Autisme, Corps Et Psychomotricité. Approches Plurielles
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Table des matières
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LISTE DES AUTEURS 15
AVANT-PROPOS 17
Les concepts du soin psychomoteur 19
Les psychomotriciens et les recommandations de la Haute Autorité
de la Santé 20
Autisme et soin psychomoteur 21
Les neurosciences et les troubles du spectre autistique 23
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Le corps et l’esprit 25
L’approche psychomotrice 26
PRÉSENTATION DE L’OUVRAGE 29
Notre démarche 35
Clinique et développements croisés : Le cas d’Isabelle 35
Eléments diagnostiques, 35 • Eléments du profil psychomoteur, 35 •
Dynamique de la prise en charge, 36 • Analyse des limites et proposition
thérapeutique, 37
Le projet : au-delà du débat, pour une approche clinique sensible
et observatrice 37
Dépasser le clivage, 37 • Collaborer, 38 • Pour une psychomotricité
hybride, 38
Annexes 40
Annexe 1, 40 • Annexe 2, 41 • Annexe 3, 42
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PREMIÈRE PARTIE
LES ÉMOTIONS
1. Vignette 45
Julie Lobbé
2. Analyses psychomotrices 47
Bernard Meurin
Les deux modalités expressives de l’émotion 47
Petit détour par William James 48
Émotion et autisme 49
Conclusion 50
6. Synthèse 67
Julie Lobbé
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DEUXIÈME PARTIE
L’ORALITÉ
7. Vignette 71
Bernard Meurin
12. Synthèse 93
Bernard Meurin
TROISIÈME PARTIE
L’AXE DU CORPS
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13. Vignette 97
Tiphanie Vennat
QUATRIÈME PARTIE
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LES MAINS
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La médiation danse comme une main tendue 148
Conclusion 149
CINQUIÈME PARTIE
LA CONTENANCE
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D’une réalité clinique complexe à l’idéal thérapeutique : le difficile chemin
vers la contenance 172
Conclusion 173
SIXIÈME PARTIE
L’ENVELOPPE
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La concrétude du corps 197
Conclusion 198
SEPTIÈME PARTIE
L’ATTENTION CONJOINTE
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39. À propos de l’attention conjointe 221
Bernard Meurin
Attention conjointe : De quoi s’agit-il ? 221
Attention conjointe et imitation 223
Attention conjointe et autisme 224
Conclusion 224
40. L’attention conjointe, une fonction cognitive qui convoque l’autre ? 225
Julie Lobbé
Analyse psychomotrice 225
Lien avec le développement du langage verbal, 226 • L’attention
conjointe dans l’autisme, 227
Propositions thérapeutiques 227
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Conclusion 234
12 TABLE DES MATIÈRES
HUITIÈME PARTIE
DISCUSSIONS FINALES
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Bilan : Le travail d’écriture 241
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Bilan 279
BIBLIOGRAPHIE 291
Liste des auteurs
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Ouvrage dirigé par :
Éric W. PIREYRE
Psychomotricien clinicien. Il a exercé en services de pédiatrie et néonatologie.
Son exercice professionnel est désormais consacré à la pédopsychiatrie. Il est
formé au bilan sensori-moteur A. Bullinger. Il enseigne la psychomotricité à l’ISRP
Paris, dans les IFP de la Pitié-Salpêtrière, Lille, Mulhouse et Rouen. Il a publié
plusieurs ouvrages et préside l’Association Française de Thérapie Psychomotrice.
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Avec la participation de :
Sylvie GADESAUDE
Psychomotricienne. Elle exerce maintenant en cabinet libéral après avoir tra-
vaillé en Externat Médico-Pédagogique. Elle a obtenu un Diplôme Universitaire
de psychopathologie des troubles des apprentissages à l’Université Paris VI
Pitié-Salpêtrière. Lauréate du prix Michel Sapir en 2013, elle enseigne la psycho-
motricité à l’ISRP Paris.
Julie LOBBÉ
Psychomotricienne. Elle a exercé en cabinet libéral, en EHPAD et en SESSAD-
Autisme à Paris, parallèlement à des activités de formation à l’Institut Supérieur
16 L ISTE DES AUTEURS
Bernard MEURIN
Psychomotricien au CHRU de Lille dans le service de pédopsychiatrie. Après
avoir exercé en CMP, il rejoint l’Unité d’Évaluation Diagnostique en lien avec le
Centre Ressources Autismes « ex Nord-Pas de Calais », d’abord auprès d’enfants
puis également d’adultes. Il est chargé de cours dans plusieurs Instituts de
Formation en Psychomotricité à Lille et à Paris. Formé au bilan sensori-moteur
André Bullinger, il intègre l’équipe pédagogique au Bilan Sensori-moteur au sein
de l’Institut de Formation André Bullinger (IFAB). Il est aujourd’hui coordinateur
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de la formation lilloise. Il s’oriente progressivement vers la réflexion éthique
et obtient un Master II de philosophie dans la spécialité « éthique du vivant »
à l’université Charles De Gaulle. Il intègre alors la commission consultative de
l’Espace Ethique du CHRU de Lille. Aujourd’hui il poursuit ses études de philoso-
phie en cycle doctoral à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne sous la direction
du Professeur Jean-François Braunstein. Il a participé à plusieurs publications
collectives dont : La théorie spinoziste et ses usages actuels (sous la dir. de C.
Jaquet), Le Corps sans limites (sous la dir. de A. Cambier), L’enfant autiste et son
corps (sous la dir. de F. Joly) ainsi que La psychomotricité entre psychanalyse et
neurosciences (sous la dir. de N. Girardier).
Tiphanie VENNAT
Psychomotricienne et danseuse. Elle a obtenu un Master International en Psycho-
motricité et s’intéresse à la question de la douleur en danse dans une perspective
phénoménologique. Lauréate d’une bourse du Ministère de la Culture (dispositif
ARPD du Centre national de la danse), elle réaffirme la pertinence du travail
psychomoteur en ce domaine. Elle travaille aujourd’hui en Externat Médico-
Pédagogique et dans une unité de soin pour enfants souffrant de pathologies
neurologiques acquises. Elle enseigne la pratique de la danse comme médiation
psychomotrice à l’ISRP Paris. Elle publie régulièrement dans la revue Évolutions
Psychomotrices et a récemment participé à la rédaction du Manuel d’enseignement
de la psychomotricité.
Avant-propos
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LE CAS D ’A LI
Ali a huit ans. Il participe très volontiers à sa prise en charge psychomotrice avec moi.
Depuis plus d’un an, il montre son intérêt pour ce rendez-vous hebdomadaire. S’il
est sensible à mes propositions, il lui arrive fréquemment de faire preuve d’initiative.
Ce jour-là, il s’assoit d’emblée sur une chaise placée perpendiculairement au bureau.
Comme il ne s’exprime pas verbalement, je me mets à sa disposition pour un temps
d’échange par la médiation corporelle. Ce que nous, les psychomotriciens, appelons
le dialogue tonique. Je suis donc en face de lui, assis moi aussi sur une chaise. Je sais
que son mode de communication favori, en séance, implique ses mains. Je lui tends
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donc les miennes dans une invitation au contact. Ali accepte mon geste et pose ses
mains sur les miennes. Dès lors, je décide de mettre en place les conditions d’une
écoute « psychomotrice » : attentif à à ses réactions affectives, à ses émotions (car
je le sais parfois en difficulté de régulation en ce domaine) et aux miennes, à nos
perceptions, à nos échanges possibles de regard et à toute manifestation de son
comportement qui signifierait un inconfort ou une demande d’arrêt de cet échange.
Le dos de ses mains est posé au creux des miennes. Je guette les variations toniques
possibles car elles signifieraient une modulation de la communication. Une envie ou
une initiative.
Je fais le choix de ramener ses deux mains l’une contre l’autre entre les deux miennes.
Ma proposition est acceptée. Je suis soulagé car j’ai eu l’impression d’avoir pris un
risque.
18 A VANT- PROPOS
D’ailleurs, je sens les mains d’Ali se détendre entre les miennes. Ses avant-bras s’af-
faissent légèrement et son souffle change. Là, je suis très étonné car Ali respire d’ha-
bitude très mal. Il garde constamment un gros volume d’air dans ses poumons, n’uti-
lisant que quelques productions sonores et inexpressives pour évacuer une courte
expiration.
Il se détend. Moi aussi.
Je prends un peu d’assurance et commence à imprimer un léger mouvement de nos
quatre bras. Un balancement rythmique latéral. D’abord d’amplitude faible puis allant
en s’accentuant.
Les bras d’Ali suivent ma proposition. Ses jambes qui se balançaient encore il y a
quelques instants s’immobilisent... J’accentue encore le mouvement avec l’idée de
nous décoller tous les deux de la chaise et de passer en position debout. Sa respiration
restant calme et un sourire apparaissant, je mets à exécution mon projet.
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Nous nous levons ensemble. Reliés par nos mains, nous faisons quelques pas
ensemble. Tout le corps d’Ali me dit son acquiescement. La communication entre
lui et moi s’avère excellente. Je m’enhardis et le fais monter sur le plateau de bois
que j’avais préalablement disposé dans la salle. Face à la fois au miroir et au
ventilateur en fonctionnement. De la sorte, je table sur un ensemble de sollicitations
sensori-motrices synchrones et acceptables pour Ali : un ressenti proprioceptif et
vestibulaire par les sauts que je vais l’encourager à expérimenter sur le plateau, l’air
du ventilateur sur sa peau et son reflet dans le miroir (car je sais que cette proposition
lui a déjà convenu par le passé). Je compte beaucoup également sur ma présence
bienveillante et un contact corporel constamment à l’écoute de mon patient.
Comme prévu, il se met à sauter à pieds joints. Puis à rire. Les vibrations du plateau
sont fortes et jouent leur rôle vestibulaire. Je prends la parole :
« Oh, Ali, comme tu sautes haut ! Tu as l’air de bien t’amuser ! Continue, je suis avec
toi. »
Poursuivant son activité, Ali module par moments. Il varie son orientation sur le pla-
teau, expérimente donc le souffle de l’air sur d’autres endroits de son corps et perd un
peu le contact visuel avec le miroir. Il éprouve de fortes perceptions et je lui témoigne
de ce qu’il vit. De la sorte, des liens peuvent se créer entre les perceptions et la
communication avec une autre personne. Ainsi va le développement psychomoteur
classique...
Il prend des initiatives. Ses mains toujours dans les miennes, je me contente de le
suivre dans ses envies. Nous sommes toujours dans un vrai moment de communica-
tion. Je ressens dans mon corps et mon esprit notre présence commune. De l’attention
conjointe.
Tout à coup, il se met à tourner sur lui-même et lève les bras. Je vais devoir m’adapter
car la situation ne permet pas de maintenir tel quel le contact. Je décide de lâcher
brièvement ses mains pour les placer au-dessus des siennes. La paume de mes mains
touche le bout de ses doigts tendus. Je ne tourne pas mais lui si. Il vire autour de son
axe corporel. Il prend conscience de la sorte d’une partie de son corps. Je prends la
Avant-propos 19
décision de parler à Ali de ce qu’il est apparemment en train de vivre. Mon objectif
est d’inscrire par la parole ce ressenti dans l’esprit de l’enfant :
« Tu tournes autour de toi-même ! Ça fait comme une ligne ! »
À la fin de la séance, Ali partira content et droit comme un i.
L’équipe soignante remarquera la démarche légèrement modifiée d’Ali et la lui verba-
lisera à son tour.
Cette séquence, banale en psychomotricité, est très révélatrice d’une certaine approche de
l’enfant avec autisme. Puisque tel est le thème de notre ouvrage commun, j’ai trouvé
intéressant de commencer par une illustration clinique. Avant de vous proposer
d’autres aspects de notre métier. Le soin psychomoteur en est un.
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L ES CONCEPTS DU SOIN PSYCHOMOTEUR
Détailler mes intentions et mes projets pour Ali, dans cet épisode clinique,
pourrait nous conduire à réfléchir à la nature du fonctionnement sensoriel de
l’enfant avec autisme, du dialogue tonico-émotionnel, de la disponibilité psy-
chocorporelle empathique du psychomotricien, de la prise de conscience et de
l’image du corps et de la notion de soin.
Car je suis tout entier impliqué dans cet échange relationnel, corporel et psy-
chique avec Ali. Mon tonus s’adapte à l’enfant. Mes émotions participent de
la situation. Je propose mais il dispose. Cette fois-là, je l’accompagne vers
la découverte de son axe. J’interviens donc sur la construction de l’image du
corps de cet enfant. Car l’axe du corps est la représentation psychique de la
colonne vertébrale. Et c’est ma présence psychique et corporelle qui assure cette
« transformation ».
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Voilà l’idée de cet ouvrage collectif. Montrer ce que des psychomotriciens peuvent
proposer comme travail auprès d’enfants et d’adolescents avec autisme. Notre
profession fournit pour cela les efforts nécessaires pour que les interventions
psychomotrices s’accordent aux modalités recommandées pour la prise en charge
des enfants et adolescents avec autisme. Voyons ce que dit la réglementation
en vigueur en ce domaine.
20 A UTISME , CORPS ET PSYCHOMOTRICITÉ
En 2012, la HAS a publié, en matière d’autisme, un texte important qui donne des
directions fortes. En résumé, voici celles qui concernent les psychomotriciens :
! L’autisme se caractérise par des perturbations des interactions sociales réci-
proques, des communications et comportements à caractère restreint, répétitif
et stéréotypé.
! Le projet proposé à l’enfant et à sa famille doit être personnalisé, les soins
visent à favoriser l’épanouissement personnel, la participation à la vie sociale,
l’autonomie et la qualité de vie.
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! Les parents sont associés à la prise en charge éducative mais aussi thérapeu-
tique s’ils le souhaitent.
! Les interventions des professionnels visent à améliorer la communication,
le langage, les interactions sociales et les domaines (...) sensoriel, moteur,
émotionnel et le comportement.
! Des stratégies intégrées sont utilisées pour prévenir ou réduire la fréquence
ou les conséquences des comportements problèmes et pour limiter les risques
de sur- ou sous-stimulation.
! Il est important de prendre en compte les goûts et les centres d’intérêt des
patients, de faciliter l’expression de leurs choix et préférences, de prendre en
compte l’expression verbale ou non verbale de l’adhésion ou de l’opposition
de l’enfant/adolescent. Et d’être attentif aux signaux donnés par l’enfant, d’y
être réceptif et réactif et de partir dans la mesure du possible des activités,
désirs et intentions de l’enfant lui-même plutôt que de systématiquement
imposer par l’apprentissage d’un comportement décidé a priori sans obser-
vation préalable de la personnalité de l’enfant ou sans chercher à saisir les
occasions de coopération ou de coordination avec lui.
! Il est recommandé d’écouter à tout moment le patient, de l’associer à sa prise
en charge, de l’observer en continu dans tous les moments de sa vie (dans le
cas d’un lieu de vie), de procéder à des évaluations de la communication non
verbale, des émotions (reconnaissance et expression), de l’attention conjointe,
de l’imitation, de la fréquence d’initiation de la communication, de la mémoire,
de l’attention et de la représentation de l’espace et du temps.
! Il est important de repérer des réponses inhabituelles à certaines expériences
sensorielles tactiles, proprioceptives, auditives, visuelles ou gustatives et de
Avant-propos 21
Les prises en charge psychomotrices sont donc recommandées par la HAS. Les
interventions peuvent être thérapeutiques et concerner des fonctions ne se déve-
loppant pas spontanément (ex : attention, fonctions sensorielles et motrices,
langage, mémoire, reconnaissance et gestion des émotions etc.). Le dévelop-
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pement de la communication nécessite qu’une relation individuelle s’établisse
progressivement par l’attention et la disponibilité que l’adulte témoigne à l’en-
fant/adolescent, à partir de ses centres d’intérêt. Elle doit, le cas échéant, être
accompagnée d’outils de communication alternative, type PECS ou autres.
Il y a par ailleurs « accord d’experts » pour les approches qui permettent d’expé-
rimenter des situations de partage, tour de rôle, attention à l’autre [...], prises
en compte des pensées et intentions de l’autre afin d’aider l’enfant à anticiper,
prévoir, comprendre l’autre, généraliser et apprendre. Une aide thérapeutique est
recommandée pour « gérer l’anxiété, l’agressivité, les comportements problèmes,
la dépression ».
Le soin psychomoteur est une réponse au handicap autistique. Comment doit-il
se positionner ?
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Ni d’utiliser quelque technique que ce soit dans un but autre que psychomoteur.
Ce faisant, elle serait en danger de mort.
Par conséquent, les psychomotriciens doivent être et sont divers. Et c’est une
bonne chose car toutes sortes de patients, quels qu’ils soient, réclament toutes
sortes de psychomotriciens. Pour autant ces derniers gardent entre eux une
cohérence dans leurs approches et dans les principes actifs des soins qu’ils
proposent. Et aucun type de patient ne peut être accompagné de façon univoque
à tout moment de sa vie. Aucune prise en charge ne convient à tous et tous
requièrent des approches différentes selon les périodes de leur vie.
C’est aussi le cas des patients avec autisme. En ce domaine, aucune voie d’abord
ne peut se dire toute-puissante. Aucun psychomotricien ne peut s’affirmer en
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capacité d’accompagner favorablement et à coup sûr tous types de patients.
Certains patients avec autisme doivent être soignés et tous doivent bénéficier
d’un accès au savoir dans la mesure de leurs capacités.
C’est pourquoi il est important d’expliquer comment travaillent des psychomotri-
ciens auprès de leurs patients avec autisme. Des psychomotriciens et non pas
les psychomotriciens. Les quatre collègues qui se sont donné cette belle mission
d’explication et de transparence sont tous très différents dans leur exercice
professionnel. S’ils ne représentent pas « la profession de psychomotricien »
(mais est-ce possible ?), ils s’appliquent au quotidien à aider leurs patients de
toutes leurs forces corporelles et psychiques. Ils s’impliquent personnellement
très loin et très profondément avec toute la passion possible. Et leurs résultats
sont excellents, on le verra au fil de chacun de leurs textes.
Quant à l’aspect neurodéveloppemental de l’autisme, je souhaite montrer les
compétences et les connaissances des psychomotriciens en ce domaine. Si de
nombreux collègues savent que les études menant au diplôme d’état durent
trois ans, peu en connaissent le contenu. Rares sont ceux qui sont au fait du
programme d’études et des niveaux de savoir des professionnels formés actuelle-
ment. Particulièrement en neurosciences. J’utiliserai donc ici, en introduction,
certaines références pour exposer un pan de notre savoir et pour appuyer notre
ouvrage commun. Les données exposées peuvent parfois, mais pas toujours,
paraître un peu anciennes mais leur intérêt est de se confirmer les unes les
autres.
Avant-propos 23
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d’activation du cortex préfrontal dorso-médian [...] Les déficits des fonctions
exécutives sont en lien avec des anomalies précoces du fonctionnement du lobe
temporal médian [...] Les lobes frontaux sont en intégration dysfonctionnelle avec
le reste du cerveau. On constate d’ailleurs un retard de maturation postnatale des
lobes frontaux et une réduction de la connectivité fonctionnelle des lobes frontaux
avec d’autres aires corticales et sous-corticales [...] Les déficits des fonctions
exécutives peuvent être considérés comme une explication théorique valide de la
symptomatologie autistique [...] On connaît la moindre activation de la région
préfrontale médiane chez les patients présentant un syndrome d’Asperger. »
excessive suivie d’un ralentissement relatif [...] On fait des hypothèses à propos
d’anomalies de la migration neuronale, du corps calleux, du septum lucidum, de
certains ventricules (dilatation)... [...] Il y a chez les personnes avec autisme une
augmentation du volume cérébral par rapport aux sujets contrôle (ce phénomène
est fonction de l’âge de l’enfant) [...] Il y a une plus grande réduction du volume de
la substance grise et de l’épaisseur corticale par rapport aux sujets contrôle après
l’âge de 2 à 4 ans. Les variations de volume cérébral ne concernent pas forcément
l’ensemble des lobes cérébraux [...] Le volume de la région du cortex cingulaire
antérieur, des gyri temporaux supérieur et moyen (perception et analyse des stimuli
acoustiques) est modifié [...] Le volume de l’amygdale (avec réduction à un âge
plus avancé) augmente précocement [...] On constate un excès de croissance du
volume des vermis cérébelleux [...] Il y a une diminution du volume du thalamus
(on y voit une absence de progression des connexions cortico-thalamiques) [...]
On observe une forte influence de l’activité de l’amygdale (support des émotions)
sur le cortex dorso-médian [...] On constate un défaut de spécialisation des aires
24 A UTISME , CORPS ET PSYCHOMOTRICITÉ
impliquées dans le traitement des visages [...] A l’IRM, on cerne des anomalies
structurelles et fonctionnelles et une connectivité aberrante entre amygdale, gyrus
temporal supérieur, gyrus fusiforme et cortex préfrontal [...] Il y a des modifications
de la trajectoire de croissance cérébrale chez les sujets avec autisme, suggérant
un trouble précoce du développement. »
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Rousselle (2009) apporte les précisions suivantes :
« Il y a absence de développement des systèmes inhibiteurs centraux [...] On voit
une accumulation anormale de la substance blanche dans le cerveau (très marquée
dans le cortex préfrontal). Cela serait dû à un ralentissement de la mort neuronale
postnatale [...] La communication entre les structures corticales serait bloquée. »
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loppement de l’espèce. Ils sont plutôt sous-corticaux. Ils sont matures à la
naissance. Leur prédominance se traduit, entre autres, par des réactions d’alerte
et d’orientation en cas de stimulation. Prise en compte de la distance et trai-
tement de l’information sont impossibles. Les anomalies de fonctionnement ou
de structuration corticale rendent impossible ou inadaptée la mise en place
des systèmes sensoriels corticaux récents. La relation à la sensorialité de la
personne en est totalement bouleversée par rapport au sujet dit classique. Les
systèmes sensoriels récents permettent une perception plus élaborée du monde.
Somatotopie et nuance sensorielle en sont deux exemples.
L E CORPS ET L’ ESPRIT
relève d’autant plus du travail des psychomotriciens que les processus sensoriels,
toniques et émotionnels sont structurellement intriqués. Cette intrication a
été reconnue par la loi qui, par la promulgation du décret de compétences
de 1988, devenu depuis l’article R 4332-1 du code de la Santé Publique,
attribue aux psychomotriciens la prise en charge, entre autres, des « troubles
tonico-émotionnels et relationnels et des troubles de la représentation du corps
d’origine psychique ou physique ». Les outils à utiliser sont évoqués également
par le décret de 1988. Il s’agit de :
➙ stimulation psychomotrice ;
➙ techniques de relaxation dynamique ;
➙ éducation gestuelle ;
➙ expression corporelle ou plastique ;
26 A UTISME , CORPS ET PSYCHOMOTRICITÉ
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est vrai que la formation initiale dispensée en IFP n’est pas celle d’un doctorat
en psychologie ou neurosciences, les volumes horaires d’enseignement donnent
la possibilité de comprendre et de maîtriser les notions abordées par ces champs
de connaissance et de les transcrire dans la pratique clinique quotidienne. C’est
justement cette capacité – qui permet de penser les liens entre le corps et l’esprit
– qui a rendu les psychomotriciens indispensables dans toutes les structures
sanitaires et médico-sociales de France.
Un certain aspect des liens corps/esprit est observable justement dans le fonc-
tionnement du système sensoriel humain. Car la transformation des sensations
en perceptions, atteinte dans les pathologies autistiques, se joue sur ce terrain.
La reconnaissance et l’appropriation de ses émotions et de sa tonicité – et donc
de ses mouvements – par le bébé au cours de son développement également.
L’ APPROCHE PSYCHOMOTRICE
aspects sensori-moteurs décrits par Bullinger et rappelés ici par Bernard Meurin.
La représentation affective de la peau se met en place également dès les débuts
de la vie. Elle s’appelle l’« enveloppe » et cette enveloppe est considérée de
façon particulière chez les personnes avec autisme. Or, disposer d’une enveloppe
contenante est nécessaire pour se représenter soi-même comme un sujet et
acquérir une identité. Or, pour construire une enveloppe pérenne et solide, il est
nécessaire de maîtriser l’espace de la pesanteur, introduit par Bullinger et équi-
valent à la possibilité d’effondrement tonique. Tout clinicien psychomotricien sait
que c’est en surmontant les vécus subjectifs d’effondrement que le patient avec
autisme se construira son enveloppe corporelle. Pour l’accompagner vers cela,
les approches peuvent être diverses mais reposeront toujours surtout sur une
relation adaptée prenant en compte les caractéristiques tonico-émotionnelles
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de la personne. Il peut être nécessaire de procéder surtout par une aide à
l’instrumentation sensori-motrice de la peau, toujours en prenant cet exemple,
et/ou encore en mettant en place une relation de qualité qui s’appuiera sur des
médiations bien choisies, ciblées et entraînant l’adhésion du patient en sorte
d’obtenir sa confiance et développer la capacité de ce dernier à s’étayer sur son
psychomotricien pour expérimenter ensemble – c’est crucial – des sensations de
tous ordres.
Nos quatre auteurs occupent des terrains variés et qui, tous, vont d’une approche
plutôt sensori-motrice à une intervention principalement appuyée sur la commu-
nication et le partage-mise en mots des ressentis corporels, sensoriels, moteurs
et émotionnels, des patients en passant par une adaptation raisonnée et per-
sonnalisée des méthodes éducatives. Nos quatre auteurs se réfèrent chacun(e)
à sa façon à des conceptions théoriques précises mais toujours variées. Ainsi,
le lecteur trouvera matière à sa réflexion en butinant ici et là des éléments
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Précisons enfin que les soins psychomoteurs présentés ici s’intègrent évidemment
dans des projets de soin global portés par des institutions (souvent plusieurs)
proposant notamment l’emploi des méthodes éducatives et autres thérapies
cognitivo-comportementales, ainsi que des outils de communication alternative,
conformément aux recommandations de la HAS et dans le respect du libre choix
du patient et de sa famille. Tous les enfants décrits ici bénéficient également
d’un enseignement adapté à leurs possibilités, en classes classiques ou adaptées.
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Présentation de l’ouvrage
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Pour commencer et pour aider le lecteur à faire des liens entre les différents
modes de pensée et d’approche du patient avec autisme, Julie Lobbé et Tiphanie
Vennat ont rédigé des considérations préalables qui posent le thème de l’ouvrage
et mettent en regard de nombreux concepts utilisés par des champs d’exercice
différents. Car il est vrai que les diverses méthodologies de prise en charge uti-
lisent chacune leur vocabulaire. Les concepts afférents sont souvent les mêmes
et il était intéressant de le constater.
Nos parties concernent sept « parties du corps » ou fonctions corporelles. Le parti a été
pris de se cantonner à sept parties pour ne pas hypertrophier notre ouvrage déjà fort
chargé. Le choix des thèmes a été fait collectivement en fonction des indications les
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...
de qualité avec son environnement. Malheureusement, les enfants avec autisme ont
des difficultés certaines en ce domaine.
Le choix a été fait de construire les parties de la même façon. Une brève vignette
nous pose la problématique à partir de la situation d’un enfant. Chaque auteur
trace en quelques pages sa compréhension et éventuellement ses propositions.
Une petite synthèse est rédigée enfin pour souligner les apports principaux de
chacun. Nos quatre collègues ont eu à cœur de partager, en discussion finale,
des pans entiers de leur exercice professionnel, chacun ayant, bien sûr, sa propre
expérience de l’enfant et de l’adolescent avec autisme.
D’autres thèmes auraient pu être retenus :
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! Les pieds ou le dos pour les appuis qu’ils représentent
! La respiration, souvent « anarchique » chez les enfants avec autisme
! Les sensations
! Le ventre, la zone molle du corps
Et d’autres encore... Mais nous retrouverons ces zones ou fonctions-là au décours
de nos sept parties.
Considérations préalables
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Julie Lobbé et Tiphanie Vennat
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nous avons pensé la pertinence de l’autre. Plus encore et dans le principe d’in-
terdisciplinarité, nous avons tenté de comprendre ce que l’une pouvait apporter
à l’autre. Face aux débats médiatisés, nous cherchons donc à ouvrir un espace
de communication.
Avant toute chose, il convient de définir ce que nous entendons par les termes
« psychanalyse » et « cognitivo-comportemental ». Il ne peut s’agir de défini-
tions exhaustives dans le cadre de ce chapitre mais nous nous attacherons à
exposer les grands principes de ces courants, leurs conséquences dans notre
pratique de psychomotriciennes et leurs réelles différences.
L ES DIFFÉRENTS COURANTS
Le courant psychanalytique
!
Il met l’accent sur le soin relationnel à apporter aux enfants autistes. Ses
objectifs principaux sont de permettre l’expression des éléments archaïques qui
sous-tendent l’autisme et de favoriser l’évolution de l’image du corps et du Moi
de l’enfant.
Selon Joly (1993), la psychomotricité d’inspiration analytique a plusieurs enjeux
dans la prise en charge de l’enfant autiste. Il faut en premier lieu soulager les
angoisses corporelles de l’enfant pour tenter de modifier les mécanismes de
défense. Ensuite, il est nécessaire d’amener l’enfant à vivre son corps comme
une unité qui est à la base de la construction du Moi. Il s’agit enfin d’inviter
l’enfant à entrer en lien avec le monde extérieur en établissant des aires transi-
tionnelles entre lui et l’objet, c’est-à-dire entre sa vie fantasmatique et la réalité
(Hochmann, 1996).
Autisme : un débat passionné qui a besoin d’être raisonné 33
Le courant cognitivo-comportemental
!
La méthode ABA utilise le conditionnement opérant. Elle ne sera pas développée car
nous préférons aborder les méthodes que nous pratiquons. Précisons simplement que
l’orientation résolument comportementale de la méthode ABA est critiquée quant à son
adaptation à la subjectivité de l’enfant. Pour autant, elle révèle un réel intérêt dans la
diminution, par exemple, des troubles du comportement.
La méthode TEACCH est une approche reposant sur l’adaptation au fonctionnement
cognitif particulier des personnes avec autisme. Elle est caractérisée par l’implication des
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parents et des enseignants comme partenaires, le travail éducatif et rééducatif indivi-
dualisé, un environnement structuré, la valorisation des habiletés fonctionnelles et l’uti-
lisation de la méthode comportementale dans la gestion des comportements-problèmes.
Pour un psychomotricien, le travail revêt une double dimension : un accompagnement
global et des objectifs précis travaillés par des exercices ciblés nécessitant souvent des
adaptations en termes d’outils visuels.
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Nombreux sont les exemples d’arguments caricaturaux qui abaissent le débat :
« Ces méthodes robotisent les enfants. »
« C’est un dressage qui marche à la carotte. »
« C’est une prise en charge violente. »
« C’est une mode. »
« On force les enfants autistes à rentrer dans le moule d’une société où tout doit
aller vite. »
« La psychanalyse culpabilise les parents. »
« Il n’y a jamais de résultats. »
« La psychanalyse est basée sur de vieilles conceptions lacaniennes et freu-
diennes. »
« Les psychanalystes ne sont pas en rapport avec les réalités du monde. »
« Tout est toujours la faute de la mère. »
Ces arguments caricaturaux et classiques, qui ont pour conséquence de cliver
le débat, laissent entendre qu’il y a de « bonnes » et de « mauvaises » façons
de voir les choses et donc de « bonnes » et de « mauvaises » personnes qui les
pensent. Il est vrai qu’il existe des extrémistes dans tous les courants de pen-
sée. Certains psychanalystes continuent de voir l’autisme comme une psychose
provoquée par des relations trop froides ou trop fusionnelles de l’enfant avec sa
mère et rejettent les arguments neurologiques. De même, certains comportemen-
talistes pensent que l’explication de l’autisme réside dans un dysfonctionnement
génétique dans lequel l’environnement n’a pas de rôle. En réalité, beaucoup de
psychanalystes reconnaissent l’aspect multi-causal de l’autisme et n’accablent
plus les mères. Chez les « cognitivo-comportementalistes », on admet volontiers
Autisme : un débat passionné qui a besoin d’être raisonné 35
N OTRE DÉMARCHE
Il ne saurait être question ici d’opter pour l’une ou l’autre méthode et de s’enliser
dans un débat cyclique entre des théories qui sous-tendraient des certitudes,
toutes deux justifiables en termes cliniques puisqu’elles font le choix d’un regard
explicatif. Ici n’est pas le débat. Nous proposons plutôt de recentrer la discussion
sur l’enfant de manière à exposer deux regards cliniques croisés qui se rencontrent
et s’enrichissent en risquant l’ouverture et l’écoute de l’autre. La situation de
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mise en écho des deux pratiques nous paraît en effet plus constructive (voir
annexe 2). Nous ne pensons pas qu’une approche doive s’imposer à l’enfant, dans
un arbitraire, qu’il soit soignant ou éducatif, mais nous pensons que ce doit
être à l’enfant de nous guider vers des choix. Il nous faut entendre une vérité
d’individu et faire en sorte de contribuer à ce qu’elle se révèle.
Eléments diagnostiques
!
Isabelle est une petite fille de 8 ans 1 mois, scolarisée en CE1. Elle bénéficie
d’un suivi au SESSAD en lien avec son diagnostic de Trouble Envahissant du
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Je rencontre Isabelle alors qu’elle a 6 ans, dans le cadre d’un bilan psychomoteur.
Cette petite fille souriante s’exprime peu verbalement et répond de temps à autre
aux questions. Elle communique principalement en commentant des dessins ou
des supports imagés. Le contact visuel est fluctuant et le contact tactile évité.
36 A UTISME , CORPS ET PSYCHOMOTRICITÉ
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Par ailleurs, Isabelle est peu repérée au niveau corporel et temporel. Les parties
du corps sont peu intégrées et Isabelle ne peut donner son âge ou indiquer des
repères temporels simples sur demande (jour / nuit, matin / après-midi, jours
de la semaine).
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sage. Il s’agit également de convoquer des connaissances qui relèvent davantage
du besoin d’un objet-tiers dans la relation que de la structuration TEACCH.
Néanmoins, nous noterons que, même dans ce contexte relationnel, les principes
de la communication concrète (voir annexe 3) sont appliqués, notamment en
associant l’étayage verbal au support visuel. De même, au fil des séances, la
relation à l’objet-tiers évolue vers des possibilités « d’apprentissage déguisé »
en s’appuyant sur la motivation de l’enfant.
Dépasser le clivage
!
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démarche ne s’apparenterait pas à une forme de consensus « mou » ou bien à un
nouveau maniement de la langue de bois visant à occulter tout conflit. Nous pen-
sons plutôt à l’idée d’alimenter débats et échanges et de confronter la spécificité
et l’originalité des concepts et des idées sans les dissoudre pour autant. »
Collaborer
!
Sur l’efficacité clinique, cette expérience nous montre qu’il faut être à l’écoute
de l’ambivalence qui nous lie aux patients. Ils n’ont de cesse de questionner nos
orientations théorico-pratiques, nous confirmant ou nous invalidant dans nos
choix cliniques. Par ailleurs, en acceptant les limites de notre cadre thérapeu-
tique, nous avons pu accéder à de nouvelles possibilités de prise en charge. Ces
dernières se sont révélées bénéfiques pour l’enfant.
Nous avons donc réussi à nous ouvrir à de nouvelles orientations cliniques. C’est
l’essence même de notre métier. La psychomotricité est née au carrefour de
nombreuses sciences constituées. Pourquoi donc ne pas assumer cet héritage
d’ouverture ? Dans la psychomotricité, il y a déjà de l’autre, de la rencontre,
de l’émotion et de l’apprentissage. Un « toi et moi », soit deux sensibilités
différentes. Une discipline à la jonction de plusieurs courants doit faire dialoguer
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idées et conceptions.
Pour ainsi concilier les différentes approches de l’autisme, il faut exclure l’idée
d’une vérité absolue mais considérer un handicap complexe dans lequel plusieurs
niveaux d’analyse se chevauchent sans se confondre. D’autres que nous œuvrent
à ce rapprochement. Dans un article publié sur le site web de la CIPPA, Amy
prône un rapprochement des courants psychanalytiques et cognitifs, dans une
vision intégrative (2012) :
« Si je juge que l’approche psychodynamique est d’une aide précieuse pour les
autistes, elle ne suffit pas à elle seule. Mais je pense qu’il en est de même pour
les approches cognitives [...] Les autistes n’ont pas à marcher à cloche-pied, c’est-
à-dire à avancer sur la jambe des cognitions ou sur la jambe des émotions. C’est
lorsque celles-ci avancent de concert que ces personnes réussissent à marcher. Il
faut apprendre, [...] et il faut mettre sur ce que l’on apprend un sens à la fois
cognitif et émotionnel. »
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Ces propositions ont bien sûr besoin, pour être mises en œuvre, d’échos en
termes de formation. Nous conclurons par l’enseignement de Boutinaud (2009) :
« N’oublions pas que c’est ici de modèles dont nous parlons, modèles qui ne
manquent pas de nous servir de support mais qui doivent aussi rester en perpétuel
remaniement, toujours en balance entre la réalité des vécus partagés en séance et
leur analyse éclairée tant par la théorie que par nos ressentis propres. »
40 A UTISME , CORPS ET PSYCHOMOTRICITÉ
A NNEXES
Annexe 1
!
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1967 : Parution de l’ouvrage « La forteresse vide » de Bettelheim.
1980 : Création en France de l’Association pour la Recherche sur l’Autisme et les
Psychoses Infantiles (ARAPI).
1989 : Création d’Autisme France, par des parents refusant la psychanalyse, en
opposition avec l’ASITP.
1992 : Création du Réseau International d’Institutions Infantiles R13 par Jacques-
Alain Miller.
1996 : Le Parlement européen adopte une Charte des droits de la personne autiste
en insistant sur les droits à l’éducation et à l’autonomie. En France, la loi Chossy
reconnait l’autisme comme un handicap. L’accent est clairement mis sur les méthodes
cognitivo-comportementales.
