Location via proxy:   [ UP ]  
[Report a bug]   [Manage cookies]                

Maigrir Sans Régime - J.P. Zermati

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 368

Pour bénéficier de votre analyse personnalisée, rendez-vous sur

www.linecoaching.com, rubrique « Nos experts – Jean-Philippe


Zermati ». Cliquez sur le lien « J’ai lu Maigrir sans régime, édition
2011 – Obtenir mon avantage ». Entrez le code 25026 pour accéder à la
première étape du programme.

© ODILE JACOB, 2002, FÉVRIER 2011

15, RUE SOUFFLOT, 75005 PARIS

www.odilejacob.fr

EAN : 978-2-7381-9914-0

Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et


3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du
copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses
et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation
ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses
ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou
reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants
du Code de la propriété intellectuelle.

Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo


Pour Myriam, Marion, Hugo, Noa.
Avant-propos

Maigrir sans régime grâce aux découvertes les plus récentes de la


nutrition, des neurosciences et de la psychologie est un défi tout à fait
réaliste. Certes, il n’est pas possible, comme on nous le promet, de choisir
son poids comme on le choisirait dans le catalogue d’un grand magasin,
mais il est possible d’atteindre et de maintenir son poids d’équilibre sans
faire aucun régime, sans se priver d’aucun aliment. Il est possible de vivre
normalement sans avoir à penser continuellement à son poids et à sa
manière de manger. Il est possible de faire du plaisir le principe directeur de
son alimentation. Il est possible de faire face à ses émotions sans recourir à
la nourriture. Il est même possible de manger pour se réconforter. Bref, il
est possible de se comporter comme un mangeur normal. Et de maigrir
grâce à cela !
Les progrès accomplis par les nouvelles technologies de l’information
m’ont décidé à les intégrer dans cette nouvelle édition. Les performances de
l’informatique permettent aujourd’hui d’augmenter la force et la précision
des analyses comportementales. Vous pourrez ainsi bénéficier d’une analyse
détaillée de votre comportement alimentaire et d’un accompagnement
personnalisé en vous rendant sur notre site www.linecoaching.com et ainsi
identifier les difficultés qui correspondent à votre situation. Cette
innovation vous facilitera la tâche et augmentera l’efficacité du travail que
vous accomplirez sur vous-même en lisant ce livre.
Renoncer au régime n’est pas renoncer à maigrir. Depuis la première
édition de Maigrir sans régime, l’obésité a augmenté de 50 % en dépit, ou
en partie, à cause des régimes amaigrissants et des campagnes de santé
publique. L’ANSES a publié en 2010 un rapport qui dénonçait la
dangerosité et l’inefficacité des régimes amaigrissants, y compris celles des
régimes équilibrés : toutes ces méthodes présentent le risque d’aggraver le
surpoids, l’obésité et les désordres alimentaires. Les régimes sont
définitivement et scientifiquement discrédités. Il ne faut plus les prescrire et
surtout plus aux enfants ou à ceux qui ont déjà des problèmes de poids ou
de comportement alimentaire.
Les prescripteurs voudraient faire croire que renoncer aux régimes
reviendrait à capituler devant l’obésité. C’est tout le contraire !
Je combats depuis trente ans cette affection. J’ai prescrit des régimes. Je
les connais ! Prescrire un régime, c’est céder à la facilité et au clientélisme.
C’est garder pour soi la satisfaction des succès et rejeter sur les patients la
culpabilité des échecs. C’est capituler devant le désespoir des patients.
La vérité, c’est que, face aux problèmes de surpoids, la médecine est
loin d’être toute-puissante mais aussi qu’elle est loin d’être impuissante.
Les récentes découvertes développées dans cette dernière édition nous
permettent de bien mieux comprendre le fonctionnement du comportement
alimentaire ainsi que les dérèglements qui conduisent à la prise de poids.
Ces progrès ouvrent la voie à des traitements totalement innovants.
Je souhaite dédier cette nouvelle édition aux futures générations de
praticiens. À tous ces jeunes médecins, diététiciens, psychologues qui
remettent en question leur pratique dans le seul intérêt de leurs patients. Ils
sont un espoir pour ceux qui souffrent.
Les régimes amaigrissants aggravent les problèmes de poids. Pour
autant l’obésité demeure. Maigrir sans régime est plus nécessaire que
jamais !
Introduction

Autant vous le dire dès la première ligne, ce que vous savez sur la
nutrition ne vous a pas préparé à ce que vous allez lire dans ce livre. Je sais
bien que la tradition veut que l’on expose rapidement et en quelques mots,
dès la première page, quelques idées fortes et séduisantes destinées à vous
faire poursuivre votre lecture. Pardonnez cette liberté que je prends avec
l’usage, mais vous révéler, dès à présent, le contenu de ce livre ne vous
rendrait aucun service. Voici simplement le témoignage de Clémentine que
j’ai rencontrée à deux moments de sa vie. La première fois, elle se battait
pour maigrir et la seconde pour ne pas grossir. C’est l’histoire de sa bataille.
Nous sommes à la fin de l’automne et Clémentine se tient assise face à
moi en séchant de grosses larmes qui roulent sur ses joues. C’est maintenant
une vraie jeune femme de 25 ans, bien différente de l’adolescente rondelette
que j’avais rencontrée plusieurs années auparavant.
Elle était venue, ce jour-là, me consulter avec sa mère, Maryse. Une
femme élégante et soignée qui m’amenait sa fille un peu comme on
rapporte au magasin un article défectueux dont on n’est pas satisfait.
Clémentine prenait du poids, disait-elle, et commençait à ressembler à sa
corpulente grand-mère, issue d’une lignée de solides campagnards du
Limousin.
Maryse, elle-même, était entrée dans l’adolescence avec un surpoids qui
était vite devenu l’objet de moqueries de la part de ses camarades et lui en
avait laissé d’amers souvenirs. Aussi, depuis la naissance de Clémentine,
elle lui appliquait préventivement les conseils mesurés d’une bonne hygiène
alimentaire. Maryse était, disait-elle, simplement attentive à ce que tout le
monde mange sainement dans son foyer. Elle s’efforçait de composer pour
la famille des repas équilibrés, distribués à horaires réguliers. Malgré cela,
Clémentine grossissait et Maryse devenait chaque jour plus vigilante. Elle
avait déjà demandé conseil au pédiatre de la famille qui avait préconisé
quelques mesures diététiques. Puis, finalement, constatant leur inefficacité,
avait suggéré que l’on consulte un nutritionniste.
C’est à cette occasion que j’avais fait sa connaissance. Nous étions en
1989, je franchissais le pas de l’installation et m’apprêtais à délivrer à mes
premiers patients le savoir universitaire que m’avaient transmis mes aînés.
J’avais les certitudes d’un jeune praticien formé par les meilleurs
professeurs de cette époque. J’étais naïf et, il faut bien le reconnaître, assez
fier de moi. Nous étions, dans les années 1980, à un carrefour diététique.
Nous vivions la fin de la période antisucre qui voulait qu’on ne pût maigrir
qu’en se privant de pain et de féculents. Nous entrions dans la période
antigras qui préconisait la consommation de glucides à volonté à condition
de bien vouloir supprimer celle des graisses jugées dorénavant responsables
de la prise de poids. Les nouveaux régimes se voulaient simplement
équilibrés, mais sans gras et avaient l’ambition de prendre en compte la
personnalité du mangeur. Ils se devaient donc d’être personnalisés et
adaptés à son mode de vie. Les conférenciers, dans nos congrès,
prodiguaient de savantes communications dans lesquelles ils nous parlaient
de relaxation, de facteurs psychologiques, de psychothérapies associées et
de dangereux troubles du comportement alimentaire.
C’est dans cet esprit, qui se voulait humaniste, que j’abordais ma
première rencontre avec Clémentine qui me faisait part d’une réelle
souffrance. Celle de ne pas être la petite fille qu’aurait souhaité avoir sa
maman. Sa silhouette ne la rendait pas si malheureuse, elle s’était
simplement convaincue qu’elle n’était pas très jolie et que son avenir
préoccupait sa mère. Elle admirait beaucoup la force de caractère de cette
dernière qui témoignait chaque jour d’une volonté à toute épreuve et savait
se discipliner pour ne manger que de « bons » aliments qui ne faisaient pas
grossir. Elle déplorait de ne pas disposer de la même énergie à aussi bien se
contrôler. Et c’est donc sans résistance qu’elle accepta de commencer un
régime.
Tout se déroula pour le mieux. On ne pouvait rêver de meilleurs
résultats. Suivant mes recommandations raisonnables, cautionnées par la
science diététique, Clémentine maigrit, acceptant une perte de poids tout
aussi raisonnable. Nous établîmes une alimentation équilibrée,
régulièrement organisée autour des trois repas indispensables et limitant
soigneusement tout excès de gras. Nous avions même, comme il se devait à
cette époque, scrupuleusement mis au point un régime de stabilisation
prévoyant des écarts éventuels et la manière de les rattraper. Nous avions
été jusqu’à envisager une reprise possible d’un ou deux kilos, sans
dramatisation ni culpabilisation. Tout se passait idéalement. Bien que
conservant de discrètes rondeurs, Clémentine était heureuse, sa mère était
heureuse et moi j’étais heureux. Que demander de plus ? Clémentine avait
15 ans, nous échangeâmes un au revoir, nous espérions tous deux nous dire
adieu.
C’est donc quelques années plus tard que je l’ai revue. Beaucoup de
temps avait passé pour chacun de nous et beaucoup d’illusions s’en étaient
allées.
Pour ma part, j’avais découvert les études scientifiques provenant du
monde entier et qui nous apprenaient que 95 % des patients qui avaient
suivi un régime équilibré, scientifiquement élaboré, cinq ans après, avaient
repris leur poids et même au-delà. Pire, à la suite de leurs échecs répétés,
nombre d’entre eux avaient même contracté des troubles psychologiques ou
du comportement alimentaire. Toutes mes connaissances s’étaient révélées
impuissantes à repousser cette incontournable vérité qui s’était imposée
dans toute sa sécheresse. J’avais donc dû renoncer à mes convictions les
plus fortes et rechercher de nouvelles perspectives thérapeutiques plus
prometteuses. C’est une longue réflexion sur mes échecs, ceux de tous les
nutritionnistes, et sur la souffrance de nos patients qui m’a conduit à cette
profonde remise en question. J’ai beaucoup travaillé pour cela et j’ai
longtemps tâtonné. Maintes fois, j’ai espéré m’approcher d’une solution qui
se révélait finalement sans issue. J’ai consulté des centaines d’articles et j’ai
lu ce que pouvaient dire sur le corps et la nourriture les spécialistes des
autres disciplines : généticiens, physiologistes, historiens, sociologues,
anthropologues, psychologues, économistes, philosophes, religieux, etc.
Tous ceux qui pouvaient apporter un éclairage sur le sujet. J’ai finalement
abouti à une autre méthode de travail qui, peu à peu, s’est affinée pour
produire enfin les résultats escomptés. Vous comprendrez, en la lisant, par
quelle révolution de la pensée, le mot n’est pas trop fort, il m’a fallu passer.
Mais ce que j’ai réellement découvert était à mille lieues de mes
attentes. J’ai surtout trouvé une immense souffrance cachée, indicible et
honteuse. Je ne crois pas avoir jamais pris les difficultés pondérales de mes
patients à la légère, mais la douleur et le désespoir que j’ai découverts ces
dix dernières années ont dépassé tout ce à quoi je m’attendais. Ce qui m’a
d’ailleurs mis, malgré moi, dans l’obligation d’apprendre à les recevoir et à
les soulager en complétant ma formation de nutritionniste par une formation
de psychothérapeute. C’est cette souffrance que je voudrais vous faire
partager. Vous verrez à quel point elle contraste avec le discours désinvolte
des magazines. Combien elle est éloignée de cette présentation quasi
cosmétique des problèmes de poids, façade dérisoire des peines endurées.
Quant à Clémentine, elle était de nouveau assise dans mon bureau,
résignée, me racontant ses années de batailles contre les kilos. Ce livre
raconte un peu son histoire. Celle d’une guerre perdue. Elle pouvait tout
aussi facilement perdre ou reprendre les six ou sept kilos contre lesquels
elle combattait sans répit. Aujourd’hui, elle les avait perdus, mais savait que
demain elle les reprendrait. Elle ne se guérissait jamais de son problème. Et
était maintenant terrifiée à l’idée de regrossir. Elle ne se plaignait pas et
n’accusait personne. Elle était simplement désespérée. Je la regardais,
atterré. Et je pensais : Mon Dieu, j’ai participé à tout cela. Nous sommes
tous responsables. Nous tous. Cette société qui fabrique des gros et qui les
déteste, ces gens qui se jettent à corps perdu et sans réflexion à la recherche
d’un Eldorado qui n’existe pas, ces médias qui valsent avec des promesses
qu’ils ne tiendront jamais, ces médecins qui, en toute connaissance,
continuent à appliquer des traitements inefficaces et toxiques, cautionnés
par des scientifiques aveugles.
Quand, il y a cinq ans, j’ai écrit La Fin des régimes, je m’étais
méticuleusement livré à un sévère réquisitoire contre les régimes
amaigrissants. Surtout les plus farfelus, dangereux ou tout simplement
déséquilibrés. Cependant, il m’est rapidement apparu que ce livre,
étonnamment, avait fait preuve d’une impardonnable clémence à l’égard du
plus célèbre d’entre eux. Il est vrai que celui-là ne pouvait être rangé dans la
même catégorie que les précédents. Il ne s’agissait plus cette fois d’une
prescription inepte, honnie de tous les doctes savants. C’était bien au
contraire l’arme ultime de toute une profession contre un fléau mondial.
En condamnant la pratique des régimes amaigrissants, j’ai omis, par
une incroyable cécité, d’insister sur le plus prescrit d’entre tous : le régime
équilibré. Je dirais même que sous couvert d’équilibre alimentaire et
d’alibis scientifiques je continuais tout bonnement à préconiser un régime.
Sans doute faisais-je partie de ces gens dont parle P. Skrabaneck « qui ne
croient pas à la magie en tant que telle, [mais] sont [pourtant] prêts à
l’accepter lorsqu’elle se présente sous une forme scientifique1 ». Bien sûr,
je l’ai sévèrement critiqué. Néanmoins, je ne l’ai pas explicitement dénoncé
comme j’aurais dû être conduit à le faire par mes réflexions sur le contrôle
sensoriel du comportement alimentaire.
Il est vrai qu’à cette époque, j’avais seulement ébauché cette nouvelle
approche. C’est en poussant plus loin la réflexion sur ce nouveau modèle
théorique que j’ai compris qu’il ne lui était pas possible de cohabiter avec
les anciennes pratiques, fussent-elles les plus raisonnables et équilibrées.
Je ne souhaite pas dans ce livre revenir sur toutes les preuves de l’échec
des régimes et de toutes leurs conséquences néfastes. Je rappellerai
simplement que ces résultats consternants correspondent, j’insiste encore, à
des évaluations, menées, par les équipes médicales les plus aguerries dans
tous les pays du monde, sur le régime équilibré.
L’échec des régimes ne doit surtout pas être compris comme la fin des
espoirs d’amaigrissement. Au contraire, il s’agit bien mieux de la fin d’une
spirale de l’échec et enfin la perspective d’une vraie guérison. Enfin une
alternative qui, cette fois, n’est pas un régime déguisé. Cette fois, croix de
bois, croix de fer, chacun mangera ce qu’il aime. Si je mens, je vais en
enfer.
Vous découvrirez dans ce livre qu’il existe aujourd’hui d’autres façons
de maigrir et qui permettent aussi de faire la paix avec les aliments. Et s’il
existait une manière de maigrir sans faire de régime, en mangeant tout ce
que l’on aime, au moment qui nous plaît ? Simplement guidé par sa faim et
son plaisir ? Comme ça, comme les minces.
Vous lirez ce livre à votre rythme. En ne retenant que les chapitres
pratiques ou en vous arrêtant sur les chapitres plus théoriques si vous
souhaitez en approfondir les bases scientifiques. Vous ne serez jamais
obligés de lire ces parties pour poursuivre votre lecture. Vous pourrez même
y revenir tout à la fin si vous désirez en savoir plus.
J’espère que ce livre vous aidera à trouver les réponses que vous
cherchez. Bon voyage à tous.
1- Skrabaneck P., McCormick J., Idées folles, idées fausses en
médecine, Paris, Odile Jacob, 1992.
CHAPITRE PREMIER
L’état de régime
permanent
ou la restriction cognitive

Je sais bien que vous lirez ce livre dans l’espoir d’y trouver une solution
immédiate à vos difficultés avec votre poids ou votre comportement
alimentaire. J’espère d’ailleurs vous y aider ou tout du moins vous indiquer
les pistes à suivre, mais seulement si vous acceptez, cette fois, de vous
accorder le temps du changement. Généralement, avant d’expliquer à mes
patients les méthodes de travail que nous serons amenés à utiliser, je les
invite tout d’abord à me raconter leur histoire. Et si vous le permettez, je
souhaite d’abord vous rapporter leurs paroles et vous parler de la maladie
dont ils souffrent et qui les empêche de maigrir quand elle ne les fait pas
grossir : ils se trouvent gros, qu’ils aient raison ou tort de le penser, et ne
parviennent pas à maigrir durablement malgré un état de régime permanent
que les psychologues désignent aujourd’hui sous le terme de restriction
cognitive. Ne soyez pas impatients de vous reporter d’emblée à la partie
pratique de ce livre et prenez le temps de comprendre les différentes
facettes de cette maladie et de son traitement. Pour la première fois, le
régime lui-même, mais surtout l’état de régime dans lequel se trouvent la
plupart des mangeurs modernes est considéré comme une maladie
responsable de la prise de poids, de l’échec des tentatives d’amaigrissement
et dont il faut se soigner. Cette notion est inhabituelle, dérangeante et mérite
que nous l’expliquions.
Les personnes dont je rapporterai les témoignages dans ce chapitre ne
sont ni boulimiques ni anorexiques. Leur poids pourra indifféremment être
normal, inférieur ou supérieur à la normale. Leur seul point commun sera
de se trouver trop grosses ou d’avoir peur de grossir et de chercher à
maigrir ou à maintenir leur poids. Avant toutes choses, quel que soit leur
poids, ces individus sont des « gros » parce qu’ils se pensent gros. À l’heure
actuelle, le trouble alimentaire dont souffrent ces personnes n’entre dans la
description d’aucune pathologie reconnue dans les manuels de diagnostic
médicaux de référence. Elles ne sont donc prises en charge pour le
traitement spécifique de leur trouble ni par les nutritionnistes ni par les
psychothérapeutes. L’affection dont elles souffrent n’existe pas ! Et, par
conséquent, il est rare que leur souffrance rencontre une oreille attentive.
Quel que soit leur poids, leur souffrance est bien réelle et d’autant plus
aggravée par la non-reconnaissance de leur entourage. Souvent ces
personnes se sentent terriblement isolées dans leur maladie et éprouvent le
sentiment d’être profondément anormales au point qu’elles n’osent que
rarement venir se confier à d’autres, tant elles sont convaincues qu’elles ne
pourraient être comprises. Ce chapitre contribuera peut-être à les sortir un
peu de leur isolement.

L’état de dissonance cognitive


La plupart de nos contemporains se caractérisent aujourd’hui par le
souci omniprésent qu’ils ont de ne pas grossir et de se nourrir en
conséquence. Ils se distinguent par l’idée tenace qu’il existerait une bonne
manière de manger, saine et équilibrée, une sorte de code de bonne conduite
alimentaire, qu’ils seraient censés adopter, mais dont, en même temps, il
leur serait impossible de préciser les commandements. C’est ainsi que, bien
souvent, ils éprouvent, quoi qu’ils mangent, un vague sentiment de
culpabilité ou tout au moins l’impression désagréable de ne pas manger
comme ils le devraient. Le mangeur moderne se caractérise donc par ce que
l’on désigne sous le terme de « dissonance cognitive ». Il s’agit d’un état de
mauvaise conscience alimentaire se traduisant par une forme de vigilance
constante sur sa manière de manger (il fait attention) et une inquiétude
diffuse, d’ailleurs souvent peu intense, produite par l’idée de ne pas agir
conformément à ce que lui dicteraient ses devoirs de mangeur responsable.
Le mangeur moderne éprouve ainsi continuellement le sentiment de
transgresser des règles alimentaires que, dans le même temps, il admet être
dans l’incapacité de définir clairement. Cependant, aussi longtemps que son
poids ne lui cause de frayeur ou que sa santé ne le rappelle à l’ordre, il vit
ces transgressions avec légèreté et insouciance. Mais que quelques kilos
viennent s’accrocher à ses hanches ou à son ventre et cette belle
désinvolture insolente fond aussitôt comme neige au soleil. C’est alors que
ces fameuses règles alimentaires, si incommodantes, retrouvent de leur
attrait. De quoi parlait-on déjà ? Ne pas manger entre les repas, prendre un
petit déjeuner, éviter le gras ? Soudainement, ces recommandations qui
semblaient inutiles et si encombrantes lui reviennent à l’esprit. Pour dissiper
les quelques kilos excédentaires la personne devient plus appliquée, se
raidissant sur ses convictions et essayant d’adopter un comportement
qu’elle jugera plus conforme à l’idée qu’elle se fait de la bonne conduite
alimentaire. Dès lors, la vigilance caractéristique de l’état de dissonance
cognitive évoluera progressivement vers un contrôle mental du
comportement alimentaire caractéristique de la restriction cognitive.

L’état de restriction cognitive


En 1975, Peter Herman et Janet Polivy1, deux psychologues canadiens,
ont remarqué qu’un grand nombre de leurs patients présentaient des
préoccupations excessives pour leur poids et leur alimentation et, de ce fait,
adoptaient des comportements et des modes de pensée très comparables. Ils
ont désigné cette double préoccupation par le terme de restriction cognitive,
défini comme une intention de contrôler mentalement ses apports
alimentaires dans le but de perdre du poids ou de ne pas en prendre. Un
lecteur attentif ne manquera pas de constater la ressemblance frappante
avec la définition d’un régime amaigrissant. De fait, les auteurs
soulignèrent ultérieurement qu’ils ne distinguaient aucune différence entre
les deux comportements. Ils ont montré à quel point l’idée de se servir de sa
nourriture pour contrôler son poids pouvait altérer la relation naturelle du
mangeur avec ses aliments, qui se trouvait alors dominée par l’idée
suivante : « Ce que je mange me sert à rester mince et en bonne santé. »
Dans le même temps, l’évidence de devoir surveiller son poids s’inscrivait
elle aussi dans une nouvelle relation du mangeur avec son corps, qui
pouvait s’exprimer ainsi : « La valeur personnelle d’un individu est
inversement proportionnelle à son poids2. »
La définition qu’ont donnée Herman et Polivy de ce trouble appelle
déjà plusieurs remarques.
• En premier lieu, les deux auteurs avaient défini la restriction cognitive
comme une intention et non comme un comportement observable. En
conséquence, pour être en restriction cognitive, il est nullement nécessaire
que la personne parvienne à assurer un contrôle effectif de ses apports
alimentaires ni qu’elle parvienne à maîtriser son poids. Il lui suffit d’en
avoir l’intention.
• En deuxième lieu, comme les critères de poids n’interviennent pas
dans cette définition, elle peut de ce fait concerner tous les mangeurs, qu’ils
soient obèses hyperphages en proie à des compulsions répétées, ou bien
simplement des personnes qui « font attention à leur ligne » avec plus ou
moins de bonheur selon les moments ou les circonstances. Le poids ne
constitue donc pas un indicateur du degré de restriction.
• Enfin selon que la personne contrôle avec ou sans succès son
comportement alimentaire il devient possible de décrire deux états opposés
de la restriction cognitive.
Dans un premier cas, le mangeur concrétise ses intentions et parvient
effectivement à suivre les règles qu’il entend respecter pour aboutir dans ses
projets de maîtrise du poids. Ces règles correspondent aux idées, aux
cognitions, qu’il entretient sur la bonne manière de manger pour maigrir.
Cet état est donc dominé par un contrôle mental des apports alimentaires.
Dans la mesure où le mangeur ignore délibérément ses sensations
alimentaires (la faim, les appétits spécifiques et la satiété), Herman et
Polivy ont parlé d’un état d’inhibition des sensations alimentaires.
Dans le second cas, les intentions et les décisions ne sont pas suivies
d’effets. Le comportement alimentaire est dominé par la défaillance du
contrôle mental. Car c’est bien là tout le problème de ce type de contrôle :
on peut facilement le perdre. Le mangeur se met à manger de manière
impulsive sans rapport avec les règles auxquelles il avait l’intention de se
soumettre. Le comportement alimentaire passe alors sous le contrôle de
processus émotionnels : on aboutit à des accès hyperphagiques, des séances
de grignotage, des compulsions alimentaires ou des boulimies que Herman
et Polivy ont décrits comme des états de désinhibition.

Le comportement alimentaire étant toujours contrôlé, il est bon de


rappeler que le terme de contrôle évoque un succès du contrôle mental.
Alors que celui de perte de contrôle évoque une défaillance de ce type de
contrôle et une prise de contrôle du comportement alimentaire par les
émotions.

Contrôle Perte de contrôle


État d’inhibition des sensations État de désinhibition des sensations
alimentaires. alimentaires.
Comportement alimentaire
Comportement alimentaire
principalement contrôlé par les
principalement contrôlé par les
cognitions
émotions.
.
Contrôle mental. Contrôle émotionnel.

Il est habituel que ces deux états alternent entre eux avec une fréquence
très variable. Ils peuvent se succéder au cours de la même journée. Ce sont
les bonnes résolutions que l’on prend dès le petit matin et qui cèdent… sur
le chemin du travail, à la pause de 10 heures, au déjeuner, sur le chemin du
retour, juste avant le dîner ou pendant le dîner ou dans la soirée. En fait, on
ne sait jamais vraiment à quel moment on craquera. On sait seulement que
cela finira par arriver.

Caroline se lève tous les matins pleine de bonnes résolutions. Elle


se promet chaque fois que ce jour sera le bon : elle ne craquera pas. Elle
tient sans difficulté la première partie de la journée. Mais dès le début
de l’après-midi, elle sent poindre l’anxiété à l’approche du danger : le
retour à la maison, le moment où elle devra livrer son combat. Comme
pour la petite chèvre de monsieur Seguin, au coucher du soleil, la
bataille commence et chaque heure redouble son intensité. Mangera,
mangera pas ? L’objectif étant d’atteindre le jour suivant sans toucher à
la nourriture interdite. Il est rare que la Blanquette voie le jour suivant
sans avoir été vaincue.

À l’opposé, les bonnes résolutions peuvent durer plusieurs années.


Certaines personnes semblent en effet parfaitement s’accoutumer à leur
régime. Elles tiennent bon, sans frustration ou efforts apparents, pendant
plusieurs années. Puis au décours de l’une de ces difficultés que réservent la
vie, un divorce, la maladie ou la perte d’un proche, des déboires
professionnels, une grossesse, un déménagement, etc., elles décrochent
doucement, parfois brutalement, et basculent dans la perte de contrôle. La
caractéristique de ce contrôle mental c’est sa grande fragilité. On peut le
perdre en un clin d’œil : il suffit parfois d’une odeur qui vous chatouille le
nez ou d’une boîte de chocolats posée sur une table. Un état de fatigue, un
coup de déprime peuvent aussi jouer le rôle de déclencheur, à moins que ce
ne soient des événements de vie plus conséquents, des pertes, des
séparations, etc. Quoi qu’il en soit, une fois ce contrôle perdu, qui sait
quand il reviendra ?

Céline est une petite femme ronde de 1,55 m. Dès son adolescence,
elle se préoccupe de son poids. Elle pèse 54 kg. À l’âge de 20 ans, à la
suite d’une maladie qui lui fait perdre du poids, elle atteint 48 kg. « Plus
je maigrissais, plus j’avais envie de maigrir. » Pour se maintenir, elle
renonce à manger. Par la force de la volonté, elle ne se nourrit plus que
de légumes et de yaourts, rarement un peu de volailles ou de poissons.
Elle supprime son petit déjeuner, évite soigneusement toutes les
occasions assorties de repas. « J’avais une ligne impeccable, je me
sentais capable de résister à tout. » Elle n’a même pas l’impression de
faire un régime, ne ressentant ni faim ni envie. Elle tient ainsi…
25 ans ! À 45 ans, elle découvre que son mari la trompe avec une
femme plus jeune qu’elle. La vie conjugale se détériore, le couple
décide de se séparer. Mais le divorce a lieu dans des conditions
extrêmement difficiles. Céline se retrouve seule et se bat pour obtenir
quelques ressources financières que lui refuse son ex-mari. Elle ne peut
plus tenir son régime. Elle craque, se met à manger compulsivement.
Son poids augmente vertigineusement. Vingt-cinq années de
frustrations s’expriment d’un coup. En cinq ans, elle double son poids
et atteint 98 kg !

Longtemps, les spécialistes ont considéré que seules les pertes de


contrôle faisaient la gravité de la restriction cognitive. L’augmentation du
poids, le sentiment d’échec personnel, la dépression consécutive à
l’impuissance de se contrôler, l’appréhension face aux aliments produisant
les pertes de contrôle : tout cela paraissait expliquer la totalité des nuisances
de l’état de restriction. Les effets délétères du contrôle mental semblaient,
quant à eux, totalement négligés. Leur absence excluant même, pour
certains, le diagnostic de restriction cognitive. Au point que certains
nutritionnistes estiment encore aujourd’hui qu’un contrôle mental réussi
constituerait la seule bonne réponse aux problèmes de poids3.
Ma conviction, que je tenterai de vous faire partager, est que le contrôle
et la perte de contrôle mental sont des situations tout aussi anormales. À la
lumière de nos nouvelles connaissances, ramener la restriction cognitive à
une opposition entre un état d’inhibition et un état de désinhibition des
sensations alimentaires serait très réducteur. Le problème se pose de
manière bien différente et doit être envisagé comme un véritable combat
entre les différentes instances, sensations, cognitions et émotions, pour
s’emparer du contrôle du comportement alimentaire. J’accorderai même la
place principale au contrôle mental. Je prends ici à témoin les personnes
« contrôlées » qui grossissent en ne mangeant que des aliments supposés
« non grossissants ». Alors qu’elles maigrissent dès lors qu’elles retrouvent
un comportement naturellement contrôlé par leurs sensations alimentaires,
incluant des consommations d’aliments supposés « grossissants ».
Au cours de ces dernières années, mes recherches m’ont donc amené à
m’éloigner de cette approche bipolaire de la restriction cognitive pour
adopter une description plus complexe évoluant selon quatre stades de
gravité croissante. Aussi, je vous propose d’examiner maintenant les
conséquences de cette intention de vouloir contrôler mentalement son
comportement alimentaire. Nous allons découvrir comment la restriction
cognitive modifie progressivement le comportement du mangeur en
influençant la perception de ses sensations alimentaires jusqu’à les rendre
complètement inutilisables et en le rendant définitivement dépendant de ses
émotions. Nous verrons comment ces transformations conduisent le
mangeur à prendre du poids ou à l’empêcher d’en perdre. Imaginons, pour
simplifier cette description, par quelles étapes successives devra passer une
personne qui commence son premier régime, alors que jusqu’ici elle n’avait
jamais éprouvé de difficulté à maintenir un poids qui lui convenait.

Premier stade : je n’écoute plus mes sensations alimentaires


Ce premier stade de l’état d’inhibition se caractérise donc par une
attitude volontariste au cours de laquelle le mangeur décide de ne plus tenir
compte de ses sensations alimentaires qu’il perçoit néanmoins encore de
manière satisfaisante. Il se distingue essentiellement par la présence des
cognitions et la mise en place des stratégies de contrôle du poids et de
l’alimentation. Suivons donc le parcours de Camille, une mangeuse à peine
imaginaire, dans ses premières expériences.
Camille est, depuis longtemps, attentive à son poids, non pas qu’elle se
trouve trop grosse, bien que perdre un ou deux kilos ne lui déplairait pas.
« Mais, mon Dieu, il faut bien faire un peu attention si on ne veut pas un
jour ressembler à un vilain petit canard ! » Camille se surveille mais n’a
jamais été trop stricte avec elle-même. Elle sait parfaitement ce qu’il
faudrait faire mais il faut tout de même reconnaître que tout cela est bien
contraignant et que jusqu’ici elle ne s’en est pas trop mal tirée. Toutefois,
après quelques semaines de vacances en Grèce, elle a grossi de deux kilos
qu’elle entend bien reperdre rapidement.

« Pour maigrir, quelques règles pratiques de bon sens prédominent »


Dans un premier temps, notre mangeuse, en délicatesse avec son poids,
abandonne le simple état de vigilance et décide de ne plus s’en remettre à
ses sensations alimentaires (faim, rassasiement, satiété). Elle confiera
dorénavant la direction de son comportement alimentaire à des processus
mentaux, des règles alimentaires jugées plus fiables. Ces dernières sont
constituées de tout ce qu’il est possible d’entendre, voir ou lire sur la
manière de perdre du poids. Il peut aussi bien s’agir d’informations
émanant d’autorités médicales ou des pouvoirs publics, d’avis recueillis
dans le panorama médiatique ou de simples opinions personnelles sur le
sujet. Camille perçoit clairement ses sensations de faim ou de satiété, mais
décide de prendre elle-même les choses en main. Puisqu’en mangeant avec
une relative insouciance, quand elle avait faim, elle a pris du poids, c’est
donc qu’elle ne peut plus se faire confiance. Elle mangera désormais en
tenant compte de ce qu’elle pense être convenable pour son poids. Il s’agira
pour elle d’ignorer ce qu’elle ressent et de s’en tenir à des indications
extérieures, des cognitions, au détriment des sensations internes qui
exprimaient ses besoins.
« Pour maigrir,quelques règles pratiques
de bon sens prédominent »

Un « vrai » petit déjeuner est primordial : il se compose de


céréales ou de pain (sans beurre mais, pourquoi pas, avec du miel ou
de la confiture), un fruit frais dont l’absorption des glucides est lente
plutôt que d’un jus de fruits, de boissons (thé, café, chocolat ou lait).
En fonction des goûts de chacun, on peut conseiller du fromage, une
demi-tranche de jambon, de la compote, et même quelques carrés de
chocolat.
Le déjeuner doit être suffisant et toujours comporter une entrée,
un plat et un dessert. L’entrée conseillée est une montagne de
légumes, de salade avec un peu d’huile, de crudités ou un potage,
mais surtout pas de charcuterie ou de bouchée à la reine, de quiche,
etc. Le plat est composé de viande et d’un féculent sans ajout de
beurre et sans frites. Le dessert est un yaourt (même aux fruits, même
sucré), un fruit ou un sorbet.
Le déjeuner sera d’autant plus copieux qu’il permettra ainsi de
réduire le repas du soir.

S’en remettant à l’avis de la Faculté, voici les conseils que Camille a pu


relever dans la presse médicale sous le titre : « Pour maigrir, quelques
règles pratiques de bon sens prédominent4. » Retenez bien ces
recommandations, nous les discuterons ensemble tout au long de ce livre.
Elle trouvera dans le même article que « sauter un repas est nocif » et
que la faim est une sensation redoutable justifiant la recommandation
express de « manger avant d’avoir faim ». Enfin ces conseils ne concernent
pas seulement la personne qui souhaite maigrir mais, naturellement, aussi
toute sa famille afin de ne pas donner à l’infortunée candidate à la minceur
le sentiment d’être enfermée dans un ghetto.
Voici donc, exposé en quelques lignes, un condensé de conseils
pratiques censés permettre un amaigrissement durable. Ce texte, qui se veut
simple et donc de « bon sens », s’appuie, en réalité, sur quelques principes
nutritionnels, apparemment évidents, et qui pourraient s’énoncer de la façon
suivante. Pour maigrir, il faut :
Première règle de « bon sens » :
Prendre trois repas par jour et surtout ne pas en sauter.
Deuxième règle de « bon sens » :
Manger copieusement le matin et alléger le dîner.
Troisième règle de « bon sens » :
Manger équilibré et faire des repas équilibrés.
Quatrième règle de « bon sens » :
Manger copieusement certains aliments qui ne font pas grossir et éviter
les aliments gras et sucrés qui, eux, font grossir.

À cela, toute croyance personnelle pourra éventuellement venir se


surajouter.
Ne pas boire pendant les repas.
Ne pas manger certains aliments à certains moments.
Ne pas associer certains aliments entre eux.
Etc.
Nous sommes là au stade des cognitions. Ce sont donc des
raisonnements qui vont guider le comportement alimentaire. Les sensations
alimentaires seront encore distinctement éprouvées mais délibérément
ignorées. Les envies dissidentes seront contrariées et le plus souvent
prestement maîtrisées. Voici quelques extraits du carnet que tient Camille
pour recueillir des observations sur son comportement alimentaire. On y
découvre le décalage important entre son comportement et les indications
qu’elle reçoit de son organisme.
Camille distingue parfaitement ses sensations alimentaires, mais s’est
résolue à passer outre, afin de suivre le plus fidèlement possible les règles
de son régime. Les situations qu’elle pourra rencontrer se trouvent résumées
ici.
Je n’ai pas faim, mais je dois manger.
J’ai faim, mais je ne dois pas manger.
Je n’ai plus faim, mais je dois encore manger.
J’ai encore faim, mais je ne dois plus manger.
J’ai envie de cet aliment-ci, mais je dois manger cet aliment-là.
Je n’ai pas envie de cet aliment-ci, mais je dois manger cet aliment-là.

En suivant des indications extérieures à elle-même, Camille se trouve


très souvent en décalage avec ses besoins réels. Et l’on conçoit comment,
au fil du temps, les cognitions viendront disqualifier les sensations qui
seront jugées peu fiables et moins pertinentes que les injonctions de la
science diététique. La prédominance des cognitions entraînera peu à peu
une forme de désapprentissage des sensations, une désappréciation de ses
besoins réels, au cours de laquelle Camille ne parviendra plus à estimer ses
besoins de façon adéquate.
Je suis un stratège du poids
Manger en fonction de cognitions sans tenir compte de ses besoins n’est
pas chose aisée et entraînera rapidement la mise en place de stratégies
destinées à ne pas s’exposer à des transgressions devenues, cette fois,
beaucoup plus culpabilisantes. Nous pouvons distinguer trois types de
pratiques couramment utilisées : les stratégies de réduction, les stratégies
d’évitement et les stratégies compensatoires.

J’essaie de manger moins


Ces premières stratégies consistent à réduire l’ingéré calorique et
peuvent aussi bien concerner les quantités de nourriture que le choix des
aliments. Elles peuvent conduire à s’en tenir à des quantités déterminées
d’aliments : ne pas manger plus de deux fruits ou trois laitages par jour, ne
pas manger des féculents plus d’une fois par jour, fixer les quantités de
légumes ou de viandes à chaque repas, ne pas manger plus d’un gâteau par
semaine, établir un nombre d’écarts autorisés… Elles peuvent également
conduire à opérer des sélections dans le choix des aliments. Éliminer tous
les corps gras et tous les sucres rapides, choisir les légumes à la place des
féculents, sélectionner les viandes et les poissons maigres et éviter les
viandes et les poissons gras, consommer des produits allégés en sucre ou en
graisses, préférer les jus de fruits aux alcools, remplacer des repas par des
substituts. Toutes ces règles peuvent varier dans leur sévérité et parfois
aboutir à des régimes très restrictifs sur le plan énergétique.

Stratégies de réductionproposées
dans les traités de médecine classique5

Réduire les apports caloriques de 20 à 30 % par rapport aux


apports antérieurs.
Diminuer la quantité de corps gras.
Acheter des produits dont la teneur en graisses est indiquée sur
l’étiquette.
Tenir des fiches cuisine sans matières grasses.
Réduire la consommation des aliments à haute densité calorique
ou en éviter certains (oléagineux, chips, fritures).
Ne pas s’interdire totalement la consommation de sucre. On
pourra conserver un ou deux sucres.
Apprendre à cuisiner sans matières grasses.
S’accorder occasionnellement un soda sucré.

Je déjoue tous les pièges avec brio


Ces stratégies consistent à prévenir ou à s’abstenir de toutes
confrontations avec des situations qui pourraient obliger la personne à
transgresser les règles qu’elle s’est volontairement imposées.

• Ne pas avoir faim avant une sortie


Il est assez fréquent de trouver ce genre de conseil dans les
prescriptions diététiques. Elles suggèrent de manger avant le dîner afin de
mieux résister à ses envies d’aliments « interdits ». Selon les cas, on pourra
proposer des fromages blancs à 0 %, des fruits ou d’autres protéines
maigres. Les pommes et les carottes sont souvent très appréciées, elles
permettent d’arriver au repas avec un estomac déjà rebondi. Les œufs durs
ou le jambon sont également assez prisés pour leur côté bourratif.

• Se remplir l’estomac d’aliments « autorisés » pour résister à ses envies


d’aliments « interdits »
Comme la consommation de certains aliments est souvent autorisée à
volonté, car « ils ne font pas grossir », il est souvent recommandé, au cours
du repas, de s’en remplir la panse pour résister à ses envies de desserts.
Mieux vaut manger « une montagne de légumes » que même une petite part
de gâteau. « Au dîner, je prends un demi-litre de soupe, du poisson, deux
yaourts à 0 % et deux fruits. Il faut que je sorte de table avec l’estomac bien
rempli. Je me dis que je tiendrai ainsi sans craquer jusqu’au coucher. »

• Éviter l’exposition aux aliments


Le danger, ce sont les aliments « interdits » : mieux vaut les éviter. Pour
cela, toutes sortes de stratagèmes pourront être employés. Contourner les
rues commerçantes, quitte à faire un important détour : « Je connais tous les
itinéraires en fonction de mes envies. Je sais, si je suis angoissée, qu’il faut
absolument éviter les rues dans lesquelles se trouvent les pâtisseries. » Ne
rien faire entrer dans la maison : « Je n’achète aucun aliment dangereux,
comme ça, c’est réglé. » Cacher les aliments dans la maison : « Comme je
ne peux pas résister à un paquet de gâteaux, ma femme est obligée de
cacher les gâteaux des enfants, sinon je les finirais. » Fuir la confrontation
avec des aliments irrésistibles : « Pendant le goûter des enfants, il faut que
je sorte de la cuisine à cause du Nutella. Je dîne parfois avant les enfants
pour ne pas être tentée par ce qu’ils mangent. » Éviter de s’exposer même
par la pensée en s’occupant frénétiquement : « J’ai toujours envie de ce
qu’il y a devant moi. Il faut que je m’occupe pour ne pas y penser. À la
maison, je ne pense qu’à ça. J’évite d’y rester trop longtemps pour ne pas
être tentée. Pour m’occuper, je lis, je me balade, j’essaye même d’avoir des
amis autour de moi. Mais si j’y pense trop, j’essaye de les renvoyer et je
deviens insupportable avec eux. »

• Les stratégies d’évitement social


Elles conduisent le mangeur à choisir de limiter sa vie sociale plutôt
que de devoir enfreindre ses propres règles alimentaires. Elles peuvent se
présenter sous la forme d’une marginalisation au sein de son propre groupe
social : consommer une nourriture différente du reste de la famille,
demander des menus particuliers quand on se rend chez des amis ou
apporter sa propre nourriture. La personne maintient le contact avec son
groupe, mais n’en partage plus la nourriture. Pour maintenir sa ligne de
conduite, le mangeur n’hésite pas à se mettre en rupture avec toutes les
règles de la convivialité qui contribuent à la cohésion du groupe social. Il
enfreint sans ciller les règles du don et du partage. « Nous avons dîné chez
des amis qui avaient commandé un magnifique fraisier. Mais j’ai tenu bon
et je n’en ai pas pris. »

J’ai fait pendant six mois un régime à base de poisson, salade et


yaourt sans commettre un seul écart. Pour l’anniversaire de mon oncle,
j’ai passé quatre heures à faire la cuisine pour douze personnes. Ma
mère avait préparé mon gâteau préféré. J’ai mangé devant tout le monde
poisson-salade-yaourt. On me disait que j’étais folle, moi je trouvais ça
très bien. Pour les sorties, je demandais qu’on me prépare un menu
spécifique. Ou alors tout le menu était conçu en fonction de moi. J’ai
fait manger du poisson à tous mes amis pendant six mois. Parfois
j’apportais moi-même mon Tupperware. Je trouvais ça formidable.
J’avais droit à un écart par semaine. Je ne le faisais même pas.

Ou, plus grave, elles peuvent réduire la vie sociale de la personne et


contribuer à l’isoler de ses amis et relations et prendre la forme d’une
désocialisation. « Comme je crains de ne pas pouvoir gérer les invitations,
je préfère toutes les refuser pendant mon régime. Je sais que je ne saurai pas
résister, alors je vis en ermite. » Stéphanie refuse toutes sorties au
restaurant. Antoine redoute les week-ends chez ses parents et préfère
trouver des excuses pour ne pas s’y rendre. Martine n’est pas partie en
vacances avec ses amis, car ils sont trop attirés par la nourriture et ne
pensent qu’à manger. Il n’est pas si rare de rencontrer des personnes
cloîtrées chez elle depuis des mois, parfois des années, pour éviter les
confrontations périlleuses avec la nourriture. D’autant qu’à cette difficulté
peut parfois s’ajouter celle de ne pas oser montrer un corps que l’on juge
dégradé.

Conseils pour éviter l’exposition aux aliments


d’après les traités de médecine classique6

• Pour ne pas être exposé à la faim entre les repas :


Ne pas sauter de repas.
Manger des féculents à tous les repas.
Prendre trois repas par jour à heures programmées.
Des collations quantifiées à heures fixes seront éventuellement
ajoutées en cas de fringale régulière ou bien en cas d’envie de
manger.
• Gérer ses achats pour éviter l’exposition aux aliments :
Éviter les rayons à risque des grandes surfaces.
Ne pas faire ses courses aux horaires où l’on risque d’avoir faim.
Acheter des aliments ou des plats en portions ou sachets
individuels.
Ne pas acheter les lots promotionnels.
Ne pas stocker chez soi de trop grandes quantités d’aliments.

Évitements dans certaines situations sociales :

En cas d’apéritifs, choisir des jus de tomates, eaux minérales,


sodas light, boissons anisées sans alcool. Ne pas s’installer près
du buffet. Privilégier les tomates, les radis, les carottes crues, les
bâtonnets au crabe, les olives vertes mais pas les noires. Et éviter
cacahuètes, pistaches, chips, gâteaux d’apéritif.
À table, se servir une seule fois. Laisser les sauces dans
l’assiette. Laisser passer la salade et le fromage à son voisin sans
se servir. Se servir un morceau de pain mais ne pas y toucher.
Remplir son verre de vin mais ne pas le boire.
Au restaurant, si on choisit de commander deux plats, on prendra
deux plats peu riches ou un plat riche et un plat léger. Si on
choisit de commander trois plats, on prendra un plat riche et deux
plats légers.
Dans les cocktails, s’éloigner du buffet et aller s’asseoir plus loin

Je rattrape mes bêtises


Ces dernières stratégies consistent à rattraper ou à anticiper les
« écarts » de régime. Soit le mangeur sait à l’avance qu’il commettra un
écart et prévoira de l’anticiper. Soit il ne le prévoit pas, mais se préparera à
le compenser ultérieurement. Il est ainsi incité à mettre en place un système
d’anticipation-compensation de l’écart. S’il l’anticipe, par exemple au cours
d’un dîner à venir, le mangeur réduira son déjeuner en prévision de ses
excès du soir. « Si je vais dîner chez des amis, je me contente d’un substitut
de repas à midi. Parfois, je saute complètement le déjeuner parce que je sais
que je vais beaucoup manger le soir. » Tout est en place pour que les efforts
de la journée soient récompensés par de la démesure au dîner. Il arrive
même que la démesure soit préméditée. « Je me restreins dans la journée
car je sais que je vais me lâcher le soir. » S’il commet l’écart, en
compensation, le repas suivant sera sévèrement restreint. Le patient se punit
de l’excès commis. « Tous les dimanches, nous allons déjeuner chez ma
mère. Je ne peux pas résister à tous ces plats qu’elle nous mitonne depuis
que nous sommes petits. Tous les dimanches soir, pour compenser, je ne
mange que deux yaourts et un fruit. »
Sans en prendre parfaitement conscience, le mangeur entre ainsi dans
un système de punition-récompense dont les conséquences se révéleront
terriblement néfastes autant pour sa stabilité pondérale ultérieure que pour
son équilibre psychologique. Après un écart, il sera en quelque sorte incité à
se punir de l’excès commis. Avant l’écart, le patient aura tendance à se
restreindre sévèrement, et à se récompenser ensuite lors de l’événement
prévu. La façon dont on lui propose de contrôler son poids est le régime
permanent où tout écart de poids est sanctionné par la reprise d’un régime
plus sévère.
Après un événement festif et un repas trop copieux, voici les
recommandations d’un nutritionniste préconisant l’amaigrissement à l’aide
de régimes très restrictifs :

« Une journée “à grande vitesse” suffit pour effacer les effets


“grossissants” d’un repas très copieux, par exemple un lundi à grande
vitesse après un déjeuner dominical festif.
Ou :
Si vous avez gardé plus d’un kilo d’un week-end, de vos vacances
ou de toutes autres périodes à risque pour votre poids, n’hésitez pas à
revenir au “régime à grande vitesse” pendant deux ou trois jours, voire
une semaine complète afin de retrouver au plus tôt le poids où vous
vous sentez bien. »

Ces comportements sont à rapprocher de l’expérience de Lean Birch sur


les jeunes enfants que l’on force à manger les plats qu’ils n’aiment pas en
leur promettant de les récompenser par un dessert qu’ils apprécient :
« Mange ta soupe, tu auras du dessert. » Le résultat est que la soupe est
finalement consommée mais devient aversive. Alors que le dessert devient,
lui, de plus en plus désirable. Le mangeur finit, lui aussi, par ne plus
supporter ces aliments qu’il s’oblige à manger pour se punir de ses excès et
par convoiter d’autant plus les aliments qu’il s’interdit de manger.
Il s’agit là encore d’un apprentissage d’un mode de consommation
boulimique. Les aliments « maigres » sont utilisés comme des stratégies
compensatrices exactement comme font les boulimiques avec les
vomissements, le sport à outrance, les médicaments… Suivant en cela les
préconisations de quelques nutritionnistes qui considèrent qu’une séance de
jogging ou un substitut de repas permettront de compenser ou d’anticiper un
écart : « L’activité physique est une nécessité pour l’organisme, et ce qui
n’est pas négligeable, elle permet de compenser certains écarts
alimentaires. » Or, contrairement à ce qui est affirmé, on n’augmente pas
son activité physique pour dépenser ce qu’on a mangé en trop. Mais, à
l’inverse, on augmente ses apports caloriques pour compenser des dépenses
trop élevées. Ou on les réduit quand les dépenses diminuent. De la même
manière, on ne fait pas rouler une voiture parce qu’on a versé de l’essence
dans le réservoir. Mais on remet de l’essence parce qu’on a déjà roulé.
Beaucoup de nutritionnistes prônent actuellement une augmentation des
activités physiques pour pallier des apports caloriques trop élevés. Ils
devraient réaliser qu’ils sont très en retard sur les boulimiques qui ont
découvert cette stratégie de contrôle du poids depuis bien longtemps.
L’activité physique peut sans aucun doute contribuer à la régulation
pondérale mais pas de cette façon.

Valentine a un objectif dans la vie : ressembler à Kate Moss, la plus


maigre des top models. À 17 ans, elle pèse 46 kg pour 1,65 m. Deux
fois par semaine, elle fait de l’aérobic. Par crainte de prendre du poids,
elle a adopté une alimentation presque végétarienne et refuse de
consommer tout aliment présentant, à ses yeux, un risque de faire
grossir. Valentine est à la limite de l’anorexie, mais se trouve très bien
comme elle est. Son nutritionniste veut éviter de lui prescrire un régime
et lui conseille de pratiquer un peu plus de sport pour compenser la
nourriture prise en surcroît.
Françoise n’est pas anorexique, elle présente même un léger
surpoids. Elle pratique des régimes depuis un grand nombre d’années.
Elle écrit dans son carnet alimentaire : « Je suis allée à la piscine pour
me décontracter un peu. Le fait d’avoir mangé une pizza la veille a
renforcé ma décision. »

Le point important de ces stratégies est leur décalage avec l’« excès »
qui a été réellement commis. Ce dernier est laissé à l’appréciation du
mangeur, jugé à l’aune de la culpabilité ressentie et la compensation n’est
pas proportionnelle à l’excès calorique mais à l’idée que se fait la personne
de l’importance de sa faute. Plus la faute lui paraît importante plus la
compensation sera sévère, la culpabilité agissant en amplifiant la
compensation. En aucun cas, l’amplitude de la compensation n’a de rapport
avec une diminution de la sensation de faim.

Isabelle suit un régime depuis quelques semaines. Elle est sujette à


des compulsions de chocolat. Elle s’est bien juré cette fois de ne plus en
manger et de tenir jusqu’à ce qu’elle ait atteint son objectif de poids.
Lors d’un déjeuner au restaurant, elle craque sur le carré de chocolat
offert avec le café et, pour faire bonne mesure, mange aussi celui de son
voisin. Le soir même, pour rattraper son écart, elle s’impose un dîner à
base de substitut de repas.

Exemples de stratégies compensatoires


d’après les traités de médecine classique7

La consommation de pâtisseries, chocolat, glaces, sera


compensée par le jeu des équivalences.
En cas de repas convivial prévu, le patient commence dès le
matin à « économiser » des calories, essentiellement lipidiques,
pour se donner la possibilité de consommer un déjeuner ou un
dîner plus copieux. L’objectif étant de préserver des apports
alimentaires constants.
En cas de faim occasionnelle entre les repas, prendre une
collation et retirer l’équivalent au repas suivant.
En cas de faim occasionnelle au cours d’un repas, consommer
davantage de légumes et/ou de féculents et/ou de pain en diminuant
d’autant si possible les quantités du repas suivant.
Afin d’éviter toute équivoque, je me dois de souligner que ce n’est pas
la compensation de l’excès qui est en cause, mais la façon de l’obtenir qui
est néfaste. Dans cette gestion des écarts, l’excès ne fait pas l’objet d’une
régulation naturelle mais d’un contrôle volontaire qui use la volonté du
mangeur et l’installe définitivement dans un état de régime permanent.
Pour beaucoup, ces stratégies de contrôle sembleront bien anodines et
étrangement familières. La plupart sont si répandues que seul un mauvais
esprit comme le mien pourra y voir le mal. D’ailleurs quel mal pourrait-il y
avoir à éviter quelques invitations, rattraper quelques écarts ou même faire
un peu attention à ce que l’on mange ? Tout cela ne semble pas prêter à
grandes conséquences et d’ailleurs « tout le monde le fait ». À ce stade, en
effet, rien de grave ne s’est encore produit. Et seul un esprit tatillon
soulignera que les stratégies d’évitement sont celles habituellement utilisées
par les phobiques et que les stratégies compensatoires sont celles
habituellement utilisées par les boulimiques pour annuler leurs crises. Au
stade des cognitions, le comportement du mangeur se présente encore sous
la forme d’un régime bien ordinaire, plutôt bien suivi, avec peut-être
quelques « écarts » vite compensés, mais sans que l’on soit déjà inquiété
par la présence de compulsions trop fréquentes ou trop incontrôlables. Mais
voyons comment vont évoluer ces comportements si innocents.

Deuxième stade : je perçois mes sensations mais je ne peux pas


m’empêcher de manger
Comme dans une œuvre dramatique, c’est à ce stade que l’intrigue
commence à se mettre réellement en place pour se dénouer dans la scène
finale quand Camille s’apercevra trop tard qu’elle est prise au piège. Tout
au long de la pièce, on sentira la tension monter sans rien pouvoir
empêcher. Cette deuxième phase de la restriction cognitive est
essentiellement dominée par l’irruption de pensées inconscientes (on parle
de processus cognitifs) et d’émotions induites par la nouvelle relation du
mangeur avec ses aliments. Ces émotions induites proviennent de
l’influence supposée que produirait la consommation de certains aliments
sur notre poids. Ainsi, quand Camille pense que le chocolat la fait grossir,
elle peut éprouver à cette seule idée une émotion de l’ordre de l’inquiétude,
de l’anxiété, parfois de la panique. À ce stade, Camille perçoit ses
sensations alimentaires mais devient incapable de les respecter.

Ces idées qui font grossir


Le problème quand on mange selon des idées, c’est que bien souvent
une idée en entraîne une autre et qu’on ne la voit pas forcément venir. Si
bien que certaines idées s’insinuent sournoisement dans la pensée du
mangeur sans qu’il en prenne conscience et modifient profondément son
rapport à la nourriture. Pour mieux en comprendre les mécanismes, nous
allons nous servir de la saynète suivante. Elle vous rappellera peut-être des
situations que vous avez vécues ou auxquelles vous avez assisté.
Imaginons toujours notre Camille prenant tranquillement un bain de
soleil, confortablement installée dans une chaise longue et disons
simplement qu’elle n’est sujette à aucun stress. Soudainement, une
irrésistible envie de manger un carré de chocolat traverse ses pensées. Et se
disant que rien d’autre ne manque à ce délicieux moment, elle s’apprête à se
lever. Quand brutalement le ciel au-dessus de sa tête s’obscurcit d’affreux
nuages tout gris. Damned, se dit Camille, je suis au régime, je ne peux donc
pas manger de chocolat. Intense désespoir. Mais, n’étant jamais à bout de
ressources, une idée lumineuse jaillit de son esprit. « Et si je mangeais un
yaourt à 0 %. Mon envie de chocolat pourrait disparaître et je ne grossirai
pas. » Aussitôt dit, aussitôt fait. Elle court déguster son délicieux yaourt à
0 %. Mais après quelques instants de répit, se trouve de nouveau taraudée
par son irritante envie de chocolat. Bien, se dit-elle, un deuxième yaourt à
0 % devrait pouvoir venir à bout de cette gêneuse. Et hop, un autre yaourt à
0 %. Malgré cela, quelques instants plus tard, elle se trouve, de nouveau,
tiraillée par la pensée de son insistant carré de chocolat. N’y tenant plus et
puisque rien n’y fait, elle décide finalement de satisfaire son inusable envie.
Et là, un étrange phénomène, tout à fait inattendu, se produit. Camille se
révèle incapable de se contenter d’un carré de chocolat et croque, sans
même y réfléchir, la moitié de la tablette.
Que s’est-il passé ? Eh bien, avant toute chose, Camille qui n’avait
envie que d’un carré de chocolat, 20 calories, a fini par manger deux
yaourts à 0 % et une demi-tablette de chocolat, soit finalement 400 calories.
Comment en est-elle arrivée là ? Tout simplement en partant du
raisonnement, partagé par la plupart des mangeurs et probablement aussi les
lecteurs de ce livre, que certains aliments font grossir alors que d’autres ne
font pas grossir. Ce qui, pour finir, lui a fait perdre le contrôle de sa
consommation d’aliments interdits, le chocolat, tout autant que celle
d’aliments autorisés, les yaourts à 0 %. Ces derniers, il faut bien l’admettre,
n’étaient pas du tout prévus dans le scénario original qui prévoyait
uniquement la consommation d’un carré de chocolat, mangé par envie. La
surconsommation de chocolat est toujours relevée par le mangeur. Car elle
s’accompagne systématiquement de reproches et de pensées culpabilisantes
qui l’empêchent de passer inaperçue et aboutissent même à l’idée que le
moindre carré consommé est toujours un carré de trop. En revanche, la
surconsommation d’aliments autorisés ne gêne guère le mangeur qui aura
rapidement tendance à ne pas en tenir compte. Il pourra manger de grandes
quantités de ce type d’aliments sans jamais considérer qu’il se trouve dans
la zone du trop. Comment expliquer ce comportement ? Par quel chemin la
pensée s’est-elle faufilée pour parvenir à cet étrange résultat ?
Si les cognitions concernant la répartition des repas, leur organisation,
le type d’aliments autorisés ou interdits sont faciles à déceler, il en est tout
autrement des mécanismes inconscients qui feront manger le mangeur
restreint sans qu’il puisse s’en rendre compte et grossir sans qu’il en
perçoive les raisons. La croyance selon laquelle certains aliments ne font
pas grossir alors que d’autres produisent l’effet inverse s’accompagne de
modifications essentielles dans les processus cognitifs de la personne qui
auront pour effet de la pousser à surconsommer indifféremment les deux
catégories d’aliments. Cependant, selon qu’il s’agira des aliments
« autorisés » ou des aliments « interdits » les mécanismes cognitifs se
révéleront différents.

Pourquoi manger deux yaourts quand on a envie d’un carré de chocolat ?


Pourquoi Camille a-t-elle mangé deux yaourts, alors qu’elle n’avait au
départ ni faim ni envie de yaourt ? Non seulement, il n’est pas anormal de
manger ce type d’aliments, mais la plupart des prescripteurs de régimes
recommandent même vivement de s’en gaver. En vérité, elle espère ainsi,
en consommant deux yaourts, qui, selon elle, n’auront pas d’incidence sur
son poids, se débarrasser ainsi de son envie de chocolat. Elle ne
surconsomme pas les yaourts parce qu’elle a très faim, mais parce qu’elle
pense qu’une fois son ventre plein elle se protégera de ses envies d’aliments
interdits qui lui taraudent tellement l’esprit. Mauvais calcul, elles ne
disparaissent pas.
Le fait remarquable est que Camille mange pour des raisons qui n’ont
plus rien à voir avec sa faim. Ce n’est pas la faim qui la pousse à
surconsommer ces aliments « autorisés ». Ce ne sont pas des sensations
alimentaires qui la guident, mais bien l’idée qu’elle ne succombera pas ainsi
à ses envies de chocolat. Ce à quoi nous assistons dans cet acte, c’est la
façon dont une idée est venue prendre la place d’une sensation alimentaire.
Une pensée inconsciente vient de se substituer à une sensation et marquer la
présence de la restriction cognitive.

Si je mange beaucoup d’aliments « autorisés » je


n’aurai pas envie de manger des aliments « interdits ».

Ce processus se retrouve aussi bien au sein des repas ordinaires. Le


mangeur consomme sans retenue des légumes, des viandes maigres et des
laitages écrémés afin de se protéger de ses envies de desserts. L’objectif
inconscient est de faire disparaître la faim, avec l’espoir secret de résister à
ses envies d’aliments défendus. Il mange donc au-delà de sa faim et
s’expose au risque de succomber deux heures plus tard à la vue de l’aliment
convoité.

Pourquoi manger une tablette de chocolat quand on avait envie de n’en


prendre qu’un seul carré ?
Quant au chocolat, pourquoi notre mangeuse est-elle devenue incapable
de se contenter du seul carré de chocolat qui lui faisait envie au départ ?
Peut-être lutte-t-elle depuis longtemps contre la frustration et la privation et
se comporte-t-elle comme s’il lui fallait rattraper en une fois tout le retard
accumulé ? Cette explication s’avère insuffisante puisque certains mangeurs
restreints sont capables de répéter cette petite scène chaque jour et, par
conséquent, ne peuvent être soupçonnés de manquer de chocolat. C’est un
tout autre processus mental qui lui fait perdre le contrôle. Dans sa logique
de pensée, en cédant au carré de chocolat, Camille a le sentiment de
commettre une faute. Elle mange, selon elle, un aliment qui la fera grossir
et transgresse donc ses règles amaigrissantes. Mais comme il s’agit, par
ailleurs, d’une personne déterminée à maigrir, elle se dit naturellement
qu’elle ne commettra plus cette faute le lendemain ni le surlendemain.
Demain, elle tentera le sans-faute, le sans-chocolat et instaure, sans en
prendre conscience, un état de manque. Or quelle meilleure manière de se
préparer à la pénurie qu’en constituant des provisions. Bien souvent, les
patients qui se rendent à leur première consultation n’agissent pas
autrement : « Je me suis dit que vous alliez me mettre au régime, alors j’en
ai profité un peu avant de commencer. » De la même façon, il n’est pas rare
que la décision de débuter son régime le lundi se solde par des repas
anormalement copieux le dimanche : « J’enterre ma vie de gros. »
Beaucoup de mangeurs restreints se comportent d’ailleurs avec la nourriture
comme si c’était tous les jours dimanche. Et plus généralement, quand les
Français ont appris que le sucre viendrait à manquer, ils ont pris d’assaut les
supermarchés et les ont dévalisés. Certains l’ont même stocké dans le
coffre-fort de leur banque. Sans céder à la panique, on pourrait même
admettre qu’une attitude prévoyante et raisonnable consiste tout
naturellement à anticiper la pénurie en faisant des provisions avant la
traversée du désert. C’est exactement ce que fait notre mangeuse de
chocolat.
Ce comportement n’est donc pas dicté par des sensations alimentaires.
Encore une fois, ce n’est pas la faim qui pousse Camille à manger toute sa
tablette de chocolat. Ni même l’envie. Son envie se limitait au départ à un
seul carré. Non, c’est une idée qui la fait manger. L’idée que demain il n’y
aura plus de chocolat et qu’il faut prévoir la pénurie et anticiper le manque
à venir.

Si je consomme un aliment interdit, je dois en manger


beaucoup car je n’y aurai plus droit par la suite.
La métaphore de la mallette remplie de billets de banque vous permettra
sans doute de mieux comprendre l’état d’esprit dans lequel se trouve le
mangeur restreint à la différence du mangeur régulé.

Le mangeur restreint
Supposons que je dispose face à vous une mallette remplie de
billets de banque et que je vous dise : « Vous avez le droit de prendre
dans cette mallette tout l’argent que vous voulez sans rien devoir à
personne. Mais attention, demain je retire la mallette. » Devant une telle
proposition, il est normal d’emporter tout le contenu de la mallette. Une
telle occasion ne se représentera pas deux fois. Demain, l’argent
manquera.

Le mangeur régulé
En revanche, imaginons que je vous dise : « Vous pouvez prendre
autant d’argent que vous le désirez mais demain la mallette sera
toujours là, et après-demain et la semaine prochaine et aussi longtemps
que vous le souhaiterez. Et même mieux, je remplacerai chaque jour
tout l’argent que vous prendrez. » Pourquoi alors prendre tout l’argent
et s’encombrer d’un poids inutile ? Autant prendre ce qui est nécessaire
pour les dépenses de la journée. Et demain, refaire la même chose.
« J’en prendrai plus si j’ai de plus grandes dépenses et peut-être n’en
prendrai-je pas du tout si je n’ai besoin de rien. »

Ainsi cette croyance « aliments interdits-aliments autorisés » se révèle-


t-elle une formidable machine de guerre dirigée contre le mangeur lui-
même et destinée à l’encourager à manger avec une redoutable efficacité.
Le mangeur surconsomme tous ses aliments sans aucun rapport avec ses
sensations alimentaires qui traduisent ses vrais besoins physiologiques. Ce
qu’il mange, ce sont des idées : anticiper la pénurie, ne pas avoir faim, se
protéger de ses envies. Tandis que les émotions qui les accompagnent seront
dominées par la peur de manquer, la peur d’avoir faim, la peur de
succomber à ses envies. Rien d’étonnant à ce que la prédominance des idées
et des émotions négatives l’empêche de percevoir correctement ses
sensations alimentaires et aggrave leur confusion. Voilà pourquoi nous
pouvons parler de restriction cognitive. Voilà également pourquoi la
restriction cognitive n’implique pas obligatoirement une restriction
calorique et peut même s’accompagner d’une augmentation du poids.

Les conséquences du schéma


« aliments interdits-aliments autorisés »

1. Quelle que soit la catégorie d’aliments, le mangeur risque de trop


manger et de prendre du poids.
2. Les consommations d’aliments ne sont plus guidées par des
sensations alimentaires mais par l’idée qu’on se fait de la bonne
manière de manger.
3. Les sensations alimentaires se brouillent puis disparaissent.

Ces émotions qui font manger


Permettez-moi de ne pas tout vous révéler dès le début de ce livre et de
conserver un peu de suspens pour la suite de notre récit. Je vous dirai
seulement que toutes ces idées inconscientes sur les aliments génèrent des
émotions qui modifieront profondément le comportement alimentaire du
mangeur. Nous les désignerons sous le nom d’émotions induites car elles
sont induites par la relation du mangeur avec ses aliments et, dans ce cas
particulier, par la restriction restrictive. Il faut les distinguer des émotions
extra-alimentaires qui sont provoquées par l’appréciation que les personnes
font d’une situation. Nous retrouverons les émotions induites plus loin dans
le chapitre « Je mange des aliments interdits ». Elles s’organisent autour de
la peur d’avoir faim, de la peur de manquer, du sentiment d’insécurité, du
couple redoutable frustration-culpabilité et du trouble du réconfort. Ces
émotions négatives contribuent mieux que toute autre chose à l’effacement
des signaux internes et, là encore, à inciter le mangeur à surconsommer tous
ses aliments. Néanmoins, nous pouvons déjà en envisager les conséquences
sur les sensations alimentaires.
Je confonds la faim et l’envie
Manger en fonction de ce que l’on pense devoir manger sans tenir
compte de ce que l’on ressent finit aussi par créer beaucoup d’envies.
Progressivement, la « pauvre » Camille s’aperçoit qu’elle a bien plus
souvent qu’avant envie de manger les aliments qu’elle a supprimés ou
fortement réduits. « Je me mets à manger des aliments que je ne mangeais
jamais auparavant et pour lesquels je n’avais même aucune attirance. » À
son insu, pernicieusement, les envies commencent à prendre le pas sur la
faim. Bien que ce soit assez frustrant, il est encore possible à ce moment
d’y résister. Pour apaiser ses envies, la « pauvre » Camille décide donc de
s’accorder quelques écarts « raisonnables ». D’autant qu’on l’aura mise en
garde : un régime trop sévère se termine toujours mal. S’octroyer un petit
extra ralentira sans doute sa perte de poids, mais permettra finalement de
reprendre le régime dans de meilleures conditions. Donc pourquoi ne pas
accepter de goûter ce délicieux gâteau gentiment proposé un dimanche
après-midi, et peut-être aussi ces pommes de terre sautées, savamment
relevées à l’ail, sur la carte de cet agréable restaurant ? Mais malgré tout,
ces petites faveurs peuvent s’avérer insuffisantes et les envies pourront se
faire plus insistantes et imposer une résistance plus ferme. La résistance
pourra même parfois prendre une tournure quasi héroïque. Voici, de
nouveau, quelques extraits du carnet alimentaire de Camille :
— Aujourd’hui, je fais des courses à Montparnasse. J’ai envie de crêpes
au chocolat, mais je résiste.
— Ce soir, dîner normal. J’ai envie de pain, mais je n’en ai pas pris.
— J’ai envie de manger des frites. Mais non, j’ai résisté. J’ai aussi envie
de chocolat au lait, j’ai aussi résisté.
— Nous sommes invités chez nos amis, je ne touche pas aux amuse-
gueules.
— J’ai mangé une tarte au citron. Je suis incapable de résister aux
fringales.
Il y avait des pommes de terre sautées, ça m’a donné très envie. Mais
j’ai résisté.
— Je déjeune au Quick avec Robert. Je prends une salade, mais j’ai
envie de frites.
— J’ai toujours des envies pas raisonnables.
— Je n’ai pas pu résister aux rillettes au saumon.
— J’ai pris des épinards, mais j’aurais bien pris des frites.
— Nous passons devant la boulangerie, j’ai senti l’odeur des croissants
et j’en ai eu envie.
Puis, peu à peu, ce sont les envies qui l’emporteront. Et notre mangeuse
ne réalisera plus que ce qu’elle prend pour de la faim n’est en réalité que
son envie de manger. Elle confondra la faim et l’envie de manger ainsi que
l’« encore faim » avec l’« encore envie » de manger. « J’ai tellement
toujours envie que je ne sais plus si j’ai faim. » Les sensations
s’estomperont derrière un brouillard d’envies qui les rendra ininterprétables.
Elle ne réalisera pas que les sensations qu’elle perçoit sont fausses. Elle
pensera manger « normalement », c’est-à-dire commencer à manger quand
elle a faim et s’arrêter quand elle n’a plus faim. Et affirmera avoir toujours
faim avant de manger et généralement s’arrêter de manger quand elle n’a
plus faim.

Jean-Pierre est un homme imposant de 145 kg et 1,90 m. Il fait,


pour la première fois, quelques observations sur sa façon de manger.
Voici ce qu’il mange. Il consomme, environ toutes les trois heures,
d’importants repas ou collations.
Aujourd’hui, je n’ai pas pris de petit déjeuner. J’ai déjeuné vers
14 heures, j’avais très faim. J’ai bu un demi-litre de chocolat au lait et
mangé trois pains au chocolat et un pain aux raisins. Je n’étais pas
totalement rassasié, mais j’ai pensé que je prendrai un goûter un peu
plus tard dans l’après-midi. Je me suis mis au travail sur mon ordinateur
puis, vers 19 heures, j’avais encore faim et je me suis donc préparé un
sandwich au saucisson dans une demi-baguette. J’aurais facilement pu
prendre un dîner complet. Mais j’étais trop occupé par mon travail. À
21 h 30, ma femme est rentrée et nous avons dîné. J’avais toujours
faim, nous avons donc cuisiné des tagliatelles fraîches à la crème et au
roquefort copieusement accompagnées de fromage râpé, ainsi que des
rouleaux au fromage. J’avais un peu mal au cœur en me levant de table,
mais c’est passé assez vite. Je suis retourné travailler et vers 22 h 30,
j’avais encore un peu faim et surtout j’avais envie de prendre quelque
chose de sucré. J’ai mangé la moitié d’un paquet de gâteaux secs au
chocolat, deux yaourts et un demi-litre de Coca. C’était mon dessert.
J’ai encore travaillé jusque vers 2 heures. Avant de me coucher, j’avais
encore l’impression d’avoir faim. Je me suis donc confectionné un
sandwich au jambon dans une demi-baguette et j’ai terminé la bouteille
de Coca. J’étais rassasié et enfin prêt à dormir.

Jean-Pierre assure donc qu’il mange assez sans que ce soit jamais trop.
Il est bien conscient de consommer de grandes quantités de nourriture. Ses
amis ne se privent d’ailleurs pas de le lui faire remarquer. Mais il ne perçoit
jamais le trop. Comme il grossit régulièrement, il se doute également qu’il
doit trop manger, mais il ne saurait dire à quel moment il l’a ressenti. Si
Jean-Pierre est un grand mangeur, les mêmes phénomènes s’observent
également chez de plus petits mangeurs qui consomment de bien moindres
quantités de nourriture, néanmoins trop importantes par rapport à leurs
besoins réels. Si les grands mangeurs peuvent se douter qu’ils mangent trop,
les petits mangeurs auront de plus grandes difficultés à s’en convaincre. Les
quantités de nourriture qu’ils consomment peuvent leur sembler
« normales » s’ils les comparent à ce que mangent la plupart des personnes
de leur entourage et, ainsi, avoir du mal à réaliser qu’ils mangent au-delà de
leurs besoins. Les études énergétiques ont montré que certaines femmes très
sédentaires pouvaient, de nos jours, facilement se contenter de
1 500 calories quotidiennes. Il leur sera donc très difficile d’admettre et de
réaliser qu’une alimentation normale pour la moyenne des femmes (1 800
calories) est excessive pour les besoins qui sont les leurs.
Le mangeur peut aussi confondre la faim avec d’autres sensations
physiques comme la douleur, la fatigue ou le manque de sommeil. Sophie
réalise : « J’ai une colopathie et donc souvent le ventre qui gonfle dès que je
suis un peu fatiguée ou contrariée. Je pensais que c’était de la faim. Je viens
seulement de comprendre que c’était différent. » Bertrand : « Je m’aperçois
que la fatigue me fait manger. J’ai l’impression d’avoir très faim. »
Pierrette : « Je mange beaucoup plus quand je n’ai pas assez dormi. J’ai
l’impression que cela me soutient. » Ce sont parfois des émotions comme la
colère, la tristesse, la déception ou même la joie qui peuvent être prises pour
de la faim. Dans cette situation, la personne ne mange pas pour se consoler,
apaiser une tension ou obtenir un réconfort, elle est convaincue d’avoir
faim. Elle éprouve, dit-elle, un besoin physique de manger. Les sensations
deviennent floues et imprécises et le mangeur ne parvient plus à interpréter
ce qu’il ressent.

Troisième stade : que sont mes sensations devenues ?


Après quelques années de guerre contre la nourriture, le mangeur finit
par devenir incapable de distinguer ses pensées de ses sensations. Les idées
se sont tellement substituées aux sensations alimentaires qu’il lui devient
impossible de savoir s’il pense ou s’il ressent. Ses sensations sont
disqualifiées et ne gouvernent plus les consommations du mangeur. À ce
stade, le contrôle sensoriel n’existe plus et doit céder la place aux maigres
capacités du contrôle mental de l’individu. S’il était attentif, le mangeur
pourrait prendre conscience que ses sensations ne sont plus simplement
confondues, mais qu’elles disparaissent. Si la faim est difficile à distinguer,
le rassasiement et la satiété lui causeront encore plus de difficultés. Au
cours du repas, il ne sent pas qu’il mange trop mais se dit, après coup, qu’il
a dû trop manger parce qu’il se sent lourd : « C’est trop pour ma tête mais
pas pour mon estomac. J’essaye de me servir des doses à peu près
raisonnables et j’essaye de m’arrêter quand c’est fini. Je pourrais sinon
manger des quantités industrielles. » Ou bien, il ne s’arrête pas de manger
car il se sent rassasié mais parce qu’il pense que c’est assez. « J’en aurais
bien pris une deuxième fois, mais il paraît que ce n’est pas raisonnable. Je
vais donc m’arrêter là », ou : « J’ai fini mon repas sans pour autant avoir
l’impression de ne plus avoir faim. Mais mon cerveau me disait qu’a priori
je n’avais plus faim. » En réalité, il est devenu incapable de distinguer
l’assez mangé du trop mangé. « Je sais que je suis censé ne plus avoir faim,
mais je n’ai pas cette sensation d’être rassasiée. »
— Comment savez-vous que vous avez assez mangé ?
— Parce que j’ai mangé les mêmes portions que les autres.
— Mais avez-vous les mêmes besoins que les autres ?
— Non, mais je me suis dit que ce n’était pas trop !
Contrairement à ce qui est souvent prétendu, l’absence de limite ne
concerne pas seulement les aliments « interdits ». Il est vrai qu’il est plus
facile de remarquer les surconsommations de gâteaux ou de fromages car
elles se déroulent généralement sous une forme compulsive ou presque
toujours accompagnées de leurs inséparables marqueurs, les reproches et la
culpabilité. De ce fait, quelles que soient les quantités, elles passent
difficilement inaperçues. Mais un mangeur attentif finit rapidement par
s’apercevoir que ses difficultés à s’arrêter de manger quand il n’a plus faim
concernent tout autant des aliments jugés plus inoffensifs. La prise de
conscience concerne en premier lieu les aliments « interdits », mais en
second lieu, il est difficile de ne pas admettre que le phénomène est général.
L’absence de limite intéresse tous les aliments. Voici maintenant ce qu’écrit
la « pauvre » Camille :

Je mange le plus souvent parce que c’est l’heure mais j’ai rarement
faim avant les repas. Je pense même que je pourrais facilement les
sauter. J’ai même l’impression que je ne mangerais jamais si j’attendais
d’avoir faim. Surtout, je n’ai jamais l’impression d’être rassasiée. Je
pourrais facilement continuer. Si je m’arrête, c’est parce que je me
raisonne.

Camille n’éprouve plus de rassasiement, les aliments ne la nourrissent


plus. Après le repas, elle pourrait continuer à manger jusqu’à ce que son
estomac l’implore d’arrêter. C’est la seule limite qui lui reste. En l’absence
de ses sensations alimentaires, Camille se verra dans l’obligation d’exercer
un contrôle mental exclusif sur ses prises alimentaires : elle ne ressentira
plus ses sensations et se verra contrainte de les remplacer par des pensées
ou des sensations imaginées. Elle se trouvera dans l’obligation de manger
avec sa tête. À ce stade, le discours peut devenir étrangement surréaliste.
— Vous avez mangé un yaourt à 0 % au milieu de l’après-midi, aviez-
vous faim ?
— Sûrement, puisque je l’ai mangé.
— Vraiment ?
— Non, finalement, je crois que j’avais envie d’un carré de chocolat.
— Ce n’était donc pas de la faim mais de l’envie.
— Peut-être bien.
Ou bien :
— Pourquoi mangez-vous ?
— Parce qu’il est l’heure.
— Mais avez-vous faim ?
— Sûrement, puisqu’il est l’heure.
Ou encore :
— En fait, j’avais très faim. Enfin, je crois. Alors j’ai préféré prendre une
tasse de thé. On verra bien.

Plus j’en ai, plus j’en mange


Dans ces conditions, plus la nourriture proposée est copieuse plus la
personne mange. N’ayant plus de rassasiement, les limites sont souvent
constituées par la dimension de l’assiette, la taille du paquet de gâteaux
secs, la longueur du sandwich. « J’ai rarement constaté n’avoir plus faim
avant d’avoir terminé mon assiette. » Ou : « Je me contrôle sans cesse et
essaye de prendre de petites quantités. Il est évident que j’arrête de manger
parce qu’il ne reste plus rien à manger. » À ce stade, je me permets
d’émettre une hypothèse concernant l’aggravation de l’obésité aux États-
Unis. Les Américains sont devenus, depuis vingt ans, les champions de
l’alimentation allégée. Tout ce qui se mange sur cette terre existe chez eux
en deux versions, l’une traditionnelle, l’autre allégée. Dans le même temps,
la taille de leurs portions habituelles a augmenté de 15 %. La plupart des
Français sont stupéfaits des portions qui leur sont servies là-bas et se
trouvent généralement bien incapables de les terminer. En France, où les
campagnes de prévention contre l’obésité contribuent maintenant au
développement de la restriction cognitive, on imagine facilement que la
plupart des personnes qui ne parviennent plus à déterminer correctement
leur seuil de satiété surconsomment d’énormes quantités d’aliments allégés
qui les font grossir sans qu’elles le réalisent. Il est légitime de penser que
l’obésité a toutes les chances de continuer à progresser dans notre pays.
On imagine sans effort comment ce handicap, constitué par
l’effacement du rassasiement, va dans le même temps renforcer les interdits
alimentaires. Quand il constate qu’il lui est si difficile de savoir quand
s’arrêter de manger, le mangeur comprend vite où se situe son intérêt.
Mieux vaudra pour lui consommer en excès des aliments pauvres en
calories que des aliments riches. J’ai longtemps pensé que cette sélection
alimentaire était le simple résultat d’une diététique interdictrice. En réalité,
je pense aujourd’hui que la plupart des mangeurs finissent par s’imposer
eux-mêmes ces interdits car ils en connaissent les dangers pour eux. C’est
probablement aussi ce qui explique, en partie, qu’ils se prescrivent souvent
des régimes bien moins tolérants que ceux préconisés par les médecins :
« Comme je ne saurai pas m’arrêter, je préfère me passer de fromage plutôt
que d’en manger un peu. »
Dans la plupart des cas, les mécanismes habituels du rassasiement sont
devenus inopérants, et seul reste le mécanisme de la distension gastrique.
Pour le mangeur, avoir assez mangé devient alors synonyme d’avoir le
ventre plein. Certains finiront même par dire : « Je sais que j’ai assez mangé
quand j’ai le ventre plein et que je ne peux plus rien avaler. » Les limites
sensorielles n’existent plus. Il ne reste plus que les limites de la paroi de
l’estomac… et les mentalisations de la personne. « Ce n’est pas la sensation
d’être rassasié qui m’arrête mais le fait que mon estomac soit plein, ce qui,
en général, signifie que j’ai trop mangé. » Pour certaines personnes, avoir
assez mangé ne signifie rien d’autre que ne plus pouvoir manger. Autant
dire, dans ces conditions, qu’il vaut mieux pour elles se nourrir de
courgettes bouillies que de tartines de foie gras. Il est terrifiant de penser
que certains spécialistes sont convaincus qu’une alimentation de faible
densité calorique est une des meilleures garanties de la perte de poids. Ils ne
font qu’aggraver le handicap de la personne, la privant davantage de se
servir de ses sensations alimentaires et l’incitant à manger jusqu’à ce que
son estomac l’implore d’arrêter.

Balance, jolie balance, dis-moi si j’ai bien mangé


En l’absence de sensations, un autre moyen de savoir si l’on a trop ou
assez mangé consiste à interroger sa balance en se pesant chaque matin.
Dans ce cas, un poids stable confirme que l’alimentation était suffisante.
Une augmentation du poids signifie que demain il faudra réduire et faire
plus attention, et une diminution du poids pourra éventuellement signifier
que l’on pourra au contraire s’accorder une petite récompense et manger un
petit peu plus. Il s’agit là d’une pratique courante chez les boulimiques ou
les anorexiques à qui il arrive de se peser parfois juste après le repas pour
vérifier qu’elles n’ont pas trop mangé et que l’on retrouve chez les sujets
restreints. La perte des sensations finit par évoluer en obsession de la
balance. Chaque matin Camille interroge sa balance pour savoir ce qu’elle
pourra manger et, chaque soir, elle vérifie si tout s’est bien passé.
J’y pense tout le temps, c’est une obsession
Peut-être certains lecteurs ont-ils déjà éprouvé de véritables obsessions.
Je ne parle pas de simples préoccupations un peu exacerbées. Non, il s’agit
là de véritables obsessions. De celles qui s’emparent de vous vingt-quatre
heures sur vingt-quatre. Qui ne vous lâchent jamais, à aucun moment de la
journée. De celles qui vous réveillent le matin, vous accompagnent tout au
long de la journée, vous empêchent de vous endormir le soir et vous
réveillent la nuit. Une obsession, ce sont des pensées qui vous envahissent
et occupent tout votre esprit. Elles vous empêchent de penser à d’autres
sujets et de vous concentrer sur votre travail, vos projets, votre vie
quotidienne. Que ceux qui n’ont jamais connu cet état se rappellent
simplement les premiers moments de leurs passions amoureuses et ils
parviendront à se faire une idée de ce à quoi ressemble une obsession.
Vous trouverez sûrement que j’exagère ou que je dramatise
volontairement pour attirer votre attention. Il est vrai que chez la plupart des
patients, les obsessions n’atteignent pas ce degré d’intensité, mais chez
certains sans aucun doute. Leur obsession, c’est la nourriture. Quoi manger
et comment résister à des envies qui les submergent. Et croyez-moi quand
je vous affirme qu’ils supplient qu’on les en délivre. « Je ne veux plus être
obsédé par mon poids ni par ce que je mange. Je veux avoir la paix, je veux
être libre. Je veux devenir comme tout le monde et pouvoir m’arrêter de
manger quand je n’ai plus faim », ou : « Je vous en prie, dites-moi ce que je
dois manger et en quelle quantité. Je ne veux plus avoir à réfléchir », ou
encore : « J’en ai marre de manger. Je n’ai jamais faim, je mange toujours
trop. Je ne peux pas faire autrement. Il faut absolument que cela s’arrête. »
Me croirez-vous si je vous dis que certaines personnes sont même d’accord
pour reprendre du poids en échange d’être libérées de leurs obsessions,
« pour seulement ne plus avoir à y penser » ?

