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Autisme, Corps Et Psychomotricité. Approches Plurielles

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Table des matières
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LISTE DES AUTEURS 15

AVANT-PROPOS 17
Les concepts du soin psychomoteur 19
Les psychomotriciens et les recommandations de la Haute Autorité
de la Santé 20
Autisme et soin psychomoteur 21
Les neurosciences et les troubles du spectre autistique 23
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Le corps et l’esprit 25
L’approche psychomotrice 26

PRÉSENTATION DE L’OUVRAGE 29

CONSIDÉRATIONS PRÉALABLES. AUTISME : UN DÉBAT PASSIONNÉ QUI A BESOIN D’ÊTRE RAISONNÉ 31


Julie Lobbé et Tiphanie Vennat
Pourquoi est-ce si compliqué de parler d’autisme ? 31
Une confrontation par le biais de la justice ou des médias 31
Les différents courants 32
Le courant psychanalytique, 32 • Le courant
cognitivo-comportemental, 33 • Des présupposés archaïques, 34
4 TABLE DES MATIÈRES

Notre démarche 35
Clinique et développements croisés : Le cas d’Isabelle 35
Eléments diagnostiques, 35 • Eléments du profil psychomoteur, 35 •
Dynamique de la prise en charge, 36 • Analyse des limites et proposition
thérapeutique, 37
Le projet : au-delà du débat, pour une approche clinique sensible
et observatrice 37
Dépasser le clivage, 37 • Collaborer, 38 • Pour une psychomotricité
hybride, 38
Annexes 40
Annexe 1, 40 • Annexe 2, 41 • Annexe 3, 42
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PREMIÈRE PARTIE
LES ÉMOTIONS

1. Vignette 45
Julie Lobbé

2. Analyses psychomotrices 47
Bernard Meurin
Les deux modalités expressives de l’émotion 47
Petit détour par William James 48
Émotion et autisme 49
Conclusion 50

3. Identifier les émotions 51


Julie Lobbé
Le mouvement émotionnel 51
La sécurisation 52
La sécurisation humaine, 52 • La sécurisation matérielle, 52
Propositions de prises en charge 53
Le travail en collaboration avec l’école, 53 • Le travail avec la famille, 54
Conclusion 55
Table des matières 5

4. Abraham, un parcours d’exil émotionnel 57


Tiphanie Vennat
Le corps, terre d’asile 58
La psychomotricité comme lieu d’expérience du sensible 59
Conclusion 61

5. Éprouvés corporels et émotions 63


Sylvie Gadesaude

6. Synthèse 67
Julie Lobbé
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DEUXIÈME PARTIE
L’ORALITÉ

7. Vignette 71
Bernard Meurin

8. Intégrer la sphère orale 73


Bernard Meurin
Intégration de la zone orale dans le développement sensori-moteur 73
Sabine ou la difficulté à faire face aux situations de repas 75
Le relais oral 76
Conclusion 76
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

9. Neurodéveloppement et stimulation de la zone orale 77


Julie Lobbé
Les différentes facettes de l’oralité 77
La facette neurodéveloppementale, 77 • La facette corporelle, 78 • La
facette psychique, 78 • La facette communicationnelle, 78 • La facette
relationnelle, 79
Propositions de prise en charge 79
La sollicitation globale du corps en relation, 79 • La stimulation orale, 80
Conclusion 81

10. L’impossible tétée 83


Tiphanie Vennat
6 TABLE DES MATIÈRES

11. Une bouche seule, ça n’existe pas 89


Sylvie Gadesaude
La cavité primitive, dedans/dehors et plaisir 89
La bouche, lieu de rencontre avec un premier objet 91

12. Synthèse 93
Bernard Meurin

TROISIÈME PARTIE
L’AXE DU CORPS
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13. Vignette 97
Tiphanie Vennat

14. Analyses psychomotrices 99


Tiphanie Vennat
L’axe corporel d’Amaury, une verticale vide 99
Une recherche d’axe corporel en montagnes russes 100
Au pied de la montagne : le travail au sol 100
A la conquête de l’axe : gravir la montagne 102
Repousser, 102 • Monter et descendre, 103
Conclusion 103

15. Amaury et la question de l’axe corporel 105


Bernard Meurin
Approche sensori-motrice de l’axe corporel 105
Axe corporel et clinique psychomotrice 107
Conclusion 108

16. L’axe psychique 109


Julie Lobbé
L’axe corporel, pilier de la motricité 109
L’axe corporel comme révélateur psychique 110
Propositions de prises en charge en psychomotricité 111
De l’ancrage du bassin à la libération des mouvements
et de la sensorialité, 111 • La mise en sécurité et le portage, 112
Table des matières 7

Signes cliniques de l’axe corporel 113

17. L’axe et « l’écorce » 117


Sylvie Gadesaude
L’écorce solide 118
L’écorce liquide 120
L’écorce gazeuse 121

18. Synthèse 123


Tiphanie Vennat

QUATRIÈME PARTIE
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LES MAINS

19. Vignette 127


Sylvie Gadesaude

20. Analyses psychomotrices 129


Sylvie Gadesaude
Motricité fine et schéma corporel 129
Motricité fine et image du corps 131
Conclusion 133

21. Expériences 135


Julie Lobbé
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Des bases favorables à l’expérience des mains 135


La relation tonico-émotionnelle, 135 • La quête d’autonomie, 136
L’expérience des mains 136
La main au regard de la sensorialité, 136 • L’utilisation fonctionnelle de
la main, 137 • La main comme vecteur de communication, 138
Propositions thérapeutiques 138
Des activités sensorielles, 138 • Une structuration et une valorisation des
activités, 138
Conclusion 139
8 TABLE DES MATIÈRES

22. À propos de Lucie : le thème des mains 141


Bernard Meurin
Pourquoimémainelfonsa ? 141
La psychomotricité pour augmenter la puissance d’agir et de penser 142
Le point de vue sensori-moteur 143
Conclusion 144

23. La main, interface entre soi et le monde : de la fusion à la séparation 145


Tiphanie Vennat
La main au profit de la fusion 146
La main au profit de la séparation 146
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La médiation danse comme une main tendue 148
Conclusion 149

24. Synthèse 151


Sylvie Gadesaude

CINQUIÈME PARTIE
LA CONTENANCE

25. Vignette 155


Bernard Meurin

26. Arthur ou la recherche des fonctions contenantes 157


Bernard Meurin
Quelques mots sur « l’axe de développement sensori-moteur » 157
Arthur, l’espace du torse et l’espace du corps 159
Conclusion 160

27. Contenance et cohérence centrale 163


Julie Lobbé
La comodalité sensorielle 163
La cohérence centrale et ses conséquences 164
Particularités, 164 • Les conséquences dans les relations avec
l’environnement, 165 • Les conséquences développementales, 165
Table des matières 9

Propositions de prise en charge 166


Adaptation du milieu : vers une unité environnementale, 166 • Travail de
l’enroulement : vers une unité corporelle, 166 • Travail de la prise
d’informations : vers une unité cognitive, 167
Conclusion 167

28. Contenance et incontenances 169


Tiphanie Vennat
L’expérience de la naissance ou la perte de l’enveloppe contenante 169
Les « incontenances » d’Arthur 170
Le travail de la contenance en psychomotricité 171
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D’une réalité clinique complexe à l’idéal thérapeutique : le difficile chemin
vers la contenance 172
Conclusion 173

29. Une contenance thérapeutique 175


Sylvie Gadesaude
Contenance physique et contenance psychique 175
Clinique de la contenance 177
Une contenance à travers le cadre de la séance, 177 • Une contenance à
travers la capacité de penser du thérapeute, 178 • Une contenance
propre qui se construit dans les échanges pendant séances, 179

30. Synthèse 181


Bernard Meurin
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SIXIÈME PARTIE
L’ENVELOPPE

31. Vignette 185


Tiphanie Vennat

32. Faire peau neuve, une difficile séparation 189


Tiphanie Vennat
L’enveloppe commune 189
L’enveloppe interne 189
Sacha et l’enveloppe percée 190
10 TABLE DES MATIÈRES

La défense autistique comme enveloppe palliative 191


L’enveloppe en séance de psychomotricité 191
Le toucher sensoriel de la peau commune, 191 • Les jeux d’exploration
de l’enveloppe interne, 192
Conclusion 193

33. Sacha et les enveloppes 195


Bernard Meurin
L’autonomie ça n’existe pas 195
Au niveau du langage 196
Au niveau corporel : 196
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La concrétude du corps 197
Conclusion 198

34. L’enveloppe : place de la sensorialité 199


Julie Lobbé
Enveloppe et sensorialité 199
L’enveloppe comme interface, 199 • Hyposensibilité proprioceptive, 199
Enveloppe et psychisme 200
Parenthèse linguistique 201
Propositions de prises en charge 202
Apports sensoriels et prévisibilité, 202 • La médiation du cheval, 202
Conclusion 203

35. Enveloppe et représentations 205


Sylvie Gadesaude
Enveloppe et cadre thérapeutique 206
La première rencontre, 206 • Groupe et enveloppe, 207
Mise en représentation des enveloppes corporelles : de la perception
à la représentation 207
Des enveloppes perceptives..., 207 • ...Aux enveloppes représentées, 208

36. Synthèse 209


Tiphanie Vennat
Table des matières 11

SEPTIÈME PARTIE
L’ATTENTION CONJOINTE

37. Vignette 213


Sylvie Gadesaude

38. Inventer et tisser à deux 215


Sylvie Gadesaude
Fondements théoriques 216
À la recherche de l’attention conjointe avec Hugo 217
Un objet à partager par le jeu, 217 • Une histoire à tisser, 218
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39. À propos de l’attention conjointe 221
Bernard Meurin
Attention conjointe : De quoi s’agit-il ? 221
Attention conjointe et imitation 223
Attention conjointe et autisme 224
Conclusion 224

40. L’attention conjointe, une fonction cognitive qui convoque l’autre ? 225
Julie Lobbé
Analyse psychomotrice 225
Lien avec le développement du langage verbal, 226 • L’attention
conjointe dans l’autisme, 227
Propositions thérapeutiques 227
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Le jeu, 228 • La communication concrète, 228


Conclusion 229

41. Hugo et l’autre : deux mondes disjoints 231


Tiphanie Vennat
La quête du partage 231
Le travail de l’attention en psychomotricité 232
Vers une attention conjointe 233
De la solitude du symptôme au conjoint de la relation thérapeutique, 233
• L’ailleurs partagé de la danse, 233

Conclusion 234
12 TABLE DES MATIÈRES

42. Synthèse 235


Sylvie Gadesaude

HUITIÈME PARTIE
DISCUSSIONS FINALES

CONCLUSION PAR BERNARD MEURIN 239


De la psychanalyse à la phénoménologie 239
De la phénoménologie à l’approche sensori-motrice 240
De l’approche sensori-motrice à Spinoza 240
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Bilan : Le travail d’écriture 241

CONCLUSION PAR JULIE LOBBÉ 243


Des constats 243
Une histoire, 243 • Le contexte français, 244 • Un débat et de réelles
différences, 245
Des méthodes 245
L’intégration sensorielle, 245 • Le programme TEACCH, 246
Les limites de la psychanalyse et de l’éducation structurée 247
La psychanalyse, 247 • L’éducation structurée, 249 • Les atouts de la
psychanalyse et de l’éducation structurée, 249
Des expériences 251
Les analyses des co-auteurs, 251 • C’est quoi la psychomotricité ?, 251 •

C’est quoi l’autisme ?, 252 • Un futur, 252


Bilan 254

CONCLUSION PAR TIPHANIE VENNAT 257


Comment je conçois l’autisme : mes modes d’approche 257
Dans la gangue, il y a des pépites, 257 • La question de l’autre, 257 •
Le travail des restes, 258 • Une question de vie ou de mort, 259 • La
question sensible du référentiel théorique, 260
Ce que la pratique de la danse contemporaine enseigne à la pratique
psychomotrice auprès d’enfants autistes 262
L’épure, 262 • La polymorphie des corps, 263 • Le sol, 263 • Le principe
chorégraphique de la répétition, 266 • L’improvisation et la
composition, 266
Table des matières 13

Le mot en psychomotricité 267

CONCLUSION PAR SYLVIE GADESAUDE 269


Une approche développementale commune entre psychomotricité et autisme 269
Une approche épistémologique commune, 269 • Le processus
maturationnel de de Ajurriaguerra (1980) et le processus autistisant
d’Hochmann (2007), 270 • Une approche psycho-pathologique pour
rendre compte de dysfonctionnements dont l’expression est corporelle ou
relationnelle., 271
Une réalité clinique : il n’y a pas un mais des enfants autistes (Golse, 2013) 271
Jouer avec les enfants autistes, un travail d’incarnation 276
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Bilan 279

CONCLUSION PAR ÉRIC W. PIREYRE 281


L’engagement corporel du psychomotricien 281
L’importance du dialogue tonico-émotionnel (DTE) 284
Le triptyque sensations-émotions-représentations 285
Le développement psychomoteur 286

BIBLIOGRAPHIE 291
Liste des auteurs
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Ouvrage dirigé par :

Éric W. PIREYRE
Psychomotricien clinicien. Il a exercé en services de pédiatrie et néonatologie.
Son exercice professionnel est désormais consacré à la pédopsychiatrie. Il est
formé au bilan sensori-moteur A. Bullinger. Il enseigne la psychomotricité à l’ISRP
Paris, dans les IFP de la Pitié-Salpêtrière, Lille, Mulhouse et Rouen. Il a publié
plusieurs ouvrages et préside l’Association Française de Thérapie Psychomotrice.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Avec la participation de :

Sylvie GADESAUDE
Psychomotricienne. Elle exerce maintenant en cabinet libéral après avoir tra-
vaillé en Externat Médico-Pédagogique. Elle a obtenu un Diplôme Universitaire
de psychopathologie des troubles des apprentissages à l’Université Paris VI
Pitié-Salpêtrière. Lauréate du prix Michel Sapir en 2013, elle enseigne la psycho-
motricité à l’ISRP Paris.

Julie LOBBÉ
Psychomotricienne. Elle a exercé en cabinet libéral, en EHPAD et en SESSAD-
Autisme à Paris, parallèlement à des activités de formation à l’Institut Supérieur
16 L ISTE DES AUTEURS

de Rééducation Psychomotrice (Paris). Elle s’oriente ensuite vers la pédagogie et


devient cadre de santé-formateur puis directrice pédagogique de l’Institut Inter
Régional de Psychomotricité de Mulhouse.

Bernard MEURIN
Psychomotricien au CHRU de Lille dans le service de pédopsychiatrie. Après
avoir exercé en CMP, il rejoint l’Unité d’Évaluation Diagnostique en lien avec le
Centre Ressources Autismes « ex Nord-Pas de Calais », d’abord auprès d’enfants
puis également d’adultes. Il est chargé de cours dans plusieurs Instituts de
Formation en Psychomotricité à Lille et à Paris. Formé au bilan sensori-moteur
André Bullinger, il intègre l’équipe pédagogique au Bilan Sensori-moteur au sein
de l’Institut de Formation André Bullinger (IFAB). Il est aujourd’hui coordinateur
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de la formation lilloise. Il s’oriente progressivement vers la réflexion éthique
et obtient un Master II de philosophie dans la spécialité « éthique du vivant »
à l’université Charles De Gaulle. Il intègre alors la commission consultative de
l’Espace Ethique du CHRU de Lille. Aujourd’hui il poursuit ses études de philoso-
phie en cycle doctoral à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne sous la direction
du Professeur Jean-François Braunstein. Il a participé à plusieurs publications
collectives dont : La théorie spinoziste et ses usages actuels (sous la dir. de C.
Jaquet), Le Corps sans limites (sous la dir. de A. Cambier), L’enfant autiste et son
corps (sous la dir. de F. Joly) ainsi que La psychomotricité entre psychanalyse et
neurosciences (sous la dir. de N. Girardier).

Tiphanie VENNAT
Psychomotricienne et danseuse. Elle a obtenu un Master International en Psycho-
motricité et s’intéresse à la question de la douleur en danse dans une perspective
phénoménologique. Lauréate d’une bourse du Ministère de la Culture (dispositif
ARPD du Centre national de la danse), elle réaffirme la pertinence du travail
psychomoteur en ce domaine. Elle travaille aujourd’hui en Externat Médico-
Pédagogique et dans une unité de soin pour enfants souffrant de pathologies
neurologiques acquises. Elle enseigne la pratique de la danse comme médiation
psychomotrice à l’ISRP Paris. Elle publie régulièrement dans la revue Évolutions
Psychomotrices et a récemment participé à la rédaction du Manuel d’enseignement
de la psychomotricité.
Avant-propos
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LE CAS D ’A LI

Ali a huit ans. Il participe très volontiers à sa prise en charge psychomotrice avec moi.
Depuis plus d’un an, il montre son intérêt pour ce rendez-vous hebdomadaire. S’il
est sensible à mes propositions, il lui arrive fréquemment de faire preuve d’initiative.
Ce jour-là, il s’assoit d’emblée sur une chaise placée perpendiculairement au bureau.
Comme il ne s’exprime pas verbalement, je me mets à sa disposition pour un temps
d’échange par la médiation corporelle. Ce que nous, les psychomotriciens, appelons
le dialogue tonique. Je suis donc en face de lui, assis moi aussi sur une chaise. Je sais
que son mode de communication favori, en séance, implique ses mains. Je lui tends
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donc les miennes dans une invitation au contact. Ali accepte mon geste et pose ses
mains sur les miennes. Dès lors, je décide de mettre en place les conditions d’une
écoute « psychomotrice » : attentif à à ses réactions affectives, à ses émotions (car
je le sais parfois en difficulté de régulation en ce domaine) et aux miennes, à nos
perceptions, à nos échanges possibles de regard et à toute manifestation de son
comportement qui signifierait un inconfort ou une demande d’arrêt de cet échange.
Le dos de ses mains est posé au creux des miennes. Je guette les variations toniques
possibles car elles signifieraient une modulation de la communication. Une envie ou
une initiative.
Je fais le choix de ramener ses deux mains l’une contre l’autre entre les deux miennes.
Ma proposition est acceptée. Je suis soulagé car j’ai eu l’impression d’avoir pris un
risque.
18 A VANT- PROPOS

D’ailleurs, je sens les mains d’Ali se détendre entre les miennes. Ses avant-bras s’af-
faissent légèrement et son souffle change. Là, je suis très étonné car Ali respire d’ha-
bitude très mal. Il garde constamment un gros volume d’air dans ses poumons, n’uti-
lisant que quelques productions sonores et inexpressives pour évacuer une courte
expiration.
Il se détend. Moi aussi.
Je prends un peu d’assurance et commence à imprimer un léger mouvement de nos
quatre bras. Un balancement rythmique latéral. D’abord d’amplitude faible puis allant
en s’accentuant.
Les bras d’Ali suivent ma proposition. Ses jambes qui se balançaient encore il y a
quelques instants s’immobilisent... J’accentue encore le mouvement avec l’idée de
nous décoller tous les deux de la chaise et de passer en position debout. Sa respiration
restant calme et un sourire apparaissant, je mets à exécution mon projet.
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Nous nous levons ensemble. Reliés par nos mains, nous faisons quelques pas
ensemble. Tout le corps d’Ali me dit son acquiescement. La communication entre
lui et moi s’avère excellente. Je m’enhardis et le fais monter sur le plateau de bois
que j’avais préalablement disposé dans la salle. Face à la fois au miroir et au
ventilateur en fonctionnement. De la sorte, je table sur un ensemble de sollicitations
sensori-motrices synchrones et acceptables pour Ali : un ressenti proprioceptif et
vestibulaire par les sauts que je vais l’encourager à expérimenter sur le plateau, l’air
du ventilateur sur sa peau et son reflet dans le miroir (car je sais que cette proposition
lui a déjà convenu par le passé). Je compte beaucoup également sur ma présence
bienveillante et un contact corporel constamment à l’écoute de mon patient.
Comme prévu, il se met à sauter à pieds joints. Puis à rire. Les vibrations du plateau
sont fortes et jouent leur rôle vestibulaire. Je prends la parole :
« Oh, Ali, comme tu sautes haut ! Tu as l’air de bien t’amuser ! Continue, je suis avec
toi. »
Poursuivant son activité, Ali module par moments. Il varie son orientation sur le pla-
teau, expérimente donc le souffle de l’air sur d’autres endroits de son corps et perd un
peu le contact visuel avec le miroir. Il éprouve de fortes perceptions et je lui témoigne
de ce qu’il vit. De la sorte, des liens peuvent se créer entre les perceptions et la
communication avec une autre personne. Ainsi va le développement psychomoteur
classique...
Il prend des initiatives. Ses mains toujours dans les miennes, je me contente de le
suivre dans ses envies. Nous sommes toujours dans un vrai moment de communica-
tion. Je ressens dans mon corps et mon esprit notre présence commune. De l’attention
conjointe.
Tout à coup, il se met à tourner sur lui-même et lève les bras. Je vais devoir m’adapter
car la situation ne permet pas de maintenir tel quel le contact. Je décide de lâcher
brièvement ses mains pour les placer au-dessus des siennes. La paume de mes mains
touche le bout de ses doigts tendus. Je ne tourne pas mais lui si. Il vire autour de son
axe corporel. Il prend conscience de la sorte d’une partie de son corps. Je prends la
Avant-propos 19

décision de parler à Ali de ce qu’il est apparemment en train de vivre. Mon objectif
est d’inscrire par la parole ce ressenti dans l’esprit de l’enfant :
« Tu tournes autour de toi-même ! Ça fait comme une ligne ! »
À la fin de la séance, Ali partira content et droit comme un i.
L’équipe soignante remarquera la démarche légèrement modifiée d’Ali et la lui verba-
lisera à son tour.
Cette séquence, banale en psychomotricité, est très révélatrice d’une certaine approche de
l’enfant avec autisme. Puisque tel est le thème de notre ouvrage commun, j’ai trouvé
intéressant de commencer par une illustration clinique. Avant de vous proposer
d’autres aspects de notre métier. Le soin psychomoteur en est un.
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L ES CONCEPTS DU SOIN PSYCHOMOTEUR

Détailler mes intentions et mes projets pour Ali, dans cet épisode clinique,
pourrait nous conduire à réfléchir à la nature du fonctionnement sensoriel de
l’enfant avec autisme, du dialogue tonico-émotionnel, de la disponibilité psy-
chocorporelle empathique du psychomotricien, de la prise de conscience et de
l’image du corps et de la notion de soin.
Car je suis tout entier impliqué dans cet échange relationnel, corporel et psy-
chique avec Ali. Mon tonus s’adapte à l’enfant. Mes émotions participent de
la situation. Je propose mais il dispose. Cette fois-là, je l’accompagne vers
la découverte de son axe. J’interviens donc sur la construction de l’image du
corps de cet enfant. Car l’axe du corps est la représentation psychique de la
colonne vertébrale. Et c’est ma présence psychique et corporelle qui assure cette
« transformation ».
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Voilà l’idée de cet ouvrage collectif. Montrer ce que des psychomotriciens peuvent
proposer comme travail auprès d’enfants et d’adolescents avec autisme. Notre
profession fournit pour cela les efforts nécessaires pour que les interventions
psychomotrices s’accordent aux modalités recommandées pour la prise en charge
des enfants et adolescents avec autisme. Voyons ce que dit la réglementation
en vigueur en ce domaine.
20 A UTISME , CORPS ET PSYCHOMOTRICITÉ

L ES PSYCHOMOTRICIENS ET LES RECOMMANDATIONS


DE LA H AUTE A UTORITÉ DE LA S ANTÉ

En 2012, la HAS a publié, en matière d’autisme, un texte important qui donne des
directions fortes. En résumé, voici celles qui concernent les psychomotriciens :
! L’autisme se caractérise par des perturbations des interactions sociales réci-
proques, des communications et comportements à caractère restreint, répétitif
et stéréotypé.
! Le projet proposé à l’enfant et à sa famille doit être personnalisé, les soins
visent à favoriser l’épanouissement personnel, la participation à la vie sociale,
l’autonomie et la qualité de vie.
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! Les parents sont associés à la prise en charge éducative mais aussi thérapeu-
tique s’ils le souhaitent.
! Les interventions des professionnels visent à améliorer la communication,
le langage, les interactions sociales et les domaines (...) sensoriel, moteur,
émotionnel et le comportement.
! Des stratégies intégrées sont utilisées pour prévenir ou réduire la fréquence
ou les conséquences des comportements problèmes et pour limiter les risques
de sur- ou sous-stimulation.
! Il est important de prendre en compte les goûts et les centres d’intérêt des
patients, de faciliter l’expression de leurs choix et préférences, de prendre en
compte l’expression verbale ou non verbale de l’adhésion ou de l’opposition
de l’enfant/adolescent. Et d’être attentif aux signaux donnés par l’enfant, d’y
être réceptif et réactif et de partir dans la mesure du possible des activités,
désirs et intentions de l’enfant lui-même plutôt que de systématiquement
imposer par l’apprentissage d’un comportement décidé a priori sans obser-
vation préalable de la personnalité de l’enfant ou sans chercher à saisir les
occasions de coopération ou de coordination avec lui.
! Il est recommandé d’écouter à tout moment le patient, de l’associer à sa prise
en charge, de l’observer en continu dans tous les moments de sa vie (dans le
cas d’un lieu de vie), de procéder à des évaluations de la communication non
verbale, des émotions (reconnaissance et expression), de l’attention conjointe,
de l’imitation, de la fréquence d’initiation de la communication, de la mémoire,
de l’attention et de la représentation de l’espace et du temps.
! Il est important de repérer des réponses inhabituelles à certaines expériences
sensorielles tactiles, proprioceptives, auditives, visuelles ou gustatives et de
Avant-propos 21

porter attention aux acquisitions motrices globales, fines et visuo-manuelles,


à la régulation du tonus et au schéma corporel (connaissance du corps).
! Mener des actions directes auprès de l’enfant ou de l’adolescent, faire connaître
les particularités de leur fonctionnement aux personnes qui s’occupent d’eux,
proposer un cadre relationnel sécurisant, recourir à des interventions précoces,
globales et coordonnées et utiliser des réponses variées permet de concourir
au bien-être et à l’épanouissement personnel du patient.

Les prises en charge psychomotrices sont donc recommandées par la HAS. Les
interventions peuvent être thérapeutiques et concerner des fonctions ne se déve-
loppant pas spontanément (ex : attention, fonctions sensorielles et motrices,
langage, mémoire, reconnaissance et gestion des émotions etc.). Le dévelop-
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pement de la communication nécessite qu’une relation individuelle s’établisse
progressivement par l’attention et la disponibilité que l’adulte témoigne à l’en-
fant/adolescent, à partir de ses centres d’intérêt. Elle doit, le cas échéant, être
accompagnée d’outils de communication alternative, type PECS ou autres.
Il y a par ailleurs « accord d’experts » pour les approches qui permettent d’expé-
rimenter des situations de partage, tour de rôle, attention à l’autre [...], prises
en compte des pensées et intentions de l’autre afin d’aider l’enfant à anticiper,
prévoir, comprendre l’autre, généraliser et apprendre. Une aide thérapeutique est
recommandée pour « gérer l’anxiété, l’agressivité, les comportements problèmes,
la dépression ».
Le soin psychomoteur est une réponse au handicap autistique. Comment doit-il
se positionner ?
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A UTISME ET SOIN PSYCHOMOTEUR

À l’heure actuelle, plus personne ne conteste l’origine neurodéveloppementale


de l’autisme. La littérature est riche pour soutenir cette hypothèse. Si les débats
restent vifs en France entre les différents champs de connaissance et d’accompa-
gnement de ces enfants et adultes handicapés, il est évident que la profession
de psychomotricien a un rôle très important à tenir. Mais si elle est existentielle-
ment plurielle, elle doit constamment s’adapter aux évolutions des connaissances
et des pratiques. Née de la neurologie, de la psychiatrie, de la pédagogie et
de la psychologie, elle ne peut renier ses origines. Il lui est structurellement
impossible de « s’affilier » à la théorie dominante du moment, quelle qu’elle soit.
22 A UTISME , CORPS ET PSYCHOMOTRICITÉ

Ni d’utiliser quelque technique que ce soit dans un but autre que psychomoteur.
Ce faisant, elle serait en danger de mort.
Par conséquent, les psychomotriciens doivent être et sont divers. Et c’est une
bonne chose car toutes sortes de patients, quels qu’ils soient, réclament toutes
sortes de psychomotriciens. Pour autant ces derniers gardent entre eux une
cohérence dans leurs approches et dans les principes actifs des soins qu’ils
proposent. Et aucun type de patient ne peut être accompagné de façon univoque
à tout moment de sa vie. Aucune prise en charge ne convient à tous et tous
requièrent des approches différentes selon les périodes de leur vie.
C’est aussi le cas des patients avec autisme. En ce domaine, aucune voie d’abord
ne peut se dire toute-puissante. Aucun psychomotricien ne peut s’affirmer en
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capacité d’accompagner favorablement et à coup sûr tous types de patients.
Certains patients avec autisme doivent être soignés et tous doivent bénéficier
d’un accès au savoir dans la mesure de leurs capacités.
C’est pourquoi il est important d’expliquer comment travaillent des psychomotri-
ciens auprès de leurs patients avec autisme. Des psychomotriciens et non pas
les psychomotriciens. Les quatre collègues qui se sont donné cette belle mission
d’explication et de transparence sont tous très différents dans leur exercice
professionnel. S’ils ne représentent pas « la profession de psychomotricien »
(mais est-ce possible ?), ils s’appliquent au quotidien à aider leurs patients de
toutes leurs forces corporelles et psychiques. Ils s’impliquent personnellement
très loin et très profondément avec toute la passion possible. Et leurs résultats
sont excellents, on le verra au fil de chacun de leurs textes.
Quant à l’aspect neurodéveloppemental de l’autisme, je souhaite montrer les
compétences et les connaissances des psychomotriciens en ce domaine. Si de
nombreux collègues savent que les études menant au diplôme d’état durent
trois ans, peu en connaissent le contenu. Rares sont ceux qui sont au fait du
programme d’études et des niveaux de savoir des professionnels formés actuelle-
ment. Particulièrement en neurosciences. J’utiliserai donc ici, en introduction,
certaines références pour exposer un pan de notre savoir et pour appuyer notre
ouvrage commun. Les données exposées peuvent parfois, mais pas toujours,
paraître un peu anciennes mais leur intérêt est de se confirmer les unes les
autres.
Avant-propos 23

L ES NEUROSCIENCES ET LES TROUBLES


DU SPECTRE AUTISTIQUE

Voici une première synthèse proposée par Valeri et Speranza (2009) :


« Les personnes avec autisme présentent une activation anormale du gyrus fusi-
forme, l’aire cérébrale impliquée lorsque nous regardons un visage [...] Il existe
des anomalies structurelles dans les régions cérébrales corrélées avec le système
des neurones miroirs, impliqué entre autres dans les mécanismes empathiques [...]
Des retards de maturation au niveau des lobes frontaux, des anomalies sérotoniner-
giques dans le cortex préfrontal, des anomalies dans le cortex préfrontal ainsi que
des anomalies dans le cortex orbito-frontal ont été mises en évidence [...] Dans
les épreuves de mémoire de travail spatiale, on a mis en évidence une réduction
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d’activation du cortex préfrontal dorso-médian [...] Les déficits des fonctions
exécutives sont en lien avec des anomalies précoces du fonctionnement du lobe
temporal médian [...] Les lobes frontaux sont en intégration dysfonctionnelle avec
le reste du cerveau. On constate d’ailleurs un retard de maturation postnatale des
lobes frontaux et une réduction de la connectivité fonctionnelle des lobes frontaux
avec d’autres aires corticales et sous-corticales [...] Les déficits des fonctions
exécutives peuvent être considérés comme une explication théorique valide de la
symptomatologie autistique [...] On connaît la moindre activation de la région
préfrontale médiane chez les patients présentant un syndrome d’Asperger. »

Voici ce que disent Perrin et Maffré (2013) :


« Il existe de nombreux dysfonctionnements cérébraux [...] Le cortex cérébral des
personnes avec autisme présente des singularités neuro-anatomo-fonctionnelles
[...] On a découvert des anomalies amygdalo-hippocampiques dans le cerveau des
sujets avec autisme [...] Il y a un hypodébit métabolique au niveau des lobes
préfrontaux [...] Un défaut d’activation métabolique au niveau du gyrus fusiforme
et du gyrus temporal supérieur de l’hémisphère gauche est observé [...] Le dévelop-
pement cérébral dans l’autisme semble marqué par une phase initiale de croissance
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excessive suivie d’un ralentissement relatif [...] On fait des hypothèses à propos
d’anomalies de la migration neuronale, du corps calleux, du septum lucidum, de
certains ventricules (dilatation)... [...] Il y a chez les personnes avec autisme une
augmentation du volume cérébral par rapport aux sujets contrôle (ce phénomène
est fonction de l’âge de l’enfant) [...] Il y a une plus grande réduction du volume de
la substance grise et de l’épaisseur corticale par rapport aux sujets contrôle après
l’âge de 2 à 4 ans. Les variations de volume cérébral ne concernent pas forcément
l’ensemble des lobes cérébraux [...] Le volume de la région du cortex cingulaire
antérieur, des gyri temporaux supérieur et moyen (perception et analyse des stimuli
acoustiques) est modifié [...] Le volume de l’amygdale (avec réduction à un âge
plus avancé) augmente précocement [...] On constate un excès de croissance du
volume des vermis cérébelleux [...] Il y a une diminution du volume du thalamus
(on y voit une absence de progression des connexions cortico-thalamiques) [...]
On observe une forte influence de l’activité de l’amygdale (support des émotions)
sur le cortex dorso-médian [...] On constate un défaut de spécialisation des aires
24 A UTISME , CORPS ET PSYCHOMOTRICITÉ

impliquées dans le traitement des visages [...] A l’IRM, on cerne des anomalies
structurelles et fonctionnelles et une connectivité aberrante entre amygdale, gyrus
temporal supérieur, gyrus fusiforme et cortex préfrontal [...] Il y a des modifications
de la trajectoire de croissance cérébrale chez les sujets avec autisme, suggérant
un trouble précoce du développement. »

L’Inserm, pour sa part, remarque :


« Une diminution de la densité neuronale, de la taille des neurones et de l’ar-
borisation dendritique dans plusieurs structures limbiques du cerveau antérieur
(hippocampe, amygdale, septum médian). Une diminution de la taille des cellules
granulaires et surtout une diminution du nombre des cellules de Purkinje dans la
partie postérieure du cervelet (mais cette recherche repose sur un petit nombre de
sujets). »
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Rousselle (2009) apporte les précisions suivantes :
« Il y a absence de développement des systèmes inhibiteurs centraux [...] On voit
une accumulation anormale de la substance blanche dans le cerveau (très marquée
dans le cortex préfrontal). Cela serait dû à un ralentissement de la mort neuronale
postnatale [...] La communication entre les structures corticales serait bloquée. »

Enfin, Gepner (2012) constate :


« Un défaut de la migration cellulaire dans l’autisme [...] Des défauts d’expression
du récepteur au GABA (entraînant une hyperexcitabilité dans les réseaux neuronaux
et un désordre du filtrage des stimuli de l’environnement extérieur mais aussi intrin-
sèque) ainsi qu’une anomalie de la différenciation et de la migration des neurones
[...] La diminution de la mort neuronale et/ou l’augmentation de la prolifération
neuronale, la migration cellulaire altérée avec des désordres de la cytoarchitec-
tonique corticale et sous-corticale, la réduction de la taille des neurones et la
synaptogénèse altérée [...] La sous-connectivité entre les régions antérieures et
postérieures du cerveau [...] Les anomalies des voies cérébello-thalamo-corticales
au cours de tâches d’apprentissage visuo-moteur ».

On peut synthétiser toutes ces données en suspectant fortement une mauvaise


construction du cerveau dans l’autisme. Des anomalies plutôt corticales sont
rapportées. Ces anomalies sont peut-être liées à la structure même du cortex mais
aussi à une connectivité aberrante entre les différentes zones corticales et entre
certaines zones corticales et sous-corticales. Un exemple typique concernerait
les relations entre amygdale et cortex. L’hippocampe est une zone corticale
habituellement massivement reliée à l’amygdale. Normalement l’hippocampe
exerce une fonction inhibitrice sur l’amygdale dont le rôle est de déclencher
des réactions rapides face à un danger. Normalement également, l’hippocampe,
structure impliquée dans la mémorisation, inhibe ou module l’intervention de
l’amygdale en procédant à une comparaison entre le stimulus dangereux actuel et
les souvenirs de situations analogues. Si besoin, l’hippocampe inhibe ou diffère
Avant-propos 25

la réaction amygdalienne. De la sorte, le comportement est adapté à la situation.


Si amygdale et hippocampe s’avèrent mal reliés, les réactions impulsives de
passage à l’acte seront valorisées et le sujet avec autisme se trouvera dans
l’incapacité de recourir à des comportements adaptés en cas de stimulation
émotionnelle de peur. D’où la notion de passages à l’acte soudains et parfois
relativement « violents ».
Une autre hypothèse serait de prendre en compte les dysfonctionnements de
certaines structures corticales dans l’autisme ainsi que le fonctionnement plutôt
adéquat, lui, de la plupart des noyaux sous-corticaux. De la sorte, on pour-
rait comprendre certains aspects du fonctionnement sensoriel dans l’autisme
comme la prédominance des systèmes archaïques décrite par Bullinger (2004).
Les systèmes sensoriels archaïques sont appelés ainsi car anciens dans le déve-
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loppement de l’espèce. Ils sont plutôt sous-corticaux. Ils sont matures à la
naissance. Leur prédominance se traduit, entre autres, par des réactions d’alerte
et d’orientation en cas de stimulation. Prise en compte de la distance et trai-
tement de l’information sont impossibles. Les anomalies de fonctionnement ou
de structuration corticale rendent impossible ou inadaptée la mise en place
des systèmes sensoriels corticaux récents. La relation à la sensorialité de la
personne en est totalement bouleversée par rapport au sujet dit classique. Les
systèmes sensoriels récents permettent une perception plus élaborée du monde.
Somatotopie et nuance sensorielle en sont deux exemples.

L E CORPS ET L’ ESPRIT

La prise en compte des particularités sensorielles du patient avec autisme


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relève d’autant plus du travail des psychomotriciens que les processus sensoriels,
toniques et émotionnels sont structurellement intriqués. Cette intrication a
été reconnue par la loi qui, par la promulgation du décret de compétences
de 1988, devenu depuis l’article R 4332-1 du code de la Santé Publique,
attribue aux psychomotriciens la prise en charge, entre autres, des « troubles
tonico-émotionnels et relationnels et des troubles de la représentation du corps
d’origine psychique ou physique ». Les outils à utiliser sont évoqués également
par le décret de 1988. Il s’agit de :
➙ stimulation psychomotrice ;
➙ techniques de relaxation dynamique ;
➙ éducation gestuelle ;
➙ expression corporelle ou plastique ;
26 A UTISME , CORPS ET PSYCHOMOTRICITÉ

➙ activités rythmiques de jeu, d’équilibration et de coordination ;


➙ techniques d’approche corporelle.
Toutes ces données confirment, s’il en est besoin, que le psychomotricien est un
professionnel des liens entre le corps et l’esprit. C’est ce qu’il convient d’appeler
une approche intégrative, notion généraliste qui indique clairement qu’il n’est
pas question pour les praticiens d’utiliser tel mode d’approche ou tel autre sans
se l’approprier en vue d’objectifs établis spécifiquement pour UN patient donné
et sans prendre en compte les relations corps/esprit de cette personne unique.
L’objection de l’usurpation des connaissances, qui consiste à affirmer que les
psychomotriciens ne sont ni des neuroscientifiques ni des spécialistes de la
psychologie – au sens très large – ni de la pédagogie, est parfois avancée. S’il
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est vrai que la formation initiale dispensée en IFP n’est pas celle d’un doctorat
en psychologie ou neurosciences, les volumes horaires d’enseignement donnent
la possibilité de comprendre et de maîtriser les notions abordées par ces champs
de connaissance et de les transcrire dans la pratique clinique quotidienne. C’est
justement cette capacité – qui permet de penser les liens entre le corps et l’esprit
– qui a rendu les psychomotriciens indispensables dans toutes les structures
sanitaires et médico-sociales de France.
Un certain aspect des liens corps/esprit est observable justement dans le fonc-
tionnement du système sensoriel humain. Car la transformation des sensations
en perceptions, atteinte dans les pathologies autistiques, se joue sur ce terrain.
La reconnaissance et l’appropriation de ses émotions et de sa tonicité – et donc
de ses mouvements – par le bébé au cours de son développement également.

L’ APPROCHE PSYCHOMOTRICE

Cantonner un psychomotricien à l’approche instrumentale de son patient, y


compris porteur d’autisme, ne peut que le mettre en décalage avec son décret de
compétences. Aborder le patient en dehors de la globalité, c’est-à-dire en délais-
sant ce qu’on appellera ici le « système affectif », conduit à laisser de côté la
problématique de la pathologie des liens entre le corps et l’esprit, problématique
totalement partie prenante du système affectif. C’est à ce titre que l’angoisse
éventuellement reliée à la représentation du corps doit être tôt ou tard prise en
compte.
Prenons l’exemple de la peau. Système et organe sensoriel très riche à elle seule,
elle ne représentera une délimitation du corps que si elle est construite dans ses
Avant-propos 27

aspects sensori-moteurs décrits par Bullinger et rappelés ici par Bernard Meurin.
La représentation affective de la peau se met en place également dès les débuts
de la vie. Elle s’appelle l’« enveloppe » et cette enveloppe est considérée de
façon particulière chez les personnes avec autisme. Or, disposer d’une enveloppe
contenante est nécessaire pour se représenter soi-même comme un sujet et
acquérir une identité. Or, pour construire une enveloppe pérenne et solide, il est
nécessaire de maîtriser l’espace de la pesanteur, introduit par Bullinger et équi-
valent à la possibilité d’effondrement tonique. Tout clinicien psychomotricien sait
que c’est en surmontant les vécus subjectifs d’effondrement que le patient avec
autisme se construira son enveloppe corporelle. Pour l’accompagner vers cela,
les approches peuvent être diverses mais reposeront toujours surtout sur une
relation adaptée prenant en compte les caractéristiques tonico-émotionnelles
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de la personne. Il peut être nécessaire de procéder surtout par une aide à
l’instrumentation sensori-motrice de la peau, toujours en prenant cet exemple,
et/ou encore en mettant en place une relation de qualité qui s’appuiera sur des
médiations bien choisies, ciblées et entraînant l’adhésion du patient en sorte
d’obtenir sa confiance et développer la capacité de ce dernier à s’étayer sur son
psychomotricien pour expérimenter ensemble – c’est crucial – des sensations de
tous ordres.
Nos quatre auteurs occupent des terrains variés et qui, tous, vont d’une approche
plutôt sensori-motrice à une intervention principalement appuyée sur la commu-
nication et le partage-mise en mots des ressentis corporels, sensoriels, moteurs
et émotionnels, des patients en passant par une adaptation raisonnée et per-
sonnalisée des méthodes éducatives. Nos quatre auteurs se réfèrent chacun(e)
à sa façon à des conceptions théoriques précises mais toujours variées. Ainsi,
le lecteur trouvera matière à sa réflexion en butinant ici et là des éléments
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de phénoménologie, de sensori-motricité, de psychomotricité (bien sûr), de


pédagogie, de méthodes éducatives et de psychologie au sens large. Tous ces
champs ne visent qu’à un seul objectif : comprendre au mieux les comportements
et l’expressivité corporelle des patients pour ajuster le plus précisément possible
les paroles humanisantes et « soulageantes ». La créativité est une arme par
essence psychomotrice.
Comme dans tous les autres corps de métier concernés, aucun des quatre auteurs
ne détient la vérité de l’enfant, aucun n’est plus adapté que les autres à s’occuper
de tous les enfants présentés ici. Seule compte leur efficacité auprès de leur
patient. Celui-ci étant par nature unique, il requiert toutes les compétences de
présence, de qualité tonico-émotionnelle, de respect et de lucidité de son(sa)
psychomotricien(ne).
28 A UTISME , CORPS ET PSYCHOMOTRICITÉ

Précisons enfin que les soins psychomoteurs présentés ici s’intègrent évidemment
dans des projets de soin global portés par des institutions (souvent plusieurs)
proposant notamment l’emploi des méthodes éducatives et autres thérapies
cognitivo-comportementales, ainsi que des outils de communication alternative,
conformément aux recommandations de la HAS et dans le respect du libre choix
du patient et de sa famille. Tous les enfants décrits ici bénéficient également
d’un enseignement adapté à leurs possibilités, en classes classiques ou adaptées.
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Présentation de l’ouvrage
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Pour commencer et pour aider le lecteur à faire des liens entre les différents
modes de pensée et d’approche du patient avec autisme, Julie Lobbé et Tiphanie
Vennat ont rédigé des considérations préalables qui posent le thème de l’ouvrage
et mettent en regard de nombreux concepts utilisés par des champs d’exercice
différents. Car il est vrai que les diverses méthodologies de prise en charge uti-
lisent chacune leur vocabulaire. Les concepts afférents sont souvent les mêmes
et il était intéressant de le constater.

Nos parties concernent sept « parties du corps » ou fonctions corporelles. Le parti a été
pris de se cantonner à sept parties pour ne pas hypertrophier notre ouvrage déjà fort
chargé. Le choix des thèmes a été fait collectivement en fonction des indications les
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plus fréquentes en psychomotricité.


! Les émotions sont présentes de façon permanente dans la vie humaine. Il était donc
naturel que l’ouvrage débute par ce thème.
! La sphère orale, l’axe du corps et les mains sont des constructions – des instrumenta-
tions sensori-motrices infiltrées par l’affectivité – structurantes dans le développement
psychomoteur. Ce sont des étapes successives qui impliquent, chacune à leur façon,
le tonus, le mouvement et la sensorialité.
! La contenance est une fonction importante pour les psychomotriciens. Son acqui-
sition a pour conséquence de maîtriser l’espace de la pesanteur et de construire
l’enveloppe corporelle comme dit plus haut.
! L’enveloppe est une acquisition cruciale pour devenir sujet. Ce concept est l’un des
plus important pour les psychomotriciens.
! L’attention conjointe est l’une des idées qui transcende les clivages théoriques.
Lorsqu’un enfant a atteint cette possibilité, il est en route pour une communication
...
30 P RÉSENTATION DE L’ OUVRAGE

...
de qualité avec son environnement. Malheureusement, les enfants avec autisme ont
des difficultés certaines en ce domaine.

Le choix a été fait de construire les parties de la même façon. Une brève vignette
nous pose la problématique à partir de la situation d’un enfant. Chaque auteur
trace en quelques pages sa compréhension et éventuellement ses propositions.
Une petite synthèse est rédigée enfin pour souligner les apports principaux de
chacun. Nos quatre collègues ont eu à cœur de partager, en discussion finale,
des pans entiers de leur exercice professionnel, chacun ayant, bien sûr, sa propre
expérience de l’enfant et de l’adolescent avec autisme.
D’autres thèmes auraient pu être retenus :
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! Les pieds ou le dos pour les appuis qu’ils représentent
! La respiration, souvent « anarchique » chez les enfants avec autisme
! Les sensations
! Le ventre, la zone molle du corps
Et d’autres encore... Mais nous retrouverons ces zones ou fonctions-là au décours
de nos sept parties.
Considérations préalables

Autisme : un débat passionné


qui a besoin d’être raisonné
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Julie Lobbé et Tiphanie Vennat

P OURQUOI EST- CE SI COMPLIQUÉ DE PARLER


D ’ AUTISME ?

Considérons une réalité : une majorité des prises en charge proposées en


France aux enfants autistes est d’orientation psychanalytique. Or, les méthodes
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cognitivo-comportementales montrent leurs résultats cliniques. Les deux concep-


tions ont chacune une légitimité spécifique, l’une par son implantation et l’autre
par sa visibilité médiatique et ses résultats.

U NE CONFRONTATION PAR LE BIAIS DE LA JUSTICE


OU DES MÉDIAS

Le 20 janvier 2012, un député a déposé un projet de loi visant « l’arrêt des


pratiques psychanalytiques dans l’accompagnement des personnes autistes ».
La même année, la Haute Autorité de santé a qualifié la psychanalyse de méthode
non consensuelle et conseille des méthodes axées sur le comportement.
32 A UTISME , CORPS ET PSYCHOMOTRICITÉ

Le documentaire « le mur » a crée la polémique. Ce film, portant sur l’autisme, a


été condamné pour « atteinte à l’image et à la réputation des psychanalystes ».
Ces derniers plaidaient le fait que leurs propos aient été interprétés par des effets
de montage. Bien que partisan, ce documentaire avait l’avantage de montrer une
réalité : des interlocuteurs crédibles et d’autres beaucoup plus improbables.
Ce rapport de force repose d’une part sur une histoire faite d’oppositions et
d’autre part sur des arguments souvent stériles et caricaturaux qui s’éloignent,
nous semble-t-il, de l’intérêt des patients et de leurs familles.
Ce débat nous amène à une volonté de partage entre deux sensibilités cli-
niques. Nous sommes deux psychomotriciennes ayant adopté l’une et l’autre des
approches données dans l’exercice du métier. Face aux limites de chacune d’elles,
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nous avons pensé la pertinence de l’autre. Plus encore et dans le principe d’in-
terdisciplinarité, nous avons tenté de comprendre ce que l’une pouvait apporter
à l’autre. Face aux débats médiatisés, nous cherchons donc à ouvrir un espace
de communication.
Avant toute chose, il convient de définir ce que nous entendons par les termes
« psychanalyse » et « cognitivo-comportemental ». Il ne peut s’agir de défini-
tions exhaustives dans le cadre de ce chapitre mais nous nous attacherons à
exposer les grands principes de ces courants, leurs conséquences dans notre
pratique de psychomotriciennes et leurs réelles différences.

L ES DIFFÉRENTS COURANTS

Le courant psychanalytique
!

Il met l’accent sur le soin relationnel à apporter aux enfants autistes. Ses
objectifs principaux sont de permettre l’expression des éléments archaïques qui
sous-tendent l’autisme et de favoriser l’évolution de l’image du corps et du Moi
de l’enfant.
Selon Joly (1993), la psychomotricité d’inspiration analytique a plusieurs enjeux
dans la prise en charge de l’enfant autiste. Il faut en premier lieu soulager les
angoisses corporelles de l’enfant pour tenter de modifier les mécanismes de
défense. Ensuite, il est nécessaire d’amener l’enfant à vivre son corps comme
une unité qui est à la base de la construction du Moi. Il s’agit enfin d’inviter
l’enfant à entrer en lien avec le monde extérieur en établissant des aires transi-
tionnelles entre lui et l’objet, c’est-à-dire entre sa vie fantasmatique et la réalité
(Hochmann, 1996).
Autisme : un débat passionné qui a besoin d’être raisonné 33

Le courant cognitivo-comportemental
!

Le terme « cognitivo-comportemental est fréquemment utilisé pour désigner


les méthodes éducatives qui présentent pourtant entre elles de nombreuses
différences. Prenons l’exemple d’ABA et TEACCH.

La méthode ABA utilise le conditionnement opérant. Elle ne sera pas développée car
nous préférons aborder les méthodes que nous pratiquons. Précisons simplement que
l’orientation résolument comportementale de la méthode ABA est critiquée quant à son
adaptation à la subjectivité de l’enfant. Pour autant, elle révèle un réel intérêt dans la
diminution, par exemple, des troubles du comportement.
La méthode TEACCH est une approche reposant sur l’adaptation au fonctionnement
cognitif particulier des personnes avec autisme. Elle est caractérisée par l’implication des
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parents et des enseignants comme partenaires, le travail éducatif et rééducatif indivi-
dualisé, un environnement structuré, la valorisation des habiletés fonctionnelles et l’uti-
lisation de la méthode comportementale dans la gestion des comportements-problèmes.
Pour un psychomotricien, le travail revêt une double dimension : un accompagnement
global et des objectifs précis travaillés par des exercices ciblés nécessitant souvent des
adaptations en termes d’outils visuels.

Les deux approches précédemment décrites présentent de réelles différences en


matière de conception de l’autisme :
➙ L’objet d’étude : Le cognitivo-comportemental est un courant de la psycholo-
gie qui se base sur les comportements observables. La psychanalyse propose
quant à elle des théories sur les processus mentaux, invisibles par nature.
➙ La logique qui sous-tend le traitement : L’approche psychanalytique consi-
dère les angoisses comme la première cause des difficultés de la personne
avec autisme et essaie de les apaiser pour aider l’enfant à investir les appren-
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tissages. L’approche cognitivo-comportementale considère qu’une grande part


des angoisses de la personne avec autisme disparaît quand elle apprend et
maîtrise davantage son environnement.
➙ Les modalités d’intervention : Les thérapeutes d’orientation psychanalytique
recommandent de ne pas sur-stimuler les enfants avec autisme. A contrario,
l’approche cognitivo-comportementale est basée sur la stimulation.
➙ La place donnée à l’évaluation : Les cognitivo-comportementalistes demandent
des traitements à l’efficacité prouvée par des études scientifiques. Les psy-
chanalystes sont plus hostiles à l’évaluation de leur travail, évoquant la
singularité du patient et de sa dynamique psychique.
Nous pensons que ces différences peuvent faire l’objet de débats constructifs.
Or, actuellement, ces courants se limitent à une confrontation.
34 A UTISME , CORPS ET PSYCHOMOTRICITÉ

Des présupposés archaïques


!

Les heurts entre les « psychanalystes » et les cognitivo-comportementalistes


reposent sur une histoire particulière (voir annexes) mais aussi sur des positions
de principe nourries par l’une et l’autre approche. Nous voulons dire en cela que
nous entendons en structure comportementale une assimilation des théories de
Bettelheim et de la culpabilisation des parents à la pensée des psychanalystes.
De même, en structure analytique, des remarques sur le « manque de prise en
compte de l’individu » dans les techniques cognitivo-comportementales sont
fréquentes, alors même que la méthode TEACCH est une technique conçue spé-
cifiquement pour les personnes avec autismes (ce qui n’est pas le cas de la
psychanalyse) et dont le cœur du travail est le projet individualisé de l’enfant.
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Nombreux sont les exemples d’arguments caricaturaux qui abaissent le débat :
« Ces méthodes robotisent les enfants. »
« C’est un dressage qui marche à la carotte. »
« C’est une prise en charge violente. »
« C’est une mode. »
« On force les enfants autistes à rentrer dans le moule d’une société où tout doit
aller vite. »
« La psychanalyse culpabilise les parents. »
« Il n’y a jamais de résultats. »
« La psychanalyse est basée sur de vieilles conceptions lacaniennes et freu-
diennes. »
« Les psychanalystes ne sont pas en rapport avec les réalités du monde. »
« Tout est toujours la faute de la mère. »
Ces arguments caricaturaux et classiques, qui ont pour conséquence de cliver
le débat, laissent entendre qu’il y a de « bonnes » et de « mauvaises » façons
de voir les choses et donc de « bonnes » et de « mauvaises » personnes qui les
pensent. Il est vrai qu’il existe des extrémistes dans tous les courants de pen-
sée. Certains psychanalystes continuent de voir l’autisme comme une psychose
provoquée par des relations trop froides ou trop fusionnelles de l’enfant avec sa
mère et rejettent les arguments neurologiques. De même, certains comportemen-
talistes pensent que l’explication de l’autisme réside dans un dysfonctionnement
génétique dans lequel l’environnement n’a pas de rôle. En réalité, beaucoup de
psychanalystes reconnaissent l’aspect multi-causal de l’autisme et n’accablent
plus les mères. Chez les « cognitivo-comportementalistes », on admet volontiers
Autisme : un débat passionné qui a besoin d’être raisonné 35

que l’expression des signes autistiques est modulée par l’environnement. Un


rapprochement est donc possible.

N OTRE DÉMARCHE

Il ne saurait être question ici d’opter pour l’une ou l’autre méthode et de s’enliser
dans un débat cyclique entre des théories qui sous-tendraient des certitudes,
toutes deux justifiables en termes cliniques puisqu’elles font le choix d’un regard
explicatif. Ici n’est pas le débat. Nous proposons plutôt de recentrer la discussion
sur l’enfant de manière à exposer deux regards cliniques croisés qui se rencontrent
et s’enrichissent en risquant l’ouverture et l’écoute de l’autre. La situation de
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mise en écho des deux pratiques nous paraît en effet plus constructive (voir
annexe 2). Nous ne pensons pas qu’une approche doive s’imposer à l’enfant, dans
un arbitraire, qu’il soit soignant ou éducatif, mais nous pensons que ce doit
être à l’enfant de nous guider vers des choix. Il nous faut entendre une vérité
d’individu et faire en sorte de contribuer à ce qu’elle se révèle.

C LINIQUE ET DÉVELOPPEMENTS CROISÉS :


L E CAS D ’I SABELLE

Eléments diagnostiques
!

Isabelle est une petite fille de 8 ans 1 mois, scolarisée en CE1. Elle bénéficie
d’un suivi au SESSAD en lien avec son diagnostic de Trouble Envahissant du
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Développement non spécifique. L’évaluation met en évidence un trouble de la


communication avec un retard de langage, un profil de développement hétéro-
gène avec un retard des acquisitions sauf en motricité fine, des difficultés de
régulation attentionnelle ainsi qu’une alternance de phases de retrait social ou
d’interactions atypiques et de phases de comportement plus adapté.

Eléments du profil psychomoteur


!

Je rencontre Isabelle alors qu’elle a 6 ans, dans le cadre d’un bilan psychomoteur.
Cette petite fille souriante s’exprime peu verbalement et répond de temps à autre
aux questions. Elle communique principalement en commentant des dessins ou
des supports imagés. Le contact visuel est fluctuant et le contact tactile évité.
36 A UTISME , CORPS ET PSYCHOMOTRICITÉ

Isabelle présente une difficulté de régulation tonique qui pourrait expliquer


les fréquents refus des consignes motrices. Il lui manque l’impulsion tonique
au départ des mouvements. Elle « saute » sans décoller les pieds ou avance le
ballon sans le lancer.
Lors des activités au bureau, nous retrouvons le même contraste. Isabelle montre
des difficultés posturales en oscillant entre hypotonie d’attitude et agitation
motrice. Elle peut aussi refuser passivement de tenir des objets dans ses mains,
dans une hypotonie distale en opposition à la préhension. Isabelle montre peu
d’intérêt pour les activités graphiques lorsqu’elle n’en a pas elle-même fait la
demande mais elle ne présente pas de difficultés de motricité fine : elle accepte
de colorier et montre alors des gestes précis et ajustés.
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Par ailleurs, Isabelle est peu repérée au niveau corporel et temporel. Les parties
du corps sont peu intégrées et Isabelle ne peut donner son âge ou indiquer des
repères temporels simples sur demande (jour / nuit, matin / après-midi, jours
de la semaine).

Dynamique de la prise en charge


!

Lors de la première séance, je propose à Isabelle un travail en lien avec les


conclusions du bilan et étayé par un séquençage visuel de la séance de manière
à la rendre prévisible et donc plus rassurant. Isabelle refuse alors le travail
proposé. Toute proposition d’exercice ou de jeu, même renforcée positivement
par une activité appréciée de dessin ou de coloriage, est ignorée. Je favorise
alors sur plusieurs séances les jeux choisis par Isabelle, à savoir la poupée
et le dessin. Celle-ci commence à s’intéresser à moi et m’adresse de plus en
plus de regards, de paroles et de questions, notamment quand la poupée sert
de support à l’établissement de la relation. Je peux alors aborder les notions
de schéma corporel, de repères spatiaux et posturaux. Adapté et individualisé,
l’apprentissage est de nouveau motivant.
Isabelle exprime également des vécus forts comme lors d’un dessin où elle crie :
« Au secours, je ne peux pas sortir ! » en dessinant un bonhomme entouré d’un
cercle. Après avoir vérifié que cette idée n’est pas issue d’une histoire ou d’un
dessin animé, il est possible de l’entendre comme la projection de la difficulté
de communication de cette petite fille telle un bonhomme prisonnier dans une
bulle. Nous construisons alors des portes pour sortir du cercle et verbalisons les
avantages et les difficultés de sortir de sa bulle. Notamment pour aller vers les
autres.
Autisme : un débat passionné qui a besoin d’être raisonné 37

Par la suite, je réintroduis la structuration sous forme d’images représentant la


poupée et le dessin puis propose de nouvelles activités qui sont progressivement
acceptées. Isabelle peut s’engager dès lors dans des moments d’apprentissage
nécessaires, notamment l’investissement de la motricité générale puis du gra-
phisme.
Cette approche a porté ces fruits puisqu’Isabelle est à présent en CE1 et maîtrise
l’écriture cursive.

Analyse des limites et proposition thérapeutique


!

Il s’agit ici d’écouter l’enfant, de s’engager dans une relation authentique à la


découverte de sa personnalité et de différer les attentes en termes d’apprentis-
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sage. Il s’agit également de convoquer des connaissances qui relèvent davantage
du besoin d’un objet-tiers dans la relation que de la structuration TEACCH.
Néanmoins, nous noterons que, même dans ce contexte relationnel, les principes
de la communication concrète (voir annexe 3) sont appliqués, notamment en
associant l’étayage verbal au support visuel. De même, au fil des séances, la
relation à l’objet-tiers évolue vers des possibilités « d’apprentissage déguisé »
en s’appuyant sur la motivation de l’enfant.

L E PROJET : AU- DELÀ DU DÉBAT, POUR UNE APPROCHE


CLINIQUE SENSIBLE ET OBSERVATRICE

Dépasser le clivage
!
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Le dialogue inter-théorique est avant tout un dialogue interindividuel. Or, il


n’est pas facile d’écouter l’autre développer sa pensée théorique, si elle contredit
la nôtre et met en péril les fondements de notre intervention.
Il est plus simple de rester dans les limites construites autour du cadre insti-
tutionnel, comme une « chape de plomb de pensée » qui tend parfois vers une
véritable « défense identitaire ». C’est bien notre cohérence interne qui est en
cause, et des mécanismes conscients et inconscients puissants vont la défendre.
De plus, la logique de questionnement occasionne un sentiment d’incertitude
moins confortable que de se persuader que la technique que l’on applique est la
meilleure. De même, l’éloquence du matraquage brillamment formulé d’une opi-
nion fixe n’est pas comparable à celui d’un discours d’entre-deux et de dialogue,
perçu comme plus « tiède » et donc moins digne d’engagement.
38 A UTISME , CORPS ET PSYCHOMOTRICITÉ

La prise de distance et l’analyse de notre implication doivent nous aider à


dépasser ces clivages. La mise à distance du débat et la primeur des situations
cliniques nous invitent au dialogue et à la complémentarité. L’autisme n’est pas
l’apanage de ceux qui savent. Si nous laissons les débats stériles aux experts
alors nous pourrons ouvrir un dialogue. C’est dans cet échange que nous exerçons
notre regard de psychomotriciennes en considérant toujours la triple dimension
cognitive, affective et motrice, base de l’enseignement psychomoteur.
Boutinaud (2009) décrit bien l’état d’esprit à adopter en ces temps d’opposition
idéologique et de clivage :
« Nous gardons à l’esprit que ce qui peut contribuer à une meilleure prise en charge
de ces enfants passe forcément par la possibilité de dépasser débats stériles et
enjeux de pouvoir pour tisser ensemble des liens de pensée fertiles. Une telle
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démarche ne s’apparenterait pas à une forme de consensus « mou » ou bien à un
nouveau maniement de la langue de bois visant à occulter tout conflit. Nous pen-
sons plutôt à l’idée d’alimenter débats et échanges et de confronter la spécificité
et l’originalité des concepts et des idées sans les dissoudre pour autant. »

Collaborer
!

La psychomotricité est un véritable pont de communication, un espace transition-


nel entre deux mondes. Concrètement, nous proposons d’ouvrir notre pratique
psychomotrice à ce qui peut l’enrichir. Nous pensons que la psychomotricité peut
se poser comme une tentative de traduction et de mise en lien des discours.
Légitimée par les deux approches, elle peut encourager le consensus par sa force
de proposition.

Pour une psychomotricité hybride


!

