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FINANCEMENT DE L'ÉCONOMIE
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et Olivier GARNIER
Chef-économiste et membre du Comité de direction du groupe Société Générale
Depuis 2009, les banques doivent s’ajuster massivement sous la pression cumulée de la crise
économique et financière, des régulateurs et des investisseurs. La place et le rôle de l’intermé-
diation financière sont dans une phase de modification importante, notamment dans la zone
euro, et plus particulièrement en France. Ces changements ne resteront cependant pas sans
conséquence pour les autres acteurs du financement de l’économie. En effet, cette modification
significative de la taille et de la structure des bilans bancaires poussée par les changements
réglementaires prudentiels produit des effets indéniables sur le risque supporté in fine par les
ménages, les entreprises et les autres intermédiaires financiers.
C
et article analyse les conséquences potentielles de
ces modifications sur le modèle de financement de besoins de financement plus longs et/ou plus risqués.
l’économie dans son ensemble (1). La première par-
tie rappelle les caractéristiques des différents modèles d’in- Ce déséquilibre entraîne un besoin de transformation de
termédiation financière existants. La deuxième partie illustre l’épargne en matière de maturité et de risque. Même si ce
les évolutions récemment observées dans la zone euro et en besoin existe dans tous les pays, son ampleur est variable :
France en particulier, et souligne les enjeux de la poursuite de il est plus important dans les pays d’Europe continentale que
dans les pays anglo-saxons du fait notamment que les sys-
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Ainsi, les banques portent dans leurs bilans le risque de trans- d’ajuster à la fois leur passif (augmentations de capital, ré-
formation de la maturité et du risque entre des dépôts le plus tention des profits, allongement de la dette, rémunération
souvent sans risque et liquides, et des crédits généralement à accrue des dépôts…) et leur actif (réduction d’activités de
maturité plus longue et d’une nature plus risquée ; prêts à long terme ou ne procurant pas de dépôts, réduction
du risque porté au bilan par recours au modèle « origination,
- le financement de marchés en direct ou par intermédiation puis distribution » et à la titrisation…).
de marché. En direct ou par l’intermédiaire de fonds d’inves-
tissement (comme les organismes de placement collectif en Les banques européennes se sont déjà largement adaptées,
valeurs mobilières (OPCVM)), l’offre et la demande d’épargne augmentant significativement leurs ratios de capital depuis
se rencontrent, mais les risques restent, en principe, suppor- 2008, ainsi que leurs différents ratios de liquidité. Par exemple,
tés in fine par les épargnants. si l’on regarde le ratio de capital « Core equity Tier 1 », qui
sert désormais de référence, celui-ci a dépassé 10 % fin 2013,
Aux États-Unis, ce sont les financements de marchés qui do- progressant de 3,6 points de pourcentage depuis juin 2011 (2).
minent, tandis que dans la zone euro ainsi qu’en France, les fi-
nancements par intermédiation de bilan apparaissent prépon- En contrepartie, le processus de désintermédiation des fi-
dérants. La différence la plus notable se situe dans le faible nancements (vers moins d’intermédiation de bilan et vers
poids des prêts bancaires aux États-Unis (à peine 15 % du plus d’intermédiation de marché) est déjà bien enclenché, en
financement total des ménages, entreprises non financières particulier en France. En effet, dans la zone euro, le finan-
et administrations publiques considérés dans leur ensemble, cement des sociétés non financières par les marchés repré-
y compris les financements en actions - cotées et non cotées) sente aujourd’hui 20 % de leur endettement, contre 13 % en
comparativement à la zone euro (un peu plus de 40 % du 2009. C’est en France que le mouvement est le plus marqué,
financement des mêmes secteurs non financiers). L’écart est avec une part du financement de marchés qui représente
même encore plus prononcé lorsque l’on ne considère que le aujourd’hui 36 % de l’encours de la dette des sociétés non
financement du secteur privé non financier (ménages + en- financières, contre 26 % en 2009 (et même les deux tiers des
treprises non financières) : moins de 20 % du total aux États- flux nets d’endettement sur les neufs premiers mois de 2014).
Unis, contre près de 60 % dans la zone euro. Cela reflète non En Italie et en Allemagne, ce mouvement de désintermédia-
seulement le plus grand recours du secteur privé aux finance- tion des financements est également visible, mais dans des
ments dits de marchés (titres de dettes et actions), mais aussi proportions qui restent moins importantes. En Espagne, le
le développement beaucoup plus important de la titrisation financement désintermédié reste quasi inexistant à ce jour
aux États-Unis (notamment en matière de prêts immobiliers). pour les entreprises, il n’est donc pas du tout venu compen-
ser l’effondrement du crédit bancaire.
