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La Revue Sage-Femme (2015) 14, 131—141

Disponible en ligne sur

ScienceDirect
www.sciencedirect.com

MÉMOIRE

Automédication et grossesse : enquête


auprès de 740 femmes enceintes dans le
réseau périnatal Alpes-Isère夽
Self-medication and pregnancy: Survey of 740 pregnant women enrolled in the
perinatal network of the Alpes-Isère region in France

D. Courrier a,∗,d, C. Villier b, S. Jourdan a,


P. Hoffmann a,c

a
UFR de médecine de Grenoble, université Joseph-Fourier, 38000 Grenoble, France
b
Centre régional de pharmacovigilance, CHU de Grenoble, 38000 Grenoble, France
c
Hôpital couple-enfant, CHU de Grenoble, 38000 Grenoble, France
d
Centre hospitalier de Valence, 179, avenue du Maréchal-Juin, 26953 Valence, France

Disponible sur Internet le 29 août 2015

MOTS CLÉS Résumé


Automédication ; Objectifs. — Les objectifs de cette étude étaient d’estimer la prévalence de l’automédication
Médicaments ; pour chaque trimestre de la grossesse, d’évaluer les risques maternels et fœtaux pouvant être
Grossesse ; liés à l’automédication, de rechercher des facteurs favorisant le recours à l’automédication
Prévalence ; et d’évaluer la fréquence de l’information reçue par les femmes selon les recommandations
Information ; données par la Haute Autorité de santé en 2005.
Prévention Méthode. — Une enquête transversale et multicentrique a été menée auprès de 740 femmes
enceintes, tout âge gestationnel confondu, venant en consultation prénatale dans les materni-
tés du réseau périnatal Alpes-Isère en été 2013 et en hiver 2014. Le recueil des données a été
effectué à l’aide d’un questionnaire anonyme standardisé.
Résultats. — La prévalence de l’automédication était de 41,5 % pour l’ensemble de l’échantillon
et était identique pour chaque trimestre de la grossesse. Les facteurs les plus fréquem-
ment associés à l’automédication étaient : l’origine géographique (p = 0,02), un niveau d’étude
(p < 0,001), l’exercice d’une activité professionnelle (p = 0,003), la consommation d’alcool pen-
dant la grossesse (p = 0,02) et le recours à l’automédication en dehors de la grossesse (p < 0,001).

夽 Grand prix Evian 2014.


∗ Auteur correspondant.
Adresse e-mail : dcourrier@ch-valence.fr (D. Courrier).

http://dx.doi.org/10.1016/j.sagf.2015.06.002
1637-4088/© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
132 D. Courrier et al.

Conclusion. — Les femmes enceintes recourent de plus en plus à l’automédication. La préven-


tion par les professionnels impliqués dans le suivi de grossesse (sages-femmes et médecins) doit
être améliorée.
© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDS Summary
Self-medication; Objectives. — The objectives of this study were to evaluate the prevalence of self-medication
Medications; for each trimester of pregnancy, to evaluate the possible maternal and foetal risks associated
Pregnancy; with self-medication, and to assess the frequency with which women are given the information
Prevalence; recommended by the French Health Authority in 2005.
Information; Method. — A transversal and multicentric survey of 740 pregnant women, at all stages of
Prevention pregnancy, seen in prenatal consultation in the maternities of the perinatal network of the
Alpes-Isère region in France between summer 2013 and winter 2014. The data was collected
via a standardised, anonymous questionnaire.
Results. — The prevalence of self-medication was 41.5% for the entire population and was
identical for each trimester of pregnancy. The factors most commonly associated with self-
medication were: French nationality (P = 0.02), higher education (P = 0.003), middle-level
professions or in the healthcare sector (P = 0.003), the consumption of alcohol during pregnancy
(P = 0.02), and the use of self-medication when not pregnant (P < 0.001).
Conclusion. — Pregnant women are increasingly turning to self-medication. The prevention offe-
red by healthcare professionals involved in monitoring the pregnancy (midwives and doctors)
needs to be improved.
© 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction de comportement est encouragé par les autorités de santé


afin de diminuer les dépenses de santé [5]. Enfin, d’autres
L’automédication est définie par l’Organisation mondiale de mesures plus récentes, comme l’autorisation de la vente des
la santé (OMS) comme étant un comportement qui consiste médicaments sur Internet, ou à venir, comme la vente de
pour les individus à soigner leur maladie grâce à des médi- médicaments au sein de la grande distribution, pourraient
caments autorisés, accessibles sans ordonnance, sûrs et contribuer à un recours à l’automédication de plus en plus
efficaces dans les conditions d’utilisation indiquées, avec la important [1].
possibilité d’assistance et de conseil de la part des pharma- L’automédication concerne également les femmes
ciens [1,2]. Cela suppose que l’individu connaît ou reconnaît enceintes, comme l’ont montré de précédentes études, les
le symptôme ou la maladie (autodiagnostic), qu’il connaît prévalences ont été estimées entre 14,5 et 42 % [5—10]. Or
cet agent extérieur comme ayant des effets bénéfiques sur les femmes enceintes constituent une population à risque
son état (autoprescription) et qu’il a suffisamment confiance du fait de la tératogénicité potentielle des médicaments sur
en lui et dans le médicament pour se l’administrer sans avis l’embryon ou le fœtus. En effet, les drames marquants du
médical (autoadministration) [3]. Thalidomide® dans les années 60, puis celui du Distilbène®
Cette définition donnée par l’OMS est plutôt restrictive dans les années 70, ont montré que des médicaments, en
car elle se limite aux médicaments proprement dit, c’est- apparence bénins, pouvaient provoquer des malformations
à-dire à ceux bénéficiant d’une autorisation de mise sur ou avoir des effets mutagènes, se manifestant parfois plu-
le marché (AMM). Or nous constatons dans notre société sieurs décennies après leur administration [11].
actuelle un recours de plus en plus important à d’autres solu- Les professionnels de santé impliqués dans le suivi
tions thérapeutiques (homéopathie, phytothérapie, huiles de grossesse (médecins généralistes, gynécologues-
essentielles), dont l’utilisation peut parfois s’accompagner obstétriciens et sages-femmes) ont un rôle clé dans la
de risques, notamment au cours de la grossesse. C’est pour- prévention de ces risques liés à l’automédication et la
quoi le champ de l’automédication peut être élargi en Haute Autorité de santé (HAS) recommande en 2005 de
incluant ces autres moyens thérapeutiques en plus des médi- « souligner dès le début de la grossesse, les risques de
caments ayant une AMM. l’automédication et d’expliquer à la femme qu’elle ne doit
En France, la prévalence de l’automédication dans la pas prendre de médicaments sans prescription médicale. »
population générale a été estimée à 68 % en 2011 et est [12]. Malgré ces recommandations, la proportion de femmes
en augmentation au regard de la croissance du marché recevant une telle information est insuffisante (près de 50 %
des médicaments d’automédication [4]. De plus, ce type d’entre elles entre 2002 et 2008) [5,9,10].
Automédication et grossesse : enquête auprès de 740 femmes enceintes 133