Œuvrer pour une psychomotricité hybride, c’est s’ouvrir à d’autres pratiques en


s’entourant d’échanges cliniques constructifs ou en faisant soi-même ce travail
de synthèse théorico-pratique.
Comme l’illustrent nos deux expériences, ce qui a permis de résoudre les difficul-
tés c’est la prise en compte du besoin exprimé par l’enfant. Nous confirmons que
l’écoute sensible est la clé de voûte de notre pratique. Il s’agit dans notre premier
exemple de souligner l’importance de toujours partir de l’enfant et de la création
d’une relation authentique et pas uniquement basée sur des attentes. Dans
notre deuxième exemple c’est la prise en compte du fonctionnement cognitif
particulier de l’enfant et l’adaptation de la communication grâce à un outil visuel
qui a permis de relancer la dynamique thérapeutique.
Autisme : un débat passionné qui a besoin d’être raisonné 39

Sur l’efficacité clinique, cette expérience nous montre qu’il faut être à l’écoute
de l’ambivalence qui nous lie aux patients. Ils n’ont de cesse de questionner nos
orientations théorico-pratiques, nous confirmant ou nous invalidant dans nos
choix cliniques. Par ailleurs, en acceptant les limites de notre cadre thérapeu-
tique, nous avons pu accéder à de nouvelles possibilités de prise en charge. Ces
dernières se sont révélées bénéfiques pour l’enfant.
Nous avons donc réussi à nous ouvrir à de nouvelles orientations cliniques. C’est
l’essence même de notre métier. La psychomotricité est née au carrefour de
nombreuses sciences constituées. Pourquoi donc ne pas assumer cet héritage
d’ouverture ? Dans la psychomotricité, il y a déjà de l’autre, de la rencontre,
de l’émotion et de l’apprentissage. Un « toi et moi », soit deux sensibilités
différentes. Une discipline à la jonction de plusieurs courants doit faire dialoguer
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idées et conceptions.
Pour ainsi concilier les différentes approches de l’autisme, il faut exclure l’idée
d’une vérité absolue mais considérer un handicap complexe dans lequel plusieurs
niveaux d’analyse se chevauchent sans se confondre. D’autres que nous œuvrent
à ce rapprochement. Dans un article publié sur le site web de la CIPPA, Amy
prône un rapprochement des courants psychanalytiques et cognitifs, dans une
vision intégrative (2012) :
« Si je juge que l’approche psychodynamique est d’une aide précieuse pour les
autistes, elle ne suffit pas à elle seule. Mais je pense qu’il en est de même pour
les approches cognitives [...] Les autistes n’ont pas à marcher à cloche-pied, c’est-
à-dire à avancer sur la jambe des cognitions ou sur la jambe des émotions. C’est
lorsque celles-ci avancent de concert que ces personnes réussissent à marcher. Il
faut apprendre, [...] et il faut mettre sur ce que l’on apprend un sens à la fois
cognitif et émotionnel. »
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Ces propositions ont bien sûr besoin, pour être mises en œuvre, d’échos en
termes de formation. Nous conclurons par l’enseignement de Boutinaud (2009) :
« N’oublions pas que c’est ici de modèles dont nous parlons, modèles qui ne
manquent pas de nous servir de support mais qui doivent aussi rester en perpétuel
remaniement, toujours en balance entre la réalité des vécus partagés en séance et
leur analyse éclairée tant par la théorie que par nos ressentis propres. »
40 A UTISME , CORPS ET PSYCHOMOTRICITÉ

A NNEXES

Annexe 1
!

Q UELQUES REPÈRES HISTORIQUES

1963 : Création en France de l’ASITP (Association au Service des personnes Inadap-


tées ayant des Troubles de la Personnalité) qui deviendra Sésame autisme, militant
pour la création d’hôpitaux de jour d’orientation psychanalytique.
1965 : Lovaas utilise le programme ABA (mis au point dans les années 1920) avec
des personnes autistes.
1966 : Schopler crée le programme TEACCH.
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1967 : Parution de l’ouvrage « La forteresse vide » de Bettelheim.
1980 : Création en France de l’Association pour la Recherche sur l’Autisme et les
Psychoses Infantiles (ARAPI).
1989 : Création d’Autisme France, par des parents refusant la psychanalyse, en
opposition avec l’ASITP.
1992 : Création du Réseau International d’Institutions Infantiles R13 par Jacques-
Alain Miller.
1996 : Le Parlement européen adopte une Charte des droits de la personne autiste
en insistant sur les droits à l’éducation et à l’autonomie. En France, la loi Chossy
reconnait l’autisme comme un handicap. L’accent est clairement mis sur les méthodes
cognitivo-comportementales.
2003 : Le comité européen des droits sociaux condamne la France pour non-respect
de l’obligation à l’éducation pour les enfants autistes.
2007 : Le Comité National d’Ethique (CCNE) épingle la France pour « une errance
diagnostique, un déni pur et simple d’accès au choix libre et informé dû à des réti-
cences culturelles » ainsi qu’une scolarisation « fictive » des enfants autistes.
2012 : L’Autisme est désigné Grande cause nationale. En mars, un rapport de la HAS
recommande l’utilisation des méthodes comportementales et éducatives. Il prend ses
distances avec la psychanalyse en la qualifiant de « non consensuelle » et condamne
le packing.
Autisme : un débat passionné qui a besoin d’être raisonné 41

Annexe 2
!

Lexique des équivalents conceptuels

Nous pensons que bien souvent l’opposition entre les courants commence dès
l’emploi de certains termes. Il nous paraît donc important de réfléchir à un
lexique commun et de proposer quelques « traductions » des termes psychanaly-
tiques et comportementaux car les praticiens de part et d’autre utilisent souvent
un vocabulaire différent pour décrire des réalités semblables.
En voici quelques illustrations :

PSYCHANALYSE COMPORTEMENTALISME
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Morcellement Manque de structuration du schéma
corporel et de l’image du corps
Fusion, identité adhésive Besoin de coller à l’adulte, hyposen-
sibilité proprioceptive
Angoisse Fond anxieux, anxiété, stress
Retrait Idem
Rituels Idem
Stéréotypies Idem
Jeu libre Activité spontanée
Démantèlement Manque de cohésion centrale
Clivage vertical Difficultés de coordination et de régu-
lation tonique au niveau axial entre
les hémicorps gauche et droit
Clivage horizontal Difficultés de coordination et de régu-
lation entre les parties supérieure et
inférieure du corps
42 A UTISME , CORPS ET PSYCHOMOTRICITÉ

Annexe 3
!

« Nous ne sommes pas seuls »

U N AUTRE EXEMPLE D ’ OUVERTURE DU DIALOGUE


SUR LA BASE COMMUNE DE L’ EXPÉRIENCE CLINIQUE

Les pratiques peuvent s’ouvrir à un dialogue sur la base commune de l’expérience


clinique. Fondelli, psychologue et formateur cognitiviste, nous fournit un exemple de
sa pratique qui montre que des parallèles peuvent s’établir (formation interne SESSAD,
juin 2012). Il relate son expérience auprès d’un enfant autiste qui paniquait lorsqu’il
devait passer devant un centre équestre en criant « les têtes qui volent ! » Celui-ci s’est
rapidement apaisé après une explication du psychologue et une preuve par l’exemple
concret en montrant à l’enfant le corps du cheval derrière la porte. Celui-ci ne voyait
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en effet que la tête de l’animal.
Cet exemple appelle la notion de vision en 2 ou 3D particulière de la personne autiste
ainsi que la difficulté à repérer des espaces différents et à synthétiser les informations
en un tout cohérent. Pour l’approche psychanalytique, l’angoisse de morcellement et
le concept de la permanence de l’objet sont ici convoqués au premier plan. La logique
d’action est similaire : regarder, interpréter, agir, juger si la réponse a été suffisante en
se basant sur le discours de la personne autiste et en testant à nouveau la situation.
Le même psychologue préconise un mode de communication concret qui repose sur
quelques principes simples : créer un contexte dans lequel nous rencontrons le style de
pensée spécifique d’une personne avec autisme, clarifier les informations et les mettre
en lien avec les motivations du jeune et rendre visible ce qui est invisible, concret
ce qui est abstrait souvent en le traduisant visuellement. Cette méthode nécessite de
réaliser que la personne autiste pense de manière différente et d’être créatif. Car il
s’agit de répondre aux questionnements de la personne dans son individualité. Cet
outil adapté à la personne autiste montre son utilité quel que soit le courant théorique
sous-jacent à son utilisation.

Passons maintenant à nos parties consacrées à des parties ou à des fonctions


corporelles.
PARTIE I

Les émotions
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Chap. 1 Vignette . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
Chap. 2 Analyses psychomotrices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
Chap. 3 Identifier les émotions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
Chap. 4 Abraham, un parcours d’exil émotionnel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
Chap. 5 Éprouvés corporels et émotions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
Chap. 6 Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
Chapitre 1

Vignette
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Julie Lobbé

Les émotions d’Abraham


Anamnèse
Abraham est un adolescent de 12 ans arrivé en France 2 ans plus tôt avec ses grands-
parents. Son père et ses sœurs sont restés au Gabon. À 5 ans, Abraham perd sa mère
victime d’une crise cardiaque. Il bénéficie d’un traitement pour diminuer son agitation
et de prises en charge éducatives, orthophonique et psychomotrice au SESSAD ainsi
qu’une scolarisation en classe adaptée.

Bilan psychomoteur
Lors de notre rencontre, Abraham présente des troubles du comportement qui
semblent liés à une problématique sensorielle. En effet, il stimule son audition (chante,
siffle), le toucher (touche des objets et sa salive), la proprioception (flapping, tape sur
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ses cuisses) et le sens vestibulaire (balancements).


Les activités dynamiques provoquent cris, rires et paratonies. L’examen du tonus pro-
voque beaucoup d’excitation. Si le contact corporel « subi » semble délicat, Abraham
cherche souvent un appui sur des objets ou des personnes. Le schéma corporel est
lacunaire, la représentation du corps rudimentaire et géométrique. Abraham est repéré
dans le temps mais angoissé par les retards et les changements.

Évolution du suivi sur 5 mois


La sécurisation par le dialogue tonique et la structuration visuelle TEACCH
L’envahissement émotionnel ainsi que les besoins sensoriels d’Abraham m’incitent à
proposer un moment de toucher thérapeutique (pressions).
L’hypertonie cède rapidement, l’hémicorps supérieur se détend avec des soupirs de
soulagement. Progressivement, je varie l’intensité des pressions pour susciter la ver-
balisation d’une demande : « plus fort » ou « moins fort » et enrichir son répertoire de
46 L ES ÉMOTIONS

sensations corporelles. Mon ressenti premier est alors celui d’un envahissement d’ex-
citation (je peine à trouver mon équilibre) qui laisse place à un moment où l’échange
ancré dans les corps devient source d’apaisement. Retrait et rire accompagnent la
mobilisation des jambes. Je propose alors à Abraham de le faire lui-même, ce qui lui
permet d’accéder à des sensations mieux régulées. Par la suite, il me demande à
moduler les pressions sur ses jambes. Au bout de plusieurs séances, il dit : « merci ».
La sécurisation par le dialogue tonique permet de travailler la structuration visuelle
matérielle. En effet, angoissé par « ce qui va se passer » il présente de nombreuses
stéréotypies verbales. Le besoin de structuration du temps est manifeste. En réponse,
je propose un Time – Timer (outil permettant de visualiser concrètement le temps et
son écoulement) ainsi qu’un emploi du temps écrit des activités. Ces outils créent un
cadre rassurant permettant une expression croissante, notamment des émotions.
Les émotions verbalisées et le dialogue tonique à l’initiative d’Abraham
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Abraham interroge fréquemment sur la colère : « Untel va être fâché si je fais ça ? »
Très excité, il met sa main sur mon bras et s’apaise instantanément. Son regard se
dirige vers le mien, il sourit. Lorsque je nomme l’émotion (« Tu as l’air content »), il
rompt le contact. Verbaliser l’émotion n’est pas encore possible. Il semble dans le
besoin d’un ressenti non verbal partagé.
Au fil des séances, l’adolescent questionne l’émotion :
« Pourquoi tu souris ?
Parce que je suis contente.
Pourquoi tu es contente ?
Je suis contente de travailler avec toi ».
Abraham sourit lui aussi. Je lui fais remarquer qu’il est, lui aussi, content. Il sourit à
nouveau. Ces progrès ouvrent la voie d’un travail plus éducatif sur la reconnaissance
des émotions primaires et de leur expression sous forme de mimiques.
Des interrogations surviennent. « Est-ce que les mains, elles peuvent se décrocher ? »
Il appuie alors sur les os de mon poignet et demande « c’est quoi ça ? » Je lui montre
les articulations des mains, des bras, du tronc... J’explique et fais sentir la présence
des os, des muscles et de la peau par la manipulation concrète. J’utilise un livre sur
la constitution du corps. Il est passionné. Émerge alors la question : « Est-ce que les
mains peuvent se décrocher quand on est mort ? »

Conclusion
Le suivi d’Abraham reflète l’importance de la sécurisation émotionnelle dans le suivi
d’un adolescent avec autisme. Celle-ci est permise à la fois par le dialogue tonico-
émotionnel et la structuration matérielle du temps. Cette double proposition thérapeu-
tique est dictée par l’hétérogénéité des besoins d’Abraham. Une fois la sécurisation
inscrite comme une réalité corporelle et cognitive, il peut dès lors verbaliser des émo-
tions.
Chapitre 2

Analyses psychomotrices
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Bernard Meurin

Damasio (2001) raconte l’histoire de Phineas Gage, chef d’équipe dans une
compagnie de chemin de fer et chargé de faire exploser la roche pour construire
les voies ferrées. En 1848, une forte explosion accidentelle propulse une tige de
fer « dans la joue gauche de Gage, lui a percé la base du crâne, traversé l’avant
du cerveau, pour ressortir à toute vitesse par le dessus de la tête ». Si Gage a
survécu, il n’en demeure pas moins que sa vie émotionnelle, affective et sociale
en fut très affectée. Débordé par des réactions émotionnelles fortes, il lui était
désormais impossible de raisonner et de s’investir longuement dans une activité.
L’émotion est donc au cœur de notre vie affective et est impliquée dans notre
vie sociale et nos capacités cognitives.
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L ES DEUX MODALITÉS EXPRESSIVES DE L’ ÉMOTION

Dans la situation d’Abraham, nous percevons clairement les deux versants, cor-
porel et représentatif, de l’émotion. Ces deux aspects semblent en décalage en
dépit du fait qu’ils soient tous les deux décrits comme envahissants. Sur le plan
corporel, ce sont des cris, des rires et des paratonies. Sur le plan psychique,
la colère préoccupe Abraham, colère qu’il imagine chez l’autre mais dont nous
pouvons nous demander ce qu’elle signifie réellement pour lui. Face à cette
situation, Julie Lobbé décide de faire une « sécurisation émotionnelle » en
travaillant essentiellement sur les ressentis. Cela permet à Abraham d’affiner
48 L ES ÉMOTIONS

ses sensations jusqu’à pouvoir définir lui-même le gradient de sensibilité qui


lui convient. C’est là une des spécificités de la clinique psychomotrice que de
considérer les sensations comme participant de la mise en sens de l’émotion
et c’est un aspect qui nous semble essentiel avec les personnes autistes. En
effet, c’est souvent la signification psychique de l’émotion que nous cherchons à
comprendre au détriment de la manière dont elle vécue sur le plan sensoriel. Par
exemple, lorsque des enfants se désorganisent quand on les touche, ceci peut
être d’emblée compris comme « ils n’aiment pas être touchés ». C’est la part
affective de l’émotion que nous considérons comme le déclencheur des réactions
corporelles et cela se traduit le plus souvent par des phrases de type « Il n’aime
pas, donc il s’énerve ». Et si dans la pathologie autistique et à la lumière de ce
que nous enseigne Abraham, nous nous autorisions à penser les choses un peu
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différemment ?

P ETIT DÉTOUR PAR W ILLIAM J AMES

James (1932) propose une compréhension de l’émotion intéressante pour la


clinique avec les personnes autistes. Il écrit : « Selon l’idée qu’on se fait de
ces « émotions fortes », nous percevrions d’abord l’objet qui les provoque ; puis
cette perception engendrerait dans l’âme une affection ou un sentiment, qui
serait l’émotion elle-même ; puis enfin, cette affection s’exprimerait dans le
corps, en y déterminant des modifications organiques. » Pour cet auteur, il est
communément admis qu’une perception entraîne une affection mentale donnant
naissance à une expression corporelle. Il poursuit : « Ainsi d’après le sens com-
mun, nous perdons notre fortune, nous sommes affligés et nous pleurons ; nous
rencontrons un ours, nous avons peur et nous nous enfuyons ; on nous insulte,
nous nous fâchons et nous frappons. »

U NE NOUVELLE COMPRÉHENSION DE L’ ÉMOTION

Or, James propose de chambouler la succession des événements constitutifs d’une


émotion. Au lieu d’une chronologie construite à partir :

➙ d’une perception (je rencontre un ours),


➙ d’un fait psychique (j’ai peur),
➙ et d’une réaction corporelle (je m’enfuis),

il propose le schéma suivant :

➙ une perception (je vois un ours),


Analyses psychomotrices 49

➙ une réaction corporelle (je m’enfuis),


➙ un fait psychique (j’ai peur).

Selon cette théorie, « ces modifications [corporelles] suivent immédiatement la per-


ception ; et c’est la conscience que nous en avons, à mesure qu’elles se produisent,
qui constitue l’émotion comme fait psychique ». L’éprouvé corporel anticiperait la
représentation psychique de l’émotion et n’en serait pas qu’une simple conséquence.

Bien sûr la proposition de James, radicale et sûrement critiquable, a l’avantage


de réinterroger notre manière de penser l’émotion. Nous ne dirions pas comme
lui que la réaction corporelle anticipe la représentation psychique – car se sauver
devant un ours présuppose que l’on pressent le danger – mais que la représen-
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tation psychique d’une émotion ne peut se construire que conjointement à un
éprouvé du corps. Comme le précise Julie Lobbé, cet éprouvé ne prend sens que
dans la relation avec autrui au travers du dialogue tonico-émotionnel puisque
c’est dans ce moment de plaisir et d’attention partagé que l’adulte donne sens
aux variations toniques de l’enfant.

É MOTION ET AUTISME

Cette manière de penser l’émotion nous permet d’être attentifs aux réactions
corporelles et aux interprétations possibles. À titre d’exemple, Enki est, 12 ans,
présente des comportements d’automutilation très graves. Il s’arrache les oreilles
ou se frappe le visage. Il a donc la tête couverte de bandage lors de notre pre-
mière rencontre. Pour entamer la relation, je passe un petit ventilateur lumineux
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devant lui, suscitant ainsi une double modalité sensorielle, tactile et visuelle.
Celui-ci se redresse en expirant plusieurs fois bruyamment, il approche son visage
du ventilateur. Cette attitude augmente les sensations désorganisantes chez
Enki. Il se met à geindre et pleurer. Nous pouvons alors légitimement penser
que ce sont, faute de langage verbal, les pleurs qui dénotent le déplaisir d’Enki.
Je choisis de comprendre ces pleurs, non comme un désir d’arrêter ces sollici-
tations, mais comme une réaction corporelle consécutive à la gestion des flux
sensoriels. Dès lors, il ne s’agit pas d’interrompre les sollicitations en imaginant
qu’il les refuse, mais de modifier leur mode de présentation. Ainsi, je passe le
ventilateur non plus devant le visage mais sur les jambes et les bras d’Enki qui
se montre à nouveau attentif et va spontanément rechercher le ventilateur pour
continuer l’activité. Une autre séquence renforce cette hypothèse. Alors qu’il
50 L ES ÉMOTIONS

est assis, je souffle dans une pipe provoquant la levée d’une petite balle de
polystyrène. Enki regarde intensément ce qui se passe, pleurniche et manifeste
des réactions tonico-émotionnelles de type flapping. Puis, l’excitation montant,
il se frappe à plusieurs reprises le visage, ce qui pourrait être perçu comme de
l’auto-agressivité. En prenant les mains d’Enki pour empêcher qu’il se frappe et
en caressant son visage, je verbalise que c’est peut-être sa façon de nous dire
qu’il ressent beaucoup de choses dans son corps. Ses mains libérées, Enki tape
aussitôt dans la balle. Surpris par ce geste, je ressens une émotion que j’exprime
spontanément : « Bravo Enki, super ! » Enki est lui aussi surpris et sensible à
mon plaisir. Il réitère son geste en riant de bon cœur et ce fut l’occasion d’un
réel moment de plaisir partagé.
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C ONCLUSION

Face à certaines réactions tonico-émotionnelles des personnes avec autisme, il


est important de ne pas aller trop rapidement vers une interprétation d’un fait
psychique clairement constitué. En effet, chez les personnes au fonctionnement
sensoriel archaïque, la gestion des éprouvés sensoriels organise les réactions
corporelles. Prendre en compte cette gestion en tant que telle permet souvent
l’instauration d’un dialogue tonico-émotionnel, condition nécessaire au dévelop-
pement des processus intersubjectifs et de la mise en sens. Nous pensons ici à
Cachera (2005) : « Le corps n’a pas à souffrir d’un statut inférieur au langage
car l’agir et la parole soutiennent tous les deux les processus de symbolisation ;
l’agir n’est pas seulement refus de mentalisation, c’est aussi potentialité de
symbolisation. »
Si la référence à James peut sembler anachronique, néanmoins, penser l’émotion
en lien étroit avec les phénomènes perceptifs et sensoriels permet d’éviter de
s’engager trop rapidement dans des interprétations qui souvent nous éloignent
de la dimension sensible dans laquelle se trouvent ces patients.
Chapitre 3

Identifier les émotions


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Julie Lobbé

L E MOUVEMENT ÉMOTIONNEL

L’histoire de la prise en charge d’Abraham nous incite à replacer les émotions


dans le mouvement dans lequel elles s’inscrivent. L’enfant avec TSA peut vivre,
dans une grande solitude, des émotions intenses. De plus, l’adolescence est une
période pulsionnelle où les mouvements émotionnels sont centraux. Favoriser
l’expression émotionnelle est donc crucial
Or, le mouvement d’expression émotionnelle est précédé par la possibilité de
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prendre conscience de ses propres émotions dans lesquelles différents processus


sont à l’œuvre : identification, utilisation, compréhension de leurs causes et
conséquences et expression adaptée (Mikolajcak et Bausseron, dans Gautier,
2016). Saovey et Mayer (dans Saunder, 2007) précisent que le premier processus
d’identification émotionnelle concerne à la fois ses propres sentiments et ceux
des autres par phénomène empathique.
Grandin (2000) explique bien le mouvement émotionnel, de l’intériorité vers
l’autre, dans un mouvement construisant l’empathie. : « Plus j’acceptais de vivre
mes émotions, plus je me mettais à ressentir ce que pouvaient vivre les autres et
à éprouver de la compassion ». C’est bien ce qui semble se passer avec Abraham
qui demande : « pourquoi tu es contente ? »
52 L ES ÉMOTIONS

Il est donc important de reconnaître les émotions et leur lien avec le corps. La
prise en charge passe donc par la reconnaissance des émotions et leur apaise-
ment, de sorte qu’Abraham ose s’engager dans l’action. Cet apaisement prend une
forme corporelle que je propose puis qu’Abraham peut venir chercher progressi-
vement. Il prend également une forme verbale : les mots rassurent et apaisent
parce qu’ils répondent à des questionnements de l’adolescent. Par exemple sur
l’anatomie.

L A SÉCURISATION

La sécurisation humaine
!
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Pour Montagner (2006), l’enfant s’installe sur le versant de la sécurité ou de
l’insécurité selon le milieu dans lequel il évolue. Particulièrement dans les trois
premières années de vie, l’enfant sécure libère ses émotions primaires, préludes
aux émotions secondaires. En effet, selon Boscaini (2007), les émotions sont
classiquement divisées en deux groupes : d’abord, les émotions primaires (joie,
colère, peur, tristesse, surprise et dégout). Universelles et innées, « elles sont
faciles à identifier chez les êtres humains appartenant à diverses cultures ainsi
que dans les espèces non humaines » (Damasio, 2003). Les émotions secondaires
(sympathie, gratitude, admiration, mépris, culpabilité, honte...) apparaissent
plus tard dans le développement. Élaborées sur la base d’émotions primaires,
elles développent la capacité d’adaptation du sujet à son environnement social.
Les émotions d’arrière-plan, enfin, constituent une catégorie supplémentaire
qui donne une tonalité de fond qui définit ce qu’une personne nous inspire :
« enthousiaste, démoralisée, à cran, enjouée » (Damasio, 2003). Les émotions
sont complexes et l’enfant avec TSA a besoin, ici, d’un accompagnement rassurant
et confiant.

La sécurisation matérielle
!

Pour Bensoussan et al (2001), l’émotion revêt plusieurs composantes dont une


dimension d’évaluation cognitive. Pendant la première année de vie, le bébé
donne du sens à son milieu en reconnaissant, classant, appariant et nommant les
choses et les émotions. Ainsi, il paraît essentiel d’aider l’enfant avec TSA dans
les activités de reconnaissance, de classement et de dénomination des émotions.
La méthode TEACCH s’appuie notamment sur des scénarii sociaux dans lesquels
l’enfant doit inférer une émotion à un personnage. Un travail éducatif sur la
Identifier les émotions 53

reconnaissance faciale des émotions est fréquemment proposé et aide l’enfant


avec TSA à identifier le sens des mimiques. J’ai fréquemment observé des enfants
explosant de rire devant la colère de l’adulte. Nous émettons l’hypothèse de la
non-interprétation de l’expression du visage par l’enfant qui trouve juste cette
grimace drôle. Le scénario social peut être proposé en psychomotricité car les
enfants avec TSA peinent à transposer leurs expériences d’un milieu à l’autre en
lien avec des difficultés de généralisation des apprentissages (Barry, 2017). À
cela s’ajoutent les outils de structuration du temps (time-timer et emploi du
temps visuel) qui sécurisent et agissent donc, indirectement, sur le champ des
émotions. La mise en lien des différents acteurs de la prise en charge apparaît
également comme un axe fondamental.
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P ROPOSITIONS DE PRISES EN CHARGE

L’histoire de vie particulière d’Abraham, constituée de nombreuses ruptures (sa


mère décédée, son père et ses sœurs restés au Gabon, le déracinement de son
pays) appelle à constituer des partenariats avec son école d’une part et sa famille
d’autre part.

Le travail en collaboration avec l’école


!

Abraham est scolarisé. Il est donc pertinent d’aborder la question de l’école car
un enfant en situation de handicap est soumis à l’obligation de scolarisation
comme tout autre enfant. La loi 75-534 du 30 juin 1975 (consolidée en juin
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2017) relative à l’orientation en faveur des personnes handicapées précise que


l’Éducation Nationale doit favoriser l’intégration scolaire des enfants présentant
un handicap. La démarche est « (...) un processus d’individualisation à partir de
références collectives sinon le risque c’est d’enfermer définitivement l’élève dans
sa différence » (Cambe, Laurent et Laxer, 2003). Il y a donc nécessité de penser
un projet intégratif, c’est-à-dire commun concernant l’enfant. Ainsi, j’échange
chaque semaine avec l’instituteur d’Abraham et son AVS. Par exemple, un objectif
consiste à ce qu’Abraham cesse de se lever pendant la classe. Je communique sur
les progrès observés en relaxation et la manière de faciliter leur transfert : nous
décidons ensemble de favoriser la relaxation assise et de mettre en place un
support spécial adapté à la chaise d’Abraham, procurant des micromouvements
et facilitant la station assise.
54 L ES ÉMOTIONS

L’enfant est le même entre les lieux éducatifs et de soins. Son projet également.
Pour autant, il est fréquent que chaque acteur réalise son propre projet dans
une sphère donnée. La psychomotricité peut constituer une synergie entre les
acteurs du soin et de la pédagogie. Cette synergie concerne également la sphère
familiale.

Le travail avec la famille


!

L’état d’esprit d’accueil et de co-construction

Une séance hebdomadaire, même coordonnée avec les différents acteurs de la


prise en charge de l’enfant, ne peut faire de miracle sans l’adhésion familiale au
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suivi. L’entourage peut aussi trouver un soutien auprès du psychomotricien. Il
ne s’agit pas d’un rapport pédagogique entre thérapeute et famille, mais plutôt
d’aider l’enfant ensemble. La famille a en effet besoin d’être accueillie dans
un espace qui n’est pas celui du travail mais plutôt un espace où chacun peut
prendre sa place. Dans une vision systémique, on peut penser que l’enfant autiste
déstabilise la sphère familiale et peut occasionner une « spirale relationnelle »
(Pelletier-Milet, 2010) marquée par la fatigue et l’impuissance. Le psychomo-
tricien peut intervenir comme un médiateur pour « redonner de l’espace de
vie à chacun » (Pelletier-Milet, 2010). Ce processus repose en premier lieu sur
la confiance des parents, facilitant les moments d’émotions et d’apprentissage
commun.
Ainsi, j’interviens au domicile de Thimothé, enfant avec TSA de 6 ans dans le
but d’agir sur son sommeil. En effet, il ne dort pas plus de 4 heures par nuit.
Particulièrement réceptif aux pressions tactiles fortes au niveau des mains, il
accepte que sa maman fasse de même et choisit de placer une image symbolisant
le temps « des mains » sur l’emploi du temps visuel des étapes de la journée,
avant l’histoire pour dormir. La maman m’appelle le lendemain : Timothé a
dormi 6 heures ! Je pense que cette expérience a constitué une piste concrète
d’amélioration de la vie quotidienne d’une part et une possibilité relationnelle
d’autre part. Une « petite distance qui fait déclic » (Pelletier-Milet, 2010).

Des conditions pratiques de collaboration

Cambe, Laurent et Laxer (2003) rappellent que les parents d’enfants handicapés
subissent souvent une « diététique informationnelle », allant « d’une anorexie
involontaire à une boulimie provoquée » (de Rosnay dans Cambe, Laurent et
Laxer, 2003). D’un trop-peu à un trop-plein d’informations. Il me semble que
Identifier les émotions 55

les parents ont plutôt besoin d’échanger sur les inquiétudes, les résistances et
les progrès. Il paraît donc essentiel de les intégrer au suivi de leur enfant en
composant avec leurs contraintes, leurs savoirs et leurs convictions. Les parents
constituent une mine d’informations sur leur enfant et permettent d’adapter au
mieux la prise en charge.

C ONCLUSION

La prise en charge d’Abraham montre à la fois l’importance d’écouter les préoc-


cupations du patient pour y répondre et de penser un développement progressif
des habitudes avec l’environnement et le corps. La combinaison constituée par
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l’abord corporel des émotions dans la spontanéité conjuguée à des supports
plus cognitifs est porteuse, de même que le maillage des acteurs autour de
l’adolescent.
Chapitre 4

Abraham, un parcours
d’exil émotionnel
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Tiphanie Vennat

Pour comprendre la dynamique émotionnelle d’Abraham, il m’apparaît essentiel de


comprendre l’histoire émotionnelle de cet enfant. « Refaire » l’histoire, ce n’est
pas entretenir un regard passéiste sur l’enfant, c’est repérer les antécédents qui
permettent de l’actualiser pleinement dans l’ici et le maintenant de sa thérapie
psychomotrice.
Notons que le parcours d’Abraham est un parcours d’exil ponctué de sépara-
tions majeures avec son pays d’origine, sa famille, ainsi qu’avec les institutions
gabonaises au sein desquelles il a été pris en charge. Ces véritables pertes
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sont survenues à des étapes du développement psychoaffectif majeures dans


l’édification d’une sécurité interne de l’enfant, ce que rapporte d’ailleurs la
clinique en termes de besoin de sécurisation par le dialogue tonico-émotionnel.
La quête de réassurance exclusivement corporelle ainsi que le difficile accueil de
la mise en mots de l’émotion interrogent logiquement la fonction du langage,
c’est-à-dire la façon dont les séparations ont été parlées à l’enfant.
La théorie lacanienne du Nom-du-Père pourrait nous permettre d’entrevoir une
clef de compréhension de cet indicible émotionnel. L’éloignement géographique
du père et a fortiori son absence symbolique pourraient avoir généré chez
Abraham la forclusion du Nom du Père.
58 L ES ÉMOTIONS

L E N OM DU P ÈRE

Ce concept, rappelons-le, est défini par Lacan (1981) comme le processus par lequel
l’enfant accède à la chaîne symbolique et au langage par la mise en place de la
métaphore paternelle qui consiste à substituer le Nom du Père à l’objet perdu. Cette
fonction symboligène permet notamment de supporter les séparations et de lier un
signifiant à un signifié.

Nous repérons bien là les enjeux de la forclusion de ce Nom du Père, qui ne


permet pas à Abraham de réparer l’absence, ou de faire correspondre dans un
système symbolique une émotion à un mot.
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L’émotion chez Abraham n’est donc pas arrimée à un signifiant de langage qui
lui permettrait de supporter l’absence, mais bien en exil et cherchant un port
d’attache dans l’expérience corporelle des « appuis contre les choses ou les
personnes ».
À cette perte symbolique du référent paternel s’associe la perte de la mère dont
le décès a pu avoir chez Abraham un effet traumatique. Or nous savons que tout
traumatisme peut générer des symptômes émotionnels comme l’anxiété décrite
dans la clinique de l’enfant. Par ailleurs, les éléments anamnestiques ne donnent
aucune indication sur la relation précoce mère-enfant mais nous savons que si,
dans le lien, l’émotion n’a pas été transmise charnellement, corps à corps vers
l’enfant, celui-ci n’a pas de lecture possible de ses émotions, faute d’assises
corporelles suffisamment constituées. Dès lors, l’émotion reste bloquée dans le
corps.

L E CORPS , TERRE D ’ ASILE

Il semblerait que, pour Abraham, le corps soit un lieu privilégié d’expression émo-
tionnelle, une terre d’asile pour l’émotion ne pouvant être contenue par ailleurs.
Cette idée d’émotion incarnée rejoint naturellement la conception freudienne
de l’affect, envisagé comme qualité émotionnelle qui s’origine dans le corps au
départ d’une pulsion qualifiée de poussée d’énergie (2010). Nous approchons
donc la définition de l’émotion dérivant du verbe émouvoir dont l’étymologie
latine signifie mouvement hors de. L’observation clinique de la psychomotri-
cienne tend à confirmer cette acception de l’émotion comme mouvement : « Les
activités dynamiques provoquent des réactions émotives. »
Abraham, un parcours d’exil émotionnel 59

L’émotion d’Abraham prend également corps sur une modalité d’expression


tonique. En effet les manifestations tonico-émotionnelles de l’enfant sont
nombreuses et oscillent entre hypertonie et hyperexcitabilité. Ces deux pôles
de réactivité laissent penser une édification de l’enveloppe corporelle comme
contenant émotionnel. Abraham semble faire l’expérience des possibilités de
mise au dehors ou de mise au-dedans de l’émotion tantôt par l’étanchéité de
la carapace tonique tantôt par la porosité de cette peau musculaire sujette à
l’excitation qu’Anzieu nomme également Moi-peau passoire (1985).
Ce besoin de contenance semble également confirmé par la figuration géomé-
trique du dessin du bonhomme. Haag (1998) décrit parfaitement cet attrait
des enfants autistes pour les formes géométriques clivées du monde émotion-
nel et qui constitueraient une sorte de moi-forme momentanément rassurant.
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Cette image du corps inanimée aurait comme fonction première de contenir
les débordements émotionnels qui animent le corps de l’enfant. Nous pourrions
dès lors envisager la représentation géométrique du corps d’Abraham comme
une « image du corps pré-contenante », moyen de mesure ou d’organisation
formelle qui garantit des limites symboliques stables à son émotion. C’est ce que
j’observe également chez un jeune enfant diagnostiqué Asperger qui me demande
régulièrement de mesurer à la règle toutes les parties de son corps. Comme pour
maîtriser ce qui pourrait, à l’intérieur de cette aire corporelle, l’émouvoir.
La recherche de « points d’appuis avec des personnes ou des choses » ainsi que
le choix thérapeutique du toucher-pressions en relaxation semblent également
répondre à ce besoin élémentaire de « bordage corporel » qui donne à l’émotion
un contour sécurisant. Tout se passe comme si les objets physiques et la consis-
tance du contact avec l’autre tenaient lieu momentanément de corps. Un corps
devenu par procuration asile et lieu-refuge inviolable au sein duquel l’enfant
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peut faire l’expérience sereine de son contenu émotionnel.

L A PSYCHOMOTRICITÉ COMME LIEU D ’ EXPÉRIENCE


DU SENSIBLE

Nous l’avons vu, le dispositif de toucher thérapeutique offre à Abraham la


possibilité de choisir un « plus fort » et un « moins fort » donc de nuancer
la stimulation. Ceci n’est pas sans mobiliser la qualité de présence chez un
enfant, nous l’avons vu, marqué par la dimension de l’absence. En effet, Abraham
semble plus habitué à la loi du « tout ou rien » où ce qui a été présent devient
brutalement absent sans possibilité d’être dans un entre-deux du plus ou moins
60 L ES ÉMOTIONS

présent ou du plus ou moins absent. La possibilité de moduler la force de la


stimulation sensorielle en présence devrait permettre à Abraham de construire
une véritable gamme émotionnelle. Du plus ou moins triste au plus ou moins
joyeux.
L’expérience de la relaxation permet également la découverte d’un ailleurs
agréable, repéré par la psychomotricienne comme « un moment suspendu », qui,
s’il est hors-temps, est aussi sans doute un hors-lieu. Un ailleurs qui transcende
et transporte vers un nouvel état émotionnel bien au-delà de la circonscription
géométrique et de la topologie observées dans le dessin de son image du corps.
Nous pouvons dès lors faire l’hypothèse que si Abraham s’autorise ce hors-lieu,
c’est qu’il fait l’expérience d’une émotion animée et libre, tout du moins libre
dans la contenance rassurante du cadre de sa séance de psychomotricité.
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L’ancrage émotionnel est aussi permis par la reprise en écho des verbalisa-
tions de la psychomotricienne. Car c’est probablement en liant son discours au
sien, que l’enfant trouve un point d’ancrage, ce que j’appelais plus haut « faire
correspondre dans un système symbolique une émotion à un mot ».
Comme nous le montre l’évolution du suivi, Abraham commence donc à se lier
à ses émotions en interrogeant régulièrement la force de ce lien au travers des
éléments corporels éprouvés dans la relaxation : « Est-ce que les mains, elles
peuvent se décrocher ? » Ce questionnement m’évoque le vécu de morcellement
d’un autre enfant préoccupé par le démembrement de son squelette, le décro-
chage de certaines parties du corps et la marque visible de l’absence à travers les
moignons : « Et ben moi avec tous ces bouts je ressens rien ! » Ce qui illustre
assez bien l’idée d’émotions mutilées que le patient cherche à rassembler dans
une unité corporelle sereine. Mes propositions se situent également autour d’un
travail des articulations du squelette et de réarticulation des émotions.
Le travail de l’articulation, au sens anatomique, en psychomotricité m’apparaît
essentiel à plusieurs titres :
➙ l’articulation, c’est d’abord ce qui fait lien et ce qui articule deux espaces-os.
C’est en ce sens qu’elle se révèle espace transitionnel important chez cet
enfant depuis toujours en transit. Par cette transitionnalité, Abraham pourra
faire correspondre un ici avec un ailleurs, une main avec un bras, un mot avec
une émotion, un « ce qu’il est » avec un autre ;
➙ articuler, c’est aussi la possibilité d’entrer en mouvement, un mouvement qui
engage naturellement une émotion ;
➙ Enfin articuler, c’est aussi un registre de langage, un travail du dire qu’on
imagine propice.
Abraham, un parcours d’exil émotionnel 61

À cette exploration du système articulaire comme articulation symbolique des


émotions du patient, j’associe également un travail sur le système organique,
entendu par Bainbridge (2002) comme « lieu primordial de nos émotions ». Car
lorsque l’enfant a pu se constituer une enveloppe corporelle suffisamment solide,
il peut investir les organes comme des contenus donnant la perception d’un
corps plein, d’un volume émotionnel qu’il est alors en mesure de contenir et
d’éprouver.
Enfin le travail sur les émotions d’Abraham, à l’instar des pulsions de vie et de
mort décrites par Freud (2010), implique une problématique existentielle : « Est-
ce que les mains peuvent se décrocher quand on est mort ? » Cette interrogation
rappelle de façon pertinente l’idée du transit qui fixe l’exilé dans un passage
entre la vie et la mort (Tourn, 1997).
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C’est alors que la psychomotricité agit comme un fait d’existence et met Abraham
à l’épreuve de ses émotions et de sa condition humaine.

C ONCLUSION

Abraham nous apprend que l’émotion d’un enfant présentant des troubles du
spectre autistique est une dimension fragile de son incarnation. La pratique
psychomotrice, à travers le dialogue tonico-émotionnel et les nombreux supports
symboliques à l’expression de cette émotion, s’avère toute particulière dans ce
travail. Néanmoins, la spécificité de cette thématique ne doit pas faire oublier
que notre métier de psychomotricien est en lui-même un métier d’émotion,
conditionné à la qualité de la relation entre nos éprouvés et ceux de notre
patient.
Chapitre 5

Éprouvés corporels et émotions


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Sylvie Gadesaude

S’interroger sur les émotions dans notre travail auprès des enfants autistes
revient à s’interroger sur nos éprouvés corporels. Émotion, au sens étymologique,
vient de emovere : mettre en mouvement. Quelle rencontre avec l’environnement
ne provoque pas un mouvement d’attraction ou de fuite, si discret soit-il ? C’est
l’essence même de la vie. De Ajurriaguerra décrit l’organisation psychomotrice
de base où les réflexes archaïques du nouveau-né deviennent des actes à la
condition que l’enfant éprouve la résistance du milieu grâce à des stimulations
extérieures qui rompent l’équilibre de son organisation interne.
Damasio (2010) apporte un éclairage complémentaire en faisant intervenir les
émotions dans la construction de cette organisation. Il y aurait juxtaposition de
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deux perceptions au moment où le sujet rencontre un objet extérieur grâce à un


flux sensoriel. Une perception venant du corps attribue un jugement de qualité
du type plaisir/déplaisir à cette première perception. Il s’ensuit une distinction
fondamentale entre les émotions et les sentiments. Les émotions correspondent
aux changements qui se produisent dans le corps et le cerveau tandis que les
sentiments sont la perception de ces changements. Damasio précise que des
circuits neuronaux spéciaux sont dédiés à la perception des émotions. C’est
finalement souvent la question qui vient face aux « résistances » des enfants
autistes pour nous rencontrer : D’où vient cette désorganisation ? Comment me
perçoit-il ?
Avec Abraham, j’ai l’impression de retrouver une émotion familière que je ressens
aussi avec mes patients, une sorte de rassemblement psychique et corporel qui
64 L ES ÉMOTIONS

demande beaucoup d’énergie pour entretenir une forte résistance garante de


la sérénité du cadre qui permet à l’enfant de se poser et d’être disponible à la
curiosité, à l’échange, et à l’apprentissage.
Julie Lobbé sécurise le cadre en l’aménageant avec des éléments invariants
qui répondent aux besoins de l’enfant autiste, avec le risque connu, mesuré et
analysé de déclencher chez le thérapeute, un sentiment d’ennui et d’emprison-
nement dans notre propre corps. L’ennui, parfois traduit sous la forme d’une
carapace tonique, nous oppresse, il faut bien le dire, mais ne survient pas avec
n’importe quel enfant. Pour ma part, je trouve que je vis cela plutôt avec des
enfants autistes que Tustin appelle « à carapace », ceux qui ne laissent rien
passer des flux de stimulations venant de l’extérieur. Il n’en va pas de même
avec d’autres enfants, plus agités, qui envahissent l’espace dans une motricité
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plutôt bien déliée et prennent des postures d’équilibristes aux confins d’une
chute permanente dans laquelle un sentiment de tourbillon et/ou de recherche
épuisante d’excitations m’atteint. Ce sont plutôt des enfants « emmêlés » dans
l’autre, nous dit Tustin. Par ses capacités d’interaction, Abraham me fait penser
à ces derniers.
Julie Lobbé, pour garantir la sécurité d’Abraham, va s’appuyer sur tous les
matériaux à portée de l’enfant, psychiques ou matériels et qui participent à la
constitution des contenants de pensée. Une pensée qui, lorsque tout va bien,
équipe l’enfant d’une fonction pare-excitante.

LA CONSTITUTION DES CONTENANTS DE PENSÉE

La constitution des contenants de pensée, nous dit Berger (1996), est l’ensemble
des expériences psychiques et physiques qui permettent à un sujet d’acquérir une
représentation de soi unifiée :

➙ Spatialement par le sens de la continuité corporelle ;


➙ Temporellement par le sens de la continuité du vécu ;
➙ Emotionnellement par le sens de la continuité psychique et le désir de vivre ;
➙ Cognitivement par la possibilité de percevoir une certaine invariabilité du monde
qui en permet la prévisibilité.

Les rituels dans les activités et le timer permettront à Abraham de vivre avec sa
psychomotricienne la continuité d’existence de ses vécus. Par la répétition des
propositions sensorielles, c’est le sens de la continuité corporelle. Les verbalisa-
tions et la stabilité émotionnelle de Julie Lobbé lui garantissent l’invariabilité de
Éprouvés corporels et émotions 65

ses repères corporels et lui permettent de créer des liens avec l’environnement
afin de s’enrichir sur les plans cognitif et relationnel.
La psychomotricienne en touchant et en nommant les parties du corps actionne
le toucher et l’audition pour rendre sensible la partie du corps touchée chez
Abraham. Au vu des réactions d’Abraham, on peut émettre l’hypothèse que c’est
un sentiment de « bon » qui en résulte et permet la répétition et l’intégration
des perceptions. Il se passe en même temps, un travail de segmentation des flux
sensoriel qui va isoler d’un point de vue spatial la réalité de la partie du corps
touchée et nommée et participer à la représentation du corps dans l’espace.
L’ensemble de la situation devient assimilable par Abraham grâce au rythme
approprié de Julie Lobbé. Je ferais là une proposition personnelle : le rythme
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qu’elle trouve assimilable pour elle-même devient concevable donc et porteur de
sens pour Abraham.
Parfois la répétition, plutôt que de participer à l’acquisition de nouvelles compé-
tences, devient un piège. Je me souviens d’Arthur, un enfant mutique de L’EMP
qui n’utilisait pas le pronom « je », se bouchait souvent les oreilles avec les
mains, se déplaçait en rasant les murs et ne supportait pas d’être touché. Il se
déplaçait, prenait les objets dans les placards d’un air affairé dans une ignorance
totale de ma personne qui me déconcertait. Ainsi, il commence à attacher un
boudin en mousse avec une corde, emmêle... démêle... emmêle... démêle. Sans
doute pour garder une contenance, je m’assois non loin de lui et je lui dis que
je suis là et que s’il a besoin de moi, il n’a qu’à me demander. Etrange nécessité
de rappeler à voix haute que je suis là et qui me jette un doute sur mon utilité.
Serais-je moi aussi déstabilisée dans ma contenance par cette rencontre ?
Arthur va jouer, en silence, ces premières séances. Je me sens mise à l’épreuve.
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J’observe, je cherche à comprendre. Je me sens incompétente. Maintenant, Arthur


fait disparaître une corde à travers une boîte creuse. Il tire, elle réapparaît. Ainsi
de suite sans jamais lever les yeux vers moi malgré mes déplacements et mes
exclamations. Un sentiment d’inutilité m’envahit. Découragée et révoltée, je me
mure moi aussi dans le silence. Pour évacuer ma lassitude, je me laisse aller à
regarder comme une spectatrice en quête d’émotions le jeu d’Arthur. Tout à coup,
je vois le jeu de la bobine. Naturellement, quand la ficelle disparaît, je lâche un
« pas là » puis quand elle revient, je dis « là ». Je me souviens de l’intonation
de cet instant, portée que j’étais par le plaisir d’avoir découvert quelque chose
de nouveau.
C’est toujours Arthur qui actionne la corde, mais maintenant, nous sommes deux
à jouer. Ses déplacements semblent se calquer sur l’arrivée de mes mots. Il
66 L ES ÉMOTIONS

commence à se tourner vers moi, comme s’il cherchait à ce que je vois mieux le
passage de la corde. Je pense à un petit rire intérieur qui viendrait planer dans
cette salle de psychomotricité à travers le mouvement de ses épaules. Un sens
commun au jeu nous réunit. Sans doute portée et rassurée par ce plaisir, je me
risque à suspendre l’arrivée de mon « là/pas là », comme un microrythme qui
viendrait varier la règle du jeu. Arthur jubile et marmonne. Il guette mon signal
avant de faire disparaître la ficelle. Cette fois-ci, son regard vient m’interroger
et semble me dire : « T’es prête ? Attention, je prépare quelque chose ? » La
suspension du temps est maîtrisée.
Plus tard, Arthur mettra en place des alignements, (une autre façon de concevoir
le rythme). Avec de petites pièces identiques et de couleurs variées. En le voyant
s’affairer avec concentration sur ces petites pièces, les plaçant ici ou là dans un
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geste sûr et déterminé, c’est une sensation enfouie qui fait irruption, le plaisir
de trier, catégoriser et ranger. Un plaisir de maîtrise. C’est cet éprouvé corporel
qui m’a amenée à dire à Arthur : « papa, maman, bébé. » Une proposition, sans
doute déjà ressentie, d’organiser le monde et ses objets parmi d’autres. Un petit
rire jubilatoire a secoué à nouveau les épaules d’Arthur. Il a repris les pièces et
a répété en les organisant à sa manière : « papa, maman, bébé. » Puis, il m’a
attendue et m’a montré une petite pièce : « et ça ? » J’ai nommé la petite pièce
avec une intonation d’interrogation, comme si je lui demandais son avis aussi.
Prosodie dans la voix scandée par le même rythme binaire du là/pas là ? Des
premiers échanges, nous sommes partis sur de nouvelles propositions, élargissant
la gamme de possibles sens communs.
Arthur dit : « piscine », en installant de petites pièces de couleurs sur le tapis
bleu, figurant les séances de piscine du mardi. Nous avons rejoué les émotions
traversées dans cet atelier, la peur de tomber, le chaud de l’eau, le froid qui
fait frissonner, les bêtises des copains et le refus d’entrer dans l’eau. À chaque
fois, une certaine continuité d’existence devenait partageable par petites pièces
interposées.
Mon expérience auprès des enfants me laisse penser que ces émotions s’appuient
sur un fond rythmique binaire (« là-pas là ») avant de gagner en nuance.
Partant de cette émotion initiale d’ennui, je laisserai la conclusion à Denis
Mellier : « Ne regrettons pas cet ennui, si nous en faisons quelque chose. »
Chapitre 6

Synthèse
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Julie Lobbé

Abraham est une personne qui m’a touchée par son histoire et par la qualité de
relation que nous avons pu établir. Dans ce contexte émotionnel, le recul et la
réflexion paraissent d’autant plus fondamentaux pour éclairer les angles d’analyse
qui aurait pu m’échapper. La réflexivité, qui se définit comme « le retour de la pensée
sur elle-même » (Wittorski, 2001 in Bouissou et Brau-Antony, 2005), n’est pas
une introspection car elle « suppose que l’individu puisse se dégager de son cadre
habituel de référence et fasse appel à d’autres grilles de lecture que les siennes. »
(op. cit.) L’autre participe à la construction de soi. Aussi, je suis particulièrement
intéressée par l’analyse de mes collègues, qui se révèle source de convergences avec
ma propre analyse mais qui ouvre aussi des pistes de réflexion inédites.
Concernant les convergences tout d’abord, Bernard Meurin, resituant l’enseignement
de Wallon, propose d’emblée l’émotion comme le socle des capacités cognitives.
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Cet auteur nous apprend également que « (...) les émotions (...) ont pour étoffe
le tonus musculaire » (Wallon, 1949). Cette articulation entre émotion, cognition
et corps est notre socle commun. Il en est de même concernant le rôle central de
l’éprouvé corporel : pour Tiphanie Vennat et Sylvie Gadesaude, interroger l’éprouvé
corporel du patient et le sien propre est l’essence du métier de psychomotricien.
Bernard Meurin rappelle qu’il constitue la base de la représentation émotionnelle
et qu’il s’agit de se méfier d’une interprétation cognitive trop rapide. Ses réflexions
autour de l’origine de l’émotion permettent de remettre en question mon analyse
et de l’enrichir. En effet, Bernard Meurin rappelle que nous comprenons souvent
la manifestation émotionnelle en nous basant sur sa part représentative. Nous
analysons des signaux pour en inférer le sens ainsi que je le fais avec Abraham en
lui disant qu’il semble heureux car il sourit. Il met en garde contre une interpréta-
tion neurotypique des signes et conseille de se montrer attentif à l’environnement
sensoriel. En effet, je partage l’avis que, chez des patients en défaut de capacité de
représentation, c’est « la manifestation corporelle qui constitue l’émotion et il n’y a
...
68 L ES ÉMOTIONS

...
pas forcément à chercher, derrière, un hypothétique sens caché ». Bien qu’évoluant
dans un milieu cognitivo-comportemental, je constate que je peux me fourvoyer
au jeu de l’interprétation. Ce paradoxe est tout à fait intéressant à considérer dans
le but d’améliorer une approche respectueuse du fonctionnement cognitif de la
personne avec TSA. De même, alors que la prise en charge d’Abraham m’apparaissait
comme une des plus « libres » que j’ai mise en place, Sylvie Gadesaude relève mon
rôle directeur concernant le rythme des pressions profondes, rythme qui me serait
adapté, assimilable et donc « porteur de sens pour Abraham ». La directivité est
parfois présente là où on ne l’attend pas.
Par ailleurs, j’ai pu apprécier le complément symbolique de l’analyse de ma pratique
concernant le toucher thérapeutique grâce à la vision de Tiphanie Vennat. Elle
explique en effet la possibilité de choisir un « plus fort » et un « moins fort » dans
les stimulations comme une acceptation de ma présence continue, en opposition aux
absences qui ont marqué le parcours d’Abraham. Cette articulation entre la clinique
et la symbolique de l’anamnèse me paraît éclairante dans le contexte d’Abraham
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car, comme le rappelle Tiphanie Vennat, l’émotion est aussi « histoire » émotion-
nelle. Pour Sylvie Gadesaude aussi, mon action vise l’installation d’une continuité
d’existence des vécus d’Abraham sur un plan matériel (en utilisant des outils de
structuration), corporel (par la répétition du toucher et des sensations associées) et
émotionnel (par ma stabilité émotionnelle dans le dialogue tonico-émotionnel). Ces
analyses viennent compléter le travail réalisé sur la base du toucher, intervention
inscrite dans la collaboration avec la famille et l’école et vision qu’il m’est cher de
faire valoir.
Les éléments amenés par les coauteurs permettent de questionner ma pratique dans
le but de la faire évoluer au service des patients, sur la base d’angles d’analyse
différents, qui permettent d’envisager des axes de réflexion nouveaux. Ainsi, la
suggestion de Tiphanie Vennat sur l’exil et la terre d’asile m’amène à favoriser le
regard interculturel sur la situation et la prégnance de l’arrachement à sa terre,
décrit par les personnes qui ont migré. Par ailleurs, elle amène mon regard sur la
double composante étiologique présente chez Abraham. En effet, si celui-ci montre
de signes cliniques et un parcours tout à fait en accord avec un autisme précoce,
Tiphanie Vennat rappelle que la dimension traumatique de la perte est tout à fait
prégnante chez lui. La perte physique de sa mère et celle symbolique de son père
ont pu générer des symptômes émotionnels.
PARTIE II

L’oralité
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Chap. 7 Vignette . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
Chap. 8 Intégrer la sphère orale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
Chap. 9 Neurodéveloppement et stimulation de la zone orale . . . . . . . . 77
Chap. 10 L’impossible tétée. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
Chap. 11 Une bouche seule, ça n’existe pas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
Chap. 12 Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
Chapitre 7

Vignette
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Bernard Meurin

Camilla et l’oralité
Camilla est une petite fille de 6 ans et demi qui présente des troubles importants de la
communication. Le diagnostic d’autisme atypique a été retenu.
Camilla présente des antécédents médicaux importants dont une hernie diaphragma-
tique avec difficultés respiratoires opérée à un mois de vie. Elle souffre également
d’un reflux gastro-œsophagien sévère justifiant d’une gastrostomie et une interven-
tion de type Nissen. Elle présente également une neuromyopathie congénitale avec
hypotonie.
Le développement psychomoteur s’est déroulé avec retard : station assise vers 18
mois, marche autonome vers 3 ans et premiers mots vers 2 ans et demi. À 6 ans et
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demi, le langage est essentiellement écholalique ou composé de mots plaqués issus


d’émissions de télévision. Elle bénéficie d’une prise en charge en IEM.
Au cours de l’évaluation psychomotrice, Camilla se montre curieuse et se dirige assez
vite vers les objets posés sur une table. Elle les manipule mais sans s’y intéresser
vraiment dans la durée. Elle passe rapidement d’un objet à un autre et ne semble
pas tenir compte de la présence de l’adulte. Elle accepte toutefois de retirer son gilet
mais la praxie est difficile. Camilla parvient à descendre la fermeture éclair mais sol-
licite l’aide de sa maman en tendant les bras vers l’arrière pour que celle-ci lui retire
complètement le vêtement. Elle manipule les objets mais ne parvient pas à dérouler
des praxies plus précises comme réaliser une tour de petits cubes ou organiser des
figures géométriques simples avec de petits bâtons. Elle entrechoque les objets imitant
parfois le son du tambour. Elle ne parvient pas à entrer dans les consignes qui lui sont
proposées.
Assise sur une chaise ou contenue sur les genoux de sa maman, Camilla se désorga-
nise corporellement assez vite. Sa maman dit qu’elle ne sait jamais comment la tenir.
72 L’ ORALITÉ

D’importants mouvements de bouche et de langue sont à ce moment-là observés ainsi


que des recrutements des mains autour des lèvres.
Les activités impliquant la zone orale comme souffler ou mettre en bouche un objet
confirment la fragilité de l’intégration de la zone orale. Malgré une bonne contenance
offerte par la maman, Camilla se laisse complètement aller et se retrouve à moitié
allongée dans une position peu harmonieuse et asymétrique. Elle bave beaucoup.
La découverte des petits micros qui amplifient la voix facilite les premiers échanges.
Mais Camilla ne peut pas imiter les sons produits par l’adulte. L’activité ne dure pas.
Nous notons que le micro n’est pas posé devant la bouche mais sur le menton lorsque
Camilla émet des sons.
Sur le plan visuel, Camilla peut brièvement regarder son interlocuteur mais son regard
papillonne beaucoup malgré une installation avec appuis dans le dos et sur l’avant. La
poursuite d’une source lumineuse est compliquée tout comme la mise en évidence
des liaisons auditivo-visuelles. Elle peut dire « musique » quand elle entend le son
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mais son regard ne se dirige pas vers la stimulation sonore.
Sur le plan tactile, Camilla se montre particulièrement sensible aux stimulations qui
lui sont proposées, notamment au niveau des jambes. Elle se recrute fortement et
manifeste des réactions tonico-émotionnelles de type « flapping ». Elle se montre très
sensible au flux de l’air provoqué par un ventilateur placé face à elle. Elle cherche le
contact, de bons échanges apparaissent alors.
Sur le plan tonique, elle présente une importante laxité au niveau des jambes et du
bassin. Elle peut replier complètement les jambes sous elle ou se plier en deux vers
l’avant avec une fermeture totale au niveau de l’articulation du bassin.
Les coordinations dynamiques générales (attraper ou lancer un ballon, grimper sur
un coussin et sauter) confirment les difficultés de mise en forme corporelle. Camilla
a besoin d’aide et de contenance pour réussir à s’ajuster et dérouler les gestes. Les
équilibres sont impossibles à réaliser à part quelques roulades sur un gros ballon.
Elle peut montrer les principales parties de son corps comme la tête, le ventre, la
bouche, les yeux... Elle peut aussi donner des indications pour situer les différentes
parties du corps sur un dessin de bonhomme. Refusant de dessiner, elle montre du
doigt où l’adulte doit placer les différents éléments.
Ni langage verbal ni phrases au cours de cette rencontre mais Camilla peut nom-
mer correctement quelques objets, parfois avec des mots justes comme « baguettes
de bois » ou « lampe de poche ». La zone orale (bouche et langue) est toujours en
mouvement (stéréotypies) avec parfois émission de sons non articulés.
Chapitre 8

Intégrer la sphère orale


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Bernard Meurin

Les troubles de l’oralité sont relativement fréquents1 mais souvent minimisés


au regard de leurs conséquences développementales. Ils nécessitent une com-
préhension fine et les réponses thérapeutiques ne se doivent pas se focaliser
uniquement sur le symptôme mais prendre en compte d’autres aspects comme
celui des postures ou des irritabilités tactiles. Dans ce texte, nous allons tenter
de comprendre l’intégration de la zone orale selon l’approche sensori-motrice
afin de donner du sens aux difficultés qui peuvent apparaître dans le cadre de la
pathologie autistique.
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I NTÉGRATION DE LA ZONE ORALE


DANS LE DÉVELOPPEMENT SENSORI - MOTEUR

L’espace oral est l’une des premières zones corporelles instrumentée : « Dans le
développement, la zone autour de la bouche et la bouche elle-même sont les
premières à manifester des conduites instrumentales [...] Ces conduites orientées
vers un but, des praxies, apparaissent bien avant les capacités de manipulation
et d’exploration avec les mains » (Bullinger, 2004). Les activités orales s’initient

1. 56 à 87 % des sujets présentaient des problèmes lors de cette activité de la vie quotidienne
(Ahearn et al., 2001 ; De Mayer, 1979 ; Martins et al., 2008 ; Nadon, 2007 ; Nadon et al., 2011 ;
Schreck et al., 2000) cité In Le Bulletin scientifique de l’Arapi – numéro 27 – printemps 2011
74 L’ ORALITÉ

dès la vie intra-utérine puisque c’est à partir des dixième et quinzième semaines
qu’apparaissent respectivement succion et déglutition. Ces deux activités se
coordonnent aux alentours de la trentième semaine. La comodalité entre le goût
et l’odeur se met également en place dès la vie intra-utérine. Schaal (1997)
met en évidence qu’un nourrisson se tourne préférentiellement vers l’odeur d’un
aliment régulièrement ingéré par sa mère durant la grossesse. Rappelons que
cette comodalité avait déjà été mise en évidence par Françoise Dolto (1984).

LA « CHAÎNE NARRATIVE DU REPAS » (B ULLINGER )

Après la naissance, le bébé doit être actif pour se nourrir. Il lui faut transformer les
réflexes de succion et déglutition en activités psychiquement habitées. C’est au cours
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des séquences de repas en relation que cette transformation se produit et cette trans-
formation nécessite un équilibre entre les ajustements posturaux et les sensations intra
buccales. Cet équilibre permet que succion et déglutition se coordonnent pour installer
de ce que Bullinger appelle la « chaîne narrative du repas » :

Posture + Olfaction + Capture + Exploration +


Succion + Déglutition + Satiété
=
Aspects hédoniques

Cette chaîne narrative nous permet d’entrevoir la dynamique impliquée dans


l’investissement de la zone orale et les ouvertures qu’elle offre sur le plan de la
prise en charge. Ainsi, dans les troubles du comportement alimentaire, plutôt
que de se focaliser sur la difficulté à se nourrir, il apparaît tout aussi important
de comprendre la manière dont la personne est installée, comment elle aborde
visuellement la séquence du repas, si elle présente des irritabilités tactiles
ou olfactives et quel traitement subissent les aliments une fois dans la cavité
buccale. Dès lors, nous pouvons travailler les postures en proposant des points
d’appuis comme les pieds posés au sol. Nous pouvons aussi délimiter la zone de
repas en posant un set de table où sont dessinées les places de l’assiette et des
couverts. Enfin, dans des moments dédiés, proposer des sollicitations péri-orales
pour diminuer les irritabilités tactiles.
Intégrer la sphère orale 75

S ABINE OU LA DIFFICULTÉ À FAIRE FACE


AUX SITUATIONS DE REPAS

Sabine est une jeune adulte accueillie dans une maison d’accueil spécialisée.
L’équipe est très en difficulté car outre un autisme sévère associé à un déficit
moteur nécessitant une installation en fauteuil, elle manifeste d’importants
troubles du comportement lors des repas. Elle crie et se balance au point de
risquer un renversement arrière. La solution a été de mettre Sabine dos à un mur
sur lequel est posé un matelas pour éviter tout accident.
L’observation montre que Sabine arrive au réfectoire dans une posture d’emblée
compliquée. La tête rejetée en arrière, elle cherche à s’agripper à la poignée de
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son fauteuil. Elle ignore ainsi tout l’espace avant et ne prête aucune attention
aux personnes autour. Afin de contenir cette désorganisation, nous lui proposons
une contenance en posant fermement une main dans le dos et l’autre sur l’avant,
la pression exercée lui permettant de s’apaiser. Au cours du repas, Sabine qui
est en incapacité à tenir un couvert est nourrie par une tierce personne. La
mise en bouche ne pose pas de problème mais le rythme doit être soutenu. Elle
réclame une nouvelle cuillère à peine la précédente avalée. Cela se confirme dès
l’attente pour le changement de plat. La transition nécessitant un peu de temps,
la séquence de repas ne semble alors plus avoir de sens pour Sabine. Elle retire
sa blouse et se balance tout en criant. Elle se contorsionne et tourne la tête
probablement à la recherche d’un point d’agrippement et donc de stabilité. En
l’occurrence, la poignée de son fauteuil. Aussi, nous installons devant Sabine
une petite table sur lesquels des appuis sont possibles. Cet objet réifie l’espace
avant et lui permet d’attendre de façon plus sereine entre deux plats.
Comme Sabine présente une hypotonie de base importante nécessitant qu’elle
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soit attachée à son fauteuil pour éviter de glisser, la zone orale a pu être
comprise par l’équipe non comme un lieu pouvant accueillir aisément la nourri-
ture mais comme un moyen d’agrippement. Dès lors, ce qui apparaît de prime
abord comme une conduite désorganisée est compris comme une conduite active
de Sabine qui ne trouve que la poignée de son fauteuil pour se tenir. L’idée
de lui proposer un fauteuil plus adapté et enveloppant s’est fait jour. Il est
aussi apparu que l’espace avant était peu investi d’autant que Sabine n’était
pas mise contre la table compte tenu de ses balancements. Nous avons donc
réifié cet espace en proposant des coussins sur le ventre puis une petite table
à laquelle elle pouvait s’accrocher. Il s’agissait en quelque sorte de proposer
des « prothèses de rassemblement » contenantes et apaisantes. Enfin le dernier
point de réflexion concernait le rythme du repas entre l’avidité de Sabine et
76 L’ ORALITÉ

les moments d’attente provoqués par le rythme du repas de la tierce personne.


En effet, celle-ci déjeunait en même temps que Sabine ce qui provoquait des
moments d’attente. Pour être au plus près du rythme de Sabine, nous avons
proposé que la tierce personne déjeune après Sabine pour éviter une rupture de
la chaîne narrative du repas.

