peu de l'état confus,
pour aboutir à l'état de précis, d'explicite et
de défini. C'est détruire la notion du dogme
que d'admettre une évolution telle que son
terme ne serait plus qu'une conclusion syllo-
gis tique, ou telle que les concepts et les for-
mules offriraient aujourd'hui un sens totale-
ment différent de celui qui fut compris de la
primitive Eglise.
Toutefois, le progrès dogmatique, c'est-
à-dire le passage de l'implicite à l'explicite,
ne se fait point d'un seul coup, par bonds,
ni au hasard : il y a là aussi un travail très
intense, qui peut absorber l'activité de plu-
sieurs siècles et qui subit, d'ordinaire, trois
phases. Première période : le dogme à ses dé-
— irJi —

buts. L'ensemble des articles est professé


dans une croyance globale qui porte sur
toutes lesvéritéssurnaturelles, sans en exclure
aucune, mais aussi sans démêler ce qui est
vague, imprécis, sans détailler le contenu de
la révélation. Seconde époque: les luttes doc-
trinales. Des doutes s'élèvent : des novateurs
contestent telle partie jusqu'ici moins explo-
rée du dépôt sacré, les attaques se multi-
plient, les objections s'amoncellent, la vérité
semble s'obscurcir un instant.
Alors, les Docteurs de l'Eglise, Pères, théo-
logiens, conciles scrutent à fond cet ensei-
gnement, consultent à nouveau la tradition,
examinent avec plus de soin le fond substan-
tiel du concept, pressent le sens des formules,
écartent les interprétations fausses, créent
des expressions plus exactes, répondent aux
difficultés, justifient, vengent la doctrine
méconnue, défigurée,persécutée.
Enfin, se produit la troisième phase : celle
du triomphe. Désormais sortie de la pénom-
bre, mise désormais à l'abri des contradic-
tions, désormais indiscutable, la vérité appa-
rait dans tout son éclat: l'Eglise, assistée par
le Saint-Esprit, la propose à la foi de ses en-
ll£l>UNAfc.-> I H t U L O i WI b-5
11
— i6a —

fants soit par une définition solennelle» soit


par son magistère et sa prédication ordi-
naires.
Il y a certains dogmes qui ont toujours été
l'objet d'une croyance explicite, mais un bon
nombre ne sont parvenus à l'âge adulte que
par suite d'une évolution.En attendantque la
lumière se fasse, l'habitude surnaturelle de
la foi préserve d'erreur l'intelligence du
croyant docile, l'éclairé et le guide de telle
sorte qu'il se tienne en garde contre les nou-
veautés et qu'il se fixe dans une prudente
réserve jusqu'à ce que l'autorité infaillible
1
se soit prononcée .
Gomme le germe, pour éclore, a besoin
d'une occasion, d'un rayon du soleil, des
soins du jardinier, le dogme, organisme sur-
naturel, profite, pour progresser, des occa-
sions qui sont les attaques des incrédules et
des hérétiques, du rayon du soleil qui est l'ac-
1
« Ule qui non crédit explicite omnes articulos
potest omnes errores vitare, quia ex habitu ûdei re-
tardatur ne consentiat contrariis articulorum quos
solum implicite novit; ut scilicet cum sibi propo-
nuntur, quasi insolita, suspecta habeat, et assensum
différât quousque instruatur per eum cujus est du-
bia in iide determinare. » Q. 14» de Fert*., a. 11, ad a
in contrariant.
— x()3

tion du céleste Paraclet, chaleur et àme de


Y Eglise, et des travaux des agriculteurs qui sont
les Pères et les théologiens. C'est bien par un
travail intérieur que le dogme progresse, mais
il faut qu'une autorité infaillible préside à ce
1
développement .
Les concepts théologiques peuvent se dé-
velopper de la même manière, mais r é v o l u -
tion ici est plus radicale et plus complète.
Le dogme, avons-nous dit, a pour objet la
révélation explicite ou la révélation impli-
cite qui devient explicite en suivant les trois
phases indiquées; la théologie a pour objet
les conclusions tirées de la révélation, mais
qui ne sont en elles-mêmes ni définies ni
révélées.
Il est donc très regrettable de confondre,
comme on le fait quelquefois, l'évolution du
dogme avec l'évolution de la théologie. Dans
le progrès dogmatique, c'est la révélation elle-
même qui se dégage des ombres, s'affirme en
termes plus précis, se condense en formules
plus exactes qui semblent la traduction la
plus fidèle possible du concept divin, comme
ss
1
Cf. NËWMAN, par H. BREMOND, p. i44> -
— i(>4 —

les mots de consubstantiel, de transsubstan-


tiation, mais ce n'est point la découverte d'un
1
article de foi nouveau . Ni le génie d'un saint
Augustin, ni les travaux d'un saint Thomas
d'Aquin, ni les merveilleuses ressources de
la science actuelle, ne pourront enfanter un
dogme. « Cette doctrine de la foi que Dieu a
révélée, dit le concile du Vatican, n'est point
une invention philosophique que l'esprit hu-
main accomplit et fait progresser: c'est un
dépôt divin confié à l'Épouse du Christ et que
celle-ci gardera avec fidélité et qu'elle expli-
quera d'une manière infaillible. Le sens des
dogmes déclaré officiellement par elle restera
perpétuellement le même, et il ne sera jamais
permis, sous le prétexte et sous le nom d'une
intelligence plus profonde, de s'éloigner de
la signification une fois fixée. Il est à souhai-
ter, certes, que la doctrine progresse avec les
hommes et avec les siècles, mais seulement
dans sa sphère : que ce soit le même dogme,
le même sens, le même sentiment-. »
1
« Accipiant licet evidentiam, lucem, distinc-
tions m, sed rétineant necesse est plenitudinem,
integritatem, proprietatem. » S . VINCENT. L I R I N . ,
Commonît., I, n. x x m , P. L . , L , 6G9.
- a Xeque enim lidei doctrina, quam Deus révéla-
Dans révolution ihéologique c'est la science
de la révélation qui s'ébauche, se construit
et se parfait: histoire et explication ration-
nelle des dogmes, développement des consé-
quences que porte en soi la formule définie,
systèmes particuliers des écoles, etc., tout
t;ela peut nous donner vraiment du nouveau.
Le moyen âge fit une synthèse que les Pères
n'avaient point soupçonnée; la morale et la
casuistique ont pris une extension considéra-
ble et sont descendues à des applications que
le treizième siècle était loin de prévoir, L'édi-
vit, velut philosophicum inventum proposita est hu-
manis ingeniis perficienda, sed tanquam divinum
depositum Christi Sponsœ tradita, fideliter custo-
dienda et infallibiliter declaranda. Hinc sacrorum
quoque dogniatum is sensus perpetuo est retinendus,
quem semel declaravit Sancta Mater Ecclesia, nec
unquam ab eo sensu, allions intelligentiae specie et
uouiine,recedendum. Crescat igitur et multuni véhé-
mente rque profîciat, tamsingulorum,quam omnium,
tam unius, quam totius Ecclesia; œtatum et saeculo-
rum gradibus, intelligentia, scientia, sapientia; sed
in suo dumtaxat génère, in eodeni scilicet dogmate,
eodem sensu, eademque sententia. » GONG. V A T I -
e e e
CAN., cap. 4- & Fid * Ratione.— « Si quis dixerit
fieri posse ut dogmatibus ab Ecclesia propositis
aliquando secundum progressum scientia; sensus
tribuendus sit alius ab eo quem intellexit et intelli-
git Ecclesia, anathema sit. » Ibid., can. 3. Cf. DEN-
ZINGER, 1647, i665.
fice est bien une construction des âges dont
l'intelligence humaine peut se glorifier; le
dogme même parvenu à son terme ne pourra
jamais être appelé le produit ou la conquête
de notre esprit.
Cependant l'évolution des concepts, même
dans la théologie, n'est pas une révolution.
Les scolastiques ont perfectionné les ensei-
gnements des Pères, les casuistes ont déve-
loppé ce que l'antiquité n'avait fait qu'effleu-
rer; mais ni les uns ni les autres n'ont
renversé la réalité fondamentale perçue dès
l'origine.
On a mieux vu et mieux dit, on n'a pas
détruit la première valeur conceptuelle abri-
tée sous les mots changeants.
CHAPITRE V

QUELQUES EXEMPLES QUI NOUS FONT VOIR


LE PROGRÈS DANS LA STABILITÉ

Les faits mettront nos principes en pleine


évidence. Prenons d'abord le dogme de la
Rédemption. On peut en suivre le progrès,
sans changement substantiel, dans le beau
travail de M. Rivière. « Si on le ramène à son
essence, c'esl-à-dire à une efficacité salutaire,
mais réelle et objective, reconnue à la mort
du Sauveur, ce dogme a toujours eu une vie
propre, autonome et indépendante. Ce qui
ne veut pas dire qu'il brille toujours au pre-
mier plan, ni qu'il ait partout le même relief:
mais on le retrouve, à toutes les époques et
chez tous les Pères, avec une suffisante
i68 —

1
clarté . » Cependant les spéculations théolo-
giquesontédiûédenombreux systèmes. «Cette
vérité n'apas toujours été expliquée de la même
manière, ni comprise avec une égale intel-
ligence. A côté de la foi identique il y a place
8
pour une théologie progressive et variée . »
Voici le dogme de la consubstantialité du
Verbe.
Le terme n'est pas dans l'Ecriture, et il fut
vivement combattu par l'arianisme au qua-
trième siècle ; mais cette vérité : le Christ est
consubstantiel au Père, delà même substance
que le Père, est contenue équivalemment
dans d'autres affirmations des saintes Lettres,
par exemple : Le Christ est un avec le Père,
Ego et Pater unum sumus*: le Christ est
4
créateur comme Dieu ; le Christ est l'égal de
3
Dieu ; le Christ est le Dieu béni dans tous les
siècles : Ex quitus (Israelitis) est Christus
secundum carnem, QUI E S T S U P E R OMNIA D E U S
6
BENEDICTUS IN S ^ C U L A .

1
J . RIVIÈRE, Le Dogme de la Rédemption, p. 489.
2
P.
490.
3
JOAN., X , 30.
* Coloss., I , l3-20.
3
Philipp., ii, 6.
fi
Rom., ix, 5. — Sur la portée de ce texte, voir le
— i6p -

La Tradition a toujours confessé que Jésus-


Christ a la même nature que le Père. Saint
Clément de Rome lui donne les titres que
0

l'Ecriture attribue à l'être divin, et il lui


adresse des louanges liturgiques, des doxolo-
gies, que l'Eglise a toujours réservées à Dieu,
1
à la Trinité ou à une personne divine .
Saint Ignace d'An Hoche l'appelle le Fils de
3
Dieu, son Logos éternel , qui était avant tous
3
les siècles auprès de Dieu . Jésus-Christ est
4
Dieu lui-même ; il est le Dieu qui rend sages
5
les fidèles ; son sang est le sang d'un Dieu,
et par ce sang Dieu nous a rappelés à la
6
vie . — « C'est mon Dieu, s'écrie le martyr :
oh! laissez-moi imiter la passion de mon
7
Dieu ! »
P. DURAND, S. J . , Revue Biblique, octobre 1903.
L'auteur conclut : « 11 faut convenir, avec saint
. Cyrille, qu'on ne saurait souhaiter un témoignage
plus clair en faveur de la divinité de Jésus-Christ. »
1
Sur la doctrine de saint CLÉMENT de Rome lou-
chant la divinité de JÉSLS-CHRIST, voir l'article du
P. MONTAGNE, O. P., Revue Thomiste, juillet 1905.
- S. IGNAT., Magnes., vin, P. G., \,§jo.
a
Magnes., vi, P . G., V, 667.
* TralL, vu, P. G., V, 679.
3
Smyrn., 1, P. G., V, 707.
6
Ephes., i,P. ( T . , V, 643.
1
Rom., vi, P. G., V, 693.
— 170 —
Les apologistes, au deuxième siècle, pro-
clament que le Christ est égal au Père et qu'il
est adoré avec lui. « Nous ne sommes pas
des athées, dit saint Justin, nous reconnais-
sons le vrai Dieu : nous adorons le Père, nous
adorons le Fils, qui est sorti de lui et qui
nous a enseigné les mystères, nous adorons
1
l'Esprit prophétique . » Tout le dialogue avec
Tryphon a pour objet de prouver aux Juifs
que Jésus-Christ est le Verbe même, le Fils
de Dieu fait chair, qui s'était déjà révélé dans
les théophanies de l'Ancien Testament.
Mais, si le Fils est adoré comme le Père,
s'il est éternel comme lui, s'il a droit aux
mêmes honneurs que lui, il doit être de la
même nature que lui.
Cependant saint Justin et les autres apolo-
gistes, imbus des idées platoniciennes, ajou-
tent, à propos de la génération du Verbe et
de son rôle dans la création, des spéculations
peu heureuses, reconnues bientôt caduqueset
qui seront corrigées bientôt.
Origène, en effet, déclare très fermement et
très nettement que le Fils a une seule et

1
S . JUSTIN., 1 Apolog., 6, P . G., V I , 33?.
même nature que le Père : Gommunionem
substantiœ esse cum Filio...* unius substan-
tiœ*.
Les expressions dont il se sert font « con-
2
clure qu'il admet le consubstantiel strict ».
Tertullien aussi a touché au consubstantiel
proprement dit, et en a trouvé la formule
définitive, très personœ, una substantiel, celle
qui restera la formule de l'Eglise latine, bien
qu'il ne s'en soit pas rendu entièrement maitre
3
et n'en ait pas compris toute la portée .
Au quatrième siècle, l'arianisme oblige les
docteurs catholiques à faire la lumière com-
plète. Toutes les équivoques sont dissipées,
et, maintenant qu'il est bien établi que le
terme de consubstantiel exprime exactement
la doctrine révélée, l'Eglise le canonise au
concile de Nicée : il est désormais immortel.
Le concept s'est donc précisé peu à peu, il
s'est illuminé de la clarté croissante des
siècles, il n'a pas signifié une réalité diffé-
rente de celle qui fut enseignée à l'origine.

* P . G., X I V , i3o8.
2
J . TIXEROXT, Histoire des Dogmes, la Théologie
anténicéenne, p. 287.
3
IDEM, p. 338.
— IJ'2

P r e n o n s l e s dogmes s a c r a m e n t a i r e s .
M. Pourrat conclut ainsi son étude : « Si
Ton excepte certains points secondaires,
comme les réordinations du haut moyen âge,
l'historien est obligé de reconnaître qu'il y a
entre les définitions du concile de Trente et
l'usage que l'Eglise a fait des sacrements,
depuis leur origine jusqu'à nous, une confor-
mité substantielle de nature à satisfaire qui-
conque n'est pas de parti pris. Sans doute, la
manière dont l'Eglise a administré ses sacre-
ments a varié, mais ces variations n'atteignent
jamais le fond des choses. La signification
essentielle des rites sacramentels et l'usage
qu'on en doit faire n'ont subi aucune altéra-
tion »
La doctrine de l'ImmacuIée-Gonception est
une de celles dont l'évolution a été la plus
remarquable et la plus profonde. Le passage
de l'implicite à l'explicite, lent et laborieux,
%

a exigé dix-huit siècles. Ce dogme, sans jouir


tout d'abord d'une existence autonome, vivait,
pour ainsi dire, dans le sens catholique, et il
s'est affirmé peu à peu dans la piété des

1
POURRAT, La Théologie sacramentaire,j>. 365.
- 173 -

iidèles et dans le culte extérieur : de là ces


fêtes des Églises particulières en honneur de
rimmaculée-Conception, de là enfin cette
conspiration universelle de tout le monde
croyant qui obtient la définition de i854*
Mais le sens catholique, mais la conscience
chrétienne n'ont point inventé cet article de
foi. Il n'est pas le fruit d'une spéculation
pieuse, il n'est pas le résultat d'une synthèse
mystique : il fut révélé par Dieu : Doctrinam
DIVINITUS A C C E P T A M et cœlestis revelationis
deposito comprehensam . C'est une valeur qui
1

n'a d'abord rien de saillant au milieu des


autres richesses du dépôt divin, mais on l'y
découvrira, en espèces équivalentes, dès
qu'une occasion ou une nécessité nous oblige-
ront à explorer le contenu du trésor surna-
turel ; c'est une graine féconde qui n'est pas
remarquée au début, mais, quandon l'aura vue
s'épanouir, on se rendra compte qu'elle avait
déjà germé avec d'autres, écloses peut-être
avant elle.
Cette vérité était donc contenue implicite-
ment dans les sources de la révélation, et

4
PIE IX, Bull Inejffabilis.
— 174 —
Pie I X , pour l'établir, fait appel à l'Écri-
ture, à la Tradition, au sens catholique :
Quant divina eloquia, veneranda traditio,
perpetuus Ecclesiœ sensus, mirifice illustrant
atque déclarant . 1
Saint Hippolyte de Rome
atteste la croyance de la primitive Eglise lors-
qu'il affirme l'incorruptibilité et l'impecca-
bilité de la Vierge Marie. « Son témoignage
sur l'absence de toute faute en Marie est
d'autant plus remarquable que, venantcomme
une simple observation incidente, il exprime
3
plus naïvement la foi de l'époque . »
Lors des grandes discussions contre le
pélagianisme, 'saint Augustin, l'intrépide
champion des dogmes de la grâce et du péché
originel, a bien soin de déclarer que partout
où il est fait mention du péché, il faut abso-
lument exclure la sainte Vierge Marie :
Excepta itaque sancta Virgine Maria, de
qua propter honorem Domini nullam pror-
sus, cum de peccatis agitur, haberi vola

1
Bull. Ineffabilis. — Pour le développement de
chacune de ces preuves, scripturaires, liturgiques,
patristiques, etc., voir Dom LAURENT JANSSENS, De
Deo-Homine, t. Il, Dissert. De Inimac. Concept.
2
B A R O E N H E W E K , Les Pères de l'Eglise, t.I, § a5,
traduct. GODET et VERSCHAFFEL.
quœstionem . Or, d'où peut venir cette
1

immunité complète, sinon de l'exemption du


péché originel, comme Augustin lefait remar-
2
quer ailleurs à propos de Jésus-Christ ?
Plus tard, desquerelles théologiques surgis-
sent autour de cette question : des docteurs de
grande science etde grande sainteté semblent
se montrer hostiles, tandis qu'il se forme une
majorité nettement favorable. Cependant le
sens catholique continue à s'affirmer toujours
plus ouvertement et il traduit sa croyance
par la célébration de la féte de l'Immaculée-
Conception. Le magistère officiel se tient
encore sur une prudente réserve, il laisse
discuter les théologiens, il encourage la piété
3
des fidèles : mais sans vouloir la provoquer,
m

car l'Eglise de Rome ne fut pas des premières


à adopter cette solennité. La lumière enfin est
devenue éclatante, le Pape proclame ce que
le monde entier croyait déjà.
1
S. AUGUSTIN., De Natura et Gratia, c. 36, P .
XLIV, 267. — Sur la marialogie de saint AUGUSTIN,
voir Revue Augu&tinèenne, 10 décembre 1907.
2
IDEM, Contra Julianum, lib. V, c. i5, P. L., XLIV,
8i5.
3
Le concile de Trente, sans vouloir définir
l'Immaculée-Conception, déclare que son décret sur
— ij6 —