Des progrès ont-ils été faits depuis ces derniers résultats lors de demi-journées choisies au hasard. Les praticiens
et comment optimiser au mieux l’information à délivrer aux (gynécologues-obstétriciens et sages-femmes) n’ont pas eu
femmes enceintes ? connaissance du sujet de l’étude et de ses objectifs au cours
Les précédentes enquêtes ayant porté sur de l’enquête.
l’automédication pendant la grossesse n’ont donné que des
prévalences globales de l’automédication sur l’ensemble de Analyses statistiques
la grossesse. L’objectif principal de cette étude épidémio-
logique était d’estimer la prévalence de l’automédication Les données de l’étude ont été analysées à l’aide du logiciel
pour chaque trimestre de la grossesse. Notre première Statview® (version 5.0).
hypothèse était que la prévalence de l’automédication Les variables qualitatives ont été décrites en termes
variait en fonction des trimestres de la grossesse et était d’effectifs et de pourcentages. Les variables quantitatives
plus importante au premier et au troisième trimestre ont été décrites en termes de moyennes et d’écart-types.
en raison d’une fréquence importante des maux de la Les données qualitatives ont été étudiées à l’aide du test
grossesse. En effet les nausées, vomissements et fatigue du Chi2 ou la probabilité exacte de Fisher quand les effectifs
sont plus fréquents au premier trimestre et les dorsalgies, attendus étaient inférieurs ou égaux à cinq.
les reflux gastro-œsophagiens et les contractions utérines Les différences ont été considérées comme statisti-
sont plus fréquents au troisième trimestre. quement significatives lorsque la valeur de « p » était
Les objectifs secondaires étaient les suivants : strictement inférieure à 0,05.
• évaluer les risques pouvant être liés à l’automédication
pendant la grossesse : risques liés aux types de médica-
ments, aux interactions avec d’autres médicaments et Résultats
aux surdosages ;
• rechercher des facteurs favorisant l’automédication pen- Notre enquête a porté sur 740 femmes enceintes, 370 ont
dant la grossesse ; été interrogées sur la période « été » et 370 sur la période
• évaluer la fréquence de l’information reçue par les « hiver ». L’âge des femmes variait entre 18 et 44 ans avec
femmes enceintes concernant la prise de médicaments une moyenne de 30,4 ± 4,7 ans. Au total, 37,8 % d’entre elles
en automédication pendant la grossesse. étaient nullipares, 49,2 % étaient au troisième trimestre de
la grossesse et 14,7 % consommaient des médicaments en
lien avec un antécédent médical et/ou obstétrical. Au total,
Matériels et méthodes 80,6 % des femmes interrogées reconnaissaient avoir recours
Une étude observationnelle, transversale, multicentrique et à l’automédication en dehors de la grossesse.
répétée dans le temps (en été et en hiver) a été réalisée.
Les sujets inclus étaient des femmes enceintes venant Prévalence de l’automédication au cours de la
effectuer une consultation prénatale mensuelle, quel que grossesse
soit le terme, dans les cinq établissements de santé
du réseau périnatal Alpes-Isère (Hôpital couple-enfant du Le Tableau 1 donne la prévalence de l’automédication
centre hospitalier de Grenoble, centre hospitalier de Voi- estimée pour chaque trimestre de la grossesse. Parmi les
ron, clinique Belledonne, clinique mutualiste et clinique des 740 femmes enceintes interrogées, 307 d’entre elles ont
Cèdres). Les critères d’exclusion étaient les femmes non consommé des médicaments en automédication au cours du
francophones, les mineures, les majeures placées sous un seul mois précédent la réponse au questionnaire, soit une
régime de tutelle/curatelle, celles refusant de participer à prévalence globale de 41,5 %.
l’enquête et celles qui y avaient déjà participé. La prévalence de l’automédication ne variait pas de
Le recueil des données s’est fait par la distribution d’un façon statistiquement significative en fonction du trimestre
questionnaire anonyme standardisé, sur deux périodes afin de la grossesse (entre premier et deuxième trimestre,
d’évaluer l’impact du facteur « saison » sur le recours p = 0,95, entre premier et troisième trimestre, p = 0,31 et
à l’automédication : une période « été » du 29 juillet au entre deuxième et troisième trimestre, p = 0,27).
27 septembre 2013 et une période « hiver » du 20 janvier au
17 mars 2014.
Le questionnaire distribué aux femmes comprenait des
questions fermées et ouvertes regroupées en quatre parties : Tableau 1 Estimation de la prévalence de
• les critères sociodémographiques ; l’automédication pour chaque trimestre de grossesse.
• les antécédents et plus particulièrement les affections Trimestre Prévalence Échantillon total
chroniques impliquant la prise d’un traitement médical n (%) n (%)
de fond (arrêté ou non pendant la grossesse) ;
• l’ensemble des médicaments consommé sur prescription Premier (0 à 56 (44,1) 127 (100)
ou en automédication pendant le seul mois précédent 14 SA + 6 j)
l’interrogatoire ; Deuxième (15 à 109 (43,8) 249 (100)
• l’information reçue sur l’automédication pendant la gros- 28 SA + 6 j)
sesse. Troisième (29 à 142 (39) 364 (100)
41 SA)
Les femmes ont été recrutées systématiquement, au fur Total 307 (41,5) 740 (100)
et à mesure de leur arrivée en consultation prénatale et
134 D. Courrier et al.

