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Le Regard Français Sur Les Envoyés Marocains

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UNIVERSITE PARIS VIII VINCENNES SAINT-DENIS

LE REGARD FRANÇAIS SUR


LES ENVOYÉS MAROCAINS DU XVIIe ET XVIIIe SIECLES

Mémoire de D.E.A. (Diplôme d’Etudes Approfondies) rédigé par

Rabih SAIED

Sous la direction de : Jean-Pierre DUTEIL

Année : 1999-2000
1

LE REGARD FRANÇAIS SUR


LES ENVOYÉS MAROCAINS DU XVIIe ET XVIIIe SIECLES

Mémoire de D.E.A. (Diplôme d’Etudes Approfondies) rédigé par

Rabih SAIED
2

Remerciements

Je remercie Monsieur Jean-Pierre Duteil, professeur en histoire


moderne à l’université Paris VIII Vincennes Saint-Denis et Monsieur
Ousama ZOUGARI, chercheur et enseignant en histoire au Lycée
Mohammed V à Taroudannt (Maroc) pour leur aide, leur conseil et leur
soutien respectif qui furent indispensables à la réussite de ce mémoire. Je
tiens à remercier enfin le personnel des Archives Nationales, des Affaires
Etrangères, de la Bibliothèque Nationale de France et de la Bibliothèque
Richelieu à Paris et de l’Institut du Monde Arabe également à Paris pour
leur chaleureux accueil.
3

INTRODUCTION
4

Chaque année la France accorde un intérêt particulier à un pays


étranger. Cette sollicitude de « l’autre » se manifeste alors de diverses
façons. Plusieurs manifestations culturelles ont lieu dans la capitale et dans
les villes de province. C’est en effet l’occasion de réaliser des expositions,
des spectacles, des colloques, des livres et des films. Jouissant d’une
publicité médiatique, cela crée ainsi l’événement culturel de l’année et
pousse la curiosité des gens à s’y intéresser. Il arrive d’ailleurs que cet
avant goût donne l’envie de voyager et de voir en vrai ce qui est admiré en
France. L’année 1999-2000 est celle du Maroc.

La culture et l’histoire de cet État se différencient par rapport aux


autres pays maghrébins. Le Maroc à l’inverse de l’Algérie et de la Tunisie
ne subit pas la domination de l’Empire ottoman. En outre par rapport aux
autres, le Maghreb Al-Aqça rejoint tardivement l’empire colonial français
(1912). De plus le protectorat ne dure qu’une quarantaine d’années. La
France n’a pas non plus considéré de la même manière le Maroc et
l’Algérie (divisée en départements français). L’empreinte française est donc
moins présente au Maroc qu’en Algérie (colonisée de 1830 à 1962). Le
Maghreb Extrême a par conséquent conservé plus de particularismes par
rapport à ses voisins qui ont subi pendant de nombreux siècles les
dominations étrangères.

Depuis l’accession à l’indépendance de ce pays en 1956, un nombre


important d’immigrés marocains s’est installé en France. Cette population
africaine se trouve alors en contact direct avec le peuple français. Toutefois
5

les ouvrages relatifs à cette deuxième plus grande communauté musulmane


en France restent rares.

Leur religion amène cependant énormément de discussions dans la


société française : l’affaire du foulard islamique à Creil dans l’Oise en 1989
est un exemple. Les livres et les articles sur l’islam – deuxième religion
dans l’Hexagone – et surtout sur l’intégrisme musulman se sont multipliés
depuis une vingtaine d’année. L’image de cette religion et de ses adeptes
s’accompagne en outre dans la rue le plus souvent de clichés et de préjugés
hostiles.

C’est dans ce contexte que se pose une interrogation historique


essentielle : celle de la relation avec autrui. La découverte du Maroc et de la
culture marocaine basée sur l’islam par les Français pose en effet la
question. Quelles sont les origines du regard de ces Européens porté sur les
Marocains venus en France ?

Pour répondre il faut retourner dans le passé et précisément à


l’époque moderne. Pourquoi ? C’est tout simplement parce qu’au XVIIe et
au XVIIIe siècles, les premiers Marocains voyagent en France. Ils ne restent
pas pour une longue période puisqu’ils ont la fonction d’ambassadeur ou de
simple envoyé chargés par leur souverain de remplir une mission. Ainsi à
partir des représentants du sultan venus en France, il est plausible
d’examiner les impressions et les sentiments des Français à l’égard de
« l’autre » marocain.
6

L’envoyé du sultan n’est pas évidemment l’archétype du Marocain


de la période. Il est choisi par son souverain parmi l’élite du Maroc. Il est
chargé de défendre les intérêts de son maître et de son pays à l’étranger.
Toutefois la perception des Français à l’égard de ces représentants – qui
viennent d’une partie de l’Afrique islamisée – reste tout de même
indissociable du regard porté sur leur peuple en général. Ces musulmans
marocains créent en effet l’événement en arrivant en terre chrétienne.

Les sources françaises sur lesquelles se fondent les réponses sont de


différentes natures. Elles émanent d’abord des autorités politiques de
l’époque. En premier lieu, un intérêt particulier est porté aux
correspondances des consuls de France au Maroc. Ces derniers sont
généralement les premiers au contact des envoyés du sultan. Ils informent
alors minutieusement par l’intermédiaire de lettres et de mémoires le
secrétaire d’État à la Marine sur les intentions du sultan d’envoyer une
mission en France. Deuxièmement, il faut s’arrêter sur les lettres laissées
par les marins chargés de transporter les ambassadeurs. Les capitaines de
vaisseaux écrivent à leur supérieur pour leur rendre compte du déroulement
du voyage.

Les intendants des ports – principalement de Brest et de Marseille –


sont aussi chargés de fournir des nouvelles des Marocains. Enfin la
correspondance de la Chambre de Commerce de Marseille avec les consuls
au Maroc et le pouvoir central demeure aussi primordiale. Certains Français
– notamment les secrétaires interprètes du roi en langues orientales –
accompagnent troisièmement les Marocains pendant leur trajet jusqu’à la
7

capitale. Ils gardent alors le contact avec le pouvoir central par courrier. Il
est possible d’y ajouter les nouvelles transmises par les intendants et les
présidents de parlements de la province qui ont accueillis ces Africains.

Les introducteurs des ambassadeurs constituent la quatrième source


originaire du pouvoir. Louis Nicolas Le Tonnelier, baron de Breteuil
nommé en 1698 a laissé des mémoires richissimes au sujet des ambassades
du Maroc. Les secrétaires d’État et les rois de France ont eux aussi produit
de nombreux documents pour répondre à leurs agents en ce qui concerne la
présence des Marocains sur le sol français. En dernier lieu, il faut citer les
récits de voyage des ambassadeurs du roi de France au Maroc comme ceux
du baron de Saint Amant envoyé en 1683 et de François Pidou de Saint-
Olon dix ans plus tard. Ils ont en effet rencontré et côtoyé les agents du
sultan venus à la cour. Ces documents permettent de connaître en détail le
déroulement des missions marocaines. Mais elles sont fortement
imprégnées du contexte diplomatique régnant à ce moment entre la France
et le Maghreb Al-Aqça.

Les sources littéraires constituent la deuxième catégorie. Elles


comprennent les écrits des contemporains qui ont évoqués les ambassades
et les missions marocaines. Le duc de Saint-Simon, le marquis de Dangeau
et le marquis de Sourches leur ont accordé des lignes dans leurs mémoires
et journaux. Des captifs et des religieux revenus du Maroc ont également
publié des ouvrages engagés et le plus souvent hostiles dans lesquelles ils
relatent entre autre la venue des Marocains en France. Ces ouvrages ont
pour but de sensibiliser « l’opinion » sur le sort des Français en captivité au
8

Maghreb Extrême. De ce fait il se crée un courant littéraire hostile envers


ces musulmans. Voltaire s’est d’ailleurs inspiré de cette littérature pour
certains passages concernant le Maroc dans ses contes tels que Candide ou
l’optimisme et Histoire des voyages de Scarmentado écrite par lui-même.

La dernière sorte de documents écrits semble les sources


« journalistiques ». Ce sont en fait les gazettes ou les journaux de l’époque
qui accordent des pages à l’événement constitué par la présence de
Marocains. Il s’agit du Mercure Galant, du Mercure de France, de la
Gazette de France, le Journal de Verdun, la Gazette d’Amsterdam, la
Gazette de Rotterdam, l’Histoire journalière de ce qui se passe de plus
considérable en Europe et les Nouvelles extraordinaires de divers endroits.
Ces écrits ne sont pas innocents. Ils véhiculent une certaine propagande en
faveur de la monarchie française.

Les sources iconographiques restent enfin la dernière catégorie qui


peut nous aider à comprendre le regard français sur « l’autre » marocain à
l’époque moderne. Des Français ont effectivement exécuté des portraits des
envoyés du sultan et de sa suite ou des scènes les mettant en valeur durant
leur ambassade à la cour de France. Les estampes décrivent entre autre les
tenues vestimentaires et les traits principaux des Marocains. Mais leur but
reste surtout de glorifier le pouvoir royal français.

La méthode pour parvenir à cerner le regard porté par les Français à


l’encontre des Marocains aux XVIIe et XVIIIe siècles comprend plusieurs
niveaux. Il est nécessaire de prendre d’abord en compte toutes les clefs de
9

la vision française sur autrui. Elles comprennent aussi bien celles à l’échelle
du pays que celles qui sont au niveau individuel. Il faut séparer et comparer
la perception des agents du pouvoir, de celles des littéraires, des anciens
captifs, des aventuriers et des religieux.

Il semble également indispensable de comparer le regard porté sur


les Marocains avec celui porté à l’encontre d’autres musulmans envoyés en
France, c’est-à-dire des Régences, de l’Empire Ottoman et de la Perse. Mais
il faut aussi prendre en compte les représentations des ambassadeurs non
musulmans des pays lointains comme le royaume de Siam et l’Empire
russe. Enfin face aux sources sélectionnées, il paraît indiscutable d’y relever
les éléments qui, de près ou de loin, se rapportent aux Marocains, c’est-à-
dire leur pays, leur religion et leurs mœurs et coutumes.

Les représentations des Français et surtout du pouvoir royal sur


« l’autre » marocain à l’époque moderne restent résolument imbriquées
dans les rapports entretenus par le royaume de France avec le Maghreb Al-
Aqça. Le royaume des Bourbon opte pour ne pas traiter d’un pied d’égalité
le sultan rendu responsable du sort malheureux de nombreux Français en
captivité dans son pays par les publications contemporaines. La barrière de
la religion est aussi très présente dans les relations diplomatiques entre les
deux États. La question à résoudre se formule dès lors ainsi : le regard
français porté sur ces envoyés marocains a-t-il contribué à dessiner une
représentation plus positive d’un pays, mais également d’une religion dès
son origine très mal jugée en référence au vrai dire que représente
l’expérience vécue et relatée par les voyageurs français – principalement
10

des captifs et des religieux – au Maroc, ou au contraire, n’a-il fait qu’en


renforcer certains contours ?

Il apparaît par conséquent nécessaire de décrire premièrement le


contexte diplomatique des différentes ambassades et missions marocaines
en France. Des clefs importantes sont alors à saisir au passage. Puis une
deuxième partie doit être consacré plus précisément aux traitements et
honneurs reçus par les envoyés du sultan en France. La considération
apportée à ces musulmans peut alors apporter des précisions sur la vision
française à l’encontre d’autrui. En dernier lieu, il convient de cerner le
regard des Français sur le pays et la culture marocaine à travers ces
représentants musulmans.
11

PREMIERE PARTIE
LES RELATIONS ENTRE LE MAROC ET LA FRANCE
12

L’utilité de se pencher sur les rapports diplomatiques entre le Maroc


et la France réside dans plusieurs arguments. Le premier n’est autre qu’il est
impossible de traiter l’envoi des Marocains auprès du roi sans rappeler les
raisons et le contexte de l’époque. Deuxièmement, les premières images
relatives aux représentants du sultan sont d’ordre purement diplomatique.
Lorsque le souverain marocain décide l’envoi d’un de ses agents en France,
les représentants français au Maroc et le pouvoir royal correspondent entre
eux sur ce projet. Ces correspondances semblent alors essentielles pour
comprendre l’attention allouée aux missions de ce pays musulman par la
France. Enfin cette partie reste indispensable pour acquérir les outils
précieux pour décoder les regards portés sur les envoyés marocains à cette
période.

Ainsi il faut commencer par revenir d’abord sur l’origine de


l’établissement des liens surtout diplomatiques entre les deux pays jusqu’au
XVIIe siècle. A partir du dernier quart de celui-ci s’ouvrent alors des
relations profondes entre les deux souverains de l’époque : Moulay Ismaïl
(1672-1727) et Louis XIV (1643-1715). Mais l’impossibilité de conclure un
traité alimente les tensions entre le Maroc et la France. Néanmoins c’est à
ce moment que pour la première fois des ambassadeurs marocains sont
reçus officiellement par le roi. Enfin sous le règne du sultan Mohammed III
(1757-1790), les rapports avec la France reprennent un nouveau départ
grâce à la conclusion d’un accord de paix et de commerce en 1767 et
l’envoi de plusieurs représentants en France par la suite.
13

Chapitre premier.
La France et le Maroc : des origines au XVIIe siècle.
14

En prenant connaissance de l’historique des liens diplomatiques


entre le Maroc et la France avant les XVIIe et XVIIIe siècles, c’est
l’occasion de cerner quelques clefs du regard diplomatique français porté
sur le Maghreb Al-Aqça. Les relations franco-marocaines des origines
jusqu’au XVIIe siècle sont en effet marquées par de multiples événements
influents dont les conséquences restent présentes aux siècles suivants. En
outre l’envoi d’ambassadeur auprès du roi de France n’est pas une
nouveauté à l’époque moderne.

Il paraît donc primordial d’étudier en premier lieu l’évolution des


rapports entre le Maroc et la France de l’Antiquité jusqu’au XVIe siècle.
Puis les relations avec le roi français sous le règne du souverain saadien
Moulay Zidan (1603-1627) prennent de l’ampleur. Les premiers litiges
apparaissent alors entre les deux États. Enfin il faut terminer par décrire les
rapports entre 1627 (mort de Moulay Zidan) et 1672 (accession au trône de
Moulay Ismaïl) marqués par l’impossibilité de faire respecter un traité par
les deux parties.

Les antécédents diplomatiques

Les relations de la France et du Maroc ainsi que l’envoi d’émissaires


entre les deux pays sont en effet très anciens. L’antériorité des liens permet
15

d’analyser en détails les mécanismes du regard complexe de la


« diplomatie » française sur « l’autre » marocain. Quelle est donc la nature
des rapports entretenus par la France avec cet État musulman indépendant
des origines jusqu’au début du XVIe siècle ? De quelles manières évoluent
ces relations ?

« Les premières relations de la France avec le Maroc remontent à


l’Antiquité1. » A cette époque le Maghreb extrême entretient surtout des
liens commerciaux avec Marseille. La domination de Rome sur les deux
rives de la Méditerranée accentue considérablement les circuits d’échanges
entre la Maurétanie Tingitane et la Gaule. Mais les rapports entre les deux
provinces romaines restent purement commerciaux. Les premiers contacts
diplomatiques entre les souverains du Maghreb extrême et de la France ont
lieu à l’époque médiévale.

Les tentatives de rapprochement entre les deux rives datent en effet


du Haut Moyen Age. « Si l’on en croit certains auteurs, le souverain
idrissite de Fès aurait envoyé à Charlemagne, en l’an 801, une ambassade,
qui se serait trouvée à la cour de l’empereur d’Occident en même temps
qu’un représentant du calife abbasside Haroun ar-Rachid2. » Mais en l’état
des sources actuellement connues, il ne paraît guère possible d’affirmer

1
Gisèle Chovin, « Aperçu sur les relations de la France avec le Maroc, des origines à la fin du
Moyen Age », Hespéris, tome XLIV, 1957, 3e-4e trimestre, p. 249.
2
Jacques Caillé, « Ambassades et missions marocains en France », Hespéris Tamuda, volume 1-
fascicule 1, 1960, p. 41. Un résumé clair et précis avec l’indication des principales études
consacrées sur la question se trouve dans l’article de G. Chovin, « Aperçu sur les relations de la
France avec le Maroc », art. cité, p. 263-264.
16

l’envoi d’un représentant de Moulay Idriss II (803-828/829) dans l’Empire


de Charlemagne.

Toutefois à la fin du XIIIe siècle, le sultan mérinide Abou Youssef


Yacoub (1258-1286) écrit au roi Philippe III le Hardi (1270-1285). La lettre
contient alors un projet d’alliance en Al-Andalus 3 . Aucune suite n’est
malheureusement donnée à cette affaire par le roi de France. Néanmoins
des liens diplomatiques apparaissent entre les deux pays pendant la grande
période des croisades. Les relations commerciales se poursuivent tout de
même entre les deux pays : « A la fin du XIIe siècle, et début XIIIe siècle,
Montpellier et Narbonne vont pouvoir trafiquer directement au Maroc grâce
à une série de traités avec Gênes. Au XIIIe siècle, Marseille profitant du
conflit entre cette dernière et Pise, parvient à étendre son commerce au
Maroc4. » Mais elles connaissent un net déclin au cours des siècles suivants.

C’est dans ce contexte que Charles VII (1403-1461) correspond avec


le dernier mérinide Abd El-Haqq (1421-1465) vers les années 1450. C’est
la première fois qu’un roi français prend l’initiative d’écrire à un souverain
5
du Maghreb Extrême . Il désire nouer durablement des rapports
commerciaux avec le Maghreb Al-Aqça. Il demande au sultan mérinide
d’accueillir favorablement les navires marchands français et de garantir la

3
Gisèle Chovin, « Aperçu sur les relations de la France avec le Maroc », art. cité, p. 269-270.
4
Mohammed Ennaji, « Le Maroc et l’Atlantique durant les Temps modernes », dans Abdelmajid
Kaddouri (dir.), Le Maroc et l’Atlantique, Rabat, Faculté de Rabat, 1992, p. 97.
5
G. Chovin, « Aperçu sur les relations de la France avec le Maroc », art. cité, p. 295.
17

sécurité de ses sujets6. Charles VII évoque dans sa lettre la réciprocité pour
les éventuels Marocains qui cherchent à commercer avec le royaume de
France. Cependant l’autorité du mérinide sur le pays n’est plus que
théorique. Le Maghreb Extrême traverse une triple crise politique,
économique et sociale. En outre le pays est devenu la proie des Portugais et
des Espagnols qui s’installent progressivement sur les côtes marocaines.

« Il faut attendre le XVIe siècle et le règne de François Ier pour voir


s’amorcer un renouveau des relations commerciales et les premières
relations diplomatiques7. » Le contexte international s’y prête. Le Maroc est
harcelé par les Turcs à l’est. De plus les Espagnols détiennent des territoires
marocains depuis le XVe siècle. Encerclé d’ennemis, le sultan noue des
liaisons avec des pays européens tels que les Pays-Bas, l’Angleterre et la
France. Quant à cette dernière, elle se sent menacée par l’hégémonie des
Habsbourg maîtres de l’Empire espagnol, l’Autriche et ses dépendances,
Bohême, Hongrie, Pays-Bas et une partie de l’Italie. C’est pourquoi
François Ier (1515-1547) s’allie de manière secrète à la Sublime Porte en
1529 par le traité de Cambrai.

Ennemis communs, François Ier est également à l’origine du


rapprochement avec la dynastie des Saadiens (1517-1659). Le Maroc
connaît alors une période de troubles. Les Saadiens continuent en effet de
lutter contre la dynastie déchue : les Ouattassides. En 1525 ils prennent

6
G. Chovin, « Aperçu sur les relations de la France avec le Maroc », art. cité, p. 295.
7
Idem, p. 296.
18

Marrakech et seulement en 1554 Fès. Ils mènent en même temps le djihad


ou « combat sacré » face aux Ibériques.

François Ier écrit donc en 1533 au saadien Ahmed Ben Mohammed


El-Ouattassî. Il recommande au sultan de protéger ses sujets 8 . Il envoie
également la même année le colonel Pierre de Piton comme ambassadeur à
Fès. Il est reçu par le sultan Ahmed en lutte contre le Saadien Moulay
Mohammed. Le souverain accorde aux navires français le libre accès des
ports marocains.

Puis l’année 1576 correspond à la première mission marocaine


connue en France. Elle est alors sous l’égide d’un aventurier français patron
de navire du nom de Louis Cabrette9. Le prince saadien Abd El-Malik le
rencontre à Alger en 1573. Devenu sultan, il lui donne aussitôt la mission
d’aller porter au roi Henri III (1574-1589) une lettre. Celle-ci annonce son
avènement au trône.

Le Français arrive à Paris à la fin du mois de juin 1576. Sa tâche


réalisée, il repart avec une lettre d’Henri III à Moulay Abd El-Malik du
mois de novembre. Mais avant de rentrer directement au Maroc, Louis
Cabrette se rend toujours à la demande du sultan marocain en Espagne.

8
Younès Nekrouf, Une Amitié orageuse : Moulay Ismaïl et Louis XIV, Paris, Albin Michel, 1987.
9
Des informations approfondies relatif au personnage de Louis Cabrette sont présentes dans Henri
de Castries, « Agents et voyageurs français au Maroc : 1530-1660 », dans Sources inédites de
l’Histoire du Maroc, première série, dynastie saadienne, Archives et Bibliothèques de France,
tome III, Paris, Ernest Leroux, 1911, p. IV-VI. [Par la suite on utilise l’abrégé S.I.H.M.].
19

Un an après, les relations s’accélèrent avec l’envoi de Guillaume


Bérard 10 directement chargé de contracter alliance avec le royaume de
France. Ce chirurgien barbier est originaire de Savoie. En 1574 il guérit de
la peste le prince Moulay Abd El-Malik à Constantinople. Deux ans plus
tard, le sultan marocain lui prouve sa reconnaissance en le faisant venir près
de lui comme médecin. Son ambassade accomplie en France au nom de
Moulay Abd El-Malik, Bérard est naturalisé français par le roi Henri III. Il
est en outre nommé consul de la nation française au Maroc. « Il fut ainsi le
premier des agents qui représentèrent la France dans l’empire chérifien,
presque sans interruption jusqu’en 191211. »

Le royaume français noue en même temps la première des relations


commerciales régulières avec ce pays. La raison principale de la jouissance
de ces privilèges par les Français réside particulièrement dans trois faits.
D’une part, ils ne détiennent aucun territoire marocain. L’Espagne est leur
ennemi comme pour le Maroc. Et enfin ce pays chrétien entretient de très
bonnes relations avec l’Empire ottoman.

Sous le successeur du Saadien Moulay Abd El-Malik, Moulay


Ahmed El-Mansour (1578-1603), il existe un projet d’ambassade en

10
Deux sources principales évoquent cette mission de Guillaume Bérard au nom du sultan en
France. La première constitue les provisions de consul de France au Maroc en faveur de Guillaume
Bérard du 10 juin 1577, dans S.I.H.M., première série, France, op. cit., tome I, p. 367-370. La
deuxième source est un passage dans Vincent Le Blanc, Les Voyages fameux du sieur Vincent Le
Blanc, marseillois, qu’il a faits depuis l’âge de douze ans jusques à soixante aux quatre parties du
monde…, le tout recueilly par le sieur Coulon, Paris, 1648, p. 155-156. Enfin pour des détails sur
Bérard, il faut consulter H. de Castries, « Agents et voyageurs français au Maroc : 1530-1660 »,
art. cité, p. VI-IX.
11
J. Caillé, « Ambassades et missions marocaines en France », art. cité, p. 42.
20

direction de la France vers 1583. Cette initiative est connue grâce à une
lettre datée du 28 août 1583 du consul Guillaume Bérard. D’après celle-ci,
le dessein est abandonné à cause de difficultés survenues lors des
préparatifs. Les capitaines de deux navires de Rouen semblent avoir refusé
d’embarquer plusieurs chevaux destinés au roi de France. Cependant
« aucun autre renseignement sur la question n’a pu être retrouvé12. »

En 1588 Guillaume Bérard est remplacé par Arnoult de L’Isle. Ce


consul médecin et professeur d’arabe au Collège de France reste à son poste
de 1588 à 1599. Son bilan est aussi positif que sous le consulat de Bérard
comme peuvent en témoigner les bonnes relations franco-marocaines de
l’époque. Ces bons rapports s’expliquent sans doute qu’au XVIe siècle les
captifs sont peu nombreux. Quand le consul du roi de France demande leur
libération, le sultan la lui accorde d’ailleurs.

Le désir de la France de se rapprocher du Maghreb al-Aqça ne date


pas ainsi de l’époque moderne. Progressivement les souverains français
s’intéressent au Maroc. La politique amicale envers les États musulmans et
notamment envers le Maghreb Al-Aqça de François Ier et de Henri III
(1574-1589) reste exemplaire. Les rois de France désirent effectivement
intégrer l’État marocain dans une alliance. L’intérêt porté au Maroc est
alors grand. Qu’en est-il durant le règne d’Henri IV (1589-1610) et de
Louis XIII (1610-1643) ? Continuité ou rupture du projet diplomatique des
derniers Valois ?

12
J. Caillé, « Ambassades et missions marocaines en France », art. cité, p. 42.
21

Sous le Saadien Moulay Zidan (1603-1627)

La période qui s’étend de la mort du sultan marocain Ahmed El-


Mansour en 1603 à celle de son fils et successeur Moulay Zidan en 1627
correspond à une recrudescence dans les rapports franco-marocains. Les
ambassades se multiplient en effet entre les deux rives de la Méditerranée.
Le développement de la correspondance épistolaire entre les souverains
français et marocains accompagne cette multiplication des émissaires.

Cependant deux moments sont à distinguer. Premièrement il existe


une phase de consolidation des rapports entre les deux pays de 1603 à 1612.
Puis à partir de 1612 jusqu’à la mort de Moulay Zidan apparaît un net
refroidissement dans les relations entre le Maroc et le royaume chrétien.

Durant la première période connaissant les bonnes relations entre la


France et l’Empire ottoman, les sultans traitent convenablement les captifs
français jusqu’à les libérer. « Jusqu’à la mort d’Henri IV, les relations entre
les sultans saadiens et la cour de France furent aussi bonnes que
possible13. » Le roi de France demande en effet au sultan par l’intermédiaire
de son consul Guillaume Curiol (nommé en 1607) le respect des franchises
et des privilèges des Français au Maroc. Mais surtout plusieurs lettres

13
Charles Penz, Les Rois de France et le Maroc, deuxième série, de Marie de Médicis à Louis
XIV, Casablanca, Albert Moynier, 1947, p. 9.
22

d’Henri IV mentionnent une volonté d’établir une amitié et un traité comme


celui conclu avec les Ottomans14.

Les raisons d’une alliance sont multiples. Le commerce entre la


France et le Maroc doit en être favorisé. Le Bourbon désire également créer
une coalition contre l’Espagne. Les Pays-Bas, l’Empire ottoman y
participent, assurés de l’appui des Morisques résidant en terre espagnol.
Effectivement comme le note Louis Cardaillac, à propos des liens existant
entre les Maures et le Bourbon : « la communauté morisque […] s’adresse à
plusieurs reprises à Henri IV par l’intermédiaire d’émissaires officiels, pour
lui demander son aide en vue d’un éventuel soulèvement en Espagne15. »
L’assassinat du roi doit toutefois contrecarrer ces projets, au moins en ce
qui concerne la France. En outre la régente Marie de Médicis adopte, à
l’inverse de son mari, une politique pro-espagnole.

Les rapports entre les Saadiens et les Bourbons atteignant leur


apogée durant cette période connaissent finalement à partir de 1612 un net
déclin. En décembre 1611, un marchand marseillais du nom de Jean
Philippe Castellane remplace Guillaume Curiol à son poste. Le nouveau
consul désire faire signer à Moulay Zidan un traité analogue à celui conclu
entre la France et Istanbul en 1604. Il décide d’aller porter lui-même à sa
cour les conditions acceptées par le sultan en 1612.

14
Abdelhadi Tazi, At-tarikh ad-diplomassi li al-maghreb, mina al-ossoul ila al-yawen [Histoire
diplomatique du Maroc, des origines à nos jours], tome VIII, la dynastie saadienne, Mohammedia,
Fdala, 1986, p. 175-176.
15
Louis Cardaillac, Morisques et Chrétiens : un affrontement polémique (1492-1640), Paris,
Klincksiek, 1977, p. 143.
23

Mais Moulay Zidan doit faire face à une révolte. Chassé de sa


capitale par le marabout Abou Mahalli, il rejoint avec quelques fidèles, ses
femmes et se biens les plus précieux le port de Safi où Castellane est consul
de France et possède un navire, le Notre-Dame-de-la-Garde. Le sultan
affrète ce bâtiment moyennant trois mille ducats pour transporter à Agadir
ses richesses et notamment sa bibliothèque, d’une très grande valeur 16 .
Arrivé à Agadir, Castellane ne veut pas décharger sa cargaison avant
d’avoir reçu le prix convenu. Comme le paiement ne se fait pas et que ses
vivres commencent à s’épuiser, le Français prend la mer et se dirige vers
Marseille.

Le 5 juillet 1612 le navire, l’équipage et la cargaison sont capturés


par les Espagnols au large de Salé. Les livres de Moulay Zidan sont
transportés à l’Escurial où ils sont encore17. La riposte est brutale : deux
cents Français du Maroc sont mis à la chaîne. C’est un tournant capital dans
les relations des deux pays : la tension monte entre la France et le sultan.

Des missions marocaines sont alors envoyées par le Saadien à la cour


du jeune Louis XIII. Leurs objectifs résident dans la récupération de sa
prestigieuse bibliothèque prise par les Espagnols. Moulay Zidan désigne le
caïd Ahmed El-Guezouli dès que le Notre-Dame-de-la-Garde quitte Agadir
et avant même que les Espagnols s’en emparent. C’est une nouveauté par
rapport au XVIe siècle. Les agents envoyés en France ne sont plus des
chrétiens d’Europe. Le mahrzen utilise à présent ses propres hommes pour

16
J. Caillé, « Ambassades et missions marocaines en France », art. cité, p. 43.
17
Ibid, p. 43.
24

effectuer les ambassades en France. El-Guezouli accompagné de diverses


personnes s’embarque à destination des Provinces-Unies, d’où il doit se
rendre à Paris.

En même temps, Moulay Zidan écrit aux États-Généraux des


Provinces-Unies, avec lesquelles il entretient alors d’excellentes relations. Il
les prie d’appuyer sa demande auprès de Louis XIII. Cependant le
représentant des Provinces-Unies à Paris ne réussit pas à obtenir un sauf-
conduit pour El-Guezouli. La cour de France refuse de le recevoir.
L’ambassade s’avère être un échec. Au mois d’août 1613 et sur l’ordre de
son souverain, Ahmed El-Guezouli s’embarque pour Agadir. Resté aux
Provinces-Unies, il n’existe par conséquent aucun témoignage français sur
El-Guezouli et son ambassade18.

Au moment où cet ambassadeur essaye en vain de se rendre à Paris,


un autre envoyé marocain, Ahmed El-Hajeri séjourne en France de
1610/1611 à 1613. Abou Abbas Ahmed Ben Kacem Ben Fqih Ben Cheikh
El-Hajeri El-Andalusi connu sous les noms de Afoukay et de Chihab est un
Maure originaire d’un village nommé Ahhjar près de Grenade. Il part très
jeune avec sa famille s’installer à Séville. Puis El-Hajeri se rapproche de la
côte espagnole afin de pouvoir fuir les persécutions des Espagnols. En 1599
il part enfin clandestinement pour le Maghreb Al-Aqça. Homme très

18
La mission de Ahmed El-Guezouli est traitée dans l’article de J. Caillé, « Ambassades et
missions marocaines en France », art. cité, p. 43-44. Les sources relatives à cette ambassade
proviennent principalement des États-Généraux traduites dans S.I.H.M., première série, dynastie
saadienne, Archives et Bibliothèques des Pays-Bas, tome II, Paris, Ernest Leroux, 1907, p. 106-
108, 131-139, 142-143, 161-162, 172-174, 191-196, 607-610, 733-740 et 743-744.
25

cultivé, il obtient à Marrakech le poste de secrétaire interprète auprès du


sultan. Il garde son poste jusqu’en 1636, date de son pèlerinage. Lors de son
retour du lieu saint, il s’arrête en Ifriqiya où l’on perd sa trace dans les
années 1640.

En l’absence totale de sources françaises sur cette mission de Ahmed


El-Hajeri, le spécialiste français Jacques Caillé n’accorde qu’une petite note
dans son article19. Il n’a sûrement pas connaissance du récit de voyage de
celui-ci intitulé Nasir ad-din alla el-kaoum el-kaferin [Le Défenseur de la
foi face aux Infidèles]. Dans ce dernier, il relate son ambassade en France,
mais également son voyage à Amsterdam en 1613 et son périple à La
Mecque en 1636. Ahmed El-Hajeri le compose après les événements à la
demande d’un cheikh tunisien entre 1637 et 1641 au retour de son
pèlerinage. Il manque très souvent de précisions dans ses informations. En
outre comme le souligne le titre de sa rihla, son ouvrage est fortement
imprégné de religiosité. El-Hajeri a composé son livre sous une forme de
débats entre lui, les chrétiens et les juifs rencontrés lors de son périple.

19
J. Caillé, « Ambassades et missions marocaines en France », art. cité, p. 44, note 5. L’auteur de
l’article s’appuie notamment de sources hollandaises reproduites dans S.I.H.M., première série,
dynastie sadienne, Archives et Bibliothèques des Pays-Bas, tome III, Paris, Paul Geuthner, 1922,
p. 108, 304 note 2, 305, 411, 418, 423, 430, 435, 438, 506, 516 et 519 ; et du livre d’Ahmed Al-
Naciri, Kitab el-Istiqça. Les Saadiens [1894], trad. M. El-Naciri, Paris, 1936, p. 295 note 1 et 348
note 3. Toutefois pour plus de précisions sur la rihla de El-Hajeri en France, il faut consulter
Abdelmajid Kaddouri, Sufaraa marhariba fi Europa (1610-1922) : fi el-way bi at-tafawatt
[Ambassadeurs marocains en Europe (1610-1922) : dans la conscience du déséquilibre],
Casablanca, Faculté de Rabat, 1995, p. 7-22, 39-70 et 90-114 ; et une maîtrise d’histoire de Rabih
Saïed, Deux ambassades marocaines en France au XVIIe siècle. Images et représentations de la
France du XVIIe siècle chez deux ambassadeurs marocains, Christophe Duhamelle (dir.),
Université de Picardie Jules Verne, Amiens, 2000 dans laquelle est traité entre autre le regard de
El-Hajeri porté sur le royaume de France à travers son récit de voyage.
26

Dans l’introduction de son récit de voyage, Ahmed El-Hajeri indique


bien être venu en France comme « embachador » ou ambassadeur de
Moulay Zidan20. La cause officielle du départ du traducteur interprète du
sultan, El-Hajeri n’est pas la restitution des trésors du Saadien. Le but de
l’ambassade est la libération de Morisques et de leurs biens capturés par des
corsaires français. En effet lors de l’expulsion des Maures de la péninsule
ibérique à partir de 1609, certains d’entre eux ont loué des navires français
pour rejoindre l’Afrique du Nord21. Les Andalous réussissant à atteindre les
côtes marocaines se sont donc plaints auprès du sultan Moulay Zidan.
Celui-ci décide d’envoyer son secrétaire interprète Ahmed El-Hajeri lui
aussi d’origine maure. El-Hajeri connaît donc les affaires des morisques.

En 1610/1611, il s’embarque de Safi pour arriver dans le port du


Havre de Grâce. Il est reçu en audience à Paris par le roi et une lettre lui est
remise afin de circuler en toute liberté dans le royaume22. L’ambassadeur
du Maroc voyage dans tout le pays. Il s’arrête à Saint-Denis, Olonne,
Bordeaux, Toulouse. Sa mission est un demi-succès. Il obtient à Bordeaux
une somme d’argent des capitaines de vaisseaux comme dédommagement.
El-Hajeri n’évoque pas néanmoins le sort des captifs maures dans la suite
de son récit. Sa mission réalisée, il s’embarque pour Amsterdam en 1613.
La date de son retour définitif au Maroc n’est pas connue.

20
Ahmed Ben Kacem El-Hajeri El-Andalusi connu sous le nom d’Afoukay, Nasir ad-din alla el-
kaoum el-kaferin [Le Défenseur de la foi face aux Infidèles], adapté par Mohammed Razzouq,
Casablanca, Faculté de Casablanca, 1987, p. 17.
21
A. El-Hajeri, Nasir ad-din alla el-kaoum el-kaferin, op. cit., p. 43.
22
Idem, p. 44.
27

En été 1617, la France tente de renouer avec le sultan. Louis XIII


envoie Robert Boniface de Cabanes et Claude Du Mas auprès du sultan
mais sans succès. En janvier 1619, Du Mas accompagné du chevalier Isaac
de Razilly sont envoyés auprès du sultan pour obtenir la libération de ses
compatriotes captifs. Ils obtiennent le départ d’un ambassadeur marocain en
France du nom de Sidi Farès. Sa mission a le même objet que celle de
Ahmed El-Guezouli en 1612 : « solliciter l’intervention de Sa Majesté Très
Chrétienne pour la restitution de la bibliothèque prise par les Espagnols à
un capitaine marseillais23 ». Il doit en outre demander l’envoi à Marrakech
de François Razilly comme négociateur.