PLANNING
L’état de régime permanent ou la restriction cognitive.

Les obsessions sont parfois si présentes qu’elles peuvent venir entraver


le déroulement normal de la journée de travail. Caroline raconte : « Dans
l’après-midi, j’ai des difficultés à me concentrer sur mes dossiers. Je suis
obligée de quitter mon bureau plus tôt sans finir tout mon travail. » Ou
Laura : « Dès l’heure du déjeuner, je crève de faim. Je ne tiens plus. Je me
suis arrangée avec mes collèges pour partir la première du bureau et me
rendre au self à 11 h 30. Dans la queue, j’ai tellement faim que j’entends les
sons s’estomper, comme dans de l’ouate et j’ai les oreilles qui
bourdonnent. » Parfois, c’est le déroulement du repas lui-même qui peut
être perturbé par les envies de manger : « Au cours des repas, je ne me
rends même pas compte de ce que je mange, je suis complètement obsédée
par le dessert. Il n’y a que ça qui m’intéresse. Je commence à y penser dès
que je m’installe à table. » Et voilà encore ce qu’écrit la « pauvre » Camille
dans son carnet alimentaire :

Dès le matin, après mon petit déjeuner, je suis déjà fébrile à l’idée
de ce que je mangerai à midi. À 11 heures, je commence à regarder ma
montre et à débuter le compte à rebours en attendant le déjeuner. En
attendant, je bois 2 litres d’eau pour ne pas avoir faim. Quand j’arrive
au self, je ne sais pas quoi choisir tant j’ai envie de tout. Je choisis
toujours le plus light, les poissons et les légumes et je résiste au
fromage et au dessert pour ne pas ressembler à une grosse bonbonne.
Dans l’après-midi, je reprends 2 litres d’eau pour me remplir le ventre
et résister à mes envies. Malgré tout, vers 18 heures je commence déjà à
avoir faim. Mais je ne mange pas. J’imagine qu’un jour, j’irai manger
tous les gâteaux de la pâtisserie. Mais pas aujourd’hui. Puis j’arrive à la
maison et je me mets à table le plus vite possible. Je sais que si ce n’est
pas prêt très vite, je me jetterai sur toutes les cochonneries qui traînent,
le pain, le fromage, les gâteaux d’apéritif, n’importe quoi. Après le
dîner, je continue à me gaver de thé pour résister à mes envies de
manger du chocolat. Je pense à la bouffe du matin au soir.

Cet envahissement de la pensée par la sphère alimentaire s’accompagne


toujours d’une résistance acharnée pour ne pas succomber à ses tentations.
Mais plus la résistance s’intensifie, plus les résolutions sont fortes, plus les
obsessions s’amplifient et les compulsions se profilent. « Chaque matin, je
me lève avec de nouvelles promesses de ne pas craquer : aujourd’hui
j’arrête les bêtises et je recommence pour de bon. Toute la journée, je me
répète : tu ne craqueras pas, tu ne craqueras pas… Sur le chemin du retour
quand je rentre à la maison après mon travail, je me répète : tu n’achèteras
pas de tartes, tu n’achèteras pas de tartes, tu n’achèteras pas de tartes… Et
sans que je comprenne comment c’est possible j’entre dans la pâtisserie et
je dis : “Donnez-moi une tarte.” » Caroline, elle, se force à mettre hors de
sa portée tout aliment tentateur : « Je m’oblige à ne mettre dans mon frigo
que les aliments que j’aime le moins pour ne pas être tentée. Je me restreins
sur la quantité et la qualité. Ça m’agace. Mais je me raisonne parce que je
l’ai voulu. Alors j’essaye d’oublier les aliments, ma faim et mes envies.
Comme les gens me disent que je maigris ça m’encourage. Mais moi, j’ai
envie tous les jours de pizza, et je me répète : “Non, tu n’en mangeras pas.
Non, tu n’en mangeras pas…” Alors, forcément, un jour, je finis par
craquer. »
Quand on ne sait plus ce qu’il faut manger, la pire épreuve devient celle
du choix. Comment savoir ce qu’il faut choisir ? Faut-il prendre ce qui fait
le moins grossir ou ce qui fait le plus plaisir ? Existe-t-il des aliments qui
fassent plaisir sans faire grossir ? Mais s’ils font grossir, combien aurai-je le
droit d’en prendre ? Mais si je commence, saurai-je m’arrêter ? Faudra-t-il
que je rattrape mon écart au repas suivant ? Mais j’ai déjà fait un écart au
repas précédent… C’est un discours sans fin qui explique qu’une personne
dans cette situation peut passer plus de vingt minutes à choisir un plat sur la
carte d’un restaurant. Parfois sans trouver la solution qui lui convienne, la
contraignant ainsi à passer des commandes totalement alambiquées :
« J’aimerais beaucoup prendre la salade piémontaise, mais à la place des
pommes de terre, pourriez-vous me mettre des haricots verts et au lieu de la
mayonnaise est-ce que vous ne feriez pas des vinaigrettes allégées, mais
sans huile ? »
Sylvie raconte son déjeuner au self de son entreprise : « Comment
éviter les calories ? Aurai-je le courage ou non de résister ? Je passe direct
devant les desserts. Il me faut un temps fou pour choisir un plat. Deux
heures pour peser le pour ou le contre. Brugnon contre cerises, yaourt 0 %
aux fruits contre yaourt entier nature. Mon rêve, ce serait un cuisinier qui
me fasse 1 200 calories de bouffe top délire sans que je ne m’occupe plus
de rien pour que je ne me pose plus aucune question. » Toute cette
gymnastique du choix masque une incroyable comptabilité. Savoir ce que
l’on va manger le soir impose de se remémorer tout ce que l’on a mangé
dans la journée. « Si j’ai mangé des féculents à midi, je les retire le soir »,
ou : « Comme à 10 heures j’ai eu faim, j’ai mangé un morceau de pain et je
l’ai retiré du déjeuner. » Ici, la spontanéité, la liberté n’ont plus leur place.
Avant de composer le moindre repas, il devient nécessaire de se repasser
tout le listing de ce qui a été consommé au repas précédent.
Rien de surprenant ensuite à ce que l’humeur de ces mangeurs s’en
trouve influencée. Ils deviennent irritables et souvent plus émotifs,
réagissant beaucoup plus vivement à des perturbations mineures. André
s’empêche de manger toute la journée les aliments qui lui feraient plaisir :
« Je me contente généralement au déjeuner d’un plat léger et d’un yaourt. Je
me prive. Je rentre à la maison vers 17 h 30 et là je commence à tourner en
rond. Je ne dois pas manger. Je m’énerve. Faut pas me chatouiller. J’essaye
de m’occuper pour ne pas penser. Et quand l’heure du repas arrive, faut
vraiment pas que ça traîne. Ma femme le sait bien, quand je fais mon
régime, il faut me prendre avec des pincettes. Je peux vraiment devenir très
infect. »

Le quatrième stade : la perte de contrôle ou l’échec du contrôle mental


À ce nouveau stade, la petite bataille contre les kilos qui avait débuté la
fleur au fusil commence à prendre des allures de retraite de Russie. Ce sont
les pertes de contrôle qui dessineront maintenant le paysage alimentaire. Et,
contrairement à ce que l’on pouvait imaginer, l’aspect le plus pénible n’en
sera pas la perte de contrôle elle-même mais sans doute la manière dont
s’organisera la vie de la personne pour en éviter l’apparition. Bien plus que
les compulsions, les modifications qui s’introduisent dans la manière de
manger et dans la pensée de la personne seront bien plus déterminantes
dans les changements qui apparaîtront et qui transformeront infiniment son
profil psychologique.
Une fois les sensations effacées, l’absence de limite est infiniment
douloureuse. Elle impose à la personne, terrorisée par le spectre de
l’obésité, de fixer elle-même, de façon totalement arbitraire, des limites qui
l’empêcheront de grossir. Dans le même temps, les envies de manger ont
remplacé la faim. Elles deviennent de plus en plus pressantes. Et lutter
contre elles nécessite des efforts de plus en plus épuisants et perpétuels.
Résister devient une obsession et une lutte de tous les instants. Jusqu’ici la
bataille avec le poids et la nourriture se limitait à quelques escarmouches,
maintenant la guerre est vraiment déclarée. Quoi qu’il arrive, désormais ce
n’est plus le mangeur qui la gagnera.
Les pertes de contrôle peuvent revêtir des formes et des intensités
différentes. Selon le cas, elles seront décrites comme des grignotages, des
compulsions, des accès hyperphagiques ou des crises boulimiques. Avant
d’entrer dans le détail de leur description, il me semble important de
distinguer deux situations selon que l’émotion déclenchante apparaît avant
ou durant la prise alimentaire.
Dans le premier cas, ce sont essentiellement des émotions extra-
alimentaires qui seront en cause. Chaque fois qu’il éprouve une émotion
négative d’une intensité suffisante, et quelle qu’en soit la nature, le mangeur
y répond en consommant des aliments dont il attend un réconfort. Ces
émotions sont généralement engendrées par des pensées négatives portant
sur lui-même, ses relations avec les autres ou ses conditions de vie. « J’ai
téléphoné à mon amoureux, nous nous sommes disputés. J’ai raccroché et je
me suis jetée sur le frigo. » Dans ce cas, la colère précède la prise
alimentaire. Le mangeur parvient assez aisément à établir un lien de
causalité entre l’émotion qu’il a éprouvée et le chocolat qu’il a englouti.
Bien vite, la colère et le souvenir de la dispute sont remplacés par
d’autres émotions et d’autres pensées, plus familières8. Ces dernières sont
constituées de reproches, de culpabilité, de peur de grossir. Elles nourrissent
la mauvaise opinion que le mangeur a de lui-même : « Je suis nul(le), je ne
peux pas me contrôler, je n’ai pas de volonté. » Plus il s’accable, plus son
envie de manger augmente et plus il grossit. Plus il se voit grossir et plus les
émotions qu’il éprouve lui donnent envie de manger.
Dans le second cas, il s’agira essentiellement d’émotions induites qui
surviennent lors d’une prise alimentaire ordinaire et évoluent
secondairement sur un mode compulsif. Elles sont alors provoquées par le
repas lui-même qui joue le rôle de stresseur : « J’ai beaucoup trop mangé, je
n’aurai jamais dû manger cette frite, je vais devenir énorme. » Dans cette
situation, l’émotion déclenchante n’est pas préalable à la prise alimentaire,
elle est concomitante. Il est souvent beaucoup plus difficile dans ce cas pour
le mangeur d’établir un lien entre une émotion et la compulsion. « Je ne
comprends pas ce qui m’arrive, alors que tout va bien je mange sans
pouvoir m’arrêter. » Cette incompréhension permet de comprendre le
désarroi du sujet face à des pertes de contrôle qu’il ne parvient pas à
s’expliquer et le fragilise davantage.
Quoi qu’il en soit, ce stade de la restriction cognitive consacre l’échec
absolu du contrôle mental qui a presque totalement disparu. Désormais, les
émotions induites et extra-alimentaires, après avoir éliminé toutes leurs
concurrentes, les sensations et les cognitions, exercent le pouvoir absolu sur
le comportement alimentaire.

La célèbre expérience d’Herman et Polivy


Le phénomène de désinhibition a été mis en évidence par Herman et
Polivy9 dans une expérience restée fameuse, au cours de laquelle ils
montrèrent que les mangeurs restreints se comportaient face à la nourriture
d’une manière exactement inverse de celle des mangeurs non restreints. Les
deux chercheurs sélectionnèrent deux groupes de mangeurs, l’un restreint et
l’autre non restreint qu’ils soumirent chacun à trois situations
expérimentales. Dans la première, on observait leur consommation lors
d’un repas ordinaire au cours duquel ils avaient la possibilité de manger les
quantités de leur choix. Comme l’on s’y attendait, les mangeurs restreints se
restreignirent et mangèrent donc moins que les mangeurs non restreints.
Quelques jours plus tard, dans une deuxième expérience, on proposa avant
le repas une collation composée d’un milk-shake. Les mangeurs non
restreints, déjà nourris par leur collation, réduisirent spontanément la taille
de leur repas suivant. Mais, curieusement, les mangeurs restreints se mirent,
quant à eux, à manger davantage. Puis, après encore quelques jours, dans
une troisième expérience, on doubla la taille du milk-shake et le phénomène
s’amplifia encore. Le groupe non restreint éprouva tout naturellement une
faim moindre et régula sa prise alimentaire en diminuant
proportionnellement la taille de son repas. À l’inverse, le groupe restreint
sembla complètement échapper à cette régulation et maintint ou augmenta
la taille du repas qui suivait. Tout se passa comme si la glace au chocolat
avait joué le rôle de déclencheur. Les sujets restreints perdirent leur contrôle
habituel et se désinhibèrent. Au point où j’en suis… disent les patients.
Les expérimentateurs ont pu montrer que l’on obtenait le même résultat
avec des aliments allégés, pour peu que l’on prenne le soin de laisser croire
aux sujets qu’ils consommaient des aliments « interdits ». La simple idée de
transgresser ses règles de régime suffit à conduire le sujet au même état de
désinhibition. Il lui suffit simplement de croire qu’il mange des aliments
« interdits » pour perdre son contrôle. Les auteurs concluent donc que les
mécanismes dérégulateurs sont essentiellement cognitifs. Et sont la
conséquence de la prédominance des croyances alimentaires du sujet sur le
contrôle physiologique par les sensations alimentaires. Depuis, beaucoup
d’autres études ont confirmé l’absence ou l’inefficacité du contrôle
sensoriel des prises alimentaires chez les sujets restreints10.

Consommation au cours d’une collation chez deux groupes de personnes


dans trois conditions : 0 = aucune précharge ingérée avant la collation ;
1 = milk-shake consommé avant la collation ; 2 = une double part de milk-
shake consommée avant la collation.
Êtes-vous un mangeur compulsif ?
Le dénominateur commun de toutes les formes de désinhibition est le
sentiment de perte de contrôle constant qui les accompagne ainsi que le
train de reproches qui s’y associe. La compulsion en est la manifestation la
plus ordinaire.
La compulsion se définit médicalement comme une envie irrépressible
de manger un aliment avec ou sans passage à l’acte et indépendante de la
quantité consommée. Il n’est donc pas nécessaire de constater la
consommation de l’aliment convoité pour parler de la compulsion. Ou
quand la personne succombe à son envie, la consommation de l’aliment
peut se résumer à un simple carré de chocolat ou s’étendre à tout un paquet
de gâteaux secs. Mais, chaque fois, elle est soulignée par la culpabilité et le
sentiment de transgresser une règle. Bien des patients parviennent à ne pas
succomber à leurs envies sur des périodes étonnamment longues.
Néanmoins, le coût de cette résistance peut s’avérer très élevé et passer
totalement inaperçu. Et c’est pourquoi plusieurs auteurs ont pu souligner
l’absence de perte de contrôle dans les comportements de restriction
cognitive. Cependant, s’il n’est pas toujours possible de mettre directement
en évidence les épisodes compulsifs, il est souvent possible d’en démontrer
l’existence en relevant tous les efforts déployés par le patient pour résister à
ses envies de manger. C’est dans cette mesure aussi, et essentiellement, que
la perte de contrôle peut dominer la vie du mangeur. Non parce qu’il y
succombe, mais au contraire par tous les efforts qu’il déploie pour ne pas y
succomber. Quand un phénomène n’est pas observable, il est parfois
possible de le deviner en dessinant son ombre.

Êtes-vous un mangeur hyperphage ?


Retrouvons Jean-Pierre qui, avec ses 145 kg et sa manière particulière
de manger, présente le comportement caractéristique du mangeur
hyperphage. Il peut absorber des quantités de nourriture deux à trois fois
supérieures à ce que consommerait un mangeur ordinaire dans les mêmes
circonstances. Il mange si vite qu’il peut, malgré cela, finir de manger avant
la plupart des autres convives. Jean-Pierre a bien conscience de manger
d’aussi grandes quantités, mais ne peut s’empêcher d’agir autrement. Il
n’éprouve aucune satiété et ne trouve donc aucune raison de s’arrêter de
manger avant que son estomac ne soit complètement rempli. Ses repas sont
généralement suivis d’importantes douleurs abdominales le conduisant
parfois à devoir s’allonger avant de reprendre ses activités habituelles.
Chaque fois qu’il pense avoir faim, il mange jusqu’à n’en plus pouvoir. Il
ne parvient jamais à s’arrêter avant d’en arriver à ces extrémités. Quand il
s’astreint à un régime, il doit faire appel à de grands efforts de volonté tout
en sachant très bien qu’il pourrait continuer de manger très au-delà de la
limite qu’il s’est imposée. Dès qu’il relâche son contrôle, ses anciens
comportements ressurgissent tout naturellement. Quand il décide de
maigrir, Jean-Pierre n’a aucune difficulté à s’empêcher de manger. Il est
doté d’une grande force de caractère mais se rend compte qu’il ne lui est
pas possible de se concentrer à ce point et en permanence sur sa manière de
manger pour en assurer la maîtrise. Il est psychologiquement très affecté par
ce qu’il perçoit comme une anomalie. Il éprouve face à ce phénomène un
sentiment d’impuissance qui le déprime profondément. Ses efforts,
psychiquement coûteux, sont continuellement réduits à néant et lui donnent
le sentiment de se mener une guerre qu’il doit chaque fois recommencer.

Critères de l’hyperphagie boulimique

• Survenue récurrente de crises boulimiques. Une crise de


boulimie répond aux deux caractéristiques suivantes :
Absorption, en une période de temps limitée (par exemple moins
de deux heures), d’une quantité de nourriture largement
supérieure à ce que la plupart des gens absorberaient en une
période de temps similaire et dans les mêmes circonstances.
Sentiment d’une perte de contrôle sur le comportement
alimentaire pendant la prise (par exemple : sentiment de ne pas
pouvoir s’arrêter de manger ou de ne pas pouvoir contrôler ce
que l’on mange ou la quantité de ce que l’on mange).

• Les crises de boulimie sont associées à trois des caractéristiques


suivantes (ou plus) :
Manger beaucoup plus rapidement que la normale.
Manger jusqu’à éprouver une sensation pénible de distension
abdominale.
Manger de grandes quantités de nourriture en l’absence d’une
sensation de faim.
Manger seul parce que l’on est gêné de la quantité de nourriture
que l’on absorbe.
Se sentir dégoûté de soi-même, déprimé, ou très coupable après
avoir mangé.

• Le comportement boulimique est source d’une souffrance


marquée.

• Le comportement boulimique survient, en moyenne, au moins


deux jours par semaine pendant six mois.
Le comportement boulimique n’est pas associé au recours
régulier à des comportements compensatoires inappropriés (par
exemple vomissements ou prise de purgatifs, jeûne, exercice
physique excessif) et ne survient pas exclusivement au cours
d’une anorexie mentale ou d’une boulimie nerveuse.

Êtes-vous un mangeur boulimique ?


Marie a 30 ans. Elle est professeur de musique dans un collège. Elle
pèse aujourd’hui 51 kg pour 1,65 m. Après avoir été une enfant mince et
une adolescente forte, son poids à 20 ans a atteint 75 kg et a lentement
progressé pour atteindre 85 kg à 28 ans. Durant toute cette période, bien que
préoccupée par son poids, elle n’avait pourtant jamais réellement entrepris
d’action sérieuse pour y remédier. Elle avait parfois manifesté quelques
velléités de se surveiller sur de courtes périodes et, une fois, avait tenté un
régime, à base de substituts de repas. En juillet 1998, elle décide, pour la
première fois, de consulter un nutritionniste, connu pour prescrire des diètes
protidiques : « Je voulais maigrir vite. » Son objectif : atteindre 55 kg.
Pourquoi 55 kg ? « Parce que 1,65 m – 10, ça fait 55 ! » Les résultats sont
rapides et particulièrement spectaculaires. En quelques mois, par des diètes
intermittentes de quatre semaines, elle atteint 55 kg mais ne s’en satisfait
pas. Elle décide d’aller plus loin sans que son médecin n’y voie
d’inconvénient. À 50 kg ce dernier l’alerte, il trouve la perte de poids
suffisante et lui conseille de réintroduire d’autres aliments. Elle quitte
aussitôt son médecin qu’elle juge trop timoré et poursuit seule son
amaigrissement. Elle abandonne les sachets de protéines, qu’elle estime
maintenant inutiles et trop onéreux, et les remplace par des aliments
naturels : poisson, blancs de poulet, légumes et laitages. À 45 kg, son
entourage prend peur et elle-même commence aussi à s’inquiéter. Elle se
risque finalement à réintroduire d’autres aliments mais réalise qu’elle en est
devenue incapable : « Je n’arrivais pas à me séparer de cette nourriture », et
finit par atteindre 40 kg en octobre 1999. Depuis ce jour, elle reprend
progressivement du poids tout en menant une lutte de tous les instants,
perdant quelques kilos et en reprenant toujours davantage. Voici ce que
Marie nous raconte :
« J’ai un comportement totalement anormal. Je peux me contrôler
durant de longues périodes au cours desquelles je ne mange presque rien. Je
suis terrifiée par la nourriture. Je culpabilise dès que je mange, même de
simples yaourts à 0 %. Et je comptabilise tout ce que je mange. La nuit, au
lieu de dormir, je passe en revue tout ce que j’ai mangé dans la journée. Je
calcule combien de calories j’ai avalées et combien je pourrai en manger le
lendemain. Quand je fais mes courses, je décortique les étiquettes en long et
en travers. Si les calories ne sont pas indiquées, je n’achète pas le produit.
Je ne peux d’ailleurs acheter que des produits à 0 %. Mais dès que les
circonstances deviennent conviviales ou que je me trouve seule chez moi et
que j’ai le cafard, je deviens boulimique. Je résiste aussi longtemps que je le
peux mais c’est plus fort que moi. Il arrive toujours un moment où je finis
par céder. Et là, plus rien ne peut m’arrêter. C’est effrayant, je ne me
reconnais pas. C’est comme si j’étais quelqu’un d’autre. Je me sens nulle, je
me dégoûte mais je n’y peux rien. Je ne tolère pas l’idée de reprendre du
poids. Je ne supporte pas de reprendre un kilo. Je ne veux plus revivre ce
que j’ai connu.
Au début, je me remettais, dès le lendemain, à un régime encore plus
strict, je ne mangeais presque plus rien ou bien j’allais courir pour éliminer
les calories que j’avais avalées. Mais c’est devenu trop dur. Je n’ai plus la
force de faire des journées de diète comme je pouvais le faire avant. C’est
comme ça que j’ai commencé à me faire vomir. Je craque mais je ne grossis
plus. J’ai honte de moi. Je me cache pour manger et je me cache pour
vomir. Parfois, je sais dès le matin que je ferai une crise dans la soirée. Je
me retiens toute la journée, j’essaye de me concentrer sur mon travail mais
je ne pense qu’à ce que je mangerai en rentrant à la maison.
Je sais que ce n’est pas une solution mais je ne sais plus quoi faire. Je
ne veux pas grossir. »

Critères de la boulimie nerveuse

• Survenue récurrente de crises boulimiques. Une crise de


boulimie répond aux deux caractéristiques suivantes :
Absorption, en une période de temps limitée (par exemple moins
de deux heures), d’une quantité de nourriture largement
supérieure à ce que la plupart des gens absorberaient en une
période de temps similaire et dans les mêmes circonstances.
Sentiment d’une perte de contrôle sur le comportement
alimentaire pendant la prise (par exemple : sentiment de ne pas
pouvoir s’arrêter de manger ou de ne pas pouvoir contrôler ce
que l’on mange ou la quantité de ce que l’on mange).
• Comportements compensatoires inappropriés et récurrents visant
à prévenir la prise de poids, tels que : vomissements provoqués ;
emploi abusif de laxatifs, diurétiques, lavements ou autres
médicaments ; jeûne ; exercice physique excessif.

• Les crises de boulimie et les comportements compensatoires


surviennent tous deux, en moyenne, au moins deux fois par semaine
pendant trois mois.

• L’estime de soi est influencée de manière excessive par le poids


et la forme corporelle.
• Le trouble ne survient pas exclusivement pendant des épisodes
d’anorexie mentale.

Nous devons donc retenir que les pertes de contrôle ne dépendent ni de


l’intensité de la restriction calorique ni du poids de la personne. Elles ne
sont donc pas une caractéristique de l’obésité. Il est également important de
souligner qu’elles sont indépendantes de la dynamique pondérale et qu’elles
peuvent aussi bien s’observer chez des personnes en phase
d’amaigrissement, de prise de poids ou de stabilité pondérale.
J’espère qu’il vous sera dorénavant plus facile de comprendre à quoi
ressemble cette lutte de tous les instants contre la nourriture et l’épuisement
mental auquel elle conduit immanquablement le mangeur restreint. Résister
devient son maître mot et nécessite de sa part un état d’hypervigilance qui
ne tolère aucune faille, et qui peut le mener, sans qu’il s’en rende compte, à
manger au-delà de ses besoins. La moindre faiblesse dans son système de
défense pourra dès lors se traduire par une perte de contrôle. On comprend
aussi que, selon la résistance que le mangeur opposera, les pertes de
contrôle pourront ne pas se produire. Mais au prix d’efforts difficiles à
imaginer et qui transformeront profondément son attitude à l’égard de la
nourriture. Je concède que tous les mangeurs restreints ne parviennent pas
jusqu’à ce stade ultime de la restriction cognitive. La plupart ne vivent ces
situations qu’en partie ou par intermittence. Souvent au cours de leur vie, ils
alternent entre les différents stades de la restriction, passant de l’un à l’autre
selon l’énergie qu’ils déploient. Néanmoins, face à la prolifération des
régimes et des comportements de restriction, il faut aussi admettre que le
nombre de personnes se présentant avec ce tableau clinique complet ne
cesse de s’accroître. Et quoi qu’il en soit, le risque que l’évolution d’un
comportement de restriction aboutisse à ce tableau clinique est plus que
majeur dans une société où les problèmes de poids sont abordés de plus en
plus tôt dans l’enfance par des méthodes puissamment délétères.
Les différents stades de gravité
de la restriction cognitive

(Il peut s’agir de stades installés ou d’états transitoires)

Restriction cognitive légère : Le comportement alimentaire est


principalement contrôlé par les cognitions. Les sensations et émotions
alimentaires sont clairement perçues mais le mangeur décide
délibérément de ne pas en tenir compte. Les émotions induites sont
encore à fort contenu positif. Les émotions extra-alimentaires
exercent une influence modeste.
Je sais que j’ai faim, mais je ne dois pas/plus manger.

Restriction cognitive modérée : Le comportement alimentaire


reste principalement contrôlé par les cognitions. Les sensations et
émotions alimentaires sont toujours perçues mais ne peuvent plus être
respectées du fait de l’apparition d’émotions induites à fort contenu
négatif. Le mangeur devient plus vulnérable à ses émotions extra-
alimentaires.
Je sais que je n’ai plus faim, mais je ne peux pas m’arrêter.

Restriction cognitive sévère : Le contrôle cognitif reste très fort


mais les sensations et émotions alimentaires ne sont plus perceptibles.
Le mangeur lutte douloureusement pour conserver un contrôle mental
et ne pas céder à l’envahissement des émotions induites. La
vulnérabilité aux émotions extra-alimentaires augmente.
Je ne sais plus si j’ai encore faim ou si j’ai assez mangé.

Restriction cognitive décompensée : Le mangeur n’exerce plus


aucun contrôle mental sur son comportement alimentaire. Les
sensations et émotions alimentaires ont complètement disparu. Les
émotions induites et extra-alimentaires exercent un contrôle total sur
le comportement alimentaire.
Je mange sans faim et je ne peux plus rien contrôler.

Les mangeurs restreints ne sont pas forcément gros


La restriction cognitive se présente sous tant de facettes qu’il serait bien
difficile d’en prédire les conséquences pondérales. Toutes les personnes en
difficulté avec leur poids, leur image ou leur comportement alimentaire se
trouvent peu ou prou en état de restriction cognitive. Selon la prédominance
du type de contrôle, mental ou émotionnel, tous les tableaux cliniques
peuvent s’envisager. Les anorexiques exercent un contrôle cognitif majeur.
Bien souvent la perception de leurs sensations alimentaires est totalement
absente. Leur comportement, caractérisé par le refus de manger, dominé par
les cognitions et les émotions induites, entraîne un grave déficit énergétique
et une importante maigreur.
Les obèses hyperphagiques sont beaucoup plus dans le contrôle
émotionnel. Ils perçoivent mal leurs sensations alimentaires et mangent au-
delà de leurs besoins énergétiques. Entre ces deux extrémités, toutes les
combinaisons sont possibles aboutissant à toutes les corpulences selon la
résistance que la personne opposera à ses envies de manger et la perception
qu’elle aura de ses sensations alimentaires.
Dans la majorité des cas, les patients que je rencontre se situent dans les
stades 1 et 2 de la restriction cognitive avec des passages intermittents dans
le stade 4. Ce qui signifie tout de même qu’une grande partie présente des
altérations de la perception de leurs sensations alimentaires mais qu’ils les
perçoivent encore. Un plus petit nombre atteint le stade 3 et est amené à
consulter pour se libérer de l’envahissement mental qui résulte de la
disparition totale des sensations alimentaires. Enfin, un petit nombre encore
se trouve dans un stade 4 installé, constituant une sorte d’état de mal
hyperphagique qui les conduit à manger de manière prolongée sur un mode
exubérant et anarchique. Mais dans tous les cas, le retour à un
comportement alimentaire normal se révélera comme une tâche complexe
dont les effets sur la normalisation du poids demeureront incertains.
Le point qu’il me semble important de souligner, c’est que la plupart de
nos contemporains sont aujourd’hui en restriction cognitive. Celle-ci est
devenue la façon presque normale de se comporter avec la nourriture dans
nos sociétés occidentales. Plus personne ne fait de régime, mais tout le
monde fait attention. Ainsi, bien des mangeurs se maintiennent à leur poids
d’équilibre en exerçant un contrôle mental sans savoir qu’à peu de chose
près, ils conserveraient sans doute le même poids en laissant opérer leurs
processus de régulation. La norme semble consister à s’appliquer une sorte
de principe de précaution avant même d’avoir déterminé la présence d’un
risque réel de prise de poids.
Souvent, quand je demande à mes patients comment leurs parents se
comportaient avec leur nourriture, ils me répondent que l’un ou l’autre était
mince, mais faisait toujours attention à ce qu’il mangeait. Je demande alors
s’ils se surveillaient du fait d’un problème de poids. Non, me répondent-ils
mais c’est justement parce qu’ils se surveillaient qu’ils n’en avaient pas !
Certes, tous les mangeurs restreints n’atteignent pas les stades les plus
élevés de la restriction cognitive. Mais une fois qu’elle est installée, il sera
bien difficile d’en prédire l’évolution. Aussi, quand les pouvoirs publics ou
les différents praticiens proposent aujourd’hui à des millions de personnes
d’adopter ce type de comportement alimentaire, nul doute qu’ils jouent avec
les consommateurs ou avec leurs patients aux apprentis sorciers. Tout cela
ne sera pas sans dommage pour un très grand nombre. Le contrôle mental
du comportement alimentaire qu’on nous présente comme la solution à tous
nos maux est loin d’être de tout repos. Et le risque auquel s’expose le
mangeur rationnel, n’est-il pas finalement de devenir ce qu’il redoute le
plus, un mangeur émotionnel ?

Au bout du compte, que retenir de la restriction cognitive ?


Mettre du contrôle mental là où il y avait du contrôle sensoriel aboutira
inévitablement à la dégradation de la relation entre l’individu et sa
nourriture. Et il est indéniable que la restriction cognitive doit être
considérée comme un trouble des conduites alimentaires. J’en retiendrai
quatre aspects importants. En premier lieu, l’état de guerre que la personne
doit livrer aux aliments. Un interminable combat imposant une mobilisation
constante des forces du mangeur pour manger conformément à l’idée qu’il
se fait du bien manger et pour résister à des envies rebelles. En second lieu,
le découplage entre la faim et les envies de manger. Le mangeur régulé
éprouve généralement en même temps la faim et l’envie de manger. C’est sa
faim qui déclenche son envie de manger. Le mangeur restreint, quand il a
faim, ne mange pas nécessairement ce qui lui fait envie. Et quand il mange
par envie, c’est souvent en l’absence de faim. En troisième lieu, l’état de
manque. Aussi stupéfiant que cela paraisse dans nos sociétés d’abondance,
la restriction cognitive instaure dans l’esprit du mangeur une vraie peur de
manquer qui l’incite à développer des comportements de stockage. En
dernier lieu, et c’est sans doute là l’essentiel, on assiste à une véritable prise
de pouvoir des processus cognitifs et des émotions sur les sensations
alimentaires, définitivement disqualifiées.
Même si la dégradation de la relation avec les aliments constitue un
aspect important des problèmes de poids, elle n’en constitue pourtant que
l’une des facettes. À cela, il faut encore ajouter la prise en compte d’autres
facteurs psychologiques individuels qui viendront, eux aussi, produire des
émotions projetant le mangeur vers la nourriture.
Comme vous le voyez, les problèmes de poids sont éminemment
complexes et les solutions simplistes n’ont aucune chance de pouvoir les
résoudre un jour. Or, cette fois, il ne s’agit pas simplement de maigrir, mais
de guérir vraiment.
Dans la suite de ce livre, nous désignerons les mangeurs en état de
restriction cognitive sous les termes de mangeurs restreints ou contrôlés.
Les autres mangeurs seront désignés sous les termes de mangeurs non
restreints ou régulés.

1- Herman C. P., Polivy J., « Anxiety, restraint and eating behavior ».


J. of Abnormal Psychol. 1975, 84 (6), p. 666-672.

2- Zermati J.-P., Apfeldorfer G., « Clinical description of cognitive


restraint and its practical consequences », in Peter R. Ling (éd.), Trends in
Obesity Research, New York, Nova Biomedical Books, 2005, chapitre VIII,
p. 179 et sq.

3- Chapelot D., « Comportement restreint », in Chapelot D. et Louis-


Sylvestre J., Les Comportements alimentaires, Paris, Tec et Doc, 2004.
4- « Donner l’appétit de maigrir », entretien avec le Dr Jean-Michel
Borys, Le Quotidien du médecin, 2000, hors-série « Nutrition-diabète ». Cet
article a été rédigé par un nutritionniste à l’intention de médecins
généralistes.

5- Les exemples sont tirés du chapitre « Alimentation », in Basolevant


A. et Guy-Grand B., Traité de médecine de l’obésité, Paris, Flammarion,
« Médecine », 2004.

6- Ibid.

7- Ibid.

8- Heatherton T. F., Baumeister R. F. « Binge eating as escape from


self-awareness », Psychol. Bulletin, 1991, 110 (1), p. 86-108.

9- Herman C. P., Polivy J., « Restrained eating », in Stunkard A.


J. (éd.), Obesity, Philadelphie, Saunders, 1980, p. 208-225.

10- Herman C. P., Polivy J., « Studies of eating in normal dieters », in


Walsh B. T. (éd.), Eating Behavior in Eating Disorders, Washington, D.C.,
American Psychiatric Association Press, 1988, p. 97-111.
CHAPITRE II
Mieux se connaître
pour mieux changer

Si vous tenez toujours ce livre entre vos mains, vous vous trouvez sans
doute dans l’une de ces deux situations :
Vous vous trouvez trop gros et vous souhaitez perdre du poids. En
vous permettant de déterminer votre poids d’équilibre, les méthodes
que nous utiliserons vous permettront de savoir s’il s’agit là d’un
projet accessible ou d’un rêve auquel il vous faudra renoncer.
Votre poids vous convient, mais manger est devenu un combat auquel
vous rêvez de mettre un terme. Cette approche vous permettra de
savoir s’il vous est réellement possible de maintenir ce poids sans que
votre vie ne se transforme en un match permanent contre vous-même
et les aliments.
Dans tous les cas, elle vous permettra de vous réconcilier avec la
nourriture et de cesser de vous battre contre elle.
Le problème se pose donc de la manière suivante : les sensations
alimentaires que vous percevez sont sans doute confuses et imprécises ou
bien ne jouent pas leur rôle car vous n’êtes pas en mesure d’en tenir
compte. Elles ne vous permettent pas d’arrêter de manger au moment où il
le faudrait. Vous ne pouvez donc, pour l’instant, vous fier à ce que vous
ressentez. Jusqu’ici vos sensations alimentaires ne vous ont conduit qu’à
manger au-delà de vos besoins et, par conséquent, à prendre du poids. Nous
allons donc entreprendre un travail qui vous permettra de mieux les
reconnaître. Cette approche est destinée à identifier les difficultés que vous
rencontrez et à agir pour tenter d’y apporter des solutions. Les situations
alimentaires, repas, grignotages, compulsions, boulimies, sont pour vous
problématiques, vous allez devoir les examiner avec attention afin de
progressivement mieux les comprendre et parvenir à les transformer. Pour
entreprendre ce travail, considérez-vous dans la peau d’un chercheur face à
un problème qu’il veut résoudre. Rien ne sert de porter des jugements de
valeur sur les observations que vous allez faire. Ce que vous décrirez n’est
ni bien ni mal, ce sont simplement des faits qui ont vraisemblablement une
explication. Mieux vaut se contenter de décrire le plus concrètement
possible ce que vous verrez puis de proposer des interprétations que l’on
cherchera à vérifier.

Pour maigrir, il faut… je dois…


Tout candidat à l’amaigrissement se présente avec son système de
croyances alimentaires. Il y est attaché et n’acceptera pas d’emblée d’y
renoncer. Ce qui semble tout à la fois normal et légitime. La plupart des
patients ont des convictions très fermes sur la manière dont on doit s’y
prendre pour maigrir. Et cela, même si elles ne leur ont jamais permis de
maintenir leur poids plus de quelques mois ou quelques semaines. Peu
importe, ils y tiennent, ne les remettent jamais en question et choisissent le
plus souvent d’attribuer à une volonté défaillante les raisons de leurs échecs
répétés.

Caroline, 28 ans, coiffeuse, 76 kg et 1,68 m : « Je crois que je n’ai


aucune volonté. Je fais des régimes depuis l’âge de 12 ans et je connais
la diététique par cœur. J’essaye d’ailleurs le plus souvent de manger
équilibré. Je sais exactement ce qu’il faut faire mais je n’arrive pas à le
faire. »

Pauvre Caroline, elle connaît tout de l’équilibre alimentaire. Elle sait ce


qu’il faut manger, ce qu’il faut éviter. Les aliments sains et ceux qui ne le
sont pas. Elle sait qu’on stocke le soir et qu’on grossit si on ne prend pas de
petit déjeuner. Elle a aussi entendu dire que les sucres faisaient fabriquer de
l’insuline et que l’insuline faisait grossir. Elle sait que manger les fruits en
dehors des repas ne fait pas maigrir. Mais elle pense que le fromage au
dîner doit sûrement faire plus grossir qu’au déjeuner. Surtout si on le
mélange avec un féculent. Elle a aussi lu dans une revue que l’huile d’olive
était bonne pour la santé et qu’elle ne faisait pas grossir. On y disait aussi
que les pâtes faisaient moins grossir que le riz. Ouf ! Décidément, il faut en
savoir des choses. Et encore est-on jamais vraiment sûr de ce que l’on sait ?
Avant les pâtes faisaient grossir mais maintenant c’est fini. Les gens ont dû
changer…
Alors si Caroline sait tout pourquoi regrossit-elle toujours ? Peut-être
une information essentielle lui aura-t-elle échappé ? Mais peut-être aussi
s’interdit-elle de manger tout ce qu’elle aime. Malheureusement, dans son
système de croyances, « tout ce qui est bon est interdit ».
— Ce serait tellement mieux si je n’aimais pas le chocolat. J’ai déjà
supprimé le sucre et les gâteaux. Je n’en ai même plus envie. J’ai aussi
réduit les graisses. D’ailleurs, je ne les supporte plus. Mais je n’arrive
pas à me passer de chocolat. Si vous me l’interdisez, je crois que je
pourrais plus facilement tenir.
— Mais pourquoi ne voulez-vous plus manger de chocolat ?
— Mais parce que ça fait grossir. Et puis je n’arrive pas à en manger un
peu. Je finis toujours par manger toute la tablette. D’ailleurs, je n’en ai
plus à la maison. Je n’achète plus aucune sucrerie.
— Si je comprends bien vous avez décidé de supprimer tous les aliments
dont vous ne contrôlez pas la consommation.
— C’est ça.
Caroline adopte des comportements qui correspondent à son système de
croyances, mais aussi à ses expériences avec certains aliments. Elle ne peut
les remettre en question car elle ne peut imaginer un instant que ce qu’elle
lit et entend dire partout soit faux. Elle ne peut même pas croire ce qu’elle a
vu de ses yeux.

La seule période de ma vie où j’ai été mince c’est quand j’étais


étudiante. Je mangeais n’importe quoi et je n’arrêtais pas de sauter des
repas. Je mangeais simplement quand j’avais faim. Je ne prenais même
pas de petit déjeuner. Aujourd’hui, j’ai supprimé des tas de choses, je
fais trois repas par jour, je me force à manger le matin et je ne maigris
pas.

Il n’est donc pas possible d’emblée de contredire les croyances de


Caroline. Il n’y aura pas d’autres moyens que d’en tenir compte, d’en
prendre acte pour commencer le travail à partir de ce qu’elle considère
comme des vérités incontestables. Prendre acte de ces croyances ne signifie
pas pour autant que l’on y adhère. Bien au contraire. Cette nouvelle
approche permettra progressivement de critiquer les croyances diététiques
erronées de Caroline en lui faisant vivre de nouvelles expériences à partir
desquelles elle pourra adopter des comportements plus appropriés à l’égard
des aliments. Dans le même temps pourra s’installer un mode de pensée
plus efficace. Les comportementalistes parlent là de restructuration
cognitive. L’installation d’un comportement plus efficace permet à la
personne, en se confrontant à une nouvelle réalité, de réviser son jugement
sur le mode d’action des aliments. Inversement, réviser son jugement sur les
aliments autorise à percevoir une réalité différente et, par conséquent, à
modifier son comportement. Ainsi, une personne convaincue que le
chocolat fait grossir pourra difficilement continuer à soutenir ce point de
vue, si elle parvient à maigrir en mangeant cet aliment. Cette nouvelle
expérience de la réalité lui imposera de réviser son jugement. Il ne sera plus
réaliste de sa part d’affirmer que le chocolat fait grossir après avoir vérifié
qu’elle avait maigri de cette façon-là. Le fait d’y parvenir nous confronte à
une réalité dont nous sommes obligés de tenir compte. Ici, c’est
l’observation d’un phénomène, menée dans des conditions particulières, et
de ses conséquences positives sur l’amaigrissement qui permet à la
personne une révision de son jugement et l’adoption d’un nouveau
comportement.
Avant d’aborder l’approche thérapeutique, nous allons faire le point sur
les croyances alimentaires qui déterminent le comportement que vous
adoptez généralement quand vous essayez de maigrir. Répondez
spontanément aux questions qui suivent. Les allégations qui figurent dans
ce questionnaire sont celles que l’on retrouve le plus souvent dans le
discours des patients, du grand public et de la presse féminine. Certaines
sont même reprises par les médecins et la presse médicale. On conçoit que
la personne, convaincue de la véracité de ces allégations, s’efforcera de les
respecter dès lors qu’elle se mettra au régime. Elle éprouvera même une
certaine culpabilité en s’en écartant ou en ne parvenant pas à s’y tenir.
Si, la plupart du temps, vous ne parvenez pas à maintenir vos bonnes
résolutions, c’est, pensez-vous, que vous manquez de détermination, de
motivation ou tout simplement que vous êtes sans volonté. Je vous propose
d’envisager une autre hypothèse : ces allégations sont peut-être fausses. Peu
à peu, vous pourrez vérifier par vous-même s’il s’agit de données
scientifiques crédibles ou de simples croyances, quelquefois très
irrationnelles, qui vous empêchent de maintenir votre poids ou même de
maigrir. Au fil de cette lecture, nous ferons ensemble le point de ces
connaissances médicales et je vous indiquerai des exercices qui vous
permettront de forger votre propre opinion.

Les croyances alimentaires


Par où commencer ?
Il est temps maintenant de choisir un point de départ. Deux possibilités
s’offrent à vous selon qu’elles vous sembleront faciles ou que vous vous
sentirez avec l’une d’elles une plus grande affinité. Leur efficacité sur la
perte de poids est identique et ne constitue donc pas un critère de choix.
Vous pouvez commencer ce travail à partir :
— De votre mode d’alimentation personnelle.
— Ou d’un plan alimentaire que vous utiliserez comme ligne de base.
Si vous choisissez de partir de votre alimentation personnelle, le travail
que vous effectuerez la transformera progressivement pour la faire évoluer
vers une alimentation plus proche de vos besoins et vous permettra, peu à
peu, d’atteindre votre poids d’équilibre. L’avantage est que vous
conserverez tout au long de ce travail une alimentation familière. Certaines
personnes ont tant fait de régimes, si souvent suivi les conseils éclairés des
uns ou des autres, qu’elles ne supportent plus que quiconque leur dicte leur
façon de manger. On peut les comprendre ! Et, bien souvent, elles n’ont
plus ni la force ni l’envie de se plier à des règles qu’elles finissent toujours
par abandonner. D’autres possèdent un mode de vie qui leur permet
difficilement de suivre des règles trop rigides et préfèrent trouver des
solutions qui tiennent compte d’emblée de leurs habitudes et de leurs
contraintes.

Christiane est hôtesse de l’air sur des vols long-courriers. « Je n’ai


jamais d’horaires réguliers. Je peux prendre mes repas aussi bien le jour
que la nuit, chez moi, dans l’avion ou à l’hôtel. Et je ne sais jamais à
l’avance ce que je vais manger. Je n’ai jamais réussi à suivre aucun
régime dans ces conditions. Je préfère que nous tenions compte de
toutes ces contraintes. »
Bruno : « J’ai fait tous les régimes possibles et j’ai vu tous les
nutritionnistes de Paris. Je sais exactement ce qu’il faut manger, mais ça
n’a jamais marché. Bien sûr, je maigris, mais je regrossis chaque fois.
Autant que nous partions de ma manière de manger. »

À l’inverse, vous pouvez choisir de partir de consignes plus précises.


Dans ce cas, il vous faudra très vite les faire évoluer vers une alimentation
plus personnelle qui est la seule que vous pourrez conserver. Pour certains,
il est, en effet, plus facile de pouvoir disposer d’un cadre. Ils trouvent ce
procédé plus structuré et se sentent moins perdus quand ils savent à
l’avance ce qu’ils doivent manger. Le grand inconvénient de ces consignes
est qu’elles ne pourront jamais s’adapter à toutes les situations alimentaires
que vous rencontrerez. Sans doute, pourrez-vous plus facilement les suivre
chez vous mais elles vous poseront problème dès que vous mangerez à
l’extérieur ou que surgira une envie de manger un aliment non prévu dans
votre plan.

Danielle : « Il vaut mieux que vous me disiez ce que je dois manger.


De toute façon, je mange n’importe quoi et je ne sais jamais quand je
dois m’arrêter. Je me sentirais plus rassurée si vous me donniez des
consignes précises avec des quantités que je devrais respecter. Je pense
que j’arriverai à les suivre pendant un certain temps. Mais c’est surtout
après que ça m’inquiète. »

Attention, suivre des consignes c’est se mettre dans une situation de


régime. Quelles que soient les consignes que vous adopterez, même les plus
« équilibrées », vous maintiendrez un état de restriction cognitive. Vous
mangerez en vous raisonnant et en vous éloignant un peu plus de vos
sensations alimentaires. Surtout vous vous exposerez à toutes les
complications de la restriction cognitive, et, tout particulièrement, aux
pertes de contrôle, à des sensations alimentaires faussées, à la
culpabilisation et à l’abandon des consignes. Même si vous perdez du poids,
vous devrez donc aussi vite que possible les faire évoluer et poursuivre le
travail sur les sensations alimentaires afin de leur laisser prendre le relais.
Malgré ses inconvénients, cette méthode reste utilisable. Elle n’est certes
pas idéale pour tous, mais elle peut s’avérer très rassurante pour certaines
personnes qui ne sauraient s’y prendre autrement. Dans la mesure du
possible, je vous suggère de toujours privilégier la première solution.
Si vous choisissez toutefois cette solution, établissez un plan
raisonnable qui ne soit pas trop sévère. Vous pouvez adopter trois repas par
jour, si telle est votre habitude. Mais ne vous imposez pas de prendre un
petit déjeuner si vous n’avez jamais pu le faire. Adoptez également des
repas suffisamment diversifiés apportant plusieurs groupes d’aliments en
quantités qui vous semblent raisonnables. Vous pouvez vous inspirer pour le
déjeuner ou le dîner des quantités suivantes : 200 g de légumes verts, 150 g
de féculents ou 60 g de pain, 120 à 150 g de viande ou de poisson ou 2
œufs, 10 g de matières grasses (huile ou beurre), un laitage ou un fruit.

Je m’observe manger
Il vous faut maintenant disposer d’un outil d’observation à partir duquel
vous pourrez vous étudier dans toutes les situations alimentaires. N’oubliez
pas que vous êtes en difficulté avec la nourriture. Les repas et toutes les
prises alimentaires sont donc les situations que vous devez examiner avec la
plus grande attention. Chaque fois que cela sera possible, vous aurez
avantage à prendre vos notes aussitôt après les repas. Plus vous tarderez,
plus vos souvenirs seront imprécis. Car il ne s’agit pas simplement de
rapporter ce que vous avez mangé mais essentiellement de décrire ce que
vous avez ressenti avant, pendant et après le repas. Voici un modèle simple
de carnet d’observation qui vous permettra dans un premier temps de mieux
analyser ces situations. Essayez de le tenir pendant une dizaine de jours.

Comment obtenir un bilan plus personnalisé ?


Pour tenir ce carnet vous disposez de deux moyens à votre convenance.
Le premier consiste bien sûr à prendre classiquement un carnet et un
stylo et à noter vos observations selon les indications que je vous donnerai.
Dans le chapitre IV, nous dresserons un bilan de cette période
d’observation. Les principales anomalies y sont exposées et des exercices
vous seront proposés pour tenter de les résoudre.
Mais pourquoi ne pas profiter des avantages de la technologie ? C’est
pourquoi le second moyen consiste à vous connecter au site
www.linecoaching.com pour y communiquer l’ensemble de vos
observations (reportez-vous page 6 pour connaître les modalités). Vous
aurez chaque jour à répondre à un questionnaire qui collectera les
informations sur votre manière de manger et la façon dont vous percevez
vos sensations alimentaires. Vous pourrez entrer les données à votre gré au
fur et mesure de vos prises alimentaires ou la fin de chaque journée.
L’ensemble de vos informations sera traité par un système expert. Grâce à la
régularité et la précision de vos réponses, je pourrai établir un bilan de vos
prises alimentaires et vous adresser des préconisations personnalisées qui
permettront d’orienter vos efforts de façon plus efficace.

Heure – Lieu
Avec qui ? Quoi et combien ? Commentaires
En faisant quoi ?
Faim et satiété.
Envies de manger.
Situations ou personnes
qui vous incitent à
manger plus.

Sur ce carnet, vous consignerez trois types d’information :


Je mange quoi et combien ?
Où, quand, comment et avec qui je mange ? En faisant quoi ?
Comment se passent mes repas ?

Je mange quoi et combien


Il s’agit ici de déterminer ce que vous mangez et les quantités
consommées. Ces dernières peuvent être évaluées de toutes les manières
possibles : en gramme, litre, centimètre, verre, cuillère à soupe ou à café,
tranche, paquet, unité, etc. Peu importe, pourvu que ce soit quantifiable et
que cela ne prenne pas une allure trop pointilleuse ou obsessionnelle. Il est
important que vous puissiez vous faire une idée la plus objective possible
des aliments que vous mangez ainsi que de leurs quantités. Même avec cette
méthode, l’appréciation des quantités est généralement sous-évaluée. Les
études concernant les estimations des apports alimentaires ont montré que
plus les sujets étaient en restriction cognitive plus ils sous-évaluaient leurs
apports alimentaires. La sous-estimation pouvant atteindre jusqu’à 50 % des
apports réels. Il n’est donc pas inutile d’y être un peu attentif.

Célestine, 51 ans, publicitaire, 72 kg et 1,62 m, se présente très


désespérée. Elle vient de prendre 15 kg au cours de cette année, qu’elle
attribue à l’installation de sa ménopause et à une hypothyroïdie qui est
maintenant traitée. Elle a, dit-elle, considérablement réduit ses apports
alimentaires depuis plusieurs mois et ne perd pas de poids. Elle
considère qu’elle mange très peu. Effectivement, elle décrit son
alimentation de la manière suivante : un simple café au lait au petit
déjeuner, généralement pas de déjeuner, mis à part une ou deux fois par
semaine un repas au restaurant au cours duquel elle consomme trois
plats, et finalement son seul repas est le dîner. Elle ne mange qu’une
soupe, de temps en temps un œuf ou une tranche de jambon, un laitage
et parfois du pain. Évidemment cela semble assez peu. Il y a, sans nul
doute, de quoi s’étonner. Après deux semaines d’observation, Célestine
a pu évaluer plus précisément ses quantités de nourriture. L’éclairage
est cette fois bien différent. Elle précise qu’elle mange chaque soir deux
litres de soupe, une préparation qui ressemble presque à une purée de
légumes et dans laquelle la cuillère peut tenir toute seule. Quand elle
mange du pain, plus souvent qu’elle ne le pensait, elle consomme une
demi-baguette. Et elle termine le repas par 4 yaourts à 0 %. Quand elle
se rend chez des amis ou au restaurant, elle mange « sans compter ».
Nous sommes là en présence d’une tout autre réalité.

Amandine, 39 ans, commerçante, 67 kg et 1,58 m, a l’impression


qu’elle ne pourra jamais maigrir tant qu’elle n’aura pas résolu son
problème de grignotage. Elle lui attribue toute la responsabilité de ses
difficultés à maigrir.
— Je fais attention toute la journée, mais je gâche tout quand je
rentre à la maison après mon travail. Je suis épuisée et j’ai besoin de
manger pour me réconforter. Alors je n’arrête pas de grignoter, je ne
peux pas m’en empêcher. Du chocolat ou même parfois des morceaux
de sucre. J’en mange tous les jours, il est normal que je ne maigrisse
pas.
— Pourriez-vous en préciser la quantité ?
— Oh, il s’agit d’un carré de chocolat ou d’un morceau de sucre.
Jamais plus.
— Cela représente finalement de très faibles quantités.
— Oui, mais quand même, c’est tous les jours. Comment voulez-
vous que je maigrisse ?

Amandine et Célestine sont toutes deux en restriction cognitive.


Célestine mange de très grandes quantités de nourriture qui lui semblent
toujours insuffisantes. Elle les sous-évalue. Elle a toujours l’impression
d’être privée et se sent frustrée de ne pas manger ce qu’elle aime. Quand
elle consomme des légumes et des yaourts, elle pense pouvoir en manger
sans limites. Pour elle, ce ne sont pas des aliments qui font grossir. Ils ne
comptent pas ! Je n’ose pas dire qu’ils comptent pour du beurre. C’est ce
qu’elle a retenu d’un régime précédent. En revanche, elle mange sans
retenue quand elle se rend chez ses amis, se disant qu’après tous ses efforts
elle peut bien, de temps à autre, s’accorder une petite récompense. Célestine
est en restriction cognitive, mais n’obtient pas de restriction calorique. Son
comportement est essentiellement dominé par la frustration.
Amandine surévalue ses apports alimentaires. Elle s’imagine qu’un
carré de chocolat par jour, 10 calories, « surtout tous les jours », vont
l’empêcher de maigrir. Elle est focalisée sur son grignotage et lui attribue
une importance démesurée sans pour autant se préoccuper de ce qu’elle
mange aux autres repas. Comme, selon elle, elle ne consomme que des
aliments « sains », ils ne peuvent pas la faire grossir. En réalité, Amandine
se fait beaucoup de reproches et se sent très coupable de ne pouvoir se
contrôler. Son comportement est essentiellement dominé par une culpabilité
qui la conduit à considérablement s’exagérer les conséquences de ses
« écarts ».
Soyez également attentif à la nature de vos aliments. Considérez-vous
que certains aliments sont indispensables à votre perte de poids ? Dans ce
cas, précisez lesquels. Au contraire, vous pensez peut-être que certains
aliments doivent être supprimés, précisez également lesquels.

• Exercice
Si, dans le questionnaire sur les croyances alimentaires (voir page 88),
vous avez répondu « vrai » à l’une des questions suivantes : 9, 10, 13, 14,
15, 18, 21, 22, 23, 24, 25, 26, vous êtes concerné par cet exercice. Vous
considérez donc que certains aliments font grossir et que d’autres ne font
pas grossir, nous allons essayer d’en dresser la liste selon la hiérarchie que
vous leur attribuez dans la prise de poids. Notez tous les aliments qui vous
viennent à l’esprit et tous ceux que vous consommerez dans la première
période d’observation. Pour 100 calories d’aliments, quels sont ceux qui
vous paraissent les plus grossissants et ceux qui vous paraissent les moins
grossissants ? Dans la colonne « aliments grossissants », attribuez 100 à
l’aliment qui vous semble le plus redoutable pour vos kilos, celui qu’il faut
à tout prix éviter. Attribuez 50 à celui qui semble selon vous faire le moins
de dégâts. Un aliment relativement neutre qui, en quelque sorte, ne vous
ferait ni maigrir ni grossir. Puis entre 50 et 100, mettez une note à tous les
aliments dont vous pensez qu’ils vous font grossir. Dans la colonne
« aliments non grossissants », reportez en haut de la colonne l’aliment
auquel vous avez attribué 50. Attribuez 0 à l’aliment dont vous pensez
qu’il n’aurait aucune incidence sur votre poids. Si vous n’en trouvez aucun,
mettez 0 à l’eau. Puis entre 0 et 50, mettez une note à tous les aliments dont
vous pensez qu’ils ne vous font pas grossir.

Aliments grossissants Aliments non grossissants


100 50
90 40
80 30
70 10
60 20
50 0

Où, quand, comment et avec qui je mange ? En faisant quoi ?


L’heure, le lieu, les personnes avec lesquelles on mange peuvent
constituer des informations importantes. Ils permettent de repérer des
situations problématiques. Vous pourrez peut-être remarquer que certaines
heures de la journée sont plus critiques que d’autres. Cependant, tous les
repas peuvent être l’occasion de moments difficiles. Aussi bien le petit
déjeuner que le déjeuner ou le dîner. Parfois un repas semble poser plus de
problèmes que les autres. Le dîner est souvent cité en premier. Mais les
deux autres repas ne sont pas toujours exempts de difficultés. D’autres fois,
ce sont tous les repas qui sont l’occasion de tension.
Il est habituel de constater que les grignotages ou les compulsions se
répètent souvent au même moment de la journée.
— Au début de la matinée, en se rendant au travail ou juste en y arrivant.
— En milieu ou fin de matinée.
— Dans l’après-midi, au travail en s’affairant à d’autres tâches ou à la
maison si l’on est inoccupé.
— En fin de journée, après le travail sur le trajet du retour ou
immédiatement en rentrant à la maison pour se réconforter d’une
journée difficile.
— Entre le retour à la maison et le repas, souvent pendant la préparation
du repas du soir.
— Après le dîner, au cours de la soirée. Souvent en regardant la
télévision ou en travaillant chez soi. Ils sont alors décrits comme un
besoin de relâchement, de détente, de décompression.
— Au cours de la nuit, lors d’une insomnie ou en étant réveillé par la
faim ou l’idée de la nourriture.
Vous pourrez peut-être vous rendre compte que certains lieux sont des
sources de difficultés particulières. Les self-services, les cafétérias et les
buffets posent le problème épineux du choix et de la tentation aux aliments
exposés. Les restaurants présentent l’avantage de proposer des portions
uniques à ceux qui se resservent souvent, mais l’inconvénient de proposer
des portions parfois trop importantes à ceux qui ont peu d’appétit et ne
savent pas laisser de nourriture dans leur assiette. Certains itinéraires
peuvent se révéler de véritables incitations à manger, au point que vous
prenez l’habitude de les éviter. À moins que vous ne succombiez aux
tentations. Il peut s’agir de rues commerçantes, de distributeurs de
nourriture dans les stations de métro, d’affiches ou de publicités
audiovisuelles qui vous font penser à la nourriture et vous donnent envie de
manger.
Vous pourrez également constater que certaines personnes influencent
votre manière de manger. Elles vous incitent à manger davantage ou, au
contraire, à moins manger.

Sandrine : « Quand je suis en compagnie, je fais toujours très


attention à ce que je mange. Je choisis les plats les moins gras, je ne
prends pas de dessert, je ne me ressers pas. Je deviens une petite fille
modèle. Je ne veux pas qu’on me juge mal et qu’on pense que je ne me
contrôle pas. »
Camille : « Quand je rentre à la maison, j’ai souvent un moment
difficile où je me sens très tendue et où je me mets à manger tout ce qui
me tombe sous la main. Je peux manger un camembert entier avec une
baguette. Puis mon mari rentre et je me remets à table avec lui pour ne
pas qu’il sache que j’ai déjà mangé. Il ne comprendrait pas. »
André : « Ma femme n’arrête pas de me faire des réflexions. Elle
me trouve trop gros. Elle me répète sans cesse que j’étais beaucoup plus
mince quand nous nous sommes mariés et que je me laisse aller. Elle
surveille ce que je mange et me jette un œil noir chaque fois que je
prends un gâteau. Il suffit que je me sente observé pour manger deux
fois plus. Je sais que c’est idiot, mais je ne supporte pas son attitude. »

En principe, le contexte détermine largement le choix des aliments ainsi


que la manière dont on les prépare ou les présente. Il existe une certaine
cohérence entre les plats, les aliments et le contexte dans lequel ils sont
servis qui dessine ce que l’on peut considérer comme les usages et les rites
alimentaires d’une société. Or il n’est pas rare, lors d’un régime, d’observer
des pratiques alimentaires en rupture avec ces usages. Il s’agit de stratégies
destinées à éviter la confrontation avec les aliments que l’on redoute. Elles
consistent à refuser de partager la nourriture des autres convives, parfois au
sein de sa propre famille (marginalisation) et peuvent aller jusqu’à refuser
de se rendre à des invitations de crainte de devoir transgresser ses règles
diététiques (désocialisation). Elles s’inscrivent dans des tableaux de
troubles du comportement alimentaire que vous devez aussi apprendre à
repérer.
Prenez soin également d’indiquer ce que vous faites pendant que vous
mangez. Peut-être êtes-vous simplement assis devant une table en train
d’apprécier votre repas et de discuter avec ceux qui le partagent. À moins
que vous ne soyez occupé à d’autres tâches : travail, télévision, lecture,
téléphone, ménage, préparation du repas. Ou bien mangez-vous debout dans
votre cuisine face à votre réfrigérateur ?

Comment se passent mes repas ?


Vous allez maintenant essayer de préciser les sensations alimentaires
que vous percevez. Vous devrez y attacher une grande importance. Ces
informations sont plus importantes que celles concernant les aliments que
vous mangez. Pour l’instant décrivez la faim, l’envie et la satiété
simplement comme vous les ressentez. Avant chaque prise alimentaire, au
cours ou en dehors d’un repas, vous essayerez de savoir si vous avez faim
ou s’il vous arrive parfois de manger sans faim. Après chaque prise
alimentaire, vous essayerez de savoir si vous vous sentez correctement
rassasié ou si vous avez parfois l’impression d’avoir trop mangé ou pas
assez mangé.
Si vous avez des envies que vous n’avez pas satisfaites vous pouvez
également en parler ici. Vous pouvez parfaitement écrire que vous avez
mangé une pomme alors que vous aviez envie d’un gâteau au chocolat.
Vous pouvez également inscrire que vous n’avez mangé qu’une assiette de
pâtes alors que vous en auriez volontiers pris une seconde. Ou que vous
avez piqué deux frites dans l’assiette de votre voisin pendant que vous vous
contentiez de vos courgettes bouillies. Bref, il s’agit de parler des absents,
les aliments dont vous avez eu envie et que vous n’avez pas mangés.
Enfin, vous essayerez de repérer les situations dans lesquelles vous avez
l’impression de trop manger, c’est-à-dire manger sans faim ou manger au-
delà de votre faim. Elles peuvent revêtir tous les aspects. Il peut aussi bien
s’agir de moments agréables, comme un repas entre amis, une soirée ou un
week-end. Ou de situations désagréables comme une journée éprouvante au
cours de laquelle vous vous sentiez fatigué, contrarié, anxieux, en colère,
triste, etc. Toutes ces situations peuvent vous faire manger davantage de
deux façons différentes.
— Vous mangez des aliments que vous n’aviez pas décidé de manger.
— Vous mangez de plus grandes quantités d’aliments que vous aviez
décidé de manger.
Les deux situations peuvent également se conjuguer entre elles et vous
conduire à manger de grandes quantités d’aliments que vous n’aviez pas
décidé de manger.

Leslie se lève tous les matins comme si c’était le grand jour. Elle
décide de ne plus manger d’aliments sucrés. Malgré cela, chaque après-
midi, elle « craque » et mange des gâteaux secs sans pouvoir s’en
empêcher. Ou encore, elle décide de se contenter au dîner de 100 g de
féculents, mais ne peut s’empêcher de se resservir et d’en manger une
trop grande quantité.

• Exercice
Nous allons maintenant introduire les premiers changements dans votre
manière de manger. Ils sont destinés à créer de meilleures conditions
d’observation et vous aider à mieux percevoir vos sensations alimentaires.
1. Quand vous mangez, efforcez-vous de ne rien faire d’autre en même
temps. Interrompez votre activité en cours, prenez le temps de manger
attentivement, puis reprenez votre activité. À table, tenez-vous-en aux
discussions avec les autres convives. Évitez les repas avec la
télévision. Si vous êtes seul et que la situation vous pèse, essayez de
vous contenter d’une simple musique de fond. Il est possible que
certains n’y parviennent pas. Nous essayerons d’en trouver la cause.
2. Prenez également le temps de manger plus lentement. Si vous n’y
parvenez pas, d’autres exercices pourront vous y aider.

Quelques questions fréquemment évoquées

Si je m’observe, ne vais-je pas perdre mon naturel ?


« Si je dois noter tout ce que je mange, je vais sûrement faire plus
attention et ce ne sera plus mon comportement naturel que j’observerai. Je
n’ai pas envie d’écrire que j’ai mangé des gâteaux ou que je me suis laissé
aller sur les pizzas. »
N’oubliez pas que la restriction comprend deux aspects : le contrôle et
la perte de contrôle. Dans les deux cas, il s’agit toujours de vous et de vos
difficultés avec la nourriture. De toutes les manières, si vous jouez le jeu
avec sincérité ce que vous n’avez pas voulu manger apparaîtra quand vous
parlerez de ce que vous auriez voulu manger.

Ne vais-je pas devenir encore plus obsessionnel ?


C’est une critique fréquente adressée à ceux qui utilisent la technique
du carnet alimentaire. En réalité, si vous n’êtes pas obsédé par vos aliments,
il y a peu de chance pour qu’écrire ce que vous mangez pendant quelques
semaines transforme à ce point votre personnalité. En revanche, si les
obsessions occupent déjà votre esprit, le carnet alimentaire ne les aggravera
pas davantage. Mais il jouera le rôle d’un révélateur qui vous indiquera
jusqu’à quel point les obsessions ont déjà envahi votre comportement
alimentaire.
Maintenant, c’est à vous de jouer. Essayez de réaliser une photographie
qui vous soit réellement fidèle, sans exagération dans un sens ou dans
l’autre. Puis, ne reprenez la suite de votre lecture qu’après une dizaine de
jours d’observations. D’ici là, en attendant de passer à la prochaine étape,
vous trouverez dans les pages qui suivent des connaissances plus théoriques
qui vous aideront à mieux comprendre la suite de notre travail. Si vous êtes
totalement allergiques aux concepts médicaux, vous pouvez effectuer une
lecture rapide en ne consultant que les encadrés ou même vous reporter
directement au chapitre sur les sensations alimentaires. Néanmoins, comme
un amaigrissement progressif est toujours plus profitable qu’un
amaigrissement trop rapide, je vous suggère de ne pas trop vous presser et
de prendre le temps d’y jeter un œil.
CHAPITRE III
Pour en savoir plus :
Comprendre autrement
l’équilibre pondéral
et le comportement
alimentaire

Nous allons envisager dans ce chapitre une manière différente de


considérer la prise de poids, l’obésité et même les troubles du
comportement alimentaire. Comme toujours, une nouvelle conception d’une
maladie apporte de nouvelles propositions de soins. Et ici, une façon
radicalement différente d’envisager l’amaigrissement. Les méthodes que
nous développerons s’inscrivent dans le cadre d’un modèle
biopsychosensoriel de l’obésité et aboutiront à une approche totalement
originale et nouvelle. Ne prenez pas la fuite, ce terme barbare indique
simplement que le modèle explicatif de l’obésité que nous allons décrire ici
intègre des dimensions biologiques, psychologiques et sensorielles.
J’essayerai de vous expliquer tout cela en douceur sans vous faire trop mal.
Il ne s’agit pas d’une panacée ou d’une méthode miracle, mais d’une
avancée essentielle dans la prise en charge des problèmes de poids et des
troubles du comportement alimentaire qui permettra à chacun de retrouver
son poids d’équilibre et de s’y maintenir sans plus jamais faire de régime.
Je n’ignore pas que l’usage recommande, quand on veut faire la promotion
d’un produit, d’insister en premier lieu sur toutes les merveilles qu’il pourra
accomplir avant d’évoquer ce qu’il ne fera pas. Mais, dans ce cas, émettre
des réserves, permettra de ne pas soulever de faux espoirs chez des
personnes légitimement avides de trouver les solutions qui soulageront leur
souffrance. Par ailleurs, les généticiens, même s’ils lui accordent une
importance certaine, s’entendent tous aujourd’hui à reconnaître la part
relative de la génétique dans le développement de l’obésité. Interrogé dans
une revue médicale, un célèbre généticien répondait : « Non, l’hérédité
n’est pas seule en cause. L’obésité est avant tout une maladie déterminée
par l’environnement et les modifications du comportement. » La plupart des
problèmes de poids et des troubles des conduites alimentaires sont donc du
ressort d’intervention sur le comportement alimentaire et le contexte
psychologique dans lequel évolue la personne. Ce qui, fort heureusement,
laisse entrevoir des solutions dans un grand nombre de cas.

Maigrir sans faire de régime


Le régime n’est, en vérité, que la manière institutionnelle d’imposer une
restriction cognitive dont la nocivité n’est plus à démontrer. Tous les
spécialistes s’accordent aujourd’hui à admettre qu’il n’est pas possible
d’obtenir une perte de poids autrement que par une réduction calorique.
Cependant, ils sont généralement tout aussi convaincus qu’il n’existe pas
d’autres moyens de l’obtenir qu’en s’imposant un régime et, par
conséquent, en instaurant un état de restriction cognitive. Certains d’entre
eux sont même parfaitement conscients des dangers de telles pratiques,
mais ne semblent pourtant pas disposés à les abandonner1. L’objet de cet
ouvrage est précisément de démontrer le contraire : il est possible d’obtenir
une réduction calorique sans imposer une restriction cognitive. Ce qui
revient, en termes plus simples, à affirmer qu’il est possible de manger
moins sans faire de régime.

Les trois hypothèses du modèle biopsychosensoriel


Le modèle biopsychosensoriel s’appuie sur des connaissances
développées ces trente dernières années dans le domaine des neurosciences,
démontrant que les apports alimentaires d’un individu sont contrôlés par
son organisme. Et surtout que ce contrôle permet à l’individu de se
maintenir à son poids génétiquement déterminé, appelé « set-point » par les
nutritionnistes. À l’heure actuelle, beaucoup d’éléments de ce modèle n’en
sont encore qu’au stade d’hypothèses cliniques et des recherches plus
approfondies sont encore nécessaires pour pouvoir disposer de preuves
scientifiques. Si les résultats sont véritablement prometteurs, il n’en reste
pas moins qu’ils ne sont pas encore totalement expliqués. Et que de
nombreux points paraissent encore obscurs. Néanmoins, je vous propose
d’examiner avec moi les trois hypothèses sur lesquelles reposent l’approche
biopsychosensorielle ainsi que l’approche clinique qu’elles m’ont permis de
développer.

Première hypothèse : le poids d’équilibre est celui que l’on maintient


quand on mange selon ses sensations alimentaires

L’individu possède une compétence


psychophysiologique lui permettant d’ajuster
spontanément sa consommation d’aliments à sa dépense
énergétique et de se maintenir autour de son poids
d’équilibre (set-point) qui est génétiquement déterminé.

RÉGULATION PONDÉRALE

Pourquoi ce modèle d’explication est-il sensoriel ?

Ce sont les sensations alimentaires qui permettent à


l’individu de manger en fonction de ses besoins et de se
maintenir spontanément au poids auquel il a été
génétiquement programmé.

Imaginons une personne dont l’organisme dépenserait en moyenne


2 500 calories par jour et dont le poids serait stable. Que pourrait-on
déduire de ses apports alimentaires ? Pour la totalité des nutritionnistes et
des scientifiques, il va de soi que les apports caloriques de cette personne se
situeraient à un niveau strictement équivalent à celui de ses dépenses et
qu’elle consommerait donc 2 500 calories en moyenne chaque jour. Il est,
en effet, aujourd’hui parfaitement admis par l’ensemble de la communauté
médicale, sans plus aucune contestation, que la prise de poids et l’obésité
résultent d’un déséquilibre de la balance énergétique et non de prétendues
combinaisons alimentaires. D’une manière ou d’une autre, la personne qui
consomme plus de calories qu’elle ne peut en dépenser accumule un
surpoids qui se constitue sous forme de graisse. Et cela, c’est très important,
quelle que soit la nature des calories consommées en excès, protéines,
glucides ou lipides. Les chercheurs en sont aujourd’hui convaincus et nous
mettent donc ici en présence d’une notion essentielle pour la
compréhension de ce modèle : « Toute augmentation marquée et prolongée
des apports énergétiques est toujours associée à un gain de poids et de
masse grasse, indépendamment du contenu en glucides (sucres) et en lipides
(graisses2). » À quoi bon, dès lors, jeter l’opprobre sur une catégorie
d’aliments plutôt qu’une autre ?
Supposons maintenant que cette personne commet quotidiennement une
infime erreur et augmente seulement de 1 % sa consommation calorique,
soit 25 calories de plus tous les jours. Les conséquences pondérales seraient
tout simplement catastrophiques. En effet, comme les énergéticiens ont pu
le calculer, l’accumulation quotidienne de ces 25 calories entraînerait, au
bout de dix ans, une augmentation de 9 kg de son poids corporel ! Pour
réaliser l’insignifiance de ce petit écart, rappelons que 25 calories ne
représentent qu’un malheureux carré de sucre dans le petit noir du matin ou
100 g de haricots verts. Or nous connaissons tous, heureusement, des
personnes qui n’accumulent pas 9 kg de graisses chaque décennie. Si,
pendant toutes ces années, ces personnes sont parvenues à maintenir leur
poids, nous pouvons logiquement en déduire qu’elles n’ont donc pas
commis cette minuscule erreur. Comment, diable, ont-elles bien pu s’y
prendre ? Comment ont-elles réussi, toute leur vie durant, à ne jamais se
tromper de seulement 25 calories, un simple petit sucre tous les jours ?

RÉGULATION PONDÉRALE

Ces personnes connaissent-elles le niveau de leurs dépenses


énergétiques ? Sûrement pas, il n’existe aucun moyen simple de le mesurer.
Seules quelques machines existent en Europe. Se pourrait-il alors qu’elles
connaissent le niveau de leurs apports alimentaires ? Sûrement pas non
plus. Pour y parvenir il faudrait que ces personnes disposent en permanence
d’une balance qui pèserait au gramme près tous les aliments qu’elles
consomment. Une petite erreur sur un gramme d’huile dans
l’assaisonnement d’une salade modifierait déjà le calcul de 9 calories. Il
faudrait aussi qu’elles puissent disposer d’une table de composition des
aliments d’une extrême précision. Mais encore faudrait-il qu’elles
interrogent leurs amis, les restaurateurs, leurs commerçants… sur la
composition exacte des plats qu’on leur propose. Et là encore, comment
savoir si la composition de la tranche de jambon que leur a vendue le
charcutier correspond bien à celle qui est référencée dans les tables ? En
1998, les agriculteurs annonçaient que la récolte de mirabelles était 15 %
plus sucrée que celle des années précédentes. Tout cela ne peut, bien
entendu, jamais figurer dans les tables de composition des aliments. Il faut
donc bien admettre qu’il ne sera jamais possible à personne de connaître à
1 % près le niveau énergétique de ses apports caloriques.
Alors, comment font-elles ? Elles ne savent ni ce qu’elles dépensent ni
ce qu’elles consomment et pourtant elles ajustent, en moyenne et sans
jamais se tromper, leur consommation alimentaire à leurs dépenses
énergétiques. Quel est donc ce mystérieux secret ? Eh bien, c’est tout
simplement qu’elles se laissent guider par leurs sensations alimentaires. Les
seules informations dont disposent ces personnes ne sont rien d’autre que
la connaissance de leur état de faim et de satiété. « Ai-je faim et ai-je assez
mangé ? » Rien d’autre. Grâce à quoi, elles savent toujours quelles
quantités de nourriture leur sont nécessaires. Vous verrez bientôt comment
les sensations alimentaires expriment d’une manière extrêmement précise
les besoins de l’organisme.
En réalité, la plupart des personnes ne maintiennent pas le même poids
tout au long de leur vie. En France, les études anthropométriques montrent
qu’entre l’âge de 20 et 60 ans, pour des raisons probablement autant
environnementales que physiologiques, les femmes gagnent en moyenne
8 kg et les hommes 12 kg. F. Bellisle souligne qu’« une telle augmentation
du poids représente une augmentation de 250 g par an et témoigne de la
précision extraordinaire des mécanismes de régulation3 ». Pour gagner
250 g de poids par an, il suffit donc d’un simple déséquilibre de moins de 5
calories par jour sur les apports ou les recettes. Cette évolution du poids
d’équilibre mérite d’être soulignée, car elle permet d’attirer l’attention sur
les désirs illusoires de ceux qui prétendent à 40 ans ou plus retrouver le
poids de leurs 20 ans.

RÉGULATION PONDÉRALE
Pourquoi ce modèle d’explication est-il biologique ?

Les sensations alimentaires guident l’individu dans le


choix de ses aliments et la détermination de leur
quantité. Ces sensations traduisent les concentrations de
neuromédiateurs qui gèrent les stocks énergétiques de
l’organisme et les besoins dans les différents
nutriments.

Les sensations alimentaires sont donc essentielles dans la mesure où


elles permettent à l’individu d’ajuster ses apports alimentaires à ses besoins.
Ces sensations disposent naturellement de supports anatomiques et
biologiques et résultent des différents systèmes de régulation présents dans
l’organisme. Dès 1940, des chercheurs avaient émis l’hypothèse selon
laquelle le comportement alimentaire résultait d’une interaction entre deux
zones de l’hypothalamus, une glande située à la base du cerveau : le noyau
ventro-médian et l’hypothalamus latéral. La première était considérée
comme le centre de la satiété et la seconde comme le centre de la faim.
Cette théorie a cependant été remise en question dans les années 1970 où
l’on a démontré que le comportement alimentaire était sous le contrôle d’un
ensemble anatomobiologique bien plus complexe. Pour simplifier, nous
dirons que cet ensemble comprend trois entités4 : un ensemble de capteurs
dispersés dans tout le corps, un réseau de transmission des informations et
un centre de commandement localisé dans diverses zones du cerveau.

La biologie
du comportement alimentaire

1. Un ensemble de capteurs. Tous les événements se produisant


dans l’organisme constituent un ensemble d’informations collectées
par des millions de capteurs qui les analyseront pour les transmettre
au cerveau. Il s’agit de récepteurs qui mesurent à chaque instant les
modifications chimiques, physiques, mécaniques, électriques du
milieu intérieur. Ces récepteurs sont généralement des terminaisons
nerveuses, mais peuvent également être les cellules elles-mêmes. À
chaque séquence alimentaire, ils analyseront les qualités
organoleptiques des aliments, en détailleront la composition, puis tous
les change ments qu’ils entraîneront dans le milieu intérieur. Cette
capacité à saisir tous ces événements détermine la sensibilité de
l’organisme.
2. Un réseau de transmission. Ces informations seront ensuite
transmises à d’autres cellules, particulièrement à celles du cerveau.
Pour véhiculer ces messages, l’organisme dispose de deux moyens de
communication privilégiés. D’une part, la voie nerveuse qui se
présente comme un immense réseau de câbles électriques. D’autre
part, la voie humorale qui utilise les hormones comme de véritables
messagers transportant l’information d’une cellule à une autre. Leur
fonction est d’informer le cerveau sur le statut nutritionnel et l’état
des réserves énergétiques de l’individu. Ces hormones peuvent aussi
bien être sécrétées par le cerveau lui-même, l’appareil digestif ou le
tissu adipeux. Les plus importantes sont déjà bien connues, il s’agit de
la très ancienne insuline ou de la toute jeune leptine qui a récemment
beaucoup fait parler d’elle. C’est, en effet, en 1994, que les chercheurs
ont découvert le fameux « gène de l’obésité », qui permet la synthèse
de la leptine. Il s’agit d’une substance jouant un rôle déterminant dans
la satiété. L’individu qui en est privé ne parvient pas à se rassasier,
mange de grandes quantités de nourriture et devient obèse. Cette
anomalie, très rare, ne permet donc pas d’expliquer la fréquence de
cette maladie.
3. Un centre de commandement. Enfin, toutes ces informations
aboutissent au cerveau au niveau des régions impliquées dans la
régulation des apports alimentaires qui traiteront automatiquement ces
données, en dehors du champ de la conscience. La plupart se situent
dans l’hypothalamus, qui semble bien se comporter comme le
terminal de toutes les informations concernant la régulation des prises
alimentaires. Nous savons aujourd’hui que d’autres zones de la glande
sont également impliquées dans cette régulation : les noyaux
paraventriculaires, dorsomédians, arqués, et suprachiasmatiques.
Ainsi que d’autres régions du cerveau : le système limbique et le tronc
cérébral. Chacune de ces zones cérébrales est capable de modifier le
fonctionnement des autres zones en sécrétant des substances qui
pourront agir à distance, les neuromodulateurs. Certains sont connus
depuis déjà longtemps (adrénaline, noradrénaline, sérotonine…), mais
beaucoup ont été découverts dans les cinq dernières années et assurent
un rôle primordial dans la régulation du comportement alimentaire
(NPY, galanine, corticolibérine, mélanocortine…). Certains agissent
en stimulant la prise alimentaire, d’autres en l’inhibant. Les
chercheurs ont actuellement identifié une quinzaine de ces systèmes
qui agissent tous en même temps et exercent de façon synergique des
interactions les uns sur les autres.

Cet ensemble forme ainsi un réseau très complexe qui gère l’équilibre
entre substances qui stimulent ou réduisent les appétits pour contrôler
inconsciemment la prise de nourriture, tant sur le plan quantitatif que
qualitatif. La redondance de ces systèmes de régulation présente toutefois
des avantages et des inconvénients. L’avantage est que la déficience de l’un
des systèmes sera généralement palliée par la surproduction de tous les
autres. On connaît ainsi des souris totalement déficientes en neuropeptide Y,
un neuromodulateur extrêmement puissant, mais qui conservent pourtant un
comportement alimentaire parfaitement normal. L’inconvénient est qu’il
sera difficile de trouver des médicaments qui pourront bloquer l’un de ces
systèmes sans que leurs effets soient aussitôt annulés par une surproduction
de tous les autres.
Tous ces neuromédiateurs jouent donc le rôle d’indicateurs renseignant
l’organisme sur l’état de ses besoins. Ils lui permettent de savoir à chaque
instant de quels nutriments5 il a besoin et en quelles quantités. Et ainsi de
maintenir son poids autour d’une valeur d’équilibre et de satisfaire ses
besoins dans les différents nutriments qui lui sont nécessaires. Cependant
l’individu n’a naturellement pas accès aux concentrations de ces différents
neuromédiateurs et n’a donc pas directement accès aux indications qu’ils
apportent. Il lui faut pour cela disposer d’une interface qui s’adressera à lui
dans un langage compréhensible. Un peu comme l’interface graphique d’un
ordinateur qui permet à l’utilisateur de déchiffrer les calculs de son
microprocesseur. L’interface qui permettra au mangeur d’avoir accès à ses
besoins sera constituée par ses sensations alimentaires : la faim, le
rassasiement, la satiété. Ce sont elles seules qui le guideront dans le choix
de ses aliments et la détermination de leur quantité.

