Abou Madyan
Abou Madyan
Abou Madyan
Sheikh Abû l-Sabr Ibn 'Abdallah al-Fihri a dit : C'était un Zahid vertueux, un 'Arif Billah. Il a
traversé des océans d'états spirituels, et a acquis la connaissance des secrets et en particulier le
maqam al-tawakkul. Il a dépassé les autres sur la Voie, et les traces qu'il a laissé sont visibles. Il
était d'une science étendue, d'une grande vigilance intérieure, tournant sans cesse son cœur vers
Allah, jusqu'à ce qu'Allah lui accorde une bonne fin.
[Tashawwuf]
Le grand Wali Salah Sidi Abû Madyan Shu'ayb Ibn al-Hussayn ( )رضي الله عنهest un des plus
célèbres maîtres soufis de l'Occident musulman, c'était un érudit Malikite et un authentique 'Arif-
Billah, il est appelé le maître des maîtres et avant de mourir, il avait atteint le degré suprême de
Ghawth.
Il s'appelle Shu'ayb mais il est plus connu dans le monde par sa kunya suivi de son titre, Abû
Madyan al-Ghawth, le rajout du degré spirituel “al-Ghawth” a commencé à se faire après son décès,
suite au témoignage des maîtres qui ont dit qu'il est décédé en ayant atteint ce degré. Au Maghreb la
prononciation locale donne Boumediene pour Abû Madyan.
Il naquit vers l'an 520 (1126) [certaines sources disent 509] dans la petite ville de Cantillana, où il
passa son enfance, à environ trente-cinq kilomètres de Séville. Il est issu d'une famille Andalouse
plutôt modeste, certains hagiographes font remonter sa généalogie aux Ansars de Médine tandis que
des sources égyptiennes disent que c'était un Sherif Hussayni.
Sidi Boumediene ( )رحمه اللهétait orphelin, ce fut ses frères qui s'occupèrent de lui, ils lui faisaient
garder leurs troupeaux de bêtes et il apprit aussi le métier de tisserand.
Dans le “Tashawwuf” de l'Imam Ibn al-Zayyat al-Tadili ()رضي الله عنه, nous apprenons par des
élèves à lui qui ont rapportés ses propos, que lorsqu'il voyait quelqu'un lire, il s'en approchait et il
était triste de ne pas pouvoir en faire autant. Il était animé d'un profond désir de connaissance et
d'apprentissage. Quand il passait devant une école ou une mosquée, les battements de son cœur
s'accéléraient. Mais ses frères ne voyaient pas cela d'un bon œil. Un jour il essaya de s'enfuir afin de
répondre à l'appel de son cœur, mais un de ses frères le dissuada en le menaçant de le tuer à l'aide de
sa lance s'il partait. Il resta encore quelques temps avec eux mais il était résolu de partir et un soir il
s'enfuit par un autre accès mais un de ses frères le rattrapa et, brandissant cette fois une épée, il
menaça de le tuer, il allait lui asséner un coup qui aurait pu lui être fatal, mais Sidi Boumediene (
)رضي الله عنه, muni d'un simple bâton, para le coup et la lame de l'épée se brisa. Pour le moins
choqué face à ce prodige, son frère lui dit : « Mon frère, c'est bon, vas où tu veux. »
C'est ainsi qu'il quitta sa famille et que commence son voyage vers la connaissance.
Sur la côte Andalouse, il rencontra un vieil homme qui habitait une tente sur un rocher en bord de
mer. Sidi Boumediene discuta avec cet homme, il resta même chez lui quelques jours. Dès qu'il
voulait manger, le vieil homme se mettait à pêcher avec une ficelle au bout de laquelle se trouvait
seulement un clou tordu en guise d'hameçon et pourtant à chaque fois qu'il jetait sa ligne à la mer, il
ramenait un poisson. Au cours de leurs conversations le vieil homme lui conseilla de partir là où
vivent les gens (les villes), il lui dit que l'on adore Allah que par la science, autrement dit, il lui
recommanda de commencer par étudier la science afin de savoir comment adorer Allah.
