Maigrir Sans Régime - J.P. Zermati
Maigrir Sans Régime - J.P. Zermati
Maigrir Sans Régime - J.P. Zermati
www.odilejacob.fr
EAN : 978-2-7381-9914-0
Autant vous le dire dès la première ligne, ce que vous savez sur la
nutrition ne vous a pas préparé à ce que vous allez lire dans ce livre. Je sais
bien que la tradition veut que l’on expose rapidement et en quelques mots,
dès la première page, quelques idées fortes et séduisantes destinées à vous
faire poursuivre votre lecture. Pardonnez cette liberté que je prends avec
l’usage, mais vous révéler, dès à présent, le contenu de ce livre ne vous
rendrait aucun service. Voici simplement le témoignage de Clémentine que
j’ai rencontrée à deux moments de sa vie. La première fois, elle se battait
pour maigrir et la seconde pour ne pas grossir. C’est l’histoire de sa bataille.
Nous sommes à la fin de l’automne et Clémentine se tient assise face à
moi en séchant de grosses larmes qui roulent sur ses joues. C’est maintenant
une vraie jeune femme de 25 ans, bien différente de l’adolescente rondelette
que j’avais rencontrée plusieurs années auparavant.
Elle était venue, ce jour-là, me consulter avec sa mère, Maryse. Une
femme élégante et soignée qui m’amenait sa fille un peu comme on
rapporte au magasin un article défectueux dont on n’est pas satisfait.
Clémentine prenait du poids, disait-elle, et commençait à ressembler à sa
corpulente grand-mère, issue d’une lignée de solides campagnards du
Limousin.
Maryse, elle-même, était entrée dans l’adolescence avec un surpoids qui
était vite devenu l’objet de moqueries de la part de ses camarades et lui en
avait laissé d’amers souvenirs. Aussi, depuis la naissance de Clémentine,
elle lui appliquait préventivement les conseils mesurés d’une bonne hygiène
alimentaire. Maryse était, disait-elle, simplement attentive à ce que tout le
monde mange sainement dans son foyer. Elle s’efforçait de composer pour
la famille des repas équilibrés, distribués à horaires réguliers. Malgré cela,
Clémentine grossissait et Maryse devenait chaque jour plus vigilante. Elle
avait déjà demandé conseil au pédiatre de la famille qui avait préconisé
quelques mesures diététiques. Puis, finalement, constatant leur inefficacité,
avait suggéré que l’on consulte un nutritionniste.
C’est à cette occasion que j’avais fait sa connaissance. Nous étions en
1989, je franchissais le pas de l’installation et m’apprêtais à délivrer à mes
premiers patients le savoir universitaire que m’avaient transmis mes aînés.
J’avais les certitudes d’un jeune praticien formé par les meilleurs
professeurs de cette époque. J’étais naïf et, il faut bien le reconnaître, assez
fier de moi. Nous étions, dans les années 1980, à un carrefour diététique.
Nous vivions la fin de la période antisucre qui voulait qu’on ne pût maigrir
qu’en se privant de pain et de féculents. Nous entrions dans la période
antigras qui préconisait la consommation de glucides à volonté à condition
de bien vouloir supprimer celle des graisses jugées dorénavant responsables
de la prise de poids. Les nouveaux régimes se voulaient simplement
équilibrés, mais sans gras et avaient l’ambition de prendre en compte la
personnalité du mangeur. Ils se devaient donc d’être personnalisés et
adaptés à son mode de vie. Les conférenciers, dans nos congrès,
prodiguaient de savantes communications dans lesquelles ils nous parlaient
de relaxation, de facteurs psychologiques, de psychothérapies associées et
de dangereux troubles du comportement alimentaire.
C’est dans cet esprit, qui se voulait humaniste, que j’abordais ma
première rencontre avec Clémentine qui me faisait part d’une réelle
souffrance. Celle de ne pas être la petite fille qu’aurait souhaité avoir sa
maman. Sa silhouette ne la rendait pas si malheureuse, elle s’était
simplement convaincue qu’elle n’était pas très jolie et que son avenir
préoccupait sa mère. Elle admirait beaucoup la force de caractère de cette
dernière qui témoignait chaque jour d’une volonté à toute épreuve et savait
se discipliner pour ne manger que de « bons » aliments qui ne faisaient pas
grossir. Elle déplorait de ne pas disposer de la même énergie à aussi bien se
contrôler. Et c’est donc sans résistance qu’elle accepta de commencer un
régime.
Tout se déroula pour le mieux. On ne pouvait rêver de meilleurs
résultats. Suivant mes recommandations raisonnables, cautionnées par la
science diététique, Clémentine maigrit, acceptant une perte de poids tout
aussi raisonnable. Nous établîmes une alimentation équilibrée,
régulièrement organisée autour des trois repas indispensables et limitant
soigneusement tout excès de gras. Nous avions même, comme il se devait à
cette époque, scrupuleusement mis au point un régime de stabilisation
prévoyant des écarts éventuels et la manière de les rattraper. Nous avions
été jusqu’à envisager une reprise possible d’un ou deux kilos, sans
dramatisation ni culpabilisation. Tout se passait idéalement. Bien que
conservant de discrètes rondeurs, Clémentine était heureuse, sa mère était
heureuse et moi j’étais heureux. Que demander de plus ? Clémentine avait
15 ans, nous échangeâmes un au revoir, nous espérions tous deux nous dire
adieu.
C’est donc quelques années plus tard que je l’ai revue. Beaucoup de
temps avait passé pour chacun de nous et beaucoup d’illusions s’en étaient
allées.
Pour ma part, j’avais découvert les études scientifiques provenant du
monde entier et qui nous apprenaient que 95 % des patients qui avaient
suivi un régime équilibré, scientifiquement élaboré, cinq ans après, avaient
repris leur poids et même au-delà. Pire, à la suite de leurs échecs répétés,
nombre d’entre eux avaient même contracté des troubles psychologiques ou
du comportement alimentaire. Toutes mes connaissances s’étaient révélées
impuissantes à repousser cette incontournable vérité qui s’était imposée
dans toute sa sécheresse. J’avais donc dû renoncer à mes convictions les
plus fortes et rechercher de nouvelles perspectives thérapeutiques plus
prometteuses. C’est une longue réflexion sur mes échecs, ceux de tous les
nutritionnistes, et sur la souffrance de nos patients qui m’a conduit à cette
profonde remise en question. J’ai beaucoup travaillé pour cela et j’ai
longtemps tâtonné. Maintes fois, j’ai espéré m’approcher d’une solution qui
se révélait finalement sans issue. J’ai consulté des centaines d’articles et j’ai
lu ce que pouvaient dire sur le corps et la nourriture les spécialistes des
autres disciplines : généticiens, physiologistes, historiens, sociologues,
anthropologues, psychologues, économistes, philosophes, religieux, etc.
Tous ceux qui pouvaient apporter un éclairage sur le sujet. J’ai finalement
abouti à une autre méthode de travail qui, peu à peu, s’est affinée pour
produire enfin les résultats escomptés. Vous comprendrez, en la lisant, par
quelle révolution de la pensée, le mot n’est pas trop fort, il m’a fallu passer.
Mais ce que j’ai réellement découvert était à mille lieues de mes
attentes. J’ai surtout trouvé une immense souffrance cachée, indicible et
honteuse. Je ne crois pas avoir jamais pris les difficultés pondérales de mes
patients à la légère, mais la douleur et le désespoir que j’ai découverts ces
dix dernières années ont dépassé tout ce à quoi je m’attendais. Ce qui m’a
d’ailleurs mis, malgré moi, dans l’obligation d’apprendre à les recevoir et à
les soulager en complétant ma formation de nutritionniste par une formation
de psychothérapeute. C’est cette souffrance que je voudrais vous faire
partager. Vous verrez à quel point elle contraste avec le discours désinvolte
des magazines. Combien elle est éloignée de cette présentation quasi
cosmétique des problèmes de poids, façade dérisoire des peines endurées.
Quant à Clémentine, elle était de nouveau assise dans mon bureau,
résignée, me racontant ses années de batailles contre les kilos. Ce livre
raconte un peu son histoire. Celle d’une guerre perdue. Elle pouvait tout
aussi facilement perdre ou reprendre les six ou sept kilos contre lesquels
elle combattait sans répit. Aujourd’hui, elle les avait perdus, mais savait que
demain elle les reprendrait. Elle ne se guérissait jamais de son problème. Et
était maintenant terrifiée à l’idée de regrossir. Elle ne se plaignait pas et
n’accusait personne. Elle était simplement désespérée. Je la regardais,
atterré. Et je pensais : Mon Dieu, j’ai participé à tout cela. Nous sommes
tous responsables. Nous tous. Cette société qui fabrique des gros et qui les
déteste, ces gens qui se jettent à corps perdu et sans réflexion à la recherche
d’un Eldorado qui n’existe pas, ces médias qui valsent avec des promesses
qu’ils ne tiendront jamais, ces médecins qui, en toute connaissance,
continuent à appliquer des traitements inefficaces et toxiques, cautionnés
par des scientifiques aveugles.
Quand, il y a cinq ans, j’ai écrit La Fin des régimes, je m’étais
méticuleusement livré à un sévère réquisitoire contre les régimes
amaigrissants. Surtout les plus farfelus, dangereux ou tout simplement
déséquilibrés. Cependant, il m’est rapidement apparu que ce livre,
étonnamment, avait fait preuve d’une impardonnable clémence à l’égard du
plus célèbre d’entre eux. Il est vrai que celui-là ne pouvait être rangé dans la
même catégorie que les précédents. Il ne s’agissait plus cette fois d’une
prescription inepte, honnie de tous les doctes savants. C’était bien au
contraire l’arme ultime de toute une profession contre un fléau mondial.
En condamnant la pratique des régimes amaigrissants, j’ai omis, par
une incroyable cécité, d’insister sur le plus prescrit d’entre tous : le régime
équilibré. Je dirais même que sous couvert d’équilibre alimentaire et
d’alibis scientifiques je continuais tout bonnement à préconiser un régime.
Sans doute faisais-je partie de ces gens dont parle P. Skrabaneck « qui ne
croient pas à la magie en tant que telle, [mais] sont [pourtant] prêts à
l’accepter lorsqu’elle se présente sous une forme scientifique1 ». Bien sûr,
je l’ai sévèrement critiqué. Néanmoins, je ne l’ai pas explicitement dénoncé
comme j’aurais dû être conduit à le faire par mes réflexions sur le contrôle
sensoriel du comportement alimentaire.
Il est vrai qu’à cette époque, j’avais seulement ébauché cette nouvelle
approche. C’est en poussant plus loin la réflexion sur ce nouveau modèle
théorique que j’ai compris qu’il ne lui était pas possible de cohabiter avec
les anciennes pratiques, fussent-elles les plus raisonnables et équilibrées.
Je ne souhaite pas dans ce livre revenir sur toutes les preuves de l’échec
des régimes et de toutes leurs conséquences néfastes. Je rappellerai
simplement que ces résultats consternants correspondent, j’insiste encore, à
des évaluations, menées, par les équipes médicales les plus aguerries dans
tous les pays du monde, sur le régime équilibré.
L’échec des régimes ne doit surtout pas être compris comme la fin des
espoirs d’amaigrissement. Au contraire, il s’agit bien mieux de la fin d’une
spirale de l’échec et enfin la perspective d’une vraie guérison. Enfin une
alternative qui, cette fois, n’est pas un régime déguisé. Cette fois, croix de
bois, croix de fer, chacun mangera ce qu’il aime. Si je mens, je vais en
enfer.
Vous découvrirez dans ce livre qu’il existe aujourd’hui d’autres façons
de maigrir et qui permettent aussi de faire la paix avec les aliments. Et s’il
existait une manière de maigrir sans faire de régime, en mangeant tout ce
que l’on aime, au moment qui nous plaît ? Simplement guidé par sa faim et
son plaisir ? Comme ça, comme les minces.
Vous lirez ce livre à votre rythme. En ne retenant que les chapitres
pratiques ou en vous arrêtant sur les chapitres plus théoriques si vous
souhaitez en approfondir les bases scientifiques. Vous ne serez jamais
obligés de lire ces parties pour poursuivre votre lecture. Vous pourrez même
y revenir tout à la fin si vous désirez en savoir plus.
J’espère que ce livre vous aidera à trouver les réponses que vous
cherchez. Bon voyage à tous.
1- Skrabaneck P., McCormick J., Idées folles, idées fausses en
médecine, Paris, Odile Jacob, 1992.
CHAPITRE PREMIER
L’état de régime
permanent
ou la restriction cognitive
Je sais bien que vous lirez ce livre dans l’espoir d’y trouver une solution
immédiate à vos difficultés avec votre poids ou votre comportement
alimentaire. J’espère d’ailleurs vous y aider ou tout du moins vous indiquer
les pistes à suivre, mais seulement si vous acceptez, cette fois, de vous
accorder le temps du changement. Généralement, avant d’expliquer à mes
patients les méthodes de travail que nous serons amenés à utiliser, je les
invite tout d’abord à me raconter leur histoire. Et si vous le permettez, je
souhaite d’abord vous rapporter leurs paroles et vous parler de la maladie
dont ils souffrent et qui les empêche de maigrir quand elle ne les fait pas
grossir : ils se trouvent gros, qu’ils aient raison ou tort de le penser, et ne
parviennent pas à maigrir durablement malgré un état de régime permanent
que les psychologues désignent aujourd’hui sous le terme de restriction
cognitive. Ne soyez pas impatients de vous reporter d’emblée à la partie
pratique de ce livre et prenez le temps de comprendre les différentes
facettes de cette maladie et de son traitement. Pour la première fois, le
régime lui-même, mais surtout l’état de régime dans lequel se trouvent la
plupart des mangeurs modernes est considéré comme une maladie
responsable de la prise de poids, de l’échec des tentatives d’amaigrissement
et dont il faut se soigner. Cette notion est inhabituelle, dérangeante et mérite
que nous l’expliquions.
Les personnes dont je rapporterai les témoignages dans ce chapitre ne
sont ni boulimiques ni anorexiques. Leur poids pourra indifféremment être
normal, inférieur ou supérieur à la normale. Leur seul point commun sera
de se trouver trop grosses ou d’avoir peur de grossir et de chercher à
maigrir ou à maintenir leur poids. Avant toutes choses, quel que soit leur
poids, ces individus sont des « gros » parce qu’ils se pensent gros. À l’heure
actuelle, le trouble alimentaire dont souffrent ces personnes n’entre dans la
description d’aucune pathologie reconnue dans les manuels de diagnostic
médicaux de référence. Elles ne sont donc prises en charge pour le
traitement spécifique de leur trouble ni par les nutritionnistes ni par les
psychothérapeutes. L’affection dont elles souffrent n’existe pas ! Et, par
conséquent, il est rare que leur souffrance rencontre une oreille attentive.
Quel que soit leur poids, leur souffrance est bien réelle et d’autant plus
aggravée par la non-reconnaissance de leur entourage. Souvent ces
personnes se sentent terriblement isolées dans leur maladie et éprouvent le
sentiment d’être profondément anormales au point qu’elles n’osent que
rarement venir se confier à d’autres, tant elles sont convaincues qu’elles ne
pourraient être comprises. Ce chapitre contribuera peut-être à les sortir un
peu de leur isolement.
Il est habituel que ces deux états alternent entre eux avec une fréquence
très variable. Ils peuvent se succéder au cours de la même journée. Ce sont
les bonnes résolutions que l’on prend dès le petit matin et qui cèdent… sur
le chemin du travail, à la pause de 10 heures, au déjeuner, sur le chemin du
retour, juste avant le dîner ou pendant le dîner ou dans la soirée. En fait, on
ne sait jamais vraiment à quel moment on craquera. On sait seulement que
cela finira par arriver.
Céline est une petite femme ronde de 1,55 m. Dès son adolescence,
elle se préoccupe de son poids. Elle pèse 54 kg. À l’âge de 20 ans, à la
suite d’une maladie qui lui fait perdre du poids, elle atteint 48 kg. « Plus
je maigrissais, plus j’avais envie de maigrir. » Pour se maintenir, elle
renonce à manger. Par la force de la volonté, elle ne se nourrit plus que
de légumes et de yaourts, rarement un peu de volailles ou de poissons.
Elle supprime son petit déjeuner, évite soigneusement toutes les
occasions assorties de repas. « J’avais une ligne impeccable, je me
sentais capable de résister à tout. » Elle n’a même pas l’impression de
faire un régime, ne ressentant ni faim ni envie. Elle tient ainsi…
25 ans ! À 45 ans, elle découvre que son mari la trompe avec une
femme plus jeune qu’elle. La vie conjugale se détériore, le couple
décide de se séparer. Mais le divorce a lieu dans des conditions
extrêmement difficiles. Céline se retrouve seule et se bat pour obtenir
quelques ressources financières que lui refuse son ex-mari. Elle ne peut
plus tenir son régime. Elle craque, se met à manger compulsivement.
Son poids augmente vertigineusement. Vingt-cinq années de
frustrations s’expriment d’un coup. En cinq ans, elle double son poids
et atteint 98 kg !
Stratégies de réductionproposées
dans les traités de médecine classique5
Le point important de ces stratégies est leur décalage avec l’« excès »
qui a été réellement commis. Ce dernier est laissé à l’appréciation du
mangeur, jugé à l’aune de la culpabilité ressentie et la compensation n’est
pas proportionnelle à l’excès calorique mais à l’idée que se fait la personne
de l’importance de sa faute. Plus la faute lui paraît importante plus la
compensation sera sévère, la culpabilité agissant en amplifiant la
compensation. En aucun cas, l’amplitude de la compensation n’a de rapport
avec une diminution de la sensation de faim.
Le mangeur restreint
Supposons que je dispose face à vous une mallette remplie de
billets de banque et que je vous dise : « Vous avez le droit de prendre
dans cette mallette tout l’argent que vous voulez sans rien devoir à
personne. Mais attention, demain je retire la mallette. » Devant une telle
proposition, il est normal d’emporter tout le contenu de la mallette. Une
telle occasion ne se représentera pas deux fois. Demain, l’argent
manquera.