La biologie, c’est aussi les gènes

La génétique joue un rôle sur le poids


Certaines personnes présentent une génétique
déterminante leur imposant un set-point, c’est-à-dire un
poids d’équilibre, élevé.
Certaines personnes présentent une génétique facilitante
les exposant à grossir facilement. Elles peuvent ainsi
dépasser leur poids d’équilibre ou le déplacer à un
niveau supérieur. Ces formes d’obésité sont plus
sensibles aux influences environnementales.
Enfin, le modèle est également biologique dans la mesure où le poids
que l’on peut maintenir au cours de sa vie est déterminé génétiquement. En
équilibrant ses apports à ses dépenses énergétiques, chacun se maintiendra
spontanément, sans aucun effort, à ce que les physiologistes considèrent
comme le poids d’équilibre, encore appelé set-point ou valeur de consigne.
Le poids comme la taille ou d’autres caractéristiques morphologiques sont
déterminés par des facteurs génétiques. Nous n’avons pas tous la même
taille ni le même poids et l’existence d’antécédents familiaux d’obésité
expose à un risque plus élevé de devenir obèse. Ces notions ont été
confirmées par les études sur les jumeaux monozygotes (les vrais jumeaux)
disposant donc du même code génétique, mais qui étaient élevés
séparément. Elles montraient l’existence d’une corrélation entre la
corpulence des enfants et celle de leurs parents biologiques6. Certaines
corpulenses élevées peuvent être considérées comme « normales » et
correspondent à des variations morphologiques normales dans une
population composée d’individus différents. De la même manière que
certains sont plus grands ou plus maigres que d’autres sans que personne
n’y voie d’anomalies. Le sujet est simplement plus corpulent que la
moyenne des individus. Certaines personnes seraient donc génétiquement
déterminées pour avoir une faible ou une forte corpulence. Et cela quelle
que soit l’importance de leurs besoins énergétiques. Ainsi, certains
individus affichant une maigreur constitutionnelle possèdent un organisme
très dispendieux et sont parfois obligés de consommer de grandes quantités
de nourriture pour maintenir un poids inférieur aux normes médicales
(IMC < 207). À l’opposé, d’autres individus disposent d’un organisme très
économe et peuvent se contenter de faibles quantités de nourriture pour
maintenir un poids normal (IMC compris entre 20 et 25) ou même supérieur
aux normes médicales généralement admises (IMC > 25). Il est donc
clairement établi qu’à poids égal, et quel que soit ce poids, les besoins
énergétiques seront différents d’un individu à l’autre.
Mais nos différences vont encore au-delà, dans la mesure où nous
sommes aussi inégaux dans la facilité à grossir. Dans une célèbre
expérience8, on obligea durant huit semaines des volontaires à manger
1 000 calories de plus que leur ration habituelle. Le gain de masse grasse
sous l’effet de cette suralimentation se révéla très variable selon les sujets,
entre 0,36 et 4,23 kg. On explique aujourd’hui ces différences par
l’efficacité variable des processus d’adaptation physique et métabolique. Il
ne fait pas de doute qu’en maintenant cette contrainte durant plusieurs mois
ou années tous auraient fini par grossir considérablement, tout simplement
par usure de leurs capacités adaptatives.

Les obésités génétiques

D’autres obésités, en revanche, seront considérées comme


pathologiques et semblent être consécutives à des anomalies du
génome. Les généticiens ont réussi à démontrer l’existence de
plusieurs gènes engagés dans la régulation du poids, le contrôle du
comportement alimentaire et la possibilité pour chacun de plusieurs
variations possibles. Mais il est probable que les gènes mis en
évidence jusqu’à présent ne jouent, au mieux, qu’un rôle facilitant
dans les formes communes d’obésité humaine9. Les obésités liées à
une anomalie d’un seul gène sont généralement plus sévères, mais
restent très exceptionnelles chez l’homme. Le déficit en leptine entre
dans ce cadre et se manifeste par une obésité massive dès les premiers
mois de la vie. Les anomalies les plus connues portent à l’heure
actuelle sur des gènes impliqués dans le contrôle des apports
alimentaires qui ne parviennent plus à s’ajuster au niveau des
dépenses énergétiques. Au bout du compte, le grand nombre de gènes
impliqués dans l’obésité rend particulièrement difficile la
compréhension de la transmission de cette maladie. Mais surtout, les
travaux des experts les plus sérieux ont permis d’établir la faible part
de la génétique dans l’expression de l’obésité. L’effet génétique ne
pourrait, selon eux, expliquer que 5 % des variations de l’IMC et
seulement 20 à 25 % de la masse grasse. Et tous concluent à une
obésité qui serait davantage le résultat d’une interaction entre des
facteurs environnementaux et une génétique jugée facilitante plutôt
que déterminante. La plupart semblent même conclure à une
prédominance des facteurs environnementaux et comportementaux
qui pourraient entraîner une obésité dès lors que les facteurs
génétiques le permettraient.

En regard du set-point, toute prise de poids n’est malheureusement pas


égale. Il nous faut distinguer deux situations dont les conséquences sur
l’avenir du poids et de la santé sont profondément différentes.
En premier lieu, nous devons considérer que le poids et le set-point
d’une personne sont deux grandeurs distinctes dont les valeurs tendent
généralement à se confondre, mais pas obligatoirement. Ainsi, une personne
dont le set-point serait de 70 kg pourrait avoir un poids qui oscillerait autour
de cette valeur, parfois se superposer à elle et parfois très sensiblement la
dépasser. Toute variation de son poids n’exprimerait pas forcément une
variation de son set-point.
Il faut ensuite distinguer un premier groupe de personnes dont le set-
point est fixé à un niveau élevé : soit parce qu’il en a toujours été ainsi dès
le début de leur vie du fait de leur programme génétique, soit parce que leur
set-point s’est élevé au cours de leur existence. Peut-être avaient-ils un
poids normal dans leur jeune âge, tout en présentant une prédisposition à
grossir, pour peu que les circonstances de la vie le leur permettent. Le fait
que le set-point soit génétiquement programmé ne signifie pas qu’il ne
puisse plus changer au cours de la vie. Bien des maladies qui apparaissent
en milieu ou en fin de vie ont un déterminisme génétique qui ne se
manifestait pas jusqu’alors.
Il faut également distinguer un second groupe de personnes dont le
poids s’élève, mais pas leur set-point. Leur poids dépasse leur set-point.
Ceux-là sont programmés pour peser un certain poids qu’ils peuvent parfois
dépasser dans certaines circonstances.
Ainsi lorsque des personnes grossissent, il nous faut apprendre à
différencier celles dont le poids et le set-point ont augmenté de celles dont
seul le poids a augmenté tout en conservant le même set-point. L’avenir de
leur poids et de leur santé ne sera pas le même.
Des histoires de poids

Set-point élevé dès le début de la vie


Benjamin est issu d’une longue lignée d’obèse. Ses parents, ses
grands-parents, plusieurs de ses oncles et tantes souffrent d’une forte
obésité. Dès sa petite enfance son poids s’est écarté des courbes de
corpulence moyenne. Cela a été signalé très tôt par son pédiatre et les
médecins scolaires. Ce fut donc un gros bébé, un enfant dodu, un
adolescent costaud puis un adulte obèse. Toute sa vie fut émaillée de
régimes et autres tentatives amaigrissantes. À aucun moment, il ne se
rappelle avoir mangé sans surveiller son alimentation. Ses pertes de
poids, obtenues après d’assez longs efforts, étaient souvent minimes,
parfois importantes, mais toujours suivies d’une reprise de tout le
poids perdu dans des délais généralement très courts. Au bout du
compte, son obésité n’a jamais disparu. Elle a même progressivement
augmenté.

Le set-point s’élève tout au long de la vie


Marie-Rose pesait 3,5 kg quand elle est née. Elle est restée dans la
moyenne pondérale jusqu’à la puberté. Il faut bien avouer qu’elle n’a
guère apprécié ses premières formes de femmes, et surtout de ne plus
pouvoir enfiler ses premiers pantalons moulants. Elle s’est mise au
régime, un peu comme tout le monde. Et elle a plutôt bien maigri.
L’ennui c’est qu’ensuite elle a plutôt bien regrossi, plus qu’elle n’avait
maigri, et qu’il était encore plus difficile d’enfiler les pantalons
moulants. Elle a donc commencé un nouveau régime, plus efficace
que le précédent. Et elle a plutôt bien maigri… Le reste de sa vie est à
l’avenant. Elle ne compte plus les régimes qu’elle a faits. Ni le poids
qu’elle a pris. Elle est devenue obèse et contemple avec désespoir les
photos de sa jeunesse. Où décidément, elle trouve aujourd’hui qu’elle
n’était pas si mal foutue que ça.

Le poids augmente, mais pas le set-point.


Solenne n’a jamais connu de problème de poids. Elle a toujours
mangé avec insouciance et n’a jamais souffert du moindre complexe
physique. Elle a vécu une enfance plutôt heureuse mais dans une
famille peut-être un peu trop stricte. Les sorties, les amusements, les
copains n’étaient pas la préoccupation essentielle de ses parents. Son
père, issu d’un milieu modeste, avait l’obsession de pousser sa fille le
plus loin possible dans les études. Sa mère avait une conception assez
simplifiée de l’équilibre alimentaire : pas de sucrerie, pas de plats en
sauce à la maison. Quand, la première fois, Solenne a quitté le
domicile familial pour un séjour linguistique en Australie, elle s’est
« lâchée ». Et en a bien profité. À son retour ses parents n’ont pas été
terriblement frappés par les progrès accomplis en anglais mais plutôt
par les 8 kg qu’elle avait rapportés. Sans aucun régime, simplement
en ne mangeant plus comme s’il fallait rattraper le temps perdu, elle
est revenue à son poids initial.

COMMENT ON DEVIENT DÉFINITIVEMENT « GROS »


Les chercheurs ont longtemps pensé que le stock de cellules graisseuses
était définitivement constitué dès la petite enfance. Nous savons
aujourd’hui qu’il en va autrement et, grâce aux nouvelles connaissances sur
la physiologie du tissu adipeux, nous pouvons expliquer les mécanismes
aboutissant à l’augmentation du set-point.
Nos adipocytes assurent le stockage de nos réserves énergétiques.
Lorsqu’une personne consomme plus d’énergie qu’elle n’en dépense
(surconsommation), l’énergie excédentaire est automatiquement dirigée
vers les cellules graisseuses, dont le volume augmente alors. On désigne ce
processus cellulaire par le terme d’hypertrophie adipocytaire. Ce
mécanisme est totalement réversible. La disparition des surconsommations
permet aux adipocytes de revenir à leur taille initiale et à la personne de
retrouver son poids précédent.
Toutefois si les comportements de surconsommation perdurent, les
cellules finissent, après une certaine croissance, par atteindre une taille
critique, qu’elles ne pourront plus dépasser. Privé de ce moyen de stockage,
l’organisme devra inventer une nouvelle solution de stockage en multipliant
le nombre de ses adipocytes. À l’inverse du précédent, ce processus qu’on
appelle hyperplasie adipocytaire n’est pas réversible ! Ces nouvelles
cellules s’installent définitivement dans le tissu adipeux. Le sujet ne
posséde plus le même nombre de cellules. Il n’a plus le même corps. Son
set-point a augmenté ! Chez ces personnes, tout kilo pris est un kilo
définitivement installé !
Leur système sera désormais conçu pour défendre obsessionnellement
une nouvelle valeur de consigne.
En réalité, l’augmentation du poids résulte presque toujours de la
participation des deux processus qui se mobilisent généralement en même
temps et dans des proportions très variées. Ainsi, la prise de poids peut être
totalement consécutive aux processus hypertrophiques ou totalement
consécutive aux processus hyperplasiques. Toutefois, le plus souvent, les
deux processus se combinent et mêlent dans les proportions inconnues une
part de réversibilité et d’irréversibilité. Dans ces conditions, on comprend
qu’il devient impossible et même malhonnête de promettre à une personne
qui a grossi qu’elle pourra revenir à son poids initial ! Mais il est vrai que
les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent.
Cette physiologie nous met donc en présence de deux anomalies
radicalement différentes. Dans le cas d’une croissance hypertrophique du
tissu adipeux, l’obstacle à la perte de poids est un dérèglement du
comportement alimentaire qui conduit les individus à manger au-delà de
leurs besoins. Les mécanismes qui permettent l’ajustement des apports
alimentaires à la dépense énergétique sont pris en défaut. Même si la tâche
est ardue, les chances de modifier cette situation existent.

L’effet yo-yo

Il est naturellement possible, malgré la difficulté et à l’aide d’un


régime amaigrissant, de faire passer son poids au-dessous de son set-
point. On ressentira bien un peu la faim, mais avec quelques
stratagèmes alimentaires et un bel enthousiasme, on pourra bien la
supporter quelque temps. Mais quand les kilos reviendront, et parfois
en plus grand nombre, comment savoir si la croissance du tissu
adipeux s’est effectuée de façon hypertrophique ou hyperplasique ?
Les risques d’un effet rebond et d’une croissance sur le mode
hyperplasique sont loin d’être négligeables. Ce qui ne manquerait pas
d’aggraver toutes les raisons qui, à tort ou à raison, avaient motivé la
perte de poids.
C’est bien souvent la répétition d’un trop grand nombre de
régimes suivis d’un effet rebond « hyperplasique » qui aboutit à la
constitution de surpoids ou d’obésités irréversibles. Ce phénomène
porte le nom d’effet yo-yo. Il se traduit par une évolution ascendante
du poids au cours de la vie malgré des efforts d’amaigrissement de
plus en plus importants et infructueux.

Dans le cas d’une croissance hyperplasique du tissu adipeux, l’obstacle


est un dérèglement un tissu adipeux qui conduit à une augmentation du
poids d’équilibre évoluant quelques fois jusqu’à l’obésité morbide associée
à son cortège de complications médicales et chirurgicales. On peut
malheureusement être obèse et se trouver à son poids d’équilibre ! Et
comme un malheur n’arrive jamais seul, il faut avouer qu’à l’heure actuelle
la médecine ne dispose d’aucun moyen de faire baisser le set-point ou de
maintenir durablement une personne au-dessous de son set-point.
L’obésité se présente donc comme la somme de deux dérèglements qui
prend le mangeur en tenaille : un dérèglement du comportement qui le fait
grossir et un dérèglement du tissu adipeux qui l’empêche de maigrir !

« Je ne me dépense pas assez » : l’activité physique fait-elle maigrir ?

Chez le mangeur régulé, l’activité physique ne permet


pas de maigrir. Elle le conduit tout simplement à
augmenter ses apports alimentaires afin qu’il puisse
maintenir son poids.
Depuis plus de quinze ans, je m’occupe de sportifs de tout niveau. Des
débutants qui se mettent au sport pour perdre du poids et retrouver leur
condition physique. Des champions du monde qui pensent améliorer leur
performance en modifiant leur alimentation ou en perdant un peu de masse
grasse. J’ai moi-même étudié les effets de l’activité physique sur le poids en
constituant des groupes de personnes en surpoids, totalement sédentaires à
l’origine et que nous avons suffisamment entraînées pour les rendre
capables de courir un marathon, après un an d’entraînement intensif. J’ai
donc pu comparer mon expérience avec celles des auteurs publiant leurs
résultats dans la presse médicale spécialisée.
Dans un système régulé, l’augmentation des dépenses énergétiques a
peu de chance de s’avérer une bonne solution puisque, pour maintenir un
équilibre énergétique, l’organisme réagira à moyen terme par une
exacerbation des sensations alimentaires destinées à augmenter
proportionnellement les apports alimentaires dans le but de compenser la
dépense supplémentaire. Un mangeur régulé qui décide soudainement de se
consacrer plusieurs fois par semaine à l’apprentissage du tennis augmentera
sa dépense énergétique et sentira son appétit augmenter. Il mangera
spontanément davantage pour compenser cette dépense supplémentaire et
ne verra donc pas son poids diminuer. À moins que cet exercice physique
soit suffisant pour développer sa masse musculaire qui elle-même
entraînera peut-être une légère diminution de sa masse graisseuse. Ainsi la
plupart des études se contentent de constater que le sport et l’activité
physique, en dehors d’un changement d’alimentation, s’ils permettent
quelques modifications morphologiques, ne produisent que très peu d’effet
sur le poids. Si notre joueur de tennis néophyte décide par la suite
d’abandonner le tennis pour se consacrer dorénavant à la belote, la
diminution de ses dépenses énergétiques se soldera par une diminution de
ses sensations de faim et une réduction de ses apports alimentaires. Ses
muscles fondront et retrouveront rapidement leur aspect initial. Quand on
passe en revue l’ensemble des travaux qui ont testé l’effet sur la perte de
poids de l’activité physique non associée au régime, seuls les programmes
les plus lourds ont entraîné un amaigrissement. Les programmes les plus
modérés n’ont permis d’obtenir que des résultats modestes et inconstants.
De plus, la même quantité de sport peut faire maigrir des sujets de poids
normal alors qu’elle ne produit aucun résultat sur des sujets obèses. Si bien
que pour perdre du poids en faisant du sport et sans faire de régime, il faut
ou bien faire beaucoup de sport, ou avoir très peu de poids à perdre.
Beaucoup d’auteurs pensent démontrer l’intérêt de l’activité physique
en citant l’exemple des sportifs de haut niveau qui grossissent quand ils
arrêtent la compétition. C’est mal connaître le milieu sportif. La plupart de
ces athlètes s’imposent des régimes depuis leur plus jeune âge. Ils
surveillent souvent méticuleusement aussi bien leur poids que leur manière
de manger qui sont également très contrôlés par leurs entraîneurs. D’un
point de vue diététique, la fin des années de compétition est souvent vécue
par ces jeunes sportifs comme une délivrance qui leur permettra de manger
enfin selon leur fantaisie. Ces phénomènes prennent d’autant plus d’acuité
dans les sports à catégorie de poids, la danse, la gymnastique, le jogging,
mais on les voit maintenant envahir des sports jusqu’ici épargnés comme le
football, le rugby, le tennis. Il faut ajouter à cette délivrance un changement
de vie qui peut déstabiliser ces jeunes gens habitués à des journées entières
consacrées à l’entraînement, des semaines rythmées par des compétitions et
des saisons marquées par des déplacements nationaux ou internationaux.
L’entrée dans une vie active moins trépidante, plus ordinaire, peut entraîner
chez beaucoup d’entre eux des réactions dépressives qui influenceront
d’autant plus le comportement alimentaire qu’il aura été fragilisé par des
restrictions passées.
L’activité physique, considérée d’un point de vue strictement
énergétique, présente finalement assez peu d’intérêt. En revanche, il est des
aspects rarement envisagés qui mériteraient sans doute davantage
d’attention. D’une part, l’activité physique constitue pour beaucoup un bon
régulateur émotionnel. On évacue ses tensions dans l’effort physique plutôt
que dans la nourriture. D’autre part, une activité physique basée sur le
développement de la conscience des sensations corporelles peut améliorer
la perception d’autres sensations et tout particulièrement celle des
sensations alimentaires. Il s’agit là d’une voie de recherche encore très peu
explorée et qui pourrait se révéler prometteuse. Des travaux sont encore
nécessaires pour vérifier l’hypothèse selon laquelle un individu améliorant
la perception de ses sensations corporelles développerait une acuité lui
permettant d’augmenter la perception de ses sensations alimentaires.
La première hypothèse du modèle biopsychosensoriel est aujourd’hui
validée par de nombreux travaux. Elle suppose donc que le mangeur régulé
se maintient sans effort à un poids génétiquement déterminé et sans tenir
compte de la nature de ses apports alimentaires ni de son niveau d’activité
physique. Simplement en s’appuyant sur les sensations alimentaires
produites par son organisme.

Deuxième hypothèse : la défaillance de cette régulation naturelle peut


entraîner une prise de poids
Si tant de personnes grossissent au cours de leur vie, c’est donc sans
aucun doute qu’elles échappent à cette régulation. Elles démontrent, d’une
part, que ce système est faillible et facilement influençable par de nombreux
événements que nous allons examiner ensemble. Et, d’autre part, elles
incitent à proposer une nouvelle définition clinique de l’obésité :

La prise de poids résulte généralement d’un


dérèglement des mécanismes de contrôle du
comportement alimentaire qui conduit à manger plus
que ce que l’organisme a dépensé.
La difficulté à perdre du poids s’explique par
l’existence d’une anomalie du tissu adipeux.

Pourquoi le modèle d’explication est-il psychologique ?

Le centre de la faim est sous l’influence de l’émotion et


de la pensée.
L’équilibre énergétique et nutritionnel dépend de nos sensations
alimentaires. Ce contrôle peut facilement être perturbé par des agents
dérégulateurs qui conduisent le mangeur à surconsommer par rapport à ses
besoins physiologiques et dont l’origine est avant tout psychologique ou
cognitive. Ces surconsommations provoquent un surpoids quelle que soit, je
le répète, la nature des aliments absorbés.
La régulation énergétique s’opère essentiellement dans l’hypothalamus,
et par conséquent à un niveau qui échappe totalement à notre conscience.
L’hypothalamus, après avoir traité des milliers d’informations traduisant la
sensibilité et les besoins de l’organisme, émet ensuite des sensations
alimentaires qui guident le mangeur dans son comportement. Cependant ces
sensations avant de se traduire par un comportement doivent encore être
traitées par les structures supérieures du cerveau, le cortex, qui, en dernier
ressort, effectuera les ultimes arbitrages. Lors d’une très belle expérience
sur les souris, publiée dans la revue Science, le Dr DeFalco a réussi à
visualiser les circuits nerveux qui parvenaient au centre de la faim. Il a ainsi
pu démontrer que, en plus des informations provenant des cellules
adipeuses, l’hypothalamus recevait également des messages provenant des
centres supérieurs qui contrôlent les émotions et la pensée.
Pour mieux comprendre, on peut imaginer que l’hypothalamus ne
constitue pas une instance décideuse mais tient seulement le rôle de
conseiller : « Je te conseille de manger du pain. » Le cerveau supérieur, le
cortex, devra ensuite traiter cette information en même temps que beaucoup
d’autres qui lui parviennent par ailleurs : « Ce n’est pas l’heure de manger,
le pain fait grossir, le chocolat te remontera mieux le moral, ce pain n’est
pas biologique, j’ai oublié d’acheter le pain, je n’ai pas le temps de manger,
il faut en garder pour demain, etc. », et prendre enfin une décision qui
résultera de la hiérarchie de ses priorités. Les signaux qui parviennent à
l’hypothalamus ne traduisent finalement qu’une sensibilité physiologique.
Ce n’est qu’après avoir été traités par les structures supérieures qu’ils
deviennent une sensation. Selon la formule de Michel Cabanac, l’un des
pères des travaux sur la régulation, on peut définir une sensation comme
l’irruption de la sensibilité dans la conscience.
Mais, en fin de compte, ce ne sont pas les signaux émis par l’organisme
qui nous feront agir mais les signaux tels que nous les percevons. Ainsi la
vraie faim correspond à un très léger fléchissement de la glycémie.
Toutefois, il existe quantité de phénomènes que nous pouvons interpréter
comme de la faim. Nous pouvons, par exemple, la confondre avec la
fatigue, avec l’anxiété, la colère ou toute autre émotion. Toutes autres
sensations ou émotions qui nous font manger, que nous confondons avec la
faim et qui déclenchont une envie de manger. Dès lors, si les signaux que
nous percevons ne correspondent plus aux signaux qui ont réellement été
émis par l’organisme, l’adéquation entre la consommation alimentaire et la
dépense énergétique ne peut plus s’effectuer et la stabilité pondérale n’est
plus garantie. L’individu peut alors tout aussi bien grossir ou maigrir.

« J’ai perdu la boussole » : les troubles des sensations alimentaires


Ainsi se dessine sous nos yeux un nouveau modèle de l’obésité. La
prise de poids ne serait alors plus liée à des apports trop riches en glucides
ou en lipides, à la sédentarité, à la déstructuration des repas, à la télévision,
à l’absence de petit déjeuner… Mais à des anomalies des systèmes de
régulation et de contrôle du comportement alimentaire qui empêchent
d’ajuster correctement ses apports alimentaires à ses dépenses énergétiques.
Dans ce modèle, la prise de poids serait donc la conséquence d’un trouble
de la régulation énergétique qui entraînerait une surconsommation calorique
et donc un surpoids. Il convient, de ce point de vue, d’envisager différents
types de troubles :

Les troubles des sensations alimentaires

On distingue trois types d’anomalies des sensations alimentaires :


1. Difficulté à prévoir les sensations alimentaires.
2. Difficulté à respecter les sensations alimentaires.
3. Mauvaises indications fournies par les sensations alimentaires.

1. La défaillance de la régulation énergétique peut être due à un déficit de


perception des signaux alimentaires. Dans ce cas, la personne ne
perçoit pas les signaux ou ne parvient pas à les interpréter. On constate
ce phénomène chez des personnes qui ont déjà effectué de nombreux
régimes, notamment les plus restrictifs comme les plus protéinés. Il
correspond au deuxième stade de la restriction cognitive. Il implique
des perturbations cognitives et émotionnelles. On le constate
également chez les mangeurs émotionnels qui mangent pour apaiser
leurs inconforts émotionnels et qui finissent par ne plus savoir
reconnaître leur faim et leurs émotions. Mais certains auteurs ont
également suggéré que l’on pouvait retrouver l’origine de ces troubles
dans la relation mère-enfant et le développement affectif du nouveau-
né ou du jeune enfant. Pour la psychanalyste Hilde Bruch, certaines
mères ne savent pas reconnaître les besoins de leur enfant et répondent
à toutes ses demandes de manière univoque. S’il a mal au ventre, veut
jouer, se plaint de ses couches mouillées, a froid, réclame un câlin, à
toutes ces demandes, la mère répondra en apportant de la nourriture.
Devenu adulte, l’individu se révélera incapable de distinguer entre la
faim, la colère, la tristesse, la fatigue. C’est « la confusion des affects »
décrite par Hilde Bruch. Donald Winnicott incrimine, quant à lui, la
« trop bonne » mère, toujours empressée à satisfaire le désir de manger
de son enfant. D’autres la décrivent absente, ne satisfaisant pas les
besoins de son enfant ou gavante, le faisant taire en lui proposant
systématiquement de la nourriture. Dans tous les cas, ces mères
transforment, selon B. Waysfeld10, la séquence comportementale :
pulsion (faim) → manque → désir → objet (sein) → plaisir en une
forme tronquée : pulsion → objet → plaisir. Le résultat aboutit à des
personnes intolérantes à la frustration, incapables de différer une
attente et cherchant à satisfaire leur désir sans délai.

2. La défaillance de la régulation énergétique peut également résulter


d’une non-prise en compte des signaux alimentaires. La personne
perçoit correctement les signaux, mais pour des raisons dont elle peut
être consciente ou inconsciente, décide ou ne parvient pas à tenir
compte de ce qu’elle ressent. Il ne fait pas de doute que les processus
cognitifs peuvent affecter la régulation quantitative ou qualitative des
apports alimentaires. Les parents autoritaires possédant des idées très
arrêtées sur la manière de manger (il faut finir ton assiette, il faut
manger des légumes tous les jours, la cervelle te rendra intelligent…)
auront plus facilement des enfants mauvais régulateurs11. Certaines
personnes fidèles à des principes philosophiques ou religieux adoptent
parfois des pratiques qui influenceront leur comportement alimentaire,
le plus souvent sans grande conséquence pour leur poids. Les
musulmans ne mangent pas de porc, mais parviennent à s’en passer
sans aucun préjudice pour leur santé. Les végétariens ne mangent pas
de viande, mais peuvent trouver des protéines de substitution dans
d’autres groupes d’aliments. Les végétaliens, en revanche, qui refusent
de consommer tout produit d’origine animale ne parviendront pas à
combler les carences en protéines, fer ou calcium que leur occasionne
ce type de régime. Les signaux qu’ils pourront recevoir leur indiquant
un besoin de protéines seront délibérément ignorés et jugés
secondaires par rapport à d’autres considérations d’ordre
philosophique. Cependant, les croyances alimentaires les plus
répandues concernent la bonne manière de manger pour maigrir ou
équilibrer son alimentation. Elles caractérisent l’état de restriction
cognitive qui, de loin, représentera l’agent dérégulateur le plus
déstabilisant. On peut sans aucun doute lui accorder une place
particulière dans la mesure où elle représente un agent dérégulateur
d’une puissance redoutable et où le nombre de personnes qu’elle
concerne atteint une ampleur inégalée. On pense que le phénomène
concerne 70 % des populations des pays occidentaux. Il est si présent
qu’il devient difficile d’en avoir clairement conscience. Les difficultés
psychologiques peuvent aussi aboutir à une prédominance des
émotions sur les sensations alimentaires devenant plus difficiles à
respecter. Schématiquement, ces difficultés peuvent conduire le
mangeur à surinvestir un corps gros ou à surinvestir la nourriture. En
effet, le corps gros peut parfois être considéré comme faisant partie du
système de défense de l’individu. Ce dernier en retire des bénéfices
inconscients dont il ne parvient pas à se séparer. Et cela malgré les
désagréments occasionnés par un corps qu’il refuse par ailleurs. Le
corps gros apporte une réponse à un problème qui ne trouve pas sa
solution autrement. Voici quelques situations qui illustrent ces
difficultés.
Élisabeth est une jeune femme obèse, mariée depuis cinq ans. Elle
souhaite maigrir, dit-elle, afin de préparer une future grossesse. En
réalité, la situation est loin d’être aussi simple qu’elle la présente.
Élisabeth se trouve trop immature pour assumer la responsabilité d’un
enfant et n’envisage pas d’en avoir pour l’instant ni peut-être jamais. À
l’inverse, Marc, son mari est très amoureux de sa femme, mais ne
conçoit pas l’avenir de leur couple sans enfant. Après de nombreuses
discussions, il place sa femme devant un choix. Soit elle accepte
d’avoir des enfants soit ils se séparent. Élisabeth se résigne à envisager
une grossesse tout en prévenant Marc qu’elle ne pourra être enceinte
qu’après avoir maigri. Elle décide donc de se mettre au régime sous les
regards encourageants de Marc, sans pour autant obtenir aucun
résultat. Elle multiplie les tentatives d’amaigrissement, mais reprend
systématiquement le poids qu’elle a perdu. Élisabeth s’est transformée
en Pénélope qui défait consciencieusement le soir le travail de sa
journée afin de ne pas donner sa réponse à ses soupirants. Tant qu’elle
sera grosse, Élisabeth aura une bonne raison de ne pas être enceinte.
Inconsciemment, elle met en échec ses tentatives de perte de poids.
Elle mange au-delà de sa faim et force ses sensations alimentaires pour
ne pas se trouver acculée à prendre la décision qu’elle redoute tant.

Véronique est une très jolie jeune femme de 32 ans, d’une intelligence
très fine, qui présente un certain embonpoint. Elle manque beaucoup
d’assurance et tout particulièrement dans ses relations avec les
hommes. Elle a peu confiance en elle, dispose d’une faible estime de
soi et souffre d’anxiété sociale qui prédomine dans les relations
d’intimité. Elle évite autant qu’elle le peut ce type de situation. Elle
refuse systématiquement les invitations personnelles et rougit dès
qu’on lui adresse la parole. Elle n’imagine pas que les hommes
puissent lui trouver le moindre attrait. Ce lourd handicap ne l’a
cependant pas empêchée de mener une brillante carrière. Ces tentatives
d’amaigrissement se sont jusqu’ici toujours soldées par des échecs et
l’entraînent dans de terribles compulsions qui ne font que lui confirmer
la piètre idée qu’elle se fait d’elle-même. Véronique est très lucide et
comprend que ses pertes de poids la mettent en danger et la plongent
chaque fois dans des abîmes d’angoisse. À chaque perte de poids,
Véronique devenait une autre personne plus sûre d’elle-même, plus
séduisante et plus attirante. Les hommes ne manquaient pas de le
remarquer et de la courtiser, la confrontant ainsi aux situations qu’elle
redoutait le plus. Son angoisse ne faisait alors que redoubler
l’entraînant dans des compulsions de plus en plus irrépressibles. Seul
un travail sur l’estime de soi et l’affirmation de soi lui permettra de
faire face à ses difficultés relationnelles et d’assumer son nouveau
corps.

Jean-Pierre cherche obstinément et sans aucun succès à perdre du poids


depuis quinze ans. Comme beaucoup d’hommes, chaque fois qu’il veut
maigrir, il adopte des mesures radicales et s’impose des restrictions qui
lui permettront de perdre du poids rapidement. Immanquablement,
après quelques jours de régime, il se sent devenir anxieux et irritable.
Il persévère néanmoins dans ses efforts, mais finit toujours par
remanger quand l’oppression devient trop forte. Il en éprouve un
immense soulagement. Jean-Pierre a été élevé par sa grand-mère qui
était atteinte d’une grave maladie chronique. Elle devait surveiller son
poids et éviter tout amaigrissement qui l’aurait fragilisée. La famille
avait pris l’habitude de scruter avec attention l’appétit de la grand-
mère et en avait fait le baromètre de son état de santé. Dans l’esprit du
jeune enfant, tout fléchissement de son appétit était interprété comme
un signe de danger. Cette association automatique s’activait chaque
fois que Jean-Pierre se mettait au régime et réduisait ses quantités de
nourriture.
Enfin, le phénomène de loin le plus répandu, beaucoup de personnes
rapportent des consommations incontrôlées d’aliments en rapport avec des
moments de tension dans l’espoir d’y trouver un réconfort. D’après les
neuropsychologues, ces comportements constituent une réponse normale
d’adaptation au stress et n’entraînent pas obligatoirement une prise de
poids. Ils expriment une difficulté à tolérer les émotions douloureuses et
sont bien plus majorés par les comportements de restriction que par une
quelconque prédisposition psychologique particulière de ces personnes. Ce
que ce phénomène met surtout en évidence est l’incapacité de ces personnes
à se réconforter en mangeant, comme si les aliments étaient investis d’un
pouvoir qu’ils avaient perdu. Il traduit l’existence d’un « trouble du
réconfort » bien plus qu’une inclination à résoudre ses difficultés de vie par
des prises alimentaires. Nous reviendrons plus longuement sur les relations
entre les émotions et les prises alimentaires.
Face à une personne en surpoids, il importe de savoir ce qui fait
symptôme : le corps ou le comportement alimentaire. À quoi la personne,
consciemment ou inconsciemment, est-elle attachée : son corps ou sa façon
de manger ? Le plus souvent, nous sommes confrontés à des personnes qui
utilisent la nourriture comme un système de défense émotionnelle tout en
déplorant les conséquences que cela entraîne sur leur poids. Elles sont
tiraillées entre le besoin de manger pour se calmer et le refus de prendre du
poids.
3. Enfin, il peut arriver que la personne perçoive et respecte correctement
les signaux transmis par son organisme, mais que ces signaux l’incitent
à manger davantage. Dans ce cas, le mangeur se fie à ses sensations de
faim qui augmentent et lui donnent de fausses indications sur l’état des
besoins. Un peu comme un navigateur qui se fierait aux indications
d’une boussole qui n’indiquerait plus le nord.

Chaque niveau du réseau de contrôle des prises alimentaires peut


présenter une anomalie. Cette dernière peut être anatomique, comme à
la suite d’un traumatisme cérébral ou d’une tumeur qui affecte les
centres de la faim ou de la satiété. Elle peut être biologique et porter
sur un déficit quantitatif ou qualitatif des neuromodulateurs, des
hormones ou des récepteurs permettant à ces molécules d’exercer leur
action. Plusieurs substances semblent avoir cette capacité à agir sur le
système de régulation : le tabac, les anti-inflammatoires, les
antidépresseurs ou les traitements de la stérilité. Ces anomalies se
manifesteront par des sensations de faim ou de rassasiement
défectueuses qui inciteront l’individu à consommer au-delà de ses
besoins. Ces surconsommations peuvent avoir pour conséquences
d’augmenter le poids d’équilibre de l’individu. On évoque aussi
aujourd’hui l’impact du stress ou des perturbations de la flore
intestinale qui agirait en modifiant notre capacité à assimiler les
aliments consommés.
Troisième hypothèse : il est possible de retrouver son poids d’équilibre
et une bonne régulation

La restauration d’une bonne régulation énergétique


permet de revenir au set-point.

Tout surpoids n’est pas irréversible


Dès lors que s’introduit une anomalie dans l’équation énergétique,
l’individu, soumis à une surconsommation alimentaire, s’expose à prendre
du poids. Le processus n’est pourtant pas inéluctable dans la mesure où il
existe des mécanismes d’adaptation qui permettent à l’organisme de faire
face pendant un certain temps à une augmentation même importante des
apports caloriques. Il existe, en Afrique, des tribus qui chaque année
organisent des concours de lutte. Pour y participer, elles choisissent un
champion habile dans ce sport et présentant un poids suffisant pour
s’assurer une bonne stabilité au combat. Durant deux mois, le village se
consacre à l’entraînement et à l’engraissement de son champion. Puis, après
le jour du concours, le combattant retourne à ses activités habituelles et
reperd immanquablement le poids qu’il avait pris. N’est pas gros qui veut.
Même si chacun possède un poids d’équilibre, il reste toujours une
possibilité de plus ou moins s’en écarter. Ainsi, chez le mangeur régulé,
quand le poids se déplace au-dessus ou au-dessous de son set-point,
l’organisme agirait en mettant en action des mécanismes de défense
destinés à ramener le poids à sa valeur d’équilibre et en transmettant des
signaux qui modifieraient les prises alimentaires. Un peu comme un
élastique sur lequel on tirerait et qui reprendrait dès qu’il le pourrait sa
position de repos. Dans le cas où le mangeur maigrit et passe au-dessous de
son set-point, la faim augmentera pour inciter le mangeur à augmenter ses
apports énergétiques et reprendre du poids. Si, au contraire, le mangeur
grossit et passe au-dessus de son set-point, la faim, dans ce cas, diminuera
incitant par là même le mangeur à réduire ses apports énergétiques afin de
reperdre du poids. Plusieurs auteurs ont défendu cette théorie du
pondérostat chez l’animal et maintenant chez l’humain et ont pu montrer
des variations des phénomènes de rassasiement en fonction du poids du
sujet. Chez des sujets régulés, les mécanismes du rassasiement disparaissent
quand le poids est volontairement abaissé au-dessous de son niveau normal
de régulation, la surcharge pondérale ayant des effets inverses12.
L’objectif du modèle biopsychosensoriel est de faire de vous un
mangeur régulé. Ce qui est à la fois simple et très ambitieux. Fermez les
yeux et imaginez que vous mangiez à votre faim (la vraie), les aliments
dont vous avez envie jusqu’à en être rassasié, sans vous préoccuper de ce
que vous avez mangé avant ni de ce que vous mangerez après et que vous
reveniez ainsi tranquillement à votre poids d’équilibre. Gardez les yeux
fermés et profitez de l’image, car il y a encore un peu de travail avant d’en
arriver là. Pour y parvenir, nous devrons identifier et faire disparaître tous
les agents dérégulateurs qui vous ont fait perdre le contact avec vos
sensations alimentaires.
La restriction cognitive est la première difficulté, présente chez tous
ceux qui se préoccupent de leur poids. Mais certains d’entre vous devront
peut-être poursuivre cette étape par un travail sur les émotions qui les
empêchent de tenir compte des sensations qu’ils perçoivent. En particulier,
nous aborderons la difficile question de l’acceptation de soi ainsi que la
peur de grossir qui constitue sans nul doute un stresseur redoutable à
l’origine de bien des pertes de contrôle.

Tout surpoids n’est pas toujours réversible


Cependant, certaines réserves doivent être formulées sur le niveau du
poids d’équilibre, qui semble pouvoir se modifier en fonction de plusieurs
événements. Il peut, comme je l’ai déjà évoqué, augmenter en fonction de
l’âge et sera donc différent à 20, 40 ou 60 ans. La disposition génétique à
multiplier ses cellules graisseuses joue un rôle essentiel dans les variations
du set-point. Ce phénomène est largement favorisé par la pratique répétée
des régimes amaigrissants et des fluctuations pondérales. Ce phénomène a
été décrit sous l’appellation du syndrome yo-yo et rend de plus en plus
difficile la possibilité d’un retour en arrière.
Un point particulier, et non le moindre, doit encore être souligné. Le
poids d’équilibre sera sans rapport avec le poids médicalement préconisé,
celui que souhaiterait atteindre la personne, ou encore moins le poids
socialement suggéré par les photographies de mode. Il s’agit d’un poids
physiologique, génétiquement déterminé, difficile à connaître d’avance, qui
répond à des critères biologiques personnels et qu’il faudra accepter même
s’il se trouve être en décalage avec des considérations d’un autre ordre. Il
correspond au poids que l’on peut atteindre en respectant ses sensations de
faim : le seul poids qu’on puisse maintenir dans la durée ! Un poids
inférieur imposerait de manger moins que sa faim en instaurant un état de
famine volontaire. Ce dont peu de personnes sont capables sur une très
longue période.
En définitive, tous les nutritionnistes s’accordent à admettre qu’il
n’existe pas d’autres moyens de maigrir que de manger moins. Certains ont
cherché à obtenir cette réduction en s’acharnant à vouloir supprimer les
sucres puis aujourd’hui les graisses.
Je vous propose de maigrir en corrigeant les dérèglements de votre
comportement alimentaire qui vous font manger sans faim. Sans incriminer
un aliment plutôt qu’un autre.

1- Ainsi, A. Basdevant reconnaît que « le caractère potentiellement


iatrogène des attitudes médicales et singulièrement des prescriptions
diététiques ne doit pas être méconnu des médecins et des diététiciennes »,
mais dans le même temps rappelle que « la restriction peut être “prescrite” à
titre de mesure thérapeutique en particulier dans le cadre […] de l’obésité
(1) ». Ou encore M. Romon, qui après avoir dressé un sévère réquisitoire de
la restriction cognitive, affirme avec pertinence : « Devant un patient en
restriction cognitive, qu’il soit ou non obèse, il est inutile voire néfaste, de
prescrire un régime. » Mais propose comme alternative de « réapprendre
[au patient] à manger à satiété et donc orienter les sujets vers des aliments
plus rassasiants pour un moindre apport énergétique ». En pratique, dit-elle
toujours, « cela revient à encourager la consommation ad libitum de
glucides avec des conseils portant uniquement sur la manière de diminuer
l’apport de graisses (2) ».(1) Basdevant A., « Sémiologie de la restriction
cognitive », Cah. nutr. diét., 33 (4), 1998.
(2) Romon M., « La restriction cognitive : un nouveau “standard
alimentaire” », La Revue du praticien, 50 (5), 2000, p. 495-497.

2- Oppert J.-M., « Adaptation à la suralimentation chez l’homme »,


Cah. nutr. diét., 36 (1), 2001.

3- Bellisle F., Le Comportement alimentaire humain. Approche


scientifique, Institut Danone, 1999.

4- Beck B., « Nouveaux aspects de la neurobiologie du comportement


alimentaire », Act. méd. int. « Hormones-Nutrition », III (2-3), juin 1999.

5- Les nutriments sont les éléments biochimiques qui permettent de


couvrir les besoins de l’organisme. Ils comprennent les protéines, les
glucides, les lipides, les vitamines et les minéraux.

6- Bouchard C., « Current understanding of etiology of obesity genetic


and non genetic factors », Am. J. Clin. Nutr., 53, 1991, p. 1561-1565.

7- L’indice de masse corporelle (IMC) permet de calculer la corpulence


d’un individu. Il est égal au poids du sujet divisé par sa taille au carré. Il est
normalement compris entre 20 et 25.

8- Levine J. A., Eberhardt N. L., Jensen M. D., « Role of non exercice


activity thermogenesis in resistance to fat in humans », Science, 1999, 283,
p. 212-214.

9- Clément K., Basdevant A., Guy-Grand B., Froguel P., « Approche


génétique de l’obésité », Lettre scientifique, Institut français pour la
nutrition, 49, septembre 1997.

10- Waysfeld B., « Abord psychologique de l’obèse », La Presse


médicale, 29, 2000.

11- Herman C. P., Polivy J., « Restained eating », art. cité, p. 208-225.
12- Fantino M., « Nutriments et alliesthésie alimentaire », Cah. nut.
diét., 30 (1), 1995.
CHAPITRE IV
Retrouver
mes sensations
alimentaires

Voilà dix jours que vous observez votre manière de manger, vous avez
réalisé une photographie de votre paysage alimentaire. Le carnet
alimentaire a tenu le rôle d’un miroir et vous a peut-être fait découvrir des
recoins inattendus de votre manière de manger. Peut-être vous exagériez-
vous certaines situations ou, au contraire, en avez-vous sous-estimé
d’autres. Quoi qu’il en soit, il s’agit maintenant de l’examiner de très près et
d’amorcer les débuts du changement.

Faites le bilan de cette première période


Avant de poursuivre, voyons ensemble comment s’est déroulée cette
première période et examinons les difficultés que vous avez peut-être
rencontrées. Les questions qui suivent concernent aussi bien les repas que
les consommations que vous pourriez prendre entre les principaux repas.

1. Êtes-vous parvenu à manger sans rien faire d’autre ?


Jamais ? Parfois ? Souvent ? Toujours ?
Sinon que faisiez-vous ?
En cas de difficulté, qu’avez-vous ressenti ?

2. Êtes-vous parvenu à manger plus lentement ?


Jamais ? Parfois ? Souvent ? Toujours ?
Seulement au début du repas ? Tout au long du repas ?

3. Avant de commencer à manger, avez-vous constaté qu’il


vous arrivait de ne pas avoir faim ?
Rarement ? Parfois ? Souvent ? Très souvent ?

4. La faim et l’envie de manger sont-elles pour vous des


sensations très distinctes ?
Oui ? Non ?

5. Après manger, avez-vous constaté qu’il vous arrivait


d’avoir trop mangé ?
Rarement ? Parfois ? Souvent ? Très souvent ?
Quand vous le constatez, est-ce au cours du repas ou après ?

6. Au cours de cette période, avez-vous éprouvé des envies de


manger auxquelles vous n’avez pas voulu céder ?
Rarement ? Parfois ? Souvent ? Très souvent ?
Lesquelles ?

7. À partir des notes que vous avez prises, mais aussi de vos
souvenirs sur les périodes antérieures, avez-vous repéré des
situations au cours desquelles vous aviez trop mangé ?
Lesquelles ? Établissez une liste de vos situations-problèmes.

Trop manger se résume simplement à deux situations :


— Commencer à manger sans faim.
— Continuer à manger au-delà de sa faim.

Voici quelques situations-problèmes fréquemment observées qui


peuvent vous inciter à manger sans faim ou au-delà de votre faim.
Les situations dans lesquelles vous pouvez trop manger
Elles sont très nombreuses, toutefois les plus fréquentes ont trait à la
restriction cognitive ou à la présence d’émotions et de facteurs
psychologiques. Voici une liste qui n’est pas exhaustive, mais qui peut vous
donner quelques pistes.

La restriction cognitive vous fait manger


1. L’exposition aux aliments : tant que les aliments ne sont pas sous vos
yeux, vous n’y pensez pas. Vous ne pouvez vous empêcher de les
manger s’ils passent à votre portée. Le seul fait de savoir qu’ils sont là
peut parfois vous mettre en transe.
2. La transgression des interdits alimentaires : vous vous empêchez de
manger certains aliments dont vous pensez qu’ils vous feront grossir.
Mais, dès que vous commencez à en manger, vous ne pouvez plus
vous arrêter. Vous avez tendance à fonctionner en « tout ou rien ».
3. Pour respecter des règles alimentaires : vous vous forcez à manger le
matin pour prendre un petit déjeuner, pour ne pas sauter un repas, pour
finir le repas par un laitage…
4. Peur d’avoir faim : vous ne mangez pas parce que vous avez faim,
mais par crainte d’avoir faim plus tard ou de craquer sur des aliments
« interdits ».
5. Peur de manquer : vous ne pouvez vous empêcher de finir vos
assiettes, alors même que vous n’avez plus faim. Vous vous comportez
comme si on allait vous retirer votre assiette ou si vous n’alliez plus
manger demain.
6. L’insatisfaction à la fin du repas : vous vous levez souvent de table en
n’ayant plus faim, mais avec la sensation d’un manque. Généralement
une envie de sucré que vous tentez de réprimer, mais que vous pouvez
parfois satisfaire.

Les émotions vous font manger


Il est bien difficile de cerner toutes les situations qui produisent les
émotions qui feront trop manger. Leur mode d’action sera différent, mais il
peut tout aussi bien s’agir d’émotions négatives que d’émotions positives.
Ainsi, certains mangent pour se récompenser d’un effort ou d’une réussite.
D’autres pour se détendre et se relâcher après une rude journée. D’autres
encore, lors d’un repas festif, décident d’oublier tous leurs tracas et
particulièrement leurs difficultés avec la nourriture. Il faut pourtant
reconnaître que ce sont plus souvent les émotions négatives qui exposent à
des surconsommations incontrôlées. Gérard Apfeldorfer a proposé un
certain nombre de situations qui, sous l’effet des émotions, pouvaient
occasionner des pertes de contrôle1.
1. Manger pour se concentrer lors d’un travail intellectuel.
2. Manger sous l’effet d’une contrariété.
3. Manger sous l’effet d’une émotion forte telles la joie ou la tristesse.
4. Manger pour refouler une colère.
5. Manger sous l’effet d’un sentiment d’anxiété, de fébrilité, de malaise
général.
6. Manger sous l’effet d’un sentiment d’ennui, de vide, de lassitude.
7. Manger pour se révolter contre les contraintes.
8. Manger sous l’effet d’un sentiment d’insatisfaction contre soi-même.
9. Manger pour se punir.
10. Manger pour ne pas faire de peine, ne pas vexer, accompagner.
11. Manger pour s’opposer à un tiers qui surveille votre manière de
manger.
Si les situations sont très nombreuses, elles présentent néanmoins un
point commun : l’intolérance émotionnelle. Le mangeur se protège de son
émotion négative et recherche dans la nourriture une compensation censée
lui procurer réconfort et émotions positives. Tout en prenant conscience de
son incapacité à les obtenir. Nous verrons plus loin comment y remédier.

Vous ne savez pas si vous avez faim


Vous pouvez confondre vos sensations alimentaires avec d’autres
sensations physiques comme le froid, le sommeil ou la fatigue. Vous pouvez
même confondre certaines émotions avec la faim. Cette petite boule dans
l’estomac ou ce nœud dans la gorge quand vous êtes anxieux ne
ressemblerait-il pas à cette sensation de creux qui vous fait manger ?

Vous ne savez pas laisser la nourriture dans votre assiette


Il ne s’agit pas toujours d’une manifestation de la restriction cognitive,
mais parfois d’un simple principe éducatif : « On ne doit pas gaspiller la
nourriture. Il y a des malheureux qui n’ont pas à manger… »
Voici les premières observations de Judith lors d’une journée qui « s’est
mal passée » et les situations difficiles qu’elle a relevées (voir tableau page
suivante).
Mes situations-problèmes :
1. Anticipation de la faim.
2. Règles alimentaires.
3. Difficultés à laisser.
4. Insatisfaction.
5. Exposition aux aliments.
6. Émotions : ennui, anxiété.
7. Anticipation du manque.

Quelques remarques sur ce premier exercice


Voici également quelques observations souvent rapportées sur ce
premier exercice et quelques éléments de réponses possibles.

• Je suis incapable de manger sans rien faire


Il est possible que le repas soit un moment trop difficile pour vous.
Vous cherchez peut-être à vous distraire pour vous aider à le supporter.
Quand elles mangent certaines personnes éprouvent de telles émotions
négatives, anxiété, honte, culpabilité, qu’elles ne peuvent s’observer dans
cette situation. Le repas est trop problématique. Le plus simple, pour elles,
est de l’« oublier » en s’occupant. Pour d’autres, il peut les renvoyer à une
solitude affective, à des souvenirs pénibles ou à d’autres contextes
psychologiques difficiles.

• Je suis incapable de manger plus lentement


Vous trouverez plus loin des exercices qui vous aideront à manger plus
lentement.

• Je n’ai jamais faim avant de manger


Vous êtes toujours dans le trop. Le repas précédent est trop proche ou
trop copieux pour laisser à la faim le temps de réapparaître. C’est plutôt un
signe favorable pour votre futur amaigrissement. Vous êtes sans doute au-
dessus de votre set-point et votre organisme cherche à se défaire de ses
réserves excédentaires.

Heure – Lieu – Avec


qui ? En faisant Quoi et combien ? Commentaires
quoi ?
Pas vraiment faim (1)
(2). La dernière galette
Thé au lait – 3 ou
8 h 30 – petit déjeuner. est objectivement de
4 galettes maison.
trop. Mais je la mange
par gourmandise (3).
Un peu faim. Envie de
1 tranche de rouelle de
manger quelque chose
gigot – 100 g de
de bon. J’ai terminé
12 h 30 – seule – pommes boulangère –
mon plat mais je n’avais
cantine. 100 g de carottes vapeur
plus faim (3). J’ai envie
– 1 pain individuel
d’un dessert, je ne le
(50 g).
prends pas (4).
13 heures – avec des Ma collègue me
collègues après la 2 chocolats. propose des chocolats.
cantine. Je ne résiste pas (5).
14 heures J’en ai envie.
Envie de chocolat. Petit
stress au boulot. Peut-
1 café sucré – 1 Bounty
16 heures être une nouvelle
(60 g).
surcharge de travail à
envisager (6).
Je comble un moment
18 h 15 – seule en
1 pain au chocolat. d’ennui en attendant le
attendant le RER.
train (6).
18 h 30 – seule – 1/2 baguette et 1/3 de Je décide de me faire un
maison. pot de Nutella. « dernier » petit plaisir
avant les restrictions en
vue de la soirée de
vendredi (7).
Je n’ai plus faim du
tout. Je suis vraiment
écœurée. J’avais prévu
deux tranches de
20 h 15 – dîner avec 150 g de riz – 1 tranche
jambon. Mais je n’en
Bernard. de jambon.
peux plus. Je me sens
tellement lourde que je
me couche et m’endors
aussitôt.

• J’ai toujours faim avant de manger


C’est assez douteux, aucun mangeur ne pourrait affirmer cela. Il est fort
possible, dans ce cas, que vous ne distinguiez pas très nettement la faim de
l’envie de manger.
Attention, certaines personnes en état de restriction calorique réelle
peuvent atteindre un niveau de privation qui les conduit à maintenir un
poids situé au-dessous de leur set-point. L’état de carence énergétique dans
lequel elles se trouvent les oblige à lutter constamment contre leur faim.
Ces personnes affirmeront, sans se tromper, qu’elles ont systématiquement
faim avant de manger. Leur organisme réclame un apport calorique plus
important afin de revenir à son poids d’équilibre.

• Je ne distingue pas la faim de l’envie de manger


La faim est une sensation au cours de laquelle les manifestations
physiques prédominent. Elles sont caractéristiques de chaque personne.
Mais différentes d’une personne à l’autre : creux à l’estomac, ventre qui
gargouille, nervosité, difficultés de concentration, tête qui tourne… L’envie
de manger n’est pas accompagnée de tous ces signes. Néanmoins, quand
l’envie est contrariée, elle peut engendrer de l’anxiété, qui, elle, produit des
signes très proches de la faim. Il est pourtant essentiel de savoir reconnaître
la faim, c’est le signal qui doit généralement initier la prise alimentaire. Si
vous n’êtes pas certains de ce que vous ressentez, il vous suffira de sauter
un ou deux repas et d’attendre que les premiers signes se manifestent. Vous
ne les oublierez plus.

• Après le repas, je n’ai jamais l’impression d’avoir trop mangé


Nous pouvons envisager deux situations. Dans la première, vous avez
parfaitement raison, mais vous êtes dans une situation de privation et vous
vous arrêtez de manger avant d’être totalement rassasié. Dans la seconde, il
est bien possible que vous ne perceviez pas du tout la satiété. Dans ce cas,
la suite des exercices vous aidera à le retrouver.

• Je ne suis jamais rassasié avant d’avoir fini mon assiette


Vous finissez votre assiette sans jamais éprouver l’impression d’avoir
trop mangé. Vous n’avez donc aucune raison de laisser de la nourriture. Là
encore, cela semble assez douteux. Il n’existe, en effet, aucune raison pour
que votre satiété coïncide systématiquement avec la fin de votre assiette,
surtout quand vous n’en avez pas vous-même déterminé les portions. Votre
faim devrait parfois vous conduire à manger en deçà ou au-delà des
portions servies. Il est donc plus probable que vous ne perceviez pas la
satiété.

• Après le repas, j’ai l’impression d’avoir trop mangé


1. Je le ressens pendant que je mange. Bien que vous sachiez que vous
mangez trop, vous ne pouvez vous empêcher de continuer. C’est une
des caractéristiques de la restriction cognitive. Vos sensations ne jouent
plus leur rôle, vous ne pouvez pas en tenir compte.
2. Je le ressens après avoir mangé. Vous réalisez trop tard que vous avez
trop mangé, quand c’est donc devenu inutile. Vos sensations ne jouent
plus leur rôle et ne vous servent plus à vous arrêter à temps.
3. Je ne le ressens pas, mais je le pense. Vous vous dites que vous avez
dû trop manger, mais vous ne le ressentez pas. C’est une position
mentale, caractéristique de la restriction cognitive. Vous établissez des
quantités que vous ne devez pas dépasser ou vous vous imposez de ne
manger que certains aliments. Vous pensez donc avoir trop mangé
quand vous transgressez vos règles.

• J’ai faim mais je n’ai pas envie de manger


La disparition du désir de manger est souvent interprétée comme un
symptôme dépressif. Mais il peut aussi apparaître comme un symptôme de
la restriction cognitive. Vous éprouvez la faim mais les aliments qui vous
tenteraient vraiment vous sont interdits car vous pensez qu’ils vous feront
grossir. En revanche, ceux que vous vous obligez à manger ne vous font
aucunement envie.

• Une situation inquiétante : je n’ai jamais l’impression de manger sans


faim
Vous avez toujours faim quand vous commencez à manger et vous
n’avez jamais l’impression d’avoir trop mangé quand vous terminez vos
repas. En somme, vous êtes convaincu de manger juste à votre faim. La
situation est plutôt embarrassante et peut-être porteuse d’une mauvaise
nouvelle. Plusieurs possibilités sont alors envisageables selon l’évolution de
votre poids :
1. Vous perdez du poids. Vous avez donc sans doute raison. Votre
alimentation n’excède pas vos besoins et vous ne mangez
qu’occasionnellement trop.
2. Vous prenez du poids. Votre alimentation excède donc vos besoins. Il
est certain que vous mangez trop. Mais vous n’en avez pas conscience.
Vos sensations sont très imprécises, vous ne pouvez pas vous y fier.
3. Votre poids est stable. Soit votre alimentation excède encore vos
besoins et, peut-être, ne le réalisez-vous pas. Dans ce cas, sans être très
excessive votre alimentation reste suffisante pour entretenir un
surpoids. Soit, voilà la mauvaise nouvelle, votre alimentation
correspond à vos besoins et le poids que vous avez actuellement
correspond à celui que vous devrez conserver. Il vous sera possible de
trancher en poursuivant votre lecture et en pratiquant les exercices
sensoriels.

Je mange quand j’ai faim, je m’arrête quand je n’ai plus faim


Si une ou plusieurs de ces situations vous sont familières, vous pouvez
alors conclure que vos sensations alimentaires ne sont guère précises ou
bien ne vous empêchent pas de manger quand vous n’avez pas ou plus faim.
Par conséquent, elles ne jouent plus leur rôle et ne vous guident plus dans la
détermination de vos consommations alimentaires. Nous devrons donc leur
redonner la place centrale qu’elles doivent normalement occuper au centre
de votre comportement alimentaire. Celle qui vous permettra de manger en
fonction de votre faim.
Pour cela, nous allons recourir à une analyse plus détaillée de vos
sensations alimentaires que vous effectuerez chaque fois que vous
mangerez. Cet exercice comprend deux parties. La première vous permettra
de fixer votre attention sur les situations alimentaires. N’oubliez pas que ce
sont celles que vous étudiez. Et la seconde consistera en un questionnement
sur vos sensations alimentaires et constitue le cœur de cet exercice.
Examinons ensemble ces deux parties.

Manger selon sa faim


Exercice sur les sensations alimentaires

Manger attentivement
Manger sans autre activité.
Se détendre avant et pendant le repas.
Utiliser des petits couverts à la maison.
Poser les couverts toutes les 3 bouchées.
Finir le dernier.
Questionnement sensoriel
Ai-je faim et/ou envie de manger ?
Est-ce que ça me plaît ? Goût.
Est-ce que ça me procure encore du plaisir ?
Ai-je encore faim ? Satiété.
Trois situations sont possibles.
Absence de sensations.
Difficulté à reconnaître les sensations.
Difficulté à tenir compte des sensations.
Procédure de changement
Trois étapes :
Observer les sensations (questionnement sensoriel).
Essayer d’en tenir compte.
Si vous n’y parvenez pas, précisez dans quelles circonstances.

Je mange attentivement

Je mange sans autre activité


Nous maintenons l’idée de manger sans autre activité afin de mieux
nous concentrer sur les situations que nous étudions. Cela reste une idée
importante comme le confirme l’expérience suivante. Un premier groupe
d’enfants prend son repas avec un animateur qui cherche à les distraire en
leur parlant de toutes sortes de sujets captivants et en les amusant en leur
racontant des histoires. L’animateur est chargé de détourner l’attention des
enfants de ce qu’ils mangent. Dans le second groupe, l’animateur adopte
l’attitude opposée et ramène constamment l’attention des enfants sur leur
repas. Il les interroge sur leurs goûts, leur demande de reconnaître les
différentes saveurs des plats et les aide à préciser ce qu’ils ressentent. À
aucun moment, il ne les incite à manger moins. C’est naturellement le
premier groupe qui mange le plus.

Je me détends avant et pendant le repas


Si vous connaissez des techniques simples de relaxation, n’hésitez pas à
les utiliser. Vous pouvez, par exemple, vous servir de la respiration
abdominale. Installez-vous à table, comme habituellement, prenez quelques
grandes respirations abdominales et pensez à reprendre votre respiration de
temps à autre au cours du repas. Vous éviterez ainsi de faire tout votre repas
en apnée. Ces techniques respiratoires sont couramment utilisées dans la
préparation à l’accouchement, en chant, en art dramatique ou par les
sportifs avant un entraînement ou une compétition. On les enseigne
également souvent aux patients anxieux afin de leur apprendre à maîtriser
les manifestations physiques de l’anxiété. Bien des anxieux se servent
d’ailleurs de la nourriture pour apaiser leur anxiété. Cet exercice pourra
parfois leur être d’un certain secours. Mais il arrive aussi que ce soit le
repas qui devienne un facteur de stress. Pour certains les repas sont des
situations si difficiles qu’ils finissent par susciter un profond malaise.

Bernadette redoute systématiquement tous les repas qu’elle doit


préparer. Pour elle, il s’agit d’un casse-tête quotidien. Le repas sera-t-il
équilibré comme il faut. A-t-elle bien choisi les aliments qui sauront la
faire maigrir ? Saura-t-elle en consommer la bonne quantité ? Ne
risque-t-elle pas de craquer sur un dessert ? Pourra-t-elle renoncer à la
vinaigrette dans la salade ? Et puis cette nourriture… C’est tellement
fade. Tellement sans intérêt. D’ailleurs, comment prendre de l’intérêt à
manger ce qu’on n’aime pas quand on pense si fort à ce qu’on ne mange
pas et qu’on aime tellement.

J’utilise des petits couverts à la maison


Quand vous mangez à la maison, utilisez des petits couverts : assiettes à
dessert, fourchettes et couteaux à dessert, et même, si vous buvez du vin,
des verres de petite taille. Cette petite astuce permettra à ceux qui ne savent
pas laisser de nourriture dans leur assiette de se servir des portions plus
petites et de ne pas se sentir obligés de manger au-delà de leur rassasiement.
Arrivé à la fin de l’assiette, elle les oblige à se poser une question : ai-je
encore faim ?

Je pose mes couverts toutes les trois bouchées


Également, entraînez-vous, même à l’extérieur de chez vous, à poser
vos couverts toutes les trois bouchées.

Quand je mange, ma femme me regarde toujours avec l’air de se


demander comment je fais. Généralement, j’attaque le fromage quand
elle termine son entrée. Et je mange des portions bien plus importantes
que les siennes. Mais c’est plus fort que moi. Je ne mange pas, j’aspire.
Je me donne à peine le temps de mâcher. Il faut que j’en aie plein la
bouche et que les bouchées soient les plus grosses possibles. Quand ma
femme mange un chocolat fourré en trois fois, j’en ai souvent deux
entiers dans la bouche. Je prends même une nouvelle bouchée avant
d’avoir fini d’avaler la précédente. Souvent je mange si vite que je ne
trouve pas de goût à mes aliments. Mon seul but est de remplir mon
ventre. Je mange fébrilement et je ne deviens calme qu’une fois
complètement repu. Après le repas, je me rends compte que j’ai trop
mangé et que je suis épuisé.

Je finis de manger le dernier


Quand vous mangez avec d’autres personnes, regardez donc autour de
vous et tout particulièrement dans l’assiette de vos voisins de table.
Arrangez-vous pour finir de manger après eux. En étudiant le
comportement des autres mangeurs vous apprendrez également beaucoup.
Observez la manière de manger de ceux qui ont des problèmes de poids et
comparez-la avec celle de ceux qui n’en ont pas. Vous verrez le plus
souvent qu’ils agissent différemment.

Sébastien raconte le repas de Noël. Chaque année, la famille se


réunit et rassemble les grands-parents, les parents, les oncles et les
tantes ainsi que tous leurs enfants pour manger le repas traditionnel,
identique d’une année à l’autre. Chacun connaît le menu par cœur et
s’en délecte à l’avance. « Parmi les minces, je distingue deux groupes.
Le premier se jette sur le saumon et le foie gras, cale au milieu de la
dinde aux marrons et ne parvient jamais à atteindre la bûche. Le second
prend des petites quantités de chaque plat de l’entrée jusqu’au dessert.
Ce sont les plus gourmands. Quant aux gros, je ne sais pas comment ils
s’y prennent. Ils se servent de tout en grandes quantités et finissent leurs
assiettes quoi qu’il arrive. Moi, après la bûche il me reste toujours une
place pour continuer. »

Manger lentement fait-il maigrir ?


Le fait de prendre du temps pour manger permet d’être plus réceptif aux
sensations de rassasiement qui interviennent dès les premiers moments du
repas. Cependant manger lentement ne suffit pas à procurer cet état de
conscience. Manger en lisant une revue, en regardant la télévision, en
travaillant ou même en s’échappant dans ses pensées permet également de
manger lentement mais n’implique pas pour autant que l’on porte une
attention particulière à ce que l’on mange ni à soi-même. En effectuant ce
petit exercice, vous deviendrez réellement attentif aux aliments que vous
consommez, mais surtout aux sensations que vous éprouverez en mangeant.

Le mangeur de pop-corn
Prenez un mangeur ordinaire qui décide de se rendre au cinéma en
bonne compagnie, sans aucun stress. Il s’apprête à voir un bon film et
se dit, pour parfaire son bonheur, qu’il ne lui manque qu’une bassine de
pop-corn. Il regarde son film et mange sans être attentif, il est dans son
film. À la fin de la séance, quand il a vidé la bassine, il réalise qu’il a
mal au cœur et envie de vomir. Vous invitez le même mangeur à
prendre le thé chez vous et vous renversez, dans une assiette, devant lui,
la même bassine de pop-corn. Il est très probable qu’il vous regarde
avec des yeux ahuris se demandant comment il pourra bien manger une
quantité aussi gigantesque de maïs explosé. Car le seul moyen pour un
mangeur ordinaire de manger une telle quantité est de ne pas y penser,
de la manger sans y faire attention.

J’interroge mes sensations


La première partie de cet exercice était un artifice destiné à vous
permettre de mobiliser toute votre attention sur le repas et à vous concentrer
sur la partie essentielle. Vous pourrez ainsi chaque fois que vous mangez
vous poser quatre questions, toujours les mêmes, qu’il s’agisse d’un repas
ou d’un simple gâteau sec au milieu de l’après-midi. Au cours d’un repas
comportant plusieurs plats, efforcez-vous de vous poser ces questions avant,
pendant et après la consommation de chaque plat.

Première question : ai-je faim et/ou envie de manger ?


Différents états sont envisageables avant de commencer à manger. Vous
vous trouverez dans quatre situations que vous essayerez de distinguer :
1. Vous pouvez avoir seulement faim.
2. Vous pouvez avoir seulement envie de manger.
3. Vous pouvez ressentir en même temps la faim et l’envie de manger.
4. Vous pouvez n’éprouver ni la faim ni l’envie de manger.
La disposition la plus fréquente et la plus agréable est naturellement de
manger en éprouvant en même temps la faim et l’envie de manger. C’est la
faim qui nous donne envie de manger. Toutefois, il est aussi possible de
manger sans faim, en éprouvant seulement une envie. Manger seulement
par faim sans aucune envie est moins fréquent et peut faire évoquer un état
dépressif ou un manque d’intérêt pour sa nourriture. Enfin, vous verrez
qu’on peut parfois se forcer à manger sans éprouver ni faim ni envie de
manger. Pour l’instant, il s’agit simplement pour vous de savoir s’il vous est
possible de distinguer toutes ces situations. Sachez dès maintenant qu’un
mangeur bien régulé ne mange pas seulement quand il a faim et ne s’arrête
pas de manger chaque fois qu’il est rassasié. Les situations sont
heureusement plus complexes.

Deuxième question : est-ce que ce goût me plaît ?


Il s’agit là de savoir si l’aliment que vous consommez correspond à vos
critères de goût. Éprouvez-vous une satisfaction liée à la qualité gustative
du produit ? Si je le mange c’est donc qu’il me plaît, me direz-vous. Pas
sûr ! Ce n’est pas parce qu’on aime les entrecôtes que toutes les entrecôtes
nous plaisent et se valent. Est-elle cuite comme vous l’aimez, a-t-elle la
bonne épaisseur, est-elle persillée, tendre, caramélisée, cuite au beurre ou au
gril… ? La perception du plaisir gustatif requiert de l’attention et réserve
parfois de bonnes et de mauvaises surprises. Le plaisir gustatif dépend donc
des caractéristiques gustatives de l’aliment et non de la faim. Il est donc
possible d’éprouver un plaisir gustatif sans éprouver la sensation de faim.

Troisième question : est-ce que ça me procure du plaisir ?


C’est sans doute la question la plus difficile à laquelle vous aurez à
répondre. Il ne s’agit plus de savoir si ce que l’on mange est bon mais si
cela nous procure encore du plaisir. Ce qui est sensiblement différent. Ainsi,
si vous tentiez de manger votre gâteau ou votre fromage préféré à un
moment où vous n’auriez ni faim ni envie de manger, il ne vous procurerait
qu’un plaisir très modéré ou même pas de plaisir du tout. Il vous suffirait
cependant d’attendre un moment plus opportun, par exemple quand la faim
aura réapparu, pour que ce plaisir ressurgisse. Ainsi le plaisir alimentaire
dépend moins de la nature de l’aliment, qui n’a pas changé, que de l’état de
votre faim. On peut donc concevoir des circonstances dans lesquelles vous
mangeriez un aliment que vous jugez « bon » sans pour autant qu’il vous
procure de plaisir significatif. Le même phénomène s’observe au cours du
repas. En effet, quel que soit l’aliment, et tout particulièrement s’il est riche
en calories, vous devez aussi réaliser que les premières bouchées sont
toujours meilleures que les dernières. Elles procurent davantage de plaisir.
À l’inverse, si vous avez très faim, vous pouvez éprouver du plaisir avec
des aliments qu’habituellement vous n’appréciez guère. Ainsi pour que le
plaisir atteigne son intensité maximale, il faut que le goût et la faim soient
jugés suffisants.

« La première gorgée de bière. C’est la seule qui compte. Les


autres, de plus en plus longues, de plus en plus anodines, ne donnent
qu’un empâtement tiédasse, une abondance gâcheuse. […] En même
temps, on sait déjà. Tout le meilleur est pris. […] L’alchimiste déçu ne
sauve que les apparences, et boit de plus en plus de bière avec de moins
en moins de joie. » Philippe Delerm, La Première Gorgée de bière.

Vous devez normalement percevoir une sensation qui va en diminuant.


Tout se passe comme si ce que vous mangez devenait moins bon.
Naturellement, le goût de vos aliments ne se modifie pas au cours de leur
consommation, mais c’est vous, en revanche, qui vous transformez. Vous
devenez différent puisque, entre la première et la dernière bouchée, vous
avez introduit dans votre estomac une quantité de nourriture qui n’y était
pas auparavant. Vous êtes en train de vous nourrir et, par conséquent, de
vous rassasier. Plus vous nourrirez votre corps, moins vous éprouverez
d’attirance pour ce que vous mangez. Quand vous n’aurez plus aucune
attirance pour votre plat, vous déciderez d’en cesser la consommation. Vous
venez de vivre l’expérience du rassasiement. Il se traduit par la disparition
du plaisir. Vous êtes rassasié de cet aliment, vous en avez assez mangé.

Quatrième question : ai-je encore faim ?


Le rassasiement est spécifique de chaque aliment. Une fois rassasié
d’un aliment, vous pouvez avoir encore faim pour un aliment différent.
Vous passez donc à un autre plat. Si, à la fin de ce plat, la faim a disparu,
vous avez atteint la satiété globale. Vous pouvez donc cesser de manger.
Vous constatez ainsi que la satiété correspond à la disparition du plaisir et
n’a, par conséquent, rien à voir avec la sensation de ventre plein ou le fait
de décider que l’on a assez mangé.

J’analyse mes sensations


Reprenons maintenant ces explications sur un schéma, et voyons aussi
comment les choses peuvent parfois se passer tout autrement.

LA COURBE PHYSIOLOGIQUE DE LA FAIM ET DE L’ENVIE DE


MANGER
Voici une courbe (1) qui décrit l’évolution de la faim et de l’envie de
manger en fonction de la quantité de nourriture consommée. Quand vous
commencez à manger la faim et l’envie de manger se situent à leur intensité
maximale. Ce maximum dépend de l’état de votre faim. Plus la faim est
importante, plus il est agréable de manger et plus l’envie de manger est
forte. Puis la consommation de nourriture entraîne inexorablement leur
diminution. Au cours d’un repas traditionnel, l’envie de consommer le
premier plat disparaît tandis que la faim diminue sans toutefois
complètement disparaître. On choisit alors, selon son envie, un second plat
qui réduit un peu plus la faim et ainsi de suite jusqu’à atteindre la satiété. À
cet instant, le plus souvent, on n’a plus ni faim ni envie de manger. La
disparition de la faim coïncide avec la disparition de l’envie de manger. Les
besoins énergétiques sont satisfaits sans excès. On se sent parfaitement
rassasié et l’on s’arrête de manger. Enfin, le plus souvent. Mais pas
toujours, car même les bons régulateurs ne s’arrêtent pas systématiquement
à cet instant. Nous en reparlerons. Quoi qu’il en soit, voici l’aspect de la
courbe physiologique.
Soulignons que le moment où cesse la consommation a peu de rapport
avec le volume qu’occupera l’aliment dans l’estomac. Le rassasiement,
chez un mangeur régulé, est bien davantage fonction des calories ingérées
et non des centimètres cubes. Cent grammes de foie gras (deux fois la
portion d’un restaurant) qui apportent 600 calories et occupent un petit
volume suffiront à vous nourrir et à vous rassasier pour un long moment. La
faim ne réapparaîtra pas avant plusieurs heures. Tandis que 100 g de
cabillaud, qui n’apportent que 100 calories mais pèsent le même poids et
occupent le même volume, ne vous nourriront pas pour bien longtemps. Et
la faim réapparaîtra après une heure ou deux quand le contenu de l’estomac
aura été évacué et se trouvera, après la digestion, de nouveau en mesure de
recevoir de la nourriture.
Cette courbe physiologique n’est pas celle des mangeurs restreints, qui
décrivent des courbes fort différentes. Chez eux l’envie de manger se
prolonge au-delà de la disparition de la faim ! Ce qui les conduit à des
consommations excessives par rapport à leurs besoins caloriques.

L’ENVIE DE MANGER NE DÉCROÎT PAS


Certaines personnes décrivent une courbe qui prend l’allure d’une
droite (2). Ce qu’elles perçoivent ne décroît pas. Leur envie de manger reste
constante. Les plaisirs de la table sont nombreux et s’étendent à d’autres
plaisirs que celui procuré par le goût de l’aliment ou le soulagement de la
faim. Imaginons que vous vous rendiez en compagnie d’amis dans un très
bon restaurant. Vous vous trouveriez soumis à bien des plaisirs différents :
celui de manger avec des personnes que vous appréciez, celui de manger
dans un cadre raffiné, celui de manger dans une belle vaisselle, celui d’être
servi par un personnel empressé à satisfaire tous vos désirs, celui de manger
des plats magnifiquement présentés, celui de manger des plats délicieux
dont vous n’avez pas l’habitude. On peut également supposer qu’un
mangeur restreint éprouvera une envie de manger au-delà de sa faim les
aliments qu’il s’interdit habituellement de consommer. Bref, par tous ces
aspects, l’envie de manger peut se « déconnecter » de la satisfaction des
seuls besoins énergétiques.

LE PLAISIR GUSTATIF AUGMENTE


Parfois, certains décrivent même une courbe ascendante (3) : « Plus je
mange plus j’ai envie de manger. » On constate des courbes comme celle-ci
lors de la consommation de certains aliments « interdits » mangés sous une
forme compulsive.

Michel : « Pour moi, c’est la dernière bouchée qui est la meilleure.


Simplement parce que c’est la dernière. Je sais qu’ensuite il n’y en aura
plus. »

Les mangeurs éprouvant l’une ou l’autre de ces perceptions de l’envie


de manger témoignent d’une véritable difficulté avec la nourriture. On voit
mal, en effet, ce qui pourra les arrêter de manger. Ils n’ont, en réalité,
aucune raison de le faire. Ils s’arrêteront malgré tout, mais pour d’autres
raisons.
Il n’y a plus de nourriture disponible. Le mangeur a consommé toute la
nourriture à sa disposition en parvenant à la fin de son assiette, de son
sandwich ou de son paquet. Dans ce cas, le combat cesse faute de
combattant.
Le mangeur se sent incapable de manger davantage. Il se trouve limité
par sa propre contenance, le volume de son estomac ou d’autres
sensations de déplaisir.
Le mangeur se raisonne et décide de s’arrêter à un point quelconque de
la courbe, qui interviendra avant ou après le rassasiement. En
supposant même, que, par coïncidence, il s’arrête de manger au point
de rassasiement, sa situation n’en resterait pas moins anormale. Car
l’absence de décroissance de l’envie de manger l’obligerait à
s’interrompre sur une frustration ou une sensation de manque. Alors
que le mangeur régulé s’interrompt sans difficulté et se sent
généralement rassasié quand ses besoins énergétiques sont satisfaits.
Aucun de ces mangeurs ne perçoit le rassasiement et, par conséquent,
ne possède de limite lui indiquant de s’arrêter de manger naturellement. Il
n’existe plus pour eux de frontières entre l’assez et le trop mangé.

LE PLAISIR GUSTATIF SE PROLONGE


Il existe enfin une dernière courbe (4), plus fréquente que les deux
précédentes, qui ressemble à la courbe physiologique, mais se trouve
simplement décalée par rapport à celle-ci. Dans ce cas, le mangeur s’arrête
spontanément, sans faire appel à sa volonté ou à un raisonnement, mais trop
tard. Il dépasse sa satiété sans avoir obligatoirement conscience de ce
dépassement. Pour lui, le moment où il s’arrête de manger est le moment où
il a assez mangé et se sent rassasié. Cependant, il lui aurait sans doute été
possible, s’il avait été attentif, de percevoir le moment du rassasiement
physiologique. Concrètement, il prétendra être rassasié à la douzième
bouchée, alors qu’un peu d’attention lui aurait laissé entrevoir que la
huitième était suffisante. Bien sûr, cette nourriture consommée au-delà du
rassasiement physiologique représente un excès de calories qui, s’il n’est
pas régulé, contribuera à sa prise de poids.
En vérité, toutes les consommations intervenant après la satiété auront
le potentiel de faire grossir. Si ce trop de nourriture est peu conséquent, il
pourra passer inaperçu du mangeur, qui à chaque repas mangera un petit
peu trop et grossira un petit peu plus sans pouvoir se l’expliquer, n’ayant
pas conscience de son excès. Il ne lui restera, après avoir grossi de quelques
kilos, qu’à entreprendre un régime amaigrissant pour reperdre les kilos
lentement accumulés. Puis à remanger chaque jour un petit peu trop pour
regrossir un petit peu plus avant d’entreprendre un nouveau régime
amaigrissant. Quand le trop de nourriture est plus important, il peut dans ce
cas être perçu par le mangeur qui le réalisera du fait des manifestations
digestives associées : lourdeurs, ballonnements, nausées…
Malheureusement, le plus souvent ces sensations désagréables ne seront
perçues qu’après la fin du repas. Donc trop tard.

Attention !

Restez vigilant. Car, en fonction des aliments, la courbe de l’envie


de manger peut varier. Elle peut être croissante avec le chocolat,
constante avec le fromage et se prolonger avec les carottes râpées.
Mieux, l’envie de manger procuré par le même aliment, selon l’état
psychologique dans lequel vous vous trouvez, peut évoluer selon les
trois courbes.

Ce que je souhaite maintenant, c’est vous aider à retrouver la courbe


physiologique du rassasiement. Il nous faut obtenir une courbe qui
permettra de vous arrêter spontanément de manger, les deux premières ne le
permettant pas. Et, de surcroît, elle permettra de vous arrêter au bon
moment, ce que ne permet pas la dernière. L’arrêt physiologique qui
correspond à la couverture de vos besoins énergétiques est déterminant pour
votre perte de poids.
S’arrêter de manger au point de satiété supprime la consommation des
aliments en trop. Cette réduction calorique, qui se fait sans effort de
volonté, est la source de votre amaigrissement et vous permettra de vous
stabiliser à votre poids d’équilibre.
C’est grâce à elle que vous maigrirez et retrouverez, ou découvrirez,
votre poids d’équilibre. Quand l’organisme déploie ses ressources pour
revenir à son set-point, la satiété intervient plus précocement, signifiant des
besoins alimentaires moindres. Il est donc normal dans cette situation
énergétique particulière que constitue la surcharge pondérale de parvenir à
manger moins sans pour autant ressentir une faim anormale. Chacun
concevra que le mangeur qui mange au-delà de sa satiété accumule des
calories qui déplaceront son poids au-dessus de son niveau physiologique.
Pour retrouver la courbe physiologique du rassasiement, nous allons
maintenant utiliser l’exercice suivant sur les sensations alimentaires et
suivre à chaque repas une procédure très méthodique.

Agir pour changer


Il s’agit d’une procédure en trois étapes qui permettra d’engager les
premières transformations de votre comportement alimentaire.

Observez vos sensations


La première étape consiste, à chaque repas et à chaque plat, grâce au
questionnement sensoriel, à observer les sensations que vous éprouvez.
Quand vous ferez vos observations, vous réaliserez que vous pouvez vous
trouver dans trois situations.
1. Vous pouvez ne ressentir aucune sensation, ni faim ni satiété. Cette
situation est très exceptionnelle. Elle existe néanmoins. Cependant,
elle fait plus souvent évoquer un manque d’attention au cours duquel
les sensations ne sont pas absentes, mais simplement non perçues.
2. Vous pouvez percevoir des sensations mais ne pas être en mesure de
les identifier. Elles restent confuses pour vous. « Ai-je faim ou envie
de manger » ou encore, à la fin d’un repas, vous éprouvez un manque,
mais est-ce encore de la faim ou encore de l’envie ? Si vous ne savez
pas répondre à ces questions indiquez sur votre carnet alimentaire que
vous n’êtes pas en mesure de le dire.
3. Enfin, il existe une dernière possibilité. Cette fois les sensations sont
présentes, justes ou fausses, mais vous ne les prenez pas en compte :
« Je me rends bien compte que je n’ai pas faim mais je mange quand
même », ou bien : « Je me rends bien compte que j’ai assez mangé
mais je ne m’arrête pas. » Dans cette situation, vous savez que vous
n’écoutez pas les indications adressées par votre organisme. Indiquez
sur votre cahier d’observation dans laquelle de ces trois situations vous
vous trouvez.

Essayez d’en tenir compte


Dans la deuxième étape, vous n’allez plus, comme nous le faisions lors
de la première période, vous contenter de faire des observations. Cette fois,
vous ferez même tout votre possible pour essayer de les prendre en compte.
J’entends déjà vos objections : « Ce serait fait depuis longtemps si nous
pouvions le faire. Et nous ne serions pas là à nous tenir la tête et à lire ce
livre. » Ne vous désolez pas, il existe certaines situations sur lesquelles
vous pouvez d’ores et déjà agir. Ainsi, quand vous n’avez ni faim ni envie
de manger, je vous suggère simplement de ne pas vous forcer à manger.
Faire l’effort de ne pas faire d’efforts est possible pour tout le monde. Il
s’agit là d’une simple mesure de bon sens.
Prenons un exemple : supposons que vous soyez invité un soir chez des
amis. Vous mangerez probablement plus copieusement que d’habitude et
vous finirez sans doute votre repas également plus tard que d’habitude. Très
logiquement, votre faim s’en trouvera décalée d’autant. Vous pouvez très
bien vous réveiller le matin suivant en n’ayant ni faim ni envie de manger.
Eh bien, dans ce cas, ne mangez pas. Ne vous obligez pas à prendre un petit
déjeuner. À ce moment, vous recevez une information de votre corps.
Celui-ci vous informe du fait qu’il n’a pas fini de brûler votre dîner de la
veille et qu’il lui faut encore un peu de temps avant que vous ne refassiez le
plein de carburant. Votre estomac n’a pas encore totalement évacué son
contenu. Si vous décidiez de manger malgré l’absence de faim, cette
nouvelle nourriture ne pourrait être utilisée et serait mise en réserve.
De la même façon, vous pouvez recevoir ces informations au cours d’un
repas. Vous pouvez, par exemple, réaliser que vous n’avez plus faim alors
que vous n’avez pas encore terminé votre plat. Dans ce cas aussi, ne vous
forcez pas à le finir. Essayez de vous arrêter. Dans ces deux situations, votre
corps s’adresse à vous et vous donne des informations sur l’état de vos
besoins. Il vous faut apprendre à l’écouter et à le respecter. Le corps parle
au travers des sensations alimentaires. Il ne dispose pas d’autres moyens de
s’exprimer. Ne vous attendez donc pas à recevoir un e-mail vous prévenant
que le repas est fini. Les signaux que vous recevrez sont discrets mais
néanmoins très clairs pour qui sait les entendre. Vous constaterez, en vous
comportant ainsi, que vous ne pouvez, ni ne devez, plus tenir compte des
croyances alimentaires qui vous imposent la fréquence ou la répartition des
repas.
Vous n’aurez pas non plus à suivre des indications sur la quantité des
aliments. Certains régimes imposent des quantités déterminées d’aliments.
Par exemple 100 g de féculents au déjeuner. Chacun peut concevoir que les
besoins, d’une personne à l’autre, sont différents et, même d’un jour à
l’autre, sont différents pour une même personne. Vous n’aurez pas les
mêmes besoins après trois heures de marche en forêt ou après une longue
grasse matinée. Vous devez donc adapter votre consommation à vos
besoins. En suivant cette démarche vous ne pourrez donc plus vous obliger
à prendre trois repas par jour, à prendre un copieux petit déjeuner, à alléger
le dîner. Bref, à manger quand vous n’avez pas faim ou à ne pas manger
quand vous avez faim. Cette nouvelle attitude pourra vous conduire à sauter
des repas, à décaler leurs horaires ou à manger entre les repas habituels.
Vous mangerez dorénavant en fonction de vos propres besoins et rythmes
biologiques qui auront la priorité sur les rythmes sociaux que, rassurez-
vous, vous retrouverez par la suite.