2003 : Le comité européen des droits sociaux condamne la France pour non-respect
de l’obligation à l’éducation pour les enfants autistes.
2007 : Le Comité National d’Ethique (CCNE) épingle la France pour « une errance
diagnostique, un déni pur et simple d’accès au choix libre et informé dû à des réti-
cences culturelles » ainsi qu’une scolarisation « fictive » des enfants autistes.
2012 : L’Autisme est désigné Grande cause nationale. En mars, un rapport de la HAS
recommande l’utilisation des méthodes comportementales et éducatives. Il prend ses
distances avec la psychanalyse en la qualifiant de « non consensuelle » et condamne
le packing.
Autisme : un débat passionné qui a besoin d’être raisonné 41
Annexe 2
!
Nous pensons que bien souvent l’opposition entre les courants commence dès
l’emploi de certains termes. Il nous paraît donc important de réfléchir à un
lexique commun et de proposer quelques « traductions » des termes psychanaly-
tiques et comportementaux car les praticiens de part et d’autre utilisent souvent
un vocabulaire différent pour décrire des réalités semblables.
En voici quelques illustrations :
PSYCHANALYSE COMPORTEMENTALISME
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Morcellement Manque de structuration du schéma
corporel et de l’image du corps
Fusion, identité adhésive Besoin de coller à l’adulte, hyposen-
sibilité proprioceptive
Angoisse Fond anxieux, anxiété, stress
Retrait Idem
Rituels Idem
Stéréotypies Idem
Jeu libre Activité spontanée
Démantèlement Manque de cohésion centrale
Clivage vertical Difficultés de coordination et de régu-
lation tonique au niveau axial entre
les hémicorps gauche et droit
Clivage horizontal Difficultés de coordination et de régu-
lation entre les parties supérieure et
inférieure du corps
42 A UTISME , CORPS ET PSYCHOMOTRICITÉ
Annexe 3
!
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en effet que la tête de l’animal.
Cet exemple appelle la notion de vision en 2 ou 3D particulière de la personne autiste
ainsi que la difficulté à repérer des espaces différents et à synthétiser les informations
en un tout cohérent. Pour l’approche psychanalytique, l’angoisse de morcellement et
le concept de la permanence de l’objet sont ici convoqués au premier plan. La logique
d’action est similaire : regarder, interpréter, agir, juger si la réponse a été suffisante en
se basant sur le discours de la personne autiste et en testant à nouveau la situation.
Le même psychologue préconise un mode de communication concret qui repose sur
quelques principes simples : créer un contexte dans lequel nous rencontrons le style de
pensée spécifique d’une personne avec autisme, clarifier les informations et les mettre
en lien avec les motivations du jeune et rendre visible ce qui est invisible, concret
ce qui est abstrait souvent en le traduisant visuellement. Cette méthode nécessite de
réaliser que la personne autiste pense de manière différente et d’être créatif. Car il
s’agit de répondre aux questionnements de la personne dans son individualité. Cet
outil adapté à la personne autiste montre son utilité quel que soit le courant théorique
sous-jacent à son utilisation.
Les émotions
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Chap. 1 Vignette . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
Chap. 2 Analyses psychomotrices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
Chap. 3 Identifier les émotions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
Chap. 4 Abraham, un parcours d’exil émotionnel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
Chap. 5 Éprouvés corporels et émotions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
Chap. 6 Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
Chapitre 1
Vignette
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Julie Lobbé
Bilan psychomoteur
Lors de notre rencontre, Abraham présente des troubles du comportement qui
semblent liés à une problématique sensorielle. En effet, il stimule son audition (chante,
siffle), le toucher (touche des objets et sa salive), la proprioception (flapping, tape sur
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sensations corporelles. Mon ressenti premier est alors celui d’un envahissement d’ex-
citation (je peine à trouver mon équilibre) qui laisse place à un moment où l’échange
ancré dans les corps devient source d’apaisement. Retrait et rire accompagnent la
mobilisation des jambes. Je propose alors à Abraham de le faire lui-même, ce qui lui
permet d’accéder à des sensations mieux régulées. Par la suite, il me demande à
moduler les pressions sur ses jambes. Au bout de plusieurs séances, il dit : « merci ».
La sécurisation par le dialogue tonique permet de travailler la structuration visuelle
matérielle. En effet, angoissé par « ce qui va se passer » il présente de nombreuses
stéréotypies verbales. Le besoin de structuration du temps est manifeste. En réponse,
je propose un Time – Timer (outil permettant de visualiser concrètement le temps et
son écoulement) ainsi qu’un emploi du temps écrit des activités. Ces outils créent un
cadre rassurant permettant une expression croissante, notamment des émotions.
Les émotions verbalisées et le dialogue tonique à l’initiative d’Abraham
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Abraham interroge fréquemment sur la colère : « Untel va être fâché si je fais ça ? »
Très excité, il met sa main sur mon bras et s’apaise instantanément. Son regard se
dirige vers le mien, il sourit. Lorsque je nomme l’émotion (« Tu as l’air content »), il
rompt le contact. Verbaliser l’émotion n’est pas encore possible. Il semble dans le
besoin d’un ressenti non verbal partagé.
Au fil des séances, l’adolescent questionne l’émotion :
« Pourquoi tu souris ?
Parce que je suis contente.
Pourquoi tu es contente ?
Je suis contente de travailler avec toi ».
Abraham sourit lui aussi. Je lui fais remarquer qu’il est, lui aussi, content. Il sourit à
nouveau. Ces progrès ouvrent la voie d’un travail plus éducatif sur la reconnaissance
des émotions primaires et de leur expression sous forme de mimiques.
Des interrogations surviennent. « Est-ce que les mains, elles peuvent se décrocher ? »
Il appuie alors sur les os de mon poignet et demande « c’est quoi ça ? » Je lui montre
les articulations des mains, des bras, du tronc... J’explique et fais sentir la présence
des os, des muscles et de la peau par la manipulation concrète. J’utilise un livre sur
la constitution du corps. Il est passionné. Émerge alors la question : « Est-ce que les
mains peuvent se décrocher quand on est mort ? »
Conclusion
Le suivi d’Abraham reflète l’importance de la sécurisation émotionnelle dans le suivi
d’un adolescent avec autisme. Celle-ci est permise à la fois par le dialogue tonico-
émotionnel et la structuration matérielle du temps. Cette double proposition thérapeu-
tique est dictée par l’hétérogénéité des besoins d’Abraham. Une fois la sécurisation
inscrite comme une réalité corporelle et cognitive, il peut dès lors verbaliser des émo-
tions.
Chapitre 2
Analyses psychomotrices
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Bernard Meurin
Damasio (2001) raconte l’histoire de Phineas Gage, chef d’équipe dans une
compagnie de chemin de fer et chargé de faire exploser la roche pour construire
les voies ferrées. En 1848, une forte explosion accidentelle propulse une tige de
fer « dans la joue gauche de Gage, lui a percé la base du crâne, traversé l’avant
du cerveau, pour ressortir à toute vitesse par le dessus de la tête ». Si Gage a
survécu, il n’en demeure pas moins que sa vie émotionnelle, affective et sociale
en fut très affectée. Débordé par des réactions émotionnelles fortes, il lui était
désormais impossible de raisonner et de s’investir longuement dans une activité.
L’émotion est donc au cœur de notre vie affective et est impliquée dans notre
vie sociale et nos capacités cognitives.
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Dans la situation d’Abraham, nous percevons clairement les deux versants, cor-
porel et représentatif, de l’émotion. Ces deux aspects semblent en décalage en
dépit du fait qu’ils soient tous les deux décrits comme envahissants. Sur le plan
corporel, ce sont des cris, des rires et des paratonies. Sur le plan psychique,
la colère préoccupe Abraham, colère qu’il imagine chez l’autre mais dont nous
pouvons nous demander ce qu’elle signifie réellement pour lui. Face à cette
situation, Julie Lobbé décide de faire une « sécurisation émotionnelle » en
travaillant essentiellement sur les ressentis. Cela permet à Abraham d’affiner
48 L ES ÉMOTIONS
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différemment ?
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tation psychique d’une émotion ne peut se construire que conjointement à un
éprouvé du corps. Comme le précise Julie Lobbé, cet éprouvé ne prend sens que
dans la relation avec autrui au travers du dialogue tonico-émotionnel puisque
c’est dans ce moment de plaisir et d’attention partagé que l’adulte donne sens
aux variations toniques de l’enfant.
É MOTION ET AUTISME
Cette manière de penser l’émotion nous permet d’être attentifs aux réactions
corporelles et aux interprétations possibles. À titre d’exemple, Enki est, 12 ans,
présente des comportements d’automutilation très graves. Il s’arrache les oreilles
ou se frappe le visage. Il a donc la tête couverte de bandage lors de notre pre-
mière rencontre. Pour entamer la relation, je passe un petit ventilateur lumineux
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devant lui, suscitant ainsi une double modalité sensorielle, tactile et visuelle.
Celui-ci se redresse en expirant plusieurs fois bruyamment, il approche son visage
du ventilateur. Cette attitude augmente les sensations désorganisantes chez
Enki. Il se met à geindre et pleurer. Nous pouvons alors légitimement penser
que ce sont, faute de langage verbal, les pleurs qui dénotent le déplaisir d’Enki.
Je choisis de comprendre ces pleurs, non comme un désir d’arrêter ces sollici-
tations, mais comme une réaction corporelle consécutive à la gestion des flux
sensoriels. Dès lors, il ne s’agit pas d’interrompre les sollicitations en imaginant
qu’il les refuse, mais de modifier leur mode de présentation. Ainsi, je passe le
ventilateur non plus devant le visage mais sur les jambes et les bras d’Enki qui
se montre à nouveau attentif et va spontanément rechercher le ventilateur pour
continuer l’activité. Une autre séquence renforce cette hypothèse. Alors qu’il
50 L ES ÉMOTIONS
est assis, je souffle dans une pipe provoquant la levée d’une petite balle de
polystyrène. Enki regarde intensément ce qui se passe, pleurniche et manifeste
des réactions tonico-émotionnelles de type flapping. Puis, l’excitation montant,
il se frappe à plusieurs reprises le visage, ce qui pourrait être perçu comme de
l’auto-agressivité. En prenant les mains d’Enki pour empêcher qu’il se frappe et
en caressant son visage, je verbalise que c’est peut-être sa façon de nous dire
qu’il ressent beaucoup de choses dans son corps. Ses mains libérées, Enki tape
aussitôt dans la balle. Surpris par ce geste, je ressens une émotion que j’exprime
spontanément : « Bravo Enki, super ! » Enki est lui aussi surpris et sensible à
mon plaisir. Il réitère son geste en riant de bon cœur et ce fut l’occasion d’un
réel moment de plaisir partagé.
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C ONCLUSION
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Julie Lobbé
L E MOUVEMENT ÉMOTIONNEL
Il est donc important de reconnaître les émotions et leur lien avec le corps. La
prise en charge passe donc par la reconnaissance des émotions et leur apaise-
ment, de sorte qu’Abraham ose s’engager dans l’action. Cet apaisement prend une
forme corporelle que je propose puis qu’Abraham peut venir chercher progressi-
vement. Il prend également une forme verbale : les mots rassurent et apaisent
parce qu’ils répondent à des questionnements de l’adolescent. Par exemple sur
l’anatomie.
L A SÉCURISATION
La sécurisation humaine
!
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Pour Montagner (2006), l’enfant s’installe sur le versant de la sécurité ou de
l’insécurité selon le milieu dans lequel il évolue. Particulièrement dans les trois
premières années de vie, l’enfant sécure libère ses émotions primaires, préludes
aux émotions secondaires. En effet, selon Boscaini (2007), les émotions sont
classiquement divisées en deux groupes : d’abord, les émotions primaires (joie,
colère, peur, tristesse, surprise et dégout). Universelles et innées, « elles sont
faciles à identifier chez les êtres humains appartenant à diverses cultures ainsi
que dans les espèces non humaines » (Damasio, 2003). Les émotions secondaires
(sympathie, gratitude, admiration, mépris, culpabilité, honte...) apparaissent
plus tard dans le développement. Élaborées sur la base d’émotions primaires,
elles développent la capacité d’adaptation du sujet à son environnement social.
Les émotions d’arrière-plan, enfin, constituent une catégorie supplémentaire
qui donne une tonalité de fond qui définit ce qu’une personne nous inspire :
« enthousiaste, démoralisée, à cran, enjouée » (Damasio, 2003). Les émotions
sont complexes et l’enfant avec TSA a besoin, ici, d’un accompagnement rassurant
et confiant.
La sécurisation matérielle
!
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P ROPOSITIONS DE PRISES EN CHARGE
Abraham est scolarisé. Il est donc pertinent d’aborder la question de l’école car
un enfant en situation de handicap est soumis à l’obligation de scolarisation
comme tout autre enfant. La loi 75-534 du 30 juin 1975 (consolidée en juin
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L’enfant est le même entre les lieux éducatifs et de soins. Son projet également.
Pour autant, il est fréquent que chaque acteur réalise son propre projet dans
une sphère donnée. La psychomotricité peut constituer une synergie entre les
acteurs du soin et de la pédagogie. Cette synergie concerne également la sphère
familiale.
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suivi. L’entourage peut aussi trouver un soutien auprès du psychomotricien. Il
ne s’agit pas d’un rapport pédagogique entre thérapeute et famille, mais plutôt
d’aider l’enfant ensemble. La famille a en effet besoin d’être accueillie dans
un espace qui n’est pas celui du travail mais plutôt un espace où chacun peut
prendre sa place. Dans une vision systémique, on peut penser que l’enfant autiste
déstabilise la sphère familiale et peut occasionner une « spirale relationnelle »
(Pelletier-Milet, 2010) marquée par la fatigue et l’impuissance. Le psychomo-
tricien peut intervenir comme un médiateur pour « redonner de l’espace de
vie à chacun » (Pelletier-Milet, 2010). Ce processus repose en premier lieu sur
la confiance des parents, facilitant les moments d’émotions et d’apprentissage
commun.
Ainsi, j’interviens au domicile de Thimothé, enfant avec TSA de 6 ans dans le
but d’agir sur son sommeil. En effet, il ne dort pas plus de 4 heures par nuit.
Particulièrement réceptif aux pressions tactiles fortes au niveau des mains, il
accepte que sa maman fasse de même et choisit de placer une image symbolisant
le temps « des mains » sur l’emploi du temps visuel des étapes de la journée,
avant l’histoire pour dormir. La maman m’appelle le lendemain : Timothé a
dormi 6 heures ! Je pense que cette expérience a constitué une piste concrète
d’amélioration de la vie quotidienne d’une part et une possibilité relationnelle
d’autre part. Une « petite distance qui fait déclic » (Pelletier-Milet, 2010).
Cambe, Laurent et Laxer (2003) rappellent que les parents d’enfants handicapés
subissent souvent une « diététique informationnelle », allant « d’une anorexie
involontaire à une boulimie provoquée » (de Rosnay dans Cambe, Laurent et
Laxer, 2003). D’un trop-peu à un trop-plein d’informations. Il me semble que
Identifier les émotions 55
les parents ont plutôt besoin d’échanger sur les inquiétudes, les résistances et
les progrès. Il paraît donc essentiel de les intégrer au suivi de leur enfant en
composant avec leurs contraintes, leurs savoirs et leurs convictions. Les parents
constituent une mine d’informations sur leur enfant et permettent d’adapter au
mieux la prise en charge.
C ONCLUSION
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l’abord corporel des émotions dans la spontanéité conjuguée à des supports
plus cognitifs est porteuse, de même que le maillage des acteurs autour de
l’adolescent.
Chapitre 4
Abraham, un parcours
d’exil émotionnel
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Tiphanie Vennat
L E N OM DU P ÈRE
Ce concept, rappelons-le, est défini par Lacan (1981) comme le processus par lequel
l’enfant accède à la chaîne symbolique et au langage par la mise en place de la
métaphore paternelle qui consiste à substituer le Nom du Père à l’objet perdu. Cette
fonction symboligène permet notamment de supporter les séparations et de lier un
signifiant à un signifié.
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L’émotion chez Abraham n’est donc pas arrimée à un signifiant de langage qui
lui permettrait de supporter l’absence, mais bien en exil et cherchant un port
d’attache dans l’expérience corporelle des « appuis contre les choses ou les
personnes ».
À cette perte symbolique du référent paternel s’associe la perte de la mère dont
le décès a pu avoir chez Abraham un effet traumatique. Or nous savons que tout
traumatisme peut générer des symptômes émotionnels comme l’anxiété décrite
dans la clinique de l’enfant. Par ailleurs, les éléments anamnestiques ne donnent
aucune indication sur la relation précoce mère-enfant mais nous savons que si,
dans le lien, l’émotion n’a pas été transmise charnellement, corps à corps vers
l’enfant, celui-ci n’a pas de lecture possible de ses émotions, faute d’assises
corporelles suffisamment constituées. Dès lors, l’émotion reste bloquée dans le
corps.
Il semblerait que, pour Abraham, le corps soit un lieu privilégié d’expression émo-
tionnelle, une terre d’asile pour l’émotion ne pouvant être contenue par ailleurs.
Cette idée d’émotion incarnée rejoint naturellement la conception freudienne
de l’affect, envisagé comme qualité émotionnelle qui s’origine dans le corps au
départ d’une pulsion qualifiée de poussée d’énergie (2010). Nous approchons
donc la définition de l’émotion dérivant du verbe émouvoir dont l’étymologie
latine signifie mouvement hors de. L’observation clinique de la psychomotri-
cienne tend à confirmer cette acception de l’émotion comme mouvement : « Les
activités dynamiques provoquent des réactions émotives. »
Abraham, un parcours d’exil émotionnel 59
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Cette image du corps inanimée aurait comme fonction première de contenir
les débordements émotionnels qui animent le corps de l’enfant. Nous pourrions
dès lors envisager la représentation géométrique du corps d’Abraham comme
une « image du corps pré-contenante », moyen de mesure ou d’organisation
formelle qui garantit des limites symboliques stables à son émotion. C’est ce que
j’observe également chez un jeune enfant diagnostiqué Asperger qui me demande
régulièrement de mesurer à la règle toutes les parties de son corps. Comme pour
maîtriser ce qui pourrait, à l’intérieur de cette aire corporelle, l’émouvoir.
La recherche de « points d’appuis avec des personnes ou des choses » ainsi que
le choix thérapeutique du toucher-pressions en relaxation semblent également
répondre à ce besoin élémentaire de « bordage corporel » qui donne à l’émotion
un contour sécurisant. Tout se passe comme si les objets physiques et la consis-
tance du contact avec l’autre tenaient lieu momentanément de corps. Un corps
devenu par procuration asile et lieu-refuge inviolable au sein duquel l’enfant
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L’ancrage émotionnel est aussi permis par la reprise en écho des verbalisa-
tions de la psychomotricienne. Car c’est probablement en liant son discours au
sien, que l’enfant trouve un point d’ancrage, ce que j’appelais plus haut « faire
correspondre dans un système symbolique une émotion à un mot ».
Comme nous le montre l’évolution du suivi, Abraham commence donc à se lier
à ses émotions en interrogeant régulièrement la force de ce lien au travers des
éléments corporels éprouvés dans la relaxation : « Est-ce que les mains, elles
peuvent se décrocher ? » Ce questionnement m’évoque le vécu de morcellement
d’un autre enfant préoccupé par le démembrement de son squelette, le décro-
chage de certaines parties du corps et la marque visible de l’absence à travers les
moignons : « Et ben moi avec tous ces bouts je ressens rien ! » Ce qui illustre
assez bien l’idée d’émotions mutilées que le patient cherche à rassembler dans
une unité corporelle sereine. Mes propositions se situent également autour d’un
travail des articulations du squelette et de réarticulation des émotions.
Le travail de l’articulation, au sens anatomique, en psychomotricité m’apparaît
essentiel à plusieurs titres :
➙ l’articulation, c’est d’abord ce qui fait lien et ce qui articule deux espaces-os.
C’est en ce sens qu’elle se révèle espace transitionnel important chez cet
enfant depuis toujours en transit. Par cette transitionnalité, Abraham pourra
faire correspondre un ici avec un ailleurs, une main avec un bras, un mot avec
une émotion, un « ce qu’il est » avec un autre ;
➙ articuler, c’est aussi la possibilité d’entrer en mouvement, un mouvement qui
engage naturellement une émotion ;
➙ Enfin articuler, c’est aussi un registre de langage, un travail du dire qu’on
imagine propice.
Abraham, un parcours d’exil émotionnel 61
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C’est alors que la psychomotricité agit comme un fait d’existence et met Abraham
à l’épreuve de ses émotions et de sa condition humaine.
C ONCLUSION
Abraham nous apprend que l’émotion d’un enfant présentant des troubles du
spectre autistique est une dimension fragile de son incarnation. La pratique
psychomotrice, à travers le dialogue tonico-émotionnel et les nombreux supports
symboliques à l’expression de cette émotion, s’avère toute particulière dans ce
travail. Néanmoins, la spécificité de cette thématique ne doit pas faire oublier
que notre métier de psychomotricien est en lui-même un métier d’émotion,
conditionné à la qualité de la relation entre nos éprouvés et ceux de notre
patient.
Chapitre 5
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Sylvie Gadesaude
S’interroger sur les émotions dans notre travail auprès des enfants autistes
revient à s’interroger sur nos éprouvés corporels. Émotion, au sens étymologique,
vient de emovere : mettre en mouvement. Quelle rencontre avec l’environnement
ne provoque pas un mouvement d’attraction ou de fuite, si discret soit-il ? C’est
l’essence même de la vie. De Ajurriaguerra décrit l’organisation psychomotrice
de base où les réflexes archaïques du nouveau-né deviennent des actes à la
condition que l’enfant éprouve la résistance du milieu grâce à des stimulations
extérieures qui rompent l’équilibre de son organisation interne.
Damasio (2010) apporte un éclairage complémentaire en faisant intervenir les
émotions dans la construction de cette organisation. Il y aurait juxtaposition de
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plutôt bien déliée et prennent des postures d’équilibristes aux confins d’une
chute permanente dans laquelle un sentiment de tourbillon et/ou de recherche
épuisante d’excitations m’atteint. Ce sont plutôt des enfants « emmêlés » dans
l’autre, nous dit Tustin. Par ses capacités d’interaction, Abraham me fait penser
à ces derniers.
Julie Lobbé, pour garantir la sécurité d’Abraham, va s’appuyer sur tous les
matériaux à portée de l’enfant, psychiques ou matériels et qui participent à la
constitution des contenants de pensée. Une pensée qui, lorsque tout va bien,
équipe l’enfant d’une fonction pare-excitante.
La constitution des contenants de pensée, nous dit Berger (1996), est l’ensemble
des expériences psychiques et physiques qui permettent à un sujet d’acquérir une
représentation de soi unifiée :
Les rituels dans les activités et le timer permettront à Abraham de vivre avec sa
psychomotricienne la continuité d’existence de ses vécus. Par la répétition des
propositions sensorielles, c’est le sens de la continuité corporelle. Les verbalisa-
tions et la stabilité émotionnelle de Julie Lobbé lui garantissent l’invariabilité de
Éprouvés corporels et émotions 65
ses repères corporels et lui permettent de créer des liens avec l’environnement
afin de s’enrichir sur les plans cognitif et relationnel.
La psychomotricienne en touchant et en nommant les parties du corps actionne
le toucher et l’audition pour rendre sensible la partie du corps touchée chez
Abraham. Au vu des réactions d’Abraham, on peut émettre l’hypothèse que c’est
un sentiment de « bon » qui en résulte et permet la répétition et l’intégration
des perceptions. Il se passe en même temps, un travail de segmentation des flux
sensoriel qui va isoler d’un point de vue spatial la réalité de la partie du corps
touchée et nommée et participer à la représentation du corps dans l’espace.
L’ensemble de la situation devient assimilable par Abraham grâce au rythme
approprié de Julie Lobbé. Je ferais là une proposition personnelle : le rythme
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qu’elle trouve assimilable pour elle-même devient concevable donc et porteur de
sens pour Abraham.
Parfois la répétition, plutôt que de participer à l’acquisition de nouvelles compé-
tences, devient un piège. Je me souviens d’Arthur, un enfant mutique de L’EMP
qui n’utilisait pas le pronom « je », se bouchait souvent les oreilles avec les
mains, se déplaçait en rasant les murs et ne supportait pas d’être touché. Il se
déplaçait, prenait les objets dans les placards d’un air affairé dans une ignorance
totale de ma personne qui me déconcertait. Ainsi, il commence à attacher un
boudin en mousse avec une corde, emmêle... démêle... emmêle... démêle. Sans
doute pour garder une contenance, je m’assois non loin de lui et je lui dis que
je suis là et que s’il a besoin de moi, il n’a qu’à me demander. Etrange nécessité
de rappeler à voix haute que je suis là et qui me jette un doute sur mon utilité.
Serais-je moi aussi déstabilisée dans ma contenance par cette rencontre ?
Arthur va jouer, en silence, ces premières séances. Je me sens mise à l’épreuve.
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commence à se tourner vers moi, comme s’il cherchait à ce que je vois mieux le
passage de la corde. Je pense à un petit rire intérieur qui viendrait planer dans
cette salle de psychomotricité à travers le mouvement de ses épaules. Un sens
commun au jeu nous réunit. Sans doute portée et rassurée par ce plaisir, je me
risque à suspendre l’arrivée de mon « là/pas là », comme un microrythme qui
viendrait varier la règle du jeu. Arthur jubile et marmonne. Il guette mon signal
avant de faire disparaître la ficelle. Cette fois-ci, son regard vient m’interroger
et semble me dire : « T’es prête ? Attention, je prépare quelque chose ? » La
suspension du temps est maîtrisée.
Plus tard, Arthur mettra en place des alignements, (une autre façon de concevoir
le rythme). Avec de petites pièces identiques et de couleurs variées. En le voyant
s’affairer avec concentration sur ces petites pièces, les plaçant ici ou là dans un
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geste sûr et déterminé, c’est une sensation enfouie qui fait irruption, le plaisir
de trier, catégoriser et ranger. Un plaisir de maîtrise. C’est cet éprouvé corporel
qui m’a amenée à dire à Arthur : « papa, maman, bébé. » Une proposition, sans
doute déjà ressentie, d’organiser le monde et ses objets parmi d’autres. Un petit
rire jubilatoire a secoué à nouveau les épaules d’Arthur. Il a repris les pièces et
a répété en les organisant à sa manière : « papa, maman, bébé. » Puis, il m’a
attendue et m’a montré une petite pièce : « et ça ? » J’ai nommé la petite pièce
avec une intonation d’interrogation, comme si je lui demandais son avis aussi.
Prosodie dans la voix scandée par le même rythme binaire du là/pas là ? Des
premiers échanges, nous sommes partis sur de nouvelles propositions, élargissant
la gamme de possibles sens communs.
Arthur dit : « piscine », en installant de petites pièces de couleurs sur le tapis
bleu, figurant les séances de piscine du mardi. Nous avons rejoué les émotions
traversées dans cet atelier, la peur de tomber, le chaud de l’eau, le froid qui
fait frissonner, les bêtises des copains et le refus d’entrer dans l’eau. À chaque
fois, une certaine continuité d’existence devenait partageable par petites pièces
interposées.
Mon expérience auprès des enfants me laisse penser que ces émotions s’appuient
sur un fond rythmique binaire (« là-pas là ») avant de gagner en nuance.
Partant de cette émotion initiale d’ennui, je laisserai la conclusion à Denis
Mellier : « Ne regrettons pas cet ennui, si nous en faisons quelque chose. »
Chapitre 6
Synthèse
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Julie Lobbé
Abraham est une personne qui m’a touchée par son histoire et par la qualité de
relation que nous avons pu établir. Dans ce contexte émotionnel, le recul et la
réflexion paraissent d’autant plus fondamentaux pour éclairer les angles d’analyse
qui aurait pu m’échapper. La réflexivité, qui se définit comme « le retour de la pensée
sur elle-même » (Wittorski, 2001 in Bouissou et Brau-Antony, 2005), n’est pas
une introspection car elle « suppose que l’individu puisse se dégager de son cadre
habituel de référence et fasse appel à d’autres grilles de lecture que les siennes. »
(op. cit.) L’autre participe à la construction de soi. Aussi, je suis particulièrement
intéressée par l’analyse de mes collègues, qui se révèle source de convergences avec
ma propre analyse mais qui ouvre aussi des pistes de réflexion inédites.
Concernant les convergences tout d’abord, Bernard Meurin, resituant l’enseignement
de Wallon, propose d’emblée l’émotion comme le socle des capacités cognitives.
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Cet auteur nous apprend également que « (...) les émotions (...) ont pour étoffe
le tonus musculaire » (Wallon, 1949). Cette articulation entre émotion, cognition
et corps est notre socle commun. Il en est de même concernant le rôle central de
l’éprouvé corporel : pour Tiphanie Vennat et Sylvie Gadesaude, interroger l’éprouvé
corporel du patient et le sien propre est l’essence du métier de psychomotricien.
Bernard Meurin rappelle qu’il constitue la base de la représentation émotionnelle
et qu’il s’agit de se méfier d’une interprétation cognitive trop rapide. Ses réflexions
autour de l’origine de l’émotion permettent de remettre en question mon analyse
et de l’enrichir. En effet, Bernard Meurin rappelle que nous comprenons souvent
la manifestation émotionnelle en nous basant sur sa part représentative. Nous
analysons des signaux pour en inférer le sens ainsi que je le fais avec Abraham en
lui disant qu’il semble heureux car il sourit. Il met en garde contre une interpréta-
tion neurotypique des signes et conseille de se montrer attentif à l’environnement
sensoriel. En effet, je partage l’avis que, chez des patients en défaut de capacité de
représentation, c’est « la manifestation corporelle qui constitue l’émotion et il n’y a
...
68 L ES ÉMOTIONS
...
pas forcément à chercher, derrière, un hypothétique sens caché ». Bien qu’évoluant
dans un milieu cognitivo-comportemental, je constate que je peux me fourvoyer
au jeu de l’interprétation. Ce paradoxe est tout à fait intéressant à considérer dans
le but d’améliorer une approche respectueuse du fonctionnement cognitif de la
personne avec TSA. De même, alors que la prise en charge d’Abraham m’apparaissait
comme une des plus « libres » que j’ai mise en place, Sylvie Gadesaude relève mon
rôle directeur concernant le rythme des pressions profondes, rythme qui me serait
adapté, assimilable et donc « porteur de sens pour Abraham ». La directivité est
parfois présente là où on ne l’attend pas.
Par ailleurs, j’ai pu apprécier le complément symbolique de l’analyse de ma pratique
concernant le toucher thérapeutique grâce à la vision de Tiphanie Vennat. Elle
explique en effet la possibilité de choisir un « plus fort » et un « moins fort » dans
les stimulations comme une acceptation de ma présence continue, en opposition aux
absences qui ont marqué le parcours d’Abraham. Cette articulation entre la clinique
et la symbolique de l’anamnèse me paraît éclairante dans le contexte d’Abraham
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car, comme le rappelle Tiphanie Vennat, l’émotion est aussi « histoire » émotion-
nelle. Pour Sylvie Gadesaude aussi, mon action vise l’installation d’une continuité
d’existence des vécus d’Abraham sur un plan matériel (en utilisant des outils de
structuration), corporel (par la répétition du toucher et des sensations associées) et
émotionnel (par ma stabilité émotionnelle dans le dialogue tonico-émotionnel). Ces
analyses viennent compléter le travail réalisé sur la base du toucher, intervention
inscrite dans la collaboration avec la famille et l’école et vision qu’il m’est cher de
faire valoir.
Les éléments amenés par les coauteurs permettent de questionner ma pratique dans
le but de la faire évoluer au service des patients, sur la base d’angles d’analyse
différents, qui permettent d’envisager des axes de réflexion nouveaux. Ainsi, la
suggestion de Tiphanie Vennat sur l’exil et la terre d’asile m’amène à favoriser le
regard interculturel sur la situation et la prégnance de l’arrachement à sa terre,
décrit par les personnes qui ont migré. Par ailleurs, elle amène mon regard sur la
double composante étiologique présente chez Abraham. En effet, si celui-ci montre
de signes cliniques et un parcours tout à fait en accord avec un autisme précoce,
Tiphanie Vennat rappelle que la dimension traumatique de la perte est tout à fait
prégnante chez lui. La perte physique de sa mère et celle symbolique de son père
ont pu générer des symptômes émotionnels.
PARTIE II
L’oralité
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Chap. 7 Vignette . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
Chap. 8 Intégrer la sphère orale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
Chap. 9 Neurodéveloppement et stimulation de la zone orale . . . . . . . . 77
Chap. 10 L’impossible tétée. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
Chap. 11 Une bouche seule, ça n’existe pas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
Chap. 12 Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
Chapitre 7
Vignette
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Bernard Meurin
Camilla et l’oralité
Camilla est une petite fille de 6 ans et demi qui présente des troubles importants de la
communication. Le diagnostic d’autisme atypique a été retenu.
Camilla présente des antécédents médicaux importants dont une hernie diaphragma-
tique avec difficultés respiratoires opérée à un mois de vie. Elle souffre également
d’un reflux gastro-œsophagien sévère justifiant d’une gastrostomie et une interven-
tion de type Nissen. Elle présente également une neuromyopathie congénitale avec
hypotonie.
Le développement psychomoteur s’est déroulé avec retard : station assise vers 18
mois, marche autonome vers 3 ans et premiers mots vers 2 ans et demi. À 6 ans et
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mais son regard ne se dirige pas vers la stimulation sonore.
Sur le plan tactile, Camilla se montre particulièrement sensible aux stimulations qui
lui sont proposées, notamment au niveau des jambes. Elle se recrute fortement et
manifeste des réactions tonico-émotionnelles de type « flapping ». Elle se montre très
sensible au flux de l’air provoqué par un ventilateur placé face à elle. Elle cherche le
contact, de bons échanges apparaissent alors.
Sur le plan tonique, elle présente une importante laxité au niveau des jambes et du
bassin. Elle peut replier complètement les jambes sous elle ou se plier en deux vers
l’avant avec une fermeture totale au niveau de l’articulation du bassin.
Les coordinations dynamiques générales (attraper ou lancer un ballon, grimper sur
un coussin et sauter) confirment les difficultés de mise en forme corporelle. Camilla
a besoin d’aide et de contenance pour réussir à s’ajuster et dérouler les gestes. Les
équilibres sont impossibles à réaliser à part quelques roulades sur un gros ballon.
Elle peut montrer les principales parties de son corps comme la tête, le ventre, la
bouche, les yeux... Elle peut aussi donner des indications pour situer les différentes
parties du corps sur un dessin de bonhomme. Refusant de dessiner, elle montre du
doigt où l’adulte doit placer les différents éléments.
Ni langage verbal ni phrases au cours de cette rencontre mais Camilla peut nom-
mer correctement quelques objets, parfois avec des mots justes comme « baguettes
de bois » ou « lampe de poche ». La zone orale (bouche et langue) est toujours en
mouvement (stéréotypies) avec parfois émission de sons non articulés.
Chapitre 8
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Bernard Meurin
L’espace oral est l’une des premières zones corporelles instrumentée : « Dans le
développement, la zone autour de la bouche et la bouche elle-même sont les
premières à manifester des conduites instrumentales [...] Ces conduites orientées
vers un but, des praxies, apparaissent bien avant les capacités de manipulation
et d’exploration avec les mains » (Bullinger, 2004). Les activités orales s’initient
1. 56 à 87 % des sujets présentaient des problèmes lors de cette activité de la vie quotidienne
(Ahearn et al., 2001 ; De Mayer, 1979 ; Martins et al., 2008 ; Nadon, 2007 ; Nadon et al., 2011 ;
Schreck et al., 2000) cité In Le Bulletin scientifique de l’Arapi – numéro 27 – printemps 2011
74 L’ ORALITÉ
dès la vie intra-utérine puisque c’est à partir des dixième et quinzième semaines
qu’apparaissent respectivement succion et déglutition. Ces deux activités se
coordonnent aux alentours de la trentième semaine. La comodalité entre le goût
et l’odeur se met également en place dès la vie intra-utérine. Schaal (1997)
met en évidence qu’un nourrisson se tourne préférentiellement vers l’odeur d’un
aliment régulièrement ingéré par sa mère durant la grossesse. Rappelons que
cette comodalité avait déjà été mise en évidence par Françoise Dolto (1984).
Après la naissance, le bébé doit être actif pour se nourrir. Il lui faut transformer les
réflexes de succion et déglutition en activités psychiquement habitées. C’est au cours
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des séquences de repas en relation que cette transformation se produit et cette trans-
formation nécessite un équilibre entre les ajustements posturaux et les sensations intra
buccales. Cet équilibre permet que succion et déglutition se coordonnent pour installer
de ce que Bullinger appelle la « chaîne narrative du repas » :
Sabine est une jeune adulte accueillie dans une maison d’accueil spécialisée.
L’équipe est très en difficulté car outre un autisme sévère associé à un déficit
moteur nécessitant une installation en fauteuil, elle manifeste d’importants
troubles du comportement lors des repas. Elle crie et se balance au point de
risquer un renversement arrière. La solution a été de mettre Sabine dos à un mur
sur lequel est posé un matelas pour éviter tout accident.
L’observation montre que Sabine arrive au réfectoire dans une posture d’emblée
compliquée. La tête rejetée en arrière, elle cherche à s’agripper à la poignée de
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son fauteuil. Elle ignore ainsi tout l’espace avant et ne prête aucune attention
aux personnes autour. Afin de contenir cette désorganisation, nous lui proposons
une contenance en posant fermement une main dans le dos et l’autre sur l’avant,
la pression exercée lui permettant de s’apaiser. Au cours du repas, Sabine qui
est en incapacité à tenir un couvert est nourrie par une tierce personne. La
mise en bouche ne pose pas de problème mais le rythme doit être soutenu. Elle
réclame une nouvelle cuillère à peine la précédente avalée. Cela se confirme dès
l’attente pour le changement de plat. La transition nécessitant un peu de temps,
la séquence de repas ne semble alors plus avoir de sens pour Sabine. Elle retire
sa blouse et se balance tout en criant. Elle se contorsionne et tourne la tête
probablement à la recherche d’un point d’agrippement et donc de stabilité. En
l’occurrence, la poignée de son fauteuil. Aussi, nous installons devant Sabine
une petite table sur lesquels des appuis sont possibles. Cet objet réifie l’espace
avant et lui permet d’attendre de façon plus sereine entre deux plats.