Parasitose (poux) 0
1
Prurit cutané 1
1
Symptômes en lien avec antécédents 0
2
Brûlures miconnelles 2
0
Troubles circulatoires 3
0
Herpès 1
2
Prurit vaginal 1
2
Diarrhées 4
0
Vergetures 4
3
Anxiété 3
4
Douleurs hémorroïdaires 3
5
2
Symptômes

Fièvre 6
Douleurs dentaires 3
4
Douleurs ligamentaires 2
7
Insomnies 4 Eté Hiver
6
Nausées-vomissements 6
5
Douleurs autres 3
9
Fague 3
10
Contracons utérines 12
5
Lombalgies 5
12
Conspaon 8
15
Douleurs abdominales 18
8
Reflux gastro-oesophagiens 17
21
Infecons hivernales (toux, maux de gorge,...) 12
41
Céphalées 67
71
0 10 20 30 40 50 60 70 80
Nombre de femmes exposées

Figure 1. Distribution du nombre de femmes enceintes exposées aux différents symptômes les ayant incitées à recourir à l’automédication
en été et en hiver.

Risques liés à l’automédication l’automédication. Au total, 0,5 % des femmes ont pris des
médicaments en automédication pour traiter des symptômes
Les médicaments consommés en automédication prove- en rapport avec leurs antécédents médicaux-obstétricaux,
naient de l’armoire à pharmacie familiale pour 54,2 % mais aucune interaction avec les médicaments prescrits n’a
d’entre eux, de l’achat en pharmacie pour 45,2 % d’entre été mise en évidence.
eux et d’une commande sur Internet pour 0,6 % d’entre Un total de 104 composés différents ont été consommés
eux. en automédication, dont 55 % avaient une AMM. Parmi ces
Les différents symptômes qui ont incité les femmes derniers, 88 % étaient des médicaments à prescription médi-
à prendre des médicaments en automédication ont été cale facultative (disponibles en pharmacie sans ordonnance)
décrits dans la Fig. 1. Les céphalées ont constitué les prin- et 12 % des médicaments listés (disponibles uniquement sur
cipales causes de recours à l’automédication puisqu’elles ordonnance), en surplus conservés dans l’armoire familiale
ont été responsables de 32,5 % des cas d’automédication. et réutilisés sans avis médical.
Par ordre d’importance, on retrouve ensuite dans 12,5 % Les médicaments listés consommés en automédica-
des cas les infections hivernales, dans 9 % les reflux tion étaient des antibiotiques (amoxicilline, Monuril® ), des
gastro-œsophagiens, dans 6 % les douleurs abdominales corticoïdes (Diprosone® , Pivalone® ), des antisécrétoires gas-
et dans 5,4 % la constipation. Les autres symptômes ont triques (omeprazole) et des antiémétiques (Primpéran® ,
concerné moins de 5 % des femmes ayant eu recours à Zophren® ).
Automédication et grossesse : enquête auprès de 740 femmes enceintes 135

Eté Hiver

An-poux 0
1
Doxylamine 1
0
An-éméques 0
1
Ansepques locaux 1
0
An-sécrétoires gastriques 0
1
Anbioques 1
1
An-inflammatoires non stéroïdiens 0
2
Carbocystéine 1
2
Anfongiques 1
2
Médicaments

Corcoïdes 0
4
Andiarrhéiques 4
0
Veinotoniques 3
2
Vitamines 4
4
Protecteurs cutanés 4
5
Eléments minéraux 7
9
Compléments nutrionnels 12
10
Laxafs 7
13
Anacides 16
18
Phloroglucinol 27
15
Paracétamol 88
96
0 20 40 60 80 100 120
Nombre de femmes exposées

Figure 2. Distribution du nombre de femmes enceintes exposées aux différents médicaments pris en automédication pendant le mois
précédant la réponse au questionnaire.

En termes de tératogénicité, aucun médicament Des cas de surdosages ont été observés chez 0,7 % des
consommé en automédication ne possédait d’effets térato- femmes s’étant « automédiquées ». Pour l’ensemble des cas
gènes connus. Précisons parallèlement qu’aucune donnée observés, ils ont été liés à une prise quotidienne de paracé-
en termes de tératogénicité n’était disponible pour 82 % des tamol supérieure à quatre grammes (Fig. 2).
composés consommés en automédication, 11,5 % n’étaient
pas tératogènes et 6,5 % disposaient d’un recul rassurant. Facteurs favorisant le recours à
En termes de fœtotoxicité, 4,2 % des femmes qui ont l’automédication
eu recours à l’automédication ont consommé des composés
pouvant être fœtotoxiques : Le Tableau 2 compare les caractéristiques du groupe
• Baume du Tigre® et huiles essentielles contenant des déri- « automédiquées » (femmes ayant consommé des médica-
vés terpéniques : 1,6 % ; ments en automédication au cours de la grossesse) à celles
• médicaments homéopathiques en solutions buvables du groupe « non automédiquées » (femmes n’ayant pas
contenant de l’éthanol en excipient (L 52® , Stodal sirop® , consommé de médicaments en automédication au cours de
sirop Quiétude® ) : 1,3 % ; la grossesse).
• anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) : 0,7 % ; Les deux groupes n’étaient pas différents pour l’âge,
• Synthol gel® : 0,3 % ; la parité, l’existence d’antécédents médicaux-obstétricaux,
• Bétaméthasone® : 0,3 % ; la consommation de tabac et de drogues. En revanche,
• elixirs floraux contenant du cognac à 20 % (Fleurs de ils différaient statistiquement pour l’origine géographique
Bach® ) : 0,3 %. (p = 0,02), la situation maritale (p = 0,004), le niveau d’étude
(p < 0,001), l’activité professionnelle (p = 0,003), le milieu
Des interactions ont été observées chez 5,5 % des femmes de vie (p = 0,03) et le recours à l’automédication en dehors
s’étant « automédiquées », elles sont uniquement liées à de la grossesse (p < 0,001).
la prise d’antiacides qui a entraîné une diminution de L’information des femmes selon les recommandations de
l’absorption des autres médicaments consommés. la HAS ne constitue pas un facteur protecteur car il n’y
136 D. Courrier et al.

Tableau 2 Résultats comparatifs des groupes « automédiquées » et « non automédiquées ».