Ici donc, comme pour les autres cas, la


définition ne créa point un article de foi
entièrement nouveau, elle constata seulement
que le dogme avait été révélé; qu'il s'était
développé avec les siècles quant à sa manifes-
tation extérieure et qu'il était désormais par-
1
venu au terme de son évolution .
le péché originel ne vise pas la sainte Vierge. Sess. V,
can. 5. — DENZINGER, 6^4-
1
Cf. GUILLAUME SIMENON, Revue Apologétique (de
Bruxelles), janvier 1905, Le Développement historique
du dogme de VImmaculée-Conception.
CHAPITRE VI

RÉSUMÉ ET CONC LUSION

Il est utile de condenser maintenant nos


explications en quelques propositions Suc­
cinctes qui seront la réponse motivée à la
question : Quels concepts avons-nous des
vérités surnaturelles?
i° Ce ne sont point des idées intuitives.
Tirées du monde sensible, elles portent avec
elles la marque de leur origine, elles ne nous
manifestent les réalités intelligibles et divines
que dans une lointaine analogie, par voie de
négation, d'élimination, de comparaison, de
proportionnalité.
2 ° Ces concepts ne sont point de purs sym­
boles, ni des signes qui n'offriraient aucun
sens pensable : ce sont des représenta-
12
tions, obscures sans doute et inadéquates,
mais non point mensongères; car elles nous
donnent de chaque mystère une définition ou
une description parfaitement saisissables par
nos esprits et qui s'appliquent à tel objet et
nullement à d'autres.
3" Ces notions ne sont point entièrement
caduques : l'image et l'expression peuvent se
modifier et se parfaire, mais il y a un fond
immuable, une réalité conceptuelle qui
survit aux vicissitudes des systèmes et des
écoles.
4° Ce n'est point cependantl'immobilité du
roc : ces concepts sont susceptibles du progrès
propre à la vie. Pour le dogme l'évolution
consiste, non point dans la création ou la
découverte d'un article de foi nouveau, ni
dans les développements syllogistiques et
les inductions originales par lesquelles le
travail et le génie font avancer la science
humaine, mais dans le passage, souvent très
long et parfois mouvementé, de l'implicite
à l'explicite: pour la théologie, dans l'épa-
nouissement rationnel et scientifique qui des
principes révélés tire des conclusions vérita-
blement nouvelles, inconnues et môme in-
— *79 —

soupçonnées aux premiers âges du dogme.


Ici, pas plus que sur les autres terrains,
l'Eglise ne saurait redouter le progrès; mais
elle sait tenir le juste milieu entre un rationa-
lisme radical qui prétend arriver à supprimer
tous les mystères, et un traditionalisme dé-
primant qui condamne tout effort de l'esprit
humain en quête de la vérité divine.
Ce n'est, que chez elle que le développe-
ment doctrinal est fécond, « Y a-t-il dans le
paganisme une forme comparable à celle-là?
Quel philosophe a laissé ses paroles à la pos-
térité comme un talent qui puisse porter
intérêt, comme une mine qui puisse être ex-
ploitée? C'est là ce qui distingue l'hérésie :
ses dogmes sont stériles; elle n'a pas de
théologie; en tant qu'hérésie, elle n'en a
point. Otez-lui ce qu'elle garde de la théolo-
gie catholique, que lui reste-t-il? des polé-
miques, des explications, des protestations,
elle se rabat sur la critique de la Bible, sur
les évidences d e l à Religion, à défaut d'une
autre sphère que celle-là. Ses formules sont
sans portée, sans développement, parce que
ce ne sont que des mots; elles sont stériles,
parce qu'elles sont mortes. Si elles avaient
— T8O —

la vie, on les verrait croître, se multiplier; ou,


si elles vivent et portent du fruit, ce n'est que
comme « le péché qui, quand il est consommé,
«engendre la mort ». Son développement,
c'est la dissolution; mais elle ne crée rien;
elle ne tend à aucun système : son dogme
principal, c'est la négation de tous dogmes,
de toute théologie, sous le règne de l'Evan-
1
gile . »
Dans l'Eglise catholique la vérité progresse,
sans changer. Le terme définitif de ce progrès
doctrinal n'est pas encore atteint. Les res-
sources de plus en plus appréciées de l'his-
toire et de la théologie positive, le vivant
travail de la synthèse et de la théologie
spéculative, peuvent encore donner à notre
science du surnaturel une nouvelle fécondité.

1
NEWMAN, par H . BREMOND, p. 18,19.
L'ÉTAT DES AjBES SÉPARÉES
Ii'État des Urnes séparées

Après le dogme fondamental de l'existence


de Dieu, aucune vérité n'a été plus populaire,
n'a recueilli de plus nombreux témoignages,
n'a engendré de plus fortes convictions, que
l'immortalité de l'âme. « La croyance que la
vie persiste après la mort n'est pas de celles
qui naissent tard chez un peuple et qui sont
le fruit de l'étude et de la réflexion. Les an-
ciens avaient remarqué qu'au contraire elle
semblait plus profondément enracinée chez
certaines nations barbares : les Gaulois, par
exemple, n'hésitaient pasà prêter de l'argent,
à la condition qu'onleleurrendraitdans l'autre
1
vie, tant ils étaient sûrs de s'y retrouver !

1
VALKR. MAXIM., Il, 6, 10.
Les Romains non plus n'avaient pas attendu
de connaître Pythagore et Platon pour être
assurés que l'homme ne meurt pas tout entier.
Cicéron nous dit qu'aussi haut qu'on remonte
dans l'histoire de Rome, on trouve des traces
de cette croyance, qu'elle existait déjà à
l'époque où l'on " s'avisa de faire les plus an-
ciens règlements civils et religieux, et qu'on
ne comprendrait pas sans elle les cérémonies
des funérailles et les prescriptions des pon-
1
tifes au sujet des tombeaux . »
La mythologie et la poésie grecques avaient
devancé les Romains. « Il est donc vrai,
s'écrie Achille dans l'Iliade, que jusque dans
les demeures d'Hadès il subsiste quelque
reste de vie M » Le X I chant de Y Odyssée a
e

recueilli les antiques traditions, mêlées pour-


tant à beaucoup d'erreurs. Cette doctrine est
si ancienne chez les Egyptiens qu'Hérodote
leur attribue la découverte du dogme de
l'immortalité. Le Livre des Morts, ou Rituel
funéraire, prouve avec la dernière évidence
que ce peuple a toujours cru à la survivance
1
GASTON BOISSIER, La Religion Romaine, t. I,
p. a63-:i65.
2
Iliad., xxiii, IOO.
— iH5 —

des âmes et à une rétribution après la mort,


peines ou récompenses *. « Le texte le plus
important qui ait été découvert jusqu'ici sur
la croyance des Assyro-Chaldéens à une
autre vie, est celui de la descente d'Istar aux
enfers, poème très étrange dans un grand
nombre de ses détails, mais très précieux
pour nous faire connaître les idées théologi-
s
ques des ancêtres des Hébreux . »
Les Perses font descendre les âmes impures
au séjour ténébreux et monter les âmes saintes
au séjour de la lumière avec Ormuzd \
Tous les peuples ont professé, tous les
peuples professent cette vérité, et, pour être
convaincus, ils n'ont pas besoin de longs ar-
guments. « Si nous étions persuadés, écrivait
récemment François Coppée, que celui qu'on
a enterré n'existe plus, absolument plus, que
signifieraient nos pèlerinages, et pourquoi
nous ferions-nous un devoir de lui prouver
que nous ne l'oublions pas et que nous
l'aimons encore? Non, non, quand nous
1
Cf. E. DEROUGÉ. Études sur le Rituel funéraire des
anciens Égyptiens, Revue ArchéoL, 1860, t. I , p.
3
VIGOUROUX, La Bible et les découvertes, t. III,
p.ia3.
3
Cf. HENRI MARTIN, La Vie future, ch. 1 et n.
— i8(> —

entrons dans un cimetière, le cœur lourd de


souvenirs, les mains chargées de présents
symboliques, nous confessons bon gré, mal
gré, notre espoir en une autre existence ou,
du moins, notre désir d'une survie person-
nelle. J'irai plus loin. Ce mort, à qui nous
apportons cet hommage fleuri, n'apparait pas
à notre pensée tel qu'il était de son vivant.
Nous ne pouvons nous empêcher de nous dire
qu'il en sait maintenant plus que nous sur le
mystère, qu'il est désormais d'une essence
autre que la nôtre, supérieure à la nôtre. Si
nous lui parlons, si nous osons nous adresser
à lui, c'est avec une émotion, un respect qui
nous fait trembler. Misères de l'homme! Il se
révolte orgueilleusement contre l'Infini, et
montre au ciel un poing chétif. Mais son pied
se heurte au tombeau des siens : il tombe à
genoux!»
Le général de Barrail (qui devait sur son lit
de mort, après s'être confessé et avoir commu-
nié, dire cette mémorable parole : « J'ai con-
duit aujourd'hui la plus belle charge de
ma vie! ») s'était écrié un jour à la tribune
française : « Si aux hommes de guerre vous
enlevez la foi dans une autre vie, vous n'avez
- i%j -

plus le droit d'exiger d'eux le sacrifice de leur


existence. » Victor Hugo avait reconnu cela
lorsqu'il disait : « Donnez au peuple qui
travaille et qui souffre, donnez au peuple pour
qui ce monde est mauvais, la croyance à un
meilleur monde fait pour lui. Il sera tran-
quille, il sera patient: la patience est faite
d'espérance. »
La nécessité d'une sanction est trop mani-
feste. Les faibles, les méprisés, les opprimés
de toute sorte, ont besoin de cette consolation;
il faut qu'ils puissent dire à leurs persécuteurs
la parole des martyrs : Regardez-nous bien
en face, afin que vous puissiez nous recon-
naître dans l'autre monde î Vous nous foulez
aux pieds aujourd'hui, mais l'injustice n'aura
pas le dernier mot. Tremblez, vous êtes
immortels!
Ce n'est point la survivance elle-même qui
a été sérieusement contestée: les erreurs
portent plutôt sur l'état ou la condition des
âmes après la mort. Le sujet se présente ici
sous un double aspect : i° le point de vue
moral, la question de justice, les récompenses
bu les châtiments de la vie future; 2 ° l a thèse
psychologique, quels sont l'état et les opéra-
— i88 —

tions naturelles de l'âme séparée, comment


connaît-elle, comment se parle-t-on dans
cette société de l'invisible, etc.? Pour la
première partie, nous nous contenterons de
résumer clairement les données de la foi;
nous nous étendronsdavantage sur la seconde,
qui est moins explorée. Il n'est pas sans
opportunité de rappeler les enseignements
de la théologie ou les conclusions d'une saine
philosophie sur ces problèmes d'outre-tombe,
que l'indifférence contemporaine n'ose point
regarder en face ou que le spiritisme réus-
sit à obscurcir jusque dans les milieux
croyants.
Ici encore nousrencontronsles modernistes.
Plusieurs ne veulent pas se faire une idée de
cette condition des âmes qui conserveraient
leur individualité complète en dehors de leur
corps et qui pourraient reprendre un jour ce
même corps. Qu'il y ait une vie immortelle
des âmes auprès de Dieu, ils ne le nient pas:
mais cet état de séparation tel que l'enseigne
la théologie traditionnelle, même en ce qui
concerne l'âme de Notre-Seigneur après sa
mort, ils ne le comprennent point. De là cette
théorie que la foi en la résurrection du Sau-
- i8(, -

veur porte moins sur le fait même de la résur-


rection que sur la çie immortelle du Christ
1
auprès de Dieu .
1
Cf. Décret du S. Oflice, 3 juillet 1907, prop. 37. —
Voir l'article de J . LEBRETON, Revue pratique d Apo-
logétique, i5 mai 1907. — Au sujet des autres
doctrines modernistes touchant l'eschatologie, voir
le P. W E I S S , O. P., Le Péril religieux, c. vu.
CHAPITRE PREMIER

LA QUESTION MORALE : RETRIBUTION IMME-


DIATE ET DÉFINITIVE APRÈS LA MORT, — LES
CERTITUDES DE LA F O I .

L'antiquité païenne a toujours cru à un


jugement particulier qui attend les hommes
dans l'autre vie. Le Livre des Morts redisait
aux Egyptiens que l'âme, à sa sortie du corps,
était conduite par Horus au tribunal d'Osiris
assis sur son trône. Là, devant les quatre
génies de l'Amenti, lieu de séjour des morts,
le défunt avait à se justifier devant quarante-
deux juges de quarante-deux espèces de
péchés... Ses actions étaient pesées dans la
balance de la vérité et enregistrées par Thoth,
tandis qu'Anubis présidait au pesage Les

1
La Bible et les découvertes, t. III, i3^-i3g.
— IC)I —

Perses admettaient un jugement en vertu


duquel les mauvais sont condamnés aux ténè-
bres et les bons reçus dans le séjour de la
lumière. Les Grecs et les Romains croyaient
aux juges des enfers, Minos et Rhadamante,
et saint Justin rappelle leur témoignage à
1
l'empereur Antonin .
Mais le dogme que le paganisme a partout
défiguré, c'est celui d'une rétribution défini-
tive après la mort. On n'a pas voulu com-
prendre que le sort des âmes fût irrévoca-
blement fixé, et l'on a inventé les théories
des réhabilitations, des restaurations, des
transmigrations et des métempsycoses. « Il y
a bien longtemps que ces rêveries hantent
l'esprit humain. La vieille Egypte en a fixé le
souvenir dans les peintures de ses hypogées
et dans les pratiques de son culte ; la Chal-
dée, dans ses périodes astrologiques; la
Perse, dans les allusions de YAvesla et dans
les prédictions du Boundehesh; l'Inde, dans
ses Védas. Pythagore les fit passer dans sa
philosophie. Platon ne sut pas en préserver
tout à fait sa belle intelligence. Les poètes

1
S. JUSTIN., A polo g., I, 8, P. 67., VI, 33?.
— 199 —

latins les ont chantées. Enfin, nous les re-


trouvons dans les écrits des hérétiques qui
ont déshonoré les premiers siècles du chris-i
tianisme, et jusque dans les œuvres du grand
1
Origène . » A notre époque, l'école phalans-
térienne les a reprises ; M. Flammarion a
mis à leur service sa science astronomique
et son talent littéraire; le spiritisme amuse
ses adeptes avec ces fables.
Fabulationes, non ni lex tua. Oui, fables
que tout cela ; la loi divine nous donne ici
des certitudes précises.

i" Certitudes sur le jugement particulier.

Elle nous affirme tout d'abord que l'âme,


en sortant de son corps, parait à la barre de
Dieu. C'était déjà la croyance de l'Ancien
Testament que, au terme de notre carrière, à
notre jour dernier, un jugement divin met à
nu toutes nos actions pour les couronner ou
les punir. « Il est aisé à Dieu, au jour de la
mort, dit l'Ecclésiastique, de rendre à cha-

1
P . MONSABRB, 94 e
conférence.
- if>3 -

cun selon ses œuvres..., et à lafinde l'homme


1
ses œuvres seront mises à nu . » Notre-Sei-
gneur confirme cet enseignement dans la
parabole du mauvais riche. Aussitôt après la
mort, récompense du juste, châtiment de
l'impie:Lazare est porté par les anges dans
le sein d'Abraham, le riche est enseveli en
5
enfer, où il est torturé . Les Pères n'ont pas
manqué d'exploiter les ressources dogma-
tiques de ce passage. Saint Hilaire prouve
par là que, en attendant le jugement der-
nier, Dieu prononce au jour de la mort une
sentence qui détermine à chacun sa destinée :
Ternpus vero mortis habet INTÉRIM nnum-
quemque suis legibus, dum ad judicium
unumquemque aut Abraham réservât aut
pœna*. Saint Augustin s'appuie aussi sur les
paroles de Notre-Seigneur pour démontrer
que lésâmes ensortantdu corpspassent aussi-
tôt au tribunal suprême, subissent déjà leur
jugement et qu'elles seront soumises avec
leur corps au jugement universel : Judicari

1
EcclL, XI, 28-29.
2
L U C , XVI, 22.
3
S . HILA-RIUS, Tract, in Psalm., I I , n. 48, P . L.,
I X , 290.

13
— if)4 —

animas cvu » E GORPORIBUS E X I B R I N T , ante-


quam çeniant ad illud judicium quo eas
oportet jam reddiiis corporibas judicari*.
Saint Grégoire le Grand commente ainsi un
autre texte de l'Evangile : Lorsque le Maître
viendra et frappera, les serviteurs lui ouvrU
ront : « Le Seigneur vient, quand il s'avance
pour nous juger; il frappe, lorsque les an-
goisses de la maladie annoncent la mort pro-
chaine. Nous lui ouvrons aussitôt, si nous le
recevons avec amour. On refuse d'ouvrir au
juge qui frappe, quand l'âme a peur de sortir
du corps et qu'elle redoute de voir comme juge
3
celui qu'elle se souvient d'avoir méprisé . »
C'est donc, au dire du saint Pontife, à l'heure
de la mort, en quittant cette vie, que l'âme
voit Dieu comme juge et entend son arrêt.
Les Papes et les Conciles ont implicite-
ment affirmé le fait du jugement particulier
en définissant que les âmes vont immédia-
tement en paradis, en enfer ou en purgatoire.
Examinons brièvement chacun de ces points.

1
S . AUGUSTIN., De Anima et ejus origine, lib. li
n. 8, P. L., XLIV, 498-499-
2
S . GHEGOR. MAGN. , Homil. i3 in Evang., n. 3,
P . L . , LXXVI, xxa4.
0
a Certitudes sur le paradis.