Comme Sabine présente une hypotonie de base importante nécessitant qu’elle
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soit attachée à son fauteuil pour éviter de glisser, la zone orale a pu être
comprise par l’équipe non comme un lieu pouvant accueillir aisément la nourri-
ture mais comme un moyen d’agrippement. Dès lors, ce qui apparaît de prime
abord comme une conduite désorganisée est compris comme une conduite active
de Sabine qui ne trouve que la poignée de son fauteuil pour se tenir. L’idée
de lui proposer un fauteuil plus adapté et enveloppant s’est fait jour. Il est
aussi apparu que l’espace avant était peu investi d’autant que Sabine n’était
pas mise contre la table compte tenu de ses balancements. Nous avons donc
réifié cet espace en proposant des coussins sur le ventre puis une petite table
à laquelle elle pouvait s’accrocher. Il s’agissait en quelque sorte de proposer
des « prothèses de rassemblement » contenantes et apaisantes. Enfin le dernier
point de réflexion concernait le rythme du repas entre l’avidité de Sabine et
76 L’ ORALITÉ
L E RELAIS ORAL
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se fait par l’enfant en passant quasi systématiquement par la bouche. Ce pro-
cessus permet d’articuler les deux hémicorps autour de l’axe corporel tout en
délimitant l’espace de préhension. Dès lors, ce ne sont plus les mouvements ou
les sensations en tant que tels qui motivent le bébé mais la conséquence de
ses mouvements, ce que Bullinger appelle « l’effet spatial du geste ». Lorsque
la zone orale et donc la bouche est peu investie ou détournée vers d’autres
fonctions comme l’agrippement ou les stéréotypies, ce relais oral est difficile à
mettre en place. Les espaces restent clivés.
C ONCLUSION
Très en lien avec les aspects posturaux, « l’espace oral » est non seulement
l’endroit par lequel nous mangeons et parlons, mais aussi celui sur lequel l’orga-
nisation tonique va s’enraciner et l’unité du corps se construire autour de l’axe
médian. Ce processus permettra l’accès progressif aux premières représentations
spatiales et à la constitution de l’espace de préhension, condition nécessaire
à l’apparition du pointage impératif puis déclaratif. Il nous apparaît essentiel,
dans la clinique de l’autisme, de ne pas focaliser sur les troubles alimentaires
qui ne sont souvent que la conséquence d’une fragilité dans l’intégration de la
zone orale. La prise en charge se doit de tenir compte des aspects posturaux,
tactiles et du rôle de la bouche (agrippement ou stéréotypie) pour la personne
avec autisme. Elle doit également être pluridisciplinaire et intégrer des moments
de sollicitations orales hors des moments de repas à visée nutritive.
Chapitre 9
Neurodéveloppement
et stimulation de la zone orale
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Julie Lobbé
La facette neurodéveloppementale
!
L’oralité est en lien avec l’alimentation, elle-même conditionnée par des méca-
nismes moteurs comme la gustation, la succion, la déglutition et la respiration
(Abadie, 2004). Cette maîtrise de l’espace oral précède la mise en place de
l’axe corporel et de l’espace de préhension (Bullinger, 2007 in Kloeckner, 2011).
Il est donc possible qu’un trouble de l’oralité puisse se trouver à l’origine de
troubles praxiques. Camilla parvient ainsi à descendre la fermeture éclair de son
gilet (donc à ramener ses mains vers son axe corporel) mais sollicite l’aide de
sa maman pour le retirer. L’impossibilité de croiser l’axe corporel, en utilisant
la main droite pour tirer sur la manche gauche par exemple, pourrait illustrer
son manque d’intégration et, en amont, le probable manque de construction de
l’espace oral.
78 L’ ORALITÉ
La facette corporelle
!
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Bellis, Buchs-Renner et Vernet (2009) rappellent que la nutrition entérale, par ses
aspects artificiels et passifs, n’est pas anodine. En privant le bébé de l’exercice de
sa bouche pour manger, elle peut provoquer des troubles de l’oralité alimentaire
ou dysoralité (Alexandre, 2014). En effet, les expériences orales actives de la vie
fœtale ont fait place à une oralité passive et contraignante voire douloureuse
(Bellis, Buchs-Renner et Vernet, 2009).
La facette psychique
!
La facette communicationnelle
!
La facette relationnelle
!
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au-delà de trois semaines induit un évitement du contact facial marqué par un
recul et des pleurs à l’approche d’un objet près de leur bouche [des bébés] ».
(Bellis, Buchs-Renner et Vernet, 2009) : ces signes cliniques sont proches d’une
expression autistique. On notera que Camilla présente un autisme atypique
probablement secondaire aux troubles somatiques qu’elle a rencontrés. Dans
ce contexte de TSA, l’oralité peut aussi être perturbée par des particularités
sensorielles (Levavasseur, 2016). Ce contexte complexe nous amène à considérer
une prise en charge globale.
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La stimulation orale
!
Kloeckner (2011) propose une structure de séance coréalisée avec les parents et
aménagée.
Tout d’abord, un temps de détente vise le relâchement tonique et la respiration,
qui « (...) est souvent bloquée chez les enfants qui ont des troubles de l’oralité »
(Kloeckner, 2011). Bernard Meurin confirme la difficulté de Camilla à souffler.
Un travail ludique du souffle peut être proposé, comme produire des bulles de
savon. L’imitation peut aider à la conscience de l’inspiration et de l’expiration,
en exagérant et avec des bruitages. Le rôle exploratoire de la respiration peut
ensuite être mis en jeu en respirant des objets odorants et des aliments, dans
un travail axé sur les ressentis de l’enfant, ses préférences et ses choix.
Un deuxième temps d’exploration d’objets a pour but de solliciter les différentes
modalités sensorielles. L’objectif recherché est l’intégration sensorielle qui, selon
Ayres (1979 in Kloeckner, 2011) est « l’élaboration de réponses adaptatives,
c’est-à-dire organisées et dirigées vers un but face à une expérience corporelle ».
L’enfant explore et choisit les objets manipulés. L’adulte l’aide à dépasser ses
hypersensibilités et l’incite à utiliser tous ses sens : Bernard Meurin utilise un
ventilateur, qui stimule et familiarise l’intégration sensorielle. Il enrichit ensuite
sa proposition avec un jeu de dînette pour combiner apport sensoriel et jeu
social et symbolique autour des rituels associés aux repas. S’amuser avec les
couverts et la pâte à modeler permet, outre l’exercice des praxies et du champ
sensoriel, de s’habituer à être assis à la table, à faire gouter et à partager.
Le troisième temps est constitué par une stimulation de l’espace péri-oral puis
oral. Cela paraît adapté pour Camilla qui peine à mettre en bouche un objet
ou à utiliser un micro. Des objets vibrants peuvent être choisis et associés à
Neurodéveloppement et stimulation de la zone orale 81
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représentation des expériences.
C ONCLUSION
L’impossible tétée
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Tiphanie Vennat
n’a pu se tenir au sein maternel comme à une corde tendue au-dessus du vide,
nous comprenons que persistent en elle les signes d’un effondrement lorsqu’elle
se laisse tomber dans les bras de sa mère ou à travers l’hypotonie de la sphère
orale pressentie à travers la fuite salivaire. Nous pouvons également supposer
que l’utilisation des objets sur un mode autistique, telle que décrite dans cette
vignette clinique, constitue une lutte contre cet effondrement répondant aux
mêmes principes de la tétée. En effet, comme nous le rappelle Delion (2002) à
propos de la théorie de Tustin, les objets autistiques sont des parties du monde
extérieur vécues par l’enfant comme siennes et auxquelles il s’accroche impé-
rieusement comme autant de tétines par lesquelles il essaie de se tenir. De la
même manière, nous pouvons interpréter la recherche de contenance de Camilla
comme une tentative de retrouver la sensation de la tétée qui, rappelons-le,
84 L’ ORALITÉ
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tagner, 1988), nous pouvons légitimement nous demander si cette difficulté
n’aurait pas affecté la qualité de sa relation à l’autre.
Pour conclure, il m’apparaît important de souligner que si nous ne pouvons
formellement attribuer l’origine des troubles de Camilla au vécu d’arrachement à
ou toute autre expérience désorganisatrice de l’oralité, il apparaît assez logique-
ment qu’elle constitue une hypothèse de travail pertinente dans le suivi de cet
enfant.
Dans la clinique psychomotrice des enfants avec autisme, un certain nombre d’élé-
ments peut signer une tentative de « récupération du museau » (Haag et Tordjman,
1995) : ceux qui se mordent compulsivement la langue, qui lèchent tous les objets à
leur disposition, qui suçotent ou qui persévèrent dans certaines conduites de succion
du pouce ou des doigts dans la bouche.
Dans le cas de Camilla, il semblerait que les mouvements de bouche et de langue,
ainsi que les recrutements des mains autour des lèvres, soient révélateurs d’une tenta-
tive de récupération du museau. La variété des recherches sensorielles de l’enfant est
ici à l’image de la grande diversité de sensations qu’offre la cavité orale. En effet, « la
cavité orale avec la langue, les lèvres, les joues, les voies nasales, et le pharynx est la
première surface à être utilisée dans la vie pour une exploration et une perception tac-
tile. Elle est particulièrement bien dotée en cela puisque toucher, goût, chaud et froid,
l’odorat, douleur et même sensibilité profonde impliquée dans l’acte d’avaler y sont
représentés » (Spitz, 1974). Le psychomotricien peut donc accompagner l’exploration
de Camilla par d’innombrables jeux de lèvres, de dents, de langue, de joues ou des
voies nasales. Dans certains cas et à la demande des enfants que je sens capable
d’assumer ce souhait, il m’arrive de toucher moi-même leur bouche ou leurs dents. Ce
L’impossible tétée 85
travail exploratoire nécessite une très grande confiance dans la relation étant entendu
que la bouche constitue un espace d’une grande intimité.
La pratique du portage au hamac, parce qu’elle invite à la régression des premières
expériences de « holding maternel » (Winnicott, 2006), peut également encourager
cette récupération du museau. Cela a été le cas pour Christian qui, une fois entouré de
plusieurs couvertures, a cherché à nicher nez et bouche dans les plis, les ondulations et
les circonvolutions du tissu qu’il humait délicieusement comme l’aurait fait un bébé en
rapprochant le doudou des ailes de son nez. Il finit par mettre son pouce à sa bouche
puis à faire de petits bruits comme s’il prenait plaisir à explorer pour la première fois
cette cavité primitive.
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« LE THÉÂTRE DE LA BOUCHE » EN PSYCHOMOTRICITÉ
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l’idée d’une gueule grande ouverte et dentée qui dévorait une autre gueule grande
ouverte et dentée qui en dévorait une autre et ainsi de suite. Le centre de la bouche
était représenté par un rond noir. Notons au passage que l’orifice buccal tel que
dessiné par Dani n’est pas sans rappeler le trou noir dans lequel l’enfant autiste se
sent précipité.
! Le texte. L’oralité est aussi question de langage. La zone buccale, dans les tout
premiers mois de la vie, est investie dans la fusion. Son activité est par ailleurs
exclusivement tournée vers le bébé, en raison de ses besoins fondamentaux d’in-
corporation et d’introjection. Mais à mesure que l’enfant s’émancipe du corps
de l’autre, la bouche devient facteur de séparation et d’ouverture à l’autre par
l’avènement du langage. C’est alors que l’enfant peut passer du dedans au dehors,
de l’impression à l’expression, du se nourrir au parler.
! Le costume. Comme évoqué précédemment dans l’analyse de Camilla, le tra-
vail de l’oralité implique une exploration de l’enveloppe corporelle. Rappelons ici
l’importance du travail de contenance qui consiste à mobiliser chez les patients la
capacité de tenir dans certaines limites ou tenir avec, unir, maintenir, embrasser.
Il peut s’agir d’une proposition de contact corporel, de régulation de la fonction
tonique, ou de l’utilisation d’objets médiateurs contenants.
! L’accessoire. Retenons que, comme nous n’avons cessé de le rappeler dans ce
chapitre, l’objet, qu’il soit agrippé ou porté à la bouche, est un outil thérapeutique
essentiel au travail de l’oralité en psychomotricité.
! Le décor. Décorer, orner, embellir, sublimer et investir positivement certaines
conduites orales parfois irritantes telles que mordre, lécher, cracher, souffler,
siffler ou grincer des dents, est ce qui incombe au psychomotricien engagé dans
l’accompagnement de l’oralité chez l’enfant autiste.
! Le public. Nous l’avons compris, l’oralité implique par essence la question de
l’autre. Manger, parler, embrasser, sont les grands enjeux relationnels de l’oralité.
Nous pourrions dire qu’elle assure des fonctions vitales du lien à l’autre.
L’impossible tétée 87
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Chapitre 11
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Sylvie Gadesaude
Pour Spitz, c’est dans l’intérieur de la bouche que commencera toute perception.
La cavité orale remplit la fonction d’un pont entre les perceptions internes et
externes. Étonnante vision moderne proposée par Bullinger sous l’angle des
premières conduites instrumentales, base de la subjectivité. Téter et déglutir
sont les premières actions musculaires actives et coordonnées de l’enfant. Ce
sont les premiers muscles contrôlés par la volonté.
Spitz parle d’une « gestalt » projetée vers cette cavité primitive. Trois organes y
participent depuis la naissance : la main, le labyrinthe, (par la mise en position
du nourrissage et caractéristique de la sensation protopathique) et la surface
90 L’ ORALITÉ
cutanée externe où sont indifférenciées, sans doute au départ, les sensations pro-
venant des passages buccaux, nasaux, laryngés et pharyngés. Il en conclut que,
dans cette situation singulière, aucune partie ne peut être différenciée d’une
autre. Cette expérience perceptive est inséparable de celle de la gratification du
besoin qui a lieu en même temps et qui mène, par une réduction extensive de la
tension, d’un état d’excitation ayant la qualité de déplaisir à un nouvel état de
calme, dépourvu de déplaisir.
Bullinger rappelle que les jeux de bouche sont les premières conduites orien-
tées vers un but. Ils entraînent une mise en tension qui sollicite la sensibilité
profonde et permet de ressentir l’ensemble de l’organisme en mobilisant un
grand nombre de groupes musculaires. Les stimulations tactiles sollicitent le
système archaïque en ce qu’il traite les aspects qualitatifs et peuvent induire
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des réactions d’hypertension en cas de déplaisir qui désorganise la position du
bébé. Il insiste sur la construction d’une chaîne narrative qui aboutit à l’état
final de plaisir.
Anzieu (1985) décrit les situations de tétée qui conduisent le bébé à faire
l’expérience d’une surface comportant une face interne et une face externe,
distinguant le dehors et le dedans et délimitant un volume.
Il précise comment les orifices (bouche, anus, méat urinaire, vagin, voire nez,
pavillon auriculaire, orbite, nombril) deviennent des zones érogènes – le cas
échéant – comme des figures ou des points de plaisir intense et rapide sur un
fond de sensualité globale de la peau.
L’histoire de Camilla laisse penser qu’elle a été privée de ces premières expé-
riences, subjectivantes car à l’origine des perceptions du soi et du non soi.
Camilla ressent-elle de la douleur ou du déplaisir quelque part ? Ses réactions
tactiles laissent entrevoir une appréhension au toucher. Après avis médical, la
balnéothérapie ou une activité de piscine en groupe seraient-elles envisageables
pour lui offrir des situations de holding sécurisantes et régressives – comme
souvent l’eau – et pour lui permettre d’éprouver des sensations de peau à peau,
de tenue du dos et de regard ? S’accommoder à l’univers aquatique sollicite un
travail polysensoriel par la nécessité de s’adapter à un nouvel état gravitationnel.
Les expériences de combinaison des perceptions sont induites naturellement
dans cet univers, précisément la peau, le labyrinthe, et la main. La bouche est
au centre de cette accommodation pour respirer et parler au milieu des gouttes
d’eau. Les jeux dans l’eau comme souffler ou faire des bulles permettraient
d’aborder les notions de dedans et dehors au même titre que tout simplement
dedans-dehors de l’eau.
Une bouche seule, ça n’existe pas 91
Ce travail dans l’eau laisse aussi une large part aux interactions, aux affects,
excitations, peurs, à partager dans une expérience qui serait subjectivante, tout
en permettant de mobiliser les images du corps passées et de les réactualiser
dans une image plus globale et en même temps plus différenciée, source de
plaisir et d’échanges porteurs d’émotions. (Roussillon).
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deviendra un objet d’amour.
Bick, traduite par Haag (1983), décrit l’objet optimum pour aider l’enfant à se
sentir exister dans les tout premiers temps :
« Le besoin d’un objet qui soit contenant semble bien, dans l’état de non-
intégration du premier âge, engendrer une recherche frénétique pour un objet-
lumière, voix, odeur, ou autre perceptible par les sens et qui puisse maintenir
l’attention et les parties de la personnalité, momentanément au moins. L’objet
optimum est le mamelon dans la bouche tout ensemble avec la façon qu’à la mère
de maintenir, de parler et son odeur familière. »
Tustin (1986) et Haag (1995) ont décrit comment la séparation avec la mère
avait pu être intolérable et vécue comme un traumatisme au plus profond du
corps des enfants autistes avec des éprouvés de morcellement, de discontinuité
et d’amputation du museau.
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H ECTOR
Hector a deux ans et demi. Avec une présentation de trouble du spectre autistique
et sans langage, il déambule sur la pointe des pieds, se montre évitant au contact
et utilise les objets dans un fonctionnement stéréotypé. Il est aussi capable de beaux,
mais brefs, échanges de regards. Ses sourires semblent dire qu’il est sensible aux
éléments émotionnels du contexte. Pendant les entretiens avec ses parents, il déambule
dans la pièce ou se tient sur les genoux de son père. Il adopte alors toujours la même
posture : assis à la recherche d’un appui dos, il lève les bras, accentue la position
d’extension et enfourne ses doigts dans les oreilles de son père.
Je propose d’imaginer une séance de bercement avec la maman. Les interactions du
départ ont été mises à mal, nous dit l’histoire familiale, Hector ne semble pas avoir
appris à se lover dans les bras de sa mère. Les parents ont essayé de se remettre
des débuts difficiles en faisant « vite » grandir Hector. Les petits jeux sensori-moteurs
92 L’ ORALITÉ
du début n’ont pas été explorés. C’était un bébé très sage dans la journée et qui ne
faisait pas de bruit, même pas au coucher.
Quand la mère prend son fils pour l’installer dans ses bras, Hector se jette en arrière
dans un mouvement d’hyperextension et de rotation vers l’extérieur. Sa maman le
contient. J’en profite pour tenir les pieds d’Hector afin qu’il trouve un appui contenant,
comme une fermeture au niveau du bas du corps. Je sens alors qu’il exerce une
poussée pour appuyer dessus. Peut-être cela lui donne-t-il une sensation de ressort
tout autour de son axe. J’ai l’impression que nous sommes maintenant bien installés
tous les trois car la pression des pieds a laissé la place à un contact lourd comme
si je portais un poids. Hector est enroulé autour de son axe, évite le visage de sa
mère. Il regarde vers l’extérieur ou moi quand je lui parle. Je présente une balle en
mousse à Hector blotti en boule. Je viens la poser sur les bras d’Hector et je dis :
« là/pas là, là/pas là », pour associer le rythme du contact avec une évocation ou
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un son. Hector regarde. Sa maman aussi. Je tends la balle à la maman qui prend
la suite : « là/pas là, là/pas là ». Elle la promène sur les jambes, les bras et la tête
d’Hector qui suit la petite balle des yeux. Il a une expression sérieuse sur le visage.
Sa maman s’arrête, cherche son regard et tout à coup, il glisse son doigt dans la
bouche de sa mère qui est toute émue. Il continue comme il fait avec les oreilles
de son père. Je traduis ce mouvement : « Maman t’es là ? » Hector semble saisir les
repères de cette situation dans les séances suivantes, car quand sa mère s’installe
au tapis, il accepte de s’asseoir dans le creux de ses jambes. Il tente aussi, parfois,
d’échapper à la situation. Il pourra progressivement regarder le visage de sa mère,
tirer sur ses boucles d’oreille et agripper son nez, souvent avec des mouvements vifs
qui arrachent des cris de surprises et de douleur à sa mère. Il faudra travailler sur
les modulations, les nuances et les anticipations des mouvements d’Hector pour que
cette séquence d’exploration et d’attaque devienne un temps de jeux et d’interactions.
L’enfant y trouvera de bons appuis dos avec de beaux moments de regards partagés.
Hector prend parfois la balle des mains de sa mère pour la passer sur ses mains.
Synthèse
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Bernard Meurin
Si le concept d’oralité a été initialement introduit par Freud, nous pouvons constater
qu’il a aujourd’hui débordé le cadre de la psychanalyse pour être développé dans
d’autres abords théoriques comme la psychologie développementale, telle que la
propose André Bullinger autour du développement sensori-moteur ou dans les soins
de soutien au développement proposés aux bébés prématurés. Dans les quatre textes,
nous sommes sensibles aux deux aspects fondamentaux de l’intégration de la zone
orale. Nous avons d’une part avec Sylvie Gadesaude et Tiphanie Vennat une ouverture
du côté de la structuration psychique et d’autre part, avec Julie Lobbé et moi-même,
une ouverture plutôt du côté praxique et sensori-moteur. Pour autant, si l’angle
d’approche est différent, les quatre textes s’accordent sur la zone orale comme
espace d’expériences multisensorielles ainsi que sur les modalités de prise en charge,
en insistant chacun à leur façon sur les aspects de contenance, d’attachement et de
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mises en forme posturales. Ceci souligne bien la covariation entre la mise en place
des fonctions instrumentales et le développement affectif. Il n’y a pas d’un côté
une réalité psychique et de l’autre une réalité physique mais une seule et même
réalité perçue sous deux aspects complémentaires. Cela reflète bien la notion d’unité
corporo-psychique sur laquelle s’appuie la clinique psychomotrice.
Bien que nous n’ayons plus aucun doute sur l’importance d’une intégration har-
monieuse de la zone orale pour le développement de l’enfant, je souhaite néan-
moins évoquer une recherche effectuée en 2006 au CHRU de Lille (Delfosse, 2006).
Cinquante-deux bébés nés prématurément et ayant bénéficié d’une ventilation assis-
tée à la naissance, ont été revus entre trois et quatre ans. La recherche montre le
lien évident entre la durée de ventilation et les difficultés d’intégration de la zone
orale qui se traduit ultérieurement par des troubles alimentaires et du langage :
29 % des grands prématurés présentent un trouble de la succion, 44 % éprouvent
des difficultés dans le passage à l’alimentation avec des morceaux, 31 % refusent
de manger hors de chez eux, 38 % mangent très lentement et 36 % se nourrissent
...
94 L’ ORALITÉ
...
sans ressentir de plaisir. À ces difficultés alimentaires, il faut ajouter les troubles du
langage oral pour 25 % d’entre eux. En revanche, la recherche met aussi en évidence
que les bébés qui ont bénéficié d’une stimulation précoce de la succion avec tétine,
doigt ou allaitement sont passés plus tôt à la cuiller, ont mangé plus vite et avec
plaisir et sont moins lents que les autres. De même, leur langage est plus structuré
que celui des bébés non stimulés.
Si les sollicitations orales et péri-orales se généralisent aujourd’hui auprès des bébés
dans ce que l’on appelle les soins de soutien au développement, il faut être tout
aussi vigilant à ces aspects lorsqu’il s’agit d’enfants ou d’adultes porteurs d’autisme.
La prévalence des troubles de l’oralité pour cette population doit nous inviter à ne
pas négliger cette zone, en proposant très tôt des sollicitations sous diverses formes –
comme l’évoquent les textes – car les conséquences non seulement sur l’ensemble du
développement mais aussi sur les capacités relationnelles sont nettes. En 2017, lors
d’une conférence dans le cadre d’une demi-journée de réflexion éthique1 , Delahaye2 ,
intervenante au sein du réseau Handident des Hauts de France, ne pouvait que
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constater la négligence rencontrée vis-à-vis des soins bucco-dentaires pour les per-
sonnes handicapées, n’hésitant pas à assimiler celle-ci à une forme de maltraitance.
Au prétexte que la bouche est un lieu délicat, symboliquement connoté du côté
de l’intime et difficilement accessible, peu de prises en charge sont proposées en
dehors de situations flagrantes de caries ou de douleur. Or la bouche doit pouvoir
exister en amont des soins médicaux et être un lieu psychiquement habité dont
nous devons prendre soin. C’est tout l’enjeu que proposent ces réflexions croisées
autour de la question de l’oralité.
1. 13 mai 2017 : « (Re) penser le soin à partir du patient non-ordinaire » ; Demi-journée Philo/Psy
organisée par l’Espace Ethique Hospitalo-Universitaire de Lille (EEHU)
2. Chirurgien dentiste à Valenciennes : « Handident : (re)penser le soin dentaire à partir des
personnes en situation de handicap ».
PARTIE III
L’axe du corps
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Chap. 13 Vignette . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97
Chap. 14 Analyses psychomotrices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
Chap. 15 Amaury et la question de l’axe corporel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
Chap. 16 L’axe psychique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
Chap. 17 L’axe et « l’écorce » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117
Chap. 18 Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123
Chapitre 13
Vignette
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Tiphanie Vennat
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se construit sur un mode de défense persécutif et interprétatif.
Nous sommes aujourd’hui en grande difficulté pour rassurer ce jeune garçon puisque
son angoisse continue à se nourrir d’elle-même, la menace d’effondrement restant
toujours présente. La prise en charge psychomotrice s’organise donc autour d’un
travail du sol, des appuis et poussées, et s’ouvre progressivement sur un dispositif
de relaxation en mobilisant les trois unités motrices constitutives de l’axe corporel
(tête, cage thoracique et bassin). Amaury bénéficie également d’une prise en charge
groupale à médiation « marionnettes ».
Chapitre 14
Analyses psychomotrices
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Tiphanie Vennat
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considérer comme « vertical » lorsqu’il essaie plutôt maladroitement d’exercer
une certaine forme d’autorité sur les enfants ou les adultes et « horizontal »
dans les moments où il se plie docilement aux décisions de l’autre.
Parce qu’il me semble que la problématique de l’axe s’origine ici dans un vécu
d’effondrement, le travail du sol m’apparaît essentiel à développer. Pour reprendre
l’idée du « gouffre sans fond » évoqué plus haut, cet abord du sol est l’occasion
d’édifier ce fond absent.
Je commence donc son suivi par l’approche de l’ancrage et du sentiment de
peser de manière à édifier le socle sur lequel pourra s’enraciner la conscience de
l’axe corporel. Car comme le rappelle Lesage (2015), « la dynamique de l’axe est
conditionnée par un bon ancrage dans le sol à partir duquel le corps s’érige dans
un repoussé : trouver son axe commence par s’appuyer pour jaillir ». Ainsi les
premières séances ont porté sur la prise de conscience du sol avec des images
de sol partenaire, stable, résistant, repoussoir et lumineux. Nous parcourons
ensemble la grande diversité des appuis corporels, plantaires ou palmaires et
situés en arrière de l’axe au niveau de l’os occipital, des omoplates, du sacrum et
des talons ou situés en avant de l’axe au niveau du front, du sternum et des ailes
iliaques. Cette pratique invite Amaury à prendre appui sur le sol mais également
à trouver des appuis à l’intérieur de lui grâce au système osseux. Cet aspect du
travail est en effet primordial dans la mesure où nous sommes chez l’adolescent
face à un problème d’inversion des fonctions. Car comme nous le rappelle Lesage
(2015), alors que le système osseux garantit une sécurité interne, Amaury confie
Analyses psychomotrices 101
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tation de ses capacités à penser le monde, la gestion de l’ambivalence de ses
émotions à l’égard des autres et la difficulté à vivre les brusques changements
du fonctionnement hormonal adolescent. Considérant le travail d’édification de
l’axe corporel dans une logique haut-bas, j’insiste également sur la connexion
entre la cage thoracique et le bassin, qui abritent respectivement « centre de
légèreté » et « centre de gravité » du corps (Laban, 1994). Comme le rappelle
justement Rouquet (1991), « le haut de la cage thoracique sera donc en rapport
avec la tête, l’accent étant mis sur le ciel et la légèreté et le bas le sera avec
le bassin, l’accent étant alors sur la terre ». Pour Amaury, tenir dans son axe
sous-entend de pouvoir s’équilibrer entre le ciel et la terre. Pour le moment, il
s’organise excessivement autour de l’un ou de l’autre, dans l’hyperextension du
ciel ou dans l’effondrement de la terre.
Ce travail de conscience corporelle est abordé sur une modalité sensorielle grâce
à des sacs lestés, bâtons ou ballons semi-gonflés sous ou sur chaque unité
motrice et par un travail moteur de dissociation des ceintures scapulaires et
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pelviennes.
Par ailleurs, le travail du sol m’est apparu opportun à la lumière de la pensée
de Tustin (1989), évoquant la « grande chute » qui occupe le centre du monde
du nourrisson. Le travail du sol en psychomotricité est alors l’occasion d’ac-
compagner cette difficulté à « retomber sur terre » après l’expérience extatique
originelle de fusion primordiale mère-bébé. Amaury est encore très dépendant
du corps de l’autre auquel il s’accroche pour ne pas s’effondrer. Nous essayons,
par ce travail au sol, d’amener Amaury à intérioriser ce support et à se saisir,
c’est-à-dire à se tenir en lui-même dans un véritable processus d’individuation.
Enfin ce travail de soutien au sol ne doit pas faire oublier que le premier appui
offert au patient est avant tout le nôtre. Cet étayage renvoie à notre capacité de
102 L’ AXE DU CORPS
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l’effondrement. Nous avons également tendance à ralentir notre respiration,
parler à voix chuchotée et parfois éteindre quelque chose de notre présence
corporelle de manière à encourager le patient à sentir ce qui se passe en lui
et en lui seul. Avec Amaury que l’effondrement plonge dans une profonde et
douloureuse solitude, il s’agissait au contraire de l’accompagner dans une grande
présence. À l’image de la problématique axiale, je pourrais dire qu’être présente
à Amaury, c’était tenir en mon axe comme une corde tendue au-dessus de son
puits sans fond.
Repousser
!
Monter et descendre
!
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C ONCLUSION
Amaury et la question
de l’axe corporel
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Bernard Meurin
« Dans l’ordre phylogénétique, les vertébrés ont été d’abord un axe avant d’être
pourvus de membres. » Par cette phrase, Thomas et de Ajuriaguerra (1948)
laissent entendre que la genèse de l’axe corporel ne concerne pas seulement
les individus mais l’histoire même des vertébrés et parmi eux, l’homme. Cette
verticalisation provoque une métamorphose profonde non seulement au niveau
anatomique mais aussi au niveau des coordinations. Comme le souligne Le
Breton (2000), « la faculté proprement humaine de donner du sens au monde,
de s’y mouvoir en le comprenant et en le partageant avec les autres, est née
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orientées. Ainsi, l’axe corporel est non seulement un point d’appui postural mais
aussi émotionnel, cognitif et représentatif, ce que Tiphanie Vennat illustre bien
lorsqu’elle évoque l’insécurité et l’angoisse d’Amory.
L’histoire du redressement débute in utero. Alors que le fœtus est bien contenu,
il existe une première forme de dialogue qui passe par une extension du buste
de l’enfant à naître en réaction aux contractions de l’utérus qui maintiennent la
position d’enroulement. Puis, c’est le milieu humain, par ses qualités de portage
tant psychique que physique, qui inscrit le bébé dans son nouvel environne-
ment. Pour Amaury, dont les parents eux-mêmes avaient du mal à tenir debout,
nous pouvons faire l’hypothèse que cette fonction de portage dans sa double
dimension corporelle et psychique a été fragilisée du fait de circonstances de
vie difficiles.
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Coeman (2004), autour de la notion d’axe corporel, propose deux processus qu’il
appelle d’une part « le redressement » et d’autre part « l’extension ». Dans le
redressement, l’accès à la verticalité est contrôlé, modulable et fluide. Coeman
appelle cela une « logique d’empilement ». Ce processus intègre la pesanteur
et permet un sentiment d’aisance sans effort exagéré. La construction se fait
de l’axe des cervicales jusqu’à l’articulation coxo-fémorale instituant une bonne
stabilité. L’enfant est disponible à ce qui l’entoure et il peut s’orienter. Nous
pourrons dire qu’il a développé une sécurité de base, terme que nous pouvons
assimiler à celui d’équilibre sensori-tonique développé par Bullinger. Dans l’ex-
tension, l’accès à la verticalité est dominé par une tension excessive et une
rigidité du buste. L’enfant lutte contre la pesanteur et il s’érige sur une structure
peu stable. De ce fait, les bras se positionnent en écart, fragilisant les liaisons
mains/bouche/regard. Une attitude en agrippement peut venir compenser la
fragilité du redressement et lors de la maximisation de l’extension, la marche
sur la pointe des pieds peut apparaître. C’est la loi du tout ou rien et l’enfant
éprouve un sentiment d’insécurité.
La description d’Amaury permet de supposer que l’axe corporel se serait plutôt
construit sur un processus en extension plutôt qu’en redressement. Nous retrou-
vons l’hyperextension avec un fort recrutement tonique, des mouvements en
flexion dans les moments de désœuvrement et un fort sentiment d’insécurité
interne. En ce qui concerne les moments d’effondrement, ceux-ci peuvent se
comprendre dans le cadre d’un fonctionnement en tout ou rien ou On/Off comme
l’appelle Bullinger. Enfin, les chutes fréquentes dont est victime Amaury sou-
lignent bien le lien existant entre la fonction proprioceptive et l’investissement
de l’axe corporel. En conséquence, l’expression motrice d’Amaury est particulière
avec des gestes impulsifs et maladroits. Dans cette situation, il nous paraît
Amaury et la question de l’axe corporel 107
essentiel, comme le fait Tiphanie Vennat, de bien comprendre les liens entre
cette expression motrice impulsive et le défaut de redressement.
Si ces éléments de compréhension n’étaient pas pris en compte, l’impulsivité
pourrait rapidement être perçue comme de l’agressivité. Tel Alexis, 12 ans, que je
rencontre dans son IME et qui est vécu comme très agressif puisque, sans raison,
il frappe les autres enfants. Or, l’évaluation psychomotrice met en évidence
de grandes difficultés posturales non prises en compte par l’équipe éducative
envahie par l’agressivité. L’allure spontanée est impactée par une hyperextension
arrière avec une exploration visuelle difficile, ce qui ne facilite pas la précision
des gestes qui restent amples. La marche se déroule sur la pointe des pieds
avec une déformation au niveau du pied droit tourné vers l’intérieur. Ceci ne
facilite pas l’équilibre dans les déplacements. Pour compenser, Alexis met les
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bras en écart comme des balanciers ou s’agrippe aux objets qu’il trouve en les
mordant. Ces comportements contrastent avec une bouche constamment ouverte
et un important bavage. Lors des moments de frustration, Alexis réagit par des
mouvements d’extension du dos l’amenant parfois à se renverser complètement
en arrière. Il a été important pour l’équipe de comprendre le lien entre la fragilité
de l’axe corporel, l’organisation motrice d’Alexis et son impulsivité. De ce fait,
ses attitudes ne sont plus vécues uniquement comme agressives mais aussi
comme une recherche de stabilité. Dès lors, plutôt que de le punir systémati-
quement lorsqu’il tape, les réponses se feront aussi en termes de contenance
et d’installation en privilégiant notamment les espaces plus sécurisants dans
lesquels Alexis se sent beaucoup mieux.
Si l’on intègre les aspects sensori-moteurs dans la prise en charge, deux autres
moments du développement sont importants à connaître. Il s’agit de ce que
Bullinger1 appelle « l’espace du buste » et « l’espace du torse ». Dans le premier,
la maîtrise du schéma flexion/extension permet à l’enfant de trouver progressi-
vement son point d’équilibre dans le plan médian. Cette coordination, associée
à la coordination entre la vision périphérique et focale, soutient les échanges
de l’enfant avec son milieu. Ensuite, les mouvements de torsions associés à la
mise en place de la coordination bimanuelle et visuo-manuelle se mettent en
place permettant à l’enfant de passer les objets d’une main dans l’autre. Ainsi, la
maîtrise du schéma flexion/extension associée à la maîtrise des mouvements de
torsion consolide le redressement et constitue « l’axe corporel » dans sa triple
dimension, posturale, émotionnelle et représentative :
« L’axe corporel comme point d’appui représentatif constitue une étape importante
dans le processus d’individuation et rend possible les activités instrumentales. Elle
fait de l’organisme un lieu habité. » 1
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qui enrichissent le potentiel psychomoteur. De même, proposer des appuis dos
mais aussi des appuis sur le ventre peut organiser le regard et donc la précision
des gestes et des interactions.
Lorsque l’investissement de l’axe corporel s’avère difficile comme pour Amaury,
les conséquences sont extrêmement préjudiciables tant au niveau postural que
relationnel. Le redressement se réalise sur la base d’une régulation tonique
excessive et la maximisation des tensions peut, à terme, entraîner d’importantes
déformations de type orthopédique.
C ONCLUSION
L’axe psychique
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Julie Lobbé
L’axe est une ligne verticale imaginaire, qui va de la tête au bassin via la colonne
vertébrale (Augustin, 2012). On perçoit, dès cette définition, une difficulté de
cet ordre chez Amaury dont la tête est décrite comme « sans rapport naturel
avec le mouvement anatomique de la colonne vertébrale ». Augustin complète
sa définition en précisant que la ligne imaginaire aboutit au sol au centre
du polygone de sustentation. L’axe corporel conditionne donc la verticalité et
l’équilibre associé. Or, Amaury chute fréquemment.