Après quelques jours en sa compagnie, Sidi Boumediene partit à Séville et il commença son
voyage, il quitta l'Andalousie, traversant le détroit de Gibraltar et s'installant d'abord à Tanger puis à
Sebta et ensuite il se rendit à Marrakech, où il fut accueilli par des membres de la communauté
Andalouse qui étaient installés dans la ville ocre. Mais ces derniers étaient des mercenaires et ils
l'ont enrôlé parmi les mercenaires, dans un régiment chargé de défendre la capitale almoravide. Ils
prenaient le plus gros de son salaire, lui laissant très peu pour subvenir à ses besoins. À cette
période, une personne lui dit d'aller à Fès s'il voulait se consacrer à la religion. Ainsi, peu de temps
après, il rejoignit la ville de Moulay Idriss, où il put fréquenter de nombreux cercles d'étudiants,
rencontrer des enseignants et acquérir de solides connaissances. Ses premiers enseignants spirituel
furent Sidi Abû l-Hassan 'Ali Ibn Ghalib (Boughaleb) ()رحمه الله, un Wali et un érudit d'origine
Andalouse qui avait été élève de Sidi Ibn al-'Arif ()رضي الله عنه. Auprès de lui, il rapporta avoir
étudié les Sunan de l'Imam al-Tirmidhi. Les maîtres Sidi Abû l-Hassan al-Salwi et Sidi Abû
'Abdallah al-Daqqaq ()رحمهم الله, sont les premiers à l'avoir vraiment initié dans le tasawwuf.
D'après certains, c'est de Sidi al-Daqqaq qu'il reçu la khirqa et sa première ijaza. Mais c'est en la
personne de Sidi Abû l-Hassan Ibn Harazem (Ibn Hirzihim) qu'il trouva vraiment ce qu'il cherchait.
Sidi Ibn Harazem ( )رضي الله عنهétait un des plus grands maîtres de cette période, il était dépositaire
d'enseignements soufis venus de l'Orient, en particulier ceux de l'Imam al-Muhassibi et de l'Imam
Ghazali ()رحمهم الله. Sidi Boumediene trouva en Sidi Ibn Harazem son premier grand maître, par
son compagnonnage, il reçut un véritable enseignement vivant, celui qui se transmet par les cœurs
et non par les livres.
Ayant entendu parler du célèbre Wali oummi Sidi Abû Ya'za (Bouazza) ()قدس الله سره, Sidi
Boumediene ( )رضي الله عنهpartit le voir à Taghia et il devint un de ses disciples.
C'est de lui, qu'il reçut entre l'initiation au courant spirituel dit Nuriyya et l'initiation à un célèbre
courant spirituel en provenance de la ville de Aghmat dans la région de Doukala. Dans sa formation,
Sidi Bouazza connut de nombreux maîtres et avait reçu plusieurs héritages spirituels, il a lui-même
dit avoir connu environ quarante maîtres. Parmi eux figure Sidi Bennour et Sidi Abû Shu'ayb
(Bouchaïb) Ayoub nommé al-Sariya. Ce dernier fut un des principaux disciples de Sidi 'Abd el-Jalil
Ibn Wayhlan ()رضي الله عنهم, qui avait ramené d'Orient, un courant spirituel qui était hérité des
Salafs tels que l'Imam Sari as-Saqati et muni d'une chaîne remontant au Prophète Muhammad ﷺ,
par le noble Sahabi Abû Dharr al-Ghifari ()رضي الله عنه.
Au sujet de sa rencontre avec Sidi Bouazza, Sidi Boumediene ( )رضي الله عنهمa dit :
« J'allais le voir avec des personnes qui partaient le visiter. Quand nous sommes arrivés sur le mont
Irujan, on alla directement chez lui, il accueilli tout le monde sauf moi. Lorsqu'il servi le repas, il
m'empêcha d'y toucher. Je me suis alors mis dans un coin tout seul à l'intérieur de sa maison. Quand
on m'apporta le repas, je me suis levé et il me repoussa. Ceci dura pendant trois jours, je souffrais de
la faim et me sentais humilié. Après trois jours, Abû Ya'za quitta sa place, je m'y suis dirigé tête
baissée pour frotter mon visage à l'endroit où il était assis. Quand j'ai relevé la tête, je ne voyais plus
rien, j'étais devenu aveugle. J'ai passé toute la nuit à pleurer. Au matin il m'appela en disant :
“Achk argaz Andalusi” - “Approche homme Andalou”. Je me suis approché, il passa sa main sur
mes yeux et j'ai soudainement retrouvé la vue. Puis il passa la main sur ma poitrine et a dit aux gens
présents :
“Celui-là aura une grande place”.