Le mangeur régulé
En revanche, imaginons que je vous dise : « Vous pouvez prendre
autant d’argent que vous le désirez mais demain la mallette sera
toujours là, et après-demain et la semaine prochaine et aussi longtemps
que vous le souhaiterez. Et même mieux, je remplacerai chaque jour
tout l’argent que vous prendrez. » Pourquoi alors prendre tout l’argent
et s’encombrer d’un poids inutile ? Autant prendre ce qui est nécessaire
pour les dépenses de la journée. Et demain, refaire la même chose.
« J’en prendrai plus si j’ai de plus grandes dépenses et peut-être n’en
prendrai-je pas du tout si je n’ai besoin de rien. »
Jean-Pierre assure donc qu’il mange assez sans que ce soit jamais trop.
Il est bien conscient de consommer de grandes quantités de nourriture. Ses
amis ne se privent d’ailleurs pas de le lui faire remarquer. Mais il ne perçoit
jamais le trop. Comme il grossit régulièrement, il se doute également qu’il
doit trop manger, mais il ne saurait dire à quel moment il l’a ressenti. Si
Jean-Pierre est un grand mangeur, les mêmes phénomènes s’observent
également chez de plus petits mangeurs qui consomment de bien moindres
quantités de nourriture, néanmoins trop importantes par rapport à leurs
besoins réels. Si les grands mangeurs peuvent se douter qu’ils mangent trop,
les petits mangeurs auront de plus grandes difficultés à s’en convaincre. Les
quantités de nourriture qu’ils consomment peuvent leur sembler
« normales » s’ils les comparent à ce que mangent la plupart des personnes
de leur entourage et, ainsi, avoir du mal à réaliser qu’ils mangent au-delà de
leurs besoins. Les études énergétiques ont montré que certaines femmes très
sédentaires pouvaient, de nos jours, facilement se contenter de
1 500 calories quotidiennes. Il leur sera donc très difficile d’admettre et de
réaliser qu’une alimentation normale pour la moyenne des femmes (1 800
calories) est excessive pour les besoins qui sont les leurs.
Le mangeur peut aussi confondre la faim avec d’autres sensations
physiques comme la douleur, la fatigue ou le manque de sommeil. Sophie
réalise : « J’ai une colopathie et donc souvent le ventre qui gonfle dès que je
suis un peu fatiguée ou contrariée. Je pensais que c’était de la faim. Je viens
seulement de comprendre que c’était différent. » Bertrand : « Je m’aperçois
que la fatigue me fait manger. J’ai l’impression d’avoir très faim. »
Pierrette : « Je mange beaucoup plus quand je n’ai pas assez dormi. J’ai
l’impression que cela me soutient. » Ce sont parfois des émotions comme la
colère, la tristesse, la déception ou même la joie qui peuvent être prises pour
de la faim. Dans cette situation, la personne ne mange pas pour se consoler,
apaiser une tension ou obtenir un réconfort, elle est convaincue d’avoir
faim. Elle éprouve, dit-elle, un besoin physique de manger. Les sensations
deviennent floues et imprécises et le mangeur ne parvient plus à interpréter
ce qu’il ressent.
Je mange le plus souvent parce que c’est l’heure mais j’ai rarement
faim avant les repas. Je pense même que je pourrais facilement les
sauter. J’ai même l’impression que je ne mangerais jamais si j’attendais
d’avoir faim. Surtout, je n’ai jamais l’impression d’être rassasiée. Je
pourrais facilement continuer. Si je m’arrête, c’est parce que je me
raisonne.
PLANNING
L’état de régime permanent ou la restriction cognitive.
Dès le matin, après mon petit déjeuner, je suis déjà fébrile à l’idée
de ce que je mangerai à midi. À 11 heures, je commence à regarder ma
montre et à débuter le compte à rebours en attendant le déjeuner. En
attendant, je bois 2 litres d’eau pour ne pas avoir faim. Quand j’arrive
au self, je ne sais pas quoi choisir tant j’ai envie de tout. Je choisis
toujours le plus light, les poissons et les légumes et je résiste au
fromage et au dessert pour ne pas ressembler à une grosse bonbonne.
Dans l’après-midi, je reprends 2 litres d’eau pour me remplir le ventre
et résister à mes envies. Malgré tout, vers 18 heures je commence déjà à
avoir faim. Mais je ne mange pas. J’imagine qu’un jour, j’irai manger
tous les gâteaux de la pâtisserie. Mais pas aujourd’hui. Puis j’arrive à la
maison et je me mets à table le plus vite possible. Je sais que si ce n’est
pas prêt très vite, je me jetterai sur toutes les cochonneries qui traînent,
le pain, le fromage, les gâteaux d’apéritif, n’importe quoi. Après le
dîner, je continue à me gaver de thé pour résister à mes envies de
manger du chocolat. Je pense à la bouffe du matin au soir.
6- Ibid.
7- Ibid.
Si vous tenez toujours ce livre entre vos mains, vous vous trouvez sans
doute dans l’une de ces deux situations :
Vous vous trouvez trop gros et vous souhaitez perdre du poids. En
vous permettant de déterminer votre poids d’équilibre, les méthodes
que nous utiliserons vous permettront de savoir s’il s’agit là d’un
projet accessible ou d’un rêve auquel il vous faudra renoncer.
Votre poids vous convient, mais manger est devenu un combat auquel
vous rêvez de mettre un terme. Cette approche vous permettra de
savoir s’il vous est réellement possible de maintenir ce poids sans que
votre vie ne se transforme en un match permanent contre vous-même
et les aliments.
Dans tous les cas, elle vous permettra de vous réconcilier avec la
nourriture et de cesser de vous battre contre elle.
Le problème se pose donc de la manière suivante : les sensations
alimentaires que vous percevez sont sans doute confuses et imprécises ou
bien ne jouent pas leur rôle car vous n’êtes pas en mesure d’en tenir
compte. Elles ne vous permettent pas d’arrêter de manger au moment où il
le faudrait. Vous ne pouvez donc, pour l’instant, vous fier à ce que vous
ressentez. Jusqu’ici vos sensations alimentaires ne vous ont conduit qu’à
manger au-delà de vos besoins et, par conséquent, à prendre du poids. Nous
allons donc entreprendre un travail qui vous permettra de mieux les
reconnaître. Cette approche est destinée à identifier les difficultés que vous
rencontrez et à agir pour tenter d’y apporter des solutions. Les situations
alimentaires, repas, grignotages, compulsions, boulimies, sont pour vous
problématiques, vous allez devoir les examiner avec attention afin de
progressivement mieux les comprendre et parvenir à les transformer. Pour
entreprendre ce travail, considérez-vous dans la peau d’un chercheur face à
un problème qu’il veut résoudre. Rien ne sert de porter des jugements de
valeur sur les observations que vous allez faire. Ce que vous décrirez n’est
ni bien ni mal, ce sont simplement des faits qui ont vraisemblablement une
explication. Mieux vaut se contenter de décrire le plus concrètement
possible ce que vous verrez puis de proposer des interprétations que l’on
cherchera à vérifier.
Je m’observe manger
Il vous faut maintenant disposer d’un outil d’observation à partir duquel
vous pourrez vous étudier dans toutes les situations alimentaires. N’oubliez
pas que vous êtes en difficulté avec la nourriture. Les repas et toutes les
prises alimentaires sont donc les situations que vous devez examiner avec la
plus grande attention. Chaque fois que cela sera possible, vous aurez
avantage à prendre vos notes aussitôt après les repas. Plus vous tarderez,
plus vos souvenirs seront imprécis. Car il ne s’agit pas simplement de
rapporter ce que vous avez mangé mais essentiellement de décrire ce que
vous avez ressenti avant, pendant et après le repas. Voici un modèle simple
de carnet d’observation qui vous permettra dans un premier temps de mieux
analyser ces situations. Essayez de le tenir pendant une dizaine de jours.
Heure – Lieu
Avec qui ? Quoi et combien ? Commentaires
En faisant quoi ?
Faim et satiété.
Envies de manger.
Situations ou personnes
qui vous incitent à
manger plus.
• Exercice
Si, dans le questionnaire sur les croyances alimentaires (voir page 88),
vous avez répondu « vrai » à l’une des questions suivantes : 9, 10, 13, 14,
15, 18, 21, 22, 23, 24, 25, 26, vous êtes concerné par cet exercice. Vous
considérez donc que certains aliments font grossir et que d’autres ne font
pas grossir, nous allons essayer d’en dresser la liste selon la hiérarchie que
vous leur attribuez dans la prise de poids. Notez tous les aliments qui vous
viennent à l’esprit et tous ceux que vous consommerez dans la première
période d’observation. Pour 100 calories d’aliments, quels sont ceux qui
vous paraissent les plus grossissants et ceux qui vous paraissent les moins
grossissants ? Dans la colonne « aliments grossissants », attribuez 100 à
l’aliment qui vous semble le plus redoutable pour vos kilos, celui qu’il faut
à tout prix éviter. Attribuez 50 à celui qui semble selon vous faire le moins
de dégâts. Un aliment relativement neutre qui, en quelque sorte, ne vous
ferait ni maigrir ni grossir. Puis entre 50 et 100, mettez une note à tous les
aliments dont vous pensez qu’ils vous font grossir. Dans la colonne
« aliments non grossissants », reportez en haut de la colonne l’aliment
auquel vous avez attribué 50. Attribuez 0 à l’aliment dont vous pensez
qu’il n’aurait aucune incidence sur votre poids. Si vous n’en trouvez aucun,
mettez 0 à l’eau. Puis entre 0 et 50, mettez une note à tous les aliments dont
vous pensez qu’ils ne vous font pas grossir.
Leslie se lève tous les matins comme si c’était le grand jour. Elle
décide de ne plus manger d’aliments sucrés. Malgré cela, chaque après-
midi, elle « craque » et mange des gâteaux secs sans pouvoir s’en
empêcher. Ou encore, elle décide de se contenter au dîner de 100 g de
féculents, mais ne peut s’empêcher de se resservir et d’en manger une
trop grande quantité.
• Exercice
Nous allons maintenant introduire les premiers changements dans votre
manière de manger. Ils sont destinés à créer de meilleures conditions
d’observation et vous aider à mieux percevoir vos sensations alimentaires.
1. Quand vous mangez, efforcez-vous de ne rien faire d’autre en même
temps. Interrompez votre activité en cours, prenez le temps de manger
attentivement, puis reprenez votre activité. À table, tenez-vous-en aux
discussions avec les autres convives. Évitez les repas avec la
télévision. Si vous êtes seul et que la situation vous pèse, essayez de
vous contenter d’une simple musique de fond. Il est possible que
certains n’y parviennent pas. Nous essayerons d’en trouver la cause.
2. Prenez également le temps de manger plus lentement. Si vous n’y
parvenez pas, d’autres exercices pourront vous y aider.
RÉGULATION PONDÉRALE
RÉGULATION PONDÉRALE
RÉGULATION PONDÉRALE
Pourquoi ce modèle d’explication est-il biologique ?
La biologie
du comportement alimentaire
Cet ensemble forme ainsi un réseau très complexe qui gère l’équilibre
entre substances qui stimulent ou réduisent les appétits pour contrôler
inconsciemment la prise de nourriture, tant sur le plan quantitatif que
qualitatif. La redondance de ces systèmes de régulation présente toutefois
des avantages et des inconvénients. L’avantage est que la déficience de l’un
des systèmes sera généralement palliée par la surproduction de tous les
autres. On connaît ainsi des souris totalement déficientes en neuropeptide Y,
un neuromodulateur extrêmement puissant, mais qui conservent pourtant un
comportement alimentaire parfaitement normal. L’inconvénient est qu’il
sera difficile de trouver des médicaments qui pourront bloquer l’un de ces
systèmes sans que leurs effets soient aussitôt annulés par une surproduction
de tous les autres.
Tous ces neuromédiateurs jouent donc le rôle d’indicateurs renseignant
l’organisme sur l’état de ses besoins. Ils lui permettent de savoir à chaque
instant de quels nutriments5 il a besoin et en quelles quantités. Et ainsi de
maintenir son poids autour d’une valeur d’équilibre et de satisfaire ses
besoins dans les différents nutriments qui lui sont nécessaires. Cependant
l’individu n’a naturellement pas accès aux concentrations de ces différents
neuromédiateurs et n’a donc pas directement accès aux indications qu’ils
apportent. Il lui faut pour cela disposer d’une interface qui s’adressera à lui
dans un langage compréhensible. Un peu comme l’interface graphique d’un
ordinateur qui permet à l’utilisateur de déchiffrer les calculs de son
microprocesseur. L’interface qui permettra au mangeur d’avoir accès à ses
besoins sera constituée par ses sensations alimentaires : la faim, le
rassasiement, la satiété. Ce sont elles seules qui le guideront dans le choix
de ses aliments et la détermination de leur quantité.
L’effet yo-yo
Véronique est une très jolie jeune femme de 32 ans, d’une intelligence
très fine, qui présente un certain embonpoint. Elle manque beaucoup
d’assurance et tout particulièrement dans ses relations avec les
hommes. Elle a peu confiance en elle, dispose d’une faible estime de
soi et souffre d’anxiété sociale qui prédomine dans les relations
d’intimité. Elle évite autant qu’elle le peut ce type de situation. Elle
refuse systématiquement les invitations personnelles et rougit dès
qu’on lui adresse la parole. Elle n’imagine pas que les hommes
puissent lui trouver le moindre attrait. Ce lourd handicap ne l’a
cependant pas empêchée de mener une brillante carrière. Ces tentatives
d’amaigrissement se sont jusqu’ici toujours soldées par des échecs et
l’entraînent dans de terribles compulsions qui ne font que lui confirmer
la piètre idée qu’elle se fait d’elle-même. Véronique est très lucide et
comprend que ses pertes de poids la mettent en danger et la plongent
chaque fois dans des abîmes d’angoisse. À chaque perte de poids,
Véronique devenait une autre personne plus sûre d’elle-même, plus
séduisante et plus attirante. Les hommes ne manquaient pas de le
remarquer et de la courtiser, la confrontant ainsi aux situations qu’elle
redoutait le plus. Son angoisse ne faisait alors que redoubler
l’entraînant dans des compulsions de plus en plus irrépressibles. Seul
un travail sur l’estime de soi et l’affirmation de soi lui permettra de
faire face à ses difficultés relationnelles et d’assumer son nouveau
corps.
11- Herman C. P., Polivy J., « Restained eating », art. cité, p. 208-225.
12- Fantino M., « Nutriments et alliesthésie alimentaire », Cah. nut.
diét., 30 (1), 1995.
CHAPITRE IV
Retrouver
mes sensations
alimentaires
Voilà dix jours que vous observez votre manière de manger, vous avez
réalisé une photographie de votre paysage alimentaire. Le carnet
alimentaire a tenu le rôle d’un miroir et vous a peut-être fait découvrir des
recoins inattendus de votre manière de manger. Peut-être vous exagériez-
vous certaines situations ou, au contraire, en avez-vous sous-estimé
d’autres. Quoi qu’il en soit, il s’agit maintenant de l’examiner de très près et
d’amorcer les débuts du changement.
7. À partir des notes que vous avez prises, mais aussi de vos
souvenirs sur les périodes antérieures, avez-vous repéré des
situations au cours desquelles vous aviez trop mangé ?
Lesquelles ? Établissez une liste de vos situations-problèmes.
Manger attentivement
Manger sans autre activité.
Se détendre avant et pendant le repas.
Utiliser des petits couverts à la maison.
Poser les couverts toutes les 3 bouchées.
Finir le dernier.
Questionnement sensoriel
Ai-je faim et/ou envie de manger ?
Est-ce que ça me plaît ? Goût.
Est-ce que ça me procure encore du plaisir ?
Ai-je encore faim ? Satiété.
Trois situations sont possibles.
Absence de sensations.
Difficulté à reconnaître les sensations.
Difficulté à tenir compte des sensations.
Procédure de changement
Trois étapes :
Observer les sensations (questionnement sensoriel).
Essayer d’en tenir compte.
Si vous n’y parvenez pas, précisez dans quelles circonstances.
Je mange attentivement
Le mangeur de pop-corn
Prenez un mangeur ordinaire qui décide de se rendre au cinéma en
bonne compagnie, sans aucun stress. Il s’apprête à voir un bon film et
se dit, pour parfaire son bonheur, qu’il ne lui manque qu’une bassine de
pop-corn. Il regarde son film et mange sans être attentif, il est dans son
film. À la fin de la séance, quand il a vidé la bassine, il réalise qu’il a
mal au cœur et envie de vomir. Vous invitez le même mangeur à
prendre le thé chez vous et vous renversez, dans une assiette, devant lui,
la même bassine de pop-corn. Il est très probable qu’il vous regarde
avec des yeux ahuris se demandant comment il pourra bien manger une
quantité aussi gigantesque de maïs explosé. Car le seul moyen pour un
mangeur ordinaire de manger une telle quantité est de ne pas y penser,
de la manger sans y faire attention.
Attention !
Exercice :
pour ne plus avoir peur de la faim
Question : est-il nécessaire de faire trois repas par jour pour perdre du
poids ? Autrement dit, à ration calorique égale, le fait de ne prendre qu’un
ou deux repas par jour ou, au contraire, de répartir sa ration sur plus de trois
ou quatre repas empêche-t-il de maigrir ? Ou encore, si je mange
2 000 calories par jour, réparties sur deux repas parce que je ne prends pas
de petit déjeuner, vais-je maigrir en redistribuant mes 2 000 calories sur
trois repas parce que j’ajouterai un petit déjeuner ?
Cette idée a conduit un grand nombre de nutritionnistes à imposer un
nombre déterminé de repas, généralement trois par jour. Bien souvent, le
conseil étant accompagné de redoutables mises en garde. Sauter un repas
serait terriblement nocif et le corps, furieux de pas avoir son dû, ne
manquera pas de se venger aussitôt en constituant des stocks que plus rien
ensuite ne viendra lui faire rendre. Le corps est très susceptible, il ne faut
pas l’agacer. Ainsi, si parfois on tolère, voire depuis peu recommande, un
quatrième repas, on ne saurait se contenter de deux. Au point qu’il est
instamment préconisé de consommer son troisième repas même en
l’absence de faim, y compris si vous avez ripaillé la veille.