Les Gnostiques et les Millénaires préten-


dirent que le sort des âmes ne serait fixé
qu'au jugement dernier ; erreur qui fut re-
prise par les novateurs du seizième siècle;
Calvin veut que tout soit tenu en suspens
jusqu'à l'avènement de Jésus-Christ à la fin
du monde. On a remarqué des hésitations
chez plusieurs Pères des premiers siècles.
Pour saint Irénée, de même que Notre-Sei-
gneur n'a été glorifié qu'après être ressuscité
des morts, ainsi les âmes justes ne jouiront
1
de la récompense qu'après la résurrection ,
Lactance répète aussi que les âmes restent
dans l'attente jusqu'au suprême avènement
du Juge *.
Quelques théologiens croyaient encore, au
moyen âge, que les âmes admises au ciel ne
contemplaient que l'Humanité de Notre-Sei-
gneur, la vision béatifique étant différée jus-

1
S . IREN., Adv. Hœres.j lib. V , c. xxxi, P. G.,
V I I , 1209.
2
LACTANT., Divin, lnstit., lib. V I I , c. xxi, P. Z,.,
V I , 802-803.
- içfi -

qu'au dernier jour; ell'on sait que Jean XXII


se montrait favorable à ce sentiment.
La doctrine de la récompense immédiate a
toujours eu ses défenseurs. Elle a été ensei-
1
gnée par saint Paul . Le grand Apôtre pré-
fère être dès maintenant séparé de son corps
pour être présent devant Dieu; il désire la
dissolution de son être pour vivre avec le
Christ: il y trouve un gain et des avantages
qui le font soupirer après le trépas. Or,
quel profit aura-t-il à mourir tout de suite si
la vision de son Dieu est retardée jusqu'à la
parousie? Ne vaut-il pas mieux pour lui de
rester ici-bas pour accroître la somme de ses
mérites*.
Saint Clément de Rome assure que Pierre
et Paul, après avoir subi le martyre, sont
déjà entrés dans le lieu saint, le lieu de la
3
gloire . Saint Polycarpe dit de même que les
saints Ignace, Zozime, Rufus, comme Paul
et les autres apôtres, sont dans le lieu qui
leur est dû, auprès du Seigneur, avec lequel
1
II Cor., v; Philipp., i, 21-24.
2
Sur cet enseigaeraent de saint Paul, voir l'article
du P. HUGUENV, O . P., Revue 1 homiste, janvier igo5,
p. 672 et ss.
3
ICor., v, P. G., I, ar;, 220.
— —
1
ils ont souffert . A l'époque des persécutions
les Pères encouragent les fidèles par la cer-
titude du bonheur qui les attend: les âmes
des martyrs sont introduites dans le paradis,
associées aux anges, aux apôtres, aux pro-
phètes. La mort est infligée, mais l'immor-
talité la remplace aussitôt; les yeux du
corps se ferment à la lumière terrestre, ceux
2
de l'âme s'ouvrent pour voir Dieu .
Le paradis n'est plus fermé, disent les Doc-
teurs, parce que Notre-Seigneur, en descen-
dant aux enfers, a délivré les âmes des justes
3
et leur a donné la béatitude . Non seulement
les martyrs, mais les autres saints sont déjà
admis à la récompense. Saint Grégoire de
Nazianze aime à contempler son père dans
la gloire, il compte sur la protection de celui
qui est maintenant devant Dieu et qui a déjà

1
Ad Philipp., c. ix, P. G., V, IOI3
2
S. CYPRIAN., Ad Fortunatum, i3, P. IV,
675*676. — Cf. TERTULL., De Resarrect. corn., 43»
P. £.,11,856.
3
C'est déjà la doctrine des Pères grecs, que saint
Thomas, à la suite de saint Augustin, expliquera
d'une manière plus complète Cf. S . GREGOR. NA-
ZIANZ., Orat. ao, P. G., XXXVI, loi ; S. EPIPHAN.,
Hœres., 77, n. 35, P. G.,XL1L, 696; S. THOM.,111 P.,
q. 5a, a. 5.
— xp8 —

1
obtenu la dignité et la sécurité des anges .
Saint Ambroise console les fils de Théodose
en leur montrant leur père dans la cité du
bonheur. Les anges et les archanges viennent
à sa rencontre et lui demandent: Qu'avez-
vous fait sur la terre? Il répond : J'ai aimé.
Il est introduit dans la paix, dans ce repos
dont il est dit: Venez, les bénis de mon Père,
possédez le royaume qui vous a été préparé
dès l'origine du monde. Il s'est hâté d'entrer
dans la Jérusalem céleste. C'est là qu'on
trouve la vraie gloire, qu'on possède cet em-
pire qui faisait dire à l'Apôtre : J e consens à
être loin de mon corps pour être présent de-
vant Dieu. Il jouit déjà, Théodose, fruitur
nunc, il jouit maintenant de la lumière éter-
nelle, de la tranquillité durable; et, pour les
travaux qu'il a supportés ici-bas, il goûte les
fruits de la divine récompense. Il est dans la
2
lumière et dans la compagnie des saints .

1
Orat., n.
18, 4,
P. G., XXXV, 989; Cf. Orat.zÇ,
n. 19, P . G., XXXV, 1193.
2 is
De Obitu Theodosii, n 18, 28, 3o, 3i, 32, P. L.,
XVI, 1392-1398. — Quoi qu'il en soit de ses autres
écrits, saint Ambroise professe ici très clairement
que l'entrée au ciel est immédiate, que la récom-
pense des justes n'est pas différée jusqu'à la résur-
— 199 —
A l'époque de saint Grégoire le Grand,
cette croyance est très répandue; l'illustre
docteur invoque l'autorité de saint Paul pour
prouver que les âmes sans tache voient Dieu
1
aussitôt après la mort .
Devenue désormais universelle, cette doc-
trine va être définie par l'Eglise. Le concile
de Lyon, en 1274* déclare que les âmes puri-
2
fiées sont reçues au ciel sans délai ; mais,
comme quelques théologiens prétendent en-
core qu'elles peuvent aller en paradis sans
jouir de la vision béatifique, Benoit XII met
fin à toutes les controverses par sa célèbre
constitution Benedictus Dem> du 29 jan-
vier i336. Les âmes justes, qui n'ont rien à
expier, aussitôt après leur mort, et celles qui
ont à expier, dès que leur purification est
achevée, sont admises au ciel avec Jésus-

rection. Même doctrine dans le discours sur la mort


de son frère : De excessu fratris sui Satjrri, n. i5a,
P . L., XVI, i354- — H ne faut donc pas accepter
sans contrôle certaines affirmations critiques d'a-
près lesquelles saint Ambroise aurait toujours en-
seigné que les âmes demeurent dans l'expectative
jusqu'au jugement dernier.
1
S . GREGOR. M., Il Dialog.,25, P. LXXV1I,
35;.
2
Cf. DENZINGER, 38?.
— 200 —

Christ et les saints anges: elles voient l'es-


sence divine intuitivement, sans aucun inter-
médiaire, face à face. Cette vision les rend
entièrement heureuses, leur assure la vie et
le repos éternel: une'fois commencée, elle
ne cesse point, elle n'est jamais interrompue,
elle doit durer jusqu'au jugement dernier, et
1
de là à perpétuité .
Le concile de Florence renouvelle cette
définition : Les âmes pures ou purifiées sont
tout de suite reçues au ciel, où elles voient
intuitivement le Dieu un en trois personnes,
sans nuage, tel qu'il est, plus parfaitement
les unes que les autres selon la diversité de
2
leurs mérites .
Il est donc de foi que les âmes des saints
vont au ciel, qu'elles sont élevées tout de
suite à la vision béatifique, qu'elles voient
Dieu non seulement dans sa nature, mais
encore dans la trinité des personnes, unwn
et trinum, qu'elles sont parfaitement heu-
reuses et jouissent de Dieu, Deum béate
fruendum*\ que le degré de la vision et du
1
DENZINGER, 456.
2
Décret. Unionis, DENZINGER, 588.
3
C'est l'expression du concile de Vienne, quoique
— 20I —

bonheur est proportionné au degré des


mérites acquis pendant la vie; que la béati-
tude n'aura point d'interruption ni de fin,
qu'elle est entièrement inamissible.

3° Certitudes sur Venfer.

Des hésitations se produisirent assez nom-


breuses aux premiers siècles sur la date de
l'entrée des âmes réprouvées en enfer; il en
est qui la retardèrent, comme la récompense
des élus, jusqu'après le jugement dernier.
Notre-Seigneur cependant avait donné clai-
rement à entendre que le supplice com-
mence sans délai, puisque le mauvais riche,
au sortir de cette vie, est enseveli dans les
flammes. Tertullien s'empare de ce témoi-
gnage, et il montre les damnés déjà torturés
1
en enfer . Saint Hilaire est très affirma lif:
a La colère divine ne fait pas attendre le châ-
timent, elle éclate soudain, et l'enfer vengeur
le canon auquel nous faisons allusion définisse un
autre objet. Cf. DENZINGER, 4°3>
1
TEUTULL., De Anima, c. vu, P. L., 11,656-657. Il
est vrai que Tertullien mêle à son argumentation
certaines erreurs sur la corporéité de l'âme.
202

reçoit sans retard ceux qui ont mal vécu : à la


sortie du corps, la perte de ces âmes est
consommée. Voyez le pauvre et le riche de
l'Évangile: l'un est porté par les anges dans
le sein d'Abraham, l'autre est reçu dans la
région du tourment: son supplice est com-
mencé, tandis que ses frères sont encore sur
la terre: point d'attente, point de répit, point
1
de retard . » Saint Ambroise,en même temps
qu'il contemple Théodose dans la lumière du
ciel, gloritiéavec les anges, représente Maxime
et Eugène ensevelis en enfer dans une pro-
fonde nuit : Manet in lumine Theodosius et
sanctorum cœtibus gloriatur... Contra autem
1
Maximus et Eugenius in in fer no ... Saint
Grégoire le Grand n'est pas moins explicite:
« Si la parole divine nous oblige à croire que
les âmes des saints sont déjà en Paradis,
vous devez confesser également que les âmes
des damnés sont en enfer, car il est néces-
saire que la justice éternelle, qui couronne
les bons, punisse aussi les méchants. De

1
S. HILARIUS, Tract, in Ps., Il, n. 48, P. L., IX,
290.
2
S . AMBROS., De obitu Theodos., n. 39, P. Z - ,
XVI, Ï3Q8.
— 203 —
même donc que la béatitude réjouit les élus,
ainsi faut-il que le feu brûle les réprouvés du
jour même de leur mort: Necesse est quod A
1
DIE E X I T U S IGNIS reprobos exurat . »
L'Eglise sanctionnera officiellement l'ensei-
gnement de ses docteurs: « Nous définissons,
dit Benoit XII, que, selon la loi commune
établie par Dieu, les Ames de ceux qui meu-
rent dans le péché mortel vont aussitôt après
leur mort en enfer, où elles endurent leur
supplice, et que néanmoins tous les hommes
au jugement dernier devront comparaître
avec leurs corps au tribunal du Christ, pour
rendre compte des œuvres bonnes ou mau-
vaises accomplies dans leurs corps sur celte
2
terre . Lésâmes de ceux qui meurent dans
le péché mortel, redit le concile de Florence,
descendent en enfer aussitôt après la mort et
de même celles qui ont quitté ce monde avec
le seul péché originel, mais la peine de
5
celles-ci est bien différente . »
Un autre document ecclésiastique, le sym-

1
S. GREGOR. M., IV Dialog., c. xxvui, P. L.,
LXXV1I, 365.
2
DENZINGER, 456.
* IDEM, 588.
— 204 —
bole dit de saint Alhanase, que l'Eglise a fait
1
sien et qu'elle oblige ses clercs à réciter ,
enseigne dans un même article de foi l'éter-
nité des peines et des récompenses. « Qui
bona egerunt, ibunt in çitam œternam; qui
çero mala, in ignem œternum. » Le V concile e

œcuménique, tenu à Constantinople, définit


ce dogme et réprouve comme monstrueuse la
théorie de la restauration finale inventée par
les Origénistes*. Innocent III déclare que
le châtiment du péché mortel est le supplice
3 e
d'un enfer éternel : le IV concile de Latran
4
rappelle cette môme vérité ; et Benoit XII
condamne cette proposition des Arméniens :
ce Après le jugement général il n'y aura plus
3
d'enfer . » L'Église ne s'est pas prononcée
sur la nature du feu qui torture les damnés,
mais dans sa pensée c'est un feu réel; et la
Sacrée Pénitencerie regarde comme indignes
de l'absolution sacramentelle les opiniâtres
6
qui n'admettraient qu'un feu métaphorique .
1
DENZINGER, 1^7.
I
IUEM, 187, 198,199.
3
1D., 341. « Gehennae perpétuéecruciatus. »
4
ln., 356. « Cuiu diabolo poenampérpetoam. »
8
ID., 1799.
ù
S. Pœnitentiaria, die 3o Aprilis 1890: «Hujusmodi
La doctrine catholique se résume donc en
ces quelques propositions : Aussitôt après la
mort les âmes en état de péché mortel des-
cendent en enfer. Les définitions disent :
Selon la loi commune établie par Dieu, pour
ne pas exclure certains faits extraordinaires
rapportés dans la vie des saints. Des pécheurs
décédés dans l'impénitence n'auraient pas
été jugés tout de suite, le Seigneur aurait sus-
pendu son arrêt en prévision du miracle qui
devait ramener ces âmes dans leurs corps.
Les damnés endurent la peine du dam,
privation de la vue de Dieu : Retirez-vous de
moi; et la peine du sens : Allez au feu éter-
1
nel . Ce feu n'est point une métaphore, il
est réel (nous ne disons pas : matériel comme
le nôtre). Le sort des enfants qui n'eurent
jamais la grâce régénératrice n'est point à
comparer avec le supplice des damnés cou-
pables du péché mortel: ces enfants subissent
la peine du dam, mais on peut croire et
enseigner qu'ils ne souffrent point du feu ; le
séjour des limbes n'est point une fable péla-

pœnitentes diligenter instruendos esse et pertinaces


non esse absolvendos. »
1
MATTH., xxv, 4i.
— ao6
1
gienne . L'enfer n'aura point de terme; la
perle des réprouvés est sans remède, irrévo-
cable, désespérée...

U
4 Certitudes sur le purgatoire.

Les âmes qui ont quitté ce monde en état


de grâce, mais avec des dettes envers la justice
divine, vont dans un lieu d'expiation, d'où
elles sortiront un jour. Cette croyance était
populaire à l'époque de Judas Machabée. Le
héros fit offrir un sacrifice pour les soldats
tués au combat : l'auteur sacré approuve cet
acte de foi, et il ajoute que c'est une œuvre
excellente de prier pour les morts, afin qu'ils
soient délivrés de leurs péchés *.
L'Ecriture nous atteste donc dans ce pas-
sage : i° que des âmes peuvent sortir de la
vie dans des sentiments de piété et d'amour
de Dieu, cumpietate dormitionem acceperant,
sans être entièrement purifiées; 2 ° qu'il leur

' Cf. Bull. Aactoremfidei, propos. 26, synod. Pis-


tor, DENZINGER, 1389. Voir Hors de VÉglise point de
salut, p. 200.
2
II Mochab,, xn/42-46.
— 207 —
est possible d'expier dans l'autre vie; 3° que
les suffrages des vivants peuvent les soulager :
Pro defunctis exorare, ut a peccatis solvan-
tur. Ces trois points contiennent tout le
dogme catholique du purgatoire.
Notre-Seigneur, en déclarant que le péché
contre le Saint-Esprit ne sera pardonné ni
dans ce siècle ni dans le siècle futur, nous
fait soupçonner que d'autres péchés sont
1
remis dans l'autre monde . « Ce langage, re-
marque saint Augustin, ne sera pas entière-
ment exact s'il n'est point vrai que certaines
2
fautes sont expiées après la mort . » La tra-
dition l'a compris ainsi.
Les liturgies les plus anciennes prescrivent
des prières pour les morts. « Chaque année,
dit Tertullien, nous faisons des offrandes
3
pour nos défunts ; nous prions pour leurs
âmes, nous demandons pour elles le rafraî-
chissement : Pro anima ejus orat et refri-

1
MATTH., XII, 3a.
2
« Neque enim de quibusdam veraciter diceretur
quod non eis remittatur neque in hoc sœculo neque
in futuro, nisi essent quibus, etsi non in isto, tanien
remittetur in futuro. » De Civit. Dei, lib. X X I , c. xxiv,
P . L., X L I , 738.
3
TERTULIAN., DeCorona Militis, c. m, P . L., Il,79.
— 20S —

gerium intérim adpostulat ei*. » Saint


Cyprien fait allusion à ces oblations et à ces
5
prières , et il explique que, parmi les sauvés,
les uns sont couronnés tout de suite, d'autres
attendent le pardon, payant jusqu'au dernier
quadrant, et expiant dans le long supplice du
feu, diu igne, les fautes non purifiées . Saint 3