Variables Groupe Groupe « non p
« automédiquées » automédiquées »
n (%) n (%)
Âge 307 (100) 433 (100) 0,66
< 20 1 (0,3) 3 (0,7)
20—29 145 (47,2) 193 (44,6)
30—39 151 (49,1) 217 (50,1)
≥ 40 10 (3,4) 20 (4,6)
Âge : moyenne (± écart-type) 30,4 (± 4,6) 30,3 (± 4,8)
Parité 306 (99,67) 433 (100) 0,55
0 115 (37,6) 165 (38,1)
1 117 (38,2) 159 (36,7)
2 46 (15) 74 (17,1)
3 21 (6,9) 20 (4,6)
4 et plus 7 (2,3) 15 (3,5)
Origine géographique 307 (100) 432 (99,77) 0,02
Française 288 (93,8) 377 (87,3)
Africaine 8 (2,6) 38 (8,9)
Européenne hors France 7 (2,3) 13 (3,1)
Autre 4 (1,3) 3 (0,7)
Situation maritale 307 (100) 432 (99,77) 0,004
En couple 302 (98,4) 408 (94,4)
Seule 5 (1,6) 24 (5,6)
Niveau d’études 306 (99,67) 429 (99,01) < 0,001
Bac +5 et plus 91 (29,7) 108 (25,2)
Bac +3 et 4 69 (22,6) 62 (14,5)
Bac +1 et 2 75 (24,5) 103 (24)
Lycée 64 (20,9) 122 (28,4)
Collège ou moins 7 (2,3) 34 (7,9)
Activité 307 (100) 432 (99,77) 0,003
Professions intellectuelles supérieures 36 (11,8) 57 (13,2)
(cadres)
Professions intermédiaires
Professions de santé 55 (17,9) 50 (11,6)
Employées 38 (12,4) 26 (6)
Artisanes, ouvrières 117 (38,1) 187 (43,3)
Sans activité 13 (4,2) 16 (3,7)
48 (15,6) 96 (22,2)
Milieu de vie 307 (100) 427 (98,61) 0,03
Urbain 152 (49,5) 247 (57,8)
Rural 155 (50,5) 180 (42,2)
Antécédents médicaux-obstétricaux avec 307 (100) 433 (100) 0,87
traitement médicamenteux
Oui 46 (15) 63 (14,5)
Non 261 (85) 370 (85,5)
Consommation de tabac 307 (100) 433 (100) 0,77
Aucune 253 (82,4) 347 (80,1)
Occasionnelle 18 (5,9) 31 (7,2)
Inférieure à 10 cigarettes/jour 28 (9,1) 44 (10,2)
Entre 10 et 20 cigarettes/jour 8 (2,6) 11 (2,5)
Consommation d’alcool 306 (99,67) 431 (99,54) 0,02
Oui 35 (11,4) 26 (6)
Non 271 (88,6) 405 (94)
Automédication et grossesse : enquête auprès de 740 femmes enceintes 137

Tableau 2 (Suite)
Variables Groupe Groupe « non p
« automédiquées » automédiquées »
n (%) n (%)
Consommation de drogues 307 (100) 433 (100) 0,43
Oui 4 (1,3) 9 (2)
Non 303 (98,7) 424 (98)
Saison 307 (100) 433 (100) 0,33
Été 147 (47,9) 223 (51,5)
Hiver 160 (52,1) 210 (48,5)
Automédication en dehors de la grossesse 305 (99,35) 423 (97,7) < 0,001
Oui 276 (90,5) 311 (73,5)
Non 29 (9,5) 112 (26,5)
Informations reçues concernant 294 (95,77) 407 (94) 0,63
l’automédication pendant la grossesse
Oui 124 (42,2) 170 (41,8)
Non 170 (57,8) 228 (58,2)

a pas de différence statistiquement significative entre les aux femmes de renseigner leur consommation en médica-
deux groupes étudiés pour cette caractéristique (p = 0,63) ments sur une période d’un mois.
(Tableau 3). Les études précédemment menées sur l’automédication
L’information a été délivrée conformément aux recom- pendant la grossesse avaient également utilisé une approche
mandations de la HAS en majorité par les médecins rétrospective par un questionnaire. Afin de limiter le biais de
généralistes puisque 52,7 % des femmes suivies au premier mémorisation, ces enquêtes avaient interrogé les femmes
trimestre par un médecin généraliste ont déclaré avoir reçu sur leur prise récente de médicaments en automédica-
une telle information. Médecins gynécologues, obstétriciens tion durant la semaine précédant l’interrogatoire pour
et sages-femmes auraient informé environ 40 % des femmes. Damase et al., ou le jour même de l’enquête pour Schmitt
Cependant il n’existe pas de différence statistiquement [8,9].
significative entre les professionnels dans la délivrance de Une démarche prospective permettrait de pallier ces
l’information (p = 0,06). limites, elle pourrait être effectuée en demandant à la
patiente de noter ses prises de médicaments sur un car-
net tout au long de la grossesse et celui-ci serait restitué à
Discussion l’enquêteur au moment de l’accouchement.
Si le questionnaire reste l’élément de base des études
Limites et biais de l’étude épidémiologiques de l’automédication, les critères utili-
sés pour estimer la prévalence diffèrent selon les auteurs,
Notre étude étant rétrospective, elle comportait donc un et les comparaisons entre les différentes études sont sou-
biais de mémorisation dans la mesure où il était demandé vent difficiles. Le questionnaire reste également insuffisant
pour avoir une estimation exacte de la prévalence de
l’automédication avec une tendance à la sous-estimation.
Tableau 3 Fréquence de l’information sur
Cette dernière s’explique par le biais de mémorisation qui
l’automédication reçue conformément aux recom-
a été décrit précédemment, les femmes pouvant oublier de
mandations de la HAS.
citer les médicaments banals qu’elles ont consommés.
Information sur p Dans l’objectif de compenser les limites inhérentes au
l’automédication recueil de données par questionnaire, ce dernier a été éla-
Oui Non boré en groupe avec les docteurs Villier et Schir et avec
n% n% l’expérience du docteur Guillem.
Notre questionnaire comportait essentiellement des
Professionnel de 0,06 questions fermées pour faciliter la rapidité de réponse
santé consulté au et l’évaluation des données. Mais notre troisième partie
T1 contenait des questions ouvertes se présentant sous forme
Médecin 69 (52,7) 62 (47,3) de tableaux, dans lesquels les femmes devaient mention-
généraliste ner les médicaments consommés depuis le mois précédant
Médecin 185 (40,7) 267 (59,3) l’enquête. Afin de faciliter la compréhension, des exemples
gynécologue- venaient illustrer les questions et une définition simple de
obstétricien l’automédication avait été proposée. Le thème de notre
Sage-femme 48 (42,5) 65 (57,5) étude ne leur avait pas été explicitement précisé afin de
Total 302 (43,3) 394 (56,7) ne pas influencer leurs réponses.
138 D. Courrier et al.

