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Le Jour Du Seigneur 000001324

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LE JOUR

DU

SE IG N EU R
PAR

ERNEST HELLO
RÇoitoette édition avec Aüant-Propos de Georges G O Y A U

Souviens-toi de sanctifier le Jour du


Seigneur*
Le septième Jour est le Sabbat du
Seigneur ton Dieu. Ce jou r-là tu ne
travailleras pas, ni toi, ni ton fils, ni ta
fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni
ton cheval, ni l'étranger qui est entre
les portes.
(Ex., xx, 8, 9.)

A. TRALIN, ÉDITEUR
12, RUE DU VIEUX-COLOMBIER. 12
P A R IS , VP
1921
http://www.liberius.net
© Bibliothèque Saint Libère 2019.
Toute reproduction à but non lucratif est autorisée.
LE JOUR DU SEIGNEUR
DU MÊME AUTEUR:

L e L ivre des Visions et Instructions de la


B ienheureuse A ngèle de F oligno, traduit par
Ernest Hello, avec avertissement de Georges
Goyau et un appendice par J. Pacheu.
1 volume in-12, 6e édition. . . . 6. 0 0
AVANT-PROPOS

I l y a juste un demi-siècle, lorsque la


France vaincue faisait effort pour se re­
construire et cherchait dans la tradition
même les assises d'un renouveau, Ernest
Hello, avec cet accent de prophète qui lui
était comme inné et qui attestait que le sur­
naturel avait en lui la vertu d’une seconde
nature, éleva la voix en faveur de l’une de
ces assises ; la loi du repos dominical.
E t dans un premier hymne — car c’est
toujours en hymnes qu’expirait sa pensée —
il en célébra les exiyences, il en ylorifia les
importunités, au nom du droit social de
Dieu.
Puis un second hymne s’ajouta, exal­
tant le droit social des travailleurs et la
VI

libération qui leur est promise, assurée,


pa r le divin commandement du repos du
dimanche.
Le dimanche, c’est le jour de Dieu et
c’est le jo u r de l’ouvrier, le jour que tous
deux aiment, le jo u r oà les hommes se sen­
tent frères les uns des autres, où leur
filiation à Végard de Dieu se nuance d’une
sorte de fraternité à l'endroit de VHomme-
Dieu, fils avec eux du Père commun.
On était alors au lendemain de la Com­
mune : le débordement même des passions
révolutionnaires avait exposé Dieu à l'hos­
tilité du monde ouvrier. Mais sous la plume
d’Hello, celte institution du dimanche, qui
fu t le repos de Dieu avant d’être le repos
de l’homme et qui met le repos de l’homme
sous la protection de Dieu, apparut comme
la consécration par excellence d’une cer­
taine communauté d’intérêts entre la ma­
jesté divine et le labeur humain, d’une cer­
taine communauté de droits entre Dieu et le
travailleur.
A u moment où les ruines qui achetèrent
V II

notre victoire requièrent, non moins impé­


rieusement qu’il g a cinquante ans,de nou­
velles architectures sociales, les enseigne­
ments d’Hello, qui n'ont rien perdu de leur
éloquence, retrouvent toute leur opportu­
nité.
Ils sont même mieux servis par les cir­
constances quils ne le furent en 1874. L'es­
p rit de désinvolture à l'endroit du repos
dominical faisait Veffet, en ce temps-là,
d’une conquête de la « liberté économi­
que » ; aujourd’hui l’observation de ce re­
pos est présentée comme une conquête de la
« justice sociale », comme un succès des
« revendications populaires». Les exigences
de Dieu et celles de l’ouvrier ont fini par
converger.
E n 1871, le dimanche n’était, aux yeux
de la masse, ni un jo u r libéré, ni un jour
consacré, L a masse a voulu les récentes
lois sociales, qui libérèrent enfin le diman­
che ; mais d’elle-même, par ses mœurs, elle
ne Va pas encore consacré à Dieu, Il est de­
venu le jour du travailleur : la seconde
VHI

partie du programme d’Hello est exaucée.


Mais la première subsiste, imprescriptible,
inviolable : écoutons Hello nous dire les
raisons augustes pour lesquelles ce jour du
dimanche, reconquis enfin par nos travail­
leurs, doit être, par eux-mêmes, offert au
Seigneur.
G eorges G oyau.

Paris, février 1921,


PRÉFACE

Après un tremblement de terre, les sur­


vivants se regardent avec étonnement. Mille
sentiments, très serrés les uns contre les au­
tres, surgissent en un instant sur le même
point du temps et de l’espace.
Voici l’une des expressions confuses, in ­
déterminées, rapides et ardentes qui se font
jour, dès que le jour devient possible, dans
les âmes épouvantées :

Comment vivrons-nous désormais ?


Une immense catastrophe exige et promet
quelque immense rénovation. Il semble im­
possible de suivre, après l ’abîme, la route
ancienne qui a mené à l’abîme. Les discours
X
ont été inutiles. L’autorité des faits semble
imposer une rénovation. L’esprit s’ouvre à.
la fois aux désespoirs les plus profonds et
aux espérances les plus audacieuses.
Tout est perdu, à moins que tout ne soit
sauvé.
Une seule chose paraît impossible, c’est la
continuation du passé.
Cette chose est précisément la seule qui
se soit réalisée.
Examinez les âmes ; examinez les livres ;
examinez les journaux. Chacun pense ce
qu’il pensait, chacun dit ce qu’il disait, cha­
cun est ce qu’il était.
Gomme l’eau qui se referme, après l’im­
mersion d’une pierre lancée et engloutie, la
fouie s’est refermée sur les événements avec
indifférence. Elle n’a rien appris et rien ou­
blié.
Le 13 mai 1867, j ’écrivais dans Y Univers,
quelques jours après sa réapparition :
« La nécessité suprême de Jésus-Christ
XI
« est descendue du domaine de la contem-
« plation dans le domaine des faits.
« Le christianisme n’est plus seulement la
« nécessité morale du monde ; il est devenu
« la nécessité matérielle. Elle est si pres-
« santé, cette nécessité, qu’on oserait dire
« qu’elle est l’unique expédient. Les pallia­
ittifs sont épuisés. La vérité seule est prati-
« cable. Il n’y a pas pour ce monde-ci et
« pour l’autre deux sauveurs différents. 11
« n’y en a qu’un : c’est Celui qui parlait, il
«y a dix-huit cents ans, à Marthe et à Ma­
rie. »
il
11 est impossible de parler aujourd’hui,
sans répéter ce que nous disions alors. Seu­
lement la vérité qui semblait hardie en 1867,
est devenue évidente en 1871.
Evidente I... Et cependant rien n’indique
nulle part aucune disposition à ouvrir les
yeux et les oreilles.
Le Journal des Débats, par exemple, com­
prend-il mieux, même après l'événement,
---- A I I ----

les paroles que nous lui adressions avant


l'événement ? Non. La fermeture de ses bu­
reaux ne lui a pas révélé les conditions spi­
rituelles de son existence, même matérielle.
Il n’a pas compris qu’il est protégé, même
dans ses intérêts les plus palpables, par les
vérités qu’il combat.
Puisque la surdité des hommes est à
l’épreuve de la foudre, comment ne serait-
elle pas à l ’épreuve de ma voix ?
Leurs précautions sont si parfaitement
prises contre la lumière et contre la parole,
que toutes les charités et toutes les haines,
tous les pardons et tous les incendies, toutes
les sollicitations et toutes les fureurs, tous
les souffles et tous les tonnerres meurent à
leur porte, sans troubler leur sommeil.
Ils sont mieux trempés qu’Achille, leur
talon n'a pas été oublié. Toutes les parties
d'eux-mêmes sont également bien garanties
contre les blessures de la vérité.
Ils ont fait un pacte avec les ténèbres, et
X1U
les cas de force majeure, qui déchirent tous
les traités, n’ont pas déchiré celui-là.
Chacun traîne sa vieille chaîne ; le sang
ne l’a pas rouillée ; le feu ne l’a pas fon­
due.
Puisque chacun répète son erreur, répé­
tons notre vérité. Nous disions, il y a plus
de quatre ans :

« Quand la tempête s’élève, le matelot se


« souvient. Le matelot qui tout à l’heure
« buvait en jurant, se trouve d’accord avec
« une carmélite qui est en oraison à mille
« lieues de là...
« Les sifflements du vent sont terribles :
« le navire est bien léger, la mer est bien
« profonde, et l'éternité bien inconnue. Cette
« nécessité spirituelle, que la tempête ré-
« vêle aux matelots, tout la révèle à tous
« aujourd’hui ! »

Ceux qui se moquaient ont persisté. Ils


XIV

verront un jour le Nom et la Face gui étaient


l’objet de leurs moqueries.
Nous exhortions les hommes à la ressem­
blance du matelot et nous ajoutions :

« Ou tout croule et vous mourez. »

C’était le dernier mot de l’article.