En vérité, aucune des études récentes sur le sujet n’a jamais pu
démontrer la moindre relation entre le poids et le nombre de repas. Et l’on
est aujourd’hui convaincu qu’il est tout à fait inutile d’imposer un nombre
déterminé de repas pour agir sur le poids. Il est donc possible de maigrir en
prenant deux, trois, quatre repas par jour ou même le nombre qui nous
chante et de même changer tous les jours.
Si ce débat vous intéresse, vous trouverez dans les annexes toutes les
informations sur ce sujet avec le point de vue des historiens, des
sociologues et des physiologistes.
Et la gourmandise, alors ?
« Quand c’est bon, je ne peux pas m’arrêter. Je suis très gourmand. » Le
mangeur régulé mange généralement au-delà de sa faim dans les occasions
inhabituelles ou festives. Et comme tout le monde, il n’hésite pas à se
resservir quand un plat est exceptionnellement appétissant. La diminution
de sa faim lors des repas suivants lui permettra de compenser ses excès. Le
mangeur restreint se comporte, lui aussi de cette façon mais dans des
situations beaucoup plus ordinaires. Ce qu’il décrit là n’est pas de la
gourmandise, mais simplement son incapacité à s’arrêter de manger. La
gourmandise est une qualité précieuse qu’il vous faudra d’ailleurs
conquérir. Elle impose des limites à la consommation et empêche le
mangeur de continuer trop au-delà de sa faim. Le gourmand est un mangeur
redoutablement exigeant qui est tyrannisé par sa recherche d’un plaisir plus
intense. Il sait, aussi exceptionnel soit-il, qu’aucun aliment ne sera aussi
bon que s’il le mange en ayant faim. Imaginons un déjeuner auquel
participerait notre gourmand. À la fin du plat principal, il n’a plus faim
quand il voit arriver son dessert préféré. Quelle sera selon vous sa réaction ?
Il demandera qu’on lui réserve sa part qu’il préférera déguster plus tard, au
goûter, quand sa faim sera revenue et qu’il pourra de nouveau éprouver plus
de plaisir. Il aime trop son gâteau pour accepter de ne pas en retirer le
maximum de plaisir. Quant aux autres convives, qui mangeront peut-être
leur part sans être attentifs à rien, ce n’est pas la gourmandise qui les fera
manger, mais bien davantage la gloutonnerie.
1- Apfeldorfer G., Maigrir, c’est dans la tête, Paris, Odile Jacob, 1998.
La faim nous dit que nous devons commencer à manger, mais il nous
faut également posséder un moyen de savoir quand nous arrêter. Alors
équipés de ces deux informations, un signal de début et un signal de fin,
nous devenons capables de régler les quantités d’aliments que nous
ingérons. Nous disposons pour y parvenir de plusieurs systèmes qui nous
incitent à interrompre nos repas. Le processus qui met un terme au repas est
désigné sous le terme de rassasiement. Il faut le distinguer de la satiété qui
est l’état de non-faim séparant deux repas, eux-mêmes déclenchés par la
faim. Le rassasiement se traduit physiologiquement par la diminution du
plaisir gustatif constitué par la somme de plusieurs mécanismes agissant
conjointement. L’un d’eux est mécanique, les autres sont sensoriels.
L’ALLÉGEMENT EN SUCRE
Des études de comportement ont été conduites aux États-Unis, grand
consommateur d’édulcorant. En particulier, une enquête réalisée auprès de
78 694 femmes de toute corpulence a montré que les utilisatrices de
produits édulcorés avaient pris plus de poids au cours de l’étude que les
non-utilisatrices. Les études des physiologistes ont permis de comprendre
que si les consommations d’édulcorant répondaient à des situations de faim,
donc de besoins métaboliques, elles étaient, dans ce cas, intégralement
compensées lors des repas suivants. En revanche, quand ces consommations
répondaient à des prises alimentaires sans faim, la compensation devenait
très aléatoire. Ces études ont permis de conclure que, dans le cadre d’une
alimentation libre, l’utilisation d’édulcorant s’avère inefficace sur la perte
de poids.
L’ALLÉGEMENT EN GRAISSE
La plupart des études montrent qu’un allégement lipidique provoque
une diminution non compensée de la consommation de lipides. En
revanche, la diminution calorique qu’elle entraîne semble assez bien
compensée par une surconsommation de glucides et parfois même de
protéines. Si bien que si la composition de l’alimentation se trouve
modifiée, le niveau calorique global reste souvent inchangé et ne permet
pas d’obtenir une perte de poids significative. Ainsi, des femmes ayant
consommé une alimentation allégée en lipides pendant deux ans ont perdu
3,2 kg pendant les six premiers mois de l’expérimentation. Au bout de deux
ans, cette perte de poids n’était plus que de 1,9 kg. Ce faible
amaigrissement avait pourtant été obtenu avec une alimentation ne
comportant plus que 22,8 % de lipides16. En France, la consommation
quotidienne de lipides est d’environ 40 % des apports caloriques globaux.
Ces résultats confirment les observations réalisées aux États-Unis où l’on
voit le poids moyen de la population augmenter simultanément avec une
baisse générale de la consommation de graisse. Toujours chez des
volontaires américains, une tendance à s’accorder une petite récompense en
contrepartie de la consommation d’aliments de régime, mais « bons pour la
santé », a été mise en évidence et semble pouvoir expliquer l’échec de
l’allégement lipidique17. De la même manière, dans une étude
épidémiologique française réalisée sur des hommes, l’utilisation de produits
allégés en graisse ne s’accompagnait pas d’une réduction de la ration
énergétique, mais, au contraire, d’une consommation significativement plus
élevée de sucre, biscuits, chocolat, miel et autres produits sucrés.
L’ensemble de ces processus, mécanique et sensoriel, contribue à
moduler le plaisir gustatif et permet au mangeur d’ajuster précisément sa
consommation d’aliments à ses besoins énergétiques. Le processus
dynamique de diminution du plaisir gustatif se superpose au phénomène de
rassasiement. Tandis que l’extinction du plaisir gustatif correspond à l’état
de satiété. Ces systèmes, loin d’être redondants, agissent tous ensemble de
façon synergique. Ils se mettent en place successivement dans le temps. Les
premiers à apparaître, dès les premières minutes du repas, sont le
rassasiement sensoriel spécifique et le rassasiement conditionné. Ils sont
suivis par deux systèmes plus tardifs, l’alliesthésie alimentaire négative, qui
contrôle également le contenu calorique du repas, et la distension gastrique
qui réagit davantage au volume des aliments. Le système sensoriel est très
dépendant des facteurs cognitifs et de l’idée que se fait le mangeur de ses
aliments. Par exemple, quand un aliment liquide est introduit directement
dans l’estomac par l’intermédiaire d’une sonde gastrique, donc en court-
circuitant les étapes cognitives, les sujets ressentent un rassasiement moins
satisfaisant pour une même quantité d’aliments normalement consommée.
De même, nous avons vu que les mangeurs restreints pouvaient se
désinhiber et manger davantage après la consommation d’un aliment
« interdit ». La même réaction peut être obtenue avec des aliments allégés
dont on leur fait croire qu’ils sont riches en calories. Ce sont donc
seulement les facteurs cognitifs qui semblent avoir entraîné la réaction de
désinhibition.
Le plaisir rassasie
Le plaisir ne se contente pas d’intervenir dans le déclenchement du
repas. Il participe aussi à son arrêt.
On sait aujourd’hui que l’arrêt du repas s’effectue sous l’influence
d’une double commande : la disparition de la faim, la satiété, et la
disparition du plaisir de manger. Comme si pour s’arrêter de manger il
fallait avoir consommé une certaine quantité de nourriture et de calories
mais aussi avoir éprouvé une certaine quantité de plaisir.
On pourrait ainsi définir le rassasiement comme la diminution de la
faim et du plaisir. Sans la perception du plaisir et de sa diminution, il
devient impossible de se rassasier. Grâce aux neurophysiologistes, nous
savons que les personnes en surpoids possèdent moins de récepteurs à la
dopamine, que l’on considère comme l’hormone de la récompense. Ce qui
fait dire à certains que les obèses pouvaient manger plus car ils étaient
moins récompensés. Ce phénomène explique pourquoi de nombreuses
personnes peuvent continuer à manger, même une fois que la satiété est
atteinte. Ils n’ont pas obtenu leur content de plaisir. Ils ne sont donc pas
rassasiés. La nature est formidablement bien faite, elle permet à tous les
êtres vivants de ressentir avec leur corps, sans intervention de la pensée,
que c’est le plaisir qui rassasie.
Toutefois, rien ne permet de savoir si on doit considérer ces anomalies
biologiques comme des causes ou des conséquences de l’obésité et des
désordres du comportement alimentaire.
Les deux hypothèses semblent aussi pertinentes l’une que l’autre. Il est
possible que les déficits en récepteurs soient par exemple génétiquement
déterminés. Pour le généticien Philippe Froguel, 95 % des gènes de
l’obésité s’expriment dans le cerveau et jouent un rôle dans le contrôle du
comportement alimentaire et dans les processus de régulation. Mais les
observations cliniques laissent fortement penser que certains
comportements pourraient aussi influencer le nombre des récepteurs à la
dopamine et entraîner des pathologies du plaisir alimentaire.
C’est le plaisir qui rassasie, avons-nous dit. Mais le rassasiement ne se
manifeste pas comme la faim par une sensation physique très caractérisée.
Il s’agit plutôt d’une émotion de l’ordre de la satisfaction ou du
contentement qui dépend notamment de la perception agréable et consciente
des sensations alimentaires, gustatives et digestives. C’est donc un
phénomène très complexe facilement sujet à toutes formes de dérèglements.
La rapidité d’ingestion des aliments réduit la perception des sensations
alimentaires. Ce qui incite le mangeur à compenser la moindre intensité de
ses sensations par une augmentation des quantités de nourriture afin
d’atteindre la quantité de plaisir nécessaire à son rassasiement. Comme si la
quantité venait pallier la qualité.
Pourtant manger lentement n’est pas encore la garantie d’une
perception des sensations gustatives et digestives. On peut manger
lentement en faisant des mots croisés, en s’hypnotisant devant son écran de
télévision ou d’ordinateur ou tout simplement en refaisant le monde dans sa
tête. Bref, on peut être absent à soi-même et à ses propres sensations. Ici,
c’est le déficit de conscience qui aboutit à une diminution de la sensation de
rassasiement. Il suffit de manger en regardant la télévision pour augmenter
de 15 % sa consommation d’aliments. À l’inverse, manger en utilisant les
techniques de pleine conscience permet de réduire de 25 % les quantités
consommées.
On peut aussi manger lentement et consciemment des aliments qui ne
nous satisfont pas. Simplement parce qu’ils ne sont pas à notre goût. La
perception des sensations est bien présente, mais elle n’est pas agréable et
n’aboutit pas au sentiment de satisfaction nécessaire au rassasiement. Le
mangeur reste sur ce sentiment d’insatisfaction, de manque. Il n’a pas eu
son content de plaisir et accepterait facilement de manger sans faim un
aliment qui viendrait combler ce manque.
Et puis, surtout, on peut manger lentement, consciemment, des aliments
à notre goût tout en s’accablant de reproches. Le mangeur peut se sentir
coupable de manger, s’inquiéter de grossir. Le sociologue Claude Fischler a
constaté dans une étude portant sur la manière de manger dans les pays
occidentaux l’émergence d’un nouvel état d’esprit. Il semble imprégner la
plupart de nos contemporains, surtout les plus influencés de culture anglo-
saxonne, et se manifeste par une forte anxiété alimentaire, notamment chez
les plus préoccupés de leur poids. Dans ce cas, l’anxiété, la culpabilité mais
aussi la honte, la colère, le désespoir, la déception, toute émotion négative
qui pourra accompagner l’acte alimentaire et qui viendra prendre la place de
la satisfaction nécessaire au rassasiement. Une émotion en chasse une autre.
Les mangeurs en restriction cognitive connaissent cela sur le bout de la
langue.
Le retour à une alimentation intuitive et sereine leur permet presque
toujours de retrouver le rassasiement et les rend capable de s’arrêter de
manger quand la satiété survient. Comme si, d’un coup, ils augmentaient
leurs récepteurs à la dopamine et pouvaient enfin être récompensés d’avoir
mangé ce qui est bon pour eux. Leur corps enfin les récompense de
l’attention qu’ils lui accordent
Ainsi le plaisir n’est pas un luxe. Sans lui rien n’est possible. Sans lui,
nous mangerions sans faim et nous ne saurions pas nous arrêter. Si la nature
a inventé le plaisir, c’est pour favoriser les bons comportements de santé.
Mangez pour le plaisir la santé suivra. Mangez pour la santé, vous avez
toutes les chances de perdre le plaisir et la santé avec.
4- Adolph E. F., « Urges to eat and drink in rats », Am. J. Physiol., 151,
1947, p. 110-125.
5- Booth D. A., « How nutritional effects of food can influence people’s
dietary choices », The Psychobiology of Human Food Sélection, 1982, 4,
p. 67-84.
10- Harris L. J., Hargreaves F., Ward A., « Appetite and choice of diet.
The ability of the vitamin B deficient rat to discriminate between diets
containing and lacking the vitamin », Proc. Roy. Soc., série B, vol. 113,
1933, p. 161-190.
16- Sheppard L., Kristal A. R., Kushi L. H., « Weight loss in women
participing in a randomized trial of low-fat diets », Am. J. Clin. Nutr., 54,
1991, p. 821-828.
« S’il n’y en a pas, je n’y pense même pas. Mais si je sais qu’il y en
a à la maison, je ne pense plus qu’à ça et je les mange jusqu’à ce qu’il
n’y en ait plus. C’est même le meilleur moyen de ne plus y penser. Je
crois même que je finis le paquet en me disant que, de cette façon, je
me débarrasse du problème. »
Menu 1 Menu 2
Salade de crudités
Salade de lentilles
Poisson à la vapeur
Poisson frit
Ratatouille
Mousse au chocolat
Yaourt à 0 %
• Question 2 : Faisons maintenant en sorte que ces menus apportent
chacun 750 calories tout en précisant qu’ils ne présentent pas la même
composition. Il n’y a ni gras ni sucre dans le menu 1 alors que le menu 2 en
apporte dans la friture et la mousse au chocolat. Lequel de ces deux menus
fait le plus grossir ?
Menu 1 Menu 2
Salade de crudités
Salade de lentilles
Poisson à la vapeur
Poisson frit
Ratatouille
Mousse au chocolat
Yaourt à 0 %
750 calories 750 calories
Menu 1 Menu 2
Salade de crudités
Salade de lentilles
Poisson à la vapeur
Poisson frit
Ratatouille
Mousse au chocolat
Yaourt à 0 %
750 calories 750 calories
? ?
1 000 calories 500 calories
La peur de manquer
La peur de manquer peut prendre plusieurs visages qui inciteront le
mangeur à consommer au-delà de ses besoins.
Le sentiment d’insécurité
Le sentiment d’insécurité que nous éprouvons à l’égard de nos aliments
envahit progressivement l’esprit d’un grand nombre de mangeurs1. Nous
entretenons vis-à-vis des aliments inconnus une méfiance naturelle qui a
probablement été très utile à notre survie tout au long de l’évolution. Ce
sont nos traditions et nos cultures alimentaires qui au cours de l’histoire ont
assuré notre sécurité en mettant à notre disposition des aliments qui avaient
fait la preuve de leur innocuité.
Pour nous, mangeurs, les choses doivent être simples. Soit l’aliment est
sûr, et il est comestible. Soit il n’est pas sûr, et il n’est pas comestible. Il
n’existe en cette matière aucune demi-mesure. Nous ne saurions
consommer des aliments « un peu comestibles ». Ce qui entre dans notre
bouche ne peut faire l’objet d’aucun soupçon. Nous le constatons chaque
fois qu’une affaire de sécurité alimentaire refait surface. La moindre
suspicion entraîne une chute des ventes ou même un retrait total du produit
incriminé. C’est ainsi qu’en 1988 la firme Perrier, pour avoir laissé
échapper treize bouteilles contaminées par du benzène, a préféré retirer de
la vente 280 millions de bouteilles afin de conserver la confiance de ses
clients.
Il est probable que ce réflexe sécuritaire contribue aussi au succès des
régimes interdictifs, qui partagent les aliments en deux catégories : les bons,
comestibles parce qu’ils ne font pas grossir et les mauvais, non comestibles
parce qu’ils font grossir. C’est simple, c’est sans appel. Et il n’y a pas à se
poser plus de questions !
À la cueillette aux champignons
Le couple frustration-culpabilité
La frustration et la culpabilité sont des émotions puissantes que nous
avons déjà évoquées et qui viendront troubler les mécanismes de la
régulation. La lutte permanente du sujet contre ses envies de manger
provoque une frustration gonflant comme une vague qui viendra ensuite
éclater dans une compulsion d’autant plus bruyante qu’elle aura été longue
et péniblement vécue. Le rattrapage calorique se fait sans rapport avec le
manque réel. Le sujet se comporte là comme s’il lui fallait consommer en
une fois tout ce qu’il n’a pas mangé depuis le début de ses privations. À
l’opposé, la culpabilité conduit le mangeur restreint à compenser ses écarts
alimentaires sans rapport avec l’excès calorique commis. Ce ne sont pas les
calories qui sont compensées, mais l’idée que le mangeur se fait de sa faute.
Plus la culpabilité sera grande, plus la compensation sera sévère et sans
rapport avec la régulation physiologique exigée par l’organisme. La
frustration et la culpabilité, comme par un effet de levier, agissent sur les
sensations alimentaires en majorant les processus naturels de compensation.
La frustration faisant manger plus qu’il ne le faudrait, la culpabilité
produisant l’effet inverse. Ainsi, encore une fois, ce sont les émotions qui
prendront le pas sur les processus de rassasiement et la satisfaction des
besoins.
Les travaux portant sur le stress et la prise alimentaire montrent que les
personnes qui mangent sous le coup d’une anxiété se sentent généralement
moins anxieuses après cette consommation. Mais le mangeur restreint, au
contraire, n’éprouve, lui, aucunement moins d’anxiété. Manger ne le
soulage de rien. Manger ne fait qu’alourdir le fardeau qu’il porte ! D’où lui
vient donc cette incapacité ? Pourquoi sombre-t-il dans cet engrenage
alimentaire sans rapport avec ses besoins physiques et psychologiques ?