L E RELAIS ORAL

Lorsque la chaîne narrative se met correctement en place, la zone orale va


progressivement remplir une autre fonction, celle de « relais » entre les hémi-
espaces droit, gauche et médian. Le transfert d’objets d’une main dans l’autre
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se fait par l’enfant en passant quasi systématiquement par la bouche. Ce pro-
cessus permet d’articuler les deux hémicorps autour de l’axe corporel tout en
délimitant l’espace de préhension. Dès lors, ce ne sont plus les mouvements ou
les sensations en tant que tels qui motivent le bébé mais la conséquence de
ses mouvements, ce que Bullinger appelle « l’effet spatial du geste ». Lorsque
la zone orale et donc la bouche est peu investie ou détournée vers d’autres
fonctions comme l’agrippement ou les stéréotypies, ce relais oral est difficile à
mettre en place. Les espaces restent clivés.

C ONCLUSION

Très en lien avec les aspects posturaux, « l’espace oral » est non seulement
l’endroit par lequel nous mangeons et parlons, mais aussi celui sur lequel l’orga-
nisation tonique va s’enraciner et l’unité du corps se construire autour de l’axe
médian. Ce processus permettra l’accès progressif aux premières représentations
spatiales et à la constitution de l’espace de préhension, condition nécessaire
à l’apparition du pointage impératif puis déclaratif. Il nous apparaît essentiel,
dans la clinique de l’autisme, de ne pas focaliser sur les troubles alimentaires
qui ne sont souvent que la conséquence d’une fragilité dans l’intégration de la
zone orale. La prise en charge se doit de tenir compte des aspects posturaux,
tactiles et du rôle de la bouche (agrippement ou stéréotypie) pour la personne
avec autisme. Elle doit également être pluridisciplinaire et intégrer des moments
de sollicitations orales hors des moments de repas à visée nutritive.
Chapitre 9

Neurodéveloppement
et stimulation de la zone orale
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Julie Lobbé

L ES DIFFÉRENTES FACETTES DE L’ ORALITÉ

Camilla présente des perturbations concernant l’oralité toute entière. Or, « la


bouche est un organe clé de la construction neurodéveloppementale, corporelle
et psychique de l’enfant... » (Abadie in Thibault, 2011)
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La facette neurodéveloppementale
!

L’oralité est en lien avec l’alimentation, elle-même conditionnée par des méca-
nismes moteurs comme la gustation, la succion, la déglutition et la respiration
(Abadie, 2004). Cette maîtrise de l’espace oral précède la mise en place de
l’axe corporel et de l’espace de préhension (Bullinger, 2007 in Kloeckner, 2011).
Il est donc possible qu’un trouble de l’oralité puisse se trouver à l’origine de
troubles praxiques. Camilla parvient ainsi à descendre la fermeture éclair de son
gilet (donc à ramener ses mains vers son axe corporel) mais sollicite l’aide de
sa maman pour le retirer. L’impossibilité de croiser l’axe corporel, en utilisant
la main droite pour tirer sur la manche gauche par exemple, pourrait illustrer
son manque d’intégration et, en amont, le probable manque de construction de
l’espace oral.
78 L’ ORALITÉ

La facette corporelle
!

Ensuite, la bouche est un espace d’intégration multisensorielle. Les expériences


font « vivre l’espace de la bouche à partir de sensations (...) et de mobilisations
toniques des différentes parties de la sphère orale (lèvres, langue, larynx) »
(Kloeckner, 2011).
Or, Camilla souffre d’une hernie diaphragmatique et d’un reflux gastro-œsophagien.
Une gastrostomie et une gastro-jéjustomie ont donc été pratiquées. La première
opération consiste en l’implantation d’une sonde au niveau de l’estomac par
laquelle vont passer les nutriments se substituant à la nourriture par voie orale
(Alexandre, 2014). La deuxième se pratique plus bas au niveau intestinal.
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Bellis, Buchs-Renner et Vernet (2009) rappellent que la nutrition entérale, par ses
aspects artificiels et passifs, n’est pas anodine. En privant le bébé de l’exercice de
sa bouche pour manger, elle peut provoquer des troubles de l’oralité alimentaire
ou dysoralité (Alexandre, 2014). En effet, les expériences orales actives de la vie
fœtale ont fait place à une oralité passive et contraignante voire douloureuse
(Bellis, Buchs-Renner et Vernet, 2009).

La facette psychique
!

La zone orale constitue aussi un espace d’expérimentation du plaisir. Elle désigne


d’ailleurs en psychanalyse le premier stade d’évolution de la libido. La satisfac-
tion des besoins est permise par l’alimentation, la succion, le baiser et la morsure
(Thinès-Lemp, 1975 in CNRTL, 2017). Camilla, soumise à l’oralité passive, se voit
privée des expériences du plaisir oral.

La facette communicationnelle
!

Les expériences de la bouche nourrissent des représentations de l’espace buccal


qui peut être utilisé de plus en plus efficacement dans un but de communication :
dès le début de la vie, l’oralité sert à communiquer par le cri et désigne, plus
tard, « le caractère oral (...) du langage » (CNRTL).
Or, Camilla présente une neuromyopathie congénitale. L’hypotonie associée peut
perturber la motricité de la bouche, ses représentations et donc la construction
de la communication orale. Camilla semble davantage en recherche de sensations
que dans la communication : « La zone orale (bouche et langue) est toujours en
mouvements (stéréotypies) avec parfois émission de sons non articulés. »
Neurodéveloppement et stimulation de la zone orale 79

La facette relationnelle
!

Au-delà des aspects précédemment évoqués, la prise alimentaire est médiatisée


par le dialogue relationnel entre le parent et son enfant. Cet étayage affectif du
repas s’incarne entre autres dans le portage, l’échange de regards et d’émotions et
le contact peau à peau. Dans le cas de Camilla, cette orchestration relationnelle
n’a pu se mettre en place en raison du dispositif artificiel d’alimentation.
Ce dispositif médical constitue donc une entrave à la relation (Boulbard, 2012)
qui impacte l’entourage et en particulier la mère, qui ne peut mettre en œuvre
son rôle nourricier fondamental (Maqueda, 2001 in Cadieu, 2014). L’allaitement,
naturel ou artificiel, étant un puissant moteur de la relation mère-bébé, le pro-
cessus d’attachement peut être perturbé. Au-delà, « (...) une nutrition entérale
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au-delà de trois semaines induit un évitement du contact facial marqué par un
recul et des pleurs à l’approche d’un objet près de leur bouche [des bébés] ».
(Bellis, Buchs-Renner et Vernet, 2009) : ces signes cliniques sont proches d’une
expression autistique. On notera que Camilla présente un autisme atypique
probablement secondaire aux troubles somatiques qu’elle a rencontrés. Dans
ce contexte de TSA, l’oralité peut aussi être perturbée par des particularités
sensorielles (Levavasseur, 2016). Ce contexte complexe nous amène à considérer
une prise en charge globale.

P ROPOSITIONS DE PRISE EN CHARGE

Tout d’abord, il paraît important de considérer la globalité du corps de Camilla


mais aussi une action ciblée sur l’oralité.
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La sollicitation globale du corps en relation


!

Au regard du profil de Camilla, il paraît important de proposer un support global


d’expériences dans le but de favoriser une organisation corporelle. En effet,
les activités de ballon, les sauts et les équilibres sont difficiles. L’histoire de
Camilla m’évoque celle de Thibault, 7 ans, pris en charge en milieu hospitalier
pour des séquelles de méningo-encéphalite aiguë. En effet, leurs profils se
révèlent similaires : des troubles somatiques entraînant une gastrostomie, des
mouvements incontrôlés de la bouche, d’importantes difficultés praxiques et
communicationnelles.
80 L’ ORALITÉ

La prise en charge psychomotrice à la piscine amène des progrès : Thibault cesse


de toucher son bouton de gastrostomie pour se déplacer de façon volontaire
en se tenant aux bords de la piscine ou saisir des objets avec succès. Thibault
s’intéresse à son corps. Il regarde ses jambes dans l’eau et les fait bouger, comme
Camilla qui se montre particulièrement sensible aux stimulations au niveau
des jambes. Il exprime également ses états de plaisir et de déplaisir à travers
mimiques, grognements, rires, vocalises et gestes. Ces progrès nous incitent à
proposer une prise en charge en balnéothérapie à Camilla selon des modalités
individualisées. Il nous semble pertinent d’associer cette démarche globale à
une action plus spécifique.
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La stimulation orale
!

Kloeckner (2011) propose une structure de séance coréalisée avec les parents et
aménagée.
Tout d’abord, un temps de détente vise le relâchement tonique et la respiration,
qui « (...) est souvent bloquée chez les enfants qui ont des troubles de l’oralité »
(Kloeckner, 2011). Bernard Meurin confirme la difficulté de Camilla à souffler.
Un travail ludique du souffle peut être proposé, comme produire des bulles de
savon. L’imitation peut aider à la conscience de l’inspiration et de l’expiration,
en exagérant et avec des bruitages. Le rôle exploratoire de la respiration peut
ensuite être mis en jeu en respirant des objets odorants et des aliments, dans
un travail axé sur les ressentis de l’enfant, ses préférences et ses choix.
Un deuxième temps d’exploration d’objets a pour but de solliciter les différentes
modalités sensorielles. L’objectif recherché est l’intégration sensorielle qui, selon
Ayres (1979 in Kloeckner, 2011) est « l’élaboration de réponses adaptatives,
c’est-à-dire organisées et dirigées vers un but face à une expérience corporelle ».
L’enfant explore et choisit les objets manipulés. L’adulte l’aide à dépasser ses
hypersensibilités et l’incite à utiliser tous ses sens : Bernard Meurin utilise un
ventilateur, qui stimule et familiarise l’intégration sensorielle. Il enrichit ensuite
sa proposition avec un jeu de dînette pour combiner apport sensoriel et jeu
social et symbolique autour des rituels associés aux repas. S’amuser avec les
couverts et la pâte à modeler permet, outre l’exercice des praxies et du champ
sensoriel, de s’habituer à être assis à la table, à faire gouter et à partager.
Le troisième temps est constitué par une stimulation de l’espace péri-oral puis
oral. Cela paraît adapté pour Camilla qui peine à mettre en bouche un objet
ou à utiliser un micro. Des objets vibrants peuvent être choisis et associés à
Neurodéveloppement et stimulation de la zone orale 81

un toucher thérapeutique au niveau des masséters et des muscles péribuccaux


(Thibault, 2011) pour provoquer des stimulations oro-faciales (Alexandre, 2014).
Le renforcement de la motricité bucco-faciale se réalise aussi par l’entrainement
des praxies fines. Pour cela, des exercices ludiques peuvent être proposés comme
gonfler les joues ou tirer la langue. Le recours à un brumisateur d’eau pour
stimuler la langue et la bouche est également une possibilité. De plus, Camilla
peut maintenant manger des textures lisses en complément de l’apport entérale :
différents goûts peuvent être proposés et le plaisir recherché, de manière à
réactiver des expériences d’oralité positive.
Un dernier temps axé sur la verbalisation propose une comptine improvisée qui
s’appuie sur ce qui a eté réalisé pendant la séance. L’objectif est de favoriser la
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représentation des expériences.

C ONCLUSION

En fait, Camilla amène à questionner les différentes dimensions de l’oralité. La


stimulation de l’espace oral et une prise en considération globale du corps dans
un suivi en balnéothérapie paraissent pertinentes. Comme toujours, à chaque
étape, le support relationnel est indispensable pour favoriser l’intégration des
expériences par l’enfant.
Chapitre 10

L’impossible tétée
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Tiphanie Vennat

Le parcours de soin de Camilla fait état d’un certain nombre de pathologies


médicales au cours de ses premières semaines. Digestives et respiratoires, nous
comprenons rapidement qu’elles rendent complexe l’intégration de la zone orale
chez l’enfant. L’alimentation par sonde ainsi que les aides respiratoires ont très
probablement privé Camilla d’expériences orales essentielles au bon dévelop-
pement de sa psychomotricité. Camilla interroge particulièrement l’expérience
de la tétée qui pourrait lui avoir manqué, ce qui pourrait expliquer un certain
nombre de ses conduites sensori-motrices. Tustin (1989) nous rappelle que la
tétée peut être considérée comme une forme d’agrippement corporel face aux
angoisses d’effondrement du bébé. Winnicott (1975) rejoint cette idée lorsqu’il
évoque le sein en termes de « tétine de survie » pour ne pas tomber. Si Camilla
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n’a pu se tenir au sein maternel comme à une corde tendue au-dessus du vide,
nous comprenons que persistent en elle les signes d’un effondrement lorsqu’elle
se laisse tomber dans les bras de sa mère ou à travers l’hypotonie de la sphère
orale pressentie à travers la fuite salivaire. Nous pouvons également supposer
que l’utilisation des objets sur un mode autistique, telle que décrite dans cette
vignette clinique, constitue une lutte contre cet effondrement répondant aux
mêmes principes de la tétée. En effet, comme nous le rappelle Delion (2002) à
propos de la théorie de Tustin, les objets autistiques sont des parties du monde
extérieur vécues par l’enfant comme siennes et auxquelles il s’accroche impé-
rieusement comme autant de tétines par lesquelles il essaie de se tenir. De la
même manière, nous pouvons interpréter la recherche de contenance de Camilla
comme une tentative de retrouver la sensation de la tétée qui, rappelons-le,
84 L’ ORALITÉ

parce qu’elle procède de l’action de contenir le mamelon en bouche, constitue


une forme d’enveloppe physique et psychique. Ainsi l’étayage du regard et les
appuis arrière proposés par Bernard Meurin ont-ils comme objectif de concrétiser
l’idée selon laquelle « c’est l’alliance des sensations tactiles du dos et de la
pénétration du regard qui fonde le premier sentiment d’enveloppe » (Haag, 1997)
en permettant à l’enfant d’être à nouveau contenue telle qu’elle aurait pu l’être
dans l’expérience même de la tétée. Enfin la bouche molle repérée chez Camilla
n’est pas sans laisser présager un « vécu d’amputation du museau » tel que
développé par Tustin (1989). Cette expression désigne une relation bouche-sein
nommée « museau » (Spitz, 1974) et vécue sur le mode de l’arrachement, lequel
laisse chez une enfant comme Camilla le stigmate d’une bouche entrebâillée.
Par ailleurs, étant entendu que la bouche est un « facteur d’attachement » (Mon-
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tagner, 1988), nous pouvons légitimement nous demander si cette difficulté
n’aurait pas affecté la qualité de sa relation à l’autre.
Pour conclure, il m’apparaît important de souligner que si nous ne pouvons
formellement attribuer l’origine des troubles de Camilla au vécu d’arrachement à
ou toute autre expérience désorganisatrice de l’oralité, il apparaît assez logique-
ment qu’elle constitue une hypothèse de travail pertinente dans le suivi de cet
enfant.

LA « RÉCUPÉRATION DU MUSEAU » POUR C AMILLA

Dans la clinique psychomotrice des enfants avec autisme, un certain nombre d’élé-
ments peut signer une tentative de « récupération du museau » (Haag et Tordjman,
1995) : ceux qui se mordent compulsivement la langue, qui lèchent tous les objets à
leur disposition, qui suçotent ou qui persévèrent dans certaines conduites de succion
du pouce ou des doigts dans la bouche.
Dans le cas de Camilla, il semblerait que les mouvements de bouche et de langue,
ainsi que les recrutements des mains autour des lèvres, soient révélateurs d’une tenta-
tive de récupération du museau. La variété des recherches sensorielles de l’enfant est
ici à l’image de la grande diversité de sensations qu’offre la cavité orale. En effet, « la
cavité orale avec la langue, les lèvres, les joues, les voies nasales, et le pharynx est la
première surface à être utilisée dans la vie pour une exploration et une perception tac-
tile. Elle est particulièrement bien dotée en cela puisque toucher, goût, chaud et froid,
l’odorat, douleur et même sensibilité profonde impliquée dans l’acte d’avaler y sont
représentés » (Spitz, 1974). Le psychomotricien peut donc accompagner l’exploration
de Camilla par d’innombrables jeux de lèvres, de dents, de langue, de joues ou des
voies nasales. Dans certains cas et à la demande des enfants que je sens capable
d’assumer ce souhait, il m’arrive de toucher moi-même leur bouche ou leurs dents. Ce
L’impossible tétée 85

travail exploratoire nécessite une très grande confiance dans la relation étant entendu
que la bouche constitue un espace d’une grande intimité.
La pratique du portage au hamac, parce qu’elle invite à la régression des premières
expériences de « holding maternel » (Winnicott, 2006), peut également encourager
cette récupération du museau. Cela a été le cas pour Christian qui, une fois entouré de
plusieurs couvertures, a cherché à nicher nez et bouche dans les plis, les ondulations et
les circonvolutions du tissu qu’il humait délicieusement comme l’aurait fait un bébé en
rapprochant le doudou des ailes de son nez. Il finit par mettre son pouce à sa bouche
puis à faire de petits bruits comme s’il prenait plaisir à explorer pour la première fois
cette cavité primitive.
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« LE THÉÂTRE DE LA BOUCHE » EN PSYCHOMOTRICITÉ

Au-delà de la spécificité du travail développé précédemment autour de l’ensemble de


la bouche, l’oralité est un concept aux implications psychomotrices multiples et variées.
Elle est à l’image de la métaphore de Meltzer (2004), le théâtre intérieur de la vie
psychique dans lequel se joue l’intégration de fonctions psychomotrices aussi essen-
tielles que l’enveloppe, l’axe corporel, la latéralité, l’image du corps ou le langage. À
partir de la métaphore de Meltzer, au départ de mots choisis dans le vocabulaire du
théâtre qui me semblent très justement illustrer certains items psychomoteurs, comme
une mnémotechnique signifiante, essayons de retenir quelques idées simples sur le
travail de l’oralité en psychomotricité.
! Côté Cour et côté Jardin. Selon Bullinger, « la bouche est un espace de transit
pour le passage d’un espace latéral à l’autre » (1998). Nous comprenons alors
que les difficultés de latéralisation au-delà du délai de maturation neurologique
situé autour de six ans, peuvent être accompagnées sous l’angle de l’oralité, en
proposant à l’enfant de retraverser cette étape essentielle à la construction des
espaces droit et gauche.
! Le fond de scène. Rappelons-nous l’appui-dos proposé à Camilla. Cette pré-
caution posturale tient au fait que la sensation d’arrière-fond sécurise l’expérience
de l’oralité. Comme la mère qui soutient le dos de son enfant pendant la tétée, le
psychomotricien peut étayer le patient dans le travail de l’oralité en proposant, par
exemple, un appui-dos sur une chaise, contre un mur ou dans les bras.
! Le « brigadier », bâton qui frappe 3 fois. Toujours d’après Bullinger, la zone
orale constitue le point d’ancrage à l’édification progressive de l’axe corporel.
Située à l’entrée du tube digestif et considérée comme l’un des premiers repères de
l’axe corporel, la bouche constitue un point de départ important dans l’intégration
de l’axe chez les enfants autistes.
! Le rideau. Etre contenu ou lâché par le regard, se cacher du regard de l’autre ou
le chercher : autant de rideaux qu’il existe de paupières. Il importe au psychomotri-
cien de comprendre la façon dont chaque enfant a pu être accompagné ou non
par le regard au cours des premières expériences orales.
86 L’ ORALITÉ

! Acte 1 scène 1. Nous parlions de l’importance de la tétée en guise d’introduction


du cas de Camilla. La succion, parce qu’elle est une série de mouvements natu-
rellement rythmés, organise la temporalité de l’enfant. Nous pouvons dire que le
rythme de la tétée, lent ou rapide, soudain ou soutenu, entre pauses et rafales,
ainsi que la régularité des moments de nourrissage au cours de la journée agissent
comme autant de ponctuations qui structurent le temps.
! Le trac. Le travail de l’oralité en psychomotricité fait toujours écho à des éprou-
vés bouleversants chez l’enfant autiste, lequel peut par ailleurs manifester des
angoisses de dévoration massives. Cela m’évoque le suivi d’un enfant qui expri-
mait le contenu de ses cauchemars par des dessins de vampires, littéralement
« buveurs par les dents ». Les vampires peuvent à juste titre être considérés comme
des représentations archétypales de l’angoisse de dévoration. Dani avait dessiné
une série de cercles concentriques, chacun complété de dents acérées. Il y avait là
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l’idée d’une gueule grande ouverte et dentée qui dévorait une autre gueule grande
ouverte et dentée qui en dévorait une autre et ainsi de suite. Le centre de la bouche
était représenté par un rond noir. Notons au passage que l’orifice buccal tel que
dessiné par Dani n’est pas sans rappeler le trou noir dans lequel l’enfant autiste se
sent précipité.
! Le texte. L’oralité est aussi question de langage. La zone buccale, dans les tout
premiers mois de la vie, est investie dans la fusion. Son activité est par ailleurs
exclusivement tournée vers le bébé, en raison de ses besoins fondamentaux d’in-
corporation et d’introjection. Mais à mesure que l’enfant s’émancipe du corps
de l’autre, la bouche devient facteur de séparation et d’ouverture à l’autre par
l’avènement du langage. C’est alors que l’enfant peut passer du dedans au dehors,
de l’impression à l’expression, du se nourrir au parler.
! Le costume. Comme évoqué précédemment dans l’analyse de Camilla, le tra-
vail de l’oralité implique une exploration de l’enveloppe corporelle. Rappelons ici
l’importance du travail de contenance qui consiste à mobiliser chez les patients la
capacité de tenir dans certaines limites ou tenir avec, unir, maintenir, embrasser.
Il peut s’agir d’une proposition de contact corporel, de régulation de la fonction
tonique, ou de l’utilisation d’objets médiateurs contenants.
! L’accessoire. Retenons que, comme nous n’avons cessé de le rappeler dans ce
chapitre, l’objet, qu’il soit agrippé ou porté à la bouche, est un outil thérapeutique
essentiel au travail de l’oralité en psychomotricité.
! Le décor. Décorer, orner, embellir, sublimer et investir positivement certaines
conduites orales parfois irritantes telles que mordre, lécher, cracher, souffler,
siffler ou grincer des dents, est ce qui incombe au psychomotricien engagé dans
l’accompagnement de l’oralité chez l’enfant autiste.
! Le public. Nous l’avons compris, l’oralité implique par essence la question de
l’autre. Manger, parler, embrasser, sont les grands enjeux relationnels de l’oralité.
Nous pourrions dire qu’elle assure des fonctions vitales du lien à l’autre.
L’impossible tétée 87

L’oralité est une fonction particulièrement riche et complexe, dont l’accompa-


gnement est à l’image de la grande diversité de ses implications psychomotrices.
L’observation de Camilla nous apprend qu’il est essentiel de comprendre l’oralité
dans une perspective globale, entre les aspects sensoriels et tonico-posturaux,
sous l’angle praxique ou sous l’abord relationnel. Les réponses thérapeutiques
sont alors variées ainsi que nous venons de le développer.
Pour conclure, je rappelle que si l’oralité est parfois envisagée à tort du domaine
exclusif du travail orthophonique, elle trouve des réponses intéressantes et
complémentaires dans la pratique psychomotrice.
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Chapitre 11

Une bouche seule, ça n’existe pas


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Sylvie Gadesaude

Camilla présente des entrées multifactorielles à la pathologie autistique. D’où


sans doute le diagnostic d’autisme atypique. Bernard Meurin nous propose les
hypothèses de son observation psychomotrice en intégrant les données du bilan
sensori-moteur et les conséquences d’un manque d’investissement de la zone
orale dans les tout premiers temps sur le retard d’acquisition de l’équilibre et
l’installation des praxies.
On gardera en tête la possibilité pour cette petite fille de connaître et de dire
des mots, d’imiter des sons, de prendre et de lâcher et de mener des gestes
intentionnels sur son propre corps.
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L A CAVITÉ PRIMITIVE , DEDANS / DEHORS ET PLAISIR

Pour Spitz, c’est dans l’intérieur de la bouche que commencera toute perception.
La cavité orale remplit la fonction d’un pont entre les perceptions internes et
externes. Étonnante vision moderne proposée par Bullinger sous l’angle des
premières conduites instrumentales, base de la subjectivité. Téter et déglutir
sont les premières actions musculaires actives et coordonnées de l’enfant. Ce
sont les premiers muscles contrôlés par la volonté.
Spitz parle d’une « gestalt » projetée vers cette cavité primitive. Trois organes y
participent depuis la naissance : la main, le labyrinthe, (par la mise en position
du nourrissage et caractéristique de la sensation protopathique) et la surface
90 L’ ORALITÉ

cutanée externe où sont indifférenciées, sans doute au départ, les sensations pro-
venant des passages buccaux, nasaux, laryngés et pharyngés. Il en conclut que,
dans cette situation singulière, aucune partie ne peut être différenciée d’une
autre. Cette expérience perceptive est inséparable de celle de la gratification du
besoin qui a lieu en même temps et qui mène, par une réduction extensive de la
tension, d’un état d’excitation ayant la qualité de déplaisir à un nouvel état de
calme, dépourvu de déplaisir.
Bullinger rappelle que les jeux de bouche sont les premières conduites orien-
tées vers un but. Ils entraînent une mise en tension qui sollicite la sensibilité
profonde et permet de ressentir l’ensemble de l’organisme en mobilisant un
grand nombre de groupes musculaires. Les stimulations tactiles sollicitent le
système archaïque en ce qu’il traite les aspects qualitatifs et peuvent induire
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des réactions d’hypertension en cas de déplaisir qui désorganise la position du
bébé. Il insiste sur la construction d’une chaîne narrative qui aboutit à l’état
final de plaisir.
Anzieu (1985) décrit les situations de tétée qui conduisent le bébé à faire
l’expérience d’une surface comportant une face interne et une face externe,
distinguant le dehors et le dedans et délimitant un volume.
Il précise comment les orifices (bouche, anus, méat urinaire, vagin, voire nez,
pavillon auriculaire, orbite, nombril) deviennent des zones érogènes – le cas
échéant – comme des figures ou des points de plaisir intense et rapide sur un
fond de sensualité globale de la peau.
L’histoire de Camilla laisse penser qu’elle a été privée de ces premières expé-
riences, subjectivantes car à l’origine des perceptions du soi et du non soi.
Camilla ressent-elle de la douleur ou du déplaisir quelque part ? Ses réactions
tactiles laissent entrevoir une appréhension au toucher. Après avis médical, la
balnéothérapie ou une activité de piscine en groupe seraient-elles envisageables
pour lui offrir des situations de holding sécurisantes et régressives – comme
souvent l’eau – et pour lui permettre d’éprouver des sensations de peau à peau,
de tenue du dos et de regard ? S’accommoder à l’univers aquatique sollicite un
travail polysensoriel par la nécessité de s’adapter à un nouvel état gravitationnel.
Les expériences de combinaison des perceptions sont induites naturellement
dans cet univers, précisément la peau, le labyrinthe, et la main. La bouche est
au centre de cette accommodation pour respirer et parler au milieu des gouttes
d’eau. Les jeux dans l’eau comme souffler ou faire des bulles permettraient
d’aborder les notions de dedans et dehors au même titre que tout simplement
dedans-dehors de l’eau.
Une bouche seule, ça n’existe pas 91

Ce travail dans l’eau laisse aussi une large part aux interactions, aux affects,
excitations, peurs, à partager dans une expérience qui serait subjectivante, tout
en permettant de mobiliser les images du corps passées et de les réactualiser
dans une image plus globale et en même temps plus différenciée, source de
plaisir et d’échanges porteurs d’émotions. (Roussillon).

L A BOUCHE , LIEU DE RENCONTRE AVEC UN PREMIER


OBJET

C’est du côté des interactions que je voudrais aborder ce thème de l’oralité, en


ce qu’il est aussi le premier temps de la rencontre avec un objet extérieur qui
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deviendra un objet d’amour.
Bick, traduite par Haag (1983), décrit l’objet optimum pour aider l’enfant à se
sentir exister dans les tout premiers temps :
« Le besoin d’un objet qui soit contenant semble bien, dans l’état de non-
intégration du premier âge, engendrer une recherche frénétique pour un objet-
lumière, voix, odeur, ou autre perceptible par les sens et qui puisse maintenir
l’attention et les parties de la personnalité, momentanément au moins. L’objet
optimum est le mamelon dans la bouche tout ensemble avec la façon qu’à la mère
de maintenir, de parler et son odeur familière. »
Tustin (1986) et Haag (1995) ont décrit comment la séparation avec la mère
avait pu être intolérable et vécue comme un traumatisme au plus profond du
corps des enfants autistes avec des éprouvés de morcellement, de discontinuité
et d’amputation du museau.
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H ECTOR
Hector a deux ans et demi. Avec une présentation de trouble du spectre autistique
et sans langage, il déambule sur la pointe des pieds, se montre évitant au contact
et utilise les objets dans un fonctionnement stéréotypé. Il est aussi capable de beaux,
mais brefs, échanges de regards. Ses sourires semblent dire qu’il est sensible aux
éléments émotionnels du contexte. Pendant les entretiens avec ses parents, il déambule
dans la pièce ou se tient sur les genoux de son père. Il adopte alors toujours la même
posture : assis à la recherche d’un appui dos, il lève les bras, accentue la position
d’extension et enfourne ses doigts dans les oreilles de son père.
Je propose d’imaginer une séance de bercement avec la maman. Les interactions du
départ ont été mises à mal, nous dit l’histoire familiale, Hector ne semble pas avoir
appris à se lover dans les bras de sa mère. Les parents ont essayé de se remettre
des débuts difficiles en faisant « vite » grandir Hector. Les petits jeux sensori-moteurs
92 L’ ORALITÉ

du début n’ont pas été explorés. C’était un bébé très sage dans la journée et qui ne
faisait pas de bruit, même pas au coucher.
Quand la mère prend son fils pour l’installer dans ses bras, Hector se jette en arrière
dans un mouvement d’hyperextension et de rotation vers l’extérieur. Sa maman le
contient. J’en profite pour tenir les pieds d’Hector afin qu’il trouve un appui contenant,
comme une fermeture au niveau du bas du corps. Je sens alors qu’il exerce une
poussée pour appuyer dessus. Peut-être cela lui donne-t-il une sensation de ressort
tout autour de son axe. J’ai l’impression que nous sommes maintenant bien installés
tous les trois car la pression des pieds a laissé la place à un contact lourd comme
si je portais un poids. Hector est enroulé autour de son axe, évite le visage de sa
mère. Il regarde vers l’extérieur ou moi quand je lui parle. Je présente une balle en
mousse à Hector blotti en boule. Je viens la poser sur les bras d’Hector et je dis :
« là/pas là, là/pas là », pour associer le rythme du contact avec une évocation ou
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un son. Hector regarde. Sa maman aussi. Je tends la balle à la maman qui prend
la suite : « là/pas là, là/pas là ». Elle la promène sur les jambes, les bras et la tête
d’Hector qui suit la petite balle des yeux. Il a une expression sérieuse sur le visage.
Sa maman s’arrête, cherche son regard et tout à coup, il glisse son doigt dans la
bouche de sa mère qui est toute émue. Il continue comme il fait avec les oreilles
de son père. Je traduis ce mouvement : « Maman t’es là ? » Hector semble saisir les
repères de cette situation dans les séances suivantes, car quand sa mère s’installe
au tapis, il accepte de s’asseoir dans le creux de ses jambes. Il tente aussi, parfois,
d’échapper à la situation. Il pourra progressivement regarder le visage de sa mère,
tirer sur ses boucles d’oreille et agripper son nez, souvent avec des mouvements vifs
qui arrachent des cris de surprises et de douleur à sa mère. Il faudra travailler sur
les modulations, les nuances et les anticipations des mouvements d’Hector pour que
cette séquence d’exploration et d’attaque devienne un temps de jeux et d’interactions.
L’enfant y trouvera de bons appuis dos avec de beaux moments de regards partagés.
Hector prend parfois la balle des mains de sa mère pour la passer sur ses mains.

Bullinger fait l’hypothèse que le jeu particulier des ressources tonico-motrices


chez l’enfant (hyperextension du buste, entre autres) contribue à l’organisation
du syndrome autistique car il provoque la perte de la liaison visuo-manuelle et
provoque la désorganisation de la chaîne relationnelle qui commence avec le
pointage.
Chapitre 12

Synthèse
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Bernard Meurin

Si le concept d’oralité a été initialement introduit par Freud, nous pouvons constater
qu’il a aujourd’hui débordé le cadre de la psychanalyse pour être développé dans
d’autres abords théoriques comme la psychologie développementale, telle que la
propose André Bullinger autour du développement sensori-moteur ou dans les soins
de soutien au développement proposés aux bébés prématurés. Dans les quatre textes,
nous sommes sensibles aux deux aspects fondamentaux de l’intégration de la zone
orale. Nous avons d’une part avec Sylvie Gadesaude et Tiphanie Vennat une ouverture
du côté de la structuration psychique et d’autre part, avec Julie Lobbé et moi-même,
une ouverture plutôt du côté praxique et sensori-moteur. Pour autant, si l’angle
d’approche est différent, les quatre textes s’accordent sur la zone orale comme
espace d’expériences multisensorielles ainsi que sur les modalités de prise en charge,
en insistant chacun à leur façon sur les aspects de contenance, d’attachement et de
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mises en forme posturales. Ceci souligne bien la covariation entre la mise en place
des fonctions instrumentales et le développement affectif. Il n’y a pas d’un côté
une réalité psychique et de l’autre une réalité physique mais une seule et même
réalité perçue sous deux aspects complémentaires. Cela reflète bien la notion d’unité
corporo-psychique sur laquelle s’appuie la clinique psychomotrice.
Bien que nous n’ayons plus aucun doute sur l’importance d’une intégration har-
monieuse de la zone orale pour le développement de l’enfant, je souhaite néan-
moins évoquer une recherche effectuée en 2006 au CHRU de Lille (Delfosse, 2006).
Cinquante-deux bébés nés prématurément et ayant bénéficié d’une ventilation assis-
tée à la naissance, ont été revus entre trois et quatre ans. La recherche montre le
lien évident entre la durée de ventilation et les difficultés d’intégration de la zone
orale qui se traduit ultérieurement par des troubles alimentaires et du langage :
29 % des grands prématurés présentent un trouble de la succion, 44 % éprouvent
des difficultés dans le passage à l’alimentation avec des morceaux, 31 % refusent
de manger hors de chez eux, 38 % mangent très lentement et 36 % se nourrissent
...
94 L’ ORALITÉ

...
sans ressentir de plaisir. À ces difficultés alimentaires, il faut ajouter les troubles du
langage oral pour 25 % d’entre eux. En revanche, la recherche met aussi en évidence
que les bébés qui ont bénéficié d’une stimulation précoce de la succion avec tétine,
doigt ou allaitement sont passés plus tôt à la cuiller, ont mangé plus vite et avec
plaisir et sont moins lents que les autres. De même, leur langage est plus structuré
que celui des bébés non stimulés.
Si les sollicitations orales et péri-orales se généralisent aujourd’hui auprès des bébés
dans ce que l’on appelle les soins de soutien au développement, il faut être tout
aussi vigilant à ces aspects lorsqu’il s’agit d’enfants ou d’adultes porteurs d’autisme.
La prévalence des troubles de l’oralité pour cette population doit nous inviter à ne
pas négliger cette zone, en proposant très tôt des sollicitations sous diverses formes –
comme l’évoquent les textes – car les conséquences non seulement sur l’ensemble du
développement mais aussi sur les capacités relationnelles sont nettes. En 2017, lors
d’une conférence dans le cadre d’une demi-journée de réflexion éthique1 , Delahaye2 ,
intervenante au sein du réseau Handident des Hauts de France, ne pouvait que
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constater la négligence rencontrée vis-à-vis des soins bucco-dentaires pour les per-
sonnes handicapées, n’hésitant pas à assimiler celle-ci à une forme de maltraitance.
Au prétexte que la bouche est un lieu délicat, symboliquement connoté du côté
de l’intime et difficilement accessible, peu de prises en charge sont proposées en
dehors de situations flagrantes de caries ou de douleur. Or la bouche doit pouvoir
exister en amont des soins médicaux et être un lieu psychiquement habité dont
nous devons prendre soin. C’est tout l’enjeu que proposent ces réflexions croisées
autour de la question de l’oralité.

1. 13 mai 2017 : « (Re) penser le soin à partir du patient non-ordinaire » ; Demi-journée Philo/Psy
organisée par l’Espace Ethique Hospitalo-Universitaire de Lille (EEHU)
2. Chirurgien dentiste à Valenciennes : « Handident : (re)penser le soin dentaire à partir des
personnes en situation de handicap ».
PARTIE III

L’axe du corps
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Chap. 13 Vignette . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97
Chap. 14 Analyses psychomotrices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
Chap. 15 Amaury et la question de l’axe corporel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
Chap. 16 L’axe psychique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
Chap. 17 L’axe et « l’écorce » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117
Chap. 18 Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123
Chapitre 13

Vignette
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Tiphanie Vennat

Amaury et l’axe du corps


Amaury est un jeune adolescent de 13 ans adressé à l’EMP à l’âge de 6 ans. Son
histoire médicale est marquée par une succession d’espérances et de chutes. Son
développement psychomoteur discontinu a été ponctué d’évènements inquiétants. Sa
naissance fut marquée par la maladie grave et le décès de plusieurs membres de sa
famille. Les parents ont alors eu beaucoup de difficultés à « tenir debout », disent-ils,
tant les premiers temps de la vie de leur enfant ont été douloureux. Le dossier médical
d’Amaury fait apparaître un retard psychomoteur global dès 3 ans et associé à des
intérêts restreints, des balancements récurrents et une tendance à l’auto-agressivité.
Dès le bilan psychomoteur, je doute des capacités de cet enfant à construire son
axe corporel. Il présente une hypertonie axiale marquée par une attitude corporelle
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particulière : hyperextension du buste, bras ballants et tête légèrement dodelinante


mais sans rapport naturel avec le mouvement anatomique de la colonne vertébrale. À
ce sur-recrutement du tonus axial s’ajoutent des conduites paroxystiques stéréotypées
consistant en brefs sursauts en flexion des bras qui surviennent quotidiennement dans
les moments de désœuvrement. Amaury est alors gêné dans son expression motrice.
Le geste est impulsif, maladroit et dysmétrique. Je suis touchée par l’effort nécessaire
à Amaury pour s’accrocher maladroitement à son axe corporel. Nous pouvons dès
lors nous interroger sur la fonction de cette hypertonie de l’axe qui s’articule avec
des moments d’effondrement majeur : chutes fréquentes, affects dépressifs, besoins
fréquents d’alitement etc. J’ai très vite le sentiment qu’il existe chez l’enfant un mou-
vement alternatif entre verticalité et chute, entre quête d’axe corporel et moments
d’effondrement.
Le défaut de constitution d’un axe corporel, comme centre sécure à l’intérieur du
corps, semble se manifester dans le sentiment d’angoisse et d’insécurité d’Amaury.
Il est très souvent tendu, vite déstabilisé et envahi par un sentiment de panique bien
98 L’ AXE DU CORPS

qu’aucun élément contextuel ne semble objectivement l’agresser. L’enfant verbalise en


termes édifiants : « J’ai peur, est-ce que tu peux venir tout dedans ? » Il se lève alors
soudainement, et cherche une accolade, son sternum en regard du mien. Comme un
accordage illusoire à mon axe corporel.
Dans le dessin, l’image du corps est pauvre, réduite à un long trait pour le buste
qu’il dessine au plus proche du bord latéral de la feuille (toujours choisie en mode
« portrait ») comme pour en suivre l’axe naturel. Le graphisme d’Amaury est plutôt
anguleux et marqué par des lettres pointues et démesurément grandes. Ce qui m’in-
trigue particulièrement, c’est la fascination de l’enfant pour la lettre M – impliquant un
geste graphique qui monte et qui descend à l’image de la verticalisation et de la chute
– qu’il peut écrire à l’infini si je ne l’arrête pas.
Globalement, Amaury est très perméable aux émotions des autres sans toujours dis-
criminer ce qui vient de lui de ce qui est l’expérience d’autrui. Dans ce défaut d’axe
corporel, qui par essence différencie, Amaury est pris dans une grande confusion. Il
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se construit sur un mode de défense persécutif et interprétatif.
Nous sommes aujourd’hui en grande difficulté pour rassurer ce jeune garçon puisque
son angoisse continue à se nourrir d’elle-même, la menace d’effondrement restant
toujours présente. La prise en charge psychomotrice s’organise donc autour d’un
travail du sol, des appuis et poussées, et s’ouvre progressivement sur un dispositif
de relaxation en mobilisant les trois unités motrices constitutives de l’axe corporel
(tête, cage thoracique et bassin). Amaury bénéficie également d’une prise en charge
groupale à médiation « marionnettes ».
Chapitre 14

Analyses psychomotrices
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Tiphanie Vennat

L’ AXE CORPOREL D ’A MAURY, UNE VERTICALE VIDE

Michaux (1998) parle de lui-même en des termes qui évoquent parfaitement la


condition de certains patients avec autisme :
« Je me suis bâti sur une colonne absente [...]. Quoique ce trou soit profond il n’a
aucune forme, les mots ne le trouvent pas, barbotent autour. »

Cette sensation de gouffre profond m’apparaît ici essentielle dans l’analyse de la


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clinique d’Amaury, qui rappelons-le, me demande de le rassurer dans ce « tout


dedans ». Pierre Reverdy utilise la métaphore du « ravin noir où tout s’efface »
(1967) non sans rappeler « le gouffre sans fond » décrit par Hochmann (1997)
et dans lequel l’enfant redoute d’être précipité. Amaury nous renvoie ce vécu
et nous laisse penser qu’il se sent disparaître à chaque instant. Il inspire à
l’équipe de soin l’expression de sentiment discontinu d’exister. Dans le cas de cet
adolescent, il semblerait que l’hypertonie axiale intervienne comme une tentative
de lutte contre l’effondrement. Car Amaury peut à tout moment s’écrouler, se
laisser tomber au sol et pleurer comme un tout-petit.
Ce gouffre sans fond illustre également parfaitement la problématique orale
d’Amaury dont le morphotype anorexique laisse penser qu’en lui rien ne se
remplit vraiment.
100 L’ AXE DU CORPS

U NE RECHERCHE D ’ AXE CORPOREL


EN MONTAGNES RUSSES

L’histoire médicale d’Amaury est marquée par une succession d’espérances et de


chutes que je retrouve symboliquement dans l’écriture ininterrompue de la lettre
M. Son dossier fait état de plusieurs hospitalisations d’urgence pour suspicion
de maladie grave, chaque fois démentie par les examens médicaux.
Ses dessins sont également rarement centrés mais suivent soit le bord horizontal
de la feuille soit le bord vertical. Cet élément d’observation corrobore cette
impression d’alternance entre chute et recherche de verticalité. Enfin cette
dynamique se retrouve dans son rapport aux autres. Un rapport que l’on pourrait
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considérer comme « vertical » lorsqu’il essaie plutôt maladroitement d’exercer
une certaine forme d’autorité sur les enfants ou les adultes et « horizontal »
dans les moments où il se plie docilement aux décisions de l’autre.

A U PIED DE LA MONTAGNE : LE TRAVAIL AU SOL

Parce qu’il me semble que la problématique de l’axe s’origine ici dans un vécu
d’effondrement, le travail du sol m’apparaît essentiel à développer. Pour reprendre
l’idée du « gouffre sans fond » évoqué plus haut, cet abord du sol est l’occasion
d’édifier ce fond absent.
Je commence donc son suivi par l’approche de l’ancrage et du sentiment de
peser de manière à édifier le socle sur lequel pourra s’enraciner la conscience de
l’axe corporel. Car comme le rappelle Lesage (2015), « la dynamique de l’axe est
conditionnée par un bon ancrage dans le sol à partir duquel le corps s’érige dans
un repoussé : trouver son axe commence par s’appuyer pour jaillir ». Ainsi les
premières séances ont porté sur la prise de conscience du sol avec des images
de sol partenaire, stable, résistant, repoussoir et lumineux. Nous parcourons
ensemble la grande diversité des appuis corporels, plantaires ou palmaires et
situés en arrière de l’axe au niveau de l’os occipital, des omoplates, du sacrum et
des talons ou situés en avant de l’axe au niveau du front, du sternum et des ailes
iliaques. Cette pratique invite Amaury à prendre appui sur le sol mais également
à trouver des appuis à l’intérieur de lui grâce au système osseux. Cet aspect du
travail est en effet primordial dans la mesure où nous sommes chez l’adolescent
face à un problème d’inversion des fonctions. Car comme nous le rappelle Lesage
(2015), alors que le système osseux garantit une sécurité interne, Amaury confie
Analyses psychomotrices 101

sa sécurité au système musculaire, qu’il fait fonctionner dans l’hypertonicité


(hyperextension axiale).
Vint ensuite à sa demande un travail de relaxation au sol que j’ai orienté autour
des trois unités motrices constitutives de l’axe corporel : la tête, la cage thora-
cique et le bassin.
Ces trois différentes régions corporelles m’apparaissent fondamentales à plusieurs
titres. D’une part parce qu’anatomiquement elles circonscrivent des espaces en
volume et que la conscience du plein permet d’aborder la problématique du
vide évoqué en introduction d’autre part parce qu’ils portent respectivement
les fonctions symboliques de l’intellect, de l’émotionnel et de la sexualité. Cela
me permet donc d’aborder avec Amaury les questions qu’il se pose sur la limi-
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tation de ses capacités à penser le monde, la gestion de l’ambivalence de ses
émotions à l’égard des autres et la difficulté à vivre les brusques changements
du fonctionnement hormonal adolescent. Considérant le travail d’édification de
l’axe corporel dans une logique haut-bas, j’insiste également sur la connexion
entre la cage thoracique et le bassin, qui abritent respectivement « centre de
légèreté » et « centre de gravité » du corps (Laban, 1994). Comme le rappelle
justement Rouquet (1991), « le haut de la cage thoracique sera donc en rapport
avec la tête, l’accent étant mis sur le ciel et la légèreté et le bas le sera avec
le bassin, l’accent étant alors sur la terre ». Pour Amaury, tenir dans son axe
sous-entend de pouvoir s’équilibrer entre le ciel et la terre. Pour le moment, il
s’organise excessivement autour de l’un ou de l’autre, dans l’hyperextension du
ciel ou dans l’effondrement de la terre.
Ce travail de conscience corporelle est abordé sur une modalité sensorielle grâce
à des sacs lestés, bâtons ou ballons semi-gonflés sous ou sur chaque unité
motrice et par un travail moteur de dissociation des ceintures scapulaires et
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pelviennes.
Par ailleurs, le travail du sol m’est apparu opportun à la lumière de la pensée
de Tustin (1989), évoquant la « grande chute » qui occupe le centre du monde
du nourrisson. Le travail du sol en psychomotricité est alors l’occasion d’ac-
compagner cette difficulté à « retomber sur terre » après l’expérience extatique
originelle de fusion primordiale mère-bébé. Amaury est encore très dépendant
du corps de l’autre auquel il s’accroche pour ne pas s’effondrer. Nous essayons,
par ce travail au sol, d’amener Amaury à intérioriser ce support et à se saisir,
c’est-à-dire à se tenir en lui-même dans un véritable processus d’individuation.
Enfin ce travail de soutien au sol ne doit pas faire oublier que le premier appui
offert au patient est avant tout le nôtre. Cet étayage renvoie à notre capacité de
102 L’ AXE DU CORPS

holding, c’est-à-dire à notre disposition à soutenir corporellement et psychique-


ment notre patient. Tout ce travail du sol m’a sollicitée dans mes propres assises
et points d’appui internes. Il m’a fallu retrouver en moi une sécurité interne,
rester verticale, tenir droit dans le projet que j’avais pour lui et résister à son
effondrement. J’ai dû construire une « posture thérapeutique antigravitaire »,
c’est-à-dire développer en moi tout ce qui pouvait me permettre de lutter contre
l’effondrement d’Amaury. Je me suis donc appuyée sur la vitalité de mon corps,
accentuant la respiration, verbalisant mes mouvements, travaillant à la qualité
de mon accordage tonique et à l’énergie et adressant mon regard avec précision.
Ces petits détails cliniques me semblent importants à souligner dans le cadre
d’une pratique psychomotrice au sol. Car un écueil de l’exploration du sol est
d’inviter le patient à lâcher prise et s’abandonner au sol au risque d’encourager
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l’effondrement. Nous avons également tendance à ralentir notre respiration,
parler à voix chuchotée et parfois éteindre quelque chose de notre présence
corporelle de manière à encourager le patient à sentir ce qui se passe en lui
et en lui seul. Avec Amaury que l’effondrement plonge dans une profonde et
douloureuse solitude, il s’agissait au contraire de l’accompagner dans une grande
présence. À l’image de la problématique axiale, je pourrais dire qu’être présente
à Amaury, c’était tenir en mon axe comme une corde tendue au-dessus de son
puits sans fond.

A LA CONQUÊTE DE L’ AXE : GRAVIR LA MONTAGNE

Repousser
!

Par la suite, j’ai progressivement introduit la notion du repoussé de façon à


impulser chez l’enfant le mouvement du relevé. Il s’agissait, allongé en décubitus
ventral, de repousser le sol avec une main, un coude, un genou, un pied, etc. Au
départ avec un seul appui et progressivement avec deux, trois ou quatre appuis.
Ce mouvement de relevé est ici à entendre dans son double enjeu, comme
mouvement psychique venant s’opposer à l’effondrement d’Amaury, et mouve-
ment physique permettant de réactiver les schèmes moteurs du redressement
indispensables à la reconquête de l’axe corporel.
La respiration a aussi été essentielle pour aider Amaury dans ce travail du
redressement. En effet, l’ouverture thoracique à l’inspiration participant auto-
matiquement au redressement du tronc, il était intéressant de synchroniser
Analyses psychomotrices 103

l’inspiration au mouvement du relevé. Le retour au sol était à l’inverse réalisé


dans l’expiration.

Monter et descendre
!

Dans la perspective de travailler la question centrale chez Amaury de la verticalité


et de la chute, et dans la logique des repoussés/relâchés au sol développés en
première partie de son suivi, j’ai conclu la pratique par des parcours ludiques de
montées et de descentes. Il s’agissait de lui proposer de monter, gravir, se hisser,
grimper, escalader le mobilier et le matériel psychomoteur puis de descendre,
glisser, sauter, retrouver pied etc.
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C ONCLUSION

Le suivi psychomoteur d’Amaury a été en dents de scie. L’ascension de la mon-


tagne demande du temps et des lieux refuges quand la sensation de la hauteur
soudainement effraie. S’ériger, tenir en son axe est un exercice d’équilibriste
chez ces enfants dont les évolutions sont souvent accompagnées de régressions.
Nous l’avons vu, grandir et se grandir est un travail de tous les instants en
psychomotricité. Le parcours d’Amaury montre à quel point la tâche est riche et
complexe et peut trouver de nombreuses réponses thérapeutiques.
Chapitre 15

Amaury et la question
de l’axe corporel
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Bernard Meurin

« Dans l’ordre phylogénétique, les vertébrés ont été d’abord un axe avant d’être
pourvus de membres. » Par cette phrase, Thomas et de Ajuriaguerra (1948)
laissent entendre que la genèse de l’axe corporel ne concerne pas seulement
les individus mais l’histoire même des vertébrés et parmi eux, l’homme. Cette
verticalisation provoque une métamorphose profonde non seulement au niveau
anatomique mais aussi au niveau des coordinations. Comme le souligne Le
Breton (2000), « la faculté proprement humaine de donner du sens au monde,
de s’y mouvoir en le comprenant et en le partageant avec les autres, est née
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

du redressement de l’animal humain il y a des millions d’années ». Si l’homme a


mis un peu moins d’un demi-million d’années pour se redresser, l’enfant le fait
désormais en une année, mais la construction de « l’axe corporel » reste une
véritable conquête dont la qualité dépend de nombreux facteurs comme nous le
rappelle l’histoire d’Amory.

A PPROCHE SENSORI - MOTRICE DE L’ AXE CORPOREL

Bullinger (2004) souligne que c’est souvent la dimension biomécanique du


redressement qui est prise en compte. Or, si les points d’appuis permettent de
s’ajuster aux forces de la pesanteur, ils participent aussi du déroulement d’actions
106 L’ AXE DU CORPS

orientées. Ainsi, l’axe corporel est non seulement un point d’appui postural mais
aussi émotionnel, cognitif et représentatif, ce que Tiphanie Vennat illustre bien
lorsqu’elle évoque l’insécurité et l’angoisse d’Amory.
L’histoire du redressement débute in utero. Alors que le fœtus est bien contenu,
il existe une première forme de dialogue qui passe par une extension du buste
de l’enfant à naître en réaction aux contractions de l’utérus qui maintiennent la
position d’enroulement. Puis, c’est le milieu humain, par ses qualités de portage
tant psychique que physique, qui inscrit le bébé dans son nouvel environne-
ment. Pour Amaury, dont les parents eux-mêmes avaient du mal à tenir debout,
nous pouvons faire l’hypothèse que cette fonction de portage dans sa double
dimension corporelle et psychique a été fragilisée du fait de circonstances de
vie difficiles.
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Coeman (2004), autour de la notion d’axe corporel, propose deux processus qu’il
appelle d’une part « le redressement » et d’autre part « l’extension ». Dans le
redressement, l’accès à la verticalité est contrôlé, modulable et fluide. Coeman
appelle cela une « logique d’empilement ». Ce processus intègre la pesanteur
et permet un sentiment d’aisance sans effort exagéré. La construction se fait
de l’axe des cervicales jusqu’à l’articulation coxo-fémorale instituant une bonne
stabilité. L’enfant est disponible à ce qui l’entoure et il peut s’orienter. Nous
pourrons dire qu’il a développé une sécurité de base, terme que nous pouvons
assimiler à celui d’équilibre sensori-tonique développé par Bullinger. Dans l’ex-
tension, l’accès à la verticalité est dominé par une tension excessive et une
rigidité du buste. L’enfant lutte contre la pesanteur et il s’érige sur une structure
peu stable. De ce fait, les bras se positionnent en écart, fragilisant les liaisons
mains/bouche/regard. Une attitude en agrippement peut venir compenser la
fragilité du redressement et lors de la maximisation de l’extension, la marche
sur la pointe des pieds peut apparaître. C’est la loi du tout ou rien et l’enfant
éprouve un sentiment d’insécurité.
La description d’Amaury permet de supposer que l’axe corporel se serait plutôt
construit sur un processus en extension plutôt qu’en redressement. Nous retrou-
vons l’hyperextension avec un fort recrutement tonique, des mouvements en
flexion dans les moments de désœuvrement et un fort sentiment d’insécurité
interne. En ce qui concerne les moments d’effondrement, ceux-ci peuvent se
comprendre dans le cadre d’un fonctionnement en tout ou rien ou On/Off comme
l’appelle Bullinger. Enfin, les chutes fréquentes dont est victime Amaury sou-
lignent bien le lien existant entre la fonction proprioceptive et l’investissement
de l’axe corporel. En conséquence, l’expression motrice d’Amaury est particulière
avec des gestes impulsifs et maladroits. Dans cette situation, il nous paraît
Amaury et la question de l’axe corporel 107

essentiel, comme le fait Tiphanie Vennat, de bien comprendre les liens entre
cette expression motrice impulsive et le défaut de redressement.
Si ces éléments de compréhension n’étaient pas pris en compte, l’impulsivité
pourrait rapidement être perçue comme de l’agressivité. Tel Alexis, 12 ans, que je
rencontre dans son IME et qui est vécu comme très agressif puisque, sans raison,
il frappe les autres enfants. Or, l’évaluation psychomotrice met en évidence
de grandes difficultés posturales non prises en compte par l’équipe éducative
envahie par l’agressivité. L’allure spontanée est impactée par une hyperextension
arrière avec une exploration visuelle difficile, ce qui ne facilite pas la précision
des gestes qui restent amples. La marche se déroule sur la pointe des pieds
avec une déformation au niveau du pied droit tourné vers l’intérieur. Ceci ne
facilite pas l’équilibre dans les déplacements. Pour compenser, Alexis met les
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bras en écart comme des balanciers ou s’agrippe aux objets qu’il trouve en les
mordant. Ces comportements contrastent avec une bouche constamment ouverte
et un important bavage. Lors des moments de frustration, Alexis réagit par des
mouvements d’extension du dos l’amenant parfois à se renverser complètement
en arrière. Il a été important pour l’équipe de comprendre le lien entre la fragilité
de l’axe corporel, l’organisation motrice d’Alexis et son impulsivité. De ce fait,
ses attitudes ne sont plus vécues uniquement comme agressives mais aussi
comme une recherche de stabilité. Dès lors, plutôt que de le punir systémati-
quement lorsqu’il tape, les réponses se feront aussi en termes de contenance
et d’installation en privilégiant notamment les espaces plus sécurisants dans
lesquels Alexis se sent beaucoup mieux.

A XE CORPOREL ET CLINIQUE PSYCHOMOTRICE


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Si l’on intègre les aspects sensori-moteurs dans la prise en charge, deux autres
moments du développement sont importants à connaître. Il s’agit de ce que
Bullinger1 appelle « l’espace du buste » et « l’espace du torse ». Dans le premier,
la maîtrise du schéma flexion/extension permet à l’enfant de trouver progressi-
vement son point d’équilibre dans le plan médian. Cette coordination, associée
à la coordination entre la vision périphérique et focale, soutient les échanges
de l’enfant avec son milieu. Ensuite, les mouvements de torsions associés à la
mise en place de la coordination bimanuelle et visuo-manuelle se mettent en

1. Bullinger, A., (2015). Le développement psychomoteur in Le développement sensori-moteur et


ses avatars – Tome 2. Toulouse : Erès.
108 L’ AXE DU CORPS

place permettant à l’enfant de passer les objets d’une main dans l’autre. Ainsi, la
maîtrise du schéma flexion/extension associée à la maîtrise des mouvements de
torsion consolide le redressement et constitue « l’axe corporel » dans sa triple
dimension, posturale, émotionnelle et représentative :
« L’axe corporel comme point d’appui représentatif constitue une étape importante
dans le processus d’individuation et rend possible les activités instrumentales. Elle
fait de l’organisme un lieu habité. » 1

Sur le plan clinique, pour moduler les hyperextensions et soutenir la fonction


proprioceptive, il est intéressant de proposer des activités à base d’enroulement
et de postures en rassemblement. Ces installations s’avèrent souvent apaisantes
et sont propices aux interactions. Il ne s’agit pas seulement d’installer la per-
sonne mais de s’appuyer sur une installation ajustée pour proposer des situations
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qui enrichissent le potentiel psychomoteur. De même, proposer des appuis dos
mais aussi des appuis sur le ventre peut organiser le regard et donc la précision
des gestes et des interactions.
Lorsque l’investissement de l’axe corporel s’avère difficile comme pour Amaury,
les conséquences sont extrêmement préjudiciables tant au niveau postural que
relationnel. Le redressement se réalise sur la base d’une régulation tonique
excessive et la maximisation des tensions peut, à terme, entraîner d’importantes
déformations de type orthopédique.

C ONCLUSION

Pour conclure, soulignons que le défaut d’intégration de l’axe corporel rendra


par la suite difficile l’investissement du bas du corps. La marche sera possible
mais souvent peu harmonieuse. L’enfant risque de trébucher, ses trajectoires
seront incertaines et les pieds ne pourront pas s’adapter à la nature du terrain.
À terme, l’accès à la propreté pourra être difficile. Si l’accès au « je » s’inscrit
dans la rencontre à l’autre, sur le plan sensori-moteur il dérive également de la
construction de l’axe corporel.

1. Bullinger, A., (2004). Cognition et corps in Le développement sensori-moteur et ses avatars –


Tome 1. Ramonville Saint-Agne : Erès.
Chapitre 16

L’axe psychique
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Julie Lobbé

L’ AXE CORPOREL , PILIER DE LA MOTRICITÉ

L’axe est une ligne verticale imaginaire, qui va de la tête au bassin via la colonne
vertébrale (Augustin, 2012). On perçoit, dès cette définition, une difficulté de
cet ordre chez Amaury dont la tête est décrite comme « sans rapport naturel
avec le mouvement anatomique de la colonne vertébrale ». Augustin complète
sa définition en précisant que la ligne imaginaire aboutit au sol au centre
du polygone de sustentation. L’axe corporel conditionne donc la verticalité et
l’équilibre associé. Or, Amaury chute fréquemment.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Il est aussi gêné dans son expression motrice par des gestes impulsifs et dys-
métriques. Or, l’axe corporel est lié à l’utilisation des membres car les ceintures
scapulaire et pelvienne y sont reliées. « La construction de l’axe corporel condi-
tionne l’accès à une motricité fluide, coordonnée et volontaire » (Augustin,
2012). L’équilibre de l’axe va ainsi faciliter la libération des bras et des mains
mais aussi la prise d’informations en provenance de l’environnement. L’attitude
corporelle d’Amaury associe une hyperextension du tronc, des membres pendants
et une tête qui s’oriente sur le côté, peu propice à l’exploration.
Bullinger (2008) souligne que le schéma en hyperextension entraîne aussi une
perte du lien visuo-manuel nécessaire à l’exploration. La constitution de l’axe
corporel et la mobilité associée permettent de relier les différents espaces cor-
porels et sensoriels au service des fonctions instrumentales. « Cet espace unifié
110 L’ AXE DU CORPS

est celui de la préhension » (Bullinger, 1998). En effet, l’unification de l’espace


grâce à la constitution de l’axe corporel permet aux gestes fins de s’installer.
L’hypothèse d’un axe insuffisamment intégré chez Amaury prend là aussi du sens,
celui-ci ne pouvant développer d’activités de motricité fine. Il semblerait en effet
qu’il privilégie une recherche de sensations dans des « conduites paroxystiques
stéréotypées consistant en un bref sursaut en flexion des bras » au détriment de
l’utilisation d’objets.
De plus, Haag (2006) nomme clivage vertical « la non-intégration de l’axe du
corps (...) responsable en particulier d’une hypertonie permanente de compen-
sation ». On peut imaginer que cette hypertonie permanente, se traduisant
par une hypertension de l’axe, puisse occasionner de la fatigue chez Amaury
dont la posture ne se maintient pas automatiquement dans un tonus adapté.
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À l’image du jeune enfant qui doit produire un effort pour contrôler la station
verticale, Amaury pourrait gaspiller de l’énergie dans un maintien postural axial
non automatisé. Cela constituerait une autre hypothèse que les affects dépressifs
à ses fréquents besoins d’alitement.

L’ AXE CORPOREL COMME RÉVÉLATEUR PSYCHIQUE

La verticalité de l’axe diffère en fonction des habitudes posturales de chacun


et de ses émotions. Tristes ou fatigués, nous courbons le dos. Joyeux, nous
nous redressons. Nous avons tous une façon différente de nous redresser car
l’axe corporel synthétise des éléments physiques, émotionnels et anamnestiques.
« Pour vraiment parler d’axe corporel et de verticalité, il faut s’imaginer une
belle mécanique nourrie et entretenue par notre vision de nous-mêmes, par nos
représentations, nos émotions » (Mariot, 2013).
L’axe corporel est ainsi une facette de notre manière d’être au monde (Mariot,
2013). Dès les premiers temps de vie, nos habitudes posturales prennent racine
dans le tonus musculaire (Wallon, 1933), premier vecteur de communication chez
le bébé pour traduire ses émotions : la détente liée à la sérénité et la raideur
pour exprimer le malaise. Cette communication reste active tout au long de notre
vie même si elle est complétée par la modalité verbale. Nous ne détaillerons pas
le développement psychomoteur de l’axe explicité par Bernard Meurin. Nous rap-
pellerons simplement le rôle fondamental de l’environnement humain. Plus que
des expériences corporelles, ce sont les expériences en relation dans le portage,
l’attention, les émotions, les regards, qui permettent au bébé de lier les ressentis
des hémicorps gauche et droit (Augustin, 2012). Ces rassemblements corporels
L’axe psychique 111

conditionneraient une organisation fiable du corps et un accès progressif à la


verticalité.
Bullinger (1997) parle de l’équilibre sensori-tonique de l’axe comme d’une plate-
forme synthétisant des sensations internes et externes, à partir de laquelle
l’enfant peut engager des interactions avec son milieu. Elle permet que se
forment des habitudes et des représentations. Ces domaines, défaillants dans
les TSA, pourraient donc être en lien avec une problématique d’intégration de
l’axe corporel. Chez Amaury, on retrouve une représentation symbolique de l’axe
appauvrie au niveau de l’image du corps comme en atteste un dessin du buste
réduit à un long trait. Cette articulation fait dire à Kloeckner et al. (2009) que
« l’axe corporel apparaît non seulement comme un appui postural mais aussi
comme un appui représentatif et émotionnel ». Il est ainsi troublant d’établir le
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parallèle entre les parents d’Amaury qui peinent à « tenir debout », la fascina-
tion de l’adolescent pour la lettre M qui monte et descend et ses expériences
psychomotrices entre verticalité et chute. Le fil conducteur que constitue l’axe
corporel permet de lier et de donner sens à ces manifestations.
Amaury se permet progressivement d’expérimenter la verticalité, que Bullin-
ger (in Devanne, 2012) nomme prothèses de rassemblement. Celles-ci peuvent
prendre une forme physique mais aussi symbolique. Ainsi, l’accolade sternum
contre sternum d’Amaury avec la psychomotricienne, dans un contact tactile
et proprioceptif, pourrait revêtir cette fonction de même que le recours à des
aides physiques concrètes, comme suivre le bord latéral de la feuille pour aider
à dessiner de façon rectiligne.