Il me permit ensuite de partir et m'avertit :
« Tu trouvera un lion sur ton chemin. N'en aie aucune crainte. Si tu vois que tu es quand-même
effrayé, dis-lui : Par l'honneur de Yalennur, va-t-en d'ici. Tu tomberas ensuite sur trois voleurs près
d'un arbre, tu les exhortera. Deux deviendront musulmans, le troisième sera tué et crucifié près de
l'arbre. »
Suite à cela je lui ai adressé mes salutations et je suis parti. Effectivement, un lion se trouva ensuite
sur mon chemin, je l'adjura par Abû Ya'za, il s'écarta du chemin, et il m'a suivi jusqu'à ce que j'ai
quitté les fourrés, et il partît. J'ai rencontré ensuite les trois voleurs, qui étaient assis sous un arbre.
Je les ai exhorté, mes propos eurent de l'effet sur le cœur de deux d'entre eux. Le troisième resta au
pied de l'arbre. Le gouverneur l'apprit et envoya un émissaire qui le frappa à la nuque et le fit
crucifier...»
Ensuite il accomplit le pèlerinage et dans la ville Sainte de la Mecque, il rencontra le Sultan al-
Awliya' al-Ghawth el-Azem Sayyid 'Abd al-Qadir al-Jilani ()قدس الله سره, le fondateur éponyme de
la tariqa Qadiriyya. Il resta quelques temps dans son compagnonnage, apprenant auprès de lui de
nombreux Hadiths. Le Sheikh Sayyid 'Abd al-Qadir al-Jilani ( )رضي الله عنهlui transmit aussi sa
khirqa. D'ailleurs Lala Setti ()رضي الله عنها, une des plus célèbres saintes de Tlemcen est une des
filles de notre maître Sheikh 'Abd el-Qadir al-Jilani ( )رحمه اللهétait témoin de la considération que
portait Sheikh ‘Abd el-Qadir al-Jilani envers Sidi Boumediene. Son vrai nom était Adawiyya el-
Wassila Bint 'Abd el-Qadir, elle se souvenait avoir aperçu Sidi Boumediene avec son père qu'il lui
parla plusieurs fois de lui. Elle choisit de venir s'installer au maghreb suite à une recommandation
de son père en rêve qui lui dit : « Adawiya, tu dois aller vers le couchant (maghrib) et ouvrir notre
Voie à nos frères en Allah. La terre d'Abû Madyan Shu'ayb t'accueillera comme elle l'avait fait pour
mon ami, c'est la terre des Awliya' d'Allah !»
Lorsque Sidi Boumediene ( )قدس الله سرهrevint du pèlerinage et de quelques escales et déplacement
en chemin, il choisit la ville de Béjaïa pour vivre et transmettre son héritage. Au départ il avait
pensé plutôt se retirer dans la solitude, mais le rêve d'un proche lui fit comprendre qu'il devait rester
au milieu des gens. Il s'installa donc à Béjaïa et ouvrit un ribat où ont rapidement afflués de
nombreux disciples en provenance de la plupart des régions du maghreb.
Un des facteurs contribuant à sa renommée était son accessibilité à tous, des étudiants et
enseignants à tous les gens du peuple.
Les principes et vertus de base sur quoi se fondait son enseignement à Béjaia étaient la repentance
(tawba), l'ascétisme (zuhd), les visites aux Awliya', le compagnonnage (suhba) et le service
(khidma), notamment aux maîtres. Il mettait l'accent sur de nombreux points, dont la futuwa
(chevalerie), le fait d'éviter les désaccords entre dévots, la justice, la constance, la noblesse de
caractère, la dénonciation de l'injuste ou encore le fait de ressentir un sentiment de satisfaction avec
les dons d'Allah. C'est au cours de cette période qu'il a écrit de nombreux poèmes et des Hikam.