Toutefois il n’a pas plus de succès que ce dernier. Arrivé à Marseille,


Du Mas par intérêt privé empêche tout contact entre Sidi Farès et la Cour.
L’envoyé marocain n’a pas plus de succès que Ahmed El-Guezouli. D’autre
part, les protestations de Sidi Farès n’empêchent pas Claude Du Mas d’être
désigné, au lieu de François de Razilly, pour aller négocier avec Moulay
Zidan. Il n’existe pas de sources françaises abondantes concernant cette
mission en France24.

23
J. Caillé, « Ambassades et missions marocaines en France », art. cité, p. 45.
24
Les seules sources françaises existantes sont les instructions pour la Molle de 1619, des extraits
de l’Histoire de la mission des P.P. capucins au Maroc (1623-1624) et les mémoires de Razilly à
Richelieu du 26 novembre 1626 et de fin 1626 publiés dans Sources inédites de l’Histoire du
Maroc, première série, dynastie saadienne, Archives et Bibliothèques de France, tome III, Paris,
Ernest Leroux, 1911, p. 54-58, 99-111 et 115-122.
22
Mémoire de Razilly du 26 novembre 1626 adressé à Richelieu à Pontoise dans S.I.H.M.,
première série, France, op. cit., tome III, p. 117.
28

Seul un passage d’un mémoire du chevalier Isaac Razilly du 26


novembre 1626 rédigé à Pontoise et adressé au cardinal de Richelieu
renseigne sur le traitement de Sidi Farès à Marseille :

[…] lorsqu’il [Moulay Zidan] envoya en France son ambassadeur pour


se playndre, on le retint quatre moys enfermé dans la maison, de
l’advertissement de Sa Majesté, sans qu’il eust moyen de sortyr du tout.
Ceste affaire fut très mal conduytte25.

La cour de France a sans aucun doute négligé cet envoyé du sultan.


Le traitement infligé à Sidi Farès – envoyé comme véritable ambassadeur et
accompagné des envoyés français – ressemble à celui d’un prisonnier. La
« diplomatie » française envers le Maroc de ce moment est jugée par
Razilly lamentable. Moulay Zidan est de toute manière très mécontent de
l’échec de cette ambassade. Le récit de son représentant peut y être pour
quelque chose. De retour au Maroc en 1620, Claude Du Mas représente
Louis XIII pendant cinq ans comme consul26. Toutefois les relations entre
le sultan et Louis XIII sont rompues.

Les rapports entre la France et le Maroc sous Moulay Zidan


demeurent un moment capital dans l’histoire diplomatique des deux pays
pour deux raisons essentielles. D’une part, le rapprochement entre les deux
États atteint son apogée sous le règne du Saadien et d’Henri IV. Et d’autre

23
Ch. Penz, Les Rois de France et le Maroc, deuxième série, de Marie Médicis à Louis XIV, op.
cit., p. 33.
29

part, cette période correspond également au début des relations


conflictuelles entre la France et le Maghreb Al-Aqça. La captivité de
Français au Maroc y contribue sûrement. Mais la cour refuse également de
recevoir la plupart des représentants du sultan.

Sous les derniers Saadiens et les premiers Alaouites (1627-1672)

Les relations se modifient durant cette période. Des facteurs internes


aux États sont à prendre en compte comme la lutte pour le pouvoir au
Maroc et la naissance de la course. La France tente de son côté de conclure
un accord définitif avec le Maghreb al-Aqça. Les raisons sont multiples. Le
commerce français est en danger à cause des corsaires et le nombre des
captifs français augmente au Maroc. Quelles en sont les conséquences ?

Le chevalier Isaac de Razilly effectue ainsi quatre voyages au Maroc


(en 1625, 1629, 1630 et 1631) afin de conclure un traité de paix27. En 1625,
le cardinal de Richelieu confie la mission d’imposer pour la première fois
au Maroc le respect du pavillon français. Il autorise également le
commandeur Isaac de Razilly à s’emparer de Mogador28. Ce projet échoue.

27
Pour plus de renseignements sur les voyages au Maroc du chevalier de Razilly, il faut consulter
le livre de Ch. Penz, Les Rois de France et le Maroc, deuxième série, de Marie de Médicis à Louis
XIV, op. cit., p. 43-49.
28
Y. Nekrouf, Une Amitié orageuse : Moulay Ismaïl et Louis XIV, op. cit., p. 30.
30

Toutefois il marque la volonté de la France de conquérir des territoires


marocains comme l’ont fait les Portugais et les Espagnols.

C’est lors de son deuxième voyage que Razilly obtient la signature


d’une trêve avec les corsaires du Bou Regreg (fleuve qui sépare Rabat de
Salé). Salé devient en effet totalement indépendante à cause de l’anarchie
régnante à la mort de Moulay Zidan et jusqu’en 1641. Elle conserve la
totalité de ses bénéfices. Plusieurs facteurs l’ont permis. Tout d’abord sa
situation géographique mais aussi des facteurs historiques comme la guerre
de Trente Ans et l’expulsion des Morisques d’Espagne29.

Les Morisques chassés d’Espagne entre 1609 et 1614 organisent la


ville. Leur arrivée correspond à une recrudescence de la course. Les
corsaires de Salé ont pour armateurs les riches Maures. Ils fournissent les
bateaux, les vivres, les agrès, les canons et les armes. Les capitaines ou raïs
sont souvent des Andalous mais également des Européens convertis. Les
succès des corsaires salétins sont très rapides. En outre quatrième ville
corsaire après Alger, Tunis, et Triploli, Salé a les pirates les plus redoutés
sur mer30.

Le 30 novembre 1629 André Prat négociant marseillais est nommé


consul de Tétouan et de Salé. Mais il faut attendre le dernier voyage de
Razilly pour que le fils de Moulay Zidan, le sultan Moulay El-Oualid

29
Jean Brignon, Abelaziz Amine, Brahim Boutaleb, Guy Martinet et Bernard Rosenberger,
Histoire du Maroc, Paris, Hatier, 1967, p. 229.
30
J. Brignon et autres, Histoire du Maroc, op. cit., 1967, p. 230.
31

(1631-1636) signe un accord avec la France. Le traité du 17 septembre 1631


est composé de seize articles.

L’article premier passe l’éponge sur les différends survenus dans le


passé. Le second et troisième article insistent sur la mise en liberté de tous
les captifs français, même amenés dans les ports marocains par des navires
d’Alger ou de Tunis. 180 marins français sont alors libérés par le sultan.
Mais il n’y a pas de réciprocité sur d’éventuels captifs marocains en France.
L’article quatre donne des droits aux commerçants français et marocains.

Le 24 septembre 1631, des précisions sont apportées avec la


rédaction d’un acte en rade du port de Safi. « Ce deuxième instrument
diplomatique fixe quelques points de politique étrangère communs à la
France et au Maroc, et renforce la portée du traité signé à Marrakech une
semaine auparavant31. » Un agent du sultan est envoyé en décembre 1631
en France demander la ratification du traité par le roi. « L’envoyé du Sultan
fut reçu comme un véritable ambassadeur. On le gratifia de riches présents,
et le 12 avril 1632 on lui donna le texte du traité ratifié par Louis XIII32. »
Cependant il reste un an et demi aux Provinces-Unies avant de retourner au
Maroc. La course reprend alors.

Vers 1634, un capitaine français apprend au Bourbon que Moulay


El-Oualid n’a jamais reçu le texte ratifié par le roi. Ce dernier décide ainsi

31
Ch. Penz, Les Rois de France et le Maroc, deuxième série, de Médicis à Louis XIV, op. cit., p.
51.
32
Idem, p. 77.
32

de signer un nouvel accord. Le 19 juillet 1635 est donc mis en place un


nouvel instrument diplomatique33. L’article premier désire le rétablissement
de la correspondance entre les deux souverains. Le second insiste sur la
libération de tous les captifs. L’article cinq regroupe des dispositions visant
à éviter les actes d’hostilités sur mer. Le même jour, une ordonnance
importante de Moulay El-Oualid valide le traité et le rend exécutoire dans
tout le pays.

L’autonomie des corsaires de Salé vis-à-vis du pouvoir oblige tout de


même la France à conclure un autre accord avec les Salétins. Ces derniers
acceptent finalement les articles de la paix signée à Safi le 19 juillet 1635.
La république morisque n’est plus à l’écart de l’accord entre la France et le
Maroc. Le commerce franco-marocain peut alors se développer en toute
sûreté.

Trente cinq années s’ensuivent de bonne intelligence et d’échanges


commerciaux mutuellement bénéfiques entre les deux États. Puis survient
dans le pays une longue période d’anarchie que la dynastie alaouite (qui
règne depuis 1666) met à profit pour conquérir le pouvoir au détriment des
Saadiens. Quelles relations s’établissent entre les nouveaux maîtres du
Maroc et le royaume des Bourbon ?

Durant ces années-là, le négoce français subit la perte de plusieurs


bateaux capturés par les corsaires salétins. Les échevins de Marseille

33
Ch. Penz, Les Rois de France et le Maroc, deuxième série, de Marie de Médicis à Louis XIV, op.
cit., p. 77-81.
33

s’adressent alors à Colbert le sollicitant d’accréditer l’un des leurs, Roland


Fréjus, comme négociateur auprès du nouveau sultan Moulay Rachid.
Colbert accepte mais Fréjus a des vues ambitieuses. Fondateur de la
Compagnie des Albouzèmes [Alhoucéma], il projette de s’emparer
d’Alhoucéma et d’y construire un fort pour ses futures activités
commerciales34. Emmenant dans ses bagages le plan du fort envisagé, il est
reçu à Taza par le sultan. Cependant ses projets découverts, Fréjus est
aussitôt arrêté et mené à Salé d’où il est embarqué en partance pour
l’Europe.

Les habitants de La Rochelle arrêtent le projet d’envoyer un


marchand, Samuel Roy, tenter de racheter leurs compatriotes captifs à Salé.
Informé, le secrétaire d’État à la Maison du roi et à la Marine Jean-Baptiste
Colbert décide transformer celui-ci en négociateur officiel. Le 21 février
1672 Louis XIV écrit à Moulay Rachid (1666-1672). Il le félicite de ses
succès et lui annonce l’envoi prochain de Samuel Roy chargé de proposer
un échange réciproque des captifs35. Toutefois peu de jours après il donne
l’ordre à l’escadre de Château-Renaud de bombarder Salé.

Cette ambivalence caractérise la politique permanente de Louis XIV


à l’égard du Maroc. La lettre du roi de France n’a aucune suite. Moulay
Rachid trouve la mort dans un tragique accident de cheval le 9 avril 1672.
En France on doit différer l’envoi à Salé du négociateur annoncé, Samuel

34
Y. Nekrouf, Une Amitié orageuse : Moulay Ismaïl et Louis XIV, op. cit., p. 31.
35
Ibid, p. 31.
34

Roy. Enfin l’escadre de Château-Renaud échoue dans ses tentatives contre


les Salétins et reprend la route de Brest.

Le 13 août 1672, Louis XIV envoie au nouveau sultan Moulay


Ismaïl la même lettre que celle adressée à son frère le 23 février 1672. Il lui
annonce la prochaine arrivée d’un négociateur en la personne du même
marchand rochelais Samuel Roy. Toutefois marqué par si peu de
considération, le sultan refuse de recevoir ce marchand comme
ambassadeur36. Les deux souverains sont occupés chacun de leur côté : l’un
s’engage dans ses guerres d’Europe ; et l’autre consolide son autorité dans
son pays. Louis XIV et Moulay Ismaïl ne tentent de renouer que de
nombreuses années plus tard.

Les liens diplomatiques entre la France et le Maroc de leurs


premières origines au XVIIe siècle se sont sensiblement modifiés. Le
rapprochement entre les deux pays est au départ purement commercial. Puis
à l’époque médiévale, la péninsule Ibérique sous domination musulmane est
l’occasion de rapprochement – mais sans résultats – entre les deux États. Il
faut attendre le XVIe siècle pour connaître une volonté de conclure une
alliance notamment militaire contre l’Espagne.

Les rapports sont alors des plus amicaux entre le royaume des Valois
et le Maghreb Al-Aqça. Henri IV poursuit d’ailleurs cette politique en
faveur du rapprochement avec le Maroc. Mais la mort du Bourbon, l’affaire

36
Y. Nekrouf, Une Amitié orageuse : Moulay Ismaïl et Louis XIV, op. cit., p. 31.
35

Castelane et la politique pro espagnole modifient les relations. Tout au long


du XVIIe siècle, les conflits se multiplient, la course marocaine progresse,
les captifs français augmentent, le commerce français au Maroc est touché
et aucun traité n’est appliqué. La France projette même de conquérir des
territoires sur les côtes marocaines.

La vision diplomatique de la France sur le Maroc se modifie elle


aussi au cours des siècles. Pour la période antérieure au XVIe siècle, il est
certes difficile de donner une petite idée par manque d’informations. Mais
sous François Ier et jusqu’à Henri IV, le Maghreb Al-Aqça est très
considéré. Cependant cette considération s’efface à partir des années 1610.
La France semble négliger le Maroc à en juger par exemple le refus de
recevoir les représentants marocains en France par rapport à la période
précédente. Comment est considéré le Maroc de Moulay Ismaïl par la
France de Louis XIV ? Quelles relations s’installent entre les deux
souverains ?
36

Chapitre 2.
Les relations franco-marocaines à la fin du XVIIe siècle.
37

Les rapports entre la France et la Maroc de 1672 à 1718 possèdent un


caractère particulier par rapport au passé. Le roi de France de l’époque n’est
autre que Louis XIV, le Roi-Soleil. Au Maroc, le sultan est Moulay Ismaïl
que certains historiens ont comparé au roi français. Leurs règnes sont en
outre très longs. Ils construisent tous deux de nouvelles capitales
politiques : Versailles et Meknès. Ils règnent en monarque absolu dans leur
pays respectif. Enfin les deux souverains ont multiplié les initiatives par
rapport aux siècles antérieurs afin d’arriver à un véritable accord définitif
durant leurs règnes. Plusieurs ambassades des deux côtés sont envoyées à
cet effet. Mais c’est la première fois que des envoyés marocain et
musulman du sultan sont accueillis officiellement à la cour de France.

Dans ce chapitre, il faut montrer tout d’abord les multiples


problèmes existant entre les deux pays à la fin du XVIIe siècle. Quels sont-
ils ? Le deuxième point important concerne les Français envoyés au
Maghreb Al-Aqça par Louis XIV. Ces ambassadeurs et ces consuls ne sont-
ils pas des acteurs et des témoins précieux des relations entre les deux
États ? Enfin il faut remettre dans leurs contextes les ambassades et
missions marocains en France. Comment sont-elles perçues à leur départ
par les autorités françaises ? Quels sont leurs résultats ?
38

Enjeux et sources de conflits entre Moulay Ismaïl et Louis XIV

Sous Louis XIV et Moulay Ismaïl (1672-1727) les relations franco-


marocaines tendent à prendre un cours plus régulier que le passé. Le sultan
Moulay Ismaïl comme Louis XIV désire en effet contracter une solide et
durable alliance. Mais deux sources de conflits demeurent : la course
marocaine et la captivité des sujets marocains et français. La deuxième est
la conséquence de la première. Ce sont deux clefs primordiales pour
comprendre la manière dont le royaume de Louis XIV perçoit le Maghreb
Al-Aqça de l’époque. Toutefois voyons d’abord les raisons qui poussent le
sultan du Maroc et la France à conclure un traité de paix.

Durant le règne de son frère Moulay Rachid, Moulay Ismaïl est alors
gouverneur de Meknès. Il exerce en même temps son autorité sur
l’important centre de trafic et de course qu’est Rabat-Salé. Par conséquent il
est amené à s’informer sur la situation politique de l’Europe. Le sultan
s’intéresse particulièrement aux puissances européennes – dont la France –
qui ont cherché à conclure des traités de paix et de commerce avec Moulay
Rachid.

Bien renseigné sur la situation en Europe, il [Moulay Ismaïl] était au


courant de la politique « de prestige et de gloire » du Roi-Soleil, du faste
de sa Cour, des premiers succès de ses armées […]. Il savait – et il
appréciait – que Louis XIV exerçait son métier de roi en souverain
absolu, avec méthode et autorité, et qu’il était l’allié des puissants
39

Ottomans, gardiens de La Mecque et de Médine, les deux lieux saints de


l’Islam37.

Mais d’autres raisons peuvent expliquer cette volonté de


rapprochement. Le royaume de France n’a jamais occupé de territoires
marocains. La France possède en outre dans le Maroc une représentation
consulaire très ancienne. Le royaume de Louis XIV désire accentuer le
développement du commerce avec ce pays musulman. Enfin ils possèdent
des ennemis en commun.

L’Espagne tout d’abord occupe sur la côte marocaine La Marmora,


Larache, Asilah, Ceuta et Mélilla. Elle est également l’ennemi héréditaire
des Bourbon. Tanger est cédé par les Portugais aux Anglais en 1661. A la
chute du roi Stuart Jacques II en 1688, l’Angleterre devient partisane de la
lutte à outrance contre Louis XIV. Enfin les Turcs d’Alger exercent la
piraterie en Méditerranée contre des navires français et ils tentent des
incursions dans l’est du Maroc.

L’alliance avec la France constitue donc la colonne vertébrale de la


politique extérieure de Moulay Ismaïl jusqu’à la fin du XVIIe siècle38. Le
sultan a besoin de cet allié. Ce pays chrétien peut lui fournir en effet des
armes et des matériaux pour la construction de navires. De nombreuses

37
Y. Nekrouf, Une Amitié orageuse : Moulay Ismaïl et Louis XIV, op. cit., 1987, p. 34.
38
Ahmed El-Azemi, « Jawanib mina ssiassa el-kharijiya li-sultan Moulay Ismaïl mouassis ad-
dawela al-alawiya » [Quelques aspects de la politique extérieure du sultan Moulay Ismaïl
fondateur de la dynastie alaouite], dans Actes de la première rencontre de l’université Moulay Ali
Chérif d’automne à Rissani, Rabat, Faculté de Rissani, 1990, p. 193.
40

lettres sont tout au long de la période échangées entre Meknès et Versailles.


Mais les relations entre les deux souverains présentent des aspects assez
litigieux.

Le premier contentieux entre les deux sultans résulte des corsaires de


Salé 39 . Moulay Ismaïl s’est assuré progressivement le monopole de la
course. Le sultan ne se contente plus de la dîme. Il devient le propriétaire de
la moitié des bateaux corsaires. Les prises des Salétins sont contrôlées et
taxées par le mahrzen. Leur théâtre d’opération s’élargit dans l’océan
Atlantique. Mais la réaction des marines européennes notamment celle de
Louis XIV devient une constante dans les relations entre les deux États.

En mars 1680 et avril 1681, Château-Renaud bloque à nouveau le


port de Salé sans succès. Toutefois le corsaire de Dunkerque Jean Bart
capture en juin 1681 cent trois Marocains sur un navire salétin. Un mois
après, un équipage de cent vingt-cinq Marocains est pris par le chevalier de
Béthune. Ils sont tous envoyés aux galères de Marseille.

En 1684, Moulay Ismaïl nomme le grand corsaire Abdallah Ben


Aïcha général des vaisseaux de Salé40. Ses exploits maritimes se multiplient
en 1687 surtout contre la France. En mai, il capture la Non Pareille, la
Françoise et la Notre-Dame-de-Bonport originaires de Saint-Valéry-en-

39
L’étude essentielle sur la course salétine au XVIIe siècle reste l’ouvrage de Roger Coindreau,
Les Corsaires de Salé, Paris, Société d’Editions Géographiques Maritimes et Coloniales, 1948.
L’auteur donne d’amples renseignements concernant les activités, les techniques et l’évolution de
la course marocaine.
40
R. Coindreau, Les Corsaires de Salé, op. cit., p. 70.
41

Caux. Il emmène ces prises à Alger. Sa réputation grandit et son activité


préoccupe de plus en plus les autorités françaises. Cependant les opérations
de représailles s’avèrent infructueuses.

Le 24 juillet 1687 est alors promulgué une ordonnance du roi


prohibant toutes relations commerciales avec le Maroc. La même année
une puissante flotte de vingt-cinq vaisseaux de guerre est armée en vain
contre les Salétins. La campagne de Ben Aïcha de 1691 est une des plus
fructueuses de sa carrière de pirate41. Six prises sont portées à son actif de
mars à mai. Le général des vaisseaux de Salé commande en 1693 un
bâtiment de vingt-quatre canons et un équipage de cent quatre-vingts
hommes42. Il réalise toute sa campagne de course de 1694 en compagnie de
son frère Abderahman. Toute la famille Ben Aïcha (les deux frères et
Mohammed Ar-Raïs, fils d’Abdallah) est alors à la mer. Mais l’année 1696
est moins heureuse pour eux. L’année suivante Ben Aïcha reprend ses
activités.

Ses rapports avec le consul de France à Salé depuis 1689, Jean-


Baptiste Estelle, jadis cordiaux sinon amicaux, deviennent brusquement
aigris. Dans un mémoire du 18 juin 1697 adressé au secrétaire d’État à la
Marine, le consul Estelle déclare à propos du corsaire salétin Abdallah Ben
Aïcha :

41
R. Coindreau, Les Corsaires de Salé, op. cit., p. 71.
42
Ibid, p. 71.
42

Ce general se montre ennemy en toutes sortes d’occasions des Français


[…]. Sy son bonheur vouloit qu’il fusse mené en France, sa rençon doit
être de dix esclaves françois et de cinquante mille escus, étant un des
hommes le plus riche qu’il y aye en ce pays. Je vous donne,
Monseigneur, cest advis, pour que Vostre Grandeur s’en servy sy
l’occasion se presentoit, ce qui seroit un grand coup43.

La dernière croisière de course d’Abdallah Ben Aïcha a lieu en 1698.


Il monte alors son propre vaisseau, armé de vingt canons et deux cents
hommes44. Sur cinq vaisseaux capturés trois sont français. Cette suite de
hauts faits vaut à Ben Aïcha d’être tenu en particulière estime par Moulay
Ismaïl 45 . C’est pourquoi le sultan lui confie d’ailleurs sa fameuse
ambassade à la cour de France en 1698-1699. Au mois de mai 1698, seize
navires de guerre sont encore lancés aux trousses des corsaires sans
résultats tangibles. En 1705, une dernière expédition française contre Salé
échoue une nouvelle fois.

Un deuxième point de litige qui demeure primordial entre


Louis XIV et Moulay Ismaïl est celui des captifs46. Ce problème envenime

43
Mémoire du consul Jean-Baptiste Estelle à Salé du 18 juin 1697, Archives Nationales, Affaires
Etrangères, correspondance consulaire, Maroc, volume 2, p. 368 r°, original.
44
R. Coindreau, Les Corsaires de Salé, op. cit., p. 75.
45
Ibid, p. 75.
46
L’ouvrage de référence sur le sujet demeure celui de Charles Penz, Les Captifs français au
Maroc au XVIIe siècle (1577-1699), Rabat, Imprimerie officielle, 1944. L’auteur met en avant
l’importance du problème de la captivité dans les relations diplomatiques entre la France et le
Maroc. Il faut signaler au passage que les travaux sur les galériens marocains en France à l’époque
moderne restent inexistants.
43

les rapports entre les deux souverains. L’impossibilité de trouver un accord


sur la question a rendu tout traité impossible à signer.

Les corsaires salétins ainsi que les Français réduisent en esclavage


les équipages des navires capturés. En 1674, les religieux de Notre-Dame
de La Merci de Paris procèdent au rachat de captifs français à raison de sept
cents livre47. Le sultan décide alors de se réserver cette nouvelle source de
richesse non négligeable. C’est pourquoi Moulay Ismaïl ordonne à ses
gouverneurs de racheter tous les esclaves chrétiens détenus par des
particuliers et de les lui envoyer à Meknès.

En 1687, le nombre de captifs français s’élève à deux cents soixante-


dix pour baisser vers 1708 à cent cinquante48. Les travaux de construction
constituent les principales besognes. Les ordres rédempteurs français
entreprennent plusieurs voyages au Maroc afin de libérer leurs
compatriotes. En février 1681, les Pères de la Merci repartent par exemple
avec soixante-treize captifs dont le fameux Georges Mouette, prisonnier
depuis 167149.

Le nombre de Marocains en France n’est pas connu. Les sujets du


sultan ont été capturés sur leurs bateaux ou achetés sur les marchés
d’esclaves de Livourne ou de Malte. Les captifs marocains servent
essentiellement dans la chiourme d’une galère à Marseille ou Toulon. La

47
Y. Nekrouf, Une Amitié orageuse : Moulay Ismaïl et Louis XIV, op. cit., p. 47.
48
Idem, p. 264-265.
49
Idem, p. 72.
44

chiourme est un assemblage ou corps de galériens enchaînés, à la fois les


uns aux autres et à leurs bancs, et devant assurer le maniement des rames.
La captivité dans les deux pays reste par conséquent très dure.

Malgré une politique en faveur de la France pratiquée par Moulay


Ismaïl, les litiges demeurent. La course salétine sous contrôle du mahrzen
continue à capturer des bateaux français. L’équipage de ces navires rejoint à
Meknès les autres captifs chrétiens détenus par le sultan. Par représailles, la
marine royale bombarde souvent Salé et capture les Marocains au large des
côtes. Ils rejoignent les autres musulmans dans les galères de Toulon et de
Marseille. Mais les deux souverains essayent bien avant cette période
d’essayer de résoudre le dilemme par la « diplomatie ». Moulay Ismaïl
envoie le premier un représentant à Louis XIV en 1681.

L’ambassade de Hadj Mohammed Temim (1681-1682)50

Les tensions connues de part et d’autre n’ont pas effectivement omis


le recours à l’envoi d’émissaires. L’initiative appartient au sultan du Maroc.

50
La mission de cette ambassade marocaine est traitée longuement dans Ch. Penz, Les Captifs
français du Maroc au XVIIe siècle (1577-1699), op. cit., p. 93-111 et dans Y. Nekrouf, Une Amitié
orageuse : Moulay Ismaïl et Louis XIV, op. cit., p. 83-104. Ces deux auteurs mettent surtout en
avant le déroulement des négociations diplomatiques entre la cour et Mohammed Temim.
45

Pour quelles raisons ? Quels sont les objectifs de la mission marocaine ?


Comment est perçue l’arrivée d’un ambassadeur en France ?

A la suite de campagnes françaises sur les côtes marocaines, le 1er


juillet 1681, une trêve est négociée entre Château-Renaud et les autorités de
Salé. Elle est suivie d’un traité entre le caïd Omar Ben Haddou et Lefebvre
de La Barre à Mehdiya le 13 juillet. Par l’article treize, le Maroc accepte
désormais le régime des capitulations comme celui signé par Alger en 1666
et Tunis en 1672.

Un mois plus tard, Moulay Ismaïl écrit deux lettres au roi de France.
La première en date du 13 septembre explique qu’il y a eu tout de même un
manquement à son égard. Néanmoins il laisse la porte au dialogue amical.
Puis deux jours plus tard, le 15 septembre, le sultan adresse sa fameuse
lettre par laquelle il invite Louis XIV à se convertir à l’islam51.

Le sultan envoie en outre un ambassadeur – comme convenu dans le


traité – afin d’obtenir la ratification de celui-ci par le roi de France. Le
choix du sultan se porte sur le caïd de Tétouan, Hadj Mohammed Temim. Il
s’embarque le 21 septembre 1681 à Tahaddert, l’avant port de Tétouan sur
le navire du chevalier Lefebvre de La Barre.

Comment perçoit-on en France l’arrivée d’un envoyé marocain ? Les


sources émanent directement du pouvoir royal. Dans une lettre du 28 août

51
Y. Nekrouf, Une Amitié orageuse : Moulay Ismaïl et Louis XIV, op. cit., p. 78.
46

1681 écrite par Colbert au chevalier Lefebvre de La Barre, le secrétaire


d’État désavoue son agent. Le roi de France refuse de ratifier le traité du 13
juillet. La France ne désire pas la venue d’un ambassadeur marocain :

[…] Elle [Sa Majesté] m’a ordonné de vous escrire qu’Elle veut que
vous retourniez avec le pretendu ambassadeur de ce roy, qui vient icy, et
que vous le reportiez en son paÿs, Sa Majesté ne voulant pas entendre
parler d’une paix aussy honteuse que celle que vous avez fait. […]. […]
Elle [Sa Majesté] m’ordonne de vous dire qu’elle ne veut point d’alliance
particulière avec le roy de Maroc, et que, si cet ambassadeur a quelque
raison pour pretendre qu’on luy rende ces deux cens et tant d’hommes
d’equipage escouez sur les costes de Portugal, Sa Majesté veut que vous
le reportiez à l’instant mesme au lieu où vous l’avez pris ; mais, s’il
n’avoit aucune raison ny pretexte de demander ces deux cens et tant
d’hommes, en ce seul cas, qui n’est pas vraysemblable, Sa Majesté vous
permet de le laisser à Brest et vous en venir icy en poste pour rendre
compte de ce que vous avez fait […]52.

Colbert doute sur le titre d’ambassadeur porté par Temim alors qu’il
ne s’est même pas encore embarqué pour la France. L’ambassadeur est
déconsidéré dans son titre ainsi que l’objet de sa mission. Louis XIV refuse
de négocier avec l’envoyé marocain sur le problème des captifs. Toutefois
ce litige reste à l’origine des relations orageuses entre les deux pays.
L’ambassade marocaine n’est donc pas voulue en France. Le pouvoir royal
ne voit pas l’envoi du Marocain d’un très bon œil. Louis XIV confirme les

52
Lettre de Colbert au chevalier Lefebvre de La Barre écrite à Fontainebleau le 28 août 1681,
Archives Nationales, Marine, B2 45, p. 312 v°-314 r°, copie.
47

paroles de Colbert dans une lettre adressée un mois plus tard à Lefebvre de
La Barre :

[…] vous avez esté informé […] de la résolution que j’ay prise de ne
pas souffrir que l’ambassadeur du roy de Maroc vinst icy […]. […] en
cas que vous puissiez penetrer par les discours de cet ambassadeur qu’il
n’ayt aucune pretention pour la restitution de ces esclaves, – à quoy je ne
puis consentir, – je trouve bon que vous le fassiez demeurer à Brest […].
Mais, si vous voyez que cet ambassadeur ayt quelque raison pour
pretendre la restitution desdits esclaves, ne manquez pas de m’en donner
advis, parce qu’en ce cas j’envoyeray mes ordres pour le faire rembarquer
sans venir icy53.

L’envoyé marocain débarque à Brest le 17 octobre 1681. Il est


finalement reçu par le roi de France au château de Saint-Germain-en-Laye
le 4 janvier 1682. Cependant Louis XIV veut renégocier un nouvel accord
plus favorable à son royaume avec l’envoyé de Moulay Ismaïl. Il désigne à
cet effet deux secrétaires d’État, le marquis Colbert de Croissy et le marquis
de Seignelay. Le 29 janvier 1682 est donc signé un traité à Saint-Germain-
en-Laye. Toutes les contre-propositions de Temim sont rejetées54.

Il comporte vingt articles. Les deux premiers articles affirment la


paix entre les deux États. Les deux suivants concernent la libre navigation

53
Lettre de Louis XIV au chevalier de La Barre écrite à Fontainebleau le 28 septembre 1681,
Archives Nationales, Marine, B2 44, p. 390 r° et v°, copie.
54
Y. Nekrouf, Une Amitié orageuse : Moulay Ismaïl et Louis XIV, op. cit., p. 88.
48

des bâtiments français et marocains. Mais ces derniers doivent être munis
d’un certificat établi par le consul français à Salé. C’est là une grave atteinte
à la souveraineté du Maroc. L’article quatre prévoit l’approvisionnement
des vaisseaux français par le Maroc. Le cinquième point du traité prévoit
une aide marocaine contre les autres corsaires musulmans. Cependant il
n’est pas fait mention de réciprocité. L’article sept stipule le rachat
réciproque au prix de trois cents livres pièce permettant aux parties
contractantes de rapatrier leurs prisonniers respectifs. La France détient
évidemment plus de captifs que le Maroc55.

Si l’accueil est réservé à l’annonce de l’envoi de Temim en France,


la cour arrive à faire imposer à cet ambassadeur de Moulay Ismaïl le traité
désiré. Toutefois le traité doit être ratifié par le sultan du Maroc. Le 22 mars
1682, l’ambassadeur s’embarque de Toulon pour atteindre Tétouan le 12
avril.

55
Y. Nekrouf, Une Amitié orageuse : Moulay Ismaïl et Louis XIV, op. cit., p. 100.
49

Louis XIV envoie un ambassadeur à Meknès56

Louis XIV envoie alors à Meknès un ambassadeur. C’est le premier


représentant extraordinaire du roi de France envoyé au Maroc. La cour
nomme le 3 juin 1682 le baron de Saint-Amans. Ses instructions consistent
à obtenir de Moulay Ismaïl la confirmation et l’observation du traité du 29
janvier 1682. Saint-Amans doit mener également une véritable enquête sur
le Maroc.

Saint-Amans rentre à peine à Toulon, après une campagne de


quatorze mois contre les corsaires de Tripoli, quand Seignelay lui fait
parvenir sa lettre de créance. Le jeune Pétis de La Croix est choisi comme
interprète pour l’accompagner. Le 12 juillet 1682, l’ambassadeur et sa suite
s’embarquent de Toulon à bord du Vaillant pour Tétouan. Il n’emmène
avec lui aucun esclave marocain.

Le Vaillant arrive à Tahaddert, l’avant-port de Tétouan, le 2 octobre


1682. Les Marocains tirent trois coups de canon pour saluer l’arrivée du
vaisseau. Ils sont accueillis par le gouverneur Hadj Mohammed Temim à
Tétouan en octobre 1682. La réception officielle de l’ambassadeur se
poursuit avec des spectacles en son honneur57. Les Français sont logés à

56
Le déroulement précis de l’ambassade de Saint-Amans est traité dans Ch. Penz, Les Captifs
français du Maroc au XVIIe siècle (1577-1699), op. cit., p. 111-124 et dans Y. Nekrouf, Une
Amitié orageuse : Moulay Ismaïl et Louis XIV, op. cit., p. 104-121.
57
Y. Nekrouf, Une Amitié orageuse : Moulay Ismaïl et Louis XIV, op. cit., p. 111-112.
50

Tétouan dans quatre somptueuses maisons préparées spécifiquement pour


Saint-Amans et sa suite.

Moulay Ismaïl en guerre contre son neveu dans le sud du pays


donne l’ordre d’emmener l’ambassadeur de France auprès de lui. Le caïd
Temim accompagne les Français. Dix-huit étapes sont nécessaires pour
atteindre Salé. Saint-Amans est à chaque étape reçu par le cheikh de la
région concernée. Il est salué par les cavaliers et des plats marocains lui
sont remis. L’envoyé de Louis XIV reçoit à Salé et à Rabat la visite des
gouverneurs de ces deux villes. Tout au long de son voyage vers le Sud, les
cheikhs et caïds viennent à sa rencontre. Le 10 décembre 1682 le camp du
sultan est en vue. Le caïd Ben-Haddou, de retour de son ambassade en
Angleterre vient saluer Saint-Amans et le conduit avec sa suite sous leurs
tentes. Le lendemain matin, les Français sont conduits auprès de Moulay
Ismaïl.

Les négociations s’ouvrent le jour même. Selon Saint-Amans le


souverain n’a pas eu connaissance de la signature du traité de paix en
France58. Temim a eu sans doute peur des réactions de son maître. Moulay
Ismaïl ordonne la renégociation d’un accord avec l’envoyé de Louis XIV.
Les négociateurs marocains dont Temim marquent leur opposition à
certains articles du traité de Saint-Germain-en-Laye. Saint-Amans répète
plusieurs fois qu’il n’a pas le pouvoir de modifier le traité. Les tensions sont
alors très vives entre les deux parties. Limité par des instructions très

58
Y. Nekrouf, Une Amitié orageuse : Moulay Ismaïl et Louis XIV, op. cit., p. 97.
51

précises, l’ambassadeur refuse de changer un point du traité. Au contraire il


se permet d’ajouter des articles favorables à la France59. Le 13 décembre
1682, Saint-Amans est reçu par Moulay Ismaïl pour son audience de congé.

Le lendemain, l’ambassadeur et sa suite, escortés par Temim et des


gardes reprennent le chemin du retour vers Tétouan. L’envoyé de France
continue à recevoir un traitement dû à son rang. Le 13 janvier 1683 il arrive
à Tétouan. Saint-Amans reçoit alors une lettre de Moulay Ismaïl destinée à
Louis XIV, ainsi que vingt esclaves français libérés par le sultan et remis en
présent au roi de France60. Embarqué sur le Vaillant le 23 février, arrivé à
Toulon le 24 mars, l’envoyé français part pour la Cour le 30 mars.

Il remet la lettre du sultan à Louis XIV daté du 14 décembre 1682.


Moulay Ismaïl effectue dans celle-ci un historique de ses relations avec le
Roi-Soleil. Puis il regrette que le monarque français n’ait pas envoyé de
captifs marocains avec son ambassadeur. Il propose enfin l’échange
d’esclaves tête pour tête. Louis XIV répond par une lettre en date du 5
juillet 1683. Le roi de France réaffirme sa position et s’en tient au traité du
29 janvier 1682 imposé à Temim qui prévoit à l’article 7 le rachat et rien
d’autre. Le désaccord entre les deux souverains semble complet 61 . Les
relations entre le Maroc et la France n’aboutissent pas à une conclusion et à
l’application d’un accord pour le bénéfice des deux parties.