Plusieurs explications sont sans doute possibles mais l’une d’entre elles
mérite toute notre attention, car elle nous est maintenant familière et offre
des possibilités d’interventions thérapeutiques immédiates. Il s’agit de l’état
de restriction cognitive. Comment, en effet, le mangeur aux prises avec une
croyance aliments interdits-aliments autorisés pourrait-il parvenir au
moindre réconfort lorsqu’il mange des aliments dont il est convaincu qu’ils
le rendent obèse ? Que peut-il bien penser en mangeant un gâteau au
chocolat ? « Non seulement, j’ai des tas d’emmerdements mais en plus je
suis en train de grossir comme une baleine », ou : « Ce que je mange est
délicieux mais m’empoisonne. » Le mangeur restreint pense bien trop de
mal de lui et de ses aliments pour qu’ils puissent lui procurer le moindre
réconfort ou soulagement. Les processus cognitifs qui régissent sa manière
de manger ont bien trop dégradé sa relation avec la nourriture pour qu’elle
puisse produire les émotions positives qu’il s’attend à éprouver. Quand il
mangera des aliments défendus, ceux-ci ne lui procureront plus, au
contraire, que des émotions négatives.
Malheureusement ses ennuis ne s’arrêteront pas là. Convaincu qu’il
transgresse sa ligne de conduite, qu’il commet une faute, il se promet bien
qu’on ne l’y reprendra plus. Nous reconnaissons bien cet aspect de la
restriction cognitive qui conduit notre mangeur à se jurer qu’il ne
succombera plus à ses écarts et à manger tout son chocolat comme si c’était
le dernier. Enfin, toujours du fait de la restriction cognitive notre mangeur,
qui vient de manger en excès, ne saura ou ne pourra pas correctement se
réguler et s’exposera à la prise de poids. La culpabilité qu’il éprouve pourra
l’inciter à se priver de manger au repas suivant, la perte de contact avec ses
sensations alimentaires à ne pas compenser son excès de manière adéquate,
ses croyances diététiques à l’obliger à manger au repas suivant alors qu’il
n’a plus faim. Voilà comment le mangeur restreint, après avoir perdu le
contact avec ses sensations alimentaires, non seulement ne parviendra plus
à se réconforter, absorbera de trop grandes quantités de nourriture et
deviendra incapable de les réguler.
Dans l’absolu, ce sont, bien sûr, les 200 calories, donc le pain au
chocolat, qui seront les plus avantageuses. Nous pouvons maintenant
resituer cette comparaison dans un contexte plus approprié. Imaginons
qu’un jour, vous n’ayez pas très faim, il sera plus judicieux, ce jour-là, de
vous contenter de 200 calories plutôt que d’en manger 750, même si ces
200 calories sont apportées par un pain au chocolat. On comprendrait, en
effet, assez mal pourquoi une personne qui n’a pas très faim devrait se
forcer à manger, en quelque sorte, trois fois plus que sa faim ne l’exige.
Surtout si elle espère maigrir ! En revanche, si vous souhaitez grossir,
sachez que vous suivez à la lettre les conseils que l’on adresse aux
personnes maigres pour les encourager à prendre du poids. On leur
recommande de se forcer à manger, même si elles n’ont pas faim. Mais
peut-être avez-vous d’autres projets ?
Poursuivons notre démonstration et imaginons maintenant que vous
soyez contraint, pour des raisons qui nous échappent, de ne plus vous
nourrir que de deux pains au chocolat par jour, 400 calories, pendant
plusieurs mois. Selon vous, quelles en seraient les conséquences pour votre
poids ? Il est tout d’abord probable que vous ayez immédiatement très faim.
Ensuite, après trois semaines de ce régime, vous aurez sans doute beaucoup
maigri. Et enfin, après trois ou six mois vous serez mort… de faim, avec dix
ou vingt kilos de moins et cela en n’ayant mangé que du chocolat. Ce petit
exercice d’imagination était simplement destiné à vous faire réaliser qu’il
n’est pas possible de grossir en mangeant de si petites quantités de
nourriture, fussent-elles même du chocolat. Ce qui est d’ailleurs bien
regrettable. Nous serions tous très heureux d’apprendre que l’on peut
grossir en se nourrissant exclusivement de 400 calories de chocolat. Nous
pourrions alors proposer une solution rapide aux famines qui sévissent dans
certaines régions du monde. Nous distribuerions à chacun une tablette de
chocolat et n’aurions plus qu’à attendre que les malheureux affamés
grossissent. Je conseille aux optimistes, qui ne sont toujours pas
convaincus, de tenter l’expérience… et de s’armer de patience.
Exercices de substitution
Toutes ces démonstrations m’ont semblé nécessaires pour vous montrer
à quel point les mangeurs que nous sommes devenus sont victimes d’un
conditionnement diététique et normatif qui les empêchera de maigrir
durablement et les poussera inexorablement à reprendre les kilos perdus.
Ces démonstrations peuvent certes vous paraître séduisantes, mais
s’avéreront pourtant insuffisantes à vous convaincre totalement. Il s’agit
maintenant de passer d’une compréhension intellectuelle à un véritable
déconditionnement vous permettant de manger selon vos propres besoins et
non selon une manière « diététiquement correcte » de penser la nourriture.
Il est indispensable pour cela que vous expérimentiez vous-même cette
nouvelle conception de la nourriture. Nous allons donc recourir à des
exercices de substitution des aliments « autorisés » par des aliments
« interdits ».
50
Yaourt nature à 0 %
calories
70
Yaourt nature entier
calories
90
Yaourt aux fruits à 0 %
calories
110
Yaourt aux fruits et au lait entier
calories
Un fruit moyen de 150 g 70
calories
40
Deux carrés de chocolat
calories
Il apparaît assez clairement que les 40 calories apportées par les deux
carrés de chocolat seront plus avantageuses pour votre poids que celles
apportées par tous ces autres aliments. Si vous souhaitez donc manger du
chocolat mieux vaudra prendre deux carrés à 40 calories plutôt qu’un yaourt
à 0 % qui, lui, apporterait 50 calories. Vous pourrez même consommer le
chocolat de votre choix, ils se valent tous en valeur calorique. Bien sûr, il
s’agit de deux carrés qui seront pris dans une tablette de 100 g comprenant
6 rangées et 4 carrés par rangée. L’exercice de substitution consiste à
remplacer un aliment « autorisé » par un aliment « interdit ». Si, par
exemple, vous avez l’habitude de consommer un fruit ou un yaourt aux
fruits à 0 % de matières grasses qui représente donc 70 à 90 calories,
remplacez-le par une quantité légèrement inférieure de chocolat, ici 2 à 4
carrés de chocolat, 40 à 80 calories. En pratique, voici comment se
déroulera l’exercice :
1. Supprimez les fruits et les laitages à tous les repas (sauf au petit
déjeuner) pendant une durée de six jours.
2. Remplacez-les systématiquement par 2 à 4 carrés de chocolat,
soit 40 à 80 calories.
3. Pesez-vous le premier et le dernier jour de l’exercice.
Car vous l’avez mangée alors que vous étiez déjà rassasié. Le
rassasiement est, en effet, un signal qui vous informe que vos besoins sont
couverts. Les aliments que vous consommez après ce signal apportent des
calories supplémentaires dont vous n’avez pas besoin pour l’instant. Ne
pouvant être utilisées, elles seront stockées et pourront vous faire grossir. Il
faut cependant apporter deux nuances à cette observation.
La première est que, d’un point de vue strictement biochimique, ce ne
sont pas les calories de la pomme qui seront stockées mais celles du
saucisson. L’organisme n’a pas la capacité de stocker les glucides apportés
par la pomme. En revanche, ces glucides, qui seront brûlés prioritairement,
le seront à la place des graisses du saucisson qui seront mises en réserve.
Sans les calories glucidiques excédentaires de la pomme, les calories
lipidiques du saucisson auraient été brûlées et ne vous auraient pas fait
grossir.
La seconde est qu’un repas trop copieux ne fait pas obligatoirement
grossir. Les mangeurs régulés savent très bien manger sans faim ou au-delà
de leur faim sans pour autant grossir. Ils s’apercevront au repas suivant que
leur faim est moindre et effectueront spontanément, parfois sans même le
réaliser, une compensation calorique. Selon l’importance de l’excès, la
compensation pourra s’effectuer sur un ou plusieurs repas. En revanche, le
mangeur restreint qui perçoit mal son rassasiement ou se force à manger, si
chaque fois qu’il mange dépasse ses besoins d’une pomme ou d’un yaourt,
n’aura plus la possibilité de réaliser cette compensation et prendra du poids
repas après repas, pomme après pomme. Il grossira sournoisement en
mangeant des pommes et en incriminant ses sandwichs au saucisson.
Retrouver la satiété
Déroulement de l’exercice
1. Pour être efficace, cet exercice doit nécessairement se dérouler sur
plusieurs jours consécutifs.
2. Vous pourrez réaliser cet exercice avec les aliments de votre choix. Il
suffit pour cela que vous choisissiez des aliments « interdits » d’une
même gamme : des pâtisseries, du pain et du fromage, du pain et de la
charcuterie, des tartes salées (pizza, quiches, tartes au fromage…) et
que vous n’en changiez plus pendant toute la durée de l’exercice. Vous
devez prévoir chaque jour la même quantité d’aliments, même si vous
ne les mangez pas en totalité, par exemple trois pâtisseries ou trois
tartes salées.
3. Dans les exercices précédents, j’avais pris la précaution de vous
indiquer des limites à ne pas dépasser. Cette fois, je ne vous donnerai
aucune indication et vous exécuterez l’exercice en tentant de
déterminer votre propre limite, constituée par votre seuil de satiété, et
essayer de vous y arrêter.
4. Pour réussir à vous arrêter, il vous faudra impérativement respecter
une condition : vous devez vous autoriser à remanger des gâteaux au
cas où vous auriez de nouveau faim dans l’après-midi. Une personne
rassasiée n’éprouvera aucune difficulté à s’arrêter de manger au beau
milieu d’un gâteau si elle est convaincue qu’elle pourra le terminer
aussitôt qu’un nouveau besoin s’en fera sentir. Vous pourrez, en effet,
le finir d’ici un quart d’heure, une heure… dès la réapparition de votre
faim. En revanche, si vous pensez que vous n’avez pas le droit de
manger entre les repas, que vous ne devez pas avoir faim dans l’après-
midi ou que vous mangez votre dernier gâteau, il y a fort à parier que
vous le finissiez jusqu’à la dernière miette. Il est donc essentiel que
vous soyez conscient de la possibilité de remanger dans l’après-midi.
Faire des réserves de nourriture pour éviter la faim reviendrait à
s’engager sur une autoroute avec une citerne d’essence alors qu’il
existe des stations-service tous les 40 km.
5. Au dîner, vous constaterez que vous n’avez sans doute plus grande
attirance pour les gâteaux et choisirez d’autres aliments qui vous feront
plaisir. Cette fois, vous mangerez des salades non parce qu’elles font
maigrir, mais parce que vous en aurez une furieuse envie. Cependant
vous devrez prendre ce repas en étant attentif à votre faim et adapter la
taille de votre repas à l’appétit qui restera à la fin de cette journée.
Vous constaterez ainsi que quand on vous oblige à manger du chocolat,
vous vous jetez sur les légumes. Comme de la même façon, quand on
vous obligeait à manger des légumes vous vous jetiez sur le chocolat.
Conclusion, si on ne vous oblige à rien, vous ne vous jetez plus sur
rien.
6. Enfin, comme d’habitude, vous vérifierez par vous-même que
l’exercice s’est bien déroulé en vous pesant le premier et le dernier
jour de l’expérience.
Résultats de l’exercice
1. Le premier jour, vous mangerez vos gâteaux comme vous mangez
habituellement vos gâteaux. C’est-à-dire probablement au-delà de
votre faim. Ce dépassement est très prévisible et ne doit pas vous
alarmer. Il traduit les effets de la restriction cognitive sur votre
comportement alimentaire et la présence de mécanismes conscients et
inconscients qui vous font dépasser le rassasiement. Toutefois, il
n’aura probablement aucune incidence sur votre poids car, dès le soir
même, votre régulation prendra le relais. Vous aurez naturellement
moins faim et ne prendrez sans doute qu’un repas assez léger. Cette
compensation de votre excès annulera spontanément l’effet sur votre
poids.
2. Puis au fil des jours, quand vous comprendrez qu’à chaque fois que
vous avez faim il vous faut encore manger des gâteaux, toutes ces
raisons qui vous faisaient manger ces gâteaux au-delà de votre faim
disparaîtront les unes derrière les autres : la peur de manquer, la peur
d’avoir faim, la peur de grossir… Il ne vous restera plus, en fin de
compte, qu’une seule raison de manger : calmer votre faim. Vous ne
trouverez plus une seule raison de manger ne serait-ce qu’une bouchée
de trop. Vous deviendrez capable de déterminer précisément pour les
gâteaux votre seuil de satiété et, mieux encore, de vous y arrêter.
3. Votre comportement à l’égard des gâteaux doit profondément changer
au cours de cette expérience. Si, au quatrième jour, votre attitude vis-à-
vis de ces aliments n’est pas devenue sensiblement différente de ce
qu’elle était le premier jour, vous devrez poursuivre l’expérience
encore un jour ou deux.
4. Tout ce qui n’aura pas été mangé à la fin de la journée devra être jeté
et non pas conservé pour le lendemain. Il ne s’agit pas de gaspiller
gratuitement de la nourriture mais d’apprendre à se passer de la part de
nourriture dont vous n’avez pas besoin. Je vous rappelle que la plupart
des mangeurs restreints ne savent pas laisser de nourriture dans leur
assiette. Pour faire face à cette défaillance, ils n’ont d’autre choix que
de manger leurs restes alors qu’une attitude appropriée aurait
naturellement consisté à les mettre de côté et les conserver dans un
réfrigérateur ou un congélateur. Pour devenir capable d’effectuer ce
geste simple, il vous faudra passer par la désagréable épreuve du jeter
de nourriture.
5. Attention, si vous mangez systématiquement un nombre entier de
gâteaux il est fort probable que vous n’ayez pas été capable de vous
arrêter à votre seuil de satiété. Il n’y a, en effet, aucune raison pour que
les pâtisseries soient précisément calibrées pour correspondre à votre
rassasiement. Si l’exercice se passe comme prévu, la satiété pourra
aussi bien apparaître trois bouchées avant ou après la fin du deuxième
gâteau.
Nous allons à présent utiliser un nouveau modèle de carnet alimentaire.
Il ne s’agit plus maintenant de prendre des notes sur toutes les situations
alimentaires, mais seulement sur celles qui restent encore problématiques.
Celles au cours desquelles vous avez encore la sensation de trop manger.
Schématiquement, deux types de situations pourront dorénavant se
présenter : soit vous mangez sans avoir faim, soit vous continuez à manger
alors que vous n’avez plus faim. Enfin, comme vous pouvez à présent
manger tous les aliments que vous aimez, vous cesserez de les consigner sur
votre carnet alimentaire pour ne plus vous intéresser qu’à vos sensations
alimentaires.
Il est exact que Charlotte est toujours très vigilante sur son
alimentation, hypervigilante même. Elle ne s’autorise que très peu
d’« écarts », pas même au restaurant ou chez ses amis. Elle surveille très
attentivement ce qu’elle mange. Mais quand elle mange des aliments
« interdits », c’est toujours sous l’effet d’un stress, des quantités
conséquentes et généralement sans faim. De cette façon, elle prend du poids
qu’elle reperd aussitôt en se remettant au régime. Toutefois, pendant les
vacances, elle relâche son attention et consomme plus naturellement des
aliments « interdits » qu’elle mange avec faim et sans excès. Durant ses
vacances, elle grossit rarement et souvent parvient même à maigrir. Elle
croit pouvoir expliquer cet étrange phénomène par un surcroît d’activité
physique ou par l’effet du stress qui exercerait sur elle une sorte d’alchimie
qui la ferait grossir. Nous verrons donc dans le chapitre suivant ce qu’il en
est des émotions et de l’alimentation.
Questions-Réponses
« Repas équilibré »
1. Légumes verts cuits ou crus
2. Féculents
3. Poissons, viandes ou œufs
4. Laitage
5. Éventuellement un fruit
Nous pouvons donc compléter maintenant notre question : si mes repas
ne comprennent pas tous ces groupes d’aliments et aucun autre, suis-je
exposé à grossir ? Ou encore, si je décide de respecter cette
recommandation, et seulement cette recommandation, pourrai-je maigrir ?
Si nous reprenons notre menu 1, qui respecte cette recommandation, et
que nous le comparons à un menu identique dans sa composition mais d’un
niveau énergétique supérieur, pensez-vous qu’ils produiront tous les deux le
même effet sur votre poids
La théorie protidique
Les physiologistes ont montré, depuis déjà longtemps, que les protéines
n’avaient pas la capacité d’être stockées par l’organisme. Certains en ont
aussitôt déduit qu’elles pouvaient donc être consommées en quantité
illimitée. Malheureusement, les biochimistes ont récemment découvert des
voix métaboliques qui permettaient aux acides aminés, éléments de base des
protéines, de se convertir en sucre. Et, comble de malchance, une étude
française a aussi établi l’existence d’une corrélation entre la consommation
de protéines et la fréquence de l’obésité chez l’enfant. Bien qu’à ce jour,
aucun lien de causalité n’ait pu encore être démontré, il n’en a pas fallu
davantage pour que certains préconisent immédiatement de réduire la
consommation de protéines des chérubins.
La théorie glucidique
Les glucides ont été considérés pendant très longtemps comme les
grands responsables de l’obésité. La théorie biochimique de l’époque
voulait que les lipides étaient incapables de se stocker en l’absence de
glucides. Les médecins sérieux ont donc prescrit des régimes sans sucre,
limitant sévèrement pain, féculents et pâtisseries. Mais, très vite, cette
théorie a donné lieu à toutes sortes de régimes farfelus qui en interdisaient
strictement la consommation et préconisaient celle des lipides en quantité
illimitée1. Par conséquent, rien n’interdisait de se gaver de foie gras et de
saucisson à condition, naturellement, de bien vouloir les manger sans pain.