La valeur du véritable 'Arifbillah est qu'une telle personne peut intervenir dans la vie humaine et
enseigner aux autres le chemin de la béatitude éternelle (sa'da). Cependant, un faux Sheikh ou un
Sheikh qui égare pourrait faire perdre ses disciples dans une douleur éternelle (saqawa). En raison
de cela, Sidi Boumediene a aussi insisté pour que tous ceux qui revendiquent ce rang soient
exempts de vanité et de faux-semblants. Il dit à ce sujet : « Méfiez-vous de celui que vous voyez
parler au nom d'Allah d'un état (hal) qui n'est pas visible sur lui. » « La chose la plus nuisible est la
compagnie d'un savant insouciant, d'un soufi ignorant ou d'un prédicateur non sincère. »
Par la réunion de ce qu'il reçut de ses différents maîtres, il forma une voie spirituelle qui englobait
une grande partie des courants spirituels qui existaient au Maghreb. Il réussit à reformuler
brillamment les différents enseignements, rendant le tout accessible pour tous. Il forma des
centaines voir des milliers de disciples jusqu'à un niveau très élevé mais, surtout, là où nous voyons
encore plus la grandeur de ce noble Waliyullah, c'est dans le rôle et l'influence qu'il eût dans le
soufisme de manière générale, notamment au Maghreb où presque l'ensemble des courants
spirituels et chaînes initiatiques qui étaient présents dans cette région ont convergé vers lui et
chaque voie pendant les générations qui ont suivies, se sont abreuvées à sa source. Sa voie se
nommait Madyaniyya, mais il n'y avait pas forcément de suivi au niveau de l’appellation, la voie
prenait naturellement le nom de ses représentants formant ainsi de nouvelles branches issues de sa
voie. Telles que la Saddadiyya de Sidi al-Saddadi ( )رحمه اللهqui était issue de la Madyaniyya et qui
se diffusa dans le Jerid au sud de la Tunisie. Pareil pour la Dahmaniyya de Sidi al-Dahmani ( رحمه
)اللهainsi que pour la Mahdawiyya de Sidi al-Mahdawi ()رحمه الله, qui est un grand Wali, disciple
de Sidi Boumediene, et qui devint ensuite un des principaux maîtres de son temps, avec sa propre
voie issue de Sidi Boumediene. Sidi 'Abdelaziz al-Mahdawi a d'ailleurs été un des maîtres de Sidi
Muhiyddin Ibn al-'Arabi ()رضي الله عنهم. Le Sheikh al-Akbar vint deux fois à Tunis le visiter et il
lui dédia son ouvrage le plus célèbre, les Futuhat al-Makkiyya.
Dès son vivant, Sidi Boumediene ( )رضي الله عنهeût un rayonnement sans précédent dans
l'ensemble de l'Afrique du Nord et l'Andalousie et même jusqu'en Égypte. Ses enseignements se
sont répandus très rapidement à l'ouest comme à l'est. Des maîtres tels que le Sheikh al-Akbar Ibn
al-'Arabi ()قدس الله سره, bien qu'il ne l'ai pas rencontré physiquement, le cite à de nombreuses
reprises dans ses écrits, il le considérait comme un de ses maîtres et l’appelait “le maître des
maîtres” ou “Notre Sheikh et Imam”. D'après lui, Sidi Boumediene était, dans la hiérarchie des
Awliya', celui que nous nommons l'Imam de la gauche, qui est toujours appelé 'Abd al-Rabb, celui
qui, dans la hiérarchie, vient juste après le Ghawth ou le Qutb, et il aurait accédé à la Qutbiyya une
ou deux heures avant son décès.
Il forma un nombre de maîtres qu'il serait difficile de calculer tant ils furent nombreux.