59
Y. Nekrouf, Une Amitié orageuse : Moulay Ismaïl et Louis XIV, op. cit., p. 117-118.
60
Idem, p. 121.
61
Idem, p. 121-126.
52

Le deuxième voyage de Temim en France (1685)

Le traité du 29 janvier 1682 n’est donc pas ratifié par Moulay Ismaïl.
L’ambassadeur français, le baron de Saint-Amans ne peut s’entendre sur
son exécution avec le sultan. Les Salétins reprennent alors leur course
contre les navires français. Mais vingt-huit Marocains sur une tartane
française sont capturés par des vaisseaux de guerre espagnols à hauteur
d’Oran alors qu’ils sont munis de passeports délivrés par Saint-Amans62.

Moins de deux mois plus tard, le mahrzen doit se plaindre d’un


nouvel acte de piraterie. Un armateur de Tétouan, Mohammed Et-Tadj a
obtenu du baron de Saint-Amans un passeport pour se rendre à Alger. Son
bateau acheté, il prend la mer avec son équipage de vingt-six Marocains.
Cependant le marquis d’Amfreville, de l’escadre d’Abraham Duquesne, le
prend en chasse, le capture et l’emmène à Toulon63. Les relations entre les
deux pays s’enveniment de plus en plus.

En juillet 1684 arrive néanmoins à Salé Jean Périllé, nouveau consul


de France. Ce dernier se rend à Meknès auprès du sultan. Moulay Ismaïl ne
peut lui cacher son mécontentement. Le sultan écrit une semaine plus tard à
Louis XIV pour relancer les négociations. Il réclame la liberté des captifs

62
Y. Nekrouf, Une Amitié orageuse : Moulay Ismaïl et Louis XIV, op. cit., p. 143.
63
Idem, p. 144.
53

marocains détenus en France. Mais en octobre 1684, la France achète à


Lisbonne trente-trois Marocains et les expédie à Marseille pour ramer sur
les galères64.

Au mois de mars 1685, le caïd Ali Ben-Abdallah, vice-roi du Gharb


dépêche en France Hadj Mohamed Temim avec une lettre adressée à Louis
XIV. En substance, il est indiqué dans celle-ci que Moulay Ismaïl n’a pas
reçu de réponse du roi de France. Le sultan a autorisé Ali Ben-Abdallah à
envoyer Temim pour réclamer la libération du rais Et-Tadj et de son
équipage65.

Il arrive à Marseille le 20 mars. Il reste deux mois dans la ville car


Versailles ne lui reconnaît pas le caractère d’ambassadeur. Mais l’intendant
de la Marine à Marseille Vauvré transmet la lettre du caïd Ali Ben-Abdallah
à Versailles. Temim part de Marseille le 20 mai 1685 et débarque à Salé le
19 juin.

Louis XIV écrit entre temps à Moulay Ismaïl le 6 mai 1685. Il


menace le sultan de reprendre les hostilités s’il ne se plie pas au traité de
Saint-Germain 66 . Aucune réponse n’est donnée par Meknès. Les litiges
s’accentuent de part et d’autre. Les prises de chaque côté augmentent
également.

64
Y. Nekrouf, Une Amitié orageuse : Moulay Ismaïl et Louis XIV, op. cit., p. 147.
65
Idem, p. 148.
66
Idem, p. 149-150.
54

Le consul Jean-Baptiste Estelle67

Les relations entre les deux pays sont rompues. Le commerce est
touché à cause de l’ordonnance de Louis XIV de 1687. Le roi de France
prohibe en effet toutes relations commerciales françaises avec le Maroc.

Le sultan essaye alors de relancer les discussions avec la France.


Moulay Ismaïl envoie un captif français comme courrier porter une lettre au
roi de France dans laquelle il formule l’échange réciproque des esclaves68.
En réponse, le chevalier Des Augiers part pour le Maroc pour renouer des
pourparlers. Il est autorisé cette fois à traiter sur la base d’un échange des
captifs, homme pour homme. Pour faciliter les négociations, Louis XIV
lève l’interdiction de commercer avec ce pays le 25 octobre 1688. Débarqué
le 10 décembre à Salé, Des Augiers prend la route de Meknès dès le
lendemain, en compagnie du consul Périllé. L’audience accordée à l’envoyé
français par Moulay Ismaïl se déroule mal. Des Augiers est aussitôt
reconduit à Salé. Sa mission est un échec.

Les relations sont à nouveau gelées entre les deux États. Jean-
Baptiste Estelle devient tout de même le nouveau consul à Salé en 1689. Il

67
Pour plus d’indications sur le consulat de Jean-Baptiste Estelle au Maroc, il faut consulter Ch.
Penz, Les Captifs français du Maroc au XVIIe siècle (1577-1699), op. cit., p. 177-201 et Y.
Nekrouf, Une Amitié orageuse : Moulay Ismaïl et Louis XIV, op. cit., p. 184-206.
68
Y. Nekrouf, Une Amitié orageuse : Moulay Ismaïl et Louis XIV, op. cit., p. 171-172.
55

remplace Jean Périllé nommé en 1683. Estelle débarque à Tétouan en juillet


1689 muni de ses provisions. Son père Pierre Estelle vient d’être expulsé en
juin. Mais dès son arrivée, Jean-Baptiste Estelle sur ordre du caïd Ali est
mis et reste en prison plusieurs mois. Les documents officiels manquent en
ce qui concerne les raisons de cet emprisonnement69. De la prison, il obtient
cependant une ordonnance royale en date du 17 novembre 1689 nommant
un chancelier chargé du consulat de Salé en attendant sa sortie de prison.

Libérés de leurs prisons respectives, les deux Estelle, père et fils, se


retrouvent à Salé le 20 février 1690. Ils se rendent alors tous deux à Meknès
le 10 mars suivant. Ils y sont accueillis par le caïd Ahmed Ben-Haddou et
reçus en audience par Moulay Ismaïl. Ils visitent aussi les captifs français.
Après quoi sans en avoir informé sa Cour, le jeune Jean-Baptiste prend et
débarque à Marseille début juillet afin de soumettre des propositions de
paix du sultan. Celles-ci sont jugées par Seignelay non raisonnables70. Le
jeune consul retourne au Maroc et visite à nouveau les captifs français alors
que Temim n’a pas été autorisé à voir les galériens marocains à Marseille et
à Toulon.

Il s’applique alors à rédiger de denses mémoires au secrétaire d’État


et ministre de la Marine le comte de Pontchartrain. Il renseigne sa Cour sur
la situation au Maroc et continue à se dévouer à conclure un accord entre
les deux pays. Jean-Baptiste Estelle repart ainsi pour Marseille en février

69
Y. Nekrouf, Une Amitié orageuse : Moulay Ismaïl et Louis XIV, op. cit., p. 187.
70
Idem, p. 192.
56

1692. Reçu à Versailles, il remet une lettre de Moulay Ismaïl destinée à


Louis XIV du 22 novembre 1691. Le sultan n’est pas tendre avec le jeune
consul et demande l’échange tête pour tête des esclaves71. Il propose enfin
l’envoi d’un ambassadeur français au Maroc. Cette lettre est très bien reçue
par Pontchartrain et Louis XIV qui décide l’envoi d’un ambassadeur à
Meknès.

Jean-Baptiste Estelle réussit lui à obtenir le renouvellement des


provisions de consul à Tétouan pour son père Pierre Estelle auquel on
confie aussi le consulat de Tanger. Renouvelant ses provisions de consul à
Salé, son traitement est même porté de 3000 à 4000 livres, et celui de son
père de 2600 à 3000 livres72. Porteur d’une lettre de Louis XIV adressé à
Moulay Ismaïl en date du 23 avril 1692, Estelle retourne au Maroc et remet
celle-ci au sultan. Le roi de France annonce l’envoi prochain d’un
représentant à Meknès.

71
Y. Nekrouf, Une Amitié orageuse : Moulay Ismaïl et Louis XIV, op. cit., p. 197.
72
Idem, p. 200.
57

L’ambassade de Saint-Olon au Maroc (1693)73

Obtenant les bonnes faveurs du sultan, Jean-Baptiste Estelle est à


l’origine de l’envoi d’un ambassadeur français à Meknès pour une solution
définitive. Mais huit mois se sont écoulés depuis que Louis XIV a annoncé
à Moulay Ismaïl l’envoi d’un représentant. Le sultan marocain est irrité par
ce retard.

Enfin le 14 janvier 1693 est désigné un gentilhomme de la maison du


roi, le chevalier François Pidou, seigneur de Saint-Olon, connu par diverses
missions diplomatiques. Cet homme n’a cependant aucune connaissance
des affaires marocaines et généralement africaines 74 . Sa mission la plus
importante a été jusqu’alors celle de Gênes en 1682. Il y reste deux ans dans
cette ville en qualité d’envoyé extraordinaire du Roi-Soleil où les Français
sont mal supportés.

Les instructions qu’il reçoit lui laissent une certaine latitude dans la
conduite des négociations. Porteur du traité de 1682 dont il doit exiger la
ratification, il est néanmoins habilité à modifier l’article sept qui a trait à la
libération des captifs. Au cas probable où il ne lui est pas permis de faire

73
Pour plus de détails sur cette ambassade, il faut se référer au livre de Ch. Penz, Les Captifs
français au Maroc au XVIIe siècle (1577-1699), op. cit., p. 201-215 et à celui de Y. Nekouf, Une
Amitié orageuse : Moulay Ismaïl et Louis XIV, op. cit., p.213-238.
74
Y. Nekrouf, Une Amitié orageuse : Moulay Ismaïl et Louis XIV, op. cit., p. 215.
58

prévaloir la thèse du rachat réciproque qui est la plus favorable aux intérêts
de la France, il est donc autorisé à proposer ensuite en premier lieu un
échange général et en dernier un échange homme pour homme. Il faut
également procéder comme Saint-Amans précédemment à une enquête
détaillée sur cet État musulman. « Comme Richelieu auparavant, Louis le
Grand, précisant sa pensée, songeait à une tentative de colonisation du
Maroc75. »

Pidou de Saint-Olon prend son temps pour préparer son voyage. Puis
il se rend à Toulon au mois de mars 1693. Il dresse alors une liste des
captifs marocains, soit deux cents trente-trois dont vingt-neuf invalides. Le
4 avril 1693, il s’embarque sur l’Arc-en-ciel pour Tétouan où il arrive le 5
mai. Saint-Olon reçut l’accueil dû à son rang. Le 2 juin il arrive avec sa
suite et le consul Jean-Baptiste Estelle à Meknès. De hauts dignitaires du
marhzen viennent le saluer. Moulay Ismaïl le reçoit deux fois.

Le 12 juin 1693 commencent les négociations. On procède à la


lecture et à l’examen du projet de traité apporté par l’ambassadeur de
France. Les plénipotentiaires marocains acceptent tous les articles du projet
de traité apporté par Pidou à l’exception de l’article cinq et sept. Le premier
concerne la protection réciproque que s’accordent la France et le Maroc
contre les corsaires algériens, tunisiens et tripolitains.

75
Y. Nekouf, Une Amitié orageuse : Moulay Ismaïl et Louis XIV, op. cit., p. 216.
59

Pour les Marocains, c’est contraire à la loi islamique qui


recommande la solidarité entre musulmans76. Quand au second, traitant du
rachat ou de l’échange des captifs, les négociateurs marocains préfèrent le
laisser à l’appréciation du sultan.

Pour l’ambassadeur français sa mission est un échec et il décide de


rentrer en France. On lui remet une lettre du sultan destinée à Louis XIV en
date du 12 août 1693. Moulay Ismaïl écrit au roi de France qu’il a bien reçu
Saint-Olon. Mais les pouvoirs de celui-ci ne lui ont pas paru suffisants pour
traiter en personne avec lui des conditions de la paix77. Arrivé à Marseille,
Saint-Olon transmet la lettre, y joignant son Mémoire et une note où il croit
devoir résumer ses ultimes conclusions. Selon lui, il est inconcevable
d’espérer arriver à un arrangement raisonnable avec le sultan.

Après ces échecs renouvelés, tout espoir de conclure un jour la paix


et de délivrer les captifs paraît de plus en plus difficile. Durant six ans, les
relations diplomatiques entre les deux pays sont à nouveau suspendues.
Mais le trafic commercial entre la France et le Maroc prospère. Quelques
échanges individuels de captifs sont consentis et les prises de part et d’autre
se poursuivent.

76
Y. Nekouf, Une Amitié orageuse : Moulay Ismaïl et Louis XIV, op. cit., p. 225.
77
Idem, p. 232.
60

L’ambassade d’Abdallah Ben Aïcha (1698-1699)78

De 1693 à 1698, les corsaires marocains continuent à s’emparer des


vaisseaux français et de leurs équipages tandis que le gouverneur de
Tétouan, le caïd Ali Ben Abdallah, et le fameux raïs salétin, Abdallah Ben
Aïcha, informent le consul Estelle ou le secrétaire d’État, Pontchartrain, des
intentions pacifiques de leur souverain. A toute demande de reprise des
conservations, il est répondu qu’il appartient d’abord au sultan de signer le
traité de 1682.

Le 28 mai 1698, l’envoi d’une escadre placée sous les ordres du


chevalier de Coëtlogon est décidé. Elle a pour mission de chasser les
corsaires salétins. C’est ce moment que choisit Ben Aïcha pour engager de
nouvelles négociations. Il sollicite et obtient en juillet l’autorisation de se
rendre à bord des vaisseaux de guerre mouillés à l’embouchure du Bou

78
Cette fameuse ambassade marocaine a fait l’objet de plusieurs études. On peut citer notamment
Ch. Penz, Les Captifs français du Maroc au XVIIe siècle (1577-1699), op. cit., p. 247-274 ; Y.
Nekrouf, Une Amitié orageuse : Moulay Ismaïl et Louis XIV, op. cit., p. 304-326 et Philippe De
Cossé Brissac, « L’Ambassade d’‘Abd Allah Ben ‘Aïcha (11 novembre 1698-25 mai 1699 », dans
Sources inédites de l’Histoire du Maroc, deuxième série, dynastie filâlienne, Archives et
Bibliothèque de France, tome V, du 11 novembre 1698 au 28 décembre 1699, Paris, Paul
Geuthner, 1953, p. 1-10. Les auteurs mettent parfaitement en évidence les différentes phases des
négociations entre l’ambassadeur marocain et Versailles. Une récente maîtrise d’histoire s’est elle
intéressée au regard porté par Ben Aïcha sur le royaume de France : R. Saïed, Deux ambassades
marocaines en France au XVIIe siècle. Images et représentations de la France du XVIIe siècle chez
deux ambassadeurs marocains, Maîtrise d’histoire, Christophe Duhamelle (dir.), Université de
Picardie Jules Verne, Amiens, 2000.
61

Regreg pour faire des propositions de paix. Deux mois plus tard, il rapporte
de Meknès où il est allé conférer avec le sultan un projet de traité.

Ce dernier ne diffère de celui présenté par Saint-Olon en 1693 que


sur quelques points : l’article quatre est modifié, le six réservé et enfin le
fameux article sept laissé en blanc pour montrer qu’il est appelé à être remis
en discussion79. Ni Coëtlogon, ni Estrées, devenu entre temps son supérieur,
n’ont reçu le pouvoir de traiter, mais ce dernier croit bon de profiter de
l’occasion favorable qui s’offre à lui.

Il convient donc avec son adversaire de conclure seulement une trêve


de huit mois, pendant laquelle un envoyé du sultan vient en France pour
traiter des conditions de la paix. Abdallah Ben Aïcha est accrédité comme
ambassadeur par Moulay Ismaïl le 29 septembre 1698. Le comte d’Estrées
écrit à ce sujet à son supérieur : « Il m’a semblé, d’ailleurs, qu’il étoit de la
grandeur du Roy d’obliger ces infideles à envoïer un ambassadeur pour lui
demander la paix, à quoy la treve donne naturellement occasion par les
engagemens qu’ils ont déjà pris80. »

Le commandant français justifie l’envoi d’un ambassadeur marocain


en France à son supérieur. Mais il déconsidère ce représentant du sultan

79
Philippe de Cossé Brissac, « L’Ambassade d’‘Abd Allah Ben ‘Aïcha (11 novembre 1698-25 mai
1699 », dans Sources inédites de l’Histoire du Maroc, deuxième série, dynastie filâlienne,
Archives et Bibliothèque de France, tome V, du 11 novembre 1698 au 28 décembre 1699, Paris,
Paul Geuthner, 1953, p. 4.
80
Lettre du comte d’Estrées à Pontchartrain du 8 septembre 1698 en rade de Cadix, Archives
Nationales, Marine, Campagnes, B4 19, 1698, p. 194 r°, original.
62

comme ses prédécesseurs en 1681-1682. L’envoyé marocain ne vient pas


négocier à Versailles. Il doit simplement ratifier et implorer la paix au Roi-
Soleil. L’argument du comte d’Estrées réside dans la supériorité et le
rayonnement de Louis XIV.

Il se comporte en vainqueur. Les vaincus envoient un des leurs pour


signer la paix car ils ont perdu la guerre. Pontchartrain confirme à son
consul à Tétouan Pierre Estelle la vision de ses prédécesseurs vis-à-vis de la
venue du représentant du Maroc : « Elle [Sa Majesté] n’escoutera point
Benache qu’on escrit devoir venir en France, s’il n’a point le pouvoir de
signer le traitté dont le projet a esté remis par Monsieur de Saint Olon, et
ensuitte par vôtre fils [Jean-Baptiste Estelle]81. »

La mission de Ben Aïcha comme celle de Temim en 1681-1682 est à


l'origine minimisée. Aucune négociation ne semble prévue en dehors de la
ligne politique française sur la question. La France se comporte en pays
vainqueur et supérieur à l’encontre du Maroc. Ce dernier n’a aucune chance
de faire valoir ses droits. Louis XIV ne semble pas décidé à traiter son
homologue sur un pied d’égalité. Jean-Baptiste Estelle – chassé récemment
du Maroc à cause en partie de Ben Aïcha – laisse dans un mémoire une
image très négative sur l’ambassade du corsaire :

Si Benache vient en France, il n’aportera point de traitté de paix signé


de son Roy, mais seulement une lettre de créance […]. […]. Et s’il se
tient au pouvoir de la lettre de son Roy, il n’y a rien a fier, temoin

81
Lettre du secrétaire d’État à la Marine le comte de Pontchartrain à Pierre Estelle du 15 octobre
1698 [s.l.], Archives Nationales, Marine, Ordres et dépêches, B2 136, 1698, p. 255 r°, copie.
63

l’exemple de feu Monsieur le Baron de Saint Amant, a qui le Roy de


Maroc nia le pouvoir de la lettre de creance qu’il avoit donné à Lugy
Tumin lors qu’il vint en ambassade pour la paix, ainsy le traitté qu’il
signa fut nul, comme l’on voit au memoire dudit feu sieur Baron de Saint
Amant […]82.

Estelle discrédite Ben Aïcha, ses pouvoirs et sa mission. Les deux


hommes ne se portent pas dans leurs cœurs. Une haine particulière anime le
consul Jean-Baptiste Estelle envers le raïs de Salé. Tout est donc mis en
œuvre pour saboter l’ambassade du Marocain en France. Ben Aïcha est
désavoué alors qu’il n’est même pas encore arrivé à Brest. L’exemple pris
par Estelle pour illustrer son argument à son supérieur concerne le discrédit
de Moulay Ismaïl à l’égard de Temim à son retour de France.

Mais il ne faut pas oublier que cette pratique existe également chez
Louis XIV. Le roi catholique a désavoué La Barre lorsque celui-ci a signé
un traité avec le caïd Omar Ben Haddou le 13 juillet 168183. En outre le
traité de Saint-Germain est imposé à Temim. En tout cas la mission
d’Abdallah Ben Aïcha débute comme celle de Temim très mal. Les rapports
effectués à son sujet sont très néfastes et non prometteurs pour la suite de
l’ambassade.

Ben Aïcha s’embarque le 17 octobre 1698 à bord du Favory. Le 11


novembre il débarque à Brest. L’intention du roi de France est alors de lui

82
Mémoire de Jean-Baptiste Estelle du 18 octobre 1698 à Fontainebleau, Archives Nationales,
Affaires Etrangères, Correspondance consulaire, Maroc, BI 826, volume 2, 1693-1698, p. 435 r°-
v°, original.
83
Y. Nekrouf, Une Amitié orageuse : Moulay Ismaïl et Louis XIV, op. cit., p. 312.
64

faire signer dans ce port un traité reproduisant dans leurs clauses


essentielles ceux rédigés en 1682 et en 169384. L’ambassadeur marocain
ayant manifesté avec la plus grande énergie sa volonté de ne rien conclure
avant d’avoir remis personnellement au souverain sa lettre de créance.
Louis XIV lui accorde satisfaction. Le 12 janvier 1699, il quitte donc Brest
en compagnie de Saint-Olon, le consul Jean-Baptiste Estelle et l’arabisant
Pétis de La Croix.

Arrivé à Paris le 10 février, l’ambassadeur marocain est reçu le 16 en


audience solennelle à la cour. Le même jour, Torcy et Maurepas, fils et
futur successeur de Pontchartrain au département de la Marine, sont
désignés comme plénipotentiaires pour traiter avec Ben Aïcha. Dix jours
après, les négociations s’ouvrent à Versailles, où l’on communique aussitôt
à l’envoyé de Moulay Ismaïl le projet français. Mais les négociateurs
français veulent tout simplement imposer à Ben Aïcha la signature d’un
traité presque semblable à celui de 1682 85 . L’article sept concernant la
libération des captifs propose par exemple le rachat réciproque à trois cents
livres pièce stipulée en 1682.

A la lecture de presque toutes les clauses, le corsaire salétin


témoigne son désaccord. Il désapprouve le libellé des articles trois, quatre,
cinq, six, sept, huit, dix, douze, treize, quatorze, seize, dix-sept, relatifs au
droit de visite, au paiement des fournitures consenties dans les ports
français à des Marocains, à l’interdiction de faire des prises à moins de six

84
Y. Nekrouf, Une Amitié orageuse : Moulay Ismaïl et Louis XIV, op. cit., p. 306.
85
Ibid, p. 306.
65

lieues des côtes de France, à la mise en liberté des captifs amenés au Maroc
par d’autres Barbaresques ou pris sur des bateaux étrangers, à la perception
des droits de douane, à la protection due aux navires des parties
contractantes et à la juridiction des consuls français86. En ce qui concerne la
libération des esclaves, Ben Aïcha s’oppose au système du rachat
réciproque et préconise l’échange général87.

Moins d’une semaine après, Pétis de La Croix, professeur d’arabe au


Collège Royal, donne lecture à Ben Aïcha des réponses faites à ses contre-
propositions par Monsieur de La Touche premier commis de la Marine.
Celui-ci se montre néanmoins favorable à la solution préconisée par
l’envoyé du sultan pour régler le point le plus important, à savoir l’échange
des captifs88. Le raïs rédige donc de nouvelles propositions communiquées
le 11 mars 1699 aux commissaires du roi. Ben Aïcha estime sa mission
remplie. Il menace même de demander son congé.

Dans l’espoir d’éviter cette éventualité, le gouvernement français fait


appel à Denis Dusault, ancien capitaine de la Compagnie du Bastion de
France. Naguère consul d’Alger et ensuite à plusieurs reprises en qualité
d’envoyé extraordinaire, ce personnage paraît tout désigné par son
expérience et par son renom en Afrique du Nord pour reprendre les
pourparlers. Avec l’aide d’Estelle et de Pétis de La Croix, Dusault établit

86
Philippe de Cossé Brissac, « L’Ambassade d’‘Abd Allah Ben ‘Aïcha (11 novembre 1698-25 mai
1699 », dans Sources inédites de l’Histoire du Maroc, op. cit., deuxième série, tome V, p. 5.
87
Ibid, p. 5.
88
Idem, p. 6.
66

donc un nouveau projet de traité en trente articles remis le 29 mars à


l’ambassadeur marocain. Toutefois le texte élaboré par Dusault ne
comporte aucune innovation importante susceptible de modifier l’attitude
réticente adoptée par l’envoyé du sultan 89 . La suggestion émise par La
Touche sur l’échange général des esclaves captifs est même abandonnée
pour revenir au principe d’un échange tête pour tête complété par un rachat
réciproque au prix de cent cinquante piastres par homme.

Ben Aïcha s’obstine à réclamer des réponses à son propre projet. Le


3 avril, les commissaires du roi lui répondent par une répétition et une
justification du projet de Dusault. De son côté, Dusault a jugé inutile de
prolonger la discussion, tant que la question de la libération des captifs
n’est pas réglée. Les négociations sont pratiquement rompues. Le 6 avril,
Pontchartrain écrit à Clairambault, commissaire de la Marine à Brest pour
lui annoncer le prochain renvoi dans ce port de l’ambassadeur marocain. En
même temps, il lui ordonne de hâter l’armement de trois frégates destinées à
reprendre la lutte contre les Salétins, dès l’expiration de la trêve conclue
pour huit mois le 15 septembre précédent90.

Le Marocain redoute alors de ne pas rentrer à temps chez lui pour


avertir ses compagnons. Son audience de congé est fixée au 26 avril 1699.
C’est au cours de cette journée que se produit un véritable coup de théâtre.
Saint-Olon informe Versailles que Ben Aïcha lui a donné la veille son

89
P. de Cossé Brissac, « L’Ambassade d’‘Abd Allah Ben ‘Aïcha (11 novembre 1698-25 mai
1699 », dans Sources inédites de l’Histoire du Maroc, op. cit., deuxième série, tome V, p. 7.
90
Ibid, p. 7.
67

assentiment à l’échange tête pour tête des esclaves, mais encore il est prêt à
approuver tous les autres articles91. Il est donc décidé qu’aussitôt après la
cérémonie officielle, les commissaires royaux lui présentent le traité à
signer. Mis en présence de Saint-Olon, le corsaire donne une version
différente des propos colportés sur son compte. « Les violentes
contestations qui s’ensuivent mettent fin à la séance92. »

En reconduisant à Paris au sortir de la conférence l’envoyé marocain,


le baron de Breteuil, introducteur des ambassadeurs, apprend en même
temps la rupture et sa cause. Il décide alors de mettre à profit les derniers
jours qui restent pour tenter de réparer le malentendu. Avec l’approbation
du ministre Torcy et à l’insu d’Estelle et de Saint-Olon, il réunit donc le 2
mai dans sa maison de campagne de Charonne Abdallah Ben Aïcha, Pétis
de La Croix et le négociant Jean Jourdan intéressé par le commerce du
Maroc. Un à un, au cours de l’après-midi, les articles soumis à
l’ambassadeur pour la première fois le 26 février sont examinés à nouveau.
Ben Aïcha consent à signer un projet reproduisant les clauses essentielles
du traité93. Il approuve l’échange tête pour tête des captifs.

Porté le 3 mai à Versailles, ce texte en revient le 4 mai chargé des


annotations des ministres qui exigent plusieurs modifications. Le Salétin se
résigne à faire quelques ultimes concessions, mais il demeure intraitable sur

91
P. de Cossé Brissac, « L’Ambassade d’‘Abd Allah Ben ‘Aïcha (11 novembre 1698-25 mai
1699 », dans Sources inédites de l’Histoire du Maroc, op. cit., deuxième série, tome V, p. 8.
92
Ibid, p. 8.
93
Idem, p. 9.
68

trois points : le détroit de Gibraltar ne peut pas être excepté de la zone à


l’intérieur de laquelle les sujets des deux pays ne doivent pas faire de prises
sur leurs côtes respectives, il revendique pour ses compatriotes le droit de
capturer des Français enrôlés dans des équipages ennemis, et enfin il n’est
pas possible de s’opposer à l’armement dans un port marocain de navires
appartenant à des puissances musulmanes en lutte avec la France94.

Cette fois, les négociations sont définitivement rompues et le


lendemain 5 mai, l’ambassadeur marocain quitte Paris pour se rendre à
Brest. Revenu au Maroc sur la frégate de guerre française, la Dauphine,
Abdallah Ben Aïcha débarque le 10 juin 1699 à Salé. « Pour la cinquième
fois en moins de vingt ans, un accord général s’était avéré impossible95. »
La voie « diplomatique » est donc un échec.

Vers la rupture des liens diplomatiques

Après l’échec de l’ambassade de Ben Aïcha en France, le divorce


semble consommé entre les deux pays. Comment les rapports évoluent-ils
entre les deux États ?

94
Philippe de Cossé Brissac, « L’Ambassade d’‘Abd Allah Ben ‘Aïcha (11 novembre 1698-25 mai
1699 », dans Sources inédites de l’Histoire du Maroc, op. cit., deuxième série, tome V, p. 9.
95
Ibid, p. 9.
69

Le comte Ferdinand de Relingue, lieutenant général des armées


navales reçoit l’ordre de commander une escadre de dix frégates armées
contre les Salétins 96 . Sans obtenir des résultats, elle accentue la tension
entre les deux pays. Relingue fait déposer à Salé une lettre de Louis XIV
adressée à Moulay Ismaïl. Le roi de France écrit avoir reçu son envoyé Ben
Aïcha dont les pouvoirs ont été insuffisants pour conclure la paix. Louis
XIV espère que le sultan renseigné sur la puissance de la France accepte les
conditions de paix proposées à son ambassadeur. Moulay est irrité à
l’extrême. Le sultan répond au roi de France qu’il ne le craint pas97.

Alors que les rapports « diplomatiques » sont conflictuels, les


relations commerciales entre les deux pays connaissent un relatif
développement. Tous les marchands français réalisent de bonnes affaires au
Maroc. A la fin du XVIIe siècle, le commerce français au Maroc encouragé
par le sultan occupe la première place. Des relations étroites se nouent entre
Ben Aïcha et Jean Jourdan en France qui en profite pour obtenir des
avantages commerciaux au Maroc. Moulay Ismaïl assure Jourdan,
négociant et directeur de la manufacture de glaces du Faubourg Saint-
Antoine, qu’en remerciement de l’assistance prêtée à Ben Aïcha, de
favoriser ses transactions avec le Maroc. Jourdan est autorisé à exporter
toutes les marchandises qu’il désire à l’exception du blé et de l’huile. Il lui
est interdit également de fabriquer des boissons alcoolisées.

96
Y. Nekrouf, Une Amitié orageuse : Moulay Ismaïl et Louis XIV, op. cit., p. 326.
97
Idem, p. 328.
70

Le 24 janvier 1700 est donc signé l’acte de constitution de la


compagnie de Salé constituée par Jourdan98. Ce dernier envoie aussitôt un
représentant à Salé Manier de La Closerie. Il engage en même temps la
première opération de négoce triangulaire entre l’Asie, la France et le
Maroc. Malgré des débuts favorables, la société de Salé cesse ses activités
commerciales en décembre 1701 car elle ne réalise pas les bénéfices
escomptés par Jourdan. Puis à partir de 1703, la compagnie tombe en
déconfiture. Elle est l’objet de poursuites de ses créanciers et l’année
suivante un arrêt du Conseil d’État du 25 mars 1704 ordonne la vente des
biens de la société de Salé au Havre et à Cadix.

Une autre conséquence mais cette fois inattendue de l’ambassade de


Ben Aïcha et une raison pour laquelle celle-ci reste connue est la fameuse
demande en mariage d’une fille légitimée de Louis XIV, la princesse de
Conti par Moulay Ismaïl 99 . A son retour du royaume du Bourbon,
l’ambassadeur procède à un compte rendu portant sur ses négociations en
France et entreprend de décrire à Moulay Ismaïl tout ce qu’il a vu là-bas.

Le sultan est alors charmé par la charmante description d’une fille de


Louis XIV, la princesse de Conti. Moulay Ismaïl demande à Ben Aïcha
d’écrire à la cour de France. Le Salétin s’adresse alors à Pontchartrain le 14

98
L’étude essentielle sur ce sujet demeure celle de Jeanne-Marie Salmi, « Jean Jourdan et la
société de Salé », dans S.I.H.M., op. cit., deuxième série, tome V, p. 129-133.
99
Plusieurs ouvrages ont évoqué cette demande en mariage. Il faut citer entre autre Marie-Joseph-
Raymond Thomassy, De la Politique maritime de la France sous Louis XIV, et la demande que
Mulay-Ismael, empereur du Maroc, adressa à ce monarque pour demander en mariage la
princesse de Conti, Paris, Delaunay, 1841 ; Eugène Plantet, Moulay Ismaïl, empereur du Maroc et
la princesse de Conti, Paris, Jamim, 1893 et enfin Y. Nekrouf, Une Amitié orageuse : Moulay
Ismaïl et Louis XIV, op. cit., p. 326-340.
71

novembre 1699. Dans la lettre, il émet le souhait de son maître d’épouser la


princesse de Conti. Si Louis XIV accepte cette proposition, Abdallah Ben
Aïcha doit s’embarquer aussitôt pour aller conclure au nom du sultan un
traité d’alliance avec la France. Pourquoi Moulay Ismaïl désire se marier
avec une fille du roi de France ?

Le sultan marocain doit en fait se douter que Louis XIV en cet


automne 1699 se prépare tant en raison de sa filiation que de son mariage à
recueillir, pour l’un de ses fils ou petit-fils, la succession au trône du roi
d’Espagne mourant. A l’agressivité des Espagnols, ennemis héréditaires du
Maroc, risque donc de s’ajouter sur les bords du détroit de Gibraltar, la
puissance militaire et financière de Louis XIV.

La volonté d’épouser une princesse française a par conséquent sons


doute auparavant une visée politique. Moulay Ismaïl espère en effet
récupérer Ceuta et Melilla encore sous le joug des Espagnols sur son
territoire si l’Espagne est rattaché à la couronne française. Louis XIV n’a
pas répondu à la demande en mariage marquant ainsi son refus. « La Cour
se gaussa d’une proposition dont Moulay Ismaïl ne pouvait saisir l’ironie et
on répondit, avec insolence, en invitant le chérif à se convertir au
christianisme100. »

Mais surtout Louis XV entre en guerre contre une coalition


européenne pour la succession au trône d’Espagne à partir de 1700. Son

100
Charles-André Julien, Histoire de l’Afrique du Nord (Tunisie-Algérie-Maroc), tome II, de la
conquête arabe à 1830, Paris, Payot, deuxième édition, 1952, p. 236.
72

petit-fils Philippe V devient roi d’Espagne. Les deux pays sont unis par les
liens de parenté et défendent alors les mêmes intérêts. La France ne peut
plus servir les desseins de Moulay Ismaïl pour récupérer les derniers
territoires espagnols sur la côte marocaine. En outre il est interdit pour les
Français de vendre des armes, des munitions et du soufre au Maroc.

Au début du XVIIIe siècle, le roi de France n’est représenté qu’à Salé


par le Marseillais Jean Périllé. Le consul de Tétouan Pierre Estelle est
expulsé du Maroc à la suite de plaintes portées contre lui en 1701 par ses
propres ressortissants 101 . Les négociants français de Salé supportent de
moins en moins la concurrence des autres nations. La plupart d’entre eux
quittent le pays ruinés. Le 14 avril 1705, Pontchartrain fait parvenir à Jean
Desjean, baron de Pointis, chef d’escadre, les instructions de Louis XIV
visant à lui faire entreprendre une expédition navale sur les côtes
102
marocaines . Tanger est bombardé. En représailles, les corsaires
marocains capturent plusieurs navires français.

Le 6 octobre 1706, Louis XIV signe les provisions du consul de


France à Tétouan et à Tanger pour Pierre de La Magdeleine. Ce dernier
débarque à Tétouan au début de 1708. Le consul de France à salé, Jean
Périllé commence à être l’objet de reproches sévères tant de Pontchartrain
que des échevins de Marseille.

101
Y. Nekrouf, Une Amitié orageuse : Moulay Ismaïl et Louis XIV, op. cit., p. 352.
102
Idem, p. 353.
73

En 1711 La Magdeleine obtient également la charge de Salé car


Périllé, discrédité par son incapacité et les dettes contractées au Maroc est
relevé de ses fonctions103.

Au même moment, les ordres rédempteurs s’organisent pour se


rendre au Maroc pour racheter les Français captifs à Meknès 104 . Le
secrétaire d’État à la Marine le comte de Pontchartrain les encourage. A
partir d’avril 1704, les Trinitaires menés par le Père Busnot, les
Mercédaires de Paris sous la conduite du Père Nicolasque Néant et ceux de
Toulouse avec le Père Forton entreprennent plusieurs voyages au Maroc.

Au premier voyage, Moulay Ismaïl se fait intransigeant. Sur la base


des conditions accordées à d’autres pays, il demande trois de ses captifs
galériens contre un Français, ce que les Rédempteurs refusent. Revenus en
1705 et en mai 1707, Mercédaires et Trinitaires sont reçus le 28 juillet 1708
par le sultan. Au cours de ces voyages, des échanges partiels sont effectués.
De 1700 à 1718, les ordres rédempteurs libèrent au total quelque soixante-
dix captifs français de Meknès105.

103
Y. Nekrouf, Une Amitié orageuse : Moulay Ismaïl et Louis XIV, op. cit., p. 370-371.
104
Afin d’un développement sur les ordres rédempteurs et les captifs français au début du XVIIIe
siècle, il est conseillé l’étude de Philippe De Cossé Brissac, « La Rédemption des captifs français
au Maroc (1700-1718) », dans S.I.H.M., deuxième série, dynastie filâlienne, Archives et
Bibliothèques de France, tome VI, du 6 janvier 1700 au 2 mai 1718, Paris, Paul Geuthner, 1960, p.
1-12.
105
Y. Nekrouf, Une Amitié orageuse : Moulay Ismaïl et Louis XIV, op. cit., p. 355.
74

Le 22 juillet 1709 Moulay Ismaïl écrit à Louis XIV confronté à une


forte coalition. Le sultan propose d’envoyer des troupes au roi de France
s’il le désire 106 . Le Bourbon lui répond un an plus tard en refusant
l’assistance militaire du sultan. Moulay Ismaïl est persuadé qu’il n’a plus
rien à attendre de la France. Il favorise par conséquent la concurrence
européenne dans les ports marocains et améliore ses rapports avec
l’Angleterre et la Hollande. Enfin en 1718, l’Espagne et la France rompent
leurs relations diplomatiques avec le Maroc pour un demi-siècle 107 . Les
consulats français au Maroc sont alors supprimés.