LE

JOUR DU SEIGNEUR

PREMIÈRE PARTIE

Et Dieu dit à Adam :


Tu mangeras de tous les fruits du Paradis.
Mais tu ne mangeras pas du fruit de l’ar­
bre de la science du bien et du mal.
Le Jour où tu en auras mangé, tu

MOURRAS DE MORT (1).

Et Dieu parla à Moïse, disant :


Parle aux fils d’Israël et dis-leur :
Veillez à garder votre Sabbat parce qu’il

(1) Gen. II, 16, 17.


16 —
est le signe entre moi et vous dans vos gé­
nérations : afin que vous sachiez que je suis
le Seigneur qui vous sanctifie.
Gardez mon Sabbat, car il est saint.
Celui qui l’aura violé,

MOURUA DE MORT ( 1 ) .

Ainsi les deux défenses sont faites dans


les mêmes termes :
Tu mourras de mort.
Il mourra de mort.

Et Dieu insiste :
Vous travaillerez six jours. Le septième
est le Jour du Sabbat, le repos consacré au
Seigneur.
Celui qui aura travaillé ce Jour-là

MOURRA.

Les mystères abondent ici.


Nous sommes entourés d’étonnements.

(1) E x . X X X I, 13, 14.


17 —
Commençons par celui qui est le plus
accessible à l’esprit humain, et étonnons-
nous d’abord de l ’oubli où ces paroles sont
laissées.

La peine de mort, en tant que peine légale


et judiciaire appliquée par Phomme à la
violation du Sabbat, est abolie.

Nous parlons ici de la peine de mort dont


Dieu se réserve à lui seul l’application.
Cette mort mystérieuse, dont la menace
dure toujours, est directement donnée par
la main de Dieu qui pénètre partout, au ciel,
sur la terre et en enfer, et que personne ne
peut fuir.

La première sentence a été portée contre.


Adam et le genre humain. La menace a été
suivie d’effet.
Le châtiment est trop énorme pour pou­
voir être raconté ou pensé. Il est universel,
il est terrible. Il pèse sur nous d’un poids
qui ne se peut pas dire.
Or, la même formule, la même sentence
2
— 18 —
est prononcée dans les mêmes termes une
autre fois.
Il semble que le genre humain n’aura pas
assez de toutes ses forces, de tout son es­
prit, de tout son cœur et de toute son âme
pour écouter et pour trembler.
Non, le genre humain ne fait aucune at­
tention : il ne remarque même pas que la
même bouche a proféré les deux sentences.

L’homme a confondu le Dimanche avec les


autres jours, comme Adam avait confondu
l’arbre fatal avec les autres arbres.
Le premier châtiment n’a pas même
éveillé l’esprit de Thomme sur la seconde
menace.

Il ne faut pas lâcher prise, il faut consta­


ter solennellement, il faut regarder en face
ce fait.

La catastrophe paradisiaque a un pendant


dans l’histoire.
Dieu s’est servi deux fois des mêmes ter-
— lû ­

mes. Il a fait deux fois la même menace, se


servant des mêmes paroles, pour se réserver
une certaine chose.
Et l’épouvantable suite de ‘l a première
transgression n’ouvre pas les yeux des hom­
mes sur les suites de la seconde.
Et le voile qui est devant leurs paupières
les empêche même d’écouter la seconde me­
nace, et de constater son identité avec la
première, identité qui semblerait frappante
au point de vue de l’érudition, si elle n’était
pas si importante, si décisive, si capitale au
point de vue de la vie.
Cette chose qui donne la mort n’a pas l’air
d’intéresser les hommes.

Ou je me trompe infiniment, ou l’identité


des deux menaces découvre entre les deux
objets de la menace, entre les deux atten­
tats, quelque lien trop mystérieux pour nos
esprits, trop subtil pour nos yeux. 11 doit y
avoir là quelque prodige dont la vue nous
entraînera quelque jour à des ravissements
inespérés.
- 20 —
Les moins sagaces, les moins pénétrants
d’entre les hommes n'ont pu s’empêcher de
remarquer en France que depuis le commen­
cement des désastres les cloches du Diman­
che ont sonné pour la nation de Jeanne
d’Arc le glas funèbre.
La persistance des coups de tonnerre à
éclater toujours le Dimanche frappait tous
les regards.
Forbach, Sedan, capitulation de Metz, ca­
pitulation de Paris.....toutes les catastro­
phes mettaient, à s’afficher le Dimanche,
une certaine affectation.
Combien de murailles en France, combien
de monuments construits le dimanche ont
été couverts le dimanche par les dépêches
fatales !
Combien de murs construits sous les yeux
des passants le jour du Seigneur ont étalé
le même jour, aux yeux des mêmes passants,
l’histoire des ruines qui se faisaient !
il

Ce monde est si bas qu’il abaisse les cho­


ses en les touchant.
11 possède la triste puissance de réduire à
ses proportions mesquines les pensées les
plus sublimes, et ce qui est au-dessus des
pensées.
Il touche avec son équerre les sommets
que son œil ne voit pas, abolissant du même
coup la gloire du sanctuaire, et l’horreur du
péché, il essaie de passer le niveau, sur les
montagnes, sur les vallées et sur les abyraes.
Parmi les mystères qu’il a le plus capri­
cieusement et le plus bassement ignorés et
profanés, il faut citer le repos du Dimanche.
11 a fini par le regarder, dans sa hideuse
bonne foi, comme une ordonnance de police
tombée en désuétude, comme l’ordonnance
surannée d’une police surannée.
— 22 —
Nous pendons à César ce qui est à César.
Je voudrais essayer, aujourd’hui, de rendre
à Dieu ce qui est à Dieu.

Parmi les crimes humains, il en est dont


la punition semble indéfiniment ajournée ou
voilée, il en est- d'autres dont le châtiment
semble se manifester avec un peu plus de
promptitude et un peu plus d'évidence.
Parmi ces derniers, il faudrait citer, si je
ne me trompe, les crimes au moyen desquels
l ’homme met la main sur le domaine réservé
du Seigneur.

Je n’entre qu’avec un certain tremblement


dans les profondeurs qui s’ouvrent ou plu­
tôt qui s’entr’ouvrent, devant mes regards.

Les paroles de Dieu sont des actes.


Saül avait été changé en un autre homme,
suivant la parole de Samuel. Il avait été élu
et sacré. Sacré roi sur Israël, élu roi des
— 23 —
Elus. Mais il garde pour lui, après la défaite
d’Amalec, ce qui appartenait à Dieu. Il garde
les plus beaux troupeaux ; le butin le tente,
l’apparence le trompe, il ne se souvient plus
du rôle mystérieux des troupeaux dans l’his­
toire des patriarches. Il ignore ou il oublie
les brebis de Laban. 11 porte la main sur des
créatures que le créateur avait voulues pour
lui. Il est rejeté !
Ce n’est pas tout. Samuel compare son at­
tentat à l'idolâtrie, bien que la relation de
ces deux crimes, invisible au premier coup
d'œil, réside dans le mystère qui nous oc­
cupe ici.
L’histoire se sert contre lui de cette parole
terrible et mystérieuse qu’elle emploie si
rarement et par laquelle elle semble appuyer
de force notre attention sur l’incompréhen­
sible :
Dieu, dit le livre saint, se repentit d’avoir
choisi Saül ! Et Saül se précipita sur un glaive
et se perça et son écuyer se précipita sur un
glaive et ses trois fils périrent, dans le même
moment.
— 24 —
Saül avait attenté à la réserve du Seigneur.
Or Dieu s’était déjà repenti. Il s’était repenti
d ’avoir fait l'homme, et le déluge était venu.
Les repentirs de Dieu sont choses terribles.
Nous nous sommes écartés en apparence
du septième Jour. En réalité nous ne le quit­
tons pas. Nous parlons des choses réservées
à Dieu.
Parmi le tonnerre et les éclairs du Sinaï,
la voix terrible avait dit à Moïse :
« Souviens-toi de sanctifier le Jour du Sei-
« g n e u r:
« Le septième Jour est le sabbat du Sei-
« gneur ton Dieu. Ce jour-là tu ne travail-
« leras pas, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni
« ton serviteur, ni ta servante, ni ton che-
« val, ni l’étranger qui est entre les portes.
« Car le Seigneur a fait en six jours le ciel
« et la terre et la mer et tout ce qu’ils ren-
« ferment, et s’est reposé le septième Jour.
« C’est pourquoi il a béni le sabbat et l ’a
« sanctifié (1). »

(1) Ex. XX, 8, 9, 10.