Par la suite, notre questionnaire a été testé sur un obtenu par notre étude paraît représentatif car rappelons
échantillon de dix femmes, qui répondaient aux critères que celle-ci était multicentrique et comportait un effec-
d’inclusion et d’exclusion, au sein du service de consulta- tif important par rapport aux autres études citées ci-dessus
tions d’obstétrique de l’Hôpital couple-enfant de Grenoble. (740 contre 263 au maximum pour Schmitt) [9].
Le temps de réponse a été estimé entre cinq et dix minutes. Malgré les différences observées entre les études
À l’issue du test, la compréhension des questions avait été françaises, il semble toutefois que ces résultats soient
jugée bonne, 100 % des femmes avaient compris la défini- en faveur d’une augmentation de la prévalence de
tion donnée de l’automédication. Seules certaines questions l’automédication chez les femmes enceintes depuis le début
avaient été reformulées afin d’optimiser leur niveau de des années 1990.
compréhension.
Les risques maternels et fœtaux de
Discussion des résultats l’automédication
La consommation de médicaments en automédication pen-
Évolution de la prévalence de
dant la grossesse peut comporter des risques pour le fœtus
l’automédication au cours de la grossesse car tous les médicaments, ou presque, traversent la barrière
Les prévalences qui ont été observées pour chacun des placentaire et peuvent avoir des effets sur l’embryon ou le
trimestres étaient comparables et les tests statistiques fœtus. Le risque va être différent selon si l’on considère
n’ont pas mis en évidence de différences significatives la période embryonnaire ou la période fœtale. La période
(p > 0,05) dans la comparaison des prévalences des tri- embryonnaire, s’étalant sur le premier trimestre, peut être
mestres les uns avec les autres. Donc la prévalence de affectée par des médicaments à effets tératogènes (ou mal-
l’automédication était constante au cours de la grossesse. formatifs), car elle correspond à l’organogenèse. La période
Ainsi, notre première hypothèse selon laquelle la préva- fœtale, couvrant les sept derniers mois de grossesse, peut
lence de l’automédication était plus importante au premier être affectée par des médicaments responsables d’effets
et au troisième trimestre en raison des symptomatolo- fœtotoxiques avec possible retard de croissance et anoma-
gies fréquentes propres à ces périodes de la grossesse lies du développement, notamment neurologique [13].
a été invalidée. Ce résultat peut s’expliquer par le fait Notre étude a recensé un total de 104 composés diffé-
que les symptomatologies les plus couramment impliquées rents qui ont été consommés en automédication par les
dans l’automédication (céphalées et infections hivernales) 307 femmes de l’enquête ayant recouru à l’automédication.
ne sont pas spécifiques d’un trimestre en particulier. De Les données disponibles sur ces composés ont été recueillies
plus, près de 10 % des femmes s’étant « automédiquées » à partir des sites du Centre de référence sur les agents téra-
ont consommé des médicaments de la classe métabo- togènes (CRAT) et du Vidal, ainsi qu’à partir des ressources
lisme et nutrition parmi lesquels figurent essentiellement bibliographiques du centre régional de pharmacovigilance
les compléments alimentaires qui sont habituellement du CHU de Grenoble [14—17].
consommés tout au long de la grossesse. Parmi les composés consommés en automédication, la
Les femmes devraient donc recevoir l’information en plus grande majorité provenait de l’armoire à pharmacie
début de grossesse (comme le recommande la HAS), voire familiale (54,2 %), or une telle provenance pourrait être
même en période préconceptionnelle, et des rappels sem- associée à un plus grand risque d’automédication dange-
bleraient nécessaires tout au long de la grossesse. reuse dans les cas où les femmes ne se rappelleraient
La prévalence globale de l’automédication est impor- plus des posologies recommandées. À l’inverse les médi-
tante dans notre étude car près de la moitié des femmes caments achetés en pharmacie (45,2 %) sont généralement
enceintes (41,5 %) ont consommé des médicaments en auto- associés à une information dispensée par le pharmacien et
médication dans le mois précédent le recrutement. Ce leur utilisation dans l’immédiat nous paraît davantage sécu-
résultat est comparable à celui obtenu dans la plus récente risée. Seules 0,6 % des femmes s’étant « automédiquées »
enquête de prévalence réalisée par Dorgere et al. en 2010 ont consommé des médicaments commandés sur Internet.
(42 %) [10]. Notre résultat est par contre supérieur à ceux Cette nouvelle possibilité de se procurer des médicaments
obtenus dans d’autres études françaises de Mikou et al. étant encore très récente (autorisée depuis juin 2013), cela
en 2008 (23,3 %), de Schmitt en 2002 (21,3 %), de Damase- explique la faible proportion de femmes qui ont sollicité
Michel et al. en 2000 (19,6 %), de Berthier et al. en 1993 cette nouvelle provenance. De plus peut-être existe-t-il une
(17,9 %) et de Barrière et al. en 1992 (14,5 %) [5—10]. Ces certaine méfiance par rapport à la véritable origine de ces
différences de résultats peuvent s’expliquer en premier médicaments pouvant être issus de la contrefaçon.
lieu par le fait que les études épidémiologiques de pré- En dépit de leurs différentes provenances, aucun de
valence de l’automédication pendant la grossesse posent ces composés n’était connu comme pouvant présenter des
un problème essentiel, celui du moyen d’identification de effets tératogènes. Or aucune donnée n’était disponible en
ce comportement dans une population donnée. Cette dif- termes de tératogénicité pour 81 % d’entre eux. Malgré cela
ficulté est due au fait que les définitions proposées de nous voulons être rassurants car il existe suffisamment de
l’automédication ne permettent pas de distinguer de façon recul pour la plupart d’entre eux. D’autant plus qu’il est
précise les états frontières de ce comportement. Ces dif- important de rappeler qu’en cas de consommation d’un
férences peuvent s’expliquer en deuxième lieu par le fait médicament tératogène, celui-ci n’induit pas de malforma-
d’interroger les femmes sur des périodes d’exposition très tion de manière systématique. En effet, les médicaments
différentes (médicaments consommés sur l’ensemble de la les plus dangereux n’induisent des malformations que dans
grossesse ou sur le seul jour de l’enquête). Ce résultat au maximum 30 % des cas. Le fait d’avoir un nombre si
Automédication et grossesse : enquête auprès de 740 femmes enceintes 139