A la prépondérance française succède la prépondérance anglaise. Le


trafic anglais s’intensifie au début du XVIIIe siècle spécialement après la
prise de Gibraltar en 1704. Un important traité de paix et de commerce est
signé le 28 janvier 1721 et respecté par l’Angleterre et le Maroc. Selon
Younès Nekrouf, « par cet important acte diplomatique, les Anglais eurent
l’intelligence, tout en obtenant des avantages, d’en accorder la réciprocité
absolue aux Marocains et de respecter la souveraineté marocaine108. »

Les relations entre Moulay Ismaïl et Louis XIV peuvent être


qualifiés de conflictuelles. La course et la question des captifs ont
empoisonné les rapports entre les deux souverains. L’incompatibilité de
leurs intérêts respectifs demeure la raison principale de l’échec dans leurs

106
Y. Nekrouf, Une Amitié orageuse : Moulay Ismaïl et Louis XIV, op. cit., p. 366-367.
107
Idem, p. 374.
108
Idem, p. 379.
75

tentatives de rapprochement définitif. Les agents français envoyés auprès


du sultan sont restés impuissants. Les représentants marocains avant leur
départ sont déconsidérés par le pouvoir royal. Leurs missions l’on été aussi.
Louis XIV a essayé en vain d’imposer un accord au sultan. Il n’a pas traité
avec Moulay Ismaïl sur un pied d’égalité. Le divorce entre ces deux grands
souverains est consommé.

A la mort de Louis XIV et de Moulay Ismaïl, les rapports sont


interrompus. L’Espagne et la France pratiquent une politique conjointe. Le
royaume des Bourbons soutient les positions espagnoles au Maroc. Ce
dernier se tourne donc vers son nouveau voisin : l’Angleterre. Comment
évoluent par conséquent les rapports entre les deux protagonistes au XVIIIe
siècle ?
76

Chapitre 3.
Les rapports diplomatiques au XVIIIe siècle.
77

Au XVIIIe siècle s’ouvre une nouvelle période dans les relations


franco-marocaines. Après un demi-siècle de rupture, un traité est en effet
signé entre le Maroc et la France en 1767. Les ambassades et missions du
sultan s’effectuent alors dans un contexte inédit. Les grands litiges réglés, la
tension doit être moindre entre les deux parties. Les limites portées sur la
course salétine par le traité ainsi que la fin de la captivité modifient-ils
pourtant le regard de la France sur le Maroc.

Quelles sont les nouvelles clefs de la vision française du XVIIIe


siècle sur le Maroc ? Les acteurs – témoins des événements – changent
également au fil du temps. Qui sont-ils ? L’objet de ce troisième chapitre
est de répondre à ces interrogations. Mais il faut mettre également l’accent
sur les ambassades et missions marocaines en France durant cette période.
Le contexte de leurs départs et l’objet de leurs missions demeurent à nos
yeux les centres d’intérêt de cette partie. Il faut s’interroger enfin sur les
premières impressions des autorités françaises à l’occasion de l’arrivée des
Marocains en France. Le traité de Marrakech de 1767 ne doit-il pas
modifier le regard porté sur la venue des représentants du Maroc ?

Avant de répondre, mettons l’accent tout d’abord sur l’évolution des


rapports de la rupture officielle à la signature du traité entre le Maroc et la
France.
78

Les relations entre la France et le Maroc de 1727 à 1767109

Les liaisons officielles entre la France et le Maroc sont rompues


depuis que le régent Philippe d’Orléans a rappelé les consuls du roi qui y
exercent alors leurs fonctions. Cependant le problème des captifs n’est
toujours pas résolu au XVIIIe siècle et la course continue à sévir parmi les
navires français. De quelles manières évoluent par conséquent les rapports
entre les deux États jusqu’à la signature du traité de 1767 ?

Moulay Ismaïl meurt le 22 mars 1727. Le Maroc tombe alors dans


l’anarchie. Néanmoins son fils et successeur Moulay Ahmed Ad-Dhahbi
autorise deux esclaves à se rendre en France. Ils sont porteurs de lettres
pour le cardinal de Fleury et pour Maurepas dans lesquelles le nouveau
sultan se déclare prêt à négocier en vue du rachat de cent onze Français
restés à Meknès110. Leur mission terminée, les deux esclaves repartent au
Maroc accompagnés des Pères de la Merci. Mais pendant ce temps, un autre
fils de Moulay Ismaïl, Moulay Abd El Malek s’empare du pouvoir.

Les Mercédaires ne peuvent obtenir du nouveau sultan ce que son


prédécesseur leur a fait espérer. Un des caïds du souverain leur donne en

109
Il n’existe aucunes études précises concernant cette période dans les rapports diplomatiques
entre la France et le Maroc.
110
Charles Penz, Journal du consulat général de France à Maroc 1767-1785 paraphé par Louis
Chénier, texte publié d’après le manuscrit autographe avec une introduction et des commentaires
par Charles Penz, Casablanca, Imprimeries Réunies, 1943, p. 44.
79

outre une lettre pour le Cardinal de Fleury, datée du 28 mai 1728 dans la
quelle il déclare que le sultan ne peut remettre les esclaves français à des
Religieux venus au Maroc sans apporter un message du roi de France111.
Entre temps Moulay Abdallah (1728-1757) détrône son frère. Une nouvelle
tentative de rédemption est donc réalisée par les Pères de la Merci. Six
esclaves sont libérés.

Moulay Abdallah est détrôné lui aussi par son frère Moulay Ali El
Aredj. Son successeur est alors favorable à des négociations avec l’Espagne
et la France par l’intermédiaire des Franciscains de Meknès112. Philippe V
accepte les conditions de rachat à n’importe quel prix. Les Mercédaires de
Paris et de Bordeaux se décident alors de se joindre aux négociations. Les
Rédempteurs arrivent à Salé en 1736. Cependant Moulay Abdallah remonte
sur son trône et refuse d’écouter les propositions de rachat.

A la fin de 1736, Moulay Mohammed Ben Arbia chasse son frère et


règne pendant deux ans. Les Rédempteurs espagnols réussissent à acheter
quatre-vingts dix captifs. Les Pères de la Merci désirent également racheter
des esclaves français. Maurepas les soutient financièrement. Soixante-
quinze Français sont libérés car le sultan a besoin d’argent pour payer son
armée113. Le 26 août 1737, deux vaisseaux avec à leurs bords les captifs
français quittent La Mamora et arrivent à Toulon le 9 octobre. Un an plus

111
Ch. Penz, Journal du consulat général de France à Maroc 1767-1785 paraphé par Louis
Chénier, op. cit., p. 44.
112
Idem, p. 45.
113
Ibid, p. 45.
80

tard, des Religieux marseillais rachètent treize Provençaux détenus à


Tanger.

En 1757 c’est la fin de l’anarchie. De 1738 jusqu’à sa mort, Moulay


Abdallah est revenu quatre fois au pouvoir. Son successeur n’est autre que
son fils Sidi Mohammed Ben Abdallah ou Mohammed III (1757-1790). La
piraterie continue et les esclaves augmentent à Salé et à Meknès.

Un marchand provençal du nom de Joseph-Etienne Rey intervient


sur la scène diplomatique alors que les rapports officiels n’ont toujours pas
repris entre la France et le Maroc. Rey a vécu vingt ans au Maroc. Il jouit
de la confiance du fils du sultan, le jeune Sidi Mohamed Ben Abdallah qui
règne alors sur la région de Marrakech et le Maroc occidental. En 1756,
Rey propose aux ministres de Louis XV de s’entremettre auprès du sultan
pour conclure un traité de paix. Toutefois « le gouvernement français ne
répondit pas à cette ouverture114. »

En 1759, un marocain nommé Hadj Taham Medout séjourne quelque


mois à Marseille. Il adresse plusieurs lettres au secrétaire d’État à la Marine
Berryer, pour demander la restitution des biens appartenant à un juif
marocain. Mais l’absence de sources ne permet pas d’en savoir plus sur
cette mission115. La même année, un juif nommé De Paz – à l’origine des
premières négociations entre le Danemark et Sidi Mohammed – offre à la

114
Jacques Caillé, « L’Ambassade du comte de Breugnon à Marrakech en 1767 (première
partie) », Revue d’Histoire diplomatique, juillet-septembre 1961, p. 247.
115
J. Caillé, « Ambassades et missions marocaines en France », art. cité, p. 52.
81

cour d’entamer de nouvelles négociations avec le souverain marocain. « Il


pourrait aisément, disait-il, amener le sultan à conclure un traité et se faisait
fort d’obtenir de celui-ci : la permission d’exporter du Maroc des
« cargaisons de bœuf salé » pour nos colonies d’Amérique ; la cession du
port de Tanger ; l’autorisation de créer un établissement sur la côte sud de
l’empire chérifien. Par la suite, l’Israélite suggéra même de s’emparer par la
force de Tanger 116 ». Les ministres de Louis XV ne repoussent pas
d’emblée ce projet, mai l’étudient plusieurs mois avant d’y renoncer117.

Six ans plus tard, Rey est envoyé par Sidi Mohamed pour conclure
un traité de paix et de commerce avec la France118. Mais une grave maladie
le retient à Marseille jusqu’à la fin de septembre 1763. Entre-temps, le
sultan lui a envoyé de nouvelles de créance, en date du 24 avril 1763. Le
duc de Praslin, le secrétaire d’État à la Marine l’invite à venir à la Cour
présenter ses lettres. Le marchand provençal s’efforce de le persuader du
désir réel de paix émanant du sultan.

Néanmoins le duc de Praslin ne se laisse pas convaincre et charge


Rey, malgré lui, de faire parvenir au Maroc un projet de traité. Cependant
ce projet renferme des conditions inacceptables. En effet le ministre de
Louis XV ne veut racheter les esclaves qu’à un très bas prix ; de plus, il

116
J. Caillé, « L’Ambassade de Breugnon à Marrakech en 1767 (première partie) », art. cité, p.
247-248.
117
Idem, p. 248.
118
La mission de Joseph-Etienne Rey en 1762-1764 est traitée dans l’article de J. Caillé,
« Ambassades et missions marocaines en France », art. cité, p. 52-54 et dans l’ouvrage de Paul
Masson, Histoire des établissements et du commerce français dans l’Afrique barbaresque (1560-
1793), Paris, Hachette, 1903, p. 613-622.
82

demande la concession d’une place forte, analogue à celle que la France


possède à La Calle, en Algérie119. Ces propositions, portées par le beau-
frère de Rey, sont unanimement réfutées par Sidi Mohamed Ben Abdallah.
Le représentant du sultan est alors congédié par le secrétaire d’État au mois
de juin 1764. La Cour le tient pour le responsable de l'échec des
pourparlers. Rey est en réalité un intermédiaire malheureux.

A la fin de 1764 et par l’intermédiaire d’un marchand de Safi, Jean-


Jacques Salva, la cour de France reprend les négociations. Le Français est
donc envoyé auprès du sultan avec une lettre du secrétaire d’État à la
Marine le duc de Praslin et une copie du traité de Saint-Germain
(1682). « En effet, les ministres de Louis XV, qui avaient renoncé à
demander la cession d’une place marocaine, entendaient prendre ce traité
comme base du nouvel accord120 ». Il est convenu ainsi que la France ne
founisse pas d’armes ou de munitions au mahrzen, que les marchandises
françaises paieraient les droits habituels de douane, « mais bénéficieraient
de la clause de la nation la plus favorisée, et que les escalves seraient
rachétés121 ».

Cependant une escadre française est envoyée pour réagir contre les
prises continuelles de navires marchands par les corsaires salétins. En deux
campagnes, quinze navires chrétiens – dont dix appartiennent à la flotte

119
J. Caillé, « L’Ambassade du comte de Breugnon à Marrakech en 1767 (première partie) », art.
cité, p. 248.
120
Ibid, p. 248.
121
Idem, p. 249.
83

française – sont la proie des Salétins. Une des pertes les plus cuisantes pour
le pavillon national est celle de la Sirène qui tombe en 1764 aux mains des
corsaires. C’est à la suite de ces événements qu’une escadre, sous les ordres
du comte du Chauffault reçoit l’ordre de faire une démonstration de force
devant les côtes marocaines. L’escadre bombarde Salé du 2 au 17 juin 1765
puis entreprend une action contre le port de Larache. Cette entreprise se
termine de façon malheureuse.

Trois cents hommes sont tués pendant le combat et quarante sept


Français sont faits prisonniers122. Les captifs sont conduits à Marrakech.
Les négociations sont suspendues entre les deux pays. Mohammed III est
fort mécontent de la France. Au mois de septembre 1765, des dépêches de
la Cour de France apportent la nouvelle de la cessation des hostilités que
réclame le sultan. La trêve est signée à Mogador le 10 octobre entre Salva et
le cousin du sultan, Moulay Driss pour une durée d’un an 123 . Elle est
prolongée à deux reprises et la dernière fois jusqu’au 1er mai 1767. Les
missions des Trinitaires et des Mercédaires se poursuivent néanmoins
pendant ce temps.

Au mois de février 1766, Jacques Salva propose la signature d’un


traité de commerce et de paix. Mais des difficultés subsistent en ce qui
concerne le rachat des captifs de Larache. Des négociations s’ouvrent à ce

122
Ch. Penz, Journal du consulat général de France à Maroc (1767-1785) paraphé par Louis
Chénier, op. cit., p. 45.
123
J. Caillé, « L’Ambassade du comte de Breugnon à Marrakech en 1767 (première partie) », art.
cité, p. 249.
84

sujet. Il est décidé d’échanger des esclaves marocains plus de l’argent


contre les Français. « Dès 1766 et sur les instructions du duc de Praslin,
Salva avait annoncé à Sidi Mohammed ben Abdallah la venue comme
ambassadeur du prince de Beaufremont, chef d’escadre124. »

Tout au long de la première moitié du XVIIIe siècle, des contacts se


poursuivent entre les deux pays. Mais ils n’ont pas de caractère officiel. Les
tensions restent vives entre les deux antagonistes. Les projets de
colonisation de la France demeurent même d’actualité. Il faut de longues
années de négociations pour enfin tomber sur un accord mutuel en 1767.

Le traité de Marrakech (le 28 mai 1767)

Trois ans de discussions entre Versailles et Marrakech débouchent


enfin sur un traité final. Il peut être considéré comme le plus important de
l’époque moderne car il met fin officiellement aux hostilités entre les deux
pays. Comment se déroule la signature de l’acte ?

En 1767, des dispositions sont modifiées par Louis XV en ce qui


concerne l’envoyé français au Maroc. Le souverain nomme finalement le

124
J. Caillé, « L’Ambassade du comte de Breugnon à Marrakech en 1767 (première partie) », art.
cité, p. 250.
85

capitaine de vaisseau le comte de Breugnon125, ambassadeur extraordinaire


chargé de conclure avec le sultan Sidi Mohammed Ben Abdallah un traité
de paix et d’amitié. Jacques Caillé note au sujet de Breugonn :

[…] il avait apporté l’accord du duc de Praslin à la trêve proposée par


le sultan et où il se trouvait encore quand on y connut la signature de la
suspension d’armes. Les autorités locales et notamment le gouverneur de
la ville, un fils de Sidi Mohammed ben Abdallah, l’avaient très
cordialement reçu. Il était tout indiqué d’envoyer comme ambassadeur un
officier qui connaissait déjà le Maroc et y avait entretenu des relations,
brèves mais excellentes, avec un des enfants du sultan126.

Les pouvoirs et les instructions de l’ambassadeur sont précis : signer


un traité de paix et de commerce, faire libérer les esclaves français et
installer un consul au Maroc 127 . Le comte de Breugnon et sa suite
s’embarquent à Brest. L’ambassade se compose du consul Louis de
Chénier, le chancelier Barthélémy Potonier, deux écuyers, un secrétaire, un
aumonier, un chirurgien, trente-deux soldats. La maison de l’ambassadeur

125
Pierre-Claude Hocdenault, comte de Breugnon, chevalier de Saint-Louis est né à Brest en 1717.
Depuis 1733, il sert dans la marine et en 1756 commande la frégate la Licorne qui fait partie de
l’escadre de Du Chaffault. Il appartient à une famille de marins. Il est promu chef d’escadre à son
retour du Maroc. A la fin de l’année 1772, il devient commandant de la marine à Brest ; lieutenant-
général en 1779 et vice-amiral en 1792. Il est une des victimes des massacres du mois de
septembre 1792.
126
J. Caillé, « L’Ambassade du comte de Breugnon à Marrakech en 1767 (première partie) », art.
cité, p. 251.
127
Idem, p. 255.
86

comprend pas moins de vingt-huit personnes. « Jamais aucune ambassade


française envoyée au Maroc n’avait été si importante128. »

Le 24 avril arrive en rade de Safi le vaisseau de ligne l’Union,


escorté de la frégate la Sirène et de la corvette la Lunette. Il est parti de
Brest le 7 et a fait escale à Cadix. Le 16 mai le comte de Breugnon et sa
suite arrivent à Marrakech. Deux jours après, Sidi Mohammed le reçoit en
audience. Les discussions débutent avec les représentants du sultan le 19
mai. Neuf jours après, un accord est trouvé sur tous les points.

On ne pensait pas que la conclusion du traité put soulever la moindre


difficulté, car les clauses en avaient été fixées à l’avance, par Moulay
Driss et Salva, conformémént aux instructions du souverain marocain et
de la cour de Versailles. Il fallut cependant toute une semaine pour se
mettre d’accord sur le texte à signer. Le comte de Breugnon avait apporté
un projet, rédigé en français et en arabe, mais il n’y eut à la cour
chérifienne qu’un seul homme, élevé en Egypte, qui fut capable de
comprendre l’arabe de l’interprète du roi129. »

Conclu définitivement le 28 mai, signé officiellement le 30, ce traité


doit conclure pendant près d’un siècle les relations franco-marocaines.
Louis XV le ratifie le 21 septembre 1767. Cent quatre-vingt dix Français
contre de l’argent sont libérés à l’issue de ce traité pour « une dépense
considérable, de beaucoup la plus importante de toutes celles faite par

128
J. Caillé, « L’Ambassade du comte de Breugnon à Marrakech en 1767 (première partie) », art.
cité, p. 256.
129
Idem, p. 272.
87

l’envoyé du Roi Très Chrétien130 ». Officiellement il n’y a plus de captifs


français au Maroc. « Dans cette affaire, les ministres de Louis XV se
montrèrent beaucoup plus humains que Colbert et Pontchartrain, au siècle
précédent, lorsqu’ils négociaient eux aussi la libération des captifs avec les
représentants du mahrzen131. »

Ce traité s’insère dans toute une série d’accords analogues conclus


avec les principales puissances commerciales européennes. Dès son
avènement, Mohammed III comprend que le développement du commerce
extérieur peut devenir la source d’un revenu important et régulier, alors que
les produits de la course ne peuvent être qu’aléatoires tout en exigeant de
continuelles dépenses132. De plus il n’ignore pas que les forces navales des
États européens se sont considérablement accrues.

Ce sont ces considérations qui déterminent le sultan à conclure avec


la plupart des puissances maritimes d’Europe des accords de caractère
analogue, ayant pour base essentielle la liberté du commerce et de la
navigation133. Dès la première année de son règne, le sultan renouvelle avec

130
J. Caillé, « L’Ambassade du comte de Breugnon à Marrakech en 1767 (seconde partie) »,
Revue d’histoire diplomatique, janvier-mars 1962, p. 70.
131
Idem, p. 70-71.
132
Pierre Grillon, Un Chargé d’affaires au Maroc. La Correspondance du consul Louis de
Chénier 1767-1782, volume 1, 1767 à 1777, Paris, Ecole Pratique des Hautes Etudes, 1970, p. 33.
133
Pour plus de détails sur les traités signés entre Mohammed III et les pays d’Europe, il faut
consulter l’excellent ouivrage de Jacques Caillé, Les Accords internationaux du sultan Sidi
Mohammed Ben Abdallah (1757-1790), Paris, Librairie générale de Droit et de Juirsprudence,
1960. L’auteur analyse dans cet ouvrage le contenu de chaque traité signé entre le sultan marocain
et les puissances européennes en les comparant entre eux.
88

l’Angleterre le traité de 1728, et confirme avec les Provinces-Unies celui de


1732 ; puis il signe successivement en 1757 avec le Danemark, en 1763
avec la Suède, en 1765 avec la république de Venise, enfin en 1767 avec
l’Espagne et avec la France, des traités qui garantissent à chacune de ces
différentes puissances le libre exercice de la navigation et du commerce.
Mais « la France obtient le statut de la nation la plus favorisée134 ». Avec le
Portugal un accord analogue aux précédents est signé plus tard en 1773.

Toutes les pays, qui ont été ainsi amenées à traiter avec le Maroc, se
trouvent économiquement placées sur le même pied, « car Sidi Mohammed,
bien loin d’être disposé à accorder un traitement de faveur à une nation
chrétienne, quelle qu’elle fût, n’était que trop attentif à entretenir une
concurrence entre les États européens135 ».

Pour la France, le principal objectif du traité est d’assurer également


la sûreté de sa navigation dans les eaux marocaines et de protéger la liberté
de son commerce136. Aussi, la plupart des articles du traité de Marrakech
concernent les relations commerciales entre les deux États.

L’article onze en particulier prévoit l’établissement au Maroc de


consuls français. Cette disposition n’est pas nouvelle puisqu’elle a été
insérée dans le traité de Saint-Germain en 1682. Mais elle a pour

134
J. Brigon et autres, Histoire du Maroc, op. cit., p. 280.
135
P. Grillon, Un Chargé d’affaires au Maroc. La Correspondance du consul Louis de Chénier
1767-1782, volume 1, 1767 à 1777, op. cit., p. 33-34.
136
Idem, p. 8.
89

conséquence immédiate le rétablissement des relations consulaires


interrompues depuis le début du siècle.

L’article deux prévoit que les sujets respectifs des deux souverains
naviguent en toute liberté. L’article cinq donne à la France sur le plan
commercial le bénéfice du traitement réservé à la nation la plus favorisée.
Quant aux navires des deux États, ils peuvent non seulement se ravitailler
librement dans les ports français ou marocains, mais encore y trafiquer en
toute assurance (article quatre et cinq) : il suffit aux navires de commerce
français d’être munis d’un passeport signé de l’amiral de France, et aux
bâtiments marocains d’un certificat du consul français. Les uns et les autres
sont en outre invités à se rendre réciproquement de bons offices (article
trois).

La nouvelle de la signature de cet accord a sans aucun doute réjoui


les marchands français et la Chambre de Commerce de Marseille puisque
désormais ils ne sont plus exposés aux entreprises des corsaires de Salé. A
la sûreté s’ajoute le souci d’assurer par l’établissement d’un consul la
protection des intérêts des commerçants établis au Maroc.

Au lieu d’un système deux consulats qui a prédominé encore au


début du siècle au Maroc, le gouvernement de Louis XV décide de nommer
un consul général sans spécifier le lieu de sa résidence137. Les fonctions et
prérogatives d’un consul général au Maroc sont identiques à celles d’un

137
P. Grillon, Un Chargé d’affaires au Maroc. La Correspondance du consul Louis de Chénier
1767-1782, volume 1, 1767 à 1777, Paris, Ecole Pratique des Hautes Etudes, 1970, p. 8.
90

consul général dans les Grandes Echelles du Levant ou de Barbarie. Sa


mission essentielle est de protéger l’activité économique des siens, de les
défendre contre les mesures arbitraires ou vexatoires, dont ils peuvent avoir
à se plaindre, et d’intervenir en leur faveur auprès des autorités locales.

Toutefois à l’inverse des Echelles de la Méditerranée – placées sous


la dépendance plus ou moins effective de Constantinople – qui jouissent des
privilèges des capitulations dont le traité a reçu un caractère perpétuel lors
de son renouvellement le 28 mai 1740, le Maroc indépendant ne connaît pas
le régime capitulaire138. L’exercice du commerce des négociants étrangers,
à l’intérieur du territoire du sultan, dépend ainsi de la seule interprétation
que le souverain entend donner aux traités qu’il a pu souscrire.

« De même le consulat général de France au Maroc n’était pas placé,


à l’égard de la Chambre de Commerce de Marseille, dans la même position
de subordination que ses collègues du Levant et de Barbarie139. » Pendant
longtemps, elle a eu le privilège de choisir et de proposer à la désignation
du roi les consuls et vice-consuls, dont la plupart sont encore des
Marseillais ou des Provençaux. Si, depuis la réforme de 1691, les agents
consulaires sont devenus de véritables fonctionnaires royaux, les finances
des Echelles demeurent sous la surveillance directe de la Chambre de
Commerce.

138
P. Grillon, Un Chargé d’affaires au Maroc. La Correspondance du consul Louis de Chénier
1767-1782, volume 1, 1767 à 1777, Paris, Ecole Pratique des Hautes Etudes, 1970, p. 8.
139
Idem, p. 9.
91

Or à cet égard, le consulat général du Maroc fait exception : tout ce


qui concerne la gestion financière de cet établissement relève du secrétariat
d’État à la Marine 140 . Mais en raison même de ses fonctions, le consul
général ne s’en trouve pas moins en rapports étroits avec le grand
organisme marseillais pour tout ce qui a trait aux mouvements des navires,
aux échanges commerciaux, aux escales et aux séjours que peuvent faire à
Marseille les représentants officiels du sultan, à l’acheminement des
dépêches ministérielles, et pour quantité d’autres détails.

« L’ambassade du comte de Breugnon marque une date essentielle


dans l’histoire des relations franco-marocaines. En effet, elle rétablit la
bonne entente entre les deux pays, après une rupture qui durait depuis
quarante-neuf ans et permit de signer un traité qui devait rester en vigueur
jusqu’au XXe siècle141. » La paix règne désormais entre les Bourbons et les
Alaouites. Dans la foulée, un consul s’installe au Maroc. Le poste a été
supprimé au début du XVIIIe siècle. Ce nouvel acteur joue un rôle de
premier ordre dans l’entretien des bonnes relations entre les deux pays. Il
faut par conséquent s’attarder quelques instants sur ce personnage.

140
P. Grillon, Un Chargé d’affaires au Maroc. La Correspondance du consul Louis de Chénier
1767-1782, volume 1, 1767 à 1777, op. cit., p. 9.
141
J. Caillé, « L’Ambassade du comte de Breugnon à Marrakech en 1767 (seconde partie) », art.
cité, p. 80.
92

Le consul Louis de Chénier

Pour exercer les fonctions de consul général, le gouvernement royal


désigne Louis de Chénier dès le 16 mars 1767. C’est la première fois qu’il
se voit confier un poste de cette importance.

Né le 3 juin 1722 à Montfort dans le Languedoc d’un père


commerçant, il fait des études au collège des Doctrinaires de Limoux. En
août 1742, il devient commis au service de la maison Lavabre et Dussol qui
exploite à Constantinople un important comptoir de tissus. Le 1er janvier
1748 il en devient le propriétaire. Sa compétence et son habileté lui vaut en
1750 d’être désigné par l’ensemble des commerçants français de
Constantinople comme leur délégué auprès de l’ambassadeur de France142.
Mais en 1765, il décide de rentrer en France avec sa famille après avoir
essayé d’obtenir sans succès la direction commerciale des Echelles du
Levant. Après vingt-deux ans d’absence, il séjourne à Marseille puis se rend
à Paris.

Il est finalement nommé en mai 1767 consul de France au Maroc. La


longue expérience qu’il a acquise au contact des musulmans d’Orient n’est
pas étrangère à sa nomination de consul général au Maroc143. Mais le traité

142
P. Grillon, Un Chargé d’affaires au Maroc. La Correspondance du consul Louis de Chénier
1767-1782, volume 1, 1767 à 1777, Paris, Ecole Pratique des Hautes Etudes, 1970, p. 10-11.
143
Idem, p. 11.
93

de Marrakech tombe également au bon moment pour Chénier. Son séjour


doit durer jusqu’au 15 septembre 1782, avec une interruption de vingt et un
mois et demi – du 15 juillet 1773 au 22 avril 1775 – pendant lesquels il est
autorisé à prendre un congé en France, où il a laissé sa femme et ses
enfants. D’après l’ordre du secrétaire d’État à la Marine le duc de Praslin,
son premier acte au Maroc consiste à interdire aux marchands français de
rentrer en négociation directe avec le sultan.

Passionné de lectures sérieuses, Chénier a acquis à Constantinople


une grande partie des connaissances qui lui sont utiles dans ses relations
avec le monde musulman. Il doit en tirer plus tard, en 1789, un ouvrage
intitulé Révolutions de l’empire ottoman et observations sur ses progrès,
sur ses revers et sur l’état présent de cet empire. « De même, il occupera
les loisirs que lui laissera, à Salé, l’exercice de sa charge, à lire à peu près
tout ce qu’on avait pu écrire, à l’époque, sur l’Afrique et ses habitants,
depuis la Guerre de Jugurtha de Salluste jusqu’aux récits de voyage
contemporains144. »

Quelques années après son retour définitif en France, il lui suffit de


mettre en ordre les matériaux ainsi rassemblés pour former les trois
volumes de ses Recherches historiques sur les Maures et l’histoire de
l’empire de Maroc (1787). Il n’est pas sans intérêt de noter au passage que
l’auteur, pour composer son ouvrage, a largement utilisé les mémoires qu’il

144
P. Grillon, Un Chargé d’affaires au Maroc. La Correspondance du consul Louis de Chénier
1767-1782, volume 1, 1767 à 1777, op. cit., p. 12.
94

est tenu de rédiger lui-même chaque année, à partir de 1777, en exécution


des instructions ministérielles.

Au moment de son arrivée au Maroc, le consul général est


accompagné d’un seul collaborateur, Barthélémy de Pothonier, nommé aux
fonctions de chancelier du consulat. Il reste à son poste jusqu’au 12
septembre 1774, date à laquelle il devient vice-consul à Rhodes. Il est
remplacé d’abord par le sieur Mille, à partir de décembre 1776, puis par le
sieur Berrin à partir de novembre 1777, enfin par le sieur Gaillard, titulaire
de ce poste au mois de décembre 1779, mais en fonctions avant cette date
avec le titre de chancelier substitué.

A son retour de congé, ayant reçu le titre de chargé d’affaires du roi,


Louis de Chénier se voit adjoindre à partir de 1776 un vice-consul qui est
d’abord l’ancien chancelier Mille, puis Henri-Noël Mure. Celui-ci, nommé
dès le 28 juin 1779, rejoint son poste au cours de l’été 1781. Il doit
demeurer à la tête du consulat après le départ définitif de Chénier jusqu’en
1795.

Ce n’est pas sans difficultés que le consul peut se procurer un


interprète. De 1772 à 1778, ces fonctions sont remplies par un sujet
marocain, frère d’un secrétaire interprète du sultan, le juif Meyer Soumbel,
intelligent et adroit, mais auquel le consul estime ne pouvoir complètement
95

se fier145. A partir de 1778, le titulaire de ce poste est un négociant de Salé,


Honoré Gilly, qualifié de secrétaire interprète de Sa Majesté.

Dès le 21 juin 1767, avant même le départ de l’ambassade du comte


de Breugnon, Louis de Chénier s’est préoccupé de fixer la résidence
consulaire. Rien n’a été prévu à ce sujet, et il lui appartient de prendre sur
place une décision, sous réserve de la soumettre à l’approbation du ministre.
Il demeure d’abord un mois à Mogador. Puis il opte pour Salé.

Deux raisons principales inclinent Chénier à y établir la résidence


consulaire : d’une part, il peut mieux surveiller le mouvement des
corsaires ; d’autre part, il estime être ainsi plus à portée de se rendre soit sur
un point quelconque de la côte, soit à Meknès où le sultan fait de fréquents
séjours146. Mais le consul ne peut songer à s’établir à Salé sans avoir obtenu
l’agrément de Sidi Mohammed, ce qui lui est accordé au cours d’un voyage
qu’il fait à Marrakech, au mois de mai 1768. C’est seulement le 19 juillet
suivant que le consulat de France s’ouvre à Salé.

145
P. Grillon, Un Chargé d’affaires au Maroc. La Correspondance du consul Louis de Chénier
1767-1782, volume 1, 1767 à 1777, op. cit., p. 15.
146
Idem, p. 16.
96

L’évolution de la course salétine sous Mohammed III147

Quand, au cours de l’été 1768, le consul Louis de Chénier vient


s’installer à Salé, la course – qui a fait au siècle précédent la richesse de la
ville – a bien perdu de son activité148. « Malgré des essais de reprise au
début du règne de Sidi Mohammed Ben Abdallah, la course marocaine
disparaît ou deveint très sporadique dans la deuxième moitié du XVIIIe
siècle149. »

Aucune convention internationale n’est intervenue pour interdire de


mettre en esclavage les passagers et l’équipage d’un navire capturé en mer.
Toutefois les accords conclus entre le sultan et les principales puissances
maritimes ont pour conséquence une diminution de plus en plus sensible
des esclaves chrétiens.

147
L’évolution de la course salétine sous Sidi Mohammed Ben Abdallah (1757-1790) a fait l’objet
de nombreuses études historiques. On peut citer entre autre la thèse d’histoire de Pierre Grillon,
Sidi Mohammed Ben Abdallah et la fin de la piraterie marocaine, Thèse Lettres, Paris, 1951 ; et
les deux articles plus récents de l’historien espagnol Ramon Lourido Diaz, « Transformacion de la
pirateria marroqui en guerra del corso por el Sultan Sidi Muhammad B. Abd Allah : entre 1757 y
1768 », Hespéris Tamuda, volume 10-fascicule 1-2, 1969, p. 39-69 et « Sidi Muhammed B. Abd
Allah y sus intentos de cracion de una marina de guerra al-estilo eurpeo : 1769-1777 », Hespéris
Tamuda, volume 12-fascicule unique, 1971, p. 133-156.
148
P. Grillon, Un Chargé d’affaires au Maroc. La Correspondance du consul Louis de Chénier
1767-1782, volume 1, 1767 à 1777, op. cit., p. 36.
149
J. Brigon et autres, Histoire du Maroc, op. cit., p. 275.
97

La course prend elle un caractère officiel150. Le sultan Mohammed


III se fait armateur. Il engage des capitaines et des matelots, leur assigne
une solde fixe et s’approprie la totalité du produit des courses : navires,
marchandises et esclaves. Ces mesures ruinent en quelques années la
piraterie salétine. « Réduits au rôle de fonctionnaires et privés des bénéfices
de la course, les corsaires se détournent d’une entreprise qui continue de
comporter les mêmes risques que par le passé sans offrir les mêmes
avantages151. »

Cependant la décadence de la piraterie salétine n’apparaît pas


immédiatement. L’agonie de la course est plus longue : elle s’inscrit entre la
soumission de Salé à Sidi Mohammed Ben Abdallah et les dernières années
du règne de ce souverain.

Dans les premières années qui suivent son avènement, Mohammed


III s’est efforcé de donner à la course une impulsion nouvelle en accroissant
sa flotte de plusieurs unités. Mais ces navires s’avèrent inutilisables et la
plupart finissent par périr faute d’expérience de leurs commandants. Malgré
cet échec, l’activité des corsaires marocains paraît retrouver un regain
d’agressivité à la faveur de la paix de 1763 qui en mettant fin à la guerre de
Sept Ans rend de nouveau les mers au commerce152.

150
Abdelmajid Kaddouri, « Le Maroc et l’Atlantique à la fin du XVIIIe siècle à travers un kunnach
inédit », dans Abdelmajid Kaddouri (dir.), Le Maroc et l’Atlantique, op. cit., p. 79. Cet article met
très bien en avant la nouveauté du caractère impérial de la course salétine sous Mohammed III.
151
P. Grillon, Un Chargé d’affaires au Maroc. La Correspondance du consul Louis de Chénier
1767-1782, volume 1, 1767 à 1777, op. cit., p. 37.
152
Idem, p. 37.
98

La composition d’un navire corsaire, à quelque type qu’il appartient,


est invariable : seul change le nombre des matelots et des hommes d’armes.
Les Marocains n’ayant guère d’aptitudes nautiques, la plupart des raïs sont
des renégats. Il en est de même du lieutenant, du pilote et de quelques
professionnels de la mer, dont l’ensemble constitue l’état-major du navire
corsaire. D’autres raïs sont d’origine morisque, turque, tripolitaine,
algérienne, mais dans le choix de ses capitaines, Sidi Mohammed se laisse
guider par des considérations tout à fait étrangères à la navigation. Il ne
confie en effet ses bâtiments qu’à ceux dont la fortune présente des
garanties suffisantes pour que le souverain puisse y trouver une indemnité
en cas de perte du navire.

La correspondance du consul français à Salé renseigne assez bien sur


le nombre et le type des navires dont dispose le sultan, ainsi que sur les
sorties des corsaires153. Effectivement en l’application de l’article trois du
traité de 1767, chaque fois qu’un raïs part en expédition, il est tenu de se
faire délivrer par les services du consulat de France un certificat. A la fin de
chaque année ou au début de l’année suivante, le consul adresse au ministre
un état des navires corsaires mis à la mer au cours de l’année écoulée.
D’après la correspondance consulaire, il semble bien que la flotte corsaire
de Mohammed III n’a jamais dépassé une trentaine de bâtiments154.