25 —
Or, le septième Jour, tombèrent au son des
trompettes de Josué les murailles de Jéricho
(le septième Jour : tant il est vrai que je ne
sors pas de mon sujet). — La chute des murs
de Jéricho était le repos d’Israël.
Que cette cité soit Anathème, dit Josué,
et que tout ce qu’elle renferme soit au Sei­
gneur !
Le mot : Anathème est un des mots les plus
mystérieux de FEcriture. L’usage le prend
toujours en mauvaise part. Mais l’usage se
trompe. Anathème veut dire : Consacré.
L’Anathème est consacré au Seigneur, soit
à sa justice, soit à sa miséricorde, soit à sa
sainteté ; sacer esto. Le mot sacré est celui
qui s’écarte le moins du terrible : Horma.
La Vierge est dite : Anathème parce qu’elle
appartient tout entière à Dieu, absolument,
sans restriction, sans tache et sans réserve.
Dans la Biblia Mariana, nous trouvons à
propos de Josué, au mot Anathème :
« La consécration faite par Josué de la
« première ville qu’il prit dans la terre de
* Canaan est le symbole de la Vierge Mère
26 —

« consacrée qui offrit au Seigneur Jésus sa


« première demeure terrestre. Le démon
« ayant une part quelconque, grande ou pe-
« tite dans les autres personnes humaines,
« la Vierge est totalement et absolument la
« réserve sans tache du Seigneur Dieu (Men-
« doza, 1" Reg. IV, vers. 11 et 12). »

Israël est vaincu. Josué ne comprend pas.


Lui l’homme de la victoire, l'homme de la
terre promise, l’héritier du serment, lui qui
a fait sentir aux astres le poids de sa parole,
il est vaincu. Il demeure ébloui devant Fhor-
rible merveille de sa défaite. Il reproche à
Dieu ses faveurs et le Jourdain traversé.
Couvert de cendre, les vêtements déchirés,
il se jette à terre en rugissant devant l’arche
sainte. — Le soir vient. Josué ne se relève
pas. Les vieillards d’Israël sont prosternés
avec lui. Et il criait sans s’arrêter.
Lève-toi, dit le Seigneur, pourquoi restes-
tu là, couché à terre ?
Israël a péché et prévariqué. Il a touché
à l’Anathème.
— 27 —
Quelqu’un, à Tinsu de Josué, avait mis la
main sur la réserve du Seigneur.
Balthazar en faisait sans doute point les
premiers pas dans la voie du crime, mais il
but une certaine nuit dans les vases sacrés
et cette nuit-là :
Apparuerunt digiti.
Trois mots furent écrits sur la muraille.
Mane, thecel, phares.

C’était les vases d’or et d’argent qui ve­


naient du temple de Jérusalem; c’était la
réserve du Seigneur.
IU

La réserve de Dieu!
Voici peut-être un des mystères les plus
profonds et les plus oubliés qu’il y ait.
Peut-être ce mystère est-il un des plus
remplis de lumière, car il est un des plus
remplis d’ombre.
Plus un mystère est impénétrable, plus il
est éblouissant.
Plus il est impénétrable en lui-même,
plus il pénètre les choses extérieures ; plus
il est obscur en lui-même, plus il jette la
lumière hors de lui.
En toutes choses, Dieu s’est choisi une
réserve.
Quand Dieu a placé Adam dans le Paradis,
il lui a donné tous les fruits excepté un.
En Jésus-Christ, disent les écrivains ascé-
29 —

tiques, Dieu, qui donnait son fils aux hom­


mes, s’est réservé la profondeur inconnue
de sa vue intérieure, sa plus secrète, sa plus
inouïe, sa plus ineffable, sa plus profonde
adoration.
Ni les hommes, ni les anges n’ont vu le
fond de ce cœur. Dieu se réservait à lui seul
ce secret.
Après le Déluge, Dieu donne à Noë tous
les animaux, comme à Adam tous les fruits :
car la viande devenait utile à l ’homme ;
mais l ’exception suit la loi comme l ’ombre
suit le corps, excepté ceci :
Vous ne mangerez pas la chair avec le
sang, et dans le Lévitique : celui qui aura
mangé le sang mourra.

Tous les fruits étaient permis, excepté un.


L’attentat est consommé ; toutes les filles
d’Eve sont conçues dans le péché excepté
UNE.
Le fruit défendu était une exception dans
l ’Eden. La conception souillée, qui est la
loi introduite par le péché, rencontre une
— 30 —
exception en dehors de PEden, et voici la
Vierge Marie.
Admirez le parallélisme !
Il n’y avait qu’un fruit défendu, et après
la catastrophe paradisiaque, il n’y a qu’une
femme conçue sans péché.
Dieu, disent les écrivains ascétiques, s’est
reposé en Marie. Il voulait pouvoir dire à
une fille d’Eve :
Tu es toute belle, ma bien-aimée, et au­
cune tache n’est en toi.
Il voulait qu’une préservation absolue lui
réservât intégralement celle qui devait être
vierge au delà de toute idée.
Il voulait que la vierge fût dans le cas
inconnu et mystérieux que la tradition ca­
tholique connaît et proclame.
Il voulait qu’elle fût l’anathème (c’est-à-
dire place loin de).
L’anathème est dans le désert, et saint
Jean a vu la femme voler dans son lieu,
voler au désert, portée par deux grandes
ailes d’aigle.
Et il l’a vue un dimanche.
Dieu a donné aux hommes tous les jours
de la semaine, et il s'en est réservé un.
C’est ce jour-là que le disciple que Jésus
aimait, le disciple privilégié et exceptionnel,
celui qui seul avait dormi sur la poitrine de
Jésus, et présenté, pendant la dernière cène,
une image du repos profond, c’est ce Jour-
là que saint Jean eut la révélation sublime
faite de foudre, d’éclairs et d’obscurités
transparentes.
Lui, si sobre de paroles, il nous avertit,
au commencement de l’Apocalypse, qu’il fut
en Esprit un Dimanche !

L’Apocalypse fut le repos de saint Jean.

Du haut de la montagne où nous sommes


placés, notre regard se promène, mais il se
concentre en même temps. Il se promène
sur les personnes et les choses que Dieu
s’est réservées, et il se concentre sur le Jour
de son repos sacré et redoutable.
Ainsi, de quelque côté que nous prome­
nions nos regards, nous rencontrons cette
vérité qui semble être la loi des lois :
Toute loi a une exception.

Dieu donne aux hommes les choses qui


sont du domaine de la loi, et se réserve cel­
les qui sont du domaine de l ’exception.
Ne touchez pas au domaine réservé.
Marie a pris la meilleure part qui ne lui
sera point enlevée.
V

Ce disciple, qui s’appelait lui-même le dis­


ciple bien-aimé,va au sépulcre du maître avec
un autre disciple qui a un autre privilège.
Tous les hommes peuvent se tromper,
excepté un. Pierre est infaillible, et voici en­
core, sous un jour nouveau, la réserve du
Seigneur.
Tous les hommes qui ont quitté la terre
sont morts. Mais Elie et Enoch ont quitté la
terre sans goûter la mort.
Enoch veut dire consacré.
Cette loi qui domine les lois, et qui veut
au moins une exception, nous suit partout
dans notre voyage.