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Il est aussi gêné dans son expression motrice par des gestes impulsifs et dys-
métriques. Or, l’axe corporel est lié à l’utilisation des membres car les ceintures
scapulaire et pelvienne y sont reliées. « La construction de l’axe corporel condi-
tionne l’accès à une motricité fluide, coordonnée et volontaire » (Augustin,
2012). L’équilibre de l’axe va ainsi faciliter la libération des bras et des mains
mais aussi la prise d’informations en provenance de l’environnement. L’attitude
corporelle d’Amaury associe une hyperextension du tronc, des membres pendants
et une tête qui s’oriente sur le côté, peu propice à l’exploration.
Bullinger (2008) souligne que le schéma en hyperextension entraîne aussi une
perte du lien visuo-manuel nécessaire à l’exploration. La constitution de l’axe
corporel et la mobilité associée permettent de relier les différents espaces cor-
porels et sensoriels au service des fonctions instrumentales. « Cet espace unifié
110 L’ AXE DU CORPS
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À l’image du jeune enfant qui doit produire un effort pour contrôler la station
verticale, Amaury pourrait gaspiller de l’énergie dans un maintien postural axial
non automatisé. Cela constituerait une autre hypothèse que les affects dépressifs
à ses fréquents besoins d’alitement.
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parallèle entre les parents d’Amaury qui peinent à « tenir debout », la fascina-
tion de l’adolescent pour la lettre M qui monte et descend et ses expériences
psychomotrices entre verticalité et chute. Le fil conducteur que constitue l’axe
corporel permet de lier et de donner sens à ces manifestations.
Amaury se permet progressivement d’expérimenter la verticalité, que Bullin-
ger (in Devanne, 2012) nomme prothèses de rassemblement. Celles-ci peuvent
prendre une forme physique mais aussi symbolique. Ainsi, l’accolade sternum
contre sternum d’Amaury avec la psychomotricienne, dans un contact tactile
et proprioceptif, pourrait revêtir cette fonction de même que le recours à des
aides physiques concrètes, comme suivre le bord latéral de la feuille pour aider
à dessiner de façon rectiligne.
EN PSYCHOMOTRICITÉ
et de la sensorialité
l’arrière, il provoque la flexion et sur les côtés, la rotation. Le gros ballon met
ainsi en jeu des ajustements avant-arrière et gauche-droite.
La recherche de mouvements du tronc peut aussi se faire en proposant à l’enfant
d’attraper un objet qui l’intéresse vers le haut (extension) vers le bas (flexion)
ou derrière (rotation). Il est important de veiller à la texture et la forme qui
peuvent influencer la préhension ainsi que l’intérêt du patient, notamment dans
le cas d’Amaury qui possède « des intérêts restreints ». Avec les gros objets, la
saisie s’opérera à deux mains dans un mouvement de coopération symétrique
permettant un rassemblement autour de l’axe (Kloeckner et al., 2009). Le travail
des postures asymétriques est également important et sera centré sur la disso-
ciation des ceintures au niveau des épaules et du bassin. La main gauche peut
traverser l’axe médian et aller chercher un objet dans l’espace droit par exemple.
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Proposer de nouvelles expériences corporelles et une posture correcte permet à
l’enfant d’agir autrement, de redresser son corps et de placer son regard pour
voir se passe autour de lui. De plus, les déséquilibres provoquent des sensations
et des réajustements toniques qui mettent en jeu les sens proprioceptif et
vestibulaire. Les mains du psychomotricien sollicitent le sens tactile. Le toucher
du dos contribuerait d’ailleurs à créer des représentations de cette zone. Le
psychomotricien sollicite également la vue et l’audition par ses actions et ses
verbalisations. Or, l’intégration multisensorielle est un axe de travail important
auprès des enfants avec TSA.
Lors des recherches sur notre thème, j’ai été frappée par le peu d’informations
sémiologiques disponibles sur le sujet. Pour autant, des auteurs de l’IFP Pitié-
Salpêtrière proposent des signes cliniques signant l’évolution de l’axe corporel1 .
Nous avons explicité le lien entre ces propositions cliniques et la sémiologie de
l’intégration de l’axe corporel puis proposé des signes complémentaires issus de
notre expérience clinique et de l’analyse psychomotrice d’Amaury. Ces proposi-
tions sont présentées dans un tableau (voir le Tableau 1 page suivante).
On apprend en permanence de notre corps, de ses atouts et de ses faiblesses et de
ses actions. « L’esprit se construit avec son expérience du corps » (Delion, 2010).
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L’axe corporel est, à cet égard, un bon exemple. Sa fonctionnalité motrice et
symbolique est en effet conditionnée par l’expérience émotionnelle et l’histoire
personnelle.
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1. http://www.chups.jussieu.fr/polysPSM/psychomot/autismevertenv/POLY.MinIsabellehtml
114 L’ AXE DU CORPS
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côté de lui en utilisant la rotation raux reliés par l’axe corporel
MOTEUR ET du tronc
POSTURAL
L’enfant fait bravo avec ses mains Geste de coordination bimanuelle
ramenant les mains autour de l’axe
L’enfant colorie toute la feuille L’investissement de l’espace de la
grâce au passage de l’axe médian feuille montre symboliquement l’in-
par la main tégration de l’axe et l’unification
des espaces ; la main traverse
l’axe
Nos propositions L’enfant diversifie ses mouve- Selon Bullinger (1998), un hauba-
complémentaires ments de flexion, de rotation et nage avant-arrière se met en place
d’extension de la colonne verté- progressivement pour assurer la
brale lors de la saisie d’un objet stabilité entre flexion et extension
placé dans différentes positions ainsi qu’un haubanage latéral qui
permet les mouvements de rotation
du buste
La tête, le cou et le tronc sont L’axe corporel relie la tête, le cou
alignés selon une ligne verticale et le tronc. C’est une ligne verticale
imaginaire imaginaire
L’enfant chute fréquemment Non-projection de l’axe au centre
du polygone de sustentation
L’enfant se tient droit/courbé Traduction de l’état émotionnel
(hors troubles orthopédiques)
L’enfant peut réaliser des gestes Le manque d’intégration de l’axe
traversant l’axe médian, comme corporel perturbe la réalisation de
toucher son œil gauche avec sa gestes controlatéraux
main droite par exemple (Test de
Head in Zazzo, 1969)
Possibilité de saisir avec la main
opposée un objet présenté dans
un hémichamp, par exemple attra-
per une balle présentée du côté
gauche avec la main droite
L’axe psychique 115
(suite)
La latéralité est installée. La mise en place de la dominance
Tests de latéralité manuelle est possible quand l’en-
fant sent qu’il possède deux hémi-
LATÉRALITÉ
corps dont l’un est plus performant
que l’autre. Ces hémicorps sont
limités par l’axe corporel
Les concepts spatiaux de gauche L’axe corporel concourt à l’installa-
et de droite sont utilisés à bon tion de la latéralité, c’est-à-dire de
escient. la gauche et de la droite dans le
ESPACE
Test connaissance de la gauche et corps. Cette sensation corporelle
de la droite (Piaget) précède l’intégration cognitive des
concepts de gauche et de droite.
Mobilité articulaire des épaules, Indépendance de la charnière sca-
mobilisation passive, ballant à la pulaire avec l’intégration de l’axe
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MOTEUR
marche, observation des gestes corporel
des bras
SENSORIEL Coordination oculo-manuelle lors L’œil rencontre la main lorsque
MOTEUR de la préhension l’axe corporel est assez intégré
pour permettre la mise en lien des
espaces (Bullinger)
Dessin du bonhomme
Axe représenté par un trait,
SYMBOLIQUE
absent, courbé etc. Intégration symbolique de l’axe :
graphique/verbale
Discours de l’enfant et des parents
autour de la chute, de la verticalité,
du sol, du ciel etc.
Chapitre 17
L’axe et « l’écorce »
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Sylvie Gadesaude
Pour parler de l’axe, j’ai aussi besoin d’image. Est-ce parce que les autres parties
du corps sont plus instrumentales et engagent le verbe et l’action ? L’axe du
corps, comme un élément qu’on ne voit pas, ressort plutôt de l’imaginaire ou du
symbolique.
Tiphanie Venat évoque l’enracinement et le travail des appuis. Elle perçoit chez
Amaury l’intrication d’éléments dépressifs et d’affaissement tonique. Comme
tonus et affects sont liés, ils s’imprègnent dans le corps pour le façonner. Finale-
ment, n’est-ce pas un travail de construction des formes, les toutes premières qui
nous ont donné accès à la connaissance, d’abord intuitive, perceptive, puis de
plus en plus organisée de notre corps et de nos capacités d’action pour aboutir
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L’ ÉCORCE SOLIDE
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arrière. Elle revient vers sa fille pour la maintenir assise en lui tirant les bras.
Je ressens comme une sorte d’enveloppe tonique commune à cette maman et à
ce bébé. Dans cette situation, les choses semblent être prévisibles et attendues.
Pas de mauvaise surprise. Que signifie la chute en arrière pour Chloé ? Pour sa
maman ? Quelle émotion les rattache ? J’ai l’impression que c’est implicite pour
elles.
La médecine a bien du mal à comprendre le dysfonctionnement du cerveau de
Chloé qui fait des crises d’épilepsie régulièrement depuis ses 6 mois. Elle est sous
traitement médicamenteux. La maman s’inquiète car on lui aurait dit que ces
médicaments ralentissaient le développement psychomoteur. Je comprends au
son de sa voix qu’elle redoute et en même temps pourrait espérer que le retard
de sa fille vienne de la médication. Nous sommes installées au tapis. Chloé a la
tête calée entre des coussins. Sa maman lui présente les objets un par un. Chloé
les regarde sans les saisir. Elle est empêchée par un mouvement d’extension vers
l’arrière.
Chloé se met à pleurer quand je tends les bras pour la tenir sur mes genoux.
Ce que j’ai fait pour explorer ses appuis, son tonus et la manière dont elle va
prendre appui ou pas sur moi. Elle geint de plus belle et tend les bras vers sa
mère. Elle arrête les pleurs aussitôt remplacés par le plus beau des sourires
quand elle se retrouve dans ses bras.
Cette petite fille adore la musique du téléphone de sa maman. Assise entre les
jambes de cette dernière, elle se dandine autour de son axe en écoutant les
mélodies et en s’appuyant sur les balancements du corps de sa mère. J’apprends
que depuis toujours elle ne s’endort que dans les bras de sa mère et qu’ensuite
elles dorment ensemble.
L’axe et « l’écorce » 119
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C’est comme ça qu’Arthur, quatre mois et en bonne santé, s’agite et pleure au
moment où sa mère le pose dans son lit après son biberon. Peut-être est-il à
la recherche de « l’entourance » chaude des bras de sa mère ? Peut-être a-t-il
une sensation de lâchage au niveau des membres qui provoque un recrutement
tonique ? Peut-être une sensation diffuse de ballonnement au niveau de son
ventre ? Il tient ses poings serrés dans sa bouche. On peut y voir un rapproche-
ment des deux moitiés du corps que Haag a décrit. Ou est-ce le souvenir de la
tétine et du lait dans sa bouche ? Son corps tendu prend une forme dynamique
de plongeur. Il s’agite tellement qu’il va finir par se retrouver d’un seul coup sur
le ventre. Il s’endormira, épuisé après tant d’efforts. Sa mère le retrouvera ainsi
au réveil, à la fois fière – « Ça y est ! Il s’est retourné ! » – et inquiète : « Il ne
risque pas de s’étouffer ? » C’est le début des progrès, des mouvements dans son
lit qu’elle ne pourra pas surveiller. Il faudra faire confiance...
Ces mouvements n’ont pas eu lieu chez Chloé quand on lit son histoire. Il faut les
solliciter en s’appuyant sur la sensori-motricité et les mouvements pulsionnels
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qui vont avec. Partir à la recherche d’un objet extérieur à soi, attracteur, du
bruit, du mouvement et surtout – ce qui est difficile – la laisser seule un peu au
départ puis de plus en plus.
Chloé est allongée sur le dos. Nous installons des objets attrayants. Chloé va
s’habituer à cette situation nouvelle que nous présentons comme un jeu. Elle va
chercher à se retourner et à ramper. Nous lui apprendrons à dégager son bras.
Puis viendra l’apprentissage de la forme assise en se servant d’abord d’un bras
porteur. Ces acquisitions vont déboucher sur des possibilités d’action sur les
objets : les garder en main et les explorer de la bouche et des yeux et les lâcher
volontairement.
120 L’ AXE DU CORPS
Chloé sera enfin prête pour aller à la crèche. Le travail, basé sur le désir de jouer,
s’est essentiellement organisé autour de la solidité de l’axe vertébral et du tonus
nécessaire pour tendre vers un objet.
L’ ÉCORCE LIQUIDE
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non pas osseuse mais liquide, au fur et à mesure que le lait qui coule relie les
parties du corps les unes aux autres. Il nous en reste une mémoire inconsciente,
dit-elle, dans les expressions telles que « j’étais liquéfié » signifiant un retour
au corps mou quand celui-ci nous échappe ou nous lâche. C’est cette image-là
qui me vient quand je me rappelle David, toujours installé comme un bouddha
nouant ses jambes en tailleur même assis sur une chaise.
David est scolarisé à l’EMP pour troubles du spectre autistique diagnostiqués
depuis ses 6 ans. Il a actuellement 8 ans. Il vient en séance de psychomotricité
individuelle une fois par semaine. C’est un enfant doux et passif. Il souffre d’un
embonpoint qui le gêne dans sa motricité et qui semble faire office « d’enveloppe
magique » pour le protéger du monde extérieur. C’est ainsi qu’il la décrit dans
un atelier de modelage où il représente un corps comme un rocher d’où émanent
deux appendices en guise de bras. Pas de jambes. David arrête la représentation
de son corps au bassin. Qu’il soit assis par terre ou sur une chaise, il croise
toujours ses jambes hyperlaxes comme s’il en faisait un nœud et se trouve
ainsi amputé de tout son hémicorps inférieur. Que vient-il fermer ainsi ? J’ai
le sentiment qu’il veut fermer un tuyau imaginaire afin de garder ce qu’il vient
d’absorber.
Anzieu (1991) insiste sur la satisfaction de réplétion de l’enfant au sein, avec
la sensation d’un plein, d’une masse centrale. C’est cette impression de masse
centrale que me laisse David quand je l’observe. Une boule à ne pas toucher. À
conserver. À l’image des premiers bonshommes têtards des enfants de maternelle
qui incluent tout dans une forme fermée.
L’axe et « l’écorce » 121
L’ ÉCORCE GAZEUSE
C’est elle de la colonne d’air qui va et vient à travers les mouvements de res-
piration. Sans doute celle qui a été sollicitée la première à travers le premier
cri. Le cri qu’utilisent les enfants autistes pour sentir leur corps. Bullinger a
décrit aussi le tonus pneumatique des enfants prématurés. Il suppose que le
déficit tonique de l’axe chez les enfants, en particulier les enfants prématurés,
peut être compensé par un blocage de la respiration permettant le redressement
du buste. Mais ce mode de recrutement tonique limite la durée des échanges
sociaux. Ce mode de compensation finalement pénalise la constitution de l’axe
et donc empêche l’acquisition des praxies, l’orientation du corps vers les objets
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du milieu et on assiste à l’inversion des points d’appui avec les mouvements
d’hyperextension du buste.
Pour conclure, je vous propose la référence à Lesage (2000) qui rappelle que
« l’histoire des processus d’identification se résout dans la verticalité et la faculté
de dire je, de se poser, différencié, face à autrui. »
Chapitre 18
Synthèse
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Tiphanie Vennat
le feu. Ces deux derniers sont implicitement illustrés par la recherche d’appuis et
d’organisation tonique chez Chloé. L’élément eau est quant à lui notable dans la
clinique de David, tandis que la dynamique de l’air est par exemple observée auprès
d’enfants qui, pour compenser le déficit tonique de l’axe, bloquent leur respiration,
un phénomène appelé « tonus pneumatique ».
Comme un fil conducteur, Julie Lobbé évoque à son tour la richesse du travail
d’observation des arbres, symboles de verticalité (Pelletier-Milet, 2010). Mais elle
insiste surtout sur les grandes ramifications de l’axe corporel qui impliquent de façon
naturelle les coordinations oculo-manuelles et la motricité fine, la mise en place
de la latéralité, l’adresse du regard, ainsi que les compétences sensori-motrices de
l’enfant.
Bernard Meurin aborde longuement et de façon détaillée l’approche sensori-motrice
de l’axe. Il rappelle que l’axe corporel s’édifie de haut en bas, conformément à la loi
céphalo-caudale, depuis la bouche et le regard jusqu’à la maîtrise du buste et du
torse pour aboutir au contrôle de la zone pelvienne et des jambes.
...
124 L’ AXE DU CORPS
...
J’ai quant à moi proposé l’idée selon laquelle, chez certains enfants, la recherche
de l’axe corporel viendrait en réponse à un vécu d’effondrement. Cette intuition
thérapeutique a été confirmée par l’accompagnement psychomoteur d’Amaury, qui
alternait entre « hyperverticalité » et chute. Par un travail au départ du sol et
progressivement orienté vers le redressement, l’enfant a pu un temps se saisir de
son axe corporel.
Nous l’avons vu, la réflexion clinique autour du concept d’axe corporel a logique-
ment donné naissance à divers axes thérapeutiques. C’est dire si l’axe du corps est
pluriel et complexe et qu’il nous oblige à expérimenter nous-mêmes les équilibres et
déséquilibres possibles autour de lui. Car la vignette clinique d’Amaury rappelle que
la pratique psychomotrice nous demande d’être toujours en mouvement mais autour
d’un centre solide. À l’image de notre arbre, le vent dans les branches mais le tronc
qui tient droit.
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PARTIE IV
Les mains
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Chap. 19 Vignette . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127
Chap. 20 Analyses psychomotrices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129
Chap. 21 Expériences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135
Chap. 22 À propos de Lucie : le thème des mains . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141
Chap. 23 La main, interface entre soi et le monde : de la fusion
à la séparation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145
Chap. 24 Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151
Chapitre 19
Vignette
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Sylvie Gadesaude
la place à un manque de distance relationnelle. Elle vient se coller à moi lors des
consignes du bilan. Elle sautille, tape des mains, se tortille et dit tout le temps « je fais
toute seule ».
Parfois, elle fait diversion en s’éloignant. Elle frôle plutôt qu’elle ne touche les objets
et les murs dans une sorte d’effervescence. Des réactions toniques secouent tout
son corps quand elle exprime son étonnement ou quand elle fait un effort. Elle cligne
souvent des yeux et écarquille ses doigts en les secouant. Elle a tendance à me
regarder uniquement du côté droit.
Avant de nous séparer, je propose à Lucie de choisir un jeu. Elle montre le gros ballon
bleu. Elle le saisit, disparaît derrière et saute en essayant de l’envoyer en l’air avec
des gestes raides. Elle rit et se tortille. Je la tiens par les mains en la regardant dans
les yeux. Je lui propose de rebondir dessus en comptant « un-deux-trois-LU-CIE ».
Au retour de l’été, elle dit tout de suite : « je veux le ballon bleu. » Pendant plusieurs
séances, ce sera un pivot central, intercalé par des parcours psychomoteurs où elle
semble toujours se mettre en danger. Je remarque surtout qu’elle n’anticipe pas les
128 L ES MAINS
déséquilibres ni se protège par des réactions de protection comme mettre ses bras en
avant ou s’agripper avec ses mains sur les modules de mousse. Lucie acceptera un
jour plus facilement de dessiner. Au début je me heurtais à un refus catégorique.
Peu à peu, l’image du corps que Lucie laisse voir dans ses dessins se transforme. Je
vois ainsi apparaître une ébauche de colonne vertébrale, de redressement et d’appuis
qui vont rendre possible le jeu des mains.
Plus tard, elle va s’attarder sur des jeux de dévoration. J’insiste sur le fait qu’entre
chaque séquence, Lucie demande souvent le « un-deux-trois-LU-CIE » sur le ballon
bleu.
La motricité fine va d’abord s’installer à travers la motricité de relation. Sur une planche
en bois sont encastrées des pièces en forme de poissons aimantés que l’on attrape au
moyen d’une canne à pêche elle-même aimantée. Lucie décroche de petits poissons
et me les offre « à manger ». Sa main d’abord fébrile devient plus sûre et elle finit par
les prendre elle-même avec avidité.
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Ses mains vont lui permettre ensuite des transformations. Le jeu s’organise souvent
ainsi : elle prend un gobelet dans lequel elle fait tremper des feutres pinceaux, les
couleurs se mélangent, elle y incorpore de petits morceaux de pâte à modeler et
trempe avec délice ses doigts dans l’eau. Elle appelle cela « sa recette ». Elle aime
mélanger avec ses doigts, transformer la pâte à modeler, rentrer et sortir les éléments
de l’eau avec ses doigts. Parfois avec des baguettes chinoises.
Elle insiste beaucoup pour que nous lavions nos mains après sa recette : « Il faut se
laver les mains, les mains elles sont sales. Après tu viendras te laver les mains avec
moi. On garde l’eau, c’est de l’eau prisonnière. L’eau devient verte... ça va vite changer
la couleur... tu sais ce que ça va devenir ? »
Lucie jubile, elle a trouvé une nouvelle expression qu’elle dit avec joie : « je fais ce
que je veux avec mes mains ».
Ensuite, elle fabriquera de petits livres qu’elle colle, agrafe et poinçonne, toujours avec
une certaine fébrilité. Et enfin, dans ses dessins, les mains apparaissent nettement et
souvent positionnées vers le visage. Son écriture s’est nettement améliorée.
Chapitre 20
Analyses psychomotrices
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Sylvie Gadesaude
(1984).
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sourd sera moins sollicité du fait de son déficit dans ses mouvements vers l’objet.
Et puis, pour que l’objet se détache sur le fond, il faut que l’enfant puisse
accommoder visuellement différents plans de l’espace.
Je me souviens aussi d’Inès, née à terme, d’une maman en très grande détresse
psychologique. Inès prend le biberon dans les bras de sa maman qui ne la regarde
pas. Sans doute pour épargner sa fille, cette maman plonge son regard triste à
travers la fenêtre de sa chambre d’hôpital. Inès, comme tous les nouveau-nés,
est attirée par les visages. On ne peut que faire des suppositions : un visage, ça
bouge ? Une bouche, ça fait du bruit ? des yeux, ça brille ? Un nez, ça souffle
de l’air ? C’est pour éviter que ce visage trop lisse ne soit pas perçu comme un
objet attracteur que l’équipe va entourer la maman d’Inès au moment de la tétée
et solliciter les interactions.
Le bilan de Lucie m’a permis de penser que sa structure de base était porteuse
d’un bon potentiel neuromoteur où avaient pu se mettre en place fonctions
motrices et sensorielles sur lesquelles pouvaient s’inscrire des fonctions de
relations plus élaborées comme le langage. Son niveau de langage est suffi-
sant pour établir avec elle une relation secondaire portée par les mots. Pour
reprendre Dolto, son corps, le médiateur organisé entre le sujet et le monde,
est potentiellement en bon état et indemne de toute lésion mais l’utilisation
adéquate s’en trouve annulée et entravée par une libido liée à une image du
corps inappropriée. Ce premier temps d’observation est important pour me guider
dans mon projet thérapeutique. Lorsque je vois des enfants à l’EMP, l’anamnèse
peut relater une souffrance pendant la grossesse, une recherche génétique qui
a mis en évidence une délétion, un X fragile ou des éléments qui renvoient à
la question du potentiel neuromoteur de base dont je dois tenir compte pour
Analyses psychomotrices 131
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ce travail que j’ai entamé avec Arnaud qui souffre d’un syndrome autistique. Agé
de 7 ans, il est scolarisé en CP. Le jeu que je lui propose consiste à retrouver dans
une boîte, qui figure une niche, deux petits os, semblables par leur structure
(tissu, velours, lainage, soie ou plastique, à des picots et à volumes et formes
différentes). Tous les os sont sortis de la boîte. Arnaud les assemble aisément
deux par deux. Les os sont différents à la fois par la texture et par la couleur. La
perception visuelle et la catégorisation fonctionnent donc correctement. Puis
je place un échantillon de chacun des os dans la niche, l’autre paire dehors. Je
place un os dans la main de l’enfant et je lui demande de chercher avec son
autre main, à l’intérieur de la niche, le « pareil ». Cet exercice est difficile. Si
je demande à Arnaud comment est l’os qu’il doit chercher, il répond de façon
non pertinente : « jaune ». D’une part Arnaud ne peut pas utiliser une seule
modalité sensorielle mais d’autre part la représentation mentale qui s’est inscrite
est liée uniquement à la référence sensorielle visuelle qui est ici représentée par
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la couleur jaune.
propre corps – ou de se perdre dedans. Maxime, autiste, est entré dans la lecture.
Le geste d’écrire est difficile. Bien sûr, il y a cette crispation sur le stylo. Comme
si le stylo en soi était une chose qui pouvait bouger et s’échapper. Il y a aussi
les difficultés à organiser un geste dans l’espace et en retenir le programme
moteur. Faire un e ou une boucle nécessite de pouvoir se représenter l’avancée
de la main sur l’espace graphique. Maxime aime bien le jeu de la voiture qui
laisse des traces dans le sable, en avant, en arrière, en haut et en bas. Nous
passons maintenant sur le support du tableau blanc. Je tends à Maxime un
feutre rouge. C’est parti pour laisser une boucle rouge sur le tableau. Maxime
s’exécute tranquillement. D’une voix neutre et monocorde, il me dit que sa main
écrit. Ce que je confirme, un peu machinalement. Seulement Maxime hésite,
réfléchit et explique : « mon bras, il coule dans le stylo ». Je ne peux pas dire
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que dans le cas de Maxime, cette vision du geste d’écrire à ce moment-là, était
terrifiante. Peut-être était-elle plutôt assortie à une image de toute puissance,
d’une substance intérieure qu’il peut injecter sur une surface extérieure, à l’image
de certains monstres des films de science-fiction.
Au-delà du contact, le geste de prendre ne doit pas déclencher une menace
de danger. De quel danger pourrait-il s’agir ? Destruction, disparition, attaque,
transformations... des mots qui sont bien loin de nos représentations d’adulte
lorsqu’on tient un simple objet dans nos mains. Prenons un dinosaure en plas-
tique par exemple. Pourtant il suffit d’observer le regard méfiant d’Augustin, 4
ans, qui joue avec le bébé-tigre sans oser prendre le papa tigre que je lui propose
ou encore de voir Justine, 7 ans, tourner précipitamment la page de son livre
parce qu’il y a la photo d’une grosse araignée dessus pour se souvenir que nous
sommes tous passés par la phase animisme du monde des objets. Décrite par
Piaget, elle cède devant notre compréhension plus fine du monde acquise au
moyen de nos outils de connaissance qui se développent, se perfectionnent et
s’associent les uns aux autres. L’observation des petits enfants est à ce point
très instructive.
La description du jeu de la bobine par Freud évoque aussi l’impact psychique
qu’apporte la capacité de motricité fine dans son rapport à l’objet. Car prendre
et repousser, attraper et jeter sont des processus de jeu qui donnent à l’enfant
ses premières possibilités d’action sur l’objet.
Le premier objet attrapé, saisi, manipulé et mordu, ne serait-il pas le sein ?
L’enfant qui n’est pas nourri au sein ne joue-t-il pas avec une tétine, un des
premiers objets qu’au moyen de cette pince d’abord palmaire il pourra mettre
en bouche ? N’est-ce pas au moyen de sa main aussi que l’enfant s’agrippera à
son doudou ? Roussillon décrit les processus de symbolisation sur lesquels cette
Analyses psychomotrices 133
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Sur le plan perceptif, Lucie n’a pas de difficultés. On peut dire que son système
sensoriel est opérationnel. Les prises en charge pluridisciplinaires de Lucie sont
intégrées à un dépistage précoce et le diagnostic de TSA n’est pas posé.
Ce qu’il faut comprendre et accompagner à la fois (souvent les deux choses se
font en même temps), c’est la raison du non-fonctionnement de cette coordi-
nation visuo-motrice intégrée. Qu’est ce qui l’empêche ? Donc, au-delà de la
structure bien portante, du schéma corporel sain, pour reprendre l’expression de
Dolto, quelle image du corps inappropriée l’empêche de saisir de ses mains ?
L’observation et le contre-transfert sont des outils formidables. Ce que je vois
en observant l’enfant, c’est son excitation, son effervescence qui empêche un
contrôle moteur efficace et sa gêne dans la mise en place de la fonction régu-
latrice. Si j’ai pu écarter la question du schéma corporel, je dois interroger la
question de l’image du corps.
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C ONCLUSION
Notre travail sur l’image du corps est indissociable d’un travail d’évocation ou de
non-évocation, de verbalisation ou de silence en dehors de toute interprétation.
C’est bien le langage qui a structuré l’image du corps.
« De façon générale, la compréhension d’un mot dépend à la fois du schéma corporel
de chacun et de la constitution de son image du corps, reliés aux échanges vivants
qui ont accompagné pour lui, l’intégration, l’acquisition de ce même mot. Les mots
pour prendre sens doivent d’abord prendre corps, être du moins métabolisé dans
une image du corps relationnelle. » (Dolto, 1984)
La psychomotricité contribue par le mouvement du corps à une production de
nouvelles images mentales du corps. Ce processus contribue à ce que le sujet se
134 L ES MAINS
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Chapitre 21
Expériences
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Julie Lobbé
L’histoire de Lucie questionne le rapport aux mains. Nous proposons donc d’abor-
der les bases favorisant l’expérience des mains puis les expériences manuelles
vécues par Lucie, avant de formuler quelques propositions thérapeutiques.
La relation tonico-émotionnelle
!
Le corps semble être un vecteur privilégié d’expression chez Lucie qui présente
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dans la relation avec le patient, ainsi que sur celles de ce dernier (mimiques,
tensions, postures, gestes, déséquilibres). Le psychomotricien tâche d’organiser
toutes ces informations corporelles et les module de manière à envoyer un
message cohérent, éventuellement verbal, au patient qui pourra ensuite réagir
sur la base de ce réajustement.
Cette régulation tonico-émotionnelle s’exprime au niveau manuel dans le jeu
de la pêche à la ligne. On voit bien ici comment la qualité du support offert
par la thérapeute joue son rôle : la motricité de la main, tremblante et fébrile
au départ, prend de plus en plus d’assurance. Pour autant, cette compétence
demeure fragile comme l’illustre le jeu des poupées russes : les gestes sont alors
« fébriles, raides et vifs ». En tous les cas, les sentiments de confiance et de
compétence recherchés dans la relation thérapeutique semblent favorables à
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l’installation d’une autonomie.
La quête d’autonomie
!
compte que cet objet comporte un « dedans », qu’il peut donc être un contenant
et finalement permettre de boire. C’est en manipulant des tasses de couleurs,
de tailles et de matières différentes que l’enfant généralise son expérience et
acquiert progressivement la notion intellectuelle de « tasse ».
Ainsi, Lucie met en jeu ses mains dans des expériences sensorielles. Le sens tac-
tile est sollicité au contact de la pâte mais aussi dans des situations spécifiques
comme la manipulation de morceaux de pâte à modeler dans l’eau lors du jeu du
gobelet. Lucie sollicite également la modalité proprioceptive mettant en jeu le
ressenti corporel. Elle tape dans ses mains, écarquille les doigts en les secouant
et cherche les pressions en « serrant ses mains à l’intérieur de ses cuisses qu’elle
tient croisées ». Cette recherche de sensations sans but apparent prend davan-
tage de sens dans la coordination avec la modalité visuelle. Lucie mélange des
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couleurs dans le jeu du gobelet et le jeu du « Souterrano ». Autrement dit, elle
exerce sa coordination oculo-manuelle dans une mise en lien de la vue et du
toucher et au service de l’efficacité de l’action.
La motricité manuelle est la fonction qui permet l’action fine et différenciée d’une
main ou des deux pour réaliser une action complexe avec ou sans contrôle visuel
(Wauters-Krings, 2012). Elle recoupe diverses actions comme palper, caresser,
attraper, serrer, lâcher, etc. Chaque activité de Lucie diversifie son répertoire
moteur et l’amène à cheminer vers des jeux de plus en plus complexes. Elle com-
mence par tenir la canne à pêche et décrocher les poissons dans le jeu de pêche à
la ligne avant d’utiliser un outil plus délicat, les baguettes chinoises, dans le jeu
du gobelet. Enfin, les gestes prendre, emboîter, déboîter et orienter sont mis en
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P ROPOSITIONS THÉRAPEUTIQUES
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quelques propositions en termes d’axes de travail.
Toute activité demande une charge mentale qui ne peut se diviser à l’infini. Ainsi,
planifier des étapes tout en les réalisant représente une double-tache cognitive
exigeante en termes attentionnels. Aussi, nous pensons que, dans des activités
comme la construction du livre, il pourrait être pertinent de préparer avec Lucie
les étapes de la tâche à effectuer sous forme de schéma et/ou de mots-clés.
Cela pourrait faciliter sa réalisation technique en diminuant la contrainte de
planification et de représentation mentale, lui permettant de consacrer plus
Expériences 139
C ONCLUSION
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Lucie investit, structure et s’approprie progressivement son corps et ses émotions,
comme en attestent ses dessins qui changent en figurant le redressement, la
colonne vertébrale et les appuis, signant les évolutions de l’image corporelle
et en particulier de l’axe du corps. Lucie, en prenant appui sur le dialogue
tonico-émotionnel avec Sylvie Gadesaude, peut progressivement expérimenter
la sphère manuelle sous l’angle sensoriel et fonctionnel. Ce chemin peut se
poursuivre en prenant appui sur des propositions autour de la sensorialité, de la
structuration et de la valorisation des activités.
Chapitre 22
À propos de Lucie :
le thème des mains
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Bernard Meurin
« Pourquoi mes mains elles font ça ? » nous demande ce petit garçon autiste
de cinq ans en les faisant tourner inlassablement devant ses yeux mais sans
que ceux-ci ne les regardent vraiment. Cette question n’attend visiblement
aucune réponse. Quoi que nous disions, elle revient toujours, accompagnée des
mêmes gestes. Ici, pensées et mouvements sont indissociables. Contrairement à
Lucie qui déclare avec joie « Je fais ce que je veux avec mes mains », ce jeune
autiste que nous appellerons Antoine semble tributaire de ce que ses mains
font, comme si elles échappaient à sa volonté. Habituellement, une question
attend une réponse, celle d’Antoine à peine énoncée se referme sur elle-même.
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Les quelques suggestions débutant par des « parce que » ne répondaient en rien
à la question et venaient plutôt alimenter l’écholalie d’Antoine. Nous pourrions
tout aussi bien écrire « Pourquoimémainelfonsa... » tant il est difficile de saisir
ce que signifie réellement cette litanie.
P OURQUOIMÉMAINELFONSA ?
Dans les lignes qui vont suivre, nous proposons d’ouvrir une réflexion à partir
d’une mise en perspective de ce qui semble être une affirmation pour Lucie
et une question pour Antoine en nous appuyant sur une vision moniste de la
personne.
142 L ES MAINS
Sylvie Gadesaude souligne que c’est avec « joie » que Lucie exprime l’idée de
faire ce qu’elle veut avec ses mains. Nous entendons le terme « joie » dans son
acceptation courante à savoir quelque chose qui nous fait plaisir. Mais Spinoza
(2005) donne une autre dimension à ce terme qui nous apparaît en lien avec ce
qui se joue dans en clinique. Par « joie », il n’entend pas un simple moment de
plaisir ponctuel dans le temps mais un processus par lequel les individus passent
d’un état de passivité à un état d’activité. Il écrit que tout ce qui augmente
ou diminue la puissance d’agir du corps augmente ou diminue la puissance de
penser et réciproquement, tout ce qui augmente ou diminue la puissance de
penser, augmente ou diminue la puissance d’agir. Il y a covariation entre agir
et pensée car l’homme est ici perçu comme une unité « corporo-psychique ».
Ainsi en psychomotricité, aider les enfants à développer leur gestuelle, c’est de
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fait soutenir leurs capacités à penser. En ce sens, cette « joie » exprimée par
Lucie peut être comprise comme le fruit d’une transformation qui s’est instaurée
progressivement au décours de la prise en charge. Nous apprenons au début
du travail que ses mains sont fébriles et tremblantes et qu’elles sont utilisées
comme des prothèses de rassemblement. Puis, nous apprenons que les gestes
sont plus sûrs et que les mains permettent beaucoup d’expériences qui aident
Lucie à verbaliser ce qu’elle éprouve. L’histoire se termine par le constat d’un
progrès en écriture ce qui souligne les capacités d’élaboration psychique.
Dans cette étude clinique, nous voyons bien que le travail en psychomotricité
favorise, par des mises en forme adéquates du corps, les capacités à agir : « Je
la tiens par les mains en la regardant dans les yeux et je lui propose de rebondir
en comptant : un – deux – trois – LU – CIE » Cette expérience partagée avec
l’adulte, réclamée par Lucie, permet de soutenir les processus de pensée. Par
ses tortillements, Lucie met tout son corps en mouvement dans un ébranlement
joyeux, assurée que celui-ci n’éclatera pas car bien ancré dans les mains et le
regard de la psychomotricienne. Il est donc important que cette activité dure
jusqu’à ce que le sentiment de cohésion corporelle soit suffisamment intégré.
Ici, l’accroissement des capacités psychomotrices va de pair avec l’accroissement
des capacités ludiques partagées. Le jeu de pêche ne se construit pas seulement
parce que préexistent des angoisses de dévoration mais celles-ci peuvent s’ex-
primer parce que les capacités d’agir du corps sont plus adéquates et précises.