153
P. Grillon, Un Chargé d’affaires au Maroc. La Correspondance du consul Louis de Chénier
1767-1782, volume 1, 1767 à 1777, op. cit., p. 39.
154
Idem, p. 39.
99

Le danger représenté par les marines européennes décourage


progressivement les corsaires de Salé 155 . Les années 1770 marquent une
décadence de plus en plus rapide non seulement de la course mais de la
marine marocaine. En 1778, une douzaine de navires prennent encore la
mer156. En 1780, les seuls navires qui reçoivent un passeport consulaire se
rendent à Cadix, à Lisbonne ou à Tanger pour des missions bien
déterminées. Le reste de la flotte du sultan n’a d’autre activité que le
cabotage. L’affaiblissement de la force navale de Mohammed III est
considérable. Vers mars 1780, la piraterie cesse de vivre ainsi que la marine
du sultan157.

La mission d’Ali Pérés en 1772

Le 1er août 1772, le sultan marocain Sidi Mohamed Ben Abdallah


écrit au roi de France Louis XV. Le souverain du Maroc confirme dans sa
lettre la bonne amitié avec la France et le respect de l’application du traité
de 1767158. Mais il approuve également la politique française vis-à-vis de

155
J. Brignon et autres, Histoire du Maroc, op. cit., p. 275.
156
P. Grillon, Un Chargé d’affaires au Maroc. La Correspondance du consul Louis de Chénier
1767-1782, volume 1, 1767 à 1777, op. cit., p. 40.
157
Idem, p. 43.
158
J. Caillé, « Ambassades et missions marocaines en France », art. cité, p. 38.
100

l’Empire ottoman et le soutien qu’elle apporte à celui-ci face à la Russie. Ce


courrier garantit par conséquent la bonne entente entre les deux pays. C’est
alors l’occasion d’une mission à Versailles, projet prévu de longue date par
Marrakech. Le raïs Ali Pérès de Tétouan est chargé de porter en personne à
la Cour de France la lettre du sultan.

Comment les autorités françaises perçoivent-ils l’envoi d’une


mission marocaine en France ? Après la signature de l’accord de 1767, le
royaume des Bourbon modifie t-il sa vision politique par rapport au XVIIe
siècle ? Quels sentiments prédominent à la possibilité de l’arrivée d’un
représentant d’un État ami ? La riche correspondance entre le consul de
France à Salé Louis de Chénier et le secrétaire d’État et ministre de la
Marine offre tout d’abord d’amples renseignements sur ces interrogations.
Chénier écrit ainsi le 30 juin 1772 :

Sidi Ahmet Elgazel, Monseigneur, […] lui [au sultan] a inspiré à


présent la ruse la plus honnête à laquelle Votre Excellence ne s’attend
sûrement pas ; c’est l’envoy d’un capitaine de navire qui doit aller à Brest
et delà à Versailles, pour présenter à Sa Majesté une lettre de politesse de
la part du Roi de Maroc […]. J’ay écrit en même tems, Monseigneur, au
sieur Sumbel […] pour détourner, si je le puis, la mission […] ou toute
autre qui pourrait nous venir après. [Ses lettres] instruiront Votre
Excellence et du projet du roi de Maroc et des premiers soins que j’ai dûs
me donner, pour en ecarter les embarras et en prévenir les inconvéniens.
[…] si nous ne pouvons pas éviter à présent les chevaux, les lions, et les
tigres, ce serait toujours beaucoup d’éviter la visite d’un hôte
incommode, qui augmenterait la charge et qui ferait peut-être moins de
bien que de mal159.

159
Lettre de Chénier à Monseigneur du 30 juin 1772 à Salé, Archives Nationales, Affaires
Etrangères, Correspondance consulaire, Maroc, BI 834, volume 10, 1772-1773, p. 141,
original.
101

Le consul Chénier marque un certain mécontentement au projet de


Sidi Mohamed. Sa colère se manifeste principalement contre les procédés
diplomatiques du Maroc. Effectivement le sultan ne charge pas Chénier
d’annoncer la nouvelle à sa Cour. Le secrétaire Sidi Ahmed El-Gazel
envoie un négociant français du nom de Salva à Versailles avec une lettre
de sa part160. Le consul de France ne pardonne pas au sultan cette initiative.
Selon lui, la décision d’envoyer un représentant résulte d’une politique
d’opportunité et d’intérêt.

Il porte donc un regard très négatif sur le fonctionnement de la


« diplomatie » du Maroc. Les mots utilisés par Louis Chénier à propos de
l’envoi d’une mission marocaine en France semblent très catégoriques :
« ruse », « embarras », « inconvéniens », « incommode », « charge » et
« mal ». L’agent français à Salé dénigre complètement le dessein du sultan.
Il considère l’envoi d’un Marocain comme un fardeau pour son pays. Il se
fixe alors un but précis : empêcher à tout prix la réalisation du projet.
Chénier formule dans une lettre à son « indicateur » l’interprète du sultan,
le juif Soumbel à Marrakech le fond de sa pensée dont il envoie une copie à
son supérieur :

[…] les ambassades doivent être reservées pour des occasions


marquées, et n’y en ayant aucune aujourd’hui qui puisse donner lieu à
une pareille mission, je désirerais beaucoup, je vous assure, que vous
puissiez adroitement détourner l’envoy de reis Ali Perés à Brest, pour
nous épargner les embarras […]. […] je ne m’ouvre à vous à cet égard,

160
Lettre de Chénier à Monseigneur du 30 juin 1772 à Salé, Archives Nationales, Affaires
Etrangères, Correspondance consulaire, Maroc, BI 834, volume 10, 1772-1773, p. 141, original.
102

que pour que vous puissiez, sans vous compromettre ni moi non plus,
arranger adroitement les choses de façon à nous épargner les embarras et
les chicanes d’une ambassade […]161.

Le terme « embarras » est utilisé deux fois par l’auteur. Un mot que
Chénier utilise aussi dans sa lettre à son supérieur. Ce vocabulaire résume
très bien la pensée du consul au sujet des ambassades du Maroc en France.
Pour Louis Chénier, la « diplomatie » marocaine manque de logique et
d’organisation :

[…] cette mission d’ailleurs est toute déplacée aujourd’huy et ne


servirait tout au plus qu’à nous montrer sans aucun déguisement, l’envie
que Sa Majesté paraît avoir d’exciter la générosité de la France, sous des
prétextes spéciaux qui n’ont point de fondement et qui luy sont même
tout-a-fait étranger […]. […] je désirerais beaucoup que vous pussiez
détourner l’envoy d’aucun ambassadeur, parce que n’en ayant point été
envoyé lorsque l’occasion en était naturelle, celle que l’on fait naître
aujourd’hui est tout-à-fait hors de propos et hors de saison […]162.

Il renforce cette idée d’opportunité et d’intérêt qui paraît guider


l’axe de la politique étrangère du sultan. Le consul critique également le
fonctionnement de celle-ci. Le 8 juillet 1772, Chénier indique à
Monseigneur : « […] nous pourrons éviter peut-être la visite dont nous

161
Lettre de Chénier à Soumbel du 27 juin 1772 à Salé, Archives Nationales, Affaires Etrangères,
Correspondance consulaire, Maroc, BI 834, volume 10, 1772-1773, joint à la p. 141, copie.
162
Lettre de Chénier à Soumbel du 6 juillet 1772 à Salé, Archives Nationales, Affaires Etrangères,
Correspondance consulaire, Maroc, BI 834, volume 10, 1772-1773, joint à la p. 143, copie.
103

sommes menacés 163 . » Il qualifie négativement la venue prochaine d’Ali


Pérès. Le consul dramatise et exagère la situation. Il utilise un mot fort et
inquiétant pour sensibiliser son supérieure. Pourquoi Chénier transforme
une mission d’amitié en un danger pour son pays ? Dans la lettre du 27 juin
1772 destiné à Soumbel, l’agent français explique :

Quelque plaisir que l’on ait en France, Monsieur, d’entretenir la bonne


intelligence avec le roi de Maroc, je crois que l’on y verra avec plus de
plaisir encore que l’on éloigne l’envoy de toute personne chargée de
commission, parce que, comme vous le savez vous-même, les Maures par
intérêt ou autrement sont faciles à éléver des prétentions plus propres à
détruire la bonne intelligence qu’à l’entretenir […]164.

Il craint en fait pour la paix entre les deux États. Il pense que l’envoi
de missions marocaines en France représente un danger pour les relations
amicales entre les deux pays. Il faut rappeler que Sidi Mohamed Ben
Abdallah désigne à l’origine Ali Pérès pour porter une lettre au souverain
français. Par conséquent le dénigrement des ambassades marocaines par
Chénier ne semble pas justifié. Cependant ce jugement s’avère
systématique :

[…] au retour de son corsaire, l’Empereur votre maître se propose


d’envoyer un ambassadeur en France. […] mais on sera surpris, peut-être,
163
Lettre de Chénier à Monseigneur du 8 juillet 1772 à Salé, Archives Nationales, Affaires
Etrangères, Correspondance consulaire, Maroc, BI 834, volume 10, 1772-1773, p. 143, original.
164
Lettre de Chénier à Soumbel du 27 juin 1772 à Salé, Archives Nationales, Affaires Etrangères,
Correspondance consulaire, Maroc, BI 834, volume 10, 1772-1773, joint à la p. 141, copie.
104

de voir annoncer une ambassade aujourd’hui, n’y en ayant point eû lors


de la paix qui en était une occasion toute naturelle, attendu que les
ambassadeurs, comme vous le savez, ne sont réservés que pour des
occasions extraordinaires. […] je doute de vous à moi, qu’aucune Cour
de l’Europe soit jalouse de pareilles démonstrations qui entrainent bien
des dépenses sans espoir d’en retirer aucune utilité165.

Le consul donne un cours de « diplomatie » au secrétaire du sultan.


Mais il explique surtout que la France ne tire aucun avantage à la réception
d’un ambassadeur marocain. Au contraire elle constitue un fardeau
notamment financier. Chénier se montre ici très soucieux d’effectuer des
économies à son pays. Quelles sont les positions de Versailles sur l’envoi
de représentants marocains en France ? Est-ce que la Cour confirme la
politique pratiquée par son agent au Maroc ?

Dans des instructions à Chénier datés du 24 août 1772, il est précisé :


« Vous en avés très bien jugé, et rien en effet ne pouvoit me causer plein de
suspicion que les dits que vous a inspiré ce Roy du Maroc de faire passer
ainsi et subitement en France un ministre et sans prétexte166 ». Le pouvoir
royal montre du doigt la politique d’opportunisme du sultan dont elle se
méfie largement. Ses supérieurs sont en total accord avec leur représentant.
Versailles approuve les méthodes de son consul. Les ordres du roi sont très
explicites sur la question des Marocains en France :

165
Lettre de Louis de Chénier à Sidi Ahmed El-Gazel du 17 août 1772 à Salé, Archives
Nationales, Affaires Etrangères, Correspondance consulaire, Maroc, BI 834, volume 10, 1772-
1773, joint à la p. 147, copie.
166
Dépêche du secrétaire d’État à la Marine à Louis de Chénier du 24 août 1772 à Compiègne,
Archives Nationales, Affaires Etrangères, Correspondance consulaire, Levant, BI 17, 1772, p. 345
r°, copie.
105

La lenteur qu’éprouve l’armement de la fregatte qui doit passer Aly


Perez a Brest me fait esperer que nous en serons débarrassés. […]. Au
surplus ce sera a vous a en differer l’usage si les dispositions du Roy de
Maroc ont changé lorsqu’elle vous parviendra. Je vous avoüe que je
compte beaucoup sur le succès des demarches que vous ferés pour
détourner cette mission, et qu’elle n’aura point lieu167.

L’autorité royal est catégorique : éviter par tous les moyens la


mission. Elle ne désire pas recevoir comme au siècle précédent les
représentants du sultan. Toutefois le raïs Ali Pérès part quand même de Salé
le 10 septembre 1772 à bord d’une frégate du sultan et arrive le 13 octobre
suivant à Brest. « Mais il était malade, atteint d’une forte fièvre et dut
demeurer plusieurs semaines dans le port breton168. »

Il part pour Paris qu’à la fin du mois de novembre. Le 13 décembre


1772 il est présenté au roi Louis XV et lui remet la lettre de Sidi
Mohammed Ben Abdallah en date du 1er août 1772. L’envoyé marocain
passe plusieurs jours à Versailles et à Paris. « Mais il tomba de nouveau
malade et ne quitta la capitale, pour regagner Brest, qu’au mois de février
1773169. » Ali Pérès retourne au Maroc sur sa frégate et débarque le 5 avril
à Larache. Un an plus tard, un autre Marocain est envoyé en France par
Mohammed III.

167
Dépêche du secrétaire d’État à la Marine à Louis de Chénier du 14 septembre 1772 à
Versailles, Archives Nationales, Affaires Etrangères, Correspondance consulaire, Levant, BI 17,
1772, p. 385 r°-v°, copie.
168
J. Caillé, « Ambassades et missions marocaines en France », art. cité, p. 54.
169
Idem, p. 55.
106

Le voyage d’Abdallah Scalante (1774-1775)

Au mois de juillet 1774, Barthélémy Pothonier du consulat de France


au Maroc remet au sultan Sidi Mohamed Ben Abdallah une lettre du roi
Louis XVI, annonçant son avènement au trône170. Le Alaouite décide alors
de faire porter sa réponse à la cour de Versailles par un envoyé spécial.
Pothonier écrit alors au comte de Sartine, le secrétaire d’État à la marine
pour lui en rendre compte :

[Ahmed El-Gazel] m’a parlé d’une ambassade de felicitation en


France, ça été un point delicat pour moy sur lequel j’ay répondu d’une
façon honnète mais a ne pas l’a tenter, parce que ces gens cy sont plus
importuns et à changer que discrets et avisés ; ce secrétaire […] a avancé
peut être cela de luy même par l’envie qu’il en auroit de l’être de la
France […]171.

Les mots du chancelier sont moins virulents que ceux utilisés par
Chénier. Mais la méfiance à l’encontre de l’envoi d’éventuels Marocains en
France reste présente. L’opportunisme de la politique étrangère du Maroc
est également dénoncé par Pothonier, ainsi que la prééminence de la notion

170
J. Caillé, « Ambassades et missions marocaines en France », art. cité, p. 55.
171
Lettre du chancelier Barthélémy de Pothonier au secrétaire d’État et ministre à la Marine le
comte de Sartine du 23 juillet 1774 à Meknès, Archives Nationales, Affaires Etrangères,
Correspondance consulaire, Maroc, BI 835, volume 11, 1774, p. 62, original.
107

d’intérêt. Un passage d’une autre lettre adressée à son supérieur le


confirme :

[…] s’il m était permis de dire mon sentiment à votre Excellence, je


prendray la respectueuse liberté […] de ne luy [à l’envoyé du sultan]
donner tout au plus qu’une montre pour tout present. Le Roy de Maroc
voyant ce traitement peu lucratif ne sera plus tenté d’envoyer à chaque
instant des emissaires pour occasionner des depenses, cette conduite
détournera sans contredit l’ambassade en France plus à charge
qu’agréable […]172.

Pour le chancelier Pothonier, la mission marocaine n’a aucun


fondement diplomatique. Elle est selon le Français « plus à charge
qu’agréable173. » Le sultan recherche plutôt les gratifications et c’est à partir
de là que sa politique étrangère se base. Il accuse également le Maroc
d’envoyer incessamment des représentants en France.

Il se montre ainsi dans la ligne droite de la pensée de Chénier. Il


s’oppose alors dans l’intérêt de son pays à la venue des Marocains à la cour
de France : « […] Elgazel m’a dit que je ne devais plus renouveller au Roy
cette espece d’opposition que je montrais a la résolution qu’il avait prise

172
Lettre du chancelier Barthélémy de Pothonier au secrétaire d’État et ministre à la Marine le
comte de Sartine du 20 août 1774 à Meknès, Archives Nationales, Affaires Etrangères,
Correspondance consulaire, Maroc, BI 835, volume 11, 1774, p. 69, original.
173
Lettre de Barthélémy de Pothonier au comte de Sartine du 20 août 1774, Archives Nationales,
Affaires Etrangères, Correspondance consulaire, Maroc, BI 835, volume 11, 1774, p. 69, original.
108

d’envoyer ce courrier à Paris174 ». Le chancelier veut montrer au secrétaire


d’État à la marine qu’il fait tout pour empêcher l’arrivée d’un ambassadeur.
Mais c’est un échec.

Pour remplir cette mission, le sultan désigne le sous-gouverneur de


Salé, Abdallah Scalante 175 . Celui-ci part de Salé le 12 septembre 1774,
accompagné – sur la demande du sultan – du chancelier Pothonier. Les
deux hommes s’arrêtent d’abord à Tétouan, puis à Gibraltar et n’arrivent
que le 6 novembre à Marseille. Après y avoir séjourne quelques temps, ils
se mettent en route pour Paris. A Versailles, le 23 janvier 1775, Abdallah
Scalante est présenté au roi Louis XVI par le comte de Sartine, secrétaire
d’État à la marine. L’envoyé marocain remet la lettre de son maître. Ce
dernier adresse au jeune monarque ses condoléances pour la mort de son
père et le félicite à l’occasion de son avènement176. Scalante passe plus de
huit semaines à Paris.

A la fin du mois de mars seulement, il part pour Brest. Il y arrive le 2


avril et y est rejoint quatre jours plus tard par Louis de Chénier, invité par le
sultan à regagner son poste à Salé. Toutefois le titre de Chénier est modifié

174
Lettre de Barthélémy de Pothonier au comte de Sartine du 20 août 1774 à Meknès, Archives
Nationales, Affaires Etrangères, Correspondance consulaire, Maroc, BI 835, volume 11, 1774, p.
69, original.
175
Ce personnage n’est connu que par des documents français qui lui donnent le nom de Scaland,
ou Scalant, ou bien Ascalan, ou encore Excalent. Il semble bien qu’il s’appelle en réalité Scalante
si l’on se réfère à C. Penz, Journal du consulat général de France à Maroc 1767-1785 paraphé
par Louis Chénier, op. cit., p. 151, note 5.
176
J. Caillé, « Ambassades et missions marocaines en France », art. cité, p. 56.
109

mais pas ses fonctions177. Il devient le chargé d’affaires de Sa Majesté. Sidi


Mohamed a en effet notifié en 1774 à tous les souverains de l’Europe qu’il
ne donnerait à l’avenir aucune audience aux consuls qui résident dans ses
États. Tous deux s’embarquent le 12 avril 1775 à bord de la frégate royale
l’Aigrette, qui jette l’ancre à Salé le 22 du même mois.

L’ambassade de Tahar Fennich (1777-1778)178

Dans la nuit du 26 au 27 décembre 1775, le navire marchand La


Louise, du port de Nantes, fait naufrage près du cap Bojador. Le capitaine et
vingt hommes de l’équipage peuvent gagner la côte, mais sont capturés par
les habitants du pays et vendus plusieurs fois comme esclaves179. Au mois
d’avril 1776, le chargé d’affaires de France au Maroc, Chénier, a
connaissance de l’accident et apprend que les naufragés se trouvent sur les
bords de l’oued Noun, dans la plus déplorable situation. Il s’adresse

177
P. Grillon, Un Chargé d’affaires au Maroc. La Correspondance du consul Louis de Chénier
1767-1782, volume 1, 1767 à 1777, op. cit., p. 47.
178
Les causes de cette ambassade marocaine en France sont analysées en détail dans l’article de
Jacques Caillé « Les Naufragés de la Louise au Maroc et l’ambassade de Tahar Fennich à la cour
de France en 1777-1778 », Revue d’histoire diplomatique, juillet-septembre 1964, p. 225-264.
L’auteur retrace précisément l’aventure des naufragés français au Maroc (p. 225-241).
179
J. Caillé, « Ambassades et missions marocaines en France », art. cité, p. 56.
110

immédiatement au sultan, Sidi Mohamed Ben Abdallah et lui demande


d’agir en faveur de ses compatriotes.

Le souverain rachète alors les Français. « Sidi Mohammed refusa le


remboursement de la somme ainsi versée ; il aurait voulu qu’en échange le
roi de France lui fasse remettre des Maures esclaves sur les galères de
180
Malte . » Les négociations se prolongent sans aboutir entre les
représentants du sultan et Chénier. Le sultan prend alors la décision
d’envoyer en France un ambassadeur chargé d’offrir à Louis XVI les
naufragés de la Louise. Le caïd Tahar Fennich181 est choisi pour remplir
cette mission.

Le dernier ambassadeur marocain venu en France remonte à la fin du


XVIIe siècle. Durant ce siècle, les représentants du sultan partent à
Versailles afin de conclure un traité de paix. L’ambassade de Tahar Fennich
se déroule elle dix ans après la signature de l’accord de Marrakech.
Comment est perçu l’envoi du Marocain en France ?

Le consul de Salé Louis de Chénier est le premier informé des


projets de Mohammed III. Dès le 23 août 1777, il écrit au secrétaire d’État
et ministre de la Marine : « […] le sieur Soumbel me mande que Sidi Tahar
Fennich […] a ordre d’amener l’équipage du capitaine Dupuis et les autres

180
J. Caillé, « Ambassades et missions en France », art. cité, p. 57.
181
Tahar Fennich est aussi le commandant de l’artillerie marocaine. Il jouit de la faveur de son
souverain. En 1773 il est envoyé comme ambassadeur du sultan à Londres. Puis il est désigné en
1777 pour se rendre aux Pays-Bas mais finalement Tahar Fennich est choisit pour diriger
l’ambassade en France. En 1786, il discute les clauses du traité entre les États-Unies et le Maroc
avec le consul américain Barclay.
111

Français disgrâciés qui se trouvent ici 182 . » Dans ce même courrier, il


n’hésite pas à qualifier cette mission de « contradictoire et singulièrement
arrangé » et de « commission aussi dispendieuses et aussi
embarrassante183 ».

Il désire par conséquent comme pour les missions marocaines


précédentes l’éviter en faisant intervenir Soumbel :

Le même jour, 26 [août], j’expédiai un courrier au sieur Soumbel, pour


l’engager à employer ses talents et ses ressources pour éviter les embarras
de cette mission, et à profiter de l’inconstance de son maître pour
ramener ce prince à une plus juste résolution et à renvoyer ces Français
avec moins d’éclat. Je lui observai cependant de suspendre toute
démarche à cet égard, pour peu qu’elle pût retarder la liberté et le départ
de ces disgraciés184.

L’envoi de Tahar Fennich gêne le consul de France à Salé parce qu’il


la juge inutile. L’occasion ne correspond pas selon lui à un départ d’une
ambassade. Cependant ces efforts sont cette fois limités. Il ne veut pas
s’opposer au projet du sultan car il craint pour la vie de ses compatriotes
prisonniers. Ainsi Louis de Chénier indique au comte de Sartine :

182
Lettre de Chénier au comte de Sartine du 23 août 1777 de Salé, Archives Nationales, Affaires
Etrangères, Correspondance consulaire, Maroc, BI 838, volume 14, 1777, p. 156, original.
183
Lettre de Chénier au comte de Sartine du 23 août 1777 de Salé, Archives Nationales, Affaires
Etrangères, Correspondance consulaire, Maroc, BI 838, volume 14, 1777, p. 156, original.
184
Lettre de Chénier au comte de Sartine du 10 septembre 1777 de Salé, Archives Nationales,
Affaires Etrangères, Correspondance consulaire, Maroc, BI 838, volume 14, 1777, p. 158, original.
112

Il m’a paru convenir cependant de suspendre toute représentation et de


ne rien opposer aux dispositions bizarres du roi de Maroc, dans cette
circonstance, pour ne point retarder le départ des Français et pour ne
point aigrir le caractère avide du prince, qui, de tous les moyens propres à
manifester sa justice, ne saisit que ceux qu’il suppose se concilie le mieux
avec ses intérêts et qui s’embarrasse peu de tout le reste185.

Chénier accuse toujours le sultan Mohammed III d’agir par intérêt


seulement. Il critique une fois de plus le fonctionnement de la
« diplomatie » marocaine. Le sultan du Maroc s’en sert selon son
raisonnement pour recueillir auprès des souverains européens uniquement
des présents :

[…] la mission de Sidi Tahar Fennich dévoilera mieux que je ne l’ai


fait les idées et les vues du roi de Maroc. Elle pourra servir en même
temps à ma justification. […]. Il n’a pas été en mon pouvoir,
Monseigneur, de détourner cette ambassade comme je l’ai fait avec
succès dans d’autres occasions ; mais je n’ai été, dans celle-ci ni consulté
ni prévenu, et la circonstance était trop délicate pour hasarder insinuation
contraire aux dispositions de ce souverain et à l’utilité qu’il paraît en
attendre186.

L’appât du gain demeure selon le consul de France la principale


motivation de l’envoi de Fennich en France :

185
Lettre de Louis de Chénier au comte de Sartine du 10 septembre 1777 de Salé, Archives
Nationales, Affaires Etrangères, Correspondance consulaire, Maroc, BI 838, volume 14, 1777, p.
158, original.
186
Lettre de Louis de Chénier au comte de Sartine du 20 septembre 1777 de Salé, Archives
Nationales, Affaires Etrangères, Correspondance consulaire, Maroc, BI 838, volume 14, 1777, p.
162, original.
113

Les différents prétextes que le Roi de Maroc a fait intervenir pour


éluder la réclamation des Français disgraciés qui étaient en son pouvoir,
ne laissent aucun doute sur les vues intéressées qui ont dirigé ce Prince
dans cette circonstance délicate ; et la résolution qu’il a pris d’envoyer
ces Français avec un ambassadeur, est une preuve plus convaincante
encore du motif d’intérêt qui le fait agir187.

Dans le même courrier, le consul met bien en relation


l’ambassade et l’intérêt recherché par le sultan : « […] ce Prince
n’envoie un ambassadeur à cette occasion, que pour intéresser
davantage la générosité de Sa Majesté188. »

Tahar Fennich s’embarque le 11 octobre 1778 à Tanger sur un


bâtiment rouennais. Il emmène avec lui les marins français et, de plus, six
chevaux pour les offrir au roi de France 189 . Après avoir fait escale à
Gibraltar, Fennich arrive le 1er novembre suivant à Marseille. L’envoyé
marocain, accompagné de sa suite et de l’interprète Ruffin, attaché à sa
personne, arrive vers le 10 janvier 1778 à Paris. Il est reçu le 22 janvier en
audience solennelle par le roi Louis XVI. Fennich lui remet à cette occasion
une lettre de Sidi Mohamed Ben Abdallah, en date du 4 septembre 1777.

Dans son courrier, le sultan fait d’une part des reproches à Chénier
pour son comportement au cours des négociations suivies en vue de la

187
Lettre de Chénier au comte de Sartine du 18 octobre 1777 de Salé, Archives Nationales,
Affaires Etrangères, Correspondance consulaire, Maroc, BI 838, volume 14, 1777, p. 170, original.
188
Lettre de Chénier au comte de Sartine du 18 octobre 1777 de Salé, Archives Nationales,
Affaires Etrangères, Correspondance consulaire, Maroc, BI 838, volume 14, 1777, p. 170, original.
189
J. Caillé, « Ambassades et missions marocaines en France », art. cité, p. 57.
114

libération des naufragés français. D’autre part, le souverain marocain


propose au roi de France un projet d’échange perpétuel des Européens
tombés entre ses mains contre les Maures captifs dans les États chrétiens.
« Il ne semble pas que cette question ait fait l’objet de longues discussions ;
en tout cas, il n’y fut pas donné suite190. »

Mais la forme de la lettre du sultan a retenu l’attention des ministres


français. Effectivement, Sidi Mohamed ne donne pas à Louis XVI le titre
d’empereur de France. Sur l’ordre du comte Sartine, des négociations
s’ouvrent avec Fennich à ce propos. Les autorités françaises obtiennent
finalement l’accord de l’ambassadeur pour régler la question. Le secrétaire
d’État et ministre de la Marine et le Marocain signent le 18 février 1778 un
règlement protocolaire aux termes duquel « Sidi Mohammed ben Abdallah
prenait l’engagement d’appeler désormais le roi Louis XVI « le plus grand
des Chrétiens, l’Empereur de France » et, d’autre part, celui-ci promettait
de donner au sultan « les titres et qualités du plus grand des Musulmans,
l’Empereur du Maroc et du Magreb »191. »

Tahar Fennich quitte Paris avant la fin du mois de février 1778. Il


s’embarque le 16 mars à Toulon sur la frégate royale la Gracieuse et arrive
dix jours plus tard à Tanger.

190
J. Caillé, « Ambassades et missions marocaines en France », art. cité, p. 58.
191
Ibid, p. 58.
115

La deuxième mission d’Ali Pérès en France (1781)

Mohammed III ne dissimule plus son hostilité à l’égard de


Chénier. « Il lui fit même savoir qu’il nécouterait plus à l’avenir ses
représentations. La position du consul devint alors très délicate192. »

Au cours de l’été de 1778, Sidi Mohammed ayant décidé d’assujettir


les consuls européens au payement de la douane pour les effets qu’ils
reçoivent à titre personnel, Chénier proteste dans les formes contre une
disposition contraire à l’article onze du traité de 1767193. Il ne peut obtenir
satisfaction. Au début de 1780, les rapports se tendent encore : désirant
confier l’exploitation du commerce des ports de Salé et de Larache à des
juifs marocains, le sultan a enjoint aux négociants européens établis dans
ces deux villes d’abandonner leurs comptoirs pour aller se fixer à Fédala.
Chénier proteste encore et tout aussi vainement. Mohammed III décide de
demander son rappel en s’adressant directement au roi de France194.

Dès le mois de février 1781, le raïs Ali Pérès qui commande à Salé
une frégate de quatorze canons et montée par cent dix hommes d’équipage
reçoit l’ordre de se rendre à Tanger pour y attendre les instructions du

192
P. Grillon, Un Chargé d’affaires au Maroc. La Correspondance du consul Louis de Chénier
1767-1782, volume 1, 1767 à 1777, op. cit., p. 48.
193
Ibid, p. 48.
194
Ibid, p. 48.
116

souverain195. Il est chargé de remettre au roi Louis XVI une lettre de Sidi
Mohammed Ben Abdallah en date du 26 février 1781. Son maître demande
cette fois-ci le rappel du chargé d’affaires Chénier et de le remplacer par un
nouvel agent.

Ali Pérès part de Tanger le 27 mars et arrive le 15 avril 1781 à


Marseille. La Cour de France ne reconnaissant pas la mission, elle refuse de
le recevoir à Versailles. Le représentant du sultan remet alors aux autorités
marseillaises la lettre dont il est porteur. Contrairement à l’accord du 18
février 1778, Sidi Mohamed Ben Abdallah s’abstient de donner à Louis
XVI le titre d’Empereur de France196. En conséquence, c’est le secrétaire
d’État à la Marine qui répond au sultan et lui explique les raisons pour
lesquelles son envoyé n’a pu remplir la mission dont il est chargé. Le raïs
quitte Marseille sur son navire le 16 juin 1781. Le 11 juillet, il rentre dans
le port de Salé.

L’échec de la mission d’Ali Pérès a des répercussions directs.


Furieux d’apprendre que la Cour a refusé de recevoir son envoyé, le sultan
convoque en effet Chénier à Marrakech. Au cours d’une audience publique,
le 21 septembre 1781, il lui adresse les plus vifs reproches, lui fait attacher
autour du cou la lettre du maréchal de Castries, qui n’a pas été ouverte et
l’envoie résider d’aborder quelques jours à Mogador, puis à Tanger, d’où le
chargé d’affaires du roi rentre définitivement en France au mois de

195
P. Grillon, Un Chargé d’affaires au Maroc. La Correspondance du consul Louis de Chénier
1767-1782, volume 1, 1767 à 1777, op. cit., p. 48.
196
J. Caillé, « Ambassades et misssions marocaines en France », art. cité, p. 60.
117

septembre 1782197. Il s’ensuit une assez grave tension entre les deux pays
et, jusqu’en 1786, le roi Louis XVI n’est plus représenté au Maroc que par
le vice-consul Henry-Noël Mure à Salé.

Le voyage de Hadj Larbi Moreno (1785-1786)

En 1785, le sultan Sidi Mohamed Ben Abdallah décide d’envoyer un


ambassadeur à Constantinople. Le chef d’une des plus vieilles familles de
Salé, Hadj Larbi Moreno est alors désigné pour y aller avec deux frégates.
Cependant il est également chargé d’une mission en France. Larbi Moreno
doit conduire en leur pays les marins français qui ont fait naufrage le 17
janvier 1784 sur la côte marocaine, près de l’oued Noun198. Capturés par les
habitants de la région et vendus comme esclaves, ils ont été – de même que
l’équipage de la Louise en 1775 – rachetés par Sidi Mohamed Ben
Abdallah. En outre le sultan charge Larbi Moreno de porter au roi de France
Louis XVI une lettre en date du 26 novembre 1785.

Dans cette lettre, il annonce au souverain français le retour des


naufragés et demande que ses frégates en assez mauvais état, soient

197
J. Caillé, « Ambassades et misssions marocaines en France », art. cité, p. 60.
198
Idem, p. 61.
118

réparées199. Le vice-consul de France à Salé, Mure écrit au secrétaire d’État


à la marine le maréchal de Castries le 16 octobre 1785 au sujet du projet du
sultan :

Ce prince [Sidi Mohamed] m’a désigné en même tems, un de ses sujets


nommé L’hady Laber Moreno […] pour conduire ces Français, et
remettre son present au Grand Seigneur. J’ai crains d’abord,
Monseigneur, que ce particulier n’eut quelque ordre de se rendre à Paris,
et j’ai demandé à l’Empereur une explication à cet égard, bien résolu de
lui faire connoistre que cette mission ne seroit pas agréable à la Cour ; ce
Prince m’a répondu positivement que cet envoyé resteroit à Toulon
jusqu’à ce que ses corsaires fussent en etat de suivre leur voyage et de le
conduire à Constantinople200.

Comme Chénier, Mure doit éviter les ambassades marocaines à la


Cour de France. Il semble que c’est une des fonctions des agents français au
Maroc. Ces derniers doivent empêcher tout envoi de la part du sultan de
représentants dans la capitale française. Mure s’inscrit dans la tradition
instaurée par ses prédécesseurs. Toutefois le vocabulaire usité par Mure ne
contient aucuns termes dégradant ou négatif pour qualifier l’envoi de Larbi
Moreno en France.

Ainsi c’est une rupture avec la vision de Chénier et celle d’Estelle au


XVIIe siècle. Mais le manque de documents émanant de Mure ou du

199
J. Caillé, « Ambassades et misssions marocaines en France », art. cité, p. 61.
200
Lettre de Mure au marquis de La Croix-Castries du 16 octobre 1785 à Salé, Archives
Nationales, Affaires Etrangères, Correspondance consulaire, Maroc, BI 842, volume 18, 1783-
1785, p. 90, original.
119

pouvoir ne peut donner de plus amples informations relatives au regard


porté sur la mission marocaine de 1785.

Parti du Maroc à la fin du mois de décembre 1785, El-Hadj Larbi


Moreno arrive le 25 janvier 1786 à Toulon, après s’être arrêté quelques
jours à Marseille. L’envoyé du sultan fait naturellement débarquer les
marins français qu’il a à son bord, mais refuse obstinément de remettre la
lettre du souverain marocain 201 . Grand est l’embarras des autorités de
Toulon. Il leur faut discuter pendant près de deux mois avec le Marocain.
Celui-ci maintient sa prétention de se rendre à Paris.

Le 16 mars 1786 seulement, il consent à remettre au directeur du port


de Toulon, le comte d’Albert de Ryons la lettre de Sidi Mohamed, quelques
jours après avoir pris l’engagement de partir dès que ses navires seront en
état de reprendre la mer202. Le Salétin part de Toulon finalement le 27 avril
1786, à destination de Constantinople. L’envoi de Larbi Moreno en France
constitue la dernière mission marocaine du siècle 203 . Les événements
révolutionnaires en France et la mort de Mohammed III en 1790

201
J. Caillé, « Ambassades et misssions marocaines en France », art. cité, p. 61.
202
Ibid, p. 61.
203
En effet, Mohammed III au début de l’année 1788 désigne un ambassadeur pour se rendre à la
cour de Versailles. L’envoyé est Mohammed Ben Abd El-Hadi. Il est chargé de demander au roi
de France de racheter en Europe des esclaves musulmans pour le comte du sultan. Cependant le
chargé d’affaires français au Maroc, Du Rocher, accueille cette nouvelle avec réserve. Mohammed
III fait savoir par conséquent qu’il renonce à son projet et que la question sera traitée par
correspondance. Il existe aux Archives Nationales, série Affaires Etrangères, sous-série
Correspondance consulaire BI 843, une traduction d’une lettre adressée au nom du sultan à Du
Rocher du 5 avril 1788. Une note est accordée à ce projet d’ambassade dans J. Caillé,
« Ambassades et missions marocaines en France », art. cité, p. 62, note 9.
120

interrompent momentanément les relations entre souverains. Mais le


commerce français au Maroc garanti par le traité de 1767 se poursuit.

Si les rapports sont rompus officiellement entre les deux États entre
1718 et 1757, des tentatives de dialogues se sont maintenues. Toutefois
l’anarchie régnante au Maroc à cette période, les projets se sont avérés tous
des échecs. A l’arrivée de Mohammed III en 1757, la situation intérieure est
rétablit. Les initiatives diplomatiques reprennent et aboutissent finalement à
la signature d’un traité en 1767. Cet accord règle alors les différents litiges
survenus au cours du XVIIe siècle.