Vous avez dit bizarre


— Souvent le matin, quand je prends mon petit déjeuner, je n’ai pas
faim.
— Dans ce cas, pourquoi vous obligez-vous à manger ?
— Silence. Je ne sais pas. Je trouverais bizarre de ne pas manger.
— Vous trouvez donc bizarre de ne pas manger quand vous n’avez pas
faim mais normal de manger sans avoir faim ? Silence. Vous ne
trouvez pas ça bizarre ?
— Rires. Si, mais on m’a toujours dit qu’il fallait manger le matin.
Comme c’est bizarre.

Si vous n’y parvenez pas, précisez dans quelles circonstances


Enfin dans la troisième étape, au cas où vous ne parviendriez pas à tenir
compte de ces signaux, vous essayerez de préciser les circonstances dans
lesquelles cela se produit. Faites une description la plus concrète possible
de la situation : avec qui vous trouviez-vous, quels aliments mangiez-vous,
dans quel état émotionnel vous trouviez-vous, quelles pensées vous ont
traversé l’esprit ? Là encore, il s’agit de repérer les situations-problèmes au
cours desquelles les sensations alimentaires sont clairement perçues mais
non prises en compte. Ces situations figurent peut-être déjà sur votre liste,
mais d’autres peuvent continuer à vous apparaître et venir la compléter.
Chaque personne connaît des difficultés qui lui sont propres et il sera
difficile de toutes les envisager tant elles sont parfois personnelles.
Néanmoins, certaines sont presque toujours évoquées par les patients et
nous les aborderons donc dans les parties suivantes. Il en est ainsi des
émotions qui incitent à manger ou de l’exposition aux aliments interdits.

Pour nous résumer


Je vous invite maintenant à vous concentrer sur ce nouvel exercice
durant une quinzaine de jours. Il se résume donc en trois points :
1. Enregistrez le maximum d’observations sur vos sensations
alimentaires.
2. Faites tout votre possible pour essayer d’en tenir compte.
3. Chaque fois que vous n’y parvenez pas, essayez d’en préciser les
circonstances.
Pendant cette période, je vous incite vivement à poursuivre vos prises
de notes sur votre manière de manger. Voici un modèle de carnet plus centré
sur vos sensations alimentaires et les événements qui vous font trop manger
que je vous conseille d’adopter dès maintenant.
Si vous constatez que les émotions vous font souvent manger, essayez,
dans ce cas, d’indiquer précisément celles qui vous troublent. Est-ce de la
peine, de la déception, de la colère… Évitez de vous arrêter à des formules
très courtes du genre « ça ne va pas, je ne me sens pas bien ». De la même
manière, essayez d’être précis et de rapporter le plus concrètement possible
la situation qui a généré l’émotion. Plutôt que de dire : « Ça ne s’est pas très
bien passé au travail », dites : « Un client s’est montré grossier avec moi.
J’étais furieux mais je n’ai pas osé lui répondre. » Plutôt que de dire : « Ça
ne se passe pas très bien avec Jean-Pierre en ce moment », dites : « Je suis
déçue car Jean-Pierre ne pourra pas se libérer ce week-end, il est retenu par
son travail. »

Quelques situations fréquemment évoquées

Je ne reconnais pas ma sensation de faim, j’ai peur d’avoir faim


La peur d’avoir faim vous fait manger avant d’avoir faim et au-delà de
votre rassasiement pour retarder la réapparition de la faim. Vous anticipez
donc la faim qui est pour vous une sensation inquiétante. Elle évoque le
risque de manger entre les repas et de consommer des aliments interdits
sans toujours pouvoir vous arrêter à temps. Dans le contexte d’abondance
alimentaire que nous connaissons, la faim est pourtant une sensation
amicale qui conditionne le plaisir alimentaire. Vous devez donc vous en
faire une alliée. Pour cela, je vous recommande l’exercice suivant qui fait
appel à des techniques d’exposition.

Exercice :
pour ne plus avoir peur de la faim

1. Supprimez votre petit déjeuner pendant quatre jours. (Vous


survivrez.)
2. Munissez-vous d’une collation de votre choix, à consommer
dans la matinée.
3. Ne consommez votre collation qu’en cas d’apparition des
signaux de faim.
4. Plus cette collation sera proche du repas suivant, plus vous la
choisirez légère. Tout simplement pour vous garder une faim
quand l’heure du déjeuner se présentera.

Il est possible que la faim ne se manifeste pas. Dans ce cas, attendez


paisiblement l’heure du repas suivant. Si, au contraire, vous percevez sa
présence, mangez tranquillement ce que vous avez emporté. Quoi que vous
ayez pris, vous constaterez qu’il n’a jamais été aussi bon. Pour ceux qui
n’en seraient pas certains, il ne s’agit pas d’un exercice contre le petit
déjeuner, mais contre la peur de la faim qui n’a rien à faire dans un
comportement régulé.

Si je n’ai pas faim, puis-je sauter un repas ?


Voilà que revient notre première règle de bon sens qui nous rappelle que
« sauter un repas est nocif ». Je sais que beaucoup d’entre vous gardent à
l’esprit cette idée terrifiante selon laquelle le corps se venge quand on le
prive. Le corps est très soupe au lait, il ne faudrait donc pas le contrarier. Je
vous propose donc de faire avec vous le point des connaissances sur le
fractionnement des repas.

Marie-Pierre, 28 ans, a grossi, il y a quatre ans, sous l’effet d’un


traitement antidépresseur. À l’arrêt du traitement, elle souhaite retrouver
son ancien poids. Depuis bien longtemps, elle consomme
habituellement un petit déjeuner très copieux composé de thé, céréales
et lait, jus de fruits, fruits, fromage blanc, pain, Nutella et fromage. Elle
n’éprouve aucune sensation de faim jusqu’au dîner et donc ne ressent
pas le besoin de déjeuner. Pour maigrir, on lui suggère de respecter les
trois repas quotidiens. Elle s’astreint donc à prendre un déjeuner. Dans
les années qui suivent, elle ne cesse de maigrir et regrossir. Elle
consulte pour une instabilité pondérale.

Question : est-il nécessaire de faire trois repas par jour pour perdre du
poids ? Autrement dit, à ration calorique égale, le fait de ne prendre qu’un
ou deux repas par jour ou, au contraire, de répartir sa ration sur plus de trois
ou quatre repas empêche-t-il de maigrir ? Ou encore, si je mange
2 000 calories par jour, réparties sur deux repas parce que je ne prends pas
de petit déjeuner, vais-je maigrir en redistribuant mes 2 000 calories sur
trois repas parce que j’ajouterai un petit déjeuner ?
Cette idée a conduit un grand nombre de nutritionnistes à imposer un
nombre déterminé de repas, généralement trois par jour. Bien souvent, le
conseil étant accompagné de redoutables mises en garde. Sauter un repas
serait terriblement nocif et le corps, furieux de pas avoir son dû, ne
manquera pas de se venger aussitôt en constituant des stocks que plus rien
ensuite ne viendra lui faire rendre. Le corps est très susceptible, il ne faut
pas l’agacer. Ainsi, si parfois on tolère, voire depuis peu recommande, un
quatrième repas, on ne saurait se contenter de deux. Au point qu’il est
instamment préconisé de consommer son troisième repas même en
l’absence de faim, y compris si vous avez ripaillé la veille.
En vérité, aucune des études récentes sur le sujet n’a jamais pu
démontrer la moindre relation entre le poids et le nombre de repas. Et l’on
est aujourd’hui convaincu qu’il est tout à fait inutile d’imposer un nombre
déterminé de repas pour agir sur le poids. Il est donc possible de maigrir en
prenant deux, trois, quatre repas par jour ou même le nombre qui nous
chante et de même changer tous les jours.
Si ce débat vous intéresse, vous trouverez dans les annexes toutes les
informations sur ce sujet avec le point de vue des historiens, des
sociologues et des physiologistes.

Je n’ai pas faim le matin et je mange beaucoup le soir


« Un vrai petit déjeuner est primordial » et : « Le déjeuner sera d’autant
plus copieux qu’il permettra ainsi de réduire le repas du soir. » Voilà
maintenant la seconde règle de « bon sens » qui mérite d’être étudiée de
plus prêt.

Antoine, 54 ans, parle de son petit déjeuner. « Il m’arrive


quelquefois de ne pas prendre de petit déjeuner. Je sais que ce n’est pas
bien mais j’ai parfois du mal à manger le matin. En tout cas, depuis que
j’ai fait le régime Weight Watchers je me force à prendre le petit
déjeuner. J’ai au moins gardé cette bonne habitude. Avant, je partais
travailler avec un café et une biscotte dans le ventre mais maintenant je
me force à prendre des céréales avec du lait et un jus de fruits. »

Question : si je mange 2 000 calories par jour se répartissant autour de


trois repas – un petit déjeuner très léger, un déjeuner léger et un dîner
copieux –, pourrais-je maigrir en continuant à manger 2 000 calories mais
en prenant cette fois un petit déjeuner copieux et en allégeant mon dîner ?

À l’heure actuelle, les conférences de consensus autour du petit


déjeuner préconisent toutes la prise d’un repas le matin apportant environ
25 % des calories et des nutriments de la journée. Ainsi, non seulement
pour la plupart des nutritionnistes, il est souvent impératif de ne pas sauter
ce repas capital, mais aussi faudra-t-il qu’il soit tout à fait conséquent. On
ne saurait naturellement se contenter d’une collation symbolique.
Il n’est donc pas inutile, à ce propos, de souligner deux faits. Le premier
est que personne, à ce jour, ne saurait justifier ce seuil de 25 % qui ne
s’appuie, lui, sur aucun consensus scientifique. Encore une allégation qui
est vraie « parce que tout le monde le dit ». Le second est que les plus
ardents promoteurs de cette recommandation sont, encore une fois, les
industriels de l’industrie agroalimentaire. Tout particulièrement la société
Kellog’s qui organise chaque année les Journées nationales du petit
déjeuner et la plupart des conférences sur ce thème. On retrouvera ensuite,
tout naturellement, les conclusions de ces réunions imprimées sur les boîtes
de céréales du petit déjeuner.
Or, dans la pratique, 70 % des Français consomment un petit déjeuner
leur apportant entre 10 et 20 % de leurs calories quotidiennes. Doivent-ils
modifier leurs habitudes pour maigrir ou éviter de grossir ? Pour le coup, ne
risquent-ils pas de grossir en augmentant la taille de leur petit déjeuner ?
L’argument le plus souvent mentionné par les partisans du petit
déjeuner provient d’études épidémiologiques qui démontrent, chez les
enfants, l’existence d’une relation entre la présence d’un surpoids et
l’absence de petit déjeuner. Pourtant, certaines recherches rapportent des
résultats exactement opposés, mais, curieusement, celles-ci sont rarement
citées et généralement passées sous silence. De plus, cette relation n’a pas
été établie chez les adultes. Il s’agit, là encore, d’une simple corrélation
sans qu’aucun lien de causalité n’ait jamais été démontré. Et absolument
rien dans ces études ne permet d’affirmer que l’absence de petit déjeuner
soit responsable de l’obésité des jeunes. Une autre hypothèse tout aussi
recevable serait simplement que ces personnes n’ont pas d’appétit le matin
parce qu’elles mangent trop le soir. Dans le cas où cette hypothèse serait
confirmée, inciter les enfants à manger davantage le matin les conduirait
tout bonnement à augmenter leurs apports caloriques de la journée et à
aggraver leur problème de poids. C’est d’ailleurs ce que soulignent certains
patients qui remarquent que leur poids a augmenté depuis qu’ils ont décidé
de se forcer à manger le matin, sans éprouver de faim et pour suivre les
conseils des nutritionnistes.
Certains faits apportent même des arguments qui contredisent la
responsabilité du petit déjeuner dans le problème du poids. L’Angleterre
dont le petit déjeuner est souvent donné comme exemple de repas copieux
est le pays d’Europe où la fréquence de l’obésité a le plus augmenté ces
dernières années. Elle a doublé en vingt ans, passant de 8 à 16 %. Les
Anglais ne semblent donc pas avoir été mieux protégés que les Espagnols
qui, eux, grossissent moins et sont connus, tout au contraire, pour prendre
leur plus gros repas très tard dans la soirée.
Autre fait troublant, les populations musulmanes qui observent le jeûne
du ramadan ont été examinées avec beaucoup d’attention par les
nutritionnistes. Du point de vue de ces derniers, le ramadan peut être
considéré comme un mode d’alimentation particulièrement hérétique
puisqu’il consiste à remplacer les trois repas de la journée par un seul repas,
et en plus nocturne. De quoi empêcher de dormir tous les apôtres de la
bonne manière de manger. Or deux études récentes2 ont montré que ces
personnes, tout en maintenant une ration calorique identique, ne prenaient
pas de poids au cours de ce jeûne d’un mois. Dans l’une des deux études, le
groupe observé avait même un peu maigri. Ainsi, dans cette
expérimentation grandeur nature, le déplacement de toutes les calories de la
journée vers le repas du soir n’a entraîné aucune conséquence sur le poids.
Un autre argument, très souvent cité pour souligner l’importance du
petit déjeuner, est son implication dans les performances cognitives des
enfants ou même des adultes. Un grand nombre de travaux évoquent, en
effet, le fléchissement de l’efficacité intellectuelle en fin de matinée chez
les personnes à jeun depuis leur repas de la veille. Cette diminution des
capacités mentales se traduit, par exemple, chez l’adulte par une
augmentation des accidents du travail ou de la circulation. Quant à l’enfant,
ce phénomène se révèle davantage par une baisse d’attention et des
difficultés de concentration à l’école. Néanmoins, pour rassurer les parents
inquiets, il n’a jamais été démontré que les premiers de la classe étaient
ceux qui prenaient le petit déjeuner le plus équilibré.
En définitive, si une conclusion est possible c’est seulement que ventre
affamé n’a pas d’oreilles. Et que mieux vaut ne pas avoir faim si l’on
souhaite rester attentif à ce qui se passe sur la route ou dans la salle de
classe. Pour ces enfants qui manquent d’appétit au lever, une collation en
milieu de matinée pourrait s’avérer bien utile. Mais pour ce qui concerne
l’intérêt du petit déjeuner dans la prévention ou le traitement de l’obésité, il
faut bien admettre que les arguments sont inexistants. Et que là encore, cette
allégation, inutile dans la problématique pondérale, aura pour seul effet de
venir troubler la régulation des apports caloriques.
Si j’ai faim entre les repas

• Que dois-je faire ?


Si, un matin, vous n’avez pas faim et décidez donc de ne pas prendre
votre petit déjeuner, vous pouvez effectivement vous exposer à avoir faim
dans la matinée. Le corollaire de ne pas manger quand on n’a pas faim est
de manger quand on a faim. Vous pourrez donc consommer une collation
dans la matinée.

• Que puis-je manger ?


En théorie, ce que vous voulez. En pratique, ce qu’il est possible de
trouver dans ces circonstances. Cependant, je vous conseille, pour l’instant,
de ne consommer que des aliments sur lesquels vous pouvez garder le
contrôle. Rien ne vous empêche de manger deux ou trois gâteaux secs qui
représentent le tiers ou le quart du petit déjeuner que vous auriez pris
normalement. Néanmoins, si vous ne vous sentez pas capable de vous
arrêter quand vous commencez à manger ce type d’aliment, mieux vaudrait
vous contenter d’un yaourt ou d’un fruit que vous emporterez. En cas de
faim, vous pourrez le consommer. Et, qui sait, si la faim n’apparaît pas,
vous attendrez comme d’habitude l’heure du déjeuner.

• Quelle quantité dois-je manger ?


La taille de votre collation devra tenir compte de la distance qui vous
sépare du repas suivant. Si la faim réapparaît à 10 heures, vous pourrez
prendre une collation plus importante que si elle survenait à 11 heures.
Dans ce cas, une collation trop importante vous priverait d’avoir faim à
l’heure du déjeuner. Ce qui serait fort dommage.

Je risque de ne plus manger en même temps que les autres


Vous ne vous créerez aucun problème de poids supplémentaire en ne
mangeant que si vous avez faim. Vous obtiendrez simplement un
fractionnement de vos prises alimentaires. Néanmoins, si votre poids n’en
souffre pas, votre vie sociale en pâtira peut-être. Les mangeurs régulés
savent très bien jongler avec leurs contraintes sociales. Ils mangent quand
ils ont faim, mais savent anticiper leurs besoins. Ils savent inconsciemment
manger la quantité de nourriture qui leur permettra d’avoir faim en temps
voulu. On appelle cette compétence l’appétit prévisionnel. Elle n’est pas
spécifique des êtres humains mais concerne même les souris. Les horaires
des repas étant généralement imposés, le mangeur se trouve donc contraint
d’exercer sa régulation plutôt sur la taille des repas. Toutefois, dans les
périodes de vacances, quand la contrainte horaire ne s’impose plus si forte,
on retrouve une plus grande flexibilité horaire. Cette compétence
anticipatrice a généralement disparu chez les mangeurs restreints, les
empêchant ainsi de se réguler correctement. Les facteurs cognitifs
contribuent largement à ce handicap : la peur d’avoir faim, la peur de
manquer… les conduisent à manger au-delà de leur faim pour anticiper ces
manques plutôt que leurs besoins. Ils parviennent difficilement à gérer
comme il se doit leur quantité de nourriture pour avoir faim avant chaque
repas. Ni même, à l’intérieur du repas, pour avoir faim avant chaque plat.
Le mangeur régulé sait se limiter sur les entrées ou sur le plat principal pour
avoir encore faim quand il mangera son dessert. « Je me réserve pour le
dessert. » Il sait également régler la taille de son goûter pour avoir faim au
moment du dîner.
Pour retrouver cette capacité, il vous faudra retrouver vos appétits
prévisionnels et la perception de vos besoins réels. Les très jeunes enfants
mangent tout d’abord en fonction de leurs besoins immédiats. Puis, en se
socialisant, ils apprennent à manger les quantités nécessaires afin d’avoir
faim à la même heure que les autres membres de leur famille. Nous ne
sommes pas programmés génétiquement pour avoir tous faim avant le
journal télévisé. Nous apprenons à avoir faim ensemble afin de partager nos
repas qui représentent des lieux de cohésion sociale auxquels nous sommes
attachés. Ce n’est pas par hasard si les Américains ont faim à 18 heures, les
Français à 20 heures et les Espagnols plutôt à 22 heures. Ce n’est que pour
le plaisir de partager leur faim et leur dîner avec leur famille, leurs amis ou
leurs collègues. Avant d’en arriver là, vous devrez, comme les enfants,
repasser par ces apprentissages essentiels. Et, pour cela, manger quand vous
aurez faim afin de réapprendre à maîtriser vos appétits prévisionnels et
parvenir ensuite à maîtriser l’apparition de votre faim.

Si j’ai seulement envie de manger sans avoir faim


Même si le plus souvent, le mangeur « s’arrange » pour avoir faim
avant de manger, il lui arrive de n’avoir qu’« envie de manger » sans
ressentir la faim. Cette situation est plus occasionnelle chez le mangeur
régulé qui n’apprécierait guère d’être trop souvent privé du plaisir d’avoir
faim. Toutefois, les occasions de manger sans faim ne sont pas rares et elles
n’entraînent pas de prises de poids quand elles sont régulées. Dans une
expérience sur des rats, on les conditionne à manger dès l’apparition d’un
signal lumineux qui se déclenche toutes les trois heures. Il suffit ensuite de
déclencher le stimulus pour que l’animal consomme un repas
supplémentaire, alors qu’il n’a pas faim. Cela étant attesté par l’absence
d’hypoglycémie. On constate, toutefois, que ces repas supplémentaires sont
compensés et que l’animal diminue d’autant sa prise alimentaire des vingt-
quatre heures3. Cette expérience démontre clairement que l’organisme est
tout à fait capable de comptabiliser une prise alimentaire consommée sans
faim. En pratique, si vous prenez le goûter chez des amis dans l’après-midi,
vous devez constater que votre faim sera moindre pour le dîner ou même
totalement inexistante. Inutile donc de se stresser si vous mangez sans faim
ou que vous dépassez votre satiété. Même si vous faites une compulsion
dans l’après-midi ne dramatisez pas et n’hésitez pas à sauter sans complexe
votre dîner pour que tout rentre tranquillement dans l’ordre.

Et la gourmandise, alors ?
« Quand c’est bon, je ne peux pas m’arrêter. Je suis très gourmand. » Le
mangeur régulé mange généralement au-delà de sa faim dans les occasions
inhabituelles ou festives. Et comme tout le monde, il n’hésite pas à se
resservir quand un plat est exceptionnellement appétissant. La diminution
de sa faim lors des repas suivants lui permettra de compenser ses excès. Le
mangeur restreint se comporte, lui aussi de cette façon mais dans des
situations beaucoup plus ordinaires. Ce qu’il décrit là n’est pas de la
gourmandise, mais simplement son incapacité à s’arrêter de manger. La
gourmandise est une qualité précieuse qu’il vous faudra d’ailleurs
conquérir. Elle impose des limites à la consommation et empêche le
mangeur de continuer trop au-delà de sa faim. Le gourmand est un mangeur
redoutablement exigeant qui est tyrannisé par sa recherche d’un plaisir plus
intense. Il sait, aussi exceptionnel soit-il, qu’aucun aliment ne sera aussi
bon que s’il le mange en ayant faim. Imaginons un déjeuner auquel
participerait notre gourmand. À la fin du plat principal, il n’a plus faim
quand il voit arriver son dessert préféré. Quelle sera selon vous sa réaction ?
Il demandera qu’on lui réserve sa part qu’il préférera déguster plus tard, au
goûter, quand sa faim sera revenue et qu’il pourra de nouveau éprouver plus
de plaisir. Il aime trop son gâteau pour accepter de ne pas en retirer le
maximum de plaisir. Quant aux autres convives, qui mangeront peut-être
leur part sans être attentifs à rien, ce n’est pas la gourmandise qui les fera
manger, mais bien davantage la gloutonnerie.

Si j’écoutais mes sensations, je ne mangerais plus


Après quelques jours de cet exercice, vous avez constaté que vous
pouviez vous rassasier étonnamment vite, quelques bouchées peuvent
parfois vous suffire. Vous avez du mal à y croire et préférez continuer à
manger pour prévenir d’éventuelles carences ou coups de fatigue.
Détrompez-vous, si vous n’avez pas faim et si le rassasiement se manifeste
si rapidement, c’est que votre corps n’a pas de plus grands besoins. Il
cherche à vous empêcher de le nourrir et ne dispose d’aucun autre moyen
de vous le faire savoir. Il est tout à fait possible que vous puissiez vous
contenter de très faibles quantités de nourriture. Respectez ces informations
que vous recevez, elles vous permettront justement d’aller puiser dans vos
réserves sans souffrir de la faim. N’était-ce pas le but recherché ?
Il est aussi possible que vos appétits spécifiques n’aient pas encore
retrouvé leur place. Vous ne savez pas encore estimer les quantités
nécessaires pour faire revenir votre faim en temps voulu, ni trop tôt ni trop
tard. Patience, toutes vos sensations reviendront en leur temps.

J’ai beaucoup de difficultés à percevoir la satiété


Si vous éprouvez des difficultés à distinguer vos sensations
alimentaires, vous constaterez que la faim sera la première à se préciser. La
perception exacte de la satiété sera généralement plus tardive et facilitée par
la disparition progressive de la restriction cognitive. La satiété est très
tributaire de la faim. Un mangeur qui n’a pas faim ne peut pas se rassasier.
Un mangeur commence habituellement à manger parce qu’il a faim et cesse
sa consommation quand sa faim disparaît. Toutefois, si la faim est absente
du début du repas, il ne dispose plus du signal qui lui indique de s’arrêter.
Ainsi l’existence du signal de satiété est conditionnée par l’existence du
signal de faim. Assurez-vous que la faim est véritablement présente au
début de vos repas.

Je mange très peu, ce n’est donc pas trop


Le fait de manger peu ne signifie pas que ce n’est pas trop. Beaucoup
de mangeurs ont aujourd’hui des besoins très réduits. Les enquêtes de
consommation montrent que certaines personnes se contentent sans
difficulté de 1 500 calories. C’est peu par rapport à la moyenne des autres
personnes. Et une très légère augmentation de leurs apports caloriques leur
fera prendre du poids tout en continuant à manger moins que la plupart des
autres mangeurs. Ce sera néanmoins trop par rapport à leurs besoins. Il
semble également que la répétition des nombreux régimes ait pour effet
d’entraîner une diminution des dépenses au cours de la vie.

Je mange… Assez Trop


Un peu mais… 1 500 calories 1 700 calories
Beaucoup mais… 2 700 calories 2 900 calories

Je ne perçois pas la diminution du plaisir


Ce n’est pas parce que vous avez des difficultés à percevoir la
diminution du plaisir que vous n’en avez pas. Elle est plus facile à percevoir
avec les aliments les plus riches. Imaginez-vous manger du foie gras. Les
premières bouchées ne sont-elles pas plus plaisantes que les dernières ?
Même les plus gros mangeurs s’arrêteront avant d’avoir le ventre plein. Ils
ne peuvent donc manger autant de foie gras qu’ils mangeraient de jambon
dégraissé. « Quelque chose » les a empêchés de continuer. S’ils
poursuivaient leur consommation, la diminution du plaisir se transformerait
même en déplaisir, jusqu’à parfois entraîner douleurs, nausées et
vomissements.

Et si j’ai envie de me taper la cloche ?


Eh bien, dans ce cas, ne vous privez pas. Tous les mangeurs régulés ont
expérimenté cette situation. Ils ne s’en sont pas portés plus mal. Vous aurez
beaucoup moins faim aux repas suivants et vous réduirez spontanément vos
consommations. Vous découvrirez de surcroît qu’il n’est pas si drôle de
répéter trop souvent cette expérience.

Et si je suis obligé de manger alors que je n’ai pas faim ?


Il existe, en effet, des situations où l’on ne peut éviter de manger. Si
vous invitez un ami ou un de vos clients à déjeuner, vous pourrez
difficilement vous abstenir de commander un repas. Cependant, rien ne
vous oblige à consommer des plats riches. Vous pouvez également vous
contenter d’un seul plat, ou même laisser de la nourriture dans votre
assiette. Bref, nécessité fait loi, mais vous n’êtes pas non plus sans aucune
ressource. Votre régulation rétablira ultérieurement votre équilibre. Il suffit
de lui laisser faire son travail.

1- Apfeldorfer G., Maigrir, c’est dans la tête, Paris, Odile Jacob, 1998.

2- Communication de R. Saile (Casablanca) et M. Maislos (Beer-


Sheva), International Symposium of Atherosclerosis, Paris, 1997.

3- Weigarten H. P., « Meal initiation controlled by learned cues : basic


behavioral properties », Appetite, 5, 1984, p. 147-158.
CHAPITRE V
Pour en savoir plus :
Mes sensations me parlent

Les sensations alimentaires sont donc les seules informations dont


dispose le mangeur pour ajuster sa consommation à ses besoins. Elles se
résument à un petit nombre de sensations simples qui contrastent avec la
multiplicité et la complexité des systèmes biologiques dont elles sont
l’expression. La satisfaction quantitative et qualitative des besoins est
conditionnée par trois mécanismes s’appuyant sur les sensations
alimentaires : la fréquence des repas, la taille des repas et le choix des
aliments.

Quand commence-t-on à manger ?

La faim apparaît quand le contenu du repas précédent a


été évacué de l’estomac. Elle ne nous dit pas combien
nous devons manger, mais nous renseigne sur le délai
que nous pouvons supporter avant de manger.

La fréquence des repas est déterminée par l’alternance de la faim et de


la satiété. On commence généralement à manger, mais pas toujours, quand
la faim parfois l’envie se font sentir. La faim est une sensation se
manifestant par une gêne, un « creux » au niveau de l’estomac, voire une
sensation douloureuse et pouvant s’accompagner d’une impression de
faiblesse, de nervosité, parfois de malaise général. Ce cortège de
manifestations incite le mangeur à se mettre en quête de nourriture d’autant
plus rapidement qu’elles sont intenses. En l’absence de celle-ci l’organisme
puise le glucose dans ses réserves et restaure rapidement, mais
provisoirement la glycémie1. Ce qui explique la disparition momentanée de
la sensation de faim. « Avoir l’estomac dans les talons » illustre d’ailleurs la
fébrilité de cette recherche.
Cependant, contrairement à ce que pensent souvent les mangeurs
restreints, la faim ne donne pas d’informations sur la quantité de nourriture
que nous allons devoir ingérer mais seulement sur le délai qu’il nous est
possible de tolérer avant de manger. Un individu qui a très faim se doit donc
de manger dans un bref délai. Alors que celui qui a peu faim est capable
d’attendre plus longtemps. Avoir très faim ne signifie donc pas que nous
devons manger beaucoup. D’autre part, dans les études de consommation,
on n’observe pas de corrélation entre la taille du repas et le temps
d’abstinence qui précède ce repas2. Autrement dit, ce n’est pas parce qu’on
n’a pas mangé depuis longtemps que l’on va manger beaucoup.
La faim apparaît quand les cellules du cerveau commencent à manquer
de glucose. Un très faible fléchissement de la glycémie, de l’ordre de
seulement 6 à 7 %, suffit à déclencher ce signal. Cette variation de la
glycémie est sans rapport avec les fameuses « hypoglycémies »
fonctionnelles, responsables de malaises et qui sont, elles, de l’ordre de 40 à
50 %. Ces dernières sont très peu fréquentes et rarement retrouvées dans les
analyses de sang. La faim, donc, se manifeste quand les aliments du repas
précédent finissent d’être digérés et signale la nécessité de satisfaire un
besoin global de nutriments énergétiques. Ainsi plus le repas sera riche et
important, plus il restera longtemps dans l’estomac et retardera la
réapparition de la faim. L’homme affamé ne fait pas le difficile. Il a faim et
pourrait manger « n’importe quoi ». Voilà d’ailleurs ce qui distingue la faim
de l’appétit. L’appétit, lui, est sélectif. Il ne se satisfait que de ce qui calme
une envie spécifique. Celui qui a envie d’une glace au citron n’acceptera
pas qu’on lui propose à la place une bavette aux échalotes. Cette dernière
aurait sans nul doute pu calmer sa faim mais assurément pas son appétit.
Une fois le repas terminé, la faim disparaît et se trouve remplacée par un
sentiment de confort et de plénitude, c’est la satiété que l’on définit comme
l’état de non-faim. Cet état se maintient jusqu’à la réapparition d’une
nouvelle diminution de la glycémie qui déclenchera de nouveau un signal
de faim et la prise du repas suivant.
La fréquence des repas, quant à elle, est avant tout déterminée par des
contraintes sociales. Grâce à ses appétits prévisionnels, le mangeur apprend
à régler la taille de ses repas pour avoir faim en temps voulu, à des heures
socialement acceptables. Il « sait », avec une assez bonne précision et par
un apprentissage inconscient, quelle quantité de nourriture il lui faut
prendre au petit déjeuner pour ne pas avoir faim avant le déjeuner. Et quelle
quantité de nourriture il lui faut prendre au déjeuner pour ne pas avoir faim
avant le dîner. C’est donc seulement par apprentissage puis un
conditionnement que les mangeurs d’un même groupe social apprennent à
avoir faim à la même heure. Nous ne sommes pas génétiquement
programmés pour tous avoir systématiquement faim à la même heure.

Pourquoi s’arrête-t-on de manger ?

Nous savons de quelle quantité d’aliments notre


organisme a besoin grâce à la satiété. Deux systèmes
participent à ce processus. L’un est mécanique, c’est la
distension de l’estomac. L’autre est sensoriel, c’est la
disparition du plaisir gustatif.

La faim nous dit que nous devons commencer à manger, mais il nous
faut également posséder un moyen de savoir quand nous arrêter. Alors
équipés de ces deux informations, un signal de début et un signal de fin,
nous devenons capables de régler les quantités d’aliments que nous
ingérons. Nous disposons pour y parvenir de plusieurs systèmes qui nous
incitent à interrompre nos repas. Le processus qui met un terme au repas est
désigné sous le terme de rassasiement. Il faut le distinguer de la satiété qui
est l’état de non-faim séparant deux repas, eux-mêmes déclenchés par la
faim. Le rassasiement se traduit physiologiquement par la diminution du
plaisir gustatif constitué par la somme de plusieurs mécanismes agissant
conjointement. L’un d’eux est mécanique, les autres sont sensoriels.

Parce qu’on a l’estomac plein : la distension gastrique

L’efficacité du système mécanique repose sur la


distension de l’estomac. C’est un processus tardif et
approximatif basé sur le volume des aliments.

Le système mécanique est représenté par la distension gastrique. Le


volume des aliments distend les parois de l’estomac et entraîne une
sensation confortable de plénitude et l’arrêt de la prise alimentaire. Au-delà,
la poursuite du repas deviendrait pénible. Une sensation désagréable de
lourdeur s’emparerait de nous et pourrait même se transformer en douleur.
Beaucoup de sujets en restriction cognitive rapportent d’ailleurs qu’ils ne
parviennent à s’arrêter de manger qu’au moment où ils atteignent ce seuil.
On voit que ce mécanisme est très rudimentaire et peu précis. Il intervient
souvent trop tard alors que les besoins sont déjà comblés. De plus, s’il
s’avère utile pour des aliments de faible densité calorique, tels que les
légumes, il ne présente plus aucun intérêt pour des aliments de forte densité
calorique, tels que le foie gras ou le chocolat. La distension gastrique
constitue donc l’un des signaux inhibiteurs de la taille du repas. Cependant,
la plupart des études ont montré que les sujets obèses y semblaient moins
sensibles et pouvaient tolérer une plus forte distension que les sujets
maigres3. Dans le but de proposer un traitement efficace de l’obésité,
certains auteurs ont émis l’idée que l’on pourrait accroître la sensation de
distension en introduisant un ballonnet dans l’estomac des sujets obèses.
Mais les résultats se sont révélés décevants. Ainsi, quand on compare les
sujets disposant d’un ballon intragastrique avec des sujets traités par une
thérapie comportementale modifiant les comportements alimentaires, la
perte de poids s’est révélée plus importante avec la thérapie
comportementale. Les sujets porteurs de ballonnets ont réussi à prendre des
repas plus fréquents, rendant ainsi, à long terme, le traitement inefficace.

Parce qu’on n’éprouve plus de plaisir : le système sensoriel

Quand le mangeur n’éprouve plus de plaisir gustatif


pour ses aliments, c’est qu’il a suffisamment mangé et
que ses besoins énergétiques ont été satisfaits.

Le système comprend surtout deux mécanismes, complémentaires l’un


de l’autre : l’alliesthésie alimentaire négative et le rassasiement
conditionné. Ces mécanismes d’une extrême précision s’appuient
principalement sur la modulation du plaisir sensoriel procuré par la
consommation des aliments. Leur fonction est de nous permettre de
déterminer les quantités de nourriture qui sont nécessaires à la satisfaction
de nos besoins, alors même que nous sommes en train de manger. Car, bien
souvent, quand le repas est terminé, seuls 10 % des aliments ingérés auront
été absorbés et seront parvenus à nos cellules ! Sans ces dispositifs, nous
devrions attendre que tous les aliments ingérés au cours du repas soient
absorbés, digérés, métabolisés puis transportés jusqu’aux cellules qui les
utiliseront sous forme de nutriments pour savoir si ce que nous avons
mangé est adapté à nos besoins. Autant dire qu’en commençant à manger le
matin nous ne saurions que le soir si nous avons mangé ce qu’il fallait. Ce
sont donc ces mécanismes qui nous permettent d’anticiper nos besoins.

L’alliesthésie alimentaire négative


Le phénomène alliesthésique a été décrit pour la première fois en 1968
et correspond à la modification de la perception affective de l’aliment en
fonction de l’état énergétique interne de l’individu. Étymologiquement, il
signifie « modification de sensation ». Il s’agit d’un phénomène universel
dont chaque mangeur peut faire l’expérience chaque fois qu’il mange. Plus
le mangeur a faim, plus le plaisir qu’il éprouve à manger est important.
Puis, au décours de sa consommation, ce plaisir décroît au fur et à mesure
qu’il se rassasie. C’est pour cette raison que l’on parle d’alliesthésie
alimentaire négative. En cas d’ingestion forcée, le plaisir peut même se
transformer en déplaisir. Le phénomène a été mis en évidence par Michel
Cabanac grâce à l’expérience suivante.

LE PHÉNOMÈNE D’ALLIESTHÉSIE ALIMENTAIRE NÉGATIVE


DÉCRIT PAR CABANAC (1979).
Une réponse affective au stimulus sucré agréable à jeun devient
indifférente voire désagréable après une charge calorique (50 g de glucose)
administrée par voie intragastrique.

On demande à un groupe de personnes de noter le plaisir qu’elles


éprouvent à goûter une solution plus ou moins sucrée. Dans une première
expérience, les sujets sont à jeun et éprouvent d’autant plus de plaisir que la
solution est sucrée. Dans une seconde expérience, les mêmes sujets
viennent d’être nourris et éprouvent de l’indifférence pour les solutions les
moins sucrées et une sensation franchement désagréable pour les solutions
les plus sucrées. Le plaisir qu’ils éprouvent est donc différent selon que les
sujets ont ou non besoin de manger. C’est par la modulation de cette
composante affective que l’alliesthésie participe au contrôle des
comportements régulateurs. Le plaisir gustatif jouant ici le rôle de
renforçateur du comportement. Il initie et entretient le comportement tant
que la sensation est positive. Il l’inhibe, dès que le comportement procure
des sensations négatives ou déplaisantes. Ainsi, l’alliesthésie alimentaire
négative participe au contrôle quantitatif régulateur des ingestats en les
limitant dès que la couverture des besoins énergétiques est assurée.
L’alliesthésie présente certaines caractéristiques :
1. La diminution de la composante affective ne modifie en rien la
perception des qualités organoleptiques de l’aliment. Chez un sujet
préalablement rassasié, un aliment sucré est perçu comme moins
agréable mais non comme moins sucré.
2. Plus l’aliment est calorique plus l’amplitude de l’alliesthésie
augmente.
3. Le phénomène n’est pas immédiat et n’apparaît que quinze à vingt
minutes après le début de la consommation de l’aliment. Il nécessite en
effet un certain délai avant que les aliments n’atteignent les récepteurs
chimiques situés dans le tube digestif et transmettent l’information au
cerveau par voie nerveuse.
4. L’alliesthésie alimentaire ne fonctionne qu’avec des aliments apportant
des calories. Elle est inopérante avec les édulcorants intenses. Ainsi,
les faux sucres sont totalement dépourvus d’efficacité.
5. Le signal ne dépend pas de la distension gastrique. Le fait de remplir
l’estomac d’eau ou d’autres substances inertes ne permet pas d’induire
une alliesthésie alimentaire négative.
6. Enfin, l’alliesthésie alimentaire dépend du poids et de l’état
nutritionnel du sujet. Elle disparaît chez les sujets amaigris. Ces
derniers, n’éprouvant plus une diminution du plaisir gustatif,
augmentent la quantité de leurs apports caloriques et retrouvent ainsi
leur poids initial. Tandis qu’elle est renforcée chez les sujets en
surcharge volontairement gavés. Le plaisir gustatif diminue plus vite
les incitant à réduire leurs apports caloriques et ainsi à retrouver plus
vite leur poids initial.
Le rassasiement conditionné
Cette sensation permet au mangeur, grâce à des mécanismes
conditionnés, de maintenir l’équilibre de sa balance énergétique en
consommant une quantité de nourriture correspondant strictement à sa
dépense énergétique et cela quelles que soient les variations de cette
dernière.
Cette compétence physiologique a été démontrée aussi bien chez
l’animal que chez l’humain. Quand on diminue par 2 la densité des
boulettes de nourriture habituellement distribuées au rat de laboratoire, ce
dernier, après quelques apprentissages, réagit en multipliant par 2 sa
quantité de nourriture, de façon à maintenir une quantité de calories
appropriée à la couverture de ses besoins énergétiques4.
Chez l’homme, le rassasiement conditionné a été démontré par David
Booth5 en 1982 grâce à une expérience devenue célèbre. On offre un bon
repas à deux groupes de volontaires6. Au premier groupe, on propose une
soupe à la tomate riche en calories puis des sandwichs au jambon. Au
second groupe, on propose une soupe à la tomate apparemment identique,
mais pauvre en calories et sans que cette différence puisse être
sensoriellement discernée. La soupe est cette fois suivie de sandwichs au
fromage dont la composition en calories et en nutriments est
rigoureusement identique à celle des sandwichs au jambon. On constate que
dans les deux groupes, les volontaires consomment la même quantité de
sandwichs. Puis, on fait revenir les volontaires la semaine suivante et on
reproduit la même expérience. On constate cette fois que ceux qui ont
consommé la soupe à la tomate pauvre en calories augmentent leur
consommation de sandwichs au fromage.
On peut conclure qu’il n’a pas fallu bien longtemps pour que les
volontaires lésés se rendent compte qu’ils s’étaient fait avoir et qu’ils
adaptent les quantités de nourriture à leurs besoins.
Si l’on poursuit l’expérience en intervertissant les soupes à la tomate,
dans un premier temps ce sont encore les sandwiches au fromage qui seront
les plus consommés. Mais après quelques essais, les volontaires
s’adapteront de nouveau en augmentant leur consommation de sandwichs
au jambon.
En 1985, Birch et Deysher ont poursuivi la démonstration en
l’expérimentant sur des enfants de 3 à 5 ans. Avant le repas, on donnait aux
enfants soit une crème dessert très calorique aromatisée à l’abricot, soit une
crème dessert peu calorique aromatisée à la fraise. On voyait que les enfants
réduisaient leur repas après la crème à l’abricot et mangeaient plus après la
crème à la fraise. Dans les deux groupes, la somme calorique de la crème
dessert et du repas restant à peu près identique. Puis, après six jours, on
inversait les saveurs : la crème à l’abricot devenait peu calorique et la crème
à la fraise très calorique. Après quelques essais, qui leur permettaient
d’analyser inconsciemment la nouvelle valeur énergétique des crèmes
dessert, les enfants modifiaient la taille de leur repas et se mettaient à
manger moins après la crème à la fraise et plus après la crème à l’abricot.
Ils avaient adapté leur consommation afin de maintenir un apport calorique
correspondant à leurs besoins.
Quelques années plus tard David Booth a encore confirmé ses travaux
par des expériences sur les adultes. Deux fois par semaine, des volontaires
venaient prendre leur repas de midi dans son laboratoire. Le premier repas
était conduit selon le protocole A et le second repas selon le protocole B. La
précharge avait exactement le même goût, mais différait par sa teneur en
calories.

Protocole A : les sujets consomment d’abord une précharge riche en


calories. Ils peuvent ensuite consommer autant de sandwichs qu’ils le
souhaitent puis terminent leur repas par un yaourt à la fraise.
Protocole B : les sujets consomment d’abord une précharge pauvre en
calories. Ils peuvent consommer autant de sandwichs qu’ils le souhaitent
puis terminent leur repas par un yaourt à la vanille.

La première semaine, les sujets consommaient autant de sandwichs et


de yaourts dans les deux expériences. Ils ne faisaient donc pas la différence
entre la teneur calorique des précharges qui présentaient le même goût.
Mais après quatre semaines, bien que la consommation des sandwichs
restait identique, celle des yaourts à la vanille augmentait. Les sujets
compensaient le déficit lié à la précharge pauvre en calories pour maintenir
une quantité de calories suffisante à maintenir leur balance énergétique. Ils
avaient appris par le mécanisme du rassasiement conditionné à ajuster leur
prise alimentaire en fonction du contenu énergétique des aliments.

Toutes ces expériences montrent comment le rassasiement conditionné


est donc fondé sur les caractéristiques sensorielles de l’aliment et non sur
ses caractéristiques nutritionnelles ou caloriques. Il s’agit donc d’un
contrôle à court terme du comportement alimentaire qui nécessite quelques
apprentissages pour devenir efficace sur le long terme.7

Les mécanismes du rassasiement

L’intensité du plaisir ressenti dépend aussi de notre état


énergétique interne. Autrement dit, plus nous sommes en déficit
énergétique, plus nous avons faim et plus nous éprouvons de
plaisir à manger. Et dit encore autrement, une bonne tranche de
foie gras sera plus appréciée en entrée après une matinée d’effort
qu’en pousse-café après un repas de noces7.
Le plaisir diminue d’autant plus vite que l’aliment est riche en
énergie. Le chocolat et les gâteaux rassasient plus vite que les
tomates ou les yaourts à 0 % de matière grasse. Ce qui est une
bonne nouvelle.
Les mécanismes du rassasiement interviennent très tôt dans la
séquence du repas. Le plus précoce se met en route dès les
premières secondes. Tandis que le plus tardif n’est complètement
opérationnel qu’au bout de vingt minutes. Il est donc faux de
prétendre qu’il faut attendre vingt minutes pour être rassasié.
Bien heureusement, les premières informations parviennent à
notre cerveau dès les premiers instants du repas. Il n’est donc pas
nécessaire de passer vingt minutes à table pour manger deux
gâteaux secs. Ce qui est aussi une bonne nouvelle.
Dès les premières minutes, les mécanismes du rassasiement et le
contrôle du comportement alimentaire reposent principalement
sur les composantes sensorielles de l’aliment (rassasiement
conditionné).
Au-delà de vingt minutes, les mécanismes du rassasiement sont
principalement dominés par les aspects nutritionnels de l’aliment
(alliesthésie alimentaire négative).

Comment les besoins nutritionnels sont-ils satisfaits ?

Nous sommes les jouets d’une illusion et choisissons


inconsciemment nos aliments en fonction de nos
besoins. Nous croyons, en effet, prendre plaisir à
manger des aliments qui ont bon goût, alors qu’en
réalité nous trouvons bon goût à des aliments qui nous
procurent du plaisir parce que nous en avons besoin.

Les appétits spécifiques


Les chercheurs ont démontré que certains micronutriments faisaient
aussi l’objet d’une régulation. Ce qui suppose encore une fois l’existence
d’une valeur de consigne et la présence de systèmes de détection et de
correction des besoins qui en résultent.
Or, il faut bien le dire, absolument personne n’a conscience de manquer
de sélénium, de sodium, de fer, de lysine, de vitamine B1 ou de quoi que ce
soit d’autre. Il faut donc, comme dans le cas de la régulation énergétique,
que ces informations biologiques soient transmises au cerceau puis
converties en informations suffisamment compréhensibles pour pouvoir être
utilisées. Voilà le rôle des appétits spécifiques !
La manière dont nos besoins spécifiques sont ensuite codés en appétit
spécifique reste encore assez obscure. Il ne semble pas que le besoin
nutritionnel, à l’instar du besoin énergétique, soit traduit par des signaux
corporels équivalant à ceux de la faim dont le mangeur prendra conscience
et pourra interpréter comme un besoin spécifique. Il semble plutôt que
l’essentiel du processus s’effectue de façon inconsciente et que le besoin
qui active la motivation spécifique ne soit pas perceptible.
Quand nous avons faim, nous n’éprouvons pas le besoin de manger un
aliment quelconque ou un plat quelconque. En y réfléchissant, nous serions
même plutôt attirés par des aliments assez précis. Ceux dont nous
ressentons qu’ils nous procureront à cet instant donné la plus grande
satisfaction. Sans en comprendre la raison, à cet instant donné, nous
« choisissons » de manger une entrecôte plutôt que des spaghettis à la
carbonara. Comme le rappelle André Holley, nous commettrions une
lourde erreur en considérant la décision de consommer tel aliment comme
le résultat d’une délibération cognitive, consciente, dans laquelle seraient
pesés rationnellement des arguments en faveur ou en défaveur de cette
décision8. Au contraire, la plupart des processus d’élaboration de la
décision sont largement inconscients. Ces processus sont sous-tendus par la
présence d’un état de motivation qui résulterait de la détection d’un besoin.
Ce besoin provoquerait un état émotionnel inconscient coïncidant avec une
activation des aires émotionnelles du cerveau9. C’est la correspondance
dans le temps entre cet état de motivation exprimant le besoin spécifique
d’un nutriment et la stimulation visuelle produite par l’aliment ou même sa
simple évocation mentale qui pourrait ensuite aboutir à sa consommation.
Ainsi, les appétits spécifiques nous permettraient de choisir de manger
des aliments contenant des substances dont nous n’avons aucunement
conscience dans le but de combler des besoins dont nous n’avons pas
davantage conscience. Il serait donc judicieux de ne pas systématiquement
considérer les envies alimentaires comme de vulgaires caprices quand il
pourrait s’agir de l’expression des besoins nutritionnels. Les scientifiques
ont pu démontrer que nous étions même incroyablement doués pour trouver
ce qui nous manquait.
Historiquement, la vitamine B1 a été la première substance pour
laquelle a été mis en évidence un appétit spécifique10. C’est Harris en 1933
qui a découvert le premier que les rats déficients en thiamine pouvaient
développer une préférence pour la nourriture enrichie avec le nutriment
manquant. C’est surtout Curt Richter, pionnier de la psychobiologie, qui a
montré comment, chez l’animal, les états de besoin pouvaient être à
l’origine de certains appétits ou de comportement d’ingestion
particulièrement appropriés. Dans certains cas, les rats déficients pouvaient
aller jusqu’à ingérer leurs propres fèces afin de recycler le nutriment qui
leur faisait défaut. Comme d’ailleurs, on a aussi vu des humains se
réhydrater avec leurs urines pour faire face à des situations extrêmes de
survie.
Depuis, des appétits spécifiques ont été démontrés pour de nombreux
nutriments. Compte tenu de leur importance, il est regrettable que les
travaux sur ce sujet demeurent encore aussi peu fréquents et portent
davantage sur les animaux que sur l’homme. Et même si les connaissances
dans ce domaine ont progressé, il faut malheureusement admettre que
l’inventaire de tous les nutriments faisant l’objet d’une régulation reste
encore à établir. Pour l’heure, les études confirment des processus de ce
type pour la vitamine B1 et d’autres vitamines du groupe B, pour certains
minéraux comme le sodium, le potassium, le calcium, le zinc ou le fer, pour
quelques acides aminés essentiels comme la lysine, le tryptophane et la
méthionine. Et certains chercheurs suspectent que des mécanismes
analogues pourraient aussi concerner la consommation de certains acides
gras essentiels comme les oméga-3 ou les oméga-6.
Toutefois, lorsqu’ils existent, ces mécanismes dévoilent une puissance
surprenante. Les animaux carencés font parfois la preuve d’une
exceptionnelle motivation pour réparer leur carence. Dans son livre sur les
émotions primordiales11, Derek Denton raconte comment des herbivores,
sous l’effet de la nécessité, se transforment en mangeur de pierre. Il
rapporte ainsi le périple ahurissant des éléphants du Kenya qui cheminent
au péril de leur vie sur des sentiers abrupts pour se procurer le sel
nécessaire à leur survie. Ils atteignent ainsi des grottes à peine accessibles
se situant au sommet d’un volcan culminant à plus de 4 200 mètres.
Sans doute, moins spectaculaire mais tout aussi révélateur, des rats
déficients en lysine, un acide aminé essentiel, seront capables de découvrir
la solution nutritive enrichie en lysine lorsqu’elle est proposée au milieu de
quinze autres solutions et ils peuvent encore la consommer même
lorsqu’elle est proposée dans une solution amère qu’ils auraient été
incapables de consommer en temps normal12.
Chez l’être humain, il faut sûrement comprendre les changements
d’attirance pour nos aliments en fonction de l’âge comme la manifestation
de l’évolution de nos besoins. Certains auteurs expliquent ainsi la
répugnance des enfants pour les légumes par le fait qu’ils n’apportent pas
suffisamment d’énergie. Les enfants, ayant des dépenses énergétiques
importantes, seraient davantage attirés par des nourritures plus riches
correspondant mieux à leurs besoins élevés.

À quoi sert le goût ?


Que des éléphants soient capables de comprendre qu’ils ont besoin de
sodium semble déjà une prouesse. Qu’ils sachent ensuite le trouver au fin
fond d’une caverne située au bout d’un cratère totalement inaccessible tient
aussi du prodige. En revanche, nous sommes moins étonnés de la facilité
avec laquelle ils localisent le sodium dans une roche compte tenu que celui-
ci est rendu particulièrement identifiable grâce au goût salé qui le
caractérise. Comment le rat déficient en thiamine réussit-il à identifier
parmi toutes les solutions qu’on lui propose la seule qui soit enrichie avec
cette vitamine ? Ce n’est pas si simple, dans la mesure où la thiamine est
indétectable au goût. De la même façon, on a pu montrer que les
végétariens qui ne consomment pas de produits laitiers développaient un
appétit spécifique pour le calcium qui les conduisait à augmenter
significativement leur consommation en végétaux riches en calcium alors
même que probablement ils en ignoraient la composition13.
Une fois que le besoin spécifique d’un nutriment est détecté par le
cerveau, puis que l’appétit spécifique pour ce nutriment apparaît, comment
dès lors savoir quel aliment consommer pour satisfaire ce besoin, surtout si
le nutriment en question ne présente aucune caractéristique gustative
reconnaissable ?
C’est là précisément la fonction du goût.
Nous avons vu comment, grâce à ses capacités d’apprentissage et après
quelques consommations répétées, le cerveau appariait inconsciemment
l’image métabolique des aliments à leur image sensorielle. Nous allons voir
maintenant comment il est aussi possible de transformer une aversion ou
une préférence.

LES PRÉFÉRENCES ALIMENTAIRES


Le besoin crée le plaisir qui détermine ensuite les préférences. Si l’on
soumet des rats à un régime carencé en protéines, spontanément, par la
suite, quand ils auront le choix, ils se dirigeront vers des aliments leur
apportant des protéines. La même expérience peut être répétée en infligeant
des carences beaucoup plus spécifiques en un acide aminé, une vitamine ou
un sel minéral. L’animal prend du plaisir et trouve bon les aliments qui lui
apportent le nutriment qui lui fait défaut. Chose importante, son goût pour
cet aliment persistera bien au-delà de la réparation de cette carence. On a
ainsi créé durablement une préférence alimentaire. Il a même été possible,
grâce à des protocoles de conditionnement, de transformer des aversions en
préférences. Par exemple, les animaux détestent tous l’eau acide et
préfèrent naturellement l’eau pure. Après consommation d’un régime
carencé en zinc, ils finissent tous par préférer l’eau acide si celle-ci leur
apporte le zinc qui leur manque. De la même manière, chez l’homme qui
présente une insuffisance surrénale, on constate une attirance étonnante
pour la réglisse. Ce produit contient des substances qui corrigent les
troubles dont souffrent ces personnes. Celles-ci ressentent alors un grand
plaisir à consommer des aliments pour lesquels elles pouvaient n’avoir
jusqu’alors qu’indifférence. Soudainement, la réglisse deviendra pour eux
un aliment recherché et qui aura « bon goût ». De même, au cours d’un
régime hypoglucidique, pouvons-nous décider de nous priver pendant
plusieurs semaines de manger des féculents. Si soudainement on nous
présente un délicieux plat de pâtes, à sa simple vue nous éprouverons un
plaisir intense. Et nous en consommerons aussi longtemps que ce plaisir
sera ressenti. Par ce message, le cerveau nous fait savoir que notre
organisme est en état de manque et que nous devons reconstituer les stocks
de glucides épuisés.

LES AVERSIONS ALIMENTAIRES


À l’opposé, il est aussi possible d’inverser une préférence si la
consommation de l’aliment n’apporte plus ce que l’on en attend. Ainsi, chez
les animaux, le goût inné pour le sucré ne se maintient que s’il correspond à
un apport d’énergie. En remplaçant le sucre par de la saccharine, on assiste
progressivement à une extinction du goût pour le sucré. L’animal finit par
se désintéresser de ce type d’aliments qui lui devient dorénavant indifférent
s’il « apprend » qu’il ne lui permet plus de satisfaire ses besoins. Ce
processus est désigné sous le terme d’« aversion gustative conditionnée ». Il
s’agit d’un mécanisme biologique extrêmement puissant et profondément
utile. Il peut si nécessaire se mettre en place après une seule ingestion si
cette dernière est suivie d’effets néfastes. On peut, par exemple, chez un
animal, volontairement provoquer un malaise digestif après ingestion d’un
aliment inconnu de lui. Après une seule expérience, l’animal évitera la
consommation de cet aliment jugé dangereux. On a expérimentalement
rendu cet aliment aversif. Chez l’homme, le malaise digestif accompagné
de nausée, qui suit parfois fortuitement l’ingestion d’un aliment nouveau,
suffit à produire une aversion pour cet aliment. À tel point que la seule
évocation du nom de cet aliment suffira parfois à produire des nausées.
Ainsi l’homme ou l’animal qui consomme un aliment toxique éprouvera
pour celui-ci une aversion telle qu’il en évitera ensuite la consommation.

Le rassasiement sensoriel spécifique


Une fois le besoin détecté, puis l’appétit spécifique activé et enfin la
source de nutriment identifiée, il reste encore à savoir quelle quantité en
manger pour satisfaire le besoin sans excès ni insuffisance. C’est le rôle du
rassasiement sensoriel spécifique de mettre un terme à la consommation de
l’aliment.
Ainsi, si l’on propose à des moutons qui ont perdu 600 millimoles de
sodium des solutions de concentration différente, on constate qu’ils
adaptent le volume de liquide ingéré de manière à compenser au mieux leur
déficit. Lorsque la solution proposée contient 1 200 millimoles de sodium
par litre, ils n’en boivent qu’un demi-litre. Tandis qu’ils en boivent près de
3 litres lorsque la solution ne contient que 200 millimoles de sodium par
litre.
Si l’on écarte l’idée que les moutons sont des virtuoses de la règle de
trois, il faut bien admettre qu’ils parviennent à utiliser la sensation gustative
comme indicateur de la concentration de la solution.
Il y a toutefois des situations ou cette adaptation au besoin n’est pas
possible, par exemple lorsqu’on donne à l’animal une solution très diluée de
sodium (100 millimoles par litre) car il lui faudrait alors boire environ 6
litres pour compenser le déficit ! La distension gastrique de l’estomac
pourrait dans ce cas s’opposer à une réparation intégrale du déficit. Nous
observons un phénomène analogue chez les patients soumis à des régimes
très pauvres en graisse. Il leur faut dès lors se nourrir d’aliments de très
faible densité énergétique qui occupent un grand volume et les empêchent
de satisfaire l’intégralité de leurs besoins. Une patiente utilisait une
expression très juste pour décrire cette situation. Elle disait qu’elle était
pleine de vide !
Il faut aussi souligner que le rassasiement sensoriel spécifique permet
d’arrêter la consommation avant même que le déficit n’ait été comblé. C’est
ce que fait observer Derek Denton lorsqu’il décrit les mécanismes de la soif
chez l’animal.
Alors que l’état de déshydratation à l’origine de la soif ne peut
s’installer que progressivement, l’animal est capable d’étancher celle-ci en
l’espace de trois à cinq minutes seulement. Puis son envie de boire disparaît
subitement et complètement. Or, et c’est là selon lui le point délicat, la perte
de l’envie survient bien avant que l’eau ingérée ne soit absorbée par
l’intestin et ne permette un rééquilibrage chimique de la composition du
sang et des liquides cérébraux qui ont engendré la soif. Ce rééquilibrage
survient après quinze minutes et se poursuit pendant les deux heures qui
suivent. Et pourtant l’animal a avalé en seulement trois à cinq minutes la
quantité d’eau qui lui a permis de se réhydrater comme il faut.
Il est donc certain que l’interruption du comportement ingestif ne
dépend pas de la disparition du besoin qui a engendré la soif et doit
probablement intégrer des mécanismes conditionnés d’apprentissage de la
réhydratation.
À partir de l’évaluation de nos besoins et de sa mémoire de l’aliment, le
cerveau a la possibilité de déterminer les quantités qui nous sont nécessaires
et de nous les faire connaître. Au début de la consommation de l’aliment, le
plaisir ressenti est à son plus haut niveau. Il correspond à l’anticipation du
plaisir que nous allons éprouver à nous soulager de notre faim. Ce plaisir
renforce notre motivation à manger. Puis il s’atténue progressivement sans
toutefois toujours totalement disparaître. Le renforcement positif du
comportement alimentaire n’ayant plus lieu ou n’y trouvant plus grande
satisfaction, le mangeur interrompt sa consommation.
Si l’aliment convoité est disponible, ce qui n’est pas toujours le cas,
nous le consommons. Et étonnamment nous nous arrêtons alors que nous
avons toujours faim. Nous sommes rassasiés de ce plat, mais la persistance
de notre faim fait que nous avons encore envie de manger. Mais, cette fois,
d’un autre aliment que nous choisissons parmi ceux qui sont disponibles,
encore une fois parce que nous pensons que c’est celui qui nous procurera
la plus grande satisfaction. Nous passons au plat suivant et le phénomène se
reproduit ainsi jusqu’à ce que nous éprouvions un rassasiement global. À ce
moment-là nous n’avons plus ni faim ni envie de manger, du moins en
théorie.
Il est probable que le séquençage du repas n’obéisse pas qu’aux seules
motivations nutritionnelles et que des facteurs cognitifs interviennent
également. Nous décidons d’interrompre la consommation d’un plat aussi
parce que nous savons que d’autres plats nous attendent et que nous avons
appris qu’il ne sera pas possible de parvenir jusqu’à eux si nous n’avons
pris soin de préserver un peu de notre faim. C’est sûrement par
apprentissage, grâce au fameux : « garde une place pour le dessert » de nos
mamans, que nous apprenons à freiner nos appétits pour parvenir jusqu’au
dernier plat.
Quoi qu’il en soit, comme la nature est bien faite, il se trouve que les
aliments que nous choisissons nous procurent du plaisir justement parce
qu’ils sont peut-être ceux qui couvrent le mieux nos besoins à l’instant où
nous les consommons. Le plaisir sensoriel ressenti au moment de
l’ingestion est en fait la réalisation d’un plaisir anticipé qui résulte de la
réparation du besoin qui a déclenché le choix de l’aliment. Au fil des
consommations antérieures, le mangeur a appris les effets que produisait cet
aliment sur son organisme. Il les a associés à son goût (aspect, odeur,
saveur…). Inconsciemment, le mangeur fait appel à sa mémoire et choisit,
en fonction de son état présent, l’aliment nutritionnellement le mieux adapté
aux besoins à satisfaire14. En fait, quand les prises alimentaires sont sous le
contrôle de la régulation, nous ne mangeons pas les aliments parce qu’ils
sont bons. Nous les trouvons bons parce que nous en avons besoin et qu’ils
nous font du bien15.

À quoi servent les aliments allégés ?

Les aliments allégés sont des petits malins qui auront


bien du mal à déjouer la perspicacité d’un organisme
qui en a vu bien d’autres.

Ces travaux conduisent à se poser la question de l’intérêt des aliments


allégés. Les systèmes de la régulation laissent penser qu’il sera difficile de
tromper l’organisme par la consommation de tels aliments sans que les
mécanismes de compensation ne se mettent en place. Il est nécessaire pour
répondre à cette question de distinguer les différents types d’allégement en
sucre et en graisse.

L’ALLÉGEMENT EN SUCRE
Des études de comportement ont été conduites aux États-Unis, grand
consommateur d’édulcorant. En particulier, une enquête réalisée auprès de
78 694 femmes de toute corpulence a montré que les utilisatrices de
produits édulcorés avaient pris plus de poids au cours de l’étude que les
non-utilisatrices. Les études des physiologistes ont permis de comprendre
que si les consommations d’édulcorant répondaient à des situations de faim,
donc de besoins métaboliques, elles étaient, dans ce cas, intégralement
compensées lors des repas suivants. En revanche, quand ces consommations
répondaient à des prises alimentaires sans faim, la compensation devenait
très aléatoire. Ces études ont permis de conclure que, dans le cadre d’une
alimentation libre, l’utilisation d’édulcorant s’avère inefficace sur la perte
de poids.

L’ALLÉGEMENT EN GRAISSE
La plupart des études montrent qu’un allégement lipidique provoque
une diminution non compensée de la consommation de lipides. En
revanche, la diminution calorique qu’elle entraîne semble assez bien
compensée par une surconsommation de glucides et parfois même de
protéines. Si bien que si la composition de l’alimentation se trouve
modifiée, le niveau calorique global reste souvent inchangé et ne permet
pas d’obtenir une perte de poids significative. Ainsi, des femmes ayant
consommé une alimentation allégée en lipides pendant deux ans ont perdu
3,2 kg pendant les six premiers mois de l’expérimentation. Au bout de deux
ans, cette perte de poids n’était plus que de 1,9 kg. Ce faible
amaigrissement avait pourtant été obtenu avec une alimentation ne
comportant plus que 22,8 % de lipides16. En France, la consommation
quotidienne de lipides est d’environ 40 % des apports caloriques globaux.
Ces résultats confirment les observations réalisées aux États-Unis où l’on
voit le poids moyen de la population augmenter simultanément avec une
baisse générale de la consommation de graisse. Toujours chez des
volontaires américains, une tendance à s’accorder une petite récompense en
contrepartie de la consommation d’aliments de régime, mais « bons pour la
santé », a été mise en évidence et semble pouvoir expliquer l’échec de
l’allégement lipidique17. De la même manière, dans une étude
épidémiologique française réalisée sur des hommes, l’utilisation de produits
allégés en graisse ne s’accompagnait pas d’une réduction de la ration
énergétique, mais, au contraire, d’une consommation significativement plus
élevée de sucre, biscuits, chocolat, miel et autres produits sucrés.
L’ensemble de ces processus, mécanique et sensoriel, contribue à
moduler le plaisir gustatif et permet au mangeur d’ajuster précisément sa
consommation d’aliments à ses besoins énergétiques. Le processus
dynamique de diminution du plaisir gustatif se superpose au phénomène de
rassasiement. Tandis que l’extinction du plaisir gustatif correspond à l’état
de satiété. Ces systèmes, loin d’être redondants, agissent tous ensemble de
façon synergique. Ils se mettent en place successivement dans le temps. Les
premiers à apparaître, dès les premières minutes du repas, sont le
rassasiement sensoriel spécifique et le rassasiement conditionné. Ils sont
suivis par deux systèmes plus tardifs, l’alliesthésie alimentaire négative, qui
contrôle également le contenu calorique du repas, et la distension gastrique
qui réagit davantage au volume des aliments. Le système sensoriel est très
dépendant des facteurs cognitifs et de l’idée que se fait le mangeur de ses
aliments. Par exemple, quand un aliment liquide est introduit directement
dans l’estomac par l’intermédiaire d’une sonde gastrique, donc en court-
circuitant les étapes cognitives, les sujets ressentent un rassasiement moins
satisfaisant pour une même quantité d’aliments normalement consommée.
De même, nous avons vu que les mangeurs restreints pouvaient se
désinhiber et manger davantage après la consommation d’un aliment
« interdit ». La même réaction peut être obtenue avec des aliments allégés
dont on leur fait croire qu’ils sont riches en calories. Ce sont donc
seulement les facteurs cognitifs qui semblent avoir entraîné la réaction de
désinhibition.

Dans le cadre de la restriction cognitive, les mangeurs restreints


semblent perdre la capacité de se réguler avec leurs mécanismes sensoriels
et ne conserver que, ou essentiellement, la distension gastrique comme
signal de fin de repas. Or les obèses, souvent des mangeurs restreints qui ne
sont pas parvenus à obtenir une restriction calorique, possèdent une plus
grande capacité à manger en distendant leur estomac et donc à reculer les
limites de leur repas et augmenter leurs apports caloriques. Si les animaux,
les enfants et beaucoup d’adultes paraissent être de très bons régulateurs,
les psychologues Herman et Polivy ont bien montré que, à l’opposé, les
personnes qui restreignaient leur alimentation pour s’empêcher de grossir
devenaient, elles, de très mauvais régulateurs ne sachant plus adapter la
taille de leurs repas à l’état de leurs besoins. L’estimation des justes
quantités devenant pour elles de plus en plus imprécise et s’opposant à une
bonne régulation pondérale.

Et le plaisir, à quoi ça sert ?


L’alimentation et la sexualité sont des fonctions
essentielles assurant la survie et la reproduction des
espèces. Elles sont toujours associées à la production de
plaisir qui devient ainsi l’élément régulateur de ces
fonctions vitales. Le créateur, dans son infinie sagesse,
a dû penser que les êtres vivants négligeraient moins
leurs devoirs essentiels s’ils y trouvaient aussi du
plaisir.

Le plaisir d’avoir faim


À bien y réfléchir, il n’est pas très logique d’attendre la faim pour
commencer à manger. On décrit généralement la faim comme une sensation
plutôt négative. On la qualifie au mieux de gênante ou d’inconfortable. Au
pire on la trouve désagréable ou même douloureuse. Alors pourquoi se
donner la peine d’attendre ces désagréments pour commencer son repas ?
Pourquoi ne pas commencer avant qu’ils n’apparaissent comme le font
certains patients qui redoutent leur faim ? Des milliards d’êtres humains, et
même tous les autres êtres vivants, attendent l’apparition de ce creux à
l’estomac, cette sensation de vide, cette hypoglycémie cérébrale, sont-ils
tous masochistes ? Bien sûr que non. Ils ont une bonne raison d’attendre : le
plaisir ! Ils savent que leur attente sera récompensée par plus de plaisir. La
faim augmentera le plaisir du repas. Sans lui personne ne se donnerait la
peine d’attendre sa faim. Grâce à lui, les bons comportements, ceux
nécessaires à la survie et à la santé, sont renforcés. Croyant agir pour son
bon plaisir, le mangeur adopte des comportements qui sont destinés à
maintenir son poids et son équilibre énergétique. Même s’il ne le sait pas, il
est régulé par son plaisir ! Et, finalement, le mieux est sûrement qu’il
continue à l’ignorer.
Certaines personnes présentent une anomalie particulière. Elles ne
perçoivent pas cet avantage d’avoir faim. Pour elle, le plaisir de manger ne
dépend que de la qualité du produit. Elles n’ont pas besoin d’avoir faim
pour augmenter l’intensité de leur plaisir de manger. Si l’aliment est bon, le
plaisir est là. Elles peuvent manger avec le même plaisir à tout instant de la
journée et même de la nuit. La faim étant seulement perçue comme un
désagrément sans aucune utilité, elles ne conçoivent aucune raison de
s’infliger cette peine. Sans la perception de ce plaisir supplémentaire, les
comportements de non-faim seront prioritairement renforcés et favoriseront
la prise de poids. Elles ne sont plus régulées par le plaisir et devront lutter
contre leur tendance à grossir par des efforts supplémentaires de contrôle
mental.

Le plaisir rassasie
Le plaisir ne se contente pas d’intervenir dans le déclenchement du
repas. Il participe aussi à son arrêt.
On sait aujourd’hui que l’arrêt du repas s’effectue sous l’influence
d’une double commande : la disparition de la faim, la satiété, et la
disparition du plaisir de manger. Comme si pour s’arrêter de manger il
fallait avoir consommé une certaine quantité de nourriture et de calories
mais aussi avoir éprouvé une certaine quantité de plaisir.
On pourrait ainsi définir le rassasiement comme la diminution de la
faim et du plaisir. Sans la perception du plaisir et de sa diminution, il
devient impossible de se rassasier. Grâce aux neurophysiologistes, nous
savons que les personnes en surpoids possèdent moins de récepteurs à la
dopamine, que l’on considère comme l’hormone de la récompense. Ce qui
fait dire à certains que les obèses pouvaient manger plus car ils étaient
moins récompensés. Ce phénomène explique pourquoi de nombreuses
personnes peuvent continuer à manger, même une fois que la satiété est
atteinte. Ils n’ont pas obtenu leur content de plaisir. Ils ne sont donc pas
rassasiés. La nature est formidablement bien faite, elle permet à tous les
êtres vivants de ressentir avec leur corps, sans intervention de la pensée,
que c’est le plaisir qui rassasie.
Toutefois, rien ne permet de savoir si on doit considérer ces anomalies
biologiques comme des causes ou des conséquences de l’obésité et des
désordres du comportement alimentaire.
Les deux hypothèses semblent aussi pertinentes l’une que l’autre. Il est
possible que les déficits en récepteurs soient par exemple génétiquement
déterminés. Pour le généticien Philippe Froguel, 95 % des gènes de
l’obésité s’expriment dans le cerveau et jouent un rôle dans le contrôle du
comportement alimentaire et dans les processus de régulation. Mais les
observations cliniques laissent fortement penser que certains
comportements pourraient aussi influencer le nombre des récepteurs à la
dopamine et entraîner des pathologies du plaisir alimentaire.
C’est le plaisir qui rassasie, avons-nous dit. Mais le rassasiement ne se
manifeste pas comme la faim par une sensation physique très caractérisée.
Il s’agit plutôt d’une émotion de l’ordre de la satisfaction ou du
contentement qui dépend notamment de la perception agréable et consciente
des sensations alimentaires, gustatives et digestives. C’est donc un
phénomène très complexe facilement sujet à toutes formes de dérèglements.
La rapidité d’ingestion des aliments réduit la perception des sensations
alimentaires. Ce qui incite le mangeur à compenser la moindre intensité de
ses sensations par une augmentation des quantités de nourriture afin
d’atteindre la quantité de plaisir nécessaire à son rassasiement. Comme si la
quantité venait pallier la qualité.
Pourtant manger lentement n’est pas encore la garantie d’une
perception des sensations gustatives et digestives. On peut manger
lentement en faisant des mots croisés, en s’hypnotisant devant son écran de
télévision ou d’ordinateur ou tout simplement en refaisant le monde dans sa
tête. Bref, on peut être absent à soi-même et à ses propres sensations. Ici,
c’est le déficit de conscience qui aboutit à une diminution de la sensation de
rassasiement. Il suffit de manger en regardant la télévision pour augmenter
de 15 % sa consommation d’aliments. À l’inverse, manger en utilisant les
techniques de pleine conscience permet de réduire de 25 % les quantités
consommées.
On peut aussi manger lentement et consciemment des aliments qui ne
nous satisfont pas. Simplement parce qu’ils ne sont pas à notre goût. La
perception des sensations est bien présente, mais elle n’est pas agréable et
n’aboutit pas au sentiment de satisfaction nécessaire au rassasiement. Le
mangeur reste sur ce sentiment d’insatisfaction, de manque. Il n’a pas eu
son content de plaisir et accepterait facilement de manger sans faim un
aliment qui viendrait combler ce manque.
Et puis, surtout, on peut manger lentement, consciemment, des aliments
à notre goût tout en s’accablant de reproches. Le mangeur peut se sentir
coupable de manger, s’inquiéter de grossir. Le sociologue Claude Fischler a
constaté dans une étude portant sur la manière de manger dans les pays
occidentaux l’émergence d’un nouvel état d’esprit. Il semble imprégner la
plupart de nos contemporains, surtout les plus influencés de culture anglo-
saxonne, et se manifeste par une forte anxiété alimentaire, notamment chez
les plus préoccupés de leur poids. Dans ce cas, l’anxiété, la culpabilité mais
aussi la honte, la colère, le désespoir, la déception, toute émotion négative
qui pourra accompagner l’acte alimentaire et qui viendra prendre la place de
la satisfaction nécessaire au rassasiement. Une émotion en chasse une autre.
Les mangeurs en restriction cognitive connaissent cela sur le bout de la
langue.
Le retour à une alimentation intuitive et sereine leur permet presque
toujours de retrouver le rassasiement et les rend capable de s’arrêter de
manger quand la satiété survient. Comme si, d’un coup, ils augmentaient
leurs récepteurs à la dopamine et pouvaient enfin être récompensés d’avoir
mangé ce qui est bon pour eux. Leur corps enfin les récompense de
l’attention qu’ils lui accordent

Ainsi le plaisir n’est pas un luxe. Sans lui rien n’est possible. Sans lui,
nous mangerions sans faim et nous ne saurions pas nous arrêter. Si la nature
a inventé le plaisir, c’est pour favoriser les bons comportements de santé.
Mangez pour le plaisir la santé suivra. Mangez pour la santé, vous avez
toutes les chances de perdre le plaisir et la santé avec.

C’est simple, mais c’est complexe…


En résumé, nous aurions, en apparence, affaire à un système d’une
extrême simplicité. Pour maintenir son poids, il suffirait de manger quand
on a faim, de s’arrêter quand on atteint la satiété et de tout bonnement se
laisser guider par cette sorte de pilotage automatique. Cependant, derrière
cette immense simplicité se dissimule une machinerie d’une complexité tout
aussi extrême constituée de facteurs biologiques, psychologiques et
sensoriels et dont les seules parties visibles sont la faim et la modulation du
plaisir gustatif. Ce dernier est déterminant par sa fonction régulatrice qui
nous renseigne sur nos besoins et renforce nos comportements positifs.
Cependant, cette machinerie est d’autant plus fragile qu’elle est complexe.
Les mangeurs restreints, ayant décidé de remplacer leurs sensations par des
croyances alimentaires, ne disposent plus de ce pilotage automatique. À un
stade plus avancé, ils finissent par ne plus les percevoir et se trouvent
contraints de substituer cette régulation spontanée et inconsciente, qui ne
nécessite aucun effort, par un contrôle volontaire épuisant. On pourrait
imaginer la régulation comme un gigantesque ordinateur qui travaillerait
sans répit et dont tous les résultats s’afficheraient sur un petit cadran avec
seulement un voyant vert qui dirait de commencer à manger et un voyant
rouge qui dirait de s’arrêter de manger. Au lieu de cela, le mangeur restreint
se doit de prendre lui-même les commandes et de réfléchir à chaque aliment
qu’il consomme. Est-ce le bon moment, est-ce le bon aliment, est-ce la
bonne quantité ? Et pour tout mode d’emploi ce malheureux mangeur ne
dispose que d’un discours diététique, stéréotypé, établi statistiquement, sans
rapport avec ses besoins propres qui peuvent varier d’un instant à l’autre, et
qui pour tout arranger dit et contredit sans cesse des allégations qu’il assène
constamment avec la même assurance.
Entre un signal de début de repas, la faim, et un signal de fin de repas,
la satiété, encore faut-il maintenant savoir ce que l’on peut manger. Nous
aborderons donc, dans le prochain chapitre, la croyance « aliments
autorisés-aliments interdits ». Existe-t-il réellement des aliments défendus
quand on veut perdre du poids ? Mais surtout nous verrons comment il est
possible d’apprendre à s’arrêter d’en manger quand on est rassasié.

1- Orsini J. C., « Neurobiologie du comportement alimentaire », GB


Science Publisher, 2003.

2- Le Magnen J., « Advance in studies on the physiological control and


regulation of food intake », in Stellar E., Sprague J. M. (éds), Progress in
Physiological Psychology, vol. 4, New York, Academic Press, 1971, p. 204-
261.

3- Geliebter A., « Gastric distension and gastric capacity in relation to


food intake », Humans Physiology Behav., 44, 1988, p. 665-668.

4- Adolph E. F., « Urges to eat and drink in rats », Am. J. Physiol., 151,
1947, p. 110-125.
5- Booth D. A., « How nutritional effects of food can influence people’s
dietary choices », The Psychobiology of Human Food Sélection, 1982, 4,
p. 67-84.

6- La notion de « bon repas » est très personnelle, notamment chez les


physiologistes.

7- Normalement, la simple évocation d’une tranche de foie gras après


un repas déjà très copieux pourrait suffire à provoquer des nausées chez un
grand nombre de mangeurs.

8- Holley A., Le Cerveau gourmand, Paris, Odile Jacob, 2006.

9- Louis-Sylvestre J., « Besoins spécifiques et émotions


inconscientes », communication IIes Rencontres du GROS, 25-27 novembre
2004.

10- Harris L. J., Hargreaves F., Ward A., « Appetite and choice of diet.
The ability of the vitamin B deficient rat to discriminate between diets
containing and lacking the vitamin », Proc. Roy. Soc., série B, vol. 113,
1933, p. 161-190.

11- Denton D., Les Émotions primordiales ou l’éveil de la conscience,


Paris, Flammarion, « Nouvelle Bibliothèque scientifique », 2005.

12- Breslin P. A. Davidson T. L., Grill H. J., « Conditionned reversal of


réactions to normally avoided tastes », Physiology & Behavior, 47, 1990,
p. 535-538.

13- Leblanc J.-C., thèse sous la direction de Jeanine Louis-Sylvestre,


« Influence de l’environnement sur le comportement alimentaire de groupes
particuliers de consommateurs : études de l’équilibre nutritionnel et
sanitaire des ingesta », 2001.

14- Chapelot D., Louis-Sylvestre J., « Faim, appétit, rassasiement,


satiété », Revue de nutrition pratique, 16, 1997.
15- Cette notion n’est pas récente. Elle figure déjà dans l’Éthique de
Spinoza en 1677 : « Il est donc établi pour tout ce qui précède que nous ne
faisons effort vers aucune chose, que nous ne la voulons pas et ne tendons
pas vers elle par appétit ou désir parce que nous la jugeons bonne : nous
jugeons qu’une chose est bonne parce que nous faisons effort vers elle, que
nous la voulons et tendons vers elle par appétit ou désir. »

16- Sheppard L., Kristal A. R., Kushi L. H., « Weight loss in women
participing in a randomized trial of low-fat diets », Am. J. Clin. Nutr., 54,
1991, p. 821-828.

17- Mattes R. D., « Effects of aspartame and sucrose on hunger and


energy intake in humans », Physiol. Behav., 47, 1990, p. 1037-1044.
CHAPITRE VI
Manger des aliments
« interdits »

Voilà quinze jours que vous examinez vos sensations alimentaires à la


loupe. Voyons ce qu’il en est maintenant et essayons d’en dresser un second
bilan.

Faites le bilan de cette deuxième période

Êtes-vous plus attentif à votre manière de manger ?


• Êtes-vous parvenu à manger sans rien faire d’autre ?
Jamais Parfois Souvent Toujours.
Sinon que faisiez-vous ?
En cas de difficulté, qu’avez-vous ressenti ?
• Êtes-vous parvenu à manger plus lentement ?
Jamais Parfois Souvent Toujours.
Seulement au début du repas Tout au long du repas ?

Comment percevez-vous vos sensations alimentaires ?


• La faim et l’envie de manger sont-elles pour vous des sensations
plus précises ?
• Percevez-vous la diminution du plaisir gustatif et le
rassasiement ?
— Pour tous les aliments ?
— Sinon, pour quels aliments ?
Tenez-vous compte de ce que vous percevez ?
• Avez-vous réussi à ne pas manger quand vous n’aviez ni faim, ni
envie de manger ?
— Sinon dans quelles circonstances ?
• Avez-vous réussi à vous arrêter de manger quand vous preniez
conscience que vous n’aviez plus faim et plus envie de manger ?
— Sinon dans quelles circonstances ?
• Au cours de cette période, vous êtes-vous empêché de manger
certains aliments dont vous avez eu envie ?
Rarement Parfois Souvent Très souvent
Lesquels ?

Quelques remarques sur ce deuxième exercice

• Je ne parviens toujours pas à manger sans rien faire


Si manger est trop culpabilisant pour vous, ce chapitre vous aidera
certainement à retrouver une plus grande sérénité. Il est aussi possible que
vous soyez bien trop préoccupé du confort ou de l’opinion de votre
entourage pour pouvoir vous intéresser à vous-même. Certaines personnes
sont si attentives à leur environnement qu’elles en deviennent oublieuses
d’elles-mêmes au point de ne pas pouvoir se prêter la même attention.

• La faim et l’envie ne sont toujours pas distinctes


Vous avez fait l’expérience de la faim, mais cette sensation n’est
toujours pas évidente pour vous. La faim peut parfois tarder à réapparaître
si vous vous trouvez dans une situation de surcharge pondérale importante
par rapport à votre poids d’équilibre. Il n’y a rien d’autre à faire que
d’attendre d’être revenu à un poids inférieur pour retrouver une vraie
sensation de faim. Il peut s’avérer judicieux de retenter l’expérience de la
faim d’ici quelque temps en utilisant le support informatique à votre
disposition.

• Je ne perçois toujours pas la satiété


La faim est la première sensation à réapparaître de manière très précise.
La satiété, quant à elle, prend plus de temps à se manifester avec la même
précision. L’état de restriction cognitive empêche de la percevoir
distinctement. Il faudra attendre d’avoir un peu évolué dans le traitement de
la restriction cognitive pour retrouver la satiété. Les exercices qui vont
suivre seront essentiels pour vous.

• Je mange sans faim et même sans envie


Que vous commenciez à manger sans faim et sans envie ou que vous
poursuiviez votre repas sans faim et sans envie impose dans une certaine
mesure de se forcer à manger. C’est généralement le cas quand on s’efforce
de respecter des recommandations nutritionnelles : ne pas sauter les repas,
prendre un petit déjeuner, équilibrer ses menus en incluant certains aliments
de manière obligatoire. Il peut également s’agir de la peur d’avoir faim
entre les repas ou trop faim au repas suivant et de s’exposer ainsi à
consommer des aliments interdits ou manger de trop grandes quantités de
nourriture. Ce sont encore des manifestations de la restriction cognitive.
L’étape que vous allez maintenant franchir améliorera sûrement la situation.

Au stade où nous en sommes, vous savez que vous pouvez manger


quand vous voulez et prendre le nombre de repas qui vous convient. Vous
pouvez sauter votre petit déjeuner, prendre un goûter dans l’après-midi et
même deux si cela vous chante. Si chaque fois que vous mangez vous avez
faim, vous obtiendrez un fractionnement de votre alimentation qui ne vous
fera pas grossir. Peut-être même, avez-vous déjà engagé votre perte de
poids ? Vous savez sans doute mieux reconnaître votre faim et la distinguer
de l’envie de manger. En revanche, il est bien possible que le rassasiement
vous cause encore des soucis. Peut-être avez-vous encore des difficultés à le
percevoir ou même le percevez-vous, mais ne pouvez vous empêcher de
continuer à manger ? Mais surtout, il est probable que vous vous attendiez à
recevoir quelques conseils sur les choix des aliments les plus propices à
votre perte de poids.
Tous les mangeurs restreints sont convaincus, s’ils veulent maigrir, qu’il
serait préférable de favoriser la consommation de certains aliments et
d’éviter celle de certains autres. Ils sont souvent victimes de l’inévitable
discours antigras, antisucre. Mais, plus souvent, ils constatent eux-mêmes
les difficultés qu’ils ont à se comporter normalement avec ce type
d’aliments. Face à ceux-ci, il leur est très difficile d’arrêter d’en consommer
quand ils sont rassasiés. Ils en mangent toujours au-delà. Parfois,
simplement un peu trop, parfois jusqu’à ce qu’il n’en reste plus. Pour y
remédier, ils préfèrent souvent ne pas les introduire chez eux. Ils évitent
donc d’en acheter, mais deviennent incapables de les consommer avec
modération. « Je ne sais pas en manger un peu. Soit je n’en mange pas, soit
je finis le paquet. » L’exposition à ce type d’aliments constitue pour eux un
épineux problème. Ils se trouvent nécessairement exposés à leur présence
dans de nombreuses situations, et tout particulièrement lors d’événements
conviviaux. Leur système de protection s’avérant, dans ces circonstances,
assez peu efficace.