À propos de Lucie : le thème des mains 143
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L E POINT DE VUE SENSORI - MOTEUR
est sous-tendue par le lien visuo-manuel. L’enfant n’éprouve plus autant le besoin
de porter les objets à la bouche car il peut désormais les regarder attentivement,
les tourner et les faire passer d’une main dans l’autre. Cette coordination visuo-
manuelle est une véritable révolution car elle introduit l’enfant aux premières
représentations des objets et à l’espace qui les contient : « Quand l’œil parle
à la main, leur langage est l’espace », disait Bullinger. Jusqu’alors ce sont les
sensations qui motivaient l’enfant dans ses explorations. Maintenant, c’est la
conséquence de ses gestes qui l’intéresse. Lorsque le tout petit se saisit d’une
cuillère, il la prend, la secoue, la suce et la mord avant de la jeter au sol. Ces
schèmes moteurs lui permettent d’explorer les propriétés physiques de l’objet
et d’en affiner la manipulation. Progressivement, il ne va plus considérer la
cuillère comme un simple objet à secouer ou à taper mais comme un objet dont
144 L ES MAINS
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ment du développement psychomoteur. Avec Antoine, il s’agissait de proposer
des installations sur des coussins ou sur nous en guise d’arrière-fond afin de
soutenir la collaboration bimanuelle et l’orientation du regard dans les jeux de
manipulation d’objets. Nous avons également proposé de nombreuses activités
sur un gros ballon pour favoriser les postures d’enroulement nécessaires à l’éta-
blissement d’un équilibre harmonieux entre les schémas de flexion/extension et
à la liaison main/bouche. Toutefois, l’évolution d’Antoine n’a pas été aussi nette
que celle de Lucie et un accueil vers une structure spécialisée a été nécessaire
pour poursuivre les soins commencés en CMP.
C ONCLUSION
Aider les personnes avec autisme ne doit pas conduire à développer chez elles de
simples compétences praxiques mais leur permettre aussi de les habiter subjec-
tivement. Dans le cas de Lucie, nous comprenons bien qu’utiliser les mains pour
écrire n’a pas été une finalité en soi mais que cela a participé de la possibilité
d’être en relation et de se sentir exister en première personne. Dans son article
« Le corps comme relation », de Ajuriaguerra cite de Rougemont (« Penser avec
les mains ») dont ce petit passage servira de conclusion :
« Des mains faites pour prendre et peser. Des mains qui savent, qui accomplissent
et qui sculptent ; des mains qui créent. »
Chapitre 23
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Tiphanie Vennat
Nous observons concrètement chez Lucie un double mouvement des mains alter-
nant entre les désirs de fusion et de séparation.
146 L ES MAINS
Lucie oriente parfois ses mains vers « le dedans de la fusion » et ne les projette
pas vers le dehors comme prise possible sur le monde. C’est ainsi que Sylvie
Gadesaude relate la posture contenue des mains serrées à l’intérieur des cuisses
et la mise en danger de l’enfant qui n’anticipe pas les déséquilibres et n’opère
aucune réaction de protection avec ses mains. Tout se passe comme si, métapho-
riquement, Lucie cachait ses mains dans le ventre de sa mère. Sylvie Gadesaude
évoque implicitement ce besoin de fusion à travers l’identification adhésive
qu’elle décrit en termes de collage ou de manque de distance relationnelle que
l’on pourrait entendre comme peau à peau « éternisé ». Cette hypothèse de
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travail pourrait être mise en lien avec la menace d’un autre dans le ventre de
la mère : « Il est méchant, il a un bébé dans le ventre ! » Nous pouvons nous
demander si Lucie ne conçoit pas l’autre comme menace, tiers défusionnant et
séparateur dans la relation au corps de sa mère. Les petits morceaux de pâte à
modeler trempés dans « l’eau prisonnière » ne sont pas sans rappeler le corps de
l’enfant baigné dans le liquide amniotique du ventre maternel.
La question de la prison, espace clos de la captivité, se retrouve dans le jeu de
manipulation des poupées russes. Les poupées russes reposent sur le principe
de l’encastrement où chaque figurine est dans une autre c’est-à-dire fusionnée,
chacune contenue dans le ventre d’une autre, littéralement dévorée, à l’image
des angoisses de dévoration constatées chez Lucie. L’enfant place de petites
boules nommées « bébé » dans le ventre des poupées russes et joue à les faire
disparaître ou apparaître c’est-à-dire à opérer progressivement le mouvement de
la fusion (boules en dedans du ventre de la poupée) vers la séparation (boules
en dehors du ventre ou visibles de la poupée). Ceci nous conduit logiquement à
orienter la dynamique thérapeutique vers le processus de séparation.
recherche d’une radicale séparation. Sylvie Gadesaude évoque cette quête d’indé-
pendance sur un mode tyrannique. Or la tyrannie est ce qui permet d’exercer une
forme de contrôle sur l’autre, c’est-à-dire d’opérer une tentative de séparation
active, emblématique du stade anal (Freud, 2011). Il s’agit pour la plupart des
enfants d’une étape offrant les premières possibilités d’agir sur l’environnement
social. La phase anale présente ainsi des effets constructifs, notamment la reven-
dication de l’autonomie par l’accès au « non ». L’enfant développe à ce moment
sa capacité à vivre seul. Il consolide son individualité et la permanence de l’objet
émotionnel. Il est possible que Lucie soit encore dans l’expérimentation de cette
étape de développement. Nous pouvons également supposer que l’autorité du
père par l’injonction fréquente du lavage des mains ne laisse pas suffisamment
d’espace de subjectivation pour l’enfant, ce qui finalement renforce le symptôme.
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Cet espace ne lui étant pas acquis, Lucie le conquiert elle aussi sur un mode
autoritaire.
D’autres éléments cliniques m’invitent à penser un lien remarquable et implicite
entre l’exercice des mains et le processus symbolique de l’accouchement, temps
de la séparation primordiale.
Il est dit que Lucie passe beaucoup de temps les jambes relevées et la tête en
bas. Ce qui pourrait être lu comme un fait anecdotique m’apparaît intéressant
à deux titres. Cette posture rappelle singulièrement le sens de l’accouchement,
le bébé se présentant par la tête qui exerce une pression régulière sur le col de
l’utérus pendant les contractions et l’aide à s’élargir pour permettre l’expulsion.
Par ailleurs, et dans la continuité de notre propos sur la fonction séparatrice des
mains, la posture jambes relevées et tête en bas suppose les mains comme seul
support du corps. La prédominance de la main dans l’édification de cette posture
métaphore de séparation est ici intéressante à souligner.
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du ventre maternel et le dehors. Nous pouvons donc entendre ce jeu symbolique
comme la mise en jeu du processus de séparation inscrit dans une dimension
de sécurité et de confiance, bordé, à l’image des multiples feuillets réalisés par
Lucie et garantissant d’être enveloppée, « par-excitée » et contenue dans cette
émancipation.
L’efficacité clinique de ce travail psychomoteur est illustrée par deux évolu-
tions majeures conditionnées au bon déroulement du processus de séparation-
individuation, c’est-à-dire s’éprouver dans l’être soi et donc l’être avec l’autre :
la différenciation des sexes, l’accès à l’écriture et à la socialisation.
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du cercle. Dans ce mouvement, Lucie se distingue en sortant de la masse pour
devenir le point central sur lequel le groupe focalise son attention. La tendance
naturelle des autistes étant de se situer en dehors – toujours ailleurs – il serait
ici question de déranger cet arrangement pathologique pour que l’enfant puisse
vivre l’importance de « buter » sur le principe de réalité de l’autre. Ce dispositif
symboligène permettrait ainsi de rejouer le processus de séparation-individuation
dans une dimension de sécurité et de confiance, puisqu’il s’agirait d’évoluer
entre la fusion du corps groupal disposé en cercle et l’autonomie contenue au
cœur de cet espace de sécurité. Nous pourrions conclure la pratique par un rituel
autour des corporythmies, percussions corporelles simples qui seraient l’occasion
de mobiliser le corps propre dans la considération des autres pour l’unisson du
groupe, c’est-à-dire à la frontière entre l’individuation et la fusion du groupe.
L’omniprésence des mains dans ce rituel de fin pourrait constituer la base d’un
travail plus approfondi autour des autres parties du corps.
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C ONCLUSION
Synthèse
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Sylvie Gadesaude
Il semble que se dégage de cette partie sur les mains et la motricité fine, le rôle
majeur de la main vectrice de relation et porteuse de l’intentionnalité d’agir depuis
un dedans vers un dehors à condition que soit garantie la sécurité d’une ouverture
sur le dehors.
Tiphanie Vennat nous montre comment cette relation, ancrée dans les premières
interactions charnelles avec le corps de la mère cherche à s’ouvrir vers l’extérieur,
portée par un désir de communication ou d’expression. Elle nous explique aussi
comment les médiations artistiques permettent au corps de jouer pour apprivoiser
ces mouvements d’émancipation, d’enveloppes et d’éloignement.
Bernard Meurin souligne comment le rôle actif du sujet passe par l’appropriation de
la main comme une partie de son corps à soi avec une intentionnalité de transfor-
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La contenance
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Chap. 25 Vignette . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155
Chap. 26 Arthur ou la recherche des fonctions contenantes . . . . . . . . . . . 157
Chap. 27 Contenance et cohérence centrale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163
Chap. 28 Contenance et incontenances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 169
Chap. 29 Une contenance thérapeutique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175
Chap. 30 Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181
Chapitre 25
Vignette
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Bernard Meurin
paternels.
Sur le plan du développement psychomoteur, nous notons une tenue assise vers 6/7
mois et une marche vers 13/14 mois sans passage par le quatre-pattes. La propreté
n’est pas acquise et Arthur ne signifie pas ses envies d’aller aux toilettes. Sur le plan
de l’oralité, les parents ne notent ni difficultés particulières ni troubles alimentaires.
Les parents décrivent de nombreux comportements stéréotypés et des rituels.
Lors de la première observation psychomotrice, Arthur ne prête pas attention à ce qui
l’entoure. Il est relativement passif et amimique. Une fois dans la salle, il manipule les
objets de manière stéréotypée. Il les fait tourner près de ses yeux en vision périphé-
rique. Le regard ne sert pas à entrer en contact. Lorsque je m’approche de lui, Arthur
s’éloigne et le contact physique est difficile.
Sur le plan praxique, les gestes sont peu élaborés et Arthur recherche essentiellement
des sensations. Il y a peu de collaboration bimanuelle, de nombreux mouvements se
faisant en symétrie. La coordination au niveau des jambes est fragile, la marche peu
harmonieuse et les pas se déroulent essentiellement sur l’avant pied.
156 LA CONTENANCE
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permettant de meilleures coordinations. Nous avons également utilisé des jeux de
type « coucou/beuh » pour susciter l’intérêt d’Arthur, d’abord avec un tissu transparent
puis opaque.
Le premier effet patent de ce travail survient lorsqu’Arthur qui prend plaisir à effectuer
de petits parcours psychomoteurs, se met à refuser de partir à la fin d’une séance. Il
râle, ne veut pas me suivre et cette séquence se répète sur plusieurs semaines. Je
pressens la distinction entre le moment de la séance et « l’en dehors » et j’en parle au
papa. Ce dernier confirme les progrès psychomoteurs et ajoute que son fils est propre
depuis plusieurs semaines.
Pour accompagner Arthur dans ses recherches de contenances tactiles nous avons
proposé un atelier pataugeoire coanimé avec une collègue orthophoniste. Durant les
premières séances, Arthur fonctionne beaucoup par mimétisme. Il est souvent allongé
dans le prolongement de l’eau qui coule et se remplit. Puis progressivement, les jets
de l’eau variant selon les mouvements d’Arthur, survient une belle surprise que nous
soutenons verbalement. Ces moments nous mettent en résonance émotionnelle avec
Arthur qui progressivement contrôle la force du jet tout en se montrant attentif à nos
réactions. Des moments d’échanges joyeux s’installent entre nous et Arthur, qui ne
parle toujours pas, viendra chercher les adultes pour qu’ils soutiennent et enrichissent
ses jeux.
Conclusion
Au terme de ces trois années, Arthur est nettement moins prisonnier de ses stéréoty-
pies et se montre plus attentif à l’autre. Il est coopérant et ne s’enferme plus dans des
recherches sensorielles. La prise en charge psychomotrice lui a permis d’harmoniser
son organisation corporelle et de développer chez lui une certaine sérénité. Le travail
axé sur les points d’appuis, la contenance et le soutien des coordinations a permis
de diminuer l’impact des clivages intracorporels au profit d’un sentiment d’unité plus
sécure.
Chapitre 26
Arthur ou la recherche
des fonctions contenantes
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Bernard Meurin
SENSORI - MOTEUR »
L’axe de développement se présente sous forme d’un tableau dans lequel Bullinger
(2004) définit ce qu’il appelle les « espaces corporels ». Il ne s’agit pas d’une
succession d’étapes mais d’un processus dans lequel le terme « espace » se réfère
aux coordinations qui se mettent en place et qui donnent lieu à la fois à des
capacités praxiques mais aussi à des représentations psychiques. Six espaces
sont décrits l’espace utérin, de la pesanteur, oral, du buste, du torse et du corps.
Pour Arthur, nous verrons que c’est essentiellement au niveau des deux derniers
espaces que les difficultés s’expriment le plus.
! A propos de « l’espace utérin », outre le développement du fœtus et de son
investissement par le milieu humain, Bullinger parle d’une première forme
158 LA CONTENANCE
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corporelles, des difficultés dans les transitions de postures et des troubles
de l’équilibre. Bullinger parle de « troubles du redressement » en précisant
que « c’est probablement une des sources des angoisses dites primitives que
manifeste le jeune enfant. »
En ce qui concerne Arthur, nous avons pu constater au cours de la prise en
charge, son besoin de repartir de la position allongée comme pour ré-éprouver
la construction de la verticale.
! Le troisième espace est « l’espace oral » où l’équilibre entre la mise en
bouche (capture) et la gestion sensorielle (exploration) autorise les comporte-
ments de succion et de déglutition puis les comportements de mastication et
de déglutition1 . Sur le plan psychique, « la constitution de l’espace oral permet
la création d’une contenance qui trouve son sens dans l’activité alimentaire et
l’exploration qui offrent de manière transitoire les premières sensations d’exis-
tence. » Dans le cas de l’autisme, un clivage entre un investissement puissant
de la capture qui se traduit souvent par des comportements d’agrippement et
une recherche constante de réafférence sensorielle sous forme de stéréotypies
orales impacteront l’investissement de la zone orale et toutes les fonctions
qui en dépendent comme le langage.
Pour Arthur, nous n’avons pas été interpellés par une problématique de la
zone orale. Néanmoins, il s’avère, tôt dans son évolution, des difficultés
sont apparues sous la forme d’une sélectivité alimentaire. Arthur mangeait
préférentiellement des aliments de couleur verte, des pâtes papillons avec une
1. Voir la chaîne narrative du repas telle qu’elle est décrite dans la partie consacrée à l’oralité
Arthur ou la recherche des fonctions contenantes 159
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en hyperextension ou à l’inverse des effondrements toniques associés à des
troubles visuo-praxiques.
Concernant Arthur, il était globalement plutôt hypotonique avec un regard
essentiellement fixé aux ficelles qu’il tournicotait devant lui.
Les deux derniers espaces décrits dans l’axe de développement sont « l’espace
du torse » et « l’espace du corps ».
! « L’espace du torse » concerne les mouvements de torsion permettant le
passage fluide et équilibré entre deux postures asymétriques d’orientation
différente. L’utilisation de la bouche comme lieu d’exploration des objets et la
coordination visuo-manuelle favorisent l’unification des espaces droit, gauche
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poids du corps qui va permettre un ajustement de la marche aux propriétés
du terrain et à la finalité de l’action. » L’organisme est désormais un lieu
habité comme corps unifié qui part à la découverte du monde. Dans l’autisme,
l’investissement du bas du corps peut être fragile et nous parlerons alors de
« clivage haut/bas ». Cela n’empêche pas les fonctions motrices comme la
marche de se mettre en place mais celle-ci sera maladroite et l’accès à la
propreté sera difficile.
Chez Arthur, la difficulté à se coordonner pour monter sur de petits coussins
et les irritabilités tactiles du membre inférieur laissaient entrevoir un clivage
« haut/bas ». De même, la propreté n’était pas acquise car « à cet investissement
du bassin correspond le début d’un intérêt pour le contrôle sphinctérien. » Ce
contrôle s’est mis en place dès lors que les coordinations au niveau des jambes
se sont fluidifiées et cet acquis a été covariant avec l’émergence de notion
comme dedans/dehors. Arthur différenciait désormais les moments de séances
du moment de la séparation.
C ONCLUSION
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Chapitre 27
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Julie Lobbé
L A COMODALITÉ SENSORIELLE
globale. Sur le plan du fonctionnement sensoriel, cela signifie que les modalités
doivent être « intégrées », c’est-à-dire coordonnées. Or, des auteurs avec TSA
tels que Grandin ou Tammet parlent de « (...) la difficulté à se concentrer sur
plus d’une modalité perceptive à la fois et un débordement par des sources
de stimulation trop nombreuses » (Courteix, 2009). La première partie de la
citation sous-entend que les espaces sensoriels sont séparés les uns des autres :
la comodalité sensorielle, dans le sens d’un rassemblement des informations en
un tout cohérent, n’est pas efficiente.
Les espaces sensoriels sont également saturés d’informations. Schopler et Rei-
chler (1971, dans Planche et col., 2002) parlent d’une déficience du filtrage des
stimulations provoquant une surcharge sensorielle, entraînant à son tour une
« inhibition de protection ». Celle-ci peut se traduire par la concentration sur
164 LA CONTENANCE
Particularités
!
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sélectivité. Cette focalisation sur les détails perturbe la reconnaissance du
contexte général d’une situation ainsi que sa contextualisation et donc l’attribu-
tion du sens de cette situation (Couteix, 2009).
En effet, le cerveau opère naturellement des liens entre les différentes informa-
tions qu’il perçoit et les organise en un tout cohérent (Robert, 2013). Ainsi, il
est plus facile de se souvenir d’une information organisée, sous forme de liste
par exemple, plutôt que d’informations aléatoires. De même, lorsque nous nous
rappelons un souvenir, comme un moment entre amis, il vient à notre conscience
sous une forme globale. En effet, nous ne nous souvenons pas de chaque thème
abordé dans la conversation. Par ailleurs, lorsque le souvenir est perdu, il peut
se réactiver si une personne raconte des éléments du contexte où s’est déroulée
l’action. L’humain traite donc naturellement les informations de manière globale
et contextualisée, pour y trouver une signification. Frith (1989, dans Rogé, 2003)
nomme cette particularité cognitive la cohérence centrale.
Chez les personnes avec TSA, le cerveau ne fait pas correctement ce travail.
Selon Frith (op. cit.), il existe un déficit de la cohérence centrale. Planche et
coll. (2002) montrent en effet que les sujets avec TSA ont tendance à prendre en
considération les formes isolées et présentent une difficulté à associer un grand
nombre de stimuli. Les contextes sociaux sont également difficilement analysés
car « les personnes autistes perçoivent l’ensemble des détails d’une situation
sans les hiérarchiser quant à leur pertinence explicative du contexte » (Renoux,
2006 dans Courteix, 2009). Vermeulen (2010) parle de cécité contextuelle.
Pour autant, le déficit peut aussi être vu sous l’angle d’une façon de penser.
Manuel, 20 ans, connaît tous les résultats des matchs de football de l’équipe
de France depuis sa création, en 1904. Considérer cette capacité à retenir des
informations sans lien entre elles comme un déficit ne me paraît pas naturel.
Contenance et cohérence centrale 165
Mottron (2004) va dans le même sens lorsqu’il parle d’une autre intelligence
pour les personnes avec TSA. En tous les cas, les particularités autistiques ont
des répercussions sur les relations environnementales et sur le développement.
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sur la base des expériences avec l’environnement. Cette structuration apparaît
sous la forme du schéma corporel qui est un préalable à l’organisation de l’es-
pace. En effet, la théorie piagétienne nous apprend que les repères spatiaux
sont d’abord situés sur le corps propre avant de l’être sur l’espace environnant.
L’enfant avec TSA peut réduire ses expériences en se focalisant sur des stéréo-
typies répétitives. Il est noté qu’Arthur présente de nombreux comportements
stéréotypés qui entravent l’accès à une gestualité efficace.
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P ROPOSITIONS DE PRISE EN CHARGE
Robert (2013) souligne que, lorsque nous regardons un arbre, nous retenons qu’il
s’agit d’un arbre même si nous n’en voyons que les feuilles. La personne avec
TSA va davantage percevoir le relief de chaque feuille que la vision spontanée de
l’arbre. « Le sens devra être travaillé manuellement et consciemment. » (Robert,
2013) Il pourra s’agir de jeux de dénomination lors de balades en forêt par
exemple : « C’est un arbre avec des feuilles, des bourgeons et un tronc. » La
prise d’informations est aussi facilitée par l’attitude du psychomotricien, précis
dans ses demandes et facilitant la compréhension du sens des situations en
explicitant les liens entre les informations. Enfin, le recours à la schématisation
écrite se révèle utile pour faciliter l’intégration des informations auditives dans
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une perspective de comodalité sensorielle.
C ONCLUSION
Contenance et incontenances
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Tiphanie Vennat
L’ EXPÉRIENCE DE LA NAISSANCE
OU LA PERTE DE L’ ENVELOPPE CONTENANTE
L’histoire d’Arthur nous apprend que cette contenance primordiale a été prolon-
gée de quelques jours et conclue par une césarienne. Si toute arrivée au monde
constitue ce que Rank appelle un « traumatisme de la naissance » (2002), nous
pouvons nous demander si la césarienne n’a pas majoré ce traumatisme et a
fortiori les angoisses archaïques intenses du bébé. En effet, cette intervention
chirurgicale consiste en une incision de la paroi utérine, c’est-à-dire une coupure
arbitraire du premier contenant externe. À l’inverse de l’accouchement par voie
basse au cours duquel le bébé expérimente par la poussée des contractions la
consistance et la résistance de son contenant, nous pouvons nous demander si
la césarienne ne créée pas un effet de « décontenance » radicale dans laquelle
il n’a aucune possibilité d’action. Car si sur le plan de l’éprouvé de l’enve-
loppe corporelle, l’accouchement par voie basse semble constituer une forme de
170 LA CONTENANCE
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L ES « INCONTENANCES » D ’A RTHUR
1. Il s’agit d’une hypothèse, toutes les grossesses césarisées ne conduisant bien sûr pas à de tels
portraits d’enfants.
Contenance et incontenances 171
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qu’Arthur ne manipule pas n’importe quels objets, mais « des bouts de ficelle »
ou « le cordon de son pantalon ». Ceci n’est pas sans nous évoquer l’image du
cordon ombilical comme objet transitionnel entre le corps de l’enfant et celui de
la mère. Arthur n’est-il pas en train de retrouver dans cet accrochage un peu de
la contenance maternelle qu’il pense lui manquer ?
Par ailleurs la dimension du rythme que l’on retrouve de façon prépondérante
dans chacune des manifestations autistiques – notamment dans l’idée-même du
rituel – est selon Haag (2000) « la première forme de vie et de contenance ».
Elle garantit à ce titre, nous le savons, une sécurité de base et la construction
du sentiment de continuité d’être chez Arthur.
parfaitement chez Arthur qui, au départ du bilan, ne prête pas attention à ce qui
l’entoure mais qui sollicite l’adulte à la fin de sa prise en charge. Tout se passe
comme si la sensation d’être ainsi contenu dans son propre corps consolidait
le sentiment du « dedans » de soi en même temps qu’il permettait de mieux se
figurer « le dehors » des autres. La contenance prend donc une configuration
d’enveloppe qui sépare le dedans et le dehors autant qu’il les relie.
L’imitation, que nous repérons classiquement dans les fonctionnements échola-
lique/échopraxique/échomimique des patients autistes ainsi que dans les identi-
fications adhésives, constitue également un ressort thérapeutique d’importance
dans le travail de la contenance. Car le mimétisme, au-delà d’un simple « collage
à la réalité » de l’autre, doit être ici pensé comme tentative de trouver en l’autre
une forme de contour à épouser. Un contenant externe sur lequel s’adosser.
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Dans la perspective d’édification d’une contenance, la médiation pataugeoire, par
les caractéristiques intrinsèques de contenance et de portage de l’élément-eau,
est évidemment particulièrement pertinente. La danse, à laquelle je suis habituel-
lement plus sensible, pourrait également convenir au travail de la contenance.
Pour Arthur, il pourrait s’agir d’une proposition de groupe thérapeutique comme
« enveloppe groupale » (Anzieu, 1999) autour de la dimension du cercle, de la
spirale et de la sphère. Ces notions, particulièrement présentes dans la danse
contemporaine, invitent très naturellement à l’exploration de la contenance.
Ainsi, une danse collective dans l’espace radiaire du cercle à l’image des danses
tribales ou encore l’exploration libre de la kinesphère (Laban, 2003) ou le travail
de la spirale comme mouvement d’unification corporelle pourraient être autant
de propositions dansées permettant à l’enfant d’édifier une contenance interne.
Enfin notons qu’au-delà des médiations utilisées, ce qui est contenant pour le
patient est avant tout la capacité du psychomotricien à pouvoir continuer de
penser pour lui et d’héberger ce qui lui est encore impossible de contenir (Bion,
1962).
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cherchant des mots solides comme autant de muscles dans ma bouche et espé-
rant que l’enfant finirait par céder un peu de sa violence. Et doucement, Joseph
lâcha prise et pleura à chaudes larmes. C’est alors que notre accordage tonique
changea. Je sentis alors cette subtile transformation de la contenance physique
en contenance psychique. J’ai progressivement cherché à accorder ma respiration
à la sienne, ajustant la qualité de mon toucher et adoucissant le ton de ma
voix. Joseph finit par me chuchoter à l’oreille le détail d’évènements douloureux
survenus à la maison comme s’il me considérait à présent suffisamment forte
pour résister à ses terreurs. Nous avons dès lors pu poursuivre la confidence dans
l’espace contenant de salle de psychomotricité.
Ce que montre cette situation clinique particulière, c’est que l’enfant a trouvé
dans le « contre » une façon d’être finalement « avec ». En confrontant ses
angoisses à la résistance de mon corps de thérapeute, Joseph a pu leur trouver
une limite tangible et consistante, un contenant fiable au cœur duquel exprimer
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C ONCLUSION
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Chapitre 29
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Sylvie Gadesaude
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ayant l’une et l’autre fait l’objet d’un choix. »
L’enfant apprend peu à peu que son corps et celui de l’autre sont des résonnateurs
d’émotions, d’affects de plaisir ou de déplaisir à travers leur musculature et leur
fournissent un lieu – une contenance – pour entrer en relation.
Le bilan psychomoteur accorde une attention particulière « aux réactions de
contenance » qui nous indiquent comment l’enfant réagit à ce temps particulier.
Leurs manifestations et leurs formes nous orientent sur la nature des émotions
suscitées.
Bernard Meurin nous montre que la contenance dans le soin psychomoteur
concerne à la fois thérapeute et patient. Pour Arthur, on pourrait penser que
la fonction contenante du départ était efficiente puisqu’on ne relève durant
la grossesse ni accident ni lésions observables. Les observations du bilan, le
langage réduit, le défaut de coordinations au niveau de l’hémicorps inférieur et
son intérêt restreint pour son entourage soulignent un retard de développement
global et des interactions limitées, des expressions stéréotypées, la fonction de
contenance est touchée.
Le psychomotricien par son projet thérapeutique nous dévoile son rôle conte-
nant, étayage de son petit patient. Ici, les jeux sur le ballon offrent à Arthur
Une contenance thérapeutique 177
C LINIQUE DE LA CONTENANCE
Je pense à Baptiste, 11 ans, que j’ai suivi à l’EMP, qui a du mal à accepter les
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limites et se met souvent dans une position de rivalité avec l’adulte à l’égard des
autres enfants. Il fait le chef ! Ainsi, il lui arrive fréquemment d’intervenir quand
un enfant se fait reprendre pour son comportement. Il peut même enjoindre ce
dernier à ne pas écouter l’adulte. Parallèlement, il est dans une grande quête
affective vis-à-vis des adultes. Son agitation motrice apparaît en réponse à une
stimulation sensorielle, qu’il exprime par exemple en disant : « Quand on regarde
quelqu’un dans les yeux, ça fait des guilis. Les guilis, c’est pas bon parce que ça
chatouille. » Baptiste a de bonnes possibilités éducatives et s’investit dans les
apprentissages. Son niveau de langage lui permet d’accéder à une psychothérapie
verbale. Les coordinations dynamiques générales et l’équilibre étant préservés,
le projet visait en priorité à développer son potentiel cognitif et l’accès à
la symbolisation pour mieux intégrer les limites et améliorer sa socialisation.
L’observation des comportements de Baptiste à la piscine sur la première année
de prise en charge, aussi bien dans l’eau que sur le trajet ou dans les vestiaires,
m’a incitée à proposer une prise en charge individuelle pour mieux le contenir
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Les premières séances « nous envahissent ». Par son agitation motrice, Baptiste
semble vouloir nous échapper. Il fait très vite diversion et ne peut se saisir des
jeux dans l’armoire qu’il ouvre et referme aussitôt. Il dégage une impression
de « vide » – plutôt de vent ou de tourbillon. Je propose quelques épreuves de
bilans comme un support à ma pensée. Je choisis des épreuves « au bureau »
pour le contenir dans un espace porteur. Le test des gnosies digitales dévoile
178 LA CONTENANCE
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Je prends des notes pour laisser place à l’interaction et ce faisant lui donner
l’autorisation implicite de choisir ses activités mais aussi l’étudiante comme
partenaire de jeux. J’ai en tête que ma posture de trois quarts lui garantit
aussi ma présence et implicitement ma protection par ma contenance interposée.
L’étudiante définit une limite spatiale à ne pas franchir pour viser et rappelle les
règles du jeu. Par ce détour, les espaces sont nommés, différenciés et opposés
en couple : permis-pas permis, près-loin et avant-après. Baptiste cherche à
contourner la règle en enlevant le bâton qui matérialise la limite. L’étudiante
résiste. Ce conflit semble trop difficile. Baptiste me sollicite. Fait-il une demande
de protection ?
pendant séances
Baptiste va explorer la salle de manière plus active, il peut ouvrir les placards et
choisir des jeux. Au retour de vacances, il reprend des réactions de prestance
prononcées. Je dis : « Ça doit pas être facile de se retrouver comme ça face à
face tous les deux après tout ce temps des vacances, on avait oublié ! » En guise
de réponse, il commence à explorer activement l’espace. Sa posture nous dit qu’il
est en quête de quelque chose. Il cherche une cachette derrière le boudin bleu.
A l’abri de nos regards, il parle de ses vacances avec des phrases brèves. On sent
bien qu’il essaie de contenir une émotion envahissante. Il tape fort sur un ballon
qui atterrit sur la tête de l’étudiante. Il dit : « Attends ! » Et se construit une
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maison où il emmène deux ballons avec lui faisant comme si c’était des copains.
Il dit que son « copain-ballon » se cache car il a peur de nous.
À la fin de l’année de prise en charge, j’annonce le départ de l’étudiante. Baptiste
dira : « L’année prochaine, ce sera un garçon. » Lorsque je le retrouve à la rentrée
de septembre, je suis seule. Il est déçu de ne pas trouver de stagiaire garçon. Il
reprend le boudin bleu pour faire le spectacle de rodéo et me demande : « Tu
mets bien des protections partout. » En disant cela, il affirme haut et fort sa
demande de contenance.
Chapitre 30
Synthèse
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Bernard Meurin
...
pas « contenance » et « contrainte » car la première accueille la souffrance alors
que la seconde instaure un rapport de force. C’est bien dans la posture du thérapeute
que la différence, parfois infime, se joue.
Enfin, c’est avec beaucoup de finesse que Julie Lobbé parvient à mettre en perspec-
tive sans les opposer, les notions empruntées à la théorie analytique avec celles
issues de la psychologie cognitive. La question de la cohérence centrale nous renvoie
peut-être à une représentation plus adéquate de ce que nous appelons contenance
en ce sens où elle ne renvoie pas à l’idée de contenu mais d’ajustement entre le sujet,
ce qu’il perçoit et le monde ; nous pouvons alors, comme le fait Julie Lobbé citer
Laurent Mottron et évoquer une autre forme d’intelligence ou de rapport au monde
et à l’autre. Je rejoins également Julie Lobbé quand elle évoque que la manière
dont le sujet construit ses représentations corporelles aura des conséquences sur
la perception spatiale et j’ajouterai temporelle, puisque comme le soulignait aussi
Merleau-Ponty, le point zéro de l’espace c’est notre corps.
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PARTIE VI
L’enveloppe
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Chap. 31 Vignette . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185
Chap. 32 Faire peau neuve, une difficile séparation . . . . . . . . . . . . . . . . . . 189
Chap. 33 Sacha et les enveloppes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 195
Chap. 34 L’enveloppe : place de la sensorialité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199
Chap. 35 Enveloppe et représentations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205
Chap. 36 Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209
Chapitre 31
Vignette
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Tiphanie Vennat
Sacha et l’enveloppe
Anamnèse
Sacha est un enfant de 10 ans et demi dont les parents, algériens, sont très entourant.
Sacha a très tôt présenté un retard psychomoteur global associé à une instabilité
psychomotrice. Il a été adressé à 3 ans en CMP pour retard de langage, agitation,
absence de relations à l’école et difficultés à tolérer les changements. Décrit comme
fusionnel avec sa mère par ailleurs très anxieuse, Sacha s’est arrêté de parler au cours
de la grossesse de son petit frère. À 15 mois, il vomissait la nourriture et réclamait le
sein. À 4 ans, le langage émerge mais avec difficulté. Les élans agressifs de l’enfant,
à défaut d’être mis en mots, sont agis. L’instabilité contraste avec des moments d’ab-
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Bilan psychomoteur
Sacha est aujourd’hui plus à même de se réaliser. Parlant bien mieux, il est plus
efficient sur aussi l’abord moteur. Les épreuves du bilan sont réalisées avec succès
et les résultats sont globalement conformes aux attendus de son âge. Pour autant, il
existe un réel décalage entre ses performances et la violence pressentie de son vécu
émotionnel. Très contenu et rassuré par le scolaire, Sacha l’est moins lorsqu’il s’agit
de s’engager corporellement. Il est dans la maîtrise et contient tout élan émotionnel
susceptible de le déborder. Il développe alors des auto-contacts en s’appuyant sur
ses cuisses et serrant les poings. Il présente aussi de nombreuses stéréotypies. Le
dessin du bonhomme est rudimentaire et marqué par des mains dessinées comme
des fourches. Sacha explique alors que se dessiner est « son pire cauchemar ».
186 L’ ENVELOPPE
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soutenu par les livres identifiés comme du scolaire. Lorsque je lui fais part de ce
que j’observe de ses réactions émotionnelles, Sacha se défend avec virulence. Ainsi
me dit-il régulièrement : « De toute façon c’est des mensonges, ça n’existe pas les
émotions dans le corps. Le corps c’est juste le cerveau, le cœur et les poumons. Les
émotions, elles sont dans le cerveau mais pas dans le corps. » Sur le plan tonico-
postural, l’attitude de Sacha évolue sensiblement. Au départ en posture de repli et
d’allure hypertonique, il serre les poings et développe de petits gestes rituels d’allure
stéréotypique. De la statique aux mouvements incontrôlés, la gestualité de Sacha se
délie doucement. En parallèle, il trouve un appui-dos contre la chaise et pose ses
pieds sur le sol.
Le travail de consolidation du dedans
C’est alors qu’émerge la question du plâtre qu’il évoquera pendant plusieurs séances.
Sa grande préoccupation est alors de savoir si la perceuse pourrait trouer le plâtre.
Il explique également qu’il aime prendre des risques puis « se cacher dans la boîte »,
s’opposant parfois à mes demandes en me disant : « je ne te dirai pas, je vais te
cacher des choses, parce que j’aime les secrets ». Il me semble que s’édifie alors
une contenance psychique au fil des semaines et que Sacha s’incarne dans une plus
grande confiance. Il est alors beaucoup plus expansif et prend plaisir à se mouvoir
dans l’espace psychomoteur. Nous jouons au jeu du cache-cache et développons à
sa demande des explorations les yeux fermés.
L’engagement corporel est encore un peu hésitant et fragile mais spontané. Sacha
cherche le contact des murs, les angles de la pièce et des matériaux durs sur lesquels
s’appuyer. Ce contact est alors particulièrement énergique. Je crains souvent qu’il
ne se fasse mal. Enfin Sacha verbalise autour de la loi, me disant qu’il veut cogner
certains enfants qui l’embêtent, mais que c’est interdit.
Le travail du dehors
Une nouvelle étape du processus thérapeutique s’amorce quand Sacha demande des
temps de décharge. Il ne cesse de crier : « je suis en colère » tout en frappant le
sac de frappe mis à disposition par son éducateur référent. L’expression de sa colère,
dont il dit qu’elle est en lui depuis tout petit, est tout à fait nouvelle pour Sacha. Cette
colère était jusqu’à présent en latence et trouvait une contenance dans les stéréotypies
Vignette 187
Conclusion
Après plusieurs mois de prise en charge, Sacha me confie avoir depuis toujours l’envie
de conduire des camions poubelle : « une boîte en métal avec plein de débris à l’inté-
rieur ». Il précise qu’il aimerait aujourd’hui travailler dans une usine de recyclage « qui
ferait le tri et qui permettrait aux choses de recoller ». La prise en charge psychomo-
trice semble donc offrir à Sacha un espace contenant et un support à une enveloppe
psychocorporelle fragilisée. Il peut faire l’expérience nouvelle de son corps quelque
part entre un dedans et un dehors. S’amorce alors un travail de transitionnalité qui
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l’aidera à faire le chemin de l’autonomie.
Chapitre 32
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Tiphanie Vennat
L’ ENVELOPPE COMMUNE
Nous le savons, le Moi-peau (Anzieu, 1985) s’édifie très tôt dans la construc-
tion psychique de l’enfant de manière à marquer la limite symbolique entre
son corps et celui d’autrui. À la lecture de l’anamnèse de Sacha, on comprend
que cette étape fondatrice du processus de séparation apparaît problématique.