Paulin de Noie recommande son frère défunt


aux prières d'Àmand, afin que Dieu, touché
par ces supplications, accorde le rafraîchisse-
ment àcetteàme et laisse descendre dans ces
ténèbres un rayon de sa clémence, qui, sem-
blable à une rosée, tempérera ces ardeurs :
Refrigeret animam ejas stillicidiis misericor-
dite suce per orationes centras...; ut roscido
pietatis ejus lumine in tenebris ardentibus
wstuantes refrigeremur\
Il ressort de leurs témoignages que ces
Pères ne plaçaient point le purgatoire après
la fin du monde, comme d'autres ont pu le
prétendre, mais tout de suite après la mort,
puisque c'est déjà que les âmes expient dans
1
TBRTUUAN., De Monogamia, c. x, P. L., I I , 942.
2
S . CYPRIAN., Epist., 66, P. L . , I V , 399.
3
S . GYPRIAN., Ad Antonianum, P . L., 111, 786.
* S . PAULINUS NOLAN., Epist. ad Amand., 3 6 (al.
20), P. L., L X I , 331-352.
— 2og —

le long supplice.du feu, c'est pour maintenant


qu'on leur souhaite la rosée céleste et le
rafraîchissement. Saint Grégoire le Grand a
enseigné très explicitement la doctrine d'un -
purgatoire où le feu purificateur achève
1
l'œuvre de la justice dans les âmes . Il rend
célèbre cette expression depurgatorius ignis
2
déjà employée par saint Augustin .
Quelles sont les déclarations du magistère
solennel? Le second concile de Lyon, 1274»
dans la profession de foi qu'il soumet à Michel
Paléologue, fait dire : « Ceux qui meurent
pénitents et dans la charité de Dieu, mais
avant d'avoir fait de dignes fruits de péni-
tence pour les fautes commises, sont purifiés
après la mort par les peines du purgatoire ;
ces âmes peuvent être soulagées par les
suffrages des fidèles vivants, c'est-à-dire le
sacrifice delà messe, les prières, les aumônes
et les autres devoirs de piété que les fidèles
ont coutume d'offrir pour les autres fidèles
selon les institutions de l'Eglise \ » Benoit XII,
1
S. GREGOR. MAGN., III Dialog., c. xxxix, P.
LXXV1I, 393-396.
2
«Per ignem, quemdam purgatorium. nEnchirid^
69, P. L . , XL, 265.
3
DENZINGER, 38;.
RÉPONSES IHÉQLuoHjLEa 14
— aïo —
dans la constitution Benedictus Deus, rap-
pelle le dogme de l'expiation après la mort,
cum post mortem suant fuerint purgatœ,
et dans un autre document il condamne la
théorie des Arméniens : « Il n'y a point de
purgatoire pour les chrétiens, la confession
suffisant toute seule pour remettre la peine
1
entière due aux péchés . » Le concile de Flo-
rence reproduit textuellement la définition des
Pères de Lyon*. Léon X condamne les propo-
sitions par lesquelles Luther nie la possibilité
de prouver par l'Ecriture sainte l'existence
du purgatoire ou bien prétend que les âmes
n'y sont pas certaines de leur salut ; qu'il n'est
point prouvé qu'elles soient hors d'état de
mériter et de croître en charité; qu'elles
pèchent sans cesse tant qu'elles cherchent le
repos et ont en horreur des peines; qu'elles
seront moins heureuses au ciel si elles sont
délivrées par les suffrages des fidèles, au lieu
1
d'avoir satisfait par elles-mêmes . Le concile
de Trente insiste à plusieurs reprises sur ce
dogme catholique : même après la grâce delà
1
DENZINGER, 1803.
- IDEM, n. 588.
I
IDEM, 66I-665.
211

justification que reçoit le pécheur pénitent,


il peut rester une dette temporelle à payer
1
dansce monde ou dans l'autre, en purgatoire .
Il faut croire qu'il y a un purgatoire, que les
âmes détenues dans ce lieu peuvent être sou-
lagées par les suffrages des fidèles, particu-
2
lièrement par le sacrifice de nos autels . Il
est de foi que la messe est propitiatoire pour
3
les vivants et pour les défunts . Enfin la pro-
fession de foi que depuis le pape Pie IV
l'Eglise impose à ses enfants fait à cette
vérité une mention toute spéciale: Constanter
teneo purgatorium esse animasque ibi deten-
tasfldelium suffragiis juvari*.
Tout cet^enseignement se résume ainsi : II
existe entre le ciel et l'enfer un état intermé-
diaire, destiné aux âmes pénitentes qui ont
quitté ce monde en état de grâce, mais non
entièrement purifiées, avec une dette tempo-
relle envers la justice divine. Elles sont
entièrement sûres de leur salut, ne pèchent
plus, jouissent de l'amitié de Dieu. Elles ne

1
Sess. V I , can. 3o, DENZINGER,
l Sess. X X V , DENZINGER, 856.
a
Sess. X I I , cap. II, DENZINGER, n. 617.
4
IDEM, n. 866.
212

sont plus en état de mériter ni de satisfaire au


sens propre du mot, mais les suffrages des
fidèles peuvent les soulager et abréger leurs
tourments. C'estdonc une excellente pratique
de prier pour les défunts.
Nous avons voulu condenser en quelques
pages toute la doctrine catholique sur les mys-
1
tères d'outre-tombe ; c'est la réfutation la
plus prompte et la plus efficace à opposer aux
rêveries du spiritisme.
Tel est, au point de vue de l'infinie justice,
l'état des âmes séparées : elles ont comparu
à la barre de Dieu, leur sort est irrévocable-
ment fixé, elles jouissent d'un triomphe qui
n'aura point de terme, ou bien elles subissent
avec résignation une peine qui les purifie et
qui doit finir, ou elles souffrent dans un
désespoir qui sera éternel.
Mais cette considération surnaturelle et
morale suppose un état naturel et psycholo-
gique, champ très vaste, que nous essaierons
d'explorer rapidement avec les principes de
la philosophie et delà théologie thomistes.
1
Voir, pour une étude plus complète, le P . MON-
SADHÉ, la Vie future et VAutre Monde, carêmes de
1888 et de 1889.
CHAPITRE II

LA QUESTION PSYCHOLOGIQUE. — ET D'ABORD LES


OPÉRATIONS NATURELLES DE L'AME SEPAREE.

Les conceptions diverses sur l'activité


psychologiquedesmortsdépendentetdérivent
des théories qu'on professait sur la nature de
l'âme humaine. Les vieux Latins, très sim-
plistes, n'ayant point d'idées bien précises
sur la spiritualité et n'arrivant pas à séparer
l'âmeetlecorps.supposèrentqu'ils continuent
à vivre ensemble dans le tombeau, que le dé-
funt y est enfermé tout entier, qu'il y conserve
les besoins de la vie présente. On ne manquait
pas, quand on passait près de l'endroit où il
reposait, de répéter l'antique formule : « Que
la terre te soit légère ! » On venait, en famille,
les jours de fête, y célébrer des repas, dont
2l4 —

on pensait bien que le mort prenait sa part.


Saint Augustin s'élève contre cette coutume,
qui n'avait pas encore disparu à son époque,
et il parle avec colère de ces gens qui boivent
sur le tombeau des morts et s'ensevelissent
1
avec eux . Ces théories supposent donc que
les âmes séparées gardent toutes les opéra-
tions de l'état d'union, la faculté de sentir, de
jouir, de souffrir. Ce fut aussi l'opinion de
Tertullien*.
Par contre, les systèmes de la préexistence
des âmes, des transmigrations et des métem-
psycoses veulent que l'esprit, après la mort,
perde jusqu'au souvenir de ses actions passées.
Virgile s'est fait le chantre de cette erreur :
toutes les âmes, même celles des bons, après
une expiation de mille ans, vont boire l'oubli
au lleuve Léthé, puis elles retournent en ce
monde pour y commencer une nouvelle exis-
3
tence .
1
GASTON BOISSIER, La Religion Romaine, t. I ,
p. 266-368.
2
TERTULLIAN., De Anima, P . L., I I , 656, 607.
3
Has oinnes, ubi mille rotam volvere per annos,
Lethanim ad fluvium deus evocat agmine magno ;
Scilicet immemores supera ut convexa revisant,
Rursus et incipiant in corpora vclle reverti.
JEneid., V I , 748-j5a.
2ID

Ce fut la croyance de quelques rêveurs, aux


premiers âges de l'Église, que les âmes sépa-
rées restent dans une sorte d'engourdissement.
Les novateurs ressuscitèrent ces idées au
seizième siècle, et Rosmini, au dix-neuvième
siècle, les présenta sous une autre forme, « A
ne regarder que la condition naturelle, dit-
il, l'âme après la mort existe comme si elle
n'existait pas, sans conscience d'elle-même et
dans un état semblable à celui des ténèbres
et d'un sommeil perpétuel. L'âme du croyant
toutefois entre en communication avec l'Hu-
manité du Sauveur: Jésus-Christ alors est
pour elle la résurrection, elle vivra désormais
parce qu'elle ne pourra plus se séparer de
Notre-Seigneur. » Ces fantaisies et d'autres
semblables ont été condamnées par le Saint-
Office, le 14 décembre 1887 *.
Les documents de la révélation qui ont
résolu la question morale jettent aussi leur
lumière sur la question psychologique. Si
l'âme après la mort voit Dieu comme juge,
entend la sentence divine, jouit de la vision
1
Cf. prop. X X I I I , apud DENZINGER, n. i?58. Le
Saint-Office a laissé de coté ce qui est dit de l'Ame
du croyant.
— 2l6 —

et de l'amour béatifiques, ou bien expie dans


l'espérance, ou souffre dansl'éternel remords,
il est manifeste qu'elle conserve l'usage de
l'intelligence et de la volonté.
La philosophie la moins compliquée arrive
à la même conclusion. Tout ce qui vit doit
agir. Tout être est pour son opération propre
qui est sa fin et sa couronne, il n'a été pro-
1
duit que pour elle . Tout ce qui est immortel
est doué d'activité. Si notre àme continue à
exister, elle conserve des facultés et des opé-
rations.
Les Cartésiens soutiennent que l'âme
séparée garde toutes les facultés de l'état
d'union, et que leurs opérations s'exercent
avec plus d'aisance et de liberté qu'ici-bas.
Pour eux, en effet, comme pour tous ceux
qui nient l'unité substantielle du composé
humain, le corps, bien loin d'être un conjoint
nécessaire, un instrument vital, est plutôt un
obstacle, « une guenille », dont il faut se
débarrasser. Dès lors toutes les puissances et
toutes les actions, même celles de la sensibi-
lité, ont pour sujet unique l'âme spirituelle :

1
Cf. S . TUOM., De Veritate, q. 19, a. 1.
— 217 —
elles persistent donc avec elle dans la vie
d'outre-tombe.
S'il est prouvé, au contraire, que l'âme
s'unit substantiellement au corps, que la sen-
sation requiert un sujet matériel comme les
objets extérieurs qui agissent sur lui, il
devient manifeste que le règne des émotions
organiques se termine à la mort. L'âme est la
racine de toutes ses puissances, elle les porte
en germe dans ses profondeurs, elle ne se
conçoit pas entièrement sans elles, et elle ne
fait point valoir toutes ses richesses et toute
sa vertu quand elle ne joue plus le rôle de la
forme végétative et de la forme sensitive.
Mais, pour réaliser toutes ces capacités, il
faut un instrument et un support; ce sujet
immédiat, c'est l'organisme animé, composé
vivant de matière et d'âme. La catastrophe
finale Ta brisé; donc impossible l'épanouis-
sement des facultés mixtes : plus d'impres-
sions nerveuses, plus de ces douleurs qui
proviennent du déchirement ou de la sépara-
tion violente des parties; plus de sensation.
Cependant, puisqu'elle est la racine de ces
facultés, elle les conserve virtuellement et
comme retirées au dedans d'elle-même, et, si
un jour elle est réunie à son corps, elle
pourra aussitôt, sans création nouvelle et
sans miracle particulier, les déployer à Taise
dans l'organisme rétabli.
Elle doit garder en plein exercice les puis-
sances dont elle est la base et le sujet
uniques. Même durant l'état d'union elle avait
à son sommet des énergies exquises, une
intelligence et une volonté qui ne furent ja-
mais mêlées à la matière. Elles vivaient en
dehors et au-dessus du terrestre et du sen-
sible, alors que l'âme communiait à notre
monde ; cesseraient-elles donc, quand l'âme
communie au royaume des esprits? Elles
persistent sans aucun doute; mais comment
agiront-elles, puisque leur travail, tout en
restant en dehors de la matière, requérait en
cette vie le concours préalable de l'imagina-
tion et des sens? — Ce qui est essentiel à
l'opération intellectuelle, c'est d'atteindre un
objet spirituel : il y a connaissance lorsque
l'esprit immatériel et l'intelligible immatériel
se rencontrent, se touchent et s'unissent.
Comment cet objet arrivera-t-il jusqu'à l'intel-
ligence? Dans la vie présente, il n'y pénètre
qu'après un laborieux voyage et comme par
— 210

de longs détours. Il existe bien dans la nature,


mais enveloppé de langes sensibles, revêtu
de formes concrètes. C'est dans cet état et
sous cet aspect qu'il se présente à l'imagina-
tion : l'esprit doit exercer sur lui un travail
d'abstraction, pour le dégager de ses entraves
et le faire resplendir dans son éclat idéal.
Ainsi, les sens externes commencent à
prendre le moule de l'objet, l'imagination le
reproduit dans une représentation plus éle-
vée ; enfin l'esprit par sa puissance de généra-
lisation se forme une nouvelle image d'un
ordre infiniment supérieur, l'idée, qui est
l'objet dans son état intelligible, spirituel.
L'intelligence et l'immatériel se sont unis, la
connaissance est faite. Une fois gravées dans
l'âme incorruptible, les idées, incorruptibles
aussi, ne se perdront plus; l'âme les empor-
tera avec elle sans pouvoir jamais s'en sépa-
rer. Voilà donc l'esprit humain meublé de
concepts qui l'accompagneront dans l'éter-
nité.
Si le mode d'intellection qui suppose
l'exercice des sens est naturel, il n'est pas le
seul possible. L'immatériel, qui est venu d'en
bas, ne pourrait-il pas s'introduire d'en haut,
— 220 —

sans passer par l'imagination? Ne peut-il pas


être glissé directement par Dieu dans notre
esprit comme il fut imprimé dans l'intelli-
gence angélique? L'essentiel, donc, c'est que
l'intelligible s'unisse à notre entendement :
l'accessoire, c'est qu'il y monte d'en bas ou
1
qu'il y descende d'en haut .
Notre âme comporte ces deux procédés de
connaissance, parce qu'elle a deux modes
2
d'être . Elle est, par essence, forme du corps
humain, et à ce point de vue son état naturel
est de s'unir au corps, d'acquérir sa perfec-
tion par cet intermédiaire, d'utiliser pour son
travail mental les services des facultés infé-
rieures. Mais elle est aussi par essence une
forme spirituelle, immortelle, qui touche au
rang des substances séparées; et à ce titre il
lui appartient d'exister à la manière des es-
prits, de comprendre à leur manière, sans
avoir besoin de se tourner vers des images
sensibles.
Ce dernier procédé, il faut en convenir,

1
Cf. B. ALBERT.* De Natura et origine Animas,
tract. II; S . THOMAS, De Unitate Intellectus contra
Averroem; P. COCONNIER, L Ame humaine, p. 349 ss.
- Cf. I P., q. 89, a. 1.
221

n'est pas entièrement naturel. Ce qui est


pleinement naturel c'est l'union, car un être
qui est essentiellement forme du corps ne
jouit de sa pleine vie normale que par le con-
cours des deux éléments. Mais l'état de sépa-
ration n'est pas violent non plus. On appelle
état violent, forcé, celui dans lequel le sujet
est purement passif, qu'il ne supporte point en
vertu de sa seule nature, qui lui est imposé
par un agent extérieur, de sorte que, si l'ac-
tion de cet agent vient à cesser, la violence
cesse aussitôt. L'âme séparée n'a point ce
rôle de passivité, nul besoin d'une influence
étrangère pour la maintenir dans cet état, elle
y reste d'elle-même. Substance incorruptible,
elle possède comme naturellement ce qui
est le propre de l'être immatériel, c'est-
à-dire vivre sans la matière et en dehors
d'elle.
Si ce mode d'exister n'est pas violent, l'opé-
ration qui lui correspond ne l'est pas davan-
tage. L'intelligence ne comprend plus à l'aide
des images, elle ne raisonne plus; mais elle
ne saurait souffrir d'un changement qui est
réclamé par sa condition nouvelle. Elle lit la
vérité à la façon des anges; et cette activité,
— 222 —

bien loin de lui être pénible, doit avoir ses


suavités et ses charmes, parce qu'elle procède
d'un état désormais naturel. Sans doute,
toutes les aspirations et toutes les tendances
de l'âme ne sont point rassasiées, elle ne dé-
ploie pas toutes ses activités, mais ce qu'elle
a nécessairement, en sa qualité de substance
incorruptible, est déjà une satisfaction : les
opérations qui sont la raison d'être de sa vie
nouvelle sont une perfection, une jouissance,
quoique incomplète, et elles doivent se pro-
duire avec aisance et suavité.
On ne saurait donc admettre la théorie
qu'un théologien distingué, M. F . Dubois, a
exposée dans la Berne du Clergé français. Il
pense que l'état psychologique des âmes
séparées est une peine semblable aux épreu-
ves que subissent les mystiques. Saint Jean
de la Croix dislingue deux nuits, qu'il appelle
encore les purgatoires de l'âme : la nuit
dusens et la nuit de l'esprit. Ce sont des
« nuits » parce que dans cet état nos facultés
spirituelles et sensibles, sevrées des satisfac-
tions habituelles qu'elles trouvaient dans les
créatures, sont comme les yeux privés de
lumière et plongés dans l'obscurité de la
— 233 —

1
nuit . La nuit des sens, dit le P. Poulain :
i° est une aridité; 2° avec cette particularité
que l'âme ne trouve de facilité qu'à un souve-
nir unique, celui de Dieu ; 3° elle a aussi un
désir unique, celui de posséder Dieu davan-
tage; enfin, 4° cette orientation se fait d'elle-
même...
L'ennui résulte de cette aridité. Les facul-
tés s'exaspèrent d'être ainsi désœuvrées. Elles
voudraient du mouvement, de la variété; or,
les voilà sans cesse condamnées à l'immobi-
lité, à une occupation monotone!... La se-
conde nuit, ou second purgatoire, est la nuit
de l'esprit, parce que les facultés intellec-
tuelles sont dans l'obscurité divine, éprouvent
de grandes souffrances à cause de leur inac-
tion*. M. Dubois estime que les opérations
de l'âme séparée ont quelque chose d'ana-
logue ; qu'on peut appeler « Jeu spirituel,
cette peine très réelle qui résulte pour les
âmes du purgatoire du mode defonctionne-
ment anormal de leurs facultés »; que la
peine du sens « ne résulte pas de l'action
1
Revue du Clergé français, t. XXXII, p. 277.
* Cf. P . POULAIN, Les Grâces d'Oraison, deuxième
p a r t i e , ch. xi et ch. xvi.
— 2^4 —

d'un agent extérieur, le feu, mais d'une cause


psychologique, l'extinction des organes des
sens moralement nécessaires à la vie spiri-
tuelle et la substitution aux opérations habi-
tuelles de l'esprit d'un mode nouveau de
l
connaissance, Yintuition . » — « La nuit des
sens est encore sans doute plus épaisse pour
les âmes du purgatoire; car en elle les facul-
tés sensibles sont non seulement liées, comme
dans les états mystiques, mais éteintes par
suite de la dissolution du corps. Donc, l'âme
ni ne voit, ni n'entend, ni ne goûte, ni ne
sent plus. Elle ne peut se servir de sa mé-
moire, ni étayer ses conceptions fragiles des
images familières : le trésor de l'imagination
a sombré dans le naufrage du corps. Toute
communication avec les créatures lui est
interdite, puisque ce n'est qu'à l'aide de
signes sensibles que cette communication
pourrait s'établir. Elle gît seule, murée dans
sa vie intérieure comme dans une prison très
douloureuse.
oc La vie intellectuelle, par contre-coup»
est gênée dans son fonctionnement normal :

