8869-Texte de L'article-8870-2-10-20151228
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ÉCOLOGIE
Revue Élev. Méd. vét. Pays trop., 1989, 42 (1) : 127-132 127
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B. Peyre de Fabrègues
res, que seule son endurance permettra de parcourir Cymbopogon, Lasiurus, Chrysopogom, Eremopogon,
aux moindres risques. Fagonia, avec Acacia ehrenbergiana, se rencontrent
sur les sols compacts ou à surface caillouteuse
Parmi les plantes les plus caractéristiques de la (observation personnelle).
végétation des confins désertiques, qui sont l’habitat
principal des dromadaires, les genres les plus fré-
quemment rencontrés sont les suivants :
Dans la péninsule arabique Acacia spp. et Panicum
turgidum caractérisent la steppe, avec Anabasis et LE PÂTURAGE
Hamada sur les regs et Artemisia et Calligonum sur les
dunes.
La végétation herbacée constituée de plantes annuel- Lorsqu’il n’est pas au repos en train de ruminer, le
les, susceptibles de germer et de pousser subitement dromadaire, qui broute en marchant, est capable
après une pluie, et dont la période de vie active (de d’exploiter cette végétation, malgré sa production
verdure) sera parfois très brève, est un pâturage très fourragère faible et dispersée, en y trouvant, normale-
recherché par les nomades qui la nomment « acheb B. ment, une ration de composition convenable pour ses
besoins.
Parmi les plantes fréquentes de I’acheb on relève,
Asthenatherum, Monsonia, Plantago, Stipagrostis, Dans une étude conduite au Kenya, FIELD (in: 14)
Moltkiopsis, Filago, etc. Après une averse, sa pousse observe que la composition moyenne de la ration
forme dans les fonds de dépression, un impression- ingérée par le dromadaire, par catégorie de plante, est
nant tapis de verdure qui attire, de très loin, nomades la suivante : arbustes et arbrisseaux 473 p. 100, arbres
et troupeaux qui y trouvent un pâturage riche en 29,9 p. 100, graminées 11,2 p. 100, herbacées diverses
nutriments et aqueux, très appété (6, 16). 10,2 p. 100 et lianes 1 ,l p. 100.
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ÉCOLOGIE
L’homme le maintient dans le désert où, par ses 1 g (ex. Acacia, Ziziphus) à 20 g (ex. Eremophflon) (6,
possibilités, ii lui est le plus utile, là où la pousse 7, 8)- permet une utilisation sans danger de dégrada-
capricieuse du pâturage herbeux, disparaissant ici tion, de la fragile végétation pâturable des régions
pour, plus tard, apparaître ailleurs, contraint bêtes et arides.
gens au nomadisme, mode de vie auquel le droma-
daire s’adapte mieux que les autres animaux domesti-
ques.
Au Sud et au Centre du Sahara, une Brassicaceae
annuelle et de grande taille (elle peut atteindre 1,5 m
de haut), surprenante par sa morphologie absolument
inadaptée aux conditions désertiques, Schouwia shim-
peri, constitue un exemple spectaculaire de plante
d’acheb et de remarquable pâturage à dromadaire.
Elle germe après les pluies, en octobre (au Nord-
Ouest du Niger) dans des sols de structure particulière
résultant du remplissage, par des sables éoliens, de
fentes de retrait de dessication. Elle y pousse sans
pluies jusqu’en janvier, pour finir par constituer des
peuplements presque monospécifiques parfois
immenses, de biomasse très élevée (plus de 10 ton-
nes/ha de matière verte). Les dromadaires en sont
extrêmement friands et peuvent y passer toute la Photo 1 : En novembre 1968 les pâturages d’«.Acheb » à Schouwia
saison fraîche sans boire car elle contient assez d’eau schimperi<Jaub. et Spath.), d’une richesse exceptionnelle cette année-
pour leurs besoins. là, avaient attiré une kdtitude de troupeaux de dromadaires qui y ont
pâturé durant plusieurs mois.
Mais elle ne reparaît pas tous les ans au même
endroit, ni avec la même production.
Après février, avec le retour de la chaleur elle sèche
brutalement et est détruite par les vents secs.
La répartition et les effectifs des dromadaires dans le
cheptel, évalué en biomasse d’herbivores domestiques
(BHD), des pays qui en élèvent le plus, montrent bien
cette corrélation avec l’importance du domaine déser-
tique dans le pays (WILSON 1984, in: 4).