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L’ ENVELOPPE INTERNE
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que nous pouvons rapprocher du concept de Moi-peau passoire (Anzieu, 1985)
à travers lequel l’enfant a le sentiment qu’il risque à tout instant de se perdre.
La béance de l’enveloppe fait effectivement naître une angoisse de vidage à
l’image de la peur classique de disparaître avec l’eau du bain, angoisse dérivée
du traumatisme de la naissance (Rank, 2002). Cela m’évoque un jour d’hiver où
Sacha s’était enrhumé et avait le nez qui coulait. Lorsqu’il s’en aperçut il s’écria :
« Au secours Tiphanie, j’ai mon cerveau qui coule ! » Cette angoisse de vidage
s’est également manifestée lors d’une séance particulièrement édifiante autour
d’un temps de hamac. Lorsque j’ai proposé à Sacha de s’y allonger, sa première
réaction a d’emblée concerné la capacité du tissu rayé à le contenir : « Hé mais
attends là, je ne vais pas tomber dans les lignes de la couverture, dis ! » Puis se
laissant aller progressivement au portage dans le hamac, il répéta anxieusement :
« Tiphanie, au secours ! Je coule ! » J’ai alors posé mes mains en dessous de lui
en intensifiant la conscience de l’appui-dos et de l’arrière-fond (Haag, 1988).
Sacha finit par s’apaiser, le pouce dans la bouche. Quelques instants après il
me regarda en disant : « Adieu maman, je suis mort ! » Puis il rabattit les deux
extrémités du tissu sur son corps et disparut.
Nous sans surprise, je constate également chez Sacha des angoisses de perfo-
ration, suggérées en premier lieu par le détail des mains en fourche lorsqu’il
se dessine puis par l’évocation des nombreuses armes à feu comme le fusil, la
mitraillette et le bazooka. L’enfant exprime alors très clairement que « c’est le
fusil qui gagne », c’est-à-dire que l’enveloppe corporelle est en danger.
Notons également qu’il y a sans doute ici l’expression massive de l’agressivité de
l’enfant adressée à la mère. En effet, le néologisme « mazooka » n’est pas sans
laisser penser qu’il y a là un peu de « maman ». Si ce n’est au moins le souvenir
d’un sein qui manque.
Faire peau neuve, une difficile séparation 191
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L A DÉFENSE AUTISTIQUE COMME ENVELOPPE PALLIATIVE
Nous l’avons vu, Sacha tente de pallier les insuffisances de son enveloppe percée
à travers le raisonnement intellectuel et le sur-recrutement de la fonction tonique.
Pour Bick (1968), l’hypertonie procure à l’enfant une sensation de maintien lui
rappelant le serrage rassurant de la paroi utérine associé à la portance du liquide
amniotique. Ces deux modalités défensives répondent à l’impérieuse nécessité
de constituer une seconde peau psychique (Anzieu, 1987) et peuvent être enten-
dues comme une façon de se protéger contre toute expérience émotionnelle
potentiellement débordante (Ciccone et Lhopital, 2001). Comme nous le rappelle
justement la phrase de Sacha : « [...] de toute façon c’est des mensonges, ça
n’existe pas les émotions dans le corps [...]. » Or, ces réactions enferment
finalement plus qu’elles ne contiennent. Au mieux sont-elles des « conteneurs
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corporelle. Cette pratique semble très appréciée de l’enfant qui y retrouve cer-
tainement un peu de cette peau commune qui lui manque. Les demandes de
Sacha portent essentiellement sur les os de son crâne et sur la cage thoracique.
Il est intéressant de remarquer qu’à l’instar des rayures de la couverture, les
côtes ne sont pas perçues par Sacha comme une enveloppe osseuse contenante
mais comme autant d’orifices risquant de laisser échapper les organes vitaux.
Cette inquiétude de Sacha à ne se sentir que partiellement protéger par ses os,
a permis d’aborder la suppléance des muscles et de la peau. Comme exposé en
préambule, cette pratique a été soutenue par la découverte de livres d’anatomie
pour enfant, dont la fonction symbolisante a également constitué une fonction
d’enveloppe (Anzieu,1985 ; Roussillon, 1995).
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Les jeux d’exploration de l’enveloppe interne
!
C ONCLUSION
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Chapitre 33
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Bernard Meurin
Le thème qui nous est proposé ici ouvre une discussion autour du concept –
souvent mis en avant en psychomotricité – d’enveloppe corporo-psychique.
Le terme d’enveloppe renvoie à des notions comme contenant/contenu ou inté-
rieur/extérieur. Il implique une séparation entre moi et le monde, séparation
perçue comme condition nécessaire à la mise en forme de la subjectivité. Mais
comme le souligne Anne-Marie Latour, « il ne suffit pas d’avoir une peau “tout
autour” pour se sentir enveloppé ». Elle parle alors de « sentiment d’être »
comme conséquence d’une liaison entre les expériences issues du corps propre
en relation et la capacité imaginaire propre à l’humain. Nous trouvons une idée
identique chez Dolto (1984) à propos de son concept d’image inconsciente du
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corps :
« La première composante de l’image du corps est l’image de base [...] qui permet
à l’enfant de se sentir dans une « mêmeté d’être » [...] malgré les mutations de sa
vie. »
nous aspirer n’est-elle pas aussi une manière d’exprimer une fragilité de cette
« mêmeté d’être », une faille identitaire qu’il tente de compenser dans ce qui est
repéré comme un « faux-self » ? Deux aspects sont à prendre en compte dans ce
récit : celui de l’expression langagière et celui de l’expression corporelle. Bien
qu’ils soient complémentaires, ils privilégient chacun à leur manière un des
aspects de cette problématique, la fragilité et la solidité.
A U NIVEAU DU LANGAGE
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ils nous renvoient sans détour à des angoisses profondes : « Pourquoi ma peau
n’est-elle pas protégée ? » ou « Ils font un trou dedans et après je suis mort ».
Toutes ces phrases appartiennent à Sacha et pourtant, elles entrent en parfaite
résonance avec d’autres phrases que j’ai pu entendre comme celle de Jules qui,
regardant une lumière, me demande : « Où elle va la lumière ? Elle traverse
la pupille jusqu’à la rétine ? » Je pense aussi à cette autre phrase que Monod
(2013) fait dire à Bastien l’un des personnages de son livre : « Et qu’est-ce
qui se passe si on tombe dans une piscine remplie de lames de rasoir ? » Le
langage exprime la peur de l’intrusion, le démembrement voire l’anéantissement.
Il confirmerait en quelque sorte la nécessité d’une enveloppe bien fermée pour
se sentir en sécurité. Alors Sacha met en place un moyen singulier qui consiste
à considérer le corps uniquement sous son aspect organique voire fonctionnel :
« Le corps c’est juste le cerveau, le cœur et les poumons. » Il peut ainsi parler
du corps « qu’il a » et s’interroger sur sa solidité mais il ne peut parler du corps
« qu’il est », affectivement investi et en relation : « Les émotions, elles sont
dans le cerveau mais pas dans le corps. » Le corps ne peut être appréhendé que
comme objet de connaissance intellectuelle dont la vérité se situerait dans les
livres d’anatomie et non dans l’expérience vécue.
A U NIVEAU CORPOREL :
Alors que le langage dit toute la fragilité de l’enveloppe, les attitudes corporelles
viennent plutôt expérimenter sa solidité. Sacha développe des « auto-contacts »,
cherche des « appuis dos » ou encore « les matériaux durs sur lesquels s’ap-
puyer ». De même, lorsqu’il exprime son désir de cogner les autres – alors qu’il
sait que c’est interdit – il s’agit probablement d’une vérification de la solidité de
Sacha et les enveloppes 197
l’autre. Par le passé, j’ai déjà constaté ce type d’attitude. Je pense à Ayman, petit
garçon envahi par les griffes de dinosaures mais qui aime écouter le loto des
animaux bien calé contre moi ou Raphaël, envahi par de nombreuses réactions
tonico-émotionnelles qui demande que je l’attrape pour le serrer très fort. Haag
(2012) décrit aussi des enfants qui se frappent le thorax et les tibias ou qui
s’assoient à une table en serrant leur chaise jusqu’à l’écrasement.
L A CONCRÉTUDE DU CORPS
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avant la perméabilité et la fragilité de l’enveloppe tandis que la seconde éprouve
sa solidité et sa consistance. Dans la situation de Sacha, ce n’est pas le dire en
tant que tel qui est repris mais le fait que le dire soit toujours considéré dans
son lien au corporel. Tiphanie Vennat ne se focalise pas sur le contenu des idées
mais elle propose toujours de les mettre en adéquation avec les éprouvés du
corps.
Ici, l’attention portée au niveau tonico-postural, les appuis dos et/ou les appuis
pieds est très importante. Ce ne sont pas de simples ajustements techniques
mais des moyens d’éprouver la spatialité du corps, sa présence et sa masse :
« Nous avons d’abord un rapport spatio-temporel avec le monde et ses objets avant
qu’il ne soit spirituel. » (Husserl, 1907)
Cette idée du corps comme concrétude et comme masse, nous la retrouvons chez
Ajuriaguerra (2008) qui écrit que c’est souvent la question des orifices qui est
retenue au détriment de celle de la masse. Pour lui, c’est par le mouvement,
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l’agitation et le tonus que le corps souligne avant tout sa présence. Son ajuste-
ment aux situations dans lesquelles il est engagé est donc très important dans la
construction des représentations psychiques. Il est un mode de communication
originel non seulement entre les personnes mais aussi avec le monde et ses
objets. Or, comme le souligne Pireyre (2015), c’est un mode de communication
que « nous, adultes, avons tendance à minorer dans notre vie quotidienne, cen-
trés que nous sommes sur le canal de la parole ». Certes, le langage humanise
les rapports entre les individus et fixe les choses, ce qui permet justement d’en
parler. Mais c’est aussi parfois un piège qui enferme lorsqu’il apparaît décon-
necté du vécu, comme pour Sacha. Or, si nous nous plaçons du point de vue
phénoménologique, c’est-à-dire du point de vue de l’expérience, nous pouvons
anticiper cette mise à distance en portant attention au moindre engagement
198 L’ ENVELOPPE
corporel comme semble pouvoir le faire Sacha même s’il reste « encore un peu
hésitant, fragile mais spontané ».
Penser la clinique psychomotrice à partir de la phénoménologie permet un
questionnement où le sujet n’est plus défini comme une entité prise entre
une intériorité et une extériorité – comme une enveloppe – mais comme un
enchaînement continu de vécus dans lequel les frontières entre soi, l’autre et le
monde s’entrecroisent et s’entremêlent :
« Porter son attention à l’expérience en train de se vivre, c’est s’efforcer de déve-
lopper le moins de projections, de préjugés ou de présuppositions à son endroit,
de façon à la laisser apparaître pour elle-même dans sa fraîcheur native. » (Depraz,
2006)
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C ONCLUSION
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Julie Lobbé
E NVELOPPE ET SENSORIALITÉ
Hyposensibilité proprioceptive
!
Les enfants avec TSA montrent un traitement sensoriel particulier, comme si les
informations étaient trop ou pas assez perçues. Pour Ayres (1972), ces phéno-
mènes seraient liés à une hypersensibilité ou une hyposensibilité. Cette dernière
200 L’ ENVELOPPE
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E NVELOPPE ET PSYCHISME
temps se construit et lui permet de se projeter dans le futur en tant que salarié
dans une usine de recyclage.
Enfin, le questionnement de l’interdit s’affirme. Sacha verbalise son souhait
de frapper certains enfants qui l’embêtent et s’oppose à certaines demandes.
Il déploie donc un ensemble de compétences. Finalement, Sacha semblait se
trouver contenu par le verrouillage du corps et des émotions. Les phénomènes
d’hyper-adaptation du comportement et d’appétence pour le domaine scolaire
sont majoritairement étudiés dans la littérature en lien avec des situations telles
que la précocité (Goldman, 2007), le placement familial (Van Daele, 2006), le
déracinement migratoire (Brinbaum et Kieffer, 2009) et le syndrome d’Asperger
(Viallele, 2017, Bontron, 2012). Ces deux derniers points mériteraient d’être
développés davantage, Sacha étant le fils de deux parents algériens et présentant
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un profil de TSA sans retard intellectuel.
PARENTHÈSE LINGUISTIQUE
Tiphanie Vennat explique qu’il est possible d’interpréter les mots violents de
Sacha comme une représentation de ce qu’il vit dans son corps. Une hypothèse
différente peut être posée, dans le sens d’une difficulté de compréhension du mot
« bazouka » que Sacha répéterait pour se l’approprier. Ses phrases tournent en
effet toutes autour du thème de la violence et de la guerre. Il serait intéressant,
à cet égard, de connaître le rapport de Sacha avec les jeux vidéo violents. Enfin,
la création linguistique « Mazouka » peut être vue – ce sont des hypothèses –,
comme une fusion du pronom « mon » avec « bazouka » ou encore « maman »
avec « bazouka ». Le langage, tant dans sa construction que dans sa pragmatique,
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
est fréquemment troublé dans les TSA (Barry, 2017). Enfin, l’hypothèse que Sacha
apprécie, tout simplement, la sonorité de ce néologisme ne peut être exclue.
Aussi, les propositions thérapeutiques viseront la compréhension de Sacha mais
aussi la sensorialité et la sécurité, bases de la construction émotionnelle. Pour
cela, nous insisterons sur la prévisibilité des propositions et sur la médiation du
cheval.
202 L’ ENVELOPPE
Pour Bullinger (2007), « les flux perçus entraînent une modulation de l’état
postural et tonique de l’organisme. Cet effet va de pair avec l’habituation que
manifeste un organisme à une stimulation sensorielle stable ». Par conséquent,
l’enfant avec TSA a besoin d’expériences sensorielles stables pour pouvoir inté-
grer les stimulations. Cette inscription de la sensorialité dans le corps pourra
modifier l’état tonique et constituer ainsi une voie d’accès aux émotions.
De plus, Pelletier-Milet (2010) souligne que l’enfant explore et recherche des
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sensations de façon naturelle mais que les enfants avec TSA ont besoin que
les stimulations constructives viennent à eux. Il s’agit ainsi d’apporter des
stimulations stables à Sacha. Cependant, stable ne signifie pas inamovible. En
effet, il ne s’agit pas d’enfermer l’enfant dans une immuabilité mais plutôt de
lui proposer des expériences à déroulements semblables. La prévisibilité des
activités peut être soulignée par le recours à un emploi du temps visualisé de
la séance. Des photos et des mots-clés peuvent faciliter la compréhension et
constituer un outil rassurant auquel se référer. En effet, comme le rappelle la
citation de Bullinger, les flux sensoriels provoquent des modulations, autrement
dit des changements : on sait à quel point ils peuvent être sources de difficulté
chez la personne avec TSA. L’apport sensoriel adapté est donc un perpétuel et
délicat équilibre, qui peut être facilité par la médiation du cheval.
La médiation du cheval
!
Rôle du psychomotricien
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sécurité. Le rôle du psychomotricien consiste donc à accompagner ces stabilités
et ces variations en favorisant la centration et la sécurisation. En effet, le
cheval aide naturellement à la centration du cavalier sur les plans sensoriels.
Car les stimulations proprioceptives, vestibulaires, tactiles et odorantes sont
présentes de fait ensemble. Il reste au psychomotricien à établir « délicatement
le lien entre tous les sens » (Pelletier-Milet, 2010) en sollicitant la centration
sur soi. Cette centration serait utile à Sacha qui peut rencontrer des épisodes
d’instabilité psychomotrice.
C ONCLUSION
Sacha mène un parcours dans l’ouverture à son propre corps, à ses émotions et à
ses pensées. Le rôle central de la sensorialité – notamment de la proprioception
– dans la constitution de l’enveloppe corporelle a été étudié dans ses liens
avec le tonus, les représentations et les émotions. La prévisibilité des activités
sensorielles ainsi que l’utilisation de la médiation du cheval constituent des
pistes de prises en charge possibles.
Chapitre 35
Enveloppe et représentations
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Sylvie Gadesaude
La première rencontre
!
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semble que Sacha a déjà un certain degré d’intersubjectivité. Il est capable de
parler de lui en disant « je ». Le travail au bureau, proposé par Tiphanie Vennat,
est souvent un passage obligé qui vient faire résistance à des projets établis au
sein de l’équipe : engagement du corps dans l’espace, équilibre, coordinations
et conduites d’exploration. Ces dernières ne peuvent se faire qu’à la condition
d’être en sécurité. Ne pas craindre de se faire « happer » par l’autre ou encore
risquer de se dissoudre dans l’espace.
C’est Anthony, qui saute dans tous les sens et me fait l’effet de pouvoir marcher
sur les murs. Il s’élance sur les hauteurs pour s’affaisser au sol dans les modules
en insistant sur le côté spectaculaire de ses cascades. Cet enfant souffre de
troubles envahissants du développement. Intolérant à la frustration, il ne s’ef-
fondre jamais et se met rarement en colère. Peu de choses ont effet sur lui. Il
semble dans une toute-puissance absolue. Il a un bon niveau de langage. Que
cherche-t-il en sautant ainsi ? La tonalité de son « spectacle » me fait penser
qu’il sait bien que je suis là. Ici la question des enveloppes se superpose à celle
de limites. Et de quelles limites s’agit-il ? Ses prouesses motrices, son regard
fuyant – et non pas évitant – la précision de ses gestes et son équilibre tant
statique que dynamique de très bonne qualité m’imprègnent d’une impression
de « consistance corporelle » où le muscle tiendrait lieu d’enveloppe, de force
et d’autorité. Anthony fait peur aux enfants, certes, mais aussi aux adultes –
épuisés – de son entourage.
Ces questions me traversent la tête à la vitesse de ses déplacements. Pourtant j’ai
le temps de me dire que je ne peux pas lui montrer qu’au fond de moi-même, je
suis en alerte d’une chute ou d’un accident qui pourrait survenir à tout moment
car ce serait lui signifier que j’ai peur, qu’il me fait peur et qu’il y a danger. Un
raccourci peut être souvent répété qui lui renvoie l’image qu’il porte en lui : un
Enveloppe et représentations 207
danger, une menace ? J’essaie de trouver des limites dans la salle, de lui proposer
de s’installer plutôt ici et de choisir tel module plus rembourré que celui-là. Ce
faisant, je place des matelas ici et là pour créer de vraies protections. Puis je lui
suggère de faire différemment, lui demandant une action qui demandera plus de
contrôle et donc un rééquilibrage dans son corps, un début de penser et aussi un
début de sens commun à partager autour du plaisir. Plaisir de sentir son corps
en action, de se le représenter et de se dépasser pour une nouvelle réussite.
Groupe et enveloppe
!
À plusieurs, les enfants s’appuient sur des capacités d’imitations relevant sou-
vent de conduites d’identification adhésive au départ mais qui peuvent être
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rassurantes pour l’enfant qui lâche son groupe lors d’une prise en charge. C’est
le cas des ateliers de relaxation, de modelage et de graphomotricité.
Le travail avec des enfants autistes m’a souvent confrontée avec les enveloppes
sensorielles. Je me souviens de cette adolescente de l’EMP, Alice, prise sur le
chemin de la piscine d’une véritable terreur devant un trottoir sali de fientes de
pigeon. En voyant la frayeur dans ses yeux et le saut gigantesque qu’elle a fait,
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les narines quand l’odeur pourrait être désagréable. Et je suis étonnée de saisir
que cet échange est en fait un vrai bain d’odeurs qui semblent nous envelopper.
Il me vient alors une image nouvelle ou peut être au contraire très ancienne :
les odeurs n’ont pas de limites. Elles sont comme un manteau ou une couverture
qui circule autour de nous. Elles peuvent pénétrer dans notre corps par les
narines. Les réactions de beaucoup d’enfants autistes qui se bouchent les oreilles
prennent un autre sens possible. Non plus une marque d’opposition, comme le
font certains enfants qui nous signifient qu’ils ne veulent pas écouter ce qu’on
a à leur dire, mais plutôt une protection physique contre un éventuel danger
impalpable et intrusif.
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...Aux enveloppes représentées
!
Thomas, 7 ans, est souvent agité. Ses enveloppes sont fragiles et on perçoit
souvent dans son discours comme il peut être emmêlé dans l’autre. Après des
semaines de relaxation en groupe, il peut s’allonger sur son tapis en posant sa
tête sur les genoux de son éducatrice. Il accepte qu’avec une petite balle de
mousse, je dessine les contours de son corps en nommant les parties touchées :
tête, épaules, bras, mains, côtés, jambes et pieds. Côtés droit et gauche. Alors
que la balle en est aux pieds et que son éducatrice a les mains posées sur son
front, il soupire : « Recolle-moi. » Il aura toujours besoin du contact des mains
de son éducatrice sur sa tête. Nous avons pensé aux tout-petits qui trouvent
le contact de leur tête avec les parois du lit quand ils dorment, se créant ainsi
une limite corporelle. L’année suivante, je lui proposerai un atelier terre où il
pourra, après avoir longtemps éparpillé des bouts de terre dans la pièce, sur ma
joue, sur mon cahier, les coller sur un crayon pour faire un bonhomme. Sacha ne
parle-t-il pas de recoller les morceaux des objets cassés avec Tiphanie Vennat ?
D’autres modalités de représentation ou d’expression des enveloppes corporelles
sont possibles : les maisons et les cabanes. Nos salles de psychomotricité offrent
de nombreuses possibilités de les matérialiser : piquets, matelas, tunnels, des-
sous du bureau et couvertures dont l’utilisation par l’enfant nous renseigne sur
l’avancée du processus thérapeutique.
Chapitre 36
Synthèse
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Tiphanie Vennat
...
Julie Lobbé réaffirme à son tour l’importance de cette interface entre le dedans de
soi et l’en-dehors de soi. Elle situe, entre autres, la problématique de l’enveloppe
dans une perspective sensorielle. Quelque part entre hypo et hypersensibilité pro-
prioceptive ou dans une sensorialité instable rendant les stimulations peu prévisibles
donc insécurisantes. Elle rappelle avec pertinence les nombreux intérêts du cheval
comme support d’intégration de l’enveloppe.
Nos points de vue proposent des angles suffisamment ouverts et différenciés pour
que se dessinent les contours précis et concrets de ce concept majeur en psycho-
motricité. Nous avons finalement essayé de construire une enveloppe de sens et
d’action thérapeutique autour de Sacha. Enveloppe qui, de façon logique, se trouve
à l’interface de plusieurs champs théorico-pratiques : de la psychanalyse de Tustin à
l’intégration sensorielle et aux outils de structuration spatiotemporelle en passant
par la phénoménologie psychiatrique.
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PARTIE VII
L’attention conjointe
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Chap. 37 Vignette . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 213
Chap. 38 Inventer et tisser à deux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215
Chap. 39 À propos de l’attention conjointe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221
Chap. 40 L’attention conjointe, une fonction cognitive qui convoque
l’autre ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225
Chap. 41 Hugo et l’autre : deux mondes disjoints . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231
Chap. 42 Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 235
Chapitre 37
Vignette
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Sylvie Gadesaude
entrée improbable – j’avais dans mes souvenirs un enfant plutôt passif et réservé –,
je lance une suggestion : « C’est une maison ? » Il répond en hochant la tête : « mai-
son. » Puis il prend des briques en carton et dit : « Les murs... En fait le monsieur il
m’a fait réparer les murs de ma chambre. » Je demande, un peu perdue : « Y avait un
trou dans le mur ? » Il répond : « Oui, y avait un trou parce qu’il est mouillé. » Je dis
d’un ton qui se veut compréhensif : « Quand il y a un trou, y a de l’eau qui passe. »
Hugo explique après un temps de réflexion : « En fait la dame elle est à la piscine, la
piscine des enfants, des claquettes dans les pieds. J’ai réparé des murs. »
Je réalise à quel point nous ne sommes pas en phase. La réserve et la place difficile du
langage lors de cette première rencontre prennent une autre teneur. Comme quelque
chose qui serait plus psychique qu’instrumental. Pourrons-nous nous comprendre
spontanément ? je suis troublée de n’avoir pas perçu cet écart la fois précédente.
Est-ce que la référence aux troubles des apprentissages m’a inconsciemment projetée
dans un contexte relationnel moins perturbé ?
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Chapitre 38
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Sylvie Gadesaude
Mettons le bilan de côté pour l’instant. J’ai besoin de comprendre comment Hugo
me perçoit et me représente. Pour moi, un bilan se fait toujours au moyen d’une
rencontre préalable. Il me semble bien que nos premiers échanges verbaux et
infra-verbaux étaient l’expression d’une attention conjointe présente à ce qui se
jouait au moment de l’entretien avec sa mère. Je la pensais déjà portée par un
sens commun et je réalise que c’est à construire. Ce sera l’objectif de cette prise
en charge confirmé par le diagnostic de troubles du spectre autistique léger.
Quand je me trouve face à un enfant qui ne communique pas et qui semble
m’ignorer, une fois passé un certain malaise – être à deux sans exister – je me
retrouve toujours face à l’énigme suivante : Que joue-t-il maintenant dans cette
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F ONDEMENTS THÉORIQUES
L’ ATTENTION
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Cette approche postule l’existence d’un équipement sensori-moteur adéquat pour
avoir pu installer cette fonction. Houzel (2010), s’appuyant sur la métapsycho-
logie développe un modèle de construction de l’attention conjointe à partir du
concept de conflit esthétique développé par Meltzer (2000). Pour rappel, Meltzer
appelle conflit esthétique l’expérience émotionnelle intense de la naissance avec
l’émerveillement sur le visage de la mère aussitôt assorti d’une angoisse liée
à l’inconnu des qualités psychiques de la mère qui pourrait se résumer à cette
question : « Est-ce aussi beau à l’intérieur ? » Cette idée ne m’est pas étrangère
quand je pense aux regards aimantés des nouveau-nés avec leur mère.
Il en résultera deux sortes de voies :
➙ La sensorialité, qui explore le monde externe à la recherche des qualités de
surface de l’objet ;
➙ Et l’épistémophilie, qui explore le monde interne à la recherche de ses qualités
psychiques.
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cherche quelques éléments de dînette et je clame que c’est l’heure de goûter mon
bon thé à la menthe. J’aperçois un sourire de connivence chez Hugo. Quelque
chose qu’il reconnaîtrait ? Qui serait susceptible de déclencher une émotion, un
souvenir ou un objet en commun autour duquel nous pourrions inventer une
histoire ? Cependant, il se lève, montre un autre jeu, ouvre le placard et fouille.
Je me sens un peu lasse. Je suggère que s’il ne veut plus jouer au jeu de la
maison, il pourrait le mettre de côté avec moi. En forçant une intonation un peu
déçue, je demande : « Y a plus rien dans la maison ? » Je perçois une vibration
d’empathie dans sa voix, comme s’il voulait me consoler, il répond : « Si, y a un
bébé. » Il chantonne tout en continuant son inspection du placard. Il en sort
de petites figurines. Je perçois deux langues différentes. Sa voix est douce et
mélodieuse. Il manie pourtant des personnages redoutables, genre Dark Vador.
Il entame un scénario avec le personnage qu’il place dans la maison. J’en prends
un autre et j’interpelle : « Copain, je te suis, t’es pas tout seul, tu peux compter
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sur moi. » Hugo m’emmène dans des expéditions imaginaires, contre des ennemis
que je n’identifie pas. Je dis que j’ai peur et que je ne les connais pas. Nous
enjambons l’espace et trouvons des cachettes peu probables. Il me rassure en
tirant des coups de feu dans tous les coins avec des « drrrrr » de mitraillettes
imaginaires. J’ai du mal à le suivre. Cette tentative d’attention conjointe me
demande une énergie phénoménale. J’essaie de m’adapter mais si j’attends de
mes actions un retour de sa part, je réalise que mon attente est amputée d’une
sorte de prévisibilité, sans un consensus latent qui serait inscrit d’emblée dans
une réalité matérielle, perceptible de la même manière par Hugo et par moi.
218 L’ ATTENTION CONJOINTE
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la mère adresse à l’enfant des messages transformant les sensations en éprouvés
portés par les mots et partageables. C’est cette fonction que j’ai eu la volonté
de tenir avec Hugo à travers le jeu.
Les séances vont se succéder. Je vais m’efforcer de construire un fond permanent
d’attention conjointe. Je l’entretiendrai par mes paroles, mes mouvements, des
actions réponses et des sourires miroirs. Lier affects et évènements dans une
temporalité où peuvent s’inscrire des phénomènes de causalité, de finalité portés
par le langage : « C’est à cause de... comme t’as fait ça... c’est pour que... »
J’en viens parfois à me demander si je suis un objet suffisamment « attracteur »
pour Hugo. Je réalise qu’il manque quelque chose.
La séance de psychomotricité est un espace où l’enfant trouve des objets qui
peuvent le mettre en tension et d’où il découle des affects de plaisir partagé,
portés et contenus par le psychomotricien. Tous mes efforts pour être vivante
et partager des émotions butent sur la rareté des affects exprimés par Hugo,
ce quelque chose qui serait plus profond et qui viendrait du dedans de chacun
de nous pour se croiser sur un objet commun, sur un échange de regard ou un
sourire. Et j’ai l’image des enfants autistes qui viennent se coller le front contre
le nôtre pour voir ce qu’il y a dedans ou s’assurer qu’ils ne vont pas tomber ? Il
m’arrive de le faire dans notre jeu, pour faire une demande : « Veux-tu me prêter
Spiderman ? » Hugo rit de bon cœur et écarquille les yeux en se laissant faire.
Mais jamais il ne le fera lui-même.
Je réalise qu’il ne sait pas imiter ces gestes intentionnels. Il sait reproduire un
bonjour si on le lui demande et au fil du temps l’initiera même lui-même en
fonction du contexte. Il peut apprendre. Hugo manifeste son plaisir à venir, se
dirige vers les jeux spontanément et cherche à construire des maisons, à les
remplir aussi avec des briques pour faire des murs. Des murs à l’intérieur de la
Inventer et tisser à deux 219
maison qui tiennent lieu de remplissage d’un espace où nous pourrions partager
des choses en commun. Il ne semble pas mû par une tension à apaiser ou par
un désir de trouver. Petit à petit, il acceptera de me laisser un espace pour
prendre le thé avec moi. Peut-être a-t-il abdiqué tout simplement devant mon
entêtement ? Je le suivrai dans des combats de figurines. Et, un jour, du sens
commun en émergera.
Hugo bénéficie d’une AVS et entre dans la lecture et l’écriture. Ses parents inves-
tissent les séances de psychomotricité et aménagent l’emploi du temps de Hugo
pour qu’il puisse s’y rendre. Ce plaisir qu’il exprime, conjugué à l’investissement
des parents, aura donné sa contribution à la fonction de représentation.
Puis Hugo repartira pour deux années scolaires dans son pays d’origine où la
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famille se rassemble enfin de façon plus stable. Il reviendra me voir après et je
retrouverai ce beau garçon costaud et fier. Son regard est devenu bien adressé. Il
souhaite reprendre des séances de psychomotricité. Je lui proposerai un groupe
« sport » avec deux autres garçons. Hugo a gardé sa mélodie un peu hachée.
Mais quel plaisir de l’entendre s’exprimer sur son corps et sur ses muscles. Je
ne peux m’empêcher de penser qu’il a pu bien profiter, dans cet environnement
familial chaleureux pendant ces deux années, d’objets pourvoyeurs non seule-
ment de sensations mais aussi d’affects portés par un tissu culturel collectif qui
a contribué à l’inscrire dans le temps et donc dans la narration et l’attention
conjointe.
Chapitre 39
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Bernard Meurin
Hugo parle et donne des informations mais, comme le souligne Sylvie Gadesaude,
nous nous demandons ce qu’il partage réellement. L’illusion d’une pensée com-
mune laisse progressivement entrevoir l’écart qu’il y a entre la psychomotricienne
et son patient. Le langage de Hugo est peu fluide, fait de mots accolés avec une
utilisation inadéquate des pronoms et un ton monocorde. Or, pour que le langage
puisse remplir sa fonction métaphorique et qu’il participe d’un être-au-monde
partageable, il nécessite un préalable qui lui procure sa fonction déclarative,
« l’attention conjointe » :
« L’homme aurait affaire au monde comme tel parce qu’il serait de tous les vivants
celui qui “déclare” le monde à l’adresse de ses congénères. » (Bimbenet, 2011)
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Dans cette hypothèse, le premier effet de l’attention conjointe n’est pas de réunir,
comme le laisse supposer l’adjectif « conjointe », mais de séparer. L’enfant passe
d’une relation dyadique à une relation triadique incluant un objet tiers ou,
pour reprendre les mots de Trevarthen (in Bimbenet, 2011), l’enfant passe de
l’intersubjectivité primaire à l’intersubjectivité secondaire :
« Autrui devient l’autre et s’éloigne dans ce qui est désormais sa vue du monde ; il
n’est plus immédiatement lisible en ses expressions et en ses attitudes ; l’enfant
est obligé de faire avec d’autres points de vue que le sien. »
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autrui. Mon point de vue devient un point de vue singulier, le monde devient
une source inépuisable de connaissances constituée d’une multitude d’horizons
potentiellement partageables.
Si nous reprenons l’échange entre Sylvie Gadesaude et Hugo, il nous apparaît
comme « un dialogue de sourds ». Hugo rebondit sur les propositions verbales
plutôt qu’il ne les intègre. C’est son univers qui prédomine et nous percevons
nettement sa difficulté à construire un point de vue commun avec sa thérapeute.
Notre hypothèse est que cette difficulté à entrevoir d’autres points de vue que
le sien est en lien avec une angoisse profonde face à un monde potentiellement
ouvert sur l’inconnu. Hugo parle d’ailleurs d’une maison dont les murs doivent
être réparés peut-être pour souligner un besoin de protection au demeurant bien
fragile.
Face à cette situation, le cheminement de la psychomotricienne ne suit pas
une logique psychologique mais phénoménale. Elle accepte de se laisser porter
par ce qui se passe à partir de ce qu’elle ressent et non à partir de ce qu’elle
comprend ; elle écrit : « Je suis bousculée dans mes pensées. » Et un peu plus
loin : « Je suis troublée. » De ce fait, elle interroge les prémices de l’attention
conjointe qui n’est pas d’emblée un processus cognitif grâce auquel l’enfant
comprendrait les états mentaux d’autrui mais d’abord un processus de rencontre
authentique résumée par cette question : « Est-ce que nous allons pouvoir nous
comprendre spontanément ? » L’accès à l’autre ne naît pas à partir d’un « je »
qui découvrirait un « il ». Il y a d’abord « un "moi" et un "toi" émotionnellement
résonnant, mimétiquement accordés, et donc contemporains l’un de l’autre »
(Bimbenet, 2011). L’enfant saisit l’autre immédiatement, spontanément à même
ses attitudes et ses expressions, « l’enfant "co-naît" autrui plutôt qu’il ne le
connaît, à travers une analogie vécue » (Bimbenet, 2011).
À propos de l’attention conjointe 223
Nous pouvons ici entrevoir l’intérêt d’une telle proposition pour les psychomo-
triciens dont la spécificité est de pouvoir accueillir l’autre en suspendant tout
jugement afin de se mettre d’abord en résonance corporelle et émotionnelle
avec lui. C’est ce que perçoit Sylvie Gadesaude quand elle évoque que notre
corps n’est rien sans le corps de l’autre, ce qui lui permet de penser que la
construction de l’attention conjointe relève d’un processus thérapeutique et non
d’un apprentissage : « Ce sera le projet thérapeutique de cette prise en charge,
confirmé par le diagnostic de troubles du spectre autistique léger. »
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Pour justifier la mise à l’écart momentanée du bilan psychomoteur, Sylvie Gade-
saude questionne le bien-fondé des tests d’imitation de gestes. Ce choix est
intéressant au regard de la question soulevée dans ce chapitre. Trevarthen et
Aitken (2003), Nadel (2011) et Stern (2003), ont mis en évidence des micro-
comportements concernant les mains, les mimiques faciales ou les vocalises,
synchronisées dans les situations interactionnelles dans lesquelles se trouve
l’enfant. Mais à partir de quel moment peut-on réellement parler d’imitation et
non simplement de réflexe mimétique ? Le bébé qui passe la langue imite-t-il –
ce qui présupposerait une proto-représentation d’autrui – ou réagit-il de façon
réflexe – ce qui, comme Wallon le pensait, ne peut être appelé imitation – ?
Nadel (2011) constate que c’est après six mois que surgissent les différences
dans les comportements sociaux des enfants qui recevront plus tard le diagnostic
d’autisme. À six mois tous les bébés ont des appétences relationnelles mais elle
ajoute :
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« Ce que l’on constate par contre, ce sont des anomalies de développement moteur,
des asymétries quand ils rampent, quand ils s’assoient, quand ils roulent sur eux-
mêmes, la persistance plus tardive des réflexes archaïques, sauf pour la marche qui
se développe normalement. Ce qui différencie ces enfants, c’est donc le développe-
ment de la motricité, pas le développement social. »
Cette hypothèse permet de mettre en discussion la remarque de Sylvie Gadesaude
lorsqu’elle évoque que les difficultés de Hugo apparaissent « comme quelque
chose qui serait plus psychique qu’instrumental ». Pour Nadel, mais aussi pour
Bullinger (2004), il y a une étroite relation entre le développement des capacités
instrumentales et le développement des capacités psychiques et cognitives.
Il s’agit d’un seul et même processus où les coordinations sensori-motrices
favorisent les activités instrumentales qui participent de l’activité mentale et
inversement.
224 L’ ATTENTION CONJOINTE
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représentatives de l’enfant restent chez la personne avec autisme comme fixées à
l’éprouvé. Chez Hugo, il y a probablement des mécanismes de cet ordre masqués
par une adaptation de surface liée à ses compétences langagière. Le contenu de
son langage n’est pas totalement ancré dans le registre symbolique et les idées
se juxtaposent selon une cohérence qui échappe à notre entendement : « En
fait la dame elle est à la piscine, la piscine des enfants, des claquettes dans les
pieds. J’ai réparé les murs. »
C ONCLUSION
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Julie Lobbé
A NALYSE PSYCHOMOTRICE
L’ ATTENTION CONJOINTE
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personne quand il les désigne (Carpenter, Agell, Tomasello, 1998). Ainsi, l’attention
conjointe se trouve à la base de l’intersubjectivité, de la construction de l’espace et du
langage. Intéressons-nous davantage à la dimension langagière.