1
Revue du Clergéfrançais, t. XXXII, p. 28a, note.
— M5 —

l'intelligence humaine est naturellement une


faculté discursive, c'est-à-dire une faculté non
d'intuition, mais de raisonnement. Cela tient
à son union avec le corps : elle n'aperçoit
pas immédiatement l'essence des corps avec
toutes ses propriétés constituantes dans une
vue simple et pénétrante comme l'intelligence
angélique, mais elle la dégage des phéno-
mènes sensibles par le circuit du raisonne-
ment. Privée des sens qui lui fournissaient
l'aliment de ses conceptions, l'intelligence de
l'âme séparée ne peut plus raisonner. Ce
n'est pas à dire qu'elle soit incapable de toute
idée. Nous croyons que, pour l'âme du pur-
gatoire — comme d'ailleurs pour les âmes
séparées en général — Dieu supplée à son
impuissance naturelle d'acquérir elle-même
ses idées en les extrayant des données sen-
sibles par l'infusion d'idées toutes faites qui
lui révèlent certains aspects des choses et en
particulier la vérité suprême qui est Dieu
lui-même. L'intelligence de l'âme séparée
devient intuitive comme l'intelligence angé-
lique. Mais l'incapacité pour cette âme de se
livrer à ses opérations ordinaires, c'est-à-dire
de raisonner, cause peut-être une souffrance
RÉPONSES THÉOLDGlgLES 15
— aa6 —

particulière, un sentiment de vide analogue


à celui qui fait dire au malade brûlé par la
fièvre : « J'ai peine à lier deux idées » ; a je
« n'ai plus la force de penser. » En outre, il est
permis de conjecturer que l'impossibilité de
se tourner vers les images sensibles (conver-
sio ad pliant asmata), pour y trouver des points
de repère et des comparaisons, rend pénible
à l'intelligence l'usage de ses idées infuses
1
ou acquises pendant sa vie terrestre . »
Si l'àme séparée éprouve une souffrance à
raison de son mode nouveau d'être et d'agir,
et si cette peine est le feu du purgatoire, il
s'ensuit que, naturellement, toutes les âmes
séparées sont en purgatoire, que le feu du
purgatoire est jusque dans le paradis! En
effet, toutes lésâmes séparées, même au ciel,
sont privées des sens, de l'imagination, de
l'exercice du raisonnement, dans l'impossibi-
lité de se tourner vers les phénomènes sen-
sibles. Si c'est là le supplice du feu, toutes
souffrent du feu! Les bienheureux ont aussi,
avec leurs actes surnaturels, les conditions
psychologiques des âmes séparées : si cet

1
Revue du Clergé français, t. XXXII, p. 281-982.
— ZIJ —

état est la peine du sens, il faut dire que jus-


qu'à la résurrection, la peine du sens subsis-
tera en paradis, conjointement avec la vision
et l'amour béatifiques!
Non, les opérations nécessaires d'un état
qui n'est point violent ne sauraient être vio-
lentes ou douloureuses. On nous dit que
l'Ame séparée git dans sa vie intérieure
comme dans une prison. Elle n'est point
seule. Elle n'a plus de communications avec
les créatures sensibles, d'accord; mais ce
n'est point là une peine, c'est une situation
normale; si son état ne comporte plus des
rapports avec notre monde, il exige des rela-
tions très vivantes avec le monde des intelli-
1
gences . On n'est point muré, seul, dans sa
vie intérieure, quand on jouit de cette société
intellectuelle. Un tel commerce est en soi
très agréable. Si nous recherchons ici-bas la
conversation d'un esprit supérieur, on com-
prend que ce soit une jouissance pour une
âme de s'entretenir avec tant de nobles âmes.

1
« Secundum modum essendi segregata& sunt a
conversatione viventium, et conjunctœ conversât-
ioni spiritualium substantiarum, quœ sunt acorpore
separalae. » S . THOM., I P . , q. 89, a. 8.
— 228 —

Les païens eux-mêmes avaient pressenti ce


bonheur. « O beau jour, s'écriait Cicéron,que
celui où je partirai pour cette assemblée au-
guste, pour ce divin conseil des âmes, ou j e
m'échapperai de cette foule et de cette fange
1
terrestre . »
Dans l'état mystique, l'isolement d'avec les
créatures corporelles cause une vraie douleur,
une sorte de purgatoire, parce que l'Aine unie
au corps est faite pour ce commerce extérieur
et qu'elle en éprouve le besoin ; l'âme sépa-
rée, ayant une orientation nouvelle, vivant
dans un autre milieu, ne sent plus cette pri-
vation. La ligature des facultés pour les mys-
tiques peut occasionner une certaine gène,
parce que l'âme est passive alors qu'elle
devrait produire des actes naturels; la cessa-
tion des fonctions sensitives après cette vie
n'est point du même ordre, elle n'est point
une suspension des puissances imposée par
an agent extérieur, elle est la conséquence
naturelle d'un état désormais normal. Ici

1
« O prseclarum diem, quum ad illud divinum
aniiuoruxn concilium cœtumque proflciscar, quura-
que ex hac turba et colluvione discedam ! » GICERO,
De Senectute, 84«
— 229 —

l'âme, bien loin d'être passive, exerce, au


contraire toute l'activité propre aux subs-
tances séparées.
Son intelligence s'abreuve de lumière, et sa
volonté, d'amour. La volonté, en effet, suit
l'entendement, et l'amour fait écho à la con-
naissance. Les âmes ont donc leurs ten-
dresses, et quelles tendresses! Si les amitiés
des saints ici-bas sont un de nos plus beaux
sujets d'admiration, qu'il serait délicieux le
livre qui nous décrirait les amitiés des âmes
après le trépas, de celles qui sont confirmées
en grâce et dont Dieu est le premier amour!
Nous n'entrerons pas dans ces considéra-
tions, mais nous retiendrons que les âmes
séparées ont une vie très intense, des opéra-
tions naturelles qui doivent se produire avec
spontanéité et suavité.
Ces idées deviendront encore plus mani-
festes quand nous aurons expliqué les divers
modes dont se fait la connaissance dans la vie
future et la manière dont les âmes se parlent
entre elles.
CHAPITRE III

I.KS DIVERS MODES NATURELS DE CONNAISSANCE


DANS LA VIE FUTURE. — LE LANGAGE DES
ESPRITS.

Saint Thomas ramène ces modes à trois :


« D'abord, par les idées acquises durant la
vie terrestre. Ensuite, par les idées que Dieu
infuse à l'âme au moment de sa séparation
d'avec le corps. Enfin, par le langage : en
voyant les substances séparées, l'âme peut
apprendre d'elles la connaissance des choses.
Ceci pourtant ne se fait point à son gré, mais
plutôt au gré de la substance séparée, qui
ouvre son intelligence lorsqu'elle parle et qui
1
la ferme lorsqu'elle se tait . »
1
QQ. Dispp., De Verit., q. 19, a. 1. — Cf. I P.,
q. 107.
— a3i —

Examinons chacun de ces cas. D'abord, les


idées emportées d'ici-bas persistent dans l'au-
delà : incorruptibles tous les deux, l'intelli-
gence et le concept restent unis pour tou-
jours. Sans doute, ces notions ne sont pas
utilisées comme en ce monde, par une sorte
de retour vers les images, mais c'est un trésor
inamissible qui survit au naufrage du corps.
La science qui acoùté au savant tant de labeur
est restée intacte avec l'esprit qui la portait :
les idées une foisgravées dansl'âme y demeu-
rent pour l'éternité.
Ce moyen cependant ne suffit point.
Comment feront les enfants dont l'intelligence
ne s'est jamais épanouie en ce monde et
s'éveille tout à coup dans l'autre? Toutes les
âmes, d'ailleurs, subissent au sortir du corps
un jugement rigoureux où toute leur existence
est rappelée en un clin d'oeil. Les idées d'ici-
bas, multiples, divisées, abstraites, ne peu-
vent donner cette instruction complète, dé-
taillée, profonde, et pourtant une, de tout
notre passé.
Enfin, l'âme doit faire connaissance avec un
monde nouveau qu'elle n'a pu que soupçon-
ner ou entrevoir très vaguement, elle doit
— a3a —

entrer en relation avec une autre société qui


sera désormais la sienne. Il lui faut d'autres
concepts. Où les puiser?
Durant la vie présente, l'âme peut tabler
sur les données acquises, les creuser, les
combiner, les diviser, les arranger de diverses
manières et, par une sorte d'exploitation,
lente ou rapide, curieuse ou féconde, se for-
mer des notions nouvelles. Ce procédé mental
n'a plus lieu après la mort, car il exige des
comparaisons, des spéculations, des raisonne-
ments, et l'âme séparée, qui existe à la façon
des esprits, agit aussi et comprend à leur
1
façon, sans discourir ni comparer : par une
simple induction et en une seule lecture, elle
aperçoit dans ses concepts tout ce qu'elle
pourrait acquérir ici-bas par la longue série
de ses réflexions et de ses déductions.
D'ailleurs, ce genre de travail lui serait-il
possible, il ne lui fournirait pas la connais-
sance exacte du milieu où elle doit vivre, car
les idées engendrées par l'abstraction n'ont
qu'une lointaine analogie avec les réalités de
l'ordre spirituel.

4
Cf. I P . , q . 58, aa. 3 et 4.
— a33 —

Pourra-t-elle, du moins, tirer des concepts


nouveaux de ce monde intelligible qui est
devenu son élément? L'école deScot enseigne
que les anges, et par conséquent aussi les
âmes séparées, peuvent avoir des idées pui-
sées directementdans les objets. Le B . Albert
pense que l'intelligence peutexercerson pou-
voir d'abstraction sur les choses aussi bien
que sur les images : dans la vie présente elle
abstrait des images, après la mort elle abstrait
des choses, et amasse de cette manière des
1
trésors d'idées . Saint Thomas et la plupart de
ses commentateurs repoussent ces hypo-
thèses*.
Nous ne croyons pas non plus que les anges
ou les âmes séparées puissent extraire leurs
idées du monde qui les environne. Toute con-
naissance exige l'union de l'objet avec la
faculté. Comment se fera ce contact? Dans
notre condition présente les réalités exté-
rieures peuvent agir sur nos sens, imprimer
1
De Natara et Origine Animœ, tract. II, c. 16.
2
C f . I P . , q . 5 5 , a . 2 , q . 5 7 , a . 2 , q . 8 g , a . 7 ; Cont. Gent.,
0.92et gÇ; DeVeritate,q. 8,a.g,q. i9,aa ieta.—Dom
LAURENT JANSSENS se sépare sur ce point de l'école
thomiste. Cf. t. VI, De Deo Crealore et de Angelis,
pp. 649, ss.
— a34 —

en eux leur ressemblance et parvenir de la


sorte jusqu'à l'imagination : elles s'introdui-
sent par là dans l'âme, et l'intelligence, qui
s'appuie sur la môme essence que l'imagina-
tion, comme deux rameaux sur le même tronc,
peut agir sur l'objet qui lui est ainsi présenté,
exercer sur lui son pouvoir d'abstraction et
parce travail répété enfanter des idées. Mais
après la- mort les objets ne nous sont plus
unis de cette manière, puisque l'imagination
fait défaut. Gomment pénétreront-ils dans
l'intelligence? Ils devraient pour l'atteindre
passer par la substance, ce qui est impossible.
La créature n'opèrç qu'en exécutant un
changement : le génie le plus inventif,
l'ange le plus parfait, sont incapables de
produire le fond premier sur lequel se
dépense leur activité ; tout leur rôle consiste
à modifier.
Or, cette modification, qui est purement
accidentelle, n'atteint que les qualités du
dehors : la substance n'est saisie qu'indirec-
tement, à raison de ses accidents extérieurs.
Nous pouvons bien porter la main sur la
substance matérielle qui a des accidents au
dehors, mais nous restons impuissants en
— 235 —

face de la substance spirituelle. Les proprié-


tés, les qualités, en un mot, les accidents de
celle-ci sont simples et immatériels comme
elle : ils ne se projettent pas à l'extérieur, ils
sont au dedans, comme enfermés et abrités
dans l'intime de la substance. Pour les tou-
cher il faudrait donc passer par l'essence
elle-même et avoir prise sur elle. Or, Topé-
ration de toute créature étant nécessairement
accidentelle n'atteint que ce qui lui est
mesuré et proportionné, c'est-à-dire les acci-
dents .point d'action directe sur la substance.
Donc, après cette vie, les réalités du dehors
ne peuvent agir sur l'âme ni s'unir à elle,
soit à l'intérieur de l'essence, soit dans l'in-
telligence, soit dans la volonté. La Trinité
seule peut pénétrer dans l'esprit et s'y ins-
taller comme dans son sanctuaire : Sola
Trinitas menti illabitur *. La manifestation
des objets inconnus avant la mort devra
donc se faire au moyen d'idées infusées par
Dieu.
Telle est la théorie de saint Thomas, qui
s'appuie sur une magnifique doctrine de saint
1
Cf. S. THOM., I P . , q - 56, a. 2, arg.3; III P., q.8,
a. 8, ad 1, et q. 64, a. 1.
— a36 —

AugustinDieu créa en même temps la subs-


tance spirituelle et la substance corporelle;
il y eut dès l'origine une double émanation
des choses : Tune réelle dans le monde exté-
rieur, l'autre idéale dans l'esprit angélique,
c'est-à-dire, tandis que le Seigneur réalisait
au dehors la nature sensible, il en imprimait
l'image dans les anges, par des idées puissan-
tes qui leur permettent de lire l'ensemble de
l'univers.
Qui ne voit un intéressant rapprochement
entre la création des anges et la séparation
de l'âme d'avec le corps? C'est à ce moment
que l'âme commence une sorte d'existence
angélique : c'est alors aussi qu'elle doit parti-
ciper au mode de la connaissance des subs-
tances séparées, recevoir des idées infuses,
2
comme celles des célestes esprits .
Ces concepts descendus d'en haut ne con-
1
DeGenesiadlitteram, lib. II, c. viu,P.X.,XXXlV,
269, ajo.
2
« Quando habebit esse a corpore absolutum,
tune recipiet influentiam intellectualis cognitionis
hoc modo quo angeli recipiunt, sine aliquo ordine
ad corpus, ut sciJicet species rerum ab ipso Deoreci-
piat... Anima post mortem intelligit per species in
ipsa sua separatione a corpore sibi dwinitus infu-
sas. » S . THOMAS, q. 19, De Verit., a. 1.
viennent pas aux âmes aussi bien qu'aux
anges, comme l'armure d'un géant est trop
pesante pour un simple soldat. Dieu cepen-
dant peut les adapter à la mesure de l'intelli-
gence humaine par un procédé qui n'a rien
de miraculeux. Dans la vie présente, l'infusion
des idées est gratuite et extraordinaire, parce
qu'il est de notre condition native que nous
cueillions la science dans le champ de l'uni-
vers sensible ; mais après la mort, puisqu'il
est naturel à l'âme d'exister à la manière des
substances spirituelles, il lui est comme natu-
rel aussi de comprendre à leur manière, c'est-
à-dire par des idées infuses; et la Providence,
qui est toujours libérale, se doit à elle-même
de pourvoir aux divers êtres selon leur état
et leurs besoins actuels.
L'ange par ses seules idées ne lit point les
pensées intimes des autres anges; il faut
qu'elles lui soient manifestées par la parole.
Les substances séparées, qui forment une
véritable société, doivent avoir entre elles de
vivantes et incessantes communications ; et
c'est cet échange intellectuel de concepts et
de désirs, de pensées et de volontés, qui
s'appelle le langage des esprits.
— 238 —
Comment s'établissent ces rapports? Ce
n'est point à l'aide de certains signes, procédé
trop précaire, qui convient seulement à notre
condition présente : lorsqu'il y a intuition,
comme chez les pures intelligences, il n'y a
point d'effet connu avant la cause ni de signe
manifesté avant l'objet signifié. Ce langage ne
consiste pas non plus dans une action physi-
que par laquelle un esprit imprimerait son
concept dans un autre esprit :il faudrait pour
cela avoir prise sur la substance elle-même,
ce que nous avons déclaré impossible. La
théologie thomiste résout assez heureusement
1
la difficulté .
Parler requiert ici trois conditions : il faut
d'abord que l'obstacle qui voile la pensée soit
écarté; ensuite que le sujet auquel on
s'adresse puisse saisir la communication ;
enfin que le secret soit gardé, puisqu'il s'agit
de faits occultes et intimes. Ce qui cèle le con-
cept mental ce n'est plus la muraille du corps,
tombée par le trépas, c'est la volonté seule,
maitresse absolue de son intérieur et à
laquelle rien ni personne ne peut arracher
1
Cf. I P., q. 107, a. 1, et ÇQ. Dispp., De Verit>
q. 9, a a . 4 , 5, 7.
- 2 3 0 -

son secret. Cet empêchement disparait par le


fait qu'un esprit se met en rapport avec un
autre : en se tournant vers lui, il oriente sa
4pensée vers la sienne, il la lui ouvre tout
entière, et il semble que désormais les con-
cepts de l'un et de l'autre vont se parler tout
seuls, comme les yeux aux yeux.
L'autre substance pourra comprendre. Les
idées infusées par Dieu représentent à un
moment donné tout ce qui a trait à l'âme à
cet instant précis. La Providence, qui ne fait
point les choses à demi, accorde libéralement
ce que réclament les nécessités ou les conve-
nances; elle se doit à elle-même d'éclairer
l'esprit et de lui imprimer la motion efficace
pour qu'il saisisse ce qui l'intéresse actuelle-
ment. Or, qu'une âme se tourne vers lui et
désire l'entretenir, cela le touche au premier
chef : il reçoit donc de Dieu le concours
voulu, il est illuminé, il a compris : c'est fait,
deux intelligences se sont parlé.
Le secret est gardé, car la volonté, qui
ouvre son intérieur à une âme, peut le tenir
fermé pour les autres.
Ainsi s'accomplissent ces mystérieux échan-
ges, ces rapides paroles par lesquelles une
âme raconte à d'autres ses pensées, ses volon-
tés, ses désirs, ses amours.
Voilà, en dehors de la vision béatiûque et
des révélations gratuites, les trois modes de
connaissance dans la vie d'outre-tombe : les
idées acquises, les idées infuses, les commu-
nications du langage intellectuel. Il reste un
autre moyen naturel de comprendre : par
l'essence même de l'âme. Et ceci nous amène
à celte autre question : Que connaissent donc
les âmes séparées?
CHAPITRE IV

CE QUE SAVENT LES AMES SEPAREES

D'abord, l'dme se voit elle-même par elle-


même. Il lui suffit pour se voir qu'elle soit
présente à elle-même et qu'elle soit visible à
son propre regard. Durant l'état d'union, elle
est bien présente, mais non point comme
objet de sa connaissance, elle n'est point
visible, parce que, liée au corps, elle subit
des conditions qui la voilent à ses yeux. Au
lieu de l'intuition libre et complète, elle doit
pour se comprendre recourir à une longue et
1
rigoureuse analyse ; elle réfléchit sur ses