P ROPOSITIONS DE PRISES EN CHARGE


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EN PSYCHOMOTRICITÉ

De l’ancrage du bassin à la libération des mouvements


!

et de la sensorialité

Pour Pelletier-Milet (2010), la rééducation de l’axe corporel passe par le bassin


dont l’ancrage donne un point d’appui à l’axe corporel. Il peut être mobilisé à
travers des situations d’équilibration et de prises d’appuis comme l’assise sur un
gros ballon. L’enfant peut ainsi être positionné de manière à laisser au bassin ses
possibilités de mouvement en sorte de solliciter l’axe et ses chaînes musculaires.
Vers l’avant, le mouvement du ballon induit l’extension pour ne pas tomber. Vers
112 L’ AXE DU CORPS

l’arrière, il provoque la flexion et sur les côtés, la rotation. Le gros ballon met
ainsi en jeu des ajustements avant-arrière et gauche-droite.
La recherche de mouvements du tronc peut aussi se faire en proposant à l’enfant
d’attraper un objet qui l’intéresse vers le haut (extension) vers le bas (flexion)
ou derrière (rotation). Il est important de veiller à la texture et la forme qui
peuvent influencer la préhension ainsi que l’intérêt du patient, notamment dans
le cas d’Amaury qui possède « des intérêts restreints ». Avec les gros objets, la
saisie s’opérera à deux mains dans un mouvement de coopération symétrique
permettant un rassemblement autour de l’axe (Kloeckner et al., 2009). Le travail
des postures asymétriques est également important et sera centré sur la disso-
ciation des ceintures au niveau des épaules et du bassin. La main gauche peut
traverser l’axe médian et aller chercher un objet dans l’espace droit par exemple.
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Proposer de nouvelles expériences corporelles et une posture correcte permet à
l’enfant d’agir autrement, de redresser son corps et de placer son regard pour
voir se passe autour de lui. De plus, les déséquilibres provoquent des sensations
et des réajustements toniques qui mettent en jeu les sens proprioceptif et
vestibulaire. Les mains du psychomotricien sollicitent le sens tactile. Le toucher
du dos contribuerait d’ailleurs à créer des représentations de cette zone. Le
psychomotricien sollicite également la vue et l’audition par ses actions et ses
verbalisations. Or, l’intégration multisensorielle est un axe de travail important
auprès des enfants avec TSA.

La mise en sécurité et le portage


!

L’intégration sensorielle, l’ancrage et l’ouverture sont possibles grâce à une mise


en sécurité fondamentale. « L’enfant ne peut se réaliser que s’il peut s’installer
dans la sécurité affective. » (Montagner, 2002) La sécurisation permise par le
dialogue tonico-émotionnel avec le psychomotricien amène avec elle, notam-
ment, du plaisir. Ceci va d’autant plus motiver l’enfant à stabiliser ses postures,
regarder ce qu’il fait et se verticaliser pour saisir les objets.
De plus, l’usage du hamac, ou mieux, du cheval, permettrait de mettre en jeu la
notion de portage. En effet, le développement psychomoteur de l’axe corporel,
comme le rappelle Bernard Meurin, nécessite une mise en mouvement mais
également un portage. L’avantage thérapeutique du cheval est qu’il « amplifie le
mécanisme postural, construit l’état tonique. En retour de mouvement, le cavalier
ajuste ses postures, les mouvements se délient [...] comme si l’axe corporel était
tonifié par les mouvements du poney et permettaient aux vertèbres de s’empiler
tranquillement » (Pelletier-Milet, 2010).
L’axe psychique 113

S IGNES CLINIQUES DE L’ AXE CORPOREL

Lors des recherches sur notre thème, j’ai été frappée par le peu d’informations
sémiologiques disponibles sur le sujet. Pour autant, des auteurs de l’IFP Pitié-
Salpêtrière proposent des signes cliniques signant l’évolution de l’axe corporel1 .
Nous avons explicité le lien entre ces propositions cliniques et la sémiologie de
l’intégration de l’axe corporel puis proposé des signes complémentaires issus de
notre expérience clinique et de l’analyse psychomotrice d’Amaury. Ces proposi-
tions sont présentées dans un tableau (voir le Tableau 1 page suivante).
On apprend en permanence de notre corps, de ses atouts et de ses faiblesses et de
ses actions. « L’esprit se construit avec son expérience du corps » (Delion, 2010).
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L’axe corporel est, à cet égard, un bon exemple. Sa fonctionnalité motrice et
symbolique est en effet conditionnée par l’expérience émotionnelle et l’histoire
personnelle.
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1. http://www.chups.jussieu.fr/polysPSM/psychomot/autismevertenv/POLY.MinIsabellehtml
114 L’ AXE DU CORPS

Tableau 1 - Clinique psychomotrice de l’axe corporel


CHAMPS PSY- SIGNES CLINIQUES LIEN AVEC L’AXE CORPOREL
CHOMOTEURS
Propositions de L’enfant désinvestit sa bouche au La bouche est l’espace de
l’Institut de profit des coordinations manuelles découverte privilégié du bébé.
Formation en dans les manipulations d’objets L’intégration de l’espace buccal
Psychomotricité puis de l’axe corporel permet
Paris-Pitié- l’usage des mains pour découvrir
Salpêtrière l’environnement
L’enfant peut quitter l’appui au sol L’axe corporel constitue un point de
sans inquiétudes dans des sauts référence et d’ancrage organisant
ou des portages la motricité et rendant moins néces-
saire l’appui des pieds comme
base d’équilibre
L’enfant saisit des objets placés à Mise en place des espaces laté-
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côté de lui en utilisant la rotation raux reliés par l’axe corporel
MOTEUR ET du tronc
POSTURAL
L’enfant fait bravo avec ses mains Geste de coordination bimanuelle
ramenant les mains autour de l’axe
L’enfant colorie toute la feuille L’investissement de l’espace de la
grâce au passage de l’axe médian feuille montre symboliquement l’in-
par la main tégration de l’axe et l’unification
des espaces ; la main traverse
l’axe
Nos propositions L’enfant diversifie ses mouve- Selon Bullinger (1998), un hauba-
complémentaires ments de flexion, de rotation et nage avant-arrière se met en place
d’extension de la colonne verté- progressivement pour assurer la
brale lors de la saisie d’un objet stabilité entre flexion et extension
placé dans différentes positions ainsi qu’un haubanage latéral qui
permet les mouvements de rotation
du buste
La tête, le cou et le tronc sont L’axe corporel relie la tête, le cou
alignés selon une ligne verticale et le tronc. C’est une ligne verticale
imaginaire imaginaire
L’enfant chute fréquemment Non-projection de l’axe au centre
du polygone de sustentation
L’enfant se tient droit/courbé Traduction de l’état émotionnel
(hors troubles orthopédiques)
L’enfant peut réaliser des gestes Le manque d’intégration de l’axe
traversant l’axe médian, comme corporel perturbe la réalisation de
toucher son œil gauche avec sa gestes controlatéraux
main droite par exemple (Test de
Head in Zazzo, 1969)
Possibilité de saisir avec la main
opposée un objet présenté dans
un hémichamp, par exemple attra-
per une balle présentée du côté
gauche avec la main droite
L’axe psychique 115

(suite)
La latéralité est installée. La mise en place de la dominance
Tests de latéralité manuelle est possible quand l’en-
fant sent qu’il possède deux hémi-
LATÉRALITÉ
corps dont l’un est plus performant
que l’autre. Ces hémicorps sont
limités par l’axe corporel
Les concepts spatiaux de gauche L’axe corporel concourt à l’installa-
et de droite sont utilisés à bon tion de la latéralité, c’est-à-dire de
escient. la gauche et de la droite dans le
ESPACE
Test connaissance de la gauche et corps. Cette sensation corporelle
de la droite (Piaget) précède l’intégration cognitive des
concepts de gauche et de droite.
Mobilité articulaire des épaules, Indépendance de la charnière sca-
mobilisation passive, ballant à la pulaire avec l’intégration de l’axe
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MOTEUR
marche, observation des gestes corporel
des bras
SENSORIEL Coordination oculo-manuelle lors L’œil rencontre la main lorsque
MOTEUR de la préhension l’axe corporel est assez intégré
pour permettre la mise en lien des
espaces (Bullinger)
Dessin du bonhomme
Axe représenté par un trait,
SYMBOLIQUE
absent, courbé etc. Intégration symbolique de l’axe :
graphique/verbale
Discours de l’enfant et des parents
autour de la chute, de la verticalité,
du sol, du ciel etc.
Chapitre 17

L’axe et « l’écorce »
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Sylvie Gadesaude

Pour parler de l’axe, j’ai aussi besoin d’image. Est-ce parce que les autres parties
du corps sont plus instrumentales et engagent le verbe et l’action ? L’axe du
corps, comme un élément qu’on ne voit pas, ressort plutôt de l’imaginaire ou du
symbolique.
Tiphanie Venat évoque l’enracinement et le travail des appuis. Elle perçoit chez
Amaury l’intrication d’éléments dépressifs et d’affaissement tonique. Comme
tonus et affects sont liés, ils s’imprègnent dans le corps pour le façonner. Finale-
ment, n’est-ce pas un travail de construction des formes, les toutes premières qui
nous ont donné accès à la connaissance, d’abord intuitive, perceptive, puis de
plus en plus organisée de notre corps et de nos capacités d’action pour aboutir
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à une certaine conscience de soi ?


De Ajuriaguerra puis Bullinger ont retracé l’articulation des effets de la matura-
tion nerveuse (diminution de l’hypertonie) sur la forme du corps du nourrisson
(enroulement, extension, flexion des doigts...) et les possibilités d’exploration et
d’interaction qui en découlent. Wallon (1973) décrit l’articulation du tonus et des
émotions dans la posture et les attitudes et insiste sur les conditions très variées
d’excitations périphériques (viscérales ou proprioceptives) qui aboutissent au
déclenchement de la fonction tonique et qui s’expriment au final par une posture
caractéristique qui singularise, comme décrit chez Amaury.
Pour suivre Tiphanie Vennat je propose d’imaginer l’axe du corps comme un arbre
aux trois écorces : solide, liquide, gazeux.
118 L’ AXE DU CORPS

L’ ÉCORCE SOLIDE

Je reçois Chloé sur indication du Centre d’Action Médico-Social Précoce. Elle


présente à 14 mois un important retard de développement. Elle ne tient pas
assise et n’émet aucun son. Elle salive énormément et porte un petit bavoir. On
note un bon contact oculaire avec sa mère. Celle-ci installe Chloé sur le tapis en
position assise, les jambes formant un large polygone au sol. Puis elle se relève
pour enlever ses chaussures, Chloé, lâchée, tombe en arrière dans un mouvement
aérien et léger qui me surprend car l’expression de son visage n’a pas bougé.
Aucune expression de surprise, de peur ou même de plaisir ! La maman n’a pas
eu de mouvement de précipitation ou de sursaut pour empêcher la chute en
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arrière. Elle revient vers sa fille pour la maintenir assise en lui tirant les bras.
Je ressens comme une sorte d’enveloppe tonique commune à cette maman et à
ce bébé. Dans cette situation, les choses semblent être prévisibles et attendues.
Pas de mauvaise surprise. Que signifie la chute en arrière pour Chloé ? Pour sa
maman ? Quelle émotion les rattache ? J’ai l’impression que c’est implicite pour
elles.
La médecine a bien du mal à comprendre le dysfonctionnement du cerveau de
Chloé qui fait des crises d’épilepsie régulièrement depuis ses 6 mois. Elle est sous
traitement médicamenteux. La maman s’inquiète car on lui aurait dit que ces
médicaments ralentissaient le développement psychomoteur. Je comprends au
son de sa voix qu’elle redoute et en même temps pourrait espérer que le retard
de sa fille vienne de la médication. Nous sommes installées au tapis. Chloé a la
tête calée entre des coussins. Sa maman lui présente les objets un par un. Chloé
les regarde sans les saisir. Elle est empêchée par un mouvement d’extension vers
l’arrière.
Chloé se met à pleurer quand je tends les bras pour la tenir sur mes genoux.
Ce que j’ai fait pour explorer ses appuis, son tonus et la manière dont elle va
prendre appui ou pas sur moi. Elle geint de plus belle et tend les bras vers sa
mère. Elle arrête les pleurs aussitôt remplacés par le plus beau des sourires
quand elle se retrouve dans ses bras.
Cette petite fille adore la musique du téléphone de sa maman. Assise entre les
jambes de cette dernière, elle se dandine autour de son axe en écoutant les
mélodies et en s’appuyant sur les balancements du corps de sa mère. J’apprends
que depuis toujours elle ne s’endort que dans les bras de sa mère et qu’ensuite
elles dorment ensemble.
L’axe et « l’écorce » 119

Dans cette prise en charge, il va falloir séparer progressivement le tuteur pour


que le petit arbre puisse tenir tout seul. Des images qui vont aider la maman à
effectuer cette séparation elle aussi.
Que doit faire Chloé pour y arriver ? D’abord apprendre à se retourner, à sentir
l’espace libre autour d’elle, se déporter sur le côté et mouvoir ses jambes dans
un mouvement asymétrique. Un travail préalable de retournement que Chloé ne
réalise pas. C’est sa mère qui la place sur le dos ou sur le ventre. Des points
qui sont simples à décrire mais qui relèvent de l’exploit pour le bébé. Wallon
l’a expliqué, Spitz (1968) également, ce sont au départ des sensations internes
(labyrinthiques, viscérales et proprioceptives) qui « agissent l’enfant dans son
corps ».
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C’est comme ça qu’Arthur, quatre mois et en bonne santé, s’agite et pleure au
moment où sa mère le pose dans son lit après son biberon. Peut-être est-il à
la recherche de « l’entourance » chaude des bras de sa mère ? Peut-être a-t-il
une sensation de lâchage au niveau des membres qui provoque un recrutement
tonique ? Peut-être une sensation diffuse de ballonnement au niveau de son
ventre ? Il tient ses poings serrés dans sa bouche. On peut y voir un rapproche-
ment des deux moitiés du corps que Haag a décrit. Ou est-ce le souvenir de la
tétine et du lait dans sa bouche ? Son corps tendu prend une forme dynamique
de plongeur. Il s’agite tellement qu’il va finir par se retrouver d’un seul coup sur
le ventre. Il s’endormira, épuisé après tant d’efforts. Sa mère le retrouvera ainsi
au réveil, à la fois fière – « Ça y est ! Il s’est retourné ! » – et inquiète : « Il ne
risque pas de s’étouffer ? » C’est le début des progrès, des mouvements dans son
lit qu’elle ne pourra pas surveiller. Il faudra faire confiance...
Ces mouvements n’ont pas eu lieu chez Chloé quand on lit son histoire. Il faut les
solliciter en s’appuyant sur la sensori-motricité et les mouvements pulsionnels
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qui vont avec. Partir à la recherche d’un objet extérieur à soi, attracteur, du
bruit, du mouvement et surtout – ce qui est difficile – la laisser seule un peu au
départ puis de plus en plus.
Chloé est allongée sur le dos. Nous installons des objets attrayants. Chloé va
s’habituer à cette situation nouvelle que nous présentons comme un jeu. Elle va
chercher à se retourner et à ramper. Nous lui apprendrons à dégager son bras.
Puis viendra l’apprentissage de la forme assise en se servant d’abord d’un bras
porteur. Ces acquisitions vont déboucher sur des possibilités d’action sur les
objets : les garder en main et les explorer de la bouche et des yeux et les lâcher
volontairement.
120 L’ AXE DU CORPS

Chloé sera enfin prête pour aller à la crèche. Le travail, basé sur le désir de jouer,
s’est essentiellement organisé autour de la solidité de l’axe vertébral et du tonus
nécessaire pour tendre vers un objet.

L’ ÉCORCE LIQUIDE

Une écorce liquide pour évoquer le passage du bol alimentaire, du contenu


liquide du biberon qui descend dans le tube digestif. Également pour évoquer
leur évacuation à travers les fèces ou l’urine. Marinopoulos (2013) évoque que le
premier sentiment de Moi corporel serait comme une première colonne vertébrale,
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non pas osseuse mais liquide, au fur et à mesure que le lait qui coule relie les
parties du corps les unes aux autres. Il nous en reste une mémoire inconsciente,
dit-elle, dans les expressions telles que « j’étais liquéfié » signifiant un retour
au corps mou quand celui-ci nous échappe ou nous lâche. C’est cette image-là
qui me vient quand je me rappelle David, toujours installé comme un bouddha
nouant ses jambes en tailleur même assis sur une chaise.
David est scolarisé à l’EMP pour troubles du spectre autistique diagnostiqués
depuis ses 6 ans. Il a actuellement 8 ans. Il vient en séance de psychomotricité
individuelle une fois par semaine. C’est un enfant doux et passif. Il souffre d’un
embonpoint qui le gêne dans sa motricité et qui semble faire office « d’enveloppe
magique » pour le protéger du monde extérieur. C’est ainsi qu’il la décrit dans
un atelier de modelage où il représente un corps comme un rocher d’où émanent
deux appendices en guise de bras. Pas de jambes. David arrête la représentation
de son corps au bassin. Qu’il soit assis par terre ou sur une chaise, il croise
toujours ses jambes hyperlaxes comme s’il en faisait un nœud et se trouve
ainsi amputé de tout son hémicorps inférieur. Que vient-il fermer ainsi ? J’ai
le sentiment qu’il veut fermer un tuyau imaginaire afin de garder ce qu’il vient
d’absorber.
Anzieu (1991) insiste sur la satisfaction de réplétion de l’enfant au sein, avec
la sensation d’un plein, d’une masse centrale. C’est cette impression de masse
centrale que me laisse David quand je l’observe. Une boule à ne pas toucher. À
conserver. À l’image des premiers bonshommes têtards des enfants de maternelle
qui incluent tout dans une forme fermée.
L’axe et « l’écorce » 121

L’ ÉCORCE GAZEUSE

C’est elle de la colonne d’air qui va et vient à travers les mouvements de res-
piration. Sans doute celle qui a été sollicitée la première à travers le premier
cri. Le cri qu’utilisent les enfants autistes pour sentir leur corps. Bullinger a
décrit aussi le tonus pneumatique des enfants prématurés. Il suppose que le
déficit tonique de l’axe chez les enfants, en particulier les enfants prématurés,
peut être compensé par un blocage de la respiration permettant le redressement
du buste. Mais ce mode de recrutement tonique limite la durée des échanges
sociaux. Ce mode de compensation finalement pénalise la constitution de l’axe
et donc empêche l’acquisition des praxies, l’orientation du corps vers les objets
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du milieu et on assiste à l’inversion des points d’appui avec les mouvements
d’hyperextension du buste.

Pour conclure, je vous propose la référence à Lesage (2000) qui rappelle que
« l’histoire des processus d’identification se résout dans la verticalité et la faculté
de dire je, de se poser, différencié, face à autrui. »
Chapitre 18

Synthèse
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Tiphanie Vennat

Les analyses théorico-cliniques de la problématique d’Amaury rappellent l’importance


de l’axe corporel qui, parce qu’il est à la racine de tout et se ramifie en un grand
nombre de fonctions psychomotrices, constitue souvent un point de départ privilégié
au travail psychomoteur auprès d’enfants à troubles du spectre autistique.
Sylvie Gadesaude développe un point de vue à la fois métaphorique, conceptuel
et pratique sur l’axe du corps qu’elle envisage comme un arbre à trois écorces : la
première dite « solide » en référence aux aspects sensori-moteurs de l’axe corporel,
la deuxième « liquide » à l’image de la voie digestive, et la troisième « gazeuse »
que représente la colonne d’air de l’appareil respiratoire. Ces trois caractéristiques ne
sont pas sans rappeler la conception philosophique quasi ancestrale du corps humain
envisagé comme une synthèse des quatre éléments que sont l’eau, l’air, la terre et
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le feu. Ces deux derniers sont implicitement illustrés par la recherche d’appuis et
d’organisation tonique chez Chloé. L’élément eau est quant à lui notable dans la
clinique de David, tandis que la dynamique de l’air est par exemple observée auprès
d’enfants qui, pour compenser le déficit tonique de l’axe, bloquent leur respiration,
un phénomène appelé « tonus pneumatique ».
Comme un fil conducteur, Julie Lobbé évoque à son tour la richesse du travail
d’observation des arbres, symboles de verticalité (Pelletier-Milet, 2010). Mais elle
insiste surtout sur les grandes ramifications de l’axe corporel qui impliquent de façon
naturelle les coordinations oculo-manuelles et la motricité fine, la mise en place
de la latéralité, l’adresse du regard, ainsi que les compétences sensori-motrices de
l’enfant.
Bernard Meurin aborde longuement et de façon détaillée l’approche sensori-motrice
de l’axe. Il rappelle que l’axe corporel s’édifie de haut en bas, conformément à la loi
céphalo-caudale, depuis la bouche et le regard jusqu’à la maîtrise du buste et du
torse pour aboutir au contrôle de la zone pelvienne et des jambes.
...
124 L’ AXE DU CORPS

...
J’ai quant à moi proposé l’idée selon laquelle, chez certains enfants, la recherche
de l’axe corporel viendrait en réponse à un vécu d’effondrement. Cette intuition
thérapeutique a été confirmée par l’accompagnement psychomoteur d’Amaury, qui
alternait entre « hyperverticalité » et chute. Par un travail au départ du sol et
progressivement orienté vers le redressement, l’enfant a pu un temps se saisir de
son axe corporel.
Nous l’avons vu, la réflexion clinique autour du concept d’axe corporel a logique-
ment donné naissance à divers axes thérapeutiques. C’est dire si l’axe du corps est
pluriel et complexe et qu’il nous oblige à expérimenter nous-mêmes les équilibres et
déséquilibres possibles autour de lui. Car la vignette clinique d’Amaury rappelle que
la pratique psychomotrice nous demande d’être toujours en mouvement mais autour
d’un centre solide. À l’image de notre arbre, le vent dans les branches mais le tronc
qui tient droit.
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PARTIE IV

Les mains
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Chap. 19 Vignette . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127
Chap. 20 Analyses psychomotrices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129
Chap. 21 Expériences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135
Chap. 22 À propos de Lucie : le thème des mains . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141
Chap. 23 La main, interface entre soi et le monde : de la fusion
à la séparation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145
Chap. 24 Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151
Chapitre 19

Vignette
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Sylvie Gadesaude

Les mains de Lucie


Je rencontre Lucie pour la première fois quand elle a 4 ans et demi sur les conseils de
sa maîtresse qui la décrit comme une enfant peu sociable. Elle a du mal à répondre
aux consignes et présente des difficultés en motricité fine. Lucie est tout ébouriffée.
Son teint est pâle et ses yeux prononcés de cernes sombres. À la maison, elle aime
bien jouer aux playmobil ou aligne des rangées d’animaux. « Elle passe beaucoup de
temps les jambes relevées et la tête en bas », dit sa maman. Elle peut se comporter
comme un petit tyran.
Pendant l’entretien, Lucie se tient assise bien droite sur sa chaise, dans une posture
contenue et serrant ses mains entre ses cuisses qu’elle tient croisées. Elle accepte
ma proposition de dessiner. Puis je reste seule avec elle. Son attitude réservée laisse
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la place à un manque de distance relationnelle. Elle vient se coller à moi lors des
consignes du bilan. Elle sautille, tape des mains, se tortille et dit tout le temps « je fais
toute seule ».
Parfois, elle fait diversion en s’éloignant. Elle frôle plutôt qu’elle ne touche les objets
et les murs dans une sorte d’effervescence. Des réactions toniques secouent tout
son corps quand elle exprime son étonnement ou quand elle fait un effort. Elle cligne
souvent des yeux et écarquille ses doigts en les secouant. Elle a tendance à me
regarder uniquement du côté droit.
Avant de nous séparer, je propose à Lucie de choisir un jeu. Elle montre le gros ballon
bleu. Elle le saisit, disparaît derrière et saute en essayant de l’envoyer en l’air avec
des gestes raides. Elle rit et se tortille. Je la tiens par les mains en la regardant dans
les yeux. Je lui propose de rebondir dessus en comptant « un-deux-trois-LU-CIE ».
Au retour de l’été, elle dit tout de suite : « je veux le ballon bleu. » Pendant plusieurs
séances, ce sera un pivot central, intercalé par des parcours psychomoteurs où elle
semble toujours se mettre en danger. Je remarque surtout qu’elle n’anticipe pas les
128 L ES MAINS

déséquilibres ni se protège par des réactions de protection comme mettre ses bras en
avant ou s’agripper avec ses mains sur les modules de mousse. Lucie acceptera un
jour plus facilement de dessiner. Au début je me heurtais à un refus catégorique.
Peu à peu, l’image du corps que Lucie laisse voir dans ses dessins se transforme. Je
vois ainsi apparaître une ébauche de colonne vertébrale, de redressement et d’appuis
qui vont rendre possible le jeu des mains.
Plus tard, elle va s’attarder sur des jeux de dévoration. J’insiste sur le fait qu’entre
chaque séquence, Lucie demande souvent le « un-deux-trois-LU-CIE » sur le ballon
bleu.
La motricité fine va d’abord s’installer à travers la motricité de relation. Sur une planche
en bois sont encastrées des pièces en forme de poissons aimantés que l’on attrape au
moyen d’une canne à pêche elle-même aimantée. Lucie décroche de petits poissons
et me les offre « à manger ». Sa main d’abord fébrile devient plus sûre et elle finit par
les prendre elle-même avec avidité.
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Ses mains vont lui permettre ensuite des transformations. Le jeu s’organise souvent
ainsi : elle prend un gobelet dans lequel elle fait tremper des feutres pinceaux, les
couleurs se mélangent, elle y incorpore de petits morceaux de pâte à modeler et
trempe avec délice ses doigts dans l’eau. Elle appelle cela « sa recette ». Elle aime
mélanger avec ses doigts, transformer la pâte à modeler, rentrer et sortir les éléments
de l’eau avec ses doigts. Parfois avec des baguettes chinoises.
Elle insiste beaucoup pour que nous lavions nos mains après sa recette : « Il faut se
laver les mains, les mains elles sont sales. Après tu viendras te laver les mains avec
moi. On garde l’eau, c’est de l’eau prisonnière. L’eau devient verte... ça va vite changer
la couleur... tu sais ce que ça va devenir ? »
Lucie jubile, elle a trouvé une nouvelle expression qu’elle dit avec joie : « je fais ce
que je veux avec mes mains ».
Ensuite, elle fabriquera de petits livres qu’elle colle, agrafe et poinçonne, toujours avec
une certaine fébrilité. Et enfin, dans ses dessins, les mains apparaissent nettement et
souvent positionnées vers le visage. Son écriture s’est nettement améliorée.
Chapitre 20

Analyses psychomotrices
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Sylvie Gadesaude

Aborder la question de la motricité fine débouche sur la mise en place de proces-


sus cognitifs et psychiques de l’enfant, processus dont la réalisation dépend de
la manière dont il est porté par son environnement dans la mise en service de
cette fonction. Ici, l’enfant va prendre, lâcher, saisir, attraper, détacher, défaire,
déchirer, coller, enfoncer, appuyer et poinçonner... En somme, il va devenir
acteur, acquéreur et sujet d’un désir qu’il devra concilier et négocier déjà, alors
qu’il n’est même pas entré vraiment dans le langage.
La motricité fine est à ce titre une des premières interfaces entre schéma corporel
(lieu où naissent les pulsions) et image du corps (lieu où elles s’expriment) pour
reprendre les définitions de l’image du corps et du schéma corporel de Dolto
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(1984).

M OTRICITÉ FINE ET SCHÉMA CORPOREL

L’utilisation des mains se fait au décours de la perception dans le champ visuel


d’un objet que l’on veut saisir. Il faut le percevoir et en appréhender la distance
par rapport à son propre corps, ce qui conduit à délimiter l’espace dedans et
dehors. Ici, la question première de la différenciation intervient.
Je me souviens de Théo, enfant autiste, souvent en quête fusionnelle avec
autrui. Nous nous connaissions bien au bout d’une année de piscine à l’EMP.
Théo commence à souffrir des moqueries des autres enfants quand il fait des
130 L ES MAINS

colères ou dans les moments difficiles où il se comporte comme un tout-petit.


Il exprime sa tristesse sur le chemin de la piscine et je pense que c’est une
formidable avancée pour lui. J’évoque avec lui comme c’est difficile de devenir
grand et je pointe tous les progrès qu’il a réalisés depuis son arrivée. Je lui dis :
« quand tu étais dans le groupe 1, tu te souviens comme c’était difficile d’être à
l’école, tout seul sans ta maman ? Tu faisais un « Théo-maman ». Pour souligner
cette fusion, je le prononce sans séparation, d’un seul souffle « un théomaman ».
« Tu t’en souviens ? » Théo se tortille, sourit et colle ses deux mains l’une contre
l’autre en disant « collé ». Théo explique à sa manière comment la main doit se
décoller du corps pour différencier deux objets.
La main se dirige là où l’œil la guide. Dans les premiers temps, l’œil regardera
en direction d’un bruit, d’une lumière qui change ou d’un souffle... Un enfant
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sourd sera moins sollicité du fait de son déficit dans ses mouvements vers l’objet.
Et puis, pour que l’objet se détache sur le fond, il faut que l’enfant puisse
accommoder visuellement différents plans de l’espace.
Je me souviens aussi d’Inès, née à terme, d’une maman en très grande détresse
psychologique. Inès prend le biberon dans les bras de sa maman qui ne la regarde
pas. Sans doute pour épargner sa fille, cette maman plonge son regard triste à
travers la fenêtre de sa chambre d’hôpital. Inès, comme tous les nouveau-nés,
est attirée par les visages. On ne peut que faire des suppositions : un visage, ça
bouge ? Une bouche, ça fait du bruit ? des yeux, ça brille ? Un nez, ça souffle
de l’air ? C’est pour éviter que ce visage trop lisse ne soit pas perçu comme un
objet attracteur que l’équipe va entourer la maman d’Inès au moment de la tétée
et solliciter les interactions.
Le bilan de Lucie m’a permis de penser que sa structure de base était porteuse
d’un bon potentiel neuromoteur où avaient pu se mettre en place fonctions
motrices et sensorielles sur lesquelles pouvaient s’inscrire des fonctions de
relations plus élaborées comme le langage. Son niveau de langage est suffi-
sant pour établir avec elle une relation secondaire portée par les mots. Pour
reprendre Dolto, son corps, le médiateur organisé entre le sujet et le monde,
est potentiellement en bon état et indemne de toute lésion mais l’utilisation
adéquate s’en trouve annulée et entravée par une libido liée à une image du
corps inappropriée. Ce premier temps d’observation est important pour me guider
dans mon projet thérapeutique. Lorsque je vois des enfants à l’EMP, l’anamnèse
peut relater une souffrance pendant la grossesse, une recherche génétique qui
a mis en évidence une délétion, un X fragile ou des éléments qui renvoient à
la question du potentiel neuromoteur de base dont je dois tenir compte pour
Analyses psychomotrices 131

évaluer les capacités de représentations de l’enfant et de manipulations des


objets sous-tendues par des capacités de coordinations.
Les mains vont saisir un objet et en palper contours et textures. Ces perceptions
vont venir s’inscrire en représentation d’abord sous forme d’image. Puis, pour
obtenir cet objet maintenant convoité pour ses qualités sensorielles, la main le
pointera du doigt. Un nom viendra se poser dessus pour le définir une bonne fois
pour toutes en l’inscrivant dans le langage. En le réduisant à un mot aussi. L’en-
fant cherchera ensuite dans le maniement de cet objet, les causes et les effets de
ses actions et fera des liens. Ce sont les réactions circulaires décrites par Piaget.
On le voit, la motricité fine, la main, les doigts sont outils de connaissance. Les
enfants avec autisme manipulent sans cette quête de connaissance. Ils restent
comme accrochés à la recherche de sensations au moyen des manipulations. C’est
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ce travail que j’ai entamé avec Arnaud qui souffre d’un syndrome autistique. Agé
de 7 ans, il est scolarisé en CP. Le jeu que je lui propose consiste à retrouver dans
une boîte, qui figure une niche, deux petits os, semblables par leur structure
(tissu, velours, lainage, soie ou plastique, à des picots et à volumes et formes
différentes). Tous les os sont sortis de la boîte. Arnaud les assemble aisément
deux par deux. Les os sont différents à la fois par la texture et par la couleur. La
perception visuelle et la catégorisation fonctionnent donc correctement. Puis
je place un échantillon de chacun des os dans la niche, l’autre paire dehors. Je
place un os dans la main de l’enfant et je lui demande de chercher avec son
autre main, à l’intérieur de la niche, le « pareil ». Cet exercice est difficile. Si
je demande à Arnaud comment est l’os qu’il doit chercher, il répond de façon
non pertinente : « jaune ». D’une part Arnaud ne peut pas utiliser une seule
modalité sensorielle mais d’autre part la représentation mentale qui s’est inscrite
est liée uniquement à la référence sensorielle visuelle qui est ici représentée par
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la couleur jaune.

M OTRICITÉ FINE ET IMAGE DU CORPS

Prendre, prémisse d’apprendre, nécessite des prérequis. Des fonctions perceptives


et de coordinations doivent avoir pu s’installer. Mais il faut aussi, comme nous
l’avons vu avec Arnaud, que l’enfant soit acteur, chercheur et porté vers l’objet.
Il doit avoir plusieurs garanties. D’abord que son corps puisse être au contact
de l’objet sans danger. Et le danger peut provenir du corps lui-même. Il faut
aussi que le corps soit perçu comme suffisamment intégré et fermé pour prendre
l’objet sans être menacé de son intrusion – par exemple à l’intérieur de son
132 L ES MAINS

propre corps – ou de se perdre dedans. Maxime, autiste, est entré dans la lecture.
Le geste d’écrire est difficile. Bien sûr, il y a cette crispation sur le stylo. Comme
si le stylo en soi était une chose qui pouvait bouger et s’échapper. Il y a aussi
les difficultés à organiser un geste dans l’espace et en retenir le programme
moteur. Faire un e ou une boucle nécessite de pouvoir se représenter l’avancée
de la main sur l’espace graphique. Maxime aime bien le jeu de la voiture qui
laisse des traces dans le sable, en avant, en arrière, en haut et en bas. Nous
passons maintenant sur le support du tableau blanc. Je tends à Maxime un
feutre rouge. C’est parti pour laisser une boucle rouge sur le tableau. Maxime
s’exécute tranquillement. D’une voix neutre et monocorde, il me dit que sa main
écrit. Ce que je confirme, un peu machinalement. Seulement Maxime hésite,
réfléchit et explique : « mon bras, il coule dans le stylo ». Je ne peux pas dire
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que dans le cas de Maxime, cette vision du geste d’écrire à ce moment-là, était
terrifiante. Peut-être était-elle plutôt assortie à une image de toute puissance,
d’une substance intérieure qu’il peut injecter sur une surface extérieure, à l’image
de certains monstres des films de science-fiction.
Au-delà du contact, le geste de prendre ne doit pas déclencher une menace
de danger. De quel danger pourrait-il s’agir ? Destruction, disparition, attaque,
transformations... des mots qui sont bien loin de nos représentations d’adulte
lorsqu’on tient un simple objet dans nos mains. Prenons un dinosaure en plas-
tique par exemple. Pourtant il suffit d’observer le regard méfiant d’Augustin, 4
ans, qui joue avec le bébé-tigre sans oser prendre le papa tigre que je lui propose
ou encore de voir Justine, 7 ans, tourner précipitamment la page de son livre
parce qu’il y a la photo d’une grosse araignée dessus pour se souvenir que nous
sommes tous passés par la phase animisme du monde des objets. Décrite par
Piaget, elle cède devant notre compréhension plus fine du monde acquise au
moyen de nos outils de connaissance qui se développent, se perfectionnent et
s’associent les uns aux autres. L’observation des petits enfants est à ce point
très instructive.
La description du jeu de la bobine par Freud évoque aussi l’impact psychique
qu’apporte la capacité de motricité fine dans son rapport à l’objet. Car prendre
et repousser, attraper et jeter sont des processus de jeu qui donnent à l’enfant
ses premières possibilités d’action sur l’objet.
Le premier objet attrapé, saisi, manipulé et mordu, ne serait-il pas le sein ?
L’enfant qui n’est pas nourri au sein ne joue-t-il pas avec une tétine, un des
premiers objets qu’au moyen de cette pince d’abord palmaire il pourra mettre
en bouche ? N’est-ce pas au moyen de sa main aussi que l’enfant s’agrippera à
son doudou ? Roussillon décrit les processus de symbolisation sur lesquels cette
Analyses psychomotrices 133

manipulation de l’objet débouche : « Grâce à la perception, l’objet va pouvoir


être saisi matériellement. Grâce à la motricité, il va pouvoir être exploré et avec
lui quelque chose de l’expérience subjective qui y a été logée. Grâce à l’ensemble
des propriétés perceptivo-motrices, il va s’ouvrir à un processus de symbolisation
et de transformation de l’expérience subjective engagée. »
Cet aspect nous fait revenir à Lucie qui a beaucoup joué, une fois ses mains
« libérées », à faire des expériences – des transformations – qu’elle appelait
ses « recettes ». Mais elle insiste à chaque fois pour aller se laver les mains.
Se salir puis se laver, tremper puis sécher. Testant la permanence des choses,
l’irréversibilité ou les réparations, Lucie jubile et prend plaisir. Ses gestes sont
plus précis et ses mains apparaissent dans ses dessins.
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Sur le plan perceptif, Lucie n’a pas de difficultés. On peut dire que son système
sensoriel est opérationnel. Les prises en charge pluridisciplinaires de Lucie sont
intégrées à un dépistage précoce et le diagnostic de TSA n’est pas posé.
Ce qu’il faut comprendre et accompagner à la fois (souvent les deux choses se
font en même temps), c’est la raison du non-fonctionnement de cette coordi-
nation visuo-motrice intégrée. Qu’est ce qui l’empêche ? Donc, au-delà de la
structure bien portante, du schéma corporel sain, pour reprendre l’expression de
Dolto, quelle image du corps inappropriée l’empêche de saisir de ses mains ?
L’observation et le contre-transfert sont des outils formidables. Ce que je vois
en observant l’enfant, c’est son excitation, son effervescence qui empêche un
contrôle moteur efficace et sa gêne dans la mise en place de la fonction régu-
latrice. Si j’ai pu écarter la question du schéma corporel, je dois interroger la
question de l’image du corps.
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C ONCLUSION

Notre travail sur l’image du corps est indissociable d’un travail d’évocation ou de
non-évocation, de verbalisation ou de silence en dehors de toute interprétation.
C’est bien le langage qui a structuré l’image du corps.
« De façon générale, la compréhension d’un mot dépend à la fois du schéma corporel
de chacun et de la constitution de son image du corps, reliés aux échanges vivants
qui ont accompagné pour lui, l’intégration, l’acquisition de ce même mot. Les mots
pour prendre sens doivent d’abord prendre corps, être du moins métabolisé dans
une image du corps relationnelle. » (Dolto, 1984)
La psychomotricité contribue par le mouvement du corps à une production de
nouvelles images mentales du corps. Ce processus contribue à ce que le sujet se
134 L ES MAINS

sente unifié et globalement unique et contribue à avoir le sentiment qu’entre


ce qu’il sent et ce qu’il imagine, il y a une unité. Il peut ainsi accéder à un
fonctionnement corporel harmonieux.
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Chapitre 21

Expériences
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Julie Lobbé

L’histoire de Lucie questionne le rapport aux mains. Nous proposons donc d’abor-
der les bases favorisant l’expérience des mains puis les expériences manuelles
vécues par Lucie, avant de formuler quelques propositions thérapeutiques.

D ES BASES FAVORABLES À L’ EXPÉRIENCE DES MAINS

La relation tonico-émotionnelle
!

Le corps semble être un vecteur privilégié d’expression chez Lucie qui présente
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un besoin impérieux de « bouger, sautiller, se tortiller, courir, comme prise


dans une effervescence ». Cette agitation corporelle présente la particularité de
s’apaiser dans la proximité physique avec la psychomotricienne comme contenue
dans la relation d’ordre tonico-émotionnelle.
Le dialogue tonico-émotionnel (Ajuriaguerra, 1977) désigne un échange réci-
proque par la voie corporelle entre la mère et son bébé, un système de correspon-
dance entre les vécus corporels de l’un et de l’autre (Treillet et Rieg, 2013). Par
l’intermédiaire de la communication non verbale, grâce aux variations toniques,
le bébé exprime ses émotions. Ces états toniques et émotionnels sont ressentis
par la mère et viennent rencontrer les siens. La mère émet ensuite à l’égard de
son enfant un retour. Ainsi naît le dialogue tonico-émotionnel qui est au cœur du
travail du psychomotricien qui se centre sur ses propres perceptions et émotions
136 L ES MAINS

dans la relation avec le patient, ainsi que sur celles de ce dernier (mimiques,
tensions, postures, gestes, déséquilibres). Le psychomotricien tâche d’organiser
toutes ces informations corporelles et les module de manière à envoyer un
message cohérent, éventuellement verbal, au patient qui pourra ensuite réagir
sur la base de ce réajustement.
Cette régulation tonico-émotionnelle s’exprime au niveau manuel dans le jeu
de la pêche à la ligne. On voit bien ici comment la qualité du support offert
par la thérapeute joue son rôle : la motricité de la main, tremblante et fébrile
au départ, prend de plus en plus d’assurance. Pour autant, cette compétence
demeure fragile comme l’illustre le jeu des poupées russes : les gestes sont alors
« fébriles, raides et vifs ». En tous les cas, les sentiments de confiance et de
compétence recherchés dans la relation thérapeutique semblent favorables à
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l’installation d’une autonomie.

La quête d’autonomie
!

Lucie semble se trouver dans une phase d’expérimentation « brute » de ses


capacités d’autonomie. C’est ce qu’elle dit (« je fais toute seule »), ce qu’elle
fait (en se comportant comme un « petit tyran ») et ce qu’elle agit dans le tout
ou rien corporel. Dans la déclaration « Je fais ce que je veux avec mes mains »,
ces dernières deviennent vectrices d’autonomie. L’évolution vers un « je fais ce
que je veux » global est marquée par l’effervescence motrice pour intérioriser
cette liberté qui s’exprime à présent dans l’exploration sensori-motrice par l’in-
termédiaire des mains. En outre, cette nouvelle liberté peut être mise en regard
avec l’exigence paternelle à les laver fréquemment. Il s’agit peut-être pour Lucie
de s’autoriser à découvrir d’autres facettes d’utilisation de ses mains. Cette
déclaration augure également une évolution de la prise en charge significative :
la motricité manuelle peut ici être vue comme un aboutissement du travail
psychomoteur global, de la perception à l’action et à la communication.

L’ EXPÉRIENCE DES MAINS

La main au regard de la sensorialité


!

L’expérience sensorielle se trouve à la base de tout apprentissage intellectuel.


Wauters-Krings (2012) prend l’exemple de l’intégration du concept de tasse
par un enfant. Ce dernier a besoin de toucher, sentir et voir pour se rendre
Expériences 137

compte que cet objet comporte un « dedans », qu’il peut donc être un contenant
et finalement permettre de boire. C’est en manipulant des tasses de couleurs,
de tailles et de matières différentes que l’enfant généralise son expérience et
acquiert progressivement la notion intellectuelle de « tasse ».
Ainsi, Lucie met en jeu ses mains dans des expériences sensorielles. Le sens tac-
tile est sollicité au contact de la pâte mais aussi dans des situations spécifiques
comme la manipulation de morceaux de pâte à modeler dans l’eau lors du jeu du
gobelet. Lucie sollicite également la modalité proprioceptive mettant en jeu le
ressenti corporel. Elle tape dans ses mains, écarquille les doigts en les secouant
et cherche les pressions en « serrant ses mains à l’intérieur de ses cuisses qu’elle
tient croisées ». Cette recherche de sensations sans but apparent prend davan-
tage de sens dans la coordination avec la modalité visuelle. Lucie mélange des
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couleurs dans le jeu du gobelet et le jeu du « Souterrano ». Autrement dit, elle
exerce sa coordination oculo-manuelle dans une mise en lien de la vue et du
toucher et au service de l’efficacité de l’action.

L’utilisation fonctionnelle de la main


!

La motricité manuelle est la fonction qui permet l’action fine et différenciée d’une
main ou des deux pour réaliser une action complexe avec ou sans contrôle visuel
(Wauters-Krings, 2012). Elle recoupe diverses actions comme palper, caresser,
attraper, serrer, lâcher, etc. Chaque activité de Lucie diversifie son répertoire
moteur et l’amène à cheminer vers des jeux de plus en plus complexes. Elle com-
mence par tenir la canne à pêche et décrocher les poissons dans le jeu de pêche à
la ligne avant d’utiliser un outil plus délicat, les baguettes chinoises, dans le jeu
du gobelet. Enfin, les gestes prendre, emboîter, déboîter et orienter sont mis en
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jeu avec les poupées russes. La dimension cognitive et la manipulation d’outils


fonctionnels s’intensifient lors de la construction d’un livre qui réclame à la fois
une planification de l’action en fonction du résultat escompté et des praxies
efficaces. Ces dernières sont d’ordre constructif (pour assembler les éléments
entre eux) mais aussi idéatoire et permettent de manipuler efficacement la colle,
l’agrafeuse et le poinçon. La complexification des actions de Lucie s’affirme
avec le « Souterrano », qui convoque la sensorialité, les domaines cognitif et
constructif, la diversification de la motricité fine (renverser, éponger, superposer,
soulever, écraser, coller) et l’imagination, avec des élaborations riches autour de
ce jeu.
138 L ES MAINS

La main comme vecteur de communication


!

Enfin, la main assure des éléments de communication non-verbale notamment


à travers les gestes usuels (bravo, au revoir) ou des contacts corporels comme
la poignée de main. Lucie investit progressivement cette modalité non verbale
d’échange avec la psychomotricienne en lui donnant de petits poissons à manger
par exemple.

P ROPOSITIONS THÉRAPEUTIQUES

En accord avec l’analyse psychomotrice précédente, nous pouvons envisager


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quelques propositions en termes d’axes de travail.

Des activités sensorielles


!

Lucie a visiblement besoin d’expérimentations sensorielles. Il serait donc inté-


ressant de diversifier nos propositions en insistant sur la modalité préférentielle
de Lucie, la proprioception. Nous pourrions mener une activité d’exploration
tactile comme la recherche de petits objets dans des bacs contenant différents
matériaux (farine, eau, riz...). Outre la diversité des sensations tactiles, l’activité
réalisée avec les yeux ouverts sollicitera la coordination entre l’œil et la main,
tellement importante dans l’efficacité motrice. Le même exercice réalisé avec
les yeux fermés fera appel à la proprioception car il s’agira d’utiliser la main
pour rechercher les objets. Des éléments d’ordre cognitif pourront facilement
être ajoutés pour complexifier l’exercice comme le décomptage des objets ou
encore leur catégorisation selon leur couleur. En outre, la fin de cette activité
permettra de mettre en jeu le lavage des mains, situation sensible pour Lucie.

Une structuration et une valorisation des activités


!

Toute activité demande une charge mentale qui ne peut se diviser à l’infini. Ainsi,
planifier des étapes tout en les réalisant représente une double-tache cognitive
exigeante en termes attentionnels. Aussi, nous pensons que, dans des activités
comme la construction du livre, il pourrait être pertinent de préparer avec Lucie
les étapes de la tâche à effectuer sous forme de schéma et/ou de mots-clés.
Cela pourrait faciliter sa réalisation technique en diminuant la contrainte de
planification et de représentation mentale, lui permettant de consacrer plus
Expériences 139

d’attention à sa motricité fine. Par ailleurs, valoriser les progrès de Lucie, en


lui faisant constater la différence entre les productions de début de suivi et
celles qu’elle réalise actuellement, permettrait de soutenir sa motivation et de
développer encore sa confiance en elle. De plus, cela centrerait la valorisation
sur une comparaison d’objets, c’est-à-dire une objectivation qui vient souligner
la valorisation par la psychomotricienne. Nous pensons que, dans une visée d’au-
tonomisation, il est important que l’enfant puisse s’appuyer sur des informations
concrètes, doublées par la valorisation ou la revalorisation contenue dans les
propos de l’adulte.

C ONCLUSION
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Lucie investit, structure et s’approprie progressivement son corps et ses émotions,
comme en attestent ses dessins qui changent en figurant le redressement, la
colonne vertébrale et les appuis, signant les évolutions de l’image corporelle
et en particulier de l’axe du corps. Lucie, en prenant appui sur le dialogue
tonico-émotionnel avec Sylvie Gadesaude, peut progressivement expérimenter
la sphère manuelle sous l’angle sensoriel et fonctionnel. Ce chemin peut se
poursuivre en prenant appui sur des propositions autour de la sensorialité, de la
structuration et de la valorisation des activités.
Chapitre 22

À propos de Lucie :
le thème des mains
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Bernard Meurin

« Pourquoi mes mains elles font ça ? » nous demande ce petit garçon autiste
de cinq ans en les faisant tourner inlassablement devant ses yeux mais sans
que ceux-ci ne les regardent vraiment. Cette question n’attend visiblement
aucune réponse. Quoi que nous disions, elle revient toujours, accompagnée des
mêmes gestes. Ici, pensées et mouvements sont indissociables. Contrairement à
Lucie qui déclare avec joie « Je fais ce que je veux avec mes mains », ce jeune
autiste que nous appellerons Antoine semble tributaire de ce que ses mains
font, comme si elles échappaient à sa volonté. Habituellement, une question
attend une réponse, celle d’Antoine à peine énoncée se referme sur elle-même.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Les quelques suggestions débutant par des « parce que » ne répondaient en rien
à la question et venaient plutôt alimenter l’écholalie d’Antoine. Nous pourrions
tout aussi bien écrire « Pourquoimémainelfonsa... » tant il est difficile de saisir
ce que signifie réellement cette litanie.

P OURQUOIMÉMAINELFONSA ?

Dans les lignes qui vont suivre, nous proposons d’ouvrir une réflexion à partir
d’une mise en perspective de ce qui semble être une affirmation pour Lucie
et une question pour Antoine en nous appuyant sur une vision moniste de la
personne.
142 L ES MAINS

Sylvie Gadesaude souligne que c’est avec « joie » que Lucie exprime l’idée de
faire ce qu’elle veut avec ses mains. Nous entendons le terme « joie » dans son
acceptation courante à savoir quelque chose qui nous fait plaisir. Mais Spinoza
(2005) donne une autre dimension à ce terme qui nous apparaît en lien avec ce
qui se joue dans en clinique. Par « joie », il n’entend pas un simple moment de
plaisir ponctuel dans le temps mais un processus par lequel les individus passent
d’un état de passivité à un état d’activité. Il écrit que tout ce qui augmente
ou diminue la puissance d’agir du corps augmente ou diminue la puissance de
penser et réciproquement, tout ce qui augmente ou diminue la puissance de
penser, augmente ou diminue la puissance d’agir. Il y a covariation entre agir
et pensée car l’homme est ici perçu comme une unité « corporo-psychique ».
Ainsi en psychomotricité, aider les enfants à développer leur gestuelle, c’est de
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fait soutenir leurs capacités à penser. En ce sens, cette « joie » exprimée par
Lucie peut être comprise comme le fruit d’une transformation qui s’est instaurée
progressivement au décours de la prise en charge. Nous apprenons au début
du travail que ses mains sont fébriles et tremblantes et qu’elles sont utilisées
comme des prothèses de rassemblement. Puis, nous apprenons que les gestes
sont plus sûrs et que les mains permettent beaucoup d’expériences qui aident
Lucie à verbaliser ce qu’elle éprouve. L’histoire se termine par le constat d’un
progrès en écriture ce qui souligne les capacités d’élaboration psychique.

L A PSYCHOMOTRICITÉ POUR AUGMENTER


LA PUISSANCE D ’ AGIR ET DE PENSER

Dans cette étude clinique, nous voyons bien que le travail en psychomotricité
favorise, par des mises en forme adéquates du corps, les capacités à agir : « Je
la tiens par les mains en la regardant dans les yeux et je lui propose de rebondir
en comptant : un – deux – trois – LU – CIE » Cette expérience partagée avec
l’adulte, réclamée par Lucie, permet de soutenir les processus de pensée. Par
ses tortillements, Lucie met tout son corps en mouvement dans un ébranlement
joyeux, assurée que celui-ci n’éclatera pas car bien ancré dans les mains et le
regard de la psychomotricienne. Il est donc important que cette activité dure
jusqu’à ce que le sentiment de cohésion corporelle soit suffisamment intégré.
Ici, l’accroissement des capacités psychomotrices va de pair avec l’accroissement
des capacités ludiques partagées. Le jeu de pêche ne se construit pas seulement
parce que préexistent des angoisses de dévoration mais celles-ci peuvent s’ex-
primer parce que les capacités d’agir du corps sont plus adéquates et précises.
À propos de Lucie : le thème des mains 143

Nous sommes dans une dynamique où le « je peux » accompagne le « je pense ».


Lucie devient réellement « actrice » et elle peut dire : « Je fais ce que je veux
avec mes mains. »
Il en va tout autrement avec Antoine. Il ne dit pas : « Pourquoi je fais cela
avec mes mains ? » mais « Pourquoi mes mains elles font ça ? » Il ne se vit pas
cause de ses actes. Il les subit. Nous pouvons dire que la puissance d’agir de ses
mains est très limitée puisqu’elles sont prisonnières de mouvements répétés qui
n’autorisent aucune variation. Aussi la question d’Antoine en appelle une autre :
Comment permettre que ses mains participent de cette puissance d’agir et de
penser qui est en chacun de nous ?
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L E POINT DE VUE SENSORI - MOTEUR

L’approche sensori-motrice d’André Bullinger peut nous apporter quelques élé-


ments de réponse. Dans cette approche, ce ne sont pas tellement les mains en
tant que telles qui importent mais les liaisons qu’elles entretiennent avec les
autres parties du corps. À la naissance, le milieu humain par les mises en forme
corporelles qu’il propose au bébé permet que ces liaisons se créent. Dans la
position d’enroulement par exemple, les mains viennent autour de la bouche
et, naturellement, celle-ci devient le lieu de la première rencontre des mains,
prémices des premières expériences de collaboration bimanuelle. Cette liaison
main/bouche est importante puisqu’elle favorise les premières explorations pour
ensuite servir de zone « relais » entre les hémi-espaces droit et gauche. C’est
à cette période que l’enfant amène les objets à la bouche avant de pouvoir les
transférer directement d’une main dans l’autre. Puis, cette fonction d’exploration
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

est sous-tendue par le lien visuo-manuel. L’enfant n’éprouve plus autant le besoin
de porter les objets à la bouche car il peut désormais les regarder attentivement,
les tourner et les faire passer d’une main dans l’autre. Cette coordination visuo-
manuelle est une véritable révolution car elle introduit l’enfant aux premières
représentations des objets et à l’espace qui les contient : « Quand l’œil parle
à la main, leur langage est l’espace », disait Bullinger. Jusqu’alors ce sont les
sensations qui motivaient l’enfant dans ses explorations. Maintenant, c’est la
conséquence de ses gestes qui l’intéresse. Lorsque le tout petit se saisit d’une
cuillère, il la prend, la secoue, la suce et la mord avant de la jeter au sol. Ces
schèmes moteurs lui permettent d’explorer les propriétés physiques de l’objet
et d’en affiner la manipulation. Progressivement, il ne va plus considérer la
cuillère comme un simple objet à secouer ou à taper mais comme un objet dont
144 L ES MAINS

il va comprendre l’usage, c’est-à-dire un objet qui l’aide à manger. Ainsi l’enfant


s’approprie l’usage des objets de son milieu.
Revenons à Lucie et Antoine : lorsque Lucie utilise ses mains, nous percevons
qu’elle est désormais décentrée de la sensation au profit d’activités réalisées
dans un espace bien repéré. Les objets sont utilisés adéquatement et l’expérience
est partageable avec autrui. En revanche, Antoine reste centré sur les effets sen-
soriels que lui procure le déplacement de ses mains. Ces mouvements répétitifs
ne s’inscrivent pas dans la dimension spatiale et restent comme coincés dans la
dimension sensorielle.
Sur le plan clinique, il nous paraît donc intéressant avec ces enfants fragiles de
veiller à la qualité des coordinations sensori-motrices car elles sont le soubasse-
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ment du développement psychomoteur. Avec Antoine, il s’agissait de proposer
des installations sur des coussins ou sur nous en guise d’arrière-fond afin de
soutenir la collaboration bimanuelle et l’orientation du regard dans les jeux de
manipulation d’objets. Nous avons également proposé de nombreuses activités
sur un gros ballon pour favoriser les postures d’enroulement nécessaires à l’éta-
blissement d’un équilibre harmonieux entre les schémas de flexion/extension et
à la liaison main/bouche. Toutefois, l’évolution d’Antoine n’a pas été aussi nette
que celle de Lucie et un accueil vers une structure spécialisée a été nécessaire
pour poursuivre les soins commencés en CMP.

C ONCLUSION

Aider les personnes avec autisme ne doit pas conduire à développer chez elles de
simples compétences praxiques mais leur permettre aussi de les habiter subjec-
tivement. Dans le cas de Lucie, nous comprenons bien qu’utiliser les mains pour
écrire n’a pas été une finalité en soi mais que cela a participé de la possibilité
d’être en relation et de se sentir exister en première personne. Dans son article
« Le corps comme relation », de Ajuriaguerra cite de Rougemont (« Penser avec
les mains ») dont ce petit passage servira de conclusion :
« Des mains faites pour prendre et peser. Des mains qui savent, qui accomplissent
et qui sculptent ; des mains qui créent. »
Chapitre 23

La main, interface entre soi


et le monde : de la fusion
à la séparation
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Tiphanie Vennat

À la lecture de la vignette impliquant Lucie, il m’apparaît pertinent de proposer


un lien entre la main et la dynamique relationnelle de Lucie. La main est depuis
les premiers temps de la vie psychique de l’enfant cet « espace-entre » au cœur
duquel se joue le processus de fusion/séparation-individuation décrit par Mahler
(1977) et que Winnicott évoque en termes de dépendance absolue, dépendance
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relative et indépendance (2002). Pensons à la fonction du pouce, substitut


symbolique du sein maternel, destiné à opérer la séparation primordiale dans la
relation symbiotique au corps de la mère :
« Certains enfants mettent le pouce dans la bouche tandis que les doigts caressent
le visage [...]. C’est tout cela que je désigne sous le terme de phénomènes transi-
tionnels. » (Winnicott, 1975)

Nous observons concrètement chez Lucie un double mouvement des mains alter-
nant entre les désirs de fusion et de séparation.
146 L ES MAINS

L A MAIN AU PROFIT DE LA FUSION

Lucie oriente parfois ses mains vers « le dedans de la fusion » et ne les projette
pas vers le dehors comme prise possible sur le monde. C’est ainsi que Sylvie
Gadesaude relate la posture contenue des mains serrées à l’intérieur des cuisses
et la mise en danger de l’enfant qui n’anticipe pas les déséquilibres et n’opère
aucune réaction de protection avec ses mains. Tout se passe comme si, métapho-
riquement, Lucie cachait ses mains dans le ventre de sa mère. Sylvie Gadesaude
évoque implicitement ce besoin de fusion à travers l’identification adhésive
qu’elle décrit en termes de collage ou de manque de distance relationnelle que
l’on pourrait entendre comme peau à peau « éternisé ». Cette hypothèse de
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travail pourrait être mise en lien avec la menace d’un autre dans le ventre de
la mère : « Il est méchant, il a un bébé dans le ventre ! » Nous pouvons nous
demander si Lucie ne conçoit pas l’autre comme menace, tiers défusionnant et
séparateur dans la relation au corps de sa mère. Les petits morceaux de pâte à
modeler trempés dans « l’eau prisonnière » ne sont pas sans rappeler le corps de
l’enfant baigné dans le liquide amniotique du ventre maternel.
La question de la prison, espace clos de la captivité, se retrouve dans le jeu de
manipulation des poupées russes. Les poupées russes reposent sur le principe
de l’encastrement où chaque figurine est dans une autre c’est-à-dire fusionnée,
chacune contenue dans le ventre d’une autre, littéralement dévorée, à l’image
des angoisses de dévoration constatées chez Lucie. L’enfant place de petites
boules nommées « bébé » dans le ventre des poupées russes et joue à les faire
disparaître ou apparaître c’est-à-dire à opérer progressivement le mouvement de
la fusion (boules en dedans du ventre de la poupée) vers la séparation (boules
en dehors du ventre ou visibles de la poupée). Ceci nous conduit logiquement à
orienter la dynamique thérapeutique vers le processus de séparation.

L A MAIN AU PROFIT DE LA SÉPARATION

« Je fais ce que je veux avec mes mains. » Cette déclaration d’indépendance


illustre assez bien la possibilité de séparation-individuation incarnée par cet
organe singulier. Il semble que le vouloir de Lucie, s’il s’exprime en ces termes,
n’opère pas seulement au niveau de ses mains puisque l’enfant agit globalement
comme elle veut. Les diversions et les tentatives d’éloignement qui tendent
à montrer une disqualification du corps de l’autre ou des choses illustrent la
La main, interface entre soi et le monde : de la fusion à la séparation 147

recherche d’une radicale séparation. Sylvie Gadesaude évoque cette quête d’indé-
pendance sur un mode tyrannique. Or la tyrannie est ce qui permet d’exercer une
forme de contrôle sur l’autre, c’est-à-dire d’opérer une tentative de séparation
active, emblématique du stade anal (Freud, 2011). Il s’agit pour la plupart des
enfants d’une étape offrant les premières possibilités d’agir sur l’environnement
social. La phase anale présente ainsi des effets constructifs, notamment la reven-
dication de l’autonomie par l’accès au « non ». L’enfant développe à ce moment
sa capacité à vivre seul. Il consolide son individualité et la permanence de l’objet
émotionnel. Il est possible que Lucie soit encore dans l’expérimentation de cette
étape de développement. Nous pouvons également supposer que l’autorité du
père par l’injonction fréquente du lavage des mains ne laisse pas suffisamment
d’espace de subjectivation pour l’enfant, ce qui finalement renforce le symptôme.
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Cet espace ne lui étant pas acquis, Lucie le conquiert elle aussi sur un mode
autoritaire.
D’autres éléments cliniques m’invitent à penser un lien remarquable et implicite
entre l’exercice des mains et le processus symbolique de l’accouchement, temps
de la séparation primordiale.
Il est dit que Lucie passe beaucoup de temps les jambes relevées et la tête en
bas. Ce qui pourrait être lu comme un fait anecdotique m’apparaît intéressant
à deux titres. Cette posture rappelle singulièrement le sens de l’accouchement,
le bébé se présentant par la tête qui exerce une pression régulière sur le col de
l’utérus pendant les contractions et l’aide à s’élargir pour permettre l’expulsion.
Par ailleurs, et dans la continuité de notre propos sur la fonction séparatrice des
mains, la posture jambes relevées et tête en bas suppose les mains comme seul
support du corps. La prédominance de la main dans l’édification de cette posture
métaphore de séparation est ici intéressante à souligner.
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Les propositions thérapeutiques de Sylvie Gadesaude vont, me semble-t-il, dans


le même sens. Le jeu du ballon bleu rythmé par le nom de Lucie s’inscrit dans la
même métaphore. Le ballon bleu est un matériel psychomoteur particulièrement
intéressant dans la pathologie autistique dans la mesure où, par sa forme ronde,
il se donne à vivre à l’enfant comme espace radiaire contenant, enveloppe
souple, matrice mais aussi dans une possible projection du ventre maternel et
du premier état symbiotique de la gestation. Le ballon bleu rebondit par les
mains de Lucie et est exploré dans un rythme et une relation à l’autre. Ces deux
inscriptions construisent parfaitement le processus de séparation-individuation.
Car d’après Lesage (2006), « il y a dans le rythme des notions d’alternance, de
va-et-vient, d’appel-réponse [...], une scansion essentielle de l’être-là ». Parce
148 L ES MAINS

que « le travail du rythme est donc aussi un travail de rétention, de mise en


tension d’un objet interne dont on gère l’expulsion » (2006).
La construction du « souterrano » apparaît également signifiante. Il nous est
dit que Lucie renverse volontairement de l’eau sur son dessin et éponge avec
du papier absorbant jusqu’à obtenir plusieurs feuilles trempées les unes sur les
autres. Elle superpose les différents feuillets ainsi constitués, soulève et écrase
les bulles qui restent en surface sur chaque feuillet puis colle l’ensemble. On
pourrait concevoir cette création comme tentative d’édification du Moi-peau
décrit par Anzieu (1995) en termes d’interface constituée de plusieurs feuillets
dont les fonctions sont protectrices, limitatrices et régulatrices. Nous percevons
également cette idée d’interface sensible dans l’expression « souterrano » qui
pourrait faire penser au passage vaginal, espace transitionnel entre le dedans
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du ventre maternel et le dehors. Nous pouvons donc entendre ce jeu symbolique
comme la mise en jeu du processus de séparation inscrit dans une dimension
de sécurité et de confiance, bordé, à l’image des multiples feuillets réalisés par
Lucie et garantissant d’être enveloppée, « par-excitée » et contenue dans cette
émancipation.
L’efficacité clinique de ce travail psychomoteur est illustrée par deux évolu-
tions majeures conditionnées au bon déroulement du processus de séparation-
individuation, c’est-à-dire s’éprouver dans l’être soi et donc l’être avec l’autre :
la différenciation des sexes, l’accès à l’écriture et à la socialisation.