Les six jours tombent sous le domaine des


lois.
3
— 34 —
Le Dimanche est le sanctuaire réservé.

Tu gagneras ton pain à la sueur de ton


front.

Parole terrible ! Loi dure qui appelle une


exception. Et le Dimanche répond à l ’appel.

Ceux qui se présentaient devant Assuérus,


avant d’être appelés par lui, encouraient la
peine de mort.
Mais Assuérus tend son sceptre d’or à
Esther terrifiée et lui dit :
Cette loi est faite pour tous, mais non pour
vous.

La loi de la sueur est faite pour tous les


jours, mais non pour le Dimanche.
VI

La vie de Jésus-Christ sur la terre a été


ce que le péché l’a faite, terrible et dure au
delà des paroles.
Cependant le Thabor a restitué un mo­
ment le Fils de l’Homme à la splendeur.
Le Dimanche des Rameaux l’a restitué à
la gloire.
Le Dimanche de Pâques l’a montré dans
la Résurrection.
r

Et l’Eglise dit, en parlant de ce jour-là :


Voici le jour que le Seigneur a fait.
Elle nous présente Dieu comme étant
l’auteur du Dimanche, et ayant sur ce jour-là
une autorité particulière.

Les élus verront Dieu, mais il y a néan­


moins, au fond de lui, quelque mystère ré-
— 36
servé, quelque gloire inouïe, improbable,
dit le père Faber, qu’ils ne verront jamais.
Ils l ’adoreront, mais ils ne la verront pas, et
loin de s’opposer à leur bonheur, cette gloire
éternellement inconnue les ravira sans se
montrer, dans une adoration suréminente
qui portera sur l’ineffable.
Même dans l’éternité, même pour les
saints, même pour les anges, Dieu garde sa
réserve, son secret, son partage.
Plus le regard humain est profond et
éclairé, puis il distingue l ’exception de la
loi.
Plus il est grossier et corrompu, plus il
tend à les confondre.
Plus l’homme est aveugle, plus le Di­
manche s’efface devant lui. Le signe posé
par la main de Dieu n’est visible qu’à l'œil
éclairé.
Vil

Ce jour sera le signe entre moi et vous.


Le signe est la marque de l’alliance.
Le signe 1
Ainsi la profanation du Dimanche est un
attentat contre l’alliance.Elle efface le signe
que Dieu a fait. Elle est le crime contre
l ’arc-en-ciel.
Le repos et l’Arche sont sans cesse rap­
prochés dans l’Ecriture.
Surge, Domine, in requiem tuam, tu et
arca sanctificationis tuae.
Le précepte du sabbat était contenu dans
les tables de la loi, et les tables de la loi
étaient contenues dans l’Arche.

Souvenez-vous des Bethsamites frappés de


— 38
mort parce qu'ils avaient jeté sur l’Arche
d'alliance un regard profane.
Souvenez-vous du roi frappé de mort pour
l’avoir touchée.
Souvenez-vous du vieillard Héli qui tombe
de cheval et meurt, apprenant que l’Arche
est aux mains des ennemis.
Souvenez-vous des Philistins qui ont peur
de la garder, car elle contient pour eux la
mort.
Et rappelez-vous les paroles qu’entendit
Adam et la parole qu’a entendue Moïse :

« Le jour où. tu auras mangé du fruit dé­


fendu tu mourras de mort. »
« Celui qui aura profané le jour du re­
pos, mourra de mort. »

Mea est vitio (1), dit le Seigneur.

La loi du pardon ne s’éclaire-t-elle pas


ici, d’une grande lumière ?
La vengeance est comptée parmi les tré -
(1) Deut. XXXII, 3S.
39 —
sors qui appartiennent en propre au Sei­
gneur. Elle est sa réserve et sa propriété.
« Mea ultio, — La vengeance est ma
chose. Mihi vindicia, — La vengeance m’ap­
partient.
« Nonne haec condita sunt apud me et si­
gnata in thesauris meis. — Marquée dans
mes trésors.
Celui qui se venge lui-même attente à la
réserve du Seigneur.
Si esurierit inimicus tuus, ciba illum, et
si sitierit, da ei aquam bibere (1).

Prunas enim congregabis sriper caput


ejus, et Dominus reddet tibi.

(1) Is. LVI, 2.


VIII

A travers la nuit des siècles, éclairée par


la lueur des prophéties, l’écho de la parole
dite à Moïse retentit sur tous les sommets.
Et, partout, partout n’oublions pas de le re­
marquer toujours, c’est la question de vie
ou de mort qui est posée.

Bienheureux, dit Isaïe, l'homme qui fait


cela et le fils de l’homme qui sauvera ceci :
Gardant le sabbat pour ne pas le violer,
gardant ses mains pour ne pas faire le
mal.

Ceux qui auront gardé mon sabbat et


cherché ma volonté et observé mon alliance,
je leur donnerai place dans ma maison : Je
- 41 —
leur donnerai un nom éternel qui ne périra
pas (1).
« Et la moisson sortira de la moisson et
le sabhat du sabbat. »
« Toute chair viendra pour adorer devant
ma face, dit le Seigneur.
« Et ils sortiront, et ils verront les cada­
vres de ceux qui ont attenté contre moi. Et
leur ver ne mourra pas, et leur feu ne s’étein­
dra pas, et ils seront offerts à toute créature
pour rassasier ses yeux » (2).
Et Jérémie :
« Voici ce que dit le Seigneur : « Gardez
vos âmes, et ne portez pas de fardeaux le
jour du sabbat. »
« Si vous ne m'écoutez pas, si vous ne
sanctifiez pas le sabbat, si vous portez ce
jour-là vos f a r d e a u x ...................................
Je mettrai le feu dans vos murs, et il dévo­
rera les maisons de Jérusalem, et vous ne
pourrez pas l’éteindre » (3) .
(1) Is.j LVI, 4.
(2) Is ., LXVI, 23, 24.
(3) Jé r., XVII.
— 42 _
Les recherches de l’érudition moderne,
faites autour de la mer Morte, ont constaté
une intéressante analogie entre le bitume et
le soufre, par qui périrent Sodome et Go-
morrhe, et le pétrole que nous connaissons ;
les procédés semblent les mêmes.

Et Ezéchiel :
« Je leur ai donné le sabbat pour être
entre eux et moi le signe d’alliance . . .
et ils ont violé le sabbat. . . . car leur
cœur courait après les idoles (1). »
Voici encore un mystère qui s’entr’ouvre,
et que j ’ai indiqué :
La violation du sabbat est assimilée à
l’idolâtrie.
Dérober pour la créature ce qui appar­
tient au Seigneur, c’est attribuer à cette créa­
ture ce qui est divin, c’est la proclamer di­
vine, c'est l’idolâtrer.
Porter la main sur la réserve du Seigneur
c’est le premier pas vers la magie.

(1) E z., XX, 12, 16.


— 43 —
Qui sait par quelle série de crimes surhu­
mains, Thomme ayant déserté le sabbat du
Seigneur a pu descendre jusqu’à la fréquen­
tation de cet autre sabbat qui est le lieu
même de la magie, et dont le nom ressem­
ble à une épouvantable et infernale parodie
de la chose trois fois sainte.

Ecoutez la prière d’Esdras :


« J’ai dit aux lévites de se purifier, de venir
garder les portes et de sanctifier le jour du
sabbat, â cause de cela, souvenez-vous de
moi, mon Dieu, et épargnez-moi selon la
multitude de vos miséricordes ! »

Antiochus interdit la solennité du sabbat


et sentit en mourant qu’il mourait puni.
La mort et la violation du sabbat sont
deux compagnes qui ne se quittent pas dans
l’Ecriture. Elles cheminent inséparables à
travers les siècles historiques.

Et un peu plus loin ;


Quand Nicanor apprit que Judas Maccha-
— 44 —
bée était aux environs de Samarie, il songea
à l’attaquer avec toutes ses forces le Jour du
Sabbat.
Or, les juifs qui étaient contraints de le
suivre, lui disaient :
Ne soyez pas si barbare, honorez le Jour du
Seigneur, rendez gloire à celui qui voit tout.
Ce malheureux demanda si celui qui a or­
donné la sanctification du Sabbat était puis­
sant au ciel.
C'est le Dieu vivant, puissant au ciel, ré­
pondirent-ils, qui a ordonné le repos du
septième Jour.