Là encore, les biochimistes sont intervenus en démontrant que l’organisme
était, en réalité, bien incapable de stocker les glucides. Même en grandes
quantités, ils étaient obligatoirement brûlés. C’en était terminé de la théorie
glucidique.
La théorie lipidique
Comme les protéines en excès sont capables d’être converties en sucres
et que les sucres ne peuvent être stockés en graisses, il ne reste plus
aujourd’hui qu’à limiter les graisses comme le suggèrent les théories les
plus récentes de l’obésité. Comme d’habitude, certains n’ont pas hésité à
préconiser des régimes limitant sévèrement les lipides mais autorisant une
libre consommation des deux autres nutriments. En 1998, lors d’un congrès
de nutrition sur l’obésité de l’enfant, un orateur n’a d’ailleurs pas le moins
du monde trouvé dérangeant d’affirmer qu’il n’était pas possible de grossir
en buvant un litre et demi de Coca-cola mais qu’il fallait à tout prix éviter le
moindre excès de graisses. D’autres, à côté du corps médical, n’ont pas
attendu longtemps pour nous inviter à nous gaver de toutes sortes de
féculents à condition de traquer toutes traces de gras.
Petite illustration
de l’inconstance scientifique
Lors d’une étude sur les enfants diabétiques, les auteurs ont même
constaté que les enfants les plus gros étaient ceux qui consommaient le plus
de fruits et de légumes. Et que l’insulino-résistance était négativement
corrélée à la consommation de gras. Tout simplement, parce que, à force de
messages, les enfants réduisent leur consommation de gras et de sucre et
mangent plus de fruits et de légumes. Qui lorsqu’ils sont surconsommés les
font grossir. Ainsi, les aliments « bons » finissent par se transformer en
aliments « mauvais ».
8- Heini A., Weinsier R., « Divergent trends in obesity and fat intake
patterns : The american paradox », The American Journal of Medicine, 102
(3), 1997, p. 259-264.
10- Duncan K., Bacon J., Weinsier R., « The effects of high and low
energy diets on satiety, energy intake, and eating time of obese and non-
obese subjects », Am. J. Clin. Nutr., 37, 1983, p. 763-767.
11- Green S. M., Delargy H. J., Joanes D., Blundell J. E., « A satiety
quotient : A formulation to assess the satiating effect of food », Appetite,
29, 1997, p. 291-304.
13- Cecil J. E., Castigione K., French S., Francis J., Read N. W.,
« Effects of intra-gastric infusions of fat and carbohydrate on appetite rating
and food intake from a test meal », Appetite, 30, 1998, p. 65-77.
14- Golay A., Allaz A. F., Morel Y., De Tonnac N., Tankovs S.,
Reaven G., « Similar weight loss with low or high-carbohydrate diets »,
Am. J. Clin. Nutr., 63, 1996, p. 174-178.
16- Shah M., McGovern P., French S., Baxter J., « Comparison of a
low-fat ad libitum complex-carbohydrate diet with a low-energy diet in
moderately obese women », Am. J. Clin. Nutr., 59, 1994, p. 980-984.
Exercice 1
Exercice 2
Sa couleur :
brun clair brun foncé presque noir
La taille de la tablette :
petite moyenne grande
L’épaisseur de la tablette :
fine épaisse
La taille des carrés :
petite moyenne grande
La surface de la tablette :
lisse avec des reliefs
L’aspect :
mat brillant
Les saveurs :
Sucrée : un peu moyen beaucoup
Amère : un peu moyen beaucoup
La consistance :
fondante onctueuse crémeuse
La température :
ambiante fraîche froide
Il serait sans doute possible d’en dire bien davantage sur cet aliment de
légende et je prie à l’avance les amateurs de chocolat de bien vouloir me
pardonner. Disons que nous avons là une description suffisante pour notre
exercice. Plus notre amateur aura le sentiment de manger un chocolat qui se
rapproche de cette description qu’il vient d’en faire, plus il sera heureux.
Plus il s’en éloignera, plus il sera déçu. En vérité, chaque fois qu’il mange
du chocolat, il le compare à la représentation qu’il se fait de cet aliment.
Tous les mangeurs se comportent ainsi. Chaque fois qu’ils mangent un
aliment qu’ils connaissent, ils le comparent, consciemment ou
inconsciemment, à la représentation qu’ils s’en font. Le couscous de ma
mère, la blanquette d’agneau de tante Charlotte, etc. Il leur arrive même
d’en parler à table avec les autres convives. Cette disposition des mangeurs
va nous servir à travailler sur le rassasiement et le réconfort. Car elle
s’accompagne d’étranges propriétés qui nous intéressent. Contrairement à
ce que vous pensez peut-être, plus vous mangerez des aliments que vous
aimez, plus il vous sera facile de vous rassasier. À condition d’écarter deux
exceptions à cette règle. L’aliment ne doit pas être consommé au cours
d’une compulsion ; dans ce cas, la régulation ne se fait plus. Et ce ne doit
pas être un aliment trop rare. Car, dans ce cas, vous risqueriez d’en faire des
réserves en attendant la prochaine occasion d’en manger. Vous anticiperiez
le manque à venir, un peu comme le mangeur restreint se comporte avec ses
aliments « interdits ». En réalité, avec nos aliments habituels, ceux qui
constituent notre alimentation de tous les jours, plus nous les apprécierons
plus nous serons capables de nous arrêter au moment où nous sentons que
nous sommes rassasiés.
Prenons un exemple. Imaginons que nous apportions deux carrés d’un
chocolat médiocre à notre amateur. Il les mange, puis nous lui apportons
deux carrés de son chocolat de rêve. Parions ensemble qu’il les mangera
aussi. Imaginons l’inverse. Nous lui apportons d’emblée la merveille des
merveilles des chocolats noirs, qu’il mange. Puis aussitôt après les deux
carrés toujours aussi médiocres. Il les laisse sans remords. Que s’est-il
passé ? Dans la première expérience, les deux mauvais carrés ont nourri le
mangeur, mais l’ont laissé dans l’attente de « quelque chose » qui se
trouvait dans les deux carrés suivants. Il a fallu quatre carrés, deux fois plus
de calories, pour que notre amateur éprouve la satisfaction attendue. Tout
s’est passé comme si les deux premiers carrés avaient bien nourri son corps,
mais les deux seconds avaient nourri sa tête. Dans la seconde expérience, le
bon chocolat a nourri d’emblée le corps et la tête de notre mangeur. Il a
délaissé le médiocre chocolat et a consommé deux fois moins de calories.
Voilà donc à quoi ressemble le rassasiement, il possède toujours une
dimension physique et psychologique. Pour que le mangeur puisse se lever
de table en disant : « Je n’ai plus besoin de rien. Je suis rassasié », il faut
que sa tête et son corps aient reçu tous deux la nourriture qu’ils réclamaient.
Le pays
« […] je te dirai qui tu es. » Je mange des croissants et de la baguette,
une multitude de fromages, j’apprécie le vin, les cuisses de grenouilles et le
pot-au-feu, je me délecte d’une infinie variété de pâtisseries. Qui suis-je ? Il
n’est parfois pas bien difficile de deviner l’origine nationale d’un mangeur.
Chaque pays, en matière d’alimentation, possède un répertoire de plats qui,
facilement, permettrait de l’identifier. Certains, parfois, nous étonnent par la
consommation d’aliments qui nous semblent proprement incomestibles.
Nous n’aurions d’ailleurs pas imaginé qu’ils soient même mangeables. Les
Français conçoivent péniblement que l’on puisse, par exemple, savourer du
chien ou des insectes. Alors, pourtant, que les pays du monde qui les
acceptent dans leur répertoire alimentaire sont beaucoup plus nombreux que
ceux qui les rejettent. Mais voilà, les goûts et les couleurs ne se discutent
pas. Ils font la spécificité des pays et des cultures.
La région
Toutefois, si chaque pays se différencie par sa cuisine, il existe aussi
dans chacun de très grandes diversités régionales. En France, nous nous
régalons des cuisines provençale, catalane, alsacienne, savoyarde, bretonne,
périgourdine, bourguignonne, etc. Le Credoc a ainsi distingué dix France
alimentaires se regroupant autour d’une culture culinaire régionale (voir
carte). Chacune se caractérisant par une répartition et une préparation
différentes des aliments. La vallée du Rhône et la Méditerranée sont
associées dans l’amour des agrumes, bananes, fruits secs et huile d’olive.
Tandis qu’elles délaissent le beurre, les pommes de terre, la charcuterie et la
bière. La région Jura-Rhône-Savoie favorise les fruits frais et les fromages à
pâtes persillées, alors qu’elle dédaigne les fruits de mer, le cidre et les
apéritifs. Suivant les régions, les modes de cuisson favoriseront davantage
le beurre, la crème, l’huile d’olive, la graisse d’oie, le saindoux, etc.
Chacune affichant fièrement ses plats de prédilection et ses spécialités :
bouillabaisse de Marseille, cassoulet de Toulouse, choucroute de
Strasbourg, fondue au fromage de Savoie, soca de Nice, tripes à la mode de
Caen, calissons d’Aix, nougat de Montélimar, etc. Il est sûrement plus facile
pour la plupart d’entre nous de désigner du doigt le roquefort ou le saint-
marcellin sur l’étal du fromager que sur une carte routière. Montrant ainsi
que nous pouvions oublier que ces noms de fromages étaient d’abord des
villes de France avant d’être ceux de spécialités culinaires.
La famille
Au sein de chacune de ces communautés se trouvent de plus petites
sous-unités constituées par les familles, puis les individus eux-mêmes. En
Inde, où l’on consomme le curry, mélange de plusieurs épices, chaque
famille possède sa recette qui lui permet de se distinguer des autres par son
art d’associer les épices et de préparer le mélange. En France, comme
ailleurs, chaque famille possède son répertoire alimentaire comprenant
recettes et savoir-faire. Dans la mémoire de chacun, la cuisine familiale est
comme un signe de reconnaissance : « Quand je vais manger avec la
famille, je reconnais tout de suite son gâteau, ses œufs à la neige ou son
cake1. » C’est sa cuisine, c’est sa famille, c’est donc soi-même que l’on
retrouve, dit la sociologue Anne Muxel, auteur d’une belle étude sur les
souvenirs de tables. Ou encore, rapporté par l’un de ses interviewés : « Il y
avait les macaronis au four du dimanche, des macaronis qui récupéraient
toutes les viandes du vendredi soir et du samedi. Le jeudi, c’était le jour des
fèves sèches. C’était typiquement familial. À ma connaissance, les autres
familles ne le faisaient pas. »
Nous pouvons ainsi montrer que chaque unité géographique possède sa
spécificité alimentaire. Mais se décline ensuite en sous-unités de plus en
plus petites qui, en même temps qu’elles affichent les caractéristiques de
l’unité qui les englobent, s’en distinguent en y ajoutant leurs propres
caractéristiques. Beaucoup de spécialistes considèrent d’ailleurs que la
cuisine et l’alimentation, en créant un espace commun de communication,
jouent un rôle semblable à celui du langage permettant à la fois de
s’identifier et de se distinguer.
Les religions
Au sein de ces sous-unités géographiques vivent aussi
des communautés qui se caractérisent par leurs habitudes alimentaires. Les
communautés religieuses présentent de ce point de vue un intérêt tout
particulier. Une enquête récente, qui comprenait des questions sur les
interdits alimentaires, montrait l’attachement des musulmans à leurs
pratiques alimentaires religieuses, malgré des comportements souvent
moins rigoureux comprenant quelques aménagements avec les règles. Pour
beaucoup, tout particulièrement les jeunes nés en France, cet attachement
reflétait bien davantage une fidélité à la culture d’origine plutôt qu’un
véritable choix religieux2. Pour Michel Gervais3, les interdits portant sur le
porc et sur le vin sont surtout à considérer comme une manifestation
collective à laquelle une personne adhère pour rendre concrète son
appartenance à un groupe. « Il n’y a pas d’individu sans groupe
d’appartenance, il n’y a pas de groupe d’appartenance sans interdits
alimentaires. »
De la même manière, pour Julien Bauer4, l’une des raisons de
l’alimentation cachère réside dans le désir de maintenir une séparation entre
les juifs et la société. Une alimentation différente sert de garant à la
spécificité juive et limite les risques d’effacement et d’assimilation : « N’aie
crainte d’aller en Égypte ; si tes enfants restaient ici, ils épouseraient des
Canaanites et s’assimileraient mais cela n’arrivera pas en Égypte car les
Égyptiens n’ont pas le droit de manger du pain avec les Hébreux. »
L’aliment joue ici clairement son rôle de frontière et d’isolant social. En
même temps, il devient facteur de cohésion sociale entre ceux qui mangent
ensemble et partagent les mêmes règles alimentaires.
Les chrétiens, bien que ne possédant pas d’interdits alimentaires, n’en
respectent pas moins également des règles prônant le jeûne (le carême,
l’avent, les quatre temps, vigile…) et l’abstinence portant essentiellement
sur la viande (vendredi, samedi). Si l’usage s’en est un peu perdu, le Moyen
Âge prévoyait cent cinquante jours de jeûne ou d’abstinence au cours de
l’année. Là encore, ce sont les rituels alimentaires qui permettent aux
croyants de se reconnaître entre eux. Ainsi, dans chaque religion, les
principes concernant les comportements alimentaires sont un moyen de
constituer une identité sociale afin de regrouper les fidèles et de les
distinguer de ce qui n’appartient pas au groupe.
On voit comment la nation, la région, la famille, la religion contribuent
à donner à chacun son sentiment d’appartenance à une communauté dans
laquelle il s’intègre en en respectant les rites et les coutumes alimentaires.
Mais également en forgeant les goûts alimentaires comprenant des
préférences et des aversions spécifiques. Comme le traduisent ces souvenirs
de table rapportés par Anne Muxel : « Le dimanche, c’était le poulet, et tous
les vendredis c’était du poisson pour raison religieuse-lozérienne-
catholique. Puisque nous n’aimions pas la viande, nous trouvions que
vendredi c’était parfait. »
Le mangeur s’individualise
On sait, aujourd’hui, que le goût d’un individu pour les aliments de son
futur répertoire alimentaire n’est pas inné. Il est acquis et résulte d’un
processus d’apprentissage qui commence dès la vie embryonnaire. Il est par
exemple possible après une perfusion d’une solution sucrée à la mère
d’observer chez le fœtus des mouvements de déglutition et parfois même un
sourire. Alors que la perfusion d’une solution amère produira une grimace
de sa part. De même, il est possible de rendre le nouveau-né sensible à des
arômes qui auront imprégné le liquide amniotique de la mère. On peut donc
se demander si une part de nos préférences d’adultes ne serait pas déjà
conditionnée par les choix alimentaires de nos mères. Puis l’enfant naît. Et
se trouve, comme la totalité des espèces animales vivantes, préprogrammé à
ne pouvoir digérer que des produits lactés et à préférer la saveur sucrée et
rejeter la saveur amère. C’est seulement par la suite, soumis aux influences
multiples, familiales, sociales et biologiques, que les goûts se
transformeront pour atteindre chez l’adulte cette formidable diversité qui
fait de chaque individu un mangeur unique, marqué par ses préférences et
ses rejets.
Le premier lieu de socialisation de l’enfant est le repas de famille. Il y
trouvera la possibilité de repérer et d’assimiler les signes qui forgeront son
identité alimentaire en même temps que son identité sociale et familiale.
Très tôt, marqués par leur propre identité alimentaire, les parents
opéreront dans leur répertoire alimentaire une sélection d’aliments qu’ils
jugent bons pour eux-mêmes et pour leur enfant. C’est ainsi que, à leur
insu, ils lui donneront l’exemple de leurs propres goûts et manières de
manger. Tout naturellement, l’enfant, en cherchant à adopter les
comportements familiaux, exprime son aspiration à s’intégrer au cercle
familial et à accéder au monde des adultes. Il s’approprie ainsi les
comportements qu’il observe, intériorise des goûts et éprouve le sentiment
d’appartenir à une communauté culturelle. Son désir d’intégration le
poussera même à surmonter des aversions biologiquement déterminées et à
adopter des goûts pour des aliments tout d’abord rejetés. Les
consommations d’alcool, d’aliments amers, épicés ou pimentés devraient
être pour nous un grand sujet d’étonnement. Elles traduisent, dans ce
domaine, la suprématie des dimensions culturelles et identitaires de
l’alimentation sur la programmation génétique. Paul Rozin a bien montré
comment les jeunes enfants mexicains, par le simple fait d’être mis de façon
répétée en présence d’aliments pimentés, sans même les goûter, finissaient
par se familiariser avec leur goût et les accepter en tant qu’aliments,
témoignant ainsi de leur entrée dans le groupe des adultes.
Bien sûr, la famille n’est pas le seul lieu d’influence. Les autres enfants
exercent aussi sur le petit mangeur une influence, qui pour certains serait
même supérieure à celle de sa famille. Lean Birch5 a montré comment il
était possible de faire apprécier à un jeune enfant un aliment qu’auparavant
il refusait. Il suffit pour cela de le mettre, pendant plusieurs jours, au contact
d’enfants de son âge, ou mieux légèrement plus âgés, pour qu’au terme de
l’expérience l’enfant finisse par apprendre à aimer cet aliment que, jusque-
là, il évitait. Par imitation de ses pairs, le jeune enfant en vient à transformer
les goûts transmis par le modèle parental. Et c’est ainsi que le phénomène
d’identification familial s’exprimant tout d’abord sur un mode fusionnel
laisse dans un second temps la place à un besoin de se démarquer des
membres de la famille. Le jeune enfant affirme au sein de sa tribu de
nouvelles préférences qui le distinguent des autres membres et lui
permettent de s’individualiser et de se situer par rapport à elle. Pourquoi les
enfants iraient-ils manger des McDonald’s ? Simplement parce que c’est
bon ? N’est-ce pas plutôt parce qu’ils participent ainsi à un phénomène de
société auquel les jeunes s’identifient et peuvent s’affirmer par rapport aux
générations précédentes ? Ces futurs adultes se rappelleront, plus tard entre
eux, qu’ils y fêtaient leurs anniversaires, en collectionnaient les figurines, et
s’y donnaient leurs premiers rendez-vous. Ils conserveront longtemps le
sentiment d’avoir fait partie d’une autre tribu dont ils connaissaient
parfaitement les codes et les signes distinctifs.