« S’il n’y en a pas, je n’y pense même pas. Mais si je sais qu’il y en
a à la maison, je ne pense plus qu’à ça et je les mange jusqu’à ce qu’il
n’y en ait plus. C’est même le meilleur moyen de ne plus y penser. Je
crois même que je finis le paquet en me disant que, de cette façon, je
me débarrasse du problème. »

Dans certains cas, l’exposition peut se faire simplement par la pensée. Il


suffit d’évoquer ce type d’aliments pour avoir envie d’en manger et devoir
produire de grands efforts pour y résister, avec ou sans succès. Nous allons
donc essayer de résoudre cette difficulté et soumettre la croyance « aliments
autorisés-aliments interdits » à un petit test.

Aliments autorisés, aliments interdits ?


• Question 1 : Selon vous, lequel de ces deux menus fait le plus
grossir ?

Menu 1 Menu 2
Salade de crudités
Salade de lentilles
Poisson à la vapeur
Poisson frit
Ratatouille
Mousse au chocolat
Yaourt à 0 %
• Question 2 : Faisons maintenant en sorte que ces menus apportent
chacun 750 calories tout en précisant qu’ils ne présentent pas la même
composition. Il n’y a ni gras ni sucre dans le menu 1 alors que le menu 2 en
apporte dans la friture et la mousse au chocolat. Lequel de ces deux menus
fait le plus grossir ?

Menu 1 Menu 2
Salade de crudités
Salade de lentilles
Poisson à la vapeur
Poisson frit
Ratatouille
Mousse au chocolat
Yaourt à 0 %
750 calories 750 calories

À la première question, la presque totalité des personnes répond que le


menu 2 fait plus grossir que le menu 1. À la deuxième question, 90 % des
personnes continuent à opter pour le menu 2. Seules 10 % répondent que les
deux menus se valent puisqu’ils apportent la même quantité de calories.
Cependant, si on demande à ces 10 % quel menu, en pratique, elles
mangeraient dans la perspective d’une perte de poids, toutes préfèrent
manger le menu 1. Si bien, qu’en fin de compte, la quasi-totalité des
personnes a choisi le menu 1 pour perdre du poids.
En réalité, les bonnes réponses étaient les suivantes. À la première
question, comme les quantités n’étaient pas indiquées, il n’était pas possible
de répondre. Ou bien, il fallait répondre « cela dépend des quantités ». À la
seconde question, comme les quantités étaient mentionnées et étaient
identiques, 750 calories, il fallait répondre que les deux menus se valaient.
En théorie, mais en pratique aussi.
Ces réponses, sans surprise, sont néanmoins tout à fait cohérentes avec
l’idée que se font la plupart des mangeurs de l’influence des aliments sur
leur poids. Elles sont également cohérentes avec l’attitude qu’ils adoptent à
leur égard. Pour la plupart des personnes, il existe, en effet, des aliments qui
font grossir et d’autres qui ne feraient pas grossir, ou même qui feraient
maigrir. En revanche, il est bien plus intéressant de s’interroger sur les
conséquences comportementales d’un tel raisonnement. Comment les
personnes qui appréhendent les aliments en fonction de leur influence sur le
poids vont-elles se comporter avec la nourriture ?
Reprenons nos deux menus et voyons où nous conduit ce raisonnement.
Démonstration.
Comme notre menu 1 est composé d’aliments qui ne font pas grossir, je
peux donc tranquillement en manger et même, en théorie, en remanger.
Après tout, ils ne présentent aucun danger et ne peuvent me faire grossir.
Toutefois, si je me ressers, je n’ai plus 750 calories dans mon assiette, mais
peut-être 1 000. Et, de cette façon, je me comporte exactement comme si je
pensais que 750 ou 1 000 calories allaient produire sur mon corps le même
résultat. Est-ce réellement concevable ?
Mais poursuivons. Notre menu 2 est, quant à lui, composé d’aliments
qui font grossir car ils apportent du gras et du sucre. Il est, en quelque sorte
contaminé. Je pense donc, si j’en mange 500 calories, que je grossirai moins
que si j’en avais mangé 750. Mais je grossirai quand même.

Menu 1 Menu 2
Salade de crudités
Salade de lentilles
Poisson à la vapeur
Poisson frit
Ratatouille
Mousse au chocolat
Yaourt à 0 %
750 calories 750 calories
? ?
1 000 calories 500 calories

Tiens donc ! Ne suis-je pas là en train d’affirmer que 500 calories du


menu 2 me font plus grossir que 1 000 calories du menu 1 ? Ainsi
500 calories de chocolat feraient donc plus grossir que 1 000 calories de
ratatouille ? Est-ce concevable ? Certains seront sans doute tentés de
l’affirmer. Après tout, « le gras et le sucre ne s’éliminent pas de la même
façon », « ils se stockent sous forme de graisses corporelles ». Et puis, « il y
a si peu de calories dans la ratatouille »… Tout bien considéré 500 calories
de chocolat doivent faire plus grossir que 1 000 calories de ratatouille. Très
bien, jusqu’où pourrez-vous donc soutenir ce raisonnement ? Pensez-vous
que 250 calories de chocolat continuent à faire plus grossir que 1 000
calories de ratatouille ? Oui ? Bien. Et 100 calories de chocolat, et 1 carré
de chocolat ? Il arrive un moment où l’irrationalité de ce raisonnement finit
tout de même par apparaître. D’après vous, quelle est la quantité de
chocolat qui finira par faire moins grossir que 750 calories de ratatouille ?
500 calories ? 200 calories ? 50 ? Où situez-vous la limite ? Comment
justifiez-vous cette limite ? Si vous ne le pouvez pas et si vous ne savez pas
où se trouve cette limite c’est tout simplement qu’elle n’existe pas. Car ces
deux menus produiront sur votre poids le même résultat.
Le postulat « aliments interdits-aliments autorisés » conduit donc selon
« sa logique » à affirmer que :
— Un saladier de ratatouille ne fait pas plus grossir qu’une seule cuiller
à soupe de cette même ratatouille.
— Un carré de chocolat fait plus grossir qu’un saladier de ratatouille.
Il n’est pas raisonnable de penser de telles choses. Nous nous trouvons
là face à une pensée irrationnelle, au bord d’une croyance magique. Qui
aura pour effet d’entraîner de notre part un comportement tout aussi
irrationnel.
Examinons donc ce comportement irrationnel. Si je pense que le menu
1 ne fait pas grossir, je peux alors le déguster sans retenue ni arrière-pensée.
Et pourquoi donc me priver, là où il y a de la gêne il n’y a pas de plaisir. Je
peux donc en manger beaucoup. Quant aux aliments du menu 2, ils font
grossir. J’essayerai donc de ne pas en manger. Mais, en réalité, il m’arrive
bien souvent d’en manger quand même. Et dans ce cas, il m’arrive parfois
de ne pas parvenir à me limiter et d’en consommer de grandes quantités. Au
bout du compte, il m’arrivera parfois de manger en grandes quantités aussi
bien les aliments que je m’autorise que ceux que je m’interdis. Ainsi, ce
schéma, « aliments autorisés-aliments interdits », me conduit à consommer
de grandes quantités… de tous les aliments. Pour perdre du poids,
reconnaissons que ce ne sont pas les meilleures conditions dont on puisse
rêver. Il est donc plus raisonnable d’admettre que tout aliment apporte des
calories qui, consommées en excès, exposent à la prise de poids.
Rappelez-vous aussi l’histoire de notre mangeuse qui commence par
avoir envie de manger un carré de chocolat et finit par manger deux yaourts
à 0 % et une demi-tablette de chocolat (voir Camille page 45). À son insu,
ses consommations d’aliments ne sont plus guidées par des sensations
alimentaires mais par des raisonnements qui se sont inscrits malgré elle
dans sa manière de manger. Les idées qui la conduisent sont les suivantes :

Les processus cognitifs


du mangeur restreint

— Je dois manger beaucoup d’aliments autorisés pour ne pas avoir


envie de manger des aliments interdits.
— Si je consomme un aliment interdit, je dois en manger beaucoup
car je n’y aurai plus droit par la suite.

Ces idées la poussent à manger au-delà de ses besoins mais vont


également produire des émotions qui viendront brouiller la perception de
ses sensations alimentaires.

Ces émotions qui font manger


Progressivement, le comportement alimentaire du mangeur se modifie
et s’organise autour de la présence d’émotions induites par sa nouvelle
manière de penser sa nourriture : la peur de manquer, la peur d’avoir faim,
le sentiment d’insécurité, le couple frustration-culpabilité et le trouble du
réconfort.

La peur de manquer
La peur de manquer peut prendre plusieurs visages qui inciteront le
mangeur à consommer au-delà de ses besoins.

LA PEUR DE MANQUER DES ALIMENTS INTERDITS OU DE


SUCCOMBER À SES ENVIES
Les processus cognitifs que nous avons décrits généreront rapidement
des peurs qui prendront le pas sur les sensations de rassasiement et de
satiété. Le sujet ne mange plus en fonction de ces dernières, mais pour se
rassurer de ses peurs. Il se protégera de ses envies de manger des aliments
interdits en surconsommant des aliments autorisés. Comme nous l’avions
vu, les repas seront constitués de grandes quantités de légumes verts,
viandes maigres ou laitages écrémés dans l’espoir de ne pas succomber à
ses envies de plats plus alléchants ou de desserts. Tandis que la peur de
manquer des aliments interdits le conduira à en constituer des provisions
afin d’anticiper une pénurie annonciatrice de longues frustrations. Dans ce
contexte de peur, le sujet devient rapidement incapable de percevoir
correctement ses seuils de rassasiement et mange en fonction de
motivations sans rapport avec ses besoins réels.

LA PEUR DE LA DISPARITION DES ALIMENTS


Même une fois débarrassées de leur croyance « aliments autorisés-
aliments interdits », certaines personnes parviennent difficilement à
s’arrêter de manger alors même qu’elles ont conscience de ne plus avoir
faim. Concrètement, elles se sentent incapables de renoncer à une partie de
leur nourriture et ne peuvent s’empêcher de finir leur assiette. Il est
naturellement possible d’avancer plusieurs explications à cette attitude.
Marque de politesse : « Cela ne se fait pas », difficultés à s’affirmer : « Je
risque de vexer mon hôte, lui faire de la peine », compassion pour ceux qui
n’ont pas la chance de pouvoir manger à leur faim, etc. En réalité, il s’agit
là de tout autre chose. Ces mangeurs restreints se comportent avec la
nourriture comme s’ils la mangeaient pour la dernière fois, comme si elle
allait disparaître : « Je mange vite. J’ai peur qu’il ne me reste plus rien »,
ou : « Je mange comme si la fin du monde était pour demain. »
Il est parfois légitime dans des circonstances un peu inaccoutumées
d’adopter ce type de comportement : dans un grand restaurant, lors de la
consommation d’aliments festifs, lors de la découverte de plats nouveaux
ou de cuisines nouvelles, etc. Le caractère exceptionnel de l’événement
justifie dans ce cas la présence d’un comportement moins habituel
entraînant des consommations plus excessives, au-delà de la faim que nous
ressentons. Un peu comme si la rareté de l’événement nous incitait à faire
des provisions de plaisir. Car une fois l’occasion passée, elle pourrait bien,
de longtemps, ne plus se reproduire. Mais la plupart du temps, lors de repas
plus ordinaires, le mangeur régulé se contente de manger à sa faim. Il
réalise sans difficulté que l’aliment qu’il consomme est parfaitement
reproductible et qu’il pourra en remanger aussi souvent qu’il le souhaitera.
Certaines personnes sont parfois amenées du fait de leur profession à
manger très souvent, dans d’excellents restaurants, des plats toujours
exceptionnels dont on peut penser qu’ils ne sont pas aisément
reproductibles. Dans ce cas, le mangeur régulé parvient à réaliser que ces
plats non reproductibles sont toutefois remplaçables. Et que d’autres plats
tout aussi succulents lui apporteront autant de plaisir dans d’autres
occasions. Il n’éprouve pas la nécessité d’en manger comme si c’était la
dernière fois qu’il faisait un bon repas. Le mangeur restreint ne se comporte
pas ainsi. Il ne parvient pas à réaliser que ce qu’il mange est reproductible
ou remplaçable. Il mange les aliments ordinaires comme s’ils étaient
toujours exceptionnels et devait en faire des provisions. Cette attitude, une
fois encore, l’incitera à en manger de bien plus grandes quantités. « Je
mange trop, sans faire attention et comme si on allait me piquer ma part »,
ou : « Je me rends bien compte que je cherche à en manger le maximum. »
Estelle vient de prendre conscience de ce comportement, voici ce qu’elle en
dit :

« Je suis choquée de mon attitude. Je n’ai jamais manqué de rien.


Le matin, je compte les biscottes qui restent à manger comme l’avare
qui compte ses sous. Quand on partage un gâteau, je lorgne toujours sur
la plus grosse part. J’ai toujours peur qu’on ne prenne ma part. Hier
soir, mon frère est passé à la maison et nous avons improvisé un petit
repas. Je crois que j’ai mangé uniquement par peur d’en avoir moins
que lui. En le réalisant, cela m’a plongée dans un abîme de honte. »

Voilà donc une nouvelle conséquence de la restriction cognitive qui


entraînera le mangeur restreint à manger au-delà de ses besoins et donc,
encore une fois, l’exposera à prendre du poids ou ne pas parvenir à en
perdre.

La peur d’avoir faim


Les mangeurs régulés sont habituellement heureux de ressentir des
sensations de faim. Ils savent que plus leur faim sera importante plus leur
plaisir de manger s’en trouvera grandi et ils s’en réjouissent d’avance. Bien
mieux, l’absence de la sensation de faim avant un succulent repas aurait
plutôt pour effet de les désoler. Et ils exerceront généralement leur art de
manger de manière à avoir suffisamment faim avant de se mettre à table.
Rien n’est plus agréable pour eux, dans un contexte d’abondance
alimentaire, que de ressentir ce petit creux au ventre avant de déguster un
aliment apprécié. Il en est tout autrement du mangeur restreint. L’ensemble
des règles diététiques auquel il s’astreint provoquerait plutôt chez lui une
appréhension face à cette sensation, certes, parfois désagréable mais
pourtant en aucun cas redoutable. Rappelez-vous, le régime de « bon sens »
lui recommandait vivement de manger préventivement afin d’éviter la faim
qui risquerait de favoriser les grignotages ou les compulsions. Car, en effet,
la faim est présentée dans la plupart des régimes comme une dangereuse
ennemie. Elle est généralement considérée comme une menace qui
exposera le mangeur à transgresser ses règles de bonne conduite. Ne lui a-t-
on pas formellement affirmé qu’il se devait de ne pas manger entre les
repas ? Ne lui a-t-on pas fortement déconseillé de ne pas manger d’aliments
contenant du sucre ou du gras ? Or si, par malchance, il advenait qu’il ait
faim entre deux repas quelle alternative s’offrirait donc à lui ? La première,
la plus évidente pour la plupart des gens mais pas pour le mangeur restreint,
consisterait à manger. Évidemment, à moins d’avoir pris des précautions, ce
qu’il pourra consommer au beau milieu de l’après-midi risque fort d’être un
aliment « interdit ». Il n’est pas très simple à cette heure de la journée de se
procurer un fruit, un yaourt ou tout autre aliment sanctifié. Cette première
solution présente donc l’inconvénient de le pousser à la transgression d’au
moins deux règles fondamentales de son régime. Et nous avons vu ce qu’il
lui en coûterait : culpabilité, reproches, sentiment d’échec, etc. La seconde
solution, plus économique d’un point de vue psychique, serait de résister à
sa faim et d’attendre l’heure du repas le plus proche ou au moins la
possibilité de se procurer un aliment « autorisé ». Cette solution,
diététiquement correcte, peut s’avérer assez pénible et n’est pas non plus
dénuée de risque. Car rien ne garantit, si la faim devient trop forte, qu’il
pourra finalement lui résister. Au bout du compte, soit il mange et s’accable
de reproches, soit il ne mange pas et la faim lui tenaille le ventre jusqu’au
repas suivant. Pas simple. Si l’on ajoute qu’à chaque fois qu’il mange un
aliment « interdit », il s’expose à une perte de contrôle et à des
consommations qui s’effectueront sur un mode compulsif, on comprend que
le malheureux mangeur redoutera de se trouver aux prises avec ce terrible
dilemme et fera son possible pour ne pas s’y trouver confronté. Derrière la
peur de la faim, se profile, en fait, la peur de « craquer ». Manifestement, la
faim qui serait plutôt une sensation heureuse dans un pays où la nourriture
est présente partout en surabondance, est devenue pour le mangeur restreint,
du fait de règles de régime sans fondement, un véritable problème. Le
régime lui a rendu la faim dangereuse et effrayante. Il est consternant
d’avoir à le dire, mais des personnes qui vivent au milieu de placards et de
réfrigérateurs regorgeant de nourriture, qui sont entourées de centaines de
magasins d’alimentation et distributeurs de nourriture ont peur d’avoir faim
et surtout peur de « craquer ». Voici des extraits du carnet alimentaire de
Caroline :

J’avais faim. Je ne pouvais pas résister à la faim car j’avais peur de


faire un malaise pendant ma séance de natation.
J’avais un peu faim. Vu le trajet à faire en voiture, vu les grèves,
j’ai préféré ne pas résister, pour ne pas avoir faim durant mon trajet.
J’avais faim. Je n’aime pas résister à la faim par crainte d’une
migraine.
J’avais un peu faim. Si j’avais résisté, j’aurais eu peur de ne pas
pouvoir dormir.

L’intensité de cette peur est variable, allant de la simple inquiétude au


réel état de panique pouvant s’inscrire dans un authentique tableau de
phobie. Certaines personnes affirment parfois être sujettes, avant les repas,
à des malaises qu’elles qualifient d’hypoglycémies : sueurs, tremblements,
sensations d’étouffement, bourdonnements d’oreilles, etc. Une investigation
soigneuse, éventuellement complétée par des examens biologiques,
éliminera rapidement ce diagnostic et révélera qu’il s’agit, en fait, de
manifestations d’anxiété pouvant prendre la forme de véritables états de
panique. « J’ai beaucoup de difficultés à supporter la faim. Je me sens tout
de suite très mal. Je n’arrive plus à respirer, comme si j’étais claustrophobe
et je risque de me jeter littéralement sur la bouffe. »
Dans un contexte de régime amaigrissant, la conséquence la plus
inattendue de cette peur est qu’elle incite le mangeur restreint à manger au-
delà de ses besoins. Pour le comprendre, voyons comment se comportera un
mangeur qui a peur d’avoir faim. Une personne qui a peur cherche
naturellement à éviter l’objet de sa peur. Dans le cas qui nous occupe, le
mangeur cherchera donc à ne pas se trouver confronté à sa faim. Sachant
que celle-ci l’expose à un risque de craquage, il mangera sans faim avant
l’apparition des premiers signes de faim. Et au terme du repas, pour éviter
un retour trop précoce de la faim il mangera au-delà de son rassasiement.
« Je préfère manger même si je n’ai pas faim. Mieux vaut prévenir. Je me
dis : tu auras faim et tu ne pourras plus manger. » À l’inverse, la certitude
de pouvoir manger calme son inquiétude et lui permet de moins manger :
« Quand je sais que je peux manger ce que je veux, je mange moins. Je me
sens plus calme et je peux laisser de la nourriture de côté. Je sais que je
pourrai la manger plus tard si j’ai faim. » Certaines personnes ont si peur
d’être prises au dépourvu par une sensation de faim qu’elles ne peuvent
sortir de chez elles qu’en se munissant de petites quantités de nourriture
dont le but n’est pas nécessairement d’être consommées mais de calmer leur
anxiété. C’est ainsi qu’Isabelle ne quitte jamais son sac à main qui lui
permet de dissimuler des barres de céréales ou des pommes sans lesquelles
elle ne pourrait sortir de chez elle.
Les spécialistes des comportements phobiques reconnaîtront ici tous les
signes caractéristiques de ces troubles. Manifestations d’anxiété, voire états
de panique, stratégies d’évitement : manger avant l’apparition de la faim,
manger au-delà de la faim pour en retarder la réapparition et enfin conduites
contraphobiques : présence de nourritures destinées à réduire l’anxiété.
Au bout du compte, le régime amaigrissant entraîne le mangeur dans
une situation surréaliste qui consiste à manger sans faim pour éviter de
manger quand il aura faim. Exactement l’inverse de ce que ferait un
mangeur régulé.
Si vous vous trouvez dans cette situation, la reconnaissance des autres
sensations alimentaires peut devenir problématique. Avant de poursuivre
votre travail sur d’autres sensations, je vous engage à résoudre
préalablement cette difficulté en effectuant l’expérience de la faim.

Le sentiment d’insécurité
Le sentiment d’insécurité que nous éprouvons à l’égard de nos aliments
envahit progressivement l’esprit d’un grand nombre de mangeurs1. Nous
entretenons vis-à-vis des aliments inconnus une méfiance naturelle qui a
probablement été très utile à notre survie tout au long de l’évolution. Ce
sont nos traditions et nos cultures alimentaires qui au cours de l’histoire ont
assuré notre sécurité en mettant à notre disposition des aliments qui avaient
fait la preuve de leur innocuité.

Pour nous, mangeurs, les choses doivent être simples. Soit l’aliment est
sûr, et il est comestible. Soit il n’est pas sûr, et il n’est pas comestible. Il
n’existe en cette matière aucune demi-mesure. Nous ne saurions
consommer des aliments « un peu comestibles ». Ce qui entre dans notre
bouche ne peut faire l’objet d’aucun soupçon. Nous le constatons chaque
fois qu’une affaire de sécurité alimentaire refait surface. La moindre
suspicion entraîne une chute des ventes ou même un retrait total du produit
incriminé. C’est ainsi qu’en 1988 la firme Perrier, pour avoir laissé
échapper treize bouteilles contaminées par du benzène, a préféré retirer de
la vente 280 millions de bouteilles afin de conserver la confiance de ses
clients.
Il est probable que ce réflexe sécuritaire contribue aussi au succès des
régimes interdictifs, qui partagent les aliments en deux catégories : les bons,
comestibles parce qu’ils ne font pas grossir et les mauvais, non comestibles
parce qu’ils font grossir. C’est simple, c’est sans appel. Et il n’y a pas à se
poser plus de questions !
À la cueillette aux champignons

Nous avons tous été un jour cueillir des champignons au cours


d’un dimanche en forêt. Nous les ramassons puis à la fin de la balade
nous les trions. Nous faisons un premier tas de champignons
comestibles que nous mettons de côté en vue de la bonne omelette que
nous nous préparons à manger. Un second tas de champignons non
comestibles que nous écartons soigneusement pour ne pas prendre le
risque de nous intoxiquer. Et il y a toujours un troisième petit tas
composé de champignons que nous connaissons mal. Ceux dont nous
ne sommes pas très sûrs et que nous sommes censées apportés chez le
pharmacien. Mais comme il n’y a jamais de pharmacie ouverte le
dimanche, que faisons-nous de ces champignons douteux ? Nous les
jetons. Car personne ne pourrait tranquillement déguster une fricassée
de champignons tout en pensant manger peut-être son dernier repas !
Avec les champignons, les choses sont simples. Soit ils sont sûrs
soit ils ne le sont pas. On ne fait pas de demi-mesure.

Que se passe-t-il quand nous consommons des aliments suspects ? Car


voilà bien la situation dans laquelle se trouve le mangeur moderne et, plus
encore, le mangeur restreint. Ses aliments lui inspirent inquiétude, anxiété
et culpabilité. Il mange des aliments qu’ils soupçonnent d’être nocifs à son
poids et à sa santé. Pour reprendre encore la formule de Claude Lévi-
Strauss, ses aliments ne sont plus bons à manger car ils ne sont plus bons à
penser. Selon la loi de contagion, ils sont contaminés par des traces de
pensées négatives. Le slogan Pour votre santé (votre poids), mangez moins
gras, moins sucré, moins salé suggère que nous mangeons tous trop gras,
trop sucré. Sans aucune précision sur la dose qu’il conviendrait d’absorber,
tout aliment gras ou sucré porte désormais en lui la possibilité d’un danger.
Quels que soient notre consommation préalable et notre état de santé.
Comme si le mieux était systématiquement d’en manger le moins.
Les conséquences de cet état d’insécurité alimentaire s’observent sur les
processus de rassasiement. L’ambivalence qui caractérise certains de nos
aliments, ils sont à la fois désirés mais suspectés, nous rend incapables d’en
consommer les quantités appropriées à nos besoins. Si j’aime les frites mais
que je pense qu’elles font grossir : combien en manger ? Une seule, deux
car la première avait un goût de revenez-y, toute une assiette, deux assiettes,
le plat entier en me jurant que je n’y toucherai plus pendant six mois ? Pour
le mangeur régulé les choses sont plus faciles, la quantité qu’il faut manger
est simplement celle qui le rassasie.
Mais, à supposer que le mangeur restreint décide lui aussi de respecter
son rassasiement, il aurait la grande surprise de constater sa disparition. Et
qu’il ne saurait pas quand s’arrêter de manger. La disparition de la sérénité,
remplacée par des sentiments de culpabilité et d’anxiété, empêcherait le
processus du rassasiement.

Le couple frustration-culpabilité
La frustration et la culpabilité sont des émotions puissantes que nous
avons déjà évoquées et qui viendront troubler les mécanismes de la
régulation. La lutte permanente du sujet contre ses envies de manger
provoque une frustration gonflant comme une vague qui viendra ensuite
éclater dans une compulsion d’autant plus bruyante qu’elle aura été longue
et péniblement vécue. Le rattrapage calorique se fait sans rapport avec le
manque réel. Le sujet se comporte là comme s’il lui fallait consommer en
une fois tout ce qu’il n’a pas mangé depuis le début de ses privations. À
l’opposé, la culpabilité conduit le mangeur restreint à compenser ses écarts
alimentaires sans rapport avec l’excès calorique commis. Ce ne sont pas les
calories qui sont compensées, mais l’idée que le mangeur se fait de sa faute.
Plus la culpabilité sera grande, plus la compensation sera sévère et sans
rapport avec la régulation physiologique exigée par l’organisme. La
frustration et la culpabilité, comme par un effet de levier, agissent sur les
sensations alimentaires en majorant les processus naturels de compensation.
La frustration faisant manger plus qu’il ne le faudrait, la culpabilité
produisant l’effet inverse. Ainsi, encore une fois, ce sont les émotions qui
prendront le pas sur les processus de rassasiement et la satisfaction des
besoins.

Le trouble du réconfort ou la quête de l’introuvable


On parle bien souvent des obèses comme de personnes incapables de
gérer leurs émotions de façon adaptée et systématiquement tentées de
recourir à la nourriture pour apaiser leurs tensions. Ils seraient, en quelque
sorte, victimes d’une oralité effrénée. Or, jusqu’ici, aucune étude n’a jamais
permis de retrouver chez les obèses les moindres traits de personnalité
communs. Ils ne semblent pouvoir se caractériser par aucune particularité
psychologique. En revanche, si au lieu de considérer le poids, on s’intéresse
au degré de restriction cognitive, les mangeurs restreints, quel que soit leur
poids, présentent un certain nombre de ressemblances. Ils sont plus
irritables, plus anxieux, plus sujets aux dépressions, plus vulnérables aux
stress, présentant une forte réactivité émotionnelle. L’état d’inhibition les
mettant sans cesse sur des positions défensives, occasionnant une forme
d’usure mentale sournoise et exténuante. L’état de désinhibition, quant à lui,
les renvoyant toujours à des pensées culpabilisantes et à une déplorable
estime de soi. On conçoit ainsi comment la restriction cognitive, par les
deux aspects qui la caractérisent et par un long travail de sape souterrain,
s’emploie efficacement à fragiliser le mangeur sur le plan émotionnel et,
paradoxalement… peut-être, l’incite à rechercher un réconfort dans la prise
de nourriture. Or, là encore, les études démontrent que les obèses, bien
souvent après avoir mangé, loin de se sentir soulagés de leur tension, ne
s’en trouvent au contraire que plus anxieux, plus coupables, plus honteux…
et même plus obèses. Et pourtant, malgré cela, rien ne pourra les empêcher
de récidiver comme s’ils recherchaient désespérément dans cet acte un
bien-être auquel ils ne pouvaient avoir accès. Comme s’ils semblaient
définitivement condamnés à mener une quête éternelle et inaccessible, à
chercher sans fin un réconfort impossible.
Dans bien des prises en charge, on a vu les thérapeutes s’ingénier à
convaincre leurs patients de l’attrait d’autres manières de s’apaiser : prendre
une douche froide, manger des bâtonnets de carottes, aller promener son
chien… Mais d’une certaine manière, l’infortuné mangeur se sent toujours
grugé. Car, au fond de lui, il sait. Ce qu’il cherche se trouve dans la
nourriture. Et il ne l’a toujours pas découvert. On lui suggère de regarder
ailleurs, il ne dit pas non. On lui suggère d’oublier les aliments, il ne
demande pas mieux. Mais il n’y parvient pas. Il y a quelque chose dans la
nourriture dont il ressent un immense besoin et qu’il ne trouve pas. Il ne
peut s’empêcher de le chercher et il ne s’arrêtera que lorsqu’il l’aura trouvé.
Devant tant d’obstination, mieux vaut se demander ce qu’il cherche et
l’aider à l’obtenir. Voilà un remède qui lui permettra peut-être de cesser son
errance.
Or ce que le mangeur attend, c’est précisément que ses aliments le
soulagent d’une tension et lui apportent le réconfort attendu.
Malheureusement cette attente ne se réalise pas. Non seulement le réconfort
ne vient pas mais, bien souvent, l’acte alimentaire se transforme en une
compulsion qui à elle seule vient gâcher toute trace de plaisir qui aurait pu
survenir. Plus le réconfort tarde à venir, plus le sujet mange. Comme s’il
vivait dans l’espoir vain de le trouver dans la bouchée suivante. Mais son
attente sera toujours déçue et se soldera encore une fois par le cortège
habituel des reproches, de la culpabilité et de la honte. Alors que le
mangeur régulé s’arrête de manger dès le réconfort atteint, le mangeur
restreint paraît incapable de réconfort et ne peut s’arrêter de manger. Il
semble atteint d’un trouble du réconfort.

Sophie et le gâteau de semoule


Sophie, 28 ans, présente un surpoids modéré (IMC = 27) mais ne
parvient plus à contrôler sa manière de manger. Elle mange, dit-elle,
« pour compenser », en réaction à toutes sortes de stress. Dans ces
moments-là, il lui arrive de se gaver de gâteaux de semoule. Pourquoi le
gâteau de semoule ?
À l’âge de 8 ans, avant l’école, sa maman lui préparait chaque
matin un gâteau de semoule dont elle faisait une galette au fond de son
assiette et qu’elle mangeait malicieusement en grignotant les bords et en
se rapprochant progressivement du centre. Adolescente, alors qu’elle
vivait chez ses grands-parents, elle adorait s’amuser à faire la course
avec son grand-père. Le premier qui finissait sa part de gâteau de
semoule avait le droit de venir manger dans l’assiette de l’autre.
Beaucoup plus tard, elle avait conservé l’habitude, « pour se faire
du bien », de continuer à manger cet aliment de l’enfance.
Malheureusement, quand, jeune adulte, elle décida de perdre du poids,
elle réalisa que son gâteau de semoule, riche en sucre, ne correspondait
pas à l’idée qu’elle se faisait d’une alimentation minceur. Elle décida
donc, à l’avenir, de se passer de cette stratégie réconfortante. Elle
résista longtemps puis, un jour, céda. Sans pouvoir s’en empêcher, elle
se mit à en manger de plus en plus grandes quantités. Elle découvrait
les compulsions et terminait ses crises assise au pied de son lit, prostrée,
le ventre rempli à se rompre et enroulée autour d’elle-même.
Elle grossissait et le gâteau de semoule ne lui faisait plus aucun
bien !

Les travaux portant sur le stress et la prise alimentaire montrent que les
personnes qui mangent sous le coup d’une anxiété se sentent généralement
moins anxieuses après cette consommation. Mais le mangeur restreint, au
contraire, n’éprouve, lui, aucunement moins d’anxiété. Manger ne le
soulage de rien. Manger ne fait qu’alourdir le fardeau qu’il porte ! D’où lui
vient donc cette incapacité ? Pourquoi sombre-t-il dans cet engrenage
alimentaire sans rapport avec ses besoins physiques et psychologiques ?
Plusieurs explications sont sans doute possibles mais l’une d’entre elles
mérite toute notre attention, car elle nous est maintenant familière et offre
des possibilités d’interventions thérapeutiques immédiates. Il s’agit de l’état
de restriction cognitive. Comment, en effet, le mangeur aux prises avec une
croyance aliments interdits-aliments autorisés pourrait-il parvenir au
moindre réconfort lorsqu’il mange des aliments dont il est convaincu qu’ils
le rendent obèse ? Que peut-il bien penser en mangeant un gâteau au
chocolat ? « Non seulement, j’ai des tas d’emmerdements mais en plus je
suis en train de grossir comme une baleine », ou : « Ce que je mange est
délicieux mais m’empoisonne. » Le mangeur restreint pense bien trop de
mal de lui et de ses aliments pour qu’ils puissent lui procurer le moindre
réconfort ou soulagement. Les processus cognitifs qui régissent sa manière
de manger ont bien trop dégradé sa relation avec la nourriture pour qu’elle
puisse produire les émotions positives qu’il s’attend à éprouver. Quand il
mangera des aliments défendus, ceux-ci ne lui procureront plus, au
contraire, que des émotions négatives.
Malheureusement ses ennuis ne s’arrêteront pas là. Convaincu qu’il
transgresse sa ligne de conduite, qu’il commet une faute, il se promet bien
qu’on ne l’y reprendra plus. Nous reconnaissons bien cet aspect de la
restriction cognitive qui conduit notre mangeur à se jurer qu’il ne
succombera plus à ses écarts et à manger tout son chocolat comme si c’était
le dernier. Enfin, toujours du fait de la restriction cognitive notre mangeur,
qui vient de manger en excès, ne saura ou ne pourra pas correctement se
réguler et s’exposera à la prise de poids. La culpabilité qu’il éprouve pourra
l’inciter à se priver de manger au repas suivant, la perte de contact avec ses
sensations alimentaires à ne pas compenser son excès de manière adéquate,
ses croyances diététiques à l’obliger à manger au repas suivant alors qu’il
n’a plus faim. Voilà comment le mangeur restreint, après avoir perdu le
contact avec ses sensations alimentaires, non seulement ne parviendra plus
à se réconforter, absorbera de trop grandes quantités de nourriture et
deviendra incapable de les réguler.

Les conséquences de la croyance


« aliments interdits-aliments autorisés »

— Le mangeur est exposé au risque de dépasser sa faim et de


grossir quel que soit le type d’aliments qu’il consomme.
— Le comportement alimentaire n’est plus contrôlé par les
sensations alimentaires mais par tout ce que l’on croit devoir
manger ou ne pas manger pour maigrir ou éviter de grossir.
— Les sensations alimentaires finissent par s’estomper puis
disparaître.

Vérifions que tout le monde a bien retenu


Peut-être commencez-vous maintenant à trouver ces allégations sur les
aliments « interdits » un peu moins convaincantes qu’auparavant. Pour
poursuivre, je vous propose de résoudre un petit exercice pratique. Voici
deux menus bien différents. Le premier apporte 750 calories et se veut
« diététiquement correct ». Le second apporte 200 calories et ne se compose
que d’un pain au chocolat.
Selon vous, quel sera le menu le plus avantageux pour votre poids ?
Attention, la question n’est pas de savoir si vous aimez le pain au chocolat
ni ce que vous pourrez manger au repas suivant ni même si un seul pain au
chocolat suffira à calmer votre faim. Simplement, quel est le menu qui aura,
sur le moment, l’effet le plus favorable sur votre poids ?
Menu « diététique » à
Menu à 200 calories
750 calories
Crudités
Viande ou poisson
Pain au chocolat
Légumes + pain
Yaourt +/– fruit

Dans l’absolu, ce sont, bien sûr, les 200 calories, donc le pain au
chocolat, qui seront les plus avantageuses. Nous pouvons maintenant
resituer cette comparaison dans un contexte plus approprié. Imaginons
qu’un jour, vous n’ayez pas très faim, il sera plus judicieux, ce jour-là, de
vous contenter de 200 calories plutôt que d’en manger 750, même si ces
200 calories sont apportées par un pain au chocolat. On comprendrait, en
effet, assez mal pourquoi une personne qui n’a pas très faim devrait se
forcer à manger, en quelque sorte, trois fois plus que sa faim ne l’exige.
Surtout si elle espère maigrir ! En revanche, si vous souhaitez grossir,
sachez que vous suivez à la lettre les conseils que l’on adresse aux
personnes maigres pour les encourager à prendre du poids. On leur
recommande de se forcer à manger, même si elles n’ont pas faim. Mais
peut-être avez-vous d’autres projets ?
Poursuivons notre démonstration et imaginons maintenant que vous
soyez contraint, pour des raisons qui nous échappent, de ne plus vous
nourrir que de deux pains au chocolat par jour, 400 calories, pendant
plusieurs mois. Selon vous, quelles en seraient les conséquences pour votre
poids ? Il est tout d’abord probable que vous ayez immédiatement très faim.
Ensuite, après trois semaines de ce régime, vous aurez sans doute beaucoup
maigri. Et enfin, après trois ou six mois vous serez mort… de faim, avec dix
ou vingt kilos de moins et cela en n’ayant mangé que du chocolat. Ce petit
exercice d’imagination était simplement destiné à vous faire réaliser qu’il
n’est pas possible de grossir en mangeant de si petites quantités de
nourriture, fussent-elles même du chocolat. Ce qui est d’ailleurs bien
regrettable. Nous serions tous très heureux d’apprendre que l’on peut
grossir en se nourrissant exclusivement de 400 calories de chocolat. Nous
pourrions alors proposer une solution rapide aux famines qui sévissent dans
certaines régions du monde. Nous distribuerions à chacun une tablette de
chocolat et n’aurions plus qu’à attendre que les malheureux affamés
grossissent. Je conseille aux optimistes, qui ne sont toujours pas
convaincus, de tenter l’expérience… et de s’armer de patience.

Exercices de substitution
Toutes ces démonstrations m’ont semblé nécessaires pour vous montrer
à quel point les mangeurs que nous sommes devenus sont victimes d’un
conditionnement diététique et normatif qui les empêchera de maigrir
durablement et les poussera inexorablement à reprendre les kilos perdus.
Ces démonstrations peuvent certes vous paraître séduisantes, mais
s’avéreront pourtant insuffisantes à vous convaincre totalement. Il s’agit
maintenant de passer d’une compréhension intellectuelle à un véritable
déconditionnement vous permettant de manger selon vos propres besoins et
non selon une manière « diététiquement correcte » de penser la nourriture.
Il est indispensable pour cela que vous expérimentiez vous-même cette
nouvelle conception de la nourriture. Nous allons donc recourir à des
exercices de substitution des aliments « autorisés » par des aliments
« interdits ».

Premier exercice de substitution


Ce premier exercice s’adresse aux mangeurs qui ont l’habitude de faire
des repas relativement structurés se terminant généralement par un fruit ou
un laitage. Je conseille à ceux qui ont des habitudes différentes de passer
directement à l’exercice suivant. Voici une liste d’aliments couramment
consommés en fin de repas.

50
Yaourt nature à 0 %
calories
70
Yaourt nature entier
calories
90
Yaourt aux fruits à 0 %
calories
110
Yaourt aux fruits et au lait entier
calories
Un fruit moyen de 150 g 70
calories
40
Deux carrés de chocolat
calories

Il apparaît assez clairement que les 40 calories apportées par les deux
carrés de chocolat seront plus avantageuses pour votre poids que celles
apportées par tous ces autres aliments. Si vous souhaitez donc manger du
chocolat mieux vaudra prendre deux carrés à 40 calories plutôt qu’un yaourt
à 0 % qui, lui, apporterait 50 calories. Vous pourrez même consommer le
chocolat de votre choix, ils se valent tous en valeur calorique. Bien sûr, il
s’agit de deux carrés qui seront pris dans une tablette de 100 g comprenant
6 rangées et 4 carrés par rangée. L’exercice de substitution consiste à
remplacer un aliment « autorisé » par un aliment « interdit ». Si, par
exemple, vous avez l’habitude de consommer un fruit ou un yaourt aux
fruits à 0 % de matières grasses qui représente donc 70 à 90 calories,
remplacez-le par une quantité légèrement inférieure de chocolat, ici 2 à 4
carrés de chocolat, 40 à 80 calories. En pratique, voici comment se
déroulera l’exercice :

Premier exercice de substitution

1. Supprimez les fruits et les laitages à tous les repas (sauf au petit
déjeuner) pendant une durée de six jours.
2. Remplacez-les systématiquement par 2 à 4 carrés de chocolat,
soit 40 à 80 calories.
3. Pesez-vous le premier et le dernier jour de l’exercice.

Si vous mangiez un yaourt aux fruits à chaque repas, vous le


remplacerez donc deux fois par jour par les deux ou quatre carrés de
chocolat. Systématiquement. C’est-à-dire que vous en ayez envie ou non.
En opérant cette substitution vous supprimez 90 calories et en ajoutez 40 à
80, soit en moyenne 60 calories. Cela s’appelle une soustraction ! Elle ne
peut d’aucune manière entraîner une prise de poids. Au cours des six jours
que durera cet exercice, vous ne pourrez donc pas grossir. Ou du moins, si
vous prenez du poids vous ne pourrez l’imputer à cet exercice. Il est
probable, dans ce cas, que d’autres changements seront intervenus dans
votre alimentation. Dans six jours, vous interromprez l’exercice et pourrez
reprendre votre consommation de fruits ou de yaourts ou continuer à
manger du chocolat si vous le souhaitez. Quelle sera selon vous, à ce
moment, votre attitude à l’égard des yaourts, des fruits et du chocolat ? Sans
doute, serez-vous heureux de retrouver vos fruits et vos laitages préférés,
mais sans pour autant vous obliger à en manger quand vous n’en avez pas
envie. Vous pourrez peut-être même constater qu’ils deviennent meilleurs
quand ils ne sont plus obligatoires. Et comment vous comporterez-vous à
l’égard du chocolat ? Peut-être le chocolat cessera-t-il enfin d’être pour
vous un aliment diabolique, chargé de tous les dangers ? L’objectif de cet
exercice n’est évidemment pas de vous apprendre à détester le chocolat,
mais que vous cessiez de penser qu’un carré de chocolat vous fera plus
grossir qu’un saladier entier de ratatouille et vous permettre ainsi de
retrouver de la régulation.
N’oubliez pas de vous peser au début et à la fin de l’exercice. Il est
indispensable que vous puissiez vérifier par vous-même qu’on ne grossit
pas en mangeant du chocolat de cette façon. Vous devez le croire parce que
vous l’aurez vu de vos yeux et non parce qu’un médecin inspiré vous l’aura
raconté. L’idée qu’il existe des aliments qui font grossir est une croyance.
L’idée qu’il n’en existe pas pourrait en être une autre. Il ne s’agit donc pas
de remplacer une croyance par une autre. Mais d’obtenir la preuve
irréfutable qui permettra de changer, même dans votre inconscient, l’idée
qu’il peut y avoir des aliments interdits. Vous ne réussirez pas à convaincre
votre inconscient avec de simples raisonnements, aussi séduisants soient-ils.
L’inconscient ne se convainc pas par des démonstrations, il ne réagit qu’à
des expériences, des situations vécues. Qui de surcroît seront soumises à
une analyse. Dans ce cas, si, durant ces quatre jours, vous ne grossissez pas
ou si vous maigrissez vous ne pourrez prétendre que c’est à cause de la
pleine lune ou d’une autre raison. Vous serez bien forcé d’admettre ce que
vous avez constaté : on peut maigrir en mangeant du chocolat. Et une
preuve ne s’efface pas.
Deuxième exercice de substitution
Vous pouvez maintenant passer à ce deuxième exercice. Par ailleurs,
tous les mangeurs restreints ne suivent pas les recommandations des
nutritionnistes et ne font pas des repas structurés se terminant
invariablement par un fruit ou un yaourt. D’autres sont perpétuellement en
état de désinhibition, ils mangent beaucoup, de manière souvent
compulsive, des aliments riches en calories qu’ils peuvent consommer tout
au long de la journée. Pour ceux-là ajouter deux carrés de chocolat à leur
alimentation n’aurait guère de sens et ne les convaincrait pas qu’ils peuvent
maigrir en mangeant des aliments « interdits ». Sans aucun doute des
arguments plus forts et autrement convaincants leur seront nécessaires. Il
est également probable qu’ils devront se faire aider par des spécialistes.
Néanmoins, voici une expérience qui pourra les inciter à réfléchir.

Deuxième exercice de substitution

Un repas « moyen » apporte en moyenne 750 calories.


Une tablette de chocolat de 100 g apporte 500 calories.
1. Supprimez votre déjeuner habituel pendant 4 jours.
2. Remplacez-le systématiquement par une demi- à une tablette de
chocolat (250 à 500 calories).
3. Déguster votre chocolat tranquillement en essayant de vous
arrêter quand vous êtes rassasié.
4. En cas de faim dans l’après-midi, mangez une collation de votre
choix. Ne la consommez qu’en cas de faim et essayez de vous
arrêter quand la faim aura disparu.
5. N’oubliez pas de vous peser le premier et le cinquième jour de
l’exercice.

La substitution du déjeuner par le chocolat entraînera une soustraction


d’au moins 250 calories. Il n’existe donc aucun risque de prise de poids. Et
vous verrez qu’il n’est pas si drôle de manger une tablette de chocolat
pendant quatre jours. Il se peut que très rapidement vous parveniez à vous
satisfaire d’une simple demi-tablette. Il se peut également, dans ce cas, ne
vous étant nourri que de 250 calories, que vous ayez faim dans l’après-midi.
Vous pourrez alors soit terminer votre chocolat, soit réaliser que vous
souhaitez manger un aliment différent. Attendez simplement que la faim se
manifeste et mangez tranquillement ce que vous aurez décidé de manger en
restant attentif à votre rassasiement. Au dîner, prenez le repas qui vous
convient en pratiquant comme d’habitude vos exercices sur les sensations
alimentaires.
Au terme de cette expérience, contrôlez votre poids. Vous pourrez là
encore constater de vos yeux qu’on ne grossit pas de cette façon, même en
mangeant une tablette entière de chocolat pendant quatre jours. Peut-être
même aurez-vous maigri ? Et cela, sans souffrir aucunement de la faim !

LES OBJECTIFS DE CET EXERCICE


1. Retrouver du contrôle. Le mangeur régulé peut dire qu’il a envie de
manger un carré de chocolat et n’en manger qu’un seul. De la même
façon, il saura tout aussi bien n’en manger qu’une demi-tablette, si
c’est ce qu’il souhaite consommer. Bref, la quantité de nourriture qu’il
mange correspond généralement à celle qu’il avait initialement prévu
de manger. Il possède inconsciemment une maîtrise de lui-même qui
ne l’expose pas à dépasser inconsidérément ses envies. À l’opposé, le
mangeur restreint décide de s’accorder un carré, mais ne sait jamais
combien il en mangera. Peut-être n’en prendra-t-il qu’un seul ? Ou
peut-être deux, trois, dix, douze… ? Son comportement est
imprévisible.
2. Respecter ses sensations alimentaires. Le but de l’exercice n’est
évidemment pas de se forcer à finir la tablette. Il s’agit, au contraire,
de réussir à s’arrêter quand on se sent rassasié. Vous devez vous laisser
guider par vos sensations alimentaires et non plus manger en fonction
des idées que vous avez sur la bonne manière de manger.
3. Modifier le schéma « aliments interdits-aliments autorisés ». Enfin,
cerise sur le gâteau (au chocolat), cet exercice pourra, dans les jours
qui suivent, vous faire perdre du poids. Non pas du fait de cette petite
soustraction calorique que vous avez opérée. Mais en vous faisant
échapper à la croyance « aliments interdits-aliments autorisés » qui
vous pousse à manger à votre insu, il vous rendra capable de moins
manger. Entraînant ainsi une réduction calorique responsable de votre
perte de poids.

Plus et mieux avec les aliments « interdits »


Peut-être pensez-vous maintenant qu’il vous est possible de manger du
chocolat sans prendre de poids. Mais êtes-vous parfaitement convaincu
qu’il vous est possible de maigrir de cette façon ? Quelle quantité de
chocolat, de frites ou de pâtes pensez-vous pouvoir manger tout en perdant
du poids ? Pour répondre à ces questions, nous allons nous livrer au petit
test suivant.

Supposons que vous mangiez un sandwich au saucisson et, qu’une fois


terminé, vous vous sentiez tout à fait à satiété. Puis, pour une raison
quelconque vous décidez ensuite de manger une pomme. Dans ce menu,
quel est l’aliment qui pourra vous faire grossir ?

C’est la pomme qui vous fera grossir !

Car vous l’avez mangée alors que vous étiez déjà rassasié. Le
rassasiement est, en effet, un signal qui vous informe que vos besoins sont
couverts. Les aliments que vous consommez après ce signal apportent des
calories supplémentaires dont vous n’avez pas besoin pour l’instant. Ne
pouvant être utilisées, elles seront stockées et pourront vous faire grossir. Il
faut cependant apporter deux nuances à cette observation.
La première est que, d’un point de vue strictement biochimique, ce ne
sont pas les calories de la pomme qui seront stockées mais celles du
saucisson. L’organisme n’a pas la capacité de stocker les glucides apportés
par la pomme. En revanche, ces glucides, qui seront brûlés prioritairement,
le seront à la place des graisses du saucisson qui seront mises en réserve.
Sans les calories glucidiques excédentaires de la pomme, les calories
lipidiques du saucisson auraient été brûlées et ne vous auraient pas fait
grossir.
La seconde est qu’un repas trop copieux ne fait pas obligatoirement
grossir. Les mangeurs régulés savent très bien manger sans faim ou au-delà
de leur faim sans pour autant grossir. Ils s’apercevront au repas suivant que
leur faim est moindre et effectueront spontanément, parfois sans même le
réaliser, une compensation calorique. Selon l’importance de l’excès, la
compensation pourra s’effectuer sur un ou plusieurs repas. En revanche, le
mangeur restreint qui perçoit mal son rassasiement ou se force à manger, si
chaque fois qu’il mange dépasse ses besoins d’une pomme ou d’un yaourt,
n’aura plus la possibilité de réaliser cette compensation et prendra du poids
repas après repas, pomme après pomme. Il grossira sournoisement en
mangeant des pommes et en incriminant ses sandwichs au saucisson.

Les mangeurs régulés savent dépasser leur faim


Lors d’un repas de réveillon, la plupart des convives n’ont déjà plus
faim après l’entrée. Ils se sont rassasiés de petits fours et de foie gras et
pourraient fort bien s’en tenir là et rentrer chez eux. Ce n’est pourtant
pas ce qu’ils font, tous les mangeurs continuent à manger sans faim,
mais heureux de partager un bon moment et des aliments de choix.
Cependant, vous observerez que les mangeurs régulés ne se comportent
pas exactement comme les mangeurs restreints. Les premiers, dès le
plat suivant, commencent à chipoter : « Je prendrai juste un petit
morceau de dinde, je me réserve pour le dessert, juste un peu, mais
vraiment c’est pour faire plaisir, etc. » En réalité, ils commencent à
réguler. Ils poursuivront même le lendemain, en se passant de petit
déjeuner : « J’ai vraiment trop mangé hier soir. » Le mangeur restreint
se sert une part normale de dinde, de fromage et de bûche. Et même, s’il
n’était pas si « raisonnable », il en aurait bien repris une deuxième fois.
Et le lendemain matin, il prend son petit déjeuner exactement comme
s’il s’était couché la veille en ayant mangé une soupe. Il ne régule pas et
grossit. À moins qu’il ne décide de se mettre au régime pour rattraper
ses « écarts ».

Imaginons maintenant un mangeur dont l’organisme brûlerait 2 000


calories. Si ce mangeur mangeait chaque jour 50 calories supplémentaires
de chocolat, son poids, lentement, mais très sûrement augmenterait. S’il
remplaçait le chocolat par des haricots verts le résultat serait naturellement
identique. Il n’est pas possible de considérer, qu’une fois ingérés, certains
aliments auraient la propriété d’être stockés tandis que d’autres auraient
celle de s’évaporer. Toutefois, si ces 50 calories de chocolat, plutôt que
d’être consommées en surnombre, étaient incluses dans les 2 000 calories
qu’il dépense chaque jour, elles ne pourraient dans ce cas lui faire prendre
du poids. Si bien que la même quantité de chocolat pourra selon les
circonstances le faire grossir ou non. Il devient donc très important pour ce
mangeur de savoir dans quelles conditions le chocolat l’expose à prendre du
poids. Comment pourra-t-il déterminer s’il en a assez mangé ou trop
mangé ? Tout simplement en décelant son seuil de satiété. C’est en effet le
seul et unique moyen dont il disposera pour le savoir. Il n’en existe pas
d’autres et surtout personne d’autre que le mangeur lui-même ne pourra
connaître ce moment. Or, tant que le mangeur conservera des a priori sur
les aliments, considérant que certains font grossir ou que d’autres font
maigrir, ce seuil de satiété restera confondu dans une zone de flou rendant
très difficile sa détermination. C’est la raison pour laquelle nous nous
consacrons avec tant d’insistance à faire disparaître ces idées fausses.
Mais poursuivons plus loin et imaginons qu’au lieu de manger
2 000 calories, notre mangeur se contente de n’en manger que 1 500 qui
incluraient ses 50 calories de chocolat. Dans ce cas, sans aucun doute
possible, il pourrait perdre du poids. Il pourrait même manger
1 500 calories de chocolat et tout de même maigrir. Au bout du compte, on
voit que les mêmes 50 calories de chocolat pourront produire trois effets
différents selon l’état énergétique du mangeur. Elles peuvent aussi bien être
associées à une augmentation, une stabilisation ou une diminution du poids.
Si le même chocolat peut avoir des conséquences si opposées, c’est qu’il
n’est pas lui-même responsable du phénomène. La différence ne vient
effectivement pas de ce que consomme le mangeur, mais simplement du fait
qu’il a mangé avec ou sans faim.
Les conséquences de ces démonstrations sont véritablement immenses
sur la manière d’envisager l’amaigrissement. Car dorénavant, en tout état de
cause, si vous souhaitez maigrir ce que vous mangez ne présente aucun
intérêt. Vous pourriez tremper vos frites dans du Nutella et tout de même
maigrir, pour peu que vous les mangiez en ayant faim. Je vous suggère donc
dès cet instant de vous désintéresser totalement de la composition
biochimique des aliments pour ne vous consacrer qu’aux qualités
gastronomiques que vous leur accordez. Cessez de vous poser mille
questions sur les effets supposés des lipides et des glucides, des horaires,
des combinaisons alimentaires et je ne sais trop quoi encore. Ne vous posez
plus que des questions de vrais mangeurs : ai-je faim, est-ce bon, ai-je du
plaisir, ai-je assez mangé ? Aucune autre. Les seules questions qui doivent
désormais vous préoccuper sont celles de votre faim et de votre seuil de
satiété ainsi que votre capacité à vous y arrêter. Ce qui constitue pour le
mangeur restreint la principale de ses difficultés. Voici un exercice qui vous
aidera à progresser encore dans ce domaine.

Retrouver la satiété

Troisième exercice de substitution


1. Supprimer le déjeuner pendant au moins quatre jours.
2. Le remplacer tous les jours par un repas de gâteaux à volonté.
3. S’arrêter de manger quand on est rassasié.
4. Remanger des gâteaux dans l’après-midi, en cas de faim
seulement.
5. Au dîner, régler la taille du repas en fonction de la faim et de la
satiété.
6. Se peser le premier et le dernier jour de l’expérience.

Déroulement de l’exercice
1. Pour être efficace, cet exercice doit nécessairement se dérouler sur
plusieurs jours consécutifs.
2. Vous pourrez réaliser cet exercice avec les aliments de votre choix. Il
suffit pour cela que vous choisissiez des aliments « interdits » d’une
même gamme : des pâtisseries, du pain et du fromage, du pain et de la
charcuterie, des tartes salées (pizza, quiches, tartes au fromage…) et
que vous n’en changiez plus pendant toute la durée de l’exercice. Vous
devez prévoir chaque jour la même quantité d’aliments, même si vous
ne les mangez pas en totalité, par exemple trois pâtisseries ou trois
tartes salées.
3. Dans les exercices précédents, j’avais pris la précaution de vous
indiquer des limites à ne pas dépasser. Cette fois, je ne vous donnerai
aucune indication et vous exécuterez l’exercice en tentant de
déterminer votre propre limite, constituée par votre seuil de satiété, et
essayer de vous y arrêter.
4. Pour réussir à vous arrêter, il vous faudra impérativement respecter
une condition : vous devez vous autoriser à remanger des gâteaux au
cas où vous auriez de nouveau faim dans l’après-midi. Une personne
rassasiée n’éprouvera aucune difficulté à s’arrêter de manger au beau
milieu d’un gâteau si elle est convaincue qu’elle pourra le terminer
aussitôt qu’un nouveau besoin s’en fera sentir. Vous pourrez, en effet,
le finir d’ici un quart d’heure, une heure… dès la réapparition de votre
faim. En revanche, si vous pensez que vous n’avez pas le droit de
manger entre les repas, que vous ne devez pas avoir faim dans l’après-
midi ou que vous mangez votre dernier gâteau, il y a fort à parier que
vous le finissiez jusqu’à la dernière miette. Il est donc essentiel que
vous soyez conscient de la possibilité de remanger dans l’après-midi.
Faire des réserves de nourriture pour éviter la faim reviendrait à
s’engager sur une autoroute avec une citerne d’essence alors qu’il
existe des stations-service tous les 40 km.
5. Au dîner, vous constaterez que vous n’avez sans doute plus grande
attirance pour les gâteaux et choisirez d’autres aliments qui vous feront
plaisir. Cette fois, vous mangerez des salades non parce qu’elles font
maigrir, mais parce que vous en aurez une furieuse envie. Cependant
vous devrez prendre ce repas en étant attentif à votre faim et adapter la
taille de votre repas à l’appétit qui restera à la fin de cette journée.
Vous constaterez ainsi que quand on vous oblige à manger du chocolat,
vous vous jetez sur les légumes. Comme de la même façon, quand on
vous obligeait à manger des légumes vous vous jetiez sur le chocolat.
Conclusion, si on ne vous oblige à rien, vous ne vous jetez plus sur
rien.
6. Enfin, comme d’habitude, vous vérifierez par vous-même que
l’exercice s’est bien déroulé en vous pesant le premier et le dernier
jour de l’expérience.

Résultats de l’exercice
1. Le premier jour, vous mangerez vos gâteaux comme vous mangez
habituellement vos gâteaux. C’est-à-dire probablement au-delà de
votre faim. Ce dépassement est très prévisible et ne doit pas vous
alarmer. Il traduit les effets de la restriction cognitive sur votre
comportement alimentaire et la présence de mécanismes conscients et
inconscients qui vous font dépasser le rassasiement. Toutefois, il
n’aura probablement aucune incidence sur votre poids car, dès le soir
même, votre régulation prendra le relais. Vous aurez naturellement
moins faim et ne prendrez sans doute qu’un repas assez léger. Cette
compensation de votre excès annulera spontanément l’effet sur votre
poids.
2. Puis au fil des jours, quand vous comprendrez qu’à chaque fois que
vous avez faim il vous faut encore manger des gâteaux, toutes ces
raisons qui vous faisaient manger ces gâteaux au-delà de votre faim
disparaîtront les unes derrière les autres : la peur de manquer, la peur
d’avoir faim, la peur de grossir… Il ne vous restera plus, en fin de
compte, qu’une seule raison de manger : calmer votre faim. Vous ne
trouverez plus une seule raison de manger ne serait-ce qu’une bouchée
de trop. Vous deviendrez capable de déterminer précisément pour les
gâteaux votre seuil de satiété et, mieux encore, de vous y arrêter.
3. Votre comportement à l’égard des gâteaux doit profondément changer
au cours de cette expérience. Si, au quatrième jour, votre attitude vis-à-
vis de ces aliments n’est pas devenue sensiblement différente de ce
qu’elle était le premier jour, vous devrez poursuivre l’expérience
encore un jour ou deux.
4. Tout ce qui n’aura pas été mangé à la fin de la journée devra être jeté
et non pas conservé pour le lendemain. Il ne s’agit pas de gaspiller
gratuitement de la nourriture mais d’apprendre à se passer de la part de
nourriture dont vous n’avez pas besoin. Je vous rappelle que la plupart
des mangeurs restreints ne savent pas laisser de nourriture dans leur
assiette. Pour faire face à cette défaillance, ils n’ont d’autre choix que
de manger leurs restes alors qu’une attitude appropriée aurait
naturellement consisté à les mettre de côté et les conserver dans un
réfrigérateur ou un congélateur. Pour devenir capable d’effectuer ce
geste simple, il vous faudra passer par la désagréable épreuve du jeter
de nourriture.
5. Attention, si vous mangez systématiquement un nombre entier de
gâteaux il est fort probable que vous n’ayez pas été capable de vous
arrêter à votre seuil de satiété. Il n’y a, en effet, aucune raison pour que
les pâtisseries soient précisément calibrées pour correspondre à votre
rassasiement. Si l’exercice se passe comme prévu, la satiété pourra
aussi bien apparaître trois bouchées avant ou après la fin du deuxième
gâteau.
Nous allons à présent utiliser un nouveau modèle de carnet alimentaire.
Il ne s’agit plus maintenant de prendre des notes sur toutes les situations
alimentaires, mais seulement sur celles qui restent encore problématiques.
Celles au cours desquelles vous avez encore la sensation de trop manger.
Schématiquement, deux types de situations pourront dorénavant se
présenter : soit vous mangez sans avoir faim, soit vous continuez à manger
alors que vous n’avez plus faim. Enfin, comme vous pouvez à présent
manger tous les aliments que vous aimez, vous cesserez de les consigner sur
votre carnet alimentaire pour ne plus vous intéresser qu’à vos sensations
alimentaires.

Sensations Ce qui m’empêche


Contexte
alimentaires d’en tenir compte
1. Je n’ai pas faim, mais
je mange quand même.
2. Je n’ai plus faim,
mais je continue quand
même.

Je vous ai montré au cours de ce chapitre comment faire tourner le


monde à l’envers en vous exposant une première situation dans laquelle
vous pouviez grossir en mangeant des pommes et une seconde dans laquelle
vous pouviez maigrir en mangeant du chocolat. Bien des candidats au
régime ont failli y perdre leur bon sens.

Charlotte : « Je fais attention toute l’année à ce que je mange. Je


suis toujours très raisonnable. Pourtant, il suffit que je mange un
malheureux gâteau pour prendre aussitôt un kilo. En revanche, en
vacances, je mange ce que je veux. Je ne fais jamais attention, je refuse
de m’embêter avec tout ça. Je ne prends jamais de poids. Il m’arrive de
maigrir. Vous ne le croiriez pas si vous saviez ce que je mange. »

Il est exact que Charlotte est toujours très vigilante sur son
alimentation, hypervigilante même. Elle ne s’autorise que très peu
d’« écarts », pas même au restaurant ou chez ses amis. Elle surveille très
attentivement ce qu’elle mange. Mais quand elle mange des aliments
« interdits », c’est toujours sous l’effet d’un stress, des quantités
conséquentes et généralement sans faim. De cette façon, elle prend du poids
qu’elle reperd aussitôt en se remettant au régime. Toutefois, pendant les
vacances, elle relâche son attention et consomme plus naturellement des
aliments « interdits » qu’elle mange avec faim et sans excès. Durant ses
vacances, elle grossit rarement et souvent parvient même à maigrir. Elle
croit pouvoir expliquer cet étrange phénomène par un surcroît d’activité
physique ou par l’effet du stress qui exercerait sur elle une sorte d’alchimie
qui la ferait grossir. Nous verrons donc dans le chapitre suivant ce qu’il en
est des émotions et de l’alimentation.

Questions-Réponses

Comment utiliser les exercices de substitution ?


Entre chaque exercice, je vous suggère de laisser passer une ou deux
semaines. Commencez par les exercices les plus simples avant de tenter les
plus difficiles.
— Remplacement du dessert par une quantité légèrement inférieure
d’aliments « interdits ».
— Remplacement du repas par une quantité prédéterminée d’aliments
« interdits ».
— Remplacement du repas par une quantité indéterminée d’aliments
« interdits ».
— Répéter plusieurs fois ce dernier exercice en changeant de gamme
d’aliments « interdits ».

J’aurai des carences si je n’équilibre pas mes repas


Le déjeuner doit […] toujours comporter une entrée, un plat et un
dessert.

Reprenons l’exemple de notre menu 1. Il est considéré par beaucoup


comme un modèle de repas équilibré qui apporterait en quantité
harmonieuse tous les nutriments dont nous avons besoin. Il convient
pourtant d’observer qu’un grand nombre de nutriments y sont présents en
quantité très insuffisante.
Le yaourt à 0 % est dépourvu de toutes les vitamines liposolubles
habituellement présentes dans la matière grasse : la vitamine A, la vitamine
D… La ratatouille n’apporte pas les quantités suffisantes de glucides et de
ce fait vous prive des vitamines du groupe B, et du magnésium. Le poisson
et la crudité sans huile n’apportent pas les quantités nécessaires d’acides
gras essentiels, de sélénium, de vitamine E… Bref, beaucoup d’éléments
importants font cruellement défaut. Si ce menu correspond peut-être à une
certaine vision de la diététique, il n’est en aucun cas équilibré. Et même, il
est tout bonnement très carencé. Tout autant d’ailleurs que le menu 2.
Certes, le menu 1 apporte un plus grand nombre de nutriments que le
menu 2. Mais pour une raison très simple : il est plus diversifié et comprend
plusieurs types d’aliments. Le menu 2 n’apporte qu’un seul aliment ce qui
est incompatible avec la notion d’équilibre alimentaire. Un menu ne
comprenant que de la viande ou des poireaux ne le serait pas davantage.
Au bout du compte, pour obtenir un repas équilibré, il vous faudrait
compléter le menu 1 avec beaucoup d’autres aliments. L’ensemble
représenterait de telles quantités de nourriture que le poids que vous
souhaitez atteindre ne deviendrait rapidement qu’un lointain souvenir. Vous
voyez donc qu’il n’est pas très réaliste d’espérer équilibrer son alimentation
sur un repas, ni même sur une journée ou encore même sur une semaine. Il
est plus réaliste d’espérer équilibrer son alimentation sur plusieurs semaines
ou plusieurs mois en se servant des sensations alimentaires qui incitent
naturellement à la diversification.
D’un point de vue physiologique, rien non plus ne vient justifier la
nécessité d’apporter à chaque repas un peu de tous les nutriments. Les
réserves de vitamines et de minéraux de l’organisme sont généralement
suffisantes pour lui assurer une autonomie de plusieurs semaines, voire de
plusieurs mois pour certains. Nous pouvons donc facilement nous passer
pendant quelques jours de manger des oranges sans être immédiatement
exposés au risque de scorbut. Et nous pouvons donc ainsi remercier notre
organisme qui, grâce à ses formidables mécanismes d’adaptation, nous évite
la pénible tâche de devoir manger à chaque repas une nourriture
parfaitement équilibrée. L’idée que nous serions obligés, à chacun de nos
repas, de manger un tiers de nos besoins quotidiens est, certes, une idée
amusante mais essentiellement fausse. Je vous rappelle tout de même que
l’humanité a parfaitement survécu jusqu’à nous en se nourrissant de
légumes en été et de féculents en hiver. Nous devrions donc pouvoir nous
en sortir en nous abstenant de consommer durant quelques jours des fruits
et des laitages.
Au bout du compte, vouloir équilibrer son alimentation en s’imposant à
chaque repas la présence de tous les groupes d’aliments finit par imposer au
mangeur une contrainte qui l’incitera, là encore, à manger sans tenir compte
de ses sensations alimentaires. Et parfois, bien plus qu’il n’en a besoin.
Alors que sa faim lui indiquerait de se contenter d’un morceau de fromage
et d’une salade, l’acharné d’équilibre s’astreindra à ajouter une viande et un
féculent pour compléter son repas.

Je ne maigrirai pas si mes repas sont déséquilibrés


Examinons ensemble cette nouvelle règle de « bon sens » qui nous
affirme que « pour maigrir, il faut faire des repas équilibrés ».
L’entrée conseillée est une montagne de légumes, de salade avec un peu
d’huile, de crudités ou un potage […]. Le plat est composé de viande et
d’un féculent sans ajout de beurre et sans frites. Le dessert est un yaourt
(même aux fruits, même sucré), un fruit ou un sorbet.

Question : si mes repas sont « déséquilibrés », pourrai-je maigrir


seulement en les équilibrant ?
Pour beaucoup de personnes « faire un repas équilibré » n’a pas une
signification bien précise, on les comprend. Pour d’autres, cela consiste à
manger un peu de tout. Ce qui d’ailleurs dans l’esprit de la plupart signifie
« de tout sauf des graisses et des sucres rapides ». Les nutritionnistes,
conscients de cette difficulté, proposent généralement des moyens
mnémotechniques simples pour construire des repas équilibrés. Ils
suggèrent le plus souvent d’associer dans chaque repas plusieurs groupes
d’aliments et, bien souvent, de limiter la consommation de graisses et de
sucres rapides.

« Repas équilibré »
1. Légumes verts cuits ou crus
2. Féculents
3. Poissons, viandes ou œufs
4. Laitage
5. Éventuellement un fruit
Nous pouvons donc compléter maintenant notre question : si mes repas
ne comprennent pas tous ces groupes d’aliments et aucun autre, suis-je
exposé à grossir ? Ou encore, si je décide de respecter cette
recommandation, et seulement cette recommandation, pourrai-je maigrir ?
Si nous reprenons notre menu 1, qui respecte cette recommandation, et
que nous le comparons à un menu identique dans sa composition mais d’un
niveau énergétique supérieur, pensez-vous qu’ils produiront tous les deux le
même effet sur votre poids

Menu 1 Menu 1 « bis »


Salade de crudités Salade de crudités
Poisson à la vapeur Poisson à la vapeur
Ratatouille Ratatouille
Yaourt à 0 % Yaourt à 0 %
750 calories 1 500 calories

On conçoit aussitôt que le simple fait d’équilibrer ses repas ne peut en


aucun cas constituer une garantie de minceur. Tout aussi « équilibré » le
menu 1 « bis » apporte deux fois plus de calories et expose, bien
évidemment, à un risque plus important de surpoids. En mangeant
« équilibré » mais au-delà de ses besoins énergétiques une personne
grossira alors qu’en mangeant « équilibré », mais en deçà de ses besoins,
elle maigrira. La meilleure preuve de l’ineptie de cette affirmation se trouve
à l’intérieur même des manuels de nutrition. On y préconise exactement le
même équilibre alimentaire aux individus maigres qui souhaitent grossir.
Comment peut-on concevoir sans sourciller que ce qui fait maigrir les gros
pourra tout autant faire grossir les maigres ?

Je n’ai aucun aliment « interdit » car je mange ce que je veux


Le fait que vous mangiez des aliments interdits ne prouve en aucune
manière que vous n’avez pas d’interdits. Réalisez plutôt ce petit exercice
mental.
Fermez les yeux et imaginez-vous en train de manger une belle assiette
de courgettes bouillies. Pouvez-vous concevoir que vous êtes en train de
maigrir ?
Faites le même exercice en vous imaginant manger une assiette de
frites. Êtes-vous toujours en train de maigrir ?
Si oui, vous n’avez pas d’aliments interdits.
Si non, l’exercice a simplement prouvé que vous pouvez transgresser
sans grande culpabilité vos interdits.

Le but de tous ces exercices n’est pas de vous apprendre


à manger des aliments « interdits », mais de faire
disparaître l’idée qu’il existe des aliments « interdits ».

Je n’aime pas le chocolat


Peut-être n’êtes-vous pas amateur de chocolat ni de produits sucrés.
Vous êtes davantage attiré par les aliments salés. Et ce sont eux qui vous
exposent au plus grand risque de perte de contrôle. Dans ce cas, vous
pouvez tout aussi bien envisager la substitution avec un repas de chips ou
d’oléagineux (noix, cacahuètes, amandes…).
1. Supprimez votre dîner habituel (environ 750 calories) pendant quatre
jours.
2. Remplacez-le par 60 à 100 g de chips (environ 350 à 600 calories).
3. En cas de faim dans la soirée, mangez une collation de votre choix. Ne
la consommez qu’en cas de faim et essayez de vous arrêter quand la
faim aura disparu.
4. N’oubliez pas de vous peser le premier et le dernier jour de l’exercice.

J’ai peur de ne pouvoir m’arrêter à deux carrés de chocolat


Si vous considérez que cet exercice s’avère trop dangereux pour vous,
s’il existe un risque de ne pas vous arrêter aux deux carrés et de manger
toute la tablette, vous devrez vous entourer de certaines précautions.
Achetez une tablette, mettez de côté les deux carrés nécessaires à l’exercice
et jetez l’autre partie de la tablette. Il vous en coûtera une tablette à chaque
opération. Mais vous récupérerez largement votre investissement. Au bout
de deux, trois ou quatre jours, vous réaliserez que vous devenez capable de
manger vos deux ou trois carrés et de cohabiter en toute paix avec le reste
de la tablette.
1. Achetez une petite tablette de chocolat.
2. Mettez deux carrés de côté.
3. Jetez le reste de la tablette.
Si, malgré ces précautions, l’exercice continue à vous paraître effrayant,
reprenez votre liste des aliments « grossissants », choisissez un aliment
moins dangereux pour vous et tentez une nouvelle substitution moins
difficile. Le but de cet exercice est de vous aider à retrouver du contrôle et
des sensations alimentaires. Il ne doit donc pas dégénérer et augmenter vos
craintes. Abandonnez-le si vous n’y parvenez pas. Vous avez besoin d’une
aide plus sérieuse.

Mon problème, c’est justement que je ne perçois pas la satiété


La plupart des mangeurs restreints se font une idée fausse de leur satiété
ou ne la perçoivent pas du tout. C’est justement leur problème et l’une des
raisons qui les a fait grossir. La satiété ne peut être perçue tant que les
croyances dominent votre comportement alimentaire. Aussi longtemps que
vous penserez qu’il existe des aliments interdits, vos difficultés persisteront.
Les exercices sont précisément destinés à vous prouver qu’il n’en est rien et
à chasser les idées pour laisser les sensations alimentaires retrouver leur
place.

Si je m’arrête quand je suis rassasié, comment pourrai-je maigrir ?


Pour maigrir, il est nécessaire de manger moins de calories. Sur une
longue durée, la plupart des mangeurs restreints mangent plus que ceux qui
se contentent de respecter leurs sensations alimentaires. Dans le chapitre II,
vous avez peut-être constaté que vous mangiez souvent sans faim ou au-
delà de votre satiété. En corrigeant ces dérèglements, simplement en
respectant vos sensations de faim et de satiété, vous obtiendrez
naturellement une réduction calorique. Cette réduction calorique ne peut
que jouer en faveur de votre poids. Il vous suffira ensuite de respecter vos
sensations alimentaires pour vous maintenir à ce nouveau poids sans besoin
d’effort de régime.

Je ne vais pas passer mon temps à compter les calories


Il n’est bien sûr pas question que vous contrôliez vos consommations en
apprenant la teneur en calories de tous les aliments. Il existe dans votre
cerveau un vrai compteur à calories bien plus performant que toutes les
tables de composition des aliments. C’est lui que vous devez apprendre à
faire travailler.

Je trouve abominable de devoir jeter de la nourriture


Moi aussi. Je trouve même cela parfaitement stupide. Il serait bien plus
intelligent de la conserver. Mais c’est justement ce que vous ne savez pas
faire et, par conséquent, plutôt que de ranger vos restes vous les mangez.
Quand vous aurez appris à laisser la part en trop dans votre assiette, vous
pourrez vous épargner de jeter cette nourriture. Nos aïeux avaient un
immense respect pour leurs aliments et ne se seraient jamais autorisés à les
jeter dans une poubelle. C’est bien vrai. Mais ils vivaient aussi à une
époque où les dépenses d’alimentation pouvaient atteindre 40 à 90 % du
budget des ménages. Aujourd’hui elles n’en représentent plus que 17 %. Ils
se donnaient beaucoup de mal pour gagner leur pitance et n’avaient surtout
aucune possibilité de conserver leurs restes. Ce qui n’était pas mangé était
irrémédiablement perdu. Ce n’est plus le cas aujourd’hui où nous pouvons
tous conserver nos aliments pendant plusieurs mois. Apprenez donc à
laisser la part que vous auriez mangée sans faim, à conserver ce qui peut
l’être et à jeter ce qui ne peut pas l’être.
Il est essentiel de réussir à effectuer ce geste, aussi déplaisant soit-il. Le
fait d’en être capable permet de bien marquer au plus profond de soi que la
nourriture ne manque pas. Si je jette des aliments, c’est que je suis vraiment
convaincu que je n’en aurai plus besoin. Que demain, et chaque jour, j’en
trouverai une quantité suffisante à mes besoins. C’est à ce prix que je
pourrai me défaire de l’état de manque. Me persuader qu’il est inutile de
faire des provisions, car demain il n’y aura pas de pénurie.
1- Selon un sondage Ipsos réalisé en 2007 pour l’association
Agriconfiance, les risques liés à l’alimentation arrivent en troisième
position des préoccupations des Français, derrière les risques liés à la
pollution de l’air et de l’eau et ceux liés à l’insécurité et à la délinquance ;
52 % des Français se déclarent, aujourd’hui, inquiets quant aux effets
possibles des aliments sur leur santé.
CHAPITRE VII
Pour en savoir plus :
Le gras ou le sucre font-ils
grossir ?

De nos jours, l’alimentation des Français, comme celle de toutes les


populations des pays développés, est jugée trop riche en graisses ou en
sucre par les experts et ce déséquilibre serait, selon eux, essentiellement
responsable de l’épidémie mondiale d’obésité. Partant de cette idée simple,
il n’y a qu’un pas à franchir pour affirmer qu’il suffirait de manger moins
gras ou de manger moins sucré pour enrayer le fléau mondial.
La théorie moderne de l’obésité s’appuie sur une idée très simple :
réduisons notre consommation de gras et de sucre, augmentons notre
activité physique et nous réglerons le problème de l’obésité. Tous les efforts
des pouvoirs publics et d’un grand nombre de médecins se déploient
actuellement dans ce sens. Régulièrement les pouvoirs politiques parfois
soutenus par quelques corporations médicales suggèrent de taxer les
aliments gras ou sucrés pour en limiter la consommation. Il s’agit d’un
credo mondial qui entraîne les médecins, les industriels de la pharmacie ou
de l’agroalimentaire et les pouvoirs publics de tous les pays à multiplier des
actions visant à limiter la consommation de sucre et de gras des populations
et à les inciter à se dépenser davantage.
Voyons sur quels arguments se fondent ces convictions que rien ne
semble pouvoir ébranler, pas même les échecs retentissants attestés par
toutes les évaluations engagées dans le monde. Pas même non plus les
dernières recherches en nutrition diffusées dans les congrès et les revues
scientifiques à comité de lecture.
Mais nous allons d’abord voir que, dans le passé, d’autres responsables
ont été tour à tour incriminés.
La valse des théories

Toutes les théories ont été tour à tour expérimentées. Le


gras, les sucres, les protéines, les combinaisons
d’aliments, les horaires de consommation des repas…
ont été jugés responsables de l’obésité. En pratique, les
succès temporaires de ces théories ne s’expliquent que
par un seul point commun : elles permettent toutes
d’obtenir une réduction calorique.

Toutes les solutions diététiques préconisées par les générations


successives de chercheurs ont chaque fois été justifiées par des principes
biochimiques imparables et ont systématiquement donné lieu à des dérives
théoriques.

La théorie protidique
Les physiologistes ont montré, depuis déjà longtemps, que les protéines
n’avaient pas la capacité d’être stockées par l’organisme. Certains en ont
aussitôt déduit qu’elles pouvaient donc être consommées en quantité
illimitée. Malheureusement, les biochimistes ont récemment découvert des
voix métaboliques qui permettaient aux acides aminés, éléments de base des
protéines, de se convertir en sucre. Et, comble de malchance, une étude
française a aussi établi l’existence d’une corrélation entre la consommation
de protéines et la fréquence de l’obésité chez l’enfant. Bien qu’à ce jour,
aucun lien de causalité n’ait pu encore être démontré, il n’en a pas fallu
davantage pour que certains préconisent immédiatement de réduire la
consommation de protéines des chérubins.

La théorie glucidique
Les glucides ont été considérés pendant très longtemps comme les
grands responsables de l’obésité. La théorie biochimique de l’époque
voulait que les lipides étaient incapables de se stocker en l’absence de
glucides. Les médecins sérieux ont donc prescrit des régimes sans sucre,
limitant sévèrement pain, féculents et pâtisseries. Mais, très vite, cette
théorie a donné lieu à toutes sortes de régimes farfelus qui en interdisaient
strictement la consommation et préconisaient celle des lipides en quantité
illimitée1. Par conséquent, rien n’interdisait de se gaver de foie gras et de
saucisson à condition, naturellement, de bien vouloir les manger sans pain.
Là encore, les biochimistes sont intervenus en démontrant que l’organisme
était, en réalité, bien incapable de stocker les glucides. Même en grandes
quantités, ils étaient obligatoirement brûlés. C’en était terminé de la théorie
glucidique.

La théorie lipidique
Comme les protéines en excès sont capables d’être converties en sucres
et que les sucres ne peuvent être stockés en graisses, il ne reste plus
aujourd’hui qu’à limiter les graisses comme le suggèrent les théories les
plus récentes de l’obésité. Comme d’habitude, certains n’ont pas hésité à
préconiser des régimes limitant sévèrement les lipides mais autorisant une
libre consommation des deux autres nutriments. En 1998, lors d’un congrès
de nutrition sur l’obésité de l’enfant, un orateur n’a d’ailleurs pas le moins
du monde trouvé dérangeant d’affirmer qu’il n’était pas possible de grossir
en buvant un litre et demi de Coca-cola mais qu’il fallait à tout prix éviter le
moindre excès de graisses. D’autres, à côté du corps médical, n’ont pas
attendu longtemps pour nous inviter à nous gaver de toutes sortes de
féculents à condition de traquer toutes traces de gras.

La théorie des combinaisons


Pour d’autres, ce sont seulement certaines combinaisons qui
s’avéreraient néfastes. Et, par conséquent, une gestion appropriée des
aliments permettrait d’en manger autant qu’on en souhaiterait. Toutes sortes
de combinaisons ont été envisagées. La plus célèbre est celle qui interdit
l’association des lipides et des glucides. Celle-ci, il faut le reconnaître, est
de loin la plus avantageuse puisqu’elle suggère qu’il est possible de
consommer les deux groupes d’aliments en quantité illimitée à condition de
bien vouloir les manger séparément. Cette fois, toujours au nom d’une
présumée science, il sera possible de se gaver alternativement de saucisson
puis de pain.
Tous les médecins nutritionnistes ont rencontré des patients qui avaient
grossi en consommant des quantités excessives de protéines ou de glucides
ou de lipides.

Akim est un sportif très enveloppé depuis qu’il a suivi un traitement


antidépresseur. Depuis plusieurs années, il pratique assidûment la
musculation en se rendant plusieurs fois par semaine dans une salle de
sport pour perdre ses kilos surnuméraires. Il lit également très
attentivement les revues spécialisées qui lui suggèrent de surveiller
minutieusement son alimentation. Malgré tous ses efforts, son poids ne
semble pas décidé à fléchir le moins du monde. En réalité, rien
d’étonnant à cela. Le soir, après ses séances, Akim rentre affamé et
mange des quantités impressionnantes de viandes maigres (jambon à
1 % de matières grasses, blanc de poulet) et de fromage blanc à 0 %.
Tout le monde lui a affirmé qu’il n’était pas possible de grossir en
mangeant des protéines. Akim est donc très perplexe : il pratique une
activité physique intense et ne mange que des aliments qui ne font pas
grossir… et pourtant il ne maigrit pas.

Il est pourtant manifeste qu’imputer la responsabilité de la prise de


poids à un nutriment en particulier ne peut dispenser du contrôle sur les
deux autres. Quelle que soit la théorie sur laquelle on s’appuie, il n’est donc
pas possible ni concevable de faire l’économie des aspects quantitatifs de
l’alimentation. Entre 1970 et 2000, le poids moyen des enfants et des
adultes américains a respectivement augmenté de 4 kg et 8,6 kg du fait
d’une augmentation des apports caloriques de 350 et 500 calories.2

Petite illustration
de l’inconstance scientifique

En 1979, voilà ce que l’on pouvait lire dans un traité de nutrition :


« La réduction calorique globale doit comporter une réduction
préférentielle des glucides et apporter le maximum de protéines. Les
lipides, malgré leur haut potentiel énergétique, sont plus aptes à
entraîner la satiété et leur part relative peut être augmentée2. »
Et voici ce que diraient les nutritionnistes en 2002 :
« La réduction calorique globale doit comporter une réduction
préférentielle des lipides et la part des protéines ne doit pas excéder
15 %. Les lipides, en plus de leur haut potentiel énergétique, sont
moins aptes à entraîner la satiété et leur part relative peut être
réduite. »

Qu’en disent les statistiques ?

À ce jour, aucune statistique n’a jamais permis d’établir


une relation de cause à effet entre l’obésité et la
consommation de graisses ou de sucre.