Et moi, dit Nicanor, je suis puissant sur


la terre. Et Jérémie le prophète du Seigneur
apparut en songe au prêtre Onias, et, dans
le songe, il donnait à Judas Macchabée un
glaive de feu.
Judas Macchabée supplia le Seigneur d’en­
voyer à ses ennemis la Peur qui est à ses
ordres, et lui et les siens en exterminèrent
trente et un mille, et dans une joie magni­
fique, ils sentirent la présence de Dieu.
— 45 —
La tête de Nicanor fut coupée, sa langue
qui avait insulté le Jour du repos fut donnée
à manger aux oiseaux de proie.
Sa main fut suspendue au mur du temple.

IX

Les pharisiens, dans leur stupidité aveugle,


opposèrent le Sabbat à Jésus-Christ. Ils ne
comprenaient pas ou ne voulaient pas com­
prendre que le miracle en général et la gué­
rison en particulier sont par excellence l’acte
du repos.
Jésus-Christ qui venait consommer et non
détruire substitua l’esprit à la lettre.
Sa résurrection transporta le repos du sa­
medi au Dimanche.
Jésus-Christ a éclairé et exalté le jour du
Seigneur. Il ne l’a pas supprimé : la liberté
de l’esprit l ’a vengé de Fimbécillité phari-
— -16 —
saïque et restitué à l’espace do l ’amour qui
est le domaine des enfants de Dieu.
La Messe, qui est l’Acte par excellence,
est le précepte du Jour du repos.
Le Dimanche est la figure de l’éternité
sans crépuscule.

Celui qui est entré dans son repos se repose


de ses œuvres, à l’imitation de Dieu.

Le fait de la Salette est trop connu désor­


mais pour être raconté ici. Mais il faut re­
marquer que là comme partout, l ’attentat
contre le Nom du Seigneur et l’attentat contre
le Jour du Seigneur sont reprochés et pré­
sentés tous deux comme deux sources de
mort, prêtes à couler sur la terre si...
Le terrible si accompagne l’homme avec
— 47 —
une fidélité redoutable. G’est l’ombre qui suit
le corps.
Le mystère de notre liberté se croise avec
le mystère des volontés divines.
L’histoire de Jonas est toujours suspen­
due sur nous comme un glaive à deux tran­
chants.

Si la violation du Dimanche semble exci­


ter la colère de Dieu contre une nation,
contre une société, contre un monde plus
directement que les autres crimes, c’est que
cet attentat constitue de la part des hommes
une profession de foi publique d’athéisme.
Tous les jours l'homme individuel peut éta­
blir entre Dieu et lui les communications
qui constituent ce qu’on appelle en ce monde :
la Religion. Mais le Dimanche a été choisi
et consacré par la main de Dieu pour être
le temple universel, l’autel social. Le Diman­
che est le témoin officiel et prédestiné, choisi,
voulu, consacré, le témoin de la religion
solennelle par laquelle le ciel et la terre
ont juré d’être unis.
— 43 —
Gelui qui viole le Dimanche brise autant
qu’il est en lui les rapports de Dieu et du
genre humain. L’Apostasie publique est le
grand attentat qui renverse les peuples, et
précipite dans Fabime les nations autrefois
choisies. Jérémie parle à travers les siècles,
et l’écho de sa voix ne s’est pas perdu dans
les vallées de la Palestine. Elle retentit de
montagnes en montagnes, criant toute gé­
nération.
Quis enim miserebitur tui> Jérusalem?...
D’autres crimes se cachent, La profana­
tion du Jour sacré s’étale au soleil. Elle fait
orgie d’elle-même. Elle insulte Dieu à la
face du ciel et de la terre. Elle récolte
comme elle a semé. Le crime a été public.
Le châtiment est public. Ecoutez cette pa­
role terrible et oubliée :
« Je vous disperserai dans les nations, je
tirerai le glaive contre vous, et votre terre
sera déserte et vos cités détruites.
« Et la terre célébrera joyeusement son
Sabbat, pendant tous les jours de cette soli­
tude.
— 49 —
« Pendant que vous serez sur la terre
étrangère, la terre fera un long Sabbat, et
se reposera dans son désert, parce que vous
ne lui avez pas accordé le repos, au Jour
du Sabbat, pendant que vous l ’habitiez
(Lévit. XXVI, 33, 34, 35). »
Quel châtiment profond et comme il sort
des entrailles du crime ! Avec quelle intelli­
gence la terre se venge et comme elle re­
prend avec usure ce qu’on lui a refusé ! Ses
habitants lui ont refusé un jour de repos.
Elle les rejettera loin d’elle, et se reposera
tous les jours, et elle fera dans le désert la
fête de son Sabbat, pendant qu’ils gémiront
loin d’elle, épouvantés, et celui qui servira
tremblera en pays inconnus.

4
XI

Les six jours et le septième Jour ne res­


semblent-ils pas aux deux femmes qui reçu­
rent chez elles Jésus-Christ?
Ce monde est plein de Dieu, et celui qui
parle dans l'Apocalypse se tient à la porte
et frappe, cherchant qui veut ouvrir.
Les six journées font leur œuvre, qui doit
être divine. Elles s’agitent dans le domaine
des choses multiples. Elles inventent, elles
fabriquent, elles placent, elles déplacent,
elles remuent, elles forment, elles déforment,
elles agissent sur la madère, armées de l'in­
telligence, de la force, de la science, du tra­
vail. Le nombre, le poids et la mesure p ré­
sident à leurs opérations. Elle ont en main
le compas, le ciseau et l’équerre. Elles ont
la pioche, elles ont la bêche, elles ont la
truelle, elles ont le marteau.
— 31 —
Elles fouillent la terre, elles déposent en
elle le germe précieux que plus tard elles
récolteront, supérieurement grandi et mul­
tiplié par la vertu de la chaleur et par la
vertu de l’humidité, par la vertu de Yhu­
mus d'où l’homme tire son nom, par la vertu
du soleil, d'où l’homme tire sa lumière.
Elles creusent les bassins, elles élèvent
les maisons, les palais, les cités, les ponts
et les chemins de fer. Elles percent la terre,
elles fendent les montagnes, elles préparent
à l ’Océan le navire qui sera son maître, si
Dieu le veut. Elles préparent à toutes créa­
tures les surprises, les secours, les inven­
tions, les rapidités, les splendeurs, et aussi
les illusions, les défaillances et les décep­
tions de l’industrie.
Elles soutiennent le poids énorme de la
science, de la société, de l'industrie. Elles
font le jeu de tous les intérêts, et le conflit
do toutes les forces.
Et voyant leur sœur, la septième Journée,
assise aux pieds du Seigneur, et écoutant dans
le repos sublime la parole qui contient la vie
et qui pénètre plus subtile que le glaive,
dans le sanctuaire réservé, elles disent :
Notre sœur ne fait rien, notre sœur la
septième journée, notre sœur ne nous aide
pas.
Marthe, Marthe, répond la voix profonde
qui sait, qui voit, et qui juge, tu es occupée
de beaucoup d’affaires. Cependant une seule
chose est nécessaire. Marie a pris la meil­
leure part, qui ne lui sera point ôtée.
Les six journées préparent au Seigneur
ses aliments ; car tout ce qui existe est fait
pour nourrir sa justice ou sa miséricorde, sa
colère ou son amour.
Mais sa parole immuable a dit, dit et dira
aux siècles qui passent et aux siècles éter­
nels, à ceux qu’on appelle les siècles des
siècles :
Une seule chose est nécessaire, Marie a
pris la meilleure part qui ne lui sera point
ôtée.
Elle ne lui sera point ôtée ; car les six jour­
nées figurent le Temps, et la septième Jour­
née l ’Eternité.
— 53 —
La meilleure part est celle qui ne finit pas,
et le Jour du Seigneur, qui l’a prise au vol
par une sublime anticipation, pendant que
les horloges comptent encore les heures que
doit durer ce monde, le septième Jour la
gardera dans la Jérusalem éternelle et triom­
phante, dans la Jérusalem aux douze portes
dont parle l’Aigle de Pathmos.