1
« L'essence des esprits et celle des corps nous
sont inconnues, avoue Th. REID. NOUS connaissons
certaines propriétés des uns et certaines opérations
des autres, et c'est par là seulement que nous pou-
10
2^2 —

actes, et c'est après ce minutieux examen


qu'elle infère sa propre nature*. Mais à la
mort toutes les enveloppes se déchirent, tous
les obstacles tombent; l'âme se montre toute
nue et toute brillante devant sa propre intelli-
gence, elle s'aperçoit tout entière avec les
splendeurs de son essence et les richesses de
ses facultés. Notre âme étant de sa nature
lumière et beauté, celte révélation totale,
cette facile contemplation est déjà pour elle
une source de pures délices. Comme elle est
le miroir des autres âmes, elle n'a qu'à se
regarder pour savoir ce qu'est ce monde har-
monieux que forme l'humanité de l'au-delà.
Son essence pourtant ne suffit point pour lui
révéler les natures individuelles, l'existence
singulière de chaque âme, car c'est précisé-
ment dans ces particularités qu'elle se dislin-
gue des autres.
Par le fait qu'elle est à la base du monde
intellectuel, elle se rend compte de ce qui
vonsles définir, ou plutôt les décrire. » Essai sur les
facultés intellectuelles, Essai I, ch. i.
1
Cf. I P., q. 87. — Saint Thomas insiste fréquem-
ment sur cette nécessité d'étudier les actes de rame,
lia pratiqué aussi cette méthode d'introspection que
la psychologie moderne devait rendre si célèbre.
— 2^3 —

est au sommet, elle puise en elle-même la


notion des puissances angéliques, elle entre-
voit le royaume des esprits ; notion cepen-
dant inaehevée, car son essence ne réfléchit
qu'imparfaitement ces substances dont la
taille et la splendeur la dépassent à un tel
degré.
Enfin, si elle s'aperçoit telle qu'elle est,
elle voit qu'elle porte la marque de son Auteur,
qu'elle a reçu son empreinte, qu'elle est son
image : elle lit au dedans d'elle-même le nom
de Dieu. Ce n'est point la vision, ce n'est
point le concept intuitif, mais cette lecture
est supérieure à toutes les connaissances
fragmentaires que nous avons de Dieu ici-
bas, le miroir de l'âme étant bien plus fidèle
que celui de la nature, même quand celle-ci
réunit tous les charmes du gracieux et toutes
1
les beautés du sublime .
Le second mode se fait, avons-nous dit, par
les idées que l'âme a emportées de ce monde.
Elle relira après la mort tout ce qu'elle a
écrit pendant la vie, car rien ne s'efface de ce
qui est imprimé une fois dans l'esprit. Si les
1
Cf. I P., q. 56, a. 3 : « Utrum angeli per sua
naturalia Deum cognoscere possint. »
facultés sensitives ont sombré avec le corps,
la mémoire intellectuelle est restée debout :
l'âme peut revivre tout son passé, se redire
les doux noms de ceux qu'elle a aimés et
qu'elle aime toujours, se remettre devant les
yeux les actions vertueuses qui sont mainte-
nant la cause de ses joies ; ou bien elle est
obligée de revoir malgré elle la longue trame
des fautes et des crimes qui font maintenant
sa honte et son remords.
Sans avoir besoin de passer par les dé-
tours de l'induction et de la déduction, elle
embrasse par un simple regard dans ses
idées acquises tout ce que le travail de la
réflexion et de la spéculation pourrait en
tirer. L'intelligence après la mort marche
encore plus vite que le génie ici-bas. Quel-
que puissant qu'on le suppose, le génie doit
suivre les circuits des trois actes de l'enten-
dement: appréhension, jugement, raisonne-
ment; et, s'il lui est possible de bâter la
marche et d'abréger la route, il n'arrive point
à supprimer toutes les étapes.
Pour l'âme séparée il n'y a point d'étape :
elle est arrivée aussitôt que partie. Elle pos-
sède bien une science véritable, car elle per-
— 245 —
çoit les effets dans leurs causes, les consé-
quences dans les prémisses, mais elle n'a
point les conditions imparfaites de notre
connaissance discursive : nous arrivons au
terme par bonds successifs ; c'est par un seul
acte que l'intelligence séparée saisit les prin-
cipes et la conclusion. Ainsi, nos défunts par
l'activité naturelle de leur esprit, qui est
devenu semblable à celui des anges, et en
lisant jusqu'au fond de leurs idées, entre-
voient les multiples applications qui y sont
contenues en germe, c'est-à-dire ces décou-
vertes, ces inventions de l'ordre physique,
moral ou philosophique, qui sont la gloire du
génie ici-bas*.
L'àme dans l'au-delà utilise mieux que
dans la vie présente ses idées acquises. Ici, le
corps, qui fournit un concours instrumental
avec l'apport des images sensibles, gène sou-
3
vent le travail prolongé de l'abstraction ;

1
« Si haberent plenitudinem intellectualis luminis,
sicut angeli, statim in primo aspectu principiorum
totam viriutem eorum comprehenderent, intaendo
quidquid ex eis syllogizaripotest.» 1 P., q. 58, a. 3.
â
« Le travail intellectuel accélère le cœur, aug-
mente la pression sanguine dans les artères péri-
phériques, donne lieu à des phénomènes de vaso-
— 246 —

après la mort, l'esprit émancipé peut appro-


fondir ses concepts sans entrave et sans fati-
gue. Ici, les procédés de la spéculation sont
compliqués, difficiles à suivre, et plus d'une
fois le sophisme se glisse imperceptiblement
dans les déductions réputées infaillibles ; dans
l'autre vie, on voit les conclusions, même
lointaines, avec cette certitude et cette aisance
qui nous font admettre les principes et les
maximes. On possède d'emblée et à la ma-
nière des axiomes toutes les conquêtes du
1
raisonnement .
Le troisième mode de connaissance est ce-
lui des idées infuses. Elles dérivent de la
lumière infinie et sont un raccourci de la
science divine. Elles représentent d'abord
Dieu, principe et fin. Ce n'est point, sans
doute, l'image adéquate, car rien de créé ne
saurait traduire Dieu, mais c'est une notion
précise, distincte, qui fait comprendre com-
ment il est créateur, quels sont ses droits à

construction périphérique qui modifient la forme du


pouls et augmentent le volume du cerveau. Tous ces
phénomènes sont d'autant plus marqués que le tra-
vail est plus intense. » £ . G L E Y , Etudes de psycho-
logie physiologique et pathologique, p. 94.
1
Cf. I P . , q . 58, a a . 3 , 4, 5 .
— 247 ~
l'égard de l'humanité, ce qu'il a fait pour
l'âme, comment il est son centre, son terme,
sa béatitude. Plus de ces ignorances abso-
lues- de Dieu après la mort. Sans parler des
certitudes que procurent au ciel la vue immé-
diate, en purgatoire la foi, tous les défunts
ont de Dieu une connaissance supérieure à
notre théologie naturelle; car le jugement
particulier qu'ils ont subi implique une mani-
festation claire des attributs de Celui qui est
leur juge et leur rédempteur, de sa justice, de
sa miséricorde, ainsi que de ses voies tou-
chant le salut du genre humain.
L'âme connaît ensuite le monde spirituel
qui est son nouveau royaume, les âmes et
les anges. Son essence ne lui en présentait
qu'une notion spécifique ou générique, ses
idées acquises ne lui fournissaient que des
analogies; ses idées infuses lui donneront
l'intuition des créatures immatérielles. Elles
n'épuisent pas, elles n'égalent pas l'intelligi-
bilité de l'ange, qui est dans une sphère plus
haute, mais elles le montrent exactement
tel qu'il est avec sa substance et ses facultés.
Puisqu'elles sont une imitation de la science
divine et que l'âme séparée a une sorte d'être
— *48 —

angélique, elles doivent représenter, comme


celles de l'ange, l'ensemble de la création
soit corporelle soit spirituelle, Tordre phy-
sique et Tordre moral de l'univers. Que Tàme
n'y lise point toutes les particularités et tous
les détails que les anges ont si vite saisis, que sa
connaissance manque de précision pour cer-
tains points, cela ne doit point nous étonner,
puisque ces concepts sont trop grands pour
sa taille, mais ils lui en apprennent plus que
tous nos livres humains. Oui, les morts en
savent plus que nous: leurs idées intuitives
leur donnant la mesure exacte des réalités,
ils ont l'intelligence satisfaite ; les énigmes
du monde physique, les questions philoso-
phiques de la vérité, les problèmes du bien
et du mal sont pour eux définitivement
résolus.
Ce ne sont point des assertions gratuites.
Tout cela est réclamé par l'état nouveau qui
est fait aux âmes : s'il est vrai qu'elles sont
désormais dans la condition des substances
séparées, elles doivent connaître au moins
d'une manière générale ce que les anges
savent d'une science détaillée.
Les faits singuliers de Tordre matériel
— 249 —
n'ont pu être rappelés complètement par les
idées acquises : il aurait fallu pour cela le
concours de l'imagination, qui fait désormais
défaut. Ils sont reproduits par les idées in-
1
fuses .
Celles-ci, empruntant leur perfection à la
science divine, qui s'applique et à l'ensemble
et aux détails, décrivent toutes les faces de
la réalité : une seule suffit à l'ange, au dire de
4
saint Thomas , pour embrasser tous les indi-
vidus de la même espèce avec toutes leurs
différences et tous leurs points de vue parti-
culiers, car ce ne sont là que des applica-
tions contenues et portées dans l'espèce. Les
âmes, moins exercées que les anges à regar-
der dans ce livre qui n'est point fait directe-
ment pour elles, n'y voient pas tout; mais
on peut établir comme règle qu'elles con-
naissent tous les faits singuliers qui se réfè-
rent spécialement à elles . dans leur monde
ou dans le nôtre.
Il semble que cela soit dù à la perfection
naturelle de l'intelligence séparée. Quoi qu'il
1
Cf. S. THOMAS, QQ. Dispp., De Verit., q. 19,
a. 2, q. De Anima, a. 20, ad 1 et 2.
3
Quodlib., II, a. 3.
— Q5O

en soit des damnés, ce principe, qui est


1
admis pour les bienheureux , ne doit pas
être entièrement contesté pour les défunts du
purgatoire : leur condition intellectuelle, d'une
part, et leur titre d'amis de Dieu, d'autre
part, leur donnent droit à connaître ce qui
les intéresse sur la terre. L'àme sait donc où
est son corps, car qu'est-ce qui la touche de
plus près que ce compagnon de sa première
existence qui vécut de sa vie et qu'elle doit
reprendre un jour? Elle sait les prières qu'on
fait pour elle, et parce qu'elle en éprouve
du soulagment et parce que la reconnaissance
est pour elle un devoir plus sacré encore que
pour nous. Elle ne doit pas ignorer totale-
ment ce qui intéresse ses parents et ses amis:
les affections légitimes et saintes, que le
trépas, bien loin de les briser, a consacrées
et rendues plus pures, demandent que l'àme
ne soit pas tout à fait sans nouvelles de ceux
qui ont tant pleuré son départ et qu'elle
1
« Magis tamen videtur dicendum, secundum
sententiam Gregorii, quod animas Sanctorum Deum
videntes omnia prœsentia quœ hic aguntur cognos-
cant. Sunt enim angelis œquales, de quibus etiam
Augustinus asserit quod ea quee apud vivos agun-
tur non ignorant. » 1 P., q. 89, a. 8.
— 251

chérit elle-même plus tendrement encore que


pendant la vie. Et puis, la communion des
saints réclaifce des rapports vivants, comme
un flux et un reflux, entre les trois Eglises:
les militants de la terre, les débiteurs du
purgatoire, les triomphateurs du ciel, ne
sont pas entièrement séparés et isolés les
uns des autres.
Nous croyons donc à une présence de nos
défunts avec nous par la pensée. Notre état
de voie, notre manière de comprendre par
les sens ne comportent pas une intuition du
monde futur, et c'est pourquoi nous ne
voyons pas nos chers disparus, pas plus que
nous n'apercevons notre ange gardien; mais
le mode d'intellection propre aux substances
séparées, les conditions spéciales de leur
état, permettent et demandent ces commu-
nications.
On aime à redire qu'il n'est point de dis-
tance pour le cœur : la pensée et l'amour de
nos défunts sont affranchis plus complète-
ment encore de ces conditions de l'espace.
Notre connaissance à nous, empruntée au
monde extérieur, dépend de la présence des
objets, nous ignorons ce qui est loin de nous ;
— a5a —

mais les idées pour les âmes et pour les anges,


parce qu'elles dérivent de la lumière divine,
représentent avec la même facilité ce qui est
1
près et ce qui est lointain .
L'àme sait donc ce qui l'intéresse dans
notre humanité. Quant au reste, elle n'a pas
à s'en occuper; soustraite à la conversation
des mortels, nos nouvelles à sensation ne
l'émeuvent plus, elle n'aspire qu'au suave
commerce des esprits.
Enfin les idées infuses décrivent à chaque
âme tout ce qu'elle doit connaître dans son
nouvel état. Elles lui rappellent en un seul
tableau tous les faits de sa vie, actes, paroles,
désirs et pensées, car le jugement divin a
porté sur tout cela: elles lui montrent son
nouveau séjour, la société spirituelle qui est
devenue la sienne: en un mot, tout ce qu'elle
a à savoir et qui n'était reproduit ni dans
son essence, ni dans ses idées acquises.
Le dernier mode, c'est le langage intellec-
tuel. L'àme apprendra de cette manière tout
ce que les anges ou les autres âmes voudront
lui annoncer. Les défunts qui arrivent de
1
Cf. I P., q. 89, a. 7 : a Distantia localis nullo
modo impedit animée separatœ cognitionem. »
— a53 —

cette terre portent à ceux qui sont partis de-


puis longtemps les nouvelles de notre monde :
Possuntetiam Jacta viventium... cognoscere...
per animas eorum qui hinc ad eos aecedunV.
Les amis peuvent se raconter leurs joies, leurs
peines, leurs espérances. Le champ de
ces communications est immense, comme
celui de l'affection et de l'amitié.
Enfin, sans parler de la vision béatifique,
il peut y avoir des révélations, des appari-
tions des anges ou de la Sainte Vierge; mais
cette étude nous engagerait dans un autre
sujet.
Ce que nous avons dit suffit à montrer
que la psychologie de Pâme séparée est
pleine d'intérêt et que l'existence d'outre-
tombe est la vie intellectuelle dans toute son
inteusité.

1
1 P., q. 89, a . 8, a d i .
CHAPITRE V

LE MOUVEMENT DES AMES SEPAREES.


LES APPARITIONS

Avec cette vie de pensée et d'affection, les


morts jouissent-ils de cette autre activité qui
est le mouvement? Il paraîtra évident que
Pâme et Fange puissent changer de lieu si
l'on réfléchit qu'ils pourraient à la rigueur
n'être nulle part. La substance spirituelle,
indépendante de toute matière, n'a point be-
soin pour exister d'un lieu, qui est nécessai-
rement corporel. Si Dieu avait jugé bon de
créer les anges avant le monde, ils auraient
vécu en dehors de tout espace ; si à la fin
des temps il anéantissait l'univers visible en
ne conservant que les âmes, celles-ci conti-
nueraient à exister sans être dans aucun lieu.
Ces hypothèses sont, sans doute, chiméri-
1
ques , mais elles nous font comprendre d'une
façon tangible comment les esprits sont
affranchis et de la matière et de l'espace.
S'ils sont dans un lieu, ce n'est donc point
par leur substance, mais par leur opération.
Toucher un lieu pour les esprits, c'est y agir,
car le contact ici ne peut se faire à la ma-
nière des êtres étendus, qui ont une quantité
et des dimensions. Pour l'ange et pour l'àme
être dans un lieu naturel c'est y opérer
librement, être dans un lieu violent c'est y
2
souffrir contre leur volonté .
Cette doctrine, évidemment, ne peut être
comprise que par ceux qui professent la spi-
ritualité absolue de notre principe vital. Les
anciens croyaient que les âmes après la mort

1
Nous savons, en effet, que les anges furent créés
en même temps que la nature corporelle ; « Simul
ab initio temporis utramque de nihilo condidit crea-
turam, spiritualem et corporaîem, angelicani videli-
cet et mundam ; ac deinde humanam, quasi com-
rauneiu ex spiritu et corpore constitutam. » Goxc.
LATER., I V , cap. Firmiter, DENZINGEK, 355. Il est éga-
lement certain que rien ne sera jamais anéanti :
« Simpliciter dicendum est quod nih.il omaino in
nihilum redigetur. » S . THOMAS, I P . , q. io4, a. 4-
3
Cf. I P., q.8, a. 2, q. 5a, aa. i et 2.
206 —

sont contenues dans une enveloppe très


ténue, très légère: elles sont comme des
fantômes, des ombres, mânes, non point des
esprits purs. Nos modernes spiriles renou-
vellent ces erreurs avec leur théorie du péris-
prit. Le périsprit estcommela gaine diaphane,
comme la robe brillante et presque immaté-
rielle dans laquelle s'abrite l'Ame après le
trépas, par laquelle elle se manifeste et se
meut. C'est, sous une autre forme, la vieille
conception des platoniciens. Us pensaient
que l'àme a un corps incorruptible par lequel
elle s'unit à notre corps corruptible et dont
elle ne se sépare jamais, même dans l'au-delà.
D'autres imaginèrent qu'elle a pour vêtement
une sorte d'esprit corporel ou même la
1
lumière, la quintessence . D'après ces rê-
veurs, l'àme, nécessairement attachée à une
enveloppe,ne saurait être entièrement affran-
chie du lieu.
1
« Quidam Platonici dixerunt quod anima intel-
lectiva habet corpus incorruptibile sibi naturaliter
unitum, a quo nunquam separatur, et eo mediante
unitur corpori hominis corruptibili. Quidam vero
dixerunt quod unitur corpori mediante spiritu cor-
poreo. Alii vero dixerunt quod unitur corpori me-
diante luce, quam dicunt esse corpus et de natura
quintae essentise. » 5. THOMAS, 1 P., q. 76, a. 7.
Inutile de réfuter ici ces absurdités. Il est
certain, d'une part, que l'âme est absolument
spirituelle et même que la raison toute seule
1
peut démontrer cette spiritualité ; l'Église
affirme, d'autre part, que l'àme est la forme
du corps humain par elle-même et sans au-
cun intermédiaire : Per se atque immédiate
1
corporis forma . Mais, si elle est pur esprit,
si elle s'unit au corps sans aucun intermé-
diaire, il est manifeste qu'elle n'est pas con-
tenue dans une gaine et que, sortie de ce
monde, elle est affranchie de toute entrave
terrestre, qu'elle peut être indépendante du
lieu.
En fait cependant et par la volonté posi-
tive de Dieu, les âmes sont dans un lieu spé-
cial. C'est une doctrine très autorisée dans