Il convient toutefois de souligner que le risque de transfor-
mation n’a pas forcément disparu dans un système désinter- L’application complète de Bâle III s’étalant jusqu’en 2019, cet
médié. Tout d’abord, ce risque peut, par exemple, être sup- ajustement des circuits de financement de la zone euro de-
porté directement par les émetteurs eux-mêmes, si ceux-ci vrait se poursuivre.
financent leurs investissements à long terme par des obliga-
tions de plus courtes durées. D’autre part, et surtout, la plus … nécessitant une adaptation de la structure de
grosse partie des fonds d’investissement offrent à leurs dé- l’épargne et des placements des entreprises
tenteurs une liquidité journalière, alors même que certains de
leurs actifs ne sont qu’imparfaitement liquides, notamment Par un effet miroir, toute modification de la taille et de la struc-
en temps de crise. De ce fait, ils peuvent dans certaines cir- ture du bilan du système bancaire a pour contrepartie des
constances être eux aussi victimes de phénomènes de run ajustements dans le bilan du secteur non bancaire considé-
(fuite des détenteurs), comme on l’a vu en 2007-2008 pour ré dans son ensemble (3). Ainsi, à montant et à structure in-
certains fonds monétaires. changés des investissements finaux, si le système bancaire
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Du côté des emprunteurs, les évolutions sont plus rapides, Quelle compatibilité avec les autres changements
réglementaires ?
même si elles se produisent de façon inégale, et elles sont
d’ailleurs déjà bien engagées. Les grandes entreprises se Du point de vue de la stabilité macro-financière, tout cela
financent désormais quasi-exclusivement sur les marchés. milite pour une approche plus élargie et plus intégrée de la
Pour les entreprises de taille intermédiaire, qui n’ont pas direc- réglementation prudentielle, et non plus cantonnée aux seuls
tement accès aux marchés, des mécanismes de placements bilans des banques (ainsi qu’à ceux des assureurs). Le cas
privés de leurs dettes tendent à se développer rapidement, déjà évoqué du système bancaire parallèle (shadow banking)
même si les montants restent encore modestes d’un point de est bien sûr au cœur de cette problématique. Mais, outre la
vue macroéconomique. Enfin, pour les PME et les TPE, il est difficulté de définir et de délimiter ce secteur, une question de
vraisemblable que les prêts bancaires vont rester leur princi- fond se pose. D’un côté, il est souhaitable d’avoir un cadre
pal mode de financement, cela d’autant plus que les banques réglementaire qui soit le plus uniforme et le plus exhaustif
souhaitent maintenir une relation commerciale étroite avec possible afin d’éviter des stratégies d’arbitrage réglemen-
elles, cette clientèle leur procurant des dépôts considérés taire. Et de l’autre, du point de vue de sa stabilité, le sys-
comme stables. La BCE cherche par ailleurs à encourager la tème financier a besoin d’une certaine « éco-diversité » : si
titrisation des prêts aux PME sous une forme simple et trans-
tous les types d’institution financière sont soumis aux mêmes
parente, mais cela va probablement prendre du temps.
contraintes prudentielles, tous vont alors réagir de la même
Durant la phase de transition, la lenteur de ces ajustements manière et de façon synchrone en cas de choc macro-finan-
pourrait être source de difficultés de financement pour cer- cier, ce qui en amplifiera la transmission.
taines entreprises. Toutefois, à l’horizon des prochaines an-
Le processus de désintermédiation induit par l’évolution de
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De l’union bancaire à l’union des marchés de capitaux de construction. Il semble néanmoins être lié à l’objectif des
autorités européennes d’aller vers un modèle de financement
Au-delà des changements réglementaires, deux grandes moins dépendant du crédit bancaire et reposant, par consé-
évolutions en cours ou à venir vont profondément influencer quent, plus largement sur un grand marché unique européen
le financement de l’économie européenne au cours des an- des capitaux. En d’autres termes, il s’agirait de permettre à
nées qui viennent : d’une part, l’union bancaire dans la zone une entreprise de pouvoir se financer plus facilement par des
euro, dont le mécanisme de supervision unique (en place de- émissions d’actions ou d’obligations dans des conditions qui
puis novembre 2014) constitue la première étape et, d’autre ne dépendent pas de son pays d’appartenance. Cela soulève
part, le projet de création d’une union des marchés de ca- notamment de nombreux problèmes d’harmonisation, qui
pitaux au niveau de l’ensemble de l’Union européenne, qui vont de la réglementation des opérations sur valeurs mobi-
constitue une des priorités de la nouvelle Commission. lières au droit des faillites en passant par la fiscalité. Plus fon-
damentalement, il sera difficile d’aller vers un grand marché
Le premier objectif de l’union bancaire (non seulement via un
unique des capitaux sans création d’un grand marché unique
mécanisme unique de supervision, mais aussi via un méca-
de l’épargne.
nisme de résolution unique (MRU) pour les banques en diffi-
culté) est de rompre le lien entre les États membres de l’Union Au total, même s’il y a encore beaucoup d’étapes délicates
européenne et leurs systèmes bancaires respectifs. Durant la à franchir avant d’arriver à de véritables unions tant dans le
crise, ce lien a en effet contribué à fragmenter la liquidité et le domaine des banques que dans celui des marchés de capi-
crédit au niveau des frontières nationales. À plus long terme, taux, on peut prévoir qu’à terme le modèle de financement de
au-delà de ce premier objectif, l’union bancaire devrait aussi la zone euro aura profondément évolué : il sera tout à la fois
favoriser le développement d’un marché bancaire unique. plus intégré et moins dépendant du crédit bancaire, mais ce,
dans des proportions encore difficiles à prévoir.
Le projet d’union des marchés de capitaux reste, quant à lui,
complètement embryonnaire ; il s’agit d’un concept en cours
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