important de médicaments pour lesquels nous ne disposons Les deux cas de surdosage qui ont été relevés dans
pas de données est dû au fait qu’il est difficile d’évaluer avec cette étude reflètent bien le manque de vigilance vis-à-vis
précision les risques liés à la prise de médicaments pendant des fortes doses de paracétamol observé depuis plusieurs
la grossesse (difficulté d’extrapolation à l’homme des résul- années. Ils ont tous deux été enregistrés dans la Base natio-
tats des expériences de toxicologie de la reproduction et nale de pharmacovigilance car ils constituaient un véritable
absence d’évaluation clinique chez la femme enceinte pour signal.
raisons éthiques) [8]. Le paracétamol a été le seul médicament utilisé en
En revanche, 13 femmes (4,2 % de celles s’étant auto- automédication pour traiter tous types de douleurs car il
médiquées) ont consommé des médicaments présentant des constituait le seul représentant de la classe des antalgiques.
risques de fœtotoxicité. Les risques liés à l’ensemble de ces Ce médicament peut devenir dangereux car son utilisation
médicaments ont été discutés ci-dessous : paraît banalisée, ce qui risque de conduire à des surdosages
• AINS : exclusivement utilisés dans notre étude afin de trai- afin de traiter des douleurs pouvant parfois être très inva-
ter des céphalées. Leur consommation était au premier et lidantes, même pendant la grossesse (céphalées, douleurs
au deuxième trimestre, mais était ponctuelle, ce qui n’a dentaires, sciatiques).
pas eu de conséquences a priori car, en effet, la prise Par ailleurs trois femmes interrogées ont mentionné
d’AINS avant 24 SA ne présente pas de risques pour le qu’elles avaient consommé du paracétamol sous différents
fœtus ; noms de spécialités (Doliprane® , Dafalgan® , Efferalgan® ),
• médicaments homéopathiques et elixirs floraux : mais les limites de notre questionnaire ne nous ont pas per-
l’innocuité des médicaments homéopathiques est mis d’affirmer si ces femmes avaient présenté des risques de
unanime, mais ces derniers nécessitent toutefois des surdosage en consommant ces spécialités simultanément,
précautions d’emploi. Notre étude souhaitait attirer ou bien si elles avaient connaissance que ces spécialités
l’attention sur les solutions buvables type L 52® , Quié- renfermaient toutes le même principe actif.
tude sirop® et Stodal sirop® qui avaient comme point Une enquête prospective permettrait de mieux cer-
commun de comporter de l’éthanol parmi les excipients. ner les interactions médicamenteuses, ainsi que les cas
Elles ont été consommées par quatre femmes (1,3 %) ; de surdosage et plus particulièrement ceux concernant la
• Synthol gel® , Baume du Tigre® et huiles essentielles : ils consommation de plusieurs spécialités nommées différem-
ont été consommés par 2 % des femmes s’étant auto- ment mais renfermant le même principe actif.
médiquées. Ces composés contenaient tous des dérivés
terpéniques (camphre, menthol) connus pour être respon-
sables d’un abaissement du seuil épileptogène [14—17].
Facteurs favorisant le recours à
l’automédication
Pour les risques liés aux interactions, les limites de notre Critères sociodémographiques
étude nous ont permis de montrer uniquement l’existence Les résultats de notre analyse comparative entre les groupes
d’interactions liées à la consommation d’antiacides. Ces « automédiquées » et « non automédiquées » ont montré
derniers sont connus pour diminuer la résorption de nom- qu’il n’existait pas de différences significatives, ni pour
breux médicaments, notamment le paracétamol et le fer. Or les différentes tranches d’âge étudiées (la moyenne d’âge
dans notre étude, ce cas de figure a été relativement fré- était de 30,4 ± 4,6 ans pour les « automédiquées » et de
quent puisqu’il concernait 5,5 % des femmes ayant recouru 30,3 ± 4,8 ans pour les « non-automédiquées »), ni pour la
à l’automédication. Selon les précautions d’emploi des anti- parité, ni pour les antécédents médicaux nécessitant un
acides, il est nécessaire de laisser un intervalle de deux traitement médicamenteux pendant la grossesse, ni pour la
heures ou plus entre les prises orales avec d’autres médica- consommation de tabac et de drogues. Pour ces facteurs,
ments. Il paraîtrait donc nécessaire d’informer les patientes nous apportons la même conclusion que Schmitt, Mikou et al.
quant à l’usage des antiacides car ils sont fréquemment et Damase et al. qui n’avaient pas montré de différences sur
rencontrés en automédication chez la femme enceinte. les données sociodémographiques et sur les habitudes de vie
Pour les risques liés aux surdosages, notre étude a clai- [5,8,9].
rement montré l’existence de deux cas de surdosages liés Des différences significatives ont été montrées entre
à la prise de médicaments en automédication. Le para- les deux groupes pour le niveau d’études. En effet les
cétamol était en cause dans les deux cas. Une première femmes qui avaient un niveau d’études supérieur ou égal
femme a affirmé avoir consommé jusqu’à six grammes de au baccalauréat et inférieur ou égal à trois années d’études
paracétamol par jour pendant sept jours consécutifs pour constituaient une plus grande proportion dans le groupe
des céphalées. Une seconde en a consommé cinq grammes « automédiquées » que celles qui avaient un niveau lycée ou
par jour pendant trois jours pour des douleurs dentaires. inférieur (p < 0,001). Le niveau d’études influencerait donc
Le paracétamol est le principe actif qui a été de loin le le recours à l’automédication, ce résultat est en accord avec
plus consommé en automédication par les femmes de notre l’étude de Dorgere et al. qui avait déjà montré cette dif-
étude (42 % des femmes s’étant « automédiquées »). En effet férence de façon significative (p < 0,05), ainsi que l’étude
ce médicament peut être utilisé pendant la grossesse car il de Mikou et al., même si pour cette dernière la différence
n’est pas tératogène et les données disponibles en termes n’était pas significative (p = 0,41) [5,10]. L’automédication
de fœtotoxicité sont nombreuses et rassurantes, à condi- est une pratique pouvant être onéreuse. Cela expliquerait
tion de ne pas dépasser la dose usuelle de quatre grammes pourquoi les femmes ayant un niveau d’études plus élevé,
par jour au maximum et de respecter l’administration d’un souvent en lien avec une catégorie socioprofessionnelle
gramme par prise. En cas de surdosage, la mère et le fœtus également plus élevée, soient favorisées pour pratiquer
sont exposés à une hépatotoxicité [11,14—16]. l’automédication.
140 D. Courrier et al.