Pays où les dromadaires représentent :
- moins de 1 p. 100 de la BHD : Burkina, Nigeria,
Sénégal ;
- de 1 à 8 p. 100 de la BHD : Algérie, Égypte, Éthiopie,
Kenya, Libye, Mali, Maroc ;
- de 8 à 20 p. 100 de la BHD : Niger, Soudan, Tchad,
Tunisie ; Photo 2 : Par sa capacité à brouter en hauteur, même les plantes les
plus épineuses, le dromadaire exploite des productions végétales pour
- plus de 20 p. 100 de la BHD : Djibouti, Mauritanie, lesquelles il ne concurrence pas les autres animaux domestiques.
Sahara occidental, Somalie.
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B. Peyre de Fabrègues
En Mauritanie, en année de disette, I’ingesta a pu Hyosciamus muticus brouté sans dommage par les
descendre jusqu’à 2,2 kg de MS par jour (8) ce qui, ovins et les caprins est toujours mortel pour le
dans les conditions de travail que subissaient les dromadaire, tout comme Nerium oleander, le laurier
animaux (marches de 4 à 6 heures par jour, avec rose.
100 kg de charge), semblait correspondre au minimum
Au Sud du Sahara, c’est par exemple Ipomoea asarifo-
de survie.
lia, liane herbacée rampante des zones marécageuses,
Les chameliers connaissent les risques de cette situa- qui serait fatale au dromadaire, tandis que Chrozo-
tion critique ; les dromadaires, en effet, meurent phora senegalensis et Callotropis procera, au latex
subitement sans présenter des signes très apparents toxique, sont un peu consommés.
de fatigue excessive. C’est pourquoi, lors des longs
Un caractère remarquable des habitudes alimentaires
voyages à travers le désert, l’animal doit emporter,
des dromadaires, est leur attrait pour le sel. II doivent
outre celle de son convoyeur, sa propre ration de
en absorber régulièrement pour être en bonne santé.
survie. Ainsi, les dromadaires de I’azalay d’Agadèz à
Ce besoin semble àller de pair avec les mécanismes
Bilma, au Niger, organisé pour aller y chercher le sel,
particuliers du fonctionnement rénal, pour la régula-
emportent à l’aller une forte charge de foin qui leur
tion de la teneur en eau organique.
permettra de traverser le Ténéré.
Normalement, l’animal est régulièrement conduit
La durée quotidienne de pacage, plus longue si la
température est fraîche et l’abreuvement régulier, est dans des pâturages « salés * de plantes halophytes ou
de l’ordre de 8 à 10 heures, mais elle dépend aussi de supportant les sols salés, ou abreuvé avec de l’eau
la difficulté de collecter une quantité notable de chargée en sels (NaCI, sels divers et oligoéléments).
fourrages à l’heure. Par exemple quand il broute des Ces plantes, comme Atriplex par exemple, sont en ~
feuillages d’Acacia, le dromadaire ne dépasse pas une général également riches en protéines et en eau, de ~ ~
collecte de 1 kg/heure de matière verte, de sorte sorte que le dromadaire peut les pâturer longtemps.
qu’avec cette nourriture, il ne peut pas ingérer une Ce sont par exemple les genres Sakola, Traganum,
ration assez volumineuse par jour. De même si la Suaeda, Zygophyllum, Calligonum, etc.
distance de la zone de parcage de nuit au pâturage est
trop grande, il ne disposera pas d’assez de temps de Au Sud du Sahara, il y a peu de plantes herbacées ou
pâture pour ingérer une ration suffisante. buissonnantes qui contiennent de hautes teneurs en
sel. Cependant, au Niger, existe une transhumance
Enfin, la consommation des plantes varie beaucoup dite de « cure salée » durant laquelle les animaux,
avec la saison, certaines ne sont appétées qu’en dromadaires en premier, sont conduits dans des
saison froide (Gymnocarpes decander) ou chaude pâturages éphémères de la plaine de I’lrhazer (à
(Stipagrostis plumosa), avec les heures de la journée l’ouest d’Agadèz), où ils trouvent des sources d’eau
(le crépuscule serait le moment du plus grand appétit), chargée en sel en même temps que des herbages
et avec la « présentation » des plantes, ainsi I’acheb temporaires de plantes recherchées.
tendre et dense, composé de plantes très appréciées,
élève beaucoup l’ingestion.