Sa voie se diffusa pendant plusieurs siècles. Parmi ceux qui l'ont diffusé, les plus célèbres sont Sidi
'Abderrazaq al-Jazuli, Sidi Abû Muhammed Salih al-Majiri, Sidi Malik Baqqiwi al-Rifa'i, Sidi
Muhammed Ibn Harazem «Petit-fils de Sidi 'Ali Ibn Harazem», Sidi Ahmed Mawrawi, Sidi Abû
Moussa s-Sadrati, Sidi 'Abdelwahhab al-Hindi, Sidi Ahmed ibn Makhluf al-Shabbi, Sidi Ahmed
Tibbasi, Sidi 'Ali Ibn Maymun al-Fassi qui plusieurs siècles plus tard a diffusé la voie de Sidi Abû
Madyan en Syrie et en Turquie. Ensuite la branche Fassiya de cette voie a réussi à pénétrer la Syrie,
le Liban et la Palestine grâce à l'excellent disciple de Sidi 'Ali al-Fassi, Sidi Muhammed Khawatiri
et ses successeurs Sidi 'Ali Ibn 'Arraq et Sidi Alwan Hamawi. - qu'Allah soit satisfait d'eux tous ! -
C'est à son époque même et sous ses recommandations que certains de ses élèves partaient ouvrir
leur ribat dans d'autres régions afin de diffuser sa voie, tel que le Sheikh 'Abd er-Razzaq al-Jazuli (
)رحمه الله, qui était l'un de ses plus proches élèves. Il s'établit à Alexandrie et y a eut énormément de
succès, tout la ville fut rapidement acquise à ses enseignements, il forma des maîtres dans plusieurs
autres villes et régions. Comme Qena ou encore Luxor où des grands maîtres comme le Sheikh Sidi
'Abderrahim al-Qena'i et le Sheikh Sidi Abû l-Hajjaj al-Luxory ( )رضي الله عنهمqui furent aussi des
maîtres de la voie de Sidi Boumediene.
Comme nous venons de le voir, ce courant spirituel devint pour l'Occident musulman un véritable
modèle de soufisme, qui influença la quasi totalité des maîtres qui vinrent après lui. Il prépara
l'arrivée des grandes voies, qui elles aussi étaient empreintes de l'influence de Sidi Boumediene.
Des dizaines de centres soufis naquirent par ses élèves et leurs élèves. Par eux, sa voie devint aussi
très populaire en Palestine, en Syrie et au Liban jusqu'en Turquie. Certains des ribats
d'enseignement Madyanite ont perduré pendant quelques siècles. Nous voyons, quelques siècles
plus tard au Maroc, Sidi Ibn 'Abbad ( )رحمه اللهrecevoir l'enseignement de Sidi Abû Madyan auprès
du célèbre Wali Sidi el-Hadj Ibn 'Ashir ( )رضي الله عنهde Salé, ou encore le Sheikh Sidi Muhammed
Ibn Sulayman el-Jazuli ( )قدس الله سرهêtre initié à la voie Madyanite au ribat de Safi, mais la
plupart si ce n'est tous, ont fini par disparaître ou se fondre dans la Shadhiliyya car non seulement
les enseignements de Sidi Boumediene se retrouvent parfaitement dans la Shadhiliyya mais aussi
cette tariqa s'implanta d'abord dans les mêmes contrées que la voie de Sidi Boumediene, elle
bénéficia d'elle, comme une continuité ou une évolution, les régions où la population était familière
aux enseignements Madyanite, étaient naturellement propices à la diffusion de la voie Shadhilite.
D'ailleurs selon certaines sources, Sidi Moulay 'Abdessalem Ibn Mashish, le maître de Sidi al-
Shadhili ()رضي الله عنهم, aurait aussi été un disciple de Sidi Boumediene, soit physiquement soit de
manière Uwayssi.
Mais, bien que Sidi Boumediene ( )رضي الله عنهinfluença de nombreux Shuyukh Shadhili, et que
les principes des deux courants soient parfaitement en accord, la voie de Sidi Boumediene n'est pas
pour autant l'ancêtre direct ou officiel de la voie Shadhilite, l'une n'est pas issue de l'autre. La
Shadhiliyya est tout à fait indépendante, avec une silsila propre à elle où ne figure pas Sidi
Boumediene. Certaines silsilat ont toutefois ajouté son nom, mais il est connu que l'héritage
spirituel reçut par Sidi Ibn Mashish vient avant tout de Sidi 'Abderrahman al-Madani al-Hassani (
)قدس الله أسرارهم.