Si les six journées étaient plus clair­


voyantes, au lieu de jeter sur le dimanche
un regard malveillant, elles lui rendraient
gloire. Elles sauraient que le repos est la
garantie, la consécration, la lumière et la
vie du travail.
Mais les affaires sont naturellement aveu­
gles. Leur unique ressource, pour se sauver,
c’est de s'interrompre. Elles n’échappent à
la cécité, qui vient de leur multitude, que
par le repos qui garantit et consacre au mi­
lieu d’elles le droit inaliénable et sauveur
de l’unité.
Mais pour apercevoir l’importance pratique
du dimanche, il faut avoir conservé la vue.
— 54 —
Les importances accidentelles se révèlent
à tout le monde.
L’importance essentielle ne se révèle qu'à
ceux qui voient.
Mais les premiers, pour ne pas voir la sa­
gesse, n’en subissent pas moins la mort; car
la sagesse donne la mort toutes les fois
qu’elle ne donne pas la vie.
Le mépris qu’ils font de ses menaces ne
les sauve pas de la ruine dont elle les a
menacés.
Mais, comme ils n’ont pas entendu la me­
nace, ils ne comprennent pas la catastrophe.
Le septième jour, violé dans son repos, a
brisé le travail des six autres, et les six
autres sont devenus inféconds, parce qu’on
a demandé leur fécondité au septième.
Le travail refuse à l'homme ses dons, parce
que le repos a été méprisé par l'homme.
Parce que la réserve du ciel a été violée,
l ’homme entend la parole qu’a entendue Gain :

« La terre ne te donnera plus ses fruits. »

Le travail du dimanche a pour filles la


— 55 —
misère et la mort, et quand la terre a refusé
ses fruits, le malheur de l'homme redouble
son aveuglement, son aveuglement redouble
son malheur ; l’abîme appelle l’abîme; le sa­
crilège appelle le blasphème.
O glaive du Seigneur, disait Jérémie, quand
te reposeras-tu ? Rentre dans le fourreau.
Rafraichis-toi ; tais-toi.

Le Dimanche est l’Alléluia de la création.


C’est ce jour-là que la respiration des mon­
des, chantant la gloire du Seigneur, pour­
rait, ce semble, être devinée dans le silence,
— Mais où faut-il aUer pour entendre ce
que ce silence dit ?
11 faut aller plus loin que le lion qui tra­
verse le désert, plus loin que l’aigle qui tra­
verse les cieux, plus loin que l'harmonie,
plus loin que la lumière qui traverse l’es­
pace ; il faut traverser les lies étrangères et
les plaines inconnues.
Je suis allé plus loin que le lion, plus loin
que l’aigle qui traverse les airs, j ’ai laissé
derrière moi le son et la lumière qui ne fait
— 56 —
que soixante-quinze mille lieues par seconde,
et je n’entends pas encore la respiration des
mondes.
Va plus loin, plus loin...
Je vais plus loin, plus loin, plus loin, et
je n’entends pas encore la respiration des
mondes.
Pour entendre la respiration des mondes,
il faut aller si loin que tu n’entendes plus
aucun de leurs bruits.
Je suis allé si loin que je n’entends plus
aucun de leurs bruits, et cependant je n’en­
tends pas la respiration des mondes.
Va plus loin... pour entendre la respira­
tion des mondes, il faut aller si loin, que tu
ne te souviennes plus d’aucundeleursbruits.
Je suis allé si loin... si loin, que je ne me
souviens plus d’aucun de leurs bruits, et
pourtant je n’entends pas la respiration des
mondes.
Va plus loin... plus loin... Pour entendre
la respiration des mondes, il faut aller si
loin... si loin... que tu n’entendes plus le
bruit de tes pas.
— ,)/ —
Je suis allé si loin que je n’entends plus
le bruit de mes pas, et pourtant je n’entends
pas la respiration des mondes.
Va plus loin..... Il faut aller si loin que
tu n ’entendes plus le bruit de ton vol.
Je suis allé si loin que je n'entends plus
le bruit de mon vol et pourtant je n'entends
pas la respiration des mondes.
Va plus loin... plus loin... il faut que tu
aies oublié ce que c’est que le bruit.
J ’ai oublié ce que c’est que le bruit, et
pourtant je n’entends pas la respiration des
mondes.
Ecoute bien.....!

Dans le silence incompréhensible de la


nuit qui a oublié...... le Seigneur est là, qui
fait battre ton cœur.....

Voici que j ’entends la respiration des


mondes.
ALLELUIA ! ALLELUIA !
DEUXIÈME PARTIE

Nous avons regardé le dimanche du côté


de Dieu.
Regardons-le du côté de l ’homme.
Le travail et le repos constituent la vie.
C’est la loi et nul ne la viole sans mourir.
La mort est la sanction naturelle de la loi
du repos. La parole de Dieu à Moïse ne nous
permettra, à aucun point de vue, de l’oublier
un moment.

11 faut donner et recevoir, travailler et se


reposer, ou bien il faut mourir. Le repos
n’est pas seulement compatible avec le tra­
vail. Il lui est absolument et rigoureusement
nécessaire. Quand vous concevrez la mer
avec un flux sans reflux, vous concevrez
l ’homme avec un travail sans repos, et quand
— 60 —
l ’arc-en-ciel sera le symbole du désespoir, le
repos sera l’ennemi et le rival du travail.
De quelque façon qu’on prenne le mot tra­
vail la loi du repos rencontrera son accom­
plissement nécessaire.
Mais parlons du travail le plus dur en ap­
parence. Parlons de l’ouvrier qui se refuse
le septième Jour, parlons du pauvre.
Parmi les noms les plus ordinairement
rapprochés dans l’Ecriture, dans le langage
de l’Eglise et dans la vie des Saints, il faut
citer deux noms qui se suivent à peu près
toujours, qui ne peuvent pas se quitter, qui
s’appellent et se répondent ; ces deux noms,
les voici :
DIEU ET LE PAUVRE.