Après la conclusion du traité de Marrakech, le sultan Sidi


Mohammed envoie plusieurs de ses représentants en France. Les missions
n’ont plus l’objet de signer un accord de paix comme sous Moulay Ismaïl.
Les Marocains sont plus amenés à porter une lettre au roi de France ou de
conduire des captifs français échoués sur les côtes marocaines. Toutefois
l’annonce de leur arrivée prochaine en France n’est pas très bien vue par les
autorités françaises. Le consul français à Salé Louis de Chénier a l’ordre de
les détourner à tout prix. A l’époque de Louis XIV c’est compréhensible.
Des litiges importants demeurent en suspens. Mais même après la
conclusion du traité en 1767, les premières impressions de la cour de France
n’ont pas changé vis-à-vis des ambassades et missions marocaines.
121

L’étude des relations diplomatiques entre le Maroc et la France des


origines à la fin de l’époque moderne permet ainsi de réunir les outils
nécessaires pour décrypter le regard diplomatique à l’encontre de « l’autre »
marocain aux XVIIe et XVIIIe siècles. Les liens entre les deux souverains
débutent réellement sous François Ier. Jusqu’au roi Henri IV, le Maghreb
Al-Aqça semble bien considéré aux yeux de la France. Puis à partir des
années 1610, des litiges apparaissent entre les deux États qui offrent la
possibilité de comprendre le changement du regard.

Ces problèmes sont de deux ordres : d’une part la progression de la


course marocaine ; et d’autre part la captivité de Français au Maroc. Ils
correspondent à deux outils indispensables du regard français porté sur le
Maghreb Extrême au XVIIe siècle. Cela peut expliquer en partie que la
venue des ambassades et missions marocaines à Versailles n’est pas désirée.
Cependant en 1767 un accord est enfin conclu entre les deux protagonistes.
Le traité de Marrakech normalise ainsi les relations franco-marocaines en
mettant fin au problème de la captivité et en réglementant la course des
Salétins. Toutefois l’envoi de représentants marocains en France reste
toujours mal perçu par les autorités françaises.

Quelles peuvent être par conséquent les autres raisons qui poussent
la France a ne pas désirer recevoir les envoyés du sultan ? Avant de
formuler des réponses à cette interrogation essentielle, il faut revenir sur les
ambassades et les missions des Marocains afin de connaître les traitements
et les honneurs rendus pendant leurs séjours en France. En effet si elles ne
sont pas souhaitées au départ, le pouvoir royal se résigne tout de même à les
122

accueillir. Sont-elles alors traitées avec les mêmes égards que celles des
autres pays lointains ou moins bien traitées ? Quelles attentions sont portées
à ces ambassadeurs marocains en France ? Voici les questions auxquelles il
faut répondre à présent.
123

DEUXIEME PARTIE
TRAITEMENTS ET HONNEURS RENDUS EN FRANCE
124

Après avoir décrit les relations diplomatiques entre la France et le


Maroc, après avoir remis les ambassades et missions marocaines en France
dans leurs contextes, il est nécessaire de s’attarder maintenant sur les
traitements et les honneurs rendus à l’égard des représentants du sultan à
l’époque moderne.

Entre 1681 et 1786, l’annonce de l’arrivée prochaine des envoyés du


sultan reste mal reçue par les autorités françaises. Celles-ci ne souhaitent
évidemment pas leur venue. Certaines raisons ont été évoquées dans la
partie précédente. Ces Marocains arrivent cependant en France pour remplir
leurs missions. La cour de France se résout contrairement au siècle de Louis
XIII à accueillir officiellement les envoyés marocains musulmans. De
quelles manières sont donc honorés ces agents du mahrzen sur le sol
français ? Quels égards leur sont rendus ?

Ces problèmes paraissent primordiaux lorsqu’il faut cerner la vision


diplomatique porté par la cour sur le Maroc à cette période. Effectivement
les premières impressions données par les agents français sur ces
ambassades et missions marocaines montrent très peu de considérations
diplomatiques à l’égard du Maghreb Al-Aqça. Y a-t-il confirmation ou non
de ces sentiments à travers l’accueil réservé aux Marocains en mission en
France ?

Pour répondre, il semble nécessaire d’analyser les différentes étapes


traversées par les représentants du sultan depuis leur arrivée dans les ports
français à leur embarquement pour leur pays. Le premier chapitre est ainsi
125

accordé à l’accueil reçu par les envoyés du Maroc de leur descente dans les
ports français jusqu’à leur arrivée à Paris. Un deuxième chapitre est
consacré au séjour parisien des représentants du sultan. Enfin un dernier
chapitre a pour objectif de s’occuper uniquement de toutes les dépenses
effectuées par la cour à l’occasion de la présence de ces Marocains
126

Chapitre 4.
Des ports français à Paris.
127

La réception des envoyés marocains en France est un autre moyen


pour cerner le regard de la « diplomatie » française. Il est possible de
continuer de montrer l’intérêt diplomatique affiché par les Français à
propos des missions marocaines. Mais il faut démontrer également
comment les Marocains par rapport aux autres envoyés musulmans en
ambassade en France sont-ils honorés ? Y a-t-il des divergences entre
musulmans ?

L’accueil signifie premièrement une mise en place de dispositions


afin de réceptionner ces Marocains. De quelles manières se manifeste-elle ?
Est-elle la même pour tous les représentants musulmans venus en France ?
Le deuxième point consiste à connaître le déroulement de la vérification des
titres portés par les envoyés du sultan. Il faut s’arrêter enfin sur les
traitements et les honneurs rendus dans les villes de passage.

Le système de réception

Cette première sous-partie cherche à connaître les premières


dispositions de Versailles à l’égard des envoyés marocains. La cour de
France est mise au courant de leur venue prochaine par ses différents
agents. Si les représentants du sultan ne sont pas désirés au début, la France
se résigne tout de même à les accueillir quand elle ne peut mieux faire.
128

Comment s’organise par conséquent le pouvoir royal lors de ces


événements ? Quelles dispositions sont prises par le roi de France ? Y a-t-
il au moins une organisation ? Est-ce que le système de réception est le
même pour tous les Marocains envoyés en France ? Ce système est-il
analogue ou différent de ceux mis en place pour les autres ambassadeurs du
monde musulman ? Peut-on retrouver la même organisation en ce qui
concerne des ambassades européennes ?

Ces multiples questions permettent ainsi d’établir la considération


allouée aux représentants marocains en France à l’époque moderne. La
comparaison essentielle entre les missions et ambassades du Maroc et celles
d’autres États peuvent apporter sans aucun doute des éléments précieux
pour répondre.

Les points à cerner deviennent nombreux. Les correspondances entre


les ports d’accueil et la capitale restent les sources primordiales. Elles
comprennent essentiellement les rapports des commandants de navires, des
intendants des ports, de la Chambre de Commerce de Marseille et les ordres
et décisions des secrétaires d’État à la Marine. Les informations doivent
être traitées de façon chronologique.
129

1 Les Marocains à bord des vaisseaux français

Pour la plupart des ambassades et missions marocaines des XVIIe-


XVIIIe siècles, la France se charge du transport des sujets du sultan entre les
deux États. Les capitaines des vaisseaux français apparaissent alors en
contact direct avec ces musulmans. Ils relatent rigoureusement à leur
supérieur le déroulement du voyage des Marocains.

Quels traitements et honneurs leur sont accordés à bord des


bâtiments français à l’aller et au retour de leurs missions en France ? Quels
cérémonials sont accordés aux envoyés du Maroc à leur montée et descente
des vaisseaux français ?

Arrivés dans les ports du royaume, les Marocains sont pris en charge
par les autorités locales. Comment se déroule leur accueil ?

2 Les envoyés du sultan à Brest

A la descente des bâtiments français, les envoyés en ambassade


reçoivent un premier accueil par les autorités de Brest en attendant les
ordres de Versailles. Ils sont ensuite pris en charge par les agents envoyés
par la cour. Durant leurs séjours dans le port, ils sont évidemment logés et
nourris.
130

Il faut noter que seuls les Marocains parmi les autres ambassades
musulmanes de l’époque en France descendent dans le port de Brest. Est-ce
que les représentants du sultan ont été traités pour autant de manière
distinguée ? A l’inverse, il est possible de comparer l’accueil reçu dans les
ports méditerranéens entre les différents envoyés des pays lointains.

3 Les envoyés du sultan à Toulon et à Marseille

En comparant la réception faite à d’autres ambassadeurs non


européens et à moindre degré européens, il est ainsi nécessaire de déceler
les différences ou ressemblances entre eux afin de savoir si les Marocains
ont été maltraité ou au contraire.

A leurs arrivées dans les ports méridionales, les envoyés du sultan


sont accueillis différemment en comparaison à Brest. Les Marocains sont
contraints d’abord de séjourner le plus souvent en rade de Toulon avant
d’accéder au port marseillais par exemple ou à la terre ferme. Les autorités
toulonnaises contrôlent le personnel des navires marocains pour dépister
éventuellement des épidémies.

A Marseille, la Chambre de Commerce s’occupe des Marocains et de


leur suite. Comment s’organise la Chambre de Commerce de Marseille à
l’arrivée de ces hommes du Sud ?
131

Les Marocains réceptionnés dans les ports du royaume, les ordres du


roi restent formels : vérifier si les agents du sultan portent le titre
d’ambassadeur ou de simples envoyés.

La vérification des titres

Le premier contact établi entre les Marocains et les autorités


françaises, une longue période s’ouvre au sujet du titre porté par les
représentants marocains. Les ordres de Versailles s’avèrent effectivement
unanimes. Les envoyés du Maroc sont invités avant de pouvoir se rendre à
la cour de France à montrer leurs pouvoirs.

Cette pratique institutionnalisée à tous les pays est logique. Elle


permet de dissocier les agents envoyés véritablement par le sultan des
personnes mal attentionnées. De quelles manières s’effectuent cette
vérification ? Sur quels critères repose-t-elle ?

Les points intéressants à exploiter dans cette partie répondent tous à


un seul objectif : est-ce que le titre accordé aux envoyés marocains par les
autorités françaises correspond réellement à celui décerné par leur
132

souverain à leur départ ? Quelle considération est portée par la France aux
agents du mahrzen en comparaison avec ceux d’autres États ?

1 Les ordres de Versailles

Quels sont-ils à ce sujet ? Est-ce les mêmes pour tous les autres
envoyés en France à cette époque ? Qui exécute les ordres émanant de
Versailles ? Comment s’y prennent-ils pour mener à bien leur tâche ? Sur
quels critères se basent-ils ?

Les consignes sont très strictes à ce sujet. Il est nécessaire à tout prix
de vérifier les titres portés par les envoyés du mahrzen. Pourquoi ?
Premièrement la cour de France doit se prémunir d’éventuelles impostures.
Deuxièmement, les traitements et les honneurs rendus aux Marocains
dépendent du titre reconnu par les autorités françaises. Il faut savoir
évidemment qu’un ambassadeur ne peut être traité comme un simple
courrier.

Il existe par conséquent des ordres précis émanant de la cour sur la


vérification des titres des Marocains. Comment sont donc jugés les
pouvoirs des envoyés du sultan ?
133

2 Les pouvoirs des envoyés

Les représentants du Maghreb Al-Aqça sont envoyés en France avec


des pouvoirs précis. Ces derniers sont transcrits dans « une lettre de
créance » émanant soit directement du souverain soit d’un secrétaire. Elle
est rédigée en arabe et porte le sceau du sultan. Ces pouvoirs sont souvent
accompagnés d’une lettre de la main du Alaouite destinée au monarque
français. Elle renforce alors de manière considérable la véracité des
documents présentés par le Marocain en France.

Quelle est par conséquent la valeur des pouvoirs des représentants du


Maroc en France ? Cette interrogation demeure capitale puisque Versailles
n’est pas obligé au final d’accorder le titre dont l’envoyé marocain se
réclame. La cour décide par conséquent elle-même selon son bon vouloir du
traitement qu’elle désire accorder à « l’autre » marocain. Mais il est
possible que des problèmes linguistiques sont entrés en jeu dans la
traduction des lettres marocaines.

3 Les problèmes linguistiques

C’est alors en effet qu’intervient le secrétaire interprète du roi de


France en langues orientales. Il se rend à la rencontre des Marocains dans
134

les ports. Il doit travailler rapidement et donner la traduction des pouvoirs


des envoyés du sultan à sa cour.

Les difficultés rencontrées doivent être nombreuses. La langue parlée


au Maroc diffère de l’arabe utilisé par d’autres pays musulmans. Les
secrétaires interprètes ne sont pas évidemment formés à ces divergences
linguistiques. La signification des termes apparaît aussi comme un dilemme
non négligeable.

Comment se déroule donc le travail des traducteurs ? Fournissent-t-


ils une traduction fidèle au texte d’origine? Font-ils consciencieusement
leur travail d’interprètes ?

La phase de vérification terminée, la cour autorise un nombre limité


de Marocains – trois sur huit missions entre 1682 et 1786 – à rejoindre la
capitale avec le titre d’ambassadeur. Deux agents du sultan portent le titre
de courrier mais sont reçus par le roi. Quels traitements et honneurs sont
donc rendus aux représentants du Maroc lors de leurs traversées du
royaume des Bourbon ?
135

Traitements et honneurs rendus dans les villes de passage

Lorsque la vérification des titres des envoyés marocains est terminée


et que leurs pouvoirs apparaissent en règle après de longues discussions
avec la cour, Versailles les autorise à prendre la route pour parvenir auprès
du roi de France. C’est alors une nouvelle étape dans le voyage des
représentants du sultan du Maroc au royaume des Bourbon. Durant le trajet
ils traversent effectivement plusieurs villes.
Les Marocains s’y arrêtent quelques jours et sont accueillis par les
autorités citadines. Comment se déroulent leurs courts séjours ? Quels sont
les ordres de Versailles ? Quels traitements et honneurs sont rendus à ces
musulmans ?

En comparant avec des ambassades non européennes contemporaines


aux missions marocaines en France, il faut mettre d’abord l’accent sur le
trajet effectué par les envoyés du sultan du Maghreb Al-Aqça. La
connaissance du chemin emprunté par les Marocains est à étudier puisqu’il
est choisi par la cour de France. Pourquoi ? Quel est ce trajet emprunté ?
Quelles sont les villes traversées ? Il faut comparer avec le trajet des autres
envoyés musulmans en France.

Leurs entrées dans les différentes villes du royaume traversé. Enfin il


semble primordial de connaître l’accueil réservé aux envoyés du Maroc
dans celles-ci. De quelle manière s’exerce l’entrée des ambassadeurs du
136

Maroc ? Est-il le même pour tous les représentants du sultan ? Quel


cérémonial s’établit à cette occasion ? Quels honneurs sont rendus à ces
agents du sultan ? L’accueil à l’entrée des villes françaises permet de
connaître l’intérêt accordé à ces envoyés.

Enfin il semble important de connaître l’accueil réservé aux envoyés


du Maroc dans celles-ci. Lors de leur trajet vers Paris, les envoyés
marocains passent quelques jours dans les villes de province. Quelles
attentions sont portées à leur égard ? Qui rend visite aux Marocains ? Ils
sont invités par les pouvoirs locaux à des soupers, des réceptions et des
bals.

Des ports français à Paris, les traitements et les honneurs rendus dans
les villes de passage offrent un avant goût de la considération accordée aux
envoyés marocains. Il semble que par comparaison avec d’autres célèbres
ambassades orientales, celles des Marocains n’ont pas eu l’attention
attendue. Qu’en est-il à Paris et à Versailles où rayonne la puissance
royale ? Comment se déroule le séjour parisien des représentants du sultan ?
137

Chapitre 5.
Le séjour parisien.
138

Plusieurs étapes se sont déroulées dans le voyage des envoyés du


Maroc. Mais l’arrivée à Paris et le long séjour qui suit constitue la phase
essentielle de la rihla des représentants du sultan. Son importance
s’explique pour plusieurs raisons. En effet la durée passée dans la première
ville du royaume reste un facteur déterminant. Mais c’est également à Paris
et à Versailles que rayonne le faste de la cour. Les agents du mahrzen sont
aussi présentés au roi de France. Enfin ils côtoient de hauts dignitaires de
l’État français.

Tous les ambassadeurs des pays lointains sont invités à séjourner


longtemps à Paris. Mais le cérémonial varie largement entre envoyés d’un
pays considéré par Versailles à un autre. Qu’en est-il pour les musulmans
d’Extrême Occident ? Quels comparaisons et différences existent-ils avec
les ambassadeurs orientaux voire d'Europe orientale ?

L’entrée marocaine dans Paris constitue le premier point à étudier.


Le second est centré sur l’audience royale accordée aux ambassadeurs du
sultan du Maroc. Le séjour parisien des Marocains est subdivisé entre les
visites et la vie de cour. Enfin il faut accorder un dernier point aux relations
établies entre les Français côtoyés et les sujets du sultan.
139

Entrée à Paris des Marocains

Le long trajet des ambassadeurs marocains se termine à Paris.


L’entrée dans la plus grande ville du royaume marque alors un premier
moment fort. Les ambassadeurs envoyés à la cour de France jouissent en
effet du privilège d’effectuer solennellement leur première entrée à Paris.
C’est un usage établi pour honorer les souverains qui accréditent des
missions extraordinaires ou permanentes auprès du roi, et pour donner en
même temps à leurs représentants une haute idée de la majesté royale. Cette
tradition est-elle pratiquée pour les envoyés du sultan marocain ?

A partir des témoignages de l’époque, il semble plausible de


recomposer le déroulement du passage des envoyés du Maroc dans Paris.
Quel est le trajet dans la grande ville ? Qui est présent à cette entrée ? Quel
cérémonial est usité à cette occasion ?

Il demeure essentiel de s’arrêter sur le déroulement des entrées


parisiennes des Marocains. C’est effectivement un moment crucial dans une
ambassade étrangère. Il faut savoir qu’une foule immense se déplace lors de
l’entrée d’ambassadeurs étrangers comme par exemple celle des Persans en
1715. Elle montre par conséquent la considération accordée aux envoyés de
pays lointains.

L’entrée dans Paris enfin se termine à l’arrivée des musulmans à leur


demeure allouée pour eux dans la ville. L’endroit où descendent les
140

Marocains revêt alors une importance pour connaître la considération


reconnue aux représentants du sultan. Où sont-ils par conséquent logés ?
Quel est le décor installé dans l’hôtel en leur honneur ? Quels sont les
moyens mis à leur disposition par le pouvoir royal ?

Le séjour parisien débute ainsi par un moment fort : l’entrée dans


Paris. Toutefois il s’avère qu’à l’époque moderne aucun ambassadeur
marocain n’a eu l’honneur de pénétrer dans Paris de manière officiel. C’est
le plus souvent de manière discrète que les envoyés du sultan sont introduits
dans la première ville du royaume. De quelles manières se déroule dans ces
conditions l’audience du roi accordée aux Marocains ?

L’audience royale

Le deuxième moment fort connu par les envoyés du Maghreb Al-


Aqça reste l’audience donnée par le monarque français. Elle se déroule à
Versailles. La réception des représentants étrangers demeure un moment de
fête. Mais le cérémonial dépend de l’importance du pays d’origine des
ambassadeurs. La cérémonie est donc plus ou moins fastueuse selon cette
idée.
141

La considération accordée à un pays dépend du faste de la


cérémonie. Comment se déroule par conséquent l’audience royale accordée
aux Marocains ? La connaissance minutieuse du déroulement de celle-ci
répond à la question. Trois temps sont à prendre en compte.

Le trajet effectué de leur logement parisien au château de Versailles


constitue le premier. Grâce aux témoignages français de l’époque, il faut
décrire la route empruntée par les Marocains de leur logement à Paris
jusqu’à leurs arrivées à Versailles. Quels sont les ordres donnés par le roi ?
Qui est présent lors de cette traversée ?

L’entrée proprement dite dans le château de Versailles compose le


second acte. Elle répond à un protocole précis. Comment s’effectue l’entrée
des représentants du sultan dans le château de Versailles ? Comment se
déroule la cérémonie ? Où se passe la scène ? Quels dignitaires sont
présents à cette audience ? Comment est habillé le roi de France ? Quelle
est la position du roi ? Celle des membres de la famille royale ?

Enfin la prononciation des harangues par les ambassadeurs conclut


l’audience du roi. Les envoyés du Maroc prononcent au cours de cette
cérémonie une harangue en arabe. Celle-ci est traduite sur le champ par le
secrétaire interprète du roi en langues orientales. Ces traductions sont
retranscrites dans la plupart des gazettes du moment. Quelle image indirecte
ressort des envoyés marocains dans ces harangues traduites ?
142

L’audience royale est par conséquent un moment privilégié dans les


ambassades et missions marocaines en France des XVIIe et XVIIIe siècles.
La connaissance de son déroulement permet de confirmer le regard
diplomatique français porté sur les représentants du Maghreb Al-Aqça.
Mais le séjour à Paris des Marocains continue après avoir été reçus par le
monarque. C’est ainsi l’occasion d’effectuer de multiples visites dans la
première ville du royaume et dans ses alentours.

Les visites

Les envoyés du sultan sont logés à Paris durant leurs missions en


France. La durée de leur présence dans la grande ville du royaume varie
selon l’importance de celles-ci. Mais le troisième temps qui compose le
séjour parisien des représentants du sultan correspond aux visites dans la
ville de Paris et de ses alentours. Tous les envoyés des souverains étrangers
connaissent ce privilège. Ils sont menés prioritairement à découvrir les
« miroirs de l’absolutisme » français.

Les Marocains sont ainsi emmenés dans les manufactures


parisiennes telles que l’Imprimerie royale, La Monnaie des Médailles, la
manufacture des Gobelins, la Savonnerie et la manufacture des glaces. Ils
visitent également les établissements culturels comme la Bibliothèque du
143

roi et l’Académie de peinture et de sculpture. Les ambassadeurs marocains


pénètrent également dans les Invalides, le château de Versailles, le Louvre,
les domaines royaux de Saint-Cloud, Saint-Germain-en-Laye et de Marly.

Est-ce que les lieux visités sont-ils les mêmes pour tous ces visiteurs
venant de pays lointains? Est-ce que les démonstrations ont le même
objectif chez les Marocains que chez les autres ambassadeurs musulmans
ou orientaux de l’époque ? Comment sont peints les visiteurs marocains
lors de leurs parcours « touristiques » dans les sources françaises ?

La visite de Paris et de ses alentours demeure un temps


incontournable dans le déroulement des ambassades marocaines durant la
période moderne. Elle étale aux représentants du Maroc la grandeur et la
puissance du roi de France. Le but des visites est ainsi clair : impressionner
les Marocains. Mais ces derniers sont tout de même conviés à participer aux
fastes de la cour de France.

La vie de cour

Autre que les visites, le séjour parisien des Marocains comporte


également une participation à la vie de cour. Les représentants du sultan
sont invités à de multiples festivités organisées par la cour de France. Les
144

envoyés du sultan sont effectivement conviés à des repas, des bals et des
réceptions. Mais ils assistent aussi à des représentations théâtrales. Ce n’est
pas une première pour eux. Ils ont effet déjà été invités à des festivités lors
de leurs passages dans les villes de province.

Les sources iconographiques et littéraires ne manquent évidemment


pas à immortaliser ces moments. Elles mettent en scène ces représentants
du Maghreb Al-Aqça dans le monde des courtisans. Toutefois sont-ils
traités de manière convenable ? Reçoivent-ils les honneurs et traitements
dus à leur rang ? Qui invite ces musulmans ? Comment sont perçus enfin
les représentants marocains lors des réceptions à la cour par les Français ?

La vie à la cour forme le dernier temps du séjour parisien des


ambassadeurs du Maroc. L’accès aux solennités paraît être un privilège
accordé aux Marocains. Cependant ce ne sont pas des festivités en
l’honneur de l’ambassadeur. Les représentants du mahrzen sont uniquement
conviés à assister comme simple invité. Les sorties et les divertissements de
ces musulmans permettent ainsi d’évaluer l’attention qui leur est attribuée.

La longueur des séjours à Paris et à Versailles amène à présent


l’intérêt d’une réflexion sur les relations humaines entretenues par les
Français avec ces Africains du Nord.
145

Les relations des Français avec les Marocains

Un dernier point à résoudre consiste à étudier les relations


personnelles entre les envoyés du sultan et les différents Français côtoyés
durant leurs périples. Des échanges verbaux et par courrier sont
effectivement échangés tout au long du voyage des Marocains au royaume
de France. Il est ainsi plausible de déterminer les liens qui s’établissent
entre les deux communautés. Quels échanges intimes se créent-ils ? Quelle
part de sincérité doit-il être accordé à ces relations ? Durent-ils après la fin
de la mission des Marocains en France ?

Les représentants du Maroc ont d’abord le privilège de rencontrer le


roi et certains membres de sa famille principalement. Ces confrontations se
déroulent principalement lors d’audiences accordées par le roi et par
d’autres membres royaux comme ses frères, ses enfants et ses cousins. Mais
ces musulmans du Maghreb Al-Aqça sont également côtoyés lors de
certaines festivités à la cour. Quels liens s’établissent entre les membres de
la famille royale et les Marocains ?

Les autres Français rencontrés par les représentants du Maroc sont


des agents du pouvoir royal. Ils sont le plus souvent nommés auprès des
Marocains pour les accompagner ou bien pour traiter des missions pour
lesquels ils sont envoyés. Ce sont entre autre les secrétaires interprètes, les
introducteurs des ambassadeurs, les consuls, les courtisans et les secrétaires
146

d’État. Comment se déroulent par conséquent les relations entre ces deux
« élites » ? De quelle manière s’opère le choc des cultures ?

Il s’agit d’indiquer dans cette partie la nature des rapports humains


entre les deux communautés. La considération de « l’autre » marocain peut
passer en effet par le degré de la relation créée par le Français avec lui. Il
faut donc mettre en évidence les tensions existantes entre eux. Puis il est
nécessaire de déceler les agissements par intérêts dans l’établissement de
liens proches avec les envoyés marocains.

Les relations humaines entretenues par les Français avec les


Marocains doit ainsi continuer à développer l’idée du peu d’estime apportée
à ces musulmans. Les liens réels d’amitié demeurent éphémères. A part
quelques exceptions, les rapports entre les deux « élites » sont très tendus.
Les envoyés du sultan restent en général mal perçus par les sujets du
royaume.

Le séjour parisien des Marocains apparaît comme riche en


renseignement pour cerner les traitements et les honneurs rendus à
l’encontre des envoyés du mahrzen. Les différents temps de leurs séjours
prouvent en effet que les représentants du sultan n’ont pas été accueillis de
la même manière que leurs homologues orientaux. Le pouvoir royal s’est
indéniablement contenté d’un strict minimum en ce qui concerne deux
moments cruciaux des ambassades : les entrées parisiennes et les audiences
royales. L’étude à présent des dépenses occasionnées par la présence des
agents marocains en France doit permettre de trancher sur le sujet.
147

Chapitre 6.
Les dépenses.
148

La considération politique des envoyés marocains peut enfin être


démontrée par l'examen minutieux des dépenses effectuées à l’occasion de
la présence de ces Africains du Nord dans le royaume. Logiquement plus la
valeur des dépenses s’élève, plus on est certain que la France accorde de
l’importance aux ambassadeurs envoyés auprès d’elle. En étudiant par
conséquent en détails les frais occasionnés par les Marocains aux XVIIe-
XVIIIe siècles et ceux occasionnées par d’autres ambassadeurs orientaux à
la même période, il faut arriver à déterminer ce qu’il en est des ambassades
et missions du sultan.

Les choix financiers du pouvoir royal en ce qui concerne les


Marocains en France montre en effet directement les attentions qui leur sont
consenties. Est-ce que les envoyés des sultans alaouites ont eu un traitement
pécuniaire particulier ? Ou au contraire ont-ils été négligés par rapport à
d’autres ambassadeurs d’Orient ou d’Extrême-Orient venus à la même
période en France ?

Pour répondre à ces questions, il faut commencer premièrement à


décrire le système de prise en charge des dépenses mis en place par le
pouvoir royal pour les ambassadeurs du sultan. Deuxièmement il est
nécessaire de rendre compte précisément des premiers frais important
engendrés par l’arrivée des Marocains : les transports. La nourriture de ces
musulmans en France compose troisièmement l’autre dépense essentielle
des autorités. Les ambassades et missions du Maghreb Al-Aqça
occasionnent également en quatrième lieue de nombreux frais
« extraordinaires ». La valeur des présents offerts en l’honneur des agents
149

du mahrzen et à leurs sultans reste aussi à connaître. Enfin au retour


définitif des Marocains dans leur pays, le pouvoir royal tient ses comptes
finals et remboursent ses agents. Quel est donc le coût total de chaque
ambassade et mission du Maghreb Al-Aqça ?

La prise en charge

L’arrivée de représentants étrangers en France pose la question de la


prise en charge du financement des dépenses causées par leur venue. La
cour prend seulement en charge le financement à Paris et à Versailles. Le
reste est délégué à d’autres personnes qui sont remboursées plus tard par le
pouvoir royal. Une différence géographique apparaît alors à partir du port
où débarquent les Marocains.

Effectivement lorsqu’ils sont à Marseille, c’est le plus souvent la


Chambre de commerce qui prend en charge les dépenses financières. Elle
rajoute à ses multiples fonctions celle de « banquier ». A l’inverse à Brest,
ce n’est pas un organisme mais des particuliers qui s’en occupent. Au
départ des ports français et jusqu’à l’arrivée à Paris, ce sont les
accompagnateurs des ambassadeurs qui sont chargés du règlement des
dépenses. Comment s’organise le système de prise en charge ? Quelles sont
les consignes royales sur les dépenses à l’encontre des Marocains ?
150

L’étude de l’organisation de la prise en charge des frais engendrés


par la présence de ces musulmans offre une fois de plus la possibilité de
connaître l’égard porté par la France aux envoyés marocains. Une étroite
économie doit être effectivement réalisé selon le pouvoir royal. Qu’en est-il
dans les faits et tout d’abord en ce qui concerne les transports ?

Les transports

La première grande dépense financière regroupe tous les frais


entraînés par les moyens de locomotion empruntés par les représentants du
Maghreb Al-Aqça. De leur départ de leur pays d’origine à leur retour
définitifs, les envoyés du mahrzen en empruntent trois.

La plupart des Marocains sont d’abord transportés dans des


bâtiments de la marine française des ports du Maroc aux ports français. Les
capitaines reçoivent alors une gratification pour ce service rendu. Les
ambassadeurs du sultan, leurs suites et leurs bagages empruntent ensuite des
« voitures » pour traverser tout le royaume. Enfin une « voiture » est mise à
la disposition des Africains pour leurs divers déplacements dans Paris et les
alentours.
151

Les transports pris par les envoyés du sultan sont aux frais de l’État
français. Quelles sont les consignes relatives aux transports que doivent
emprunter en France les Marocains ? Quelle part est accordée à cette
dépense par la cour ? Par rapport aux dépenses effectuées pour le transport
des autres ambassadeurs des pays lointains, quelle est l’importance de celles
réalisées à l’occasion des ambassades marocaines ?

Les dépenses relatifs aux transports pris par les ambassadeurs du


Maghreb Extrême ne s’avèrent pas élever. Est-ce également le cas pour ce
qui concerne la consommation des aliments par les agents du sultan au
royaume des Bourbon ?

Les frais alimentaires

Après les transports, la deuxième préoccupation du pouvoir royale


concerne les besoins alimentaires des envoyés du Maroc. Des ports français
jusqu’à leur arrivée à Paris, les autorités locales s’occupent de ravitailler les
ambassadeurs du sultan. Puis comme la précédente dépense, les frais
relatifs à la nourriture des Marocains durant leur séjour parisien est
l’occupation directe du pouvoir royal.
152

Quels sont les ordres donnés par la cour pour subvenir aux besoins
primaires des hommes du mahrzen ? De quoi se compose la nourriture
quotidienne des envoyés du sultan ? Quel est son coût ? La France est-elle
généreuse à l’égard de leur hôte musulman ?

L’examen de la consommation journalière des ambassades et


missions du sultan au royaume de France à l’époque moderne établit que
d’importantes économies sont réalisées dans ce domaine. La différence
avec les frais alimentaires des ambassadeurs des États lointains reste
frappante. Néanmoins les dépenses de l’autorité centrale ne s’arrêtent pas à
ce niveau. D’autres sommes d’argents sont versées par la cour à l’occasion
de la présence de ces Africains pour de diverses raisons qu’il faut à présent
discerner.

Autres dépenses

Outre les dépenses « ordinaires », d’autres frais interviennent avec la


venue des envoyés du Maghreb Al-Aqça aux XVIIe et XVIIIe siècles. En
quoi consistent ces nouveaux coûts pour le pouvoir royal ?

Ces dépenses sont principalement de trois natures. Le roi met


premièrement à disposition des ambassadeurs marocains une somme
153

d’argent comme gratification personnelle lors de leur séjour parisien. A


combien s’élève-t-elle ? Est-ce que les contributions financières offertes
aux autres ambassadeurs sont comparables à celles concédées aux
Marocains ?

La cour de France doit deuxièmement gratifier les loyaux services


des agents qui se sont occupés des envoyés du sultan durant tout leur séjour
dans le royaume. Cette dépense est tout à fait normale. Elle se retrouve à
chaque ambassade étrangère. Toutefois il faut la prendre en note pour avoir
une idée très vaste de tous les frais engendrés par l’arrivée des hommes du
mahrzen.

Enfin il arrive troisièmement que des dépenses imprévues entrent en


compte comme la réparation dans les ports français de navires en mauvais
état appartenant à l’envoyé du sultan. Il faut souligner une certaine
générosité de la part de la cour.

Tous ces frais énumérés montrent que d’abord les dépenses des
Marocains en France peuvent varier l’une à l’autre. Mais les coûts élevés
concernent plus l’accueil proprement dit des ambassadeurs du Maroc que
les hommes. Le dernier engagement financier concerne enfin les présents
du roi à ces envoyés musulmans.
154

Les présents offerts

Au départ pour son pays d’origine, la coutume veut que le roi de


France offre une multitude de présents pour l’ambassadeur, sa suite et son
maître. Les Marocains n’ont pas évidemment dérogé à la règle. Néanmoins
la richesse des cadeaux octroyés à cette époque dépend largement de
l’estime portée par la cour de France aux pays étrangers.

Les ambassades et les missions marocaines aux XVIIe et XVIIIe


siècles ont été perçues par les contemporains comme ayant pour seul but
d’apporter des présents à leur souverain. Le moyen de vérifier cela est par
conséquent de connaître la nature des cadeaux et surtout leur valeur
financière.

L’autre méthode indissociable de la première est enfin de comparer


au passage les présents offerts aux Marocains avec ceux offerts aux autres
émissaires des pays lointains.

En comparaison avec d’autres ambassadeurs orientaux, les présents


offerts aux Marocains lors de leurs missions permettent d’affirmer que
l’estime porté par le royaume des Bourbon sur le Maroc est bien moindre
que d’autres États indépendant d’Orient et d’Extrême-Orient durant cette
période. La valeur financière des cadeaux du roi aux agents du sultan ne
dépasse pas effectivement ceux des autres envoyés étrangers. A présent il
155

est temps de conclure en additionnant toutes les dépenses occasionnées par


les Marocains pour savoir si la cour a été généreuse ou pas avec ces
Africains du Nord.

Les coûts définitifs des missions marocaines

Cette dernière étape se réalise à la fin des ambassades et missions


marocaines. Versailles doit alors rembourser les différentes personnes qui
ont dépensé de l’argent à ces occasions. C’est pour la cour le moment
d’établir les comptes définitifs et de régler ses dettes.

Le total des dépenses peut donner ainsi une idée générale du coût
d’une ambassade marocaine en France à l’époque moderne. En la
comparant avec d’autres missions musulmanes du moment, une typologie
peut être définie.

L’étude des coûts définitifs des ambassades et missions marocaines


s’avère très fructueuse pour déterminer la considération allouée à celles-ci
par le royaume de France à la période moderne. Le résultat confirme les
conclusions précédentes : le pouvoir de l’époque s’est contenté d’un strict
minimum.
156

La connaissance précise de toutes les dépenses causées par la venue


des envoyés du Maghreb Extrême en France apparaît donc essentielle pour
cerner le regard du « moi » français sur « l’autre » marocain. L’examen des
coûts détaillés des missions marocaines montrent en effet que le royaume
des Bourbon a déconsidéré les représentants du Maroc par rapport aux
autres émissaires étrangers en l’occurrence les Ottomans, les Persans et les
Siamois. Concernant les Marocains, la volonté d’établir des économies
demeure en fait l’élément primordial de la cour.
157

L'analyse méticuleuse du déroulement des ambassades et missions


marocaines en France confirme la déconsidération vis-à-vis du Maroc. Les
réceptions et les égards rendus à l’encontre des Marocains relèvent le peu
d’attention accordée au Maghreb Al-Aqça.

En effet sur les huit tentatives d’envoi de représentants entre 1682 et


1786, trois seulement obtiennent le statut d’ambassadeur. En comparaison
avec d’autres envoyés de pays lointains comme la Perse ou le Siam, aucune
des ambassades n’est fastueuse. Les multiples litiges diplomatiques entre
les deux pays peuvent expliquer ce manque de considération.

Toutefois il semble qu’il subsiste une autre raison plus profonde et


plus essentielle. Elle se trouve dans les images et les représentations du
Maroc et de ses habitants chez les Français à l’époque moderne. Le regard
porté sur « l’autre » marocain paraît être d’une portée capitale pour
comprendre le mépris de la France vis-à-vis du Maghreb Al-Aqça.

C’est pourquoi il faut maintenant discerner en détails les sentiments


français à l’égard des envoyés du sultan en tant que Marocains musulmans.
Effectivement ces ambassadeurs – représentants de leurs pays – reflètent
aux yeux des Français l’archétype du peuple marocain.
158

TROISIEME PARTIE
LES ENVOYÉS MAROCAINS : MIROIR DE LEUR PAYS
159

En outre de l’image exclusivement diplomatique touchant les


ambassadeurs du sultan, un regard culturel ressort très nettement des
sources françaises. Celui-ci se manifeste par des jugements et des
sentiments sur le Marocain en tant que peuple et appartenant à la
civilisation de l’Islam.