Selon le Sheikh al-Akbar ()قدس الله سره, les stations principales de Sidi Abû Madyan étaient le
scrupule et l'humilité. Il avait le don d'intuition et de lecture des âmes. Il connaissait la
physiognomonie, le sens profond et les correspondances des formes, des attitudes et des gestes avec
l'état présent et futur de la nefs, au point de pouvoir annoncer, en voyant un de ses élèves remuer, ce
qu'il deviendrait vingt ans plus tard. [Mawaqi']
« Un de ses élèves s'était disputé avec sa femme et songeait à la répudier. Le maître vit sa colère et
son intention écrite sur son burnous. Le prenant à part à la fin du cours, il lui dit : ﴾Garde pour toi
ton épouse et crains Allah﴿ [Qur'an S.33-V37]... Comment l'un d'entre vous peut-il se laisser aller à
la colère au point de casser sa propre vaisselle comme tu l'as fait cette nuit ? Remplace ce que tu as
cassé et ne recommence plus. »
[Cette anecdote est rapporté dans le “Bighiat ar-Ruwwad” de Sidi Yahia Ibn Khaldun, et dans le
Bustan de Sidi Maryam esh-Sherif el-Meliti.]
Il avait réalisé au plus haut degré la station où l'on sait entendre partout et comme il convient, la
Parole d'Allah. [Mawaqi']
Un homme vint le voir dans une de ses assemblées pour le dénigrer. L'homme voulait lui soumettre
une lecture du Qur'an. [...]
Sidi Abû Madyan lui demanda pourquoi il était venu, l'homme lui répondit que c'était pour s'inspirer
de ses lumières.
Sidi Boumediene lui demanda :
— Qu'as tu dans la manche de ton vêtement ?
L'homme répondit : Un Qur'an
Sidi Abû Madyan lui demanda de le sortir, ce qu'il fit et il lui demanda ensuite de l'ouvrir et de lire
la première ligne, que ça le concernait et c'était : ﴾Ceux qui avaient traité Shu'ayb de menteur
disparurent comme s'ils n'y avaient jamais habité. Voilà les perdants﴿
Sidi Abû Madyan lui dit :
— Est-ce suffisant ainsi ?
[Tashawwuf]
Beaucoup de prodiges sont rapportés à son sujet. Sidi Muhammed Ibn 'Ali al-Ansari a dit :
« Sidi Abû Madyan a formé mille disciples entre les mains de chacun desquels est apparu un
prodige. ». Cependant il n'a pas manqué de rappeler que les prodiges ne doivent pas être ce qui nous
intéresse, il a dit : « Celui qui porte attention aux prodiges est comme un adorateur d'idoles...»
Dans le livre Ruh al-Quds fi munasahat al-nafs, Sheikh Muhyiddin Ibn al-'Arabi ()قدس الله سره
rapporte une anecdote qui lui est arrivé en présence du Sheikh Abû Yaqub Ibn Yakhlef al-Qumi al-
Abbasi ()رضي الله عنه, qui fut un élève et un compagnon de Sidi Boumediene. Le Sheikh était à
cheval, il dit à notre maître Ibn 'Arabi et à son compagnon de le suivre jusqu'à Muntabar, une
montagne à environ une heure de Séville. Sheikh Ibn al-'Arabi dans son ouvrage raconte le trajet
puis ce qu'ils firent à Muntabar puis il raconte qu'au départ de la montagne : « Il (le Sheikh) monta
sur son cheval et je courrais à côté de lui, m'accrochant à son étrier. En chemin, il m'a parlé des
vertus et des karamat d'Abu Madyan. J'étais tout ouïe, et je m'oubliais complètement, gardant
constamment les yeux rivés sur son visage. Soudain, il me regarda et sourit et, il fit accélérer son
cheval, et m'a donc fait courir encore plus vite pour pouvoir le suivre. J'ai réussi à le faire.