1
La S. C. de l'Index, dans un décret approuvé par
Pie IX, le io juin i855, obligea M. Bonnetty à sous-
crire cette proposition : Ratiocinatio... animœ spiri-
tualitatem cum certitudîne probare potest. DENZIN-
GER, 1006. — La S. C des Evêques et Réguliers lit
promettre à M. Bautain ce de ne jamais enseigner
qu'avec la raison toute seule on ne puisse démon-
trer la spiritualité et l'immortalité de l'âme ». Cf.
D E RÉGNY, UAbbé Bautain, pp. 333-338.
2
Cf. Epist. Pu IX ad Archiep. Colon*, i5 juin
i855, DENZINGER, i5og.
HEPoN-E» lHLnltn l'„>U-
17
— a58 —

l'Église catholique que le souverain Juge leur


assigne aussitôt après la mort une demeure
glorieuse, douloureuse ou ignoble, selon
qu'elles l'ont méritée : le paradis, le purga-
toire, l'enfer, ne sont pas seulement trois
états, mais encore trois lieux
Une fois fixée dans son séjour, l'âme ne doit
pas en sortir régulièrement. Elle est exclue
de la conversation des vivants, elle n'a plus
de relation sensible avec notre univers. Elle
n'est point, par ailleurs, comme l'ange, mes-
sagère par nature. Les anges viennent fré-
quemment sur la terre, parce que leur office
est d'être intermédiaires entre les deux
mondes, et qu'ils ont à exercer une mission
surnaturelle à l'égard des élus qui luttent
s
ici-bae . L'àme est essentiellement forme du
corps humain : c'est par lui qu'elle exerce sa
vie de relation : séparée de lui, elle n'a plus
de rôle à jouer avec la nature visible.
Toutefois, elle n'est pas condamnée à
l'inertie : très active et très parfaite, elle

1
Cf. S . THOMAS, Supplem., q. 69.
2
« Nonne omnes sunt administratorii spiritus, in
ministerium missi propter eos qui haereditatem
capient salutis? » Heb., 1, 14.
— a5p —

pourra, si Dieu le permet, se mouvoir par ses


propres facultés. L'intelligence et la volonté
suffisent aux substances purement spirituelles
pour tout ce qui leur est nécessaire ou utile :
leur commandement efficace les transporte
1
d'un lieu à un autre . Les esprits, indépen-
dants par nature des conditions de l'espace,
peuvent s'affranchir des distances, brûler les
étapes, arriver aux points extrêmes sans
s
passer par les milieux . Les âmes peuvent
donc, selon les dispositions de la Providence,
soit dans leur intérêt et pour obtenir des
prières, soit pour notre instruction, sortir de
, leur séjour et se montrer aux regards des
mortels : Secundum dispositionem divinœ
providentiœ aliquando animœ separatœ, a
suis receptaculis egressœ, conspectibus homi-
num prœsentantur \ Nier catégoriquement
toutes les apparitions, c'est vouloir ne rien
comprendre à la vie des saints, qui fournit

1
Cf. S. THOMAS, q. 16, De Malo, a. i, ad 14, et
Opusc. 11, a. 3.
2
« Substantia angeli non est subdita loco ut con-
tenta, sed est superior eo ut continens; unde in
potestate ejus est applicare se loco, prout vult, vel
per médium vel sine medio. » I P., q. 53, a. a.
3
S. THOMAS, Supplem., q. 69, a. 3.
— 260 —

cependant les plus belles pages à l'histoire de


l'humanité. « Les bienheureux se présentent
souvent avec l'extérieur qu'on leur a connu
sur la terre, ou encore tels qu'on a coutume
de les peindre et de les représenter. Ils appa-
raissent aussi revêtus des insignes de leur
dignité ou de leur profession, avec les habits
et les ornements de l'évêque, du prêtre, du
lévite, du religieux... Toujours leur physio-
nomie respire quelque chose de pur, de
céleste, et laisse une suave émanation de
vertu et de sainteté. En général, ils se mon-
trent au sein de la lumière, qui leur sert de
1
vêtement . » — Les âmes du purgatoire se
présentent toujours dans une attitude qui
excite la compassion, tantôt sous les traits
qu'elles avaient de leur vivant ou à leur mort,
avec un visage triste, des regards suppliants,
en habits de deuil avec l'expression d'une
douleur extrême ; tantôt comme une clarté,
une nuée, une ombre, une figure fantastique
quelconque, accompagnée d'un signe ou d'une
parole qui les fait reconnaître. D'autres fois,
elles accusent leur présence par des gémis-

1
RIBET, La Mystique divine, ch. ix.
261

sements, des sanglots, des soupirs... ou par


des coups, des frappements à la porte, des
bruits de chaînes, des bruits de voix *. » —
« Pour les damnés, ils revêtent toujours une
forme qui permet de les reconnaître. Ils ont
cependant de commun avec les anges maudits
la violence, la rage et le désespoir, les rugis-
sements, les grognements, les grincements,
les clameurs, les bruits tumultueux, les voix
inarticulées, les blasphèmes, les impréca-
tions, les injures ; et aussi, parce que c'est
leur commun châtiment sensible, le feu et la
flamme, la laideur repoussante et l'odeur
fétide. Gomme signes particuliers des damnés,
on peut ajouter les actes des passions et des
vices qui ont été la cause de leur damnation,
comme de dérober de l'argent ou d'autres
objets, boire, manger avec excès, afficher la
2
licence etl'impudicité, menacer avec colère .»
Comment se produisent ces apparitions?
L'ordre naturel veut que ce soit par le minis-
tère des anges. Nous avons rappelé que l'ange
est par office messager entre les deux mondes;
il peut à son gré mouvoir les corps, parce
1
R I B E T , ibid., ch. x .
2
IDEM, ibid., ch. xn.
— a6a —

qu'il n'est lié essentiellement à aucun d'eux.


L'âme, au contraire, forme substantielle du
composé humain, ne meut les autres corps
que par l'intermédiaire du sien : séparée de
lui, elle n'a plus d'action à exercer sur la
1
création matérielle .
Mais ce que la nature n'a point accordé,
Dieu peut l'octroyer gratuitement. La grâce
avait donné aux saints ici-bas d'opérer des
miracles, pourquoi la gloire ne leur donnerait-
elle pas d'apparaitre à leur gré? La béatitude
complète requiert, en effet, que l'âme ait à
son service une vertu divine qui lui permette
de mouvoir les corps à la façon des anges,
dont elle est devenue l'égale, et de faire sur-
naturellement ce qu'ils font par nature.
Saint Thomas revendique pour les élus la
faculté glorieuse de se manifester à nous
quand ils le désirent : per quant possint appa-
rere viventibus, cum voluerint*.
Pour les damnés, il est clair qu'ils ne peu-
1
Cf. S. THOMAS, I P., q. 117, a. 4-
3
« Non est inconveniens ut ex virtute gloriae ali-
qua potentia animabus sanctorum detur, per quam
possint apparere viventibus, cum voluerint ; quod
alii non possunt nisi interdum permissi. » Supplem.,
q. 69, a. 4.
— a63 —

vent apparaître que par une dispense toute


spéciale de Oieu. Quant aux âmes du pur-
gatoire, elles n'ont pas droit à cette puis-
sance, dérivée de la gloire, de mouvoir les
corps et de se montrer aux vivants ; mais,
puisqu'elles sont les amies du Seigneur,
qu'elles font toujours sa volonté, il y a cer-
taines convenances à ce que Dieu exécute
quelquefois leur volonté aussi et leur com-
munique transitoirement ce qui est l'apanage
habituel des bienheureux. Dans ces appari-
tions extraordinaires, les âmes du paradis
ont, en vertu de la gloire et par les conditions
mêmes de la béatitude, ex virtute gloriœ, les
âmes souffrantes amies de Dieu ont, par
faveur gratuite et passagère, le pouvoir qui
est naturel aux anges. Elles peuvent donc,
comme ceux-ci, agir sur la matière. Elles ne
viennent point ranimer leur propre corps, ce
qui serait une résurrection anticipée, elles
prennent des corps formés pour la circons-
tance avec les éléments ambiants qui se
prêtent le mieux à ces sortes de représen-
tations.
Tels sont les deux modes d'apparitions ; le
mode normal, par le ministère des anges,
— a64 —

messagers officiels entre l'invisible et nous ;


le monde surnaturel lorsque l'âme vient elle-
même en vertu d'un pouvoir qui découle
de la gloire ou qui est communiqué par
Dieu.
Dans quel cas y a-t-ii apparition person-
nelle ou intervention angélique, nous n'avons
aucune règle qui nous permette de le dis-
cerner avec une certitude absolue. Les théo-
logiens admettent communément que l'âme
de Samuel apparut elle-même à Saûl, parce
que l'auteur de l'Ecclésiastique déclare que
1
Samuel fut prophète après sa mort . C'est
bien aussi Moïse en personne qui se présenta
à Notre-Seigneur au jour de la Transfigura-
2
tion ; car le Sauveur n'avait pas à s'entre-
tenir avec un ange, mais avec le législateur
lui-même de l'Ancien Testament. « L'âme de
Moïse vint elle-même, dit saint Thomas, non
point avec son propre corps, mais avec un
corps formé pour la circonstance, comme
ceux par lesquels les anges ont coutume de
se révéler. Elie, au contraire, vint avec son
propre corps, descendu non point du ciel,
1
Cf. I Reg. 9 xxvm; Ecclû, XLVI, a3.
2
MATTH., XVIZ; M A R C , I X ; L U C , IX.
— a(>5 —

mais du lieu mystérieux où le char de feu


1
l'avait emporté . »
Quoiqu'il en soit des autres apparitions, il
est certain que les âmes séparées ne se mon-
trent point au gré d'un évocateur, comme le
prétendent nos spirites. Les élus ont bien le
pouvoir de se manifester, mais il est clair
qu'ils ne sont pas soumis aux ordres d'un
médium et qu'ils ne se serviront pas de leur
vertu glorieuse pour venir satisfaire une curio-
sité malsaine et battre en brèche les dogmes
du christianisme. Les âmes du purgatoire
n'ont pas cette puissance, et d'ailleurs, justes
et saintes comme elles sont, elles ne se prê-
teraient jamais à ces pratiques criminelles.
Les damnés, sans doute, s'y prêteraient
volontiers, mais ils sont captifs, et Dieu ne
leur communiquera point des forces nouvelles
dont ils abuseraient pour la perte des vivants.
Ces apparitions, quand elles ne sont pas
l'effet de la supercherie, sont l'œuvre des
démons. Les mauvais anges ont un pouvoir
naturel sur la nature sensible; ils peuvent
mouvoir les corps, produire des sons, prendre

1
111 P., q. 45, a. 3, ad a.
— u66 —

des formes etdes apparences fantastiques pour


séduire l'aveugle humanité. C'étaient eux qui
se manifestaient danslesoraclesdupaganisme,
qui faisaient parler les tables à l'époque de Ter-
1
tullien : ce sont eux qui trompent encore les
pauvres mortels toujoursavidesdemystérieux.
Ce spiritisme tombe donc sous les terribles
anathèmes portés par Dieu contre tous ceux
2
qui consultent les démons : et nous compre-
nons ces graves recommandations du concile
de Baltimore : «Nous exhortons dans le Christ
tous les fidèles à ne favoriser d'aucune ma-
nière le spiritisme, pas même indirectement-
Qu'il» se gardent d'assister, même par curio-
sité, à aucune de ses séances. Ceux qui
entrent dans la maison du diable doivent
craindre qu'ils ne soient pris à ses pièges et
3
ne deviennent les esclaves de sa tyrannie . »

1
« Porro si et magi phantasmata edunt, et jatn
defunctorum infamant animas; si pueros in eloquium
oraculo elidunt, si multa miracula circulatoriis
prœstigiis ludunt, si et somnia immittunt habentes
semel invitatorum angelorum et dœmonum assis-
tenteni sibi potestatem, per quos et caprœ et mensœ
divinare consueverant. » TERTULL., Apolog., c. a3,
P. L. f I , 410-411.
2
LeviU, x, 6.
3
Coxc. BALTIM., I I , n. 4**
CHAPITRE VI

RÉSUMÉ ET CONCLUSION

Telle est, dans ses grandes lignes, la psy-


chologie de l'âme séparée. Nous pouvons
conclure que cet état est, à certains égards,
plus noble que l'état d'union. L'âme est plus
libre dans ses opérations spécifiques, elle
n'interrompt jamais le travail de la contem-
plation. Sa connaissance est plus claire, plus
profonde : elle s'aperçoit intuitivement, elle
voit les substances séparées par un concept
propre qui lui décrit leur essence et leurs
qualités ; elle atteint Dieu plus infailliblement
et plus complètement.
Connaissance plus universelle, car, outre
ses idées acquises, elle ades modes nouveaux
de comprendre qui lui révèlent un monde
— 268 —

inconnu et insoupçonné jusqu'ici. Connais-


sance plus rapide, car l'intelligence brûle les
étapes et lit parune simple intuition les prin-
cipes et les conséquences. Activité aussi plus
efficace, puisque l'âme peut semouvoirenun
clin d'œil et franchir les distances sans passer
parles milieux.
D'autre part, cet état n'est point naturel
comme celui de l'union. L'âme, essentiel-
lement forme du corps, ne déploie toutes ses
énergies, ne réalise toutes ses capacités que
dans le composé humain.
Et cette considération nous suggère une
raison de suprême convenance pour la résur-
rection future. Ad ostendendum etiam resur-
rectionem carnisJuturam evidensratio suffra-
gaturK L'union est naturelle, la séparation,
sans être violente, n'est pas la condition
normale. Il n'est pas croyable que l'état
naturel se réduise à quelques années et que
l'état prétèrnaturel dure une éternité. L'ai-
mable Providence doit en quelque sorte à
sa bonté de réunir les deux éléments dans
l'étreinte d'un hymen qui ne se dissoudra

1
S . THOMAS, II Cont. Gent., c . 79.
- aG 9 -

plus. Il faut que la lin réponde à l'origine :


l'àme a commencé son existence avec le
corps, elle la continuera avec le corps dans
les siècles des siècles. La personnalité hu-
1
maine sera alors pour toujours rétablie .
Voilà pourquoi nous croyons à la résurrec-
tion de la chair comme à la vie éternelle*
Credo carnis resurrectionem et çitam alter-
nant.
Si la philosophie ne peut nous donner ici
une certitude absolue, la révélation est très
catégorique. Il est de foi que nous ressusci-
terons avec ce corps et cette chair que nous
portons sur la terre.
Omnes cum suis propriis résurgent cor-
poribus quœ nunc gestant Credimus etiam
çeram resurrectionem hujus carnis quam
3
nunc gestamus et vitam œternam .
1
L'âme séparée n'est pas une personne, car elle
n'est point tout l'homme, mais seulement une partie
de la nature humaine. « Anima separata est pars
rationalis naturse, scilicet humanae, et non tota na-
tura rationalis humana, et ideo non est persona. »
S . THOMAS, De Potentia, q. 9, a. 2, ad 14. Cf. Sam.
Theol., I P., q. 29, a. 1, ad 5, et q. ?5, a. 4> ad 2.
2
GONG. LATER., IV, c a p . F i r m i t e r , D E N Z I N G E R , 3 5 6 .
3
CONC LUGDUN., H , Confessio fidei Michaelis
Palœologi, DENZINGER, 3 8 6 .
TABLE DES MATIÈRES

PRÉFACE,

La Holion de Hiérarchie dans l'Église de Jésns-Gnrist

Actualité de la présente étude. — Origine et


signification du mot « hiérarchie ». — La hié-
rarchie dans le monde invisible des esprits.
— L'Eglise de Jésus-Christ contient en elle
tous les éléments d'une hiérarchie 3

CHAPITRE PREMIER
LA NOTION DE HIÉRARCHIE SUPPOSE
UNE SOCIÉTÉ INÉGALE

L'Église est un organisme surnaturel. — La so-


ciété inégale et la société démocratique. —
Erreurs anciennes et modernes touchant le
rôle de la multitude dans l'Eglise. — L'ensei-
gnement catholique.—Témoignages de l'Ecri-
— 272 —
tare, témoignages des Pères : Saint Clément
de Rome, saint Ignace d'Antioche, saint
Cyprien, — Définition du concile de Trente. —
Pie X. — Les trois rôles fondamentaux, ma-
gistère, ministère, gouvernement sont exclu-
sivement confiés au corps des pasteurs . . . .