Les envoyés marocains viennent d’un pays lointain. Ils relèvent de


plus d’une culture entièrement différente de celle de l’Europe. Les
croyances religieuses mais également les mœurs et les coutumes divergent
de celles des Français. C’est pourquoi ces derniers par le nombre des
témoignages montrent qu’ils n’y sont pas restés indifférents.

Quels sont les sentiments de la France en ce qui concerne les


Marocains ? Sont-ils amicaux ou bien hostiles à leurs égards ? Les sujets
abordés dans les écrits chrétiens sont au nombre de quatre. Le premier
examine directement le pays d’origine des représentants. Plusieurs
informations géographiques et historiques relatives au Maroc sont à cet
égard mis en avant. Le second regarde l’État marocain, c’est-à-dire le sultan
et le mahrzen car les envoyés appartiennent à ce cercle. Les Marocains en
tant que nation est également traité par les Français. Les représentants du
sultan continuent en effet à vivre durant leurs missions comme dans leurs
pays. Enfin le regard porté sur la religion musulmane constitue le dernier
point. Eloignés de leurs pays, les Marocains pratiquent quand même leur
culte. « L’autre » musulman attise par conséquent la curiosité du « moi »
chrétien.
160

Chapitre 7.
Le Maghreb Al-Aqça.
161

La présence des envoyés marocains en France est d’abord l’occasion


pour certains Français de donner des précisions géographiques sur leur pays
d’origine : le Maghreb Al-Aqça. Les gazettes qui suivent ces Marocains
venus en France indiquent par exemple à leurs lecteurs des données
relatives au Maroc. Ce dernier semble en effet un pays lointain que la
majorité des Français ne doit pas connaître particulièrement.

Seuls les envoyés du roi en mission, les captifs, les religieux et les
aventuriers ou autres voyageurs qui ont laissé des écrits ont pu visiter le
Maroc. Il est d’ailleurs intéressant de comparer le regard porté par ces gens
qui ont vu et vécu avec ceux qui portent un regard à partir des Marocains
arrivés en France. Est-ce que les représentations diffèrent ou bien se
ressemblent-elles ?

Les points à cerner ici sont au nombre de trois. Premièrement, les


délimitations géographiques du Maroc constituent un point primordial.
Quelles sont les frontières du Maroc pour les Français du XVIIe et XVIIIe
siècles ? Sur quelles étendues règne le sultan marocain de l’époque ? Les
informations émises par les écrits français se fondent-elles sur la réalité ?
Le deuxième thème qu’il faut privilégier demeure les descriptions du pays.
C’est la géographie proprement dite du pays traité par les Français qui
englobe ce second point. Enfin troisièmement, l’histoire du Maroc est aussi
un thème récurent dans les écrits de la période.
162

Délimitations géographiques

Les premières indications émanant directement des sources


françaises relatifs au Maghreb Al-Aqça touchent les délimitations de ses
« frontières ». Les ambassadeurs du Maroc sont en effet l’occasion pour les
auteurs des écrits d’informer les lecteurs sur l’étendue de cet État
musulman.

Il est très important de s’attarder sur la vision des Français sur


l’étendue du territoire marocain à l’époque moderne. « L’autre » marocain
pour être apprécié en France doit obligatoirement venir d’un pays dont
l’étendue frappe les imaginations. Les écrits français s’intéressent alors à
décrire surtout le rayonnement de l’autorité du sultan sur le Maroc.

Quelle est l’étendue territoriale du Maghreb Al-Aqça selon les écrits


français à l’époque moderne ? Sur quels territoires règne le souverain
marocain ? Comment est désigné le Maroc à cette époque ? Est-ce un
empire, un royaume ou autre ? Existe-t-il une évolution entre le XVIIe et le
XVIIIe siècle dans l’appellation du Maroc ?

La représentation des « frontières » du Maghreb Extrême établis, le


« moi » français juge de l’importance de l’État. Toutefois il semble que la
grandeur du territoire du Maroc de l’époque est minimisée dans les écrits
chrétiens. Comment est perçue la géographie du pays par les Français ?
163

Descriptions du pays

Après avoir configuré les limites du Maghreb Al-Aqça, il faut


s’arrêter sur les descriptions géographiques du pays chez les Français de
l’époque moderne. La correspondance des consuls de France résidant à Salé
reste ici essentielle et notamment les longs mémoires adressés au secrétaire
d’État à la Marine. Mais les relations des ambassadeurs français envoyés au
Maroc ainsi que ceux des voyageurs sont également riches
d’enseignements. A ces sources, il faut inclure enfin les gazettes comme le
Mercure Galant qui ne font que reprendre ces informations. Comment
décrit-on la géographie du Maroc à cette époque ? Correspond-t-elle à la
réalité ? Les connaissances géographiques de ce pays ont-elles un but
politique ?

La majorité des écrits français évoque en premier lieu les paysages


marocains. Frappés par la diversité du territoire qui s’offre à eux, les
Français en décrivent effectivement les caractéristiques. Les idées conçues
à ce sujet se rapportent ensuite au pays et même aux habitants.

Les multiples paysages peints, les chrétiens s’intéressent en second


lieu à la faune et à la flore du Maroc. Complètement divergente du royaume
de France, la végétation et les animaux qui se trouvent au Maroc attirent en
164

effet la curiosité des Français. Les envoyés marocains sont de plus souvent
porteurs de lions, autruches et chevaux à la cour.

Le troisième et dernier élément des descriptions françaises concerne


la géographie urbaine. Les villes et les ports marocains sont largement
traités par les écrits français. Quels renseignements géographiques prévalent
à ce sujet ? Les sites des villes, leurs situations et leurs activités demeurent
les thèmes principaux abordés. Les documents consulaires sont à ce sujet
très nombreux.

Les Français accordent par conséquent un grand intérêt à la


géographie du Maroc. Cette sollicitude explique sûrement les entreprises de
domination tentées par la cour sur l’État musulman. Les descriptions
géographiques terminées, les Français se penchent ensuite sur l’histoire du
Maghreb Al-Aqça.

Histoire du Maroc

Le dernier thème exploité par les Français regroupe les données


historiques. Les sources restent pour l’essentiel les mêmes que pour les
informations géographiques. Néanmoins à la différence de l’étude du
territoire, certains récits ont pour sujet principal de relater l’histoire du pays.
165

Cette dernière se confond le plus souvent avec l’histoire des souverains et


des dynasties du Maghreb Al-Aqça.

Sur quels fondements reposent les écrits historiques sur le Maroc ?


Est-ce que les auteurs décrivent la même histoire dans leurs ouvrages ?
Quel regard les Français portent-ils sur l’histoire d’un pays musulman ?
Quels sont les événements historiques privilégiés ? Pour quelles raisons ? Y
a-t-il un essai de construction de l’histoire lorsque les auteurs français
écrivent notamment sur les relations diplomatiques entre le Maroc et la
France ?

L’histoire du Maroc passionne les Français de l’époque. Mais leurs


manières de relater les événements historiques ne cachent pas une certaine
partialité. La réalité est ainsi largement faussée surtout en ce qui concerne
les rapports entre le sultan marocain et le roi de France. Leur royaume tient
généralement le bon rôle.

Les représentations françaises sur le Maghreb Extrême illustre ainsi


très bien le regard supérieur du « moi » chrétien sur « l’autre » marocain.
Les indices géographiques et historiques concernant le pays des envoyés du
sultan relevés dans les divers écrits des XVIIe-XVIIIe siècles contribuent
effectivement à cette idée. Après s’être intéressé au pays en général, les
Français ont porté leurs yeux sur le fonctionnement étatique du Maroc.
Comment distinguent-ils par conséquent le pouvoir central marocain ?
C’est l’objet du chapitre suivant.
166

Chapitre 8.
L’État marocain.
167

Les représentants du sultan sont des agents de l’État marocain. Ils


appartiennent à l’appareil gouvernemental du pays. Ce sont des hommes en
effet du mahrzen. Il semble par conséquent tout à fait normal que les
Français portent un regard sur l’État marocain. Ces informations émanent
pour la grande partie des agents du royaume de France. Mais certains écrits
littéraires ont également effectué des allusions politiques sur le pouvoir
marocain de l’époque. Quelles sont les remarques des Français en ce qui
concerne l’État marocain ?

Les thèmes privilégiés dans ce chapitre recoupent toutes des notions


politiques. Par ordre de puissance, il faut commencer à montrer l’image du
sultan du Maroc dans les écrits politiques et littéraires français du XVIIe et
XVIIIe siècles. Il faut deuxièmement donner les visions sur le
fonctionnement de l’appareil dirigeant : le mahrzen. Enfin, le dernier point
reste de démontrer les forces et faiblesses de l’État marocain selon les
Français.

Le sultan selon les écrits français

Au plus haut niveau de l’État marocain est le sultan. Depuis 1659 ce


dernier appartient à la dynastie alaouite. Les témoignages français des
ambassades et missions marocaines en France à l’époque moderne sont
168

nombreux seulement à partir de la fin du XVIIe siècle sous Louis XIV.


Entre cette période et 1789, seuls deux sultans marocains ont envoyés au
royaume des Bourbon des Marocains en mission. Ce sont Moulay Ismaïl
(1672-1727) et son petit-fils Sidi Mohammed Ben Abdallah ou Mohammed
III (1757-1790).

Les écrits français ont largement développé sur ces deux souverains
marocains. Les regards des Français s’inclinent sur eux pour des raisons
différentes et personnelles. Celles-ci sont importantes car elles sont les clefs
pour comprendre leurs visions. Quelles sont les représentations du « moi »
français sur le sultan ? Quelle est la part du mythe, du mensonge et de la
réalité dans l’image du maître du Maroc chez le Français ? Quelles
réflexions sont apportées au fait que la dynastie alaouite se dit descendante
du Prophète ?

1 Moulay Ismaïl

Le règne de Moulay Ismaïl (1672-1727) est le plus long connu par le


Maroc. Les écrits français le concernant sont très nombreux. Comment est-
il peint par les Français ? Quels traits s’établissent dans les diverses
descriptions françaises ? Quelle puissance politique est accordée à Moulay
Ismaïl ?
169

Les relations orageuses entre le sultan Moulay Ismaïl et le roi Louis


XIV ont certainement influé sur le regard porté à l’encontre du premier. Les
corsaires attaquent les bâtiments marchands français. Le souverain détient
de plus des sujets du monarque de France.

Il est intéressant de comparer les tableaux dressés sur le sultan par


les Français avec ceux d’autres Européens de la période. Néanmoins
l’image de Moulay Ismaïl dans les écrits français apparaît très sombre. Les
récits français accordent effectivement au personnage une cruauté
légendaire. Qu’en est-il pour son petit-fils Sidi Mohammed Ben Abdallah
dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle ? Mettant fin aux calvaires des
captifs français, bénéficie-t-il d’un regard plus chaleureux ?

2 Sidi Mohammed Ben Abdallah

Mohammed III (1757-1790) a également longtemps régné sur le


Maghreb Al-Aqça comme son grand-père. Mais les écrits à son sujet restent
moins nombreux que ce dernier. Quelles images de ce sultan ressortent de
ces lectures ? Existe-t-il des similitudes avec Moulay Ismaïl ?

Sous Sidi Mohammed Ben Abdallah, les rapports entre la France et


le Maroc deviennent plus paisibles. En 1767, un traité de paix et de
commerce est conclu en 1767. Les corsaires marocains ne s’attaquent plus
aux navires français et c’est la fin de la captivité des Français au Maroc. Les
170

récits d’esclaves ou de rédempteurs diminuent par conséquent par rapport


au siècle précédent. Cependant les écrits sur le sultan – et notamment ceux
du consul de Salé Louis de Chénier – demeurent captivants.

Mohammed III subit en effet comme Moulay Ismaïl d’une certaine


hostilité. Il est diabolisé par les Français de l’époque alors que les relations
sont désormais bonnes entre les Bourbon et les Alaouites. Bourré de défauts
moraux, sa cruauté est aussi mise en relief.

Les sultans sont par conséquent montré comme des bêtes cruelles
soif de sang et avide de richesses. L’exercice d’un pouvoir autoritaire leur
est aussi reproché à plusieurs reprises. Après ces regards portés sur le
premier des Marocains, le « moi » français s’est soucié de son mahrzen et
ses agents qui la composent. De quelles manières sont peintes
l’administration et le gouvernement du sultan ?

Le mahrzen

Les Français ont montré ainsi une attention toute particulière aux
maîtres du Maghreb Al-Aqça : les sultans. Mais ces derniers tiennent le
pays grâce à leur mahrzen.
171

Cette notion spécifiquement marocaine recoupe en fait à la fois le


gouvernement et l’administration du Maroc. Le sultan est évidemment à la
tête du mahrzen. Les membres de sa famille et le personnel de son palais à
Meknès ou à Marrakech constituent le noyau principal. Certains fils du
sultan sont installés aux hautes fonctions de vice-roi d’une région. Les caïds
des villes appartiennent également à cette institution. Les corsaires sont
aussi pour la plupart des agents mahrzeniens surtout pour le XVIIIe siècle.

Quelles sont les connaissances de la France sur le mahrzen ? Quels


hommes composent cette institution d’après les écrits français ? Quel regard
politique est porté par les Français sur le fonctionnement du gouvernement
et de l’administration du Maghreb Al-Aqça à l’époque moderne ?

Les sources sur la question abondent surtout du côté des consuls du


roi en poste au Maroc. Mais il faut y rajouter les récits de voyage des
Français tels que ceux des ambassadeurs de Louis XIV venus auprès des
sultans. Enfin les histoires concernant les souverains marocains ont laissées
de fructueuses données sur le sujet.

Le mahrzen évoqué, les Français se sont penchés sur l’étude des


forces et faiblesses de l’État marocain aux XVIIe-XVIIIe siècles. Quelle est
la puissance du Maroc à cette période d’après les écrits français ?
172

Forces et faiblesses du pays

Certaines relations de voyage évoquent la puissance du pays au


niveau économique et militaire. Les ambassadeurs français au Maroc sous
Louis XIV ont pour mission d’établir des rapports détaillés sur le Maghreb
Al-Aqça. Mais les consuls de France rédigent également de façon annuelle
des mémoires précis sur les forces et faiblesses de cet État à l’attention de
Versailles.

Quelle est la situation du Maroc d’après les auteurs français ? Quels


sont les handicaps et les problèmes de l’État marocain à l’époque ? A
l’opposé, quels sont les atouts que possède le pays ? Quelles sont les
évolutions constatées durant le XVIIe et le XVIIIe siècles ? Comment est
perçu le pays d’alors ? Quel est le but de ces récits détaillés ?

Les agents du pouvoir royal ont montré en premier lieu une grande
sollicitude en ce qui concerne les productions et les ressources du Maroc.
Des détails précieux touchent les richesses extraites du sol et de la mer par
les Marocains ainsi que le commerce terrestre et maritime. Les intérêts
commerciaux de la France au Maroc semblent motiver cette volonté de
connaître de cette manière le pays.

Les forces militaires à la disposition du souverain marocain


constituent le deuxième thème. La puissance des armées est un sujet très
173

important. Il faut absolument s’interroger sur les représentations françaises


à son égard. En effet plus la force militaire d’un État est connue et donc
jugée considérable ; plus le pays provoque un profond respect chez les
autres nations. Qu’en est-il pour le Maroc de l’époque ?

La connaissance des points forts et points faibles de l’État marocain


par les Français a sans aucun doute influencer les représentations de
déconsidération de « l’autre » marocain. Les images hostiles à l’encontre
des sultans Moulay Ismaïl et Sidi Mohammed ainsi que du mahrzen vont
également dans ce sens. Les écrits français critiquent par conséquent
énormément l’État marocain et surtout son fonctionnement. Le « moi »
français compare d’ailleurs les bonnes mœurs et valeurs de l’État royal avec
les institutions perfides et corrompues du Maghreb Al-Aqça entretenues par
les souverains marocains. Quelles visions explicites les Français portent-ils
maintenant sur les habitants même du Maroc ? Sont-ils aussi critiques à
leurs égards qu’ils le sont sur l’État marocain et le sultan ?
174

Chapitre 9.
Les habitants.
175

Une multitude de détails dans les écrits qui ont suivis les envoyés
marocains en mission en France évoquent des renseignements sur la
population marocaine. Ce sont effectivement des Marocains qui
appartiennent à un peuple. Les informations concernent en général les
représentants du sultan mais certains auteurs français n’hésitent pas à
fournir des précisions sur l’ensemble de la population marocaine de
l’époque. Il est d’ailleurs intéressant de corroborer les indices diffusés par
les récits de voyage avec les écrits français concernant directement les
comportements en France des ambassadeurs du Maroc. Quelles idées sont
véhiculées sur ces Marocains ? Quelle est l’opinion en France qui circule
sur la population du Maghreb Al-Aqça ?

Les sujets choisis pour répondre sont nombreux. Tout d’abord


qu’est-ce que signifie le Marocain pour les Français à l’époque moderne ?
Y a-t-il un ou des Marocains ? Utilise t-on le terme pour définir les sujets
du sultan ? La mentalité de ces musulmans décrite par des chrétiens est
l’objet d’un second point. Les mœurs et les coutumes des habitants du
Maghreb Al-Aqça constituent le troisième. L’aspect physique peint
notamment à travers les estampes forme un nouveau point. Enfin
l’observation dans leurs vies quotidiennes donne des précisions sur ces
Marocains.
176

Maures, Berbères, Marocains…

L’appellation utilisée par les Français pour définir les Marocains de


l’époque devient fondamentale pour connaître le regard porté sur les
représentants du sultan et en général sur « l’autre » marocain. Quels mots
sont donc usités pour parler des Marocains aux XVIIe et XVIIIe siècle ?
Comment sont appelés les envoyés du sultan en France ?

L’étude des termes offre l’opportunité de montrer d’abord la


multitude de désignations existantes pour dénommer les envoyés du sultan
à cette période. Le vocabulaire employé permet en outre de discerner les
connaissances des Français sur l’ensemble de la population du Maroc à
l’époque moderne. Les écrits des consuls en poste au Maroc – surtout ceux
de Louis de Chénier – demeurent essentiels puisqu’ils sont au contact direct
avec cette population musulmane.

Les renseignements fournis par ces agents royaux fourmillent


effectivement de remarques pertinentes sur la composition « ethnique » du
Maghreb Al-Aqça. Il faut comparer les affirmations des consuls avec celles
des autres voyageurs officiels ou non sur la question pour obtenir les
divergences existantes ou au contraire les généralités qui apparaissent au
cours des siècles. Il reste intéressant à ce sujet de cerner l’influence des
écrits de ces Français sur ceux qui écrivent juste au moment de l’arrivée des
envoyés du sultan et qui ne sont jamais allés au Dar al-Islam.
177

Enfin il faut prendre en compte les adjectifs attribuées aux


ambassadeurs marocains et démontrer une tendance à généraliser ces
attributs au peuple entier voir au sultan même. Le plus souvent hostile, il
pose la question d’un certain mépris envers « l’autre ». Les Français
évoquent aussi la mentalité des Marocains cette époque. Que sont leurs
sentiments à ce sujet ?

Leurs « caractères »

La mentalité des Marocains est un thème largement traité dans les


écrits des Français. Les indices sur le sujet sont indéniable surtout à
l’occasion de la présence des représentants du Maghreb Al-Aqça. De
quelles manières la France perçoit-elle le « caractère » des envoyés du
sultan et en général du peuple marocain ? Quels sont les préjugés qui
prévalent ? Quelles sont les origines de ces jugements ? Est-ce que la vision
de la mentalité de « l’autre » marocain évolue entre le XVIIe et le XVIIIe
siècle ?

La mentalité de « l’autre » marocain semble avoir intéressé


grandement le « moi » français comme peut en témoigner l’abondance des
réflexions trouvées dans les sources sur le sujet. Des témoignages émanant
du pouvoir royal à ceux des littéraires en passant par ceux des captifs et des
178

hommes d’église, il existe un mutuel intérêt à peindre le « caractère » des


représentants marocains. Il faut évidemment séparer les qualités et les
défauts personnels des envoyés du mahrzen de ceux que les Français
amputent en général à tous les Marocains à l’époque moderne.

Les différents discours français montrent en effet une tendance à


généraliser des traits de caractères à partir de l’exemple de l’envoyé
marocain à l’ensemble de toute la population du Maroc y compris et surtout
le sultan. Cette généralisation pose alors l’interrogation des préjugés
hostiles et méprisant envers l’Africain du Nord à cette période. Le « moi »
français paraît effectivement décrire le Marocain comme inférieur à lui. Les
défauts du musulman prédominent aux yeux des Français. Que pensent ces
derniers par conséquent des mœurs et coutumes de « l’autre » marocain ?

Mœurs et coutumes

Le comportement des envoyés marocains lors de leurs missions en


France fait l’objet de curiosité chez la plupart des Français. Ces derniers
notent effectivement dans leurs écrits la vie quotidienne des Marocains au
royaume des Bourbon. Des détails sur certaines mœurs et coutumes de ces
musulmans sont alors peintes par le « moi » français. Quelles sont les
impressions à l’encontre de ces habitudes étrangères ?
179

Néanmoins les comportements de ces représentants ne peuvent


représenter ceux de la majorité des Marocains. Il ne faut pas oublier que les
ambassadeurs appartiennent à l’élite mahrzenienne. Certaines attitudes
peuvent être propres à ces agents du sultan. Toutefois les Français de
l’époque moderne ont une nouvelle fois tendance à généraliser les mœurs et
coutumes des envoyés en mission à toute la population du Maghreb Al-
Aqça.

1 La vie quotidienne en France

Les ambassadeurs marocains séjournent au royaume des Bourbon


pour une durée généralement longue. Personne ne reste différent à la
présence de ces musulmans. Les représentants du Maroc ont alors été
décrits dans leurs vies de tous les jours en France. Les estampes relatives à
ces Marocains à Paris ainsi que les écrits français – surtout les gazettes de
l’époque – ne laissent passer aucuns détails sur les habitudes des envoyés
du sultan. C’est un sujet qui semble avoir considérablement passionné les
Français.

Les remarques touchent entre autre leur façon de saluer, de dormir


leur manière de se tenir à table et de manger, leurs mets traditionnels et
leurs occupations préférés. Plusieurs commentaires très intéressants pour
l’étude accompagnent les renseignements fournis par les auteurs des écrits.
180

A partir de l’exemple de l’envoyé du sultan, les Français posent un regard


général sur les habitudes des Marocains. Un certain mépris apparaît alors
dans les représentations de ces dernières.

2 L’image de la femme

Durant tout leur voyage au royaume de France, les envoyés


marocains sont énormément sollicités par le sexe féminin sur les femmes de
leurs pays. Les dialogues entre les Marocains et les Françaises sont alors
reproduits principalement dans les gazettes du moment telles que le
Mercure Galant. Il faut y accorder une très grande attention puisque les
dires à ce sujet véhiculent en fait un regard précis porté sur la condition des
musulmanes.

Une énorme curiosité semble animer les courtisanes. Il n’existe


aucune source émanant directement de la main des femmes françaises.
Seules les gazettes peuvent en témoigner. Elles questionnent les Marocains
de manière indirecte sur le sexe féminin. Les interrogations des dames
portent autour du droit à la polygamie. Les envoyés marocains tout au long
de leur périple sont harcelés par des questions relatif à ce thème. Il semble
que ce sujet intéresse fortement les courtisanes très curieuses de connaître
les raisons autorisant ces musulmans à prendre pour épouse plusieurs
femmes.
181

Les mœurs et coutumes des envoyés du sultan sont donc généralisées


à tous les Marocains. Un certain mépris à l’encontre de leurs
comportements ressort très nettement des lectures de l’époque. Quels
jugements les Français portent-ils sur les tenues vestimentaires de ces
Africains du Nord ?

Les tenues vestimentaires

Le regard des Français sur les tenues vestimentaires des envoyés du


Maroc est intéressant à mettre en valeur dans le but de connaître la
considération apportée à ces hommes de l’autre rive de la Méditerranée. A
partir notamment des estampes mettant en scène les ambassadeurs du
Maroc en France mais aussi à partir des sources écrites, il est par
conséquent plausible de fournir de précieux détails sur les tenues
traditionnelles des Marocains.

Les habits divergent en effet de la tête au pied avec ceux de la cour.


Le costume des représentants du sultan demeure ainsi un objet de curiosité.
Les impressions des Français restent nombreuses à ce sujet. Les jugements
français concernent aussi bien la manière dont les Marocains se couvrent la
tête que ce qu’ils portent au pied en passant évidemment à leur longue robe
traditionnelle.
182

Il faut signaler que la vision portée par les Français sur cette tenue
vestimentaire semble imprégné d’un certain dédain. Les descriptions qui
ressortent des estampes et des écrits montrent effectivement une supériorité
du « moi » par rapport à « l’autre » marocain.

Cette dernière constatation résume en fait très bien ce chapitre sur les
habitants du Maroc. Les Français méprisent en général le Marocain. Ils
critiquent en effet sévèrement ce musulman. De multiples défauts moraux
leur sont adjugés dans les documents de l’époque. Leurs mœurs et
coutumes sont mal vues. Les tenues vestimentaires portés par les envoyés
du sultan sont jugées avec mépris. Le « moi » français reste par conséquent
très ancré sur une image négative des sujets du sultan à cette époque. Quel
est dans ces conditions son regard sur la religiosité du Marocain en France ?
183

Chapitre 10.
La religiosité de « l’autre » marocain.
184

La religion demeure à cette période un sujet très important. Elle


rythme la vie quotidienne de chacun. En outre l’arrivée de personnes d’une
autre religion constitue une curiosité pour les chrétiens. Durant leurs séjours
en France, les représentants du sultan – dont certains sont hadj – ont
continué à pratiquer leur religion bien qu’ils soient éloignés de leurs pays.
Frappés par leurs piétés, les Français qui ont suivis ces musulmans tout au
long de leurs voyages ont pris des notes des faits et gestes religieux de ces
hommes du Sud. Il faut noter immédiatement que c’est le regard de
chrétiens sur avant tout des musulmans.

Quels sont par conséquent les regards portés sur la religiosité des
représentants du Maghreb Al-Aqça par le « moi » français ? Différencie-t-il
un islam pratiqué par les Marocains par rapport à celui pratiqué par d’autres
musulmans venus en France comme les Ottomans, les Persans ou les
« Barbaresques » ?

Les propos abordés par les Français sont abondants. Le premier par
exemple concerne le dieu des musulmans et leur prophète Mahomet. Un
deuxième thème évoqué ce sont les moments de prière et de dévotion.
Troisièmement des détails dans le comportement même des Marocains régis
par les préceptes de la religion musulmane n’ont pas échappé à certains
contemporains. Le ramadan pratiqué parfois par les envoyés du sultan
pendant leurs missions en France constitue aussi une curiosité pour les
chrétiens. Enfin les interdits religieux pour ces pratiquants font l’objet de
discussions chez les chrétiens.
185

La religion des Marocains

L’image française des ambassadeurs du sultan ne se discerne pas de


celle de la religion pratiquée par ces derniers. Les commentaires concernant
les pratiques religieuses des Marocains demeurent alors très nombreuses
dans les écrits français de l’époque. Le sujet passionne les témoins de
l’époque.

Il faut dire qu’à cette période il n’existe pas de communauté


musulmane installée en Europe à l’inverse de celle des Juifs. Dans ces
conditions l’islam ne laisse pas évidemment insensible les Français. Ainsi
les seuls musulmans côtoyés par eux officiellement demeurent les
représentants de souverains musulmans. Leur venue restent néanmoins
extraordinaires.

L’arrivée des Marocains en France est ainsi l’occasion d’évoquer


leur livre de référence, leur prophète et leur dieu. Quels sentiments
prédominent alors à l’encontre de l’islam ? Comment est-elle perçue par les
Français ? Comment considèrent-ils le Coran ?

La religion musulmane comprend différentes tendances. Les


Marocains suivent un islam sunnite d’école juridique malékite. Ils se
différencient ainsi des Ottomans qui prêchent un sunnisme d’école juridique
hanafite. Les différences entre les deux écoles reposent sur les sources sur
186

lesquelles se fondent selon eux la charia. Les Persans suivent eux la branche
chiite : il réserve ainsi au gendre du Prophète, Ali et à ses descendants le
droit de diriger la communauté. En conclusion des interprétations sur la
religion et des pratiques diffèrent entre ces trois communautés musulmanes.

Il semble par conséquent captivant de savoir si les Français des


XVIIe-XVIIIe siècles sont sensibles à ces distinctions religieuses. Mais
surtout il faut cerner les particularités diffusées par les chrétiens sur la
religion même des Marocains en France. Enfin il est nécessaire de mettre en
valeur l’hostilité à l’encontre de la confession des envoyés du Maroc et de
l’islam en général. Quels regards sont portés par les Français maintenant sur
les interdits religieux des ambassadeurs du Maghreb Extrême ?

Les interdits religieux

Le dernier élément auquel les chrétiens se sont attachés à décrire


dans les principes de la religion musulmane semble être les interdits
religieux. Le Coran proscrit effectivement la consommation de certains
produits ainsi que certaines pratiques jugées illicites. Les Marocains en
France apparaissent respecter ces interdits. Comment est représenté le
musulman marocain par les Français à cette occasion ?
187

Les écrits français ne sont pas restés indifférents à l’assiduité des


agents du mahrzen aux principes de leur religion. Les interdits notés
concernent principalement la nourriture. Le croyant doit se plier à des
règles très précises. Il ne peut manger n’importe quel viande. Le porc lui est
interdit et les animaux doivent être égorgé selon la tradition islamique. Le
musulman ne peut pas également consommer des boissons alcoolisées.

Toutefois les pratiques illicites concernent aussi d’autres domaines.


Les Français mettent ainsi en évidence la condamnation du culte de
l’image. Les informations sur la question sont en effet très nombreuses.
Lors de leur séjour à Paris, les ambassadeurs marocains sont conduits à
visiter les arts français dont la peinture et la sculpture. A cette occasion, les
témoignages chrétiens pullulent sans équivalent.

Les jugements portés sur les devoirs religieux des Marocains


contribuent donc à renforcer l’image pieuse de ces musulmans. Mais les
Français montrent toujours un certain mépris à l’égard des principes
religieux des envoyés du sultan. Quels sentiments jaillissent à présent lors
des moments de dévotions de ces musulmans ?
188

Les moments de dévotions

Après cette mise en point générale sur les sentiments des Français
sur la religion des Marocains, les écrits se recentrent plus particulièrement
sur les pratiques religieuses au quotidien de ces musulmans. Ainsi le
deuxième thème privilégié par les écrits de l’époque concerne les moments
voués directement au Dieu des Africains du Nord.

Les temps de ferveur se manifestent de deux manières essentielles.


Le Marocain continue d’abord à prier au royaume des Bourbon. La prière
est un des cinq piliers de l’islam. Le « Croyant » doit effectuer sa prière
cinq fois par jour. Comment la prière de ces musulmans est-elle interprétée
par les chrétiens ?

Mais la dévotion des envoyés du sultan s’exprime également par


d’autres gestes lors de leur voyage en France comme la lecture du Coran.
Pendant leurs périples en terre chrétienne, les représentants du Maroc
semblent redoubler de piété. Le fait de se trouver sur le territoire des
« Incrédules » ne semble pas innocent. De quelles manières les chrétiens
décrivent-ils cette ferveur des Marocains ?

Les sources françaises dont les gazettes abondent sur ce thème. La


piété des Marocains fait alors l’unanimité. Mais un certain dédain marque
les relations des Français concernant les moments de dévotion des envoyés
189

du mahrzen. Les commentaires chrétiens dégagent effectivement des


ressentiments à voir « l’autre » marocain professé une fausse religion. Est-
ce que les impressions des Français demeurent les mêmes en ce qui
concerne un des cinq piliers de l’islam : le ramadan ?

Le ramadan

Le troisième sujet évoqué par les documents français touche un autre


moment de religiosité des Marocains : le jeûne sacré. Le ramadan consiste à
ne pas boire et manger à partie du lever du soleil jusqu’à son coucher. C’est
un mois sacré dévoué à la méditation religieuse. La date du ramadan varie
tous les ans.

Mais le voyage en France des envoyés du sultan tombe parfois avec


la période du jeûne sacré. Les représentants du Maghreb Al-Aqça jeûnent
par conséquent en terre « infidèle. Les chrétiens qui ont suivi ces
musulmans dans leurs périples ont relaté le déroulement de cet événement
dans leurs relations. Comment est décrit les ambassadeurs marocains à cette
occasion ? Que pensent les Français du ramadan pratiqué par ces
musulmans à l’époque moderne ?

Ils sont alors tous frappés par la ferveur religieuse des Marocains qui
suivent scrupuleusement leur religion en terre chrétienne. Certains des
envoyés du sultan vont même jusqu’à poursuivre leur jeûne après la fin
190

officielle du ramadan. Il existe également des cas d’ambassadeurs qui


commencent le jeûne avant le début officiel. Ces pratiques sont tout à fait
normales. Elles montrent seulement la piété dont fait preuve ces musulmans
en France.

Les représentations des Français sur le ramadan sont très captivantes.


Une incompréhension paraît en effet se répandre dans le regard du « moi »
sur le sujet. Elle se généralise d’ailleurs à la religion des Marocains et à la
ferveur religieuse dont ces derniers font preuves en France. Cette
incompréhension s’accompagne aussi d’une hostilité du « moi » français à
l’encontre de l’islam pratiqué par ces Africains du Nord. Les envoyés du
mahrzen prêchent donc une fausse croyance dont les écrits chrétiens
condamnent en général toutes les pratiques.
191

Le regard porté sur les ambassades et missions marocaines en France


offrent par conséquent la possibilité de cerner au passage les représentations
du « moi » français à l’encontre de leur pays d’origine : le Maghreb Al-
Aqça. Les sources évoquant les envoyés du sultan font en effet jaillir les
conceptions des Français de l’époque sur cet État musulman.

Une agressivité à l’encontre de « l’autre » marocain ressort en


conclusion des écrits. Le Maroc est perçu en général de manière négative.
Son importance au sein du continent africain est minimisée. L’État
marocain dont à la tête le sultan est diabolisé. Les souverains sont
imprégnés effectivement au XVIIe et XVIIIe siècles d’une image négative à
tous les niveaux. Mais les habitants du Maghreb Al-Aqça ne sont pas
épargnés. Leurs mœurs et coutumes ainsi que leurs traditions demeurent
méprisées par le « moi » français. Enfin la religiosité des Marocains et
l’islam est elle aussi condamnée.

L’image des envoyés du sultan en tant que représentants du Maroc


est sans aucun doute noircit. La tendance à généraliser à tous les Marocains
des reproches à l’origine destinés à un d’entre eux demeure la raison
primordiale. Néanmoins ce tableau sombre se véhicule parmi un petit
nombre de Français par l’intermédiaire des gazettes.
192

CONCLUSION
193

Les sources françaises sur lesquelles reposent tout d’abord ces


affirmations intéressent les ambassades et missions marocaines en France
aux XVIIe et XVIIIe siècles sous l’égide de Hadj Mohammed Temim
(1681-1682 et 1685), de Abdallah Ben Aïcha (1698-1699), de Ali Pérès
(1772-1773), de Abdallah Scalante (1774-1775), de Tahar Fennich (1777-
1778) et de Hadj Larbi Moreno (1786). L'observation minutieuse de celles-
ci peut par conséquent permettre de cerner le regard des Français de
l’époque sur « l’autre » marocain. Les représentations françaises concernant
les envoyés du sultan amènent en effet les Français à formuler des
sentiments sur le Maroc et la civilisation marocaine. Il semble alors qu’une
certaine hostilité règne à l’encontre de cet Africain du Nord. Plusieurs
indications le prouvent.

La connaissance des relations diplomatiques entre le royaume de


France et le Maghreb Al-Aqça démontrent en premier lieu la
déconsidération portée par l’État français sur ce pays musulman. Les projets
à visée « coloniale » sous Richelieu, Louis XIV et Louis XV l’illustrent très
bien. Mais l’arrivée des envoyés du sultan en France à l’époque moderne
demeure en outre très mal perçues par le pouvoir royal. Les consuls en
place au Maroc sont d’ailleurs chargés d’éviter à tout prix ces missions
jugées embarrassantes.

En second lieu, les traitements et les honneurs accordés aux agents


du mahrzen en France confirment le manque d’égard du pouvoir royal en ce
qui concerne les Marocains. L’analyse précise du déroulement de l’accueil
des représentants du Maghreb Al-Aqça grâce aux gazettes telles que le
194

Mercure Galant et aux mémoires du baron de Breteuil certifie effectivement


le peu d’égard porté sur ces hommes du Sud. La continuelle comparaison
avec les ambassades d’autres pays lointains et indépendants arrive à cette
conclusion.

Enfin pour les Français de l’époque, les ambassadeurs du Maroc sont


l’archétype de leur peuple. Ils reflètent en effet selon eux très bien le peuple
marocain, ses comportements et ses traditions. Les visions sur le sujet qui
ressortent des sources françaises – comme les mémoires et les ouvrages du
consul Louis de Chénier au XVIIIe siècle – montrent alors la généralisation
d’un mépris à l’égard de « l’autre » marocain. Ce dernier est perçu comme
inférieur par rapport au « moi » français. Aux yeux des Français, la
civilisation de la France demeure bien au-dessus de celle du Maroc.