L A MÉDIATION DANSE COMME UNE MAIN TENDUE

Au regard de la présentation de Lucie, des caractéristiques liées à son âge et


de la dynamique thérapeutique précitée, un autre travail pourrait s’organiser au
départ de cette médiation.
Une amorce du travail pourrait être celle de l’utilisation d’un sac de danse ou
d’un tubulaire en tissu à l’intérieur desquels Lucie pourrait se mouvoir. Désignant
d’emblée un dedans et un dehors, ils constitueraient d’une part un espace enve-
loppant, matière souple extensible à l’image du placenta, et d’autre part une
possibilité de sortie grâce aux ouvertures en avant pour le sac et au-dessus du
tubulaire. Cette expression corporelle serait l’occasion de rejouer la dynamique
de fusion-séparation-individuation qui nous préoccupe. Par ailleurs, c’est au
moyen de ses mains que Lucie pourrait donner forme à cette matière en la
repoussant. Cette exploration permettrait ce que Bachelard (1957) nomme la
« densification » c’est-à-dire un travail de solidification de l’enveloppe corporelle
La main, interface entre soi et le monde : de la fusion à la séparation 149

permettant de densifier le dedans pour rendre possible le dehors. La mise en


mouvement de l’enveloppe tissulaire reviendrait donc à consolider l’enveloppe
corporelle de l’enfant, ses limites sensorielles et par extension les limites entre
son corps et celui des autres.
Au terme de ce premier travail, on pourrait envisager une prise en charge grou-
pale pour encourager et soutenir les interactions de Lucie auprès d’autres enfants.
Ce dispositif pourrait s’inspirer en premier de l’expression d’un travail du cercle,
mains tenues. Au niveau groupal, le travail du cercle est celui du rassemblement
et de l’enveloppe, pertinent dans la problématique qui nous préoccupe. L’espace
radiaire est également de première importance dans la mesure où il circonscrit
les deux espaces fondamentaux du dedans et du dehors que Lucie aura précé-
demment travaillés seule. Le travail consiste à improviser en solo au centre
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du cercle. Dans ce mouvement, Lucie se distingue en sortant de la masse pour
devenir le point central sur lequel le groupe focalise son attention. La tendance
naturelle des autistes étant de se situer en dehors – toujours ailleurs – il serait
ici question de déranger cet arrangement pathologique pour que l’enfant puisse
vivre l’importance de « buter » sur le principe de réalité de l’autre. Ce dispositif
symboligène permettrait ainsi de rejouer le processus de séparation-individuation
dans une dimension de sécurité et de confiance, puisqu’il s’agirait d’évoluer
entre la fusion du corps groupal disposé en cercle et l’autonomie contenue au
cœur de cet espace de sécurité. Nous pourrions conclure la pratique par un rituel
autour des corporythmies, percussions corporelles simples qui seraient l’occasion
de mobiliser le corps propre dans la considération des autres pour l’unisson du
groupe, c’est-à-dire à la frontière entre l’individuation et la fusion du groupe.
L’omniprésence des mains dans ce rituel de fin pourrait constituer la base d’un
travail plus approfondi autour des autres parties du corps.
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C ONCLUSION

Le cas de Lucie montre l’importance des fondements précoces du développement


psycho-affectif de l’enfant. Car si la focalisation des mains apparaît comme
essentielle à la compréhension du vécu psychomoteur de l’enfant, on ne doit
pas oublier les soubassements identitaires à l’œuvre au-delà du symptôme. Nous
l’avons vu, notre approche offre un éclairage et une clef de compréhension de la
problématique de Lucie. Il s’agissait bien de proposer un regard qui ne cherche ni
l’exclusivité ni la radicalité mais qui s’offre en possibilité pour l’enfant, détenant
seul sa vérité.
Chapitre 24

Synthèse
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Sylvie Gadesaude

Il semble que se dégage de cette partie sur les mains et la motricité fine, le rôle
majeur de la main vectrice de relation et porteuse de l’intentionnalité d’agir depuis
un dedans vers un dehors à condition que soit garantie la sécurité d’une ouverture
sur le dehors.
Tiphanie Vennat nous montre comment cette relation, ancrée dans les premières
interactions charnelles avec le corps de la mère cherche à s’ouvrir vers l’extérieur,
portée par un désir de communication ou d’expression. Elle nous explique aussi
comment les médiations artistiques permettent au corps de jouer pour apprivoiser
ces mouvements d’émancipation, d’enveloppes et d’éloignement.
Bernard Meurin souligne comment le rôle actif du sujet passe par l’appropriation de
la main comme une partie de son corps à soi avec une intentionnalité de transfor-
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mation, de maniement ou de communication. Il nous rappelle la genèse de cette


appropriation à partir de la mise en forme du corps, décrite par Bullinger. De cette
mise en forme qui part d’un enroulement, il nous décrit également un mouvement
d’ouverture par le jeu des coordinations visuo-motrices tendues vers l’extérieur.
Julie Lobbé insiste sur l’organisation du cadre et reformule à sa manière le besoin
de sécurité indispensable pour que la main devienne un outil d’exploration, non
plus seulement sur le corps propre mais aussi vers les objets extérieurs. Comment
de l’exploration, elle devient de plus en plus fine par le jeu des coordinations
sensorielles et tournée vers des actions de plus en plus précises, porteuse de sens
et d’intentions partagées.
Enfin, les notions de schéma corporel et d’image du corps que j’ai développées
reprennent les notions d’espace à soi, d’espace en dehors de soi et d’interactions
que, tous, nous avons abordées en insistant toujours sur la dimension de sentiment
interne de sécurité indispensable à l’intégration de cette fonction de motricité fine.
PARTIE V

La contenance
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Chap. 25 Vignette . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155
Chap. 26 Arthur ou la recherche des fonctions contenantes . . . . . . . . . . . 157
Chap. 27 Contenance et cohérence centrale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163
Chap. 28 Contenance et incontenances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 169
Chap. 29 Une contenance thérapeutique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175
Chap. 30 Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181
Chapitre 25

Vignette
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Bernard Meurin

Comment contenir Arthur ?


Anamnèse et bilans
Arthur est un petit garçon de 3 ans en légère surcharge pondérale. Un visage rond et
des cheveux mi-longs bouclés lui donnent une allure pouponne. Il est le seul enfant du
couple lorsque nous le rencontrons mais un petit frère arrive alors qu’Arthur est âgé
de 5 ans. Ce petit frère naît à la même date qu’Arthur.
Arthur est adressé par un ORL car il présente un retard important du langage oral.
Pas de mots articulés mais quelques cris et rires bruyants qui ne sont pas toujours
adaptés aux situations. C’est un enfant solitaire qui ne cherche pas le contact avec
autrui. La scolarisation a été interrompue et Arthur étant gardé par les grands-parents
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paternels.
Sur le plan du développement psychomoteur, nous notons une tenue assise vers 6/7
mois et une marche vers 13/14 mois sans passage par le quatre-pattes. La propreté
n’est pas acquise et Arthur ne signifie pas ses envies d’aller aux toilettes. Sur le plan
de l’oralité, les parents ne notent ni difficultés particulières ni troubles alimentaires.
Les parents décrivent de nombreux comportements stéréotypés et des rituels.
Lors de la première observation psychomotrice, Arthur ne prête pas attention à ce qui
l’entoure. Il est relativement passif et amimique. Une fois dans la salle, il manipule les
objets de manière stéréotypée. Il les fait tourner près de ses yeux en vision périphé-
rique. Le regard ne sert pas à entrer en contact. Lorsque je m’approche de lui, Arthur
s’éloigne et le contact physique est difficile.
Sur le plan praxique, les gestes sont peu élaborés et Arthur recherche essentiellement
des sensations. Il y a peu de collaboration bimanuelle, de nombreux mouvements se
faisant en symétrie. La coordination au niveau des jambes est fragile, la marche peu
harmonieuse et les pas se déroulent essentiellement sur l’avant pied.
156 LA CONTENANCE

Prise en charge psychomotrice


Arthur a bénéficié de deux séances en psychomotricité par semaine pendant deux
années puis l’une des deux a été remplacée par un atelier pataugeoire pendant un an.
Le suivi a donc duré trois ans.
En début de prise en charge, la principale difficulté a été l’entrée en relation. Durant
la plupart des séances, il s’enfermait dans des comportements stéréotypés, faisant
tourner des bouts de ficelles ou le cordon de son pantalon près de ses yeux. C’est
à partir de postures d’enroulement, assis dos contre moi ou roulades sur un gros
ballon, que des interactions ont pu progressivement se mettre en place. Arthur pouvait
exprimer son désir de retrouver ce type d’activités au fur et à mesure des séances.
Les sollicitations tactiles ont été intéressantes : lorsqu’il tapait sur le métallophone
en utilisant qu’une seule main, je soutenais la main négligée en la ramenant douce-
ment vers l’avant ou en soufflant dessus. De même, lorsqu’il acceptait de grimper
sur des coussins sans plier les jambes, je l’aidais à décomposer les mouvements lui
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permettant de meilleures coordinations. Nous avons également utilisé des jeux de
type « coucou/beuh » pour susciter l’intérêt d’Arthur, d’abord avec un tissu transparent
puis opaque.
Le premier effet patent de ce travail survient lorsqu’Arthur qui prend plaisir à effectuer
de petits parcours psychomoteurs, se met à refuser de partir à la fin d’une séance. Il
râle, ne veut pas me suivre et cette séquence se répète sur plusieurs semaines. Je
pressens la distinction entre le moment de la séance et « l’en dehors » et j’en parle au
papa. Ce dernier confirme les progrès psychomoteurs et ajoute que son fils est propre
depuis plusieurs semaines.
Pour accompagner Arthur dans ses recherches de contenances tactiles nous avons
proposé un atelier pataugeoire coanimé avec une collègue orthophoniste. Durant les
premières séances, Arthur fonctionne beaucoup par mimétisme. Il est souvent allongé
dans le prolongement de l’eau qui coule et se remplit. Puis progressivement, les jets
de l’eau variant selon les mouvements d’Arthur, survient une belle surprise que nous
soutenons verbalement. Ces moments nous mettent en résonance émotionnelle avec
Arthur qui progressivement contrôle la force du jet tout en se montrant attentif à nos
réactions. Des moments d’échanges joyeux s’installent entre nous et Arthur, qui ne
parle toujours pas, viendra chercher les adultes pour qu’ils soutiennent et enrichissent
ses jeux.

Conclusion
Au terme de ces trois années, Arthur est nettement moins prisonnier de ses stéréoty-
pies et se montre plus attentif à l’autre. Il est coopérant et ne s’enferme plus dans des
recherches sensorielles. La prise en charge psychomotrice lui a permis d’harmoniser
son organisation corporelle et de développer chez lui une certaine sérénité. Le travail
axé sur les points d’appuis, la contenance et le soutien des coordinations a permis
de diminuer l’impact des clivages intracorporels au profit d’un sentiment d’unité plus
sécure.
Chapitre 26

Arthur ou la recherche
des fonctions contenantes
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Bernard Meurin

Pour comprendre certains fonctionnements sensori-moteurs des personnes avec


autisme, nous nous référons souvent à « l’axe de développement » que nous a
transmis Bullinger. Il ne s’agit pas simplement de décrire les coordinations mais
aussi leurs correspondances sur les plans affectif, émotionnel et cognitif. C’est
donc à partir de cet axe que nous allons tenter de comprendre le fonctionnement
d’Arthur.

Q UELQUES MOTS SUR « L’ AXE DE DÉVELOPPEMENT


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SENSORI - MOTEUR »

L’axe de développement se présente sous forme d’un tableau dans lequel Bullinger
(2004) définit ce qu’il appelle les « espaces corporels ». Il ne s’agit pas d’une
succession d’étapes mais d’un processus dans lequel le terme « espace » se réfère
aux coordinations qui se mettent en place et qui donnent lieu à la fois à des
capacités praxiques mais aussi à des représentations psychiques. Six espaces
sont décrits l’espace utérin, de la pesanteur, oral, du buste, du torse et du corps.
Pour Arthur, nous verrons que c’est essentiellement au niveau des deux derniers
espaces que les difficultés s’expriment le plus.
! A propos de « l’espace utérin », outre le développement du fœtus et de son
investissement par le milieu humain, Bullinger parle d’une première forme
158 LA CONTENANCE

de dialogue tonique puisqu’aux contractions utérines le bébé répond par une


extension du buste et réciproquement.
! Puis, la naissance constitue un bouleversement sur le plan sensoriel notam-
ment au niveau proprioceptif. C’est ce que Bullinger appelle « l’espace de
la pesanteur ». Grâce aux différentes expériences de portage, le bébé va
construire la fonction proprioceptive qui n’est pas un fait biologique mais
le fruit de coordinations entre les signaux issus de la sensibilité profonde,
les flux tactiles et le système vestibulaire. Lorsque cette coordination s’opère
l’organisation des points d’appuis se met en place et l’enfant se « verticalise ».
C’est une des premières fonctions qui peut être impactée dans l’autisme. En
effet, les difficultés de régulation tonique peuvent pénaliser les ajustements
corporels de l’enfant et c’est ainsi que nous retrouvons plus tard des rigidités
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corporelles, des difficultés dans les transitions de postures et des troubles
de l’équilibre. Bullinger parle de « troubles du redressement » en précisant
que « c’est probablement une des sources des angoisses dites primitives que
manifeste le jeune enfant. »
En ce qui concerne Arthur, nous avons pu constater au cours de la prise en
charge, son besoin de repartir de la position allongée comme pour ré-éprouver
la construction de la verticale.
! Le troisième espace est « l’espace oral » où l’équilibre entre la mise en
bouche (capture) et la gestion sensorielle (exploration) autorise les comporte-
ments de succion et de déglutition puis les comportements de mastication et
de déglutition1 . Sur le plan psychique, « la constitution de l’espace oral permet
la création d’une contenance qui trouve son sens dans l’activité alimentaire et
l’exploration qui offrent de manière transitoire les premières sensations d’exis-
tence. » Dans le cas de l’autisme, un clivage entre un investissement puissant
de la capture qui se traduit souvent par des comportements d’agrippement et
une recherche constante de réafférence sensorielle sous forme de stéréotypies
orales impacteront l’investissement de la zone orale et toutes les fonctions
qui en dépendent comme le langage.
Pour Arthur, nous n’avons pas été interpellés par une problématique de la
zone orale. Néanmoins, il s’avère, tôt dans son évolution, des difficultés
sont apparues sous la forme d’une sélectivité alimentaire. Arthur mangeait
préférentiellement des aliments de couleur verte, des pâtes papillons avec une

1. Voir la chaîne narrative du repas telle qu’elle est décrite dans la partie consacrée à l’oralité
Arthur ou la recherche des fonctions contenantes 159

mastication difficile et il ne buvait que du coca. Il n’est par ailleurs jamais


entré dans le langage oral1 .
! Le quatrième espace, « l’espace du buste », concerne les premiers redres-
sements. Sur la base d’une coordination entre les mouvements de flexion et
d’extension en lien avec la coordination entre la vision périphérique et focale,
le bébé redresse le haut de son corps jusqu’à trouver le point d’équilibre
relativement aux effets de la pesanteur2 : « C’est autour de quatre mois que le
bébé mobilise sa musculature antérieure et commence à assurer, en position
assise assistée, son propre équilibre avant-arrière [...] C’est une étape essen-
tielle du développement postural et tonico-émotionnel. » Cet investissement
est psychiquement covariant de la création d’un arrière-fond stable. Dans
le cas de l’autisme, cet équilibre peut être fragile avec des redressements
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en hyperextension ou à l’inverse des effondrements toniques associés à des
troubles visuo-praxiques.
Concernant Arthur, il était globalement plutôt hypotonique avec un regard
essentiellement fixé aux ficelles qu’il tournicotait devant lui.

A RTHUR , L’ ESPACE DU TORSE ET L’ ESPACE DU CORPS

Les deux derniers espaces décrits dans l’axe de développement sont « l’espace
du torse » et « l’espace du corps ».
! « L’espace du torse » concerne les mouvements de torsion permettant le
passage fluide et équilibré entre deux postures asymétriques d’orientation
différente. L’utilisation de la bouche comme lieu d’exploration des objets et la
coordination visuo-manuelle favorisent l’unification des espaces droit, gauche
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et médian permettant la prise en compte d’un espace unifié, l’espace de


préhension. L’axe corporel devient un véritable point d’appui non seulement
postural mais aussi affectif, émotionnel et cognitif. C’est un moment fort du
développement car ces coordinations participent de l’apparition du pointage :
« Le pointage hors de l’espace de préhension dérive de cette constitution
de l’axe corporel. » Dans le cadre de l’autisme, c’est une étape difficile à

1. Je remercie chaleureusement la psychomotricienne de l’IME où Arthur a été accueilli de m’avoir


régulièrement donné des nouvelles de son évolution.
2. Lorsque le bébé bloque sa respiration pour maintenir la rigidité de son buste, Bullinger parle
de « tonus pneumatique ».
160 LA CONTENANCE

atteindre et cela peut en partie expliquer la prédominance des aspects senso-


riels au détriment des aspects représentatifs.
L’intérêt d’Arthur était exclusivement centré sur l’espace médian avec de
nombreuses manipulations en guise de « prothèses de rassemblement ». La
collaboration bimanuelle était très difficile et Arthur n’investissait pas les
espaces latéraux. Nous parlions d’un clivage « gauche/droite ».
! La maîtrise du redressement combinée aux mouvements de torsion permet
d’amorcer de manière active les enroulements du bassin. Ainsi, « l’espace
du corps » se met en place. L’enfant peut attraper et jouer avec ses pieds et
soutenir ainsi la fonction d’exploration qui, quelques semaines plus tard, se
combinera avec la fonction de portage : « C’est la coordination entre un pied
explorateur qui peut s’ajuster aux propriétés de l’objet, et un pied porteur du
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poids du corps qui va permettre un ajustement de la marche aux propriétés
du terrain et à la finalité de l’action. » L’organisme est désormais un lieu
habité comme corps unifié qui part à la découverte du monde. Dans l’autisme,
l’investissement du bas du corps peut être fragile et nous parlerons alors de
« clivage haut/bas ». Cela n’empêche pas les fonctions motrices comme la
marche de se mettre en place mais celle-ci sera maladroite et l’accès à la
propreté sera difficile.
Chez Arthur, la difficulté à se coordonner pour monter sur de petits coussins
et les irritabilités tactiles du membre inférieur laissaient entrevoir un clivage
« haut/bas ». De même, la propreté n’était pas acquise car « à cet investissement
du bassin correspond le début d’un intérêt pour le contrôle sphinctérien. » Ce
contrôle s’est mis en place dès lors que les coordinations au niveau des jambes
se sont fluidifiées et cet acquis a été covariant avec l’émergence de notion
comme dedans/dehors. Arthur différenciait désormais les moments de séances
du moment de la séparation.

C ONCLUSION

Connaître l’axe de développement sensori-moteur pour la prise en charge des


personnes avec autisme revient à se doter d’une boussole qui nous permet de
resituer les difficultés qu’elles présentent dans la logique sensori-motrice. De
ce fait, des conduites qui peuvent sembler « bizarres », notamment chez les
adultes, prennent sens et nous pouvons alors organiser le soin selon cette com-
préhension. Avec Arthur, nous avons toujours été vigilants aux mises en forme
posturales en proposant systématiquement un arrière-fond, des appuis au niveau
Arthur ou la recherche des fonctions contenantes 161

du bassin et des sollicitations sur les parties corporelles apparaissant comme


négligées. Nous avons aussi beaucoup soutenu l’organisation gestuelle lorsque
celle-ci nous semblait peu adaptée en prenant le temps de bien décomposer les
mouvements pour maximiser les ressentis. Arthur n’est pas sorti de son autisme
et les comportements de rassemblement au plan médian restent toujours très
présents, mais nous pensons que le travail en psychomotricité qui s’est poursuivi
au sein de l’IME a soutenu la stabilité des représentations corporelles et donc
une certaine forme de contenance corporpsychique, faisant qu’Arthur n’a jamais
manifesté de troubles majeurs du comportement ni d’angoisse massive qui aurait
pu lui rendre la vie bien plus compliquée.
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Chapitre 27

Contenance et cohérence centrale


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Julie Lobbé

Arthur amène à penser le rôle de la contenance dans la structuration du corps et


sa perturbation initiale, par le déficit de comodalité sensorielle et de cohérence
centrale présent dans les TSA.

L A COMODALITÉ SENSORIELLE

Avant de parler de contenance à travers des propositions thérapeutiques, il paraît


important de préciser que pour le psychomotricien, la contenance évite « l’épar-
pillement » en fournissant une possibilité de percevoir son corps de manière
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globale. Sur le plan du fonctionnement sensoriel, cela signifie que les modalités
doivent être « intégrées », c’est-à-dire coordonnées. Or, des auteurs avec TSA
tels que Grandin ou Tammet parlent de « (...) la difficulté à se concentrer sur
plus d’une modalité perceptive à la fois et un débordement par des sources
de stimulation trop nombreuses » (Courteix, 2009). La première partie de la
citation sous-entend que les espaces sensoriels sont séparés les uns des autres :
la comodalité sensorielle, dans le sens d’un rassemblement des informations en
un tout cohérent, n’est pas efficiente.
Les espaces sensoriels sont également saturés d’informations. Schopler et Rei-
chler (1971, dans Planche et col., 2002) parlent d’une déficience du filtrage des
stimulations provoquant une surcharge sensorielle, entraînant à son tour une
« inhibition de protection ». Celle-ci peut se traduire par la concentration sur
164 LA CONTENANCE

« [...] un centre d’intérêt ou une source prévisible de stimuli » (Renoux, 2006


dans Courteix, 2009). C’est le cas d’Arthur qui fait tourner de petits objets près
de ses yeux. Il peut aussi prendre la forme d’un comportement de fascination
(Courteix, 2009) comme chez Erwan qui regarde avec délectation les surfaces
réfléchissantes.

L A COHÉRENCE CENTRALE ET SES CONSÉQUENCES

Particularités
!

Ces particularités sensorielles se répercutent à un niveau cognitif par une forte


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sélectivité. Cette focalisation sur les détails perturbe la reconnaissance du
contexte général d’une situation ainsi que sa contextualisation et donc l’attribu-
tion du sens de cette situation (Couteix, 2009).
En effet, le cerveau opère naturellement des liens entre les différentes informa-
tions qu’il perçoit et les organise en un tout cohérent (Robert, 2013). Ainsi, il
est plus facile de se souvenir d’une information organisée, sous forme de liste
par exemple, plutôt que d’informations aléatoires. De même, lorsque nous nous
rappelons un souvenir, comme un moment entre amis, il vient à notre conscience
sous une forme globale. En effet, nous ne nous souvenons pas de chaque thème
abordé dans la conversation. Par ailleurs, lorsque le souvenir est perdu, il peut
se réactiver si une personne raconte des éléments du contexte où s’est déroulée
l’action. L’humain traite donc naturellement les informations de manière globale
et contextualisée, pour y trouver une signification. Frith (1989, dans Rogé, 2003)
nomme cette particularité cognitive la cohérence centrale.
Chez les personnes avec TSA, le cerveau ne fait pas correctement ce travail.
Selon Frith (op. cit.), il existe un déficit de la cohérence centrale. Planche et
coll. (2002) montrent en effet que les sujets avec TSA ont tendance à prendre en
considération les formes isolées et présentent une difficulté à associer un grand
nombre de stimuli. Les contextes sociaux sont également difficilement analysés
car « les personnes autistes perçoivent l’ensemble des détails d’une situation
sans les hiérarchiser quant à leur pertinence explicative du contexte » (Renoux,
2006 dans Courteix, 2009). Vermeulen (2010) parle de cécité contextuelle.
Pour autant, le déficit peut aussi être vu sous l’angle d’une façon de penser.
Manuel, 20 ans, connaît tous les résultats des matchs de football de l’équipe
de France depuis sa création, en 1904. Considérer cette capacité à retenir des
informations sans lien entre elles comme un déficit ne me paraît pas naturel.
Contenance et cohérence centrale 165

Mottron (2004) va dans le même sens lorsqu’il parle d’une autre intelligence
pour les personnes avec TSA. En tous les cas, les particularités autistiques ont
des répercussions sur les relations environnementales et sur le développement.

Les conséquences dans les relations avec l’environnement


!

Le manque de sens de l’environnement amène la personne avec TSA à un besoin


d’immuabilité ou « sameness » (Kanner, 1943 dans Houzel, 2006). Ainsi, une
modification de la disposition de l’environnement, comme un objet déplacé par
exemple, peut amener une réaction brutale. La psychomotricité fournit une piste
explicative de nature développementale : le corps et le psychisme se structurent
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sur la base des expériences avec l’environnement. Cette structuration apparaît
sous la forme du schéma corporel qui est un préalable à l’organisation de l’es-
pace. En effet, la théorie piagétienne nous apprend que les repères spatiaux
sont d’abord situés sur le corps propre avant de l’être sur l’espace environnant.
L’enfant avec TSA peut réduire ses expériences en se focalisant sur des stéréo-
typies répétitives. Il est noté qu’Arthur présente de nombreux comportements
stéréotypés qui entravent l’accès à une gestualité efficace.

Les conséquences développementales


!

L’acquisition de la propreté et du langage, étapes fondamentales du développe-


ment de l’enfant, se trouvent également entravées. Arthur qui a 3 ans ne signifie
pas ses envies d’aller aux toilettes. Or, la propreté dépend de la capacité à
contrôler les sphincters urinaire et anal. L’acquisition de la propreté dépend donc
de la capacité à contrôler son corps et notamment ses membres inférieurs. (Marc,
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2011). Elle est possible grâce à un investissement progressif du bas du corps, en


lien avec le développement des capacités motrices : vers l’âge de dix-huit mois,
l’enfant est capable de monter et descendre des marches. La représentation du
corps s’étend aux jambes. Chez Arthur, « La coordination au niveau des jambes
est fragile (...) ». Il est possible que l’apprentissage de la marche, sans passer
par le quatre-pattes, n’ait pas favorisé des expériences variées au niveau des
membres inférieurs. Le suivi psychomoteur d’Arthur montre le lien direct entre la
mise en jeu du bas du corps et la propreté car il devient continent. Par ailleurs,
cet enfant montre un retard important du langage oral. Or le langage, qui se
construit de façon multimodale, peut être impacté par le déficit de cohérence
centrale (Leroy et Masson, 2010). En effet, il consiste à coordonner différents
indices non-verbaux (regard, mimiques, contexte) et verbaux (mots, phrases)
166 LA CONTENANCE

de façon à en extraire la signification (Leroy et Masson, 2010). Or, le déficit de


cohérence centrale perturbe la coordination entre les indices et affecte donc les
capacités sociales :
« En situation sociale, les modes de saisie de l’information (...) limitent considéra-
blement la capacité d’interprétation des situations et l’adaptation au contexte. »
(Rogé, 2003)

Aussi, les multiples conséquences d’une particularité de la cohérence centrale


laissent entendre une sorte « d’éparpillement » dans le traitement des informa-
tions, épaillement que le psychomotricien tente de rassembler, me semble-t-il,
sous le terme de contenance. Il propose au patient, dans cette logique, d’aller
vers davantage d’unité.
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P ROPOSITIONS DE PRISE EN CHARGE

Adaptation du milieu : vers une unité environnementale


!

En ce qui concerne le cadre thérapeutique, il s’agit d’éviter les surcharges senso-


rielles et donc de privilégier un environnement dépouillé et stable (Rogé 1993,
dans Planche et coll., 2002). Diminuer les informations à traiter simultanément
(décorations murales, musiques, sources lumineuses) et éviter un matériel qui
focalise l’attention sur un seul de ses aspects, la brillance par exemple, permet
à l’enfant de se concentrer sur des comodalités précises.

Travail de l’enroulement : vers une unité corporelle


!

Lesage (2003) explique que la construction corporelle s’appuie sur « un rassem-


blement à opérer ». Il décrit différentes propositions comme poser un ballon au
niveau du ventre pour induire l’enroulement. D’autres propositions peuvent être
faites autour des enroulements/déroulements de l’axe vertébral comme l’utilisa-
tion d’un hamac, du gros ballon ou encore directement du corps à corps comme
le propose Bernard Meurin. Il rassemble également le corps d’Arthur au niveau
des membres supérieurs en soutenant « la main négligée en la ramenant douce-
ment vers l’avant ou en soufflant dessus ». Il fait de même avec les membres
inférieurs en aidant Arthur à décomposer ses mouvements pour plier les jambes.
Ces activités ludiques sont l’occasion d’interactions, de stimulations tactiles (mal
tolérées par Arthur) et de plaisir, propices au développement psychomoteur.
Contenance et cohérence centrale 167

Travail de la prise d’informations : vers une unité cognitive


!

Robert (2013) souligne que, lorsque nous regardons un arbre, nous retenons qu’il
s’agit d’un arbre même si nous n’en voyons que les feuilles. La personne avec
TSA va davantage percevoir le relief de chaque feuille que la vision spontanée de
l’arbre. « Le sens devra être travaillé manuellement et consciemment. » (Robert,
2013) Il pourra s’agir de jeux de dénomination lors de balades en forêt par
exemple : « C’est un arbre avec des feuilles, des bourgeons et un tronc. » La
prise d’informations est aussi facilitée par l’attitude du psychomotricien, précis
dans ses demandes et facilitant la compréhension du sens des situations en
explicitant les liens entre les informations. Enfin, le recours à la schématisation
écrite se révèle utile pour faciliter l’intégration des informations auditives dans
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une perspective de comodalité sensorielle.

C ONCLUSION

Arthur exprime un retard psychomoteur peut-être lié à un manque d’organisation


corporelle, lui-même en lien avec des particularités concernant la comodalité
sensorielle et la cohérence centrale. Cette situation amène des propositions
thérapeutiques en lien avec la contenance et l’unité. Après avoir facilité la
vie quotidienne et l’autonomie d’Arthur en ciblant l’acquisition de la propreté
et de l’interaction, il paraît important de considérer un soutien instrumental
concernant l’acquisition du langage.
Chapitre 28

Contenance et incontenances
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Tiphanie Vennat

L’ EXPÉRIENCE DE LA NAISSANCE
OU LA PERTE DE L’ ENVELOPPE CONTENANTE

L’anamnèse d’Arthur reprend une étape fondamentale du développement de l’en-


fant, étape que nous savons particulièrement importante eu égard à la notion de
contenance, thème de ce chapitre. Il s’agit de l’accouchement, expérience de la
naissance considérée comme perte de l’enveloppe contenante (Winnicott, 1958).
Pendant la période gestationnelle, le premier espace contenant est l’espace
intra-utérin.
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L’histoire d’Arthur nous apprend que cette contenance primordiale a été prolon-
gée de quelques jours et conclue par une césarienne. Si toute arrivée au monde
constitue ce que Rank appelle un « traumatisme de la naissance » (2002), nous
pouvons nous demander si la césarienne n’a pas majoré ce traumatisme et a
fortiori les angoisses archaïques intenses du bébé. En effet, cette intervention
chirurgicale consiste en une incision de la paroi utérine, c’est-à-dire une coupure
arbitraire du premier contenant externe. À l’inverse de l’accouchement par voie
basse au cours duquel le bébé expérimente par la poussée des contractions la
consistance et la résistance de son contenant, nous pouvons nous demander si
la césarienne ne créée pas un effet de « décontenance » radicale dans laquelle
il n’a aucune possibilité d’action. Car si sur le plan de l’éprouvé de l’enve-
loppe corporelle, l’accouchement par voie basse semble constituer une forme de
170 LA CONTENANCE

« décontenance » progressive par la progression lente dans les voies naturelles,


la césarienne produit quant à elle une perte fulgurante de la contenance1 .
Plus tard, les soins maternels tels que le holding, le handling et l’object presen-
ting auraient pu constituer des contenants externes suffisamment efficaces pour
accompagner les agonies primitives du bébé (Winnicott, 1958). Arthur a été
confié très tôt à ses grands-parents maternels. Nous pouvons supposer qu’il a
pu recevoir d’eux une certaine forme de préoccupation maternelle primaire. Il
aurait été à ce titre intéressant de partager avec ces figures de la parentalité
leur vécu des premières relations précoces à l’enfant. Arthur nous apparaît, en
première lecture comme un enfant littéralement « décontenancé », c’est-à-dire
ayant éprouvé dans son corps la sensation de perte d’un étayage tout à la fois
corporel et psychique.
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L ES « INCONTENANCES » D ’A RTHUR

À la lecture de la vignette d’Arthur, deux éléments m’apparaissent signer un


défaut de contenance que nous pourrions logiquement nommer « inconte-
nances ». La marche sur la pointe des pieds est une attitude fréquente chez les
petits mais également un motif fréquent de consultation. Dans le cas précis
d’Arthur, il me semble que cette conduite motrice de base vient souligner la
problématique des contenants qui nous préoccupe. Lorsque le psychomotricien
décrit une marche peu harmonieuse et organisée dans le seul déroulement de
l’avant du pied, il décrit là un défaut d’investissement du sol comme surface de
portage, c’est-à-dire comme lieu de contenance. En effet, le don du poids au
sol « redit en nous les expériences du corps soutenu quand notre architecture
gravitaire n’existait pas encore, quand notre colonne souple et fluide se coulait
dans le support du corps maternel » (Louppe, 2004). Nous pouvons donc
nous interroger sur le sens de cette pointe de pieds que nous sommes tentés
d’entrevoir comme la perte de la première contenance utérine. En d’autres
termes, la marche sur la pointe des pieds ne serait-elle pas à entendre comme
une tentative de se contenir, c’est-à-dire de se tenir en soi-même à défaut
d’imaginer l’être suffisamment par l’autre ?
Par ailleurs, l’acquisition tardive de la propreté laisse penser que les sphincters
ont été longtemps inefficaces à assurer une certaine contenance chez Arthur. En

1. Il s’agit d’une hypothèse, toutes les grossesses césarisées ne conduisant bien sûr pas à de tels
portraits d’enfants.
Contenance et incontenances 171

effet, l’énurésie et l’encoprésie sont des symptômes qui illustrent la difficulté


de l’enfant à contenir ses tensions internes. Ces « débordements » sont donc
des incontinences à questionner très précisément comme véritables inconte-
nances, signes d’une enveloppe psychique insuffisamment construite pour que
les sphincters puissent jouer leur rôle.
Au fil de l’observation de Bernard Meurin, nous pouvons très vite remarquer chez
Arthur de nombreuses tentatives de reconstruction d’un contenant manquant. Car
à défaut de contenant interne, l’enfant semble chercher au dehors des substituts
de contenant dans l’accrochage à des objets usuels ou des sensations, ainsi que
dans les stéréotypies gestuelles. S’agissant des conduites d’accrochage à l’objet
autistique, Bick (1967) souligne que l’objet externe contenant devient optimal
lorsqu’il remplit les fonctions maternelles. Or, il est intéressant de constater
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qu’Arthur ne manipule pas n’importe quels objets, mais « des bouts de ficelle »
ou « le cordon de son pantalon ». Ceci n’est pas sans nous évoquer l’image du
cordon ombilical comme objet transitionnel entre le corps de l’enfant et celui de
la mère. Arthur n’est-il pas en train de retrouver dans cet accrochage un peu de
la contenance maternelle qu’il pense lui manquer ?
Par ailleurs la dimension du rythme que l’on retrouve de façon prépondérante
dans chacune des manifestations autistiques – notamment dans l’idée-même du
rituel – est selon Haag (2000) « la première forme de vie et de contenance ».
Elle garantit à ce titre, nous le savons, une sécurité de base et la construction
du sentiment de continuité d’être chez Arthur.

L E TRAVAIL DE LA CONTENANCE EN PSYCHOMOTRICITÉ


© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Comme le montre remarquablement Bernard Meurin, un certain nombre de conte-


nants peuvent être mobilisés dans la thérapie psychomotrice. Tout d’abord l’appui-
dos proposé à Arthur nous rappelle l’importance de l’éprouvé tactile du contact-
dos dans l’édification d’un espace « derrière » et plus largement d’un sentiment
« d’entourance » de la peau ou de « tout autour » décrit par Haag (2000). Cette
posture, associée à l’interpénétration des regards ou à la mise en mots de
l’expérience comme le « Oh ! », « Ah ! », « Attention ! [...] » de Bernard Meurin
dans l’exploration de la pataugeoire, apparaît donc essentielle à la construction
de la contenance de l’enfant.
Par ailleurs, le travail de l’enroulement constitue une forme de contenance
autour d’un centre clair et solide. C’est le travail de densification du dedans pour
rendre possible le dehors dont nous parle Bachelard (1957). Nous le constatons
172 LA CONTENANCE

parfaitement chez Arthur qui, au départ du bilan, ne prête pas attention à ce qui
l’entoure mais qui sollicite l’adulte à la fin de sa prise en charge. Tout se passe
comme si la sensation d’être ainsi contenu dans son propre corps consolidait
le sentiment du « dedans » de soi en même temps qu’il permettait de mieux se
figurer « le dehors » des autres. La contenance prend donc une configuration
d’enveloppe qui sépare le dedans et le dehors autant qu’il les relie.
L’imitation, que nous repérons classiquement dans les fonctionnements échola-
lique/échopraxique/échomimique des patients autistes ainsi que dans les identi-
fications adhésives, constitue également un ressort thérapeutique d’importance
dans le travail de la contenance. Car le mimétisme, au-delà d’un simple « collage
à la réalité » de l’autre, doit être ici pensé comme tentative de trouver en l’autre
une forme de contour à épouser. Un contenant externe sur lequel s’adosser.
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Dans la perspective d’édification d’une contenance, la médiation pataugeoire, par
les caractéristiques intrinsèques de contenance et de portage de l’élément-eau,
est évidemment particulièrement pertinente. La danse, à laquelle je suis habituel-
lement plus sensible, pourrait également convenir au travail de la contenance.
Pour Arthur, il pourrait s’agir d’une proposition de groupe thérapeutique comme
« enveloppe groupale » (Anzieu, 1999) autour de la dimension du cercle, de la
spirale et de la sphère. Ces notions, particulièrement présentes dans la danse
contemporaine, invitent très naturellement à l’exploration de la contenance.
Ainsi, une danse collective dans l’espace radiaire du cercle à l’image des danses
tribales ou encore l’exploration libre de la kinesphère (Laban, 2003) ou le travail
de la spirale comme mouvement d’unification corporelle pourraient être autant
de propositions dansées permettant à l’enfant d’édifier une contenance interne.
Enfin notons qu’au-delà des médiations utilisées, ce qui est contenant pour le
patient est avant tout la capacité du psychomotricien à pouvoir continuer de
penser pour lui et d’héberger ce qui lui est encore impossible de contenir (Bion,
1962).

D’ UNE RÉALITÉ CLINIQUE COMPLEXE À L’ IDÉAL


THÉRAPEUTIQUE : LE DIFFICILE CHEMIN
VERS LA CONTENANCE

Si la contenance est une attitude soignante élémentaire et un modèle de soin,


la réalité de certaines situations cliniques nous fait parfois éprouver toute la
difficulté d’atteindre cet idéal thérapeutique. Face certains patients très violents,
nous sommes quelquefois contraints d’apporter une contenance physique avant
Contenance et incontenances 173

toute contenance psychique. Mais alors, comment s’engager corporellement pour


qu’ait lieu la transformation ?
Cette problématique m’évoque le suivi de Joseph, qui, comme beaucoup d’enfants
avec autisme, vivait difficilement les espaces transitionnels de l’institution, lieux
de rupture entre les différents espaces thérapeutiques contenants qui lui étaient
offerts. Ainsi les couloirs étaient-ils sources d’angoisse et lieux d’expression
privilégiés de sa violence. Joseph pouvait donner des coups de pied dans les
murs, taper du poing et chercher à me pousser ou plutôt, comme je le pressentais,
à trouver dans mon corps une forme de résistance à ce qu’il exprimait. J’avais
donc réagi en faisant le pari de l’immobilisation dans une posture d’enroulement
en me plaçant dans son dos de manière à lui permettre d’éprouver une sensation
d’arrière-fond. Mes mains tenant fermement ses genoux, je restais là un moment
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cherchant des mots solides comme autant de muscles dans ma bouche et espé-
rant que l’enfant finirait par céder un peu de sa violence. Et doucement, Joseph
lâcha prise et pleura à chaudes larmes. C’est alors que notre accordage tonique
changea. Je sentis alors cette subtile transformation de la contenance physique
en contenance psychique. J’ai progressivement cherché à accorder ma respiration
à la sienne, ajustant la qualité de mon toucher et adoucissant le ton de ma
voix. Joseph finit par me chuchoter à l’oreille le détail d’évènements douloureux
survenus à la maison comme s’il me considérait à présent suffisamment forte
pour résister à ses terreurs. Nous avons dès lors pu poursuivre la confidence dans
l’espace contenant de salle de psychomotricité.
Ce que montre cette situation clinique particulière, c’est que l’enfant a trouvé
dans le « contre » une façon d’être finalement « avec ». En confrontant ses
angoisses à la résistance de mon corps de thérapeute, Joseph a pu leur trouver
une limite tangible et consistante, un contenant fiable au cœur duquel exprimer
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sa souffrance. Cette expérience confirme remarquablement la pensée de Houzel


(2010) qui souligne que le psychomotricien, grâce à la qualité de son engagement
corporel, héberge les expériences que le patient ne peut contenir, penser et
surmonter seul.

C ONCLUSION

Nous l’avons vu à travers l’expérience d’Arthur, le travail de la contenance en


psychomotricité est d’une grande richesse. Mais pour que ce travail soit opérant,
on ne doit pas oublier que le psychomotricien doit lui-même être contenu dans
un cadre plus large. Celui de l’institution. Il s’agit là d’une contenance complexe
174 LA CONTENANCE

à plusieurs niveaux de l’expérience soignante. Le cadre institutionnel définit


et garantit le cadre de travail du psychomotricien, lui-même proposé dans un
cadre thérapeutique particulier qui permettra au patient de construire sa propre
contenance. C’est à mon sens cette juxtaposition des figures contenantes qui
nous rapproche chaque jour un peu plus de cet idéal thérapeutique.
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Chapitre 29

Une contenance thérapeutique


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Sylvie Gadesaude

C ONTENANCE PHYSIQUE ET CONTENANCE PSYCHIQUE

La notion de contenance dépend du champ sémantique de qui l’utilise. De ma


place de psychomotricienne, je dirais : LE CORPS. Une contenance décrite comme
une fonction du corps vivant, objet et sujet d’une expérience qui le saisit dans sa
chair – (carne en espagnol) et à partir de laquelle il construit des représentations.
Au départ cette fonction « charnelle » de contenance prend place dans un espace
réduit – un cercle (à l’image du bonhomme-têtard peut-être) – et régi par les
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fonctions de base de l’organisme :


« Dès la naissance, les relations entre le monde et l’enfant se font au travers des
relations tonico-émotionnelles conjointement à une activité digestive et respira-
toire. Vivant dans une sorte de spatialité réduite, l’enfant réduit, par sa propre
hypertonie, paraît vivre dans un cercle tonique fermé hors duquel il ne sort que par
des décharges toniques réactionnelles ou par des phases de relâchement relatif. Ces
modifications semblent aller de pair avec les stimuli plaisants ou déplaisants... »
(de Ajuriaguerra et Soubiran, 1959)

Progressivement, cette première contenance faite de chair et de muscles va


s’organiser grâce à la relation entre la mère et l’enfant au moment de la tétée
et des soins. L’enfant va intégrer les données de l’environnement, par nécessité
mais aussi par appétence, au rythme des expériences, et des échanges et finit
par organiser l’espace (soi-non soi), le temps (présence-absence), évoluant
176 LA CONTENANCE

progressivement vers des intériorisations d’affects, des pensées et des repères.


Des conditionnements aussi.
Cette fonction de contenance s’appuie sur l’appareil sensoriel du bébé, sa motri-
cité, ses compétences d’imitations, les réseaux des neurones miroirs et bien sûr
les différentes caractéristiques du portage parental. C’est Bion qui le premier
a attribué à la mère, par l’accueil qu’elle fait aux sensations de l’enfant, une
fonction de contenance. S’ajoutent à cet inventaire, récemment répertoriées, les
qualités d’empathie du bébé que notons au passage, Ajuriaguerra (1962) avait
formulées dans une description de l’enfant au sein :
« Ce jeu est l’expression d’une double intentionnalité à savoir, faire quelque chose,
se diriger vers autrui pour le saisir et faire don de soi de manière que quelque
chose puisse nous arriver. Par conséquent à la fois une activité et une passivité
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ayant l’une et l’autre fait l’objet d’un choix. »

Au-delà de la régulation tonique, selon Bullinger (1998), l’échange avec autrui


participe à la mise en forme du corps du bébé, ce qui l’amènera à se reconnaître
en autrui. Ce que l’on retrouve aussi dans la pensée de Wallon (1973) :
« Lors de la phase de dialogue, l’action propre et celle d’autrui sont vécues comme
des attitudes interchangeables. Ces attitudes font vivre dans le corps propre la vie
développée d’autrui et l’enrichissent. »

L’enfant apprend peu à peu que son corps et celui de l’autre sont des résonnateurs
d’émotions, d’affects de plaisir ou de déplaisir à travers leur musculature et leur
fournissent un lieu – une contenance – pour entrer en relation.
Le bilan psychomoteur accorde une attention particulière « aux réactions de
contenance » qui nous indiquent comment l’enfant réagit à ce temps particulier.
Leurs manifestations et leurs formes nous orientent sur la nature des émotions
suscitées.
Bernard Meurin nous montre que la contenance dans le soin psychomoteur
concerne à la fois thérapeute et patient. Pour Arthur, on pourrait penser que
la fonction contenante du départ était efficiente puisqu’on ne relève durant
la grossesse ni accident ni lésions observables. Les observations du bilan, le
langage réduit, le défaut de coordinations au niveau de l’hémicorps inférieur et
son intérêt restreint pour son entourage soulignent un retard de développement
global et des interactions limitées, des expressions stéréotypées, la fonction de
contenance est touchée.
Le psychomotricien par son projet thérapeutique nous dévoile son rôle conte-
nant, étayage de son petit patient. Ici, les jeux sur le ballon offrent à Arthur
Une contenance thérapeutique 177

la possibilité de vivre des expériences d’enroulement en développant des res-


sources tonico-posturales agréables et sécurisantes, sources de plaisir grâce
aux habituations qui permettent anticipation, ajustement et régulation tonique.
Progressivement, l’enfant va intégrer le sens de la continuité du vécu, visible à
la frustration de l’arrêt de la séance, de sa continuité corporelle dont témoignent
l’acquisition de la propreté et le contrôle des sphincters.

C LINIQUE DE LA CONTENANCE

Je pense à Baptiste, 11 ans, que j’ai suivi à l’EMP, qui a du mal à accepter les
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limites et se met souvent dans une position de rivalité avec l’adulte à l’égard des
autres enfants. Il fait le chef ! Ainsi, il lui arrive fréquemment d’intervenir quand
un enfant se fait reprendre pour son comportement. Il peut même enjoindre ce
dernier à ne pas écouter l’adulte. Parallèlement, il est dans une grande quête
affective vis-à-vis des adultes. Son agitation motrice apparaît en réponse à une
stimulation sensorielle, qu’il exprime par exemple en disant : « Quand on regarde
quelqu’un dans les yeux, ça fait des guilis. Les guilis, c’est pas bon parce que ça
chatouille. » Baptiste a de bonnes possibilités éducatives et s’investit dans les
apprentissages. Son niveau de langage lui permet d’accéder à une psychothérapie
verbale. Les coordinations dynamiques générales et l’équilibre étant préservés,
le projet visait en priorité à développer son potentiel cognitif et l’accès à
la symbolisation pour mieux intégrer les limites et améliorer sa socialisation.
L’observation des comportements de Baptiste à la piscine sur la première année
de prise en charge, aussi bien dans l’eau que sur le trajet ou dans les vestiaires,
m’a incitée à proposer une prise en charge individuelle pour mieux le contenir
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et le rendre apte à recevoir et transformer ses excitations et s’affirmer. La prise


en charge s’est donc organisée en équipe dans le cadre du projet individuel de
soin de l’enfant. En présence d’une stagiaire en psychomotricité.

Une contenance à travers le cadre de la séance


!

Les premières séances « nous envahissent ». Par son agitation motrice, Baptiste
semble vouloir nous échapper. Il fait très vite diversion et ne peut se saisir des
jeux dans l’armoire qu’il ouvre et referme aussitôt. Il dégage une impression
de « vide » – plutôt de vent ou de tourbillon. Je propose quelques épreuves de
bilans comme un support à ma pensée. Je choisis des épreuves « au bureau »
pour le contenir dans un espace porteur. Le test des gnosies digitales dévoile
178 LA CONTENANCE

la désorganisation provoquée par la situation d’évaluation. Il réussit bien les


premières figures puis échoue. Son regard paraît m’interroger : qu’attends-tu
de moi ? Comme s’il se référait à l’autre pour la validité de ses perceptions.
Ne pourrait-on pas évoquer un vrai démantèlement dans la pensée de l’enfant,
démantèlement réactionnel au vécu submergeant d’une demande angoissante ?
Avant de reproduire la figure de Rey B, je lui demande le nom des figures qui
la composent. Il les cite tous à l’exception du triangle qu’il dit ignorer. Je ne
donne pas la réponse. Il commence à en dessiner un et dit : « Je sais pas faire
les triangles. » Il se baisse un moment pour ramasser un crayon au sol : « Quand
je me baisse comme ça, on dirait un serpent. »
Baptiste choisit un jeu de fléchettes et demande à l’étudiante de jouer avec lui.
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Je prends des notes pour laisser place à l’interaction et ce faisant lui donner
l’autorisation implicite de choisir ses activités mais aussi l’étudiante comme
partenaire de jeux. J’ai en tête que ma posture de trois quarts lui garantit
aussi ma présence et implicitement ma protection par ma contenance interposée.
L’étudiante définit une limite spatiale à ne pas franchir pour viser et rappelle les
règles du jeu. Par ce détour, les espaces sont nommés, différenciés et opposés
en couple : permis-pas permis, près-loin et avant-après. Baptiste cherche à
contourner la règle en enlevant le bâton qui matérialise la limite. L’étudiante
résiste. Ce conflit semble trop difficile. Baptiste me sollicite. Fait-il une demande
de protection ?

Une contenance à travers la capacité de penser du thérapeute


!

Il se met souvent en scène. Comme le jeu du rodéo où il enfourche un boudin


bleu au travers de cascades bruyantes. À chaque fois, il faut contenir. Mais aussi
laisser faire. Trouver la juste limite. Nous avons pris l’habitude de représenter
cette scène par des repères réels : piquets, filets etc. Il éprouve souvent le
besoin de venir se coller au miroir. Il dit un jour alors qu’il s’était installé en
tailleur : « ça m’embête qu’on voie plus mes pieds ». Je lui réponds que c’est
dommage parce qu’on ne voit pas ses chaussures toutes neuves. « Fais dépasser
tes pieds un peu, qu’on puisse les admirer ! » Il sourit et dégage ses pieds. On
pourrait se demander si Baptiste n’exprime pas une angoisse de morcellement à
l’idée de ne plus voir ses pieds.
Une contenance thérapeutique 179

Une contenance propre qui se construit dans les échanges


!

pendant séances

Baptiste va explorer la salle de manière plus active, il peut ouvrir les placards et
choisir des jeux. Au retour de vacances, il reprend des réactions de prestance
prononcées. Je dis : « Ça doit pas être facile de se retrouver comme ça face à
face tous les deux après tout ce temps des vacances, on avait oublié ! » En guise
de réponse, il commence à explorer activement l’espace. Sa posture nous dit qu’il
est en quête de quelque chose. Il cherche une cachette derrière le boudin bleu.
A l’abri de nos regards, il parle de ses vacances avec des phrases brèves. On sent
bien qu’il essaie de contenir une émotion envahissante. Il tape fort sur un ballon
qui atterrit sur la tête de l’étudiante. Il dit : « Attends ! » Et se construit une
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maison où il emmène deux ballons avec lui faisant comme si c’était des copains.
Il dit que son « copain-ballon » se cache car il a peur de nous.
À la fin de l’année de prise en charge, j’annonce le départ de l’étudiante. Baptiste
dira : « L’année prochaine, ce sera un garçon. » Lorsque je le retrouve à la rentrée
de septembre, je suis seule. Il est déçu de ne pas trouver de stagiaire garçon. Il
reprend le boudin bleu pour faire le spectacle de rodéo et me demande : « Tu
mets bien des protections partout. » En disant cela, il affirme haut et fort sa
demande de contenance.
Chapitre 30

Synthèse
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Bernard Meurin

Avec cette situation clinique et ce thème de la contenance, j’avoue que j’étais


curieux de savoir comment mes co-auteurs allaient traiter de ce sujet. En effet,
c’est une notion avec laquelle je ne suis pas très à l’aise notamment lorsqu’elle est
pensée comme présente dès le début de la vie de l’enfant à laquelle est rapidement
adossée l’angoisse de morcellement. Parfois, dans les mémoires d’étudiants, il est
fait allusion à cette notion chez le nouveau-né. J’ai beaucoup de mal comprendre.
En effet, cela laisserait supposer qu’il y ait une contenance préalable intégrée par
le bébé qui disparaîtrait du fait de la naissance ; certes, nous parlons de perte de
contenance dans laquelle se trouve le fœtus in utero, mais peut-on aller jusqu’à
parler de contenance et d’angoisse de morcellement dès les débuts de la vie ?
À la lecture des textes de mes trois coauteures et indépendamment des théorisations
auxquelles elles se réfèrent, je note une première convergence dans le fait de penser
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la fonction contenante comme une construction, rejoignant en cela Bullinger pour


qui la perte de l’enveloppe utérine est aussitôt compensée par le milieu humain
au travers du portage. Ensuite, je rejoins Sylvie Gadesaude lorsqu’elle évoque la
pulsion d’autoconservation qui renvoie à une dynamique positive de la part du bébé.
Si je traduis cela en termes spinozistes, j’emploierai le mot « désir » dans le sens
d’équivalent à la pulsion de vie, celle qui sous-tend le développement. Pour moi, la
thérapie psychomotrice s’appuie essentiellement sur la pulsion de vie comme proces-
sus dynamique et je la conçois comme primordiale. Je souscris également à l’idée
que le bébé ne connaît pas les limites de son corps, brouillant les notions d’intérieur
et d’extérieur. De fait, cela laisse entendre que le bébé n’est qu’ouverture et que
c’est bien la rencontre avec l’autre qui donne forme au corps. Aussi, dans le cas de
la pathologie, il apparaît important, comme le soulignent nos textes, de pouvoir
proposer des contenances plus ou moins fermes aidant à la mise en forme du corps
de nos patients et en soutenant les représentations. À ce propos, Tiphanie Vennat
soulève un point important lorsqu’elle évoque la colère de Joseph : elle ne confond
...
182 LA CONTENANCE

...
pas « contenance » et « contrainte » car la première accueille la souffrance alors
que la seconde instaure un rapport de force. C’est bien dans la posture du thérapeute
que la différence, parfois infime, se joue.
Enfin, c’est avec beaucoup de finesse que Julie Lobbé parvient à mettre en perspec-
tive sans les opposer, les notions empruntées à la théorie analytique avec celles
issues de la psychologie cognitive. La question de la cohérence centrale nous renvoie
peut-être à une représentation plus adéquate de ce que nous appelons contenance
en ce sens où elle ne renvoie pas à l’idée de contenu mais d’ajustement entre le sujet,
ce qu’il perçoit et le monde ; nous pouvons alors, comme le fait Julie Lobbé citer
Laurent Mottron et évoquer une autre forme d’intelligence ou de rapport au monde
et à l’autre. Je rejoins également Julie Lobbé quand elle évoque que la manière
dont le sujet construit ses représentations corporelles aura des conséquences sur
la perception spatiale et j’ajouterai temporelle, puisque comme le soulignait aussi
Merleau-Ponty, le point zéro de l’espace c’est notre corps.
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PARTIE VI

L’enveloppe
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Chap. 31 Vignette . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185
Chap. 32 Faire peau neuve, une difficile séparation . . . . . . . . . . . . . . . . . . 189
Chap. 33 Sacha et les enveloppes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 195
Chap. 34 L’enveloppe : place de la sensorialité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199
Chap. 35 Enveloppe et représentations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205
Chap. 36 Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209
Chapitre 31

Vignette
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Tiphanie Vennat

Sacha et l’enveloppe
Anamnèse
Sacha est un enfant de 10 ans et demi dont les parents, algériens, sont très entourant.
Sacha a très tôt présenté un retard psychomoteur global associé à une instabilité
psychomotrice. Il a été adressé à 3 ans en CMP pour retard de langage, agitation,
absence de relations à l’école et difficultés à tolérer les changements. Décrit comme
fusionnel avec sa mère par ailleurs très anxieuse, Sacha s’est arrêté de parler au cours
de la grossesse de son petit frère. À 15 mois, il vomissait la nourriture et réclamait le
sein. À 4 ans, le langage émerge mais avec difficulté. Les élans agressifs de l’enfant,
à défaut d’être mis en mots, sont agis. L’instabilité contraste avec des moments d’ab-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

sence et de sidération fréquents ainsi qu’une attitude repérée en faux-self. En 2010,


le bilan psychomoteur conclut sur ce point à une hyper-adaptation venant signer un
défaut dans le sentiment de soi.

Bilan psychomoteur
Sacha est aujourd’hui plus à même de se réaliser. Parlant bien mieux, il est plus
efficient sur aussi l’abord moteur. Les épreuves du bilan sont réalisées avec succès
et les résultats sont globalement conformes aux attendus de son âge. Pour autant, il
existe un réel décalage entre ses performances et la violence pressentie de son vécu
émotionnel. Très contenu et rassuré par le scolaire, Sacha l’est moins lorsqu’il s’agit
de s’engager corporellement. Il est dans la maîtrise et contient tout élan émotionnel
susceptible de le déborder. Il développe alors des auto-contacts en s’appuyant sur
ses cuisses et serrant les poings. Il présente aussi de nombreuses stéréotypies. Le
dessin du bonhomme est rudimentaire et marqué par des mains dessinées comme
des fourches. Sacha explique alors que se dessiner est « son pire cauchemar ».
186 L’ ENVELOPPE

Évolution de la prise en charge


Le temps du corps qui pense
Le suivi a commencé par des pratiques « au bureau » pour sécuriser Sacha. Très en
questionnement sur l’anatomie humaine, Sacha interroge les grands systèmes osseux
et musculaires. Il exprime ensuite des inquiétudes autour de ses orifices, notamment
le saignement du nez sur lequel il se focalise depuis des années. À cela s’ajoute un
discours d’angoisse de perforation :
« Pourquoi ma peau elle est pas protégée et qu’au final c’est le fusil qui gagne ? »
« Ils font un trou dedans et après je suis mort. »
« Quelqu’un peut t’aspirer dans le trou, comme une immense tornade. »
« La vie c’est comme un coup de mitraillette. »
Je propose donc à Sacha de parcourir des livres d’anatomie et d’y associer progres-
sivement une exploration sensorielle. L’abord du corps devient alors plus facile car
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soutenu par les livres identifiés comme du scolaire. Lorsque je lui fais part de ce
que j’observe de ses réactions émotionnelles, Sacha se défend avec virulence. Ainsi
me dit-il régulièrement : « De toute façon c’est des mensonges, ça n’existe pas les
émotions dans le corps. Le corps c’est juste le cerveau, le cœur et les poumons. Les
émotions, elles sont dans le cerveau mais pas dans le corps. » Sur le plan tonico-
postural, l’attitude de Sacha évolue sensiblement. Au départ en posture de repli et
d’allure hypertonique, il serre les poings et développe de petits gestes rituels d’allure
stéréotypique. De la statique aux mouvements incontrôlés, la gestualité de Sacha se
délie doucement. En parallèle, il trouve un appui-dos contre la chaise et pose ses
pieds sur le sol.
Le travail de consolidation du dedans
C’est alors qu’émerge la question du plâtre qu’il évoquera pendant plusieurs séances.
Sa grande préoccupation est alors de savoir si la perceuse pourrait trouer le plâtre.
Il explique également qu’il aime prendre des risques puis « se cacher dans la boîte »,
s’opposant parfois à mes demandes en me disant : « je ne te dirai pas, je vais te
cacher des choses, parce que j’aime les secrets ». Il me semble que s’édifie alors
une contenance psychique au fil des semaines et que Sacha s’incarne dans une plus
grande confiance. Il est alors beaucoup plus expansif et prend plaisir à se mouvoir
dans l’espace psychomoteur. Nous jouons au jeu du cache-cache et développons à
sa demande des explorations les yeux fermés.
L’engagement corporel est encore un peu hésitant et fragile mais spontané. Sacha
cherche le contact des murs, les angles de la pièce et des matériaux durs sur lesquels
s’appuyer. Ce contact est alors particulièrement énergique. Je crains souvent qu’il
ne se fasse mal. Enfin Sacha verbalise autour de la loi, me disant qu’il veut cogner
certains enfants qui l’embêtent, mais que c’est interdit.
Le travail du dehors
Une nouvelle étape du processus thérapeutique s’amorce quand Sacha demande des
temps de décharge. Il ne cesse de crier : « je suis en colère » tout en frappant le
sac de frappe mis à disposition par son éducateur référent. L’expression de sa colère,
dont il dit qu’elle est en lui depuis tout petit, est tout à fait nouvelle pour Sacha. Cette
colère était jusqu’à présent en latence et trouvait une contenance dans les stéréotypies
Vignette 187

gestuelles ou les rituels de comptage. Parallèlement à l’action, Sacha dessine des


armes à feu dont une qu’il désigne en termes de « Mazouka ». Il verbalise autour de
la séparation en expliquant que « l’autonomie, ça n’existe pas ». Ce temps coïncide
également avec la nouvelle capacité de Sacha à se dévêtir lorsqu’il a chaud, ce qui lui
était jusqu’alors parfaitement impossible.

Conclusion
Après plusieurs mois de prise en charge, Sacha me confie avoir depuis toujours l’envie
de conduire des camions poubelle : « une boîte en métal avec plein de débris à l’inté-
rieur ». Il précise qu’il aimerait aujourd’hui travailler dans une usine de recyclage « qui
ferait le tri et qui permettrait aux choses de recoller ». La prise en charge psychomo-
trice semble donc offrir à Sacha un espace contenant et un support à une enveloppe
psychocorporelle fragilisée. Il peut faire l’expérience nouvelle de son corps quelque
part entre un dedans et un dehors. S’amorce alors un travail de transitionnalité qui
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l’aidera à faire le chemin de l’autonomie.
Chapitre 32

Faire peau neuve,


une difficile séparation
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Tiphanie Vennat

L’ ENVELOPPE COMMUNE

Nous le savons, le Moi-peau (Anzieu, 1985) s’édifie très tôt dans la construc-
tion psychique de l’enfant de manière à marquer la limite symbolique entre
son corps et celui d’autrui. À la lecture de l’anamnèse de Sacha, on comprend
que cette étape fondatrice du processus de séparation apparaît problématique.
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Cette difficulté s’exprime très tôt, notamment à travers le refus de s’alimenter


autrement que par le sein. Bick (1987) nous aide comprendre que le mamelon
est éprouvé comme une peau qui assure une fonction d’enveloppe. La privation
du sein constitue alors une véritable déchirure de cette peau commune, une
trouée psychique qui pourrait en partie expliquer les angoisses de perforation et
de vidage manifestées par Sacha.

L’ ENVELOPPE INTERNE

Faire peau neuve consiste à quitter l’enveloppe commune et constituer sa propre


peau, ce qu’Anzieu appelle « l’enveloppe interne ». Celle qui confère à l’enfant
190 L’ ENVELOPPE

son individualité. Tout l’enjeu du travail en psychomotricité va donc consister à


permettre à Sacha d’édifier cette enveloppe interne en intériorisant les éléments
du cadre thérapeutique.