Les femmes d’origine française constituaient 93,8 % du de la classe oto-rhino-laryngologie en hiver (p = 0,003). Mal-
groupe « automédiquées » contre 87,3 % dans le groupe gré cette faible différence, les médicaments fœtotoxiques
« non automédiquées », alors que les femmes africaines ont été en proportion davantage consommés sur la période
étaient plus représentées dans le groupe « non automé- hivernale (71 %), mais la différence avec la proportion obte-
diquées » (8,9 %) que dans le groupe « automédiquées » nue en été (29 %) n’était pas significative.
(2,6 %) (p = 0,02). L’origine géographique influencerait donc En conclusion, notre deuxième hypothèse selon laquelle
de façon significative le recours à l’automédication. Cette la pratique de l’automédication serait plus importante
conclusion avait déjà été mise en avant par Dorgere et al., l’hiver que l’été est invalidée.
mais pas de façon statistiquement significative (p = 0,76)
[10]. Ce résultat semble montrer l’impact de la dimension Les symptomatologies
culturelle dans la pratique de l’automédication. Cette der- Les principales symptomatologies à l’origine de
nière serait donc plus importante chez les sujets originaires l’automédication ont été les céphalées, les infections
de pays industrialisés en lien avec des sociétés de consom- hivernales et les troubles digestifs (RGO et constipation).
mation. Ces résultats sont comparables avec ceux qui ont été
Les facteurs favorisant l’automédication pendant la gros- observés par Mikou et al. [5].
sesse décrits par la suite n’ont jamais été démontrés par Ces principaux facteurs ont constitué à eux seuls près
d’autres études. Les femmes vivant en couple recourent de 60 % des symptômes ayant suscité la consommation de
plus à l’automédication que les femmes seules (p = 0,004). médicaments en automédication. Il nous paraît donc impor-
Notre hypothèse pour expliquer ce résultat est que les tant de les identifier au cours de la grossesse afin de donner
femmes vivant en couple auraient davantage de ressources aux femmes une information et de proposer une prise en
financières pour pouvoir acheter des médicaments en auto- charge adaptée pour éviter qu’elles-mêmes ne recourent à
médication. une automédication dangereuse.
Des différences significatives ont également été mon-
trées dans notre étude pour ce qui est de l’activité
Informations relatives à la prise de
professionnelle (p = 0,003). Les femmes exerçant une profes-
sion intermédiaire et une profession de santé ont davantage médicaments en automédication.
eu recours à l’automédication. Ce résultat paraît cohé- Au total, 94 % des femmes interrogées ont répondu à la ques-
rent pour les femmes exerçant une profession de santé tion « Avez-vous reçu de la part des professionnels de santé
dans la mesure où ces dernières ont plus facilement accès une information relative à la consommation de médicaments
aux médicaments et, de plus, possèdent des connaissan- en automédication ? » (3,2 % d’entre elles n’ont pu répondre
ces en rapport avec les médicaments. Nous avons observé à la question car elles n’avaient pas encore effectué de
également que les femmes sans activité étaient davantage consultations prénatales pour cette grossesse).
représentées dans le groupe « non automédiquées ». Cela Environ la moitié des femmes enceintes (43,3 %) ont
apporte donc un argument supplémentaire en faveur du affirmé avoir reçu une information sur l’automédication
fait que l’automédication est davantage pratiquée par les pendant la grossesse de la part du professionnel de santé
femmes possédant des ressources financières suffisantes. ayant effectué leur suivi de grossesse. Ce chiffre est sen-
siblement identique à celui rapporté par Mikou et al. en
La saison 2008 (51 %) et par Schmitt en 2002 (55 %) [5,9]. Nous don-
L’impact du facteur « saison » dans la pratique de nerons donc la même conclusion que ces études en disant
l’automédication n’avait encore jamais été étudié. Notre que l’information reçue par les femmes sur la prise de
étude a tout d’abord montré qu’une proportion plus impor- médicaments en automédication pendant la grossesse est
tante de femmes a recouru à l’automédication en hiver insuffisante. Nous rajouterons même qu’il n’y a pas eu de
qu’en été (52,1 % contre 48,5 %), mais cette différence réels progrès depuis la mise en évidence de ces résultats
n’était pas significative (p = 0,33). L’hiver ne semble pas datant de 2002 et de 2008.
être un facteur favorisant le recours à l’automédication. Nos résultats ont montré que les médecins géné-
Ces résultats peuvent être expliqués par le fait que l’hiver ralistes étaient les plus impliqués dans la dispensa-
2013—2014 a été le deuxième hiver le plus doux depuis tion d’informations aux femmes enceintes en matière
1900, ce qui paraît être moins propice à la recrudescence d’automédication car 52,7 % des femmes les ayant consul-
d’épidémies hivernales et donc à l’automédication [18]. Il tés au premier trimestre ont reçu une information sur
serait souhaitable de réévaluer l’impact de ce facteur sur un l’automédication. La proportion de femmes informées par
hiver plus propice aux infections hivernales. Notre analyse les sages-femmes est de 42,5 % et elle est de 40,7 % pour
possède l’avantage de ne pas être limitée par un biais de celles qui ont été suivies par un gynécologue-obstétricien,
sélection puisque nous avons recruté autant de femmes en alors que ces derniers étaient impliqués dans le suivi de
été qu’en hiver, cela nous permet donc de conclure que la 65,1 % des patientes de l’étude (contre 18,7 % pour les
saison n’influence pas le recours à l’automédication. médecins généralistes et 16,2 % pour les sages-femmes). Les
Nous avons constaté que les symptômes ayant suscité la différences qui ont été mises en évidence ne sont cependant
consommation de médicaments en automédication étaient pas significatives (p = 0,06).
comparables entre les deux saisons, sauf pour les infec- Les médicaments consommés en automédication prove-
tions oto-rhino-laryngologiques (toux, rhumes, maux de naient essentiellement de l’armoire familiale (54,2 % des
gorge) qui sont significativement plus fréquentes en hiver médicaments), or dans ce cas les femmes s’administrent les
(p = 0,01). Nous avons observé en conséquence une consom- médicaments sans avoir eu aucun avis médical. Les médi-
mation significativement plus importante de médicaments caments directement achetés en pharmacie ont pu faire
Automédication et grossesse : enquête auprès de 740 femmes enceintes 141