Abreuvement
Soit par goût, soit par nécessité, le dromadaire
consomme la plupart des essences présentes sur son Commensal de l’homme en zone désertique, le droma-
aire de pâture, à condition d’y avoir été accoutumé daire montre, tant par sa frugalité que par sa résis-
très tôt. Ainsi, en cas de changement notable et tance à la soif, imposée par la rareté des points d’eau,
nouveau pour lui de la composition du pâturage (lors une endurance exceptionnelle.
d’une migration par exemple) le dromadaire refusera Cependant, sa légendaire capacité à supporter la soif ~
des plantes pourtant bien appétées par ses congénè- semble elle aussi peu naturelle.
res autochtones. Très sensible aux changements de
végétation, il peut bouder un pâturage excellent Quand il y a de l’eau, le dromadaire boit une fois, voire
auquel il n’est pas accoutumé, et peut mourir de deux, par jour. II absorbe de 20 à 30 litres si son
malnutrition s’il est trop dépaysé et mal conduit, alimentation est faite de paille sèche. II se contente de
beaucoup moins si le pâturage est très aqueux ; à
l’extrême, pâturant des végétaux jeunes et verts, il ne
Plantes toxiques, plantes salées boit pas.
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ÉCOLOGIE
Comme pour le jeûne, le rationnement en eau d’abreu- des Bédouins, Berbères, Touareg, Toubous... La capa-
vement ne va pas sans risque : une erreur d’itinéraire, cité de déplacement qu’il leur a apportée, permettant
le tarissement imprévu d’un point d’eau, peuvent lui les longs voyages à travers « l’océan saharien n, lui a
être fatals. valu le surnom de « vaisseau du désert n.
Sa rkistance au manque d’eau, si elle est permise De là vient le statut exceptionnel du dromadaire,
sans dommage physiologique, grâce à des mécanis- considéré comme un bien tout à fait à part pour la
mes de régulation (rénal, thermique, transpiratoire) plupart de ces populations.
qui lui sont propres, est avant tout le résultat d’un
Ainsi chez les Toubous des confins nigéro-tchadiens,
dressage. L’homme a contraint l’animal à amplifier (à
l’affront résultant du vol d’une chamelle ne peut être,
éduquer) cette capacité car cela accroît considérable-
au même titre que l’enlèvement d’une femme, lavé que
ment l’utilité du dromadaire dans l’environnement du
dans le sang.
désert.
Sa capacité remarquable à transformer les maigres
L’eau lui est indispensable pour ruminer efficacement.
En l’absence d’abreuvement il s’amaigrit. Survient ressources fourragères dont il peut se contenter, tout
d’abord en lait (base de la diète du chamelier et des
une fatigue excessive. Une issue fatale, soudaine,
siens) ensuite en travail (pour l’indispensable trans-
presque sans signes précurseurs est alors de règle,
port), enfin en viande, en peau et en poils, a fait de lui
marquant aussi la fin d’un processus métabolique
devenu irréversible. le pourvoyeur de la plupart des produits nécessaires à
la vie au désert. Sans lui, tant de conquêtes n’auraient
pu avoir lieu.
CONCLUSION C’est probablement BULLIET (1975, in : 14) qui résume
le mieux l’extraordinaire gamme des services et des
produits que l’homme tire du dromadaire. Outre le
prestige important que sa possession confère, la
capacité de survie qu’il apporte par sa résistance et sa
C’est à sa polyvalente et à son aptitude, non seule- grande mobilité, il produit du lait, transporte hommes
ment à survivre, mais encore à produire, voire à et marchandises, peut tracter un chariot ou même une
travailler dans les dures conditions de l’environnement charrue, être troqué contre des biens ou des femmes,
désertique ou sub-désertique, que le dromadaire doit et enfin finir consommé tout en donnant encore du
être considéré par nombre de ceux qui l’élèvent poil à tisser et du cuir à travailler. II peut même être
comme un « don de Dieu ». exhibé au zoo !
Sans lui, l’homme n’aurait pas pu occuper les vastes Avec un tel palmarès, comment nier qu’il soit un don
espaces hostiles à la vie comme l’ont fait, entre autres, de Dieu ?
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B. Peyre de Fabrègues
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Azalaï: au Sahara, grande caravane rassemblée pour Hamada : au Sahara, plateau constitué par des dalles
un transport de marchandises. rocheuses.
Daya : littéralement « refuge des eaux )o,Petite dépres- Ouadi: pluriel de oued. Cours d’eau temporaire en
sion fermée. région aride.
Erg : au Sahara, nom donné aux régions occupées par Reg: Désert rocheux constitué par un pavage de
des dunes. déflation.
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