S ACHA ET L’ ENVELOPPE PERCÉE

La problématique de Sacha m’évoque l’idée qu’une séparation des deux corps au


moment du sevrage aurait pu constituer une forme de déchirure de la peau com-
mune avant même que n’ait pu se constituer l’enveloppe corporelle de l’enfant.
Cet arrachement laisse aujourd’hui Sacha dans une forme d’enveloppe percée
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que nous pouvons rapprocher du concept de Moi-peau passoire (Anzieu, 1985)
à travers lequel l’enfant a le sentiment qu’il risque à tout instant de se perdre.
La béance de l’enveloppe fait effectivement naître une angoisse de vidage à
l’image de la peur classique de disparaître avec l’eau du bain, angoisse dérivée
du traumatisme de la naissance (Rank, 2002). Cela m’évoque un jour d’hiver où
Sacha s’était enrhumé et avait le nez qui coulait. Lorsqu’il s’en aperçut il s’écria :
« Au secours Tiphanie, j’ai mon cerveau qui coule ! » Cette angoisse de vidage
s’est également manifestée lors d’une séance particulièrement édifiante autour
d’un temps de hamac. Lorsque j’ai proposé à Sacha de s’y allonger, sa première
réaction a d’emblée concerné la capacité du tissu rayé à le contenir : « Hé mais
attends là, je ne vais pas tomber dans les lignes de la couverture, dis ! » Puis se
laissant aller progressivement au portage dans le hamac, il répéta anxieusement :
« Tiphanie, au secours ! Je coule ! » J’ai alors posé mes mains en dessous de lui
en intensifiant la conscience de l’appui-dos et de l’arrière-fond (Haag, 1988).
Sacha finit par s’apaiser, le pouce dans la bouche. Quelques instants après il
me regarda en disant : « Adieu maman, je suis mort ! » Puis il rabattit les deux
extrémités du tissu sur son corps et disparut.
Nous sans surprise, je constate également chez Sacha des angoisses de perfo-
ration, suggérées en premier lieu par le détail des mains en fourche lorsqu’il
se dessine puis par l’évocation des nombreuses armes à feu comme le fusil, la
mitraillette et le bazooka. L’enfant exprime alors très clairement que « c’est le
fusil qui gagne », c’est-à-dire que l’enveloppe corporelle est en danger.
Notons également qu’il y a sans doute ici l’expression massive de l’agressivité de
l’enfant adressée à la mère. En effet, le néologisme « mazooka » n’est pas sans
laisser penser qu’il y a là un peu de « maman ». Si ce n’est au moins le souvenir
d’un sein qui manque.
Faire peau neuve, une difficile séparation 191

La fragilité de l’enveloppe de Sacha est également suggérée par l’expression de


son langage. Il est depuis toujours logorrhéique, et semble répondre davantage
à un besoin de décharge qu’à un véritable désir de communication. Tout se passe
comme si l’enfant ne parvenait pas à contenir les mots au cœur d’une enveloppe
suffisamment protectrice. De manière intéressante, je remarque qu’en parallèle
de cette incontinence verbale, Sacha cherche en l’autre le contenant de pensée
qui lui fait défaut. Il est alors en perpétuelle demande d’explications, posant
sans cesse des questions, comme éternellement insatiable. Au regard de son
histoire et en référence à la question de l’oralité, nous pourrions nous demander
si cette recherche de mots ne signe pas la recherche d’un sein suffisamment
nourricier.
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L A DÉFENSE AUTISTIQUE COMME ENVELOPPE PALLIATIVE

Nous l’avons vu, Sacha tente de pallier les insuffisances de son enveloppe percée
à travers le raisonnement intellectuel et le sur-recrutement de la fonction tonique.
Pour Bick (1968), l’hypertonie procure à l’enfant une sensation de maintien lui
rappelant le serrage rassurant de la paroi utérine associé à la portance du liquide
amniotique. Ces deux modalités défensives répondent à l’impérieuse nécessité
de constituer une seconde peau psychique (Anzieu, 1987) et peuvent être enten-
dues comme une façon de se protéger contre toute expérience émotionnelle
potentiellement débordante (Ciccone et Lhopital, 2001). Comme nous le rappelle
justement la phrase de Sacha : « [...] de toute façon c’est des mensonges, ça
n’existe pas les émotions dans le corps [...]. » Or, ces réactions enferment
finalement plus qu’elles ne contiennent. Au mieux sont-elles des « conteneurs
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à l’angoisse » (Anzieu, 1985), solutions corporelles peu satisfaisantes dans la


relation à l’autre.

L’ ENVELOPPE EN SÉANCE DE PSYCHOMOTRICITÉ

Le toucher sensoriel de la peau commune


!

Dans un premier temps, je propose à Sacha un toucher sensoriel sous la forme


de petites pressions à deux mains du sommet de sa tête à ses orteils. Il s’agit
d’opérer une forme de « gantage » du corps de l’enfant à un rythme régulier et
de manière coordonnée afin qu’il puisse ressentir la continuité de son enveloppe
192 L’ ENVELOPPE

corporelle. Cette pratique semble très appréciée de l’enfant qui y retrouve cer-
tainement un peu de cette peau commune qui lui manque. Les demandes de
Sacha portent essentiellement sur les os de son crâne et sur la cage thoracique.
Il est intéressant de remarquer qu’à l’instar des rayures de la couverture, les
côtes ne sont pas perçues par Sacha comme une enveloppe osseuse contenante
mais comme autant d’orifices risquant de laisser échapper les organes vitaux.
Cette inquiétude de Sacha à ne se sentir que partiellement protéger par ses os,
a permis d’aborder la suppléance des muscles et de la peau. Comme exposé en
préambule, cette pratique a été soutenue par la découverte de livres d’anatomie
pour enfant, dont la fonction symbolisante a également constitué une fonction
d’enveloppe (Anzieu,1985 ; Roussillon, 1995).
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Les jeux d’exploration de l’enveloppe interne
!

L’exploration du plâtre est une vraie médiation plastique en psychomotricité.


C’est par essence un matériau rigide moulé pour épouser le volume du corps
afin de le maintenir dans une position structurante et réparatrice le protégeant
de toute stimulation extérieure. Cela m’est apparu pertinent pour amorcer le
sentiment d’enveloppe pare-excitatrice. Il s’agissait donc surtout de consolider
le dedans c’est-à-dire de garantir à Sacha un sentiment de sécurité interne. La
transition de dedans au dehors de l’enveloppe s’est organisée à partir de l’idée
du secret souvent évoqué par Sacha. Je lui laissais alors la possibilité d’écrire
quelques mots sur son ressenti à chaque fin de séance et de choisir ce qu’il
souhaitait en faire : les contenir au dehors en me les verbalisant ou les contenir
au dedans en les enfermant dans la boîte.
Dans une progression naturelle, nous avons abordé des jeux de cache-cache,
étapes signant une grande évolution chez Sacha, désormais bien contenu dans
sa peau, capable de différencier le dedans et le dehors et de se représenter la
séparation.
En proposant à Sacha des « images du corps pré-contenantes » (Haag, 1993),
c’est-à-dire des représentations liées aux perceptions corporelles dans le registre
de la matérialité se rapprochant de celle du corps (plâtre, boîte à secrets, tunnels
pour se cacher, hamac, etc.), l’enfant a finalement pu « faire peau neuve ». Il a
pu également entrer dans une véritable relation à l’autre, « être un moi et se
sentir la capacité d’émettre des signaux entendus par les autres » (Anzieu, 1985).
Il semblerait donc qu’au terme de son suivi psychomoteur, Sacha ait construit
son enveloppe et trouvé une adresse.
Faire peau neuve, une difficile séparation 193

C ONCLUSION

Le suivi de Sacha nous enseigne l’importance de laisser à l’enfant le temps


d’advenir depuis la difficile séparation du corps de l’autre jusqu’à la constitution
de sa propre enveloppe psychocorporelle. Le cadre thérapeutique du psychomo-
tricien, à l’image de la peau du ventre maternel, fait alors fonction de « couveuse
psychique » (Phillips, 2010). Tout à la fois contenant, pare-excitant et sécurisant,
l’espace psychomoteur offre à l’enfant une enveloppe multimodale au cœur de
laquelle éclore.
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Chapitre 33

Sacha et les enveloppes


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Bernard Meurin

Le thème qui nous est proposé ici ouvre une discussion autour du concept –
souvent mis en avant en psychomotricité – d’enveloppe corporo-psychique.
Le terme d’enveloppe renvoie à des notions comme contenant/contenu ou inté-
rieur/extérieur. Il implique une séparation entre moi et le monde, séparation
perçue comme condition nécessaire à la mise en forme de la subjectivité. Mais
comme le souligne Anne-Marie Latour, « il ne suffit pas d’avoir une peau “tout
autour” pour se sentir enveloppé ». Elle parle alors de « sentiment d’être »
comme conséquence d’une liaison entre les expériences issues du corps propre
en relation et la capacité imaginaire propre à l’humain. Nous trouvons une idée
identique chez Dolto (1984) à propos de son concept d’image inconsciente du
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

corps :
« La première composante de l’image du corps est l’image de base [...] qui permet
à l’enfant de se sentir dans une « mêmeté d’être » [...] malgré les mutations de sa
vie. »

L’ AUTONOMIE ÇA N ’ EXISTE PAS

Je trouve que cette notion de continuité sous-tendue par ce « sentiment d’être »


ou de « mêmeté d’être » est plus intéressante pour rendre compte des processus
en jeu dans le récit de Sacha que celui d’enveloppe. Dans son histoire, la préoc-
cupation pour les orifices et les trous susceptibles de transpercer la peau ou de
196 L’ ENVELOPPE

nous aspirer n’est-elle pas aussi une manière d’exprimer une fragilité de cette
« mêmeté d’être », une faille identitaire qu’il tente de compenser dans ce qui est
repéré comme un « faux-self » ? Deux aspects sont à prendre en compte dans ce
récit : celui de l’expression langagière et celui de l’expression corporelle. Bien
qu’ils soient complémentaires, ils privilégient chacun à leur manière un des
aspects de cette problématique, la fragilité et la solidité.

A U NIVEAU DU LANGAGE

L’expression verbale de Sacha interpelle car elle est explicite et incroyablement


chargée de sens. Il n’y a quasiment rien à décoder. Les mots sont précis et
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ils nous renvoient sans détour à des angoisses profondes : « Pourquoi ma peau
n’est-elle pas protégée ? » ou « Ils font un trou dedans et après je suis mort ».
Toutes ces phrases appartiennent à Sacha et pourtant, elles entrent en parfaite
résonance avec d’autres phrases que j’ai pu entendre comme celle de Jules qui,
regardant une lumière, me demande : « Où elle va la lumière ? Elle traverse
la pupille jusqu’à la rétine ? » Je pense aussi à cette autre phrase que Monod
(2013) fait dire à Bastien l’un des personnages de son livre : « Et qu’est-ce
qui se passe si on tombe dans une piscine remplie de lames de rasoir ? » Le
langage exprime la peur de l’intrusion, le démembrement voire l’anéantissement.
Il confirmerait en quelque sorte la nécessité d’une enveloppe bien fermée pour
se sentir en sécurité. Alors Sacha met en place un moyen singulier qui consiste
à considérer le corps uniquement sous son aspect organique voire fonctionnel :
« Le corps c’est juste le cerveau, le cœur et les poumons. » Il peut ainsi parler
du corps « qu’il a » et s’interroger sur sa solidité mais il ne peut parler du corps
« qu’il est », affectivement investi et en relation : « Les émotions, elles sont
dans le cerveau mais pas dans le corps. » Le corps ne peut être appréhendé que
comme objet de connaissance intellectuelle dont la vérité se situerait dans les
livres d’anatomie et non dans l’expérience vécue.

A U NIVEAU CORPOREL :

Alors que le langage dit toute la fragilité de l’enveloppe, les attitudes corporelles
viennent plutôt expérimenter sa solidité. Sacha développe des « auto-contacts »,
cherche des « appuis dos » ou encore « les matériaux durs sur lesquels s’ap-
puyer ». De même, lorsqu’il exprime son désir de cogner les autres – alors qu’il
sait que c’est interdit – il s’agit probablement d’une vérification de la solidité de
Sacha et les enveloppes 197

l’autre. Par le passé, j’ai déjà constaté ce type d’attitude. Je pense à Ayman, petit
garçon envahi par les griffes de dinosaures mais qui aime écouter le loto des
animaux bien calé contre moi ou Raphaël, envahi par de nombreuses réactions
tonico-émotionnelles qui demande que je l’attrape pour le serrer très fort. Haag
(2012) décrit aussi des enfants qui se frappent le thorax et les tibias ou qui
s’assoient à une table en serrant leur chaise jusqu’à l’écrasement.

L A CONCRÉTUDE DU CORPS

Ces deux modalités pourraient apparaître contradictoires. La première met en


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avant la perméabilité et la fragilité de l’enveloppe tandis que la seconde éprouve
sa solidité et sa consistance. Dans la situation de Sacha, ce n’est pas le dire en
tant que tel qui est repris mais le fait que le dire soit toujours considéré dans
son lien au corporel. Tiphanie Vennat ne se focalise pas sur le contenu des idées
mais elle propose toujours de les mettre en adéquation avec les éprouvés du
corps.
Ici, l’attention portée au niveau tonico-postural, les appuis dos et/ou les appuis
pieds est très importante. Ce ne sont pas de simples ajustements techniques
mais des moyens d’éprouver la spatialité du corps, sa présence et sa masse :
« Nous avons d’abord un rapport spatio-temporel avec le monde et ses objets avant
qu’il ne soit spirituel. » (Husserl, 1907)

Cette idée du corps comme concrétude et comme masse, nous la retrouvons chez
Ajuriaguerra (2008) qui écrit que c’est souvent la question des orifices qui est
retenue au détriment de celle de la masse. Pour lui, c’est par le mouvement,
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l’agitation et le tonus que le corps souligne avant tout sa présence. Son ajuste-
ment aux situations dans lesquelles il est engagé est donc très important dans la
construction des représentations psychiques. Il est un mode de communication
originel non seulement entre les personnes mais aussi avec le monde et ses
objets. Or, comme le souligne Pireyre (2015), c’est un mode de communication
que « nous, adultes, avons tendance à minorer dans notre vie quotidienne, cen-
trés que nous sommes sur le canal de la parole ». Certes, le langage humanise
les rapports entre les individus et fixe les choses, ce qui permet justement d’en
parler. Mais c’est aussi parfois un piège qui enferme lorsqu’il apparaît décon-
necté du vécu, comme pour Sacha. Or, si nous nous plaçons du point de vue
phénoménologique, c’est-à-dire du point de vue de l’expérience, nous pouvons
anticiper cette mise à distance en portant attention au moindre engagement
198 L’ ENVELOPPE

corporel comme semble pouvoir le faire Sacha même s’il reste « encore un peu
hésitant, fragile mais spontané ».
Penser la clinique psychomotrice à partir de la phénoménologie permet un
questionnement où le sujet n’est plus défini comme une entité prise entre
une intériorité et une extériorité – comme une enveloppe – mais comme un
enchaînement continu de vécus dans lequel les frontières entre soi, l’autre et le
monde s’entrecroisent et s’entremêlent :
« Porter son attention à l’expérience en train de se vivre, c’est s’efforcer de déve-
lopper le moins de projections, de préjugés ou de présuppositions à son endroit,
de façon à la laisser apparaître pour elle-même dans sa fraîcheur native. » (Depraz,
2006)
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C ONCLUSION

Il me semble donc que si le concept d’enveloppe reste une métaphore intéres-


sante et souvent utilisée pour comprendre la façon dont les enfants construisent
leur singularité, elle ne doit cependant pas se substituer au fait que notre rela-
tion au monde est d’abord une relation d’ouverture, un hors-de-soi permanent
car le monde et ce qu’il contient sont toujours ce vers quoi nous sommes orientés
et nous constitue.
Pour conclure, je souhaite donner la parole à Ricœur (2008) :
« La notion de contenu psychique est justement un construit par rapport à l’expé-
rience d’être dirigé vers le monde dans un rapport particulier, celui d’être né dans
ce monde, d’être en situation. La grande avancée de la phénoménologie a été de
refuser le rapport contenant/contenu qui faisait du psychisme un lieu. »
Chapitre 34

L’enveloppe : place de la sensorialité


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Julie Lobbé

E NVELOPPE ET SENSORIALITÉ

L’enveloppe comme interface


!

Le parcours de Sacha évoque la construction d’une enveloppe où le corps devient


sujet d’attention et de sensation, permettant aux émotions de s’exprimer. Dans
notre exercice clinique, la rencontre avec des personnes indisposées par le
contact corporel nous a souvent interrogés sur la nature du traitement sensoriel
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de la frontière entre l’extérieur et l’intérieur du corps. Ainsi, nous entendons


le concept d’enveloppe corporelle comme une interface active entre l’individu
et l’environnement. De nature symbolique, elle conditionne l’émotion. En effet,
si la peau correspond à un organe biologique, l’enveloppe corporelle est une
représentation. Comme l’illustre l’expression « bien dans sa peau », la peau
physique peut « s’animer psychiquement ».

Hyposensibilité proprioceptive
!

Les enfants avec TSA montrent un traitement sensoriel particulier, comme si les
informations étaient trop ou pas assez perçues. Pour Ayres (1972), ces phéno-
mènes seraient liés à une hypersensibilité ou une hyposensibilité. Cette dernière
200 L’ ENVELOPPE

se traduirait par des comportements de recherche de sensations. Sacha semble


éprouver une hyposensibilité proprioceptive qu’il chercherait à compenser en se
procurant lui-même des sensations. Il appuie sur ses cuisses, serre les poings,
présente des stéréotypies gestuelles ou encore recherche des stimulations fortes
sur les murs, les angles et les matériaux durs. De plus, il plébiscite les explo-
rations les yeux fermés, il peut se dévêtir lorsqu’il a chaud ou encore appuyer
son dos sur le dossier de la chaise et poser les pieds au sol. Ces régulations
sont un progrès dans le sens d’une attention portée au corps et à ses sensations.
L’attention au corps devient possible grâce à plusieurs étapes. Tout d’abord,
interroger le corps sous un angle cognitif par l’intermédiaire de livres d’anatomie,
puis ressentir la solidité physique grâce à l’expérience du plâtre comme des
préludes à l’expression.
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E NVELOPPE ET PSYCHISME

Dans le contexte des TSA, la modulation du tonus musculaire est fréquemment


inadaptée, en lien avec une perception différente de la sensorialité. Le tonus
verrouille le corps, lui interdisant de s’exprimer, dans une posture de repli et
les poings serrés. Le tonus étant étroitement lié aux émotions, ces dernières se
trouvent également muselées chez Sacha : « (...) Les émotions, elles sont dans
le cerveau mais pas dans le corps. » De plus, dit la psychomotricienne : « Il est
dans la maîtrise, contenant tout élan émotionnel susceptible de le déborder. »
Aussi, le travail de Tiphanie Vennat a consisté à donner assez de sécurisation et
d’expériences sensorielles en relation pour permettre à Sacha de développer sa
motricité, ses représentations et ses émotions. En effet, Lemay (dans Pelletier-
Milet, 2010) rappelle que « c’est par le corps ressenti que nous construisons nos
représentations (...). C’est par lui que nous inscrivons nos émotions (...) ». La
prise en charge constitue une proposition d’accordage apaisé qui vient s’opposer
à une rythmicité en « coup de mitraillette ».
Sur le plan verbal, Sacha devient plus expansif alors que sur le plan moteur
« (...) la gestualité de Sacha se délie doucement. ». Ces progrès concernent aussi
le champ émotionnel. Il externalise sa colère verbalement et physiquement en
tapant dans un sac de frappe. Or, les émotions participent à la formation de
représentations nécessaires au déploiement de la cognition. La théorie de l’esprit
est ainsi nécessaire au jeu de cache-cache ou encore à la possibilité de « (...)
te cacher des choses (...) », comme le dit Sacha. De même, la représentation du
L’enveloppe : place de la sensorialité 201

temps se construit et lui permet de se projeter dans le futur en tant que salarié
dans une usine de recyclage.
Enfin, le questionnement de l’interdit s’affirme. Sacha verbalise son souhait
de frapper certains enfants qui l’embêtent et s’oppose à certaines demandes.
Il déploie donc un ensemble de compétences. Finalement, Sacha semblait se
trouver contenu par le verrouillage du corps et des émotions. Les phénomènes
d’hyper-adaptation du comportement et d’appétence pour le domaine scolaire
sont majoritairement étudiés dans la littérature en lien avec des situations telles
que la précocité (Goldman, 2007), le placement familial (Van Daele, 2006), le
déracinement migratoire (Brinbaum et Kieffer, 2009) et le syndrome d’Asperger
(Viallele, 2017, Bontron, 2012). Ces deux derniers points mériteraient d’être
développés davantage, Sacha étant le fils de deux parents algériens et présentant
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un profil de TSA sans retard intellectuel.

PARENTHÈSE LINGUISTIQUE

Tiphanie Vennat explique qu’il est possible d’interpréter les mots violents de
Sacha comme une représentation de ce qu’il vit dans son corps. Une hypothèse
différente peut être posée, dans le sens d’une difficulté de compréhension du mot
« bazouka » que Sacha répéterait pour se l’approprier. Ses phrases tournent en
effet toutes autour du thème de la violence et de la guerre. Il serait intéressant,
à cet égard, de connaître le rapport de Sacha avec les jeux vidéo violents. Enfin,
la création linguistique « Mazouka » peut être vue – ce sont des hypothèses –,
comme une fusion du pronom « mon » avec « bazouka » ou encore « maman »
avec « bazouka ». Le langage, tant dans sa construction que dans sa pragmatique,
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est fréquemment troublé dans les TSA (Barry, 2017). Enfin, l’hypothèse que Sacha
apprécie, tout simplement, la sonorité de ce néologisme ne peut être exclue.
Aussi, les propositions thérapeutiques viseront la compréhension de Sacha mais
aussi la sensorialité et la sécurité, bases de la construction émotionnelle. Pour
cela, nous insisterons sur la prévisibilité des propositions et sur la médiation du
cheval.
202 L’ ENVELOPPE

P ROPOSITIONS DE PRISES EN CHARGE

Apports sensoriels et prévisibilité


!

Pour Bullinger (2007), « les flux perçus entraînent une modulation de l’état
postural et tonique de l’organisme. Cet effet va de pair avec l’habituation que
manifeste un organisme à une stimulation sensorielle stable ». Par conséquent,
l’enfant avec TSA a besoin d’expériences sensorielles stables pour pouvoir inté-
grer les stimulations. Cette inscription de la sensorialité dans le corps pourra
modifier l’état tonique et constituer ainsi une voie d’accès aux émotions.
De plus, Pelletier-Milet (2010) souligne que l’enfant explore et recherche des
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sensations de façon naturelle mais que les enfants avec TSA ont besoin que
les stimulations constructives viennent à eux. Il s’agit ainsi d’apporter des
stimulations stables à Sacha. Cependant, stable ne signifie pas inamovible. En
effet, il ne s’agit pas d’enfermer l’enfant dans une immuabilité mais plutôt de
lui proposer des expériences à déroulements semblables. La prévisibilité des
activités peut être soulignée par le recours à un emploi du temps visualisé de
la séance. Des photos et des mots-clés peuvent faciliter la compréhension et
constituer un outil rassurant auquel se référer. En effet, comme le rappelle la
citation de Bullinger, les flux sensoriels provoquent des modulations, autrement
dit des changements : on sait à quel point ils peuvent être sources de difficulté
chez la personne avec TSA. L’apport sensoriel adapté est donc un perpétuel et
délicat équilibre, qui peut être facilité par la médiation du cheval.

La médiation du cheval
!

Cheval et stimulations sensorielles

Grandin (2006) insiste sur l’importance des stimulations proprioceptives et


vestibulaires dans la prise en charge des personnes avec TSA. Or, le cheval
favorise l’acceptation des stimulations sensorielles. « Le cheval se pose comme
un vecteur de la sensation et (...) d’expériences (...). » (Pelletier-Milet, 2010) De
plus, les stimulations que le cheval envoie sont stables et continues, « contact,
portage, mouvement, odeur » (Pelletier-Milet, 2010). Elles sont aussi globales
car de nombreuses parties du corps du cavalier sont en contact avec l’animal
et l’ensemble du corps est en mouvement. Nous avons observé qu’elles sont
la plupart du temps bien tolérées par les personnes avec TSA. Le bercement
induit par le pas du cheval rassure et facilite ainsi l’intégration sensorielle. Le
L’enveloppe : place de la sensorialité 203

corps senti permet à l’enfant de s’intéresser aux différentes parties et de les


nommer. Ces élaborations en relation facilitent l’accès à une sécurité corporelle,
prélude aux représentations et aux émotions ainsi que nous l’avons détaillé dans
la première partie.

Rôle du psychomotricien

Au pas, le cheval peut représenter un élément sécurisant par le bercement


et la stabilité qu’il induit. Pour autant, il n’est jamais totalement identique
selon l’humeur de l’animal voire selon l’animal. Cette base de fond sur laquelle
des variations peuvent être apportées concoure à l’apport d’un bain sensoriel
extérieur à la personne et favorise l’intégration des sensations vécues dans la
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sécurité. Le rôle du psychomotricien consiste donc à accompagner ces stabilités
et ces variations en favorisant la centration et la sécurisation. En effet, le
cheval aide naturellement à la centration du cavalier sur les plans sensoriels.
Car les stimulations proprioceptives, vestibulaires, tactiles et odorantes sont
présentes de fait ensemble. Il reste au psychomotricien à établir « délicatement
le lien entre tous les sens » (Pelletier-Milet, 2010) en sollicitant la centration
sur soi. Cette centration serait utile à Sacha qui peut rencontrer des épisodes
d’instabilité psychomotrice.

C ONCLUSION

Sacha mène un parcours dans l’ouverture à son propre corps, à ses émotions et à
ses pensées. Le rôle central de la sensorialité – notamment de la proprioception
– dans la constitution de l’enveloppe corporelle a été étudié dans ses liens
avec le tonus, les représentations et les émotions. La prévisibilité des activités
sensorielles ainsi que l’utilisation de la médiation du cheval constituent des
pistes de prises en charge possibles.
Chapitre 35

Enveloppe et représentations
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Sylvie Gadesaude

Au début de mes études, le mot « enveloppe » ne faisait pas partie de notre


lexique. Pourtant il était dans notre clinique quotidienne, tant à travers les patho-
logies qu’à travers nos médiations. Schéma corporel, image du corps, gangue
tonique et affaissements posturaux venaient soutenir des prises en charge où
l’amélioration visible du petit patient était le fruit de jeux de couvertures, de
bercements, de portage ou de toucher thérapeutique.
Tiphanie Vennat nous raconte pour Sacha le fil « psychomoteur » qui guide le
projet thérapeutique des psychomotriciens auprès des enfants autistes : enve-
loppe psychocorporelle, contenance, dehors-dedans et image du corps. Houzel
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(2010) pense l’enveloppe psychique comme la métaphore de phénomènes qui


président à la stabilité du système psychique, phénomènes qui régissent l’évolu-
tion de l’homme depuis la césure de la naissance qui a précipité le nouveau-né
dans un monde nouveau où la quête de la stabilité est un long chemin vers la
formation du « MOI ». Il rappelle aussi que le niveau le plus bas de la stabilité
est l’absence totale de mouvement, la suppression de tout changement et de
toute évolution. Il nous situe dans une approche psychanalytique qui illustre
aussi une clinique éprouvée par tous ceux qui travaillent avec les pathologies du
spectre autistique. La psychomotricité y trouve sa place avec les phénomènes
corporels comme la séparation de la naissance, le mouvement et toutes les
acquisitions qui nécessitent « l’appropriation » du corps.
206 L’ ENVELOPPE

E NVELOPPE ET CADRE THÉRAPEUTIQUE

La première rencontre
!

La lecture du cas de Sacha montre bien l’essence même du travail de psychomotri-


cité : un travail corporel dans la relation, centré sur la contenance, les échanges
de regards et le rythme des déplacements, (Bourger, in Potel, 2000), partant du
postulat que le sujet se construit et se reconnaît par et dans la rencontre avec
les autres sujets (Roussillon). Tout mouvement devient un élément perturbateur
de stabilité si l’on suit Houzel. La place choisie spontanément par l’enfant me
donne des indications sur celle qu’il veut me donner, son niveau de perturbation
émotionnelle et d’intégration psychique et sur la nature de ses troubles. Il
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semble que Sacha a déjà un certain degré d’intersubjectivité. Il est capable de
parler de lui en disant « je ». Le travail au bureau, proposé par Tiphanie Vennat,
est souvent un passage obligé qui vient faire résistance à des projets établis au
sein de l’équipe : engagement du corps dans l’espace, équilibre, coordinations
et conduites d’exploration. Ces dernières ne peuvent se faire qu’à la condition
d’être en sécurité. Ne pas craindre de se faire « happer » par l’autre ou encore
risquer de se dissoudre dans l’espace.
C’est Anthony, qui saute dans tous les sens et me fait l’effet de pouvoir marcher
sur les murs. Il s’élance sur les hauteurs pour s’affaisser au sol dans les modules
en insistant sur le côté spectaculaire de ses cascades. Cet enfant souffre de
troubles envahissants du développement. Intolérant à la frustration, il ne s’ef-
fondre jamais et se met rarement en colère. Peu de choses ont effet sur lui. Il
semble dans une toute-puissance absolue. Il a un bon niveau de langage. Que
cherche-t-il en sautant ainsi ? La tonalité de son « spectacle » me fait penser
qu’il sait bien que je suis là. Ici la question des enveloppes se superpose à celle
de limites. Et de quelles limites s’agit-il ? Ses prouesses motrices, son regard
fuyant – et non pas évitant – la précision de ses gestes et son équilibre tant
statique que dynamique de très bonne qualité m’imprègnent d’une impression
de « consistance corporelle » où le muscle tiendrait lieu d’enveloppe, de force
et d’autorité. Anthony fait peur aux enfants, certes, mais aussi aux adultes –
épuisés – de son entourage.
Ces questions me traversent la tête à la vitesse de ses déplacements. Pourtant j’ai
le temps de me dire que je ne peux pas lui montrer qu’au fond de moi-même, je
suis en alerte d’une chute ou d’un accident qui pourrait survenir à tout moment
car ce serait lui signifier que j’ai peur, qu’il me fait peur et qu’il y a danger. Un
raccourci peut être souvent répété qui lui renvoie l’image qu’il porte en lui : un
Enveloppe et représentations 207

danger, une menace ? J’essaie de trouver des limites dans la salle, de lui proposer
de s’installer plutôt ici et de choisir tel module plus rembourré que celui-là. Ce
faisant, je place des matelas ici et là pour créer de vraies protections. Puis je lui
suggère de faire différemment, lui demandant une action qui demandera plus de
contrôle et donc un rééquilibrage dans son corps, un début de penser et aussi un
début de sens commun à partager autour du plaisir. Plaisir de sentir son corps
en action, de se le représenter et de se dépasser pour une nouvelle réussite.

Groupe et enveloppe
!

À plusieurs, les enfants s’appuient sur des capacités d’imitations relevant sou-
vent de conduites d’identification adhésive au départ mais qui peuvent être
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rassurantes pour l’enfant qui lâche son groupe lors d’une prise en charge. C’est
le cas des ateliers de relaxation, de modelage et de graphomotricité.

M ISE EN REPRÉSENTATION DES ENVELOPPES


CORPORELLES : DE LA PERCEPTION
À LA REPRÉSENTATION

Des enveloppes perceptives...


!

Le travail avec des enfants autistes m’a souvent confrontée avec les enveloppes
sensorielles. Je me souviens de cette adolescente de l’EMP, Alice, prise sur le
chemin de la piscine d’une véritable terreur devant un trottoir sali de fientes de
pigeon. En voyant la frayeur dans ses yeux et le saut gigantesque qu’elle a fait,
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j’ai ressenti la fragilité de ses enveloppes corporelles. Et si la salissure venait se


plaquer sur sa propre peau à elle ?
Bruno n’aime pas bouger mais il a bien pris possession de l’espace de la salle
de psychomotricité à travers ses jeux de motricité fine. C’est la manipulation de
petites billes qui lui a fait quitter sa chaise au bureau. Il les égrainait d’abord
entre ses doigts. Elles filaient et s’échappaient. C’est ce que je leur ai fait dire au
moment où la première est tombée par terre : « Ouf, la liberté, je vais pouvoir
regarder ce qui se passe sous cette table. » Entraînés par le mouvement des
petites billes désobéissantes, nous sommes allés nous installer sur le tapis,
découvrant d’autres matières comme la pâte à modeler. Bruno renifle puis me
tend des morceaux de pâte à modeler. J’en respire l’odeur, avec des expressions
variées, de la gourmandise au dégoût. Il en rit beaucoup. Je me bouche alors
208 L’ ENVELOPPE

les narines quand l’odeur pourrait être désagréable. Et je suis étonnée de saisir
que cet échange est en fait un vrai bain d’odeurs qui semblent nous envelopper.
Il me vient alors une image nouvelle ou peut être au contraire très ancienne :
les odeurs n’ont pas de limites. Elles sont comme un manteau ou une couverture
qui circule autour de nous. Elles peuvent pénétrer dans notre corps par les
narines. Les réactions de beaucoup d’enfants autistes qui se bouchent les oreilles
prennent un autre sens possible. Non plus une marque d’opposition, comme le
font certains enfants qui nous signifient qu’ils ne veulent pas écouter ce qu’on
a à leur dire, mais plutôt une protection physique contre un éventuel danger
impalpable et intrusif.
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...Aux enveloppes représentées
!

Thomas, 7 ans, est souvent agité. Ses enveloppes sont fragiles et on perçoit
souvent dans son discours comme il peut être emmêlé dans l’autre. Après des
semaines de relaxation en groupe, il peut s’allonger sur son tapis en posant sa
tête sur les genoux de son éducatrice. Il accepte qu’avec une petite balle de
mousse, je dessine les contours de son corps en nommant les parties touchées :
tête, épaules, bras, mains, côtés, jambes et pieds. Côtés droit et gauche. Alors
que la balle en est aux pieds et que son éducatrice a les mains posées sur son
front, il soupire : « Recolle-moi. » Il aura toujours besoin du contact des mains
de son éducatrice sur sa tête. Nous avons pensé aux tout-petits qui trouvent
le contact de leur tête avec les parois du lit quand ils dorment, se créant ainsi
une limite corporelle. L’année suivante, je lui proposerai un atelier terre où il
pourra, après avoir longtemps éparpillé des bouts de terre dans la pièce, sur ma
joue, sur mon cahier, les coller sur un crayon pour faire un bonhomme. Sacha ne
parle-t-il pas de recoller les morceaux des objets cassés avec Tiphanie Vennat ?
D’autres modalités de représentation ou d’expression des enveloppes corporelles
sont possibles : les maisons et les cabanes. Nos salles de psychomotricité offrent
de nombreuses possibilités de les matérialiser : piquets, matelas, tunnels, des-
sous du bureau et couvertures dont l’utilisation par l’enfant nous renseigne sur
l’avancée du processus thérapeutique.
Chapitre 36

Synthèse
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Tiphanie Vennat

Les réflexions croisées autour de l’enveloppe de Sacha rappellent toute la complexité


et la richesse de cette fonction psychomotrice chez l’enfant à trouble du spectre autis-
tique. Sylvie Gadesaude avance que les modalités du cadre thérapeutique peuvent
contribuer à l’édification de l’enveloppe, qu’il s’agisse d’enfants caparaçonnés, impé-
nétrables ou dispersés car insuffisamment définis dans leurs limites corporelles. Ainsi
l’aménagement de l’espace physique, l’indication du groupe et l’attention portée
à l’intégration sensorielle puis symbolique de l’enveloppe permettent de contenir
l’enfant dans une enveloppe tout à la fois sécurisante et perméable.
Pour ma part, et comme l’évoquait Tustin (1986), il me semble que la pratique
psychomotrice contribue, d’une certaine façon, à recoudre la déchirure des premières
séparations. Ce que nous rappelle justement Thomas lorsqu’il soupire « recolle-
moi ! » Car c’est par exemple en proposant à l’enfant d’explorer la contenance d’un
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toucher sensoriel ou d’un portage, à l’image de la préoccupation maternelle primaire,


que nous pouvons contenir l’hémorragie psychique consécutive au décollement de
la peau commune mère-enfant et réparer le sentiment de mutilation. La qualité du
dialogue tonico-émotionnel est alors primordiale puisqu’elle réarticule l’enfant avec
l’idée de cet autre qui a manqué.
Bernard Meurin précise ce travail de recomposition d’une continuité d’être auprès
d’enfants qui, comme Sacha, sont aux prises avec des angoisses d’effraction corpo-
relle et de démantèlement. L’exploration concrète du corps apparaît ici essentielle
parce qu’il s’agit de ramener l’enfant à ce qui fait l’essence de sa condition humaine.
Ainsi, en sollicitant le corps-porteur/corps-support de l’enfant (Zutt, 1947) par des
appuis-dos ou des appuis-pieds, nous lui permettons de faire l’expérience d’un corps
dont la matérialité peut-être particulièrement rassurante. Dans ce travail, l’enveloppe
fonctionne alors comme un véritable agent phénoménologique permettant à l’enfant
d’expérimenter concrètement le dedans et le dehors, le sentiment de mêmeté d’être
et celui de l’être-au-monde.
...
210 L’ ENVELOPPE

...
Julie Lobbé réaffirme à son tour l’importance de cette interface entre le dedans de
soi et l’en-dehors de soi. Elle situe, entre autres, la problématique de l’enveloppe
dans une perspective sensorielle. Quelque part entre hypo et hypersensibilité pro-
prioceptive ou dans une sensorialité instable rendant les stimulations peu prévisibles
donc insécurisantes. Elle rappelle avec pertinence les nombreux intérêts du cheval
comme support d’intégration de l’enveloppe.
Nos points de vue proposent des angles suffisamment ouverts et différenciés pour
que se dessinent les contours précis et concrets de ce concept majeur en psycho-
motricité. Nous avons finalement essayé de construire une enveloppe de sens et
d’action thérapeutique autour de Sacha. Enveloppe qui, de façon logique, se trouve
à l’interface de plusieurs champs théorico-pratiques : de la psychanalyse de Tustin à
l’intégration sensorielle et aux outils de structuration spatiotemporelle en passant
par la phénoménologie psychiatrique.
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PARTIE VII

L’attention conjointe
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Chap. 37 Vignette . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 213
Chap. 38 Inventer et tisser à deux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215
Chap. 39 À propos de l’attention conjointe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221
Chap. 40 L’attention conjointe, une fonction cognitive qui convoque
l’autre ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225
Chap. 41 Hugo et l’autre : deux mondes disjoints . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231
Chap. 42 Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 235
Chapitre 37

Vignette
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Sylvie Gadesaude

Hugo et l’attention conjointe


Nous sommes en septembre et je rencontre Hugo dans mon cabinet pour un bilan
psychomoteur et un suivi en psychomotricité. Il m’est adressé par un neuropédiatre
pour suspicion de difficultés d’apprentissage. La maman dit que des examens complé-
mentaires sont en cours. Quelques semaines plus tard, elle rapporte le compte rendu
d’une évaluation pédopsychiatrique qui parle d’un trouble léger du spectre autistique
avec trouble des apprentissages. Hugo est un beau garçon, costaud pour son âge, à
l’allure et aux traits harmonieux, souriant, au langage peu fluide – souvent par mots
accolés –, n’utilisant pas toujours correctement les pronoms et aux expressions un
peu pouponnes sur le visage. La maman évoque un bilinguisme à la maison. Hugo est
arrivé en France au moment de la grande section de maternelle. Il est actuellement au
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CP, suivi en orthophonie et ne déchiffre pas les syllabes. Il n’écrit pas.


Sage pendant l’entretien, un peu absent même – bien que je sente un vrai mouve-
ment intérieur –, il joue avec deux pots de pâtes à modeler qu’il mélange. Il répond
brièvement à mes questions d’un air gêné tout en évitant de soutenir mon regard.
Le jour du bilan, Hugo s’engouffre dans la salle de psychomotricité, lui qui ne m’avait
jeté que des coups d’œil furtifs la fois précédente. Il entre d’un pas assuré et connais-
seur des lieux, le torse bondi vers l’avant et la casquette enfoncée jusqu’aux yeux. Il va
droit vers les jeux. Son allure décontractée pourrait laisser penser que nous sommes
de vieilles connaissances et que nous nous sommes déjà salués il y a à peine 5
minutes, dans un ailleurs possible. Sans doute la salle de psychomotricité.
Il dit d’une voix que je découvre monocorde cette fois-ci : « Elle a amené son ordina-
teur ? » Puis il prend une épée en mousse par le manche, tape sur le tapis doucement
et dit : « Je répare. » Ensuite j’apparais puisqu’il utilise des pronoms de relation :
« T’as une nouvelle chaise ? » Son regard m’est bien adressé. Puis il me tourne le
dos et dresse des piquets sur le tapis. Un peu bousculée dans mes pensées par cette
214 L’ ATTENTION CONJOINTE

entrée improbable – j’avais dans mes souvenirs un enfant plutôt passif et réservé –,
je lance une suggestion : « C’est une maison ? » Il répond en hochant la tête : « mai-
son. » Puis il prend des briques en carton et dit : « Les murs... En fait le monsieur il
m’a fait réparer les murs de ma chambre. » Je demande, un peu perdue : « Y avait un
trou dans le mur ? » Il répond : « Oui, y avait un trou parce qu’il est mouillé. » Je dis
d’un ton qui se veut compréhensif : « Quand il y a un trou, y a de l’eau qui passe. »
Hugo explique après un temps de réflexion : « En fait la dame elle est à la piscine, la
piscine des enfants, des claquettes dans les pieds. J’ai réparé des murs. »
Je réalise à quel point nous ne sommes pas en phase. La réserve et la place difficile du
langage lors de cette première rencontre prennent une autre teneur. Comme quelque
chose qui serait plus psychique qu’instrumental. Pourrons-nous nous comprendre
spontanément ? je suis troublée de n’avoir pas perçu cet écart la fois précédente.
Est-ce que la référence aux troubles des apprentissages m’a inconsciemment projetée
dans un contexte relationnel moins perturbé ?
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Chapitre 38

Inventer et tisser à deux


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Sylvie Gadesaude

Mettons le bilan de côté pour l’instant. J’ai besoin de comprendre comment Hugo
me perçoit et me représente. Pour moi, un bilan se fait toujours au moyen d’une
rencontre préalable. Il me semble bien que nos premiers échanges verbaux et
infra-verbaux étaient l’expression d’une attention conjointe présente à ce qui se
jouait au moment de l’entretien avec sa mère. Je la pensais déjà portée par un
sens commun et je réalise que c’est à construire. Ce sera l’objectif de cette prise
en charge confirmé par le diagnostic de troubles du spectre autistique léger.
Quand je me trouve face à un enfant qui ne communique pas et qui semble
m’ignorer, une fois passé un certain malaise – être à deux sans exister – je me
retrouve toujours face à l’énigme suivante : Que joue-t-il maintenant dans cette
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séance ? L’enfant semble-t-il affecté par ma présence au point qu’il ne veut


surtout pas me rencontrer ? Est-il tellement tourné vers autre chose – un autre
objet tellement plus attractif – que je me retrouve « effacée » de son champ
d’exploration ? C’est, me semble-t-il, la question du choix de l’objet qui se pose.
Un objet d’attachement ou pourvoyeur de sensations. Ce qui nécessite deux
questions préalables : suis-je identifiée – au moins – comme un objet ? Où en
est cet enfant de la différenciation soi/non-soi ?
Un petit détour par la théorie s’impose pour tenter d’apporter des réponses à
ces questionnements.
216 L’ ATTENTION CONJOINTE

F ONDEMENTS THÉORIQUES

L’ ATTENTION

Freud (1984) a décrit l’avènement de la fonction d’attention au moment de l’avè-


nement du principe de réalité : l’importance accrue de la réalité extérieure accroît
l’importance des sens et de leurs qualités et de la conscience qui y est attachée. L’at-
tention prélève périodiquement des données du monde extérieur pour que celles-ci
lui soient prévisibles quand surgit un besoin intérieur impossible à ajourner. Cette
activité va à la rencontre des impressions des sens au lieu d’attendre passivement leur
apparition. Il est vraisemblable qu’en même temps un système de marques est par là
introduit qui a pour but de mettre en dépôt les résultats de cette activité périodique de
conscience. C’est là une partie de ce que nous appelons la mémoire.
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Cette approche postule l’existence d’un équipement sensori-moteur adéquat pour
avoir pu installer cette fonction. Houzel (2010), s’appuyant sur la métapsycho-
logie développe un modèle de construction de l’attention conjointe à partir du
concept de conflit esthétique développé par Meltzer (2000). Pour rappel, Meltzer
appelle conflit esthétique l’expérience émotionnelle intense de la naissance avec
l’émerveillement sur le visage de la mère aussitôt assorti d’une angoisse liée
à l’inconnu des qualités psychiques de la mère qui pourrait se résumer à cette
question : « Est-ce aussi beau à l’intérieur ? » Cette idée ne m’est pas étrangère
quand je pense aux regards aimantés des nouveau-nés avec leur mère.
Il en résultera deux sortes de voies :
➙ La sensorialité, qui explore le monde externe à la recherche des qualités de
surface de l’objet ;
➙ Et l’épistémophilie, qui explore le monde interne à la recherche de ses qualités
psychiques.

Golse et Simas (2008) combinent les deux approches et nous fournissent un


fil directeur en reprenant Freud (1925) pour qui le premier acte de pensée ne
consiste pas à se demander d’abord si l’objet (visage attracteur de la mère selon
Meltzer) existe bel et bien (jugement d’existence) mais plutôt s’il est source de
plaisir ou de déplaisir (jugement d’attribution). Ces approches théorico-cliniques
ont été développées en détail par le courant des neurosciences (Solmes, 2015).
Golse et Simas poursuivent : « Ajoutons encore que si l’émotion partagée peut
se jouer à deux, il n’en va pas de même, on le sait, avec l’attention conjointe
qui implique toujours un objet tiers, (chose, activité ou personne). »
Inventer et tisser à deux 217

À LA RECHERCHE DE L’ ATTENTION CONJOINTE


AVEC H UGO

Un objet à partager par le jeu


!

Hugo installe toujours ses piquets. Si j’ai eu de la chance la première fois au


moment de la suggestion de la maison, mon intrusion dans cette maison avec
mes questions pour savoir si ceci est une porte et où serait la chambre... tombe
complètement à côté. Alors je décide de jouer. Jouer à inventer un jeu où on
serait deux. Je prends possession d’une place au milieu des piquets et je fais le
ménage : « Ces murs, ils prennent toute la place... on va s’asseoir où nous ? » Je
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cherche quelques éléments de dînette et je clame que c’est l’heure de goûter mon
bon thé à la menthe. J’aperçois un sourire de connivence chez Hugo. Quelque
chose qu’il reconnaîtrait ? Qui serait susceptible de déclencher une émotion, un
souvenir ou un objet en commun autour duquel nous pourrions inventer une
histoire ? Cependant, il se lève, montre un autre jeu, ouvre le placard et fouille.
Je me sens un peu lasse. Je suggère que s’il ne veut plus jouer au jeu de la
maison, il pourrait le mettre de côté avec moi. En forçant une intonation un peu
déçue, je demande : « Y a plus rien dans la maison ? » Je perçois une vibration
d’empathie dans sa voix, comme s’il voulait me consoler, il répond : « Si, y a un
bébé. » Il chantonne tout en continuant son inspection du placard. Il en sort
de petites figurines. Je perçois deux langues différentes. Sa voix est douce et
mélodieuse. Il manie pourtant des personnages redoutables, genre Dark Vador.
Il entame un scénario avec le personnage qu’il place dans la maison. J’en prends
un autre et j’interpelle : « Copain, je te suis, t’es pas tout seul, tu peux compter
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sur moi. » Hugo m’emmène dans des expéditions imaginaires, contre des ennemis
que je n’identifie pas. Je dis que j’ai peur et que je ne les connais pas. Nous
enjambons l’espace et trouvons des cachettes peu probables. Il me rassure en
tirant des coups de feu dans tous les coins avec des « drrrrr » de mitraillettes
imaginaires. J’ai du mal à le suivre. Cette tentative d’attention conjointe me
demande une énergie phénoménale. J’essaie de m’adapter mais si j’attends de
mes actions un retour de sa part, je réalise que mon attente est amputée d’une
sorte de prévisibilité, sans un consensus latent qui serait inscrit d’emblée dans
une réalité matérielle, perceptible de la même manière par Hugo et par moi.
218 L’ ATTENTION CONJOINTE

Une histoire à tisser


!

Ma présence ne me paraît pas installée dans une représentation permanente. J’ai


le sentiment de n’exister que parce que je mets tout en mouvement pour ça,
pour rester une perception dans la matérialité de la séance. Il me vient parfois le
sentiment d’une existence discontinue. En pointillé. J’ai fait l’expérience d’une
pause, de disparaître ou de me taire, Hugo continue son scénario sans moi.
Quand je réapparais, il me fait une place en souriant. Parfois je me suis demandé
s’il n’était pas comme un bébé qui réagissait par habituation à ma présence.
Alors je serais seulement un objet matériel.
Meltzer (2000) rappelle que la théorie bien connue de Bion déjà, décrivait un
lien interpersonnel à la fonction d’attention. Du fait de sa capacité de rêverie,
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la mère adresse à l’enfant des messages transformant les sensations en éprouvés
portés par les mots et partageables. C’est cette fonction que j’ai eu la volonté
de tenir avec Hugo à travers le jeu.
Les séances vont se succéder. Je vais m’efforcer de construire un fond permanent
d’attention conjointe. Je l’entretiendrai par mes paroles, mes mouvements, des
actions réponses et des sourires miroirs. Lier affects et évènements dans une
temporalité où peuvent s’inscrire des phénomènes de causalité, de finalité portés
par le langage : « C’est à cause de... comme t’as fait ça... c’est pour que... »
J’en viens parfois à me demander si je suis un objet suffisamment « attracteur »
pour Hugo. Je réalise qu’il manque quelque chose.
La séance de psychomotricité est un espace où l’enfant trouve des objets qui
peuvent le mettre en tension et d’où il découle des affects de plaisir partagé,
portés et contenus par le psychomotricien. Tous mes efforts pour être vivante
et partager des émotions butent sur la rareté des affects exprimés par Hugo,
ce quelque chose qui serait plus profond et qui viendrait du dedans de chacun
de nous pour se croiser sur un objet commun, sur un échange de regard ou un
sourire. Et j’ai l’image des enfants autistes qui viennent se coller le front contre
le nôtre pour voir ce qu’il y a dedans ou s’assurer qu’ils ne vont pas tomber ? Il
m’arrive de le faire dans notre jeu, pour faire une demande : « Veux-tu me prêter
Spiderman ? » Hugo rit de bon cœur et écarquille les yeux en se laissant faire.
Mais jamais il ne le fera lui-même.
Je réalise qu’il ne sait pas imiter ces gestes intentionnels. Il sait reproduire un
bonjour si on le lui demande et au fil du temps l’initiera même lui-même en
fonction du contexte. Il peut apprendre. Hugo manifeste son plaisir à venir, se
dirige vers les jeux spontanément et cherche à construire des maisons, à les
remplir aussi avec des briques pour faire des murs. Des murs à l’intérieur de la
Inventer et tisser à deux 219

maison qui tiennent lieu de remplissage d’un espace où nous pourrions partager
des choses en commun. Il ne semble pas mû par une tension à apaiser ou par
un désir de trouver. Petit à petit, il acceptera de me laisser un espace pour
prendre le thé avec moi. Peut-être a-t-il abdiqué tout simplement devant mon
entêtement ? Je le suivrai dans des combats de figurines. Et, un jour, du sens
commun en émergera.
Hugo bénéficie d’une AVS et entre dans la lecture et l’écriture. Ses parents inves-
tissent les séances de psychomotricité et aménagent l’emploi du temps de Hugo
pour qu’il puisse s’y rendre. Ce plaisir qu’il exprime, conjugué à l’investissement
des parents, aura donné sa contribution à la fonction de représentation.
Puis Hugo repartira pour deux années scolaires dans son pays d’origine où la
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famille se rassemble enfin de façon plus stable. Il reviendra me voir après et je
retrouverai ce beau garçon costaud et fier. Son regard est devenu bien adressé. Il
souhaite reprendre des séances de psychomotricité. Je lui proposerai un groupe
« sport » avec deux autres garçons. Hugo a gardé sa mélodie un peu hachée.
Mais quel plaisir de l’entendre s’exprimer sur son corps et sur ses muscles. Je
ne peux m’empêcher de penser qu’il a pu bien profiter, dans cet environnement
familial chaleureux pendant ces deux années, d’objets pourvoyeurs non seule-
ment de sensations mais aussi d’affects portés par un tissu culturel collectif qui
a contribué à l’inscrire dans le temps et donc dans la narration et l’attention
conjointe.
Chapitre 39

À propos de l’attention conjointe


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Bernard Meurin

Hugo parle et donne des informations mais, comme le souligne Sylvie Gadesaude,
nous nous demandons ce qu’il partage réellement. L’illusion d’une pensée com-
mune laisse progressivement entrevoir l’écart qu’il y a entre la psychomotricienne
et son patient. Le langage de Hugo est peu fluide, fait de mots accolés avec une
utilisation inadéquate des pronoms et un ton monocorde. Or, pour que le langage
puisse remplir sa fonction métaphorique et qu’il participe d’un être-au-monde
partageable, il nécessite un préalable qui lui procure sa fonction déclarative,
« l’attention conjointe » :
« L’homme aurait affaire au monde comme tel parce qu’il serait de tous les vivants
celui qui “déclare” le monde à l’adresse de ses congénères. » (Bimbenet, 2011)
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ATTENTION CONJOINTE : D E QUOI S ’ AGIT- IL ?

Il est communément admis que le pointage déclaratif augure de « l’attention


conjointe » en tant qu’elle est une prise en compte de l’autre, non seulement
comme un être physiquement différent mais comme un être intentionnel doté
d’un point de vue sur le monde qui n’est pas le même que le mien. Dès lors,
le pointage déclaratif ne consiste pas simplement « à regarder ce que l’autre
regarde, mais en outre à savoir que l’autre regarde la même chose, sachant
qu’il en va de même pour lui, bref : à avoir conscience d’un voir en commun »
(Bimbenet, 2011).
222 L’ ATTENTION CONJOINTE

Dans cette hypothèse, le premier effet de l’attention conjointe n’est pas de réunir,
comme le laisse supposer l’adjectif « conjointe », mais de séparer. L’enfant passe
d’une relation dyadique à une relation triadique incluant un objet tiers ou,
pour reprendre les mots de Trevarthen (in Bimbenet, 2011), l’enfant passe de
l’intersubjectivité primaire à l’intersubjectivité secondaire :
« Autrui devient l’autre et s’éloigne dans ce qui est désormais sa vue du monde ; il
n’est plus immédiatement lisible en ses expressions et en ses attitudes ; l’enfant
est obligé de faire avec d’autres points de vue que le sien. »

Dans cette optique, l’expression « Attention partagée » serait plus appropriée


pour rendre compte des processus en jeu. Lorsque l’enfant accède à un autre
point de vue que le sien, il accepte qu’une expérience lui échappe et c’est
dans cet échappement que s’inaugure une vision du monde partageable avec
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autrui. Mon point de vue devient un point de vue singulier, le monde devient
une source inépuisable de connaissances constituée d’une multitude d’horizons
potentiellement partageables.
Si nous reprenons l’échange entre Sylvie Gadesaude et Hugo, il nous apparaît
comme « un dialogue de sourds ». Hugo rebondit sur les propositions verbales
plutôt qu’il ne les intègre. C’est son univers qui prédomine et nous percevons
nettement sa difficulté à construire un point de vue commun avec sa thérapeute.
Notre hypothèse est que cette difficulté à entrevoir d’autres points de vue que
le sien est en lien avec une angoisse profonde face à un monde potentiellement
ouvert sur l’inconnu. Hugo parle d’ailleurs d’une maison dont les murs doivent
être réparés peut-être pour souligner un besoin de protection au demeurant bien
fragile.
Face à cette situation, le cheminement de la psychomotricienne ne suit pas
une logique psychologique mais phénoménale. Elle accepte de se laisser porter
par ce qui se passe à partir de ce qu’elle ressent et non à partir de ce qu’elle
comprend ; elle écrit : « Je suis bousculée dans mes pensées. » Et un peu plus
loin : « Je suis troublée. » De ce fait, elle interroge les prémices de l’attention
conjointe qui n’est pas d’emblée un processus cognitif grâce auquel l’enfant
comprendrait les états mentaux d’autrui mais d’abord un processus de rencontre
authentique résumée par cette question : « Est-ce que nous allons pouvoir nous
comprendre spontanément ? » L’accès à l’autre ne naît pas à partir d’un « je »
qui découvrirait un « il ». Il y a d’abord « un "moi" et un "toi" émotionnellement
résonnant, mimétiquement accordés, et donc contemporains l’un de l’autre »
(Bimbenet, 2011). L’enfant saisit l’autre immédiatement, spontanément à même
ses attitudes et ses expressions, « l’enfant "co-naît" autrui plutôt qu’il ne le
connaît, à travers une analogie vécue » (Bimbenet, 2011).
À propos de l’attention conjointe 223

Nous pouvons ici entrevoir l’intérêt d’une telle proposition pour les psychomo-
triciens dont la spécificité est de pouvoir accueillir l’autre en suspendant tout
jugement afin de se mettre d’abord en résonance corporelle et émotionnelle
avec lui. C’est ce que perçoit Sylvie Gadesaude quand elle évoque que notre
corps n’est rien sans le corps de l’autre, ce qui lui permet de penser que la
construction de l’attention conjointe relève d’un processus thérapeutique et non
d’un apprentissage : « Ce sera le projet thérapeutique de cette prise en charge,
confirmé par le diagnostic de troubles du spectre autistique léger. »

ATTENTION CONJOINTE ET IMITATION


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Pour justifier la mise à l’écart momentanée du bilan psychomoteur, Sylvie Gade-
saude questionne le bien-fondé des tests d’imitation de gestes. Ce choix est
intéressant au regard de la question soulevée dans ce chapitre. Trevarthen et
Aitken (2003), Nadel (2011) et Stern (2003), ont mis en évidence des micro-
comportements concernant les mains, les mimiques faciales ou les vocalises,
synchronisées dans les situations interactionnelles dans lesquelles se trouve
l’enfant. Mais à partir de quel moment peut-on réellement parler d’imitation et
non simplement de réflexe mimétique ? Le bébé qui passe la langue imite-t-il –
ce qui présupposerait une proto-représentation d’autrui – ou réagit-il de façon
réflexe – ce qui, comme Wallon le pensait, ne peut être appelé imitation – ?
Nadel (2011) constate que c’est après six mois que surgissent les différences
dans les comportements sociaux des enfants qui recevront plus tard le diagnostic
d’autisme. À six mois tous les bébés ont des appétences relationnelles mais elle
ajoute :
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« Ce que l’on constate par contre, ce sont des anomalies de développement moteur,
des asymétries quand ils rampent, quand ils s’assoient, quand ils roulent sur eux-
mêmes, la persistance plus tardive des réflexes archaïques, sauf pour la marche qui
se développe normalement. Ce qui différencie ces enfants, c’est donc le développe-
ment de la motricité, pas le développement social. »
Cette hypothèse permet de mettre en discussion la remarque de Sylvie Gadesaude
lorsqu’elle évoque que les difficultés de Hugo apparaissent « comme quelque
chose qui serait plus psychique qu’instrumental ». Pour Nadel, mais aussi pour
Bullinger (2004), il y a une étroite relation entre le développement des capacités
instrumentales et le développement des capacités psychiques et cognitives.
Il s’agit d’un seul et même processus où les coordinations sensori-motrices
favorisent les activités instrumentales qui participent de l’activité mentale et
inversement.
224 L’ ATTENTION CONJOINTE

ATTENTION CONJOINTE ET AUTISME

Si nous reconnaissons au bébé la capacité d’être dans un dialogue actif avec


autrui et ce, dès la naissance, nous savons aussi que le bébé vit et éprouve
autrui plutôt qu’il ne le connaît. Être d’emblée ouverts à la rencontre ne signifie
en rien que nous nous différencions de l’autre. Nous nous éprouvons d’abord
comme vivants avant de connaître le monde dans lequel nous vivons écrivait
Merleau-Ponty (2001). Cette idée nous permet de penser que les personnes
autistes, comme tout à chacun, éprouvent d’emblée cette relation au monde et
à l’autre mais qu’ils en extraient une compréhension différente dans laquelle les
aspects sensoriels jouent un rôle important. Les postures, les coordinations et les
différentes sensations qui d’ordinaire s’entremêlent et soutiennent les capacités
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représentatives de l’enfant restent chez la personne avec autisme comme fixées à
l’éprouvé. Chez Hugo, il y a probablement des mécanismes de cet ordre masqués
par une adaptation de surface liée à ses compétences langagière. Le contenu de
son langage n’est pas totalement ancré dans le registre symbolique et les idées
se juxtaposent selon une cohérence qui échappe à notre entendement : « En
fait la dame elle est à la piscine, la piscine des enfants, des claquettes dans les
pieds. J’ai réparé les murs. »

C ONCLUSION

La richesse des thérapies psychomotrices réside dans le fait qu’elles prennent en


compte les conditions d’émergence du processus d’attention partagée dans sa
dimension affective et sensorielle. En effet, en amont de la dimension cognitive
qui nous permet de reconnaître les états mentaux d’autrui, il y a cette dimension
phénoménologique première, cette expérience à l’autre qui passe par le « tonico-
émotionnel » et qui constitue le préalable nécessaire pour tout véritable « être
ensemble ».
Chapitre 40

L’attention conjointe, une fonction


cognitive qui convoque l’autre ?
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Julie Lobbé

L’histoire de Hugo parle des prémices de la communication et plus particulière-


ment de l’attention conjointe. Cette fonction cognitive, ne pouvant se construire
et s’exprimer que dans le partage, convoque l’autre.

A NALYSE PSYCHOMOTRICE
L’ ATTENTION CONJOINTE
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L’attention conjointe désigne la capacité à partager un évènement avec l’autre, à


attirer et à maintenir une attention commune vers un objet ou une personne (Stahl,
Reymond, Pry, 2003). Finalement, « l’attention conjointe, c’est une façon de se dire
qu’on est sur la même longueur d’onde » (Montagner in Dufaut, 2003). Ce partage
fait défaut dans la situation d’interaction entre Hugo et Sylvie Gadesaude qui dit : « Je
réalise à quel point nous ne sommes pas en phase. »
L’attention conjointe permet également d’ajouter « un intérêt tiers » (Weil-Barais et al.,
1999) dans une relation dyadique. Cela permet « (...) un changement de référentiel
qui permet à l’enfant de sortir de son référentiel égocentré (...) » (Berthoz, in Nadel,
2005). Ainsi, l’enfant va pouvoir se décentrer grâce au partage autour d’un objet et
accéder aux premières différenciations spatiales, comme « ici et là ».
Enfin, l’attention conjointe est essentielle dans le développement du langage puis-
qu’elle permet de lier l’objet au mot car l’adulte nomme généralement l’objet ou la
226 L’ ATTENTION CONJOINTE

personne quand il les désigne (Carpenter, Agell, Tomasello, 1998). Ainsi, l’attention
conjointe se trouve à la base de l’intersubjectivité, de la construction de l’espace et du
langage. Intéressons-nous davantage à la dimension langagière.

Lien avec le développement du langage verbal


!

Des études mettent en évidence le rôle prédictif de la maîtrise de compétences


communicationnelles comme l’attention conjointe dans les capacités verbales
(Luyster et al., 2008 ; Vieillard et al., 2007, in Perrin, Maffre, 2013). Pour Sylvie
Gadesaude, les difficultés de Hugo seraient « comme quelque chose qui serait
plus psychique qu’instrumental ». Or, on remarque que les difficultés de Hugo
reposent sur l’organisation et la symbolique du discours : son langage est peu
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fluide, il utilise des mots accolés et l’usage des pronoms est incorrect. Il ne lit
pas les syllabes et n’écrit pas. La pragmatique du langage – sa dimension de
communication sociale – est aussi impactée. D’après Coquet (2010) et Lesur
(2012), les principaux éléments de la composante pragmatique du langage sont
l’intention, l’adaptation à l’interlocuteur et l’échange.
Concernant l’intention, Rogé (2003) précise qu’elle n’est pas en cause dans les
troubles que rencontrent les personnes avec TSA, qui présentent une limitation
de l’utilisation des signaux de communication. Hugo, qui peut s’adresser spon-
tanément à la psychomotricienne, semble dans cette volonté. Par ailleurs, la
communication des personnes avec TSA porte plus souvent sur des éléments
concrets (la maison, la piscine) que sur des échanges à visée sociale (Courtois,
2007 in Perrin, Maffre, 2013). On observe aussi une tendance à aborder des
thèmes favoris sans se soucier de l’intérêt de l’interlocuteur ni de la cohérence
avec les propos échangés (Perrin, Maffre, 2013). La réponse d’Hugo « Les murs...
en fait le monsieur, il m’a fait réparer les murs de ma chambre » à la suggestion
« c’est une maison ? » illustre ce décalage.
Ensuite, l’échange est régulé par le respect du tour de parole et l’introduction du
sujet de conversation. Les personnes avec TSA peuvent manquer d’habileté dans
ces domaines : le « coq à l’âne » est fréquent avec une difficulté à s’adapter aux
mouvements de la conversation. On voit comment la psychomotricienne tente
de courir après une discussion dont les rouages d’altérité ne parviennent pas à
se mettre en place.
Aussi, « Il est nécessaire de proposer un apprentissage explicite de ces règles
conversationnelles que ces enfants ne ressentent pas naturellement. » (Perrin,
Maffre, 2013). Cela sous-entend qu’à l’interrogation : « Allons-nous pouvoir nous
comprendre spontanément ? », une réponse serait : « Non, mais sûrement après
L’attention conjointe, une fonction cognitive qui convoque l’autre ? 227

un apprentissage. » En effet, une communication efficace s’adapte aux connais-


sances de l’interlocuteur. Pour être compris, il s’agit de donner suffisamment
d’informations mais pas trop (Barthélémy, Bonnet-Brilhault et al., 2012). Dans
certaines situations, Hugo donne trop de détails (« En fait la dame elle est à la
piscine, la piscine des enfants, des claquettes dans les pieds. ») et parfois pas
assez (« (...) en fait le monsieur, il m’a fait réparer les murs de ma chambre. »).
Un manque de précision est aussi observé dans l’emploi de la troisième personne
du singulier : « Elle a amené son ordinateur ? » au lieu de « Tu ». Cette capacité
informative du discours se développe entre 7 et 9 ans (Hupert, 2006 in Perrin,
Maffre, 2013). Hugo en ayant 8, une progression développementale fait partie
des possibles.
Enfin, selon Courtois (2007 in Perrin, Maffre, 2013), on retrouve une difficulté
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à adapter l’enveloppe mélodique de la parole. Selon Peeters (1996, in Perrin,
Maffre, 2013), l’intonation des personnes avec TSA peut souvent être monocorde,
ce qui se retrouve chez Hugo.

L’attention conjointe dans l’autisme


!