Puis, il s'arrêta et me dit :
« Regarde ce que tu as laissé derrière toi. »
Le sol était recouvert d'épines.
Il dit : « Regarde tes pieds ! »
Je les ai regardés et je n'ai vu sur eux aucune marque d'épines.
Il dit : « Regarde tes vêtements ! »
Sur eux aussi je n'ai rien trouvé. Puis il me dit : « Cela vient de la baraka engendrée par notre
conversation sur Sidi Abû Madyan - qu'Allah soit satisfait de lui ! - alors, mon fils persévère sur le
chemin spirituel ! »
Ensuite, il a fait accélérer son cheval et m'a laissé derrière. » [Fin de citation]
Sa parole était si émouvante que les oiseaux s'arrêtaient en plein vol pour l'entendre. Mais il ne se
laissait pas aller aux facilités. Il avertissait bien ses disciples qu'il ne suffisait pas de faire de belles
phrases, que l'effort s'imposait pour trouver le chemin.
*******
Quelques-uns de ses Hikam :
« Le véritable maître, c'est celui qui te forme par sa façon d'être, t'éduque par son simple silence, et
dont l'illumination éclaire ton intérieur »
« Laisse ce monde à qui le cherche, et toi, cherche ton Seigneur. »
« C'est la corruption du peuple qui enfante les tyrans et c'est à la corruption des grands qu'est due
l'apparition des fauteurs de troubles. »
« Qui ne meurt pas ne saurait voir le Vrai »
« Qui se connaît soi-même ne se laisse pas séduire par les flatteries. »
« Celui qui regarde les créatures avec concupiscence perd l'expérience et le profit qu'il pourrait tirer
d'elles. »
« N'arrive pas à la liberté parfaite celui qui doit encore quelque chose à son âme. »
« Le cœur n'a qu'une direction, quand il la prend, il s'éloigne des autres. »
« Quand la vérité apparaît, elle fait tout disparaître. »
« Parmi les signes de la sincérité de l'aspirant dans son aspiration est sa fuite des créatures, et parmi
les signes de la sincérité dans sa fuite des créatures est sa présence au Vrai, alors que parmi les
signes de la sincérité dans sa présence au Vrai est son retour vers les créatures. »
Poème :
Ce bas monde nous pèse quand vous nous êtes absents
Et, mue par le désir, notre âme vers vous tend.
Mort est votre distance, et vie votre présence.
Un temps vous nous quittez, sitôt nous péririons
Vous partez nous mourons, vous venez nous vivons
Et s'il nous vient de vous promesse de voir sitôt nous renaissons.
À défaut de vous voir, nous vivons de votre mémoire.
Oui, le souvenir des Amis, est notre réconfort.
Vos signes sont-ils absents, notre cœur les perçoit,
Fussions-nous en éveil ou livrés au sommeil.
*******
Sidi Ibn al-Zayyat al-Tadili a dit dans son Tashawwuf : Je tiens de Muhammed Ibn Ibrahim al-
Ansari qu'il avait entendu Abû Madyan raconter : “Un homme pieux vint me voir et me dit : J'ai vu
hier en songe un grand cercle réunissant des soufis, parmi lesquels était Abû Yazid al-Bistami, Dhul
Nun al-Misri et d'autres Shuyukh. Ils étaient sur des chaires de lumière, Abû Talib al-Makki était sur
une chaire élevée et Abû Hamid al-Ghazali sur une chaire en face de lui. Abû Talib interrogeait ces
soufis, et chacun répondait en fonction de ce qu'il savait. Abû Talib dit à Abû Hamid : Où sont
cachées ces sciences qu'Abû Madyan dispense ici-bas ? Abû Hamid lui répondit :
Il est à ta droite, interroge le !.
Abû Talib demanda : Ô Abû Madyan, parle-moi de ta vie.
Il (Sidi Boumediene) répondit :
Dans le mystère de Sa vie, ma vie est apparue. À la lumière de Ses Attributs, mes attributs se sont
éclairés. Dans Sa Pérennité a duré ma royauté, et dans Son Unicité s'est anéanti mon désir. Le
mystère de Son Unicité est dans Sa parole : « La ilaha illa Allah ».