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fluide, il utilise des mots accolés et l’usage des pronoms est incorrect. Il ne lit
pas les syllabes et n’écrit pas. La pragmatique du langage – sa dimension de
communication sociale – est aussi impactée. D’après Coquet (2010) et Lesur
(2012), les principaux éléments de la composante pragmatique du langage sont
l’intention, l’adaptation à l’interlocuteur et l’échange.
Concernant l’intention, Rogé (2003) précise qu’elle n’est pas en cause dans les
troubles que rencontrent les personnes avec TSA, qui présentent une limitation
de l’utilisation des signaux de communication. Hugo, qui peut s’adresser spon-
tanément à la psychomotricienne, semble dans cette volonté. Par ailleurs, la
communication des personnes avec TSA porte plus souvent sur des éléments
concrets (la maison, la piscine) que sur des échanges à visée sociale (Courtois,
2007 in Perrin, Maffre, 2013). On observe aussi une tendance à aborder des
thèmes favoris sans se soucier de l’intérêt de l’interlocuteur ni de la cohérence
avec les propos échangés (Perrin, Maffre, 2013). La réponse d’Hugo « Les murs...
en fait le monsieur, il m’a fait réparer les murs de ma chambre » à la suggestion
« c’est une maison ? » illustre ce décalage.
Ensuite, l’échange est régulé par le respect du tour de parole et l’introduction du
sujet de conversation. Les personnes avec TSA peuvent manquer d’habileté dans
ces domaines : le « coq à l’âne » est fréquent avec une difficulté à s’adapter aux
mouvements de la conversation. On voit comment la psychomotricienne tente
de courir après une discussion dont les rouages d’altérité ne parviennent pas à
se mettre en place.
Aussi, « Il est nécessaire de proposer un apprentissage explicite de ces règles
conversationnelles que ces enfants ne ressentent pas naturellement. » (Perrin,
Maffre, 2013). Cela sous-entend qu’à l’interrogation : « Allons-nous pouvoir nous
comprendre spontanément ? », une réponse serait : « Non, mais sûrement après
L’attention conjointe, une fonction cognitive qui convoque l’autre ? 227
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à adapter l’enveloppe mélodique de la parole. Selon Peeters (1996, in Perrin,
Maffre, 2013), l’intonation des personnes avec TSA peut souvent être monocorde,
ce qui se retrouve chez Hugo.
Des études démontrent un déficit de l’attention conjointe chez l’enfant avec TSA
(Stahl, Reymond, Pry, 2003), dans son initiation et dans sa réponse (Roeyers et
al., 2001 in Perrin, Maffre, 2013). Ainsi, Hugo peut regarder la psychomotricienne
mais lui tourne ensuite le dos pour jouer. Le regard et l’objet ne se combinent
pas dans un but d’échange social.
Avant même l’attention conjointe, les enfants avec TSA montrent fréquemment
des troubles du contact oculaire lors des échanges. Cela se manifeste par « (...)
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P ROPOSITIONS THÉRAPEUTIQUES
Je propose deux axes de prise en charge pour Hugo. Le jeu et l’utilisation d’une
communication concrète.
228 L’ ATTENTION CONJOINTE
Le jeu
!
Rogé (2003) précise que les enfants avec TSA peuvent s’engager dans une inter-
action reposant sur l’échange physique. Nous l’avons vécu, en situation ludique,
avec des patients établissant le contact visuel et pouvant même respecter un
tour de rôle, si difficile dans d’autres situations comme une conversation. À
travers cette situation de jeu corporel, se jouent les préludes de communications
futures plus accordées. Les rires, la prononciation de mon prénom et les gestes
orientés d’enfants pris dans la situation de jeu me font dire que c’est ici que
se joue la base primordiale qui permet la libération des émotions et finale-
ment de l’attention. La disponibilité à l’enfant est particulièrement importante.
L’installation du contact oculaire est favorisée par la saisie de toute occasion
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pour établir ce contact, le garder et capter les signes discrets provenant de
l’enfant pour y répondre. Quand l’enfant regarde un objet, nous suivons son
regard (Ansenne, 2005). Le regard périphérique prédominant chez les personnes
présentant des TSA, il est important de ne pas forcer la vision focale et laisser un
espace à la relation. « L’enfant va faire glisser son regard dans cette direction et
réciproquement » (Montagner, in Dufaut, 2003). Nous avons remarqué qu’il était
important de laisser l’intention de contact au patient mais aussi de le guider
une fois qu’elle est présente.
La communication concrète
!
Nous pensons qu’une façon d’aider les enfants à développer leur capacité
d’attention conjointe est de rendre ce type de communication plus concret et
donc davantage compréhensible. Par exemple, toucher l’objet plutôt que de le
pointer au départ, regarder alternativement l’enfant et le jouet et commenter :
« Regarde ! La voiture ! » Recommencer le geste plusieurs fois, comme une
demande de prise d’informations, soutenu par la communication verbale et
non-verbale. Si cela ne fonctionne pas, il s’agit de passer à un autre objet, car il
est essentiel de chercher un support motivant. Une fois l’objet repéré, il s’agit
de le nommer, toujours avec le même mot au départ. L’enfant avec TSA peut
ainsi s’imprégner de l’expérience, s’habituer, puis élargir son champ d’action vers
le tour de rôle. Il s’agit de répéter les gestes pour permettre leur anticipation
par l’enfant et rendre la situation sécure. Le partage d’intentions peut ainsi se
développer.
Sur le plan verbal, il est important que les mots employés soient concrets et pré-
cis. Par exemple, l’expression « regarde-moi », fréquemment exprimée pour guider
la personne avec TSA dans l’utilisation adaptée de son regard, nous interroge.
L’attention conjointe, une fonction cognitive qui convoque l’autre ? 229
Le fait d’attendre un contact œil à œil à la suite de cette demande est sous-
entendu. En effet, l’enfant avec TSA qui regarde un bras ou une jambe, répond à
la consigne, ce qui peut être source d’incompréhension. Aussi, préférons-nous
préciser : « Regarde-moi, regarde mes yeux. »
C ONCLUSION
Je pense, pour conclure, à Barnabé, adolescent avec TSA de 12 ans, qui a la tête
cachée sous un foulard transparent. Il refuse de faire autre chose et crie dès
que ma main approche du foulard. Je prends la pâte à fixe que Barnabé adore
et la met au niveau de son regard. Intrigué, il regarde à travers le foulard. Je
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me risque alors à soulever ce dernier en précisant : « Tu verras mieux avec tes
yeux. » Puis je le laisse retomber. Barnabé remonte alors lui-même le foulard
et regarde le morceau de pâte que j’observe aussi. Son regard se dirige alors
vers mes yeux. Je le regarde. Un jeu de cache-cache commence et provoque des
rires, dans un accordement de joie. L’attention conjointe devient un jeu : nous
regardons ensemble.
Chapitre 41
Hugo et l’autre :
deux mondes disjoints
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Tiphanie Vennat
L A QUÊTE DU PARTAGE
J’ai en tête les premiers mots échangés avec Hugo. Si je n’ai aucune idée du
sens qu’ils ont pour l’enfant, je me permets de les utiliser comme métaphore
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pour introduire le travail de l’attention en psychomotricité.
Mon âme de psychomotricienne ne peut s’empêcher d’associer à la maison puis
la chambre de Hugo, l’image de son propre corps. Freud (2003) nous dit effecti-
vement :
« C’est la maison qui constitue la seule représentation typique, c’est-à-dire régu-
lière, de l’ensemble de la personne humaine. [...] La représentation se développant,
les fenêtres, les entrées et les sorties de la chambre [...] acquièrent la signification
d’ouvertures du corps. »
de la relation thérapeutique
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des fonctionnements autistiques enfermant (évitement du regard, cris, balan-
cement, etc.), ne permettant pas d’emblée une communication autour d’un
objet externe ? Est-il possible, comme le dit Sylvie Gadesaude, de rejoindre le
« mouvement interne » de l’enfant pour l’ouvrir à cet extérieur commun ?
Confrontée à cette difficulté, expérimentant la réalité de nos deux mondes dis-
joints, il m’est arrivé d’entamer un travail d’attention conjointe en passant par le
corps de l’enfant. Il me semblait alors pertinent de partir de son symptôme, dans
une forme d’intérieur partagé, avant de l’inviter à un extérieur commun. Tout
se passe dans l’imitation de la manifestation autistique puis sa transformation
dans un ailleurs partagé. Un balancement repris en écho évolue en danse, un cri
devient chant polyphonique, une stéréotypie gestuelle devient pantomime, etc.
LE CAS DE B ENOÎT
un mur et commence à se balancer tout en plaçant ses mains sur ses oreilles. L’enfant
édifie alors deux murs sensoriels, visuel et sonore. Ne souhaitant pas le laisser là – et
parce qu’il a finalement fait le choix de rester en séance – je décide de reconstruire le
lien. Connaissant la qualité de son regard périphérique, je me place alors à côté de
lui et reprends à mon compte son balancement. Benoît marque tout d’abord un temps
d’arrêt – peut-être surpris de trouver dans mon corps un écho du sien – puis continue
son balancement. Progressivement, il m’adresse un regard puis oriente sa tête dans
ma direction. Prenant conscience que je viens d’attirer son attention, j’improvise alors
quelques mouvements simples avec mes bras, petite danse toujours rythmée par le
mouvement originel du balancement. Benoît, qui a une tendance naturelle à l’imita-
tion, reproduit mes gestes et danse en miroir de ce que je lui propose. Je sens bien
que nous partageons là un même mouvement corporel, mais j’espère qu’il pourra
véritablement prendre sens dans le corps de l’enfant. C’est alors que Benoît se place
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face à moi et me tend la main, m’invitant à entrer dans sa danse. À cet instant tout
me semble alors possible. Lui et moi nous sommes finalement trouvés.
L’intérêt « d’entrer » dans ce type de symptôme, c’est de pouvoir rencontrer l’enfant
là où il est et frayer pour lui une voie de dégagement d’un dedans isolé à un dehors
partagé. Cette expérience illustre d’une manière originale la construction d’une atten-
tion conjointe, processus qui n’est ni magique ni systématique et qui doit être pensé
avec toutes les précautions thérapeutiques que suppose le dérangement de la défense
autistique.
C ONCLUSION
Synthèse
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Sylvie Gadesaude
...
Bullinger (2004) rappelle aussi la nécessité du mouvement pour déclencher la per-
ception d’un écart. Or, l’entrée de Hugo et sa manière d’habiter son corps dévoilent
son ouverture sur le monde des objets et sur sa perception de l’écart entre lui et
l’autre. « Elle a amené son ordinateur ? »
C’est donc la question plus secondaire, du sens commun, de l’intentionnalité et donc
de l’investissement des objets qui me paraît être intéressante à développer avec
Hugo. Tout investissement, disent Soubiran et Coste (1974), nous semble précédé
par un état de réceptivité, de tension vers l’être et de sensibilité à un climat. J’essaie
de mettre en place ce climat pour moi-même afin d’aller à la rencontre de Hugo et
de construire l’attention conjointe. Castets (in Soubiran et Coste, 1974) détaille les
mécanismes de cet investissement : « L’espace du sujet est sans doute espace du
corps du sujet mais il est surtout espace des investissements possibles du sujet,
c’est-à-dire espace des lieux où se situent les objets d’investissement éventuels
du sujet. Et dès lors, ce sujet se trouve mis en cause comme un sujet capable
d’investissement. »
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C’est l’un des mécanismes qui justifie la présentation de la salle de psychomotricité
avec ses objets attractifs qui incitent à une motricité primaire de perception, de
saisie, d’exploration à côté d’activités plus symboliques déjà. Nous nous situons
ainsi du côté de la construction de l’identité du sujet. D’autres enfants cherchent
à placer leur énergie dans un objet réel ou imaginaire, en le faisant vivre, en le
détruisant ou en le faisant disparaître mais l’investissement est dans ce cas déjà
préexistant. Ce que de Ajuriaguerra (1955) a synthétisé dans cette belle formule :
« Nées de l’évolution d’une sensorio-motricité primitive qui assurait certains types
de contacts avec l’objet, les formes des relations ultérieures sont, à chaque instant,
pleines de la qualité sensorio-motrice primaire très proche de la pulsion et peuvent
se définir par rapport à cette dernière selon son degré d’effacement progressif. »
Cette distinction est très importante pour moi. Je peux dire que je la ressens
dans mon contact avec l’enfant à travers la manière dont il prend possession de
l’espace et une certaine assurance qui tranche avec les attitudes fébriles de saisie
d’enfants plus handicapés. C’est un aspect que je ne manque pas de transmettre aux
correspondants.
PARTIE VIII
Discussions finales
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Conclusion par Bernard Meurin. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239
Conclusion par Julie Lobbé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243
Conclusion par Tiphanie Vennat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257
Conclusion par Sylvie Gadesaude . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 269
Conclusion par Éric W. Pireyre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 281
Conclusion par Bernard Meurin
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En 1976, je croise un copain arrivé avant moi à l’université. Il m’explique qu’il a
commencé des études à mi-chemin entre la kinésithérapie et la psychologie et
que cette toute jeune profession s’appelle « la psycho-rééducation ». Je ne sais
pas si c’est à cause de la canicule, mais j’éprouve aussitôt comme une révélation :
« Je veux devenir psychorééducateur. »
D E LA PSYCHANALYSE À LA PHÉNOMÉNOLOGIE
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D E LA PHÉNOMÉNOLOGIE À L’ APPROCHE
SENSORI - MOTRICE
1. L’Association des Psychomotriciens Région Nord (APRN) a été créée en 1983 avec parution
au journal officiel en janvier 1984 ; hormis les représentations syndicales, elle est une des plus
vieilles associations françaises encore en activité aujourd’hui.
2. Octobre 2003 les journées annuelles de psychomotricité avaient pour thème : « Corps et
culture »
3. C. Jaquet, Le Corps ; Paris ; Presses Universitaires de France ; 2001.
Conclusion par Bernard Meurin 241
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B ILAN : L E TRAVAIL D ’ ÉCRITURE
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Au terme de l’analyse des cas cliniques, ce temps de discussion me paraît
essentiel. Aussi, nous commencerons par rappeler l’histoire des méthodes de
prise en charge des troubles du spectre autistique. Le débat actuel en sortira
éclairé. Les limites et atouts de la vision analytique et de l’éducation structurée
seront exposés en insistant sur l’intégration sensorielle et le programme TEACCH.
Ensuite, je reviendrai sur les apports issus de la rédaction de cet ouvrage ainsi
que sur une vision de la psychomotricité, de l’autisme et des pistes pour le futur.
D ES CONSTATS
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
Une histoire
!
Dans les années 1940, aux États-Unis, l’origine de l’autisme est imputée à un
comportement inadapté de la mère (Kanner, 1952, dans Postel-Vinay, 2014).
Les enfants autistes se retireraient d’un monde insupportable en lien avec une
relation parentale trop froide ou au contraire trop fusionnelle. La responsabilité
des parents dans l’autisme disparaît dans les années 1980 aux États-Unis et
la psychanalyse y devient marginale (Postel-Vinay, 2014). Parallèlement, l’édu-
cation structurée émerge en 1965 : Lovaas applique la méthode ABA, centrée
sur l’acquisition de nouveaux comportements au moyen de récompenses et de
punitions. Schopler invente la méthode TEACCH qui propose de s’adapter au
244 C ONCLUSION PAR J ULIE LOBBÉ
Le contexte français
!
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« d’inefficaces ».
La situation amène la Cour européenne des droits de l’Homme à condamner
la France, en 2015 pour « manque d’accompagnement adapté des personnes
autistes » (Fasquelle, 2016). Le 3e plan autisme (2013-2017) souligne aussi que
« peu d’enfants autistes bénéficient des interventions recommandées » (Bien-
vault, 2016). Deux hypothèses explicatives peuvent être avancées. Tout d’abord,
la maîtrise des coûts. En effet, selon un rapport de la Caisse de solidarité pour
l’autonomie en 2015, le coût moyen d’une prise en charge ABA, par exemple,
est deux fois plus élevé que celui des méthodes classiques (La Croix, 2016). Or,
depuis 1996, les dépenses de santé sont encadrées par l’Objectif national de
dépenses d’assurance maladie ou Ondam (Vie Publique, 2016). Dans ce contexte,
promouvoir des méthodes coûteuses – car intensives – est délicat. Ensuite,
la vision psychanalytique est historiquement implantée en France. Aussi, les
instituts prenant en charge des personnes handicapées peuvent connaître des
difficultés à évoluer vers les recommandations de bonnes pratiques préconisées
par la HAS (2012).
Ainsi, la conception psychanalytique et l’éducation structurée possèdent chacune
une « légitimité spécifique », l’une par son implantation historique, l’autre par
ses résultats. Partant de ce constat, il paraît essentiel de réfléchir à des ponts
entre des méthodes qui, encore aujourd’hui, cohabitent voire s’opposent. La
situation pourrait évoluer par la volonté politique. En effet, depuis 2010, les
Agences Régionales de Santé (ARS) sont chargées d’appliquer les plans autisme
« nationaux » qui impliquent une mise en réseau des acteurs de santé, de nature
à favoriser l’échange entre les courants de pensée. De plus, des praticiens d’orien-
tation analytique montrent un discours progressiste : « Assimilant abusivement
l’autisme aux troubles de l’attachement observés chez des enfants carencés sur le
plan affectif, certains psychanalystes ont incriminé, sans preuve convaincante,
Conclusion par Julie Lobbé 245
Pour Clément (dans Gori, Benslama et Clément, 2011), la majorité des personnes
qui parlent d’autisme dans les médias possède une vision plus idéologique que
clinique. Or, il me semble qu’il existe des différences fondamentales entre la
théorie psychanalytique et l’éducation structurée. En effet, comme nous l’avons
exposé avec Tiphanie Vennat en introduction, la conception de l’origine de
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l’autisme est différente. Si la plupart des tenants des deux approches recon-
naissent une multi-factorialité, les psychanalystes insistent sur les facteurs
exogènes (la relation) et le caractère pathologique (la maladie) de l’autisme.
L’éducation structurée pense quant à elle que les causes endogènes, notam-
ment neurologiques, sont fondamentales et permettent de qualifier l’autisme
de handicap. Les approches diffèrent également dans la logique qui sous-tend
le suivi. L’approche psychanalytique considère les angoisses comme la cause
majeure des difficultés, qu’il faut diminuer pour que l’enfant autiste soit capable
d’apprendre. L’éducation structurée considère que les angoisses disparaissent
quand les facultés d’adaptation s’améliorent grâce aux apprentissages. Il existe
donc des différences fondamentales entre psychanalyse et éducation structurée.
Nous ciblons notre exposé autour de ces deux grandes familles méthodiques
mais cela ne doit pas faire oublier la diversité des prises en charge dans les TSA
parmi lesquelles l’Intégration Sensorielle (IS) et la méthode TEACCH.
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D ES MÉTHODES
L’intégration sensorielle
!
L’IS est le processus neurologique qui organise les sensations du corps et celles
provenant de l’environnement dans le but d’utiliser le corps efficacement en
réponse. Si la capacité d’IS est altérée, la personne peine à s’adapter et à interagir
246 C ONCLUSION PAR J ULIE LOBBÉ
Le programme TEACCH
!
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culier qui demande une adaptation de l’environnement de façon à favoriser les
apprentissages. Il s’agit aussi de permettre l’adaptation de la personne à l’envi-
ronnement en développant ses compétences de communication et d’autonomie
(HAS, 2010).
La méthode TEACCCH est caractérisée par des principes (Mesibov, 1995 ; Scopler
et coll., 2002 dans Perrin et Maffre, 2013). Tout d’abord, le partenariat avec les
parents et les enseignants est recherché dans une visée de partage mais aussi de
généralisation des apprentissages. Ensuite, un projet individualisé pluridiscipli-
naire détaille les objectifs de prise en charge, les moyens utilisés et les échéances
d’évaluation. Détailler le projet comporte l’avantage de pouvoir le faire évoluer
progressivement, ce qui facilite les progrès de l’enfant et l’identification de ces
progrès (Miquel-Grenier dans Perrin et Maffre, 2013).
Ensuite, la méthode TEACCH insiste sur la visualisation de l’environnement (des
systèmes d’aide visuelle sont utilisés pour adapter le milieu en le rendant plus
compréhensible) et sa structuration. Cette dernière concerne le temps – avec
l’utilisation d’emplois du temps et d’un time-timer – et l’espace, avec des endroits
identifiés dédiés aux activités (espace pour apprendre, pour se détendre, pour
manger etc. (Bertiaux, 2006), des bannettes de rangement des activités et une
réduction des sources d’excitation sensorielle. Les tâches sont également séquen-
cées, c’est-à-dire que leurs différentes étapes en sont identifiées, de même que
la communication privilégie un langage concret et, au besoin, des supports
visuels comme les pictogrammes ou encore les méthodes de communication
alternatives comme le PECS (Picture Exchange Communication System). Cette
dernière méthode recourt à l’échange d’images permettre à l’enfant d’exprimer
ses besoins et émotions. Les principes du programme TEACCH peuvent nourrir la
pratique psychomotrice et réciproquement.
Conclusion par Julie Lobbé 247
TEACCH ET PSYCHOMOTRICITÉ
Les objectifs, proches du quotidien de l’enfant (boire au verre, par exemple), sont
déclinés en compétences psychomotrices (coordinations bimanuelle et oculo-manuelle,
sens tactile, etc.) Celles-ci sont travaillées par les médiations psychomotrices telles que
le jeu avant de terminer l’apprentissage sur l’objet directement. Le comportement sera
alors généralisé par l’éducateur et la famille. L’approche TEACCH apporte également
à la psychomotricité des outils de structuration visuelle qui facilitent l’adaptation du
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bilan aux particularités autistiques et optimisent le suivi en favorisant la compréhension
de l’enfant.
La psychomotricité apporte également au programme TEACCH. D’abord, la psycho-
motricité permet de cerner les particularités, les difficultés et les ressources de la
personne. De plus, elle concourt au travail des prérequis psychomoteurs indispen-
sables à l’atteinte des objectifs du projet, tels que l’imitation, la motricité, les fonctions
exécutives ou la sensorialité (HAS 2010). Enfin, le plaisir, au centre de l’approche
psychomotrice, permet d’offrir un espace « propice à la sollicitation des compétences
transversales » (Miquel-Grenier dans Perrin et Maffre, 2013) comme l’adressage du
regard ou le pointage.
L ES LIMITES DE LA PSYCHANALYSE
ET DE L’ ÉDUCATION STRUCTURÉE
La psychanalyse
!
Clément (dans Gori, Benslama et Clément, 2011) note que la tendance à quanti-
fier n’est pas la bienvenue car il existe une opposition « (...) à toute évaluation
de [son] travail, refusant de réduire l’unicité du patient (...) et la singularité
de toute thérapie à des chiffres » (Chiche, 2012). Pour Benslama (dans Gori,
Benslama et Clément, 2011), les résultats de la psychanalyse sont évaluables à
condition de considérer des indicateurs sur des suivis à long terme. La voie de
la recherche et de l’évaluation me paraît plus constructive que celle du repli et
de l’exclusion. Par ailleurs, la fixation de certains analystes sur le rejet parental,
principalement maternel, amène une culpabilité importante des parents. Cette
culpabilité, hormis la souffrance évidente qu’elle génère, rend difficile l’adhésion
des parents au processus thérapeutique, adhésion indispensable à la réussite de
toute prise en charge.
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R EJET PARENTAL ET CULPABILITÉ : LE CAS D ’E RWAN
Je suis d’ailleurs convaincue que la place d’un enfant est à l’école. En revanche,
l’adaptation doit être travaillée sur place en partenariat avec les équipes sco-
laires. La loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des
chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées (Légi-
france, 2005) oblige la scolarisation des enfants handicapés. Pour autant, elle
n’est appliquée qu’à hauteur de 20 % pour les enfants avec TSA (Fasquelle, 2016).
Conclusion par Julie Lobbé 249
L’éducation structurée
!
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évolue en lien avec les progrès et des changements sont introduits.
Concernant l’ABA, le coût de la prise en charge est un obstacle, comme nous
l’avons exposé précédemment. Par ailleurs, il existe une contrainte en termes
d’organisation familiale due au caractère intensif de l’intervention ainsi qu’une
interrogation quant au statut de « parent-éducateur ». Enfin, la multiplicité des
tâches abordées ainsi que le rythme soutenu interrogent la place de l’individualité
et de la temporalité de chacun.
L’emploi courant par les praticiens comme par les étudiants des termes « cogniti-
viste » et « comportementaliste », au lieu de « cognitif » et « comportemental »,
me fait dire que le langage se marque de cette crainte d’aller trop loin dans
un « tout comportement ». Je m’amuse de la même conversion avec le terme
psychanalytique : faudrait-il dire « psychanalysiste » ? Je reste, en tous les cas,
marquée par la phrase d’Adrien, 7 ans, parlant de son éducatrice en disant :
« Elle est dure avec moi pour que je devienne un vrai enfant. » Adrien perçoit
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
qu’il doit tendre vers un modèle d’enfant idéal plus que vers une découverte de
lui-même et vers une gestion plus efficace de ses comportements et émotions.
La psychanalyse
Adrien me fait dire que l’atout principal de la psychanalyse est de rappeler l’im-
portance d’écouter l’enfant dans ses interrogations propres. Il est ainsi important
de consacrer des temps d’activités libres : Benoît, dans le cadre d’un jeu de
toupie géante qu’il a choisi, répète : « Arrête tes écholalies Benoît ». Il y a fort
à penser que l’enfant interroge les interdictions qui ponctuent son suivi. Je lui
250 C ONCLUSION PAR J ULIE LOBBÉ
réponds qu’il peut faire ce qu’il veut pendant le temps de toupie, même des
écholalies. Il dit, amusé : « Toupie écholalie ! » Ce moment est important car
benoît préfère partager dans la relation plutôt que de s’adonner aux écholalies.
Ce type d’exemple montre la manière dont des manifestations intéressant la psy-
chanalyse peuvent se produire dans un cadre structuré. « Refuser ces éclairages
ou ces ouvertures me semble contre-productif pour l’enfant dans le sens de la
connaissance de son individualité, concept au cœur de toute méthode de prise
en charge de l’autisme. » (Barthe, 2013).
Par ailleurs, la place de la parole est privilégiée par l’approche analytique. Des
temps d’échanges sont destinés au soutien psychologique de la parentalité et
à la compréhension des dynamiques en jeu (Barthe, 2013). Au SESSAD où j’ai
exercé, les psychologues coordonnaient les projets des enfants, conseillaient les
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parents mais ne prenaient pas de rôle thérapeutique. De même, la supervision
des soignants est tout à fait essentielle notamment au regard de la relation
thérapeutique. Il n’existe pas de groupe de parole au SESSAD et les collègues en
structure psychanalytique me semblent bénéficier d’une plus grande attention à
ce sujet.
L’éducation structurée
D ES EXPÉRIENCES
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inamovibles.
En tous les cas, il paraît important de recevoir cette complémentarité ou ces
différences, tout en se rejoignant autour d’auteurs-clés tels que de Ajuriaguerra
ou Bullinger cités par chaque participant à cet ouvrage : l’écoute sensible des
patients, des familles mais aussi des collègues est la clé de voûte de notre
pratique. Les TSA sont en effet tellement complexes et divers qu’il est perti-
nent de considérer un maximum d’angles de vue susceptibles de favoriser leur
compréhension. De manière plus précise, je pense que le profil et les besoins
de la personne considérée sont à mettre au centre de la réflexion sans céder à
la facilité de la faire entrer dans tel ou tel moule méthodique. Les synthèses
psychomotrices concluant chaque cas clinique de cet ouvrage nous le prouvent :
l’expérience de l’altérité fait avancer.
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Je conçois l’autisme comme un spectre composé de multiples personnes et de
multiples particularités. Le fonctionnement sensori-cognitif dans les TSA impacte
la manière d’entrer en relation avec le monde. C’est pourquoi il n’y a pas d’êtres
à guérir mais davantage des compréhensions à avoir sur la manière de faciliter
cette relation. Dans ce but, il est important d’échanger avec des personnes
autistes et de lire des témoignages : elles sont les mieux placées pour connaître
leur handicap.
Dans ce sens, l’approche TEACCH contribue à ma vision de la psychomotricité.
Elle m’a appris à davantage cibler les objectifs de prise en charge et à les insérer
dans le projet individualisé global de l’enfant. J’ai également appris à utiliser
des outils de structuration de l’environnement, de façon à compléter la sécurisa-
tion permise par le dialogue tonico-émotionnel. Je retiens également qu’il est
fondamental de s’appuyer sur les centres d’intérêt pour stimuler la motivation
de l’enfant et sa sensorialité. Il s’agit finalement de trouver un équilibre entre
attirer ces enfants vers un monde neurotypique et des comportements adaptés,
indispensables à l’intégration à la société, tout en respectant leurs particularités
de fonctionnement.
Un futur
!
Pour Benslama (dans Gori, Benslama et Clément, 2011), aucune approche ne peut
prétendre détenir seule la réponse à l’autisme. Clément (dans Gori, Benslama
et Clément, 2011) regrette l’omniprésence de l’apprentissage dans l’approche
de l’autisme : « [...] une dichotomie s’est installée entre l’attention portée à la
construction du sujet et celle portée aux apprentissages. »
Conclusion par Julie Lobbé 253
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réflexive menée dans cet ouvrage, force est de constater que loin d’exploser
dans le conflit d’opinions, nous nous sommes enrichis les uns des autres. Cette
relation doit demeurer ouverte et informative, concernant les familles.
La dimension du choix des familles est un aspect que je souhaite aborder car elle
me semble moins effective que celle des étudiants en formation avec lesquels
je travaille. En effet, une pluralité d’approches est présentée et le soin leur est
laissé de faire leur choix, ou, de préférence, de ne pas le faire et de poursuivre
une construction personnelle nourrie de questionnements. Par ailleurs, je suis
toujours surprise de la chaleur avec laquelle la pluralité des méthodes d’approche
de l’autisme est accueillie lors de mes enseignements. Les jeunes praticiens
semblent plus que jamais sensibles à la dimension d’autonomie et de choix au
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est restreinte dans la mesure où le SESSAD ne présente pas le panel des méthodes
existantes aux parents et oriente vers des médecins ou des paramédicaux ayant
une orientation similaire dans les méthodes utilisées. Je suppose qu’il en est de
même concernant les structures analytiques et la tendance à adresser les enfants
vers des pédopsychiatres. Le Comité Consultatif National d’Ethique note « un
déni pur et simple d’accès au choix libre et informé (...) » (CCNE, 2007, dans
Marmion, 2012). Face à ces conseils orientés et aux recommandations de la HAS,
comment le parent peut-il être décideur ? Manon, psychologue, est la maman
d’Isis, une petite fille avec TSA. Elle a refusé de faire le choix d’une méthode et
a décidé de se fier à sa fille. Celle-ci est donc suivie par un SESSAD d’orientation
TEACCH et une psychologue-psychanalyste. L’évolution d’Isis est très favorable
puisqu’elle est au collège sans retard scolaire. Mais qu’en est-il des parents qui
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ne possèdent pas les connaissances de Manon ? Comment peuvent-ils prendre
le droit d’être des acteurs auprès de leur enfant ? Il me semble qu’il est de la
responsabilité de chaque professionnel d’informer le plus factuellement possible
les parents sur les possibilités qui s’ouvrent à eux et leur laisser la possibilité
de choisir pour leur enfant.
B ILAN
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Conclusion par Tiphanie Vennat
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C OMMENT JE CONÇOIS L’ AUTISME :
MES MODES D ’ APPROCHE
J’ai l’intime conviction qu’il y a chez le patient quelque chose à découvrir, comme
un « gisement de pourquoi » qui ne demande qu’à révéler la préciosité de la
pierre. Cette image pourrait paraître simpliste mais elle traduit au plus juste ce
que je ressens. Rappelons que ce qui est précieux, c’est par définition « ce qui
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La question de l’autre
!
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est toujours préférable, même si elle est dans les faits parfois compliquée à
maintenir notamment dans les situations particulières de maltraitance. Le travail
avec les parents m’apparaît essentiel à plusieurs titres. En premier lieu parce
qu’ils ont une connaissance de l’enfant qui ne s’apprend pas dans les ouvrages
scientifiques. Entendre le savoir des parents permet au soignant de préciser sa
compréhension de l’enfant mais également de ne pas céder aux relents de la
toute-puissance infantile. Nous ne connaissons que trop bien certaines attitudes
de praticiens affirmant détenir à eux seuls la vérité du patient, discréditant
et/ou culpabilisant les parents en affirmant des relations de causalité radicale
entre l’attitude des parents et la symptomatologie de l’enfant. Mais l’impor-
tance du travail avec les parents réside également dans la fonction même du
parent, terme qui, étymologiquement, renvoie implicitement aux attitudes thé-
rapeutiques développées dans nos textes : parer, prémunir contre un danger,
pare-exciter, contenir. Nous comprenons alors facilement l’intérêt de considérer
le parent comme un véritable partenaire de soin. Dans les cas où cette alliance
est impossible, les parents restent si « centraux » que le soignant intègre dans sa
thérapie leurs fonctions symboliques. Ainsi sommes-nous sensibles aux concepts
de Préoccupation Maternelle Primaire de Winnicott, de rêverie maternelle de
Bion, de loi du Père de Lacan, des objets-papa et objets-maman de Haag, de
triangulation œdipienne, etc. Les parents, dans leur réalité comme dans leurs
fonctions symboliques, sont donc essentiels au travail du psychomotricien.
Il me semble que nous travaillons tous à partir de ce qui nous reste. Nous devons
nous aménager avec tout ce que la vie nous laisse de manques, de frustrations et
Conclusion par Tiphanie Vennat 259
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à notre insu une forme de miroir inversé. La fonction soignante réfléchit au
patient ce qui lui a manqué. C’est alors que réchauffer peut réactiver la douleur
de la plaie. Cela m’évoque le suivi d’un enfant que je portais systématiquement
dans les bras pour l’amener à sa séance. Lorsque nous arrivions dans l’espace
psychomoteur il me disait toujours : « Moi d’habitude on ne me porte pas, on
me traîne. »
Enfin nous questionnons souvent notre propre accompagnement auprès du
patient. Car qui ne s’est jamais posé la question en fin de thérapie : « Finalement,
que reste-t-il de tout notre travail auprès de ce patient ? » Nous espérons tous
laisser une trace de notre action thérapeutique et qu’il y ait chez l’autre un petit
reste de nous. J’ai l’intime conviction que les patients gardent les empreintes
des appuis qu’on leur donne et que quelque chose fait nécessairement trace. Que
notre absence comptera tout autant que notre présence. Je pense notamment
à ces enfants qui partent de l’institution et que nous avons le sentiment
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d’abandonner lorsqu’il n’est pas garanti qu’ils soient confiés aux bons soins
d’une nouvelle structure d’accueil. Je garde en mémoire un rapt d’enfant ramené
dans son pays d’origine sans modalités de soin. Pour reprendre un parallèle avec
Sacha, il est possible que dans cet arrachement, quelque chose de cette peau
commune que nous avons construit ensemble ait finalement survécu avec lui et
que face aux difficultés il saura s’en faire un manteau.
Pour soigner, il faut avoir en soi une puissante pulsion de vie. Car le mutisme,
l’inertie motrice, le défaut d’initiative, les états de sidération et les angoisses
archaïques de certains patients autistes, nous confrontent quotidiennement à
260 C ONCLUSION PAR T IPHANIE V ENNAT
l’idée de la mort. La question implicite que me posent certains petits patients est
souvent la même : « Suis-je mort ou suis-je bien vivant ? » Je les accompagne
alors à différents points du continuum vie/mort, quelque part entre un état de
vivant, de survivant et de cadavre. Nous repérons les patients dont le corps est
vivant comme Lucie, ceux qui luttent dans un corps survivant comme Sacha,
et ceux qui se décomposent sur le plan psychocorporel comme Amaury. Nous
l’avons vu chez Lucie, la vitalité était du côté de la tyrannie, de l’agitation et
du désir de faire seule. Sacha, quant à lui, tentait de survivre à la séparation au
prix d’intenses angoisses de perforation et de vidage. Enfin l’exemple d’Amaury,
parce qu’il a finalement succombé à un effondrement mélancolique et décom-
pensé dans la schizophrénie malgré l’intensité des suivis thérapeutiques, illustre
parfaitement la dimension mortifère de sa pathologie.
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Les situations les plus emblématiques de ce travail sont les suivis d’enfants
dont les histoires de vie sont marquées par des maltraitances précoces et répé-
tées ayant généré des vécus de mort imminente ou souffrant de pathologies
entraînant un sentiment discontinu d’exister.
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Je considère en effet le symptôme dans sa fonction textuelle, c’est-à-dire comme
un signe à comprendre. Si je prends en compte le « comment », essayant d’ac-
compagner la façon dont le patient se présente, je m’intéresse toujours priori-
tairement à la question du « pourquoi ». Sans chercher une causalité fixée, je
questionne toujours les origines du symptôme, ce à quoi il répond. Je pars du
principe que parce que nous sommes tous des êtres en développement, ce que
nous sommes maintenant est toujours à comprendre dans ce que nous avons
été. C’est pour cette raison que l’anamnèse et les antécédents médicaux des
patients m’apparaissent essentiels à connaître. Non pour entretenir une vision
passéiste du patient mais pour donner du sens à ce qu’il donne à voir dans l’ici
et le maintenant de la séance.