Le mangeur apatride
Si les Crétois sont heureux de ce qu’ils mangent, les Toulousains le sont
tout autant. Ainsi que les Inuits, les Japonais, les Gascons, etc. Chacun
ayant survécu en sachant s’adapter à un environnement différent. Tous ont
le sentiment de leur appartenance culturelle et savent que leur manière de
manger en est un élément fortement constitutif. Ces chercheurs qui
voudraient nous faire manger de la bonne façon en prenant chez chacun de
ces peuples ce qu’il y a de meilleur n’ont finalement réussi à inventer qu’un
mangeur sans identité, sans histoire, totalement apatride.
Quel sens y a-t-il à vouloir faire manger du saumon trois fois par
semaine à des Alsaciens ? de l’huile d’olive à des Normands ? ou de l’ail à
des Suédois ?
Ces enfants, qu’ils soient gros ou seulement qu’ils le croient, vont donc
souvent, d’eux-mêmes, se mettre au régime. Et ne plus manger comme
leurs petits camarades. Au McDonald’s, quand tout le monde se réjouira en
commandant le fameux Big Mac, ils seront les seuls à manger la salade du
pêcheur, la salade de fruits et le Coca light. Ce sont, là encore, les processus
d’identification qui seront troublés. Eux mangeront une nourriture « saine et
équilibrée » mais seuls, tandis que tous les autres se mettront des frites et du
ketchup plein les doigts mais ensemble.
Isabelle raconte d’où lui vient son amour des bonbons. « Enfant, je
vivais dans une famille très modeste qui ne mangeait pas tous les jours
ce qu’elle aurait aimé manger. Mon père était un homme dur et
tyrannique qui privait volontiers ses enfants pour se garder la meilleure
part. Au dîner, il était le seul à pouvoir manger la crème de marron que
nous, les enfants, regardions avec envie et avidité. Chaque trimestre, ma
grand-mère nous envoyait des colis de bonbons. Le jour où il arrivait,
ma mère nous donnait, à ma sœur et à moi, un bonbon à chacune. Puis
elle installait le colis au-dessus du buffet de la cuisine, hors de notre
portée, et on ne le revoyait plus. Quand j’ai commencé à travailler et à
pouvoir disposer de mon premier salaire, savez-vous ce que j’ai fait ?
J’ai dépensé ma paye tout entière en bonbons et en crème de marron. »
Aline décrit très bien les difficultés que certains rencontrent quand des
émotions viennent les troubler. Ils se mettent à manger sans faim et grossir
ou regrossir après des semaines d’efforts d’amaigrissement. Comble de
malheur, se voir ainsi manger et anéantir tous leurs efforts, loin de les
arrêter, ne fait que les pousser à manger davantage. Les laissant ainsi dans
une immense perplexité. Finissant par douter d’eux-mêmes et de leur désir
de maigrir.
Nous allons donc essayer de comprendre les relations entre les
émotions et le comportement alimentaire. Voici, pour nous y aider, un
tableau qui figure schématiquement comment un individu se comporte avec
ses aliments quand il doit faire face à une émotion. Le but, pour lui, étant
chaque fois de se débarrasser d’une émotion qu’il supporte péniblement.
Envisageons tout d’abord comment naissent les émotions. Nous situerons
d’ailleurs cette discussion à un niveau émotionnel et non à un niveau
événementiel ou matériel. Nous verrons que cette différence de point de vue
présente un grand intérêt.
Comment naissent les émotions ?
Il existe plusieurs grandes théories sur les émotions. Christophe André
et François Lelord, dans La Force des émotions, en distinguent quatre. Je ne
les détaillerai pas mais nous retiendrons ici celle qui, en interrompant cette
mise en relation automatique des émotions avec les prises alimentaires,
permet d’obtenir, par ses applications thérapeutiques, les plus grands
changements de comportements. Il s’agit donc de la théorie
comportementale.
Pour les psychologues comportementalistes, les émotions négatives ne
sont pas directement le résultat des situations que nous vivons mais plutôt
de notre manière d’apprécier ces situations, de les penser. « Ce ne sont pas
les événements qui troublent les hommes mais l’idée qu’ils s’en font »,
disait Épictète. Le même événement sera vécu différemment par chacun
selon ce que l’on pourrait désigner comme sa personnalité ou son
tempérament. Ainsi, quand vous recevez un courrier de votre banque vous
informant que votre compte est à découvert, certains réagiront calmement
pensant que plaie d’argent n’est pas mortelle et que demain est un autre
jour. Dans ce contexte, le risque de manger pour « compenser » une
émotion apparaît relativement faible. Tandis que d’autres n’en dormiront
pas de la nuit, s’imaginant déjà tous leurs comptes bloqués et qu’ils seront,
dès le lendemain, signalés à la Banque de France, leurs chéquiers et leurs
cartes de crédit confisqués. À cet instant, le risque de manger devient
beaucoup plus élevé. On voit là qu’un événement identique peut entraîner
des émotions différentes allant de la simple préoccupation à une très forte
anxiété, selon le discours que la personne se tiendra face à ce même
événement. Ce dernier activera un dialogue intérieur qui reflétera les
schémas de pensée de l’individu. Dans un premier cas, le discours sera
modéré et raisonnable. Tandis que dans le second, il sera très dramatique et
exagéré. Dans la suite du texte, nous désignerons l’événement (le courrier
de la banque) sous le terme d’activateur et le discours intérieur (c’est une
catastrophe, je serai bientôt au RMI, ma femme m’abandonnera et mes
enfants placés par la DASS) sous le terme de stresseur. Ainsi, les émotions
qui pourront ensuite nous faire manger sont produites par des
raisonnements, eux-mêmes activés par les événements que nous vivons.
Les événements activateurs
Les situations qui activent le discours stresseur peuvent prendre de
nombreuses formes, pas toujours simples à distinguer. Il pourra parfois
s’agir d’événements externes, observables par la personne elle-même, ou
d’événements internes prenant l’allure de pensées, d’émotions ou de
troubles somatiques.
Ainsi, le fait de ne pas trouver un vêtement à sa taille dans un magasin,
d’atteindre un poids critique ou de manger un aliment dont on pense qu’il
peut faire grossir pourra entraîner la personne dans un long discours
intérieur très négatif sur son poids, la valeur qu’elle s’accorde, son avenir
ou ses relations avec les autres.
Si autrefois les hirondelles annonçaient, paraît-il, le retour du
printemps, aujourd’hui les régimes dans les magazines le font bien plus
sûrement. Le printemps, comme chacun peut le constater, est un activateur
redoutable du stress qui s’empare périodiquement de tous les infortunés
candidats à la minceur.
Mais pourquoi le printemps est-il donc si redouté ? Car il est lui-même
porteur d’une terrible annonce. Voici venu le moment de déployer tous les
préparatifs qui permettront d’affronter le pire moment de l’année : l’été. Il
faudra sortir les tenues courtes et légères. Dévoiler un corps que l’on
dissimule ou que l’on essaie d’oublier tout le reste de l’année. Il faudra
exposer les parties de notre corps qui nous font honte. Enfiler des maillots
de bain, s’exhiber presque nu sur les plages ou les piscines. Affronter
l’épreuve de vérité, celle de la comparaison avec les autres corps et du
terrible jugement des Autres. Et là, inévitablement, ils se rendront compte.
Je ne pourrai plus tricher. Ils vont vraiment savoir qui je suis. Un être
imparfait, incapable de se maîtriser. Ils le réaliseront et se détourneront. Ils
me mépriseront pour cela et m’abandonneront. Ils verront à quel point
toutes les autres sont plus belles et bien plus désirables que moi.
Ce ne sont, bien sûr, ni le printemps ni l’été qui constituent des
stresseurs. Mais plutôt le discours intérieur qu’ils ne manqueront pas
d’entraîner. Ainsi quand une personne affirme qu’elle devient anxieuse à
l’approche de l’été, il est plus vraisemblable qu’elle est troublée par des
pensées inconscientes concernant l’idée qu’elle se fait des conséquences de
l’été et non par l’été lui-même.
Trop d’émotions
À l’inverse, l’excès d’émotions trop fortes peut aussi facilement nuire
au fonctionnement de la personne. Les grandes émotions comme la colère,
la peur ou la tristesse prennent des intensités très variables. Elles évoluent
pour la peur, de la sérénité à la panique. Pour la colère, du calme à la fureur.
Et pour la tristesse de la béatitude à la dépression. Des émotions si
violentes, outre qu’elles sont vécues péniblement, présentent de nombreux
désavantages. Le premier, pour ceux qui souhaitent maigrir, est qu’elles
présentent un risque très élevé de faire manger. Le second est qu’elles
entraînent bien souvent de désastreuses conséquences. Les degrés les plus
extrêmes de ces émotions ne sont-ils pas, en effet, très proches de pertes de
contrôle au cours desquelles l’individu ne parvient plus à conserver la
maîtrise de lui-même et finit par se comporter de manière désordonnée et
incohérente ? Les actions qu’il mène quand il se trouve dans ces états sont
généralement sans aucune efficacité. Il finit plutôt par provoquer le
contraire de ce qu’il souhaitait obtenir. Sous l’empire de la panique, plutôt
que d’éviter le danger il se précipitera à sa rencontre. Sous l’empire de la
colère, plutôt qu’arranger la situation il ne fera que l’envenimer. Sous
l’empire de la dépression plutôt que d’aller vers les autres il ne fera que se
replier sur lui-même et ses idées noires. Des émotions d’une telle force sont
bien souvent le fruit d’un discours irrationnel empreint d’exagération et de
dramatisation. De « catastrophisation ». Si à la place, le sujet parvenait à se
tenir un discours plus rationnel et plus distancié, les émotions qu’il éprouve
deviendraient moins pénibles et par conséquent plus gérables.
Laurent, qui habite en banlieue, doit se rendre un matin à Paris à un
rendez-vous d’embauche très important pour lui. Il prévoit de partir très
tôt afin d’être certain de ne pas arriver en retard. Il prévoit également de
prendre son petit déjeuner dans sa voiture et s’arrête dans une épicerie
pour acheter un paquet de gâteaux secs et une bouteille de jus de
pomme. Laurent n’a pas très faim et se nourrit de trois gâteaux et de
quelques gorgées de jus de fruits. Par malchance, un accident de la
circulation provoque un gigantesque bouchon. Le temps passe et
Laurent sent la panique monter à l’idée de ne pas être à l’heure. « Je ne
dois absolument pas être en retard. Il faut absolument que je donne une
bonne impression à mon futur employeur. Je ne serai pas embauché si je
le déçois dès le premier jour… » Il décide donc de quitter l’autoroute et
de rejoindre Paris en passant par les villes de la périphérie. Dans son
affolement, il lit mal le plan qu’il utilise pour trouver son chemin et finit
par se perdre dans les rues de Paris. Effectivement, Laurent arrive à son
rendez-vous avec quelques minutes de retard. Et tellement anxieux qu’il
craint de rater son entretien. Dans le même temps, sur le trajet, il a
entièrement dévoré le paquet de gâteaux secs et englouti toute la
bouteille de jus de pomme. Le fait de s’être rendu démesurément
anxieux ne l’a pas aidé à adopter des comportements plus efficaces.
Se débarrasser de trop d’émotions
Réagir à une émotion négative s’avère donc parfaitement légitime. Et
conduit à résoudre bien des problèmes. Pour cela, l’individu dispose de
deux types de réponses.
Michèle est très en colère contre son mari qui lui faisait observer
qu’elle avait beaucoup grossi depuis leur mariage. « Mon mari n’a pas à
me faire de telles remarques, se dit-elle. Il n’a aucun respect pour moi.
Je le sais bien que j’ai grossi. Je n’ai pas besoin qu’on me le répète. Et
lui d’ailleurs, il ne s’est pas regardé. Il n’a plus un seul cheveu. Est-ce
que je le lui fais remarquer ? » Michèle entre progressivement dans une
immense colère qu’elle va apaiser en mangeant.
À ce moment, la réponse au trouble émotionnel, au lieu d’apporter le
soulagement attendu se transforme elle-même en un nouvel activateur :
Michèle se voit manger sans faim des aliments dont elle pense du mal car
elle suppose qu’ils la feront grossir.
Et c’est ici que se produit la substitution, faisant passer la réflexion du
mari de Michèle au second plan. Le fait de manger sans faim vient alors
prendre la première place et active un discours très négatif relatif à la prise
de poids et à ses conséquences. Celui-ci, à son tour, générera de nouvelles
émotions que Michèle cherchera encore à neutraliser en mangeant.
Toutes les situations de la vie quotidienne pourront donc jouer un rôle
d’activateur. Ce seront des événements parfois anodins (fuite de la machine
à laver, retard à un rendez-vous…) ou parfois plus importants (difficultés
relationnelles avec un proche, adversités telles que maladies, problèmes
professionnels…). Chacune de ces situations activera des stresseurs
traduisant des schémas de pensée tyranniques prenant souvent la forme
d’impératifs moraux ou d’exigences absolues. Ils sont caractéristiques de la
personnalité de chacun et peuvent entraîner toutes sortes d’émotions
négatives (colère, tristesse, anxiété, jalousie…). Or ces émotions, quand
elles seront trop fortes, provoqueront très souvent des prises alimentaires.
Par l’action du mécanisme de substitution, ces dernières se
transformeront elles-mêmes en activateurs d’un monologue pondéral (je
n’aurais pas dû manger, je n’y arriverai jamais…). Et c’est ainsi que, quelle
que soit la difficulté, le mangeur sera immanquablement ramené, toujours et
encore, à son problème de poids. Au point qu’il finira, à juste titre, par
considérer que toute sa vie tourne autour de son poids, de ses efforts
d’amaigrissement et des aliments.
Quand ces situations de fortes turbulences émotionnelles sont trop
fréquentes, elles justifient la recherche d’une aide auprès d’un
professionnel, psychiatre ou psychologue. Une trop grande émotivité rend
l’existence souvent plus difficile et, dans ce cas, un travail personnel dans le
cadre d’une psychothérapie peut s’avérer un précieux soutien.
Quoi qu’il en soit, au-delà de l’histoire personnelle de chacun, il existe
un stresseur commun à tous les mangeurs en difficulté avec leur poids que
je vous propose d’examiner maintenant : la peur de grossir.
CHAPITRE X
La peur de grossir
Les activateurs
— Passer devant des miroirs.
— Monter sur la balance.
— Se sentir serré dans ses vêtements.
— Surprendre une réflexion.
— Interpréter un regard.
— Voir une personne mince.
— Voir une personne grosse.
— Mettre des vêtements qui dévoilent le corps.
— Lire un article dans la presse.
— Assister à une émission sur la minceur ou l’obésité.
— Le printemps, l’été.
— Se rendre à une soirée.
— Trop manger.
— Penser que l’on a « mal » mangé.
— Sentir son ventre gonfler.
— Ne pas rentrer dans un vêtement que l’on pouvait mettre
auparavant.
— Ne pas trouver un vêtement à sa taille dans un magasin.
— Prendre un kilo.
— Atteindre un poids critique.
— Etc.
S’assumer
Ce n’est pas :
— Se plaire.
C’est :
— Changer ce qui peut l’être.
— Accepter ce qui ne peut l’être.
— Être capable d’affronter l’idée que l’on redoute le plus.
Quand vous aurez achevé cet exercice, vous aurez votre stresseur sous
les yeux. Chaque fois que vous montez sur votre balance, que vous ne
trouvez pas un vêtement à votre taille, que vous surprenez un regard
évaluateur, le stresseur se met en route. D’un coup, ce sont toutes vos
attentes qui s’envolent et toutes vos peurs qui se réalisent.
Voici le témoignage de Charlotte :
Le stresseur « poids »
Si je maigrissais, je serais, je Si je grossissais, je serais, je
ferais… ferais…
– Je serais plus à l’aise dans mes
– Je culpabiliserais d’avoir repris des
vêtements, moins serrée.
kilos.
– Je serais moins complexée face au
– Je vivrais cela comme un échec,
regard des autres (piscine, plage).
face au regard de mes proches.
– Je supporterais mieux de me voir
– Je serais jugée par les autres de ne
en photo, face à la glace.
pas avoir assez de volonté.
– Je m’accepterais plus.
– J’aurais l’impression d’être jugée
– J’aurais le sentiment d’être dans la
par mes proches qui m’ont vue faire
norme.
du yo-yo.
– Je serais mieux dans mon corps,
– J’aurais du mal à me regarder de
moins gênée par mon ventre.
nouveau dans la glace mais surtout
– Je remettrais des vêtements qui ne
sur les photos où je me trouve très
m’allaient plus.
grosse.
– Je pourrais retourner dans les
– Je bougerais moins aisément (les
boutiques et essayer des vêtements
montées d’escaliers, danser dans les
qui seront à une taille acceptable.
discothèques).
– Mon père serait fier de moi.
– J’aurais moins envie de sortir en
– Je mettrais des vêtements à mon
boîte par exemple et danser.
goût, plus légers en été et plus
– Je serais moins à l’aise dans mon
courts.
corps.
– Je serais plus à l’aise dans les
– Je n’oserais pas me mettre un
relations intimes avec mon mari.
maillot.
– Je pourrais refaire du sport, type
– J’aurais honte de moi.
tennis, bouger, danser.
Voilà donc les blessures du gros. Il ne s’estime pas et ne pense pas que
les autres pourront l’aimer tel qu’il se voit. D’une part, il ne vaut rien à ses
propres yeux. D’autre part, il redoute que les autres l’apprennent et le
rejettent pour cela. Sa peur ultime, c’est l’exclusion.
Les critères de beauté ne sont que le reflet des valeurs d’une société
Pourquoi les critères de beauté sont-ils donc si changeants d’une
époque à l’autre ou d’une société à l’autre ? Pourquoi apprécie-t-on les gros
au XVIIIe siècle et les minces au XXIe ? Pourquoi les blondes plutôt que les
brunes ? Pourquoi les longs cous ou les petits pieds ? Est-ce seulement le
fait du hasard ?