Des études démontrent un déficit de l’attention conjointe chez l’enfant avec TSA
(Stahl, Reymond, Pry, 2003), dans son initiation et dans sa réponse (Roeyers et
al., 2001 in Perrin, Maffre, 2013). Ainsi, Hugo peut regarder la psychomotricienne
mais lui tourne ensuite le dos pour jouer. Le regard et l’objet ne se combinent
pas dans un but d’échange social.
Avant même l’attention conjointe, les enfants avec TSA montrent fréquemment
des troubles du contact oculaire lors des échanges. Cela se manifeste par « (...)
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l’évitement ou au contraire la fixité (...) » (Perrin, Maffre, 2013). Hugo évite


de croiser le regard de Sylvie Gadesaude et lui jette des coups d’œil furtifs. Or,
la situation relationnelle est entravée par l’évitement du regard car nous nous
attendons naturellement à ce qu’une situation de communication se déroule
« les-yeux-dans-les-yeux » (Montagner in Dufaut, 2003).

P ROPOSITIONS THÉRAPEUTIQUES

Je propose deux axes de prise en charge pour Hugo. Le jeu et l’utilisation d’une
communication concrète.
228 L’ ATTENTION CONJOINTE

Le jeu
!

Rogé (2003) précise que les enfants avec TSA peuvent s’engager dans une inter-
action reposant sur l’échange physique. Nous l’avons vécu, en situation ludique,
avec des patients établissant le contact visuel et pouvant même respecter un
tour de rôle, si difficile dans d’autres situations comme une conversation. À
travers cette situation de jeu corporel, se jouent les préludes de communications
futures plus accordées. Les rires, la prononciation de mon prénom et les gestes
orientés d’enfants pris dans la situation de jeu me font dire que c’est ici que
se joue la base primordiale qui permet la libération des émotions et finale-
ment de l’attention. La disponibilité à l’enfant est particulièrement importante.
L’installation du contact oculaire est favorisée par la saisie de toute occasion
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pour établir ce contact, le garder et capter les signes discrets provenant de
l’enfant pour y répondre. Quand l’enfant regarde un objet, nous suivons son
regard (Ansenne, 2005). Le regard périphérique prédominant chez les personnes
présentant des TSA, il est important de ne pas forcer la vision focale et laisser un
espace à la relation. « L’enfant va faire glisser son regard dans cette direction et
réciproquement » (Montagner, in Dufaut, 2003). Nous avons remarqué qu’il était
important de laisser l’intention de contact au patient mais aussi de le guider
une fois qu’elle est présente.

La communication concrète
!

Nous pensons qu’une façon d’aider les enfants à développer leur capacité
d’attention conjointe est de rendre ce type de communication plus concret et
donc davantage compréhensible. Par exemple, toucher l’objet plutôt que de le
pointer au départ, regarder alternativement l’enfant et le jouet et commenter :
« Regarde ! La voiture ! » Recommencer le geste plusieurs fois, comme une
demande de prise d’informations, soutenu par la communication verbale et
non-verbale. Si cela ne fonctionne pas, il s’agit de passer à un autre objet, car il
est essentiel de chercher un support motivant. Une fois l’objet repéré, il s’agit
de le nommer, toujours avec le même mot au départ. L’enfant avec TSA peut
ainsi s’imprégner de l’expérience, s’habituer, puis élargir son champ d’action vers
le tour de rôle. Il s’agit de répéter les gestes pour permettre leur anticipation
par l’enfant et rendre la situation sécure. Le partage d’intentions peut ainsi se
développer.
Sur le plan verbal, il est important que les mots employés soient concrets et pré-
cis. Par exemple, l’expression « regarde-moi », fréquemment exprimée pour guider
la personne avec TSA dans l’utilisation adaptée de son regard, nous interroge.
L’attention conjointe, une fonction cognitive qui convoque l’autre ? 229

Le fait d’attendre un contact œil à œil à la suite de cette demande est sous-
entendu. En effet, l’enfant avec TSA qui regarde un bras ou une jambe, répond à
la consigne, ce qui peut être source d’incompréhension. Aussi, préférons-nous
préciser : « Regarde-moi, regarde mes yeux. »

C ONCLUSION

Je pense, pour conclure, à Barnabé, adolescent avec TSA de 12 ans, qui a la tête
cachée sous un foulard transparent. Il refuse de faire autre chose et crie dès
que ma main approche du foulard. Je prends la pâte à fixe que Barnabé adore
et la met au niveau de son regard. Intrigué, il regarde à travers le foulard. Je
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me risque alors à soulever ce dernier en précisant : « Tu verras mieux avec tes
yeux. » Puis je le laisse retomber. Barnabé remonte alors lui-même le foulard
et regarde le morceau de pâte que j’observe aussi. Son regard se dirige alors
vers mes yeux. Je le regarde. Un jeu de cache-cache commence et provoque des
rires, dans un accordement de joie. L’attention conjointe devient un jeu : nous
regardons ensemble.
Chapitre 41

Hugo et l’autre :
deux mondes disjoints
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Tiphanie Vennat

L A QUÊTE DU PARTAGE

L’observation psychomotrice de Hugo montre parfaitement à quel point enfant


et psychomotricienne sont comme deux mondes disjoints : « les regards ne se
croisent pas », les mots ne parviennent pas à s’articuler ensemble et les contacts
corporels sont peu nombreux. Les psychomotriciens vivent souvent ces situa-
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tions cliniques complexes au cours desquelles ils cherchent en vain un monde


partageable.
Lorsque nous parcourons l’histoire de Hugo, nous comprenons pourquoi la tâche
est difficile. L’attention conjointe demande une grande flexibilité attentionnelle,
compétence que nous savons particulièrement ardue à acquérir pour les enfants
avec autisme qui bien souvent focalisent sur un seul et même objet d’attention.
Je me souviens d’un enfant pouvant passer des heures à regarder l’écoulement
spiralé de l’eau dans les éviers de l’institution. Cette fixation visuelle était alors
difficile à divertir et il m’était presque impossible d’attirer son attention sur un
nouvel objet.
Nous pouvons supposer aussi que le bilinguisme a pu constituer une double
contrainte attentionnelle, l’enfant ayant à traiter simultanément deux langages.
232 L’ ATTENTION CONJOINTE

À l’image de la célèbre situation cognitive de la « double tâche » (Baddeley et


Hitch, 1974).
À la découverte de cette nouvelle étude de cas, il y a donc dans la situation cli-
nique, à l’image du jeu spontané de Hugo, comme un « mur » de communication
impénétrable. À moins que... ?

L E TRAVAIL DE L’ ATTENTION EN PSYCHOMOTRICITÉ

J’ai en tête les premiers mots échangés avec Hugo. Si je n’ai aucune idée du
sens qu’ils ont pour l’enfant, je me permets de les utiliser comme métaphore
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pour introduire le travail de l’attention en psychomotricité.
Mon âme de psychomotricienne ne peut s’empêcher d’associer à la maison puis
la chambre de Hugo, l’image de son propre corps. Freud (2003) nous dit effecti-
vement :
« C’est la maison qui constitue la seule représentation typique, c’est-à-dire régu-
lière, de l’ensemble de la personne humaine. [...] La représentation se développant,
les fenêtres, les entrées et les sorties de la chambre [...] acquièrent la signification
d’ouvertures du corps. »

Une façon d’aborder les problématiques attentionnelles du patient, est donc


d’entrer par la fenêtre de son corps. Le tonus musculaire, nous le savons, consti-
tue un ressort thérapeutique au travail de l’attention en psychomotricité. Wallon
(1959) nous enseigne en effet que l’inattention relève d’un défaut de « tenue
mentale » qui s’origine dans le tonus de l’enfant. L’élan spontané de Hugo vers
les pots de pâte à modeler mis à sa disposition laisse entrevoir une entrée
possible dans ce travail de régulation tonique.
Revenons un instant sur la réparation des murs de sa chambre. Il me semble que
nous retrouvons dans le jeu de Hugo deux autres grands concepts psychomoteurs
que nous savons impliqués dans les processus attentionnels. En effet, si nous
suivons les métaphores corporelles, nous pouvons entrevoir derrière la construc-
tion des murs une véritable occasion de construire l’enveloppe psychocorporelle
de l’enfant. Les piquets, quant à eux, peuvent nous faire associer à la pertinence
d’un travail autour de l’axe du corps. Et s’il suffisait en effet de « réparer la
maison » ?
Hugo et l’autre : deux mondes disjoints 233

V ERS UNE ATTENTION CONJOINTE

De la solitude du symptôme au conjoint


!

de la relation thérapeutique

De nombreux dispositifs thérapeutiques visent à encourager le processus d’at-


tention conjointe chez les enfants autistes. L’attention conjointe consiste à
introduire un objet tiers autour duquel l’attention de l’enfant et celle du théra-
peute vont se fixer. Il s’agit généralement de stimuler l’attention autour d’objets
médiateurs attrayants tels que l’objet autistique, un jouet, un livre, etc.
Mais alors comment construire cet extérieur commun auprès d’enfants pris dans
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des fonctionnements autistiques enfermant (évitement du regard, cris, balan-
cement, etc.), ne permettant pas d’emblée une communication autour d’un
objet externe ? Est-il possible, comme le dit Sylvie Gadesaude, de rejoindre le
« mouvement interne » de l’enfant pour l’ouvrir à cet extérieur commun ?
Confrontée à cette difficulté, expérimentant la réalité de nos deux mondes dis-
joints, il m’est arrivé d’entamer un travail d’attention conjointe en passant par le
corps de l’enfant. Il me semblait alors pertinent de partir de son symptôme, dans
une forme d’intérieur partagé, avant de l’inviter à un extérieur commun. Tout
se passe dans l’imitation de la manifestation autistique puis sa transformation
dans un ailleurs partagé. Un balancement repris en écho évolue en danse, un cri
devient chant polyphonique, une stéréotypie gestuelle devient pantomime, etc.

L’ailleurs partagé de la danse


!
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LE CAS DE B ENOÎT

Benoît est un préadolescent présentant des troubles légers du spectre autistique. À la


différence de Hugo, il peut pointer, s’exprime très clairement à la première personne
et peut soutenir une conversation avec l’adulte. Sa grande difficulté réside dans l’ac-
ceptation des situations de frustration ou de nouveauté. Il y réagit en se coupant de la
relation dans le balancement ou la fuite dans l’imaginaire.
Contrairement à Hugo, plein d’allant lorsqu’il pénètre la salle de psychomotricité,
Benoît arrive en séance dans une opposition passive. Il grommelle à quelques pas
de moi : « Je ne veux pas de la bestiole de la révolution. » Il y a effectivement un
enjeu de transformation de taille dans la pratique psychomotrice. Benoît se risque
chaque semaine au changement et semble me signifier par ces mots qu’il souhaite
aujourd’hui rester dans sa zone de confort. Mais je sens bien que cette économie
psychique peut être un peu bousculée. Lorsqu’il arrive dans la salle, il s’assoit face à
234 L’ ATTENTION CONJOINTE

un mur et commence à se balancer tout en plaçant ses mains sur ses oreilles. L’enfant
édifie alors deux murs sensoriels, visuel et sonore. Ne souhaitant pas le laisser là – et
parce qu’il a finalement fait le choix de rester en séance – je décide de reconstruire le
lien. Connaissant la qualité de son regard périphérique, je me place alors à côté de
lui et reprends à mon compte son balancement. Benoît marque tout d’abord un temps
d’arrêt – peut-être surpris de trouver dans mon corps un écho du sien – puis continue
son balancement. Progressivement, il m’adresse un regard puis oriente sa tête dans
ma direction. Prenant conscience que je viens d’attirer son attention, j’improvise alors
quelques mouvements simples avec mes bras, petite danse toujours rythmée par le
mouvement originel du balancement. Benoît, qui a une tendance naturelle à l’imita-
tion, reproduit mes gestes et danse en miroir de ce que je lui propose. Je sens bien
que nous partageons là un même mouvement corporel, mais j’espère qu’il pourra
véritablement prendre sens dans le corps de l’enfant. C’est alors que Benoît se place
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face à moi et me tend la main, m’invitant à entrer dans sa danse. À cet instant tout
me semble alors possible. Lui et moi nous sommes finalement trouvés.
L’intérêt « d’entrer » dans ce type de symptôme, c’est de pouvoir rencontrer l’enfant
là où il est et frayer pour lui une voie de dégagement d’un dedans isolé à un dehors
partagé. Cette expérience illustre d’une manière originale la construction d’une atten-
tion conjointe, processus qui n’est ni magique ni systématique et qui doit être pensé
avec toutes les précautions thérapeutiques que suppose le dérangement de la défense
autistique.

Nous pourrions être tentés de comparer les situations cliniques de Hugo et


de Benoît. Ces deux enfants ont une présentation très opposée, et diffèrent
également dans leurs registres de communication. Mais face à ce qui pourrait
laisser sous-entendre une différence radicale dans le choix d’approche psychomo-
trice, nous procédons de la même façon, cherchant à notre façon un accordage
psychocorporel avec l’enfant : lorsque Sylvie Gadesaude essaie d’arrimer son
langage à celui de Hugo, j’essaie d’arrimer mon mouvement à celui de Benoît.

C ONCLUSION

Comme nous le montre la situation de Hugo, l’absence d’attention conjointe met


à mal nos mécanismes de la pensée et questionne nos réponses thérapeutiques.
L’abord corporel de la problématique attentionnelle des patients permet de
contourner cette difficulté à penser. C’est en mobilisant ce qui est au cœur du
dialogue tonico-émotionnel, que nous parvenons à construire un monde partagé.
Dans le cas de Benoît, nous comprenons combien il est essentiel d’être au plus
près de son vécu corporel. Une rencontre qui dans certains cas se tisse dans
l’expression du symptôme.
Chapitre 42

Synthèse
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Sylvie Gadesaude

Ces différentes modalités d’intervention entrent bien dans la description de ce que


Stern (1992) appelle le paysage psychique intersubjectif. L’enfant est capable de
passer du monde physique de l’ici et maintenant à un monde d’évènements subjectifs
cachés et disséminés dans le passé, le présent et le futur immédiat. Cette nouvelle
étape qui s’inaugure à la fin de la première année par la fonction de l’attention
conjointe est en mal de réalisation chez les enfants autistes.
Tiphanie Vennat, en s’installant dans la même position que Benoît et en reproduisant
ses postures, procède par échoïsation et s’appuie sur les capacités d’imitation de
son patient. Phénomène mis en évidence aussi par la découverte du fonctionnement
des neurones miroirs et qui débouche sur l’empathie et les capacités de comprendre
les états d’autrui.
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Bernard Meurin rappelle la nécessité préalable de l’attention conjointe : être séparé


pour se retrouver dans l’attention conjointe. Il rappelle aussi combien cette question
se situe aux confins de la psychanalyse et des processus d’apprentissage. Réflexion
menée en prélude chez de Ajurriaguerra lorsqu’il disait que l’enfant connait le corps
de l’autre avant de connaître le sien propre.
Julie Lobbé utilise tous les mécanismes qui président à l’aide à l’installation de
la fonction attentionnelle. Elle s’appuie sur la poly-sensorialité, vision et toucher,
qui deviendront par la représentation de l’espace séparateur, vision et pointage.
Elle agrémente de plaisir en choisissant un objet convoité. U jeu advient où les
affects de surprise émergent grâce à la suspension du temps. L’enfant finit par aimer
apprendre.
Pour ma part, bouger dans les séances en s’adressant à l’autre renvoie à la descrip-
tion du pré-objet de Spitz : « Il s’agit d’un stade auquel le nourrisson dépasse la
réception des stimuli provenant de l’intérieur au profit de la perception de stimuli
provenant de l’extérieur. »
...
236 L’ ATTENTION CONJOINTE

...
Bullinger (2004) rappelle aussi la nécessité du mouvement pour déclencher la per-
ception d’un écart. Or, l’entrée de Hugo et sa manière d’habiter son corps dévoilent
son ouverture sur le monde des objets et sur sa perception de l’écart entre lui et
l’autre. « Elle a amené son ordinateur ? »
C’est donc la question plus secondaire, du sens commun, de l’intentionnalité et donc
de l’investissement des objets qui me paraît être intéressante à développer avec
Hugo. Tout investissement, disent Soubiran et Coste (1974), nous semble précédé
par un état de réceptivité, de tension vers l’être et de sensibilité à un climat. J’essaie
de mettre en place ce climat pour moi-même afin d’aller à la rencontre de Hugo et
de construire l’attention conjointe. Castets (in Soubiran et Coste, 1974) détaille les
mécanismes de cet investissement : « L’espace du sujet est sans doute espace du
corps du sujet mais il est surtout espace des investissements possibles du sujet,
c’est-à-dire espace des lieux où se situent les objets d’investissement éventuels
du sujet. Et dès lors, ce sujet se trouve mis en cause comme un sujet capable
d’investissement. »
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C’est l’un des mécanismes qui justifie la présentation de la salle de psychomotricité
avec ses objets attractifs qui incitent à une motricité primaire de perception, de
saisie, d’exploration à côté d’activités plus symboliques déjà. Nous nous situons
ainsi du côté de la construction de l’identité du sujet. D’autres enfants cherchent
à placer leur énergie dans un objet réel ou imaginaire, en le faisant vivre, en le
détruisant ou en le faisant disparaître mais l’investissement est dans ce cas déjà
préexistant. Ce que de Ajuriaguerra (1955) a synthétisé dans cette belle formule :
« Nées de l’évolution d’une sensorio-motricité primitive qui assurait certains types
de contacts avec l’objet, les formes des relations ultérieures sont, à chaque instant,
pleines de la qualité sensorio-motrice primaire très proche de la pulsion et peuvent
se définir par rapport à cette dernière selon son degré d’effacement progressif. »
Cette distinction est très importante pour moi. Je peux dire que je la ressens
dans mon contact avec l’enfant à travers la manière dont il prend possession de
l’espace et une certaine assurance qui tranche avec les attitudes fébriles de saisie
d’enfants plus handicapés. C’est un aspect que je ne manque pas de transmettre aux
correspondants.
PARTIE VIII

Discussions finales
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Conclusion par Bernard Meurin. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239
Conclusion par Julie Lobbé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243
Conclusion par Tiphanie Vennat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257
Conclusion par Sylvie Gadesaude . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 269
Conclusion par Éric W. Pireyre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 281
Conclusion par Bernard Meurin
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En 1976, je croise un copain arrivé avant moi à l’université. Il m’explique qu’il a
commencé des études à mi-chemin entre la kinésithérapie et la psychologie et
que cette toute jeune profession s’appelle « la psycho-rééducation ». Je ne sais
pas si c’est à cause de la canicule, mais j’éprouve aussitôt comme une révélation :
« Je veux devenir psychorééducateur. »

D E LA PSYCHANALYSE À LA PHÉNOMÉNOLOGIE

Si la psychanalyse – particulièrement Dolto (1984) – a consolidé mes débuts, la


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méfiance de ces années-là vis-à-vis de l’engagement corporel m’a questionné.


Aussi avec quelques collègues et sous l’impulsion de Françoise Giromini, nous
avons progressivement fait un pas de côté pour revenir à la phénoménologie
qui fait partie de l’histoire de notre profession. La phénoménologie s’intéresse
non seulement aux contenus de la conscience mais aussi à leur survenue dans
cette dimension « antéprédicative » c’est-à-dire avant toute constitution d’une
subjectivité singulière. Or, souvent la relation entre un psychomotricien et son
patient se construit dans cette dimension pré-langagière et présymbolique. Cela
nécessite une démarche active dans laquelle l’expérience sensible et partagée
tient une place importante. Ce partage ne se base pas sur des gestes techniques
transposables d’une situation à une autre mais sur des approches qui s’ajustent
selon ce que la rencontre révèle. Penser la clinique psychomotrice à partir de
240 C ONCLUSION PAR B ERNARD M EURIN

la phénoménologie, c’est s’engager dans un questionnement où le sujet est


compris comme un enchaînement continu de vécus et non comme une entité
prise entre une partie somatique et une partie psychique. Suivre le chemin de
la phénoménologique, c’est accueillir les phénomènes tels qu’ils surgissent sans
jugement ni préjugé. C’est se laisser instruire par eux.
Relativement à la question de l’autisme, poser son regard sur un enfant ou un
adulte autiste, c’est d’abord le considérer en dehors de toute préoccupation
théorique. Il ne s’agit pas de voir seulement un autiste mais une personne dans
sa singularité et dont le mode d’être-au-monde ne peut se réduire aux seuls
critères d’une classification.
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D E LA PHÉNOMÉNOLOGIE À L’ APPROCHE
SENSORI - MOTRICE

La convergence a été simple car les choix épistémologiques qui sous-tendent


l’approche sensori-motrice me sont rapidement apparus comme très proches
de la pensée phénoménologique. Dès lors que Bullinger distingue la notion
d’organisme avec celle de corps, il se situe dans la lignée d’Husserl qui proposait
la même distinction entre le Körper, en tant que réalité objective et le Leib en
tant que corps vécu. De même, lorsqu’il nous invite à ne savoir que peu de chose
de nos patients avant la première rencontre, nous retrouvons cette invitation à
se laisser instruire par les choses, en suspension de tout jugement.

D E L’ APPROCHE SENSORI - MOTRICE À S PINOZA

En 2003, l’Association des Psychomotriciens de la Région Nord1 dont je suis l’un


des co-fondateurs, organise les journées annuelles du SNUP2 . À cette occasion,
nous invitons Chantal Jaquet3 , philosophe et professeur à la Sorbonne, spécia-
liste de l’histoire du corps et de Spinoza. Celle-ci se montre intéressée par notre
clinique et des ponts se construisent entre la vision spinoziste de l’homme et la

1. L’Association des Psychomotriciens Région Nord (APRN) a été créée en 1983 avec parution
au journal officiel en janvier 1984 ; hormis les représentations syndicales, elle est une des plus
vieilles associations françaises encore en activité aujourd’hui.
2. Octobre 2003 les journées annuelles de psychomotricité avaient pour thème : « Corps et
culture »
3. C. Jaquet, Le Corps ; Paris ; Presses Universitaires de France ; 2001.
Conclusion par Bernard Meurin 241

nôtre. Si dans la littérature psychomotrice nous trouvons aisément une critique


du dualisme cartésien, il y a peu de réflexions alternatives. De ce fait, la notion
d’unité reste souvent confondue avec celle d’union corporopsychique. C’est cette
alternative que nous trouvons chez Spinoza pour qui l’homme est envisagé comme
l’expression d’une puissance covariante à agir et à penser. Les mouvements du
corps ne sont pas au service de la psyché mais expression à part entière. Ainsi,
nous retrouvons le « je peux » de la phénoménologie et la simultanéité entre
les capacités instrumentales et d’élaboration des représentations psychiques de
Bullinger. Dans cette logique tout ce qui accroît la puissance d’agir du corps,
accroît la puissance de penser, ce qu’un psychomotricien ne saurait renier.
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B ILAN : L E TRAVAIL D ’ ÉCRITURE

Pour paraphraser Winnicott (1958), un psychomotricien tout seul, cela n’existe


pas. Le professionnel que je suis devenu s’est progressivement enrichi de belles
rencontres. Ce livre en fait partie car il s’inscrit dans cette cohérence de par-
tage dont j’ai toujours eu le souci. La rencontre avec Éric Pireyre en 2007 se
transforme rapidement en amitié profonde et je le remercie de nous avoir réunis
pour ce travail. Certes, nous n’avons pas le même parcours ni les mêmes réfé-
rences théoriques mais son pari s’est révélé gagnant puisque derrière ce que
chacun a pu développer et les directions qu’il a proposées, nous nous rejoignons
tous dans le même engagement professionnel, enthousiaste et passionné au
service de nos patients.
Conclusion par Julie Lobbé
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Au terme de l’analyse des cas cliniques, ce temps de discussion me paraît
essentiel. Aussi, nous commencerons par rappeler l’histoire des méthodes de
prise en charge des troubles du spectre autistique. Le débat actuel en sortira
éclairé. Les limites et atouts de la vision analytique et de l’éducation structurée
seront exposés en insistant sur l’intégration sensorielle et le programme TEACCH.
Ensuite, je reviendrai sur les apports issus de la rédaction de cet ouvrage ainsi
que sur une vision de la psychomotricité, de l’autisme et des pistes pour le futur.

D ES CONSTATS
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Une histoire
!

Dans les années 1940, aux États-Unis, l’origine de l’autisme est imputée à un
comportement inadapté de la mère (Kanner, 1952, dans Postel-Vinay, 2014).
Les enfants autistes se retireraient d’un monde insupportable en lien avec une
relation parentale trop froide ou au contraire trop fusionnelle. La responsabilité
des parents dans l’autisme disparaît dans les années 1980 aux États-Unis et
la psychanalyse y devient marginale (Postel-Vinay, 2014). Parallèlement, l’édu-
cation structurée émerge en 1965 : Lovaas applique la méthode ABA, centrée
sur l’acquisition de nouveaux comportements au moyen de récompenses et de
punitions. Schopler invente la méthode TEACCH qui propose de s’adapter au
244 C ONCLUSION PAR J ULIE LOBBÉ

fonctionnement cognitif particulier dans l’autisme. Ces méthodes, toutes deux


dans le champ de l’éducation structurée, connaissent un essor en France où elles
cohabitent avec l’approche psychanalytique.

Le contexte français
!

L’Inserm en 2004 et la Haute Autorité de Santé (HAS) en 2012 concluent à l’effi-


cacité des méthodes d’éducation structurée (Gori, Benslama, et Clément, 2011).
L’absence d’études sur l’efficacité des approches psychanalytiques (Bienvault,
2016) est relevée. Plus récemment, en janvier 2016, le Comité des droits de l’en-
fant de l’ONU (Alliance Autisme, 2016), qualifie les thérapies psychanalytiques
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« d’inefficaces ».
La situation amène la Cour européenne des droits de l’Homme à condamner
la France, en 2015 pour « manque d’accompagnement adapté des personnes
autistes » (Fasquelle, 2016). Le 3e plan autisme (2013-2017) souligne aussi que
« peu d’enfants autistes bénéficient des interventions recommandées » (Bien-
vault, 2016). Deux hypothèses explicatives peuvent être avancées. Tout d’abord,
la maîtrise des coûts. En effet, selon un rapport de la Caisse de solidarité pour
l’autonomie en 2015, le coût moyen d’une prise en charge ABA, par exemple,
est deux fois plus élevé que celui des méthodes classiques (La Croix, 2016). Or,
depuis 1996, les dépenses de santé sont encadrées par l’Objectif national de
dépenses d’assurance maladie ou Ondam (Vie Publique, 2016). Dans ce contexte,
promouvoir des méthodes coûteuses – car intensives – est délicat. Ensuite,
la vision psychanalytique est historiquement implantée en France. Aussi, les
instituts prenant en charge des personnes handicapées peuvent connaître des
difficultés à évoluer vers les recommandations de bonnes pratiques préconisées
par la HAS (2012).
Ainsi, la conception psychanalytique et l’éducation structurée possèdent chacune
une « légitimité spécifique », l’une par son implantation historique, l’autre par
ses résultats. Partant de ce constat, il paraît essentiel de réfléchir à des ponts
entre des méthodes qui, encore aujourd’hui, cohabitent voire s’opposent. La
situation pourrait évoluer par la volonté politique. En effet, depuis 2010, les
Agences Régionales de Santé (ARS) sont chargées d’appliquer les plans autisme
« nationaux » qui impliquent une mise en réseau des acteurs de santé, de nature
à favoriser l’échange entre les courants de pensée. De plus, des praticiens d’orien-
tation analytique montrent un discours progressiste : « Assimilant abusivement
l’autisme aux troubles de l’attachement observés chez des enfants carencés sur le
plan affectif, certains psychanalystes ont incriminé, sans preuve convaincante,
Conclusion par Julie Lobbé 245

la responsabilité des parents et singulièrement des mères dans la fabrication


de l’autisme de leur enfant », écrit par exemple Hochman (2009). Pour Danon-
Boileau (2012), la relation à la mère n’est pas la cause de l’autisme de son
enfant mais la conséquence.

Un débat et de réelles différences


!

Pour Clément (dans Gori, Benslama et Clément, 2011), la majorité des personnes
qui parlent d’autisme dans les médias possède une vision plus idéologique que
clinique. Or, il me semble qu’il existe des différences fondamentales entre la
théorie psychanalytique et l’éducation structurée. En effet, comme nous l’avons
exposé avec Tiphanie Vennat en introduction, la conception de l’origine de
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l’autisme est différente. Si la plupart des tenants des deux approches recon-
naissent une multi-factorialité, les psychanalystes insistent sur les facteurs
exogènes (la relation) et le caractère pathologique (la maladie) de l’autisme.
L’éducation structurée pense quant à elle que les causes endogènes, notam-
ment neurologiques, sont fondamentales et permettent de qualifier l’autisme
de handicap. Les approches diffèrent également dans la logique qui sous-tend
le suivi. L’approche psychanalytique considère les angoisses comme la cause
majeure des difficultés, qu’il faut diminuer pour que l’enfant autiste soit capable
d’apprendre. L’éducation structurée considère que les angoisses disparaissent
quand les facultés d’adaptation s’améliorent grâce aux apprentissages. Il existe
donc des différences fondamentales entre psychanalyse et éducation structurée.
Nous ciblons notre exposé autour de ces deux grandes familles méthodiques
mais cela ne doit pas faire oublier la diversité des prises en charge dans les TSA
parmi lesquelles l’Intégration Sensorielle (IS) et la méthode TEACCH.
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D ES MÉTHODES

En SESSAD, je couplais de l’intégration sensorielle (IS) et un cadre de travail


TEACCH à la psychomotricité.

L’intégration sensorielle
!

L’IS est le processus neurologique qui organise les sensations du corps et celles
provenant de l’environnement dans le but d’utiliser le corps efficacement en
réponse. Si la capacité d’IS est altérée, la personne peine à s’adapter et à interagir
246 C ONCLUSION PAR J ULIE LOBBÉ

avec l’environnement (Dechambre, 2013). Comme nous l’avons vu avec Arthur,


on retrouve une difficulté de comodalité sensorielle dans les TSA. S’y ajoutent
des phénomènes d’hyper- et d’hyposensibilité sensorielle comme dans le cas de
Sacha : l’enfant consacre de l’énergie à essayer de résoudre ces déséquilibres. L’IS
consiste à faire interagir les systèmes sensoriels dans des activités intégratives
dans le but d’une plus grande disponibilité à soi et à l’environnement.

Le programme TEACCH
!

Le programme TEACCH s’appuie sur des théories développementales, cognitives


et comportementales. Il considère l’autisme comme un fonctionnement parti-
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culier qui demande une adaptation de l’environnement de façon à favoriser les
apprentissages. Il s’agit aussi de permettre l’adaptation de la personne à l’envi-
ronnement en développant ses compétences de communication et d’autonomie
(HAS, 2010).
La méthode TEACCCH est caractérisée par des principes (Mesibov, 1995 ; Scopler
et coll., 2002 dans Perrin et Maffre, 2013). Tout d’abord, le partenariat avec les
parents et les enseignants est recherché dans une visée de partage mais aussi de
généralisation des apprentissages. Ensuite, un projet individualisé pluridiscipli-
naire détaille les objectifs de prise en charge, les moyens utilisés et les échéances
d’évaluation. Détailler le projet comporte l’avantage de pouvoir le faire évoluer
progressivement, ce qui facilite les progrès de l’enfant et l’identification de ces
progrès (Miquel-Grenier dans Perrin et Maffre, 2013).
Ensuite, la méthode TEACCH insiste sur la visualisation de l’environnement (des
systèmes d’aide visuelle sont utilisés pour adapter le milieu en le rendant plus
compréhensible) et sa structuration. Cette dernière concerne le temps – avec
l’utilisation d’emplois du temps et d’un time-timer – et l’espace, avec des endroits
identifiés dédiés aux activités (espace pour apprendre, pour se détendre, pour
manger etc. (Bertiaux, 2006), des bannettes de rangement des activités et une
réduction des sources d’excitation sensorielle. Les tâches sont également séquen-
cées, c’est-à-dire que leurs différentes étapes en sont identifiées, de même que
la communication privilégie un langage concret et, au besoin, des supports
visuels comme les pictogrammes ou encore les méthodes de communication
alternatives comme le PECS (Picture Exchange Communication System). Cette
dernière méthode recourt à l’échange d’images permettre à l’enfant d’exprimer
ses besoins et émotions. Les principes du programme TEACCH peuvent nourrir la
pratique psychomotrice et réciproquement.
Conclusion par Julie Lobbé 247

TEACCH ET PSYCHOMOTRICITÉ

Le programme TEACCH fournit un cadre global de prise en charge où divers suivis


peuvent collaborer dans un projet personnalisé :
« Le projet global de l’enfant et le projet thérapeutique en psychomotricité entretiennent
des relations étroites et réciproques qui, tout en respectant les spécificités profession-
nelles, concourent à leur mise en cohérence. » (Miquel-Grenier dans Perrin et Maffre,
2013)

Les objectifs, proches du quotidien de l’enfant (boire au verre, par exemple), sont
déclinés en compétences psychomotrices (coordinations bimanuelle et oculo-manuelle,
sens tactile, etc.) Celles-ci sont travaillées par les médiations psychomotrices telles que
le jeu avant de terminer l’apprentissage sur l’objet directement. Le comportement sera
alors généralisé par l’éducateur et la famille. L’approche TEACCH apporte également
à la psychomotricité des outils de structuration visuelle qui facilitent l’adaptation du
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bilan aux particularités autistiques et optimisent le suivi en favorisant la compréhension
de l’enfant.
La psychomotricité apporte également au programme TEACCH. D’abord, la psycho-
motricité permet de cerner les particularités, les difficultés et les ressources de la
personne. De plus, elle concourt au travail des prérequis psychomoteurs indispen-
sables à l’atteinte des objectifs du projet, tels que l’imitation, la motricité, les fonctions
exécutives ou la sensorialité (HAS 2010). Enfin, le plaisir, au centre de l’approche
psychomotrice, permet d’offrir un espace « propice à la sollicitation des compétences
transversales » (Miquel-Grenier dans Perrin et Maffre, 2013) comme l’adressage du
regard ou le pointage.

Je me reconnais dans la vision pragmatique de l’intégration sensorielle que


je trouve très proche de la psychomotricité de par leur postulat commun : les
expériences sensori-motrices sont à la base de tout apprentissage et il faut en
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repasser par là pour que l’apprentissage s’inscrive dans le temps. La méthode


TEACCH insiste, quant à elle, sur les spécificités cognitives des personnes avec
TSA. Pour autant, toutes les méthodes présentent des limites et des atouts.

L ES LIMITES DE LA PSYCHANALYSE
ET DE L’ ÉDUCATION STRUCTURÉE

La psychanalyse
!

Concernant le traitement psychanalytique, il n’existe pas de recherches scienti-


fiques prouvant son efficacité sur l’évolution des enfants autistes (HAS, 2010).
248 C ONCLUSION PAR J ULIE LOBBÉ

Clément (dans Gori, Benslama et Clément, 2011) note que la tendance à quanti-
fier n’est pas la bienvenue car il existe une opposition « (...) à toute évaluation
de [son] travail, refusant de réduire l’unicité du patient (...) et la singularité
de toute thérapie à des chiffres » (Chiche, 2012). Pour Benslama (dans Gori,
Benslama et Clément, 2011), les résultats de la psychanalyse sont évaluables à
condition de considérer des indicateurs sur des suivis à long terme. La voie de
la recherche et de l’évaluation me paraît plus constructive que celle du repli et
de l’exclusion. Par ailleurs, la fixation de certains analystes sur le rejet parental,
principalement maternel, amène une culpabilité importante des parents. Cette
culpabilité, hormis la souffrance évidente qu’elle génère, rend difficile l’adhésion
des parents au processus thérapeutique, adhésion indispensable à la réussite de
toute prise en charge.
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R EJET PARENTAL ET CULPABILITÉ : LE CAS D ’E RWAN

J’ai pu rencontrer des familles véritablement traumatisées par leur expérience en


structure de soins analytique. Mme S. racontait ainsi les séances de suivi psycholo-
gique axées sur sa relation avec ses propres parents et le manque d’information sur
l’évolution de son fils. Lorsqu’elle évoque les recherches qu’elle fait concernant les
méthodes cognitivo-comportementales, ses interlocuteurs la dissuadent d’employer
ces « méthodes de dressage ». Lorsque je rencontre Erwan, son fils de 6 ans, il est
suivi en hôpital de jour avec un diagnostic d’autisme profond. Il ne regarde personne,
préférant les surfaces réfléchissantes. Il erre, les bras le long du corps et demeure
mutique. Nous venons rencontrer les personnes qui s’occupent de lui depuis deux
ans car Mme S. souhaite que son fils soit suivi par le SESSAD. La réunion a lieu
en l’absence des parents. Le tableau systémique dressé par l’équipe est pessimiste :
Erwan est « très malade » et ne pourra probablement jamais parler. Son père ne se
préoccupe pas de lui et sa mère est décrite comme intrusive. En l’espace d’un an,
Erwan apprend à parler, à lire et à écrire pour finalement intégrer une classe de CP. Le
père, travaillant beaucoup, peut difficilement se libérer mais la maman est présente à
chaque séance et se montre investie dans le dialogue avec les professionnels comme
dans la généralisation des apprentissages à la maison ou à l’école.

Je suis d’ailleurs convaincue que la place d’un enfant est à l’école. En revanche,
l’adaptation doit être travaillée sur place en partenariat avec les équipes sco-
laires. La loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des
chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées (Légi-
france, 2005) oblige la scolarisation des enfants handicapés. Pour autant, elle
n’est appliquée qu’à hauteur de 20 % pour les enfants avec TSA (Fasquelle, 2016).
Conclusion par Julie Lobbé 249

La scolarisation est un aspect important défendu par les méthodes d’éducation


structurée.

L’éducation structurée
!

La diversité des thérapies cognitivo-comportementales, regroupées sous le terme


d’éducation structurée, pose difficulté lorsqu’il s’agit d’en analyser les limites. Je
parlerai donc de la méthode TEACCH que j’ai pu utiliser et extrapolerai succincte-
ment sur l’ABA. La principale limite de la méthode TEACCH me semble être sa mise
en place à long terme dans la plupart des cas. Il s’agit de veiller à ce que l’enfant
ne s’enferme pas dans une immuabilité venue de l’extérieur et qui viendrait
remplacer son immuabilité propre. Ainsi, la structuration de l’environnement
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évolue en lien avec les progrès et des changements sont introduits.
Concernant l’ABA, le coût de la prise en charge est un obstacle, comme nous
l’avons exposé précédemment. Par ailleurs, il existe une contrainte en termes
d’organisation familiale due au caractère intensif de l’intervention ainsi qu’une
interrogation quant au statut de « parent-éducateur ». Enfin, la multiplicité des
tâches abordées ainsi que le rythme soutenu interrogent la place de l’individualité
et de la temporalité de chacun.
L’emploi courant par les praticiens comme par les étudiants des termes « cogniti-
viste » et « comportementaliste », au lieu de « cognitif » et « comportemental »,
me fait dire que le langage se marque de cette crainte d’aller trop loin dans
un « tout comportement ». Je m’amuse de la même conversion avec le terme
psychanalytique : faudrait-il dire « psychanalysiste » ? Je reste, en tous les cas,
marquée par la phrase d’Adrien, 7 ans, parlant de son éducatrice en disant :
« Elle est dure avec moi pour que je devienne un vrai enfant. » Adrien perçoit
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

qu’il doit tendre vers un modèle d’enfant idéal plus que vers une découverte de
lui-même et vers une gestion plus efficace de ses comportements et émotions.

Les atouts de la psychanalyse et de l’éducation structurée


!

La psychanalyse

Adrien me fait dire que l’atout principal de la psychanalyse est de rappeler l’im-
portance d’écouter l’enfant dans ses interrogations propres. Il est ainsi important
de consacrer des temps d’activités libres : Benoît, dans le cadre d’un jeu de
toupie géante qu’il a choisi, répète : « Arrête tes écholalies Benoît ». Il y a fort
à penser que l’enfant interroge les interdictions qui ponctuent son suivi. Je lui
250 C ONCLUSION PAR J ULIE LOBBÉ

réponds qu’il peut faire ce qu’il veut pendant le temps de toupie, même des
écholalies. Il dit, amusé : « Toupie écholalie ! » Ce moment est important car
benoît préfère partager dans la relation plutôt que de s’adonner aux écholalies.
Ce type d’exemple montre la manière dont des manifestations intéressant la psy-
chanalyse peuvent se produire dans un cadre structuré. « Refuser ces éclairages
ou ces ouvertures me semble contre-productif pour l’enfant dans le sens de la
connaissance de son individualité, concept au cœur de toute méthode de prise
en charge de l’autisme. » (Barthe, 2013).
Par ailleurs, la place de la parole est privilégiée par l’approche analytique. Des
temps d’échanges sont destinés au soutien psychologique de la parentalité et
à la compréhension des dynamiques en jeu (Barthe, 2013). Au SESSAD où j’ai
exercé, les psychologues coordonnaient les projets des enfants, conseillaient les
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parents mais ne prenaient pas de rôle thérapeutique. De même, la supervision
des soignants est tout à fait essentielle notamment au regard de la relation
thérapeutique. Il n’existe pas de groupe de parole au SESSAD et les collègues en
structure psychanalytique me semblent bénéficier d’une plus grande attention à
ce sujet.

L’éducation structurée

Les effets de l’ABA sur le développement de la communication et des habiletés


sociales et adaptatives sont prouvés par de nombreuses recherches scientifiques.
Quant au programme TEACCH, il a fait l’objet d’études qui concluent que, s’il est
mis en place tôt, il peut permettre une scolarisation en milieu ordinaire et une
réduction de l’anxiété et des troubles du comportement (Schopler, 1997 dans
Magerotte, 2002). La méthode TEACCH est reconnue au niveau international
et, contrairement à la méthode psychanalytique et à l’ABA, elle a été conçue
spécifiquement pour les personnes avec TSA (Rogé, 2003). De plus, TEACCH
s’attache à donner à l’enfant les moyens instrumentaux de comprendre et de s’ex-
primer. En effet le désir de communiquer me semble étroitement lié à la faculté
de pouvoir le faire. Danon-Boileau (2012) dit à ce propos que les personnes
avec TSA « (...) ont le goût de l’échange mais pas les moyens instrumentaux
d’échanger ». Aussi, je pense qu’un cadre libre, basé sur les désirs de l’enfant,
laisse penser à la possibilité d’un espace pour communiquer. Or, cette liberté est
illusoire si l’enfant ne comprend pas comment s’en emparer. Ainsi, des méthodes
de soutien au langage, tels que le PECS, sont une possibilité d’être soi, plutôt
qu’une contrainte pour l’enfant. J’ai pu découvrir cette méthode au fil de mon
parcours professionnel, riche d’échanges.
Conclusion par Julie Lobbé 251

D ES EXPÉRIENCES

Les analyses des co-auteurs


!

Cette expérience d’écriture confirme mon positionnement d’ouverture dans une


volonté de réflexion et d’échange, loin de la pensée unique, toujours dangereuse
quel qu’en soit le contexte. Partager les points de vue autour de profils concrets
de patients m’a montré la richesse de la croisée des regards de laquelle émergent
des angles d’analyse qui ne me seraient pas spontanément venus à la réfle-
xion. La rédaction de considérations préalables avec Tiphanie Vennat a permis
de constater que des propositions venant d’une vision totalement différente
peuvent débloquer de manière spectaculaire des situations cliniques semblant
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inamovibles.
En tous les cas, il paraît important de recevoir cette complémentarité ou ces
différences, tout en se rejoignant autour d’auteurs-clés tels que de Ajuriaguerra
ou Bullinger cités par chaque participant à cet ouvrage : l’écoute sensible des
patients, des familles mais aussi des collègues est la clé de voûte de notre
pratique. Les TSA sont en effet tellement complexes et divers qu’il est perti-
nent de considérer un maximum d’angles de vue susceptibles de favoriser leur
compréhension. De manière plus précise, je pense que le profil et les besoins
de la personne considérée sont à mettre au centre de la réflexion sans céder à
la facilité de la faire entrer dans tel ou tel moule méthodique. Les synthèses
psychomotrices concluant chaque cas clinique de cet ouvrage nous le prouvent :
l’expérience de l’altérité fait avancer.

C’est quoi la psychomotricité ?


!
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À la lumière des apports précédemment décrits, on peut dire que la psycho-


motricité s’intéresse à la manière dont les personnes construisent et utilisent
leur corps, de manière fonctionnelle, mais aussi émotionnelle et symbolique.
Je rejoins Lesage (2003) pour qui la construction psychomotrice de l’individu
s’appuie sur « une sorte de géométrie du corps », un rassemblement à mettre en
œuvre pour pouvoir amener notre identité vers l’autre. Ce rassemblement néces-
site une sécurisation (Montagner, 2002) préalable au déploiement du potentiel
psychomoteur.
Je crois donc qu’il est important de se nourrir des différents apports théoriques
pour construire une pratique individualisée. Il s’agit de rester en questionne-
ment à partir du patient et de travailler avec son ressenti, sa créativité et
252 C ONCLUSION PAR J ULIE LOBBÉ

pas seulement son savoir-faire. Cette spécificité me semble être la richesse du


psychomotricien. Cette position n’est pas toujours simple à tenir, quand elle
cherche à considérer à la fois les neurosciences et la psychanalyse. Lorsque l’on
parle d’autisme, il est sous-entendu qu’il faut se positionner, sauf à s’exposer, du
moins dans un premier temps, à de l’indifférence ou du mépris teinté d’indulgence
(Barthe, 2013). En effet, je suis persuadée que souvent l’échange et le temps
permettent la compréhension. Il existe aussi des personnes avec qui la question
de l’intérêt des visions plurielles ne se pose pas, comme dans le cadre de cet
ouvrage.

C’est quoi l’autisme ?


!
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Je conçois l’autisme comme un spectre composé de multiples personnes et de
multiples particularités. Le fonctionnement sensori-cognitif dans les TSA impacte
la manière d’entrer en relation avec le monde. C’est pourquoi il n’y a pas d’êtres
à guérir mais davantage des compréhensions à avoir sur la manière de faciliter
cette relation. Dans ce but, il est important d’échanger avec des personnes
autistes et de lire des témoignages : elles sont les mieux placées pour connaître
leur handicap.
Dans ce sens, l’approche TEACCH contribue à ma vision de la psychomotricité.
Elle m’a appris à davantage cibler les objectifs de prise en charge et à les insérer
dans le projet individualisé global de l’enfant. J’ai également appris à utiliser
des outils de structuration de l’environnement, de façon à compléter la sécurisa-
tion permise par le dialogue tonico-émotionnel. Je retiens également qu’il est
fondamental de s’appuyer sur les centres d’intérêt pour stimuler la motivation
de l’enfant et sa sensorialité. Il s’agit finalement de trouver un équilibre entre
attirer ces enfants vers un monde neurotypique et des comportements adaptés,
indispensables à l’intégration à la société, tout en respectant leurs particularités
de fonctionnement.

Un futur
!

Vers le pragmatisme de l’interdisciplinarité

Pour Benslama (dans Gori, Benslama et Clément, 2011), aucune approche ne peut
prétendre détenir seule la réponse à l’autisme. Clément (dans Gori, Benslama
et Clément, 2011) regrette l’omniprésence de l’apprentissage dans l’approche
de l’autisme : « [...] une dichotomie s’est installée entre l’attention portée à la
construction du sujet et celle portée aux apprentissages. »
Conclusion par Julie Lobbé 253

Il paraît donc raisonnable de chercher des complémentarités au cas par cas.


Dans l’exemple d’un enfant face auquel une équipe est impuissante, il semble
pertinent de solliciter des soins différents. Dès lors se pose la question des
conditions d’une vision intégrative qui permette au dialogue d’exister entre les
différentes conceptions de l’autisme. Tout d’abord, le respect des champs de
pertinence semble essentiel. La psychanalyse s’occupe du champ psychique et du
sens, l’éducation structurée s’occupe des comportements et des signes. Ensuite,
il s’agit de donner la priorité au pragmatique sur le théorique, le principal étant
de trouver le cadre qui facilite les progrès de l’enfant. Enfin, le respect mutuel
entre les différents professionnels peut paraître une évidence mais le dialogue
inter-théorique est avant tout un dialogue humain. Or, il n’est pas facile d’écou-
ter l’autre s’il déstabilise notre cohérence cognitive. Au regard de la démarche
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réflexive menée dans cet ouvrage, force est de constater que loin d’exploser
dans le conflit d’opinions, nous nous sommes enrichis les uns des autres. Cette
relation doit demeurer ouverte et informative, concernant les familles.

Avoir le choix, donner le choix

La dimension du choix des familles est un aspect que je souhaite aborder car elle
me semble moins effective que celle des étudiants en formation avec lesquels
je travaille. En effet, une pluralité d’approches est présentée et le soin leur est
laissé de faire leur choix, ou, de préférence, de ne pas le faire et de poursuivre
une construction personnelle nourrie de questionnements. Par ailleurs, je suis
toujours surprise de la chaleur avec laquelle la pluralité des méthodes d’approche
de l’autisme est accueillie lors de mes enseignements. Les jeunes praticiens
semblent plus que jamais sensibles à la dimension d’autonomie et de choix au
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service de la construction personnelle de leur parcours et du soin du patient.


Le rôle d’acteur grandissant pris par l’étudiant en formation se retrouve à l’hôpital
concernant le patient. En effet, la législation progresse fortement depuis la loi du
4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé
(Légifrance, 2002) et, plus récemment, le Décret n° 2016-726 du 1er juin 2016
relatif à la Commission des Usagers prévu par la loi n° 2016-41 du 26 janvier
2016 de modernisation du système de santé (Légifrance, 2016). La place des
usagers et de leurs choix est donc devenue centrale.
L’étudiant est acteur de sa formation tout comme le patient est acteur du soin. Et
la famille, comment peut-elle être actrice du soin de son enfant ? Dans le SESSAD
dans lequel j’ai travaillé, les parents étaient écoutés comme des acteurs lors de
l’élaboration des objectifs thérapeutiques. Pour autant, la dimension de choix
254 C ONCLUSION PAR J ULIE LOBBÉ

est restreinte dans la mesure où le SESSAD ne présente pas le panel des méthodes
existantes aux parents et oriente vers des médecins ou des paramédicaux ayant
une orientation similaire dans les méthodes utilisées. Je suppose qu’il en est de
même concernant les structures analytiques et la tendance à adresser les enfants
vers des pédopsychiatres. Le Comité Consultatif National d’Ethique note « un
déni pur et simple d’accès au choix libre et informé (...) » (CCNE, 2007, dans
Marmion, 2012). Face à ces conseils orientés et aux recommandations de la HAS,
comment le parent peut-il être décideur ? Manon, psychologue, est la maman
d’Isis, une petite fille avec TSA. Elle a refusé de faire le choix d’une méthode et
a décidé de se fier à sa fille. Celle-ci est donc suivie par un SESSAD d’orientation
TEACCH et une psychologue-psychanalyste. L’évolution d’Isis est très favorable
puisqu’elle est au collège sans retard scolaire. Mais qu’en est-il des parents qui
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ne possèdent pas les connaissances de Manon ? Comment peuvent-ils prendre
le droit d’être des acteurs auprès de leur enfant ? Il me semble qu’il est de la
responsabilité de chaque professionnel d’informer le plus factuellement possible
les parents sur les possibilités qui s’ouvrent à eux et leur laisser la possibilité
de choisir pour leur enfant.

B ILAN

La prise en charge de l’autisme s’inscrit dans les contextes historico-théoriques


de la psychanalyse et de l’éducation structurée. L’intégration sensorielle et le
programme TEACCH sont particulièrement utiles, notamment associés à la psycho-
motricité. Pour autant, l’ensemble des méthodes montre des limites – voire des
dérives – et des atouts. Mes expériences auprès des patients, des équipes et des
étudiants constituent un parcours d’échanges, riche des différences de chacun.
Et notamment des co-auteurs, dans le cadre de la rédaction de cet ouvrage. Le
questionnement de ce que sont la psychomotricité et l’autisme paraît essentiel
pour proposer des pistes pour l’avenir, dans une vision pragmatique et à l’écoute
des familles.
L’approche analytique peut donner un espace d’expression à l’enfant et une aide
à la compréhension de ses angoisses et à la construction individuelle. Pour
autant, une approche éducative demeure indispensable au développement des
compétences de la personne avec TSA. Le travail des cadres de santé dans les
structures médico-sociales et hospitalières paraît d’ailleurs, à cet égard, tout
à fait essentiel. Leur rôle est en effet d’accompagner les changements et de
favoriser l’évolution des pratiques auprès des équipes. Je suis convaincue que
Conclusion par Julie Lobbé 255

la psychomotricité a aussi un rôle à prendre dans ce tournant intégratif. Elle


peut faciliter le lien entre les différentes visions car elle emploie un langage que
chacun peut intégrer à sa réflexion sur le patient : émergence des potentialités,
communication non-verbale, relation, corps, espace, temps etc. La psychomotri-
cité est surtout née de la jonction de nombreux courants comme la neurologie,
la psychiatrie, la psychologie du développement ou encore la psychanalyse (Her-
mant, 2008), il est donc essentiel de faire des liens en considérant des modèles
qui se complètent sans s’exclure. Il s’agit donc de sortir de l’idéologie pour le
pragmatisme réfléchi autour de la complexité des Troubles du Spectre Autistique.
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Conclusion par Tiphanie Vennat
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C OMMENT JE CONÇOIS L’ AUTISME :
MES MODES D ’ APPROCHE

Dans la gangue, il y a des pépites


!

J’ai l’intime conviction qu’il y a chez le patient quelque chose à découvrir, comme
un « gisement de pourquoi » qui ne demande qu’à révéler la préciosité de la
pierre. Cette image pourrait paraître simpliste mais elle traduit au plus juste ce
que je ressens. Rappelons que ce qui est précieux, c’est par définition « ce qui
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

est de grande valeur ». Dès la conclusion du bilan psychomoteur et tout au long


du suivi, nous insistons sur l’importance de valoriser le patient en travaillant au
départ de ses capacités, même si le parcours de soin, nous le savons, nécessite
d’entrer progressivement dans ce qui lui est problématique et douloureux. La
révélation positive du patient n’est donc pas à envisager dans un angélisme naïf
car elle demande du courage ainsi qu’une grande réserve d’optimisme, désillusion
et frustration faisant partie des grands principes de réalité du thérapeute.

La question de l’autre
!

L’exercice institutionnel sensibilise à la question de l’autre et nous préserve


souvent des écueils de la toute-puissance. Accompagner les empêchements, les
258 C ONCLUSION PAR T IPHANIE V ENNAT

pénalisations et les impossibilités du patient suppose la mise en place d’un


certain nombre de prises en charge totalisantes pour, par exemple, trouver en
l’autre un « entr’ouvert » (Bachelard, 1957) là où nous faisons l’expérience d’une
impasse thérapeutique. La diversité de prises en charge adaptées et pertinentes
permet d’offrir plusieurs issues à des patients souvent « sans secours ». Nous
repérons d’ailleurs très bien comment le patient distribue sa problématique dans
les différents espaces thérapeutiques. Parce qu’il ne nous sollicite par toujours au
même endroit, nous ne pouvons uniformiser nos réponses. La complémentarité
de nos pratiques professionnelles est alors essentielle.
La question des aidants familiaux est également primordiale. J’essaie d’adresser
aux parents le message qu’il n’est pas trop tard. Je tente de les impliquer dans
l’ici et le maintenant de la réalité de leur enfant. Cette alliance thérapeutique
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est toujours préférable, même si elle est dans les faits parfois compliquée à
maintenir notamment dans les situations particulières de maltraitance. Le travail
avec les parents m’apparaît essentiel à plusieurs titres. En premier lieu parce
qu’ils ont une connaissance de l’enfant qui ne s’apprend pas dans les ouvrages
scientifiques. Entendre le savoir des parents permet au soignant de préciser sa
compréhension de l’enfant mais également de ne pas céder aux relents de la
toute-puissance infantile. Nous ne connaissons que trop bien certaines attitudes
de praticiens affirmant détenir à eux seuls la vérité du patient, discréditant
et/ou culpabilisant les parents en affirmant des relations de causalité radicale
entre l’attitude des parents et la symptomatologie de l’enfant. Mais l’impor-
tance du travail avec les parents réside également dans la fonction même du
parent, terme qui, étymologiquement, renvoie implicitement aux attitudes thé-
rapeutiques développées dans nos textes : parer, prémunir contre un danger,
pare-exciter, contenir. Nous comprenons alors facilement l’intérêt de considérer
le parent comme un véritable partenaire de soin. Dans les cas où cette alliance
est impossible, les parents restent si « centraux » que le soignant intègre dans sa
thérapie leurs fonctions symboliques. Ainsi sommes-nous sensibles aux concepts
de Préoccupation Maternelle Primaire de Winnicott, de rêverie maternelle de
Bion, de loi du Père de Lacan, des objets-papa et objets-maman de Haag, de
triangulation œdipienne, etc. Les parents, dans leur réalité comme dans leurs
fonctions symboliques, sont donc essentiels au travail du psychomotricien.

Le travail des restes


!

Il me semble que nous travaillons tous à partir de ce qui nous reste. Nous devons
nous aménager avec tout ce que la vie nous laisse de manques, de frustrations et
Conclusion par Tiphanie Vennat 259

de mémoires imparfaites. Après la séance, quand je ne parviens pas à comprendre


ce que je viens de vivre avec le patient, j’essaie d’écouter ce qui reste en moi
lorsqu’il est parti. Ainsi j’observe mon état de tension musculaire, les sensations
qui me traversent ou encore les images qui me viennent. Affleurent parfois une
grande fatigue ou une crispation, une impression d’irritabilité sensorielle ou
encore des images comme un bateau qui prend l’eau. Il s’agit finalement d’être
systématiquement à l’écoute de mes ressentis après chaque séance. Je prévois à
cet effet un petit carnet de notes exclusivement dévolu au travail des restes.
De la même manière, nous travaillons avec les restes du patient, à l’endroit des
plaies non cicatrisées. Nous travaillons souvent plus ou moins directement « là
où ça fait mal ». Car même en prenant soin de ne pas pointer ce qui est encore
trop douloureux, dans une attitude chaleureuse et réconfortante nous proposons
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à notre insu une forme de miroir inversé. La fonction soignante réfléchit au
patient ce qui lui a manqué. C’est alors que réchauffer peut réactiver la douleur
de la plaie. Cela m’évoque le suivi d’un enfant que je portais systématiquement
dans les bras pour l’amener à sa séance. Lorsque nous arrivions dans l’espace
psychomoteur il me disait toujours : « Moi d’habitude on ne me porte pas, on
me traîne. »
Enfin nous questionnons souvent notre propre accompagnement auprès du
patient. Car qui ne s’est jamais posé la question en fin de thérapie : « Finalement,
que reste-t-il de tout notre travail auprès de ce patient ? » Nous espérons tous
laisser une trace de notre action thérapeutique et qu’il y ait chez l’autre un petit
reste de nous. J’ai l’intime conviction que les patients gardent les empreintes
des appuis qu’on leur donne et que quelque chose fait nécessairement trace. Que
notre absence comptera tout autant que notre présence. Je pense notamment
à ces enfants qui partent de l’institution et que nous avons le sentiment
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

d’abandonner lorsqu’il n’est pas garanti qu’ils soient confiés aux bons soins
d’une nouvelle structure d’accueil. Je garde en mémoire un rapt d’enfant ramené
dans son pays d’origine sans modalités de soin. Pour reprendre un parallèle avec
Sacha, il est possible que dans cet arrachement, quelque chose de cette peau
commune que nous avons construit ensemble ait finalement survécu avec lui et
que face aux difficultés il saura s’en faire un manteau.

Une question de vie ou de mort


!

Pour soigner, il faut avoir en soi une puissante pulsion de vie. Car le mutisme,
l’inertie motrice, le défaut d’initiative, les états de sidération et les angoisses
archaïques de certains patients autistes, nous confrontent quotidiennement à
260 C ONCLUSION PAR T IPHANIE V ENNAT

l’idée de la mort. La question implicite que me posent certains petits patients est
souvent la même : « Suis-je mort ou suis-je bien vivant ? » Je les accompagne
alors à différents points du continuum vie/mort, quelque part entre un état de
vivant, de survivant et de cadavre. Nous repérons les patients dont le corps est
vivant comme Lucie, ceux qui luttent dans un corps survivant comme Sacha,
et ceux qui se décomposent sur le plan psychocorporel comme Amaury. Nous
l’avons vu chez Lucie, la vitalité était du côté de la tyrannie, de l’agitation et
du désir de faire seule. Sacha, quant à lui, tentait de survivre à la séparation au
prix d’intenses angoisses de perforation et de vidage. Enfin l’exemple d’Amaury,
parce qu’il a finalement succombé à un effondrement mélancolique et décom-
pensé dans la schizophrénie malgré l’intensité des suivis thérapeutiques, illustre
parfaitement la dimension mortifère de sa pathologie.
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Les situations les plus emblématiques de ce travail sont les suivis d’enfants
dont les histoires de vie sont marquées par des maltraitances précoces et répé-
tées ayant généré des vécus de mort imminente ou souffrant de pathologies
entraînant un sentiment discontinu d’exister.

La question sensible du référentiel théorique


!

Parce que l’intuition thérapeutique ne saurait suffire à être soignant, je m’appuie


sur un certain nombre de référentiels théoriques qui font sens pour moi dans
la situation clinique avec le patient. Ce serait mentir que d’affirmer que je n’ai
aucune préférence théorique a priori puisque j’ai développé auparavant des ana-
lyses qui trahissent une affinité analytique. Les patients souvent « hors lieu »,
comme nous avons pu le voir dans la problématique d’Abraham, nous poussent
à nous positionner c’est-à-dire à assumer un quelque part théorique qui aide à
penser. Mais cela ne veut pas dire qu’il faille radicaliser ou persévérer coûte que
coûte dans une posture extrémiste et dangereuse que je me refuse d’adopter.
Parce que s’il est naturel et sain de s’adosser à un référentiel théorique particulier,
cela ne doit pas nous fermer à l’intérêt des autres. Ce serait être dans la négation
de ce qui constitue l’essence même du métier de psychomotricien, qui rappelons-
le, est né d’une multiplicité de champs théoriques. L’idéal serait de pratiquer une
« psychomotricité hybride » dans un métissage intelligent des conceptions analy-
tiques, développementales, socioconstructivistes et cognitivo-comportementales.
Parce qu’envisager les différents champs théoriques susceptibles de nous aider
à mieux comprendre l’enfant autiste, c’est à l’image du kaléidoscope, tenter de
réarticuler les fragments mobiles de sa problématique.
Conclusion par Tiphanie Vennat 261

S’agissant de ma pratique professionnelle, je considère le savoir psychanalytique


comme un des nombreux appuis possibles pour penser l’enfant autiste, au même
titre que la phénoménologie psychiatrique ou les approches d’intégration senso-
rielle. J’ai fait ici le choix de développer un regard analytique parce que d’une
part, les situations cliniques présentées par mes co-auteurs s’y prêtaient, et
d’autre part parce que plusieurs aspects du champ psychanalytique me semblent
utiles à mon travail. Sans chercher à plaquer l’intégralité des concepts psy-
chanalytiques1 sur ma pratique professionnelle, dans une psychomotricité qui
viendrait confondre tapis de sol et divan, mon accompagnement est marqué
par la question du sens et la prise en compte de la dimension archaïque du
symptôme, ainsi que par une attention toute particulière portée à la relation
transféro-contre transférentielle avec le patient.
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Je considère en effet le symptôme dans sa fonction textuelle, c’est-à-dire comme
un signe à comprendre. Si je prends en compte le « comment », essayant d’ac-
compagner la façon dont le patient se présente, je m’intéresse toujours priori-
tairement à la question du « pourquoi ». Sans chercher une causalité fixée, je
questionne toujours les origines du symptôme, ce à quoi il répond. Je pars du
principe que parce que nous sommes tous des êtres en développement, ce que
nous sommes maintenant est toujours à comprendre dans ce que nous avons
été. C’est pour cette raison que l’anamnèse et les antécédents médicaux des
patients m’apparaissent essentiels à connaître. Non pour entretenir une vision
passéiste du patient mais pour donner du sens à ce qu’il donne à voir dans l’ici
et le maintenant de la séance.
Je suis également très sensible aux aspects archaïques de la problématique
autistique. J’entends par « archaïque » ce que Mijolla-Mellor définit comme
« l’incarnation des survivances, la répétition et l’actualisation d’un vécu fossile »
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

(2005). S’intéresser à la dimension archaïque de l’autisme, c’est considérer ce


qui est premier, à l’état d’ébauche ou d’informe et qui s’exprime souvent dans un
déchainement sans loi ou dans une logique dont nous n’avons pas toujours les
codes. Il nous faut donc accompagner et organiser ce qui est parfois pulsionnel
et brutal, venu d’un quelque part lointain à l’image des « matières fœtales »
(2005) dont parle l’auteur au sujet de l’une de ses patientes. Enfin les concepts
de transfert et de contre-transfert influencent particulièrement ma pratique
professionnelle comme j’ai pu l’évoquer précédemment en parlant du travail
des restes. Il me semble que le déplacement inconscient de certains affects

1. Il faut distinguer le savoir psychanalytique de la psychothérapie psychanalytique. De cette


dernière, les psychomotriciens, et c’est une bonne chose, ne sont pas spécialistes.
262 C ONCLUSION PAR T IPHANIE V ENNAT

en séance, parce qu’il prend forme dans le dialogue tonico-émotionnel, est


clairement à l’œuvre dans l’accompagnement psychomoteur.
Par ailleurs, parce qu’être thérapeute implique que nous assumions des fonctions
symboliques à la fois maternelles et paternelles (Lesage, 2006), nous encou-
rageons le transfert de certains enfants. Je me souviens d’une jeune fille qui
m’appelait spontanément « maman » dans les situations de portage au hamac
et d’un petit garçon qui rejouait avec moi la relation chaotique entre lui et son
père, recréant sa moustache avec une mèche de mes cheveux. Enfin nous ne
pouvons oublier le « transfert adhésif » tel que développé par Tustin (1986),
qui s’observe chez l’enfant autiste qui agit comme si le psychomotricien était
une part de lui-même dont il ne peut se séparer. Les fins de séance constituent
alors un moment particulier en ce qu’elles marquent l’inévitable séparation et
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désillusionnent l’enfant de son sentiment de fusion. Ces attitudes nous poussent
à un ajustement proxémique pouvant aller jusqu’à d’irrépressibles sentiments
de rejet particulièrement culpabilisants s’ils ne sont pas très vite élaborés. J’ai
en tête les conduites intrusives d’un petit garçon qui enfonçait sa tête dans
mon ventre pour me dire bonjour et ne pouvait s’engager dans le mouvement
sans se coller à moi. La prise en compte de cette identification adhésive et la
façon dont elle résonnait en moi ont permis de poursuivre son suivi dans une
dynamique lucide mais sereine.