Les études épidémiologiques permettent de comparer les différentes


populations du monde et d’établir des corrélations entre leur état de santé et
leur mode de vie. Or, en matière de poids et de consommation alimentaire,
le moins que l’on puisse dire est que ces études sont loin de produire des
conclusions convergentes. Les plus significatives montrent effectivement
que l’association entre l’obésité et la consommation de lipides est nette
quand on compare les pays industrialisés avec les pays en voie de
développement mais devient très faible quand on compare entre eux les
différents pays industrialisés3. L’enquête MONICA, réalisée en 1988 par
l’OMS4 dans dix-huit pays d’Europe, non seulement n’a pu établir aucune
relation entre le poids (IMC) et la consommation de graisses et a même
révélé que l’IMC des femmes européennes était plus élevé en cas
d’alimentation pauvre en graisses5. Aux États-Unis, la fameuse étude des
infirmières n’a pas pu identifier de relation entre les apports lipidiques et
l’IMC.
Une autre étude qui cette fois suivait l’évolution d’une population dans
le temps montrait qu’au Danemark, entre 1945 et 1985, la fréquence de
l’obésité avait augmenté chez les jeunes adultes en même temps qu’avait
augmenté leur consommation de graisses. Mais, là encore, aucune
conclusion ne peut être retirée de ce travail. Car, sur un plan statistique,
deux paramètres qui se modifient de manière linéaire avec le temps
montrent toujours une corrélation parfaite dont il est impossible de déduire
un lien de causalité.
En revanche, Lissner et Heitmann ont montré que, sur treize études
analysées, cette corrélation était confirmée onze fois. Les deux auteurs
prenaient toutefois grand soin de souligner qu’il s’agissait chaque fois
d’une relation statistique sans relation de causalité prouvée. En particulier,
rien ne permettait non plus d’exclure l’hypothèse inverse selon laquelle ce
serait l’obésité qui entraînerait une surconsommation de lipides.
Enfin, l’étude historique de la consommation d’aliments dans les pays
développés, sur les deux derniers siècles, permet de se rendre compte que
l’évolution de leur consommation présente partout les mêmes
caractéristiques6. On constate, dans une première phase, une augmentation
de leur ration calorique correspondant à l’accroissement de la
consommation de tous les aliments. Durant cette période, la structure de
l’alimentation est remarquablement stable et essentiellement composée de
glucides (70 %) et très peu de lipides (20 %). Cette situation s’est prolongée
en France jusqu’en 1860. Une phase de transformation de l’alimentation lui
a ensuite succédé au cours de laquelle on a vu alors diminuer la
consommation des produits bon marché tandis que celle des produits plus
chers augmentait. Cette évolution s’est traduite sur le plan nutritionnel par
une diminution de la consommation de glucides et une augmentation de la
consommation de lipides jusqu’à atteindre une part relative pour les deux
nutriments avoisinant chacune 45 %. Dans le même temps, on s’apercevait
que les Français mangeaient moins et réduisaient parallèlement leur
consommation calorique globale. Ce stade de la transformation a été atteint
en France au début des années 1970 et la même évolution a été observée
dans quatre-vingt-cinq pays. Elle semble régulièrement accompagner
l’augmentation des revenus par habitant. Au point que certains ont pu
proposer d’en faire un marqueur du développement économique des pays.
Cependant, depuis cette date, on observe dans plusieurs pays une
nouvelle tendance se dégager au cours de laquelle on voit la consommation
des lipides diminuer et même passer au-dessous du seuil des 40 %. Le
contraste est frappant entre la diminution de la consommation des lipides
rapportée dans différents pays alors même que l’augmentation de l’obésité
se poursuit ou même s’accélère. C’est le cas aux États-Unis où sous
l’impact des campagnes no fat, l’apport en lipides serait passé de 40 à 30 %
de l’apport énergétique au cours des dernières décennies mais aussi dans
différents pays européens comme la Finlande ou chez les enfants français7.
Aux États-Unis entre 1976 et 1991, les apports lipidiques ont diminué de
12,5 % alors que la prévalence de l’obésité a augmenté dans le même temps
de 30 %. Parallèlement cette tendance s’est accompagnée d’une
augmentation de 15 % de la taille des portions8.
Toujours sur le plan historique, on constate en France une diminution
très sensible de la consommation totale de sucre entre 1950 et 1975 (de 26 à
40 kg par an et par habitant) suivie d’une diminution plus légère et d’une
stabilisation de la consommation depuis 1985 à nos jours. Pour les pays
disposant de données utilisables sur les consommations en sucres, peu
d’éléments attestent d’une augmentation de la consommation en sucres au
cours de la période marquée par une augmentation de l’obésité, que ce soit
chez les enfants ou chez les adultes. Pour les chercheurs, il n’existe aucun
argument expérimental ou épidémiologique fort indiquant qu’une
augmentation de la proportion de glucides dans l’alimentation soit un
déterminant important de la prise de poids.
Dans l’ensemble, les études concernant le poids et la consommation de
sucres donnent des résultats beaucoup plus cohérents. La plupart montrent
aujourd’hui des relations négatives : les personnes les moins corpulentes
sont généralement celles qui consomment le moins de sucre. Les personnes
ayant une consommation glucidique élevée ont à la fois une alimentation
plus variée et une activité physique élevée.
Ainsi, s’il est vrai que l’association consommation lipidique et prise de
poids est retrouvée dans certaines études, elle n’en constitue pas pour autant
la règle. Plusieurs études ont rapporté des résultats tout à fait inverses. Et si,
en effet, il existe une relation, aucun lien de causalité n’a pu être démontré.
Seule l’expérimentation pourrait apporter la preuve de ce lien de causalité.
Dans le cas présent, nous devrions nous attendre à ce qu’une diminution de
la consommation lipidique entraîne une réduction de l’obésité. Ce qui est
loin d’être le cas comme le démontrent les études d’intervention.
Quant aux sucres, il est impossible à partir des études épidémiologiques
actuellement disponibles d’affirmer qu’il existe une relation entre leur
consommation et le poids corporel. Nous ne disposons aujourd’hui
d’aucune preuve d’une relation directe entre la consommation de sucres et
le surpoids et dans les études c’est même l’inverse qui apparaît.
Pour tous les experts, il est maintenant clairement établi que seules une
augmentation des apports énergétiques, quelle qu’en soit la nature, peut
expliquer la prise de poids. En mars 2010, l’Agence française de sécurité
sanitaire et alimentaire (Afssa) a même relevé ses recommandations de
consommation des graisses pour la population française entre 35 et 40 % au
lieu des 30 à 35 % précédemment conseillés. Pour l’Agence, la
consommation de lipides n’a pas de lien avec l’obésité, il est donc inutile
d’en limiter la consommation pour d’autres motifs que la santé, notamment
cardio-vasculaires. L’Agence souligne que 30 % des Français ne
mangeraient pas suffisamment gras. Ils se situeraient au-dessous du seuil
des 30 % et seraient exposés à des risques de carences. Mais étrangement,
l’Agence insiste pour que l’on continue à adresser à l’ensemble de la
population française le slogan Manger moins gras. Ainsi nous sommes tous
incités à réduire notre consommation de gras, y compris ceux d’entre nous
qui n’en mangent pas assez.

Qu’en pensent les chercheurs ?

Les arguments physiologiques

Quelle que soit la nature des calories consommées en


excès (glucidique, lipidique ou protidique), elle conduit
à stocker cet excès sous forme de graisses.
Le discours nutritionnel semble totalement disculper les sucres lents et
les protéines et désigner les lipides et les sucres rapides comme les seuls
coupables dans la genèse de l’obésité. Est-il exact que seul l’excès de
lipides ou de sucres rapides puisse entraîner une prise de poids ? Essayons
de comprendre.
La part des protéines est généralement assez stable dans l’alimentation
et se situe aux environ de 15 %. Les 85 % restants se répartissant entre les
glucides et les lipides. On peut donc distinguer deux types d’alimentation
hypercalorique. La première porte sur l’excès de lipides, elle est dite
hyperlipidique. La seconde porte sur l’excès de glucides, elle est dite
hyperglucidique.

Quand les excès portent sur les graisses


Dans cette situation, les apports en glucides coïncident précisément
avec les besoins. Les apports caloriques sont supérieurs aux dépenses de
l’organisme du fait d’un excès d’apports en lipides. Ces derniers seront
systématiquement mis en réserve et entraîneront la prise de poids.

Quand les excès portent sur les sucres


Dans cette situation, les apports en lipides coïncident précisément avec
les besoins. Tandis que les apports en glucides sont supérieurs aux besoins
de l’organisme. Les connaissances actuelles en biochimie permettent de dire
que l’organisme n’a pas la possibilité de stocker cet excédent et doit
obligatoirement le brûler. Cependant, si les besoins d’énergie sont couverts
par la part excédentaire de glucides, une part équivalente de lipides ne sera
pas utilisée pour cette fonction et sera ainsi mise en réserve dans le tissu
adipeux entraînant de ce fait la prise de poids. Il faut également signaler que
de nouvelles études viennent aujourd’hui démontrer que les besoins de
l’organisme en lipides peuvent être couverts par une conversion non
négligeable des glucides en lipides9.
Ainsi, en régime hypercalorique, quel que soit le déséquilibre, lipidique,
glucidique, ou même protéique, la part excédentaire sera toujours stockée
sous forme de lipides dans le tissu adipeux qui constitue la seule forme de
réserve possible pour l’organisme. Il n’est donc pas raisonnable de penser
ou laisser croire qu’une consommation illimitée de glucides n’aurait aucune
conséquence sur le poids. Il n’est plus rare aujourd’hui de rencontrer des
personnes qui limitent leur consommation de lipides et prennent du poids
ou ne parviennent à maigrir du fait d’une augmentation de leur
consommation d’aliments protidiques (yaourts maigres, viandes et poissons
maigres) ou glucidiques (légumes verts, fruits, parfois féculents).

Les arguments sensoriels

Les mécanismes de rassasiement sensoriel sont


défaillants ou inopérants chez les personnes en
restriction cognitive. La conscience du rassasiement
repose essentiellement pour eux sur le phénomène de
distension gastrique.

Les arguments sensoriels sont d’un poids considérable à l’heure actuelle


dans l’incrimination des lipides par rapport aux glucides. Pour diverses
raisons que nous allons comprendre, ils sont considérés par certains auteurs
comme étant moins rassasiants que les glucides et se prêteraient donc plus
facilement à des surconsommations responsables de la prise de poids.

Les graisses n’auraient pas de goût


Les épreuves de dégustation ont montré que la teneur en lipides d’un
aliment pouvait parfois être difficile à percevoir par le mangeur. Quand on
propose des biscuits de composition variable en sucre, lipides et contenu
calorique à des dégustateurs, ils perçoivent très bien les variations de la
teneur en sucre et indiquent avec précision lesquels sont les plus sucrés. En
revanche, il leur est beaucoup plus difficile d’indiquer quels sont les
biscuits les plus gras. Leurs réponses donnent lieu à des estimations très
variables et indépendantes du contenu réel du biscuit.
Faites vous-même l’expérience et testez votre goût
Disposez plusieurs tasses à café sucrées avec des quantités variables
de sucre. Puis exercez-vous à les classer par ordre de sucrosité. Vous
pourrez normalement très vite détecter des variations inférieures à un
quart de sucre (1 gramme). Ce qui signifie que vous êtes en mesure de
détecter une différence de 4 calories. En revanche, si vous faites
l’expérience avec des tartines de beurre vos réponses auront rarement la
même précision. Il est peu probable que vous puissiez mesurer une
différence de 1 gramme de beurre qui apporte pourtant 8 calories.
A. Drewnowski a évalué le plaisir que procurait sur certains sujets la
consommation d’aliments apportant des concentrations croissantes de sucre
et de graisses. Dans le cas des aliments sucrés, le plaisir augmente avec la
concentration de sucre puis atteint un pic pour ensuite diminuer. Les sujets
finissent par éprouver une forme de déplaisir et par trouver les
concentrations de sucre trop élevées à leur goût. Alors que, pour les
aliments apportant des concentrations croissantes de graisses, les sujets
expriment une augmentation continue de leur plaisir, parallèle aux
concentrations. Il semble donc, dans des conditions expérimentales, que ces
personnes soient moins à même de limiter par le système plaisir/déplaisir
leur consommation d’aliments gras que celle d’aliments sucrés. Néanmoins,
ces expériences sont toujours effectuées sur un seul repas et ne tiennent
jamais compte des capacités de régulation des mangeurs lors des repas
suivants, notamment pour des aliments gras. Dans des conditions normales,
rien ne permet de penser qu’une personne qui aurait consommé une trop
grande quantité de graisses à un repas conserverait autant d’appétit au repas
suivant. D’autres expériences laissent penser que, au contraire, une
personne correctement régulée réduirait ultérieurement ses consommations.
Ce qui n’est justement pas le cas des mangeurs restreints.
Au terme de ces expériences, les seuls faits certains sont que le gras est
plus difficilement perceptible au goût et donc capable, uniquement chez
certaines personnes, d’échapper aux capacités de régulation à court terme.
Là encore, il n’est pas possible d’assurer que les lipides sont directement en
cause. Il serait tout aussi possible d’incriminer un déficit des mécanismes
de la régulation.
Jusqu’à aujourd’hui, les chercheurs pensaient que nous étions
incapables de détecter le goût du gras en tant que tel. Nous pouvions
seulement déduire sa présence dans les aliments grâce au changement de
texture qu’il procurait, l’onctuosité, le crémeux, ou grâce à la présence des
molécules aromatiques qui venaient se fixer sur les molécules de gras.
Mais très récemment, des chercheurs japonais ont découvert l’existence
de récepteurs lipidiques au niveau de certaines cellules des bourgeons du
goût. Ils ont pu montrer qu’en l’absence de ces récepteurs les souris ne sont
plus capables de faire la différence entre une solution enrichie en acides
gras et une simple solution aqueuse. De plus, la détection orale des lipides
s’accompagnait de la sécrétion de substances digestives facilitant la
digestion des graisses. Ainsi par des mécanismes, peut-être moins
conscients, nous disposons probablement d’un équipement sensoriel qui
nous permet de détecter la présence du gras, de préparer notre système
digestif à le recevoir et ensuite par des processus d’apprentissage à adapter
notre comportement à la teneur en gras de nos aliments.

Les graisses n’occupent qu’un petit volume


D’autres arguments concernent cette fois le volume qu’occupent les
aliments lipidiques dans l’estomac. Un gramme de lipides apporte 9 calories
alors qu’un gramme de glucides ou de protéines n’apporte que 4 calories.
Une quantité déterminée de calories lipidiques occupe donc une place
moins importante dans l’estomac que la même quantité de calories
glucidiques. Or certains chercheurs, s’appuyant sur des études sérieuses,
pensent que la personne obèse régule sa consommation alimentaire
beaucoup plus en fonction des volumes ou des poids de nourritures ingérées
qu’en fonction de son contenu calorique. Ainsi, quand on propose à ces
sujets une alimentation dont on fait varier la teneur en lipides, on constate
qu’ils ne tiennent pas compte de cette variation mais se contentent de
maintenir un poids de nourriture relativement constant. Ainsi, à poids égal,
plus la nourriture est riche en lipides plus les sujets augmentent leur
consommation de calories. La sensation de plénitude gastrique semblait,
dans la régulation des consommations alimentaires, avoir joué un rôle plus
déterminant que le contenu calorique. De la même manière, quand on
propose à des personnes obèses soit une alimentation apportant peu de
calories sous un grand volume soit beaucoup de calories sous un petit
volume, on constate que les sujets sont portés à consommer un poids
constant d’aliments plutôt qu’une ration calorique constante10. À l’opposé,
les personnes non obèses règlent leur consommation non pas sur le volume
mais bien sûr le contenu calorique. Et, pour confirmer ce que j’évoquais
précédemment, ils se révèlent parfaitement capables de compenser une
augmentation du contenu calorique de leur repas en réduisant le contenu
calorique du ou des repas suivants.
Tous ces travaux attirent donc l’attention sur une anomalie de la
personne obèse qui, contrairement au non-obèse, assimile le rassasiement à
la sensation de distension de son estomac. Tout se passe, dans sa façon de
manger, comme si son organisme renonçait à comptabiliser des calories
pour les remplacer par des centimètres cubes. Cela ne va évidemment pas
sans rappeler le comportement du mangeur restreint qui, ne percevant plus
son rassasiement, ne s’arrête de manger qu’au moment où la sensation de
plénitude gastrique le rappelle à l’ordre. Certains chercheurs ont donc
rapidement conclu que la solution au problème de l’obésité pourrait
consister à diminuer la densité de l’alimentation en augmentant son volume
par adjonction de fibres alimentaires et réduction de sa teneur en graisses.
En pratique, cela revient encore à préconiser la consommation de grandes
quantités de légumes et à limiter celle des aliments riches en lipides. Bien
des personnes en difficulté avec leur poids, conscientes de leur difficulté à
réguler la consommation d’aliments riches, adoptent déjà ce comportement
comme un moyen inconscient de réduire leur consommation calorique.

Martine, 53 ans, explique ses choix alimentaires : « Je sais que j’ai


assez mangé quand j’ai le ventre plein. Je préfère donc manger des
légumes car si j’en mange de grandes quantités les conséquences ne
seront pas trop graves. En revanche, si je mange des aliments riches
comme des pommes de terre sautées j’en mangerai autant que des
légumes et je suis sûre de prendre un kilo. »

Les graisses ou les sucres : lesquels sont les plus rassasiants ?


Pour mieux comprendre ce dont nous allons parler, il nous faut d’abord
distinguer le pouvoir rassasiant et le pouvoir satiétogène d’un aliment.
L’aliment rassasiant est celui qui « cale » très vite, il est familièrement
« bourratif » et empêche de continuer à manger beaucoup. Il n’empêche pas
la faim de revenir assez vite. Ce serait, par exemple, un morceau de pain
très compact. L’aliment satiétogène, quant à lui, calme la faim pour une
longue durée. Ce serait, par exemple, une bonne tranche de foie gras. Ainsi
chaque aliment peut être plus ou moins rassasiant et plus ou moins
satiétogène.
Pour beaucoup d’auteurs, les lipides présenteraient le grand défaut de
ne pas calmer la faim. Ils ne seraient pas satiétogènes. Certains pensent
qu’ils le seraient simplement moins que les glucides, d’autres qu’ils ne le
sont même pas du tout. Au point, selon eux, qu’un repas ordinaire calmerait
ni plus ni moins la faim que le même repas additionné d’une motte de
beurre. Ou encore qu’un sandwich au foie gras ne calmerait pas mieux la
faim qu’un sandwich à la tomate. Cette conclusion a été présentée très
sérieusement lors d’un respectable congrès de nutrition à l’École de
médecine de Paris. La question est véritablement d’importance. Car si les
graisses ne sont pas satiétogènes, le mangeur s’expose alors à consommer
de grandes quantités de calories sans même s’en rendre compte et se met
réellement en danger de grossir dès qu’il mange ce type d’aliments. Ces
conclusions sont en parfaite contradiction avec les travaux réalisés sur les
aliments allégés en graisses.
La plupart des expériences sur le pouvoir satiétogène des aliments
utilisent généralement deux protocoles. Le premier mesure l’intervalle entre
deux repas. On propose à une personne un menu d’une composition et d’un
niveau calorique connus et on mesure le temps au bout duquel le sujet
ressent de nouveau sa faim. Le second s’effectue en fixant les horaires des
repas et étudie l’effet d’un repas de composition et de niveau calorique
connus sur la composition et le niveau calorique du repas suivant. La
consommation d’un premier repas copieux devrait normalement entraîner
une diminution calorique au repas suivant. Une autre manière de procéder
consiste à faire consommer une précharge, plus familièrement une entrée,
dont la composition est connue et d’observer le profil du repas qui suit
immédiatement la précharge.
Ces expériences ont permis de réaliser que les nutriments n’entraînaient
pas les mêmes conséquences sur la satiété et ont abouti à deux types
d’observations.

Tout d’abord, dans les suites immédiates du repas, les différents


nutriments n’exercent pas leurs effets en même temps11. Les premiers à
agir sont les glucides qui calment la faim le plus rapidement mais pour une
courte durée. Ils rassasient vite mais disposent d’une satiété courte. Sans
doute en raison de leur évacuation rapide de l’estomac et de la rapidité avec
laquelle ils sont ensuite métabolisés par l’organisme. Ils sont suivis, en
position intermédiaire, par les protéines et accessoirement l’alcool. Et enfin,
les derniers à agir seraient donc les lipides sans doute en raison de leur plus
grande densité énergétique qui ralentit la vidange gastrique. Ils mettent plus
de temps à rassasier, mais calment la faim pour une durée plus longue.
Chacun pourra se rapporter à sa propre expérience et se rappeler qu’un
repas même copieux mais composé de pain et de légumes, s’il remplit bien
l’estomac, ne calme pas la faim bien longtemps. Alors qu’un excès de foie
gras, bien qu’il n’occupe guère une grande place dans l’estomac, calme la
faim pour une plus longue durée. Dans la vie quotidienne, tous ces
nutriments sont habituellement réunis au sein d’un même repas et
exerceront successivement et chronologiquement leurs effets sur la satiété,
de façon à produire un confort dès la fin du repas et pendant les heures qui
suivront.

Cependant, quand on observe le phénomène sur une période plus


longue, c’est-à-dire à distance du repas ou même sur plusieurs repas, on
finit par réaliser que les effets satiétogènes sont proportionnels à la quantité
de calories apportée et non plus à la nature de ces calories. La charge
énergétique d’un aliment devenant ainsi le déterminant le plus puissant de
son pouvoir satiétogène. C’est pourquoi les légumes, qui occupent un grand
volume, mais contribuent très peu aux apports caloriques, possèdent une
action de courte durée sur la satiété. Ils rassasient vite, mais ne nourrissent
pas et sont donc suivis d’un retour rapide de l’état de faim. Dans une
importante monographie sur le sujet, France Bellisle finit par conclure
qu’une alimentation riche en glucides ou en lipides, à ration calorique égale,
est aussi satiétogène. Ainsi du fait de son volume important, une
alimentation très glucidique facilitera le rassasiement à court terme. Mais
du fait de son faible apport calorique, elle sera peu satiétogène.
En pratique, moins les repas sont nombreux, plus les menus doivent être
riches en calories, peu volumineux et très satiétogènes. À l’image des
grands fauves qui se nourrissent une fois par jour. À l’inverse plus les repas
sont nombreux, plus les menus peuvent être pauvres en calories,
volumineux et peu satiétogènes. À l’image des herbivores qui passent la
journée à se nourrir.

Pour terminer, il est difficile de ne pas évoquer une dernière expérience.


Quand une même quantité de calories lipidiques ou glucidiques est
administrée directement dans l’estomac par le moyen d’une sonde
intragastrique, on constate qu’elles possèdent toutes deux le même pouvoir
satiétogène12, alors qu’il était admis par beaucoup que les glucides
absorbés oralement présentaient un pouvoir satiétogène supérieur à celui
des lipides. Cet effet serait directement lié à leur charge énergétique et à
leur action spécifique avec des récepteurs de l’intestin grêle et serait sans
rapport avec la distension gastrique. Car, au contraire, une préparation d’eau
salée de même volume et qui produirait la même distension de l’estomac
n’aurait quant à elle aucun effet satiétogène. Au bout du compte, cette étude
démontre que l’on peut se remplir le ventre d’eau salée, on ne s’en trouve
pas nourri pour autant. Les auteurs de cette étude suggèrent alors que les
différences observées entre les glucides et les lipides seraient dues aux
facteurs sensoriels et cognitifs13.
Autrement dit, s’ils passent directement dans l’estomac, sans que le
sujet puisse identifier le goût de l’aliment ni avoir aucune connaissance
préalable de ce dernier, les glucides et les lipides produisent le même effet
sur la satiété. Mais quand ils passent par la bouche et sont détectés par
l’analyseur sensoriel et que le sujet sait ou croit savoir ce qu’il mange, leur
pouvoir sur le rassasiement s’en trouve modifié. Il semble donc que
l’anomalie se situe au niveau de la reconnaissance de l’aliment et du
traitement de cette information par le cerveau. Bref, la conscience de ce
qu’on mange modifie le pouvoir rassasiant de l’aliment. Il s’agit là d’une
expérience essentielle qui corrobore parfaitement celle d’Herman et Polivy
sur le phénomène de désinhibition déclenché quand on laisse croire au sujet
qu’on lui fait manger des aliments caloriques.
En fin de compte, les études démontrent que les lipides sont tout aussi
satiétogènes que les glucides et sont soumis à une régulation tout aussi
efficace. En revanche, ce que pense le mangeur de ses aliments peut venir
perturber son rassasiement. Ce sont donc là encore les facteurs cognitifs qui
interviennent comme agents dérégulateurs. Cela nous renvoie à une autre
dimension de la nourriture que nous verrons plus loin et qui est cette fois le
pouvoir réconfortant de l’aliment. Quoi qu’il en soit, les lipides sont
parfaitement rassasiants quand le mangeur est régulé.

Qu’en pensent les nutritionnistes ?


Sur le plan nutritionnel, pour maigrir, il y a trois
conditions essentielles à respecter : les calories, les
calories, les calories.

En 2008, une étude essentielle concernant l’avantage d’un éventuel


régime par rapport à tous les autres a été publiée dans le New Englang
Journal of Medicine. Les auteurs ont voulu comparer l’efficacité des quatre
régimes les plus prescrits dans le monde. Chacun des régimes étant
représentatif d’un mode de restriction spécifique : hypolipidique,
hypoglucidique, hyperprotidique et hypocalorique global. Ils ont réparti
800 personnes en quatre groupes auxquels ils ont retiré 750 calories selon
les modalités de chacun des régimes. Dans les quatre groupes, la perte de
poids s’est révélée identique au bout d’un an ainsi que la reprise du poids au
bout de deux ans. Le seul fait de soustraire des calories avait permis
d’obtenir une perte de poids. La conclusion des auteurs était donc que
l’efficacité à court terme des quatre régimes était équivalente et qu’il était
donc inutile de se battre pour savoir s’il était plus judicieux de retirer les
viandes, les pâtes ou le fromage. Le seul conseil que l’on pouvait adresser
pour garantir l’efficacité du régime sur le long terme était de bien s’y
accrocher et de ne plus le lâcher une fois commencé.
Certains nutritionnistes n’ont pas hésité à donner de leur corps pour
démontrer la véracité de leur conviction. On se rappelle de Morgan
Spurlock qui a voulu prouver l’impact négatif de la malbouffe (junk food)
sur l’obésité. Spurlock a donc décidé de mener l’expérience sur lui-même.
Sous la surveillance attentive de trois médecins, il s’oblige à manger chez
McDonald’s pendant un mois et décide de réduire son activité physique en
utilisant le taxi le plus souvent possible pour ne pas dépasser un maximum
de cinq mille pas par jour correspondant au déplacement d’un Américain
moyen. Il s’impose également les quatre règles suivantes :
— il doit manger ses trois repas quotidiens chez McDonald’s ;
— il doit essayer chaque plat de chez McDonald’s au moins une fois ;
— il ne doit manger que les aliments figurant sur le menu. L’eau (en
bouteille) étant au menu, il a le droit d’en boire ;
— il doit prendre l’option « Super Size » (taille maximale) chaque fois
qu’on la lui propose.
Au bout d’un mois, Spurlock a grossi de 11 kg, endommager son foie et
augmenter son cholestérol de 0,65 g par litre de sang. Il lui a fallu un an
pour retrouver son état de santé initial. Tout heureux de sa démonstration,
Spurlock réalise un film diffusé dans le monde entier sous le titre Super Size
Me qui prétend ainsi prouver la nocivité de la junk food en général et de
McDonald’s en particulier. Mais, dans sa campagne anti-McDo, Spurlock
oublie régulièrement de mentionner le détail essentiel : il a consommé
5 000 calories par jour pendant un mois !

À l’opposé, avec peut-être moins de publicité, Mark Haub, professeur


de nutrition à l’université du Kansas, a testé un régime à base de chips
mexicaines, de biscuits au chocolat et à la crème, de céréales sucrées et
autres snacks prohibés avec horreur par tous les habituels faiseurs de
régime. Le scientifique voulait ainsi démontrer que dans le cadre d’un
régime, c’est davantage le nombre de calories ingérées qui compte que leur
composition. Il s’est ainsi limité à consommer 1 800 calories de junk
food par jour et a perdu pas moins de 12 kg en dix semaines !
On pourrait objecter que le poids n’est pas le seul élément à prendre en
compte en matière de régime, qu’il faut aussi tenir compte du taux de
cholestérol et de triglycérides par exemple. Eh bien, une analyse sanguine a
révélé que ces indicateurs s’étaient améliorés durant son régime. Même son
pourcentage de masse grasse avait diminué.
Pour autant Mark Haub ne recommande pas de faire un tel régime.
Revenant à son alimentation habituelle, il voulait simplement démontrer
qu’il était parfaitement possible de perdre du poids, et même beaucoup, tout
en consommant de grandes quantités de prétendue junk food.
La conclusion des études et de ces deux expériences insolites est
naturellement que seules les calories ont le pouvoir de faire maigrir ou bien
grossir.

Que se passe-t-il quand on réduit les graisses ?


La réduction des graisses n’a jamais empêché personne
de grossir. Le maintien des graisses n’a jamais empêché
personne de maigrir.

Seule l’expérimentation peut apporter la preuve d’une théorie. Ainsi, si


l’hypothèse lipidique s’avère exacte nous devons nous attendre à ce qu’une
réduction des graisses entraîne une diminution significative de l’obésité.
Comme la plupart des traitements et des campagnes d’information actuelles
préconisent la réduction des matières grasses, les chercheurs se sont livrés à
des évaluations de ces traitements afin d’en apprécier l’efficacité. Il faut
admettre que les résultats se sont révélés particulièrement décevants. Je
vous propose que nous les passions ensemble en revue.

Régime sans gras contre régime sans sucre14


Nous avons vu les expériences tentées par les nutritionnistes, on peut
encore rappeler cette dernière. Quand on propose des régimes de même
niveau calorique (1 000 calories par jour) soit pauvre en graisses (26 % de
lipides et 45 % de glucides) soit pauvre en glucides (53 % de lipides et
15 % de glucides), on observe dans les deux cas une perte de poids
identique. Aucun des deux régimes ne s’avère plus efficace.

Diminuez le gras et mangez ce que vous voulez


De nombreux traitements reposent sur de simples conseils de réduction
des matières grasses tout en préconisant une absence de contrôle sur les
autres nutriments. Il s’agit de régimes hypolipidiques sans surveillance
particulière des calories. Même en limitant la part des lipides à seulement
15 % de l’alimentation15, la perte de poids observée se situe aux alentours
de 0,5 à 1 kg par mois pendant quelques mois. Et malheureusement, cette
perte de poids ne se maintient pas à long terme16.
À quoi servent les campagnes d’information ?
Les campagnes de santé publique ont l’ambition de modifier les
comportements mauvais pour la santé. À cette fin, la France est dotée
depuis 2001 d’un Programme national de nutrition et de santé (PNNS).
Incontestablement, les messages ont bien été entendus par les Français.
Pour votre santé, mangez 5 fruits et légumes par jour ou Pour votre santé,
mangez moins gras, moins sucré, moins salé ont une très forte notoriété. Ce
qui signifie qu’un nombre important de Français les connaît très bien. Dans
le même temps, les Français semblent aussi avoir bien intégrés les messages
et, relativement, ils en tiennent compte. Comme nous l’avons mentionné, la
consommation de graisses et de sucre diminue sensiblement depuis
plusieurs années. Pour autant, l’obésité, elle, n’a pas diminué. Elle a
augmenté. Le PNNS s’était fixé de faire diminuer l’obésité de 20 %.
Entre 2000 et 2009, elle a augmenté de 50 % !
On constate que les campagnes d’information permettent effectivement
la diffusion de certains messages et que ces messages peuvent même
aboutir à des changements de comportements. Mais, en revanche, elles
n’agissent pas obligatoirement sur les paramètres de santé, le poids, que
l’on souhaite modifier.
Les campagnes d’information ont largement contribué à diaboliser les
aliments gras et sucrés et à augmenter l’anxiété alimentaire. Ce qui, sans
aucun doute, contribue à perturber les comportements alimentaires, les
sensations alimentaires et les systèmes de régulation du poids.
Il est grave de dire que les messages délivrés par les pouvoirs publics
sont scientifiquement faux. Pour maigrir, il ne suffit pas de manger moins
gras ou moins sucré. Mais manger moins tout court. Et de tout.
Mais comment revenir en arrière. Même l’AFSSA qui a augmenté ses
recommandations de consommation des lipides et qui constate que 30 %
des Français en consomment insuffisamment n’ose pas remettre en question
le message Mangez moins gras pour ne pas déjuger ses homologues du
PNNS.

Lors d’une étude sur les enfants diabétiques, les auteurs ont même
constaté que les enfants les plus gros étaient ceux qui consommaient le plus
de fruits et de légumes. Et que l’insulino-résistance était négativement
corrélée à la consommation de gras. Tout simplement, parce que, à force de
messages, les enfants réduisent leur consommation de gras et de sucre et
mangent plus de fruits et de légumes. Qui lorsqu’ils sont surconsommés les
font grossir. Ainsi, les aliments « bons » finissent par se transformer en
aliments « mauvais ».

Plusieurs observations démontrent qu’il est possible de perdre du poids


sans pour autant réduire les graisses
• Les amphétamines ou coupe-faim ont permis à beaucoup de personnes
de maigrir sans pour autant changer quoi que ce soit à la composition de
leur alimentation. Elles entraînent, par leur mode d’action
pharmacologique, une diminution de la faim et donc une réduction globale
des apports alimentaires responsable de la perte de poids.

• Tous les nutritionnistes ont encore le souvenir des anciens régimes


« équilibrés », riches en lipides, aujourd’hui classés dans les
« déséquilibrés », qu’ils prescrivaient il y a vingt ans et qui faisaient maigrir
tout aussi bien que les nouveaux régimes « équilibrés » actuels, pauvres en
lipides. J’ai moi-même, durant mes dernières années à l’hôpital, largement
prescrit ce type de régime et mes patients n’avaient pas plus de difficultés à
maigrir qu’avec les régimes sans graisses que je leur ai prescrits dans mes
premières années d’exercice.
Enfin, la chirurgie de l’estomac prouve, s’il en était encore besoin, que
la perte de poids est simplement due à la diminution des apports caloriques.
La réduction du volume de l’estomac impose une réduction des apports
alimentaires à l’origine de la perte de poids sans modifier pour autant la
composition de l’alimentation.

Finalement, que doit-on penser de la limitation des graisses ou du sucre ?


En 1997, l’APRID17 a réuni à Paris les plus éminents spécialistes
français et étrangers de la nutrition autour d’un congrès sur la masse
grasse18. Les conclusions de leur réflexion exposées par le Pr Prentice, de
l’Université de Cambridge, étaient les suivantes :
• Lorsque l’homme consomme des aliments à teneur réduite en lipides,
il s’autorise souvent ensuite une attitude de consommation permissive qui,
ainsi, lui fait perdre le bénéfice attendu. Les personnes doivent donc
comprendre qu’il est nécessaire de réduire l’apport énergétique.
• Le message simple portant sur la réduction des lipides est insuffisant
pour entraîner une perte de poids significative.
• Il est indispensable de faire comprendre au public et aux personnels de
santé l’infaillibilité de la balance énergétique et la nécessité de réduire
l’apport calorique. Le recours à des aliments pauvres en lipides [entraîne la
perte de poids parce qu’il] facilite la réduction de l’apport calorique.

Voilà qui a le mérite d’être clair et de trancher avec le discours magique


où les mauvais lipides sont responsables de tous les kilos excédentaires et
où les bons aliments, innocentés de tout, peuvent être consommés en toute
liberté sans entraîner la moindre conséquence pondérale.
Les études épidémiologiques ne démontrent rien d’autre qu’une
corrélation inconstante entre la consommation de lipides et le poids et
l’absence de corrélation entre la consommation de sucre et le poids. Et la
plupart des expérimentations ne viennent pas confirmer l’existence d’un
lien de causalité. Les campagnes d’intervention ont permis d’obtenir une
diminution de la consommation lipidique et de sucre, mais n’ont pas été
accompagnées, comme il était logique de s’y attendre, par une diminution
de l’obésité. La physiologie nous explique que tout excès calorique
conduira à une augmentation de la masse grasse et donc du poids. Et qu’il
est par conséquent illusoire de limiter les graisses ou le sucre sans tenir
compte du devenir des autres nutriments. On constate que l’obésité ne cesse
de progresser aux États-Unis alors que la consommation de lipides a été
réduite de 10 % mais que dans le même temps la taille des portions servies
a augmenté et que les apports caloriques ont progressé de 15 %. La
neurophysiologie nous apprend que les lipides exercent sur la satiété un
effet identique à celui des glucides et qu’ils sont tout aussi bien régulés
quand les facteurs sensoriels et cognitifs n’interviennent pas. En revanche,
les personnes en restriction cognitive présentent assurément un trouble du
rassasiement et ne parviennent plus à ajuster leur consommation à leurs
besoins. Elles ne savent plus quand s’arrêter de manger et préfèrent donc
s’orienter vers des aliments qui occupent un grand volume dans l’estomac,
ce qui leur imposera de s’interrompre quand leur estomac sera plein.
Toutes les personnes ayant une alimentation hyperlipidique ne sont pas
obèses, loin de là. La majorité des personnes ayant une alimentation sucrée
ont même un poids normal. Beaucoup de personnes minces mangent aussi
gras, même plus, que certains obèses qui surveillent attentivement leurs
apports lipidiques et pourtant ne perdent pas de poids. La génétique n’est
pas responsable de tout. En revanche, il est évident que certains individus
qui mangent gras ou sucré pourront devenir obèses si cette consommation
s’associe à une surconsommation calorique. Il est incontestable que cette
surconsommation calorique peut en grande partie être facilitée par les
difficultés que présentent certaines personnes à réguler leurs apports
caloriques. Il semble que cette anomalie s’inscrive au centre de la
problématique pondérale. C’est donc beaucoup plus le trouble de cette
régulation que la simple consommation de lipides ou de sucre qui devrait
devenir l’objet des recherches à venir. Et c’est donc sur les causes de cette
dérégulation que j’ai été amené à me questionner pour en trouver les
raisons. Tout particulièrement, celles sur lesquelles il était possible d’agir
cliniquement. Si certaines causes biologiques existent, il ne fait plus de
doute pour moi que la plus grande part de ces raisons est à rechercher dans
les sphères sensorielles, cognitives et psychologiques du comportement
alimentaire.

1- Le régime Atkins préconisait de telles quantités de gras qu’il fut


nommé Passeport pour l’infarctus.

2- « L’obésité en pratique quotidienne », Médicorama, 233, 1979.

3- Lissner L., Heitmann B. L., « Dietary fat and obesity : Evidence


from epidemiology », European Journal of Clinical Nutrition, 49, 1995,
p. 79-90.

4- Organisation mondiale de la santé.


5- WHO, « Geographical variation in the major risk factors of coronary
heart disease in men and women aged 35-64 years », WHO Health
Statistical Quarterly, 1988, 41, p. 122-123.

6- Combris P., « La consommation d’aliments et de nutriments en


France et dans les pays développés », in « Évolution des consommations et
des comportements alimentaires », La Lettre scientifique de l’Institut
français pour la nutrition, no 56, 1998.

7- Bergouignan A., Blanc S., Simon C., « Calories et obésité : quantité


ou qualité », Cah. nut. diet., 45, 2010, p. 155-216.

8- Heini A., Weinsier R., « Divergent trends in obesity and fat intake
patterns : The american paradox », The American Journal of Medicine, 102
(3), 1997, p. 259-264.

9- Hirsch J., Hudgins L. C., Leibel R. L., Rosenbaum M., « Diet


composition and energy balance in humans », Am. J. Clin. Nutr., 67, 1998,
551S-555S.

10- Duncan K., Bacon J., Weinsier R., « The effects of high and low
energy diets on satiety, energy intake, and eating time of obese and non-
obese subjects », Am. J. Clin. Nutr., 37, 1983, p. 763-767.

11- Green S. M., Delargy H. J., Joanes D., Blundell J. E., « A satiety
quotient : A formulation to assess the satiating effect of food », Appetite,
29, 1997, p. 291-304.

12- Manger un aliment coupe la faim pour un certain temps et


détermine un état de satiété. Plus ce délai est important plus le pouvoir
satiétogène de cet aliment est élevé.

13- Cecil J. E., Castigione K., French S., Francis J., Read N. W.,
« Effects of intra-gastric infusions of fat and carbohydrate on appetite rating
and food intake from a test meal », Appetite, 30, 1998, p. 65-77.
14- Golay A., Allaz A. F., Morel Y., De Tonnac N., Tankovs S.,
Reaven G., « Similar weight loss with low or high-carbohydrate diets »,
Am. J. Clin. Nutr., 63, 1996, p. 174-178.

15- L’alimentation moyenne des Français apporte 38 % de lipides.

16- Shah M., McGovern P., French S., Baxter J., « Comparison of a
low-fat ad libitum complex-carbohydrate diet with a low-energy diet in
moderately obese women », Am. J. Clin. Nutr., 59, 1994, p. 980-984.

17- Association des praticiens pour l’information en nutrition et


diététique.

18- Messing B. et Billaux M. S. (dir.), La Masse grasse. Aspects


physiopathologiques, Arnette, 1998.
CHAPITRE VIII
Mes émotions
me rassasient

Si vous n’avez pas rencontré de difficultés majeures au cours des


différentes étapes que nous avons franchies votre comportement alimentaire
a dû déjà beaucoup se transformer.
1. Vous percevez vos sensations alimentaires de manière plus précise. En
particulier, vous distinguez la faim de l’envie de manger et savez
reconnaître le moment du rassasiement.
2. Vous mangez beaucoup le matin ou beaucoup le soir selon votre faim.
Et vous choisissez vous-même de manger ou de ne pas manger quelle
que soit l’heure de la journée.
3. Vous avez commencé à maigrir en mangeant tous les aliments que
vous aimez sans vous culpabiliser.
4. Vous ne vous posez que des questions de vrais mangeurs : ai-je faim,
est-ce bon, ai-je assez mangé ? Sans vous préoccuper le moins du
monde du contenu des aliments en gras, sucre ou quoi que ce soit
d’autre.
5. Vous mangez moins qu’avant et vous n’en éprouvez pas davantage la
faim.
En revanche, il est possible que vous ne parveniez pas toujours à tenir
compte de vos sensations. Et ce sont surtout des émotions qui vous font
manger au-delà de votre faim. Puisque nous sommes entre nous, laissez-
moi vous faire une confidence et vous raconter une anecdote personnelle.
Voyez-vous, écrire un livre occupe beaucoup de temps et vous empêche de
faire tout un tas d’autres choses. De sorte que la fin est toujours vécue
comme un certain soulagement. Aussi, quand un mois avant de rendre mon
manuscrit, Catherine Meyer, mon éditrice, m’a demandé d’en revoir une
partie importante, bien que trouvant ses remarques très justifiées, j’ai été
pris d’un grand mouvement de mauvaise humeur. Aussi, ce jour-là, autant
découragé qu’en colère, j’ai décidé que je ne travaillerai plus et je suis allé
chez Gérard Delépine, le pâtissier de notre ville, lui acheter l’un de ses
nouveaux gâteaux au chocolat. Gérard Delépine est un amoureux du
chocolat, il vous le marie avec tous les parfums du monde et vous le décrit
sous des facettes inconnues du plus blasé des gastronomes. Ce jour-là, je lui
ai demandé un malgache, une petite génoise au chocolat fourrée d’une
crème au chocolat et recouverte d’une mousse au chocolat noire. Je suis
rentré à la maison, ai débouché une bouteille de sauternes et dégusté tout
cela, seul, blotti dans mon canapé sur un fond de musique baroque. Enfin
un peu de douceur dans ce monde de brutes. Vous n’imaginez pas à quel
point je me suis senti réconforté. J’allais beaucoup mieux. Mes aliments
avaient produit des émotions positives et chassé ma colère et mon
découragement. Deux heures après, j’ai dû expliquer à ma femme que je
n’avais plus aussi faim que d’habitude. Je me suis toutefois installé à table
avec elle, j’ai dîné légèrement et nous avons discuté de mon livre. Voilà
comment les émotions négatives font manger un nutritionniste averti et
comment il parvient à se réconforter sans grossir avec ses aliments préférés.
Quant à vous, savez-vous que votre personnalité et vos émotions
passionnent depuis toujours les médecins et les psychologues au plus haut
point ? Elles sont pour eux un véritable mystère. Ils se sont longtemps
convaincus que vous ne deviez pas être tout à fait comme tout le monde.
Dans votre dos, on vous a affublés de tous les noms, crédités de toutes les
théories, affectés de toutes les mauvaises mères. Mais il faut bien le
reconnaître, vous n’êtes pas très coopératifs. Vous ne voulez entrer dans
aucun tiroir. Pour maigrir, on vous demande de moins manger, mais à
chaque petite contrariété, vous vous jetez sur la nourriture comme la misère
sur le monde. Comment voulez-vous qu’on vous aide si vous n’y mettez pas
un peu de bonne volonté ? Vous n’êtes vraiment pas très raisonnables.
Votre gros défaut serait votre obstination à chercher du réconfort dans la
nourriture. Certains ont donc imaginé que la solution serait de vous
débarrasser de tous vos petits soucis. Vous perdriez ainsi les mauvaises
raisons qui vous font manger. Figurez-vous que j’ai imaginé une autre
solution. Après tout, une théorie de plus ou de moins, vous n’en irez pas
plus mal. J’ai décidé que j’allais plutôt vous aider à vous réconforter en
mangeant. Et en prime, vous aider aussi à perdre du poids.

Le goût, le rassasiement et les émotions


C’est entendu, les émotions nous font manger. Mais avez-vous constaté
que, de leur côté, les aliments avaient la faculté de nous procurer des
émotions ? Quand nous les apprécions, ils nous contentent. Ils nous
procurent de la satisfaction, de la joie, de l’extase. Quand, à l’inverse, ils
nous déplaisent, ils peuvent entraîner de la déception, de la frustration ou
même de la colère. Il s’agit bien là d’émotions, positives ou négatives,
induites par les aliments eux-mêmes. Le mangeur en paix avec sa nourriture
choisira naturellement de manger ceux qui lui procureront des émotions
positives. Il préférera évidemment éviter ceux qui le déçoivent ou le mettent
en colère. Eh bien, ces émotions positives induites par les aliments nous
intéressent au plus haut point car elles participent au rassasiement.
L’individu qui apprécie sa nourriture se rassasie davantage. Quand un repas
nous satisfait et que l’on sait que l’on n’en sera jamais privé, il est très
facile de s’arrêter de manger au moment où l’on sent que l’on est rassasié.
Tandis que les aliments qui produisent des émotions négatives ne rassasient
pas vraiment.
Les exercices qui suivent portent à la fois sur le goût, le rassasiement et
les émotions. Ils sont destinés à vous permettre de mieux percevoir votre
seuil de rassasiement. Ils vous aideront à mieux vous concentrer sur ce que
vous mangez et à découvrir que les aliments nourrissent parfois de manière
inattendue. De ce fait, ils vous offriront donc la possibilité de vous arrêter
de manger plus tôt que vous ne l’auriez fait.

Exercice 1

Déterminez la composition des plats que vous mangez :


ingrédients, épices, herbes, sauces, cuisson, etc.
Ce premier exercice consiste, chaque fois que vous mangez des plats
que vous n’avez pas vous-même préparés, à déterminer leur composition.
Comportez-vous comme un critique gastronomique qui s’apprête à livrer
son commentaire, ou mieux, comme un cuisinier qui souhaiterait reproduire
la recette. Cherchez à reconnaître tous les ingrédients présents dans le plat,
identifiez les épices, les herbes, les aromates que vous avez devinés.
Cherchez à savoir quels ont été les modes de cuisson utilisés. Bref, devenez
un mangeur averti. Vous pouvez vous amuser à pratiquer ces tests en
aveugle ou à les effectuer en famille ou entre amis. Sauriez-vous faire la
différence entre un rouget et un saint-pierre ? Sauriez-vous déceler la
présence du basilic, du thym ou du romarin ? Seriez-vous capable de
reconnaître le goût délicatement poivré de la muscade ou de la cannelle ? À
vous de découvrir vos talents de gastronome.

Exercice 2

Recherchez les caractéristiques des aliments qui ont « bon goût »,


pour vous.
— La vue : aspect, couleur, forme, etc.
— L’odorat.
— La saveur : salée, sucrée, amère, acide.
— Les sons : le craquement d’une biscotte ou d’une salade.
— La consistance : onctueuse, râpeuse, filandreuse, moelleuse, etc.
— La température : optimale, froide, chaude.

Ce second exercice consiste à rechercher les caractéristiques des


aliments qui ont bon goût pour vous. Il s’agit en fait de décrire les qualités
organoleptiques des aliments que vous aimez. Ce que les physiologistes
appellent les composantes discriminatives de la sensation gustative. Elles ne
se modifient pas au cours de la consommation de l’aliment et caractérisent
le « goût de » l’aliment. Vous devez maintenant bien les distinguer de la
composante affective inhérente à la sensation gustative, le plaisir gustatif,
qui lui, bien au contraire, évolue et diminue au cours de la consommation
de l’aliment et caractérise le « goût pour » l’aliment et le rassasiement. Vous
décrirez soigneusement le « goût de » vos aliments préférés en détaillant
leurs différentes composantes : la vue, l’odorat, la saveur, les sons, la
consistance, la température. Devenez maintenant un mangeur difficile.
Pour mieux comprendre cet exercice choisissons un exemple. Prenons
un amateur qui va tenter de nous décrire son chocolat noir préféré. S’il aime
réellement cet aliment, il se révélera difficile dans ses choix et se gardera
bien de le choisir au hasard. Les premières informations lui seront apportées
par la vue et l’odorat. Puis une fois en bouche, les odeurs deviendront plus
précises et il pourra s’exprimer sur les saveurs, la consistance, etc.

Décrivez le goût de votre tablette


de chocolat noir préféré

Sa couleur :
brun clair brun foncé presque noir
La taille de la tablette :
petite moyenne grande
L’épaisseur de la tablette :
fine épaisse
La taille des carrés :
petite moyenne grande
La surface de la tablette :
lisse avec des reliefs
L’aspect :
mat brillant
Les saveurs :
Sucrée : un peu moyen beaucoup
Amère : un peu moyen beaucoup
La consistance :
fondante onctueuse crémeuse
La température :
ambiante fraîche froide

Il serait sans doute possible d’en dire bien davantage sur cet aliment de
légende et je prie à l’avance les amateurs de chocolat de bien vouloir me
pardonner. Disons que nous avons là une description suffisante pour notre
exercice. Plus notre amateur aura le sentiment de manger un chocolat qui se
rapproche de cette description qu’il vient d’en faire, plus il sera heureux.
Plus il s’en éloignera, plus il sera déçu. En vérité, chaque fois qu’il mange
du chocolat, il le compare à la représentation qu’il se fait de cet aliment.
Tous les mangeurs se comportent ainsi. Chaque fois qu’ils mangent un
aliment qu’ils connaissent, ils le comparent, consciemment ou
inconsciemment, à la représentation qu’ils s’en font. Le couscous de ma
mère, la blanquette d’agneau de tante Charlotte, etc. Il leur arrive même
d’en parler à table avec les autres convives. Cette disposition des mangeurs
va nous servir à travailler sur le rassasiement et le réconfort. Car elle
s’accompagne d’étranges propriétés qui nous intéressent. Contrairement à
ce que vous pensez peut-être, plus vous mangerez des aliments que vous
aimez, plus il vous sera facile de vous rassasier. À condition d’écarter deux
exceptions à cette règle. L’aliment ne doit pas être consommé au cours
d’une compulsion ; dans ce cas, la régulation ne se fait plus. Et ce ne doit
pas être un aliment trop rare. Car, dans ce cas, vous risqueriez d’en faire des
réserves en attendant la prochaine occasion d’en manger. Vous anticiperiez
le manque à venir, un peu comme le mangeur restreint se comporte avec ses
aliments « interdits ». En réalité, avec nos aliments habituels, ceux qui
constituent notre alimentation de tous les jours, plus nous les apprécierons
plus nous serons capables de nous arrêter au moment où nous sentons que
nous sommes rassasiés.
Prenons un exemple. Imaginons que nous apportions deux carrés d’un
chocolat médiocre à notre amateur. Il les mange, puis nous lui apportons
deux carrés de son chocolat de rêve. Parions ensemble qu’il les mangera
aussi. Imaginons l’inverse. Nous lui apportons d’emblée la merveille des
merveilles des chocolats noirs, qu’il mange. Puis aussitôt après les deux
carrés toujours aussi médiocres. Il les laisse sans remords. Que s’est-il
passé ? Dans la première expérience, les deux mauvais carrés ont nourri le
mangeur, mais l’ont laissé dans l’attente de « quelque chose » qui se
trouvait dans les deux carrés suivants. Il a fallu quatre carrés, deux fois plus
de calories, pour que notre amateur éprouve la satisfaction attendue. Tout
s’est passé comme si les deux premiers carrés avaient bien nourri son corps,
mais les deux seconds avaient nourri sa tête. Dans la seconde expérience, le
bon chocolat a nourri d’emblée le corps et la tête de notre mangeur. Il a
délaissé le médiocre chocolat et a consommé deux fois moins de calories.
Voilà donc à quoi ressemble le rassasiement, il possède toujours une
dimension physique et psychologique. Pour que le mangeur puisse se lever
de table en disant : « Je n’ai plus besoin de rien. Je suis rassasié », il faut
que sa tête et son corps aient reçu tous deux la nourriture qu’ils réclamaient.

Les aliments ont une image émotionnelle


Ainsi, un individu ne se rassasiera parfaitement que lorsqu’il sera
satisfait à la fois physiquement et psychologiquement. Plus vite il le sera,
plus tôt il cessera sa consommation. Car l’individu ne se nourrit pas
seulement de calories mais surtout de sens. Il faut qu’il puisse penser du
bien de ce qu’il mange. « Pour qu’un aliment soit bon à manger, il faut
avant tout qu’il soit bon à penser », disait Lévi-Strauss. Ou, comme le
rappelait Vachon-France, pour se rassasier complètement, chaque personne
se doit de nourrir à la fois son Être de Besoin et son Être de Désir. L’Être de
Besoin, l’organisme, quand il est en hypoglycémie, se nourrit d’un objet
concret, le sucre. Toutes formes de sucre en quantité appropriée pourront
combler ce besoin : un morceau de sucre, un carré de chocolat, une timbale
de riz, même du glucose en perfusion. Tout cela parviendra au foie et aux
cellules qui se moquent éperdument de leur provenance. Cependant, l’Être
de Désir se nourrit, lui, d’un objet subtil, quelque chose d’indescriptible,
d’indéfinissable, qui fait que la personne aura une préférence pour le
chocolat plutôt que pour la perfusion de glucose. Et encore ne s’agira-t-il
pas de n’importe quel chocolat mais de celui qui correspond à la
représentation du bon chocolat, telle que vous venez de la réaliser.
Et pour que le mangeur soit correctement rassasié, il faudra que son
Être de Besoin et son Être de Désir aient tous les deux été nourris. Dans le
cas contraire, il pourrait se lever de table avec une insatisfaction qui
l’inciterait à poursuivre son repas. C’est ainsi que nous voyons des
mangeurs restreints se lever de table avec l’estomac saturé de légumes,
blanc de poulet et yaourts à 0 % et dire : « Il me manque encore quelque
chose. » Seule l’alimentation qui possède un sens pour le mangeur
parviendra à le rassasier. Et c’est seulement à cette condition que la fonction
de plaisir pourra s’associer harmonieusement à la fonction de besoin.
Les physiologistes caractérisent l’aliment par une double image :
sensorielle et métabolique. Il faut peut-être leur suggérer qu’il en existe
sans aucun doute une troisième : l’image émotionnelle. Tous les aliments
sont associés à des émotions qui nous nourrissent et nous rassasient ou, au
contraire, nous laissent sur notre faim. L’ingestion d’un aliment semble
pouvoir modifier la concentration d’un même peptide agissant à la fois sur
le système physiologique du stress et du comportement alimentaire. Nous
ne sommes donc pas de simples machines thermodynamiques qui se
nourrissent de calories, mais des machines pensantes et émotionnelles qui
se nourrissent d’aliments qui ont du sens.
Peut-être aviez-vous constaté que les émotions négatives vous faisaient
manger. Vous cherchiez dans les aliments un apaisement que vous ne
trouviez pas, car la restriction cognitive vous avait privé de leur pouvoir
réconfortant. Ils n’étaient plus en mesure de produire les émotions positives
capables de neutraliser les émotions négatives dont vous cherchiez à vous
libérer. S’il est vrai que certaines émotions font manger, il est tout aussi vrai
que d’autres nourrissent. C’est parce qu’elles ne vous nourrissaient plus
qu’elles vous faisaient manger. Vos aliments ne vous rassasiaient plus.

Pourquoi les aliments sont-ils réconfortants ?


Nos aliments nous réconfortent car ils produisent des émotions
positives. Ils produisent des émotions positives car nous pouvons en penser
du bien. Et nous pouvons en penser du bien car nous avons vécu avec eux
une partie de notre histoire singulière qu’ils nous rappellent avec bonheur.

L’identité alimentaire : « Dis-moi ce que tu manges… »

Le pays
« […] je te dirai qui tu es. » Je mange des croissants et de la baguette,
une multitude de fromages, j’apprécie le vin, les cuisses de grenouilles et le
pot-au-feu, je me délecte d’une infinie variété de pâtisseries. Qui suis-je ? Il
n’est parfois pas bien difficile de deviner l’origine nationale d’un mangeur.
Chaque pays, en matière d’alimentation, possède un répertoire de plats qui,
facilement, permettrait de l’identifier. Certains, parfois, nous étonnent par la
consommation d’aliments qui nous semblent proprement incomestibles.
Nous n’aurions d’ailleurs pas imaginé qu’ils soient même mangeables. Les
Français conçoivent péniblement que l’on puisse, par exemple, savourer du
chien ou des insectes. Alors, pourtant, que les pays du monde qui les
acceptent dans leur répertoire alimentaire sont beaucoup plus nombreux que
ceux qui les rejettent. Mais voilà, les goûts et les couleurs ne se discutent
pas. Ils font la spécificité des pays et des cultures.
La région
Toutefois, si chaque pays se différencie par sa cuisine, il existe aussi
dans chacun de très grandes diversités régionales. En France, nous nous
régalons des cuisines provençale, catalane, alsacienne, savoyarde, bretonne,
périgourdine, bourguignonne, etc. Le Credoc a ainsi distingué dix France
alimentaires se regroupant autour d’une culture culinaire régionale (voir
carte). Chacune se caractérisant par une répartition et une préparation
différentes des aliments. La vallée du Rhône et la Méditerranée sont
associées dans l’amour des agrumes, bananes, fruits secs et huile d’olive.
Tandis qu’elles délaissent le beurre, les pommes de terre, la charcuterie et la
bière. La région Jura-Rhône-Savoie favorise les fruits frais et les fromages à
pâtes persillées, alors qu’elle dédaigne les fruits de mer, le cidre et les
apéritifs. Suivant les régions, les modes de cuisson favoriseront davantage
le beurre, la crème, l’huile d’olive, la graisse d’oie, le saindoux, etc.
Chacune affichant fièrement ses plats de prédilection et ses spécialités :
bouillabaisse de Marseille, cassoulet de Toulouse, choucroute de
Strasbourg, fondue au fromage de Savoie, soca de Nice, tripes à la mode de
Caen, calissons d’Aix, nougat de Montélimar, etc. Il est sûrement plus facile
pour la plupart d’entre nous de désigner du doigt le roquefort ou le saint-
marcellin sur l’étal du fromager que sur une carte routière. Montrant ainsi
que nous pouvions oublier que ces noms de fromages étaient d’abord des
villes de France avant d’être ceux de spécialités culinaires.

La famille
Au sein de chacune de ces communautés se trouvent de plus petites
sous-unités constituées par les familles, puis les individus eux-mêmes. En
Inde, où l’on consomme le curry, mélange de plusieurs épices, chaque
famille possède sa recette qui lui permet de se distinguer des autres par son
art d’associer les épices et de préparer le mélange. En France, comme
ailleurs, chaque famille possède son répertoire alimentaire comprenant
recettes et savoir-faire. Dans la mémoire de chacun, la cuisine familiale est
comme un signe de reconnaissance : « Quand je vais manger avec la
famille, je reconnais tout de suite son gâteau, ses œufs à la neige ou son
cake1. » C’est sa cuisine, c’est sa famille, c’est donc soi-même que l’on
retrouve, dit la sociologue Anne Muxel, auteur d’une belle étude sur les
souvenirs de tables. Ou encore, rapporté par l’un de ses interviewés : « Il y
avait les macaronis au four du dimanche, des macaronis qui récupéraient
toutes les viandes du vendredi soir et du samedi. Le jeudi, c’était le jour des
fèves sèches. C’était typiquement familial. À ma connaissance, les autres
familles ne le faisaient pas. »
Nous pouvons ainsi montrer que chaque unité géographique possède sa
spécificité alimentaire. Mais se décline ensuite en sous-unités de plus en
plus petites qui, en même temps qu’elles affichent les caractéristiques de
l’unité qui les englobent, s’en distinguent en y ajoutant leurs propres
caractéristiques. Beaucoup de spécialistes considèrent d’ailleurs que la
cuisine et l’alimentation, en créant un espace commun de communication,
jouent un rôle semblable à celui du langage permettant à la fois de
s’identifier et de se distinguer.

Les religions
Au sein de ces sous-unités géographiques vivent aussi
des communautés qui se caractérisent par leurs habitudes alimentaires. Les
communautés religieuses présentent de ce point de vue un intérêt tout
particulier. Une enquête récente, qui comprenait des questions sur les
interdits alimentaires, montrait l’attachement des musulmans à leurs
pratiques alimentaires religieuses, malgré des comportements souvent
moins rigoureux comprenant quelques aménagements avec les règles. Pour
beaucoup, tout particulièrement les jeunes nés en France, cet attachement
reflétait bien davantage une fidélité à la culture d’origine plutôt qu’un
véritable choix religieux2. Pour Michel Gervais3, les interdits portant sur le
porc et sur le vin sont surtout à considérer comme une manifestation
collective à laquelle une personne adhère pour rendre concrète son
appartenance à un groupe. « Il n’y a pas d’individu sans groupe
d’appartenance, il n’y a pas de groupe d’appartenance sans interdits
alimentaires. »
De la même manière, pour Julien Bauer4, l’une des raisons de
l’alimentation cachère réside dans le désir de maintenir une séparation entre
les juifs et la société. Une alimentation différente sert de garant à la
spécificité juive et limite les risques d’effacement et d’assimilation : « N’aie
crainte d’aller en Égypte ; si tes enfants restaient ici, ils épouseraient des
Canaanites et s’assimileraient mais cela n’arrivera pas en Égypte car les
Égyptiens n’ont pas le droit de manger du pain avec les Hébreux. »
L’aliment joue ici clairement son rôle de frontière et d’isolant social. En
même temps, il devient facteur de cohésion sociale entre ceux qui mangent
ensemble et partagent les mêmes règles alimentaires.
Les chrétiens, bien que ne possédant pas d’interdits alimentaires, n’en
respectent pas moins également des règles prônant le jeûne (le carême,
l’avent, les quatre temps, vigile…) et l’abstinence portant essentiellement
sur la viande (vendredi, samedi). Si l’usage s’en est un peu perdu, le Moyen
Âge prévoyait cent cinquante jours de jeûne ou d’abstinence au cours de
l’année. Là encore, ce sont les rituels alimentaires qui permettent aux
croyants de se reconnaître entre eux. Ainsi, dans chaque religion, les
principes concernant les comportements alimentaires sont un moyen de
constituer une identité sociale afin de regrouper les fidèles et de les
distinguer de ce qui n’appartient pas au groupe.
On voit comment la nation, la région, la famille, la religion contribuent
à donner à chacun son sentiment d’appartenance à une communauté dans
laquelle il s’intègre en en respectant les rites et les coutumes alimentaires.
Mais également en forgeant les goûts alimentaires comprenant des
préférences et des aversions spécifiques. Comme le traduisent ces souvenirs
de table rapportés par Anne Muxel : « Le dimanche, c’était le poulet, et tous
les vendredis c’était du poisson pour raison religieuse-lozérienne-
catholique. Puisque nous n’aimions pas la viande, nous trouvions que
vendredi c’était parfait. »

Le mangeur s’individualise
On sait, aujourd’hui, que le goût d’un individu pour les aliments de son
futur répertoire alimentaire n’est pas inné. Il est acquis et résulte d’un
processus d’apprentissage qui commence dès la vie embryonnaire. Il est par
exemple possible après une perfusion d’une solution sucrée à la mère
d’observer chez le fœtus des mouvements de déglutition et parfois même un
sourire. Alors que la perfusion d’une solution amère produira une grimace
de sa part. De même, il est possible de rendre le nouveau-né sensible à des
arômes qui auront imprégné le liquide amniotique de la mère. On peut donc
se demander si une part de nos préférences d’adultes ne serait pas déjà
conditionnée par les choix alimentaires de nos mères. Puis l’enfant naît. Et
se trouve, comme la totalité des espèces animales vivantes, préprogrammé à
ne pouvoir digérer que des produits lactés et à préférer la saveur sucrée et
rejeter la saveur amère. C’est seulement par la suite, soumis aux influences
multiples, familiales, sociales et biologiques, que les goûts se
transformeront pour atteindre chez l’adulte cette formidable diversité qui
fait de chaque individu un mangeur unique, marqué par ses préférences et
ses rejets.
Le premier lieu de socialisation de l’enfant est le repas de famille. Il y
trouvera la possibilité de repérer et d’assimiler les signes qui forgeront son
identité alimentaire en même temps que son identité sociale et familiale.
Très tôt, marqués par leur propre identité alimentaire, les parents
opéreront dans leur répertoire alimentaire une sélection d’aliments qu’ils
jugent bons pour eux-mêmes et pour leur enfant. C’est ainsi que, à leur
insu, ils lui donneront l’exemple de leurs propres goûts et manières de
manger. Tout naturellement, l’enfant, en cherchant à adopter les
comportements familiaux, exprime son aspiration à s’intégrer au cercle
familial et à accéder au monde des adultes. Il s’approprie ainsi les
comportements qu’il observe, intériorise des goûts et éprouve le sentiment
d’appartenir à une communauté culturelle. Son désir d’intégration le
poussera même à surmonter des aversions biologiquement déterminées et à
adopter des goûts pour des aliments tout d’abord rejetés. Les
consommations d’alcool, d’aliments amers, épicés ou pimentés devraient
être pour nous un grand sujet d’étonnement. Elles traduisent, dans ce
domaine, la suprématie des dimensions culturelles et identitaires de
l’alimentation sur la programmation génétique. Paul Rozin a bien montré
comment les jeunes enfants mexicains, par le simple fait d’être mis de façon
répétée en présence d’aliments pimentés, sans même les goûter, finissaient
par se familiariser avec leur goût et les accepter en tant qu’aliments,
témoignant ainsi de leur entrée dans le groupe des adultes.
Bien sûr, la famille n’est pas le seul lieu d’influence. Les autres enfants
exercent aussi sur le petit mangeur une influence, qui pour certains serait
même supérieure à celle de sa famille. Lean Birch5 a montré comment il
était possible de faire apprécier à un jeune enfant un aliment qu’auparavant
il refusait. Il suffit pour cela de le mettre, pendant plusieurs jours, au contact
d’enfants de son âge, ou mieux légèrement plus âgés, pour qu’au terme de
l’expérience l’enfant finisse par apprendre à aimer cet aliment que, jusque-
là, il évitait. Par imitation de ses pairs, le jeune enfant en vient à transformer
les goûts transmis par le modèle parental. Et c’est ainsi que le phénomène
d’identification familial s’exprimant tout d’abord sur un mode fusionnel
laisse dans un second temps la place à un besoin de se démarquer des
membres de la famille. Le jeune enfant affirme au sein de sa tribu de
nouvelles préférences qui le distinguent des autres membres et lui
permettent de s’individualiser et de se situer par rapport à elle. Pourquoi les
enfants iraient-ils manger des McDonald’s ? Simplement parce que c’est
bon ? N’est-ce pas plutôt parce qu’ils participent ainsi à un phénomène de
société auquel les jeunes s’identifient et peuvent s’affirmer par rapport aux
générations précédentes ? Ces futurs adultes se rappelleront, plus tard entre
eux, qu’ils y fêtaient leurs anniversaires, en collectionnaient les figurines, et
s’y donnaient leurs premiers rendez-vous. Ils conserveront longtemps le
sentiment d’avoir fait partie d’une autre tribu dont ils connaissaient
parfaitement les codes et les signes distinctifs.

Manger c’est plus que se nourrir


Il n’y a pas seulement dans l’alimentation une dimension identitaire.
Elle possède également une forte dimension psychologique et symbolique
attachée de façon beaucoup plus intime à l’individu et à son histoire
personnelle avec les aliments.

Je mange des émotions


Nous sommes tous marqués par des expériences avec certains aliments
avec lesquels nous entretiendrons ensuite une relation toute particulière.
Certaines sont positives et souvent associées à des souvenirs heureux.

Myriam se souvient de son enfance chez ses grands-parents de


Bretagne : « À peine arrivions-nous pour les vacances, mon grand-père
s’adressait à ma grand-mère et disait : Mémé, sors-nous le pain de trois
livres pour les enfants. Il attrapait dans le réfrigérateur une gigantesque
motte de beurre salé toute jaune de laquelle on voyait sortir de gros
morceaux de sel. Il coinçait la grosse miche de pain sous son bras et
sortait son Opinel de sa poche. Il ne le quittait jamais. Ensuite, il
coupait à chacune de nous une tranche de pain épaisse comme le pouce
et la recouvrait de beurre. Aujourd’hui je ne peux pas manger une
tartine de beurre sans penser à la ferme de mes grands-parents.
Catherine se rappelle son enfance au Brésil. Sa mère y travaillait
dans une grande organisation internationale et ne pouvait lui consacrer
tout le temps qu’elle aurait souhaité. « Parfois, pour être ensemble, ma
mère m’emmenait à son bureau. J’y croisais des gens de toutes les
nationalités. Tous ces gens avaient toujours l’air de s’amuser. La plupart
étaient des réfugiés du Moyen-Orient, mais riaient tout le temps. Ils
faisaient tout le temps la fête et apportaient chaque jour des quantités de
nourriture qui m’étaient inconnues. Et je me rappelle que ma mère
adorait le houmous. Elle me laissait toujours finir le plat avec les doigts.
Depuis que je vis en France, chaque fois que je n’ai pas le moral, je vais
manger dans un restaurant libanais. En pensant à tout ça, j’en ai
quelquefois les larmes aux yeux. »

D’autres sont négatives et se transformeront en aversions parfois


définitives. Les chercheurs ont montré, sous le nom d’effet Garcia6, qu’il
suffisait d’une seule association entre un aliment nouveau et des effets
digestifs pénibles, volontairement provoqués par l’expérimentateur, pour
que l’animal développe une aversion très durable pour cet aliment.
L’association entre un aliment et des conséquences physiques négatives
suffit même parfois à le rendre définitivement aversif. De la même façon,
chez l’homme, une association entre un aliment et une expérience
psychologique négative peut produire le même résultat.

Myriam, toujours, n’a pu manger de bœuf bourguignon pendant des


années. « C’était le plat préféré de mon père. Ma mère nous le préparait
tous les mardis soir. Je crois qu’à cette époque je devais être un peu
jalouse de mon père. Je n’admettais pas qu’il ait, en quelque sorte, un
régime de faveur. Et j’essayais d’attirer l’attention de ma mère, en
l’obligeant à préparer un plat spécialement pour moi. Je n’ai pas mangé
de bourguignon jusqu’à ce que je rencontre mon mari. »
Bernard raconte : « Entre les carottes et moi, il y avait une certaine
incompatibilité. Mon père passait derrière moi et il me pinçait le nez, si
bien que j’ouvrais la bouche. Nous étions obligés de tout aimer parce
que cela créait de telles difficultés quand nous n’aimions pas quelque
chose qu’il était plus simple de le manger. Mais je peux vous dire
qu’encore aujourd’hui, pour rien au monde, vous ne me ferez manger
des carottes râpées. »

Je mange des symboles


L’aspect symbolique de la nourriture repose en grande part sur le
principe d’incorporation : « Je suis ce que je mange. » Et nous pouvons
souligner à quel point nous consommons des aliments porteurs de
symboles.
Par exemple, on fait déguster en aveugle un vin de qualité ordinaire à
des étudiants en œnologie. Dans une première expérience, on présente le
vin avec une étiquette de cuvée moyenne. Puis dans une seconde, on leur
présente le même vin avec une étiquette de grand cru. On leur demande
ensuite de noter leur dégustation. Ils mettent 8 dans le premier cas et 13
dans le second. Qu’ont-ils bu ? En réalité, un symbole qui se trouve être
l’étiquette. Certains pourront jurer qu’ils ne s’y seraient pas laissé prendre.
C’est pourquoi, je rappelle que l’expérience n’a pas été conduite avec de
simples amateurs mais des étudiants en œnologie dont on pouvait attendre
une assez bonne discrimination gustative.
De même, le caviar est-il bon parce qu’il a un goût inégalé ? Ou plutôt,
parce qu’il est rare et cher ? Combien de personnes se sont détournées
aujourd’hui du saumon qui ornait autrefois nos tables de fête ? Le saumon
qu’autrefois nous trouvions si exceptionnel est maintenant souvent
dédaigné de ces grandes occasions. Il n’est plus un aliment rare, un symbole
d’opulence et d’appartenance aux classes sociales favorisées. En se
démocratisant, sa valeur symbolique s’en est trouvée considérablement
réduite.
Que reproche-t-on à McDonald’s et ses hamburgers ? On y voit un
symbole de la mondialisation et surtout de l’emprise américaine sur la
culture française. En réalité, derrière les attaques contre l’enseigne, c’est le
spectre de l’Amérique qui apparaît en filigrane. Le sociologue Olivier
Benoît a mené auprès des consommateurs une enquête sur le McDonald’s.
Il a pu constater que les mots « invasion » et « envahissement » revenaient
régulièrement comme un leitmotiv. Pourtant, qui sait que le plat le plus
consommé au monde se trouve être la pizza ? Qui s’en préoccupe et la
considère comme un danger pour notre identité nationale ? L’Italie n’est pas
soupçonnée d’impérialisme culturel. On ne s’en prend donc pas à ses
symboles.

Au nom du « bien manger »


Il est donc très complexe ce rapport à la nourriture, très intime. Il
participe à l’élaboration de la personnalité et souvent la structure. Face aux
aliments, chaque individu est si unique qu’il n’est pas exagéré, par analogie
avec les empreintes digitales, de parler d’empreintes alimentaires qui
permettraient d’identifier chaque mangeur. S’il était possible de décrire
avec la précision requise le comportement du mangeur nous pourrions
même aboutir à une identification aussi précise que celle que nous obtenons
aujourd’hui avec les codes ADN. Mais, à la différence des empreintes
digitales ou de la carte génétique, le comportement alimentaire, lui, n’est
pas figé une fois pour toutes. Il est perpétuellement en mouvement. Et
s’inscrit dans une dynamique inlassable qui se révèle être le reflet de ce que
nous sommes, la somme de ce que nous avons été et toujours prête à
s’adapter à des besoins en constante évolution.
Face à cette immense complexité se trouve une science qui nous
voudrait tous identiques. L’alimentation équilibrée, par son aspect normatif,
n’a que faire de nos personnalités et de nos sensibilités individuelles,
identitaires, psychologiques, symboliques et même biologiques. Cette
volonté de standardisation est indifférente à ce que nous sommes et
contribue à développer ce que nous pourrions considérer comme un
véritable trouble de l’identité alimentaire. Nous subissons continuellement
des campagnes d’informations nutritionnelles nous inondant
d’innombrables conseils comme si nous n’étions que simples pâtes à
modeler, sans passé, sans histoire, capables de nous transformer au gré des
fantasmes d’une science en perpétuel mouvement.

Le mangeur apatride
Si les Crétois sont heureux de ce qu’ils mangent, les Toulousains le sont
tout autant. Ainsi que les Inuits, les Japonais, les Gascons, etc. Chacun
ayant survécu en sachant s’adapter à un environnement différent. Tous ont
le sentiment de leur appartenance culturelle et savent que leur manière de
manger en est un élément fortement constitutif. Ces chercheurs qui
voudraient nous faire manger de la bonne façon en prenant chez chacun de
ces peuples ce qu’il y a de meilleur n’ont finalement réussi à inventer qu’un
mangeur sans identité, sans histoire, totalement apatride.
Quel sens y a-t-il à vouloir faire manger du saumon trois fois par
semaine à des Alsaciens ? de l’huile d’olive à des Normands ? ou de l’ail à
des Suédois ?

Le mangeur sans famille


Peut-on imaginer le sentiment de rejet qui s’empare de ces enfants que
l’on met au régime ? Pour les psychologues Pouillon et Le Barzic7, le
partage de la nourriture est un moyen privilégié pour l’expression et la
réalisation du désir identificatoire. Ces enfants que l’on empêche de manger
comme le reste de leur famille peinent à développer leur sentiment
d’appartenance au groupe familial. Et c’est en pensant faire pour le mieux
que les parents vont perturber les processus identificatoires de leur enfant.
Ce dernier peut facilement se sentir rejeté par sa famille et pourra éprouver
« le sentiment qu’il ne pourra jamais être comme ses parents voudraient
qu’il soit et […] n’aura d’autre choix que de tenter de se mettre au régime
pour plaire à sa mère et conserver son amour au détriment de sa propre
singularité ». La première rencontre avec le sentiment d’exclusion qui
accompagne l’obésité dans notre société aura le plus souvent lieu au sein de
sa propre famille.

Jacqueline a 36 ans et consulte aujourd’hui pour un surpoids et des


compulsions. Elle se souvient, petite, de son premier régime. « Aussi
loin que je m’en rappelle, ma mère a toujours fait attention à son
apparence et toujours surveillé son alimentation ainsi que celle de mes
sœurs. Peu de temps après mon huitième anniversaire, elle m’a
emmenée chez le pédiatre pour qu’il fasse disparaître “mon petit
bidon”. Je ne crois pas que j’étais vraiment grosse. Mes copines ne
m’ont jamais fait de réflexions désagréables. Ma grand-mère me
trouvait adorable. Mais ma mère voulait prendre les devants. Elle disait
toujours qu’elle s’était battue toute sa vie contre les kilos et qu’elle ne
voulait pas que nous suivions le même chemin. Pour elle, c’était de la
prévention. Pourtant, en regardant aujourd’hui les photos de cette
époque, je n’arrive toujours pas à comprendre comment elle a pu me
trouver grosse. En tout cas, le résultat c’est que je suis au régime depuis
trente ans et que je n’ai jamais pu manger normalement.
Et j’avais horreur de cela. Les autres avaient leurs bouts de baguette
avec du chocolat, et moi j’avais des trucs qui ne ressemblaient à rien.
La nourriture de ma mère me paraissait être une nourriture décalée. On
ne mangeait jamais de frites ou de purée. On ne mangeait que les trucs
qui étaient bons pour la santé, mais qui n’étaient pas marrants ! La
nourriture avec ma mère, c’était plus une nourriture obligée. Il y avait
toujours le devoir de manger comme il faut, et équilibré. Heureusement
qu’il y avait mes grands-parents ! Je mangeais normalement chez mes
grands-parents. En même temps, j’avais mauvaise conscience de
manger normalement. Quand mon grand-père me faisait des frites, ma
mère me disait que les frites ce n’était pas bon pour la santé. C’était
quand même un peu embêtant. Il faisait des sardines. Moi, j’aimais
beaucoup les sardines. C’est pareil. Ma mère disait que c’était trop gras.
Le chocolat était interdit. Il y avait beaucoup d’interdits dans la
nourriture familiale8. »

Ces enfants, qu’ils soient gros ou seulement qu’ils le croient, vont donc
souvent, d’eux-mêmes, se mettre au régime. Et ne plus manger comme
leurs petits camarades. Au McDonald’s, quand tout le monde se réjouira en
commandant le fameux Big Mac, ils seront les seuls à manger la salade du
pêcheur, la salade de fruits et le Coca light. Ce sont, là encore, les processus
d’identification qui seront troublés. Eux mangeront une nourriture « saine et
équilibrée » mais seuls, tandis que tous les autres se mettront des frites et du
ketchup plein les doigts mais ensemble.

Le mangeur sans identité


Le régime perturbe les processus d’identification au groupe social ou
familial. Mais, plus encore, il modifie notre rapport à la nourriture et nous
apprend que nous devons renoncer à ce que nous sommes. Jour après jour,
nous tissons une relation intime et singulière avec les aliments.
L’alimentation équilibrée viendra nous apprendre qu’il faut y renoncer pour
adopter le modèle du bien manger.
Rappelez-vous Myriam. Pour maigrir, elle a accepté de renoncer au
beurre salé de son enfance et au souvenir de ses grands-parents. À la place,
elle mange de la margarine allégée. Bernard se force à manger des carottes
et des crudités. On lui a affirmé qu’il n’était pas possible de maigrir sans
manger de légumes. Catherine a renoncé au restaurant libanais et force son
mari à l’accompagner dans des restaurants japonais. On lui a juré que c’était
la cuisine la moins grasse.

Isabelle raconte d’où lui vient son amour des bonbons. « Enfant, je
vivais dans une famille très modeste qui ne mangeait pas tous les jours
ce qu’elle aurait aimé manger. Mon père était un homme dur et
tyrannique qui privait volontiers ses enfants pour se garder la meilleure
part. Au dîner, il était le seul à pouvoir manger la crème de marron que
nous, les enfants, regardions avec envie et avidité. Chaque trimestre, ma
grand-mère nous envoyait des colis de bonbons. Le jour où il arrivait,
ma mère nous donnait, à ma sœur et à moi, un bonbon à chacune. Puis
elle installait le colis au-dessus du buffet de la cuisine, hors de notre
portée, et on ne le revoyait plus. Quand j’ai commencé à travailler et à
pouvoir disposer de mon premier salaire, savez-vous ce que j’ai fait ?
J’ai dépensé ma paye tout entière en bonbons et en crème de marron. »

Imaginez le sentiment de liberté que ressent Isabelle chaque fois qu’elle


mange des bonbons. Il n’y a rien qui puisse aussi bien la réconforter que
quelques rouleaux de réglisse ou des fraises Tagada. Parfois, il ne lui suffit
de rien d’autre pour se consoler d’un petit malheur. Eh bien, elle aussi a
accepté d’y renoncer. On lui a affirmé que ses bonbons, trop riches en sucre,
l’empêcheraient de maigrir surtout si elle les mangeait entre les repas.
Peut-être pensez-vous que tout cela est faire grand cas de bien peu de
chose ? Après tout, on peut bien vivre sans manger de beurre salé,
houmous, rouleaux de réglisse et en se forçant à manger quelques crudités.
Tout d’abord pour renoncer à ce qu’on aime encore faut-il que cela soit
utile. Ensuite, on ne soupçonne pas les conséquences qu’entraîne la
suppression d’aliments qui sont si intimement liés à l’histoire d’une
personne et qui avaient pour principale vertu de parvenir à lui procurer de
l’apaisement ou du réconfort. En réalité, Myriam, Catherine, Isabelle n’ont
pas pu renoncer aux aliments de leur enfance. Malheureusement, elles sont
toutes les trois devenues des mangeuses restreintes et compulsives. Quand
elles mangent leurs aliments réconfortants, elles ne savent plus s’arrêter.
Elles en mangent de très grandes quantités en s’accablant de reproches. Le
pire qui puisse arriver a fini par se produire : elles ont toutes appris à
détester ce qu’elles adoraient autrefois sans pour autant être capables de
s’en passer.

1- Muxel A., Individu et mémoire familiale. Essais et recherche, Paris,


Nathan, 1996.

2- Brisebarre A. M., « Interdits alimentaires et islam. Les interdits


alimentaires », Xe Entretiens de Belley, Cahiers de l’OCHA, 7, 1996.

3- Gervais M., « Qu’est-ce qu’un interdit alimentaire ? Les interdits


alimentaires », Xe Entretiens de Belley, Cahiers de l’OCHA, 7, 1996.

4- Bauer J., La Nourriture cacher, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 1996.

5- Birch L. L., « Effect of peer model’s food choices and eating


behaviours on preschooler’s food preferences », Child Development, 1980,
51, p. 489-496.

6- Garcia J., Hankins W. G., Rusiniak K. W., « Behavioral regulation of


the milieu intern in man and rat », Science, 185, 1974, p. 824-831.

7- Le Barzic M., Pouillon M., La Meilleure Façon de manger, Paris,


Odile Jacob, 1998.

8- Anne Muxel, Individu et mémoire familiale, op. cit.


CHAPITRE IX
Mes émotions
me font manger

Nous parvenons au terme d’un parcours au cours duquel votre relation


avec la nourriture s’est profondément transformée. J’espère, à ce stade,
vous avoir sincèrement réconcilié avec les aliments et avoir largement
amorcé l’indispensable processus de paix nécessaire à votre perte de poids.
Vous avez, sans aucun doute, pris conscience qu’il était bien inutile, et
même nuisible, de manger en fonction de la composition des aliments et
qu’il était autrement important de vous interroger sur ce que vous
ressentiez. La disparition de l’état de restriction cognitive vous aura permis
de vous détacher des aliments, de vous recentrer sur vous-même et de
mieux connaître vos besoins.
Beaucoup d’entre vous ont déjà commencé à maigrir mais restent bien
conscients qu’il leur reste encore du chemin à parcourir avant de crier
victoire. Il vous reste également à vous réconcilier avec votre corps et avec
les autres, afin de retrouver des émotions plus paisibles. Car, en effet,
beaucoup se plaignent que leurs émotions les font manger sans faim et se
désespèrent de ne rien pouvoir y changer. Cette situation les empêche de
maigrir ou entrave un amaigrissement pourtant déjà en bonne voie.