CHAPITRE II
LA HIÉRARCHIE D*ORDRE

La notion de hiérarchie implique divers degrés de


sanctificateurs et de gouvernants. — Pour-
quoi il doit y avoir plusieurs ordres de mi-
nistres sacrés : raisons de saint Thomas. —
La hiérarchie d'ordre à l'origine. — Ce
qu'étaient les apôtres, les prophètes, les
did as cales ou docteurs, les presby très. — La
hiérarchie s'organise définitivement avec ses
trois termes : évêque, prêtres, diacres. —
Témoignages de saint Clément, de saint
Ignace, de saint Polycarpe, de Tertullien, de
saint Cyprien. — Avec le temps l'Eglise mul-
tiplie ce qui était un : au diaconat s'ajou-
tent le sous-diaconat et les ordres mineurs. —
La hiérarchie d'ordre définie par le concile de
Trente. — La nature du pouvoir d'ordre. —
Il est conféré par un sacrement. —Il est indé-
lébile, et toutes les puissances créées ne peu-
vent rien contre lui

CHAPITRE III
LA HIÉRARCHIE DE JURIDICTION

Sur la puissance physique de l'ordre se greffe


la puissance morale de la juridiction. — Com-
— 273
paraison entre ces deux pouvoirs. — Il y a
une hiérarchie de juridiction qui est de droit
divin, comme l'ordre, dont elle doit aider
l'exercice. — La juridiction est distribuée,
comme l'ordre, à divers degrés, ministres,
prêtres, évêques ; mais il faut ajouter ici un
autre élément, la subordination de tous les
ministres, de tous les prêtres, de tous les
évêques, au Pontife Romain. — Gomment
toute juridiction vient du Pape. — La hiérar-
chie de juridiction exige des degrés, et le
Pape ne pourrait pas à son gré supprimer
tous les évêques. — La juridiction est par-
tielle dans les rangs inférieurs, plénière dans
l'évêque, plénière, universelle, souveraine
dans le Pape 27

CHAPITRE IV
LA NOTION DE L'ÉGLISE ET LA HIÉRARCHIE

L'Église ne se conçoit pas sans la hiérarchie. —


Il faut la hiérarchie pour assurer l'unité
visible de la foi. — C'est par la hiérarchie
que s'accomplit la sanctification des âmes. —
C'est à la hiérarchie qu'est confiée la juridic*
tion. — La hiérarchie d'ordre et la juridic-
tion, quoique distinctes, s'unissent et forment
un tout harmonieux, qui est la hiérarchie
complète 34

CHAPITRE V
LES RAPPORTS DU PEUPLE AVEC LA HIÉRARCHIE POUR
LES ÉLECTIONS ET L E GOUVERNEMENT DE L'ÉGLISE

Le peuple, qui n'est pas un étranger dans


l'Eglise, est intéressé dans les élections ecclé-
RÉPONSE^ THÊOLOf.l'JCES 18
— 274 —
siastiques. — L'ancien usage d'élire les
prêtres et les évèques en présence du
peuple. — La part faite au pouvoir laïc dans
la nomination aux évêchés. — L a consulta-
tion populaire ou la présentation par l'Etat
n'ont jamais été une vraie nomination. —
Enseignement des conciles et des Papes à ce
sujet. — Ce qu'il faut pour pouvoir nommer
un membre delà hiérarchie. — Quant au fonc-
tionnement intérieur de l'Eglise, le peuple et
le pouvoir laïc n'ont aucun droit d'interve-
nir. — La hiérarchie a une indépendance
absolue pour tout ce qui est de Tordre spiri-
tuel. — Elle peut avoir des biens à elle. —
Ses droits imprescriptibles sur les édifices
sacrés. — La société spirituelle repose sur
Tépiscopat. — Il est préférable qu'une œuvre
ne se fasse pas que de se faire en dehors ou
contre la vdlonté de Tévèque. — L a ûn de la
hiérarchie est la sanctification des âmes 39

L'Analyse de ('Acte de Foi


L'acte de foi est un acte humain surnaturel
auquel concourent trois facteurs : l'intelli-
gence, la volonté, la grâce. — L'analyse va
étudier la part de chacun d'eux 5i

CHAPITRE PREMIER
LES DIVERSES ÉTAPES QUI MÈNENT A I.'ACTE DE FOI

Résumé du procédé intellectuel de l'acte de


foi. — Le motif de la foi. — Le fait de la révé-
lation dans analyse de la foi. — Comment
savons-nous que Dieu a révélé ? — Les condi-
— 275 —

tdons et les fondements naturels de la foi. —


Quatre étapes successives. — La première
attitude à l'égard du christianisme. — Les
penseurs libéraux qui arrivent au jugement
spéculatif : La religion est croyable. — Le
groupe plus avancé qui est convaincu théori-
quement mais qui est arrêté par l'idole. —
Quatre catégories d'incroyants : les ennemis
acharnés, les indifférents, les sympathiques,
les convaincus qui ne se rendent pas
encore. — Les généreux arrivent à la foi. —
Les actes définitifs : jugement pratique,
commandement efficace, adhésion : Je crois. 53

CHAPITRE II
LA CRÉDIBILITÉ, LA CRÉDENDITÉ, L'ACTE DE FOI

Le jugement de crédibilité est, en soi, d'ordre


naturel. — Le jugement de crédendité est
libre et d'ordre surnaturel. — L'acte de foi
est absolument surnaturel. — La pensée de
saint Thomas. — Intervention de la volonté
dans l'acte de foi : elle est légitime, mais elle
est nécessaire. — Nécessité de la grâce :
illumination et inspiration du Saint-Esprit. —
Il importe de bien distinguer les trois assen-
timents : crédibilité, crédendité, foi. — Le
premier et le dernier mot de la foi, c'est la
lumière 70

CHAPITRE III
COMPLÉMENT ET CONCLUSION

L'acte de foi est simple : lumière et repos. —


L'autorité de l'Église entre-t-elle dans le mo-
tif de la foi? Résumé de toute cette analyse. 83
276

Foi et Révélation
Les concepts exprimés par ces deux mots sont-
ils identiques? — Théories de M. Loisy et de
M. Gutberlet 91

CHAPITRE PREMIER
NOTION DE LA RÉVÉLATION DIVINE. — COMMENT ELLE
SE DISTINGUE DE L'ILLUMINATION SURNATURELLE ET
DE LA FOI.

La révélation naturelle du Verbe. Dieu nous


donne la faculté qui lira son nom avec ses
perfections et le livre dans lequel nous ferons
cette lecture, il intervient chaque fois pour
éclairer notre esprit et le pousser à l'opéra-
tion. — L a révélation surnaturelle. — Ce
qu'elle est dans le sens large. —Ce que l'illu-
mination et la révélation ont de commun. —
Le double objet de la révélation ; dans les deux
cas la révélation nous apporte une donnée
nouvelle. — Quels concepts faut-il pour la
révélation? — L'illumination éclaire l'idée,
maïs n'implique pas nécessairement de l'iné-
dit. — La révélation n'est pas la foi. —
L'existence de la révélation peut devenir
évidente, la foi restera toujours obscure et
mystérieuse. — L'illumination surnaturelle,
selon les divers points de vue, est moins et
plus que la révélation. — La révélation
passive est un fait de l'ordre psychologique
et intellectuel, la foi requiert une foule de
conditions de l'ordre moral g3
CHAPITRE II
PAS D E FOI SANS RÉVÉLATION

Les opinions de quelques théologiens. — La


thèse de M. Gutberlet. — L'Écriture, les
Pères, n'ont pas connu d'autre foi que celle
qui a pour objet et pour motif la révélation.—
La proposition condamnée par Innocent XI ;
pourquoi elle est déclarée fausse. — Analyse
de la foi d'après le concile du Vatican : la
révélation entre dans cette analyse comme
objet et comme motif. — Citation de saint
Thomas. — Une adhésion non basée sur la
révélation ne saurait être ni la foi divine ni
la foi surnaturelle; elle ne mériterait même
pas le nom de foi. — Preuves de ces asser-
tions. — Conséquences qu'il ne faut pas
perdre de vue quand on essaie d'expliquer
l'évolution des dogmes 106

CHAPITRE III
COMMENT DIEU ACCORDE A TOUTES LES AMES DE BONNE
VOLONTÉ LA CONNAISSANCE DE LA RÉVÉLATION
SURNATURELLE.

Les diverses manières dont Dieu a parlé à


l'humanité. — La connaissance de la révéla-
tion pour les hommes instruits ; pour le com-
mun des fidèles. — Comment ceux-ci ont
conscience d'une révélation divine : les rai-
sons objectives de crédibilité, les preuves de
Tordre subjectif, l'influence du secours
divin. — La connaissance de la révélation
— 278 —
là où la prédication chrétienne n'a pas encore
pénétré. — Premier moyen, le ministère des
anges. — Le théologien a le droit de prévoir
et de signaler ces interventions. — Moyen
ordinaire, l'envoi d'un missionnaire. — Le
moyen le plus efficace est l'action souveraine
de la Providence, le magistère intérieur de
Dieu, Vérité première. — Gomment Dieu peut
utiliser, en les corrigeant, les connaissances
religieuses du païen et lui donner l'idée et la
notion des mystères. — C'est surtout à
l'heure de la mort que le Rédempteur frappe
à la porte des âmes et leur offre sa
lumière. — Gomment les actes d'intelligence
et de volonté peuvent s'accomplir en un ins-
tant. — Consolante perspective ouverte sur
l'au-delà. — Conclusion 117

Les Concepts dogmatiques


Actualité de la question. — Les discussions
récentes l3i

CHAPITRE PREMIER
COMMENT SE FORMENT NOS CONCEPTS
DES VÉRITÉS NATURELLES

Nos idées nous viennent du monde extérieur, et


la vérité passe par nos sens avant de s'intro-
duire dans notre esprit. — Le phénomène
empirique est à la base de nos connaissances
les plus intellectuelles. — Concept et image
— 279 —
forment un couple lié. — L'objet de notre
esprit, c'est le spirituel, puisé dans la ma-
tière. — La différence entre l'entendement
humain et l'entendement angélique. — Toutes
nos connaissances portent la marque de
leur origine. — Deux exemples : le concept
de science et le concept d'ange. — Nos con-
cepts ne sont point la photographie de laréa-
lité, mais ils la traduisent et la décrivent
avec fidélité i33

CHAPITRE II
COMMENT SE FORMENT NOS CONCEPTS
DES VÉRITÉS RÉVÉLÉES

Deux modes de la révélation. — Le procédé


extraordinaire par les idées infuses. — Le
mode habituel par le témoignage extérieur
et le ministère des sens. —• Nos idées du sur-
naturel dépendent du procédé naturel de
l'abstraction i4l

CHAPITRE III
L'IMPERFECTION ET L'EXACTITUDE DANS NOS CONCEPTS
DES VÉRITÉS SURNATURELLES

Ces concepts ne sont ni intuitifs ni adé-


quats. — Ce sont des représentations ana-
logues, mais non point mensongères. — Nos
définitions conviennent véritablement à tels
objets et non point à d'autres 147
— a8o —

CHAPITRE IV
LA STABILITÉ ET L E PROGRÈS DANS NOS CONCEPTS
DES VÉRITÉS SURNATURELLES

Trois éléments à distinguer : l'image, la ma-


nière dont notre esprit se représente le divin,
la réalité pensée. — Les deux premiers peu-
vent se modifier, le dernier reste immuable. —
Le concept cependant n'a pas l'immobilité du
roc. — Le progrès et le changement : exemple
dans l'organisme. — L'évolution dogmatique
et l'évolution théologique. — La révélation
explicite, la révélation implicite, la révélation
virtuelle. — Le progrès de la théologie est
plus profond que le progrès du dogme. —
Trois phases dans le progrès dogmatique. —
L'évolution dogmatique ne donne jamais un
article de foi entièrement nouveau, l'évolu-
tion théologique peut donner des conclusions
véritablement nouvelles i53

CHAPITRE V
QUELQUES EXEMPLES QUI NOUS FONT VOIR L E PROGRÈS
DANS L A STABILITÉ

Le dogme de la rédemption. — Le dogme du


consubstantiel. — Les dogmes sacranien-
taires. — Le dogme de l'Imniaculée-Concep-
tion 167

CHAPITRE VI
RÉSUMÉ E T CONCLUSION

Quatre propositions résument toute la théorie


de nos concepts dogmatiques. — La stabilité,
le progrès et la vie ne se rencontrent que
dans l'Eglise catholique 177
— 281 —

L'État des fîmes séparées


La croyance à l'immortalité de l'âme se
retrouve chez tous les peuples. — Le besoin
de cette croyance : témoignages de François
Coppée, du général de Barrail, de Victor
Hugo. — Nécessité d'une sanction. — Ce que
nous allons étudier ce n'est point la survie,
mais l'état ou la condition des âmes après la
la mort. — Question morale, question psy-
chologique — Théories modernistes i83

CHAPITRE PREMIER
LA QUESTION MORALE : RÉTRIBUTION IMMÉDIATE KT
DÉFINITIVE APRÈS LA MORT. — L E S CERTITUDES DE
LA FOI.

La croyance de l'antiquité à un jugement par-


ticulier après la mort. — Le dogme de la
rétribution définitive a été partout défiguré :
erreurs anciennes, erreurs modernes. —
i° Certitudes sur le jugement particulier. —
L'Ecriture, les Pères, les Conciles. — a 0
Certi-
tudes sur le paradis. — Quelques hésitations
aux premiers siècles. — Opinions de
quelques théologiens du moyen âge. — La
doctrine de la récompense immédiate ensei-
gnée par saint Paul et par les Pères. —
Définitions du concile de Lyon, de Benoît XII,
du concile de Florence. — 3° Certitudes sur
Venfer.—Les hésitations des premiers siècles
sur le moment de l'entrée en enfer. — La
— 282 —

doctrine des Pères. — Benoit XII et le concile


de Florence. — L'éternité des peines. —
Résumé de la doctrine catholique. — 4° Cer-
titudes sur le purgatoire. — Le livre des Ma-
chabées, l'Évangile, les anciennes liturgies,
les Pères. —Déclarations du concile de Lyon,
de Benoit XII, du concile de Florence, de
Léon X . — Résumé de l'enseignement catho-
lique 190

CHAPITRE II
L A QUESTION PSYCHOLOGIQUE. — E T D'ABORD L E S
OPÉRATIONS NATURELLES DE L'AME S É P A R É E .

Les conceptions des anciens sur l'activité psy-


chologique des morts : les idées des vieux La-
tins, les systèmes des transmigrations et des
métempsycoses. — Les âmes sont-elles dans
un état d'engourdissement? — La théorie de
Rosmini. — Les certitudes de la révélation
et de la philosophie. — L'âme séparée dans
le système cartésien. — Pour nous, l'âme
séparée ne garde en plein exercice que les
facultés dont elle est le sujet unique : elle
conserve les autres virtuellement. — L'opé-
ration intellectuelle peut avoir lieu sans le
commerce du corps. — Notre âme a deux
modes d'être et deux procédés de connais-
sance. — L'état de séparation n'est pas vio-
lent : le mode de connaissance dans l'au-delà
n'est pas douloureux, comme le pense un
théologien récent. —Les opérations de l'âme
séparée sont, en soi, agréables. — Les ami-
tiés des âmes ai3
— a83 —

CHAPITRE III
L E S DIVERS MODES NATURELS DE CONNAISSANCE DANS
L A V I E FUTURE. — L E LANGAGE DES E S P R I T S

Trois modes. — Les idées acquises demeurent,


mais ne suffisent pas. — L'Ame ne saurait
abstraire de nouvelles idées du monde intel-
ligible qui est devenu son élément. — Il lui
faut des idées infuses. — Théorie de saint
Thomas. — Le langage intellectuel; les trois
conditions qu'il requiert ; comment elles se
réalisent a3o

CHAPITRE IV
CE QUE SAVENT L E S AMES SÉPARÉES

L'âme par son essence se voit elle-même ; elle


a une certaine connaissance des autres âmes,
des anges et de Dieu. — Par ses idées
acquises l'âme peut revivre tout son passé
et connaître en une seule intuition et sans
étapes tout ce que le long travail de la
réflexion et de la spéculation pourrait décou-
vrir. — Les idées acquises sont mieux utili-
sées dans l'au-delà que dans la vie pré-
sente. — Par ses idées infuses l'âme connaît
Dieu, les autres âmes,les anges,l'ordre phy-
sique et l'ordre moral de l'univers, les faits
singuliers qui l'intéressent. — Nous pouvons
croire à une présence de nos défunts avec
nous par la pensée, non seulement des bien-
heureux, mais même des saints du purga-
toire. — La raison de ces assertions. —
Quant aux communications par le langage
intellectuel, le champ en est immense 241
— 284 —

CHAPITRE V
L E MOUVEMENT DES AMES SÉPARÉES.
LES APPARITIONS.

L'âme pourrait, à la rigueur, n'être nulle part. —


En fait, elle est dans un lieu. — Elle ne doit
pas en sortir régulièrement. — Toutefois elle
n'est pas condamnée à l'inertie, et, si Dieu le
permet, elle pourra se montrer aux regards
des mortels. — Commeht apparaissent les
bienheureux, les âmes du purgatoire, les
damnés. — Les apparitions sont-elles per-
sonnelles où bien ont-elles lieu par le minis-
tère des anges? — Le mode normal, le mode
surnaturel. — Les cas d'apparition person-
nelle. — Il est certain que les âmes séparées
ne se montrent point au gré d'un évoca-
teur. — Illicéité du spiritisme a54

CHAPITRE VI
RÉSUMÉ E T CONCLUSION

Comparaison entre l'état d'union et l'état de


séparation. — Raison de suprême convenance
pour la résurrection future, qui est, par ail-
leurs, un article de foi 267

P u i s . — Imp. p, TÊQUI, 9 2 , rue de Vaugirard.


Librairie Ch. Douniol, 29, rue de Tournon, Paris-VI»

R. P. Edouard HUGON
O. P . , MAÎTRE EN SACRÉE THÉO LOGIS

Hors de l'Église point ne salut


Un vol. in-12 de 334 pp. Prix. . 3 fr. 5 0

« Ce livre est un véritable traité théologique sur le


fameux axiome qui intitule ses pages, moins la
forme didactique des ouvrages latins. Il faut remer-
cier le R. P. Hugondenous l'avoir donné. Les prêtres
y trouveront cette admirable doctrine de saint Tho-
mas, qui étonne toujours par sa grandeur et séduit
par sa simplicité lumineuse, quand une plume éprou-
vée vient la mettre à la portée de tous. Les laïques
instruits posséderont enfin un livre où l'un des
dogmes les plus décriés en nos jours de décadence
morale et de paganisme est exposé, établi, jugé, dé-
fendu avec une clarté et une vigueur sans réplique. »
(Revue Augustinienne, i5 juillet 1907.)

a Un des plus beaux livres qui aient paru depuis


longtemps sur l'Eglise, le plus beau que nous connais-
sions en français, écrit dans une langue forte et sa-
voureuse, et surtout d'une doctrine toujours pleine et
sûre... Le livre duP. Hugon est un service de premier
L i b r a i r i e Ch. Douniol, 2 9 , r u e d e T o u r n o n , P a r i s - V I *

ordre rendu à la diffusion de la doctrine chrétienne.


11 n'est pas un catéchumène qui ne trouve à faire son
proÛt des pages si lumineuses, si vigoureuses, si
pleines de grandes, belles et pratiques choses. »
ep
(L'Ami du Clergé, i août 1907.)

« Le livre du R. P. Hugon témoigne d'une connais-


sance théologique très sûre et très étendue, les
arguments sont présentés avec force et netteté. Ce
livre rendra de grands services à ceux qui désirent
avoir une notion précise d'un dogme si discuté à
l'heure actuelle. »
(Revue des sciences philosophiques et théologiques,
octobre 1907.)

0 Personne n'ignore les objections que ce dogme :


Hors de l'Eglise point de salut soulève chez nos
contemporains. Le R. P. Hugon vient d'y répondre
par un exposé lumineux et attrayant... 11 a déve-
loppé ce sujet délicat et complexe avec une grande
netteté de pensée et un haut sens théologique;
aussi nous ne doutons pas que ce beau travail ren-
contre auprès des ecclésiastiques et des laïques
instruits le succès qu'il mérite à tous égards. »
(L'Année dominicaine, décembre 1907.)

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