C E QUE LA PRATIQUE DE LA DANSE CONTEMPORAINE


ENSEIGNE À LA PRATIQUE PSYCHOMOTRICE
AUPRÈS D ’ ENFANTS AUTISTES

L’épure
!

Loin de toute sophistication du mouvement, la danse contemporaine invite à


chercher la simplicité et l’essence du geste. Il est essentiel de le rappeler dans
la mesure où nous travaillons avec des patients en grande difficulté à réaliser
des gestes complexes. Épurer jusqu’à l’immobilité ou le silence, c’est d’une cer-
taine façon revenir au plus près de la réalité corporelle des patients. Le patient
sidéré, mutique et carapaçonné dans son tonus ne peut être invité à danser
dans une complexité de mouvements. Il s’agit au contraire de l’accompagner
depuis la simplicité d’une respiration, d’un dodelinement de la tête ou de tout
autre mouvement de grande discrétion. Car danser n’est pas nécessairement
produire de la visibilité par des mouvements ostentatoires ou virtuoses. Ce qui
Conclusion par Tiphanie Vennat 263

nous intéresse c’est la qualité de mouvement plutôt que sa quantité. La danse


peut être laconique et contenue dans l’exiguïté d’un mouvement de tête ou du
poignet. Ainsi les patients en situation de polyhandicap ou très âgés peuvent-ils
danser au même titre que les autres. Il est toujours très émouvant de réaliser
qu’un mouvement expressif est d’autant plus intense qu’il est condensé à un
petit espace corporel. Il m’est souvent arrivé d’être bouleversée par des patients
mettant le monde entier dans un tout petit mouvement.
Le travail de l’épure, c’est donc celui de la genèse, de l’essence et de l’origine
de tout mouvement. Je m’appuie également sur les travaux de Lecoq (1999),
qui identifient trois mouvements naturels de la vie qui président au mouvement
de la danse : l’ondulation, l’ondulation inverse et l’éclosion. L’ondulation est
en effet le premier mouvement du corps humain. À l’image des reptiles ou des
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poissons, la prise de l’appui dans le sol ou l’eau transmet l’effort à toutes les
autres parties du corps. L’ondulation inverse procède d’un mouvement contraire.
L’éclosion se développe quant à elle à partir du centre et rappelle le schème de
« radiation par le nombril » décrit par Bainbridge (2002).
Nous pouvons également partir des trois grandes directions de mouvement :
➙ le mouvement tirer/pousser de face qui est un mouvement de dialogue entre
le toi et le moi ;
➙ le mouvement vertical de nature dramatique et qui inscrit le patient quelque
part entre le ciel et la terre et mobilise le centre de légèreté du Sternum et le
centre de gravité du bassin ;
➙ et le mouvement oblique qui est lui de nature sentimentale, lyrique.

La polymorphie des corps


!
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Comparativement à l’uniformité des corps en danse classique, à l’image du


« corps groupal » du ballet, les corps de la danse contemporaine sont poly-
morphes, hybrides et métissés. Nous retrouvons cette grande variabilité dans
la clinique psychomotrice auprès de patients aux corps toujours particuliers.
Corps élancés, encombrés, charnus ou effondrés, en chacun d’eux la danse peut
naturellement s’inviter.

Le sol
!

Le sol est une des grandes données de la danse contemporaine. La pratique


psychomotrice auprès des patients autistes me confirme l’intérêt que je lui porte
264 C ONCLUSION PAR T IPHANIE V ENNAT

déjà dans mon vécu de danseuse. La dimension du sol est d’emblée présente
lorsqu’in utero, notre corps est soutenu par le plancher pelvien maternel. Il s’agit
là de notre premier sol, un sol originel qui sera prolongé par l’expérience de
l’accouchement qui littéralement nous amène à être couchés, posés à même le
sol. Il est ici intéressant de rappeler que le sol renvoie symboliquement à la
question du maternel à l’image de la roche-mère, sol nourricier où nous puisons
des forces pour grandir. Dans la continuité de l’idée du sol comme matière de
la terre, nous pouvons souligner que le sol désigne également les rapports à
notre propre culture. Nous nous enracinons toujours dans un sol géographique
et social, si bien qu’il prend une importance capitale dans le développement
de notre psychomotricité. L’histoire d’Abraham nous propose une lecture des
difficultés psychocorporelles de l’enfant sous l’angle de la perte du sol des suites
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d’une adoption et d’expatriations/séparations répétées.
Le sol, comme le rappelle Aristote, est notre aussi notre « lieu naturel ». L’homme
vient du sol et y retourne, « à tel point que naître, exister et mourir, est d’une
manière ou d’une autre, toujours une façon de décliner un éprouvé du sol »
(Pierron, 2003). L’existence entière est marquée par un sol travaillé ou rêvé. Il en
va de même pour chaque patient que nous accompagnons. La pratique soignante
est par définition concernée par la question du sol. Si nous reprenons l’étymolo-
gie de l’expression « clinique », nous voyons qu’il s’agit d’être au lit de patient.
C’est donc d’une certaine façon se situer dans un rapport au sol. Cela implique
également de travailler avec ce qui est un dérivé du sol, c’est-à-dire l’expérience
de la solitude. Chez les patients autistes, l’isolement sensoriel produit des effets
de solitude majeurs.
Heureusement, la pensée phénoménologique nous aide à penser le sol comme
une ligne d’horizon ouvrant sur un ailleurs toujours plus grand. Nous pouvons
donc considérer le sol comme un moyen pour le patient d’expérimenter cette
ouverture au monde.
Plus précisément, la physique du sol nous permet de comprendre à quel point il
est essentiel au développement psychomoteur. Pour commencer, nous pouvons
rappeler que le sol est une surface d’intense concrétude qui s’offre au bébé
comme un autre à contacter. Ainsi le bébé fait-il très tôt l’expérience d’épouser
le sol, de « l’embrasser », de le repousser ou de le ramener à soi. Il le dynamise
dans quelque chose qui rappelle la danse de couple, dans une forme pas de
deux originel. La grande variété de ces mouvements au sol permet à l’enfant
d’élargir considérablement son répertoire moteur, avec ce que Louppe (2004)
considère comme des « qualités de mouvements exceptionnelles ».
Conclusion par Tiphanie Vennat 265

Nous invitons également le patient à expérimenter la question du sol lorsque


nous mettons en place un travail de contenance. En proposant à l’enfant de
s’appuyer sur notre regard, sur notre corps ou sur notre parole, nous lui offrons
des sols à explorer.
Enfin il m’apparaît important de rappeler que, si pour beaucoup de patients, le
sol offre des appuis certains et une surface sur laquelle se construire en sécurité,
il peut également être redouté. Car le sol est aussi le lieu de la dépression et
de la chute. Car « parfois les appuis se dérobent à l’abandon, d’où le drame »
(Louppe, 2004). Parce qu’il est le lieu du gésir, il peut également être chargé
d’une dimension mortifère. Combien d’enfants peinent à s’allonger au sol, ou,
quand ils y parviennent, verbalisent des angoisses de mort massives ? Un petit
garçon me disait un jour, alors que je l’aidais à s’installer sur son tapis de
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relaxation : « Dis, est-ce que je vais être comme dans la tombe ? »
Ceci me laisse penser que le travail psychomoteur mobilise également ce qui est
en dessous du sol, c’est-à-dire ce qui relève de la dimension cachée, inconsciente
et intime de l’expérience vécue du patient. Il nous faut donc être attentifs à la
partie souterraine de la psychomotricité de l’enfant et aller sonder ce qui est à
l’ombre de certaines évidences. À l’instar du travail analytique défini par Freud
en termes de « fouilles archéologiques », le psychomotricien doit pouvoir révéler
ce qui se situe en deçà du sol, les éléments fossiles du vécu psychocorporel du
patient.
Pour conclure les enjeux du travail du sol, je dirais que si je conçois la pratique
psychomotrice comme un sol par nature espace de naissance et de liberté, je ne
peux oublier qu’elle est aussi soumise à un « sol inversé » : le plafond. Parce
que nous ne sommes pas tout-puissants, notre pratique professionnelle bute
toujours contre certaines limites indiscutables. Ainsi atteignons-nous parfois le
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maximum de ce que nous pouvons donner au patient. Nous côtoyons le doulou-


reux sentiment de « plafonner ». Cette limite est essentielle car elle construit
l’humilité et relativise le travail soignant.
Par ailleurs, certains patients autistes s’intéressent physiquement au plafond.
Ils le fixent du regard et cherchent à l’atteindre en sautant, grimpant sur le
mobilier de la salle ou en lançant des objets dans sa direction. J’imagine qu’il
s’agit peut-être là de prendre la mesure de l’espace depuis un sol qu’on peut
sentir jusqu’à un autre qu’on peut seulement approcher.
266 C ONCLUSION PAR T IPHANIE V ENNAT

Le principe chorégraphique de la répétition


!

La danse contemporaine propose une entrée dans le mouvement par la puissance


de la répétition. Or la fonction de répétition m’apparaît importante à plusieurs
titres dans le travail psychomoteur auprès d’enfants autistes. D’une part parce
qu’elle est un facteur d’apprentissage bien connu de la psychologie du déve-
loppement et d’autre part parce qu’elle renforce certains besoins naturels chez
l’enfant autiste. En effet, la répétition du mouvement dansé répond au besoin de
permanence que nous repérons classiquement dans les rituels, les persévérations
ou certaines conduites d’écho (écholalie, échopraxie, échomimie). Elle garantit
également un sentiment continu d’exister. La répétition du mouvement agit par
ailleurs comme un bercement et une rythmique qui donne à l’enfant la sensa-
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tion kinesthésique de contenance. Enfin elle permet de construire la mémoire
corporelle des mouvements ainsi explorés.

L’improvisation et la composition
!

La danse contemporaine accorde une large place à la pratique de l’improvisation


qui sert souvent de point de départ à la composition chorégraphique. Cet élément
me paraît susceptible d’inspirer la pratique psychomotrice pour plusieurs raisons.
La première, c’est que l’improvisation associée à la composition renvoie à la
question de la liberté et du cadre. Nous sommes tous confrontés à la complexité
de composer avec l’idée de laisser le patient libre de s’exprimer tel qu’il se
ressent et les exigences du cadre thérapeutique qui doivent permettre au patient
de structurer et d’organiser son rapport au corps. Il nous faut donc trouver un
juste équilibre entre libérer et contenir, évanouir et créer, laisser aller et donner
une direction, décharger et structurer, etc.
La deuxième, c’est que l’improvisation est à juste titre souvent appréhendée par
les thérapeutes. Il est vrai qu’improviser c’est accepter un état de perdition et
de lâcher quelque chose sans être totalement sûr de pouvoir le retrouver. C’est
donc à nous qu’il importe d’accueillir et de réfléchir au patient ce qui est ainsi
jeté dans l’espace de la danse. Mais improviser, c’est aussi se dénuder, démasquer
le faux-self en costume, cette enveloppe trompe-l’œil qui protège du regard de
l’autre. Nous comprenons donc pourquoi l’improvisation est à penser avec de
grandes précautions auprès des enfants autistes. Cependant, laisser le patient
improviser, c’est placer sa confiance de soignant dans le rêve, l’imaginaire et la
richesse de l’imprévu plutôt que sur l’autoritarisme d’une partition rigide entre
celui qui sait danser et celui qui ignore. Composer strictement une danse pour
l’enfant autiste, c’est se priver de grandes découvertes mutuelles. Car si le cadre
Conclusion par Tiphanie Vennat 267

de l’improvisation est suffisamment contenant, il permet au patient qui s’en


sent capable de supporter d’intenses retrouvailles avec ce qu’il est, de prendre
la mesure de lui-même et de se laisser rencontrer.

L E MOT EN PSYCHOMOTRICITÉ

« Je cherche à combattre un mal inlassable, par deux mains tendres sur un front
illusoire. Mes armes sont des avions de papiers, chaque fois crashés sur les toits
d’immeubles de paradis. » (Vennat, 2018)
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Puisqu’il faut ici conclure cette expérience d’ouvrage collectif sur le thème de
l’enfant autiste et de son corps, je dirais que ce travail d’écriture a été riche à
plusieurs titres. Pour commencer, je dirais que ce projet a permis une certaine
clarification, qu’il s’agisse de clarifier la richesse de la pratique psychomotrice
ou le fonctionnement particulier des patients autistes. Cela est essentiel dans la
mesure où nous travaillons souvent avec ce qui est obscur, flou, caché, complexe
et crépusculaire. Parce que soigner demande de pouvoir s’extraire du nébuleux
de la pathologie afin d’éclairer le paysage intérieur des patients. Et à l’image de
ce qu’évoquait Lucien Hounkpatin au cours d’une des réunions de supervision
organisées par mon institution, espérer qu’émerge alors chez le patient quelque
chose de lumineux, une possibilité de sublimer.
Dans la même logique, l’écriture de ce livre a demandé à tous un effort d’explici-
tation de la pratique. Défi de taille si l’on considère la pratique psychomotrice
comme une pratique de l’implicite, c’est-à-dire littéralement « pliée à l’intérieur
d’elle-même », prise au cœur du non verbal du corps, cela d’autant plus fortement
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auprès de patients autistes. Ecrire la psychomotricité demande alors de se déplier


et par là même de prendre une certaine distance avec son sujet. Si les mots sont
toujours un peu défaillants pour décrire une émotion toute neuve, il me semble
que cet exercice est essentiel au travail du psychomotricien pour qu’il soit mieux
compris des patients, des aidants familiaux et des collègues de travail.
Autre enseignement de cette expérience d’écriture, celui de la possibilité d’éla-
borer une clinique psychomotrice dans l’a posteriori. C’est une nouvelle fois un
changement radical de posture puisqu’il me semble avoir davantage été formée
aux principes de l’antériorité : anticipation des risques, prérequis de développe-
ment, précautions thérapeutiques, prise en compte des besoins d’anticipation
de certains patients autistes pour lesquels nous devons rendre certaines choses
prévisibles et projets thérapeutiques formulés avant toute dynamique de prise
268 C ONCLUSION PAR T IPHANIE V ENNAT

en charge. Penser a posteriori et donner du sens dans l’après-coup de la situation


clinique peut donner le sentiment d’une pensée clinique retardataire et pares-
seuse. Or il m’est apparu, à l’écriture de ce livre, qu’il m’était dans certains cas
plus facile d’élaborer ma pratique psychomotrice dans un léger différé. Après le
moment vécu. Cette observation est peut-être un garde-fou pour ne pas tomber
dans le piège d’une clinique psychomotrice précipitée et hyperactive.
Un autre point concerne l’intérêt d’écrire avec des psychomotriciens aux « styles
professionnels » différents. Nous avons fait le pari d’une écriture qui croise nos
différents points de vue, regards qui, sans confusion ni exclusion, donnent à
lire des approches distinctes et complémentaires. Ceci m’évoque le concept de
polyphonie développé par Tosquelles :
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« Comment chacun des membres de l’équipe, tout en chantant sa ligne mélodique
non superposable à celle des autres, chante cependant la même partition. » (Delion,
1990)

Enfin cet ouvrage collectif est un appel à faire hésiter les territoires trop défi-
nis. Nous avons essayé de montrer qu’il est possible de pénétrer le monde de
l’autisme en assumant la différence de nos cultures thérapeutiques, en croisant
nos chemins, en réalisant la perméabilité de nos frontières théorico-cliniques,
en trouvant des lieux communs où faire consensus et en réalisant avec humilité
l’immensité des terres encore inconnues.
Conclusion par Sylvie Gadesaude
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Spécificité de la médiation jeu en psychomotricité
auprès des enfants avec autisme

J’ai retrouvé dans nos écritures croisées le plaisir des échanges des séances de
supervision en groupes de psychomotricité appelées maintenant analyses des
pratiques professionnelles. Les « APP » nécessitent d’exposer un cas clinique en
détaillant notre prise en charge et en laissant venir des émotions et des détails
factuels qui nous reviennent au fur et à mesure. Notre approche personnelle
s’enrichit de l’écoute des autres. C’est également notre champ de travail en
psychomotricité qui a été appréhendé en ce qu’il est bâti sur des fondements
théoriques qui permettent de comprendre la clinique et orientent le choix des
outils thérapeutiques développés au quotidien.
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U NE APPROCHE DÉVELOPPEMENTALE COMMUNE


ENTRE PSYCHOMOTRICITÉ ET AUTISME

Une approche épistémologique commune


!

L’écriture commune donne une vision complexe et multiple de nos approches en


psychomotricité et des enfants avec autisme. Ce qui au fond n’est pas si éton-
nant si l’on admet que l’approche globale de la psychomotricité nous convoque
toujours du début jusqu’à la fin, du bébé jusqu’à la personne âgée, du symptôme
jusqu’au projet thérapeutique et de la première rencontre jusqu’à la fin de la
270 C ONCLUSION PAR S YLVIE G ADESAUDE

prise en charge à la globalité et donc à la complexité du patient qui le rend si


singulier et si unique. C’est ici que Soubiran (1974) nous dit :
« Les apports de la neurologie, de la psychanalyse et de la phénoménologie malgré
la diversité des sources ont amplement montré que le développement du corps
obéit à un processus dynamique perpétuel. »

Le processus maturationnel de de Ajurriaguerra (1980)


!

et le processus autistisant d’Hochmann (2007)

Pour Ajuriaguerra :
« Le développement de l’enfant dépend de l’hérédité, de l’environnement, de la
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coexistence de l’hérédité, de l’environnement et de l’activité de l’enfant [...] L’en-
fant dans son évolution est à la fois mécanique et créateur, son soma est prêt à
recevoir et cette masse ordonnée se prépare et est enfin prête à fonctionner d’une
manière automatique et réactive. Elle est vivante mais ne devient créatrice qu’en
créant son propre fonctionnement. »

Ce que développe Bullinger sous les angles de l’instrumentation et de la consom-


mation.
Joly (2007) modélise cette approche avec le « bébé psychomoteur » :
« Le bébé psychomoteur [...] c’est une perspective du développement qui réinter-
roge les trois temps de la structure (ou de l’équipement inné), de l’organisation
prise dans [...] l’émergence des différentes fonctions, et à un moment donné
quelconque du développement, le fonctionnement de ces fonctions. »

Il développe sur ce troisième point autant la position de de Ajurriaguerra que


celle de Bergès (1985) : un fonctionnement coloré d’investissements pulsionnel,
d’affects, d’enjeux historiques et évènementiels, soumis aux enjeux relationnels
et affectifs de la relation à l’autre.
Les neurosciences ont permis de relever d’éventuels dysfonctionnements à l’ori-
gine des troubles autistiques. Hochmann imagine alors ce qu’il appelle les
« processus autistisant » reliés à ces dysfonctionnements en faisant l’hypothèse
que le bébé à risque autistique serait privé des réseaux habituellement utilisés
et utilisables dans son environnement pour avoir de l’aide ou les utiliserait à
contresens.
Conclusion par Sylvie Gadesaude 271

Une approche psycho-pathologique pour rendre compte de


!

dysfonctionnements dont l’expression est corporelle


ou relationnelle.

Hochmann (2010) rappelle que la perspective commune aux deux médecins qui
ont inventé le concept de l’autisme, Kanner et Asperger n’était pas guidée par la
psychanalyse mais plutôt par un point de vue psychopathologique :
« Tous deux décrivent un processus selon lequel les symptômes ne sont pas seule-
ment l’expression d’une lésion ou d’un dysfonctionnement subis passivement mais
s’intègrent dans un tableau complexe où ils prennent, pour un sujet, valeur de
mécanismes d’adaptation ou de défense. »

Cette approche psychopathologique résonne en cohérence avec l’approche psy-


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chomotrice de la personne humaine en ce qu’elle dessine pour chaque individu,
une figure triangulaire avec 3 pôles : affectif, cognitif et neuro-sensorimoteur.
Lorsque ce triangle est équilatéral, il traduit une bonne maturation neuromo-
trice et une instrumentation de qualité, toutes deux liées au schéma corporel,
adéquates pour explorer le monde des personnes et des objets, sources de
connaissance et pourvoyeuses d’émotions et d’affects en rapport avec le niveau
de traitement cognitif de l’expérience. Les pathologies qui affectent le déve-
loppement de l’enfant trouvent des entrées par ces trois points principaux.
Les réactions de prestance et de contenance peuvent être considérées comme
des mécanismes de défense corporelle, parfois handicapant pour l’adaptation
émotionnelle du sujet. Les syncinésies liées à la maturation sont aussi en lien
avec les émotions. L’adaptation gestuelle et les qualités attentionnelles du sujet
s’en trouvent perturbées.
On retrouve ici des points communs avec l’autisme du point de vue des entrées
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organique, cognitive et affective et des mécanismes d’adaptation à travers les


signes cliniques tels que l’immaturité cérébrale, les difficultés de cohérence glo-
bale, la théorie de l’esprit, les angoisses archaïques et les tentatives d’adaptation
à travers une étrange manière d’habiter son corps.

U NE RÉALITÉ CLINIQUE : IL N ’ Y A PAS UN MAIS


DES ENFANTS AUTISTES (G OLSE , 2013)

Un stage en néonatologie m’a plongée dans l’univers de l’enfant prématuré, son


immaturité, le devenir des interactions du départ et la détresse des familles face
à la fragilité de leur enfant. J’ai perçu des agrippements à la lumière. J’ai eu du
272 C ONCLUSION PAR S YLVIE G ADESAUDE

mal à supporter la vue de certains tant ils étaient petits et disproportionnés.


J’étais sur mes gardes, attentive à tous les jets sensoriels possibles et les vivant
comme une menace et source de souffrance possible.
Dans le cadre de « groupes de parole », animée par un(e) psychomotricien où
nous réfléchissons au cadre de nos stages, j’ai compris que mon état « de stress »
était dû à un mécanisme d’identification, sans doute de fragilité et d’impuissance
mais que je pouvais travailler avec ces ressentis dans l’intérêt même des bébés
et des mamans. J’ai donc accueilli ces émotions : en voyant la transparence des
peaux, j’ai compris leur hypersensibilité. J’ai souvent eu envie de les couvrir
car ils étaient juste habillés d’une couche. Je me suis résignée car c’était mieux
pour les soins et si paisible dans les moments de peau à peau sous le pull de
leurs parents. J’ai été agacée par un fil qui se coinçait entre de petits doigts
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malhabiles à s’en débarrasser. J’ai été contrariée de voir le même bébé porter
des moufles, cette protection représentant pour moi une camisole de force. J’ai
entendu une infirmière s’adresser à l’enfant si petit d’une voix douce pour lui dire
qu’elle était bien ennuyée de lui infliger ces affreuses mitaines mais qu’il faisait
trop de bêtises avec les fils. J’ai compris l’importance du parler, de l’entendre
aussi pour la maman, pour attendre patiemment que ça passe en ayant attribué
des pensées à son enfant. J’ai ressenti la peur de faire mal ou de briser un os
par excès de force et j’ai compris l’appréhension des mamans pour prendre leur
bébé dans leur bras. J’ai attendu en silence que la couleur de la peau redevienne
normale. J’ai craint de contaminer tout simplement en respirant le même air !
Et j’étais sensibilisée aux tout petits signes, au regard de la mère, à la tonalité
adoucie de sa voix, attendrie par sa capacité à maintenir éveillé son enfant un
petit temps après le biberon en lui réclamant un petit sourire, à lui parler bien
qu’il garde les yeux fermés et par sa manière de lui toucher les doigts en même
temps. J’ai pris conscience du langage infra-verbal et de sa force de persuasion.
Dans le même temps, un stage en internat thérapeutique me confrontait à la
pathologie autistique avec des enfants très handicapés hospitalisés. Certains
n’étaient toujours pas propres à 10 ans. D’autres ne parlaient pas. Ces enfants
m’ont orientée vers les apports théoriques de Haag et de Tustin et leurs approches
psychanalytiques de la sensorialité en ce qu’elles attribuent aux manifestations
corporelles des enfants autistes (stéréotypies, intérêts restreints) des tentatives
pour rester en contact avec la réalité extérieure malgré des angoisses archaïques
terrifiantes et cependant trop fortes pour être compatibles avec l’adaptation.
J’adopte d’autant plus facilement cette vision qu’elle donne au patient autiste
un vrai statut de sujet.
Conclusion par Sylvie Gadesaude 273

Les comprendre amenait à lire tout ce qui traitait de la différenciation soi-non


soi ; M.-F. Livoir-Petersen (2008) conjugue l’apport de Bullinger sur les tout
premiers objets de connaissance avec les propositions de Freud (1986), par
exemple : les premiers objets mentaux sont des traces cérébrales d’expériences
sensitives qui correspondent aux objets du milieu dont un, un jour, acquiert
une importance particulière, c’est l’objet soi ou moi par lequel l’enfant peut
finalement se désigner lui-même comme objet du milieu.
Ajuriaguerra (1980) s’est beaucoup intéressé à la peau et au toucher. Il puise
dans des références développementales (Montagu), éthologiques (Bowlby), ou
psychanalytiques (Bick, Anzieu). Je découvre à quel point on peut entrer en
relation avec un enfant autiste par la médiation du toucher thérapeutique qui
n’est pas simple toucher puisque nous avons en tête d’aider ces enfants à une
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prise de conscience de leur corps globale et unifiée grâce à la conjugaison de
plusieurs facteurs perceptifs.
Nous insistons à travers le toucher sur l’importance du regard et sur le rythme de
nos contacts sur le mode « là/pas là ». Nous portons une attention particulière
aux articulations vécues parfois comme une cassure chez certains enfants, à la
continuité et à la forme prise par les différents segments du corps qui lui donnent
autant de formes différentes. Les mouvements d’ouverture et de fermeture en
particulier, les bras collés au buste et puis qui se décollent du buste en laissant
apparaître un trou.
Le plaisir de tous les enfants pour les comptines mimées n’est-il pas de voir
le corps de celui qui chante se faire et se défaire sous l’effet des gestes, des
mains surtout et de l’intensité du regard et de la bouche qui se déforme ? Et
bien sûr, nous verbalisons nos actions. Nous décrivons les objets. Nous trouvons
dans notre pratique quotidienne, par la médiation du toucher, une des voies
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d’accès à la symbolisation qui est aussi l’objet de la pratique psychanalytique.


Pour autant, cet accès à la symbolisation ne se fait pas par le même processus
puisque nous utilisons la médiation corporelle.
Plus tard, en débutant en tant que psychomotricienne dans un externat médico-
pédagogique, j’ai pris conscience de l’éventail de la pathologie autistique. Ces
enfants étaient en capacité d’apprendre.
Il y avait aussi des enfants avec des entrées plus organiques, des charges géné-
tiques comme le syndrome de l’X fragile par exemple ou des enfants avec des
retards psychomoteurs tels qu’ils vivaient dans un monde inorganisé avec les
mêmes mécanismes de défense « archaïques » pour s’adapter au quotidien.
274 C ONCLUSION PAR S YLVIE G ADESAUDE

Mon projet a évolué en articulation avec le projet d’établissement et s’est porté


vers les explorations et leurs transformations en matières psychiques et symbo-
liques. Ce travail en psychomotricité est peut-être plus proche des principes de
base des approches en psychomotricité :
« La pertinence de la médiation corporelle dans le travail clinique auprès des
enfants autistes s’appuie essentiellement sur deux idées : la première consiste à
dire que l’observation détaillée des manifestations corporelles renseigne quant à la
vie émotionnelle et subjective et notamment quant aux éléments non symbolisés
de la situation observée ; la deuxième idée, corrélative à la première consiste à
dire que l’acte est la première modalité de symbolisation et que la mise en jeu du
corps est une voie d’appropriation des expériences non symbolisées. » (Contant et
Calza, 1993)
Bullinger décrit les processus d’apprentissage qui orientent mes prises en charge.
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Il définit l’activité cognitive comme la capacité d’extraire de l’interaction entre
l’organisme et son milieu un ensemble de régularités qui vont permettre de
s’approprier une certaine connaissance de ce milieu. Je retiens en particulier ce
point : dès que les coordinations opèrent, un espace habité par un corps et des
objets devient matériel et réel.
Or, bon nombre des enfants ont des syncinésies qui provoquent raideurs, brusque-
ries, instabilités posturales et difficultés attentionnelles. Associées aux troubles
du schéma corporel, des difficultés de coordinations et une lenteur d’exécution
en découlent. Il faudrait neutraliser les anciennes habitudes pour en retenir
de nouvelles. Je procède alors en changeant le milieu : piscine, équithérapie,
stade ou tout espace large, pour multiplier les expériences, varier les gradients
de différence peut-être pour mettre plus facilement leur corps en déséquilibre
et les pousser au mouvement. Avec un collègue éducateur, nous reprenons les
items de base par des parcours psychomoteurs. Encouragés par notre direction,
nous organisons avec d’autres institutions de la région, des Olympiades, qui
nous étonneront car nous découvrirons alors comme les enfants peuvent avoir
accès à la notion de compétition et donc d’altérité.
Avec une collègue orthophoniste, nous animons des ateliers conte et mimes.
Mimer, c’est reproduire ce qu’on a appris sur le corps de l’autre. Il faut trouver un
geste qui exprime (pour l’acteur) et comprendre la signification du geste. Nous
sommes dans le maniement des symboles sociaux par l’entremise du corps et de
ses schémas posturaux.
En séance individuelle, Tustin (1986) me fournit un fil rouge à développer et à
inventer avec mon regard de psychomotricienne :
« Les formes primitives sont des constellations de sensations. Dans le développe-
ment normal, ces formes et ces sensations s’associent progressivement aux objets
Conclusion par Sylvie Gadesaude 275

réels du monde extérieur, à commencer probablement par le sein. C’est cette


transformation des sensations en structures conceptuelles et perceptives [...] qui
est entravée chez les enfants autistes parce qu’ils n’ont pas de transactions avec
le monde extérieur. »

Le jeu sera mon support de transactions basé sur les émotions. J’ai déjà parlé de
Bruno, un jeune autiste de l’EMP qui jouait à me faire respirer des pâtes à modeler.
Il fallait trouver un mot à associer à cette sensation. Bruno jubilait aussi de
découvrir son pouvoir juste grâce à ce petit mouvement tout simple d’aller-retour
entre sa main et mon nez pour provoquer des mouvements d’expression dans
mon corps. Ce faisant, il créait peut-être une matière impalpable entre nous
deux, une émotion qui rebondit de l’un à l’autre et qui devient compréhension
des états d’autrui. Puis complicité ?
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J’ai découvert les mécanismes de clivage, le rapport à l’espace et au temps
déformé, les différentes formes possibles de l’immuabilité, l’étrangeté de « l’autre
pathologique » et la fragilité aussi de cette matière corporelle en manque d’une
structure stable (Houzel 2010).
C’était ce système stable qui manquait à Thomas en équithérapie. Nous avions
l’habitude de travailler avec un petit poney alezan du nom de D’Artagnan. D’Ar-
tagnan, un jour, était parti pour les championnats de France. C’est Gitane, toute
noire, qui l’a remplacé. Thomas a demandé pourquoi D’Artagnan avait changé
de couleur. Ou bien Kylian qui protestait quand on lui faisait remarquer qu’il
avait déjà fait la même bêtise la veille : « Hier, c’est hier, aujourd’hui, c’est
aujourd’hui. » Effaçant dans le même temps l’idée d’une continuité d’existence.
Puis j’ai commencé l’activité libérale qui me rappelle l’hétérogénéité de la matu-
ration de chaque enfant qui grandit à son rythme et vient confirmer l’hypothèse
de départ d’Ajuriaguerra sur le rôle de l’environnement et des expériences. Comme
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

la limite paraît ténue et facile à franchir dans un sens comme dans l’autre entre
normal et pathologique !
C’est à cette époque que le DSM a introduit la notion de « troubles du spectre
autistique ». En 2012, les CEDA (centre d’évaluation diagnostique autisme) se
multiplient. Les enfants me sont parfois adressés par un service hospitalier avec
un diagnostic. Les choses sont dites, on peut travailler autour de la mobilisation
de l’enfant pour diminuer les symptômes. Mais ce n’est pas toujours le cas et,
souvent, les familles viennent d’abord pour avis sur indication de la crèche ou
de l’école. Les centres référents autismes sont seuls habilités à poser le diag-
nostic d’autisme mais adresser un enfant vers un « expert » du développement
de l’enfant, psychiatre, CAMSP ou pédiatre n’est jamais innocent et tous les
protagonistes le savent, le psychomotricien comme les parents.
276 C ONCLUSION PAR S YLVIE G ADESAUDE

La suspicion de la révélation de cette pathologie pèse lourdement au moment


de la rencontre avec l’enfant. Le risque majeur est de provoquer l’évitement et
la fuite de la famille par crainte d’un diagnostic lourd. Certains pourront ne pas
revenir. D’autres, au contraire, reviendront mais avec la difficulté d’entendre le
conseil que je leur prodigue : prendre un avis médical d’expert mettant en sursis
le diagnostic et le plaçant entre les mains de l’avancement de la prise en charge
en psychomotricité. Nous sommes nombreux, partenaires autour de l’enfant, à
vivre ces moments lourds et douloureux. Le réseau professionnel est primordial
pour travailler dans de bonnes conditions.
Je propose aussi des groupes d’enfants autistes avec un professeur d’éducation
physique de collège et un(e) stagiaire en psychomotricité. Les activités sont
tournées essentiellement sur l’investissement de l’espace, avec les coordinations,
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escalade, course, équilibre et jeux de balles. L’investissement de l’espace corporel
à travers des propositions de jeux de lutte. Au début Étienne, 8 ans, sautillait et
faisait de grands allers-retours dans le parc avant de rejoindre le groupe. Il se
battait contre des robots. On le sentait pris dans un contexte qui nous échappait.
Si on observe un enfant de 4 ans qui joue tout seul et qui s’invente des scénarios
de « bagarre », la différence reste infime car il a les mêmes gestes. Pourtant
son rapport au monde extérieur et son réseau perceptif sont immédiats. Nous
sommes en connexion.
L’idée piagétienne que toute expérience matériellement exécutée est susceptible
de s’intérioriser ensuite en expérience imaginée et permet d’anticiper et de
représenter se heurte ici à la structuration autistique.
Le professeur d’éducation physique a l’habitude de commenter la réalisation du
mouvement pour faire des liens entre le « dit » et le « réalisé ». Cette boucle
réflexive échappe à l’enfant autiste. Cependant, exprimer le plaisir corporel au
moment de l’activité est une construction possible qui ouvre la voie aux partages
d’émotions et aux revendications pour choisir une activité plutôt qu’une autre.

J OUER AVEC LES ENFANTS AUTISTES ,


UN TRAVAIL D ’ INCARNATION

Je choisis le jeu spontané avec les enfants autistes. L’enfant y est libre dans sa
motricité. Il correspond au double niveau corporel et interactif des premières
interactions entre le bébé et sa mère. Potel (2010) transpose sur le plan pratique
la fameuse formule d’Ajuriaguerra : « Mon corps n’est rien sans le corps de
l’autre. »
Conclusion par Sylvie Gadesaude 277

« Le psychomotricien, dans sa pratique comme dans sa réflexion part du corps


de l’enfant, de sa motricité, de sa tonicité, de son implication personnelle et de
l’inscription du corps dans l’espace. Dans ce dispositif théorique, il intègre son
propre corps, son propre investissement spatial, ses propres mouvements, sa propre
tonicité et ses propres ressentis et éprouvés corporels. »

Le dispositif de la séance de psychomotricité est une situation de face-à-face


où la place du regard avait déjà été analysée par Soubiran (1974) :
« L’expérience du regard, d’après Scheler, constitue l’expérience fondamentale de
l’altérité. Par le regard je comprends l’expression sur le visage qui est en face de
moi [...] Le sourire serait davantage un geste, un passage à l’acte pour répondre
aux sollicitations alentours. Nous voyons dans ce phénomène la constante de
l’évolution psychomotrice : assimilation et réponse. »
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Rencontrer l’enfant autiste devient une mise en scène particulière mais authen-
tiquement « polysensorielle » où sont aussi convoqués pare-excitation et non
effraction. Il s’agit d’une prise de contact par l’espace dans un jeu de distance,
d’approche et de dosage de la durée des regards, des mouvements et du contact
par le toucher ou par les sons. Il s’agit de communiquer avec les mouvements
du visage ou avec la forme de la bouche, des jeux de mains, des postures ou un
contact tactile.
Ajuriaguerra (in Joly, F., Labes, G., 2008) dans son étude sur les comportements
de tendresse décrit le fonctionnement du regard qui évolue dans le temps :
« Souvent le regard happe le regard de l’autre qui peut être d’emblée aimanté :
le regard suce, palpite en un jeu d’interrelations. Le sujet se sentira plus à l’aise
lorsque la fixation deviendra réversible, déplaçable, et comparative, lorsque dans
l’affection – lutte qui se créera au cours de la vie, s’établiront des inter-échanges
dans lesquels les contrôles et l’intentionnalité seront sauvegardés. »
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

L’enfant autiste a besoin de cette sécurité dans la réversibilité. N’est-ce pas cela
aussi que nous transmettent tous les enfants lorsqu’ils cachent leurs yeux avec
leurs mains. Nous improvisons des jeux de coucous-cachés, jeux de tout-petits
auxquels les enfants autistes n’ont pas eu accès.
À partir de ce premier accrochage du regard, qui peut prendre plusieurs séances,
comment définir les relations qui s’installent ? Il me semble que d’emblée, je
suis projetée dans le mécanisme de l’Expérience décrite par Bullinger (2004) :
« Une Expérience est la perception d’un écart [...] L’activité de perception peut
être comparée à un phénomène de capture, de saisie ou de mise en correspondance
sur la base du rapprochement. »

Pour ma part, je tente de saisir ce qui est différent dans le contact avec les
enfants que je reçois habituellement. Cette activité de perception est décrite
278 C ONCLUSION PAR S YLVIE G ADESAUDE

dans le manuel de psychomotricité de Soubiran (1974) comme un processus dans


le développement psychomoteur conditionnée par l’investissement du sujet et
qui donnera lieu au phénomène d’imitations.
De là, il m’arrive souvent effectivement d’imiter l’enfant pour saisir quelque
chose de sa motricité. Soubiran rappelle que l’imitation semble être une épreuve,
un test auquel l’enfant soumet son corps. Wallon (1993) précise : « L’imita-
tion d’autrui peut être envisagée sous l’angle d’une véritable imprégnation
posturale. »
Pour comprendre l’enfant autiste, le détour par une certaine imprégnation est
intéressant. C’est ce que je fais avec Arthur et son jeu des petites pièces ou avec
Hugo et sa maison.
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Jouer, c’est alors accepter de laisser venir, dans la rencontre avec l’autre, le jeu
potentiel des perceptions dans une suspension de représentations en se laissant
imprégner par le mouvement de l’autre pour envisager une autre représentation
possible. C’est laisser revenir à la surface de notre psyché, des souvenirs enfouis
de perceptions, de sensations, de sursauts de plaisir ou de terreurs. Avec des
enfants faiblement handicapés, cela peut ressembler à de la poésie. Avec d’autres,
cela s’apparente à des vécus terrifiants d’anéantissements.
Les études de psychomotricité comportent, la première année surtout, un large
éventail de pratiques corporelles. Cette formation académique va consister à
verbaliser et comprendre ce qui se joue dans la réalisation d’un mouvement,
d’un apprentissage ou d’un temps seul avec soi-même après, par exemple, une
mobilisation de relaxation. Pour comprendre et analyser les éprouvés corporels et
les émotions qui s’y attachent. C’est un véritable travail d’introspection qui nous
plonge en deçà du verbal et qui nous permet de remettre à jour de premières
représentations. Ce faisant, l’étudiant est sensibilisé au rôle d’un autre qui
écoute, accueille, compare et partage. Soubiran avait déjà souligné à l’époque
l’implication des étudiants en psychomotricité :
« Ce cycle d’entraînement personnel en formation didactique, formule spécifique de
notre méthode, n’est pas sans évoquer sous certains aspects l’expérience didactique
vécue sur le divan en psychanalyse ou les autres modalités de traitement psycho-
thérapeutique. Cette investigation [...] consiste à faire passer la psychomotricité
sur le plan d’un vécu corporel et ressenti, afin que les connaissances théoriques
ne restent pas lettre morte mais s’actualisent dans un savoir vivant. »

Je pense aux prises en charge d’un jeune autiste de 8 ans sans langage que je
vois en libéral. Au début, il se balançait toujours. J’ai eu envie de commencer un
jeu de balançoire en chantant « bateau sur l’eau » en pratiquant des pressions
sur ses bras au rythme des rimes. Nous avons fini par trouver « notre rythmicité
Conclusion par Sylvie Gadesaude 279

intrinsèque » sur de petits bouts de secondes, ce qui a occasionné la fermeture


des yeux de l’enfant. Peut-être en retour d’une émotion trop forte. En variant les
pressions et en introduisant des suspensions, il est « revenu ». Ce qui m’a guidée,
c’était tout un jeu de tempos de base, enfoui au plus profond de moi, que j’ai
retrouvé entre pratique, clinique et théorie. C’est ce qui donne la possibilité
d’avoir accès ensuite à ce que Potel (2015) appelle le contre-transfert corporel,
ou à ce que Lauras-Petit (2012), appelle l’échoïsation des éprouvés et qui nous
tire vers les débuts de symbolisation.
Potel (2003) écrit que le premier outil du psychomotricien est la connaissance
qu’il a de lui-même : « Une connaissance sensorielle, “psychomotrice”, une
connaissance avertie et pensée pour servir ses projets thérapeutiques. »
Cette connaissance avertie et pensée permet le travail de mise à distance indis-
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pensable des éprouvés corporels, saisis et captés par l’effet d’imprégnation
corporelle pour les représenter en éléments compris et symbolisables dans le jeu
réel de l’ici et maintenant de la séance de psychomotricité.

B ILAN

Soulayrol (2003), faisant l’inventaire des moyens thérapeutiques de la prise en


charge en psychomotricité disait :
« Elles m’ont paru de loin les plus fécondes sur le plan heuristique et les plus
encourageantes sur le plan des résultats. Elles partent de l’hypothèse que toute
fonction symbolique n’est pas totalement absente de l’organisation psychomotrice
de l’enfant autistique (reconnaissance des gestes à valeur symbolique) à condition
de savoir aller la chercher, c’est-à-dire en utilisant les compétences qu’il nous
montre sur le plan du toucher (le dos), de l’odorat, de la proprioceptivité (natation,
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

cheval), de l’équilibre, de la coordination ( judo) de la maîtrise de l’espace et bien


entendu de leur capacité à pointer ou à retenir les détails. »
Nous, psychomotriciens, œuvrons dans le même champ de la subjectivation et
de la symbolisation, nous nous devons de connaître les obstacles qui empêchent
l’enfant d’accéder à cette possibilité de dire « moi » et « Je » et les angoisses
afférentes, qu’elles soient archaïques ou plus élaborées. Nous sommes dans le
cadre des processus de symbolisation dite primaire car en présence de l’objet
(Golse, 2015).
Nous sommes nous, les quatre co-auteurs, dans une pratique inscrite dans le
corps réel de l’enfant autiste. Elle est thérapeutique parce qu’elle participe à la
compréhension du fonctionnement du sujet et que son objectif est de trouver
les moyens de son amélioration dans la quête de son identité de sujet, là où
280 C ONCLUSION PAR S YLVIE G ADESAUDE

elle est restée fixée par un défaut global d’intégration fonctionnelle. Elle reste
fondée sur des bases neuro-fonctionnelles : le potentiel de base de l’enfant, (et
le potentiel de base de l’enfant autiste est privé d’un certain nombre de fonctions
non installées en particulier dans les domaines sensoriels et émotionnels) que
nous comprenons à partir du bilan psychomoteur ou d’une longue observation
clinique.
La compréhension du fonctionnement de cet équipement inné nous permet de
penser les outils pour participer à l’évolution de l’enfant. Le défaut d’intégration
neurologique peut donner un déficit attentionnel dû à des clivages sensoriels,
une agitation motrice due à un déficit cognitif (difficile pour l’enfant de se
représenter ce qu’il ressent par incapacité d’établir des liens), une terreur due à
l’incapacité d’anticiper les changements. Les découvertes actuelles sur l’observa-
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tion des bébés ont confirmé que ce potentiel inné évoluait sous l’impulsion du
mouvement favorisé par les interactions et de la reconnaissance des émotions
d’autrui. J’utilise des mécanismes qui officient dans cette impulsion :
➙ Le mouvement pour faciliter les perceptions ;
➙ Les mélodies ;
➙ Le regard ;
➙ Le toucher.
S’appuyant sur le plaisir de la découverte et sur la sécurité de la répétition, il
devient alors possible d’être surpris par un tout petit changement, de partager
la connaissance du monde environnant et de sortir, petit à petit, de la bulle
autistique.
J’ai cherché à montrer ici les liens étroits entre la prise en compte du dévelop-
pement psychomoteur et le patient autiste. Pour Soubiran (1974), « le corps
s’inscrit comme une totalité plus vaste qui est le monde et la manière dont les
deux se tiennent, inséparablement, obéit à des lois, strictes et universelles. Le
développement psychomoteur est l’histoire de cette interaction permanente et
progressive ».
C’est sans doute ici que « le patient autiste nous renvoie aux racines de l’huma-
nité » (Golse, 2010).
Conclusion par Éric W. Pireyre
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Quelle lourde tâche de conclure ! Nos quatre auteur(e)s nous ont exposé leurs
modes d’approches et de compréhension de l’enfant avec autisme. Ils nous
ont détaillé leurs pratiques cliniques quotidiennes avec brio. Nous en retenons
quelques éléments communs, parmi d’autres :
➙ l’engagement corporel du psychomotricien ;
➙ l’importance du dialogue tonico-émotionnel ;
➙ le triptyque sensation-émotion-représentation ;
➙ la notion de développement psychomoteur.
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L’ ENGAGEMENT CORPOREL DU PSYCHOMOTRICIEN

C’est l’essence même de la psychomotricité : le psychomotricien s’engage globa-


lement et « de tout son corps et de tout son esprit » auprès de son patient. C’est
ce que Fiatte (2018) appelle la pleine présence. Une présence pour accueillir ce
qu’exprime à sa façon le patient. Ce dernier peut chercher à dire sa difficulté
à considérer ou mobiliser son corps ou certaines fonctions corporelles. Je vais
reprendre les termes de nos quatre auteur(e)s pour illustrer ces notions.
282 C ONCLUSION PAR É RIC W. P IREYRE

J ULIE LOBBÉ

« Barnabé, adolescent avec TSA de 12 ans, a la tête cachée sous un foulard transpa-
rent. Il refuse de faire autre chose. Le contact tactile ne passe pas mieux car il crie dès
que ma main approche du foulard. Je prends la pâte à fixe que Barnabé adore et la
met au niveau de son regard. Intrigué, il regarde à travers le foulard. Je me risque
alors à soulever ce dernier en précisant : “Tu verras mieux avec tes yeux.” Puis je le
laisse retomber. Barnabé remonte alors lui-même le foulard et regarde le morceau
de pâte que j’observe aussi. Son regard se dirige alors vers moi et mes yeux. Je le
regarde. Un jeu de cache-cache commence et provoque des sourires et des rires
dans un accordement de joie. L’attention conjointe devient un jeu : nous regardons
ensemble, nous nous regardons. »
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Dans cet extrait, J. Lobbé s’implique personnellement : elle parle à son patient,
s’interroge sur le ressenti de Barnabé et se demande comment attirer son atten-
tion. Comment faire pour être deux dans la salle ? La situation est complexe
car l’enfant a préalablement montré son désir de se replier sur lui-même. J.
Lobbé prend donc un risque en s’imposant dans la relation. Elle fait le pari de
l’audace. Elle parvient finalement à attirer l’enfant à elle et à obtenir un moment
de partage relationnel. Ce moment s’inscrira dans l’esprit de son petit patient
comme relationnellement fondateur. Et comme ce qui va devenir un souvenir
s’est déroulé dans un partage émotionnel, il aura un effet important car tous les
êtres humains sont ainsi faits qu’ils ont besoin de l’autre pour se sentir exister.

T IPHANIE V ENNAT

« Benoît édifie alors deux murs sensoriels [...] Je décide de reconstruire le lien. Connais-
sant la qualité de son regard périphérique, je me place alors à côté de lui et reprends à
mon compte son balancement. Benoît marque tout d’abord un temps d’arrêt, peut-être
surpris de trouver dans mon corps un écho du sien, puis continue son balancement.
Progressivement, il m’adresse un regard puis oriente sa tête dans ma direction. Prenant
conscience que je viens d’attirer son attention, j’improvise alors quelques mouvements
simples avec mes bras, petite danse toujours rythmée par le mouvement originel du
balancement. Benoît, qui a une tendance naturelle à l’imitation, reproduit mes gestes
et danse en miroir de ce que je lui propose. Je sens bien que nous partageons là
un même mouvement corporel mais j’espère qu’il pourra véritablement prendre sens
dans le corps de l’enfant. C’est alors que Benoît se place face à moi et me tend la
main, m’invitant à entrer dans sa danse. À cet instant tout me semble alors possible,
nous nous sommes finalement trouvés dans un monde. »
Conclusion par Éric W. Pireyre 283

L’effet est le même que l’intervention de J. Lobbé. Seule la médiation a changé.


Le mouvement, ici sans la parole, est utilisé par la psychomotricienne pour
tenter la communication. Cet enfant qui cherchait à s’isoler a pu s’approprier la
proposition de l’adulte.

S YLVIE G ADESAUDE
« Je cherche quelques éléments de dînette et je clame que c’est l’heure de mon bon
thé à la menthe. J’aperçois un sourire de connivence chez Hugo, quelque chose qu’il
reconnaîtrait ? Qui serait susceptible de déclencher une émotion, un souvenir ou un
objet en commun autour duquel nous pourrions inventer une histoire ? Cependant, il
se lève, montre un autre jeu, ouvre le placard et fouille. Je me sens un peu lasse, je
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suggère que s’il ne veut plus jouer au jeu de la maison, il pourrait le mettre de côté
avec moi. Je demande en forçant une intonation un peu déçue : “Y a plus rien dans
la maison ?” Je perçois une vibration d’empathie dans sa voix, comme s’il voulait me
consoler, il répond : “Si, y a un bébé.” Il chantonne tout en continuant son inspection
du placard et sort de petites figurines. Je perçois deux langues différentes... Sa voix
est douce et mélodieuse. »

De nouveau, la médiation est différente. Chez Hugo, peut-être moins en difficulté


que les deux enfants précédents, un jeu symbolique peut s’avérer pertinent. La
proposition est retenue par l’enfant qui avait d’abord adressé une fin de non-
recevoir à sa psychomotricienne. Nous sentons combien l’intervention de celle-ci
a changé l’atmosphère de la rencontre.

B ERNARD M EURIN
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

« Je pense à Ayman, petit garçon envahi par les griffes de dinosaures mais qui aime
écouter le loto des animaux bien calé contre moi ou Raphaël, envahi par de nom-
breuses réactions tonico-émotionnelles qui demandent que je l’attrape pour le serrer
très fort. »

B. Meurin accueille les inquiétudes d’Ayman et Raphaël dans un état d’ouverture


totale. Il ne cherche pas à intervenir sur la nature de cette inquiétude mais
considère que la jouer va aider son patient à la surmonter. L’expression du mal-
être par le biais du corps a valeur thérapeutique car le psychomotricien montre
qu’il endure ce qui est apporté par son patient. Il s’agit là encore d’une forme de
partage émotionnel qui soulage. Ce partage gagne en général à être verbalisé.
284 C ONCLUSION PAR É RIC W. P IREYRE

Nos quatre collègues, si différents dans leurs personnalités, leurs formations


postuniversitaires et leurs références théoriques, se comportent à peu près de
la même façon. Pourquoi ? Parce que l’approche corporelle, si elle passe par
des chemins très variés, reste un point commun pour tous les psychomotriciens.
Aucun d’entre nous ne peut se référer à un seul contexte théorique car nous y
perdrions notre spécificité professionnelle, notre âme. Nos quatre auteur(e)s, si
différent(e)s, se tournent d’ailleurs, tous les quatre et fréquemment, vers des
auteurs communs, anciens comme Ajuriaguerra ou Wallon, ou moins anciens
comme Bullinger.

L’ IMPORTANCE DU DIALOGUE TONICO - ÉMOTIONNEL


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(DTE)1

Il peut sembler banal, donc inutile, d’insister sur le rôle du DTE en psychomotri-
cité. Pourtant, ce concept est la pierre angulaire d’une séance de psychomotricité,
quel que soit le mode de pensée du professionnel. Les références aux mimiques,
aux déplacements, aux tensions toniques et aux échanges de regards sont foi-
sonnantes dans nos textes. Les angoisses de nos petits patients mobilisent
ces canaux-là. Car, souvent dans l’impossibilité de s’exprimer verbalement et
précisément, les enfants sont « lisibles » par ces canaux. Pour qui les côtoie, il
est évident que les patients avec autisme communiquent massivement et donc
qu’ils sont à l’affût de nos propres signaux de communication. C’en est même une
très forte caractéristique. Que nous disent-ils ? Le plus fréquemment, ils parlent
de leur corps et de la relation à l’autre. Nous retrouvons là l’engagement corporel
du psychomotricien. Ce dernier, lorsqu’il prend en compte les capacités tonico-
émotionnelles de son patient est impliqué dans ses propres caractéristiques
tonico-émotionnelles. Certains y verraient du « contre-transfert corporel ». Je
préfère parler « d’expression corporelle du contre-transfert ». De la sorte, il n’est
pas introduit de différence avec le contre-transfert classiquement décrit par les
psychanalystes dont la théorisation est toujours pertinente. Par nature, transfert
et contre-transfert engagent émotions et sentiments. Qui sont des manifestations
corporelles pour les premières, corporelles ET psychiques pour les seconds. Le
dialogue tonico-émotionnel est une circulation d’émotions et de sentiments
dont l’exploitation clinique est nécessaire mais pas toujours aisée. Elle passe

1. Pour aller plus loin dans ce thème, le lecteur pourra se référer à Pireyre, E.W. (2015). Clinique
de l’image du corps. Paris : Dunod.
Conclusion par Éric W. Pireyre 285

par un processus personnel d’élaboration incombant au psychomotricien. Le


contre-transfert passe – toujours et simultanément – par les voies psychique et
corporelle. C’est pourquoi il ne peut pas y avoir de contre-transfert uniquement
corporel.

L E TRIPTYQUE
SENSATIONS - ÉMOTIONS - REPRÉSENTATIONS 1

La psychomotricité s’intéresse à la nature des liens entre le corps et l’esprit,


ce que nous appelons la « globalité ». Ces liens s’actualisent au cours du déve-
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loppement général du bébé et du jeune enfant dans les domaines sensoriel,
émotionnel, moteur et affectif. La transformation des sensations en perceptions
et des mouvements en gestes a été décrite par Pireyre (2015). Moins clair
était le destin des émotions originelles dans le développement. Là encore, les
neurosciences nous éclairent. C’est la distinction émotion-sentiment qui est
pertinente. La différence se joue sur la représentation. Pour Damasio (2017), la
représentation psychique des émotions s’appelle les sentiments. Idée que nous
avions introduite collectivement en 2014 (Jaquet, C. et al.) avec la distinction
douleur-souffrance dans « Les liens corps esprit ».
Bien sûr, le terme de « représentation » peut facilement prêter à confusion.
Certains y verraient une forme de « psychisation » de ressentis corporels émo-
tionnels. On fera donc l’hypothèse qu’aux débuts de la vie le bébé doit s’ap-
proprier son organisme pour en faire son corps comme le propose Bullinger
(2004). Et cette appropriation pourrait passer par l’ensemble de ces transforma-
tions « psychisantes » (sensations-perceptions, mouvements-gestes et émotions-
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sentiments). Les aléas du développement pourraient conduire – en raison d’ano-


malies dans la construction du cortex cérébral – à la faillite de ces transfor-
mations, laissant la personne avec une indistinction moi/autrui et des liens
corps-esprit fragiles ou inexistants. Ce dernier cas serait celui de l’autisme.
On a bien vu comment nos quatre auteurs s’intéressent, à leur façon, à ce
triptyque fondateur pour la personnalité en développement mais aussi pour
l’essence même de la psychomotricité. Ce sont par exemple les mains de Lucie :

1. Id.
286 C ONCLUSION PAR É RIC W. P IREYRE

➙ Elle « aime mélanger avec ses doigts, transformer la pâte à modeler, rentrer
et sortir les éléments de l’eau avec ses doigts. Elle s’amuse aussi à les saisir
parfois avec des baguettes chinoises. » (S. Gadesaude)
➙ « Nous pourrions mener une activité d’exploration tactile comme la recherche
de petits objets dans des bacs contenant différents matériaux (farine, eau,
riz...). Outre la diversité des sensations tactiles, l’activité réalisée avec les
yeux ouverts sollicitera la coordination entre l’œil et la main, tellement impor-
tante dans l’efficacité motrice. Le même exercice réalisé avec les yeux fermés
fera appel à la proprioception car il s’agira d’utiliser la main pour rechercher
les objets. » (J. Lobbé)
➙ « Lorsque Lucie utilise ses mains nous percevons qu’elle est désormais décen-
trée de la sensation au profit de son désir de faire des choses qu’elle situe
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bien dans l’espace qui l’entoure. Les objets sont utilisés non seulement en
lien avec les représentations qu’elle leur donne mais ces représentations sont
aussi partageables avec autrui. » (B. Meurin)
➙ « Nous pouvons supposer que les jeux de mains théâtralisés pourraient, à
l’instar des comptines avec jeux de doigts, faciliter l’accès à l’expression
graphique puis à l’écriture. » (T. Vennat)

Les points communs sont flagrants entre nos quatre auteurs et dénotent la place
de notre triptyque dans les pratiques psychomotrices actuelles.

L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOMOTEUR

C’est l’une des bases originelles de notre métier. Qu’il soit classique ou patholo-
gique, le développement de l’enfant est central car nous cherchons à le décrire, le
comprendre et l’accompagner si nécessaire. Nos appuis théoriques sont désormais
suffisamment riches pour décrire la finesse des étapes que l’enfant doit traverser.
Les apports d’André Bullinger sont cruciaux. Il nous a sensibilisés, entre autres,
à l’importance des coordinations entre modalités sensorielles, données dont
l’importance m’était inconnue lors de mes études. C’est le cas, par exemple, de
la coordination entre vision périphérique et vision focale, si nécessaire pour
l’installation d’un tonus de fond adapté à l’engagement moteur du bébé. Nous
savons désormais que cet ensemble de coordinations sensori-motrices fait défaut
à l’enfant avec autisme, ce qui ne permet pas l’installation pérenne d’un espace
instrumenté.
Conclusion par Éric W. Pireyre 287

Le psychomotricien est le spécialiste du développement psychomoteur. Il sait à


quel point ses patients en difficulté sont « obligés » d’en contourner les étapes
habituelles. Il sait aussi à quel point cet ensemble de stratégies est coûteux en
termes d’énergie, de concentration et d’efficience. Il sait à quel point l’enfant
avec autisme est envahi par cette nécessité de contournement. C’est là aussi
toute la richesse des apports de Bullinger : prendre en compte les mécanismes
de compensation mis en place par l’enfant plutôt que se cantonner à une énu-
mération des troubles et déficits. Une approche de la pratique psychomotrice
vue comme une proposition d’appuis – aux sens corporel et physique du terme –
nous est offerte.
Nous savons en effet l’importance d’accueillir avec empathie notre patient tel
qu’il se présente, avec ses forces et faiblesses. Et l’une des caractéristiques de
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l’enfant avec autisme est de présenter un développement psychomoteur atypique,
sorte de mélange de fixations aux toutes premières étapes de ce développement
et d’un ensemble d’adaptations – le plus souvent mal organisées – pour se plier
aux nécessités corporelles, psychiques et relationnelles de la vie humaine.
L’attention mérite alors d’être attirée sur un apport moins connu, pour l’instant,
de la théorie d’A. Bullinger : l’approche sensori-motrice. Différente du bilan – qui
évalue forces et faiblesses de l’enfant, elle consiste à apporter un soutien aux
équipes en charge, par exemple, des enfants avec autisme. Le développement
sensori-moteur est alors abordé dans une démarche réflexive permettant ainsi aux
soignant(e)s de découvrir de nouveaux moyens de compréhension des troubles
et comportements du patient. Les psychomotriciens sont naturellement bien
placés, parmi d’autres, pour ce type de mission appelé à prendre de l’ampleur à
l’avenir.
Le développement affectif n’est pas directement une composante du dévelop-
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pement psychomoteur mais il concerne les psychomotriciens. Chargés par leur


décret de compétences de contribuer à la prise en charge des troubles de la
représentation du corps d’origine psychique ou physique, ils sont une aide aux
équipes soignantes pour penser et comprendre ce qu’on appelle les angoisses
corporelles archaïques. Morcellement, dévoration, liquéfaction, effondrement,
problématiques complexes aux niveaux de l’enveloppe, de l’identité et des méca-
nismes pathologiques de défense sont des points d’accroche pour une approche
thérapeutique des patients avec autisme. Si l’approche corporelle est efficace en
ces domaines, des ponts théoriques sont encore à construire entre autres entre
le développement affectif et les angoisses archaïques. Les apports de la sensori-
motricité d’A. Bullinger n’en sont qu’à leurs débuts. Si cet auteur acceptait plus
que volontiers les observations provenant du champ de la « psychodynamique »
288 C ONCLUSION PAR É RIC W. P IREYRE

comme il disait, nous, ses successeurs, avons des efforts de synthèse à faire.
Notre profession y est, par essence, habituée. Nul doute qu’elle y parviendra...

Pour finir, la psychomotricité détient une place importante dans la prise en charge des
patients avec autisme pour plusieurs raisons :

➙ L’autisme est un handicap atteignant les liens corps-esprit ;


➙ Les portraits montrés par ces patients trahissent un fonctionnement sensori-moteur
particulier ;
➙ Il en est de même pour le développement et le fonctionnement affectif, coloré de
fixations psychiques aux temps originels ;
➙ Approcher un mode de compréhension de l’autisme nécessite de recourir à une
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pluralité de théories car aucune ne détient à elle seule la vérité. Ce à quoi les
psychomotriciens sont rodés par des études par nature intégratives ;
➙ Les modalités de prise en charge proposées par les psychomotriciens, faites d’en-
gagement corporel, psychique, émotionnel et verbal, sont pertinentes et recom-
mandées par la Haute Autorité de Santé ;
➙ Le psychomotricien sait, grâce à sa formation initiale, trouver les mots qui qua-
lifient précisément des ressentis sensoriels, émotionnels et « représentationnels ».
Cette capacité de mise en mot des ressentis accompagne l’engagement corporel et
peut provoquer « l’étincelle communicationnelle ». Les mots, encore une fois, sont
possibles grâce au dialogue tonico-émotionnel ;
➙ Un grand choix de médiations est disponible en psychomotricité. Ce qui permet
une adaptation optimale du psychomotricien à son patient. Il est bien plus aisé
alors de partir du désir du patient.

La psychomotricité doit continuer ses efforts d’affirmation. Sa reconnaissance


nationale a été, dans le passé récent, exceptionnelle. À l’heure où sont écrites
ces lignes, elle est partie – très – prenante des négociations actuelles sur le
prochain plan autisme. Si elle s’est adaptée aux directives nationales de prise en
charge des patients avec autisme, elle doit s’approprier plus encore la perspective
sensori-motrice et y intégrer également les données du développement affectif.
En ce domaine, ce qu’on appelle « l’archaïque » est une nouvelle frontière. À
la jonction du développement physiologique, psychologique et sensori-moteur,
l’archaïque relève des premiers temps de la vie et inclut les problématiques de
l’image du corps et des mécanismes de défense. Un seul exemple : il y a mani-
festement des liens théorico-cliniques entre la notion sensori-motrice d’espace
de la pesanteur et celle d’effondrement (Pireyre, 2015).
Conclusion par Éric W. Pireyre 289

La période de l’archaïque est – naturellement – élaborable par les psychomo-


triciens. La survenue de ce champ de conceptualisation était certainement
imprévisible pour nos pères fondateurs de la deuxième moitié du XXe siècle.
Dans une démarche qui intégrera encore plus tous les champs de connaissance
et d’exercice actuels, les projets de soin seront encore plus individualisés et les
interventions psychomotrices encore plus ciblées et efficaces. La compréhen-
sion encore plus globale du patient par le psychomotricien permettra une prise
en compte accrue des dires et comportements du premier par le second. Les
propositions d’intervention seront encore plus ciblées.
Nul doute qu’ensemble nous y parviendrons !
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