Aline est une institutrice, mère de deux enfants. Et pesait presque


100 kg. Après avoir beaucoup travaillé sur sa relation avec la
nourriture, elle a enfin pu échapper à l’état de restriction cognitive.
Grâce à cette paix qu’elle a conclue avec les aliments, elle a perdu une
dizaine de kilos. Elle souhaite ardemment en perdre davantage. Mais
constate qu’elle ne peut s’empêcher de manger sous l’effet de ses
émotions. Elle a bien conscience de manger au-delà de sa faim et se
rend compte que cette situation l’empêche de poursuivre son
amaigrissement.
« Chaque fois que j’ai une contrariété, cela me donne envie de
manger. Je sais que ce n’est pas de la faim, mais c’est plus fort que moi.
Je ne peux pas l’éviter. J’ai toujours grossi dans les périodes difficiles
de ma vie. Alors que je maigris quand tout va bien. Je maigris même
pendant les vacances et je regagne du poids dès que je reprends mon
travail. Il faudrait presque que je change de vie, mais ce n’est bien sûr
pas possible. Quand je me dispute avec mon mari, quand j’ai trop de
travail, quand mes enfants me répondent mal, quand ma mère me
téléphone, tout est une occasion de manger. Je me précipite dans la
cuisine et j’attrape ce qui me passe sous la main. Cela me soulage un
moment, mais très vite je le regrette. Je me trouve nulle et je m’en veux
de ne pas avoir plus de contrôle sur moi-même. Je sais bien que je
mange pour compenser quelque chose. Mais, en attendant, je grossis et
plus je grossis plus cela me fait manger. C’est comme si je voulais me
punir. J’en viens à me demander si j’ai vraiment envie de maigrir. »

Aline décrit très bien les difficultés que certains rencontrent quand des
émotions viennent les troubler. Ils se mettent à manger sans faim et grossir
ou regrossir après des semaines d’efforts d’amaigrissement. Comble de
malheur, se voir ainsi manger et anéantir tous leurs efforts, loin de les
arrêter, ne fait que les pousser à manger davantage. Les laissant ainsi dans
une immense perplexité. Finissant par douter d’eux-mêmes et de leur désir
de maigrir.
Nous allons donc essayer de comprendre les relations entre les
émotions et le comportement alimentaire. Voici, pour nous y aider, un
tableau qui figure schématiquement comment un individu se comporte avec
ses aliments quand il doit faire face à une émotion. Le but, pour lui, étant
chaque fois de se débarrasser d’une émotion qu’il supporte péniblement.
Envisageons tout d’abord comment naissent les émotions. Nous situerons
d’ailleurs cette discussion à un niveau émotionnel et non à un niveau
événementiel ou matériel. Nous verrons que cette différence de point de vue
présente un grand intérêt.
Comment naissent les émotions ?
Il existe plusieurs grandes théories sur les émotions. Christophe André
et François Lelord, dans La Force des émotions, en distinguent quatre. Je ne
les détaillerai pas mais nous retiendrons ici celle qui, en interrompant cette
mise en relation automatique des émotions avec les prises alimentaires,
permet d’obtenir, par ses applications thérapeutiques, les plus grands
changements de comportements. Il s’agit donc de la théorie
comportementale.
Pour les psychologues comportementalistes, les émotions négatives ne
sont pas directement le résultat des situations que nous vivons mais plutôt
de notre manière d’apprécier ces situations, de les penser. « Ce ne sont pas
les événements qui troublent les hommes mais l’idée qu’ils s’en font »,
disait Épictète. Le même événement sera vécu différemment par chacun
selon ce que l’on pourrait désigner comme sa personnalité ou son
tempérament. Ainsi, quand vous recevez un courrier de votre banque vous
informant que votre compte est à découvert, certains réagiront calmement
pensant que plaie d’argent n’est pas mortelle et que demain est un autre
jour. Dans ce contexte, le risque de manger pour « compenser » une
émotion apparaît relativement faible. Tandis que d’autres n’en dormiront
pas de la nuit, s’imaginant déjà tous leurs comptes bloqués et qu’ils seront,
dès le lendemain, signalés à la Banque de France, leurs chéquiers et leurs
cartes de crédit confisqués. À cet instant, le risque de manger devient
beaucoup plus élevé. On voit là qu’un événement identique peut entraîner
des émotions différentes allant de la simple préoccupation à une très forte
anxiété, selon le discours que la personne se tiendra face à ce même
événement. Ce dernier activera un dialogue intérieur qui reflétera les
schémas de pensée de l’individu. Dans un premier cas, le discours sera
modéré et raisonnable. Tandis que dans le second, il sera très dramatique et
exagéré. Dans la suite du texte, nous désignerons l’événement (le courrier
de la banque) sous le terme d’activateur et le discours intérieur (c’est une
catastrophe, je serai bientôt au RMI, ma femme m’abandonnera et mes
enfants placés par la DASS) sous le terme de stresseur. Ainsi, les émotions
qui pourront ensuite nous faire manger sont produites par des
raisonnements, eux-mêmes activés par les événements que nous vivons.
Les événements activateurs
Les situations qui activent le discours stresseur peuvent prendre de
nombreuses formes, pas toujours simples à distinguer. Il pourra parfois
s’agir d’événements externes, observables par la personne elle-même, ou
d’événements internes prenant l’allure de pensées, d’émotions ou de
troubles somatiques.
Ainsi, le fait de ne pas trouver un vêtement à sa taille dans un magasin,
d’atteindre un poids critique ou de manger un aliment dont on pense qu’il
peut faire grossir pourra entraîner la personne dans un long discours
intérieur très négatif sur son poids, la valeur qu’elle s’accorde, son avenir
ou ses relations avec les autres.
Si autrefois les hirondelles annonçaient, paraît-il, le retour du
printemps, aujourd’hui les régimes dans les magazines le font bien plus
sûrement. Le printemps, comme chacun peut le constater, est un activateur
redoutable du stress qui s’empare périodiquement de tous les infortunés
candidats à la minceur.
Mais pourquoi le printemps est-il donc si redouté ? Car il est lui-même
porteur d’une terrible annonce. Voici venu le moment de déployer tous les
préparatifs qui permettront d’affronter le pire moment de l’année : l’été. Il
faudra sortir les tenues courtes et légères. Dévoiler un corps que l’on
dissimule ou que l’on essaie d’oublier tout le reste de l’année. Il faudra
exposer les parties de notre corps qui nous font honte. Enfiler des maillots
de bain, s’exhiber presque nu sur les plages ou les piscines. Affronter
l’épreuve de vérité, celle de la comparaison avec les autres corps et du
terrible jugement des Autres. Et là, inévitablement, ils se rendront compte.
Je ne pourrai plus tricher. Ils vont vraiment savoir qui je suis. Un être
imparfait, incapable de se maîtriser. Ils le réaliseront et se détourneront. Ils
me mépriseront pour cela et m’abandonneront. Ils verront à quel point
toutes les autres sont plus belles et bien plus désirables que moi.
Ce ne sont, bien sûr, ni le printemps ni l’été qui constituent des
stresseurs. Mais plutôt le discours intérieur qu’ils ne manqueront pas
d’entraîner. Ainsi quand une personne affirme qu’elle devient anxieuse à
l’approche de l’été, il est plus vraisemblable qu’elle est troublée par des
pensées inconscientes concernant l’idée qu’elle se fait des conséquences de
l’été et non par l’été lui-même.

Les stresseurs ou le discours intérieur


À quoi ressemblent donc ces stresseurs ? Il s’agit en réalité de
raisonnements ou de pensées que l’individu se tient sur lui-même, les autres
ou ses conditions de vie et qui prennent une allure dysfonctionnelle ou
irrationnelle entraînant ainsi une distorsion de sa perception de la réalité.
Ces pensées sont souvent automatiques et inconscientes, passant donc
généralement inaperçues.
Nous recevons en permanence de notre environnement des informations
qui donneront lieu à des pensées. Pour cela, nous devons d’abord traiter ces
informations. Les mettre en ordre, leur donner une hiérarchie de valeurs, les
sélectionner, en éliminer, les interpréter, anticiper l’inconnu à partir du
connu. Pour réaliser cette réorganisation des informations nous devons donc
décoder la réalité que nous percevons. Dans ce travail de la pensée, il arrive
souvent que des erreurs viennent se glisser. En petit nombre chez le sujet
« normal », elles deviennent particulièrement fréquentes chez les sujets
présentant des difficultés psychologiques. Les psychologues ont
parfaitement identifié les processus qui conduisaient à cette déformation de
la réalité.
Cependant, dès que l’on recherche ce qui se dissimule derrière ces
raisonnements, on découvre que se tiennent des schémas de pensée
représentant l’ensemble des croyances ou des convictions intimes que la
personne entretient sur elle-même et sur le monde. Elles représentent, d’une
certaine façon, ses lois de fonctionnement internes. Ces dernières peuvent
parfois se transformer en de véritables croyances irrationnelles qui se
caractérisent presque toujours par la forme tyrannique et rigide qu’elles
peuvent prendre. Ce qui devrait n’être que préférences de vie se
transforment en exigences inviolables auxquelles il n’est plus possible de
déroger sous peine de s’exposer à de très violentes émotions négatives. Ces
exigences décrites par de nombreux psychologues, et en particulier dès
1950 par la psychanalyste Karen Horney, prennent l’allure d’injonctions
absolues ou d’impératifs moraux énoncés sous forme de « il faut » ou « je
dois ». Le psychologue Albert Ellis considère qu’il existe trois niveaux
d’exigences : envers soi-même, envers les autres et envers ses conditions de
vie.
D’autres psychologues ont cherché à formuler plus précisément ces
schémas et à identifier ceux qui revenaient le plus souvent dans les
thérapies. En voici quelques exemples :
Amour Je ne peux être pleinement heureux si je ne suis pas aimé
de tous.
Performance Je dois réussir parfaitement tout ce que j’entreprends.
Je dois pouvoir me débrouiller tout seul, demander de
Autonomie
l’aide est un signe de faiblesse.
Je ne dois jamais contrarier les autres sous peine de perdre
Approbation
leur affection.
Je dois être attentif à tout ce qui se passe autour de moi,
Vigilance
l’imprévu peut toujours surgir.

Ces schémas sont généralement très légitimes et partent d’une intention


parfaitement louable. Ils ne deviennent problématiques que s’ils se
transforment en exigences ou en objectifs absolus. Il n’est pas absurde de
souhaiter être aimé par de nombreuses personnes. L’existence ne pourra
sans doute s’en trouver que plus heureuse et gratifiante. Mais quel sens y a-
t-il à organiser toute sa vie pour y parvenir ? À faire de l’amour ou de
l’approbation des autres la raison de chacun de ses actes ? Ne jamais oser
contrarier personne, ne jamais rien pouvoir faire ou pouvoir dire de peur
d’être mal jugé et abandonné ? Finir par devenir dépendant de l’affection de
personnes pour lesquelles l’on n’est pas certain d’éprouver de l’estime ?
N’est-il pas absurde de vouloir se faire aimer ou approuver de tous, y
compris de ceux que l’on méprise ou que l’on réprouve ?
Chaque fois que nous nous fixons un objectif précis, mais sans nous
imposer d’exigences absolues à cet égard, nous éprouvons, en cas d’échec,
des émotions constructives comme le chagrin, le regret, la déception et le
déplaisir. Nous ne serons pas dominés par les émotions incontrôlables que
sont la dépression, la fureur ou l’angoisse. Car l’énoncé d’une préférence ou
d’une aspiration semble toujours s’associer à l’expression d’un mais ou
d’un si qui traduit notre capacité à affronter nos revers.
Bien au contraire, l’exigence absolue ne comporte aucun mais ni
aucune préférence. Elle dit formellement que nous avons l’obligation de
réussir quel qu’en soit le prix et ne fait que traduire notre peur d’affronter
nos échecs, nos défaites, nos erreurs. Bien des personnes sont ainsi
convaincues que la pression qu’elles s’imposent dans la réalisation de leur
projet constitue le secret de leur réussite. Elles se persuadent que l’anxiété
qu’elles s’infligent les fait progresser plus loin. Elles commettent là une
grave erreur qui leur fera atteindre bien plus tôt la limite de leur force. Il
n’est pas utile d’être anxieux pour réaliser de grands projets, il suffit pour
cela d’être simplement très motivé et de conserver son sang-froid. Nous
verrons comment l’anxiété que génèrent les personnes qui veulent maigrir
n’aboutira au contraire qu’à les faire grossir. Simplement parce qu’elles ont
transformé une préférence, sans doute légitime, en exigence absolue
traduisant la peur immense qu’elles éprouvent à l’idée de ne pas y arriver.

Imaginons un joueur de tennis disputant la finale d’un tournoi du


grand chelem. Si ce joueur, croyant mieux se motiver, se présente sur le
terrain en se disant : « Je dispute le match de ma vie, je dois absolument
le gagner. Si je le perds, je suis un homme fini », ce joueur, avant même
de pénétrer sur le terrain, a déjà perdu sa partie. Car, en plus de son
adversaire, il devra surtout lutter contre sa peur de perdre un match dont
il vient de faire un enjeu vital. Il est très probable qu’au cours du jeu,
sous l’effet de l’anxiété intense qu’il a fait naître, il commette de graves
erreurs qui pourront lui faire perdre les points difficiles. Ses émotions
joueront contre lui. En revanche, s’il se présente sur le terrain dans un
autre état d’esprit, en se disant : « Je me suis entraîné du mieux que j’ai
pu et j’ai bien l’intention de me battre de toutes mes forces. Mais si je
perds je suis capable d’affronter ma défaite. Je pourrai faire face à un
échec », il est probable, dans ce cas, que la pression psychologique sera
moindre. Il n’est bien sûr pas certain que ce joueur gagne sa partie.
Mais s’il perd ce sera seulement que, ce jour-là, son adversaire aura été
meilleur que lui et non qu’il lui aura fait cadeau des points. Ce joueur,
bien qu’il soit moins anxieux, n’en est pas pour autant extrêmement
motivé. Il n’a nullement l’intention de perdre son match et la
perspective d’une défaite ne le réjouit en aucune façon. Il se sent
simplement la force d’affronter ce qu’il redoute : ne pas sortir
victorieux d’une épreuve qu’il aura préparée avec acharnement. Il n’a
pas transformé cette victoire en une exigence absolue, mais un objectif
souhaitable pour lequel il se sera battu vaillamment et auquel il se sent
capable de renoncer si les conditions l’imposent. Cette fois, ses
émotions joueront pour lui.
Les émotions
Tous ces stresseurs vont produire des émotions négatives dont la
personne cherchera naturellement à se libérer. Il s’agit même là de la
fonction la plus importante des émotions négatives. Elles constituent des
signaux d’alerte qui doivent entraîner une mobilisation de l’individu afin
qu’il réagisse précisément aux événements qui le troublent. Ces émotions
sont essentielles à notre existence. Elles nous motivent à changer et à
transformer notre environnement. Grâce à elles, notre vie change et le
monde évolue. Pensez à ce que l’indignation, la révolte ou la colère ont
apporté dans l’histoire de l’humanité. La peur nous rend prudents et nous
incite à nous entourer de précautions. La tristesse nous pousse également à
agir afin d’éviter des pertes douloureuses, qu’elles soient matérielles ou
humaines. Ces émotions sont constructives quand elles nous font adopter
des comportements qui amélioreront notre existence. Leur absence peut
donc se révéler terriblement néfaste. Et il ne serait guère souhaitable de
vouloir s’anesthésier pour ne plus rien ressentir.

Pas assez d’émotions


Il existe d’ailleurs des personnes souffrant de lésions cérébrales les
privant totalement d’émotions. Antonio Damasio rapporte dans son livre
L’Erreur de Descartes l’histoire survenue en 1848 et aujourd’hui devenue
célèbre du jeune Phinéas Gage. Ce dernier, après avoir eu le crâne traversé
de part en part par une barre de fer longue d’un mètre dix et large de trois
centimètres a miraculeusement survécu à ses blessures. Après cet étonnant
accident, il a pu conserver intactes toutes ses facultés physiques et
intellectuelles. Mais les dommages causés à la zone frontale de son cerveau
le privèrent de ses émotions. Le résultat fut qu’il devint parfaitement
incapable d’assurer son indépendance économique et malgré toutes ses
anciennes qualités fut chassé de tous les emplois auxquels il postula. Sa
lésion lui fit perdre le respect des conventions sociales et des règles morales
antérieurement apprises. Il devint incapable d’anticiper l’avenir et de
prendre les décisions exigées par son environnement social. Au contraire,
toutes les décisions qu’il prenait montraient l’absence de son sens des
responsabilités envers lui-même et les autres et s’avérèrent infailliblement
désastreuses pour son avenir et ses intérêts immédiats. L’absence
d’émotions entraîne chez les individus une telle perturbation de leurs
mécanismes de prise de décision qu’ils en deviennent rapidement des êtres
sociaux totalement inadaptés.

Trop d’émotions
À l’inverse, l’excès d’émotions trop fortes peut aussi facilement nuire
au fonctionnement de la personne. Les grandes émotions comme la colère,
la peur ou la tristesse prennent des intensités très variables. Elles évoluent
pour la peur, de la sérénité à la panique. Pour la colère, du calme à la fureur.
Et pour la tristesse de la béatitude à la dépression. Des émotions si
violentes, outre qu’elles sont vécues péniblement, présentent de nombreux
désavantages. Le premier, pour ceux qui souhaitent maigrir, est qu’elles
présentent un risque très élevé de faire manger. Le second est qu’elles
entraînent bien souvent de désastreuses conséquences. Les degrés les plus
extrêmes de ces émotions ne sont-ils pas, en effet, très proches de pertes de
contrôle au cours desquelles l’individu ne parvient plus à conserver la
maîtrise de lui-même et finit par se comporter de manière désordonnée et
incohérente ? Les actions qu’il mène quand il se trouve dans ces états sont
généralement sans aucune efficacité. Il finit plutôt par provoquer le
contraire de ce qu’il souhaitait obtenir. Sous l’empire de la panique, plutôt
que d’éviter le danger il se précipitera à sa rencontre. Sous l’empire de la
colère, plutôt qu’arranger la situation il ne fera que l’envenimer. Sous
l’empire de la dépression plutôt que d’aller vers les autres il ne fera que se
replier sur lui-même et ses idées noires. Des émotions d’une telle force sont
bien souvent le fruit d’un discours irrationnel empreint d’exagération et de
dramatisation. De « catastrophisation ». Si à la place, le sujet parvenait à se
tenir un discours plus rationnel et plus distancié, les émotions qu’il éprouve
deviendraient moins pénibles et par conséquent plus gérables.
Laurent, qui habite en banlieue, doit se rendre un matin à Paris à un
rendez-vous d’embauche très important pour lui. Il prévoit de partir très
tôt afin d’être certain de ne pas arriver en retard. Il prévoit également de
prendre son petit déjeuner dans sa voiture et s’arrête dans une épicerie
pour acheter un paquet de gâteaux secs et une bouteille de jus de
pomme. Laurent n’a pas très faim et se nourrit de trois gâteaux et de
quelques gorgées de jus de fruits. Par malchance, un accident de la
circulation provoque un gigantesque bouchon. Le temps passe et
Laurent sent la panique monter à l’idée de ne pas être à l’heure. « Je ne
dois absolument pas être en retard. Il faut absolument que je donne une
bonne impression à mon futur employeur. Je ne serai pas embauché si je
le déçois dès le premier jour… » Il décide donc de quitter l’autoroute et
de rejoindre Paris en passant par les villes de la périphérie. Dans son
affolement, il lit mal le plan qu’il utilise pour trouver son chemin et finit
par se perdre dans les rues de Paris. Effectivement, Laurent arrive à son
rendez-vous avec quelques minutes de retard. Et tellement anxieux qu’il
craint de rater son entretien. Dans le même temps, sur le trajet, il a
entièrement dévoré le paquet de gâteaux secs et englouti toute la
bouteille de jus de pomme. Le fait de s’être rendu démesurément
anxieux ne l’a pas aidé à adopter des comportements plus efficaces.
Se débarrasser de trop d’émotions
Réagir à une émotion négative s’avère donc parfaitement légitime. Et
conduit à résoudre bien des problèmes. Pour cela, l’individu dispose de
deux types de réponses.

Les réponses spécifiques


Les premières sont considérées comme spécifiques du stresseur, elles
permettent d’agir sur ce dernier en modifiant l’idée que se fait la personne
de l’événement qui la trouble. Elle y parvient généralement en réfléchissant
plus tranquillement. En prenant du recul, en introduisant dans sa manière de
penser plus de distance, en rationalisant et en dédramatisant la situation.
Elle parviendra ainsi à tempérer ses émotions et commencera peut-être à
envisager les premières mesures qui lui permettront de résoudre son
problème.
Même si ma première réaction face au courrier de la banque est très
disproportionnée, je peux dans un second temps me ressaisir et me
raisonner. Je passerai d’une forte anxiété à une saine préoccupation qui me
fera réfléchir à toutes les éventualités envisageables. Je pourrais dès le
lendemain téléphoner à mon banquier et chercher avec lui une manière de
résoudre le problème. Même si les solutions qu’il me propose ne me font
guère plaisir, elles n’auront pas les mêmes conséquences que celles que
j’avais imaginées sous le coup de la panique. Par ailleurs, le sentiment de
panique que j’ai ressenti était si intolérable qu’il me fallait à tout prix m’en
délivrer alors que je pouvais tolérer de simples préoccupations.

De même, Laurent aurait pu s’y prendre autrement s’il avait


raisonné différemment. « La personne avec qui j’ai rendez-vous sera
peut-être mécontente, mais elle ne pensera pas nécessairement du mal
de moi si je lui explique ce qui m’est arrivé. J’ai pris toutes les
précautions possibles et j’ai réellement fait de mon mieux pour ne pas
être en retard. Il est certainement préférable d’être à l’heure à ses
rendez-vous, mais, n’étant pas maître de tous les événements, je ne
peux en faire une exigence absolue. » Il aurait sans doute été préoccupé
de ce qu’allait penser son futur employeur mais non pas à ce point
affolé. Il aurait mieux réussi à déchiffrer son plan de Paris et ne se serait
sans doute pas perdu en cours de route. Dans son affolement, Laurent
n’a pas pensé qu’il aurait simplement pu prévenir, depuis son téléphone
portable, qu’il risquait peut-être d’avoir quelques minutes de retard. Il
n’aurait pas été en proie à des émotions fortes qu’il a eu besoin de
neutraliser en mangeant pour se réconforter.
Ainsi, s’agissant du contrôle de nos émotions, les réponses spécifiques
sont celles qui agiront directement sur la cause de l’émotion, le stresseur, et
parviendront donc à modifier nos émotions. Celles-ci resteront modérées et
conserveront leur rôle d’alarme sans nous priver des moyens d’agir avec
efficacité et ainsi d’atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés.
Les réponses non spécifiques
Les secondes réponses sont considérées comme non spécifiques. Car
elles n’agissent pas sur le stresseur et ne le modifient en rien. Elles agissent
directement sur l’émotion elle-même. Et sont seulement destinées à
produire des émotions positives dont le rôle sera de venir neutraliser les
émotions négatives. Bien qu’elles laissent le problème en l’état, elles
pourront néanmoins apporter un certain soulagement en procurant un
réconfort attendu. À cet effet, chaque individu possède un répertoire de
stratégies réconfortantes dans lesquelles il peut puiser : boire, manger,
fumer, faire l’amour, ouvrir sa collection de timbres, dépenser de l’argent,
aller chez le coiffeur, partir en week-end, rencontrer des amis, faire des
mots croisés, aller au cinéma, etc.
C’est donc dans ce cadre que la nourriture trouve sa place et peut être
considérée comme « une réponse alimentaire à un problème non
alimentaire » tout aussi naturelle que faire les boutiques ou des mots
croisés. À cet instant, en se nourrissant, l’individu s’attend à éprouver une
sensation agréable qu’il nomme plaisir, apaisement, soulagement, détente,
décompression… Ce comportement traduit l’une des fonctions les plus
naturelles et les plus heureuses de la nourriture : la production d’un
réconfort. Quand la semaine a été désastreuse, que rien ne s’est passé
comme il le fallait, Monsieur dit à Madame : « Ce soir, Chérie, nous nous
offrons un bon petit restaurant. » Et pendant trois heures, Madame et
Monsieur se réconfortent et oublient tous leurs tracas. Ils mangent une
nourriture réconfortante, qu’ils ont soigneusement choisie, qu’ils
apprécient, dans laquelle ils trouvent du plaisir et qui, aussitôt après et peut-
être même beaucoup plus tard, laissera dans leur mémoire encore une
trace… de plaisir. Lundi, les problèmes n’auront pas disparu, mais le week-
end aura été plus détendu et les problèmes seront abordés plus sereinement.
Voilà donc un repas réconfortant qui a produit l’effet que l’on attendait de
lui : des émotions positives qui ont momentanément neutralisé les émotions
négatives. Cette réaction est parfaitement normale. Nous mangeons tous
pour nous réconforter, même si nous n’en prenons pas conscience. Nous
attendons, sans nous en rendre compte, de tous nos repas, même les plus
quotidiens, qu’ils produisent ce réconfort. Mais d’autant plus quand nous
cherchons à nous débarrasser d’une humeur négative. Aucun individu ne
parviendrait à se nourrir de pilules ou de sachets apportant des nutriments
réduits à leur simple expression biochimique. Nous dépéririons tous dans
ces conditions, alors même que nos besoins biologiques auraient été
couverts.
Cependant, manger ne constitue une stratégie réconfortante que dans la
mesure où cela produit des émotions positives. Ce qui n’est plus le cas
quand la personne se trouve en état de restriction cognitive.

Tout le monde mange pour se réconforter. Manger ne


constitue une stratégie réconfortante que dans la mesure
où cela produit des émotions positives.

Les chercheurs ont pu démontrer que la prise alimentaire était une


réponse adaptative normale aux états de stress. Ainsi, on constate que la
prise de nourriture permet de faire baisser la concentration sanguine des
marqueurs biologiques du stress : adrénaline, cortisol… À une condition
toutefois. Il est nécessaire que le mangeur se nourrisse d’un aliment qu’il
affectionne : une glace au chocolat pour Marine, un chèvre bien sec pour
Bertrand ou une jolie madeleine pour Marcel… On sait que le mangeur, en
choisissant des nourritures qu’il apprécie, active ce que l’on appelle
aujourd’hui ses systèmes récompensants (endorphines, dopamine) qui
produisent un effet apaisant. Ce phénomène existe aussi chez les sportifs
qui sécrètent également les mêmes substances à l’effort. Il explique ainsi
comment le sport viendra s’inscrire dans le répertoire des stratégies
réconfortantes de certains individus. Manger des glaces, du fromage ou des
madeleines représente pour le mangeur un moyen physiologique de réguler
son stress, s’expliquant par les relations biologiques étroites entre le stress
et le comportement alimentaire.

La maladie du mangeur restreint n’est pas de chercher à


se réconforter en mangeant. Elle est de ne pas y
parvenir.

Je gère mal mes émotions


Voici donc comment les choses se passent dans le meilleur des mondes.
Il faut bien reconnaître qu’elles se présentent parfois de façon sensiblement
différente. À chacune des étapes que nous avons décrites peuvent, en effet,
surgir des difficultés qui empêcheront le mangeur de trouver les solutions
ou le réconfort qu’il espère de sa nourriture.

Je n’identifie pas mes pensées stressantes


La personne peut, en effet, s’avérer incapable d’identifier le stresseur ou
de formuler le problème qui la préoccupe. S’il est assez aisé de retrouver la
situation qui a activé le stresseur, il n’est pas si simple de percevoir les
schémas de pensée qui nous font réagir face à cet événement.

Jacqueline a confié quelques travaux de décoration de son


appartement à un petit artisan. Après une difficile journée de travail,
elle rentre à la maison en s’imaginant déjà les transformations de son
nouvel intérieur. À peine pénètre-t-elle dans le salon qu’elle repère
aussitôt la tringle à rideaux fixée trop haut qui empêche les rideaux de
descendre jusqu’au sol. Elle est prise d’une soudaine fureur, peste
contre le responsable et pour finir se précipite dans le réfrigérateur pour
apaiser sa colère. Jacqueline pense que c’est l’incompétence de
l’ouvrier qui est la cause de cette envie de manger et s’étonne de la
violence de son émotion pour une simple tringle à rideaux mal posée.
En réalité, notre mangeuse est divorcée et vit seule avec ses enfants
dont elle partage la garde. En constatant le travail mal fait, elle
s’imagine déjà sortir ses outils pour rattraper les dégâts et se dit que ce
n’est vraiment pas le travail d’une femme. Si elle et son mari ne
s’étaient pas séparés, elle ne serait pas aujourd’hui obligée de surveiller
les travaux. Elle se sent accablée. Selon elle, son ex-mari ne s’occupe
pas suffisamment de leurs enfants. Bien qu’il assume ses obligations,
elle a le sentiment qu’il la laisse trop souvent se débrouiller toute seule.
Elle ne dispose plus d’aucun moment à elle, elle rêve d’un peu de
tranquillité, d’une présence masculine qui l’épaulerait pour affronter
une vie pleine de contraintes. La tringle à rideaux n’a pas grand rapport
avec tout cela, elle a tout simplement joué un rôle déclenchant et activé
un train de pensées stressantes. (Exigence envers les conditions de vie :
« La vie ne devrait pas être aussi difficile. »)

Patricia est maquettiste dans une agence de publicité qui l’apprécie


grandement pour sa méticulosité et son perfectionnisme. Et dont elle ne
se prive d’ailleurs pas d’abuser. Un client lui demande de remettre une
épreuve imprévue pour le lendemain. Patricia hésite mais accepte
finalement de rendre ce service que raisonnablement elle aurait dû
refuser. Le délai est bien trop court. Puis, au lieu de penser qu’il n’est
pas possible d’atteindre la même qualité de rendu pour une exécution
qui exigerait trois fois plus de temps, elle préfère « mettre les bouchées
doubles » et trouver le moyen de rendre un travail parfait, quitte à sortir
de cette affaire épuisée et stressée. Tout en mangeant pour chercher à se
réconforter. Dans ses schémas de pensée, Patricia se doit de toujours
être à la hauteur et de ne jamais décevoir afin de mériter l’estime et
l’approbation de son entourage. Elle ne peut donc ni refuser la demande
de son client, ni lui annoncer, compte tenu des circonstances
particulières, qu’il devra se contenter d’un travail moins achevé qu’à
l’habitude. Il sera plus facile pour Patricia de s’en prendre à ses
conditions de travail, à sa mauvaise organisation. Pourtant, même si elle
change de travail, elle se trouvera toujours face à ces mêmes difficultés
qui ne tiennent pas à son contexte professionnel mais à sa manière de
penser. (Exigence envers soi-même et les autres : « Je dois toujours
réussir tout ce que j’entreprends », « Je ne dois jamais contrarier les
autres sous peine de perdre leur considération. »)

Je perçois mal mes émotions


La personne peut également s’avérer incapable de reconnaître les
émotions qui la troublent et encore moins de les exprimer. Ce que les
psychologues désignent sous le terme d’alexithymie. Plutôt que d’éprouver
la colère, la peine, la tristesse, la déception… elle ne ressentirait qu’un mal-
être diffus lui rendant encore plus difficile l’identification de ses stresseurs.

Claudine prétend bien souvent ne pas avoir le moral. On la dit


taciturne et réservée. Elle ne comprend pas ce qui parfois la met mal à
l’aise. Ce qui agace son mari qui lui demande souvent de s’expliquer.
Elle ne trouve pas de bonnes raisons et ne peut que lui dire qu’elle se
sent fatiguée, agacée, mal dans sa peau et qu’elle trouve un
soulagement dans la nourriture.

Le fait de ressentir de la contrariété doit normalement conduire


l’individu à s’interroger sur les événements et les pensées qui ont généré
cette émotion. Il pourra ainsi tenter d’agir pour que ces situations ne se
reproduisent plus afin de ne plus être aux prises avec des émotions qui lui
déplaisent. De la même manière, s’il se sent triste c’est que des événements
souvent associés à des pertes douloureuses ont provoqué un train de pensées
tristes. Il réagira à l’avenir de façon à minimiser le risque de nouvelles
pertes.
Beaucoup de psychologues voient dans cette incapacité à exprimer ses
émotions l’origine de bien des difficultés psychologiques et même
physiques qu’ils désignent sous le terme de maladies psychosomatiques.

Je ne sais pas comment m’y prendre


On peut envisager des situations au cours desquelles la personne
identifie bien le stresseur et les émotions qui la troublent mais ne sait
comment résoudre ses difficultés. Elle peut, en effet, ne pas disposer des
compétences personnelles qui lui permettraient de faire face à son
problème.

Jacqueline vient d’essuyer une remarque particulièrement injuste de


la part de son patron. Ce qui la met légitimement en colère. Cependant,
Jacqueline n’ose pas réclamer une explication, alors qu’il s’agit d’un
homme généralement pondéré et courtois. Elle craint de ne pas savoir se
contrôler et de prononcer des mots qui dépasseraient sa pensée. Elle
« ravale » donc sa colère et rentre chez elle dans un grand état de
nervosité qu’elle apaise en mangeant.

Dans ce cas, Jacqueline souffre d’un manque de savoir-faire. En


l’occurrence d’un déficit d’affirmation de soi qui lui aurait permis sans
agressivité de faire valoir son droit.

Je n’ai pas d’autres sources de satisfaction que la nourriture


Devant l’absence de solutions spécifiques, une personne peut recourir
trop systématiquement à des réponses palliatives. Et prendre conscience
que, au sein d’un répertoire trop étroit de stratégies réconfortantes, elle ne
retient parmi elles qu’une réponse stéréotypée qui serait la prise alimentaire.
Il peut donc s’avérer utile de posséder un répertoire plus étendu de
stratégies réconfortantes.
Ainsi, vous-même, quand vous n’avez pas le moral, comment vous y
prenez-vous pour vous réconforter ?

Mes aliments ne me réconfortent plus


Enfin, dans le contexte qui nous occupe, la prise alimentaire peut ne pas
produire le réconfort escompté et aboutir parfois à une consommation
exubérante de nourriture. Sous l’effet de la restriction cognitive, le mangeur
ne parvient plus à penser du bien des aliments qu’il consomme. Ces
derniers sont devenus « mauvais à penser ». En mangeant son chocolat,
plutôt que de penser : « Ah, enfin un peu de douceur dans ce monde de
brutes », le mangeur se dit : « Le monde est vraiment trop cruel et je ne
peux même plus compter sur le chocolat que j’aime tant et qui est en train
de me rendre difforme. » Après quelques courts instants de plaisir, la
consommation d’aliments entraîne le mangeur dans un long monologue
intérieur au cours duquel il s’accable de quantité de reproches
épouvantables puis se noie dans les remords. Ce nouveau discours donnera
lieu à d’autres émotions négatives comme la culpabilité, la honte, la
tristesse ou la colère. Ainsi, plutôt que de produire les émotions positives
espérées, les aliments produiront de nouvelles émotions négatives qui ne
pourront donc en rien venir neutraliser celles qui avaient motivé la prise
alimentaire. Et ainsi, comme nous l’avons vu, la personne ne parvient plus à
s’arrêter de manger. Voici quelques pensées pouvant produire des émotions
négatives :
Nous avons déjà beaucoup travaillé pour modifier votre relation avec la
nourriture, de manière que vous parveniez maintenant à penser du bien de
vos aliments.
Et la vie n’est plus qu’un problème de poids
Au bout du compte, nous assistons à un véritable phénomène de
substitution au cours duquel la séquence activateur → stresseur → émotions
→ manger est remplacée par une nouvelle séquence qui aboutira également
à une prise alimentaire. Voyons comment cela se passe avec un exemple.

Michèle est très en colère contre son mari qui lui faisait observer
qu’elle avait beaucoup grossi depuis leur mariage. « Mon mari n’a pas à
me faire de telles remarques, se dit-elle. Il n’a aucun respect pour moi.
Je le sais bien que j’ai grossi. Je n’ai pas besoin qu’on me le répète. Et
lui d’ailleurs, il ne s’est pas regardé. Il n’a plus un seul cheveu. Est-ce
que je le lui fais remarquer ? » Michèle entre progressivement dans une
immense colère qu’elle va apaiser en mangeant.
À ce moment, la réponse au trouble émotionnel, au lieu d’apporter le
soulagement attendu se transforme elle-même en un nouvel activateur :
Michèle se voit manger sans faim des aliments dont elle pense du mal car
elle suppose qu’ils la feront grossir.
Et c’est ici que se produit la substitution, faisant passer la réflexion du
mari de Michèle au second plan. Le fait de manger sans faim vient alors
prendre la première place et active un discours très négatif relatif à la prise
de poids et à ses conséquences. Celui-ci, à son tour, générera de nouvelles
émotions que Michèle cherchera encore à neutraliser en mangeant.
Toutes les situations de la vie quotidienne pourront donc jouer un rôle
d’activateur. Ce seront des événements parfois anodins (fuite de la machine
à laver, retard à un rendez-vous…) ou parfois plus importants (difficultés
relationnelles avec un proche, adversités telles que maladies, problèmes
professionnels…). Chacune de ces situations activera des stresseurs
traduisant des schémas de pensée tyranniques prenant souvent la forme
d’impératifs moraux ou d’exigences absolues. Ils sont caractéristiques de la
personnalité de chacun et peuvent entraîner toutes sortes d’émotions
négatives (colère, tristesse, anxiété, jalousie…). Or ces émotions, quand
elles seront trop fortes, provoqueront très souvent des prises alimentaires.
Par l’action du mécanisme de substitution, ces dernières se
transformeront elles-mêmes en activateurs d’un monologue pondéral (je
n’aurais pas dû manger, je n’y arriverai jamais…). Et c’est ainsi que, quelle
que soit la difficulté, le mangeur sera immanquablement ramené, toujours et
encore, à son problème de poids. Au point qu’il finira, à juste titre, par
considérer que toute sa vie tourne autour de son poids, de ses efforts
d’amaigrissement et des aliments.
Quand ces situations de fortes turbulences émotionnelles sont trop
fréquentes, elles justifient la recherche d’une aide auprès d’un
professionnel, psychiatre ou psychologue. Une trop grande émotivité rend
l’existence souvent plus difficile et, dans ce cas, un travail personnel dans le
cadre d’une psychothérapie peut s’avérer un précieux soutien.
Quoi qu’il en soit, au-delà de l’histoire personnelle de chacun, il existe
un stresseur commun à tous les mangeurs en difficulté avec leur poids que
je vous propose d’examiner maintenant : la peur de grossir.
CHAPITRE X
La peur de grossir

Il existe, en effet, un stresseur particulier et constamment présent chez


tous ceux qui combattent leur poids. Il s’agit, vous vous en doutez bien, du
poids lui-même. Il constitue pour les mangeurs inquiets de leur poids le
stresseur le plus redoutable. En réalité, si nous appliquons les
raisonnements que nous avons exposés, le véritable stresseur n’est pas le
poids, mais plutôt l’idée que se fait la personne des conséquences de son
poids. Et le discours qu’elle se tiendra à ce sujet. Schématiquement celui-ci
pourrait se résumer par la formule suivante : « Ma vie sera insupportable si
je grossis ou si je ne maigris pas. » Par commodité, j’appellerai ce discours
le stresseur « poids » afin de bien le différencier du poids lui-même. Et je
désignerai par le terme gros, tous ceux, quel que soit leur poids, qui se
trouvent gros ou ont peur de le devenir.

Un stresseur pas comme les autres


Le stresseur « poids » présente certaines caractéristiques qui le rendent
tout particulièrement efficace dans ses œuvres de déstabilisation.

Le stresseur « poids » est très activable


En premier lieu, il est éminemment activable par quantité de situations
ordinaires. Un grand nombre d’événements anodins peuvent entraîner la
personne dans un discours sur les conséquences de son poids :

Les activateurs
— Passer devant des miroirs.
— Monter sur la balance.
— Se sentir serré dans ses vêtements.
— Surprendre une réflexion.
— Interpréter un regard.
— Voir une personne mince.
— Voir une personne grosse.
— Mettre des vêtements qui dévoilent le corps.
— Lire un article dans la presse.
— Assister à une émission sur la minceur ou l’obésité.
— Le printemps, l’été.
— Se rendre à une soirée.
— Trop manger.
— Penser que l’on a « mal » mangé.
— Sentir son ventre gonfler.
— Ne pas rentrer dans un vêtement que l’on pouvait mettre
auparavant.
— Ne pas trouver un vêtement à sa taille dans un magasin.
— Prendre un kilo.
— Atteindre un poids critique.
— Etc.

Chacune de ces situations de la vie quotidienne peut activer le stresseur


« poids » et déstabiliser durablement la personne. Or ces situations sont
remarquablement banales et se présentent plusieurs fois chaque jour. Si bien
que la personne se trouve littéralement bombardée, tout au long de la
journée, par des vagues de pensées et d’émotions négatives qui pourront
chaque fois l’entraîner à manger.

Chantal raconte comment se passent ses journées


Je me lève et me prépare à affronter l’épreuve de la salle de bain.
Premier obstacle : la balance. L’aiguille me donnera la tonalité de mon
humeur pour la journée. J’évite les miroirs où je pourrais voir tout mon
corps. Sous la douche, je touche mon corps avec répugnance. Je déteste
passer mes mains sur mon ventre. Ensuite, il faut s’habiller et choisir un
vêtement. Quel est celui qui masquera le mieux les parties de mon corps
que je cherche à dissimuler tout en mettant les autres en valeur ? C’est
chaque fois un vrai casse-tête. Si par malheur, je me trouve serrée dans
un vêtement, je sens aussitôt mes larmes monter aux yeux. Puis, si tout
s’est bien passé, je m’apprête à prendre mon petit déjeuner. Là, petite
appréhension. Pour bien commencer la journée, je dois choisir des
aliments qui ne font pas grossir. Ensuite, je me rends à mon travail. Je
dois prendre le métro et traverser les galeries marchandes. Les vitrines
sont une nouvelle épreuve. Je pense à tous les vêtements que je pourrai
mettre quand j’aurai maigri. Dans la rue, je déteste voir des gros. Je me
dis que je vais devenir comme eux. Arrivée au bureau, je dois traverser
l’open space. Les garçons me déshabillent littéralement. J’ai
l’impression de passer une inspection de la tête aux pieds. Je suis
toujours paniquée à l’idée d’essuyer la moindre réflexion. À l’heure du
déjeuner, les filles ne parlent que de régime. Elles regardent ce que je
mange, elles me jugent. « Tu devrais manger ceci, tu ne devrais pas
manger cela. » J’avale mon repas en quinze minutes et j’ai le ventre
gonflé. Plus je pense à ce ventre plus je mange. Je suis mal pour le reste
de l’après-midi. Quand je rentre à la maison, je suis dans un état de
tension épouvantable. Je me raisonne en prévoyant un dîner léger pour
rattraper les dégâts. Mais, en même temps, je suis tellement énervée que
j’ai besoin de manger pour me détendre. Quand je passe à table, je suis
pleine de bonnes résolutions. Devant les plats, je deviens incapable de
résister. Plus j’essaye de me freiner plus je mange. Je sors de table avec
le ventre qui va exploser. Je vais me coucher avec des sanglots dans la
gorge. J’essaye de croire que demain se passera mieux.

Le stresseur « poids » s’autoentretient


En second lieu, comme nous l’avons vu, le stresseur « poids » finit par
se substituer à tous les autres et occuper une place centrale dans les pensées
de la personne.
L’effet de cette substitution conduit le stresseur à s’autoentretenir : « La
vie est insupportable. Je suis désespéré. Je mange pour me consoler. Mais si
je mange, la vie est encore plus insupportable. Je suis désespéré. Je mange
pour me consoler. Ma vie est encore plus insupportable… » Il peut ainsi
évoluer sans s’arrêter pendant des jours, des semaines ou des mois,
entraînant une inexorable reprise de poids.
Comment sortir du cercle vicieux ?
Nous nous trouvons ici face à un engrenage qui conduit la personne à
grossir et ainsi à sans cesse l’éloigner de ses objectifs pondéraux. Comment
donc sortir de ce cercle vicieux ? Il n’est d’autres moyens que d’agir sur les
différentes étapes de ce cercle infernal : les activateurs, le stresseur, les
émotions ou encore la recherche d’autres stratégies réconfortantes. Voyons
quelles solutions nous pourrions envisager.

Supprimer les activateurs


Certains ont imaginé supprimer les activateurs. C’est ainsi qu’ils
renoncent, par exemple, à monter sur leur balance, à se rendre à la plage et
dans tout autre lieu de société ou à manger les aliments qui nourrissent leurs
peurs. On voit que cette solution ne conduit finalement qu’à multiplier les
stratégies d’évitement et enferme rapidement dans une impasse. On peut
parier que tôt ou tard la personne finira par se trouver confrontée à ses
démons sans y être mieux préparée.
D’autres se sont imaginé qu’il leur suffirait de maigrir pour se
débarrasser du problème. « Si je maigris, mon poids ne m’angoissera plus. »
Cette solution, si elle est séduisante, n’en est pourtant pas une. Bien sûr, la
personne se débarrasse de ses kilos. Cependant elle conserve toujours le
problème du poids en tant que stresseur. Certes, elle maigrit et atteint le
poids qui lui convient. Toutefois elle reste terrifiée par l’idée de regrossir.
Cette peur représente pour toujours sa fragilité, son talon d’Achille. Elle la
conduira immanquablement, un jour ou l’autre, à perdre de nouveau le
contrôle de son comportement alimentaire et donc à regrossir.

Anaïs a bien maigri et depuis un an son poids est parfaitement


stable. Elle mange sans arrière-pensée tous les aliments qu’elle
affectionne. Elle se croit maintenant à l’abri de tout accident. Parce
qu’elle a maigri, elle se croit guérie. Pourtant, un matin, après une
semaine de vacances gastronomiques, elle constate sur la balance une
reprise de 2 kg. Elle prend peur et plutôt que d’attendre tranquillement
que sa régulation remette les choses en ordre, elle décide de « refaire
attention » à ce qu’elle mange. Alors qu’elle a maigri et maintenu son
poids sans jamais se priver de rien, elle revient sans s’en rendre compte
à ses anciens réflexes. Elle supprime les aliments « grossissants » et se
prépare à entamer une cure d’aliments « amaigrissants ». Elle revient
inconsciemment en situation de restriction cognitive. Après quelques
jours, elle commet un écart et replonge aussitôt dans le cercle infernal
des compulsions et de la restriction.

Le poids n’est donc pas un stresseur mais un activateur du stresseur.


Beaucoup de patients l’expriment en parlant de seuil fatidique au-delà
duquel ils éprouvent un véritable sentiment de panique.

Aurélie essaye tant bien que mal de ne pas grossir et de maintenir


son poids autour de 65 kg. Il lui arrive parfois de flirter avec la barre
des 69 kg. Elle se met automatiquement au régime plus strict. Pour
Aurélie, 70 kg est un seuil infranchissable. Il représente une porte vers
une nouvelle dizaine de kilos. Elle se jure de ne jamais l’atteindre. À sa
simple évocation, toutes ses terreurs se réveillent. Elle envisage d’un
coup toutes les conséquences dramatiques qui s’ensuivraient. Alors que
69 ou 70 kg ne constitue objectivement qu’une différence invisible,
« 70 kg » active des peurs qui ne se déclenchent pas à 69 kg.

Même si la pression est très forte, veillez bien à ne plus succomber à la


tentation des régimes.
Multiplier les stratégies réconfortantes
Beaucoup d’auteurs ont préconisé cette solution. Elle consiste à
rechercher des dérivatifs à la nourriture en proposant de recourir à de
nouvelles stratégies réconfortantes : le sport, la lecture, les sorties, les
douches froides ou les bains chauds…
Pour deux raisons, cette solution atteint rapidement ses limites. La
première est qu’elle s’avère sans aucun effet sur la cause des émotions. Elle
ne modifie pas les stresseurs. Quelle que soit celle qu’elle utilise, si chaque
fois que la personne se trouve face à une difficulté, elle recourt à l’une de
ses stratégies, le résultat sera simplement que ses difficultés
s’accumuleront. La seconde est que, après un certain temps, ses stratégies
réconfortantes finiront par s’user et ne plus produire le réconfort escompté.
Si j’apprécie de courir pour évacuer mes problèmes, il n’est pourtant pas
possible de les régler de cette manière chaque fois qu’ils se présentent. Le
tour du parc me suffira dans un premier temps mais rapidement il me faudra
allonger mon parcours sans plus aucune efficacité. Je finirai mes séances de
sport sans doute épuisé mais aucunement réconforté. De même, si je
dépense de l’argent chaque fois que je suis anxieux, triste ou en colère, il est
possible que la vue de mon découvert cesse rapidement de me réconforter.
Ou encore, si je trouve réconfortant de manger un gâteau, je constaterai
qu’il me faut chaque fois plus de gâteaux pour obtenir le même résultat et il
est, là aussi, fort possible que la vue de la balance vienne grandement
altérer ce réconfort passager.

Dominique supporte mal la vie qu’elle mène. Elle travaille à Paris


et habite à la campagne où elle adore monter ses chevaux. Elle supporte
de plus en plus mal de travailler et préférerait se consacrer à ses
chevaux. Elle trouve son mari merveilleux mais reconnaît qu’elle passe
son temps à le tyranniser. Elle est terriblement exigeante à son égard et
coléreuse. Elle tolère difficilement la contradiction, qu’elle lui soit
apportée par les gens ou par les événements. En gros, elle voudrait
toujours pouvoir faire ce qu’elle veut et n’admet pas qu’il en soit
autrement. Pour améliorer son existence, elle a choisi de martyriser son
entourage afin qu’il se comporte conformément à ses désirs. Ce qui
revient, sans qu’elle en ait conscience, à vouloir faire disparaître tous
les activateurs de son stress. Cependant, devant la vanité de l’entreprise,
elle a dû renoncer avec un immense sentiment d’impuissance et de
désespoir. Chaque déception, chaque frustration est pour elle l’occasion
de manger dans l’espoir de se réconforter. Même ses promenades à
cheval ne parviennent plus à l’apaiser. Comme elle ne veut pas non plus
grossir, sa vie s’est transformée en un champ de bataille contre les
aliments. Il est évident que Dominique ne trouvera jamais aucune vraie
solution réconfortante auprès de ses chevaux ni de ses gâteaux. Il lui
faut apprendre à changer son point de vue sur la vie, prendre conscience
que les frustrations existent et qu’elle doit savoir y faire face.

Manger s’avère aussi être une bonne stratégie réconfortante. À


condition, comme nous l’avons vu, que la personne ne se trouve pas en
restriction cognitive. Nous avons beaucoup travaillé à pacifier la relation à
la nourriture afin que vous puissiez enfin admettre que les aliments, surtout
ceux qui ont vos préférences, sont de précieux alliés dans votre perte de
poids et non des ennemis diaboliques qui ne peuvent que vous entraîner à
grossir. Il s’agit donc d’une excellente stratégie réconfortante, mais
seulement si elle ne constitue pas la réponse unique à tous vos problèmes.

Agir directement sur les émotions


Là aussi plusieurs techniques existent et ont été proposées. La plupart
agissent directement sur les manifestations physiques des émotions. Et font
appel aux méthodes de relaxation les plus connues. Celles de Schultz ou de
Jacobson ou encore au yoga ou au tai-chi. Le principe consiste à induire un
état physique incompatible avec l’état de tension provoqué par l’anxiété.
Ces méthodes provoquent un relâchement musculaire, une diminution de la
fréquence cardiaque ou de la tension artérielle et permettent d’obtenir un
meilleur contrôle émotionnel. Cependant, elles s’avèrent inefficaces à agir
sur d’autres émotions comme la colère, la tristesse, la déception… et surtout
ne tarissent pas la source de l’anxiété. Enfin, elles s’avèrent impuissantes
face à une anxiété trop intense et sur les autres émotions. Il n’existe aucune
technique qui permette de se laver de cet abominable sentiment de honte
qu’éprouvent les « gros ».
D’autres méthodes consistent à évacuer l’émotion en apprenant à
l’extérioriser. Parfois de manière spectaculaire en passant ses nerfs sur un
oreiller, en manifestant sa tristesse par des cris et des larmes. Cependant, les
études ont montré que le fait d’exprimer violemment sa colère rendait
ensuite les sujets plus irritables et les incitait à réagir ensuite plus
facilement par la colère en cas de frustration. De même, pleurer seul dans
son coin aurait plutôt pour effet d’augmenter le sentiment de détresse.
Il est encore possible de recourir aux médicaments tels que les
anxiolytiques ou les antidépresseurs mais là aussi on conçoit aisément qu’il
ne peut s’agir d’une solution de longue durée.

Agir sur le stresseur « poids »


Toutes ces solutions peuvent apporter un réconfort passager et ne
doivent nullement être négligées. Il n’est jamais inutile de posséder
quelques techniques de relaxation, d’éviter quelques situations trop
difficiles, de pouvoir disposer de plusieurs sources de réconfort ou même,
parfois, de se faire aider par des médicaments. Néanmoins, aucune de ces
solutions ne parviendra à supprimer la vraie cause de ces émotions
négatives. Seule la disparition du stresseur « poids » pourra véritablement
vous délivrer de ce fardeau.

Comment agir sur le stresseur « poids » ?


La seule manière de sortir définitivement de ce cercle vicieux consiste à
trouver les réponses spécifiques qui modifieront votre manière d’envisager
la question du poids. Or ces réponses sont celles qui permettront à
l’individu de s’assumer. Non en tant qu’individu gros, ni même en tant
qu’individu mince. Mais en tant qu’individu tout simplement. Gros, mince,
vert ou bleu. Il n’est pas question de prétendre que l’on peut s’assumer à
60 kg mais qu’il serait impossible d’y parvenir à 65. Une telle réponse ne
ferait que traduire votre difficulté à réellement vous assumer. La capacité à
s’assumer n’est pas dépendante de vos kilos. Elle est inconditionnelle et ne
souffre aucune dérogation.

Que signifie s’assumer ?


Ce n’est pas une mince affaire que de prétendre s’assumer. Et d’ailleurs,
de quoi s’agit-il au juste ?
S’assumer, c’est tenter de se regarder avec toute l’objectivité dont on
est capable et réussir à porter un jugement sur ses compétences ou ses
incompétences physiques, intellectuelles, psychologiques, sociales… Sans
sévérité excessive et sans complaisance non plus. C’est prendre acte de nos
forces et de nos faiblesses, de ce que la nature nous a donné et de ce que
l’existence nous a apporté. Et de décider, avec les cartes qu’elles nous ont
distribuées, que nous allons conduire notre vie et jouer notre jeu. Et même
tenter de gagner notre partie. Rien ne dit que les cartes que nous avons en
main nous conviendront. Cependant ce sont les nôtres, nous n’en avons pas
d’autres. Et c’est avec elles que nous devrons essayer de faire le plus de plis
possible. Tous les joueurs savent d’ailleurs qu’il est toujours possible de
remporter de gros plis même avec de petites cartes.
Je m’empresse donc d’ajouter que s’assumer ne signifie pas se plaire.
Peut-être auriez-vous souhaité recevoir de meilleures cartes ? Mais ce serait
trop facile, si pour décider d’être heureux il fallait réunir toutes les qualités :
être à la fois intelligent comme un prix Nobel, beau comme un top model,
bon comme Mère Teresa et riche comme Bill Gates. Où serait alors le
mérite ? Non, la difficulté c’est justement de parvenir à assumer ses défauts,
ses erreurs et ses défaites. Voilà, bien sûr, où se situe la vraie force. Qui,
d’ailleurs, ne saurait pas assumer ses réussites et ses victoires ? À ce jeu-là,
nous serions tous champions du monde. Et encore…
S’assumer, ce n’est pas non plus rester immobile face à la vie. Ce n’est
pas se résigner face à l’adversité. Au contraire, les individus qui s’assument
le mieux sont sans doute aussi ceux qui auront le courage de vouloir
entreprendre et de changer ce qui peut l’être. Et qui posséderont la force
d’accepter ce qui ne pourra pas l’être.
On peut ainsi parfaitement concevoir qu’une personne s’assume et
pourtant possède un poids qui ne lui convienne pas. Quelle sera alors son
attitude ? Tout naturellement, elle essayera de maigrir. Pour cela, vous savez
maintenant comment elle devra procéder. Il lui suffira simplement de
manger selon sa faim. Dès lors, deux situations sont possibles. Soit la
personne se trouve au-dessus de son set-point et l’amaigrissement est
envisageable. Dans ce cas, cette personne qui s’assumait aura de surcroît un
poids qui lui convient. Ou tout au moins s’en sera rapprochée. Soit, elle se
trouve déjà à son set-point et, dans ce cas, elle devra accepter un poids qui
continuera à ne pas lui plaire. Toutefois, le fait de s’assumer lui permettra
de faire face à cette situation, certes avec des regrets ou de la tristesse mais
sans panique ni désespoir.

Or, précisément, cette mesure de simple bon sens, vous en serez


incapable si malheureusement vous ne vous assumez pas. Car le fait de ne
pas vous assumer produira de telles émotions que justement vous
deviendrez incapable de manger selon votre faim. Votre peur de grossir, un
jour ou l’autre, vous fera manger bien au-delà.
Que signifie s’accepter ?
La difficulté c’est bien sûr d’accepter ce qui ne peut pas changer. Quand
vous aurez acquis la conviction que vous mangez selon votre faim, vous
atteindrez, après un certain temps, votre poids d’équilibre. Le poids
génétique pour lequel vous avez été programmé. Ce poids n’est peut-être
plus celui que vous aviez il y a quelques années. Ce n’est peut-être pas non
plus celui que vous souhaitiez atteindre. C’est, néanmoins, votre futur
poids. Vouloir maigrir davantage vous imposerait de manger moins que
votre faim. Ce n’est pas réaliste et cela vous entraînerait à rouvrir les
hostilités avec la nourriture, avec tous les risques que vous connaissez
maintenant.
Il arrive que certains de mes patients refusent cette vérité. Et
n’acceptent pas ce poids. Ils objectent qu’ils peuvent encore maigrir parce
qu’ils conservent toujours, selon leurs critères, ceux de la mode ou même
ceux de la médecine, des kilos excédentaires. Ils saisissent à pleines mains
le gras de leur ventre ou de leurs cuisses et protestent qu’ils sont encore trop
gros. Ils se comportent comme si nous étions tous censés avoir des corps de
mannequins, comme si la nature nous avait tous conçus dans le même
moule. Ce n’est pas vrai. Il existe des personnes naturellement rondes,
naturellement fortes, naturellement obèses. Même si nous pouvons le
déplorer nous ne pouvons rien y changer. Cette réalité est dure à admettre.
Toutefois, nous ne la choisissons pas. Tout ce que nous pouvons changer
nous le changerons. Ce que nous ne pouvons pas changer nous devons
l’accepter. Il ne sert à rien de vouloir l’impossible. Il faudra apprendre à
vivre avec cette différence.

Pourquoi chercher à s’assumer ?


Pourquoi, en effet, se lancer dans une entreprise si difficile ? Tout
simplement pour vous permettre d’atteindre vos objectifs, s’ils sont
réalistes. Rappelez-vous. Toutes les émotions trop fortes peuvent vous faire
manger : la panique, la honte, la culpabilité, la colère, le désespoir.
Rassurez-vous, il ne s’agit pas de faire disparaître toutes vos émotions, ni
même de vous rendre indifférent à vos problèmes de poids. Bien au
contraire, je vous recommande de vous préoccuper de votre corps, de vous
soucier de votre santé, de veiller à votre sécurité ou à votre avenir.
L’absence d’émotions à ce sujet serait la pire catastrophe qui puisse vous
arriver. Il est heureux que vous soyez attentif à votre sécurité. Grâce à cela,
vous resterez vigilant avant de traverser une rue. Grâce à cette petite
inquiétude qui vous prend au bord du trottoir votre tête effectuera un léger
quart de tour afin de vérifier que la voie est libre et vous pourrez traverser
en toute sécurité. Sans elle, votre espérance de vie ne dépasserait pas trois
heures dans une ville comme Paris. À l’inverse, si vous êtes paniqué à
l’idée de vous faire écraser vous resterez cloué sur le trottoir ou vous
traverserez la route en courant comme un fou et vous ferez renverser par
une voiture. L’absence ou l’excès d’émotions finira par vous apporter une
foule de désagréments ou d’ennuis graves. Et, dans tous les cas, vous
éloigneront des objectifs simples que vous vous étiez fixés : traverser une
rue en toute sécurité. Alors que des émotions proportionnées vous
permettront d’atteindre vos objectifs.
Souvenez-vous de notre joueur de tennis. Sa panique à l’idée de perdre
son match a toutes les chances de le desservir et donc de l’éloigner de sa
victoire. Ses émotions jouent contre son camp. Alors qu’une tension
modérée éveillera tous ses sens et lui permettra de jouer à son meilleur
niveau. Sa motivation est extrême, son désir de gagner aussi. Il est
simplement capable de faire face à ses peurs et d’affronter sans aucun
plaisir, soyez-en assuré, l’idée qu’il redoute le plus : perdre son match.
Mais quel rapport avec le poids, me direz-vous ? Il nous suffit de
transposer pour mieux comprendre. Votre peur immense à l’idée de grossir
ou de ne pas maigrir est une émotion d’une telle force qu’elle vous fera
manger au-delà de votre faim et vous éloignera du poids que vous souhaitez
atteindre. Alors qu’une inquiétude justifiée vous maintiendra dans un état
émotionnel qui vous permettra de manger selon votre faim. C’est seulement
si vos émotions demeurent proportionnées qu’elles resteront gérables et
vous permettront d’atteindre les objectifs que vous vous êtes fixés. Pour
cela, il vous faut vous assumer en tant qu’individu, quel que soit votre
poids, et par conséquent devenir capable d’affronter l’idée que vous
redoutez le plus : ne pas maigrir ou peut-être même grossir !

S’assumer

Ce n’est pas :
— Se plaire.
C’est :
— Changer ce qui peut l’être.
— Accepter ce qui ne peut l’être.
— Être capable d’affronter l’idée que l’on redoute le plus.

Le surpoids et l’obésité, je vous le rappelle, n’ont que deux raisons


d’être. Ou bien il s’agit d’une différence génétique qui impose un set-point
élevé. Ou bien il s’agit d’un dérèglement du comportement alimentaire qui
conduit la personne à manger au-delà de ses besoins et à dépasser son set-
point. Les deux ne s’excluant pas. Dans le premier cas, il n’est rien d’autre
à faire que l’assumer. Dans le second cas, si la situation vous déplaît, rien
ne vous empêche de ne pas l’accepter et de vouloir vous en guérir.

De quoi avez-vous peur ?


Savoir que vous avez peur de grossir ne vous aidera pas à vaincre cette
peur. Pour cela, il faut que vous découvriez ce qui se cache derrière elle. De
quoi, précisément, concrètement, avez-vous peur ? Avec quels mots
pouvez-vous la décrire ? L’inquiétude est compréhensible, pas la panique.
Quelles sont vos irrationalités ? Pour les déceler, je vous propose de vous
livrer à un petit exercice. Accordez-vous une bonne heure de réflexion et
essayez de répondre à ces deux questions.
1. Si je maigrissais, je serais, je ferais…
Il s’agit ici de décrire quelles sont toutes vos attentes à l’égard de la
perte de poids. Écrivez tout ce qui vous passe par la tête, vos idées les plus
folles et les plus irrationnelles : « Je serai la plus belle du royaume et tous
les hommes seront à mes pieds. »
2. Si je grossissais, je serais, je ferais…
Ici, il s’agit, au contraire, de décrire vos peurs les plus terrifiantes :
« Ma femme me laissera tomber. J’ai eu la chance d’en trouver une qui
voulait bien de moi. Ce n’est pas près d’arriver deux fois. Je finirai ma vie,
seul et malheureux, dans un hospice de vieux, abandonné de tous… »

Quand vous aurez achevé cet exercice, vous aurez votre stresseur sous
les yeux. Chaque fois que vous montez sur votre balance, que vous ne
trouvez pas un vêtement à votre taille, que vous surprenez un regard
évaluateur, le stresseur se met en route. D’un coup, ce sont toutes vos
attentes qui s’envolent et toutes vos peurs qui se réalisent.
Voici le témoignage de Charlotte :
Le stresseur « poids »
Si je maigrissais, je serais, je Si je grossissais, je serais, je
ferais… ferais…
– Je serais plus à l’aise dans mes
– Je culpabiliserais d’avoir repris des
vêtements, moins serrée.
kilos.
– Je serais moins complexée face au
– Je vivrais cela comme un échec,
regard des autres (piscine, plage).
face au regard de mes proches.
– Je supporterais mieux de me voir
– Je serais jugée par les autres de ne
en photo, face à la glace.
pas avoir assez de volonté.
– Je m’accepterais plus.
– J’aurais l’impression d’être jugée
– J’aurais le sentiment d’être dans la
par mes proches qui m’ont vue faire
norme.
du yo-yo.
– Je serais mieux dans mon corps,
– J’aurais du mal à me regarder de
moins gênée par mon ventre.
nouveau dans la glace mais surtout
– Je remettrais des vêtements qui ne
sur les photos où je me trouve très
m’allaient plus.
grosse.
– Je pourrais retourner dans les
– Je bougerais moins aisément (les
boutiques et essayer des vêtements
montées d’escaliers, danser dans les
qui seront à une taille acceptable.
discothèques).
– Mon père serait fier de moi.
– J’aurais moins envie de sortir en
– Je mettrais des vêtements à mon
boîte par exemple et danser.
goût, plus légers en été et plus
– Je serais moins à l’aise dans mon
courts.
corps.
– Je serais plus à l’aise dans les
– Je n’oserais pas me mettre un
relations intimes avec mon mari.
maillot.
– Je pourrais refaire du sport, type
– J’aurais honte de moi.
tennis, bouger, danser.

En examinant attentivement votre tableau, pouvez-vous différencier les


affirmations qui sont réellement en rapport avec votre poids de celles qui
sont en rapport avec l’idée que vous vous faites de votre poids ?
Certaines situations sont directement les conséquences d’une surcharge
pondérale. Elles concernent les aspects strictement physiques du poids (je
serai moins gênée par mon ventre, je serai moins essoufflée…) ou les
difficultés à se vêtir (s’habiller à la mode, trouver plus facilement sa taille
dans les boutiques…). Il est peu contestable que la disparition d’un surpoids
améliorera l’aisance physique ou que la disparition d’une obésité
importante sera bénéfique pour la santé. En revanche, la perte de deux ou
trois kilos, à moins que l’on soit un sportif de haut niveau, n’aura aucun
effet significatif sur la condition physique et sur les performances physiques
globales d’un individu. Certaines personnes affirment pourtant ne pas
pouvoir supporter un ou deux kilos venus se loger sur leur ventre ou leurs
cuisses. Elles prétendent se sentir considérablement « mieux dans leur
peau » avec un poids à peine inférieur. Certes. Toutefois, il ne s’agit pas là
d’une amélioration de leur condition physique mais bien plus d’un regain de
confort psychologique et de confiance en soi.
Il n’est pas davantage contestable que s’habiller à la mode se
transforme rapidement en parcours du combattant pour ceux ou celles qui
s’écartent du 38 ou du 40 standard. Aucun commerçant ne peut ignorer que
la taille moyenne des femmes françaises se situe aux alentours du 42/44.
Mais il semble que les fabricants et les créateurs de vêtements n’aient
jamais eu connaissance de ces informations et s’obstinent à penser qu’il n’y
a plus de vie au-dessus du 38 ou que la croissance des femmes s’arrête
après douze ans.
Pour le reste, la presque totalité des affirmations ne concernent plus
votre poids mais plutôt l’idée que vous vous faites de votre poids. Ainsi un
grand nombre de situations que vous ne pouvez affronter ne sont pas la
conséquence de votre poids mais de l’image que vous avez de vous-même.
Votre poids ne vous empêchera pas de porter un maillot de bain.
« Techniquement », vous pouvez entrer dans un maillot. Si vous n’osez le
faire, n’est-ce pas simplement que vous jugez indécent de vous exposer
ainsi au regard des autres ? À ce propos, laissez-moi vous rapporter un petit
souvenir. L’une de mes patientes me disait un jour qu’elle n’allait plus à la
piscine depuis des années par crainte de se mettre en maillot et de devoir
affronter le regard des autres. Je la regardais, ébahi. Ma patiente était
aveugle depuis sa naissance. Elle ne pouvait manifestement pas avoir été
gênée par des regards évaluateurs. De quoi parlait-elle donc ? En vérité, ce
fameux regard, qui bien sûr existe, est bien plus souvent une projection de
son propre regard dans le soi-disant regard des autres. Il n’est pas
raisonnable de penser, tout au moins dans ce domaine, qu’il soit possible de
dissocier le jugement des autres du jugement que l’on porte sur soi-même.
Que découvre-t-on à l’analyse du stresseur « poids » ? Des relations très
douloureuses avec son corps et avec les autres. Ces relations pourraient
schématiquement s’exprimer de la manière suivante :

Relation avec le corps :


« La valeur personnelle d’un individu est inversement
proportionnelle à son poids. »

Relation avec les autres :


« Je ne peux être aimé ou apprécié que si je suis mince. »

Voilà donc les blessures du gros. Il ne s’estime pas et ne pense pas que
les autres pourront l’aimer tel qu’il se voit. D’une part, il ne vaut rien à ses
propres yeux. D’autre part, il redoute que les autres l’apprennent et le
rejettent pour cela. Sa peur ultime, c’est l’exclusion.

« La valeur personnelle d’un individu est inversement proportionnelle à son


poids »
N’est-il pas étonnant de corréler la valeur d’une personne au nombre de
ses kilos ? N’est-il pas déjà étonnant que l’on puisse prétendre établir la
valeur globale d’un individu ? À supposer même que cela soit possible,
quels critères pourrait-on retenir ? Sa force physique, son intelligence, le
nombre de ses amis, son compte en banque, sa situation sociale, la surface
de sa maison… ? Quels que soient les critères que l’on retienne, l’épaisseur
de son tissu adipeux peut-elle en faire partie ?
C’est pourtant bien le cas dans notre société. Voici les opinions que les
sociologues et les psychologues ont recueillies dans différents groupes de
populations.

Mal jugés par tout le monde…


Les préjugés concernant les gros apparaissent dès le plus jeune âge. De
très jeunes enfants à qui l’on propose de jouer avec des poupées de
corpulences variables évitent systématiquement les plus grosses. Ou encore,
quand on demande à des garçons de six à dix ans d’attribuer des adjectifs
concernant des silhouettes d’enfants de leur âge, minces ou obèses, alors
que les premières sont toujours jugées positivement, les secondes sont
qualifiées d’adjectifs dévalorisants : tricheur, paresseux, sale, méchant, laid,
bête, etc. Dans une autre étude, on leur demande de classer par ordre de
préférence des images représentant des enfants de leur âge souffrant de
divers handicaps et un obèse. C’est généralement ce dernier qui est classé
avec le moins d’indulgence.
Ces préjugés se perpétuent à l’adolescence. Ainsi, quand on présente à
des adolescents les curriculum vitae de candidats à un emploi, en
fournissant une photographie ou une description écrite des candidats en
question, les obèses obtiennent de moins bons scores que les minces. Et
cela uniquement en raison de leur poids, car les qualités des candidats
étaient équivalentes sur tous les autres points.
Quant à l’adulte, son image de l’obèse est la suivante. Il s’agit d’une
femme de 1,60 m et de 80 kg, âgée de 30 à 50 ans, malade, fidèle, patiente,
gaie, douce, grosse mangeuse, angoissée. Elle est peu attirante, pas
moderne, passive, vulgaire, se laisse aller et ne travaille pas. Si elle
travaillait, elle serait commerçante, femme de ménage ou caissière. Elle doit
porter des vêtements sobres, vit en HLM et a des goûts populaires pour ses
distractions et ses lectures1.
Pire que tout, les médecins eux-mêmes ont une mauvaise opinion de
leurs patients obèses. Dans une étude sur 318 médecins de famille
américains, 47 % ne pensaient pas qu’entreprendre le traitement d’un obèse
était un acte thérapeutique gratifiant. 39 % d’entre eux qualifiaient même
leurs patients obèses de paresseux. Les mêmes attitudes négatives sont
encore retrouvées chez les étudiants en médecine. Ces travaux révèlent
comment le corps médical assure une fonction de « grand stigmatiseur » et
contribue à la dépréciation de la personne obèse en lui apposant l’étiquette
de comportement déviant2.
Il est donc bien certain que les gros sont victimes de préjugés
ségrégationnistes. Tout le monde en pense et en dit du mal. Ils n’ont droit à
aucune compassion. Car eux ne sont pas des malades, ce sont des fautifs
responsables de leur état.
Je vous suggère de vous livrer à un petit exercice. Préparez un tableau à
deux colonnes et inscrivez d’un côté toutes les horreurs que vous avez
entendu proférer sur les gros ou celles que vous-même pensez. De l’autre
côté, inscrivez toutes les gentillesses que vous pensez des minces. Dites
sans hésiter tout ce que vous avez sur le cœur.

Les gros Les minces


Ils se laissent aller. Ils se prennent en main.
Paresseux. Dynamiques.
Sans volonté. Entreprenants.
Mous. Volontaires.
Sales. Propres.
Ne se maîtrisent pas. Ils maîtrisent leur vie.
Ce sont des ratés. Ils réussissent socialement.

Vous venez d’associer des caractéristiques morales à


des caractéristiques morphologiques. Cela porte un nom. Les minces sont
des gens volontaires parce qu’ils sont minces. Les gros sont des paresseux
sans volonté parce qu’ils sont gros. Cela s’appelle tout simplement du
racisme pour ne pas dire de la bêtise.
Voila ce que notre société pense des gros. Mais, chose beaucoup plus
grave, c’est aussi ce que les gros pensent d’eux-mêmes. C’est souvent ainsi
qu’ils se voient.
Adhérez-vous à ces stéréotypes ? Est-ce vraiment ce que vous pensez
de vous ou de vos amis ? Ne connaissez-vous donc aucun gros dynamique
et volontaire ? Ne connaissez-vous donc aucun mince lymphatique et
paresseux ? Tous les minces de votre entourage sont-ils des modèles de
réussite sociale ? Tous les gros sont-ils des ratés ?

Maigrir : est-ce une question de volonté ?


Il semble que le principal défaut du gros soit donc son absence de
volonté. Peut-être le pensez-vous aussi ? C’est ce que pensent la plupart de
mes patients. Or je crois vous avoir montré tout au long de ce livre que nous
n’avons aucunement eu besoin de produire le moindre effort de volonté.
Nous avons seulement réfléchi et essayé de comprendre la relation qui vous
unissait à la nourriture. Nous l’avons simplifiée et surtout pacifiée. Les
problèmes de poids n’ont jamais été affaire de volonté. Ceux qui l’ont cru
l’ont souvent chèrement payé. Il s’agirait plutôt de simple psychologie
alimentaire. Et, comme toujours en psychologie, il suffit de trouver les
bonnes clés pour ouvrir les bonnes serrures. Essayez donc d’ouvrir une
serrure ronde avec une clé carrée. Vous risquez tout bonnement de briser
votre clé. Et à quoi vous servira alors toute votre volonté ? À vous acharner
sur une clé qui ne peut rien ouvrir. Et vous finirez aussi par briser votre
serrure. Or les régimes sont des clés carrées qui ne pourront jamais ouvrir
les serrures rondes que vous êtes. Plus vous vous entêterez plus vous vous
ferez du mal. Si les gros n’avaient pas eu tant de volonté, ils ne seraient
sûrement pas dans la situation où ils se trouvent maintenant. Ils n’auraient
pas fait tant de régimes stupides, mangé des soupes aux choux, avalé des
médicaments dangereux, jeûné des jours entiers, dépensé leur argent dans
des sachets de protéines…
Tous mes patients m’ont appris jusqu’où pouvaient aller ceux qui
souffrent. Ils peuvent parcourir des centaines de kilomètres pour se rendre
chaque semaine chez leur médecin, ne rien manger d’autre que du bouillon
pendant des jours, manger de la nourriture en poudre pendant des semaines,
ne pas toucher un gâteau pendant des mois ou des années pendant qu’ils
regardent les autres s’en régaler… Pensez-vous qu’il ne faille pas de
volonté pour supporter tout cela ?
Voyez-vous, en matière d’amaigrissement, la volonté est proche d’un
entêtement forcené qui n’entraîne que déboires et déceptions. Imaginez que
vous souhaitiez vous rendre de Paris à Marseille avec une fausse carte
routière. Sans volonté mais avec un peu de réflexion, vous prendrez
conscience de votre erreur et vous arrêterez à temps pour corriger votre
route. Mais avec la volonté acharnée d’appliquer de mauvaises indications,
vous ne comprendrez votre erreur qu’une fois parvenu au bord de
l’Atlantique. Et encore, certains feront dix fois la même route et dix fois la
même erreur. Appliquer toujours la même mauvaise solution entraînera
toujours le même mauvais résultat. Voilà à quoi sert la volonté sans
compréhension. Les plus volontaires finiront leur chemin à la nage. Bon
courage.
En réalité, bien souvent la volonté n’est là qu’une illusion. L’usage de la
volonté dans le contrôle du comportement alimentaire ne fait en réalité que
traduire l’échec du système de régulation du poids. Quand l’individu
commence à faire intervenir sa volonté pour lutter contre son désir de
manger des aliments défendus, c’est le plus souvent déjà le signe d’une
anomalie dans son fonctionnement psychophysiologique. Bien sûr, quand
les signaux de faim ou de rassasiement disparaissent, l’individu se trouve
obligé de construire des limites qui l’empêcheront de manger des quantités
de nourriture inappropriées à ses besoins. Les régimes apportent ces limites,
mais, dans le même temps, ils contribuent à entretenir cette situation et
empêchent la personne de découvrir ses propres limites internes. Les
anorexiques se présentent souvent comme les championnes de la volonté.
Elles s’estiment capables de s’opposer aux tentations les plus irrésistibles.
Elles ne font là que traduire leur incapacité à consommer avec modération
des aliments qu’elles ne pourraient s’empêcher de dévorer. Elles sont en
réalité incapables de manger leurs aliments tabous. Même si elles le
voulaient, elles ne le pourraient pas. Ce n’est pas la volonté de ne pas
manger qui les arrête. Elles sont simplement prisonnières de leur peur de
grossir.
La plupart des patients que j’ai rencontrés étaient en situation d’échec
depuis plusieurs années, mais aucun n’avait un problème de volonté.
Comme chaque fois qu’une maladie suscite le désespoir, les individus font
preuve de toute la volonté du monde pour en venir à bout.
Malheureusement, dans ce cas, plus la personne recourt à sa volonté pour
s’empêcher de manger des aliments « interdits », plus sa situation risque de
s’aggraver. Car ce n’est pas l’absence de volonté qui est en cause. Mais le
fait de la gaspiller pour rien, pour s’empêcher de manger des aliments
supposés « grossissants ».
Ainsi le gros, soupçonné de ne pas avoir de volonté, disposerait bien
d’une solution pour démontrer le contraire : faire un régime et manger des
aliments « autorisés » qui permettraient d’incorporer cette fameuse volonté.
Manger des haricots verts quand tout le monde mange des frites et des
gâteaux, voilà qui forcera l’admiration et augmentera sa propre estime de
soi. Malheureusement, plus il recourt à sa volonté pour résister à la
tentation de manger des aliments « grossissants » plus il les rend désirables
et s’expose à transgresser ses interdits. Ce qui lui confirme qu’il avait bien
raison de penser qu’il n’avait pas de volonté. Mais comme il ne se résout
pas à accepter cette idée, il existe une autre solution qui permettra, cette fois
c’est sûr, de démontrer vraiment le contraire : faire un régime encore plus
sévère. Et tout pourra recommencer…
Soyez-en convaincu, la maladie des gros n’est certainement pas de
manquer de volonté. Leur maladie se trouve dans un dérèglement de leur
tissu adipeux et de leur comportement alimentaire. Ils ne sont plus capables
de manger selon leur faim. À quoi servirait de leur demander de se
contraindre à manger moins puisque c’est justement ce qu’ils ne savent et
ne peuvent pas faire ? Peut-être pensez-vous aussi que les personnes
déprimées manquent de volonté ? C’est, en effet, ce que l’on a cru d’eux
pendant des siècles. La société les jugeait faibles, incapables de se ressaisir
et de se reprendre en main. Or précisément cet accablement, cette tristesse
qu’ils manifestent est leur maladie. Demander à un tel malade de « se
secouer » a peu de chance d’être suivi du moindre signe d’amélioration. À
tel point que si, par bonheur, l’un d’eux s’en trouvait guéri, on pourrait
même se prendre à douter du diagnostic de dépression.
De même, les lépreux qui présentent la maladie infectieuse la moins
contagieuse du monde ont été considérés comme des êtres dépravés et
hérétiques qu’il fallait isoler et abandonner à leur sort dans les conditions
les plus abominables. Les exemples ne manquent pas dans l’histoire de la
médecine qui montrent combien la société a pu commettre d’erreurs dans
les jugements qu’elle portait sur ses malades. Confondant sans cesse morale
et médecine.

Pourquoi les minces sont-ils beaux et pleins de volonté ?


D’où nous vient donc cette étrange idée que les minces possèdent de la
volonté alors que les gros n’en n’auraient pas ?

La minceur fait partie des nouveaux critères de beauté


Le corps rêvé par nos contemporaines se caractérise aujourd’hui par sa
minceur et son rejet « épidermique » de la moindre trace de graisse. Elles le
souhaitent tout en muscle et en fermeté, dépourvu de ses attributs féminins.
La culotte de cheval et la cellulite, que les médecins considèrent, au même
titre que la poitrine, comme un caractère sexuel secondaire, sont la cible de
tous les traqueurs de graisse. Ce corps idéal depuis le début du siècle n’a
cessé de mincir et par là même de s’éloigner de sa réalité.

Une beauté idéale


de plus en plus inaccessible

Deux psychologues, Garner et Garfinkel ont étudié l’évolution des


mensurations des playmates, entre 1969 et 1978. Ces jeunes femmes
qui font la page centrale du magazine Playboy avant d’aller s’afficher
sur les murs de leurs admirateurs. Ces auteurs les considèrent comme
de bonnes représentantes de la beauté idéale, tout au moins du point
de vue des hommes. Leur silhouette s’est progressivement
transformée avec une taille et un tour de hanche en constante
diminution, tandis que leur poids allait, lui aussi, en diminuant. Alors
que dans les trente dernières années, la jeune fille américaine de 17 à
24 ans voyait son poids augmenter de 2,5 à 3 kg. Selon cette étude,
seuls 5 % de la population féminine actuelle correspondraient aux
normes pondérales de Playboy. Et ces dernières sont particulièrement
indulgentes si l’on considère les mensurations des mannequins qui
font aujourd’hui la couverture des journaux de mode.
Miss America, qui, chaque année, est élue championne de la
beauté, a été étudiée par Roberta Pollack Seid. Entre les années 1950
et 1980, son indice de corpulence est passé de 19,5 à 17,6. Soit une
perte de 5 à 7 kg selon sa taille. De plus, à partir de 1970, la gagnante
est toujours plus mince que les autres concurrentes. Cette progression
s’est encore poursuivie puisque la corpulence des mannequins se situe
aujourd’hui aux environs de 15,5 tandis que celle de la Française est
en moyenne autour de 22. Inexorablement, sans que rien ne vienne
l’empêcher, l’écart entre le corps idéal et le corps réel ne cesse
d’augmenter, rendant la beauté de plus en plus inaccessible.
Mais la beauté n’est pas qu’une affaire de kilos et il serait abusif de
vouloir la réduire à une question de corpulence. Ce qui caractérise la
période que nous vivons, c’est l’aspect de ce corps qui doit dorénavant se
doter d’une impeccable musculature. Et, fait sans précédent dans l’histoire
de la beauté féminine, il ne doit plus seulement être mince et gracile mais
sec et sans moelleux. C’est pourquoi non content de le priver de manger
pour atteindre le poids rêvé, il faut encore le sculpter et lui donner une
allure tonique. Pour y parvenir, le sport est l’allié de choix et, de fait, les
années 1980 ont vu naître la formidable explosion du sport de masse. Les
femmes se précipitent dans les salles de gymnastique pour suer sur des
appareils qui leur indiqueront combien de calories auront été dépensées.
Jogging, body-building, aérobic : le sport devient l’instrument de maîtrise
du corps.
Jusqu’au milieu de ce siècle, ce sont le vêtement et ses accessoires qui
garantissaient l’apparence. Aujourd’hui, le corps, au lieu du vêtement,
devient le premier objet visible dans la relation avec l’autre. Pour maîtriser
son apparence, il faudra de plus en plus contrôler son corps. Car ce corps
que nous montrons, nous lui attribuons une signification. Par lui, nous
adressons un message. Quelle est donc la signification de ce corps mince et
maîtrisé ? Que dit-il aux autres ?

Les critères de beauté ne sont que le reflet des valeurs d’une société
Pourquoi les critères de beauté sont-ils donc si changeants d’une
époque à l’autre ou d’une société à l’autre ? Pourquoi apprécie-t-on les gros
au XVIIIe siècle et les minces au XXIe ? Pourquoi les blondes plutôt que les
brunes ? Pourquoi les longs cous ou les petits pieds ? Est-ce seulement le
fait du hasard ?

Les rondeurs d’ailleurs

Dans une région du Tchad vivent, côte à côte, deux tribus, les
Massa et les Moussey, pratiquant des modes de chasse très différents.
Les premiers combattent à pied, à l’aide de gourdins, d’épieux et de
cuirasses. La force, le poids et l’embonpoint sont des qualités
physiques indispensables à cette forme de combat. Chaque année sont
organisées dans cette tribu des compétitions entre les villages, qui
présenteront chacun leurs champions préalablement engraissés après
avoir suivi une cure de lait (guru). Ils seront gavés d’une bouillie de
sorgho qui les fera grossir de 20 kg en deux mois. Leur procurant, par
là même, un poids qui les rendra presque impossibles à déséquilibrer
dans les compétitions de lutte. Le participant témoigne ainsi de sa
richesse et de celle de tous ceux qui ont organisé son engraissement. Il
suscite l’admiration de tous et, en ce sens, il devient « beau » (naa).
Un participant au guru désire devenir un « sa ma naana », quelqu’un
qui est simultanément beau, bon et aimable. La maigreur (noka),
quant à elle, est ridicule, et est considérée comme un signe de
pauvreté. Et si l’adepte du guru est, d’une certaine façon, beau, c’est
en effet parce qu’il symbolise la richesse et les talents de combattant
nécessaires à la survie de sa tribu (De Garine, 1997). Quant à leurs
voisins, les Moussey, ils combattent à cheval et lancent des couteaux.
L’agilité, la légèreté et la détente sont pour eux des qualités autrement
plus vitales. Mais phénomène intéressant, pour les Moussey, qui
vivent donc côte à côte avec les Massa, l’embonpoint est un signe de
laideur alors que la minceur devient un critère essentiel de beauté.
Dans un milieu où le guerrier est vénéré, où la force physique est une
condition capitale de la survie et donc la valeur la plus recherchée, il
est frappant de constater que les critères de beauté correspondent à la
possession des qualités requises pour la technique de combat utilisée
par les guerriers. Le bel homme sera donc celui qui possédera les
qualités les plus essentielles pour la société dans laquelle il vit.