l’objet d’un conseil de la part du pharmacien, encore faut- Internet ainsi que par la possible autorisation de la vente de
il que ce dernier soit informé de l’état de grossesse de la médicaments dans la grande distribution.
patiente (pas forcément visible selon l’âge gestationnel),
ou que celle-ci lui en ait fait part auparavant. La propor-
tion de médicaments procurés sur Internet est par ailleurs Références
relativement faible (0,6 %).
[1] http://www.médicaments.gouv.fr, http://www.sante.gouv.
Propositions pour améliorer la prévention fr/, ministère des Affaires Sociales et de la Santé, page
consultée le 14/01/13, en ligne.
L’ensemble de ces résultats ont montré que des efforts res- [2] http://www.conseil-national.medecin.fr/, Ordre national des
taient à être accomplis pour améliorer l’information des médecins, page consultée le 21/01/13. L’automédication, en
femmes sur l’automédication et cela concerne la tota- ligne.
lité des professionnels de santé impliqués dans le suivi de [3] Baumelou A, Lauraire S, Tachot S, Flachaire M. Automédica-
grossesse (médecins généralistes, sages-femmes et obsté- tion. EMC; 2006. p. 1—5 [1-0153].
triciens) (Tableau 3). [4] Association française de l’industrie pharmaceutique pour
une automédication responsable. Quelle perception de
Or nous sommes confrontés au fait que la simple infor-
l’automédication et de l’information sur la santé en France ?;
mation ne constitue pas à elle seule un facteur protecteur
2013 [page consultée le 13/01/13, http://www.afipa.org/, en
suffisant, puisque les femmes qui ont été informées selon ligne].
les recommandations de la HAS n’ont pas eu moins recours [5] Mikou S, Buire AC, Trenque T. Automédication chez la femme
à l’automédication que celles n’ayant pas été informées enceinte. Therapie 2008;63(6):415—8.
(Tableau 2). Nous pensons donc que l’information devrait [6] Barrière N, Meunier P, Chante F, et al. Enquête sur la
être améliorée dans son aspect qualitatif afin de transmettre prise de médicaments pendant la grossesse. Pharm Hosp Fr
un message simple et évident. 1992;100:1791—4.
Nous proposons la mise en place d’une fiche [7] Berthier M, Bonneau D, Perault MC, et al. Medications exposure
d’information à destination de toutes les femmes et during pregnancy. Therapie 1993;48:43—6.
[8] Damase-Michel C, Lapeyre-Mestre M, Moly C, Fournié A,
d’une fiche d’information plus détaillée et plus ciblée à
Montastruc JL. Consommation de médicaments pendant la
destination des professionnels de santé. grossesse : enquête auprès de 250 femmes en consultation dans
Cette information sur l’automédication devrait être déli- un Centre Hospitalier Universitaire. J Gynecol Obstet Biol
vrée en période préconceptionnelle et tout au long de la Reprod 2000;29:77—85.
grossesse, sur le même plan que l’information relative à la [9] Schmitt B. L’automédication chez la femme enceinte. J Gyne-
consommation de tabac ou d’alcool. col Obstet Biol Reprod 2002;31:211.
[10] Dorgere A. Automédication, grossesse et allaitement. Vocation
Sage-femme 2012;94:40—3.
Conclusion [11] Bouvier N, Trenque T, Gabriel R, Quereux C, Millart H. Risques
iatrogènes de l’automédication chez la femme enceinte. Presse
L’information relative à l’automédication à donner aux Med 2001;30:37—40.
femmes enceintes doit être améliorée, tant sur le plan quan- [12] Haute Autorité de santé. Comment mieux informer les
titatif que sur le plan qualitatif et surtout auprès de celles femmes enceintes ?; 2013 [page consultée le 12/12/13,
présentant des facteurs favorisant à son recours (origine http://www.has-sante.fr/, en ligne].
géographique, niveau d’étude et exercice d’une profession [13] Glover DD, Amonkar M, Rybeck BF, Tracy TS. Prescrip-
intermédiaire ou de santé en particulier). L’automédication tion, over-the-counter, and herbal medicine use in a
est un comportement fréquent dont les risques sont diffi- rural, obstetric population. Am J Obstet Gynecol 2003;188:
1039—45.
ciles à évaluer (méthode d’étude, manque de données sur
[14] http://www.lecrat.org, Centre de référence sur les agents
les médicaments). Il paraît important d’inciter les femmes
tératogènes, Médicaments, en ligne, page consultée le
à solliciter les professionnels compétents avant de recou- 12/04/14.
rir à l’automédication. Ces derniers doivent connaître les [15] http://www.univadis.fr, Univadis, la référence des profession-
sources utiles (site internet du CRAT, Vidal, pharmacovigi- nels de santé, page consultée le 12/04/14, Vidal, en ligne.
lance) et être particulièrement attentifs aux médicaments [16] Jonville-Béra AP, Vial T. Médicaments et grossesse. Paris: Else-
couramment utilisés en automédication (paracétamol et vier Masson; 2012. p. 296.
antiacides). [17] Bayot D, Faron G. Pharmacologie pour les sages-femmes.
À l’avenir nous devons être vigilants par rapport à ce Bruxelles: De Boeck; 2011. p. 182.
comportement qui semble être en augmentation au cours [18] Météo-France. L’hiver 2013-2014 le deuxième plus doux depuis
1900; 2014 [page consultée le 13/03/14, http://www.
du temps. D’autant plus que ce phénomène devrait être
meteofrance.fr/, en ligne].
renforcé par l’autorisation de la vente des médicaments sur

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