Ce regard des chrétiens sur les envoyés marocains ne s’oppose pas


par conséquent aux représentations négatives des récits de voyage sur le
Maghreb Al-Aqça rédigés par des captifs français, des rédempteurs et des
agents royaux et qui apparaissent entre la fin du XVIIe siècle et la première
moitié du XVIIIe siècle. Ces Français – qui ont connu concrètement le
Maroc – ont en effet largement diffusé une image négative du ce pays.
L’arrivée des ambassadeurs du mahrzen en France n’a pu modifier ce
regard hostile sur « l’autre » marocain. Au contraire, il semble que la
présence de ces musulmans contribue à certifier les dires véhiculés par les
récits de voyage.
195

Néanmoins il faut apporter quelques nuances sur la vision française


qui ressort à l’égard des Marocains à cette époque. Des Français surmontent
la barrière culturelle qui sépare les deux communautés. Des liens amicaux
se créent entre des envoyés du Maroc et des membres de la cour. Le
corsaire Abdallah Ben Aïcha entretient par exemple une relation amoureuse
avec Charlotte Melson, veuve du conseiller d’État André Le Camus204. Les
ambassadeurs dans ces conditions laissent plutôt une bonne impression sur
ces Français. Toutefois en général, les préjugés à l’encontre de « l’autre »
marocain à cette période prédominent largement.

Les sources françaises concernant les ambassades et missions


marocaines entre 1682 et 1786 offrent également d’autres possibilités. La
richesse des correspondances épistolaires entre les différents agents du roi –
notamment des consuls de Salé et des intendants des ports – et le pouvoir
central met en évidence le fonctionnement de la « diplomatie » française
qui se perfectionne. Elles peuvent ainsi permettre par exemple de mieux
connaître l’organisation de la « diplomatie » française relative à l’accueil
des envoyés des pays lointains dont les Marocains. Enfin en évoquant
« l’autre » marocain, les gazettes françaises de l’époque – sources très
intéressantes – portent aussi indirectement un regard sur le royaume de
France et la civilisation française.

204
Y. Nekrouf, Une Amitié orageuse : Moulay Ismaïl et Louis XIV, op. cit., p. 316. Ben Aïcha
rédige en mai 1699 un poème d’amour en l’honneur de Madame Le Camus. Une mauvaise
traduction de Pétis de La Croix qui ne rend pas malheureusement l’intensité poétique existe dans
les Archives Nationales, Marine, Pays étrangers, commerce et consulats, Maroc, B7 223, 1682-
1717, f° 1, copie.
196

Il faut préciser enfin que tous les documents dépouillés à présent


résident dans les principaux centres d’archives parisiens. Il est en effet fort
possible de trouver des sources sur le sujet dans les villes de province dans
lesquelles les Marocains ont séjourné. Il s’agit surtout de Marseille avec les
archives de la Chambre de Commerce ou encore de Toulon et de Brest. Le
fait de pouvoir trouver des écrits français sur les agents du sultan autre qu’à
Paris permet d’empêcher d’obtenir un regard limité à un cercle parisien. Au
contraire il peut être intéressant de comparer les visions françaises en ce qui
concerne « l’autre » marocain selon un critère géographique.
197

SOURCES
198

I Sources manuscrites

I a Archives Nationales ou CARAN – Centre d’accueil et de recherche des


Archives Nationales (11, rue des Quatre-Fils, 75003 Paris)

Série. Affaires Etrangères.

Sous-série BI. Correspondance consulaire – Ordres du roi et


dépêches.

Levant et Barbarie

BI 17. 1772 (registre). Lettres du consul français


à Salé Louis de Chénier destinées à la Chambre de Commerce de Marseille
sur la mission de Ali Pérès.
199

BI 18. 1773 (registre). Lettres de Louis de


Chénier à la Chambre de Commerce de Marseille sur Ali Pérès.

BI 19. 1774 (registre). Correspondance entre


Versailles et la Chambre de Commerce de Marseille sur l’accueil de
Abdallah Scalante.
BI 20. 1775 (registre). Lettres entre Versailles et
Marseille sur la mission de Scalante.

BI 22. 1777 (registre). Lettres de Versailles à ses


agents – entre autres les secrétaires interprètes – sur l’accueil de Tahar
Fennich.

BI 23. 1778 (registre). Correspondance de la


cour avec ses agents, avec la Chambre de Commerce de Marseille et avec
Louis de Chénier sur Tahar Fennich.

BI 26. 1781 (registre). Lettres diverses de la cour


à ses agents sur la mission de Ali Pérès.

Maroc

BI 825. Volume 1. 1577-1692. Lettres et


mémoires du secrétaire d’État à la Marine Seignelay et du consul Périllié
relatifs à l’ambassade de Hadj Mohammed Temim en France en 1681-1682.
200

BI 826. Volume 2. 1693-1698. Lettres et


mémoires des consuls Jean-Baptiste et Pierre Estelle et du secrétaire d’État
à la Marine Pontchartrain relatifs à l’ambassade de Abdallah Ben Aïcha en
1698-1699.

BI 827. Volume 3. 1699-1705. Lettres et


mémoires du consul Estelle et du secrétaire d’État à la Marine relatifs à
l’ambassade de Abdallah Ben Aïcha en 1698-1699.

BI 834. Volume 10. 1772-1773. Lettres et


mémoires de Chénier au secrétaire d’État et ministre à la Marine Bourgeois
de Boynes.

BI 835. Volume 11. 1774. Lettres de Pothonier


au secrétaire d’État à la Marine le comte de Sartine sur la mission de
Abdallah Scalante.

BI 836. Volume 12. 1775. Lettres de Chénier au


secrétaire d’État à la Marine le comte de Sartine sur Scalante.

BI 838. Volume 14. 1777. Lettres et mémoires


de Chénier au secrétaire d’État à la Marine le comte de Sartine sur
l’ambassade de Tahar Fennich.
201

BI 839. Volume 15. 1778. Correspondance de


Chénier au secrétaire d’État à la Marine le comte de Sartine sur Tahar
Fennich.

BI 841. Volume 17. 1781-1782. Correspondance


de Chénier au secrétaire d’État à la Marine le marquis de la Croix-Castries
sur la mission de Ali Pérès.

BI 842. Volume 18. 1783-1785. Lettres du


consul Mure au secrétaire d’État à la Marine le marquis de la Croix-Castries
sur la mission de Hadj Larbi Moreno.

BI 843. Volume 19. 1786-1789. Lettres des


intendants de Toulon destinées à la cour concernant Hadj Larbi Moreno.

Sous-série BIII. Consulats. Mémoires et documents – Levant et


Barbarie.

Correspondance de la Chambre de commerce de


Marseille destinée au secrétaire d’État et ministre à la Marine.

BIII 93. Juillet-décembre 1774.


202

BIII 95. 1776-1777.


BIII 96. 1778-1779.
BIII 98. 1781.
BIII 108. Janvier-juin 1786.

Série. Marine.

Sous-série B1. Décisions du roi.

B1 79. 1773. Documents concernant la frégate de


Ali Pérès.

B1 86. 1778. Notes sur le cérémonial en ce qui


concerne l’ambassade de Tahar Fennich.

Sous-série B2. Ordres et dépêches.


203

Ordres du roi et dépêches concernant la marine du


Ponant et du Levant

B2 45. Juin-décembre 1681 (1er rouleau,


microfilm). Lettres de la cour à l’intendant de Brest sur Mohammed
Temim.

B2 52. Janvier-avril 1685 (1er rouleau,


microfilm). Lettres du secrétaire d’État à la Marine Seignelay à l’intendant
de Toulon sur Mohammed Temim.

B2 53. Janvier-décembre 1685 (microfilm).


Lettres du secrétaire d’État à la Marine Seignelay à l’intendant de Toulon
sur Temim.

B2 54. Janvier-décembre 1685 (microfilm).


Lettres du secrétaire d’État à la Marine Seignelay à l’intendant de Toulon
sur Temim.

Correspondance entre le secrétaire d’État à la Marine Pontchartrain et ses


agents – principalement les chefs d’escadre et les intendants des ports –
concernant Ben Aïcha et son séjour en France.

B2 130. 1698 (microfilm).


B2 134. 1698 (microfilm).
B2 136. Juin-décembre 1698 (microfilm).
204

B2 139. Janvier-Mars 1699 (microfilm).


B2 140. Avril-Juin 1699 (microfilm).

Sous-série B3. Service général.

Correspondance Ponant

B3 40. 1682. Lettres de l’intendant de Brest au


secrétaire d’État à la Marine Seignelay sur Mohammed Temim.

B3 49. 1685. Lettres de l’intendant de Toulon au


secrétaire d’État à la Marine Seignelay sur Temim.

Lettres diverses des agents royaux au secrétaire d’État à la Marine


Pontchartrain sur Ben Aïcha.

B3 107. Divers 1699.


B3 109. Divers 1700.

Sous-série B4. Campagnes.


B4 19. 1698 (microfilm). Lettres des chefs
d’escadre au secrétaire d’État à la Marine Pontchartrain relatives à Ben
Aïcha.
205

Sous-série B7. Pays étrangers, commerce et consulats – Dépêches.

Correspondance épistolaire entre Ben Aïcha et certains Français dont


Torcy, Pontchartrain et le marchand Jean Jourdan.

B7 66. 1698-1699.
B7 218 1692-1700.
B7 220. 1696-1700.
B7 223. 1682-1717.

B7 440. 1776-1781. Documents concernant le


protocole d’accueil réservé à l’ambassadeur Tahar Fennich en 1777-1778.

I b Archives du Ministère des Affaires Etrangères (1, rue Robert Esnault


Pelterie, 75007 Paris)

Série. Mémoires et documents.


206

Sous-série. Maroc.

Volume 1. 1629-1807. Documents d’origine


surtout consulaires concernant Temim en 1685 et Scalant en 1774-1775.

Volume 2. 1629-1810. Lettres, mémoires, et


relations sur les ambassades de Ben Aïcha en 1698-1699 et de Tahar
Fennich en 1777-1778.

Volume 3. 1630-1809. Documents divers


concernant la venue de Temim en France en 1685.

Série. Correspondance politique.

Sous-série. Maroc.

Correspondance épistolaire entre les sultans et les rois sur les ambassades et
missions marocaines en France.
207

Volume 1. 1533-1811 (microfilm).


Volume 2. 1534- 1810 (microfilm).

II Bibliothèques nationales de France

II a Site François Mitterrand (Quai François Mauriac, 75013 Paris)

Récits de voyage contemporains

Angers (Père François d’), L’Histoire de la mission des Pères Capucins de


la Province de Toureine au royaume de Maroque en Afrique, Nyort, Vve J.
Bureau, 1644. [8-O3J-63].
208

Charant (André), L’Histoire de Muley Arxid, roy de Tafilette, Maroc et


Tarudent avec la relation d’un voyage fait en 1666, vers ce Prince pour
l’établissement du commerce en ses Etats, Paris, G. Clouzier, 1670. [8-O3J-
54].

Desmay (Louis), Relation nouvelle et particulière du voyage des R.R.P.P.


de la Merci aux royaumes de Fez et de Maroc, pour la rédemption des
captifs chrétiens, négociée en l’année 1681 avec Moule Ismaël, roy de Fez
et de Maroc, régnant aujourd’huy, Paris, Vve G. Clouzier, 1682. [LD 44-
8].

La Tour (Abbé Seran de), Histoire de Mouley Mahamet, fils de Moulay


Ismael, roi de Maroc, Genève, 1749. [8-O3J-61].

Moüette (Germain), Histoire des conquestes de Mouley Archy, connu sous


le nom de roy de Tafilet, et de Mouley Ismaël ou Seméin, son frère et son
successeur à présent régnant, tous deux rois de Fez, de Maroc, de Tafilet,
de Sus, etc., contenant une description de ces royaumes, des loix des
coutumes et des mœurs des habitants, avec une carte du païs, à laquelle on
a joint les plans des principales villes et forteresses du royaume de Fez,
dessinées sur les lieux par le sieur G. Moüette, qui y a demeuré captif
pendant onze années, Paris, Edme Couterot, 1683. [8-O3J-56].
Relation historique de l’amour de l’empereur de Maroc, pour Madame la
Princesse de Conty, écrite sous forme de lettres à une personne de qualité
par Mr le comte D***, Cologne, P. Marteau, 1700. [Y2-61819].
209

Saugnier, Relations de plusieurs voyages à la côte d’Afrique, à Maroc, au


Sénégal, à Gorée, à Galan, etc., avec des détails intéressans pour ceux qui
se destinent à la traite des nègres, de l’or et de l’ivoire, etc., tirées des
journaux de Mer Saugnier, qui a été longtemps esclave des Maures et de
l’Empereur de Maroc. On y a joint une carte de ces différens pays, réduite
de la grande carte d’Afrique, de Mr De Laborde, ancien premier valet de
chambre ordinaire du Roi et gouverneur du Louvre, Paris, Gueffier jeune,
1791. [8-O3J-29].

Mémoires

[Baron de Breteuil], « Extraits des Mémoires de Breteuil », dans Sources


inédites de l’Histoire du Maroc, deuxième série, dynastie filâlienne,
Archives et Bibliothèques de France, tome V, du 11 novembre 1698 au 28
décembre 1699, Paris, Paul Geuthner, 1953, p. 213-248.

[Duc de Saint-Simon], Mémoires, tome I, 1691-1701, Paris, Gallimard


(Bibliothèque de la Pléiade), 1982.

[Marquis de Sourches], Mémoires du Marquis de Sourches sur le règne de


Louis XIV, publiés d’après le manuscrit authentique appartenant à M. le duc
des Cars, par le comte de Cosnac (Gabriel-Julien) et Edouard Pontal, tome
210

VI, Janvier 1698-décembre 1700, Paris, Hachette, 1886. [LB 37-220 bis
(6)].

Journaux

[Marquis de Dangeau], Journal du marquis de Dangeau, publié en entier


pour la première fois par M.M. Soulié, Dussieux, De Chennevières, Mantz,
De Montaiglon, avec les additions inédites du duc de Saint-Simon publiées
par M. Feuillet De Conches, tome 6, 1696-1698, Paris, Firmin Didot frères,
1856. [LB 37-149 (6)].

[Marquis de Dangeau], Journal du marquis de Dangeau, publié en entier


pour la première fois par M.M. Soulié, Dussieux, De Chennevières, Mantz,
De Montaiglon, avec les additions inédites du duc de Saint-Simon publiées
par M. Feuillet De Conches, tome 7, 1699-1700, Paris, Firmin Didot frères,
1856. [LB 37-149 (7)].
211

Œuvres littéraires

[Voltaire], « Candide ou l’optimisme », dans Voltaire, Romans et contes,


Paris, Garnier-Flammarion, 1966, p. 179-259.

[Voltaire], « Histoire des voyages de Scarmentado écrite par lui-même »,


dans Voltaire, Romans et contes, Paris, Garnier-Flammarion, 1966, p. 159-
167.

Gazettes de l’époque

Gazette d’Amsterdam, numéro 4, du Lundi 12 janvier 1699. [G-4280-4289].


(Ambassade de Ben Aïcha en France).

Gazette de France, numéro 1, du Lundi 2 janvier 1775. [Lc2-1 (J)].


(Présence de Abdallah Scalant en France).

Gazette de France, numéro 8, du Vendredi 27 janvier 1775. [Lc2-1 (J)].


(Présence de Abdallah Scalant en France).
212

Gazette de France, numéro 102, du Lundi 22 décembre 1777. [Lc2-1 (J)].


(Passages concernant le déroulement de l’ambassade de Tahar Fennich en
France).

Gazette de France, numéro 103, du Vendredi 26 décembre 1777. [Lc2-1


(J)]. (Passages concernant Tahar Fennich).

Gazette de France, numéro 8, du Lundi 26 janvier 1778. [Lc2-1 (J)].


(Passages concernant Tahar Fennich).

Gazette de France, numéro 38, du Lundi 11 mai 1778. [Lc2-1 (J)].


(Passages concernant Tahar Fennich).

Gazette de Rotterdam, [s. numéro], du Lundi 5 janvier 1699. [G-4280-


4287]. (Ambassade de Ben Aïcha en France).

Gazette de Rotterdam, numéro 3, du Lundi 19 janvier 1699. [G-4280-4287].


(Ambassade de Ben Aïcha).

Gazette de Rotterdam, numéro 7, du Lundi 16 février 1699. [G-4280-4287].


(Ambassade de Ben Aïcha).

Gazette de Rotterdam, numéro 8, du Jeudi 19 février 1699. [G-4280-4287].


(Ambassade de Ben Aïcha).
213

Gazette de Rotterdam, numéro 8, du Lundi 23 février 1699. [G-4280-4287].


(Ambassade de Ben Aïcha).

Histoire journalière de ce qui se passe de plus considérable en Europe,


numéro 17, du Jeudi 26 février 1699. [G-4280-4287]. (Ambassade de Ben
Aïcha).

Histoire journalière de ce qui se passe de plus considérable en Europe,


numéro 18, du Lundi 2 mars 1699. [G-4280-4287]. (Ambassade de ben
Aïcha).

Histoire journalière de ce qui se passe de plus considérable en Europe,


numéro 31, du Jeudi 16 avril 1699. [G-4280-4287]. (Ambassade de Ben
Aïcha).

Histoire journalière de ce qui se passe de plus considérable en Europe,


numéro 32, du Lundi 20 avril 1699. [G-4280-4287]. (Ambassade de ben
Aïcha).

Histoire journalière de ce qui se passe de plus considérable en Europe,


numéro 36, du Lundi 4 mai 1699. [G-4280-4287]. (Ambassade de Ben
Aïcha).

Histoire journalière de ce qui se passe de plus considérable en Europe,


numéro 37, du Jeudi 7 mai 1699. [G-4280-4287]. (Ambassade de Ben
Aïcha).
214

Histoire journalière de ce qui se passe de plus considérable en Europe,


numéro 38, du Lundi 11 mai 1699. [G-4280-4287]. (Ambassade de Ben
Aïcha).

Journal de Verdun ou La clef du cabinet des princes de l’Europe, décembre


1774, première partie. [FB-30287]. (Déroulement du séjour de Abdallah
Scalante en France).

Mercure de France, janvier et février 1778. (Relation de l’ambassade de


Tahar Fennich en 1777-1778).

Mercure Galant, janvier 1682. [microfilm 238]. (Relation de l’ambassade


de Hadj Mohammed Temim en 1681-1682).

Mercure Galant, février 1682. [microfilm 238]. (Relation de l’ambassade


de Hadj Mohammed Temim en 1681-1682).

Mercure Galant, février 1699. [microfilm 238]. (Relation de l’ambassade


de Ben Aïcha en 1698-1699).

Mercure Galant, mars 1699. [microfilm 238]. (Relation de l’ambassade de


Ben Aïcha).

Mercure Galant, avril 1699. [microfilm 238]. (Relation de l’ambassade de


Ben Aïcha).
215

Mercure Galant, mai 1699. [microfilm 238]. (Relation de l’ambassade de


Ben Aïcha).

Mercure Galant, juin 1699. [microfilm 238]. (relation de l’ambassade de


Ben Aïcha).

Nouvelles extraordinaires de divers endroits, [s. numéro], du Jeudi 26


février 1699. [G-4280-4287].

Nouvelles extraordinaires de divers endroits, [s. numéro], du Jeudi 12 mai


1699. [G-4280-4287].

Nouvelles extraordinaires de divers endroits, [s. numéro], du Mardi 14 avril


1699. [G-4280-4287]. (Passages concernant l’ambassade de Ben Aïcha).

Nouvelles extraordinaires de divers endroits, [s. numéro], du Jeudi 16 avril


1699. [G-4280-4287]. (Passages concernant l’ambassade de Ben Aïcha).

Supplement de La Clef ou journal historique sur les matieres du tems,


contenant ce qui s’est passé en Europe d’interessant pour l’Histoire, depuis
la Paix de Riswick par le Sieur C. J., première partie, 1698-1700, Verdun,
chez Claude Muguet Marchand librairie, avec privilege du roi. [8° Lc2-61].
(Passages relatifs à l’ambassade de Ben Aïcha).
216

II b Site Richelieu – Cabinet des Estampes (58, rue de Richelieu et 2, rue


Louvois, 75002 Paris)

Estampes mettant en scène l’ambassadeur Abdallah Ben Aïcha (1698-1699)

Collection Hennin, tome LXXIII, p. 24.

Collection Gaignières, ob. 10a, p. 62-65.

Histoire de France, QbI, années 1698-1699.

Estampe sur l’ambassade de Hadj Mohammed Temim (1681-1682)

Collection Hennin, tome LXXIII, p. 24.


217

II c L’Arsenal (1, rue Sully, 75004 Paris)

Ismaël, prince de Maroc. Nouvelle historique, Paris, Jean Guignard, 1698.


[8° BL 18629].

Saint-Amant (baron de), Voyage de monsieur le baron de Saint Amant,


capitaine de vaisseau, ambassadeur du Roy très chrétien, vers le Roy de
Maroc par un officier de marine, Lyon, Hilaire Baritel, 1696. [8° H 1397].

III Institut du Monde Arabe (1, rue des Fossés Saint-Bernard, 75005
Paris)

Armand (Jean), Voyages d’Afrique faicts par le commandement du Roy, où


sont contenues les navigations des Français, entreprises en 1629 et 1630,
sous la conduite de Monsieur le commandeur Razilly és costes occidentales
218

des royaumes de Fez et de Marroc, le traicté de paix fait avec les habitants
de Sallé et la délivrance de plusieurs esclaves français : ensemble la
description des susdits royaumes, villes, coustumes, religion, mœurs et
commodités de ceux dudit pays : le tout illustré de curieuses observations,
Paris, N. Traboulliet, 1631. [N 1818 R*].

Boulet (Abbé), Histoire de l’empire des Chérifs en Afrique, sa description


géographique et historique, la relation de la prise d’Oran par Philippe V
Roy d’Espagne, avec l’abrégé de la vie de Monsieur de Santa-Crux, cy
devant ambassadeur en France, et gouverneur d’Oran, depuis la prise de
cette ville, ornée d’un plan très exact de la ville d’Oran, et d’une carte de
l’Empire des Chérifs par Monsieur ***, Paris, Prault Père, 1733. [N 1822
R*].

Busnot (Père Dominique), Histoire du règne de Moulay Ismail Roy de


Maroc, Fez, Tafilet, Souz, etc… de la révolte et fin tragique de plusieurs de
ses enfans et de ses femmes, des affreux supplices de plusieurs de ses
officiers et sujets, de son génie, de sa politique et de la manière dont il
gouverne son empire, de la cruelle persécution que souffrent les esclaves
chrétiens dans ses Etats : avec le récit de trois voyages à Miquenez et
Ceuta pour leur rédemption, et plusieurs entretiens sur la tradition de
l’Eglise pour leur soulagement par le Père Dominique Busnot, Rouen, G.
Behourt, 1714. [N 1803 R*].

Chénier (Louis de), Recherches sur les Maures et l’histoire de l’empire de


Maroc, Paris, 1787, 3 volumes.
219

Dan (Pierre), Histoire de Barbarie et de ses corsaires, deuxième édition


revue et augmentée, Paris, P. Rocolet, 1649. [N 20 111 R*].

Fréjus (Roland), Relation d’un voyage fait dans la Mauritanie, en Affrique,


par le sieur Roland Fréjus, de la ville de Marseille, par ordre de sa
Majesté, en l’année 1666 : vers le Roy de Tafilete, Muley Arxid, pour
l’establissement du commerce dans toute l’étendue du Royaume de Fez : et
de toutes ses autres conquestes, Paris, G. Clouzier, 1670. [N 1791 R*].

Follie (Adrien), Mémoire d’un François qui sort de l’esclavage par M.


Follie, Paris, Laporte, 1785. [N 598 R*].

Histoire de Muley Arxid, roy de Tafilete, Fez, Maroc et Tarudent. [Avec la]
Relation d’un voyage fait en 1666 vers ce prince pour l’établissement du
commerce en ses états, [et une] Lettre en response de diverses questions
curieuses faites sur la religion, mœurs et coustumes de son pais ; avec
diverses particularitez remarquables écrites par Monsieur****** qui a
demeuré 25 ans dans les Royaumes de Sus et de Maroc, Paris, G. Clouzier,
1670. [N 1792 R*].

La Faye (Père Jean de), Mackar (Père Denis), D’Arcisas (Père Augustin),
Relation en forme de voiage pour la rédemption des captifs, aux roiaumes
de Maroc et d’Alger, pendant les années 1723, 1724 et 1725 par les Pères
Jean de La Faye, Denis Mackar, Augustin d’Arcisas, Henry Le Roy, Paris,
L. Sevestre, 1726. [N 1821 R*].
220

Le Blanc (Vincent), Voyages fameux du sieur Vincent Le Blanc marseillais,


qu’il a faits depuis l’âge de douze ans jusques à soixante, aux quatre
parties du monde : a scavoir aux Indes orientales et occidentales, en Perse
et Pegu, aux royaumes de Fez, de Maroc et de Guinée, et dans toute
l’Afrique, par les terres de Monomotapa, du Prestre-Jean et de l’Egypte,
aux isles de la Méditerranée, et aux principales provinces de l’Europe etc.,
redigez fidellement, sur ses mémoires par Pierre Bergeron parisien (1649),
et nouvellement revu corrigé et augmenté par le sieur Coulon, Paris,
Gervais Coulon, 1658. [N 1804 R*].

La Croix (Pétis de), Relation universelle de l’Afrique, ancienne et moderne,


ou l’on voit ce qu’il y a de remarquable, tant dans la terre ferme que dans
les îles, avec ce que le Roy a fait de mémorable contre les corsaires de
Barbarie, etc… en quatre parties par le Sieur de La Croix, Lyon, Amaulry,
1688. [N 1793 R*].

Mairault (Adrien Maurice de), Relation de ce qui s’est passé dans le


Royaume de Maroc, depuis l’année 1727 jusqu’en 1737, Paris, Chaubert,
1742. [N 1814 R*].

Rochon (Alexis), Voyages à Madagascar, à Maroc, et aux Indes orientales,


Paris, Prault, Levrault Frères, 1802, 3 volumes. [N 1800 R*].

Saint-Olon (François Pidou de), Estat present de l’Empire de Maroc, Paris,


M. Brunet, 1694. [N 1817 R*].
221

IV Sources publiées à l’époque contemporaine

Grillon (Pierre), Un Chargé d’affaires au Maroc. La Correspondance du


consul Louis Chénier 1767-1782, Paris, Ecole Pratique des Hautes Etudes,
1970, 2 volumes.

Penz (Charles), Journal du consulat général de France à Maroc 1767-1785


paraphé par Louis Chénier, texte publié d’après le manuscrit autographe
avec une introduction et des commentaires par Charles Penz, Casablanca,
Imprimeries Réunies, 1943.

- Les Émerveillements parisiens d’un ambassadeur de Moulay Ismaïl


(janvier-février 1682), Casablanca, Siboney, 1949.

Savine (Albert), Dans les fers du Moghreb : récits de chrétiens esclaves au


Maroc (XVIIe et XVIIIe siècles), Paris, Louis-Michaud, 1912.

Sources inédites de l’Histoire du Maroc, deuxième série, dynastie


filâlienne, Archives et Bibliothèques de France, tome I, du 23 mai 1661 au
29 mai 1682, Paris, Paul Geuthner, 1922.
222

Sources inédites de l’Histoire du Maroc, deuxième série, dynastie


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III f Consuls, ambassadeurs et voyageurs français au Maroc

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III g Les captifs français au Maroc

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III h Les envoyés marocains en France à l’époque moderne

Caillé (Jacques), « Ambassades et missions marocaines en France »,


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- « Les Naufragés de la Louise au Maroc et l’ambassade de Tahar Fennich à
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Cossé Brissac (Philippe de), « L’Ambassade d’‘Abd Allah Ben ‘Aïcha (11
novembre 1698-25 mai 1699 », dans Sources inédites de l’Histoire du
Maroc, deuxième série, dynastie filâlienne, Archives et Bibliothèque de
France, tome V, du 11 novembre 1698 au 28 décembre 1699, Paris, Paul
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El-Andalusi (Ahmed Ben Kacem El-Hajeri connu sous le nom d’Afoukay),


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III i Autres envoyés musulmans en France durant la même période

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trad. Julien-Claude Galland [1757], introduction, notes, textes annexes par
Gilles Veinstein, Paris, François Maspero, 1981.

Herbette (Maurice), Une Ambassade persane sous Louis XIV d’après des
documents inédits, Paris, Perrin, 1907.
255

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d’affaires et envoyés en mission spéciale de la Porte ottomane et de la
République de Turquie auprès de la France de 1483 à 1991 », dans Jean-
Louis Bacqué-Grammont, Sinan Kuneralp et Frédéric Hitzel, Représentants
permanents de la France en Turquie (1536-1991) et de la Turquie en
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Müge Göçek (Fatma), East encounters West : France and the Ottoman
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Rouard de Card (Edgard), Les Traités de la France avec les pays d’Afrique
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256

III j Autres envoyés non musulmans en France

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Van der Cruysse (Dirk), Louis XIV et le Siam, Paris, Fayard, 1991.

III k Représentation de « l’autre »

Hartog (François), Le Miroir d’Hérodote : essai sur la représentation de


l’autre, Paris, Gallimard, 2001.

III l Le monde musulman vu par les Européens


257

Bonnerot (Olivier), La Perse dans la littérature et la pensée françaises au


XVIIIe siècle. De l’image au mythe, Paris-Genève, Champion-Slatkine,
1988.

Carnoy (Dominique), Représentations de l’Islam dans la France du XVIIe


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Charnay (Jean-Paul), Les Contre-Orients ou comment penser l’autre selon


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Desmet-Grégoire (Hélène), Le « Divan » magique : l’Orient turc en France


au XVIIIe siècle, Paris, L’Harmattan, deuxième édition, 1994.

Martino (Pierre), L’Orient dans la littérature française au XVIIe et au


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Rodinson (Maxime), La Fascination de l’islam. Les étapes du regard


occidental sur le monde musulman. Les études arabes et islamiques en
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Sénac (Philippe), L’Image de l’autre. Histoire de l’Occident médiéval face


à l’islam, Paris, Flammarion, 1983.

Turbet-Delof (Guy), L’Afrique barbaresque dans la littérature française


aux XVIe et XVIIe siècles, Thèse d’État d’histoire, Université Paris III, Paris,
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Vovard (André), Les Turqueries dans la littérature française : le cycle


barbaresque, Toulouse, Edouard Privat, 1959.

III m Représentations du Maroc dans l’Europe moderne

Ascione (Christiane), Le Maroc de Moulay Ismail à travers les écrivains


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Bennani (Gilda), La Dimension mythique de Mulay Ismail à travers les


publications françaises des XVIIe et XVIIIe siècles, Thèse 3e cycle de
littérature comparée, Jacques Voisine (dir.), Université Paris III, Paris,
1979.

La Vérone (Chantal de), Vie de Moulay Ismaïl, roi de Fes et de Maroc


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Lebel (Roland), « Le Maroc dans les relations des voyageurs anglais aux
XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles », Hespéris, tome IX, 1929, 4e trimestre, p.
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- Les Voyageurs français du Maroc : l’exotisme marocain dans la


littérature de voyage, Paris, Larose, 1936.

- Le Maroc chez les auteurs anglais du XVIe au XIXe siècle, Paris, Larose,
1939.

- Le Maroc dans les lettres d’expression française, Paris, Editions


Universitaires, 1956.

Loupias (Bernard), L’Image du Maroc dans la littérature espagnole des


origines au temps des Lumières, Thèse d’État d’études ibériques, Charles
Minguet (dir.), Université Paris X, Paris, 1987.

Morsy (Magali), « A propos de l’Histoire de la longue captivité et des


aventures de Thomas Pellow récit anglais publié en 1739 », Hespéris
Tamuda, volume 4-fascicule 3, 1963, p. 289-311.

- La Relation de Thomas Pellow : une lecture du Maroc au XVIIIe siècle,


Paris, Edition Recherche sur les civilisations, 1983.
260

GLOSSAIRE
261

Ben : fils de

Cadi : juge d’après les lois coraniques.

Caïd : gouverneur

Calife : « vicaire » du Prophète.

Cheikh : « vieux », chef.

Chérif (chorfa au pluriel) : descendant du Prophète Mohamed, noble.

Dar al-Islam : « Demeure de l’islam ».

Djihad : « combat » sacré.

Émir : prince.

Fetoua : « dit » arbitral rendu par les docteurs en religion. Normalement la


fétoua n’est qu’une réponse à une personne qui est incertaine de ses droits.
Cependant elle devient au Maghreb Al-Aqça un procédé habituel de
gouvernement.

Hadj : qui a fait le pèlerinage.


262

Maghreb Al-Aqça : cette expression signifie « l’Extrême Occident »


musulman. Elle est utilisée pour désigner au Moyen-Age le Maroc. Ce
dernier mot apparaît effectivement avec la dynastie saadienne (1525-1659).
Il résulte tout simplement de la contraction de Marrakech, capitale
principale du pays. Toutefois les limites géoploitiques restent toujours
imprécises malgré cette nouvelle appellation.

Mahrzen : à l’origine ce terme signifie la trésorerie de l’État. Mais aussi le


magasin (d’ou le mot français) dans lequel est gardé l’argent. Puis son sens
s’est élargi sous la dynastie almohade (1147-1269) pour désigner
l’organisme administratif du pouvoir au Maroc. Le mahrzen connote donc à
la fois la notion de gouvernement et celle d’administration.

Oued : cours d’eau.

Ouléma : savant dans les sciences musulmanes.

Raïs : capitaine de vaisseau corsaire.

Ramadan : mois de jeûne.

Rihla : voyage, récit de voyage.

Sultan : titre porté dans les pays musulmans par des souverains dont la
fonction peut être justifiée comme une délégation de pouvoirs accordée par
le calife, qui n’a été jamais institutionnalisée. Au Maroc, les sultans ont les
263

mêmes prérogatives politiques et juridiques que les califes et exercent les


mêmes pouvoirs.
264

TABLE DES MATIERES


265

Introduction générale (p. 3-10)

Première partie (p. 11-122)


LES RELATIONS ENTRE LE MAROC ET LA FRANCE

Chapitre premier. Le Maroc et la France : des origines au XVIIe siècle


(p. 13-35)
Les antécédents diplomatiques (p. 14-20)
Sous le Saadien Moulay Zidan (1603-1627) (p. 21-29)
Sous les derniers Saadiens et les premiers Alaouites (1627-1672) (p. 29-35)

Chapitre 2. Les relations franco-marocaines à la fin du XVIIe siècle


(p. 36-75)
Enjeux et sources de conflits entre Moulay Ismaïl et Louis XIV (p. 38-44)
L’ambassade de Hadj Mohammed Temim (1681-1682) (p. 44-48)
Louis XIV envoie un ambassadeur à Meknès (p. 49-51)
Le deuxième voyage de Temim en France (1685) (p. 52-53)
Le consul Jean-Baptiste Estelle (p. 54-56)
L’ambassade de Saint-Olon au Maroc (1693) (p. 57-59)
L’ambassade d’Abdallah Ben Aïcha (1698-1699) (p. 60-68)
Vers la rupture des liens diplomatiques (p. 68-75)

Chapitre 3. Les rapports diplomatiques au XVIIIe siècle (p. 76-122)


Les relations entre la France et le Maroc de 1727 à 1767 (p. 78-84)
Le traité de Marrakech (le 28 mai 1767) (p. 84-91)
Le consul Louis de Chénier (p. 92-95)
L’évolution de la course salétine sous Mohammed III (p. 96-99)
La mission d’Ali Pérès en 1772 (p. 99-105)
Le voyage d’Abdallah Scalante (1774-1775) (p. 106-109)
L’ambassade de Tahar Fennich (1777-1778) (p. 109-114)
La deuxième mission d’Ali Pérès (1781) (p. 115-117)
Le voyage de Hadj Larbi Moreno (1785-1786) (p. 117-122)
266

Deuxième partie (p. 123-157)


TRAITEMENTS ET HONNEURS RENDUS EN FRANCE

Chapitre 4. Des ports français à Paris (p. 126-136)


Le système de réception
La vérification des titres
Traitements et honneurs rendus dans les villes de passage

Chapitre 5. Le séjour parisien (p. 137-146)


Entrée à Paris des Marocains
L’audience royale
Les visites
La vie de cour
Les relations des Français avec les Marocains

Chapitre 6. Les dépenses (p. 147-156)


La prise en charge
Les transports
Les frais alimentaires
Autres dépenses
Les présents offerts
Les coûts définitifs des missions marocaines

Troisième partie (p. 158-191)


LES ENVOYES MAROCAINS : MIROIR DE LEUR PAYS

Chapitre 7. Le Maghreb Al-Aqça (p. 160-165)


Délimitations géographiques
Descriptions du pays
Histoire du Maroc

Chapitre 8. L’État marocain (p. 166-173)


Le sultan selon les écrits français
Le mahrzen
Forces et faiblesses du pays
267

Chapitre 9. Les habitants (p. 174-182)


Maures, Berbères, Marocains…
Leurs « caractères »
Mœurs et coutumes
Les tenues vestimentaires

Chapitre 10. La religiosité de « l’autre » marocain (p. 183-190)


La religion des Marocains
Les interdits religieux
Les moments de dévotions
Le ramadan

Conclusion générale (p. 192-196)

Sources (p. 197-222)

Bibliographie (p. 223-259)

Glossaire (p. 260-263)

Illustration de couverture : Estampe concernant l’ambassade marocaine sous l’égide de


Ben Aïcha à Paris en 1699 tiré de Abdelhadi Tazi, At-tarikh ad-diplomassi li al-
Maghreb : mina al oussoul ila al-yawen [Histoire diplomatique du Maroc : des origines à
nos jours], tome IX, la dynastie alaouite, Mohammedia, Fdala, 1986, p. 81. L’original se
trouve au site Richelieu, Cabinet des Estampes, Histoire de France, QbI, années 1698-
1699.

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