Je suis également très sensible aux aspects archaïques de la problématique
autistique. J’entends par « archaïque » ce que Mijolla-Mellor définit comme
« l’incarnation des survivances, la répétition et l’actualisation d’un vécu fossile »
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désillusionnent l’enfant de son sentiment de fusion. Ces attitudes nous poussent
à un ajustement proxémique pouvant aller jusqu’à d’irrépressibles sentiments
de rejet particulièrement culpabilisants s’ils ne sont pas très vite élaborés. J’ai
en tête les conduites intrusives d’un petit garçon qui enfonçait sa tête dans
mon ventre pour me dire bonjour et ne pouvait s’engager dans le mouvement
sans se coller à moi. La prise en compte de cette identification adhésive et la
façon dont elle résonnait en moi ont permis de poursuivre son suivi dans une
dynamique lucide mais sereine.
L’épure
!
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poissons, la prise de l’appui dans le sol ou l’eau transmet l’effort à toutes les
autres parties du corps. L’ondulation inverse procède d’un mouvement contraire.
L’éclosion se développe quant à elle à partir du centre et rappelle le schème de
« radiation par le nombril » décrit par Bainbridge (2002).
Nous pouvons également partir des trois grandes directions de mouvement :
➙ le mouvement tirer/pousser de face qui est un mouvement de dialogue entre
le toi et le moi ;
➙ le mouvement vertical de nature dramatique et qui inscrit le patient quelque
part entre le ciel et la terre et mobilise le centre de légèreté du Sternum et le
centre de gravité du bassin ;
➙ et le mouvement oblique qui est lui de nature sentimentale, lyrique.
Le sol
!
déjà dans mon vécu de danseuse. La dimension du sol est d’emblée présente
lorsqu’in utero, notre corps est soutenu par le plancher pelvien maternel. Il s’agit
là de notre premier sol, un sol originel qui sera prolongé par l’expérience de
l’accouchement qui littéralement nous amène à être couchés, posés à même le
sol. Il est ici intéressant de rappeler que le sol renvoie symboliquement à la
question du maternel à l’image de la roche-mère, sol nourricier où nous puisons
des forces pour grandir. Dans la continuité de l’idée du sol comme matière de
la terre, nous pouvons souligner que le sol désigne également les rapports à
notre propre culture. Nous nous enracinons toujours dans un sol géographique
et social, si bien qu’il prend une importance capitale dans le développement
de notre psychomotricité. L’histoire d’Abraham nous propose une lecture des
difficultés psychocorporelles de l’enfant sous l’angle de la perte du sol des suites
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d’une adoption et d’expatriations/séparations répétées.
Le sol, comme le rappelle Aristote, est notre aussi notre « lieu naturel ». L’homme
vient du sol et y retourne, « à tel point que naître, exister et mourir, est d’une
manière ou d’une autre, toujours une façon de décliner un éprouvé du sol »
(Pierron, 2003). L’existence entière est marquée par un sol travaillé ou rêvé. Il en
va de même pour chaque patient que nous accompagnons. La pratique soignante
est par définition concernée par la question du sol. Si nous reprenons l’étymolo-
gie de l’expression « clinique », nous voyons qu’il s’agit d’être au lit de patient.
C’est donc d’une certaine façon se situer dans un rapport au sol. Cela implique
également de travailler avec ce qui est un dérivé du sol, c’est-à-dire l’expérience
de la solitude. Chez les patients autistes, l’isolement sensoriel produit des effets
de solitude majeurs.
Heureusement, la pensée phénoménologique nous aide à penser le sol comme
une ligne d’horizon ouvrant sur un ailleurs toujours plus grand. Nous pouvons
donc considérer le sol comme un moyen pour le patient d’expérimenter cette
ouverture au monde.
Plus précisément, la physique du sol nous permet de comprendre à quel point il
est essentiel au développement psychomoteur. Pour commencer, nous pouvons
rappeler que le sol est une surface d’intense concrétude qui s’offre au bébé
comme un autre à contacter. Ainsi le bébé fait-il très tôt l’expérience d’épouser
le sol, de « l’embrasser », de le repousser ou de le ramener à soi. Il le dynamise
dans quelque chose qui rappelle la danse de couple, dans une forme pas de
deux originel. La grande variété de ces mouvements au sol permet à l’enfant
d’élargir considérablement son répertoire moteur, avec ce que Louppe (2004)
considère comme des « qualités de mouvements exceptionnelles ».
Conclusion par Tiphanie Vennat 265
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relaxation : « Dis, est-ce que je vais être comme dans la tombe ? »
Ceci me laisse penser que le travail psychomoteur mobilise également ce qui est
en dessous du sol, c’est-à-dire ce qui relève de la dimension cachée, inconsciente
et intime de l’expérience vécue du patient. Il nous faut donc être attentifs à la
partie souterraine de la psychomotricité de l’enfant et aller sonder ce qui est à
l’ombre de certaines évidences. À l’instar du travail analytique défini par Freud
en termes de « fouilles archéologiques », le psychomotricien doit pouvoir révéler
ce qui se situe en deçà du sol, les éléments fossiles du vécu psychocorporel du
patient.
Pour conclure les enjeux du travail du sol, je dirais que si je conçois la pratique
psychomotrice comme un sol par nature espace de naissance et de liberté, je ne
peux oublier qu’elle est aussi soumise à un « sol inversé » : le plafond. Parce
que nous ne sommes pas tout-puissants, notre pratique professionnelle bute
toujours contre certaines limites indiscutables. Ainsi atteignons-nous parfois le
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tion kinesthésique de contenance. Enfin elle permet de construire la mémoire
corporelle des mouvements ainsi explorés.
L’improvisation et la composition
!
L E MOT EN PSYCHOMOTRICITÉ
« Je cherche à combattre un mal inlassable, par deux mains tendres sur un front
illusoire. Mes armes sont des avions de papiers, chaque fois crashés sur les toits
d’immeubles de paradis. » (Vennat, 2018)
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Puisqu’il faut ici conclure cette expérience d’ouvrage collectif sur le thème de
l’enfant autiste et de son corps, je dirais que ce travail d’écriture a été riche à
plusieurs titres. Pour commencer, je dirais que ce projet a permis une certaine
clarification, qu’il s’agisse de clarifier la richesse de la pratique psychomotrice
ou le fonctionnement particulier des patients autistes. Cela est essentiel dans la
mesure où nous travaillons souvent avec ce qui est obscur, flou, caché, complexe
et crépusculaire. Parce que soigner demande de pouvoir s’extraire du nébuleux
de la pathologie afin d’éclairer le paysage intérieur des patients. Et à l’image de
ce qu’évoquait Lucien Hounkpatin au cours d’une des réunions de supervision
organisées par mon institution, espérer qu’émerge alors chez le patient quelque
chose de lumineux, une possibilité de sublimer.
Dans la même logique, l’écriture de ce livre a demandé à tous un effort d’explici-
tation de la pratique. Défi de taille si l’on considère la pratique psychomotrice
comme une pratique de l’implicite, c’est-à-dire littéralement « pliée à l’intérieur
d’elle-même », prise au cœur du non verbal du corps, cela d’autant plus fortement
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« Comment chacun des membres de l’équipe, tout en chantant sa ligne mélodique
non superposable à celle des autres, chante cependant la même partition. » (Delion,
1990)
Enfin cet ouvrage collectif est un appel à faire hésiter les territoires trop défi-
nis. Nous avons essayé de montrer qu’il est possible de pénétrer le monde de
l’autisme en assumant la différence de nos cultures thérapeutiques, en croisant
nos chemins, en réalisant la perméabilité de nos frontières théorico-cliniques,
en trouvant des lieux communs où faire consensus et en réalisant avec humilité
l’immensité des terres encore inconnues.
Conclusion par Sylvie Gadesaude
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Spécificité de la médiation jeu en psychomotricité
auprès des enfants avec autisme
J’ai retrouvé dans nos écritures croisées le plaisir des échanges des séances de
supervision en groupes de psychomotricité appelées maintenant analyses des
pratiques professionnelles. Les « APP » nécessitent d’exposer un cas clinique en
détaillant notre prise en charge et en laissant venir des émotions et des détails
factuels qui nous reviennent au fur et à mesure. Notre approche personnelle
s’enrichit de l’écoute des autres. C’est également notre champ de travail en
psychomotricité qui a été appréhendé en ce qu’il est bâti sur des fondements
théoriques qui permettent de comprendre la clinique et orientent le choix des
outils thérapeutiques développés au quotidien.
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Pour Ajuriaguerra :
« Le développement de l’enfant dépend de l’hérédité, de l’environnement, de la
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coexistence de l’hérédité, de l’environnement et de l’activité de l’enfant [...] L’en-
fant dans son évolution est à la fois mécanique et créateur, son soma est prêt à
recevoir et cette masse ordonnée se prépare et est enfin prête à fonctionner d’une
manière automatique et réactive. Elle est vivante mais ne devient créatrice qu’en
créant son propre fonctionnement. »
Hochmann (2010) rappelle que la perspective commune aux deux médecins qui
ont inventé le concept de l’autisme, Kanner et Asperger n’était pas guidée par la
psychanalyse mais plutôt par un point de vue psychopathologique :
« Tous deux décrivent un processus selon lequel les symptômes ne sont pas seule-
ment l’expression d’une lésion ou d’un dysfonctionnement subis passivement mais
s’intègrent dans un tableau complexe où ils prennent, pour un sujet, valeur de
mécanismes d’adaptation ou de défense. »
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chomotrice de la personne humaine en ce qu’elle dessine pour chaque individu,
une figure triangulaire avec 3 pôles : affectif, cognitif et neuro-sensorimoteur.
Lorsque ce triangle est équilatéral, il traduit une bonne maturation neuromo-
trice et une instrumentation de qualité, toutes deux liées au schéma corporel,
adéquates pour explorer le monde des personnes et des objets, sources de
connaissance et pourvoyeuses d’émotions et d’affects en rapport avec le niveau
de traitement cognitif de l’expérience. Les pathologies qui affectent le déve-
loppement de l’enfant trouvent des entrées par ces trois points principaux.
Les réactions de prestance et de contenance peuvent être considérées comme
des mécanismes de défense corporelle, parfois handicapant pour l’adaptation
émotionnelle du sujet. Les syncinésies liées à la maturation sont aussi en lien
avec les émotions. L’adaptation gestuelle et les qualités attentionnelles du sujet
s’en trouvent perturbées.
On retrouve ici des points communs avec l’autisme du point de vue des entrées
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malhabiles à s’en débarrasser. J’ai été contrariée de voir le même bébé porter
des moufles, cette protection représentant pour moi une camisole de force. J’ai
entendu une infirmière s’adresser à l’enfant si petit d’une voix douce pour lui dire
qu’elle était bien ennuyée de lui infliger ces affreuses mitaines mais qu’il faisait
trop de bêtises avec les fils. J’ai compris l’importance du parler, de l’entendre
aussi pour la maman, pour attendre patiemment que ça passe en ayant attribué
des pensées à son enfant. J’ai ressenti la peur de faire mal ou de briser un os
par excès de force et j’ai compris l’appréhension des mamans pour prendre leur
bébé dans leur bras. J’ai attendu en silence que la couleur de la peau redevienne
normale. J’ai craint de contaminer tout simplement en respirant le même air !
Et j’étais sensibilisée aux tout petits signes, au regard de la mère, à la tonalité
adoucie de sa voix, attendrie par sa capacité à maintenir éveillé son enfant un
petit temps après le biberon en lui réclamant un petit sourire, à lui parler bien
qu’il garde les yeux fermés et par sa manière de lui toucher les doigts en même
temps. J’ai pris conscience du langage infra-verbal et de sa force de persuasion.
Dans le même temps, un stage en internat thérapeutique me confrontait à la
pathologie autistique avec des enfants très handicapés hospitalisés. Certains
n’étaient toujours pas propres à 10 ans. D’autres ne parlaient pas. Ces enfants
m’ont orientée vers les apports théoriques de Haag et de Tustin et leurs approches
psychanalytiques de la sensorialité en ce qu’elles attribuent aux manifestations
corporelles des enfants autistes (stéréotypies, intérêts restreints) des tentatives
pour rester en contact avec la réalité extérieure malgré des angoisses archaïques
terrifiantes et cependant trop fortes pour être compatibles avec l’adaptation.
J’adopte d’autant plus facilement cette vision qu’elle donne au patient autiste
un vrai statut de sujet.
Conclusion par Sylvie Gadesaude 273
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prise de conscience de leur corps globale et unifiée grâce à la conjugaison de
plusieurs facteurs perceptifs.
Nous insistons à travers le toucher sur l’importance du regard et sur le rythme de
nos contacts sur le mode « là/pas là ». Nous portons une attention particulière
aux articulations vécues parfois comme une cassure chez certains enfants, à la
continuité et à la forme prise par les différents segments du corps qui lui donnent
autant de formes différentes. Les mouvements d’ouverture et de fermeture en
particulier, les bras collés au buste et puis qui se décollent du buste en laissant
apparaître un trou.
Le plaisir de tous les enfants pour les comptines mimées n’est-il pas de voir
le corps de celui qui chante se faire et se défaire sous l’effet des gestes, des
mains surtout et de l’intensité du regard et de la bouche qui se déforme ? Et
bien sûr, nous verbalisons nos actions. Nous décrivons les objets. Nous trouvons
dans notre pratique quotidienne, par la médiation du toucher, une des voies
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Il définit l’activité cognitive comme la capacité d’extraire de l’interaction entre
l’organisme et son milieu un ensemble de régularités qui vont permettre de
s’approprier une certaine connaissance de ce milieu. Je retiens en particulier ce
point : dès que les coordinations opèrent, un espace habité par un corps et des
objets devient matériel et réel.
Or, bon nombre des enfants ont des syncinésies qui provoquent raideurs, brusque-
ries, instabilités posturales et difficultés attentionnelles. Associées aux troubles
du schéma corporel, des difficultés de coordinations et une lenteur d’exécution
en découlent. Il faudrait neutraliser les anciennes habitudes pour en retenir
de nouvelles. Je procède alors en changeant le milieu : piscine, équithérapie,
stade ou tout espace large, pour multiplier les expériences, varier les gradients
de différence peut-être pour mettre plus facilement leur corps en déséquilibre
et les pousser au mouvement. Avec un collègue éducateur, nous reprenons les
items de base par des parcours psychomoteurs. Encouragés par notre direction,
nous organisons avec d’autres institutions de la région, des Olympiades, qui
nous étonneront car nous découvrirons alors comme les enfants peuvent avoir
accès à la notion de compétition et donc d’altérité.
Avec une collègue orthophoniste, nous animons des ateliers conte et mimes.
Mimer, c’est reproduire ce qu’on a appris sur le corps de l’autre. Il faut trouver un
geste qui exprime (pour l’acteur) et comprendre la signification du geste. Nous
sommes dans le maniement des symboles sociaux par l’entremise du corps et de
ses schémas posturaux.
En séance individuelle, Tustin (1986) me fournit un fil rouge à développer et à
inventer avec mon regard de psychomotricienne :
« Les formes primitives sont des constellations de sensations. Dans le développe-
ment normal, ces formes et ces sensations s’associent progressivement aux objets
Conclusion par Sylvie Gadesaude 275
Le jeu sera mon support de transactions basé sur les émotions. J’ai déjà parlé de
Bruno, un jeune autiste de l’EMP qui jouait à me faire respirer des pâtes à modeler.
Il fallait trouver un mot à associer à cette sensation. Bruno jubilait aussi de
découvrir son pouvoir juste grâce à ce petit mouvement tout simple d’aller-retour
entre sa main et mon nez pour provoquer des mouvements d’expression dans
mon corps. Ce faisant, il créait peut-être une matière impalpable entre nous
deux, une émotion qui rebondit de l’un à l’autre et qui devient compréhension
des états d’autrui. Puis complicité ?
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J’ai découvert les mécanismes de clivage, le rapport à l’espace et au temps
déformé, les différentes formes possibles de l’immuabilité, l’étrangeté de « l’autre
pathologique » et la fragilité aussi de cette matière corporelle en manque d’une
structure stable (Houzel 2010).
C’était ce système stable qui manquait à Thomas en équithérapie. Nous avions
l’habitude de travailler avec un petit poney alezan du nom de D’Artagnan. D’Ar-
tagnan, un jour, était parti pour les championnats de France. C’est Gitane, toute
noire, qui l’a remplacé. Thomas a demandé pourquoi D’Artagnan avait changé
de couleur. Ou bien Kylian qui protestait quand on lui faisait remarquer qu’il
avait déjà fait la même bêtise la veille : « Hier, c’est hier, aujourd’hui, c’est
aujourd’hui. » Effaçant dans le même temps l’idée d’une continuité d’existence.
Puis j’ai commencé l’activité libérale qui me rappelle l’hétérogénéité de la matu-
ration de chaque enfant qui grandit à son rythme et vient confirmer l’hypothèse
de départ d’Ajuriaguerra sur le rôle de l’environnement et des expériences. Comme
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la limite paraît ténue et facile à franchir dans un sens comme dans l’autre entre
normal et pathologique !
C’est à cette époque que le DSM a introduit la notion de « troubles du spectre
autistique ». En 2012, les CEDA (centre d’évaluation diagnostique autisme) se
multiplient. Les enfants me sont parfois adressés par un service hospitalier avec
un diagnostic. Les choses sont dites, on peut travailler autour de la mobilisation
de l’enfant pour diminuer les symptômes. Mais ce n’est pas toujours le cas et,
souvent, les familles viennent d’abord pour avis sur indication de la crèche ou
de l’école. Les centres référents autismes sont seuls habilités à poser le diag-
nostic d’autisme mais adresser un enfant vers un « expert » du développement
de l’enfant, psychiatre, CAMSP ou pédiatre n’est jamais innocent et tous les
protagonistes le savent, le psychomotricien comme les parents.
276 C ONCLUSION PAR S YLVIE G ADESAUDE
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escalade, course, équilibre et jeux de balles. L’investissement de l’espace corporel
à travers des propositions de jeux de lutte. Au début Étienne, 8 ans, sautillait et
faisait de grands allers-retours dans le parc avant de rejoindre le groupe. Il se
battait contre des robots. On le sentait pris dans un contexte qui nous échappait.
Si on observe un enfant de 4 ans qui joue tout seul et qui s’invente des scénarios
de « bagarre », la différence reste infime car il a les mêmes gestes. Pourtant
son rapport au monde extérieur et son réseau perceptif sont immédiats. Nous
sommes en connexion.
L’idée piagétienne que toute expérience matériellement exécutée est susceptible
de s’intérioriser ensuite en expérience imaginée et permet d’anticiper et de
représenter se heurte ici à la structuration autistique.
Le professeur d’éducation physique a l’habitude de commenter la réalisation du
mouvement pour faire des liens entre le « dit » et le « réalisé ». Cette boucle
réflexive échappe à l’enfant autiste. Cependant, exprimer le plaisir corporel au
moment de l’activité est une construction possible qui ouvre la voie aux partages
d’émotions et aux revendications pour choisir une activité plutôt qu’une autre.
Je choisis le jeu spontané avec les enfants autistes. L’enfant y est libre dans sa
motricité. Il correspond au double niveau corporel et interactif des premières
interactions entre le bébé et sa mère. Potel (2010) transpose sur le plan pratique
la fameuse formule d’Ajuriaguerra : « Mon corps n’est rien sans le corps de
l’autre. »
Conclusion par Sylvie Gadesaude 277
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Rencontrer l’enfant autiste devient une mise en scène particulière mais authen-
tiquement « polysensorielle » où sont aussi convoqués pare-excitation et non
effraction. Il s’agit d’une prise de contact par l’espace dans un jeu de distance,
d’approche et de dosage de la durée des regards, des mouvements et du contact
par le toucher ou par les sons. Il s’agit de communiquer avec les mouvements
du visage ou avec la forme de la bouche, des jeux de mains, des postures ou un
contact tactile.
Ajuriaguerra (in Joly, F., Labes, G., 2008) dans son étude sur les comportements
de tendresse décrit le fonctionnement du regard qui évolue dans le temps :
« Souvent le regard happe le regard de l’autre qui peut être d’emblée aimanté :
le regard suce, palpite en un jeu d’interrelations. Le sujet se sentira plus à l’aise
lorsque la fixation deviendra réversible, déplaçable, et comparative, lorsque dans
l’affection – lutte qui se créera au cours de la vie, s’établiront des inter-échanges
dans lesquels les contrôles et l’intentionnalité seront sauvegardés. »
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L’enfant autiste a besoin de cette sécurité dans la réversibilité. N’est-ce pas cela
aussi que nous transmettent tous les enfants lorsqu’ils cachent leurs yeux avec
leurs mains. Nous improvisons des jeux de coucous-cachés, jeux de tout-petits
auxquels les enfants autistes n’ont pas eu accès.
À partir de ce premier accrochage du regard, qui peut prendre plusieurs séances,
comment définir les relations qui s’installent ? Il me semble que d’emblée, je
suis projetée dans le mécanisme de l’Expérience décrite par Bullinger (2004) :
« Une Expérience est la perception d’un écart [...] L’activité de perception peut
être comparée à un phénomène de capture, de saisie ou de mise en correspondance
sur la base du rapprochement. »
Pour ma part, je tente de saisir ce qui est différent dans le contact avec les
enfants que je reçois habituellement. Cette activité de perception est décrite
278 C ONCLUSION PAR S YLVIE G ADESAUDE
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Jouer, c’est alors accepter de laisser venir, dans la rencontre avec l’autre, le jeu
potentiel des perceptions dans une suspension de représentations en se laissant
imprégner par le mouvement de l’autre pour envisager une autre représentation
possible. C’est laisser revenir à la surface de notre psyché, des souvenirs enfouis
de perceptions, de sensations, de sursauts de plaisir ou de terreurs. Avec des
enfants faiblement handicapés, cela peut ressembler à de la poésie. Avec d’autres,
cela s’apparente à des vécus terrifiants d’anéantissements.
Les études de psychomotricité comportent, la première année surtout, un large
éventail de pratiques corporelles. Cette formation académique va consister à
verbaliser et comprendre ce qui se joue dans la réalisation d’un mouvement,
d’un apprentissage ou d’un temps seul avec soi-même après, par exemple, une
mobilisation de relaxation. Pour comprendre et analyser les éprouvés corporels et
les émotions qui s’y attachent. C’est un véritable travail d’introspection qui nous
plonge en deçà du verbal et qui nous permet de remettre à jour de premières
représentations. Ce faisant, l’étudiant est sensibilisé au rôle d’un autre qui
écoute, accueille, compare et partage. Soubiran avait déjà souligné à l’époque
l’implication des étudiants en psychomotricité :
« Ce cycle d’entraînement personnel en formation didactique, formule spécifique de
notre méthode, n’est pas sans évoquer sous certains aspects l’expérience didactique
vécue sur le divan en psychanalyse ou les autres modalités de traitement psycho-
thérapeutique. Cette investigation [...] consiste à faire passer la psychomotricité
sur le plan d’un vécu corporel et ressenti, afin que les connaissances théoriques
ne restent pas lettre morte mais s’actualisent dans un savoir vivant. »
Je pense aux prises en charge d’un jeune autiste de 8 ans sans langage que je
vois en libéral. Au début, il se balançait toujours. J’ai eu envie de commencer un
jeu de balançoire en chantant « bateau sur l’eau » en pratiquant des pressions
sur ses bras au rythme des rimes. Nous avons fini par trouver « notre rythmicité
Conclusion par Sylvie Gadesaude 279
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pensable des éprouvés corporels, saisis et captés par l’effet d’imprégnation
corporelle pour les représenter en éléments compris et symbolisables dans le jeu
réel de l’ici et maintenant de la séance de psychomotricité.
B ILAN
elle est restée fixée par un défaut global d’intégration fonctionnelle. Elle reste
fondée sur des bases neuro-fonctionnelles : le potentiel de base de l’enfant, (et
le potentiel de base de l’enfant autiste est privé d’un certain nombre de fonctions
non installées en particulier dans les domaines sensoriels et émotionnels) que
nous comprenons à partir du bilan psychomoteur ou d’une longue observation
clinique.
La compréhension du fonctionnement de cet équipement inné nous permet de
penser les outils pour participer à l’évolution de l’enfant. Le défaut d’intégration
neurologique peut donner un déficit attentionnel dû à des clivages sensoriels,
une agitation motrice due à un déficit cognitif (difficile pour l’enfant de se
représenter ce qu’il ressent par incapacité d’établir des liens), une terreur due à
l’incapacité d’anticiper les changements. Les découvertes actuelles sur l’observa-
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tion des bébés ont confirmé que ce potentiel inné évoluait sous l’impulsion du
mouvement favorisé par les interactions et de la reconnaissance des émotions
d’autrui. J’utilise des mécanismes qui officient dans cette impulsion :
➙ Le mouvement pour faciliter les perceptions ;
➙ Les mélodies ;
➙ Le regard ;
➙ Le toucher.
S’appuyant sur le plaisir de la découverte et sur la sécurité de la répétition, il
devient alors possible d’être surpris par un tout petit changement, de partager
la connaissance du monde environnant et de sortir, petit à petit, de la bulle
autistique.
J’ai cherché à montrer ici les liens étroits entre la prise en compte du dévelop-
pement psychomoteur et le patient autiste. Pour Soubiran (1974), « le corps
s’inscrit comme une totalité plus vaste qui est le monde et la manière dont les
deux se tiennent, inséparablement, obéit à des lois, strictes et universelles. Le
développement psychomoteur est l’histoire de cette interaction permanente et
progressive ».
C’est sans doute ici que « le patient autiste nous renvoie aux racines de l’huma-
nité » (Golse, 2010).
Conclusion par Éric W. Pireyre
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Quelle lourde tâche de conclure ! Nos quatre auteur(e)s nous ont exposé leurs
modes d’approches et de compréhension de l’enfant avec autisme. Ils nous
ont détaillé leurs pratiques cliniques quotidiennes avec brio. Nous en retenons
quelques éléments communs, parmi d’autres :
➙ l’engagement corporel du psychomotricien ;
➙ l’importance du dialogue tonico-émotionnel ;
➙ le triptyque sensation-émotion-représentation ;
➙ la notion de développement psychomoteur.
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J ULIE LOBBÉ
« Barnabé, adolescent avec TSA de 12 ans, a la tête cachée sous un foulard transpa-
rent. Il refuse de faire autre chose. Le contact tactile ne passe pas mieux car il crie dès
que ma main approche du foulard. Je prends la pâte à fixe que Barnabé adore et la
met au niveau de son regard. Intrigué, il regarde à travers le foulard. Je me risque
alors à soulever ce dernier en précisant : “Tu verras mieux avec tes yeux.” Puis je le
laisse retomber. Barnabé remonte alors lui-même le foulard et regarde le morceau
de pâte que j’observe aussi. Son regard se dirige alors vers moi et mes yeux. Je le
regarde. Un jeu de cache-cache commence et provoque des sourires et des rires
dans un accordement de joie. L’attention conjointe devient un jeu : nous regardons
ensemble, nous nous regardons. »
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Dans cet extrait, J. Lobbé s’implique personnellement : elle parle à son patient,
s’interroge sur le ressenti de Barnabé et se demande comment attirer son atten-
tion. Comment faire pour être deux dans la salle ? La situation est complexe
car l’enfant a préalablement montré son désir de se replier sur lui-même. J.
Lobbé prend donc un risque en s’imposant dans la relation. Elle fait le pari de
l’audace. Elle parvient finalement à attirer l’enfant à elle et à obtenir un moment
de partage relationnel. Ce moment s’inscrira dans l’esprit de son petit patient
comme relationnellement fondateur. Et comme ce qui va devenir un souvenir
s’est déroulé dans un partage émotionnel, il aura un effet important car tous les
êtres humains sont ainsi faits qu’ils ont besoin de l’autre pour se sentir exister.
T IPHANIE V ENNAT
« Benoît édifie alors deux murs sensoriels [...] Je décide de reconstruire le lien. Connais-
sant la qualité de son regard périphérique, je me place alors à côté de lui et reprends à
mon compte son balancement. Benoît marque tout d’abord un temps d’arrêt, peut-être
surpris de trouver dans mon corps un écho du sien, puis continue son balancement.
Progressivement, il m’adresse un regard puis oriente sa tête dans ma direction. Prenant
conscience que je viens d’attirer son attention, j’improvise alors quelques mouvements
simples avec mes bras, petite danse toujours rythmée par le mouvement originel du
balancement. Benoît, qui a une tendance naturelle à l’imitation, reproduit mes gestes
et danse en miroir de ce que je lui propose. Je sens bien que nous partageons là
un même mouvement corporel mais j’espère qu’il pourra véritablement prendre sens
dans le corps de l’enfant. C’est alors que Benoît se place face à moi et me tend la
main, m’invitant à entrer dans sa danse. À cet instant tout me semble alors possible,
nous nous sommes finalement trouvés dans un monde. »
Conclusion par Éric W. Pireyre 283
S YLVIE G ADESAUDE
« Je cherche quelques éléments de dînette et je clame que c’est l’heure de mon bon
thé à la menthe. J’aperçois un sourire de connivence chez Hugo, quelque chose qu’il
reconnaîtrait ? Qui serait susceptible de déclencher une émotion, un souvenir ou un
objet en commun autour duquel nous pourrions inventer une histoire ? Cependant, il
se lève, montre un autre jeu, ouvre le placard et fouille. Je me sens un peu lasse, je
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suggère que s’il ne veut plus jouer au jeu de la maison, il pourrait le mettre de côté
avec moi. Je demande en forçant une intonation un peu déçue : “Y a plus rien dans
la maison ?” Je perçois une vibration d’empathie dans sa voix, comme s’il voulait me
consoler, il répond : “Si, y a un bébé.” Il chantonne tout en continuant son inspection
du placard et sort de petites figurines. Je perçois deux langues différentes... Sa voix
est douce et mélodieuse. »
B ERNARD M EURIN
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« Je pense à Ayman, petit garçon envahi par les griffes de dinosaures mais qui aime
écouter le loto des animaux bien calé contre moi ou Raphaël, envahi par de nom-
breuses réactions tonico-émotionnelles qui demandent que je l’attrape pour le serrer
très fort. »
© Dunod | Téléchargé le 01/12/2020 sur www.cairn.info via Université de Reims Champagne-Ardenne (IP: 194.57.104.102)
(DTE)1
Il peut sembler banal, donc inutile, d’insister sur le rôle du DTE en psychomotri-
cité. Pourtant, ce concept est la pierre angulaire d’une séance de psychomotricité,
quel que soit le mode de pensée du professionnel. Les références aux mimiques,
aux déplacements, aux tensions toniques et aux échanges de regards sont foi-
sonnantes dans nos textes. Les angoisses de nos petits patients mobilisent
ces canaux-là. Car, souvent dans l’impossibilité de s’exprimer verbalement et
précisément, les enfants sont « lisibles » par ces canaux. Pour qui les côtoie, il
est évident que les patients avec autisme communiquent massivement et donc
qu’ils sont à l’affût de nos propres signaux de communication. C’en est même une
très forte caractéristique. Que nous disent-ils ? Le plus fréquemment, ils parlent
de leur corps et de la relation à l’autre. Nous retrouvons là l’engagement corporel
du psychomotricien. Ce dernier, lorsqu’il prend en compte les capacités tonico-
émotionnelles de son patient est impliqué dans ses propres caractéristiques
tonico-émotionnelles. Certains y verraient du « contre-transfert corporel ». Je
préfère parler « d’expression corporelle du contre-transfert ». De la sorte, il n’est
pas introduit de différence avec le contre-transfert classiquement décrit par les
psychanalystes dont la théorisation est toujours pertinente. Par nature, transfert
et contre-transfert engagent émotions et sentiments. Qui sont des manifestations
corporelles pour les premières, corporelles ET psychiques pour les seconds. Le
dialogue tonico-émotionnel est une circulation d’émotions et de sentiments
dont l’exploitation clinique est nécessaire mais pas toujours aisée. Elle passe
1. Pour aller plus loin dans ce thème, le lecteur pourra se référer à Pireyre, E.W. (2015). Clinique
de l’image du corps. Paris : Dunod.
Conclusion par Éric W. Pireyre 285
L E TRIPTYQUE
SENSATIONS - ÉMOTIONS - REPRÉSENTATIONS 1
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loppement général du bébé et du jeune enfant dans les domaines sensoriel,
émotionnel, moteur et affectif. La transformation des sensations en perceptions
et des mouvements en gestes a été décrite par Pireyre (2015). Moins clair
était le destin des émotions originelles dans le développement. Là encore, les
neurosciences nous éclairent. C’est la distinction émotion-sentiment qui est
pertinente. La différence se joue sur la représentation. Pour Damasio (2017), la
représentation psychique des émotions s’appelle les sentiments. Idée que nous
avions introduite collectivement en 2014 (Jaquet, C. et al.) avec la distinction
douleur-souffrance dans « Les liens corps esprit ».
Bien sûr, le terme de « représentation » peut facilement prêter à confusion.
Certains y verraient une forme de « psychisation » de ressentis corporels émo-
tionnels. On fera donc l’hypothèse qu’aux débuts de la vie le bébé doit s’ap-
proprier son organisme pour en faire son corps comme le propose Bullinger
(2004). Et cette appropriation pourrait passer par l’ensemble de ces transforma-
tions « psychisantes » (sensations-perceptions, mouvements-gestes et émotions-
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1. Id.
286 C ONCLUSION PAR É RIC W. P IREYRE
➙ Elle « aime mélanger avec ses doigts, transformer la pâte à modeler, rentrer
et sortir les éléments de l’eau avec ses doigts. Elle s’amuse aussi à les saisir
parfois avec des baguettes chinoises. » (S. Gadesaude)
➙ « Nous pourrions mener une activité d’exploration tactile comme la recherche
de petits objets dans des bacs contenant différents matériaux (farine, eau,
riz...). Outre la diversité des sensations tactiles, l’activité réalisée avec les
yeux ouverts sollicitera la coordination entre l’œil et la main, tellement impor-
tante dans l’efficacité motrice. Le même exercice réalisé avec les yeux fermés
fera appel à la proprioception car il s’agira d’utiliser la main pour rechercher
les objets. » (J. Lobbé)
➙ « Lorsque Lucie utilise ses mains nous percevons qu’elle est désormais décen-
trée de la sensation au profit de son désir de faire des choses qu’elle situe
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bien dans l’espace qui l’entoure. Les objets sont utilisés non seulement en
lien avec les représentations qu’elle leur donne mais ces représentations sont
aussi partageables avec autrui. » (B. Meurin)
➙ « Nous pouvons supposer que les jeux de mains théâtralisés pourraient, à
l’instar des comptines avec jeux de doigts, faciliter l’accès à l’expression
graphique puis à l’écriture. » (T. Vennat)
Les points communs sont flagrants entre nos quatre auteurs et dénotent la place
de notre triptyque dans les pratiques psychomotrices actuelles.
L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOMOTEUR
C’est l’une des bases originelles de notre métier. Qu’il soit classique ou patholo-
gique, le développement de l’enfant est central car nous cherchons à le décrire, le
comprendre et l’accompagner si nécessaire. Nos appuis théoriques sont désormais
suffisamment riches pour décrire la finesse des étapes que l’enfant doit traverser.
Les apports d’André Bullinger sont cruciaux. Il nous a sensibilisés, entre autres,
à l’importance des coordinations entre modalités sensorielles, données dont
l’importance m’était inconnue lors de mes études. C’est le cas, par exemple, de
la coordination entre vision périphérique et vision focale, si nécessaire pour
l’installation d’un tonus de fond adapté à l’engagement moteur du bébé. Nous
savons désormais que cet ensemble de coordinations sensori-motrices fait défaut
à l’enfant avec autisme, ce qui ne permet pas l’installation pérenne d’un espace
instrumenté.
Conclusion par Éric W. Pireyre 287
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l’enfant avec autisme est de présenter un développement psychomoteur atypique,
sorte de mélange de fixations aux toutes premières étapes de ce développement
et d’un ensemble d’adaptations – le plus souvent mal organisées – pour se plier
aux nécessités corporelles, psychiques et relationnelles de la vie humaine.
L’attention mérite alors d’être attirée sur un apport moins connu, pour l’instant,
de la théorie d’A. Bullinger : l’approche sensori-motrice. Différente du bilan – qui
évalue forces et faiblesses de l’enfant, elle consiste à apporter un soutien aux
équipes en charge, par exemple, des enfants avec autisme. Le développement
sensori-moteur est alors abordé dans une démarche réflexive permettant ainsi aux
soignant(e)s de découvrir de nouveaux moyens de compréhension des troubles
et comportements du patient. Les psychomotriciens sont naturellement bien
placés, parmi d’autres, pour ce type de mission appelé à prendre de l’ampleur à
l’avenir.
Le développement affectif n’est pas directement une composante du dévelop-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
comme il disait, nous, ses successeurs, avons des efforts de synthèse à faire.
Notre profession y est, par essence, habituée. Nul doute qu’elle y parviendra...
Pour finir, la psychomotricité détient une place importante dans la prise en charge des
patients avec autisme pour plusieurs raisons :
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pluralité de théories car aucune ne détient à elle seule la vérité. Ce à quoi les
psychomotriciens sont rodés par des études par nature intégratives ;
➙ Les modalités de prise en charge proposées par les psychomotriciens, faites d’en-
gagement corporel, psychique, émotionnel et verbal, sont pertinentes et recom-
mandées par la Haute Autorité de Santé ;
➙ Le psychomotricien sait, grâce à sa formation initiale, trouver les mots qui qua-
lifient précisément des ressentis sensoriels, émotionnels et « représentationnels ».
Cette capacité de mise en mot des ressentis accompagne l’engagement corporel et
peut provoquer « l’étincelle communicationnelle ». Les mots, encore une fois, sont
possibles grâce au dialogue tonico-émotionnel ;
➙ Un grand choix de médiations est disponible en psychomotricité. Ce qui permet
une adaptation optimale du psychomotricien à son patient. Il est bien plus aisé
alors de partir du désir du patient.
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Bibliographie
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DE AJURIAGUERRA, J. (1980). Manuel de psychia-
DE AJURIAGUERRA, J., THOMAS, A. (1948). L’axe trie de l’enfant. Paris : Masson.
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