La connexité est telle, qu’on est certain


quand on vient d’entendre l’un, d’entendre
l’autre au bout d’un instant. C’est un peu
l’effet que produit la rime quand on entend
lire des vers. On dirait que ces deux mots :
Dieu et le pauvre, riment ensemble dans
quelque langue inconnue, dont les vestiges
— 61
surhumains, égarés parmi nous, nous don­
nent l’impression d’une poésie gigantesque
et oubliée.
Or, le pauvre a besoin du septième Jour.
Celui qui viole le Dimanche se révolte à la
fois contre la gloire de Dieu et contre sa
miséricorde. Les intérêts de Dieu, si l ’on
peut parler ainsi, et les intérêts du pauvre
sont toujours identiques. Les paroles du
jugement dernier sont là pour nous l ’appren­
dre. La misère et la gloire réclament toutes
deux le repos du septième Jour. Dieu et le
pauvre poussent le même cri. Le bœuf n’est
pas étranger au besoin de son maître. Les
animaux balbutient à leur manière comme
des échos faibles et courts, la loi du monde
qu’ils ne connaissent pas, mais qu’ils sentent
peser sur leurs membres après le travail des
six jours. Entre Dieu et Moïse, le bœuf n’a
pas été oublié.
Tout trouve place parmi de telles gran­
deurs, et il n’y a pas de petit détail pour
celui qui voit l’importance des brins d’herbe.
Celui qui communique la majesté, quand il
— 62 —
regarde, ne trouve aucune créature indigne
de son regard.
Voulez-vous savoir où en est une civili­
sation? Regardez-la vis-à-vis de Dieu et vis-
à-vis du pauvre. Toujours ces deux regards
porteront le même jugement.
Le repos étant une nécessité absolue, l'ou­
vrier qui ne se repose pas le Dimanche se re­
posera le lundi ; car il faut bien qu’il se repose.
Satan, qui est le singe de Dieu, s’exerce
ici, comme toujours, dans la parodie.
Le Seigneur ayant choisi son Jour, Satan
a voulu le sien.
Le repos du lundi est celui que Satan
prépare à l ’ouvrier.
Le Dimanche est le repos du sanctuaire.
Le lundi est le repos du cabaret.
Il y a deux coupes, celle du Dimanche et
celle du lundi. Et au fond de chacune des
deux coupes, il y a une ivresse.
Le Dimanche rapprocherait l'homme de
l’Ange.
L'ivresse du lundi le met au-dessous de
l ’animal.
— 63 —
L’ivresse est une révélation. J’y vois la
preuve de cet immense besoin qui pousse
l’homme à sortir de lui-même et qui devrait
le plonger dans l'ivresse du Saint-Esprit.
Le repos du Dimanche est, pour l’ouvrier,
la condition même du travail des six jours.
Le repos du lundi produit la paresse des
six jours.
Le repos du Dimanche pousse à l’action.
Le repos du lundi pousse à l’inaction.
Le repos du Dimanche constitue et pré­
pare l’ordre.
Le repos du lundi constitue et prépare le
désordre.
Le repos du Dimanche est et prépare l’éco­
nomie.
Le repos du lundi est et prépare la ruine.
Le repos du Dimanche est et prépare la
paix de la famille.
Le repos du lundi est et prépare la dis­
corde dans la famille. La querelle et la fu­
reur l’accompagnent et le suivent.
Or, la famille, c’est la société.
— 64 —
Le repos du lundi, c’est la dispute dan
la maison, et la bataille dans la rue.
Le repos du Dimanche laisse une traînée
lumineuse qui éclaire le travail des six
jours.
Le repos du lundi laisse derrière lui une
fumée qui assombrit la semaine.
Le repos du Dimanche est fécond.
Le repos du lundi est stérile.
Le repos du Dimanche établit entre l'ou­
vrier, le savant et l’artiste, une relation de
paix qui fait l'harmonie entre leurs âmes et
leurs travaux.
Le repos du lundi produit la haine et
alimente la paresse.
Le repos du Dimanche est le ciment de la
cité.
Le repos du lundi en est le dissolvant.
Le repos du Dimanche est à la base de
tous les grands monuments.
Le repos du lundi est le laboratoire où
se fait l’amalpame d’où sortent les grandes
catastrophes.
Car la parole méprisée se change en fait,
— 65 —
et quiconque n’a pas voulu entendre finit par
voir.
Nous avons vu.
Et plus la parole est haute, plus elle a
paru vaporeuse, nuageuse, vaine, ridicule,
plus l'accomplissement est palpable, écla­
tant, visible, tangible, matériel.
Ce qui produit la ruine, les coups de
couteau, les coups de fusil, les coups de
canon, le meurtre, l'affolement, l'incendie,
c’est le sourire moqueur d’un petit homme
qui dit que les Saints sont des rêveurs et
que les Prophètes sont des fous.

Me direz-vous qu'à la rigueur, l’ouvrier


qui a travaillé le Dimanche, peut aussi tra­
vailler le lundi, et que par là, le cabaret est
écarté avec ses conséquences.
Examinons, sans la discuter, cette hypo­
thèse invraisemblable.
Si l ’ouvrier qui a travaillé le Dimanche
se repose le lundi, la société est sauvage.
Si l’ouvrier qui a travaillé le Dimanche
travaille le lundi, la société est barbare.
5
XII

L’état saurage consiste dans le développe­


ment arbitraire et injuste des fantaisies de
l’individu. Dans l’état sauvage, la société ne
protège personne contre personne, puis­
qu’elle n’existe pas. Elle est remplacée par
la juxtaposition. Le plus fort opprime ou
tue le plus faible. La sauvagerie est l’assas­
sinat de tous par chacun.
L’état barbare consiste dans le développe­
ment arbitraire et injuste des fantaisies de
la communauté. Dans la barbarie, la société
ne protège personne contre elle-même, car
elle n’existe pas ; elle est remplacée par la
communauté. Le monstre, qui est le plus
fort, et qui s’appelle tous, opprime et tue
chacun. La barbarie est plus contraire au
sentiment humain que la sauvagerie, parce
que la collection, devenue oppressive, est
plus stupide et plus féroce que l ’individu.
— 67
Le monstre tous, devenu furieux, affamé,
dévorant, est plus impossible à instruire ou
à attendrir qu’un individu ou qu'un animal.
L’état barbare est plus contraire à la nature
que la vie animale, ou végétative, ou sim­
plement moléculaire.
La sauvagerie est l’assassinat de tous par
chacun. La barbarie est l’assassinat de cha­
cun par tous.
Or, la barbarie produit, comme accident,
la sauvagerie, parce que la collection féroce,
occupée à tuer, à brûler, et à mordre, livre
chaque individu aux fureurs de l’autre.
La civiKsation est l’exercice légitime des
facultés de l’individu, protégé, sanctionné,
consacré par la société intelligente.
Dans l’état de civilisation, chaque homme
marche dans sa voie, suivant ses aptitudes
et sa vocation particulière, sous la protec­
tion d’une société organisée. Dans l ’état civi­
lisé, le pouvoir est la consécration sublime,
humaine et divine de la société. L’autorité
doit être la main de la force suspendue sur
l’intelligence et sur l’amour pour les proté-
— 68 —
ger contre leurs ennemis et leur ouvrir les
portes de la carrière où ils doivent courir
légitimement.
La sauvagerie a pour caractère la guerre
privée. La barbarie a pour caractère la
guerre publique. La civilisation a pour ca­
ractère la paix sublime, qui est la lutte ma­
gnifique des forces convergeant vers la
gloire.

XIII

Si l’homme qui travaille des mains a, sous


peine de mort, besoin du Repos Sacré, les
autres travailleurs subissent précisément la
même nécessité, et cette solidarité établirait
entre eux, si elle était vue et sentie, une
amitié qui les étonnerait.
L’homme d’affaires, le savant, quiconque
se répand au dehors par un travail exté­
rieur, toujours fatigant, même s’il n’en a
pas l’air, a besoin d’un repos vrai.
Ceux qui ne connaissent pas la nature du
repos pourront le confondre avec l’ennui.
Ceux qui le connaissent savent que le re-
— 69 —
pos est directement le contraire de l’ennui,
son antidote, son remède.
L’ennui, c’est le repos du lundi.
Beaucoup de gens regardent comme en­
nuyeux le Repos du Seigneur. Quelques-uns
parmi ceux-là se déclarent chrétiens et se
rangent parmi/es bons. Mais ils craignent que
le Seigneur ne devienne, pendant l’éternité,
monotone aux élus.
Ils oublient que Dieu est Acte pur, et que
Jésus-Christ est venu allumer le feu sur la
terre.
Et parce que les hommes ont refusé son
feu, Satan a allumé le sien.
Le repos du Dimanche est un recueille­
ment. Mais il doit être organique et non pas
mécanique.
Le Dimanche est un adorateur en Esprit
et en Vérité.
La terre, dit Jérémie, est pleine de déso­
lation, parce qu’il n’y a personne qui réflé­
chisse dans son cœur.
Le recueillement est la réflexion du cœur-
L’homme s’est dissipé ; il se recueille.
— 70 —
U s’est dépensé ; il se répare.
11 a donné aux autres ; il demande à Dieu.
L’homme réfléchit dans son esprit, quand
il se répand au dehors ; il réfléchit dans son
cœur, quand il se recueille au fond de lui.
Le Dimanche est le jour du cœur.
Les souvenirs de l’homme et de son com­
merce divin sont plus profonds et plus in­
times ce jour-là.
Le Jour de Dieu ressemble à ce silence
d’une demi-heure, dont il est question dans
l’Apocalypse,