Tout ce qui existe est une lettre qui vient dans un sens, et par le sens sont apparus les lettres, et par
Ses Attributs est décrit tout qualifié. En Son Nom sont vainqueurs tous ceux qui réussissent. Toutes
Ses œuvres sont solides, et Ses créatures Lui reviennent parce qu'Il est le Créateur, Celui qui les a
mis en existence. Il est leur principe et leur fin, de même qu'Il leur a donné existence comme
atomes. Il a dit : Ne suis-je pas votre Seigneur ?
Ils répondirent : Oui, Abû Talib, Il est le moteur de ton existence, Celui qui parle et qui retient. Si tu
regardes en vérité, la créature n'est rien, l'existence se tient par Lui, Son ordre dans Son royaume est
éternel, Son pouvoir sur Sa créature est général, comme le pouvoir des esprits sur les corps. Par Lui
sont apparus les sens dans leur diversité, dont la langue pour l'argumentation, et avec cela une chose
ne Le distrait pas d'une autre
Abû Talib lui demanda : D'où tiens-tu cette science, Abû Madyan ?
Il répondit :
Quand Il m'a assisté dans Son mystère, Il a puisé un fleuve de Sa mer, Il a rempli mon existence de
lumière, Il a produit absence et présence, Il m'a abreuvé de boisson et de pureté, Il a ôté de moi
égarement et tromperie. Ses lumières ont enveloppé ma nature, et j'ai vu le Subsistant par le
Subsistant.
[Fin de citation]
Comme le lui avait annoncé Sidi Abû Ya'za, Sidi Abû Madyan, à Béjaïa a eu une épouse Africaine
avec qui il eut un fils, il est nommé Sidi Abû Muhammed 'Abd el-Haqq, il était doué de double vue,
à l'âge de sept ans, il avait annoncé : Je vois dans la mer tel bateau, il se passe ceci et cela... Et
quelques jours plus tard, les navires arrivaient à Béjaïa et l'on constatait l'exactitude de la
description. Quand il lui fut demandé comment il voyait ces choses, il dit que c'était quand son père
était présent et qu'il le regardait, mais que s'il n'était pas là, il ne voyait rien. [Futuhat]
Les sources Égyptiennes, notamment l'Imam Sha'rani ( )رضي الله عنهqui lui consacre une notice
dans ses Tabaqat al-Kubra, disent que son fils se nommait Madyan et qu'il fut inhumé en Égypte.
Son maqam est un lieu de ziyara connu, il se trouve dans la mosquée de Sheikh 'Abd al-Qadir al-
Dashtuti ()رحمه الله.
L'Imam al-Nabulusi ( )رضي الله عنهdit que son fils, Madyan, vint s'installer en Égypte l'année du
décès de son père. Sa fille Fatima serait la mère du célèbre Sherif et Pôle Sidi Ahmed al-Badawi (
)رضي الله عنهde Tanta en Égypte.
Son hagiographie se trouve dans de nombreux livres, un des plus anciens est le célèbre Tashawwuf
de l'Imam Ibn al-Zayyat al-Tadili qui lui consacre une notice. Plusieurs ouvrages traitant de sa
biographie sont aussi parus en français.
Sîdî Abû Madyan al-ghawth ( )قدس الله سرهmourut dans les environs de Tlemcen, en l'an 594 de
l'Hégire (1198) à plus de 70 ans.
Le calife almohade Ya'qub al-Mansur l'avait convoqué à Marrakech afin qu'il s'entretienne avec lui.
Pendant le voyage pour se rendre à cette convocation, Sidi Boumediene ( )رحمه اللهest tombé
malade et il est décédé non loin de la rivière Ysser au lieu dit Aïn Taqbalet, près de el-Eubbad à
proximité de Tlemcen. Il fut enterré à el-Eubbad. Ses funérailles ont été largement commémorées
par les habitants de Tlemcen et depuis, il est considéré comme le saint patron et le protecteur de la
ville. Plus tard, un mausolée a été construit par ordre du souverain almohade, Muhammed al-Nasir.