En Europe, entre le Moyen Âge et le début du XXe siècle, les rondeurs


ont rendu les femmes plus belles et plus désirables. L’homme non plus ne
pouvait se permettre d’être trop maigre. Cependant, au travers de leur corps,
l’un et l’autre exprimaient chacun des valeurs différentes.
Dans toutes les sociétés, la femme est objet de désir, toutefois ce n’est
que dans les sociétés technologiquement avancées que ce désir est dissocié
de son aptitude à la maternité. Dans la plupart des sociétés traditionnelles,
l’embonpoint est considéré chez la femme comme le signe de sa capacité à
porter des enfants. Elle est, dans une certaine mesure, belle parce que
féconde3. Cette fécondité est le gage d’une nombreuse descendance,
indispensable à la préservation et à la transmission du patrimoine familial.
Et, surtout, dans un temps où il n’existait pas de système de prévoyance de
la retraite, les enfants étaient la seule assurance d’une fin de vie à l’abri du
besoin. On comprend alors que la stérilité soit considérée comme un
événement dramatique dans la vie d’un couple. Il n’est pas difficile de
concevoir qu’une femme dont l’embonpoint symbolise sa fécondité sera
regardée avec plus de convoitise et même d’amour, qu’une femme dont la
maigreur signifie absence de descendance, dispersion du patrimoine
familial et fin de vie difficile.
La corpulence de l’homme, quant à elle, dans une société où l’état de
pénurie est présent dans tous les esprits, se doit d’inspirer une certaine
richesse. La graisse qu’il arbore avec fierté, le protège des incertitudes de
l’avenir. Elle est, encore plus que son bas de laine, son assurance contre les
difficultés de l’existence. Elle traduit concrètement l’opulence et le confort
de sa vie matérielle. Elle est aussi signe de respectabilité. En effet, un
homme corpulent est un homme que son travail peut nourrir au-delà de ses
besoins. Il dispose même d’un excédent qu’il se permet d’arborer avec
fierté. Sa graisse devient le signe visible de sa richesse, elle est à la fois
partie et image de son capital.
L’embonpoint, en même temps que la prospérité, inspire la force
physique et la santé. Il rassure sur les capacités de l’homme à défendre sa
famille, à travailler sans rechigner à l’ouvrage et ainsi subvenir aux besoins
des siens quand le sort sera moins favorable. Là encore, on conçoit qu’une
jeune femme convoite davantage un homme qui représente à ses yeux force
et prospérité qu’un autre qui lui fasse craindre un avenir difficile et précaire.
On voit que la beauté n’a rien de neutre, elle exprime dans tous les cas
les valeurs essentielles de la société : force physique, fécondité, richesse…
Et comme le fait remarquer M.-A. Descamps : « Le corps que nous vivons
n’est donc jamais pleinement le nôtre. Nous sommes pénétrés par la société
qui nous traverse de part en part. Ce corps n’est pas mon corps, c’est une
image sociale. » Par sa forme, son apparence, le corps parle et s’adresse aux
autres. Il dit : « Je chasserai pour toi, tu n’auras pas faim », « Je t’assurerai
une descendance et une vieillesse heureuse », ou encore : « Ne crains rien,
j’ai suffisamment de richesses pour nous deux. » C’est alors que l’homme
ou la femme qui adresse ce message devient soudain beau et par conséquent
désirable pour les autres.

La signification sociale de la minceur


Pour de nombreux sociologues et psychologues, la minceur est devenue
synonyme de maîtrise du corps et donc de soi-même. Ce dont témoigne
aujourd’hui le corps, ce n’est plus comme autrefois d’un pouvoir social
mais d’un pouvoir sur soi-même. Il exprime désormais le contrôle de ses
émotions, de ses pulsions et de ses faiblesses. Il prouve ainsi la supériorité
de l’esprit sur le corps. La domination du corps par la volonté.
Avec l’apologie de l’individualisme, la société cultive chez chacun le
goût des activités centrées sur soi au détriment de celles qui nécessitent la
préservation du lien social. Elle privilégie les activités riches de sensations
mais pauvres d’échanges. Le corps, dans cette optique, devient un
instrument de puissance qui renforce le sentiment d’exister. Le succès des
activités physiques individuelles et des sports extrêmes est le témoin de
cette évolution. Ainsi pour Patrick, adepte du body-building, le modèle
corporel idéal devient mince et musclé : « Quand je me regarde dans la
glace, ce n’est pas moi que je vois, c’est mon œuvre d’art. » Il manifeste
ainsi toute la puissance de sa volonté. Après un régime et quelques heures
passées dans les salles de sport, cette jeune femme ne dit pas non plus autre
chose : « Mes amis me trouvent épanouie et en pleine forme, sans
remarquer que j’ai maigri. Mais moi, je sais que je me sens bien dans ma
peau parce que je me contrôle et que j’ai repris confiance en moi. » Le
corps devient ainsi le moyen de dire aux autres que l’on possède une des
valeurs cardinales de la société : la volonté. Un corps mince taillé, travaillé,
sculpté par le sport et les régimes devient la meilleure preuve de cette
maîtrise. Autrefois, un regard suffisait à situer l’aisance matérielle de
l’homme qui se « portait bien ». Aujourd’hui, l’apparence suffit de même à
dire : « Regardez mon corps. N’est-il pas la preuve que je suis quelqu’un
qui se domine, qui assure dans toutes les situations ? »
Pour la sociologue américaine M. Mackenzie, cette idéologie du « self-
control » exprime une des valeurs morales les plus profondes de la culture
américaine. Elle est la clé indispensable de toute réussite sociale et
professionnelle. La traduction corporelle de cette idéologie en est le corps
mince qui devient la preuve visible de la maîtrise de soi. Ses travaux sur les
obèses retrouvent de façon quasi constante des associations subjectives
entre d’une part minceur et self-control et d’autre part obésité et perte de
contrôle. Le gros est soupçonné de laisser-aller et de manque de volonté. Il
s’en trouve honteux et cherche à s’en cacher.

Le poids des apparences


Comment s’étonner dès lors que chacun s’efforce de parvenir à cet idéal
corporel à la fois promesse d’amour et de réussite sociale ?
Malheureusement, si ce dernier change au gré des évolutions de la société,
le corps reste celui que l’on a et ne correspond pas toujours à l’humeur du
temps. Pour le mettre à la mode aucune société n’a su résister à la tentation
de vouloir le transformer. On connaît, dans le monde, toutes sortes de
transformations corporelles qui, de notre point de vue occidental, paraissent
sauvages et barbares. Citons simplement les femmes à plateau du Tchad, la
déformation du pied en Chine, l’allongement du cou des femmes Padaung
en Birmanie. Mais citons aussi les scarifications des sociétés africaines ou
le percement du nez ou des oreilles qui ne va pas sans nous rappeler la
mode du percing en vogue parmi certains groupes de jeunes Anglo-Saxons.
De même, la compression de la taille ou de la poitrine nous rappelle le
fameux corset qui fit son apparition en Europe au XVe siècle. Les femmes
japonaises ou vietnamiennes se sont mises très tôt à porter des bandes qui
leur comprimaient les seins tandis que les femmes Dayak de Bornéo
portaient, comme en Europe, des corsets de rotin qui, également,
occasionnaient un puissant inconfort et parfois certaines blessures graves.
Toutes ces techniques du corps se justifient, dans les sociétés qui les
pratiquent, par le fait qu’elles contribuent à embellir l’individu. Elles sont
toujours réalisées dans le but de faciliter l’identification du sujet par son
groupe social en modifiant son corps de façon visible et reconnaissable par
les autres membres de sa société. Qui aujourd’hui soutiendrait que de telles
pratiques, toujours effectuées sur des femmes, contribuent à accroître leur
bien-être et à leur épanouissement ? Mais qui aujourd’hui oserait les
comparer avec nos opérations de chirurgie esthétique : rhinoplastie,
liposuccion, remodelage des seins ? Vu de loin, il ne s’agit finalement que
de casser des nez et d’aspirer ou trancher des chairs, anesthésie en plus.
« Dans tous les cas, il s’agit d’être beau et belle ; c’est une mise en
conformité avec un idéal culturel, un standard type social. Le groupe
détermine un modèle du corps dont chaque membre cherche à se
rapprocher. »
Est-il critiquable de vouloir être beau pour en être plus aimé ? Il serait
vain de s’engager dans une telle discussion. Le corps a toujours été un
instrument de séduction et de pouvoir. C’est un fait naturel qui dépasse les
hommes et leurs sociétés. Il se retrouve tout autant dans le règne animal où
l’on voit le mâle déployer ses parures ou entreprendre des danses d’amour
pour séduire sa femelle. Ces rituels participent à la survie des espèces en
assurant la transmission du patrimoine génétique d’une génération à l’autre.
Sans un minimum d’attirance pour sa compagne ou son compagnon,
pourquoi l’être vivant se donnerait-il le mal de s’assurer une descendance ?
Il est donc normal que le corps soit instrumentalisé. Ne nous en
plaignons pas. Mais jamais dans l’histoire de l’humanité nous n’avons
assisté à de tels excès. Pour parvenir à ses fins, le mangeur a ainsi
instrumentalisé sa nourriture. Pour transformer son corps, au lieu de
scalpels, de corsets, ou autres moyens de contention, il se sert maintenant de
ses aliments. Le temps n’est plus où les aliments se devaient simplement
d’être bons et nourrissants. Ils se doivent aujourd’hui d’être utiles à nous
maintenir minces. Qu’ils soient bons ne présente qu’un intérêt accessoire.

Nous ne sommes pas des pâtes à modeler


Chaque société, chaque siècle émet de nouveaux critères de beauté.
Mais nous, pauvres humains, ne pouvons suivre la mode quand elle
s’applique directement sur notre corps.
Aujourd’hui les femmes les plus belles ont un IMC qui se situe entre 15
et 17. Au XVIIIe siècle, il se situait entre 25 et 27. Demain sera un autre
siècle qui édictera ses nouveaux diktats. Rien ne peut venir empêcher la
société de déplacer à son gré le curseur de la corpulence idéale. Même pas
la médecine qui a affirmé que la corpulence idéale se situait entre 20 et 25.
Mais pensez-vous que votre corps n’est qu’une pâte à modeler que vous
pourrez pétrir au gré des modes ? Croyez-vous, si la nature vous a fait fort,
que vous pourrez décider de devenir frêle et gracile ? Actuellement seules
4 % des femmes de cette planète peuvent se réjouir d’avoir ce corps idéal.
Faut-il que toutes les autres se mettent à pleurer et se couvrir la tête de
cendres ? Que vous le déploriez, que cela vous attriste, on peut le
comprendre. Que vous vous pensiez moins chanceuse. Certes. Mais en quoi
cela vous permet-il de croire que les gros sont des êtres inférieurs et sans
volonté ?
Si nous étions dominés par les cultures africaines, toutes les maigres
pleureraient pour devenir grosses. Elles se soumettraient, comme on le fait
là-bas avant le mariage, à des cures d’engraissement afin de séduire et
contenter leur futur époux. Malheureusement, après quelques mois, le
pauvre homme ne pourrait que s’apercevoir de la supercherie et assister
impuissant à l’amaigrissement progressif de sa moitié.
La société décrète sans cesse de nouveaux critères de beauté qui
traduisent les valeurs qui lui semblent essentielles à sa survie. Les gros bras
pour la chasse, l’embonpoint pour la fécondité, la pâleur ou le bronzage
pour l’affirmation de sa classe sociale, la minceur pour la force de caractère
et le contrôle de ses émotions. Ce n’est pas pour autant qu’elle ne peut pas
proférer des âneries. Les grosses n’ont jamais été plus fécondes que les
autres et l’épaisseur du tissu adipeux n’a jamais été un signe de volonté. Pas
plus que la longueur des orteils n’a jamais été un signe de distinction. Ou
que les femmes à la chevelure rousse n’étaient des agents du diable. Soyez-
en totalement convaincu, les minces n’ont pas plus de volonté que les
autres, ils ont seulement eu l’immense coup de bol de naître au bon
moment. Et si vous voulez ressembler aux minces, faites comme eux : ne
vous servez pas de votre volonté.

De la honte à la colère
Finalement, par rapport à des critères esthétiques ou même médicaux, le
surpoids n’est qu’une conséquence d’une génétique déterminante ou
facilitante qu’il faut savoir accepter et généralement associé à un
dérèglement du comportement alimentaire qu’il est souvent possible de
corriger. Cependant, nous vivons dans une stupide société qui se plaît à
penser que l’épaisseur du tissu adipeux est le fidèle reflet de la volonté ou
de la force de caractère. Voilà donc ce que pensent les gens autour de vous.
Ne vous faites aucune illusion, ils ne changeront pas.
Mais, sachant cela, il vous reste deux possibilités. Croire qu’ils ont
raison et vous lamenter sur votre sort : « Oui, je suis un être faible sans
aucune volonté. Et les gens ont bien raison de me mépriser pour ce que je
suis. » Ou prendre conscience de l’ineptie de ces jugements et vous révolter
contre la ségrégation dont vous êtes victime : « Je sais ce que vous pensez
des gros. Mais je sais aussi que vous êtes des ignorants et que vous ne
comprenez rien à ce problème. Pensez ce que vous voulez, mais je
n’accepterai pas que vous m’insultiez. »
Commencez donc par remettre les choses à leur place. VOUS êtes la
victime. ILS sont les coupables. VOUS êtes victime de calomnies. ILS sont
coupables d’injustice et de médisance.
Tant que vous resterez convaincu qu’ils ont raison, vous vous
comporterez en coupable et vous vivrez dans la honte de ce que vous êtes.
Et vous continuerez à vous sentir inférieur. Cette émotion n’a pas sa place
dans les difficultés que vous traversez. D’une part parce que vous ne devez
plus croire qu’être gros est une maladie de la volonté. Et quand bien même
vous en manqueriez, elle ne vous servirait à rien pour maigrir. D’autre part
parce que la honte vous enfermera dans le silence et vous empêchera de
vous soigner en allant chercher de l’aide.
Face à cette ségrégation dont vous êtes victime, vous devriez éprouver
de la colère, de l’indignation ou de la révolte. Comme face à toutes les
autres formes d’injustice ou de racisme. N’êtes-vous pas indigné quand
vous entendez tenir des propos racistes à l’encontre des Juifs, des Noirs, des
Arabes ? N’êtes-vous pas révolté quand vous assistez à des scènes
d’intolérance ? Tous les lieux publics sont aujourd’hui censés s’équiper
pour faciliter la circulation des handicapés, voyez-vous une raison pour que
l’on interdise l’accès des avions aux personnes trop fortes ?
Il n’y a qu’une raison pour que vous ne réagissiez pas à toutes ces
manifestations d’exclusion, c’est que vous pensiez vous-même qu’elles sont
justifiées. Voilà le drame et voilà pourquoi les choses ne sont pas si simples.
Les gros ne sont pas choqués par ce racisme parce qu’ils sont les premiers à
y adhérer. Voilà pourquoi ils sont des coupables muselés par la honte et
deviennent incapables de se révolter et se mettre en colère. Face à un
handicapé, chacun éprouverait de la compassion. Face à un malade du
poids, tout le monde pense : « Comment peut-il ainsi se laisser aller ? »
D’aucuns diront qu’ils ne pensent pas autant de mal des gros. C’est
faux. Ce qu’ils n’osent pas penser des autres ils le pensent d’eux-mêmes. Il
est politiquement incorrect de penser du mal des autres. Mais rien n’interdit
de penser du mal de soi. Un minimum de décence nous empêche
d’exprimer trop ouvertement notre haine des gros. Nous nous censurons car
la plupart d’entre nous auraient trop honte d’afficher des propos d’une telle
laideur. Mais malgré tout nous ne pouvons pas masquer ce que nous
pensons réellement. Regardez les publicités, elles reflètent notre pensée.
Elles sont édifiantes sur le sujet. Vous rappelez-vous cette petite femme
toute menue assise sur le même banc qu’une obèse ? La première mange
avec délectation un yaourt à 0 % pendant que la seconde se goinfre d’un
sandwich plein de mayonnaise. Quand la maigrelette se lève, la vilaine
obèse, de tout son poids, fait basculer le banc et s’effondre par terre.
N’importe quelle minorité, ainsi ridiculisée, aurait déposé une plainte pour
images et propos injurieux. Sauf les gros, qui rient jaune et baissent les
yeux tout honteux qu’ils sont.
Si vous voulez vraiment retrouver votre dignité et restaurer l’estime que
vous vous portez, cessez de vous comporter en coupable, regardez les gens
dans les yeux et ne les laissez plus vous insulter. Cessez de vous mépriser et
soyez compatissant à l’égard de ceux qui souffrent de cette maladie, comme
vous l’êtes à l’égard de tous ceux qui souffrent d’autres maladies.
Transformez votre honte en colère. Puis, un jour, votre colère évoluera vers
une révolte utile. La honte n’est pas un sentiment constructif. Elle vous
paralysera dans le mutisme sans jamais vous permettre de faire évoluer
votre situation. Tandis que la révolte vous conduira peut-être à organiser
votre protestation et à modifier ce que pensent les autres.

« Je ne peux être aimé ou apprécié que si je suis mince »


On peut avoir une bonne image de soi et néanmoins souffrir de pas être
aimé. Retrouver de l’estime de soi ne suffira pas toujours à vous réconcilier
avec les autres. Il est vrai que les obèses ne sont pas aimés et souffrent
d’une véritable ségrégation. Ce n’est pas une vue de l’esprit. Il ne sert à rien
de se le cacher puisque c’est la réalité. Je n’essayerai pas de vous faire
croire le contraire.

Où commence l’exclusion ?
L’idée tenace que l’on ne peut être aimé autrement qu’en étant mince
s’installe généralement très tôt dans la vie, dès la petite enfance. Que les
enfants entre eux ne se fassent pas de cadeaux et profitent de la moindre
différence ou disgrâce pour se blesser ne suffit pas toujours à l’expliquer.
Bien sûr, les vexations et les humiliations existent dans la cour de
récréation. Toutefois, elles meurtrissent moins et moins durablement que
celles qui se reçoivent au sein de sa propre famille. Quand elles existent,
celles-ci laissent pour toujours leur empreinte brûlante. Il est peu
concevable que nos jeunes enfants parviennent à échapper à l’idéologie de
la minceur qui influence, consciemment ou non, même le cercle familial.
Combien de parents n’ont pas chapitré leur enfant quand il mangeait avant
le dîner ! Ils ne disent pas : « Tu n’auras plus faim pour le dîner. » Mais plus
souvent : « Arrête de manger des bonbons tu vas grossir. » Il ne s’agit donc
plus d’éduquer les enfants et de les éveiller aux valeurs conviviales des
repas. Il s’agit déjà d’agiter devant leurs yeux le spectre de l’horrible corps
qui les attend. Ce n’est plus le loup ou le père Fouettard qui fait régner la
terreur, mais la vision d’un corps déformé.
Ce sont les parents terrorisés et dégoûtés par l’obésité qui transmettent à
l’enfant ses premières grandes peurs. Pour peu que celui-ci sorte un peu de
la norme pondérale et il faudra s’empresser de le faire rentrer au plus vite
entre les courbes d’une moyenne rassurante. Une morphologie un peu
différente, sans même parler de surpoids, entraînera aussitôt une réaction
diététique. Combien de personnes, contemplant les photographies de leur
enfance ou de leur adolescence, s’interrogent sur les raisons qui ont poussé
leurs parents à vouloir les faire maigrir ! Certes, elles avaient peut-être
quelques rondeurs, mais rien de bien disgracieux. Et surtout rien de
comparable avec leur situation d’aujourd’hui.
C’est d’abord autour de la table qu’apparaissent les premières
manifestations de l’exclusion. Nous avons vu le rôle de la nourriture dans
les processus d’intégration au groupe social et à la famille. En partageant la
même nourriture, le jeune enfant franchit les premières marches de son
identification. Un sentiment d’exclusion ne manquera pas de surgir dès lors
qu’il lui sera interdit de manger comme le reste de sa famille : « Ce n’est
pas bon pour toi, ne te ressers pas, fais attention à ce que tu manges. »

Delphine se rend à l’anniversaire de l’une de ses amies. Toutes ses


camarades sont réunies pour manger le gâteau. Mais sa mère a donné
des consignes : « Elle ne doit pas manger de sucreries. Delphine suit un
régime. » Delphine se rappellera toute sa vie la pomme qu’elle a
mangée, seule, dans la cuisine.

D’autant que ces mesures ne servent à rien puisque souvent les enfants
mangent en cachette, leur première rencontre avec la honte. Et font de la
nourriture l’objet d’un conflit familial. Où parfois l’obésité devient un
moyen de pression de l’enfant sur ses parents.
Et puis ce sont les remarques sur le corps lui-même. Quelle que soit la
manière dont on s’y prend, le risque est grand de transmettre à l’enfant
l’idée qu’il n’est pas aimé tel qu’il est. Que l’on adopte une attitude
bienveillante et sincère : « Je le dis pour ton bien. Je me préoccupe de ton
avenir », que l’on exprime la douleur de ne pas avoir un enfant conforme à
ses attentes : « Tu me déçois beaucoup. Tu ne fais vraiment aucun effort
pour t’en sortir », l’enfant comprend qu’on le préférerait différent de ce
qu’il est. Il ne convient pas à ses parents. L’inquiétude des premiers se
transforme en peur de déplaire. La déception des seconds ne peut être
comprise autrement que comme un rejet, plus ou moins clairement exprimé.
Dans ces secondes familles qui détestent les gros, il n’y a guère de règles. Il
arrive autant que la mère ou le père manifestent leur phobie des gros. L’un
comme l’autre sont souvent eux-mêmes très préoccupés de leur propre
corps. Ils accordent une importance démesurée à l’apparence, qu’ils
manifestent par la pratique de régimes, la surveillance attentive de la
balance et de l’alimentation, la pratique de sports amaigrissants… Le soin
obsessionnel qu’ils accordent à leur personne ne fait que renforcer chez
l’enfant l’idée qu’il ne pourra jamais leur plaire. Les sentences qu’ils
prononcent devant leur enfant ne tombent pas non plus dans l’oreille d’un
sourd. « Mon Dieu, comment peut-on se laisser aller comme cela ? C’est
répugnant », disent-ils quand ils voient des gros. Parfois, ils s’adressent
directement à leur enfant et n’hésitent pas à l’humilier : « Si tu continues tu
n’épouseras qu’un camionneur. » Ils les traînent chez des médecins : « Il ne
peut pas rester comme ça. » Je me souviens d’un père m’amenant sa petite
fille un peu ronde. Quand je m’informai du poids de ses frères, le père
répondit : « Non, eux, ils sont bien. Ils sont normaux. » Et la petite fille
regardait ses pieds.
Il n’est pas rare que la prise de conscience de sa différence apparaisse
lors d’un contact médical. Joséphine a vécu dans l’insouciance heureuse de
l’enfance jusqu’au jour où à la fin d’une banale consultation médicale, le
pédiatre a ajouté sur un ton anodin : « Et il faudra faire attention à ton
poids ! » Ce jour-là, elle s’est sentie sale et a commencé à se voir comme
une grosse.
Si vous avez vécu ces situations, elles vous ont sans doute marqué pour
le restant de vos jours. Toutefois, vous ne réécrirez pas le passé. Vos parents
ne vous ont pas donné cet amour inconditionnel que vous attendiez de leur
part. Ils ont pour toujours inscrit en vous cette peur du rejet qui vous hante
aujourd’hui. Rejeté par vos parents parce que vous étiez gros, vous pensez
qu’il en sera toujours ainsi. C’est faux. Mais il vous faudra parcourir un
chemin difficile : faire le deuil de l’espoir de correspondre un jour aux
exigences de vos parents.
Vos parents avaient peut-être à votre égard des attentes que vous avez
déçues. C’est leur droit le plus strict d’avoir toutes sortes d’exigences.
Après tout, on ne peut empêcher personne de concevoir les rêves qu’il veut,
même les plus absurdes. Ils vous souhaitaient filiforme et longiligne, alors
que vous étiez ronde. Peut-être avaient-ils encore d’autres exigences ? Ils
vous voulaient aussi brillant dans vos études, dans vos loisirs. À leurs yeux
vous n’étiez jamais assez parfait. La réussite de leur progéniture les aurait
flattés. Ils auraient pu vous exhiber et satisfaire leur narcissisme. Pourquoi
pas ? Les enfants parfaits n’existent pas. Mais les parents parfaits non plus.
N’ayez donc pas à leur égard des attentes aussi irréalistes que les leurs.
N’adoptez pas la croyance irrationnelle qui voudrait que vos parents soient
aussi irréprochables qu’ils vous auraient voulu. Admettez tout au plus qu’ils
avaient bien le droit d’avoir toutes les exigences qu’ils voulaient, mais
qu’aujourd’hui elles ne regardent qu’eux. Après tout, ils pouvaient bien
rêver d’avoir un enfant qui soit à la fois top model et prix Nobel de
littérature. Vous étiez enfant et vous aviez raison de vouloir tout faire pour
les rendre heureux. Toutefois, aujourd’hui vous êtes un adulte. Leurs désirs
ne sont plus les vôtres. Jusqu’où irez-vous pour satisfaire les exigences de
vos parents ? Vous ne serez jamais parfait aux yeux de vos parents ? Soit.
On peut vivre avec cette idée. C’est triste, c’est regrettable. Mais, s’il est dit
que chacun peut concevoir les rêves les plus fous, il n’est écrit nulle part
que vous devrez, toute votre vie, vous plier en quatre pour satisfaire leurs
folies. Surtout si ces rêves ne vous sont pas accessibles.
Alors si aujourd’hui encore vos parents vous disent qu’ils ne supportent
pas les gros, ce n’est pas vous qui avez un problème. C’est eux. Ils peuvent
se faire soigner si cela leur est trop insupportable.

La ségrégation sociale est une réalité


Heureusement, tous les enfants n’ont pas grandi dans des familles aussi
obsédées par le poids et les apparences. Et l’expérience du rejet peut aussi
se vivre dans un entourage moins proche.

Dès l’enfance
On constate des échecs successifs qui conduisent l’enfant dans un cercle
vicieux dès l’âge scolaire avec un handicap physique qui l’exclut de
l’activité de groupe. Il est rejeté à l’école comme à la maison et on a déjà
sur lui le regard porté sur « l’obèse », à savoir un enfant sans volonté, mou,
solitaire, parfois coléreux. Son surpoids, qui peut n’être qu’une simple
variation de la norme, devient alors l’objet des moqueries et la cause de son
sentiment de rejet.

Clémentine se rappelle encore comment elle a commencé son


premier régime. « J’étais en CM2. Nous passions tous ensemble la
visite médicale et la pesée se faisait devant tout le monde. Je pesais
33 kg et je mesurais 1,45 m. Je n’étais vraiment pas grosse. Un élève de
la classe a entendu le médecin annoncer mon poids et a répété en écho
“33 tonnes”. Toute l’année, il m’a appelée “33 tonnes”. Ça a été comme
un déclic. Je suis rentrée à la maison en larmes et j’ai demandé à ma
mère de me mettre au régime. »

À l’université
Aux États-Unis, des études ont montré, dès les années 1960, que les
obèses étaient victimes d’une discrimination. De fait, ils avaient moins de
chances que les minces d’être admis dans une université.

Les débuts professionnels


Une expérience réalisée aux États-Unis a consisté à soumettre des sujets
à une série d’enregistrements vidéo de personnes sollicitant un emploi.
Seules celles qui avaient une apparence de poids normale ont été jugées
susceptibles d’être engagées. Or c’étaient les mêmes comédiens qui
jouaient les rôles des personnes de diverses corpulences. Leur aspect était
simplement modifié au moyen d’effets spéciaux. Il n’est pas difficile de
trouver des exemples de discrimination à l’emploi. La presse se fait chaque
année l’écho de personnes refusées à un emploi ou même licenciées pour
cause d’inaptitude au travail. Même quand il s’agit de professions ne
requérant aucune sollicitation physique. À mérite égal, on leur préfère plus
souvent un candidat mince lorsqu’ils postulent pour le même poste.
Au Danemark, S. Sonne-Holme a montré que les obèses accèdent à une
position sociale inférieure à celle d’hommes non obèses de la même
population. Pour des occupations professionnelles cotées de 0 à 7,
seulement 30 % des obèses dépassent la classe 2, comparé à 51 % pour les
non-obèses. Et cela indépendamment du niveau social des parents, du degré
d’instruction et du résultat des tests d’intelligence des sujets. L’obésité est
donc à l’origine d’un handicap social important.

L’évolution professionnelle
Une fois engagés, ils risquent davantage d’être plus mal notés que les
minces et leur promotion au sein de leur entreprise est généralement moins
rapide que celle des non-obèses.

L’ascension sociale
En comparaison avec les femmes de poids normal, les obèses auront
plus souvent une situation socio-économique moins bonne que celle de
leurs parents. Et le passage dans une classe sociale aisée, par le biais d’un
mariage, concernera davantage les femmes minces que les obèses4. Pour
paraphraser le dicton : dans la vie, mieux vaut être riche et mince que
pauvre et obèse.
Le racisme antigros n’est donc pas une vue de l’esprit. Les personnes
obèses sont véritablement victimes d’une forme de discrimination sociale
dont chacun peut prendre conscience. Il serait par conséquent inutile de se
cacher que nous vivons dans une société qui a pris l’obésité en aversion et
que cette attitude est largement partagée par tous ses membres, y compris
par les obèses qui portent sur eux le même jugement dépréciateur. Rien
d’étonnant donc à ce que chacun soit terrifié par la prise de poids et la
perspective d’être à son tour victime de l’opprobre collectif. Dans
l’inconscient individuel, le spectre de l’exclusion sociale rôde et hante les
mangeurs au moindre kilo excédentaire.

Êtes-vous réellement concerné par cette réalité ?

Vous êtes obèse et vous subissez cette ségrégation


Les études précédentes concernent les personnes présentant une obésité
importante ou massive. Sans conteste, il s’agit d’une inqualifiable forme de
ségrégation sociale. On peut donc affirmer que ces personnes devront
assumer ce que l’on peut considérer comme un véritable handicap social.
Toutefois le jugement de la société diffère du jugement des individus.
S’il est vrai que la société juge mal les obèses, il n’en est pas exactement de
même pour les individus. Même si vos amis ont une image déplorable des
gros, ils ne portent pas sur vous le même jugement. Inconsciemment, ils
pensent sûrement que les gros sont mous, paresseux et sans volonté. Ce
n’est pas l’opinion qu’ils ont de vous. Ils vous jugent davantage en fonction
de ce que vous leur montrez. Et voient ce que vous leur laissez voir.

Caroline est obèse et travaille comme analyste financière dans une


entreprise. Elle a toujours été convaincue que ses collègues ne la
voyaient que comme une grosse. Jusqu’au jour où, dans un atelier de
développement personnel organisé par son employeur, elle s’est
véritablement confrontée à l’opinion de ses collègues. Il leur était
demandé d’exprimer comment ils la percevaient. Les qualificatifs
choisis furent : dynamique, positive, compétente, réfléchie, proche de
ses collaborateurs et possédant une forte personnalité. Elle jouissait
d’une très bonne popularité au sein de son entreprise. Ce fut pour elle
une révélation qui allait à l’encontre de ses convictions profondes. Elle
décida donc de poursuivre l’expérience auprès de ses amis. Ces derniers
ajoutèrent qu’ils la jugeaient volontaire, presque têtue, mais susceptible
et manquant de confiance en elle.

En fait, les gens pensent du mal des gros en général, mais pas des gros
en particulier. Ils peuvent considérer que les obèses n’ont pas de volonté,
mais ils ne peuvent appliquer ces a priori à ceux qu’ils côtoient. À moins
que ce ne soit réellement le cas. Après tout, pourquoi certains gros
n’auraient-ils pas le droit d’être aussi mous que certains minces ? Comme
dans toutes les formes de racisme, ils ont leurs bons gros. Dans leur esprit
cohabitent des croyances et des réalités contraires, sans jamais que ces
réalités ne viennent ébranler leurs croyances.
Toutefois, si vous manquez de confiance en vous sous le prétexte que
vous êtes gros, pourquoi voulez-vous que les autres vous accordent plus de
confiance que vous ne vous en accordez à vous-même ? Ils risquent de se
détourner de vous et de vous regarder comme vous vous regardez. Une fois
les barrières des premières sélections passées, vous serez d’abord jugé sur
vos compétences professionnelles, exactement comme tout le monde. Si on
vous affirme que tel chirurgien obèse est le plus compétent dans son
domaine, préférerez-vous vous faire opérer par un bellâtre mince moins
compétent ? Au cas où vous seriez tenté de répondre par l’affirmative, ne
vous plaignez pas ensuite que l’opération ne se soit pas bien passée. Vous
aurez largement mérité votre sort.
Sur le plan personnel et sentimental, la situation n’est pas idéale pour
vous. Vous ne correspondez pas aux standards de beauté actuels. Il est vrai
que les hommes s’extasient devant des mannequins de 20 ans tout en
longueur et rien en rondeur. Il est vrai que les femmes trouvent
merveilleusement sexy de jeunes mâles tout en muscles, aux biceps
rebondis et aux abdominaux en tablette de chocolat. Et alors, pourquoi pas ?
Mais est-ce pour autant qu’ils souhaiteraient les avoir pour compagnes ou
compagnons de vie ? D’accord, c’est beau en image et même dans un
cocktail. Mais, une fois à la maison, on en fait quoi ?
Cessez donc de croire que la séduction s’arrête à la surface de
l’épiderme. Là encore, la confiance en soi sera déterminante. Et pour le
reste vous serez jugé sur l’ensemble de vos qualités : la gentillesse, le sens
des responsabilités, la ténacité, l’humour, l’empathie, vos centres d’intérêt,
la discrétion, l’exubérance, votre force de caractère, votre fragilité… Même
vos faiblesses, si vous en tirez parti, pourront vous attirer des grâces.
Depuis le temps que je rencontre des patients de tous les poids, la majorité
formait des couples ni plus ni moins heureux que les autres.
Alors d’accord, la vie des obèses n’est pas des plus faciles. Mais
pouvez-vous y changer quelque chose ? Qu’allez-vous faire ? Allez-vous
passer le reste de votre vie à pleurer sur votre sort ? Où avez-vous été
chercher l’idée que le monde était juste et confortable ? Bien sûr, c’est dur
et injuste. Mais le fait de vous lamenter vous aidera-t-il à mieux supporter
cette situation ? Vous devez déjà subir les difficultés de votre poids, pensez-
vous que vous devez aussi vous accabler et gâcher le reste de votre
existence ?
Être obèse n’est pas une sinécure, mais si vous ne pouvez pas le
changer mieux vaut l’accepter et décider de vivre sa vie, sans attendre un
changement qui n’arrivera jamais.

Vous présentez un simple surpoids


Vous n’êtes déjà plus concerné par ces études. Elles ne concernent que
les obèses, c’est-à-dire 16 % de la population. Vous n’en faites pas partie. Et
vous n’êtes pas une victime de la ségrégation sociale. Votre poids vous gêne
et vous éprouvez des difficultés à vous habiller. Cependant, vous n’avez
jamais subi la moindre discrimination professionnelle. On ne vous a jamais
refusé un emploi ou un avancement du fait de votre poids. Sauf peut-être si
vous souhaitiez devenir mannequin. Mais que voulez-vous, vous n’avez pas
le physique de l’emploi. Vous êtes-vous déjà plaint que seuls les hommes de
petite taille pouvaient devenir jockeys ? Les individus trop grands ne
pourront jamais exercer ce métier car ils n’ont pas non plus le physique de
l’emploi. C’est comme ça. Cela ne choque personne.
Vous considérez peut-être que votre poids entrave votre vie sociale et
sentimentale ? Mais est-ce la réalité ? D’ailleurs, dans votre entourage,
parmi vos amis et relations, avez-vous exclu ceux qui présentaient une trop
forte corpulence ? Ce n’est pas sérieux. À part quelques grands phobiques
du poids, chacun possède dans son entourage des amis présentant un
surpoids. Dans ce cas, pourquoi vos amis seraient-ils différents de vous ?
Est-il raisonnable de penser que la perte de quelques kilos vous permettrait
de gagner de nouveaux amis ? Si vous avez peu d’amis, il est bien plus
probable que la raison n’en revienne pas à votre poids. Là encore, on
pourrait penser qu’un comportement asociable provenant d’un manque de
confiance en soi aura plus d’impact sur vos difficultés relationnelles que
vos kilos en trop.
Sur un plan sentimental, la réalité est bien plus nuancée que vous ne le
croyez. Les hommes, en particulier, portent sur le corps des femmes un
jugement assez différent de celui des femmes sur elles-mêmes. Quand on
interroge les couples, seulement 55 % des femmes considèrent avoir une
silhouette « comme il faut ». Alors que 70 % des hommes pensent que leur
compagne a une silhouette satisfaisante. Concernant le corps des femmes,
on voit, dans toutes les études, que l’idéal de minceur des femmes est
toujours plus sévère que celui des hommes. Pour plaire aux hommes, les
femmes s’imaginent devoir être plus minces que ne le souhaiteraient les
hommes. On voit également qu’au début de l’âge adulte, il n’existe pas de
corrélation entre la corpulence des femmes et le niveau d’éducation des
hommes. Les hommes les plus éduqués ne choisissent pas les femmes les
plus minces. Quant aux hommes, si les femmes jugent leur corps aussi
sévèrement qu’elles jugent le leur, il n’est pas un obstacle à leur vie de
couple. En somme, on peut parfaitement admettre que sa compagne ou son
compagnon n’a pas la corpulence idéale, qu’il a quelques kilos en trop,
qu’il est même un peu trop enrobé et faire passer ce critère derrière des
considérations, semble-t-il, plus essentielles.
Il est donc absurde de penser qu’il faille ressembler à un Apollon ou à
une Vénus pour trouver le compagnon ou la compagne de sa vie.

Vous avez un poids normal mais des rondeurs qui vous déplaisent
Il est inutile de préciser que vous n’avez jamais été personnellement
confronté à la moindre manifestation de racisme antigros. Les mesures de
ségrégation sociale ne vous ont jamais concerné. Votre principal souci est la
peur que vous avez de ne pas être apprécié par les autres, d’être mal jugé
car votre corps ne vous semble pas irréprochable.
Un corps normal n’est pas sans rondeurs ni bourrelets. Peut-être vous
plaignez-vous d’avoir trop de ventre, de fesses, de cellulite… ? Ce n’est pas
parce que votre corps n’est pas exactement conforme à vos désirs ou aux
images à la mode qu’il en est pour autant anormal. Ou même simplement
qu’il pourrait être autrement. Vous êtes convaincu que perdre 2 ou 3 kg
vous rendrait plus heureux et vous permettrait d’améliorer vos relations
avec les autres.
Pour reprendre le titre du livre de Danièle Bourque vous vous trouvez
juste à quelques kilos du bonheur. Donnez-vous la peine d’examiner votre
situation. Si vous perdiez ces quelques kilos, votre vie s’en trouverait-elle
concrètement modifiée ? Auriez-vous un meilleur travail, votre mari ou
votre femme vous en aimerait-il davantage, vos parents vous porteraient-ils
plus d’affection, vos enfants seraient-ils plus proches de vous, vos amis
seraient-ils plus nombreux… ? Objectivement, en quoi votre vie serait-elle
différente ? En réalité, vous avez simplement décidé que vous pourriez être
heureux à 60 kg mais qu’il vous était impossible de l’être à 65. Vous vous
êtes convaincu que cette simple différence pourra transformer toute votre
vie. Alors que rien ne changera vraiment. Vous vivrez les mêmes joies et
devrez toujours affronter les mêmes problèmes. En somme, votre bonheur
ne tient qu’à une simple décision de votre part. Vous avez décrété que 3, 4
ou 5 kg vous séparaient du bonheur. Permettez-moi de vous donner un
conseil : prenez la décision de ne pas attendre pour être heureux. Et décidez
de vous affirmer tel que vous êtes.
L’image que vous avez de votre poids vous empêche d’affronter
sereinement certaines situations. Celles-ci vous rendent les gestes de la vie
quotidienne très difficiles. Cependant, à y bien regarder, ces situations ne
présentent aucun danger réel. Bien au contraire, plus vous les évitez, plus
elles vous font peur. Je vous suggère donc d’établir la liste de toutes les
situations qui vous mettent en difficulté et de les classer en fonction de
l’anxiété qu’elles provoquent.
• J’évite de retirer mes vêtements, même longs (pulls, manteaux, T-
shirts).
• En hiver, je garde mon manteau sur les genoux, les hanches, afin de
les dissimuler.
• De même, je ne sors jamais sans cacher mes fesses avec un vêtement.
• Si on me force à aller en boîte de nuit, je reste assise même si je porte
un vêtement long. Je préfère laisser croire que je n’aime pas danser.
• Au restaurant, pour éviter de me faire remarquer en me rendant aux
toilettes, j’anticipe en y allant dès mon arrivée. Ou j’attends la fin du repas
et le moment où tout le monde se rhabille.
• Lorsque je suis obligée d’aller à la piscine pour mes cours de natation,
je sors avec une serviette qui me couvre de la poitrine jusqu’aux pieds.
J’attends le dernier moment pour entrer dans l’eau et laisser tomber ma
serviette.
• Je me baigne, à la plage et à la piscine, avec un short.
• J’évite les essayages en grands magasins pour ne pas essuyer le regard
d’une vendeuse.
• J’évite tous les miroirs.
• J’évite de me promener nue devant mon ami. Et je préfère faire
l’amour dans l’obscurité.

Prenez ensuite les situations dans l’ordre et commencez par vous


affronter à celle qui vous semble la moins pénible. Géraldine a décidé de
s’affronter aux scènes de restaurant. Elle pense pouvoir résoudre ce
problème sans trop de difficultés. Elle décide donc de se livrer à un exercice
qui consiste à se lever de table au milieu du repas et à se rendre aux
toilettes. Pour faciliter sa première tentative, elle portera un pull-over assez
couvrant. Jusqu’ici, elle était persuadée que tout le monde la regarderait et
porterait sur elle un jugement dévalorisant. L’exercice comportera deux
parties. La première consistera à vérifier par elle-même qu’en se levant et
marchant entre les tables du restaurant, elle ne deviendra pas le centre
d’attention de tous les clients. La seconde consistera à se préparer
mentalement à l’idée que certains clients pourraient effectivement
la dévisager et lui trouver un défaut physique. Elle prend conscience qu’elle
ne porte aucun intérêt à l’opinion d’un inconnu dans une foule. Et qu’après
tout, il peut bien penser ce qu’il lui plaît sans que cela l’empêche de dormir.
L’exercice suivant consiste à marcher dans la rue en portant cette fois
une tenue moins couvrante : un pantalon et un pull-over court. De la même
manière, Géraldine s’est convaincue que les gens de la rue la dévisageraient
et que certains pourraient même lui adresser des réflexions désobligeantes.
Il s’agit là encore de confronter sa croyance à la réalité et d’affronter
mentalement l’idée que, parmi toutes les personnes qu’elle croisera dans
l’avenue choisie certaines pourront ne pas la trouver à leur goût. En fait,
qu’il est possible de survivre avec l’idée qu’on peut ne pas plaire à tout le
monde.
Progressivement, Géraldine s’exerce sur des situations de plus en plus
difficiles et, à force de les répéter, acquiert l’assurance qui lui faisait défaut.
Mais surtout l’idée qu’il n’est pas absolument nécessaire d’être mince pour
être apprécié et même aimé par les autres. Dans le même temps, elle rejette
l’idée que pour être heureuse il est obligatoire d’être appréciée de tous. Et
même qu’il n’est pas indispensable de se plaire totalement pour décider
d’être heureux. Bien sûr, ce serait plus agréable. Mais ce n’est pas
indispensable.
Dans la pratique, il n’est pas si facile de reconquérir estime de soi et
confiance en soi. Au-delà de la problématique pondérale, chaque personne
se trouve également face à son histoire personnelle, à ses manques, ses
vieilles douleurs, ses schémas de pensée. Face à la blessure du poids, tout
cela ne manquera pas de ressurgir. Devenir mince est une aventure qui vous
changera bien au-delà des kilos que vous aurez perdus.

1- Descamps M-.A., L’Invention du corps, Paris, PUF, 1986.

2- Poulain J.-P., « Les dimensions sociales de l’obésité », Let. sc., IFN,


78 (1), déc. 2000.

3- Les cures d’engraissement auxquelles sont soumises, avant leur


mariage, les jeunes filles dans beaucoup de sociétés musulmanes sont
destinées à les rendre « belles », désirables et aptes à concevoir le plus
rapidement possible.

4- Garn S. M., Sullivan T. V., Hawthorne V. M., « Educational level,


fatness and fatness differences between husbands and wives », American
Journal of Clinical Nutrition, 50, 1989, p. 740-745.
Conclusion

Pour terminer cet ouvrage, je voudrais laisser la parole à deux auteurs


que j’affectionne particulièrement pour leur impertinence oxygénante.
Le premier, Petr Skrabanek, aimait rappeler que « à tout problème
complexe existait une réponse simple, directe et… fausse ». S’il en est,
l’obésité est une maladie éminemment complexe. Prétendre que l’on pourra
la prévenir ou en venir à bout en exhortant des millions de personnes à
manger moins gras et à faire du sport est une solution terriblement
séduisante par sa simplicité mais, malheureusement, totalement fausse.
C’est bien dommage. Des millions de personnes s’évertuent à appliquer
chaque jour cette recette sans qu’aucun résultat durable et satisfaisant ne
vienne jamais les récompenser de leurs efforts. Certains y parviennent, de
l’ordre de un sur vingt. Alors que les dix-neuf autres voient au contraire
leur situation s’aggraver, physiquement ou psychologiquement. Quelle est
donc cette logique médicale qui justifie de sacrifier dix-neuf personnes pour
en sauver une seule ?
Le second, Paul Watzlawick, dans son livre, Faites vous-même votre
malheur, aimait rappeler que, lorsqu’une solution ne produit pas le résultat
escompté, « il suffit d’insister ». Le candidat au malheur n’aura qu’à s’en
tenir à seulement deux règles. La première est de considérer face à un
problème qu’« une seule solution est possible, raisonnable, autorisée et
logique. Si elle n’a pas encore produit l’effet désiré, c’est qu’il faut
redoubler d’efforts et de détermination dans son application. La seconde est
qu’il ne faut en aucun cas remettre en question l’idée qu’il n’existe qu’une
solution et une seule. C’est sa mise en pratique qui doit laisser à désirer et
peut encore être améliorée ». Par conséquent, face au dogme de l’équilibre
alimentaire et aux régimes qui en découlent, même si les résultats sont
catastrophiques, il ne faut surtout pas baisser les bras mais au contraire
s’interroger sur ses propres défaillances.
C’est ainsi que l’on peut étouffer toute réflexion et poursuivre sans
discontinuer une politique destructrice qui conduit dans l’impasse, et sans
regret, des millions de personnes en souffrance avec leur comportement
alimentaire et leur poids.
Il n’est pas critiquable, loin de là, de s’appuyer sur les connaissances
scientifiques de son temps pour proposer des théories explicatives.
Toutefois, une théorie n’a de valeur que s’il est possible de la remettre en
question à mesure que de nouvelles connaissances apparaissent. Dans le cas
contraire, il ne s’agirait plus d’une théorie mais bien d’une position
dogmatique obscurantiste. Le raisonnement scientifique impose, au
contraire, qu’une théorie soit systématiquement remise en question par les
nouvelles découvertes et ne reste vraie que tant qu’aucune exception ne
vient la contredire. Contrairement à ce que proclame le proverbe, en
science, l’exception ne vient pas confirmer la règle, elle l’annule et impose
de reconstruire une nouvelle théorie. De même, l’unanimité des opinions
n’a pas valeur de preuve scientifique. Bien que beaucoup d’observations
viennent renforcer l’idée que nombre de personnes qui grossissent ont une
alimentation riche en graisses, il n’est pas possible de faire abstraction du
fait que d’autres grossissent avec une alimentation pauvre en graisses. Ou
que certaines maigrissent en réduisant les graisses alors que d’autres
maigrissent en les augmentant.

Quelques réflexions sur les problèmes de poids


Il paraît difficile de supposer que l’obésité soit la conséquence directe
de quelques simples erreurs diététiques et qu’elle puisse se traiter par de
simples conseils d’hygiène alimentaire. Une tentative d’explication de ce
phénomène ne peut s’élaborer qu’à partir d’une réflexion globale et
multidisciplinaire dont on peut proposer peut-être quelques éléments :
1. Une génétique permissive et déterminante. Les facteurs génétiques
semblent bien jouer un rôle essentiel dans les problèmes de poids. Sans
pour autant qu’ils soient une fatalité. L’évolution de l’humanité a
probablement contribué à la sélection d’individus prédisposés à
stocker des réserves d’énergie et peut-être aussi à la sélection
d’individus possédant des métabolismes bas. Ce caractère a sans doute
permis à beaucoup de nos ancêtres de survivre dans les moments de
pénurie alimentaire. Il peut aujourd’hui apparaître comme une
difficulté supplémentaire à ceux qui se battent contre leur surpoids. Par
ailleurs, la génétique impose à chaque individu un poids d’équilibre
autour duquel il est possible de varier mais, sauf prédispositions ou
contextes particuliers, dont il est difficile de s’éloigner
considérablement. Or rien ne peut laisser croire que les critères de
beauté exigés aujourd’hui par les sociétés occidentales aient le
moindre rapport avec ce poids génétiquement déterminé. Il peut même,
dans certains cas, se révéler être très au-dessus d’un poids « normal »
et affecter l’individu d’une véritable obésité génétique et pathologique.
Dans la plupart des cas, il serait plus judicieux de parler d’une
génétique déterminante associée à une génétique permissive autorisant
l’augmentation du poids d’équilibre, à condition que d’autres facteurs
viennent se surajouter.
2. Un environnement incitatif. Pour la première fois dans l’histoire de
l’humanité, une grande partie du monde connaît une période de
surabondance alimentaire. En regard de l’évolution, on peut considérer
que l’organisme humain n’est pas préparé à cette nouvelle situation.
Au cours des âges, les préoccupations du mangeur sont passées de la
quantité de nourriture à la nourriture de qualité, expliquant ainsi qu’il
soit plus attaché aujourd’hui à produire des aliments pour lesquels il
éprouve une plus grande appétence. Il est absurde, comme le font
certains, de reprocher à nos aliments d’être devenus trop bons et trop
bon marché. Il s’agit là d’un réel progrès qui accompagne le
développement économique de toutes les sociétés. Mais cette
nourriture surabondante ne se contente pas d’être seulement à
disposition. Elle est un produit marchand dans une société de
consommation dont le but est d’inciter… les consommateurs à
consommer.
3. Une physiologie complexe. Les systèmes de régulation énergétique et
nutritionnelle intègrent de nombreuses dimensions : biologique,
cognitive et psychologique. L’individu ne se rassasie pas seulement en
fonction de la quantité ou de la composition biochimique de sa
nourriture, mais aussi en fonction de ce qu’il pense de ses aliments et
des émotions qu’ils font naître en lui. De façon très naturelle, elle peut
également se révéler une grande source de réconfort dans les moments
de tension psychologique. Les messages de prévention nutritionnelle,
qui semblent considérer l’individu uniquement comme une machine
thermodynamique, ont largement sous-estimé ces aspects de
l’alimentation et contribué à désorienter les processus de rassasiement.
Or, comme le constate le sociologue Claude Fischler : « On a, dans la
plupart des tentatives de réforme ou d’intervention nutritionnelle,
toujours agi comme s’il était implicitement acquis que l’homme, en
matière alimentaire, est une sorte de cire vierge, malléable à volonté, et
qu’un plan d’“engineering nutritionnel”, une fois bien conçu, n’a plus
qu’à être appliqué pour ainsi dire par décret. On a sous-estimé ou
ignoré complètement les fonctions sociales et culturelles de
l’alimentation. »
4. Une science qui s’érige en nouvelle morale. Il serait vain de rechercher
des justifications scientifiques à la plupart des règles diététiques que
nous avons examinées. Dans bien des cas, elles ne trouvent leur
origine que dans une forme de moralisme alimentaire très éloigné de
considérations scientifiques. Or un jugement moral n’a pas sa place
dans une consultation médicale, qui doit respecter le droit de chaque
individu à son autonomie et à son choix personnel. Selon la formule de
Mencken, le danger que masque aujourd’hui la médecine préventive
est « la corruption de la médecine par la morale ». Pour Skrabanek :
« Dans la théologie médicale contemporaine, la santé a pris la place du
paradis. On atteint la sainteté par “un style de vie sain”, tandis que la
recherche du plaisir amène une inévitable punition de la maladie et de
la mort. » Disqualifiant ainsi les fonctions régulatrices du rassasiement
fondées sur l’existence du plaisir gustatif. Il est très naïf de laisser
penser que les principales maladies de civilisation pourraient être
prévenues, si seulement les citoyens voulaient suivre le droit chemin.
En se substituant ainsi à l’individu, la médecine préventive a inventé le
concept de « vie idéale », statistiquement correcte, qui participe à un
processus de normatisation, contribuant à détourner l’individu de ses
propres signaux internes. La science est jugée plus apte à déterminer
les besoins de l’individu que l’individu lui-même. C’est dans ce
contexte que les croyances alimentaires, cautionnées par une pseudo-
science, vont venir prendre la place des sensations alimentaires et que
va s’installer, à une échelle jamais connue, un nouveau comportement
alimentaire collectif : l’état de restriction cognitive.
5. Une société qui exige la minceur. Chaque époque a valorisé ses critères
de beauté. Et ses contemporains n’ont eu de cesse de s’y conformer.
Dans nos sociétés modernes, la beauté traduit des valeurs de maîtrise
et de volonté. Et quels que soient ces critères, la beauté a toujours
coïncidé avec la réussite sociale. On ne peut donc être surpris par le
désir de conformité qui s’empare chaque fois de générations entières
qui n’entendent pas s’exclure du vaste mouvement de ceux qui font
leur temps. La particularité de notre époque est qu’elle a érigé en idéal
de beauté un corps que la plupart des femmes ne pourront jamais
posséder. On conçoit facilement que cet écart entre le corps réel et le
corps idéal encouragera des millions de personnes à instrumentaliser
leur alimentation afin de maîtriser leur corps.
6. La gestion alimentaire des émotions. On semble avoir oublié que bien
souvent la cause principale de la prise de poids ou de l’abandon des
efforts d’amaigrissement coïncident avec des événements de vie
difficile. Dans le monde d’aujourd’hui, privés de tabac, d’alcool et de
beaucoup d’autres moyens de réguler les émotions, la nourriture est
devenue le principal moyen de défense contre les émotions
douloureuses. Armées de leur arsenal thérapeutique, nos sociétés
modernes deviennent chaque jour plus intolérantes à toutes formes
d’inconfort physique ou psychique. Et il est si facile de se réconforter
avec une nourriture si bonne et si accessible. Pour peu qu’on ne se le
reproche pas ensuite, et qu’on n’en fasse pas des compulsions !
7. Mondialisation de la science et des moyens de communication. Si l’on
ajoute à tout cela que les moyens de communication permettent une
diffusion mondiale des idées, des valeurs, des tendances ou des
comportements, on obtient une épidémie mondiale d’obésité.

Quelques réflexions sur la restriction cognitive


Les concepts de régulation et de restriction cognitive sont probablement
parmi les plus prometteurs dans la prise en charge des problèmes de poids
et des troubles du comportement alimentaire. Ils se présentent comme une
réelle alternative thérapeutique à l’approche diététique qui, tout au
contraire, instaure une conduite pathologique, la restriction cognitive,
comme une nouvelle norme alimentaire.
Face à cette dictature du « bien manger », on conçoit la difficulté à
distinguer la frontière du normal et du pathologique. Le passage de la
mauvaise conscience alimentaire dans une société obsédée par son poids à
l’état de restriction s’effectuera le plus souvent d’une manière insidieuse et
difficile à percevoir. D’autant que la surveillance du poids et de
l’alimentation semble bien aujourd’hui s’imposer aussi comme la nouvelle
norme sociale, qui à ce titre n’attire pas l’attention des personnels soignants.
Avec d’autres auteurs1, il est possible de considérer la restriction cognitive
comme un « trouble ethnique », une forme de pathologie induite par la
culture. Comme le XIXe siècle a été celui du trouble hystérique, le XXe serait
donc celui des troubles narcissiques. Nous nous trouverions ainsi en
présence d’une maladie de la société, au sens où la pensée de la société elle-
même, sur les rapports de l’individu avec sa nourriture, son corps et les
autres, serait devenue pathogène.
Dans ce contexte, il est par conséquent peu probable que les médecins
dissuadent leurs patients de persévérer dans ces pratiques. Rien, en effet,
n’autorise à penser que les médecins, plus que d’autres, échappent à leur
contexte social. La plupart considèrent le régime comme une bonne
pratique thérapeutique et beaucoup se trouvent eux-mêmes en état de
restriction cognitive. Le paradoxe serait donc le suivant : d’une part, les
médecins en prescrivant des régimes et en distillant des messages de
prévention nutritionnelle participeraient à un vaste mouvement
d’institutionnalisation de la restriction cognitive. D’autre part, constatant les
effets délétères de ces pratiques, ils se trouvent contraints d’adresser des
messages contradictoires mettant en garde contre les excès des
comportements de restriction. Ce qui revient à encourager les personnes à
adopter des comportements de restriction tout en blâmant ceux qui
réussissent le mieux.
Le concept de restriction cognitive existe depuis maintenant un quart de
siècle. Depuis son apparition, l’intérêt des auteurs a essentiellement porté
sur les pertes de contrôle, qu’elles aient la forme d’accès hyperphagiques ou
de compulsions. Alors que l’état d’inhibition ou d’hypercontrôle, par nature
moins démonstratif, a beaucoup moins suscité leur attention. Or il me
semble que la restriction cognitive se caractérise bien davantage par cet
aspect de sa clinique, dont les conséquences pondérales ont très largement
été sous-estimées. Même sous la forme d’un tableau clinique incomplet, les
mentalisations, le contrôle, l’effacement des sensations alimentaires, la peur
de manquer n’ont jamais fait défaut chez aucun des patients que j’ai été
amené à rencontrer. Elles peuvent, à l’insu même du mangeur, conditionné
par l’idée qu’il se fait du « bien manger », entraîner des surconsommations
caloriques et expliquer ses difficultés pondérales. Ces dernières peuvent se
manifester sous différentes formes : prise de poids, difficulté à perdre du
poids, incapacité à maintenir le poids après un amaigrissement. Cette
diversité clinique explique donc qu’il ne soit pas possible de caractériser la
restriction cognitive par un niveau de poids. À l’inverse, comme certains
auteurs l’ont souligné, les épisodes de désinhibition ne sont pas toujours
présents. De la même façon, il n’est pas non plus possible de la caractériser
par un comportement alimentaire précis puisque, outre le surpoids et
l’obésité, on peut aussi bien la rencontrer dans l’anorexie mentale et la
boulimie, avec ou sans stratégies compensatoires, avec ou sans pertes de
contrôle.
On comprend l’utilité des régimes amaigrissants. Bien qu’ayant
l’impression permanente de se surveiller et de se restreindre, le mangeur,
égaré par des sensations alimentaires perturbées, devra sans cesse lutter
contre des forces invisibles l’incitant à manger au-delà de ses besoins sans
qu’il soit en mesure de s’en rendre compte et qui le feront grossir. La
présence d’« écarts alimentaires » ou d’épisodes compulsifs lui fournira
parfois un bouc émissaire commode qu’il pourra rendre responsable de sa
prise de poids. Les périodes de régimes amaigrissants, que l’on peut
considérer comme des périodes de renforcement du contrôle, présenteront
le double intérêt de supprimer momentanément les pertes de contrôle et de
souvent transformer la restriction cognitive en une restriction calorique
effective qui assurera une perte de poids transitoire.
Par bien des aspects et à la lumière de ces nouvelles connaissances sur
la restriction cognitive, la pratique des régimes amaigrissants ressemble à
s’y méprendre à un cours d’initiation pour boulimique débutant. On y
retrouve les pratiques de gavage, les stratégies compensatoires, la présence
des comportements obsessionnels et phobiques à l’égard de la nourriture et
de l’apparence corporelle, la faible estime de soi, les sentiments d’échec,
l’aggravation spontanée de tous les troubles, auxquels il ne faut pas oublier
d’ajouter l’aggravation inexorable des problèmes de poids. Il me paraît
donc assez juste de considérer qu’en matière de poids et de comportement
alimentaire les régimes amaigrissants apportent des solutions bien pires que
les problèmes qu’ils prétendent résoudre. On peut même assez légitimement
avancer l’idée que cette fameuse épidémie d’obésité, actuellement constatée
dans tous les pays développés, n’est finalement que la conséquence de la
pernicieuse épidémie de régime qui sévit partout dans le monde !

Quelques réflexions sur l’origine d’un trouble


À la suite de toutes ces réflexions, nous devons sans doute nous
interroger sur la manière de considérer aujourd’hui les problèmes de poids.
À ce jour, il paraît évident au corps médical que l’anorexie, la boulimie et
l’hyperphagie soient du domaine des maladies mentales dûment attribuées à
la sphère psychologique. Tandis que le surpoids ou l’obésité seraient eux
l’apanage de la médecine et le simple résultat de quelques erreurs
diététiques que l’on pourrait facilement corriger en prodiguant les
informations adéquates.
Or ce point de vue apparaît aujourd’hui largement discutable. Il est
définitivement établi que le poids d’un individu est déterminé par sa
génétique par au moins deux aspects. D’une part, comme nous l’avons vu,
en déterminant son set-point. D’autre part, en déterminant aussi sa capacité
à dépasser son set-point. Cette prédisposition ne pouvant toutefois
s’exprimer qu’en présence de certains facteurs qui entraîneront une
impossibilité à maintenir l’adéquation entre les entrées et les sorties
d’énergie. Lors de tels dérèglements, consciemment ou non, le sujet mange
sans faim.
Alors que la part génétique du poids échappe pour le moment aux
ressources médicales modernes, la part liée aux dérèglements du
comportement alimentaire est bien, quant à elle, accessible aux soins. Il
semble même que ce soit la seule part du poids qu’il soit aujourd’hui
possible de guérir. Or les facteurs responsables de ces dérèglements ne sont
autres que des événements psychologiques produisant des émotions venant
brouiller les sensations alimentaires. La restriction cognitive induit des
émotions : la peur du manque, la peur de la faim, la frustration, la
culpabilité… mais elle n’est pas la seule. Il existe encore bien d’autres
sources d’émotions qu’il faut, cette fois, rechercher dans l’histoire
personnelle des individus. Je rappellerai celles que nous avons évoquées :
les tentatives de se protéger des douleurs émotionnelles, le corps gros
investi d’une valeur symbolique et défensive, la perturbation de
l’apprentissage des sensations alimentaires par des expériences infantiles
inadéquates, des blessures narcissiques infligées par des parents exigeants
ou par les expériences de rejet infligées par la société, les carences
affectives, les traumatismes psychologiques survenant à tout âge de la vie…
Tout au long de ce livre, j’ai essayé de vous démontrer la supériorité des
processus cognitifs et psychologiques sur les simples aspects
physiologiques de la régulation.
Tous ces conflits psychologiques peuvent entraîner des émotions qui, à
leur tour, pourront se décharger dans la nourriture. Elles pourront faciliter
une prise de poids, toujours mal vécue, chez des individus, à juste titre,
terrorisés par la stigmatisation du surpoids. Et entraîneront une dégradation
de la relation à la nourriture, la restriction cognitive, qui à son tour
aggravera les conflits psychologiques. Il y a ici beaucoup de psychologique.
Il me semble donc pouvoir considérer cette part du poids comme le résultat
de conflits mentaux, du domaine de la maladie mentale.
La prise en charge de ces problèmes psychologiques peut souvent
réduire l’intensité de ces émotions. Expliquant, d’ailleurs, le succès de
certaines psychothérapies. Mais elles n’augmentent pas les capacités des
mangeurs à mieux supporter leurs émotions et à moins y réagir par des
prises alimentaires. Leurs succès limités sont sans doute attribuables à
l’absence de prise en compte de la relation spécifique de l’individu avec sa
nourriture. Loin de restaurer la paix avec les aliments, l’intervention de
certains psychothérapeutes, sans doute bénéfique pour la compréhension de
l’histoire personnelle de l’individu, s’articule avec des conseils nutritionnels
renforçant le contrôle alimentaire au détriment de la régulation. Et, de ce
fait, contribue à l’aggravation de relation à la nourriture. C’est ainsi que
beaucoup de leurs patients finissent par admettre qu’ils ont tout compris de
ce qui les fait manger sans faim mais reconnaissent qu’ils ne parviennent
toujours pas à s’en empêcher.
Il y a donc beaucoup d’espoir aujourd’hui dans le traitement des
problèmes de poids et des troubles du comportement alimentaire. À
condition, toutefois, d’admettre qu’il s’agit de maladies complexes dont la
prise en charge est aussi complexe. Et que médecins et patients
abandonnent l’illusion qu’ils peuvent dominer le poids de ces derniers
comme bon leur semble. Les médecins pourront apporter beaucoup tant
qu’ils resteront mesurés et raisonnables. Ils apporteront peu tant qu’ils
songeront à exaucer les désirs fous de leurs patients, animés par la volonté
de maigrir quel qu’en soit le prix. On peut guérir d’un trouble, mais on ne
peut refuser sa génétique. Changer ce qui peut l’être, accepter ce qui ne peut
l’être…
Guérir du poids est une entreprise ambitieuse. Elle ne consiste pas
seulement à maigrir, mais aussi à se réconcilier avec les aliments et avec
soi-même pour vivre enfin en harmonie avec son entourage. Elle nécessite
de considérer l’individu dans tout son ensemble sans le réduire au nombre
de ses kilos à perdre. Si les moyens d’y parvenir peuvent paraître plus
abstraits que la pratique habituelle des régimes amaigrissants, les résultats
sont aussi à la hauteur des efforts consentis. Ce que disent les patients qui
ont suivi ces traitements, c’est surtout que les kilos perdus sont peu de
chose à côté du poids dont ils ont soulagé leur esprit. Ce ne sont pas tant ces
kilos en moins qui sont remarquables que la paix qu’ils ont enfin gagnée, la
sérénité qu’ils ont obtenue et le sentiment de libération qu’enfin ils ont pu
éprouver. Certains ont même déclaré que, pour rien au monde, ils
n’envisageraient d’échanger cet état de bien-être contre les kilos qu’ils
auraient encore souhaité perdre. J’espère que ce livre vous permettra, à vous
aussi, d’accéder à ce petit bout de bonheur.

1- Gordon R.A., « A sociocultural interpretation of the current epidemic


of eating disorders », in Blinder B. J., Chaitin B. F., Goldstein R. S., « The
eating disorders », Medical and Psychological Bases of Diagnosis and
Treatment, New York, P.M.A. Publishing, 1988, p. 151-163.
Annexes

Comment expliquer les craquages ?


Beaucoup d’auteurs ont vu dans les pertes de contrôle le phénomène
responsable de la prise de poids, chacun exposant sa théorie pour expliquer
la présence de ces surconsommations.

Histoire de la restriction cognitive1

1. Pour Nisbett2 en 1972, la restriction alimentaire afin de se


maintenir au-dessous de son poids physiologique induirait de la part
des personnes amaigries des prises alimentaires de « rattrapage »
destinées à les ramener à leur poids d’équilibre.
2. D’autres ont observé que les crises hyperphagiques portaient
plus souvent sur des aliments sucrés. Ils ont donc suggéré que les
restrictions glucidiques entraînaient un état de carence spécifique que
le sujet cherchait à combler lors de ses crises.
3. Pour d’autres auteurs, les accès hyperphagiques
s’expliqueraient par des traits de personnalité qu’ils auraient constatés
chez les personnes obèses. Cette conception a permis à S. Schachter
de développer sa théorie de l’externalité3. Pour lui, l’obésité serait la
conséquence d’une exposition à un environnement riche en aliments
tentateurs et d’une hypersensibilité aux stimulations externes (la vue
et l’odeur des aliments). Au point que parfois seule la pensée d’un
aliment interdit pourrait entraîner une compulsion alimentaire et une
perte de contrôle. Les personnes externalistes seraient peu sensibles
aux signaux internes de faim et de satiété, et mangeraient en fonction
de l’offre alimentaire. Les individus externalistes se caractériseraient
en outre par leur hyperréactivité émotionnelle, leur distractibilité, leur
médiocre appréciation subjective des durées, leur mauvaise évaluation
des sensations douloureuses, mais aussi leur capacité à relever
davantage d’informations dans l’environnement en un temps donné.
4. Enfin Herman et Polivy, à la suite de leur expérience, ont
évoqué l’effet de violation de l’abstinence. Le sujet s’empêche de
manger certains aliments et ne peut se contrôler s’il transgresse ses
règles.

Pourtant, ces théories restent tout de même insatisfaisantes et ne rendent


pas compte de la diversité des situations rencontrées.
1. En premier lieu, la présence des pertes de contrôle n’est pas
systématiquement associée à l’existence d’un surpoids obligatoire. Au
contraire, un grand nombre de sujets en état de restriction cognitive,
bien qu’ils éprouvent un sentiment constant de privation, continuent à
consommer dans la phase d’inhibition des quantités de nourriture
équivalentes ou même supérieures à ce qu’exigerait la satisfaction de
leurs besoins et peuvent, paradoxalement de leur point de vue, se
trouver affectés d’un surpoids ou d’une obésité, en dehors de toutes
pertes de contrôle. Nous disposons actuellement de méthodes qui
permettent de mesurer les dépenses énergétiques d’une personne. Ces
techniques ont permis de réaliser qu’un grand nombre de sujets
restreints avaient une tendance involontaire et inconsciente à sous-
estimer, parfois considérablement, leurs apports alimentaires4.
Certaines études ont rapporté des sous-estimations pouvant atteindre
50 % des apports alimentaires réels. Il ne s’agit en aucun cas de
dissimulation intentionnelle mais effectivement d’un trouble de la
perception des apports alimentaires. Ces personnes ont véritablement
la sensation de manger deux fois moins qu’elles ne mangent
réellement. Et ces sous-estimations ne font finalement que refléter
l’état de frustration dans lequel elles se trouvent ou le déni d’une
réalité difficile à admettre pour elles. Il est donc fortement probable
que bien des personnes en état de restriction cognitive mangent
davantage qu’elles ne s’en rendent compte. Il serait toutefois
dangereux de considérer cette erreur d’appréciation comme une règle
générale car, à l’inverse, dans d’autres situations, la restriction
calorique peut s’avérer bien réelle et aboutir à un vrai déficit
énergétique, jusqu’à entraîner un état d’anorexie mentale. Ainsi, si
l’explication métabolique est parfois plausible, elle est loin d’être
généralisable à toutes les personnes et encore moins à tous les épisodes
de désinhibition.
2. Les compulsions sucrées, couramment observées, peuvent aussi bien
survenir chez des personnes consommant des quantités suffisantes, ou
même excessives, de féculents excluant la moindre carence glucidique.
Ces compulsions traduiraient donc davantage la recherche d’un goût
sucré qu’un réel besoin de glucides.
3. Il est exact, comme l’a souligné Schachter, que beaucoup de personnes
rapportent cette fragilité face à la présentation des aliments.
Néanmoins, là encore cette explication s’est révélée bien insuffisante à
expliquer la diversité des situations cliniques rencontrées. Tout
particulièrement, elle ne permet pas de comprendre pourquoi le même
phénomène est couramment relevé chez des personnes de poids normal
ou même inférieur à la normale et ne présentant ni surpoids ni obésité.
De plus, les études menées dans la population générale n’ont jamais
permis d’affirmer que les obèses disposaient de personnalités
particulières : ceux-ci ne sont pas plus névrotiques, ou anxieux, ou
dépressifs que les normo-pondéraux et ne présentent, en vérité, pas de
profil de personnalité caractérisable5.

Le fractionnement des repas


Beaucoup d’experts se sont donc interrogés sur l’importance de la
répartition des repas dans la journée et le débat sur la déstructuration des
repas n’est pas nouveau dans la littérature scientifique. Voyons ce qu’en
disent les spécialistes de différentes disciplines.

Un peu d’histoire
Les premières préoccupations connues concernant le désordre des repas
semblent remonter à la nuit des temps. Déjà au Moyen Âge, La Tour
Landry adresse de sévères remontrances à ses contemporains qui se
conduisent comme des animaux : « Manger une fois le jour est vie d’ange,
et manger deux fois le jour est vie humaine, et trois fois ou quatre fois ou
plusieurs fois est vie de bête et non pas de créature humaine6. » À cette
époque, que voulez-vous, c’est prendre trois repas qui était blâmable. Ce
thème du retour de l’homme à l’état animal est loin d’être abandonné
puisqu’on le trouve encore de nos jours sous la plume d’un éminent
psychologue, spécialiste du comportement alimentaire, qui écrit : « La
disparition progressive des structures traditionnelles des repas et
l’omniprésence d’aliments divers disponibles à toute heure dans notre
environnement risquent de rendre l’homme semblable à la bête, en
l’occurrence : obèse. » On se voit déjà pousser des poils en mangeant des
bonbons dans sa voiture. Brrr…
Il est étonnant de constater comme le thème du désordre alimentaire est
d’ailleurs récurrent dans l’Histoire et comme il est, quelles que soient les
époques, toujours interprété comme une conséquence néfaste de la
modernité et du relâchement des mœurs. En 1577, Lippomano s’en prend
aux nouvelles habitudes qui mettent à portée de bouche toutes sortes de
nourritures tentatrices :

« Dans les villes et même dans les villages, on trouve toutes sortes
de mets tout prêts, ou de menus arrangés de manière qu’il ne leur
manque que la cuisson […]. Vous voulez acheter des animaux au
marché ou bien de la viande, vous le pouvez à toute heure et en tout
lieu. Voulez-vous votre provision toute prête, cuite ou crue, les
rôtisseurs et les pâtissiers en moins d’une heure vous arrangent un
dîner, un souper, pour dix ou pour vingt, des pâtés, des tourtes, des
desserts. Les cuisiniers vous donnent des gelées, les sauces, les ragoûts.
Cet art est si avancé à Paris, qu’il y a des cabaretiers qui vous donnent à
manger chez eux à tous les prix, pour un teston si vous le désirez […]. »

Il n’est guère douteux que celui-là, déjà scandalisé par l’apparition des
premiers restaurants, aurait fait aujourd’hui parti des détracteurs des fast-
foods et des distributeurs de nourriture qui rendent désormais les aliments si
facilement accessibles à chacun. On croit bien là entendre le discours
moderne sur le grignotage et la dispersion des repas. Ici, c’est le progrès et
la facilité qu’il apporte qui sont condamnés. Un thème que l’on retrouve
souvent dans les textes contemporains. Pour certains, le congélateur et le
réfrigérateur ont même permis la naissance de l’« ingestion instantanée7 »
et présentent le grand défaut d’avoir supprimé l’attente, source d’une
frustration nécessaire et donc d’un désir salutaire.
D’autres exemples nous montreraient la récurrence d’une seconde
inquiétude : le grignotage et la déstructuration des repas seraient
responsables de l’effacement des liens familiaux. À moins, c’est selon,
qu’ils n’en soient la conséquence. C’est d’ailleurs pourquoi on retrouve si
souvent cette préoccupation dans la bouche des associations de parents ou
de défense des valeurs morales. Le reproche n’est pas nouveau, les
moralistes du XVIIIe siècle condamnaient déjà les mauvais parents qui
donnaient à manger aux enfants toute la journée. Ce n’était pourtant pas le
spectre de l’obésité qui les inquiétait alors.
Quoi qu’il en soit, l’historien Jean-Louis Flandrin constate, dans une
revue assez complète des comportements alimentaires avant le XIXe siècle,
que s’il est souvent fait mention dans les textes anciens de quatre repas
quotidiens, parfois deux, ou même un seul vrai repas, les trois repas
constituent plutôt une exception historique. Pour l’historien, la justification
du nombre et de l’horaire des repas se situe simplement dans la présence de
contraintes économiques et tout particulièrement celles liées aux horaires de
travail. Ainsi, si nous trouvons naturel aujourd’hui de prendre trois repas
par jour, c’est tout bonnement qu’ils correspondent le mieux à
l’organisation du travail dans nos sociétés modernes.

Et les sociologues…
Les sociologues, quant à eux, s’intéressent aux comportements actuels
et se sont demandé combien de repas prenaient réellement les Français. Ils
semblent bien constater, dans la plupart de leurs enquêtes, une assez bonne
résistance des repas structurés. Les Français affirment y être toujours très
attachés et, dans les faits, l’étude de leurs habitudes confirme bien qu’ils
n’entendent pas y renoncer. Ceux qui s’inquiètent de ce grand relâchement
des mœurs peuvent donc se sentir rassurés. Cependant, si les trois repas
résistent, ils évoluent aussi. D’une part, ils se simplifient et se réduisent, en
particulier au déjeuner8. Les entrées et les desserts sont, de plus en plus
souvent, absents du plateau des mangeurs, même en restauration collective
et ceci en dehors de toutes contraintes économiques puisque le phénomène
est identique quand le prix du repas est fixé forfaitairement. On observe, en
effet, que des consommateurs qui ont payé un repas complet ne prennent
pourtant pas tout ce à quoi ils ont droit. Cette simplification des repas
coïncide avec les résultats d’autres enquêtes de consommation qui montrent
une réduction progressive des apports caloriques au fil du temps, 7 à 8 % en
cinq ans dans l’étude de Fleurbaix-Laventie9. D’autre part, les repas
classiques sont loin de constituer les seules prises alimentaires de la
journée. Seuls 20 % des Français se contentent des trois repas classiques
quotidiens. Tandis que 40 % ajoutent une à deux prises supplémentaires et
40 % ajoutent quatre prises ou plus aux trois repas classiques. Ces prises
alimentaires hors repas pourraient même avoir une importance considérable
allant jusqu’à 20 % des apports caloriques de la journée en Europe et 30 %
aux États-Unis.
Au bout du compte, l’observation la plus intéressante est, là encore,
l’état de dissonance cognitive dans lequel se trouve le mangeur. 80 % des
personnes pensent que le grignotage est mauvais pour la santé et 63 %
qu’un vrai repas doit comporter trois plats. Or 80 % des personnes ont
l’habitude de manger en dehors des trois repas et la plupart ne consomment
plus trois plats lors de ces repas. Si bien, qu’encore une fois, le mangeur ne
peut que déplorer le décalage entre ce qu’il fait réellement et ce qu’il croit
devoir faire.
Le sociologue Jean-Pierre Poulain constate que « certains
nutritionnistes – ou les médias qui les relayent – sont tentés de condamner
les nouvelles pratiques alimentaires et de les décoder comme la dégradation
d’un “ordre alimentaire” initial. Le discours se déployant alors sur la
nécessité de restaurer les bonnes habitudes et de rééduquer le mangeur
moderne ».
Tout en observant que seuls 20 % des Français respectent les
prescriptions des nutritionnistes, les sociologues se demandent donc
pourquoi il faudrait que les 80 % restants s’astreignent à prendre la minorité
en exemple. Du moins, tant qu’il n’est pas établi avec certitude qu’ils
puissent en retirer un quelconque avantage. D’autant qu’en matière de
poids, rien ne permet d’affirmer que les personnes qui mangent entre les
trois principaux repas soient, de ce fait, plus corpulentes que celles qui ne le
font pas.

Dans une toute récente enquête réalisée en 2000 par le Credoc, les
conséquences du fractionnement du repas ont été étudiées sur 2 000
adultes et 1 500 enfants. Elles confirment que seul un Français sur cinq
se contente des trois repas par jour. Alors que les quatre autres mangent
entre les trois repas principaux. 23 % consomment plus de 250 calories
par jour entre les repas, 25 % de 100 à 250 calories et 30 % moins de
100 calories. Mais le fait le plus intéressant est que les auteurs n’ont
identifié aucun lien entre la consommation hors repas et le poids des
sujets. Pour les auteurs, ces prises alimentaires n’auraient donc pas
d’incidence négative sur la santé. De plus l’observation des habitudes
alimentaires dans les pays, tels ceux d’Asie, qui fractionnent leur
alimentation en sept ou huit prises ne montrent pas que leurs
populations aient un poids supérieur à celles qui ne mangent que trois
fois.

À l’heure où s’écrivent ces lignes la norme des trois repas quotidiens


est en passe d’être démodée et remplacée par celle des quatre repas.
Suvimax, la grande étude épidémiologique française sur l’alimentation
vient de nous révéler l’existence d’une relation entre le poids et la présence
d’un goûter. Sans qu’aucun lien de causalité n’ait pu être établi, les
industriels se sont rapidement emparés de l’information pour inciter les
consommateurs à introduire ce nouveau repas dans leur programme
quotidien.

Et les physiologistes…
Les physiologistes se sont aussi questionnés sur l’influence du nombre
de repas sur le poids. Et c’est le Tchèque Pavel Fabry10 qui, en 1964,
affirma le premier que la diminution du nombre de repas pouvait favoriser
l’apparition du surpoids et la dégradation de certains paramètres
biologiques. Bien que ces travaux n’aient jamais été ni confirmés ni
reproduits, il semble qu’ils aient largement influencé la pratique des
nutritionnistes. Depuis, plusieurs autres études ont été réalisées et ont
modifié cette idée universellement admise par tous.
Les physiologistes ont donc étudié l’effet du fractionnement des repas
sur des individus qu’ils ont mis en observation. Ils ont testé de un jusqu’à
dix-sept repas par jour. Les résultats sont, à ce jour, suffisamment
convergents pour que l’on puisse en retirer des conclusions. Ils confirment
effectivement que le fractionnement améliore les paramètres biologiques :
le cholestérol total et LDL, l’insulinémie et la glycémie se portent mieux.
Cependant, si l’amélioration est sensible quand on passe de un à cinq repas,
elle l’est beaucoup moins quand on passe de trois à quatre ou cinq repas. En
revanche, à calories égales, que l’on répartisse son alimentation sur un,
deux, cinq, dix et même dix-sept repas, il ne faut pas compter sur cette
manipulation diététique pour perdre le moindre poids.
De plus, au cours de ces recherches, un autre aspect du fractionnement a
été mis en évidence. Certains physiologistes se sont rendu compte que les
mangeurs qui se laissaient le plus souvent aller à une consommation
spontanée, variant le nombre de repas d’un jour à l’autre, étaient aussi de
meilleurs régulateurs que ceux qui avaient des habitudes de consommation
plus figées. Ces mangeurs spontanés étaient plus à même d’ajuster la taille
de leur repas à des variations imprévues de la taille de leurs collations.
Comme s’ils étaient mieux entraînés à opérer des compensations que ceux
qui avaient une alimentation plus rigide. Ce qui, comme nous le verrons,
constitue pour eux un avantage appréciable dans la régulation de leurs
apports caloriques.
Mais, dans la vie réelle, le fractionnement des repas ne s’effectue pas
obligatoirement à calories constantes comme dans les laboratoires de
recherche. C’est pourquoi les physiologistes suggèrent de distinguer deux
situations dont les conséquences seront bien différentes sur un plan
énergétique et pondéral11. Mais qui, pour un observateur, risquent fort de
beaucoup se ressembler. La première consiste à manger en éprouvant une
sensation de faim et est assimilable à une collation. La seconde consiste à
manger sans faim et est assimilable à un grignotage. Les collations
aboutiront simplement à un fractionnement de la ration habituelle du
mangeur et donc n’influenceront pas son poids. Tandis que le grignotage
qui est une consommation d’aliments sans faim (sans fin ?) entraînera une
surconsommation de calories et donc une augmentation du poids de la
personne. À moins, bien entendu, qu’ils ne soient régulés lors des repas
ultérieurs. Évidemment, du point de vue de l’observateur, il sera difficile de
savoir si la même barre de chocolat doit être considérée comme une
collation ou un grignotage ! Seul le mangeur pourra le dire.
En définitive, on peut considérer que la norme des trois ou, peut-être
bientôt, des quatre repas par jour présente, pour certains, l’avantage de
préserver un ordre alimentaire ou pour d’autres d’améliorer des paramètres
biologiques mais il est faux de dire ou de laisser croire qu’elle présente le
moindre intérêt dans la perte de poids. Il est tout à fait possible de maintenir
son poids ou même de maigrir en s’écartant dans un sens ou l’autre des trois
repas par jour, sous réserve d’avoir faim ou de réguler ses apports
caloriques lors de prises alimentaires ultérieures. Alors que la norme
imposée des trois repas semble quant à elle nous empêcher d’effectuer
efficacement cette régulation.

1- D’après une communication de Apfeldorfer G., « La restriction


cognitive : l’évolution des idées », Journées du GROS, octobre 2000.

2- Nisbett R. E., « Hunger, obesity and the ventro-medial


hypothalamus », Psychol. Rev., 79, 1972, p. 433-453.

3- Schachter S., « Some extraordinary facts about humans and rats »,


Am. Psychol., 26, 1971, p. 129-144.

4- Romon M., « Évaluation de l’apport alimentaire chez les sujets en


restriction cognitive », Cah. nutr. diét., 33 (4), 1998.

5- Stunkard A. J., Wadden T. A., « Psychological aspects of severe


obesity », Am. J. Clin. Nutr., 55, 1992, 524S-532S.

6- Flandrin J.-L., « Les heures des repas », in M. Aymard (dir.), Le


Temps de manger. Alimentation, emploi du temps et rythmes sociaux, Paris,
Maison des sciences de l’homme.

7- Harrus-Revidi G., Psychanalyse de la gourmandise, Paris, Payot,


1994.

8- Poulain J.-P., Delorme J.-M., Gineste M., Les Nouvelles Pratiques


alimentaires des Français. Entre commensalisme et vagabondage, ministère
de l’Agriculture et de l’Alimentation, programme « Aliments demain »,
1996.

9- Fleurbaix et Laventie sont deux petites villes du nord de la France


dans lesquelles est menée une étude d’impact d’éducation nutritionnelle.

10- Fabry P., Fodor J., Braun T., Svolankova K., « The frequency of
meals : Its relation to overweight, hypercholesterolemia, and decreased
glucose tolerance », Lancet, 1964, p. 614-615.

11- Marmonier C., Chapelot D., Louis-Sylvestre J., « Metabolic and


behavioural consequences of a snack consumed in a satiety state »,
American Journal of Clinical Nutrition, 70, 1999, p. 854-866.
Remerciements

À l’achèvement d’un ouvrage, on réalise qu’il est l’aboutissement des


efforts et des bonnes volontés de nombreuses personnes.
Il me faut d’abord remercier le Dr Jacques Fricker, qui malgré nos
points de vue fort différents, a accepté, avec élégance, de soutenir le projet
et de le présenter aux éditions Odile Jacob. Merci également à Catherine
Meyer qui par ses lectures attentives et ses critiques constructives m’a
apporté une aide chaque fois précieuse.
Pour s’être engagé avec moi dans la grande aventure du Groupe de
réflexions sur l’obésité et le surpoids, je veux chaleureusement remercier
les Drs Bernard Waysfeld et Gérard Apfeldorfer. Et tout particulièrement ce
dernier qui, tout au long de nos interminables discussions, m’a permis
d’avancer dans mes idées sans trop me perdre. Il trouvera dans cet ouvrage
certains concepts que, bien souvent, il aura été le premier à promouvoir.
Son soutien m’a été indispensable.
Il me faut également remercier tous les membres du Groupe de
réflexion sur l’obésité et le surpoids qui depuis plusieurs années se
rencontrent pour échanger et agiter des idées nouvelles au sein de nos
forums et de nos formations. Je veux témoigner de leur détermination à
remettre en question leur pratique dans le seul intérêt de leurs patients.
Je dois enfin remercier mes patients qui ont supporté sans se plaindre
les recherches et les évolutions successives qui m’ont permis d’atteindre ma
pratique actuelle.

Vous aimerez peut-être aussi