La vie humaine est remplie de chocs et de


faux mouvements. Elle est un combat où cha­
cun blesse les autres et se blesse lui-même.
Que de choses accomplies dans la semaine
qui demandent une réparation ! Une réconci­
liation intime et spirituelle des créatures ne
serait-elle pas le Dimanche, si le monde
était chrétien, une des préparations, une des
fêtes de l ’aurore ?
Le repos du Dimanche est l’Ange gardien
de la vie.
— 71 —
L’homme reçoit un ordre dont il ne com­
prend pas la beauté. Il le prend pour un ca­
price et se révolte. À la sortie de l'obéissance,
la mort est là, gui attend sa proie.
L'homme souffre et meurt. Il apprend par
une expérience épouvantable la valeur de
l ’ordre qu'il avait reçu.
Les choses extérieures qu’il croyait indif­
férentes à cet ordre, se déclarent dépendan­
tes de lui, violées par la désobéissance hu­
maine, et prêtes à punir le coupable. Les
choses inanimées se conduisent alors comme
si elles étaient portées à la vengeance.
L’homme croyait avoir négligé un caprice,
ou traité légèrement une mesure arbitraire,
vieillie, ennuyeuse, surannée ! Il a porté le
trouble dans le cœur même de la vie. Il a
blessé l’harmonie des mondes à la prunelle
de l'œil. Il a porté la main sur la chose que
le Seigneur s'était réservée, l ’ayant soustraite
aux atteintes de la créature. Il a commis
contre le nom terrible et le repos sacré un
attentat incommensurable, et sa vue est trop
courte pour l’embrasser, son esprit trop
— 72 —
étroit pour le saisir, et son cœur n’est pas
de force à le peser.
L’adoration de Dieu, le Nom de Dieu, le
Repos de Dieu se touchent et se succèdent
dans les commandements de Dieu et dans
l ’iristoire des choses de Dieu.
Et quand l'expérience a donné la leçon
qui se paye cher, l ’homme se retrouve en
face de la parole qu'il a méprisée, et il dit
dans son cœur :
Si j'avais su !

XIV

L’Ecriture commence par la Genèse et


finit par l’Apocalypse.
La Genèse et l’Apocalypse célèbrent tous
deux le jour du repos. La Genèse nous dit
le repos du Dieu créateur ; l’Apocalypse, le
repos du Dieu rédempteur.
L'arche deNoë se reposait après le déluge,
sur le mont Ararat, quand les sept couleurs,
apparaissant pour la première fois dans les
73
nuages, annoncèrent au ciel et à la terre
qu’une alliance venait de se conclure.
Les sept sacrements annoncèrent au ciel
et à la terre que sept torrents étaient lancés
par où le sang du Rédempteur devait fécon­
der les siècles.
Les sept dons du Saint-Esprit, achevant,
consommant, éclairant l’œuvre divine, an­
noncèrent au ciel et à la terre que le Sei­
gneur avait trouvé, dans l’âme des saints,
le lieu de son Repos.
Les choses humaines, quand elles sont
justes et vraies, le sont par un côté, sous un
rapport, par un point. 11 est rare et peut-
être impossible qu’une institution purement
humaine ne paye pas ses avantages par de
sérieux inconvénients. Quelquefois les incon­
vénients sont tels qu’on finit par se demander
de quel côté penche la balance. La nature
des choses purement humaines est d'avoir
des inconvénients, et les meilleures coutumes
ou les meilleures dispositions ne touchent
la vérité que par certains points isolés qui
laissent désirer et regretter tout le reste.
— 71 —
La vie humaine se compose d’éléments si
multiples et si hétérogènes, qu’il est bien
difficile de soigner certains intérêts, sans
oublier ou sans léser les autres. On fait la
part de l’un, la part de l'autre. Chacun
d’eux est mécontent delà sienne, et le troi­
sième se plaint d’avoir été oublié. C’est une
lutte, c’est un conflit, c’est la réclamation
perpétuelle, contentieuse, contradictoire des
intérêts opposés, qui plaident au nom de
quelqu'un, contre quelqu’un. Et quelquefois
la sagesse humaine aboutit à des concilia­
tions provisoires, à des sacrifices mal accep­
tés, à des palliatifs très imparfaits.
La parole divine a une vertu contraire.
Quand on l’entend on la sent vraie d’une vé­
rité pleine, entière, vraie à tous les points de
vue.
Le repos du Dimanche est la loi générale,
universelle qui s’impose à tous, profite à
tous, ne nuit à rien et à personne. Elle con­
tient, porte et donne une vérité qui enve­
loppe la création, oblige toute créature, et
l’oblige en la secourant. Cette obligation est
- 75 —
nue miséricorde, une lumière, un bienfait*
Vraie du côté de Dieu, vraie du côté de
rhomme, et du côté de chaque homme,
quel que soit son caractère et son travail,
vraie du côté des animaux, vraie du côté de
la nature, vraie du côté des choses visibles
et des intérêts connus, vraie du côté des
choses invisibles et des intérêts inconnus,
vraie du côté de l’individu, vraie du côté
de la société, vraie du côté du temps, vraie
du côté de l ’éternité, liée à la chaîne des
vérités, à la chaîne des lois, et à la chaîne
des événements par la main qui a lié les
étoiles pour faire les constellations, procla­
mée par la bouche de celui qui sait tout,
sanctionnée par son bras tout puissant, la
loi du Dimanche enveloppe les personnes et
les choses dans sa sagesse et dans sa pro­
fondeur. Nul ne la viole et nul ne l’élude
sans produire quelque trouble à la fois évi­
dent et mystérieux, visible à la surface et
insondable au-dessous. Le profanateur du
Dimanche voit ce qu’il fait en apparence. Il
ne voit pas ce qu’il fait en réalité. Il voit
— 76 —
Pacte de son bras, il ne voit pas l’acte de
son âme. 11 ne peut pas le suivre à travers
le dédale des choses.
Sa vue est trop courte pour qu’il suive
du regard son attentat. Si les horizons
s’élargissant tout à coup lui livraient les
secrets de la vie et de la mort, il serait fou­
droyé par le spectacle qu'il aurait sous les
yeux. S’il pouvait suivre son attentat à tra­
vers les domaines de la création, et voir son
œuvre s’accomplir partout où elle s’accom­
plit, il sentirait le poids d’une parole divine.
Il apprendrait ce que c’est de désobéir à
celui qui parle, voyant tout, sachant tout,
et pouvant tout. Après avoir suivi du regard
son acte dans ce temple, il le verrait dans
l’éternité, où il est attendu par la justice,
ou attendu par la miséricorde.
Voici une autre manière d’exprimer la
même vérité. Le nom de celui qui a con­
sacré le Dimanche par sa résurrection s’ap­
pelle
JÉSUS.
Jésus, c’est-à-dire Sauveur.
— 77 —
Gelui qui veut le repos du Dimanche est
celui qui est mort pour le salut des hom­
mes, qui est leur Sauveur. 11 est nécessaire,
pour approfondir le commandement, d’ap­
profondir le nom de celui qui commande.
11 commande par la bouche de l’Eglise uni­
verselle. Il commande le repos du Diman­
che. 11 le commande dans sa miséricorde,
pour que l’homme ne tombe pas sous le
fardeau, dans sa justice, afin que le plus
fort n’abuse pas du plus faible, dans sa
gloire, afin que la réserve du Seigneur soit
donnée au Seigneur.

Résumons-nous.
L’exception confirme la loi. Le Dimanche
est l’Ange Gardien de la semaine.
11 faudrait mesurer le Repos de Dieu en
lui-même, et le repos de Jésus-Christ dans
sa résurrection, pour mesurer l’attentat qui
nous est marqué par son énormité même.
Les petites choses sont celles que nous
voyons le mieux.
La parole de Dieu est aussi universelle que
78 —
pénétrante, aussi pénétrante qu’universelle.
Elle est plus perçante que la pointe du glaive,
plus profonde que l’Océan, plus étendue que
les cieux, plus éclatante que le tonnerre.
Le temps et l’éternité prolongent son
retentissement par toutes les voix qu’ils pos­
sèdent. L’écho de toutes les montagnes,
l’écho de toutes les vallées, l’écho de tous
les abîmes répètent et répéteront :
Et Dieu dit à Adam : « tu mangeras de
tous les fruits du Paradis. »
« Mais tu ne mangeras pas du fruit de l’ar­
bre de la Science du Bien et du Mal. Le jour
où tu en auras mangé, tu mourras de mort. »
Et Dieu parla à Moïse, disant :
« Parle aux fils d’Israël et dis-leur :
« Veillez à garder mon sabbat, parce qu’il est
le signe entre moi et vous, dans les géné­
rations, afin que vous sachiez que je suis le
Seigneur qui vous sanctifie. Gardez mon sab­
bat ; car il est saint : celui qui l’aura violé :
« MOURRA DE MORT. »

M AYENNE, IM P R I M E H IE CHARLES C O L IN

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