Dans une région du Tchad vivent, côte à côte, deux tribus, les
Massa et les Moussey, pratiquant des modes de chasse très différents.
Les premiers combattent à pied, à l’aide de gourdins, d’épieux et de
cuirasses. La force, le poids et l’embonpoint sont des qualités
physiques indispensables à cette forme de combat. Chaque année sont
organisées dans cette tribu des compétitions entre les villages, qui
présenteront chacun leurs champions préalablement engraissés après
avoir suivi une cure de lait (guru). Ils seront gavés d’une bouillie de
sorgho qui les fera grossir de 20 kg en deux mois. Leur procurant, par
là même, un poids qui les rendra presque impossibles à déséquilibrer
dans les compétitions de lutte. Le participant témoigne ainsi de sa
richesse et de celle de tous ceux qui ont organisé son engraissement. Il
suscite l’admiration de tous et, en ce sens, il devient « beau » (naa).
Un participant au guru désire devenir un « sa ma naana », quelqu’un
qui est simultanément beau, bon et aimable. La maigreur (noka),
quant à elle, est ridicule, et est considérée comme un signe de
pauvreté. Et si l’adepte du guru est, d’une certaine façon, beau, c’est
en effet parce qu’il symbolise la richesse et les talents de combattant
nécessaires à la survie de sa tribu (De Garine, 1997). Quant à leurs
voisins, les Moussey, ils combattent à cheval et lancent des couteaux.
L’agilité, la légèreté et la détente sont pour eux des qualités autrement
plus vitales. Mais phénomène intéressant, pour les Moussey, qui
vivent donc côte à côte avec les Massa, l’embonpoint est un signe de
laideur alors que la minceur devient un critère essentiel de beauté.
Dans un milieu où le guerrier est vénéré, où la force physique est une
condition capitale de la survie et donc la valeur la plus recherchée, il
est frappant de constater que les critères de beauté correspondent à la
possession des qualités requises pour la technique de combat utilisée
par les guerriers. Le bel homme sera donc celui qui possédera les
qualités les plus essentielles pour la société dans laquelle il vit.
De la honte à la colère
Finalement, par rapport à des critères esthétiques ou même médicaux, le
surpoids n’est qu’une conséquence d’une génétique déterminante ou
facilitante qu’il faut savoir accepter et généralement associé à un
dérèglement du comportement alimentaire qu’il est souvent possible de
corriger. Cependant, nous vivons dans une stupide société qui se plaît à
penser que l’épaisseur du tissu adipeux est le fidèle reflet de la volonté ou
de la force de caractère. Voilà donc ce que pensent les gens autour de vous.
Ne vous faites aucune illusion, ils ne changeront pas.
Mais, sachant cela, il vous reste deux possibilités. Croire qu’ils ont
raison et vous lamenter sur votre sort : « Oui, je suis un être faible sans
aucune volonté. Et les gens ont bien raison de me mépriser pour ce que je
suis. » Ou prendre conscience de l’ineptie de ces jugements et vous révolter
contre la ségrégation dont vous êtes victime : « Je sais ce que vous pensez
des gros. Mais je sais aussi que vous êtes des ignorants et que vous ne
comprenez rien à ce problème. Pensez ce que vous voulez, mais je
n’accepterai pas que vous m’insultiez. »
Commencez donc par remettre les choses à leur place. VOUS êtes la
victime. ILS sont les coupables. VOUS êtes victime de calomnies. ILS sont
coupables d’injustice et de médisance.
Tant que vous resterez convaincu qu’ils ont raison, vous vous
comporterez en coupable et vous vivrez dans la honte de ce que vous êtes.
Et vous continuerez à vous sentir inférieur. Cette émotion n’a pas sa place
dans les difficultés que vous traversez. D’une part parce que vous ne devez
plus croire qu’être gros est une maladie de la volonté. Et quand bien même
vous en manqueriez, elle ne vous servirait à rien pour maigrir. D’autre part
parce que la honte vous enfermera dans le silence et vous empêchera de
vous soigner en allant chercher de l’aide.
Face à cette ségrégation dont vous êtes victime, vous devriez éprouver
de la colère, de l’indignation ou de la révolte. Comme face à toutes les
autres formes d’injustice ou de racisme. N’êtes-vous pas indigné quand
vous entendez tenir des propos racistes à l’encontre des Juifs, des Noirs, des
Arabes ? N’êtes-vous pas révolté quand vous assistez à des scènes
d’intolérance ? Tous les lieux publics sont aujourd’hui censés s’équiper
pour faciliter la circulation des handicapés, voyez-vous une raison pour que
l’on interdise l’accès des avions aux personnes trop fortes ?
Il n’y a qu’une raison pour que vous ne réagissiez pas à toutes ces
manifestations d’exclusion, c’est que vous pensiez vous-même qu’elles sont
justifiées. Voilà le drame et voilà pourquoi les choses ne sont pas si simples.
Les gros ne sont pas choqués par ce racisme parce qu’ils sont les premiers à
y adhérer. Voilà pourquoi ils sont des coupables muselés par la honte et
deviennent incapables de se révolter et se mettre en colère. Face à un
handicapé, chacun éprouverait de la compassion. Face à un malade du
poids, tout le monde pense : « Comment peut-il ainsi se laisser aller ? »
D’aucuns diront qu’ils ne pensent pas autant de mal des gros. C’est
faux. Ce qu’ils n’osent pas penser des autres ils le pensent d’eux-mêmes. Il
est politiquement incorrect de penser du mal des autres. Mais rien n’interdit
de penser du mal de soi. Un minimum de décence nous empêche
d’exprimer trop ouvertement notre haine des gros. Nous nous censurons car
la plupart d’entre nous auraient trop honte d’afficher des propos d’une telle
laideur. Mais malgré tout nous ne pouvons pas masquer ce que nous
pensons réellement. Regardez les publicités, elles reflètent notre pensée.
Elles sont édifiantes sur le sujet. Vous rappelez-vous cette petite femme
toute menue assise sur le même banc qu’une obèse ? La première mange
avec délectation un yaourt à 0 % pendant que la seconde se goinfre d’un
sandwich plein de mayonnaise. Quand la maigrelette se lève, la vilaine
obèse, de tout son poids, fait basculer le banc et s’effondre par terre.
N’importe quelle minorité, ainsi ridiculisée, aurait déposé une plainte pour
images et propos injurieux. Sauf les gros, qui rient jaune et baissent les
yeux tout honteux qu’ils sont.
Si vous voulez vraiment retrouver votre dignité et restaurer l’estime que
vous vous portez, cessez de vous comporter en coupable, regardez les gens
dans les yeux et ne les laissez plus vous insulter. Cessez de vous mépriser et
soyez compatissant à l’égard de ceux qui souffrent de cette maladie, comme
vous l’êtes à l’égard de tous ceux qui souffrent d’autres maladies.
Transformez votre honte en colère. Puis, un jour, votre colère évoluera vers
une révolte utile. La honte n’est pas un sentiment constructif. Elle vous
paralysera dans le mutisme sans jamais vous permettre de faire évoluer
votre situation. Tandis que la révolte vous conduira peut-être à organiser
votre protestation et à modifier ce que pensent les autres.
Où commence l’exclusion ?
L’idée tenace que l’on ne peut être aimé autrement qu’en étant mince
s’installe généralement très tôt dans la vie, dès la petite enfance. Que les
enfants entre eux ne se fassent pas de cadeaux et profitent de la moindre
différence ou disgrâce pour se blesser ne suffit pas toujours à l’expliquer.
Bien sûr, les vexations et les humiliations existent dans la cour de
récréation. Toutefois, elles meurtrissent moins et moins durablement que
celles qui se reçoivent au sein de sa propre famille. Quand elles existent,
celles-ci laissent pour toujours leur empreinte brûlante. Il est peu
concevable que nos jeunes enfants parviennent à échapper à l’idéologie de
la minceur qui influence, consciemment ou non, même le cercle familial.
Combien de parents n’ont pas chapitré leur enfant quand il mangeait avant
le dîner ! Ils ne disent pas : « Tu n’auras plus faim pour le dîner. » Mais plus
souvent : « Arrête de manger des bonbons tu vas grossir. » Il ne s’agit donc
plus d’éduquer les enfants et de les éveiller aux valeurs conviviales des
repas. Il s’agit déjà d’agiter devant leurs yeux le spectre de l’horrible corps
qui les attend. Ce n’est plus le loup ou le père Fouettard qui fait régner la
terreur, mais la vision d’un corps déformé.
Ce sont les parents terrorisés et dégoûtés par l’obésité qui transmettent à
l’enfant ses premières grandes peurs. Pour peu que celui-ci sorte un peu de
la norme pondérale et il faudra s’empresser de le faire rentrer au plus vite
entre les courbes d’une moyenne rassurante. Une morphologie un peu
différente, sans même parler de surpoids, entraînera aussitôt une réaction
diététique. Combien de personnes, contemplant les photographies de leur
enfance ou de leur adolescence, s’interrogent sur les raisons qui ont poussé
leurs parents à vouloir les faire maigrir ! Certes, elles avaient peut-être
quelques rondeurs, mais rien de bien disgracieux. Et surtout rien de
comparable avec leur situation d’aujourd’hui.
C’est d’abord autour de la table qu’apparaissent les premières
manifestations de l’exclusion. Nous avons vu le rôle de la nourriture dans
les processus d’intégration au groupe social et à la famille. En partageant la
même nourriture, le jeune enfant franchit les premières marches de son
identification. Un sentiment d’exclusion ne manquera pas de surgir dès lors
qu’il lui sera interdit de manger comme le reste de sa famille : « Ce n’est
pas bon pour toi, ne te ressers pas, fais attention à ce que tu manges. »
D’autant que ces mesures ne servent à rien puisque souvent les enfants
mangent en cachette, leur première rencontre avec la honte. Et font de la
nourriture l’objet d’un conflit familial. Où parfois l’obésité devient un
moyen de pression de l’enfant sur ses parents.
Et puis ce sont les remarques sur le corps lui-même. Quelle que soit la
manière dont on s’y prend, le risque est grand de transmettre à l’enfant
l’idée qu’il n’est pas aimé tel qu’il est. Que l’on adopte une attitude
bienveillante et sincère : « Je le dis pour ton bien. Je me préoccupe de ton
avenir », que l’on exprime la douleur de ne pas avoir un enfant conforme à
ses attentes : « Tu me déçois beaucoup. Tu ne fais vraiment aucun effort
pour t’en sortir », l’enfant comprend qu’on le préférerait différent de ce
qu’il est. Il ne convient pas à ses parents. L’inquiétude des premiers se
transforme en peur de déplaire. La déception des seconds ne peut être
comprise autrement que comme un rejet, plus ou moins clairement exprimé.
Dans ces secondes familles qui détestent les gros, il n’y a guère de règles. Il
arrive autant que la mère ou le père manifestent leur phobie des gros. L’un
comme l’autre sont souvent eux-mêmes très préoccupés de leur propre
corps. Ils accordent une importance démesurée à l’apparence, qu’ils
manifestent par la pratique de régimes, la surveillance attentive de la
balance et de l’alimentation, la pratique de sports amaigrissants… Le soin
obsessionnel qu’ils accordent à leur personne ne fait que renforcer chez
l’enfant l’idée qu’il ne pourra jamais leur plaire. Les sentences qu’ils
prononcent devant leur enfant ne tombent pas non plus dans l’oreille d’un
sourd. « Mon Dieu, comment peut-on se laisser aller comme cela ? C’est
répugnant », disent-ils quand ils voient des gros. Parfois, ils s’adressent
directement à leur enfant et n’hésitent pas à l’humilier : « Si tu continues tu
n’épouseras qu’un camionneur. » Ils les traînent chez des médecins : « Il ne
peut pas rester comme ça. » Je me souviens d’un père m’amenant sa petite
fille un peu ronde. Quand je m’informai du poids de ses frères, le père
répondit : « Non, eux, ils sont bien. Ils sont normaux. » Et la petite fille
regardait ses pieds.
Il n’est pas rare que la prise de conscience de sa différence apparaisse
lors d’un contact médical. Joséphine a vécu dans l’insouciance heureuse de
l’enfance jusqu’au jour où à la fin d’une banale consultation médicale, le
pédiatre a ajouté sur un ton anodin : « Et il faudra faire attention à ton
poids ! » Ce jour-là, elle s’est sentie sale et a commencé à se voir comme
une grosse.
Si vous avez vécu ces situations, elles vous ont sans doute marqué pour
le restant de vos jours. Toutefois, vous ne réécrirez pas le passé. Vos parents
ne vous ont pas donné cet amour inconditionnel que vous attendiez de leur
part. Ils ont pour toujours inscrit en vous cette peur du rejet qui vous hante
aujourd’hui. Rejeté par vos parents parce que vous étiez gros, vous pensez
qu’il en sera toujours ainsi. C’est faux. Mais il vous faudra parcourir un
chemin difficile : faire le deuil de l’espoir de correspondre un jour aux
exigences de vos parents.
Vos parents avaient peut-être à votre égard des attentes que vous avez
déçues. C’est leur droit le plus strict d’avoir toutes sortes d’exigences.
Après tout, on ne peut empêcher personne de concevoir les rêves qu’il veut,
même les plus absurdes. Ils vous souhaitaient filiforme et longiligne, alors
que vous étiez ronde. Peut-être avaient-ils encore d’autres exigences ? Ils
vous voulaient aussi brillant dans vos études, dans vos loisirs. À leurs yeux
vous n’étiez jamais assez parfait. La réussite de leur progéniture les aurait
flattés. Ils auraient pu vous exhiber et satisfaire leur narcissisme. Pourquoi
pas ? Les enfants parfaits n’existent pas. Mais les parents parfaits non plus.
N’ayez donc pas à leur égard des attentes aussi irréalistes que les leurs.
N’adoptez pas la croyance irrationnelle qui voudrait que vos parents soient
aussi irréprochables qu’ils vous auraient voulu. Admettez tout au plus qu’ils
avaient bien le droit d’avoir toutes les exigences qu’ils voulaient, mais
qu’aujourd’hui elles ne regardent qu’eux. Après tout, ils pouvaient bien
rêver d’avoir un enfant qui soit à la fois top model et prix Nobel de
littérature. Vous étiez enfant et vous aviez raison de vouloir tout faire pour
les rendre heureux. Toutefois, aujourd’hui vous êtes un adulte. Leurs désirs
ne sont plus les vôtres. Jusqu’où irez-vous pour satisfaire les exigences de
vos parents ? Vous ne serez jamais parfait aux yeux de vos parents ? Soit.
On peut vivre avec cette idée. C’est triste, c’est regrettable. Mais, s’il est dit
que chacun peut concevoir les rêves les plus fous, il n’est écrit nulle part
que vous devrez, toute votre vie, vous plier en quatre pour satisfaire leurs
folies. Surtout si ces rêves ne vous sont pas accessibles.
Alors si aujourd’hui encore vos parents vous disent qu’ils ne supportent
pas les gros, ce n’est pas vous qui avez un problème. C’est eux. Ils peuvent
se faire soigner si cela leur est trop insupportable.
Dès l’enfance
On constate des échecs successifs qui conduisent l’enfant dans un cercle
vicieux dès l’âge scolaire avec un handicap physique qui l’exclut de
l’activité de groupe. Il est rejeté à l’école comme à la maison et on a déjà
sur lui le regard porté sur « l’obèse », à savoir un enfant sans volonté, mou,
solitaire, parfois coléreux. Son surpoids, qui peut n’être qu’une simple
variation de la norme, devient alors l’objet des moqueries et la cause de son
sentiment de rejet.
À l’université
Aux États-Unis, des études ont montré, dès les années 1960, que les
obèses étaient victimes d’une discrimination. De fait, ils avaient moins de
chances que les minces d’être admis dans une université.
L’évolution professionnelle
Une fois engagés, ils risquent davantage d’être plus mal notés que les
minces et leur promotion au sein de leur entreprise est généralement moins
rapide que celle des non-obèses.
L’ascension sociale
En comparaison avec les femmes de poids normal, les obèses auront
plus souvent une situation socio-économique moins bonne que celle de
leurs parents. Et le passage dans une classe sociale aisée, par le biais d’un
mariage, concernera davantage les femmes minces que les obèses4. Pour
paraphraser le dicton : dans la vie, mieux vaut être riche et mince que
pauvre et obèse.
Le racisme antigros n’est donc pas une vue de l’esprit. Les personnes
obèses sont véritablement victimes d’une forme de discrimination sociale
dont chacun peut prendre conscience. Il serait par conséquent inutile de se
cacher que nous vivons dans une société qui a pris l’obésité en aversion et
que cette attitude est largement partagée par tous ses membres, y compris
par les obèses qui portent sur eux le même jugement dépréciateur. Rien
d’étonnant donc à ce que chacun soit terrifié par la prise de poids et la
perspective d’être à son tour victime de l’opprobre collectif. Dans
l’inconscient individuel, le spectre de l’exclusion sociale rôde et hante les
mangeurs au moindre kilo excédentaire.
En fait, les gens pensent du mal des gros en général, mais pas des gros
en particulier. Ils peuvent considérer que les obèses n’ont pas de volonté,
mais ils ne peuvent appliquer ces a priori à ceux qu’ils côtoient. À moins
que ce ne soit réellement le cas. Après tout, pourquoi certains gros
n’auraient-ils pas le droit d’être aussi mous que certains minces ? Comme
dans toutes les formes de racisme, ils ont leurs bons gros. Dans leur esprit
cohabitent des croyances et des réalités contraires, sans jamais que ces
réalités ne viennent ébranler leurs croyances.
Toutefois, si vous manquez de confiance en vous sous le prétexte que
vous êtes gros, pourquoi voulez-vous que les autres vous accordent plus de
confiance que vous ne vous en accordez à vous-même ? Ils risquent de se
détourner de vous et de vous regarder comme vous vous regardez. Une fois
les barrières des premières sélections passées, vous serez d’abord jugé sur
vos compétences professionnelles, exactement comme tout le monde. Si on
vous affirme que tel chirurgien obèse est le plus compétent dans son
domaine, préférerez-vous vous faire opérer par un bellâtre mince moins
compétent ? Au cas où vous seriez tenté de répondre par l’affirmative, ne
vous plaignez pas ensuite que l’opération ne se soit pas bien passée. Vous
aurez largement mérité votre sort.
Sur le plan personnel et sentimental, la situation n’est pas idéale pour
vous. Vous ne correspondez pas aux standards de beauté actuels. Il est vrai
que les hommes s’extasient devant des mannequins de 20 ans tout en
longueur et rien en rondeur. Il est vrai que les femmes trouvent
merveilleusement sexy de jeunes mâles tout en muscles, aux biceps
rebondis et aux abdominaux en tablette de chocolat. Et alors, pourquoi pas ?
Mais est-ce pour autant qu’ils souhaiteraient les avoir pour compagnes ou
compagnons de vie ? D’accord, c’est beau en image et même dans un
cocktail. Mais, une fois à la maison, on en fait quoi ?
Cessez donc de croire que la séduction s’arrête à la surface de
l’épiderme. Là encore, la confiance en soi sera déterminante. Et pour le
reste vous serez jugé sur l’ensemble de vos qualités : la gentillesse, le sens
des responsabilités, la ténacité, l’humour, l’empathie, vos centres d’intérêt,
la discrétion, l’exubérance, votre force de caractère, votre fragilité… Même
vos faiblesses, si vous en tirez parti, pourront vous attirer des grâces.
Depuis le temps que je rencontre des patients de tous les poids, la majorité
formait des couples ni plus ni moins heureux que les autres.
Alors d’accord, la vie des obèses n’est pas des plus faciles. Mais
pouvez-vous y changer quelque chose ? Qu’allez-vous faire ? Allez-vous
passer le reste de votre vie à pleurer sur votre sort ? Où avez-vous été
chercher l’idée que le monde était juste et confortable ? Bien sûr, c’est dur
et injuste. Mais le fait de vous lamenter vous aidera-t-il à mieux supporter
cette situation ? Vous devez déjà subir les difficultés de votre poids, pensez-
vous que vous devez aussi vous accabler et gâcher le reste de votre
existence ?
Être obèse n’est pas une sinécure, mais si vous ne pouvez pas le
changer mieux vaut l’accepter et décider de vivre sa vie, sans attendre un
changement qui n’arrivera jamais.
Vous avez un poids normal mais des rondeurs qui vous déplaisent
Il est inutile de préciser que vous n’avez jamais été personnellement
confronté à la moindre manifestation de racisme antigros. Les mesures de
ségrégation sociale ne vous ont jamais concerné. Votre principal souci est la
peur que vous avez de ne pas être apprécié par les autres, d’être mal jugé
car votre corps ne vous semble pas irréprochable.
Un corps normal n’est pas sans rondeurs ni bourrelets. Peut-être vous
plaignez-vous d’avoir trop de ventre, de fesses, de cellulite… ? Ce n’est pas
parce que votre corps n’est pas exactement conforme à vos désirs ou aux
images à la mode qu’il en est pour autant anormal. Ou même simplement
qu’il pourrait être autrement. Vous êtes convaincu que perdre 2 ou 3 kg
vous rendrait plus heureux et vous permettrait d’améliorer vos relations
avec les autres.
Pour reprendre le titre du livre de Danièle Bourque vous vous trouvez
juste à quelques kilos du bonheur. Donnez-vous la peine d’examiner votre
situation. Si vous perdiez ces quelques kilos, votre vie s’en trouverait-elle
concrètement modifiée ? Auriez-vous un meilleur travail, votre mari ou
votre femme vous en aimerait-il davantage, vos parents vous porteraient-ils
plus d’affection, vos enfants seraient-ils plus proches de vous, vos amis
seraient-ils plus nombreux… ? Objectivement, en quoi votre vie serait-elle
différente ? En réalité, vous avez simplement décidé que vous pourriez être
heureux à 60 kg mais qu’il vous était impossible de l’être à 65. Vous vous
êtes convaincu que cette simple différence pourra transformer toute votre
vie. Alors que rien ne changera vraiment. Vous vivrez les mêmes joies et
devrez toujours affronter les mêmes problèmes. En somme, votre bonheur
ne tient qu’à une simple décision de votre part. Vous avez décrété que 3, 4
ou 5 kg vous séparaient du bonheur. Permettez-moi de vous donner un
conseil : prenez la décision de ne pas attendre pour être heureux. Et décidez
de vous affirmer tel que vous êtes.
L’image que vous avez de votre poids vous empêche d’affronter
sereinement certaines situations. Celles-ci vous rendent les gestes de la vie
quotidienne très difficiles. Cependant, à y bien regarder, ces situations ne
présentent aucun danger réel. Bien au contraire, plus vous les évitez, plus
elles vous font peur. Je vous suggère donc d’établir la liste de toutes les
situations qui vous mettent en difficulté et de les classer en fonction de
l’anxiété qu’elles provoquent.
• J’évite de retirer mes vêtements, même longs (pulls, manteaux, T-
shirts).
• En hiver, je garde mon manteau sur les genoux, les hanches, afin de
les dissimuler.
• De même, je ne sors jamais sans cacher mes fesses avec un vêtement.
• Si on me force à aller en boîte de nuit, je reste assise même si je porte
un vêtement long. Je préfère laisser croire que je n’aime pas danser.
• Au restaurant, pour éviter de me faire remarquer en me rendant aux
toilettes, j’anticipe en y allant dès mon arrivée. Ou j’attends la fin du repas
et le moment où tout le monde se rhabille.
• Lorsque je suis obligée d’aller à la piscine pour mes cours de natation,
je sors avec une serviette qui me couvre de la poitrine jusqu’aux pieds.
J’attends le dernier moment pour entrer dans l’eau et laisser tomber ma
serviette.
• Je me baigne, à la plage et à la piscine, avec un short.
• J’évite les essayages en grands magasins pour ne pas essuyer le regard
d’une vendeuse.
• J’évite tous les miroirs.
• J’évite de me promener nue devant mon ami. Et je préfère faire
l’amour dans l’obscurité.
Un peu d’histoire
Les premières préoccupations connues concernant le désordre des repas
semblent remonter à la nuit des temps. Déjà au Moyen Âge, La Tour
Landry adresse de sévères remontrances à ses contemporains qui se
conduisent comme des animaux : « Manger une fois le jour est vie d’ange,
et manger deux fois le jour est vie humaine, et trois fois ou quatre fois ou
plusieurs fois est vie de bête et non pas de créature humaine6. » À cette
époque, que voulez-vous, c’est prendre trois repas qui était blâmable. Ce
thème du retour de l’homme à l’état animal est loin d’être abandonné
puisqu’on le trouve encore de nos jours sous la plume d’un éminent
psychologue, spécialiste du comportement alimentaire, qui écrit : « La
disparition progressive des structures traditionnelles des repas et
l’omniprésence d’aliments divers disponibles à toute heure dans notre
environnement risquent de rendre l’homme semblable à la bête, en
l’occurrence : obèse. » On se voit déjà pousser des poils en mangeant des
bonbons dans sa voiture. Brrr…
Il est étonnant de constater comme le thème du désordre alimentaire est
d’ailleurs récurrent dans l’Histoire et comme il est, quelles que soient les
époques, toujours interprété comme une conséquence néfaste de la
modernité et du relâchement des mœurs. En 1577, Lippomano s’en prend
aux nouvelles habitudes qui mettent à portée de bouche toutes sortes de
nourritures tentatrices :
« Dans les villes et même dans les villages, on trouve toutes sortes
de mets tout prêts, ou de menus arrangés de manière qu’il ne leur
manque que la cuisson […]. Vous voulez acheter des animaux au
marché ou bien de la viande, vous le pouvez à toute heure et en tout
lieu. Voulez-vous votre provision toute prête, cuite ou crue, les
rôtisseurs et les pâtissiers en moins d’une heure vous arrangent un
dîner, un souper, pour dix ou pour vingt, des pâtés, des tourtes, des
desserts. Les cuisiniers vous donnent des gelées, les sauces, les ragoûts.
Cet art est si avancé à Paris, qu’il y a des cabaretiers qui vous donnent à
manger chez eux à tous les prix, pour un teston si vous le désirez […]. »
Il n’est guère douteux que celui-là, déjà scandalisé par l’apparition des
premiers restaurants, aurait fait aujourd’hui parti des détracteurs des fast-
foods et des distributeurs de nourriture qui rendent désormais les aliments si
facilement accessibles à chacun. On croit bien là entendre le discours
moderne sur le grignotage et la dispersion des repas. Ici, c’est le progrès et
la facilité qu’il apporte qui sont condamnés. Un thème que l’on retrouve
souvent dans les textes contemporains. Pour certains, le congélateur et le
réfrigérateur ont même permis la naissance de l’« ingestion instantanée7 »
et présentent le grand défaut d’avoir supprimé l’attente, source d’une
frustration nécessaire et donc d’un désir salutaire.
D’autres exemples nous montreraient la récurrence d’une seconde
inquiétude : le grignotage et la déstructuration des repas seraient
responsables de l’effacement des liens familiaux. À moins, c’est selon,
qu’ils n’en soient la conséquence. C’est d’ailleurs pourquoi on retrouve si
souvent cette préoccupation dans la bouche des associations de parents ou
de défense des valeurs morales. Le reproche n’est pas nouveau, les
moralistes du XVIIIe siècle condamnaient déjà les mauvais parents qui
donnaient à manger aux enfants toute la journée. Ce n’était pourtant pas le
spectre de l’obésité qui les inquiétait alors.
Quoi qu’il en soit, l’historien Jean-Louis Flandrin constate, dans une
revue assez complète des comportements alimentaires avant le XIXe siècle,
que s’il est souvent fait mention dans les textes anciens de quatre repas
quotidiens, parfois deux, ou même un seul vrai repas, les trois repas
constituent plutôt une exception historique. Pour l’historien, la justification
du nombre et de l’horaire des repas se situe simplement dans la présence de
contraintes économiques et tout particulièrement celles liées aux horaires de
travail. Ainsi, si nous trouvons naturel aujourd’hui de prendre trois repas
par jour, c’est tout bonnement qu’ils correspondent le mieux à
l’organisation du travail dans nos sociétés modernes.
Et les sociologues…
Les sociologues, quant à eux, s’intéressent aux comportements actuels
et se sont demandé combien de repas prenaient réellement les Français. Ils
semblent bien constater, dans la plupart de leurs enquêtes, une assez bonne
résistance des repas structurés. Les Français affirment y être toujours très
attachés et, dans les faits, l’étude de leurs habitudes confirme bien qu’ils
n’entendent pas y renoncer. Ceux qui s’inquiètent de ce grand relâchement
des mœurs peuvent donc se sentir rassurés. Cependant, si les trois repas
résistent, ils évoluent aussi. D’une part, ils se simplifient et se réduisent, en
particulier au déjeuner8. Les entrées et les desserts sont, de plus en plus
souvent, absents du plateau des mangeurs, même en restauration collective
et ceci en dehors de toutes contraintes économiques puisque le phénomène
est identique quand le prix du repas est fixé forfaitairement. On observe, en
effet, que des consommateurs qui ont payé un repas complet ne prennent
pourtant pas tout ce à quoi ils ont droit. Cette simplification des repas
coïncide avec les résultats d’autres enquêtes de consommation qui montrent
une réduction progressive des apports caloriques au fil du temps, 7 à 8 % en
cinq ans dans l’étude de Fleurbaix-Laventie9. D’autre part, les repas
classiques sont loin de constituer les seules prises alimentaires de la
journée. Seuls 20 % des Français se contentent des trois repas classiques
quotidiens. Tandis que 40 % ajoutent une à deux prises supplémentaires et
40 % ajoutent quatre prises ou plus aux trois repas classiques. Ces prises
alimentaires hors repas pourraient même avoir une importance considérable
allant jusqu’à 20 % des apports caloriques de la journée en Europe et 30 %
aux États-Unis.
Au bout du compte, l’observation la plus intéressante est, là encore,
l’état de dissonance cognitive dans lequel se trouve le mangeur. 80 % des
personnes pensent que le grignotage est mauvais pour la santé et 63 %
qu’un vrai repas doit comporter trois plats. Or 80 % des personnes ont
l’habitude de manger en dehors des trois repas et la plupart ne consomment
plus trois plats lors de ces repas. Si bien, qu’encore une fois, le mangeur ne
peut que déplorer le décalage entre ce qu’il fait réellement et ce qu’il croit
devoir faire.
Le sociologue Jean-Pierre Poulain constate que « certains
nutritionnistes – ou les médias qui les relayent – sont tentés de condamner
les nouvelles pratiques alimentaires et de les décoder comme la dégradation
d’un “ordre alimentaire” initial. Le discours se déployant alors sur la
nécessité de restaurer les bonnes habitudes et de rééduquer le mangeur
moderne ».
Tout en observant que seuls 20 % des Français respectent les
prescriptions des nutritionnistes, les sociologues se demandent donc
pourquoi il faudrait que les 80 % restants s’astreignent à prendre la minorité
en exemple. Du moins, tant qu’il n’est pas établi avec certitude qu’ils
puissent en retirer un quelconque avantage. D’autant qu’en matière de
poids, rien ne permet d’affirmer que les personnes qui mangent entre les
trois principaux repas soient, de ce fait, plus corpulentes que celles qui ne le
font pas.
Dans une toute récente enquête réalisée en 2000 par le Credoc, les
conséquences du fractionnement du repas ont été étudiées sur 2 000
adultes et 1 500 enfants. Elles confirment que seul un Français sur cinq
se contente des trois repas par jour. Alors que les quatre autres mangent
entre les trois repas principaux. 23 % consomment plus de 250 calories
par jour entre les repas, 25 % de 100 à 250 calories et 30 % moins de
100 calories. Mais le fait le plus intéressant est que les auteurs n’ont
identifié aucun lien entre la consommation hors repas et le poids des
sujets. Pour les auteurs, ces prises alimentaires n’auraient donc pas
d’incidence négative sur la santé. De plus l’observation des habitudes
alimentaires dans les pays, tels ceux d’Asie, qui fractionnent leur
alimentation en sept ou huit prises ne montrent pas que leurs
populations aient un poids supérieur à celles qui ne mangent que trois
fois.
Et les physiologistes…
Les physiologistes se sont aussi questionnés sur l’influence du nombre
de repas sur le poids. Et c’est le Tchèque Pavel Fabry10 qui, en 1964,
affirma le premier que la diminution du nombre de repas pouvait favoriser
l’apparition du surpoids et la dégradation de certains paramètres
biologiques. Bien que ces travaux n’aient jamais été ni confirmés ni
reproduits, il semble qu’ils aient largement influencé la pratique des
nutritionnistes. Depuis, plusieurs autres études ont été réalisées et ont
modifié cette idée universellement admise par tous.
Les physiologistes ont donc étudié l’effet du fractionnement des repas
sur des individus qu’ils ont mis en observation. Ils ont testé de un jusqu’à
dix-sept repas par jour. Les résultats sont, à ce jour, suffisamment
convergents pour que l’on puisse en retirer des conclusions. Ils confirment
effectivement que le fractionnement améliore les paramètres biologiques :
le cholestérol total et LDL, l’insulinémie et la glycémie se portent mieux.
Cependant, si l’amélioration est sensible quand on passe de un à cinq repas,
elle l’est beaucoup moins quand on passe de trois à quatre ou cinq repas. En
revanche, à calories égales, que l’on répartisse son alimentation sur un,
deux, cinq, dix et même dix-sept repas, il ne faut pas compter sur cette
manipulation diététique pour perdre le moindre poids.
De plus, au cours de ces recherches, un autre aspect du fractionnement a
été mis en évidence. Certains physiologistes se sont rendu compte que les
mangeurs qui se laissaient le plus souvent aller à une consommation
spontanée, variant le nombre de repas d’un jour à l’autre, étaient aussi de
meilleurs régulateurs que ceux qui avaient des habitudes de consommation
plus figées. Ces mangeurs spontanés étaient plus à même d’ajuster la taille
de leur repas à des variations imprévues de la taille de leurs collations.
Comme s’ils étaient mieux entraînés à opérer des compensations que ceux
qui avaient une alimentation plus rigide. Ce qui, comme nous le verrons,
constitue pour eux un avantage appréciable dans la régulation de leurs
apports caloriques.
Mais, dans la vie réelle, le fractionnement des repas ne s’effectue pas
obligatoirement à calories constantes comme dans les laboratoires de
recherche. C’est pourquoi les physiologistes suggèrent de distinguer deux
situations dont les conséquences seront bien différentes sur un plan
énergétique et pondéral11. Mais qui, pour un observateur, risquent fort de
beaucoup se ressembler. La première consiste à manger en éprouvant une
sensation de faim et est assimilable à une collation. La seconde consiste à
manger sans faim et est assimilable à un grignotage. Les collations
aboutiront simplement à un fractionnement de la ration habituelle du
mangeur et donc n’influenceront pas son poids. Tandis que le grignotage
qui est une consommation d’aliments sans faim (sans fin ?) entraînera une
surconsommation de calories et donc une augmentation du poids de la
personne. À moins, bien entendu, qu’ils ne soient régulés lors des repas
ultérieurs. Évidemment, du point de vue de l’observateur, il sera difficile de
savoir si la même barre de chocolat doit être considérée comme une
collation ou un grignotage ! Seul le mangeur pourra le dire.
En définitive, on peut considérer que la norme des trois ou, peut-être
bientôt, des quatre repas par jour présente, pour certains, l’avantage de
préserver un ordre alimentaire ou pour d’autres d’améliorer des paramètres
biologiques mais il est faux de dire ou de laisser croire qu’elle présente le
moindre intérêt dans la perte de poids. Il est tout à fait possible de maintenir
son poids ou même de maigrir en s’écartant dans un sens ou l’autre des trois
repas par jour, sous réserve d’avoir faim ou de réguler ses apports
caloriques lors de prises alimentaires ultérieures. Alors que la norme
imposée des trois repas semble quant à elle nous empêcher d’effectuer
efficacement cette régulation.
10- Fabry P., Fodor J., Braun T., Svolankova K., « The frequency of
meals : Its relation to overweight, hypercholesterolemia, and decreased
glucose tolerance », Lancet, 1964, p. 614-615.